Éducation, développement et démocratie: Algérie, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Pays Arabes, Yougoslavie [Reprint 2018 ed.] 9783111413846, 9783111049847

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French Pages 268 [272] Year 1967

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Éducation, développement et démocratie: Algérie, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Pays Arabes, Yougoslavie [Reprint 2018 ed.]
 9783111413846, 9783111049847

Table of contents :
ONT COLLABORÉ A CET OUVRAGE
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
AVANT-PROPOS
1. LA COMPARABILITÉ DES SYSTÈMES D'ENSEIGNEMENT
PREMIÈRE PARTIE L'ÉDUCATION ET LA STRATIFICATION SOCIALE
INTRODUCTION
2. LA DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE ET DE L'ENSEIGNEMENT EN HONGRIE
3. STRUCTURES DE L'ENSEIGNEMENT ET CATÉGORIES SOCIALES EN YOUGOSLAVIE
4. LES CHANCES D'ACCÈS A L'ENSEIGNEMENT EN GRÈCE
DEUXIÈME PARTIE LA DIVERSITÉ DES FONCTIONS DE L'ÉDUCATION
INTRODUCTION
5. L'INFLUENCE DE L'ÉDUCATION SUR LE RENDEMENT DE L'EXPLOITATION AGRICOLE DANS UNE SITUATION DE CHANGEMENT (ALGHERO-SARDAIGNE 1959-63)
6. L'INSTRUCTION ET LE CHOIX DU CONJOINT
7. L ' ÉVOLUTION DE L'ÉCOLE ET LES IDÉOLOGIES SCOLAIRES EN ESPAGNE
TROISIÈME PARTIE ÉDUCATION, TRADITION ET CONTACTS DE CIVILISATION
INTRODUCTION
8. LE « COMITÉ D'ÉCOLE » UN ORGANE DÉMOCRATIQUE D'INTÉGRATION DE L'ÉCOLE A LA COLLECTIVITÉ LOCALE
9. CONTINUITÉ ET CHANGEMENT DANS LES PAYS ARABES
10. BILINGUISME ET ÉDUCATION EN ALGÉRIE
CONCLUSION
11. INÉGALITÉS CULTURELLES ET POLITIQUES SCOLAIRES
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES THÈMES ET DES NOMS

Citation preview

ÉDUCATION DÉVELOPPEMENT E T DÉMOCRATIE

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES — SORBONNE Vie

SECTION

Cahiers

du

:

SCIENCES

Centre

de

ÉCONOMIQUES

Sociologie

ET

SOCIALES

Européenne

• IV •

CET

OUVRAGE

PUBLIÉ DU

AVEC

CENTRE

LE

A

ÉTÉ

CONCOURS

NATIONAL

DE

LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

ÉDUCATION DÉVELOPPEMENT ET DÉMOCRATIE ALGÉRIE • ESPAGNE

• FRANCE

GRÈCE



• HONGRIE

PAYS ARABES

ITALIE

YOUGOSLAVIE

Études présentées par ROBERT CASTEL JEAN-CLAUDE PASSERON

PARIS

MOUTON LA HAYE

MCMLXVII

ONT

COLLABORÉ

A

CET

OUVRAGE

Professeur de sociologie à l'Université de Florence. Secrétaire général de la Société italienne de sociologie rurale. Directeur d'études à l'École pratique P I E R R E BOURDIEU des hautes études. Directeur-adjoint du Centre de sociologie européenne. Maître-assistant à la Faculté des lettres R O B E R T CASTEL et sciences humaines de Lille. Centre de sociologie européenne. Chargée de recherches à l'Office cenSUZANNE F E R G E tral de la statistique de Hongrie. Professeur à la Faculté des sciences ANTE FIAMENGO politiques de Zagreb. Chargée de recherches au Centre des J E A N N E LAMBIRI-DIMAKI sciences sociales d'Athènes. Collaborateur du Centre de sociologie ANTONIO L I N A R È S européenne. MIRKO MARTIC Dozent à la Faculté d'agriculture de Zagreb. Institut des sciences sociales de l'Université de Zagreb. Maître-assistant à l'École pratique des A N D R É MIQUEL hautes études. Centre de sociologie européenne. Dozent à la Faculté des sciences poliPAVLE NOVOSEL tiques de Zagreb. Institut des sciences sociales de l'Université de Zagreb. JEAN-CLAUDE PASSERON Chargé d'enseignement à la Faculté des lettres et sciences humaines de Nantes. Centre de sociologie européenne. MONIQUE D E SAINT MARTIN Chef de travaux à l'École pratique des hautes études. Centre de sociologie européenne. Collaborateur du Centre de sociologie ABDELMALEK SAYAD européenne. Professeur à la Faculté de philosophie RUDI SUPEK de Zagreb. Directeur scientifique de l'Institut de recherches sociales de l'Université de Zagreb. CORRADO B A R B E R I S

© 1967, Mouton & Co and École Pratique des Hautes

Printed in France

Études

La plupart des études qui composent cette publication ont pour point de départ des communications présentées aux colloques de Madrid et de Dubrovnik qui se sont tenus en octobre 1964 et en octobre 1965 sur l'initiative du Centre de sociologie européenne (E.P.H.E.). Nous tenons tout particulièrement à remercier ici M. Pierre Emmanuel sans qui ces colloques n'auraient pu avoir lieu et M. Jean Cuisenier qui, dans le cadre de son programme de recherches comparatives sur les pays méditerranéens, a fait bénéficier le groupe de sociologie de Véducation de l'organisation qu'il avait mise en place. Nous voulons aussi remercier les auteurs qui, par les échanges d'informations ou les réunions de travail auxquels ils ont bien voulu se prêter, ont permis les multiples transformations et adaptations de leurs textes exigées par le caractère de cette publication. Nous remercions également M. Bruno Queysanne pour sa contribution à la préparation du manuscrit. R. C. J.-C. P.

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

Avant-propos, par Robert

CASTEL

et Jean-Claude

PASSERON.

1. La comparabilité des systèmes d'enseignement, par Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON.

15 21

PREMIÈRE PARTIE L'ÉDUCATION

ET

LA STRATIFICATION

SOCIALE

Introduction.

61

2. La démocratisation de la culture et de l'enseignement en Hongrie, par Suzanne FERGE. 3. Structures de l'enseignement et catégories sociales en Yougoslavie, par Mirko MARTIC et Rudi SUPEK. 4. Les chances d'accès à l'enseignement en Grèce, par Jeanne LAMBIRIDIMAKI.



79 107

DEUXIÈME PARTIE LA DIVERSITÉ

DES

FONCTIONS

DE

L'ÉDUCATION

Introduction. 5. L'influence de l'éducation sur le rendement de l'exploitation agricole dans une situation de changement (Alghero-Sardaigne, 1959-63), par Corrado BARBERIS. 6. L'instruction et le choix du conjoint, par Ante FIAMENCO. 7. L'évolution de l'école et des idéologies scolaires en Espagne, par Antonio LINARÈS.

117

121 137 151

TROISIÈME PABTIE

ÉDUCATION, TRADITION ET CONTACTS DE CIVILISATION Introduction.

181

8. Le « comité d'école », un organe démocratique d'intégration de l'école à la collectivité locale, par Pavle NOVOSEL. 9. Continuité et changements dans les pays arabes, par André MIQUEL. 10.

185 191

Bilinguisme et éducation en Algérie, par Abdelmalek

SAYAD.

205

CONCLUSION

11. Inégalités culturelles et politiques scolaires, par Robert et Jean-Claude PASSERON. BIBLIOGRAPHIE, par Monique de INDEX.

SAINT MARTIN.

CASTEL

223 241 261

INTRODUCTION

AYANT-PROPOS

On s'étonnera peut-être qu'une publication qui réunit des études consacrées aux problèmes de l'enseignement dans plusieurs pays ne se soit pas astreinte à l'examen systématique d'un même aspect de l'éducation et n'ait pas choisi, non plus, de limiter la comparaison à un même t y p e de société ou à une aire géographique déterminée. C'est d'abord que cet ouvrage enregistre les premiers résultats d'une collaboration instaurée à l'occasion de deux rencontres internationales où les échanges étaient inévitablement commandés par l'existence d'équipes de chercheurs déjà constituées et de t r a v a u x en cours. Le premier de ces colloques qui s'est tenu à Madrid, en octobre 1964, sous les auspices du Centre de sociologie européenne (E.P.H.E.) et de l'Université de Madrid, sous le titre « La formation des hommes et le développement économique », a discuté une vingtaine de communications représentant la contribution de dix pays. Le second, qui s'est tenu à Dubrovnik, en octobre 1965, avec le concours de l'Académie yougoslave des sciences et des arts de Zagreb ainsi que de l'Association yougoslave de sociologie de Belgrade, sous le titre « Systèmes sociaux en milieu rural et systèmes d'éducation dans les pays méditerranéens », a rassemblé vingt-trois communications émanant de sociologues, d'économistes ou de statisticiens de huit pays. Dans les deux cas, les discussions ont permis d'entreprendre la réalisation de programmes de recherches, parfois dirigés par des sociologues de plusieurs pays. Bien que l'objectif initial de ces rencontres ait été de confronter des recherches portant sur les rapports entre systèmes d'éducation et développement économique dans quelques pays du bassin méditerranéen, les débats ont fait apparaître que la sociologie de l'éducation conservait une autonomie relative vis-à-vis de la sociologie du développement, dans la mesure, du moins, où l'on entend s'en tenir à l'examen de propositions démontrées ou à des problématiques autorisant la formulation de propositions démontrables. C'est donc pour respecter le principe d'une distinction qui s'est imposée dans le débat scientifique que l'on a choisi de présenter séparément les t r a v a u x de sociologie de l'éducation, en réservant la publication des recherches

14

INTRODUCTION

de sociologie rurale et économique qui se poursuivent actuellement sur le terrain. D'autre part, les discussions ayant montré l'intérêt que revêt la comparaison de systèmes scolaires fonctionnant dans des situations nationales aussi différentes que possible, les échanges postérieurs aux colloques et le développement des recherches ont rapidement débordé l'aire méditerranéenne, en sorte que c'est finalement en fonction des collaborations obtenues et des résultats enregistrés à ce jour que les études présentées ici se sont trouvées sélectionnées. En dépit des contraintes de fait qui ont présidé à ce choix il nous a semblé que des études présentant chacune, sous un aspect particulier, la place de l'éducation dans une société nationale autorisaient à poser quelques questions comparatives sur les relations entre le système scolaire et la stratification sociale ou le changement culturel, et peut-être même à esquisser une réflexion méthodologique sur le problème de la comparabilité. On a donc cru pouvoir rapprocher ces travaux consacrés au fonctionnement institutionnel du système scolaire et à ses idéologies spécifiques, aux changements multiples qui ont marqué l'histoire des institutions scolaires dans un pays, et surtout aux fonctions sociales de l'éducation, que celles-ci soient objectivées dans une statistique des chances scolaires propres aux différentes catégories sociales, qu'elles soient décrites à travers les différentes images de la culture et de l'école propres à ces groupes, ou encore qu'elles soient saisies dans une situation de multilinguisme où le rôle de l'école se trouve mis en valeur du fait des problèmes posés par la généralisation d'une langue savante ou mis en accusation du fait de ses liens avec la langue de l'ancien colonisateur. Il est rapidement apparu que la comparaison entre systèmes d'éducation devait s'interdire aussi bien les facilités du rapprochement superficiel que le respect religieux des spécificités nationales, l'une et l'autre attitude aboutissant à esquiver l'épreuve réelle du travail de comparaison. Tandis que les chercheurs de formation économique et, surtout, les administrateurs s'empressent le plus souvent de tirer des conséquences univoques du rapprochement entre taux de scolarisation, taux d'encadrement, degrés de démocratisation et revenus nationaux ou taux de croissance, les observateurs les plus attentifs aux particularités culturelles d'une tradition historique sont facilement conduits à nier — ou à différer sine die — les rapprochements les moins contestables. En décrétant la comparabilité a priori de traits institutionnels abstraits des contextes d'où ils tirent tout leur sens et en décidant de rapporter les accomplissements de systèmes scolaires différents à un ordre du développement économique et culturel, tenu pour univoque, les théoriciens les plus portés à utiliser les ressources modernes de la planification et des « projections de tendances » retrouvent, souvent à leur insu, la logique de l'évolutionnisme social du x i x e siècle avec

AVANT-PROPOS

15

les tentations ethnocentriques attachées à cette vision simplificatrice de l'histoire des sociétés. La problématique technocratique trahit ses présupposés dans la sociologie négative à laquelle elle est condamnée quand il lui f a u t prendre en compte les particularités culturelles ou historiques qui l'éloigneraient de son objet de prédilection. Lorsque la physionomie concrète d'une culture échappe par certains de ses traits a u x exigences techniques de la croissance, ceux-ci ne peuvent plus apparaître à la pensée planificatrice que comme les degrés inférieurs d'une échelle unique et universelle, et ils ne peuvent, p a r conséquent, être pensés que comme des manques à une rationalité idéale dont témoigneraient exemplairement les sociétés les plus avancées. L'ethnocentrisme de cette démarche affleure dans le vocabulaire des « freins », de « la rigidité », des « obstacles » et, plus généralement, des « résistances traditionnelles » qui, prétendant rendre compte de la diversité, interdit en fait t o u t e connaissance positive des divergences et des irréductibilités. C'est encore l'assurance du planificateur qui transparaît dans la manière dont les systèmes sociaux se t r o u v e n t réduits à la comparabilité : en définissant le fonctionnement d'un système d'enseignement par ses aspects les plus institutionnels ou par ses résultats les plus patents, c'est-à-dire les plus facilement mesurables, comme les t a u x de scolarisation ou de déchet, pareille démarche t e n d à liquider les conduites réelles comme objet de sociologie, puisqu'elle oublie que les attitudes des groupes sociaux qui facilitent, freinent ou procurent une efficace spécifique au fonctionnement d ' u n système social, font partie de la définition complète de ce système. A l'inverse, la fidélité monographique aux singularités culturelles retrouve t o u t naturellement le culturalisme classique et la vocation descriptive qui lui impose ses limites méthodologiques. Ce souci de respecter dans l'originalité d'une culture l'unité signifiante de ses divers éléments risque toujours de ramener l'analyse sociologique aux associations incontrôlées d'une métaphysique de la culture (comme on le voit chez Spengler) ou aux facilités littéraires de l'intuitionnisme (comme on le voit chez Benedict), c'est-à-dire en fait à u n modèle dont Hegel avait proposé la philosophie explicite dans sa conception synchronique d'un « moment de civilisation » comme totalité expressive. Même si cette filiation est rarement consciente, c'est bien la logique hégélienne d'une totalité indivisiblement responsable de sa propre causalité qui sous-tend l'effort du culturalisme pour comprendre les différents aspects d'une culture en les r a p p o r t a n t à une intuition centrale comme à leur unité de signification, que celle-ci soit conçue comme « esprit d u temps », comme « principe fécond » ou, plus prosaïquement, comme « caractère national ». C'est alors l'originalité des différents soussystèmes sociaux qui s'évanouit dans la mesure où chacun d'entre eux, qu'il s'agisse du droit, de l'art, de la technique, de la vie quoti-

16

INTRODUCTION

dieune ou de l'éducation, est censé exprimer, au titre de pars totalis, un même dynamisme fondamental, présent tout entier et sans médiations dans chacune de ses manifestations. L'oubli des autonomies relatives, de l'articulation des dépendances et des interdépendances, de la hiérarchie des relations causales et, plus généralement, de la configuration spécifique des déterminismes à l'œuvre dans une société donnée est tout particulièrement réducteur dans le cas du système d'éducation : de tous les sous-systèmes sociaux c'est sans doute celui qui, en transposant dans sa logique propre les déterminismes de tous ordres, peut aller le plus loin dans l'autonomisation de ses valeurs. Ainsi, faute d'étudier la manière spécifique dont l'école relaie et, par là même, transforme les inégalités culturelles tenant à la stratification sociale, la démarche culturaliste est exposée, par son goût des homologies non-expliquées, des connivences inexplicables et des parallélismes qui sont à eux-mêmes leur propre explication, à retrouver les tentations de l'analyse circulaire et à se dégrader en tautologie : il arrive ainsi que l'on voie expliquer indifféremment les valeurs qu'impose le système d'éducation par les valeurs de la société globale et les modèles de la culture nationale par ceux que propose le système d'éducation. Mais il n'est pas suffisant de faire le procès de l'abstraction technocratique ou culturaliste en leur forme systématique pour être quitte des illusions théoriques sur lesquelles elles reposent. La simple lecture de données empruntées à des situations nationales différentes risque toujours, en l'absence de vigilance méthodologique, de réveiller le schème évolutionniste ou de retrouver les illusions de l'incomparabilité, comme catégories implicites de la compréhension. S'il est vrai qu'il n'est pas de lecture innocente, la lecture d'un recueil dont le principe même appelle la comparaison doit au moins tenter d'expliciter les principes de son comparatisme [21-48] 1 . Dans la présentation du matériel lui-même, il a fallu — sous peine de se résigner à ne présenter que des données insignifiantes parce qu'inorganisées et fût-ce au prix d'un certain arbitraire — accepter de prendre consciemment ses distances par rapport aux spécificités concrètes pour faire apparaître et construire comme objets de recherche des problèmes qui n'existent que par l'artifice de la question, parce qu'ils ne se laissent formuler, qu'au prix de l'abstraction et des détours de la transposition. Ainsi, le fait de poser aux pays socialistes la question des chances scolaires offertes aux enfants des divers groupes sociaux, selon une définition statistique des chances, analogue à celle qui permet de mesurer les inégalités devant la culture dans une société capitaliste, procure le 1. Dans cet avant-propos, comme dans la conclusion, les nombres entre crochets renvoient aux pages de la publication où le thème évoqué se trouve traité plus particulièrement.

17

A VANT-PROPOS

moyen d'objectiver le problème de la démocratisation de l'école en des termes qui n'appartiennent en propre à aucun des deux types de société. Mais si une telle démarche est nécessaire pour engager la comparaison, elle n'introduit à une analyse réelle que lorsqu'elle conduit à diversifier en fonction de toutes les caractéristiques d'une société la réponse à cette question générique. Si, par exemple, c'est seulement par le recours à une statistique des chances scolaires dans les divers groupes sociaux que l'on peut apercevoir l'existence de mécanismes assurant la transmission de l'héritage c u l t u r e l d a n s u n e société, quel que soit son principe

de

stratification,

et, par conséquent, découvrir que l'égalisation des chances n'est pas réalisée ipso facto par l'abolition de la propriété privée des moyens de production, ni même par la volonté politique de démocratiser la culture et les moyens d'accès à la culture, ce serait commettre un paralogisme que de mesurer les degrés respectifs de démocratisation d'une société capitaliste et d'une société socialiste à l'inégalité des chances scolaires qu'elles laissent subsister : les inégalités devant l'école et, plus généralement, les inégalités devant la culture, le prestige ou le pouvoir qui en découlent, n'ont ni la même portée ni les mêmes fonctions dans les deux types de sociétés. Ce serait donc surestimer indûment l'inégalité sociale qui persiste dans une société socialiste que de l'estimer par la seule mesure de l'inégalité des chances scolaires, puisque l'hérédité culturelle représente, en ce cas, la plus grande p a r t de l'inégalité transmise d'une génération à l'autre, tandis que les sociétés capitalistes connaissent d'autres principes de transmission de l'inégalité des chances, ne serait-ce que le patrimoine économique. On devra donc se garder, en lisant les études consacrées au système d'éducation dans les pays socialistes et capitalistes, de prendre l'écart numérique entre les chances socialement conditionnées d'accéder à l'école comme l'expression pure et simple des stades respectivement atteints par les deux systèmes dans une histoire unidimensionnelle des accomplissements démocratiques [65-79 ; 71-74 ; 94-100 ; 109-111 ; 193-196 ; 219220 ; 224-234]. Ce n'est là qu'un exemple des recontextualisations auxquelles la démarche comparative doit se soumettre. Il est bien évident que le rapprochement synchronique ne doit pas faire oublier qu'un trait culturel ou u n t a u x de scolarisation, t o u t comme un indice de production, se comparent d'abord à leur propre passé. La compréhension d'un moment exige que l'on prenne en charge le rythme et la physionomie propre du changement dans ime histoire particulière. La référence au passé s'impose t o u t particulièrement dans le cas du système d'éducation : en t a n t qu'institution objectivement investie de la fonction de transmettre u n patrimoine culturel, celui-ci se trouve rattaché d'une manière originale à son passé institutionnel et culturel et se

18

INTRODUCTION

distingue par là d'une firme économique où les tendances à la conservation entrent directement en conflit avec la fonction propre de l'entreprise [32-33 ; 45 ; 193-198]. Lorsque l'histoire d'une nation a connu une rupture révolutionnaire dans l'exercice du pouvoir et un renouvellement radical du recrutement et de l'idéologie des gouvernants, il faut, en outre, tenir compte à la fois de la situation initiale léguée par l'ancien régime et des problèmes spécifiques propres aux lendemains de révolution [75-77]. On verra ainsi que l'expansion rapide des effectifs de l'enseignement supérieur qui s'est manifestée en Yougoslavie a eu pour fonction, entre autres, de résorber le décalage qui s'était créé entre le statut professionnel de nouveaux cadres, ayant accédé aux responsabilités grâce à leur rôle dans l'action politique, et la qualification scolaire techniquement requise pour l'occupation de ces postes [89-94]. Sans doute, pareil décalage s'observerait-il dans la plupart des situations post-révolutionnaires, mais il est évident qu'il pose à l'école des problèmes différents, suivant que le régime a choisi de favoriser la promotion culturelle des cadres issus de la révolution en mettant à leur disposition des voies d'éducation parallèles (cours du soir ou par correspondance et instituts spécialisés) ou en leur ouvrant, de surcroit, comme en Yougoslavie, les portes des établissements d'enseignement supérieur, y compris des facultés en leur forme traditionnelle. Ainsi, les problèmes génériques que posent à un système scolaire une phase caractéristique du développement économique ou une situation sociale typique sont spécifiés par l'organisation juridique propre à une université nationale et aux traditions qu'elle doit souvent à son passé le plus ancien. Mais la sociologie des institutions ne saurait s'en tenir aux apparences juridiques. Il n'est pas davantage question d'ignorer l'efficace propre du droit que de confondre le fonctionnement d'un système universitaire avec son organigramme explicite ou avec les fonctions proclamées que lui attribuent les textes officiels [192-195], E n Yougoslavie, par exemple, une même disposition institutionnelle, comme la présence dans un organisme de gestion de personnes étrangères au collectif de travail, a pu s'acquitter, selon les époques, d'une fonction de contrôle politique et idéologique ou d'une fonction d'intégration à la communauté sociale [80-81]. Autrement dit, la sociologie des organisations universitaires ne saurait se réduire à la seule connaissance des dispositions législatives qui organisent l'enseignement. La difficulté de la tâche pourrait inciter à restreindre la comparaison à la confrontation d'indices partiels qui, dans quelques cas privilégiés, semblent traduire des aspects aisément identifiables du fonctionnement de l'école. Mais une telle autonomisation reste illusoire. Ainsi, la simple mesure du taux de scolarisation dans l'enseignement secondaire ou le décompte de l'origine sociale de ses élèves ne sont pas susceptibles

AVANT-PROPOS

19

d'une interprétation immédiate : l'enseignement du second degré fait, selon les pays et particulièrement en Yougoslavie et en France, une part très différente à l'enseignement technique, en sorte qu'une étude comparative du privilège culturel au niveau du secondaire devrait rapprocher les lycées français des gymnases yougoslaves. Mais la comparaison entre lycées et gymnases risquerait à son tour d'être trompeuse si on omettait de tirer toutes les conséquences du fait que les écoles techniques et professionnelles fournissent un tiers des étudiants yougoslaves, alors qu'en France le passage par l'enseignement technique interdit pratiquement l'accès aux études supérieures [98]. La prise en compte des statistiques les plus détaillées et de toutes les particularités institutionnelles des organisations scolaires ne suffirait pourt a n t pas à procurer la connaissance du contexte socio-culturel nécessaire à la comparaison ; il f a u t en effet faire intervenir les images sociales et les aspirations qui relèguent, en France, les études techniques au plus bas degré de la hiérarchie des prestiges, tandis que le s t a t u t économique et la reconnaissance sociale accordés en Yougoslavie aux professions de techniciens instituent entre les études techniques et les études traditionnelles une concurrence ambiguë [232-234 ; 236-237], Ces précautions ne s'imposent pas seulement dans la comparaison entre nations opposées par leur système économique. Ainsi, dans le cas de la Grèce, le calcul des chances scolaires propres aux enfants des diverses classes sociales donnerait une idée trompeuse des chances de promotion sociale dans ce pays, par rapport à la France (bien que le calcul soit fait selon une technique identique) si l'on oubliait que, pour des raisons t e n a n t à la fois à la structure des débouchés professionnels et au rôle que jouent les relations familiales pour l'obtention d'un emploi, un niveau donné d'instruction n'implique pas les mêmes chances d'une carrière avantageuse dans les deux pays [112]. L'éducation ne saurait, en effet, être pensée, ainsi que le veut la métaphore courante, comme un « bagage » qui resterait le même quel qu'en soit le porteur et dont l'utilité pourrait être définie indépendamment des conditions sociales de son utilisation. On ne saurait, non plus, la concevoir, sinon par une analogie dont l'application reste limitée, comme un « capital » dont la rentabilité pourrait prêter à un calcul économique aussi rigoureux que dans le cas des investissements productifs proprement dits. C'est ainsi par exemple qu'un même niveau d'instruction n ' a ni la même signification ni les mêmes effets de mobilité sociale selon qu'il est acquis par un homme ou par une femme comme le montrent les attentes masculines et féminines concernant le niveau d'éducation du conjoint, elles-mêmes différentes dans les différentes catégories de la population [137-149]. Ou encore, lorsque l'on parvient à isoler le niveau d'instruction des autres variables, dans une situation quasi expérimentale comme celle que procure l'ana-

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INTRODUCTION

l y s e d ' u n e e x p é r i e n c e d e d i s t r i b u t i o n d e l o t s d e c o l o n i s a t i o n e n Sard a i g n e , o n a p e r ç o i t q u e les effets d ' u n « i n v e s t i s s e m e n t d ' é d u c a t i o n » o b é i s s e n t , e n l ' o c c u r r e n c e , à u n e logique p a r t i c u l i è r e q u i i n t e r d i t d ' e n i n f é r e r m é c a n i q u e m e n t l ' a u g m e n t a t i o n d e la p r o d u c t i v i t é d u t r a v a i l agricole [118-120 ; 129-136]. D e m ê m e , l ' o p p o s i t i o n classique e n t r e le t r a d i t i o n a l i s m e e t la m o d e r n i s a t i o n des a t t i t u d e s liée à la scolaris a t i o n d e v r a i t t o u j o u r s ê t r e diversifiée selon la s i t u a t i o n n a t i o n a l e e t les c a r a c t é r i s t i q u e s des groupes e t des i n s t i t u t i o n s q u i s ' a f f r o n t e n t , c o m m e on le v o i t dès q u ' o n s ' a t t a c h e à d é g a g e r la p h y s i o n o m i e originale d u c o n f l i t : alors q u ' e n Y o u g o s l a v i e les t e n s i o n s q u i s u r g i s s e n t d e c e t t e c o n f r o n t a t i o n s ' e x p r i m e n t d a n s les l i m i t e s d ' u n consensus social, d a n s les p a y s a r a b e s , o ù les v a l e u r s d e la t r a d i t i o n e t celles d e la m o d e r n i t é se s o n t t r o u v é e s mises en r a p p o r t d a n s u n « c o n t a c t d e civilisation », le conflit se t r o u v e s u r d é t e r m i n é , r é e l l e m e n t e t s y m boliquement, d u fait que l'avènement du rationalisme scientifique et t e c h n i q u e a p p a r t i e n t à l ' h i s t o i r e d e la c o n q u ê t e ou de l ' i n f l u e n c e occid e n t a l e s [185-190 ; 196-204 ; 207-210]. O n v o i t q u e , si l ' o n r a p p o r t e le p r o b l è m e de la d é m o c r a t i s a t i o n de la c u l t u r e à ces principes m u l t i p l e s de v a r i a b i l i t é , celui-ci n e s a u r a i t ê t r e t r a i t é in abstracto. U n e a n a l y s e des m é c a n i s m e s c u l t u r e l s q u i cont r i b u e n t à d o n n e r des c h a n c e s inégales de r é u s s i t e scolaire e t d e m o b i l i t é professionnelle a u x e n f a n t s des d i f f é r e n t e s classes sociales d e v r a i t m o n t r e r les d é t e r m i n i s m e s spécifiques p a r lesquels u n e société p a r t i cularise les e f f e t s g é n é r i q u e s d e l a division sociale d u t r a v a i l d a n s son s y s t è m e d ' é d u c a t i o n , d a n s le r a p p o r t de ce s y s t è m e à la c u l t u r e s a v a n t e e t d a n s les r e l a t i o n s q u e les divers g r o u p e s s o c i a u x e n t r e t i e n n e n t a v e c la c u l t u r e scolaire e t les u n s a v e c les a u t r e s . Si la f o n c t i o n de social i s a t i o n p r o p r e à la f a m i l l e e t l ' e m p r e i n t e q u e r e ç o i t c e t t e socialisation d e la classe à l a q u e l l e a p p a r t i e n t le g r o u p e f a m i l i a l , c o m m e la f o n c t i o n d e sélection d e l'école e t la solidarité e n t r e la sélection scolaire e t la p e r p é t u a t i o n d e la s t r a t i f i c a t i o n sociale, o p p o s e n t , en t o u t t y p e de société c o n n u , u n o b s t a c l e à la p a r f a i t e r e d i s t r i b u t i o n des chances sociales à c h a q u e g é n é r a t i o n , o n n e p e u t s ' i n t e r r o g e r r a i s o n n a b l e m e n t sur la d é m o c r a t i s a t i o n de l'école d a n s u n e société d o n n é e e t , à p l u s f o r t e r a i s o n , s u r l ' a v e n i r de ce processus, s a n s r e s t i t u e r les privilèges cult u r e l s a u s y s t è m e c o m p l e t des i n é g a l i t é s sociales e t , e n p a r t i c u l i e r , s a n s r e m o n t e r a u x p r i n c i p e s q u i f o n d e n t les différences, ou les o p p o sitions, e n t r e g r o u p e s s o c i a u x [238-240]. R. J.-C.

C. P.

PIERRE BOURDIEU JEAN-CLAUDE PASSERON

LA COMPARABILITÉ DES SYSTÈMES D'ENSEIGNEMENT

La réflexion, de l'humanisme traditionnel sur l'éducation la plus apte à former des hommes accomplis a cédé le pas, depuis une vingtaine d'années, à une réflexion d'allure plus technique ou, pour employer u n mot à la mode, plus « opérationnelle », sur la place et la rentabilité de l'éducation dans le processus de développement économique Pour définir la signification et la portée réelles de ce changement, il f a u t observer que ce nouveau mode du discours a d'abord été professé par les administrateurs et les économistes, même s'il tend toujours davantage à être repris par les universitaires eux-mêmes ; en outre, si cette problématique apparaît « spontanément » dans les nations les plus industrialisées, elle doit ailleurs d'exister aux exigences du dialogue international. Aussi faut-il la traiter a u t a n t comme u n objet de sociologie que comme le principe d'une interrogation exhaustive portant sur le système d'enseignement. Si, à d'autres époques, on a p u aussi s'interroger sur les services que le système d'enseignement rend à la société globale et, du même coup, sur la part qui lui incombe dans les succès ou les échecs de la politique nationale 2 , c'est une des originalités des interrogations actuelles que de porter, en priorité, sur la contribution que l'université apporte à la croissance de l'économie nationale. Des inquiétudes en apparence tout à fait différentes, comme le souci de procurer au plus grand nombre des chances toujours plus égales d'accéder à l'école et à la culture, s'expriment de plus en plus fréquemment dans le langage de la rationalité économique, prenant, 1. Cette problématique n'est pas nouvelle et l'on trouverait partout en Europe, dès le XIXe siècle des déclarations aussi explicites que celle de Cavour (1850) : « L'éducation professionnelle est l'une des premières nécessités de notre temps. L'excès d'éducation classique est cause d'un défaut d'équilibre moral qui produit les effets les plus nocifs ». Mais de pareilles considérations semblent n'avoir guère influencé, à cette époque, les réformes du système scolaire. 2. On sait, par exemple, quelle place ont tenue, dans « l'examen de conscience » qui a suivi la défaite de 1870, la réflexion sur les insuffisances des universités françaises et les comparaisons avec la science allemande.

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par exemple, la forme d'une dénonciation du « gaspillage » des talents : rationalisation et démocratisation sont-elles aussi automatiquement liées qu'on aime à le croire et la politique scolaire la plus efficace du point de v u e de l'économie est-elle nécessairement la plus équitable ? Ne faut-il pas voir dans l'identification décisoire des exigences de la rationalité économique et des impératifs de la justice scolaire quelque chose comme une « rationalisation », t y p i q u e de sociétés qui, au moins par certains de leurs groupes, tendent à faire de la rationalité économique la mesure de toute rationalité ? Plus généralement, ceux qui enferment la sociologie et l'économie de l'éducation dans une pareille problématique ne se donnent-ils pas pour résolue la question que posent objectivement toutes leurs questions, celle de la comparabilité des systèmes d'enseignement et de leurs produits ?

L A COMPARABILITÉ DÉCISOIRE

Épousant implicitement la philosophie de l'histoire qui f u t celle de l'évolutionnisme sociologique, la pensée technocratique qui prétend faire surgir de la réalité elle-même une représentation univoque des phases et du sens du changement social se donne par là le moyen de hiérarchiser de manière univoque les différentes sociétés selon leur degré de développement. On comprend que pareille démarche exclue la question des conditions et des limites de la comparabilité : réduisant par postulat les différences à des inégalités de développement, elle détient eo ipso l'étalon d'une comparaison universelle. Pareille méthode détruit l ' o b j e t même de la comparaison dans sa signification culturelle et dans sa spécificité sociologique, la comparabilité n ' é t a n t obtenue qu'au prix d'une mutilation des réalités comparées. Ce sont, a v a n t t o u t , les facilités du recueil de l'information et les exigences bureaucratiques de l'homogénéité formelle qui conduisent à retenir de façon privilégiée les organigrammes ou les dispositions juridiques et, surtout, les recensements d'effectifs ou les indicateurs chiffrés, au détriment de l'analyse des valeurs ou de l'observation des pratiques réelles : le projet, circonstanciel, de réunir une documentation comparée sur les systèmes d'éducation des p a y s riverains de la Méditerranée, en v u e du colloque de Madrid, nous a fait voir que les indicateurs de la rationalité du système d'enseignement se prêtaient d ' a u t a n t plus difficilement à une lecture comparative qu'ils exprimaient plus directement les valeurs engagées dans les institutions et les conduites scolaires. Dès que l'on cesse de s'en tenir a u x indicateurs abstraits de la routine bureaucratique (taux d'analphabétisme, t a u x de scolarisation a u x différents degrés de l'enseignement ou t a u x d'encadrement), pour prendre en compte des indicateurs plus spécifiques, comme

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la part faite à l'enseignement technique, le rendement spécifique du système, mesuré à la proportion des diplômés qu'il produit, ou le degré auquel il utilise les ressources intellectuelles virtuellement disponibles dans la population (mesuré à la représentation des sexes et des différentes classes sociales aux différents degrés de l'enseignement), il f a u t redoubler de prudence méthodologique pour éviter de comparer des choses incomparables ou, tâche encore plus difficile, d'omettre de comparer des choses réellement comparables Mais en outre on ne peut utiliser légitimement ces indicateurs de l'efficacité du système scolaire qu'à condition d'avoir clairement conscience qu'ils n'expriment qu'un aspect partiel d'une réalité multiple 2 et qu'ils ne prennent u n sens précis et contrôlé que par référence à une définition explicite de la rationalité formelle du système d'enseignement 3 . La critique technocratique des systèmes d'enseignement concrets se réfère, plus ou moins clairement, au modèle idéal d'un système d'éducation qui répondrait optimalement, en quantité et en qualité, et au moindre coût, à la demande effective d'éducation, c'est-à-dire à un système qui n'aurait pas d'autres fins que celles qu'il tiendrait du système économique. Si un système d'éducation est formellement rationnel lorsque, premièrement, il prépare par un apprentissage spécifique à des tâches spécifiques et spécialisées et, deuxièmement, produit au moindre coût, en utilisant optimalement les ressources disponibles, les types et les degrés de spécialisation dont le système économique sera demandeur à une échéance donnée, on peut déterminer un certain nombre d'indicateurs simples du degré de rationalité d'un système d'éducation, étant entendu qu'une hiérarchisation univoque supposerait l'utilisation congruente d'un faisceau d'indicateurs. Ainsi, l'enseignement le plus rationnel serait celui qui produirait le plus de diplômés hautement spécialisés dans le moins de temps possible, qui utiliserait à cette fin les méthodes et les techniques pédagogiques les 1. On trouvera, en appendice, tableaux 1.1 à 1.4, les séries statistiques correspondant aux indicateurs habituels. 2. On doit rappeler qu'on ne procède pas autrement lorsqu'on compare des systèmes économiques différents. A proprement parler, ils sont incomparables en euxmêmes, puisqu'ils impliquent, dans leur définition complète, des rapports sociaux, des conséquences ou des présupposés politiques difficilement quantifiables. Mais on peut décider de ne mesurer que leur efficacité technique (par exemple, la productivité du travail ou le rythme de croissance qu'ils autorisent), c'est-à-dire de mesurer leur aptitude à atteindre une fin univoque comme la maximisation de la production. 3. On pourrait suggérer d'autres indicateurs de la rationalité formelle du système d'éducation, par exemple la part relative (mesurée au montant des crédits) qui est faite dans l'enseignement supérieur aux disciplines les plus traditionnelles et aux disciplines les plus liées au développement ; ou encore le développement de la recherche ou l'existence d'une « politique de la science » (mesurée non seulement aux investissements ou à leur productivité scientifique mais aussi à la conscience du problème que traduisent, par exemple, l'existence de publications ou de débats sur la recherche appliquée).

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plus adéquates, qui, ignorant les barrières de classe et de sexe puiserait le plus largement possible dans les réserves intellectuelles de la nation et qui, bannissant tous les vestiges de traditionalisme, substituerait à un enseignement « total » destiné à former des hommes « totaux » , conformes aux valeurs dominantes de la société, un enseignement formant à la commande et sur mesure des spécialistes adaptés à des tâches spécifiques, bref, qui serait capable d'organiser le recrutement de son personnel, ses méthodes de transmission du savoir ou ses procédés de sélection par référence à des besoins rationnellement prévus 1 . Même s'ils ne peuvent prendre une valeur numérique qu'au prix d'approximations parfois grossières, les indicateurs de la rationalité formelle du système d'enseignement suggèrent qu'il existe une correspondance globale entre le degré de rationalité de ce système et le degré de développement du système économique. Mais une interprétation complète supposerait la connaissance du système scolaire et de la société globale dans leur totalité : que l'on songe, par exemple, au taux, relativement élevé, de féminisation des effectifs dans les divers degrés de l'enseignement au Portugal ou au rang très différent que peut occuper un pays (l'Espagne ou tel ou tel pays arabe) dans la hiérarchie du développement scolaire suivant qu'on envisage la scolarisation dans le premier, le second degré ou l'enseignement supérieur, ou encore la féminisation des effectifs et l'encadrement qui le caractérisent aux trois degrés de la scolarité 2 . Un indicateur aussi univoque en apparence que le taux de diplômés de chaque niveau dans chaque spécialité ne saurait être interprété dans la logique formelle d'un système d'équivalences juridiques. En effet, le rendement économique et social d'un diplôme déterminé est fonction de sa rareté dans le système social ainsi que de la position et du poids relatif que le système social confère à chaque sous-catégorie de diplômés. Ainsi, dans les pays où le taux d'analphabétisme est très fort, le simple fait de savoir lire et écrire et, a fortiori, la possession d'un diplôme élémentaire suffit à assurer un avantage décisif dans la compétition professionnelle. L'Algérie en constitue, par rapport à la France, un exemple privilégié, en raison même de l'équivalence formelle des systèmes et des diplômes universitaires. « Dans une société où 57 % des individus n'ont aucun

1. On pourrait objecter à cette définition de la rationalité formelle de l'éducation que les demandes du système économique ne sont plus formulées aujourd'hui en termes de spécialisation étroite et que l'accent est mis au contraire sur l'aptitude aux réadaptations professionnelles. Ce n'est là qu'une querelle de mots puisqu'il s'agit au fond d'un nouveau type de spécialité professionnelle, exigible en fonction des transformations du système économique. On reste en effet, malgré cet élargissement de la définition, dans une logique où c'est l'aptitude à produire des capacités professionnellement utilisables qui mesure la rationalité du système d'éducation. 2. Cf. appendice, tableaux 1.5 à 1.10.

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diplôme d'enseignement général et 98 % aucun diplôme d'enseignement technique, la possession d'un C.A.P. ou d'un C.E.P. procure un avantage immense dans la compétition économique ; une différence de niveau infime, celle qui sépare p a r exemple un individu sachant lire d'un autre sachant lire et écrire, différence qui peut tenir à une année de scolarisation supplémentaire, détermine une différence disproportionnée quant aux chances de réussite sociale. Il suit de là diverses conséquences : en premier lieu, les barrières que créent les différences d'instruction sont plus brutalement tranchées qu'en nos sociétés, surt o u t dans le secteur moderne où la progression dans la hiérarchie sociale ne s'opère que par bonds ; en second lieu les individus pourvus d'un diplôme d'enseignement technique en général, et, plus largement, les travailleurs qualifiés et hautement qualifiés, bénéficient d'un privilège incomparable ; ils s'arrachent d'un seul coup à la masse des gens dépourvus de toute qualification et, en l'absence de concurrence, disposent de t o u t un ensemble d'assurances, de sécurités et d'avantages. Les principaux bénéficiaires de cet effet de repoussoir sont évidemment les gens pourvus d'un diplôme qui, en raison de leur petit nombre, n ' o n t pas de peine à accaparer toutes les fonctions 'nobles' et particulièrement les emplois administratifs, le prestige attaché à des fonctions venant redoubler celui que cette société accorde traditionnellement au lettré. Le style de vie et l'existence même de cette sous-intelligentsia de petits bureaucrates, fonctionnaires ou employés, qui adopte les signes extérieurs de l'intellectualisme et qui joue souvent de sa compétence comme d'une technique charismatique, supposent une société abandonnée à l'analphabétisme et peu informée du cursus scolaire et des hiérarchies qui en sont solidaires » On voit par là ce que la comparaison abstraite des « produits » du système d'éducation a de fictif : l'oubli du contexte suffit à rendre égales les choses inégales et inégales les choses égales. De même, parce que les sociétés traditionnelles excluent généralement la femme de la scolarité, parce que l'utilisation de toutes les capacités intellectuelles est requise par le développement et parce que l'entrée des femmes dans les professions masculines est une des principales transformations sociales qui accompagne l'industrialisation, on peut être t e n t é d'utiliser le t a u x de féminisation des universités comme un indicateur global de la rationalité et du développement du système d'éducation. E n réalité, la carrière scolaire que les nations les plus riches offrent aux filles n'est souvent qu'une variante, plus coûteuse et plus luxueuse, de l'éducation traditionnelle : les exemples français et italien montrent qu'un t a u x très élevé d'étudiantes ne doit pas faire illusion ; la p a r t des interruptions d'études et des vocations mal afîir1. Cf. P. B O U R D I E U , Travail et travailleurs en Algérie, Mouton, Paris, La Haye, 1962, p. 272-273.

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mées est beaucoup plus fréquente chez les étudiantes que chez les étudiants et, plus généralement, nombre d'étudiantes trahissent par mille signes qu'elles ne croient pas à leur avenir professionnel. On voit à l'évidence qu'un taux, même faible, de féminisation dans un pays musulman dont la tradition excluait radicalement les études féminines, peut recouvrir un changement culturel plus important qu'un taux beaucoup plus fort dans un pays comme l'Italie, où la scolarité féminine, n'ayant rien de révolutionnaire, peut s'étendre largement sans entraîner une transformation du rôle traditionnel de la femme. De même que les diplômes et les diplômés de sociétés inégalement scolarisées sont incomparables, la possession d'un diplôme a pour une fille un rendement très différent suivant le taux de scolarisation de la population féminine. En Algérie, la possession d'un diplôme fournit à la fois l'assurance d'obtenir un emploi et une incitation très forte à l'occuper : 70 % des filles ayant le C.E.P. ou un diplôme plus élevé occupaient, en 1960, un emploi non manuel, le taux des inactives étant insignifiant 1 . D'autre part, la féminisation des universités n'a pas le même sens suivant l'origine sociale des étudiantes. En France, les chances scolaires sont sensiblement égales pour les garçons et les filles de même origine sociale : est-ce à dire que les modèles traditionnels de la division du travail et de la distribution des « dons » entre les sexes n'agissent plus ? En fait, les filles restent condamnées plus souvent que les garçons à certains types d'études (les lettres principalement) et cela d'autant plus nettement qu'elles sont de plus basse origine 2 . Sans doute, le taux d'étudiantes qui utilisent effectivement les qualifications scolaires dans l'exercice d'une profession serait-il un meilleur indicateur d'une utilisation rationnelle des ressources intellectuelles, mais, pour mesurer adéquatement le rendement social du diplôme détenu par une femme, il faut prendre en compte le fait qu'une profession perd de son prestige à mesure qu'elle se distingue des autres professions par son taux de féminisation : ainsi, en France, la féminisation du corps enseignant des premier et second degrés a altéré l'image du « maître ». Enfin, quand on mesure le rendement du système scolaire au critère en apparence le plus spécifique, à savoir le taux de déchet, défini par la proportion des étudiants qui, dans un flux scolaire, ne parviennent pas à obtenir le diplôme pour lequel ils se sont inscrits, on ne doit pas ignorer que la signification de ce taux dépend du contexte pédagogique et institutionnel en même temps que des fonctions que la société globale confère au système d'enseignement. Il ne suffit pas d'opposer aux taux 1. Ibid., p. 208. 2. Il est probable que dans les pays moins développés, les chances globales d'accès à l'enseignement supérieur elles-mêmes sont différentes pour les garçons et pour les filles, l'écart s'accroissant à mesure que l'on descend dans la hiérarchie sociale. Les observations de J . Lambiri-Dimaki constituent une première vérification de cette hypothèse en ce qui concerne la Grèce, cf. ci-dessous p. 107-109.

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français (40 %) le faible taux de déchet des universités anglaises (14 %) et d'invoquer l'inégale rigueur de la sélection à l'entrée ; bien qu'il ait lui aussi une sélection à l'entrée, le système américain a, comme le système français, mais pour d'autres raisons, un taux de déchet de 40 % , résultante globale du rendement scolaire d'universités inégalement sélectives et fort diversifiées. D'autre part, le diplôme n'est pas à lui seul un critère adéquat de la rentabilité sociale des études : un système très ouvert comme le système français qui ne conduit que 60 % des étudiants au terme des études commencées n'a pas nécessairement un rendement social inférieur à celui d'un système très fermé comme le système anglais qui conduit au terme de leurs études presque tous les étudiants admis, mais exclut radicalement les élèves refusés de cette quasi-scolarité supérieure propre aux systèmes plus accueillants. E n fait, une juste évaluation du rendement des différents systèmes devrait faire intervenir tous les coûts propres à l'un et à l'autre choix. L'effroi devant le taux des étudiants non diplômés exprime surtout, conformément à une idéologie très répandue avant 1939, la peur du « chômage intellectuel » et du « ressentiment » propre aux intellectuels déclassés Or, depuis la guerre, les emplois qui conviennent justement à la catégorie moyenne des demi-diplômés, se sont multipliés, avec l'accroissement du secteur tertiaire, dans les pays industrialisés. Enfin, chose trop rarement remarquée, le taux de déchet mesure au moins autant l'inertie pédagogique d'un système scolaire que son inefficacité. On a pu remarquer, en Angleterre, que le taux d'échec restait constant dans une université même lorsqu'elle relevait le niveau de son examen d'entrée 2 . E t , inversement, on sait bien qu'en France le taux de succès reste à peu près constant dans la plupart des examens en dépit des lamentations unanimes des professeurs sur la « baisse du niveau » des élèves. Tout se passe comme si, dans son attitude de correcteur, le corps enseignant était enclin à valider à ses propres yeux la sûreté de son jugement par la constance de son verdict à travers le temps 3 . Si la preuve par le gaspillage et le déchet fait florès dans la littérature critique que les technocrates consacrent à l'Université traditionnelle, c'est que le recours à la terminologie du « rendement » , du « capital » et de la « productivité » exprime les choix profonds d'une 1. On s a i t la r e s p o n s a b i l i t é q u e S c h u m p e t e r f a i s a i t e n d o s s e r a u d é v e l o p p e m e n t d e la scolarité d a n s l ' a p p a r i t i o n d e s couches intellectuelles c o n t e s t a t r i c e s , cf. Capitalisme, socialisme et démocratie, P a y o t , P a r i s , 1961, p . 254-259. 2. G r e a t B r i t a i n C o m m i t t e e on H i g h e r E d u c a t i o n , Higher éducation. Report of the Committee Appointed by the Prime Minister under the Chairmanship of bord Robbins, 1961-1963, H e r M a j e s t y S t a t i o n a r y Office, L o n d r e s , 1963. 3. On saisit la f o n c t i o n d e r é a s s u r a n c e q u e r e m p l i t p o u r les p r o f e s s e u r s cette const a n c e d u v e r d i c t d a n s les p r o p o s d e fin de délibération où l'on p e u t entendre les m e m b r e s d u j u r y se féliciter d e n ' a v o i r été « ni p l u s sévères, ni p l u s i n d u l g e n t s q u e d'habitude ».

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pensée qui entend réduire le système d'éducation au rôle d'une entreprise de production soumise à des fins exclusivement économiques, sans cesser de se réclamer de l'idéal démocratique. Rien n'empêche alors de mettre les techniques modernes de prévision au service de l'estimation des besoins de formation. Ainsi, M. YermotGauchy se proposant, dans un classique du genre, de formuler une « politique de l'éducation », se donne pour tâche exclusive de « déterminer la nature et l'importance des débouchés susceptibles de s'ouvrir aux générations montantes et aux actifs, c'est-à-dire les besoins de qualification » 1 . Pour ce faire, il passe de proche en proche des perspectives de la production aux effectifs qu'elle supposera dans les divers secteurs, de la prévision des effectifs d'un secteur à ses « besoins de qualification », de ceux-ci aux « besoins de formation » et enfin des « besoins de formation » au niveau et au contenu des qualifications scolairement requises pour y satisfaire 2 . De semblables déductions, formellement irréprochables (compte tenu des approximations et des hypothèses de constance qu'engage toute « projection »), ne sauraient imposer les choix « idéaux » de l'enseignement que si les besoins du système économique en qualifications scolaires définissaient le tout des besoins scolaires de la société. Or les faits démentent cette hypothèse, qui ne doit sa crédibilité qu'à une analogie superficielle : ou bien, en effet, on ne connaît de « besoins » que ceux qu'on juge dignes d'être satisfaits (et on ne peut alors se recommander de l'évidence des simples constats), ou bien, en un sens neutre, on accepte d'appeler « besoins » toutes les demandes d'éducation qui s'expriment effectivement, quelles qu'en puissent être les conséquences ou les coûts sociaux et quoi qu'on en pense. On voit alors que la demande d'éducation se manifeste en deux temps, une première fois à l'entrée du système d'éducation comme demande de places de la part des familles et, dans la réalité, c'est seulement plus tard qu'interviennent les demandes du marché du travail qui sanctionne les diplômés par le chômage ou le sous-emploi, causes de déséquilibres durables pour l'économie nationale. Le premier type de demande, qui se traduit dans l'élargissement du recrutement social de l'enseignement et dans l'allongement de la scolarité, présente des régularités partiellement indépendantes des impératifs de nombre et d'orientation auxquels entend satisfaire la planification scolaire. C'est cette demande, c'est-à-dire la demande sociale d'éducation (fonction de l'élévation du niveau de vie et du changement des attitudes vis-à-vis de l'école dans les diverses couches sociales), que le Rapport Robbins, moins confiant que M. Vermot-Gauchy dans la possibilité de calculer 1. M. VERMOT-GAUCHY, L'éducation nationale dans la France de demain, Futuribles, É d . d u Rocher, Monaco, 1965, p . 75. 2. Ibid., p. 87-102, et présentation complète d u modèle en annexe, p. 291 sq.

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rigoureusement la demande technique du marché de l'emploi (fonction des aléas de la croissance et de novations techniques imprévisibles au-delà du très court terme), prenait pour base de la prévision des effectifs scolaires : « E n principe, il y a deux approches possibles du problème de l'estimation du nombre de places à prévoir ; on peut prendre en compte l'offre des différentes sortes de qualifications supérieures qui sera requise par les besoins de la nation ; mais on peut aussi prendre en compte la demande de places dans l'enseignement supérieur qui sera vraisemblablement formulée. Nous avons conclu que la seconde approche représente la base la plus solide pour une estimation. Nous avons reconnu que la première approche est impraticable. E n effet, alors qu'il est possible, pour certaines professions et sur le court terme, de calculer avec un degré de précision suffisant ce que seront les besoins nationaux d'embauche, nous n'avons pu trouver aucune base sûre pour déterminer la totalité de ces besoins sur le long terme » E n fait, la planification scolaire n'exerce encore qu'une influence très réduite sur les comportements des usagers : c'est l'étude des tendances propres aux divers groupes sociaux qui procure la base de prévision la meilleure lorsqu'on veut savoir, non pas ce que serait la ventilation souhaitable des effectifs scolaires entre les divers ordres et les divers types d'enseignement, mais ce qu'elle sera réellement à une échéance donnée. Si l'on s'était demandé, vers 1950, ce que serait pour la décennie suivante la croissance respective des étudiants en lettres et en sciences, c'est la connaissance du rôle de refuge joué par les facultés des lettres qui eût permis de prévoir que la croissance des effectifs littéraires serait aussi rapide que celle des effectifs scientifiques, à l'encontre de tous les v œ u x et de tous les efforts pour susciter la croissance des effectifs des facultés de sciences qu'appelait l'économie. Condamner comme « irrationnelles » les demandes aveugles des étudiants et de leurs familles qui obéissent à des représentations et des valeurs de classe plus souvent qu'à la supputation rationnelle de l'avenir professionnel, c'est d'abord se priver d'un moyen de les transformer en agissant sur leurs déterminants, et c'est surtout refuser la discussion explicite sur les fins souhaitables de l'éducation en t e n a n t la demande souhaitable pour la seule réelle. C'est, on le voit, le vocabulaire même de la « demande » et des « besoins » qui est ambigu. Ce n'est que par une analogie trompeuse 1. Great Britain Committee on Higher quer en effet, s'agissant d'un système qui, dizaine d'années à fabriquer ses « produits dans le recrutement du personnel, que la faite à long terme pour être efficace.

Education op. cit., p. 42. Il faut remarcomme le système scolaire, met plus d'une », et davantage encore à corriger ses choix prévision rationnelle des besoins doit être

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que l'on p e u t considérer les postes proposés p a r le m a r c h é d u t r a v a i l c o m m e u n e « d e m a n d e » r e n c o n t r a n t u n e « offre » puisqu'il n ' e s t rien ici qui ressemble a u x mécanismes de m a r c h é , en sorte q u e l'offre n e s a u r a i t être que très i n d i r e c t e m e n t pénalisée p a r la d e m a n d e insatisf a i t e . Si la t r a d i t i o n universitaire a p u ignorer aussi l o n g t e m p s et aussi s o u v e r a i n e m e n t les besoins des professions c'est que, en cas de m a u v a i s a j u s t e m e n t des p r o d u i t s scolaires a u x d e m a n d e s de l ' e m p l o y e u r , c'est le p r o d u i t (le diplômé) n o n le p r o d u c t e u r (l'universitaire) qui est pénalisé p a r les difficultés d'emploi ; le p r o d u i t sanctionné n e p e u t réagir a u d o m m a g e et devenir p r o d u c t e u r de décisions plus rationnelles q u ' e n t a n t que r e p r o d u c t e u r (susceptible de devenir u n j o u r p a r e n t d'élève), échéance f o r t lointaine, on en conviendra. Ce n e sont pas seulement les accumulations de chiffres d é c o n t e x t u a lisés mais aussi des i n f o r m a t i o n s en a p p a r e n c e plus spécifiques, c o m m e telle analyse des p r o g r a m m e s scolaires ou des conditions de la scolarité, qui e x t é n u e n t la réalité décrite en la r é d u i s a n t à l'aspect b u r e a u c r a t i q u e i m m é d i a t e m e n t saisissable p a r l ' e n q u ê t e b u r e a u c r a t i q u e . U n e é t u d e d u contrôle des universités p a r l ' É t a t , de la décentralisation universitaire, ou d u r e c r u t e m e n t des a d m i n i s t r a t e u r s et des professeurs, qui s ' a p p u i e r a i t seulement sur les t e x t e s réglementaires, serait aussi t r o m p e u s e q u ' u n e é t u d e des c o m p o r t e m e n t s religieux qui v o u d r a i t inférer des t e x t e s canoniques la p r a t i q u e réelle des c r o y a n t s . Bien qu'elle soit définie p a r des t e x t e s qui p r é s e n t e n t souvent des ressemblances formelles, la liberté universitaire n ' a ni la m ê m e é t e n d u e n i les m ê m e s exigences selon la n a t u r e des r a p p o r t s que le système scolaire e n t r e t i e n t avec le pouvoir politique ou avec des églises const i t u é e s . E n F r a n c e , la n o m i n a t i o n d u professeur de f a c u l t é d é p e n d t h é o r i q u e m e n t d u ministère, mais, d u f a i t qu'elle est a u t o m a t i q u e m e n t acquise a u c a n d i d a t proposé p a r le conseil de faculté, le r e c r u t e m e n t repose sur la c o o p t a t i o n , avec v é r i t a b l e c a m p a g n e électorale auprès des collègues. I n v e r s e m e n t , en d ' a u t r e s p a y s , n o m b r e d'élections n e sont q u e procédures formelles e n t é r i n a n t des choix d é j à i n t e r v e n u s . E n Italie, le r e c r u t e m e n t s'opère officiellement p a r concours, mais ce procédé cache à peine le j e u des cliques et cíes influences à l'intérieur e t hors de l'université 1 . Rien n'illustrerait m i e u x la distance (variable selon les pays) e n t r e les t e x t e s et la p r a t i q u e réelle que l'obligation de faire des cours. E n F r a n c e , où a u c u n t e x t e n'oblige le professeur d ' u n i v e r s i t é à enseigner (puisqu'il n ' e s t c o n t r a i n t , j u r i d i q u e m e n t , q u ' à la collation des grades) l'absentéisme est s t a t i s t i q u e m e n t r a r e 2 . E n Italie a u contraire, où des t e x t e s précis r é g l e m e n t e n t l ' a c t i v i t é d u 1. Cf. G. BABILLA, Un futuro par Vuniversita italiana, Ed. Laterza, Bari, 1961, et A. SENSINI, Il professore Vuniversita, Vallechi, Florence, 1963. 2. E n Espagne, non plus, les textes juridiques n'obligent pas explicitement un « catedrático » à faire ses cours.

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professeur « incaricato », l'obligeant explicitement à enseigner hebdomadairement au moins trois heures et à répartir son enseignement sur trois jours (article 6 de la loi du 18 mars 1958), l'absentéisme partiel ou total est pratiqué par un nombre non négligeable de professeurs titulaires 1 . Plus généralement, les règles auxquelles obéissent les conduites les plus spécifiques de l'universitaire, qu'il s'agisse de la façon de construire et de dire un cours ou des critères de jugement employés dans les examens, peuvent rester la plupart du temps implicites, parce qu'elles sont les normes profondément intériorisées d'une formation (ou d'une déformation) professionnelle. Ainsi, les exigences de la comparabilité décisoire conduisent à privilégier et à abstraire de leur contexte les éléments susceptibles de mesure. Rien n'interdit évidemment de rapporter l'état d'un système scolaire à une exigence unique et de mesurer la réalité concrète au modèle idéal d'un système d'éducation défini de manière univoque par son aptitude à répondre aux demandes de développement économique. Mais il f a u t se garder d'oublier les limites de cette abstraction et l'unification du vocabulaire ne doit pas faire illusion : la préoccupation de la demande économique n'obtient pas de toutes les sociétés la même place dans la hiérarchie des valeurs ; le développement de la richesse et, a fortiori, la pleine utilisation des ressources intellectuelles de la nation n'ont pas nécessairement le même sens pour des élites nationales issues de systèmes d'éducation différents. Produit du système d'enseignement, les classes cultivées ne peuvent porter sur lui des jugements affranchis des valeurs qu'il leur a inculquées. L'interrogation « rationnelle » sur l'éducation cache d ' a u t a n t mieux son ethnocentrisme qu'elle est portée, dans tous les pays, par certains groupes sociaux (hauts fonctionnaires, chercheurs en sciences sociales, économistes) dont on oublie qu'ils entretiennent des rapports très différents selon les pays et selon les régimes politiques avec les différents groupes sociaux intéressés au fonctionnement de l'enseignement. Or une même problématique n'a pas le même sens suivant qu'elle est par exemple le produit de la situation nationale ou un produit d'importation, selon qu'elle est vécue comme fondamentale et urgente par une plus ou moins grande partie de la société globale ou qu'elle n'est qu'un thème pour congrès internationaux ou pour rapports officiels. Plus profondément, c'est la fonction spécifiquement impartie à l'école en toute société qui interdit d'y voir une unité de production 1. Cf. A. SENSINI, op. cit., G. BABILLA, op. cit. Ce problème est souvent discuté et donne lieu à des projets de réforme prévoyant l'institutionalisation du travail à mi-temps des professeurs avec traitement réduit, l'interdiction de l'absentéisme sous quelque prétexte que ce soit (travail parlementaire, fonctions ministérielles, activité extra-universitaire) et l'élévation du traitement des enseignants à plein temps.

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comme une autre. E n effet, le système d'éducation est sans doute celui dont les techniques de « production » et les « produits » se laissent le plus difficilement dissocier des valeurs singulières, liées à une société et à une culture particulières, puisqu'il est l'instrument de leur perpétuation. Les valeurs, et par voie de conséquence, les choix pédagogiques qui orientent un système d'éducation sont directement liés à sa « productivité » apparente. E n Angleterre, le taux de scolarisation de la classe d'âge 20-24 ans (3,9 % ) était, en 1956-1957, le même que celui de l'Italie, et inférieur à celui de la Yougoslavie (4,1 % ) . É t a n t donné la sévérité de la sélection à l'entrée des universités anglaises et le faible taux d'abandon ou d'échec, personne ne tient pourtant la proportion des étudiants anglais pour un indice de sous-développement scolaire. Autant les produits économiques se laissent facilement comparer, et par là les systèmes économiques eux-mêmes (au moins sous l'angle de leur degré de développement, c'est-à-dire du revenu moyen ou de la productivité qu'ils assurent), autant la comparaison, qui suppose l'équivalence des « produits » de l'éducation pose, en chaque cas, un problème spécifique. Si les produits économiques s'échangent, par définition, les équivalences de diplômes, même entre pays proches par leurs traditions culturelles ou leurs institutions universitaires, donnent lieu à débats puisque, en l'absence de tout étalon commun, ils supposent une réglementation qui n'existe encore qu'à l'état fragmentaire 1 . Petit exemple où apparaît clairement combien le produit d'enseignement, même sous sa forme la plus objective, le « diplômé », est difficilement dissociable du système d'enseignement et de ses particularités. La spécificité du système scolaire se retrouve dans la spécificité de ses produits parce que tout le système de valeurs explicites ou implicites de la société globale se trouve engagé dans l'éducation, alors que la spécificité du système socialiste ou capitaliste ne se retrouve pas dans l'acier socialiste ou capitaliste, ces produits étant par définition commensurables comme valeurs économiques. De plus, en raison de sa fonction de conservation culturelle et de sa tendance corrélative au conservatisme, le système scolaire tient plus que tout autre et de façon plus intime à son propre passé et au passé de la culture nationale. Par exemple, la diversité culturelle des pays riverains de la Méditer1. Sans doute le sentiment de l'incomparabilité des diplômes et des diplômés ainsi que du système d'enseignement qui les produit ou les décerne a-t-il contribué à entraver l'élaboration d'une juridiction internationale des équivalences. Même entre des pays aussi liés par des échanges et des accords de toutes sortes que les nations de la petite Europe, la conciliation n'a pas été sans mal. La reconnaissance des diplômes à l'intérieur du Marché Commun a été expressément stipulée dans une convention du 11 décembre 1953 et étendue dans une convention négociée avec d'autres pays non-membres (15 décembre 1956). Mais ces dispositions sont restées longtemps sans effet.

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ranée n'apparaît jamais aussi bien que dans leur système d'enseignement et plus particulièrement dans les traditions que chacun d'eux a héritées de l'histoire politique et religieuse de la nation : persistance de formes universitaires héritées de la chrétienté ou de l'Islam (Espagne, Pays de l'Afrique du Nord, Portugal) ; ruptures et dualismes provoqués par la colonisation (Maghreb et Égypte) ; traces ou vestiges d'efforts d'organisation passés (rôle du modèle allemand en Turquie 1 ou de la réorganisation « napoléonienne » de l'université italienne par l'extension à toute la péninsule du système piémontais), a u t a n t de situations diverses renvoyant à une histoire qu'elles perpétuent et supposent t o u t entière. Durkheim a montré, dans L'évolution pédagogique en France, que la plupart des caractéristiques de l'université française ne peuvent se comprendre qu'à la lumière de l'histoire la plus lointaine de l'institution. Ainsi, le prestige qui, en France, s'attache aux œuvres les plus théoriques et les plus abstraites (souvent bien au-delà des cercles proprement universitaires) est un héritage du passé universitaire le plus traditionnel : l'institution archaïque et, très précisément, médiévale de la thèse de doctorat, œuvre de toute une vie, contribue à constituer ou à entretenir ce modèle de jugement. L'organisation scolaire italienne ne doit-elle pas son uniformité, au moins aussi marquée que celle de l'université française, au fait que seule la tutelle de l ' É t a t semblait capable de remplacer la tutelle ecclésiastique à laquelle la vie universitaire était soumise depuis longtemps ? 2 Le triomphe d'un mouvement politique « libéral » n'entretient donc pas des rapports simples avec la liberté et l'autonomie universitaires. Les conséquences scolaires du « socialisme » ne sont pas davantage dissociables de l'histoire nationale puisque le gouvernement algérien, héritant d'une école laïque, a rendu obligatoire l'enseignement religieux dans les établissements primaires et secondaires. Faudrait-il, à la limite, conclure que la comparaison entre les systèmes d'éducation et, a fortiori, entre tel ou tel trait de ces systèmes est t o u t aussi arbitraire que la comparaison entre des cultures originales ? Si certains économistes tendent à ignorer les particularités nationales des systèmes d'éducation, faut-il, avec certains anthropologues, emportés par l'intérêt idiographique pour les particularités nationales, aller jusqu'à réduire la spécificité du système d'enseignement à la seule spécificité de la culture nationale ? 1. Sur le rôle des universitaires allemands en Turquie après 1933, cf. F. WEIKER, « Academic Freedom and Problems of Higher Education in Turkey », Middle East Journal, 16 (3), été 1962. 2. Le système propre au royaume de Sardaigne, organisé par la loi Boncompagni de 1848 et caractérisé par le contrôle étatique des études, a été étendu, entre 1859 et 1870, sans se heurter à des velléités d'autonomie universitaire, à toute l'Italie unifiée (à partir de la loi Casati de 1855). 3

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L A RÉSIGNATION A

INTRODUCTION

L'INCOMPARABILITÉ

E n i g n o r a n t la spécificité et l ' a u t o n o m i e relative d u système d'éducation, la l i t t é r a t u r e d'inspiration culturaliste se c o n d a m n e à u n e double réduction puisqu'elle doit r e t r o u v e r les valeurs d ' u n e culture d a n s le système d ' é d u c a t i o n e t , c o n t r a d i c t o i r e m e n t , reconnaître u n effet de l'action é d u c a t i v e dans les t r a i t s les plus caractéristiques et les plus divers de la culture : ainsi, J . R . P i t t s t i e n t « la c o m m u n a u t é d é l i n q u a n t e », c'est-à-dire « le groupe des c a m a r a d e s à l'école », pour le « p r o t o t y p e des groupes de solidarité qui existent en F r a n c e a u delà d u n o y a u familial et de la grande famille » e t r e t r o u v e p a r exemple « l'agressivité à l'égard des p a r e n t s et des professeurs » d a n s la « consp i r a t i o n d u silence à l'égard des autorités supérieures » 1 . Mais il p e u t aussi bien voir dans le r a p p o r t pédagogique u n p u r reflet de « t h è m e s culturels » de la F r a n c e éternelle : « D a n s ses r a p p o r t s avec le professeur, l ' e n f a n t est mis en présence d ' u n e des i n c a r n a t i o n s les plus t y p i q u e s des valeurs doctrinaires-hiérarchiques françaises » 2 . A l'école comme d a n s la famille, d a n s les organisations complexes comme d a n s la comm u n a u t é scientifique, r é a p p a r a î t r a i t , telle « u n e c o n s t a n t e caractérist i q u e de la société française » ou d u « système culturel français », u n e relation sociale c o m m u n é m e n t caractérisée p a r u n lot de mots-clés, a u t o r i t a r i s m e , dogmatisme, a b s t r a c t i o n . L a p a r e n t é e n t r e c e t t e thém a t i q u e et celle d u discours le plus c o m m u n sur le français c o m m u n inclinerait p a r soi à d o u t e r de la valeur scientifique de la p l u p a r t de ces descriptions, si l ' i n t e n t i o n m ê m e d ' a p p l i q u e r à u n e société stratifiée les concepts et les m é t h o d e s de la t r a d i t i o n culturaliste n ' i m p l i q u a i t l'oubli des limites méthodologiques d a n s lesquelles c e t t e m é t h o d e conserve sa validité. P e u t - ê t r e cet usage littéraire de l'intuitionnisme culturaliste qui r e m e t a u goût d u j o u r la t r a d i t i o n des essayistes d u caractère n a t i o n a l 3 , n e fait-il que révéler o u v e r t e m e n t la propension à éluder t o u t e s les diversités e t t o u t e s les complexités q u i se m a r q u a i t d é j à dans certaines descriptions des sociétés archaïques proposées p a r l'école configurationniste. La p r é t e n t i o n à se placer d'emblée a u principe m ê m e d u système culturel en i g n o r a n t l ' a n a l y s e préalable des systèmes intermédiaires e t de leur logique spécifique ( p r é t e n t i o n que t r a h i s s a i t p a r exemple telle typologie a b r u p t e et décisoire de R u t h 1. J. R. PITTS, « Continuité et changement au sein de la France bourgeoise », A la recherche de la France, Ed. d u Seuil, Paris, 1963. 2. Ibid., p. 288. 3. N o n sans l'avouer : « L'importance des valeurs dans une étude de ce genre est depuis longtemps reconnue ; elle a été esquissée par des voyageurs et des essayistes aussi expérimentés que Curtius, que Sieburg et que Keyserling. Us parlent surtout d'une personnalité française, d'un caractère français (...) Notre point de vue doit sans doute beaucoup à leurs intuitions ». Ibid., p. 267-268.

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Benedict) n'est jamais aussi insoutenable que lorsqu'elle conduit à ignorer, dans le cas d'une société stratifiée, la multiplicité des systèmes et la diversité des attitudes des différentes classes à l'égard de ces systèmes 1 . Si 1' « anthropologie culturelle » retrouve si naturellement la démarche la plus caractéristique de l'analyse littéraire en sa forme la plus traditionnelle, à savoir l'analyse thématique, c'est que, ignorant les contextes particuliers dont les traits culturels tiennent leur sens, elle ne peut y voir que des « thèmes » interchangeables parce qu'abstraits des totalités concrètes qui les rendent insubstituables. Dès lors, la description de la culture française peut prendre les allures d'un circuit touristique qui, par des itinéraires divers, ramène toujours aux mêmes lieux consacrés : voyant dans le culte de la prouesse un des thèmes directeurs de la culture française, Pitts peut ainsi se donner l'illusion d'explorer en ethnologue les routes les plus secrètes de la France inconnue, sans jamais s'éloigner de l'itinéraire spécialement aménagé à l'usage d'un visiteur conforme. « L a prouesse, donc, peut exister à tous les niveaux sociaux. L a création d'une pièce de bijouterie par un artisan parisien, la soigneuse distillation d'une liqueur par le paysan, le stoïcisme du civil face aux tortures de la Gestapo, l'affable galanterie de Marcel Proust dans le salon de Madame de Guermantes, sont tous des exemples de prouesse dans la France moderne. » 2 Si pareille recherche des « thèmes » communs ne peut rencontrer que des lieux communs, c'est que la recherche précipitée et prévenue des ressemblances interdit de ressaisir la logique des variations qui dissimulent et expriment les affinités structurales. La stérilité de cet usage de la notion de culture entendue comme plus petit commun dénominateur n'a pas échappé à Merton : « E n dépit de l'intérêt suivi qu'elle a porté à la notion de 'culture' Horney n'analyse pas les différences dans les effets que cette culture a sur le fermier, l'ouvrier et l'homme d'affaires, sur les individus des classes inférieures, moyennes et supérieures, etc. Par suite, le rôle des 'contradictions culturelles' n'est pas saisi dans ses effets différentiels sur des groupes différemment 1. A i n s i , les s p é c i a l i s t e s j a p o n a i s q u i o n t c r i t i q u é l ' o u v r a g e d e R . BENEDICT, The Chrysanthemum and the Sword, s'en sont pris p r i n c i p a l e m e n t a u x facilités et a u x a p p r o x i m a t i o n s qu'autorise pareil u s a g e de l'approche « holistique » : qui est, d e m a n d e n t - i l s , ce j a p o n a i s d é s i g n é t a n t ô t c o m m e « p r o v e r b i a l m a n in t h e s t r e e t » et a i l l e u r s c o m m e « e v e r y o n e » o u « a n y b o d y » ? M i n a m i r e m a r q u e q u e « m o s t o f h e r p a t t e r n s a p p l y t o t h e m i l i t a r y a n d t h e f a s c i s t c l i q u e s d u r i n g t h e l a s t w a r » et W a t s u y i considère que « her p a t t e r n s are not assignable to any concrete group in t h e n a t i o n a l s o c i e t y . . . » L a p l u p a r t d e s c o m m e n t a t e u r s s e d e m a n d e n t c o m m e n t ces g é n é r a l i t é s d e r n i è r e s ( h i g h level g e n e r a l i s a t i o n s ) a a r e r e l a t e d t o t h e v e r y e v i d e n t h e t e r o g e n e i t y o f j a p a n e s e s o c i e t y » . J . W . BENNETT a n d M . NAGAI, « T h e J a p a n e s e Critique of the Methodology of Benedict's C h r y s a n t h e m u m and the Sword », American Anthropologist, vol. 55, 1953, p. 405-410. 2. J .

R.

P I T T S , op.

cit.,

p.

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INTRODUCTION

situés. La Culture devient une sorte de couverture qui recouvre également tous les membres de la société... » 1 Pour rompre avec cette ethnologie touristique, qui ne doit son crédit et sa crédibilité qu'au sentiment de fausse reconnaissance qu'elle inspire, il faut s'attacher à ressaisir la logique spécifique du système d'éducation et à examiner les rapports qu'il entretient avec les autres systèmes et que les différents groupes d'utilisateurs entretiennent avec lui, repoussant jusqu'au terme de l'analyse ce que l'intuitionnisme met au commencement, à savoir la question de l'affinité entre les valeurs du système d'éducation et les valeurs ultimes de la société globale. Un système d'éducation doit en effet sa structure singulière autant aux exigences qui définissent ses fonctions spécifiques qu'aux traditions nationales ou aux situations historiques et sociales dans lesquelles ces exigences sont remplies. Ainsi on n'a rien expliqué lorsqu'on a réduit l'idéologie du don qui se rencontre si souvent en France, tant chez les étudiants que chez les professeurs, à une variante parmi d'autres du culte aristocratique de la prouesse où Pitts voit un des modèles profonds de la culture française. En effet, ce qui peut apparaître comme une des singularités les plus marquées du système d'éducation français livre plus complètement sa signification, à la fois universelle et singulière, lorsqu'on y voit une des réponses possibles aux exigences fonctionnelles d'une situation d'enseignement et la réponse objectivement exigée par la logique d'un système « traditionnel-charismatique » 2 . Faute de replacer ce trait dans le réseau de relations qui lui donnent 1. R . K . MERTON, Social Theory and Social Structure, New Y o r k , The Free Press of Glencoe, 6 t h éd., 1962, p. 140, n. 12. 2. Seule u n e pareille approche p e r m e t de comprendre que, d a n s des traditions nationales t o u t à f a i t différentes, et même d a n s les systèmes d ' é d u c a t i o n des p a y s anglosaxons, puissent se rencontrer des tendances « traditionnelles-charismatiques » qui o n t la m ê m e « valeur », a u sens des linguistes, même si, insérées dans des s t r u c t u r e s différentes, elles s'expriment p a r des signes différents. Il f a u t croire que la situation d'enseignement enferme la t e n t a t i o n de l'effet charismatique puisque l'on p e u t retrouver sous la p l u m e d ' u n professeur de Columbia des « p r o p o s sur l'éducation » q u e n ' a u r a i t p a s désavoués Alain p a r l a n t de son m a î t r e L a g n e a u : « Teaching is n o t a process, it is a developing emotional situation. I t t a k e s two to teach, a n d f r o m all we k n o w of great teachers t h e spur f r o m t h e class to t h e teacher is as needful a n element as t h e knowledge it elicits. I n its m o s t desirable p r o d u c t of t h e advanced phase, even t h e forbidden f a u l t of t h i n k i n g aloud becomes t h e m o s t desirable p r o d u c t of t h e occasion, William J a m e s used to be so s t i m u l a t e d t o original t h o u g h t in class t h a t his m i n d would race ahead of t h e subject, he would h a v e t o i n t e r r u p t himself and ask t h e group ' w h a t was I speaking a b o u t ?' Here t h e v e r y disconnection a n d b r e a k of f o r m becomes t h e highest virtue, leaving more correctness a n d continuity for behind ». J . BABZUN, Teacher in America, Boston, 1944. D e m ê m e , l'inclination à la docilité se rencontre à des degrés divers chez les enseignés de tous les systèmes pédagogiques. D a n s u n article intitulé « Docility of Giving Teacher w h a t she W a n t s » (The Journal of Social Issues, vol. X X V , n° 2, 1955, p. 67-77), J . HENRY décrit « les processus p a r lesquels les e n f a n t s des classes moyennes urbaines acquièrent dans les écoles élémentaires l ' h a b i t u d e de d o n n e r à leurs maîtres les réponses que ceux-ci ' a t t e n d e n t ' , et aussi les mécanismes p a r lesquels les enseignants et les enseignés en arrivent à se 'pseudoc o m p r e n d r e ' (pseudo-understand) d a n s la situation scolaire. »

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son sens singulier, à savoir l'ensemble de caractéristiques institutionnelles qui définissent et déterminent l'acte pédagogique dans l'enseignement français, on se condamne à recourir à l'échappatoire la plus inévitable de l'évolutionnisme, à savoir la théorie des survivances. E t faute de se demander pourquoi la survivance survit, on ne peut apercevoir la relation fonctionnelle entre l'idéologie charismatique du don ou de la virtuosité et l'ensemble de traits que le système d'éducation français doit à sa fonction sociale de légitimation culturelle. Enfin, faute d'analyser comment varie la signification de cette idéologie selon les positions fonctionnelles des divers groupes d'agents (professeurs ou étudiants, maîtres de l'enseignement supérieur ou professeurs de l'enseignement secondaire, étudiants en lettres ou en sciences) et selon le rapport que les divers agents entretiennent avec leur position et les valeurs associées à cette position en fonction de leur appartenance ou de leur origine sociale, on se condamne à expliquer une abstraction « sociologique » par une abstraction « historique », à rattacher le culte professoral de la prouesse verbale au culte national de la prouesse artistique ou guerrière, non sans suggérer que l'ontogenèse peut rendre raison de la phylogénèse, la biographie de l'histoire. « Des expressions comme 'Fais ce que dois, advienne que pourra', ou 'Tout est perdu, fors l'honneur' illustrent bien cette éthique de la prouesse. Si l'on remonte aux sources, on réalisait une prouesse lorsqu'on accomplissait un acte remarquable de vaillance, par une décision spontanée et imprévue, t o u t en obéissant dans son action à des principes clairs et connus de longue date. A Roncevaux, Roland, porté par sa foi dans les principes de la chevalerie, sut saisir l'occasion de transformer des circonstances contraires en un jour de triomphe de l'esprit. » 1 Au lieu de s'acharner à expliquer les valeurs implicites des manuels d'histoire de l'école primaire par une histoire d'école primaire, il vaudrait mieux relire Durkheim, qui dans L'évolution pédagogique en France, essayait de ressaisir le jeu des constances structurales à travers l'histoire spécifique du système d'éducation français. On est alors conduit à douter que l'analyse du système d'éducation français que propose M. Crozier améliore beaucoup, malgré la référence au modèle bureaucratique, les descriptions en survol auxquelles procédaient les anthropologues américains 2 . Bien qu'elle se refuse à l'abstraction « culturaliste », cette analyse du système d'éducation ne particularise finalement cette abstraction que par une autre abstraction, à savoir la bureaucratie ou la bureaucratisation qui, en sa forme française, n'est à son t o u r spécifiée que par des références, souvent explicites, aux abstractions « culturalistes ». Mais la rencontre de deux abstractions ne saurait reconstituer qu'en apparence une réalité sociale 1. J .

2. M.

R . P I T T S , op. C R O Z I E R , Le

cit.,

p.

273.

phénomène

bureaucratique, Éd. du Seuil, Paria, 1963.

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INTRODUCTION

concrète : lorsqu'on se donne, dès le principe, que le « système d'éducation d'une société reflète le système social de cette société et constitue, en même temps, le moyen essentiel grâce auquel ce système se perpétue » on a exclu, par hypothèse, la possibilité de jamais ressaisir la logique originale qu'un système d'éducation tient de ses fonctions et de sa structure spécifiques. Ainsi, rencontrerait-on des traits saillants du comportement professoral et du fonctionnement de l'institution, comme la ritualisation, la « routinisation », ou la rigidité, on ne peut plus discerner, ni même songer à examiner, ce qui tient à la logique interne du système français caractérisé dans sa particularité par un mixte de valeurs traditionnelles et charismatiques, et ce qui tient à la tendance bureaucratique, soit dans sa généralité, soit en sa forme française : « De fait, le système d'éducation français peut être facilement qualifié de bureaucratique. Il l'est d'abord dans son aspect plus proprement organisationnel où l'impersonnalité et la centralisation sont poussées à leur maximum. Il l'est en second lieu dans sa pédagogie et dans l'acte même d'enseignement caractérisés par l'existence d'un fossé entre le maître et l'élève qui reproduit la séparation en strates du système bureaucratique. Il l'est encore dans son contenu trop abstrait, sans contact avec les problèmes de la vie pratique et de la vie personnelle de l'élève. Il l'est enfin dans l'importance qu'il donne au problème de la sélection d'une petite élite et de son assimilation aux couches sociales supérieures au détriment de la formation même de l'ensemble des étudiants » 2 . On voit ici à l'évidence que nombre des traits imputés décisoirement à la logique bureaucratique relèvent d'abord des tendances propres à t o u t système d'éducation institutionalisé, même peu ou pas bureaucratisé, comme en témoigneraient les écoles rhétoriques ou philosophiques de l'Antiquité qui, bien que simples entreprises artisanales, ont continûment « routinisé » et dogmatisé les contenus qu'elles transmettaient, t o u t en dispensant la formation qui consacrait l'appartenance aux couches sociales privilégiées. Pourquoi la « prouesse » du cours magistral, visant à tenir l'élève à distance respectueuse du maître, se comprendrait-elle mieux à partir de « l'existence d'un fossé entre le maître et l'élève qui reproduit la séparation en strates du système bureaucratique » que par référence aux fonctions spécifiquement pédagogiques de la « virtuosité » magistrale, si l'on songe par exemple à Vépideixis des sophistes, produit d'une pratique qui ne devait rien à l'organisation bureaucratique, ou aux techniques de déconcertement qu'utilisaient systématiquement les maîtres du Zen pour éprouver leurs disciples ? E n fait, on ne peut retrouver aussi facilement la logique bureaucra1. Ibîd., p. 309. 2. Loc. cit.

LA

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tique dans les systèmes les plus spécifique.; et multiplier les passages analogiques d'une institution à l'autre q u ' a u prix d'une mutilation et d'une simplification abusives de l'analyse fonctionnelle, c'est-à-dire en oubliant qu'un système doit à sa structure particulière sa manière particulière de s'acquitter de ses fonctions particulières, pour ne retenir d'une institution que sa fonction générique de « contrôle social » , résidu commun de toutes les fonctions spécifiques : « Nous devrions donc, si nos hypothèses sont exactes, retrouver dans le système d'éducation français les éléments caractéristiques cru système bureaucratique, puisque ces éléments s'organisent autour du problème de contrôle social et ne peuvent d'ailleurs subsister que s'ils sont transmis et renforcés par l'éducation » 1 . É t a n t donné que la tendance à la bureaucratisation caractérise génériquement et tendanciellement toutes les sociétés industrielles, toute réduction d'un système appartenant à une société de ce t y p e au schème bureaucratique présente inévitablement une apparence de vérité. Mais Weber qui est à l'origine de ce principe de description se gardait d'oublier dans ses analyses concrètes de la religion, de l'éducation ou du droit, que le processus de rationalisation qui est susceptible de s'exercer dans tous les systèmes — même ceux qui fonctionnent au service des fins les plus traditionnelles — s'exprime dans chaque cas selon une logique originale que seule l'analyse spécifique de la structure et des fonctions du système en question peut ressaisir. De plus, pareille régularité tendancielle n'était pas donnée par Weber comme explication mais comme loi de description de phénomènes dont la cause réside ailleurs et peut être différente en chaque cas. Ainsi, f a u t e d'admettre qu'un système particulier est défini par une forme et un degré particuliers d'autonomie structurale et fonctionnelle, on ne peut plus faire le départ entre ce qui renvoie à sa logique propre et les affinités structurales par où il se rattache à d'autres systèmes ou à la société globale. P a r suite toute description et toutes explications sont nécessairement mutilées et mutilantes, puisqu'elles ne peuvent saisir l'objet que par une opération qui le réduit à sa dimension générique : « Ce système d'organisation, écrit encore Crozier, protège très bien ses membres. Les enseignants français ont été les premiers à obtenir des garanties de s t a t u t qui les mettent à l'abri de tout arbitraire. S'ils doivent suivre des programmes généralement encore assez stricts, ils ont acquis par ailleurs la plus parfaite indépendance personnelle » 2 . C'est, on le voit, accorder une signification semblable à deux phénomènes fort différents, premièrement l'autonomie de statut que les professeurs ont revendiquée et obtenue en tant que fonctionnaires d'une organisation, et deuxièmement, l'autonomie profession1. Ibid., p. 310. 2. Ibid., p. 311.

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nelle qu'ils ont héritée des formes les plus traditionnelles de l'institution pédagogique : l'indépendance à l'égard du programme ou de toute définition extérieure de leur tâche ne peut se comprendre qu'à partir du type de rapport qu'ils entretiennent avec leur fonction spécifique de « maîtres », c'est-à-dire à partir de la tendance à l'autonomisation par rapport à la société globale ou aux systèmes concurrents qui caractérise tout système d'éducation, bureaucratisé ou non. Ainsi, en décrivant et en dénonçant « le manque de liens entre l'école d'un côté et le public [qui] a rendu possible à celle-ci de maintenir ses modèles de comportement bureaucratique » M. Crozier peut, à la fois, dénoncer sans cesse et méconnaître toujours dans son sens véritable la tendance proprement universitaire à l'autonomie, puisqu'il se refuse à y apercevoir la modalité particulière et irréductible qu'a revêtue, dans une histoire singulière, le processus de rationalisation et d'institutionalisation. Ce processus s'est exprimé d'une manière tout aussi originale dans les organisations industrielles ou administratives par la délimitation de la compétence, ou dans la plupart des systèmes religieux, entre autres choses, par l'élaboration de théodicées de plus en plus formalisées, ou même dans des systèmes magiques par l'élaboration de « corpus classificatoires » et par la routinisation des enseignements initiatiques. Bref, en réintroduisant la théorie du « reflet », et en l'aggravant même d'une théorie implicite des reflets mutuels, on s'interdit de ressaisir la signification spécifique que les comportements doivent à la logique spécifique des systèmes où ils apparaissent.

DE

LA SPÉCIFICITÉ

A LA S P É C I F I C A T I O N

DU

SYSTÈME

DES

FONCTIONS

En refusant le dilemme du comparatisme abstrait et de l'idiographie intuitionniste, on est conduit à définir, en les redoublant, les exigences de la comparabilité, sans pour autant rendre impossible la comparaison, pourvu que l'on prenne en compte simultanément la spécificité que le système d'enseignement tient de son appartenance à une société donnée, porteuse d'une culture originale, et la spécificité de l'institution d'enseignement parmi les autres sous-systèmes qui composent le système social. On voit immédiatement que, si le système d'enseignement doit certaines de ses propriétés de structure et de fonctionnement aux fonctions qui lui incombent dans toutes les sociétés où la transmission de la culture se trouve confiée à une institution universitaire, c'est par l'analyse des fonctions de ce système et par l'examen du poids relatif de chacune d'entre elles que doit, semble-t-il, commencer toute comparaison. I. Ibid., p. 310.

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Il n'est pas inutile de mettre en garde au préalable contre l'usage indifférencié du concept de fonction : il f a u t au moins distinguer entre des interrogations qui peuvent porter sur les fonctions sociales, soit de t o u t système d'enseignement possible pour toute société possible, soit du système d'enseignement pour une société donnée, soit du système d'enseignement propre à une société pour les différentes classes qui constituent la société considérée, ou même pour les différents groupes professionnels qui sont intéressés, d'une manière ou d'une autre, au fonctionnement ou aux produits du système. E n effet, la confusion entre les fonctions sociales du système d'enseignement pour la société globale et les fonctions du système d'enseignement pour les diverses classes sociales autorise souvent l'illusion qu'il est possible de définir idéalement et universellement « les fonctions de l'école » : du seul fait qu'elles tendent à ignorer cette distinction, certaines analyses fonctionnalistes présupposent que ce qui est bon pour le t o u t est automatiquement bon pour les parties. A u t a n t il importe de distinguer entre la fonction globale d'un système d'enseignement et ses fonctions différentielles, afin d'apercevoir que la hiérarchie des différentes fonctions que réalise concrètement un système d'éducation à un moment donné n'est jamais le résultat d'un choix éthique mais exprime un équilibre politique entre des forces sociales diversement intéressées aux diverses fonctions, a u t a n t il f a u t , sous un autre rapport, distinguer entre les fonctions trans-historiques du système d'enseignement et les fonctions circonstancielles qu'il remplit dans une société historique, ne serait-ce que pour éviter de porter au compte de la spécificité nationale les fonctions que t o u t système d'enseignement tend à se donner, en raison de son inclination générique à l'autonomisation, ainsi que les caractères propres, c'est-à-dire proprement universitaires, qui en résultent. Il n'est guère de sociétés où l'université n'exprime sa tendance à l'autonomie dans ce qui apparaît, d'un point de vue extérieur, comme une inertie culturelle. Présentant L'évolution pédagogique en France de Durkheim, M. Halbwachs faisait observer qu'un des mérites de cet ouvrage était de mettre en lumière la « vie propre » des systèmes pédagogiques : « Les organes de l'enseignement sont, à chaque époque, en rapport avec les autres institutions du corps social, avec les coutumes et les croyances, avec les grands courants d'idées. Mais ils ont aussi une vie propre, une évolution qui est relativement autonome, au cours de laquelle ils conservent bien des traits de leur structure ancienne. Ils se défendent quelquefois contre les influences qui s'exercent sur eux du dehors, en s'appuyant sur leur passé. On ne comprendrait point, par exemple, la division des universités en facultés, les systèmes des examens et des grades, l'int e r n a t , les sanctions scolaires, si l'on ne remontait pas très loin en arrière, au moment où se construisait l'institution dont les formes,

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une fois nées, tendent à subsister à travers le temps, soit par une sorte d'inertie, soit parce qu'elles réussissent à s'adapter aux conditions nouvelles. Envisagée de ce point de vue, l'organisation pédagogique nous apparaît comme plus hostile au changement, plus conservatrice et traditionnelle peut-être que l'Église elle-même parce qu'elle a pour fonction de transmettre aux générations nouvelles une culture qui plonge ses racines dans un passé éloigné ». Tout au long de leur histoire, les universités ont tenté d'échapper aux contraintes et aux demandes extérieures et t e n d u à définir la forme et le contenu de leur enseignement à partir des seules valeurs qu'engendre la manipulation professorale de la culture. Si pareille tendance s'observe aussi en d'autres institutions ou en d'autres corps, puisque c'est formellement la même logique qui, sans parler de l'Église, pousse u n corps militaire à opposer le code d'honneur au droit de la cité ou les corps juridiques et médicaux à se réclamer d'une déontologie plutôt que de se soumettre aux stipulations du droit commun, la tendance universitaire à l'autonomisation est plus forte, et peut-être d'un autre ordre : la revendication des « libertés universitaires » peut en effet s'appuyer sur des moyens institutionnels qui doivent leur efficacité particulière au fait que l'Université est la seule institution à contrôler complètement et de bout en bout, non seulement le recrutement et la sélection, mais aussi la formation de ses recrues. Sous ce rapport il n'est rien de plus significatif que l'attitude des professeurs qui sont toujours portés à mesurer, au moins inconsciemment, chaque étudiant au modèle accompli du « bon élève » qui n'est autre que le bon élève qu'ils ont été et qui « promet » de devenir professeur, c'est-à-dire, en France, agrégé de l'université. Plus généralement, parmi les tâches dont s'acquittent, à des degrés et selon des styles différents, les universités modernes, on retrouve toujours les mêmes fonctions génériques, même lorsque l'on rapproche des nations aux passés universitaires aussi différents que les pays anglo-saxons, la France et l'Allemagne, ou des sociétés de régime économique aussi différent que les pays socialistes et capitalistes. P a r exemple, l'existence d'un enseignement supérieur semble appeler objectivement la fonction de recherche, lors même que des conditions historiques l'ont amenée à dépérir : c'est le cas des pays socialistes où, malgré la division initiale du travail qui attribuait la recherche à une Académie des sciences couronnant des instituts spécialisés, les universités cherchent aujourd'hui à associer la recherche à l'enseignement. On voit de même que, dans l'histoire universitaire française, la réforme de 1880 prit son impulsion dans la volonté du corps professoral de redonner aux universités une fonction de recherche, sur le modèle des universités allemandes ; aujourd'hui encore, c'est la même logique, à cette différence que l'exemple vient d'Amérique, qui conduit les facultés à tenter de se dégager des routines scolaires.

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Seule la volonté de dépaysement peut cacher que la logique de l'institution scolaire tend à développer, dans les contextes nationaux les plus différents, certains effets génériques qui rapprochent les attitudes et les conduites universitaires. On retrouverait, au fil de la sociologie américaine de l'éducation, des notions ou des plaintes qui sont familières à l'universitaire français : le bachotage (boning), la « course d'obstacles » ritualisée à quoi se réduit le curriculum de l'étudiant ; la hantise des examens, qui va croissant à mesure que ceux-ci jouent un plus grand rôle dans la réussite sociale aux États-Unis ; la compétition acharnée pour les titres et les mentions (honours) qui suivront un individu, surtout devenu universitaire, tout au long de sa vie ; les arguments classiques pour ou contre le numerus clausus à l'entrée des universités ; le « péonage intellectuel », auquel sont soumis instructeurs et assistants ; l'aspect incroyablement mesquin (unbelievably picayunish) des thèses de doctorat, qui iront dormir leur dernier sommeil sur un rayon de bibliothèque ; l'improductivité des professeurs qui, une fois arrivés, campent dans la place sans plus rien faire (who ease up) ; l'idéologie universitaire du mépris de la gestion ou de la pédagogie et mille autres traits semblables 1 . Si l'on accorde que le système d'enseignement se caractérise par une forte inertie, corrélative de la tendance de l'université et des universitaires à définir leurs fins de manière autonome, la distinction s'impose entre deux groupes de fonctions, les fonctions internes, par lesquelles le système assure son propre fonctionnement et sa propre perpétuation, et les fonctions externes par lesquelles il répond, volens nolens, et toujours comme par surcroît, aux demandes de la société. Tout système scolaire transmet la culture passée d'une société, ce qui suppose qu'il la consacre et la routinise et qu'il assure la continuité de cette transmission par l'auto-perpétuation ; bref qu'il assume, jusqu'à un certain point, une fonction conservatrice. On voit par là qu'en établissant une opposition abstraite entre traditionalisme et novation on s'expose toujours à confondre le conservatisme fonctionnel, donc irréductible, avec le conservatisme pathologique de certaines universités. A ces fonctions internes s'opposent, à des degrés différents, deux types de fonctions externes : les fonctions, elles-mêmes diverses et variables, par lesquelles l'école assure la socialisation des nouvelles générations, et les fonctions par lesquelles elle prépare les individus à tenir leur place dans la division technique et sociale du travail, en les dotant de savoirs spécifiques. Il n'est pas d'exemple historique de système d'enseignement qui ne s'acquitte, bien qu'à des degrés très divers, de l'ensemble de ces fonctions ; autrement dit, tout système d'enseignement concret réalise une pondération, différente de toutes 1. Nous empruntons la plupart de ces traits à L . WILSON, Academic Man, a Study in the Sociology of a Profession, Oxford University Press, New York, 1942.

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les autres, entre les différentes fonctions possibles. C'est le refus de reconnaître la multifonctionalité essentielle du système d'enseignement qui conduit à deux erreurs, le plus souvent solidaires, la première consistant à réduire toutes les fonctions à une seule, par exemple la fonction de production au service de l'économie, la seconde conduisant à admettre implicitement la compatibilité automatique des différentes fonctions et à substituer à l'interrogation sur l'optimum la foi dans la possibilité de maximiser simultanément toutes les formes de productivité du système d'enseignement. Dès que l'on prend réellement en compte le caractère nécessairement multifonctionnel du système d'enseignement, on voit que la question de l'efficacité globale d'une institution scolaire perd tout sens : les valeurs qui président à son fonctionnement étant multiples et irréductibles, on ne saurait sans contradiction additionner ses accomplissements pour dresser un bilan univoque d'efficacité. Il serait absurde de comparer l'efficacité globale du système scolaire d'un état autoritaire ou d'une société tbéocratique, mettant au premier rang la fonction de socialisation et, plus précisément, d'intégration morale et intellectuelle du corps politique ou social, avec le système scolaire d'une société industrielle, fascinée par les impératifs du développement économique, qui privilégierait la fonction de formation professionnelle au détriment de toutes les autres, à commencer par la fonction de transmission des modèles traditionnels. Plus généralement enfin, chaque système se caractérise par la pondération originale qu'il opère, non seulement entre les différentes fonctions externes, mais aussi entre les fonctions internes et les fonctions externes : ainsi, une des originalités du système français réside sans doute dans le fait que, jusque dans ses ordres les plus élevés, il tend à privilégier la fonction d'auto-perpétuation au détriment de toutes les autres, y compris de la recherche, pour n'être plus, à la limite, qu'un enseignement préparant à l'enseignement ; par où se comprend que la question de l'agrégation soit au centre de tous les débats sur la réforme de l'université. On voit aussi qu'il n'est pas de système qui soit complètement inefficace, si du moins on accepte de mesurer son « rendement » aux valeurs qui président à son fonctionnement. Même les systèmes scolaires qui, aux yeux de l'observateur superficiel et prévenu, semblent aussi peu efficaces que possible, transmettent toujours quelque chose, serait-ce tout autre chose que ce qu'ils veulent ou croient transmettre. On objecte volontiers — c'est dans l'air du temps — que l'action des maîtres n'est plus rien auprès d'influences concurrentes, comme les moyens modernes de communication mieux faits pour satisfaire les attentes nouvelles. Or, les enquêtes montrent que l'université française, souvent prise comme exemple d'archaïsme et d'inefficacité, reste, au moins en milieu étudiant, le grand véhicule de la culture, non seulement de la culture

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traditionnelle, mais aussi, indirectement et secondairement, des contenus culturels moins consacrés Corollaire, aucun système scolaire ne peut choisir de privilégier une de ses fonctions sans consentir des coûts, plus ou moins mesurables, sous d'autres rapports. Le même choix, par exemple celui d'accepter ou de refuser que la longueur moyenne des études s'allonge au-delà du minimum indispensable pour transformer les aptitudes intellectuelles en qualifications productives, peut être évalué différemment, selon le poids respectif que l'on décide d'accorder à la fonction de formation professionnelle et à la fonction de formation générale, sans que les coûts respectifs des deux choix puissent relever d'une mesure technique. E n effet, si le calcul de ce que coûte, sous le rapport économique, l'allongement de la durée moyenne des études est parfaitement possible, puisqu'on demeure en ce cas dans l'optique de la rationalité formelle, le coût du choix inverse, inspiré par des considérations de rentabilité, de freiner cet allongement n'est pas susceptible d'un calcul du même type, puisqu'il implique un sacrifice portant sur des valeurs non-économiques ; mais il n'en est pas moins réel, puisque les sujets qui entrent dans la production sans passer par l'enseignement supérieur perdent à peu près toute chance d'accéder aux formes les plus élevées de la vie culturelle : sachant que le visiteur modal des musées français a au moins le niveau du baccalauréat 2 , on voit que l'école joue, en ce domaine, un rôle d'incitation qu'aucune formule d' « éducation permanente » ou « populaire » ne peut complètement jouer. C'est pourtant le premier type de coût, et lui seul, que l'on prend le plus fréquemment en compte dans les calculs de rentabilité qui tendent à se donner pour une réflexion enfermant tous les éléments du choix 3 . Il f a u t donc s'interdire, sous peine de contradiction, de parler du rendement d'un système d'enseignement ; il peut néanmoins être légitime de poser à tout système la question de son rendement le plus spécifique, parce que, quelles que soient ses fonctions, le degré auquel 1. Par exemple, les érudits en cinéma ou en jazz sont beaucoup plus rare9 que n'aiment à le croire les critiques entraînés par leur intérêt professionnel, infiniment plus en tout cas que dans les arts qui font l'objet d'un enseignement. E t surtout, ce sont les sujets les plus adaptés à l'école qui, transposant les techniques et les intérêts scolaires, ont les plus fortes performances en ces domaines. Cf. P. BOURDIEU et J.-C. PASSERON, Les étudiants et leurs études. Cahiers du Centre de sociologie européenne, n° 1, Mouton, Paris, La Haye, 1963. 2. Cf. P. BOURDIEU et A. DARBEL, L'amour de l'art. Les musées et leur public, Éd. de Minuit, Paris, 1966. 3. Cf. M. VERMOT-GAUCHY : « Plus le nombre d'années passées à l'école devient important, plus l'éducation est coûteuse et plus elle est difficile à amortir puisqu'en allongeant la durée de la scolarité d'une année, celle de la vie active s'en trouve réduite d'autant. Pour un garçon dont les études durent onze ans (école maternelle comprise) et qui naît à la vie active à quinze ans, le pays peut compter sur cinquante années de travail. Lorsque l'enfant choisit un cycle d'études long (vingt-cinq ans par exemple), l'amortissement ne peut s'étaler que sur trente-six seulement ». Op. cit., p. 252.

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il réussit dans sa tâche de transmission mesure sa réussite intrinsèque, c'est-à-dire proprement pédagogique. N'est-il pas significatif que les groupes les plus attachés à éprouver le rendement économique de l'université répugnent, autant que les professeurs les plus traditionalistes, à mesurer la communication pédagogique à ce critère, c'est-à-dire à son aune. On voit bien que cette mesure n'aurait pas l'univocité, vraie ou fausse, de la mesure technocratique du rendement économique, ne serait-ce que parce qu'un système scolaire transmet toujours plus de choses qu'il n'en émet ostensiblement ; a fortiori, il semble encore plus difficile d'évaluer le degré auquel un système scolaire réussit dans sa tâche de socialisation, d'endoctrinement politique, religieux et moral, ou de perpétuation de l'ordre établi. Mais faut-il faire de l'aptitude d ' u n phénomène à se laisser mesurer la mesure de l'intérêt et de l'importance du phénomène ? Ceux qui font comme si l'on pouvait parler du rendement global du système d'éducation doivent, pour mesurer ce rendement, introduire une nouvelle pétition de principe en supposant que le système d'enseignement peut avoir une seule et même fonction pour la société globale. E n réalité, l'analyse statistique des chances scolaires et des chances de mobilité corrélatives propres a u x différentes catégories sociales, ainsi que l'étude sociologique des mécanismes de la sélection scolaire, établissent que les systèmes d'enseignement ont toujours jusqu'ici, à des degrés différents évidemment, rempli une fonction objective de conservation sociale, en éliminant les individus d'autant plus fortement qu'ils appartiennent à des milieux plus défavorisés économiquement et culturellement et en consacrant et légitimant la transmission du capital culturel que chaque sujet reçoit de son milieu familial. Ainsi, parler, sans autres précisions, des fonctions de l'école pour la société globale, c'est, ou bien parler pour ne rien dire, ou bien par une sorte de lapsus dire le contraire exact de ce que l'on croit dire, puisqu'il suffit de donner au terme de fonction son sens rigoureux de fonction objective, pour voir qu'un système qui contribue à la conservation de l'ordre social sert objectivement les intérêts de ceux qui bénéficient de cet ordre. Dès qu'il admet qu'il puisse exister une fonction unique et univoque du système d'enseignement, M. V e r m o t - G a u c h y se condamne à avouer, à un moment ou à un autre, comment il f a u t comprendre l'intérêt bien compris de la société globale, dont il fait, t o u t au long de son étude, le critère de toute rationalité : s'en prenant a u x universitaires qui éprouvent toujours « u n sentiment de culpabilité à la lecture des statistiques relatives à l'origine sociale des étudiants de faculté », M. V e r m o t - G a u c h y objecte q u ' « il ne leur est pas v e n u à l'idée que la véritable démocratisation consistait peut-être à favoriser le développement des enseignements les mieux adaptés a u x caractéristiques et au désir des enfants issus des milieux modestes ou

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peu cultivés », et il ajoute : « Peu importe [à ces professeurs] que par tradition sociale, aptitude acquise du fait de son appartenance à un milieu, etc., un fils d'ouvrier, intellectuellement brillant, préfère s'orienter vers les anciennes écoles pratiques ou les anciennes écoles nationales professionnelles, pour accéder, s'il en a les capacités, au diplôme de technicien ou d'ingénieur des Arts et métiers par exemple, et le fils de médecin vers l'enseignement classique en vue d'accéder aux facultés » 1 . Ainsi les gens « modestes » n'aspireraient pas, au fond, à autre chose que ce qu'ils ont et ce serait leur faire violence et faire en tout cas leur malheur que de les convier à des destins trop ambitieux, aussi mal ajustés à leurs aptitudes qu'à leurs aspirations. Il faut donc spécifier toute proposition concernant un système scolaire, non seulement en précisant les critères par rapport auxquels on définit un rendement partiel, mais encore en précisant les intérêts qui définissent les conditions concrètes de ce calcul, c'est-à-dire qu'il convient de particulariser l'analyse des fonctions selon les groupes sociaux et leur position dans le système social. On verrait alors qu'il n'y a pas lieu de se poser la question d'un choix transhistorique, à ambition éthique, sur les fonctions intemporelles du système d'enseignement. Présenter un certain système de fins comme le meilleur possible c'est trahir l'objectivité sous les apparences de la neutralité éthique. Chaque état du système d'enseignement, c'est-à-dire la hiérarchie qui s'instaure à un moment du temps entre ses fonctions, retraduit dans la logique des fins scolaires l'équilibre des forces sociales. E n tentant de transposer au niveau des fins les méthodes qui s'appliquent habituellement au calcul des moyens, on oublie qu'on accède, avec l'ordre des fins, à une logique toute autre, celle du conflit entre les valeurs ultimes et les intérêts vitaux que chaque groupe tient de sa situation sociale et par lesquels, consciemment ou inconsciemment, il s'oppose aux autres groupes. *



Ainsi, la comparaison précipitée entre des systèmes d'éducation réduits à leur fonction économique ne porte en réalité que sur des « artefacts » obtenus par une série d'abstractions inconscientes de leur principe. En raison de sa multifonctionalité essentielle, le système d'enseignement est, de tous les systèmes, celui qui se laisse le plus difficilement réduire au modèle formellement rationnel de la supputation des moyens par rapport à une fin unique posée univoquement, parce que ses produits ne sont complètement définis que dans la multiplicité de leurs aspects et ne peuvent par conséquent être évalués adéquate1. M . VERMOT-GAUCHY, op.

cit.,

p.

62-63.

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ment qu'à condition d'être référés à des valeurs incommensurables entre elles. I l s'ensuit que les traits du système d'enseignement qui se prêtent le mieux à la comparaison quantitative et les propositions générales qui en découlent n'ont de réalité qu'à la condition d'être assortis de corrections et de réinterprétations, seules capables de leur restituer un contexte. Faute de cette réinterprétation sociologique, elles ne peuvent donner l'illusion de la signification univoque que parce qu'elles ont trop ou trop peu de signification. Rappeler ainsi la réalité sociologique du contexte singulier, ce n'est pas s'interdire toutes les mises en relation puisque, au contraire, la description méthodique et complète des singularités doit passer par l'analyse de la totalité des dimensions, chaque système concret se trouvant défini par le système des propriétés singulières qui spécifient dans son cas chacune des dimensions : les observations précédentes suggèrent que l'analyse des poids relatifs accordés en chaque cas aux différentes fonctions possibles permettrait de caractériser les différents systèmes d'éducation et d'établir une typologie, encore abstraite mais fondée sur la position et les fonctions concrètes du système d'enseignement dans le système social. Ce serait s'acheminer vers la forme la plus accomplie de la comparaison par laquelle on viserait à expliquer que des traits ou des systèmes de traits, caractéristiques d'une institution scolaire, puissent avoir des propriétés et, en particulier, des fonctions identiques ou comparables, du fait qu'ils occupent des positions homologues dans des systèmes d'enseignement différents, ou encore que des systèmes d'enseignement différents puissent présenter des caractères identiques dans la mesure où ils entretiennent avec les autres systèmes des relations de position ou d'opposition structuralement équivalentes.

APPENDICE

RESSEMBLANCES QUELQUES

ET

FAUX-SEMBLANTS

COMPARAISONS

E N T R E LES PAYS

MÉDITERRANÉENS

Les statistiques les plus simples, à savoir celles des effectifs scolaires, sont incertaines. Pour un pays donné, il existe parfois plusieurs organismes élaborant des statistiques, et il a fallu souvent choisir entre deux ou trois chiffres différents, tous tirés de sources officielles (cf. O.C.D.E., Politiques de croissance économique et d'investissement dans renseignement, vol. II). Aussi est-il difficile de faire figurer les seize pays retenus dans des comparaisons d'ensemble, à moins d'utiliser des données anciennes ou de dates différentes. 1.1.

L E S TAUX D ' A N A L P H A B É T I S M E D A N S LES P A Y S

MÉDITERRANÉENS

Taux d'analphabétisme Pays

Albanie Algérie (population européenne) Algérie (population musulmane) Égypte Espagne Grèce Irak Israël (population juive) Israël (population non-juive) Italie Lybie Maroc Portugal Tunisie (population musulmane) Turquie Yougoslavie

Proportion d'illettrés Année du Niveau recensement d'âge de la ou de population Ensemble Hommes Femmes o/ l'enquête considérée /o /o % 1955 1954 —

1960 1960 1961 1957 1961 1961 1961 1954 1960 1960 1956 1960 1961

9 + 15 + —

15 15 15 15 14 14 6 15 15 15 10 15 15

+ + + + + + + + + + + + +

28,3 7,0 92,3 80,5 13,3 19,6 85,5 12,8 51,7 8,4 87,1 86,2 38,1 84,3 61,9 23,5

20,1 5,8 87,7 68,1 8,4 8,2 76,1 7,9 32,0 6,6 77,0 78,1 30,6 —

45,2 12,4

36,9 8,0 96,9 91,4 17,7 30,0 94,7 17,7 71,5 10,1 98,6 94,0 44,6 —

78,9 33,6

Source : UNESCO, Annuaire statistique 1965, Paris, 1966. 4

50

INTRODUCTION

Si tous les pays arabes comptent encore aujourd'hui plus de 80 % d'analphabètes, l'analphabétisme n'a disparu d'aucun des pays méditerranéens. La lutte contre l'analphabétisme a été inégalement rapide et efficace selon les pays. En Italie, la proportion d'analphabètes est passée de 50 % en 1900 à 23,1 % en 1930 et 14 % en 1950. En Albanie, cette proportion a presque diminué de moitié en 5 ans : s'établissant à 54 % en 1950, elle n'était plus que de 28 % en 1955. En Égypte elle est restée constante de 1947 à 1960. 1.2.

L E S TAUX DE

SCOLARISATION

Niveaux

Pays

Albanie Algérie Egypte Espagne Grèce Irak Israël Italie Jordanie Lybie Maroc Portugal Svrie Tunisie Turquie Yougoslavie

Premier

degré

d'enseignement

Second

degré

Enseignement supérieur

(Nombre d'étudiants pour 100 000 habitants)

1955

%

1963 /o

1955 /o

1963 /o

1954 /o

1960 /o

70 78 32 67 64 23 89 54 49 23 17 51 33 26 35 63

110 36 44 67 1 62 45 70 49 60 49 34 52 48 57 48 a 86

10 6 21 20 39 10 29 38 27 5 4 17 17 11 10 10

34 7 25 31 1 47 26 55 63 43 20 9 39 29 20 20 2 30

61 58 219 213 155 91 543 297

215 55 340 241 290 114 749 321









17 199 89 59 112 355

21 229 186 62 172 472

Sources : UNESCO, Annuaire statistique 1965 et World Survey of Education, Higher Education, Paris, 1966.

1. Taux valable pour l'année 1962. 2. Taux valable pour l'année 1964.

IV :

LA

COMPARABILITÊ

51

1 . 3 . L E S TAUX D E SCOLARISATION DANS LES DIFFÉRENTS DEGRÉS D E L'ENSEIGNEMENT

100%

PREMIER DEGRÉ

SECOND DEGRÉ

8 5 400 (• ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

N. B. Les traits forts soulignent les pays où le classement est très variable suivant le degré de l'enseignement.

a) Les taux

de scolarisation

dans renseignement

du premier

degré.

1950-54 : Il s'agit, en fait, de la proportion de la population inscrite dans les écoles primaires pour les classes d'âge de 5 à 14 ans. Or, la définition de l'enseignem e n t primaire varie d ' u n p a y s à l'autre, puisqu'il p e u t comporter de 4 classes (comme au Portugal) j u s q u ' à 8 classes (comme en Israël ou en Italie) ; d ' a u t r e p a r t , la durée de l'obligation scolaire est elle-même variable (de 7 à 13 ans au Portugal, de 6 à 12 ans en Espagne 1 , de 6 à 14 ans en Israël, etc.) ; enfin, 1. En Espagne, la loi du 29 avril 1964 a rendu obligatoire la scolarité jusqu'à 14 ans. Mais, étant donné que, au moins jusqu'à présent, il suffisait de s'inscrire pour être

52

INTRODUCTION

les effectifs inscrits dans les établissements secondaires pour ces mêmes classes d'âge sont d'importance variable suivant les pays. b) Les taux de scolarisation 1955-57

dans renseignement

du second

degré.

:

La définition de l'enseignement du second degré n'est pas identique pour tous les pays : il peut s'agir de l'enseignement général seulement (comme pour la Lybie), de l'enseignement général et technique (comme pour le Maroc) ou de l'enseignement général, technique et des écoles normales (comme pour l'Italie). Ces taux semblent néanmoins plus aptes à l'établissement de comparaisons entre pays que les taux du premier degré. En effet, la grande masse des inscrits dans un établissement secondaire poursuit ses études entre 15 et 18 ans, ne passant guère à l'enseignement supérieur avant 19 ans et ne s'attardant que peu dans l'école primaire au delà de 15 ans. c) La scolarisation 1955-60

dans renseignement

supérieur.

:

En l'absence de calculs effectués à partir des classes d'âge, on peut se donner une idée de la scolarisation supérieure dans les pays méditerranéens en rapportant le nombre d'étudiants à la population totale. Mais, en donnant leurs effectifs d'étudiants, les divers pays étendent plus ou moins au-delà des universités proprement dites leur définition des études supérieures et, d'autre part, dans les pays les moins développés (le Maroc, l'Algérie, la Tunisie) une fraction relativement importante des étudiants poursuit ses études à l'étranger, tandis qu'inversement certains pays accueillent des étudiants étrangers dans leurs universités. Ce dernier phénomène est important pour l'Égypte et doit être pris en compte pour expliquer le taux de ce pays, sans rapport avec son revenu moyen par habitant ou son taux de scolarisation primaire. 1.4.

L E S T A U X DE SCOLARISATION PAR GROUPE D'ÂGE

Groupes Pays

Espagne 1958-59 France 1958 Grèce 1956-57 Italie 1957 Portugal 1957-58 Turquie 1959-60 Yougoslavie 1956 Source

:

O.C.D.E.,

gnement,

d'âge

/o

15-19 ans /o

20-24 ans 0/ /o

74,9 90.1 74,5 78,8 56,2 44,7 66,3

13,3 30,8 16,9 15,7 8,8 3,3 16,9

3,3 3,8 3,3 3,9 3,1 1,1 4,1

5-14

ans

Politiques de croissance Vol. II : Les objectifs

économique et d'investissement de Véducation en Europe pour

5-24

ans

% 39,6 58,6 40,8 42,5 32,6 25,1 37,8 dans l'ensei1970, p. 114.

en règle avec la loi, les statistiques peuvent faire apparaître un accroissement du taux de scolarisation dans le premier degré qui reste, pour une grande part, fictif.

LA

53

COMPARABILITÊ

1.5.

L E QUOTIENT É L È V E S - P R O F E S S E U R S E N

Niveaux Pays

Albanie Algérie Égypte Espagne (1959-60) Grèce Irak Israël Italie Liban Libye Maroc Portugal Syrie Tunisie Turquie Yougoslavie Source

: U N E S C O , op.

1960-61

d'enseignement

Enseignement primaire

Enseignement secondaire

Enseignement supérieur

29,0 38,3 39,3 37,7 39,6 30,4 30,6 22,4 22,1 29,2 42,4 34,0 49,2 61,1 47,0 32,8

13,3 20,6 17,6 21,9 31,0 36,6 11,2 11,9

16,1 17,4 28,0 12,4 37,3 10,9 6,8 11,2



16,1 —

18,7 42,7 —

22.9 14,9

— • —

24,7 22,4 39,8 — — •

13,3

cit.

On prend souvent, dans les comparaisons internationales, le rapport du nombre des élèves au nombre des maîtres comme un indice de l'effort d'encadrement consenti et, par là, de la qualité de l'enseignement dispensé. Si grossier soit-il cet indice semble en effet lié à l'effort d'éducation consenti dans les divers pays. Mais il faut remarquer que tout développement de la scolarisation tend à augmenter ce rapport (c'est-à-dire à diminuer la densité de l'encadrement). Ainsi, c'est parce que la Tunisie a davantage développé la scolarité primaire que le Maroc, qu'elle a dû alourdir l'effectif de ses classes. Ce phénomène n'est pas caractéristique seulement de la première phase ou de la phase transitoire de l'effort de scolarisation, puisque, même dans les pays économiquement développés, la tendance est à la hausse du quotient nombre d'élèves/nombre de professeurs : pour l'enseignement supérieur, il est passé en Italie entre 1939 et 1951 de 1/53 à 1/125, en France de 1/34 à 1/43 et en Suisse de 1/8 à 1/9 2 . 1. Il ne mesurerait la densité de l'encadrement que si les obligations horaires des professeurs et l'organisation des cours étaient les mêmes. « Ce rapport devrait être complété par d'autres informations. Il faudrait pour cela disposer de statistiques convenables. Malheureusement, ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Les différents facteurs (horaires hebdomadaires) sont rarement analysés avec assez de précision. Pour cerner la réalité de plus près au moyen du rapport nombre des élèves/nombre de maîtres, le volume d'enseignement ainsi calculé devrait être rapproché du nombre d'heures de classe des élèves. » Politiques de croissance économique et d'investissement dans l'enseignement, Vol. II, op. cit. 2. Cf. L . CAIANI, Problemi dell'università italiana. E d . di Comunità, Milan, 1955.

54

INTRODUCTION

En fait, ce rapport étant extrêmement variable selon les disciplines et les diverses disciplines ayant un poids numérique différent dans les différents systèmes universitaires, il faudrait connaître le nombre d'étudiants et de maîtres par discipline, ce qui n'est le cas que pour l'Italie où l'on aperçoit qu'il peut aller d'un professeur pour 10 étudiants à 1 pour 100. 1 . 6 . L A PART D E L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT DU SECOND DEGRÉ

Années Pays

1955-56

1960-61 0/ /o

68,6

45,1 8,2 22,5 24,7 16,5 5,6 30,4 22,1 1,8 14,9 30,6 47,3 7,9 47,8 18,5 58,5

%

Albanie Algérie Égypte Espagne Grèce Irak Israël Italie Liban Libye Maroc Portugal Syrie Tunisie Turquie Yougoslavie

Source

: U N E S C O , Véducation



6,6 33,8 ——

32,4 51,6 — —

23,4 41,8 4,1 35,8 —

63,9

dans le Monde,

1

1

Vol. I I I et Vol. I V .

Malgré, là encore, des incertitudes de dénomination, on peut considérer la place de l'enseignement technique comme un indicateur du système de valeurs prédominant puisqu'il exprime une politique scolaire dont l'inspiration est assez claire. On peut distinguer en 1960-61 : а) Un groupe de pays où l'enseignement technique est particulièrement développé (de 40 à 60 %). Il comprend les pays socialistes (Yougoslavie, Albanie), la Tunisie (où l'effort semble récent) et le Portugal (la même politique ayant ici une autre signification) ; б) Un groupe de pays où cet enseignement est moyennement développé (de 20 à 40 %). Il comprend l'Italie, l'Espagne et quelques pays arabes, le Maroc, l'Égypte (où l'effort est récent) ; c) Un dernier groupe où cet enseignement n'est pas développé. On y rencontre des pays à structure scolaire traditionnelle comme la Grèce, la Turquie et la plupart des pays arabes : l'Algérie, l'Irak, la Syrie... 1. Pourcentage valable pour 1959-60.

LA

55

COMPARABILITÉ

1 . 7 . L E RENDEMENT D E L'ENSEIGNEMENT S U P É R I E U R M E S U R É A LA PART D E S É T U DIANTS OBTENANT L E P R E M I E R DIPLÔME D E L ' E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R PAR RAPPORT AU F L U X D ' E N T R É E 5 ANS AUPARAVANT 1

Années Pays

1955-51

1959-55 0/ /o

45 54

54 61 64 51 90

/o

Espagne France Grèce Italie Angleterre Source

— .

51 84

: O . C . D . E . , Ressources en personnel de l'O.C.D.E., p. 70.

scientifique

1963-59

/o

_

57 71 49 —

et technique

dans

les

pays

Compte tenu de l'approximation des calculs on peut considérer que le « taux de déchet » ne différencierait guère les pays méditerranéens considérés (cf. une approximation plus grossière dans le tableau 1.8). Mais il opposerait la plupart des systèmes universitaires dont le t a u x d'échec ainsi calculé semble osciller autour de 50 % au système anglais où il est de l'ordre de 10 % . 1 . 8 . L E NOMBRE D E DIPLÔMÉS EN 1 9 6 0 - 6 1 RAPPORTÉ AU NOMBRE D'ÉTUDIANTS CETTE M Ê M E ANNÉE

Nombre de diplômés (1960-61)

Pays

Albanie Egypte Espagne Grèce Irak Israël Italie Portugal Svrie

585 812 262 391 713 741 717 189 913 6 413 14 979

12 5 5 1 1 21 2

Turquie (1961-62)

Yougoslavie

Source

: U N E S C O , op.

Nombre d'étudiants (1960-61)

6 106 78 27 12 15 191 24 19 73 141

301 877 729 025 260 595 790 236 385 560 058

Nombre d'étudiants Nombre de diplômés 9,3 12,0 6,7 19,9 14,0 11,2 11,3 9,0 4,7 8,7 10,6

cit.

1. Cette période de 5 an9 correspond approximativement à la durée moyenne des études. Le rapport considéré peut donc jusqu'à un certain point mesurer la proportion d'étudiants qui mènent leurs études à bonne fin.

56

INTRODUCTION

1.9.

L A FÉMINISATION D E S E F F E C T I F S SCOLAIRES E N

1960-61

Niveaux d'enseignement Pays

Albanie Algérie Egypte Espagne Grèce Irak Israël Italie Liban Libye Maroc Portugal Syrie Tunisie Turquie Yougoslavie Source : UNESCO, op.

Enseignement prijnaire /o

Enseignement secondaire /o

45,2 40,0 38,7 49,0 47,7 26,8 48,0 48,0

39,3 43,8 27,2 38,1 42,0 13,6 54,1 40,6





20,2 28,2 48,2 29,4 33,1 37,2 46,6

8,2 6,8 46,8 22,0 33,0 24,4 50,5

Enseignement supérieur

%

11,2 31,8 17.0 17,7 22,8 12,3 29,6 27,7 23,41 1,5» 14,4 31,4 15,6 25,0 1 22,0 1 28,4

cit.

On ne s'étonnera pas de rencontrer la plupart des pays arabes (Lybie, Irak, Maroc, Syrie) dans le groupe des nations qui ont la plus faible représentation féminine à tous les degrés de l'enseignement. L'exception de l'Algérie n'est qu'apparente puisque, jusqu'en 1960-61 le public des établissements secondaires et des facultés était essentiellement français 3 . C'est le taux d'étudiantes dans l'enseignement supérieur qui rend le mieux compte du degré de persistance des modèles traditionnels en ce domaine ; mais, à ne prendre que le cas des nations qui dépassent le taux de 25 % (Portugal, Israël, Yougoslavie, Italie et Tunisie), on voit que la signification du phénomène n'est pas uniforme 4 . L'Espagne représente un cas particulier puisqu'on y observe un net décalage entre la représentation des filles dans l'enseignement primaire et leur représentation dans l'enseignement secondaire et surtout dans l'enseignement supérieur, où elle est une des plus faibles de tous les pays méditerranéens. En Albanie, la féminisation déjà fort avancée dans les enseignements primaire et secondaire n'a pas encore atteint l'enseignement supérieur. 1. Taux de 1959-60. 2. Taux de 1957-58. 3. Le taux de féminisation élèves non-français y étaient 4. A titre de référence, la France était de 41,6 % en

était d'autant plus fort dans les divers degrés que les moins représentés. part des étudiantes dans l'enseignement supérieur en 1961-62.

LA

COMPARABILITÊ

57

1 . 1 0 . L E TAUX D E FÉMINISATION DANS L E S D I F F É R E N T S D E G R É S D E L ' E N S E I G N E M E N T

N. B. Les traits forts soulignent les pays où le classement est très variable suivant le degré de l'enseignement. P o u r l ' e n s e i g n e m e n t supérieur c'est la p a r t des é t u d i a n t e s d a n s les diverses disciplines e t l ' é v o l u t i o n de c e t t e p a r t q u i serait la p l u s i n t é r e s s a n t e à considérer. Si on r e t i e n t , à t i t r e d ' e x e m p l e , l ' é v o l u t i o n c o m p a r é e de la p a r t des é t u d i a n t e s d a n s les f a c u l t é s de l e t t r e s e t de m é d e c i n e p o u r q u e l q u e s p a y s (Italie, T u r q u i e , E s p a g n e , Yougoslavie) on a p e r ç o i t q u e le degré de t r a ditionalisme p o u r r a i t , e n ce d o m a i n e , être m e s u r é à l'allure différentielle de la f é m i n i s a t i o n d a n s ces d e u x disciplines q u i s o n t les p l u s t y p i q u e s sous le r a p p o r t d u modèle t r a d i t i o n n e l des « dons » e t des « m é t i e r s » f é m i n i n s . L e décalage e n t r e la p a r t des é t u d i a n t e s en l e t t r e s e t en médecine (qui s'observe j u s q u e d a n s les p a y s les plus développés) p e u t t e n d r e , en effet, soit à d e m e u r e r c o n s t a n t ( T u r q u i e , Italie), soit à s'élargir ( E s p a g n e ) , soit à dimin u e r (Yougoslavie).

INTRODUCTION

1.11.

L ' É V O L U T I O N D E LA PART D E S É T U D I A N T E S E N E T E N M É D E C I N E DANS QUATRE PAVS

LETTRES

Lettres Ensemble des faculté Médecine

Lettres Ensemble des facultés Médecine

ESPAGNE Médecine

Ensemble • des facultés

1 }

YOUGOSLAVIE

1936

1

\

1

Lettres

Lettres Ensemble des facultés Médecine et Pharmacie

PREMIÈRE

PARTIE

L'ÉDUCATION ET LA STRATIFICATION SOCIALE

INTRODUCTION

Si l'analyse sociologique et statistique de l'inégalité des chances scolaires dans les pays d'économie libérale, situés à des niveaux différents de développement économique, illustre la multiplicité des dimensions de l'inégalité devant la culture en faisant voir, par exemple, comment cette inégalité est liée à l'inégalité économique qu'elle contribue à légitimer et, p a r là, à perpétuer, la sociologie de l'éducation dans les pays socialistes procure l'occasion d'une contre-épreuve particulièrement pertinente. E n l'absence de la plupart des déterminants économiques de l'inégalité devant l'école qui sont propres aux sociétés capitalistes, se trouvent en effet isolés, d'une manière quasi expérimentale, les déterminants proprement culturels de l'hérédité culturelle. La Hongrie et la Yougoslavie illustrent à la fois les progrès enregistrés dans un court laps de temps, à partir d'une situation de départ particulièrement retardataire, par une politique se donnant explicitement pour b u t la démocratisation de la culture, et les limites que rencontre u n tel projet, lorsqu'il ne se donne pas, par une analyse complète des facteurs de l'inégalité, tous les moyens de la réduire techniquement. Ainsi l'effort qui s'est manifesté en Yougoslavie pour abolir toutes les limitations du droit d'entrée dans l'enseignement supérieur a conduit à une double contradiction, pédagogique et économique, c'est-à-dire à un t a u x très élevé d'abandons d'études et d'échecs, ainsi qu'à un déséquilibre permanent entre les besoins de l'économie en cadres moyens et les types de diplômés produits par l'université. Mais lorsque ces dysfonctions ne sont pas rattachées à une analyse complète des mécanismes de l'inégalité culturelle, elles suscitent le danger permanent d'une réaction ambiguë, comme on le voit dans les résistances d'une partie du corps professoral qui retrouve, avec le vocabulaire de la « qualité » et du « niveau », certains des réflexes de l'universitaire traditionnel, ou encore dans le recours des responsables à une planification des besoins scolaires qui n'est pas loin de reprendre à son compte la définition technocratique de l'éducation. De même la politique scolaire de la plupart des autres états socialistes a pu tendre, pendant une certaine période, à favoriser l'entrée dans l'en-

62

VÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

seign.em.ent supérieur des fils d'ouvriers et de paysans par des mesures autoritaires telles que la fixation de quotas à l'entrée de l'université. Mais les services ainsi rendus à une démocratisation qui ne s'est pas donnée, en même temps, les moyens pédagogiques de surmonter toutes les inégalités culturelles, se sont v i t e révélés artificiels : en Pologne et en Hongrie le taux d'étudiants originaires des classes populaires qui avait augmenté jusqu'en 1957 s'est mis à diminuer dès que la pression administrative s'est relâchée. L'expérience tentée par les politiques socialistes de l'éducation est révélatrice à un double titre : outre les progrès, incontestables, qu'une stratégie concertée a enregistrés sur la voie de l'égalisation des chances d'accès aux différents types d'enseignement et, plus généralement, aux œuvres de la tradition culturelle, la mesure de la distance qui sépare encore ces réalisations de l'objectif qu'elles s'étaient ellesmêmes fixé fait apercevoir une des raisons les mieux dissimulées de la difficulté de la tâche et, par là peut-être, un des moyens de la mieux accomplir : la démocratisation complète des instruments d'accès à la culture (livres, spectacles, œuvres ou institutions éducatives) suppose en effet, non seulement la diminution du prix de la culture et l'abolition des obstacles économiques, mais la transformation des attitudes socialement conditionnées vis-à-vis de la culture. On découvre ainsi rétrospectivement qu'une politique conséquente de démocratisation doit procurer, en même temps que les outils de la promotion culturelle, la propension à utiliser ces outils et la connaissance des règles de leur utilisation. R. C. J.-C.

P.

SUZANNE

2

FERGE

LA DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE ET DE L'ENSEIGNEMENT EN HONGRIE

Une contradiction saute aux yeux lorsque l'on envisage la situation culturelle de la Hongrie d'aujourd'hui. D'une part, les résultats obtenus par le nouveau régime ne sont nulle part aussi manifestes et aussi spectaculaires que dans le domaine de la culture. D'autre part, les différences entre couches sociales ne sont nulle part aussi marquées que dans les comportements culturels. Pour établir ces deux propositions, il suffira de rappeler quelques chiffres.

POLITIQUE

D E DÉMOCRATISATION

ET DISPARITÉS

CULTURELLES

Pour ce qui est du premier point, l'accroissement des effectifs scolaires et du nombre des enseignants, ainsi que les progrès de la diffusion de la culture ont été sans conteste foudroyants. 2 . 1 . L'ÉVOLUTION DE L'EFFECTIF DES ÉLÈVES ET DES ENSEIGNANTS DE 1937 A 1964 EN HONGRIE Effectifs

Années

Nombre d'élèves (en milliers) Écoles primaires

1937-38 1949-50 1957-58 1964-65 Source

: Statistical

1 1 1 1

096 202 259 445

Yearbook,

Écoles secondaires 52,3 94,0 159,4 417,4

Nombre d'étudiants (en milliers)

11,7 23,2 35,9 91,9

Personnel enseignant (en unités) Écoles primaires 26 35 53 62

017 041 667 108

Écoles secondaires 3 6 8 11

504 253 053 561

H u n g a r i a n Central S t a t i s t i c a l Office, 1964.

Universités 1 724 —

4 709 7 588

64

L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

On peut observer une expansion aussi soutenue, non seulement dans les cas où le développement technique est au service de la vie culturelle, comme par exemple pour la radio, la télévision (inexistante avant la guerre) ou le cinéma, mais aussi dans des domaines plus traditionnels comme celui de l'édition. 2.2.

L ' É V O L U T I O N D E LA PUBLICATION, DU TIRAGE D E S E T DU N O M B R E D E S S P E C T A T E U R S D E CINÉMA

LIVRES

Nombres Années

Nombre de livres publiés

1938 1949 1957 1964 Source

Tirages

1

438 1 185 2 407 4 164 Yearbook,

op.

de

cinéma

(en millions)

9,2 14,2 23,4 44,7

2

: Statistical

Spectateurs

(en millions d'exemplaires) 1

18,5 42,3 133,4 111,1

2

cit.

Sans doute, étant donné les niveaux extrêmement bas d'avant-guerre, une multiplication par 3,5 et même par 10 des niveaux anciens ne représente pas nécessairement un niveau élevé. Mais il ne s'agit pas ici de jouer arbitrairement avec les chiffres : en prenant pour base les 10 millions d'habitants du pays, il est clair que les chiffres actuels correspondent à un développement de la vie culturelle qui place la Hongrie en très bonne place à l'échelle internationale. Il est même certain que la Hongrie devance du point de vue culturel nombre de pays dont le développement économique est supérieur au sien. Pour justifier la deuxième partie de l'affirmation, qui concerne la survivance de certaines inégalités culturelles, des données statistiques précises nous sont fournies par une étude récente sur la stratification sociale en Hongrie 3 . On se donnera ici une première vue du problème en comparant les revenus et les indices de quelques comportements culturels. Il ressort de cette comparaison que, tandis que l'écart entre les niveaux inférieur et supérieur de revenu va du simple au double, il va du simple au triple dans le cas des mesures permettant de saisir le niveau culturel, les indices de logement se situant entre ces deux extrêmes. 1. Sans compter les ouvrages imprimés autres que les livres. 2. 1935.

3 . M . MÔD (ei al.),

Tdrsadalmi

rétegezôdés

Magyarorszâgon

( L a stratification sociale

en Hongrie), Office central de statistique de Hongrie, 1966.

LA

DÉMOCRATISATION

EN

65

HONGRIE

2 . 3 . L E R E V E N U , L E L O G E M E N T , E T L E S COMPORTEMENTS C U L T U R E L S SELON LA CATÉGORIE S O C I O - P R O F E S S I O N N E L L E D U C H E F D E M É N A G E 1

Revenus et indices

C.S.P. du chef de ménage

Cadres supérieurs, intellectuels Cadres moyens Employés de bureau Ouvriers qualifiés Ouvriers semi-qualifiés Manœuvres Travailleurs manuels de l'agriculture

Revenu mensuel Moyenne Moyenne par tête des indices de Vindice 3 2 Distrien 1962 culturels de logement bution des Niveau Niveau Niveau ménages En Indices inférieur Indices inférieur florins inférieur = 100 = 100 = 100

8,0 6,4 4,3 22,9 18,4 14,5

1 265 1 050 983 899 778 678

186,6 154,9 145,0 132,6 114,7 100,0

64 57 55 47 39 37

188,2 167,6 161,8 138,2 114,7 108,8

58 46 44 33 26 20

322,2 255,6 244,4 183,3 144,4 111,1

25,5

719

106,0

34

100,0

18

100,0

C'est bien à la distance entre les groupes sociaux que sont imputables les différences entre les niveaux culturels observables dans ce tableau. En effet, la catégorisation selon les groupes professionnels cités rend compte de 16,1 % de la variance totale des revenus, de 25,9 % de celle de l'indice de logement et de 49,1 % de celle des indices culturels. En outre, certaines différences de nature essentiellement qualitative, comme par exemple le contenu des lectures ou le type de loisir, montreraient une différenciation encore plus marquée que celle qui est présentée ici. On ne peut que conclure à une différenciation sociale plus accusée dans la sphère des comportements culturels que partout ailleurs.

R E V E N U S E T PRATIQUES

CULTURELLES

On peut expliquer sans difficulté cette contradiction apparente si l'on tient compte de deux faits. D'une part, dans la Hongrie socialiste, 1. Seuls ont été retenus ici les chefs de ménage économiquement actifs. 2. Les indices de logement v o n t de 0 à 95 et prennent en compte le s t a t u t juridique (locataire ou propriétaire), la présence d'électricité et d'eau, la densité de l'habitat et la possession de certains biens ménagers. 3. Les indices culturels v o n t de 0 à 90, synthétisant le niveau scolaire moyen des membres adultes du ménage, la taille de la bibliothèque, la possession d ' u n poste de T.S.F. ou de télévision et le nombre des j o u r n a u x et revues régulièrement lus. 5

66

L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

l'égalité des chances entre les individus d'abord, la diffusion de la culture ensuite, constituent deux valeurs de référence qui jouent un rôle explicite dans la volonté politique d'organisation de la société. Ceci rend compte des efforts immenses visant à la diffusion la plus large des produits culturels ainsi que des tentatives pour abolir, en partie justement à l'aide de cette diffusion, les privilèges culturels des anciennes classes cultivées. Les efforts pour éliminer les privilèges et les inégalités extrêmes ne se sont pas cantonnés évidemment au domaine culturel : l'abolition de la propriété privée des moyens de production a réduit d'emblée et institutionnellement la polarisation des revenus. De même, certaines différences sociales institutionalisées — telles que les privilèges et titres féodaux encore en vigueur dans la Hongrie d'avant-guerre — ont radicalement disparu avec la naissance de la Hongrie nouvelle. Cependant — et c'est l'autre fait dont il faut tenir compte — il n'est pas également facile de réduire les différents types d'inégalités. Si l'on tient la culture pour un élément de la superstructure, une transformation embrassant la société entière ne peut s'y accomplir que beaucoup plus lentement et plus difficilement que dans les sphères comme celles du revenu ou des comportements directement liés au revenu qui sont en contact plus direct avec l'infrastructure radicalement transformée dès 1945. Dans l'ordre des phénomènes culturels, certains sont en grande partie et assez directement déterminés par les conditions économiques ou peuvent être influencés par des mesures de type administratif. Il est compréhensible, dès lors, que la transformation de ces phénomènes demande moins de temps et d'efforts que celle des attitudes les plus profondément enracinées dans Vethos de groupes dont certaines des valeurs peuvent perpétuer des orientations traditionnelles. C'est pourquoi il faut s'attendre à ce que le rythme de transformation soit inégalement rapide et décisif dans les divers ordres de l'activité culturelle. Contrairement à l'espoir pré-révolutionnaire de voir disparaître la dépossession culturelle par la seule efficace de la libération économique, on aperçoit aujourd'hui que les revenus n'ont qu'une influence relativement réduite sur les comportements culturels En effet, abusé sans doute par de bons sentiments, on a longtemps cru qu'il suffisait, tout en assurant un niveau de revenu décent pour tous, de réduire le coût du théâtre, des livres, de l'enseignement, etc., pour que chacun puisse bénéficier des bienfaits de la culture. Autrement dit, on pensait que l'obstacle principal à l'accès à la culture était de nature économique et, qu'une fois aboli le privi1. C ' é t a i t l'espoir d e s meilleurs intellectuels hongrois d ' a v a n t et a p r è s la guerre tel le p o è t e - m a r t y r e R a d n o t i qui, d a n s u n essai d'ailleurs p r o f o n d é m e n t j u s t e réclam a n t l'édition d e livres « d e poche » , d i s a i t en 1940 : « L a p a y s a n n e r i e , le p r o l é t a r i a t et la c l a s s e m o y e n n e a f f a m é s d e livres n e p e u v e n t p a s les acheter, n ' a y a n t p a s d ' a r gent p o u r cela » . RADNOTI, Études et essais, M a g v e t o , 1956.

LA

DÉMOCRATISATION

EN

67

HONGRIE

lège économique, tous les privilèges culturels seraient abolis en même temps. Il va sans dire que l'élimination des barrières économiques, le fait que le théâtre, les concerts, les livres mêmes les plus beaux soient à des prix abordables, qu'il y ait un réseau national de bibliothèques de prêt, etc., représente une condition préalable et nécessaire, mais ces conquêtes ne suffisent pas à assurer la démocratisation complète de la culture. Ces quelques chiffres, tout en montrant que l'inégalité culturelle est plus grande que celle qui subsiste entre les revenus, laissent apercevoir en même temps que les relations entre ces deux variables ne sont pas simples. Cependant, en analysant l'influence de divers facteurs socio-économiques sur certains comportements culturels, on peut tenir pour démontré que le pouvoir explicatif de l'appartenance sociale culturellement définie est toujours plus grand que celui de l'inégalité des revenus. Dans le tableau ci-après on a reproduit, pour quelques phénomènes, les taux représentant la part de la variance totale qui se laisse expliquer par les divers facteurs déterminants. Même sans faire une analyse de variance complète, et en s'en tenant au calcul de l'effet direct de chaque facteur pris isolément, on constate que la valeur explicative du niveau de revenu est relativement faible. Il faut ajouter que dans ces calculs le rôle du revenu paraît même plus grand qu'il ne l'est en réalité, puisque le niveau des revenus est en partie lié à la situation sociale. Les mêmes réserves valent d'ailleurs pour le niveau scolaire, mais en sens inverse. 2.4.

I , ' E F F E T DES DIVERS FACTEURS DÉTERMINANTS SUR Q U E L Q U E S PRATIQUES CULTURELLES

Facteurs Pratiques

culturelles

Lecture régulière des journaux Possession de la T . S . F . Possession de la T.V. 1 Possession de livres 2 T a u x de lecteurs

Groupe social

Niveau de revenu

6,9 5,1 10,3 29,0 15,2

3,4 3,0 6,4 11,0 non calculé

Niveau scolaire

4,4 2,8 6,2 non calculé 15,8

Degré d'urbanisation de la localité

0,6 2,6 5,8 non calculé non calculé

1. Dans ce cas, on a calculé aussi l'effet « contrôle » du groupe social et du revenu. A l'intérieur des groupes sociaux, l'effet moyen des revenus est de 3,7 % , tandis que, à l'intérieur des tranches de revenus, l'effet moyen des couches sociales monte à 7,9 % . 2. Ici encore, on a calculé les t a u x dont il est question en (1) ; ils sont respectivement de 3 % et de 20 % .

68

L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

Tout cela ne veut évidemment pas dire qu'il n ' y ait pas de liaison entre le niveau des revenus et les comportements culturels, cette liaison se laissant saisir sous plusieurs formes. D'abord, les vestiges hérités d'un passé où l'acquisition de la culture et les études ont été liées étroitement au revenu, persistent toujours. D'autre p a r t , revenu bas et niveau culturel fruste vont souvent de pair, tributaires tous deux du s t a t u t social, selon le niveau des études accomplies. E t , finalement, certains types d'accomplissements culturels exigent, même aujourd'hui, des sacrifices matériels. J e pense, par exemple, à la continuation des études au delà des huit classes obligatoires, qui implique, outre certains frais supplémentaires, un « manque à gagner », c'est-à-dire la renonciation à une augmentation immédiate du revenu familial. Assurément, u n calcul économique strict permettrait de conclure que cette renonciation momentanée est en fait un investissement. Mais nombre de familles ne peuvent même pas se permettre cette renonciation, en particulier celles qui, avec plusieurs enfants, vivent dans des conditions économiques difficiles. Autrement dit, au-dessous d'un certain niveau économique, la question de savoir selon quel système de valeurs dépenser la p a r t du revenu excédentaire, après que les besoins élémentaires aient été satisfaits ne se pose même pas, car il n ' y a guère d'excédent. Quoi qu'il en soit — et c'est ce qui est démontré plus h a u t •— le niveau des revenus est actuellement moins déterminé socialement que le niveau culturel. Afin d'éliminer ces dernières inégalités, il faudrait encore éveiller chez tous les besoins culturels, ce qui revient à dire que c'est Vethos des groupes et les modèles culturels socialement déterminés qu'il faudrait transformer. Mais les modèles culturels ne sont pas entièrement réductibles aux caractéristiques purement économiques des groupes sociaux. La culture scolaire assure en effet un rôle médiateur entre le s t a t u t social objectif des différents groupes et les disparités observables dans la sphère des comportements culturels. Cette proposition peut être fondée par la réflexion théorique et établie statistiquement sur une base empirique. D'une part, le rôle de l'école s'éclaire dans la logique de la sélection sociale qui fait que l'appartenance sociale (définie sur la base du groupe professionnel) est déterminée en grande partie par le niveau d'études ; ensuite, revenus et prestige, ces « récompenses » valorisées par la société, sont étroitement associés au s t a t u t social ; finalement, les différences entre les sous-cultures des groupes renvoient, au moins indirectement, à des inégalités scolaires. Cela revient à dire que même l'influence exercée par l'appartenance sociale remonte, au moins en partie, à l'école. Sur ce point, les statistiques sont éloquentes. A partir des chiffres précédemment cités, on voit déjà apparaître le rôle de l'école, lorsqu'il s'agit, par exemple, de rendre compte des inégalités

LA

DÉMOCRATISATION

EN

HONGRIE

69

dans les taux de lecture. Mais ce rôle est encore plus grand si on examine d'autres comportements plus directement liés à la culture savante 1 . Puisque l'école est un facteur aussi important, la réduction des inégalités culturelles (et des autres inégalités) dépend en grande partie des possibilités données à l'école de jouer un rôle homogénéisateur. Cela peut se comprendre de deux manières. On peut distinguer, dans l'influence de l'école, un aspect quantitatif et un aspect qualitatif. Le système d'éducation peut, en effet, augmenter ses possibilités d'action sur la société par sa capacité d'accueil (élargissement des effectifs scolarisés et allongement de la scolarité), mais surtout par l'amélioration de son efficacité pédagogique et, en particulier, des résultats qu'il obtient des enfants issus des milieux culturellement défavorisés. Au niveau des capacités d'accueil, le problème est presque uniquement économique. On ne conteste guère, du moins en Hongrie, qu'un allongement de la scolarité obligatoire soit souhaitable. Déjà par rapport à la situation d'avant-guerre elle a été allongée de deux ou même trois années. Pour le moment cependant, les écoles secondaires (sans parler des centres de formation professionnelle) ne peuvent accueillir qu'à peu près un tiers des enfants du groupe d'âge. Dans les universités, le taux descend à 7-8 %. Le second aspect, beaucoup plus complexe, demande une étude plus approfondie. L'école faisant, en tant qu'institution culturelle, partie de la superstructure, il n'est pas surprenant que les diverses couches sociales aient à son égard des attitudes différentes. Mais il faut savoir quelles sont les répercussions de ces différences sur les enfants ; il faut surtout savoir si elles persistent et se perpétuent, ou si, au contraire, l'école les fait disparaître. Ce problème est d'autant plus important que c'est le caractère ouvert ou fermé de toute la société, et la mobilité sociale en général, qui se trouvent en jeu. En effet, pour réaliser le principe fondamental du socialisme, l'égalité des chances entre individus, une forte mobilité sociale dans les deux sens est nécessaire. L E S A T T I T U D E S VIS-A-VIS D E

L'ÉCOLE

Puisque le rôle de l'école est apparemment si grand, il faudrait, idéalement, du point de vue des chances scolaires des enfants, conditionnées 1. Cette constatation ne v a u t p a s seulement dans le cas d ' u n p a y s socialiste. Cf. par exemple la conclusion à laquelle arrivent P. BOURDIEU et A. DARBEL, L'amour de l'art, op. cit. A u contraire, les disparités semblent encore plus considérables dans les p a y s de vieille tradition culturelle. Ainsi l'effet des mécanismes sociaux profonds ne p e u t p a s être éliminé, même a u cours d'une période assez considérable, et m a l g r é les efforts immenses visant la diffusion de la culture a u sein et hors de l'école.

70

L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

par le caractère plus ou moins « éducogène >» de la famille, que les divers groupes sociaux ne soient pas séparés par des différences de niveau culturel aussi accusées que celles qui se laissent observer. 2.5.

L E N I V E A U D ' É T U D E S D E LA P O P U L A T I O N A U - D E S S U S D E 1 4 A N S SELON L E GROUPE SOCIO-PROFESSIONNEL DU CHEF D E MÉNAGE

Niveau d'études Populations au-dessus de 14 ans C.S.P.

du chef de ménage

Études

supérieures 0/

/o

Cadres supérieurs, intellectuels Cadres m o y e n s E m p l o y é s de b u r e a u Ouvriers qualifiés Ouvriers semi-qualifiés Manœuvres Travailleurs manuels de l'agriculture

27 5 6

1

— —

0

Baccalauréat /o

8 à 11 classes 0/ /o

7 classes ou moins /o

TOTAL

24 28 24 4 3 2

33 40 45 40 30 20

16 27 25 55 67 78

100 100 100 100 100 100

1

19

80

100

Cette inégalité des chances liée au milieu familial d'origine entraîne une multitude de conséquences. D'abord, il est vraisemblable que la culture en général, et l'école en particulier, sont plus fortement valorisées par ceux qui possèdent une culture plus élevée, qui est d'ailleurs presque toujours une culture scolaire. Cette affirmation certes n'est pas tout à fait évidente et n'est pas généralisable à tous les domaines. On ne valorise pas toujours une chose dans la mesure même où on la possède. S'il s'agit d'une valeur reconnue comme telle par toute la société, ceux qui sont exclus de sa possession peuvent au contraire la valoriser davantage que ceux qui la possèdent. Si dans le cas de la perception de la valeur de la culture, il n'y a pas encore un consensus unanime, l'école cependant, non pas tant comme médiateur de la culture, mais (pour le moment) comme moyen de l'ascension sociale, commence à devenir une valeur généralement reconnue. Cela rend compte du fait que l'on observe, au sein d'un groupe social donné, des attitudes très différentes vis-à-vis de l'école, selon que les parents aspirent plus ou moins fortement à l'ascension sociale de leurs enfants. Mais la variation de ces attitudes au sein d'un même groupe social renvoie encore à des facteurs sociaux, sans qu'il soit possible d'aborder ici cette étude des « familles éducogènes ». Pour s'en tenir à une approche plus générale, l'évaluation différente de l'école par les divers milieux contribue déjà à ce que les enfants arrivent à l'école avec des images et des attentes différentes. Et, fait

LA

DÉMOCRATISATION

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71

HONGRIE

beaucoup plus grave, ils y arrivent aussi avec une préparation « intellectuelle » inégale qui se manifeste au début du cursus scolaire, non pas t a n t dans l'inégalité des savoirs concrets (qui ne sont pas encore exigés à cette étape de la scolarité), mais dans la maîtrise inégale des diverses techniques nécessaires à l'école, et dans le fait que les enfants assimilent avec plus ou moins de facilité l'atmosphère, le système d'exigences et le système de valeurs de l'école, qui sont plus ou moins proches de ceux de leurs milieux respectifs. Toutes ces inégalités de départ se trouvent renforcées du fait que l'aide apportée par les parents ne peut pas avoir la même efficacité dans tous les groupes, alors que l'école fait implicitement appel à cette aide. L'école, cependant, n'est pas suffisamment préparée à envisager les problèmes découlant de ces inégalités initiales, ni à contrebalancer les désavantages de départ x . Il s'ensuit que la réussite scolaire des enfants est toujours fortement marquée par ces conditions. 2.6.

L E P O U R C E N T A G E D E S D E U X M E I L L E U R E S CATÉGORIES D ' É L È V E S E T LA M O Y E N N E

D E S N O T E S SCOLAIRES D A N S L E S ÉCOLES F R I M A I R E S S E L O N LA CATÉGORIE PROFESSIONNELLE DU CHEF D E MÉNAGE

SOCIO-

R êussite

C.S.P. du chef de ménage

Pourcentage des deux meilleures catégories d'élèves

1

ire à 4 e année

5e à 8e année

ire à 4 e année

5 e à 8e année

61 54 50 35 22 16 18

50 37 36 22 15 12 13

4,32 4,38 4,37 4,01 3,70 3,39 3,54

4,37 4,09 4,10 3,68 3,45 3,37 3,40

%

Cadres supérieurs, intellectuels Cadres moyens Employés de bureau Ouvriers qualifiés Ouvriers semi-qualifiés Manœuvres Travailleurs manuels de l'agriculture

Moyenne des notes scolaires

%

L'effet plutôt réduit qu'exerce l'école sur la diminution des désavantages se reflète dans le fait que les différences entre les groupes sociaux ne s'amoindrissent que très faiblement au cours de la carrière scolaire. E n effet, la catégorisation par groupes sociaux rend compte 1. Il est vrai que l'on prend de plus en plus conscience de ces problèmes : plusieurs articles de journaux attiraient récemment l'attention sur ces difficultés et certaines écoles s'engagent dans des tentatives pédagogiques diverses. 2. Les notes vont de 1 (la plus mauvaise) à 5 (la meilleure).

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L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

de 12,1 % de la variance totale des notes dans les quatre premières classes, et de 10,1 % dans le second cycle du primaire. Le rôle spécifique du niveau scolaire des parents est manifeste si l'on compare les résultats scolaires au sein des différents groupes professionnels en tenant compte de cette variable. 2.7.

LE

POURCENTAGE D E S

DEUX MEILLEURES

CATÉGORIES

D'ÉLÈVES

DES

ÉCOLES

P R I M A I R E S , S E L O N L A CATÉGORIE S O C I O - P R O F E S S I O N N E L L E E T L E N I V E A U D ' É T U D E S DU P È R E

Niveau

C.S.P. du père

Cadres supérieurs, intellectuels Cadres moyens Employés de bureau Ouvriers qualifiés Ouvriers semi-qualifiés Manœuvres Travailleurs manuels de l'agriculture

d'études

du

père

Université /o

Baccalauréat

8 à 11 classes

0/ /o

7 classes ou moins 0/ /o

/o

65 52 67

52 54 47 52 43

44 50 45 34 25 26 27

40 25 15 25 17 13 14

55 46 42 28 18 14 15

— • —

1

/o









Les répercussions de cet état de fait sur la carrière scolaire et, par conséquent, sur la vie de l'individu, se font lourdement sentir à différents niveaux. Puisque la continuation des études au delà des huit classes obligatoires est liée aux résultats antérieurs, les « bons élèves » des écoles primaires ont plus de chances que leurs condisciples d'accéder aux écoles secondaires et spécialement aux écoles les plus renommées 2 . Ainsi, dès le niveau des écoles secondaires, les enfants de parents cultivés sont plus nombreux à continuer leurs études. De ce fait, l'existence, d'une sur-sélection des enfants des familles culturellement défavorisées et, corrélativement, d'une sélection négative (sous-sélection) des enfants des hautes classes a été souvent relevée dans les pays capitalistes, puisque les parents « cultivés » y poussent fréquemment leurs enfants à la continuation des études lors même qu'ils ont de mauvais résultats scolaires 3 . Ce dernier phénomène n'a pas complètement dis1. L'effectif correspondant à la catégorie des employés de bureau ayant fréquenté l'université est évidemment infime et le pourcentage n'est statistiquement guère significatif. 2. L a capacité d'accueil des écoles secondaires étant en général légèrement inférieure à la demande, les écoles sélectionnent les enfants suivant leurs résultats antérieurs. C'est surtout le cas des écoles « renommées », pour certaines de leurs qualités, par exemple parce qu'elles sont censées mieux préparer que les autres aux études universitaires. 3. Cf. par exemple, pour la situation en Autriche, H. KREUTZ, Der Einfluss von

LA

DÉMOCRATISATION

EN

73

HONGRIE

paru en Hongrie, encore qu'il se soit considérablement atténué 1 . Cela apparaît clairement lorsque l'on envisage le taux des élèves faisant des études secondaires selon la situation sociale des parents. Les chances objectives de continuer des études secondaires sont au moins cinq fois plus grandes chez les cadres et les intellectuels que chez les manœuvres. Du fait de cette sur-sélection des enfants issus de milieux culturellement défavorisés, les résultats scolaires des enfants, quel que soit leur groupe social d'origine, tendent à se rapprocher considérablement dans les écoles secondaires, sans toutefois que soit complètement renversée la tendance générale qui désavantage les enfants des milieux défavorisés. Les effets de la sur-sélection se font sentir au-delà du secondaire, et d'une manière beaucoup plus marquée, pour l'entrée à l'université. Les chances objectives d'accès à l'enseignement supérieur sont en effet encore plus diversifiées selon les catégories sociales. Elles sont vingt fois plus grandes pour les enfants des cadres et intellectuels que pour les manœuvres, les taux respectifs étant alors de 34,1 % et de 1,6 %. 2.8.

L ' A C C È S AUX ÉCOLES SECONDAIRES, LA MOYENNE DES NOTES ET L'ACCÈS A L ' U N I V E R S I T É SELON L E S CATÉGORIES SOCIO-PROFESSIONNELLES

Accès et réussite C.S.P. du chef de ménage

Cadres supérieurs, intellectuels Cadres moyens Ouvriers qualifiés E m p l o y é s de b u r e a u Ouvriers semi-qualifiés Manœuvres Travailleurs manuels de l'agriculture

Note Scolarisation Scolarisation de la classe moyenne de la classe d'âge d'âge des élèves de 15 à 18 ans du secondaire de 19 à 23 ans 0/ /o /o % 83 68 37 79 25 15 18

4,14 3,96 3,81 3,78 3,89 3,73 3,92

34 16 7 17 3 2 3

Ce n'est pas exclusivement l'obtention du baccalauréat qui conditionne l'entrée en faculté. En effet, si on rapproche les taux d'entrée à l'université des résultats obtenus dans le secondaire, il est impossible d'expliquer uniquement par la réussite ou l'échec scolaire les difféEltern und Peers auf die soziale Mobilität von Jugendlichen und jungen Erwachsenen. S u r la sur-sélection et la sous-sélection en F r a n c e , cf. P . BOURDIEU, J . - C . PASSERON et M. de SAINT MARTIN, Rapport pédagogique et communication, Mouton, P a r i s , L a H a y e , 1965.

1. G. VARHELYI et F . GAZSO, « A miivelôdési egyenlôtlenségek és az iskola » ( L e s inégalités culturelles et l'école), Valôsdg, n ° 12, 1965. L ' é t u d e est fondée sur u n e enquête p o r t a n t sur la « mortalité scolaire » dans les écoles secondaires.

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L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

rences qui apparaissent dans le tableau ci-dessus. Ce qui entre en jeu ici avec une force considérable, c'est l'image intériorisée par les parents de l'avenir de leurs enfants et de la carrière qu'ils pensent possible et souhaitable pour eux 2 . 9 . L A SITUATION ACTUELLE ET LES DÉSIRS CONCERNANT L'AVENIR PROFESSIONNEL DES ENFANTS SELON LA CATÉGORIE SOCIO-PROFESSIONNELLE DU CHEF DE MÉNAGE *

Situation actuelle et avenir Situation actuelle des enfants économiquement actifs 8 C.S.P. du chef de ménage

Cadres supérieurs, intellectuels Autres non-manuels Ouvriers qualifiés Manœuvres Membres des coopératives agricoles Ouvriers agricoles

Désirs concernant Vavenir professionnel4

Cadres Cadres supésupéTous Tous rieurs Autres autres rieurs Autres autres intel- non- Ensemble et intelet non- Ensemble cadres lectuels manuels cadres lectuels manuels intelintellectuels lectuels 0/ /o /o /o % % /o /o % 22 9 3 2

7 4 2 1

40 40 25 9

69 53 30 12

68 55 29 14

6 6 5 2

15 18 23 18

89 79 57 34

1 1

1

6 3

8 4

20 13

3 2

16 11

39 26

Cette image se forme, pour une part, à partir de faits vécus (en particulier à partir du souvenir des inégalités très fortes de chances qui existaient dans le passé), mais aussi à partir de la connaissance, même diffuse, des disproportions qui, bien qu'atténuées, persistent aujourd'hui encore, tant dans la distribution selon les catégories sociales des enfants déjà actifs que dans les taux d'accès à l'enseignement. Cependant, le changement dans les possibilités d'ascension sociale, puis la 1. Les chances des élèves dans le cursus secondaire sont déjà marquées par ces attentes : c'est en fonction d'elles que les enfants sont poussés et encouragés. Pour mieux comprendre cette situation, il faut savoir que ce n'est pas seulement l'accès à l'université qui est lié à l'obtention du baccalauréat, mais aussi l'accès à certains cours de formation d'ouvriers qualifiés. Tandis que pour les cours de formation le fait d'avoir l'examen est suffisant, à l'université les notes obtenues au baccalauréat ont en elles-mêmes une importance considérable. 2. Seuls ont été retenus les chefs de famille économiquement actifs. 3. Comprend tous les enfants, y compris ceux qui ne vivent plus avec leurs parents. (N = 3 850 ménages.) 4. Il s'agit des écoliers entre 6 et 18 ans, pour lesquels les parents ont déjà pris une décision (4 000 familles en tout avaient au moins un enfant dans cette situation).

LA

DÉMOCRATISATION

EN

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75

perception du fait que le développement technologique moderne ouvrira des nouveaux canaux de mobilité, contribuent aussi à former la vision de couches de plus en plus larges de la population. Cette tendance est encore accentuée par le fait que l'accroissement des chances qui découlera de l'augmentation de la demande de diplômés est souvent surestimé. Tout ceci explique que les aspirations des parents concernant la carrière des enfants, tout en étant presque partout irréalistes, reflètent les inégalités actuelles, tout en anticipant sur les possibilités futures.

LE

PASSÉ ET LE

PRÉSENT

Pour apprécier l'état actuel, il nous paraît indispensable de rappeler, si sommairement que ce soit, la situation de départ, il y a quelque vingt années. Les quelques chiffres cités sur le développement numérique des écoles ne suffisent pas à en donner une représentation même approximative, si on ne propose pas quelques éléments permettant de se faire une idée des problèmes sociaux d'avant-guerre. Nous ne pouvons que rappeler l'organisation antérieure du système d'enseignement, qui fut fondamentalement aristocratique, séparant à l'âge de dix ans les enfants en trois catégories, une minorité allant dans les lycées, qui donnaient accès à l'université, la majorité se scindant en deux, les uns — les plus déshérités — restant jusqu'à l'âge de douze ans dans le second cycle des écoles primaires, les autres fréquentant, jusqu'à l'âge de quatorze ans, les écoles dites petites-bourgeoises. A dix ans donc les jeux étaient faits, puisque les deux derniers types d'écoles ne préparaient strictement à rien, et en particulier ne donnaient pas accès aux études supérieures. Dans la Hongrie actuelle, par l'instauration des écoles primaires générales uniformes de huit ans, cet aspect aristocratique du recrutement de l'enseignement supérieur est aboli. Mais la répartition des élèves et des étudiants en fonction de l'origine sociale est encore plus révélatrice de la Hongrie d'avant-guerre. Même les statistiques officielles, dont les divisions camouflaient la réalité autant que possible, ne pouvaient complètement voiler les faits et certaines études sociologiques de l'époque les mettaient déjà à nu, en procédant, dans la mesure du possible, à des regroupements qui couvraient à peu près les groupes sociaux réels 1 . 1. P o u r la situation d'avant-guerre, les deux sources les plus i m p o r t a n t e s sont : Dr. D. LAKY, A magyar egyetemi hallgatók statisztikája ( S t a t i s t i q u e s sur les étudiants hongrois), publication de l'Office central royal de Hongrie, 1931. Cette publication donne la version officielle. D ' a u t r e p a r t , Dr. F . FÔLDES, Munkásság es parasztsdg kulturális helyzete Magyarorszdgon (Situation culturelle des ouvriers et des p a y s a n s en Hongrie), Cserépfalvi, 1941. C'est une étude brillante, où l'auteur (victime des nazis plus t a r d ) a réévalué et réanalysé les statistiques officielles.

76

L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

On a déjà dit que les chances objectives de fréquenter une école secondaire s'échelonnaient actuellement, en allant des groupes les moins favorisés aux groupes les plus favorisés, de 1 à 5, ou 6, et de 1 à 20 pour les universités. Les taux suivants, qui ne sont pas rigoureusement comparables aux taux actuels, donnent cependant une image, valable en elle-même, de la situation dans les années trente : dans les classes d'âge de dix à dix-sept ans, pratiquement tous les enfants issus des milieux de l'industrie, grande ou moyenne, avaient accès aux études. La proportion passait à 1 pour 2 chez les enfants des grands ou moyens propriétaires terriens ; à 1 pour 4 chez les enfants d'employés, à 1 pour 33 chez les petits exploitants agricoles, à 1 pour 76 chez les ouvriers industriels, à 1 pour 478 chez les paysans pauvres. Pour les classes d'âge de dix-huit à vingt-trois ans 1 enfant sur 6 des grands et moyens propriétaires entrait à l'université. Le taux tombait à 1 pour 18 chez les employés des mines et des industries, à 1 pour 121 chez les petits propriétaires, à 1 pour 425 chez les ouvriers des mines et de l'industrie, et même à 1 pour 1 320 chez les paysans pauvres. Ainsi l'écart entre les chances avant la guerre ne se chiffrait pas, comme maintenant, à 10 ou à 20, mais à 200 ou même beaucoup plus. Si l'on compare les extrêmes, actuellement, même dans le groupe le plus défavorisé, celui des manœuvres, un enfant a 1 chance sur 62 d'accéder à l'université, alors qu'il en avait 1 sur 425 avant la guerre. Pour l'ensemble des ouvriers, le rapport est actuellement de 1 à 25. Les différences anciennes signifient que l'éventualité d'obtenir un diplôme sortait du cadre, non seulement des probabilités, mais aussi des possibilités réelles et réalistes pour les ouvriers et pour les paysans pauvres. Quand un enfant sur 500 ou sur 1 000 réussit à obtenir un diplôme, cela ne représente plus, pour son groupe d'appartenance, une éventualité tangible : ce n'est qu'une exception qui ne modifie en rien la situation et les attentes du groupe. Les changements survenus sont encore plus clairement reflétés par la composition de la population totale et de la population estudiantine d'alors et de maintenant. Les données d'avant-guerre ne permettent de donner qu'un tableau peu nuancé, mais les tendances ressortent cependant nettement de ces données globales. Le tableau 2.10 — tout en reflétant des changements sociaux et économiques fondamentaux — met en évidence la signification de l'abolition des privilèges d'avant-guerre. Aucun groupe n'est aujourd'hui aussi sous-représenté que l'immense masse des paysans pauvre du passé. Mieux : alors que dans la Hongrie d'avant-guerre, les enfants d'origine ouvrière et paysanne ne représentaient en tout que 5 à 6 % de l'effectif des lycées ou des universités, de nos jours cette proportion est de 60 % dans les écoles secondaires et de 46 % dans les universités. Les conséquences de ces changements de structure pour la trans-

LA

DÉMOCRATISATION

EN

77

HONGRIE

formation du monde des intellectuels et pour le rapprochement entre intellectuels et ouvriers ou paysans, constituent un champ d'études pour ainsi dire en friche, mais qui doit être riche en significations nouvelles. 2 . 1 0 . L A R É P A R T I T I O N COMPARÉE D E LA P O P U L A T I O N ACTIVE, D E S É L È V E S D E S L Y C É E S E T D E S É T U D I A N T S SELON L ' O R I G I N E SOCIALE E N 1 9 3 1 E T E N 1 9 6 3

Répartitions Origine sociale

Population active /o

Élèves des lycées /o

Étudiants /o

en 1931 Bourgeoisie (industriels, professions libérales, employés) Propriétaires terriens (petits, moyens et grands) Ouvriers Paysans pauvres TOTAL

26,8

82,7

83,3

16,8 21,4 35,0 100,0

12,2 3,8 1,3

11,3 3,9 1,5

100,0

100,0

en 1963 Travailleurs non manuels Ouvriers dont : manœuvres Paysans TOTAL

39,2 44,2

17,7 56,3 26,0 100,0

56,2 33,0 3,6

6,4

14,4 16,6

10,8

100,0

100,0

Lorsque l'on envisage le présent sous tous ses aspects, on doit tenir compte à la fois des côtés négatifs et des inégalités toujours existantes, des difficultés futures inévitables, mais aussi du point de départ, si tragiquement bas, et de la route franchie en vingt années. Je ne doute point que la balance soit positive, et il me semble que ce passé récent est en quelque sorte le garant que de nouveaux efforts, surtout qualitatifs, visant en particulier à susciter une pédagogie qui s'efforcerait plus consciemment qu'à présent de contrebalancer les désavantages sociaux, pourraient aboutir à de nouveaux progrès.

MIRKO MARTIC RUDI SUPEK

3

STRUCTURES ET

CATÉGORIES

DE

L'ENSEIGNEMENT

SOCIALES

EN

YOUGOSLAVIE

L'instauration d ' u n régime socialiste et l'effort pour transformer u n pays à prédominance agricole, comme le f u t l'ancienne Yougoslavie, en une nation industrielle ont conduit à la démocratisation de l'enseignement et à l'application du système d'autogestion sociale, d'abord introduit dans les entreprises et ensuite élargi à tous les domaines de la vie sociale.

LES TRAITS FONDAMENTAUX DU SYSTÈME SCOLAIRE EN YOUGOSLAVIE On peut réduire à q u a t r e les principes qui commandent la politique de l'éducation actuellement en vigueur dans notre pays : le principe du droit de tous à Vinstruction scolaire qui assure à « tous les citoyens quels que soient leur nationalité, leur sexe, leur origine scolaire et leur religion, u n droit égal, dans des conditions identiques, à l'éducation et à la formation scolaire » (Constitution) ; le principe de l'unité de Venseignement dont le b u t est d'éviter t o u t e discrimination sociale ou culturelle dans le cadre des institutions scolaires ; le principe de la laïcité qui suppose la rationalisme scientifique comme base de l'enseignement 1 ; le principe de l'enseignement en langues maternelles qui v a u t également pour les nationalités fédérées (langues slaves comme le serbo-croate, le slovène et le macédonien) et pour les minorités nationales (italienne, hongroise, roumaine, sciptare). Mais, par-delà ces principes généraux de la démocratie scolaire, c'est le système de l'autogestion qui donne sa physionomie originale à l'université yougoslave. Lorsqu'on parle d u système d'autogestion sociale en Yougoslavie il y a lieu de distinguer, dans le cas des 1. Il faut rappeler que la Yougoslavie, communauté multinationale et multireligieuse, fut exposée dans le passé à de nombreuses tensions dont la source résidait dans un nationalisme exacerbé par la diversité religieuse.

80

UÊDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

institutions scolaires et culturelles, entre l'autogestion et la gestion sociale. En effet, la Constitution de la République socialiste et fédérative de Yougoslavie qui a institué l'autogestion ouvrière comme fondement de l'organisation sociale fait une distinction entre l'autogestion sociale — forme généralisée de l'autogestion ouvrière — et la gestion sociale : « La base de l'organisation socio-économique de la Yougoslavie est constituée par le travail librement associé avec les moyens de production appartenant à la société et par l'autogestion des travailleurs dans la production et la répartition du produit social au sein de l'organisation de travail et de la communauté sociale » 1 . Ce texte garantit l'autonomie de toute organisation productive sur la base de l'association libre des producteurs. Mais en va-t-il de même dans le cas des organisations de nature culturelle ou éducative ? Il f a u t ici prendre en compte un autre principe : « Les citoyens intéressés et les représentants des organisations intéressées ainsi que les représentants de la communauté sociale peuvent participer à la gestion de l'organisation de travail lorsque ses affaires présentent un intérêt social particulier » 2 . Ce passage autorise une certaine restriction de l'autonomie de gestion puisqu'il admet la présence au sein des organes de gestion de personnes se t r o u v a n t en dehors de l'organisation de travail. Pratiquement, c'est cette forme tempérée de l'autogestion sociale — représentants internes et représentants externes dans l'organe de gestion —, c'est-à-dire une formule mixte d'autogestion et de gestion sociale qui a été appliquée dans les institutions culturelles : musées, théâtres, maisons d'édition, écoles, etc. Pareille restriction de l'autogestion sociale peut assumer aussi bien une fonction de contrôle social qu'une fonction d'intégration sociale. Le choix dépend seulement du sens qui est donné à l'expression d ' « intérêt particulier de la société ». On peut évidemment attendre de la présence de représentants externes à l'organisation de travail un renforcement du contrôle social, que ce soit sous une forme économique, politique ou idéologique. Mais un musée archéologique, par exemple, demande-t-il un tel contrôle ? E n pareil cas, la présence de représent a n t s d'autres organisations sociales ne contribue-t-elle pas d'abord à l'intégration plus poussée du musée à la vie sociale ? E n fait les deux fonctions se sont souvent trouvées mêlées. Le représentant de l'Association des écrivains dans le conseil de gestion d'une maison d'édition exerce à la fois une fonction de contrôle social (lorsqu'il use du veto pour interdire l'impression de la « Schund-litteratur ») et une fonction d'intégration (lorsqu'il donne des conseils sur le choix des œuvres). Dans l'ensemble, on peut remarquer, sur les dix dernières années, une 1. Article 6 de la Constitution de 1964. 2. Article 9 de la Constitution de 1964.

L'ENSEIGNEMENT

EN

81

YOUGOSLAVIE

t e n d a n c e au r e m p l a c e m e n t de la fonction de contrôle p a r celle d'intégration. D ' a u t r e p a r t , les m e m b r e s des organisations q u i v i v e n t des ressources budgétaires de la société (musées, bibliothèques, écoles, t h é â t r e s , universités) n e voient p a s ce contrôle social de la m ê m e manière que les organisations culturelles productives (maisons d'édition, sociétés ciném a t o g r a p h i q u e s , presse quotidienne) q u i t r o u v e n t leurs ressources d a n s la v e n t e de leurs p r o d u i t s sur u n m a r c h é libre. Les premières ont en général besoin de personnalités « influentes » p o u r assurer leur fonct i o n n e m e n t . Les secondes p r é f è r e n t avoir les m a i n s libres p o u r définir leur politique d e p r o d u c t i o n e t de v e n t e . E n ce qui concerne plus p a r t i c u l i è r e m e n t l'enseignement, la loi de 1955 stipule q u e les écoles sont des i n s t i t u t i o n s i n d é p e n d a n t e s , d ' i n t é r ê t social, mais n e d é p e n d a n t p a s d i r e c t e m e n t de l ' É t a t . Elles sont r a t t a c h é e s a u x c o m m u n a u t é s territoriales et politiques ou a u x c o m m u n e s q u i sont t e n u e s de leur procurer les moyens de fonctionn e m e n t . L ' u n i v e r s i t é de Zagreb elle-même, qui est u n e i n s t i t u t i o n p r o p r e à la R é p u b l i q u e de Croatie, se t r o u v e , a u point de v u e b u d g é t a i r e , r a t t a c h é e à la c o m m u n e de Zagreb. L ' a u t o g e s t i o n a donc conduit à u n e f o r t e décentralisation a d m i n i s t r a t i v e de l'enseignement, ce q u i n ' e s t p a s sans avoir, parfois, mis les écoles en s i t u a t i o n délicate, dans les c o m m u n e s les plus p a u v r e s . L a gestion des écoles est assurée p a r trois t y p e s d ' a g e n t s sociaux : le conseil d'école, principal organe de la gestion sociale est composé des r e p r é s e n t a n t s d u corps enseignant et d ' a u t r e s groupes ; le conseil d ' e n s e i g n e m e n t , chargé de la direction t e c h n i q u e de l'enseignement, est composé des m e m b r e s d u corps enseignant ; le directeur d'école est choisi p a r le conseil d ' e n s e i g n e m e n t et doit être confirmé p a r le conseil d'école 1 . D a n s le cas des universités il serait a u j o u r d ' h u i plus e x a c t de parler d ' a u t o g e s t i o n sociale que de gestion sociale, la p a r t et le rôle des délégués externes é t a n t t r è s r é d u i t s a u sein des organes d ' a u t o g e s t i o n . E n f a i t , la loi de 1962 n ' e s t plus conforme à la Constitution de 1964 et on est en t r a i n de t r a n s f o r m e r les s t a t u t s des facultés p o u r les r e n d r e conformes à l'esprit de la Constitution. La loi a créé u n organe u n i q u e de gestion e t d ' a u t o g e s t i o n sociales, composé de r e p r é s e n t a n t s de la c o m m u n a u t é de t r a v a i l •— université ou f a c u l t é — et de délégués de la c o m m u n a u t é sociale. L a gestion sociale liée à la présence d e représ e n t a n t s d ' u n « i n t é r ê t social particulier » se combine avec u n e a u t o nomie complète de l'université, puisque « l'université est u n e instit u t i o n i n d é p e n d a n t e , fondée sur le principe de l'autogestion e t la per1. Sur le fonctionnement de ce système, cf. ci-dessous l'article de P. Novosel, p. 185-190. 6

82

L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

sonne j u r i d i q u e » 1 . L ' u n i v e r s i t é o b t i e n t ses m o y e n s financiers des fonds sociaux, mais en dispose selon « ses p r o p r e s plans financiers, à p a r t i r desquels elle d é t e r m i n e ses r e v e n u s et ses dépenses » 2 . L'université et les facultés décident de l'organisation de l'enseignement et des p r o g r a m m e s d ' é t u d e s , de m ê m e qu'elles p e u v e n t f o n d e r l i b r e m e n t des i n s t i t u t s . Le choix des professeurs est f a i t p a r les conseils de faculté, instances suprêmes de confirmation. A la direction de l'université se r a t t a c h e n t trois organes de gestion : l'Assemblée de l'université — composée d u corps enseignant, des représ e n t a n t s des assistants, des collaborateurs scientifiques et des é t u d i a n t s ; le Conseil d ' u n i v e r s i t é composé de dix m e m b r e s délégués p a r le g o u v e r n e m e n t , d ' u n m e m b r e délégué de la ville, d ' u n m e m b r e délégué p a r les facultés e t grandes écoles, de trois m e m b r e s délégués p a r les é t u d i a n t s , d u r e c t e u r et d u pro-recteur ; la Direction d ' u n i v e r s i t é (« vijece ») composée d u r e c t e u r e t de t o u s les doyens de f a c u l t é s . L ' o r g a n i s a t i o n de la gestion est analogue d a n s les facultés : assemblée de f a c u l t é , conseil de f a c u l t é et direction de f a c u l t é . L'Assemblée d ' u n i v e r s i t é discute, u n e fois p a r an, sur la base d u r a p p o r t présenté p a r le r e c t e u r , de t o u s les problèmes universitaires, é m e t des r e c o m m a n d a t i o n s et choisit le r e c t e u r et le pro-recteur. C'est le Conseil d ' u n i v e r s i t é q u i représente l'organe d ' a u t o g e s t i o n à l'université. « Le Conseil d ' u n i v e r s i t é t r a i t e de t o u t e s les questions import a n t e s c o n c e r n a n t l'organisation et le t r a v a i l de l'université, et s u r t o u t des questions c o m m u n e s à t o u t e s les facultés, de m ê m e que des questions m e t t a n t en cause les conditions de vie et de travail des é t u d i a n t s » 4 . « Le Conseil d'université élabore le s t a t u t de l'université d é t e r m i n e le p l a n financier et a p p r o u v e le bilan a n n u e l de l'université ; il confirme l ' a c t e de f o n d a t i o n des i n s t i t u t i o n s scientifiques et auxiliaires de l'université, des centres pour les études de troisième cycle, a p p r o u v e les règlements de ces institutions, f o n d e les i n s t i t u t i o n s des h a u t e s études, exerce d ' a u t r e s fonctions i m p o r t a n t e s prévues p a r la loi, les règlements et p a r ce s t a t u t . » 5 C o n f o r m é m e n t à u n e t e n d a n c e décentralisatrice qui s'est amorcée r é c e m m e n t d a n s l'économie et la politique yougoslaves, l'organisation des facultés s ' a u t o n o m i s e p a r r a p p o r t à l'organisation de l'université. Mais c e t t e t e n d a n c e s'est h e u r t é e à une résistance de la m a j o r i t é des professeurs. A u j o u r d ' h u i l'élection des professeurs se f a i t d a n s le cadre de la f a c u l t é t a n d i s q u ' a u p a r a v a n t l'université d e v a i t donner son appro1. Loi de 1962 sur les universités, article 4. 2. Même loi, article 11. 3. Le terme français de « conseil » correspond à deux mots en serbo-croate : « savjet » et « vijece » ; on emploie « savjet » pour le Conseil d'université et « vijece » pour la Direction d'université ; il en va de même pour les facultés. 4. Loi de 1962 sur les universités, article 129. 5. Même loi, article 129.

L'ENSEIGNEMENT

EN

YOUGOSLAVIE

83

b a t i o n . D'ailleurs les m e m b r e s et les r e p r é s e n t a n t s de l'université ou de la f a c u l t é a u sein des Conseils d'université, responsables de facultés, o n t la m a j o r i t é absolue. Ainsi, l ' a u t o n o m i e d u t r a v a i l de l'université se t r o u v e c o m p l è t e m e n t assurée. Les m e m b r e s non-universitaires n e possèdent plus la possibilité d'imposer leur v o l o n t é a u x universitaires. Cette t e n d a n c e a été p o u r t a n t t r è s n e t t e i m m é d i a t e m e n t après la guerre. D a n s u n e discussion r é c e n t e sur l ' a u t o g e s t i o n , le professeur D . B r a t i c e s t i m e qu'il f a u d r a i t abolir t o u t e t r a c e de gestion sociale p a r l'élimination des non-universitaires a u sein des organes d ' a u t o gestion ; l'organisation d ' a u t o g e s t i o n , r e p r é s e n t a n t seulement des groupes liés à la f a c u l t é , se c o n t e n t e r a i t de r e n d r e publiques ses activités et en p r e n d r a i t la responsabilité d e v a n t la c o m m u n a u t é sociale 1 . Le professeur B r a t i c justifie ainsi sa position : « A la f a c u l t é , a u j o u r d ' h u i , il n ' y a pas de forces réactionnaires organisées ; j ' a d m e t s qu'il y ait des individus qui, dans la solution des problèmes de n o t r e i n s t i t u t i o n , n e p a r t e n t pas de la position socialiste et n e désirent p a s a t t e i n d r e à de meilleurs r é s u l t a t s . Si l ' o n e n t e n d parler encore de la gestion sociale de l'université en a y a n t en v u e la présence des r e p r é s e n t a n t s de la c o m m u n a u t é sociale a u sens large, on doit c o n s t a t e r q u e la f o n c t i o n essentielle de ces r e p r é s e n t a n t s n e consiste plus dans u n contrôle formel et effectif d u t r a v a i l ou de la politique universitaires, mais p l u t ô t d a n s l ' i n t é g r a t i o n de ceux-ci à l ' a m b i a n c e sociale ». Mais le système d e l'autogestion n e saurait être décrit i n d é p e n d a m m e n t des forces e t des groupes q u i soutiennent ou f r e i n e n t son dével o p p e m e n t e t , n o t a m m e n t , des a t t i t u d e s des professeurs et des é t u d i a n t s . Si à l ' h e u r e actuelle on r e m a r q u e u n e t e n d a n c e à élargir t o u j o u r s d a v a n t a g e le d o m a i n e de l'autogestion sociale à l'université, il f a u t aussi n o t e r u n e t e n d a n c e , perceptible s u r t o u t p a r m i les professeurs, à m a i n t e n i r les modèles a u t o r i t a i r e s de décision et d'enseignement. On v e r r a e n effet ci-après q u e la d é m o c r a t i s a t i o n r a p i d e et é t e n d u e d e l'enseignement supérieur, la politique de la « p o r t e o u v e r t e » des universités, la croissance b r u t a l e et le caractère d i s p a r a t e d e leurs n o u v e a u x effectifs e t , p a r voie de conséquence, l ' a u g m e n t a t i o n d u t a u x d e déchet, n ' o n t p a s été sans poser de graves problèmes pédagogiques : aussi est-il compréhensible que soit a p p a r u e , d a n s le corps professoral, u n e t e n d a n c e se r é c l a m a n t des critères t e c h n i q u e s de l'efficacité scolaire e t v i s a n t à resserrer le régime des études et à r e n d r e plus sévère la sélection.

1. D. BBATIC, « L'autogestion à l'université », thèses et discussions publiées dans la revue Gledista n° 11, 1964, Belgrade.

84

LE

L'ÉDUCATION

DÉVELOPPEMENT SCOLARITÉ

DEPUIS

ET LA

LES

ET

LA

STRATIFICATION

CARACTÉRISTIQUES

GÉNÉRALES

SOCIALE

DE

LA

GUERRE

U n des t r a i t s t y p i q u e s de t o u s les p a y s sous-développés réside d a n s le f o r t p o u r c e n t a g e d ' a n a l p h a b é t i s m e : malgré t o u s les efforts de l'aprèsguerre c'est encore a u j o u r d ' h u i u n e t a r e culturelle de la société yougoslave, s u r t o u t dans les régions orientales. 3.1.

L'ÉVOLUTION DU TAUX D'ANALPHABÉTISME PAR RÉGIONS DEPUIS 1 9 2 0

A nnées Régions

1921 /o

1931 V/o

1953 /o

1961 /o

Bosnie et Herzégovine Monténégro Croatie Macédoine Slovénie Serbie

78,2 62,5 37,5 77,4 8,9 53,5

70,0 56,1 31,1 67,5 5,5 46,9

40,2 30,1 16,3 35,7 2,7 27,9

32,5 21,1 12,1 24,4 1,8 21,8

Ensemble de la Yougoslavie

50,5

44,6

25,4

19,7

Source : G. PECELJ, « Niveau d'instruction de la population », Stanovnistvo, 1963, Belgrade.

n° 2,

On voit que les différences r e s t e n t grandes e n t r e les régions occidentales qui sont les plus industrialisées (Slovénie ou Croatie) et les régions orientales ou dinariques, demeurées agricoles. Si ces disparités e n t r e régions s'expliquent p a r l ' h é r i t a g e historique, les premières a y a n t été l o n g t e m p s sous la d o m i n a t i o n autrichienne e t les dernières sous la d o m i n a t i o n o t t o m a n e , il reste que le t a u x n a t i o n a l d ' i n s t r u c t i o n n ' e s t guère satisfaisant s u r t o u t si on le c o m p a r e à celui des a u t r e s n a t i o n s socialistes 1 . Le degré d ' i n s t r u c t i o n a p p a r a î t r a i t encore plus insatisfaisant si on le m e s u r a i t a u x cycles de scolarité effectivement achevés. C e p e n d a n t si l ' o n p r e n d en considération le n o m b r e d ' a n n é e s passées à l'école, on r e m a r q u e q u e le t a u x de scolarisation a a u g m e n t é de 25 % e n t r e 1953 et 1961, ce q u i p e r m e t de conclure qu'il existe depuis peu u n e n e t t e t e n d a n c e à l'amélioration. 1. Cf. quelques taux d'analphabétisme : U.R.S.S. 1,5 %, Hongrie 3,1 %, Pologne 4,7 %, Italie 8,4 %, Roumanie 11,4 % , Espagne 13,3 %, Bulgarie 14,7 %, Grèce 19,6 %, Yougoslavie 19,7 %, Portugal 38,1 %. Démographie Yearbook 1963, O.N.U., 1964.

L'ENSEIGNEMENT

3.2.

EN

YOUGOSLAVIE

85

L A STRUCTURE SCOLAIRE DE LA POPULATION AU-DESSUS DE 10 ANS

Années Degré

d'instruction

1953

1961

42.1 50.2 6,5 0,6 0,6

33,1 55,9 9,3 1,3 0,4

ïôoTô

100,0

%

Scolarité non terminée Écoles primaires Écoles moyennes Écoles supérieures Inconnu TOTAL

/o

Source : Institut fédéral de planification économique, Belgrade, 1966.

3.3.

L E NIVEAU MOYEN DE LA SCOLARISATION PAR RÉGIONS

Régions

(en valeurs pondérées) 1

Coefficient général de la

scolarisation

1953

1961

Bosnie et Herzégovine Monténégro Croatie Macédoine Slovénie Serbie

0,41 0,66 0,83 0,57 1,03 0,69

0,60 0,81 0,97 0,78 1,25 0,82

Yougoslavie

0,70

0,85

Source : G. PECELJ, « Niveau d'instruction de la population », op. cit.

Si on se demande comment a évolué la scolarisation de la jeunesse dans les différentes classes d'âge scolaire (c'est-à-dire entre 7 et 23 ans), on constate que près de 95 % de jeunes ont été régulièrement scolarisés dans les écoles primaires depuis 1961. Mais le taux de scolarisation, d'ailleurs en augmentation, est particulièrement faible entre 15 et 19 ans. E n revanche, comme on le verra ci-après, le taux de scolarisation supérieure dépasse en Yougoslavie celui de nombreux pays européens hautement développés. 1. On a accordé un poids égal à 1 pour l'achèvement de 4 classes, un poids égal à 2 pour l'achèvement de 8 classes et un poids égal à 3 pour le niveau des gymnases.

86

UÊDUCATION

3.4.

ET

LA

STRATIFICATION

L E TAUX DE SCOLARISATION DES GÉNÉRATIONS D'ÂGE

SOCIALE

SCOLAIRE

Scolarisation Classes d'âge

7-10 11-14 15-18 19-23

ans ans ans ans

1961 /o

1965 /o

Indice 1965

95,9 64,7 27,7 4,1

95,7 76,3 32,3 5,2

99,8 117,9 116,6 126,8

1

Source : Institut fédéral de planification économique, Belgrade, 1 9 6 6 .

Les données de l'O.N.U. pour 1960 permettent d'apercevoir que, si le taux de scolarisation de la classe d'âge de 7 à 10 ans se situe à peu près au niveau européen, la scolarisation de la classe de 15 à 19 ans sépare la Yougoslavie de la plupart des autres pays. 3 . 5 . L A COMPARAISON DES TAUX DE SCOLARISATION POUR D E U X TRANCHES D'ÂGE

Scolarisation Pays

Pays 5-14 ans 15-19 ans 1 U.S.A. Autriche Bulgarie France Hongrie

83 61 76 76 80

i

,

76 55 42 75 32

Scolarisation 5-14 ans 15-19 ans

Italie Pologne Roumanie Yougoslavie 1 9 6 0 Yougoslavie 1 9 6 5

50 77 70 68 76

48 44 31 18 27

En ce qui concerne, au contraire, le nombre d'étudiants, la Yougoslavie dépasse tous les pays européens. Ainsi, la population scolaire présente en Yougoslavie une structure très particulière : le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire correspond à la moyenne européenne, le taux de scolarisation est inférieur à cette moyenne dans les écoles secondaires et beaucoup plus élevé dans les établissements d'enseignement supérieur. Alors que l'enseignement secondaire ne forme pas assez de cadres moyens pour l'industrie, il y a d'autre part surproduction relative de l'intelligentsia. Il est superflu d'indiquer qu'une telle structure de la population scolaire 1. C'est-à-dire sur la base 1 0 0 pour 1 9 6 1 .

L'ENSEIGNEMENT

EN

87

YOUGOSLAVIE

d a n s u n p a y s en voie de t r a n s f o r m a t i o n industrielle p r o d u i t u n déséquilibre grave dans la s t r u c t u r e de la m a i n - d ' œ u v r e qualifiée et t e n d à a u g m e n t e r le n o m b r e d'employés ou de travailleurs a d m i n i s t r a t i f s qui n e sont pas d i r e c t e m e n t engagés d a n s la p r o d u c t i o n . Pareille s t r u c t u r e des qualifications freine c e r t a i n e m e n t la p r o d u c t i v i t é des entreprises, puisque son utilisation supposerait u n n i v e a u t r è s élevé d e m é c a n i s a t i o n et d ' a u t o m a t i s a t i o n qui n ' e s t pas encore a t t e i n t p a r la Yougoslavie. 3 . 6 . L E NOMBRE D'ÉTUDIANTS POUR 1 0 0 0 0 HABITANTS E N YOUGOSLAVIE ET DANS QUELQUES PAYS E U R O P É E N S

Nombre d'étudiants Pays mo

Autriche Belgique Danemark Norvège Pays-Bas Suisse Suède Yougoslavie

22 27 18 29 26 24 33

1959

32 29 29 27 33 26 42 56

Sources : Annuaire statistique de la S.F.R.J. 1953 et 1959. Resources of Scientific and Technical Personnel in the O.E.C..D. Area, Paris, 1963.

O.E.C.D.

Il f a u d r a i t a j o u t e r que m ê m e a u n i v e a u de l'enseignement primaire la scolarisation n e se f a i t pas d a n s de bonnes conditions. O u t r e la sous-qualification d ' u n e g r a n d e p a r t i e d u personnel enseignant, les l o c a u x e t les i n s t r u m e n t s nécessaires à l'enseignement des disciplines particulières sont t r è s insuffisants 1 . La raison en est que les ressources d o n t disposent les écoles sont r é p a r t i e s d ' u n e manière f o r t déséquilibrée e n t r e les frais de personnel et les frais de m a t é r i e l . S'il est v r a i q u e la p a r t d u r e v e n u n a t i o n a l a t t r i b u é e à l'enseignement a sensiblem e n t a u g m e n t é de 1952 à 1964 p a s s a n t de 2,5 % à 4,8 % et a t t e i g n a n t ainsi les dépenses des p a y s développés, la s t r u c t u r e des crédits reste déséquilibrée. La s i t u a t i o n est sans d o u t e meilleure p o u r les écoles industrielles d i r e c t e m e n t financées p a r les entreprises qui, p a r exemple, r é m u n è r e n t m i e u x le personnel enseignant que les c o m m u n e s . La qualité de l'enseignement é t a n t fonction des crédits matériels consentis, il est intéressant de faire u n e comparaison e n t r e la Yougoslavie e t d ' a u t r e s p a y s européens. 1. Ainsi 74 % des écoles primaires ne possèdent qu'une ou deux salles de classe.

88

L'ÉDUCATION

3.7.

LA

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

STRUCTURE DES DÉPENSES POUR L'ACTIVITÉ SCOLAIRE EN 1961 ET

1964

Dépenses Niveaux

d'enseignement Personnel

Écoles primaires Ecoles secondaires Ecoles supérieures TOTAL

Matériel

A mortissement

87,6 74,1 69,3

11,0 23,0 27,5

1,4 2,9 3,2

81,0

16,9

2,1

Source : Bureau fédéral de planification économique, Belgrade, 1966.

On aperçoit la déficience d'une pareille structure des dépenses : en 1960, la part des dépenses de matériel était en Belgique de 41,5 % , en Finlande de 37,6 % , en France de 28,1 % , en Hongrie de 57,3 % , en Norvège de 29,1 % , en U.R.S.S. de 45,7 % . La gratuité de l'enseignement ne suffit pas, on le sait, à abolir tous les obstacles économiques à la démocratisation de l'école. Pour atténuer les handicaps économiques qui pèsent sur la scolarisation des couches sociales défavorisées, la politique yougoslave de l'éducation a favorisé la création de « maisons d'étudiants » et, du moins jusqu'à ces dernières années, s'est appuyée principalement sur un système de bourses. Mais depuis peu, ce système tend à être relayé par un système de crédits accordés par les banques d'état. Aussi voit-on la part des étudiants titulaires de bourses diminuer à partir de 1962-63. 3.8.

L E NOMBRE D'ÉTUDIANTS ET LE POURCENTAGE DE BOURSIERS

EN 1962-63 ET EN 1964-65 SELON LE T Y P E D'ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT

SUPÉRIEUR

Effectifs

Types

Facultés Académies Hautes écoles Écoles supérieures TOTAL

1962-63

d'établissements

1964-65

Nombre d'étudiants

de boursiers

Nombre d'étudiants

0/ de boursiers

80 746 1 755 2 546 21 374

22,0 19,0 32,4 22,2

75 653 1 909 3 552 25 845

19,6 17,9 28,1 18,4

106 421

23,0

106 959

19,5

Source : « Jugoslavija 1945-64 » , Annuaire grade, 1965.

0/

du Bureau fédéral de statistiques, Bel-

L'ENSEIGNEMENT

EN

YOUGOSLAVIE

89

I l faut noter que les bourses concernent principalement les étudiants : on ne trouve pas plus de 6,5 % de boursiers dans les écoles secondaires, et encore parmi ceux-ci plus de 50 % sont-ils élèves d'écoles professionnelles et 20 % élèves d'écoles réservées aux ouvriers qualifiés, les élèves des gymnases ne représentant que 5 % . Ce fait est étroitement lié aux sources du financement : plus de 50 % en revient aux entreprises et 34 % aux communes. Ainsi les élèves des gymnases appartiennent presque nécessairement, malgré la gratuité des études, aux couches sociales les plus aisées. L e système de crédits accordés par les banques a rencontré certaines réticences chez les étudiants. La part des étudiants ayant signé un contrat avec des banques ou d'autres institutions économiques, comme les entreprises, ne représente encore que moins de 10 % de l'ensemble des étudiants, malgré les conditions très acceptables de ces contrats. Si on n'a pas complètement analysé les avantages et les désavantages de l'un et l'autre systèmes, on considère généralement que le système de crédit porte l'étudiant à terminer plus tôt ses études. L a longueur excessive des études étant un trait typique de nos facultés, on v o i t que le système de crédit a essentiellement une fonction de rationalisation technique. Il v a sans dire que le système de bourses ou de crédit n'est pas en mesure de résoudre entièrement les problèmes matériels des étudiants. Une enquête portant sur les étudiants employés par le Student Service de Zagreb et réalisée par V . Kolaric et I . Kuvacic en 1966 montre qu'environ un cinquième des étudiants inscrits à l'université ou dans les écoles supérieures doivent recourir à un travail extra-scolaire (manuel dans 90 % des cas).

L'EXPANSION

DE L ' E N S E I G N E M E N T

ET SES CONSÉQUENCES

SUPÉRIEUR

PÉDAGOGIQUES

Entre 1959 et 1962, on a assisté à une large expansion de l'enseignement supérieur, accompagnée d'un phénomène de décentralisation et parfois de dislocation des universités, qui, paradoxalement, menaça de transformer la Yougoslavie, où subsistaient de forts vestiges d'analphabétisme, en un « pays d'étudiants » . Impulsée principalement par les hommes politiques, cette expansion a finalement suscité la résistance plus ou moins passive des universitaires. Les causes du phénomène sont multiples : en premier lieu, a joué le désir d'améliorer rapidement la part du personnel hautement qualifié dans les industries nouvelles. En second lieu, il existe en Yougoslavie une forte pression des élèves de second degré en vue de continuer leurs études (85 % de lycéens accèdent à l'université), parce que l'instruction

90

L'ÉDUCATION

ET

LA

STRATIFICATION

SOCIALE

est considérée p a r tous comme u n moyen privilégié de promotion sociale. Troisièmement, il s'est manifesté u n e d e m a n d e de qualifications scolaires de la p a r t des n o u v e a u x cadres des administrations fédérales et régionales qui, avaient accédé à des postes responsables p a r le canal politique, et qui, démunis des qualifications traditionnelles et exposés p a r là à la concurrence des jeunes, ont voulu acquérir une qualification et des diplômes d u niveau de l'enseignement supérieur (où ils pouvaient bénéficier d ' u n s t a t u t particulier). A ces tendances il f a u t a j o u t e r u n certain n o m b r e de dispositions juridiques qui t o u t e s visaient à démocratiser les conditions d'inscription à l'université. La loi sur les écoles supérieures de 1959 accorde le droit d'inscription (en plus des é t u d i a n t s qui ont terminé le lycée ou u n établissement secondaire) a u x catégories suivantes : 1) à tous ceux qui o n t terminé u n e école pour ouvriers qualifiés, 2) à tous ceux q u i ont terminé u n e école d'enseignement p r a t i q u e ou u n e école p o u r apprentis dans l'industrie, 3) à tous ceux qui, n e possédant pas les qualifications scolaires requises, ont a t t e i n t 19 ans et travaillé p e n d a n t au moins 4 ans s'ils ont satisfait à u n e x a m e n spécial d ' e n t r é e 1 . Ainsi la loi f o n d a m e n t a l e de 1959 est dirigée de manière expresse contre la politique d u numerus clausus, et d ' a u t r e s dispositions, comme celle qui prévoit pour des « étudiants irréguliers » la possibilité de passer les examens t o u t en é t a n t dispensés de l'assiduité, prolongent et complètent cette politique de libéralisation. P o u r donner u n e facilité supplémentaire dans l'acquisition des qualifications universitaires, la loi avait créé u n diplôme de premier degré (qui s'obtenait après d e u x ans sur q u a t r e années d'enseignement normal) mais ce système a complètement échoué, parce que personne n ' a voulu s'arrêter à ce grade d u premier degré lorsqu'il était f r a n c h i avec succès. E n 1961-62 on a v u s'inscrire 31 723 étudiants irréguliers, ce qui représente presque 30 % d u nombre t o t a l des inscriptions. Il est vrai que depuis cette d a t e le n o m b r e de ces é t u d i a n t s diminue régulièrement et, d ' a u t r e p a r t , cette population est s u j e t t e à u n f o r t t a u x de déchet en cours d'études, puisqu'il ne subsiste plus que 18,9 % en 1961 et seulement 7,7 % en 1962 des inscrits de 1960. On voit que le n o m b r e de facultés a augmenté en huit ans des d e u x tiers (72 % ) , cependant que le n o m b r e des écoles supérieures triplait. Le n o m b r e d ' é t u d i a n t s inscrits dans les facultés a a u g m e n t é des deux tiers, tandis que le nombre des é t u d i a n t s des écoles supérieures a été multiplié p a r cinq. Sur une plus longue période, le n o m b r e d ' é t u d i a n t s f r é q u e n t a n t les divers établissements d'enseignement supérieur, qui était en 1938 de 16 978, avait a t t e i n t 158 010 en 1961, c'est-à-dire qu'il a v a i t été multiplié p a r 10. 1. La part des candidats qui ont passé avec succès cet examen n'a jamais été très forte ; elle a été dans les écoles supérieures de l'ordre de 19 % entre 1959 et 1962.

L'ENSEIGNEMENT

EN

3.9.

91

YOUGOSLAVIE

L'EXPANSION DU NOMBRE D'ÉTABLISSEMENTS SUPÉRIEURS ET DU NOMBRE D'ÉTUDIANTS ENTRE 1 9 5 7 ET 1 9 6 4

Effectifs Facultés

Hautes

écoles

Établissements

Étudiants

Académies

Écoles supérieures TOTAL DES ÉTABLISSEMENTS

Années Établissements 1957-58 1958-59 1959-60 1960-61 1961-62 1962-63 1963-64

Source

54 55 59 78 88 93 93

: Annuaire

Étudiants

60 69 78 82 104 112 105

246 087 904 927 875 005 543

1 2 7 10 14 16 16

de statistique

1 2 3 4

292 303 464 161 088 461 268

yougoslave,

Établissements 11 11 11 11 11 14 14

*

Étudiants

1 1 1 1 1 1 1

Établissements

320 394 377 418 418 648 817

44 54 66 106 136 136 137

Étudiants

9 12 16 19 32 40 47

110 122 143 205 249 259 260

994 098 145 286 193 989 782

B e l g r a d e , 1963.

Pareille expansion a eu principalement pour fonction de procurer une qualification scolaire à ceux dont l'éducation secondaire était incomplète et qui se trouvaient déjà engagés dans une activité professionnelle, la plupart du temps au service de l'administration d'état ou des communes. On en trouverait la preuve dans la comparaison des âges moyens des différentes catégories d'étudiants. 3 . 1 0 . L'ÂGE MOYEN DES ÉTUDIANTS SELON L'ANNÉE D'INSCRIPTION ET LE TYPE D'ÉTABLISSEMENT

!

Types