Histoire Terminale S Livre du professeur - Edition 2014 2011356164, 9782011356161

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Histoire Terminale S Livre du professeur - Edition 2014
 2011356164, 9782011356161

Table of contents :
SOMMAIRE
THÈME 1 Le rapport des sociétés à leur passé
CHAPITRE 1 L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France
Introduction au chapitre p. 14-15
Repères p. 16-17
Acteur p. 18-19
Étude 1 p. 20-21
Étude 2 p. 22-23
Étude 3  p. 24-25
Histoire des Arts p. 26-27
Cours 1 p. 28-29
Cours 2 p. 30-31
Prépa Bac p. 32-33
Prépa Bac p. 34-36
CHAPITRE 2 L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie
Introduction au chapitre p. 38-39
Repères p. 40-41
Acteur p. 42-43
Étude 1 p. 44-45
Étude 2 p. 46-47
Étude 3 p. 48-49
Histoire des arts p. 50-51
Cours p. 52-55
Prépa Bac p. 56-57
Prépa Bac p. 58-60
THÈME 2 Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945
CHAPITRE 3 Les États-Unis et le monde depuis 1945
Introduction au chapitre p. 62-63
Repères p. 64-67
Acteurs p. 68-69
Étude 1 p. 70-71
Étude 2 p. 72-73
Étude 3 p. 74-75
Étude 4 p. 76-77
Histoire des arts p. 78-79
Cours 1 p. 80-81
Cours 2 p. 82-83
Prépa Bac p. 84-85
Prépa Bac p. 86-88
CHAPITRE 4 La Chine et le monde depuis 1949
Introduction au chapitre p. 90-91
Repères p. 92-95
Acteurs p. 96-97
Étude 1 p. 98-99
Étude 2 p. 100-101
Étude 3 p. 102-103
Étude 4 p. 104-105
Histoire des arts p. 106-107
Cours 1 et 2 p. 108-111
Prépa Bac p. 112-113
Prépa Bac p. 114-116
CHAPITRE 5 Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale
Introduction au chapitre p. 118-119
Repères p. 120-123
Acteurs p. 124-125
Étude 1 p. 126-127
Étude 2 p. 128-129
Étude 3 p. 130-131
Étude 4 p. 132-133
Histoire des arts p. 134-135
Cours 1 p. 136-137
Cours 2 p. 138-139
Prépa Bac p. 140-141
Prépa Bac p. 142-144
THÈME 3 Les échelles de gouvernement dans le monde
CHAPITRE 6 Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique
Introduction au chapitre p. 146-147
Repères p. 148-149
Acteurs p. 150-151
Étude 1 p. 152-153
Étude 2 p. 154-155
Étude 3 p. 156-157
Étude 4 p. 158-159
Étude 5 p. 160-161
Histoire des arts p. 162-163
Cours 1 p. 164-165
Cours 2 p. 166-167
Prépa Bac p. 168-170
Prépa Bac p. 170-172
CHAPITRE 7 Une gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht
Introduction au chapitre p. 174-175
Repères p. 176-177
Acteur p. 178-179
Étude 1 p. 180-181
Étude 2 p. 182-183
Étude 3 p. 184-185
Cours 1 p. 186-187
Cours 2 p. 188-189
Prépa Bac p. 190-191
Prépa Bac p. 192-194
CHAPITRE 8 Une gouvernance économique mondiale depuis le sommet du G6 de 1975
Introduction au chapitre p. 196-197
Repères p. 198-201
Acteurs p. 202-203
Étude 1 p. 204-205
Étude 2 p. 206-207
Étude 3 p. 208-209
Cours 1 et 2 p. 210-213
Prépa Bac p. 214
Prépa Bac p. 215-216

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HISTOIRE T S le

LIVRE DU PROFESSEUR SOUS LA DIRECTION DE

Vincent ADOUMIÉ Lycée Dumont-d’Urville, Toulon (83)

Dominique FOUCHARD Lycée Hélène-Boucher, Paris (75)

AUTEURS

Géraldine ANCEL-GERY Lycée Charles-Baudelaire, Annecy (74) Christian BARDOT Lycée Lakanal, Sceaux (92) Catherine BARICHNIKOFF Lycée Carnot, Paris (75) Fabien BÉNÉZECH Lycée Rouvière, Toulon (83) Gilles DARIER Lycée Gabriel-Fauré, Annecy (74) Stéphane GENÊT Lycée Choiseul, Tours (37) Pascale JOUSSELIN-MISERY Lycée Charles-Baudelaire, Cran-Gevrier (74) Corentin SELLIN Lycée Gerville-Réache, Basse-Terre (Guadeloupe) Alain VIGNAL Lycée Dumont-d’Urville, Toulon (83) Pascal ZACHARY Lycée Henri-Poincaré, Nancy (54)

SOMMAIRE THÈME 1

Le rapport des sociétés à leur passé

CHAPITRE 1

L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

CHAPITRE 2

L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

THÈME 2

Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945

CHAPITRE 3

Les États-Unis et le monde depuis 1945. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

CHAPITRE 4

La Chine et le monde depuis 1949. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

CHAPITRE 5

Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

THÈME 3

Les échelles de gouvernement dans le monde

CHAPITRE 6

Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70

CHAPITRE 7

Une gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

CHAPITRE 8

Une gouvernance économique mondiale depuis le sommet du G6 de 1975. . . . . . . . . . . 93

Couverture :  Frédéric Jély Maquette et mise en page : Nicolas Balbo Schémas : Domino © HACHETTE LIVRE 2014, 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15 ISBN 978-2-01-135616-1

© Hachette Livre 2014

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thème 1 Le rapport des sociétés à leur passé chapitre 1 L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

p. 14-37

Programme : Thème 1 – Le rapport des sociétés à leur passé (4-5 heures) Question

Mise en œuvre

Les mémoires : lecture historique

Une étude au choix parmi les deux suivantes : – l’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France ; – l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie.

Le thème des lectures historiques des mémoires reprend le programme de Terminale ES/L et doit être traité dans le même temps horaire, soit 4-5 heures. Le chapitre a été conçu en tenant compte de cet impératif et propose 3 études qui ciblent les thématiques majeures et sont complétées par les pages Acteur et Histoire des Arts qui permettent d’enrichir la question. L’objectif pédagogique est de permettre aux élèves de comprendre la différence de nature entre histoire et mémoire, sans chercher à les mettre en concurrence, mais en percevant la dialectique qui les unit, et en se plaçant dans la position de l’historien face aux documents et aux enjeux mémoriels. Mener un travail d’historicisation des mémoires et les analyser en tant qu’objet historique à part entière, c’est rappeler que la crise majeure qu’a représentée la Seconde Guerre mondiale a rompu l’unité de la nation et divisé en profondeur les forces politiques et sociales. Ces divisions ont conduit à la construction de mémoires plurielles qui se sont ensuite déployées, tant à l’échelle nationale qu’internationale, dans des contextes politiques et moraux qui ont pesé sur leur affirmation dans l’espace public. Contextualisation, mise à distance et confrontation des sources, au cœur du travail de l’historien, permettent de dégager les différents temps mémoriels et d’y repérer les jeux de pouvoir, la puissance variable des groupes d’intérêt selon les époques, la force des vulgates que contribuent à diffuser le discours médiatique et le discours officiel. C’est en ce sens que doit être entendue la notion de « lecture historique des mémoires » à laquelle invite le programme et qui permet alors de mesurer la nécessaire posture critique de l’historien face à cet objet d’étude.

◗◗ Débats historiographiques et quelques notions clés du chapitre Si, depuis les travaux fondateurs d’Henry Rousso, la question des mémoires de la Seconde Guerre mondiale appartient de plus en plus à l’histoire, elle n’en demeure pas moins chargée d’enjeux politiques et éthiques majeurs. Certaines questions, comme celle de la collaboration active de l’État français, ne font plus débat. L’historiographie se caractérise aujourd’hui par la diversification des études menées, à différentes échelles, sur des groupes dont l’histoire continue de s’écrire, comme celle des Tziganes, des homosexuels ou des prisonniers de guerre, témoignant du fait que l’histoire des mémoires ne peut se limiter à celles qui occupèrent prioritairement la scène publique. Les points de discussion portent surtout sur l’attitude et l’opinion de la population française dans son rapport à Vichy, à la Résistance et face à la persécution des juifs. Pierre Laborie a ainsi forgé la notion de « non-consente-

ment » pour contester la vulgate qui s’est imposée à partir des années 1970 et qui, selon lui, ne traduit pas la réalité de la période et porte en elle une culture de l’acceptation lourde d’enjeux pour le présent. Sa réflexion, comme celle de François Marcot, invite à envisager la Résistance dans ses multiples facettes. La question de l’interprétation du taux de survie des juifs de France (près de ¾), soulignée par Serge Klarsfeld mais pas véritablement tranchée à ce jour, s’inscrit dans cette problématique.

• Groupe porteur de mémoire. Expression utilisée par Benja-

min Stora qui renvoie à des regroupements d’individus plus ou moins formels (anciens combattants, anciens résistants, anciens déportés, etc.). Par le biais de manifestations publiques, ils portent des revendications et présentent leur perception du passé. Ils servent les intérêts matériels ou symboliques, qui peuvent être absolument légitimes, de leur groupe, et sont sous-tendus par les enjeux politiques et idéologiques du temps présent.

• Franchissement de seuil mémoriel. Cette expression désigne

le moment où certaines mémoires s’affirment dans le champ public, devenant ainsi visibles pour le plus grand nombre, alors qu’elles avaient été précédemment peu audibles.

• Relais de transmission mémorielle. Notion qui désigne surtout

les médias, les manifestations des groupes porteurs de mémoire et les travaux universitaires qui infléchissent les représentations du passé. On veillera à distinguer le travail des historiens de celui des acteurs des mémoires qui n’obéissent pas aux mêmes objectifs.

◗◗ Bibliographie

• Ouvrages universitaires É. Conan, H. Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, 1994. D. Cordier, De l’Histoire à l’histoire, Éditions Gallimard, coll. « Témoins », 2013. L. Douzou, La Résistance, une morale en action, Éditions Gallimard, coll. « Découverte », 2010. S. Fishman, L. Lee Downs (dir.), La France sous Vichy : Autour de Robert O. Paxton, Éditions Complexe, 2004. P. Laborie, Le Chagrin et le venin, La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues, Bayard, 2011. J.-L. Leleu (dir.), La France pendant la Seconde Guerre mondiale. Atlas historique, Fayard, 2010. F. Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2006. H. Rousso, Le Syndrome de Vichy, Éditions du Seuil, 1987. A. Wieviorka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Hachette, 2003.

Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

•3

© Hachette Livre 2014

◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre

• Articles et documentation pédagogique

→Document 1 : Le Mémorial de la Shoah à Paris

J.-P. Azéma, L’Occupation expliquée à mon petit-fils, Éditions du Seuil, 2012.

Le site propose de nombreux dossiers pédagogiques et des vidéos (par exemple sur La Bataille du rail, sur le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon).

Le Mémorial de la Shoah a ouvert en 2005 à Paris, sur le site du Mémorial du martyr juif inconnu (1956). Il s’inscrit dans la continuité du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), créé en 1943 dans la clandestinité à Grenoble par Isaac Schneersohn, dans le but de rassembler le plus de documents possibles sur l’extermination en cours des juifs d’Europe. Le Mémorial est à la fois un espace de recherche, de rencontres et un musée. Son exposition permanente se termine par un espace réservé aux enfants juifs déportés de France. L’installation photographique de Natacha Nisic présente 3 000 photographies d’enfants, rassemblées surtout par l’Association des Fils et Filles de déportés juifs de France. Cela permet de souligner la place des associations et des artistes dans le travail à la fois de la mémoire et de l’histoire.

http://www.holocaustremembrance.com

→Document 2 : Le 4 septembre 2013, les présidents français

F. Bedarida, « Fallait-il condamner Maurice Papon ? », L’Histoire, n° 222, p. 76-77, juin 1998. TDC, n° 877, juin 2004, La mémoire des guerres. « Été 1943, La Résistance sera unie », L’Histoire, n° 388, juin 2013.

• Sites Internet http://www.ina.fr/fresques/jalons/accueil

Site du Groupe de travail pour la coopération internationale en matière d’éducation à l’histoire et à la mémoire de l’Holocauste. Site en anglais, quelques pages en français. www.memorialdelashoah.org Le site du Mémorial de la Shoah de Paris propose de nombreuses ressources pédagogiques.

Introduction au chapitre

p. 14-15

© Hachette Livre 2014

Ce chapitre étudie les relations entre l’historien et les différentes mémoires produites par la Seconde Guerre mondiale. La problématique principale invite à envisager les mémoires comme étant à la fois source et objet d’histoire. Il s’agit en effet d’interroger, grâce aux outils de l’historien, les contextes et les groupes sociaux qui ont favorisé l’émergence de telle ou telle mémoire, afin de porter sur les événements, comme sur les mémoires qu’ils ont générées, un regard distancié et critique permettant une approche scientifique du passé. Cette problématique permet de mesurer la différence de nature entre les mémoires et les travaux historiques, l’historien étant, pour reprendre l’expression de Pierre Laborie, un « trouble-mémoire ». Il ne s’agit pas de hiérarchiser ou de considérer que mémoires et histoire seraient en concurrence mais plutôt de mettre en évidence la dialectique qui unit ces deux perceptions du passé, dans leur tension comme dans leur complémentarité. La problématique suggère que, depuis les travaux d’Henry Rousso, les mémoires sont devenues un objet historique à part entière. L’enjeu pour le professeur est « de se dégager du jeu des pouvoirs, des groupes d’intérêt et des tendances qui agissent sur la construction des mémoires » (fiche Eduscol), tout en en montrant les ressorts explicatifs. Le chapitre propose différentes études qui autorisent ce va-et-vient entre mémoires et histoire afin que les élèves puissent comprendre les processus à l’œuvre dans l’élaboration des différentes mémoires et le rôle qu’y jouent les historiens. Les deux photographies présentées en ouverture de chapitre permettent une utilisation pédagogique à plusieurs niveaux. Elles mettent tout d’abord en évidence différents acteurs de la construction mémorielle de cette période troublée : associations (Les Fils et Filles de déportés juifs de France), artistes (l’installation de la photographe Natacha Nisic), politiques (les présidents français et allemand), historiens (travail scientifique effectué au sein du Mémorial de la Shoah). Elles témoignent du fait que cette période a généré des mémoires plurielles et parfois conflictuelles et qu’elle demeure un objet d’étude vivant, dont l’histoire continue de s’écrire. Elles permettent d’interroger la mission particulière des différents acteurs dans l’émergence des mémoires et dans l’écriture de l’histoire.

et allemand, François Hollande et Joachim Gauck, rendent hommage aux victimes d’Oradour-sur-Glane Cette visite des deux chefs d’État à Oradour a une portée symbolique très forte, car c’est la première fois qu’un chef d’État allemand se rend à Oradour où, le 10 juin 1944, 642 personnes furent exterminées par la division SS Das Reich. Après la rencontre d’Adenauer et de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises en 1958 et celle de Kohl et Mitterrand à Verdun en 1984, cette visite s’inscrit dans le processus de réconciliation franco-allemande. Les deux chefs d’État sont accompagnés de Robert Hébras, l’un des trois survivants du massacre encore en vie. Le massacre d’Oradour relève aussi de l’histoire franco-française du fait de la présence de « Malgré-Nous » dans l’unité SS qui extermina les habitants. En 1953, le tribunal de Bordeaux juge 21 accusés dont 14 Alsaciens et prononce de lourdes peines. Quelques jours plus tard, le Parlement vote une loi d’amnistie. Les débats divisent le pays. La visite du président Hollande s’inscrit donc dans un double processus : réconciliation franco-allemande et apaisement des mémoires franco-françaises. Elle témoigne de la place du politique dans la construction mémorielle de la période de la Seconde Guerre mondiale.

◗◗ Frise Cette frise a pour objet de donner aux élèves quelques repères essentiels pour appréhender la période, en faciliter l’apprentissage et en repérer les ruptures signifiantes. Découpée en trois périodes, elle présente des ouvrages particulièrement fondamentaux d’historiens, insiste sur l’importance des relais de transmission mémorielle (les médias, la justice, les groupes porteurs de mémoire) dans la construction tant des mémoires que de l’écriture de l’histoire, et montre la place du politique dans l’élaboration d’une mémoire officielle. Elle permet de mettre en relation les différents acteurs de la construction mémorielle et du récit historique en insistant sur les contextes qui conditionnent leur expression. La première période, qui démarre avec le discours du général de Gaulle à l’Hôtel de Ville de Paris, est marquée par le résistancialisme. Elle culmine avec le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon et le discours de Malraux. Le contexte fait de la commémoration de la guerre un enjeu politique et les deux principaux partis issus de la Résistance, le PCF et les gaullistes, cherchent à en définir la teneur, se rejoignant, en dépit de leurs oppositions politiques, dans la célébration de la Résistance, par-delà ses divisions. Différents travaux d’historiens sont menés durant cette période et en 1951 naît le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Mais l’ouvrage qui s’impose est celui de Robert Aron, qui contribue à fonder le mythe dit du « bouclier et de l’épée », jusqu’à l’ouvrage de Robert Paxton.

4 • Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Repères

p. 16-17

La Seconde Guerre mondiale, porteuse de mémoires Ces pages proposent des repères de différentes natures pour permettre aux élèves d’entrer dans le sujet. Le choix des notions clés est articulé autour du couple histoire/mémoire qui est au cœur de la problématique générale. L’apprentissage de ces définitions facilite l’analyse des sujets de composition et permet de garder à l’esprit la tension entre histoire et mémoires. Le document 1, présenté sous forme de tableau, permet, en partant de quelques événements majeurs de la Seconde Guerre mondiale, de comprendre que celle-ci, en divisant profondément la société française, est productrice de mémoires plurielles selon la façon dont elle a été vécue. C’est par le retour à l’événement que l’on peut faire comprendre la multiplicité des mémoires qui se développent après le conflit, en ayant à l’esprit que celles-ci sont surdéterminées par le traumatisme considérable qu’a représenté la période de guerre. L’expression « groupe porteur de mémoire », utilisée par Benjamin Stora pour la guerre d’Algérie, est aussi efficiente pour la Seconde Guerre mondiale ; elle renvoie à des regroupements d’individus plus ou moins formels et influents selon les périodes qui, par le biais de manifestations publiques, de revendications, de travaux historiques, cherchent à se faire entendre, tant dans la politique mémorielle nationale que dans l’écriture de l’histoire. La carte, document 2, inspirée de la notion de « lieu de mémoire » de Pierre Nora, présente l’inscription géographique des différentes mémoires de la guerre. Mettant en lien des lieux et des faits qui s’y sont déroulés, elle permet de comprendre comment ces mémoires prennent place dans l’espace public et s’enracinent dans le paysage et dans l’histoire. Les mémoires résistantes s’enracinent dans des lieux d’action et/ou de répression comme les maquis ou le mont Valérien ; les mémoires juive et tzigane sont en partie liées aux camps d’internement et de transit, étapes de la

déportation ; les lieux de souffrances « civiles », comme Oradoursur-Glane, contribuent à témoigner de l’immense violence de la guerre et de la période de l’Occupation. Sur ces lieux de mémoire, des monuments, des mémoriaux, des musées ont été édifiés, cadres de commémorations, de pèlerinages pour les acteurstémoins et de visites pour un public varié. Le tableau des commémorations nationales (document 3) permet d’aborder la notion de mémoire officielle, de réfléchir au sens à donner aux commémorations et de montrer que cette mémoire est évolutive. La période résistancialiste d’après-guerre peut être évoquée avec le vote, à l’unanimité du Parlement, de la loi du 14 avril 1954 qui instaure une journée de commémoration, mettant ainsi l’accent sur l’héroïsme des déportés, dont la figure tutélaire est le déporté-résistant. Le tableau permet de mettre en évidence une nouvelle étape de la mémoire et de l’histoire de la période, qu’Henry Rousso a appelé la « mondialisation de la mémoire », dont témoigne la commémoration internationale de l’Holocauste du 27 janvier.

Acteur

p. 18-19

Daniel Cordier, un acteur-témoin devenu historien Le choix de Daniel Cordier s’explique par son statut particulier de témoin devenu historien qu’illustre la citation présentée en accroche. Son parcours permet d’incarner la tension entre mémoire et histoire et de faire comprendre le rapport nécessaire et conflictuel qui s’y joue. Acteur et témoin de la Résistance, son travail constitue un tournant historiographique majeur. En effet, c’est en tant que témoin lui-même qu’il a mis en cause la place des témoignages dans l’écriture de la Résistance, qu’il en a souligné les fragilités, permettant dès lors leur confrontation avec des documents d’archive. Jusqu’aux années 1970, le point de vue qui prévaut est celui selon lequel l’histoire singulière de la Résistance ne peut être écrite que par ceux et celles qui en ont partagé l’expérience, car seuls ceux-là pouvaient être en mesure de retracer l’épopée résistante. C’est d’abord la parole et les souvenirs des acteurs qui furent privilégiés. La difficulté pour l’historien, comme l’a montré Laurent Douzou, est de parvenir à concilier analyse rigoureuse et dimension mythique de cette histoire particulière. C’est tout l’apport du travail de Daniel Cordier : appliquer les méthodes historiques avec une extrême rigueur sans pour autant renoncer à sa condition d’acteur de l’histoire.

→Document 1 : L’acteur devient historien En 2013, dans À voix nue, France Culture a consacré plusieurs émissions radiophoniques à Daniel Cordier, dont le document présenté est une retranscription. Daniel Cordier y évoque les raisons de son entrée dans la Résistance et celles qui l’ont poussé à devenir historien. L’extrait proposé a pour objectif de faire le lien entre son statut d’acteur et son statut d’historien. Il permet également d’expliquer l’élément déclencheur (les accusations contre Jean Moulin) qui a conduit Daniel Cordier à devenir historien. Cet extrait illustre la démarche scientifique de l’histoire comme quête la plus objective possible de la vérité.

→Document 2 : Les témoignages et l’arrestation de Jean Moulin à Caluire Cet extrait d’entretien permet de comprendre la fragilité des témoignages, la vigilance dont les historiens doivent faire preuve dans l’utilisation qu’ils en font et leur nécessaire croisement avec d’autres documents pour permettre le récit historique. Le premier intérêt du document est d’entendre Daniel Cordier expliquer que sa propre mémoire a parfois été contredite par son travail scientifique, ce qui permet de faire réfléchir les élèves sur la construction

Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

•5

© Hachette Livre 2014

La deuxième période, à partir des années 1970, est une période charnière qui voit la remise en cause du résistancialisme. On insistera sur le fait que cette dénonciation émane de différents acteurs : historiens, cinéastes, associations de groupes porteurs de mémoire ; qu’elle entraîne un véritable retour de balancier en imposant une vision du comportement des Français durant la période noire à l’opposé de la vision résistancialiste ; enfin, qu’elle ouvre la voie à un nouveau paradigme dans lequel la figure des victimes prend le pas sur celle des héros, période que les historiens qualifient d’ « ère du témoin », que les retentissements du procès Eichmann avaient commencé à faire entendre. Le contexte joue un rôle important puisque les deux forces politiques qui ont construit la mémoire de l’immédiat après-guerre, le PCF et les gaullistes, voient leur influence décliner, permettant dès lors l’expression d’autres mémoires et la réflexion sur le rôle tenu par l’État français dans la déportation des juifs. La troisième période, depuis les années 1990, témoigne d’une intégration des travaux historiques dans la construction de la mémoire nationale, comme l’illustrent le discours de Jacques Chirac reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs et le procès de Maurice Papon, au cours duquel des historiens comme Robert Paxton sont appelés à la barre pour éclairer la période historique. On insistera sur le contexte de progression de l’extrême droite et du négationnisme, qui oblige à intensifier le travail de recherche et l’arsenal juridique pour faire reconnaître la spécificité du génocide juif. La frise permet enfin de montrer, avec l’exemple des « Malgré-Nous », que l’histoire demeure un chantier permanent et que les historiens travaillent sur des champs d’étude en constant renouvellement.

des mémoires et de souligner la différence fondamentale de point de vue de l’historien. Le second est de faire réfléchir à l’utilisation des témoignages dans les tribunaux puisque René Hardy fut déclaré innocent sur la base de témoignages. On notera la prudence de Daniel Cordier qui s’appuie sur des archives pour considérer René Hardy comme étant le responsable de l’arrestation de Jean Moulin, mais qui insiste par ailleurs sur le fait que le travail des historiens doit se poursuivre pour mettre à jour tout document susceptible d’apporter plus d’éléments.

→Document 3 : Le rapport Flora, 19 juillet 1943 Ce document d’archive a été rédigé par la Gestapo de Marseille le 19 juillet 1943 et retrouvé en 1944. Il fait le bilan de l’une des plus importantes opérations de répression de la Résistance en zone sud et donne des informations capitales sur l’arrestation de Jean Moulin le 21 juin 1943 (et non le 26 comme l’indique le rapport). Y est évoqué le « résistant retourné » Multon qui a entraîné l’arrestation de René Hardy (nom de code Didot). Ce dernier serait devenu un contre-agent et serait à l’origine de l’arrestation de Jean Moulin (nom de code Max) à Caluire, près de Lyon, lors d’une réunion des MUR (Mouvements unis de la Résistance).

→Document 4 : Entendre la voix d’une époque Cet extrait de la préface de la biographie de Jean Moulin permet, par la métaphore musicale employée par Daniel Cordier, de rappeler que l’histoire, comme l’écrit Pierre Nora, est la reconstruction toujours problématique d’un passé qui n’est plus, et de souligner la distance inévitable entre ce que ressentent les témoins de leur histoire passée et l’écriture du récit historique. Il permet d’expliquer la fonction que Daniel Cordier attribue aux témoignages, qui est celle de «  sonoriser  » le passé afin d’approcher cette expérience humaine autant que faire se peut. Il témoigne aussi de la passion qui a animé ces hommes et ces femmes qui ont fait, parfois au prix de leur vie, le choix de la Résistance.

◗◗ Réponses aux questions 1. Daniel Cordier a voulu répondre aux accusations dont Jean Moulin était la cible dans le livre d’Henri Frenay. Ce dernier accusait Jean Moulin d’avoir été un agent aux ordres de Moscou. C’est pour pouvoir de façon solide et scientifique contrecarrer ces accusations contre Jean Moulin, pour honorer son combat et sa mémoire, que Daniel Cordier décide de devenir historien.

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2. Daniel Cordier a été le secrétaire de Jean Moulin d’août 1942 à juin 1943 et a participé à la création du Conseil national de la Résistance. Il est donc un acteur de l’histoire et a côtoyé de près celui qui devait trouver la mort à la suite de son arrestation à Caluire. En tant que secrétaire de Jean Moulin, il a non seulement participé à l’histoire de la Résistance mais il a aussi en sa possession des documents d’archives. 3. Les difficultés auxquelles sont confrontés les historiens et les témoins pour faire le récit de la Résistance sont de plusieurs ordres. Clandestine, la Résistance n’a pas toujours laissé des traces aisément accessibles pour les historiens et, longtemps, ce sont les témoignages qui ont fait autorité pour en faire le récit. Or, les témoignages doivent être utilisés avec prudence car ils sont partiels, parfois contradictoires et reconstruits ; ils doivent donc être croisés avec d’autres sources. De plus, la Résistance n’est pas un phénomène homogène et les désaccords politiques qui s’y sont manifestés peuvent entraîner des interprétations divergentes de la part des témoins. 4. La mémoire et l’histoire ont des visées différentes, ce qui explique la tension entre ces deux perceptions du passé. La mémoire des témoins est par définition partielle et s’attache à une période vécue, à des souvenirs forts, elle permet d’entendre la

« voix d’une époque ». L’histoire, quant à elle, cherche à dresser le tableau le plus objectif possible du passé, en confrontant la chronologie, les faits, les sources et les témoignages, quitte parfois à contredire ces derniers.

◗◗ Vers la composition du Bac L’écriture de l’histoire de la Résistance témoigne de la relation complexe du couple témoin/historien. Daniel Cordier, qui fut secrétaire de Jean Moulin et qui est devenu son biographe, illustre parfaitement la tension entre ces deux pôles, qui sont nécessaires l’un à l’autre mais qui répondent à des objectifs différents. Pour laver Jean Moulin des accusations portées contre lui, Daniel Cordier s’est attaché tout d’abord à lire un grand nombre de témoignages de résistants puis à faire appel à ses propres souvenirs. Il mesure alors, en dépit de la sincérité des témoins, la part inéluctable d’erreurs, d’approximations, de lacunes, que comporte la mémoire, y compris la sienne. Si les témoins sont une source majeure pour approcher la période, pour entendre sa « voix », pour comprendre ce qui a motivé l’entrée en résistance, les historiens doivent confronter ces témoignages aux archives, pour ne pas leur faire dire plus qu’ils ne peuvent, pour combler les manques qu’ils recèlent et rectifier, si besoin, les erreurs qu’entraîne la mémoire. Ce « tiraillement » que vit Daniel Cordier entre le témoin qu’il fut et l’historien qu’il est devenu témoigne de la difficulté à rendre compte du passé, dans sa dimension émotionnelle et scientifique à la fois.

Étude 1

p. 20-21

L’historien et les mémoires de la Résistance Les mémoires de la Résistance sont fondamentales dans l’analyse des lectures historiques des mémoires de la Seconde Guerre mondiale. Elles permettent de mettre en évidence le poids du contexte dans leur affirmation, le rôle des groupes porteurs de mémoire et des relais de transmission mémorielle, les enjeux politiques des usages du passé, ainsi que l’importance d’un travail historique toujours vivant pour approcher la période de la guerre et les représentations que s’en sont faites les générations suivantes. Ces mémoires se sont affirmées dans l’espace public dès l’immédiat après-guerre et ont obéi à différentes temporalités que les travaux des historiens permettent de mettre à jour. On peut distinguer trois périodes essentielles qui témoignent des différentes représentations de ces mémoires de la Résistance et, plus largement, du comportement des Français durant les années noires. Jusqu’aux années 1970, la cristallisation du souvenir résistant s’organise autour des deux pôles dominants que sont les gaullistes et les communistes. Bien que les mémoires résistantes ne puissent se limiter à ces deux sphères, ces deux mémoires sont les plus audibles car les plus diffusées dans l’espace public : pour les communistes parce qu’ils sont, après la guerre, la première force politique ; pour les gaullistes par la présence au pouvoir du général de Gaulle qui fait, après 1958, de la mémoire gaullienne la mémoire officielle. L’écriture de l’histoire de la Résistance durant cette période est surtout le fait des acteurs qui y ont participé et revêt une dimension hagiographique qui porte en elle-même le renversement des années 1970. Véritable tournant, ces années voient la remise en cause du résistancialisme avec le film de Marcel Ophüls Le Chagrin et la Pitié. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un travail d’historien et que Marcel Ophüls ne le présente pas comme tel, ce documentaire impose une nouvelle vulgate, sans doute bien plus profonde que la précédente parce qu’elle a la force de ce qui s’impose comme une vérité après le mensonge.

6 • Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

→Document 1 : La mémoire gaullienne de la Résistance Ce discours est prononcé par Charles de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire, le 25 août 1944, alors que la capitale est en passe d’être libérée mais que le territoire national demeure le théâtre de combats violents. C’est le premier jalon de la mémoire gaulliste de la Résistance qui inaugure le mythe dit « résistancialiste » et va imprégner discours et commémorations officiels, particulièrement à partir du retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958. L’analyse sémantique de ce discours s’impose pour montrer sur quels ressorts se construit cette mémoire gaullienne et le sens que l’on peut lui donner. Plus qu’une France entièrement résistante, de Gaulle déploie dans son discours l’idée d’un esprit de résistance qui aurait irrigué le pays et qui témoigne de l’identité de la France éternelle. Ceci explique que le rôle de Vichy soit évoqué très allusivement, n’étant dès lors qu’une parenthèse malheureuse de l’histoire française, et qu’il ne soit pas fait cas des armées de libération alliées. Il est essentiel, pour ne pas réduire ce discours à une simple falsification de l’histoire, d’en préciser le contexte. Il s’agissait pour de Gaulle tout à la fois de s’imposer comme chef d’État incontestable à la Libération, de répondre à la crise profonde d’unité nationale mise à mal par les divisions de la période de guerre et de redonner une grandeur à la France dans les relations internationales. Ce discours s’inscrit dans un mode classique de sortie de crise.

→Document 2 : La mémoire communiste de la Résistance Dès la Libération, les communistes s’efforcent de ne pas laisser aux gaullistes le monopole politique du souvenir de la Résistance, comme en témoigne cette affiche électorale de 1945 qui utilise l’image d’un parti martyr comme argument électoral et caution morale. S’appuyant sur un contexte très favorable, avec l’URSS au sommet de son prestige et le communisme qui apparaît comme une idéologie porteuse d’espoir en Europe, les dirigeants communistes forgent une mémoire héroïque de leur parti, fondée sur le mythe des 75 000 fusillés. Que les communistes aient été réellement touchés par les exécutions ne fait aucun doute, mais le chiffre est volontairement surestimé pour insister sur le tribut payé par le parti. Les historiens estiment que le nombre total de fusillés (pas seulement communistes) est d’environ 4 000 personnes. En donnant cette image d’un parti résistant, le PCF sélectionne certains aspects de la guerre, comme le pacte germanosoviétique de 1939, et laisse penser qu’il est entré en résistance dès le début du conflit alors qu’il n’est entré dans la Résistance en tant que parti qu’à partir de juin 1941 (certains communistes sont entrés individuellement en résistance dès 1940). Les actions résistantes des mouvements armés des FTP-MOI ou les actions de cheminots communistes sont à l’origine de l’appellation du « parti des fusillés » dont se pare le PCF. On insistera sur le sens idéologique fondamentalement différent que gaullistes et communistes donnent à la Résistance : tandis que les gaullistes mettent en

avant une dimension identitaire et nationale, les communistes la présentent comme un soulèvement populaire, inscrit dans la lutte des classes, ce que laisse entrevoir l’expression des « lendemains qui chantent » mentionnée sur l’affiche.

→Document 3 : La remise en cause du résistancialisme : le choc du Chagrin et la Pitié L’analyse de l’historien Jean-Pierre Azéma du choc qu’a représenté le film de Marcel Ophüls permet d’appréhender la deuxième grande période de l’histoire des mémoires de la Résistance. Tourné en 1969, le film sort en salles en 1971 mais est refusé par la télévision. À partir du montage d’images d’archives et de témoignages filmés, le réalisateur construit un documentaire de 4 heures où alternent les témoignages d’anciens résistants, d’habitants ordinaires et d’anciens collaborateurs d’une petite ville de province (région de Clermont-Ferrand) sous l’Occupation. Il dénonce le mythe d’une France résistante et donne l’image d’une population majoritairement attentiste. Malgré les critiques formulées par certaines personnalités, comme Germaine Tillion qui estime que « de cet ensemble se dégage le profil d’un pays hideux. Ce profil n’est pas ressemblant », le film provoque un véritable basculement et impose un regard radicalement différent sur le passé en dessinant l’image d’une France ternaire constituée d’un petit nombre de résistants et de collaborateurs, et d’une masse amorphe. Il s’impose avec la force d’une vérité que l’on aurait voulu cacher et son audience doit beaucoup à ce qui est apparu comme une fonction démystificatrice. Pour comprendre le choc qu’a représenté ce film, il faut en rappeler le contexte : remise en cause, dans le climat politique et intellectuel de 1968, de la parole des générations précédentes, nouveaux questionnements sur le passé de la part d’une génération née après la guerre, redistribution des forces politiques avec le déclin du gaullisme et du PCF qui portaient la mémoire résistancialiste.

→Document 4 : Un lieu de mémoire de la Résistance : le mont Valérien La mémoire gaullienne s’incarne dans des discours, des actions et des lieux, qui dessinent une véritable géographie du souvenir, comme le mont Valérien à Suresnes. Dès 1945, cet ancien fort, où plus d’un millier de personnes (résistants et otages) ont été fusillées par les Allemands pendant la guerre, est retenu pour accueillir un monument aux morts de la guerre de 1939-1945. Quinze corps de combattants, symbolisant les différentes formes des combats pour la Libération, sont déposés dans une crypte. En 1954, une urne contenant des cendres de déportés est déposée dans la crypte. Devenu président de la République, le général de Gaulle décide la création d’un mémorial, conçu par Félix Brunau, inauguré le 18 juin 1960, où a lieu une commémoration annuelle en hommage aux morts de la Résistance. Symbole de la résistance gaullienne, puis de toutes les résistances unifiées sous l’égide du général de Gaulle, la croix de Lorraine massive et centrale se détache du mur et est encadrée de bas-reliefs ; c’est l’élément architectural central du dispositif. On insistera sur la force symbolique de la date d’inauguration qui fait écho au 18 juin 1940. On précisera que le mont Valérien est aussi un lieu de mémoire communiste : les communistes organisent leur commémoration au mois de novembre autour d’une dalle installée par les associations communistes dans la clairière. Cette double célébration témoigne de la dualité commémorative, de l’éclatement des mémoires de la Résistance ainsi que des enjeux politiques liés aux commémorations.

→Document 5 : L’historien face aux mémoires et au risque d’instrumentalisation de l’Histoire Cette interview de l’historien Pierre Laborie permet de revenir sur la vulgate qu’a imposée Le Chagrin et la Pitié et de faire réfléchir

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Depuis les années 1990, les historiens nuancent fortement la représentation véhiculée par le film pour au moins trois raisons. Tout d’abord parce que c’est faire peu de cas du contexte dans lequel la population a dû vivre cette période et de la difficulté à entrer dans la résistance armée. Ensuite, parce que la Résistance doit être envisagée dans ses multiples facettes et qu’elle ne pouvait tenir sans l’aide silencieuse d’une partie de la population : c’est la notion de non-consentement forgée par Pierre Laborie, sans aucun doute essentielle pour évoquer, à l’inverse, le comportement de ceux qui ont collaboré. Enfin, si les mémoires résistancialistes forgées après la guerre ont dominé l’espace public et écrasé d’autres mémoires, dessinant une image mythique du pays qui ne correspondait pas à la réalité, cela ne signifie pas que la Résistance elle-même fut un mythe.

les élèves sur l’écriture de l’histoire et sur la difficulté d’appréhender le phénomène de la Résistance. Elle s’inscrit dans une nouvelle période historiographique qui se démarque de l’hagiographie de la première période et de la condamnation quasi générale de la seconde. Selon lui, le nouveau «  prêt à penser » qui s’impose avec le film de Marcel Ophüls donne une lecture simple d’une période extrêmement complexe et porte atteinte à la réalité de la Résistance elle-même car, comme l’écrit l’historien britannique Julian Jackson, s’il « existait bel et bien un mythe de la Résistance qu’il fallait dégonfler, cela ne signifie pas que la Résistance ellemême fut un mythe ». Ainsi, Pierre Laborie conteste le fait de ne compter dans l’acte résistant que la résistance armée et montre que si celle-ci a pu tenir, c’est avec le soutien discret d’aides matérielles, de gestes de désobéissance, voire de silences, par définition non comptabilisables. C’est ce qu’il appelle une société du « non-consentement ». L’absence de révolte n’est pas synonyme de soumission ou d’acceptation, pas plus que le silence, comme en témoigne l’exemple du poète René Char qui a eu la vie sauve grâce au silence justement.

◗◗ Réponses aux questions 1. Dans ces documents, c’est l’image de Français majoritairement résistants durant le conflit qui est mise en avant et qui s’incarne dans des discours, des affiches et des mémoriaux destinés à célébrer la Résistance. Cette mémoire, portée tant par les gaullistes que par les communistes jusqu’aux années 1970, a été qualifiée de « résistancialiste » par l’historien Henry Rousso. 2. Le film de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, sorti en salles en 1971, véhicule une représentation du passé sous l’Occupation radicalement différente. Il impose l’image de Français majoritairement attentistes et fait de la Résistance un phénomène très minoritaire. L’historien Jean-Pierre Azéma montre que le film est une date charnière dans l’histoire des mémoires de la Résistance, car, en allant à l’encontre des mémoires gaulliste et communiste qui occupaient le devant de la scène médiatique et politique, il impose une nouvelle vulgate d’autant plus puissante qu’elle se présente comme la vérité enfin révélée face à la « mythologie gaullienne ». 3. L’historien Pierre Laborie considère que le film, par un effet de retour de balancier, a imposé une vision des comportements des Français sous l’Occupation qui ne correspond pas à la réalité, et qu’on est alors passé de la « démystification à la dénaturation ». Considérer que la grande majorité des Français ont été lâches et attentistes est une façon de dédouaner de leurs actes ceux qui ont véritablement collaboré. De plus, si le phénomène résistant a été gonflé jusqu’aux années 1970, la Résistance a été bien réelle et n’est pas un mythe. 4. Pierre Laborie estime qu’en ne considérant que la résistance armée, on oublie tous les actes de soutien, de non soumission, de silence, qui ont permis à la Résistance de tenir. Pour lui, la Résistance ne passe pas seulement par les armes. Cela permet de montrer que le fait de résister peut prendre différentes formes, pas forcément visibles mais bien réelles.

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◗◗ Vers l’analyse de document du Bac De la Libération aux années 1970, les mémoires des gaullistes et des communistes occupent le devant de la scène politique et médiatique. En dépit de leurs divergences, elles mettent en avant la Résistance dans le souvenir à garder de la Seconde Guerre mondiale. En 1971, le film de Marcel Ophüls Le Chagrin et la Pitié sort en salles, provoquant un véritable basculement dans la représentation du comportement des Français durant l’Occupation. Pour l’historien Jean-Pierre Azéma, ce film « fait date » dans l’histoire

des mémoires de la période car, en présentant la Résistance comme un phénomène minoritaire, il va « à l’encontre » des mémoires dominantes. Le documentaire fait alterner des témoignages d’anciens résistants, d’habitants ordinaires et d’anciens collaborateurs d’une petite ville de province sous l’Occupation. Il dénonce le mythe d’une France entièrement résistante et donne l’image d’une population majoritairement attentiste, de Français « mous, veules ». Pour l’historien, ce qui fait la force de ce film, c’est sa fonction de démystification après des années de « résistancialisme  », selon l’expression de l’historien Henry Rousso. Comme l’évoque Jean-Pierre Azéma, le contexte explique en grande partie ce basculement des représentations de la période de guerre qu’incarne le film de Marcel Ophüls. Avec le déclin du gaullisme et du communisme qui avaient porté la mémoire résistancialiste, dans le contexte de 1968 et de remise en cause de la parole des générations précédentes, le film répond aux attentes d’une génération née après la guerre qui s’affranchit du regard des acteurs qui avait jusque-là dominé l’espace mémoriel. En dépit des critiques qui s’expriment à la sortie du film, celui-ci représente un tournant majeur dans l’histoire des mémoires de la Seconde Guerre mondiale. Il impose durablement dans l’opinion publique l’image d’une France constituée d’une minorité de résistants et de collaborateurs et d’une masse amorphe. Cette vision est, depuis les années 1990, fortement nuancée par les historiens qui s’attachent à interroger le phénomène de la Résistance dans toutes ses dimensions et pas seulement dans sa dimension armée.

Étude 2

p. 22-23

L’historien et les mémoires de l’État français L’évolution de la mémoire officielle de la Seconde Guerre mondiale témoigne du difficile et long cheminement de la mémoire à l’histoire. S’il faut se garder d’imaginer que cette mémoire est exclusive et qu’elle efface les autres mémoires, il n’en demeure pas moins qu’elle pèse fortement dans la représentation que la nation se fait de son passé, ne serait-ce que parce qu’elle occupe une place dominante dans l’espace public et qu’elle diffuse un discours qui participe à l’élaboration du récit national sur le passé. Analyser son évolution permet de repérer le poids considérable du contexte de sa naissance et les éléments qui ont autorisé une approche plus distanciée du passé, donc plus historique. Si le travail de l’historien Robert Paxton, paru en France en 1973, bouleverse fondamentalement les représentations qui s’étaient imposées depuis la fin de la guerre quant au rôle de l’État français et révèle le rôle actif de Vichy dans la déportation des juifs et dans la collaboration avec les nazis, il faut pourtant attendre le discours de Jacques Chirac (premier président issu d’une génération n’ayant pas pris part au conflit) en 1995 pour que la communauté nationale, par la voix de son représentant, infléchisse sa vision officielle du passé en intégrant les apports de la recherche historique et mette ainsi fin à la longue occultation d’un passé pour le moins encombrant. La reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs et son choix de la collaboration ne font plus débat, signe de l’apaisement mémoriel sur ces questions. Les enjeux politiques, éthiques et historiques, se sont déplacés sur d’autres sujets comme celui du « devoir de mémoire », qui a accompagné le nouveau positionnement de l’État. Ce « devoir de mémoire  », invoqué tant par les associations que par une représentation nationale qui a voté plusieurs lois destinées à apaiser des mémoires qui avaient souffert de leur occultation, entraîne des réticences chez les historiens. Ces derniers s’inquiètent des risques d’une injonction mémorielle qui entraverait leur liberté de travail et imposerait une lecture officielle de l’histoire ; ils rappellent qu’au-delà du « devoir de mémoire », il y a un « devoir de

8 • Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

→Document 1 : Le mythe du bouclier et de l’épée L’ouvrage de l’historien Robert Aron, publié en 1954, a dominé durant 20 ans l’historiographie consacrée à Vichy et contribué à fonder le mythe du « bouclier et de l’épée ». Selon ce mythe, il y aurait eu une connivence entre Pétain et de Gaulle et un double jeu de Vichy, Pétain devant préserver les Français occupés tandis que de Gaulle préparait l’offensive militaire depuis l’extérieur. On ne peut suspecter Robert Aron de sympathies pour l’idéologie nazie ou vichyssoise, mais son livre tend de fait à minorer le rôle de Vichy dans la collaboration avec l’Allemagne nazie. L’explication, comme l’a montré Henry Rousso, tient en grande partie au fait que la logique judiciaire pèse sur les premiers récits historiques sur Vichy, logique qui cherchait à évaluer le degré d’ « intelligence » avec l’ennemi et non la nature politique de Vichy. La plus grande partie de la documentation sur laquelle s’appuie Robert Aron provient des sténographies des procès de la Haute Cour. La nature des documents consultés a donc induit une lecture faussée du régime. Ce document permet ainsi de faire réfléchir les élèves sur l’importance de repérer la nature des documents en histoire.

→Document 2 : Une responsabilité d’État occultée Ce document met en vis-à-vis deux images du film d’Alain Resnais réalisé en 1955, Nuit et Brouillard. Ce film mêle des images filmées à Auschwitz en 1955, des images filmées par les Alliés lors de l’ouverture des camps, des photos extraites des archives nazies. Le scénario du film est de Jean Cayrol, rescapé de Buchenwald, et le conseiller scientifique principal est l’historien Henri Michel, secrétaire général du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Cet organisme gouvernemental, fondé en 1951, est le commanditaire d’un film conforme à la vision que l’on a à l’époque de la déportation : le génocide juif n’est pas abordé dans sa spécificité (le mot « juif » n’est prononcé qu’une seule fois dans le film) ; on évoque plutôt la déportation dite « politique » et aucune distinction n’est faite entre camps de concentration et d’extermination. La photo d’un gendarme français surveillant le camp de Pithiviers dans le Loiret, l’un des principaux camps d’internement et de transit des juifs arrêtés, suscita la réaction de la commission de contrôle cinématographique qui demanda son retrait. Alain Resnais se résigna à placer un bandeau noir pour masquer le gendarme. Ces deux images traduisent l’ambivalence des autorités de l’après-guerre qui veulent informer sur la déportation et les crimes nazis mais qui refusent d’assumer la réalité de la collaboration active de Vichy dans la déportation, incarnée par la figure du gendarme surveillant le camp. Cette image censurée témoigne du refoulement du passé qu’évoque Henry Rousso.

→Document 3 : Pétain et le statut des juifs : la preuve par les archives Ce document est le premier des six feuillets du Projet de loi sur le statut des juifs débattu lors du conseil des ministres du 1er octobre 1940, adopté le 3 octobre et promulgué au Journal officiel le 18 octobre. Il a été remis au Mémorial de la Shoah par un donateur anonyme par l’intermédiaire de Serge Klarsfeld et révélé par la presse au grand public le 3 octobre 2010. Annoté de la main de Pétain, il témoigne de son implication dans la rédaction de ce statut et donc dans la politique d’exclusion des juifs. Les annotations de Pétain étendent le champ d’exclusion des juifs et le nombre de personnes concernées : «  aux assemblées issues de l’élection », « à tous les membres du corps enseignant ». Jusqu’à la découverte de cette archive, l’antisémitisme de Pétain et son rôle dans les mesures antisémites prises par Vichy étaient connus par le témoignage de Paul Baudouin, ministre des Affaires étran-

gères de Vichy, qui écrivait en 1946 que lors de ce conseil des ministres « c’est le maréchal qui se montre le plus sévère ». Le document n’est donc pas en soi une véritable révélation. Mais il apporte une preuve supplémentaire de la volonté du gouvernement de Vichy de s’aligner, de façon autonome, sur la politique antisémite menée par les nazis en Europe et de l’antisémitisme ouvert de Pétain lui-même.

→Document 4 : L’historien Robert Paxton révèle la nature de Vichy Le document est extrait de la préface de la deuxième édition (1999) de La France de Vichy, paru en France en 1973. Robert Paxton y démontre, grâce entre autres à l’utilisation d’archives allemandes, que le choix de la collaboration revient au régime de Vichy, que la thèse du « bouclier et de l’épée » ne peut être soutenue scientifiquement et que les mesures antijuives ont relevé d’une initiative de Vichy. Son ouvrage est d’une telle importance que Jean-Pierre Azéma parle de «  révolution paxtonienne ». De fait, alors que, depuis la guerre, l’historiographie interrogeait les responsabilités allemandes ou l’histoire de la Résistance, Paxton opère une véritable révolution épistémologique en choisissant de s’intéresser à l’État français lui-même plutôt qu’à l’occupant. En déplaçant le regard et en mettant l’État français au cœur de sa recherche, il montre que le gouvernement de Vichy a mené sa politique propre, qu’il a fait le choix volontaire de la collaboration d’État et d’une rupture avec le régime républicain. À une époque de dénonciation croissante du résistancialisme et d’affirmation dans la sphère publique de la mémoire juive de la Shoah, l’ouvrage de Paxton permet de revenir sur le rôle occulté de l’État français. À ce titre, il est d’une importance capitale, l’historien étant ici un acteur des mémoires.

→Document 5 : Un tournant dans la mémoire officielle Dans ce discours, prononcé par Jacques Chirac le 16 juillet 1995 pour commémorer la rafle du Vel’ d’Hiv, le chef de l’État rompt le silence officiel qui prévalait jusque-là sur la question de la collaboration active de l’État avec les nazis dans la déportation de 76 000 juifs. En reconnaissant les fautes de l’État français, Jacques Chirac prend acte à la fois des revendications mémorielles de la communauté juive et des investigations historiques menées depuis la « révolution paxtonienne ». Ce discours représente un tournant dans la mémoire officielle mais ne rompt pas totalement avec le registre résistancialiste de la mémoire d’État. En effet, après avoir reconnu la responsabilité de la France, le président rappelle l’héroïsme des résistants et joint à la commémoration des victimes celle des « Justes parmi les nations ». On retrouve cette dualité dans la loi de 2000 qui institue une journée nationale « à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France ». Au 1er janvier 2013, le titre de « Justes parmi les nations » avait été décerné à 3 654 personnes en France (24 811 dans le monde).

◗◗ Réponses aux questions 1. Ces deux documents véhiculent une image positive de Pétain et de l’État français. L’extrait de Histoire de Vichy de Robert Aron (1954) présente la théorie du « bouclier et de l’épée » selon laquelle Pétain aurait cherché à protéger les Français des conditions de l’Occupation, en connivence avec de Gaulle qui, de son côté, aurait préparé le combat contre les nazis depuis l’extérieur. La photographie du film d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard, dans laquelle le gendarme français surveillant le camp de Pithiviers a été dissimulé, témoigne quant à elle de la volonté des autorités de cacher le rôle tenu par la France dans la déportation. 2. L’historien Robert Aron a utilisé des documents judiciaires pour valider le mythe du bouclier. Or, ces documents sont non seulement

Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

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connaissance », soulignant la spécificité de ces deux perceptions du passé que sont la mémoire et l’histoire.

partiels mais surtout traduisent l’argumentation de la défense des dignitaires de Vichy. Ils ne sont donc pas fiables.

3. L’historien Robert Paxton a démontré, grâce à son travail sur archives dont des archives allemandes, que la collaboration comme les mesures antisémites du gouvernement de Vichy avaient été décidées par Vichy et non imposées par les Allemands, et que la théorie du « bouclier et de l’épée » était un « stratagème » utilisé par la défense de Pétain lors de son procès et ne reposait sur aucune base scientifique. 4. Dans son discours du 16 juillet 1995 qui commémore la rafle du Vel’ d’Hiv, le président de la République Jacques Chirac prend acte des révélations faites par les historiens sur le rôle actif tenu par l’État français dans la déportation des juifs. Parallèlement, il rend hommage aux « Justes » de France qui ont sauvé des juifs pendant la guerre, intégrant ainsi les recherches historiques récentes.

◗◗ Vers l’analyse de document du Bac Le 16 juillet 1995, le président de la République Jacques Chirac prononce un discours qui fait date dans l’histoire de la mémoire officielle de la Seconde Guerre mondiale. Ce discours est prononcé à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv qui a constitué la plus grande rafle de juifs sur le sol français, les 16 et 17 juillet 1942, lorsque 13 000 personnes furent arrêtées à Paris et en région parisienne par les forces de l’ordre françaises, puis internées dans les camps de Drancy et du Loiret, avant d’être envoyées dans les camps d’extermination. Dans ce discours, le chef de l’État reconnaît officiellement la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs pendant la guerre : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français.  » En reconnaissant les fautes de la France, « la France, ce jour-là, commettait l’irréparable », le président rompt avec le silence des autorités françaises à ce sujet. En effet, depuis la guerre, elles avaient minoré, voire occulté, le rôle de Vichy dans la déportation de 76 000 juifs (comme en témoigne l’image censurée du gendarme français dans le film Nuit et Brouillard d’Alain Resnais en 1956), et avaient considéré que Vichy était une parenthèse tragique de l’histoire de France. De cette manière, Jacques Chirac prend acte au nom de l’État des revendications mémorielles de la communauté juive et intègre les travaux d’historiens qui, depuis l’ouvrage majeur de Robert Paxton La France de Vichy en 1973, ont démontré le rôle actif du gouvernement du maréchal Pétain dans la déportation et sa collaboration volontaire avec les nazis. Si le président de la République reconnaît cette collaboration d’État, il intègre dans son discours les recherches historiques récentes en soulignant aussi le rôle des « Justes » (3 654 personnes en France) qui ont, « au péril de leur vie », sauvé des juifs pendant l’Occupation. Ce discours est un tournant dans l’histoire de la mémoire officielle de la Seconde Guerre mondiale et témoigne d’une nouvelle période, sans doute plus apaisée et plus historique, des mémoires de guerre.

Étude 3  p. 24-25 © Hachette Livre 2014

L’historien et les mémoires de la Shoah L’étude de l’évolution des mémoires de la Shoah dans l’espace public donne à voir les différents rythmes mémoriels de la Seconde Guerre mondiale, la place qu’y occupent les historiens et les groupes porteurs de mémoire, et le poids du contexte national et international dans leur expression. Alors que, dès la guerre, des résistants juifs œuvrent à la conservation des traces du génocide (création en 1943 du CDJC), après 1945, la parole des témoins peine à trouver un espace public d’expression : la spécificité du

génocide juif se manifeste difficilement dans la mémoire officielle. Différents éléments, qui tiennent à la fois au contexte international et national, vont peu à peu permettre son expression. Au niveau international, le procès Eichmann est déterminant dans la libération de la parole des témoins, tandis que les guerres au Moyen-Orient (guerre des Six Jours et guerre de Kippour) réactivent le sentiment d’appartenir à une communauté menacée et rappellent l’impérieuse nécessité de témoigner de la Shoah. À l’échelle nationale, c’est tout d’abord la mise en cause de la mémoire résistancialiste et le retour sur le rôle de l’État français dans la déportation qui rendent possible la plus grande visibilité de la mémoire spécifique du génocide ; le lien doit être fait entre l’affaiblissement de la mémoire dominante et l’expression de mémoires qu’elle avait occultées, que vient de surcroît interroger la génération des petits-enfants de déportés. C’est aussi la montée de l’extrême droite et le développement des thèses négationnistes qui entraînent l’obligation d’une réaction et l’affirmation de cette mémoire. Plus qu’à un « réveil  » de la mémoire juive du génocide, qui laisserait supposer que celle-ci était endormie, c’est bien à l’ouverture d’un espace d’expression qu’on assiste à partir des années 1970. L’expression et l’écriture de cette mémoire historique sont alors le fait de plusieurs acteurs : historiens de profession qui s’attachent à travailler sur le processus d’extermination et sur le rôle qu’y a joué la France ; associations juives qui mènent un travail de mémoire et d’histoire en collectant tous les types de documents ayant trait au génocide, en cherchant à retracer l’itinéraire de tous ceux qui en ont été les victimes et en les donnant à voir dans l’espace public (comme par le biais de plaques commémoratives installées dans les lieux publics), en traquant les criminels qui ont participé à la déportation et à l’extermination ; artistes qui, comme le cinéaste Claude Lanzmann, font s’exprimer les différents témoins de la période ; instances judiciaires qui, par le biais de procès relayés par les médias, jouent un rôle capital de vecteur mémoriel et font intervenir à la barre des historiens afin d’éclairer la période ; autorités politiques nationales et internationales qui, par le vote de lois condamnant le négationnisme (loi Gayssot) et par l’instauration de journées commémoratives (celle du 27 janvier adoptée par l’ONU en 2005), donnent à la spécificité du génocide une place centrale dans les mémoires du conflit.

→Document 1 : La difficulté de témoigner de la Shoah Le 1er novembre 2005, l’ONU décide de consacrer une journée « internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste », le 27 janvier, jour de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau. C’est dans ce cadre que Simone Veil prononce, le 26 janvier 2006, un discours lors d’une conférence à Amsterdam. L’extrait qui en est proposé ici permet en premier lieu de souligner la sélectivité de la mémoire de la déportation : c’est en effet la déportation dite « politique  » qui s’est affirmée dès 1945 dans l’espace public, dans le contexte de construction d’une mémoire collective marquée par la volonté de rédemption nationale. Cet extrait témoigne ainsi de la pluralité des mémoires et de leur éventuelle concurrence quant à leur expression dans l’espace public. Il permet également d’expliquer que, comme l’ont montré les travaux d’Annette Wieviorka, les rescapés juifs des camps de la mort ont, dès l’après-guerre, voulu témoigner mais qu’aucun espace du dicible n’existait pour les entendre. Bien plus que le silence des victimes, c’est la difficulté de l’écoute qu’il faut mettre en évidence.

→Document 2 : Plaque apposée dans une gare parisienne à la mémoire des juifs de France déportés Cette plaque commémorative a été apposée dans la cour des arrivées de la gare d’Austerlitz, à Paris, à l’initiative de l’association

10 • Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

→Document 3 : L’histoire de la mémoire de la Shoah, sujet de débat entre historiens Cet échange entre deux historiens spécialistes de l’histoire de la Shoah a pour objectif de montrer que l’histoire est une science vivante et que la question de la mémoire est en elle-même un objet d’histoire. L’échange suit la parution de l’ouvrage de François Azouvi, Le Mythe du grand silence, qui conteste la thèse selon laquelle la Shoah a fait l’objet d’une occultation totale après la guerre. Selon lui, la conscience de la spécificité du génocide juif est présente dans l’opinion. Elle s’exprime au-delà des sphères intellectuelles grâce, par exemple, aux activités de la commission du souvenir du Conseil représentatif des institutions juives de France qui organise, dès 1946, une commémoration annuelle devant le Vélodrome d’Hiver en hommage aux victimes de la rafle de 1942. Henry Rousso considère quant à lui qu’il y a une réelle rupture dans cette mémoire de la Shoah et que c’est seulement dans les années 1980 que la question de la Shoah devient véritablement centrale. La lecture de cet échange montre combien, en France, la question de la spécificité de la Shoah est liée à celle de Vichy et à celle de la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la déportation.

→Document 4 : Papon condamné pour complicité de crime contre l’humanité Cette une de Libération témoigne de l’intérêt médiatique suscité par les procès des criminels des années noires et de l’importance de la justice comme vecteur mémoriel. Maurice Papon était secrétaire général de la préfecture de la Gironde sous l’Occupation. À ce poste, il avait ordonné l’arrestation, l’internement au camp de Mérignac, puis le transfert vers Drancy de 1 690 juifs entre 1942 et 1944. Son procès débute en 1997 à la cour d’assises de Bordeaux qui le condamne à 10 ans de prison ferme pour complicité de crime contre l’humanité. Maurice Papon, à qui le général de Gaulle avait accordé sa confiance lorsqu’il était préfet de police de Paris et qui fut ministre du Budget dans le gouvernement de Raymond Barre, symbolisait la collaboration active de l’administration française dans la déportation des juifs qui ne fut pas ou peu inquiétée à la fin de la guerre. Pour l’historien Henry Rousso, ce procès représente une « seconde épuration », plus centrée sur la question du génocide que ne le fut celle de l’après-guerre. Ce procès nourrit également le débat sur la responsabilité des fonctionnaires et alimente la réflexion sur la notion de « crime de bureau », qu’Hannah Arendt avait initiée lors du procès Eichmann. Au cours du procès, des historiens ont été appelés à la barre pour éclairer le contexte de ces années noires. Jean-Pierre Azéma et Robert Paxton acceptèrent de venir déposer à titre d’experts mais leur participation a divisé la communauté des historiens.

◗◗ Réponses aux questions 1. Différents éléments expliquent la difficile prise en compte de la parole des victimes de la Shoah au sortir de la guerre : la volonté de « tourner la page » des années sombres, le sentiment de culpabilité face à l’horreur de la découverte des camps, la nécessité de panser les blessures de la période et de retrouver l’unité nationale, la « concurrence » entre la mémoire des déportés juifs et celle des déportés politiques dont les survivants furent bien plus nombreux, et la suspicion vis-à-vis des témoignages. 2. La mémoire de la Shoah est portée par des associations qui mènent un long travail de mémoire, comme l’association des Fils et Filles de déportés juifs de France, fondée par les Klarsfeld en 1979. Ces associations œuvrent à l’installation de plaques commémoratives dans des lieux publics, contribuant ainsi à rendre cette mémoire plus visible. La justice est aussi un vecteur essentiel de la mémoire de la Shoah car les procès, comme celui de Maurice Papon dont le verdict est rendu en 1998, sont l’occasion d’une confrontation avec le passé collaborateur de Vichy et témoignent des crimes contre l’humanité dont les juifs ont été les victimes. 3. Les deux historiens, François Azouvi et Henry Rousso, ne partagent pas la même analyse sur la façon dont la Shoah a été prise en compte dans l’espace public au sortir de la guerre. Pour Henry Rousso, le silence l’a emporté jusqu’aux années 1980 et la Shoah n’a pas représenté un « problème public majeur ». De son côté, François Azouvi considère que la Shoah n’a pas fait l’objet de silence et que son histoire n’a pas été occultée. 4. Pour écrire l’histoire de la Shoah, les historiens s’appuient sur les témoignages des rescapés, sur les documents administratifs rédigés par les autorités de la période, sur la presse et sur les éléments révélés lors des procès.

◗◗ Vers la composition du Bac Durant la période de l’Occupation, plus de 76 000 juifs de France ont été déportés vers les camps de la mort et seulement 2 500 d’entre eux, soit 3 %, en sont revenus. Jusqu’aux années 1980, la mémoire du génocide peine à se faire entendre dans l’espace public et à acquérir une place dans la mémoire officielle. À leur retour, comme l’explique Simone Veil, les rescapés sont confrontés à l’immense difficulté de témoigner de leur expérience. Non qu’ils ne veuillent parler, mais bien plutôt parce que l’époque ne veut pas les entendre. Leur mémoire entre en concurrence avec celle, plus glorieuse et moins culpabilisante, des déportés politiques. De plus, l’occultation de la responsabilité de l’État français dans la déportation et le désir de rédemption nationale après les épreuves laissent peu de place à l’expression de la mémoire du génocide, que l’on préfère oublier. À partir des années 1980, la Shoah, comme l’explique l’historien Henry Rousso, devient « une question publique structurelle de la conscience collective internationale » et la parole des témoins se libère. Grâce à l’action d’associations, comme celle des Fils et Filles de déportés juifs de France fondée par les époux Klarsfeld en 1979, et aux procès médiatisés de criminels français ayant participé au génocide et traduits devant la justice (procès Papon en 1998), la communauté juive obtient une reconnaissance qui se matérialise notamment par l’installation dans l’espace public de plaques commémoratives à la mémoire des victimes, par le vote d’une loi mémorielle condamnant le négationnisme (loi Gayssot en 1990) ou par la création de mémoriaux (Mémorial de la Shoah en 2005) faisant œuvre à la fois de mémoire et d’histoire.

Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

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des Fils et Filles de déportés juifs de France. Fondée en 1979, cette association s’est donné pour but de rechercher les responsables de la Shoah encore en vie pour les traduire en justice et de regrouper, archiver et diffuser toutes les informations sur le génocide en France. Son action témoigne de l’importance du travail des groupes porteurs de mémoire pour redonner existence et visibilité aux victimes de la Shoah. Le dépôt d’une plaque dans une gare parisienne est lourd de sens puisque c’est de là que les 76 000 juifs de France ont été déportés. Le président de la SNCF, Guillaume Pepy, a reconnu en 2011 les responsabilités de l’entreprise qui fut « un rouage de la machine nazie d’extermination ». L’installation de plaques dans l’espace public, bien connue des élèves puisque des centaines de plaques ont été apposées dans différents lieux publics dont des écoles, témoigne d’un autre temps de la mémoire du génocide. Plus qu’un « réveil de la mémoire juive » de la Shoah, c’est bien sa visibilité et son audibilité qui changent alors.

Histoire des Arts 

p. 26-27

Cinéma et mémoires de la Seconde Guerre mondiale Le cinéma est une source précieuse pour identifier et parcourir l’itinéraire des mémoires de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre d’heures dont nous disposons en Terminale S pour traiter le programme d’histoire rend difficile le visionnage de films dans leur intégralité. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de proposer l’analyse comparative des affiches de deux films, La Bataille du rail et Shoah qui incarnent deux périodes mémorielles différentes et qui permettent d’en souligner les enjeux. Les affiches jouent un rôle essentiel dans le matériel promotionnel d’un film, car elles doivent susciter l’intérêt et la curiosité des spectateurs et être porteuses d’un message immédiatement compréhensible qui peut passer par le choix d’une image symbolique, par celui de la typographie et des couleurs, ou par la composition d’ensemble. Le message visuel qu’elles adressent au public, et dans un deuxième temps à l’historien, est riche d’enseignement. En effet, miroir de l’époque qui les a vues naître, les affiches participent à la construction de la mémoire collective tout en concourant à son évolution, à son infléchissement. L’étude peut être menée soit en début de chapitre afin de provoquer d’emblée la réflexion des élèves sur le message porté par les affiches et la prolonger ensuite par les études thématiques, soit en fin d’étude, sous forme de bilan, pour leur faire repérer les périodes mémorielles dont témoignent les choix artistiques opérés par les cinéastes et les concepteurs des affiches.

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→Document 1 : 1946, La Bataille du rail, des héros ordinaires La Bataille du rail de René Clément est le premier film qui traite de la résistance ferroviaire et son objectif est de mettre en valeur l’action héroïque et résistante des cheminots pendant l’Occupation. Le film se veut un document plus qu’une fiction et, à sa sortie, la promotion insiste sur son caractère réaliste : les acteurs sont des cheminots, les scènes ont été tournées dans les ateliers de la SNCF et non en studio, la rédaction du scénario s’est appuyée sur la collecte de nombreux témoignages. Dans sa forme, le film combine fiction et documentaire : la première partie montre des actes de sabotage ou de résistance que décrit une voix off, la deuxième partie suit un convoi blindé allemand que les cheminots vont faire dérailler. L’objectif est de donner à voir l’image d’une France résistante (aucune allusion n’est faite à la collaboration), sûre de ses valeurs. En ce sens, le film est une parfaite traduction de l’état d’esprit résistancialiste d’après-guerre, en même temps qu’il participe à son enracinement, comme en témoigne la clausule de présentation adressée par la production aux journalistes : « Dans La Bataille du rail, la France aura à son tour un aspect de son épopée à présenter au monde. » L’affiche traduit la dimension mythologique et héroïque de ce message en attirant notre attention sur le visage du cheminot résistant qui occupe presque la moitié de l’affiche et dont le regard grave et embué de larmes est dirigé vers l’avant, vers le déraillement du train qui va se produire. Le rouge sur son visage et sur le bandeau du bas de l’affiche évoque le danger, le sang et la mort vers laquelle le cheminot se dirige, par sacrifice à la cause commune. Il est représenté en héros, contrairement aux Allemands sur le côté, en noir et blanc et beaucoup plus petits. L’image et son message sont renforcés par les slogans et par l’hommage collectif aux « cheminots de France » qui englobe l’ensemble de la corporation du rail dans l’action.

→Document 2 : 1985, Shoah, l’ère du témoin L’œuvre de Claude Lanzmann occupe une place singulière et essentielle dans l’histoire des mémoires de la guerre : « Shoah témoigne de et concourt à l’arrivée sur la scène publique de la mémoire de la

persécution des juifs et du génocide » (fiche Eduscol). C’est d’une nouvelle période mémorielle, celle de l’ère des témoins, dont le film témoigne. Mais il est aussi l’un des vecteurs majeurs de la diffusion de cette mémoire. Sorti en 1985, il a regroupé depuis près de 100 millions de spectateurs dans le monde. La forme et le fond expliquent la singularité de cette œuvre cinématographique et poétique. À partir de 350 heures de prises de vues, le cinéaste a réalisé un film de près de 10 heures où s’entrelacent les témoignages, où les récits des différents « acteurs » se répondent, créant ainsi un phénomène d’écho qui permet de comprendre comment s’est déroulée la Shoah et qui, comme une réponse implacable aux négationnistes, conduit le spectateur pas à pas dans le mode de production de la mort. Si la forme du film se rapproche du documentaire, Claude Lanzmann préfère parler de « non-fiction » pour évoquer ce combat contre l’oubli qui semble gommer la distance entre passé et présent par le retour sur les lieux du génocide, par la priorité donnée à la parole des témoins, par les gros plans sur les visages et le temps donné aux silences, par les images de convois, de voies ferrées qui mènent à la mort. Tout dans l’affiche fait sens et saisit : la sobriété ; la géométrie de sa construction qui enchâsse la figure du témoin dans un carré central déposé au devant d’une noire locomotive qui semble la pousser sur les rails ; le visage de cet homme où le passé paraît se rejouer ; son regard qui nous conduit, nous les vivants, vers les morts ; la répétition du nom de « Treblinka » qui suffit à l’évocation ; Shoah en majuscules rouge sang. Dans cette affiche illustrant la période mémorielle marquée par la figure du témoin, c’est avant tout dans le regard de l’homme au centre de l’affiche que le nôtre vient plonger.

◗◗ Réponses aux questions 1. Au premier plan, le visage d’un cheminot occupe presque la moitié de l’affiche de La Bataille du rail. Sur le côté, en plus petit, un groupe de soldats allemands en noir et blanc surveille les alentours. En arrière plan, fuyant vers le lointain, la voie ferrée se perd dans la brume. Le titre en capitales blanches se trouve dans un bandeau rouge en bas de l’affiche, accompagné d’une formule accrocheuse, « Une œuvre puissante et gigantesque », écrite en lettres cursives et, en dessous, la référence aux commanditaires du film. En haut de l’affiche, on trouve le nom du cinéaste René Clément et, dans le coin à gauche, en capitales blanches sur fond noir, une dédicace aux « cheminots de France ». L’affiche de Shoah de Claude Lanzmann est composée de façon géométrique, enchâssant différents carrés et rectangles. Les couleurs utilisées sont le noir, le blanc et le rouge. Au centre de l’affiche, un carré isole le visage d’un homme qui sort la tête d’un train et on peut lire en bas à gauche du carré : « Treblinka ». Derrière ce carré, un rectangle dessine le cadre d’une gare («  Treblinka » à nouveau) où l’on voit l’avant d’une locomotive noire. Deux bandeaux blancs enserrent ces images : en bas apparaît en lettres capitales noires et rouges le nom du réalisateur, et en haut, en grosses capitales rouges : Shoah. 2. Dans l’affiche de La Bataille du rail, le rouge colore tout le visage du cheminot et est utilisé en fond du bandeau au bas de l’affiche. Il évoque le danger, le sang et la mort qui attend le cheminot. Dans l’affiche de Shoah, le rouge encadre en haut et en bas les images centrales et est utilisé surtout pour le titre du film. Il évoque la mort, la violence, le massacre. 3. Dans l’affiche de La Bataille du rail, le cheminot est dessiné de façon réaliste : son visage porte des traces de charbon, c’est l’homme au travail qui est représenté. Déterminé, il regarde au loin vers l’action qu’il va commettre et symbolise l’héroïsme des résistants. Dans l’affiche de Shoah, la photographie de l’homme au centre est celle d’un témoin qui revient sur les lieux du génocide, son visage est marqué, c’est celui d’une victime de la Shoah.

12 • Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

5. La Bataille du rail est une œuvre de fiction même si le réalisateur cherche à lui donner un statut de document. Shoah s’apparente à un documentaire. 6. L’affiche de La Bataille du rail témoigne de la période du résistancialisme tandis que celle de Shoah témoigne de l’ère du témoin.

◗◗ Vers l’analyse de documents du Bac Dès la fin du conflit, le cinéma s’est emparé de la Seconde Guerre mondiale pour en faire le sujet d’œuvres de fiction ou de documentaire. Les affiches qui présentent les films au public, par les choix esthétiques et symboliques qu’elles opèrent, témoignent des mémoires de la Seconde Guerre mondiale et permettent d’en retracer l’itinéraire. Dans l’affiche de La Bataille du rail, film de René Clément sorti en 1946 qui évoque la résistance ferroviaire, le dessin du visage d’un cheminot sortant du hublot de la locomotive occupe presque la moitié de l’espace, tandis que les soldats allemands, en beaucoup plus petit, sont relégués sur le côté gauche. Coloré de rouge, le cheminot attire notre attention et son regard, déterminé et embué de larmes, porte au loin, vers l’action de sabotage qu’il va commettre, au risque de sacrifier sa vie pour la cause de la Résistance. L’affiche de Shoah de Claude Lanzmann, sorti en 1985, est très sobre et construite de façon géométrique. Différents carrés et rectangles sont emboîtés, à l’image de la construction narrative du film qui enlace les témoignages des différents « acteurs » du génocide. Au centre, dans un carré, la photographie du visage marqué d’un homme qui se penche à la fenêtre d’un train, le regard angoissé, et l’inscription : « Treblinka ». Derrière cette photo, une autre photographie rectangulaire où apparaissent une locomotive et la gare de Treblinka. Le titre du film, Shoah, est inscrit en capitales rouge sang en haut de l’affiche. Ces deux affiches témoignent de deux temps mémoriels différents de la Seconde Guerre mondiale. L’affiche de La Bataille du rail s’inscrit dans la période résistancialiste, mettant en avant l’héroïsme de la Résistance et rendant hommage à l’ensemble de la corporation du rail. Il s’en dégage une impression d’épopée ; la figure du cheminot symbolise la France unanime en résistance. L’affiche de Shoah s’inscrit dans la période que les historiens ont qualifiée d’ère du témoin qui, à partir de la fin des années 1970, donne une place centrale dans la mémoire de la guerre aux victimes du génocide, dont la mémoire avait été occultée par le résistancialisme. Les héros cèdent alors la place aux victimes, comme en témoigne la représentation des personnages sur les affiches. Le cinéma reflète les mémoires dominantes de son époque mais il participe aussi à la construction de ces mémoires en diffusant, par sa puissance visuelle et narrative, une représentation du passé.

Cours 1

p. 28-29

L’historien et la construction des mémoires de 1945 aux années 1970

• Présentation Ce premier cours, qui a pour objet la construction des mémoires de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1970, est construit de façon chronologique afin que les élèves puissent, dans l’optique de la composition du Bac, repérer à la fois le poids du contexte dans l’élaboration des mémoires et les évolutions que la distance vis-à-vis de l’événement va permettre. Il induit, comme l’exige le

programme, une lecture historique de ces mémoires en donnant une place centrale au travail des historiens et en montrant que les mémoires sont, en elles-mêmes, objet d’histoire. Il montre enfin que s’il existe une mémoire dominante, elle est pourtant plurielle et ne signifie pas l’absence, à d’autres échelles, de mémoires plus discrètes sur la scène publique mais vivaces pour certains groupes.

• Choix des documents « appuis » du cours Les documents indiqués dans les marges doivent permettre aux élèves d’étayer leur raisonnement avec des exemples précis, documents qui peuvent par ailleurs faire l’objet d’une étude au Baccalauréat. Ils ont donc pour objet non seulement d’illustrer le cours mais aussi de provoquer une analyse spécifique. Ces renvois documentaires permettent enfin de repérer les documents clés dans les études, à partir desquels une thématique spécifique des mémoires peut être abordée. Les biographies de personnages ont été sélectionnées pour faire apparaître différents types d’acteurs du thème : historiens, hommes politiques, fondateurs d’associations impliqués dans le travail mémoriel.

Cours 2

p. 30-31

L’historien et le renouvellement des mémoires des années 1970 à nos jours

• Présentation Ce deuxième cours, qui a pour objet le renouvellement des mémoires depuis les années 1970, suit lui aussi un déroulement chronologique, jusqu’aux travaux historiques actuels qui témoignent de la vivacité de la discipline historique et de son nécessaire questionnement permanent. Il met en valeur le rôle des différents groupes porteurs de mémoire ainsi que l’importance des vecteurs divers de la diffusion des mémoires, vecteurs qui ne se limitent pas aux historiens, comme l’illustre la place essentielle du cinéma et des instances judiciaires dans la représentation du passé. Il insiste enfin sur les rapports à la fois complémentaires et conflictuels de ces deux perceptions du passé que sont la mémoire et l’histoire et en souligne les enjeux.

• Choix des documents « appuis » du cours Comme pour le cours précédent, les documents indiqués dans les marges doivent permettre aux élèves d’étayer leur raisonnement avec des exemples précis, documents qui peuvent par ailleurs faire l’objet d’une étude au Baccalauréat. Ils ont donc pour objet non seulement d’illustrer le cours mais aussi de provoquer une analyse spécifique. Ces renvois documentaires permettent enfin de repérer les documents clés dans les études, à partir desquels une thématique spécifique des mémoires peut être abordée. Les biographies de Robert Paxton et de Jacques Chirac, personnages clés de l’évolution des mémoires, doivent être connues des élèves, c’est pourquoi elles sont ici mises en évidence.

Prépa Bac

p. 32-33

◗◗ Composition

Sujet guidé : L’historien et le renouvellement des mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France depuis les années 1970. 1. Analyser le sujet Pour l’historien, les mémoires sont des ressources qu’il étudie, confronte afin d’expliquer l’histoire. Le terme « renouvellement » indique un changement important. Les « Mémoires  » sont plurielles : de la résistance, de l’État français, de la Shoah, etc. Les

Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

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4. La composition des deux affiches illustre les messages portés par les deux films et provoque chez celui qui les regarde des sentiments différents. La Bataille du rail se veut une épopée où l’action prédomine, tandis que Shoah nous amène à faire route auprès des victimes du génocide.

années 1970 correspondent à une évolution des mémoires car les sources deviennent plus nombreuses pour les historiens.

2. Présenter le sujet La phrase qui correspond le mieux au sujet est la première car elle aborde à la fois le rôle des historiens (ce n’est pas le cas de la troisième) et les conséquences sur le renouvellement des mémoires (ce n’est pas le cas de la deuxième).

7. Comment présenter votre devoir ? Une composition entièrement rédigée est proposée ci-dessous. Les passages rédigés des paragraphes 2 et 3 qui ne figurent pas dans le manuel de l’élève sont en italique. Les réponses demandées aux élèves sont en italique gras. Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France sont variées et portées par des acteurs multiples. Les historiens, pour qui elles constituent une ressource et un objet d’études, ont contribué à les faire connaître et à en faire une lecture historique notamment depuis les années 1970, période où les sources deviennent plus nombreuses. Quel est donc le rôle des historiens dans le renouvellement des mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France depuis les années 1970 ? On rappellera d’abord le contexte favorable à ce renouvellement. Puis, on analysera le travail de l’historien face à la mémoire officielle et enfin son rôle face à l’émergence de mémoires plurielles. Depuis les années 1970, le contexte est favorable au renouvellement des mémoires. À la fin des années 1960, un réexamen critique de l’histoire officielle est possible. Avec le départ de du général de Gaulle du pouvoir et le déclin du parti communiste, la critique des deux mémoires dominantes se développe. Ainsi, le culte d’une France massivement résistante, le résistancialisme, est-il remis en cause. Par ailleurs, une nouvelle génération d’historiens apparaît. Nés après la guerre ou étrangers, ils portent un regard nouveau sur le conflit. C’est le cas en 1973 de l’historien américain Robert Paxton qui publie La France de Vichy. Il y révèle le rôle de complice actif de l’État français du maréchal Pétain auprès des nazis dans la déportation des juifs. L’accès à de nouvelles sources permet aussi cette évolution. Les historiens se penchent sur les archives, à l’image de Paxton qui dépouille les télégrammes et notes envoyés par Vichy à Berlin. La recherche de témoins participe également à la connaissance. Des associations de déportés juifs s’attachent à rechercher les responsables survivants de la Shoah pour les traduire devant la justice et dresser le bilan le plus précis possible du génocide. Une nouvelle vision de la Seconde Guerre mondiale devient alors possible en France.

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La mémoire officielle se retrouve ainsi soumise au regard et à la critique de l’historien. La mémoire officielle a longtemps présenté une vision sélective de la guerre. Il s’agissait alors de reconstituer l’unité nationale mise à mal par la période de Vichy et menacée par l’épuration. Gaullistes et communistes imposent leurs mémoires à l’opinion publique. Toutes deux mettent en avant le rôle essentiel de la Résistance en France et célèbrent de grandes figures comme celle de Jean Moulin. Le travail des historiens, notamment leur participation à des procès en tant qu’experts, a favorisé l’évolution de cette mémoire vers une reconnaissance de la pluralité des acteurs et des vécus, masquée jusqu’aux années 1970 par le résistancialisme. Les procès médiatisés de Klaus Barbie en 1987 et de Maurice Papon en 1997 permettent aux historiens d’expliquer le fonctionnement et les conséquences de l’occupation et de la collaboration.

Cependant, la tentation des politiques d’établir des vérités historiques officielles soulève le débat entre histoire et mémoire. Les lois mémorielles votées par le Parlement au début des années 1990 provoquent l’inquiétude de certains historiens qui les considèrent comme une intrusion du politique dans l’écriture de l’histoire. Au-delà des polémiques, les travaux des historiens permettent une meilleure connaissance de la période de guerre. Ils rendent aussi compte de la complexité de cette période. De nouvelles mémoires émergent qui sont autant de sujets d’étude pour les historiens. Outre la mémoire juive, celles des prisonniers de guerre ou des «  Malgré-Nous  », longtemps occultées, font l’objet de recherches et d’expositions. Face à ces mémoires plurielles, le travail des historiens consiste à questionner tous les acteurs de la guerre. Ils confrontent les différentes mémoires avec les témoignages et les archives. Cela leur permet de proposer une lecture de l’histoire comme le fait Henri Rousso sur la mémoire de la Shoah. Mais, l’historien doit aussi faire face à la concurrence des mémoires tout en se dégageant de la pression exercée par les groupes dominants notamment sur le monde politique. Le rôle de l’historien est donc de présenter de la façon la plus objective cette période tourmentée. Les historiens ont permis par leurs travaux d’éclairer d’un jour nouveau l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et d’en renouveler les mémoires. Cependant, face au devoir de mémoire que réclame la société actuelle, les historiens sont sans cesse obligés de rappeler que leur rôle est d’expliquer et non de commémorer ou de soutenir des vérités « officielles ».

Sujet en autonomie : L’historien et les mémoires de la Résistance et de la collaboration en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dès 1945, des mémoires émergent, portées par différents acteurs ayant vécu la guerre. Les historiens vont progressivement s’y intéresser pour mieux connaître cette période tant du côté de la Résistance que de celui du régime de Vichy. On peut s’interroger sur le rôle de l’historien dans l’évolution des mémoires de la Résistance et de la collaboration depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les années d’après-guerre sont marquées par le poids du résistancialisme mais le travail des historiens remet peu à peu en cause cette mémoire officielle et permet une nouvelle lecture historique de la Résistance et de la collaboration.

1. Le poids du résistancialisme A. Une mémoire portée par les gaullistes et les communistes. B. La nécessité de refaire l’unité nationale.

2. Le travail des historiens remet en cause la mémoire officielle A. Le travail des historiens : recherches, confrontations. B. Les historiens par leurs publications remettent en cause le résistancialisme. C. Le rôle d’expertise des historiens : procès, interviews, etc.

3. Une nouvelle lecture historique de la Résistance et de la collaboration A. Des résistances portées par des groupes divers et parfois concurrents. B. L’affirmation des responsabilités du régime de Vichy. L’historien, par son travail, a permis une meilleure connaissance de la Résistance et de la collaboration en France et ce, malgré les pressions exercées. Il a aussi contribué à l’émergence de nouvelles mémoires portées par des groupes plus ou moins influents.

14 • Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Prépa Bac

p. 34-36

◗◗ Analyse de document(s)

Sujet guidé : L’historien et les mémoires officielles de la Seconde Guerre mondiale en France. 1. Analyser la consigne 1. L’État français en 1942-1943 correspond au gouvernement et l’administration de Vichy. 2. Le mot « responsabilités » renvoie aux choix politiques et aux mesures prises par l’État français. 3. Les historiens interviennent lors de procès, font des recherches car ils participent à la connaissance de cette période de l’histoire en tant qu’experts. 4. Mais beaucoup se refusent à porter un jugement sur les faits qu’ils éclairent car c’est le rôle de la justice et non le leur.

2. Prélever des informations Le texte surligné en bleu correspond à la première partie de la consigne ; le texte surligné en vert correspond à la deuxième partie.

7. Comment présenter votre devoir ? Une analyse de document entièrement rédigée est proposée ci-dessous. Les passages rédigés du paragraphe 2 qui ne figurent pas dans le manuel de l’élève sont en italique. Les réponses demandées aux élèves sont en italique gras. Dans sa déclaration en 1997, Robert Paxton évoque les responsabilités de l’État français pendant la Seconde Guerre mondiale. Ses propos illustrent le travail des historiens afin de mieux connaître cette période controversée. Durant la période 1940-1944, l’État français dirigé par Pétain depuis Vichy définit une politique relayée par de hauts fonctionnaires tel Maurice Papon alors secrétaire général de la préfecture de Gironde. Cette politique fait le choix de la collaboration avec l’Allemagne nazie, ce qui permet aux Allemands de « se féliciter du comportement de l’administration et de la police française ». Un des aspects de cette collaboration est la politique anti-juive mise en œuvre par Vichy avec les lois « dirigées contre tous les Juifs y compris les citoyens » français ainsi que le marquage « des cartes de rationnement et des cartes d’identité tamponnées en rouge “Juif” ». Ainsi, grâce à « la coopération brutale de la police française  » lors des rafles comme celle du Vel’ d’Hiv’ en juillet 1942, l’État français participe à la déportation de 76 000 Juifs. Cependant, en évoquant la prise de distance et les réticences du gouvernement de Vichy vis-à-vis de ces opérations à partir de 1943, Paxton cherche à établir la réalité historique.

Malgré des contestations concernant leur rôle, le travail des historiens a permis une meilleure connaissance de cette période de la Seconde Guerre mondiale.

Sujet en autonomie : Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France. Le film de Marcel Ophüls Le Chagrin et la Pitié, diffusé au cinéma en 1971, analyse, pour la première fois en France, l’attitude des Français pendant la période de l’occupation allemande. Ce film documentaire souligne les différentes formes de la collaboration de l’État français et d’une partie de la population et l’antisémitisme qui se développe à cette époque. Cette réalité était occultée depuis 1945 par ce que l’historien Henri Rousseau appelle le « résistancialisme ».

1. Un tournant dans la mémoire de la période de l’occupation allemande en France A. Un film qui remet en cause le résistancialiste qui domine alors les mémoires de la Seconde Guerre mondiale. B. Un film qui n’a cependant qu’une diffusion limitée jusqu’aux années 1980.

2. Un film qui ouvre un débat sur cette période A. Il va dans le sens des nouvelles recherches historiques des années 1970-1980, symbolisées par les travaux de Robert Paxton. B. Il contribue ainsi à modifier la perception que les jeunes générations des années ont des années 1940-1945. Ce film est donc un tournant dans la mémoire de la période de l’Occupation. Malgré sa diffusion au départ limitée, il a aidé à la remise en cause de résistancialisme qui dominait jusque dans les années 1970. Il a ainsi contribué à l’émergence des mémoires plurielles de la Seconde Guerre mondiale en France.

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Les historiens participent à des procès en tant qu’experts dans les années 1990. En effet, ils sont appelés à s’exprimer devant des cours d’assises lors des procès de Klaus Barbie en 1987 puis de Maurice Papon en 1997. Robert Paxton y est reconnu comme

expert : on lui de mande d’éclairer le contexte de l’époque par une analyse de documents d’archives tels que « la correspondance des autorités allemandes avec Berlin  », «  des rapports » et des statistiques permettant d’établir la réalité de la déportation de « 42 000 Juifs » depuis la France. Ainsi, les historiens ont fait évoluer les mémoires de la guerre par leurs travaux sur de nouvelles sources et la mise en relation des faits. L’ouverture progressive des archives permettent l’accès à des documents tels le projet de loi sur le statut des Juifs annoté par Pétain ou encore « le fichier des Juifs de France » sur lesquels les historiens comme Robert Paxton se sont appuyés. Cependant, cette approche pose la question de la relation entre histoire et mémoire. Les historiens participent à l’élaboration de mémoires plurielles en analysant les documents, en recueillant des témoignages et en les confrontant, en y apportant parfois des nuances. Ainsi, Paxton souligne « la coopération brutale de la police française » mais aussi le « refus du port de l’étoile en zone Sud » par Pétain. Mais, cette participation à des procès divise les historiens, certains considérant que leur rôle dans la société n’est pas de juger.

Chapitre 1 - L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

• 15

chapitre 2

L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

p. 38-61

Programme : Thème 1 – Le rapport des sociétés à leur passé (4-5 heures) Question

Mise en œuvre

Les mémoires : lecture historique

Une étude au choix parmi les deux suivantes : – l’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France ; – l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie.

◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre Par « mémoires » on doit entendre l’ensemble des souvenirs (collectifs et individuels), sous formes de différentes traces, se rapportant aux événements majeurs de la guerre d’Algérie. Ces souvenirs font l’objet de commémorations mais sont aussi parfois à l’origine de revendications de ceux qui en sont porteurs, souvent liées à des enjeux du temps présent : idéologiques, politiques ou culturels. Les mémoires officielles ou mémoires d’État sont particulièrement marquées à cet égard. Le travail de l’historien consiste à évacuer au maximum les dimensions affective et/ou idéologique qui s’attachent immanquablement aux mémoires, pour chercher à établir avec le plus d’objectivité et de rationalité possibles la vérité et la réalité des faits du passé. Le travail sur les mémoires est rendu d’autant plus complexe pour l’historien qu’elles contiennent des amnésies et de la sélectivité (volontaires ou non), voire des mythes et des légendes. « Lecture historique des mémoires » peut donc s’entendre dans un premier temps comme l’analyse des mémoires et des discours qu’elles produisent, en tant qu’objet d’étude en soi. La « lecture historique des mémoires » renvoie enfin à l’utilisation que font les historiens des mémoires des acteurs-témoins, comme source historique, en les confrontant à d’autres sources. En ce qui concerne la guerre d’Algérie, les travaux d’historiens, plus récents, analysent des thèmes longtemps occultés du champ public : le recours à la torture, le rôle de l’armée française et de l’État dans l’usage de la violence contre les musulmans en Algérie ou en France (événements du 17 octobre 1961), mais aussi les mythes véhiculés par l’État algérien (le mythe du « million de morts »). Les ouvrages de Guy Pervillé, Jean-Luc Einaudi, Raphaëlle Branche, Benjamin Stora ou encore Gilles Manceron ont paru alors que les groupes porteurs de mémoires, qui ont en commun d’avoir des mémoires blessées et en conflit les unes avec les autres, sont toujours actifs. Les polémiques sont loin d’être toutes éteintes : le cheminement de la mémoire vers l’histoire demeure malaisé, comme l’a démontré la polémique cannoise de 2011 quand le film de Rachid Bouchareb Hors-la-loi a été conspué lors des manifestations regroupant pieds-noirs, harkis et anciens combattants ou à l’occasion de la mort de Henri Alleg et de Paul Aussaresses.

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◗◗ Débats historiographiques et quelques notions clefs du chapitre La guerre d’Algérie est une des crises majeures de l’histoire de France au xxe siècle. Elle a donné lieu depuis 1962 à bien des affrontements, des polémiques, des controverses parfois violentes ; le cheminement de la mémoire à l’histoire a été difficile jusqu’à nos jours. L’État, mais aussi les « acteurs-témoins » réunis sous différentes formes, sont allés jusqu’à entraver le travail des historiens en voulant imposer une lecture univoque, déformée, voire mensongère, des faits suscitant des protestations récurrentes de la communauté historienne, notamment contre les lois mémorielles. Les lectures idéologiques ont influé tant sur les oublis volontaires que sur l’affirmation des différentes mémoires produites par

16 • Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

cette période. En ce qui concerne la guerre d’Algérie, nous nous sommes référés en particulier à Benjamin Stora qui est, à l’heure actuelle, le meilleur spécialiste des questions touchant à l’histoire et aux mémoires « blessées », (pieds-noirs, Algériens d’Algérie et de France, anciens combattants, harkis) générées par un conflit demeuré longtemps « sans nom », comme le montre l’étude consacrée à la mémoire française officielle d’État. Les typologies des principales mémoires énoncées ici pourraient être complétées par d’autres mémoires plus discrètes ou moins représentatives comme le sont, par exemple, les mémoires « blessées et repliées » des porteurs de valises français du FLN ou celles des victimes du métro Charonne de 1962 qui ont été commémorées récemment, en lien avec la campagne électorale présidentielle de 2012. En revanche, nous avons montré quelles étaient les grandes lignes de la mémoire algérienne du conflit, éloignée de la perception officielle française et connectée aux aléas des relations diplomatiques franco-algériennes, tendues et complexes depuis 1962.



Groupe porteur de mémoire : expression très utilisée par Benjamin Stora qui renvoie à des regroupements d’individus plus ou moins formels et plus ou moins visibles (anciens combattants, anciens résistants, anciens déportés ou anciens colonisés, voire l’État). Par le biais de manifestations publiques, ils présentent leur version de l’histoire en fonction d’un certain nombre de revendications. Elles sont souvent motivées par la recherche de compensations matérielles, morales ou symboliques, et sous-tendues par les enjeux politiques et idéologiques du temps présent. Ces revendications peuvent aller parfois jusqu’à réclamer une présentation officielle des faits, comme ce fut le cas au moment de la loi très décriée de 2005 sur les rapatriés d’Algérie dont l’article 4, demandant aux enseignants d’évoquer le « rôle positif » de la colonisation, fut finalement abrogé par Jacques Chirac.

• Franchissement de seuil mémoriel : l’expression désigne le

moment où certaines mémoires s’affirment dans le champ public. Pour le cas de l’Algérie, le franchissement de seuil mémoriel intervient avec la dénomination officielle de « guerre d’Algérie » à partir de 1999, sous la pression des organisations d’anciens combattants. Il a rendu possible l’édification de lieux commémoratifs visibles, comme le Mémorial du quai Branly à Paris. Rappelons que le premier colloque qui fut consacré à la guerre d’Algérie n’eut lieu qu’en 1988.

• Relais de transmission mémorielle : notion indissociable de celle de franchissement de seuil mémoriel, elle désigne principalement les médias (cinéma, télévision), les manifestations (défilés) des groupes porteurs de mémoire et bien sûr les travaux universitaires qui infléchissent les discours officiels longtemps porteurs de mythes et de contre-vérités historiques.

◗◗ Bibliographie P. Blanchard, N. Bancel, Culture post-coloniale 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France, Autrement, 2006. C. Bonafoux, L. de Cock-Pierrepont, B. Falaize, Mémoire et histoire à l’école de la République, quels enjeux ? Armand Colin, 2007.

• Sur la question des lois mémorielles « Non à la loi scélérate ! », L’Histoire n° 302, p. 52-53, octobre 2005. C. Liauzu, Retour à l’Histoire n° 318, p. 54, mars 2007. « Sans mythes ni tabous, la guerre d’Algérie », Les Collections de L’Histoire, n° 15, mars 2002. B.  Stora avec T. Quemeneur, Algérie 1954-1962, Lettres, carnets et récits des Français et des Algériens dans la guerre, Les arènes, 2010.

• Articles et documentation pédagogique Sites Internet http://www.ina.fr/fresques/jalons/accueil Le site Jalons, né d’un partenariat entre l’INA et le ministère de l’Éducation nationale, propose de nombreux dossiers pédagogiques. http://www.elwatan.com/independance-algerie-webdoc Le journal algérien El Watan et Le Monde ont conjointement réalisé ce site. http://www.univ-paris13.fr/benjaminstora/la-memoire Le site régulièrement enrichi d’un spécialiste de la question. http://www.canal-u.tv/producteurs/ecole_normale_ superieure_de_lyon/colloques_seminaires_et_workshop/ pour_une_histoire_critique_et_citoyenne_le_cas_de_l_ histoire_franco_algerienne http://memoires-algeriennes.com http://www.ldh-toulon.net/spip.php?rubrique50 Site de la Ligue des droits de l’homme qui fait une large place à la réflexion sur les mémoires de la guerre d’Algérie.

Introduction au chapitre

p. 38-39

Ce chapitre étudie les relations entre l’historien et les différentes mémoires produites par la guerre d’Algérie. La problématique principale invite à envisager les mémoires comme étant à la fois source et objet d’histoire. Il s’agit en effet d’interroger, grâce aux outils de l’histoire, les contextes et les groupes sociaux qui ont favorisé l’émergence de telle ou telle mémoire, afin de porter sur les événements comme sur les mémoires qu’ils ont générées, un regard distancié et critique permettant une approche scientifique du passé. Cette problématique permet de mesurer la différence de nature entre les mémoires et les travaux historiques, l’historien étant, pour reprendre l’expression de Pierre Laborie, un « troublemémoire ». Il ne s’agit pas de hiérarchiser ou de considérer que mémoires et histoire seraient en concurrence mais plutôt de mettre en évidence la dialectique qui unit ces deux perceptions du passé, dans leur tension comme dans leur complémentarité. La problématique suggère que les mémoires sont devenues en tant que telles, depuis les travaux d’Henry Rousso, un objet historique à part entière. L’enjeu pour le professeur est « de se dégager du jeu des pouvoirs, des groupes d’intérêt et des tendances qui agissent sur la construction des mémoires » (fiche Eduscol), tout en en montrant les ressorts explicatifs. Le chapitre propose différentes études qui autorisent ce va et vient entre mémoires et histoire afin que les élèves puissent comprendre les processus à l’œuvre dans l’élaboration des différentes mémoires et le rôle qu’y jouent les historiens. Les deux photographies présentées en ouverture de chapitre permettent une utilisation pédagogique à plusieurs niveaux. Elles mettent tout d’abord en évidence différents acteurs de la construction mémorielle de cette période troublée : deux États, la France et l’Algérie ; les mémoires combattantes des soldats algériens et supplétifs de l’armée française. Elles témoignent du fait que cette période a généré des mémoires plurielles et parfois conflictuelles et qu’elle demeure un objet d’étude vivant, dont l’histoire continue de s’écrire. Elles permettent d’interroger la mission particulière des différents acteurs dans l’émergence des mémoires et dans l’écriture de l’histoire.

→Document 1 : Le Mémorial du martyr à Alger Les premiers monuments commémoratifs de la « guerre de libération nationale » sont apparus dans les années 1958-1960 sur les bases de l’ALN au Maroc et en Tunisie. Puis après 1962, les anciens édifices coloniaux du territoire algérien ont été recyclés pour célébrer les « chouhada », les martyrs de la guerre d’indépendance. L’historien Emmanuel Alcaraz parle à ce propos d’une « tradition laïque et républicaine acclimatée à l’islam ». À Alger, le Maqam Al Chahid surplombe la ville ; son inauguration date de 1982, sous la présidence de Chadli Bendjedid. Sur le plan architectural, l’édifice n’a pas de cachet particulier, sinon qu’il témoigne d’un style combinant une monumentalité de type soviétique des années 19601970 (élévation verticale, usage massif du béton) et une architecture plus islamique ou locale par le choix de trois palmes stylisées. Le soldat ici photographié est l’un des trois qui ornent le monument, symbole du peuple en lutte et victorieux : il porte les armes et brandit la flamme de la liberté gagnée par la victoire.

→Document 2 : Manifestation à Valence le 14 mars 2009 contre les commémorations du 19 mars 1962 Le cliché, pris à Valence en 2009, montre une manifestation à l’appel de plusieurs associations pour protester contre le choix de la date du 19 mars comme date de commémoration de la guerre d’Algérie. Le Cercle algérianiste (inscription sur la banderole du premier plan), créé en 1973 par des Pieds-Noirs, se présente comme « désireux de faire survivre une province française dispaChapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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A. Bouchène, J. P Peyroulou, O. Siari Tengour, S. Thénault (Sous la direction de), Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 18301962, La Découverte, 2012. R.  Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Éditions Gallimard, 2001. J.-P. Brunet, « Enquête sur le 17 octobre 1961 », Les Collections de L’Histoire n° 15, p. 100-101, mars 2002. F.  Dosse, Les Héritiers du silence. Enfants d’appelés en Algérie, Stock, 2012. J.-C. Jauffret, Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, Éditions Autrement, 2003. G. Pervillé, « Sétif : enquête sur un massacre », L’Histoire, n° 318, p. 44-49, mars 2007. Y. Scioldo-Zürcher, Devenir métropolitain. Politique d’intégration et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole (1954-2005), Éditions EHESS, 2010. A.-G. Slama, « Oran, 5 juillet 1962 », Les Collections de L’Histoire n° 15, p. 102-103, mars 2002. B. Stora, La Gangrène et l’Oubli, La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991. B. Stora, Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance xixe-xxe, Coll. Repères, 3 volumes, La Découverte, 2012. B. Stora, M. Harbi, La Guerre d’Algérie, 1954-2004, La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004. B.  Stora, Les Guerres sans fin. Un historien, la France et l’Algérie, réédition en livre de poche, octobre 2013. B. Stora (Entretien avec), « France-Algérie : la guerre des mémoi­ res », L’Histoire, septembre 2010. B. Stora, « Le retour de la mémoire », Les Collections de L’Histoire, n° 15, p. 104-106, mars 2002. B.  Stora, « La fin de l’amnésie », L’Histoire, n° 292, p. 54-55, novembre 2004. S. Thénault, Algérie : des « événements » à la guerre. Idées reçus sur la guerre d’indépendance algérienne, Le Cavalier Bleu, 2012.

rue géographiquement, mais toujours vivante dans la mémoire d’un peuple d’un million d’âmes, une culture originale née au carrefour des différentes civilisations qui firent l’Algérie, une histoire, une langue en gestation, une façon d’être » (site Internet). Les banderoles évoquent les éléments qui constituent les groupes de mémoires : harkis, anciens combattants, rapatriés. L’argument du refus du 19 mars repose sur le fait que des massacres de plusieurs centaines, voire de plusieurs milliers, d’Européens ont eu lieu à Oran le 5 juillet 1962 par des membres du FLN et de l’ALN, dans la foulée de l’indépendance algérienne. Ces événements ont traumatisé une communauté éprouvée, qui s’est sentie abandonnée par le général de Gaulle pourtant acclamé en héros lors de sa venue en Algérie lors des premiers jours de juin 1958. Sur ces disparitions se focalise une mémoire blessée très présente dans le sud de la France, dans des villes comme Perpignan, Montpellier, Marseille et Nice, où se sont établis une grande partie des pieds-noirs. Les pieds-noirs n’ont jamais pu accepter les consignes, venues de Paris, de non-intervention de l’armée française et d’abandon des harkis. Il existe donc aussi une mémoire, certes minoritaire, des « ultras » de l’Algérie française dont d’anciens membres ou sympathisants de l’Organisation Armée Secrète. L’OAS commit des attentats sanglants dans les derniers temps de l’Algérie française et comptait en son sein des militaires et des pieds-noirs refusant violemment la politique gaullienne et l’émancipation algérienne. Depuis 1962, ils ne cessent de réclamer les excuses officielles de l’État français dans un discours qui s’apparenterait à celui de Jacques Chirac en 1995 pour la rafle du Vél’ d’Hiv’, mais aucun chef d’État ne l’a fait jusqu’à présent. Pourtant, certaines revendications ont été entendues, comme l’a montré la loi si controversée du 25 février 2005. Localement, les pieds-noirs ont une influence importante : à Perpignan, un « Mur des disparus » où sont inscrits les noms de ceux qui ont été assassinés ou ont disparu lors des massacres d’Oran, a été inauguré en 2007.

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◗◗ Frise Cette frise a pour objet de donner quelques repères essentiels pour permettre l’appréhension de la période, en faciliter l’apprentissage et en repérer les ruptures signifiantes. Elle distingue la France de l’Algérie car les évolutions sont différentes dans les deux pays. Découpée en trois périodes, pour la France, en deux pour l’Algérie, elle présente des ouvrages d’historiens particulièrement importants, et montre la place du politique dans l’élaboration d’une mémoire officielle. Elle permet de mettre en relation les différents acteurs de la construction mémorielle et du récit historique en insistant sur les contextes qui conditionnent leur expression. La première période qui démarre avec la signature des Accords d’Évian est marquée, en France, par l’occultation de la guerre d’Algérie. Le vote de plusieurs lois d’amnistie fait entrer la guerre et ses acteurs dans un véritable oubli officiel. À partir de 1962, tout ce qui peut rappeler les divisions du passé, tant de l’époque de Vichy que de l’époque de la guerre d’Algérie, est refoulé. Différents travaux d’historiens sont menés mais ne rencontrent pas d’échos dans la société française. À partir des années 1980-1990, s’ouvre une période charnière qui voit l’émergence de la guerre d’Algérie dans l’espace public. On insistera sur le fait que ce changement est le fait de différents acteurs : historiens, associations de groupes porteurs de mémoire. La troisième période, depuis les années 1990, témoigne d’une intégration des travaux historiques dans la construction de la mémoire nationale. La reconnaissance officielle à l’Assemblée Nationale, en 1999, du terme « guerre » pour désigner ce qui jusque-là étaient appelés « événements » d’Algérie a semblé ouvrir une nouvelle époque dans les relations de la France avec son passé et avec l’Algérie. L’inauguration par le président Jacques Chirac le 5 décembre 2002, du Mémorial natio-

18 • Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

nal de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie marque une nouvelle étape en faisant entrer les soldats de cette guerre dans la mémoire nationale des guerres du xxe siècle. La question de la torture revient en force dans les années 2000. La thèse de Raphaëlle Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, fait suite aux travaux de l’historien Pierre Vidal-Naquet (1972). La chercheuse inscrit la torture dans le champ des « violences de guerre » dans le cadre dressé par l’historien américain George Mosse. La presse joue un rôle important dans l’émergence de cette question qui rencontre les préoccupations de la société française. La frise permet enfin de montrer, à travers les titres et les dates des ouvrages B. Stora, La Gangrène et l’oubli (1991) et de M. Harbi et B. Stora, La Guerre d’Algérie, la fin de l’amnésie (2004) comment les travaux des historiens témoignent de cette évolution. En Algérie, la guerre est utilisée par le FLN au pouvoir, dès la sortie du conflit, comme ciment de la jeune nation. Les martyrs sont honorés, les divisions au sein du mouvement d’indépendance sont occultées, les exactions contre les harkis ignorées. Le pouvoir prend le contrôle des mémoires et de l’histoire. L’unanimisme tient lieu de mémoire historique, le FLN se présente comme « le peuple tout entier » ayant combattu contre le colonisateur français et vainqueur de la « guerre révolutionnaire ». La prévention du régime face à la contestation de la version officielle est visible à travers l’interdiction qui vise les ouvrages de Mohammed Harbi. La production de livres, d’articles, de discours commémoratifs officiels est particulièrement abondante mais la très grande majorité de cette production appartient au genre mémoriel. Les conditions de travail des historiens en Algérie restent sous le contrôle du pouvoir même si ces dernières années les rencontres et les colloques où sont invités des chercheurs étrangers se sont multipliés. On pourra noter que cette évolution est d’abord liée au statut de l’histoire dans les deux pays. En Algérie, l’histoire reste subordonnée au politique, car elle est le fondement nécessaire de l’État et de la nation ; l’État ne reconnaît pas l’autonomie de l’histoire. En France, les fondements de l’État républicain sont plus anciens ; l’État reconnaît la compétence particulière des historiens et leur laisse une grande liberté de recherche et d’enseignement. Lorsqu’elles ont lieu, les tentatives pour brider cette liberté soulèvent toujours de vives protestations.

Repères

p. 40-41

Ces pages proposent des repères de différentes natures pour permettre aux élèves d’entrer dans le sujet. Le choix des notions clés est articulé autour du couple histoire/mémoire qui est au cœur de la problématique générale. L’apprentissage de ces définitions facilite l’analyse des sujets de composition et permet de garder à l’esprit la tension entre histoire et mémoires. Le document 1, présenté sous forme de tableau, permet, en partant de quelques événements majeurs de la guerre d’Algérie, de comprendre que celle-ci, en divisant profondément la société française, est productrice de mémoires plurielles, en fonction de la façon dont elle a été vécue. C’est par le retour à l’événement que l’on peut faire comprendre la multiplicité des mémoires qui se développent après le conflit, en ayant à l’esprit que celles-ci sont surdéterminées par le traumatisme qu’a représenté la période de guerre. L’expression « groupe porteur de mémoire » utilisée par Benjamin Stora pour la guerre d’Algérie renvoie à des regroupements d’individus plus ou moins formels et influents selon les périodes qui, par le biais de manifestations publiques, de revendications, de travaux historiques, cherchent à se faire entendre, tant dans la politique mémorielle nationale que dans l’écriture de l’histoire.

Le tableau des commémorations nationales, document 3, permet d’attirer l’attention sur les décalages chronologiques entre la France et l’Algérie quant à la mise en avant de la guerre d’Algérie ; il permet également d’aborder la notion de mémoire officielle, de réfléchir au sens à donner aux commémorations et de montrer que cette mémoire évolue. En Algérie, dès le lendemain de la guerre, le FLN au pouvoir organise officiellement des commémorations alors qu’en France il faut attendre le réveil des mémoires des années 1990-2000 pour que la guerre entre dans le champ officiel. Pour autant, en France la question reste encore vive, les contestations autour des dates de commémoration en attestent.

Acteur

p. 42-43

Mohammed Harbi, un acteur-historien des deux rives de la Méditerranée Le choix de Mohammed Harbi s’explique par son statut particulier de témoin devenu historien qu’illustre la citation présentée en accroche. Son parcours incarne la tension entre mémoire et histoire et permet de faire comprendre le rapport nécessaire et conflictuel qui s’y joue. Mohammed Harbi est algérien, né en 1933, il est à la fois acteur et témoin de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Alors qu’il était l’un de ceux impliqués dans les négociations des accords d’Évian, il s’est trouvé confronté à d’autres factions du FLN qui visèrent à l’écarter. En 1965, il est emprisonné après le coup d’État de Houari Boumediene. Assigné en résidence surveillée en 1971, il s’évade en 1973 et vient s’installer en France où il devient historien. Professeur à l’université de Paris VIII, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de l’Algérie. Son histoire est très intéressante pour traiter la question mémoire/histoire avec les élèves. D’abord acteur de l’indépendance, il devient petit à petit historien. Son travail constitue un tournant historiographique car c’est en tant que témoin lui-même et historien qu’il publie des sources collectées du temps de la guerre pour mettre en cause la vision univoque du FLN. On pourra faire le lien à l’échelle française avec des figures majeures de la Seconde Guerre mondiale, comme Daniel Cordier, qui sont devenus les historiens de la Résistance après avoir été eux-mêmes des résistants.

→Document 1 : L’acteur devient historien Le parcours de Mohammed Harbi n’est pas sans rappeler le parcours de ceux qui, après avoir été eux-mêmes des résistants, sont devenus les historiens de la Résistance. Mohammed Harbi, dans ses différentes fonctions à des niveaux stratégiques (responsable du cabinet civil du ministère de la Défense ou secrétaire général au ministère des Affaires étrangères) a pu suivre de manière très précise le jeu des acteurs pendant les années 1950-1960 en Algérie. Pendant la guerre, les débats qui animent les mouvements d’indépendance tournent autour des questions liées aux fondements de la nationalité algérienne. Ces questions ont servi de point de départ au travail historique de M. Harbi. Il s’interroge sur l’Algérie coloniale, les transformations qu’a connues le pays, l’avenir qu’il pouvait avoir au sortir de la guerre. En écrivant l’histoire de son propre pays, M. Harbi cherche à rendre la complexité d’une histoire marquée par la colonisation et

la guerre. Or, cela est mal accepté dans les débuts de la période d’indépendance où au contraire, les slogans et les classifications cherchent à créer l’illusion d’une unité, par ailleurs nécessaire à la construction de la jeune nation. Pour l’historien, il faut remonter à la colonisation pour comprendre qu’en rejetant les Algériens dans un statut communautaire, elle a poussé l’élite, qui était la plus proche d’elle, à s’occidentaliser, phénomène qui n’était pas toujours perçu d’une manière positive par le reste de la société. La colonisation a fait éclater le tissu social, ce qui explique que le mouvement national algérien a été un mouvement beaucoup plus déchiré qu’en Tunisie ou au Maroc. Les divisions du pays, entre l’urbain et le rural entre autres, ont été minimisées par les dirigeants, pour servir une unité fabriquée que l’histoire tourmentée de l’Algérie depuis 1962 a fait éclater au grand jour sans pour autant que le pouvoir ne desserre l’étau sur l’histoire officielle.

→Document 2 : Les racines de l’engagement dans le mouvement nationaliste Mohammed Harbi passe une enfance privilégiée dans un milieu soudé par des liens de solidarité traditionnelle. Les années au lycée se déroule à Skikda, une ville « fascinée par le modèle européen », où il fait son entrée dans l’action militante en adhérant à quinze ans au MTLD, une organisation « sans doctrine mais avec des buts politiques » qui allaient devenir, avec le FLN, « des objectifs de guerre ». On notera donc son engagement précoce dès l’adolescence. L’apprentissage, entamé en Algérie, se poursuit, à partir d’octobre 1952, à Paris. Deux mois après son arrivée en France, M’hamed Yazid, chef de la délégation permanente de la Fédération de France du parti, propose sa candidature au bureau de l’Association des étudiants musulmans nord-africains. Mohammed Harbi entre alors dans l’activisme au sein d’une section universitaire du parti. De sa formation, Mohammed Harbi dit : « Nous sommes des métis, des métis culturels. »

→Document 3 : De l’archive à l’histoire a. L’acteur-témoin réunit des archives… Dès 1975, Mohammed Harbi joint à son livre sur la scission du MTLD, des documents inédits provenant de ses archives personnelles de militant nationaliste. Il poursuit cette démarche dans toutes ses publications, livres ou articles, appuyant ses démonstrations sur des documents d’archives. « Peut-on éclairer une scène où règne la confusion sans finir avec le culte du secret et la censure, forcée ou volontaire, que chacun s’impose ? » écrit-il, pour poursuivre « Évidemment non. La publication de ces archives se veut donc une réponse à cette question ». La publication des archives est considérée comme une mise à disposition des pièces d’un dossier que l’historien décrypte. b. … l’historien les publie Mohammed Harbi publie une somme d’archives, réunies par ses soins, commentée et replacée dans leur contexte. Ce témoin-historien met à disposition de tous des documents provenant directement des principaux acteurs de la guerre d’Algérie. Ils éclairent les nombreuses discussions, analyses ou oppositions qui ont accompagné la lutte des combattants algériens. Véritable leçon d’histoire, ce premier volume a été suivi par la publication, avec l’historien français Gilbert Meynier, en 2004, de l’ouvrage Le FLN : documents et histoire, 1954-1962 (Fayard).

→Document 4 : Concilier histoire et mémoire ? Pour Mohammed Harbi, les publications en Algérie, notamment les nombreux témoignages, n’ont pas été conduits selon les méthodes scientifiques de l’historien contrairement à ce qui a pu se passer en France. Il ne met pas les historiens algériens et français en compétition mais considère que leurs travaux devraient Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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La carte, document 2, inspirée de la notion de « lieu de mémoire » de Pierre Nora, présente l’inscription géographique des différentes mémoires de la guerre en Algérie. Mettant en lien des lieux et des faits qui s’y sont déroulés, elle permet de comprendre comment ces mémoires prennent place dans l’espace public et s’enracinent dans le paysage et dans l’histoire. Les mémoires s’enracinent sur le territoire algérien, lieu de combat des soldats de l’armée, lieu de vie des Européens exilés en 1962.

donner lieu à des échanges pour croiser les regards. M. Harbi accepte de soumettre son travail à la critique de ses lecteurs et de ses pairs. Il dit : « J’ai mes rapports personnels avec les hommes, j’ai des côtés subjectifs, mais je pense que ce côté subjectif n’a pas réussi à prendre le dessus dans mon travail. En tous les cas, les lecteurs aviseront. »

◗◗ Réponses aux questions 1. Mohammed Harbi s’est fixé pour mission, dès sa jeunesse d’activiste, de retracer son propre itinéraire et de rendre compte de son combat en archivant de la documentation. Puis, il a abordé la question en historien : il s’est appuyé sur les méthodes scientifiques de l’histoire pour éclairer de manière plus objective l’histoire de son pays.

2. Sa famille, le lycée où il a fait ses études, ses professeurs sont à la base de sa formation. Son engagement politique au sein du Parti du Peuple Algérien et ses responsabilités lui ont fait côtoyer les événements au plus près.

3. Acteur politique, il s’est constitué une banque de données et d’archives de première main. Il publie régulièrement ces documents, éclairant ainsi d’un jour nouveau l’histoire du FLN et de l’Algérie. En tant qu’historien, il analyse ces archives et prend le risque de contrer l’histoire officielle qui cherche à occulter certains faits.

4. Il ne se contente pas, comme pourrait le faire un témoin, de raconter « son » histoire de la guerre d’Indépendance car ce ne serait pas conforme à la méthode historique. Il croise les témoignages, soumet son travail aux autres historiens spécialistes de la question et affirme : « j’ai au moins un minimum de distance à l’égard de mon expérience propre ». L’acteur soumet sa mémoire aux exigences scientifiques du métier d’historien.

◗◗ Vers la composition du BAC

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Mohammed Harbi est un algérien né en 1933 formé à la fois au lycée dans son pays natal et à Paris. Engagé dès l’adolescence dans le mouvement nationaliste pour l’indépendance de son pays, il est un acteur de la guerre d’Algérie. Dès le début de son combat, il archive de la documentation, ce qui dans la lutte clandestine présente un risque certain. Impliqué dans la politique algérienne, il participe aux négociations des accords d’Évian ; il est aussi un acteur de l’Algérie indépendante après 1962. Mais il est écarté du pouvoir par le coup d’État de 1965 ; emprisonné, assigné à résidence, il s’enfuit et gagne la France. Il suit alors des études d’histoire et devient enseignant et chercheur. Reconnu comme un éminent spécialiste de l’Algérie contemporaine, il publie ses archives pour mettre à la disposition des chercheurs des documents inédits qui éclairent l’histoire du mouvement d’indépendance. De fait, il donne un éclairage nouveau à l’histoire du FLN. Pour faire face à l’apparente contradiction qu’il y a à travailler sur une histoire dont on a été un acteur, Mohammed Harbi se plie à la méthode historique. Il croise les témoignages, soumet son travail aux autres historiens spécialistes de la question. Il ne se satisfait pas seulement de rendre compte de sa propre expérience comme le ferait un témoin mais prend de la distance face à l’expérience vécue. L’acteur soumet sa mémoire aux exigences scientifiques du métier d’historien. De fait, il est reconnu comme l’un des meilleurs historiens de la période.

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Étude 1

p. 44-45

La mémoire officielle de la guerre en France et en Algérie L’État français a longtemps nié la réalité d’une guerre en Algérie en usant de plusieurs expressions officielles pour désigner les faits (comme « les événements d’Algérie »), finalement abandonnées en 1999 quand le pouvoir reconnut qu’il y avait bien eu une guerre de décolonisation dans ce pays. De l’autre côté de la Méditerranée, l’État algérien et la société algérienne ont forgé une mémoire du conflit divergente de la mémoire officielle française et des mémoires des différents groupes porteurs de mémoire. Des monuments commémoratifs ont été édifiés et l’école, via les manuels scolaires, transmet aux jeunes générations une certaine vision de la guerre et de la colonisation.

→Document 1 : L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie Guy Pervillé est un historien et enseignant français, spécialiste de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie. Ses nombreuses publications et le site qu’il anime sont des sources précieuses pour la réflexion sur mémoire et histoire. Dans cet extrait, il rappelle pourquoi les mémoires de la guerre d’Algérie sont éclatées. Alors que la France commémore les deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie, événement majeur de l’histoire contemporaine qui a profondément déchiré la communauté nationale, ne permet pas la constitution d’une mémoire nationale consensuelle. Ce n’est qu’en 1999 que la loi donne officiellement un nom à cette guerre. Reste que le sens même de cette guerre pose question. Paul ­Thibaud affirme dans la revue Esprit en 1990 : « La guerre d’Algérie n’est tout simplement pas « commémorable », elle ne figure pas, après l’affaire Dreyfus et la Résistance, parmi les épopées du sens, les émergences de la justice à quoi les Français aiment à se référer. »

→Document 2 : Le président Jacques Chirac inaugure le mémorial national de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie, 5 décembre 2002 Le 5 décembre 2002, le président Jacques Chirac, ancien souslieutenant en 1956 puis en 1959-1960, prononce un discours pour l’inauguration du Mémorial national de commémoration de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie, installé le long du quai Branly, non loin des Invalides et de la tour Eiffel, à Paris. L’année 2002 correspond au 40e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. La date du 5 décembre ne correspond, quant à elle, à aucun fait marquant de la guerre. C’est pourtant cette date qui sera retenue en 2003 pour instituer la Journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie. Le Mémorial est constitué de trois cubes fins sur lesquels défilent des bandes lumineuses affichant le prénom et le nom des militaires morts (23 000 soldats) en Afrique du Nord, supplétifs compris (3 000 harkis). Le discours participe du réveil des mémoires des années 2000, faisant entrer dans une certaine normalité la guerre d’Algérie par l’intermédiaire d’un dispositif de commémoration commun aux conflits précédents : discours officiel, monument, date de commémoration. Mais ce qui pouvait apparaître comme un point de départ consensuel, devient un sujet de discorde : la FNACA reste fidèle à la date du 19 mars ; d’autres considèrent que cette date ne permet pas de rendre hommage à ceux qui sont morts après le 19 mars. La FNACA s’appuie également sur le Rapport Kaspi, rédigé au sujet des commémorations en France qui conclut que « rien ne justifie cette date [5 décembre] sur le

→Document 3 : Dans les classes, en Algérie, une histoire sous surveillance Le texte montre un élément majeur de la formation des jeunes algériens à travers l’enseignement de l’histoire. En Algérie, les manuels scolaires en arabe dépendent exclusivement du ministère de l’éducation nationale. Comme l’explique la chercheuse de l’INALCO, la mémoire scolaire officielle livre une vision partiale de l’histoire de l’Algérie. Jusque dans les années 1990, la « guerre de libération nationale » magnifie « un seul héros, le peuple » et légitime le FLN au pouvoir. Les martyrs sont honorés mais les témoins encore vivants sont ignorés. Les manuels relayent ce qui tient lieu d’histoire officielle et magnifient la dimension militaire des événements au détriment de leur aspect politique. L’accent est mis sur le nationalisme islamique alors que les oulémas n’ont rejoint le FLN que tardivement. Les manuels traitent longuement de la violence de la colonisation mais n’évoquent pas le départ des Européens en 1962, considérant que cela ne concerne pas l’histoire algérienne. Les choses évoluent depuis 1991, année qui marque l’ouverture au multipartisme en Algérie. La réhabilitation de la lutte politique s’affirme à partir des années 2000, à travers la figure de Ferhat Abbas, qui devint, après la guerre, président de l’Assemblée constituante. Le MNA est cité mais dans les pages consacrées aux traîtres. Rien n’est dit sur les exactions subies par les harkis. L’historien algérien Abdelmajid Merdaci observe « une absence de désir d’histoire » dans la société algérienne, en particulier chez les jeunes pour qui sont écrits les manuels.

→Document 4 : « Un seul héros, le peuple », slogan du FLN sur un mur d’Alger, en juin 1962 Le Front de libération nationale est issu du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA). Il a été créé en mars-avril 1954 par les partisans de la lutte armée qui se séparent du MTLD. La question de sa légitimité se posa car l’expression politique des Algériens fut largement entravée par la France. L’Étoile nordafricaine fut dissoute en 1937 et le Parti du peuple algérien (PPA) qui prit sa suite entra dans la clandestinité. Le FLN, créé pour lancer l’insurrection par un groupe d’activistes, n’était pas un parti de masse. Sans assise sociale, il ne favorisa pas, en général, la mobilisation populaire. Le cessez-le-feu est pour le FLN le point de départ d’une lutte sanglante pour le pouvoir. Le FLN a fini par fédérer, dominer, voire éliminer, les différentes tendances et prendre le pouvoir après l’indépendance. Il construit à partir de cette date une histoire officielle et se présente comme le représentant d’une volonté populaire unanime. C’est le sens que l’on peut donner au slogan inscrit sur les murs de la Casbah : il s’agit de valoriser la lutte, sans héros particuliers, le seul héros étant le peuple. Le FLN a construit sa légitimité sur le caractère fondateur du conflit de libération nationale. L’instrumentalisation de la mémoire débouche sur l’héroïsation de la lutte, l’héroïsation d’acteurs sélectionnés. Des pans entiers de l’histoire sont occultés, comme l’élimination des messalistes, les violences contre les Français et contre les harkis. Il s’agit de donner une assise au nouvel État né de la décolonisation. Au lendemain de la guerre, le FLN au pouvoir réécrit l’histoire.

→Document 5 : Algérie-France, des mémoires sous tension Le texte rappelle un certain nombre d’événements qui, dans les relations franco-algériennes récentes, font, explicitement ou

non, références à la période coloniale ou à la guerre d’Algérie et montrent que la mémoire et l’écriture de l’histoire de cette période restent des sujets sensibles. La loi mémorielle très controversée du 23 février 2005, votée sous la présidence de Jacques Chirac et élaborée à l’initiative de députés de l’UMP du sud de la France en lien avec des associations de pieds-noirs (l’article 1 reconnaît leur souffrance et l’article 4 le « rôle positif de la présence française outre-mer ») déclencha un tollé dans les milieux universitaires et enseignants en France mais aussi en Algérie, où le gouvernement du président Bouteflika cria au scandale. Finalement, Jacques Chirac abrogera cet article mais la loi sera quand même votée, preuve que la guerre d’Algérie demeure un enjeu mémoriel fondamental et que l’histoire de la colonisation peut être un événement clivant dans l’opinion. Comme en miroir, de l’autre côté de la mer, les déclarations et prises de position se multiplient. Le projet de traité d’amitié de 2006 n’a pu être signé. L’affrontement mémoriel franco-algérien s’étend à d’autres séquences d’histoire, touchant à l’esclavage, à la colonisation. Pour autant, certains rapprochements sont possibles : la France a restitué en 2006 le plan des mines posées pendant la guerre aux frontières du pays. En 2007, l’INA a signé un accord sur la restitution des images conservées retraçant l’histoire de l’Algérie depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 1962. En 2012, lors de sa visite officielle, le président François Hollande déclarait reconnaître « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien ». Parmi ces souffrances, il a cité « les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata » qui « demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens ». Il a également dénoncé un système colonial « profondément injuste et brutal ».

◗◗ Réponses aux questions 1. La guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, a profondément divisé la société française. Devant l’impossibilité de construire une mémoire commune, consensuelle, permettant de satisfaire toutes les communautés engagées (anciens combattants, rapatriés européens, harkis, immigrés et leurs enfants) le pouvoir en France a choisi d’ignorer la guerre. La guerre n’est pas nommée, c’est la « guerre sans nom ». Entre 1962 et 1982, une série de lois et de décrets amnistient les faits qui s’y rapportent.

2. La loi du 18 octobre 1999 officialise l’expression « guerre d’Algérie » pour désigner ce qui jusque-là étaient appelés « événements d’Algérie ». Le 5 décembre 2002, le président de la République, Jacques Chirac, inaugure le Mémorial national de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie à Paris et prononce un discours qui fait date. Pour autant cette mémoire reste vive, car aucune date de commémoration ne fait l’unanimité, le sens même de cette guerre est contesté.

3. La guerre d’Algérie a été menée par plusieurs mouvements politiques qui se sont violemment opposés au cours du conflit. Le FLN est sorti gagnant de cette lutte et a pris le pouvoir au lendemain de l’indépendance. Il s’est arrogé le droit d’écrire une mémoire officielle dans laquelle il affirme que le peuple tout entier, derrière le FLN, aurait unanimement participé à la lutte contre le colonisateur, occultant ainsi les divisions et les réalités historiques. Ce discours passe entre autres par l’enseignement et les manuels scolaires.

4. En Algérie, les historiens sont soumis au contrôle de l’État, ils ne sont pas libres d’écrire ce qu’ils veulent. Les associations d’anciens combattants, ou leurs descendants, comme la Coordination nationale des enfants des moudjahidine, l’État, mettent l’histoire sous surveillance, censurent les publications.

5. La mémoire et l’histoire de la guerre d’Algérie sont porteuses d’enjeux sensibles dans les relations entre les deux pays. En France, les nostalgiques de l’Algérie française sont parvenus, en 2005, à Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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plan historique » et sur des sondages à l’issue desquels la majorité de la population considère que la date anniversaire du cessez-le-feu est celle qui convient le mieux. Depuis 2012, le 19 mars est célébrée comme journée de souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

faire voter une loi sur les « bienfaits d’une colonisation positive ». Les vives contestations ont abouti à son abrogation. En Algérie, la période de la colonisation est l’objet de fréquentes accusations contre la France. La période coloniale et la guerre elle-même sont instrumentalisées dans les relations entre les deux pays.

◗◗ Vers l’analyse de document du BAC Il s’agit d’un extrait d’un article rédigé par l’historien Guy Pervillé dans la revue Historiens-Géographes. Cet enseignant français, spécialiste de la colonisation, a publié de nombreux travaux sur l’Algérie coloniale et la guerre d’Algérie qui se révèlent très utiles pour faire avancer la réflexion sur mémoire et histoire. Le document nous montre que si, pendant longtemps, l’État a organisé « l’amnésie », il a décidé, dans les années 1990, d’inscrire tous les acteurs de la guerre dans la mémoire nationale. Depuis 1999, les « événements d’Algérie » sont officiellement nommés « guerre d’Algérie », puisque c’est cette année que la loi a officialisé l’expression pour désigner ce qui jusque-là était « la guerre sans nom ». Si les groupes porteurs de mémoire défendent souvent une vision partiale des événements, l’État essaie maintenant, depuis les années 2000, de dépasser ces divisions. On peut ainsi rapprocher ce texte du document 2 : le 5 décembre 2002, le président de la République, Jacques Chirac, inaugure à Paris le premier monument national dédié à la guerre d’Algérie et aux combats du Maroc et de la Tunisie. Les différents types de soldats morts durant les combats sont alors intégrés dans la mémoire des guerres du xxe siècle. Ils disposent donc d’un monument national au même titre que les combattants des deux guerres mondiales. De cette manière, l’État prend acte des revendications mémorielles notamment des associations d’anciens combattants et de harkis.

Étude 2

p. 46-47

En France, les conflits de mémoire de la guerre d’Algérie

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Les lectures historiques des mémoires de la guerre d’Algérie permettent de mettre en évidence le poids du contexte dans leur affirmation, le rôle des groupes porteurs de mémoire et des relais de transmission mémorielle, les enjeux politiques des usages du passé, ainsi que l’importance d’un travail historique toujours vivant pour approcher la période de la guerre et les représentations que s’en sont faites les générations suivantes. Ces mémoires se sont affirmées dans l’espace public après une longue période d’amnésie et ont obéi à différentes temporalités que les travaux des historiens permettent de mettre à jour. Cette étude porte sur les différents groupes porteurs de mémoire générés par le conflit, notamment en France où les historiens, en particulier Benjamin Stora, en distinguent quatre principaux qui ont pour point commun de tenir un discours plutôt victimaire et de porter également certaines revendications. L’étude apparaissait comme indispensable puisque ces mémoires se sont affirmées clairement et médiatiquement dans la décennie qui vient de s’écouler. Elles sont portées par des groupes et des associations de gens désormais âgés mais toujours, pour certains d’entre eux, en attente de compensations symboliques et matérielles.

→Document 1a : Une mémoire qui resurgit lentement →Document 1b : Fusillade pendant la manifestation de travailleurs Nord-Africains du 17 octobre 1961, boulevard Bonne-Nouvelle, Paris Lors de la nuit du 17 octobre 1961, la police parisienne réprima très violemment une manifestation du FLN de France. Le pouvoir parle le lendemain de 2 morts mais d’après les journalistes et historiens

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qui ont enquêté sur ce fait tragique, il y eut sans doute plusieurs dizaines de morts dont de nombreuses personnes noyées dans la Seine en raison des consignes de dureté et de fermeté données aux policiers par le préfet de police, Maurice Papon. Les réactions fragmentaires à cet événement ne permirent pas de l’inscrire dans la mémoire collective nationale. La mémoire de Charonne efface en effet les rares souvenirs du 17 octobre. Jusqu’au début des années 1980, la « mémoire souterraine » de l’événement est entretenue par certains Algériens eux-mêmes dans le cadre d’activités militantes liées à la lutte pour l’indépendance (et non le cercle familial) puis transmis aux mouvements politiques de l’immigration comme le Mouvement des travailleurs arabes (MTA). Au début des années 1980, le mouvement antiraciste s’empare du sujet. Du début des années 1980 jusqu’en 1997, année du procès de Maurice Papon, l’événement resurgit progressivement, avant de faire l’objet, à la faveur de sa redécouverte lors de ce procès, d’une véritable politique de réparation symbolique avec la pose d’une plaque au pont Saint-Michel à Paris en 2001. Le 17 octobre 2012, le président François Hollande déclare : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » Une proposition de loi allant dans ce sens a été adoptée le 24 octobre 2012 par l’Assemblée nationale.

→Document 2 : La mémoire des anciens combattants Jean Laurans est le président de l’Espace Parisien Histoire Mémoire Guerre d’Algérie qui regroupe 5 associations dont l’objectif est de conserver et transmettre l’héritage des mémoires des anciens combattants. L’association organise conférences et colloques, publie un bulletin, anime un site Internet très riche, le tout en collaboration avec des historiens spécialistes de la période. Les anciens combattants de la guerre d’Algérie sont en général des hommes nés entre 1932 et 1942 et sont environ 1,5 million dans la société française, harkis compris. C’est en partie grâce à leur combat pour obtenir des compensations symboliques et culturelles que le gouvernement et les parlementaires français ont enfin reconnu en 1999 qu’avait bien eu lieu une véritable « guerre d’Algérie », ce qui mit fin à plusieurs décennies de déni de la part des autorités officielles de droite comme de gauche. Comme celle des pieds-noirs, il s’agit d’une mémoire blessée longtemps discrète tant ce conflit dur et sanglant éprouva des hommes, qui en grande majorité n’étaient pas des soldats professionnels mais des appelés du contingent, notamment à partir de 1956-1957. À la sortie du conflit, ces hommes éprouvèrent des difficultés à évoquer un conflit finalement oublié et occulté par la communauté nationale dans sa quasi-totalité en raison d’une guerre jugée lointaine, d’un autre âge car coloniale et qui avait pris parfois l’allure d’un affrontement fratricide (attentats de l’OAS en Algérie et en France, rapprochement d’une partie de l’armée avec les piedsnoirs contre le gouvernement de la République). Le discours de Jean Laurans se veut clairement rassembleur, refusant le communautarisme mémoriel.

→Document 3 : Manifestation de harkis et de leurs familles à Paris, le 12 mai 2013, pour l’instauration d’une « journée de l’abandon » Près de 150 harkis manifestent pour réclamer la reconnaissance par la France de l’abandon des supplétifs par son armée à la fin de la guerre d’Algérie, en 1962. Livrés à eux-mêmes, ces derniers seront massacrés par leurs compatriotes qui les considéraient comme des traîtres en raison de leur engagement auprès des militaires français. Les protestataires, des femmes accompagnées d’enfants, des jeunes, des vieux harkis portant leurs décorations,

→Document 4 : Le témoignage d’une fille de harki Depuis 1983, les Journées de Lazaret (village de 600 habitants) permettent chaque année à des témoins ou acteurs et des chercheurs de se rencontrer en public autour d’un sujet d’histoire, de culture ou d’actualité. C’est un de ces lieux qui cherche à favoriser la confrontation entre mémoire et histoire pour dépasser la stérile guerre des mémoires. La mémoire des harkis est une autre mémoire blessée du conflit, celle de ces hommes des troupes supplétives de l’armée française durant le conflit qui furent abandonnés par les autorités françaises aux représailles du FLN et de l’ALN en 1962. Le général de Gaulle craignait un front anti-gaulliste OAS-Harkis en métropole, ordre fut donc donné aux autorités militaires de ne pas rapatrier les harkis qui furent alors massacrés en masse au moment de l’Indépendance. Cependant, certains militaires français outrepassèrent les ordres et quelques milliers de harkis purent arriver en France avec leur famille. Quelque 60 000 harkis avaient été admis en France et logés dans des camps de fortune. Ils furent toutefois relégués dans des camps de bâtiments préfabriqués dans des départements du sud de la France, en général dans des lieux isolés des villes et des villages. En outre, leur coexistence dans les quartiers de grands ensembles urbains avec des immigrés d’origine algérienne aux yeux desquels ils étaient des traîtres était problématique. D’où un sentiment d’aban-

don et une très forte amertume exprimés en des termes parfois très forts par leurs enfants. Les autorités étatiques ont longtemps hésité à reconnaître officiellement les souffrances de cette communauté ; déçue par les promesses non tenues, elle porte une mémoire douloureuse et exprime un fort besoin de reconnaissance. Le témoignage de Djamila Berritane montre ici qu’une démarche conciliant mémoire et histoire est possible : elle affirme témoigner pour apaiser les souffrances du passé et garder en mémoire l’histoire des harkis. François Hollande, le 25 septembre 2012, a reconnu la responsabilité et la « faute » de la France dans « l’abandon » des harkis. Cette déclaration est jugée insuffisante par nombre d’associations qui attendent l’inscription de cette reconnaissance dans un texte de loi.

→Document 5 : Les pieds-noirs, de la mémoire à l’histoire Ce document renvoie à la mémoire des pieds-noirs, portée par un million de personnes de nos jours selon les études de Benjamin Stora. L’interview de l’historien Jean-Jacques Jordi, publié dans un grand quotidien en 2012, fait le point sur la complexité que recouvre le terme pied-noir. Il rappelle que les situations sociales d’origine des personnes déplacées en France après 1962 sont très diverses, loin de l’image souvent caricaturale du « colon ». Le terme est polysémique, le statut juridique d’Européens et donc de nationalité française regroupe des personnes aux origines diverses. Cette communauté se sentait légitime en Algérie, il lui fut donc difficile de partir et de reconstruire une vie ailleurs. Cette population s’est considérée comme l’une des principales victimes de la guerre. Pourtant, l’aide de l’État français aux rapatriés est mise en place dès le printemps 1962. Ce groupe, soudé par l’expérience de l’exil, a forgé une représentation spécifique de l’Algérie coloniale, marquée par une forme de nostalgie et une tendance à l’idéalisation rétrospective de leurs relations avec les populations autochtones. L’histoire s’est confondue avec la mémoire, de multiples livres témoignages sont parus, décrivant le ressenti, la violence de la rupture, la difficulté de partir, de s’installer. L’histoire des rapatriés est relativement récente. Les travaux, notamment de Yann Scioldo-Zürcher, ont montré que l’État français a joué son rôle protecteur pour intégrer ces populations, qu’il a su mettre en place une politique pour protéger et intégrer cette population migrante. La mémoire de ce groupe n’avait pas retenu ces aides, elle n’avait gardé mémoire que des difficultés. L’histoire des pieds-noirs est en grande partie une histoire apaisée. La majorité des pieds-noirs est particulièrement discrète et n’exprime pas de revendications particulières.

◗◗ Réponses aux questions 1. En France, les soldats (anciens combattants de la guerre), les harkis (anciens combattants algériens de l’armée française), les Européens d’Algérie (appelés pieds-noirs), des groupes opposés à l’indépendance de l’Algérie (comme d’anciens membres de l’OAS), les enfants d’immigrés algériens, sont autant de groupes mémoriels qui s’opposent au sujet de la guerre et de sa mémoire.

2. Les différents groupes ne portent pas la même mémoire de la période de la colonisation et de la guerre car leur expérience de la période est différente. Chaque parti a tendance à considérer qu’il est dans son bon droit.

3. Les descendants des acteurs de la guerre d’Algérie ont souvent à cœur de faire évoluer les mémoires pour préserver une histoire familiale singulière mais dénuée de passion et de rancœurs. Il leur faut dépasser le récit familial et s’inscrire dans des perspectives plus historiques. Certains s’y refusent et rejoignent les formations politiques d’extrême droite.

4. Les historiens jouent un rôle majeur dans l’évolution des mémoires des différents acteurs, principalement chez les jeunes générations. En effet, par leurs recherches, ils apportent, sous Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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rassemblés devant le Palais de justice sur l’Île de la cité à Paris, ont répondu à l’appel d’une quarantaine d’organisations issues de différentes régions de l’Hexagone. Certains manifestants, venus du sud de la France, avaient une grande banderole où l’on pouvait lire : « Les manifestants veulent que le chef de l’État honore ses engagements et reconnaisse la responsabilité de l’État dans le mauvais accueil dans les camps, et le massacre de plus de 100 000 harkis », abandonnés au moment du retrait français d’Algérie. Ces propos renvoient à une mémoire blessée du conflit, celle de ces hommes des troupes supplétives de l’armée française durant le conflit qui furent abandonnés par les autorités françaises aux représailles du FLN et de l’ALN en 1962. Le général de Gaulle craignait un front antigaulliste OAS-Harkis en métropole, ordre fut donc donné aux autorités militaires de ne pas rapatrier les harkis qui furent alors massacrés en masse au moment de l’Indépendance. Cependant, certains militaires français outrepassèrent les ordres et quelques milliers de harkis purent arriver en France avec leur famille. La date du 12 mai renvoie au 12 mai 1962, date à laquelle Louis Joxe, ministre en charge des Affaires algériennes, adresse à Christian Fouchet, haut commissaire de la République en Algérie, une note qui va jusqu’à préconiser le renvoi en Algérie de « supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement ». Selon les historiens, 55 000 à 75 000 supplétifs de l’armée française ont été abandonnés. En général, les harkis se sont souvent joints aux associations d’anciens combattants et au milieu des pieds-noirs pour exprimer leurs « revendications mémorielles ». De leur côté, les autorités étatiques ont longtemps hésité à reconnaître officiellement ces souffrances. En 2001, Jacques Chirac a rendu un hommage national à la communauté harki, en inaugurant une plaque gravée aux Invalides. Le décret du 31 mars 2003 a institué une « Journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives » qui donne lieu chaque année, à Paris, le 25 septembre, à une cérémonie officielle. Elle témoigne de la reconnaissance de la France « envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis ». En février 2005, la France a exprimé sa « reconnaissance » envers les harkis à travers une loi qui prévoit des réparations financières et morales. On attirera l’attention des élèves sur le sens des mots « reconnaissance » et « responsabilité » qui sont employés ou pas par l’État français et les associations de harkis et qui sont l’objet du contentieux mémoriel.

forme de sources croisées (archives, témoignages), un éclairage nouveau aux récits familiaux, aux histoires individuelles. Quant ils sont écoutés, en mettant les événements en perspective, ils permettent la prise de distance et la réflexion nécessaire à l’histoire et à l’apaisement des mémoires conflictuelles.

◗◗ Vers l’analyse de documents du BAC La guerre d’Algérie a officiellement pris fin le lundi 19 mars 1962, date de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Les harkis et les pieds-noirs sont deux groupes qui, pour partie d’entre eux, quittent le pays à cette date. Les travaux des historiens montrent les ressorts sur lesquels se fondent les mémoires plurielles et parfois concurrentes de ces deux groupes. Jean-Jacques Jordi, historien, publie une interview dans le journal La Croix en mars 2012, anniversaire de la signature des accords d’Évian, dans laquellle il fait état de la diversité de la communauté pieds-noirs en Algérie, contestant même l’existence d’une véritable collectivité du temps de la colonisation. Pour le chercheur, c’est l’exil qui a donné naissance à un groupe constitué d’individus qui se sont reconnus dans une expérience commune, celle de la vie en Algérie et de l’exil en 1962. Les harkis, supplétifs de l’armée française, ont en majorité été abandonnés par l’armée français tandis qu’une minorité d’entre eux gagnait la France en 1962. C’est ce qu’évoque Djamila Berritane, fille de harkis, qui témoigne aux journées de Larrazet en 2006. Sa vie durant elle a voulu faire connaître l’itinéraire des harkis et jouer un rôle dans la transmission de la mémoire. Une mémoire qu’elle veut réconciliatrice. Pieds-noirs et harkis sont les acteurs témoins de la colonisation et de la décolonisation française. Ils en gardent une mémoire différente tant leur vie en France depuis 1962 n’a pas revêtu les mêmes aspects. Les historiens montrent que les nouvelles générations, en privilégiant la compréhension et non le ressentiment, acceptent pour la plupart d’aborder l’histoire de leurs ainés de manière plus apaisée.

Étude 3

p. 48-49

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L’armée française et la torture : une mémoire et une histoire difficiles Les exactions, les violences contre la population algérienne furent nombreuses pendant la guerre d’Algérie. Elles ont été favorisées par le laxisme des chefs et le racisme ambiant. Interdites par la Convention de Genève, la torture et les exécutions extra-judiciaires sont ordonnées ; elles visent les combattants du FLN et de simples suspects raflés dans la population. La guerre honteuse se termine sans gloire et les tentatives de témoignage des anciens combattants se heurtent dans le domaine de l’édition aux publications de personnalités médiatiques comme Massu ou Bigeard qui présentent la guerre sous des traits glorieux. Au lendemain du conflit, le silence s’installe, l’inversion des valeurs pendant la guerre n’est pas transmissible en temps de paix. D’autant qu’aucune directive n’a jamais été donnée pour sanctionner ceux qui pratiquaient la torture. Les historiens qui travaillent sur la question ont montré que la torture faisait partie du système ; dès lors qu’on en était un rouage on était susceptible d’y être confronté. Pourtant, certains défendent la thèse selon laquelle la torture n’était pratiquée que par les militaires de carrière et par les équipes de renseignement.

→Document 1 : Le témoignage d’un général français Extrait d’une interview donnée par le général retraité Paul Aussaresses au quotidien Le Monde en 2000. Dans les années 20002001, ses propos concernant l’usage de la torture font grand bruit

24 • Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

dans la sphère médiatique et politique. Évidemment, on connaissait depuis longtemps le recours à la torture par l’armée française en Algérie ; un général français qui en avait parlé publiquement avait eu des ennuis avec la justice militaire (Jacques Pâris de Bollardière). L’unité du général Aussaresses a arrêté, selon ses propres dires, 24 000 personnes pendant les six mois de la « bataille d’Alger », dont 3 000 ont disparu. À l’occasion de la parution de son livre de mémoires, Services Spéciaux, Algérie 1955-1957 (Perrin, 2001), l’ancien responsable des services de renseignement à Alger a admis, entre autres crimes, avoir assassiné le chef du FLN Ben M’Hidi, en 1957. Selon la version officielle, il s’était suicidé dans sa cellule. Poursuivi par différentes associations, Aussaresses a été condamné en première instance en 2003 à 7 500 euros d’amende (15 000,00 euros pour l’éditeur Perrin) pour « apologies de crime de guerre », par la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris. Il a été condamné en appel. À ce jour, aucune commission d’enquête parlementaire sur la torture en Algérie n’a été instituée par les gouvernants français en vertu des lois d’amnistie de 1962 et de 1968.

→Document 2 : Un prisonnier algérien Cette photographie, datant de 1957, représentant une scène de supplices infligés à un prisonnier algérien a été prise à la dérobée par un appelé. Il l’a ensuite fait parvenir à la commission de sauvegarde des droits et libertés individuels. Les appelés qui ont conservé leurs repères et qui refusent, discutent ou dévoilent la violence illégale sont sanctionnés sévèrement. Aux punitions s’ajoutent des « jours de rab’ » à accomplir en plus des 28 mois de service. Le plus souvent les soldats préfèrent se taire. Un soldat en Algérie a une marge très réduite pour dire non. Très tôt, la presse puis l’édition dénoncent l’emploi de la torture en Algérie. Le pouvoir décida de saisir les journaux, notamment ceux qui évoquaient les actes de torture, sous le prétexte d’« atteinte au moral de l’armée ». La presse n’est d’ailleurs pas la seule visée : La Question, d’Henri Alleg et La Gangrène, de Bachir Boumaza, parus en 1958, qui dénoncent la torture en Algérie, sont immédiatement censurés. Les Français ne se mobilisent pas pour autant.

→Document 3 : La torture « arme-clé de cette guerre » Raphaëlle Branche est spécialiste de la guerre d’Algérie, elle fait partie de la génération des chercheurs qui ont renouvelé la réflexion sur cette période de l’histoire française et algérienne. Elle a consacré plusieurs ouvrages aux forces militaires engagées durant ce conflit. La chercheuse explique que dans son travail sur la torture il s’agissait de savoir comment des militaires français avaient pu commettre ce que tout désignait alors comme des crimes. Elle a démontré que ces violences avaient été accomplies sur ordre. Sa thèse vise à montrer comment cela a pu être possible dans la République des années 1950-1960 et d’évaluer les effets délétères de ces violences sur la relation entre l’armée et la nation.

→Document 4 : « la France face à ses crimes en Algérie », une du Monde du 3 mai 2001 Après avoir révélé, dans Le Monde du 23 novembre 2000, qu’il avait ordonné des tortures et procédé lui-même à des exécutions sommaires en Algérie, le général Paul Aussaresses va plus loin, dans un ouvrage qui paraît le 3 mai, Services spéciaux, Algérie 19551957. Ses premières déclarations avaient poussé le PCF à réclamer la création d’une commission d’enquête parlementaire. Lionel Jospin s’y était opposé. Tout en soutenant l’appel des douze intellectuels demandant, dans L’Humanité, la reconnaissance et la condamnation de la torture durant la guerre d’Algérie, le premier ministre avait estimé que cette période ne relevait « pas d’un acte de repentance collective », mais d’un « travail de vérité » mené par les historiens. C’est dans ce contexte que le dessinateur

→Document 5 : Des violences dans les deux camps La thèse de R. Branche a été l’objet de multiples controverses. D’un côté son travail a été reconnu par ses pairs ou des historiens de renom comme Pierre Vidal-Naquet qui lui même avait publié un ouvrage fondamental sur la torture en 1972 (La Torture dans la République : essai d’histoire et de politique contemporaine (19541962), Éditions de Minuit). Mais son travail a été attaqué comme étant « la caution de l’Université » dans le Livre blanc de l’armée française en Algérie, publié à l’initiative d’un groupe d’officiers de réserve, contresigné par plus de 500 officiers généraux. Elle avait précisé dans sa préface « on ne traitera pas ici […] des violences des nationalistes algériens, notamment en métropole […]. L’objet de ce livre est plus restreint : l’utilisation de la torture par l’armée française dans la répression des nationalistes algériens entre novembre 1954 et mars 1962 ». Guy Pervillé regrette malgré tout que son sujet de thèse ait ainsi évacué le fait capital de l’interdépendance entre les violences deux camps.

◗◗ Réponses aux questions 1. Pendant la guerre d’Algérie, l’armée française a pratiqué la torture contre les combattants du FLN et les Algériens suspectés de détenir des informations.

2. Pour l’historienne, l’utilisation de la torture s’explique par les conditions particulières de la guerre d’Algérie qui oppose une armée régulière à des combattants indépendantistes au sein d’une population civile soupçonnée de complicité. Son utilisation ne visait pas tant à « faire parler » qu’à terroriser la population.

3. Dans la presse au début des années 2000, des journalistes mènent des enquêtes, Le Monde ouvre ses colonnes aux témoins et victimes de la guerre d’Algérie. La question de la torture fait la une. De par son audience, la presse fait entrer la question des violences dans l’espace public et pousse certains, restés jusque-là dans le silence, à prendre position. Paul Aussaresses, après avoir nié l’usage de la torture, reconnaît en 2000 l’avoir pratiquée et fait pratiquer.

4. Certains anciens combattants ont réagi avec véhémence contre la thèse de Raphaëlle Branche. Ils lui reprochent de ne pas avoir traité en regard les violences des combattants algériens. Pourtant, dans son introduction elle précise que ce n’est pas son sujet. Le travail des historiens par les méthodes scientifiques qu’ils adoptent vient parfois heurter la mémoire des témoins et des acteurs.

◗◗ Vers la composition du BAC Au lendemain de la guerre d’Algérie, les militaires impliqués ou témoins de l’usage de la torture maintiennent le silence qui leur a été imposé au cours du conflit. De retour dans leur foyer, ils taisent à leur entourage la réalité de leur vécu de la guerre. Si certains ont fait acte de courage en dénonçant ces pratiques, comme le fait de photographier les supplices auxquels ils assistaient (doc. 2), la majorité a occulté ces douloureux souvenirs. Dans les années 2000, la torture émerge dans la société grâce au travail d’une nouvelle génération d’historiens comme Raphaëlle Branche qui publie sa thèse : La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (doc. 3) et par la publication par le journal Le Monde du témoignage de victimes (Louisette Ighilahriz torturée en 1957) et

de tortionnaires qui pour certains, à la fin de leur vie, avouent ce qu’ils avaient nié jusqu’alors (doc. 1 et 4). La question de la torture rencontre l’opinion qui montre un véritable intérêt pour ce retour de mémoire.

Histoire des arts

p. 50-51

Bande dessinée et mémoires de la guerre d’Algérie Jacques Ferrandez, né en 1955 en Algérie, et qui l’a donc quittée enfant, est devenu un nom incontournable de la BD française actuelle. Ses deux cycles consacrés à l’histoire de la colonisation de l’Algérie et à la guerre d’Algérie possèdent une très grande valeur graphique, fictionnelle et documentaire et sont remarquables par le souci d’impartialité et d’objectivité de l’auteur, qui, quoique pied-noir, n’a investi dans ses récits aucun sentiment d’amertume ou de haine ; il n’a pas voulu non plus prendre parti dans les controverses sur l’impact de la colonisation française en Afrique du Nord ou sur les difficultés actuelles de l’Algérie. Il a mis en scène une série de personnages portant chacun une partie de la réalité des faits sans en juger aucun, combattants du FLN, militaires, colons, etc. Il est intéressant de voir avec les élèves que son œuvre se situe entre mémoire et histoire.

◗◗ Réponses aux questions 1. Cette planche renvoie à la bataille d’Alger qui atteint son paroxysme en 1956-1957 et voit notamment les militaires français investir quotidiennement la vieille ville d’Alger, la Casbah, qui abrite agents et informateurs du FLN, y compris des femmes qui portent parfois sous leurs vêtements, armes à feu et bombes. L’auteur utilise, en haut à gauche, une partie de la une du quotidien La Dépêche d’Alger qui fait référence à l’assassinat par le FLN d’Amédée Froger, maire de Boufarik dans la périphérie d’Alger, le 28 décembre 1956. Son enterrement donne lieu à une violente « ratonnade » qui voit des Européens massacrer des Arabes, des hommes mais aussi des femmes sans que la police algéroise, composée de pieds-noirs, n’intervienne réellement.

2. Militaires français en uniformes ; membres musulmans du FLN mais aussi pieds-noirs (vêtus à l’européenne) et membres de l’OAS (évoqués par des inscriptions) ainsi que des habitants musulmans (en habits traditionnels) sont mis ici en scène dans le quartier de la Casbah d’Alger.

3. L’auteur fait se côtoyer la bande dessinée sous sa forme classique, c’est-à-dire des planches quadrillées en vignettes, avec des documents d’époque comme des coupures de presse. Les planches sont chargées de détails, le dessin est serré, aucun espace libre ne subsiste. Les personnages sont comme enfermés dans des cases aux formes irrégulières et exiguës.

4. Terre Fatale renvoie à la terre natale des héros, pieds-noirs et algériens, nés sur le sol de la colonie. Les personnages de la fiction sont pris dans les mailles de la grande histoire, celle de la fin de la guerre d’Algérie qui aboutit aux ultimes déchirements, au sein même des communautés.

5. Il est intéressant de remarquer que le second cycle des Carnets d’Orient consacré à la guerre d’Algérie a paru entre 2002 et 2009, période d’incursion dans la sphère publique et médiatique de la guerre d’Algérie mais aussi de débats et de faits liés à la question de l’immigration maghrébine et des relations franco-algériennes (années 2000 : retour du thème controversé de la torture ; 2002 : inauguration du mémorial national du quai  ; 2005: manifestation à Paris d’immigrés Algériens et d’origine algérienne commémorant le 50e anniversaire des massacres de Sétif…). Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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Plantu publie ce dessin à la une du Monde. L’affaire a débuté par la publication, le 20 juin 2000, dans ce même journal, du témoignage de Louisette Ighilahriz, une militante algérienne indépendantiste, torturée par les parachutistes du général Massu. Ce dernier exprime quelque temps après ses « regrets » (Le Monde, 22 juin 2000), tandis que la plupart des anciens officiers concernés, dont le général Bigeard, dénoncent une campagne contre l’armée.

◗◗ Vers la composition du BAC L’œuvre de fiction est souvent un support efficace pour traiter de questions historiques. La bande dessinée de Jacques Ferrandez, Carnet d’Orient, en est un témoignage réussi. L’auteur fait ici œuvre d’historien en intégrant un extrait de journal qui permet de situer chronologiquement l’épisode de son récit. On note son goût pour la reconstitution graphique des ruelles de la Casbah, ses hautes maisons serrées les unes contre les autres, ses boutiques, ses escaliers et ses pavés. La bande dessinée permet, à travers le récit fictionnel, de faire émerger les différents groupes porteurs de mémoire de la guerre d’Algérie : militaires français en uniformes ; membres musulmans du FLN mais aussi pieds-noirs (vêtus à l’européenne) et membres de l’OAS (évoqués par des inscriptions) ainsi que des habitants musulmans (en habits traditionnels) sont mis en scène dans le quartier de la Casbah d’Alger.

Cours

p. 52-55

I. L’historien et les mémoires de la guerre en France

• Présentation Cette première leçon, qui a pour objet la construction des mémoires de la guerre d’Algérie en France, est construite de façon chronologique afin que les élèves puissent, dans l’optique de la composition du Bac, repérer à la fois le poids du contexte dans l’élaboration des mémoires et les évolutions que la distance visà-vis de l’événement vont permettre. Elle induit, comme l’exige le programme, une lecture historique de ces mémoires en donnant une place centrale au travail des historiens et en montrant que les mémoires sont, en elles-mêmes, objet d’histoire. Elle montre enfin que s’il existe une mémoire dominante, elle est pourtant plurielle et ne signifie pas l’absence, à d’autres échelles, de mémoires plus discrètes sur la scène publique mais vivace pour certains groupes.

• Choix des documents « appuis » du cours Les documents indiqués dans les marges doivent permettre aux élèves d’étayer leur raisonnement avec des exemples précis, documents qui peuvent par ailleurs faire l’objet d’une étude au Baccalauréat. Ils ont donc pour objet non seulement d’illustrer le cours mais aussi de provoquer une analyse spécifique. Ces renvois documentaires permettent enfin de repérer les documents clés dans les études, à partir desquels une thématique spécifique des mémoires peut être abordée. Personnage clé de l’évolution des mémoires, la biographie de Benjamin Stora doit être connue des élèves, c’est pourquoi elle est mise en évidence.

II. L’historien et les mémoires de la guerre en Algérie

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• Présentation Cette deuxième partie du cours qui a pour objet l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie suit elle aussi un déroulement chronologique, jusqu’aux relations qu’entretiennent les deux pays aujourd’hui. Elle met en valeur le rôle des différents groupes porteurs de mémoire ainsi que l’importance des vecteurs divers de la diffusion des mémoires, vecteurs qui ne se limitent pas aux historiens. Elle insiste enfin sur les rapports à la fois complémentaires et conflictuels de ces deux perceptions du passé que sont la mémoire et l’histoire et en souligne les forts enjeux politiques en Algérie. Personnage clé de l’évolution des mémoires, la biographie de Mohammed Harbi doit elle aussi être connue des élèves.

• Choix des documents « appuis » du cours Comme pour la partie précédente, les documents indiqués dans les marges doivent permettre aux élèves d’étayer leur raisonnement avec des exemples précis, documents qui peuvent par ailleurs

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faire l’objet d’une étude au Baccalauréat. Ils ont donc pour objet non seulement d’illustrer le cours mais aussi de provoquer une analyse spécifique. Ces renvois documentaires permettent enfin de repérer les documents clés dans les études, à partir desquels une thématique spécifique des mémoires peut être abordée.

Prépa Bac

p. 56-57

◗◗ Composition

Sujet guidé : L’historien et le renouvellement des mémoires de la guerre d’Algérie 1. Analyser le sujet Pour l’historien, les mémoires sont des ressources qu’il étudie et confronte afin d’expliquer l’histoire. Le terme « renouvellement » indique un changement important. Les « mémoires » sont plurielles : des anciens combattants, des pieds-noirs, des harkis, etc. Le cadre spatial de cette étude est aussi bien la France que l’Algérie.

2. Présenter le sujet La phrase qui correspond le mieux au sujet est la première car elle aborde à la fois le rôle des historiens (ce n’est pas le cas de la troisième) français et algériens (ce n’est pas le cas de la deuxième).

7. Comment présenter votre devoir ? Une composition entièrement rédigée est proposée ci-dessous. Les passages rédigés des paragraphes 2 et 3 qui ne figurent pas dans le manuel de l’élève sont en italique. Les réponses demandées aux élèves sont en italique gras. Les mémoires de la guerre d’Algérie en France sont variées et portées par des acteurs multiples. Les historiens, pour qui elles constituent une ressource et un objet d’études, ont contribué à les faire connaître et à en faire une lecture historique, notamment depuis les années 1980, période où les sources deviennent plus nombreuses. Quel est donc le rôle des historiens dans le renouvellement de ces mémoires ? On rappellera d’abord le contexte favorable à ce renouvellement. Puis, on analysera le rôle de l’historien face à la mémoire officielle et enfin son rôle face à l’émergence de mémoires plurielles. Depuis les années 1980, le contexte est favorable au renouvellement des mémoires. En France, cette décennie voit la percée électorale du Front national et la montée de certaines formes de racisme qui déclenchent une prise de conscience chez les harkis ou les descendants d’immigrants algériens. La « volonté de savoir » prend des formes multiples comme la manifestation des Beurs lors de la marche contre le racisme et l’égalité des droits de 1983. En Algérie, les émeutes en Kabylie et l’arrivée à l’âge adulte de nouvelles générations nées après la guerre entraînent une remise en cause du discours du FLN. L’accès à de nouvelles sources est possible : ouvertures des archives publiques en France en 1992 ; témoignages d’acteurs jusque-là passés sous silence. Une nouvelle vision de la guerre d’Algérie devient alors possible. La mémoire officielle se retrouve ainsi soumise au regard et à la critique de l’historien. Cette mémoire officielle a longtemps présenté une vision sélective de la guerre en France comme en Algérie. En France, les pieds-noirs, les soldats, les harkis sont les témoins d’une guerre perdue politiquement et qui ne dit pas son nom. Ce sont des mémoires de vaincus que l’on cherche à occulter. En

Ils rendent aussi compte de la complexité de cette période. L’historien doit d’abord faire face à la concurrence des mémoires. Ainsi, les Français d’Algérie et leurs descendants parlent du traumatisme de leur rapatriement en France. Les harkis évoquent eux leur rejet par l’Algérie et l’occultation de leur statut de combattants par la France. Il doit ensuite s’intéresser à l’émergence de nouvelles mémoires qui sont autant de sujets d’étude pour lui. Les travaux de recherche menés permettent de rompre avec les représentations dominantes et de connaître par exemple la mémoire des réfractaires, soldats insoumis ou déserteurs de la guerre d’Algérie, ou encore des appelés du contingent et de leurs familles. Face à ces mémoires plurielles, le travail des historiens consiste donc à questionner tous les acteurs de la guerre d’Algérie afin de présenter de la façon la plus objective cette période tourmentée. Les historiens ont permis, par leurs travaux, d’éclairer d’un jour nouveau l’histoire de la guerre d’Algérie et d’en renouveler les mémoires. Cependant, face au devoir de mémoire que réclame la société actuelle, les historiens sont sans cesse obligés de rappeler que leur rôle est d’expliquer et non de commémorer ou de soutenir des vérités « officielles ».

Sujet en autonomie : L’historien et les mémoires officielles de la guerre d’Algérie Dès 1962, fin de la guerre et indépendance de l’Algérie, des mémoires officielles émergent, imposées par le pouvoir politique en place aussi bien en France qu’en Algérie. Les historiens vont progressivement mener des recherches pour connaître l’histoire de cette période, loin de visions officielles, amenant celles-ci à évoluer. On peut ainsi s’interroger sur le rôle de l’historien dans l’évolution de ces mémoires officielles. Dans une première partie, nous verrons que les mémoires officielles sont éloignées des faits historiques, puis, dans une deuxième partie, nous aborderons leur remise en cause par les historiens. Enfin, une troisième partie permettra d’évoquer l’évolution de ces mémoires officielles.

1. Des mémoires officielles éloignées des faits historiques A. En France, une « guerre sans nom ». B. En Algérie, la « guerre d’un peuple uni en armes ».

2. La remise en cause des mémoires officielles par les historiens à partir des années 1980 A. Le travail de recherche et de confrontation des témoignages par les historiens. B. L’émergence de mémoires plurielles en rupture avec les mémoires officielles.

3. L’évolution des mémoires officielles grâce aux historiens A. La reconnaissance de la guerre et de mémoires plurielles par l’État en France. B. Les débats entre mémoires officielles et histoire en France et en Algérie.

À partir des années 1980, les historiens par leurs travaux vont progressivement faire évoluer les mémoires officielles, en France particulièrement. Mais ils doivent sans cesse rappeler que leur rôle est d’expliquer les faits historiques et non de commémorer, notamment en Algérie.

Prépa Bac

p. 58-60

◗◗ Analyse de document(s)

Sujet guidé : L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie 1. Analyser la consigne 1. Un groupe porteur de mémoire rassemble des personnes ayant une même vision de l’histoire et des intérêts communs. 2. Les actions désignent les moyens utilisés par ces groupes porteurs de mémoire pour faire connaître leur cause et les objectifs renvoient à leurs intérêts, leurs revendications. 3. Les historiens font des recherches, confrontent les différentes mémoires et participent à la connaissance de l’histoire de la guerre d’Algérie.

2. Prélever des informations 4. Les passages surlignés en bleu correspondent à la 1re partie de la consigne, ceux surlignés en vert à la 2e partie et ceux surlignés en orangé correspondent à la 3e partie.

7. Comment présenter votre devoir ? Une analyse de document entièrement rédigée est proposée cidessous. Les passages rédigés du paragraphe 2 qui ne figurent pas dans le manuel de l’élève sont en italique. Les réponses demandées aux élèves sont en italique gras. Cette table-ronde permet la confrontation entre un historien, Henry Rousso, et Mehdi Lallaoui, représentant un des groupes porteurs de mémoire de la guerre d’Algérie. Il existe, en effet, plusieurs mémoires portées par différents groupes qui se distinguent par leur vécu de la guerre ou les représentations qu’ils en ont. Les populations civiles musulmanes et pieds noirs qui ont connu la guerre ont souvent été victimes de massacres, de déplacements forcés. C’est notamment le cas des victimes de Sétif. Elles témoignent des souffrances vécues. Elles sont aujourd’hui relayées par les descendants des immigrés algériens, les beurs issus de l’immigration ou les enfants de pieds-noirs. Au contraire, d’autres groupes portent la mémoire des combats. Défendant l’Algérie française, ce sont les soldats de l’armée française, militaires de carrière, appelés du contingent, mais aussi supplétifs de cette armée, les harkis. Leurs récits des évènements diffèrent en fonction des responsabilités qu’ils avaient. Par exemple, le général Aussaresses reconnaît la torture tout en défendant sa nécessité en temps de guerre. Les combattants du Front de libération nationale (FLN) portent la mémoire de la lutte en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Ces groupes se différencient par leurs actions et leurs objectifs en faveur de la reconnaissance de leur cause, notamment en France. Pour faire connaitre leur cause, ils utilisent différents modes d’actions qui sont relayés par les médias. Constitués en associations telles que la FNACA (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie) ou l’association « Au nom de la mémoire », ils organisent des manifestations ou participent à des évènements tels que la « marche des beurs » en 1983. Ils interChapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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Algérie, le FLN a fait de la guerre d’indépendance « le socle de la nation ». Mais le travail des historiens a favorisé l’évolution de cette mémoire. Ainsi, l’algérien Mohammed Harbi, ancien membre du FLN, devenu historien, participe à la connaissance des faits de même que le français Benjamin Stora. Tous deux œuvrent par leurs travaux au rapprochement des deux États. Cependant, la tentation des politiques d’établir des vérités historiques officielles soulève le débat entre histoire et mémoire, l’histoire officielle des deux États évoluant peu pendant cette période. Au-delà des polémiques, les travaux des historiens permettent une meilleure connaissance de la période de guerre.

plus influents. Les historiens sont réticents au « devoir de mémoire » et lui préfèrent le devoir d’histoire. Ils revendiquent de travailler à distance du pouvoir et des enjeux de mémoire, en France comme en Algérie.

Face à ces groupes, les historiens confrontent ces mémoires et cherchent à dépasser les lectures partisanes dans un souci d’objectivité. Pour accéder à cette connaissance de l’histoire de la guerre d’Algérie et la transmettre, ils s’appuient sur différents moyens. Ainsi, ils exploitent et interprètent des documents d’archives devenus accessibles depuis les années 1990. Des colloques sont organisés tels que celui de l’université d’été consacrée à « apprendre et enseigner la guerre d’Algérie et le Maghreb contemporain » en août 2001. Ainsi, ce travail permet de faire évoluer les mémoires, mais soulève aussi de nombreux débats et critiques. Depuis les années 1990, la mémoire officielle en France porte un nouveau regard sur la guerre en Algérie. Un Mémorial national du quai Branly est inauguré en 2002. En 2012, le président François Hollande reconnait la réalité des événements qui se sont déroulés le 17 octobre 1961. Mais les historiens dénoncent l’utilisation qui peut être faite de leurs travaux comme la tentation de l’État d’écrire l’histoire à travers des lois mémorielles ou de valoriser certains groupes porteurs de mémoire

La confrontation de l’affiche et du texte évoquant le film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo permet de bien saisir les différents temps de la mémoire de la guerre d’Algérie dans la société française. L’affiche du film indique les différentes étapes de la carrière cinématographique de ce film longtemps interdit en salle et l’article de Laurence Debril dans L’Express en éclaire les enjeux.

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viennent auprès des représentants politiques pour faire valoir leurs revendications. Leurs objectifs varient en fonction de leurs intérêts. Ainsi, l’association « Au nom de la mémoire » représentée par Mehdi Lallaoui, cherche, depuis 1983, à faire émerger « cette histoire douloureuse et occultée » notamment la vérité sur les évènements du 17 octobre 1961. D’autres groupes réclament un statut et des compensations financières ; c’est le cas des rapatriés et des harkis. Les revendications des appelés du contingent portent sur l’obtention d’un statut d’anciens combattants jusqu’à la reconnaissance par l’État d’une « guerre » en Algérie en 1999.

28 • Chapitre 2 - L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

Malgré des contestations concernant leur rôle, le travail des historiens a permis une meilleure connaissance de la guerre d’Algérie et de mémoires qui en découlent.

Sujet en autonomie : Le cinéma et la difficile mémoire de la guerre d’Algérie

1. Le temps de la mémoire occultée A. Mémoire officielle niant la guerre. B. Censure d’État et déni de la part des Français.

2. L’évolution des mémoires A. Travail des historiens et émergence de nouvelles mémoires. B. Reconnaissance progressive des faits par l’État. Pensé comme un documentaire, le film de Gillo Pontecorvo symbolise parfaitement l’évolution, en France, des mémoires en voie d’apaisement de la guerre d’Algérie. Censuré à sa sortie en 1965, il reçoit les honneurs de la crique lors de sa sélection au festival de Cannes 2004.

thème 2 Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945 chapitre 3

Les États-Unis et le monde depuis 1945

p. 62-89

Programme : Thème 2 – Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945 (14 à 15 heures) Question

Mise en œuvre

Les chemins de la puissance

Les États-Unis et le monde depuis 1945

Ce chapitre, s’il ne porte que sur la période la plus récente de la puissance américaine dans le monde, amène en premier lieu à s’interroger sur les valeurs fondatrices de l’hégémonie assumée par les États-Unis, tout d’abord sur le monde libre jusqu’en 1991 puis sur la planète entière depuis lors. Ces valeurs s’identifient au libéralisme politique introduit par les rédacteurs de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis en 1776 et à la foi missionnaire d’une nation fondée par des individus persécutés pour leurs convictions religieuses (les Pères Pèlerins ou Pilgrim Fathers qui quittèrent l’Angleterre à bord d’embarcations de fortune après 1620). Pourtant le réalisme stratégique imposé par l’affrontement de guerre froide entre les États-Unis et l’URSS contredit ces valeurs proclamées par les Américains envers le monde avec la création d’une Organisation des Nations unies (ONU) démocratique à San Francisco en 1945. Les atrocités de la guerre du Vietnam (1964-1973), les compromissions avec les dictatures d’Amérique latine sur la même période et plus tard les sévices infligés aux prisonniers irakiens d’Abu Ghraïb n’ont-elles pas abîmé la prétention universaliste des États-Unis envers le monde extérieur ? Et n’imposent-elles pas d’analyser les intentions américaines selon les normes plus classiques de la puissance internationale léguées par Raymond Aron et Hans Morgenthau ? Dans ce contexte, un autre débat majeur traverse les sciences sociales depuis les attentats du 11 septembre 2001 pour savoir si les États-Unis demeurent l’hyperpuissance décrite en 1999 par Hubert Védrine, à la fois régulatrice et organisatrice de l’ordre mondial. Ou bien les États-Unis sont-ils en déclin dans leur influence internationale, concurrencés par l’émergence de puissances nouvelles comme la Chine, s’appuyant sur leur démographie et une économie plus dynamique ? L’historien américain Paul Kennedy a été le premier à évoquer le déclin relatif des États-Unis dans le temps long historique (Naissance et déclin des grandes puissances, 1989) avant d’apparaître contredit dans la décennie suivant la fin de la guerre froide (1991-2001). Cette thèse a été renouvelée après l’attaque terroriste du 11 septembre avec l’enlisement guerrier des États-Unis en Irak après 2004. L’historien et démographe français Emmanuel Todd a ainsi prédit en 2002 dans Après l’empire : essai sur la décomposition des États-Unis la fin prochaine de la superpuissance américaine. Une dernière problématique concerne la nature des conflits engagés par les États-Unis. Ils se caractérisent par la recherche, depuis la guerre du Vietnam (1964-1973), d’une durée restreinte et d’une mortalité limitée afin de conserver le soutien primordial de l’opinion publique. Les oppositions majeures nées dans la population américaine face à la guerre du Vietnam puis à la guerre en Irak interrogent la capacité des États-Unis à mener de longues opérations terrestres. Dès 1977, dans leur livre Power and

Interdependence : world politics in transition, les auteurs Joseph Nye et David Keohane annonçaient une déconnexion croissante entre puissance militaire et gains politiques ou diplomatiques. Les États-Unis peuvent-ils donc conserver une puissance identique sur le monde en recourant moins aux interventions militaires directes qu’à des stratégies d’influence économique et culturelle ?

◗◗ Débat historiographique et quelques notions clefs du chapitre

• Hyperpuissance : en avril 1999, dans le cadre de l’OTAN, les

États-Unis bombardent Belgrade afin de faire cesser les exactions du régime serbe de Milosevic contre les populations musulmanes albanophones du Kosovo. Cette démonstration de puissance des États-Unis au cœur de l’Europe est conjuguée à l’époque à une croissance économique insolente. Elle amène le ministre français des Affaires Étrangères Hubert Védrine à forger alors le concept d’hyperpuissance pour qualifier les États-Unis. Selon lui, les ÉtatsUnis étaient une puissance inédite dans l’histoire du monde, conjuguant pour la première fois supériorité militaire et économique écrasante, dynamisme démographique et technologique ainsi qu’attractivité culturelle. Cette appellation n’était pas un concept scientifique mais marqua les esprits et devint d’usage courant. Elle reprenait en fait la théorie américaine du « moment unipolaire » défendue dès 1990 par le journaliste américain Charles Krauthammer dans un article fameux de Foreign Affairs. Pendant au moins une génération (25 ans), la puissance internationale des États-Unis serait telle qu’il n’y aurait aucun rival possible. Elle est pourtant démentie durant la décennie 2000 par les échecs militaires des États-Unis en Irak et en Afghanistan alors même que le budget américain de la Défense, dépassant les 600 milliards de dollars depuis 2008, est encore quatre fois supérieur en 2013 à celui de la Chine, second au monde. La crise économique et financière – la Grande Récession – connue par les États-Unis après 2008 pose la question de la capacité des États-Unis à supporter durablement une dette publique creusée par les dépenses militaires colossales engagées depuis un demi-siècle. C’est pourquoi cette notion d’hyperpuissance est déjà relativisée par Hubert Védrine lui-même ; fin 2013, il déclare à la revue Géoéconomie : « Ce terme n’est évidemment plus d’actualité. » Elle est aujourd’hui remplacée par le concept d’une puissance américaine « relative », en particulier par l’historien écossais Niall Ferguson qui évoque un empire imparfait des États-Unis (Colossus, the Rise and Fall of American Empire). Selon lui, les États-Unis n’assumeraient pas assez leur domination sur le monde et n’y consacrent pas assez d’argent et de moyens humains pour apporter un ordre incontestable.

• Soft power / hard power : à la fin de la guerre froide, afin de

réfuter la théorie de Paul Kennedy sur le déclin de la superpuissance américaine, le politiste américain Joseph Nye (Bound to lead. Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

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◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre

The changing nature of American power) propose en 1990 le concept de soft power. Pour Nye, le coût croissant de la force armée et la prolifération nucléaire changent fondamentalement les formes de la puissance. La capacité d’un État à imposer « brutalement » ses intérêts aux autres – Nye évoque un hard power – devenant presque impossible, Nye définit la possibilité d’un soft power – « c’est-à-dire faire désirer aux autres les résultats que vous souhaitez – associe les individus plutôt que de les contraindre. Le soft power repose sur la faculté de former les préférences des autres. » (Joseph Nye, Soft Power : the means to success in world politics, 2004). Nye attribue le soft power d’un pays à trois facteurs : l’attractivité de sa culture, ses valeurs politiques et leur cohérence avec son action internationale et ses politiques extérieures si elles sont légitimes et moralement fondées. Nye illustre la validité du soft power américain lors de la guerre du Golfe en 1991. En effet, à leur suprématie militaire classique, les États-Unis mènent, face à l’invasion du Koweït, une diplomatie de restauration du droit et de la démocratie dans le cadre onusien. Les États-Unis constituent une large alliance contre la dictature irakienne de Saddam Hussein, y compris dans les pays arabes, en la plaçant sous l’autorité des Nations Unies. Les opérations militaires de cette alliance entre janvier et avril 1991 sont retransmises par la chaîne satellitaire d’information continue CNN qui, sans être dépendante du gouvernement américain, diffuse la notion de guerre « propre » défendue par l’état-major américain sans dommages collatéraux sur les populations civiles. Au contraire, la guerre américaine en Irak entre 2003 et 2011 est menée avec l’usage exclusif du hard power, c’est à dire par une puissance militaire non concertée avec le reste du monde. Cette guerre entraîne par conséquent une rupture des alliances traditionnelles du gouvernement américain (opposition française et allemande aux Nations Unies), une impopularité forte des États-Unis dans le monde arabe favorisant le recrutement de l’organisation terroriste Al Qa’ida et une perte de maîtrise de la couverture médiatique du conflit. En effet, la chaîne qatarie d’information continue Al Jazeera dénonça en 2004 par l’image des exactions commises par les troupes américaines lors du siège de Falloujah, ce qui renforça l’hostilité des populations arabes envers les États-Unis.

◗◗ Bibliographie

• Ouvrages universitaires L. Balthazar, C. P David, J. Vaïsse, La Politique étrangère des ÉtatsUnis : fondements, acteurs et formulations, Presses de Sciences Po, 2008. G. Dorel, Atlas de l’empire américain. États-Unis : géostratégie de l’hyperpuissance, Autrement, 2006. P.  Hassner, J.  Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une superpuissance, Autrement, 2003. D. Lacorne, J. Vaïsse (dir.), La Présidence impériale de Franklin Roosevelt à G. W Bush, Odile Jacob, 2007. Y. Nouailhat, Les États-Unis et le monde depuis 1898, Armand Colin, Collection U, 2003. I. Vagnoux, Obama et le monde : quel leadership pour les États-Unis, Éditions de l’Aube, 2013. D.  Van Eeuwen, I.  Vagnoux (dir.), Les États-Unis et le monde aujourd’hui, Éditions de l’Aube, 2008. © Hachette Livre 2014

• Ouvrages plus spécifiques sur les États-Unis et certaines

régions du monde P. Droz-vincent, Vertiges de la puissance : « le moment américain » au Moyen Orient, La Découverte, 2007. J. Portes, Les États-Unis et la guerre du Vietnam, Complexe, 2008.

• Articles et documentation pédagogique D. Cumin, « Retour sur la guerre de Corée », Hérodote, n°  141, 2011, p. 47-56.

30 • Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

Hérodote, « Les États-Unis et le reste du monde », n° 109, janvier 2003, 192 pages. La Documentation photographique, « Les États-Unis : société contrastée, puissance contestée », n° 8056, 2007.

• Sites Internet http://www.ifri.org/?page=detail-centre-recherche&id=24 La page du programme États-Unis de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) propose de nombreuses études historiques et géopolitiques. http://www.ehess.fr/cena/index.html Le site du Centre d’Études Nord-Américaines (CENA) qui fait des points réguliers sur les débats historiographiques en cours sur les États-Unis. http://ceriscope.sciences-po.fr/node/551 Le dossier du Centre d’Études et de Recherches Internationales de Sciences Po Paris consacré à la puissance internationale – dont celle des États-Unis dans le monde et ses difficultés actuelles, avec des illustrations riches et accessibles.

Introduction au chapitre

p. 62-63

Ce chapitre étudie les manifestations de la puissance des ÉtatsUnis, les processus par lesquels elle s’est affirmée dans la deuxième partie du xxe siècle et ce qu’il en est de nos jours. La question essentielle est la mutation d’un pays qui refusa longtemps les contraintes de la puissance pour finalement les accepter dans la décennie 1940. Il importe donc d’identifier les acteurs qui ont contribué à cette métamorphose, leurs mobiles et leurs moyens. Logiquement, la problématique choisie interroge les formes diverses – militaire, diplomatique, culturelle – revêtues par une domination inédite dans l’histoire récente de l’humanité. La confrontation entre les deux images de l’introduction résume l’évolution de la puissance américaine. En 1945, le document 1 illustre son ascendant irrésistible sur l’aire pacifique, symbolisée par sa victoire sur le Japon, l’ennemi de toujours. En 2013, le document 2 souligne la fragilisation de l’hégémonie américaine en Asie, et fait ressurgir, par sa thématique similaire, les fantômes de l’épisode iranien de 1979.

→Document 1 : le drapeau américain planté sur l’île japonaise d’Iwo Jima en février 1945 Cette photographie prise le 23 février 1945 par Joe Rosenthal pour l’Associated Press valut une renommée immédiate à son auteur qui reçut le prix Pulitzer pour son cliché dès 1945. Elle est en partie trompeuse car un drapeau américain avait déjà été hissé auparavant et Rosenthal ne saisit que la réinstallation d’un plus grand étendard. Cette photo est devenue le symbole de la reconquête des îles du Pacifique par l’armée américaine contre le Japon impérial.

→Document 2 : le drapeau américain brûlé par des Pakistanais en 2013 Cette autre photographie de l’Associated Press souligne l’évolution de l’image des États-Unis dans le monde depuis 1945. La destruction du drapeau américain est devenue, depuis la révolution islamique iranienne de 1979, un moyen visuel et médiatique de signaler l’opposition aux interventions militaires extérieures des États-Unis. Dans le cas pakistanais, les manifestants protestent contre l’utilisation par les États-Unis depuis 2004 de frappes militaires par des drones téléguidés dans leur guerre contre le terrorisme.

La frise chronologique souligne l’évolution du rapport des ÉtatsUnis avec le monde depuis 1945. On fera remarquer aux élèves la continuité entre la victoire dans la Seconde Guerre mondiale contre le Japon et l’Allemagne et l’émergence d’une superpuissance pendant la guerre froide face à l’URSS après 1947. La séquence 1945-1962 transforme les États-Unis en puissance impériale : leur rôle militaire, stratégique et diplomatique durant la Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide les conduit à accepter des responsabilités de niveau planétaire. De 1962 à 1991, cette puissance s’exerce dans le cadre d’un monde bipolaire : les États-Unis organisent un modus vivendi avec le bloc soviétique mais restent une « nation sous les armes ». L’implosion du bloc soviétique en 1989-1991 inaugure une séquence incertaine : les États-Unis demeurent l’unique grande puissance mais présentent des signes de déclin relatif et doivent faire face à de nouvelles menaces (cf. attentats du 11 septembre 2001) ainsi qu’au réaménagement des équilibres géopolitiques qu’entraîne l’apparition des pays émergents au sein d’un monde globalisé.

Repères

p. 64-67

Ces pages reviennent sur la construction de la relation des ÉtatsUnis avec le monde depuis la naissance de cette jeune nation en 1776. Le document 1 de la p. 64, par une sélection de documents fondamentaux, rappelle la volonté des Pères fondateurs des ÉtatsUnis, comme le premier président George Washington, de garder ce nouveau pays à l’écart des relations internationales européennes porteuses de guerre. Au xixe siècle, cet isolationnisme est confirmé par la doctrine du président Monroe en 1823, qui protège l’indépendance des jeunes républiques d’Amérique latine contre les appétits des puissances européennes. Il est justifié par une « destinée manifeste » à dominer le continent américain qui est affirmée à l’occasion de la conquête de l’Ouest au détriment des Indiens et des Mexicains. Les extraits proposés des 14 points de Wilson en janvier 1918 et de la charte de l’Atlantique signée par le président Roosevelt en août 1941 rappellent le basculement des États-Unis vers l’hégémonie lors des deux guerres mondiales. Le document 2 de la p. 65 permet de visualiser l’expansion des États-Unis durant la guerre froide (1947-1991) par leur système d’alliances qui autorise leur déploiement militaire sur tous les continents vers 1960 : l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Europe et Amérique du Nord, l’Organisation des États Américains (OEA) en Amérique du Sud, le pacte de Bagdad au Moyen-Orient. Le document 1 de la p. 66, une carte de synthèse de la superpuissance étatsunienne actuelle, démontre combien les ÉtatsUnis organisent le monde d’aujourd’hui par leur puissance militaire (déploiement de leurs flottes à proximité de tous les grands détroits maritimes), diplomatique (siège de l’ONU à New York) ou économique (ALENA avec Mexique et Canada, embargo commercial sur des pays ennemis comme Cuba ou Iran). Le document 2 de la p. 67, qui récapitule les effectifs militaires déployés dans le monde depuis 1945, démontre le recours privilégié aux mandats juridiques du conseil de sécurité de l’ONU (Corée en 1950-1953, Koweït en 1991, Somalie en 1993). Ils légitiment les opérations extérieures des États-Unis au nom de la démocratie et de la défense de la souveraineté des peuples.

Acteurs

p. 68-69

R. Reagan, le président de la puissance militaire retrouvée Bill Gates, le grand patron devenu philanthrope Cette double page veut mettre en évidence pour les élèves les aspects complémentaires de la puissance américaine dans le monde en présentant deux de ses acteurs emblématiques. Le président Ronald Reagan (1981-1989) incarne la puissance militaire et économique (doc. 1 et 3) – ce que le politologue Joseph Nye a dénommé hard power. Elle lui sert à forcer l’URSS communiste (doc. 2) à entreprendre des négociations de désarmement après 1985. L’informaticien et homme d’affaires Bill Gates (doc. 4), fondateur de Microsoft en 1976, représente, par l’usage philanthropique de sa fortune, la capacité d’influence des États-Unis dans le monde – le soft power dans la classification de Nye (doc. 5 et 6). Ces deux concepts essentiels de hard power et de soft power sont largement explicités au tout début de ce chapitre dans la rubrique « Débat historiographique et quelques notions clefs du chapitre ».

◗◗ Réponses aux questions 1. Ronald Reagan affirme fonder son action de président sur la liberté et la foi religieuse comme valeurs originelles de la nation américaine qu’elle doit porter dans le monde.

2. Bill Gates évoque le pouvoir de l’innovation pour expliquer le succès de Microsoft. Il fait allusion au rôle moteur de l’innovation dans le développement des États-Unis.

3. Dans les documents 2 et 3, Ronald Reagan s’adresse en novembre 1983 aux soldats américains stationnés en Corée du Sud depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. Ce discours intervient dans un contexte international extrêmement tendu après la destruction accidentelle d’un avion de ligne de la compagnie sud-coréenne Korean Airlines par un avion de chasse soviétique en septembre 1983. C’est pourquoi il salue le déploiement militaire américain en Corée du Sud comme un rempart indispensable pour la défense de la liberté et, paradoxalement, de la paix.

4. Bill Gates a d’abord représenté la puissance économique des États-Unis, Microsoft équipant avec ses systèmes d’exploitation Dos puis Windows environ 90 % des ordinateurs personnels dans le monde. Mais en créant sa fondation philanthropique, dont il s’occupe à part entière depuis 2007, il améliore l’image des États-Unis dans le monde en finançant des opérations de santé publique dans les pays en développement (vaccination contre la polio, doc. 4).

◗◗ Vers la composition du BAC La puissance américaine dans le monde est d’abord militaire avec des déploiements permanents et des interventions ponctuelles pour sécuriser les territoires alliés contre la menace communiste. Ronald Reagan a utilisé ce hard power lors de crises internationales, comme en 1983 en Corée du Sud, afin d’affirmer les valeurs américaines de liberté et de démocratie face à l’Union soviétique. Cette puissance militaire a été aussi un des principaux atouts de Reagan pour amener l’URSS vers sa dislocation. Après la fin de la guerre froide en 1991, les États-Unis utilisent davantage une influence économique et culturelle, incarnée par Bill Gates. Ce soft power véhicule les valeurs américaines (libéralisme, démocratie, esprit missionnaire). La fondation philanthropique de Bill Gates mène des actions de santé publique et d’éducation dans les pays en développement, incarnant l’attention portée par un milliardaire américain au reste du monde. Cependant, cette action n’est pas complètement désintéressée, pouvant offrir aux firmes multinationales (FMN) des États-Unis de nouveaux marchés dans ces pays émergents de l’économie mondiale. Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

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◗◗ Frise

Étude 1

p. 70-71

L’année 1947, la doctrine Truman et le plan Marshall Cette étude insiste sur le caractère central et décisif de l’année 1947. Les États-Unis y abandonnent la méfiance instaurée depuis George Washington envers des alliances contraignantes avec les Européens pour contrecarrer l’expansion soviétique vers l’Ouest. Une caractéristique essentielle de la puissance des États-Unis depuis la Grande Guerre est le recours à l’arme économique et financière pour atteindre leurs objectifs. Ce fut le cas dans les années 1920, plus encore durant la Seconde Guerre mondiale : à travers les prêts accordés au Royaume-Uni puis plus largement le prêt-bail mettant gratuitement à disposition des « nations unies » les ressources qu’exige une guerre totale, l’Amérique de Roosevelt contribua à épuiser l’Axe. On retrouve cette approche durant la Guerre froide. Elle débouche sur le plan Marshall en Europe, plus tard sur l’aide aux pays chargés d’endiguer le communisme chinois (le Japon à partir de 1950, la Corée du Sud, Taiwan, etc.). L’aide Marshall est à la fois reflet des capacités économiques des ÉtatsUnis et levier d’une stratégie globale, géopolitique. Les documents choisis permettent de saisir les motivations de l’administration Truman pour opérer cette rupture mais aussi de présenter les réactions de méfiance d’une partie des Européens face à un plan Marshall perçu comme une colonisation.

→Document 1 : La doctrine Truman (12 mars 1947) Ce document est l’extrait classique d’un discours prononcé par le président Truman devant les deux chambres du Congrès des États-Unis (chambre des Représentants et Sénat) le 12 mars 1947. Le président américain a appris fin février 1947 la fin de l’aide britannique aux gouvernements démocratiques de Grèce et de Turquie. Il sait que ces deux pays sont à la merci d’une insurrection communiste en Grèce et de la pression exercée par l’URSS sur la Turquie pour les détroits de mer Noire. L’administration Truman a été de surcroît informée de la nature réelle du régime soviétique par son ancien second d’ambassade en URSS, George Kennan. Dans son télégramme diplomatique du 22 février 1946 (surnommé Long Telegram), Kennan soulignait le recours systématique à la force et à la dissimulation d’un pouvoir dictatorial et violent. Ces arguments sont repris dans le discours de Truman qui souligne les différences entre la démocratie étatsunienne et le totalitarisme soviétique. Truman justifie ainsi une nouvelle doctrine diplomatique d’aide aux pays menacés par le communisme et le vote d’une aide financière ponctuelle de 400 millions de dollars à la Grèce et à la Turquie.

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→Document 2 : L’annonce du plan Marshall Ce document est l’extrait du discours du secrétaire d’État – l’équivalent du ministre des Affaires étrangères – George C. Marshall devant les étudiants de la prestigieuse université d’Harvard à Boston le 5 juin 1947. Le général Marshall était devenu le secrétaire d’État de Truman après avoir été le conseiller stratégique de Roosevelt durant la guerre puis le coordonnateur de l’aide américaine à la Chine nationaliste. L’orateur s’exprime après que le président ait livré devant le Congrès, le 12 mars précédent, sa vision d’un monde coupé en deux par une « menace totalitaire ». Les Américains ont tiré de la double expérience des années Trente et de l’administration qu’exerce leur armée depuis 1945 en Allemagne et au Japon la conviction que la misère ouvre la voie au communisme. Tout un chacun constate les difficultés qu’éprouvent alors les Européens à reconstruire leur continent dévasté. La situation reste tendue : le rationnement n’a pas disparu, le manque de dollars (dollar gap) leur interdit de financer les importations dont ils ont besoin, les finances publiques sont aux abois malgré les prêts bilatéraux consentis par Washington. Sur le plan politique, l’Eu-

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rope orientale et centrale est déjà transformée en un ensemble de démocraties populaires satellites de l’URSS tandis que les partis communistes sont au zénith en France et en Italie. L’aide proposée entend donc contribuer à hâter la reconstruction de l’Europe mais l’orateur rappelle aussi la volonté de son pays de s’opposer aux forces qui chercheraient à « perpétuer la misère humaine pour en profiter politiquement » : le communisme n’est pas plus nommé que dans le « discours Truman », mais tout un chacun comprend qu’il est l’adversaire désigné. L’aide fut proposée à tous les pays d’Europe, y compris l’URSS et ses satellites. Mais on savait que Moscou la refuserait en raison de la dépendance de fait qu’elle impliquait par rapport aux États-Unis ; la Pologne et la Tchécoslovaquie qui se dirent intéressées furent d’ailleurs « priées » par Staline de ne pas donner suite.

→Document 3 : L’aide américaine à l’Europe de l’ouest de 1948 à 1951 Le plan Marshall est voté par le Congrès sous la forme d’une loi, l’European Recovery Act, signée en avril 1948 par le président Truman. Entre 1948 et 1952, les États-Unis distribuent sous forme de prêts et de dons financiers près de 13 milliards de dollars. Le diagramme présente la répartition de ces fonds et indique les priorités géopolitiques américaines. La France et le Royaume-Uni sont les deux principaux bénéficiaires car leurs économies, partenaires majeures des États-Unis avant 1939, devaient être rétablies au plus vite.

→Document 4 : Le plan Marshall dans la presse américaine, dessin de Herblock paru dans le Washington Post, 26 janvier 1949 Le dessin satirique de Herblock, qui est le caricaturiste officiel du Washington Post de 1945 à 2001, exprime un point de vue américain sur le rapide redressement économique en Europe de l’Ouest grâce aux fonds Marshall. Il souligne le contraste avec les difficultés connues par l’économie communiste soviétique qui s’est construite depuis la fin des années 1920 sur l’expropriation et le travail forcé des paysans (symbolisés ici par le joug de la faucille et du marteau).

→Document 5 : Le plan Marshall dans la propagande du Parti communiste français Le parti communiste français (PCF) s’est aligné sur les positions de l’URSS dès 1947, envoyant des délégués lors de la conférence fondatrice du Kominform à Szlarzska Poreba qui organise la « résistance » des partis communistes européens face au plan Marshall. Le journal des communistes français, l’Humanité, et des campagnes d’affichage public sont les relais de la dénonciation du plan Marshall par le PCF. Comme dans la une de l’Humanité du 6 novembre 1949 titrant « Serons-nous coca-colonisés ? », l’affiche ici présentée assimile le plan Marshall à une colonisation déguisée. Elle mobilise les thèmes classiques de l’anti-américanisme à la fois communiste et très français : l’image d’un pays impérialiste ; la vision d’une société étatsunienne toute entière vouée au culte de l’argent, dépourvue de culture – thème cher également aux ultranationalistes français (inscrits dans cette mouvance, Robert Aron et Arnaud Dandieu l’avaient orchestré dans Le cancer américain paru en 1931). Elle manifeste une fidélité sans faille à l’URSS qui est constitutive du mouvement communiste né avec la IIIe Internationale en 1919. La dépendance a été actualisée par la création du Kominform en septembre 1947. Ce bureau de liaison des partis communistes européens fixe les priorités stratégiques en lien avec le PCUS. L’urgence est que les partis communistes locaux combattent dans leur pays tout ce qui peut affaiblir l’URSS – le plan Marshall mais aussi l’Alliance atlantique, la CECA, le projet de CED, etc. Le refus de la colonisation

→Document 6 : Le plan Marshall, un « grand danger

l’acquisition de la bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais cette force militaire est contrainte de s’adapter aux nouvelles stratégies de ses adversaires : guérilla au Vietnam (1964-1973), attentats terroristes du 11 septembre 2001.

de guerre »

→Document 1 : Le complexe militaro-industriel

Cet extrait du numéro spécial de la revue de la gauche chrétienne française, Esprit, consacré au plan Marshall en avril 1948, montre qu’il suscite une opposition au-delà des communistes. Même si nous sommes quelques mois après la fin du tripartisme et le début du « recentrage » des députés MRP qui aboutira à la « troisième force », il reste une forte méfiance par rapport à la politique européenne unilatérale des Américains. Dans ce texte, le plan Marshall y est implicitement décrit comme un facteur de guerre par la séparation des blocs opposés qu’il induit.

Ancien commandant en chef des forces armées alliées durant la reconquête de l’Europe face aux nazis en 1944-1945, le général Dwight Eisenhower, après avoir quitté le cadre militaire, est élu président des États-Unis en novembre 1952 (cas de figure exceptionnel dans une démocratie qui se méfie des généraux tentés par la politique). Durant ses deux mandats de 1953 à 1961, il procède à un renforcement massif des capacités militaires américaines avec, par exemple, la mise en service des premiers sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Ce document est un extrait de son allocution d’adieu au peuple américain le 17 janvier 1961, alors que le nouvel élu, J.F.Kennedy va entrer à la Maison Blanche. Il y rappelle par le terme de « complexe militaro-industriel » que les États-Unis ont converti toute leur puissance économique et industrielle en organisation de guerre contre l’URSS. En 1961 l’Amérique est bien en paix mais elle s’est dotée depuis l’entrée en guerre froide d’un arsenal sans précédent dans son histoire par ses dimensions et son caractère pérenne.

◗◗ Réponses aux questions 1. La doctrine Truman fait cesser l’isolationnisme traditionnel des États-Unis en leur donnant un rôle d’assistance aux pays libres afin de préserver leur souveraineté. Le président Truman justifie ce changement par l’existence du mode de vie soviétique qui s’impose par la violence et la subversion à des États autrefois libres.

2. Le plan Marshall est une application directe de la doctrine Truman puisque cette dernière faisait de l’aide économique et financière la principale forme du soutien des États-Unis envers le monde libre.

3. Le plan Marshall consiste en des prêts et dons financiers, qui totalisent près de 13 milliards de dollars de 1948 à 1951, envers les pays européens de l’Ouest. Ces sommes servent à reconstruire des pays ravagés lors de la Seconde Guerre mondiale comme la France et le Royaume-Uni. Elles permettent aussi de relancer le commerce de ces pays avec les États-Unis et d’acheter des produits américains.

4. La presse américaine diffuse une image positive du plan Marshall qui autorise un redressement économique rapide en Europe de l’ouest, symbolisé dans la caricature du document 4 par un tracteur moderne. Les communistes européens refusent le plan Marshall comme un outil impérialiste des États-Unis sur l’Europe. Une autre critique plus répandue du plan Marshall est de créer un risque de guerre à l’intérieur des États européens entre communistes et non communistes et d’avoir installé une division durable entre Europe de l’ouest et Europe de l’Est.

◗◗ Vers l’analyse de documents du BAC Le document 1 est un extrait du discours du président américain Truman devant le Congrès des États-Unis le 12 mars 1947. Le document 2 est un extrait du discours du secrétaire d’État George Marshall devant les étudiants de l’université de Harvard. Ces deux discours visent à définir les nouveaux axes de la politique extérieure des États-Unis envers l’Europe. Contrairement à l’isolationnisme traditionnel des États-Unis depuis la fin du xviiie siècle, le président Truman veut porter assistance aux pays menacés de perdre leur liberté face à l’expansion de l’idéologie communiste. Le discours de Marshall applique cette nouvelle orientation en proposant une aide économique et financière des États-Unis à tous les pays d’Europe ruinés par la Seconde Guerre mondiale.

Étude 2

p. 72-73

Les mutations de la puissance militaire des États-Unis L’émergence d’une superpuissance américaine depuis 1945 a d’abord été indissociable d’une force militaire sans égale, s’appuyant sur une capacité de déploiement massif de troupes et sur

→Document 2 : L’évolution du nombre d’armes nucléaires détenues par les cinq grandes puissances Malgré les efforts des États-Unis pour conserver le monopole de l’arme atomique (loi McMahon de 1946), les quatre autres grandes puissances membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU deviennent rapidement des puissances nucléaires : l’URSS en 1949, le Royaume-Uni en 1957, la France en 1960 et la Chine populaire en 1964. Le document est un tableau comparatif des armes nucléaires détenues qui démontre une très nette supériorité des États-Unis jusqu’au milieu de la guerre froide. Après les grands traités de limitation des armements Strategic Arms Limitation Talks (SALT) I (1972) et SALT II (1979) que l’URSS n’applique qu’en partie contrairement aux États-Unis, ces derniers perdent leur avantage absolu par rapport aux Soviétiques puis aux Russes après la fin de la guerre froide.

→Document 3 : Débarquement des Marines américains au Liban, janvier 1982 Cette photographie illustre la puissance navale des États-Unis qui leur permet de débarquer des troupes d’infanterie de marine (les Marines) dans n’importe quelle partie du globe. La priorité donnée à l’US Navy est telle que Ronald Reagan (voir p. 68 du manuel) fait campagne en 1980 sur la promesse d’une marine à 600 navires. L’intervention des Marines au Liban en 1982 fait suite au siège mis devant Beyrouth par les forces israéliennes et à l’installation d’une force onusienne de maintien de la paix.

→Document 4 : Repenser la puissance militaire américaine Les deux documents choisis montrent les conséquences des attentats du 11 septembre 2001 sur la puissance militaire des États-Unis. Le politologue français Pierre Hassner (doc. 4a) décrit, au lendemain des attentats, la difficulté pour les ÉtatsUnis de réagir face à des attentats perpétrés par une organisation terroriste transnationale, Al Qa’ida. Habitué aux schémas classiques issus de la guerre froide, le pays a du mal à organiser une réponse structurée face à un ennemi multiforme, la plupart du temps installé dans les « zones grises » de la planète. Obligés de trouver à tout prix un ennemi correspondant à leur vision géostratégique du monde, les États-Unis s’en prennent donc, non pas directement à Al Qa’ida, mais aux États dont certains territoires peuvent lui servir de lieu d’asile. Dans l’extrait (doc. 4b) d’un livre Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

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exprimé ici est à relier au contexte : la décolonisation est à l’ordre du jour et le PCF condamne la guerre menée par la France contre le Vietminh en Indochine (1946-1954).

postérieur (2006), l’ancien ministre des Affaires Étrangères français Hubert Védrine souligne la disproportion entre les moyens militaires des États-Unis et leur vulnérabilité face à des attentatssuicides terroristes. L’auteur reprend le terme qu’il a popularisé (« l’hyperpuissance ») pour le relier à cette nouvelle idée de vulnérabilité du territoire américain.

→Document 5 : Le 11 septembre 2001 Le 11 septembre en début de matinée, 4 avions de ligne commerciale des compagnies American Airlines et United Airlines sont détournés par 19 terroristes dont 15 sont de nationalité saoudienne. Entre 8 h 45 et 9 h 05, deux de ces avions viennent percuter à New York les deux tours du World Trade Center qui s’effondrent après une heure d’incendie. Ces attentats sans précédent au cœur de Manhattan sont saisis en direct par les photographes et les cameramen de la télévision comme l’atteste ce document montrant le second impact sur la tour sud. Le détournement des avions, revendiqué ultérieurement par l’organisation terroriste Al Qa’ida, et l’effondrement des deux avions ont fait 2 973 victimes. Les attentats constituent le premier acte de guerre sur le territoire continental des États-Unis depuis la seconde guerre angloaméricaine de 1812-1815.

→Document 6 : « L’Amérique à elle seule ne peut assurer la paix » Ce document est un extrait du discours de réception du Prix Nobel de la paix par le président des États-Unis Barack Obama en décembre 2009. Barack Obama devenait ainsi le premier président distingué dans l’exercice de ses fonctions depuis Woodrow Wilson en 1919. Cette récompense était surprenante puisque Obama n’avait commencé son premier mandat que le 20 janvier 2009. Le prix Nobel de la paix saluait l’engagement d’Obama à retirer les troupes américaines d’Irak et Afghanistan, les deux guerres menées contre le terrorisme à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Dans son discours, en rappelant l’engagement des États-Unis pour la paix et la liberté démocratique dans le monde depuis 1945, Obama contredit les actions unilatérales de son prédécesseur Bush en Irak et Afghanistan et évoque la nécessité d’une collaboration des États-Unis avec les autres pays du monde.

◗◗ Réponses aux questions 1. Les fondements de la suprématie militaire des États-Unis sur le monde depuis 1945 sont le développement d’un puissant secteur industriel de défense, un arsenal nucléaire très dissuasif et une marine, l’US Navy, permettant de débarquer des troupes dans n’importe quel pays du monde.

2. Le président Eisenhower justifie la puissance militaire internationale des États-Unis par le besoin de se défendre face à un agresseur potentiel qu’il ne nomme pas mais que l’on devine être l’Union soviétique durant la guerre froide. Le président Obama fait de la puissance militaire de son pays le principal facteur depuis un siècle d’un ordre international pacifique fondé sur le droit et la liberté.

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3. Les attentats du 11 septembre 2001 ébranlent la puissance militaire américaine parce qu’ils démontrent l’inefficacité de la dissuasion nucléaire face à des attentats terroristes fomentés par des organisations terroristes transnationales qui ne sont plus des États.

4. Le président Obama constate la fin de l’affrontement de guerre froide entre deux blocs et note l’apparition de nouvelles menaces comme le terrorisme et la prolifération des armes nucléaires auprès de nouveaux États.

34 • Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

◗◗ Vers la composition du BAC La puissance militaire américaine dispose depuis 1945 de forces évolutives et sans comparaison. D’une part, les États-Unis ont été les premiers à disposer d’un arsenal nucléaire qui leur procure une forte dissuasion. D’autre part, ils possèdent une marine puissante et nombreuse autorisant des débarquements de troupes de marine (Marines) dans toutes les parties du globe. Enfin, les ÉtatsUnis, forts de la première économie du monde, ont développé la plus importante industrie d’armement de la planète. Cette puissance n’est cependant pas sans limites. Elle s’est révélée incapable d’éviter les attentats terroristes du 11 septembre 2001, fomentés par une organisation terroriste, Al Qa’ida et non par un État. Elle doit affronter de nouveaux types de conflits comme les guerres civiles où les capacités militaires conventionnelles ne sont pas suffisantes. C’est pourquoi la présidence Obama (2009-2017) est une période de recomposition des capacités et des alliances militaires des États-Unis.

Étude 3

p. 74-75

La domination culturelle des États-Unis La spécificité de la puissance des États-Unis est d’avoir acquis une suprématie sur les valeurs et signes culturels diffusés dans le monde depuis 1945. Cette influence d’abord limitée au camp occidental de guerre froide s’est étendue après 1991 avec la mondialisation du commerce. Car il n’est pas de puissance durable sans capacité à diffuser hors des frontières sa culture au sens large du terme - langue, valeurs dominantes, productions symboliques les plus diverses. Sur ce plan, les États-Unis jouissent incontestablement d’avantages éminents : depuis le milieu du xxe siècle, leur culture de masse rencontre un large succès à l’extérieur. L’étude de Frédéric Martel, De la culture en Amérique (Gallimard, 2006) a mis en évidence l’importance de ce secteur dans l’économie et la société étatsuniennes. C’est donc un incontestable levier de la puissance dans la mesure où les films, les émissions télévisées, mais aussi d’autres biens ou services culturels tels les réseaux sociaux, contribuent à la notoriété des États-Unis, à leur prestige (cf. le nombre de leurs prix Nobel, la renommée de leurs universités, de leurs grands musées, etc.) ainsi qu’à la diffusion de l’American way of life. Tous éléments qui, peut-on penser, prédisposent ensuite les peuples et leurs dirigeants à accueillir favorablement les initiatives de la première puissance mondiale Les documents montrent la diversité des aspects concernés. Ils soulignent comment l’influence culturelle sert les intérêts stratégiques de la puissance américaine tout en entraînant de profondes réactions identitaires de rejet.

→Document 1 : Hollywood et l’Italie Ce document est l’extrait d’un télégramme diplomatique de l’ambassadeur des États-Unis Dunn au secrétaire d’État Marshall en avril 1948. Il a été édité dans la collection des documents diplomatiques publiée par le département d’État depuis 1861, les Foreign Relations of the United States (FRUS). L’Italie avait connu en septembre 1947 de grandes grèves ouvrières et cette agitation profitait au parti communiste, faisant courir le risque d’un coup d’État pro-soviétique. Les premières élections générales ont lieu le 18 avril 1948 et l’union des communistes et des socialistes italiens dans un Front Populaire Démocratique leur promet une nette majorité. C’est pourquoi le nouveau conseil de sécurité nationale (NSC) du président Truman signa, le 10 février 1948, la directive NSC 1-2 selon laquelle tous les moyens économiques, économiques voire militaires doivent être utilisés en Italie contre les communistes. Dans ce cadre, une émission de radio figurant les grandes stars d’Hollywood est organisée sur les antennes ita-

→Document 2 : le rôle du cinéma américain dans le monde Le document 2a est l’extrait d’une déclaration du sénateur du Connecticut William Benton qui avait été l’un des principaux adjoints du général Marshall au département d’État entre 1945 et 1947. Il y évoque la nécessité d’un plan Marshall « culturel » diffusant le cinéma américain. Cette recommandation est largement suivie puisque les accords Blum-Byrnes de décembre 1946 avec la France et l’accord cinématographique anglo-américain de mars 1948 lèvent tout contingentement sur les importations de films hollywoodiens. Le document 2b est un extrait de l’arrêt Burstyn, Inc contre Wilson du 26 mai 1952 qui reconnaît aux films de cinéma le statut d’oeuvres artistiques protégées par le 1er amendement de la Constitution pour la liberté d’expression. Ces deux documents soulignent à quel point le cinéma américain est bien reçu à l’étranger car il appartient à une industrie de l’entertainment depuis longtemps mondialisée. Cela étant, il existe d’autres facteurs non évoqués dans ces pages. Les logiques de marché ont leur importance : largement rentabilisées sur l’immense marché intérieur les productions audiovisuelles, films ou émissions télévisées, peuvent être exportées à bas prix vers les diffuseurs étrangers. Les autorités étatsuniennes soutiennent leur industrie cinématographique, exigeant l’ouverture des écrans étrangers à ses réalisations : accord Blum/Byrnes en 1946, dénonciation par Washington à l’OMC de « l’exception culturelle » française. Il faut intégrer les conditions propres à chaque pays pour expliquer les différences : la France a par exemple une politique de soutien à la création cinématographique qui reste une exception en Europe.

→Document 3 : L’exportation de la culture américaine, un fondement du soft power Ce document est l’extrait d’un article scientifique écrit en 1997 par le politiste contemporain Alfredo Valladao, professeur à Sciences Po Paris, spécialiste des États-Unis et de l’Amérique latine. Il a défendu à la fin des années 1990, contre la théorie du déclin des États-Unis portée par l’historien Paul Kennedy, l’idée d’une puissance américaine adaptée à la mondialisation et au métissage des cultures (en particulier dans son best-seller Le xxie siècle sera américain).

→Document 4 : Les super-héros des comics américains en Chine Les comics désignent depuis la fin du xixe siècle les bandes dessinées populaires, à l’origine humoristiques – d’où leur nom – publiées dans les journaux des États-Unis. Avec la création du personnage Superman en 1938 par les auteurs Shuster et Siegel, les comics mettent en scène systématiquement des super-héros défenseurs des valeurs américaines : droit, liberté, démocratie. La firme DC Comics est la première à faire fortune avec ses héros Superman et Batman dans les années 1940 mais elle est supplantée durant la guerre froide par les super-héros de Marvel Comics plus tourmentés et ambivalents comme Spiderman, Iron-Man ou les Quatre Fantastiques. Le document photographique montre combien les adaptations cinématographiques des comics Marvel (36 films entre 1944 et 2013) ont popularisé leurs super-héros dans des pays rivaux des États-Unis comme la Chine.

vités. Par son système de franchises commerciales, elle est présente dans 118 pays mondiaux en 2013 en vendant son produit phare, le hamburger Big Mac. Cette entreprise est donc devenue le symbole de la mondialisation « américaine » du commerce et de l’économie à tel point que le prix du Big Mac est devenu un indice de comparaison des pouvoirs d’achat dans le monde pour le magazine The Economist depuis 1986. Cette omniprésence de McDonald’s et son identification aux États-Unis entraînent de violentes réactions de rejet comme on peut le voir sur ce document photographique où des pacifistes sud-coréens protestent contre l’entrée en guerre américaine en Irak en 2003. Ils jouent d’une inversion graphique entre le M de McDonald’s et le W du président George W. Bush.

◗◗ Réponses aux questions 1. Le rayonnement culturel américain peut rendre sympathiques

les buts diplomatiques des États-Unis. Dans le doc. 1, les messages radiophoniques des stars hollywoodiennes rendent les États-Unis plus proches des auditeurs italiens et peuvent influencer leur vote en faveur des partis démocratiques.

2. La capacité d’exportation du cinéma américain reste liée à son universalité. Il touche ainsi directement le public américain et aussi étranger. Progressivement, il s’est adressé à un marché qui rassemblait toutes les cultures et toutes les sensibilités du globe. Il peut donc, de nombreuses manières, l’influencer.

3. Cette forte capacité d’exportation s’explique d’abord par la diversité démographique des États-Unis où la présence de nombreuses communautés issues de l’immigration amène les industries à proposer des produits issus de toutes les cultures. Elle est aussi due à la capacité de brassage des cultures de tous les pays du monde par les États-Unis.

4. Le soft power culturel des États-Unis a pour première limite de ne pas être proprement américain mais de diffuser une culture mondialisée partagée par tous (la World Culture, cf. doc. 3). La seconde limite du soft power est qu’il est souvent rejeté comme outil de la domination américaine dans le monde et que ses symboles peuvent être détournés, voire maltraités.

◗◗ Vers la composition du BAC Depuis 1945, la culture des États-Unis a été un atout majeur de leur puissance internationale. Le rayonnement culturel des États-Unis leur sert d’abord durant la guerre froide à influencer positivement les populations du reste du monde en leur faveur. Ainsi, en 1948, une émission de radio met en scène des stars d’Hollywood au moment d’élections devant décider du sort futur de l’Italie (doc. 1) Le cinéma hollywoodien, par le pouvoir des images et le star system est particulièrement sollicité (doc. 2). Après 1991, la culture américaine est un des éléments de leur soft power, indissociable de la mondialisation économique. La culture mondiale devient largement étatsunienne (doc. 3 et doc. 4). Cependant, cette banalisation multiplie les réactions de rejet (doc. 5), les symboles de la culture et du mode de vie américains comme par exemple McDonald’s (doc. 5) étant assimilés à la politique du gouvernement des États-Unis.

Étude 4

p. 76-77

McDonald’s pour dénoncer la guerre américaine en Irak

La puissance des multinationales des États-Unis en Amérique latine

La firme de restauration rapide McDonald’s, fondée aux ÉtatsUnis en 1940, est devenue le leader mondial de son secteur d’acti-

Toute puissance influence d’abord ses voisins. Depuis la doctrine Monroe de 1823 (cf. pages Repères), les États-Unis considèrent

→Document 5 : Des manifestants sud-coréens utilisent

Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

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liennes le 7 avril pour convaincre les électeurs de l’amitié américaine et du bien-fondé de leurs valeurs démocratiques.

l’Amérique latine comme une région sur laquelle ils assurent « naturellement » une hégémonie. Cette relation s’est encore renforcée avec la lutte anticommuniste de guerre froide. Mais les relations entre la grande puissance du Nord et le monde latinoaméricain n’ont cessé d’évoluer et son hégémonie est contestée. Depuis 1991, les États démocratiques d’Amérique du Sud affirment leur indépendance face à leur grand voisin. Dans chacune de ces périodes, les FMN des États-Unis jouent un rôle économique et politique majeur.

→Document 1 : La puissance de la multinationale américaine United Fruit Vers 1900, des firmes agro-alimentaires des États-Unis investissent massivement dans de fragiles républiques d’Amérique centrale pour y développer de vastes cultures de plantation (sucre, bananes, ananas). La Cuyamel Fruit s’installe au Honduras, l’United Fruit Company de Boston au Guatemala. Dans ces pays, ces firmes corrompent massivement les autorités politiques qu’elles n’hésitent pas à renverser le cas échéant, d’où le nom de « républiques bananières » forgé par l’écrivain O. Henry dans son roman Cabbages and Kings de 1904. En 1930, l’United Fruit rachète la Cuyamel et établit un véritable monopole sur les cultures au Honduras, au Guatemala, au Costa Rica, à Panama et en Colombie. En 1950, le poète chilien Pablo Neruda dénonce cette mainmise, et les méthodes douteuses de l’United Fruit dans un long poème, La United Fruit Company.

→Document 2 : Les multinationales américaines et la lutte anticommuniste au Chili En 1964, l’élection présidentielle chilienne donne la majorité au candidat chrétien-démocrate, Eduardo Frei, secrètement soutenu par la CIA qui lui fait transférer des fonds par des FMN américaines implantées sur place comme ITT. En 1970, face à la menace portée par la candidature unique de la gauche de Salvador Allende, soutenu par les communistes, la CIA renouvelle la même opération au profit de l’ancien président conservateur, Jorge Alessandri. Mais le maintien d’un candidat chrétien-démocrate, Tomic, donne la victoire à Allende. Ces manœuvres de la CIA sont révélées au grand public après le coup d’État de l’armée chilienne qui renverse Allende en septembre 1973 avec le soutien de l’administration Nixon. La démission de Nixon à la suite du scandale du Watergate entraîne la mise en place en 1975 d’une commission d’enquête du Sénat sur les activités clandestines du gouvernement américain, dirigée par le sénateur de l’Idaho, Frank Church. Le document 2 est un extrait de son rapport d’enquête.

→Document 3 : Une manifestation populaire de soutien

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à la nationalisation du pétrole vénézuélien en 2008 En 1998, l’ancien lieutenant-colonel putschiste Hugo Chavez est élu démocratiquement président du Venezuela à la tête d’une coalition des forces de gauche. Réélu en 2000 et 2006, il oriente progressivement sa politique étrangère vers une lutte farouche contre l’influence économique et politique des États-Unis en Amérique latine. S’appuyant sur la richesse pétrolière du Venezuela, il fonde l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (ALBA) dès 2004, dans laquelle il fait rentrer l’ennemi juré des États-Unis, l’île communiste de Cuba. En 2007, Chavez décide de nationaliser les champs pétroliers du delta de l’Orénoque dont une partie avait déjà été concédée à la FMN étatsunienne Exxon Mobil. Le refus initial de cette firme de céder ses avoirs au gouvernement vénézuélien entraîne en janvier et février 2008 de grandes manifestations populaires de soutien à Chavez et d’hostilité à Exxon considérée comme un « cheval de Troie » des États-Unis.

36 • Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

→Document 4 : Wal-Mart en Amérique latine : l’importation de l’American way of life La firme Wal-Mart, première firme étatsunienne et mondiale de grande distribution en 2014, s’est internationalisée par une expansion massive au Mexique à partir de 1993 avec l’ouverture d’un premier magasin à Mexico dans le cadre de l’ALENA. Cette implantation en Amérique latine, poursuivie désormais au Brésil, en Argentine et au Chili, diffuse le modèle de consommation de masse étatsunien avec de grandes surfaces commerciales conçues pour les déplacements automobiles, comme le montre la photographie d’un client mexicain de Wal-Mart.

→Document 5 : Les dix premières entreprises en Amérique latine par le chiffre d’affaires, 2012 Ce classement des 10 plus importantes FMN en Amérique latine met en évidence le recul de l’influence économique des ÉtatsUnis depuis 1991 par rapport aux grandes entreprises locales principalement spécialisées dans l’exploitation des matières premières abondantes du continent (pétrole au Venezuela, au Brésil ou Mexique).

◗◗ Réponses aux questions 1. Durant la guerre froide, les FMN étatsuniennes sont très présentes en Amérique latine dans les secteurs de l’exploitation des matières premières (cuivre), des infrastructures (ITT au Chili) et de l’agroalimentaire. Ce sont des secteurs stratégiques pour un État car ils offrent des ressources indispensables à la population. 2. Les interventions des FMN étatsuniennes dans la vie politique servent leurs intérêts car elles obtiennent ainsi des régimes favorables à leur développement (« républiques bananières », cf. doc. 1). Mais elles servent aussi les intérêts du gouvernement américain qui y gagne des pays alliés.

3. Après la fin de la guerre froide en 1991, beaucoup de pays d’Amérique latine, redevenus démocratiques, réaffirment leur indépendance par rapport aux États-Unis. En 2007, avec le soutien de sa population, le gouvernement vénézuélien nationalise la totalité de son exploitation pétrolière. Les FMN étatsuniennes ont donc perdu en influence puisqu’une seule (Wal-Mart) figure parmi les dix plus importantes du sous-continent en 2012.

4. Le succès de Wal-Mart, firme de grande distribution, en Amérique latine depuis la fin de la guerre froide illustre le passage des FMN américaines d’une exploitation des matières premières locales à une diffusion du mode de vie des États-Unis.

◗◗ Vers l’analyse de document du BAC Le document 2 est un extrait du rapport de la commission sénatoriale d’enquête sur les activités clandestines de renseignement du gouvernement américain (ou commission Church). Il révèle que les FMN des États-Unis ont permis aux États-Unis d’influencer la vie politique d’un État comme le Chili par la distribution de fonds secrets durant les campagnes électorales. Entre 1970 et 1973, les FMN étatsuniennes comme ITT ont contribué à la déstabilisation de la présidence d’Allende en utilisant leur position dominante dans des secteurs économiques essentiels (télécommunications, matières premières). Ces actions poursuivaient la tradition d’influence politique des FMN des États-Unis en Amérique latine depuis les « républiques bananières » contrôlées par l’United Fruit en Amérique centrale (doc. 1).

p. 78-79

Le cinéma américain et la guerre du Vietnam (1964-1973) La guerre du Vietnam (1964-1975) est le plus grand engagement militaire des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale (environ 536 000 soldats déployés en 1968). Les Américains se sont en effet massivement investis depuis 1965. Cette guerre n’a ni front ni batailles. Le Vietcong contrôle de vastes espaces ruraux s’étendant largement sur les hauts plateaux et dans le delta du Mékong. Il se dissimule parmi la population civile majoritairement paysanne, tend des embuscades, mine le terrain, ce qui provoque de lourdes pertes dans l’armée américaine. Cette difficulté à progresser et à lutter contre un ennemi que l’on ne voit pas pousse les Américains à recourir à des méthodes violentes tels l’utilisation de bombes incendiaires au napalm ou l’usage de défoliant (l’agent Orange) pour déloger les combattants en brûlant les villages et en détruisant le couvert végétal qui masque les bases militaires de l’ennemi. Les milliers de morts et de personnes contaminées renforcent l’opposition au gouvernement du Sud-Vietnam et encouragent de nombreux paysans à rejoindre les rangs du Vietcong. En parallèle l’opinion publique américaine se détourne progressivement d’un conflit dont elle comprend de moins en moins les enjeux. Les deux documents illustrent deux conceptions, à dix ans d’écart, du cinéma américain à un moment où le septième art étatsunien a acquis une position dominante dans tous les pays non communistes. Le document 1 est consacré au film Les Bérets Vert. Il a été produit par l’acteur John Wayne avec l’appui de la multinationale cinématographique Warner et de l’armée de terre américaine. Paru en 1968, au moment de l’élection de Richard Nixon, il va dans le sens de la poursuite d’une guerre devenue de plus en plus complexe et coûteuse en argent, en hommes et en armement. Ses visées patriotiques sont évidentes. Le film raconte l’engagement d’un journaliste américain, au départ opposé à cette guerre, et qui, envoyé sur le terrain pour suivre les troupes d’élites (les fameux Bérets verts qui donnent le titre à l’œuvre) en découvre progressivement les « bienfaits ». Son indéniable succès en salle permet de nuancer en partie le rejet que la guerre du Vietnam aurait suscité dans l’Amérique profonde. Le document 2 évoque le film Apocalypse Now, réalisé par Francis Ford Coppola en 1975, soit juste au moment où la guerre se termine. L’œuvre se veut réaliste et n’hésite pas à présenter une armée étatsunienne ayant perdu ses repères moraux particulièrement dans les scènes d’attaques aéroportées. Elle s’appuie sur une réalité très prégnante qui donne toute sa force au film (rehaussée par une musique qui popularise, pour des millions de spectateurs, le thème de La Chevauchée des Walkyries du compositeur allemand Richard Wagner) : tout au long du conflit, les Américains se livrent à un bombardement massif du territoire nord-vietnamien. Ils détiennent la maîtrise des airs grâce à leurs B52 et à leurs chasseurs-bombardiers et déversent des millions de bombes. L’hélicoptère est aussi beaucoup utilisé. Il permet le déplacement rapide des soldats, leur ravitaillement ou leur évacuation et sert d’appui aux combats au sol. Récompensé par une palme d’or au festival de Cannes, le film de Coppola illustre aussi, paradoxalement la fonction cathartique du cinéma américain. Apocalypse Now a permis aux États-Unis, très peu de temps après le conflit, de crever en partie « l’abcès mémoriel » qu’il représentait. On peut s’en servir pour l’opposer aux réticences qui ont accompagné la représentation de réalités de la Seconde Guerre mondiale ou de la Guerre d’Algérie en France.

◗◗ Réponses aux questions 1. La photographie montre un civil américain tenant dans ses bras une jeune fille vietnamienne. Cette image du film, où les soldats ne sont qu’en second plan, est une propagande pour les ÉtatsUnis car elle fait apparaître les États-Unis comme une puissance venue en amie. La présence en arrière-plan d’un soldat américain d’origine asiatique veut également montrer que les États-Unis sont un pays accueillant et ouvert à toutes les « races ».

2. La mission principale des États-Unis apparaît d’abord comme humanitaire, devant apporter soins et réconfort aux populations civiles du Vietnam.

3. Contrairement aux Bérets Verts, la scène du film Apocalypse Now insiste sur l’aspect guerrier et violent de l’intervention étatsunienne. Les soldats américains y apparaissent lointains, en arrière plan ou dans un hélicoptère. Ils sont lourdement armés et évoluent dans un décor de ruines.

4. Cette photographie d’Apocalypse Now donne une perception très négative de la guerre américaine au Vietnam. Elle montre les soldats américains visant avec leurs armes, depuis un hélicoptère, des populations civiles fuyant apeurées au sol.

◗◗ Vers la composition du BAC Cet ensemble documentaire propose deux représentations, à dix ans de distance, diamétralement opposées de l’intervention militaire des États-Unis au Vietnam (1964-1975). Le film les Bérets Verts produit en 1968 par la star des westerns John Wayne a un but de propagande patriotique. Il montre un héros civil, un journaliste, concerné par la sauvegarde et le bienêtre des populations civiles vietnamiennes comme la petite fille du document 1. Les soldats américains paraissent bienveillants et non violents. Au contraire, le film Apocalypse Now, réalisé par Francis Ford Coppola, montre une armée américaine violente et cruelle envers les civils vietnamiens qui sont pris pour cibles d’attaques aéroportées. Les décors naturels sont ceux d’un pays en ruines. On peut noter que cette seconde représentation, plus soucieuse de réalisme, a été saluée par la critique internationale avec une palme d’or au festival de Cannes.

Cours 1

p. 80-81

Les États-Unis à la tête du monde libre pendant la guerre froide (1945-1991)

• Présentation Ce premier cours est articulé autour de la période fondamentale de la guerre froide car celle-ci fait émerger les États-Unis comme superpuissance mondiale pour la première fois dans leur histoire. On s’intéresse d’abord à la création d’un bloc occidental « du monde libre » autour des États-Unis par la création d’alliances militaires à l’échelle mondiale. Cela correspond à une première période de la guerre froide entre 1947 et les années 1960. La seconde partie de ce cours détaille les aspects de la domination des États-Unis sur ce bloc du monde « libre » réuni par les valeurs démocratiques et libérales. La guerre froide est aussi une période de diffusion du capitalisme étatsunien en Europe, Amérique du Sud et en Asie ainsi que des normes culturelles américaines. La dernière partie du cours propose une analyse chronologique détaillée de la fin de la guerre froide entre 1970 et 1991 afin d’analyser dans quelle mesure les États-Unis sont responsables de la chute finale du bloc soviétique. Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

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© Hachette Livre 2014

Histoire des arts

• Choix des documents « appuis » du cours La doctrine Truman (p. 70) définit en mars 1947 les motivations des États-Unis pour engager un rapport de force mondial avec l’URSS, comme la défense de la liberté politique et économique fondatrice de la civilisation nord-américaine. Le diagramme (p. 70) de l’aide des États-Unis à l’Europe de l’Ouest permet de visualiser facilement l’étendue de l’effort financier du plan Marshall en application de la doctrine Truman. La définition du complexe militaro-industriel par le président Eisenhower (p. 72) en 1961 resitue la portée de l’effort économique des États-Unis pendant la guerre froide pour conserver l’équilibre stratégique avec l’URSS. Le texte sur les FMN étatsuniennes et la lutte anticommuniste au Chili (p. 76) illustre le poids pris par l’économie américaine dans le monde « libre » mais aussi les arrangements qu’il faut parfois faire pour défendre les pays alliés contre le communisme. Les textes (p. 74) sur le rôle du cinéma américain dans le monde et sur l’exportation de la culture américaine insistent sur la notion de soft power culturel. La capacité des États-Unis à diffuser leurs valeurs par la culture en général et le cinéma en particulier l’emporte sur leur stricte puissance militaire. Le document 1 d’accompagnement de la leçon p. 81 est une photographie qui montre l’incendie d’un drapeau américain par des étudiants miliciens islamistes qui avaient pris en otages 53 employés de l’ambassade des États-Unis. C’est le symbole du recul de l’influence mondiale des États-Unis à la fin des années 1970. Les documents relatifs à Ronald Reagan (p. 68 et 72) montrent sur quelles valeurs (liberté, foi religieuse missionnaire) il fonde une présidence de combat et de redressement – après le déclin des années 1970 – contre l’Union soviétique assimilé à un « empire du mal ».

Cours 2

p. 82-83

Les États-Unis depuis 1991 : hyperpuissance ou déclin ?

© Hachette Livre 2014

• Présentation Ce second cours dresse un bilan de vingt ans de superpuissance américaine devenue sans rival après la disparition de l’URSS en 1991. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent une césure logique entre une première partie consacrée à l’ère de « l’hyperpuissance » durant laquelle les États-Unis, par des interventions militaires majeures (Irak 1991, Somalie 1993, Kosovo 1999), deviennent les régulateurs de l’ordre mondial, comblant les défaillances de leurs alliés traditionnels comme l’Union européenne dans les conflits d’ex-Yougoslavie et celle qui traite des doutes assaillant le pays après 2001. En effet, en contradiction avec ce sentiment de « toute puissance » étatsunienne, conforté par une mondialisation économique portée par les FMN américaines, les attentats du 11 septembre 2001 révèlent une réelle fragilité face aux nouvelles menaces du xxie siècle comme le terrorisme ou la prolifération des armes de destruction massive. La deuxième partie du cours revient donc logiquement sur une décennie d’échecs militaires (Irak) et moraux (Guantanamo) qui abîment sévèrement l’image des États-Unis dans le monde, alimentant l’antiaméricanisme. La présidence de Barack Obama (2009-2017) apparaît en

38 • Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

fin de période comme une tentative de restauration de cette réputation internationale.

• Choix des documents « appuis » du cours Le tableau récapitulatif des armes nucléaires détenues par les cinq grandes puissances mondiales (p. 72) donne à voir la supériorité massive des États-Unis dans ce domaine, même si après 1991 la Russie héritière de l’URSS parvient à entretenir l’illusion d’une parité. La carte (p. 67-68) sur la superpuissance militaire et stratégique des États-Unis illustre leurs atouts uniques : une flotte déployée sur les trois grands océans du globe, un réseau mondial de bases navales qui servent de points d’appui pour des débarquements et interventions militaires en cas de crises internationales. La photographie des super-héros américains Marvel célébrés en Chine en 2011 (p. 75) démontre la force de persuasion et de séduction de la culture populaire américaine qui parvient à s’imposer même auprès de la population du principal rival stratégique, la Chine communiste. La photographie des attentats du 11 septembre 2001 (p. 73) est un instantané de l’histoire en train de se faire, cet événement étant le plus important pour la géopolitique mondiale depuis la fin de la guerre froide. La photographie d’une manifestation populaire de soutien à la nationalisation du pétrole vénézuélien montre que les symboles de l’implantation économique des FMN des États-Unis peuvent être détournés comme signes de rejet et de revendication d’indépendance nationale. Le discours d’acceptation du prix Nobel par Barack Obama en décembre 2009 (p. 73) indique une inflexion de la politique étrangère des États-Unis vers plus de coopération avec leurs alliés après une décennie de guerres « ratées » en Irak et en Afghanistan. Le document d’accompagnement du cours (p. 83), qui est la reproduction d’un tract distribué par l’armée américaine en Somalie en 1993, montre la volonté des États-Unis d’apparaître comme un pays libérateur venu en ami, soucieux des populations civiles.

Prépa Bac

p. 84-85

◗◗ Composition

Sujet guidé : La puissance des États-Unis dans le monde depuis 1945. 1. Analyser le sujet La puissance des États-Unis s’exprime dans différents domaines : économique, politique, militaire, culturel, etc. 1945 correspond à la fin de la Seconde Guerre mondiale et les États-Unis apparaissent déjà comme une superpuissance.

2. Présenter le sujet La première proposition ne dresse qu’un tableau de la situation actuelle et est trop géographique ; la deuxième se limite à la période de la guerre froide. La phrase qui correspond le mieux au sujet est la troisième car elle met en évidence les évolutions de la puissance au cours de la période étudiée.

3. Construire un plan Plan chronologique 1945-1991 : une puissance engagée dans la guerre froide

1991-2001 : l’hyperpuissance américaine

Depuis 2001 : une puissance remise en cause ?

Soft power : puissance économique et culturelle

– Puissance industrielle acquise par l’effort de guerre – Plan Marshall – Firmes multinationales – American way of life

– ALENA – OMC – Extension du modèle libéral américain

– Concurrence économique des pays émergents – Dette des États-Unis – Crise économique, 2008

Hard power : puissance politique et militaire

– Arme atomique – Conseil de sécurité de l’ONU – OTAN, OTASE, etc. – Conflits de guerre froide

– Guerre du Golfe – Accords de Dayton – Gendarmes du monde – Extension de l’OTAN

– 11 septembre 2001 – Unilatéralisme – Guerre en Irak – Guerre en Afghanistan – Contestation en Amérique latine : Hugo Chavez

Sujet en autonomie : Les États-Unis et le monde depuis 1945. Le plan le plus logique s’appuie sur la date rupture de 1991, scellant la disparition du bloc communiste.

1. 1945-1991 : les États-Unis leaders du bloc occidental pendant la guerre froide A. Constitution d’alliances militaires B. Soutien économique et diffusion culturelle C. Triomphe des valeurs américaines sur le communisme

2. Depuis 1991, de la domination unilatérale à la contestation des États-Unis ? A. 1991-2001 : gendarmes de monde et champions du capitalisme Parties de la consigne

B. Depuis 2001, des contestations et un retour au multilatéralisme La conclusion peut ouvrir sur la notion, controversée, de déclin des États-Unis et la lier à celle de l’émergence de la Chine, abordée au chapitre suivant.

Prépa Bac

p. 86-88

◗◗ Analyse de document(s)

Sujet guidé : Les États-Unis et le monde depuis 1991. 2. Prélever des informations 3. Apporter des connaissances

Informations fournies par les documents

Connaissances

Les États-Unis doivent s’adapter à une nouvelle situation internationale.

– Avec la fin de la guerre froide ; […] de la Pologne à l’Érythrée, du Guatemala à la Corée du Sud, il y a un désir ardent parmi les peuples qui souhaitent être maîtres de leurs propres destinées économiques et politiques. – Une nouvelle période de périls et d’opportunités ; […] la prolifération des armes les plus destructrices ; […] les conflits parmi et à l’intérieur des nations.

– Effondrement du bloc communiste. – Fin de la course aux armements mais circulation incontrôlée des armes de l’ex-URSS. – Montée de l’islamisme radical. – Montée des nationalismes en Europe orientale (ex-Yougoslavie). – Accélération de la mondialisation sur le modèle libéral. – Concurrence économique croissante de pays d’Asie orientale et d’Amérique.

Les moyens dont ils disposent ainsi que leurs objectifs.

– « Demeurés engagés et leaders » ; « nous tiendrons un rôle central pour le changement et la paix » ; « partenariat avec les autres et à travers les institutions multilatérales comme les Nations unies » ; « agir unilatéralement lorsque nos intérêts sont menacés ou ceux de nos alliés ». – « Étendre et renforcer la communauté mondiale des démocraties de marché […] grâce au GATT, à l’ALENA » ; « élargir le cercle des nations qui vivent avec ces institutions libres » ; « stopper la prolifération des armes destructrices ».

– Diffuser le modèle américain et conforter le leadership des États-Unis : hyperpuissance. – Affirmation de la puissance militaire : interventions au Koweït (1991), en Somalie (1993), en Bosnie (1995), élargissement de l’OTAN. – Extension du modèle libéral à travers l’ALENA et l’OMC. – Soft power : diffusion de la culture américaine par le cinéma, les FTN, etc.

Sujet en autonomie : Les États-Unis et le monde. Il faut présenter le président Ronald Reagan en introduction ainsi que sa célèbre formule « America is back » (voir p. 68) puisque la consigne évoque la « réaffirmation de la puissance américaine ».

1. Une réaffirmation de la puissance des États-Unis dans les années 1980 A. Une puissance affaiblie au cours des années 1970. B. Une restauration de la puissance militaire.

2. La capacité des États-Unis à influencer l’ordre mondial A. La promotion d’un modèle démocratique et libéral. B. Les États-Unis obligent l’URSS à négocier sur le désarmement. Ce document permet de comprendre le rapport des États-Unis au monde dans les années 1980 et son chemin vers l’hyperpuissance dans un contexte qui reste encore celui de la guerre froide.

Chapitre 3 - Les États-Unis et le monde depuis 1945

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© Hachette Livre 2014

Plan thématique

chapitre 4

La Chine et le monde depuis 1949

p. 90-117

Programme : Thème 2 – Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945 (14 à 15 heures) Question

Mise en œuvre

Les chemins de la puissance

La Chine et le monde depuis 1949

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◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre À travers ce chapitre, qui suit celui consacré aux États-Unis, les élèves pourront prendre conscience du bouleversement considérable que représente l’émergence de la Chine dans l’organisation du monde issu du xxe siècle. La problématique centrale peut s’énoncer ainsi : peut-on dire que la Chine, à l’issue d’un parcours très différent de celui des ÉtatsUnis, incarne désormais elle aussi la notion de puissance ? La Chine communiste s’inscrit dans une évolution originale qui la mène, à travers la volonté de retrouver son ancienne puissance, d’une situation de sous-développement économique et de tutelle politique à une position économique, et de plus en plus politique, de premier plan à l’échelle planétaire. On ne peut guère s’attendre à ce que les élèves disposent d’acquis aisément mobilisables : cela doit inciter à consacrer davantage de temps à la construction de la périodisation sans viser l’exhaustivité dans le cadre de l’horaire restreint de la série S. D’où le choix d’organiser les deux leçons autour de la rupture que constitue l’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir. La victoire des communistes en 1949 constitue un tournant majeur dans l’histoire de la Chine. La séquence qu’elle inaugure est marquée par la construction d’un État fort et une quête de puissance à travers la reconquête de sa souveraineté. La Chine populaire adopte dans un premier temps le modèle de l’URSS stalinienne dans l’espoir d’atteindre rapidement le stade socialiste de développement. Puis elle prend ses distances et rompt avec elle au début des années 1960 dans la volonté affichée d’incarner une voie différente vers le communisme, une voie adaptée à un pays du tiers monde. Durant cette période, en dépit de ses difficultés économiques, aggravées par les choix d’un volontarisme extrême dictés par Mao Zedong et de violents à-coups politiques, sa quête de puissance se poursuit. Bien que son influence dans le monde demeure limitée, elle joue cependant de sa situation géopolitique particulière pour sortir de l’isolement en se rapprochant de Washington à partir de 1971. La mort de Mao, en 1976, ouvre une étape nouvelle. En une trentaine d’années, la Chine acquiert un statut de puissance économique et financière de premier plan qui lui permet de jouer un rôle sur la scène internationale. Tout en étant étroitement liée aux États-Unis, ne serait-ce que sur le plan commercial et financier, elle se heurte de plus en plus à eux dans les domaines économique et diplomatique. La Chine s’impose aujourd’hui comme un nouveau pôle géopolitique en Asie orientale mais sa conception de la puissance, longtemps confinée à cet espace, tend de plus en plus à se manifester sur les autres continents. Toutefois, elle reste une puissance incomplète, en devenir. Elle doit faire face à de nombreux défis internes et ne dispose pas (pas encore ?) de tous les attributs de la puissance.

◗◗ Débat historiographique et quelques notions clefs du chapitre La Chine a les dimensions de l’Europe, avec une grande diversité de milieux. On n’a donc pas un mais des rapports au monde, différenciés à la fois selon les espaces et en fonction des héritages d’une histoire bimillénaire. La géopolitique interne de la Chine

40 • Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

a de l’importance. Les travaux de Marie-Claire Bergère, notamment son livre Capitalismes et capitalistes en Chine. Des origines à nos jours (Perrin, 2007), soulèvent sous cet angle la question des racines de l’internationalisation de l’économie. Cette historienne rappelle qu’avant la longue phase de repli sur soi imposée par l’invasion japonaise puis accentuée par le pouvoir communiste, la bourgeoisie du littoral, celle de Shanghai notamment, avait connu un « âge d’or » de 1911 à 1937. Stimulée par l’essor des échanges avec l’Europe, l’Amérique du Nord mais aussi l’Asie, cette « Chine bleue » tournée vers la mer a, malgré les concessions étrangères et l’instabilité politique, enregistré une croissance soutenue. Ce moment fut occulté sous Mao Zedong qui stigmatisait dans la bourgeoisie « compradore » une classe parasite bradant la Chine aux intérêts étrangers. Parvenu au pouvoir, il privilégia la « Chine jaune », celle des multitudes paysannes peuplant les provinces intérieures. C’était renouer avec le tropisme continental de la bureaucratie impériale, méfiante elle aussi face à la « civilisation marchande et cosmopolite des côtes ». De ce fait, l’expansion actuelle tirée par les exportations et l’appel aux capitaux étrangers dans le cadre de ZES avant tout littorales, n’est pas réductible à une mondialisation vue comme simple greffe occidentale sur une Chine « authentique » qui serait essentiellement rurale. Elle ranime un esprit marchand aussi profondément enraciné que longtemps tenu en suspicion par le pouvoir central, celui de Pékin. Ce fait éclaire la capacité d’adaptation de la société aux réformes mises en œuvre depuis Deng Xiaoping. Mais la « Chine bleue » a-t-elle définitivement gagné la partie ? La bourgeoisie qui s’y affirme peut-elle développer des valeurs propres, tant sur le plan intérieur qu’à l’égard du monde extérieur ?

• Un regard décentré. Évoquer la Chine, c’est sensibiliser les

élèves à la nécessité et à l’intérêt d’un regard décentré sur notre monde : s’il a été pour l’essentiel organisé autour de l’Occident depuis les Grandes Découvertes, la montée en puissance des pays émergents et l’intensification des relations Sud-Sud, tant économiques que diplomatiques, modifient la donne. La difficulté n’est pas mince et les lycéens manqueront assurément de repères sur ce pays-monde que résume la formule du géographe Pierre Gentelle : « le paradigme de la Chine, c’est beaucoup d’espace, beaucoup de gens, beaucoup de temps ».

• « Que veut la Chine ? » Ses dirigeants évoquent avec insis-

tance « l’émergence pacifique de la Chine », ils insistent sur leur volonté de ne pas bousculer l’ordre international existant, que ce soit en Asie ou partout ailleurs dans le monde, en Afrique, au Proche-Orient, etc. Leur conservatisme les conduit du reste à jouer le statu quo, s’accommodant de tous les régimes, y compris les plus répressifs (Birmanie, Syrie, etc.). Le pays ne nourrit pas de projet messianique : il ne fait guère de sa réussite économique ou de son système sociopolitique un article d’exportation. Pourtant, entre succès économique et ambitions géopolitiques, quelle hiérarchie le parti communiste établit-il ? Des études sur les cercles intellectuels qui gravitent autour du pouvoir apportent des éléments de réponse (Leonard M. et Israël F., Que pense la Chine ?, Plon, 2008).

• « Que

peut la Chine ? » Quel est, par delà « l’écume » de l’actualité médiatique féconde en pronostics hasardeux, l’exact

• « Émergence pacifique ». Concept qui revient régulièrement

dans les discours des dirigeants chinois depuis 2004. Il est présenté comme le socle d’une nouvelle diplomatie qui proclame l’ambition de puissance de la Chine et se veut en même temps rassurante pour les pays voisins comme pour les alliés ou adversaires potentiels. Pékin garantit à tous sa non-ingérence dans leurs affaires intérieures et son refus d’user de la force pour régler les différends internationaux. C’est traduire de façon pragmatique le rapport des forces à l’orée du xxie siècle et se démarquer de la volonté américaine, celle qui animait l’Administration Bush en tout cas, d’imposer au besoin par les armes un « nouvel ordre international ».

• Le retour de la Chine à la puissance est permis par la mon-

dialisation. Ce processus d’intégration des économies dans un cadre planétaire est porté, à partir des années 1980, par l’essor des réseaux informatiques entraînant la circulation croissante des capitaux, l’accentuation du libre-échange, la dislocation du bloc soviétique conjuguée à l’abandon par de grands pays en développement de leurs stratégies de développement autocentré (Mexique, Inde, etc.). Il est animé par de grandes firmes transnationales qui conçoivent leur stratégie à l’échelle d’un monde économiquement réunifié, opérant une nouvelle division internationale du travail dans laquelle les pays disposant d’une réserve de main d’œuvre à bas coût sont destinataires des opérations exigeant un « travail routinier » (Robert Reich). La Chine, « pays du milliard », devient une plaque tournante de cette nouvelle configuration dès lors que ses dirigeants décident d’accueillir les capitaux étrangers.



Tiers monde. Telle qu’elle est forgée par A. Sauvy dans l’article « Trois mondes, une planète » (L’Observateur du 14 août 1952), l’expression a un contenu socio-économique : elle attire l’attention sur le fait que les populations déshéritées vivant dans des pays non-industrialisés forment l’essentiel de l’humanité et que leur misère constitue une bombe à retardement pour l’ordre mondial quand tous les observateurs ont les yeux braqués sur le conflit Est-Ouest. Elle se charge cependant d’une dimension géopolitique dès lors que plusieurs pays en développement refusent l’alignement sur l’un ou l’autre des deux blocs. Le sens en est brouillé, du coup : nombre de pays pauvres adhèrent à une alliance militaire et ceux qui se veulent neutralistes penchent souvent de facto pour l’URSS – l’Inde de Nehru, l’Égypte de Nasser… Après sa rupture avec Moscou, la Chine de Mao se pose en champion naturel du tiers monde, arguant à la fois de sa pauvreté et de son refus des « deux hégémonismes », l’américain et le soviétique. Précision : la transcription du chinois Le système pinyin a été mis au point en Chine populaire dans les années 1950 pour rapprocher l’écriture alphabétique de la prononciation. Il est accepté aujourd’hui comme norme internationale mais la transcription usuelle de certains noms propres a été conservée dans ce manuel afin de faciliter la lecture : Pékin (au lieu de Beijing), Chiang Kai-sheck (au lieu de Jiang Jieshi), Sun Yatsen (au lieu de Sun Wen)… Par ailleurs, l’usage veut que le patronyme figure en premier : « Mao » est le nom de famille, « Zedong » le prénom.

◗◗ Bibliographie

• Ouvrages universitaires M.-C. Bergère, La République populaire de Chine de 1949 à nos jours, coll. U, A. Colin, réédition 2000.

J.-P. Cabestan, La Politique internationale de la Chine, entre intégration et volonté de puissance, Presses de Sciences Po, 2010. J.-L. Domenach, Comprendre la Chine d’aujourd’hui, Perrin, 2007. M. Nazet, La Chine et le monde au xxe siècle. Les chemins de la puissance, Ellipses, 2012. A. Roux, La Chine contemporaine, collection Cursus, 5e édition, A. Colin, 2010.

• Articles et documentation pédagogique M.-C. Bergère, « Le poids de la Chine dans le monde », Géopolitique, n° 111, novembre 2010. Courrier international, hors série « La Chine des Chinois », juinjuillet-août 2005. « La Chine dans la mondialisation », La Documentation française, n° 32, juillet-août 2008. T. Sanjuan, Le Défi chinois, La Documentation photographique, n° 8064, La Documentation française, juillet-août 2008. Historiens et Géographes n° 340, mai-juin 1993, sur l’histoire de la Chine. N° 425, février 2014, article de Paul Stouder, « La Chine et le monde, du 4 mai 1919 à nos jours » (mise au point, documents, bibliographie). « 1912-2012 : la Chine, d’un empire à l’autre », Collections de l’Histoire n° 57, novembre 2012.

• Sites Internet http://www.centreasia.eu/ Un site très riche qui met en perspective les enjeux mondiaux de l’Asie contemporaine. http://cecmc.ehess.fr/ Un site spécialisé sur la Chine contemporaine, dépendant de l’EHESS. http://perspectiveschinoises.revues.org Le site du Centre d’études françaises sur la Chine (CFCE), unité mixte de recherche du ministère des Affaires étrangères et du CNRS. Il édite la revue trimestrielle Perspectives chinoises.

Introduction au chapitre

p. 90-91

Les pages d’introduction insistent sur le fossé qui sépare la Chine actuelle du pays pauvre dont les communistes prennent les commandes en octobre 1949. Elles montrent l’extraordinaire mutation d’un pays en « quête de la modernité » (Alain Roux). Les deux images renvoient au contraste entre sous-développement et dépendance au début de la décennie 1950 et puissance d’une économie dorénavant en état d’influencer le reste du monde, et singulièrement le monde pauvre, au début du xxie siècle.

→Document 1 : « Étudier l’économie avancée de l’Union soviétique pour développer notre pays ». L’affiche officielle de 1953 donne l’image d’une relation idyllique avec le « grand frère » soviétique, « patrie du socialisme » dont les autorités chinoises vont répétant à leur peuple qu’il a tout à apprendre : « l’URSS d’aujourd’hui, c’est la Chine de demain » assène Mao. L’image est de trois ans postérieure au traité « d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle » signé par Mao avec Staline, pour trente ans, le 14 février 1950. Ce traité laisse à l’URSS pour quelques années encore la jouissance de Port-Arthur (Lüshun) et de Daïren (Dalian), accorde à Pékin un prêt (modeste) de 300 millions de dollars et organise la venue en Chine de coopérants soviétiques. En intégrant le système soviétique, la Chine communiste évite un isolement total, mais au prix d’une certaine dépendance par rapport à Moscou. Par ailleurs, aux yeux des dirigeants chinois à cette date, leur pays ne saurait s’acheminer vers le socialisme sans imiter le parcours de l’URSS depuis l’arrivée au pouvoir des bolcheviks en 1917 : la priorité est de créer une base Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

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rapport de forces entre la Chine et la puissance américaine qui constitue pour Pékin l’unique rival crédible ? La réponse n’est pas assurée tant restent incertains toute une série d’éléments : capacité d’innovation de l’économie, état exact de l’opinion par rapport au régime, niveau des dépenses militaires, etc.

industrielle. Elle seule peut assurer l’indépendance nationale et engendrer la classe ouvrière dont le PCC, fidèle à l’œuvre de Marx, se réclame : les équipements industriels occupent tout l’arrièreplan de cette affiche – ils ont ici une connotation positive qu’il faudra peut-être souligner auprès d’élèves actuels enclins à voir dans les fumées s’échappant de cheminées d’usines ou de hauts fourneaux une intolérable atteinte à l’environnement. Or la Chine souffre d’une pénurie massive de techniciens et d’ingénieurs quand l’URSS en produit en nombre. Elle les lui envoie pour former la main d’œuvre chinoise. L’affiche illustre la dépendance dans laquelle celle-ci se trouve par rapport aux coopérants soviétiques : la taille, le vêtement des personnages, leurs postures l’indiquent ; l’URSS commande et instruit, la Chine apprend dans l’humilité de l’ouvrier face à l’ingénieur détenteur du savoir. L’image s’inscrit dans un moment de grande proximité entre les deux pays qui participent tous deux, chacun à leur manière, à la guerre de Corée (doc. 1, p. 104). Le conflit ne s’achève qu’en juillet 1953, année qui voit aussi la mort de Staline qui donna lieu, côté chinois, à des démonstrations de sympathie pour « le peuple soviétique durement éprouvé ». Le document rappelle que la Chine communiste à ses débuts, loin de vouloir inventer un modèle communiste spécifique, se faisait fort de reproduire celui mis au point dans l’URSS stalinienne. Au reste, une des causes du schisme sino-soviétique fut la critique de ce même Staline par N. Khrouchtchev en 1956. Le PCC ne cessera d’opposer au « révisionnisme » soviétique un marxisme-léninisme orthodoxe placé sous le quintuple patronage de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao.

→Document 2 : Un ingénieur chinois travaillant avec des ouvriers africains sur le chantier du futur siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, 2010. Cette photographie illustre le « basculement du monde » intervenu depuis le début des années 1950. Celui qui dirige les travaux, en effectuant des mesures, c’est désormais un ingénieur chinois ; les ouvriers qu’il commande ou forme, on ne sait, sont, eux, africains. L’image renvoie à une double évolution : – la Chine a échappé à la dépendance technologique qui la caractérisait au milieu du xxe siècle : ses actifs les plus qualifiés maîtrisent désormais un ensemble de processus complexes, qui leur permettent par exemple de résoudre la masse de difficultés techniques que suppose l’édification d’un immeuble de très grande hauteur : le Centre mondial de finances de Shanghai s’élève à 492 mètres, ce qui en fait le sixième édifice le plus élevé du monde, loin, certes, du premier, la Burj Khalifa de Dubaï, qui culmine à 828 mètres, mais de gigantesques gratte-ciel sont en cours de construction en Chine, telle la Sky City Tower de Changsha qui devrait atteindre 838 mètres de haut en 2015. – dans ses stratégies d’expansion, la Chine accorde un intérêt privilégié aux continents en développement. Ses entreprises y sont fort actives, notamment en Afrique dans le secteur du bâtiment et des travaux publics comme on le voit ici, dans la capitale éthiopienne qui est en même temps le siège de l’Union africaine, la plus vaste structure de concertation politique à l’échelle du continent.

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◗◗ Frise Il est exclu de transformer la question en une étude de l’évolution intérieure de la Chine. Mais on ne peut comprendre son rapport au monde en ignorant les traits essentiels de cette évolution : l’accession du Parti communiste au pouvoir en 1949, les revirements à la fois diplomatiques et socio-économiques des années 1956-1960, les paradoxes des années 1989-1992 marquées tout à la fois par le refus d’une libéralisation politique à la Gorbatchev et la confirmation de l’ouverture économique.

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Cette ligne du temps insiste sur l’opposition de deux séquences depuis 1949. L’une et l’autre sont définies par une cohérence entre contexte politique interne et nature du rapport au monde. De 1949 à 1979, le pouvoir communiste entend redonner au pays non seulement l’indépendance mais aussi un rôle international en privilégiant l’idéal révolutionnaire. Il met celui-ci en avant dans sa manière de gouverner, qui fait appel aux « masses » au prix de soubresauts parfois tragiques. Depuis 1979, Deng Xiaoping et ses successeurs optent résolument pour l’inscription de la Chine dans la dynamique de la mondialisation. L’économie est un levier au service de visées politiques indissolublement interne et internationales. La priorité est à la croissance : la vie politique est dorénavant fondée sur des rythmes réguliers, dont le point d’orgue est le choix du président de la République populaire par les instances dirigeantes du Parti communiste.

Repères A. De la dépendance au communisme, 1842-1949

p. 92-95 p. 92

La page 92 évoque la Chine d’avant 1949 : un pays dominé et divisé mais animé d’un éveil national. Le document 1 retrace les épisodes les plus marquants de l’asservissement du puissant empire chinois du début du xixe siècle à la tutelle étrangère à partir de 1842 (durant la guerre de l’opium le Royaume-Uni exige et obtient de l’empereur l’ouverture des ports chinois aux marchands européens) jusqu’aux années 1930 qui voient le Japon des militaires enlever dès 1931 la riche province de Mandchourie à la Chine avant d’envahir le pays en juillet 1937. L’armée impériale japonaise occupe en quelques mois la « Chine utile », les provinces littorales qui sont à la fois les plus peuplées et les plus riches, massacrant au passage les populations civiles, comme à Nankin en décembre 1937 (on avance le chiffre de 300 000 morts durant ces « massacres de Nankin »). Le document 2 évoque le break up of China (le dépeçage de la Chine). Il atteint sa plus grande intensité en 1898-1900. La caricature parue dans un journal français montre les grandes puissances européennes et le Japon en train de se partager « le gâteau chinois ». On reconnaît de gauche à droite : la reine d’Angleterre, Victoria (elle a alors 75 ans) ; l’empereur d’Allemagne Guillaume II ; le tsar de Russie Nicolas II (il a 30 ans et ne règne que depuis 1894) ; Marianne, l’allégorie de la République française ; le Mikado, l’empereur du Japon (c’est alors Mutsuhito qui régna de 1867 à 1912 ; connu sous son nom posthume de Meiji Tenno, « gouvernement éclairé », il fit entrer son pays dans la modernité) ; derrière les convives le mandarin, identifiable à sa natte, symbolise le vieil empire chinois. On peut noter la différence de traitement entre les « invités » : la Russie et plus encore la France (elle reste en arrière, comme désintéressée) sont avenants par opposition aux souverains anglais et allemand, agressivement caricaturés, menaçants et querelleurs. Le dessinateur travaille dans un contexte précis : hostilité française à l’Allemagne, depuis la guerre de 18701871 ; vive tension entre la France et l’Angleterre, notamment au sujet du haut Nil, convoité par les deux pays, ce qui mène à la crise de Fachoda en juillet 1898 ; célébration de l’amitié franco-russe depuis l’alliance militaire conclue en 1892 ; en revanche animosité croissante entre Londres et Berlin : les Anglais s’inquiètent de la volonté de Guillaume II de faire de son pays une puissance navale moderne, outil de la Weltpolitik (politique mondiale) qu’il souhaite mener. On notera l’absence des États-Unis qui militent alors pour le principe de la porte ouverte en Chine : que le territoire soit ouvert à tous les négociants étrangers sans privilège pour tel ou

Le document 3 est une affiche officielle qui commémore les quarante ans du Mouvement du Quatre Mai 1919. Ce jour là, à Pékin et dans d’autres grandes villes, de nombreux manifestants, dont surtout des lycéens et des étudiants, protestèrent contre la décision prise peu avant par la Conférence de la Paix réunie à Paris (plus spécialement par le Conseil des Quatre réunissant les dirigeants des principaux pays vainqueurs de la Grande Guerre : Clemenceau pour la France, Lloyd George pour le Royaume-Uni, Orlando pour l’Italie et Wilson pour les États-Unis) d’attribuer au Japon, alors allié de l’Angleterre, les droits que possédait l’Allemagne dans la région du Shandong, ce alors même que le gouvernement de Pékin avait jugé utile de se déclarer en guerre contre l’Allemagne pour récupérer les droits en question. Le mouvement du 4 mai 1919 exprime une conscience nationale moderne : à la différence des jacqueries à caractère xénophobe du passé, du type révolte des Boxers en 1900, il est porté par les fractions de la population les plus sensibles aux idées nouvelles. La dépendance par rapport à l’étranger est de moins en moins acceptée dans la Chine des années 1910. La vieille dynastie mandchoue a été renversée en 1911 parce qu’elle s’avérait incapable de moderniser le pays et par là même de restaurer son indépendance. Le traité de Versailles néglige la protestation de mai 1919 mais la Chine obtient finalement satisfaction en 1922 : lors de la conférence de Washington, les États-Unis, non liés par le traité de Versailles et désireux de contenir les ambitions nippones, font pression sur le Japon pour qu’il rétrocède le Shandong à Pékin. Par ailleurs, ce mouvement favorise l’essor de deux forces décidées l’une et l’autre à rénover la Chine : le Guomindang et le Parti communiste chinois. Pour ces raisons, il reste emblématique du réveil national dans la mémoire chinoise et le Parti communiste s’en proclame volontiers l’héritier, assumant pleinement, ce faisant, son rôle de champion de la cause nationale. Commémorer cet événement lui permet également de se présenter comme le parti de la jeunesse, thème que Mao a abondamment mis en avant : les jeunes générations sont une force politique de premier ordre dans une Chine alors en pleine « inflation démographique » (P. Bairoch). Le document 4 est une carte qui juxtapose les deux guerres que subit la Chine des années 1930 : les armées de la République et celles du PCC combattent les forces japonaises qui ont déclenché en juillet 1937 une attaque générale contre la Chine et rapidement occupé ses provinces littorales ; les forces nationalistes et communistes se livrent depuis 1926 une guerre civile marquée, de 1934 à 1936, par la Longue Marche vers le Nord des militants communistes qui avaient créé au Sud des « républiques soviétiques paysannes » et la fragilité de la trêve conclue entre elles après l’agression japonaise. C’est durant cet épisode que Mao devient le principal dirigeant du PCC : dès ce moment, il n’a de cesse de transformer ce qui fut une désastreuse retraite (on estime qu’environ 90 000 militants communistes périrent) en glorieuse épopée, liant courage des militants et clairvoyance du chef. Après 1949 la célébration de la Longue Marche devient une composante récurrente du culte de la personnalité de Mao. La ville de Yanan où Mao établit sa précaire « capitale », au cœur de la Chine rurale, devient un haut lieu de son culte.

B. La Chine communiste en quête de puissance, à partir de 1949 p. 93 La page 93 est consacrée aux cinq figures marquantes qui ont guidé la Chine communiste depuis 1949. Le pouvoir y a en vérité un caractère collégial : il est détenu par le noyau dirigeant du PCC, parti-État qui a pris en mains tous les rouages du pays. Les hommes qui apparaissent sur le devant de la scène sont ceux qui ont su s’imposer dans les luttes de faction et faire, à tel ou tel moment, la synthèse des courants dominants. De par sa trajectoire personnelle, Mao est le plus en vue de 1949 au début des années 1970, non sans éclipses : après l’échec dramatique du Grand Bond en avant, il doit céder la présidence de la République au leader des « réalistes », Liu Shaoqi, tout en gardant le contrôle du PCC. Il utilise la « Révolution culturelle prolétarienne » pour évincer ses rivaux, mais, reconnaissant la nécessité d’un apaisement et affaibli par la maladie, il se retire de l’administration courante du pays en 1972 : il en confie les rênes à Zhou Enlai, inamovible Premier ministre de 1949 à sa mort en 1976 en même temps que principal artisan de la politique étrangère chinoise. Après plusieurs années de lutte entre modérés et radicaux, c’est finalement Deng Xiaoping, un des « réalistes » disgraciés lors de la Révolution culturelle, qui s’impose et entame un long « règne » durant lequel il parvient à défendre contre vents et marées la priorité à l’efficacité économique, en répudiant le collectivisme et l’autarcie : sa ligne consiste à procéder par réformes progressives, entrecoupées de pauses, pour aller vers « l’économie socialiste de marché » tout en donnant des gages aux conservateurs par la préservation du monopole du pouvoir pour le PCC (d’où l’écrasement du printemps de Pékin en 1989 : doc. 2 p. 111). L’arrivée au sommet de l’État de Jiang Zemin marque une relève de générations : Mao était né en 1893, Deng en 1904 ; tous deux appartenaient à la vieille garde du PCC. Cette génération des fondateurs garde les leviers de commande du pays jusqu’aux années 1990. Leurs successeurs font carrière dans un PCC qui est aux portes du pouvoir (Jiang Zemin, né en 1926, y adhère en 1946) ou s’y trouve solidement installé : Hu Jintao, né en 1942, y adhère en 1964 ; quant à Xi Jinping, c’est un « prince rouge » né en 1953 dans une famille liée aux cercles dirigeants – son père, Xi Zhongxun, vice Premier ministre fut limogé par Mao en 1962 puis réhabilité par Deng : il devient à ses côtés un artisan des réformes des années 1980. Jiang Zemin fait des études d’électricité à l’université de Shanghai quand il adhère au PCC. En 1955-1956, il est ingénieur stagiaire à Moscou ; il devient ensuite directeur d’usine et entre au Comité central du PCC. Devenu maire de Shanghai, il doit à Deng d’être promu secrétaire général du PCC dès 1989 (il a réussi à préserver le calme dans sa ville lors de la contestation de 1989), puis président de la Commission des affaires militaires du Parti, fonction stratégique entre toutes. Dauphin de Deng, il co-dirige le pays avec lui puis lui succède avec le titre de président de la République qu’il détient en vérité depuis 1993. Il inaugure une pratique nouvelle du pouvoir en régulant les mandats des titulaires de l’exécutif : lui-même remet en 2003 ses fonctions de secrétaire général du PCC et de chef de l’État à son adjoint, Hu Jintao, « élu » (adoubé, plutôt) par l’Assemblée nationale populaire qui fait office de Parlement. Hu Jintao cumule à son tour ces deux fonctions avant de céder le pouvoir à Xi Jinping, lequel cumule à son tour les postes de président de la République et de secrétaire général et président de la commission militaire centrale du PCC. Le pouvoir chinois semble donc entré dans une ère de normalisation, autour de mandats de cinq ans renouvelables une fois pour les plus hauts dirigeants, sur fond de confusion maintenue entre le Parti et l’État. Depuis les années 1990, la succession est orgaChapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

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tel. La Chine est un enjeu trop conséquent pour envisager une colonisation mais elle devient un pays semi-dépendant, partagé en zones d’influence économique, sous forme de concessions minières, ferroviaires, mais aussi commerciales dans les principaux ports du pays – les concessions française et internationale à Shanghai sont, par exemple, des enclaves extraterritoriales dans lesquelles les ressortissants étrangers échappent aux autorités chinoises.

nisée de son vivant par le maître en titre du pays, qui promeut le plus apte à prolonger la ligne inaugurée par Deng. La légitimité politique de ces successeurs est fonctionnelle et non plus de type charismatique.

C. Aspects de la puissance chinoise au début du xxe siècle

p. 94-95

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Le document 1 des p. 94-95 est une carte qui entend rappeler le poids du legs maoïste dans l’insertion actuel de la Chine dans le système-monde. Toute une série de configurations se sont mises en place durant les années 1960-1970, quand Pékin voyait dans l’Union soviétique « révisionniste » un ennemi aussi dangereux que les États-Unis capitalistes. D’où les liens étroits avec le Pakistan, ennemi juré de l’Inde philo soviétique de Nehru puis d’Indira Gandhi, et des relations longtemps tendues avec le grand voisin au sud de l’Himalaya. La dislocation du bloc soviétique et la montée en puissance de l’économie chinoise reconfigurent les relations avec le monde extérieur, mais sans effacer d’un coup les solidarités ou les inimitiés anciennes. La carte illustre ce mélange d’héritages et de réalités nouvelles dans la relation de la Chine au monde. Le document 2 p. 95 est un tableau qui utilise des statistiques produites par l’économiste Angus Maddison, qui s’est fait une spécialité de reconstituer des séries de longue durée en matière d’économie et de démographie. On ne peut donc aller au-delà de 2001 sans trahir la cohérence de ce travail publié en 2003. Tel qu’il est, le tableau permet de réinscrire l’évolution récente de la Chine dans une perspective de longue durée. À partir d’une comparaison avec l’Europe de l’Ouest qui fut le berceau de l’industrialisation, il illustre la réalité et les limites d’un basculement de la puissance. Sur le plan démographique, le rapport entre l’Europe occidentale et la Chine passe de 1,8 en faveur de celle-ci en 1950 à 3,2 en 2001 : c’est conforme à la tendance planétaire qui voit se réduire à grande vitesse la part des pays anciennement industrialisés dans la population mondiale au profit du tiers monde entré en transition démographique au milieu du xxe siècle alors que le monde riche s’inscrit depuis plusieurs décennies dans le nouveau régime démographique (mortalité et natalité faibles). Sur le plan économique, en termes de PIB global, l’avance de l’Europe occidentale s’est amenuisée : le rapport passe de 5,8 en 1950 à 1,6 en 2001. La dynamique joue nettement en faveur de la Chine, dont le taux de croissance récent est infiniment supérieur à tout ce que l’Europe a pu connaître. Il y a là rattrapage d’une économie mûre par une économie en décollage, une phase qui s’accompagne de taux de croissance élevés. Si on affine la périodisation, on constate que c’est surtout durant ces deux dernières décennies que la Chine a comblé l’essentiel de son retard initial : à l’évidence, la stratégie de développement initiée par Deng est efficace. L’impression de rattrapage est nécessairement moindre quand on s’intéresse au PIB par habitant : le rapport était de 10,4 en faveur de l’Europe en 1950, il reste de 5,3 en 2001. Sur ce terrain, l’effet du surplus de croissance est évidemment réduit par l’accroissement démographique accéléré des années 1950-1980. Il n’en demeure pas moins que le tableau traduit bien la redistribution des hommes et des richesses qui s’opère à l’échelle du monde depuis plusieurs décennies. Les anciens pôles de puissance reculent relativement au profit de pôles émergents dont la Chine est la locomotive. Le document 3 p. 95 évoque la diaspora. Elle est ancienne et implantée avant tout en Asie du Sud-Est, de Singapour à la Corée. Originaire pour l’essentiel de quelques provinces de Chine continentale, elle s’organise dans le cadre de systèmes migratoires qui ménagent des interactions entre pays de départ et pays de destination. Ces liens préservés constituent un atout précieux pour

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une Chine soucieuse, depuis 1979, de s’insérer dans l’échange international. Les expatriés, de plus ou moins longue date, figurent notamment parmi les principaux investisseurs étrangers qui contribuent puissamment à industrialiser la Chine et à stimuler ses exportations. Ils peuvent aussi constituer à l’occasion un atout géopolitique, mais c’est plus incertain : ils peuvent en effet être perçus comme un élément étranger dans le pays d’accueil et sont parfois victimes de l’hostilité des populations locales.

Acteurs

p. 96-97

Mao Zedong, « l’Empereur rouge » Deng Xiaoping, le réformateur pragmatique Cette double page permet d’illustrer la continuité et les différences entre les deux principaux dirigeants chinois de la deuxième partie du xxe siècle.

→Document 1 : Durant la Révolution culturelle, des enfants honorent Mao Zedong en récitant son Petit Livre rouge (1968) La photographie date de 1968, en pleine effervescence de la Révolution culturelle lancée par Mao pour éradiquer toute trace « d’esprit bourgeois » dans la société socialiste. Tel est du moins le but affiché, alors qu’il s’agit en vérité d’un stratagème du « grand Timonier » pour reprendre la main après sa mise à l’écart consécutive au dramatique échec du Grand Bond en avant. Mao s’appuie sur l’armée, dirigée par son fidèle Lin Biao, et les jeunes fanatisés embrigadés dans les Gardes Rouges pour mobiliser « les masses » contre les hommes et les institutions du passé – autorité parentale, Université, responsables administratifs… L’entreprise s’accompagne d’un intense culte de la personnalité de Mao : le Petit Livre rouge, recueil de ses articles, discours et formules les plus frappants, est diffusé à des millions d’exemplaires dans le pays et traduit en de nombreuses langues. La scène montre que les enfants sont également mobilisés : uniforme, portrait géant du « Grand Timonier » et récitation en chœur de son « catéchisme », insignes et drapeaux rouges. Elle illustre le caractère totalitaire du régime maoïste.

→Document 2 : Mao, la paix, le socialisme et le tiers monde →Document 3 : L’avenir de la Chine selon Mao Les deux extraits s’inscrivent dans le contexte d’une année 1956 qui voit la Chine prendre ses distances avec le « parti frère » : en février 1956, Khrouchtchev dénonce « les crimes de Staline » devant le XXe Congrès du PCUS. L’initiative déplaît fortement à la direction du PCC qui y voit le signe d’une trahison de l’idéal communiste. Du coup, les dirigeants chinois insistent désormais sur le potentiel révolutionnaire du tiers monde, dans le sillage du discours de Zhou Enlai à la conférence afro-asiatique de Bandung en avril 1955. Le document 2 insiste sur la défense de la paix mais il s’agit à cette date, dans le mouvement communiste international, de stigmatiser le monde capitaliste présenté comme belliciste sous la houlette de Washington. L’allocution à la mémoire de Sun Yat-sen vise à réinscrire l’action du PCC dans le mouvement de modernisation et d’émancipation initié en 1911 par celui qui fut le premier président de la République de Chine, après le renversement de l’empire. Mao donne ainsi un visage national à son régime tout en répudiant les excès du nationalisme : sans doute renvoie-t-il ici au sentiment de supériorité qui portait l’ancienne Chine à considérer que le monde extérieur à « l’empire du Milieu » était peuplé de « barbares ». Il s’efforce en vérité de conjuguer l’internationalisme qui doit inspirer les révolutionnaires (« les prolétaires n’ont pas de patrie » écrivait Marx) au sentiment national affirmé du peuple chinois. La conjonction entre idéal révolution-

→Document 4 : Deng Xiaoping et les ZES Deng Xiaoping s’exprime ici devant ses pairs, les membres du Comité central, instance dirigeante d’un PCC dont il est en 1992 le secrétaire général en même temps qu’il dirige l’État. Il lui faut convaincre cette assemblée d’hommes d’appareil a priori persuadés des méfaits du capitalisme de la nécessité d’ouvrir largement la Chine aux investisseurs étrangers ainsi qu’il le préconise à ce moment là, durant une phase de relance de sa politique de réformes. Il le fait, selon son habitude, en mettant les principes à distance (le refus de « classer ») pour privilégier l’efficacité : le critère doit être « le développement des forces productives de la société socialiste ». Son pragmatisme se manifeste aussi dans l’habileté qui consiste à user de « la langue de bois » communiste pour faire accepter l’introduction de logiques de marché dans une économie collectivisée. Il y eut d’abord en 1980 cinq zones économiques spéciales. La principale est fixée en Chine méridionale, à Shenzhen, vis-à-vis de Hong-Kong. La Chine tourne le dos à la volonté d’autarcie cultivée par le maoïsme, elle s’inscrit dans le processus de mondialisation des économies pour attirer des usines sur son sol et par ce biais importer des technologies avancées et créer des emplois. Cette volte-face suscite critiques et craintes au sein du PCC : les dirigeants « orthodoxes » craignent une corruption de l’idéal révolutionnaire. Dans l’entre-deux-guerres, Mao n’avait-il pas vitupéré la « bourgeoisie compradore » accusée de livrer la Chine au capitalisme parvenu au stade de l’impérialisme selon Lénine ? Deng doit donc s’employer à rassurer. Parlant plus de dix ans après le lancement des premières ZES, il peut s’appuyer sur leur bilan : Shenzhen et les autres ont attiré les investisseurs occidentaux ; l’industrie y connaît un essor fulgurant – la richesse créée y progresse de 25 % par an en moyenne depuis 1980. Deux facteurs incitent de facto les investisseurs à venir en Chine : – les avantages qu’apporte l’implantation dans les ZES : fiscalité allégée, exemption des droits de douane ; – l’existence d’une main d’œuvre nombreuse, relativement qualifiée, et dont le coût pour l’employeur est sans commune mesure avec les standards des anciens pays industriels. À titre d’exemple, les 230 000 ouvrières et ouvriers de l’usine du sous-traitant taiwanais Foxconn à Shenzhen travaillent 12 heures par jour, six jours sur sept, pour un salaire minimum de 300 euros début 2012, pour assembler notamment les iPhones pour le compte de Apple, ce qui fait que sur les 629 euros que coûte cet appareil en France 6 euros seulement vont au salaire (Le Monde, « Big Apple, le monstre du business », 1er mars 2012).

→Document 5 : Portrait géant de Deng Xiaoping à Shenzhen (1990) Shenzhen est la vitrine de la Chine nouvelle née des réformes impulsées par Deng Xiaoping. Attirée par les emplois créés dans sa ZES, une nombreuse main d’œuvre a quitté les campagnes pour s’y rendre : cet espace encore rural en 1979 (s’y juxtaposaient des villages de pêcheurs) rassemble aujourd’hui autour de 10 millions d’habitants. Il n’est donc pas étonnant que les autorités y rendent volontiers hommage au « petit Timonier », lui-même originaire de Chine du Sud – son père était propriétaire foncier dans le Sichuan. Cette partie du pays, proche de Hong-Kong et de Taiwan, est aussi plus réceptive que la Chine du Nord ou de l’intérieur aux leçons des NPI (Hong-Kong, Taiwan, ici) qui ont fondé leur développement sur la promotion des exportations par insertion dans la division internationale du travail.

→Document 6 : La politique de Deng Xiaoping Le texte est une interview du journaliste Eric Israelewicz, un temps directeur du Monde et bon connaisseur de la Chine à laquelle il a consacré un ouvrage qui a fait date. Il donne là son interprétation des objectifs de Deng Xiaoping. Il souligne la dimension géopolitique sous-jacente : Deng ne souhaite pas seulement la prospérité du pays, il entend lui redonner la place mondiale qui fut longtemps la sienne, celle de grande puissance.

◗◗ Réponses aux questions 1. Les deux dirigeants pensent l’avenir de la Chine en l’inscrivant dans une histoire multiséculaire. Une même obsession les habite : tourner la page des décennies d’humiliation engendrée par la mise en tutelle du pays, prendre une revanche sur ce passé pour refaire de la Chine une puissance qui compte.

2. Mao et Deng organisent une forme de culte de la personnalité. Ils se présentent l’un et l’autre en « timoniers » chargés de guider le peuple via une relation d’autorité.

3. Mao invoque systématiquement l’idéal révolutionnaire, même s’il le décline sur des tons variés.

4. Deng Xiaoping est un pragmatique qui donne priorité à l’efficacité par rapport aux dogmes : il a expérimenté des réformes progressives avant de les généraliser (cf. les ZES).

◗◗ Vers la composition du BAC Aux yeux de Deng Xiaoping, la restauration de la grandeur chinoise ne passe pas par les voies politiques privilégiées par Mao mais par celles du développement. Tandis que Mao reste partagé entre sentiment national et idéologie communiste, Deng n’hésite pas à répudier les dogmes dès lors qu’ils lui paraissent contrarier la recherche de l’efficacité en termes de développement. L’opposition entre ces deux approches n’est pas nouvelle puisque dès le Grand Bond en avant, Deng faisait partie des « réalistes » qui jugeaient dangereux le volontarisme idéologique qui poussait Mao à hâter la marche au communisme en diffusant l’industrie dans les campagnes, quitte à désorganiser le travail de la terre et à engendrer une terrible famine.

Étude 1

p. 98-99

La Chine et le tiers monde : le cas de l’Afrique Les documents portent sur un point de grande importance dans le rapport de la Chine au monde : pays en développement en 1949, comment conçoit-elle ses relations avec les espaces de condition analogue ? L’enjeu est d’autant plus sensible qu’il a une dimension politique : le régime communiste chinois est une idéocratie, il se veut au service de la révolution anticapitaliste mondiale. Quel traitement réserve-t-il au tiers monde dans cette perspective ?

→Document 1 : La théorie des deux mondes Lin Biao est alors le dauphin désigné de Mao. Chef de l’Armée populaire de libération, il est son fidèle soutien : il l’aide à conduire la Révolution culturelle, à organiser son culte de la personnalité. Ce texte est rédigé dans un contexte particulier : guerre du Vietnam, guérillas paysannes en Amérique latine, etc. Lin Biao prolonge ici la réflexion que développait le Mao de l’entre-deux-guerres sur le rapport ville / campagnes : contre la vulgate marxiste propagée par l’Internationale communiste (le Komintern), Mao estimait alors que le potentiel révolutionnaire de la paysannerie l’emportait sur celui des citadins, peu nombreux alors. Lin Biao étend la comparaison à l’échelle du monde : le tiers monde, rural, paysan, représente un potentiel révolutionnaire de même force que Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

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naire et sentiment national a fait la force du communisme chinois durant les années 1937-1949 : cultiver la mémoire de Sun Yat-sen permet de la perpétuer. En Chine comme ailleurs, le communisme n’a été influent que dans la mesure où il a su incarner les aspirations nationales.

la paysannerie misérable de la Chine des années 1920-1940 ; en revanche, il n’y aurait rien à attendre de cet équivalent urbain que seraient les pays déjà industrialisés. C’est inverser la prophétie de Marx : l’auteur du Capital attendait la révolution mondiale dans les centres capitalistes les plus avancés du xixe siècle (Angleterre ou Allemagne) alors qu’à ses yeux la paysannerie constituait presque par nature une force réactionnaire.

→Document 2 : Affiche chinoise de propagande, 1968 Cette affiche est en cohérence avec le document 1. Elle renvoie aux efforts faits alors par Pékin pour se lier aux mouvements ou aux États révolutionnaires en Afrique – ANC en lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, groupes combattant la tutelle coloniale portugaise en Angola et au Mozambique, Tanzanie de Nyerere, etc.

→Document 3 : L’essor du commerce entre la Chine et l’Afrique Les statistiques et le graphique soulignent l’essor rapide du commerce entre la Chine et l’Afrique à partir de la décennie 1990. Il connaît une accélération remarquable à partir de 2000.

→Document 4 : Un professeur de l’institut Confucius de Pretoria (Afrique du Sud) enseigne le chinois dans une école secondaire, 2013 Les instituts Confucius sont le principal levier de la diplomatie culturelle chinoise ; une forme de soft power qui cible particulièrement les continents en développement. Depuis les années 1990, Pékin a multiplié ces établissements en Afrique du Nord comme en Afrique subsaharienne.

→Document 5 : « Une stratégie active vis-à-vis de l’Afrique » Soucieux d’éclairer le monde qui vient, les chercheurs du CEPII ont accumulé une solide expertise sur les économies émergentes et leurs interactions. Cette analyse très récente insiste sur les diverses facettes du déploiement chinois en Afrique et plus particulièrement sur certaines conséquences encore mal appréciées comme la « cannibalisation » de l’industrie textile locale. L’essor des relations avec la Chine a des effets ambivalents pour les pays africains. En positif, il leur permet de : diversifier leurs partenaires commerciaux en sortant du tête-à-tête qui les liait souvent à un petit nombre de pays occidentaux, souvent leurs anciennes métropoles ; tirer un meilleur parti de leurs ressources : la demande chinoise pousse à la hausse les cours des produits bruts ; nouer des partenariats qui leur permettent d’améliorer leurs infrastructures et d’accéder à des technologies plus efficientes. En négatif : les produits manufacturés vendus bon marché par la Chine, en inondant les marchés africains, concurrencent l’artisanat local ; la demande chinoise en produits bruts accentue la spécialisation des économies africaines dans un créneau qui n’est pas le plus apte à assurer un développement durable ; l’indifférence de Pékin en matière de droits de l’homme peut contribuer à perpétuer une « mal gouvernance » aux effets délétères tant sur le plan politique qu’économique.

◗◗ Réponses aux questions

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1. Lin Biao tire les leçons des expériences communistes du

xxe siècle : elles sont nées de sociétés rurales – Russie de 1917, Chine, Vietnam, Cuba, etc.

2. L’affiche indique que Pékin entend favoriser la révolution en Afrique et, au-delà, dans le monde, par la propagande (le livre véhiculant la « pensée de Mao ») et par les armes. La vision des Africains est pour le moins stéréotypée : joyeux, fiers de leurs armes, ils sont présentés ici comme des sortes de grands enfants – ce qui renvoie bizarrement à une certaine vision coloniale qu’on pourrait croire propre à l’Europe…

46 • Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

3. Les relations économiques entre la Chine et l’Afrique enregistrent un bond spectaculaire à partir de la décennie 1990. Pékin se procure sur le continent noir toute une série de produits bruts qu’exige son appareil industriel en rapide essor : matières premières minérales et agricoles, sources d’énergie (pétrole surtout).

4. La présence chinoise prend désormais des formes nouvelles. Elle se relie à l’ambition de diffuser en Afrique la connaissance de la langue et de la culture chinoises, forme de soft power susceptible de soutenir la pénétration des produits mais aussi l’influence diplomatique. Par ailleurs, la Chine expédie de plus en plus vers l’Afrique une partie des biens de consommation bon marché qu’elle fabrique en grande série (articles textiles, ustensiles ménagers, etc.) mais aussi des biens intermédiaires (camions, engins de chantier et autres véhicules utilitaires). Par ailleurs, ses entreprises s’y montrent actives dans des secteurs comme les travaux publics et le bâtiment.

◗◗ Vers la composition du BAC Les documents mettent en évidence un changement de nature et d’intensité en matière de relations sino-africaines. Durant l’ère maoïste, ces relations sont de nature idéologique et politique avant tout (doc. 1 et 2). Pékin entend trouver en Afrique des points d’appui pour une stratégie révolutionnaire conçue à l’échelle du monde : c’est un élément de ce tiers monde dont on escompte la révolte contre les « impérialismes » capitaliste ou soviétique. À partir de la décennie 1980 et plus encore 1990, la dimension économique de ces relations passe au premier plan. La Chine se procure en Afrique les minerais, le pétrole, les produits agricoles dont son industrie et sa population ont besoin. Mais elle y exporte en retour une partie de sa production manufacturée. Elle y est également de plus en plus présente, par ses entreprises, en particulier dans le secteur du BTP et par ses instituts culturels. Cette mutation est à l’image de celle qui marque le rapport de la Chine au monde après l’entrée dans l’ère des réformes. Quand d’aucuns dénoncent là une forme de néo-colonialisme, d’autres estiment que cette dynamique Sud-Sud est favorable aux mondes pauvres.

Étude 2

p. 100-101

Les relations entre la Chine et les États-Unis depuis les années 1950 La Chine entretient avec les États-Unis une relation forte depuis 1949. Elle fut d’abord placée sous le signe d’une opposition totale : les États-Unis constituaient pour la Chine maoïste des années 1950-1960 l’adversaire absolu. Pays leader du monde capitaliste, ils avaient, faiblement il est vrai, aidé les nationalistes durant la guerre civile. Puis ils ont assuré la protection de Taiwan, soutenu la Corée du sud quand Pékin soutenait la partie nord durant la guerre de Corée (1950-1953) et combattu le Nord Vietnam de 1965 à 1973. L’Amérique est à tous égards le contraire de ce dont rêve Mao pour la Chine. La relation change à partir de 1971 pour des raisons géopolitiques d’abord : la Chine et les États-Unis se défient tous deux de l’URSS, cet ennemi commun crée un lien. Puis, quand la Chine opte pour la mondialisation, elle s’insère dans un systèmemonde polarisé par l’économie états-unienne. Les échanges se multiplient entre les deux États. Ils créent une forte interdépendance : les États-Unis ont besoin des capitaux chinois, la Chine ne peut se passer du marché états-unien. D’aucuns évoquent une Chinamerica qui dominerait le monde au xxie siècle. C’est minorer les tensions de toutes sortes qui opposent la grande puissance installée et la nouvelle puissance émergente.

Chine nationaliste (Taiwan) en août 1958 Les forces nationalistes vaincues se réfugient sur l’île de Taiwan après 1940. Leur chef, Chiang Kai-shek, y perpétue la République nationaliste. L’existence de cette autre Chine est jugée intolérable par les autorités de Pékin. Leur attitude est extrêmement agressive dans les années 1950. Malgré, semble-t-il, les conseils de prudence venus de Moscou, elles multiplient les démonstrations de force destinées à dissuader les États-Unis de continuer à protéger la Chine nationaliste : c’est ainsi qu’en août 1958 l’artillerie chinoise bombarde les îles côtières nationalistes de Quemoy et Matsu. Mais la marine chinoise reste alors très modeste et Wa­shington a intégré Taiwan dans sa stratégie du containment qui, courant de la Méditerranée à la Corée, vise à encercler la terre par la mer, en enfermant en Eurasie le bloc communiste – vu de Washington, il forme un ensemble unifié, de Budapest à Pyongyang. De ce fait, l’Amérique apporte à la République nationaliste tout ce dont elle a besoin pour subsister et se défendre. La crise s’apaise, mais Pékin persiste, jusqu’à nos jours, à ne voir dans Taiwan qu’une « province perdue » qui doit nécessairement revenir dans le giron de la mère patrie, quel que soit le sentiment des Taiwanais à cet égard.

→Document 2 : Mao Zedong refuse la coexistence pacifique Cet article signé de Mao paraît dans l’organe officiel du PCC quelques semaines après la crise de Cuba : c’est le 28 octobre 1962 que, devant la pression américaine, Khrouchtchev donne l’ordre de démonter les bases susceptibles d’accueillir dans l’île des missiles nucléaires soviétiques. Sans doute le texte a-t-il été rédigé bien avant sa date de publication. L’essentiel est qu’il vient, à ce moment, deux ans après l’officialisation du schisme sino-soviétique (en juillet 1960 l’URSS rappelle ses 1 300 experts présents en Chine), confirmer l’ampleur du différend entre les deux géants du communisme : le PCC condamne la « coexistence pacifique » avec le monde capitaliste souhaitée par « Monsieur K » ; il juge inévitable un conflit ouvert entre capitalisme et socialisme. Dans ce texte, Mao prend même aisément son parti des millions de morts qu’il engendrerait, alors que règne « l’équilibre de la terreur », l’URSS comme les États-Unis détenant désormais les têtes nucléaires et les vecteurs susceptibles de s’infliger mutuellement des dommages incommensurables.

→Document 3 : Un tournant : le président américain Nixon à Pékin, en février 1971 Le voyage officiel du président Nixon à Pékin, sa rencontre avec Mao, ont surpris le monde en février 1972. Cet acte tranche en effet avec les anathèmes que se lançaient jusqu’alors les deux parties. Aux yeux de la Chine, les États-Unis sont l’incarnation de « la réaction » qui s’oppose à la marche en avant du socialisme, une puissance impérialiste, guerrière, dont Pékin dénonce à ce moment même l’action au Vietnam. De leur côté, les États-Unis refusaient depuis 1949 de reconnaître la République populaire de Chine et voyaient dans le régime de Pékin un vassal de l’URSS, considérant le bloc communiste comme un tout, même après la rupture sino-soviétique. En vérité, un rapprochement s’est esquissé depuis quelque temps. Il est initié, côté chinois, par Zhou Enlai qui souhaite sortir son pays de l’isolement où l’a plongé la Révolution culturelle et, côté américain par Kissinger : le conseiller de Nixon en politique étrangère est adepte d’une Realpolitik plus attentive aux rapports de force qu’aux idéologies ; il veut alléger le fardeau militaire qui obère le dynamisme de son pays (le conflit vietnamien a un coût élevé) et affaiblir la position de l’URSS : la détente n’est jamais qu’une paix armée et Washington s’avise que la tension entre les deux géants du communisme, palpable depuis les incidents frontaliers qui ont opposé les armées chinoise et soviétique en

1969, offre une possibilité de faire peser une menace sur l’URSS. Ce rapprochement passe par la « diplomatie du ping-pong » puis par l’entrée de la Chine populaire à l’ONU en 1971 en lieu et place de la Chine nationaliste. Il se conclut en 1972 par la venue du président des États-Unis en Chine. La visite est spectaculaire et médiatisée, le deux pays l’ont voulu ainsi, même si, par souci de cohérence idéologique, les autorités chinoises n’incitent pas leur peuple à venir applaudir « l’ennemi américain ». Cette normalisation en entraîne d’autres. Les pays occidentaux qui ne l’avaient pas déjà fait, s’empressent de nouer des relations diplomatiques avec Pékin. La diplomatie prélude à la reprise des contacts commerciaux : celle-ci se fera très vite entre la Chine et le Japon, notamment.

→Document 4 : Le cinéma : un nouveau champ de bataille pour la Chine Cet article du journal Les Echos braque le projecteur sur un autre exemple de cette diplomatie du soft power qu’illustrent le document 4 de la p. 99 et l’étude 3. Dans leur effort pour propulser la Chine au cœur de cette « industrie du divertissement » qu’est le cinéma, les autorités chinoises disposent d’atouts. Souvent confondu à l’étranger avec celui de Hong-Kong et celui de Taiwan, le cinéma de Chine continentale a sa dynamique propre. Le cinéma apparaît au début du xxe siècle dans le monde chinois. Sa capitale est alors Shanghai : la ville concentre la quasi-totalité de la production. La Seconde Guerre mondiale puis la guerre civile entraînent le départ de nombreux artistes vers Hong-Kong et Taiwan. Le cinéma de la Chine maoïste est marqué par le modèle soviétique avec une production et des thématiques étroitement contrôlées par l’État. La Révolution culturelle entraîne un quasi arrêt de la production. Parallèlement, Hong-Kong devient le cœur du cinéma chinois sous l’impulsion des artistes venus du continent. Il produit principalement des films d’arts martiaux qui conquièrent la diaspora chinoise puis même le public occidental, grâce à Bruce Lee. À partir des années 1980, les trois cinémas chinois connaissent d’importants succès. Celui de Hong-Kong est illustré par des réalisateurs tels que John Woo puis Wong Kar-wai (In the mood for love) ; on assiste au renouveau en Chine continentale (Zhang Yimou, Chen Kaige, etc.) comme à Taiwan. Cette percée est concrétisée en 1992-1993 par une pluie de distinctions internationales : la palme d’or à Cannes pour Chen Kaige (Adieu ma concubine), le lion d’or à Venise pour Zhang Yimou (Qiu Ju, une femme chinoise), l’ours d’or à Berlin pour les Taiwanais Ang Lee et Xie Fei (Garçon d’honneur). Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, les liens entre ces trois univers se sont développés, via notamment les grosses productions rassemblant des stars de tout le monde chinois (Gong Li, Zhang Ziyi, Zhang Yimou). Ainsi Tigre et Dragon réalisé par Ang Lee a des acteurs taïwanais mais également hongkongais et chinois. Dans la même veine, on peut citer Le Secret des poignards volants et Hero réalisés tous deux par Zhang Yimou.

→Document 5 : La Chine et les États-Unis aujourd’hui : deux puissances encore inégales Le tableau inventorie les principaux critères et facteurs qui situent un pays dans le système géopolitique mondial et lui permettent d’y jouer un rôle. S’agissant notamment de la Chine, où la qualité des statistiques laisse à désirer (la collecte n’est pas sans failles et la transparence est loin de régner), un certain nombre de données sont des ordres de grandeur plus que des chiffres indiscutables. Néanmoins, la comparaison fait bien ressortir les atouts et les faiblesses des deux géants du xxie siècle naissant. Les chiffres proviennent du livre Images économiques du monde 2014 (A. Colin) et de L’Annuaire stratégique dirigé par P. Boniface chez A. Colin. Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

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→Document 1 : Navires américains apportant du matériel à la

◗◗ Réponses aux questions 1. « Les impérialistes », « les réactionnaires » sont les termes utilisés par Mao pour désigner les États-Unis. Dans le contexte de dramatique tension entre Washington et Moscou, durant la crise des fusées, il les qualifie de « tigre de papier », c’est-àdire qu’il les juge incapables de soutenir leurs intérêts jusqu’au terme extrême que serait la guerre, et éventuellement, la guerre nucléaire puisqu’à cette date l’URSS a les moyens d’envoyer des têtes nucléaires jusqu’au territoire états-unien.

2. En 1972, le voyage de Nixon en Chine, sa rencontre avec Mao, tranchent radicalement avec le climat d’animosité totale qui régnait dix ans avant entre les deux pays. Ce revirement s’inscrit dans un contexte international caractérisé par des aspects contradictoires : il y a détente Est /  Ouest (son point culminant est atteint avec la signature des accords d’Helsinki en 1975), mais sur fond de tensions persistantes (la guerre du Vietnam est en cours, la course aux armements nucléaires à laquelle se livrent Soviétiques et Américains est freinée mais non stoppée par les accords SALT) ; sur ce fond de défiance, les États-Unis dirigés depuis 1969 par l’Administration Nixon cherchent à renforcer leurs positions face à l’URSS en jouant des failles qui s’ouvrent depuis les années 1960 au sein du bloc communiste. Du côté chinois, on sort d’une Révolution culturelle qui a désorganisé le pays et aggravé son isolement sur la scène internationale : Pékin veut alléger la pression sur sa frontière du Pacifique en se rapprochant de « l’ennemi américain » qui y joue les premiers rôles.

3. Depuis les années 1980, les relations économiques entre la Chine et les États-Unis n’ont cessé de croître : elles sont commerciales et financières. Leur densité est devenue telle que certains observateurs évoquent une « Chinamerica » qui exercerait un duopole sur le monde du xxie siècle. En vérité, les sujets de discorde ne manquent pas : la Chine voit les États-Unis comme un pays dominateur dont il faut entamer la puissance, en le concurrençant en tous domaines, y compris en matière de soft-power représenté notamment par Hollywood, mais aussi de recherchedéveloppement, de capacités militaires, etc. Les États-Unis gardent une avance en bien des domaines, mais les dynamiques jouent en faveur de Pékin sur le plan économique (croissance soutenue, excédent commercial).

4. La Chine présente encore un niveau de vie par habitant sensiblement inférieur à celui des États-Unis et des Occidentaux en général (PIB par habitant, IDH). Sa population est nombreuse mais vieillit vite. Son effort de recherche-développement progresse rapidement mais reste très inférieur à celui des Etats-Unis en valeur absolue, de même que ses capacités militaires, notamment les moyens de projection des forces (aviation, marine de guerre) et les armes nucléaires.

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◗◗ Vers la composition du BAC Les relations entre la Chine et les États-Unis ont profondément changé. Elles se réduisaient à une méfiance réciproque durant les années 1960. Pékin voyait dans l’Amérique un ennemi à la fois radical (le champion de « l’impérialisme » capitaliste) et faible (« un tigre de papier », doc. 1). La tension entre les deux pays était aggravée par le soutien apporté par les États-Unis à Taiwan (doc. 2). Dans les années 1970, pour diverses raisons, les deux pays entament un rapprochement qui s’opère dans un premier temps sur le terrain diplomatique (doc. 3). Les échanges économiques entre eux progressent rapidement à partir des années 1980, dès lors que la Chine fait le choix d’insérer son économie dans le système-monde. En utilisant ce levier, la Chine redevient une grande puissance qui aspire à la parité avec les États-Unis. Elle rivalise avantageusement avec eux en plusieurs domaines (doc. 4) même si elle accuse encore un net retard sur bien des points (doc. 5).

48 • Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

Étude 3

p. 102-103

Le régime communiste, les étudiants et la science Cette étude attire l’attention sur l’enjeu que représentent la science et les techniques dans la perspective de la place de la Chine dans le monde. Elle confirme au passage le contraste profond qui oppose l’ère maoïste à celle ouverte par Deng Xiaoping. L’approche idéologique privilégiée de 1949 aux années 1970 considérait avec défiance les savants et les étudiants : ne cherchaientils pas à s’éloigner des « prolétaires » ? Le regard change ensuite : le savoir, ceux qui le font progresser et ceux qui y accèdent, sont dorénavant perçus comme des atouts pour un pays acharné à retrouver une place dans le monde. La science et l’étude sont valorisées, elles sont mises au service du projet national.

→Document 1 : La persécution des « jeunes instruits » durant la Révolution culturelle Cet article paru dans une revue de sciences sociales évoque le mouvement d’envoi des « jeunes instruits » (zhiqing) à la campagne, politique voulue par Mao à l’issue de la révolution culturelle. De 1968 jusqu’à la fin des années 1970, près de 17 millions de jeunes citadins (élèves des collèges, lycées, et parfois étudiants) sont envoyés autoritairement à la campagne pour y travailler et compléter leur formation politique auprès des paysans. Ces jeunes viennent de tous les milieux, aussi bien des « Cinq Espèces rouges » (fils d’ouvriers, de paysans pauvres, de martyrs, de cadres et de soldats révolutionnaires) que des « Noirs » (enfants des ennemis du régime, de toute nature). Environ la moitié de la génération de jeunes urbains durant cette période fut concernée. Le caractère massif de ce départ forcé et la nature de l’expérience qu’ils ont vécue ont fait naître entre eux une conscience de génération, « génération perdue » dit-on. Outre l’amertume d’avoir été envoyés à la campagne pendant plusieurs années dans des conditions généralement pénibles, loin de leur famille, les zhiqing ont peiné à se réinsérer dans la société. Leur désillusion totale sur la nature du régime a fait d’eux les partisans les plus résolus du mouvement démocratique qui s’affirme en Chine à la fin des années 1970. La « littérature des cicatrices » a évoqué cet épisode Voir par exemple Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, roman de l’écrivain franco-chinois Dai Sijie, paru en 2000.

→Document 2 : « Apprendre pour la mère patrie », affiche officielle, 1986 Cette affiche officielle s’inscrit dans la campagne de revalorisation de l’instruction engagée par Deng Xiaoping. Elle combine une double orientation : accent mis sur la culture scientifique et technique (cf. les objets à l’arrière-plan) et sur la promotion des filles – combattre les mentalités qui n’attachaient d’importance qu’à l’instruction des garçons est d’autant plus nécessaire que la campagne pour l’enfant unique a été lancée : les parents ne sont pas censés empêcher la naissance de filles. La couleur rouge (accessoires de la fillette et drapeau de la RPC à l’arrière-plan) peut s’interpréter comme une concession à l’héritage moïste et à ses partisans qui s’inquiètent de la rupture introduite par les réformes de Deng.

→Document 3 : La Chine dans l’effort mondial de recherche et développement Le tableau souligne que la Chine entend devenir aussi « le laboratoire du monde ». Son effort en matière de recherche et développement est devenu très conséquent, en termes de moyens engagés : capitaux et personnels. Sur le plan des résultats, évalués en nombre de brevets déposés, elle reste cependant en 2010 à distance des pays les plus performants en la matière. Le pays vit

→Document 4 : Le 15 décembre 2013, des scientifiques du Centre spatial de Pékin se félicitent de leur réussite : l’engin baptisé « Lapin de Jade » a foulé le sol lunaire. Le programme spatial de la République populaire de Chine a accompagné l’essor économique du pays durant les deux dernières décennies. La Chine dispose désormais d’une famille complète de lanceurs, baptisés « Longue marche », et conduit des programmes couvrant l’ensemble de l’activité spatiale : satellites de télécommunications, d’observation de la Terre, météorologiques, de navigation, de reconnaissance militaire. Elle a réussi en 2003 son premier vol habité (par un taïkonaute) et mis sur orbite en 2011 un embryon de station spatiale, Tiangong 1. L’agence spatiale chinoise a un plan de développement ambitieux. Le programme d’exploration de la Lune a débouché en décembre 2013 sur un succès. La sonde spatiale Chang’e-3 a déposé sur la surface lunaire un véhicule d’exploration téléguidé, le « Lapin de jade ». Cette sonde avait été lancée le 1er décembre depuis la base de lancement des satellites de Xichang, dans la province du Sichuan. Cet exploit technologique, inédit depuis 1976 et que sont uniquement parvenus à réaliser les États-Unis et l’URSS, marque une étape importante pour une Chine qui rêve d’être le premier pays asiatique à envoyer un homme sur la Lune. De nombreux Chinois ont suivi jour après jour le déroulement de cette mission, source de fierté nationale. Ils avaient été des millions à voter en ligne pour baptiser le « rover » lunaire : le nom retenu fait référence à la mythologie chinoise (le lapin lunaire, ou « lièvre de la Lune », vit sur le satellite de la terre, où il pile l’élixir d’immortalité dans son mortier ; il a pour compagne Chang’e, la déesse de la Lune). Le « Lapin de jade », un engin tout-terrain à six roues, bourré d’électronique, doit effectuer des analyses scientifiques, notamment géologiques, et envoyer vers la Terre des images de la Lune en trois dimensions. Cependant, comme pour son premier vol spatial habité, la Chine reste en phase de rattrapage technologique : elle reproduit des expériences réalisées il y a des décennies par les Américains et les Soviétiques – au demeurant, l’engin devait être opérationnel pendant trois mois, mais en février 2014 la poursuite de la mission semble compromise. Selon Isabelle Sourbès-Verger, spécialiste du programme spatial chinois au Centre national de la recherche scientifique, la Chine a un « souci prioritaire : montrer qu’elle rattrape progressivement les premières puissances spatiales et s’assurer ainsi une place de partenaire de premier plan dans les coopérations internationales futures » (déclaration à l’AFP, décembre 2013).

→Document 5 : Un retour accru des étudiants chinois partis à l’étranger ? L’article reflète le point de vue officiel, non sans ambivalence. D’un côté, l’auteur, s’appuyant sur les déclarations d’un haut fonctionnaire du ministère de l’Éducation, se félicite à la fois du nombre élevé d’étudiants chinois partis étudier à l’étranger (le pays occupe le premier rang mondial en la matière) et de l’accroissement récent du taux de retour : ce mouvement s’inscrit dans la volonté des autorités de favoriser le transfert en Chine de compétences et de connaissances disponibles dans les pays les plus avancés sur le plan scientifique et technique. Les jeunes Chinois séjournent surtout dans les pays les plus engagés dans « l’économie de la connaissance » : les États-Unis, l’Australie, le Japon, le Royaume-Uni, la Corée du Sud, le Canada, Singapour, la France, l’Allemagne. De l’autre, on note que sur les 2,6 millions de jeunes chinois partis étudier hors du pays depuis 1978 (la chose était impossible auparavant), deux sur cinq seulement sont revenus dans leur pays, malgré les encouragements des autorités qui

espèrent, on le devine, voir progresser ce taux. On peut s’interroger sur les raisons de ce taux bien inférieur aux espoirs officiels : conditions de vie jugées meilleures à l’étranger ? Refus de revenir dans un pays où les individus restent privés des droits essentiels ?

◗◗ Réponses aux questions 1. La défiance manifestée durant la Révolution culturelle à l’encontre des « jeunes instruits », par cet envoi massif et autoritaire à la campagne, s’inscrit dans l’utopie maoïste d’un passage accéléré à une société communiste définie par l’effacement de toute distinction entre individus. Il faut donc abolir la séparation entre travail manuel et travail intellectuel comme entre classes sociales, extirper à la racine ces distinctions en immergeant les jeunes « privilégiés » dans un environnement social et mental censé favoriser l’égalitarisme.

2. Cet épisode illustre le caractère dictatorial du régime maoïste. Un des droits de l’homme universellement reconnu est bafoué : la possibilité de libre choix de son domicile, d’aller et venir. Qui plus est, ce sont des enfants, des adolescents ou des jeunes adultes qui sont arrachés à leur famille par un État qui entend prendre en charge leur éducation en lieu et place des parents et de l’école. Le projet porte la marque du totalitarisme : l’État veut forger un « homme nouveau » en s’emparant des corps et des esprits, au mépris de tout sentiment humain.

3. La promotion de l’éducation scientifique et technique devient une priorité dans un pays qui entend combler à marche forcée son retard en la matière par rapport aux économies les plus avancées. Dans sa volonté de moderniser la Chine, Deng Xiaoping mesure la nécessité d’une élévation du niveau de formation de la population pour qu’elle s’adapte aux technologies les plus performantes et devienne plus productive. Le but est aussi de retrouver un prestige perdu en reprenant place dans la compétition internationale pour l’innovation et les progrès scientifiques et techniques : ils sont des critères essentiels d’évaluation des pays.

4. L’accent porté sur l’éducation technique, l’intérêt porté à l’instruction des filles, sont des leviers de changement social : des campagnes de ce type peuvent faire évoluer les mentalités. Sur un autre plan, l’ouverture au monde des étudiants chinois est aussi un facteur d’évolution : dans la mesure où ce mouvement est massif, il peut introduire dans le pays des idées nouvelles, réinscrire la Chine dans une société mondiale.

5. Les deux documents montrent l’existence de dynamiques de rattrapage en matière scientifique et technique, ainsi que leurs limites. Les indicateurs mesurent l’ampleur de l’effort chinois en matière de recherche-développement pour rattraper le retard pris par le passé sur les pays développés à économie de marché. En termes de moyens (budget et nombre de chercheurs), le Japon a été dépassé. En termes de résultats (les brevets déposés), la Chine de 2010 n’a pas encore comblé le fossé qui la sépare des pays les plus avancés. De la même manière, l’alunissage réussi d’un engin spatial chinois prouve certes des capacités dont le pays ne disposait pas il y a peu d’années, mais l’expérience ne fait au fond que reproduire des précédents américain et soviétique bien antérieurs.

◗◗ Vers l’analyse de documents du Bac Les deux documents sont des textes qui évoquent l’attitude des autorités face à l’instruction de la jeunesse. Ils sont cependant de nature bien différente. Le document 1 est extrait d’un article scientifique, paru dans une revue de sciences sociales. Le document 5 est un article d’un journal qui est l’organe officiel du parti communiste chinois : il restitue le point de vue des autorités. La comparaison des deux textes illustre le parallèle entre l’attitude du pouvoir chinois face à la jeunesse étudiante et son comportement vis-à-vis du monde extérieur. Le départ forcé des Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

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des dynamiques de rattrapage, mais elles n’ont pas (pas encore ?) atteint leur terme.

« jeunes instruits » pour les campagnes, dans le contexte de la Révolution culturelle, traduit une défiance du PCC à l’encontre de ce que peut apporter l’instruction, c’est-à-dire, entre autres, une meilleure connaissance du monde. On veut les en tenir à distance en les éloignant des lieux d’éducation et des villes dans lesquels cette ouverture pourrait se produire : il s’agit de les isoler dans leur propre pays de la même manière que la Chine tente alors de vivre en autarcie dans un monde présenté comme hostile. En revanche, en 2013, on voit une responsable du ministère de l’éducation se féliciter du nombre élevé de jeunes Chinois qui vont étudier à l’étranger. Elle préfère bien entendu qu’ils reviennent ensuite travailler en Chine, mais son attitude est à l’image d’un pays qui considère dorénavant l’ouverture sur le reste du monde comme une chance et non une menace pour la Chine : le pouvoir voit là une opportunité d’accélérer l’accès aux technologies et au savoir les plus avancés. On est donc passé du refus du monde guidé par l’idéologie révolutionnaire à son acceptation en fonction d’un intérêt national qui passe par le progrès matériel.

Étude 4

p. 104-105

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La nouvelle affirmation de la Chine en Asie orientale C’est d’abord dans son environnement immédiat que l’essor économique de la Chine fait sentir ses effets, sur tous les plans. L’Asie orientale a été largement sinisée durant les nombreux siècles pendant lesquels l’empire chinois était l’incontestable grande puissance du continent. Durant le siècle de déclin chinois (des années 1840 à la décennie 1940), cette emprise a disparu. La Chine a même assisté impuissante à la montée en puissance du Japon, qui fut son « élève » (la culture nipponne doit beaucoup à l’apport chinois) et devint son « maître » : pour nombre de jeunes Chinois des années 1890-1930, c’est vers l’Archipel qu’il faut se tourner pour trouver un modèle permettant de moderniser leur pays ; le Japon enlève à la Chine l’île de Formose et la tutelle sur la Corée, avant de s’emparer dans les années 1930 de la Mandchourie et du littoral chinois. L’ère maoïste libère la Chine de cette tutelle étrangère, elle apporte à Pékin l’encombrant allié nord-coréen, mais les relations avec le Nord Vietnam ne sont pas idylliques à partir de 1960 dès lors que Hanoi a des liens privilégiés avec l’URSS et les autres pays d’Asie orientale tiennent à distance la Chine communiste : ceux de l’angle sud-est de l’Asie se rassemblent dans l’ASEAN tandis que les autres constituent des points d’appui de la stratégie américaine de containment : Taiwan, la Corée du Sud, le Japon surtout, passé du statut d’ennemi à celui d’allié des États-Unis avec le traité de San Francisco en 1951 et bénéficiaire d’un « miracle » économique qui fait de lui le « troisième grand » à la fin des années 1960. En revanche, la Chine retrouve un rôle en Asie dès lors qu’elle s’insère dans la mondialisation : les échanges avec ses voisins progressent à grande vitesse à partir des années 1990, à tel point qu’elle devient le premier partenaire commercial de la plupart d’entre eux, à commencer par le Japon ; en s’appuyant sur sa diaspora, sur les instituts Confucius, sur ses entreprises, Pékin retrouve une capacité d’attraction auprès des sociétés est asiatiques ; sur le plan géopolitique, elle apaise ses relations avec l’ASEAN (elle est dorénavant associée à cette entité qui a oublié son identité anticommuniste initiale pour devenir une zone économique cherchant à promouvoir le libreéchange). Pourtant, en dépit des intentions pacifiques proclamées par les dirigeants chinois, les inquiétudes n’ont pas disparu et les relations se tendent à l’occasion avec des voisins qui s’alarment de l’effort d’armement et des revendications territoriales de Pékin. On peut approfondir cette étude à partir de Questions internationales, N° 48, mars-avril 2011, « La Chine et la nouvelle Asie » et de

50 • Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

L. Vairon, Défis chinois. Introduction à une géopolitique de la Chine, Ellipses, 2006.

→Document 1 : « Vive la victoire de l’Armée populaire coréenne et les bénévoles de l’Armée du peuple chinois ! » Cette affiche officielle est de peu postérieure au début de participation de la Chine à la guerre de Corée. Les trois Grands avaient prévu, lors de la conférence de Yalta (février 1945), que cette péninsule, colonie du Japon depuis 1910, devait devenir indépendante au terme d’une tutelle de cinq ans exercée par le Royaume-Uni et les États-Unis au sud, par l’URSS au nord, de part et d’autre du 38e parallèle nord. Mais les élections générales prévues ne peuvent se tenir : Kim Ilsong proclame une République populaire de Corée dans la partie nord et son armée envahit le sud en juin 1950 (avec l’approbation ou bien l’encouragement de Staline ?). À l’instigation de Washington, le Conseil de sécurité de l’ONU, profitant de la politique de la chaise vide pratiquée alors par l’URSS, condamne l’invasion et décide l’envoi de troupes pour repousser l’armée nord-coréenne. Celles-ci, commandées par MacArthur, sont fournies par seize pays ; les États-Unis fournissent l’essentiel des hommes et des armes. Les forces du nord sont bousculées, celles de l’ONU atteignent le fleuve Yalu qui fait frontière entre la Corée et la Chine. Pékin décide alors d’intervenir en envoyant, à partir d’octobre 1950, des dizaines de milliers de « volontaires » – en vérité des éléments de l’Armée chinoise, mais la logique de Guerre froide oblige à préserver les apparences : l’État chinois n’intervient pas en tant que tel. L’affiche met en scène la contribution de ces « bénévoles » censés présider à la déroute des forces onusiennes caricaturées en bas à droite, autour de la bannière étoilée déchirée. En fait, la contre-offensive du nord obtient des succès dans un premier temps avant d’être stoppée, à l’été 1951, par le général Ridgway qui remplace MacArthur, limogé par le président Truman pour avoir préconisé publiquement l’emploi de l’arme atomique contre Pékin. Finalement, après de longues négociations, un armistice est signé à Panmunjom en juillet 1953 : il rétablit le statu quo ante sans résoudre sur le fond la question coréenne. Au passage, la Chine continentale perd son siège de membre permanent de l’ONU au profit de Taiwan et les États-Unis la frappent d’embargo. De ce fait, elle tourne le dos à la mer et l’ère maoïste la réoriente vers ses provinces intérieures.

→Document 2 : L’évolution de l’économie chinoise dans l’aire Asie-Pacifique (1990-2011) Une triple évolution ressort du tableau : la montée en puissance des quatre grands pays émergents de l’aire Asie-Pacifique : ils cumulent 33, 6 % du PNB mondial en 2011 contre 17,5 % en 1990 ; parmi eux, l’affirmation particulière de la Chine : en parité de pouvoir d’achat, son PNB dépasse en 2011 celui de l’ensemble ÉtatsUnis/Canada alors qu’il ne représentait qu’un peu plus du quart de cet ensemble en 1990 ; le recul relatif des pays anciennement industrialisés : tassement de l’Amérique du nord, effondrement de la part du Japon. Ces données illustrent le basculement de la géoéconomie mondiale depuis la décennie 1990 et le rôle moteur que joue la Chine en la matière.

→Document 3 : L’affirmation d’une puissance Ces extraits sont tirés d’ouvrages de deux universitaires français : Françoise Lemoine est une économiste qui fait autorité sur les mutations récentes de la Chine ; Philippe Pelletier est un géographe spécialiste du Japon. Les deux auteurs mettent en évidence les recompositions en cours en Asie orientale depuis que le territoire chinois s’est ouvert aux investisseurs étrangers : sur fond de mondialisation, le pays s’inscrit dans une sorte de division asiatique du travail, qui tire parti des complémentarités entre des économies inégalement développées et plus ou moins richement

→Document 4 : La puissance de la Chine en Asie au milieu des années 2010 Cette carte synthétise la situation géopolitique de la Chine en Asie : les atouts qui fondent sa puissance (l’espace, l’arme nucléaire, des alliés) et les limites de celle-ci (dissensions internes, environnement instable, résistances à ses projets d’expansion). On peut la compléter avec : Sanjuan T. et Trolliet P., La Chine et le monde chinois. Une géopolitique des territoires, A. Colin, 2010.

◗◗ Réponses aux questions 1. En participant à la guerre de Corée, la Chine entend signifier qu’elle ne saurait se désintéresser des évolutions géopolitiques en Asie orientale, notamment dans cette péninsule coréenne qui a longtemps relevé de sa suzeraineté. Mais elle honore aussi de cette manière son alliance avec l’URSS qui constitue alors le guide incontesté de tout le camp communiste.

2. En termes de PIB calculé en PPA, la Chine devient la première économie de la zone Asie-Pacifique alors qu’elle n’occupait qu’un modeste troisième rang en 1990.

3. L’intégration économique de l’Asie orientale repose sur la complémentarité de ses espaces. La Chine a un rôle clé parce que le nombre de ses habitants fait d’elle à la fois un immense marché, qui polarise les exportations des pays voisins, et un réservoir de main d’œuvre bien moins coûteuse que celle des économies plus avancées alentour (Japon, NPI). Elle attire en conséquence les investisseurs taiwanais, japonais, coréens et ses usines produisent des biens manufacturés bon marché qui se vendent aisément dans toute la région.

4. La Chine joue un rôle géopolitique majeur en Asie orientale en raison de son étendue, des frontières communes qu’elle possède avec de nombreux pays, de son nombre élevé d’habitants, des points d’appui qui ont été accordés à sa marine de guerre par divers pays. Mais ses revendications sur des îles et des archipels de la mer de Chine inquiètent plusieurs voisins : Corée du sud, Japon, Philippines, Vietnam, Malaisie.

◗◗ Vers l’étude de document du BAC Le document 4 est une carte qui montre la situation géopolitique de l’Asie. Elle met en évidence les manifestations de la puissance chinoise : détention depuis 1964 de l’arme nucléaire, liens avec les États membres de l’Organisation de Shanghai qu’elle anime largement, « collier de perles » constitué par les bases navales qui jalonnent la route maritime en direction du Golfe persique. Elle polarise d’autant mieux les relations intra-asiatiques qu’elle a réglé les litiges territoriaux qui l’opposaient à certains voisins (la Russie, le Vietnam). Mais son influence rencontre des limites : les revendications territoriales de la Chine inquiètent ses voisins ; le rival états-unien garde de solides positions dans la région (ses soldats occupent des bases qui encerclent la Chine, les navires de guerre de la flotte du Pacifique sont très présents) ; il existe au sein de l’espace chinois des foyers de contestation de la tutelle de Pékin : le Tibet, le Xinjiang avec les Ouïghours.

Histoire des arts

p. 106-107

L’affiche officielle, miroir du rapport de la Chine au monde L’iconographie officielle a une forte tradition en Chine et le régime communiste l’a reprise après 1949 pour convaincre une population

alors massivement illettrée. Durant la période maoïste nombreux étaient les « ateliers des beaux-arts » chargés de concevoir des images destinées à une large diffusion dans l’espace public. Dans un pays à « pensée unique », ces images traduisent la doctrine du moment. Elles permettent d’approcher ce que des populations exposées à une propagande obsédante pouvaient imaginer d’un monde extérieur inconnu à beaucoup. Beaucoup évoquent en effet la place de la Chine dans le monde, plus exactement celle que les gouvernants voudraient lui donner. Elles sont de ce fait un bon miroir des évolutions, parfois brutales, intervenues sur ce plan depuis l’ère maoïste. Le document 1 est une affiche datée de 1969 qui exprime un moment de radicalité révolutionnaire, d’isolement de la Chine dans le monde et de tension extrême tant avec les États-Unis (à l’occasion de la guerre du Vietnam) qu’avec l’URSS (accrochages entre gardes-frontières des deux pays le long du fleuve Oussouri). Le document 2 est également une affiche officielle puisque produite par le Comité chinois chargé d’organiser l’Exposition universelle qui s’est tenue à Shanghai de mai à octobre 2010. Ce comité est formé de personnalités représentant l’État chinois et la ville de Shanghai, choisie comme ville d’accueil de la manifestation par le Bureau international des expositions. L’exposition s’est déroulée le long du fleuve Huangpu, dans le centre de Shanghai ; 189 pays y ont participé. Elle accueillit 73 millions de visiteurs (Chinois à 95 %), un record pour ce type de manifestation. Chaque pays participant avait édifié, comme il est d’usage, un pavillon destiné à montrer au public ses réalisations les plus abouties en lien avec le thème retenu : « meilleure ville, meilleure vie ». Venant deux ans après les Jeux olympiques de Pékin (été 2008), la tenue de cette manifestation universelle en Chine et son succès confirmaient l’émergence du pays au premier rang de la scène internationale.

◗◗ Réponses aux questions 1. Sur l’affiche 1, une foule de peuples variés marche à la fois vers les ennemis désignés par le slogan titre et vers l’avenir radieux de la révolution. Elle est conduite par trois éléments révolutionnaires chinois : un soldat (prépondérant au centre du trio), un ouvrier en bleu de travail et sans doute une paysanne au premier plan avec son chapeau de paille. Cette foule renvoie à l’imaginaire d’une histoire écrite par des peuples ou des classes en lutte ; c’est une vision militante de l’évolution humaine. Sur la seconde affiche, la foule est pacifique et bigarrée : elle résume l’humanité par la variété d’âges, de costumes, de couleurs de peau.

2. Sur l’affiche de 1969, Mao Zedong est comme un soleil qui guide la foule : le regard déterminé indique la ligne de front. L’affiche traduit le culte de la personnalité de Mao qui culmine durant la « révolution culturelle ». Le bâtiment qui se substitue à cette icône sur l’affiche de 2010 renvoie à l’abandon du culte de la personnalité dans la Chine nouvelle et à son remplacement par une valorisation du patrimoine national puisque ce pavillon a la forme d’un temple traditionnel et a vocation à accueillir toutes les provinces du pays. La forme est en même temps moderne : on suggère par là une harmonie possible entre tradition et modernité.

3. L’évolution des teintes dominantes est en accord avec celle des significations : couleurs très vives, à dominante de rouge, couleur de la révolution, dans le document 1 ; teintes pastel, fondues dans l’autre affiche. L’affiche 1 relève du réalisme socialiste : l’image doit mobiliser les consciences en vue de la lutte pour un monde enfin débarrassé de tous les adversaires du socialisme ; elle érige en modèles des héros belliqueux (cf. l’abondance d’armes). La seconde s’inscrit dans un style artistique international influencé par l’image publicitaire : image d’unanimité, couleurs gaies, message lénifiant. Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

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dotées en telle ou telle ressource (main d’œuvre, produits bruts, espace).

4. Cette affiche s’inscrit dans le contexte d’une Chine qui se vit en citadelle assiégée : elle a rompu avec l’URSS et les relations entre les deux pays sont très tendues dans la décennie 1960 (la Chine attaque l’Inde philo soviétique en 1962 ; elle est alliée au Pakistan qui est élément du containment américain en Asie ; les armées des deux pays s’affrontent brièvement en 1969) ; mais elle voit toujours dans les États-Unis un ennemi acharné à sa perte : ce pays soutient Taiwan et mène au Vietnam une guerre intense, à ses frontières. La Chine reste isolée dans le monde : elle est toujours exclue de l’ONU et la Révolution culturelle dégrade les relations avec la plupart des États. 5. Le logo de l’Exposition, la mascotte qui a été choisie, la foule au premier plan de l’affiche : tous ces éléments renvoient à l’idée d’une Chine pacifique et ouverte à l’universel.

◗◗ Vers l’analyse de documents du BAC Les deux affiches témoignent de deux moments bien différents de l’histoire de la Chine. La première s’accorde au projet révolutionnaire de l’ère maoïste en son point culminant durant la Révolution culturelle. La seconde est conforme à l’idée d’« émergence pacifique » que mettent en avant les dirigeants chinois depuis Deng Xiaoping. Une Chine attachée à préserver les équilibres, tant entre les nations qu’entre régime et société (c’est l’harmonie au sens néo-confucéen). Une Chine qui se dit prête à accueillir un monde dans lequel elle a retrouvé toute sa place : « la Chine est grande », tel était le slogan des JO de Pékin ; l’Exposition de Shanghai met en avant l’image d’une Chine à la fois attachée à son identité et ouverte à l’universel. Ces affiches expriment donc deux manières opposées d’être au monde, deux chemins vers des formes bien différentes de la puissance.

Cours 1 et 2

p. 108-111

L’ère maoïste : retrouver la puissance par la révolution (1949-1979) Depuis les années 1980 : l’économie au service de la puissance

• Présentation Les deux leçons suivent logiquement une démarche chrono-thématique et permettent aux élèves d’appréhender de manière méthodique la construction des rapports de la Chine au monde depuis 1949. Le premier cours est logiquement articulé autour de la période communiste et de sa volonté de diffuser la « révolution » dans le monde. Il souligne les limites de cette forme d’expansion. Le second cours s’attache à mettre en rapport la volonté de développement économique à marche forcée et le retour progressif de la Chine au rang mondial qui était le sien par le passé.

• Choix des documents « appuis » du cours

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Les documents indiqués dans les marges doivent permettre aux élèves d’étayer leur raisonnement avec des exemples précis, documents qui peuvent par ailleurs faire l’objet d’une étude au Baccalauréat. Ils ont donc pour objet non seulement d’illustrer le cours mais aussi de provoquer une analyse spécifique. Ces renvois documentaires permettent enfin de repérer les documents clés

52 • Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

dans les études, à partir desquels une thématique spécifique sur « les chemins de la puissance » peut être abordée. On a rajouté deux documents spécifiques qui contribuent à étayer de manière simple deux axes essentiels du chapitre. Le document 1 p. 110 est une caricature parue en 2010 dans un journal chinois. Le constructeur automobile chinois Geely s’internationalise en rachetant à ses homologues étrangers des firmes qu’ils contrôlent, qu’ils les aient créées eux-mêmes ou bien les aient rachetées, comme dans le cas de la marque suédoise Volvo qui avait été reprise par l’Américain Ford. Quel que soit le cas de figure, les firmes chinoises tirent parti des difficultés des groupes occidentaux qui opèrent ces ventes parce qu’ils ont besoin d’argent frais. L’image fonctionne à deux niveaux. Elle renvoie à des faits : le rôle croissant dans le capitalisme mondial des grands groupes chinois, leur internationalisation ; l’émergence de la Chine comme premier marché automobile mondial, avec des acteurs étrangers, certes, qui ouvrent des usines dans le pays à la fois pour produire moins cher et pour viser le consommateur chinois, mais aussi des producteurs nationaux. Sur un plan métaphorique, Geely symbolise une Chine qui se rêve en n° 1 mondial (le podium), prenant sa revanche à la fois sur l’Europe et sur l’Amérique. Le document 2 p. 111 montre les manifestants du second printemps de Pékin, celui du printemps 1989, une dizaine d’années après celui de 1978-1979 qui avait vu éclore une première demande de démocratie dans la Chine libérée des derniers partisans de Mao. Autour de Wei Jingsheng, les animateurs de ce mouvement exigeaient alors la « cinquième modernisation, la démocratie » : un État de droit de type occidental, respectant le pluralisme, la séparation des pouvoirs, les droits des personnes et des minorités. Mais Deng Xiaoping l’emporte sur les dirigeants qui, tel Hua Guofeng, se montrent prêts aux concessions : il impose sa ligne consistant à verrouiller la vie politique tout en libéralisant par étapes l’économie. La revendication démocratique est étouffée mais ne disparaît pas : elle ressurgit en 1989, dans le contexte de l’ébranlement des régimes communistes d’Europe orientale. Les manifestants prennent l’habitude de se réunir sur l’immense place Tien Anmen de Pékin, lieu du pouvoir officiel s’il en est : la place jouxte la Cité interdite, le mausolée de Mao a été édifié en son centre. Jeunes pour la plupart, ils connaissent le monde extérieur et le prennent à témoin (le slogan est en anglais sur leur banderole). Mais, plus brutalement encore qu’en 1979, le régime choisit la répression : dans la nuit du 4 au 5 juin 1989, l’armée intervient dans les avenues qui mènent à la place, tire à balles réelles, écrase les tentes des derniers occupants. Le nombre exact de victimes reste inconnu : 2 500 civils tués et quelques dizaines de militaires ? Ce massacre délibéré d’une foule désarmée a été préparé par un pouvoir qui veut tuer dans l’œuf toute contestation ; la télévision (présente alors dans 200 millions de foyers) diffuse des images propres à discréditer les dissidents (véhicules brûlés, cadavres de soldats lynchés…). Les arrestations se multiplient dans les semaines qui suivent, Deng Xiaoping s’affiche avec les militaires. Il semble donner des gages aux conservateurs mais, fidèle à la ligne fixée en 1978, il relance les réformes suspendues depuis 1986 : l’évolution vers une économie socialiste de marché s’accélère mais on préserve le monopole du pouvoir pour le PCC. Ce faisant, la Chine prend une orientation qui la distingue du bloc soviétique en voie d’implosion en 1989-1991.

Prépa Bac

2. Présenter le sujet

p. 112-113

Sujet guidé : L’affirmation de la puissance chinoise depuis 1949.

La première phrase correspond le mieux au sujet car elle fait référence à la notion de puissance et ses différentes formes. De plus, elle respecte le cadre chronologique. La deuxième se limite à quelques aspects de la puissance et la troisième propose un tableau de la situation actuelle.

1. Analyser le sujet

3. Construire un plan

◗◗ Composition

L’affirmation correspond au renforcement et à la reconnaissance par les autres États du rôle prépondérant de la Chine dans le monde. La puissance de la Chine s’exprime d’abord dans les domaines politique et militaire, puis économique. L’année 1949 marque le début de la République populaire de Chine.

1950

1960

1970

Voir la frise complétée ci-dessous. La deuxième date-rupture de ce plan chronologique est 1978. Elle correspond au début des réformes économiques mises en œuvre par Deng Xiaoping. Un plan possible : 1. 1949-1978 La Chine s’affirme sur le plan politique et militaire 2. 1978-2001 La Chine développe son économie 3. Depuis 2001, la réussite économique chinoise, outil d’une puissance multidimensionnelle

1980

1990

2000

2010

LA CHINE DÉVELOPPE SON ÉCONOMIE

1949 République populaire de Chine

1958-1961 Grand Bond en avant 1960 Rupture avec l’URSS

1964 Bombe atomique

1976 Mort de Mao

1989 Printemps de Pékin

1966-1970 1978 Révolution Début des réformes culturelle économiques

2001 Adhésion à l’OMC

1997 Rétrocession de Hong Kong à la Chine

2010 2e puissance économique mondiale 2008 Entrée de la Chine dans le G20

Sujet en autonomie : La Chine et le monde depuis 1949.

Sujet en autonomie : L’émergence de la puissance chinoise depuis la fin des années 1970.

Le plan le plus logique s’appuie sur la période-rupture de la fin des années 1970, où la Chine quitte progressivement le primat idéologique pour rejoindre le pragmatisme du développement économique.

Le plan le plus logique s’appuie sur la période-rupture du début des années 2000, où la Chine peut commencer à utiliser son fulgurant développement économique pour pouvoir s’affirmer comme une grande puissance mondiale.

1. 1949-1976 La Chine construit son modèle

1. De la fin des années 1970 à 2001, l’essor de l’économie

A. La Chine imite le modèle soviétique. B. Après 1960, la promotion du modèle maoïste dans le monde. C. La Chine s’intègre au jeu géopolitique international.

chinoise A. La situation économique et sociale de la Chine à la mort de Mao. B. Les réformes de Deng Xiaoping. C. La montée en puissance dans le cadre de la mondialisation.

A. Une économie qui se mondialise. B. Des ambitions géopolitiques régionales et mondiales. En conclusion, on peut évoquer les nouvelles ambitions mondiales de la Chine qui cherche à concurrencer les États-Unis dans de nombreux domaines.

2. Depuis 2001, la réussite économique chinoise, outil d’une puissance multidimensionnelle A. La reconnaissance de la Chine sur le plan international. B. Les nouvelles ambitions géopolitiques de la Chine. C. Une puissance chinoise encore incomplète. Il est possible, en conclusion, d’insister sur les limites de la puissance chinoise ainsi que sur les défis considérables qu’elle aura à affronter dans les années futures.

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2. Depuis 1976, la Chine cherche à s’imposer

Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

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Prépa Bac 

p. 114-116

◗◗ Analyse de document(s)

Sujet guidé : L’affirmation de la puissance de la Chine à la fin du xxe siècle. 2. Prélever des informations 3. Apporter des connaissances Parties de la consigne

Informations fournies par les documents

Connaissances

Le contexte

– « Deng Xiaoping » ; « les quatre zones économiques spéciales » ; « usages internationaux » – 1949-1999, célébration du 50e anniversaire de la République Populaire de Chine ; Deng Xiaoping au premier plan de cette affiche.

– 1978 : Deng Xiaoping succède à Mao ; choix de l’ouverture aux capitaux étrangers et de l’économie socialiste de marché ; la Chine est alors candidate à l’entrée à l’OMC. – Les 50 ans du régime communiste en Chine. Le secrétaire général du Parti communiste chinois, également chef de l’État, témoigne du rôle majeur de l’État dans les choix économiques.

Les éléments sur lesquels s’appuie la puissance chinoise

– « Démarrer l’exploitation de la région de Pudong » ; « ZES de Shenzhen » ; « les capitaux afflueront à Shanghai » ; « la finance (…) nerf de l’économie moderne. » – Pudong centre des affaires de Shanghai ; maîtrise technologique et naissance d’une nouvelle puissance spatiale.

– Développement d’une économie socialiste de marché à partir de 1978. – Une main d’œuvre abondante à bas coût et capacité de production. – Développement de la recherche. – Progression des dépenses militaires. – Entrée à l’OMC et au G20.

Les limites à la fin du xxe siècle

– Affiche de propagande. – « Nous avons négligé les atouts de Shanghai, l’esprit d’entreprise et le haut niveau d’instruction de ses habitants. »

– Régime autoritaire et contesté. – Accroissement des inégalités sociales et régionales. – Retard technologique.

Sujet en autonomie : La puissance de la Chine pendant la période maoïste. La confrontation de ces deux documents (un texte de Zhou Enlai et une affiche de propagande) permet de suivre et d’étayer les deux axes de la consigne.

1. Les éléments sur lesquels s’appuie la puissance chinoise de

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1949 à 1976 A. Mobilisation de la population (Grand Bond en avant et Révolution culturelle). B. Développement de l’appareil militaire.

54 • Chapitre 4 - La Chine et le monde depuis 1949

2. Les objectifs visés par la Chine au cours de cette période A. Affirmation de l’indépendance politique et leader du tiers monde. B. Diffusion du modèle communiste chinois. C. Récupération de l’intégralité du territoire chinois (Taïwan). La Chine suit une voie originale d’affirmation de sa puissance durant cette période qui passe surtout par une mobilisation de sa population dans un cadre politique communiste « internationaliste » et une volonté d’augmenter son potentiel militaire.

chapitre 5 Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

p. 118-145

Question

Mise en œuvre

Un foyer de conflits

Le Proche et le Moyen Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre Ce thème était déjà au programme de l’enseignement optionnel d’histoire et de géographie en classe de terminale S (Bulletin officiel spécial n° 8 du 13 octobre 2011). Mais la réintroduction de l’histoire-géographie obligatoire en classe de terminale S avec un horaire de 2 heures hebdomadaires a déterminé un raccourcissement de la période chronologique, qui désormais commence après la Seconde Guerre mondiale. L’étude des conflits dans cette région peut s’appuyer sur les connaissances acquises par les élèves au travers des programmes de géographie de seconde, qui ont souligné les tensions liées à l’enjeu pétrolier et à l’eau en s’appuyant sur des exemples souvent pris dans la région ; elle peut aussi remobiliser les connaissances des élèves sur la guerre froide étudiée en classe de première pour aborder dans ce chapitre les rivalités géopolitiques des deux superpuissances, qui se sont intéressées aussi à l’espace moyenoriental après 1945. Le Proche et le Moyen-Orient n’est pas la seule région dans le monde à constituer un foyer de conflits ; mais il est essentiel de montrer que les conflits y prennent un caractère particulier. En effet dans cet espace géographique les facteurs de conflits s’appuient sur des enjeux qui jouent à différentes échelles géopolitiques. Ces différentes dimensions entrent en interaction, ce qui rend la compréhension de ces tensions particulièrement difficiles. La décolonisation a entraîné la construction de jeunes États, sans réelles traditions démocratiques. L’affirmation nationaliste a conduit certains d’entre eux à s’affirmer comme puissance entraînant aussi des rivalités régionales. Enfin les conflits au Proche et Moyen-Orient ont des enjeux qui s’élargissent à la scène mondiale : présence de lieux saints des trois religions du Livre ; sentiment de solidarité entre des communautés religieuses et nationales locales et des diasporas situées dans d’autres régions du monde ; carrefour de routes terrestres et maritimes, dont le contrôle est vital pour les puissances qui dominent les échanges commerciaux ; existence d’une grande partie des réserves mondiales d’hydrocarbures rendant cette région particulièrement convoitée par les puissances industrielles et émergentes. C’est pourquoi les conflits au Proche et au Moyen-Orient ont une résonnance particulière dans le monde.

◗◗ Débat historiographique et quelques notions clefs du chapitre L’un des principaux débats historiographiques contemporains concerne l’éclatement de la Palestine mandataire et les tensions entre Palestiniens juifs et arabes entre 1947 et 1949, période qui voit naître l’État d’Israël et la question palestinienne. Ces années et en particulier 1948 tiennent une place d’événement fondateur dans la mémoire des peuples juif et arabe de Palestine : « guerre d’indépendance » pour les uns, « al-Nakba » (« Grande Catastrophe ») pour les autres. Jusque dans les années 1980, deux traditions mémorielles s’opposent donc : le courant traditionnel sioniste décrit une guerre où les Israéliens affrontent un monde arabe intransigeant, entiè-

rement ligué contre eux et les surpassant en armes et en hommes, contre lequel ils finissent par l’emporter. Les Arabes palestiniens retiennent l’expulsion de leurs terres par un État d’Israël autoproclamé mais soutenu par l’Occident grâce à l’influente diaspora juive, sans que les autres pays arabes ne viennent à leur secours. Le débat historiographique a été ravivé dans les années 1980 par les « nouveaux historiens israéliens » notamment Benny Morris et Ilan Pappe qui ont réexaminé l’histoire de la naissance de l’État d’Israël et notamment les événements de 1948 au regard des archives israéliennes mais aussi britanniques. Proches de la gauche politique israélienne (« Meretz »), ces chercheurs se sont heurtés aux tenants de l’historiographie israélienne traditionnelle sur le rôle de la puissance mandataire britannique, les rapports de force entre Arabes et Juifs, les causes de l’exode palestinien ou l’échec des négociations qui suivent l’armistice. Encore soumis à débats et controverses, leurs travaux établissent un certains nombre de faits historiques indiscutables. Les Britanniques ont favorisé l’émergence d’un État juif aux dépens des Arabes palestiniens. Cette politique s’explique par des considérations géopolitiques pendant la Première Guerre mondiale et par le poids d’une opinion publique internationale sous le choc de la Shoah et du scandale causé par la gestion maladroite de l’Exodus à l’été 1947. La volonté britannique de sortir de la crise palestinienne est aussi liée à l’activisme des groupes paramilitaires sionistes radicaux comme l’Irgoun (responsable de l’attentat contre l’hôtel King David, siège de l’administration britannique le 22 juillet 1946) et le Groupe Stern / Lehi (sur lequel plane la responsabilité de l’assassinat du comte Bernadotte, émissaire de l’ONU, le 17 septembre 1948). Mais les Britanniques ont aussi essayé de ne pas s’aliéner les opinions publiques arabes, notamment pendant et au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, car ils souhaitaient préserver sur le terrain leur influence dans cette région, aux enjeux géopolitiques et énergétiques essentiels pour leurs intérêts. Ce qui explique leur volonté, à partir de la fin des années trente jusqu’à la création de l’État d’Israël, de limiter l’immigration juive, attitude posant un redoutable problème moral avec la destruction des communautés juives d’Europe sous domination nazie et le déracinement des survivants au lendemain du conflit. Globalement, les Israéliens ont toujours surpassé en nombre les forces de leurs adversaires, bénéficiant de l’apport de l’immigration européenne, et d’un armement supérieur (notamment des armes lourdes obtenues grâce au « contrat tchèque »). En effet, les forces arabes, malgré une supériorité militaire sur le plan statistique, n’ont jamais fait jeu égal, par manque de coordination, de ravitaillement et à cause d’un armement obsolète, en partie inutilisable par manque de pièces détachées ou de militaires expérimentés (notamment dans l’aviation). La raison de l’exode d’environ 700 000 Arabes palestiniens a suscité d’âpres controverses entre Israël et ses défenseurs d’une part, et les Arabes et leurs partisans d’autre part. Les représentants du gouvernement et des historiens israéliens soutinrent que les Arabes avaient fui volontairement ou sur les instructions des dirigeants arabes. Les porte-parole des Arabes affirmèrent au contraire que cet exode était le fruit d’une politique planifiée des

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Programme : Thème 2 – Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945 (14 à 15 heures)

dirigeants israéliens. Benny Morris, professeur d’histoire à l’université Ben Gourion du Neguev, qui a consulté de très nombreux documents dans les archives israéliennes et occidentales, affirme que ces versions officielles ne sont pas suffisantes pour établir des faits conformes à la réalité historique. Il semble que dans la première phase du conflit, alors que les forces juives étaient encore dans une phase défensive en Palestine, les classes moyennes et dirigeantes arabes de la région ont quitté ou envoyé leurs familles en Cisjordanie et dans les états arabes voisins. Au contraire les attaques militaires juives ont constitué la cause première de l’exode massif d’avril à juin 1948 des Arabes palestiniens, qu’ils aient été expulsés de manière ciblée de certaines zones ou qu’ils aient fui certains villages par peur des représailles (écho du massacre d’une centaine de villageois de Deir Yassin le 9 avril 1948). L’historien israélien affirme pour conclure qu’il n’y pas eu de politique d’expulsion systématique de la part des dirigeants israéliens. Et s’il semble que les attaques militaires et les expulsions par certaines unités de l’armée israélienne constituèrent le principal catalyseur de la fuite des Arabes palestiniens, l’exode a été le résultat d’un processus cumulatif d’une série de facteurs allant de la simple appréhension d’une vie sous domination juive jusqu’aux attaques de la Haganah, en passant par l’effondrement des infrastructures publiques et économiques, le retrait des troupes britanniques, la crainte de l’isolement au milieu de colonies juives, les rumeurs concernant des massacres perpétrés par des groupes extrémistes, etc. La compréhension des conflits du Proche et du Moyen-Orient passe par celle de trois projets de construction d’une identité nationale ou transnationale que sont le panarabisme, le sionisme et l’islamisme. Pour chacun de ces mouvements, il est nécessaire de préciser les temporalités dans une étude portant sur près d’un siècle afin que les élèves comprennent les dynamiques ayant conduit aux tensions actuelles.

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• Le panarabisme. Le panarabisme découle du mouvement de

la renaissance arabe, la « Nahda », développé au xixe siècle, qui prône l’unité du monde arabo-musulman en référence au temps quelque peu idéalisé de la dynastie des Omeyyades (661-750). Après la chute de l’empire ottoman, le mouvement prend la forme d’un vigoureux nationalisme arabe, porté notamment par Fayçal Ibn Hussein, qui a conduit la révolte arabe pendant la Première Guerre mondiale. Théorisé tant par des chrétiens que par des musulmans, le mouvement veut dépasser les religions, du moins dans l’esprit des élites. Les champions du panarabisme sont d’abord l’Égypte de Nasser et les régimes progressistes socialistes de Syrie et d’Irak, où s’affirme le parti Baas. Le Nassérisme est un courant panarabe dont l’action est initialement tournée contre l’Occident « impérialiste ». Avec la crise de Suez, Gamal Abdel Nasser devient le champion du panarabisme en mettant en échec les anciennes puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne. Un projet panarabe est également porté par le parti Baas (« renaissance » en arabe), mouvement fondé en 1947 par deux syriens Michel Aflak et Salah al-Bitar, le premier chrétien et le second musulman. Le projet est de créer une nation arabe, socialiste et laïque. La culture arabe commune et le modèle socialiste justifient la mise en place d’un parti unique panarabe, le Baas, ayant des ramifications aux échelles nationales. Le Baas est perçu comme trop autoritaire et ne parvient pas à s’imposer en dehors des frontières de la Syrie (de 1963-1970 à nos jours) et de l’Irak (de 1968 à 2003). Le soutien aux Palestiniens arabes contre Israël est aussi un élément fédérateur du panarabisme. Depuis 1945, la Ligue arabe constitue un forum de discussion entre les États arabes (22 depuis 1993), rassemblés sur une base culturelle, la langue arabe, et religieuse, l’islam.

• Le sionisme. Tirant son nom du mont Sion sur lequel est bâtie

Jérusalem, le mouvement sioniste est d’abord un projet politique visant à redonner aux Juifs dispersés dans le monde la terre d’Israël (« Eretz Israël »). Ce mouvement apparaît à la fin du xixe siècle dans une Europe marquée par l’affirmation des identités nationales et surtout par un antisémitisme de plus en plus virulent (pogroms en Europe orientale, affaire Dreyfus en France). Des organisations sionistes se forment dès 1880. En 1882, Edmond de Rothschild se lance dans l’acquisition de terres en Palestine ottomane. Le mouvement est théorisé en 1896 par Theodor Herzl qui, dans l’État des Juifs, défend l’idée d’un foyer national juif, d’un abri pour les communautés ashkénazes d’Europe. Le sionisme repose ainsi sur plusieurs composantes : la permanence d’un « peuple juif » aux origines bibliques ayant conservé son identité religieuse et culturelle, aspect critiqué dans les travaux de Shlomo Sand, historien, qui évoque une « invention » du peuple juif ; la volonté de redonner à celui-ci une terre et un statut d’État-nation perdu depuis l’Antiquité romaine ; une pulsion de « survie » pour un peuple confronté à une hostilité grandissante qui culminera avec la Shoah ; un ancrage territorial en Palestine ottomane puis en Palestine mandataire. Le projet sioniste se concrétise grâce à la déclaration Balfour de 1917 qui attribue un « Foyer national juif » en Palestine et au mandat confié à la Grande-Bretagne par la SDN en 1922, favorisant une installation juive de plus en plus massive de 1918 à 1948. Cette immigration suscite une animosité grandissante des populations arabes palestiniennes et des violences que les autorités britanniques, enfermées dans des promesses contradictoires, ne peuvent désamorcer. Le projet de construction d’un État juif aboutit avec la proclamation de l’État d’Israël le 14 mai 1948 par Ben Gourion. Après 1948, le sionisme perdure sous la forme d’un nationalisme forgé dans la lutte contre les populations arabes et le mouvement évolue vers la défense de l’État hébreu et de ses frontières. Les sionistes les plus radicaux dans la lignée de Menahem Begin et de l’Irgoun revendiquent un « Grand Israël » intégrant notamment la Cisjordanie voire la Jordanie, en s’appuyant sur une légitimité biblique. Cette idéologie se confond parfois avec la politique de l’État d’Israël lors de la conquête et de la naissance des Territoires occupés, qui aboutit à l’annexion de certains d’entre eux (Jérusalem-Est en 1967, les hauteurs du Golan en 1981). Une confusion très fréquente laisse à penser que les juifs orthodoxes sont tous des sionistes radicaux. Or ils se partagent entre des sionistes tenants d’un Grand Israël et des antisionistes, qui considèrent que le judaïsme n’est pas lié à un territoire particulier, mais à une foi et à une pratique personnelles.

• L’islamisme. L’islamisme se définit comme un projet politique

visant à mettre en place un État qui encadre la société et l’économie en s’appuyant sur les fondements de l’islam, le respect de la charia et le refus du pluralisme politique. Le premier grand théoricien de l’islamisme est l’Égyptien Hasan al-Banna (1906-1949), qui fonde les Frères musulmans en 1928. Son compatriote Sayed Qotb (1906-1966) radicalise la pensée de cette confrérie dans les années 1950-1960. Dès les années 1980, l’essor de cette idéologie dans les pays arabes s’accompagne d’une (ré)islamisation des sociétés du Proche et du Moyen-Orient souvent ostensible (systématisation du port de la barbe ou du voile, introduction dans le droit pénal de préceptes religieux comme l’interdiction du blasphème). On observe deux évolutions de l’islamisme : – d’abord une nationalisation de l’islamisme lorsque, selon Olivier Roy, les intérêts nationaux l’emportent dans les mouvements islamistes sur les considérations religieuses. Le comportement nationaliste du Hezbollah libanais explique d’ailleurs qu’il reçoive le soutien de mouvements chrétiens dans sa lutte contre certaines influences étrangères. L’attitude du Hamas en Palestine, opposé

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◗◗ Bibliographie

• Ouvrages généraux sur le Proche et Moyen-Orient

et ses conflits H. Bozarslan, Une histoire de la violence au Moyen-Orient : De la fin de l’Empire ottoman à Al-Qaida, La Découverte, 2008. G. Corm, Le Proche-Orient éclaté (1956-2010), Folio Histoire, 2010. A.-L. Dupont, C. Mayeur-Jouen et C. Verdeil, Le Moyen-Orient par les textes, coll. U, Armand Colin, 2011. H. Laurens, Paix et Guerre au Moyen-Orient, A. Colin, 1999. C. Sedel-Lemonnier, Le Proche et le Moyen-Orient, foyer de conflits de 1890 à nos jours, coll. Fiches, Ellipses, 2012.

• Sur les conflits israélo-arabes E. Barnavi, Une histoire moderne d’Israël, Flammarion, 1998. A. Dieckhoff, Le Conflit israélo-arabe, 25 questions décisives, Armand Colin, 2011. E. Sanbar, Les Palestiniens dans le siècle, Découverte Gallimard, 2007. – Pour les thèses des « nouveaux historiens » israéliens : B. Morris, Victimes, histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Complexe, 2003. I. Pappé, La Guerre de 1948 en Palestine, 10/18, 2000. – Articles : « Israël-Palestine », Les Collections de l’Histoire, n° 39, avril 2008.

• Sur la guerre en Irak – Articles : « Les origines de la guerre d’Irak », L’Histoire, avril 2006, n° 308. « Guerre et paix en Irak », coll. Questions internationales, La Documentation française, n° 16, nov-dec 2005.

• Sur l’islamisme O. Roy, Généalogie de l’islamisme, coll. Pluriel, Fayard, 2011, 128 pages et, du même auteur, L’Islam mondialisé, Points, Seuil. – Articles : O. Roy, « Les Trente Glorieuses de l’islamisme », Les Collections de l’Histoire, n° 52, juillet 2011, p. 52-56. H. Bozarslan, « Des sociétés structurées par l’islam », Les Collections de l’Histoire, n° 52, juillet 2011, p. 38-43. M. Guidere, « Nouvelle géopolitique de l’islamisme », revue Moyen-Orient, n° 15, juillet-septembre 2012, p. 50-55.

• Sites internet http://www.lesclesdumoyenorient.com De nombreux outils pour comprendre l’histoire et l’actualité du Moyen-Orient. http://www.college-de-france.fr/site/henry-laurens/audio_ video.jsp Les interventions de différents spécialistes et notamment les conférences d’Henry Laurens sur la Palestine, disponibles sur le site du Collège de France. http://education.francetv.fr/israel_palestine Un dossier éducatif sur Israël et la Palestine

Introduction au chapitre

p. 118-119

L’objectif pédagogique est de faire comprendre aux élèves quels sont les facteurs qui font du Proche et du Moyen-Orient un foyer de conflits. Mais aussi de montrer comment interagissent les politiques menées par des acteurs locaux, par des puissances régionales et par des puissances extérieures à la région lors de ces conflits. Ce sont ces interactions qui expliquent que l’écho de ces crises dépasse les limites géographiques du Proche et du Moyen-Orient. La diversité des acteurs, les temporalités différentes des causes de conflit et l’étendue de l’espace étudié ont induit une approche organisée autour de différentes études de cas, chacune étant exemplaire de ces facteurs et de ces interactions géopolitiques.

→Document 1 : Au terme du mandat britannique, le refus par les États arabes du plan des Nations unies pour le partage de la Palestine, débouche sur la première guerre israélo-arabe Cette photographie, montrant les affrontements entre Arabes et Juifs, a été prise une semaine avant la fin du mandat britannique sur la Palestine et la proclamation unilatérale de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Les inscriptions sur la gare permettent d’évoquer la complexité des enjeux en Palestine en abordant les principaux acteurs de ce conflit. Ancienne province de l’Empire ottoman, la Palestine a été confiée par la SDN en 1922 à la Grande-Bretagne pour l’administrer temporairement et la conduire à l’indépendance. Mais les Britanniques, à cause de promesses contradictoires, ont attisé les conflits entre deux nationalismes, juif et arabe, revendiquant un même territoire. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne, dont l’armée est soumise à des violences en Palestine car elle est considérée comme une force d’occupation (attentat de l’hôtel King David, quartier général de l’armée britannique qui fera 92 morts par le groupe extrémiste juif Irgoun) n’a plus les moyens de maintenir sa présence en Palestine. En 1947, elle décide de confier le dossier palestinien aux Nations-Unies, puis d’évacuer unilatéralement le territoire mandataire sans aucune procédure de transfert des pouvoirs. Le retrait définitif est prévu le 15 mai 1948. Ce cliché montre ainsi la nécessité pour les deux camps d’occuper le territoire avec le départ progressif des Britanniques, notamment les lieux stratégiques comme les nœuds ferroviaires. Il montre aussi l’échec du plan de partage de l’ONU, qui ouvre sur une période de guerre civile en 1947, puis sur la première guerre israélo-arabe (1948-1949).

→Document 2 : Intervention militaire des Etats-Unis en Irak (2003) Cette photographie permet de montrer un conflit avec une autre dimension géopolitique. L’opération militaire américano-britannique « liberté pour l’Irak » est lancée le 20 mars 2003 par une série de bombardements sur Bagdad. À la différence de 1991, l’assaut terrestre suit immédiatement avec l’entrée dans la soirée du même jour des forces américano-britanniques sur le sol irakien depuis le Koweït. Début avril les villes irakiennes tombent les unes après les autres. L’offensive contre Bagdad commence le 4 avril avec la prise de l’aéroport, puis des palais présidentiels de Saddam Hussein. Le 9 avril, la ville est aux mains des Américains : la statue de Saddam Hussein, place Ferdaous, est renversée par les opposants au régime avec l’aide de ces derniers. La guerre a été courte : 21 jours jusqu’à la prise de Bagdad. George Bush peut annoncer officiellement la fin des opérations militaires le 1er mai 2003. La présence de la mosquée permet de souligner que l’intervention des États-Unis s’effectue dans un pays musulman, ce qui ne sera pas sans poser des problèmes, dans les années qui

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à toute négociation avec Israël, lui permet de recevoir l’appui d’autres mouvements nationalistes laïcs palestiniens, comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, originellement imprégné de nationalisme arabe et de marxisme). À partir des années 1990, se développe également l’islamisme des djihadistes ; leur action dépasse le cadre propre de l’État ou de la nation pour prendre l’oummah, la communauté des musulmans, comme espace de référence. Ils conduisent surtout un combat violent et fanatique contre l’Occident et contre des régimes musulmans jugés impies (Afghanistan, Irak, Syrie) ; ils n’hésitent pas à porter la lutte sur le territoire même des puissances occidentales dont ils combattent l’influence.

suivront, aux Américains confrontés à un nationalisme irakien et arabe, qui s’appuie sur cette identité religieuse.

◗◗ Frise La frise met en évidence une région faisant l’objet de convoitises internationales, et qui passe successivement sous diverses influences. Elle montre des conflits à des échelles diverses : guerre civile au Liban ou lors des Printemps arabes, guerre régionale entre l’Irak et l’Iran, guerres internationales avec les interventions des coalitions menées par les États-Unis dans la région. Elle permet enfin de souligner le rôle central du conflit israélo-arabe dans la région.

Repères

p. 120-123

Ces pages permettent de donner aux élèves des repères notionnels, d’histoire culturelle et politique essentiels à leur compréhension des conflits de la région. Les notions clés définies font le point sur des mots de vocabulaire historique souvent confondus par les élèves. Elles aident aussi à s’imprégner des repères géopolitiques essentiels à la compréhension des conflits de la région.

A. Le Proche et le Moyen-Orient, peuples et États

p. 120-121

Le document 1 illustre la complexité ethnique et culturelle du Proche et du Moyen-Orient. Souvent présentée comme le cœur du monde arabo-musulman, la région est un berceau de civilisations au contact des influences arabe, perse et turque. La carte montre également une population kurde partagée entre quatre États et dont les revendications identitaires demeurent une source de tensions dans la région depuis le Traité de Lausanne (1923). La religion musulmane domine mais la région est marquée par la grande opposition entre Sunnisme et Chiisme. Cette diversité est accrue par la présence de populations juives et chrétiennes. Le document 2 met en évidence la diversité historique des régimes politiques du Proche et du Moyen-Orient dans une région marquée par l’absence de tradition démocratique, à l’exception notable d’Israël ; c’est le cas des pétromonarchies sunnites du Golfe et notamment de l’Arabie Saoudite, des États « progressistes socialistes » (Égypte, Irak, Syrie) laïcs mais autoritaires car inspiré par le modèle du parti unique, mais aussi de l’Iran avec la monarchie autocratique du Shah et la République islamique qui la remplace.

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Le document 3 insiste sur la carence démocratique des régimes politiques actuels dans la région. En le mettant en relation avec la carte p. 123, il permet également d’expliquer la montée de mouvements populaires contestataires lors des « printemps arabes », dont la revendication centrale, au-delà de la diversité de leurs acteurs (jeunesse, libéraux, islamistes…) était une demande de démocratisation de ces régimes. Il faudrait utiliser aussi une carte du PIB par habitant, pour montrer que les inégalités de richesse dans la région expliquent également la géographie de ces mouvements de contestation, porteurs aussi de revendications économiques et sociales.

B. Géopolitique du Proche et du Moyen-Orient

p. 122-123

Le document 1 propose un tableau récapitulatif des principaux conflits au Proche et Moyen-Orient depuis 1948. Pour chacun d’entre eux, il décrit les enjeux à plusieurs échelles, enjeux dont les interactions expliquent la complexité des conflits. Ce tableau permet aussi d’aborder leur typologie. La région est en effet le

théâtre de conflits de différentes natures : des conflits de haute intensité, des guerres civiles et des conflits dits asymétriques. Les conflits conventionnels dits de haute intensité comme les guerres des Six Jours, du Kippour ou les guerres du Golfe (guerre Iran-Irak, guerre du Golfe de 1991, guerre d’Irak de 2003) se caractérisent par des mobilisations massives de moyens militaires par les belligérants. Ce sont des conflits interétatiques dans lesquels sont déployés tous les moyens militaires conventionnels (artillerie, blindés, infanterie, avions). Les conflits régionaux de haute intensité ont été relativement brefs : la première guerre israélo-arabe est plutôt une série d’accrochages impliquant des effectifs limités, les deux autres guerres israélo-arabes ou celle du Golfe de 1991 se règlent en quelques jours voire semaines. La seule exception pourrait être les huit années du conflit entre l’Iran et l’Irak entre 1980 et 1988. Ce conflit évolue vite en guerre de positions, caractérisée par une relative stabilité du front, « perturbée » par quelques offensives vaines et meurtrières accompagnées de longues phases d’enlisement : offensive irakienne initiale de septembre 1980, contre-offensives iraniennes en janvier 1981 et mars 1982, nouvelle offensive irakienne en janvier 1985 puis contre-offensive iranienne en mai 1986. La guerre civile libanaise renvoie l’image de tensions entre des communautés culturelles et ethniques différentes illustrées par la carte 1, p. 120. Pour des raisons de simplification ce tableau ne mentionne pas les conflits « asymétriques », pourtant bien présents dans cette région. Bien que ne faisant pas référence à une situation nouvelle, ce terme est utilisé par le général américain Wesley Clark lors de la guerre du Kosovo de 1999 mais est surtout popularisé lors de la deuxième Intifada pour qualifier la situation militaire complexe du Proche-Orient. Un « conflit asymétrique » désigne l’opposition entre des forces conventionnelles étatiques et des combattants disposant d’un potentiel militaire moindre mais usant de techniques de guérilla, évoluant parmi les populations civiles et exploitant les ressources médiatiques pour l’emporter (terrorisme, propagande…), cette dernière dimension devenant de plus en plus importante du fait du développement exponentiel des technologies de communication. La lutte armée des fédayins palestiniens dans les années 1960-1970, celle du Hezbollah, les deux Intifada mais aussi l’intervention en Afghanistan, la phase de stabilisation et la contre-insurrection en Irak après mai 2003 ou les interventions de Tsahal au Liban participent de ce type de conflit. L’usure politique et médiatique qui accompagne les conflits asymétriques, les difficultés du combat en zone urbaine (Liban) ou en montagne (Afghanistan) expliquent une dilatation temporelle des tensions et un état de guerre permanent dans lequel les engagements majeurs sont rares. Le document 2 présente sous la forme de trois cartes juxtaposées l’évolution du territoire d’Israël du plan de partage de l’ONU en 1947 à la guerre des Six Jours en 1967 (qui fait l’objet d’une étude particulière p. 130-131). La carte 2a présente le plan de partage de l’ONU approuvé par la majorité des deux-tiers de l’Assemblée générale des NationsUnies le 29 novembre 1947 (recommandation n° 181). Ce plan de partage qui attribue 55 % du territoire de la Palestine mandataire à un État juif, est accepté par les sionistes mais est refusé par les Arabes palestiniens soutenus par la Ligue des États arabes fondée en 1945 au Caire. Dès le 30 novembre 1947 commence donc ce que les historiens nomment la « guerre civile en Palestine mandataire », qui dure jusqu’à la proclamation d’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Le 1er décembre 1947, une grève générale de trois jours est décrétée par les autorités arabes et notamment le HCA, Haut Comité Arabe, principale organisation nationaliste palestinienne. Le 30 décembre 1947, à Haïfa, des membres de l’Irgoun, une orga-

58 • Chapitre 5 - Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

Le document 3 présente la situation géopolitique des conflits au Proche et Moyen-Orient depuis 1948. Le cartouche sur l’État israélien montre, à l’aide des dates, que les conflits israélo-arabes ont dominé la scène régionale jusque dans les années soixantedix. Avec l’affrontement de deux puissances régionales (Irak, Iran) et l’importance stratégique croissante des ressources en hydrocarbures, les conflits se sont déplacés vers l’est du Moyen-Orient à partir des années quatre-vingt. Cette carte montre également la permanence des facteurs de conflit dans cette région. Berceau des grandes religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) la région abrite des lieux saints communs à Jérusalem, mais aussi particuliers à l’islam à La Mecque et Médine ; le courant chiite possède des lieux saints spécifiques à Nadjaf et Kerbala en Irak. Ces lieux sacrés donnent une forte dimension symbolique à ces espaces, dont le contrôle constitue un enjeu essentiel. Carrefour terrestre et maritime entre l’Asie et l’Occident, la liberté d’accès aux routes et aux ports de la région revêt aussi une dimension stratégique pour toutes les puissances commerciales. La possession d’une grande part des réserves pétrolières mondiales constitue une source de richesse essentielle pour les pays de la région, mais attire également les convoitises internationales des pays industriels. Enfin, cette région, zone de contact entre l’URSS et les États-Unis, fut longtemps soumise à leur influence rivale dans le cadre de la guerre froide.

Acteurs

p. 124-125

Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, de la guerre à la paix

p. 124

Le choix de confronter ces deux acteurs clefs du conflit israéloarabe dans cette étude s’explique par le fait qu’ils incarnent le sentiment national de deux peuples qui se battent pour la même terre. De plus leurs parcours respectifs illustrent parfaitement l’évolution de ce conflit. Ces deux protagonistes font le choix initial des armes. En fondant le Fatah en 1959, Yasser Arafat prône la lutte armée contre Israël, s’inspirant du modèle algérien du FLN. Le 1er janvier 1965, son organisation lance la première opération de commando contre l’État hébreu ; puis ses fédayins multiplieront les attaques depuis le territoire des États arabes voisins. Yitzhak Rabin est militaire de carrière et s’illustre déjà comme officier dans la bataille de Jérusalem lors de la première guerre israélo-arabe. Il reste partisan de la manière forte jusque dans les années 1980 : chef d’état-major, il est le principal artisan de la victoire pendant la guerre des Six Jours ; en 1982, il approuve l’opération militaire au Liban, puis en tant que ministre de la Défense, fait bombarder le siège de l’OLP à Tunis en 1985 ; enfin il prend en charge la répression de l’intifada en 1987 et fait assassiner le numéro deux de l’OLP en 1988. Mais ces deux hommes se rendent compte de l’échec de la lutte armée et assouplissent leurs positions : Yasser Arafat, voulant reprendre la main après le soulèvement des Palestiniens des Territoires occupés et fragilisé par la première guerre du Golfe, se convertit définitivement à la voie des négociations en 1988 en reconnaissant l’existence d’Israël. Choisi comme Premier ministre, Yitzhak Rabin soutient en 1992 les entrevues secrètes d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens.

→Document 1 : Yitzhak Rabin, chef d’état-major, aux côtés de Moshe Dayan, ministre de la défense Cette photographie a été prise le 7 juin 1967, le jour où JérusalemEst est prise par les Israéliens à l’armée jordanienne. Cette tournée d’inspection dans les rues de Jérusalem de Yitzhak Rabin, aux côtés de Moshe Dayan montre l’enjeu symbolique que représente la vieille ville de Jérusalem où se situe le mur Occidental, lieu saint du judaïsme.

→Document 2 : Yasser Arafat et la lutte armée (1970) La défaite des États arabes pendant la guerre des Six Jours (1967) relance la lutte armée des fédayins, qui multiplient les incursions en Israël et dans les territoires occupés. C’est le prestige de cette lutte armée (dont le symbole est la bataille de Karameh où les fédayins parviennent à repousser une attaque israélienne) qui permet à Yasser Arafat de prendre la direction de l’OLP en 1969. Mais les bases militaires palestiniennes se multiplient en Jordanie au point d’apparaître comme un État dans l’État ; elles sont liquidées dans le sang par l’armée jordanienne en 1970 (« Septembre noir »).

→Document 3 : Le dialogue direct entre Palestiniens et Israéliens (9-10 septembre 1993) Après la victoire de la gauche politique israélienne, des négociations secrètes entre Israël et l’OLP ont lieu en Norvège pour préparer une reconnaissance mutuelle. Celle-ci a lieu sous la forme d’un échange de lettres entre Yasser Arafat, chef de l’OLP, et Yitzhak Rabin, alors Premier ministre le 9-10 septembre 1993. Cette reconnaissance est scellée par la poignée de main historique à Washington le 13 septembre 1993, sous l’égide du président des États-Unis, Bill Clinton. Avancée décisive vers une paix et la naissance d’un État palestinien, les accords d’Oslo suscitent à la fois de vifs espoirs et des mécontentements des extrémistes des deux

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nisation militaire juive, lancent deux bombes dans une foule d’ouvriers arabes faisant la queue devant une raffinerie, tuant 6 d’entre eux et en blessant 42. La foule en colère tue en représailles 39 juifs avant que les soldats britanniques ne rétablissent le calme. Le 31 décembre 1947, en représailles, des soldats juifs du Palmah et de la brigade Carmel attaquent le village de Balad-al-Sheikh et de Hawassa. Selon différents historiens, ils y font entre 21 et 70 morts. Un cycle de violence bilatérale interminable s’amorce donc avant le 15 mai 1948. La carte 2b montre les conséquences territoriales et démographiques de la première guerre israélo-arabe. Ce premier conflit débute au lendemain de la proclamation de l’État d’Israël le 14 mai 1948 et dure jusqu’aux traités d’armistice, qui s’échelonnent jusqu’en juillet 1949, entre Israël et les différents États arabes. Mieux armés et mieux coordonnées, les forces israéliennes emportent des victoires qui permettent à l’État d’Israël de s’agrandir par rapport au territoire dévolu à l’origine par le plan onusien. Israël dispose désormais d’un territoire d’un seul tenant de 20 700 km2, soit 6 000 km2 de plus que dans le plan de partage. Entre décembre 1947 et juillet 1949, 700 000 Arabes palestiniens ont pris le chemin de l’exil, fuyant volontairement les combats ou expulsés, pour se réfugier en Cisjordanie, à Gaza et dans les États arabes voisins ; cet épisode est nommé la « Nakba » par les Palestiniens. Parallèlement ce premier conflit marque le début de l’exode de 760 000 Juifs qui ont quitté les États arabes voisins ou en ont été expulsés et qui se sont établis majoritairement en Israël. La carte 2c montre les bouleversements géopolitiques à l’issue la guerre des Six Jours, dont Israël sort victorieux (voir l’étude p. 130-131) : l’occupation de territoires arabes. Pour le Sinaï, cette occupation permet à Israël de conserver un moyen de pression sur l’Égypte de Nasser, principale puissance ennemie dans la région, d’où sa restitution après les accords de Camp David. Mais des considérations d’ordre stratégique ou nationaliste pour les « Territoires occupés » palestiniens expliquent la plus grande difficulté de résoudre cette source de tensions, qui perdure jusqu’à nos jours.

camps. Les questions centrales des réfugiés, du statut de Jérusalem et des implantations juives restent posées. Les islamistes antisionistes du Hamas rejettent des accords qui légitiment Israël alors que les extrémistes sionistes de la droite israélienne refusent de reconnaître l’OLP. Itzhak Rabin est assassiné par un extrémiste juif en 1995. Yasser Arafat devient en 1996 le premier président de l’Autorité Palestinienne, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort, à Paris, le 11 novembre 2004. En 2012, les limites territoriales et le statut d’un futur État palestinien demeurent toujours en suspens.

leur soutien aux pays arabes de la péninsule avec l’opération « bouclier du désert », en vue de mettre en place un pont aérien avec l’Arabie Saoudite pour transporter armement et soldats américains. Dans ce discours lu à la télévision irakienne le 10 août 1990, Saddam Hussein essaie de mobiliser des soutiens dans le monde arabe, en s’appuyant sur les thèmes traditionnels du nationalisme arabe et de l’islamisme.

Saddam Hussein et les ambitions d’un chef nationaliste

1. Yasser Arafat et Yitzhak Rabin privilégient initialement l’option

p. 125

Le choix de Saddam Hussein comme acteur clef des conflits du Proche et du Moyen-Orient s’explique parce qu’il a engagé son pays dans trois guerres, révélatrices des enjeux à différentes échelles qui caractérisent les conflits de cette région (voir doc. 1, p. 122). Pendant la guerre avec l’Iran (1980-1988), Saddam Hussein s’affirme à la fois comme un nationaliste, attaché à faire de l’Irak une puissance régionale, mais aussi comme un leader panarabe face à une expansion de l’influence iranienne sur la région. À partir des années 1990, dans sa lutte contre les États-Unis, il met davantage en avant son appartenance à l’islam et se présente comme un descendant du prophète Mahomet.

→Document 4 : Déclaration de guerre à l’Iran La guerre Iran-Irak traduit l’opposition toujours croissante entre le Baas irakien et le chiisme révolutionnaire. L’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeyni en 1979 en Iran relance l’agitation des populations chiites, majoritaires en Irak, contre le pouvoir de Bagdad. De plus le territoire irakien abrite les principales villes saintes du chiisme (Kerbala, Nadjaf). Saddam Hussein, qui aspire à faire de l’Irak, enrichi par les revenus pétroliers, le chef de file du monde arabe, se heurte au nouveau pouvoir iranien, souhaitant étendre la révolution islamique au-delà de ses frontières. Le 17 septembre 1980, dans un discours devant l’Assemblée nationale irakienne, Saddam Hussein fustige violemment l’Iran. Il dénonce les accords signés à Alger en 1975 pour fixer la frontière entre les deux pays, notamment le partage du Chatt al-Arab, qui constitue un débouché stratégique sur le Golfe persique. C’est le prélude à une guerre qui commence cinq jours plus tard et durera jusqu’en juillet 1988, date à laquelle les deux belligérants épuisés par huit années de guerre acceptent une résolution de l’ONU qui prévoit un cessez-le-feu.

→Document 5 : Affiche de propagande pendant la guerre Iran-Irak, 1984 D’après les historiens arabo-musulmans, Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, serait aussi celle de Saladin, héros musulman d’origine kurde et vainqueur des croisés à la fin du xiie siècle. La propagande politique du régime a largement exploité ce parallèle en pleine guerre Iran-Irak pour présenter Saddam Hussein, commandant en chef de l’armée irakienne, comme son successeur, capable de repousser les invasions étrangères. Les origines kurdes de Saladin sont soigneusement tues.

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→Document 6 : Panarabisme et défense de l’islam Le 2 août 1990, les troupes irakiennes envahissent le Koweït, que Saddam Hussein accuse de faire baisser les cours du pétrole à un moment où l’Irak, qui vient juste de sortir de la guerre avec l’Iran, a un besoin vital de ses revenus. De plus les Irakiens n’ont jamais reconnu les frontières du Koweït, que les Britanniques ont détachées de la province ottomane de Bassorah, pour mieux contrôler le riche émirat au début du xxe siècle. L’invasion est condamnée par l’ONU et la Ligue arabe. Le 7 août, les États-Unis apportent

◗◗ Réponses aux questions militaire pour affirmer les droits respectifs des Palestiniens et des Israéliens dans cette région.

2. En préalable au processus de paix, Yasser Arafat et Yitzhak Rabin reconnaissent mutuellement leur existence (existence de l’État d’Israël, reconnaissance de l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien). Ils s’engagent à se tourner désormais vers des négociations pour amorcer un processus de paix.

3. Saddam Hussein situe les enjeux du conflit avec l’Iran dans le cadre d’une lutte pour des territoires dont il revendique la souveraineté (Chatt al-Arab) ; mais cette lutte se situe également dans le cadre d’un conflit de deux États qui aspirent à devenir des puissances régionales.

4. Saddam Hussein élargit les enjeux des conflits du MoyenOrient à l’échelle internationale, en montrant qu’il s’agit d’une lutte contre des influences colonialistes, étrangères au monde arabe et musulman (« américaines et sionistes »).

◗◗ Vers la composition du BAC Les conflits du Moyen-Orient ont des formes diverses et leurs enjeux s’expriment à différentes échelles territoriales. Au niveau local, ils peuvent prendre la forme de revendications identitaires pour des peuples qui se disputent un territoire commun : Arabes palestiniens et Israéliens au sujet de la Palestine ; Irakiens et Iraniens pour des litiges frontaliers dans la région stratégique du Chatt al-Arab. Au niveau régional, les luttes d’influence entre puissances du Moyen-Orient constitue un autre motif d’affrontement comme en témoigne la guerre entre l’Iran et l’Irak. Enfin ces conflits peuvent prendre une dimension plus large, quand leurs enjeux intéressent la communauté internationale : respect des frontières issus de la Seconde Guerre mondiale ; richesses en hydrocarbures. Ainsi l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990, menaçant les ressources pétrolières, entraîne une condamnation de l’ONU et des puissances occidentales qui débouchera sur la « guerre du Golfe ».

Étude 1

p. 126-127

Le pétrole, un enjeu stratégique Depuis le début du xxe siècle, le pétrole est au centre des grands équilibres géopolitiques du Proche et du Moyen-Orient et du monde tout entier. Son contrôle est un enjeu majeur pour les grandes puissances industrielles étrangères à la région, mais aussi pour les pays producteurs ; en effet, atout essentiel de leur développement, il est aussi une arme politique. Le choix de cette étude s’explique donc par le fait que, s’il n’y a pas réellement de guerre pour le pétrole, les enjeux qu’il représente sont souvent en arrière-plan des conflits de la région. Dès la découverte des premiers gisements perses en 1908, les Britanniques assoient leur contrôle sur le Proche et le Moyen-Orient et ses richesses au travers des relations étroites qu’ils nouent avec les dynasties locales et par le système des mandats en Palestine et en Irak. En février 1945, la rencontre entre F. D. Roosevelt et Ibn Saoud, roi

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→Document 1 : La politique pétrolière américaine après 1945 Ce texte présente la politique pétrolière américaine au ProcheOrient après 1945. Il est extrait d’un ouvrage universitaire dont l’auteur, J.-C. Hurewitz, est un spécialiste de la région. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il travaille pour les services de renseignement à la section du Proche-Orient. À partir de 1950, il enseigne à l’université de Columbia, où il est directeur du département du Moyen-Orient de 1970 à 1984. Dans ce texte, il justifie une politique extérieure américaine active.

→Document 2 : Le capital des grandes compagnies pétrolières Ce tableau révèle la participation majoritaire des grandes sociétés pétrolières occidentales (les Majors) au capital de quelques grandes compagnies concessionnaires du Moyen-Orient, montrant ainsi leur mainmise sur les hydrocarbures de la région. Il souligne notamment l’importance nouvelle de la compagnie pétrolière d’Arabie Saoudite qui exploite de manière récente un gisement géant ; alors qu’avant 1945, les 2/3 de la production pétrolière était assurée par l’Iran, l’exploitation du pétrole saoudien accroît considérablement les capacités de la région à l’échelle mondiale. Ce tableau montre aussi la volonté d’émancipation des États producteurs de cette tutelle occidentale à travers la nationalisation en 1951 du capital de la compagnie Anglo-Iranian Oil, désormais 100 % iranienne.

→Document 3 : Le pétrole au cœur des tensions de la guerre froide Ce texte est extrait d’un rapport de l’administration Truman daté du 20 novembre 1952, à propos de la situation actuelle en Iran ; il fait partie des documents secrets publiés en 2000 par le New York Times, parmi lesquels il y a avait aussi le fameux rapport Wilber, écrit en mars 1954 par l’un des principaux agents du coup d’état du 19 août 1953. Ce rapport est destiné au Conseil national de sécurité américain (NSC) qui a comme rôle de conseiller le président des États-Unis en matière de politique étrangère et de sécurité nationale. Cet extrait montre que le pétrole est cœur des tensions de la guerre froide à travers l’exemple iranien. En 1951, Mossadegh devient le Premier ministre du jeune shah Mohammed Reza Pahlavi et entreprend de nationaliser l’Anglo-Iranian Oil Company qui dispose du monopole de l’exploitation du pétrole iranien. En réaction, les marchés se ferment au pétrole iranien. Inquiété par la déstabilisation de l’Iran qui profite aux communistes iraniens (le « Toudeh »), Eisenhower décide de renverser Mossadegh le 19 août 1953. Conduite par les services secrets britannique et américain, l’opération Ajax est hautement stratégique. Il s’agit de préserver les intérêts occidentaux dans les gisements pétrolifères iraniens, les Américains profitant de l’occasion pour accroître leur part, mais aussi de maintenir l’Iran dans le camp occidental, d’où le soutien apporté à la monarchie de plus en plus autocratique du Shah.

→Document 4 : L’arme du pétrole Ce texte présente le point de vue d’un expert arabe qui défend l’utilisation de l’arme pétrolière. Alors que très longtemps les prix restent fixés par les compagnies pétrolières occidentales, les pays producteurs de pétrole s’organisent dans les années 1960 pour les stabiliser et mieux contrôler la production. En 1960 le Venezuela,

l’Iran, l’Irak, le Koweït et Arabie Saoudite fondent l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) ; puis est créée en 1968 l’Organisation des pays arabes producteurs de pétrole (OPAEP), au moment où le Moyen-Orient devient la principale zone de production (39 % de la production pétrolière mondiale). Les conséquences politiques de ce meilleur contrôle apparaissent lors de la guerre d’octobre 1973 (dite du Kippour pour les Israéliens) ; à la suite de la décision de l’OPAEP de réduire leur production pour faire pression sur les alliés d’Israël, les prix augmentent de 3 $ le baril à 18 $ en quelques semaines, avant d’être fixés fin décembre par l’OPEP à 11,65 $ : c’est le premier choc pétrolier. En 1975, Nicolas Sirkis est conseiller de l’OPEP. Ce texte est un extrait d’un livre d’entretiens dans lesquels il revient sur ces événements. D’origine syrienne, il fait des études universitaires d’économie à Beyrouth, où il crée en 1965 un Centre arabe d’étude pétrolières toujours actif aujourd’hui.

→Document 5 : Une région stratégique au cœur de l’exploitation et des routes du pétrole Cette carte présente les gisements, les routes du pétrole en 2011 et les tensions qui y sont liées. Avec près de 60 % des réserves pétrolières conventionnelles mondiales estimées et 40 % des réserves gazières aujourd’hui connues, le Moyen-Orient est devenu un lieu majeur de production couvrant une part essentielle des besoins énergétiques mondiaux. Six des dix plus gros producteurs mondiaux sont issus de cette région, la première place revenant à l’Arabie Saoudite, lui permettant d’être un acteur clef de la région.

→Document 6 : Soldats américains devant un blindé irakien détruit au Koweït (1991) Cette photographie montre l’intervention américaine lors de la guerre du Golfe de 1991 (étudiée en classe de première) ; la photographie reflète également les tensions entre pays producteurs de pétrole. Saddam Hussein envahit le Koweït qu’il accuse de maintenir un cours bas du pétrole, empêchant l’Irak de surmonter les difficultés économiques consécutives à la guerre contre l’Iran. De plus, l’Irak n’a jamais reconnu les frontières du Koweït, ancienne province irakienne, dont l’indépendance a été proclamée le 19 juin 1961 par les Britanniques, soucieux de fragmenter les réserves pétrolières afin de mieux les contrôler. Contraint à évacuer le Koweït, Saddam Hussein ordonne à ses troupes d’incendier les puits de pétrole koweitiens.

◗◗ Réponses aux questions 1. Cette région est stratégique pour les grandes puissances car elle détient une grande part des réserves mondiales de pétrole (60 % en 2013) ; ces réserves prouvées sont concentrées aujourd’hui surtout en Iran (9 %), en Irak (8 %), au Koweït (6 %) et en Arabie Saoudite (18 %).

2. Les Occidentaux contrôlent l’exploitation pétrolière par le biais de compagnies concessionnaires qui réunissent dans leur capital plusieurs sociétés pétrolières occidentales pour partager les coûts d’exploitation. Par exemple le capital de l’Iraq Petroleum Co réunit des sociétés d’origine britannique (47,5 %), étatsunienne (23,75 %) et française (23,75 %).

3. Le pétrole constitue une source de tension dans le cadre de la guerre froide car le Moyen-Orient, notamment l’Iran, possède une frontière commune avec l’URSS, qui convoite aussi cette ressource. Ainsi la nationalisation de la compagnie pétrolière, AngloIranian Company et l’influence grandissante des communistes iraniens constituent pour les Occidentaux une menace de perdre le contrôle sur le régime iranien et le libre accès au pétrole de cet État.

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d’Arabie Saoudite, témoigne du vif intérêt des Américains pour les ressources de la région après la Seconde Guerre mondiale. Les documents présentés sur ces pages montrent la complexité des enjeux autour des hydrocarbures en impliquant diverses échelles géopolitiques.

4. Le pétrole peut constituer une arme en temps de guerre pour les États arabes sous forme de suspension (embargo) ou de réduction de leurs exportations de pétrole envers certains pays ; mais l’emploi du pétrole comme arme politique peut aussi s’utiliser en temps de paix, en accordant des avantages à des pays consommateurs, pouvant constituer des alliés diplomatiques.

◗◗ Vers l’étude de documents du BAC Le document 3 est un texte extrait d’un rapport secret de novembre 1952 destiné au Conseil national de sécurité rattaché directement au président des États-Unis ; ce rapport concerne les évolutions politiques du régime iranien et montre que le pétrole est au des cœur des tensions de la guerre froide. La carte présente la géopolitique de la région autour des ressources en pétrole et en gaz. Elle indique la localisation des principaux gisements, le transport des hydrocarbures et les tensions que génère leur exploitation. La confrontation de ces deux documents permet de remettre le cas iranien dans la perspective géopolitique de la guerre froide. L’Iran, un des principaux pays producteurs pétroliers de la région, possède une frontière commune avec l’URSS, qui convoite l’accès aux ressources de ce pays. L’Iran devient alors un enjeu dans la lutte d’influence que se livrent les Occidentaux, notamment les Américains et les Britanniques, et les Soviétiques. La carte montre aussi les enjeux géopolitiques liés à la localisation des ressources et au transport du pétrole. Ainsi la possession de gisements communs frontaliers est un facteur de conflits entre pays voisins (Irak et Iran dans le Chatt al-Arab). Des tensions se développent aussi à des points stratégiques du réseau des oléoducs et des voies maritimes concernant le trafic pétrolier : passage d’une frontière (Irak-Turquie), d’un détroit (détroit d’Ormuz), ou d’un canal transocéanique (canal de Suez). D’ailleurs la fermeture de certains oléoducs ou l’évitement par leurs tracés de certains points de passage (Oléoduc est-ouest) illustrent parfaitement ces tensions liées au transport du pétrole. L’existence de l’OPEP montre par ailleurs l’évolution des rapports de force dans la région, avec la volonté des pays producteurs de s’émanciper de la tutelle des sociétés occidentales en coordonnant leur politique pétrolière dans une organisation commune.

Étude 2

p. 128-129

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La crise de Suez, 1956 L’étude de la crise de Suez (1956) est justifiée car elle constitue un évènement clef dans l’histoire des conflits du Proche et du Moyen-Orient et de l’intervention des puissances extérieures à la région dans ceux-ci. En effet, elle marque le début d’une perte définitive de l’influence franco-britannique dans la région, à la suite du fiasco diplomatique de l’intervention militaire. De nombreux États arabes rompent leurs relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne et la France. Les Britanniques perdent leur grande base militaire de Suez qui subsistait encore dans le cadre d’un traité d’alliance entre l’Égypte et la Grande-Bretagne et qui est dénoncé par Nasser en janvier 1957. À la suite de cette crise la France perd aussi ses positions traditionnelles dans la région à travers son réseau d’écoles et d’institutions diverses. Le discrédit des puissances européennes pousse les Arabes à se tourner davantage vers l’URSS et consacre la montée en force de la diplomatie américaine dans la région. La confrontation directe entre les deux superpuissances commence alors dans l’Orient arabe.

→Document 1 : Le trafic du canal de Suez Ouvert en 1869 à la suite des travaux de Ferdinand de Lesseps financés par la France et l’Égypte dont le Royaume-Uni rachète

les parts, le canal de Suez devient l’axe vital du trafic commercial reliant la Méditerranée à l’Asie. Après la Seconde Guerre mondiale, le canal demeure un point de passage stratégique pour les navires de commerce et les pétroliers. L’augmentation du tonnage de pétrole transitant par le canal montre l’importance nouvelle de la région dans la production mondiale avec la découverte de nouveaux gisements dans la Péninsule arabique et le Golfe persique.

→Document 2 : Les interventions militaires en 1956 Cette carte permet de retracer facilement le déroulement des opérations militaires : l’offensive au sol des troupes israéliennes débute le 29 octobre 1956. Le 31 octobre, les forces aériennes britanniques et françaises détruisent une grande partie de l’aviation égyptienne. L’Assemblée générale de l’ONU se réunit le 4 novembre et décide la constitution d’une force internationale pour séparer les combattants, la première de ce type dans l’histoire (jusque-là l’ONU n’avait envoyé que des observateurs). N’ayant plus aucun prétexte pour intervenir, la France et la Grande-Bretagne hâtent leur plan : ils improvisent des parachutages le 5 novembre avant un débarquement de forces terrestres le 6 à Port-Saïd ; ces forces font ensuite route vers le canal de Suez pour prendre le contrôle de la zone. Sur le plan militaire, l’opération connaît un succès total, mais la crise se transforme en débâcle politique car les Français et les Britanniques sont contraints d’abandonner le canal à Nasser sous la pression des Soviétiques, des Américains (voir document 5) et de l’ONU qui redoutent l’escalade. Le 7 novembre entre en vigueur un armistice. Le retrait israélien du Sinaï s’effectue en 1957 et la force d’interposition des casques bleus se déploie en territoire égyptien le long de la frontière avec Israël, dans la bande de Gaza et à Sharm al-Shaykh. La carte montre aussi l’importance stratégique du détroit de Tiran pour l’approvisionnement d’Israël par le Golfe d’Akaba. Seul bénéfice pour l’État hébreu, il obtient la liberté de navigation dans le Golfe d’Akaba ; toute atteinte désormais à ce droit pourrait constituer un cas de guerre, qu’utilisera Israël dans l’attaque préventive qu’il mènera pendant la guerre des Six Jours.

→Document 3 : « Un canal égyptien » Ce texte est un extrait du discours de Nasser dans lequel il annonce la nationalisation de l’exploitation du canal de Suez. En 1952, la monarchie pro-britannique du roi Farouk est renversée par les « officiers libres ». Le 26 juillet 1956, date anniversaire de la chute de la monarchie, le président Nasser prononce un discours radiodiffusé annonçant la nationalisation du canal. Cette décision est la conséquence des difficultés rencontrées par le « Raïs » pour lever les capitaux nécessaires à la construction du barrage d’Assouan, grand chantier essentiel au développement économique égyptien. En 1955, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) consent un prêt devant être cautionné par les gouvernements britanniques et américains et associé à un contrôle des finances égyptiennes. La même année, Nasser se rapproche de l’URSS, participe à la conférence anticoloniale de Bandoung et héberge au Caire le siège du FLN algérien. La réorientation de sa politique étrangère lui vaut la perte des soutiens financiers américains et britanniques. La BIRD retire son offre de prêt le 19 juillet 1956. Le discours de Nasser prend donc un ton anti-impérialiste qui atteint son paroxysme avec l’occupation du canal par les commandos égyptiens, ultime défi aux anciennes puissances coloniales qui en restent les principaux actionnaires. Ces dernières ripostent en constituant une alliance secrète avec Israël, qu’elles associent à la planification d’une intervention militaire combinée destinée à sécuriser le canal. En application des accords secrets de Sèvres, Israël prend le prétexte des attaques de fédayins palestiniens de Gaza pour pénétrer dans le Sinaï le 29 octobre 1956.

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de Suez (octobre 1956) Cette photographie montre la réaction de Nasser à l’intervention armée de la France, de la Grande-Bretagne et d’Israël. Il ordonne de couler des bateaux dans le canal rendant la circulation impraticable pendant plusieurs semaines. L’approvisionnement en pétrole de l’Europe est en grande partie interrompu. Elle devient totalement dépendante des arrivages américains.

→Document 5 : La réaction de l’URSS et des États-Unis Ce texte montre la réaction des États-Unis et de l’URSS à l’opération militaire tripartite. La lettre du maréchal Boulganine, président du Conseil des Ministres soviétique est un ultimatum adressé à Guy Mollet, président du Conseil français, et à Anthony Eden, Premier ministre britannique, le 5 novembre 1956. L’emploi de la force n’exclut pas l’utilisation de l’arme nucléaire. Elle provoque l’affolement des services de renseignement occidentaux. Il s’agit en réalité d’un véritable bluff, car Moscou n’a pas les moyens militaires d’intervenir au Moyen-Orient et en a prévenu Nasser. Cette lettre montre aussi que les États-Unis jouent plutôt la carte de l’ONU, se servant de cette tribune internationale pour faire pression sur les Européens. L’extrait des mémoires d’Antony Eden révèle aussi un autre instrument de pression par l’intermédiaire des marchés financiers qui spéculent à la baisse sur la livre sterling sans que les États-Unis agissent pour soutenir la monnaie britannique. Cette spéculation a pour principale conséquence de faire baisser les réserves de change de la banque centrale britannique et d’affaiblir la monnaie.

◗◗ Réponses aux questions 1. La nationalisation du canal est présentée par Nasser comme une lutte anti-impérialiste. La Compagnie du canal est considérée comme une atteinte à l’indépendance égyptienne, échappant aux lois du pays ; elle prive d’autre part l’Égypte d’une importante source de bénéfices. Pour les puissances européennes, le canal de Suez est un passage stratégique entre la mer Rouge et la mer Méditerranée, mais rapporte également des revenus pour ses actionnaires britanniques et français.

2. Les Britanniques et les Français lancent des opérations aériennes et amphibies dans le but de sécuriser le canal et de rétablir la libre-circulation sur celui-ci. Cette intervention militaire s’appuie sur Israël aux termes des accords secrets de Sèvres.

3. L’URSS fait planer la menace d’une intervention militaire et s’affirme comme le protecteur de l’Égypte. De leur côté, les Américains utilisent l’ONU comme une tribune pour exiger la fin des hostilités ; de plus ils laissent se développer des spéculations contre la livre sterling dans le but de contraindre le gouvernement britannique à retirer ses troupes. États-Unis et URSS espèrent ainsi voir leur influence progresser auprès des Arabes, dans une région stratégique pour leur approvisionnement pétrolier.

4. L’ONU condamne l’intervention armée, en appelant à la fin des combats et au retrait des troupes étrangères ; il déploie également des casques bleus dans le Sinaï comme force d’interposition.

◗◗ Vers la composition du BAC La crise de Suez est un conflit qui peut se lire à différentes échelles. Il s’agit d’abord d’un conflit local lié à la décolonisation. La nationalisation du canal de Suez par Nasser répond à une politique nationaliste et anti-impérialiste afin que l’État égyptien reprenne sa souveraineté complète dans la zone du canal au détriment des intérêts européens. La participation d’Israël et l’importance de la libre circulation sur le canal de Suez et dans le Golfe d’Akaba révèlent la dimension régionale de ce conflit.

Enfin, cette nationalisation du canal par Nasser marque le début d’une crise internationale. En effet, le caractère stratégique de l’approvisionnement pétrolier qui transite par le canal et la remise en cause des intérêts européens dans le capital de la compagnie poussent la France et la Grande-Bretagne à intervenir. En application d’un accord secret, une opération militaire combinée est menée par les Israéliens, les Britanniques et les Français pour sécuriser le canal de Suez. Les coalisés sont néanmoins contraints de se retirer sous la pression des deux superpuissances. Favorable au régime de Nasser, l’URSS fait peser tout son poids nucléaire pour mettre fin à l’intervention occidentale. Soucieux d’éviter un affrontement direct, les États-Unis font également pression sur les Britanniques et les Français pour les contraindre à se retirer. L’affaire marque un tournant géopolitique majeur caractérisé par l’effacement des anciennes puissances européennes au profit des États-Unis et de l’URSS et par l’affirmation de l’Égypte et d’Israël comme acteurs régionaux incontournables.

Étude 3

p. 130-131

La Guerre des Six Jours, 5 au 10 juin 1967 L’étude de la guerre des Six Jours présente plusieurs intérêts au regard de ce chapitre. Ce conflit illustre l’état de tension qui existe entre Israël et ses voisins arabes depuis 1948. Cette troisième guerre israélo-arabe établira durablement une suprématie militaire de l’État hébreu sur ses voisins arabes. De plus ce conflit, pourtant très bref, bouleverse considérablement la géopolitique de la région en inscrivant dans la durée la question des « Territoires occupés ». Enfin, cette étude permet d’aborder une guerre qui présente des enjeux à plusieurs échelles en interaction les uns avec les autres : nationaux avec des gains territoriaux symboliques et stratégiques réalisés par Israël ; régionaux avec cette troisième confrontation armée entre Israël et les États arabes voisins ; internationaux avec l’intervention d’acteurs comme l’ONU, les États-Unis et l’URSS. À cet égard les différentes dimensions géopolitiques emboîtées de cette guerre sont caractéristiques des nombreux conflits du Proche et du Moyen-Orient.

→Document 1 : La montée des tensions →Document 1a : La pression de l’Égypte Ce texte présente un extrait d’un discours de Nasser devant des officiers, le 24 mai 1967. L’Égypte est affaiblie par la guerre du Yemen qui provoque un fort mécontentement intérieur. Pour redorer son prestige de leader incontesté du panarabisme et effacer la défaite militaire de 1956, Nasser s’engage dans une politique de bras de fer avec Israël. Cette politique est soutenue, voire influencée par l’URSS qui cherche à consolider son réseau d’alliances dans la région en entretenant une tension permanente. Au mois de mai, Nasser fait pénétrer l’armée égyptienne dans le Sinaï en demandant aux forces d’interposition de l’ONU de se retirer, puis supprime la liberté de navigation dans le golfe d’Akaba en fermant le détroit de Tiran aux navires israéliens ; ces actes remettent en cause les accords négociés au lendemain de la crise de Suez qui prévoyaient la démilitarisation du Sinaï et la liberté de navigation sur le canal de Suez et dans le golfe d’Akaba.

→Document 1b : Les causes de la guerre selon les Israéliens Ce texte présente les causes de la guerre selon Ben Gourion en décembre 1967 ; à cette date, si Ben Gourion (voir biographie p. 218 du manuel) n’a plus de responsabilité gouvernementale (le Premier ministre est Levi Eskhol, appartenant lui aussi au Parti travailliste), il possède encore beaucoup d’influence sur la vie politique israélienne. Partisan d’une politique d’expansion territoriale

Chapitre 5 - Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

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→Document 4 : Bateaux coulés par l’Égypte à l’entrée du canal

et du langage de la force, il semble que sa position ait évolué peu à peu après la guerre des Six Jours ; dans une interview au Nouvel Observateur en 1970, il affirme qu’Israël doit évacuer tous les territoires occupés en échange de la paix, excepté Jérusalem (voir doc. 4) et les hauteurs du Golan. Cette lettre s’inscrit dans un échange de courriers en décembre 1967 avec le général de Gaulle, alors président de la République française et pose le problème des relations entre la France et Israël à cette date. En effet, au lendemain de la création de l’État hébreu la France a été longtemps l’allié le plus impliqué dans le soutien à Israël, poussant le rapprochement jusqu’à une véritable osmose entre les états-majors et les services de renseignement des deux pays à tous les échelons de commandement. La France était aussi le principal fournisseur d’armement d’Israël en avions, chars, artillerie et navire. Or après la guerre d’Algérie, de Gaulle va rééquilibrer la politique extérieure de la France au profit du monde arabe. L’attaque préventive des Israéliens et l’occupation des territoires sont condamnées par de Gaulle. Celui-ci évoque six mois après la guerre des Six Jours lors d’une conférence de presse en novembre 1967 : « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur », lors d’un passage de son intervention concernant la création de l’État d’Israël.

→Document 2 : Les forces en présence Ce tableau illustre les rapports de forces qui, d’une certaine manière, expliquent le choix de l’état-major israélien. Ce document permet de rappeler l’importance de la donnée démographique. En effet, avec moins de 3 millions d’habitants en 1967, Israël est onze fois moins peuplé que l’Égypte (32 millions d’habitants) et deux fois moins que la Syrie (5 millions d’habitants). L’État hébreu cherche à compenser ce déséquilibre par une supériorité qualitative du matériel, un meilleur entraînement et une capacité de mobilisation des réserves supérieure à celle de ses voisins arabes. Israël parvient globalement à l’emporter sur tous ces points. Les forces aériennes israéliennes sont alors dotées de chasseurs français Dassault Mirage III et de chars américains modernisés face auxquels les Arabes alignent des appareils d’origine soviétique (Mig-15 et -21 et bombardier Tu-16) et un ensemble terrestre hétérogène, reliquat de la période mandataire britannique, mais avec des équipages globalement moins aguerris. Depuis 1949, le service militaire israélien concerne tous les jeunes hommes et femmes âgés de plus de 18 ans pour une durée de 30 mois (18 pour les femmes). De ce fait, Israël mobilise très rapidement la quasi-totalité de ses forces alors que l’Égypte, par exemple, ne peut que compter que sur 20 % de ses troupes. On comprend donc aisément la nécessité pour Israël d’obtenir des résultats militaires décisifs en peu de temps. Le 10 juin 1967, la victoire d’Israël est totale et emplit les Israéliens comme les juifs de la diaspora d’un sentiment d’invincibilité. Cette euphorie n’a d’égale que l’humiliation des nations arabes qui ont subi des pertes considérables : autour de 250 000 soldats tués ou blessés (pour la plupart égyptiens), près de 5 000 prisonniers et plus de 450 avions contre 46 appareils détruits et moins de 1 000 tués du côté israélien. Le rapport des forces à la sortie du conflit est donc considérablement bouleversé.

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→Document 3 : Les frappes aériennes israéliennes Ce document montre les frappes aériennes israéliennes. En effet, à l’aube du 5 juin, les aviations syriennes et égyptiennes équipées et modernisées grâce à l’aide soviétique sont détruites au sol par une série de frappes préventives comme l’illustre la photographie d’un Mig égyptien détruit. Le succès total des frappes aériennes s’explique en partie par l’excellence du renseignement israélien et un meilleur niveau d’entraînement des pilotes.

→Document 4 : Ben Gourion devant le Mur occidental Cette photographie illustre la bataille pour Jérusalem. En effet les forces israéliennes entrent en Cisjordanie et s’emparent de Jérusalem, abandonnée par les troupes jordaniennes qui se retirent des combats, le 7 juin 1967. La vieille ville de Jérusalem, et notamment le Mur occidental, (Mur des Lamentations pour les chrétiens), constituent un fort enjeu symbolique pour les Israéliens. Il s’agit en fait du mur de l’enceinte du temple d’Hérode, unique lieu de culte du judaïsme, jusqu’alors sous souveraineté jordanienne. Dans les semaines qui suivent les maisons proches du Mur occidental sont détruites et leur population arabe expulsée afin de pouvoir agrandir l’esplanade d’accès au lieu saint juif.

→Document 5 : Les décisions de l’ONU Le document 5a est une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU datant du 4 juillet 1967 et concernant le statut de Jérusalem ; en effet, à la suite d’un vote de la Knesset le 27 juin sur la protection des lieux saints, complété par une décision gouvernementale le lendemain, Jérusalem-Est, de peuplement majoritairement arabe palestinien et jusqu’à alors sous souveraineté jordanienne, est annexée à Israël. Cette annexion permet ainsi de réunifier la ville divisée de fait depuis la première guerre israéloarabe de 1948-1949. En 1980, une nouvelle loi proclame Jérusalem, capitale d’Israël. Le document 5b est la résolution 242 prise à l’unanimité par le Conseil de sécurité le 22 novembre 1967, cinq mois après la guerre des Six Jours. Cette résolution demeure la référence de base pour la recherche d’un règlement pacifique du conflit israélo-arabe. En effet elle est citée dans le préambule des accords de Camp David (1 978), dans les déclarations politiques de l’OLP et de Yasser Arafat en 1988, reconnaissant pour la première fois le droit à l’existence de l’État d’Israël, et dans les accords d’Oslo (1993). Le texte de la résolution est un habile compromis entre les demandes des uns et des autres : le principe du retrait est mis sur le même plan que celui du droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ; la liberté de navigation se trouve placée à côté du juste règlement du problème des réfugiés. L’Égypte, la Jordanie et le Liban acceptent immédiatement la résolution ; celle-ci est au contraire rejetée par la Syrie et par l’OLP qui refuse de voir le sort des Palestiniens réduit à un simple rôle de réfugiés. Israël avance sa propre interprétation du texte en s’appuyant sur la version anglaise du texte, volontairement ambigüe car il n’y a pas d’article défini devant « territories », laissant planer l’imprécision sur l’étendue de l’espace d’où doivent se retirer les forces armées israéliennes. Mais la version française, qui a aussi une valeur officielle à l’ONU, est plus précise et demande le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés » sans exclusion aucune. Par ailleurs, l’interprétation globale de la résolution est moins ambigüe qu’il n’y paraît car le texte insiste en ouverture sur « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre ».

◗◗ Réponses aux questions 1. Les tensions à l’origine de ce conflit sont la remilitarisation du Sinaï et la fermeture aux navires israéliens de la navigation dans le golfe d’Akaba par Nasser. Ces décisions remettent en cause des accords internationaux signés au lendemain de la crise de Suez.

2. Durant la guerre des Six Jours les forces militaires engagées sont importantes : les forces arabes (215 000 hommes, 1 520 chars, 1 182 avions) sont supérieures en nombre aux forces israéliennes (125 000 hommes, 1 050 chars, 326 avions) ; d’où la tactique de guerre-éclair de l’armée israélienne visant à détruire l’aviation ennemie par des frappes aériennes préventives.

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bouleversent la géopolitique de la région : les forces armées israéliennes conquièrent et occupent le Sinaï, la Bande de Gaza, la Cisjordanie avec Jérusalem-Est (annexé en 1967) et le plateau du Golan (annexé en 1981). C’est la naissance du problème des « Territoires occupés ».

4. L’ONU adopte des décisions destinées à satisfaire les deux camps : le principe du retrait des territoires occupés par l’État d’Israël est lié à celui de la reconnaissance de l’existence de celuici et son droit à vivre en paix à l’intérieur de frontières reconnues ; la liberté de navigation pour les navires israéliens se trouve placée à côté du juste règlement du problème des réfugiés palestiniens.

◗◗ Vers l’étude de documents du BAC Ces extraits de texte présentent deux décisions de l’ONU sous forme de résolution, l’une émanant de l’Assemblée générale et l’autre du Conseil de sécurité, deux institutions essentielles de cette organisation internationale. Ces deux résolutions s’inscrivent dans le contexte de la guerre des Six Jours qui a bouleversé la géopolitique régionale avec la conquête et l’occupation de territoires arabes par Israël : Sinaï, Bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est, le plateau du Golan. Ces résolutions témoignent d’un état de tensions permanent entre Israël et les États arabes, portant sur différents points. En premier lieu, les États arabes de la région ne reconnaissent pas la création de l’État hébreu en Palestine. De plus, la première guerre israélo-arabe et la guerre des Six Jours ont créé l’existence de réfugiés palestiniens qui ont quitté les territoires occupés par Israël depuis 1948 pour se réfugier dans les territoires arabes voisins, posant la question de leur retour. Les frontières entre Israël et les États arabes voisins, lignes d’armistice provisoires fixées en 1949, sont aussi sources de contestations multiples. Enfin le statut de Jérusalem, ville sainte pour le judaïsme, le christianisme et l’islam reste sujet à controverse entre les Israéliens et les Arabes. L’intérêt de ces résolutions réside dans le fait qu’elles serviront de base à toutes les négociations ultérieures sur le conflit israélo-arabe.

Étude 4

p. 132-133

L’islamisme, un facteur de conflit au Proche et Moyen-Orient ? Cette étude pose le problème de la place exacte à accorder à l’islamisme, comme facteur explicatif des conflits au Proche et au Moyen-Orient. Il est essentiel d’insister sur le fait que l’islamisme n’est pas porteur en soi de tensions quand il est intégré aux sociétés et aux institutions des pays dans lesquels il se développe. Mais son idéologie anticolonialiste et antioccidentale, sa critique des gouvernements arabes laïcs ont fait de cette idéologie un des vecteurs des contestations et des conflits de la région.

→Document 1 : Une définition de la société islamique L’islamisme se présente de plus en plus comme une réponse alternative à l’occidentalisation associée à la politique extérieure des États-Unis mais aussi comme un refus de toute ingérence ou influence étrangères. Ce tournant est pris dans les années 1960 comme en témoigne la radicalisation des Frères Musulmans égyptiens et leur hostilité grandissante envers le régime de Nasser. L’évolution de la pensée de l’écrivain nationaliste Sayyit Qotb, figure indépendantiste des années 1940, traduit le passage du nationalisme vers l’islamisme. Qotb rejoint les Frères Musulmans en 1953 après avoir vivement dénoncé le « vide intellectuel » caractérisant le modèle américain et la société égyptienne qui s’est

éloignée de l’islam, perdant ainsi son identité. Le texte fait référence au concept de « Jahiliya », « l’ignorance de l’islam », dont il faut sortir en renversant les élites au pouvoir pour mettre en place une société plus équitable basée sur le Coran dans lequel se trouvent toutes les réponses au déclin du monde arabe. Ces pages ont servi de prétexte au pouvoir égyptien pour accuser Qotb de complot. Il est arrêté et pendu en 1966. Sa postérité est immense. Il est considéré comme l’un des penseurs clefs du djihad, c’est-àdire de la nécessaire reconquête islamique de la société.

→Document 2 : La charte du Hamas, 1988 Le mouvement de la résistance islamique (Hamas) est né pendant la première Intifada (1987-1993) ; il se présente comme la section palestinienne de la confrérie des Frères musulmans, mais sa charte s’intéresse davantage à la question nationale palestinienne qu’à l’islamisation de la société. Pour le Hamas, la Palestine mandataire est un bien religieux inaliénable (waqf), qu’il est impossible d’abandonner, même en partie. Il incombe donc à tous les musulmans de mener le djihad pour libérer la Palestine de l’occupation juive. Le Hamas ne se pose pas ouvertement en rival de l’OLP, mais ses références constantes à l’islam et sa condamnation des efforts de paix avec Israël (notamment les accords d’Oslo) montrent qu’il propose une autre orientation que l’organisation de Yasser Arafat. Aujourd’hui le Hamas est considéré comme une organisation terroriste par les ÉtatsUnis et l’Union européenne. Mais au long des années, cette charte est de moins en moins citée par les responsables du mouvement, dont les positions ont évolué, notamment sur la question de l’instauration d’un État islamique. Pour jouer un rôle dans le règlement du conflit israélo-palestinien, le Hamas devra passer par les mêmes révisions que l’OLP à la fin des années quatre-vingt.

→Document 3 : L’assassinat d’Anouar El-Sadate, 6 octobre 1981 Anouar al-Sadate participe à la révolution de 1952, qui renverse la monarchie, aux côtés de Nasser. Il est chargé par lui de mener la répression contre les Frères musulmans en Égypte qui lui en tiendront toujours rigueur. Succédant à Nasser en 1970 à la présidence de la République, il mène une politique de négociations avec Israël. En 1977, il est le premier chef d’État arabe à se rendre à Jérusalem, amorçant le processus de Camp David, qui aboutit au traité de paix israélo-égyptien en 1979. Il obtient alors le Prix Nobel de la paix avec le Premier ministre israélien Menahem Begin en 1978. Le 6 octobre 1981, le président égyptien Anouar al-Sadate est victime d’un spectaculaire attentat, lors d’une parade militaire. Sadate paye de sa vie la normalisation des relations entre l’Égypte et Israël, perçue comme une trahison par les islamistes.

→Document 4 : L’Iran, un exemple de puissance islamiste et régionale L’Iran est une incontestable puissance régionale appuyée sur son poids économique (pétrole) mais aussi démographique (78 millions d’habitants) et une situation stratégique. L’influence iranienne au Proche et Moyen-Orient s’exerce notamment à travers un soutien aux communautés chiites de la région : il livre des armes aux milices chiites de Moqtada Al-Sadr en Irak et du Hezbollah au Liban (voir doc. 5). L’Iran entretient aussi de multiples liens avec la Syrie : le clan Assad au pouvoir depuis les années soixante-dix s’appuie sur une base confessionnelle, les alaouites, constituant une branche du chiisme ; mais ce sont surtout des accords militaires qui scellent l’alliance entre les deux États. Ces alliances constituent le croissant chiite dont l’Iran est le pivot et qui entretient des relations tendues avec les puissances régionales

Chapitre 5 - Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

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3. Ce conflit a des conséquences territoriales importantes qui

sunnites, au premier rang desquelles l’Arabie Saoudite, reproduisant la vieille opposition religieuse entre chiites et sunnites. Des puissances extra-régionales constituent aussi des alliés de la République islamique : la Russie pour qui l’Iran constitue à la fois un important marché d’armes, mais aussi un pôle de résistance à l’influence américaine dans la région. Quant à la Chine, elle soutient l’Iran pour des raisons économiques (énergie) et stratégiques (présence au Moyen-Orient). L’affirmation de l’Iran en tant que puissance régionale montre aussi l’évolution du régime, où, malgré un discours islamiste de façade, c’est le nationalisme qui tend à devenir la véritable source de légitimité du pouvoir en place. Cette nationalisation de l’islamisme, selon Olivier Roy (politologue, spécialiste de l’Islam), s’observe dans de nombreux mouvements au Proche-Orient, comme le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien. Le programme nucléaire iranien a été relancé en pleine guerre Iran-Irak (1980-1988). De nombreux faits convergents (souci de dissimulation, acquisition d’une technologie d’enrichissement de l’uranium qui sert uniquement à produire une bombe) témoignent d’un programme nucléaire à finalité militaire. La communauté internationale a alors demandé un arrêt de cette filière militaire, y compris en imposant des sanctions (restriction des échanges commerciaux, notamment pour les échanges de technologie) par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. La doctrine nucléaire iranienne n’est pas connue, mais la multiplication des prises de position contre Israël, notamment celles de l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad, peut constituer en soi une menace potentielle. L’élection en 2013 du nouveau président iranien Hassan Rohani, plus modéré, permet de rouvrir des négociations en novembre avec le groupe 5+1 (États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France et Allemagne). Elles aboutissent alors à un accord historique permettant de limiter le programme nucléaire iranien à des activités uniquement civiles en échange d’une levée partielle des sanctions économiques.

→Document 5 : Manifestation de soutien au Hezbollah

3. La politique iranienne peut contribuer à aggraver les tensions internationales au Proche et Moyen-Orient. En prenant la tête d’une alliance des communautés chiites, l’Iran s’oppose ouvertement à certains États arabes sunnites de la région. De plus leurs livraisons d’armes à des mouvements islamistes régionaux entretiennent des risques de déstabilisation à l’intérieur de certains États. Enfin le programme nucléaire iranien peut constituer une menace pour des États considérés comme ennemis dans la région, à l’exemple d’Israël.

◗◗ Vers la composition du BAC L’islamisme peut contribuer à être un facteur de déstabilisation des États et d’aggravation des tensions au Proche et Moyen-Orient. L’islamisme appuie sa doctrine sur l’opposition irréductible qui existe entre des sociétés islamiques et des sociétés qui n’ont pas adopté la loi religieuse dans leur organisation sociale : les sociétés communistes, chrétiennes, juives mais aussi certaines sociétés musulmanes sont clairement dénoncées par des théoriciens de l’islamisme comme Sayyid Qotb. Les islamistes combattent toute influence jugée étrangère au Proche et Moyen-Orient d’États non musulmans. Ainsi pour le mouvement islamiste du Hamas le règlement du problème palestinien ne passe pas par des négociations avec Israël, mais par une lutte pour libérer la Palestine de l’occupation israélienne. Le Hezbollah défend l’intégrité territoriale du Liban contre Israël. Ils combattent aussi des gouvernements musulmans ne faisant pas appliquer la loi religieuse ou « pactisant » avec des ennemis de l’islam ; le président égyptien, Anouar El-Sadate est assassiné pour avoir signé des accords de paix avec Israël. La politique extérieure menée par l’Iran, seul état islamiste de la région, peut aussi constituer un facteur de conflit ; ainsi il livre des armes aux mouvements islamistes qui combattent toutes influences étrangères en terre d’islam, en n’hésitant pas à recourir au terrorisme. Cependant il faut relativiser le poids du facteur religieux dans les luttes menées par les mouvements islamistes, dont les motivations semblent être davantage nationalistes.

libanais à Téhéran Le Hezbollah (le « Parti de Dieu ») est une organisation politicomilitaire libanaise créée par l’Iran, au moment de l’invasion israélienne au Liban en 1982, qui le finance et lui procure des armes. Hassan Nasrallah prend la tête de ce mouvement en 1992, dont la base confessionnelle est constituée par la communauté chiite libanaise. Le Hezbollah tire sa légitimité de la lutte contre Israël, dont il obtient le départ du sud-Liban en 2000. Cette manifestation en Iran se déroule pendant l’été 2006, lors de l’intervention israélienne au sud du Liban contre les positions du Hezbollah, qui bombardaient le nord d’Israël.

◗◗ Réponses aux questions

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1. Selon Sayyid Qotb, les sociétés qui ne sont pas islamiques sont les sociétés communistes, juives et chrétiennes ; ce sont également des sociétés musulmanes qui ne sont pas organisées selon des règles religieuses. Toutes ces sociétés entrent dans la catégorie de « société de l’ignorance islamique ». Ses idées influencent les Frères musulmans du Hamas qui prônent la lutte contre l’occupation juive de la Palestine sous la forme du djihad. Elles influencent aussi l’action terroriste d’extrémistes islamistes, qui, par exemple, ont assassiné le président égyptien, Anouar ElSadate, pour avoir signé des accords de paix avec Israël.

2. Les objectifs du Hamas accroissent les tensions en portant le problème de la Palestine sur le terrain religieux ; en effet, pour le Hamas, l’occupation par les Israéliens de confession juive d’une terre islamique, qui abrite de surcroît des lieux saints, impose à tous les musulmans de combattre pour libérer la Palestine.

Histoire des arts

p. 134-135

Photojournalisme et conflit au Proche et Moyen-Orient À partir des années trente se développe un métier ou une technique journalistique, le photojournalisme, qui consiste à fournir aux journaux des reportages photographiques, éventuellement accompagnés d’articles. La mise au point de petits appareils photographiques performants a permis aux photojournalistes de couvrir les conflits au cœur de l’action. Le travail de Robert Capa (1913-1954) pendant la guerre d’Espagne, la Seconde Guerre mondiale ou la guerre d’Indochine a donné ses lettres de noblesse à ce nouveau type de reportage. Le Proche et le Moyen-Orient sont souvent associés à la guerre, avec son cortège de destructions, de souffrance des civils, d’affrontements entre militaires et civils, thèmes qui se retrouvent dans ces photographies de presse distinguées par la communauté des photoreporters mais aussi dans les autres photographies du chapitre. Le choix de ces deux photographies doit permettre de faire réfléchir les élèves sur la construction de l’image et la perception qu’elles donnent de cette région marquée par les conflits.

→Document 1 : réfugiés palestiniens à Beyrouth (Liban) en 1976, photographie de Françoise Demulder Françoise Demulder (1947-2008) est la première correspondante de guerre à recevoir le prix World Press en 1977. Avant d’arriver

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au Liban, elle couvre la guerre du Vietnam. Afin de s’imprégner des lieux à photographier, elle avait l’habitude de s’installer plusieurs mois dans la région de ses reportages. Cette photographie a été prise dans la matinée du 18 janvier 1976 à Beyrouth dans le quartier précaire de la Quarantaine où s’entassent près de 30 000 réfugiés palestiniens. En 1975, le Liban sombre en effet dans la guerre civile entre milices chrétiennes, palestiniennes et druzes, dans laquelle les populations civiles sont prisonnières des combats. Cette photographie est prise au moment où ce quartier musulman tombe aux mains des milices chrétiennes. Françoise Demulder saisit l’instant où une Palestinienne implore un soldat phalangiste cagoulé armé d’un fusil. Cette image est devenue le symbole du drame palestinien pendant cette guerre et fut placardée sur les murs de Beyrouth. De cette photographie est née une amitié entre la photographe et Yasser Arafat, le leader palestinien.

place différente des civils dans ces conflits, soit subissant les combats ou participant à ceux-ci en tant que protagonistes directs. En saisissant les images dans l’action des événements, les photographes insistent sur l’atmosphère de violence qui règne dans la région. Photographes occidentaux, ils mettent l’accent aussi sur la détresse des civils, pris dans ces conflits. Enfin ils insistent sur la situation d’infériorité des civils dans les combats, quelque que soit leur position, face à des combattants professionnels.

→Document 2 : Affrontements entre soldats israéliens et civils

Cette première leçon a pour objet à la fois de montrer les facteurs permanents de tensions au Proche et Moyen-Orient depuis 1945, mais également des facteurs plus conjoncturels liés à l’interaction entre les interventions de puissances extérieures à la région, le jeu des nationalismes locaux, et la résurgence de l’islamisme dans les années soixante-dix. Afin de mieux comprendre ces facteurs le choix s’est porté sur un plan de leçon chrono-thématique, qui met mieux en valeur chaque catégorie de facteurs dans trois parties distinctes.

Wendy Lamm est une photojournaliste américaine née en 1964 qui travaille à ses débuts aux États-Unis. Elle est en poste à partir de 1996 à Jérusalem, comme correspondante de l’Agence France Presse. Pendant les émeutes anti-israéliennes à Hébron le 9 avril 1997, la photographe saisit l’instant où un palestinien jette des pierres à des soldats israéliens qui ripostent en lui tirant dessus avec des balles en caoutchouc. L’inégalité de l’armement utilisé dans les deux camps permet d’évoquer avec les élèves la notion de guerre asymétrique.

◗◗ Réponses aux questions 1. Sur ces deux photographies sont présentés des miliciens, des civils et des soldats, tous acteurs des conflits de la région.

2. Ces photographies montrent des civils, victimes de ces conflits, car ils sont pris dans des combats entre factions adverses, subissant ainsi des dommages matériels et physiques. Elles montrent aussi des civils qui s’engagent volontairement dans les conflits en attaquant des forces armées régulières.

3. La première photographie juxtapose trois plans : le milicien phalangiste domine le premier plan de la photographie ; le deuxième plan est occupé par les civils palestiniens, qui s’enfuient du quartier en flammes ou qui, dans le cas de la femme palestinienne, font face au milicien pour l’implorer. Enfin au dernier plan apparaissent des habitations en train de brûler. La deuxième photographie est divisée en deux avec à gauche les soldats israéliens et à droite les civils palestiniens révoltés, en train de jeter des pierres.

4. Dans la première photographie, le visage suppliant de la femme avec les mains en position d’imploration, le pas accéléré des autres palestiniens s’enfuyant sur fond d’habitations en flammes, tout suggère la souffrance des civils pendant les combats. La deuxième photographie montre deux camps irréconciliables dans la détermination des soldats et des civils palestiniens à s’affronter. Elle montre aussi le caractère inégal du combat entre des soldats utilisant des fusils et des civils, jetant des pierres.

5. Les combattants professionnels, miliciens et soldats israéliens, sont présentés en position de force dans les combats.

◗◗ Vers l’étude de documents du BAC En premier lieu ces deux photographies insistent sur la place des guerres civiles au Moyen-Orient, qui constituent un type essentiel des conflits dans la région. Celles-ci opposent à l’intérieur d’un État des combattants et des civils appartenant à des communautés différentes : milices chrétiennes contre des civils musulmans au Liban ; soldats israéliens contre des civils palestiniens. La confrontation des deux photographies permet aussi de montrer la

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Une région prise entre convoitises étrangères et affirmations nationales

• Présentation

• Choix des documents « appuis » du cours L’indication du choix de quelques documents dans la colonne est destinée aux enseignants. Il souligne des documents d’appui dans les études qui évitent d’étudier celles-ci dans leur intégralité pour gagner du temps, au vu des horaires très réduits (2 heures) qui sont impartis à la classe de terminale S. Mais cette sélection de certains documents doit aussi servir aux élèves, qui doivent appuyer leur raisonnement sur des exemples précis, leur permettant ainsi de mieux hiérarchiser leur argumentation. L’étude de ces documents s’avère également un entraînement incontournable dans la perspective de la deuxième partie de l’épreuve du baccalauréat, portant sur l’étude de documents. Le tableau p. 126 présentant le capital de quelques compagnies pétrolières illustre les intérêts occidentaux dans la participation aux capitaux des compagnies concessionnaires. Le texte p. 126 présentant l’arme du pétrole illustre les deux volets de l’utilisation du pétrole comme arme politique, en temps de guerre et en temps de paix. La carte p. 120 présentant la diversité des peuples et des religions permet de montrer que cette mosaïque peut constituer un facteur de tensions intercommunautaires. Le texte p. 128 présentant le discours de Nasser permet de montrer que la persistance du facteur colonial est une des clefs de la compréhension de la crise de Suez. Le texte p. 144 présentant la Déclaration d’Eisenhower illustre parfaitement les nouvelles ambitions géopolitiques américaines au Proche et Moyen-Orient ; de plus le caractère synthétique de ce document en fait un texte clef dans les choix possibles de l’épreuve du baccalauréat. La photographie p. 127 présentant des soldats américains devant un blindé irakien détruit sur fond de puits de pétrole en feu illustre les enjeux de l’intervention américaine en Irak. Le texte p. 132 de Sayyid Qotb présentant une définition de la société islamique montre en quoi l’islamisme peut constituer un facteur de conflit par sa dénonciation des sociétés non-islamiques. La photographie p. 132 présentant l’assassinat d’Anouar ElSadate montre la contestation radicale par certains groupes islamistes de certains régimes musulmans.

Chapitre 5 - Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

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palestiniens à Hébron en 1997, photographie de Wendy Lamm

Cours 1

La carte p. 133 présentant l’Iran comme une puissance islamiste et régionale montre en quoi la politique de cet État islamiste peut constituer un facteur de conflit.

Cours 2

p. 138-139

Le conflit israélo-arabe depuis 1948

• Présentation Cette deuxième leçon a pour objet de montrer le rôle central du conflit israélo-arabe dans le cadre plus général de ce chapitre sur le Proche et le Moyen-Orient, foyer de conflits. En effet, par l’implication de ses multiples acteurs ce conflit possède une résonnance qui va de l’échelle locale à l’échelle internationale, en passant par la permanente tension qu’il entretient entre les États de la région. Ce rôle central du conflit israélo-arabe se renforce avec le fait qu’il est un facteur d’unité ou de division des États arabes. Enfin, il constitue un élément déterminant des politiques extérieures menées dans la région. Le choix d’un plan chronologique se justifie par le fait qu’il permet de montrer l’évolution de ce conflit. De plus s’il existe parfois des connexions avec d’autres conflits dans la région (voir la crise de Suez), il possède aussi sa chronologie propre. Ces arguments expliquent le choix de présenter ce conflit dans une leçon séparée.

• Choix des documents « appuis » du cours Les cartes 2a et 2b p. 122 présentant le territoire d’Israël entre le plan de partage de l’ONU de 1947 et la première guerre israéloarabe de 1948 montre les évolutions géopolitiques de la Palestine. La carte p. 128 présentant les interventions militaires en 1956 montre le déroulement des opérations israéliennes pendant la crise de Suez. L’Étude 3, p. 130-131 présentant la guerre des Six Jours permet de montrer les multiples enjeux du conflit israélo-arabe. La carte 2c, p. 122 présentant le territoire d’Israël montre que la guerre des Six Jours bouleverse la géopolitique régionale. La photographie p. 132 présentant l’assassinat d’Anouar ElSadate montre les positions divisées du monde arabe vis-à-vis de l’existence d’Israël au début des années quatre-vingt. La photographie 1, p. 124 présentant Yasser Arafat et les fédayins montre les orientations initiales du leader palestinien privilégiant la lutte armée dans la confrontation avec Israël. Le texte p. 142 présentant les accords d’Oslo montre les difficultés de leur application dans le cadre du processus de paix. La carte 1, p. 139 présente les territoires palestiniens sur lesquels s’exerce le pouvoir autonome de l’Autorité palestinienne et montre la Bande de Gaza sur laquelle s’exerce le contrôle du Hamas. Le document 2, p. 139 présente l’évolution numérique du peuple arabe et juif en Palestine et en Israël.

Prépa Bac

p. 140-141

◗◗ Composition

Sujet guidé : La Palestine, un foyer de conflit depuis 1948. 2. Présenter le sujet La troisième phrase correspond le mieux au sujet car elle fait référence aux différentes formes de conflits après 1948. La première phrase se limite aux conflits entre Israël et les Palestiniens en excluant les États arabes voisins. La deuxième phrase ne prend en compte que les guerres en excluant les différentes formes de conflits.

3. Construire un plan 1. La Palestine, enjeu des guerres israélo-arabes de 1948 à 1978 A. 1948, conséquences de la création de l’État d’Israël. B. 1967 et 1973, deux conflits armés aux dimensions internationales. C. Le renforcement du nationalisme palestinien après 1967. 2. Depuis 1978, entre négociations et affrontements A. La lutte des Palestiniens dans les territoires occupés. B. La recherche de la paix et ses limites.

4. Rédiger l’introduction et la conclusion 1. De 1948, date de la création de l’État d’Israël, jusqu’à aujourd’hui, la Palestine est au cœur de nombreux conflits régionaux et internationaux. Cette période a été marquée par des guerres, des déplacements de populations, des négociations ou encore des actes de terrorisme. Nous verrons tout d’abord que la Palestine est, de 1948 à 1978, l’enjeu des guerres israéloarabes. Puis, qu’à partir de 1978, s’ouvre une période marquée par des négociations, mais aussi des affrontements.

2. Ne parlant que de la situation actuelle, cette conclusion ne fait pas un bilan du sujet. L’ouverture s’éloigne trop du sujet même si elle concerne la région du Moyen-Orient. 3. Depuis 1948, les conflits qui se sont déroulés en Palestine ont une dimension à la fois régionale et internationale. Aujourd’hui les tensions persistent faute d’accords entre Israéliens et Palestiniens.

Sujet en autonomie : Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le sujet nous invite à étudier d’abord les facteurs de conflits puis à identifier leurs différentes échelles.

1. Les facteurs de tensions régionales A. Des ressources et frontières discutées. B. La création de l’État d’Israël. C. Les revendications identitaires : nationalisme et islamisme.

2. Des conflits à différentes échelles

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A. Des guerres civiles (Liban, Syrie). B. Des guerres interétatiques (Iran / Irak, guerres du Golfe). C. Des conflits régionaux aux dimensions internationales (guerres israélo-arabes, Intifadas). En conclusion, il convient de faire remarquer que si les tensions restent toujours présentes aujourd’hui, des lueurs d’espoir sont perceptibles et qu’un embrasement généralisé de la région semble écarté pour le moment.

68 • Chapitre 5 - Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

Prépa Bac 

p. 142-144

◗◗ Analyse de document(s)

Sujet guidé : La question palestinienne depuis les années 1990. 4. Confronter les documents Thèmes abordés dans la 1re partie de la consigne : « ce que les accords d’Oslo ont institué »

→Document 1

→Document 2

– Rencontre entre Yitzhak Rabin – Des négociations qui se sont déroulées en 1992 à et Yasser Arafat à Washington en Oslo sous l’égide des États-Unis et qui aboutissent pour la première fois entre Israéliens et Palestiniens. présence de Bill Clinton en 1993.

– 13 septembre 1993, signature à Washington de la « déclaration de principes » par Yitzhak Rabin et Yasser Arafat ; – « Poignée de main historique encouragée par le président américain Bill Clinton ».

– Les accords d’Oslo, signés en 1993 à Washington par Yasser Arafat et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, reconnaissent officiellement l’existence politique de la Palestine, première étape vers la création d’un État palestinien.

– « Les premiers acceptaient de reconnaître l’OLP comme seul représentant du peuple palestinien, laquelle a donné naissance à l’Autorité palestinienne. »

– Deux territoires distincts et délimités : Israël d’un côté et des territoires palestiniens de l’autre.

– Le type d’obstacle uniquement abordé dans le document 1 est « un mur de séparation construit par l’État israélien entre Israël et les territoires palestiniens depuis 2002 ».

– Le type d’obstacle évoqué uniquement par le document 2 est « depuis plus de 20 ans, le nombre des colons israéliens a plus que doublé […] l’État juif a annoncé la construction de plus de 3 600 nouveaux logements dans les colonies. »

Sujet en autonomie : Le Moyen-Orient, entre convoitises internationales et affirmations nationales. La confrontation des deux documents permet de faire ressortir les causes de la convoitise suscitée par le Moyen-Orient et les conséquences qui en découlent.

1. Le Moyen-Orient est l’objet de convoitises

A. La crise de Suez de 1956 et le rejet de l’impérialisme occidental. B. Les menaces d’affrontement armé dans un contexte de guerre froide. Il est intéressant de préciser, en conclusion, que le contexte de la guerre froide a été un facteur aggravant des tensions au MoyenOrient, particulièrement à la fin des années 1950.

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A. Une position géostratégique. B. Des ressources cruciales pour l’Occident (hydrocarbures). C. La revendication des lieux saints.

2. Les tensions que cela entraîne dans les années 1950

Chapitre 5 - Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

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thème 3 Les échelles de gouvernement dans le monde chapitre 6 Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique

p. 146-173

Programme : Thème 3 – Les échelles de gouvernement dans le monde (11 à 12 heures) Question

Mise en œuvre

L’échelle de l’État-nation

Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique.

◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre

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L’objet du chapitre, comme toute l’architecture du thème 4 consacré aux échelles de gouvernement dans le monde, est repris du programme actuel des séries ES et L, avec quelques modifications notables. Par l’analyse successive de trois situations prises à des points de vue concentriques (l’échelle nationale avec la France, l’échelle continentale avec l’Europe, l’échelle mondiale avec la gouvernance économique), il s’agit d’étudier la manière dont le gouvernement s’exerce dans le monde d’aujourd’hui. Si les bornes chronologiques sont les mêmes que pour les ES et les L, il faut remarquer que la perspective est complétée par l’introduction de la question de l’opinion publique, ce qui peut être une façon de compenser la suppression du thème « Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus » en série S. Ce chapitre appelle à plusieurs questionnements complémentaires, à traiter en classe en 4 ou 5 heures, ce qui interdit toute prétention à l’exhaustivité. On peut d’abord s’interroger sur la construction d’un modèle de gouvernement en France après la Libération. L’opposition classique entre les constitutions de la IVe et de la Ve République mérite d’être nuancée par un accent mis sur les évolutions des institutions de la Ve République, qui n’est donc pas un système figé et immuable. Il s’agit ensuite de passer de la théorie à la pratique, en analysant un instrument de la présence de l’État (l’École nationale d’Administration), ainsi que son action concrète dans divers domaines : l’économie (l’État entrepreneur), la gestion du territoire (la décentralisation), le social (l’État-providence), la culture (les grands projets tels que la pyramide du Louvre). Cette action s’inscrit dans un contexte de mondialisation croissante, qui dépouille progressivement l’État de ses prérogatives à contrôler les conditions de vie du pays et fait fréquemment parler d’un « recul de l’État » à nuancer. Enfin, il faut analyser les réactions du gouvernement face aux mouvements de l’opinion publique, la fiche Éduscol proposant de l’analyser à travers l’exemple de mai 1968, illustrant « les nouvelles revendications issues de la génération du baby-boom ».

◗◗ Débat historiographique et quelques notions du chapitre La notion de modèle français semble aujourd’hui contestée. L’étude du gouvernement de la France depuis 1946 appelle immanquablement à une réflexion sur un supposé « modèle français » élaboré à la Libération, à partir du programme du Conseil national de la Résistance, et progressivement remis en cause depuis la crise économique des années 1970. Cette idée, globalement à valider, mérite également d’être nuancée.

Les années 1944-1946 construisent effectivement un vaste système cohérent marqué par le rôle moteur de l’État dans l’économie et dans la protection sociale, dans une optique résolument keynésienne. Selon la typologie de Pierre Rosanvallon, l’État, qui était avant tout régalien (assurant les fonctions primordiales de défense, de police, de justice et de monnaie), se fait à la fois entrepreneur (les grandes nationalisations), organisateur de la production (le système de la planification), protecteur (les assurances sociales de l’État-providence) et aménageur du territoire (plan Jeanneney de 1960, création de la DATAR en 1964, schéma directeur d’aménagement urbain de la région parisienne en 1965). La rupture avec le passé n’est toutefois pas totale, puisque l’État monarchique puis républicain avait eu l’occasion d’imprimer sa marque dans l’économie (colbertisme, constitution d’un réseau de chemin de fer). La crise des années 1970 met cependant l’État face aux limites de son action. Les nombreuses interventions destinées à sauver tous les pans menacés de l’appareil productif montrent leur coût très important et leur manque d’efficacité (Élie Cohen, L’État-brancardier : politiques du déclin industriel, 1974-1984, Calmann-Lévy, 1989), d’où une remise en cause généralisée du modèle dans les années 1980 sous l’influence d’une deuxième gauche moins dirigiste et moins jacobine et surtout du libéralisme incarné en 1986 par le gouvernement de Jacques Chirac. L’érosion du rôle de l’État se manifeste par un retrait progressif du secteur productif (les vagues de privatisations) et par l’intégration croissante dans la construction européenne, mais elle n’est pas totale, à la demande même des Français qui cherchent à garder un État protecteur contre les risques sociaux (Assurance maladie, RMI puis RSA) et contre les conséquences de la mondialisation.

• Administration. Ce terme désigne à la fois l’activité de gérer

un territoire et une catégorie de personnels chargés d’exercer cette tâche, relevant de la fonction publique. Celle-ci, forte de 5,5 millions de personnes, comprend trois corps distincts : la fonction publique d’État (employés des ministères), la fonction publique territoriale (employés des collectivités territoriales : régions, départements, communes, communautés de communes) et la fonction publique hospitalière (employés des hôpitaux et des établissements médico-sociaux). Il est ici surtout question de la haute administration, de sa formation par l’École nationale d’Administration (Étude 1) et de ses relations avec le politique.

• Politique

publique. Cette expression, traduite de l’anglais public policy dans les années 1970, présente plusieurs définitions, notamment étudiées par Jean-Claude Thoenig et Yves Mény (Les Politiques publiques, PUF, coll. Thémis, 1989). Pour les résumer, on peut parler d’un programme gouvernemental d’actions cohé-

70 • Chapitre 6 - Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique

• Gouvernement /  gouvernance. Le terme classique de gou-

vernement, figurant dans le sous-titre du chapitre, renvoie à la manière d’exercer le pouvoir exécutif par la prise de décisions politiques s’appliquant sur tout le territoire d’un État. Nettement interventionniste à partir de 1946 dans le cadre de la Reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, plus libéral après les années 1980, malgré d’importantes nuances selon les sensibilités politiques au pouvoir, le gouvernement de la France est à l’origine de nombreuses réformes ayant modifié la façon de vivre dans le pays. La notion de gouvernance, quant à elle, mise en avant dans l’intitulé des autres chapitres du thème 3, est beaucoup plus récente dans la vie politique française. Ce vieux mot français, synonyme de gouvernement, est passé dans la langue anglaise où il a surtout été appliqué dans le domaine économique, dans le sens d’une bonne coordination entre la direction et les actionnaires d’une grande entreprise. Le mot est ensuite revenu en France au cours des années 1990, pour désigner un type de gestion des affaires publiques moins marqué par une stricte hiérarchie entre les responsables (comme dans le gouvernement) que par la recherche d’un équilibre entre les détenteurs du pouvoir, d’une plus grande transparence des décisions et d’une meilleure prise en compte des aspirations populaires. Ce mode de gestion du pouvoir a par exemple été invoqué par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et par le président américain Barack Obama. Pour le politologue Philippe Moreau Defarges (auteur de La Gouvernance, PUF, 2011), « un gouvernement est un organe institutionnel. Installé au sommet de la hiérarchie étatique, il donne des ordres qui descendent de haut en bas de l’échelle sociale. La gouvernance n’est pas une entité, c’est un système rejetant toute hiérarchie » qui privilégie la négociation permanente.

• Opinion publique. Cette expression, fréquemment employée

par les médias qui y sont très attentifs, n’est pas toujours facile à cerner. Il est utile de rappeler que son origine date de la France du xviiie siècle. L’opinion publique se résume à cette époque à l’expression publique des opinions de la bourgeoisie intellectuelle et commerçante à travers les discussions des salons et les différentes publications (brochures, libelles, pamphlets) destinées à tenter d’influencer les autorités. À partir de la Révolution, sa conception s’élargit au fur et à mesure que le suffrage censitaire s’installe puis laisse la place au suffrage universel (masculin en 1848, puis féminin en 1944). Avec la diffusion du droit de vote, l’opinion publique se matérialise à échéances régulières par le résultat des urnes, mais aussi par des protestations collectives et des manifestations de rue exprimant un désaccord avec la politique des gouvernements. Cette opinion est également de plus en plus relayée par les journalistes, qui alimentent le débat public grâce à l’émergence des médias de masse et cherchent à jouer un rôle de contre-pouvoir, ainsi que, depuis les élections présidentielles de 1965, par les instituts de sondages, qui tentent de la mesurer scientifiquement au moyen de questionnements réguliers réalisés sur des échantillons censés être significatifs. Devenus omniprésents dans la vie politique, non seulement avant chaque échéance électorale, mais à des périodicités de plus en plus rapprochées (les baromètres de popularité des hommes politiques), les sondages sont à la fois très suivis par le personnel politique, très commentés par les médias

et fréquemment remis en question pour leur caractère volatile et difficilement interprétable. Ils ne suffisent pas à rendre compte de la complexité de l’état de l’opinion publique.

◗◗ Bibliographie

• Ouvrages universitaires M.-O. Baruch, Servir l’État français. L’Administration en France de 1940 à 1944, Fayard, 1997. M.-O. Baruch, V. Duclert (dir.), Serviteurs de l’État, une histoire politique de l’Administration française 1875-1945, La Découverte, 2000. M. Bernard, Histoire politique de la Ve République, Armand Colin, 2008. J.-L. Bodiguel, M.-C. Kessler, L’École nationale d’administration, préface de M. Debré, Presses de la FNSP, 1978. D. Chagnollaud, Le Premier des ordres. Les hauts fonctionnaires (xviiie-xxe siècles), Fayard, 1991. D. Chagnollaud, J.-L. Quermonne, Le Gouvernement de la France sous la V e République, Fayard, 1996. P. Gauchon, Le Modèle français depuis 1945, PUF, 2008. S. Maury, Les Politiques publiques, La Documentation française, 2013. P. Poirrier, L’État et la culture en France au xxe siècle, Librairie Générale Française, 2006. P. Rosanvallon, Le Modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme, Seuil, 2004.

• Sites Internet http://www.assemblee-nationale.fr/ Le site officiel de l’Assemblée nationale rapporte l’actualité des débats parlementaires, mais contient aussi les archives des anciennes législatures, ainsi que quelques documents pédagogiques. http://www.senat.fr/ Le site officiel du Sénat, présentant une utile partie « mode d’emploi ». http://www.gouvernement.fr/gouvernement/ etat-et-collectivite Le point sur l’actualité du gouvernement et sur les politiques publiques par domaine. http://www.service-public.fr Un site présentant l’administration française du point de vue des particuliers, en fonction des services qu’ils peuvent rechercher.

Introduction au chapitre

p. 146-147

La double page d’ouverture du chapitre tente de rendre compte de la complexité de la question du gouvernement de la France, à la fois en termes diachroniques (la distance temporelle entre les deux photographies, la chronologie) et d’un point de vue thématique (l’exercice du pouvoir par les responsables politiques, les contestations de l’opinion publique). La problématique proposée, très ouverte, appelle donc à des questionnements sur les mutations de la conception du rôle de l’État face aux revendications croissantes de l’opinion publique et au nouveau contexte de la mondialisation, qui dépasse largement le contexte étatique.

→Document 1 : La présentation de la Constitution

de la Ve République par le général de Gaulle à Paris, le 4 septembre 1958 Le contexte de cette photographie très classique est bien connu : après être revenu au pouvoir à la faveur des événements insurrectionnels d’Alger le 13 mai 1958 et avoir obtenu les pleins pouvoirs pour changer de constitution, le général Charles de Gaulle

Chapitre 6 - Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique

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rentes destiné à résoudre un problème dans tel domaine sur un territoire donné : une politique publique suppose à la fois une intervention consciente de l’État ou des collectivités locales, un objectif répondant à des besoins spécifiques et la mobilisation de moyens importants, en particulier sur le plan financier (subventions, commandes, crédits, allègements de charges). Le chapitre donne plusieurs exemples de politique publique dans les domaines économique (Étude 2), social (Étude 5) et culturel (Histoire des arts).

présente au peuple le texte qu’il a rédigé avec l’aide du juriste Michel Debré, qui deviendra son Premier ministre. L’angle de vue du cliché traduit bien la solennité de l’événement, qui se déroule en un lieu (la place de la République, au pied de la grande statue incarnant la liberté politique) et à une date symbolique (le 4 septembre 1958, anniversaire de la proclamation de la IIIe République le 4 septembre 1870). Peu reconnaissable en raison de la distance, De Gaulle est au premier plan, debout sur un podium marqué des lettres RF (République française). Il est entouré d’une haie de Gardes républicains, dont l’alignement rappelle le grand V placé derrière la statue : ce signe polysémique désigne autant le chiffre romain symbole de la Ve République que le V de la victoire fréquemment utilisé pendant la seconde Guerre mondiale. Cette savante mise en scène contribue à la large victoire remportée par le futur chef de l’État (il n’est alors que président du Conseil) : la Constitution est triomphalement adoptée par référendum trois semaines plus tard.

→Document 2 : Les manifestations de rue, expression d’une opinion publique qui veut peser dans les choix gouvernementaux La photographie montre une manifestation très animée, dans la fumée des fumigènes et au milieu des drapeaux rouges de la Confédération générale du travail (CGT), syndicat connu pour ses revendications, qui a eu lieu devant le Sénat à l’automne 2010. L’objectif des manifestants était d’empêcher l’adoption de la réforme des retraites présentée par le ministre Éric Woerth, qui prévoyait notamment un relèvement de l’âge légal de la retraite (de 60 à 62 ans) et un allongement de la durée de cotisation. La pancarte levée par un manifestant (« Écoutez la colère du peuple ») exprime le mécontentement d’une partie des salariés devant ces mesures. Même porté au pouvoir par une majorité d’électeurs, un gouvernement peut donc être confronté à une contestation plus ou moins forte de ses décisions. Il n’a cependant pas cédé devant les pressions : la réforme a finalement été votée par le Sénat le 26 octobre 2010, puis par l’Assemblée nationale le lendemain. La confrontation de ces deux images montre que, malgré les apparences de grandeur et de solennité, le pouvoir des gouvernants n’est pas absolu et doit toujours composer avec les réactions, parfois très hostiles, de l’opinion publique.

◗◗ Frise La frise chronologique met en contexte quelques grandes mesures politiques par le cadre général des régimes politiques, des présidents de la République et des périodes de cohabitations. Elle met en valeur deux périodes distinctes : celle de l’affirmation du rôle de l’État à partir de la Libération, puis celle des mutations (plutôt que d’un véritable déclin) à partir des années 1980.

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Repères

p. 148-149

Avec une mise au point sur les notions clés du chapitre à maîtriser par les élèves (ces définitions peuvent par exemple être réutilisées dans le cadre de l’introduction d’une composition), ces pages illustrent le cadre électoral et constitutionnel du gouvernement de la France depuis 1946. Le document 1 choisit de présenter la composition de l’Assemblée nationale à l’issue de quelques élections législatives importantes de l’époque récente. Le dernier graphique représente l’état de l’Assemblée lors de la 14e législature de la Ve République, à l’époque de rédaction du manuel, peu après les élections partielles de 2013. Les documents 2 et 3, grands classiques des manuels scolaires, effectuent le parallèle entre les institutions de la IVe et de la Ve  République, en tenant compte des ajustements survenus depuis l’adoption de la Constitution

en 1958. Une rapide comparaison mettra en avant la différence entre un régime parlementaire, où l’essentiel des prérogatives est détenu par le Parlement, et un régime semi-présidentiel (l’Assemblée garde le droit de renverser le Parlement, ce qui n’est pas le cas dans les systèmes purement présidentiels comme aux ÉtatsUnis) où le président détient les principaux leviers du pouvoir.

Acteurs

p. 150-151

Charles de Gaulle, le « monarque républicain » François Mitterrand, l’opposant devenu successeur La double page compare deux personnages essentiels de la IVe et surtout de la Ve République, tous deux parvenus à la magistrature suprême, le général de Gaulle et François Mitterrand, dans leur conception de l’État et dans leur rapport personnel au pouvoir. Le but du dossier est de montrer qu’au-delà de leurs divergences politiques, présentées dans les courtes notices biographiques et dans les citations mises en exergue, les deux présidents ont développé une pratique du pouvoir relativement proche, liée aux prérogatives de la fonction présidentielle.

→Document 1 : L’architecture de la Ve République Le document est un extrait du discours prononcé par le général de Gaulle le 4 septembre 1958, à la présentation de la Constitution de la Ve République (événement représenté dans le document 1 page 146). Ce passage insiste sur le rôle clé du président dans le texte préparé par De Gaulle et par Michel Debré.

→Document 2 : De Gaulle appelle à modifier la Constitution Ce second discours fut radiodiffusé le 20 septembre 1962, soit près d’un mois après l’attentat manqué du Petit-Clamart perpétré par l’OAS contre De Gaulle le 22 août. Le général utilise cet événement, qui a créé une grande émotion dans le pays, pour proposer une modification majeure de sa propre Constitution adoptée en 1958 : l’élection du président de la République au suffrage universel direct, qui n’avait eu lieu qu’en 1848 et qui procure au chef de l’État une légitimité populaire incontestable. Dans ce texte, De Gaulle insiste de nouveau sur les fonctions centrales du président dans la Ve République. Malgré les oppositions de plusieurs ténors politiques, cette réforme est adoptée par référendum le 28 octobre 1962 (62,3 % de « oui »).

→Document 3 : De Gaulle, le nouveau Roi-Soleil Le dessin est une des nombreuses caricatures parues dans la presse, en particulier dans Le Canard enchaîné, pour dénoncer la pratique monarchique du pouvoir par le général de Gaulle. Son habit et sa posture font référence au célèbre tableau du peintre Hyacinthe Rigaud représentant le roi Louis XIV en majesté. À noter que le soleil dessiné à gauche du souverain est noir, ce qui traduit l’opinion négative que le caricaturiste éprouve à l’égard du président.

→Document 4 : Une critique de la Ve République Cet extrait du livre de François Mitterrand Le Coup d’État permanent, paru deux ans après l’adoption de l’élection du président au suffrage universel, est un des passages les plus durs. Dénonçant les pouvoirs exorbitants du président, Mitterrand n’hésite pas à employer le terme de « dictature ».

→Document 5 : François Mitterrand vu par le caricaturiste Wiaz Répondant directement au document 3, cette caricature compare également François Mitterrand, élu président de la République le

72 • Chapitre 6 - Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique

→Document 6 : La pratique du pouvoir présidentiel Cette réplique du président Mitterrand au cours d’un entretien télévisé du 17 septembre 1987 date de la période de la première cohabitation. Jacques Chirac, vainqueur des élections législatives du 16 mars 1986, est alors Premier ministre. Contre un gouvernement hostile et à l’approche des élections présidentielles d’avrilmai 1988 auxquelles les deux hommes seront candidats, Mitterrand insiste sur les prérogatives du président et veut se donner une posture de gardien des institutions, ce qui aidera fortement à sa réélection. Son approche très gaullienne de la Constitution tranche avec l’opinion très négative qu’il avait à l’égard de ce texte un demi-siècle plus tôt.

◗◗ Réponses aux questions 1. De Gaulle donne au président de la République une place primordiale dans les institutions. « Chef de l’État », « guide de la France », il endosse des responsabilités importantes dans plusieurs domaines : le président désigne et dirige le gouvernement (doc. 2), prend « toutes les décisions importantes du pays » (doc. 2), joue le rôle d’un « arbitre national » (doc. 1), est garant de l’indépendance du pays (doc. 1) et représente celui-ci à l’étranger (doc. 2).

2. Le régime semi-présidentiel mis en place par De Gaulle est critiqué pour la concentration excessive des pouvoirs dans les mains d’« un seul homme » (doc. 4). Le caricaturiste Moisan compare le président à un monarque d’Ancien Régime (doc. 3), tandis que F. Mitterrand, qui emploie l’expression de « roi sans couronne », parle même de « dictature » (doc. 4), faisant référence à un régime non démocratique. Mitterrand précise aussi que cette situation de monopole n’est pas sans créer des convoitises autour du poste présidentiel.

3. François Mitterrand, contraint depuis 1986 à cohabiter avec un gouvernement de droite issu des élections législatives, n’entend pas être « un président ectoplasme », c’est-à-dire faible et aux pouvoirs symboliques. S’appuyant sur la pratique constante de la Constitution depuis 1958, il entend se réserver le domaine de la politique extérieure en tant que représentant de la France à l’étranger, assurer un rôle d’« arbitre entre les intérêts concurrents », se plaçant ainsi au-dessus des divisions politiques, et se porter garant des institutions et de la défense des « plus faibles », faisant ici indirectement allusion à ses convictions socialistes.

4. Émanant pourtant de deux adversaires politiques, ces deux textes, écrits à près de trois décennies de distance, affichent des conceptions très proches de la fonction de président, mais dans un contexte très différent. Si De Gaulle, chef incontesté de l’exécutif, présente le président comme la pierre d’angle de l’édifice de la Ve République, Mitterrand, confronté à la situation inédite d’un gouvernement issu d’un bord politique opposé au sien, défend les prérogatives du président dans certains domaines pour tenter d’équilibrer les décisions politiques de son Premier ministre Jacques Chirac.

5. Ces caricatures, qui dessinent toutes deux le président de la République (De Gaulle en 1961, Mitterrand en 1983) trônant seul sous les traits d’un monarque, veulent dénoncer les risques d’excès de pouvoir personnel de la part du chef de l’État.

◗◗ Vers l’analyse de document du BAC Ce discours du général de Gaulle, président de la République élu en 1958, a été prononcé le 20 septembre 1962, dans les premières années de la Ve République, et retransmis sur les grands moyens de communication de l’époque, la radio et la télévision. Un mois après avoir subi un attentat dans lequel il a failli laisser la vie, De Gaulle soumet au peuple une réforme constitutionnelle permettant d’élire dorénavant le président au suffrage universel direct tous les 7 ans. Pourquoi peut-on interpréter ce changement comme une présidentialisation du régime ? De Gaulle présente d’abord les prérogatives très étendues du président dans divers domaines, de la représentation diplomatique à l’étranger jusqu’à la promulgation des lois adoptées par le Parlement, en précisant qu’il est « la clé de voûte » du régime de la Ve République. Son importance justifie selon lui que le président ait une légitimité incontestable pour prendre toutes les décisions nécessaires. C’est pour obtenir cette légitimité que De Gaulle propose son élection au suffrage universel. Il s’agit d’une évolution du régime dans un sens plus présidentiel puisque les présidentielles deviendront l’élection la plus importante de tout le système institutionnel.

Étude 1

p. 152-153

L’École nationale d’administration Souvent décriée par l’opinion publique et par une partie des médias, transférée à Strasbourg à partir de 1991, l’ENA reste un réservoir privilégié de hauts fonctionnaires de l’État, mais aussi d’hommes et de femmes politiques de premier plan (Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Michel Rocard, Édouard Balladur, Alain Juppé, Lionel Jospin, François Hollande…). Le dossier a pour but de montrer la place importante de l’ENA dans la vie politique et administrative française.

→Document 1 : La création de l’ENA Cet extrait de texte de loi renvoie à la réorganisation de la France par le gouvernement provisoire à la Libération. Le fait que l’ENA existe toujours et garde des objectifs similaires à ceux de sa création prouve que cette réorganisation a été durable.

→Document 2 : Les origines socioprofessionnelles de la promotion 2009-2011 Ce graphique très classique permet de constater la grande domination des catégories socio-professionnelles supérieures dans la cohorte des élèves, tant en termes absolus qu’en chiffres relatifs. Un indice de représentation supérieur à 100 montre que la classe sociale concernée est plus répandue au sein de l’école que dans la société globale.

→Document 3 : Ce que l’on apprend ou pas à l’ENA Ce document fait partie des nombreux témoignages d’énarques exprimant un avis sur leur école. Son intérêt est de présenter quelques critiques adressées à l’ENA tout en tentant d’y répondre.

→Document 4 : Une génération d’énarques : la promotion Voltaire (1978-1980) La photographie de la promotion Voltaire, sortie de l’ENA en 1980, est souvent représentée car elle concentre plusieurs futurs personnages politiques de premier plan de la vie politique ou économique de la France. On y retrouve notamment le président François Hollande et plusieurs de ses proches (Ségolène Royal, Michel Sapin), avec lesquels il a gardé des liens importants depuis cette époque.

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10 mai 1981, à un monarque. Le profil fier et la longue perruque rappellent parfaitement Louis XIV, à ceci près que la perruque est dessinée d’une série de roses, fleur symbole du Parti socialiste auquel appartient le président. On fera remarquer aux élèves le paradoxe, s’agissant d’un ancien adversaire farouche du général.

→Document 5 : L’ENA vue de l’intérieur Contrairement au document 3, ce texte n’a pas été rédigé par un ancien de l’ENA, mais par une journaliste du Monde. Sa comparaison avec le témoignage de Christian Vigouroux permet de compléter le point de vue sur l’école.

◗◗ Réponses aux questions 1. L’ENA, fondée en 1945 par le Gouvernement provisoire, avait au départ pour mission la formation de hauts fonctionnaires, hommes et femmes, destinés à occuper les fonctions salariées les plus élevées de l’État français : hautes institutions comme le Conseil d’État et la Cour des Comptes, postes de direction dans l’Administration, postes clés à l’étranger (ambassades, consulats).

2. Le « service public » et l’exercice des « responsabilités » administratives (doc. 3) restent les débouchés par excellence de l’ENA. Ces emplois ont été occupés pendant un temps par presque tous les anciens élèves célèbres de la promotion Voltaire (doc. 4). D’autres orientations professionnelles non prévues par l’ordonnance de 1945 sont cependant apparues : plusieurs hauts fonctionnaires ont quitté le service de l’État pour les entreprises du secteur privé (le « pantouflage »), tel Henri de Castries (n° 7 sur le doc. 4), cadre supérieur puis dirigeant d’AXA. Plusieurs se sont lancés dans une carrière politique à gauche ou à droite, tels François Hollande, Ségolène Royal ou Dominique de Villepin, et ont été élus à des postes de haute responsabilité.

3. Plusieurs critiques majeures sont faites à l’encontre de l’ENA. L’une d’elles est la perpétuation des inégalités sociales : le document 2 montre que les catégories socio-professionnelles supérieures (surtout cadres et professions intellectuelles supérieures) sont surreprésentées par rapport à la population totale, tandis que les fils d’agriculteurs, d’employés et surtout d’ouvriers sont très minoritaires. Le document 5 confirme ce fait et ajoute d’autres discriminations apparentes envers les femmes et les personnes d’origine étrangère (« si peu de visages noirs ou de métissés »). Une autre critique, formulée par le document 5, reproche aux énarques de « monopoliser tous les pouvoirs » en occupant les postes clés de la société française, dont elle bloque les évolutions. Enfin, les documents 2 et 5 dénoncent une formation trop théorique, pas assez critique, coupée des réalités concrètes du terrain.

4. Les chiffres prouvent que les critiques émises sur la reproduction des élites sont assez justifiées ; l’ENA n’est cependant pas la seule formation où ce constat peut s’appliquer. Les critiques sur la formation et l’efficacité de l’ENA sont plus discutables puisque les qualités de cette école et de ses anciens élèves sont largement reconnues à l’échelle internationale (doc. 5) : l’ENA tente d’ailleurs de « se réformer » et de s’adapter pour répondre aux reproches qui lui ont été faits.

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◗◗ Vers la composition du BAC L’École nationale d’administration, créée en 1945 par le Gouvernement provisoire dans le cadre de la réorganisation du pays après la Seconde Guerre mondiale, joue depuis près de 70 ans un rôle essentiel dans l’administration et la vie politique en France. D’abord destinée à pourvoir les hautes carrières de l’Administration (Conseil d’État, Cour des Comptes, préfets, ambassadeurs, consuls…), l’ENA s’est progressivement ouverte à d’autres types de responsabilités. De nombreuses énarques ont bifurqué vers la carrière politique, tels l’actuel président de la République François Hollande ou l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin. D’autres encore sont partis proposer leurs compétences dans le secteur privé, c’est ce qu’on appelle le pantouflage. Cette grande école, admirée à l’étranger, n’est cependant pas exempte de critiques exercées par les médias et par l’opinion publique. Les premières tiennent au manque d’hétérogénéité

sociale des élèves de l’ENA, où les fils de cadres et de professions supérieures sont largement prédominants, suscitant une certaine révolte contre une supposée reproduction des élites, qu’on peut pourtant retrouver dans d’autres secteurs de l’éducation. Les autres sont liées à la domination des énarques dans le monde de la haute administration, contestée par ceux qui n’ont pas fait l’ENA. Enfin, des reproches sont aussi adressés à l’enseignement proposé à l’école, souvent vu comme trop abstrait et détaché des réalités concrètes de la vie des citoyens. Consciente de ces faiblesses, l’ENA a voulu se réformer, s’installant par exemple à Strasbourg, plus loin de la capitale parisienne.

Étude 2

p. 154-155

L’État, un acteur économique majeur L’économie est un des secteurs phares de l’intervention de l’État après 1945, sous l’effet de la doctrine keynésienne qui vante le rôle moteur de la puissance publique dans le redémarrage de la croissance. L’intérêt du dossier est de montrer que le recul de l’État dans l’économie française à partir des années 1980 est à la fois volontaire, lié au succès de la doctrine libérale qui veut libérer l’initiative des entreprises, mais aussi subi, dans le contexte de l’accélération de la mondialisation, qui organise la répartition de la production industrielle en dehors de toute logique nationale.

→Document 1 : Extraits du Programme du Conseil national de la Résistance Fruit de la réflexion des principaux courants de la résistance (communistes, socialistes, démocrates-chrétiens), le programme du CNR est le texte de base qui inspire l’action du Gouvernement provisoire à la Libération. Il défend une conception volontariste de l’implication de l’État dans le domaine économique.

→Document 2 : Nationalisations et privatisations Le tableau résume les principales vagues de nationalisations et de privatisations, secteur par secteur, depuis la fin de Seconde Guerre mondiale. Il faut noter la relation avec la tendance politique au pouvoir : les deux vagues de nationalisations ont été réalisées par la gauche (en union avec d’autres courants de pensée dans le cas de la première) et les vagues de privatisations de 19861988 et 1993-1995 (réunies ici en une même colonne) ont été pratiquées par des gouvernements de droite. La différence s’estompe depuis lors, puisqu’il n’y a plus de nationalisations, tandis que la gauche a elle aussi effectué des privatisations, au moins partielles (France Télécom, Thomson, Air France, Aérospatiale).

→Document 3 : Le tournant de 1986 Profitant de l’impopularité de la gauche, l’alliance des partis de droite RPR-UDF remporte les élections du 16 mars 1986, provoquant la première cohabitation. Nommé Premier ministre, Jacques Chirac présente son programme devant l’Assemblée nouvellement élue. Il s’inspire largement de la doctrine libérale, qui a alors le vent en poupe dans le monde industrialisé (elle est appliquée par Margaret Thatcher au Royaume-Uni, Ronald Reagan aux États-Unis, Helmut Kohl en RFA).

→Document 4 : Le président de la République Jacques Chirac inaugure le TGV Sud-Est Devenu président de la République en 1995, le même Jacques Chirac, beaucoup moins libéral que 15 ans auparavant, inaugure la ligne du TGV Méditerranée, financée par l’État et les collectivités territoriales (on aperçoit le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin). Au xxie siècle, l’État joue donc encore un rôle économique

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→Document 5 : « Ici reposent les promesses de N. Sarkozy » En 2008, le président Nicolas Sarkozy avait promis aux salariés de l’usine métallurgique de Gandrange en Lorraine de les aider à préserver leurs emplois menacés. Cependant, l’année suivante, il se montre impuissant à empêcher la fermeture décidée par l’entreprise ArcelorMittal. Pour écarter toute interprétation politicienne, la légende précise qu’une situation similaire s’est produite à Florange avec François Hollande, qui n’a pas pu non plus freiné la fermeture de cette autre aciérie d’ArcelorMittal. Cela montre bien qu’au-delà du clivage droite / gauche, ce qui est en jeu est la puissance de l’État face aux mécanismes de la mondialisation.

◗◗ Réponses aux questions 1. Le Conseil national de la Résistance, organe de lutte contre l’occupation allemande, se donne pour objectifs la reconstruction du pays (« l’intensification de la production nationale »), mais aussi la gestion en commun des richesses nationales (grands moyens de production, sources d’énergie, banques, assurances), afin qu’elles servent à « l’intérêt général », et la participation des travailleurs à la prise des décisions (« démocratie économique »).

2. Ces objectifs se traduisent notamment par la nationalisation de nombreuses entreprises situées dans des secteurs clés de l’économie (doc. 2) : leur propriété passe à l’État qui se charge de leur gestion et du paiement des salariés. Le document 3 parle également du « dirigisme d’État », faisant allusion à sa place très importante dans des domaines aussi variés que « l’économie », « la recherche » ou les « technologies nouvelles » et peut-être au système de planification indicative de la production nationale. Cette présence passe enfin par une grande implication financière : Jacques Chirac parle des « subsides », c’est-à-dire des diverses aides et subventions accordées par l’État. 3. Jacques Chirac critique le poids trop important de l’État dans la vie du pays. D’une part, selon lui, l’État est victime d’« obésité » : sa présence dans l’économie est excessive et coûte cher à la nation, qui traverse alors une période de crise. D’autre part, cette omniprésence « menace d’amoindrir les libertés individuelles » : partisan du libéralisme, le Premier ministre vise sans doute la liberté d’entreprendre, qui se trouve contrariée dans certains secteurs par la situation de monopole exercée par les entreprises nationales (les chaînes publiques de télévision, EDF pour l’électricité). Pour remédier à ce double problème, J. Chirac propose une série de privatisations, qui rapporteront de l’argent à l’État (doc. 2), et une « libéralisation » du marché permettant une augmentation de la concurrence entre les entreprises.

4. Malgré le recul du secteur public dû à la doctrine libérale,

la République François Mitterrand après les élections législatives de mars 1986 remportées par la droite, justifiant un « tournant » dans la conception du rôle de l’État dans l’économie. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on peut distinguer deux étapes majeures de la place de l’État dans le domaine économique. S’appuyant sur le programme du Conseil national de la Résistance, rédigé en 1944 pour préparer le redressement du pays après la victoire, l’État a longtemps suivi une politique nettement interventionniste. Celle-ci s’est manifestée par la prise de contrôle de nombreuses entreprises privées par le biais des nationalisations de 1944-1946 (Renault, EDF, GDF, Air France, Banque de France…). Elle est aussi passée par un système de planification indicative des objectifs de production et par l’octroi de nombreuses aides financières à tous les acteurs de l’économie (commandes, subventions agricoles). Cependant, à partir du milieu des années 1980, le contexte de crise économique et le succès international de la doctrine libérale, favorable au désinvestissement de l’État et à la baisse des charges, ont poussé la droite, de retour au pouvoir en 1986 avec le Premier ministre Jacques Chirac, à faire reculer le rôle de l’État. Plusieurs entreprises nationales ont été privatisées (Usinor, Sacilor, Paribas, Suez), allégeant ainsi le budget national, et des mesures ont été prises pour ouvrir davantage le marché à la concurrence. Les privatisations, partielles ou totales, se sont poursuivies après 1993, y compris sous des gouvernements de gauche (France Télécom, Thomson, Air France), ce qui montre l’évolution des mentalités sur le sujet.

Étude 3

p. 156-157

La décentralisation, une nouvelle façon de gouverner le pays Le gouvernement d’un pays passe par un rapport particulier à l’espace. Héritier de la monarchie centralisatrice, le gouvernement républicain a longtemps dirigé le territoire depuis la capitale parisienne (la France « une et indivisible »). Le dossier veut montrer comment s’est effectué le virage progressif vers la décentralisation et comment celle-ci se manifeste concrètement pour les habitants de la province.

→Document 1 : La décentralisation vue par la gauche Conseiller de François Mitterrand à l’Élysée à partir de 1981, le sénateur socialiste Michel Charasse témoigne dans une revue dédiée à la mémoire de l’ancien président, au sein d’un numéro consacré à la décentralisation, un peu plus de 20 ans après la loi de 1982 et au moment où la droite s’apprête à faire voter une seconde étape du processus. Ce texte militant renseigne sur les motivations profondes qui ont poussé la gauche à adopter cette réforme.

l’État conserve un rôle économique majeur. Par exemple, il lance et finance en partie la mise en place de grandes infrastructures d’envergure nationale, comme le réseau de lignes de TGV appartenant à la SNCF, grande entreprise publique (doc. 4), et tente de répondre aux angoisses des salariés dont l’entreprise est menacée de fermeture (les « promesses » de N. Sarkozy et de F. Hollande, doc. 5). Dans ce dernier cas, l’État est souvent incapable d’intervenir efficacement car les logiques de la mondialisation (fermetures d’usines, délocalisations) dépassent largement l’échelle nationale.

→Document 2 : La région selon la loi Defferre de 1982

◗◗ Vers l’analyse de documents du BAC

→Document 3 : La droite lance une nouvelle étape

Le document 2 est un tableau récapitulant depuis la Libération les grandes vagues de nationalisations et de privatisations d’entreprises, classées par secteurs. Le document 3 est un discours de Jacques Chirac, nommé Premier ministre par le président de

Si l’acte de naissance de la décentralisation en 1982 est bien connu, il ne faut pas oublier qu’elle a été prolongée en 2003-2004 par des lois de transferts de compétences décidés par le Premier

Plutôt qu’un extrait du texte de la loi de décentralisation, on a choisi de montrer une image rendant plus concrète la mutation institutionnelle : elle émane d’une instance récente, le Conseil régional (créé en 1972), qui obtient en 1982 une personnalité juridique, des pouvoirs décisionnels importants (par exemple dans le domaine des lycées) et la désignation directe par le suffrage universel. Cette affiche permet au jeune Conseil régional de mieux se faire connaître de la population. de la décentralisation

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important, notamment dans l’équipement du territoire en infrastructures de transport.

ministre Jean-Pierre Raffarin, ancien président de la région Poitou-Charentes et grand défenseur de « la France d’en bas » par opposition à la centralisation parisienne.

→Document 4 : Le Louvre à Lens La décentralisation ne concerne pas seulement le domaine administratif et politique. Parmi les mesures d’aménagement du territoire prises en faveur de la province, on présente ici une publicité pour l’ouverture du Louvre-Lens, musée situé dans le Pas-deCalais destiné à faire mieux connaître le patrimoine culturel aux habitants des régions, mais aussi à soulager les frais de stockage du Musée du Louvre, dont les réserves sont menacées par les crues de la Seine.

→Document 5 : Un référendum local Pour de nombreuses petites communes rurales touchées par l’exode rural et par la baisse continue de la population (donc du budget communal), l’entretien de l’église est un coût important qui pose des problèmes de choix budgétaires. Le village breton de Plouagat (2 016 électeurs inscrits) utilise donc l’outil du référendum local pour décider si une opération de restauration très onéreuse doit être menée par la municipalité.

◗◗ Réponses aux questions 1. Selon Michel Charasse, la centralisation du pouvoir en France avant 1982 avait plusieurs inconvénients. Le premier était la longueur et l’absence d’efficacité d’une gestion effectuée très loin du terrain (« pour mettre un stop sur un carrefour de deux routes nationales, il fallait un arrêté du ministre chargé des routes à Paris »). Le deuxième était la carence en démocratie de proximité : les élus locaux, situés au plus près des citoyens, n’avaient que peu de pouvoirs. Enfin, le dernier argument mis en avant n’était pas dénué d’arrière-pensée électorale : la gauche, politiquement minoritaire depuis la mise en place de la Ve République en 1958, déplorait de ne pas avoir suffisamment d’« apprentissage de la gestion des affaires publiques » afin de se préparer à exercer le pouvoir.

2. La loi Defferre de 1982 répond en bonne part aux reproches adressés à la centralisation des pouvoirs. Elle confère en effet plusieurs avantages administratifs et politiques : le statut de collectivité territoriale, la dotation d’un budget et de compétences spécifiques (éducation, transports, formation professionnelle, culture) et l’élection au suffrage universel direct. Celle-ci n’aura cependant lieu qu’à partir de 1986.

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3. À partir de 2004, la droite a pris le relais du processus de décentralisation avec la rédaction de « l’Acte II » décidé par JeanPierre Raffarin, Premier ministre du président Jacques Chirac. Le désengagement de l’État passe par le transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales (régions, départements, communes, communautés de communes) dans des domaines très divers tels que l’économie, les transports, l’action sociale ou le logement. La culture est aussi touchée, comme le montre le déménagement dans le Nord-Pas-de-Calais de centaines d’œuvres possédées par le Musée du Louvre, formant ainsi le Louvre-Lens. Enfin, la décentralisation permet aussi la tenue de référendums d’initiative locale, permettant par exemple aux habitants de Plouagat de se prononcer sur la réhabilitation de l’église communale.

4. Michel Charasse oppose l’Acte  II de 2004, perçu comme une décentralisation de droite, à la décentralisation de 1982 (doc. 1). Pour lui, cette nouvelle étape représente surtout un « démantèlement de l’État », qui abandonne certaines compétences afin d’alléger son budget de fonctionnement. De fait, de nombreux domaines sont touchés par ce transfert et les collectivités territo-

riales peuvent s’inquiéter de ne pas disposer d’un budget suffisamment fourni pour les gérer, ce qui pourrait créer des inégalités entre les régions, bien que la loi prévoie de transférer en même temps les sommes jusque-là consacrées par l’État à ces différentes tâches.

◗◗ Vers la composition du BAC Jusqu’en 1982, la France est un pays centralisé quasi-entièrement dirigé par la capitale parisienne. Les lois de décentralisation, proposées par Gaston Defferre au début de la présidence du socialiste François Mitterrand, cherchent à rendre plus efficace la prise de décisions de terrain (l’aménagement des routes) et à installer une démocratie de proximité rapprochant les Français de leurs élus (les Conseil régionaux sont élus au suffrage universel direct à partir de 1986). De façon plus politique, il s’agit aussi de permettre aux socialistes, écartés du pouvoir national du début de la Ve République jusqu’à 1981, d’exercer des responsabilités locales. Cette décentralisation est prolongée au début des années 2000 par un « Acte II » décidé par le Premier ministre de droite JeanPierre Raffarin. Les compétences transférées aux collectivités territoriales telles que les régions, les départements ou les communes sont plus larges et plus diverses (économie, transports, action sociale, logement, culture) et s’accompagnent de transferts de moyens financiers. La décentralisation permet par exemple de profiter de certains avantages jusque-là réservées à la capitale parisienne (la création du Louvre-Lens) ou de consulter les populations locales sur des choix importants par l’intermédiaire de référendums d’initiative locale. Si elle est parfois critiquée comme un « démantèlement de l’État » (Michel Charasse), la décentralisation a permis de gérer plus de responsabilités à l’échelle locale.

Étude 4

p. 158-159

L’État face à mai 1968 La crise de mai 1968, traitée en série ES/L comme une des crises politiques dans lesquelles on étudie le rôle des médias, est considérée par la fiche Éduscol comme un exemple privilégié pour l’analyse des relations entre le gouvernement et l’opinion publique. C’est donc dans cette optique, et non dans le détail de son déroulement, qu’elle est étudiée au sein de ce dossier.

→Document 1 : Affrontements entre les forces de l’ordre et les étudiants, rue des Ecoles (Paris), le 6 mai 1968 Prise au cœur du quartier latin, non loin de la Sorbonne, et datant des débuts de la crise, cette photographie tranche avec la plupart des clichés qu’on voit habituellement sur mai 1968, car elle met l’accent sur la violence des rapports entre les forces de l’ordre, qui pensent encore alors pouvoir réprimer le mouvement étudiant, et les émeutiers. Les affrontements ne feront cependant aucun mort.

→Document 2 : De Gaulle et mai 1968 Issus de la célèbre biographie du général de Gaulle rédigée par son ministre Alain Peyrefitte à partir de ses notes quotidiennes, ces propos traduisent l’évolution de la vision gaulliste de la crise au cours du mois de mai. Il faut se rappeler que le général de Gaulle avait déjà subi un an de dure grève des mineurs, en 1962-1963, à laquelle il n’avait pas cédé ; au début du mouvement, il reste donc attaché à ce type de réaction.

→Document 3 : « Pas de rectangle blanc pour un peuple adulte », affiche attribuée à Jean Effel, mai 1968 L’iconographie de mai 1968 est immense. Slogans, caricatures, détournements de logos expriment tous une défiance par rapport

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→Document 4 : Les « accords » de Grenelle Le texte présente les principales mesures prises lors des accords de Grenelle (du nom de la rue où est situé le Ministère du Travail à Paris), qui réunissent le Premier ministre Georges Pompidou et les représentants des syndicats ouvriers pour tenter de mettre fin au mouvement des travailleurs en lui accordant des avantages significatifs.

→Document 5 : Une « contestation des modes traditionnels de commandement » Cette analyse de mai 1968, postérieure de quelques mois aux événements, a été écrite par Gilles Martinet (1916-2006), journaliste et intellectuel de gauche, alors administrateur du jeune magazine Le Nouvel Observateur, qui a pris la suite, en 1964, de France Observateur.

◗◗ Réponses aux questions 1. D’après Gilles Martinet, la révolte étudiante de mai 1968 a des causes multiples, à la fois économiques, sociales et psychologiques. Portée par la génération du Baby-boom qui a grandi après la Seconde Guerre mondiale, elle exprime une contestation radicale de l’ordre économique dominé par les patrons ainsi que de l’ordre politique dominé par le pouvoir gaulliste, peu enclin au dialogue, et provient du profond désir de changement d’une jeunesse lassée par la vie quotidienne et exaspérée par la permanence de structures sociales issues de l’avant-guerre. Cette révolte se manifeste par un refus de l’autorité établie à travers la grève, les manifestations de rue et l’affrontement avec les forces de l’ordre.

2. Dans le contexte des débuts de la télévision en France, l’affiche dénonce le contrôle de l’État sur les programmes par l’intermédiaire de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), directement liée au ministère de l’Information. Elle refuse le rectangle blanc apposé sur les émissions déconseillées aux jeunes en revendiquant le droit de la libre programmation pour l’ORTF et celui du libre choix pour le téléspectateur.

3. Au début de la crise, entre le 5 et le 11 mai, le général de Gaulle analyse très sévèrement le mouvement étudiant en ne retenant que les exactions qui expriment sa colère. Son opinion envers les manifestants est très mauvaise, exprimée par des mots durs (les « humeurs passagères de ces bandes d’adolescents », « l’émeute »), et il refuse de céder devant eux au nom du respect de la légalité (« Le pouvoir ne recule pas ou il est perdu »). Deux semaines plus tard, alors que les manifestations étudiantes continuent, peu à peu rejointes par 8 millions de salariés grévistes, l’avis de De Gaulle a nettement évolué. Le 25 mai, il se rend compte que la négociation est inévitable (« On devra donner des choses ») et s’attache surtout à sauvegarder les formes en tentant d’apparaître comme un juste réformateur aux yeux de l’opinion publique. C’est ce qui explique la réunion de Grenelle (doc. 4).

4. Le gouvernement souhaite désolidariser les salariés grévistes du mouvement étudiant en octroyant des concessions très significatives aux organisations professionnelles et syndicales par les accords de Grenelle (revalorisation du salaire minimum et des salaires réels, diminution du temps de travail, arrangements financiers au profit des grévistes). S’il ne répond guère aux revendications des étudiants, l’État prend donc en compte le mécontentement des salariés qui avaient rejoint les jeunes manifestants.

◗◗ Vers l’analyse de document du BAC Le document 2 est composé de trois extraits de la biographie du général de Gaulle (C’était de Gaulle) publiée par son ministre Alain Peyrefitte à partir de ses divers contacts avec le président, qu’il a eu l’autorisation de prendre en notes au jour le jour. Si l’œuvre manque, par nature, de recul et d’objectivité, elle est un document précieux permettant de comprendre l’évolution de la pensée de De Gaulle sur le mouvement de mai 1968 et de réfléchir sur les relations difficiles entre un État démocratique et les manifestations d’une opinion publique mécontente. Dans les premiers jours de la crise, De Gaulle privilégie la fermeté à l’égard des manifestants, dont il dénonce la violence envers les forces policières (« des manifestants dans la rue bombardent des policiers avec des boulons et des pavés »). Persuadé du caractère éphémère de la révolte (« des humeurs passagères ») et du faible nombre des meneurs, censés manipuler le reste des manifestants, De Gaulle, investi par le suffrage universel en 1965, se pose en garant de l’ordre républicain (« nos devoirs à l’égard du pays ») et refuse d’effectuer la moindre concession pour ne pas perdre sa crédibilité. La légitimité est, selon lui, de son propre côté. Cependant, au bout de trois semaines de révolte, grossie par une grève de 8 millions de salariés, le général change de perspective. Il prend conscience de la nécessité de répondre aux aspirations de l’opinion publique, qui s’est fortement exprimée dans la rue. De Gaulle accepte de négocier, mais sous la triple condition de le faire avec « ceux qui ont les moyens de négocier » (c’est-à-dire les salariés, qui bénéficient d’un cadre juridique adapté, plutôt que les étudiants), de pouvoir apparaître comme un réformateur efficace et d’obtenir du peuple un mandat explicite pour mener cette tâche à bien. Lorsque la colère populaire gronde dans des proportions importantes, l’État semble donc devoir prendre en compte la légitimité des revendications de l’opinion publique.

Étude 5

p. 160-161

L’État, un acteur social Au même titre que l’économie, l’intervention des gouvernements dans le domaine social au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est un des éléments clés du rôle de l’État (on parle de l’Étatprovidence). Cependant, contrairement à celle-ci, c’est l’un des secteurs où ce rôle a peu diminué depuis 1945, malgré quelques transformations notables.

→Document 1 : La naissance de la Sécurité sociale Très connu, ce texte législatif de 1945 pose les bases du système français de protection sociale contre les grands risques. Il mérite d’être replacé dans le contexte de l’installation de l’État-providence en Europe occidentale après la fin de la Seconde Guerre mondiale (rapport Beveridge sur le Welfare State au Royaume-Uni dès 1942).

→Document 2 : Élections à la Sécurité sociale, avril 1947 Les caisses, organismes financiers chargés de gérer les prestations relatives à la Sécurité sociale, sont dirigées par des responsables élus par les syndicats de patrons (CNPF devenu MEDEF, CGPME) et de salariés (CGT, FO, CFDT, CFTC, CGC).

→Document 3 : Les recettes de la Sécurité sociale (2010) en milliards d’euros Ce graphique circulaire, montrant la diversité des sources de financement de la Sécurité sociale, récapitule des données parues dans le rapport La Protection sociale en France et en Europe publié par le Ministère de l’Économie et des Finances en 2010.

Chapitre 6 - Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique

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à l’ordre établi et la revendication d’une liberté sans contraintes. Cette affiche attribuée au dessinateur communiste Jean Effel (de son vrai nom François Lejeune, 1908-1982), qui a notamment publié dans Le Canard enchaîné, est à classer parmi les dénonciations de l’ordre moral gaulliste.

→Document 4 : Le déficit de la Sécurité sociale Tiré des dernières publications de la Sécurité sociale, ce graphique évolutif présente à la fois les résultats du régime général et ceux de la branche vieillesse et de la branche maladie, qui gèrent le plus d’argent. À noter qu’en 2006, une 5e branche gérant la dépendance a été créée, mais elle n’apparaît pas dans toutes les statistiques.

→Document 5 : « L’opacité des comptes et l’enchevêtrement des compétences » Ce discours d’Alain Juppé, alors Premier ministre du président Jacques Chirac, a lieu dans un contexte de déficit croissant de la Sécurité sociale. Il propose des solutions impopulaires (hausse des cotisations, restrictions sur les remboursements) qui provoquent une grande grève à l’automne 1995, mais qui contribuent à résorber le déficit pour un temps.

→Document 6 : Le RSA, nouveau maillon de la protection sociale Cet article du journal économique L’Expansion effectue un bilan de la mise en place du RSA deux ans et demi après son application. Le texte appelle à développer une vision nuancée, éloignée des stéréotypes pouvant circuler dans les médias.

◗◗ Réponses aux questions 1. La Sécurité sociale a été créée à la Libération par le Gouvernement provisoire afin d’aider les travailleurs à faire face à une série d’événements et de risques pouvant menacer leur niveau de vie (maladie, maternité, accidents du travail, vieillesse), à l’aide d’un système de prestations sociales.

2. Les salariés occupent une place essentielle dans le fonctionnement de la Sécurité sociale : en effet, avec les autres partenaires sociaux (patrons, indépendants), ils participent à son financement par le versement de cotisations sociales (96 milliards d’euros en 2010, soit 15 % des recettes selon le doc. 3) et ils choisissent, par des élections régulières, les dirigeants des caisses chargées d’assurer le paiement des prestations (doc. 2).

3. Après 1976 et surtout depuis les années 1990, les comptes de la Sécurité sociale sont mauvais. Malgré un net redressement entre 1996 et 2002, attribuable à la réforme du Premier ministre Alain Juppé, qui a augmenté les cotisations salariales et patronales (doc. 5), les chiffres des différentes branches traduisent tous une détérioration progressive de la situation avec un déficit se comptant en milliards d’euros (24 milliards en 2010 pour le régime général). On peut notamment l’expliquer par une baisse des recettes due à la hausse du chômage et à une augmentation des charges liée aux progrès de l’espérance de vie.

4. Le Revenu de solidarité active (RSA), qui a remplacé le Revenu

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minimum d’insertion (RMI) en 2009, est chargé de répondre au problème de la hausse du nombre de personnes vivant dans la pauvreté, exerçant ou non une petite activité salariée (ce qui, jusque-là, faisait perdre toute prestation sociale). Ses résultats sont contrastés : le RSA a permis à certaines personnes d’augmenter leur revenu et de dépasser le seuil de pauvreté, mais le nombre de pauvres en France reste très élevé, notamment en raison du contexte de crise économique.

◗◗ Vers la composition du BAC Le système de protection sociale instauré en France en 1945 par la création de la Sécurité sociale s’inscrit dans le cadre de l’Étatprovidence développé en Europe occidentale après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Entièrement coordonné par l’État, il comporte des avantages qui suscitent l’adhésion d’un grand nombre de Français. Il permet en effet d’assurer aux travailleurs la

perception d’allocations ou de remboursements lorsque certains aléas de la vie ne lui permettent plus de vivre directement des revenus de leur emploi : maladie, maternité, accidents du travail, vieillesse, mais aussi chômage. Pour les financer, patrons, salariés et indépendants versent régulièrement des cotisations sur leurs revenus. La solidarité de la nation est ainsi exprimée à l’égard des plus faibles qui ne peuvent pas vivre de leurs seules richesses. Ce système de protection sociale a cependant subi quelques critiques. L’allongement de la durée de la vie, les progrès de la médecine rendant les traitements médicaux plus chers, la hausse du chômage qui diminue le nombre des cotisants, la montée de la pauvreté, voire certains gaspillages, ont abouti à creuser un déficit de plus en plus profond dans les comptes de la Sécurité sociale, obligeant les gouvernements à prendre des mesures pour augmenter les cotisations ou faire baisser les remboursements. Les libéraux contestent le fait que cette protection sociale soit assurée par l’État, dont ce n’est pas la fonction première. Si la nécessité de réformes de la protection sociale fait l’unanimité, tous ne sont pas d’accord sur le contenu de celles-ci.

Histoire des arts

p. 162-163

La pyramide du Louvre, un grand projet présidentiel Comptant parmi les monuments les plus connus, les plus visités et les plus photographiés de la capitale, la pyramide du Louvre illustre bien la question de l’implication de l’État dans le domaine artistique. En effet, si elle apparaît aujourd’hui intégrée dans son environnement, il ne faut pas oublier qu’elle n’a pas fait l’unanimité à son inauguration et qu’elle est le résultat de la volonté personnelle d’un président de la République, François Mitterrand. Les documents proposés (deux photographies et deux textes) tentent d’évaluer les enjeux de cette intervention gouvernementale dans les grands travaux culturels. En conclusion, l’enseignant pourra rappeler que la plupart des présidents ont voulu laisser leur marque dans le paysage monumental parisien : le Centre national d’art contemporain pour Georges Pompidou, le site Tolbiac de la Bibliothèque nationale de France pour le second mandat de François Mitterrand, le Musée d’Arts premiers du quai Branly pour Jacques Chirac.

◗◗ Réponses aux questions 1. Le monument construit par Ieoh Ming Pei ressemble à une pyramide de l’Antiquité égyptienne ; ses proportions (près de 22 mètres de haut sur une base carrée de 35 mètres de côté) sont justement proches de celles de la célèbre grande pyramide de Gizeh, mais sa taille fait qu’elle ne dépasse pas les bâtiments historiques voisins. Les matériaux utilisés sont typiques de l’architecture moderne (métal, verre). Encadré par une série de bassins avec jets d’eau, la pyramide apparaît comme futuriste, contrastant fortement avec son environnement immédiat, composé du palais du Louvre, abritant un musée internationalement connu, et du petit Arc de triomphe du Carrousel à Paris.

2. La pyramide se situe dans le prolongement de l’axe nordouest/sud-est situé en rive droite de la Seine, notamment occupé par l’Arc de Triomphe et la célèbre avenue des Champs-Élysées.

3. Cette œuvre se rattache au passé car elle reprend la forme d’un des monuments les plus symboliques de l’Antiquité, la pyramide. Elle peut ainsi rappeler l’obélisque de Louxor, autre grand monument égyptien, présent sur la place voisine de la Concorde. En même temps, l’architecte a fait œuvre révolutionnaire en choisissant des matériaux et des couleurs modernes.

4. Centrant l’objectif sur le président François Mitterrand, en costume, debout à un balcon du palais du Louvre devant la pyramide

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5. La polémique, que rappellent le président Mitterrand en 1988 et un journaliste du Monde en 2006, est née du contraste entre l’aspect moderniste de l’œuvre de Ieoh Ming Pei et le caractère historique de son environnement immédiat. Les défenseurs du patrimoine, comme la Commission supérieure des sites et des monuments historiques, auteurs d’« articles très savants » (doc. 3), se sont fortement opposés à ce projet au nom du respect du site, dont le style avait été transmis par les siècles passés, afin de ne pas « saccager » l’homogénéité de la perspective menant vers l’Arc de Triomphe.

6. C’est le président Mitterrand lui-même qui a pris l’initiative, dès son élection en 1981, de réaménager l’espace du Louvre pour remettre en valeur le musée. Il prend seul les choses en main, si bien que le journaliste du Monde parle d’une « affaire personnelle », du « fait du prince », de « sa pyramide ». Mitterrand décide du choix de l’architecte, un Américain d’origine chinoise, et intervient plusieurs fois personnellement : il justifie son choix à la télévision en 1985, il inaugure le monument en mars 1988, puis le musée en octobre suivant. Pour Mitterrand, l’argument de l’hétérogénéité de style ne tient pas car le paysage urbain, jamais définitivement figé, est un espace en mouvement perpétuel qui doit savoir évoluer avec son temps et accueillir l’œuvre architecturale de « chaque siècle ».

◗◗ Vers l’analyse de documents du BAC La pyramide du Louvre, représentée au premier plan du document 1, est une œuvre d’art de style moderne réalisée par l’architecte américain d’origine chinoise Ieoh Ming Pei entre 1984 et 1988. Composé de losanges et de triangles de verre posés sur une structure métallique et situé au milieu de la cour Napoléon, devant le palais du Louvre, ce monument, dont la construction a été très contestée, porte la marque du pouvoir politique. C’est en effet le président de la République François Mitterrand qui, dès son élection en 1981, a voulu réaménager cet espace pour mettre davantage en valeur le musée du Louvre ; c’est lui qui a choisi Ieoh Ming Pei pour mener à bien ce projet. Malgré les contestations que la construction d’un monument au style très différent de son environnement immédiat a pu soulever, notamment auprès de la Commission supérieure des sites et des monuments historiques, le président est resté ferme sur sa décision et a défendu le projet, mené à terme en un temps record, ce qui suppose un soutien financier important. F. Mitterrand inaugure lui-même la pyramide achevée le 4 mars 1988, quelques semaines avant la fin de son premier mandat. Fruit d’une volonté politique, la pyramide du Louvre témoigne aussi d’un choix culturel original. Le président Mitterrand a en effet défendu contre tous ses adversaires le style futuriste de l’architecte, qui a utilisé des matériaux modernes au milieu de monuments historiques beaucoup plus anciens (palais du Louvre, Arc de triomphe du Carrousel). Le parti-pris du président était de faire évoluer le Louvre en y intégrant un monument de style contemporain, afin de montrer que le paysage urbain n’est jamais figé.

Cours 1

p. 164-165

1946 - début des années 1980 : un État de plus en plus présent

• Présentation Complétant la perspective des études, le plan du cours, divisé en deux leçons, se veut chronologique, pour récapituler les grandes

étapes indiquées dans la chronologie de la p. 147 : une accentuation du rôle de l’État de la Libération jusqu’au début des années 1980, puis une mutation (plutôt qu’un déclin) de son implication dans la vie du pays. Cette première leçon pose d’abord le cadre institutionnel de la vie politique, avant d’étudier les acteurs et les méthodes de l’intervention de l’État. Pour les institutions, est menée une comparaison classique entre la Constitution de la IVe et les débuts de la Ve  République, essentiellement à partir des deux organigrammes de la p. 149. Le faible volume horaire imparti à cette question interdira d’entrer dans les subtilités (le système des apparentements en 1951 par exemple) : sans être caricaturale, l’opposition entre les deux régimes doit être claire. La seconde partie distingue deux types d’acteurs de l’action politique de l’État : les élus (avec une rapide présentation des grands partis) et les hauts fonctionnaires chargés d’appliquer la politique des gouvernements. Enfin, l’intervention croissante de l’État est analysée en prenant appui sur des mesures phares édictées dans chaque domaine d’action (l’économie, le social, la culture).

• Choix des documents « appuis » du cours Les documents indiqués dans les marges doivent permettre aux élèves d’étayer leur raisonnement avec des exemples précis, documents qui peuvent par ailleurs faire l’objet d’une étude au Baccalauréat. Ils ont donc pour objet non seulement d’illustrer le cours mais aussi de provoquer une analyse spécifique. Outre les renvois documentaires qui permettent de repérer les documents clés dans les études, on a rajouté un document spécifique qui contribue à étayer de manière simple un axe essentiel du chapitre.

→Document 1 : Affiche pour le « oui » au référendum du 28 octobre 1962 Cette affiche pro-gouvernementale, publiée à l’occasion de la campagne pour le référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct, témoigne d’une évolution majeure de la Ve République, qui donne plus de légitimité à la plus haute fonction de l’État. Elle peut être le prétexte à un développement sur l’importance de cette élection, moment clé de la vie politique française, qui passionne souvent l’opinion publique et qui mobilise les électeurs.

Cours 2

p. 166-167

Depuis le milieu des années 1980, trop ou pas assez d’État ?

• Présentation La seconde leçon tente de nuancer l’idée trop communément véhiculée d’un déclin linéaire du rôle de l’État depuis 1980, à travers trois thématiques différentes. Comme le programme de la série S y invite, le rapport du pouvoir avec l’opinion publique est traité à travers le problème de la défiance croissante des électeurs à l’égard des hommes politiques (alternances, cohabitations, abstention, vote protestataire) et la question des manifestations de rue, illustrée par le document 1 de la p. 167, destinées à faire céder le gouvernement sur tel ou tel projet. Le recul de l’État, volontaire ou involontaire, est constaté par rapport aux autres grands échelons de la vie économique et sociale, soit plus petits (les régions), soit plus grands (l’Europe, le monde). Ce recul est cependant à nuancer par l’affrontement entre deux positions politiques différentes, dont le poids varie selon les résultats électoraux, et par les multiples rôles que l’État continue d’accomplir.

Chapitre 6 - Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique

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en partie cachée, le photographe a sans doute voulu exprimer le rôle principal du politique dans l’aménagement artistiquement très contrasté de la cour du Louvre.

• Choix des documents « appuis » du cours

5. Bâtir la réponse organisée

Outre les renvois documentaires qui permettent de repérer les documents clés dans les études, à partir desquels une thématique spécifique sur « gouverner la France depuis le milieu des années 1980 » peut être abordée, on a rajouté un document spécifique qui contribue à étayer de manière simple un axe essentiel du chapitre.

Le deuxième paragraphe du plan correspond à « Le rôle de l’État et son évolution dans la gestion des territoires ».

→Document 1 : Les grandes manifestations contre le gouvernement depuis 1984 Ce rapide tableau, servant de complément à la première partie du cours, rappelle que certains projets de loi ont suscité de grandes manifestations de mécontentement dans l’opinion publique. Un travail complémentaire, à effectuer à la maison, est possible sur les origines précises et le résultat (succès ou échec) de chacune de ces manifestations : le pouvoir cède-t-il souvent devant la pression de la rue ? C’est le cas dans la majorité des situations, mais pas en 2003 ni en 2013.

Prépa Bac

p. 168-170

◗◗ Composition

Sujet guidé : Le rôle de l’État en France depuis 1946. 1. Analyser le sujet Le rôle de l’État se manifeste dans les domaines économique, social, culturel, etc. L’État renvoie aux acteurs institutionnels (président, gouvernement, collectivités territoriales) ainsi qu’à l’administration. Depuis la mise en place de la IVe République en 1946, le rôle de l’État a connu des évolutions.

2. Présenter le sujet La deuxième phrase se limite à une constatation du rôle de l’État en 1946 uniquement. La troisième phrase ne comporte aucune indication chronologique. Donc seule la première phrase permet de mettre en évidence une évolution dans les bornes chronologiques proposées.

3. Construire un plan

– Reconstruction par l’État après la guerre ; – Les grands travaux de modernisation (barrages, autoroutes, aéroports, etc.) et de développement (aménagements touristiques et industriels : Languedoc, Fos-sur-Mer) ; – Rééquilibrage du territoire face à l’hypertrophie parisienne. 2e idée essentielle : la décentralisation :

– Lois de décentralisation de 1982-1983 ; – Nouveaux acteurs de la gestion des territoires (les collectivités territoriales, les citoyens) et transfert de compétences ; – 2003 : la décentralisation est inscrite dans la Constitution. Le 3e paragraphe du plan correspond à « L’État face aux questions sociales et culturelles ». 1re idée essentielle : une intervention croissante de l’État : – L’État providence (Sécurité sociale, SMIC, etc.) ; – La politique culturelle (ministère de la Culture, maisons des Jeunes et de la Culture, contrôle de l’information, etc.). 2e idée essentielle : un État confronté à des difficultés : – L’État face à la montée de la précarité (chômage, pauvreté, etc.) ; – Le coût la politique sociale.

Sujet en autonomie : Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique. Le sujet nous invite à étudier la place de l’État en France et ses rapports avec l’opinion publique.

1. De 1946 au début des années 1980 : la place grandissante de l’État A. L’intervention croissante de l’État dans les domaines économique et social. B. Le renforcement des institutions à partir de 1958. C. Le soutien et le contrôle de l’opinion publique.

2. Depuis les années 1980, l’érosion du rôle de l’État A. Un État remis en cause : construction européenne, mondialisation et crise économique. B. La décentralisation : une nouvelle répartition des compétences. C. Une opinion publique plus critique. Le rôle de l’État en France fait toujours débat, de nos jours, entre les partisans de son repli sur ses missions régaliennes et les partisans du maintien d’un État providence.

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Le plan A est un plan chronologique qui insiste davantage sur l’évolution du rôle de l’État. Le plan B est un plan thématique qui met davantage en évidence les différents domaines d’intervention de l’État.

1re idée essentielle : l’État décideur :

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Prépa Bac 

p. 170-172

◗◗ Analyse de document(s)

Sujet guidé : La gouvernance de la France : la décentralisation. 2. Prélever des informations 3. Apporter des connaissances Parties de la consigne Les acteurs du gouvernement de la France

Informations fournies par le document

Connaissances

– L’Assemblée nationale […] le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre – Le gouvernement de François Mitterrand et de Pierre Mauroy – Les ministres du gouvernement – Les élus locaux, départementaux et régionaux

– Les acteurs institutionnels au niveau national Le Parlement (députés et sénateurs élus) discute et vote les lois. Le Président élu nomme le Premier ministre, chef du gouvernement. Le gouvernement propose des lois et les fait appliquer. – L’administration Les fonctionnaires de l’État et les hauts fonctionnaires formés à l’École nationale d’administration. À partir des années 1980, s’ajoutent les fonctionnaires territoriaux. Ils conseillent les élus et mettent en œuvre la politique décidée par les élus.

– Les collectivités territoriales Les conseillers élus à l’échelle des communes, des départements, des régions qui ont des compétences croissantes (aménagement, transport, économie, social, etc.).

– Les citoyens Ils sont à la fois électeurs et contribuables. Ils participent aussi aux débats publics.

La réforme que l’auteur juge nécessaire

– « Projet de loi de décentralisation (1981) » – « la décentralisation est devenue la règle de vie partout » – « Une administration […] de plus en plus technocratique, […] une réglementation étatiques, tatillonnes, bureaucratiques, un dirigisme étouffant pour les élus et pour les entreprises » – « Des élus libres d’agir […] sans que leurs décisions ne soient remises en cause, retardées, déformées par des fonctionnaires ou des ministres lointains » – « Il est enfin temps de donner aux élus des collectivités territoriales la liberté et la responsabilité dans le cadre de la loi » – « Renforcer la démocratie que de permettre à des élus de décider sur place »

– La réforme proposée : la décentralisation 1982-83 : lois de décentralisation. 2003 : réforme constitutionnelle. Élargissement des compétences des collectivités territoriales et autonomie financière. Contribution de l’État à cette réforme.

– Les motivations de cette réforme Allègement des charges de l’État dans un contexte de crise. Lourdeur administrative de l’État qui entrave son efficacité. Alignement sur des pratiques répandues en Europe (Allemagne, Espagne, etc.).

Sujet en autonomie : Le rôle de l’État en France depuis 1946. L’analyse des deux documents, leur confrontation et le recours aux connaissances personnelles permettent de répondre aux deux parties de la consigne : les domaines d’intervention de l’État et les modalités de l’évolution de son rôle.

2. L’évolution de la conception de l’État en fonction du

1. Les domaines de l’intervention de l’État

L’exemple de la Sécurité sociale permet ainsi de mieux saisir comment évolue le rôle de l’État en France depuis 1946 et les enjeux que pose cette évolution. © Hachette Livre 2014

A. Domaine économique et social (Sécurité sociale). B. Aménagement du territoire.

contexte A. État interventionniste après la guerre et jusqu’aux années 1970. B. Érosion du rôle de l’État depuis les années 1970.

Chapitre 6 - Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement, administration et opinion publique

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chapitre 7 Une gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht

p. 174-195

Programme : Thème 3 – Les échelles de gouvernement dans le monde (11 à 12 heures) Question

Mise en œuvre

L’échelle continentale

Une gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht.

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◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre Deuxième échelle de gouvernement, le niveau continental est étudié ici à travers l’exemple de la gouvernance européenne. L’intitulé et la chronologie de la question, s’ils semblent se rapprocher du thème équivalent dans le programme de Terminale L/ES, sont toutefois sensiblement différents. La date qui constitue le point de départ de l’étude – le traité de Maastricht en 1992 – restreint le champ chronologique (commencé en L/ES avec le congrès de La Haye en 1948). Le sens même de la question est autre ; il ne s’agit pas d’une étude de la construction européenne mais plutôt d’observer le fonctionnement politique d’une institution supranationale, les progrès et les difficultés en matière de gouvernance de l’Union européenne. À ce titre, le traité de Maastricht est un point de départ fondamental : il institue en effet l’Union européenne et lui fixe des ambitions importantes. Établir d’abord, dans le cadre du marché unique (achevé en 1993) les « quatre libertés » : celles de la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes (avec la création d’une citoyenneté européenne et le traité de Schengen en 1995). Le traité relance aussi l’Europe politique avec l’élaboration d’une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et douze pays de l’UE décident de se doter d’une monnaie commune, l’euro dont les pièces et les billets commencent à circuler en 2002. Afin de définir et de mener cette politique monétaire, une Banque centrale européenne est créée à Francfort. Enfin, par le Pacte de stabilité, les pays signataires s’engagent à gérer leurs économies selon des règles communes, des critères en matière de déficits publics et de dette. Cet approfondissement de la construction européenne provoque dès le départ de fortes résistances. Le référendum passe de justesse en France et il faut faire revoter le Danemark après un premier rejet. Ces blocages ne vont aller qu’en s’accentuant alors que l’Union européenne cherche à approfondir ses politiques. Autre axe important de la question, l’élargissement que connait l’Union européenne dans la décennie qui suit Maastricht. Avec l’effondrement du communisme à l’Est, les pays auparavant neutres dans la guerre froide envisagent d’intégrer l’Union européenne qui n’est plus, à leurs yeux, une construction pro-américaine. En 1995, la Suède, la Finlande et l’Autriche rejoignent ainsi l’Union européenne. La réunion des « deux Europes » est aussi envisagée mais les écarts considérables de richesse entre les anciennes démocraties populaires et les pays membres retardent le processus qui est redouté par certains. Les futurs entrants doivent respecter les critères de Copenhague (1993) : régime démocratique, économie de marché, intégration de la législation communautaire. Finalement, il est décidé ce que Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, a qualifié de « big bang » : une adhésion groupée. En 2004, l’Union européenne passe ainsi de 15 à 25 pays puis à 27 en 2007 et enfin 28 en 2013. Dans les années 2000, le rythme des élargissements se réduit considérablement face aux réticences des populations de l’Union et aux problèmes de gouvernance qui s’aggravent. Le pouvoir européen tel qu’il s’est constitué avec les traités successifs depuis 1992 est d’un format original ; issu de compromis,

82 • Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

il se situe à mi-chemin des institutions étatiques et d’une structure plus fédérale. Il s’agit selon les mots de Jacques Delors d’une « fédération d’États-Nations », au fédéralisme incomplet, sans gouvernement propre mais disposant pourtant d’un pouvoir exécutif (la Commission européenne). Ce modèle dépend des États tout en prétendant les dépasser. Sa fragilité vient des dissensions nombreuses entre les pays membres et des élargissements successifs qui ont ralenti les décisions et rendu son fonctionnement de plus en plus complexe. Ces élargissements font d’ailleurs l’objet de débats en illustrant les différentes conceptions du projet européen : les Britanniques défendent une zone de libre-échange (pouvant accepter un nombre important de pays) tandis que l’Allemagne et la France sont favorables à une Europe puissance, où les décisions deviennent forcément complexes avec un nombre trop important d’États-membres. En effet, les institutions européennes qui ont peu évolué depuis le traité de Rome, se retrouvent de plus en plus sclérosées avec les élargissements et l’approfondissement des politiques européennes. Ces difficultés n’ont guère été réglées par les traités de Nice (2001) et de Lisbonne (2008). Le rapport des citoyens de l’Union avec la démocratie européenne apparaît de plus en plus distant. Bien que depuis 1992, de nombreuses mesures aient été prises pour rapprocher les institutions des citoyens, Bruxelles semble lointaine et trop technocratique. Ce déficit démocratique, réel ou fantasmé, favorise une abstention croissante lors des élections européennes et la montée de partis populistes extrémistes, clairement eurosceptiques. L’échec des référendums de 2005 sur la Constitution européenne, pourtant une tentative d’apporter une réponse aux problèmes institutionnels de l’Union, illustre la défiance croissante des citoyens. L’Europe peine aussi à s’affirmer comme une puissance mondiale. Malgré la mise en place d’une politique étrangère et de défense commune, les divergences entre États membres pénalisent les actions et la diplomatie de l’Union qui, à l’exception d’un Eurocorps limité, ne dispose pas de forces militaires. Comme il a dû le faire en ex-Yougoslavie, l’OTAN doit intervenir de nouveau au Kosovo en 1999 et l’intervention américaine en Irak en 2003 crée une nouvelle ligne de fracture entre pays européens, soutiens ou critiques de cette opération. L’intervention franco-britannique en 2011 en Libye se fait aussi dans un relatif isolement avec des partenaires européens sur la réserve. Au cours des années 2000, l’Union européenne semble en fait ballotée d’une crise à une autre. En 2009, la crise de l’euro, probablement la plus importante par son ampleur, révèle et illustre les problèmes structurels de l’Union : les erreurs dans la mise en place originelle de l’euro, les dettes croissantes et incontrôlées des pays de l’eurozone, la faiblesse des institutions européennes qui tardent à réagir face à la crise grecque, une solidarité européenne remise en cause avec la menace d’exclusion de la Grèce de la zone euro… Dans la période « Merkozy », le couple francoallemand apparaît comme étant le seul à la manœuvre, remettant en cause la collégialité des décisions et le fonctionnement communautaire. Quand la Croatie adhère le 1er juillet 2013, elle devient le 28e membre d’une Union européenne convalescente économiquement et sans réel projet politique.

Toutes ces thématiques sont au cœur de ce chapitre et le professeur pourra apporter des réponses nuancées aux interrogations suivantes : les ambitions affichées par le traité de Maastricht ontelles été réalisées ? Comment fonctionne – ou pas – la gouvernance européenne, entre avancées et crises ? Comment expliquer la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Union européenne ?

moindre mesure), les souverainistes militent pour une « Europe des Nations », où l’autonomie politique des nations serait préservée. À l’inverse des fédéralistes, ils souhaitent donc un affaiblissement voire une disparition des institutions européennes communes. Les souverainistes les plus ultra envisagent d’abandonner l’euro voire de quitter l’Union européenne pour rétablir une souveraineté nationale.

◗◗ Débat historiographique et quelques notions clefs du chapitre

• Déficit

• Gouvernance. Notion récente (apparue dans les années quatre-

vingt et popularisée dans les années 2000), elle est controversée car sujette à de nombreuses définitions. Le terme s’applique ainsi pour des petites organisations ou des institutions internationales, dans le domaine économique ou politique. La gouvernance est, dans son acceptation la plus commune, la façon dont le pouvoir est organisé et exercé au sein d’une organisation, qu’elle soit publique ou privée, régionale, nationale ou internationale. Le terme est souvent connoté : il suppose ainsi une « bonne gouvernance » (quand les institutions fonctionnent bien, collégialement, démocratiquement et dans l’intérêt collectif) et, inversement, une « mauvaise gouvernance ». La Commission européenne a lancé un débat sur la gouvernance européenne avec le livre blanc de juillet 2001. L’objectif consiste à adopter de nouvelles formes de gouvernance rapprochant davantage l’Union des citoyens européens, la rendant plus efficace, renforçant la démocratie en Europe et la légitimité de ses institutions. Cinq principes ont été définis comme étant à la base d’une bonne gouvernance : l’ouverture (transparence et communication des décisions), la participation (impliquer les citoyens dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques), la responsabilité (avec la clarification du rôle de chacun dans la décision), l’efficacité et la cohérence.

• Fédéralisme. Courant politique favorable à la transformation

de l’Union européenne en une fédération d’États, dotée d’un pouvoir supranational et d’une souveraineté propre. Dans ce but, les fédéralistes veulent un approfondissement des politiques européennes. Confronté à une défiance de l’opinion publique face aux questions européennes, le fédéralisme européen est actuellement minoritaire. La crise de l’euro a cependant relancé le fédéralisme par la force des choses en soulignant l’intégration économique incomplète de l’Union européenne. Les transferts de souveraineté qui ont suivi (pacte budgétaire européen) ont accru les critiques des souverainistes sur l’abandon de prérogatives nationales.

• Souverainisme. Apparu politiquement en France à l’occasion

du référendum sur le traité de Maastricht (1992), le souverainisme est la doctrine défendue par des partis, groupements et représentants politiques qui veulent protéger la souveraineté nationale mise en péril selon eux par un pouvoir accru de l’Union européenne. Souvent classés à droite, voire à l’extrême-droite de l’échiquier politique (à gauche ou à l’extrême-gauche dans une

◗◗ Bibliographie

• Ouvrages universitaires sur l’histoire de la construction européenne

M.-T. Bitsch, Histoire de la construction européenne : de 1945 à nos jours, Complexe, 2008. G. Courty & G. Devin, La Construction européenne, La Découverte, 2010. G. Bossuat, Histoire de l’Union européenne : Fondations, élargissements, avenir, Belin, 2009. P. Fontaine, L’Union européenne : Histoire, institutions, politiques, Points, 2012.

• Ouvrages à dimension géographique mais qui peuvent être intéressants pour ce chapitre

V. Adoumié (dir.), Géographie de l’Europe, Hachette Université, 2013. L. Carroué & D. Collet & C. Ruiz, L’Europe, Bréal, 2010.

• Ouvrages plus spécifiques sur la gouvernance européenne N. Levrat, La Construction européenne est-elle démocratique ? La Documentation française, 2013. M. Gaillard, L’Union européenne : institutions et politiques, La Docu­mentation française, 2013. O. Costa & N. Brack, Le Fonctionnement de l’Union européenne, Université de Bruxelles, 2014.

• Articles et documentation pédagogique « Europe : de la construction à l’enlisement », Le Monde, décem­bre  2012. J.-F. Drevet, « Une Europe en crise ? », La Documentation photographique, n° 8052, 2006 Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

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La gouvernance de l’Union européenne depuis 1992 n’a pas suscité de débat strictement historiographique. En revanche, si les historiens sont relativement unanimes, les divergences entre intellectuels, auteurs et responsables politiques sont plutôt d’ordre politique sur la nécessité de rester dans l’euro, la représentativité ou non des institutions européennes, leur distance vis-à-vis des citoyens, le déficit démocratique… Le chapitre a aussi des résonances géographiques : des liens peuvent d’ailleurs être établis, et c’est souhaitable, avec le programme de géographie de 1re qui conduit les élèves à questionner l’Union européenne et ses limites (« Les territoires de l’Union européenne » du thème 3 : « L’Union européenne et la France dans le monde »).

démocratique. À chaque étape de la construction européenne, la question de la légitimité démocratique des décisions et des institutions s’est posée. Le processus décisionnel de l’Union européenne est souvent considéré obscur par le grand public, qui ne comprend pas toujours son fonctionnement, l’obsession normative et les textes juridiques difficiles. Le rôle du Parlement européen (seul organe élu au suffrage universel dans les pays européens) est aussi perçu comme secondaire face à celui de la Commission européenne dont les membres sont nommés (et non élus). Un déficit démocratique est donc évoqué pour faire valoir que les institutions européennes manquent de légitimité démocratique et qu’elles sont trop éloignées des citoyens du fait de leur fonctionnement trop complexe. Les autorités de Bruxelles ont pris conscience de ce problème et les traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne ont cherché à le résoudre. Les pouvoirs du Parlement ont été renforcés (en matière législative et budgétaire et par la désignation du président de la commission), les sessions du Conseil des ministres rendues publiques et la participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union a été encouragée (création d’un droit d’initiative citoyenne). Malgré cette prise de conscience et ces différentes initiatives, l’Union européenne n’a cependant pas réussi à réduire la critique lancinante de déficit démocratique qui alimente largement les mouvements eurosceptiques et favorise la montée de partis politiques populistes.

• Sites Internet

→Document 2 : « Au président inconnu, l’Europe

http://fresques.ina.fr/jalons/parcours/0034/succes-etdifficultes-de-la-construction-europeenne.html

reconnaissante », caricature de Patrick Chappatte publiée dans l’International Herald Tribune, 23 novembre 2009

Le site Jalons, né d’un partenariat entre l’INA et le ministère de l’Éducation nationale, propose de nombreux dossiers pédagogiques. Celui-ci, intitulé « Succès et difficultés de la construction européenne » est particulièrement pertinent pour ce chapitre.

Cette caricature du dessinateur suisse Patrick Chappatte a été publiée dans l’International Herald Tribune et dans le journal Le Temps (Genève), ce qui explique la version française des textes. P. Chappatte ironise ici sur le relatif anonymat d’Herman Van Rompuy, qui devient, en novembre 2009, le premier président permanent du Conseil européen. Pour souligner le fait qu’il est inconnu de l’opinion publique, P. Chappatte représente grossièrement ses traits comme ceux de l’archétype du fonctionnaire européen austère. Derrière l’ironie de la représentation perce toutefois la déception que peuvent ressentir les partisans d’une Europe politique pour ce choix d’une personnalité effacée. Comme souvent chez P. Chappatte, l’Union européenne est symbolisée par le bâtiment de la Commission européenne devant lequel flottent les drapeaux des États membres.

Deux sites autour de l’Histoire de la construction européenne : – Europa (site officiel de l’Union européenne, très riche et disposant d’un espace « enseignant ») : http://europa.eu/abc/history/index_fr.htm – Toute l’Europe (portail très riche disposant notamment de statistiques et de cartes) : http://www.touteleurope.eu/l-union-europeenne/histoirede-l-ue/les-dates-cles.html Pour trouver de la documentation (textes, images) : – Le centre virtuel de la connaissance sur l’Europe avec des pages dédiées à la construction européenne : histoire, personnalités ; très riche mais peut-être ambitieux pour des élèves de Terminale : http://www.cvce.eu/collections/historical-events – « Presseurop.eu » qui recense un nombre très important d’articles et d’illustrations dans la presse européenne (malheureusement, le site a été arrêté en 2014 mais les archives restent consultables) : http://www.presseurop.eu/fr Le site des Rendez-vous de l’histoire de Blois propose d’écouter de nombreuses conférences sur le thème de l’édition 2008 « Les Européens » : http://www.rdv-histoire.com/-Programme-consacre-autheme-Les-.html

Introduction au chapitre

p. 174-175

Ce chapitre propose d’étudier l’évolution de la gouvernance européenne depuis la signature du traité de Maastricht (1992). L’écueil principal à éviter est de faire une histoire de la construction européenne en oubliant la dimension « gouvernance », au cœur du sujet. Pour cette raison, la problématique principale conduit à s’interroger sur l’évolution de cette gouvernance dans le cadre d’une Union européenne élargie, entre espoirs (traité de Maastricht, création de l’euro) et doutes (référendums de 2005, crise de l’euro). La confrontation des deux documents d’ouverture permet d’illustrer facilement le passage de l’enthousiasme (« europhilie ») à « l’euroscepticisme » sur cette construction européenne.

La frise chronologique est en deux parties. La partie haute rappelle les différents élargissements de l’Union européenne, passée de 12 États membres (en 1992) à 28 (avec l’intégration de la Croatie en 2013). La partie basse distingue deux périodes : une première période qui correspond aux espoirs d’une Europe politique élargie à l’échelle du continent et une seconde période davantage marquée par les crises et les doutes sur le projet européen. On peut attirer l’attention des élèves sur la date qui constitue la césure entre ces deux périodes : l’année 2004, qui est à la fois celle de l’entrée dans l’Union européenne de nombreux pays ex-communistes – marquant ainsi une certaine union du continent – mais aussi et en conséquence, celle de l’accentuation des problèmes de gouvernance des institutions européennes. Les adhésions diminuent d’ailleurs sensiblement en nombre (10 nouveaux pays rejoignent l’Union européenne entre 1995 et 2004 mais seulement 3 entre 2004-2013, soit sur la même période de temps).

Repères

p. 176-177

(Allemagne), 1er janvier 1999

Ces pages proposent les notions clés du chapitre, des repères chronologiques et des informations complémentaires sur l’évolution et le fonctionnement de l’Union européenne. Les cinq notions clés constituent les termes fondamentaux pour la compréhension du chapitre : elles peuvent être explicitées l’une par l’autre (fédéralisme / approfondissement) ou faire l’objet d’une étude comparative sous forme de tableau (fédéralisme / souverainisme). Le Rappel permet de revoir avec les élèves les principales étapes de la construction européenne depuis 1947 jusqu’à la chute du mur de Berlin. Les événements choisis présentent les différents élargissements, les tentatives fédéralistes (rejet de la CED) ainsi que les succès économiques (CECA puis CEE).

Cette photo présente un triple intérêt. Elle s’inscrit dans la première phase chronologique du chapitre, celle des espoirs dans la construction européenne incarnée ici par la création de l’euro, la monnaie unique célébrée par un rassemblement populaire. De plus, celui-ci a lieu à Francfort, la ville choisie pour accueillir la Banque Centrale Européenne, une nouvelle institution chargée de veiller sur le cours de l’euro et de favoriser la convergence des économies de l’Union. Enfin, la date de la prise de vue (1999), soit trois ans avant la mise en circulation des pièces, semble indiquer une véritable attente populaire pour la monnaie unique. Cela reste toutefois à nuancer tant certains pays (et l’Allemagne en particulier) ont pu rechigner à abandonner leurs monnaies nationales au profit d’une nouvelle devise.

Le document 1 permet d’observer visuellement les élargissements successifs, essentiellement vers l’Est, de la construction européenne. Plusieurs éléments peuvent être soulignés : certains pays européens ont choisi de ne pas rejoindre cette union régionale (Norvège, Suisse) ; le groupe de pays ayant choisi l’euro ne coïncide pas forcément avec l’espace Schengen, lequel est plus vaste que l’enveloppe des États membres de l’Union européenne. L’observation de ces différents groupes permet de montrer une Europe à plusieurs vitesses. Enfin, les élèves peuvent remarquer la localisation des États membres candidats à l’Union européenne : l’Islande (bien que les Islandais divergent sur cette candidature), les pays des Balkans issus de l’ex-Yougoslavie, l’Ukraine (avec les problèmes géopolitiques liés à la proximité de la Russie hostile à

→Document 1 : Manifestation en faveur de l’euro à Francfort

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◗◗ Frise

84 • Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

toute extension de l’Union européenne dans sa zone d’influence) et la Turquie (dont l’adhésion est controversée).

J. Delors est présent au G7 puisque le président de la Commission européenne y est invité depuis 1977.

Le document 2 présente simplement et sous forme d’organigramme les institutions européennes depuis le traité de Lisbonne (2007). Les élèves peuvent remarquer que la Commission européenne, véritable organe exécutif de l’Union, se trouve au centre de cette représentation des pouvoirs. Les doubles flèches aux doubles couleurs indiquent les codécisions (comme entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne).

Le document 5 reprend un extrait de la une, datée du 19 août 2011, du quotidien bruxellois Le Soir (le quotidien francophone le plus lu de Belgique). Elle présente sur un ton alarmiste l’opinion de J. Delors sur la crise que traverse alors la zone euro et par extension, l’Union européenne. L’ancien président de la Commission européenne défend l’idée d’une meilleure intégration économique pour résoudre la crise économique. Sa critique des dirigeants européens est en creux une valorisation de son action passée.

p. 178-179

Jacques Delors, l’homme qui croit à l’Europe Le choix de Jacques Delors est légitime à de nombreux titres. Considéré comme un des grands noms de la construction européenne, il est surtout pendant dix ans (1985-1995) le président de la Commission européenne. Il a marqué durablement ce poste de son empreinte. Favorable à une Europe puissance, il contribue à l’Acte Unique (1986), à la signature du traité de Maastricht (1992) et à la mise en place de la monnaie unique. Ces grands chantiers vont se poursuivre pendant les années quatre-vingt-dix. Retiré de la vie politique en 1995 (après avoir refusé, malgré sa popularité et de nombreuses pressions, de se présenter à l’élection présidentielle française), il vit mal les évolutions de l’Union européenne depuis et notamment l’échec du référendum en 2005. À la tête du groupe de réflexion « Notre Europe », il essaie de se faire entendre – souvent en vain – auprès des citoyens et surtout des dirigeants européens. Cette double page reprend ces différents aspects. Le document 1 est un document original : la transcription d’une émission de radio sur RTL de juillet 1984, alors que la nomination de Jacques Delors à la tête de la Commission européenne a été acceptée par les dix chefs d’Etat européens. Le document présente de façon claire et métaphorique (en comparant les institutions européennes à une voiture) le poste important que Jacques Delors vient d’obtenir. Le document 2 fait parler Jacques Delors lui-même lors de la cérémonie de signature du traité de Maastricht (7 février 1992). Il en est l’un des artisans et a souhaité ce traité tout en regrettant (et cela apparaît nettement dans l’extrait) une certaine complexité institutionnelle. Il aurait voulu en effet un fonctionnement simplifié mais, en tant que président de la Commission européenne, il reste conscient des compromis nécessaires à la signature d’un tel traité. La fin du texte montre une certaine lucidité, baignée d’inquiétude, sur les problèmes institutionnels à venir. Le document 3 est un article du quotidien Les Échos du 19 janvier 2000. Il reprend les propos de Jacques Delors qui s’exprime désormais comme ancien président de commission et donc expert des questions européennes. J. Delors s’oppose ici aux élargissements successifs et en particulier à ceux qui s’annoncent (en 2004) pour intégrer les ex-pays communistes d’Europe de l’Est. Reprenant un raisonnement habituel des fédéralistes européens, J. Delors considère que les élargissements, souhaités par les partisans d’une Europe zone de libre-échange, vont diluer l’Europe politique dans un ensemble trop vaste pour en permettre un bon fonctionnement. Le concept de « Fédération d’États-Nations » que J. Delors propose tente une synthèse entre les idées fédéralistes et souverainistes qui se sont exprimées lors du référendum du traité de Maastricht. L’intérêt de la photographie (doc. 4) est de montrer l’ambition de J. Delors de faire de l’Union européenne une puissance mondiale, représentée comme on le voit ici dans les grandes organisations internationales (G7 + 1 en 1992). Ce n’est pas la première fois que

◗◗ Réponses aux questions 1. En devenant en 1984 président de la Commission européenne, J. Delors occupe un poste de première importance dans les institutions européennes : il est à la tête de la Commission, c’està-dire du pouvoir exécutif de la Communauté puis de l’Union européenne. Pour reprendre la métaphore de la voiture (doc. 1), il devient en quelque sorte le pilote. Cette place éminente lui vaut une reconnaissance internationale ; sa présence est souhaitée lors des grandes rencontres (doc. 4). Il contribue donc à faire de l’Union européenne un acteur de la gouvernance mondiale.

2. Avec le traité de Maastricht, J. Delors se réjouit de trois choses. D’abord, la mise en place de l’Union économique et monétaire, préalable à la monnaie unique. Il cite aussi la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui a pour objectif de faire parler l’Union européenne d’une seule voix sur la scène internationale. Enfin, il évoque de façon moins précise les évolutions institutionnelles que comporte le traité.

3. Reprenant un discours fédéraliste, J. Delors s’oppose aux élargissements successifs qu’il compare à « une fuite en avant ». Selon lui, ces élargissements diluent l’intégration européenne et empêchent la mise en place d’une organisation plus approfondie permettant de répondre aux ambitions affichées lors du traité de Maastricht. Concrètement, trop de pays membres rendent impossible un fonctionnement des institutions telles qu’elles ont été établies en 1992.

4. Selon J. Delors, l’Union européenne souffre d’un double problème : les élargissements successifs et trop rapprochés qui ont sclérosé son fonctionnement et des dirigeants européens aux réponses inadaptées face à la crise. Pour sortir de l’ornière institutionnelle et des dissensions internes, il préconise au contraire un groupe restreint et pionnier de pays (une « avant-garde »), souhaitant approfondir leurs politiques communes en mettant en place un nouveau traité ; ce traité proposerait ainsi une fédération mais sous une forme originale : « fédération d’États-nations ». Il est conscient qu’une volonté politique forte est nécessaire pour l’établir et semble douter qu’elle existe parmi les dirigeants européens (doc. 5).

◗◗ Vers la composition du BAC Jacques Delors parvient à la présidence de la Commission européenne en 1984. Européen convaincu, de tendance fédéraliste, il va imprimer sa marque à ce poste avec des ambitions renouvelées pour la construction européenne. Il contribue ainsi à la signature du traité de Maastricht de 1992 instituant officiellement l’Union européenne. Ce traité établit une Politique étrangère et de Sécurité commune ainsi qu’une Union économique et monétaire, préalable à la monnaie unique. J. Delors, favorable à une Europe puissance, l’incarne dans toutes les réunions internationales. Il se retire de la vie politique en 1996. Par la suite, il continue de s’exprimer sur l’avenir de l’Union européenne. Ayant signalé dès la signature du traité de Maastricht la difficulté d’établir des compromis dans une Europe à 12, il s’inquiète des élargissements successifs dans lesquels il voit une fuite en avant et une dilution de l’intégration européenne. Déçu de l’évolution de l’Union européenne depuis son départ de la présidence de la Commission, il Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

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Acteur

considère que la crise de l’euro en 2000 est révélatrice des problèmes structurels et notamment de l’absence de gouvernance : selon lui, les dirigeants européens n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Par son groupe de réflexion « Notre Europe » et ses prises de position publiques, il espère pouvoir influer sur l’orientation prise par la gouvernance européenne actuelle.

Étude 1

p. 180-181

Le couple franco-allemand, moteur ou obstacle pour l’Europe ? Cette étude a pour ambition de mettre en lumière l’importance et éventuellement l’ambiguïté des rapports entre la France et l’Allemagne dans la gouvernance européenne. L’importance en est évidente et débute bien en amont des bornes chronologiques de l’actuel programme de Terminale S. Dès 1950, le plan Schuman, débouchant sur la fondation de la CECA en est le premier élément clé. Il s’agit de la constitution d’une organisation commune dans les secteurs stratégiques du charbon et de l’acier qui a pour triple intérêt d’anéantir le risque d’une renaissance solitaire de la puissance allemande, de rendre toute guerre entre France et Allemagne techniquement impossible et de réconcilier les deux pays par une solidarité concrète. Le couple franco-allemand se renforce encore dans les années 1960 en particulier grâce à l’amitié profonde que se vouent le général de Gaulle et le Chancelier Adenauer. Elle culmine lors de leur célèbre rencontre à Reims en 1962. Les deux pays, anciens ennemis d’hier, choisissent clairement de privilégier les relations bilatérales au détriment du multilatéralisme européen. Elles ont notamment l’avantage de s’établir sur une base de coopération intergouvernementale et non supranationale, ce que souhaite profondément la France gaulliste. Depuis cette époque, il est habituel de désigner ce partenariat entre les deux pays par l’expression « moteur franco-allemand ». Les cinq documents s’interrogent sur ce que représente aujourd’hui cet axe franco-allemand au sein d’une Union européenne élargie à 28 membres.

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→Document 1 : Des réalisations concrètes : pièce de 5 euros commémorative célébrant en 2012 les 20 ans de la création de l’Eurocorps Ces photos présentent la face et le revers d’une pièce de 5 euros frappée en 2012 pour commémorer les 20 ans de la création de l’Eurocorps (ou corps européen). Ces pièces – de collection – ne sont pas destinées à circuler. Elles transmettent un message politique clair : la création de l’Eurocorps permet de garantir la paix en unissant les ennemis d’hier (symbole de F. Mitterrand et d’H.  Kohl à Verdun en 1984). Cette initiative franco-allemande reste toutefois limitée : à ce jour, seuls l’Espagne, le Luxembourg et la Belgique ont rejoint le dispositif et quatre pays (la Grèce, la Pologne, la Turquie et l’Italie) y sont associés. L’État-major est à Strasbourg. L’Eurocorps a participé à plusieurs missions de paix comme en Bosnie, au Kosovo (KFOR) ou en Afghanistan. Cette « armée européenne » reste encore embryonnaire du fait des dissensions des États membres sur l’opportunité – ou pas – d’une force armée ou sur les missions qui peuvent lui être confiées. Faute d’une volonté strictement européenne, l’Eurocorps est associé à l’OTAN dont il constitue une « force de réaction rapide ».

→Document 2a : Jacques Chirac et Gerhard Schröder, caricature de Dieter Hanitzsch (2003) La caricature de Dieter Hanitzsch (dessinateur et journaliste bavarois, né en 1933) évoque, à travers les 40 ans du traité de

86 • Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

l’Elysée, deux couples franco-allemands célèbres. Sur le nuage (symbole utilisé dans les caricatures pour signifier le décès), le général De Gaulle et Konrad Adenauer qui sont les pionniers de l’amitié franco-allemande et au premier-plan, trinquant au champagne, Jacques Chirac (à gauche de l’image) et Gerhard Schröder (à droite). Malgré leurs sensibilités politiques divergentes (UMP et SPD), les deux hommes ont développé pendant leurs mandats respectifs une réelle entente et ont partagé des points de vue convergents sur de nombreux dossiers.

→Document 2b : Le couple franco-allemand, une nécessité pour l’Europe ? Cet article de La Tribune daté du 21 janvier 2013 est un rappel de l’histoire du couple franco-allemand. Il souligne que les rapports entre dirigeants n’ont pas toujours été très chaleureux (par exemple entre George Pompidou et Willy Brandt) bien que souvent, les intérêts communs favorisaient une coopération voire une amitié sincère (François Mitterrand et Helmut Kohl). L’intérêt de ce texte est aussi d’évoquer la rencontre attendue avec l’homologue d’outre-Rhin dès la prise de fonction du chancelier allemand ou du président français.

→Document 3 : La France et l’Allemagne isolées en Europe sur le dossier irakien Les positions communes de la France et de l’Allemagne ne sont pas nécessairement suivies par leurs partenaires européens. La crise irakienne, au cœur de cet article de Libération du 31 janvier 2003, en fournit l’exemple. La France, par la voix de J. Chirac, s’est opposée dès le début à cette intervention, y voyant une escalade dangereuse pour l’équilibre d’une région troublée. L’Allemagne, traditionnellement pacifiste, a suivi la position française. Le Parlement européen a confirmé cette opposition à la guerre par une résolution solennelle. Certains pays membres de l’Union européenne ainsi que des futurs entrants très atlantistes (comme la Pologne) ont publié le jour même de ce vote au Parlement, un texte commun appelant à soutenir Washington, illustrant publiquement les dissensions au sein de l’Union européenne sur cette question majeure de politique étrangère. J. Chirac, ulcéré par cette prise de position, a déclaré que ces pays « avaient perdu une bonne occasion de se taire ». Le couple franco-allemand voit à cette occasion son leadership menacé et l’unité de l’Union européenne remise en cause.

→Document 4 : Manifestation à Paris en 2012 contre les politiques européennes d’austérité : « Non au traité Merkozy » En réaction aux politiques d’austérité qui sont mises en place dans les économies fragilisées par la crise de l’euro, de nombreuses manifestations – comme celle de Paris illustrée ici – ont lieu dans les pays européens. Le discours est souvent identique : rejet du coût social des plans d’austérité, critiques de l’Allemagne et de la chancelière Merkel qui souhaite imposer une stricte discipline budgétaire. Sur la photo, un individu brandit une pancarte contre le plan « Merkozy » (nom illustrant la proximité de vues sur ce sujet entre A. Merkel et N. Sarkozy). Son masque illustre Guy Fawkes, un révolté catholique anglais du début du xviie siècle ; le graphisme contemporain est inspiré du film « V for Vendetta ». Il s’agit du masque porté par le collectif des « Anonymous » lors des manifestations auxquelles ce groupe informel participe.

→Document 5 : Les autres pays européens mis sur la touche par le couple franco-allemand ? Cet article du magazine Le Point du 14 octobre 2011 évoque les réactions agacées des chancelleries européennes à la proposition de réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce pacte, signé en 1997 et plus contraignant que les seuls critères de Maas-

◗◗ Réponses aux questions 1. À l’image de Charles de Gaulle et Konrad Adenauer à la base de l’amitié franco-allemande, le couple franco-allemand fonctionne par des rencontres régulières (généralement dès la prise de fonction) des présidents français avec les chanceliers allemands. Parfois teintées d’amitié sincère (H. Kohl et F. Mitterrand, G. Schröder et J. Chirac), ces entrevues peuvent aussi, selon les deux personnalités composant le couple, se limiter à un devoir de la fonction, une obligation acceptée de plus ou moins bonne grâce (G. Pompidou et W. Brandt). Le nécessaire travail commun, la convergence des points de vue ainsi que des rencontres fréquentes peuvent toutefois réchauffer des relations fraîches au départ (A. Merkel et N. Sarkozy).

2. Le couple franco-allemand est souvent à la manœuvre dans

la construction européenne. Les documents 1 et 2 évoquent notamment son rôle dans l’élaboration du traité de Maastricht et la création de l’euro et de l’Eurocorps, embryon d’une armée européenne pensée au départ et de façon significative comme franco-allemande. Cette action décisive et sans alternative européenne, fait généralement comparer le couple franco-allemand à une « locomotive » dont la force de traction est indispensable, surtout en période de crise.

3. Les décisions du couple franco-allemand sont parfois mal vécues par leurs partenaires européens qui considèrent qu’il s’agit souvent de décisions unilatérales, prises entre Paris et Berlin et donc contraires au fonctionnement communautaire. Les critiques se concentrent alors sur « l’axe franco-allemand », expression qui signifie tout autant les positions communes des deux pays que leur alliance objective et autoritaire. Le traité « Merkozy » (appelé de cette façon car élaboré par ces deux dirigeants) est ainsi critiqué tant sur le fond (politiques d’austérité ayant un coût social important) que sur la forme (il a été imposé aux partenaires européens sans réelle concertation).

4. Les réactions des autres pays membres sont contradictoires.

discipline budgétaire, rapidement qualifié de « traité Merkozy » par une partie de la presse européenne. La Commission européenne ainsi que les autres pays membres qui n’ont pas été concertés pour la réalisation de ce traité, s’estiment mis devant le fait accompli. Leurs réactions, telles qu’elles apparaissent dans le document 5, illustrent l’exaspération face à un « axe franco-allemand » dictant ses décisions au reste de l’Union européenne. « Une situation globale ne se résoudra pas par des axes bilatéraux », affirme ainsi Franco Frattini, ministre italien des Affaires étrangères tandis que Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Luxembourg, juge la méthode « inacceptable ». Le leadership franco-allemand semble donc rejeté au profit d’une gouvernance européenne réellement concertée et communautaire, seule susceptible d’obtenir l’adhésion de tous. Toutefois, la France et l’Allemagne étant les deux premières économies de l’Union et historiquement la locomotive de l’intégration européenne, leur capacité d’entraînement s’avère fondamentale pour une Europe déboussolée. Ainsi, même s’il pense qu’il est préférable pour les États membres de travailler tous ensemble à une solution, José Manuel Barroso, à la fin du document, reconnaît, à l’instar de nombreux dirigeants européens, qu’une coopération étroite entre Paris et Berlin reste indispensable, en particulier dans cette période de difficultés.

Étude 2

p. 182-183

Les référendums sur la Constitution européenne de 2005 Alors que le traité de Maastricht avait été ratifié d’une courte majorité lors du référendum organisé en 1992, malgré les réticences d’une partie des électeurs, le projet de Constitution européenne fut rejeté assez nettement en 2005 en France et aux Pays-Bas. C’était la première fois depuis le refus français de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954 que la construction européenne marquait le pas à la suite de l’opposition d’un ou plusieurs de ses membres. Le référendum avait pourtant passionné les Français et le taux d’abstention (30, 3 %) a été le plus faible des cinq derniers référendums organisés. Si les causes de ce rejet sont multiples, un lien peut toutefois être fait avec l’euroscepticisme, un sentiment croissant dans l’Union européenne depuis les années quatrevingt-dix. Le dossier cherche à mettre en valeur les raisons qui ont abouti à cet échec et la manière dont l’Europe a finalement rebondi par le biais du traité de Lisbonne.

S’ils attendent les décisions franco-allemandes pour faire avancer l’Europe, ils émettent aussi souvent des critiques plus ou moins ouvertes contre ce leadership. Lors de l’opération américaine en Irak en 2003, un groupe alternatif s’est même constitué pour soutenir l’intervention tandis que Paris et Berlin s’y opposaient. Cette opération est restée cependant sans lendemain tant les dirigeants européens reconnaissent, à l’image de José Manuel Barroso dans le document 5, que « rien ne peut aboutir en Europe sans une coopération étroite entre la France et l’Allemagne ».

→Document 1 : Les enjeux du référendum

◗◗ Vers l’analyse de documents du BAC

→Document 2 : Le traité de Lisbonne, une meilleure

En octobre 2011, alors que l’Union européenne connait depuis deux ans une crise financière et économique importante (crise de la dette puis crise de l’euro), les dirigeants européens cherchent à rassurer les marchés financiers. Face à l’ampleur de la crise qui menace l’existence même de la monnaie unique, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel multiplient les rencontres bilatérales. Ils parviennent à s’accorder sur un projet de nouveau traité européen de

gouvernance ou une sortie de crise ?

Ce type d’infographie, inspirée de celle parue dans les Dernières Nouvelles d’Alsace le 10 avril 2005, était très fréquent dans la presse française du printemps de cette année-là. Il s’agissait d’informer les électeurs sur le texte d’une Constitution européenne jugé abscons car rédigé dans un jargon « eurocratique » dont seul Bruxelles a le secret. L’objectif poursuivi est donc de rendre plus simple et plus compréhensible, les principaux changements induits par ce texte constitutionnel.

L’intervention de Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, est intéressante à plusieurs titres. Après l’échec du référendum en France et aux Pays-Bas, l’enlisement du processus de ratification dans les autres États-membres et le changement à la tête de l’État français (Nicolas Sarkozy est élu en 2007), un nouveau traité, longtemps appelé « traité simplifié », est décidé Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

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tricht antérieurs à l’entrée de l’euro, avait pour objectif de coordonner les politiques budgétaires nationales des pays de la zone euro afin d’éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs (3 % du PIB). Dès le printemps 2010 et en pleine crise de l’euro, l’Allemagne plaide pour un pacte plus contraignant établissant notamment des contraintes juridiques. En février 2011, la France et l’Allemagne ajoutent un volet compétitivité et l’Allemagne va jusqu’à proposer une union fiscale. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel multiplient les rencontres bilatérales pour avancer à deux sur ce dossier, ce qui crispe leurs partenaires européens.

afin de conserver ce qui peut l’être de la Constitution européenne. Ce traité est signé à Lisbonne en 2008. Une partie de l’opinion publique française s’estime trahie dans son vote de rejet et ce sentiment rejaillit à l’assemblée. Le style très direct de Bernard Kouchner, qui est aussi son mode personnel d’expression, illustre la volonté du ministre d’éteindre cette polémique en la minimisant et en rappelant les engagements de Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle. Le choix d’un traité ratifié par le Parlement donne en tout cas le sentiment aux « nonistes » (les partisans du « non » pendant la campagne référendaire) que la gouvernance européenne ne tient pas compte des votes du peuple.

→Document 3 : Les principales motivations du vote « oui » et du vote « non » en France Ce tableau statistique présente les résultats d’un sondage de sortie des urnes réalisé par l’institut IPSOS le jour du référendum français, le 29 mai 2005. Les principales motivations des votes « oui » et « non » sont présentés ; les sondés pouvant exprimer plusieurs réponses possibles, le total des pourcentages excède 100 %. L’intérêt de l’étude réside bien entendu dans la confrontation des raisons.

→Document 4 : La progression de l’euroscepticisme en Europe Cet article des Échos, daté du 25 mai 2009, présente l’importance du courant eurosceptique en Europe et les inquiétudes qu’il suscite auprès des responsables européens à Bruxelles. Les principales causes de ce phénomène sont avancées tout en en soulignant la complexité et l’aspect multiforme. De ce fait, cet article invite les élèves à la nuance. Une comparaison pertinente pourrait être établie en classe à partir de deux notions évoquées dans cet extrait : « euroscepticisme » et « europhilie ».

→Document 5 : La confiance dans l’Union européenne

Parlementaire afin d’éviter un nouveau rejet populaire, synonyme d’enlisement de l’Europe politique. Selon Bernard Kouchner qui tente de justifier cette décision devant les députés, le référendum n’a pas vraiment parlé de l’enjeu (l’Europe) et une nouvelle consultation risquerait d’aboutir à un résultat identique. Afin d’éviter ce danger et par sécurité, la plupart des pays européens vont aussi ratifier le traité de Lisbonne par voie Parlementaire.

3. Le vote « non » apparaît comme un vote de gauche ; il s’inscrit en effet dans un mouvement d’opposition à la politique menée par Jacques Chirac et/ou dans une critique d’une orientation jugée trop libérale de l’Union européenne (débat sur « le plombier polonais » ou directive Bolkestein). 39 % des votants « non » souhaiteraient renégocier une nouvelle Constitution ; cela indique la force du sentiment d’un déficit démocratique : les votants auraient souhaité un traité accordant une place plus importante aux peuples. Le vote « oui », qui transcende plus largement les sensibilités politiques, illustre à l’inverse des préoccupations fédéralistes voulant renforcer le poids de l’Union européenne dans le monde ou en améliorer son fonctionnement.

4. L’euroscepticisme désigne les doutes sur l’utilité et l’intérêt de l’Union européenne. Il est croissant quasiment partout en Europe (à l’exception de la Bulgarie et de la Croatie) comme l’indique la carte (doc. 5). En 2012, seuls 33 % en moyenne des Européens (dans les pays membres et pays candidats) ont confiance dans l’Union européenne. De nombreux pays sont cependant au-dessous de cette moyenne y compris dans les pays candidats. Observation intéressante : en Turquie, pays pourtant candidat à l’entrée dans l’Union, la confiance est basse (inférieure à 33 %) et en baisse alors que le pays a longtemps été très « europhile ». L’atermoiement des dirigeants européens sur cette adhésion et le décalage de croissance entre une Turquie dynamique et une Union européenne en crise expliquent probablement ce résultat.

en baisse Depuis 1973, la Commission européenne analyse régulièrement l’opinion publique dans chacun des États membres grâce à des études appelées « Eurobaromètres ». Ces enquêtes permettent notamment de mesurer la force et l’évolution du sentiment européen dans les différents pays de l’Union. Cette carte réalisée à l’automne 2012 illustre la confiance que les citoyens accordent – ou pas – à l’Union européenne. Les pays membres et les pays candidats ont été interrogés. Deux enseignements majeurs de cette carte : la confiance dans l’Union européenne est partout en baisse plus ou moins prononcée (sauf en Bulgarie et Croatie) y compris dans les États candidats qui devraient se montrer pourtant « europhiles ». Le degré de confiance est aussi très bas en moyenne (33 %) ; plus fort à l’Est du continent, il est inférieur à la moyenne pour certains pays comme la Grèce, l’Espagne et l’Irlande touchées par les plans d’austérité ou le Royaume-Uni traditionnellement « europhobe ».

◗◗ Réponses aux questions

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1. Le traité constitutionnel apporte des changements importants à la gouvernance européenne. Un président est institué pour incarner les instances européennes et un ministre des Affaires étrangères est chargé de porter la voix européenne dans la diplomatie internationale. La prise de décision dans les deux conseils (Conseil européen et Conseil des ministres) est facilitée avec l’introduction d’une majorité qualifiée. Le Parlement européen, seule institution européenne élue au suffrage universel, obtient plus de pouvoirs. Enfin, la Commission européenne est resserrée, voit son droit de veto limité et doit tenir compte d’un droit de pétition pour les citoyens de l’Union.

2. Après le rejet du traité constitutionnel par référendum, la décision est prise en France de ratifier le traité de Lisbonne par la voie

88 • Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

◗◗ Vers l’analyse de documents du Bac Résumant les principales motivations des votes « oui » et « non » au référendum, ce tableau a été réalisé grâce à un sondage de sortie des urnes effectué par l’institut IPSOS. Pour chacun des votes, les trois principales motivations ont été indiquées. Alors que la première motivation du vote « oui » est de renforcer le poids mondial de l’Union européenne, il s’agit pour le vote « non » d’exprimer le mécontentement sur la situation économique et politique nationale. Les motivations qui apparaissent en deuxième position sont tout aussi divergentes : quand les partisans du « oui » veulent améliorer le fonctionnement des institutions européennes grâce à la Constitution, les « nonistes » refusent une Constitution qu’ils considèrent beaucoup trop libérale. De même pour les motivations qui viennent en troisième position et qui sont, elles aussi, diamétralement opposées dans les deux camps : les « ouistes » refusent d’affaiblir le poids de l’Union européenne par un rejet du traité tandis que les partisans du « non » espèrent que leur refus permettra de négocier une nouvelle Constitution. Les raisons du vote « non » illustrent plusieurs facettes de l’euroscepticisme. L’Union européenne est rendue responsable d’un certain nombre de décisions négatives impactant la vie des citoyens et réduisant la souveraineté des institutions nationales. De même, beaucoup d’électeurs ne se reconnaissent pas dans une Europe jugée beaucoup trop libérale, favorable aux marchés au détriment des travailleurs. Par leur vote « non » en 2005, les votants réclament ainsi la mise en place d’une Europe sociale. L’espoir d’une renégociation du traité indique enfin la critique habituelle du déficit démocratique des institutions européennes : les électeurs souhaitaient un nouveau texte donnant plus de poids aux institutions élues (comme le Parlement européen) plutôt qu’aux instances nommées comme la Commission.

p. 184-185

Crise de la dette et crise de la gouvernance dans la zone euro Cette double page a pour but d’étudier les causes et les conséquences de la crise financière qui a grandement affecté la gouvernance de l’Union européenne depuis plusieurs années. Le sujet, un peu aride, convient cependant bien aux classes de Terminale S. Il s’intéresse, comme le veut le nouveau programme, à un épisode très contemporain de la gouvernance européenne. Et il permet de développer une analyse à la fois simple et structurée : la crise est née d’une situation révélatrice de la fragilité économique de certains pays de l’Union (document 1) et de son manque de solidarité. Car, à partir de 2009, la crise de la dette grecque, qui devient par contagion celle de l’euro, illustre les erreurs originelles de la monnaie unique et les failles de la gouvernance européenne : la divisions des États, les réactions trop lentes, les faiblesses des institutions qui tardent à trouver des solutions (documents 2 et 3). Cette crise produit des conséquences paradoxales : un renforcement des coopérations économiques et une contestation accrue des politiques libérales menées par l’Union européenne (documents 4 et 5).

→Document 1 : Une crise qui commence en Grèce Ce texte a été écrit pour le site Internet « Vie Publique », un site officiel du gouvernement qui a pour but d’informer les citoyens afin de les aider à mieux appréhender les grands sujets qui animent le débat public français. L’historienne Marion Gaillard résume, dans cet article de février 2013, les origines grecques de la crise de l’euro. Entré dans la zone euro en 2001, avec un bilan comptable que l’on peut aujourd’hui raisonnablement présenter comme « maquillé », la Grèce, berceau de la civilisation européenne, et à ce titre, bénéficiant d’un a priori hautement favorable, était dès cette époque, hors des critères objectivement tenables, pour s’intégrer ce système monétaire. Sa dette publique dépasse en effet 100 % de son PIB depuis plusieurs années. Cette situation, acceptable en période de prospérité généralisée, devient insupportable en cas de crise. Ainsi, à partir de 2008, le pays ne parvient plus à financer son déficit auprès des marchés extérieurs et doit faire appel aux finances européennes pour éviter la banqueroute. C’est le début de la spirale de la crise financière qui va progressivement atteindre toute l’Europe.

→Document 2 : « Le jour où l’euro a failli mourir » Le titre de l’éditorial du Monde du 18 mai 2010 est volontairement alarmiste. Il illustre ainsi de manière patente les craintes qui ont saisi les observateurs durant le printemps 2010, au moment où la stabilité financière de l’Union a semblé grandement compromise. Fidèle à sa tradition, l’Union a multiplié les réunions « de la dernière chance » tandis que les marchés financiers et les spécialistes prédisaient la fin de la monnaie unique. Heureusement, l’euro n’est pas mort lors de ce mois de mai 2010 et l’article du Monde, au-delà de ces péripéties conjoncturelles relatées, invite à réfléchir sur la nécessité d’une analyse à moyen terme, et encore mieux à long terme, des situations économiques.

→Document 3 : Des Européens en difficulté, caricature de Stephff parue dans Der Standard, juin 2012 Le dessinateur français Stephff (alias Stéphane Peray, né en 1964), collabore à plusieurs magazines en Asie. Beaucoup de ses dessins, parus dans la presse asiatique, sont ensuite repris par des journaux du monde entier. C’est le cas de cette caricature publiée dans le journal autrichien Der Standard. L’Union européenne est représentée de façon habituelle par les 12 étoiles dont seules 6

parviennent à surnager alors que les autres tentent de remonter à la surface ou se noient. On peut faire remarquer aux élèves la présence du requin, allusion directe aux milieux financiers.

→Document 4 : Une sortie de crise contre un renforcement de la coopération économique ? La carte qui s’inspire d’une infographie de la société Idé, illustre la quasi-unanimité des pays européens (25 sur 27) face au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire signé le 2 mars 2012 et aussi appelé Pacte budgétaire européen. Bien que tous les signataires n’aient pas la monnaie unique, le Royaume-Uni et la République tchèque n’ont pas souhaité signer ce traité, ne se sentant pas concernés par un renforcement des politiques intergouvernementales concernant surtout la zone euro. Ces deux pays gardent le droit d’adhérer au pacte à tout moment. La Croatie n’étant pas membre à cette date, n’a pas eu à se prononcer. L’encadré sous la légende rappelle les conditions du pacte et notamment la « règle d’or ».

→Document 5 : Manifestation contre les plans d’austérité en Espagne (mars 2013) Les plans d’austérité sont la conséquence directe de la crise des dettes souveraines. Leur coût social entraîne des manifestations importantes dans tous les pays concernés (Grèce et Espagne principalement), l’Allemagne d’Angela Merkel cristallisant souvent les reproches. Les manifestants espagnols photographiés ici se cachent le visage d’un masque bleu (couleur de l’Europe) sur lequel ils ont tracé une partie des 12 étoiles du drapeau européen suggérant un visage attristé. Le nœud coulant autour du cou des manifestants vise les institutions européennes accusées par ce symbole de condamner l’Espagne par les plans d’austérité.

◗◗ Réponses aux questions 1. La crise de la zone euro commence par une crise de la dette en Grèce. Ce pays a toujours été très endetté : sa dette publique était supérieure à 100 % de son PIB lors de son entrée dans la zone euro mais les chiffres avancés publiquement par Athènes étaient faux. À partir de novembre 2009 et de la révélation de l’ampleur de son déficit, la Grèce commence à avoir du mal à se financer auprès des marchés financiers. Les pays européens hésitent sur la question d’aider ou non la Grèce. Finalement, six mois plus tard, un plan d’aide est proposé en contrepartie d’une sévère cure d’austérité. Entretemps, la crise s’est étendue et la spéculation est alors intense contre les dettes grecques mais aussi espagnoles, portugaises ou irlandaises. Les marchés perdent confiance dans la capacité de ces États de pouvoir rembourser leurs emprunts. L’euro lui-même est remis en cause (puisque 4 pays de la zone euro sont en graves difficultés économiques fragilisant l’ensemble de la zone euro).

2. Les dirigeants européens n’ont pas tous pris conscience de la gravité de la crise. Certains étaient dans le « déni », d’autres dans la « confusion » (doc. 2). Ces hésitations et leur manque de solidarité ne contribuent pas à ramener la confiance des marchés financiers. Il faut une extension de la crise (doc. 3), des pressions du FMI et des États-Unis, un risque d’implosion de la zone euro et la remise en cause de l’existence de la monnaie unique pour qu’un fonds monétaire européen soit finalement mis en place en mai 2010. Comme le déplore le document 2, dans cette crise la zone euro a souffert d’un manque cruel de gouvernance économique.

3. Les politiques d’austérité sont la conséquence des plans d’aides proposés par le FMI et les autres États membres aux pays européens lourdement endettés. Elles ont pour but de réduire la dette de ces pays afin de leur permettre un retour à l’équilibre Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

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Étude 3

budgétaire. L’austérité a toutefois un coût social très important (augmentation des taxes et impôts, réduction des aides sociales, des salaires des fonctionnaires, des pensions de retraite, etc.), ce qui alimente une forte contestation dans les pays concernés. Les populations ont parfois le sentiment de devoir faire des sacrifices inutiles ou injustes et elles rendent notamment l’Union européenne (et l’Allemagne en particulier, intransigeante sur ce dossier) responsable de leurs difficultés.

4. Cette crise, par son ampleur et sa gravité, a accru par la force des choses la convergence économique au sein de l’Union européenne. Les 25 États signataires du Pacte budgétaire européen se sont ainsi engagés à avoir un déficit annuel ne dépassant pas 0,5 % du PIB (une « règle d’or » à inscrire dans leur Constitution). Le Conseil européen peut aussi sanctionner un pays si son déficit dépasse la limite de 3 % du PIB (sauf si la dette est supérieure à 60 % du PIB ce qui est le cas de plus de la moitié des États membres).

◗◗ Vers la composition du Bac Quand la Grèce est le premier pays touché par la crise de la dette en 2009, des tensions apparaissent rapidement dans la zone euro. La solidarité européenne est ébranlée car certains pays – dont l’Allemagne – refusent d’aider les Grecs afin de ne pas encourager des pays aux politiques économiques jugées trop laxistes. D’autres États membres veulent au contraire intervenir pour montrer la cohésion de l’Europe et surtout limiter l’extension de cette crise aux autres pays très endettés de l’Union. Ces hésitations inquiètent les marchés financiers et la spéculation se déchaîne d’abord contre les dettes souveraines de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal puis sur l’euro lui-même dont l’existence est menacée, notamment le 7 mai 2010. Cette crise très contagieuse atteint alors un tel degré de gravité que cela incite même les États membres les plus réfractaires, à accepter la mise en place d’un Fonds monétaire européen, une sorte d’aide d’urgence permettant de garantir les emprunts des pays les plus endettés. En échange de ces plans d’aide, des politiques d’austérité sont cependant exigées ; par leur dureté, elles entraînent des contestations sociales dans les pays concernés (Grèce, Espagne). Les manifestants dénoncent l’Union européenne qui, en leur imposant l’austérité, les asphyxie socialement et économiquement. Les dirigeants européens prennent conscience de l’absence de gouvernance économique de la zone euro et d’une nécessaire convergence des politiques économiques. Afin de se prémunir contre une nouvelle crise de même nature, un Pacte budgétaire européen est signé le 2 mars 2012 (pour une application au 1er janvier 2013). Les déficits des États membres sont désormais limités à 0,5 % du PIB et le Conseil européen peut sanctionner tout pays qui s’écarterait de cette « règle d’or ». Pour garantir l’existence de la monnaie unique, les pays européens ont donc transféré une part de leur souveraineté économique aux autorités de Bruxelles.

Le premier paragraphe de la leçon s’intéresse aux élargissements de cette décennie qui définissent un nouveau cadre spatial et des équilibres géopolitiques différents. Le second paragraphe évoque les conséquences des élargissements : une diversité accrue des États membres, des frontières de l’Europe à définir. Le troisième paragraphe présente enfin les ambitions au cœur du traité de Maastricht. Celles-ci cherchent à approfondir les politiques communes mais elles sont rapidement confrontées à la réalité d’une gouvernance incomplète de l’Union européenne.

• Choix des documents « appuis » du cours La carte « L’Europe de 6 à 28 » de la page 177 constitue un support utile pour l’ensemble de cette leçon. Elle peut servir d’illustration ou de base pour un exercice d’analyse ou de localisation. Outre le rappel de l’extension de la CEE jusqu’en 1992, elles présente en effet la localisation des institutions européennes, les différentes enveloppes (euro, Schengen) ainsi que les élargissements successifs déplaçant le centre de gravité de l’Union européenne vers l’Est. Les pays candidats peuvent aussi être signalés aux élèves. L’étude sur Jacques Delors pages 178-179 permet, notamment dans sa première partie, de rappeler l’action de ce célèbre président de la Commission européenne et les ambitions qu’il fixait à l’Union européenne dans le traité de Maastricht. L’article de Libération sur le dossier irakien page 181 reflète enfin les divisions des pays européens face à un enjeu majeur de politique étrangère : le soutien – ou non – à l’intervention américaine en Irak en 2003. Son analyse peut constituer une approche intéressante de la méthode du commentaire de document pour le bac.

→Document 1 : « Hourrah nous sommes 25 ! », caricature de Horst Haitzinger, 2004. Cette caricature a été réalisée par Horst Haitzinger, un célèbre caricaturiste allemand (né en 1939) qui a obtenu en 2006 le prix de la caricature allemande pour l’ensemble de son œuvre publiée dans la presse allemande et internationale. Le dessin utilise des symboles mythologiques avec l’Europe sous les traits de la princesse phénicienne éponyme et le dieu Zeus qui l’a enlevée. Changé en taureau, il tente de tirer un chariot « EU » (comme « Europäische Union » – Union européenne – en allemand) dans lequel s’entassent 25 dirigeants européens ravis et qui crient « Hourrah nous sommes 25 ! ». Leur poids cumulé bloque pourtant le chariot et le soulève, créant de l’inquiétude chez Europe et l’accablement du taureau. Evidemment, le document permet un lien rapide avec l’élargissement de 2004 qui crée certes de l’enthousiasme auprès des nouveaux membres mais en même temps de l’inquiétude sur les blocages institutionnels que cet élargissement renforce.

Cours 2 Cours 1

p. 186-187

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Une Union européenne élargie aux ambitions nouvelles

• Présentation Cette leçon s’inscrit dans la première période de l’étude, le temps des espoirs, du traité de Maastricht à l’élargissement massif de 2004. L’Union européenne cherche alors à se définir comme une puissance mondiale (ce qui est l’un des objectifs du traité de Maastricht et au cœur de l’action de Jacques Delors) sans que sa gouvernance ne lui permette réellement d’atteindre cet objectif.

90 • Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

p. 188-189

Une gouvernance européenne en crise

• Présentation Cette seconde leçon s’inscrit dans le deuxième temps de la période : du début des années 2000 à la situation actuelle. Après les espoirs, il s’agit d’un moment de doutes, de crises et de remises en cause de l’idéal européen. La gouvernance de l’Union européenne est confrontée aux défis d’un fonctionnement supranational, notamment avec la mise en place de la monnaie unique et les accords Schengen. Ces approfondissements obligent à des réformes structurelles pour des institutions qui n’ont guère évolué mais les différents traités s’avèrent insuffisants pour les réformer.

La tentative suivante, le projet de Constitution européenne, est aussi un échec : son rejet entraîne un blocage que les dirigeants européens tentent de résoudre avec le traité « simplifié » de Lisbonne. Mais à partir de 2009, la crise de l’euro plonge l’Union européenne dans une nouvelle période de troubles : la solidarité et la cohésion sont remises en cause et la monnaie unique est en danger. Le dernier paragraphe concerne les nombreux débats sur une Europe qui peine à impliquer les citoyens : l’euroscepticisme, le déficit démocratique, fédéralistes contre souverainistes.

• Choix des documents « appuis » du cours Trois documents sont particulièrement utiles pour cette leçon. D’abord, la carte « L’Europe de 6 à 28 » de la page 177 permet de repérer la zone euro et l’Europe de Schengen et de montrer les découpages – enchevêtrés ou non – de l’une et de l’autre. Elle permet de montrer l’Europe à plusieurs vitesses avec les différents niveaux d’intégration. Puis, l’analyse du sondage sur les principales motivations du vote p. 183 peut à la fois expliquer le rejet du traité constitutionnel en 2005 et illustrer l’euroscepticisme par les motivations du « non ». Enfin, l’article « Une crise qui commence en Grèce » p. 184 peut servir de base pour un approfondissement sur la crise de l’euro. Il serait dans ce cas intéressant de le relier avec le document 1 de la page 189 consacré au même sujet.

→Document 1 : « La Grèce a le choix » Patrick Chappatte est un dessinateur suisse (né en 1967) et travaillant pour le quotidien Le Temps et pour The International New York Times (anciennement International Herald Tribune). Ses caricatures sont donc généralement réalisées en deux langues : français et anglais (pour les éditions internationales). Cette caricature du 25 mai 2012 illustre la crise de la dette en Grèce, à l’origine de la crise de l’euro. Dans un bureau miteux où les membres du gouvernement grec se déchirent, un responsable grec (on peut le supposer avec la carte sur le mur) reçoit des émissaires européens. Ceux-ci, qui correspondent à l’archétype habituel des technocrates européens (air austère, costumes, lunettes), annoncent au dirigeant grec le choix qui lui est laissé : quitter l’Europe ou être quitté par l’Europe. Sous des traits comiques, cette caricature illustre une vraie tentation de certains dirigeants européens en plein cœur de la crise de l’euro : exclure la Grèce de la zone euro voire de l’Europe. Cette option est sérieusement envisagée mais son coût économique, l’exemple désastreux que cela représenterait pour la solidarité de l’Union européenne et surtout l’hostilité de la majorité des pays membres en empêchent la réalisation.

Prépa Bac

p. 190-191

À partir de 1992, l’Europe renforce sa construction politique. Le traité de Maastricht en constitue la première étape. Il marque la naissance de l’Union européenne. Il institue une citoyenneté européenne et le principe de subsidiarité qui renforce une législation européenne à partir des directives. Il met en place une union monétaire (projet de monnaie unique : l’euro). Il propose aussi une Politique étrangère et de sécurité commune. En 2001, le traité de Nice adopte le principe de la majorité qualifiée qui doit faciliter la prise de décision dans une Europe élargie à quinze pays. Enfin, en 2007, le traité de Lisbonne entérine l’extension des pouvoirs du Parlement européen et permet la nomination de représentants de l’Union européenne à l’échelle internationale (président du Conseil européen et ministre des Affaires étrangères de l’Union Européenne).

Le troisième paragraphe est à rédiger à partir des idées essentielles proposées et d’exemples pris dans le cours et les connaissances personnelles. Cependant la construction de l’Union européenne connaît des limites. Dans un contexte économique plus difficile, l’euroscepticisme s’accroît. Il conduit en 2005 au rejet du référendum en France et aux Pays-Bas sur le projet de Constitution européenne. Par ailleurs, les citoyens se mobilisent peu lors des élections européennes, tandis que les pays de l’Union ont du mal à s’accorder sur des projets d’avenir. Des désaccords existent quant à l’élargissement à de nouveaux États et les pays membres se divisent sur l’opportunité d’un approfondissement du projet politique en faveur de plus de fédéralisme. Enfin, l’Union européenne reste marquée par sa faiblesse sur la scène internationale en raison de représentants peu connus et de ses divergences en matière de politique étrangère (intervention en Irak en 2003).

Sujet en autonomie : La gouvernance de l’Union européenne depuis le traité de Maastricht (1992). Le sujet implique de traiter à la fois l’évolution de la gouvernance européenne et ses limites.

1. Une gouvernance européenne ambitieuse A. La volonté d’approfondissement (traités de Maastricht, Nice, Lisbonne). B. Les élargissements successifs. C. Les ambitions internationales de l’Union Européenne (Politique étrangère et de sécurité commune).

2. Une gouvernance européenne en crise A. L’approfondissement difficile dans une Europe élargie. B. L’échec d’un projet constitutionnel et la difficile mise en place du fédéralisme. C. Une Europe qui peine à impliquer les citoyens. En conclusion, il convient d’évoquer rapidement la situation de la gouvernance européenne aujourd’hui : euroscepticisme grandissant et en même temps prise de conscience que des réformes sont nécessaires.

◗◗ Composition

Sujet guidé : La construction politique de l’Union européenne et ses limites depuis 1992.

Prépa Bac

2. Présenter le sujet

◗◗ Analyse de document(s)

La première phrase n’aborde qu’une partie du sujet, celle des limites. De même pour la deuxième phrase qui n’aborde que la construction politique. Seule la troisième phrase aborde tous les aspects du sujet.

Sujet guidé : La gouvernance de l’Union européenne depuis 1992.

Le deuxième paragraphe est à rédiger à partir des idées essentielles et exemples indiqués.

4. Confronter les documents Les points communs aux deux documents sont le traité de Nice (projet et référendum proposé aux Irlandais) ainsi que l’importance de la participation démocratique des citoyens à travers les référendums ou les élections législatives des députés européens. Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

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6. Rédiger la réponse organisée

p. 192-194

5. Rédiger l’analyse Rédaction du deuxième paragraphe.

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En effet la construction politique de l’Union européenne suscite des débats. La question de l’approfondissement vers plus de fédéralisme ou plus de souveraineté des États se pose. Dans le document 1, la présidente du Parlement européen dénonce les limites de la souveraineté des États en évoquant le fait que « maintenir le droit de veto d’un État sur quelque question que ce soit, autre que constitutionnelle, ne résistera pas au temps » en raison de l’élargissement à de nouveaux pays. Elle signale également que ces questions de souveraineté restent « malheureusement bien hermétiques pour le grand public ». Ainsi les citoyens irlandais ont rejeté le traité de Nice lors du référendum de 2002 et l’implication des citoyens européens reste limitée lors des élections des députés européens et se manifeste par une forte abstention. Les élargissements soulèvent aussi des inquiétudes car la future intégration des ex-pays communistes des pays de l’Est prévue en 2004 est perçue par certains comme une menace d’appauvrissement, de flux d’immigration et de la concurrence d’une main d’œuvre à bas coût.

92 • Chapitre 7 - Une gouvernance européenne

Sujet en autonomie : L’Union européenne en crise. Le document permet de répondre à la première partie de la consigne (les difficultés de l’Union européenne) et partiellement à sa seconde partie (les problèmes actuels de la gouvernance européenne) qu’il convient aussi d’étayer par quelques connaissances personnelles.

1. Les difficultés de l’Union européenne A. L’évolution du contexte politique : fin de la guerre froide. B. La fin de la prospérité : crise économique. C. La construction à géométrie variable : union monétaire, etc.

2. Les problèmes qui se posent aujourd’hui à la gouvernance européenne A. Lutter contre l’accroissement des inégalités territoriales. B. Redonner confiance aux citoyens dans le projet européen. C. Maintenir une égalité politique entre les États membres. En conclusion, on peut souligner l’impérieuse nécessité de la définition d’une nouvelle gouvernance, évoquée par la dernière phrase du document : « vous avez une monnaie unique mais pas de politique commune ».

chapitre 8 Une gouvernance économique mondiale depuis le sommet du G6 de 1975

p. 196-217

Programme : Thème 3 – Les échelles de gouvernement dans le monde (11 à 12 heures) Question

Mise en œuvre

L’échelle mondiale

Une gouvernance économique mondiale depuis le sommet du G6 de 1975

La nouveauté du programme de Terminale S, par rapport à celui de ES/L, repose essentiellement sur le choix de limites chronologiques plus restreintes pour l’analyse de la gouvernance économique mondiale. La période étudiée débute avec la création du G6 en 1975 – conçu en vue d’établir une concertation entre les États les plus riches et les plus industrialisés de la planète – dans un contexte de remise en cause du système de Bretton Woods. Elle s’achève avec la montée en puissance du G20 auquel le G8 semble avoir cédé « la fonction essentielle de concertation sur les grandes questions économiques internationales » (Marie-Claude Smouts, 2012). Entre-temps, la gouvernance économique mondiale a connu de profondes mutations. En effet, l’influence des principes libéraux sur l’action des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC) et la politique économique de nombreux États a fini par faire l’objet de multiples contestations. Parallèlement, de nouveaux acteurs (ONG, mouvement altermondialiste, FMN) ont manifesté leur capacité à prendre part à l’élaboration d’une nouvelle gouvernance économique mondiale. Les bornes chronologiques retenues pour cette question orientent clairement le choix des différentes problématiques du chapitre. Cette nouvelle approche conduit les élèves, guidés par leur professeur, à analyser des questions complexes, puisées dans une actualité parfois très récente et souvent sources de polémiques politiques et intellectuelles. Par exemple, il s’agira de présenter la nouvelle gouvernance économique mondiale mise en œuvre, suite à la crise de 2008, avec l’affirmation du G20, tout en évoquant les débats relatifs à son efficacité. En outre, l’influence de différentes sciences sociales (la science politique, les sciences économiques et sociales, l’étude des relations internationales, la géographie) se fait ressentir encore plus fortement sur cette histoire immédiate. Aussi, grâce à l’apport de ces disciplines, à la question de savoir quelle gouvernance économique mondiale a émergé depuis 1975 et quelle a été son efficacité, il conviendra d’apporter une réponse historique nuancée, mettant notamment en évidence la diversité des intérêts en jeu (États, acteurs non étatiques, organisations internationales). En évitant toute schématisation abusive, il faut donc rendre accessibles, à des élèves de Terminale S, les grands traits d’une nouvelle gouvernance, en évolution permanente, qui implique « une pluralité d’acteurs interagissant simultanément sur le mode de la coopération, mais aussi sur le mode de la concurrence » (Cynthia Ghorra-Gobin, 2012).

◗◗ Débats historiographiques et quelques notions clefs du chapitre Le concept de gouvernance a suscité diverses interprétations : pour certains, ce concept en vogue serait un mot « fourre-tout », pour d’autres, un « nouveau paradigme » des relations internationales (Philippe Ryfman, 2010). Si le mot est ancien, le thème de la gouvernance mondiale connaît un renouveau depuis quelques décennies. Antienne des ONG, référence des experts, l’expression a semblé renouveler l’analyse des relations internationales tout

en renvoyant souvent à des problématiques déjà analysées (les rapports de force entre grandes puissances notamment). Par ailleurs, le mot renvoie à un postulat et une affirmation : les États seraient incapables de réguler à eux seuls l’économie mondiale. Et, en associant acteurs étatiques et non étatiques, la bonne gouvernance permettrait de résoudre ce problème. Cette vision qui a fait florès au sein des organisations internationales à partir des années 1980 (Banque mondiale, FMI, OMC) s’est accompagnée de politiques de déréglementation. Tandis que l’influence des États sur l’économie mondiale reculait, les firmes multinationales devenaient des agents de la mondialisation. Depuis les années 2000, les crises à répétition ont conduit à une redéfinition des contours de la gouvernance : avec le G20 notamment, les États sont revenus en force. Face à la lourdeur des mécanismes multilatéraux (les négociations sur le commerce par exemple), cette nouvelle gouvernance semble reposer sur des procédures traditionnelles : le concert interétatique et la recherche du consensus entre grandes puissances. Quant à son efficacité et à sa légitimité, les analyses divergent : simple retour des États ou véritable affirmation d’une nouvelle oligarchie mondiale, celle des plus riches ou des plus forts ? En tout état de cause, la réponse à ces questions mérite d’être nuancée, en exposant les différents points de vue, afin de permettre à l’élève de saisir toute la complexité du concept.

• Altermondialisme. Apparu dans le contexte de la fin de la

guerre froide, d’abord surnommé « antimondialisme », ce mouvement protéiforme regroupe des acteurs très divers, soudés par une opposition commune à une mondialisation d’essence libérale mise en œuvre par les organisations internationales (FMI, Banque mondiale, OMC). Il prend de l’ampleur à l’occasion des protestations contre le sommet de l’OMC à Seattle en 1999, puis des manifestations lors de la réunion du G8 à Gênes en 2001. À l’échelle planétaire, il se structure grâce à la création du Forum Social Mondial (FSM) dont la première édition se déroule à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Conçu au départ en opposition au Forum économique mondial qui se réunit chaque année à Davos, le FSM devient, au fil des éditions, un lieu où les différentes composantes de la nébuleuse altermondialiste (associations, ONG, syndicats) tentent de formuler des propositions alternatives à la mondialisation libérale. La crise de 2008 semble avoir redonné un certain écho aux thèses altermondialistes qui ont influencé l’apparition de nouveaux mouvements (Occupy Wall Street apparu à New York en 2011, le mouvement des Indignés né à Madrid la même année). Défenseurs du modèle social européen, pourfendeurs d’une mondialisation synonyme d’uniformisation culturelle, opposants aux différents sommets du G20, militants pour la sauvegarde de la planète et partisans d’une gouvernance économique plus démocratique se réunissent sous la bannière de l’altermondialisme, formant ainsi une « coalition bigarrée » (Cynthia Ghorra-Gobin, 2012). Pour ce mouvement composite, le défi consiste à élaborer des propositions concrètes susceptibles d’orienter les choix des autres acteurs de la gouvernance économique mondiale après la crise économique de 2008. Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

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◗◗ Problématiques scientifiques du chapitre

• Gouvernance. Le terme « gouvernance » est d’abord apparu

en français, au xiiie siècle, pour désigner « l’art de gouverner les hommes ». Du projet d’assemblée permanente d’États du légiste français Pierre Dubois, au Moyen Âge, à celui d’Emmanuel Kant d’une fédération d’États libres, aux débuts de l’ère contemporaine, la notion a initialement renvoyé au désir de voir les grands États coopérer en vue de maintenir ou de restaurer la paix. Du xixe siècle, avec l’apparition de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (1816), au lendemain de la Première Guerre mondiale avec la naissance de la Société des Nations (1919), la création des premières organisations internationales symbolise cette volonté de concertation et de décision collective à l’échelle supranationale. En matière économique, toutefois, les projets de gouvernance internationale se limitent à la création, en 1919, de l’Organisation internationale du travail dont l’influence demeura marginale dans le contexte de crise des années 1930. Au terme de la Seconde Guerre mondiale, les institutions de Bretton Woods sont conçues comme une réponse à l’incapacité passée des États à lutter efficacement, à l’échelle planétaire, contre les grands désordres économiques et sociaux. Au FMI, à la Banque mondiale, à l’Organisation internationale du commerce puis, rapidement, au GATT, revient la mission d’assurer la stabilité monétaire, le développement économique à l’échelle internationale et la régulation du commerce mondial. Dans le contexte de guerre froide, cette nouvelle gouvernance, rejetée par l’URSS et ses alliés, contestée par le Tiers monde et à l’efficacité toute relative, reflète aussi l’hégémonie des États-Unis sur le bloc occidental. Au cours des années 1970, le système de Bretton Woods est déstabilisé par les difficultés économiques des États-Unis et la fin de la stabilité monétaire internationale. Une nouvelle ère faite de paradoxes commence pour la gouvernance : alors que le sommet du G6 en 1975 semble marquer le retour des États, peu à peu, le concept de corporate governance (gouvernance d’entreprise), emprunté au langage des gestionnaires de grandes firmes et transposé au niveau macroéconomique par la Banque mondiale notamment, diffuse l’idée que la bonne gouvernance nécessite d’impliquer de nouveaux acteurs : les ONG, les mouvements de citoyens, les firmes multinationales, etc. Selon ces nouvelles conceptions, l’élaboration de règles économiques collectives doit échapper au monopole des États, jugés incapables d’élaborer seuls des réponses efficaces aux nouveaux défis générés par la mondialisation. La gouvernance devrait reposer sur une négociation ouverte et permanente entre un ensemble d’acteurs politiques, économiques et sociaux. En tout état de cause, depuis le milieu des années 1970, l’ampleur des déséquilibres socioéconomiques, la complexité des défis économiques posés par le réchauffement climatique et l’amplification de la mondialisation ont bel et bien contribué à la redéfinition d’une gouvernance au sein de laquelle collaborent et rivalisent une multitude d’acteurs étatiques et non étatiques.

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• Néolibéralisme. À partir des années 1980, suite aux victoires

électorales de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, les théories économiques libérales servent de source d’inspiration aux politiques mises en œuvre par les principaux acteurs de la gouvernance économique mondiale. Ce « tournant néolibéral » (Bruno Jobert, 1994), qui débute au Royaume-Uni et gagne les États-Unis, oriente aussi l’action du FMI et de la Banque mondiale. Le néolibéralisme vise au retrait massif de l’action de l’État dans la vie économique et prétend dynamiser la croissance grâce à la liberté d’entreprendre, au libre-échange et à la libre concurrence. La mise en œuvre se traduit par l’instauration de politiques de déréglementation, de privatisation, de libéralisation des échanges et des investissements dans les pays occidentaux, puis, sous l’effet du consensus de Washington, dans les pays en développement, par le

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recours aux Plans d’ajustements structurels (PAS). La lutte contre la mondialisation libérale devient alors « le cri de ralliement du mouvement altermondialiste » (Cynthia Ghorra-Gobin, 2012).

◗◗ Bibliographie

• Ouvrages et articles universitaires sur la gouvernance

économique mondiale B. Badie, La Diplomatie de connivence, La Découverte, 2011. A. Dejammet, L’Archipel de la gouvernance mondiale, ONU, G7, G8, G20, Dalloz, 2012. G. Devin, M.-C. Smouts, Les Organisations internationales, Armand Colin, 2011. C. Ghorra-Gobin (sous dir.), Dictionnaire critique de la mondialisation, Armand Colin, 2012. J.-C. Graz, La Gouvernance de la mondialisation, La Découverte, Coll. Repères, 2008. J. Mistral, Le G20 et la nouvelle gouvernance économique mondiale, PUF, 2011. P. Norel, L’Invention du marché, une histoire économique de la mondialisation, Seuil, 2004. M.-C. Smouts, Dictionnaire des relations internationales, Dalloz, 2012. « Mondialisation, une gouvernance introuvable », Questions internationales, n° 46, mai-juin 2010.

• Ouvrages et articles consacrés aux nouveaux acteurs

de la gouvernance économique mondiale M. Goussot, « Mondialisation, pays émergents et pays pauvres : vers une nouvelle géoéconomie ? », Questions internationales, n° 22, novembre-décembre 2006. P. Lamy, La Démocratie monde, pour une autre gouvernance globale, Seuil, 2004. G. Pleyers, Forums sociaux mondiaux et défis de l’altermondialisme, Academia, 2008. J. Stiglitz, Le Rapport Stiglitz : pour une vraie réforme du système monétaire et financier international après la crise mondiale, Actes Sud, 2012. C. Woll, « Les stratégies des pays émergents au sein de l’OMC », in Jaffrelot Christian (dir.), L’Enjeu mondial, Presses de Sciences Po, 2008. « À la recherche de la gouvernance, Entretien avec Thérèse Gastaut et Philippe Ryfman », Questions internationales, n° 46, maijuin 2010. « Le krach du libéralisme », Manière de voir, n° 102, décembre 2008 - janvier 2009.

• Sites Internet http://www.banquemondiale.org/ Le site de la Banque mondiale donne notamment accès à de nombreuses publications par thème et par région. http://www.imf.org/external/french/index.htm Le site du FMI permet de télécharger les rapports annuels et de consulter les communiqués de ses représentants. http://www.g20.org/ Le site du G20, actualisé au gré des sommets. http://www.wto.org/indexfr.htm Le site de l’OMC propose de nombreux documents, notamment des cartes thématiques. http://www.un.org/fr/civilsociety/dpingo/index.shtml Le site des ONG partenaires officiels de l’ONU.

p. 196-197

Ce chapitre analyse les mutations de la gouvernance économique mondiale depuis la création du G6 lors du sommet de Fontainebleau en 1975. La problématique principale indique que les défis posés par la mondialisation et la récurrence des crises financières ont contribué à ces transformations. D’une part, il s’agit d’étudier le passage d’une gouvernance fortement orientée par quelques États riches et puissants à une gouvernance multipolaire influencée par un nombre croissant d’acteurs. D’autre part, il convient de souligner l’ambition croissante des objectifs assignés aux acteurs de la gouvernance économique mondiale, en raison des défis posés par la mondialisation et la crise de 2007. Enfin, les évolutions du phénomène étudié doivent être signalées. La remise en cause progressive d’une gouvernance dominée par les principes néolibéraux et les États les plus riches s’est accompagnée de la recherche d’un système plus équitable et plus démocratique. Les études retenues doivent permettre d’apporter des réponses à ces questions tout en conduisant les élèves à percevoir le caractère inachevé et mouvant de la gouvernance économique mondiale.

→Document 1 : Les dirigeants du G20 au sommet de Cannes (novembre 2011) Ce premier document attire l’attention sur un des acteurs principaux de la gouvernance économique actuelle, le G20, structure qui existait depuis 1999 sous la forme d’une réunion élargie des ministres des Finances. À l’automne 2008, le G20 a désormais réuni les chefs d’État et de gouvernement des pays considérés comme les plus influents sur le plan économique, en vue d’apporter des réponses à la crise mondiale. À la différence du sommet de Séoul en 2010, qui aboutit à l’adoption du principe de l’accroissement de l’influence des pays émergents au sein du FMI, le sommet de Cannes de 2011 ne permit d’entreprendre aucune réforme institutionnelle. En somme, ce document permet d’attirer l’attention sur les limites du concept de gouvernance. Sur la photographie sont réunis côte à côte les membres du G20 : chefs d’État et de gouvernement, représentants de l’Union européenne, dirigeants du FMI et de l’OMC. L’image symbolise la coopération et la concorde entre les grands dirigeants de la planète. Elle sert aussi à mettre en scène la légitimité du G20 au sein duquel sont représentés pays du Nord et pays du Sud. À l’arrière-plan, le slogan du sommet véhicule un message sous-jacent : le G20 est destiné à répondre aux défis posés par la mondialisation et la crise. Il existe pourtant un décalage entre la charge évocatrice de ce type d’image, désormais ritualisée, et les difficultés que les participants du G20 rencontrent pour prendre des décisions économiques applicables à l’échelle internationale.

→Document 2 : Des manifestants altermondialistes (novembre 2011) À quelques kilomètres du sommet du G20, au même moment, des manifestants cherchent à faire entendre leurs revendications en faveur d’une gouvernance plus démocratique et plus juste. Au premier plan, parmi les pancartes aux slogans altermondialistes et quelques drapeaux d’organisations syndicales, des manifestants brandissent un globe terrestre sur lequel figure une interpellation adressée aux membres du G20. La photographie symbolise la nébuleuse altermondialiste désireuse de voir émerger une gouvernance moins influencée par les principes libéraux et plus proche des aspirations supposées de la majorité de la population mondiale. La confrontation des deux documents oppose le petit groupe des dirigeants des grandes puissances de la planète à la foule des manifestants. La simultanéité des deux événements, le sommet du G20 et la manifestation altermondialiste, met en scène deux

acteurs de la gouvernance aux projets différents et dont les rapports oscillent entre dialogue, débats et contestations. Les deux photographies méritent d’être replacées dans un contexte historique plus large : le mouvement altermondialiste a bénéficié d’une résonnance médiatique accrue à l’occasion des manifestations contre les réunions de l’OMC à Seattle en 1990 et du G8 à Gênes en 2001. Suite aux violents affrontements entre certains manifestants et membres des forces de l’ordre, les sommets du G8 et du G20 ont pris des allures de forteresses assiégées et protégées par un impressionnant déploiement de forces de police, accentuant l’idée d’une coupure avec les préoccupations de la majorité de la population.

◗◗ Frise La frise chronologique attire l’attention sur le passage d’une gouvernance en apparence dominée par une poignée d’États riches et les principes néolibéraux à une phase de recherche d’une nouvelle gouvernance. Les repères retenus pour la première période rappellent le retour des États (création du G6-G7) dans un contexte de crises et d’endettement de nombreux pays du Sud soumis au régime de PAS inspirés par les principes néolibéraux. La deuxième période, qui s’ouvre avec la disparition du bloc communiste, se caractérise à la fois par le triomphe, contesté, du modèle libéral (consensus de Washington, création de l’OMC au terme des négociations de l’Uruguay Round), l’affirmation de nouveaux acteurs (mouvement altermondialiste, G20, pays émergents) et la complexité des enjeux de la gouvernance économique mondiale actuelle (la lutte contre le réchauffement climatique et la crise mondiale).

Repères

p. 198-201

Ces pages sont destinées à offrir aux élèves une série de repères conceptuels, chronologiques et géographiques afin de consolider les apports de connaissances fournis par les études. Elles complètent aussi les pages de cours, en offrant une vision synthétique des principales idées à retenir en vue d’apporter une réponse argumentée aux grandes problématiques de ce chapitre : qui sont les acteurs de la gouvernance, quelles sont les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres, quelles réactions et quels débats le rôle de ces acteurs dans la gouvernance suscitent-ils ?

A. La mise en place de la gouvernance économique mondiale

p. 198-199

Tout d’abord, la présentation synthétique de quelques concepts clés souligne que les évolutions de la gouvernance économique mondiale ont largement été influencées par les théories économiques néolibérales émises à partir de la fin des années 1970. Ainsi, la définition actuelle du concept de gouvernance repose sur l’idée que les États ne pourraient plus relever à eux seuls les défis multiples et complexes posés par la mondialisation. Le document 1 permet de résumer, dans un tableau facilement compréhensible pour les élèves, les bases de la gouvernance économique mondiale issue du système de Bretton Woods, à l’origine des premières institutions permanentes et durables concernant l’économie de la planète. Il met en évidence les missions distinctes du FMI dont le but premier est la stabilité monétaire internationale et de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement qui a pour mission prioritaire d’aider les pays détruits par le conflit mondial. La Banque mondiale assure la solidarité économique entre les nations puisque, grâce aux financements fournis par les pays les plus riches, elle peut aider les pays les moins développés. Le Fonds Monétaire International Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

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Introduction au chapitre

(FMI) crée une solidarité monétaire internationale par le rôle de monnaie-étalon du dollar mais aussi une stabilité monétaire pour les échanges économiques. Une information essentielle de ce tableau est la mainmise géographique des États-Unis sur ces deux institutions puisqu’elles s’installent toutes deux à Washington à 500 mètres à peine de la Maison Blanche et du département du Trésor. La Banque mondiale et le FMI sont donc très fortement influencés par les États-Unis, à la fois par leur localisation géographique (Washington) et par leur mode de financement puisque le système de quote-part proportionnelle à la richesse économique favorise les États-Unis, première puissance mondiale. Présenté sous la forme d’un schéma fléché, le document 2 constitue un rappel des étapes ayant précédé les tentatives de mise en œuvre de nouvelles formes de gouvernance économique mondiale depuis la création du G6 en 1975. Il sert à comprendre quels facteurs conjoncturels (la fin de la convertibilité or du dollar notamment) ont pu conduire à une rupture progressive avec le système mis en place à Bretton Woods. Il permet aussi de mesurer l’ampleur des changements de la gouvernance : le passage d’un système dominé par les États-Unis et rejeté par le bloc communiste à un système multipolaire d’envergure internationale. Le planisphère, document 3, complète le document précédent. Grâce à des figurés ponctuels et linéaires, il permet de situer dans l’espace la plupart des acteurs majeurs de la gouvernance économique mondiale : frontières des regroupements étatiques, localisation des forums où se retrouvent aussi des acteurs non étatiques, sièges des principales institutions internationales. Cette carte attire aussi l’attention sur deux aspects fondamentaux de la gouvernance économique : sa dimension internationale (notamment le poids décisif des pays du Nord et l’affirmation récente de certains pays du Sud) et la pluralité des acteurs investis. Elle permet donc de souligner la quasi-universalité des institutions de gouvernance économique mondiale au début du xxie siècle mais aussi le fait que les membres du G8 sont encore situés exclusivement dans l’hémisphère Nord parmi les puissances occidentales industrialisées. On pourra, en parallèle, faire remarquer aux élèves, qu’en 2014, le seul État important, non membre de l’OMC et du FMI, est la Corée du Nord parce qu’il est un pays communiste complètement fermé aux échanges internationaux.

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B. Les acteurs de la gouvernance économique mondiale

p. 200-201

Les tableaux synthétiques (documents 4, 5 et 6) offrent enfin une présentation problématisée du rôle joué par les différents types d’acteurs de la gouvernance économique mondiale et des réactions que ces derniers peuvent susciter. En regroupant grandes institutions internationales et FMN, le document 4 souligne les points communs de ces acteurs majeurs de la mondialisation. Ardents défenseurs de la dérégulation et de la libre circulation des biens et des services dans les années 1980, ils ont été accusés, par les partisans de l’altermondialisme, de contribuer à accentuer les inégalités entre pauvres et riches, entre pays du Nord et pays du Sud. Le document 5, quant à lui, soumet à la réflexion l’hypothèse du retour en force des États dans la gouvernance économique mondiale. Tandis que le G6 devenu G8 semble avoir perdu de l’influence, le G20 prétend désormais incarner la structure de concertation interétatique la plus représentative et la plus apte à remédier aux maux issus de la crise économique et des dérèglements financiers internationaux. Enfin, le document 6 ouvre la réflexion aux problématiques les plus récentes en évoquant le rôle et les faiblesses des acteurs emblématiques promoteurs d’une gouvernance économique mondiale plus juste et plus démocratique.

96 • Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

Acteurs Pascal Lamy, le défenseur de l’OMC

p. 202-203 p. 202

En affirmant en 2004, dans son ouvrage consacré à la « gouvernance globale », « ceux qui ont la compétence manquent de légitimité, ceux qui ont la légitimité manquent de compétence », Pascal Lamy exposait déjà les principes sur lesquels il allait ensuite fonder son action à la tête de l’OMC. Favorable au renforcement des institutions internationales dans la gouvernance économique mondiale (« ceux qui ont la compétence ») face à des États dépassés par les enjeux de la mondialisation (« ceux qui […] manquent de compétence »), Pascal Lamy a aussi défendu, au cours de ses deux mandats de directeur de l’OMC, l’idée que le libre-échange était synonyme de développement. Il a réussi à faire de cette institution un des piliers de la gouvernance économique mondiale. De fait, entre 2005 et 2013, le nombre d’États ayant adhéré à l’OMC a continué à s’accroître. Le directeur de l’OMC a aussi été présenté, par les altermondialistes, comme un militant de l’idéologie libérale responsable de l’aggravation des inégalités de richesse. L’étude du rôle de Pascal Lamy permet donc d’aborder le thème du renforcement du poids de l’OMC dans les mécanismes de la gouvernance économique mondiale et les débats que ce phénomène a suscités.

→Document 1 : Le promoteur d’un libre-échange régulé Dans cet entretien accordé à Radio France internationale à trois jours de la fin de son mandat, le directeur général de l’OMC dresse, de son action, un bilan en forme de plaidoyer pro domo. Il établit une stricte correspondance entre progrès du libre-échange et développement économique des pays du Sud. Par ailleurs, il insiste sur le renforcement des pouvoirs de l’OMC, organisation supranationale désormais capable d’infliger des sanctions aux États ne respectant pas les règles de fonctionnement du commerce international.

→Document 2 : Le promoteur d’une OMC pilier de la gouvernance économique mondiale Un mois plus tôt, lors de son allocution de départ, Pascal Lamy insiste sur le rôle croissant joué par l’OMC dans les mécanismes de la gouvernance économique mondiale et passe sous silence ses échecs. Il occulte aussi les blocages persistants entre pays du Nord et pays du Sud, sur la question des subventions à l’agriculture, par exemple lors du cycle de négociations de Doha entre 2001 et 2006. En conclusion de son discours, Pascal Lamy réaffirme son désir de voir l’OMC jouer, à l’avenir, un rôle déterminant dans la poursuite de la libéralisation du commerce mondial qui serait, selon lui, synonyme de croissance pour tous.

Joseph Stiglitz, l’économiste du libéralisme « contrôlé »

p. 203

Le parcours du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz en fait un parfait connaisseur des arcanes de la gouvernance économique contemporaine. Suite à son passage à la Banque centrale entre 1997 et 2000, il prône une réforme des règles de l’économie mondiale afin de promouvoir une mondialisation plus soucieuse d’un développement harmonieux. Il dénonce notamment l’action de la Banque mondiale et du FMI dans les pays du Sud à la fin des années 1990. Ayant accédé au statut d’auteur à succès, il devient une référence pour une partie du mouvement altermondialiste hostile aux mesures d’inspiration libérale appliquées dans les PED par les institutions économiques internationales. En 2010, dans le rapport qu’il rédige sur les solutions à apporter à la crise mondiale, il arrive à la conclusion que seule l’ONU possède la légitimité et

→Document 3 : Pour une réforme des institutions économiques internationales Dans La Grande Désillusion, Joseph Stiglitz procède à une remise en question idéologique des fondements de l’action de la Banque mondiale au sein de laquelle il a exercé successivement les fonctions d’économiste en chef et de vice-président entre 1997 et 2000. Dans cet extrait, il opère aussi une comparaison avec la politique menée par le FMI, basée sur les mêmes présupposés libéraux. À l’image de la démonstration qu’il développe tout au long de son ouvrage, il insiste sur le manque de légitimité et de compétence de la Banque mondiale et du FMI qui s’immiscent dans les politiques économiques des pays en développement. Pour remédier à ce problème, il appelle à une réforme du fonctionnement de ces institutions, en faveur d’une meilleure représentation des pays du Sud en leur sein.

→Document 4 : Couverture du journal mexicain El Universal, janvier 2013 Cette couverture du supplément hebdomadaire au quotidien mexicain El Universal souligne les paradoxes de la renommée du prix Nobel d’économie et ancien conseiller du président Bill Clinton : consultés par les chefs d’État des grandes puissances souvent accusés d’oublier les plus démunis, ses ouvrages ont aussi reçu un accueil très favorable parmi les défenseurs d’une gouvernance plus proche des populations. De fait, la « Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social » qu’il a présidée, aux côtés des économistes Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, entre 2008 et 2009, est née à l’instigation du président Nicolas Sarkozy tandis que ses thèses hostiles à l’action du FMI, de la Banque mondiale, de l’OMC ont inspiré le mouvement altermondialiste.

→Document 5 : Pour un renouveau de l’ONU dans la gouvernance mondiale Fruit d’un travail collectif réalisé par une dizaine d’économistes de renommée internationale et commandé par l’ONU, le « rapport Stiglitz » était destiné à émettre des solutions à la crise économique mondiale de 2008. Au terme d’une réflexion menée depuis une dizaine d’années sur les défauts d’une gouvernance organisée, d’après lui, au profit des États développés, Joseph Stiglitz parvient à la conclusion que seule l’ONU, surnommée le « G192 », peut relever les défis posés par la mondialisation et les désordres économiques planétaires.

◗◗ Réponses aux questions 1. Le directeur de l’OMC, Pascal Lamy, défend le principe du libreéchange en raison des bénéfices supposés que celui-ci apporterait aux pays qui l’adoptent, notamment les pays en développement. En l’occurrence, selon Pascal Lamy, la lutte contre le protectionnisme favoriserait la croissance économique sans signifier pour autant l’absence de règles du commerce international. En effet, l’OMC dispose des moyens juridiques pour imposer le respect des accords conclus entre ses États membres.

2. Selon Pascal Lamy, l’OMC constitue une institution clé de la gouvernance économique future car elle est la seule organisation internationale capable de définir les règles de fonctionnement du commerce mondial tout en disposant des compétences juridiques pour faire respecter ses dernières.

3. Joseph Stiglitz accuse tout d’abord le FMI et la Banque mondiale de manquer de légitimité démocratique en servant uniquement les intérêts des États les plus industrialisés et les plus riches. Par ailleurs, il ajoute que ces institutions et leurs dirigeants ne

possèdent pas une connaissance suffisante des pays en développement dans lesquels la plupart de leurs décisions s’appliquent pourtant. Enfin, le G20, dont les pays membres se sont autoproclamés leaders mondiaux en matière de décisions économiques, n’est pas suffisamment représentatif de l’ensemble des États de la planète.

4. Les propositions de Joseph Stiglitz incarnent la recherche d’une gouvernance plus juste et plus démocratique. D’une part, ses critiques du FMI et de la Banque mondiale alimentent la réflexion des mouvements altermondialistes très critiques envers ces institutions. D’autre part, le souhait de confier à l’ONU un rôle clé rejoint le désir des pays du Sud exclus du G20 de se voir mieux représentés lors des discussions sur les questions économiques internationales.

◗◗ Vers l’analyse de document du BAC Ce texte est un extrait du rapport Stiglitz commandé par l’ONU suite à la crise mondiale ayant débuté aux États-Unis en 2007. C’est dans ce contexte que l’influence du G20 a augmenté en matière de gouvernance économique mondiale. Or, Joseph Stiglitz dénie à cette réunion des chefs d’État et de gouvernement des pays considérés comme les plus puissants la légitimité suffisante pour prendre des décisions s’appliquant à l’ensemble des États de la planète. Selon lui, face aux défis économiques mondiaux, s’impose la nécessité d’impliquer l’ensemble de la communauté internationale, notamment les pays traditionnellement exclus des cénacles de décision habituels, les PMA. Dans cette perspective, seule l’ONU, une forme de « G192 » en référence au nombre de ses États membres, disposerait de la représentativité suffisante pour relever les défis posés par la crise et les enjeux contemporains de la mondialisation.

Étude 1

p. 204-205

La place des pays du Sud dans la gouvernance économique mondiale La question de la place des pays du Sud dans la gouvernance économique mondiale depuis 1975 renvoie à deux problématiques majeures de ce chapitre. Depuis les années 1970, la gouvernance s’est-elle démocratisée en s’ouvrant davantage aux pays du Sud ? La gouvernance actuelle, malgré des évolutions, ne symbolise-telle pas la persistance de la suprématie d’une minorité d’États, les plus riches et les plus développés ? De la fin des années 1970 aux années 1980, confrontés à un problème de la dette devenu insoluble, de nombreux pays en développement ont été soumis à la mise en œuvre de PAS définis par le FMI et la Banque mondiale. Toutefois, progressivement, les pays du Sud ont appris à s’organiser pour former des coalitions capables de peser sur le cours des négociations internationales. Néanmoins, si le G20 a marqué l’entrée des émergents dans la gouvernance économique mondiale, la plupart des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ne semblent pas encore en mesure d’influencer les décisions économiques à l’échelle internationale.

→Document 1 : Les pays du Sud à l’épreuve des PAS Ces deux textes rappellent quelles conditions ont été imposées au pays du Sud en grande difficulté financière par le FMI et la Banque mondiale en contrepartie de leur aide. Inspirés par les théories économiques néolibérales hostiles à l’intervention de l’État pour corriger les inégalités économiques et sociales, les PAS ont conduit à une réduction drastique des dépenses publiques dans des secteurs clés tels que la santé ou l’éducation. Le professeur peut, à cette occasion, rappeler que les missions du FMI avaient été profondément modifiées, après la fin de la convertibiChapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

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les ressources pour assumer la direction de la future gouvernance économique mondiale.

lité du dollar en or, par les accords de la Jamaïque de 1976. Le FMI devient alors une banque de financement pour les pays en développement du tiers monde qui ne peuvent supporter, au contraire des pays industrialisés, le déficit de leurs balances des paiements sur les marchés internationaux. Ainsi, dès la fin des années 1970, ces prêts du FMI aux pays du tiers monde sont conditionnels à des réformes structurelles de leur économie pour redresser durablement la balance des paiements. Le document 1a définit simplement ce qu’est le consensus de Washington dont le but principal est de réduire les dépenses publiques des États endettés et de les rendre plus attractifs pour les capitaux étrangers. Ainsi, ces États endettés peuvent dégager des excédents de la balance des paiements qui leur permettent de se désendetter. Le document 1b, écrit par Aminata Dramane Traore, résume l’argumentaire « anti PAS » qu’elle développera quelques années plus tard dans le film « Bamako » d’Abderrahmane Sissako sorti en 2006 où, dans la cour d’une maison de Bamako se joue le procès de l’Afrique contre la Banque mondiale et le FMI. Selon l’auteur, ces plans d’ajustement structurel imposés par le FMI obligent à réduire massivement les salaires ainsi que la présence de l’État dans l’économie par une série de privatisations des entreprises publiques. Les conséquences négatives de ces plans d’ajustement structurel du FMI sont considérables : perte de pouvoir d’achat de la population, augmentation de la pauvreté et des inégalités sociales, mainmise d’une technostructure internationale sur les forces vives d’un pays.

→Document 2 : La marge de manœuvre limitée des BRICS Cet extrait d’un article de la revue Questions internationales rappelle combien l’influence des pays émergents en matière de gouvernance économique internationale reste limitée. Certes, au FMI, la réforme de 2006 a abouti à l’accroissement de l’influence de plusieurs pays du Sud (la Chine, le Mexique, la Turquie). Néanmoins, l’Union européenne continue à conserver le monopole de la direction de cette institution, les États-Unis gardant la mainmise sur la Banque mondiale. Les BRICS, malgré les rencontres symboliques et très médiatisées de leurs dirigeants, ne constituent pas encore un bloc uni capable de contrebalancer le poids des pays de l’Union européenne et des États-Unis.

→Document 3 : L’OMC face au déséquilibre Nord-Sud, caricature de Samson, 2008 Cette caricature de Samson oppose, dans une compétition symbolique arbitrée par l’OMC, les poids lourds de l’agrobusiness (l’Union européenne et les États-Unis semble sous-entendre le caricaturiste) au petit attelage des agricultures de subsistance des pays du Sud. Ce document fait référence au déséquilibre des forces qui règne au sein de l’OMC. Derrière les apparences d’une compétition internationale équitable basée sur le respect de règles identiques pour tous, se cacherait un système biaisé où les plus riches seraient assurés de l’emporter. En 2006, les négociations de Doha organisées par l’OMC buttèrent notamment sur la question du maintien des subventions versées aux agriculteurs étatsuniens et européens défavorables aux agriculteurs des pays du Sud.

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→Document 4 : De nouveaux exclus de la gouvernance économique mondiale ? Dans son ouvrage, Alain Dejammet, ancien ambassadeur de France auprès des Nations unies, pointe le manque de représentativité du G20. Si le G20 est devenu un pôle de concertation économique d’envergure mondiale intégrant de nombreux pays émergents, il n’en reste pas moins qu’il exclut de nombreux États d’Amérique latine, d’Asie et, a fortiori, d’Afrique, continent particulièrement sous-représenté.

98 • Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

→Document 5 : FMI et Banque mondiale face aux défis de la gouvernance Cet article publié dans La Dépêche en octobre 2013 avance la thèse selon laquelle le FMI et la Banque mondiale, faute d’avoir pu, ou voulu, se réformer et accorder plus d’influence aux pays émergents, s’exposeraient au risque d’être délaissés par ces derniers. Le journaliste estime que la concurrence de nouveaux acteurs du développement menacerait d’atomiser davantage une gouvernance mondiale déjà très fragmentée.

◗◗ Réponses aux questions 1. Les PAS ont eu des conséquences négatives sur le développement des pays du Sud. La réduction des dépenses publiques en matière de santé et d’éducation a affecté les conditions de vie des franges les plus démunies des populations de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, en milieu urbain notamment.

2. Les pays du Sud ont longtemps peiné à peser sur la gouvernance économique mondiale en raison de leur très faible représentation au sein des grandes institutions économiques internationales. Le partage tacite des directions respectives de la Banque mondiale et du FMI entre Europe et États-Unis a contribué à leur marginalisation persistante.

3. En raison de leur forte croissance économique, les pays émergents paraissent désormais en mesure de s’émanciper de la tutelle du FMI et de la Banque mondiale. Le projet de création d’un nouveau fond monétaire, à l’instigation des BRICS, prévu à la fin de l’année 2014, attesterait de cette tendance.

4. L’absence de nombreux pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique au sein du G20 démontre que la plupart des pays du Sud ne sont toujours pas en mesure d’exercer une influence comparable à celle des pays développés dans la gouvernance économique mondiale.

◗◗ Vers la composition du BAC Des années 1970 aux années 1980, les pays du Sud ont tout d’abord été largement exclus des mécanismes de la gouvernance économique confiés aux pays développés, au premier chef aux États-Unis et aux pays européens. Les populations d’Afrique subsaharienne ont, par exemple, été soumises aux PAS sans avoir la moindre opportunité de modifier les choix effectués par leurs dirigeants sous la pression du FMI et de la Banque mondiale. En matière agricole, les pays en développement n’ont pas réussi à imposer la fin des subventions accordées aux agriculteurs étatsuniens et européens. Peu à peu toutefois, en raison de leurs forts taux de croissance économique, les pays émergents ont réussi à conforter leur influence. La réforme du FMI accroissant, par exemple, le droit de vote de la Chine en a constitué un symbole. Plus récemment, les projets de création d’un nouveau fond monétaire à l’instigation des BRICS semblent avoir confirmé cette tendance. Malgré ces évolutions, les pays du Sud sont encore très sous-représentés au sein du G20 devenu, depuis la crise de 2008, la grande instance de concertation économique interétatique.

Étude 2

p. 206-207

La gouvernance économique mondiale face au changement climatique Cette étude présente l’intérêt d’aborder les trois aspects clés de ce chapitre. Tout d’abord, elle sert à montrer que la gouvernance économique mondiale met aux prises une multitude d’acteurs aux intérêts souvent contraires. Ensuite, elle démontre que les

→Document 1 : Copenhague : échec ou compromis ? Cet article sur le thème du changement climatique, tiré du Dictionnaire des relations internationales de Marie-Claude Smouts, dresse un bilan mitigé de la conférence de Copenhague de décembre 2009. Les États réunis à cette occasion s’étaient fixé l’objectif ambitieux d’aboutir à un nouveau traité. Celui-ci aurait succédé au protocole de Kyoto qui avait permis de faire adopter des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effets de serre à 38 pays industrialisés. En évoquant le nombre élevé d’acteurs aux intérêts parfois très opposés, le document met en évidence les difficultés à faire fonctionner la gouvernance économique sur les questions climatiques. Le bilan de cette conférence reste mitigé. Pour certains, l’accord finalement signé à Copenhague visant à ne pas dépasser une augmentation moyenne de 2° Celsius par rapport à 1850 fut une réussite. Pour d’autres, il s’agissait d’un échec dans la mesure où cet objectif ne fut assorti d’aucun cadre juridique contraignant.

→Document 2 : Organisations non gouvernementales et experts participant aux accords de Copenhague (2009), conférence organisée par les Nations unies Ce planisphère complète utilement le document précédent. Il met en évidence deux phénomènes importants pour comprendre les mécanismes de la gouvernance actuelle. D’une part, le poids des acteurs non étatiques, les ONG notamment, s’est considérablement accru. D’autre part, même si les pays du Sud participent aux grandes conférences internationales sur le changement climatique, les pays du Nord bénéficient, par l’intermédiaire du nombre d’experts qu’ils sont capables d’envoyer dans ces réunions, d’une capacité à peser sur les débats largement supérieure à celle des PED.

→Document 3 : Des multinationales intègrent le risque climatique Cet article du quotidien Le Monde paru en janvier 2013 analyse les raisons qui poussent un nombre croissant de FMN à intégrer le risque climatique dans leur stratégie de développement. Il confirme l’idée selon laquelle les acteurs privés influent sur la gouvernance économique mondiale. En l’occurrence, le journaliste insiste sur le fait qu’en matière de réchauffement climatique, comme dans de nombreux autres domaines, les FMN seraient plutôt hostiles à la mise en œuvre d’une réglementation accrue de leurs activités.

→Document 4 : Des acteurs non étatiques pour peser

elle cherche aussi à accéder au statut d’acteur de la gouvernance en tentant d’influencer les politiques menées par les États et les dirigeants d’entreprises lors des grands sommets internationaux.

→Document 5 : Une nouvelle gouvernance à inventer ? Cet extrait d’un article de la revue Questions internationales illustre les difficultés à mettre en œuvre une gouvernance économique mondiale sur le thème du changement climatique. Alors que la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre apparaît absolument nécessaire pour enrayer le réchauffement climatique, chaque acteur ou pays cherche, en général, à ce que les efforts soient demandés aux autres. En 1992, au sommet mondial de la Terre de Rio, l’adoption de la Convention climat posait les fondements d’une coopération internationale pour lutter contre le changement climatique. Elle aboutissait notamment à la création d’une structure de gouvernance mondiale, la Conférence des parties (la COP) réunissant les États ayant ratifié cette convention. Avec le protocole de Kyoto de 1997, la création de plafonds d’émission de gaz à effet de serre par pays, convertis en permis distribués aux États et échangeables entre eux, a généré un marché interétatique du carbone. Or, ce système a généré des effets pervers en favorisant des transferts massifs de droits à émettre entre pays et acteurs économiques que les instances climatiques (la COP notamment) s’avèrent incapables de réguler.

◗◗ Réponses aux questions 1. La plupart des acteurs de la gouvernance économique mondiale sont confrontés au problème du réchauffement climatique. Les États, tout d’abord, qui se réunissent tous les ans lors des conférences sur le changement climatique, les ONG, ensuite, qui tentent de peser sur le cours des négociations internationales et essaient de sensibiliser l’opinion publique à leur cause, les FMN, enfin, soucieuses de la pérennité de leurs bénéfices.

2. La gouvernance climatique est fragmentée en raison de la multiplicité des acteurs investis dans le processus de négociation international : ONG, pays du Nord, PED, FMN. Elle est aussi divisée car chacun de ses acteurs a tendance à défendre des intérêts difficiles à concilier. Tandis que les ONG cherchent à pousser les dirigeants politiques à prendre des mesures énergiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les pays du Nord et du Sud peinent à s’entendre sur un niveau acceptable de montée des températures mondiales tandis que les FMN sont, en général, réfractaires à toute réglementation jugée néfaste à leur développement économique.

3. Les enjeux économiques influencent la mise en œuvre d’une gouvernance économique mondiale efficace car les FMN sont plutôt hostiles à l’élaboration de normes internationales sur le changement climatique perçues comme une entrave à leur liberté d’entreprendre. À l’heure actuelle, seules les attentes des consommateurs et les perspectives de préjudices économiques liés à des accidents climatiques semblent de nature à leur faire intégrer la lutte contre le réchauffement climatique dans leur stratégie.

dans la gouvernance économique

4. Selon les ONG comme Greenpeace, en matière de politique

Sur cette photographie prise lors d’une manifestation du 3  décembre 2011 à Durban, pendant la conférence internationale sur le changement climatique, des militants de l’ONG Greenpeace brandissent des pancartes sur lesquelles les slogans dénoncent l’indifférence de la gouvernance économique mondiale face aux demandes des peuples : « écoutez les gens, pas les pollueurs » peut-on lire sur la banderole de gauche. L’ONG Greenpeace, fondée en 1971 et spécialisée dans la lutte pour la protection de l’environnement, comptait près de 3 millions de membres, à l’échelle de la planète. Elle a bâti sa renommée en multipliant les actions chocs très médiatisées. En matière de lutte contre le réchauffement climatique notamment,

de lutte contre le réchauffement climatique, les gouvernements devraient se montrer moins sensibles aux lobbyings exercés par les FMN et plus à l’écoute des attentes de leurs opinions publiques et des citoyens. Selon d’autres analyses, les organisations multilatérales comme le FMI, l’OMC, la Banque mondiale et l’OMC devraient jouer un rôle accru dans ce domaine.

◗◗ Vers l’analyse de document du BAC Ce document consacré au bilan de la conférence de Copenhague sur le changement climatique de 2009 illustre les principaux défis posés à la gouvernance économique mondiale par le réchauffeChapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

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domaines d’action de la gouvernance mondiale se sont diversifiés : les acteurs de la gouvernance ne se préoccupent plus uniquement de questions financières ou monétaires mais tentent, par exemple, avec difficulté, de trouver des solutions au réchauffement de la planète accentué par l’essor sans précédent des activités économiques. Enfin, les difficultés à établir des solutions consensuelles pour remédier au changement climatique renvoient au débat sur l’efficacité et les limites de la gouvernance mondiale.

ment climatique. La multiplicité des acteurs investis dans les discussions – pays du Sud et du Nord, ONG, experts en tous genres, représentants des FMN – et la variété des positions qu’ils viennent défendre lors de ce type de rencontre rend extrêmement difficile toute prise de décision. L’opposition entre deux grands groupes de pays (les États-Unis et les pays émergents, d’une part, réfractaires à tout accord trop contraignant, les pays de l’Union européenne, d’autre part, plus favorables à des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre) en constitue un bon exemple. Par ailleurs, la gravité de la crise financière a aussi contribué à reléguer les enjeux climatiques au second plan de l’agenda international. L’accord, finalement signé au terme de la conférence, se limitant à la définition d’une action concertée à long terme, symbolise une coopération peu contraignante plus qu’une véritable gouvernance efficace pour contrecarrer les effets du réchauffement climatique.

Étude 3

p. 208-209

Les contestations de la gouvernance économique mondiale La nébuleuse altermondialiste, qui réclame une nouvelle gouvernance plus juste et plus démocratique, inspirée par les principes du développement durable, s’est progressivement affirmée à partir de la fin des années 1990. Très hétérogène, ce mouvement s’est construit contre les acteurs et les organisations symbolisant une mondialisation libérale (FMI, Banque mondiale, OMC principalement). Après une première édition à Porto Alegre au Brésil en 2001, les Forums sociaux mondiaux, conçus d’abord comme des réunions anti Forum économique mondial de Davos, sont, peu à peu, devenus des lieux où les altermondialistes ont tenté d’élaborer des propositions de gouvernance économique mondiale alternative. La crise économique de 2008 a favorisé la naissance de nouveaux mouvements partiellement inspirés par les thèses altermondialistes. Occupy Wall Street né à New York et les Indignés, apparus à Madrid, ont notamment dénoncé les politiques de dérégulation ayant conduit à la crise financière.

→Document 1 : La recherche d’une gouvernance plus démocratique Ce texte constitue une synthèse des principales thèses des altermondialistes en vue de réformer la gouvernance économique mondiale. Le mouvement, qui s’était d’abord baptisé « antimondialiste », s’est consolidé en s’opposant à une mondialisation libérale synonyme d’accentuation des inégalités socioéconomiques. L’opposition aux organisations internationales telles que le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, accusées d’incarner ces dérives, a constitué un autre facteur d’unification d’un mouvement désireux de proposer une gouvernance alternative plus proche des citoyens.

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→Document 2 : L’essor du mouvement altermondialiste Ce planisphère permet de mesurer l’essor du mouvement altermondialiste depuis le Forum social mondial de Porto Alegre. L’idée était née d’échanges entre Bernard Cassen du journal Le Monde diplomatique et des militants brésiliens. L’objectif consistait à créer un espace de débat, de mises en commun de projets économiques et sociaux alternatifs aux politiques libérales prônées par les institutions internationales. Depuis cette date, les FSM se sont multipliés dans d’autres pays d’Amérique latine, mais aussi en Afrique et parfois en Asie. Cette localisation symbolise le désir de redonner un poids aux pays du Sud dans la gouvernance économique mondiale. Progressivement, l’origine des participants

100 • Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

s’est diversifiée, la présence des ONG est devenue croissante et les FSM ont contribué à l’élaboration d’un réseau de mouvements sociaux d’envergure internationale. De fait, en une quinzaine d’années, le mouvement altermondialiste est devenu un « acteur du monde globalisé » (Geoffrey Pleyers).

→Document 3 : La mobilisation pour la défense d’une agriculture paysanne Au sein du mouvement altermondialiste, les ONG ont progressivement occupé une place de plus en plus importante. Parmi celles-ci, OXFAM international, qui fut à l’origine une organisation chargée d’agir contre la famine provoquée par l’occupation de la Grèce par le régime nazi, regroupe aujourd’hui une constellation d’organisations qui luttent pour la réduction des inégalités et pour un développement durable. Dans ce cadre, l’ONG mène des campagnes de sensibilisation en faveur de la défense des agricultures vivrières dans les PED.

→Document 4 : De nouveaux mouvements citoyens Apparu à New York en septembre 2011, le mouvement Occupy Wall Street a choisi le slogan « 99 % » pour souligner l’opposition avec les 1 % que représentent les principaux bénéficiaires du capitalisme financier. À l’ère des réseaux sociaux et de l’instantanéité de l’information, reprenant une aspiration somme toute assez ancienne à une répartition plus équitable des richesses, le mouvement et ses slogans se sont propagés à de nombreuses villes aux États-Unis mais aussi ailleurs dans le monde.

→Document 5 : Pour un nouvel ordre économique et financier : la taxe « Robin des bois » Les manifestations altermondialistes organisées à Nice à l’automne 2011 alors que le G20 se tenait à Cannes ont dénoncé les menaces de la crise financière pour l’humanité. À cette occasion, des organisations altermondialistes comme ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne créée en France en 1998 et désormais présente dans 38 pays) ont, à nouveau, réclamé l’instauration d’une taxe sur les mouvements internationaux de capitaux (une idée lancée par ATTAC à l’occasion de la crise asiatique de 1997 parfois appelée taxe « Robin des bois » ou « Taxe Tobin » du nom du prix Nobel d’économie qui avait suggéré la mise en œuvre d’une taxation des transactions monétaires dès 1972).

◗◗ Réponses aux questions 1. Le mouvement altermondialiste se caractérise par une grande diversité. Il réunit à la fois de simples citoyens qui se retrouvent notamment lors des FSM qui ont lieu tous les ans dans différents pays en développement, mais aussi de nombreuses ONG engagées au service de causes diverses. L’hétérogénéité du mouvement se traduit aussi par la pluralité de ses revendications : lutte contre les inégalités socioéconomiques engendrées par la mondialisation libérale, revendications en faveur d’une gouvernance économique plus démocratique, promotion des principes du développement durable.

2. La contestation de la gouvernance économique actuelle s’exprime sous la forme de manifestations destinées à interpeller les dirigeants politiques réunis lors de sommets ou de réunions internationales du G20 et de l’OMC notamment. Depuis le FSM de 2001 à Porto Alegre, les militants du mouvement altermondialistes se retrouvent aussi pour débattre et émettre des propositions alternatives.

3. Les militants altermondialistes peinent à émettre un projet alternatif de gouvernance économique mondiale tout d’abord en raison de l’extrême hétérogénéité de leur mouvement. Par

4. Les mouvements altermondialistes proposent, tout d’abord, de réformer la gouvernance économique mondiale en remettant en cause les principes libéraux qui ont guidé les politiques des organisations internationales ces deux dernières décennies. Ils défendent aussi une meilleure représentativité de ces institutions au profit des pays du Sud.

◗◗ Vers la composition du BAC Partant du principe que la « mondialisation libérale » contribue à l’aggravation des inégalités socioéconomiques, les altermondialistes souhaitent l’instauration d’une nouvelle gouvernance économique mondiale plus démocratique et plus juste. Au système actuel incarné par les États les plus riches et les organisations internationales, ils opposent un projet au sein duquel les pays du Sud et les citoyens retrouveraient une influence. Pour atteindre ce résultat, à l’échelle internationale, ils prônent la création d’institutions multilatérales véritablement démocratiques. Celles-ci devraient prendre en compte de manière systématique l’avis des citoyens représentés par les Parlements nationaux tout en accordant une place bien plus importante aux PED. Ils expriment ces positions à l’occasion des sommets internationaux du G20 et de l’OMC notamment. Toutefois, en raison de la très grande hétérogénéité du mouvement, de la multiplicité des causes pour lesquelles ils s’engagent, les altermondialistes peinent à dépasser le stade des protestations. Le mouvement altermondialiste n’a pas encore véritablement réussi à s’affirmer comme un acteur de la gouvernance capable de formuler des propositions jugées claires et crédibles.

Cours 1 et 2

p. 210-213

1975-1991 : une gouvernance économique mondiale sous contrôle des pays riches ? Depuis 1991, la recherche d’une nouvelle gouvernance économique

• Présentation Après l’approche thématique des études, la première leçon réintroduit une dimension chronologique dans l’étude des évolutions de la gouvernance économique mondiale. Elle revient tout d’abord, sur les circonstances dans lesquels le système mis en place à Bretton Woods s’est disloqué avant de laisser la place à une nouvelle architecture fortement critiquée pour son bilan. Cette nouvelle gouvernance associée au libéralisme, aux PAS et à une diplomatie économique de club de riches ne résout pas les problèmes de la dette dans les PED notamment. La deuxième leçon débute avec la disparition du bloc communiste qui semble d’abord symboliser le triomphe d’un modèle de gouvernance d’inspiration libérale et se traduit notamment par la naissance puis l’affirmation de l’OMC à partir du milieu des années 1990. La période est aussi marquée par l’influence grandissante de nouveaux acteurs avec lesquels les États sont désormais obligés de composer (les ONG, les FMN notamment). Avec la multiplication des crises et la prise de conscience progressive du réchauffement climatique, la gouvernance entre dans une nouvelle phase.

Le modèle d’inspiration libérale dominé par quelques États riches et des institutions internationales est soumis à des tensions et à des remises en cause : la gouvernance est devenue multipolaire et parfois de plus en plus difficile à cerner.

• Choix des documents « appuis » du cours Les documents indiqués dans les marges doivent permettre aux élèves d’étayer leur raisonnement avec des exemples précis, documents qui peuvent par ailleurs faire l’objet d’une étude au Baccalauréat. Ils ont donc pour objet non seulement d’illustrer le cours mais aussi de provoquer une analyse spécifique. Ces renvois documentaires permettent enfin de repérer les documents clés dans les études, à partir desquels une thématique spécifique sur « la gouvernance économique mondiale » peut être abordée. On a rajouté un document spécifique qui contribue à étayer de manière simple un axe essentiel du chapitre.

→Document 1, p. 213 : « G20, les grands défis » La caricature de Mix et Remix est parue en septembre 2009, quelques mois après la réunion du G20, à Londres. Ce document constitue une illustration des débats sur l’efficacité de la gouvernance économique mondiale actuelle : le G20 s’est érigé en instance chargée de remédier aux grands désordres planétaires. Pour ses détracteurs, son action se limiterait surtout à protéger les intérêts des États les plus influents de la planète et des FMN.

Prépa Bac

p. 214

◗◗ Composition

Sujet en autonomie : La gouvernance économique mondiale depuis 1975 : acteurs, moyens et limites. La gouvernance économique désigne l’ensemble des moyens (règles, institutions, etc.) mis en œuvre à l’échelle planétaire pour favoriser la croissance économique globale et tenter d’encadrer la mondialisation. Le sujet doit être traité à l’échelle planétaire. Cette échelle apparaît comme celle qui est la plus pertinente pour tenter de réguler la mondialisation et les défis qu’elle engendre. 1975 correspond à la date de création du G6/G7 et à la mise en place d’une nouvelle gouvernance économique dans un contexte marqué par l’échec des systèmes de régulation antérieurs et l’affirmation de nouveaux enjeux internationaux (mondialisation, accroissement des inégalités, etc.). Il convient de distinguer et caractériser le rôle des différents acteurs qui œuvrent à la gouvernance économique : – les États ainsi que les associations d’États (Union européenne) se rencontrent lors des sommets (G6, G20). Ils signent des accords (OMC) et s’entendent sur des règles internationales ; – les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC) sont des instances nées d’accords entre États. Elles jouent un rôle majeur dans la régulation de la mondialisation économique ; – les acteurs privés (FTN, banques, ONG.) pèsent par leurs actions et leurs prises de position sur les orientations de la gouvernance économique mondiale. Quelques exemples parmi d’autres montrent les limites de la gouvernance mondiale : – la forte mobilisation contre le G8 en 1999, à Seattle, aux ÉtatsUnis met en lumière l’affirmation de la contestation orchestrée par les altermondialistes ; – les tentations protectionnistes de certains États membres de l’OMC comme la Chine en 2011 ; – la crise de 2008 qui révèle les défaillances de la régulation financière. Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

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ailleurs, la nature des forces parfois antagonistes qui composent l’altermondialisme rend également difficile la formulation de propositions synthétiques claires. Par conséquent, l’altermondialisme peine encore à passer du stade du refus et de la contestation à celui de la structuration d’un mouvement capable de se transformer en force de propositions crédibles pour susciter l’adhésion massive des opinions publiques et accéder au statut d’acteur à part entière de la gouvernance économique mondiale.

1. Les acteurs de plus en plus nombreux de la gouvernance économique A. Les institutions internationales : OMC, FMI, Banque mondiale. B. Le rôle des États et des associations d’États : G8, G20, BRICS. C. La place grandissante des acteurs non étatiques : Banques, firmes transnationales, agences de notation, ONG.

2. Les moyens mis en place pour mettre en œuvre une gouvernance économique A. Les rencontres multilatérales au sommet réunissant les chefs d’État des grandes puissances et l’instauration de règles à l’échelle internationale. B. Les instances de régulation qui se réforment pour tenir compte des nouveaux enjeux : G20, OMC. C. Les forums économiques mondiaux et les forums sociaux.

3. Les limites de la gouvernance économique A. La réaffirmation du rôle des États qui rend difficile les prises de décisions collectives. B. Des institutions internationales peu transparentes et peu démocratiques. C. Des enjeux renouvelés (crises économiques, accroissement des inégalités, changement climatique, etc.) et le désir d’une autre gouvernance : altermondialisme, mouvements de citoyens.

Sujet en autonomie : La place des pays riches dans la gouvernance économique mondiale depuis le milieu des années 1970. Le sujet oblige à définir la notion de « pays riches » dans l’introduction puis, dans la rédaction des paragraphes, à aborder les deux temps de leur place mondiale depuis les années 1970 : un recul provisoire effacé par l’accélération de la mondialisation dans les années 1990.

1. Le recul de l’influence des pays industrialisés dans les années 1970 A. La fin du système de Bretton Woods. B. Les difficultés du GATT et de la Banque mondiale face à la crise.

2. Une nouvelle affirmation… discutée A. Le consensus de Washington et le rôle nouveau du FMI qui renforce les pays riches. B. Les protestations contre l’aggravation des inégalités liée à cette gouvernance et à la mondialisation. C. Un nécessaire rééquilibre au sein de la gouvernance économique mondiale. La conclusion peut évoquer l’apparition de nouveaux acteurs de poids dans la gouvernance économique mondiale, comme les pays émergents (BRICS, etc.).

Sujet en autonomie : Les institutions économiques internationales et la gouvernance mondiale depuis 1975.

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Le sujet invite à mettre en relation les institutions économiques internationales et la gouvernance économique mondiale. Il convient donc d’expliquer d’abord comment elles ont évolué sous l’effet de la mondialisation et de « l’américanisation » du monde.

102 • Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

Puis il faut souligner qu’elles ne répondent plus, aujourd’hui, au désir d’une « nouvelle » gouvernance économique exprimée par de nombreux acteurs.

1. Des institutions internationales qui s’adaptent à la mondialisation sous l’influence américaine A. La perte d’influence des institutions après la remise en cause du système de Bretton Woods par les États-Unis. B. Le consensus de Washington : déréglementation et désengagement de l’État. C. L’élargissement des règles à de nouveaux pays (anciens pays du bloc communiste) et leur approfondissement (naissance de l’OMC en 1995).

2. Des institutions internationales qui soulignent les limites de la gouvernance économique mondiale A. La banque mondiale et le FMI utilisés au service de la cause occidentale pendant la guerre froide. B. L’impopularité des plans d’ajustement structurels du FMI. C. Les difficultés de l’OMC. Les figures de Pascal Lamy (voir p. 202) ou de Joseph Stiglitz (voir p. 203) peuvent être évoquées en conclusion : tous les deux ont, en effet, joué un rôle important dans les institutions économiques internationales (OMC et Banque mondiale).

Prépa Bac

p. 215-216

◗◗ Analyse de document(s)

Sujet en autonomie : La gouvernance économique depuis 1975. La confrontation de l’analyse de Joseph Stiglitz (voir p. 203) et de la caricature de Plantu permet de répondre aux deux parties de la consigne en ce qui concerne le FMI. Il faut aussi faire appel à quelques connaissances personnelles pour aborder le rôle d’autres institutions internationales comme l’OMC.

1. Le rôle des institutions mondiales A. Des institutions (FMI et Banque mondiale) dont l’objectif est de garantir la stabilité du système monétaire international et d’apporter un soutien financier aux pays les plus pauvres (prêts). B. Mais aussi la création de l’OMC en 1995 en remplacement du GATT pour renforcer le libre-échange et favoriser le développement du commerce.

2. Les limites de leur action et leur fonctionnement A. Des institutions qui ne parviennent pas éviter les crises économiques. B. Les programmes d’ajustement structurels imposés par le FMI aux pays en difficulté sont vus comme des instruments de la domination du Nord sur le Sud. C. Des institutions peu transparentes et qui souffrent d’un déficit démocratique. En conclusion, on peut évoquer les positions de Joseph Stiglitz qui servent souvent de caution intellectuelle à une partie des militants des mouvements altermondialistes lorsqu’ils soulignent les problèmes que rencontre la gouvernance économique mondiale de nos jours.

Le document qui oppose le point de vue d’une altermondialiste et de Pascal Lamy, alors directeur de l’OMC (voir p. 202), permet, grâce à la confrontation des deux discours, de répondre aux deux parties de la consigne.

1. L’intérêt d’une gouvernance économique mondiale A. L’ouverture et la régulation des échanges par l’OMC. B. Le développement et la réduction de la pauvreté dans les États. C. La capacité d’intégrer de nouveaux États (émergents).

2. Les points de désaccords sur le fonctionnement de la gouvernance économique mondiale A. La libéralisation au service du développement ou facteur de dérégulation ? B. Une gouvernance pour tous les États ou une surreprésentation des pays riches aux dépens des pays pauvres ? En conclusion, on peut souligner que ce document, datant de 2010, envisageait une rapide sortie de la crise économique mondiale qui avait débuté en 2008. Ce pronostic, en partie démenti par la suite, ne fait que poser de manière de plus en plus vive la nécessité de mieux définir ce que doit être, aujourd’hui, une « nouvelle » gouvernance économique mondiale.

© Hachette Livre 2014

Sujet en autonomie : La gouvernance économique mondiale depuis 1975.

Chapitre 8 - Une gouvernance économique mondiale

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