Humanisme et église en Italie et en France méridionale: XVe siècle-milieu du XVIe siècle / 272830677X

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French Pages 500 p. ; [487] Year 2004.

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Humanisme et église en Italie et en France méridionale: XVe siècle-milieu du XVIe siècle /
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COLLECTION DE L’ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME - 330

HUMANISME ET ÉGLISE EN ITALIE ET EN FRANCE MÉRIDIONALE (XVe SIÈCLE – MILIEU DU XVIe SIÈCLE) SOUS LA DIRECTION DE PATRICK GILLI

COLLECTION

DE

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FRANC ¸ AISE

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330

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´ GLISE HUMANISME ET E EN ITALIE ET EN FRANCE ´ RIDIONALE ME ` CLE – MILIEU DU XVIe SIE ` CLE) (XVe SIE

sous la direction de Patrick GILLI

´ COLE FRANC¸AISE DE ROME E 2004

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Ouvrage publie´ avec le concours du CHREMMO de l’Universite´ Paul-Vale´ry-Montpellier-III (EA 3764)

´ glise en Italie et en France me´ridionale (XVe sie`cle – milieu Humanisme et E ´ cole franc¸aise de du XVIe sie`cle / sous la direction de Patrick Gilli. Rome : E Rome, 2004. ´ cole franc¸aise de Rome, ISSN 0223-5099; 330) (Collection de l’E ISBN 2-7283-0677-X 1. Humanism - Italy - History - 15th century - Congresses. 2. Humanism Italy - History - 16th century - Congresses. 3. Humanism - France, Southern - 15th century - Congresses. 4. Humanism - France, Southern 16th century - Congresses. 5. Catholic Church and humanism - History Congresses. I. Gilli, Patrick II. Series ´ cole franc¸aise de Rome CIP – Bibliothe`que de l’E

´ cole franc¸aise de Rome - 2004  - E ISSN 0223-5099 ISBN 2-7283-0677-X

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PATRICK GILLI

HUMANISME ET ÉGLISE : LES RAISONS D’UN MALENTENDU *

Le présent colloque est issu d’une interrogation ancienne qui, malgré de nombreuses recherches récentes, demeure pertinente. À tout historien apparaît comme une évidence qu’un des problèmes centraux de l’humanisme réside dans sa définition par rapport à l’Église, ou plus précisément par rapport à des institutions ecclésiastiques (la curie et la papauté, les ordres mendiants et l’Observance, voire la théologie scolastique). La difficulté vient principalement de ce que sous la même appellation d’humanisme avaient été réunis des individus dont les trajectoires biographiques et surtout les productions culturelles pouvaient être radicalement contradictoires, sous le rapport religieux. La notion même d’humanisme s’avérait ainsi porteuse d’ambiguïtés et je voudrais faire en guise d’introduction un tour d’horizon superficiel de quelques-uns des secteurs où studia humanitatis et Église peuvent se rencontrer, collaborer, ou se heurter. C’est peu dire que l’historiographie du thème a peut-être plus obscurci qu’éclairé le problème. En effet, dès le XVIe siècle, puis par la suite au XVIIIe siècle, le développement de la Renaissance, dont les studia humanitatis forment la pointe acérée, a été jugé comme responsable d’un intervalle désastreux dans la pensée chrétienne, quand les Européens se sont mis à prendre goût au sensualisme et à l’épicurisme païens. Côté historiographie catholique, l’humanisme avait abouti aux blasphèmes de la Réforme; côté laïque, au contraire, l’humanisme et la Renaissance étaient porteurs des premiers fruits des Lumières. C’est explicitement l’opinion d’un Voltaire et implicitement celle de Jacob Burchardt1, dans sa Civilisation de la

* N’étant ici question que d’un rapide survol des thèmes à l’origine de ce colloque, les notes de bas de page qui suivent ne sont en rien exhaustives (il eût fallu consacrer un ouvrage de bibliographie entier sur cet argument); elles visent uniquement à aiguiller sommairement le lecteur. 1 J. Burckhardt, La civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, 1958, t. III. Voir, à ce propos, la préface de R. Klein à sa traduction française de l’ouvrage sur les formules somme toutes nuancées du savant allemand à propos des humanistes et de la religion (t. I, p. XXXII-XXXIII).

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Renaissance en Italie. Ludwig Pastor, autre autorité incontournable, reconnaissait que deux courants alimentaient la Renaissance, l’un païen, l’autre chrétien. Inutile de s’appesantir longuement sur ce point largement connu. Ces dernières années ont été marquées par plusieurs directions de recherche nouvelles, tendant à poser le problème en d’autres termes. Si l’on prend les choses au plus simple, le premier niveau d’analyse serait le suivant : l’humanisme, originellement culture alternative, anti-scolastique, semble dans une posture très ambiguë à l’égard de l’Église. Assurément, les premiers humanistes n’apparaissent pas formellement comme hostiles aux dogmes ou aux institutions ecclésiales (l’eussent-ils pu?), bien au contraire. Pétrarque, par exemple dans De l’ignorance, ne cesse de revendiquer son rôle de philosophe moral et chrétien, et il pourfend tous ceux qui en son temps représentent le courant le plus impie à ses yeux, à savoir les averroïstes, accusés de promouvoir une métaphysique non chrétienne fondée sur des principes comme l’éternité du monde ou la mortalité de l’âme. Seul un critère de conformisme religieux permet de juger de la validité des philosophies antiques. À un interlocuteur qui déplorait les vaines croyances chrétiennes d’un grand esprit comme fut saint Augustin, Pétrarque répondit : «Ces amis me jugent ignorant et même délirant parce qu’ils appartiennent à la secte de ceux qui méprisent les pratiques de la dévotion chez une personne cultivée, attribuent la religion à la peur et estiment que l’on manque d’intelligence et de culture lorsqu’on n’ose pas dire quelque chose contre Dieu et mettre en discussion quelques points de la foi catholique, en ne respectant que le seul Aristote 2 ». C’est le point de vue contraire qu’il entend défendre. Ainsi sous la plume de Pétrarque, les studia humanitatis se donnent pour mission de combattre les courants institutionnels, universitaires, perçus comme les fourriers de l’anti-christianisme, courants qui remontent au moins aux débats parisiens du XIIIe siècle, prolongés à Oxford au XIVe et passés à Padoue au XVe siècle 3. Si ce programme était suivi à

2 Pétrarque, De sui ipsius et multorum ignorantia, dans F. Petrarca, Prose, G. Martellotti et alii (éd.), Milan, 1955, p. 762. Sur l’ouvrage, voir A. Kamp, Petrarcas philosophisches Programm : über Prämissen, Antiaristotelismus und «Neues Wissen» von «De sui ipsius et multorum ignorantia», Francfort-sur-le Main, 1989. Sur le rapport de Pétrarque à saint Augustin, voir (entre autres!) P. P. Gerosa, Umanesimo cristiano del Petrarca : influenza agostiniana, attinenze medievali, Turin, 1966, et P. de Courcelles, Les Confessions de saint Augustin dans la tradition littéraire, Paris, 1963, p. 329 sq.; et très récemment C. E. Quillen, Petrarch, Augustine, and the language of humanism, Ann Arbor, 1998. 3 P. O. Kristeller, Le mythe de l’athéisme de la Renaissance et la tradition française de la libre pensée, dans Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, 37, 1975, p. 337-348.

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la lettre, la recherche de la vérité, qui passe par la recherche philologique, pourrait être le plus sûr auxiliaire de l’orthodoxie religieuse. Et le fait est que, dans le berceau de l’humanisme, Florence, c’est autour du moine augustin Luigi Marsili que se réunissent les jeunes humanistes florentins, parmi lesquels Coluccio Salutati, dont l’objectif est de mettre au service de la théologie traditionnelle la persuasion de la rhétorique humaniste 4. D’une certaine façon, on rejoint ici l’idée, assurément exagérée, de Giuseppe Toffanin, celle de l’humanisme comme réaction aux tendances hérétiques du Moyen Âge. La difficulté vient de ce que très vite plusieurs courants contradictoires effectivement se croisent; elle vient aussi de la notion d’humanisme, selon que l’on le définisse comme idéologie constituée et corpus doctrinal ou comme méthodologie. Entendu au sens le plus minimal, l’humanisme regroupe tous ceux qui, s’appuyant sur un héritage antique à faire fructifier, entendent promouvoir un nouveau statut de la culture comme fondement anthropologique de l’homme 5 ; le programme pédagogique des humanistes insiste sur cette dimension de la liberté humaine gagnée à travers les studia humanitatis, liberté humaine dans l’espace que lui concède cependant Dieu (je n’entre pas ici dans les complexes débats qui ont agité les milieux lettrés, universitaires et humanistes, à propos du libre-arbitre et de la potentia absoluta divine 6). Cependant, cette définition élémentaire est suffisamment globalisante pour susciter des interprétations qui n’ont pas de points communs entre elles et pour attirer des intellectuels dont les orientations idéologiques ne sont en rien convergentes. Si l’on passe sur les cas d’hostilité déclarée, telle 4 Voir, par exemple, E. Garin, La cultura filosofica del Rinascimento italiano, rééd., Milan, 1994 (Ière éd., 1961), p. 168 sq. (article intitulé «Desideri di riforma nell’oratoria del Quattrocento»). Il est symptomatique aussi que le premier humanisme français, qui s’est épanoui aux tournants des XIVe et XVe siècles, ait eu a cœur de se lancer contre les philosophes (y compris les théologiens épris de philosophie) accusés de «mépriser la Bible et les Pères de l’Église» comme le dit explicitement Gerson, figure emblématique de ce premier humanisme français occupant le cœur des institutions universitaires françaises puisqu’il était chancelier de l’université de Paris (E. Gilson, La philosophie au Moyen Âge, Paris, 19862, p. 717. 5 C. Trinkaus, Il pensiero antropologico-religioso nel Rinascimento, dans Il Rinascimento. Interpretazione e problemi, Rome-Bari, 1983 (1re éd., 1979), p. 103148. 6 Parmi les travaux d’E. Garin consacrés à ce vaste problème, voir Giovan Francesco Pico della Mirandola. Savonarolian apologetics and the critique of ancient thought, dans T. Verdon et J. Henderson (éd.), Christianity and the Renaissance. Image and religious imagination in the Quattrocento, Syracuse, 1990, 524532; voir aussi C. Trinkaus, Cosmos and man : Marsilio Ficino and Giovanni Pico on the structure of the universe and the freedom of man, repris dans Id., Renaissance transformation of late medieval thought, Aldershot, 1999, p. 335-356.

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la critique virulente adressée à Coluccio Salutati par Giovanni Dominici au sujet de la poésie (thème qui, au demeurant, n’est pas neuf à la fin du XIVe siècle, car il se raccroche à celui du taedium scriptorum gentilium qui parcourt le Moyen Âge depuis le XIIe siècle et ne disparaît pas pendant tout le XV siècle 7), il faut reconnaître que le débat est rendu difficile parce que les réalités sont souvent contradictoires, et ce à plusieurs niveaux. D’abord, un humaniste comme Salutati peut à la fois faire l’éloge de l’ascétisme et du renoncement dans les cloîtres, en exaltant la supériorité des vœux monastiques sur toute autre forme de vie religieuse, défendant ainsi un point de vue doctrinalement conservateur (De seculo et religione), tout en rédigeant peu après un traité sur les Travaux d’Hercule dans lequel il tente à demi-mot de fonder une theologia poetica grâce à laquelle il prétend retrouver des soubassements chrétiens derrière les mythes et les fables de l’Antiquité cachés par les allégories que la scientia sermocinalis doit expliciter. Reprenant Pétrarque et anticipant sur Nicolas de Cues, Salutati cherche à mettre au service de la propagation de la foi les arts du langage, c’est-à-dire les secteurs novateurs dans le champ culturel du temps 8. Il incarne, par ses contradictions, cette pensée humaniste chrétienne d’inspiration laïque. Ce sont d’ailleurs bien ces prétentions de laïque que lui reproche Dominici, qui plus est, dans un contexte de crise de l’institution ecclésiale qui conduit les protagonistes à affermir leurs positions 9. Se dégage ainsi un premier courant d’échanges polémiques entre une partie du clergé et les représentants des studia humanitatis qui semblent débordés par les tendances d’une partie de l’Église à la restauration morale et

7 G. Ouy, Le thème du taedium scriptorum gentilium chez les humanistes, particulièrement en France au début du XVe siècle, dans Cahiers de l’association internationale des études françaises, 23, 1971, p. 9-26; à compléter par le classique article de G. C. Meersseman, «In libris gentilium non studeant». L’étude des classiques interdite aux clercs au Moyen Âge?, dans Italia medievale et umanistica, I, 1958, p. 1-12, et B. M. Olsen, L’attegiamento medievale di fronte alla cultura classica, Rome, 1994. Le statut de la poésie a été, depuis saint Jérôme, un lieu privilégié d’affrontements savants; le XIVe siècle italien a tout particulièrement insisté sur la valeur hautement spirituelle des poètes, don divin accordé à quelques hommes : sur ces arguments développés par Mussato, Pétrarque, Boccace et Salutati, voir R. Witt, Coluccio Salutati and the poeta theologus, dans Renaissance Quarterly, 30, 1977, 538-563, et la récente présentation du De genealogia Deorum par Y. Delègue (Boccace, La généalogie des dieux, livres XIV et XV, un manifeste pour la poésie, Y. Delègue trad., Strasbourg, 2001). 8 C. Trinkaus, The religious thought of the Italian humanists, and the reformers : anticipation or autonomy?, dans C. Trinkaus et H. A. Oberman, The pursuit of holiness in late medieval religion, Leyde, 1974, p. 360. 9 C. Mésoniat, Poetica theologia. La Lucula noctis di Giovanni Dominici e le dispute letterarie tra ‘300 e ‘400, Rome, 1984.

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donnent l’impression de s’effrayer de leur propre audace. Dans cet échange, l’initiative du débat et de la polémique est cléricale. Mais l’on sait que les relations entre Église et humanisme sont loin de se réduire à ce diptyque polémique ou, pour mieux dire, les enjeux du conflit peuvent s’élargir considérablement. La recherche éperdue de manuscrits, caractéristique du premier humanisme, le plus souvent retrouvés en piteux états dans les bibliothèques monastiques, a été l’occasion du déchaînement d’une violence verbale de l’aile la plus militante de ce courant, encore fragile institutionnellement mais qui a le vent en poupe, à l’encontre de l’Église accusée d’avoir suscité volontairement l’enfouissement des trésors de l’Antiquité, précipitant par là même le déclin de Rome et de l’Italie. Et l’on retrouve un thème important de la culture humaniste du premier Quattrocento : la critique culturelle débouche sur une critique institutionnelle de l’Église ou de la papauté, même si, en l’occurrence, il semble que cette polémique ait été chronologiquement datée et circonscrite à quelques décennies charnières au tournant des XIVe-XVe siècles10. En fait, pour y voir plus clair, il faut dégager plusieurs séquences chronologiques, mais aussi géographiques. Le cas florentin est le plus explicite. Florence, dans la première moitié du XVe siècle, est dominée par Bruni, Niccolo Niccoli, Carlo Marsuppini, et le Pogge, qui ont tourné la page de la conciliation voulue par le vieux maître et se distingue par la convergence d’attaques sur les mœurs du clergé, des mendiants et de la curie11; cette étape est suivie par le développement d’une culture humaniste d’esprit platonicien autour de Marsile 10 Voir, à titre liminaire, I. Taù, Il Contra oblocutores et detractores poetarum di Francesco da Fiano, dans Archivio italiano per la storia della pietà, 4, 1965, 254-350. Sur la réception des textes patristiques, C. Stinger, Italian Renaissance learning and the church’ fathers, dans Reception of the church fathers in the West from the Carolingians to the Maurists, edited by I. Backus, Leyde, 1997. 11 R. Fubini, Intendimenti umanistici e riferimenti patristici dal Petrarca al Valla, dans Giornale storico della letteratura italiana, 151, 1974, surtout p. 525-526. Passé le moment salutatien de justification conciliante des études s’ouvre une période dans laquelle les humanistes rejettent en bloc et avec force toute condamnation cléricale de l’inutilité des savoirs anciens. Du même, voir son dernier ouvrage L’umanesimo italiano e i suoi storici. Origini rinascimentali. Critica moderna, Milan, 2001, p. 322-324, sur les sentiments religieux du Pogge et sa difficulté à accepter les présupposés de la prédication mendiante, tout en faisant montre d’une réelle piété chrétienne à titre personnel. Il faut rappeler à ce propos que même Salutati qui revendiquait une autorité morale sur le jeune Pogge n’a pas hésité, dans une lettre de 1406, à reprocher à ce dernier d’oublier ses devoirs de soumission à la «doctrine chrétienne» (cité par R. Fubini, ibid., p. 323). Une tension se déploie donc dans ces premières décennies du XVe siècle entre un humanisme essentiellement conservateur et une conception de la culture et du lettré qui risque de prendre à rebours la tradition la plus consolidée : la fin du magistère de Salutati a assurément libéré des énergies contenues jusqu’alors à Florence.

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Ficin et Pic de la Mirandole qui gagne les dirigeants (même s’il ne faut certainement pas exagérer la diffusion du platonisme qui n’a jamais représenté, aux dires mêmes de P.-O. Kristeller, qu’un courant minoritaire de l’humanisme du XVe siècle12). Que Laurent le Magnifique ait écrit que «Sans Platon, il serait difficile d’être bon chrétien et bon citoyen13 » montre à quel niveau de convergence et d’ambiguïté peuvent arriver les doctrines d’essence antagoniste, sous la plume d’habiles philosophes. Le platonisme florentin, patronné par les Médicis, n’a pas recherché qu’une convergence superficielle avec l’Église; il a suscité l’adhésion d’une partie du clergé. Un esprit aussi orthodoxe que le cardinal Bessarion n’a pas hésité à défendre Platon (In calomniatorem Platonis) en montrant qu’il est plus facile de tirer du côté des dogmes chrétiens Platon qu’Aristote qui a pourtant servi de base à la philosophie et à la théologie thomiste14. Platon n’a-t-il pas reconnu la bonté et la providence qui président à la création du monde? Mais ce qu’il faut noter ici, c’est qu’il s’agit d’un autre niveau des contacts entre humanisme et Église. Certes, nous sommes toujours dans le domaine de l’histoire des idées, mais avec la question platonicienne, des humanistes proposent des théories qui fondent une nouvelle théologie qui se veut syncrétique : c’est la theologia platonica de Ficin. Des hommes d’Église ont pu leur emboîter le pas, 12 P. O. Kristeller, The role of religion in Renaissance Humanism and Platonism, dans C. Trinkaus et H. A. Oberman, The pursuit... cit., p. 367-370. 13 Cité par T. Verdon, Christianity, the Renaissance, and the study of history, dans T. Verdon et J. Henderson (éd.), op. cit., p. 2. Sur la fonction idéologique du platonisme chez les Médicis, voir F. La Brasca, «Regiae philosophiae potestas» : du néoplatonisme florentin comme appareil idéologique d’État, dans Chroniques italiennes, 49, 1997, p. 35-67, qui cite (p. 57) le prohemium de Ficin du manuscrit de présentation de ses traductions de Platon offert au Magnifique évoquant Laurent à la fois comme cultor religionis et philosophiae patronus. Incidemment, on remarquera que le projet ficinien fondamentalement anti-aristotélicien est défini par son auteur même comme un moyen offert aux gens de bien de lutter contre les sectes impies des aristotéliciens, à un moment où la prédication ordinaire semble incapable de faire face à ce défi; c’est ce que dit encore Ficin dans le prologue de sa traduction des Ennéades de Plotin, offerte à Laurent : Si quis autem putet tam divulgatam impietatem tamque acribus munitam ingeniis sola quadam simplici praedicatione fidei apud homines posse deleri, is a vero longius aberrare palam re ipsa proculdubio convincetur (cité par F. La Brasca, art. cit., p. 61). Le platonisme apparaît dès lors comme une tentative de certains intellectuels médicéens pour sauver la foi et la religion menacées par l’impiété aristotélicienne (ou, pour mieux dire, averroïste); on remarquera également la conscience qu’avait Ficin (conscience partagée par nombre d’humanistes florentins) d’une inadéquation de la prédication, pourtant principal canal d’inculcation des normes de comportement chrétien, à la réalité sociale (sur cette certitude d’une inadéquation de la prédication, voir infra notre article «Les formes de l’anticléricalisme humaniste...». 14 H. Weber, Histoire des idées et des combats d’idées aux XIVe et XVe siècles. De Ramon Lull à Thomas More, Paris, 1997, p. 437.

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dans une certaine mesure, mais le choc ne pouvait manquer de survenir; ainsi de l’arrestation de Pic de la Mirandole en 1487 ou de la condamnation de ses Neuf cents thèses15. C’est donc un autre étape de la relation : non plus le rejet éventuel d’auteurs païens accusés de détourner des sources de la vérité, mais une initiative concurrentielle. Et une concurrence qui porte sur le cœur même de la dogmatique chrétienne. Mais à ce niveau, l’intérêt de la confrontation entre humanisme et Église est aussi dans le fait que des laïques se lancent sur le terrain de la théologie : ce qui était en germe depuis Pétrarque et Salutati finit par se réaliser et suscite les réserves attendues, même si, à y regarder de plus près, ce n’est pas là le courant qui heurte le plus l’Église puisque cette théologie platonicienne demeure longtemps et finalement une élaboration d’un groupe de philosophes florentins confinés dans une sorte d’académie, élargie certes à des ramifications vénitiennes, mais ne débouche pas sur des propositions ecclésiologiques concurrentielles, critiques ou alternatives, qui fussent crédibles. À un tout autre plan et avec des incidences nettement plus fâcheuses se jouent les initiatives d’un Lorenzo Valla. Impossible ici de résumer sa pensée religieuse; d’imposantes monographies lui ont été consacrées16, et l’on y revient sans cesse comme à une source inaltérable et en même temps insaisissable par la multiplicité de ses facettes. Je ne retiendrai, pour l’heure, qu’un point capital pour le sujet. L’humanisme de Valla repose sur un travail philologique qui n’épargne aucun texte, pas même la Bible. Dans ses Adnotationes in Novum Testamentum, il procède, d’ailleurs plus par intuition que par confrontation des manuscrits, à des corrections dont certaines seront reprises par Luther après avoir été diffusées par Erasme. Ce qui nous intéresse ici, c’est la portée de ses retouches de la Vulgate; la plus spectaculaire concerne Mathieu XI, 5 où l’Apôtre annonce que les mendiants sont évangélisés (la Bonne Nouvelle est annoncée

15 Voir tout récemment, Jean François Pic de la Mirandole, 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, éd. établie, et trad. du latin par B. Scheffer, Paris, 1999. Sur la répression culturelle à l’encontre du philosophe, L. Valcke, La condamnation de Jean Pic de la Mirandole. Réévaluation des enjeux, dans J. M. De Bujanda (éd.), Le contrôle des idées à la Renaissance, Genève, 1996, p. 49-74. 16 Retenons-en trois majeures : M. Fois, Il pensiero cristiano di Lorenzo Valla nel quadro storico-culturale del suo ambiente, Rome, 1969; S. Camporeale, Lorenzo Valla. Umanesimo e teologia, Florence, 1972, et l’essai de R. Fubini, Indagine sul «De voluptate» di Lorenzo Valla, repris dans Id., Umanesimo e secolarizzazione da Petrarca a Valla, Rome, 1990, p. 339-394. Voir aussi, outre la contribution de Riccardo Fubin dans ce volume, son dernier ouvrage, L’umanesimo italiano e i suoi storici, Milan, 2001, dont les pages 130-210 sont consacrés à l’humaniste romain.

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aux pauvres). Or, dit Valla, c’est une erreur manifeste de lecture : le verbe grec est un déponent et a donc un sens actif et non passif. Il faut traduire par «les mendiants évangélisent». L’arrivée du christianisme traduit un bouleversement social pour Valla; et les retouches grammaticales révèlent leur dimension révolutionnaire17. L’exemple de Valla est le plus symptomatique des conséquences de la philologie humaniste sur le traitement d’un corpus d’auctoritates, mais ce n’est pas le seul. Quelques années auparavant, Bruni, qui avait retraduit l’Ethique à Nicomaque avait dû affronter les foudres d’un défenseur de la vieille traduction de Guillaume de Moerbeke, en l’occurrence l’évêque Alonso Garcia de Cartagena, alors au concile de Bâle. Les termes de la polémique sont particulièrement éclairants : Alonso concède qu’il ne connaît pas le grec, mais reproche à l’Arétin d’avoir sévèrement critiqué le vetus interpres et ajoute que le point essentiel n’est pas tant «an in graeco sic scriptum est, sed an sic scribi potuit», car ce qui importe n’est pas de savoir ce qu’a dit Aristote, mais si cela est consonant à la philosophie morale18. Evidemment la réponse de Bruni fuse, violente : absurdissimum. En libérant le texte grec de sa traduction-corruption latine barbare, Bruni lui a redonné son authenticité et l’a aussi libéré de son interprétation figée, hors de sa fonctionnalité scolastique. Dans un système pédagogique, mais aussi culturel, fondé sur les auctoritates, il est évident que le travail minimal des humanistes, à savoir la recherche de textes, leur correction ou leur traduction, risquait de prendre à rebours ceux qui s’attachaient à l’exégèse d’un document jugé inaltérable. Le débat entre Bruni et l’évêque de Burgos l’illustre clairement. Est-ce un hasard si Bruni, devenu traducteur du grec, initie sa carrière en ce domaine par la traduction de l’homélie de saint Basile sur l’éducation à donner aux enfants, façon d’apporter sa pierre au programme pédagogique humaniste, en l’espèce en insistant sur le rôle des auteurs antiques dans cette formation, tout en se plaçant sous le patronage de la patristique19 ? À travers ces exemples, sommaires, de Bruni et Valla émergent de nouveaux enjeux de la relation humanisme-Église. Le renouvellement philologique conduit des laïques à investir des champs de la connaissance qui ne leur étaient pas naturellement ouverts comme la

17 A. Moresi, La filologia neotestamentaria di Lorenzo Valla, dans Nuova rivista storica, 48, 1964, p. 35-49. 18 E. Franceschini, Leonardo Bruni e il «vetus interpres» dell’Etica a Nicomaca, dans Medio Evo e Rinascimento, I, 1955, p. 299-319. 19 Sur les différences de lecture de saint Basile entre un humaniste laïque et un moine-humaniste, voir P. Viti, Bruni e Traversari lettori di san Basilio, dans M. Cortesi et C. Leonardi (éd.), Tradizione patristiche nell’umanesimo. Atti del Convegno...Firenze, 6-8 febbraio 1997, Florence, 2000, p. 23-42.

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patristique ou la théologie 20, mais pas seulement : on peut rappeler l’existence d’une hagiographie humaniste (qui n’a pas fait l’objet d’une étude spécifique 21). Valla n’a-t-il pas écrit et prononcé un éloge de Thomas d’Aquin qui lui a valu les foudres du cardinal d’Estouteville; Leon Baptiste Alberti n’a-t-il pas rédigé la Vita de saint Potitus, et avant eux Pier Paolo Vergerio l’Ancien n’a-t-il pas écrit des sermons sur Saint Jérôme 22 ? Ajoutons pour faire bonne mesure les traités sur l’immortalité de l’âme rédigés par des laïques comme celui de Pier Candido Decembrio qui, confusément, anticipe sur les élaborations conceptuelles de Ficin. Il s’agit assurément d’un des thèmes les plus riches de la polémique qui trouvera son point d’orgue en 1513 lors du 5e concile du Latran où l’immortalité de l’âme devient officiellement un dogme de l’Église, ce qui suscitera la relance du débat par Pomponazzi qui la reconnaît comme acte de foi mais maintient qu’elle est rationnellement indémontrable 23. Au reste, sans être nécessairement enclins à la polémique ou à la discussion théologique, des humanistes s’aventurent sur le terrain de la pure spéculation religieuse, jusque sur des thèmes lourds de potentiels conflictuels comme celui de la Nativité 24. Par un singulier mouvement, il se

20 Comme exemple d’une polémique antihumaniste chez les théologiens italiens, S. I. Camporeale, Giovanno Tolosani O.P. e la teologia antiumanistica agli inizi della riforma, dans R. Creytens et P. Künzle (éd.), Xenia medii Aevi historiam illustrantia oblata Thomae kaeppelli O.P., Rome, 1978, 2, p. 819 sq. 21 Une esquisse toutefois chez D. Webb, Sanctity and history : Antonio Agli and humanist hagiography, dans P. Denley et C. Elam (éd.), Florence and Italy. Renaissance essays in honour of N. Rubinstein, Londres, 1988, p. 297-308. Des études monographiques consacrées à tel ou tel auteur humaniste ont cependant abordé le sujet (pour L. Valla, voir supra n. 13, ainsi que les remarques de S. Camporeale, Renaissance humanism and the origins of humanist theology, dans J. W. O’Malley, T. M. Izbicki et G. Christianson (éd.), Humanity and divinity in Renaissance and Reformation : essays in honor of Charles Trinkaus, Leyde, E. J. Brill, 1993, p. 101-124, surtout p. 105-113; pour l’Alberti, voir G. Ponte, Leon Battista Alberti. Umanista e scrittore, Gênes, 1981, p. 19-46). 22 Sur l’intérêt de Vergerio pour saint Jérôme, voir J. Mc Manamon, Pier Paolo Vergerio the Elder, the humanist as orator, Tempe, 1999. Sur le culte des saints chez les lettrés (pas seulement humanistes), voir Peter G. Bietenholz, The veneration of the saints in the cities of the Renaissance, dans M. Miglio et G. Lombardi (éd.), Simbolo e realtà della vita urbana nel tardo medioevo, Rome, 1993, p. 27-45, surtout p. 31-34. 23 Encore une fois, la bibliographie est interminable. Voir e.g. M. P. Gilmore, Italian reactions to Erasmian Humanism, dans H. A. Oberman et T. A. Brady (éd.), Itinerarium Italicum. The profile of the Italian Renaissance in the mirror of its European transformation, Leyde, 1975, p. 61-118; et plus généralement P. F. Grendler, Intellectual freedom in Italian universities. The controversy over immortality of the soul, dans J. M. De Bujanda, Le contrôle... cit., p. 31-48. 24 Voir, pour l’exemple, I. Tolomio, Meditazioni umanistiche sulla natività, dans G. Piaia (éd.), Concordia discors. Studi su Niccolo Cusano e l’umanesimo europeo offerti a Giovanni Santinello, Padoue, 1998, p. 433-457, qui n’hésite pas à

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trouve même qu’Antonio da Rho, franciscain devenu par ailleurs une cible privilégiée des humanistes lombards, écrivit des Dialogi in Lactantium qu’il offrit à Eugène IV en 1443 dont l’objectif est de défendre les Modernes contre les Anciens devenus la référence des humanistes : Antonio da Rho n’hésite pas à montrer que l’on peut trouver chez Lactance des erreurs que les docteurs ultérieurs n’ont pas commises. Etonnant mouvement puisque un frère profondément associé aux cercles lettrés de Milan n’hésite pas à montrer, au risque de mettre en cause la tradition patristique, que l’équation humaniste de la tradition la plus ancienne comme étant la meilleure n’est pas toujours de mise 25. N’est-ce pas là une sorte de «dommage collatéral» assez surprenant, avouons-le, de l’humanisme infligé à la scolastique : faire de Lactance («Cicéron chrétien») un fourrier de l’hérésie? Jusqu’alors, nous n’avons envisagé que des aspects doctrinaux du conflit ou de la concurrence. Mais le sujet recouvre d’autres aspects. Etudier les contacts de l’humanisme et de l’Église, c’est aussi envisager les aspects institutionnels de ces relations et pas seulement doctrinaux. Les premiers utilisateurs du talent des humanistes furent les chancelleries publiques pour qui le recours à des lettrés éprouvés ne représentait pas nécessairement un choix idéologique mais un instrument commode de valorisation de l’action politique. De ce point de vue, la chancellerie pontificale a réagi aussi avec la même promptitude que celle des Seigneuries. Bruni, par exemple, gagne après un véritable concours sa place dans le collège des abréviateurs pontificaux en 1406, en rédigeant une lettre contre le Schisme. Mieux même, d’un strict point de vue quantitatif, la Curie romaine s’avère le marché du travail le plus ouvert aux humanistes, au moins pendant tout le XVe siècle, avant qu’au XVIe siècle, l’Université elle aussi ne se montre plus accueillante à leur égard 26 (la Curie les accueille sous des appellations et des fonctions diverses, permettant un véritable cursus honorum : de regens cancellariae, abbreviatores, scriptores in registro litterarum apostolicarum, jusqu’à secrétaires apostoliques ou secrétaires secrets 27). Se crée un monde singulier, fluctuant au gré des carrières, passant du service de la Curie à celui d’un Etat laïque, mais qui entreparler d’humanisme dévot pour désigner ce courant de spiritualité initié par Gérard Groote et la Devotio moderna. 25 J. Hankins, Plato in the Renaissance, I, Leyde, 1990, p. 148-150, pour une analyse nuancée de ce texte fascinant et inédit d’Antonio da Rho. 26 A. Grafton et L. Jardine, From humanism to the humanities. Education and the liberal arts in fifteenth-and sixteenth-century Europe, Londres, 1986, p. 83121. 27 H. Diener, Gli officiali della Cancelleria pontificia nel secolo XV e la loro attività nelle arti e nelle lettere, dans G. Gualdo (éd.), Cancelleria e cultura nel Medioevo, Cité du Vatican, 1990, p. 319-332.

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tient avec les institutions curiales un lien étroit. Mieux même, un monde qui estime que la curie ne peut qu’être peuplée d’intellectuels italiens, tant elle est perçue par eux comme une institution purement italienne! Quel profit la papauté tire-t-elle de cette présence sensible? Au XVe siècle à tout le moins, on constate que la papauté parvient difficilement à imposer une police idéologique à ses membres. Nombre de pamphlets anti-cléricaux ont été rédigés par des secrétaires apostoliques ou des secrétaires cardinalices en exercice (que l’on pense aux lettres sur les vices du clergé du Pogge, ou à celles de Francesco da Fiano). Cet aspect mérite d’ailleurs un examen dans la chronologie car entre la curie de Martin V et de Nicolas V et l’instauration en 1542 de la Congrégation du Saint Office, puis en 1559 d’un index des livres prohibés, des séquences successives de relations entre la papauté et les défenseurs des belles lettres se dégagent. Dès le retour de la papauté à Rome et surtout la fin de la menace conciliariste, avec Nicolas V, le recours aux humanistes a été instrumentalisé dans une perspective qui excédait leurs simples talents rhétoriques. En fait, autour des papes des XVe-XVIe siècles se construit une image précise de la papauté. Le mouvement est précoce : dès l’éloge de Nicolas V par Giannozzo Manetti en 1455, l’humaniste écrit qu’avec ce pape c’est comme si le Christ était revenu sur terre 28. Tout un courant alors se déploie d’utilisation de la patristique grecque en vue de la défense du Saint Siège. Un seul exemple suffira : la traduction du Thesaurus de Cyril par Georges de Trébizonde et surtout par Ambrogio Traversari, inconnu des Latins et qui permet d’utiliser les sources grecques récemment remises en circulation pour affirmer le primatus Petri; de même pour la Vie de Moïse de Grégoire de Nysse qui autorise le développement d’un thème qui fait florès jusqu’au milieu du XVIe siècle : celui de Moïse comme typus papae. Charles Stinger a ainsi inventorié les thèmes humanistes récupérés ou promus par la papauté. L’acme, et peut-être le point de rupture, de ce mouvement se trouve incarné par Jules II, autour duquel se cristallise l’image laïcisée du pape comme nouveau César et du pape comme princeps. C’est, plus tard, tout le sens de la Christiade du poète Marco Girolamo Vida offert à Clément VII en 1532, qui amplifie le motif déjà à l’œuvre dans la Roma triumphans de Flavio Biondo d’une fusion de l’Empire et de l’Église, avec Rome comme capitale 29. Renovatio imperii et renovatio Romae forment les deux facettes d’une même réalité dont on mesure bien ce qu’elle doit aux recherches humanistes curiales 30. Bien sûr le sac de Rome met un point final à ce rêve de resC. Stinger, The Renaissance in Rome, Bloomington, 1985, p. 156-157. Ibid., p. 242-243. 30 C. Stinger, Roman Humanist images of Rome, dans S. Gensini (éd.), Roma capitale, 1457-1527, Pise, 1995, p. 14-37, avec bibliographie récente. 28 29

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tauration impériale sous la houlette du pape. Il sera intéressant de voir si le droit canon suit le mouvement et si les universitaires de la France méridionale y ont participé eux aussi. De l’exemple précédent faut-il conclure à une neutralisation des potentiels de conflit de la culture humaniste avec la papauté? Il n’en est rien évidemment tant plusieurs facteurs poussaient en sens contraire. D’abord, la situation à Rome même est loin d’être toujours pacifiée. La conjuration des académiciens romains de 1468 et le dur traitement que leur inflige Paul II en témoignent. La papauté et l’Église restaient l’objet de critiques profondes qui, sans être le monopole des humanistes, pouvaient être relayées par eux et s’accorder à des tendances anticléricales plus diffuses 31. L’enrichissement des prélats, la débauche des clercs, l’inutilité des vœux monastiques et la possibilité que les laïques entrevoyaient de faire leur salut dans le siècle, tout cela a été porté tout à la fois par des courants de spiritualité élargis, et pas nécessairement lettrés, mais aussi formulés en termes polémiques par des humanistes. La comparaison des modes de vie à la fois monastique, mendiant, et laïque devient un thème fréquent de la production humaniste et entretient un mouvement d’aspiration à la réforme (soutenu inversement par des observants qui voient dans le retour aux sources et le retrait du monde une réponse symétrique à un problème lancinant). Un des aspects remarquables de l’humanisme italien (que l’on ne retrouve pas, sauf erreur, en France méridionale) réside dans la prise en charge de ces besoins de réforme. On a pu retrouver des discours ou des sermons de laïques, humanistes, tenus devant des confréries laïques, notamment florentines, tels ceux de Bartolomeo Scala 32, Cristoforo Landino et d’autres pour la compagnie dei Magi 33, ou les confréries de Saint Antoine de Padoue, de saint Nicolas, dans lesquels se déploie ce désir de réforme que Jean François Pic de la Mirandole va exposer devant le concile de Latran V. De fait, il y a une sorte de capillarité entre ce que l’on constate de la réflexion humaniste sur l’Église et les attentes d’une partie de la société italienne. Inversement, les clercs, étant donnée la grande proximité des clercs 31 Sur les diverses formes d’anticléricalisme de la société italienne, outre les pages célèbres de J. Burckhardt, voir D. Weinstein, Writing the book on Italian anticlericalism, et S. Seidel Menchi, Characteristics of Italian anticlericalism, dans P. A. Dykeman et H. A. Oberman (éd.), Anticlericalism in late medieval and early modern Europe, Leyde, 1994, p. 309-3313 et 271-281, et la typologie que nous esquissons dans le présent volume. 32 Ceux de B. Scala ont été récemment édités, voir A. Brown (éd.), Bartolomeo Scala. Humanistic and political writings, Tempe, 1997, p. 464-469. 33 R. F. E. Weissman, Sacred eloquence. Humanist preaching and lay piety in Renaissance Florence, dans T. Verdon et J. Henderson (éd.), Christianity... cit., p. 250-271.

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et des laïques en Italie, ne restent pas insensibles à l’argumentaire des studia humanitatis, quitte à en modifier la portée. Ainsi, il n’est pas jusqu’aux moines bénédictins qui ne se trouvent impliqués dans ce mouvement, puisque dans un dialogue intitulé de monacis erudiendis, Girolamo Aliotti, moine d’Arezzo, reprend la question de la formation des moines, et contre l’indocta simplicitas fait l’éloge des lettres, avec notamment un argument qui en dit long sur les enjeux de la formation des clercs 34 : Ambrogio Traversari, qui est chargé de conclure le dialogue explique l’impérieuse nécessité de cultiver les moines car si des laïques viennent faire retraite au couvent ou viennent seulement à y passer pour y apprendre les mystères sacrés, quelle effroyable image ils auraient dans le cas où les moines seraient incapables de répondre à leurs requêtes. Le message est clair : il s’agit de combattre l’ignorance par les lettres en vue d’une édification supérieure, mais non pas en vue d’une simple jouissance lettrée de la culture. Il est intéressant de remarquer que dans ce présent colloque la question du rapport des ordres religieux (notamment observants) à l’humanisme sera fréquemment évoquée, tant pour la France méridionale (notamment par le rayonnement méridional de la congrégation de saint Justine) que pour l’Italie, signe que c’est un des lieux de rencontre qui mérite un examen particulier 35. 34 K. Ganzer, Monastische Reform und Bildung. Ein traktat des Hieronymus Aliotti (1412-1480) über die Studien der Mönke, dans R. Baümer (éd.), Reformatio Ecclesiae. Beiträge zur kirchlichen Reformbemühungen von der alten Kirche bis zur Neuzeit. Festgabe für Erwin Iserloh, Paderborn, 1980, p. 181-199. 35 La réflexion sur le lien particulier entre l’Observance et l’humanisme doit beaucoup à l’article de G. Penco, Vita monastica e società nel Quattrocento italiano, dans G. B. Trolese (éd.), Riforma della Chiesa, cultura e spiritualità nel Quattrocento veneto, Cesena, 1984, p. 3-41, et G. Picasso, Il monachesimo alla fine del Medioevo : tra umanesimo e devotio, dans G. Penco (éd.), Cultura e spiritualità nella tradizione monastica, Rome, 1990, p. 129-147. Ce qui ne signifie pas que les séculiers soient restés pour autant en marge du mouvement, mais, par définition, il est plus difficile d’en tracer un profil d’ensemble. Quelques études ponctuelles ont été menées à cet égard : F. Bausi, Francesco da Castiglione fra umanesimo e teologia, dans Interpres, 11, 1991, p. 112-181; P. O. Kristeller, Sebastiano Salvini, a Florentine humanist and theologian, and a member of Marsilio Ficino’s Platonic Academy, dans S. Prete (éd.), Didascaliae. Studies in honor of A. M. Albareda, New York, 1961, p. 205-243. Le point de ralliement aux studia humanitatis de ces théologiens séculiers (comme des réguliers) humanistes semble se limiter à un usage circonspect et utilitaire des autorités païennes. Au passage, on remarque, encore une fois, qu’un platonisme bien tempéré offre un espace plus propice que l’aristotélisme à la convergence entre hommes d’église et membres des cénacles humanistes. Sans entrer dans le détail, il n’est pas inintéressant de remarquer alors la vivacité des échanges sur un vieux thème d’histoire de la philosophie (celui des mérites respectifs d’Aristote et de Platon), la valeur de l’un et l’autre étant étalonnée sur la proximité ou la compatibilité éventuelle de leurs thèses avec les dogmes fondamentaux du christianisme. À ce petit jeu, le maître l’emporte sur le disciple.

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En revanche, deux autres considérations s’imposent : l’intervention des laïques dans les secteurs les plus sensibles de la pensée religieuse est déjà en soi un signe de laïcisation; si une telle intervention n’est évidemment pas ipso facto un facteur d’irreligion, ce qui me semble constitutif aussi d’un courant humaniste, c’est une réflexion particulière sur le statut de la religion, à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle. Outre la reprise de discours déjà médiévaux, comme celui des Trois imposteurs, c’est-à-dire Moïse, le Christ et Mahomet, fondateurs de fausses croyances (c’est encore ce que l’on reproche aux conjurés de 1468), s’initie un thème de critique de la religion comme invention politique qui conduit, depuis Callimaco Esperiente jusqu’à Machiavel, à considérer la religion et les institutions qui la rendent visible dans un sens purement fonctionnel et politique. La religion est instrumentum regni, presque réduite à une démarche ritualiste qui s’apparente ainsi à la fonction de la religion dans la société platonicienne 36. La finalité politique des rites est fréquemment évoquée. On aboutit enfin à Machiavel et sa virulente dénonciation de l’Église romaine accusée d’avoir rendu les Italiens «cattivi e senza religione», qui prononce la condamnation du christianisme même. Ce courant, qui reste marginal, est actif dans la première moitié du XVIe siècle, sans pour autant représenter un aspect dominant de l’humanisme européen. À partir de présupposés qui ne sont guère éloignés, se déploie un courant beaucoup plus fécond en Europe, c’est le courant érasmien. Présupposés de départ assez proches, notamment dans la conscience aiguë que l’Église visible n’est pas à la hauteur de sa tâche, si l’on pense, par exemple, que dans l’Enchiridion militis christiani, Erasme attaque les prêtres qui enseignent une religion toute extérieure, toute rituelle, maintenant les peuples dans l’ignorance, même si le philosophe pousse assez loin ses considérations sur la valeur des rites, le jeu nécessaire entre le visible et l’invisible 37. Cependant la synthèse érasmienne est à la fois provocante (le Christ ne mérite-t-il pas, selon Erasme, le titre d’Épicure i.e celui qui secourt 38) et en même temps fondée sur la lettre de l’Évangile. Elle re36 En l’absence d’un travail d’ensemble sur ce thème, voir, pour une étude de cas, Emanuele Cutinelli-Rèndina. Chiesa e religione in Machiavelli, Pisa, 1998, p. 153-254. L’ouvrage savant et riche de R. Guidi, Il dibattito sull’uomo nel Quattrocento, Rome2, 1999, qui contient un chapitre au titre prometteur «Religio instrumentum regni?» (p. 1072 sq.) ne répond pas à cette question particulière. 37 Voir récemment, E. Selmi, Erasmo, Luciano, Lando : Funus e asinità. Storia di un percorso fra «paradosso» letterario e «controversia» religiosa, dans A. Olivieri (éd.), Erasmo e il Funus. Dialoghi sulla morte e la libertà nel Rinascimento, Milan, 1998, p. 65. 38 C’est la conclusion du colloque «L’Épicurien» (voir Erasme, Colloques, trad. et présentation É. Wolff, Paris, 1992, p. 342).

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pose sur une convergence entre évangélisme et humanisme. Erasme ne réagit pas, à la différence d’un Machiavel ou d’un Guichardin, en adoptant un point de vue extérieur à l’Église («Je resterai dans cette Église jusque à ce que j’en trouve une meilleure», écrit-il dans une lettre à Luther); il ne cesse au nom du caractère fécond de l’Évangile (qu’il a lui-même retraduit) de revendiquer le retour à la vraie Église. Mais surtout, plus intéressant pour notre colloque, on le voit lui même modérer l’humanisme, en raison même des risques qu’il fait courir à la foi si l’on en abuse. Toute la querelle des cicéroniens italiens contre le philosophe de Rotterdam tire en partie son origine de là. Lorsque Erasme condamne, dans le Ciceronianus, le discours de Tommaso Inghirami, secrétaire pontifical qui a prêché le jour de la mort du Christ, devant Jules II, en faisant un éloge du pape assimilé à Jupiter Optimus maximus, il accuse explicitement le cicéronianisme de conduire au paganisme 39. Si bien qu’Erasme nous révèle paradoxalement les effets pervers, à ses yeux de philosophe chrétien, de la diffusion de l’humanisme au cœur même de la curie romaine. Le problème n’est plus l’exhumation de textes antiques, dans un climat d’hostilité ecclésiastique ou de restauration morale et disciplinaire, comme au tournant des XIVe-XVe siècles, mais plutôt celui d’un contrôle chrétien de la force de frappe des studia humanitatis 40, non pas assurément sous la forme d’une censure – ce sera l’option choisie par l’Église tridentine, malgré la permanence (de plus en plus en pointillés cependant) de quelques prélats marqués par l’humanisme évangélique, tels Contarini ou le cardinal Madruzzo, voire Cervini 41 – mais sous celle d’une adéquation, toute humaniste, des mots aux choses, de la latinité et de l’hellénisme au service du christianisme. Quelles forces sociales, politiques ou culturelles ont fait capoter cette philosophia Christi qu’appelait de ses vœux Erasme? Peut-être le présent colloque nous permettra-t-il de répondre en partie à cette question. Patrick GILLI

Erasme, Ciceronianus, dans Id. opera omnia, XX, Leyde, 1965, p. 56. Un catalogue des critiques précises dont fut l’objet Erasme dans E. Rummel, Erasmus and his catholic critics, Nieuwkoorp, 1989. 41 Sur ce mouvement et sa fragilité, voir G. Fragnito, La Bibbia al rogo : la censura ecclesiastica e i volgarizzamenti della Scrittura (1471-1605), Bologne, 1997. Quelques remarques utiles dans la synthèse d’A. Tallon, Le concile de Trente, Paris, 2000 : voir notamment le très beau texte du cardinal Madruzzo en mars 1576 en faveur de la traduction de la Bible en vernaculaire (p. 105-109). 39 40

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Una sorta di partito trasversale contro i Mendicanti Se per anticlericalismo si intende una qualsiasi iniziativa volta a reprimere le rivendicazioni indebite degli ecclesiastici dovunque si manifestino1, io dico che la definizione andrebbe integrata specificando che un contributo notevole a queste istanze venne proprio dagli uomini di chiesa, ed io conosco ben pochi i punti di osservazione così privilegiati per studiare il fenomeno come quello offerto dalla storia dei Francescani nel Quattrocento, secolo nel quale essi, e i Mendicanti in genere, vennero a trovarsi nell’occhio del ciclone, presi di mira dalle bordate dell’establishment e da quelle di non pochi letterati 2, nonostante la manifesta simpatia dei pontefici 3. Perché essi, insomma, furono una sorta di chiesa nella Chiesa, e la loro

1 H. A. Oberman, Anticlericalism as an agent of change, cf. Anticlericalism in late medieval and early modern Europe, Leida, 1994 (Studies in medieval and renaissance history, n. 51), p. x. 2 Sintomatico il deterrente con cui L. Bruni minacciò i frati ipocriti : o diem illam tibi acerbissimam futuram cum ante tribunal illud, deposita facie ista et pannis quibus nunc te, fallendi gratia contegis, sempiterno illi iudici vitia et scelera apparebunt tua, v. In hypocritas oratio, Biblioteca Apostolica Vaticana (d’ora in poi BAV), Vat. lat. 7239, 93rv. Alla intimidazione spesso fecero ricorso i Mendicanti e, omettendo il Savonarola per ovvi motivi, rimanderei a F. Agazzari, Gli assempri, ed. P. Misciattelli, Siena, 1973 (I clasici italiani, n. 223), passim, e a s. Giacomo della Marca, Sermones dominicales, ed. R. Lioi, Falconara 1978-1982, cf. le indicazioni in IV, p. 126-142; ho discusso, invece, sull’Archivum Franciscanum Historicum (93, 2000, 261-339), la chiave di lettura adottata da F. Mormando (The preacher’s demons. Bernardino of Siena and the social underworld of early Renaissance Italy, Chicago-Londra, 1999) nel ritrarre l’azione di Bernardino da Siena, avendone fatto un uomo completamente privo di umorismo ed equilibrio. 3 Sacri Praedicatorum et Minorum fratrum ordines instar duorum et primorum fluminum, a coelestium voluptatum et amoenitatum paradiso egredientium, sacrosanctae et universalis Ecclesiae terram, ne mundanarum cupiditatum et vitiorum calore arescat, praeclarae doctrinae virtuosorumque operum ac multiplicum meritorum imbribus irrigantes, magis atque magis illam in dies fructuosam efficiunt, v. Bullarium Franciscanum (d’ora in poi BF), III, 1197. Si avverta che i riferimenti a quest’opera son fatti sul numero dei documenti, non sulle pagine, e, inoltre, le citazioni son tutte sul BF. Nova Series.

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straripante presenza infastidì i laici 4, e fu di aggravio agli stessi presuli 5 ; per cui, direi, che furono la loro eccedenza numerica 6, gli illimitati privilegi goduti 7, i disordini promossi da alcune frange corrotte 8 e i tenaci conflitti con i preti 9, a far nascere una sorta di ibrido A. de Ferrariis (Antonio Galateo) fu molto corrosivo con quelle che ritenne illegittime interferenze dei frati in attività inconciliabili con la loro professione : «non è cosa da morir vider la ignorante ippocrisia e presuntuosa audacia de’ fraticelli, aver abbrazzato non solo la cura de le anime, ma lo governo de lo mundo? Già li monachi incomenzano essere imbasciatori, governatori delli regni, chi appena sapeno partir lo pane in refettorio; li frati interveneno ad facende grandi : per essi si fa la pace, per essi la guerra, per essi la tregua, per essi conponeno le discordie delli gran signori, e già è commune senso de lo populo nato da la verità, senza certo autore, che per li frati e preiti se deve perder lo mundo, e già ci semo vicini», Esposizione del Pater noster, ed. S. Grande, Lecce 1868-1871 (Collana Scrittori di Terra d’Otranto, IV e XVIII), p. 198s. 5 Andrebbe ripetuto, però, che furono gli stessi vescovi, con la loro condotta non sempre in sintonia con il potere centrale, a spingere i pontefici a scommettere sulla fedeltà dei Mendicanti; risulta, così, che gli elementi più irriducibili erano i vescovi in partibus, quelli, cioè, sine subiecto populo, diventati un’autentica piaga, né si sapeva come ridurli a ragione : absque timore mala perpetrant, et plerique eorum suspensionis, excommunicationis, irregularitatis et alias iuris penas contempnunt, P. d’Ailly, De reformatione ecclesie, Vat. lat. 4039, 367v (il corsivo è lezione F. Oakley, The political thought of P. d’Ailly : The Voluntarist Tradition, N. Haven-London, 1964 [Yale historical publications. Miscellany, n. 81], p. 331). Ecco perché, in certi casi, Martino V autorizzava i frati a sostituirli : [...] ut defectu episcoporum, multa quae ad dignitatem pontificalem spectant, peragere possint et indulgentias concedere (L. Vaddingus, Annales Minorum, Quaracchi, 1932-1933, X, Regestum XIV, p. 343-345). Eugenio IV fece mettere nei ceppi (1436) il vescovo Pietro Grazet (o Gracet, oppure Gather), qui nonnullos fratres O. F. M. ad magisterii gradus, sine debita facultate promoverat, destinando il denaro spillato all’avido presule al mantenimento dei Francescani al concilio di Basilea (BF I, 226). Il vescovo aveva promosso, probabilmente per ragioni di lucro, etiam indignos (BF I, 213). Ancora Eugenio IV dette facoltà a fra’ Matteo da Reggio, una volta trascorsi i termini contemplati, di dichiarare eretico e scismatico (1445) il vescovo di Reggio Calabria (BF I, 942). Allorché il vescovo Andrea Zamometicˇ evocò contro Sisto IV lo spettro del concilio (nuper vero in civitate Basilien. temerario quodam ausu concilium indicere et convocare praesumpsit), il pontefice fece appello ai frati per assicurarsi lo sgradevole e pericoloso mestatore, BF III, p. 851 n. 4. 6 Sia lecito rimandare qui alla seconda edizione del mio Dibattito sull’uomo nel Quattrocento, Roma, 1999 (Indagini e dibattiti, 1), p. 827-854. 7 Dopo che Callisto III ebbe sfoltito le immunità dei Mendicanti, Sisto IV, tre mesi dopo l’elezione, le ripristinava (1471) «in suum plenum et pristinum robur» (BF III, 63); sempre papa della Rovere, non dimentico della cosiddetta bolla Mare magnum di Clemente IV (1265), volle renderla più vincolante nel 1474 (BF III, 626), e superarla nelle concessioni ai Mendicanti cinque anni più tardi, divulgando la Bulla aurea (BF III, 1197). Vedi le analoghe concessioni presenti in Bullarium Ordinis Fratrum Praedicatorum, III, ed. A. Bremont, Romae 1731, p. 117-121, 240, 263-265, 301s 516-519, 578-580. 8 Al riguardo si può vedere nel mio Dibattito sull’uomo nel Quattrocento il capitolo VI, Il malessere sociale nel chiostro, p. 799-968. 9 Eugenio IV (il quale confermando [1442] i privilegi di Clemente IV ai Mino4

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schieramento trasversale, unito nel reprimerli, scacciarli, metterli nei ceppi10. Ciò detto, va aggiunto che non pochi spinosi conflitti i frati se li procurarono per il loro radicalismo e il loro degrado morale, enfatizzato dal dissesto della curia11. La querelle contro i Mendicanti rimanda a un disagio molto ampio e sfrangiato Il disordine dei Mendicanti, denunciato dagli Umanisti, non lo ricondurrei a un inspiegabile inacidirsi dei laici contro i claustrali12, considerandolo uno dei sintomi più appariscenti del degrado in cui era piombata la cristianità, per la forza d’urto dei movimenti ereticali, il dissesto dello scisma e l’inquietudine di individui restii al freno della regola e agli ordini dei pontefici, i quali avevano perso molto dell’antico prestigio13. ri, aveva anche precisato di non misconoscere i diritti del clero [BF I, 613]), sostenne che non c’erano irregolarità nelle prerogative accampate dai religiosi (1447), e si rifece alle decretali di Bonifacio VIII e Giovanni XXII (BF I, 1040). E tuttavia a Strasburgo il vescovo volle impedire che le funzioni liturgiche dei Mendicanti coincidessero con quelle delle chiese collegiate, vietando, inoltre, ai fedeli di confessarsi ai Francescani (ne ipsis praedictis fratribus aut alicui eorum confiteri, seu ab eis absolutionem recipere quoquo modo praesumerent), i quali appellarono a Roma, e Niccolò V fece recedere il vescovo (1451) dalle sue iniziative (BF I, 1505). I papi, inoltre, si servivano dei Francescani per il controllo, la denuncia, e la repressione del dissenso dottrinario dei preti. Quando pervenne alle orecchie di Eugenio IV che nella Bosnia il clero, a meglio nascondere la propria dissolutezza, insegnava actum carnalem, etiam inter non legitime coniugatos, peccatum non esse, dette particolari autorizzazioni agli Osservanti (1446) per reprimerli, BF I, 1005. 10 Una politica di forte aggressività contro i Francescani la attuarono in Spagna, spingendo Angelo da Perugia, ministro generale dell’ordine, ad appellarsi a Niccolò V (1451), BF I, 142. 11 Per avere un quadro esatto della corruzione, con le testimonianze stesse dell’establishment, si vedano i due codici della BAV, Vat. lat. 3883 e 3884 dove figurano i progetti di riforma ipotizzati dai pontefici nel secolo XV. 12 Non una volta, ad esempio, i frati furono accusati di ipocrisia e, al riguardo, bastino i brevi riferimenti alla satira del Filelfo contro Hypocritius (II, v), ai dialoghi di Poggio (Basilese 1538; Lugduni, 1579) e a L. Bruni, BAV, Vat. Lat. 7239 e 4490. – Non andrebbe dimenticato, però, che i frati si portavano dietro il poco onorevole addebito fin dai loro primi giorni : licet dicantur hypochritae, non tamen cessent benefacere, raccomandava S. Francesco, Prima regula, 2, 15 (ed. K. Esser-E. Grau, Die opuscula des hl. Franziskus von Assisi, Grottaferrata, 1989 [Spicilegium Bonaventurianum, XIII], p. 379). Alla BAV (Archivio Capitolare di s. Pietro, B 82) si conserva il breviario del cardinale Giordano Orsini, copiato «per fratrem Antonium de Iolio» nel 1423, e a carta 15r c’è una notabilis ypochritae imago, per dirla con C. Stornaiolo (catalogo dattiloscritto, I, p. 173). 13 Con riferimento a Benedetto XIII e Gregorio XII Poggio notava : sed tamen tamquam duo histriones alienas personas ad fallendum populum assumebant (Vi-

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Le critiche dei laici contro i frati preferirono i bersagli sociali della contestazione14, e, a differenza delle altre firmate dagli ecclesiastici, non raggiunsero, in genere, le cellule da cui partiva la depravazione15 ; pertanto le accuse caustiche che, dopo la congiura de’ Pazzi (1478)16, Lorenzo de’ Medici fece redigere contro Sisto IV dal

tae quorumdam pontificum, in L. Duchesne, Le ‘Liber pontificalis’, Paris, 1892, II, p. 554). I Fiorentini ebbero corpose facilitazioni dall’antipapa Alessandro V (cf. M. Sanudo, Vite dei Dogi, in Rerum Italicarum scriptores, ed. Muratori, XXII, Milano, 1772, p. 841), e ciò potrebbe aver facilitato l’aspro giudizio di Poggio su Gregorio XII. Se non si vuol dar peso alle illazioni di Giovanni Cavalcanti su Eugenio IV (Storie fiorentine, tra l’altro X, 12, 18-19, [ed. F. Polidori, Firenze, 1838-1839, I, rispettivamente, p. 586, 606-610]), o alle infamie degli antimedicei contro Clemente VII raccolte dal Varchi (Storie fiorentine, VI, 26; XI, [Firenze, 1963, I, p. 366s; II, p. 100]), dovrebbero preoccupare le condanne generalizzate degli ecclesiastici trasmesse, con insolita veemenza e calore, dal ben più autorevole Francesco Guicciardini, il quale giudicò il modo come essi governavano una «scelerata tirannide» (Ricordi, I, n. 124, ed. E. Janni, Milano, 1951, p. 48), giungendo ad augurarsi di vedere al più presto «liberato el mondo dalla tirannide di questi scelerati preti» (Ricordi, I, n. 14, p. 21), identificabili tutti in una «caterva di scelerati», Ricordi, II, n. 28 (75). Particolarmente temibili risultano, inoltre, le stroncature dei pontefici che il Guicciardini affidò alla Storia d’Italia, quali quelle di Alessandro VI (VI, 4, ed. A. Panigada, Bari, 1967 (Scrittori d’Italia, 120-124, II, p. 97), Giulio II (8, 12, [II, p. 317]); Leone X (24, 1 [IV, p. 78], cf. anche 16, 12), Clemente VII (20, 7 [V, p. 317]). Il mecenatismo di Leone X e le sue doti umane gli procurarono giudizi più morbidi sulle pagine dei cronisti, sicché egli, stando all’anonimo autore del diario Ab excessu Adriani VI usque ad Clementem VII, restò l’emblema di una amministrazione munifica della Chiesa, infatti «non rifiutò mai nulla, concesse tutto, esaltò gli uomini colti e ripagò a usura quanti furono benemeriti nei suoi riguardi» (BAV, Vat. lat. 3370, 286rv); egli, insomma, fu columen Italie, delicie et amor seculi (288v). E se un giudizio non drastico si dette su Clemente VII, ciò fu possibile solo perché la gente, vedendolo, ricordava Leone (316r). Assai crude anche le valutazioni di Bernardo Dovizi da Bibbiena su Giulio II nell’Epist., ed. G. L. Moncallero, Firenze, 1955-1965 (Biblioteca dell’Archivum Romanicum, n. 44 e 81), quando ne evidenziò il caratteraccio (I, p. 271, 295, 317), le «bestemmie» (I, p. 322, 326, 330, 456, 470), o lo disse in grado di infrangere il giuramento e il segreto confessionale, I, p. 393. 14 Questo aspetto fu reso più pungente per una certa insensibilità dei claustrali per quelli che erano i problemi politico-militari dello Stato. Benedetto Varchi, nella Storia fiorentina, registrando l’acredine della popolazione durante l’assedio del 1530, rilevava che nei laici si era formata una consapevolezza critica ricca di impazienza mordace contro i religiosi, per l’egoismo di cui si facevano espressione : «i quali non avendo né moglie né figliuoli, non conoscono altr’amore che di loro medesimi, non pensando ad altro che all’ambizione e all’utilità propria», op. cit., XI, 54 (Firenze, 1963, II, p. 77). 15 Poggio, in qualche caso, seppe risalire alle origini del degrado e additarne le cause; disse nella Oratio ad patres reverendissimos (1417) : quid tandem dicam? Non est vita vestra secundum divina evangelii precepta, non secundum apostolorum et aliorum sanctorum patrum vestigia, quorum in hereditatem intrastis instituta, in A. von Eyb, Margarita poetica (BMC IV 25; GKW 9530; Hain *6819; IGI 3772), p. 279r. 16 Che a soprintendere alla stesura di quelle pagine audaci fosse stato posto

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sinodo fiorentino17 (al quale risposero le pagine urticanti del vescovo Niccolò Modrussiense18), rimandano, sostanzialmente, a supporti di carattere politico, da cui tracimano, invece, quelle violentissime dell’ultimo Savonarola contro Alessandro VI19. Le polemiche degli Umanisti con i Mendicanti non si trasformavano in diagnosi, preferendo essi lo scontro al dibattito, prova ne sia che interessandosi dei predicatori ne mettevano in risalto l’eccentricità 20, ricavandone materia per un umorismo mordace 21, una satira beffarda 22, o l’ennesima denuncia della loro inguaribile imperizia 23 ; ma i danni pastorali di un modo così improvvido di rivolgersi al popolo furono additati da Giovanni di Carlo (conosciuto come Caroli) 24, le cause che produceGentile Becchi lo sospettò A. Fabroni (Laurentii Medicis Magnifici vita, Pisis, 1784, p. 82). E il Magnifico non dimenticò i servizi del compiacente cortigiano, proponendolo alla porpora, e, pertanto, pensò anche di affiliarlo al proprio casato, cf. Lorenzo de’ Medici, Lettere, Firenze, 1977, II, R. Fubini ed., p. 266-276. 17 Sixtus leno matris suae oblitae iam dierum adolescentiae suae quando erat nuda, operuit confusione faciem suam, ingressus vineam Domini Sabaoth bonos palmites extirpavit, malos inseruit, turrim aedificatam disiecit, maceriem opposuit pro muro Hierusalem, hortum conclusum dissipavit, locustas et brucos in agrum Domini convocavit. Quam celestis sponsus formosam suam unicam et columbam sine macula appellabat, hic adulterorum minister deformam meretricem et corvum sordibus plenum reddidit, emptam in templo profanis vendidit, et ex eius pretio porcos auratis glandibus enutrivit, v. Laurentii Medicis Magnifici vita, cit., II, p. 136s. 18 N. Modrussiense, Defensio ecclesiastice libertatis, BAV, Vat. lat. 8092. Sul Modrussiense cf. G. Mercati, Notizie varie su N. Modrussiense, ne La Bibliofilia, 26, 1924-1925, p. 165-179, 253-265, 289-299, 359-372. La Defensio è uno scritto su commissione come, peralto, l’orazione funebre per Pietro Riario del 1474 (Biblioteca Marciana [d’ora in poi BM], lat. XIV, 180 [= 4667] 2r-19v), perché sull’entourage del pontefice, e forse anche su di lui, il Modrussiense ebbe idee ben diverse, cf. il suo sfogo a Francesco Maturanzio (1473), BAV, Vat. lat. 5890, 74v-75r. 19 Savonarola, Lettere, p. 229. I rimandi alle opere del Savonarola son fatti sull’ed. nazionale. 20 Salutati, De seculo et religione, ed. B. L. Ullman, Firenze, 1957 (Nuova collezione di testi inediti o rari, 12), p. 45s; Valla, Antidotum in Poggium, IV (Opera omnia, Basileae, 1540, p. 364s). 21 Poggio, Facetiarum liber (Opera, Basilea, 1538), n. 44, 123, 200, 230. 22 Erasmo da Rotterdam, Colloquia, cf. Concio sive Merdardus (in Opera omnia, Amsterdam, 1969, L.-E. Halkin, F. Bierlaire, R. Hoven ed., I, 3, p. 653-666); Moriae encomium id est stultiae laus (C. H. Miller ed., IV, 3, p. 162-164). 23 Poliziano, Miscellaneorum liber, cf. praefatio (Opera, Basileae 1553, p. 216s). 24 Giovanni Dominici fu uno tra i predicatori più attivi del secolo (predicava fino a cinque volte al giorno, stando a un ricordo di S. Razzi, Vite dei santi ... del sacro ordine dei frati predicatori, Firenze, 1577, I, p. 205); Giovanni di Carlo, nella Vita che scrisse del Dominici, così stigmatizzò i predicatori del secolo XV : nunc hystriones et joculatores et saltatores, ut ita dixerim, praedicatores effecti, iis artibus et novitatibus populos nituntur attrahere, quae cum humanae sint artes, nec mirum si minimum utilitatis inferunt populis, et utinam non ad perniciem plebis institui videantur», v. BAV, Vat. lat. 6329, 291r; il tondo è lezione degli Acta Sanctorum, II Iunii, p. 404.

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vano tanta sterilità spirituale le rivelò il Savonarola 25, e sarà Leone X a scrivere che la loro tracotanza e la loro stranezza avevano superato ogni limite : quod enormius est, ab aeternitatis lumine, et sancti Spiritus admonitione aut infusione, illa se habere asserere audent 26, denuncia nella quale si coglie un’inquietante minaccia biblica : qui arrogantia depravatus voluerit loqui in nomine meo, quae ego non praecipi illi ut diceret [...] interficietur (Dt 18, 20). Furono gli Umanisti con il saio a fare disamine molto più attendibili e sofferte delle altre scritte dai colleghi laici, cosa che si può provare ricorrendo alle carte di Giovanni di Carlo 27, Guglielmo Traversagni 28, e Andrea Biglia 29, dove fervono una concitazione e una impazienza tipiche di chi, inerme, assiste al naufragio di quanto ha

25 Savonarola, Prediche sopra l’Esodo, I, p. 22s; Prediche sopra Giobbe, II, p. 44; Prediche sopra Amos e Zaccaria, I, p. 336; Compendio di rivelazioni, p. 14. Muovendo da sensibilità assai diverse da quelle del focoso priore di s. Marco P. Giustiniani e P. Querini, nel Libellus ad Leonem X, liquidarono la teologia dei loro giorni definendola sprezzantemente [...] hanc Parisiensium cavillosiorem disciplinam (in G. B. Mittarelli e A. Costadoni, Annales Camaldulenses, Venezia, 1755-1773, IX, p. 678). Si avverta che già in precedenza i Valdesi avevano contestato le università e, in primo luogo, quella di Parigi : universitates scholarum Parisiensium, Pragensium, Wyennensium et aliorum locorum reputant inutiles et temporis perditionem, riportato da A. Patschovsky, The literacy of Waldensianism from Valdes to c. 1400, in P. Biller e A. Hudson (ed.), Heresy and literacy, Cambridge, 1994, p. 125 n. 43. 26 Contra ipsas canonicas sanctiones – tuonava Leone X – sacrae Scripturae sensum multifariam pervententes, temereque ac perperam plerumque interpretantes, contra veritatem praedicare, terroresque ac minas multaque mala propediem affutura, iamque ingruentia, nulla prorsus legitima ratione muniti, sed suo dumtaxat sensui obsequentes, comminantur, repraesentant, adesseque asseverant, plerumque etiam vana quaedam et inania, et alia huiusmodi populis ingerere, et quod enormius est, ab aeternitatis lumine, et sancti Spiritus admonitione aut infusione, illa se habere asserere audent, v. G. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, XXXII, p. 945. 27 G. di Carlo, Vite Patrum, Biblioteca Laurenziana, Plut LXXXIX, 21 inf.; cf., dello stesso domenicano, il Liber dierum Lucensium, Biblioteca nazionale centrale di Firenze (d’ora in poi BNCF), Conv. Sop. C, 8, 279. 28 G. Traversagni, Libri septem dialogorum, BM, lat. VII, 34 (= 3631). 29 E non alludo alle pagine del Biglia contro s. Bernardino nel Liber de institutis, discipulis doctrina f. Bernardini ordinis Minorum (B. Gaiffier ed., in Analecta Bollandiana, 53, 1935, p. 308-358), oggetto, poi, di ritrattazione (cf. A. G. Ferrers-Howell, S. Bernardino of Siena, London, 1913, p. 358s); rimanderei, invece, all’ Oratio habita coram Innocentio VIII et cardinalibus in basilica vaticana (ed. G. Wessels, in Analecta Ordinis Carmelitarum, 6, 1927, p. 129-134), alle altre contro i Mendicanti avversi ai suoi Agostiniani (De concordia et meritis ordinum super generali indulto Alexandri papae ad Reginaldum Remensem archiepiscopum, Biblioteca Ambrosiana [d’ora in poi BA], H 117 inf., 28r-42r), e a quelle più crude dette a Bologna (1425) contro gli elementi corrotti del suo ordine, cf. De disciplina ordinis ammonitio habita in capitulo Bononiensi, BA, H 117 inf. 24r-56v.

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di più caro, o di chi vorrebbe mettere nei ceppi persone la cui dimestichezza sgradevole ingenera un inarrestabile disagio dello spirito. La contestazione umanistica produsse ben poco di nuovo Nell’esporre questi temi bisognerebbe evitare posizioni manichee, perché non tutti i Mendicanti furono avversi agli studia 30, né ogni letterato scrisse libri in grado di resistere agli acidi del tempo; premetterei, inoltre, che tra i denigratori dei Francescani i litterati non brillarono né per acredine, né per fantasia, pregiudiziali da cui non sono offesi quanti hanno dimestichezza con il bullarium monastico, nelle cui innumerevoli colonne si racchiude una conclusione sgradevole, ma inoppugnabile : gran parte del male i frati lo ricevettero dai loro elementi corrotti, e gli Umanisti, in genere, riferirono quello che ognuno vedeva 31. I Mendicanti, per la grande autonomia di cui godevano, rispetto agli altri ecclesiastici e alla gerarchia, dettero l’impressione di essere un corpo autonomo nella Chiesa, dicevo, e se in questo status resero servizi di incalcolabile portata ai pontefici, era fatale che finissero per offendere l’altrui suscettibilità, e invadere aree contigue gelosamente difese. E tuttavia anche qui è opportuno non perdere d’occhio la prospettiva storica, in quanto i conflitti scatenatisi attorno ai Mendicanti nel secolo XV si muovevano lungo un asse predefinito; s. Bonaventura notava, fin dai suoi giorni, nelle Determinationes quaestionum circa Regulam : [...] quamvis autem nonnulli de clero oderint plus religiosos quam Iudeos, Christi adversarios; tamen, si saperent, potius diligerent nos pluribus de causis [...] 32. Una delle accuse più ricorrenti dagli Umanisti (tanto laici che claustrali 33) fu quella della generalizzata ignoranza e rozzezza dei 30 Qui faccio un solo riferimento al Poliziano il quale fu assai aspro contro quanti dal pulpito (censores pulpitarii) delegittimavano gli studia; essi, infatti, pleni ieiunitatis, literas humaniores apud insciam plebeculam, pene dixerim solenniter, buccis concrepantibus infamant [...]; sic in eas et earum studiosos ampullosis proclamationibus infrendentes inspumantesque desaeviunt, cf. Miscellanea, praefatio (BMC v 559; Hain 13218; IGI 7952; Proctor 5767), A3 v. Ho preferito la lezione della aldina a quella di Nicola Episcopio (Basileae 1530, 216), perché qui risulta più corretta. 31 In tal senso la reazione di A. Sarteano (Opera, ed. F. Haroldus et P. Duffius, Romae, 1688, p. 203-222) alle critiche di Poggio appare al tutto inadeguata, se messa a riscontro con il disordine che prosperava nei chiostri, e di cui l’umanista, stando in curia, era ben al corrente. 32 S. Bonaventura, op. cit., II, 22 (Opera, Quaracchi, 1882-1902, VIII, p. 373). 33 T. Maffei, dei Canonici Regolari Lateranensi, scrisse l’In sanctam rusticitatem litteras impugnantem (BAV, Urb. lat. 1201). Sugli stessi concetti tornò, tra gli altri, Francesco Filelfo in una lettera a Sisto IV (1476), poiché la bontà degli ignoranti serviva solo a sé : nam viri quos rusticos indoctosque vocamus sua bonitate sibi sunt boni, aliis prodesse parum possunt, cum perinde ac muti docere alios nec

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claustrali; è ovvio che l’addebito non si regge, e, a farlo cadere, non sono le arringhe della difesa, quanto il fondo dei Conventi Soppressi alla Nazionale Centrale di Firenze, dove rifluirono le ricchezze librarie dei religiosi 34, e, perché no?, le donazioni elargite in punto di morte dagli Umanisti proprio ai claustrali (e così fece Poggio 35, dopo aver posto i religiosi alla berlina 36 e mosso critiche a chi li aveva gratificati 37). Probabilmente le malignità contro l’incoltura dei Mendicanti 38 sarebbe stato meglio ricondurle alla allergia dei claustrali per l’accademismo 39 ; e tuttavia le accuse umanistiche hanno una loro autenticità e rimandano ai cromosomi stessi dell’istituzione 40, visto

sciant, nec possint, v. Epist., Biblioteca Trivulziana (d’ora in poi BT), cod. 873, 527v. 34 È appena il caso di ricordare qui le ricerche effettuate da W. K. Humphreys (Amsterdam, 1964-1978) sulle biblioteche dei Mendicanti. 35 E. Walser, Poggius Florentinus. Leben und Werke, Lipsia-Berlino, 1914 (Beiträge zur Kulturgeschichte des Mittelalters und der Renaissance, Heflt, 14), p. 362. 36 Poggio, Epist., tra l’altro, vedi la nota lettera sul ritrovamento di Quintiliano (1417), I, 5, ed. Tonelli, Firenze, 1832-1861, I, p. 25-29). 37 Antonio Corbinelli legò i suoi codici alla Badia Fiorentina (1424), fino a quando i monaci avessero osservato le regole di s. Benedetto (si et in quantum dicta Abbatia non servaret dictam regulam [...], ipsos libros reliquit et legavit armario et librariae [...] Sancti Spiritus, v. R. Blum, La biblioteca della Badia Fiorentina e i codici di A. Corbinelli Città del Vaticano, 1951 [Studi e Testi, 155, p. 53]), e sorte non diversa toccò a quelli del Niccoli («[...] sendo stato deliberato per gli esecutori di Nicolaio Nicoli che tutti i libri di Nicolaio, così latini come greci, fussino dati alla libreria di Santo Marco», Vespasiano, Le vite, A. Greco ed., Firenze, 19701976, II, p. 419); Poggio, dopo essersi scandalizzato per la decisione del Corbinelli (nescio – scriveva al Niccoli nel 1425 – quod [Blume : quid] eius fuerit consilium graecos libros collocasse apud illos bipedes asellos, qui ne latinos quidem ulla ex parte nossent, Epist., II, 32 [I, p. 163]; R. Blum, La biblioteca della badia fiorentina, cit., p. 53]), affidò (1443) i suoi libri religiosi e quelli greci al convento di s. Marco : item reliquit et legavit omnia opera beati Agostini et quecumque alia ecclesiastica volumina, et libros grecos qui erunt tempore mortis dicti testatoris, amore Dei et pro remedio anime sue, librarie s. Marci de Florentia, in E. Walser, Poggius Florentinus, cit., p. 362. 38 Lo ripeteva Niccolò Niccoli, consegnando a Cosimo de’ Medici (1423-1424) un promemoria, perché gli procurasse un Valerio Massimo più corretto di quelli reperibili a Firenze : «e ben che qua abbia Valerii assai, e’ son sì corrotti che egli è una morte; e tutto questo è perché frati e pedanti e gente non usa a questi facti gl’ ànno tutti raschiati e corropti», in T. Foffano, Niccoli, Cosimo e le ricerche di Poggio nelle biblioteche francesi, in Italia medievale e umanistica, 12, 1969, p. 116. 39 G. G. Merlo, Dal deserto alla folla : persistenti tensioni del francescanesimo, in Predicazione francescana e società veneta nel Quattrocento : committenza, ascolto, ricezione, Padova, 1995, p. 67s. 40 Sembra che s. Francesco e i primi seguaci non nutrissero troppi entusiasmi per i libri; il santo, in particolare, amò definirsi, riecheggiando la Scrittura (Ac 4, 13), ignorante e idiota (quia ignorans sum et idiota (s. Francesco, 2 Epist., 39 [ed. K. Esser-E. Grau, p. 262]), convincimento da lui riproposto sul letto di morte : et eramus idiotae et subditi omnibus (2 Testamento, 19 [ed. K. Esser-

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come nell’autorevole Speculum perfectionis si legge che a contestare s. Francesco, e a emarginarlo 41, erano stati elementi illusi dal sapere (aliqui fratres ex autoritate suae scientiae et falsae providentiae 42) i quali, a dispetto della pessima vita, si ritenevano irreprensibili 43, come ripeté Angelo Clareno nel Cronicon 44. Ma anche le altre proteste umanistiche, tese a denunciare il degrado morale dei frati, trovano riscontri assai più corrosivi nelle testimonianze all’interno dell’ordine, e Ubertino da Casale, volendo difendere l’autenticità dei valori espressi dai primi e più fedeli seguaci di Francesco («nos vero qui cum ipso fuimus» 45), fece una denuncia dettagliata e mordace contro i girovaghi, e i mistificatori del senso genuino della regola (cum tanta admiratione ista scribo, quod cor videtur scindi per medium, et vix manus ad dilacerationem contineo, et

E. Grau, p. 440]). Ma anche limitandosi a un superficiale sguardo d’insieme, non si può non notare un accentuato compiacimento di Francesco per la semplicità che non rifiuta l’incoltura, e diffida della sapienza mondana : non debemus secundum carnem esse sapientes, 1Cor 1, 26 (Epist. ad fideles II, 45 [ed. K. EsserE. Grau, p. 210]); pura sancta simplicitas confundit omnem sapientiam huius mundi et sapientiam corporis, 1Cor. 2, 6 (Salutatio virtutum, 10 [ed. K. EsserE. Grau, p. 428]). È muovendosi lungo queste linee che i primi discepoli del santo finirono per considerare la scienza come una alternativa incompatibile con la virtù, e una pericolosa radice di perversione : dolebat multum beatus pater, si virtute neglecta, scientiam quereretur [...]. Preodorabatur etiam tempora non longe ventura, in quibus occasionem ruine fore scientiam sciret, si legge nell’autorevole Compilatio Assisiensis, M. Bigaroni ed., Porziuncula, 1975 (Pubblicazioni della Biblioteca francescana, Chiesa Nuova-Assisi, 2), p. 100-102. 41 Fratres diligo sicut possum, sed si mea sequerentur vestigia, ipsos utique plus amarem, nec me illis redderem alienum (Speculum perfectionis = Le Speculum perfectionis ou Mémoires de frère Léon, P. Sabatier ed., Manchester, 1928-1931, p. 105); se i frati avessero, invece, conservato la devozione – incalzava il santo nella Compilatio Assisiensis – e si secundum volumptatem meam fratres ambularent et ambulassent, propter ipsorum consolationem nollem, quod alium ministrum haberent preter me, usque in diem mortis mee, op. cit., p. 320. 42 Speculum, cit., 36. 43 [...] Immo multi fratres ad tantam caecitatem devenerunt quod de iis, magis quam de prioribus [i.e. dei frati fervorosi dei primissimi tempi], putant populum aedificari et ad devotionem converti, v. Speculum, cit., p. 204. 44 Tunc dilecta Deo religio in tantum malis erit diffamata exemplis, quod bonos pudebit exire in publicum. Tunc omnis vir malus suae malitiae foetores revolvet ad fratres, et sua scelera per respectum et operationem ad opera fratrum, excusare et leviare incipiet dicens : adhuc peiora facient fratres et faciunt. Pauci vero se ad Christum et observantiam suae vocationis cum multis tribulationibus et contradictionibus toto corde convertent, v. A. Clareno, Chronicon seu historia septem tribulationum ordinis minorum, A. Ghinato ed., vol. I, testo, Roma, 1959 (Sussidi e testi per la gioventù francescana, 10), p. 22. 45 Ubertino da Casale, Arbor vite, cit., D3 r. Si veda la sostanziosa antologia di quest’opera, tradotta e pubblicata da M. Damiata, Aspettando l’apocalisse in fervore e furore con Ubertino da Casale Roma, 2000 (Percorsi, 2).

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vocem a furioso clamore 46), il cui vilipendio più che offendere la volontà di s. Francesco era diretto contro Cristo 47. I Francescani, turbati dallo scisma, scossi dalle lotte interne, inabili a trovare un equilibrio nella regola, ma al contempo dediti a un’impressionante attività apostolica e sociale, proseguirono ad offrire in alcune fasce, di difficile controllo, ampia materia per una critica serrata e perfino malevola. Il frate, preziosissimo jolly per il pontefice, era sgradito alla gerarchia Uno degli osservatori più acri dei frati fu Lorenzo Valla e tuttavia, proprio nel De professione, mitigò l’energia delle sue censure con espressioni, a volte, di riguardo 48, come è vero che Poggio (al quale risale una vibrata protesta a Niccolò V [1454] sul contegno dei Domenicani ai bagni di Petriolo 49) raccomandò al Sarteano discrezione e prudenza nel punire gli erranti (1433) 50 ; ma di simile accortezze la gerarchia non fu mai prodiga, quando, lancia in resta, si mosse contro i Mendicanti. E converso il cardinale Jacques de Vitry († 1240), notoriamente poco disposto a criticare gli uomini di chiesa 51, nella Historia occiUbertino da Casale, Arbor vite, cit., D4 r. L’atmosfera di gioioso distacco da quanto diletta i sensi, che caratterizzò i primi compagni di Francesco, rivive ingentilita dalle commosse parole dell’antico biografo : erat eis exultatio magna, cum nihil viderent vel haberent quod eos posset vane seu carnaliter delectare [...]. Et quia, deposita omni sollicitudine terrenorum, sola eos divina consolatio delectabat, statuunt et confirmant, nullis tribulationibus agitati, nullis impulsi tentationibus, ab eius amplexibus resilire, v. T. da Celano, Vita prima s. Francisci, I, 14 (in Analecta Franciscana 10, 1926-1941, p. 28). 48 Tamen ut amicus, non ut hostis, alterum tibi e duobus concessi, cum denegare possem; atque ut benignitate solita etiam defendam [...]. Neque enim in eam sentitentiam disputo, ut evertere vos velim, nihil quidem de de vestra laude detractum ecc., v. L. Valla, De professione, M. Cortesi ed., Padova, 1986 (Thesaurus mundi, 25), p. 31, 42, 44. È ovvio che i frati proseguirono ad avversare il Valla, vedi per tutti R. Caracciolo, Sermones quadragesimales de peccatis (BMC V 309; GKW 6080; Hain *4439; IGI 2465; Proctor 4719), 57v. 49 Poggio non andò troppo per il sottile nel far conoscere al pontefice il suo disagio (qui [i.e. fratres] mihi sepissime stomachum summa cum molestia nauseaque plusquam fetor sulfuris commoverunt), e nel denunciare l’arroganza di un contegno, che la consapevolezza della impunità, garantita dall’abito, rendeva intollerabile, in E. Walser, Poggius Florentinus Leben und Werke, cit., p. 524. 50 Ego, si quos aberrantes punis, summe laudo; sed iustitiam cum misericordia in te esse volo, ut potius illud pietati quam punitioni tribui possit, Poggio, Epist., VIII, 52 (II, p. 274). 51 Attendant, qui praelatis ecclesiarum detrahunt, quod Cham maledictus est, non quia pudenda patris revelavit, sed quia detecta non velavit. Quid igitur de illis, qui etiam tecta revelant?; gli ecclesiastici, anche se indegni andavano rispettati : scitis autem quod qui sigillum regis et litteras portat, licet malus sit, honorifice recipitur gratia regis. Sul pulpito dovevano andarci non solo i frati colti, ma quelli an46 47

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dentalis ritenne pericolosi i Francescani per la scarsa selettività nell’accogliere i novizi 52, il grande afflusso dei postulanti nei chiostri (tempore enim modico adeo multiplicati sunt, quod non est aliqua christianorum provincia in qua aliquos de fratribus suis non habeant 53), e la carenza di una autentica formazione dei giovani mandati a predicare (mittuntur autem bini ad predicandum 54). Lo stesso presule, inoltre, mise in guardia i frati dai mali inguaribili dell’ignoranza 55, ma Angelo Clareno la pensava diversamente, e non esitò a che prudenti; e l’esigerlo era compito precipuo dei «ministri» : ut mittant non solum litteratos, sed industrios et cautos, qui mores hominum, et qualiter tractandi sunt, noverint, Jacques de Vitry, Sermones ... ad Fratres Minores, in Analecta Ordinis Minorum Capuccinorum, 19, 1903, p. 156s. 52 [...] Alios autem omnes in amplitudine religionis sue tanto confidentius absque ulla contradictionis molestia suscipiunt quanto divine munificentie et providentie sese committentes [...] non formidant (Jacques de Vitry, Historia cit., ed. J. F. Hinnebusch, Freiburg, 1972 [Spicilegium Friburgense, n. 17], p. 160). Riserve puntualmente riformulate in una lettera del 1220 : haec tamen religio valde periculosa nobis videtur eo, quod non solum perfecti, sed etiam iuvenes et imperfecti, qui sub conventuali disciplina aliquando tempore artari et probari debuissent, per universum mundum bini et bini dividuntur (Jacques de Vitry, Lettres, R. B. C. Huygens, Leida, 1960, p. 131s). Fatti del genere non si verificarono solo tra i Francescani, visto come Tommaso di Eccleston (si fece francescano nel 1229, e morì dopo il 1259) rilevava, nel Liber de adventu fratrum minorum in Angliam, che i Domenicani potevano ammettere le reclute alla professione il giorno stesso del loro ingresso in convento (consueverunt enim ipso die ingressu sui, si vellent, profiteri), op. cit., collatio XIV (alias XIII), in Analecta Franciscana, 1, 1885, p. 248. 53 Jacques de Vitry, Historia, cit., p. 160. Per la durezza della regola, invece, e la vastità delle aree apostoliche alle quali l’ordine si rivolgeva, i Francescani non avrebbero mai dovuto ricevere gente mediocre : hic autem perfectionis ordo et spatiosi claustri amplitudo [vale a dire il mondo tutto], infirmis et imperfectis congruere non videtur (Jacques de Vitry, Historia, cit., p. 163). Più tardi il forte incremento dei Mendicanti costrinse Roma a imporre il numero chiuso nei chiostri, dettando misure drastiche sulle distanze che dovevano intercorrere tra un edificio e l’altro, minacciando di scomunica quanti aprissero chiostri senza le debite autorizzazioni, e facendo interrompere i lavori non autorizzati (BF II, 1616, ma completa il documento con 1638). Innocenzo VIII si rivolse (1488) con questi termini ai Francescani della Congregazione di fra’ Amedeo di Spagna (ut scandalis et animarum periculis obviaremus) : mandamus vobis expresse, etiam sub excommunicationis poena in singulos vestrum quam contrafaciendo ipso facto incurratis, quatenus nulla prorsus loca de novo recipere pro usu et habitatione vestra, aut illa incolere quovis modo praesumatis (BF IV, 1154). Sul beato Amedeo cf., Vaddingus, Annales Minorum, cit., 1482, 16-40, vol. XIV, p. 360-372. 54 Jacques de Vitry, Historia, cit., p. 159. 55 Quidem trasmiseri et vecordes, pigritiae suae solatium quaerentes, dicunt, quod non oportet studere, sed securius est quod maneant fratres in suae simplicitatis humilitate, eo quod scientia inflat, et multae litterae faciunt insanire. Quibus respondemus, quod aliae virtutes occasionaliter aliquando faciunt superbire. Non enim absque caritate prosunt, sed plerumque obstant [...], v. Jacques de Vitry, Sermones ad Fratres Minores, in Analecta Ordinis Minorum Capuccinorum, 19, 1903, p. 121.

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includere la ricerca del sapere tra le affezioni mortali che avrebbero aggredito la famiglia francescana 56 ; c’era, poi, un altro addebito che intaccava le cellule vitali dell’ordine : con che diritto i frati si dicevano Mendicanti? Se lo ebbero a chiedere Jacques de Vitry? 57, e Tommaso Grossatesta vescovo di Lincoln, stando alla testimonianza raccolta dall’autorevole francescano Tommaso di Eccleston 58. E non mancarono vescovi, imbecilles sensu 59, che proibirono ai fedeli di soccorrere i frati con le elemosine 60. Ma chi si lasciò dietro gli Umanisti di parecchie lunghezze fu il cardinale Pierre d’Ailly, essendosi fatto araldo, nel De reformatione Ecclesie, di un loro indilazionabile taglio (maxime videtur necessarium), in quanto il mantenere i Mendicanti si traduceva in danno dei poveri, ed essi non meritavano affatto quel titolo : eorum status est onerosusque hominibus dampnosusque leprosariis et hospitalibus ac aliis vere pauperibus et miserabilibus indigentibus, quibus convenit

56 Tunc, post istam tribulationem, malorum et dolorum, progressus erit ad peiora et magis amaricantia, et impugnabunt religionem maligni spiritus, et contra eam insurgent plurimi, et multiplicabuntur in religionem animaliter et carnaliter viventes, et deliciis et curis vitae irretientur et capientur. Et ad pecuniam recipiendam et testamenta et legata quoque, et consequenter ad litigia se sine pudore dabunt, et a sanctae paupertatis et humilitatis amore declinabunt [...]. Nam intus a paupertate et humilitate et oratione elongabuntur, scientiae et lectioni ambitiose se dabunt, et praeponent verba virtutibus, et scientiam santitati, v. A. Clareno, Chronicon, cit., p. 21. 57 Illos quidem non dicimus indigentes, qui de manuum labore vivere possent, et mendicant. Hi non pauperes, sed raptores iudicantur. Si autem petunt ab aliis, ut dent eis panem, nonne merito respondere possunt : ‘date nobis artem, ut scilicet pro nobis laboretis?’ [...]. Cun igitur quidam gyrovagi non sint in lecto per contemplationem, nec in agro per praedicationem, nec in mola per manuum laborem, quia nullum ordinem observant, quid aliud restat eis, nisi locus ille, ‘ubi umbra mortis et nullus ordo, sed sempiternus horror inhabitat?’, v. Jacques de Vitry, Sermones ad Fratres Minores, in Analecta Ordinis Minorum Capuccinorum, 19, 1903, p. 119. 58 Tommaso di Eccleston, De adventu minorum in Angliam, Collatio XV (alias XIV), in Analecta Franciscana, 1, 1885, 255. Si tenga presente, però, che i fautori di una povertà rigida, miravano a distaccarsi dallo stesso necessario, come sostenne David di Augusta : sancta autem paupertas est quae pro Deo patienter suam inopiam tolerat et vult magis egere quam illicite vel inhoneste acquisitis abundare [...], gaudet etiam in defectu necessariorum, cf. D. Flood, Die Regelerklärung des David von Augusburg, in Franziskanische Studien, 75, 1993, p. 221. 59 Monstri preterea similis est quosdam etate nostra videre pontifices imbecilles sensu, parvulos intellectu, prudentia nudatos, qui cum ignorantie tenebris involvantur, neque se ipsos regere valeant, aliorum regendorum curam suscipiunt, fra’ Filippo da Strada, De comparatione viciorum inter se, Biblioteca nazionale Braidense, AC IX 34, 50r. 60 Si veda alla Biblioteca nazionale di Napoli (d’ora in poi BNN) un documento che bene riproduce i rapporti, a volte tempestosi, intercorsi tra frati e vescovi, Utrum episcopus prohibens populum dare elimosinas religiosis mendicantibus sit hereticus, V E 20, 186r.

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ius et verus titulus mendicandi. E il presule non insisteva oltre, perché lo status quaestionis era noto a tutti 61. E ciononostante i frati ebbero il plauso dei pontefici e dei principi 62, e se a ciò si aggiungono i privilegi di cui godevano e lo scandalo diffuso dagli elementi corrotti, si avrà l’innesco delle reazioni su di loro 63, anche da parte dei preti 64. Il fatto è che i Mendicanti rappresentarono una milizia scelta al servizio diretto dei pontefici, ed era prevedibile che quanti volevano combattere Roma finissero per osteggiarli, e così avvenne in Svizzera 65, Irlanda 66, al concilio di Costanza 67, alla Sorbona 68 ; ma i termini più triviali li usò un tal Philip

P. d’Ailly, De reformatione Ecclesie, BAV, Vat. lat. 4039, 367v-368r. Sui legami dei frati con il potere cf. le mie pagine Il pulpito e il Palazzo. Temi e problemi nella predicazione dei Mendicanti nel ’400, in Archivum Franciscanum Historicum, 89, 1996, p. 263-286. 63 L’inaffidabilità delle istituzioni accrebbe nel secolo una endemica insicurezza, che dette esca a un robusto vettore di conflitti e alterchi tra i laici, all’interno dei chiostri e tra i due blocchi, lo notava fra’ Agostino da Fivizzano nella Esposizione del pater noster, chiamando in causa coloro i quali «si delectano [...] haver in dispregio tali ordini [...], farne canzone e motteggi, quanto per el contrario tutto el cristianesmo doverria piangere amaramente!»; lo stesso frate denunciava le tendenze bellicose tra gli ecclesiastici, attribuendole all’ostinatezza e all’attaccamento di ognuno a «la propria existimatione qual una volta hanno tenacissimamente abochata per iusta e santa; e de quindi viene che veschovo contra veschovo, chiesa contra chiesa, sacerdoti, monachi, frati, monache l’uno contra l’altro si tagliano a pezi, contendano, romorizano in modo che va sotto sopra ogni cosa, e nondimeno ad ogni secta pare havere el zelo secundo idio», Fra’ Agostino da Fivizzano, Esposizione, cit., BAV, Vat. lat. 13950, rispettivamente, 50r e 38v. 64 Il clero di Reims, nel polemizzare con i Mendicanti (1441), si serviva di argomentazioni in contrasto con i padri della Chiesa e il dogma (BF I, 563). Nonostante i buoni uffici dei pontefici i due blocchi rimasero, in sostanza, trincerati nei propri perimetri, e i Mendicanti, dimentichi (?) delle grandi difficoltà in cui versavano i preti, ben poche volte ne presero le parti, per difenderli dalle troppe malignità (anche se non sempre gratuite) messe in giro sulla categoria; è certo, invece, che spesso si limitarono a sbrigative difese di ufficio : così fecero, ad esempio, B. Tomitano da Feltre (doh, compesce linguam, si non vis dicere bene, non dicas male etc. [Sermoni, ed. C. Varischi, Milano, 1964, I, p. 65]) e R. Caracciolo : scitis qui sunt qui de presbiteris malum dicunt? Sunt usurai, adulteri, hec vetule ruffiane, rencagnate, detractores [...], cf. Quaresimale padovano 1455, O. Visani ed., Il Santo, 23, 1983, p. 142. 65 P. Mortier, Histoire des Maîtres Généraux des Frères Prêcheurs, Parigi, 1914, IV, p. 334. 66 J. Moorman, A history of Franciscan Order from its origins to the year 1517, Oxford, 1968, p. 512. 67 P. d’Ailly, De reformatione ecclesie, BAV, Vat. lat. 4039, cf., tra l’altro, 367v-368r. 68 Alla Sorbona si contestarono i privilegi che i frati accampavano, tra l’altro, fin dai tempi di Eugenio IV e Niccolò V (BF I, 1040, 1214), come ricordava Callisto III (1457) ratificandoli tutti, in quanto conformi alle tradizioni ecclesiastiche e ai sacri canoni (BF II, 269; Vaddingus, 1457, 49, vol. XIII, p. 38-43; Bullarium 61

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Norreys, teologo irlandese (fratres quatuor ordinum mendicantium sunt peiores Iuda traditore), li disse seguaci di Maometto e li chiamò ribaldi pessimi, fures et latrones votati al saccheggio della Chiesa 69. Superfluo aggiungere che la scomunica latae sententiae raggiunse il non proprio tollerante teologo 70. Il problema si ripresentò nella sua crudezza al concilio laterano, dove i Padri, stando a Egidio da Viterbo, tornarono alla carica per distruggere al tutto i Mendicanti, come si legge in un foglio a Jacques Lefèvre d’Etaples (1516) 71, e in una lettera universo ordini dello stesso anno, e ciò perché essi avevano estorto con l’inganno i loro privilegi (dolo, fraude, importunitate, vi), conculcandoli nella dignità 72. L’anticlericalismo degli Umanisti mirava ad assicurarsi una più ampia autonomia religiosa e di pensiero L’Umanesimo ebbe nella Chiesa, al contempo, l’alveo in cui rafforzarsi e diffondersi, e i suoi più decisi avversari, da riconoscersi in una pattuglia di maîtres-à-penser per nulla sprovveduti, che si

Ordinis Fratrum Praedicatorum, III, 362s). Tuttavia i docenti della Sorbona si mostrarono più rispettosi dei Francescani, almeno in una circostanza, quando pretesero da a un aspirante al dottorato in teologia, che correggesse una serie di proposizioni acide e offensive, una delle quali su s. Francesco così formulata : «ainsi que Pluto [...] tient Proserpine entre ses bras, ainsi Lucifer tient cette âme» (L. Dorez et L. Thuasne, Pic de la Mirandole en France, Parigi, 1897, p. 35s n. 1). Anche in Italia non tutti sarebbero stati entusiasti di Francesco, così nell’Accademia Romana, riunitasi attorno a Pomponio Leto, avrebbero detto «che santo Francesco era stato un ypocrita [...] et Christo un seductore de popoli e Machometo homo de grande ingegno», L. von Pastor, Storia dei Papi, trad. A. Mercati, II, Roma, 1932, p. 742. 69 BF I, 484. 70 BF I, 1217; cf anche Bullarium Ordinis Fratrum Praedicatorum, III, 128s, 257. 71 Concilium episcoporum totis (ut aiunt) nervis insurgunt, ut nos et mendicantium nomen aut deleant aut insectentur, Egidio da Viterbo, Epist., A. M. Voci Roth ed., Roma, 1990 (Fontes historiae ordinis sancti Augustini. Series altera, 1-2), II, p. 216. 72 Volebat concilium delere omnia que nos a pontificibus circumventis dolo, fraude, importunitate, vi extorsisse iactabant, episcopalem dignitatem non lesam modo, verum etiam inhonestatam, afflictam et prope eversam esse dicebant. Né i padri conciliari si fermarono alle minacce, troppe volte rimaste velleitarie, ma, guidati dagli elementi più autorevoli dell’assemblea, passarono subito alle vie di fatto : concilium et qui apud pontificem omnia et possunt et agunt decrevere ordines mendicantium emendare, cepereque iam id agere, ac littere signate sunt et edite ut id fiat, ceptumque est ab ordine Minorum [...], v. Egidio da Viterbo, Epist., II, p. 217 e 219.

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segnalarono in campo politico 73, economico 74 e contro gli studia humanitatis 75 ; è certo che questi uomini concreti, con una struttura mentale tipicamente scolastica, si sarebbero mossi facendo leva, non su questioni retoriche, ma su problemi di natura ideologica e, dunque, a carattere dottrinario. E tuttavia gli Umanisti, per i quali i classici rappresentarono il porro unum (qualcuno dirà : testor deum malle me non fuisse natum, quam non didicisse litteras quantulascumque hauserim! 76), ci tennero ad essere e dirsi cristiani : tra i tanti lo ripeterono Valla con piglio marziale 77, B. Morandi allineandosi su una massima terenziana (Heaut., 77) 78, Galeotto Marzio con fare

73 Si ricordino qui, almeno, fra’ Giovanni da Mantova che si batté contro Albertino Mussato (1329), e fra’ Guido Vernani da Rimini, in polemica con Dante (T. Käppeli, Der Dantegegner G. Vernani O.P. von Rimini, in Quellen und Forschungen aus italalienischen Archiven und Bibliotheken, 28, 1937-1938, p. 107146); sullo stesso tema interverrà fra’ Gugliemo Centueri autore del De iure monarchiae (ed. C. Cenci, Verona, 1967 [Università degli studi di Padova. Facoltà di economia e commercio in Verona. Pubblicazioni dell’Istituto di storia economica]), per difendere l’autorità del pontefice, ritenuta superiore a qualsiasi altra in spiritualibus et in temporalibus; però lo scopo immediato del Centueri fu quello di sorreggere la politica espansionistica di Gian Galeazzo Visconti, screditando il governo repubblicano di Firenze, a suo giudizio inidoneo a promuovere la pace e il benessere dello Stato. Assai acido il Centueri si dimostrò contro Dante, «inferius [!] homo», deriso come un garrulus qualsiasi che «fatuizat», mentre il De monarchia era opus [...] cum suo auctore publice ignibus esse tradendum (De iure monarchie, p. 62 e n. 43). Su problemi politici si pronunciarono anche gli agostiniani Agostino Trionfi di Ancona († 1328) con la Summa de ecclesiastica potestate e il Tractatus contra divinatores et sompniatores (vedine l’ed. in Analecta Augustiniana, 48, 1985, p. 5-111. Sul frate cf. B. Ministeri, De Augustino de Ancona O.E.S.A. [† 1328], in Analecta Augustiniana, 22, 1951, p. 7-56, 148-262); vedi anche di Agostino Favaroni († 1433) il De principatu papae, edito in Analecta Augustiniana, 53, 1990, p. 95-192. Ovviamente a queste idee si opponeva la riflessione umanistica di Firenze e del Bruni in particolare, cf. H. Baron The crisis of the early Italian Renaissance, Princeton, 1955. 74 R. de Roover, S. Bernardino of Siena and S. Antonino of Florence. The to great economic thinkers of the Middle Ages, Boston, Mass., 1967. 75 Vedi per tutti G. Dominici, Lucula noctis, ed. E. Hunt, Notre Dame, Indiana 1940 (University of Notre Dame publications in medieval studies, 4), edizione da preferirsi a quella di R. Coulon, Paris, 1908 (Opera selecta scriptorum ordinis Praedicatorum, n. 1). La Lucula fu scritta per ribattere il De fortuna et fato del Salutati, G. di Carlo, Vita del Dominici, BAV, Vat. lat. 6329, 293v-294r. 76 B. Morandi, In calumniatorem Platonis, BAV, Ottob. lat. 1828, 197r. L’opera è riportata anche nell’Urb. lat. 732, 32r-81. 77 «Pro religione, pro ecclesia, pro tequoque, frater ac monache, in acie sto, nec minus spero me Deo gratum facere quam tu facis», L. Valla, De professione religiosorum, cit., p. 54. 78 Ingenue fateor me christianum, et christiani nihil a me esse alienum, B. Morandi, In calumniatorem naturae humanae secunda reluctatio (BAV, Urb. lat. 1245, 32r; Ott. lat. 1828, 179r). Il passo terenziano trovò un rilancio in chiave di alta spiritualità sulle carte di G. Manetti : illud alterum eiusdem [i.e. di Terenzio] memoria tenebam : homo sum, nihil humani a me alienum puto; itaque quicquid

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risentito 79, e chissà quanti altri con loro; però quelli che avversarono il revival non si arresero, e all’emancipazione del giudizio, radice di ogni perversione 80, conseguibile con gli studia 81, essi contrapposero la guida del maître-à-penser 82. E converso l’eroe umanistico per eccellenza risultava essere Girolamo da Praga il quale, a somiglianza di Giovanni Hus 83, salì il rogo per non smentirsi, spingendo Poggio a

doloris in me est humanitati potius quam levitati mee attribuendum censeas velim, v. Dialogus consolatorius, BAV, Urb. lat., 1601, 2v. 79 Galeotto Marzio, sospettato di essere eretico, ma assolto da Sisto IV, ci tenne a ribadire il suo rientro nella regolarità in una lettera a Domenico Stella : quidam suspicantur me non vere poenituisse; hi tales, quicumque sunt, falluntur; nam, deum testor, me animo syncerissimo et pura mente abiurasse omnem heresim, non aliquo timore, non aliqua pena motus, sed solum charitate et veritate impulsus [...]. Nam tanti animi sum ut nullius persuasione, nec minis possem terreri, BM, lat. XIV, 267 (= 4344) 68r. 80 Il traguardo ascetico più alto stava, secondo un anonimo direttore di spirito, nella expoliatio, mortificatio et abnegatio propriae voluntatis; et non qualiscunque abnegatio, sed perfecte abnegatio et mortificatio : hoc est illud unum ultimate acquirendum, in quo consistunt omnia bona, BAV, Barb. lat. 394, 2-3r. 81 In una lettera a Giovanni Pico, l’Esperiente lo scoraggiava a presentargli argomentazioni non verificabili (ne me revocet ad auctoritatem, nisi ubi defuerint argumenta, v. Epistole selectae, ed. I. Linchoska, G. Pianko, T. Kowalewski, Wratislaviae-Varsoviae-Cracoviae, 1967 [Bibliotheca latina medii recentioris aevi, n 16], p. 102); atteggiamento analogo in un foglio al Ficino : le ragioni teologiche lo interessavano poco : nam quod teologi dicunt permitti id a Deo [...], pendet totum ex religionis auctoritate, v. Supplementum Ficinianum, ed. P. O. Kristeller, Firenze, 1937, II, p. 226. 82 I maestri di spirito imponevano di «avere sempre a sospetto la propria voluntà, però che in questa propria voluntà sono nascostamente tesi i lacciuoli dal secreto della natura e dall’astuzia di sathan» (BNCF, Con. Sop. C 4, 1437, 18v); ma vedi anche Regola et ordinationi [...] nella congregazione del Spirito Santo [...], BA, T 37 sup., 4s; Giustianiani-Tavelli, Della disciplina o vero de’ regolati costumi e perfectione della monastica conversatione, BNCF, Conv. Sop. G 7, 1493, 51r). Su questa materia i Mendicanti finirono per trovarsi d’accordo anche con l’eretica Margherita Porette, che nello Speculum simplicium animarum giudicò l’autonomia del giudizio una forza avversa, capace di sottrarre la grazia all’anima, la quale, per mantenerla doveva «uccidere» il proprio volere : «i quali doni Dio non dà a nulla creatura, la quale stia in desiderio, o in volontà. Ma colui che vuole tali doni uccida el desiderare e il volere, però che altrementi non gli avrà», cf. G. Fozzer, R. Guarnieri, M. Vannini (ed.), Lo specchio delle anime semplici, Cinisello Balsamo, 1994 (Classici del pensiero cristiano, 9), p. 527. 83 Vedi la ricostruzione del processo sostenuto dall’eretico (Hus’ Trial at the Council of Constance), ma riproposta, in modo non sempre equanime, da M. Spinka in John Hus’ concept of the Church (Princeton, N. J., 1966, p. 329382). Nella vicenda di Giovanni Hus svolsero un ruolo, non certo di margine, personalità di rilievo all’interno della Chiesa, e di primo piano nella cultura del secolo XV, le quali, dunque, ben capivano quanto stava accadendo; in altri termini Hus espose il suo credo, e ad ascoltarlo ci furono Pietro d’Ailly e Giovanni Gersone, i teologi, cioè, più autorevoli del momento, mentre per quel che riguardava il

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scrivere un plauso entusiasta 84, che il Bruni ritenne imprudente (1417) 85. Ma quell’autonomia dell’individuo, che tanta angustia dava ai maîtres-à-penser, venne difesa dagli Umanisti come un’alta esigenza morale 86, e ricaduta seducente del lungo tirocinio sugli auctores, stando all’agostiniano Andrea Biglia 87 ; anzi Gasparino Barzizza, proprio per rispondere alle richieste di un francescano, presentò, nella Oratio in circumcisione domini, un Cristo sorprendentemente in linea con le rivendicazioni dei litterati : e se lui aveva trionfato del diavolo e della morte (mortemque ipsam, morte sua, a qua tertio die surrexit, superavit, vicit, profligavit), i suoi seguaci erano chiamati a vincere ogni forma di schiavitù, per definirsi autonomamente in una preziosa dimensione di libertà : quod si non turpissime ingrati esse volumus, cum nos ex fedissima servitute suo sanguine, in perpetuam

diritto canonico c’era Francesco Zabarella, la cui competenza in materia erano in pochi a poterla uguagliare (P. H. Stump, The reforms of the Council of Constance 1414-1418, Leida, 1994, p. 112). Egli ebbe, dunque, i giudici più preparati che potesse augurarsi; ovviamente essi erano figli del loro tempo, e la tragica risoluzione che promossero e vollero ben lo dimostra. 84 Poggio, Epist., I, 2 (I, p. 11-20). 85 Tu illi [i. e. Hieronymo] tamen plus tribuere videris, quam ego vellem [...]. Ego cautius de hisce rebus scribendum puto, v. Bruni, Epist., IV, 9 (ed. L. Mehus, Florentiae, 1741, I, 120). Bruni, molto più prudente di Poggio, seppe, senza trascendere, far conoscere cosa pensava della situazione religiosa e degli ecclesiastici dei suoi tempi : così, nel suo epistolario, non mancarono le puntate polemiche sui litigi dei curiali (Epist., V, 5 [II, p. 25-29]), o le denunce sui pericoli che si correvano stando a Roma (III, 2 [I, p. 67s]); senza infingimenti egli parlò della mediocrità e della inettitudine di Benedetto XIII e Gregorio XII (II, 21 [I, p. 59-65]), e se fu piuttosto severo con Giovanni Dominici (II, 19, 22 [I, p. 56s, 66]), lo divenne ancor più con gli Osservanti nella Oratio in hypocritas, dove si colgono apprezzamenti assai prossimi a quelli di Poggio. Cosa l’umanista volesse dalla Chiesa e dal pontefice ben risulta dal prologo alla traduzione del Fedone platonico, dedicata a Innocenzo VII (1404-1405) : te enim antistite nihil ambitionis, nihil iniquitatis, nihil omnino sordis auditur aut cernitur. Tu omnem pompam omnemque indignam potentiam reppulisti. Tu non vi nec armis, sed iure et legibus valere voluisti, in H. Baron, L. B. Humanistisch-philosophische Schriften..., Lipsia-Berlino, 1928 (Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelallters und der Renaissance, 1), p. 3. 86 Scrisse l’Aberti : libertatem in primis vir doctus cupit (De commodis litterarum atque incommodis. Defunctus, G. Farris ed., Milano, 1971 (Pubblicazioni dell’Istituto di lingua e letteratura italiana. Facoltà di magistero dell’Università di Genova, n. 2); «non sia vizioso l’animo e non servirà; ornisi di virtù, e arà libertà», Della famiglia, II, C. Grayson ed., Bari, 1960 (Scrittori d’Italia, n. 218), I, p. 148. 87 Si chiamano arti liberali tum quod solae liberum animum aut requirant aut faciant, tum quod praecipue liberis, hoc est liberorum filiis, discendae sint, ut sane liceat quidem iure magno nostram hanc aetatem carpere, qui cum tantopere libertatis nomine gloriemur, nulla tamen opera artes, quae liberos faciunt, persequimur neque, ut oportuit, liberos nostros harum disciplinarum consuetudine vere liberos esse patimur, v. A. Biglia, in K. Müllner, Reden und Briefe italienischer Humanisten, Vienna, 1899, p. 67.

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libertatem vendicaverit, pileati currum illis triunphantis, in signum libertatis recuperate, sequamur 88. Solo che l’autonomia cara all’umanista di Bergamo, aveva portato i litterati ad assumere atteggiamenti provocatori (nec caput erigas ad elephantem – così Lorenzo da Prato sferzava gli Umanisti –, qui subiugaris a culice! 89), spingendoli in aree proprie dei teologi, quali quelle della visione beatifica sulla terra 90, il peso del fato 91, il libero arbitrio 92, la prescienza di Dio 93, le traduzioni della Scrittura 94, a non ricordare gli abusi agiografici con cui onestavano Cicerone 95, il Niccoli 96, Enrico V d’Inghilterra 97, Ercole I d’Este 98. Lorenzo da Prato bollò a fuoco questa moda, attribuendola a gente rozza (tales), che non volle nemmeno nominare 99, in quanto negavano la provvidenza di Dio100, l’inferno101, l’immortalità dell’anima102, profanando le stesse 88 G. Barzizza, Oratio in circumcisione domini, BM, lat. XI, 21 (= 3814), 42r-45v. 89 Lorenzo da Prato, De presciencia dei et predestinatione et libero arbitrio, BAV, Urb. lat. 564, 4v. 90 Vedi di Guillaume Fichet l’Oratio divi Stephani prothomartiris, detta davanti a Sisto IV (1476), BAV, Chig. I VI 235, 13v-14r. 91 Salutati, De fato et fortuna, BAV, Urb. lat. 1184; Vat. lat. 2928; BNN, VIII F 27. 92 Valla, De libero arbitrio in Opera omnia, ed. cit., p. 999-1010). 93 Paolo Morosini, De fatu seu prescientia divina et liberi humani arbitri libertate, dedicato a Sisto IV, Vat. lat. 13157. L’amanuense Andrea Lazzaroni avverte che l’opera venne terminata il 17 luglio 1477, loc. cit., 55r. Indicazioni biblografiche sul Morosini vedile in M. L. King, Venetian Humanism in Age of patrician dominance, Princeton, 1986, p. 412s. 94 Così ammise P. C. Decembrio : transtuli itaque fidelissime non modo libellum ipse Ecclesiastes, sed plerosque Sacrae Scripturae libros [...], nulla addita abiectave sententia, ne verbo quidem, nisi quantum concinnitas ipsa cogebat, cf. F. Gabotto, L’attività politica di P. C. Decembrio, in Giornale Ligustico, 20, 1893, p. 182. 95 G. W. Pigman III, Barzizza’s studies of Cicero, in Rinascimento, 21, 1981, p. 144. 96 Poggio, Oratio in funere N. Niccoli (in Opera, Basileae, 1538, p. 276). 97 La Vita del re inglese fu scritta in latino dal Frulovisi, e il Decembrio la tradusse in volgare, BAV, Urb. lat. 922. 98 Sabadino degli Arienti, De triumphis religionis, BAV, Ross. 176, passim. Meglio si espresse sull’estense W. L. Gundersheimer : «we could be confident that he was perhaps mainly a poseur in matters of religion», Ferrara : the style of Renaissance despotism, Princeton, 1973, p. 208. 99 Tales qui de presciencia dei querunt, pro magna parte, sunt homines illiterati, homines piscatorum retibus involuti, qui magis verbis vilibus quan sciencialibus convincuntur, et magis materialibus superantur exemplis quam subtilibus argumentis, cum nemo congrui vinci possit per id quod intellectu non capit, v. Lorenzo da Prato, De presciencia, cit., BAV, Urb. lat. 564, 3r. 100 Fra’ Zenobi Acciaiuoli espresse la sua accusa nel proemio alla traduzione del De provvidentia Dei di Teodoreto di Ciro, dedicato a Leone X, BAV, Ott. lat. 1404,156v-157r. 101 B. Della Fonte, Epistolae, ed. Juhsász, Budapest, 1931 (Bibliotheca scriptorum medii recentisque aevorum. Saec. XV-XVI), p. 18. 102 Pulci, Libro dei sonetti, G. Dolci ed., Firenze, 1933 (Biblioteca rara. Testi e

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tombe nelle chiese in disprezzo della resurrezione dei morti103. I laici, inoltre, tentavano di risolvere tra di loro i problemi religiosi104, così come un monaco non aveva trovato di meglio che rivolgersi al Salutati per apprendere le giuste modalità della propria vita105. I tempi stavano cambiando e non certo in meglio per i maîtres-àpenser, pertanto aveva ragioni da vendere Francesco Insegna106 nel lamentare, in un sermone coram papa, una perdita di credibilità per gli ecclesiastici mai vista prima107. Gli Umanisti non erano affetti da anticlericalismo programmatico : più semplicemente essi stavano producendo uno sforzo notevole per riconquistare, su basi critiche e maggiore autonomia di giudizio, i lasciti religiosi del passato108 ; e tuttavia i Mendicanti li considerarono dei sorvegliati speciali, come d’altronde fecero nei dicasteri sul Tevere dove i guardiani dell’ortodossia avevano gli occhi bene aperti; e se non mi risulta che venisse perseguito il paganesimo di Giorgio Gemisto Pletone, o il naturalismo di Michele Marullo Tarcaniota, a Giovanni Pico non giovò nemmeno la fuga in Francia, e il pericolo da lui corso fu grandissimo109 ; qualcosa del genere avrebbe documenti di Letteratura, d’arte e di storia raccolti da A. Pellizzari. Quarta serie, 82), p. 124s. 103 L. Landucci, Diario dal 1430 al 1516, I. Del Badia ed., Firenze, 1883, p. 190s. 104 Ed è ben sintomatico che Donato Acciaiuoli, eruditissimus adolescens, non presentasse i suoi dubbi sul destino dei piccoli morti senza battesimo a un sacerdote, per rivolgersi a Giannozzo Manetti, il quale gli rispose (1450) amice et familiariter, BNCF, Magliab. XXXIX, 72, 82r-83r. 105 Don Girolamo degli Angeli richiese al Salutati il De seculo et religione; un fra’ Cristoforo si rivolse al Decembrio per ricevere un consigilio a proposito di una donna alla quale era apparsa la Vergine, Biblioteca Riccardiana di Firenze, cod. 827, 81rv. 106 Francesco Insegna (= Franciscus de Asisio), fu ministro dei Frati Minori per l’Umbria (1468-1473) e poi vescovo di Assisi (1483-1495). 107 Beatissime pater, tanta est hodierna die hominum temeritas, quod humana et sacra et fere summum sacerdotium, ymmo deum et sanctos eius, superbia et elatione, pedibus calcare volunt. Dicite, obsecro, patres reverendi, ubi nunc gloria dei? ubi veneratio sanctorum? ubi honor sacerdotum [...]?, v. Fancesco Insegna, Orationes, Vat. lat., 1403, 26r. Il titolo è tolto dal colophon, dove si legge : orationes egit et recensuit in capella sanctissimi domini nostri Pauli secundi magister F. de Asisio, 42v. 108 Questo è il tema di fondo dei miei volumi sugli Aspetti religiosi nella letteratura del Quattrocento, Roma-Vicenza, 1973-1974 (Studi e testi francescani, 5355), e Cultura e vita nell’età umanistica Vicenza 1976 (Aspetti religiosi nella letteratura del Quattrocento, 4). 109 Pico della Mirandola, oggi non c’è chi non lo ammetta, aveva più cultura e perspicacia di molti suoi giudici romani : davanti alla geometria limpida delle sue Conclusiones nongentae, c’è la risposta confusa della commissione giudicatrice, che i sedici commissari raffazzonarono tra il 2 e il 13 marzo del 1487; ma non reggono meglio nemmeno le più riflettute Determinationes magistrales (BMC IV, 110; Hain 7492; IGI 4177), che il vescovo Pietro García († 1505) scrisse contro le

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raggiunto anche il Ficino se, a ripararlo, non ci fosse stato il provvido Lorenzo110. E che a Roma seguissero con vigile attenzione i letterati lo dicono a sufficienza i ceppi nei quali finirono i componenti dell’Accademia Romana111, l’odissea di Callicamaco Esperiente inseguito dai segugi di Paolo II112, e il rogo di Iacopo Bonfadio113, sul quale lo avrebbe condotto non tanto la sodomia quanto lo scetticismo sull’oltretomba cristiano114. C’era, dunque, un plesso di dogmi che veniva riposto in discussione, stando a Sicco Polenton115, di cui erano segni non trascurabili

tesi pichiane, in quanto se si confrontano i due scritti «in più di un caso non ci sarà bisogno di sforzo per vedere da che parte si trovi, non soltanto il vigore di spirito, ma la serietà teologica e il buon senso cristiano»! (H. de Lubac, L’alba incompiuta del Rinascimento. Pico della Mirandola, trad. C. Colombo e A. Dell’Asta, Milano 1977, p. 445). Il dispetto e lo sconcerto dei curiali di fronte alla invasione di campo operata dal giovane umanista ben lo espresse Innocenzo VIII, il cui disappunto venne riferito al Magnifico dal suo ambasciatore a Roma nei termini che seguono (2 ottobre 1489) : «et dixe : ‘Costui cercha di finire male et essere un dì arso o vituperato in eterno come è stato qualchuno altro. Queste cose della fede sono troppo tenere e prohibite, et non posso tollerarle. Scrivete a Lorenzo : Se lui gli vuole molto bene, che lo facci scrivere opere di poesia et non cose theologiche perché saranno più de sua denti, perché il conte non è bene fondato et non ha visto tanto quanto bisogna ad chi scrive theologia; et essi più vestito di dubii et di sophisterie che di ragione vere et approvate dalla sancta Chiesa’», R. M. Zaccaria e L. Lanza, Lorenzo per Pico, in Pico, Poliziano e l’umanesimo di fine Quattrocento. Biblioteca Mediceo-Laurenziana 4 novembre-31 dicembre. Catalogo curato da P. Viti, Firenze, 1994, p. 76s. 110 La condanna per eresia gli sarebbe toccata per le componenti magicoastrologiche del De vita, e i segnali poco piacevoli per il filosofo si stavano coagulando nel 1490, P. O. Kristeller, M. Ficino and the Roman Curia, in Humanistica Lovaniensia, 34, 1985, 94s. 111 W. Zabughin, Giulio Pomponio Leto. Saggio critico, Roma-Grottaferrata 1909-1912; J. M., Rodrigo Sánchez de Arévalo, alcaide de Sant’Angelo, Madrid 1973 (Publicaciones de la Fundación Universitaria Española. Monografías, 8), cf., in particolare, Proceso a los humanistas romanos, p. 166-213; si veda, inoltre, nell’Appendice V, la corrispondenza (trascritta in modo non sempre affidabile) del vescovo con i detenuti. Alla BM, lat. XI, 103 (= 4361) si conserva la corrispondenza del presule con gli umanisti reclusi in Castel s. Angelo. 112 E buon per lui che non venne estradato dai re di Napoli e di Cipro e fu accolto in Polonia, G. Paparelli, C. Esperiente, Salerno, 1971, cf. i capitoli V-VIII, 73-150. Su questo umanista, cf. C. Esperiente poeta e politico del ‘400 [...], G. C. Garfagnini ed., Firenze, 1977 (Collana umanistica. Testi e saggi, 4). 113 Di lui si leggano Le lettere e una scrittura burlesca, A. Greco ed., Roma, 1978 (L’Ippogrifo, n. 14). 114 Si vedano, al riguardo, le mie pagine ne La morte nell’età umanistica, Vicenza, 1983 (Aspetti religiosi nella letteratura del Quattrocento, 5), p. 588-591. 115 Sicco Polenton, nel Liber confessionis christianae, denunciò l’orgoglio di quanti sacrata de hostia veroque de corpore Christi, de articulis fidei et huiusmodi aliis multis, quae alta sunt et occulta misteria, plusquam aut capi possit, aut liceat, investigant, v. BAV, Vat. lat. 7781, 43v.

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la freddezza nei riguardi del Cristo116, il disinteresse per i santi117, l’idolatria per la classicità118, e una vita ai margini della morale secondo Poggio119, perché, ebbe a dire Erasmo, corpus aqua sacra tinctum est, sed illota mens est, animus crucem execratur120 ; questa frattura su base ideologica con la religione dei padri venne avvertita anche dal popolo, stando a Cino Rinuccini121, e la conferma la dette L. Bruni a commento dell’episodio Niccoli-Benvenuta di Pagnano, in una lettera a Poggio (1421)122. L’anticlericalismo umanistico non lo liquiderei come un fatto di colore nel variegato mondo delle polemiche quattrocentesche, o uno scontro per difendere i meriti della retorica123, in quanto nella sua 116 Teodoro Gaza, in una lettera al Panormita, diceva di conoscere Umanisti («homines nostrae aetatis eloquentes» ) che non amavano nominare Gesù, cf. Cent-dix lettres grecques de F. Philelphe, É. Legrand ed., Parigi, 1892 (Publications de l’École de langues orientales vivantes. IIe série, vol. XII), p. 336. 117 Giovanni Garzoni attribuì l’indifferenza che lo circondava all’aver scritto le agiografie, quod si in scribentis lenociniis, lasciviis et raptis Ganimedis honoribus mea versaretur oratio, ego unus essem quo nemo doctior eloquentiorque esset, BAV, Vat. lat 10686, 57r. 118 Filelfo fa dire a Giannozzo Manetti nelle Commentationes : soleo nonnumquam mirari quorundam inscitiam, qui cum aliquod aut exemplum aut dictum e fidei christiane religione vel tempestive apteque depromptum audierint, tanquan offensi et mutant vultum et avertunt faciem; iidem si quid ex poetarum fabulis atque gentium diis exceperint, leti exhilaratique exultant, Vat. lat. 5913, 111rv. 119 Poggio, in una lettera al Pizolpasso (1424), segnalava un voluto distacco degli uomini colti dall’osservanza cristiana : qui cum quotidie legamus doctissimos viros tum gentiles tum christianos, tam aperte tamen calcamus consilia et praecepta quae ab illis docemur tam salutaria, tam sancta, v. Epist., II (I, p. 130). 120 Erasmo, Ciceronianus (in Opera, ed. cit., I, 1, p. 645). 121 Cino Rinuccini garantì che a Firenze c’erano giovani letterati per i quali le certezze del cristianesimo offrivano meno garanzie «degli idei de’ gientili», cf. Invettiva contro a cierti calunniatori di Dante, in Giovanni Gherardi da Prato, Il Paradiso degli Alberti, A. N. Wesselofski ed., Bologna, 1867 (Scelta di curiosità letterarie inedidte o rare, n. 861-2-88.), I, 2, p. 315. 122 Et miramur si ea opinio est vulgi ut litterarum studio dediti nec Deum putent, nec vereantur, cum huiusmodi monstra hominum, falsa opinione pro litteratis habiti, ista contra Deum et homines committere non formident? (Bruni, Epistolae, V, 4 [II, 20s]). E all’immagine intrisa di aderenza convenzionale al cristianesimo del Niccoli, stilata da Vespasiano (Le vite, II, p. 225-242), fa da riscontro l’appello del Traversari per ricordargli il precetto pasquale, che da troppi anni trascurava, cf. A. Mercati, Ultimi contributi alla storia degli Umanisti, I, Traversariana, Città del Vaticano, 1939 (Studi e Testi, n. 90), p. 46s. 123 L’Umanesimo ebbe in gran conto il bel parlare (nihil est enim, per deum immortalem, ipsa eloquentia dulcius, nihil dignius, nihil quod magis deceat illustri loco natum, praesertim cui sceptra tenere populosque regere fortuna commiserit, Angelo Lapi, Divo principi Astorgio Manfredo, BAV, Chig. I, V, 195, 59r), e vide nell’eloquenza il sostegno irrinunciabile di ogni disciplina, non per sostituirla, ma per farla crescere e riuscire convincente (Pietro Pierleoni, Ad Genuenses exhortatio ad eloquentie studia, BA, G 95 sup. 133v), pertanto essa fu posta a discrimen tra gli uomini e il regno della irrazionalità, stando al Raudense (Oratio pro

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parte meno deperibile si raccolse un’ansia di autonomia religiosa, ancor acerba, però evidentissima, la quale non volle respingere le certezze del passato124, in quanto mirò a riappropriarsene su basi critiche; da qui scaturiva l’insofferenza di Aurelio Lippi Brandolini contro quelli che volevano togliere ai laici il diritto di partecipare al dibattito religioso, ritenendoli privi di titoli125. E tuttavia i maîtres-àpenser avevano le loro valide ragioni per stare in guardia : Galeotto Marzio, nel De incognitis vulgo, sosteneva che la Bibbia, tutto sommato, era un grande enigma, e gli uomini non potevano comprenderne il senso (Scriptura enim varios sensus recipit, qui autem verus sit non potest humano ingenio comprendi126); e si spinse anche oltre, asserendo di non vedere sostanziali differenze tra le varie professioni di fede (quid sit fides et in quibus consistat et quod unusquisque in fide sua salvatur per theologos christianos et rationes ostendit127), attirandosi velenosi marginalia di un più tardo lettore (mentiris, heretice pessime, o stultissimum et comburrendum hereticum [...]!128). Tanta autonomia di giudizio non fu del solo Marzio. In un passo della HiPhilippo Maria duce Mediolani, BA, M 44 sup. 130r) e a Niccolò Barbo : sine quibus [i sussidi delle lettere] homo vix plurimum a caeteris animalibus differre valeat BM, lat. XIV, 257 (= 4050) 57v. 124 Non sottovaluterei, al riguardo, l’attenzione degli Umanisti per il travaglio della Chiesa istituzionale e, soprattutto, per lo scandalo dello scisma; si ricordi, allora, che Salutati intervenne (1404-1405) per spingere Innocenzo VII a comporre, in qualsiasi modo, la frattura nella Chiesa (Epist., XIV, 9, F. Novati ed., Roma, 1891-1911, IV [Fonti per la storia d’Italia pubblicate dall’Istituto storico italiano. Epistolari. Secolo XIV], p. 42-69); egli, inoltre, raccolse i suoi interventi su questo tema e li inviò al Bruni, il quale lo ringraziava (C. Griggio, Due lettere inedite del Bruni al Salutati e a Francesco Barbaro, in Rinascimento 26, 1986, p. 48; vedi, inoltre, Bruni, Epist., II, 21 [I, p. 59-65]). Sullo scisma intervennero pure (14071408) Zaccaria Trevisan (BM, lat. XI, 80 [= 3057] 245r-248v) e Poggio con una vibrante lettera al Cesarini (1433) per indurlo a recedere dal concilio di Basilea (Epist., V, 7 [II, p. 22-31]), a tacere l’aspra invettiva contro l’antipapa Felice V : omnis tempestatis qua quassatur ecclesia auctor, hic alter antichristus exortus est, narrabunt futura secula, ad notam tui generis perpetuam, fuisse olim quendam perverso nomine Amadeum, qui non amator, sed hostis dei fuerit [...], BAV, Vat. lat. 1785, 84r-87v, infra. 125 Desinite hanc scribendi materiam reprehendere, quum et Bibliam nos non nulla ex parte immutemus, sed delucidiorem iucundioremque reddamus, et in ea re clarissimorum virorum exemplum imitemur! Desinite in sacris rebus nitorem orationis elegantiamque damnare, quamquidem illis et necessario adhibendam esse, et ab omnibus adhibitam fuisse perspicitis! Desinite, inquam, in nos ulterius oblatrare, ne vestram potius ignorantiam quam nostram diligentiam arguatis [...]! Si post hac nobis molesti esse pergetis, achrius vestram impudentiam graviusque reprimemus, A. Lippi Brandolini, In sacram ebreorum historiam, BAV, Ottob. lat. 438, 8v-9r; Ottob. lat., 121, 9v. 126 G. Marzio, De incognitis, cit., Biblioteca nazionale universitaria di Torino (d’ora in poi BNU), E IV, 11, 27r. 127 G. Marzio, De incognitis, cit., BNU, E IV, 11, 15-28r. 128 Ibid., rispettivamente, 19v, 22v.

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storia de rege Vratislao, là dove l’Esperiente riferì il dialogo tra il vescovo Gregorio di Sanok con Mamaco, turcicus sacerdos, l’umanista, più che indulgere a una auspicabile compatibilità tra le due religioni129, sembra ripromettersi un rifiuto di entrambe su base fisiologica : se gli uomini son tutti uguali non si comprende perché debbano distinguersi in materia religiosa130. Io ritengo, da ultimo, che ad accentuare il divario tra Umanisti e maîtres-à-penser intervenisse il diverso modo con cui i due gruppi consideravano il corpo, visto dagli uni alla stregua di una macchina mirabile e metro di ogni perfezione131, e dagli altri come una realtà materica da distruggere132 ; molti claustrali giunsero, pertanto, a negare ogni importanza al fisico e allo stesso matrimonio, togliendogli la sacralità («non però che sia cosa sancta, ma però che representa cosa sancta zoè la coniunctione de Christo con la giesa»133), esaltando chi se ne poteva sciogliere134, mettendone in risalto i fastidi135 ; e converso per gli Umanisti il matrimonio fu scelta nobilissi-

129 Tra i pochi teologi che, nel secolo XV, tentarono un approccio con l’Islam sottraendosi agli schemi tradizionali, T. M. Izbicki ricorda Giovanni di Segovia e Niccolò Cusano, nel cui De pace fidei egli rileva l’assenza di allusioni alla gerarchia e quella a presupposti dottrinari rigidi, capaci di dividere (come ad esempio l’extra Ecclesiam nulla salus); riproponendo, poi, un convincimento già condiviso, egli ritiene che il Cusano vagheggiasse un’unica religio, e forse una Chiesa, o comunità di fede, con riti diversi (cf. The possibility of dialogue with Islam in the fifteenth century, in N. of Cusa in search of god and wisdom..., ed. G. Christianson and T. M. Izbicki, Leida, 1991 [Studies in the history of the christian thought, 45], p. 175-183). In maniera più graffiante e sbrigativa, stando a un suo moderno interprete, anche Leonardo Bruni considerò il cristianesimo l’unica religione possibile : «for Bruni, Christianity was the only true religion, and others, like the Jewish, were perverse and inimical to the true religion», G. Griffiths, in The Humanism of L. Bruni, op. cit.. Cf. anche, Anticlericalism in late medieval ... Europe, cit., p. 321. 130 C. Esperiente, Historia de rege Vratislao, BAV, Reg. lat. 681, 63v-64r. 131 La basilica di s. Pietro per G. Manetti ripeteva misure antropometriche (cf. la Vita di Niccolò V in Rerum Italicarum Scriptores, ed. Muratori, III, 2, p. 937), così come le esprimevano una città perfetta (Trapezunzio, Rhetoricon libri, BNN, V D 5, 111r), uno Stato (Modrussiense, Defensio, Vat. lat. 8092, 45v-46r), il cosmo stesso, Pico, Eptaplus, Opera, Basilea, 1572, p. 61. 132 Celestino V si sarebbe tanto accanito contro il proprio fisico da meritare un richiamo dal cielo (S. Litiano, Vita Petri confessoris, Vat. lat. 14517, 18v-19r). Si veda, inoltre, con quanta insistenza Alessandro Borromeo dematerializzò il corpo della Vergine nella Beatissimae Virginis [...] vita, che scrisse per Bianca Maria Sforza, BA, F 65 sup. 133 Compendio de la salute, BNN, I, II 11, 8r. 134 Parole roventi avrebbe detto la b. Elena da Udine sul feretro del marito, mentre si recideva i capelli («ecco li toi capelli et ornamenti, cum ti soto terra gli porta, perché per tuo amore li o portati [...]; tu morto mi arbandoni [!], e mi te renuncio per marito [...]», Fra’ Simone da Roma, BAV, Ross. 48, 2rv. 135 Savonarola vide nella famiglia il luogo dove «moglie e figliuoli [...] vi

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ma136, e l’amore della coppia, oltre ad essere lecito, risultava conforme ai disegni provvidi di Dio137. I maîtres-à-penser, ovviamente, dissentivano138, ma la classe umanistica non poteva riconoscersi nelle repulsioni sofferte dal b. Galeotto Malatesta o di s. Francesca Romana nel compiere il debito coniugale139 ; in tal modo i maestri di spirito ebbero difficoltà ad accogliere moduli comportamentali diversi da quelli del chiostro140. Non tutti, però, perché notevoli varchi sul futuro seppero aprirli, tra gli altri, già il francescano Servasanto da

stanno tutto el dì a rompere il capo» (Prediche sopra l’Esodo, II, p. 92), preoccupazioni di cui erano privi quanti andavano nel chiostro. 136 Leonardo Bruni non solo stigmatizzò il Niccoli per non essersi sposato (perversitate quadam naturae nec filios habere voluit nec uxorem, v. Oratio in nebulonem maledicum, ed. G. Zippel in N. Niccoli, contributo alla storia dell’umanesimo, Firenze, 1890, p. 86), ma giunse a riprendere il Boccaccio per aver guardato con freddezza al matrimonio di Dante, in H. Baron, L. Bruni Aretino. Humanistisch-philososphische Schriften, op. cit., p. 53s. 137 Guarino sostenne che nel connubio c’era la compagine più ferma dello Stato e una delle scelte più qualificanti : nulla quidem res est que tantum humano generi emolumenti imprimis afferat quam maris et femine coniunctio (Oratio ad nuptias celebrandas, Vat. lat. 2951, 59v); Coluccio Salutati vide nel piacere fisico della coppia l’opportunità per rinforzarne il vincolo : amor, inquam, iste carnalis qui in hoc delectabile bono fertur, inchoatur accenditurque per visum, roboratur alloquio, atque perficitur in contacto (De laboribus Herculis, ed. B. L. Ullman, Zurigo, 1951 [Thesaurus mundi, 2-3], p. 104). Dal canto suo il medico Antonio Benivieni ragionò dello stesso tema senza nessun pregiudizio e con molta chiarezza, nel De regimine sanitatis cf. il capitolo De principiis humani corporis, BM, lat. VI, 29 (= 3093), 2r-6r. 138 L’amore fisico per il Savonarola era da respingersi, quia nihil magis impedit animum a contemplatione et amore divinorum (Solatium itineris mei, 86), anzi egli stentava a capacitarsi della liceità di quello coniugale, propter vehementiam illius passionis ignominiosae quae mentem excaecat et indurat (ivi); il matrimonio, a suo avviso, avrebbe avuto come scopo primario il rendere stabile la Chiesa offrendole sempre nuovi rincalzi : merito coniugale sacramentum adhibitum est ut ipsa generatio non tam ad humanae speciei conservationem, vel ad alicuius publici boni terrenam utilitatem, quam ad Ecclesiae perennitatem, multiplicandosque fideles in onorem Dei ordinaretur (Triumphus Crucis, p. 198; redaz. volgare, p. 476s). Alle premesse savonaroliane sembra rifarsi Francesco Diedo, quando mette sulla labbra della madre di s. Rocco un’ardente invocazione all’Altissimo per ottenere un figlio, cf. Rochi vita, Biblioteca civica Bertoliana di Vicenza, Fondo principale, G 3. 9. 20 (= 351) 1v-2r. 139 La ripugnanza del b. Galeotto Malatesta, al riguardo, fu tramandata da un anonimo (BA, I 115 inf., 41v-42r) e Filippo da Rimini (Biblioteca Mediceo Laurenziana, Strozz. CXI, 989s); per quella di s. Francesca Romana, invece, si hanno gli atti processuali, cf. P. T. Lugano, I processi per Francesca Bussa dei Ponziani (S. Francesca Romana) 1440-1453, Città del Vaticano, 1945 (Studi e testi, 120), p. 39. 140 Savonarola, con riferimento agli sposi novelli, rimpiangeva la castità dei tempi andati : «solevano stare tre notte lo sposo e la sposa in orazione e servare castità [...]», Prediche sopra Ezechiele, I, p. 66s.

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FRATI E UMANISTI : RAGIONI DI UN CONFLITTO

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Faenza († 1300 ca.)141, l’agostiniano Luigi Marsili († 1394)142 e il canonico lateranense Paolo Maffei († 1453)143. È converso, dicevo, gli Umanisti ebbero convincimenti opposti, perché senza il matrimonio c’era la paralisi della vita, disse Bornio da Sala (nullus exit qui militet, qui agrum colat, qui naviget, qui edificet144); ma anche dal punto di vista religioso le nozze avevano un prestigio altissimo, lo ribadiva il Filelfo (il quale si risposò tre volte) a Paolo Mauroceno (1476) : [...] caetera omnia sacramenta humana lege possunt dici constituta, at coniugii sacramentum deus ipse constituit ore suo cum ait in primis parentibus : crescite et multiplicamini et replete terram. Et Christus optimus maximus in matrimonio nasci voluit, qui etiam ad nuptias invitatus non solum voluit interesse, verum etiam eas iuvit, cum aquam vertit in vinum145. Quando, poi morì Battista Sforza (1447), moglie di Federico di Montefeltro, il vescovo Giannantonio Campano esaltò il connubio con parole di calda eloquenza : nullum est in terris vinculum benivolentiae sanctius quam uxoris et viri, quorum amor castissimus nunquam aut accusari potest ut nimius, aut ut impudicus reprehendi, qui, cum est inter bonos, nihil videtur esse aliud quam consensio quaedam coelestis consortiumque divinum146. In uno studio del sentimento religioso quattrocentesco questi aspetti non andrebbero aprioristicamente trascurati, ritenendoli di scarsa consistenza, e al tutto prevedibili; in essi, come nelle cronache domestiche o nelle carte dei mercanti, si recuperano lasciti di caratura morale, o di devozione, non sempre riproposti in modo stracco e senza intimo coinvolgimento : la riprova sta nell’orazione detta dal cardinale Francesco Patrizi quando Ippolita Maria Sforza, 141 [...] Ergo si natura ad generationem fecit membra apta et congrua [...], generare est de intentione nature. Sed quod naturale est peccatum non est, si fiat eo modo quod institutum est. Actum enim generative de se peccatum non est, cit. da D. L. d’Avray, Some Franciscan ideas about the body, in Archivum Franciscanum Historicum, 84, 1991, p. 354 n. 33. Su questo frate cf. T. Koehler, Onze manuscrits du ‘Mariale’ de Servasanctus de Faenza († c. 1300), in Archivum Franciscanum Historicum, 83, 1990, p. 96-117. 142 Sulle aperture mentali del Marsili vedi il ricordo lasciatone da L. Bruni nei Dialogi ad Petrum Paulum Histrum, ed. T. Klette, Greifswald, 1889 (Beiträge Geschichte und Litteratur der italienischen gelehrtenrenaissance, 1), tra l’altro a p. 46. 143 P. Maffei sostenne, nell’Epistola exhortatoria ad spiritualem et religiosam vitam in seculo commorantium, la nobiltà morale dei laici, in un’epoca in cui i teorici dello stato religioso diffondevano idee di caratura completamente diversa, cf. BA, E 6 sup. 144 Orazione adesposta sul matrimono di Bornio da Sala, BT, cod. 682, 160r. 145 Filelfo, Epist., BT, cod. 873, 529v. 146 Campano, Oratio habita in funere Baptistae Sphortiae, BT, cod. 642, 83r. Cf. alla BAV, l’Urb. lat. 1193 che raccoglie le ‘condoglianze’ presentate al duca di Urbino in quella circostanza; il contributo del Campano qui è a 4r-25v.

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alunna di Guinifforte Barzizza e Costantino Lascaris, sposò il duca di Calabria Alfonso d’Aragona (1464) : lì, messi in bell’ordine, si trovano cultura e riferimenti classici, ma il dotto presule non ritenne conveniente in quella circostanza soffermarsi sul significato religioso della cerimonia147. Remo L. GUIDI

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Vedi il documento alla BT, cod. 682, 171r-173r.

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L’OBSERVANCE DOMINICAINE ET SON OPPOSITION À L’HUMANISME L’EXEMPLE DE JEAN DOMINICI

Si depuis quelque temps déjà la mode historiographique1 est plus encline à souligner les convergences entre humanisme et culture chrétienne qu’à en caricaturer le dialogue en termes d’opposition systématique, les religieux mendiants en revanche, et parmi eux tout particulièrement les dominicains 2, sont encore le plus souvent perçus comme ce qui fut la force d’opposition par excellence au mouvement initié par les lettrés italiens à partir du milieu 1 Notamment, il est vrai, anglo-saxonne : voir par exemple C. Trinkaus, Humanism, religion, society : concepts and motivations of some recent studies, dans Renaissance Quarterly, 29, 1967, p. 676-713; O. Kristeller, Humanism and Scholasticism in the Italian Renaissance, dans id. (éd.), Studies in Renaissance thought and letters, Rome, 1969, p. 553-583; W. Ullman, Medieval foundations of Renaissance Humanism, Londres, 1977; J.H. Overfield, Humanism and Scholasticism in late medieval Germany, Princeton, 1985, ainsi que les colloques : K. Robbins (éd.), Religion and Humanism, Oxford, 1981, et T. Verdon et J. Henderson (éd.), Christianity and the Renaissance. Image and religious imagination in the Quattrocento, New York, 1990. Mais voir également sur ce sujet A. Buck, Christlicher Humanismus in Italien, dans id. (éd.), Renaissance-Reformation. Gegensätze und Gemeinsamkeiten, Wiesbaden, 1984. 2 Un certain nombre d’études sont déjà venues nuancer fortement l’idée d’un antihumanisme franciscain, notamment celles de K. Elm, Mendikanten und Humanisten im Florenz des Tre- und Quattrocento. Zum Problem der Legitimierung humanistischer Studien in den Bettelorden, dans O. Herding et G. Stupperich (éd.), Die Humanisten in ihrer politischen und sozialen Umwelt, Boppard, 1976; Id., Die Franziskanerobservanz als Bildungsreform, dans H. Boockmann, B. Moeller et K. Stackmann (éd.), Lebenslehren und Weltentwürfe im Übergang vom Mittelalter zur Neuzeit : Politik-Bilddung-Naturkunde-Theologie. Berichte über Kolloquien der Kommission zur Erforschung der Kultur des Spätmittelalters 1983 bis 1987, Göttingen, 1989, p. 201-213, trad. Id., L’Osservanza francescana come riforma culturale, dans Predicazione francescana e società veneta nel Quattrocento : committenza, ascolto, ricezione. Atti del II Convegno internazionale di studi francescani, Padova 26-27-28 marzo 1987, Padoue, 1989, p. 15-30; Id., Tod, Todesbewältigung und Endzeit bei Bernhardin von Siena. Ein Beitrag zum Verhältnis von italienischem Humanismus und franziskanischer Observantenpredigt, dans Conciliarismo, Stati nazionali, Inizi dell’Umanesimo. Atti del XXV Convegno storico internazionale, Todi, 9-12 ottobre 1988, Spolète, 1990, p. 79-96.

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du XIVe siècle. Il est vrai qu’en ce qui concerne les Prêcheurs, une telle impression est très largement corroborée par la réalité de la querelle qui opposa au chef de file des humanistes de son temps, le chancelier florentin Coluccio Salutati, celui qui de son côté fut sans doute l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de l’Ordre au début du XVe siècle, Jean Dominici, l’un des plus ardents propagateurs de l’observance dans les rangs de sa famille religieuse, mais également un prédicateur populaire ayant suscité l’enthousiasme des foules à Venise comme à Florence, ainsi qu’un ecclésiastique engagé de toute sa personne dans les grands problèmes religieux de son temps : la réforme de l’Église et la résolution du Grand Schisme – bien que sur ce dernier point son action se soit indiscutablement soldée par un échec, et que d’aucuns lui aient amèrement reproché, notamment parmi les humanistes, d’avoir plutôt œuvré à la perpétuation du schisme qu’à sa résolution aux côtés du pape Grégoire XII qui l’avait élevé au cardinalat 3. Ce sont d’ailleurs les attaques que cette situation lui valut, de la part du Pogge notamment, qui ont le plus contribué à lui conférer cette réputation de cible, et par conséquent d’ennemi acharné de l’humanisme, bien plus sans doute que ses prises de position dans les querelles littéraires de son temps 4. De même, celles-ci n’ont somme toute occupé qu’une place assez modeste au sein d’une vie fort bien remplie par une activité débordante et multiforme, et se limitent très significativement aux quelques années passées par Dominici dans la Florence du début du Quattrocento, de 1400 à 1406, entre son expulsion de Venise et son élévation au cardinalat, preuve que ces problèmes n’avaient au fond rien de central à ses yeux, et qu’il ne les avait abordés qu’en réaction à ce qui lui apparaissait comme des excès dans une ville où le hasard de sa carrière l’avait ramené, et où il comptait bien se consacrer en premier lieu à la mission qui lui tenait à cœur par dessus tout : son apostolat auprès des foules 5. Cela dit, ce sont malgré tout ces débats qui furent l’occasion de l’exposition la plus claire en même temps que la plus précoce de l’opposition dominicaine au programme intellectuel défendu par les hu-

3 Pour la biographie du personnage, cf. G. Cracco, s.v. Banchini, Giovanni di Domenico, dans Dizionario biografico degli Italiani, 2, Rome, 1963, p. 657-664, et plus récemment Id., Giovanni Dominici e un nuovo tipo di religiosità, dans Conciliarismo, Stati nazionali..., p. 3-20. 4 Comme le faisait observer il y a déjà une vingtaine d’années P. Denley, Giovanni Dominici’s opposition to Humanism, dans Religion and Humanism..., p. 103-114. 5 Ibid.

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manistes, et c’est pourquoi c’est d’eux qu’il faut partir pour tenter de cerner la nature exacte de celle-ci; plus précisément, il faut partir de leur point culminant, à savoir la rédaction de la célèbre Lucula Noctis que le Prêcheur écrivit en 1405 en réponse à la lettre de Coluccio Salutati à Jean de Sanminiato, dans laquelle le chancelier florentin défendait une nouvelle fois contre ses détracteurs la lecture des auteurs classiques, en particulier celle des poètes comme Ovide ou Virgile, cible privilégiée de son correspondant qui avait à plusieurs reprises dénoncé le risque de se détourner à cause d’eux de la seule lecture salutaire, celle de l’Écriture, lorsqu’il ne les stigmatisait pas purement et simplement comme une source de perdition menant immanquablement à l’immoralité et au paganisme 6. Prenant sur ce sujet la défense du point de vue chrétien traditionnel, Dominici apparaît nécessairement comme une sorte de réactionnaire dans un débat par ailleurs assez éculé 7. Cela peut sembler assez surprenant si l’on songe au fait que dans la plupart des mouvements de l’observance religieuse, du moins dans cette Italie qui fut leur terrain de prédilection comme pour le premier humanisme, la rencontre avec ce dernier s’est au contraire traduite par la remise à l’honneur des études, et notamment celle des lettres, malgré les réserves d’usage d’un Ludovico Barbo sur le risque de détourner la vie monastique de sa vocation première en leur accordant une trop large place 8. Mais le point de départ de la réforme était dans ces

6 Pour un rappel de ces circonstances de la rédaction de la Lucula noctis, voir l’introduction à l’édition critique d’E. Hunt, Iohannis Dominici Lucula noctis, Notre-Dame (Indiana), 1940, p. VII-XX. 7 Voir à ce sujet l’article de référence de G. G. Meersseman, In libris gentilium non studeant. L’étude des classiques interdite aux clercs au Moyen Âge?, dans Italia medioevale e umanistica, 1, 1958, p. 1-13. 8 Réserves notamment exprimées dans sa lettre du 30 juin 1440 aux moines de Sainte-Justine de Padoue : Heu miseri, qui non cognoscitis vocationem vestram et gratiam quam habuistis a Spiritu Sancto! Numquid donat vobis Spiritus Sanctus gratiam fervoris, ut relictis patre, matre, cognatis et amicis et omnibus temporalibus bonis intretis religionem, ut ibi discatis litteras et conturbetis caritatem fraternam et non potius discatis virtutes a Christo, L. Barbo, De initiis congregationis S. Iustine de Padua, éd. G. Campeis, Padoue, 1908, p. 28, citée par G. Picasso, Gli studi nella riforma di Ludovico Barbo, dans Los monjes y los estudios. IV semana de estudios monásticos (Poblet, 1961), Poblet, 1963, rééd. dans Id., Tra umanesimo e ‘devotio’. Studi di storia monastica raccolti per il 50o di professione dell’Autore, éd. G. Andenna et G. Motta-M. Tagliabue, Milan, 1999 (Scienze storiche, 67), p. 10. Le même article montre bien cependant quelle fut la réalité de la réforme bénédictine du point de vue des études, c’est-à-dire une véritable promotion de celles-ci. Voir également, du même auteur, G. Picasso, Il monachesimo alla fine del Medioevo : tra umanesimo e «devotio», dans G. Penco (éd.), Cultura e spiritualità nella tradizione monastica, Rome, 1990 (Studia Anselmiana, 103), p. 129-147; G. Penco, Vita monastica e società nel Quattrocento italiano, dans B. Trolese (éd.), Riforma della Chiesa, cultura e spiritualità nel Quattrocento veneto, Césène, 1984

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ordres assez différent de celui des dominicains, puisque contrairement aux ordres contemplatifs et même aux autres ordres mendiants, celui des frères Prêcheurs s’est distingué dès les débuts de son histoire par une vocation essentiellement intellectuelle, bien que celle-ci fût ordonnée à la formation de prédicateurs compétents : aussi cette famille religieuse arriva-t-elle à l’âge de l’observance déjà riche de toute une tradition sur la place de l’étude dans la vie des frères et sur la nature exacte de son statut au regard de leur vocation propre. Ainsi la législation la plus ancienne de l’Ordre 9, celle qui fut adoptée en 1216, prévoyait dans le chapitre des fautes des sanctions contre un nouveau type d’infractions par rapport aux règles monastiques traditionnelles : par exemple la négligence vis-à-vis des livres, ou encore le fait de somnoler pendant les cours10. Mais surtout cette première législation fut complétée à partir de 1220 par les décisions de chapitres généraux annuels, lesquelles vinrent dès 1220 renforcer singulièrement l’orientation intellectuelle adoptée quatre ans auparavant, notamment en donnant le primat aux études par rapport aux observances régulières grâce à l’adoption du principe de la dispense pour raisons d’études11, et non seulement de santé comme dans les autres ordres religieux, principe d’ailleurs affirmé dès le prologue

(Italia benedettina, 6), p. 3-41; G. Spinelli, Monachesimo e società tra XIV e XV secolo nell’ambiente di Ambrogio Traversari, dans C. C. Garfagnini (éd.), Ambrogio Traversari nel VI centenario della nascita. Convegno internazionale di studi (Camaldoli-Firenze, 15-18 sett. 1986), Florence, 1988, p. 49-68; K. Elm, Verfall und Erneuerung des Ordenswesens im Spätmittelalter. Forschungen und Forschungenaufgaben, dans J. Fleckenstein (éd.), Untersuchungen zu Kloster und Stift, Göttingen, 1980 (Studien zur Germania sacra, 14), p. 188-238; et enfin Id., Monastische Reformen zwischen Humanismus und Reformation, dans L. Perlitt (éd.), 900 Jahre Kloster Bursfelde. Reden und Vorträge zum Jubiläum 1993, Göttingen, 1993, p. 59111. 9 Sur l’histoire du texte des constitutions dominicaines, la meilleure étude reste A. H. Thomas, De oudste Constituties van de Dominicanen. Voorgeschiedenis, Tekst, Bronnen, Outstaan en Outwikkeling (1215-1237), Louvain, 1965 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 42). 10 Ibid., p. 332. Sur l’adoption dès 1216 d’une législation favorisant avant tout les études au sein de l’Ordre, voir les remarques de M. Mulchahey, «First the bow is bent in study». Dominican education before 1350, Toronto, 1998 (Studies and texts, 132), p. 11-18, qui interprète également dans ce sens le choix par les frères de la Règle de saint Augustin en raison de sa grande souplesse. Sur la première législation scolaire de l’Ordre, voir également A. Duval, L’étude dans la législation religieuse de saint Dominique, dans Mélanges offerts à M. D. Chenu, Paris, 1967 (Bibliothèque thomiste), 37, p. 221-247, et plus récemment G. Barone, La legislazione sugli Studia dei Predicatori e dei Minori, dans Le scuole degli Ordini Mendicanti (secoli XIII-XIV). Convegno del Centro di studi sulla spiritualità medievale, XVII (11-14 ottobre 1976), Todi, 1978, p. 207-247. 11 Constitutiones antique..., p. 362.

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des constitutions pour mieux en souligner l’importance12. De même il fut décidé que le chapitre quotidien pouvait être supprimé pour ne pas empiéter sur le temps consacré à l’étude, et la vie liturgique des frères se vit également assez largement subordonnée à leur activité intellectuelle par la décision, afin de ne pas entraver cette dernière, de dire les heures breviter et succincte13. L’adoption de la pauvreté qui imposait aux frères de voyager les mains vides prévoyait de son côté une exception pour les objets indispensables, parmi lesquels figuraient les livres14. Enfin les pères capitulaires de 1220 imposèrent à chaque couvent d’avoir non seulement un supérieur administratif, le prieur, mais également un enseignant, le lecteur, posant ainsi l’équivalence couvent-école15. Et le choix qui fut fait à cette époque de tenir les chapitres généraux de l’Ordre alternativement à Bologne et à Paris consacrait la prééminence, évidemment liée à leur situation dans une grande ville universitaire, de ces deux couvents sur tous les autres, et notamment le plus ancien, celui de Toulouse16. Cela dit la législation ancienne de l’Ordre ne se contentait pas de définir la place des études dans la vie des frères, mais elle en indiquait également, en même temps que le contenu, la finalité : sauf dispense expresse du Maître ou d’un chapitre général17, il y était en effet interdit d’étudier autre chose que la théologie, les écrits des auteurs païens et des philosophes ainsi que les sciences dites «séculières», c’est-à-dire le droit et la médecine, ou même les arts libéraux étant plus particulièrement visés 18 ; autant d’interdictions somme toute assez traditionnelles19, à l’exception toutefois de celle qui s’appliquait aux arts libéraux, beaucoup moins banale en fait 20 et d’autant plus paradoxale qu’elle se produisit à une époque où la

Ibid., p. 309. Ibid., p. 316. 14 Ibid., p. 364. 15 Ibid., p. 358. 16 Cette décision du premier chapitre général est rapportée par le premier historien de l’Ordre, le successeur de saint Dominique à sa tête, Jourdain de Saxe, Libellus de Principiis Ordinis Praedicatorum, éd. H. C. Scheeben, Rome, 1935 (Monumenta Ordinis fratrum Praedicatorum Historica, 16), p. 66-67. 17 Selon une addition datant probablement de 1228 (cf. M. Muchahey, «first the bow is bent in study»..., p. 54-71 pour une discussion de ce passage des constitutions). 18 In libris gentilium et philosophorum non studeant, etsi ad horam inspicient. Seculares scientias non addiscant nec etiam artes quas liberales vocant, nisi aliquando circa aliquos magister ordinis vel capitulum generale voluerit aliter dipensare, sed tantum libros theologicos tam iuvenes quam alii legant, v. Constitutiones antique..., p. 361. 19 Comme l’a jadis montré G. G. Meersseman, In libris gentilium... 20 Cf. M. Mulchahey, «first the bow is bent in study»..., p. 54-71. 12 13

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théologie s’appuyait de plus en plus sur ces disciplines : ainsi une telle législation était-elle déjà dépassée au moment même où elle était promulguée, mais peut-être pas uniquement parce qu’elle s’appuyait sur la seule tradition 21; sans doute en effet les restrictions imposées aux frères en matière d’études doivent-elles également être lues à la lumière du prologue des constitutions dominicaines : L’on sait que notre ordre a été fondé spécialement dès l’origine pour la prédication et le salut des âmes, et que nos études doivent tendre avant tout et avec zèle, dans la plus grande application, à ce que nous puissions être utiles à l’âme de notre prochain 22.

Capitale dans l’idéologie dominicaine, cette notion d’utilité se retrouve également dans la plupart des prologues d’œuvres écrites par des Prêcheurs au XIIIe siècle 23, et traduit fort bien le statut exact que ceux-ci assignent au savoir, qui n’est en aucun cas une fin en soi, mais simplement le moyen le plus adapté pour assurer le succès de l’entreprise pastorale à laquelle l’Ordre s’est voué tout entier; autrement dit, l’étude ne trouve sa place dans la législation dominicaine que dans la mesure où elle est la meilleure préparation possible des frères en vue de l’accomplissement de leur ministère. Pour qui a présent à l’esprit ce contexte dominicain particulier, il n’est plus guère étonnant de voir un Jean Dominici s’opposer à l’étude des classiques : en bon zélateur de l’observance, qui par définition se veut un mouvement de retour aux sources, Dominici se contente de réaffirmer le programme intellectuel défini pour son ordre par les premières générations de Prêcheurs. Aussi le point essentiel de son argumentation contre les thèses soutenues par Coluccio Salutati dans sa lettre à Jean de Sanminiato ne réside-t-il pas dans sa condamnation morale des auteurs concernés, laquelle était bien davantage le fait de certains de ses écrits antérieurs, destinés à un public moins intellectuel que les cercles littéraires visés par la Lucula noctis, et dont d’ailleurs le caractère antihumaniste a sans doute été fortement exagéré 24. C’est notamment le cas de la Regola del Governo di Cura famiAinsi que le voulait G. G. Meersseman, In libris gentilium... Cum ordo noster specialiter ob predicacionem et animarum salutem ab initio noscatur institutus fuisse, et studium nostrum ad hoc principaliter ardenterque summo opere debeat intendere, ut proximorum animabus possimus utiles esse, v. Constitutiones antique..., p. 309. 23 Cf. A. Nadeau, Faire œuvre utile. Notes sur le vocabulaire de quelques prologues dominicains du XIIIe siècle, dans S. Lusignan et M. Paulmier-Foucart (dir), Lector et compilator. Vincent de Beauvais, frère prêcheur. Un intellectuel et son milieu au XIIIe siècle, 26400-Grâne, 1997, p. 77-96. 24 Cf. P. Denley, Giovanni Dominici’s opposition to humanism..., cit. note 4, p. 109, ainsi que les pages suivantes pour l’historique du débat mené par Jean Dominici contre le programme d’études humanistes jusqu’à la Lucula Noctis. 21

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liare, sans doute écrite entre 1401 et 1403, et adressée à Bartolomea degli Alberti qui, après son veuvage, avait demandé conseil à Dominici sur la façon dont elle pouvait désormais consacrer sa vie à Dieu 25. En-dehors de mises en garde assez banales contre ceux qui négligent l’étude des voies du Seigneur 26, puis contre ceux qui recommandent plus la lecture des païens que celle des saints 27, c’était surtout la dernière section de cet écrit, et d’ailleurs la plus connue, qui visait directement le programme d’études prôné par les humanistes, en particulier la place qu’il faisait à des auteurs comme Ovide ou Virgile : les jeunes gens qui commençaient leurs études par de telles lectures risquaient en effet, d’après le dominicain, de devenir païens avant d’être chrétiens, et d’appeler Dieu Jupiter ou Saturne, Vénus ou Cybèle, avant de l’appeler Père, Fils et Saint Esprit : d’où il s’ensuivrait que la vraie foi serait tenue en mépris, que Dieu ne serait pas honoré, que la vérité serait ignorée et le péché enraciné 28.

Voilà le type même de propos qui ont valu à Dominici sa réputation de réactionnaire et obscurantiste opposant à la libération des esprits incarnée par le mouvement humaniste. Mais la position du dominicain ne saurait en fait se ramener à une simpliste condamnation morale des auteurs païens au nom des risques que leur lecture ferait courir à de jeunes âmes encore insuffisamment instruites dans la foi chrétienne. C’est en fait dès le Libro d’amore, qui date probablement de 1404 29, que se précise le débat mené par le réformateur dominicain. Adressé comme la Regola del governo di cura familiare à Bartolomea degli Alberti, mais dont le propos est en fait plus général et ne vise pas la seule personne à qui il est dédié, cet ouvrage consiste dans un commentaire développé de l’hymne à la charité, à partir duquel il est facile au frère d’étendre au savoir humaniste la comparaison qu’y fait saint Paul entre les discours dénués de la plus grande des vertus théologales, la charité, au creux retentissement de l’airain et de la cymbale 30. Cette condamnation d’une vaine rhétorique est d’ailleurs 25 Cf. G. Di Agresti, Introduzione (agli scritti inediti del Dominici), dans Memorie Domenicane, Nuova Serie, 1, Pistoia, 1970, p. 165-167. 26 J. Dominici, Regola del Governo di Cura familiare, éd. D. Salvi, Florence, 1860, p. 23. 27 «Commendori più de’ pagani che de’ santi, ne’ quali più vagliono gl’infedeli scritti ch’ e’ libri santi», ibid., p. 48. 28 «Prima diventando pagani che christiani, e prima chiamando dio Iuppiter o Saturno, Venus o Cibeles, che il sommo Padre, Figliuolo e Spirito Santo : donde procede, la vera fede essere dispregiata, Dio non reverito, scognosciuto il vero, fondato il pecato», ibid., p. 206-207. 29 Cf. G. Di Agresti, Introduzione..., p. 167-171. 30 J. Dominici, Libro d’Amore (di Carità), éd. A. Ceruti, Bologne, 1889, p. 10.

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valable non seulement pour les auteurs païens, mais également pour tous les écrits que n’inspire pas l’amour de Dieu ou du prochain 31. À l’inverse, seules les Écritures, illuminées par la charité, conduisent au vrai savoir; elles contiennent, dit Dominici, «toute la grammaire, la rhétorique, la logique, l’arithmétique, la géométrie, la musique, l’astrologie, la politique, l’éthique, la philosophie naturelle et la vraie théologie, nécessaire au salut de l’homme» 32. Nécessité, utilité : les termes employés par Dominici et par le prologue des constitutions de son ordre près de deux siècles auparavant sont extrêmement proches, et le but assigné aux études y est rigoureusement le même, à savoir le salut des âmes. Et c’est précisément là le point central de l’argumentation du dominicain dans le texte qui constitue sa véritable somme sur la question, la Lucula noctis, dont le chapitre-pivot, le treizième, celui dans lequel il annonce son plan de réfutation des douze arguments répertoriés par lui, en bonne méthode scolastique, comme avancés par les humanistes en faveur de l’étude des classiques, chapitre qu’il commence ainsi : «Pour le point de vue opposé, le seul argument que voici s’impose : tout chrétien doit tendre avant tout vers ce qui est propre à le mener vers la vraie béatitude, ou qui du moins ne l’empêche pas» 33. Très significativement en effet, ce n’est pas en tant que telles que les sciences profanes sont condamnées, mais en tant qu’elles détournent le chrétien du seul véritable savoir susceptible d’étancher sa soif de connaissance, à savoir la contemplation de Dieu. Et Dominici d’évoquer ici la parabole du Fils prodigue pour désigner le chrétien qui s’adonne à l’étude des philosophes païens, mais qui ne se voit pas moins régalé du veau gras lorsque, sous l’inspiration divine, il décide de retourner dans la maison du Père, lui qui chez les Gentils devait se contenter des restes des pourceaux qu’il gardait, subissant ainsi un sort comparable à certains héros de la mythologie antique comme Tantale ou Sisyphe, ajoute le frère pour répondre à ses adversaires en utilisant la même langue qu’eux, et comme pour leur montrer au passage que ce n’est pas par ignorance qu’il s’oppose à l’étude des classiques qu’au contraire il connaît fort bien : de même, dit-il, que la soif de Tantale n’est jamais étanchée, ou que Sisyphe n’atteint jamais son but, la faim du Fils prodigue n’est jamais rassasiée tant qu’il ne se tourne pas vers la

Ibid., p. 141-142. Ogni grammatica, retorica, logica, aritmetica, geometria, musica, astrologia, politica, etica, naturale filosofia e vera teologia, necessaria alla salute umana. Ibid., p. 33. 33 Lucet ad oppositam partem unica ratio talis. Christianus quilibet illis solum debet intendere que ipsum ad veram beatitudinem ducunt aut saltem non impediunt, v. Lucula Noctis, cit. note 6, p. 119. 31

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seule voie qui puisse lui apporter la plénitude 34. Puis, avant de conclure son chapitre sur un troisième argument qui est celui de la perfection de la vie chrétienne dont il faut par conséquent extraire tout le superflu, à commencer par la lecture des païens 35, Dominici revient à l’idée déjà développée par lui dans le Libro d’Amore selon laquelle l’étude doit être sous-tendue par la charité sous peine d’être mortifère; et de citer, après saint Paul, l’autorité de saint Augustin : «Aimez le savoir, mais préférez-lui la charité. Si le savoir est seul, il se gonfle d’orgueil; mais comme la charité édifie, elle ne permet pas au savoir de s’enorgueillir» 36, autorité immédiatement appuyée par celle de saint Bernard : «Une nourriture indigeste nuit au corps et le rend enflé et hydropique; si au contraire elle a été digérée, elle nourrit. Ainsi la science, indigeste à l’estomac de l’âme si elle n’a pas été cuite au feu de la charité, génère de mauvaises humeurs» 37. La question qui est ici implicitement posée, à savoir celle du risque d’orgueil inhérent à l’acquisition d’un savoir, renvoie directement au répertoire traditionnel de la spiritualité mendiante, auquel les dominicains, même s’ils s’y sont attachés avec moins de fougue que leurs homologues franciscains, n’en ont pas moins souscrit dès l’origine. Mais ce en quoi Dominici apparaît une fois de plus ici comme l’héritier d’une tradition qui plonge en fait ses racines dans le XIIIe siècle dominicain, c’est surtout dans cette subordination du savoir humain aux grandes vertus théologales du christianisme, même si là où un Thomas d’Aquin invoquait en premier lieu la Foi 38, lui préfère parler de la Charité : dans les deux cas, ce qui est en cause est le statut 34 La citation exacte est la suivante : At non sic in populo Christi renovantur antiqua figmenta, videlicet unda Tantali fugax, Titii insatiabilis vultur, semper in motu rota Yxionis, abyssalis Helidum rota, immobile Sisiphide saxum, Apostolica probata sententia : Semper adiscentes et nunquam ad scientiam veritatis pervenientes (II Tim. III-7), ibid., p. 120. 35 Vita Christianorum est vita perfecta. Ergo ad eos pertinet omnia superflua resecasse et solum recto tramite se ad ultimum dirigere finem... Si prohibuit Dominus non laborem vel opus sed eorum sollicitudinem, sine quibus humana vita conservari non potest, quia hec gentes inquirunt et Christiani debent incessanter petere celum, quanto magis gentium studium ab illo dignoscitur interdictum, quod sine sollicitudine peragi non potest!, ibid., p. 121-122. 36 Amate scientiam, sed anteponite caritatem. Scientia si sola sit, inflat; quia vero caritas edificat, scientiam non permittit inflari, ibid., p. 121 / Aug., Doc. Chris., 2. 41 (64). 37 Cibus indigestus corpus corrumpit et inflatum et ydropicum reddit; si digestus fuerit, nutrit. Sic scientia, stomaco anime indigesta, si non fuerit igne caritatis decocta, malos humores generat, ibid. / Bern., Sup. Cant., XXXVI. 4 (183-969). 38 Se situant en cela dans une tradition ininterrompue de saint Augustin (desideravi intellectu videre quod credidi, v. De Trinitate, XV. 28, 51) à saint Anselme, l’inventeur de la formule fides quaerens intellectum, comme le fait observer J.P. Torrell, Saint Thomas d’Aquin, maître spirituel. Initiation 2, Fribourg, 1996, p. 5-6.

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même du savoir, qui ne doit être qu’un outil pour parvenir à la connaissance de Dieu dans laquelle consiste la véritable béatitude. On n’est pas très loin, ici, du «science sans conscience n’est que ruine de l’âme» de Rabelais 39, considération qui permettrait de nuancer quelque peu, s’il en était encore besoin, l’idée d’une opposition radicale entre les deux cultures de la Renaissance, l’une humaniste, l’autre religieuse, et cela même à propos du champion de l’une des tendances les plus radicales de cette dernière. Dans le même ordre d’idées, il convient d’ailleurs de souligner la conséquence implicite de cette subordination de tout savoir à la fin ultime qu’est la connaissance de Dieu, à savoir la reconnaissance de la licéité, lorsqu’une telle condition est remplie, de l’étude des classiques si vigoureusement dénoncée par ailleurs, reconnaissance énoncée en toutes lettres à la fin du dix-septième chapitre de la Lucula, celui qui clôt la séquence des cinq chapitres de transition entre le récapitulatif des arguments humanistes en faveur de l’étude des classiques et leur réfutation point par point par Dominici : Que chacun considère à présent en toute sincérité, toutes querelles cessantes, quel est le but poursuivi en commun par tous ceux qui se mettent à philosopher, ce qu’ils arrivent à montrer avec leurs études, combien enfin sont ceux qui, parmi cette foule de toges, vont soit combattre les païens armés de leurs propres armes, soit du moins, dans le repos de leur tranquillité, écrire contre leurs erreurs. Puissent les gymnases des philosophes être remplis par tous les hommes et toutes les femmes, s’ils engendraient des défenseurs de la foi tels que ceux que l’on nous promet! 40

Certes, Dominici s’empresse d’enchaîner en disant que cela n’est malheureusement nullement le cas, et qu’au contraire les lieux où se tient ce type d’enseignement sont de véritables écoles de perdition. Il n’en demeure pas moins que la présence d’un tel passage dans la Lucula Noctis permet de cerner la nature exacte de l’opposition de son auteur à l’étude des classiques, qui en fait ne les condamne pas en soi, mais en fonction du but que poursuivent ceux qui s’y adonnent, laissant par là même entrevoir la possibilité d’une étude légitime et bénéfique de ces textes 41. Pantagruel, chapitre VIII. Iam unusquisque mente pia revolvat, omni livore sopito, quem communiter finem intendant novelli philosophare volentes, quid de suis studiis monstrent, quot sint ex hac turba togata, qui tandem aut contra gentiles vadant, armis eorum protecti, aut saltem in pace quiescentes scriptitent adversus errores eorum. Utinam universis viris et feminis philosophorum gymnasia forent repleta, si tales gignerent pugiles fidei quales, ut fertur, debent expectari futuri!, v. Lucula noctis, p. 144-145. 41 La distinction entre un enseignement utilitaire de certaines disciplines ou de certains textes et l’adhésion pleine et entière à ceux-ci est d’ailleurs des plus classiques : sur ce sujet, voir à nouveau G. G. Meersseman, In libris gentilium... 39 40

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Comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement de la part d’un membre d’un ordre ayant dès le début du XIVe siècle adopté comme théologie officielle le thomisme, c’est-à-dire la grande entreprise de rationalisation du contenu doctrinal de la foi chrétienne menée par l’Aquinate à l’aide des principes de la philosophie aristotélicienne? Certes, l’audace de celle-ci avait dans un premier temps attiré les foudres de la censure sur son auteur non seulement à l’extérieur, mais également dans les rangs mêmes de l’Ordre 42. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant si l’on songe à la politique scolaire de celuici dans le premier demi-siècle de son existence, qui avait vu se réitérer lors du chapitre général de 1243 l’interdiction d’étudier la philosophie déjà présente dans les constitutions 43, puis en 1246 celle de la lecture des auteurs païens 44 ; et en 1244 les pères capitulaires adressaient encore une admonition enjoignant aux lecteurs de s’abstenir d’enseigner des idées nouvelles 45. Cependant, dès cette époque, l’Ordre est sans doute moins monolithique que l’on ne pourrait le croire à la seule lecture des actes des chapitres généraux : ainsi ces mêmes années 1240 sont précisément celles où l’on voit un Albert le Grand déployer tous ses efforts pour faire accepter la philosophie naturelle dans le cursus scolaire des frères, et il avait d’ailleurs déjà été précédé en ce sens quelques années auparavant par Roland de Crémone, le premier maître dominicain de la faculté de théologie de

42 Notamment de la part de l’archevêque dominicain de Cantorbéry Robert Kilwardby en 1277 : sur cette affaire, voir E. Sommer-Seckendorff, Studies in the life of Robert Kilwardby, Rome, 1937 (Dissertationes historicae insitituti historici fratrum Praedicatorum, 8). Plus récemment, L. E. Wilshire, The Oxford condemnations of 1277 and the intellectual life of the thirteenth-century universities, dans G. Freibergs (éd.), Aspectus et Affectus. Essays and editions in Grosseteste and Medieval intellectual Life in honor of Richard C. Dale, New York, 1993, p. 113-124, a cependant nuancé la portée de cette condamnation, qui plus qu’une censure ecclésiastique aurait été une simple interdiction d’enseigner certaines propositions dans les écoles. Il n’en demeure pas moins qu’elle visait beaucoup plus directement le thomisme que celle de l’évêque de Paris Etienne Tempier, dont elle était d’ailleurs sans doute indépendante, bien qu’elle ne l’ait suivie que d’une dizaine de jours (cf. J.-P. Torrell, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Fribourg, 1993, p. 444) : dans un ouvrage qui a fait date (R. Hissette, Enquête sur les 219 articles condamnés à Paris le 7 mars 1277, Louvain, 1977 (Philosophes médiévaux, 22), à compléter de ce point de vue par son important article sur Etienne Tempier et ses condamnations, dans Revue de théologie ancienne et médiévale, 47, 1980, p. 231-270), il a été montré que la censure parisienne de 1277 ne mettait effectivement pas directement en cause l’enseignement de saint Thomas. 43 Acta capitulorum generalium Ordinis Praedicatorum, I, éd. B. M. Reichert, Rome, 1898 (Monumenta Ordinis fratrum Praedicatorum historica, 3), p. 26. 44 Ibid., p. 37. 45 Ibid., p. 29.

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Paris (ce dont l’addition de 1228 à l’interdiction constitutionnelle d’étudier les arts libéraux est peut-être un écho 46) 47. Mais il est évident que le conservatisme de la première législation de l’Ordre en la matière a longtemps constitué un frein au développement des écoles des arts dans les couvents des Prêcheurs : même si les premières sont organisées dès le début des années 1240 en Provence et en Espagne, leur enseignement se limite le plus souvent à celui de la logique, et leur généralisation à l’ensemble des provinces n’est envisagée que lors du chapitre général de Valenciennes en 1259 48, c’est-à-dire celui de la grande réorganisation des études au sein de l’Ordre. Pour autant celle-ci ne commence réellement que beaucoup plus tard, notamment en ce qui concerne l’enseignement de la philosophie naturelle, dont l’extension à partir de la province «pionnière» de Provence ne se fait que très progressivement dans les années 1270 et au-delà : il est vrai que c’est seulement en 1271 qu’Albert le Grand finit de commenter Aristote 49. Très significativement d’ailleurs, c’est à ce moment que les actes des chapitres généraux commencent à changer un peu de ton : ainsi il n’y est plus question d’interdire purement et simplement la philosophie, mais seulement d’affirmer une préférence pour la théologie, comme le font les chapitres généraux de 1271 et 1274 50, puis encore celui de 1280 qui recommande à titre d’exercice de disputer des questions théologiques ou morales plutôt que philosophiques 51. Mais ce n’est pas avant 1305 qu’est vraiment réalisée la généralisation de l’étude des arts libéraux, puisque c’est seulement à cette date qu’est décidée la création d’une école qui leur soit consacrée dans chaque province 52, décision réitérée en 1314 53. Et dans la mesure où cette législation exclut encore l’enseignement de la grammaire 54, elle se voit complétée dans ce sens en 1324 55, puis à plusieurs reprises jusqu’en 1348 56. En 1337-1339 57 enfin le nombre d’écoles des arts passe à deux Cf. supra, note 17. Cf. M. Mulchahey, «first the bow is bent in study»..., p. 54-71. 48 Acta capitulorum..., I, p. 99. 49 Sur cette histoire de la généralisation progressive des écoles des arts et de l’enseignement de la philosophie naturelle dans l’Ordre, voir M. Mulchahey, «first the bow is bent in study»..., p. 220-238 et 252-267. 50 Acta capitulorum..., I, p. 159 et 174. 51 Ibid., p. 209. 52 Acta capitulorum..., II, p. 12. 53 Ibid., p. 84. 54 Déjà envisagé, il est vrai, en 1259, mais seulement en cas de nécessité, de façon purement ponctuelle (Acta capitulorum..., I, p. 99). 55 Acta capitulorum..., II, p. 153. 56 En 1328 (ibid., p. 179), 1331 (ibid., p. 210) et 1332 (ibid., p. 217), puis de 1346 à 1348 (ibid., p. 309, 314-315 et 323). 57 Ibid., p. 245 et 252-253. 46 47

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par province, ainsi d’ailleurs que pour la théologie, et en 1348 il est décidé que chaque province doit avoir au moins une école de grammaire et une de musique 58, obligation réitérée en 1358 et 1378 pour la grammaire cette fois accompagnée de la logique 59, sans compter les décisions de 1355 et 1356 rendant obligatoire un enseignement minimal de la grammaire dans chaque couvent 60. Il va de soi que cette incorporation progressive de disciplines à l’origine exclues de l’organisation scolaire de l’Ordre est allée de pair avec un recrutement de plus en plus jeune de celui-ci, qui devait dès lors prendre en compte l’absence totale de formation intellectuelle de la majorité de ses novices 61 : en effet, la législation de 1220 n’était aussi restrictive que parce qu’elle supposait acquise, de la part des jeunes recrues, une formation minimale au moins en grammaire 62 ; il n’est d’ailleurs pour s’en convaincre que de constater la réalité du recrutement de l’Ordre dans les premières années de son existence, lequel se faisait principalement dans les rangs des étudiants des facultés des arts 63. Mais il est difficile, compte tenu de la chronologie, de ne pas également mettre cette extension progressive des programmes scolaires dominicains à l’ensemble des arts libéraux en relation avec l’adhésion progressive de l’Ordre au thomisme, véritable cheval de Troie de l’introduction de la philosophie naturelle et, à sa suite, d’un certain nombre de sciences profanes dans les écoles des Prêcheurs : en effet, si le chapitre général de 1279 se contente encore d’inviter les frères à défendre la mémoire de Thomas d’Aquin contre les multiples attaques émanant des adversaires de sa doctrine 64, celui de 1286 leur enjoint d’œuvrer à la propagation de celle-ci, comme à sa suite celui de 1309 65 ; un pas supplémentaire est encore franchi en 1313 lorsqu’il devient interdit de professer une opinion contraire au thomisme, et que l’étude de celui-ci est requise pendant au moins trois ans avant de pouvoir être envoyé à Paris, au sommet de la hiérarchie universitaire de l’Ordre 66 ; en 1414 enfin sont prévues des sanctions contre toute opposition à la doctrine de Thomas, et il de-

Ibid., p. 323. Ibid., p. 382-383 et 445. 60 Ibid., p. 366-367 et 372. 61 Sur les questions de démographie dominicaine, voir le dixième chapitre de W. A. Hinnebusch, The history of the Dominican Order, I, New York, 1965, p. 279 sq. 62 Comme l’expliquait déjà G. G. Meersseman, In libris gentilium... 63 Ainsi que le fait justement observer M. Mulchahey, «First the Bow is Bent in Study»..., p. 71. 64 Acta capitulorum..., I, p. 204. 65 Ibid., p. 235, et Acta capitulorum..., II, p. 38. 66 Ibid., p. 64-65. 58 59

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vient interdit aux couvents de se défaire des livres contenant ses questions disputées ou ses commentaires bibliques, interdiction étendue à l’ensemble de ses écrits lorsqu’il s’agit d’un studium generale 67, c’est-à-dire de l’une des principales écoles de théologie recrutant ses étudiants à l’échelle de l’Ordre entier 68. Il est donc à noter que l’essentiel de la législation dominicaine relative à la promotion du thomisme est antérieure d’une dizaine d’années à la canonisation de l’Aquinate, signe qu’il s’agit bien là d’un mouvement spontané, et non d’une impulsion donnée par la hiérarchie ecclésiastique. Reprise sans grand modification par la suite 69, cette politique est ainsi très exactement contemporaine de l’organisation systématique de l’enseignement des arts libéraux et notamment de la philosophie naturelle au sein de l’Ordre, que celleci en soit une conséquence ou que les deux phénomènes soient le résultat d’une même prise de conscience, de la part des instances dirigeantes, de l’absence de contradiction entre l’idéal professé dans le prologue des constitutions dominicaines et l’ouverture des activités intellectuelles des Prêcheurs à des disciplines qui, à condition d’être mises au service de la théologie, pourraient les aider dans leur mission de défense de la foi. Reste à savoir quelle fut exactement la position des observants face à ces évolutions qui, de la part d’un mouvement prônant un certain retour aux sources du projet dominicain, aurait pu l’interpréter comme un écart par rapport à celui-ci. On peut essayer de la cerner à travers la législation des chapitres généraux tenus par les Prêcheurs d’obédience romaine, autrement dit ceux qui avaient à leur tête Raymond de Capoue, le premier Maître général réformateur et grand allié de Dominici 70. Or le peu qui nous a été conservé de cette

Ibid., p. 81 et 83. Sur le sens particulier de la notion de studium generale dans le système scolaire dominicain, voir M. Mulchahey, The Dominican Studium system and the universities of Europe in the thirteenth century. A relationship redefined, dans J. Hamesse (éd.), Manuels, programmes de cours et techniques d’enseignement dans les universités médiévales. Actes du colloque international de Louvain-laNeuve, 9-11 septembre 1993, Louvain-la-Neuve, 1994, p. 277-324. 69 En 1328, 1331, 1332, 1342, 1352, 1353 et 1354 en ce qui concerne l’obligation d’enseigner le thomisme dans les écoles dominicaines (Acta capitulorum..., II, p. 191, 210, 217, 280, 340, 350 et 359); en 1344, 1346, 1347, 1355 et 1356 en ce qui concerne les sanctions prévues contre ses opposants (ibid., p. 297, 313, 314, 366 et 372). 70 Cf. K. Walsh et P. Bertolini, s.v. Della Vigna (De Vinea, De Vineis, Delle Vigne), Raimondo (Raimondo da Capua), dans Dizionario biografico degli Italiani, 37, 1989, p. 784-789. Voir également, sur le rôle pilote de ce Maître général et des provinces italiennes dans la réforme dominicaine, V. Alce, La riforma dell’Ordine domenicano nel ’400 e nel primo ’500 veneto, dans G. B. F. Trolese (éd.), Riforma della Chiesa, cultura e spiritualità nel Quattrocento veneto. Atti del convegno per il 67 68

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législation semble plutôt plaider en faveur d’une certaine continuité en matière de politique des études, puisque la première mesure les concernant consiste, en 1397, dans la réaffirmation de la nécessité d’enseigner la grammaire : «Car notre ordre a été fondé pour prêcher la Parole de Dieu, ce pour quoi il est nécessaire de connaître les lettres» 71. Le chapitre de 1405 va même, tout en imposant la présence d’au moins une école et un maître de grammaire par province, jusqu’à limiter au même chiffre le nombre d’écoles provinciales pour les arts, la philosophie et la théologie, «afin d’éviter que la multiplication inutile des écoles dans notre ordre n’augmente à nouveau le nombre de ceux qui ignorent même la grammaire, comme c’était le cas auparavant, lorsque de tels hommes étaient promus à la lecture des Sentences, de la philosophie naturelle et des arts» 72. Autrement dit, la limitation du nombre des écoles n’a pas pour but celle des études dans la vie des frères, mais au contraire d’assurer qu’aucun d’entre eux ne brûle les étapes, et notamment ne parvienne à l’étude, voire à l’enseignement de la théologie, sans avoir acquis au préalable des bases jugées indispensables dans les autres disciplines. Comment mieux dire que bien loin de prohiber l’étude de celles-ci, les tenants de l’observance dominicaine les considèrent au contraire comme faisant partie intégrante de la formation indispensable pour préparer les frères à leur ministère? La meilleure preuve de l’absence d’ostracisme à leur égard se trouve d’ailleurs dans l’œuvre de Jean Dominici lui-même. On a déjà vu qu’il était loin d’être ignorant des grands mythes de l’Antiquité païenne. Mais le plus frappant est sans doute l’utilisation massive qu’en bon thomiste il fait d’Aristote dans la Lucula noctis : c’est même la première autorité qu’il cite au début du fameux chapitre 13 dont il a déjà été question, la parabole du Fils prodigue ne figurant ici, comme le dit l’auteur lui-même, qu’à titre d’argument «mineur» 73 ; l’argument essentiel est en effet à ses yeux le très aristotélicien principe selon lequel toute créature tend à sa fin principale; celle de l’homme étant la béatitude, tout ce qui pourrait le faire dévier de cette route doit donc être écarté 74. VI centenario della nascità di Ludovico Barbo, 1382-1443, Padova-Venezia-Treviso, 12-14 sett. 1982, Césène, 1984, p. 333-343. 71 Cum ordo noster ad predicandum verbum dei, ad quod requisitur sciencia litterarum, sit institutus, v. Acta capitulorum..., III, p. 94. 72 Ne de cetero superflua multiplicatio studiorum in nostro ordine augeat, sicut olim, numerum ignorantium eciam grammaticam, dum tales consueverint ad sentenciarum, naturarum et artium promoveri lecturam, ibid., p. 119. 73 Minor autem rationis eiusdem est maxima in testamento novo, cum aliquando filius prodigus..., v. Lucula Noctis, p. 119. 74 Consequentia in sua pace relicta, probo maiorem triplici ratione. Primo sic. Omnis creatura suum finem principalem intendit..., ibid.

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Bien entendu, il s’agit ici comme dans toute la littérature dominicaine d’un Aristote revisité par le thomisme, autrement dit d’un Aristote christianisé, récupéré, et pour tout dire déformé, ce qui sera par la suite, comme chacun le sait, l’une des critiques majeures adressées à la théologie scolastique par la controverse humaniste, puis protestante. Mais ce reproche n’était pas encore véritablement à l’ordre du jour en ce début du Quattrocento, lorsque les humanistes, à commencer par Salutati lui-même, en étaient encore pour défendre leur programme pédagogique à essayer de montrer les vérités chrétiennes cachées, à l’insu même de leurs auteurs, dans certains passages des classiques, tentatives d’ailleurs longuement évoquées par Dominici dans les chapitres 2 et 11 de sa Lucula noctis. Quant à l’absence de scrupules de ce dernier à n’utiliser les auteurs antiques que pour mieux les déformer, qu’il partage d’ailleurs avec l’ensemble des scolastiques, elle n’est que la conséquence du principe qui consiste à n’autoriser l’étude des sciences profanes que pour mieux les mettre au service de la foi. Très significativement, c’étaient tous les auteurs susceptibles d’une telle récupération, en tant qu’ils étaient porteurs d’une morale compatible avec celle du christianisme, dont Jean Dominici autorisait déjà la lecture dans la Regola del governo di cura familiare 75, notamment par opposition aux irrécupérables Ovide ou Virgile. Il est vrai que ces derniers souffraient à ses yeux d’une tare bien plus grave encore que le paganisme : ils étaient poètes. À la classification entre auteurs récupérables du point de vue de la morale chrétienne et les autres vient en effet se superposer une seconde, qui distingue entre les disciplines pouvant servir à une sorte d’enseignement propédeutique à celui de la théologie, comme c’est notamment le cas pour la philosophie, et le domaine purement littéraire qui, d’après un Dominici, mais en fait les Prêcheurs dans leur ensemble, est celui de la vanité; d’où l’intégration progressive des premières dans le système scolaire dominicain, tandis que les secondes font au contraire l’objet de mises en garde répétées de la part des chapitres généraux : en 1243 par exemple, il est interdit aux frères d’écrire des scripta curiosa 76 ; en 1252, d’écrire ou de faire écrire des œuvres s’exprimant par métaphores 77 ; en 1357 enfin il est précisé que les lecteurs «doivent éviter les couleurs et les rythmes dans leurs sermons comme dans leurs cours, sauf exception, car c’est plutôt là l’affaire des mimes et des jongleurs que des docteurs et des prédicateurs» 78. Cf. Regola..., cit. note 26, p. 134-135. Acta capitulorum..., I, p. 26. 77 Fratres non scribant nec scribi faciant scripta aliqua per figuras algorismi, ibid., p. 64. 78 (Et ne ipsi vel alii) in sermonibus vel lectionibus insistant coloribus et rith75 76

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Autrement dit, la langue des poètes ne convient pas à l’enseignement des choses sérieuses. Et il est intéressant de noter que la méfiance dominicaine à son égard est bien antérieure aux querelles du XIVe siècle sur le statut de la poésie 79. Il n’y a donc rien de très surprenant à la retrouver chez un Jean Dominici qui se fait une fois de plus le porte-parole de cette tradition dominicaine, en lui donnant toutefois une résonance quelque peu originale, notamment dans le chapitre 14 de la Lucula noctis où il dénonce la force de l’éloquence comme étant avant tout celle du mensonge, elle «qui autrefois (mais elle n’a rien perdu de ses forces aujourd’hui) faisait courir les arbres, demeurer immobiles les fleuves, mollir les pierres et s’adoucir les bêtes sauvages» 80. On retrouve d’ailleurs un écho de cette thématique dans les sermons florentins de Dominici, prêchés entre 1400 et 1406 à la cathédrale ou à Santa Maria Novella, et où l’association entre la rhétorique et le mensonge ne revient pas moins de sept fois 81. En filigrane, c’est la finalité même qu’assignent plus ou moins franchement les humanistes à l’étude de la rhétorique, et par là même à celle des classiques qui en est le moyen, qui se trouve ici visée : ce n’est en effet pas par hasard que cette renaissance de la vieille polémique autour des studia humanitatis coïncide avec l’arrivée dans les chancelleries d’une nouvelle génération d’humanistes 82 ; bien plus que d’une opposition intellectuelle au programme pédagogique de celle-ci, dont on a vu qu’elle n’aurait finalement guère été fondée dans la tradition dominicaine, il s’agit surtout de la part de Jean Dominici d’une dénonciation des ambitions politiques et sociales qui se cachent derrière la défense humaniste de l’étude des classiques. Et au-delà de cette quasi-accusation d’hypocrisie, non dépourvue d’ailleurs d’une certaine ironie si l’on songe aux critiques classiquement adressées aux Mendiants par les humanistes 83, c’est la façon même qu’a ce mouvement d’affirmer la centralité de la personne mis, nisi paucis, cum hoc pocius concernat mimos et ioculatores quam doctores et predicatores, v. Acta capitulorum..., II, p. 378. 79 Magistralement étudiées dans le premier chapitre de Cl. Mésoniat, Poetica theologia. La «Lucula noctis» di Giovanni Dominici e le dispute letterarie tra ’300 e ’400, Rome, 1984. 80 (Valida est vis eloquentie) que olim cogebat (nec hodie suas vires amisit) currere silvas, flumina stare, saxa mollescere, mitescere feras, v. Lucula Noctis, p. 124. 81 Cf. P. Denley, Giovanni Dominici’s opposition to humanism..., cit. note 4, p. 111-113. 82 Comme le fait observer Cl. Mésoniat, Poetica theologia..., p. 28-30. 83 Et en particulier à celles du Pogge à Dominici en personne après que ce dernier eut accepté le chapeau de cardinal, signe de l’ambition qui se cachait d’après l’humaniste derrière la feinte humilité du Prêcheur : cf. P. Bracciolini, Contro l’ipocrisia, éd. G. Vallese, Naples, 1946, p. 104-106.

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humaine qui est ici mise en cause : l’humanisme est un élitisme. Le combat d’un Dominici en revanche, s’il n’est pas à proprement parler ce que l’on appellerait aujourd’hui un combat social, se situe résolument, et dans la plus pure fidélité à l’idéal mendiant, du côté des humbles 84. À preuve encore une fois le témoignage de sa prédication dont voici un exemple : Au jour du Jugement dernier le Seigneur ne dira pas : ‘Tu as renié ma foi’; Il ne dira pas : ‘Tu as blasphémé mon nom’; Il ne dira pas : ‘Tu m’as mis sur la croix, et après l’avoir dressée tu m’y as torturé’; Il ne posera pas de questions sur l’invocation aux démons et ne reprochera pas à l’homme son orgueil, sa haine du prochain, sa luxure ou aucun autre péché particulier... Dieu disputera avec nous de la cruauté montrée envers Ses pauvres... (Il voudra) se venger des torts infligés aux pauvres comme s’ils l’avaient été à Lui-même 85.

Discours paradoxal de la part du représentant d’un ordre souvent assimilé à une très rigide défense de l’orthodoxie, et qui, de même que sa subordination de tout savoir à la vertu suprême de la charité, n’est pas sans préfigurer l’humanisme chrétien du XVIe siècle, plus sensible à la réforme des mœurs qu’aux problèmes doctrinaux. Est-ce à dire qu’il faut ramener l’opposition dominicaine à l’humanisme, du moins telle qu’elle s’exprime au début du XVe siècle par la bouche ou sous la plume d’un Jean Dominici, à une simple condamnation à la fois morale et pratique, c’est-à-dire à la double dénonciation du caractère non désintéressé des études telles que les conçoit la nouvelle génération de lettrés italiens représentée par Coluccio Salutati et du détournement que son programme pédagogique risque de constituer par rapport au seul savoir méritant vraiment d’être recherché, c’est-à-dire la connaissance de Dieu? Ce serait évidemment négliger l’enjeu intellectuel majeur qui se cachait sans doute derrière la résurgence de la vieille polémique autour de l’étude des classiques, à savoir celui du statut de la poésie, dont on a vu qu’elle seule était en fait véritablement visée dans les écrits d’un Jean Dominici, et non les genres ou les disciplines susceptibles d’une quelconque récupération par la science chrétienne : le débat Saluta84 Voir à ce sujet les remarques de G. Cracco, Giovanni Dominici e un nuovo tipo di religiosità..., cit. note 3, p. 16-19 notamment. 85 «Nel giorno del giudizio ultimo il Signore non dirà : ‘hai negato la mia fede’; non dirà : ‘hai bestemmiato il mio nome’; non dirà : ‘mi hai posto in croce e, sollevato su di essa, mi hai fatto violenza’; non esaminerà sulla invocazione ai demoni e non redarguirà della superbia dell’uomo, dell’odio al prossimo, del vizio della lussuria e di altre singoli colpi... Dio disputerà con noi della crudeltà mostrata verso i suoi poveri... (Vorrà) vendicarsi delle ingiurie fatte ai poveri come se si trattasse di ingiurie fatte a lui», cit. G. Di Agresti, Introduzione..., cit. note 25, p. 64-65.

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ti/Dominici n’était en effet que le dernier avatar d’une polémique qui, depuis le début du XIVe siècle, opposait les tenants de l’orthodoxie aux défenseurs d’une poésie qui prétendait à une dignité comparable à celle de la théologie dans la mesure où elle parlait le même langage que la Bible, à savoir un langage métaphorique, remettant de ce fait en cause la validité du sens littéral des Écritures, et par là même tout l’édifice de l’exégèse médiévale 86. Et au-delà de cette seule discipline, c’est l’ensemble du savoir théologique tel qu’il s’était constitué depuis plus de deux siècles, et sur lequel tout le système d’enseignement dominicain était fondé, qui se trouvait ébranlé dans ses fondations mêmes par le programme d’études humaniste : revendiquer en effet pour les lettres, et en particulier la poésie, le statut de science, revenait à nier l’unicité du modèle aristotélicien de la science conçue comme nécessairement démonstrative 87, et la possibilité d’une application de cette critique à la théologie scolastique, qui d’ailleurs ne manqua pas de se produire par la suite, ne pouvait que sauter aux yeux d’un esprit aussi éclairé que celui de Jean Dominici. À l’inverse, la valeur de la démarche philologique prônée par les humanistes risquait fort d’échapper aux tenants d’un système scolaire organisé en fonction d’un but unique, celui de former des prédicateurs efficaces : de là découlait en effet toute une hiérarchie des écoles dominicaines, des grands studia generalia où se formait l’élite intellectuelle de l’Ordre jusqu’aux écoles conventuelles où aboutissait un savoir pour ainsi dire digéré par toute une série d’échelons intermédiaires avant d’être mis à la disposition des fratres communes, c’est-à-dire ces quelque 90% de frères chargés de la pastorale auprès des fidèles 88 ; et c’est du même souci de rationalisation et d’efficacité que procédait l’usage dominicain, tant décrié par les humanistes, d’avoir recours à des anthologies, des encyclopédies ou autres compilations plutôt qu’aux textes originaux; caricatural si on le coupe de son contexte, un tel pragmatisme explique en grande partie le succès des frères à l’époque de leur gloire, le «beau XIIIe siècle». Mais c’est peut-être aussi lui qui s’est avéré sclérosant lorsque, les exigences extérieures ayant changé, le système d’organi-

86 C’est le grand mérite de l’étude de Cl. Mésoniat, Poetica Theologia..., que d’avoir montré l’enjeu intellectuel véritable qui se cachait derrière la résurgence de la vieille polémique autour de la lecture des classiques. 87 Comme le fait justement observer Claudio Mésoniat, ibid., p. 27. 88 Et dont la formation intellectuelle a justement été étudiée par L. Boyle, Notes on the education of the Fratres communes in the Dominican Order in the thirteenth century, dans R. Creytens OP et P. Künzle OP (éd.), Xenia medii Aevi Historiam illustrantia oblata Thomae Kaeppeli OP, II, Rome, 1978, p. 249-267.

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sation des études mis en place par les Prêcheurs au début de leur histoire, entièrement tributaire de l’unique but qu’il s’était assigné à l’origine, s’avéra incapable de relever les grands défis intellectuels et culturels de la Renaissance 89. Il semble cependant que tous ces développements ne soient encore qu’en germe à l’époque où Jean Dominici engage le fer contre Coluccio Salutati. Pour lui, l’opposition à l’humanisme consiste encore avant tout dans une façon radicalement différente d’affirmer l’éminente dignité de la personne humaine : à l’opposé de l’idéologie humaniste qui prône la prouesse individuelle, qu’elle soit de nature littéraire ou autre, la ligne défendue par les Mendiants rejette l’élitisme ainsi développé pour mettre en avant une conception beaucoup plus solidaire, dans laquelle c’est le genre humain dans son ensemble qui se présente comme ce qu’il y a de plus admirable dans la Création, et ce non pas en raison de ses vertus propres, mais à cause du plan divin dont il est l’objet; plan dont la promesse est contenue en toutes lettres dans les Écritures qui, de ce fait, deviennent la source du seul savoir véritablement digne d’être possédé, et par là même le seul objet véritablement digne d’étude. Anne RELTGEN-TALLON

89 Cf. K. Elm, Studium und Studienwesen der Bettelorden. Die ‘andere’ Universität?, dans A. Demandt (éd.), Stätten des Geistes. Grosse Universitäten Europas von der Antike bis zur Gegenwart, Cologne-Weimar-Vienne, 1999, p. 111-126.

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LES FORMES DE L’ANTICLÉRICALISME HUMANISTE ANTI-MONACHISME, ANTI-FRATERNALISME OU ANTI-CHRISTIANISME?

La difficulté qui se présente à qui s’interroge sur l’anticléricalisme lettré, et spécialement humaniste, réside dans la définition d’une originalité de cette défiance envers l’Église, autant que dans l’appréciation de la profondeur et de la portée de ces dénigrements. La critique de l’Église n’est nullement un monopole des zélateurs des studia humanitatis; sans remonter aux Évangiles, singulièrement aux passages de Mathieu et de Luc contre les hypocrites pharisiens, ni à certaines lettres de saint Jérôme, passages, au demeurant, cités par nos auteurs, on peut admettre que c’est avec la poésie goliarde des XIIe-XIIIe siècles que s’amorce un courant fécond de dérision anti-ecclésiastique1. Dans le domaine italien, Dante, à son tour, au chant XXIII de l’Enfer, dénonce des clunisiens pleurant mais tout vêtus de chapes éblouissantes, réactivant ainsi un topos cistercien; il y dénonce aussi les fratres gaudentes et leur fausse humilité. Mais cet argument n’est guère développé par la suite chez Dante. La veine anticléricale se poursuit dans la littérature satirique en langue vernaculaire au XIVe siècle, entretenue en Italie par les mouvements fraticelles. Pourtant un tour nouveau de l’anticléricalisme lettré se fait jour à la charnière des XIVe-XVe siècles, dans un climat de crise de l’institution ecclésiale. S’agissant des humanistes, plusieurs thèmes viennent s’entrecroiser qu’il faut, pour plus de clarté, sérier. Cer1 Sur cette littérature poétique, voir désormais le riche ouvrage de E. Stein, Clericus in Speculo. Studien zur lateinischen Verssatire des 12. und 13. Jahrhunderts und Erstedition des ‘Speculum prelatorum’, Leyde, 1999; l’édition du Speculum prelatorum (plus de 3300 vers) et la bibliographie fournissent désormais une base très sûre à qui veut étudier le détail de la critique des milieux ecclésiastiques des XIIe et XIIIe siècles. Pour notre propos, il convient de signaler que les thèmes fondamentaux d’hostilité aux clerici depravati concernent ici les mœurs, la discipline cléricale et le respect de l’engagement dans un ordo sacré. Il n’est nullement question d’une dénonciation culturelle de ce clergé, encore moins de la place de l’Église et du clergé dans la société : on entrevoit déjà ce qui va faire la différence avec l’anticléricalisme humaniste.

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taines critiques s’inscrivent dans une tradition (cléricale?) de vitupération contre l’enrichissement de l’Église; d’autres relèvent de l’ironie amère ou du grotesque contre l’hypocrisie et la tartuferie de certains frères papelards 2. Mais si les humanistes n’ont pas hésité à emprunter ces chemins déjà balisés et sans cesse parcourus par des milieux qui n’étaient pas humanistes, ils y ont ajouté des thèmes plus neufs, strictement liés aux activités culturelles dont ils se faisaient les porte-parole : critique de l’ignorance et de l’anti-intellectualisme clérical, dénonciation de la censure, subversion de la hiérarchie des valeurs d’Église dominantes (je pense à l’importante réflexion sur la meilleure façon pour un chrétien de faire son salut sur terre : dans les ordres ou hors des ordres religieux), fonction du pape et du clergé dans la société italienne, statut de la curie, valeur même de la religion dans le gouvernement des hommes, enfin revendication, chez certains, d’un épicurisme, dans son sens tout à la fois philosophique et trivial, qui a des implications manifestement antichrétiennes, voire athées 3. Tous ces thèmes se retrouvent, à divers 2 Hormis quelques contributions recueillies dans le volume collectif P. A. Dykeman et H. A. Oberman (éd.), Anticlericalism in late medieval and Early modern Europe, Leyde, 1994, la question de l’anticléricalisme n’a pas fait l’objet d’études récentes et poussées, singulièrement dans les pays latins. Il y a déjà matière à s’interroger sur ce silence historiographique. On ne s’étonnera pas a contrario que les historiographies des pays protestants aient accordé une plus grande place à l’argument : voir e.g. Wendy Scase, Piers Plowman and the new anticlericalism, Cambridge, 1989, et P. R. Szittya, The antifraternal tradition in medieval literature, Princeton, 1986; voir aussi infra n. 23. Côté français, un seul ouvrage, bien général, a été récemment consacré au sujet : G. Minois, Histoire de l’athéisme. Les incroyants dans le monde occidental des origines à nos jours, Paris, 1998, qui évoque par le biais d’une recherche sur l’incroyance quelques figures jugées anticléricales et athées au Moyen Âge, au gré de sources très aléatoires et de natures très diverses. Pour être exact, je dois signaler que le colloque de Fanjeaux de juillet 2002 a eu précisément pour thème l’anticléricalisme dans les pays méridionaux aux XIIe-XIIIe siècles, et qu’un volume dirigé par D. Foucault et J.-P. Cavaillé, Sources antiques de l’irréligion moderne : le relais italien, XVe-XVIIIe siècles, 2001 (Collection de l’ECRIT, 6), est consacré à un aspect particulier de l’anticléricalisme. Prémices d’un renouveau historiographique? 3 P. O. Kristeller, Le mythe de l’athéisme de la Renaissance et la tradition française de la libre pensée, dans Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, 37, 1975, p. 337-348, conteste l’existence d’un athéisme humaniste et réinsère l’idée dans l’histoire française des Lumières, de ses sectateurs et de ses opposants, pour invalider le présupposé d’une tradition athée à la fin du Moyen Âge; il est assurément difficile de sonder les cœurs et les reins de nos auteurs, mais à en juger par les textes, il n’y a pas loin de l’irrévérence caustique à la désacralisation et à l’incroyance. Dans la lignée du Rabelais et le problème de l’incroyance au XVIe siècle, Paris, 1942, de Lucien Fèvre, il est admis comme une vérité révélée que le Moyen Âge et la première époque moderne n’auraient pu connaître l’athéisme pour des raisons quasi-anthropologiques, entendons par là que les gens du Moyen Âge auraient vécu dans une société où le religieux était consubstantiel au social et au politique. À ce titre, il n’y aurait pas d’extoriorité au religieux, assimilé d’ailleurs

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moments, sous la plume d’humanistes et il convient de les présenter plus en détails, dans leur séquence chronologique précise, avant d’en mesurer la portée, dans un mouvement qui nous conduira des aspects les plus facétieux aux critiques les plus anti-chrétiennes et irréligieuses du Quattrocento et des premières décennies du XVIe siècle. L’un des motifs récurrents dans la pensée humaniste concerne la dénonciation de l’enrichissement de l’Église, thème non exclusivement humaniste, mais qui s’amplifie dans des proportions importantes aux XIVe-XVe siècles. À l’origine, comme souvent, Pétrarque. C’est dans une longue lettre familière (VI, 1) au cardinal Annibaldo da Ceccano de 1350 environ que l’on retrouve tout un argumentaire fin à ce sujet. Intitulée contra avaritiam pontificum, elle attaque frontalement les politiques cardinalices d’époque avignonnaise de création de fortune familiale à des fins de stratégie extra-religieuse. Reprenant une critique stoïcienne contre les avares, au sens de cupides, elle dépasse la simple condamnation morale. Que dit Pétrarque? Il demande aux cardinaux et à tous les hauts prélats la raison de leur soif immodérée de richesses, en distinguant laïques et clercs. Si l’avarice est unanimement condamnable, les laïques ont au moins l’excuse d’avoir une descendance légitime à qui léguer leurs biens (même si «le vice de l’âme est couvert par le voile de l’affection paternelle 4 »). Mais les clercs eux ne peuvent se réfugier derrière cette justification. Non, reproche Pétrarque, même l’idée de célébrer Dieu à travers des temples luxueux tapissés d’or ne peut être acceptée; c’est encore une fois utiliser le nom de Dieu pour masquer l’avarice, car le vrai temple de Dieu, ce sont les pauvres 5. Derrière la vipar les auteurs cités précédemnent à l’enseignement de l’Église. La question a été reposée récemment par J.-C. Schmitt, Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d’anthropologie médiévale, Paris, 2001, p. 83-85, et 98 et sq. Si assurément, le Moyen Âge n’a pas connu une «incroyance», symétrique noir de la croyance, il est évident que des degrés dans la croyance étaient admis par les théologiens euxmêmes; or, l’existence de ces degrés et les rationalisations scolastiques qui n’allaient pas manquer d’en être faites par les théologiens ouvraient la voie à une mise en questionnement (et donc à une remise en question) de la Révélation, créant «l’espace d’une pensée désacralisée et profane» (p. 84). À ce titre, plusieurs des humanistes italiens dont il est question dans le présent article constituent, me semble-t-il, un témoignage de cette sécularisation de la pensée religieuse par la mise à distance ou le traitement ironique qu’ils opèrent des credenda. 4 Pétrarque, Familières, dans Id., Opere, G. Fracassetti éd., VI, 1, p. 476-479 : Multi se propter filios excusant, et vitio animi velum pietatis obtenditur. [...] Vos vero, pontifices, dicite, oro : quid sibi vult hec rabies habendi inter divitias tam certas, in tanta rerum divinarum humanarum notitia, in vita solitaria et celibe et de crastino cogitare prohibita. 5 Ibid., p. 479 : Facessate, oro, iantandem aurum templis inutile, et in alia templa Dei, hoc est in usus hominum egentium, conferatur. [...] Nolite, miseri,

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rulence, ce qui nous retiendra c’est le cadre de la critique, celui classique d’une aspiration à la réforme. Encore faut-il préciser que l’idéal de réforme chez le Lauréat est d’essence individuelle et non pas ecclésiologique : nul programme de rénovation institutionnelle chez lui, simplement la conscience aiguë d’une impérieuse conversion intérieure 6. Aussi violente qu’elle apparaisse, cette forme de dénonciation se déploie dans la plus parfaite orthodoxie. Certes, Pétrarque avait recouru à des citations non scripturaires pour avancer son point de vue; il avait cité des auteurs païens de l’antiquité. Mais le projet restait conforme à la doctrine : il ne visait ici qu’une déviance condamnable de son temps. La violence devient d’ailleurs encore plus féroce dans la critique de la curie avignonnaise; mais il s’agit dans tous les cas d’un «anti-curialisme» que l’on peut qualifier de circonstances : la dénonciation de la nouvelle Babylone et de ses pasteurs indignes est plus d’esprit culturel ou moral qu’institutionnelle. Plus structurel nous semble le mouvement de critique de l’hypocrisie des frères mendiants. Dans la société italienne, où le poids et la présence de ces ordres sont si prégnants, il est évident que les critiques portaient bien plus loin. Là encore, une remarque liminaire s’impose. Depuis Boccace, nombre de lettrés, pas seulement humanistes, se sont emparés de ce filon qui se prêtait facilement à un traitement grotesque 7. Le premier humaniste à traiter l’argument est vraisemblablement Salutati. Dans le De seculo et religione (1382), le chancelier se gausse des effets de manche des prédicateurs : «Un prédicateur monte en chaire. Il commence par la salutation angélique, agréable prélude à ses propos. [...] Puis il subdivise chaque partie (de son discours) avec la même cantilène et, vide d’idées, il s’abandonne au flux de paroles. Tantôt criant de la voix la plus aiguë possible, il secoue son auditoire, tantôt d’un ton grave, il discourt d’une voix persuasive. Mais voici qu’il déploie un linge éclatant de blancheur, s’essuie le front, se nettoie les joues, se mouche et affecte une telle préoccupation de sa toilette qu’il ne semble pas un homme, encore moins un religieux, mais une demoiselle de Chypre 8 ». Mais comme pour curare quam superbe sacrificetis, quam ornate, quam splendide, sed quam pie quam humiliter quam caste, quam sobrie. 6 R. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione da Petrarca al Valla, Rome, 1990, p. 155, n. 34. 7 Un inventaire commode des sources se trouve chez Reinat Toscano, Invectives contre les faux pasteurs : des troubadours à Pétrarque, thèse de doctorat de Université de Nice, 1993; les analyses de l’auteur restent toutefois plutôt superficielles. 8 Coluccio Salutati, De seculo et religione, B. L. Ullman éd., Florence, 1957, p. 45-46 : Adest, inquam, religiosus quispiam et sublimis in pulpito, post angelicam

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Pétrarque, l’ironie ne débouche pas sur une dévalorisation radicale; c’est, du reste, une simple touche, dans une œuvre qui est tout entière destinée à faire l’apologie de la vie contemplative et du cloître, considérée comme supérieure à la vie active. Jusqu’à présent, les exemples ci-dessus évoquent une attitude des principaux humanistes faite de modération à l’égard de l’Église et de ses défauts. À l’instar de son maître, Salutati avait rappelé dans le De seculo, l’impérieux besoin de pauvreté, tant dans l’Église que dans la vie civile 9. Mais déjà, avec Salutati, on devine le sentiment d’inadéquation qui devait naître dans l’esprit de certains lettrés entre la charge pastorale et les formes ordinaires de la prédication et du sermo modernus, comme si les techniques naguère les plus en pointe de disciplinement des mœurs et d’éducation religieuse apparaissaient cruellement dépréciées10. Infiniment plus cohérents et développés sont les deux traités contre les hypocrites rédigés par Leonardo Bruni et Poggio Bracciolini. Le grand Schisme et ses vicissitudes que l’un et l’autre ont bien connu ont marqué les deux hommes, mais plus encore des circonstances particulières ont ajouté à leurs rancœurs contre le clergé. Les deux ouvrages remontent aux années 1415-1450 et marquent, à mon sens, une rupture dans cette littérature anticléricale. L’occasion du traité de Bruni rédigé en 1417 lui est fournie par

salutationem iocundo quodam sermociationis preludio suis moribus introductam, aliquod divinarum scripturarum oraculum reassumens pulcerrimum totum in sua, ne dicam turpia, membra discerpit, et equisillabis canticis puerili labore compositis auriculas vulgi permulcet, et eodem observato concentu membra subdivisa distinguit, et rebus inops ac sententiis inanis maxima verborum inculcatione lascivit, nuncque acutissime vocis tonitruo totis viribus laterum excitat audientes, nunc graviter insonando submissiore voce proloquitur, nunc candidissimo deprompto sudario frontem tergit, faciem purgat, oculos fricat, nares emungit, tantamque mundiciam delicatus affectat ut non vir, non religiosus, sed potius Ciprica mulier videtur; voir H. Weber, Histoire des idées et des combats d’idées aux XIVe et XVe siècles, de Ramon Llull à Thomas More, Paris, 1997, p. 417. Sur l’apprentissage de la gestuelle oratoire, voir J.-C. Schmitt, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, 1990, p. 285-288, et, en dernier lieu, C. Muessig, ‘Ad status’ sermons and social classification, dans Id. (éd.), Preacher, sermon and audience in the Middle Ages, Leyde, 2002, p. 255-276. 9 Coluccio Salutati, op. cit., p. 132. 10 Jugement toutefois à nuancer si l’on pense au succès que remporta auprès de certains humanistes Bernardin de Sienne dans ses campagnes de prédication : voir notamment ce qu’en dit Maffeo Vegio, qui reste admiratif devant la parole du prédicateur; mais, c’est vraisemblablement un exemple atypique parmi les humanistes contemporains : voir A. Corbellini, Note di vita cittadina e universitaria pavese nel Quattrocento, dans Bollettino della società pavese di storia patria, XXX, 1930, p. 240 sq. Sur les critiques humanistes contre Bernardin de Sienne, son projet et ses techniques, voir infra.

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les accusations dont il avait été l’objet de la part de Niccolo Niccoli et du camaldule Ambrogio Traversari, ce dernier lui ayant reproché d’avoir traduit des œuvres non chrétiennes11 (au passage, la figure d’un Traversari en adepte bénédictin de l’humanisme mérite assurément d’être considérée avec nuance; il n’est pas nécessairement le défenseur inconditionnel, dans le milieu monastique florentin, des studia humanitatis12). Bruni, après avoir réglé ses comptes avec Niccolo Niccoli, dans une autre invective, s’en prend à Traversari, jamais cité mais indubitablement visé13. Le texte s’amorce comme un classique pamphlet contre les hypocrites. S’inspirant d’un passage très sévère de l’Évangile de Mathieu, Bruni développe l’argument de l’évangéliste distinguant ceux qui s’efforcent d’être bons et ceux qui s’efforcent de le paraître. Ces derniers, les clercs en général, adoptent l’habit et l’habitus des hommes de bien. Plus leurs vêtements sont négligés, plus leur hypocrisie est grande. Et que nul ne s’avise de leur faire du tort, fût-il minime, car des torrents de violence s’abattraient sur lui14. Reprenant des thèmes classiques de la tradition anti-monastique que l’on retrouvera chez le Pogge ou chez Filelfe15 et qui étaient déjà chez Boccace ou Sacchetti, Bruni évoque ensuite les assauts de prêches des moines qui convertissent les femmes et les veuves à la sainteté avant de transformer les monastères en lupanars. Gare à ne pas leur laisser le soin de ses fils ou de ses filles. Tout ceci, il faut l’avouer, est assez convenu et relève du topos, certes senti et profondément vécu, et du jeu littéraire. Bruni y ajoute la dénonciation de la même hypocrisie bigote chez les 11 Ambrogio Traversari, Latinae Epistolae, P. Cannetti et L. Mehus éd., Florence, 1759, col. 961-962. 12 Jouent aussi dans les accusations contre Bruni des enjeux plus politiques : le camaldule est un fidèle de Cosme de Médicis alors qu’en 1418 Bruni apparaît lié au camp de Rinaldo degli Albizzi (voir L. Martines, The social world of the Florentine humanists, Londres, 1963, p. 44) 13 L. Gualdo Rosa, Leonardo Bruni, l’«Oratio in hypocritas» e i suoi difficili rapporti con Ambrogio Traversari, dans Ambrogio Traversari camaldolese nel VI centenario dalla nascità, [= Vita monastica, 45], 1987, p. 89-111. 14 Leonardo Bruni, Oratio in hypocritas, dans Id., Opere letterarie e politiche, P. Viti éd., Turin, 1996, p. 322 : Nonne si vel parva in re quenquam vestrum quis offenderit, tanti estus irarum indignationum exundant, sicque continuo effervescit spiritus, ut non humilem ac deiectum hypocritam, fecem ac sterquilinium vulgi ac postreme sortis hominem, sed Agamemnonem aut Achillem, aut si quis fuerit heroum superior?. 15 Filelfe qui rédigea dans les années 1430 des Satires s’inspire de Bruni lorqu’il décrit Hypocritius (i.e. Traversari) : voir F. Filefo, Satyrae, Hec. II, 5, dans Poeti latini del Quattrocento, F. Arnaldi, L. Gualdo Rosa, L. Monti Sabia éd., Milan-Naples, 1964, p. 40-42. Sur la rédaction des Satires qui s’étala sur vingt ans de 1428 à 1450, voir S. Fiaschi, Prima e dopo la raccolta : diffusione e circolazione delle «Satyrae» di Francesco Filelfo. Spunti dall’epistolario edito e inedito, dans Medioevo e Rinascimento, 11, 2000, p. 147-167.

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laïques : par hypocrites, dit-il, il faut entendre les moines mais aussi les laïques qui se composent des faces de carême16. Et l’on pense à la présence des viri devoti et des mulieres devotae dans le monastère camaldule de Florence à Santa Maria degli Angeli, aux XIVXVe siècles, à tous ces laïques ou convers qui pratiquaient une dévotion austère et acquéraient ainsi une réputation flatteuse parmi les Florentins : ils passaient pour être le miroir de la sainteté dans la ville17. Ce qui mérite d’être noté, en revanche, c’est la convergence de ces accusations sur une période assez précise, disons les premières décennies du XVe siècle, puisque le discours de Bruni est relayé par une salve de critiques de l’un de ses amis, Poggio Bracciolini. De fait la polémique anti-monastique ou anti-mendiante s’inscrit dans un contexte de tentative de restauration morale dont Bernardin18 ou Traversari sont les fers de lance en Toscane, tentative de disciplinement non seulement du milieu clérical mais de la société toute entière (que l’on pense au soutien apporté par Traversari aux confraternités de jeunesse comme instances de reconquête chrétienne au sein des familles19). Un des aspects marquants de l’anticléricalisme humaniste, c’est précisément son extrême sensibilité aux évolutions institutionnelles et dévotionnelles en cours. Le développement de l’observance franciscaine à partir de Bernardin de Sienne a donné lieu à une multitude d’attaques dont les plus virulentes sont celles du

16 Ibid., p. 324 : Nec ego solum de religiosis, verum etiam de secularibus loquor. Demeure une ambigüité sur la traduction de seculares qui peuvent désigner les laïques comme les séculiers, au sens de mendiants. La suite du texte évoque clairement la réalité visée : les deux genres sont souvent méprisables par leur hypocrisie, mais les hommes d’Église l’emportent en ce domaine (p. 324 : Nam in utroque genere hec nefanda reperitur pestis. Equidem ex cunctis hominibus, quos versari in vita perspexi, nullos neque acerbiores, neque perversiores adhuc inveni, quam istos qui bonam conscientiam profitentur, qui picturas attractant, qui plorant inter sacra). 17 B. Calati, La spiritualità del ‘400 e la tradizione camaldolese, dans G. C. Garfagnini (éd.), Ambrogio Traversari nel VI centenario della nascita. Convegno internazionale di studi, settembre 1986, Florence, 1988, p. 45. Sur l’idée d’une sainteté particulière des camaldules, voir Vespasiano da Bisticci, Le Vite, A. Greco éd., I, Florence, 1970, p. 234; voir aussi les travaux de C. Caby, notamment sa contribution dans ce colloque. 18 J.-C. Maire Vigueur, Bernardino et la vie citadine, dans Bernardino predicatore nella società del suo tempo, Spolète, 1976, p. 210 sq. 19 Voir ses lettres à Eugène IV dans lesquelles il fait l’éloge de ces confraternités de jeunes Florentins dûment encadrées et qui, de retour chez eux, vont morigéner leurs parents, confraternités qui ne sont pas sans évoquer les futures brigades savonaroliennes dressant des bûchers de vanités : K. Einsenbichler, Il ruolo delle confraternità nell’educazione dei fanciulli : il caso di Firenze, dans L. Rotondi Secchi Taruggi (éd.), L’éducazione e la formazione intellectuale nell’età umanistica, Milan, 1992, p. 109-119.

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Pogge. Dans le dialogue contre l’hypocrisie de 1447, le Pogge reprend et amplifie les critiques de Bruni. Comme ce dernier, il lance ses foudres contre les tartufes, laïques ou clercs. Il y ajoute des indications relevant typiquement d’une culture civique promue par les humanistes. Ainsi, de la dénonciation de ces hypocrites qui ont accompli des charges publiques, volant ou dilapidant l’argent de la commune et qui, sur le tard, pour se faire pardonner, prennent l’habit religieux ou construisent à grands frais des églises splendides où ils font peindre en évidence le stemma de leur famille, révélant que leur seul objectif est de se faire estimer de la population locale 20. En revanche, il est surprenant de constater que l’humanisme florentin ne fait nulle place à des critiques plus diffuses adressées par les Florentins eux-mêmes à la floraison de confraternités, notamment le reproche d’être des lieux factieux où se discutent illégalement les affaires publiques, entretenant par là-même les tensions politiques 21. De cela, la tradition lettrée florentine ne porte pas trace. Autocensure ou indifférence? Impossible de trancher ici. Si on met de côté toute la veine scabreuse de cet anticléricalisme diffus, à savoir les anecdotes sur les frères luxurieux, jouisseurs, abusant les femmes sous couvert de confession, avides de mets friands, cupides au delà de l’imaginable 22, etc., bref tout ce que 20 Poggio Bracciolini, Contro l’ipocrisia, G. Vallese éd., Naples, 1946, p. 94 : Nonne hypocritae vibis quoque videntur, qui post multas rapinas, expilationes, latrocinia, quibus socios expilarint, cum Rempublicam exhauserint, aut veste sacerdotali, aut pictura templi, boni viri tamen aucupantur? Utque simulata virtus vulgatior fiat, aut sua signa aut nomen adiciunt, ut ad vulgarem laudem videatur bonitatis fama quaesita. Sur l’attitude du Pogge envers les moines, voir C. Vasoli, Poggio e la polemica antimonastica, dans Poggio Bracciolini, 1380-1480. Nel VI centenario della nascità, Florence, 1982, p. 162-205; sur le contexte de la rédaction du pamphlet à l’issue du pontificat décrié d’Eugène IV et au début de celui porteur d’espoirs de Nicolas V, voir R. Fubini, Il «teatro del mondo» nelle prospettive morali e storico-politiche di Poggio Bracciolini, dans Poggio Bracciolini, op. cit., p. 1-92, ici p. 82-84. 21 Voir G. Brucker, Dal comune alla signoria. La vita pubblica a Firenze nel primo Rinascimento, Florence, 1981 (1re éd., Princeton, 1977), p. 344, qui cite l’intervention de Francesco Machiavelli, en 1426, dans une pratica, dans laquelle ce citoyen s’indigne de toutes ces confraternités qui entretiennent les haines et les dissensions et qui, «sous le voile de la vertu, nuisent»; il propose d’ailleurs leur dissolution. C’est la preuve d’un anticléricalisme diffus dans la société florentine dont les humanistes retrouvent les accents, sans toujours oser aller jusqu’à soutenir dans leurs écrits des propositions aussi hardies que celles qui sont parfois avancées dans les lieux institutionnels de discussion. On pourrait citer, dans le même ordre d’idées, les débats florentins sur la taxation du clergé (ibid., p. 342), qui n’apparaissent guère dans les polémiques lettrées anticléricales. 22 Qu’il suffise à ce propos de rappeler le Dialogue de l’avarice du Pogge, rédigé vers 1428, dans lequel le secrétaire pontifical rappelle le gôut immodéré des clercs pour l’argent : J. W. Oppel, Poggio, San Bernardino of Siena, and the Dialogue on avarice, dans Renaissance Quartely, XXX, 1977, p. 564-587, et P. Gilli, La

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fait l’ordinaire des nouvelles de Sacchetti ou de Sercambi ou des Facéties du Pogge lui-même, voire de quelque obscur poète 23, et que l’on recherche les points les plus singuliers de cette vindicte lettrée, on constate que revient fréquemment dans ces dénonciations le sens de l’inutilité d’une vie retirée du monde. Dans le Dialogue contre l’hypocrisie, le Pogge se demande à quoi servent des gens qui passent leur temps à psalmodier, à chanter toute la journée comme des cigales. Quelle est leur utilité pour la foi et pour les hommes? Certes, veiller pour chanter est une noble entreprise, mais combien plus utile serait de se lever pour aller travailler, par exemple les champs, sous la froidure et mal vêtus 24. Par là s’amorce une autre valeur de la dénonciation humaniste (en l’espèce florentine, car on ne trouve pas vraiment hors de cette zone toscane une telle convergence dans la dénonciation). Le projet de désacralisation de la vie religieuse, monastique ou mendiante, se nourrit de l’éloge de la vie active contre la vie contemplative 25. Il s’inscrit aussi dans les mouvement de piété place de l’argent dans la pensée humaniste italienne au XVe siècle, dans L’argent au Moyen Âge. Actes du XXVIIIe Congrès de la société des historiens médiévistes français, Clermont-Ferrand, mai 1996, Paris, 1997, p. 309-326. Il n’est pas inutile de rappeler que le Pogge a eu mailles à partir en 1429 avec les Observants de Terranuova, sa ville d’origine, au sujet de la construction d’un couvent qui allait empiéter sur sa propre propriété. Comme secrétaire pontifical, l’humaniste ne se fit pas faute de rappeler qu’il venait de rédiger une règle interdisant aux Observants la construction de nouveaux couvents : voir Poggio Bracciolini, Epistolario, éd. H. Harth, Florence, 1987, I, p. 91-95, ici p. 93 (lettre à Niccolo Niccoli) : Haec igitur cum ita decreta essent, mihique nota, qui illa edideram, essem autem in patria, audiremque silvas cedi, locum designari, aedificia tolli; dixi statim id fieri non posse propter novas leges. Cette polémique qui s’est exaspérée dans un échange épistolaire avec l’observant Alberto de Sarteano peut se lire dans la lettre de février 1430 du Pogge, dans laquelle les critiques annoncent celles à venir du Contre les hypocrites (éd. cit., II, p. 96-98). 23 R. Pallone, Anticlericalesimo e ingiustizia sociali nell’Italia del ’400 : l’opera poetica e satirica di Antonio Cammelli detto «Il Pistoia», Trévi, 1971. 24 Poggio Bracciolini, op. cit., p. 103 : Non satis est eos sub tecto subfarcinatos vestibus palam minime obesse exemplo : quem fructum afferant fidei, quam utilitatem, id quaero. At ego nullum ipsorum, praeter cantandi, opus, more cicadarum, conspicio : ut nimis profecto magna merces et eorum vocibus constituta. At extollunt suos tanquam labores Herculis, quod de nocte ad cantandum surgant et Deo laudes dicendas. Magnum profecto negotium, et multis laudibus extollendum : cantandi gratia vigilias nocturnas agere. Quid dicerent, si agricolarum more pergerent ad arandum etiam sub ventorum et imbrium tempestate, nudis persepe pedibus, corpore parum protecto?. 25 Critique qui n’est pas le seul fait des Italiens : analysant le détachement progressif des élites strasbourgeoises à l’égard des ordres mendiants durant le XVe siècle et les décennies qui précèdent la Réforme, Francis Rapp évoque la critique d’origine humaniste qui s’abattait sur les Mendiants disqualifiés car inadaptés aux exigences sociales du moment (F. Rapp, Die Mendikaten und die Strassburger Gesellschaft am Ende des Mittelalters, dans K. Elm (éd.), Stellung und Wirsamkeit der Bettelorden in der städtischen Gesellschaft, Berlin, 1981, p. 85-102, ici

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active propres au XVe siècle. Rappelons combien les humanistes florentins furent actifs dans les confraternités laïques du XVe siècle, rédigeant même des sacre rappresentazioni comme le fit Politien 26, comme si la critique du monachisme s’appuyait sur l’idée d’une dévotion qui ferait aux laïques toute leur place 27. De ce point de vue, il apparaît évident que les critiques humanistes n’ont absolument pas les mêmes visées finales que les vitupérations d’apparence anticléricale que l’on trouve sous la plume d’hommes d’Église lorsqu’ils vilipendent à leur tour la dégradation de la vie religieuse contemporaine. Quand, pour faire quelques exemples, l’abbé de Vallombrosa, en 1404, écrit que sa congrégation est peuplée d’ignares, de jeunes enfants placés par leurs parents pour partager les revenus des abbayes 28 ; quand Ambrogio Traversari, de son côté, évoque, dans une lettre circulaire à tous les membres de la communauté en 1433, les monastères camaldules où les frères vivent dans le luxe et la luxure et dans lesquels, il n’y a plus nulle différence entre les laïques et «ceux qui ont fait profession d’entrer dans la milice du Christ», où les supérieurs des monastères encouragent à la paresse 29, il est bien p. 101. Sur les formes particulièrement virulentes de «l’antifraternalisme» dans les pays germaniques, voir G. Dipple, Antifraternalism and Anticlericalism in the German Reformation, Ashgate, Aldershot, 1996, qui examine, dans les premiers chapitres, les traditions du XVe siècle de la critique des Mendiants en Allemagne. 26 M. B. Becker, Lay piety in Renaissance Florence, dans Ch. Trinkaus et H. Oberman (éd.), The pursuit of Holiness in late medieval and Renaissance religion, Leyde, 1974, p. 194-197. K. Einsenbichler, Angelo Poliziano e le confraternite di giovani a Firenze, dans L. Secchi Tarugi, Poliziano nel suo tempo. Atti del VI Convegno internazionle, luglio 1994, Florence, 1996, p. 297-308; récemment I. Taddei, Fanciulli e giovanni. Crescere a Firenze nel Rinascimento, Florence, 2001, a attiré l’attention sur la convergence d’intérêts des autorités civiles et religieuses dans ce mouvement tout à fait étonnant de disciplinement et d’encadrement «confraternel» de la jeunesse florentine (p. 140-157). 27 Cependant, il convient de préciser que l’affirmation de l’inutilité sociale de la vie cloîtrée n’est pas apparue avec les humanistes florentins; déjà au XIVe siècle, un juriste (il est vrai lié à Pétrarque et sensible aux studia humanitatis), Lucca da Penne, n’hésitait pas à s’en prendre à ceux qui abandonnent leur responsabilité en fuyant vers les monastères ou les couvents (Lucca da Penne, In tres libros commentaria, Lyon, 1582, Proemium). Le débat vie active-vie contemplative, qui pouvait déboucher sur un risque de «démonétisation» de la vie religieuse, n’était donc pas un monopole humaniste, encore moins une découverte de «l’humanisme civique» florentin. 28 Lettre de l’abbé de Vallombrosa, Bernardo Gianfigliazzi, au cardinal Acciaiuoli citée par G. Spinelli, Monachesimo e società tra XIV e XV secolo, dans G. C. Garfagnini (éd.), Ambrogio Traversari nel VI centenario della nascità, Florence, 1988, p. 52. 29 Ambrogio Traversari, Epistolae, op. cit., col. 821-822 : nullaque inter saeculores homines, et Christi militiam professos differentia est. [...] Abbates ipsi et praelati religionis nostrae plerique subditis eiusmodi solutioris, ac delicatoris vitae exemplo sunt, et quos ad pietatis studia exercere debuerant, atque virtutum ardua promovere certamina, secum in ima voluptatem male vivendo deducunt.

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évident que leur objectif n’a rien de commun, malgré un air de déjà entendu, avec la perspective poggienne. Pour les réformateurs, l’état de dégradation actuelle est remédiable par la purge et l’exhortation sévère; pour l’humaniste, rien n’y peut faire; le mal est si profond qu’il est irrémédiable. Bien sûr, il y a quelques hommes de bien, concède-t-il, mais cela est dû, pour ainsi dire, à la loi des statistiques : ils sont si nombreux que ce serait bien le diable s’il ne s’en trouvait pas quelques uns de qualité 30. Toutes les tentatives sont vaines; leur quête de pouvoir est irrépressible. À preuve, le Pogge prend à parti le fondateur de l’observance de la congrégation de sainte Justine de Padoue, moine intrigant qui abandonne ensuite son monastère pour un évêché brigué en cour de Rome 31. Il n’y a décidément rien à attendre du monachisme, même réformé et observant. Remarquons ici qu’il n’y est guère question de compétence intellectuelle; les reproches portent sur la malhonnêteté spirituelle et morale du clergé, sur l’écart entre le dire et le faire, entre l’être et le paraître, mais non sur la qualification du clergé. Ce ne sont pas de vaines questions; pour Bracciolini, elles remontent assez loin dans sa carrière; dès ses premières années comme secrétaire apostolique, il s’était illustré par un discours extrêmement féroce, tenu à Constance en 1417, devant les Pères conciliaires, sur les vices du clergé, dans lequel des arguments originaux apparaissaient qui révélaient une approche sensible des problèmes de son temps. Deux thèmes importants y revenaient qui renvoyaient à la pratique et à l’éthique des clercs : la vaine gloire et la vanité de ces maîtres de la parole que sont les prédicateurs, devenus maîtres d’une parole démonétisée, sans valeur, même lorsqu’elle vitupère la dégradation des mœurs 32 ; et la fausse charité par laquelle le haut clergé se trompe 30 Id., p. 104 : Sed plures inter eos [les frères] sancti viri sunt, veram virtutem amplexi, nulla contecti simulatione. Fatendum id quoque. Deflenda enim res esset, in tanta multitudine, tanta impensa, neminem bonum ac sanctum esse; maxima pars tamen desidiosa est, quae hypocritarum sequitur agmen, nulli dedita virtuti. 31 Poggio Bracciolini, op. cit., p. 103 : Vidimus abbatem S. Iustinae Paduanae, qui auctor fuit novae sectae instituendae, tanto fastu, tanta pompa, tanta elatione, ut recte Pomponius cognominari posset. At is non deseruit curiam, quoad crearetur ab Eugenio episcopus Tarvisinus. 32 Poggio Bracciolini, Oratio ad patres reverendissimos, dans R. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione da Petrarca a Valla, Rome, 1990, p. 318 : Cum enim venere in locum excelsum verba facturi, ab aliqua sententia egregia incipiunt, deinde aliorum dictis intexunt orationes suas, multorum advocant exquisitam sapienciam, aut cohortando ad virtutem aut vicia obiurgando; hic superbiam detestabitur, ille avariciam, alter luxuriam persequetur, alter ambicionem [...] Quid gravius tanta severitate? Quid hoc tam bene erudito doctore melius? Catonem mehercule crederes priscum illum gravissimum virum Romanorum luxum ac lascivam obiurgantem. Nos vero ulterius querimus : descende ex loco excelso quem ascenderas, de-

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lui-même, croyant se rendre agréable à Dieu, alors qu’il ne fait que pratiquer une redistribution symbolique des richesses. Dans la dénonciation des sermons des prédicateurs, l’humaniste ne s’en tient pas à une approche parodique de la gestuelle des prédicateurs, comme l’a fait Salutati, il met en question les conditions de l’efficacité du discours religieux, les modalités du «faire croire» en quelque sorte. Les mots ne peuvent porter nisi dictis facta quoque conveniant 33 ; la rhétorique du sermon est invalidée car pour passer de l’émotion à l’action, il faut que le prédicateur soit une image vivante de ce qu’il prêche; dans le cas contraire, il se ridiculise 34. L’argument est longuement traité par l’auteur et relève moins d’ailleurs ici de l’anticléricalisme que d’une crise de confiance dans les formes et techniques d’édification morale et religieuse utilisées par le clergé contemporain 35. C’est quelque chose d’assez propre au Pogge et en même temps un signe précurseur d’une inadaptation cruelle du clergé, notamment en milieu urbain : il faut remarquer comment le Pogge se gausse des dénigrements répétés des clercs contre la cupidité, la luxure, l’ambition, autant de vices qui sont cependant la contrepartie du dynamisme économique des cités italiennes sur lesquelles l’humaniste s’est exprimé plus tard 36. D’autre part, avec courage, le Pogge attaquait frontalement ces grands prélats qui se satisfaisaient, pour contenter leur conscience, de leurs pauvres à qui ils jetaient les reliefs de leurs repas, préférant s’occuper de leurs chevaux que des pauvres du Christ 37. Et déjà, Bracciolini ne montrait

pone personas; te ipsum enim scrutari, domesticam vitam videre, mores tuos disquirere cupio. Aveo scire an ea congruant cum preceptis tuis. 33 Ibid., p. 320. 34 Ibid., p. 319 : Maius quiddam est virtus, maius, inquam, quam aut verbis inanibus monstrari possit aut ostentatione dicendi. Actum requirit et exercitium sui, alioquin ridicule tractatur. Voir aussi le passage suivant : Nam eorum [sc. clerici] debet esse institucio, ut non reprehendant illa solum in aliis, sed in semetipsi comprimant et extinguant, ut non boni semicinatores viciorum reprehensores dicantur, sed emendatores vite ac bonorum operum effectores. 35 Il serait cependant facile de remarquer que dans des œuvres postérieures, Bracciolini est quelque peu en retrait par rapport à l’argument ici développé de l’efficacité du discours religieux, notamment lorsque dans le Discours contre l’hypocrisie ou dans les Facéties, il se gausse de ces mêmes clercs qui parviennent à tromper efficacement leurs ouailles, preuve que les discours parviennent à obtenir la fin pour laquelle ils ont été tenus. Mais les deux plans ne sont pas identiques. Dans le Discours aux Pères de Constance, l’objectif est de rappeler les clercs à leur mission première et donc de décourager l’usage intempestif d’une prédication qui ne serait pas soutenue par l’action personnelle des clercs prêcheurs; dans les autres documents, s’expriment davantage l’écœurement et la colère devant le clergé mensonger, hypocrite et sans morale. Le premier texte est, pour ainsi dire, programmatique, les autres sont plus descriptifs et ironiques. 36 Cf. infra n. 51. 37 Ibid., p. 327 : Tu vero satisfecisse te putas, si quosdam mendicos nutrias ex

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viscéralement irrévérencieux, voire proche de l’hétérodoxie fraticelle, quand il leur reprochait d’acheter des églises aux copieux bénéfices, et de préférer des revenus élevés à de faibles bénéfices soidisant pour mieux servir Dieu. Seule la finalité de l’acquisition légitime cette acquisition : les biens d’Église doivent être redistribués aux pauvres à qui ils appartiennent, les prélats ne sont que les gardiens ou les dispensateurs de ces biens 38. Ainsi avec Bruni et le Pogge, le bilan du contentieux entre humanistes et Église s’alourdit. Quoique tous deux entendent rester dans un cadre chrétien, les accusations portées ont un poids non négligeable : un monachisme hors de saison et inutile, sans même parler de déviations les plus peccamineuses des moines paillards; des frères mendiants renvoyés à leur hypocrisie ou pire à l’inefficacité pratique de leurs paroles auprès des fidèles, faute d’une adequatio rei et verbi. Les Florentins envoyaient une première salve dont les effets allaient se faire sentir longtemps; nous verrons ultérieurement l’écho des critiques anti-monastiques chez Lorenzo Valla. Conjointement à la dénonciation des formes de l’encadrement religieux, et dont les principaux porte-parole se trouvent dans une ambiance florentine, sont évoqués dans le milieu humaniste italien des arguments supplémentaires de discrédit de l’Église. Il y a une tradition, dont la durée polémique semble réduite, mais qui a eu des répercussions sur le long terme : elle concerne la dégradation de la culture dont l’Église se serait rendue coupable; bien sûr, ce thème est connexe à celui de la condamnation des studia humanitatis et de la poésie, forme laïcisée et libre de la pensée, par certains membres du clergé, sans se superposer toutefois à ce dernier. Ce qui nous intéresse dans cette polémique, c’est de voir combien l’Église se trouve dénoncée en tant qu’institution pluriséculaire dont l’histoire même s’assimile à un mouvement sans fin de déchéance. Thème circonscrit chronologiquement (il n’excède pas la première moitié du XVe siècle, et plus précisément les trois premières décennies), mais dont la valeur militante ne saurait être sous-estimée. Si l’on connaît bien tout le jeu littéraire et épistolaire d’ironie humaniste contre les monastères devenus les cimetières des semesis reliquiis mense tui sordidis atque abiectis et ne porcis quidem aut canibus abiciendis : proiciende quidem essent, nisi eas famelici illis comedissent. Equorum maior tibi cura est multo quam pauperum Christi. Sur les prédicateurs, ibid., p. 318. 38 Ibid. : Hanc nempe causam nunc perpendo, cur tam cupide, tam sollicite non solum cupias sed emas magno pretio ecclesiam, ut aiunt, pinguem, cur alter decem milia, viginti milia alter in redditibus concuspiscat, cur amplum censum tenui preponat propter Deum [...] Non prospicis, non consideras ad quorum utilitatem, ad quem finem hec ampla ecclesiarum patrimonia sint constituta? Non uti raptori tibi commissa sunt, sed ut custodi ac dispensatori.

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auteurs de l’antiquité païenne (il suffit ici de penser aux nombreuses lettres pleines d’acrimonie du Pogge, lors de ses expéditions à partir de Constance vers les établissements germaniques ou français pour dénicher les textes enfouis dans les bibliothèques monastiques), si l’on connaît aussi l’importante polémique entre humanistes et clercs au sujet de la poésie ou de la lecture des œuvres païennes, depuis Mussato jusqu’à Ermolaio Barbaro dans la deuxième moitié du XVe siècle 39, autant de sujets de discorde, mais dont ne peut pas dire stricto sensu qu’ils relèvent de l’anticléricalisme, on rappelle moins souvent que chez certains la critique a pris exceptionnellement une tournure beaucoup plus virulente et systématique d’hostilité à l’Église. Tel est le cas de Cencio Romano, secrétaire apostolique, qui dans le climat troublé de Constance en 1416, écrit à Francesco da Fiano, un des précepteurs de l’humanisme romain, une lettre-pamphlet dans laquelle il prend à parti les papes, romains comme avignonnais, coupables d’avoir encouragé le démantèlement de l’héritage romain, architectural comme littéraire, au motif qu’ils abhorraient les faux dieux : «Il se trouve que beaucoup de livres de saintes écritures et beaucoup de bâtiments ont été perdus par les négligences de ceux qui représentent le Christ sur terre. Nous les tenons pour les plus méprisables des hommes car l’on attend d’eux un soin contre tous les maux 40 ». C’est un peu le point d’orgue du débat sur la poésie et les Anciens : ce qui restait en suspens dans la polémique éclate ici au grand jour. Jamais, les humanistes n’avaient été jusqu’à formuler une condamnation aussi radicale. Mussato comme Salutati 41 justifiaient le recours aux Anciens à titre presque de propédeu39 Voir Cl. Mésoniat, Poetica theologia. La Lucula noctis di Giovanni Dominici e le dispute letterarie tra ’300 e ’400, Rome, 1984. 40 L. Bertalot, Forschungen über Leonardo Bruni Aretino, dans Archivum Romanicum, 15, 1931, p. 323 sq. J’ai donné une traduction de la lettre dans P. Gilli (éd.), Former, enseigner, éduquer dans l’Occident médiéval, 1100-1450, II, Paris, 1999, p. 236-238. Il est à remarquer toutefois que la critique de la papauté comme responsable de la dégradation culturelle de l’Italie prend à rebours un thème caractéristique de l’anticléricalisme en milieu anglais et lollard, à savoir celui de l’accaparement par les mendiants des livres disponibles, rendant de ce fait impossible leur consultation; ce thème d’une conspiration des franciscains et des dominicains désireux «d’assécher» le marché du livre pour s’en réserver égoistement la seule jouissance est particulièrement vif dans les années 1380 à 1400 (soit juste après la condamnation de Wycliff) et se rencontre dans plusieurs traités du temps : voir Mary A. Rouse et Richard H. Rouse, The Franciscans and books : Lollard accusation and the Franciscan Response, dans Id., Authentic witnesses : approches to medieval texts and manuscripts, Notre-Dame (Indiana), 1991, p. 409426. Il est frappant de constater que l’Angleterre lollarde a alors développé un argument sans équivalent en Italie; nulle trace, en effet, dans l’Italie du XVe siècle d’une critique humaniste contre des frères qui se seraient rendus coupables d’un excès de pratique des textes. 41 Nombreuses citations chez C. Mesoniat, op. cit.

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tique aux Saintes Ecritures, voire comme le fit Boccace dans les livres XIV et XV de sa Genealogia deorum gentilium, rappeler avec une force inégalée jusqu’alors que Dieu s’est servi des poètes (mêmes païens et pré-chrétiens) pour déposer sous «l’écorce» des mythes les fondements de sa Révélation 42 ; leurs adversaires leur objectaient les risques de confusion entre le sacré et le profane, plus encore le dévoyement possible des âmes chrétiennes par la lecture des auteurs païens. Tout se passait comme si cette avant-garde lettrée tentait vaille que vaille d’arrondir les angles, de limer les risques les plus saillants de conflit. Jamais la polémique n’avait tourné ainsi à la mise en cause de la papauté, entendue comme force obscurantiste qui aurait sciemment saccagé l’héritage qu’elle aurait dû protéger. Cencio Romano exprime sans détour le potentiel de conflit avec l’Église que recelait la nouvelle culture. L’on doit à la vérité de dire que ce passage est un hapax; je ne connais pas d’autres pamphlets aussi violents sur l’argument. On peut y voir le ressentiment très local d’un Romain outré par le conservatisme culturel et l’indifférence coupable à l’égard de l’héritage illustre dont pouvait se prévaloir la cité; il est vrai que Rome juqu’à la fin du XIVe siècle se présentait, sous le profil culturel, sous un jour peu glorieux 43. Par la suite même, le développement d’un mécénat pontifical et l’emploi à la Curie de nombreux humanistes suppriment ce type de désenchantement ou pour mieux dire, la dégradation de la culture n’est plus uniquement assignée à la responsabilité des pontifes. Je laisse ici de côté le thème contraire de la curie comme domicilium sapientie, tel notamment que le présente Lorenzo Valla dans son discours inaugural au studium urbis de 1456 44. Mais ce n’est pas pour autant que les cri42 Voir Boccace, Généalogie des dieux païens (Livres XIV et XV). Un manifeste pour la poésie, traduit par Y. Delègue, Strasbourg, 2001. 43 Voir A. Rehberg, ‘Roma docta’? Osservazioni sulla cultura del clero dei grandi capitoli romani nel Trecento, dans Archivio della Società romana di storia patria, 122, 1999, p. 135-167, qui rappelle la faible proportion des chanoines des grandes basiliques romaines engagés dans des études universitaires au XIVe siècle; en fait, le retour définitif de la papauté à Rome au XVe siècle allait permettre d’accroître le niveau culturel en intégrant des nouveaux éléments non seulement dans la curie, mais aussi dans les basiliques de la cité, naguère chasse gardée du baronnage romain : ainsi Lorenzo Valla comme Paolo di Filippo Porcari furent chanoines de Saint Jean de Latran. 44 Voir dans le présent ouvrage la contribution très éclairante de Concetta Bianca, La curia come «domicilium sapientie» e la «sancta rusticitas», qui rappelle les linéaments et les enjeux de ce thème dont les origines remontent à Bruni et à la rédaction par ce dernier de la bulle de réouverture du Studium urbis à Rome en 1406, au nom d’Innocent VII. Il semble toutefois que l’auteur demeure optimiste sur la permanence du thème de la curie comme siège de la connaissance; les exemples qu’elle cite attestent d’une nouvelle et réélle réaction antiintellectuelle des lettrés dominicains ou observants contre la culture antique à l’époque de Nicolas V.

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tiques cessent; elles changent de cibles, dans un contexte politique modifié. En effet, parmi les motifs féconds de l’anticléricalisme, la double critique des papes et de la curie offre un tableau de choix. La restauration pontificale au sortir de la crise conciliaire (restauration dont, tout de même, un des aspects fut le renforcement des structures curiales... et donc des carrières d’humanistes dans la bureaucratie pontificale) a suscité des jugements très contrastés dans le milieu lettré. Nous ne relèverons ici que ce qui concerne la pensée anticléricale, en signalant à titre liminaire le paradoxe d’une critique anti-pontificale ou anticuriale assumée par des lettrés essentiellement romains ou florentins, c’est-à-dire principaux bénéficiaires de la curie. À la suite de R. Trexler, rappelons que Florence était la cité de la chrétienté la plus substantiellement liée à Rome, puisque son aristocratie mercantile et bancaire était l’interlocutrice privilégiée des papes du XVe siècle, et que la solvabilité de la dette publique florentine reposait sur la caution de la Chambre apostolique 45. La présence de nombreux humanistes florentins dans la bureaucratie romaine était un échange de bons procédés et un moyen de contrôle de la part des autorités florentines. Cela n’empêche pas le développement d’une tradition de dénigrement des papes. Déjà, le Pogge, dans son opuscule contre les hypocrites, avait mené le combat contre le pontificat d’Eugène IV, à ses yeux, le pire de tous : la curie y était devenue la sentine du vice et des intrigants 46. Il est

45 R. Trexler, «Ne fides comunis diminuatur», dans Rivista di storia della Chiesa in Italia, 39, 1985, p. 448-501; 40, 1986, p. 1-25; R. Bizzocchi, Chiesa e stato al tempo di Bruni, dans P. Viti (éd.), Leonardo Bruni, cancelliere della Repubblica di Firenze. Convegno di studi. Ottobre 1987, Florence, 1990, p. 64-73. 46 On peut se demander si le règne d’Eugène IV, qui a représenté une étape particulière dans la réorganisation de la curie, n’a pas marqué durablement les esprits. Le pontife lui-même semblait conscient du jeu qui se déployait autour de lui. Ainsi, dans les Dialogi in Lactantium (toujours inédits) d’Antonio da Rho, dans lesquels discutent un noble milanais, Niccolo Arcimboldo, et Pier Candido Decembrio, ce dernier évoque des propos que le pape Eugène lui aurait tenus; propos qui semblent parfaitement confirmer le sentiment qui prévalait chez le pontife : [c’est Decembrio qui cite Eugène IV : Sunt, Candide, qui saepe et non numero pauci beneficia exoraturi nos conveniant, instent votis, polliceantur haec et illa obsecrent, supplicent, rem honestam exposcere se dicant, familiares nostros qui nobis intimiores sunt in dies et horas advocatos et interpretes habeant, argumentis rationibusque quae infringi non posse putant abutantur. Solliciti quidem sunt et insomnes, fratres nostros adeunt, limina obsident, in circuitu impii ambulant, primarios, quoquo modo fieri posset, adulterantes. Quando autem non abnuentes tergiversantesque conspicantur, tunc inflexibiles inhumanos implacabiles, et, ut verbis eorum loquamur, durae cervicis non esse praedicant. Verum cum illi ipsi quae ab honestate et ratione omnino abhorreant efflagitare videantur – sunt enim passionibus oppressi – non nos quidem, verum ipsi potius improbi pertinaces importuni durissimae cervicis censendi sunt. Le passage est cité par J. Hankins, Plato in the

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vrai qu’alors un nouveau pape régnait et qu’il était facile pour l’auteur de présenter le nouveau pontife comme supérieur au précédent. Rappelant Pétrarque et ses imprécations contre la Babylone avignonnaise, Bracciolini nous indique que les curialistes n’ont d’autre objectif que la brigue et la recherche effrénée d’intérêts personnels 47 : dans ce registre, rien de très original en somme. Ce n’est pas d’ailleurs l’autorité pontificale en tant que telle qui est menacée mais sa dégradation, parfois par l’action même des pontifes; ainsi lorsque le Pogge rapporte, indigné, la coutume qu’aurait instituée Eugène IV concernant les indulgences qu’il s’autorisait désormais à distribuer, par une présomption inouïe, simplement par lettre pontificale à qui bon lui semblait 48. Et l’on sait la fortune de la question Italian Renaissance, Leyde, 1990, p. 599. C’est un tableau très vivant de ce milieu curial qui est alors dressé par le principal protagoniste (ou la principale cible) des stratégies de carrière cléricale. Ainsi confirmée de source sûre, si l’on peut faire confiance à Antonio da Rho, la critique humaniste de la curie romaine se trouve enracinée dans une conjoncture très particulière, celle de la restauration de l’autorité du pape au sortir de la crise conciliaire. Il est alors piquant de constater que les humanistes qui n’ont pas été les plus mal lotis dans la redistribution des faveurs se trouvaient à la pointe de la dénonciation; les propos de Lapo di Castiglionchio confirment d’ailleurs ce sentiment particulier que devaient avoir une grande partie des curialistes romains dans les années 1430, celui d’une chance à saisir pour les plus habiles ou les plus ambitieux (De curiae commodis, op. cit., p. 152-157). Le caractère conjoncturel de la critique explique peut-être pourquoi cette thématique de la cupidité des curialistes, même s’elle a déjà une longue histoire et même si elle se prolongera dans une belle longévité, ait reçu une telle acuité dans ces premières décennies du Quattrocento. 47 Poggio Bracciolini, Contra gli ipocriti, op. cit., p. 96 : Varia ab Eugenio postulabant, ad fastum et quaestum spectantia, ut facile appareret illos magis ob inanem gloriam et praesentis vitae commoda quam ob vitae melioris desiderium religionis habitum suscepisse. On remarque au passage l’allusion aux commoda vitae presentis qui rappelle le titre du traité de Lapo di Castiglionchio (Des bienfaits de la vie curiale) à peu près contemporain du texte poggien. Récemment, un étude comparative de textes Lapo et du Pogge a été conduite : C. Celenza, Lapo da Castiglionchio il Giovane, Poggio Bracciolini e la ‘Vita curialis’. Appunti su due testi umanistici, dans Medioevo e Rinascimento, 14, 2001, p. 129-145; le même C. Celenza a donné une nouvelle édition du traité de Lapo (Renaissance Humanism and the papal Curia : Lapo da Castiglionchio the Younger’s De curiae commodis, Ann Arbor, 1999). 48 Ibid., p. 110 : Nunquid non summae arrogantae vel superbiae, ut de hypocrisi taceam, potius adscribes, illum praeter omnium praeteritorum pontificum morem, praeter antiqua curiae instituta, praeter observantam in literis Apostolicis consuetudinem, quo solius sapere videretur, novam legem, novum ordinem, novum ac perversum aucupium induxisse : ut passim vulgoque plenam remissionem sua sponte concederet cum sui nominis inscriptione? On ne peut manquer de mettre cette critique des indulgences en relation avec une lettre que Leonardo Bruni, chancelier de la République, a envoyée au pontife pour se plaindre de la venue à Florence d’un prédicateur et d’un chevalier de Saint Jean de Jérusalem qui, arguant de lettres pontificales, accordaient des indulgences culpa et pena à ceux qui leur apportaient de l’argent pour la croisade; Bruni, en sa qualité de

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des indulgences dans la crise du XVIe siècle, mais aussi l’importance de ces question lors des conciles œcuméniques qui mirent fin au grand Schisme, notamment à Pise et à Constance. Mais reconnaissons-le : dénigrer la curie et la prévarication pontificale relève certes d’une forme d’anticléricalisme, mais s’inscrit dans une façon de penser qui demeure fondamentalement conformiste. À y bien regarder, il n’y a rien de franchement subversif. Tout au plus peut-on y lire l’indignation devant une centralisation pontificale en marche et qui accorde au pape des pouvoirs exorbitants (comme le fait remarquer le Pogge dans sa critique précédemment citée des indulgences : Eugène IV a impunément foulé aux pieds des siècles de tradition canonique sur le sujet). N’en déduisons pas non plus de la part du Pogge une attitude hostile à la papauté comme institution. Come curialiste et comme humaniste «romano-florentin», il demeure viscéralement attaché aux prérogatives et à la primauté pontificales comme l’indique sans aucun doute son Discours aux Pères conciliaires de Constance, en 1417, dans lequel il s’inquiète des conséquences d’un affadissement de la figure du pape devant le concile; le risque n’est rien moins que la perte de l’identité romaine et italienne de la papauté. Cette conscience aiguë de la valeur architectonique de la papauté dans la politique et la culture de la péninsule est probablement l’un des éléments les plus modérateurs de l’anticléricalisme humaniste, par delà les critiques peu amènes faites à tel ou tel aspect de la vie religieuse. C’est à la même période que celle du traité poggien qu’il faut faire remonter le dialogue sur les bienfaits de la curie du jeune Lapo de Castiglionchio, alors secrétaire du cardinal Condulmer, rédigé toujours au temps d’Eugène IV, quand le jeune Lapo brigue une carrière curiale. Conçu comme un dialogue tenu durant le concile de Ferrare en 1438 entre l’auteur et son ami Angelo da Recanate, le texte est un pamphlet très original contre la curie, peut-être le plus original de tous sur ce sujet. Angelo demande à Lapo comment il peut désirer entrer à la curie, lieu de toutes les malhonnêtetés et de perdition des gens de bien et de culture 49. Entreprenant de réfuter chancelier, s’inquiète des conséquences de telles concessions pontificales (voir G. Griffith, Leonardo Bruni and the 1431 Florentine complaint against indulgencehawkers : a case study in anticlericalism, dans P. A. Dykeman et H. A. Oberman (éd.), Anticlericalism in late medieval and Early modern Europe, Leyde, 1994, p. 133-143). 49 Edition par R. Scholz, Eine humanistische schilderung der Kurie aus dem Jahre 1438, dans Quellen und Forschungun aus italianischen Archiven und Bibliotheken, 16, 1914, p. 108-153; ici p. 118 et dans Celenza, op. cit., p. 110, d’où nous citerons désormais : Cum te contemplor, Lape, et cum vitam ac mores tuos considero [...] vehementer tua causa excrucior animo et fortune, vite magnopere iniquitati succenseo doleoque, te, quam unice diligam, in hec curie tempora miserrima ac per-

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l’accusation, Lapo va en réalité offrir la critique la plus radicale des mutations institutionnelles en cours. Pourquoi décrier la curie? Nulle part sur terre il n’y a de lieu plus voluptueux 50. Décrivant les diverses charges curiales et les avantages qu’elles offrent, il en vient à décrire les plaisirs de la calomnie qui règne en toute liberté et qui n’épargne personne. Tout le document est construit sur le modèle de l’inversion des valeurs. À son contradicteur qui se plaint de l’état pitoyable de la religion et de l’Église, Lapo répond en acceptant toutes les critiques ordinaires adressées à l’Église qu’il transforme en valeur positive. La curie est-elle le lieu de concentration indû de tous les prélats cupides? C’est tout simplement, explique Lapo au terme d’un raisonnement sophistique, que l’on est d’autant plus cher à Dieu qu’on lui rend hommage; qu’on sait d’autant mieux lui rendre hommage qu’on est plus élevé dans la hiérarchie et que par conséquent, rien n’est plus important pour le service divin que la fréquentation de la curie où se concentre le sel de la chrétienté 51. Et les profiteurs, tous les avares qui viennent à Rome pour obtenir des bénéfices? Mais, pour y parvenir, objecte Lapo, il faut de l’intelligence, de la rouerie, de l’astuce, de l’entregent. Voudrait-on conférer de telles charges à des gens incapables de faire leurs preuves en cour 52 ? La sagacité prime la probité. Et la luxure et le stupre, demande Angelo? Là encore, Lapo répond ironiquement : rien ne manque à la curie; les prostituées sont partout, dans tous les coins et recoins. À quoi sert d’exciter la soif, si on ne peut pas l’étancher? 53 ditissima incidisse, in quibus scelera, flagitia, fraudes, fallacie virtutis optinent nomen in precio habentur. 50 Ibid., p. 116 : Quid quod me non retinere aut, si alibi terrarum vitam agerem, ad eam allicere atque adhortari queat? Nunquid a sanae mentis homine vel ad bene beateque, tum ad splendide magnifice vivendum vel ad opes et copias comparandas vel etiam, si ita vis, ad perfruendas voluptates desiderari atque expeti potest, cuius non in curia quam largissime copia suppetat?. 51 Ibid., p. 124 : Quis hon non videat, quod maius sit bonum, id est praesantius, et qui quod est maius assecutus fuerit, eum esse meliorem [...] Addam etiam : a sacris hominibus quam a prophanis, a maioribus et in maxima aliqua dignitate positis quam a privatis sacerdotibus [...] et magnificentius quam parcius [...] Consequens ergo est, ut locum in quo frequentius et a pluribus et a dignioribus et magnificentius Deus colitur et a pluribus una nationibus eum caeteris praestantiorem et Deo gratiorem nobisque ad beate degendam vitam aptiorem esse dicamus. Voir aussi p. 131. 52 Id., p. 162 : in curia romana ad honores et dignitates consequendas gratiae, largitioni, corruptelae faciliorem aditum esse quam doctrinae, probitati, integritati [...] Illud tamen, ut arbitror, negabit nemo : ea ipsa, utcunque illis utantur homines, esse amplissima maximamque in curia facultatem esse, qua se quisque, modo ne iners ignarusque sit, vel ad altissimum dignitatis gradum attollere possit. 53 Ibid., p. 186 : quid enim prodesset sitim provocasse, si eam sedare non possis? Sur cette question voir, R. N. Watkins, Mythology as code : Lapo di Casti-

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Quant aux grands prélats, comment pourraient-ils se comporter différemment : ils ont une multitude de familiers qui les importunent toute la journée, et aux habitudes desquels ils doivent se conformer s’ils ne veulent pas passer pour des rustres 54. Il n’y a pas de voie plus sûre pour pratiquer la vraie religion que d’avoir connu cette incitation permanente au péché. Le danger qui guette les prélats, c’est l’otium, sous sa double forme d’otium animi et d’otium corporis : il ronge tellement les pontifes qu’ils finissent tous par somatiser et meurent jeunes ou atteints d’hydropisie, de goutte et autres maladies incurables 55. Revenant ensuite au thème de la richesse et de son utilité, Lapo délivre alors les arguments les plus originaux. Rien n’est plus sacré pour un pontife que d’être riche; c’est la condition même de la dignité apostolique. Les richesses sont la mesure de l’activité pontificale : la politique internationale en dépend, l’embauche de mercenaires, l’envoi de légations. Regarde, dit-il, les religions de l’antiquité : les prêtres hébreux ou égyptiens étaient-ils pauvres? 56 A l’objection soulevée par Angelo (ces religions ont été remplacées par la Loi du Christ et le souci des pauvres), Lapo répond par une phrase qui en dit long sur le caractère profondément irrévérencieux, voire irreligieux du pamphlet : mais alors pourquoi ne demandes-tu pas à ces successeurs du Christ de faire des miracles, de ressusciter les morts, de supporter la couronne d’épines et de se suspendre à la croix 57 ? Angelo rétorque que ce ne sont que des hommes alors que le modèle était Dieu et fils de Dieu; et Lapo de porter l’estocade : si ce ne sont que des hommes qui s’éloignent du modèle du Christ, pourquoi alors vouloir qu’ils soient pauvres? Les temps ont changé : aujourd’hui, le respect passe par la richesse; si le pape marchait à pieds ou assis sur un âne, personne ne le respecterait. Le Christ ne pouvait pas se permettre d’être riche, il devait fonder une religion et avait des ennemis. La richesse abondant en son

glionchio’s view of homosexuality and materialism in the Curia, dans Journal of history of ideas, 53, 1992, p. 138-144. 54 Ibid., p. 196-198. 55 Ibid. 56 Il faudrait citer ici de trop longues pages : en réalité, c’est une section entière du traité qui est consacrée à la Defensio divitiarum a religiosis acquirendarum (p. 190-218); sur certains de ces arguments, voir P. Gilli, La place de l’argent dans la pensée humaniste italienne au XVe siècle, dans L’argent au Moyen Âge. Actes du XXVIIIe Congrès de la Société des historiens médiévistes français, Clermont-Ferrand, mai 1996, Paris, 1997, p. 309-326. 57 Ibid, p. 208 : Cur, si ita est, non iubes eosdem miracula edere, liberare aegrotos, vita defunctos a mortuis excitare, cur non etiam comumnae alligari, cedi flagellis, spinis coronari, in crucem suspendi, descendere ad inferos atque inde cum priscis patribus ad superos evolare iubes?.

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temps, il dut donc adopter une stratégie de conquête qui prît à rebours la situation ambiante. Eût-il été riche que ses ennemis auraient monté une campagne de dénigrement en objectant qu’il avait acheté les miracles et payé les miraculés 58. Assurément, l’ouvrage d’une grande sensibilité introduit d’autres thèmes dans l’anticléricalisme : le caractère ostentatoire de la religion comme fondement de la croyance, le decorum comme condition de la foi et surtout de l’efficacité politique d’une institution pleinement politique : la papauté. Cette fois, c’est tout à la fois la religion chrétienne et l’Église qui sont touchées. Lorsque les dogmes sont ainsi mis en regard de leur finalité sociale (par exemple, le Christ qui adopte une pauvreté stratégique pour mieux fonder sa nouvelle religion après, pourrait-on dire, ... une étude de marché), il n’est plus seulement question d’anticléricalisme mais d’une approche agnostique du fait religieux. Sous l’ironie affleure le scepticisme. La finalité même de l’Église est remise en cause, bien évidemment sous couvert de sa défense. Lapo apparaît habilement comme irréprochable car chacun des arguments se veut une défense de la curie et de la religion du Christ, mais il s’agit d’une défense empoisonnée qui porte en elle les éléments de son dépassement littéral et d’une lecture nettement plus critique de l’institution. Dans le fond, cela conduit à une forme de dévalorisation des ordres sacrés. La supériorité des hommes de Dieu sur les laïques par le sacrement de leurs vœux est contestée; elle n’a rien d’immanent. C’est bien sûr ici le travail de sape d’un Lorenzo Valla qui mérite d’être rappelé. Dans le De professione religiosorum écrit vers 1440, Valla, probablement en réaction aux prétentions cléricales et monastiques telles que les formulaient Bernardin de Sienne dans le De christiana religione et Gerolamo Aliotti, dans le De felici statu religionis monasticae, mais plus sûrement et plus directement contre les franciscains de l’Observance, notamment Antonio da Bitonto, se demande quel est le sens du mot «religieux». Au départ donc, une interrogation philologique, doublée d’un défi concernant les bases doctrinales de la supériorité des clercs. Dans ce texte construit sous forme dialogique, Valla se pose la question suivante : «Je demande avant toute chose pourquoi vous [les clercs] recevrez une plus grande rémunération de Dieu ... Quand le laïque et le religieux se distinguent et se différencient l’un de l’autre non pas par des qualités de l’esprit ou de corps, et que pour tous deux, les événements arrivent extrinsèquement, que tous deux sont engagés dans les mêmes actions de la vie, pourquoi Dieu accorderait-il une plus grande ré-

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munération à ceux qui ont fait profession à cette secte que vous appelez «religion» (d’où vient que vous vous appelez religieux) qu’à celui qui n’a professé aucune secte 59 ». Le terme «secte» faisant réagir son interlocuteur, vraisemblablement un franciscain, Valla persiste à utiliser ce terme qu’il explique : le mot «religion» dont vous vous parez est trop grand pour vous. Si vous étiez des religieux, il n’y aurait pas de débat. En réalité, après l’attaque polémique, vient l’argumentation : il y a deux sortes de personnes : les religieux et les irreligieux, mais qu’est-ce donc qu’être religieux si ce n’est être chrétien. Le synonyme de «religieux», c’est fidèle 60. Mais être fidèle, c’est un choix de vie (non tamquam mortuus sine operibus sed cum operibus et qualis dici possit vere christianus). Le débat se poursuit avec virulence et parvient à un autre thème, celui des vœux de pauvreté, de charité et d’obéissance. Une fois encore, Valla pousse l’argumentaire très loin en invalidant la nécessité de ces vœux : si quelqu’un est bon, qu’est-il besoin de cet engagement? On n’est pas plus vertueux pour avoir prononcé des vœux. Et Valla attaque chacun des vœux : l’obéissance? Celui qui est baptisé a promis l’obéissance à Dieu, qu’est-il besoin de la promettre aux hommes ou donner ce que vous avez déjà donné? La pauvreté? Valla, sans entrer dans la polémique de type poggien sur la fausse pauvreté des clercs, rappelle que l’essentiel c’est la pauvreté en esprit, que l’on est pas meilleur quand on devient un mendiant. Quant aux frères et aux moines, leur pauvreté est relative, car de fait ils ne manquent de rien dans cette pauvreté volontaire. Enfin la continence. Là encore, l’abstinence sexuelle ne sert de rien dans l’œuvre de Salut. Pour Dieu, il n’y a ni maître ni esclave, ni homme ni femme, mais des créatures égales. La conclusion s’impose : la vie laïque n’est pas inférieure à la vie religieuse. Évidemment, le travail de désacralisation est porté ici à son comble 61. Non que toute l’Église se retrouve invalidée, mais la valorisation de la vie séculière repose sur la dépréciation de la valeur des vœux : le serment comme les vœux (Valla étudie les deux) n’apportent rien à la vie morale et, pire, constituent une contrainte qui

59 L. Valla, De professione religiosorum, M. Cortesi éd., Padoue, 1986, p. 14 : quod, cum duo inter se nihil mentium corporumque qualitate differant assintque utrique paria omnia que extrinsecus hominibus accidunt et eisdem ambo actionibus vite versentur, plus tamen remunerationis a Deo debeatur huic qui professus est istam sectam, quam religionem, quam religionem et inde vos religiosos appellatis, quam illi non professo aliquam sectam nec vestram nec monachoreum, et si que sunt alie, neque profiteri volenti. 60 Ibid., p. 19 : Nam quid est aliud esse religiosum quam esse christianum, et quidem vere chrisitianum?. 61 À la fin du dialogue, l’un des intervenants propose à Laurentius (Valla) d’appeler son traité De mendaci religiosorum et nomine et prerogativa; Laurentius lui répond que ce serait trop terrible, même si ce ne serait pas faux (ibid., p. 67).

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diminue la liberté 62. C’est la vertu librement consentie qui doit conduire l’homme à la perfection, et non la peur du parjure. Au demeurant, dans le De voluptate, Valla avait déjà réglé les comptes avec le serment : si les dieux ne se mettent plus en colère, il n’y a plus de raison de jurer 63, façon de dire que la recherche du message du Christ dans la vie intérieure impliquait l’abandon de ces contraintes fictives et aliénantes que sont les serments. Mettre sur un pied d’égalité clercs et laïques n’était-ce pas menacer l’équilibre même de la société italienne (médiévale tout entière d’ailleurs) en disqualifiant le clergé dans sa fonction de direction de conscience; si son mérite n’est pas supérieur, si tout chrétien vivant évangéliquement peut être dit religieux, les institutions ecclésiastiques perdent de leur utilité. C’est cette forme d’anticléricalisme ou d’a-cléricalisme, stricto sensu, qui est la plus redoutable. Et c’est une forme qui se diffuse chez les humanistes, même s’il faut préciser qu’on ne retrouve pas la même virulence ailleurs. Par exemple, Pier Candido Decembrio, écrivit vers le milieu du XVe siècle un De vitae ignorantia, qui est en partie un dialogue sur les mérites respectifs de la vie dans le siècle et dans l’Église, au terme duquel la conclusion s’impose que la vie séculière est plus en mesure d’assurer le salut de l’âme que la vie dans les ordres, et qu’en tout état de cause, le dernier endroit où trouver des gens de bien demeure la curie. Sans aller aussi loin que Valla dans le De professione, il est évident que des similitudes existent entre les deux ouvrages 64. Le même scepticisme sur la fonction sociale et la légitimité du sacerdoce des prêtres actuels se retrouve dans un ouvrage dont l’intérêt pour nous tient à la conjonction qu’il opère entre anticléricalisme et proposition alternative d’une nouvelle théologie. Il s’agit du De vera nobilitate de Cristoforo Landino, un humaniste florentin lié aux Médicis et à l’académie ficinienne, ouvrage probablement écrit en 1481. Dans ce passage de ce dialogue consacré à

62 Ibid., p. 64 : Et tamen cum iam perfecti sunt, non timore periurii, non metu penarum tenentur, sed quasi liberi ac soluti spiritu Dei aguntur et sic vivunt quasi non promisissent. 63 L. Valla, De voluptate : Quid iusiurandum, quod plus quam illius testimonii locum obtinet, quo milites obligantur, quo promissa servantur, quo foedera custodiuntur? Nonne ea ratione institutum est, quod fidem si fallas, deos verearis iratos, qui si non irascuntur, nulla est ratio iuramenta. Cité par P. Prodi, Il sacramento del potere. Il giuramento politico nella storia costituzionale dell’Occidente, Bologne, 1992, p. 361. 64 Édité par E. Ditt, Pier Candido Decembrio, contributo alla storia dell’umanesimo italiano, dans Memorie del reale Istituto lombardo di scienze e lettere. Classe di lettere, scienze morali e storiche, 24, s. 3, 15, 1917-1939 (sic, mais daté de 1930), p. 99-106, surtout p. 106.

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l’examen des vraies formes de la noblesse, Landino prend à parti le clergé de son temps, l’hypocrisie de ses mœurs, son ambition effrénée. A priori, rien de particulièrement original, si ce n’est que cette dénonciation débouche sur la justification d’une théologie alternative, celle-là même que Marsile Ficin tentait d’élaborer. Plus encore, Landino suggère qu’il serait prêt à obéir aux prescriptions d’un clergé qui serait formé à la vraie connaissance des textes et donc capables de conduire le troupeau sans l’égarer 65. Une fois encore, le lien entre formation culturelle du clergé et validité de la foi apparaît implicite. Le projet ficinien d’une nouvelle théologie se double ici d’une espérance en une nouvelle ecclésiologie ou plus simplement en l’émergence d’un contre-clergé à la hauteur de l’héritage paulinien. Ce qui se dégage avec netteté de ce faisceau de critiques, c’est la mise à distance des intermédiaires religieux dans l’économie du Salut. Cette voie particulièrement glissante peut aboutir à des interrogations tout aussi graves de conséquences sur la fonction de l’Église et de la religion. Quelle est la fonction de la religion dans la société, se demandent les humanistes. Au cours de la deuxième moitié du siècle et pendant les premières décennies du suivant, la réponse que certains apportent est loin d’être rassurante. Un mouvement original et convergent, quoique d’inspiration variée, en vient à assigner 65 C. Landino, De vera nobilitate, M. Lentzen éd., Genève, 1970, p. 79 : Verum huiuscemodi omines lasciviori petulantia damnandi sunt; sed et illi et maiori odio digni et asperioe oratione insectandi, qui sibi, ut ex vitae morumque simulatione doctique videantur atque ea fama ad galerum primo pullum deinde purpureum assumantur, superbiam et ambitionem, quae in illis maxima est, dissimulent et vultu tristi, tardo gravique incessu atque squalenti vestitu vitam illam, quam Davidem post paenitentiam commissi adulterii egissse ferunt, eos degere credas. Hi sunt, qui faciem suam exterminant, ut aliis appareant ieiunantes, cum bis in die saturi fiant raroque soli cubent. Vides igitur, ut quam plurimi ex hoc sacerdotum genere a Paulo illo, quem omnes suo optimo iure gentium doctorem appellant, adeo degenraverint, ut non solum Pseudopauli, verum etiam Antipauli ac postremo Pauliphontae quantum in illis est nominari possint et audent tamen sese pastores, nos autem oves appellare. Ego autem non fateor solum, verum etiam libenter confiteor illos quidem a primo hominum pastore, quem nos «Poimena Leon» vero nomine appellamus, suis ovibus id est Chrisitiano populo pastores datos, quibus quidem optimis ducibus fidisque custodibus atque educatoribus et in tuta pinguiaque pascua educantur atque pastae ad fontes puros liquidaque flumina potum agantur. Huiuscemodi ego pastoribus me libenter alendum tradiderim et imperata facere et quacumque ducant seque paratus. Suit le lien entre anticléricalisme et théologie platonicienne : Nam ut alios omittam, quid Marsilius iste vester in suo illo divinissimo De religione Christiana libro quod aut ad illam corroborandam esset non corroboravit aut quid quod extrudendum esset non penitus profligavit? Vir profecto et summa admiratione dignus et qui de Christiano nomine optime meritus sit quique acutissimo ingenio atque sapientissimo iudicio priscam illam, quam non archeam theologiam appellamus, quam a Mercurio Trismegisto incohatam magnaque ex parte perfectam Plato penitus absolvit, nostrae coniunxit.

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à la croyance une simple valeur fonctionnelle dans la société politique : la religion c’est ce qui fonde et autorise la vie civile. De ce postulat émis par plusieurs, découlent aussi des conséquences variées. Reprenons-en quelques unes. Un des premiers à évoquer le caractère fonctionnaliste de la religion (donc à adopter un regard extérieur au corps des croyances) est précisément le Pogge. Dans le Dialogue contre les hypocrites, Girolamo Aliotti, l’un des protagonistes, explique les différences entre les hypocrites. Or, il fait une distinction notable entre bonne et mauvaise fiction religieuse et évoque le cas de Numa Pompilius, deuxième roi de Rome, qui eut recours à une astuce pour pacifier son peuple : il l’éduqua aux rites religieux. Grâce au stratagème de la nymphe Hégérie dont il se prétendait inspiré, il fit passer et admettre ses lois sociales 66. L’épisode est connu; il est tiré de Tite-Live et retrouve une grande actualité avec Machiavel. Dans le cas du Pogge, l’humaniste ne va pas jusqu’à assigner la même valeur au christianisme, mais d’autres le feront. Ce qui apparaît alors, c’est une définition de l’Église et des rites dans un sens explicitement rationaliste et même instrumental. Il ne s’agit pas à proprement parler d’anticléricalisme militant, mais de la conscience tout de même fort laïcisée de la religion et, qu’on le veuille ou non, d’une conception attentatoire à l’intérêt de l’Église. Le premier, à ma connaissance, à reprendre le thème, c’est Platine, humaniste romain qui avait connu les rigueurs du château Saint Ange, à deux reprises, où il avait été enfermé pour conspiration contre le pape. Dans le De principe, il rappelait que «la religion sera un puissant instrument de la tutelle du principat. En fait, les hommes, comme dit Aristote, craignent moins celui qu’ils estiment dédié à la religion et sont moins audacieux devant celui qu’ils voient ami de Dieu» 67. Il est 66 Poggio Bracciolini, op. cit., p. 86 : Numa Pompilius qui post Romulum regnavit, populum ferocem bellisque assuetum ad deorum cultum religionemque convertit, et efferatos multorum cladibus animos mitigavit legibus. Quae haud facile rudi persuasisset populo, nisi Aegeriae consiliis ac monitiis ritum sacrorum, ceremonias ac leges illas se eis tradere finxisset. 67 B. Platine, De principe, G. Ferrau éd., Messine, 1979, p. 57 : Erit religio ad tutelam ipsius tui et ad munimentum principatus robur non parvum. Minus enim homines, ut ait Aristoteles, reformidant quem religioni deditum cernunt, minusque contra illum auden quem Deo amicum vident. Toutefois, la proposition de Platine ne doit pas s’entendre comme une approche cynique de la religion, mais comme une exigence morale; d’ailleurs, on trouve sans mal dans l’œuvre de l’humaniste romain des critiques acerbes contre l’enrichissement des clercs et l’impudence des prélats : voir, à titre d’exemple, le passage p. 114 du De principe (éd. cit.) : In ulciscendis iniuriis quis istis pertinacior est? In acumulandis pecuniis quis diligentior? In effundendis libidinose quis effusior? Sanctissima tamen esse Christi praecepta nemo est qui eat inficias : a suis vero, hoc est a militiae ecclesiasticae sacramento adactis, minus quam a laicis observari vicio praesulum est qui nesciat. Des

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frappant que cette idée ait été formulée également par un compagnon d’infortune de Platine, Filippo Buonaccorsi, dit Callimaque Esperiens, lui aussi un des protagonistes de la conjuration dite des Académiciens contre Paul II. Exilé en Pologne et en Hongrie, il a rédigé une Vie de Grégoire de Sanok, archevêque de Leopolis en Pologne. Or, dans cet opuscule, d’un grand intérêt, l’auteur exprime les conceptions religieuses de son héros, qui sont en réalité les siennes. Que dit-il à propos de la religion? Outre qu’il condamne les théologiens contemporains dont la culture est desséchée par le refus des lettres antiques, il affirme que les dirigeants politiques doivent fonder leur action sur la religion, car rien n’est plus efficace pour gouverner le peuple que les convictions religieuses publiquement soutenues par des hommes de bien 68. Peu de temps après, Francesco Patrizi, évêque de Gaète, écrit dans son De regno et regis institutione, rédigé entre 1481 et 1484 et dédié à Sixte IV, que les cérémonies qui illustrent les mystères de Dieu servent à promouvoir la majesté divine et la majesté royale 69 : le roi est d’autant plus obéi qu’il semble protégé de Dieu et que ses sujets croient se soumettre à lui librement, thème repris par Giovanni Pontano, le

passages tout aussi cinglants se trouvent dans le Liber de vita Christi ac omnium pontificum, G. Gayda éd., R.I.S.2, Città di Castello, 1913, ouvrage très officiel, continuation humaniste du Liber Pontificum : Nunc vero adeo refrixit pietas et religio, non dico nudis pedibus, sed caligati et coturnati vix supplicare dignantur. Non flent inter eundem, vel dum sacrificatur, ut illi sancti patres, sed rident, et quidem impudenter : de his etiam loquor, quos purpura insigniores facit, non hymnos canunt, id enim servile videtur, sed iocos et fabulas ad risum concitandum inter se narrant. Mais à lire Platine, on mesure aisément que ces critiques, pour être virulentes et désagréables aux oreilles des prélats, ne constituent pas une menace pour l’Église : elles visent un abus et une dégradation perçue comme contemporaine, et non un état ou une pratique structurelle irréformable. 68 Philippus Callimachus, Vita et mores Gregorii Sanocei, I. Lichoncka éd., Varsovie, 1963, p. 62-64 : Eos, qui reipublicae consulerent, dicebat oportere omnes actiones suas in religione fundare, nihil efficacius ad regendum vulgus quam persuasiones de rebus divinis publice susceptas humanorumque bonorum ad religionem nulla pertinere praeter illa, quae in animo sita sunt. Le passage sur les théologiens contemporains se lit p. 60 : Eamque esse causam, quare novorum theologorum sermones languidi sint et ieiuni, antiquorum vero ut Hieronymi et Augustini et ceterorum efficaces et copiosi, quod illi tunc demum divinis scripturis tradidere, cum humanas optime tenerent, isti vero sine aliquo adminiculo divina adorsi neque rei magnitudinem assequi potuere, neque recte sententias suas hominibus aperire, ignorantes partem illam doctrinae humanae, per quam mortalium animi ad credendum rapiuntur. Sur le personnage, voir C. Vasoli, Il pensiero religioso di Callimaco Esperiente, dans G. C. Garfagnini (éd.), Callimaco Esperiente, poeta e politico del ‘400, Florence, 1987, p. 4-23. 69 F. Patrizi, De regno et regis institutione, Paris, 1567, p. 372v : princeps igitur pius et Deo numinibusque optime conciliatis bene ab omnibus audit, cuncti eius dicto obtemperant fideique eius libere se credunt.

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plus grand humaniste napolitain, qui précise dans le De principe que rien ne vaut pour obtenir l’assentiment des sujets que d’être tenu pour juste et religieux, citant même l’exemple d’Alexandre qui se targuait de favoriser les superstitions pour mieux contrôler les âmes 70. Chez tous ces auteurs, et singulièrement chez l’évêque de Gaète, l’objectif n’est pas anticlérical, tant s’en faut. Reste que à ramener toujours la religion à sa fonction d’instrumentum regni, le risque était grand de déclencher un rejet de l’Église dès lors qu’on lui assignait une valeur politique. Que l’on imagine pas qu’il ne s’agissait que d’une vue de l’esprit d’intellectuels; des exemples existent d’une utilisation consciente et même instrumentale des croyances populaires à des fins politiques. Les ducs de Ferrare se sont particulièrement illustrés dans cet exercice, notamment Hercule d’Este qui n’a pas hésité à utiliser les croyances en la sainteté de telle religieuse, Lucia da Narni, censée avoir reçu des stigmates (jusqu’à essayer de l’enlever de force de son couvent de Viterbe pour l’installer à Ferrare) pour accroître sa réputation de piété, alors même que son fidèle conseiller, le canoniste et évêque Felino Sandei, parti sur place en 1498 pour vérifier la réalité des stigmates avait clairement signalé au duc qu’il s’agissait d’une imposture notoire inventée par les dominicains et les familles viterbaises avec la complicité passive de l’évêque du lieu, et que la prétendue sainte n’était qu’une simple d’esprit manipulée par la supérieure du couvent. Le duc répondit dans une lettre étonnante qu’il lui importait peu que cela fût vrai ou faux, que l’essentiel était la croyance populaire en ces stigmates et l’intérêt qu’un dirigeant devait apporter à cette dévotion 71. Ainsi donc la religion, instrument de gouver70 Giovanni Pontano, De principe, dans E. Garin, Prosatori latini del Quattrocento, Naples, 1952, p. 1024 : Nihil... ad conciliandos sujectorum animos tam valet quam iusticiae ac divini cultus opinio; et ibid., ad popularem comparandam benevolentiam religionis valet opinio docuit Macedo Alexander, qui etiam superstitionem laudare solitus est, tamquam per eam in plebis animos rectores ipsi illaberentur. 71 Tout cet extraordinaire dossier est admirablement repris par M. Folin, Sul «buon uso della religione» in alcune lettere di Ercole d’Este e Felino Sandei : finte stigmate, monache e ossa di morti, dans Archivio italiano per la storia della pietà, XI, 1998, p. 181-244, qui édite les échanges épistolaires entre Sandei et Hercule d’Este (article disponible sur le Net par Reti medievali). La question des croyances populaires était au centre des réflexions en cette fin du XVe siècle et nourrissait chez certains milieux religieux la critique des doctes impies auxquels on opposait la foi simple des petites gens (A. Prosperi, Intellettuali e Chiesa all’inizio dell’età moderna, dans Storia d’Italia, Annali, IV, Intellettuali e potere, a cura di C. Vivanti, Torino, 1981, p. 176-91). Il faut remarquer que la question de la «religion des simples» n’est pas une préoccupation exclusive de la fin du XVe siècle et du XVIe siècle; déjà en son temps, Pétrarque révélait les ambiguités des lettrés envers la pratiques dévotionnelles populaires : il manifestait une distance critique à l’égard des stigmates de saint François dans deux lettres (Lettres de Vieil-

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nement n’était pas qu’un thème savant, plus ou moins dérivé d’une approche platonicienne; c’était surtout une pratique qui ne devait pas échapper à la sagacité des observateurs de la société et ne pouvait guère manquer de déboucher sur une véritable critique de la religion. C’est ce qu’il ne manque pas d’arriver avec deux auteurs de premier plan du XVIe siècle, Machiavel et Guichardin, sources évidemment inaltérables d’un anticléricalisme dilaté aux dimensions d’un véritable antichristianisme, en tous cas d’une haine farouche et politique contre l’Église. C’est avec Machiavel qu’il nous faut commencer. Il n’est pas question de traiter en quelque mots de la question de Machiavel et de l’Église 72. Je voudrai seulement évoquer deux points liés à l’anticléricalisme et à son fondement d’après le Secrétaire florentin : opposant la bonne et la mauvaise religion, il accorde, dans les Discours sur la première Décade, une place essentielle à Numa, deuxième roi de Rome, fondateur du vivere civile et des rites religieux de Rome. Il en vient à expliquer alors que la religion repose sur la crainte de Dieu et que le rôle des gouvernants est de maintenir la religion; ils ont une absolue obligation d’appliquer une administration correcte du culte : «De même que l’observance du culte divin est la raison de la grandeur des républiques, de même son mépris est la raison réelle de leur ruine 73 ». Or, c’est au nom de cette explication que Machiavel prononce le plus violent réquisitoire contre l’Église (depuis Marsile de Padoue). L’exemple pitoyable de la curie a ôté à l’Italie toute dévotion et toute religion, si bien que l’Église et les prêtres ont, d’une part, rendu les Italiens mauvais et sans religion et d’autre part, maintenu la péninsule dans un état de faiblesse politique 74. Le christianisme historique a nié sciemment et radicalement les fondements naturels (cose naturali) de la religion, telle que les anciens Romains avaient su la concevoir. Il est remarquable que le déclenchement de la furia anticléricale soit précisément provoqué par une comparaison avec l’histoire ancienne, dont on sait tout l’intérêt qu’elle revêtait pour les humanistes...Dans le fond, l’Église avait quelques raisons de se défier des scriptores gentiles! La théorie, ici très condensée, du secrétaire florentin est relayée par un de ses compatriotes, tout aussi

lesse, 8, 3; et Familières 16,8); dans le même temps, il s’interdisait de détourner des femmes d’un pélerinage à Compostelle, quoique lui-même n’y accordât qu’une faible valeur. 72 Le sujet a fait l’objet d’une étude très fouillée : Emanuele Cutinella-Rèndina, Chiesa e religione in Machiavelli, Pise-Rome, 1998, et du même, voir son utile Introduzione a Machiavelli, Bari, 1999. 73 N. Machiavel, Discours sur la première Décade de Tite-Live (I, 11). 74 Id., ch. 12.

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virulent, Guichardin, dans ses Ricordanze, vers 1530 : «Naturellement, j’ai toujours voulu voir la ruine de l’État pontifical. Mais, ainsi l’a voulu la fortune, j’ai été forcé de travailler pour le pouvoir de deux papes [Léon X et Clément VII]. Ce n’est pas pour autant que je n’aime pas Martin Luther plus que moi-même dans l’espoir que sa secte ruinera cette malfaisante tyrannie des prêtres, ou du moins lui coupera les ailes 75 ». Au passage, on remarquera les contradictions typiques de l’humanisme italien envers l’Église, puisque Guichardin reconnaît que sa haine ne l’a pas empêché de servir la papauté. L’écart entre le dire et le faire est peut-être une caractéristique de ces lettrés italiens. Peut-on dégager brièvement pour conclure quelques lignes d’évolution de cet anticléricalisme humaniste sur un siècle et, plus encore, en mesurer la portée? Ce n’est pas vraiment la violence qui distingue les premiers pamphlets des derniers ici mentionnés. Les textes du Pogge paraissent tout aussi outrageux que ceux d’un Machiavel et contiennent autant de mépris que l’exhortation de Guichardin. La différence semble être dans l’appréciation de la finalité de l’Église, des rites : un regard désacralisant met en évidence le côté instrumental de la religion. L’humaniste Marzello Palingenio, dans son Zodiaque de la vie (1522), explique avec rage que le service du culte repose sur la terreur qu’inculquent les prêtres dans des cœurs niais et sots et que la foi est la mystification des ânes 76. La religion, opium du peuple en quelque sorte; c’était l’argument invoqué avec indignation par Agostino Patrizi, dans une lettre, très riche pour notre propos, de 1468, pour justifier la condamnation des académiciens romains : par amour des auteurs anciens et mépris des philosophes chrétiens, ils ne leur suffit pas d’insulter le souverain pontife et le clergé, ils disent dans des conversations privées que la religion est une fable purement imaginaire 77. Une fois encore, on no75 F. Guichardin, Ricordi, cité par S. Seidel-Menchi, Characteristics of Italian Anticlericalism, dans Anticlericalism in late medieval..., op. cit., p. 271. L’auteur assigne une valeur paradigmatique à ce texte, représentatif, à ses yeux, de l’inconsistance pratique de ces discours anticléricaux en Italie. 76 Palingène, Le zodiaque de la vie, J. Chomarat éd. et trad., Genève, 1996, p. 170, 356, etc. 77 Adolfo Cinquini, Anedotti per la storia politica e letteraria del Quattrocento, dans Miscellanea Ceriani, Milan, 1910, p. 457 : Meminisse debes quosdam qui elegantioli, ut ita dicam, hic habebantur, ut viderentur doctiores amantioresque vetustatis, non solum linguam et litteras, sed etiam de finibus bonorum et malorum opiniones, et de ipso summo Deo sententias non a nostris philosophis, ut par erat, sed a gentilibus illis de priscis sumere consuevisse; quibus non satis ipso erat de summo pontifice ac de omnibus hortodoxe fidei presulibus et omni clero obloqui, sed adversus religionem cornua erigentes, non aliter de ea internotos loquebantur, quam de re commenticia et fabulosa, cité par E. Garin, La cultura filosofica del Rinascimento italiano, Florence, 1994 (1re éd., 1961), p. 281. Le reproche adressé aux

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tera que les détracteurs établissent un lien entre goût de l’antiquité et dépréciation de l’Église. Et avec plusieurs humanistes de la deuxième moitié du XVe siècle, il était question d’une religion comme auxiliaire imprescriptible de gouvernement. Les anticléricaux français du XIXe siècle auraient parlé de l’alliance du sabre et du goupillon. Pourtant l’essentiel ne me semble pas là. En mettant en question les institutions religieuses, les ordres sacrés ou la figure pontificale, la critique lettrée de l’Église manifestait sous la forme littéraire qui lui revenait la crise de confiance dans les institutions ecclésiales. La récurrente dénonciation des sermons illustre certainement ce doute sur l’efficacité performative de la parole religieuse 78. À l’autre bout de la chaîne, la valeur de la prière était fréquemment daubée et son inutilité affirmée. Telle est l’opinion d’un Leon Battista Alberti, dans l’Intercénale Religio 79. Mais il faut se garder pour autant d’imaginer l’anticléricalisme savant comme authentiquement subversif. On reste confondus par les silences sur des tendances profondes de la vie religieuse. Le développement d’un monachisme féminin forcé (en tout cas, galopant – R. Trexler a estimé qu’en 1336 les nonnes représentaient 1,6% de la population florentine, 2,5% en 1429 et 13%

académiciens romains était des plus classiques : ils étaient censés avoir repris la vieille antienne des «Trois Imposteurs», fondateurs mythiques des religions (Moïse, le Christ et Mahomet); voir M. Esposito, Una manifestazione d’incredulità religiosa nel Medioevo. Il detto dei «Tre impostori» e la sua trasmissione di Federico II a Pomponazzi, dans Archivio storico italiano, 16, 1931, p. 3-48, et J.-J. Denonain, Le livre des Trois Imposteurs, dans Aspects du libertinisme au XVIe siècle, Paris, 1974, p. 215-226. 78 Les critiques d’un Galateo (Antonio de Ferrariis), dans un dialogue qui s’inspire de ceux de Lucien, intitulé Eremita (1496) méritent d’être également relevées, à la suite d’E. Garin, op. cit., p. 174-177. Le Galateo fait dialoguer les principaux personnages de l’Ancien Testament avec un ermite, qui vient de décéder et que les anges voulaient d’abord emmener en enfer. Devant ses protestations énergiques, il est conduit au Paradis pour défendre sa cause; l’ermite passe librement en revue tous les maux dont ces héros bibliques se sont rendus coupables. Parlant à Isaac, il les accuse d’être des rustres et des ignorants. À Issac qui prétend que les lettres tuent, l’ermite répond que ce n’est vrai que si elles sont professées par des mauvaises personnes. Nous avons vécu saintement, objecte Isaac. Vous auriez vécu plus saintement encore si vous aviez été lettrés (sanctius, si novissetis litteras, vixissetis). Même les Évangélistes sont pris à parti et l’ermite n’apaise son implacable ire qu’en présence de Marie qui lui accorde l’entrée au Paradis. On conviendra que c’était pousser très loin l’investigation et la critique, en la portant au cœur même des saintes Ecritures. Texte dans E. Garin, Prosatori latini del Quattrocento, Milan-Naples, 1952, p. 1068-1136. Voir P. Andrioli Nemola, Letteratura e contestazione nel dialogo «l’Eremita» di A. de Ferrariis detto Galateo, dans Giornale storico della letteratura italiana, 169, 1992, p. 481-509. 79 L.-B. Alberti, Religio, dans Id., Opera inedita et pauca separatim impressa, G. Mancini éd., Florence, 1890, p. 131-132.

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en 1532 80) est un sujet ignoré de l’anticléricalisme. Les nonnes seraient-elles plus irréprochables que les frères ou n’est-ce pas plutôt que tous ces humanistes masculins évitaient de se pencher sur les fondements du régime politique et économique des cités et la fonction de soupape de sécurité qu’assumaient nonnes et sœurs dans l’équilibre social italien 81. Le même Palingène cité précédemment demande à son lecteur, aux termes de ses diatribes, de fermer la porte aux prêtres et aux mendiants 82, il n’évoque nullement leur suppression. On reste tout aussi surpris des silences humanistes à propos des pratiques politiques des différents États italiens envers le clergé. Le mouvement profond de contrôle des collations de bénéfices par les autorités politiques du lieu (plus largement ce que l’on pourrait un certain «gallicanisme» dans la gestion publique des affaires ecclésiastiques) et les conflits que cela engendrait avec le clergé local ou Rome ne donnent pas lieu à une expression littéraire, comme s’il semblait indécent ou inutile d’évoquer ces questions qui pourtant étaient l’occasion, dans les délibérations publiques ou secrètes des instances politiques des cités, de déchaînement d’une ire anti-cléricale, aussi bien à Florence qu’à Venise 83.

80 R. Trexler, Le célibat à la fin du Moyen Âge : les religieuses de Florence, dans Annales ESC, 27, 1972, p. 1329-1350, cité par S. Seidel-Menchi, art. cit., p. 274; le phénomène est général en Italie : G. Zarri, Monasteri femminili e città (secoli XVXVIII), in Storia d’Italia, Annali, IX, La Chiesa e il potere politico dal Medioevo all’Età contemporanea, a cura di G. Chittolini et G. Miccoli, Turin, 1986; voir aussi pour Ferrare, les chiffres cités par M. Folin, art. cit., p. 200 sq. Plus récemment, C. Klapisch-Zuber, L’entrée au couvent à Florence (XVe siècle), dans P. Henriet et A.-M. Legras (éd.), Au cloître et dans le monde. Femmes, hommes et sociétés (IXeXVe siècles). Mélanges en l’honneur de Paulette L’Hermitte-Leclercq, Paris, 2000, p. 165-176, qui rappelle avec quelle facilité se faisaient ces entrées de jeunes filles (souvent très jeunes – moins de dix ans –) dans les couvents de la ville. 81 Il est singulier qu’une des premières critiques, à ma connaissance, du monachisme féminin comme haut-lieu de l’immoralité ait été portée par un auteur rien moins qu’humaniste, à savoir le diariste vénitien Girolamo Priuli qui, dans ses Diari, avance, pour rendre compte de la défaite d’Agnadello (1509), que la Dominante payait alors le prix de tous ses péchés : blasphèmes, sodomie et immoralité des couvents féminins (G. Priuli, I Diarii, A. Segre et R. Cessi éd., R.I.S.2, XXIV, parte IV, p. 29-39). 82 Palingène, op. cit., p. 172. 83 Sur Venise, voir G. Del Torre, ‘Dalli preti è nata la servitù di quella repubblica’. Ecclesiastici e segreti di statuto nella Venezia del ’400, dans G. Levi, A. Moro (éd.), Venezia. Itinerari per la storia della città, Bologne, 1997, p. 131-158, où l’auteur étudie les mesures d’exclusion des clercs des différents conseils de la cité et évoque un certain anti-papalisme d’état qui se met en place au XVe siècle, dans la mesure où la familia des papes vénitiens du XVe siècle est l’objet d’une défiance quasi-institutionnelle; mieux même, dès 1411, interdiction est faite aux patriciens vénitiens ayant des membres de leur famille engagés dans les ordres de participer aux réunions du Sénat traitant de sujets ecclésiastiques par crainte de les voir intriguer pour des bénéfices. Étonnamment, rien de ces débats virulents ne filtre

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Aussi virulents qu’ils paraissent, les pamphlets anticléricaux demeurent socialement conformistes et la critique passe souvent par l’ironie qui irrite plus qu’elle ne subvertit. Nul doute que les lettrés qui ont pris la plume pour s’indigner, sur le mode facétieux ou sérieux, du spectacle de la vie religieuse de leur temps n’aient été sincères; nul doute aussi que ce faisant, ils ont pris des risques, parfois vitaux comme l’atteste le cas de Lorenzo Valla; mais ces risques qu’ils assumaient à titre individuel ont-ils eu un rendement à la hauteur de leurs espoirs? Autrement dit, quelle fut la portée de ce courant critique multiforme? Fondamentalement inoffensif, l’anticléricalisme lettré pouvait être une sorte de code culturel entre personnes de bonne éducation (que l’on pense au propos de Pétrarque s’indignant que des lettrés lui fassent reproche de croire davantage en la Bible qu’en Aristote 84) dont l’Église s’est longtemps accommodée (ce qui n’exclut pas des poussées de fièvre anti-humanistes à l’occasion), avant qu’un anticléricalisme autrement plus grave, celui de Luther, ne l’amène à entreprendre une police des esprits dont des humanistes, toutes tendances confondues, seront à leur tour les victimes. Probablement les coups de griffe portés à l’institution ecclésiale (qu’il s’agisse de la papauté, de la curie, des mendiants) étaient-ils voués à susciter l’amusement (des amis) et l’indignation (des adversaires). Mais en ce XVe siècle, tous ou presque, amis et adversaires, vivaient à l’ombre protectrice de la curie, mère (peut-être) de tous les vices mais plus sûrement de toutes les carrières (la version flagorneuse de cette réalité définit la curie comme domicilium sapientiae), comme Guichardin lui-même devait le concéder. À aucun moment, hormis chez Valla 85 et Machiavel, l’économie même de l’Église visible n’est touchée en son cœur par ces intellectuels pour qui l’Église de Rome est avant tout une institution italienne 86 qu’il convient malgré tout de protéger dans les productions humanistes vénitiennes du temps. Pour Florence, voir e.g. les remarques de L. Martines, Lawyers and Statecraft in Renaissance Florence, Princeton, 1965, p. 65 sq. 84 Cité par nous dans l’Introduction à ce colloque, supra, p. 2 85 Il est significatif que le livre le plus corrosif, au sens presque littéral, de l’institution monastique à savoir le De professione religiosorum ait eu une carrière très médiocre; même au XVIe siècle, les polémistes allemands ou protestants préfèreront citer le Valla de la pseudo-donation de Constantin, où l’autorité territoriale des papes était battue en brèche plutôt que son ouvrage sur l’institution monastique (voir G. Dipple, Antifraternalism and Anticlericalism in the German Reformation, Ashgate, 1996, p. 35 sq.). 86 Il est frappant que dans l’un des textes les plus puissants dans la dénonciation des turpitudes cléricales, l’Oratio ad patres reverendissimos, rédigée et prononcée par le Pogge, en 1417, devant les pères conciliaires de Constance, l’objectif de l’humaniste alors secrétaire cardinalice visait à dénoncer le projet de réforme in capite et in membris de l’Église et à appeler à la restauration de l’autorité ponti-

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comme une chasse gardée et un étalon de valeurs à l’aune duquel se mesurent les réussites lettrées ou personnelles. Ce sont là des limites drastiques à l’efficience des discours anticléricaux de l’humanisme italien. Patrick GILLI

ficale face au Concile : voir l’édition de l’Oratio ad patres reverendissimos par R. Fubini, Il teatro del mondo, art cit., p. 119-120 : O beatum orbem terrarum, si te universalem haberemus pastorem [...] Sed tamen michi pontificum culpa videtur quam eorum qui ista queruntur. Nunquam enim venditores extitissent rerum sacrarum, nisi vos [sc. patres reverendissimi!] fuissetis emptores. In quo tamen non video quid pontificibus Romanis possitis exprobare, nisi quod in magnis isti peccant, vos in parvis. [...] Atqui Ecclesia quidem quam reformare vos velle simulatis, corpus est quoddam, cuius corporis plurima sunt et membra et partes, que conformia inter se esse debent nec invicem discrepare, ut corpus consistat. Igitur si hoc corpus reformandum est, prius membra necesse est reformentur. On comprend devant cette montée au créneau en faveur de la papauté romaine que les conséquences de l’anticléricalisme poggien aient été finalement de faible portée : ni l’ecclésiologie ni la primauté pontificale ne se trouvaient menacées; mieux même, la réforme devait d’abord et presque exclusivement porter sur les corpora de l’Église, laissant intact le caput Ecclesiae, réduit ici à la figure pontificale. La proximité quasi-existentielle entre l’humanisme italien du XVe siècle et la curie pontificale réduisait souvent à quia la menace contenue dans les pamphlets à l’encontre des vices du clergé.

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LA CURIA COME DOMICILIUM SAPIENTIAE E LA SANCTA RUSTICITAS

Il 26 marzo 1422 Martino V conferiva motu proprio la cittadinanza romana ad Antonio Loschi1 : Loschi ritornava a Roma, ma soprattutto ritornava in curia. La carica era quella di secretarius ac familiaris noster, che del resto egli aveva già ricoperto a partire dal 1406 durante il pontificato di Innocenzo VII e soprattutto durante il pontificato di Giovanni XXIII 2. La fedeltà anzi al cardinale Baldassarre Cossa aveva non solo spinto Loschi a partecipare attivamente al concilio di Pisa, elaborando tra l’altro l’Oratio pro unione ecclesie 3, ma anche a condividere le sfortune del pontefice quando il 2 marzo 1415 Giovanni XXIII aveva lasciato il concilio di Costanza. E così come Baldassarre Cossa a Firenze si era umiliato e riconciliato con Martino V 4, anche Loschi ritornava in curia, sebbene solo nel 1422. Un ritorno, questo, che poteva a prima vista essere interpretato alla luce di quella pacificazione perseguita dal pontefice Colonna che era costretto a riunire, come è noto, tre amministrazioni, tre finanze, tre curie 5. Non era però, dopo le scissioni e le feroci polemiche, solo la conclusione naturale di un recupero di persone e cose. Erano sicuramente trascorsi i tempi eroici di quando Loschi, al servizio dei Vi-

1 Il documento, tratto dall’Archivio Segreto Vaticano, Reg. lat. 222, c. 115v, è edito in C. Bianca, Dopo Costanza : classici e umanisti, in M. Chiabò et al. (ed.), Alle origini della nuova Roma : Martino V (1417-1431). Atti del Convegno (Roma, 2-5 marzo 1992), Roma, 1992, p. 85-110 (p. 108). 2 G. Gualdo, Antonio Loschi, segretario apostolico (1406-1436), in Archivio storico italiano, 147, 1989, p. 747-769. 3 D. Girgensohn, Antonio Loschi und Baldassarre Costa von dem Pisaner Konzil von 1409 (mit der «Oratio pro unione Ecclesiae»), in Italia medioevale e umanistica, 30, 1987, p. 1-93; cf. anche A. Landi, Il papa deposto (Pisa 1409). L’idea conciliare nel Grande Scisma, Torino, 1995, p. 167-171. 4 Cf., con precedente bibliografia, C. Bianca, Martino V, in Enciclopedia dei papi, 2, Roma 2000, p. 619-634. 5 Th. Frenz, Zum Problem der Reduzierung der Zahl der päpstlichen Kanzleischreiber nach dem Konzil von Konstanz, in W. Schlügl e P. Herde (ed.), Grundwissenschaften und Geschichte. Festschrift für Peter Acht, Monaco, 1974, p. 256273; B. Schwarz, L’organizzazione curiale di Martino V ed i problemi derivanti dallo Scisma, in Alle origini della nuova Roma... cit. n. 1, p. 329-345.

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sconti, si opponeva al vecchio Salutati 6, come del resto erano tramontate le istanze dello scontro tra la Signoria fiorentina e lo Stato della Chiesa. Da arrogante poeta-polemista Loschi si era trasformato in raffinato commentatore di orazioni ciceroniane 7 : tale prestigio culturale diveniva il presupposto ideologico per il ritorno in curia e di conseguenza a Roma. Il conferimento della cittadinanza romana (per Loschi e i suoi discendenti) era sicuramente, come già osservava Germano Gualdo, segno di una chiara politica che mirava all’incardinamento nella città e alla stabilità di una élite culturale ed ecclesiale, sempre difficile da mantenere, in considerazione del già evidente spostamento di campo e di forze che si realizzava ogni qual volta veniva eletto un nuovo pontefice 8. Il testo della bolla del 26 marzo 1422 era stato redatto da Cencio de’ Rustici 9, romano, ultimo allievo del Crisolora, ma soprattutto uno dei pochi curiali che non aveva abbandonato il concilio di Costanza per seguire sogni inquieti come Poggio in Inghilterra10 o ritrovare un ambiente più accogliente come Bruni a Firenze11. Di là dal formulario emergono, nel testo del6 Cf. V. Zaccaria, Antonio Loschi e Coluccio Salutati (con quattro epistole inedite del Loschi), in Atti dell’Istituto veneto, 129, 1970-71, p. 345-387; R. G. Witt, Hercules at the crossroads. The life, works, and thought of Coluccio Salutati, Durham, 1983, p. 387-390. Al primo periodo risale la traduzione in latino della prima novella di Boccaccio : G. Albanese, La «Fabula Zapelleti» di Antonio Loschi, in V. Fera e G. Ferraù (ed.), Filologia umanistica. Per Gianvito Resta, I, Padova, 1997 (Medioevo e Umanesimo, 93), p. 3-59. 7 R. Sabbadini, Storia e critica di testi latini, Padova, 19712 (Medioevo e Umanesimo, 11), p. 19-21. 8 G. Gualdo, Umanesimo e segretari apostolici all’inizio del Quattrocento. Alcuni casi esemplari, in G. Gualdo (ed.), Cancelleria e cultura nel Medio Evo. XVI Congresso internazionale di scienze storiche (Stoccarda, 29-30 agosto 1985), Città del Vaticano, 1990, p. 307-318 (p. 312). Cf. anche P. Gilli, Les formes de l’anticléricalisme humaniste : anti-monachisme, anti-fraternalisme ou anti-christianisme?, in questo volume di atti. 9 L. Bertalot, Cincius Romanus und seine Breife, in Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, 21, 1929-1930, p. 209-255, rist. in Id., Studien zum italienischen und deutschen Humanismus, P. O. Kristeller ed., 2, Roma, 1975 (Medioevo e Umanesimo, 130), p. 131-180; P. O. Kristeller, Un opuscolo sconosciuto di Cencio de’ Rustici dedicato a Bornio da Sala : la traduzione del dialogo «De virtute» attribuito a Platone, in Miscellanea Augusto Campana, I, Padova, 1981 (Medioevo e Umanesimo, 44), p. 355-376; G. Lombardi, Note su Cencio de’ Rustici, in M. Miglio (ed.), Scrittura, biblioteche e stampa a Roma nel Quattrocento. Atti del 2o Seminario (6-8 maggio 1982), Città del Vaticano, 1983 (Littera antiqua, 3), p. 25-35; Id., La città, libro di pietra. Immagini umanistiche di Roma prima e dopo Costanza, in Alle origini della nuova Roma... cit. n. 1, p. 17-45 (p. 30-38). 10 Cf. R. Weiss, Humanism in England during the fifteenth century, Oxford, 19673, p. 13-21; T. Foffano, Niccoli, Cosimo e le ricerche di Poggio nelle biblioteche francesi, in Italia medioevale e umanistica, 12, 1969, p. 113-128. 11 Cf. G. Gualdo, Leonardo Bruni segretario papale (1405-1415), in P. Viti (ed.), Leonardo Bruni cancelliere della Repubblica di Firenze. Convegno di Studi (Firenze, 27-29 ottobre 1987), Firenze, 1990, p. 73-95.

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la citata bolla, alcuni capisaldi teorici : in primo luogo l’alma urbs costituisce, all’interno dell’universalità del mondo cristiano – ed anzi nonostante tale universalità –, l’oggetto primario delle attenzioni del pontefice rispetto alle altre città12. Tale predilezione non può certo essere appiattita per il semplice fatto che «romana» era la famiglia del pontefice, ma trova anzi le sue più profonde motivazioni nel fatto che il ritorno del papa a Roma, dopo la lunga cattività avignonese, comportava un restauro della città13, un riconoscimento della propria storia14, nonché il rafforzamento del proprio ruolo di vera patria. La curia romana – come avrebbe teorizzato Poggio Bracciolini in una lettera del 7 marzo 1428 a Francesco Barbaro – diveniva la patria civile da preferirsi a quella naturale15. Una affermazione del genere – che comunque si inquadrava nel contesto più ampio della controversia sui benefici ecclesiastici16 – aveva sicuramente un proprio fondamento laddove essa si applicasse ad un ecclesiastico o ad un sacerdos, quale il milanese Giovanni Crivelli a cui Poggio faceva riferimento nella citata lettera al Barbaro. Ed affermazioni più vistose sarebbero state elaborate qualche decennio successivo, come quando Enea Silvio Piccolomini nella sua qualità di cardinale invitava un altro ed ugualmente prestigioso cardinale, cioè Niccolò Cusano, a trasferirsi stabilmente a Roma perché la curia romana è la vera patria per un cardinale, ovvero per chi è chiamato a collaborare da vicino con il pontefice17. E che le indicazioni del concilio di Costan-

12 Bolla di Martino V del 22 marzo 1422 : Almam Urbem pre ceteris aliis civitatibus caritate et benivolentia complectentes atque quid ad ipsius incrementum pertinens efficere possemus continuo excogitantes, nichil ea dignius nec magnitudini sue convenientius esse quam viros ingenio et doctrina conspicuos dicte Urbi cives adscribere atque etiam deputare arbitramur (C. Bianca, Dopo Costanza... cit. n. 1, p. 108). 13 Cf. G. Lombardi, La città libro di pietra... cit. n. 9, p. 38-45; G. Curcio, «Nisi celeriter repararetur totaliter est ruitura». Notazioni su struttura urbana e rinnovamento edilizio in Roma al tempo di Martino V, in Alle origini della nuova Roma... cit. n. 1, p. 537-554. 14 Cf. W. Bracke, Le orazioni al pontefice, in Alle origini della nuova Roma... cit. n. 1, p. 125-142; P. Casciano, Il pontificato di Martino V nei versi degli umanisti, ibid., p. 143-161. 15 Poggio Bracciolini, Lettere, II, Epistolarum familiarium libri, ed. H. Harth, Firenze, 1984, p. 84 : Est quidem Iohannes mediolanensis, sed sacerdos, sed habitans Rome, sed habens patriam civilem romanam curiam quam prefert naturali. Cfr. la recensione all’edizione Harth di M. Miglio in Roma nel Rinascimento. Bibliografia e note, Roma, 1991, p. 90-92. 16 P. Bracciolini, Lettere..., II, p. 84 : Erat ei tunc controversia quedam de beneficio suo, quod est in Foro Iulii. Nunc vero cum super ea iamdudum compositum esset, denuo parantur sibi impedimenta et quidem indigna bonis viris; neque id privatim se publica auctoritate. 17 Così scriveva il 27 dicembre 1456 Enea Silvio Piccolomini : precor igitur [...] ut iam demum in patriam redeas; nam cardinali sola Roma patria est (E. Meu-

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za, riprese da quello di Basilea, a proposito dei diritti e dei doveri dei cardinali fossero tenute in qualche modo presenti dal pontefice è confermato da un aspetto diplomatistico insolito : negli anni incerti del concilio di Ferrara, infatti, molti documenti pontifici recano accanto al signum autografo di Eugenio IV anche i signa autografi dei cardinali che si trovavano in curia, stravolgendo anche da un punto di vista della corroboratio del documento la tradizionale procedura di curia18. Il richiamo però di Martino V ad entrare in curia e di conseguenza ad essere incardinati nella città di Roma attraverso il conferimento della cittadinanza stessa non nasceva avendo come destinatari curiali, ecclesiastici, canonisti, ma gli uomini di cultura, coloro che fossero ingenio et doctrina conspicui, cioè dotati di intelligenza e di quella conoscenza del passato che sola può rendere dotti19. Una delle caratteristiche di questi uomini dotti, ed in particolare dello stesso Loschi, come si legge nel testo della bolla, è proprio quella di richiamare alla memoria, sulla base degli atteggiamenti, delle qualità morali e della formazione culturale, gli antichi cittadini romani, in una sorta di aggancio al passato e di programmatica continuità con le antiche strutture cittadine 20. Il binomio curia-città di Roma trovava comunque il suo antecedente in un’altra famosa bolla, quella del 1o settembre 1406, con la quale Innocenzo VII riapriva dopo lungo intervallo l’università di Roma. Ad exaltationem romanae urbis et curie nostre decorem recitava il famoso incipit della bolla 21, redatta

then, Die letzten Jahre des Nikolaus von Kues. Biographische Untersuchungen nach neuen Quellen, Colonia-Opladen 1958, p. 133). Cf. C. Bianca, La biblioteca romana di Niccolò Cusano, in Scrittura, biblioteche e stampa... cit. n. 9, p. 669-708 (p. 770). 18 Questo aspetto insolito è stato segnalato in C. Bianca, I cardinali al Concilio di Firenze, in P. Viti (ed.), Firenze e il Concilio del 1439. Convegno di Studi (Firenze, 29 novembre-2 dicembre 1989), 1, Firenze, 1994 (Biblioteca storica toscana, 29), p. 147-173 (p. 166-168). 19 V. n. 12. 20 Bolla di Martino V del 22 marzo 1422 : harum igitur considerationem in animum nostrum revolventes, non ad tuam vel alterius pro te nobis super hoc oblate petitionis instantiam, sed motu proprio et de nostra mera liberalitate, te, singulari ingenio et doctrinca necnon egregiis virtutibus et precipue vite integritate priscos romanos cives referentem, [...] civem auctoritate apostolica tenore presentium facimus, constituimus ac etiam deputamus...» (C. Bianca, Dopo Costanza... cit. n. 1, p. 108). 21 G. Griffiths, Leonardo Bruni and the Restoration of the University of Rome (1406), in Renaissance Quarterly, 26, 1973, p. 1-10; a p. 10 il testo della bolla, che si conclude con l’esaltazione dell’Urbe stessa : Cetere igitur civitates aliena studia docent, hec [Alma Urbs] sua propria et vernacula profitetur. Quam ob rem accelerent homines hanc Urbem studiorum gratia adire ut in nostris atque Curie nostre oculis per virtutem cogniti premia laborum amplissima consequantur. Cf. D. S. Chambers, Studium Urbis and gabella Studii : The University of Rome in the

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del resto da un altrettanto famoso «Leonardus de Aretio» 22, quel Bruni di cui si apprezzava la giovane età (rispetto ovviamente ai secretarii curiali con i quali si era confrontato) e soprattutto la padronanza in quella lingua greca che gli permetteva di tradurre e di immettere nella cultura latina i testi greci che erano sfuggiti al naufragium della civiltà 23. La riapertura dello Studium Urbis da parte di Innocenzo VII comportava anche una scelta avveduta non solo delle discipline più consone al progetto culturale (e l’insegnamento del greco era espressamente programmato, sia pure come ultimo punto di un massiccio lavoro di restauro : nell’ordine teologia, diritto civile e canonico, medicina, arti e, infine, insegnamento del greco), ma soprattutto della scelta delle persone : viros peritissimos et longo studio longiisque vigiliis instructos 24, ovvero docenti assai esperti e che, come prevedeva la tradizione, avessero già dato ampia prova della validità del loro insegnamento. L’aggancio tra le due bolle non era forse casuale, se si prescinde dal fatto che quella martiniana fosse diretta ad singulum e quella innocenziana ad universos et singulos : il nesso tra curia e città 25, e più in particolare il nesso tra curia ed uomini dotti, sembra pervaso da un progetto politico ed ecclesiale comune. Martino V trovava così il suo modello nel condurre il rapporto curia-uomini dotti proprio in quel suo predecessore Innocenzo VII che tra l’altro lo aveva creato cardinale. In anni successivi Lorenzo Valla nell’Oratio recitata come prolusione il 18 ottobre 1455 presso lo Stu-

fifteenth century, in C. H. Clough (ed.), Cultural aspects of Italian Renaissance. Essays in honour of P. O. Kristeller, Manchester-New York, 1976, p. 68-110; C. Frova e M. Miglio, «Studium Urbis» e «Studium Curiae» nel Trecento e nel Quattrocento : linee di politica culturale, in Roma e lo «Studium Urbis». Spazio urbano e cultura dal Quattro al Seicento. Atti del convegno (Roma, 7-10 giugno 1989), Roma, 1992 (Pubblicazioni degli Archivi di Stato. Saggi, 22), p. 26-39; R. Avesani, Appunti per la storia dello «Studium Urbis» nel Quattrocento, ibid., p. 69-87. 22 G. Gualdo, Leonardo Bruni segretario papale... cit. n. 11, p. 87. 23 Ad Innocenzo VII Bruni aveva dedicato la traduzione del Fedone di Platone : J. Hankins, Plato in the Italian Renaissance, 2, Leida-New York-CopenaghenColonia, 1990, p. 367-369 e 388-394. Cf. anche G. Ianziti, The Plutarchan option : Leonardo Bruni’s early career in history, 1405-1414, in I Tatti Studies, 8, 1999, p. 1135. 24 G. Griffiths, Leonardo Bruni... cit. n. 21, p. 10 : Facultatibus itaque omnibus singillatim divisis singulis eorum ut moris est suos prefecimus magistros viros peritissimos et longo studio longisque vigiliis instructos data a nobis opera diligenti, ut nemini studioso in quacunque disciplina bonus atque laudabilis desit preceptor. 25 Cf. V. De Caprio, Roma, in Letteratura italiana. Storia e geografia, II, 1, Torino, 1988, p. 327-472 (p. 342-345); P. Partner, The Pope’s men. The papal civil service in the Renaissance, Oxford, 1990, p. 20-46; M. Miglio, La curia papale tra XV e XVI secolo, in E. Menestò (ed.), Alessandro Geraldini e il suo tempo. Atti del Convegno storico internazionale (Amelia, 19-21 novemrbe 1992), Spoleto, 1994, p. 15-33.

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dium Urbis avrebbe teorizzato l’importanza della Ecclesia romana come fautrice e garante della continuità della stessa lingua latina, nonché avrebbe espressamente considerato la curia come il luogo anche numericamente più ricco di homines litterati 26. Ed analogamente in anni più tardi Demetrio Guazzelli nella dedica al cubiculario pontificio Giovanni Giacomo Sclaffenati, che precede l’inventario della Biblioteca Vaticana redatto nel 1481, sottolineava come il pontefice Sisto IV avesse radunato da ogni parte (undique) uomini dotti 27. Del resto, di là da qualsiasi impostazione religiosa, la curia – e di conseguenza l’Alma Urbs dove si era nuovamente insediata la curia – costituiva la sede che offriva maggiore libertà e serenità : riferendosi alla propria esperienza il 28 maggio 1423, a ridosso del contrastato concilio di Pavia-Siena, Poggio Bracciolini, anch’egli da poco rientrato in curia, scriveva a Niccolò Niccoli : ubi quies erit et bene, ibi erit et patria 28. Gli stessi curiali si facevano promotori per attirare in curia gli amici più dotti : è ben noto l’intreccio di lettere che intercorse nel 1433 tra Francesco Filelfo da un lato, ormai in procinto di lasciare Firenze per Siena, e gli amici che gli proponevano di entrare in curia 29. Il 19 aprile, rispondendo al Loschi, che evidentemente lo aveva invitato a trasferirsi nella curia romana, dal momento che solo la «curia è eruditionis et eloquentie domicilium», Filelfo sostanzialmente ricusava l’allettante offerta 30. Con analoghe parole il 30

26 Lorenzo Valla, Orazione per l’inaugurazione dell’anno accademico 14551456. Atti di un seminario di filologia umanistica, ed. S. Rizzo, Roma, 1994 (RR inedita saggi, 8), p. 200 : Nam cum in curia romana non nisi latine loqui fas sit et ad eam tanquam ad caput cunte christiane nationes privatim publiceque concurrant, fit ut singule operam dent lingue latine discende et ob id libris omnibus latine scriptis et ut quisque maxime aliquo in genere doctrine excellit, ita cupidissime ad hanc se curiam conferat et velit in hac tanquam in clarissima luce versari. Plus igitur hic quam usquam gentium est hominum litteratorum; plurimi hic atque optimi pro conditione temporum oratores; plurimi in omni doctrinarum genere eruditissimi; qui profecto nulli forent si curia romana non esset. 27 La dedica è pubblicata in : P. Guidi, Pietro Demetrio Guazzelli da Lucca, il primo custode della Biblioteca Vaticana (1481-1511) e l’inventario dei suoi libri, in Miscellanea Francesco Ehrle, V, Scritti di storia e paleografia, Roma, 1924 (Studi e Testi, 41), p. 193-218 (p. 209) : Nam S. D. N. Sixtus Quartus pontifex maximus tanta munificentia, beneficentia ac studio Bibliothecam hanc suam prosequitur, ut omnia prope diem contigisse videbimus. Sanctitas enim sua doctissimos viros undique ad se convocat, liberalitate ac pollicitationibus invitat, alii e graeco in latinum, alii ex hebraico et Arabico in romanum tranferant sermonem. 28 Poggio Bracciolini, Lettere, I, Lettere a Niccolò Niccoli, ed. H. Harth, Firenze, 1984, p. 65 : Credo me reperturum aliquid melius et liberius ibi quam Florentie. Ego quieti intendi animum. 29 Cf. G. Gualdo, Francesco Filelfo e la curia pontificia. Una carriera mancata, in Archivio della Società romana di storia patria, 102, 1979, p. 189-236. 30 Il 19 aprile 1429 Francesco Filelfo così scriveva da Firenze al Loschi : Quod

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aprile Filelfo rispondeva all’invito di Cencio de’ Rustici, di recarsi in curia a Roma 31. Anche in anni precedenti, rispondendo alla lettera di Andrea Crisoberga (Bologna 13 dicembre 1428) Filelfo aveva rifiutato l’invito di recarsi a Roma, in curia 32. Probabilmente per Loschi e Cencio, si trattava del semplice invito da parte di amici (per quanto curiali); nel caso invece del domenicano Crisoberga, uno dei più saldi e stretti collaboratori di Martino V 33, la richiesta probabilmente aveva un valore più ufficiale di quanto si potesse presupporre. Nel 1431, a quanto risulta da una lettera di Andrea Fiocchi a Leonardo Bruni, si era diffusa la voce di un ritorno in curia dello stesso Bruni (un ritorno veluti ad proprios lares), promosso dal Loschi, dal Bracciolini e da Cencio de’ Rustici 34 : ma sulla «difficoltà dei tempi», segnati dalla guerra, scatenatasi a ridosso della morte di Martino V, Andrea Fiocchi non faceva mistero, sconsigliando indirettamente il Bruni 35. Ed erano ugualmente chiare le distinzioni tra chi stava den-

autem me hortaris ut romanam curiam petam, cum ea sit sola eruditionis et eloquentie domicilium, ad idque omne studium tuum atque operam polliceris et consilium probo et adminicula tua omnia libenter amplector (Francisci Philelphi Epistolarum familiarium libri XXXVII, Venetiis, ex aedibus Ioannis et Gregorii de Gregoriis, 1502, f. 12r). 31 Ibid., f. 12v : Quam mihi spem iampridem in urbe Roma coram recepisti ut eam mihi perducas ad finem. Nunquam, mihi crede, intermorietur apud me officium meum. 32 Ibid., f. 7v : Quod autem me hortaris, istuc ut quamprimum veniam, id mihi hoc tempore nequaquam est integrum : nam florentinis obstrictus sum in annuum docendi munus. [...] Verum cum per studii vacationem dabitur, ibo in urbem Romam, et quod me mones quam diligentissime tuebor. 33 Cf. P. Cherubini, Crisoberga, Andrea, in Dizionario biografico degli Italiani, 30, Roma, 1984, p. 776-779; F. Niutta, Prospettive orientali. Momenti dell’incontro con la cultura greca, in Alle origini della nuova Roma... cit. n. 1, p. 205-224 (p. 217-218). 34 La lettera, tratta dal Reg. Vat. 370 dell’Archivio Segreto Vaticano, è edita in G. Mercati, Andreas de Florentia segretario apostolico, in Id., Ultimi contributi alla storia degli umanisti, I : Traversariana, Città del Vaticano, 1939 (Studi e testi, 90), p. 97-134 (p. 117-118). Così il Fiocchi : Admonuit me pridem humanitatis tue gravissimi ac lepidissimi viri Antonii Lusci relatio, qui in conventu quorundam equalium et amicorum tuorum Pogii et Cincii ac nonnullorum elegantium virorum te ad curiam romanam veluti ad proprios lares reversurum asseruit : quod quidem omnibus nunctium extitit sane iocundissimum, eisdem eruditonem tuam ac disciplinam eloquentie singularem efferentibus laudibus; quod si re ipsa expertus fuero, me tui presentia pene felicem profitebor (p. 117). Sul periodo curiale del Bruni cf. G. Gualdo, Leonardo Bruni segretario papale (1405-1415), in P. Viti (ed.), Leonardo Bruni cancelliere della Repubblica di Firenze. Convegno di studi (Firenze, 27-29 ottobre 1987), Firenze, 1990, p. 73-95. 35 Aggiungeva infatti il Fiocchi : Sed de conditione curie probe te informatum esse non ambigo : cum enim difficultate temporum et belli valde tenuis est, existimant etiam tenuissimam fore (G. Mercati, Andreas de Florentia... cit. n. 34, p. 117). Sul Fiocchi cf. M. Laureys, At the treshold of humanist jurisprudence : Andrea Fiocchi’s «De potestatibus Romanis», in Bulletin de l’Institut historique belge

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tro e chi stava fuori. Proprio nel 1425 Pier Candido Decembrio nella collaudatio che aveva rivolto a Martino V, rifiutando sostanzialmente l’invito di entrare in curia a ricoprire l’incarico di scriptor scripturarum, aveva per converso sottolineato la compattezza della curia che stava alle spalle del pontefice, sempre pronta ad intervenire in suo favore 36. Tutto giocato sulla distinzione tra chi sta dentro la curia e chi sta fuori è del resto il serrato dialogo che contrappone nel De curiae commodis di Lapo da Castiglionchio da un lato l’anziano curiale Angelo da Recanati e dall’altro il giovane Lapo, alla ricerca di una propria e dignitosa collocazione in curia 37. Il problema di fondo non è tanto quello di stilare un giudizio, sia esso positivo o negativo sulla curia, ma di stabilire se il porto sicuro che consenta allo studioso di dedicarsi ai propri studi sia da ricercarsi in curia o altrove 38. In tal senso le tematiche affrontate da Leon Battista Alberti nel De commodis litterarum atque incommodis 39, se si accetta la proposta di datare quest’opera a dopo il gennaio 1432 40, cioè in concomitanza con l’arrivo a Roma e poi in curia dell’Alberti, acquistano uno spessore diverso : la netta opposizione per gli incarichi pubblici 41, in quanto

de Rome, 64, 1994, p. 25-42; e, da ultimo, G. Gualdo, Un piccolo enigma diplomatico-curiale : «A. de Florentia scriptor apostolicus» di papa Gregorio XII (14061415), P. Pecorari (ed.), Amicitiae causa. Scritti in memoria di mons. Luigi Pesac, Treviso, 2001, p. 151-174. 36 La Collaudatio di Pier Candido Decembrio, tradita dal ms. 2387, ff. 41v-42v della Biblioteca Universitaria di Bologna, è edita in C. Bianca, Dopo Costanza... cit. n. 1, p. 109-110. Sul De vitae ignorantia del Decembio richiama l’attenzione P. Gilli, Les formes de l’anticléricalisme humaniste... cit. n. 8. 37 Cf. Chr. S. Celenza, Lapo da Castiglionchio il Giovane, Poggio Bracciolini e la «vita curialis». Appunti su due testi umanistici, in Medioevo e Rinascimento, 14, 2000, p. 129-145. 38 Così argomenta Angelo da Recanati : Id cum feceris, rectius, ut arbitror, rationibus tuis consules et te, relicta hac turbulentissima et tumultuosissima vitae ratione, in portum aliquem conferes quietum, et pristina tua studia temporibus intermissa revocabis contendesque aliquid scribere atque edere quod et caeteros iuvet et tibi ipsi ad posteros immortalem gloriam propaget (Chr. S. Celenza, Renaissance Humanism and the Papal Curia. Lapo da Castiglionchio the Younger’s «De curiae commodis», Ann Arbor, 1999 [Papers and monographs of the American Academy in Rome, 31], p. 112). 39 Cf. M. Regoliosi, Gerarchie culturali e sociali nel «De commodis litterarum atque incommodis» di Leon Battista Alberti, in Sapere e/è potere. Discipline, dispute e professioni nell’università medievale e moderna. Il caso bolognese a confronto. Atti del 4o convegno, L. Avellini ed., Forme e oggetti della disputa delle arti, 1, Bologna, 1990, p. 151-170. 40 L. Boschetto, Nuovi documenti su Carlo di Lorenzo degli Alberti e una proposta per la datazione del «De commodis litterarum atque incommodis», in Albertiana, 1, 1998, p. 43-59. Cfr. anche Id., Leon Battista Alberti e Firenze, Firenze, 2000 (Ingenium, 2). 41 Leon Battista Alberti, De commodis litterarum atque incommodis, a cura di

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allontano dall’esercizio delle lettere, poteva in definitiva trovare una soluzione intermedia proprio in curia, anche se la scelta si rivelava difficile per chi proveniva da una famiglia mercantile (e forse la dedica del De commodis al fratello Carlo può essere letta come una sorta di giustificazione per il proprio trasferimento a Roma, al servizio del patriarca Biagio Molin, in stretta vicinanza con la curia) 42. Apparentemente vicino, ma sostenuto da una netta (e ironica) avversione alla vita di «corte» 43 – i curiales sono coloro che vivono in curiis e non necessariamente presso la curia romana – il De curialium miseriis di Enea Silvio Piccolomini 44, in anni di poco successivi, riprenderà tematiche analoghe, sia pure sfuggendo alle intenzioni del suo autore. Rimaneva il problema se la curia potesse costituire il «porto sicuro» per gli uomini dotti; del resto la presenza in curia di uomini dotti, pronti ora ad allestire nuovi componimenti elogiativi, ora a tradurre testi dal greco, era divenuta un’esigenza sempre più pressante : l’esperienza del concilio ferrarese-fiorentino, durante il quale si era dovuti far ricorso anche a traduttori dal greco, aveva reso ancora più forte la necessità di una presenza costante, fedele e prestigiosa. Proprio l’esperienza diretta degli anni conciliari probabilmente fece sì che Niccolò V curasse con maggiore attenzione la presenza in curia di uomini dotti 45. Non era ad esempio infrequente l’assegnaL. Goggi Carotti, Firenze, 1976 (Nuova collezione di testi umanistici inediti o rari, 17), p. 108 : In publicis enim muneribus hec sunt incommoda : quod animum ab studiis privatis distrahunt, trahunt in sollicitudinem et invidiam, opponunt inimiciis ac periculis, referunt curas, labores atque difficultates acerbissimas, que res omnes quam sint cum ceteris, tum litteratis moleste atque idcirco pacatis ingeniis vetite nemo non discernit. 42 Ancora valida l’osservazione di Vincenzo De Caprio : «E’ un fatto che gli studi sull’Alberti presentano dei notevoli vuoti proprio nel campo dei suoi rapporti con la cultura romana, se si esclude la ricerca nel campo dell’architettura» (Roma... cit. n. 25, p. 374). 43 Particolarmente significativa l’osservazione a proposito della storia : in curiis vero quilibet sermo per adulationem habetur; nichil ad verum dicitur, commendantur mali bonique vituperantur. Sunt qui veterum narrant historias, sed mendose atque perverse, historicis claris non creditur, sed fabellis inanibus fides adhibetur (Der Briefwechsel des Eneas Silvius Piccolomini, R. Wolkan ed., I, Vienna, 1909 [Fontes rerum austriacarum, 61], p. 466). Il De curialium miseriis, come è noto, è una lettera del 30 novembre 1444 indirizzata a Gaspar Schlick. 44 Cf. K. Sidwell, Il «De curialium miseriis» di Enea Silvio Piccolomini e il «De mercede conductis» di Luciano, in L. Rotondi Secchi Tarugi (ed.), Pio II e la cultura del suo tempo. Atti del I Convegno internazionale, 1989, Milano, 1991, p. 329-341; Id., Il «De curialium miseriis» di Enea Silvio Piccolomini e il «De infelicitate principum» di Poggio Bracciolini, in Studi umanistici piceni, 14, 1994, p. 199-206; D. Canfora, Due fonti del «De curialium miseriis» : Poggio Bracciolini e Lucrezio, in Archivio storico italiano, 154, 1996, p. 479-494; introduzione di D. Canfora a Poggio Bracciolini, De infelicitate principum, Roma, 1998, p. XXIX. 45 Cf. C. Vasoli, Profilo di un papa umanista : Tommaso Parentucelli, in Studi

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zione della carica di secretarius noster, come accadde per il Filelfo, di semplice passaggio a Roma per 9 giorni nel 1453 : in questo caso si trattava di un omaggio nominale (con il corrispettivo compenso) nei confronti di uomini dotti senza che questo comportasse una entrata permanente nella curia stessa 46. Anche se non sempre fisicamente presenti in curia, il pontefice elargiva infatti ricompense più o meno consistenti a singoli dotti che gli potessero fare omaggio di una traduzione espressamente commissionata, come avveniva sempre più frequentemente. Non aveva sicuramente torto Giannozzo Manetti che con tutta probabilità conosceva la versione anonima della Lettera di Aristea che circolava a Firenze (l’attuale ms. Laur. 25 sin. 9) 47. Egli infatti istituiva un confronto tra il pontefice Niccolò V e l’antico re Tolomeo 48 : la raccolta di testi filologicamente più corretti si accompagnava, come è espressamente dichiarato nella lettera di Aristea, anche con la protezione accordata ai 70 dotti impegnati a tradurre il testo biblico dall’antico ebraico. Il coinvolgimento di uomini dotti al tempo di Niccolò V, al servizio del pontefice più che inseriti in direttamente curia, seguiva certamente l’ideale del domicilium eloquentiae et eruditionis. Anzi l’abile promotore e distributore

sulla cultura del Rinascimento, Manduria, 1968, p. 69-121; J. B. Toews, Formative forces in the pontificate of Nicholas V, 1447-1455, in The Catholic Historical Review, 54, 1968-69, p. 261-284; M. Miglio, Nicolò V umanista di Cristo, in S. Gentile (ed.), Umanesimo e Padri della Chiesa. Manoscritti e incunaboli di testi patristici da Francesco Petrarca al primo Cinquecento, Roma, 1997, p. 77-83; C. Bianca, Il pontificato di Niccolò V e i Padri della Chiesa, ibid., p. 85-92; M. Miglio, Niccolò V, in Enciclopedia dei papi... cit. , p. 644-658. 46 G. Gualdo, Francesco Filelfo... cit. n. 29, p. 208-210. 47 Sul codice cf., con bibliografia aggiornata, C. Bianca, Traduzioni interlineari dal greco nel circolo del Salutati : Iacopo Angeli, Niccolò Niccoli, Leonardo Bruni?, in Manuele Crisolora e il ritorno del greco. Atti del Convegno (Napoli, 26-29 giugno 1997), Napoli, 2002, p. 133-150. La paternità della traduzione è stata variamente assegnata a Iacopo Angeli da Scarperia e a Leonardo Bruni : R. Weiss, Gli inizi dello studio del greco a Firenze, in Id., Medieval and humanist Greek. Collected essays, Padova, 1977 (Medioevo e Umanesimo, 8), p. 227-254 (p. 244-245). Di particolare interesse risulta un brano del proemio dello Statuto della Biblioteca di S. Maria del Fiore di Firenze, approvato il 3 dicembre 1451 – e il Manetti fu uno degli estensori –, nel quale è ricordato Tolomeo e la biblioteca di Alessandria : C. Bianca, Una postilla ad Aristea, in Roma nel Rinascimento. Bibliografia e note, Roma, 1998, p. 105-112 (p. 106). 48 Tale confronto era inserito nella Vita Nicolai quinti, sulla quale si veda ora G. Manetti, Vita di Nicolò V. Traduzione italiana, introduzione e commento a cura di A. Modigliani, con una premessa di M. Miglio, Roma, 1999 (RR. Inedita, 22), p. 120. L’importanza di questo brano è stata segnalata da S. Rizzo, Per una tipologia delle tradizioni manoscritte di classici latini in età umanistica, in O. Pecere e M. D. Reeve (ed.), Formative stages of classical tradition : Latin texts from Antiquity to the Renaissance, Spoleto, 1995, p. 371-407 (p. 388-389); L. Canfora, Il viaggio di Aristea, Roma-Bari, 1996, p. 61-70; C. Bianca, Il soggiorno romano di Aristea, in Roma nel Rinascimento. Bibliografia e note, Roma, 1996, p. 36-41.

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di incarichi era proprio Giovanni Tortelli 49. Tra i tanti basta ricordare due esempi : il servita Taddeo Garganelli dichiarava che su consiglio del Tortelli aveva ripreso in mano alcuni Hymni giovanili e li aveva inviati a Niccolò V 50. Ed anche dopo la morte di Niccolò V, Tortelli non avrebbe cessato il suo ruolo di bibliotecario e avrebbe consegnato a Mattia Palmieri un antico e voluminoso codice greco perché il Palmieri traducesse in latino proprio l’epistola di Aristea 51. Attività queste che senza dubbio si confacevano bene a quel profilo di bibliotecario-filologo e correttore di testi promosso dal Salutati in un famoso passo del De fato et fortuna 52. Del resto lo stesso Tortelli nella dedica del suo De orthographia ricordava come il pontefice Niccolò V avesse convocato dotti utriusque linguae configurando questa operazione per così dire di raccolta come un asylum quoddam virtutis 53. Negli stessi anni anche Rinuccio da Castiglione, che poteva contare una lunga esperienza di curia, ribadiva proprio nella dedica che precede la traduzione del De mundo pseudoaristotelico che la curia era la sede naturale e privilegiata per lo sviluppo delle lettere 54. Per contro il giovane curiale Johannes Roth, che a Roma si

49 Cf. M. Regoliosi, Nuove ricerche intorno a Giovanni Tortelli, in Italia medioevale e umanistica, 12, 1969, p. 129-196; L. Capoduro, L’edizione romana del «De orthographia» di Giovanni Tortelli (Hain 15563) e Adamo da Montaldo, in Scrittura, biblioteche e stampa... cit. n. 9, p. 37-56; V. Brown e C. Kallendorf, Two humanist annotators of Virgil. Coluccio Salutati and Giovanni Tortelli, in J. Hankins, J. Monfasani e F. Purnell jr. (ed.), Supplementum festivum. Studies in Honor of Paul Oskar Kristeller, Binghamton, 1987, p. 65-148; A. Manfredi, L’«Orthographia» di Giovanni Tortelli nella Biblioteca Vaticana, in Miscellanea Bibliothecae Apostolicae Vaticanae, 6, Città del Vaticano, 1998 (Studi e testi, 385), p. 265-298; G. Donati, Pietro Odo da Montopoli e la biblioteca di Niccolò V con osservazioni sul «De orthographia» di Tortelli (RR. Inedita, 21), Roma, 2000, p. 159-189. 50 Gli Hymni sono conservati nel Vat. lat. 3602; cf. C. Bianca, Il pontificato di Niccolò V... cit. n. 41, p. 91. Sul Garganelli cf. C. Piana, La facoltà teologica dell’Università di Bologna nel 1444-1458, in Archivum franciscanum historicum, 53, 1960, p. 361-441 (p. 429-432). 51 C. Bianca, Il soggiorno romano... cit. n. 44, p. 40. 52 C. Salutati, De fato et fortuna, ed. C. Bianca, Firenze, 1985, p. 47-49; cf. S. Rizzo, Il lessico filologico degli umanisti, Roma 1973 (Sussidi eruditi, 26), p. 227-228; L. Gargan, Gli umanisti e la biblioteca pubblica, in G. Cavallo (ed.), Le biblioteche nel mondo antico e medievale, Roma-Bari, 1988, p. 163-186; Id., Biblioteche pubbliche in Italia nel secolo XV, in Niccolò V nel sesto centenario della nascita. Atti del Convegno Internazionale di studi (Sarzana, 8-10 ottobre 1998), Città del Vaticano, 2000 (Studi e Testi, 397), p. 9-20. 53 La dedica del De orthographia è edita in S. Rizzo, Per una tipologia... cit. n. 44, p. 402-407 (p. 403). Cf. C. Bianca, Il pontificato di Niccolò V... cit. n. 45, p. 92. 54 P. Lockwood, De Rinucio Aretino graecarum litterarum interprete, in Harvard studies in classical philology, 24, 1913, p. 51-107 : la dedica del De mundo (1449) a p. 77-78. Cf. F. Niutta, Da Crisolora a Nicolò V : greco e greci alla curia romana, in Roma nel Rinascimento, Roma, 1990, p. 13-36 (p. 27).

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era recato probabilmente per entrare in curia e solo dopo era rimasto suggestionato dal fascino di Lorenzo Valla, discuteva il ruolo degli studi umanistici con gli amici tedeschi Andreas Baier e Albrecht von Eyb, che d’altra parte gli ricordavano una tradizionale presenza di chierici tedeschi in curia 55. Questo intenso coinvolgimento nei confronti di letterati, uomini dotti, curiali, come si evince dalle numerose iniziative promosse al tempo di Niccolò V, doveva comunque essere oggetto di immancabili critiche. Lo stesso Poggio, dopo aver lasciato definitivamente la curia – anche se, come egli teneva a precisare, era stato solo un abbandono fisico, ma non dell’animo e del cuore – 56, dichiarava, in una lettera a Niccolò V dell’autunno 1454, quasi facendo un bilancio della propria vita, di aver assistito a comportamenti e fatti indegni di uomini di Chiesa (vidi indigna religiosis) 57. Già nel 1450, del resto, Poggio si era scagliato contro Iacopo Zeno rimproverandogli l’inadeguatezza rispetto ai suoi doveri vescovili 58. Segni più concreti manifestavano una inquietudine ed un disagio profondi : nel dicembre 1449, ad esempio, Timoteo Maffei scriveva una lunga epistola a Niccolò V, che si può leggere autografa nel ms. Ashburnham 690 della Biblioteca Medicea Laurenziana 59, con la quale spiegava le ragioni 55 Cf. A. Sottili, La formazione umanistica di Johannes Roth, vescovo principe di Breslavia, in S. Graciotti (ed.), Italia e Boemia nella cornice del Rinascimento europeo, Firenze, 1999, p. 211-226 (p. 223). 56 Così scriveva Poggio Bracciolini a Ludovico Scarampo nell’estate del 1454 : Reliqui curiam non animo sed corpore, neque oblivisci possum iocunde consuetudinis que mihi tecum et cum ceteris amicis erat (Poggio Bracciolini, Lettere, III, Epistolarum familiarium libri secundum volumen, Firenze, 1987, p. 252). Nella lettera del 21 giugno 1453 Poggio aveva comunicato a Niccolò V le prime impressioni del suo arrivo a Firenze : Veni Florentiam, beatissime pater, incolumis cum familia [...]. Magna omnium civium alacritate et plausu receptus sum, ita ut mihi videar aliqua in extimatione me apud cives esse; et insuper mihi, quod multi facio, libertas est meo more vivendi concessa. Adeo tamen curie consuetudo et iocunditas dulcis fuit, ut videar non redisse in patriam sed a patria recessisse (ibid., p. 152). 57 Ibid., p. 261. Sulla polemica antimonastica cf. R. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione da Petrarca a Valla, Roma, 1990 (Humanistica, 7), p. 291-293, ed ora P. Gilli, Les formes de l’anticléricalisme humaniste... cit. n. 8. 58 La lettera allo Zeno in P. Bracciolini, Lettere..., III, p. 108-113. Sullo Zeno, autore delle Vitae pontificum e possessore di una ricca biblioteca, cf. L. Bertalot e A. Campana, Gli scritti di Iacopo Zeno e il suo elogio di Ciriaco d’Ancona, in La Bibliofilia, 41 (1939), p. 356-376, rist. in L. Bertalot, Studien zum italienischen und deutschen Humanismus, hrsg. P. O. Kristeller, II, Roma, 1975 (Storia e letteratura, 130), p. 311-332; E. Govi, La biblioteca di Iacopo Zeno, in Bollettino dell’Istituto di Patologia del libro, 10 (1951), p. 34-115; M. Miglio, Storiografia pontificia del Quattrocento, Bologna, 1975, p. 17-18. 59 Il ms. Ashburnham 690 (cf. P. O. Kristeller, Iter italicum, 1, Londra-Leida, 1963, p. 89-90; M. Feo [ed.], Codici latini del Petrarca nelle biblioteche fiorentine, Firenze, 1991, p. 156, nr. 104) è un codice composito, il cui secondo pezzo (ff. 7-

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del suo rifiuto ad accettare la carica vescovile conferitagli per Milano. Per ben tre volte – egli argomentava – Bernardino da Siena aveva respinto la nomina vescovile 60 – ed erano proprio i mesi in cui la commissione dei cardinali stava lavorando per la canonizzazione del frate che si sarebbe trionfalmente conclusa il 20 maggio 1450, anno di giubileo 61. Ma soprattutto la carica vescovile comportava l’abbandono della predicazione e dell’ufficio liturgico e, non ultimo motivo, anche la riduzione del tempo libero da dedicare all’otium litterarium 62. Già nel 1448 Gregorio Correr si era allontanato da Roma, si era allontanato dalla curia. Ma da Verona conduceva una forte battaglia anticuriale, denunciando ad esempio la falsificazione di una bolla di Martino V ad opera di Matteo da Camerino 63. Proprio durante gli anni del pontificato di Niccolò V, accanto all’esplosione delle osservanze, si rinnovava la discussione sulla sancta rusticitas. A tale proposito, nel 1958 padre Meersemann inaugurava (è il primo articolo del primo numero) la nuova rivista Italia medioevale e umanistica con un articolo dal titolo In libris gentilium non studeant, dove magistralmente spiegava la differenza tra leggere, insegnare, spiegare i classici da un lato ed una lettura non strumentalizzata a fini grammaticali dall’altro, ovvero una lettura appassionata e coinvolgente 64. Bernardino da Siena, Alberto da Sarteano 65, Giovanni Capistrano, Giacomo Della Marca 66, uomini colti, anche se variamente orientati, e il ben noto e già citato Girolamo Aliotti con il De monacis erudiendis 67 si erano pronunciati per una migliore for-

22) contiene la lettera autografa del Maffei. Un elenco dei codici che contengono questa lettera di rinuncia si trova nella introduzione di P. S. De Corso a Timoteo Maffei, In sanctam rusticitatem litteras impugnantem. Introduzione, edizione critica e commento, Verona, 2000, p. 68-69. 60 Ashburnham 690, f. 14v. La lettera è datata Verona, 1o dicembre 1449. 61 Cf. M. Miglio, Il pontificato e s. Bernardino, in Atti del Convegno storico bernardiniano in occasione del sesto centenario della nascita di s. Bernardino da Siena, L’Aquila, 1982, p. 237-249, rist. con il titolo «Chi mi voleva fritto e chi arrostito» in M. Miglio, Scritture, scrittori e storia, 2, Città e corte a Roma nel Quattrocento, Manziana, 1993, p. 97-110. 62 Ashburnham 690, f. 16r. 63 La lettera di Gregorio Correr, datata Verona 1o febbraio 1449, è edita in G. Correr, Opere, ed. A. Onorato, 2, Messina, 1994, p. 479-481. 64 G. G. Meersseman, «In libris gentilium non studeant». L’étude des classiques interdite aux clercs au Moyen Age?, in Italia medioevale e umanistica, 1, 1958, p. 1-13. 65 E. Cerulli, Berdini Alberto, in Dizionario biografico degli Italiani, 8, Roma,1966, p. 800-804. 66 Cf. A. Gattucci, Papa Piccolomini e il ‘dotto’ frate Giacomo Della Marca, in Studi latini in ricordo di Rita Cappelletto, Urbino, 1996, p. 207-241. 67 Il De monachis erudiendis (pubblicato in Hieronymi Aliotti Epistolae et Opuscula, 2, Arretii, 1769, p. 176-292) fu terminato nel 1442, a ridosso del concilio di Ferrara e Firenze, e dedicato al pontefice Eugenio IV, che viene definito, in

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mazione monastica, culturale, religiosa e teologica : in particolare Girolamo Aliotti denunciava la trascuratezza e l’ignoranza per gli studi riguardanti la Sacra Scrittura 68. Francesco Micheli del Padovano, frate minore dello studio generale di S. Croce a Firenze, come ricordava p. Celestino Piana, si era rivolto ad romanum clerum quando la curia si trovava a Firenze per il Concilio, lamentando, all’interno di un panegirico su san Tommaso recitato presso S. Maria Novella, la forte decadenza degli studi teologici 69. Analogamente il domenicano Giovanni Caroli nel suo Liber dierum lucensium individuava la causa della decadenza dell’Ordine nella frattura fra studia divinitatis e studia humanitatis 70. Del resto pochi erano coloro che continuavano a studiare teologia : ad esempio Giovanni da Capestrano raccontava al generale Angelo da Perugia che a Lipsia ben 80 giovani dell’università avevano abbandonato gli studi per entrare come novizi nella famiglia francescana dell’Osservanza 71. E parimenti, con ben altro discorso 72, proprio a Firenze il notaio Leonardo di ser Uberti lasciava la sua professione per entrare nel 1458 come novizio dell’Ordine dei Predicatori in San Marco 73. Il suo percorso lo avrebbe poi portato a compilare le Additiones de vita et miraculis beati Antonini, proseguendo il lavoro di Francesco da Castiglione, a sua volta segretario dell’arcivescovo Antonino Pierozzi 74, ma soprattutto a sviluppare una cura davvero particolare verso i libri : egli fu non solo bibliotecario di San Marco, segretario di Leonardo Mansueti, di

un’ottica di rafforzamento del potere pontificio, pontifex primus inter patriarchas (p. 176). 68 Così scriveva Girolamo Aliotti nella dedica ad Eugenio IV : Ego quidem, pater beatissime, maiorum sequutus exempla, quum nuper libellum de monachis erudiendis descripserim, priusquam mihi edendus esset in lucem, illum ad tue Sanctitatis examen censui dirigendum, idque maxime quam sciam plurimos religiosos et bonos in eo carpi et redargiui, qui studia Scripturarum negligentes nescio quam simplicitatem, immo vero imperitiam, ne dementiam dixerim, studiose sectatur (ibid., p. 177). 69 C. Piana, L’evoluzione degli studi nell’Osservanza francescana nella prima metà del ‘400 e la polemica tra Guarino da Verona e fra Giovanni da Prato a Ferrara (1450), in Analecta Pomposiana, 7, 1982, p. 249-289 (p. 256). V. anche n. 80. 70 S. I. Camporeale, Mito di Enea e crisi mendicante. Il «Liber dierum» (146062) di Giovanni Caroli O.P., in Memorie domenicane, n. s., 30, 1999, p. 5-18 (p. 11). 71 C. Piana, L’evoluzione degli studi... cit. n. 69, p. 255. 72 Per il periodo precedente, relativamente alla formazione culturale dei domenicani, cfr. L. Pellegrini, Cultura e devozioni : i frati predicatori, la politica e la vita religiosa in Europa fra il 1348 e il pontificato di Martino V, in S. Gensini (ed.), Vita religiosa e identità politiche : universalità e particolarismi nell’Europa del tardo Medioevo, Pisa, 1998, p. 403-422. 73 Cf. T. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 3, Romae, 1980, p. 87-88. 74 F. Bausi, Francesco da Castiglione fra umanesimo e teologia, in Interpres, 11, 1991, p. 112-181 (p. 131).

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cui trascrisse l’inventario 75, ma anche il copista dell’unico codice oggi rimasto del famoso canone del Parentucelli 76. Proprio durante gli anni faticosi del pontificato di Niccolò V, tormentati dalla congiura di Stefano Porcari, scoppia il dibattito sulla sancta rusticitas. Giovanni da Prato, come è noto, coinvolgeva Guarino a Ferrara 77 ; Timoteo Maffei scriveva il dialogo In sanctam rusticitatem litteras impugnantes dedicandolo a Niccolò V 78, Antonio Beccaria nelle sue Orationes defensoriae prendeva posizione a favore di Guarino (e sostanzialmente della poesia) 79. Lo stesso Paolo Maffei, parente di Timoteo, nonché interlocutore del dialogo In sanctam rusticitatem, manifestava in una lettera a Guarino le proprie incertezze riguardanti la lettura e la trascrizione di testi 80 ; in forma moCf. T. Kaeppeli, Inventari di libri di San Domenico di Perugia (1430-80), Roma, 1962 (Sussidi eruditi, 15), p. 31-32. 76 Cf. M. G. Blasio, C. Lelj e G. Roselli, Un contributo alla lettura del canone bibliografico di Tommaso Parentucelli, in Le chiavi della memoria. Miscellanea in occasione del I centenario della Scuola Vaticana di Paleografia, Diplomatica e Archivistica, Città del Vaticano, 1984 (Littera antiqua, 4), p. 125-165 (p. 132). 77 C. Piana, L’evoluzione degli studi... cit. n. 69, p. 279-284; R. Sabbadini (ed.), Epistolario di Guarino Veronese, 2, Venezia, 1916, p. 519-532. 78 R. Avesani, Verona nel Quattrocento. La civiltà delle lettere, Verona, 1984, p. 84-88; C. Bianca, Il pontificato di Niccolò V... cit. n. 45, p. 88; R. Bianchi, Notizie del cartografo veneziano Antonio Leonardi. Con una appendice su Daniele Emigli (o Emilei) e la sua laurea padovana, in Filologia umanistica... cit. n. 6, p. 165221 (p. 212-214); P. De Corso, Niccolò V «litterarum et religiosorum parens» nell’opera di Timoteo Maffei, in F. Bonatti e A. Manfredi (ed.), Niccolò V nel sesto centenario... cit. n. 52, p. 351-366. Con molta decisione Timoteo Maffei nella dedica al pontefice dichiarava le proprie posizioni : Et quanquam sanctos illorum mores, continentiam, frugalitatem et cetera quae ad religionem pertinent laudibus extollam, tamen cum eos in studiosos viros invehi et, spretis litterarum studiis, in sancta rusticitate gloriari animadverto, non stomachari non possum et tantum errorem moleste non ferre. Et quemadmodum illi a litterarum studiis iuvenes retrahere nituntur, e contra ad eos inflammandos quo illa diligant, quo in eis versentur exhortandos die nocteque laboro (T. Maffei, In sanctam rusticitatem... cit. n. 59, p. 138). Questa dedica era già pubblicata in S. Maffei, Verona illustrata, 2, Milano, 1825, p. 173-175. 79 G. Ronconi, Il grammatico Antonio Beccaria difensore della poesia e la sua «Oratio in Terentium», in Medioevo e Rinascimento veneto con altri studi in onore di Lino Lazzarini, I, Padova, 1979 (Medioevo e Umanesimo, 34), p. 397-426. Cf. anche C. Vasoli, Beccaria, Antonio, in Dizionario biografico degli Italiani, 7, Roma, 1965, p. 447-449; R. Avesani, Verona nel Quattrocento... cit. n. 78, p. 79-83; G. Albanese, Per la fortuna umanistica di Boccaccio : il «Corbaccio» latino di Antonio Beccaria, in Studi umanistici, 2, 1991, p. 89-150. 80 La lettera del canonico Paolo Maffei a Gregorio Guarino (Venezia, 17 giugno) va assegnata al 1449 : essa risulta particolarmente significativa nel brano in cui la coscienza simbolicamente brucia i libri, nel caso particolare gli stessi opuscoli di Guarino, che evidentemente non erano letture consigliate per un canonico : Navigans e Ferraria Ravennam, vetustissimam Italiae urbem, ac perinde Venetias, adeo inter legendum delectatus sum excellenti ingenio patris tui in opuscolis suis quae vel excogitata edidit vel latina ex graecis fecit, ut licentiosius quam ipse 75

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CONCETTA BIANCA

derata il vescovo Ermolao Barbaro nel Contra poetas, risalente al 1455, esprimeva le proprie riserve 81. Ma non solo Ferrara. La tematica era ampiamente diffusa : il già citato Francesco Micheli dedicava a Niccolò V il De non negligendo vel etiam abdicamdo litterarum studio 82 ; a Niccolò V il domenicano Raffaele de Pornassio indirizzava il De consonantia naturae et gratiae 83, una singolare opera dove alcuni lemmi tratti dal Vangelo venivano commentati attraverso la citazione di brani di autori classici 84. Nel De statu ecclesiae Lupo de Speio dichiarava che i clerici devono studiare, parlare e leggere gli scritti sacri e non i poeti e le favole o gli altri scritti profani 85. Ed ancora : nel 1452, come si legge nel colophon, veniva allestito a Roma il Vat. lat. 2951, contenente i Selecta varia ex auctoribus sacris et prophanis in septem libros distincta 86. Era comunque la linea della curia come domicilium sapientie che sarebbe prevalsa, nonostante i fraticelli de opinione 87, nonostan-

debueram libellos illos apud me permiserim. Denique cum saepenumero conscientia urente ipsos, uti pollicitus fueram, statim remittere decrevissem, rursum sententiam revocabam, sive nimia legendi aviditate devictus, sive desiderio exempla eorum a calce usque ad verticem accitis notariis traducendi. Eam ob rem, fretus parentis tui indulgentissima pietate, deliberavi tandem illos ipsos transcibi facere, quo et calamo designanti et excepti schedulis, cum vacat legere, et eruditioni mihi sint praesto et voluptati (L. Capra, Nuove lettere di Guarino, in Italia medioevale e umanistica, 10, 1967, p. 165-218 [p. 170]). 81 Ermolao Barbaro il vecchio, Orationes contra poetas, ed. G. Ronconi, Firenze, 1972. Cfr. G. P. Marchi, Ermolao Barbaro il Vecchio : dispute sulla poesia e controversie per il potere, in La rassegna della letteratura italiana, s. VII, 77, 1973, p. 311-318. 82 R. Pratesi, Francesco Micheli del Padovano di Firenze, teologo ed umanista francescano del secolo XV, in Archivum franciscanum historicum, 47, 1954, p. 293-366 e 48, 1955, p. 73-130; Id., Discorsi e nuove lettere di Francesco Micheli del Padovano teologo e umanistica del secolo XV, in Archivum franciscanum historicum, 49, 1956, p. 83-105. 83 Il testo si può leggere nel Vat. lat. 998. Cfr. R. Creytens, Raphael de Pornassio O. P. (+ 1467). Vie et œuvres, in Archivum fratrum praedicatorum, 49, 1979, p. 145-192. 84 Un elenco degli autori greci e latini citati nel De consonantia si trova in K. Michel, Der Liber de consonancia nature et gracie des Raphael von Pornaxio, Münster, 1915 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, 18,1), p. 46-50. 85 Vat. lat. 4142, f. 2v. Cf. C. Bianca, Il pontificato di Niccolò V ... cit. n. 45, p. 90. Una biografia di Lupo nell’introduzione a Lupo de Spechio, Summa dei re di Napoli e Sicilia e dei re d’Aragona, ed. A. M. Compagna Perrone Capano, Napoli, 1990, p. 15-16. 86 Il codice, appartenuto poi ad Angelo Colocci, è descritto in M. Buonocore, Aetas ovidiana. La fortuna di Ovidio nei codici della Biblioteca Apostolica Vaticana, Sulmona, 1994, p. 203. 87 Cf. da ultimo J. Monfasani, The Fraticelli and clerical wealth in the Quattrocento Rome, in J. Monfasani e R. G. Musto (ed.), Renaissance Society and Culture. Essays in honor of Eugene F. Rice jr., New York, 1991, p. 177-195, rist. in

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te la congiura degli accademici del 1468 88, nonostante i dibattiti sulla potestas pontificia 89. Ancora nel 1482 Pietro Marsi nella sua Oratio in die sancti Stephani, recitata in S. Pietro e dedicata al cardinale Stefano Nardini 90, teorizzava l’importanza della curia. E se era comprensibile che nel 1488 Felino Sandei lasciasse Lucca per recarsi in curia, in quanto «la curia è la madre di tutti i canonisti» 91, il mito della curia continuava 92. Con grande scandalo Ermolao Barbaro il giovane accettava la carica di patriarca di Aquileia, rifugiandosi in quella Roma dove dopo qualche anno avrebbe pubblicato a stampa le sue Castigationes plinianae 93. Con altrettanta grande tenacia, anche se con risultati decisamente negativi, Angelo Poliziano avrebbe cercato di contendere il posto di bibliotecario presso la Biblioteca Vaticana 94. Ma con Alessandro VI lo spazio non c’era : Pietro Garcia, il vescovo spagnolo che aveva contrastato a livello ufficiale le Conclusiones ficinianae, avrebbe ricoperto quel posto 95. Per Poliziano il sogno era finito. Concetta BIANCA

J. Monfasani, Language and learning in Renaissance Italy. Selected articles, Aldershot, 1994, nr. XIV. 88 Cf. P. Medioli Masotti, L’accademia romana e la congiura del 1468, in Italia medioevale e umanistica, 25, 1982, p. 189-204. 89 Cf. M. Miglio, Storiografia pontificia... cit. n. 58, p. 65; P. Prodi, Il sovrano pontefice, Bologna, 1982, p. 38-40. 90 Sulla diffusione manoscritta e a stampa dell’Oratio cf. M. Dykmans, L’humanisme de Pierre Marso, Città del Vaticano, 1988 (Studi e Testi, 327), p. 69-70. Si è qui adottato la forma Marsi, seguendo il contributo di R. Bianchi, Il commento a Lucano e il «Natalis» di Paolo Marsi, in Miscellanea Augusto Campana, I, Padova, 1981 (Medioevo e Umanesimo, 44), p. 71-100. 91 M. Montorzi, Tacuino feliniano. Schede per lo studio della vita e l’opera di Felino Sandei, Pisa, 1984, p. 128. 92 Sulla teorizzazione di comunis patria cf. M. Miglio, Città e corte. Pretesti per una conclusione, in S. Gensini (ed.), Roma capitale (1447-1527), Pisa, 1994, p. 581-590. 93 Cf. R. Fubini, L’ambasciatore nel XV secolo : due trattati e una biografia (Bernard de Rosier, Ermolao Barbaro, Vespasiano da Bisticci), in Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 108, 2, 1996, p. 645-665 (p. 660); P. Labalme, Sacred and secular heroes : Ermolao on wordly honor, in M. Marangoni e M. Pastore Stocchi (ed.), Una famiglia veneziana nella storia : i Barbaro, Venezia, 1996, p. 331-344; V. Branca, La sapientia civile. Studi sull’Umanesimo a Venezia, Firenze, 1998, p. 174-177. 94 C. Bianca, Poliziano e la curia, in V. Fera e M. Martelli (ed.), Agnolo Poliziano, poeta scrittore filologo. Atti del Convegno internazionale di studi (Montepulciano, 3-6 novembre 1994), Firenze, 1998, p. 459-475 (p. 461). 95 A. M. Albareda, Il vescovo di Barcellona Pietro Garsias bibliotecario della Vaticana sotto Alessandro VI, in La Bibliofilia, 60, 1958, p. 1-18; M. Miglio, Xàtiva, Roma, Barcellona : Pietro Garcia, in Roma nel Rinascimento, Roma, 1999, p. 257260.

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L’HUMANISME AU SERVICE DE L’OBSERVANCE QUELQUES PISTES DE RECHERCHE*

En abordant les rapports entre culture humaniste et observance sous la forme de l’humanisme au service de l’observance, j’ai bien conscience de pénétrer sur un terrain non seulement difficile en soi, mais aussi miné par une image principalement laïque et civile de l’humanisme, véhiculée par l’historiographie depuis Hans Baron au moins1. Sans entrer dans le mérite de cette orientation historiographique (qui, au demeurant, est loin d’être univoque), il me semble important de souligner comment certaines études récentes sur des textes fondateurs de l’interprétation laïque de l’humanisme – comme les fameuses polémiques anti-monastiques 2 – ou les récents * Tous mes remerciements vont à Rosa Maria Dessì pour ses conseils à un moment où cette contribution risquait de s’enliser : en espérant qu’elle me pardonnera de ne pas avoir su parcourir toutes les pistes que m’ouvraient ses suggestions. 1 En particulier H. Baron, The crisis of the early Italian Renaissance. Civic Humanism and republican liberty in an Age of Classicism and tyranny, Princeton, 1966 et du même auteur, le recueil d’articles publié sous le titre In search of florentine civic Humanism. Essays on the transition from medieval to modern thought, 2 vol., Princeton, 1988 (d’un point de vue historiographique et théorique, voir en part. A defense of the view of the Quattrocento first offered in The crisis of the Early Italian Renaissance (1970), ibid., vol. 2, p. 194-211). Sur les rapports entre humanisme et religion, on ne saurait ignorer les travaux de C. Trinkaus, In our image and likeness. Humanity and divinity in italian humanist thought, 2 vol. Londres, 1970. Du même auteur, voir la mise au point sur l’évolution de l’historiographie anglosaxonne concernant les rapports entre humanisme, religion et société, C. Trinkaus, Humanism, religion, society : concepts and motivations of some recent studies, désormais dans Id., Renaissance transformations of late medieval thought, Aldershot-Brookfield, 1999 (Variorum Collected Studies Series XIII), p. 676-713. Enfin, voir le dernier bilan dressé par James Hankins dans l’introduction à Renaissance civic Humanism, éd. J. Hankins, Cambridge, 2000, p. 113 qui renvoie à la bibliographie antérieure. 2 La bibliographie sur ce sujet est immense et de qualité variable en raison d’un manque fréquent de sérénité dans la lecture de ces textes d’invective. Je ne citerai donc que quelques titres récents qui me semblent renouveler l’approche comme les articles de L. Gualdo Rosa, Leonardo Bruni, l’«Oratio in hypocritas» e i suoi difficili rapporti con Ambrogio Traversari, dans Ambrogio Traversari camaldolese nel VI centenario della nascita, 1386-1986, Camaldoli, 1987 (Quader-

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colloques sur les sources patristiques et l’humanisme 3 ont permis de réviser un certain nombres d’a priori sur les rapports entre culture religieuse et culture humaniste et d’ouvrir la voie à une interprétation plus articulée des relations complexes entre humanisme et monde régulier. Le sujet n’est pas neuf pour autant et certains parmi les fondateurs des études humanistes, comme E. Garin, D. Cantimori ou P. O. Kristeller 4, avaient déjà pris en compte les échanges entre les deux milieux. Le dernier en particulier, dans un célèbre article sur la contribution des ordres religieux à l’humanisme, proposait de réévaluer (sans pour autant ôter à la culture humaniste sa nature principalement laïque) le rôle des religieux dans la culture de la Renaissance, comme continuateurs des traditions médiévales mais aussi comme participants actifs aux nouveaux mouvements intellectuels de l’époque et notamment aux studia humanitatis : c’est à la fois dans la continuité de cet article, attentif aussi bien aux lieux de cultures qu’aux pratiques spécifiques, mais en en renversant les termes que se situe cette contribution 5. Même si, comme nous le verrons, il n’y a pas de circulation à sens unique dans le domaine des relations entre humanisme et observance pour la simple raison qu’elles mettent en scène des hommes dans le cadre de réseaux aux ressorts variés, il s’agira principalement de comprendre comment certains aspects du renouvellement des méthodes de savoir et du bouleversement de la hiérarchie des connaissances constitutifs de la culture humaniste furent utilisés (certains diraient instrumentalisés, voire détournés) au service de la promotion d’un mouvement de réta monastica, 45), p. 89-111 et P. Viti, Leonardo Bruni e le polemiche antiumanistiche, dans Gli Umanesimi medievali, éd. C. Leonardi, Florence, 1998 (Millenio medievale, 4), p. 794-805. Voir aussi infra note 72. 3 S. Gentile (éd.), Umanesimo e Padri della Chiesa. Manoscritti e incunaboli di testi patristici da Francesco Petrarca al primo Cinquecento, Caleppio di Settala (Mi), 1997 et M. Cortesi et C. Leonardi (éd.), Tradizioni patristiche nell’Umanesimo, Florence, 2000, en part. l’article de P. Viti qui souligne les différences de points de vue de deux lecteurs de Basile, l’un à la recherche d’un modèle d’éducation morale et communautaire pour le citoyen, l’autre d’un modèle d’ascétisme et d’orthodoxie : Bruni e Traversari lettori di San Basilio, ibid., p. 23-41. 4 Je pense notamment à E. Garin, Problemi di religione e filosofia nella cultura fiorentina del Quattrocento, dans La cultura filosofica del Rinascimento italiano. Ricerche e documenti, Milan, 1994 (1e éd. 1961), p. 127-142. Pour le tournant entre XVe et XVIe siècles, il faut également rappeler les travaux de Delio Cantimori, en particulier Umanesimo e religione nel Rinascimento, Turin, 1975. 5 P. O. Kristeller, The contribution of religious orders to Renaissance thought and learning, dans Medieval aspects of Renaissance learning, Durham (N.C.), 1974, p. 95-158. Sur le même milieu, voir la synthèse sans prétention des travaux antérieurs dans G. Picasso, Il monachesimo alla fine del Medioevo : tra umanesimo e «devotio», dans G. Penco (éd.), Cultura e spiritualità nella tradizione monastica, éd. Rome, 1990 (Studia Anselmiana, 103), p. 129-147 (désormais dans id., Tra umanesimo e devotio. Studi di storia monastica, Milan, 1999, p. 97-113).

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forme interne des ordres religieux (principalement l’ordre camaldule et celui des ermites de saint Augustin) à partir de la fin du XIVe et surtout au XVe siècle 6. On peut saisir ces interférences à différents niveaux, en privilégiant par exemple la constitution et le fonctionnement des réseaux de personnes où se croisent intérêts culturels, politiques et religieux (je n’y ferai qu’une allusion rapide); ou encore en privilégiant la communauté de sources et d’auteurs de référence, ainsi que la circulation de thèmes communs entre les deux milieux : celui des vertus salvatrices des études et de la perfectionnabilité de l’homme, celui de la réflexion sur la restauration de l’âge d’or des origines du savoir comme de l’observance, celui de la recherche de l’otium et du désert; ou, enfin, en privilégiant des pratiques intellectuelles communes comme la traduction, la littérature épistolaire, l’histoire, l’art oratoire, voire l’hagiographie. Il ne s’agit bien sûr pas d’explorer tous ces domaines mais d’en privilégier certains et d’en présenter le contexte général de développement, en vue de recherches futures. Mes enquêtes sur le contexte socio-politique du développement de l’ordre camaldule à la fin du Moyen Âge ont permis de mettre en évidence le fonctionnement exemplaire de certains réseaux à l’intersection entre pratique politique, culture humaniste et réforme ecclésiastique 7. Le plus ramifié, mais aussi le plus perceptible grâce à la richesse des sources l’illustrant (une correspondance fournie et un récit de visites aux accents de voyage culturel), est le réseau d’Ambrogio Traversari qui se développe dans toute l’Italie du centre et du 6 Sur ces échanges, voir G. Zarri, Aspetti dello sviluppo degli ordini religiosi in Italia tra Quattro e Cinquecento. Studi e problemi, in P. Prodi e P. Johannek (éd.), Strutture ecclesiastiche in Italia e in Germania prima della Riforma, Bologne, 1984, p. 207-257 et K. Elm, Mendikanten und Humanisten im Florenz des Tre- und Quattrocento. Zum Problem der Legitimierung humanistischer Studien in den Bettelorden, dans O. Herding et R. Stupperich (éd.), Die Humanismus in ihrer politischen und sozialen Umwelt, Boldt, 1976, p. 53-85; Id., Verfall und Erneuerung des Ordenswesens im Spätmittelalter. Forschungen und Forschungenaufgaben, dans Untersunchungen zu Kloster und Stift, éd. J. Fleckenstein, Göttingen, 1980, p. 188238 (Studien zur Germania Sacra, 14); Id., Monastische Reformen zwischen Humanismus und Reformation, dans 900 Jahre Kloster Bursfelde. Reden und Vorträge zum Jubiläum 1993, herausgegeben von Lothar Perlitt Abt von Bursfelde, Göttingen, 1993, p. 59-111. Sur l’ordre camaldule dans ce contexte, voir C. Caby, I Padri nell’osservanza camaldolese : uso, riuso, abuso, dans Tradizioni patristiche nell’Umanesimo, cit. note 3, p. 175-191 et Entre observance et humanisme. Définitions et pratiques d’une orthodoxie culturelle dans l’ordre camaldule, dans S. Elm, É. Rebillard et A. Romano (éd.), Orthodoxie, christianisme, histoire. Orthodoxy, christianity, history, Rome, 2000, p. 3-22 (Collection de l’École française de Rome, 270). 7 Sur ce type d’approche à l’échelle d’une ville voir le livre pionnier de L. Martines, The social world of Florentine humanists 1390-1460, Princeton, 1963, et, pour Venise, M. L. King, Umanesimo e patriziato a Venezia nel Quattrocento, 2 vol., traduc. ital., Rome, 1989 (éd. originale, Princeton, 1986).

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nord-est dans le premier tiers du XVe siècle 8. L’un de ses principaux pôles se situe indéniablement à Florence autour de Niccolò Niccoli (son allié dans la redécouverte de la littérature patristique) et des frères Cosme et Laurent de Médicis avec lesquels Traversari entre en relation au moins dès 1416 : amitié littéraire soutenue par l’échange, la copie ou la commande de livres et l’attention pour l’éducation des fils de Cosme, amitié politique qui s’affiche plus que jamais au cours de l’exil des deux frères en 1433 9. En cette occasion, Traversari met en branle toutes ses relations à Florence (y compris son amitié avec le principal opposant des Médicis, Rinaldo degli Albizzi), à Venise (où les Médicis se sont réfugiés) et à la Curie pour favoriser le retour des deux frères. Au plus fort de la tourmente, Traversari écrit : Nos efforts étaient encouragés par les prières des amis qui arrivaient de toutes les directions pour nous recommander l’affaire avec une grande affection et un soin passionné. Si pour eux, parce que suspects de faction, il pouvait être extrêmement dangereux de parler,

8 Ambrosii Traversarii Generalis Camaldulensium... Latinae Epistolae, éd. P. Canneti e L. Mehus, Firenze, 1759, réed. anastatique, Bologne, Forni, 1968 (désormais Traversari, Epistolae, avec indication du livre, du numéro d’ordre de la lettre et des colonnes); cette édition (notamment la datation des lettres) doit être corrigée le cas échéant grâce à F. P. Luiso, Riordinamento dell’Episolario di A. Traversari, con lettere inedite e note storico-cronologiche, Florence, 1898-1903 (désormais Luiso, avec indication du livre et du numéro d’ordre de la lettre après correction); Ambrogio Traversari, Hodoeporicon, éd. dans A. Dini-Traversari, Ambrogio Traversari e i suoi tempi, Florence, 1912 (traduction italienne de V. Tamburini : A. Traversari, Hodoeporicon, Florence, 1985). Outre ces sources, on trouvera des indications très précieuses pour la reconstruction du «réseau» de Traversari dans l’œuvre de Vespasiano da Bisticci, Vite di uomini illustri del secolo XV, éd. A. Greco, 2 vol., Florence, 1970. La bibliographie concernant Ambrogio Traversari s’étant récemment accrue de façon vertigineuse, je me contente de renvoyer à C. L. Stinger, Humanism and the Church Fathers. Ambrogio Traversari (1386-1439) and christian antiquity in the Italian Renaissance, Albany, 1977 (fondamental dans notre optique); C. Somigli et T. Bargellini, Ambrogio Traversari monaco camaldolese, Bologne, 1986 (pour l’attention accordée au rôle de Traversari dans son ordre); Ambrogio Traversari camaldolese nel VI centenario della nascita, 1386-1986, Camaldoli, 1987 (Quaderni di vita monastica, 45); Ambrogio Traversari nel VI centenario della nascita, convegno internazionale di studi (Camaldoli-Firenze, 15-18 sett. 1986), éd. G. C. Garfagnini, Florence, 1988. À propos du réseau d’A. Traversari et pour une vision d’ensemble de la bibliographie, je me permets de renvoyer à C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain. Les Camaldules en Italie à la fin du Moyen Âge, Rome, 1999 (BEFAR, 305), en part. p. 570-579, 605-616, 720-734, ainsi qu’aux deux articles signalés supra note 6. 9 Sur l’amitié avec les Médicis, voir C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 570-574 et 613-615; sur les événements de 1433, voir D. Kent, I Medici in esilio : una vittoria di famiglia ed una disfatta personale, dans Archivio storico italiano, 132, 1974, p. 3-63 et The rise of the Medici faction in Florence, 1426-1434, Oxford, 1978, p. 303-335.

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nous, grâce à notre habit, notre religion et nos amitiés, nous pouvions tirer grand profit de nos interventions10.

Le second pôle de ce réseau est la cour pontificale, en particulier celle d’Eugène IV, qui voit passer la plupart des réformateurs vénitiens et de nombreux savants investis dans les projets de réunion avec l’Église grecque11. Le dernier est Venise où le Camaldule est en fréquents contacts avec Francesco Barbaro : si leur amitié est avant tout intellectuelle, ni l’un ni l’autre ne s’interdisent d’en user au profit d’amis à placer dans quelque magistrature florentine ou inversement pour entrer dans les grâces des autorités vénitiennes qu’il faut rallier à la réforme camaldule12. Dans la plupart des cas, en particulier à partir de son élection comme prieur général, Traversari fait fonctionner son réseau au service aussi bien de son travail intellectuel (pour l’obtention de manuscrits, leur copie, leur échange), que de son ordre qu’il a entrepris de réformer; à quelques occasions (l’exil des Médicis en 1433-1434, la menace pesant sur le gouvernement pontifical de Bologne en 1434-1435), ses interventions se font plus directement politiques. À sa mort, ce réseau d’amitié et d’influences ne disparaît pas totalement, mais les États se fractionnant toujours davantage et la congrégation camaldule perdant de sa cohérence, les relations tendent à se nouer de plus en plus à l’échelle régionale. Sans compter qu’aucun des élèves ou successeurs de Traversari ne sera plus en mesure d’afficher la culture de leur maître. Quoi qu’il en soit, certains des disciples florentins de Traversari restent en contact avec leurs mécènes traditionnels, les Médicis, tel ce frère Michele de Santa Maria degli Angeli, fidèle copiste au service de la famille, et surtout Mariotto Allegri, élu prieur général en 1453, très lié au fils de Cosme et dont on connaît les échanges épistolaires avec certains lettrés de son temps, en particulier Girolamo Aliotti, Politien et Guarin13. Or, paradoxalement, ce lien devient d’autant plus ambigu qu’il devient exclusif, comme en fera la triste expérience le prieur général

10 Traversari, Hodoeporicon, éd. A. Dini Traversari, p. 88-90 (traduc. italienne V. Tamburini, p. 168-174), en part. p. 88 (traduc. p. 169) : Accendebant studia nostra amicorum preces, qui ad nos omni ex parte confluentes, miro affectu et propensiore cura negotium nobis commendabant. Se, utpote suspectos factionis, periculosius loqui pro illis posse; nos ratione habitus ac religionis et amicitiae, profuturos plurimum assiduitate nostra. 11 C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 720-734. 12 Ibid., p. 574-575. 13 Sur la pérennité et les transformations du réseau de Traversari, voir ibid., p. 579-587, 612-616. J’approfondis actuellement mes recherches sur cette génération et notamment ses liens avec le bénédictin Girolamo Aliotti.

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vénitien Pietro Dolfin à partir de 1480, à l’époque de Laurent de Médicis14. À nul n’échappera le caractère exceptionnel du système de relations constitué autour de Traversari, individu d’une carrure intellectuelle extraordinaire. Cela dit, il me semble important de tenter de comprendre le parcours de Traversari dans le contexte de sa vocation et de sa carrière au sein de l’ordre camaldule. Certes, ses initiatives réformatrices y furent l’objet de bien des oppositions, notamment de la part des ermites de Camaldoli inquiets de se voir remplacés par un bataillon de jeunes moines dotés d’une formation intellectuelle solide et en tout fidèles au prieur général; certes les principaux aspects de son programme (comme la réforme du système scolaire) y eurent peu d’effets à long terme; il n’en demeure pas moins que l’idéal réformateur de Traversari, mûri au sein de l’ordre camaldule, et ses choix intellectuels sont organiquement liés. Ainsi, lorsque Traversari, comme simple moine dans sa cellule à Santa Maria degli Angeli ou en tant que prieur général de la congrégation camaldule à partir de 1431, entend restaurer le monachisme camaldule, ce n’est pas tant à Romuald (à travers Pierre Damien) qu’il fait appel, ni aux Pères du monachisme occidental (même s’il n’y est pas indifférent, comme l’atteste sa révision des Dialogues de Didier du Mont-Cassin15), mais aux Pères grecs, véritables fondateurs du monachisme ascétique qu’il souhaite reconstruire. À peine élu prieur général de l’ordre, Traversari envoie une lettre circulaire à tous les Camaldules, exhortant le petit reste à suivre les pas des Pères, source de la sagesse, pour restaurer la vigne du Seigneur in antiquam gratiam et ubertatem et primae sanctitatis faciem16. C’est à cet objectif qu’est lié son programme de traduction qui va bien au delà des Vies des Pères pour englober une véritable anthologie de la littérature ascétique grecque en mesure de proposer un modèle pratique de vie vertueuse17. 14 C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 592-595, 774783, où l’on trouvera en outre la bibliographie disponible sur Pietro Dolfin, à propos duquel je me contente de renvoyer ici à J. Schnitzer, Peter Delfin General des Camaldulensersordens (1444-1525), Munich, 1926 et R. Zaccaria, Dolfin Pietro, dans Dizionario biografico degli Italiani, 40, Rome, 1991, p. 565-571. 15 V. Brown, Ambrogio Traversari’s Revision of the «Chronicon Casinense» and the «Dialogi de miraculis S. Benedicti» : The oldest manuscript rediscovered, dans Mediaeval studies, 58, 1996, p. 327-338. 16 Traversari, Epistolae, XVIII, 3, col. 818-823 = Luiso, XVIII, 12 (aux confrères de l’ordre, 26 mars 1433); on retrouve les mêmes exhortations dans IV, 6, col. 204-206 = Luiso, IV, 5 (aux moines bénédictins, de la part d’Eugène IV, 1432) et XVIII, 2, col. 815-818 (au chapitre général, 15 octobre 1430). 17 Voir en premier lieu C. Stinger, Humanism and the Church Fathers... (cité note 8), en part. p. 170-180 et C. Caby, I padri nell’osservanza camaldolese... (cité note 6), en part. p. 181-184.

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Ce processus de récognition du passé en vue de sa restauration, caractéristique des mouvements d’observance, n’emprunte pas nécessairement la méthode de Traversari, fondée sur la conviction de la continuité par l’imitation entre le monachisme antique et celui de son ordre. Certains ordres en quête de réforme, privilégient une continuité par filiation (plutôt que par imitation), n’hésitant pas, si besoin est, à se construire des origines antiques avec un raffinement varié et plus ou moins de succès18. L’un des exemples désormais les mieux étudiés grâce à l’attention que lui ont apportée K. Elm, K. Walsh et D. Webb est celui de l’ordre des ermites de saint Augustin19. Si je m’y arrête à nouveau c’est en raison des grandes similitudes qu’il présente avec l’ordre camaldule dans cette entreprise de retour à l’observance des origines, et ce d’un double point de vue : la place qu’y occupe l’idéal érémitique et le rôle qui y est assigné aux études. Le renouveau médiéval de l’intérêt pour l’hagiographie de saint Augustin n’est pas strictement contemporain du développement de l’observance dans l’ordre des ermites portant son nom. Une première saison – sur laquelle il n’y a pas lieu de s’attarder ici – eut lieu

18 Cette question de la récognition et de la reconstruction du passé et, en particulier des origines, en vue de leur restauration rencontre très largement les thématiques du séminaire de l’École française de Rome «La mémoire des origines dans les institutions médiévales» dont les résultats seront exposés au cours d’une table-ronde en juin 2002 et publiés dans les MEFRM, 115, 1, 2003. À propos de ce processus dans les ordres religieux, on trouvera des suggestions et un premier bilan bibliographique dans K. Elm, Die Bedeutung historicher Legitimation für Entstehung, Funktion und Bestand des mittelalterlichen Ordenswesens, dans P. Wunderli (éd.), Herkunft und Ursprung. Historische und mythische Formen der Legitimation, Akten des Gerda Henkel Kolloquiums veranstaltet vom Forschungsinstitut für Mittelalter und Renaissance der Heinrich-Heim-Universität (Düsseldorf, 13-15 Oktober 1991), Sigmaringen, 1994, p. 71-90. 19 K. Walsh, Wie ein Bettelorden zu (s)einem Gründer kam. Fingierte Traditionen um die Entstehung der Augustiner-Eremiten, dans Fälschungen im Mittelalter. Internazional Kongress der MGH, München 16-19 sept. 1986, Hanovre, 1988, vol. 5, p. 586-610; K. Elm, Elias, Paulus von Theben und Augustinus als Ordensgründer. Ein Beitrag zur Geschichtsschreibung und Geschichtsdeutung des Eremiten – und Bettelorden des 13. Jahrhunderts, dans H. Patze (éd.), Geschichtsdeutung im Spätmittelalter, Sigmaringen, 1987 (Vorträge und Forschungen, 35), p. 371-397; Augustinus canonicus, Augustinus Eremitas. A Quattrocento cause célèbre, dans T. Verdon et J. Henderson (éd.), Christianity and the Renaissance. Image and religious imagination in the Quattrocento, Syracuse-New York, 1990 et Die Bedeutung historicher Legitimation...; F. Santi, Santità agostiniana nel sec. XIV, dans Per corporalia ad incorporalia. Spiritualità, agiografia, iconografia e architettura nel Medioevo agostiniano, Tolentino, 2000, p. 113-122. Il existe en outre au sein de l’ordre une expression iconographique de ces traditions historiographiques à laquelle renvoient les articles précédents, en part. K. Elm, Augustinus canonicus, Augustinus Eremitas..., notes 52-57, p. 106.

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entre le milieu du XIIIe et le XIVe siècle, au moment même de la naissance de cet ordre qui y recherchait une forme de légitimation. De cette époque date une image de saint Augustin ermite et fondateur d’un ordre en quête d’origines antérieures aux décrets de Latran IV et de Lyon II contre la prolifération des ordres religieux 20. L’extrême fin du XIVe et le XVe siècles voient non seulement une nouvelle efflorescence de l’hagiographie de l’évêque d’Hippone qui englobe sa mère Monique (investi d’un rôle décisif dans la conversion de son fils), mais encore une transformation de cette image qui privilégie désormais (sans abandonner le thème de la paternité d’Augustin pour l’ordre) le thème de la compatibilité entre solitude et amour des lettres, celui de la vita mixta chère à Luigi Marsigli 21. La force du modèle d’Augustin expliquerait même l’ouverture précoce de l’ordre aux transformations humanistes de l’art oratoire : la tradition du discours homilétique de type patristique, restée très vive chez les ermites de saint Augustin, en dépit de la généralisation du sermo modernus chez les frères mendiants, ayant facilité l’adoption par certains prédicateurs augustins d’une nouvelle forme oratoire modelée sur le genre épidictique 22. Pour les générations suivantes, et

20 C’est dans ce contexte qu’il faut lire le traité d’Henry de Friemar sur l’histoire de son ordre (1334) ou le fameux Liber Vitas fratrum de Jourdain de Quedlindburg : R. Arbesmann, Henry of Friemar’s «Treatrise on the origins and development of the Order of the Hermit Friars and its true and real title», dans Augustiniana, 6, 1956, p. 37-145; Jourdain de Saxe, Liber Vitas fratrum, éd. R. Abersmann et W. Hümpfner, New York, 1943. Sur ces textes, leurs auteurs et leurs sources, outre les contributions citées supra note 19, voir R. Arbesmann, Jordanus of Saxony’s Vita S. Augustini, the source for John Caprave’s life of St Augustine, dans Traditio, 1, 1943, p. 341-353; The Vita Aurelii Augustini Hipponensis Episcopi in Cod. Laurent. Plut. 90 sup. 48, ibid., 18, 1962, p. 319-355; The edition of the Vita S. Augustini in Boston Public Library Ms 1483, dans Revue des études augustiniennes, 11, 1965, p. 43-54; A legendary of early Augustinian saints, dans Analecta Augustiniana, 29, 1966, p. 5-58; B. Rano, La dos primeras obras conocidas sobre el origen de la Orden Agustiniana, ibid., 45, 1982, p. 329-376. 21 P. Courcelle, Les confessions d’Augustin dans la tradition littéraire, Paris, 1963; P. O. Kristeller, Augustine and the early Renaissance, désormais dans Studies in Renaissance thought and letters, Rome, 1956, 2e éd. 1984 (Storia e letteratura. Raccolta di studi e testi, 54), p. 355-372; D. Webb, Eloquence and education : a humanist approach to hagiography, dans The journal of ecclesiastical history, 31, 1980, p. 19-39, en part. p. 29-32. 22 J’emprunte cette remarque au très riche article de C. Delcorno, La predicazione agostiniana (sec. XIII-XV), dans Gli Agostiniani a Venezia e la chiesa di Santo Stefano, Venise, 1997, p. 87-108, en part. 100-103 : l’auteur souligne le rôle déterminant d’Andrea Biglia qui, avant l’apparition du sermon humaniste au concile de Constance (oraison funèbre de Poggio Bracciolini pour la mort du cardinal Zabarella, 1417), marque déjà (dans les discours pour l’anniversaire de la mort de Gian Galeazzo Visconti) le retour aux lignes épurées de l’art oratoire antique articulée en trois points.

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Andrea Biglia en est l’un des représentants les plus éloquents 23, la revendication de paternité d’Augustin est englobée dans une perception antique des origines de son ordre qu’il situe, à la suite du Pétrarque du De vita solitaria, dans les expériences érémitiques des Pères orientaux, source de toute vie religieuse digne de ce nom 24. Et de fait, c’est dans cette version intellectualisée que l’entreprise historiographique augustinienne a le plus de succès à l’extérieur de l’ordre, où l’image d’un Augustin ermite se greffe à un idéal de la spiritualité humaniste porté à son développement le plus haut par Pétrarque, celui de la docte solitude aux sources antiques et patristiques 25. Le renouveau de l’hagiographie augustinienne dans le cadre de la définition de l’observance augustine se distingue également par ses méthodes, notamment la recherche des sources, puisqu’il privilégie les Confessions au détriment de textes à la paternité douteuse, comme la lettre d’Augustin à sa sœur Perpetua. De ce point de vue, il est intéressant de confronter l’usage d’Augustin dans cet ordre à celui de Jérôme dans l’ordre des Hiéronymites réformé par Lope de Olmedo (1370-1433) sur la base d’une règle résultant d’un collage d’extraits de l’œuvre de Jérôme. Le résultat, une fictive regula monachorum sancti Hieronymi, impose une observance très rude comprenant entre autres le refus des études. Les tensions créées par l’application de cette réforme en Espagne contraignent Lope à abandonner sa charge de prévôt général et à se réfugier à Rome. Le 2 mars 1427, il écrit à Traversari et à Gomes (réformateur de la Badia florentine et membre de la congrégation de Sainte-Justine de Padoue) pour les consulter sur son projet de réforme. Sans entrer dans les détails de

23 À propos d’Andrea Biglia, voir R. Sabbadini, Andrea Biglia frate agostiniano del XV secolo, dans Rendiconti del R. Istituto lombardo di scienze e lettere, 39, 109, p. 187-195 (qui reste encore utile); R. Arbesmann, Andrea Biglia Augustinian friar and humanist († 1435), dans Analecta augustiniana, 28, 1965, p. 154-218; s. v., dans Dizionario biografico degli Italiani, 10, Rome, 1968, p. 413-415; D. M. Webb, Andrea Biglia at Bologna, 1424-7 : a humanist friar and the trouble of the Church, dans Bulletin of the Institute of historical research, 49, 1976, p. 41 et suivantes; voir aussi infra note 72. Sur le contexte siennois à l’époque où y réside Biglia, voir G. Fioravanti, Alcuni aspetti della cultura umanistica senese del ‘400, dans Rinascimento, 19, 1979, p. 117-167, article touffu qui signale de nombreux auteurs mal connus. 24 A. M. Voci, La suggestione umanista dell’eremo in Andrea Biglia, dans Critica storica, 18, 1981, p. 661-681 et Petrarca e la vita religiosa : il mito umanista della vita eremitica, Rome, 1983 (Studi di storia moderna e contemporanea, 13). 25 Belles remarques de F. Santi, Santità agostiniana... (cit. note 19), p. 116; voir le traditionnel U. Mariani, Il Petrarca e gli Agostiniani, Rome, 1946 et R. Arbersmann, Der Agustinereremitenorder und der Beginn der humanistischen Bewegung, dans Augustiniana, 14, 1964, p. 603-639 et 15, 1965, p. 265-269.

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cette correspondance, retenons que l’une des principales critiques de Traversari porte sur l’usage des textes et leur interprétation étrangère à toute méthode humaniste de critique textuelle. Lope utilise sans rigueur des lettres attribuées par erreur à Jérôme et des textes apocryphes qui a Patrum traditione deviant; en somme, conclue le réformateur et humaniste camaldule Regulam istam falso inscriptam Hieronymo tibi penitus abiciendam censeo 26. Cette exigence humaniste de sources plus sûres, en particulier de Vies plus authentiques, et lues avec plus de rigueur englobe la plupart des Pères, dans un mécanisme d’historicisation et d’humanisation des vicissitudes chrétiennes qui consent (non sans quelques réticences dans les milieux ecclésiastiques) de percevoir l’histoire de l’Église comme élément de l’histoire de l’humanité 27. Rappelons les entreprises de révision des Vies des martyrs auxquelles participe Antonio Agli, et avant lui Traversari, ou encore (à travers la révision de la Vie de Potitus) Leon Battista Alberti lui-même 28. Plus modestement, les moniales de Santa Croce della Giudecca demandent à Ermolao Barbaro, évêque de Vicence, une nouvelle version de la Vie de saint Athanase par Eusèbe de Césarée, en substitution de la version peu fiable qu’elles utilisent (cum existimetis veterem illam de eo viro pervulgatam historiam... haudquaquam fidelem esse... iudicetisque illam multis in rebus apocripham esse nec ubique veritatem continere). L’évêque s’exécute dans la plus grande fidélité au texte d’Eusèbe : unum certissimum est, me veritatem de eo viro conscripsisse, Eusebium potissimum sequutum, quem fidelissimum scriptorem nostra semper Ecclesia comprobavit 29. C’est une même sensibilité aux quali26 J’ai déjà proposé une analyse de cette correspondance dans C. Caby, I Padri nell’osservanza camaldolese..., p. 183-184. Sur la réinterprétation de Jérôme à la fin du Moyen Âge, voir E. F. Rice, Saint Jerome in the Renaissance, Londres, 1985 et J. M. McManamon, Pier Paolo Vergerio (the Elder) and the beginning of the humanist cult of Jerome, dans The catholic historical review, 71, 1985, p. 353-371. Sur les pères de l’Église et l’humanisme, voir E. F. Rice, The Renaissance idea of christian antiquity : humanist patristic scholarship, in A. Rabil (éd.), Renaissance Humanism. Foundations, forms and legacy, Philadelphie, 1988, vol. 1, p. 17-28; R. Fubini, Intendimenti umanistici e riferimenti patristici dal Petrarca al Valla. Alcune note sulla saggistica morale nell’Umanesimo, désormais dans Id., Umanesimo e secolarizzazione da Petrarca a Valla, Rome, 1990, p. 137-181 et les actes du récent colloque Tradizioni patristiche nell’Umanesimo, cit. supra note 3 qui, au travers des riches contributions qu’il rassemble, fournit une ample bibliographie sur le sujet. 27 C. Stinger, Humanism and the Church Fathers..., p. 190-202. 28 D. M. Webb, Sanctity and hagiography : Antonio Agli and humanist hagiography, dans P. Denley, C. Elam (éd.), Florence and Italy. Renaissance studies in honour of Nicolai Rubinstein, Londres, 1988 (Westfield publications in medieval studies, 2) p. 297-308; M. Miglio, Storiografia pontificia del Quattrocento, Bologne, 1975, p. 179. 29 Édition dans Ermolao Barbaro il Vecchio, Orationes contra poetas. Episto-

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tés humanistes de son œuvre que proclame Giovanni Tortelli à propos de sa Vita Athanasii dont il écrit : gesta quae apud Graecos conscripta comperimus, in latinum fidelissime convertemus addemusque alia quaedam quae apud latinos adprobatissimos auctores legendo didicimus 30. Dans ce contexte, les saints récents reçoivent moins de faveurs, même si D. Webb et F. Bausi ont pu définir une forme d’hagiographie humaniste de ces saints (entre autres Antonino Pierozzi ou Bernardin de Sienne), caractérisée par une méthode de critique des sources et d’historicisation conforme aux nouvelles normes culturelles, par un style élevé, enrichi de figures rhétoriques et de citations et fidèle aux canons d’écriture du temps, ainsi que par l’introduction de nouveaux modèles de vertu au parfum humaniste 31. De ce point de vue, on peut rappeler l’intéressante mais vaine tentative de l’ordre camaldule, ou plutôt du petit cercle des disciples de Traversari qui englobe ses élèves dans et hors de l’ordre, de promouvoir l’écriture de sa Vie : en réalité le projet n’est pas tant celui d’une Vita que d’une biographie sur le modèle de celles des catalogues d’hommes illustres alors tant à la mode. Les recommandations faites en vue de la collecte des informations sur Traversari (scripta et translata, simul etiam gesta) et les critères de choix qui conduisent à

lae, éd. G. Ronconi, Florence, 1972, ep. VI, p. 157-159; cf. R. L. Guidi, Questioni di storiografia agiografica nel Quattrocento, dans Benedictina, 34, 1987, p. 167-252, en part. p. 184 et M. Cortesi, Umanisti alla ricerca dei Padri greci, dans Umanesimo e Padri della Chiesa..., cit. supra note 3, p. 69 et fiche 76, p. 303-304. 30 BAV, Vat. Lat. 3492, f. 11-12v, cité par R. L. Guidi, Questioni di storiografia agiografica nel Quattrocento..., p. 187 et M. Cortesi, Umanisti alla ricerca dei Padri greci..., p. 63-75, en part. 70 et fiche 52, p. 258-259. Voir aussi M. Cortesi, Tecnica versatoria e composizione agiografica nella Vita Athanasii di Giovanni Tortelli, dans La traduzione dei testi religiosi, éd. C. Moreschini, G. Menestrina , Brescia, 1994, p. 197-223. D’autres exemples de ce souci d’authenticité dans le très bel article de F. Bausi, Francesco da Castiglione fra teologia e umanesimo, dans Interpres, 11, 1991, p. 168-175, en part. p. 168-175. 31 D. M. Webb, Eloquence and education... (cit. note 21) qui examine en particulier la Vie de Bernardin par Maffeo Vegio à propos de laquelle on pourra également consulter R. L. Guidi, Maffeo Vegio agiografo di S. Bernardino da Siena, dans Aspetti religiosi nella letteratura del Quattrocento, II, Vicence, 1974, p. 63-96. F. Bausi a entrepris depuis quelques années un travail remarquable (mais pas assez signalé) sur l’hagiographie humaniste (qu’elle concerne des saints anciens ou récents), voir en particulier : F. Bausi, Umanesimo e agiografia. Il carme di Ugolino Verino in lode di Antonio Pierozzi, dans Frate Girolamo Savonarola e il suo movimento, Pistoia, 1998 [= Memorie domenicane, 29, 1998], p. 99-158; Francesco da Castiglione fra teologia e umanesimo, cité à la note précédente; Le lodi della Madonna nella poesia religiosa di Ugolino Verino, ibid., 18, 1999, p. 275-289. On consultera également le bel article de F. Violoni, La «Vita sancti Zenobi» di Giovanni Tortelli : l’architetura delle fonti, dans Aevum, 68, 1994, p. 407-424.

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pressentir L. B. Alberti comme auteur probable trahissent d’ailleurs ce décalage 32. La recherche du christianisme antique à travers les Vies des Pères, leurs correspondances (celles de Basile de Césarée et de Jérôme en particulier) ainsi que les traces de leur participation aux vicissitudes religieuses et doctrinales de leur époque (à travers leurs sermons et opuscules variés mais aussi l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe) contribue à en fournir une image plus réelle et humaine. Des auctoritates désincarnées qu’ils étaient pour la scolastique (au moins pour ceux qui étaient alors connus), les Pères deviennent non seulement des personnages historiques et réels mais aussi une source d’émulation pour le présent : en somme, des modèles de sainteté, mais aussi et surtout d’une vertu docte et érudite qui encourage les moines et tout homme à l’étude. S’adressant en mars 1406 au jeune Poggio Bracciolini, Coluccio Salutati écrit : Je ne veux pas sembler préférer nos auteurs à ceux des gentils seulement parce qu’ils sont chrétiens mais parce que nous voyons bien que en ce qui concerne les préceptes qu’ils transmettent sur la vie et la morale, leurs arguments sont de très loin plus rationnels, meilleurs et plus proches de la perfection que ceux des gentils.

Sans négliger le complexe arrière plan polémique de cette affirmation, qui renvoie aux vieux débats sur les anciens et les modernes et sur la licéïté de l’étude des auteurs païens, relevons surtout que pour Coluccio Salutati les auteurs chrétiens sont des maîtres d’humanitas, leçon héritée de Pétrarque et qui ne restera pas sans écho dans les générations suivantes 33. L’intérêt du programme réformateur de Traversari est précisément d’intégrer cette conception renouvelée de la lecture des auteurs patristiques ainsi qu’une confiance démesurée dans le pouvoir de la culture, fondement de la pensée pédagogique de l’huma-

32 C. Caby, Culte monastique et fortune humaniste : Ambrogio Traversari, Vir illuster de l’ordre camaldule, dans MEFRM, 108, 1, 1996, p. 321-354. Dans cet article, je considère la plus ancienne notice biographique sur Traversari, à savoir la Dormitio Ambrosii du Camaldule Mauro Lapi, comme perdue, alors qu’elle serait conservée dans le manuscrit de Padoue, Bibl. del Museo civico, C.M. 313, cf. E. Barbieri, Produrre, conservare, distruggere : per una storia dei libri e della biblioteca di S. Matteo di Murano, dans Ateneo veneto, 185, 1997, p. 13-55, en part. p. 27-28. 33 Coluccio Salutati, Epistolario, éd. F. Novati, vol. 4/1, Rome, 1905 (Fonti per la storia d’Italia, 18), p. 158-170 (à Poggio Bracciolini, 26 mars 1406), en part. p. 165; lettre citée et amplement commentée par S. Gentile, Umanesimo fiorentino e riscoperta dei Padri, dans Umanesimo e Padri della Chiesa..., p. 45-62, en part. 45.

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nisme 34. Désespéré de modifier le comportement des moines de son ordre (en particulier des ermites), Traversari compte sur le renouvellement monastique et la formation des jeunes reclus pour faire triompher la réforme. Cette confiance dans les vertus de l’éducation est un des thèmes récurrents de sa croisade pour la formation intellectuelle des jeunes dans l’ordre et en dehors 35. Pour Traversari, héritier de la tradition inaugurée dans le cercle de Luigi Marsili († 1394) et dans la mouvance de Pétrarque, les studia humanitatis procurent une forme d’éducation morale dans la mesure où la connaissance de la sagesse antique (en particulier celle des Pères) est une voie vers la vertu : en somme, ils ne font pour ainsi dire qu’un avec les studia pietatis 36. Dans la pratique, le projet pédagogique de Traversari profite de la connaissance des autres écoles humanistes, comme celle de Guarin à Ferrare ou celle de Vittorino da Feltre à Mantoue que le Camaldule visite en 1433 37. Dès les années 1420, Traversari met en place une école informelle à Santa Maria degli Angeli où, selon Vespasiano da Bisticci, il enseigne le latin et le grec à fra Jacopo Tornaquinci, fra Michele, fra Agostino da Portico mais aussi à un certain nombre de laïcs, dont Gianozzo Manetti 38. Le succès de cet espace d’expérimentation culturelle est apparemment important et dès 1423 (dans le contexte du concile de Sienne et d’un changement de prieur aux Angeli) le pape Martin V informé de cette activité encourage officiellement Traversari dans ses études personnelles et dans l’émulation de ses disciples 39. Une fois prieur général, Traversari étend la

34 L’expression renvoie bien évidemment à E. Garin, Il pensiero pedagogico dell’umanesimo, Florence, 1958. 35 Traversari, Epistolae, I, 20, col. 42-44 = Luiso, I, 13 (à Eugène IV, 1435 avril 2) et I, 27, col. 53-56 (au même, 1437 août-sept.); à cette idée des vertus réformatrices de l’éducation se rattache l’enthousiasme de Traversari envers les confréries de jeunes gens, voir K. Eisenbichler, Confraternite laicali al tempo del Concilio, dans P. Viti (éd.), Firenze e il Concilio del 1439, atti del convegno di studi (Firenze, 29 nov.-2 dic. 1989), 2 vol., Florence, 1994, I, p. 220-241, in part. p. 231-233. 36 Traversari, Epistolae, I, 19, col. 39-42 = Luiso, I, 12 (à Eugène IV, 1435 février 25); IV, 12, col. 210-211 = Luiso, IV, 11 (à Placido Pavanelli, 1435 février 24); XXII, 14, col. 943 = Luiso, XXII, 20 (à Romualdo, prieur de San Damiano de Bologne, 1432 oct. 7). 37 Traversari, Epistolae, VIII, 50, col. 419 = Luiso, VIII, 51 (à Niccolò Niccoli, 1433 juillet 19); XV, 38, col. 707-709 = Luiso (à Mariotto Allegri, 1435 août 31); A. Traversari, Hodoeporicon, p. 74 (traduc. italienne V. Tamburini, p. 141-142). Sur la célèbre Ca’ Giocosa, voir N. Giannetto (éd.), Vittorino da Feltre e la sua scuola. Umanesimo, pedagogia, arti, Florence, 1981. 38 Voir la vie de Gianozzo Manetti par Vespasiano da Bisticci, Le Vite, éd. A. Greco, cit., I, p. 487 : «Fu dottissimo nella lingua greca [...]. Ebbe nelle lettere greche per precettore frate Ambruoso degli Agnoli, uomo dottissimo»; également G. Pesenti, La scuola di greco a Firenze nel primo Rinascimento, dans Atene e Roma, 12, 1931, p. 84-101, en part. p. 94-101. 39 Les deux lettres sont éditées par A. Thomas, Extraits des archives du Vati-

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portée de son programme à tout l’ordre, en s’appuyant tout naturellement sur les disciples qu’il a déjà formés ou dont il a encouragé la formation, comme Mariotto Allegri 40. Le premier essai de mise en œuvre pratique du projet éducatif a lieu à Santa Maria della Rosa (Sienne) où Traversari décide, en juin 1431, de créer un collège pour les jeunes moines, novellam religionis nostrae plantulam, selon les termes d’une lettre à Eugène IV 41. À Camaldoli, entre décembre 1432 et mars 1433, un autre collège est organisé et confié à Mariotto Allegri, sous le regard attentif et satisfait de Traversari, mais non sans des difficultés matérielles chroniques 42. Quelques frictions avec les ermites et en particulier le majeur dérangent parfois les études à Camaldoli, mais la gêne principale est la difficulté de financement, en partie seulement résolue par l’aide extérieure. Mais pour Traversari, malgré les nombreux obstacles qu’il rencontre, nul doute que les études soient en mesure de transformer les moines, l’ordre camaldule et enfin la société dans son ensemble. Résumant la pensée de son maître, Girolamo Aliotti écrit dans le De monachis erudiendis, en polémique ouverte avec les partisans de la sainte ignorance et reprenant presque mot pour mot un motif pétrarquien 43 : Ce ne sont donc pas les lettres, comme certains le soutiennent, qui chassent les moines des cloîtres et des monastères et les poussent à l’errance, mais plutôt le mépris et la négligence des lettres [...] Crois-moi, la lecture est la nourriture de l’esprit! 44.

can pour servir à l’histoire littéraire du Moyen Âge (suite et fin), dans Mélanges d’archéologie et d’histoire, 4, 1884, p. 9-52, en part. p. 51-52. 40 Traversari, Epistolae, XV, 1-3, col. 677-679 (à Mariotto, 12 mars, 31 mai et 29 sept. 1428 (?)); XXIV, 68, col. 1041 (Mariotto à A. Traversari, sans date, 1428 d’après Ann. Camald., VI, 322); traduction italienne par C. Somigli, Le lettere di Ambrogio Traversari a Mariotto Allegri (1423-1439), dans Ambrogio Traversari camaldolese..., Camaldoli, 1987, p. 154-236, p. 164-169. 41 Traversari, Epistolae, I, 9, col. 24-25 = Luiso, I, 14 (à Eugène IV, 1435 juin 18); voir aussi I, 20 col. 42 = Luiso, I, 13 (au même, 1435 avr. 2) : ...ibi quoque educentur pueri, novella plantatio; XVI, 16, col. 733 = Luiso, XVI, 4 (à Mauro prieur, 1432 février 12) : novellis plantulis. 42 Traversari, Epistolae, XI, 53, col. 540-541 (à son frère Girolamo, 1432 déc. 17); XI, 58, col. 544-545 (au même, 1433 mars 25); XV, 6, col. 681 (à Mariotto Allegri, 1432 sept. 13); XV, 8-13, col. 682-686 (au même, 1433 avril, mai 6, mai 14, mai 20, mai 29, juin 26); XV, 22-23, col. 692-695 (au même, 1433 déc. 18, 1434 février 3); traduction italienne de Somigli, Le lettere di Ambrogio Traversari a Mariotto Allegri..., p. 172-179, 189-194; A. Traversari, Hodoeporicon, p. 54 (trad. italienne V. Tamburini, p. 105-106). 43 Par exemple Seniles I, 5 : Neque enim impediunt litere, sed adiuvant bene moratum possessorem viteque viam promovent, non retardant. À ce propos, voir en dernier lieu R. G. Witt, «In the footsteps of the ancients». The origins of Humanism from Lovato to Bruni, Leyde, 2000 (Studies in medieval and Reformation thought, 74), en part. p. 239-255. 44 Girolamo Aliotti, De monachis erudiendis, dans Hieronymi Aliotti aretini

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De ce rapide panorama des relations étroites entre le programme éducatif de Traversari et son projet de réforme pour l’ordre, émergent un certain nombre de pôles de culture : en premier lieu Santa Maria degli Angeli et Camaldoli. Or ces deux pôles sont également les lieux par excellence d’un réinvestissement humaniste et lettré de la solitude érémitique, que nous avons déjà identifié – à propos de l’historiographie augustinienne – comme un point de rencontre entre idéal lettré et idéal monastique. Fondé comme ermitage dans les dernières années du XIIIe siècle, le monastère de Santa Maria degli Angeli devient dans les années 1420, grâce à la présence en ses murs du jeune Traversari, un véritable lieu de rencontre de l’humanisme florentin. En réalité, les premiers rapports avec la culture humaniste datent des premières années du siècle et sont placés sous l’égide de l’amitié de Coluccio Salutati avec certains frères de la communauté 45. Le 25 février 1379, Niccolò Lapi da Uzzano, juriste et chanoine de Santa Maria del Fiore, fait profession à Santa Maria degli Angeli sous le nom de Girolamo. Quelques mois plus tard il demande à son ami Coluccio Salutati un traité pour l’encourager dans son choix de vie monastique : comme il le rappelle au début de l’œuvre mais aussi dans une lettre à Antonio degli Alberti 46, Coluccio, en tant que laïc investi dans le monde, se sent peu adapté à cette mission qu’il n’accepte que par amitié et dans l’espoir d’en tirer quelque bénéfice. C’est ainsi qu’en 1381, dans un contexte politique très troublé et difficile pour le chancelier, Salutati rédige les deux livres du De seculo et religione pour condamner la dépravation du monde et louer les vœux monasordinis sancti Benedicti SS. Florae et Lucillae epistolae et opuscula, éd. G. M. Scarmalli, Arezzo, 1769, II, p. 176-292, en part. p. 264 : Non itaque, ut ipsi aiunt, litterae sunt quae monachos exterminent claustris et evagari compellant, immo vero contemptus et negligentia litterarum. [...] Mihi credite, cibus est animi lectio!. Sur ce texte, voir infra, note 77. Sur les rapports entre studia humanitatis et observance, et sur la polémique contre les partisans de la sainte ignorance, voir C. Caby, Entre observance et humanisme. Définitions et pratiques d’une orthodoxie culturelle dans l’ordre camaldule..., cité note 6, en part. les p. 12-13 qui renvoient à la bibliographie. 45 Sur les rapports entre Coluccio Salutati et Santa Maria degli Angeli, voir B. Ignesti, Coluccio Salutati e i Camaldolesi, dans Ambrogio Traversari camaldolese..., p. 55-88 (qui paraphrase la correspondance), G. Spinelli, Monachesimo e società tra XIV e XV secolo nell’ambiente di Ambrogio Traversari, dans Ambrogio Traversari..., Florence, 1988, p. 49-68 et C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 601-605, 701-706. 46 Coluccio Salutati, Epistolario, éd. F. Novati, vol. 2, p. 333-335 (1er juillet-1er octobre 1392?) : Antonio, dégoûté par la vie politique, décide de se retirer du monde et demande à Coluccio un exemplaire du De seculo et religione. Dans une autre lettre à ser Giuliano Zonarini (24 juin-23 juillet 1392?), Coluccio justifie les positions de son traité contre les critiques de son correspondant, ibid. , p. 328333.

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tiques 47. Cette œuvre est déconcertante à bien des égards et sans doute surtout par sa condamnation des auteurs païens, en contradiction avec les positions de Salutati lui-même : or, il me semble qu’une des voies de sortie des débats sans issue sur la nature ‘médiévale’ du traité est précisément (outre la nécessaire reconnaissance des influences augustiniennes sur la pensée morale de Salutati 48) d’insister sur l’amitié presque indéfectible qui lie Salutati à Santa Maria degli Angeli. Le monastère bénéficie très clairement d’un traitement d’exception : seuls ceux qui s’y retirent échappent aux critiques presque systématiques qu’oppose Salutati, au nom de la supériorité pratique et éthique de la vie active, aux projets de tous ses amis souhaitant se retirer dans la solitude des cloîtres ou des ermitages 49. À plusieurs reprises, Salutati, homme d’action que la solitude ne séduit guère fut-elle lettrée, s’exprime même en faveur des Angeli : en 1398, pour rappeler les ermites à leur devoir d’austérité

47 Coluccio Salutati, De seculo et religione, éd. B. L. Ullman, Florence, 1957. Sur cette œuvre à l’interprétation controversée, mais presque toujours perçue comme une parenthèse médiévale dans la pensée humaniste de Salutati ou encore comme le fruit d’une crise personnelle, voir principalement B. L. Ullman, The Humanism of Coluccio Salutati, Padoue, 1963 (Medioevo e Umanesimo, 4), p. 26-27; C. Trinkaus, ‘In our image and likeness’. Humanity and divinity in Italian humanist thougtht, Chicago, 1970, I, p. 51-102 et surtout II, p. 662-674 qui tente de rendre à l’œuvre sa place dans la pensée de Salutati et dans la culture humaniste mais n’en reste pas moins dépendant de l’interprétation de Ullman; A. M. Voci, Petrarca e la vita religiosa..., p. 116-118; R. G. Witt, Hercules at the crossroads. The life, works, and thought of Coluccio Salutati, Durham, 1983, p. 195-208; et (avec les précautions que rend nécessaire une problématique pour le moins dépassée) R. L. Guidi, Lo spirito eroico nel De seculo et religione di Coluccio Salutati, dans Aspetti religiosi nella letteratura del Quattrocento, I, Vicence, 1973, p. 11-41. 48 Voir en part. F. B. Gianni, Il magistero di Coluccio Salutati e l’eredità agostiniana, dans Tradizioni patristiche nell’Umanesimo... cit. note 3, p. 43-80. 49 On citera principalement les lettres à ser Andrea da Volterra en 1393 (Coluccio Salutati, Epistolario, éd. F. Novati, vol. 3, p. 449-456), à Antonio di Bernardo da Forlì secrétaire de l’abbé de Vallombrosa, entre 1388 et 1394 (ASPistoia, Comune, Processi civili, filza 23, cc. nn., éd. L. Gai, Frammenti di un codice sconosciuto di Coluccio Salutati, dans Motivi di riforma tra ‘400 e ‘500, Pistoia, 1972 [= Memorie domenicane, 3, 1972], p. 302-306, en part. 304-305 avec une ponctuation aberrante), et à Pellegrino Zambeccari du 23 avril 1398 (Coluccio Salutati, Epistolario, éd. F. Novati, vol. 3, p. 285-308); sur ces lettres (en part. celles publiées par Novati), voir H. Baron, The Florentine revival of the philosophy of the active political life, dans In search of Florentine Humanism..., cit. supra n. 1, I, p. 134-157 (en part. 134-141); P. A. Lombardo, Vita activa versus vita contemplativa in Petrarch and Salutati, dans Italica, 59, 1982, p. 83-92; R. G. Witt, Hercules at the Crossroad..., p. 343-352 (le seul à prendre en compte la lettre éditée par L. Gai). Je n’ai malheureusement pas eu accès au volume Arbeit, Musse, Meditation. Betrachtungen zur Vita activa und Vita contemplativa, éd. B. Vickers, Zurich, 1985, en part. V. Kahn, Coluccio Salutati on the active and contemplative lives, p. 153-179.

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ou, en 1403, dans une lettre à l’archevêque de Cantorbery 50. Rappelons en outre que, avant de polémiquer avec lui sur la lecture des poètes païens, Giovanni da San Miniato avait demandé conseil à Salutati sur la manière de se racheter de sa conduite en temps de guerre, ce qui l’avait mené dans le romitorio camaldule de Florence 51. Enfin, c’est l’année même de la rédaction du De seculo et religione que nous trouvons, dans une autre lettre à propos des Angeli adressée au cardinal Frignani, le réquisitoire le plus passionné en faveur de ces ermites qui ont choisi la solitude au milieu des hommes 52. Au-delà du topos du cloître comme arcadie, l’intérêt de l’image que brosse Coluccio Salutati est qu’elle tente de faire concorder dans une sorte de spiritualité civique la solitude des moines et des lettrés et le lieu par excellence de l’investissement civil, à savoir la ville : pour Salutati, en effet, les moines-ermites des Angeli sont l’exemple de la solitude la plus extrême et héroïque, puisque vécue au cœur de la ville et en communication avec elle dans un rapport constant de caritas. De ce point de vue, la réinterprétation humaniste de Camaldoli et de Lecceto est très différente et s’insère mieux dans le filon aristocratique de la laus ruris humaniste, qui loue la vie retirée loin du contact avec le peuple 53. Cette louange de la retraite rurale, notamment dans les moments de tension politique, prend clairement ses racines chez Cicéron et Horace et emprunte ses expressions pasto-

50 Coluccio Salutati, Epistolario, éd. F. Novati, vol. 3, Rome, 1896 (Fonti per la storia d’Italia, 17), p. 262-263 et p. 618-621; voir C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 702. 51 Ibid., p. 602-605 qui renvoie aux sources et à la bibliographie. 52 G. Pistoni, Un modenese amico del Petrarca. Il card. Tommaso Frignani, con lettera inedita di Coluccio Salutati, dans Atti e memorie dell’Accademia di scienze, lettere e arti di Modena, 12, 1954, p. 82-96, édition de la lettre p. 94-96; Annales Camaldulenses ordinis sancti Benedicti, éd. G.-B. Mittarelli, A. Costadoni, VI, Venise, 1766, p. 136-139 et 544, sur la visite de Frignani; en général, C. Caby, Érémitisme et inurbamento dans l’ordre camaldule à la fin du Moyen Âge, dans Médiévales, 28, 1995, p. 79-92 (on corrigera la coquille p. 89 : l’œuvre de Landino est évidemment intitulée Disputationes – et non Dissertationes – Camaldulenses). 53 Sur les statuts de la vie active et contemplative à l’époque humaniste, voir P. O. Kristeller, Teorie umanistiche della vita attiva e della vita contemplativa, dans L. Rotondi Secchi Tarugi (éd.), Pio II e la cultura del suo tempo, Milan, 1991, p. 13-27 ou The active and the contemplative life in Renaissance Humanism, désormais dans Studies in Renaissance thought and letters, IV, Rome, 1996 (Storia e letteratura. Raccolta di studi e testi, 193), p. 196-213; et les commentaires de K. A. E. Enenkel à Francesco Petrarca, De Vita Solitaria Buch I. Kritische Textausgabe und ideengeschichtlicher Kommentar, Leyde, 1990 (Publications romanes de l’Université de Leyde, 34) avec une riche bibliographie aux p. 649-654. Sur les sources médiévales du débat, voir G. Constable, The interpretation of Mary and Martha, dans Three studies in medieval religious and social thought, Cambridge, 1995, p. 1-142.

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rales et bucoliques à Virgile 54 ; mais, au XVe siècle, elle est surtout dominée par l’héritage de Pétrarque, qui, à travers le De vita solitaria ou le De otio religioso principalement, a contribué à la diffusion d’une image idéale de la vie solitaire et à l’identification de certaines formes de vie religieuse (en particulier celle des Chartreux et des ermites de saint Augustin) comme les expressions les plus hautes de cette retraite intellectuelle 55. Il n’est qu’à souligner la fortune de l’image pétrarquienne de Bernard de Clairvaux comme représentant de la docta solitudo, image fondée sur un trait de la spiritualité bernardine évoqué dans un bref passage de la Vita prima et dans quelques lettres du Cistercien, selon lequel Bernard aurait préféré l’enseignement de la nature à celle des maîtres parisiens 56. Et Pétrarque d’en conclure : Il avait coutume de dire que tout ce qu’il savait des lettres, et je doute que quiconque à son époque en ait été mieux doté, il l’avait appris dans les bois et les champs, non pas grâce aux disciplines humaines mais par la méditation et la prière, et qu’il n’avait jamais eu d’autres maîtres que les chênes et les hêtres 57. 54 Sur la nature idéalisée dans la littérature médiolatine et sur les sources antiques de ce thème, voir E. R. Curtius, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, traduction de l’allemand par J. Brejoux, Paris, 1956, p. 226-247. Sur le thème du locus amoenus chez les réformateurs monastiques des XIe-XIIe siècles, voir G. Constable, Renewal and reform in religious life : concepts and realities, dans R. L. Benson, G. Constable (éd.), Renaissance and renewal in the twelfth century, Londres, 1982, p. 37-67, en part. p. 48-51. 55 Outre le commentaire (et la bibliographie) de K. Enenkel (Francesco Petrarca, De Vita Solitaria Buch I..., éd. K. A. E. Enenkel, cité supra note 53), qui, malheureusement, commente le premier livre du De vita solitaria comme si le deuxième consacré aux exemples de vie solitaire n’existait pas, voir A. M. Voci, Petrarca e la vita religiosa..., passim. Quelques pistes suggestives dans P. von Moos, Les solitudes de Pétrarque. Liberté intellectuelle et activisme urbain dans la crise du XIVe siècle, dans Rassegna europea di letteratura italiana, 7, 1996, p. 23-58. 56 Vita prima sancti Bernardi, L. I, ch. IV, 23, éd. PL 185, col. 225-368, en part. 240D : ...maxime in silvis et in agris meditando et orando se confitetur accepisse; et in hoc nullos aliquando se magistros habuisse, nisi quercus et fagos, joco illo suo gratioso inter amicos dicere solet. Bernard de Clairvaux, Epistola CVI, éd. PL 182, col. 241-242, en part. 242B : Experto crede : aliquid amplius invenies in silvis quam in libris. Ligna et lapides docebunt te quod a magistris audire non possis. An non putas posse te sugere mel de petra, oleumque de saxo durissimo. Sur les fondements monastiques de la perception pétrarquienne de la solitude intérieure, voir G. Constable, Petrarch and monasticism, dans Francesco Petrarca : citizen of the world, Padoue-Albany, 1980. 57 Francesco Petrarca, De vita solitaria, II, 3, 2 (De solitudine beati Bernardi) : Solebat enim dicere omnes se quas sciret literas, quarum nescio an alius sua etate copiosior fuerit, in silvis et in agris didicise, non hominum disciplinis sed meditando et orando, nec se ullos unquam magistros habuise prater quercus et fagos. Sur les très intéressantes expressions iconographiques de cette image de Bernard, voir A. Luchs, Saint Bernard in the wilderness, dans Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, II. Histoire cistercienne, 3. Ordre, moines, éd. B. Chauvin, Arbois

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Un autre – et sans nul doute plus prestigieux – modèle de retraite solitaire du De vita solitaria qu’il vaut la peine de suivre, pour mieux saisir l’influence de la solitude lettrée de Pétrarque, est Cicéron, le rhéteur et homme politique mais aussi l’exilé et le philosophe. Comme l’a remarquablement souligné H. Baron, Cicéron est pour Pétrarque l’exemple du citoyen, témoin involontaire de la supériorité de la solitude : bien que l’ayant fui toute sa vie, c’est en elle et à travers la philosophie que son génie trouva sa meilleure expression et sa renommée. À cette image s’oppose celle du Cicero novus, publié par Leonardo Bruni vers 1415, et qui entend dépasser l’opposition entre carrière politique et production philosophique dans la solitude : contre cette succession, symptôme de l’incompatibilité entre vie politique et vie solitaire et intellectuelle, Bruni défend l’union idéale entre action politique et création littéraire 58. Pourtant, l’image pétrarquienne de Cicéron revient régulièrement sous la plume des humanistes lorsqu’ils expriment leur fatigue et leur dégoût de la vie curiale, et leur aspiration à la quies de la vie solitaire. Ainsi Poggio Bracciolini, inspiré par Pétrarque dont il cite au moins une lettre mais aussi les mêmes sources antiques, loue-t-il la vie retirée à la campagne dans un otium litteratum, loin des désagréments de la vie publique et à la recherche de la virtus chrétienne : Si, auparavant, la fréquentation de la campagne et la vie dédiée à sa pratique m’avait semblée plaisante et agréable; aujourd’hui, après ces quelques jours vécus sur mon sol natal loin des désagréments de la curie, je l’estime la plus plaisante et la plus agréable, car pleine d’un doux loisir, d’une activité honnête et d’un plaisir mesuré. En effet, je sais désormais que ce mode de vie, que de nombreux hommes célèbres choisirent après avoir vécu les remous des affaires civiles, est le plus désirable, car nous pouvons y mener une existence calme, libre, honnête, fondée sur la modération 59. 1984, p. 349-354 et R. D. Clarck, Filippino Lippi’s The Virgin inspiring saint Bernard and Florentine Humanism, dans Studies in iconography, 7-8, 1981-2, p. 175187. 58 H. Baron, The memory of Cicero’s Roman civic spirit in the medieval centuries and in Florentine Renaissance, dans In search of Florentine civic Humanism..., p. 94-133. 59 Poggio Bracciolini, Lettere, II. Epistolarum familiarum libri, éd. H. Harth, Florence, 1984, X, 9 (p. 408-411) à Cosme de Médicis, Florence, 11 nov. 1442 : Si unquam mihi antea rei rusticae cura et vita ei exercitio dedita iocunda visa est et suavis, nunc his paucis diebus quibus in solo natali vixi procul a Curiae molestiis constitutus, iocundissimam ac suavissimam iudicavi, dulcis otii, honesti negocii et modeste voluptatis plenam. Cognovi enim hoc vivendi genus, quod multi praeclari viri posthabitis rerum civilium fluctibus elegerunt esse maxime expetendum, cum in eo vitam quietam, liberam, honestam, frugalitati coniunctam agere valeamus; et plus loin : Et certe si qua virtuti et litteris vacandi via est, hanc profecto esse constat remotam a vitiis et honestati propinquam. Neque vero eam existimo tantum a doctissimis quidem viris, rei rustice scriptoribus, laudatam quantum digni-

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C’est également la frénésie de la vie curiale qui fait regretter à Pietro Dolfin la solitude de Camaldoli dont il peut alors dresser un tableau idyllique sans rapport avec les expériences décevantes qu’il doit souvent y affronter : Qu’il me soit donné de goûter le repos d’une vie solitaire et oisive et de me trouver parmi vous dans les forêts et les bois. Que cette foule urbaine devienne pour moi cette multitude de chênes et de sapins, et ce brouhaha continu d’hommes et de chevaux allant et venant, l’agréable cours de nos fleuves dégageant un murmure sourd de gravier, et le doux chant des oiseaux volant ça et là, nous évoquant le paradis du Seigneur 60.

On pourrait s’étonner de trouver Camaldoli au cœur de cette idéalisation lettrée de la vie solitaire comme vacatio intellectuelle, dulce otium et honestum negocium. En effet les ermites de Camaldoli sont pour Traversari le principal foyer d’opposition à sa réforme, la confiance mutuelle des premiers mois du généralat laissant rapidement la place à la méfiance voire à la violence 61. Dès 1434, Traversari se plaint en ces termes de ces hommes qui ont perverti aussi bien les valeurs de la contemplation que celles de l’action : À cette époque, nous eûmes avec nos ermites de fréquentes discussions sur la restauration tant du monastère que de l’ordre. Nous n’en retirions à chaque fois que très peu de consolation car ces hommes, que leur statut voue à la contemplation, s’efforcent de se consacrer surtout à l’action (et fut-elle au moins utile!), recherchant en permanence leurs propres intérêts et se plaignant de ce qu’on ne fait jamais assez pour leurs besoins personnels 62.

tas eius et merita erga humanum genus postulare videntur. Nam ut omittam quas utilitates ex agricultura percipimus, ut non recenseam questus uberrimos quos largitur; quanta voluptas et quies mentis, quanta curarum remissio, quanta naturalis oblectatio, quanta virtus in eius vite ratione versatur; voir également la lettre I, 14 (p. 38-44) à Francesco Pizolpasso, Rieti, 5 août 1424. Autre exemple de l’influence de Pétrarque sur la laus ruris humaniste du XVe siècle, dans Coluccio Salutati, Epistolario, éd. F. Novati, vol. 4/1, Rome, 1905 (Fonti per la storia d’Italia, 18), p. 241-245, à maestro Francesco di Niccolò di Nello di Rinuccio prieur des Santi Apostoli (entre 1354 et 1363). 60 P. Dolfin, Epistolarum volumen, Venise, 1524, XXXIII (à Giovanni, majeur de l’ermitage, 5 mai 1492) : Mihi detur solitaria illa atque umbratili vita quiescere, vobiscumque in sylvis ac nemoribus versari. Sit mihi pro hac urbana frequentia, multitudo illa quercuum atque abietum, et pro hoc continuo strepitu discurrentium hominum ac iumentorum, gratus ille fluviorum nostrum defluxus, raucum per leva murmur saxa ciens, ac suavis avicularum, hic inde volitantium cantus, referens nobis paradisum Domini. 61 C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 708-712. 62 A. Traversari, Hodoeporicon, éd. A. Dini Traversari, p. 128 (traduction ital., V. Tamburini, p. 241-242) : Fuit nobis cum heremitis nostris per id temporis frequens tractatus de reparatione tum monasterii tum religionis, minimumque semper solatii inde reportavimus, cum homines ipsi, contemplationi ex suo institu-

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Mais, en dépit de cette réalité, Traversari est victime d’une fascination de l’Ermitage à laquelle ne sont pas étrangères les références antiques de la laus ruris et peut-être aussi l’influence de la représentation pétrarquienne de Camaldoli transmise à travers l’addition au deuxième livre du De vita solitaria consacrée à Romuald 63. De nombreux exemples pourraient illustrer la nature de cette fascination que le Camaldule ne manquait d’ailleurs pas de transmettre autour de lui, au point de rendre désirable à ses correspondants une retraite à Camaldoli. Ainsi, au cours de l’été ou de l’automne 1435, tandis que Traversari séjourne à Bâle en mission au service du pape Eugène IV, il fréquente l’archevêque de Milan Francesco Pizzolpasso qui lui fait part de son désir de retraite solitaire 64. Il s’agit en réalité d’un désir ancien, peut-être déjà confié par lettre à l’humaniste Pogto dediti, actioni magis inservire (atque utinam comode!) pergerent, semper quae sua sunt inquirentes, neque suis necessitatibus fieri satis, conquerentes. 63 Sur cette image, voir C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 176-181. Il est très délicat d’affirmer une influence directe de Pétrarque sur Traversari en l’absence d’exemplaires reconnus du De vita solitaria dans les bibliothèques de Camaldoli et de Santa Maria degli Angeli (cf. E. Magheri-Cataluccio, U. Fossa, Biblioteca e cultura a Camaldoli dal medioevo all’umanesimo, Rome, 1979 (Studia Anselmiana, 75) et S. Baldelli-Cherubini, I manoscritti della biblioteca fiorentina di Santa Maria degli Angeli attraverso i suoi inventari, dans La Bibliofilia, 74, 1972, p. 9-47) : cela dit, non seulement Traversari ne limitait pas ses lectures aux seuls livres présents dans son ordre, mais l’œuvre de Pétrarque avait une diffusion capillaire quasiment universelle (cf. R. Fubini, Intendimenti umanistici e riferimenti patristici dal Petrarca al Valla..., cité supra note 26, en part. p. 145-161). Dans le contexte pétrarquien, il faut également signaler la lettre du comte Roberto Battifolle du 5 septembre 1363 par laquelle il invite Pétrarque à un voyage touristique et spirituel dans les hauts lieux des Apennins : Miror insuper quod Apennini collibus numquam fixisti vestigia, qui tanto ardent desiderio sacris pedibus tuis tangi et praesertim in Casentino, suisque finitimis, ubi tot sacra religionum loca, ubi tantorum fluminum capita venerantur. Hic locus Alvernae velut specus saxis penitus exesis montem suspendit non manu-factus, sed naturalibus cavis in tantam laxitatem excavatus. Hic sancta Camaldulensis eremus, ubi lucus frequens proceris arboribus communem altitudinem egressis densitate ramorum circumfluo in se recurrentium nexu conspectum coelisbmovens, ut a torridis Phoebi defendat obtutibus. Hic sacrum Vallis Umbrosae coenobium, quod mirae obscuris claudunt umbrae convallibus. Hic origo Arni tuum natale solum ante pollutorum morum contagium mundantis. Hic principium cornigeri Tiberis qui nedum Hesperidis sed Oceanis imperavit aquis. Haec mecum venerandam tui presentiam cupiunt et arcessunt (éd. L. Mehus, Ambrosii Traversarii Generalis Camaldulensium... Latinae Epistolae, Florence, 1759, I, p. CCXXI). Sur cette lettre, C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 176-179. 64 Sur le séjour bâlois de Traversari, ibid., p. 675-682; sur les relations avec Pizolpasso, A. Sottili, Una corrispondenza epistolare tra Ambrogio Traversari e l’arcivescovo Pizolpasso, dans Ambrogio Traversari nel VI centenario della nascita, convegno internazionale di studi (Camaldoli-Firenze, 15-18 sett. 1986), éd. G. C. Garfagnini, Florence, 1988, p. 287-329, et Ambrogio Traversari, Francesco Pizolpasso, Giovanni Aurispa : traduzioni e letture, dans Romanische Forschungen, 78, 1966, p. 42-63.

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gio Bracciolini comme le laisserait penser la réponse de ce dernier, le 5 août 1424, entièrement consacrée à l’éloge de la vita quieta ac procul a strepitu rerum temporalium constituta et au genre de vie encouragé par Pétrarque dans le De vita solitaria 65. Un désir ancien qui ne se réalisera que beaucoup plus tard, dans les dernières années de vie de l’archevêque passées dans le monastère de Castellazzo où il fera transporter sa bibliothèque. Entre temps, la rencontre et la correspondance avec le Camaldule lui avait fait espérer une retraite à Camaldoli. Revenu en Toscane à l’issue de sa mission bâloise, Traversari, après un bref séjour à Florence, rentre à l’Ermitage dont il dresse à Pizolpasso un tableau idyllique : dans une lettre du 18 août 1436, il se décrit comme un soldat ayant trouvé refuge dans une forteresse et qui peut regarder avec confiance l’agitation inutile de l’ennemi; mais le retour à l’Ermitage signifie surtout un retour à l’otium c’est-à-dire à l’étude : Sum in heremo nostra fruorque affatim deliciis antiquis; lego aliquid et scribo quotidie, studiaque diucius omissa repeto voluptate incredibili 66. Pizolpasso répond le 10 septembre suivant, félicitant son correspondant de vivre à nouveau in arce sanctorum, in loco gaudii, in vita desiderata, in secura et bene comitata solitudine, in fructifero heremo et l’encourageant à coup de citations de Jérôme et d’échos pétrarquiens à cette solitude active et plus utile aux hommes que les affaires mondaines : quant à toi, tu as traversé les rets et les filets, tu t’es libéré de la glue pour monter habiter une haute montagne, une montagne de béatitude, une montagne de gloire ... où, tu es utile à un plus grand nombre, et pour commencer à toi-même, solitaire qu’entouré d’une armée de visiteurs, dans un loisir actif qu’éloigné de cette montagne et sans cesse sollicité, dans une cellule que dans de hauts palais 67. 65 Poggio Bracciolini, Lettere, II. Epistolarum familiarum libri, éd. H. Harth, Florence, 1984, I, 14 (p. 38-44) à Francesco Pizolpasso, Rieti, 5 août 1424 : ...venit in mentem mihi tum multorum, qui talem sibi vite cursum elegerunt, tum vero maxime, quia recens est, exemplum prestantissmi viri Francisci Petrarce, qui magno animo spernens atque abiciens omnem curam opum ac dignitatem, que tunc ei a pontifice offerebantur, fugiensque potentiorum limina, ad que magnis premiis invitabatur, vitam quietem ac procul a strepitu rerum temporalium constitutam, et dicto et facto comprobavit. Edidit enim libellum De vita solitaria... 66 Édition dans A. Sottili, Una corrispondenza epistolare tra Ambrogio Traversari e l’arcivescovo Pizolpasso..., p. 320-321. A. Sottili (p. 297-298) signale d’autres lettres envoyées par Traversari à son retour à Camaldoli dont il exalte la solitude lettrée : par ex. à Andrea Donato, le 29 mars 1436, Ego excussis curiae occupatinibus, me ad solitudinis dilectae secreta contuli, ubi liberius mihi ipsi et sacris literis vacare institui (Traversari, Epistolae, VI, 41, col. 325-326 = Luiso, VI, 42). 67 Édition dans A. Sottili, Una corrispondenza epistolare tra Ambrogio Traversari e l’arcivescovo Pizolpasso..., p. 322-327, en part. p. 322 et 324 (Tu tamen retia et casses pertransisti, ex visco te exviscasti, montem excelsum, montem beatitatis, montem glorie inhabitare conscendisti... ubi cum tibi primum pluribus proficis so-

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Au sud de la Toscane, dans l’orbite non plus de Florence mais de Sienne, un ermitage de l’ordre des ermites de saint Augustin, San Salvatore di Lecceto, est l’objet, au cours du XVe siècle, alors qu’il devient la tête du mouvement d’observance augustin de Toscane, d’une réinterprétation comparable 68. Comme Camaldoli, Lecceto bénéficie d’une position exceptionnelle dans la tradition spirituelle de son ordre qui considère l’ermitage comme une fondation d’Augustin lui-même (de même que Spelonca et Cetumcelle). En tant que tel, l’ermitage de Lecceto exerça une attraction particulière sur les observants, au premier rang desquels le Milanais Andrea Biglia et plus tard Gilles de Viterbe qui devint membre de la communauté de Lecceto en 1503 et consacra à l’ermitage au moins deux œuvres dont un panégyrique pro coenobio Ilicetano 69. Enseignant au Studium de Sant’Agostino de Sienne de 1429 à sa mort en 1435, Andrea Biglia fait de fréquents séjours à l’ermitage de Lecceto où il trouve la paix pour ses réflexions et ses études : c’est d’ailleurs là qu’il traduit le traité sur l’âme d’Aristote. Au cours d’une de ces retraites, il rédige une lettre en forme de petit traité à l’intention d’un jeune homme nommé Ludovico, récemment entré dans l’ordre après de brillantes études à l’université de Padoue. Il y décrit l’antique ermitage au cœur d’une dense forêt que traversent à peine les rayons du soleil (on ne s’étonnera pas du topos) et y loue la commodité qu’il y trouve pour l’otium et le studium 70. Dans une autre lettre adressée à Régi-

litarius quam comitatus cuneis salutantum, plus in ocio negotiosus quam extra montem in multis sollicitus, plus in cellula quam in altis palaciis). Sur cet échange de lettres, voir aussi le commentaire de R. Fubini, Tra Umanesimo e concili. L’epistolario di Francesco Pizolpasso, désormais dans Id., Umanesimo e secolarizzazione..., cit. note 26, p. 77-135. 68 Sur l’ermitage de Lecceto, M. B. Hackett, The medieval archives of Lecceto, dans Analecta augustiniana, 40, 1977, p. 15-45; O. Redon, Les ermites des forêts siennoises, dans Revue Mabillon, n.s., 1, 1990, p. 77-86; Lecceto e gli eremi agostiniani in terra di Siena, Milan, 1990. Sur l’observance de Lecceto. K. Walsh, Papal policy and local reform. a) The beginning of the Augustinian Observance in Tuscany, dans Römische historische Mitteilungen, 21, 1979, p. 35-57; Papal policy and local reform. b) Congregatio Ilicetana : The Augustinian Observant movement in Tuscany and the humanist ideal, ibid., 22, 1980, p. 105-145. 69 F. X. Martin, Giles of Viterbo and the monastery of Lecceto : the making of a reformer, dans Analecta augustiniana, 25, 1962, p. 225-253 [p. 247-253 édition du De Ilicetana familia que l’auteur considère comme une version du panégyrique perdu, alors qu’il s’agit d’un opuscule indépendant en forme de lettre aux frères de Lecceto]; M. B. Hackett, A lost work of Giles of Viterbo. Critical edition of his treatrise on Lecceto, dans Egidio da Viterbo, O.S.A e il suo tempo, Atti del V convegno dell’Istituto storico agostiniano, Roma-Viterbo, 20-23 ottobre 1982, Rome, 1983 (Studia Augustiniana Historica, 9), p. 117-136 [édition du panégyrique composé entre 1503 et 1506 et longtemps considéré comme perdu]; A. M. Voci, Idea di contemplazione ed eremitismo in Egidio da Viterbo, ibid., p. 107-116. 70 Fratris Andree Mediolanensis ad fratrem Ludovicum de ordinis nostri forma

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nald archevêque de Reims (1414-1444) et, plus précisément, dans la seconde partie de cette lettre intitulée de concordia et meritis ordinum, Biglia développe les mérites de l’ordre des Augustins dont il identifie la vocation dans la solitude aristocratique et docte de l’ermitage. Comme pour le Pétrarque du De vita solitaria et comme pour Traversari retiré à Camaldoli, il s’agit d’un érémitisme fortement tempéré de cénobitisme et libéré de ses aspects trop rudement ascétiques. Cette image idyllique prend racine dans l’heremitica conversatio des origines chrétiennes (dont Biglia propose d’ailleurs une interprétation historique originale), moyen le plus sûr de vivre la joie de la contemplation divine dans la liberté de l’esprit (hic tanquam e gravibus vinculis ad superne contemplationis libertate animas relaxabant) : une vie érémitique dans un désert qui n’est certes pas le desertum horrendum du Deutéronome, d’Élie ou d’Antoine, ni une sombre et inquiétante forêt, mais un bois frais, une cellule paisible où vivre de façon réconciliée l’idéal antique de la retraite studieuse et les valeurs chrétiennes de la contemplation individuelle 71. Pour Andrea Biglia, comme il le souligne dans la lettre au jeune Ludovico, mais aussi dans une allocution au chapitre général de Bologne le 26 mai 1425 72, l’ordre des ermites de saint Augustin constitue, dans sa et propagatione, éd. R. Arbesmann, dans Analecta augustiniana, 28, 1965, p. 186218. Par ex. : Presertim vero et hoc caritatem tuam decuit, quod illius professionem ex amplexus, cuius tanta est in literis dignitas. Quid enim magis convenire poterat quam hominem disciplinis imbutum eius institutionem sequi, qui sit et religionis et scripturarum preceptor? Vides quidem tot religionum ordines esse, quibus pene ignominiosum sit literas cognovisse. Hec una est religio, in qua hoc in primis speciosum esse debeat prestare ingenio ob id ferme, ut, quam maxime fieri potest, parentis et doctoris nostri documenta discamus, nec simus tantum religionis filii, verum etiam, si hoc detur, sapientie et doctrine illius discipulis. Hunc tu ordinem te noveris accepisse, hanc religionem semper memineris induisse, in qua sis sub Augustino duce militiam perfecturus; nec deserueris que ante didicisti, eum religionis tue institutorem habens, qui te omnnibus divinarum rerum preceptis possit instruere (p. 191); Illici ferme, quantum existimo, harum observantiarum decus est, nec locus ipse aliud videtur expetere. Quippe inter medias silvas, quanquan non longe ab Senis, nichil tamen preter feras videt, silva illicibus undique tam densa ut vix medio sole adiri possit. Quotiens ego his optavi michi eam commoditatem dari, nusquam ultra ut liceret abire meque deus salubri aliquo vinculo his locis innecteret, ut otium studiumque meum possem inter hec hominem vota producere. Quem vero non oblectet in ea societate vivere, ubi nichil quod sensum offendat visurus sis? (p. 217). Voir D. Webb, Eloquence and education..., cité n. 21, en part., p. 2022. 71 Édition dans A. M. Voci, La suggestione umanista dell’eremo..., p. 665-681, en part. p. 674-681. 72 De discipline ordinis admonitio habita in capitulo Bononiensi, Milan, Bibl. Ambrosiana, H 117 inf., f. 44r : appel au retour aux idéaux primitifs de l’ordre contenus dans la sagesse des anciens (Aristote, Platon, Socrate et Pytagore faisant figure de modèles moraux dignes d’imitation). Sur l’œuvre inédite d’A. Biglia, voir J. C. Schnaubelt, Prolegomena to the editing of the extant works of An-

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version rénovée – c’est-à-dire libéré des effets de l’involution qui a porté les successeurs d’Augustin de la béatitude rurale à la ville, peuplée d’une plèbe ignorante et corrompue –, une sorte d’union exemplaire entre l’antique académie littéraire (celle des studia humanitatis) et la communauté érémitique chrétienne. Mais l’inévitable conséquence de cette exaltation de la vie solitaire comme forma ordinis idéale est, pour Andrea Biglia comme pour Eudes de Viterbe, une dévalorisation de la mission de prédication et d’apostolat imposée à l’ordre de saint Augustin par la papauté lors de la Magna Unio de 1256 73. De même que Traversari subit l’opposition des emites de Camaldoli, l’interprétation de Biglia est loin d’exprimer toutes les tendances observantes de Lecceto : si, dans les dernières années du XIVe siècle, William Flete († vers 1395) avait également appelé drea Biglia O.S.A. († 1435), dans Analecta Augustiniana, 40, 1977, p. 143-184 et Andrea Biglia (c. 1394-1435). The preservation and dispersion of the Biglia manuscripts, dans Augustiniana, 44, 1994, p. 341-461 (en croisant ces deux articles à la présentation très confuse, on parvient à un panorama de l’œuvre éditée et inédite de Biglia). Rappelons qu’Andrea Biglia participa à la polémique contre Bernardin de Sienne auquel il reprocha d’avoir utilisé des procédés magiques et la superstition pour attirer les esprits simples : le texte principal de la polémique, De institutis et doctrina fratris Bernardini, est édité dans B. de Gaiffier, Le mémoire d’Andrea Biglia sur la prédication de saint Bernardin de Sienne, dans Analecta Bollandiana, 53, 1935, p. 308-365. Sur la polémique qui englobe également Poggio Bracciolini, la bibliographie est assez répétitive : voir principalement E. Longpré, S. Bernardin de Sienne et le nom de Jésus, dans Archivum franciscanum historicum, 28, 1935, p. 443-476; 29, 1936, p. 142-168; A. Morisi, Andrea Biglia e Bernardino da Siena, dans Bernardino predicatore nella società del suo tempo, Todi, 1976 (Convegni del centro di studi sulla spiritualità medievale, 16), p. 335-359 (qui ne renouvelle ni les informations, ni la problématique), C. Vasoli, Poggio Bracciolini e la polemica antimonastica, dans Poggio Bracciolini 1380-1980. Nel VI centenario della nascita, Florence, 1982 (Istituto nazionale di studi sul rinascimento. Studi e testi, 8), p. 163-205 et R. Fubini, Poggio Bracciolini e San Bernardino. Temi e motivi di una polemica, désormais dans Id., Umanesimo e secolarizzazione..., cité note 26, p. 183-219. 73 C’est ce qu’expose très clairement Eudes de Viterbe dans l’Historia XX saeculorum (Rome, Bibl. Angelica, Cod. lat. 351, f. 41rv, cité par A. M. Voci, Idea di contemplazione ed eremitismo in Egidio da Viterbo..., note 22, p. 108-109) : Augustin [...] Ethruriam delegit [...] atque inibi in monte Pisano prius, inde ad centum cellas et in universa marittima eremitas statuit christianae paupertatis pauperisque simplicitatis aurum observantes, qui usque ad Innocentium et Alexandrum quartos nihilo secius nemoribus contenti perseverare; a Pontificibus deinde illis saltus egredi, urbes incolore, hominibus prodesse coacti sunt. Voir les critiques de Poggio Bracciolini envers les frères hos importunos ac molestos nebulones, qui astant in triviis, qui macellum, forum, piscatorium, olearium percurrunt (Poggio Bracciolini, Lettere, II. Epistolarum familiarum libri, éd. H. Harth, Florence, 1984, III, 4, p. 96-98, à Alberto da Sarteano, Rome, 21 février 1430, en part. l. 61-65, p. 98), par opposition à ceux qui restent dans leurs cellules. Mêmes critiques sur la prédication dans l’Oratio in hypocritas de Leonardo Bruni (éd. Lyon, 1679, p. 44-45 : Operae pretium est, audire hypocritam inter mulierculas aut inter viros sic stultos ut non multum a mulierculis differat, concionantem).

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l’ordre des ermites de saint Augustin à retrouver la solitude (magis super omnes religiosos debemus amare solitudinem in cella), sa solitude n’était pas celle des lettrés mais la sancta stultitia des pêcheurs recrutés par le Christ 74. La juxtaposition de l’image de Camaldoli proposée par Ambrogio Traversari et de celle de Lecceto proposée, quelques années plus tôt, par Andrea Biglia me semble donc significative à bien des égards, et principalement en raison du lien étroit établi dans la construction de ces images entre l’idéal de l’ermitage et une conception originale du rôle primordial des études dans la réforme des ordres religieux, conception qui se nourrit très clairement du modèle pédagogique de l’humanisme visant à la réforme de la société par l’éducation de l’individu 75. En somme, Traversari participe à Camaldoli, comme Andrea Biglia à Lecceto, à l’élaboration et, dans certaines limites imposées par la réalité pratique, à l’actualisation dans leurs propres établissements du mythe humaniste de l’ermitage, lieu de retraite studieuse d’où faire partir la réforme de la société. Or, dans les années qui suivent, Camaldoli est plusieurs fois choisi comme objet littéraire et notamment comme cadre de deux fictions littéraires caractéristiques de la culture humaniste 76. En 74 Ista magna scientia destruit ecclesiam Dei et omnes religiones; Christum eligit piscatores, stulta mundi eligit Deus (1 Cor. 1, 27). Expediet amodo ut omnes religiosi studerent sanctam stultitiam et obliviscantur scientiam suam... : Epistola ad fratres provincie Angliae, éd. M. H. Laurent, De litteris ineditis fr. Willelmi de Fleete (cc. 1368-1380), dans Analecta Augustiniana, 18, 1941-1942, p. 303-327, en part. p. 310-311. Les lettres aux magistri et au provincial d’Angleterre reprennent les mêmes thèmes (ibid. p. 313-318 et 318-322). On ajoutera que le modèle réformateur proposé par Biglia eut peu de succès dans les rangs même de l’observance, partagée entre l’attention pour la culture humaniste et la recherche d’un contact plus efficace avec le peuple chrétien : voir à ce propos les remarques de C. Delcorno (La predicazione agostiniana..., cité supra note 22, p. 102-103) à propos de la prédication et de la pénétration timide de l’art oratoire humaniste dans les sermons des chefs de file de l’observance en Lombardie et Vénétie. 75 À propos du rôle des études dans la réforme des ordres religieux, j’ai signalé quelques pistes de recherches dans C. Caby, Entre observance et humanisme. Définitions et pratiques d’une orthodoxie culturelle dans l’ordre camaldule..., cit. note 6, auquel je renvoie pour la bibliographie; voir aussi l’article de D. Rutherford, Timoteo Maffei’s attack on holy simplicity : educational thought in Gratian’s Decretum and Jerome’s Letters, dans Auctoritas Patrum. Contributions on the reception of the Church Fathers in the 15th and 16th century, Mayence, 1993, p. 159173 qui édite des fragments du passionant traité In sanctam rusticitatem litteras impugnatem de Timoteo Maffei. 76 Dans la tradition des dialogues philosophiques dans un cadre rural, il faut bien entendu ajouter le Paradiso degli Alberti de Giovanni Gherardi da Prato (éd. A. Lanza, Rome, 1965) qui mentionne – comme Roberto Battifolle s’adressant à Pétrarque, cf. supra n. 63 – Camaldoli ainsi que Vallombrosa et La Verna comme étapes du tourisme spirituel en Toscane (II, 6-9). L’intérêt pour Camaldoli au

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1442, le Bénédictin Girolamo Aliotti, ami et admirateur du défunt prieur général camaldule, soumet à l’approbation d’Eugène IV un opuscule De monachis erudiendis consacré aux études des moines 77. Le sujet est abordé sous la forme d’une conversation érudite se déroulant, en août 1435, dans l’ermitage de Camaldoli et faisant intervenir l’auteur, venu chercher quelques jours de calme mais aussi excitatus fama loci, et magno nomine sanctitatis, Ambrogio Traversari et l’un de ses meilleurs élèves, Agostino da Portico. Le cadre de l’Ermitage est peint comme un lieu solitaire plongé dans une nature difficile et austère et le mode de vie qu’on y pratique est décrit avec une précision quasi-normative qui laisse peu de place à la fantaisie littéraire; toutefois, le choix de l’Ermitage comme cadre de cette synthèse de l’enseignement de Traversari sur les études comme moyen de perfectionnement personnel et collectif mérite sans doute notre attention, tout au moins comme invitation à ne pas opposer trop schématiquement une représentation humaniste de l’ermitage et une autre monastique qui lui serait étrangère voire antithétique 78. C’est néanmoins une image très différente qui se dégage des Disputationes Camaldulenses rédigée au printemps 1474 par Cristoforo Landino, ami plus âgé de Marcile Ficin mais son élève en philosophie. Bien qu’elle n’ait pas reçu l’approbation du maître, cette œuvre entendait exposer sous forme d’un dialogue philosophique la théologie platonicienne de Ficin. Le titre, calqué sur celui des Tusculanae disputationes de Cicéron auxquelles Landino avait consacré un cours à Florence en 1458, indique le cadre idéal de cette fiction XVe siècle ressort très nettement de la multiplication des descriptions qui en sont faites : outre celles qui sont mentionnées plus bas, voir celle de Bernardino Gadolo inséré dans une lettre du 30 août 1496 à Jacopo Filippo Foresti da Bergamo, sur l’histoire de l’ordre camaldule : éd. C. Caby, Bernardino Gadolo ou les débuts de l’historiographie camaldule, dans MEFRM, 109, 1, 1997, p. 225-268, en part. 253-266. 77 Girolamo Aliotti, De monachis erudiendis, dans Hieronymi Aliotti aretini ordinis sancti Benedicti SS. Florae et Lucillae epistolae et opuscula, éd. G. M. Scarmalli, Arezzo, 1769, II, p. 176-292; voir la présentation générale du texte par K. Ganzer, Monastische Reform und Bildung. Ein Tractat des Hieronymus Aliotti (1412-1480) über die Studien der Mönche, dans Reformatio ecclesiae. Beiträge zur kirchlichen Reformbemühungen von der alten Kirche bis zur Neuzeit. Festgabe für Erwin Iserloh, Paderborn, 1980, p. 181-199; sur Girolamo Aliotti, U. Berlière, s.v., dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, 2, Paris, 1914, col. 458. 78 Girolamo Aliotti, De monachis erudiendis..., p. 185; voir C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 714-715. Sur Agostino da Portico, qui devint majeur de l’ermitage bien qu’il l’appréciât peu, outre les informations que l’on trouvera dans C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., on consultera la présentation de sa correspondance retrouvée par Daniela Delcorno Branca, Notizie di manoscritti. Lettere di direzione spirituale di un discepolo di Traversari : Agostino da Portico, dans Lettere italiane, 3 fasc., 2001, p. 377-396.

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littéraire organisée en quatre épisodes au moyen de brefs passages narratifs qui interrompent les débats 79. Alors que nous étions venus moi et mon frère Pietro dans notre terre du Casentino, tant pour fuir la chaleur que pour reposer notre esprit, il nous plut de monter le lendemain dans la forêt de Camaldoli, région qui t’est bien connue ainsi qu’à toute l’Italie grâce à l’ancienneté de son ordre; dans cette forêt, tandis que Sirius déchaîne malaises et fièvres, pour citer Homère, et fait fureur contre les mortels, on peut jouir, pour le plus grand plaisir de chacun, d’un ciel printanier et sain. Ainsi, comme nous arrivions d’abord chez les cénobites et ensuite chez les ermites (pour utiliser les mots grecs), nous vîmes que Laurent de Médicis était arrivé peu avant nous avec son frère Julien et qu’il avait amené de notre ville Alamanno Rinuccini, Pietro et Donato Acciaioli, Marco Parenti et Antonio Canisiano, hommes des plus lettrés... 80.

Peu de temps après, est annoncé Leon Battista Alberti qui, de retour de Rome, a fait un détour par Figline où il a convaincu Marsile Ficin de préférer le Casentino à Florence où règne la canicule. Ceux-ci arrivèrent donc au monastère et, après avoir laissé leurs chevaux, montèrent nous rejoindre d’un pas lent en compagnie de

79 Cristoforo Landino, Disputationes Camaldulenses, éd. P. Lohe, Florence, 1980. Voir U. Rombach, Vita activa und vita contemplativa bei Cristoforo Landino, Stuttgart, 1991 et surtout R. Fubini, Cristoforo Landino, le «Disputationes Camaldulenses» e il volgarizzamento di Plinio : questioni di cronologia e di interpretazione, désormais dans id., Quattrocento fiorentino. Politica, diplomazia, cultura, Ospedaletto (Pisa), 1996, p. 303-329, enfin Bruce G. McNair, Cristoforo Landino and Coluccio Salutati on the best life, dans Renaissance Quarterly, 47, 1994, p. 747-767 qui propose une lecture des Disputationes Camaldulenses de Landino comme un débat non entre vita activa et vita contemplativa mais entre deux genera vitae, l’otium et le negotium qu’il résout en faveur de la supériorité des munera de contemplation et de spéculation sur celui d’action. 80 Cristoforo Landino, Disputationes Camaldulenses..., p. 8, l. 20-32 : In agrum nostrum Casentinatem, cum venissemus ego et Petrus frater tum aestus vitandi tum animi relaxandi causa, placuit postridie in Camaldulam silvam ascendere, regionem et tibi et universae Italiae antiqua religione notissimam et in qua, cum vehementer Sirius saevit morbos atque febres, ut est apud Homerum, mortalibus furens, verno et apprime salubri caelo per summam voluptatem frui liceat. Itaque cum primum ad cœnobitas, inde etiam ad heremitas, ut Graecis verbis utar, pervenissemus, percepimus paulo ante nos Laurentium Medicem cum Iuliano fratre eodem venisse duxisseque secum ex urbe nostra Alamannum Rinuccinum, Petrum ac Donatum Acciaiolos, Marcum Parenthium et Antonium Canisianum, vios litteratissimos et qui, cum a primis annis vim copiamque dicendi exactissima arte et longa exercitatione consecuti essent, vehementi deinceps ac diuturno studio maximos in philosophia progressus fecerant. Voir aussi, p. 9, l. 1-24; p. 49, l. 10-13; p. 54, l. 13-25. Sur les séjours de Laurent le Magnifique à Vallombrosa, voir C. Elam et E. Gombrich, Lorenzo de’ Medici and a frustrated villa project at Vallombrosa, dans Florence and Italy... (cité supra note 28), p. 481-492.

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Mariotto le Camaldule, homme remarquable et d’une religion et d’un doctrine éprouvées 81.

Mariotto Allegri – dont les relations avec Traversari et la fidélité à la famille Médicis lui avaient bien fait mériter un rôle dans le dialogue – leur laisse à disposition des cellules, organise leurs repas et se montre en tout un hôte omni liberalitate atque comitate iocundissimus. Peu importe que la mise en scène de cette dispute philosophique relève de la fiction littéraire et que la solitude du philosophe platonicien corresponde plus à un état de l’âme qu’à une réelle renonciation au monde, le choix de Camaldoli n’en reste pas moins significatif du renversement d’image dont bénéficie l’Ermitage : de rude lieu de retraite solitaire, le paysage de l’Ermitage est transformé en une villa in rure idéale pour un très platonicien otium intellectuel 82. Renversement auquel, au-delà de ses traits purement intellectuels, le prieur Mariotto avait d’ailleurs concrètement œuvré en faisant réaliser d’importants travaux destinés à en accroître la commodité et les capacités d’accueil 83. Il serait néanmoins inexact d’affirmer que l’idéal lettré de l’Ermitage en masque dans les cercles humanistes tous les autres aspects, et notamment le statut de lieu saint et sacré : de nombreux textes nous en ont déjà donné la preuve; la vénération dont sont l’objet certains ermites confirme qu’il existe une place pour une image ascétique de l’Ermitage. Alors que les ermites de Camaldoli sont pour Traversari un obstacle à la jouissance de l’Ermitage et qu’ils sont totalement absent de la mise en scène des Disputationes Camaldulenses, ces hommes rudes et simples attirent l’admiration et la dévotion, souvent grâce aux pouvoirs prophétiques associés à leur ascèse extrême. En 1491, au cours d’un voyage à Vallombrosa, Camal-

81 Cristoforo Landino, Disputationes Camaldulenses..., p. 9, l. 21 : Hi igitur ad cœnobium devenerant dimissisque equis lento passu una cum Mariotto Camaldulensi antistite viro et religione et doctrina probato ad nos ascendebant. 82 Sur le caractère symbolique de la retraite rurale de l’Académie florentine, voir A. Field, The origins of the Platonic Academy of Florence, Princeton, 1988, en part. p. 200-201. 83 C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 713 et E. Lasinio, Appunti su Fontebuono, dans Rivista storica benedettina, 5, 1910, p. 560-570. Sous le généralat de Mariotto (1453-1472), un étrange texte, exactement contemporain de la fiction des Disputationes Camaldulenses, dédié à Pierre le Gouteux par un moine nommé Ludovico (peut-être un moine florentin de Santa Maria degli Angeli en correspondance avec Giovanni di Cosimo en 1462), dresse un tableau extrêmement précis de l’ermitage qui lie réalisme pointilleux et symbolisme du jardin paradisiaque : je prépare actuellement une transcription et un commentaire de ce texte conservé à Rome, Biblioteca nazionale centrale, Vittorio Emanuele, 1446.

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doli et La Verna, à mi-chemin entre l’excursion touristique et le pèlerinage, Ugolino Verino visite l’Ermitage, dont il décrit les cellules et leurs petits jardins perdus au milieu d’une forêt résonnant de chants d’oiseaux. Il y rencontre l’ermite Giovanni Gallo avec lequel il discute de coelestibus rebus et qui lui fait grande impression 84. Vingt ans plus tard, Paolo Giustiniani n’est pas moins édifié par ces religieux «sans culture, sans doctrine, mais pleins de charité, d’humilité, de bonté, de simplicité. Ils aiment leur ermitage et ils sont pleins des exemples des saints» 85. Il n’y a d’ailleurs pas qu’à Camaldoli que les ermites camaldules exercent leur pouvoir de fascination, tel ce Pietro Massaleni († 1453) reclus dans une cellule du monastère de San Michele di Murano dont il ne sort jamais et qui émeut tous les visiteurs de passage, au nombre desquels Ambrogio Traversari et l’humaniste Francesco Barbaro 86. À une époque où se multiplient les prophéties et où ermites et prophètes tendent à s’identifier, ces saints ascètes sont souvent dotés de dons prophétiques ou visionnaires 87. Ainsi, Pietro Teutonico, reclus depuis trente ans à Camaldoli, voit-il l’âme du pape Pie II s’envoler au ciel portée par des anges alors que le pontife meurt à Ancône; il meurt de vieillesse en 1473, après quarante-six ans de réclusion totale, au cours desquels il ne se nourrissait que des herbes produites par son jardinet 88. Ponc84 A. Lazzari, Ugolino e Michele Verino. Studii biografici e critici, Turin, 1897, p. 136, p. 141-142 (lettre à l’ermite peu après son pèlerinage), p. 222-224 (lettre décrivant le pèlerinage). Sur Ugolino Verino, voir les récents travaux de F. Bausi, Ugolino Verino, Savonarola e la poesia religiosa tra Quattro e Cinquecento, dans Studi Savonaroliani. Verso il V centenario, éd. G. C. Garfagnini, Florence, 1996, p. 127-135; Umanesimo e agiografia... et Le lodi della Madonna... cités supra note 31; enfin Ugolino Verino, Epigrammi, éd. F. Bausi, Messine, 1998, précédé d’une longue introduction sur la poésie religieuse humaniste. 85 Cité par J. Leclercq, Un humaniste ermite, le bienheureux Paul Giustiniani (1476-1528), Rome, 1951, p. 47, 50. Sur la perception de l’ermitage chez Paolo Giustiniani, voir J. Leclercq, Il beato Paolo Giustiniani e gli eremiti del suo tempo, désormais dans Momenti e figure di storia monastica italiana, éd. V. Cattana, Césène, 1993 (Italia Benedettina, 14), p. 543-554 et surtout E. Massa, L’Eremo, la Bibbia e il Medioevo in umanisti veneti del primo Cinquecento, Naples, 1992. 86 C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 717-718 qui renvoie aux sources et à la bibliographie. 87 Sur ce phénomène, voir O. Niccoli, Profeti e popolo nell’Italia del Rinascimento, Bari-Rome, 1987 (Biblioteca di cultura moderna, 947); B. Nobile, «Romiti» e vita religiosa nella cronachistica italiana fra ‘400 e ‘500, dans Cristianesimo nella storia, 5, 1984, p. 303-340; et le volume sur la parole prophétique des MEFRM, 102, 2, 1990. 88 C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain..., p. 708; Ann. Camald., VII, 271-272; Acta sanctorum Aprilis, III, Paris-Rome, 1866, p. 472-478. De cette vision prophétique racontée par le biographe du pape, Giovanni Antonio Campano (Vita Pii II, dans Rerum Italicarum Scriptores, III/2, Milan, 1734, col. 969-992, en part. col. 988), et également rapportée par le Camaldule Bernardino Gadolo (éd. C. Caby, Benardino Gadolo..., en part. p. 260), fait mémoire la

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tuellement, le monde de la contemplation platonique et des ermites visionnaires se rencontrent : dans les premières années du XVIe siècle, le Florentin Michelangelo Pini († 1522), familier à la cour de Laurent le Magnifique en compagnie duquel il avait à l’occasion visité Camaldoli, se retire à l’Ermitage. Lorsque Paolo Giustiniani y arrive en décembre 1510, Pini est désormais un ermite à la longue barbe blanche, tel saint Jérôme, reclus depuis cinq ans et qui ne parle presque plus, ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’étendre son influence de la Florence de Laurent le Magnifique à la cour ducale d’Urbino. Ses seules paroles, qui proviennent déjà de l’au-delà auquel il aspire, sont des paroles prophétiques pour annoncer, tel ces prophètes de cour alors si à la mode, la promotion pontificale de Jules Médicis (Clément VII) puis celle d’Alexandre Farnèse (Paul III) 89. Il y a donc bien contact entre les deux mondes, mais sur le plan de la dévotion privée et d’une vénération fort peu intellectuelle. Tandis que l’imaginaire humaniste de l’ermitage se construit sur la sécularisation de l’idéal érémitique et que la ré-élaboration humaniste des lieux érémitiques repose sur la possibilité de transférer à certains lieux (Camaldoli et Lecceto par exemple) un ensemble de topoi littéraires et d’idéaux culturels (antiques ou médiatisés par la littérature médiévale ou humaniste elle-même) en mesure de les investir de fonctions nouvelles, les rares ermites qui croisent le monde de la culture humaniste y pénètrent comme objet d’une vénération atemporelle, souvent motivée par la fascination de dons, telle la prophétie, étrangers à toute rationalité humaniste. L’humaniste doit-il donc renoncer à devenir ermite et se contenter de vivre son désir de solitude exclusivement selon le modèle lettré du solitaire du mont Ventoux? Tel est le paradoxe d’un Paolo Giustiniani qui, décidé à quitter le monde, se retire en 1506 dans les collines des environs de Vicence puis dans une petite maison de Murano où il a pourtant la sensation de vivre en philosophe et non en ermite chrétien : Mi ricordo aver voluto provar de viver in una villa solitaria overo

légende d’une des scènes du cycle de la vie de Pie II dans la Libreria Piccolomini de la Cathédrale de Sienne. 89 Razzi (S.), Vite de’ santi e beati toscani, Florence, 1593, p. 827-843, en part. p. 841-842 (l’auteur affirme tenir ses informations d’un certain Samuele de Forlì «suo ministro d’altare» qui connut personnellement Pini). Michelangelo Pini est l’auteur d’œuvres mystiques conservées à l’ermitage de Frascati, voir C. Somigli, Pini Michele, dans Bibliotheca sanctorum, 10, Rome, 1968, col. 874-876. Sur le phénomène de la prophétie de cour, voir G. Zarri, Les prophètes de cour dans l’Italie de la Renaissance, dans MEFRM, 102, 2, 1990, p. 649-675, également en italien Profeti di corte nell’Italia del Rinascimento, dans D. Bornstein e R. Rusconi (éd.), Mistiche e devote nell’Italia tardomedievale, Naples, 1992, p. 209-236 (respectivement p. 661-663 et 222-223 sur Pini).

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a una cassa che haveo a Murano, et la experientia mi mostrava che tal vita era piùtosto da un gentil philosopho che da un religioso animo christiano 90.

Lorsqu’il arrive à Camaldoli en 1510, son projet est encore celui de l’humaniste platonicien qui vient y chercher le calme (pour lui et ses compagnons d’étude) dans un lieu d’anachorèse, peuplé de maîtres et directeurs spirituels et doté des services matériels nécessaires, mais auquel il n’entend pas se lier par le moindre vœu : une retraite senza obligation, selon ses mots, un érémitisme libre qu’il regrettera amèrement lorsque, après avoir finalement prononcé les vœux monastiques, il se retrouvera happé par les responsabilités. Désespéré, il fait alors vœu (contre son vœu religieux) d’abandonner l’ermitage qui l’a trahi, sans jamais y revenir, et de fuir à la recherche de la vraie solitude qu’il n’y a pas trouvée : Quelle défense et quel refuge me reste-t-il donc dans cet état de misère, sinon de revenir, loin de toi, cellule solitaire, dans laquelle je n’ai pu demeurer solitaire un seul jour, vers l’affluence de la ville dans laquelle je pratiquais la vie solitaire? Sinon de fuir, loin de la solitude de cet Ermitage dans lequel je n’ai pu être ni solitaire, ni ermite, vers la foule dans laquelle je menais une vie plus solitaire? Sinon de me réfugier loin de cette cellule qui me ronge dans les villages et sur les places qui sauront mieux m’encelluler? 91.

En réalité, on peut affirmer, en cultivant à dessein le sens du paradoxe, qu’il existe au moins un modèle humaniste d’ermite : celui de Girolamo di Matelica, proposé par Vespasiano da Bisticci dans son catalogue d’hommes illustres 92. Notre chance est que ce personnage singulier est par ailleurs bien connu (ou au moins aurait dû l’être), grâce à un ensemble de documents, publiés par Jean Leclercq, qui confirment ses nombreux déplacements des Marches, dont il est originaire, à Florence, puis à Paris (dans la mouvance de Saint-Germain-des-Prés) et enfin à Fiesole où il meurt après 1464 93. 90 Lettre 460 du 20 juillet 1518, citée par E. Massa, L’Eremo, la Bibbia e il Medioevo..., cité supra n. 85, p. 60. 91 Soliloque du 15 août 1519, cité ibid., p. 352 : Quid igitur mihi residuum presidii aut confugii in hac miseria constituto esse potest, nisi ex te, solitaria cella, in qua solitarius una die esse non potui, ad civitatis frequentiam, in qua solitariam vitam agebam, revertar? nisi ut ex solitudine ex Eremo hac, in qua nec solitarius esse possum nec eremita, ad publicum, in quo magis solitariam vitam agebam confugiam? nisi ut ex hac roditrice cella ad vicos et plateas, que me cellare magis noverunt, refugiam?. 92 Vita di frate Girolamo di Matelica, dans Vespasiano da Bisticci, Vite di uomini illustri del secolo XV, éd. A. Greco, Florence, 1970, II, p. 381-384. 93 J. Leclercq, Un traité de Jérôme de Matelica sur la vie solitaire, dans Rivista di storia della Chiesa in Italia, 18, 1964, p. 13-22 et Jérôme de Matelica et Aegidius Ghiselini, ibid., 20, 1966, p. 9-17 : le savant bénédictin ignore qu’il s’agit du per-

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À Fiesole comme à Paris, Girolamo vit de son activité de copiste (11 ou 12 manuscrits de sa main ont été reconnus par Albinia della Mare), grâce à laquelle il entre d’ailleurs en contact avec le libraire Vespasiano da Bisticci, son futur biographe. L’activité de copie ainsi que le voyage à Paris sont justifiés par le biographe par un choix de conversion à un érémitisme lettré, «secondo che fusse più perfetto istato quelle delle lettere che sanza lettere». Outre cette orientation intellectuelle, en contradiction avec l’idéal de la sancta rusticitas, l’autre thème remarquable de la Vie de Girolamo est celui de l’autonomie, aussi bien économique («vivere de la sua fatica, sanza pericolo di pigliare la roba d’altri e vivere di quella») que juridique («non volè mai pigliare ordine ignuno»). L’un et l’autre aspects renvoient à divers débats ou prises de positions du temps que je me contente de signaler ici. De façon générale, l’insistance sur la liberté de Girolamo en tant que lettré (di uno animo libero e intero) est étroitement liée à l’image de l’«intellectuel» proposée à partir de Pétrarque. Mais plus spécifiquement dans notre texte, elle évoque également le thème, très ambigu et controversé au XVe siècle, de la pauvreté comme valeur (tempérance, mesure etc.) et inversement comme vice, quand elle justifie le parasitisme social, motif récurrent des polémiques humanistes contre les ordres mendiants 94 ; Enfin, elle renvoie à la question juridique du vœu religieux des ermites et plus généralement de toute personne prétendant vivre en religieux, objet de débats aussi bien au sein de l’Église, où la papauté tente de généraliser la profession religieuse dans un souci d’encadrement des expériences hors normes 95, qu’en dehors où la réflexion sur les vœux sonnage de Vespasiano de même que l’éditeur de Vespasiano (cf. note 1, p. 381) ignore tout de ce personnage. L’ignorance réciproque entre spécialistes du monachisme et de l’humanisme (au demeurant assez caractéristique des blocages historiographiques signalés au début de cet article) dure depuis, à une exception près : A. della Mare, New research on humanistic scribes in Florence, dans Miniatura Fiorentina del Rinascimento 1440-1525. Un primo censimento, éd. A. Garzelli, 2 vol., Florence, 1985 (Inventari e cataloghi toscani, 19), p. 393-600 consacre une fiche à Girolamo (p. 424 et no 26, p. 498) où elle cite les articles de J. Leclercq. 94 Sur le jugement sur la pauvreté dans la pensée humaniste, je me contente de renvoyer ici à H. Baron, Franciscan poverty and civic wealth in the shaping of trecento humanistic thought : the role of Petrarch, dans In search of Florentine civic Humanism..., cité supra note 1, I, p. 158-257; et à la récente synthèse de P. Gilli, La place de l’argent dans la pensée humaniste italienne au XVe siècle, dans L’argent au Moyen Âge, XXVIII congrès de la SHMES, Clermont-Ferrand, 1997, Paris, 1998, p. 309-326. 95 Ça n’est pas le lieu de rappeler la bibliographie sur cette question au demeurant encore peu étudiée (surtout en ce qui concerne le statut canonique des ermites et leurs vœux) : j’ai soulevé quelques problèmes dans Finis eremitarum? Les formes régulières et communautaires de l’érémitisme médiéval, dans L’érémitisme en France et en Italie (XIe-XIVe siècles), A. Vauchez (dir.), Rome, 2003 (Collection de l’École française de Rome, 313), p. 47-80; I. Gagliardi en a rencontré et

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religieux devient une des voies de contestation de l’ordre social chrétien fondé sur l’opposition clercs-laïcs 96. On est loin d’avoir épuisé par ces quelques remarques la richesse de ce texte surprenant : qu’il fasse office ici, tant par sa matière que par l’histoire de son infortune caractéristique des cloisonnements entre spécialistes de l’humanisme et de l’histoire religieuse, d’une invitation à multiplier les recherches sur ces ermites, moines ou frères «colle lettere» qui mettent leur culture au service de leur observance et conçoivent leur observance à la mesure de leur culture 97. Cécile CABY

affronté d’autres assez similaires à propos de l’institutionnalisation des Jésuates (I pauperes yesuati tra esperienze religiose e conflitti istituzionali, tesi di perfezionamento, Scuola Normale Superiore, Pisa, 1999-2000, en cours de publication); enfin, sur le vœu en général, le groupe de travail animé par A. Boureau et P.A. Fabre à l’EHESS a déjà produit de très riches résultats publiés dans les Cahiers du centre de recherches historiques, 16, avril 1996, et 21, octobre 1998, p. 1-98. 96 En guise d’introduction problématique et bibliographique, je me limite, dans ce cadre, à renvoyer à l’édition du De professione religiosorum de Lorenzo Valla par Mariarosa Cortesi, Padoue, 1986 (Thesaurus Mundi. Bibliotheca scriptorum latinorum mediae et recentioris aetatis, 25) précédée d’une remarquable introduction historique. 97 Rappelons comme modèle du genre l’étude consacrée par F. Bausi à Francesco da Castiglione tra umanesimo e teologia (cité supra n. 30) qui, après avoir replacé le personnage dans la mouvance des Médicis, non seulement examine le traitement spécifique de genres humanistes (comme les lettres de consolation) par ce clerc florentin formé à l’école de Vittorino da Feltre, mais souligne également les influences de la culture humaniste profane (style, méthodes, sources et leur interprétation etc.) sur sa production dans des genres religieux traditionnels comme l’hagiographie; pour conclure à propos de cet humanisme chrétien (p. 179) : «non possono, semplicisticamente, essere ascritte a tardivi rigurgiti di spiritualità medievale manifestazioni culturali facenti invece capo a un filone di pensiero la cui fioritura, ininterrotta per tutto il Quattrocento, si era sempre intrecciata, nel corso del secolo, a quella dell’Umanesimo; con alterne vicende (ora di conflitto e di Contrapposizione, ora di sovrapposizione e di convivenza) che non consentono di vedere in queste due linee né due schieramenti sempre e comunque antitetici, né, tanto meno, l’espressione, rispettivamente dell’oscurantismo medievale e della laica modernità».

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CLAUDINE DELACROIX-BESNIER

L’OUVERTURE DE L’ÉGLISE LATINE À LA PATRISTIQUE GRECQUE

L’une des vertus du présent colloque est d’estomper la frontière chronologique qui sépare le Moyen Âge de l’époque moderne. Profitons en pour montrer que d’une renaissance à l’autre, l’histoire culturelle de l’Europe suit son chemin, puisant dans ses racines la substance revigorante qui lui permet de dépasser ses contradictions. En effet la question de l’ouverture de l’Église latine à la patristique grecque invite à remonter bien avant ce qu’il est de coutume d’appeler le préhumanisme, en pleine période scolastique. Malgré le vif débat qui anima les intellectuels européens entre une scolastique vieillissante et sclérosée et les tenants d’un renouveau de la pensée ou entre tenants d’un aristotélisme dépassé et les promoteurs d’un platonisme rénové, l’étude de cette question montre que classer les intellectuels selon des catégories, à l’intérieur de mouvements de pensée, est commode mais simplificateur et que dans l’ordre des Prêcheurs, qui ne fut jamais monolithique, et même sous le patronage de celui qui passe pour le père de la scolastique, les germes d’une méthode annonçant l’humanisme peuvent être décelés. Étudier l’ouverture de l’Église latine à la patristique grecque nécessite en effet de remonter en plein cœur du XIIIe siècle, alors que Byzance vit repliée sur Nicée et que les négociations entre les deux Églises sont relancées malgré les actes irréparables commis lors de la prise de Constantinople par les Francs et les Vénitiens. Du concile de Lyon II (1274) à celui de Ferrare-Florence (1438/39), d’une tentative d’union à l’autre, les discussions n’ont guère cessé, soutenues par les Prêcheurs de la mission de Péra. Relations contraintes par un contexte militaire toujours plus dangereux pour l’empire grec, elles ont obligé l’Église latine à mieux connaître ses frères d’Orient et à puiser son argumentation à la source de la culture grecque, mettant en place des méthodes qui peuvent être qualifiées d’humanistes. À partir de l’étude des sources de deux traités inédits, écrits par des Prêcheurs, il s’agit de mesurer cette ouverture de l’Église de Rome à la patristique grecque. Ces deux ouvrages : le Liber

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logorum gerarchie subcelestis, anonyme de 1387/881 et le Liber de synodis et ecclesiastica potestate de Jean Ley, daté de 1437/38, discutent de la question du primat du pape de Rome. Celle-ci fut très débattue à Florence car elle était non seulement au cœur du débat entre les deux Églises mais aussi parce que le pape Eugène IV entendait se servir du concile pour mettre un terme au schisme de l’Église grecque afin d’en finir définitivement avec celui qui constituait, à l’intérieur de l’Église latine, une déchirure toujours douloureuse. Après avoir évoqué l’importance des travaux de Thomas d’Aquin dans la perspective du concile de Lyon et, rapidement, rappelé celle de l’œuvre des Prêcheurs de Péra, il s’agira de présenter les sources du second livre du Liber dialogorum puis du livre V du Liber de Synodis et d’évaluer l’importance des références que les deux auteurs ont puisées dans la patristique grecque. Cette étude permettra de soulever quelques questions périphériques comme celle des méthodes de travail des Prêcheurs et celle de leur environnement intellectuel comme autant d’éléments manifestant un humanisme en devenir. LES

PRÉMICES

:

LE CONCILE DE

LYON

ET SES SUITES

Dans la perspective du concile de Lyon La préparation du concile de Lyon apparaît comme le point de départ déterminant pour l’utilisation des sources grecques par les Latins dans leur argumentation contre l’orthodoxie grecque. Malgré le schisme officiel de 1054, les relations ne furent jamais totalement rompues entre les deux Églises, des discussions approfondies eurent notamment lieu à Constantinople sous la conduite de l’empereur Manuel Ier Comnène 2. Ce furent autant d’occasions pour les Latins de lire les sources grecques, patristique et canons conciliaires. L’œuvre de Léon Toscan et de son frère, Hugues Éthérien, fut un premier pas important car elle fut reprise par les frères de Péra 3. Pour les mêmes raisons politiques, Byzance cherchant le soutien militaire de l’Occident contre les Turcs, ces relations reprirent au siècle 1 Ce texte fait actuellement l’objet d’une étude dirigée par Hélène Millet, dans le cadre groupe Gerson appartenant au CNRS. Nous travaillons à partir du texte du manuscrit de la Bibliothèque Vaticane Reg. Lat. 715. 2 E. Patlagean, Les relations entre Constantinople et Rome aux XIe et XIIe siècles, dans J. M. Mayeur et alii (dir.), Histoire du christianisme, V, Paris, 1993, p. 359-360. 3 A. Dondaine, Hugues Éthérien et Léon Toscan, dans Archives d’histoire doctrinale et littérature du Moyen Âge, 19, 1952, p. 67-134; Contra Graecos, premiers écrits polémiques des Dominicains d’Orient, dans Archivum Fratrum Praedicatorum, 21, 1951, p. 320-446.

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suivant lors de deux temps forts : dans les années 1230, sous les empereurs de Nicée, puis après la reconquête de Constantinople, sous Michel VIII Paléologue; il s’agissait alors de préparer le concile de Lyon. Les deux principaux vecteurs de la connaissance de la patristique grecque en Occident furent, comme ils le seront au siècle suivant, des Italiens méridionaux et les frères mendiants, missionnaires dans l’empire grec, certains d’entre eux étant bilingues. Dans les deux décennies précédant le concile de Lyon, deux traités furent écrits par des Prêcheurs : le Contra Graecos, par un frère anonyme de Constantinople en 1252, et le Contra errores Graecorum par saint Thomas d’Aquin dix ans plus tard. Alors que le premier, qui avait assisté aux discussions de Nymphée en 1232, avait collationné des sources originales et que son ouvrage se trouvait dans la bibliothèque pontificale, le second utilisait des textes de seconde main. En effet le pape Urbain IV avait demandé à saint Thomas, en 1262 ou 1263, d’expertiser un florilège de citations des pères grecs, le Libellus de Fide de Nicolas de Cotrone. Cet ouvrage, pensé et écrit en grec, comme en témoignent les nombreux hellénismes de la traduction latine, était initialement destiné en 1254, à l’empereur Théodore Laskaris, empereur de Nicée, avant d’être envoyé pour consultation à Michel VIII Paléologue. Le Contra errores Graecorum en dépend étroitement alors que ses citations sont soit incertaines, car impossibles à retrouver, soit extrapolées par Nicolas de Cotrone 4. Les deux textes ont le même plan, la dissertation traitant de la procession du saint Esprit et de la Trinité en occupant la plus grande partie. Les auteurs n’ont consacré que quelques pages à la question du primat. Sur les 205 citations grecques de l’ensemble du traité de saint Thomas, deux cents proviennent du Libellus, les cinq autres appartiennent à la documentation courante des scolastiques, comme l’indique l’éditeur des deux textes dans la Léonine. Thomas d’Aquin se fia donc totalement à son auteur or il avait tord notamment dans les paragraphes traitant de la primauté de Rome. Les six citations du Thesaurus de Cyrille d’Alexandrie sont impossibles à retrouver 5. Les références tirées de l’œuvre d’Athanase d’Alexandrie appartiennent à une compilation

4 Thomas d’Aquin, Contra errores graecorum, dans Opera omnia, [édition léonine], XL, Rome, 1969, A71-105, suivi du Libellus ou Liber De Fide Trinitatis de Nicolas de Cotrone, A109-151. 5 Il est peut-être possible de nuancer l’opinion de l’éditeur de la Léonine car la tradition du Thesaurus de Cyrille permet de penser qu’il ne nous est pas parvenu en entier, N. Charlier, Le Thesaurus de Trinitate de S. Cyrille d’Alexandrie, dans Revue d’histoire ecclésiastique, 45, 1950, p. 25-81.

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antérieure, celle du Pseudo-Athanase. La citation de Cyrille de Jérusalem n’est pas plus authentique. Sa seule source fiable est l’œuvre de Jean Chrysostome dont il cite plusieurs homélies, mais cette œuvre était bien connue en Occident. Il est vrai que Thomas d’Aquin n’avait accès à la patristique grecque que par l’intermédiaire de traductions en latin donc il ne pouvait vérifier ses sources, notamment le Thesaurus de Cyrille d’Alexandrie qui ne fut traduit qu’au milieu du XVe siècle par Georges de Trébizonde. Il connaissait cependant assez bien les pères grecs, ce qui pose la question très débattue de son éventuelle collaboration avec Guillaume de Moerbeke, prêcheur du couvent de Thèbes, traducteur d’Aristote et de Proclus 6. Thomas d’Aquin commença sa Catena aurea à l’époque où il écrivait son traité contre les Grecs et la termina entre 1265 et 1268 alors qu’il dirigeait le centre d’études dominicaines de Rome. Si ses références dans le Contra errores Graecorum sont suspectes, celles de la Catena ne le sont pas. Il est légitime de penser que son maître Albert le Grand l’avait sensibilisé à la culture grecque et que son travail sur le Libellus de fide de Nicolas de Cotrone avait fait naître de nouvelles curiosités. Il faut également noter que Thomas d’Aquin était un Italien méridional, qu’il avait commencé ses études à Naples et qu’il dirigeait le studium de cette ville lorsque le pape lui demanda de préparer le concile de Lyon 7. Mais pourquoi, alors qu’aucune source ne l’atteste, certes, ne pas penser à des rencontres entre Thomas et Guillaume, alors que le premier est à Rome terminant sa Catena, que le second est à Viterbe de 1267 à 1271 et que le pape leur a demandé leur collaboration au concile de Lyon. Si ses sources grecques sont sujettes à caution, le traité de Thomas d’Aquin marque cependant une étape importante dans l’histoire de la polémique dominicaine avec les Grecs car le docteur angélique y a imprimé la rigueur de sa pensée, soulevant la question de la valeur des prépositions lors de la traduction d’une langue à l’autre et érigeant en méthode ce que les frères de Péra avaient commencé à faire : prendre chez les Grecs les arguments nécessaires pour soutenir les thèses latines.

6 M. Grabmann, Guglielmo di Moerbeke O.P. il traduttore delle opere di Aristotele, Rome, 1946 (Miscellanea historiae pontificiae, 9); G. Verbeke, Moerbeke, traducteur et interprète; un texte et une pensée; C. Steel, Guillaume de Moerbeke et saint Thomas, dans J. Brams et W. Vanhamel (éd.), Guillaume de Moerbeke. Recueil d’études à l’occasion du 700e anniversaire de sa mort (1286), Louvain, 1989, p. 1-21 et p. 57-81. 7 J. P. Torell, Thomas d’Aquin (Saint), dans A. Vauchez (dir.), Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, Paris, 1997, p. 1511-1512.

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L’œuvre des Prêcheurs de Péra L’union conclue à Lyon fit long feu en raison d’une très forte opposition dans l’entourage de l’empereur comme dans la population constantinopolitaine. Dès la mort de Michel VIII, en 1282, l’orthodoxie grecque fut rétablie et les partisans de l’union jetés en prison où ils finirent leurs jours 8. Les Prêcheurs de Constantinople furent chassés de la capitale et se réfugièrent à Nègrepont avec leur bibliothèque où ils continuèrent leur œuvre polémique, attendant des jours meilleurs. Bernard de Gaillac refonda la mission avant 1307, à Péra, en territoire génois 9 et, pendant une vingtaine d’années les missionnaires, de l’avènement d’Andronic III jusque vers 1350, purent reprendre leur moisson de références grecques grâce à leurs relations à la cour et dans les monastères grecs10. La lecture des traités de Simon de Constantinople et de Philippe de Péra, dont le thème majeur est la procession du saint Esprit, montre un élargissement en même temps qu’une recherche de l’authenticité des sources utilisées, puisant largement chez Athanase et Cyrille d’Alexandrie11, auteurs moins prisés de leurs frères d’Occident. L’Adversus Graecos de Manuel Calécas, terminé en 1410 et traduit en latin par Ambroise Traversari pour Martin V en 1425, est particulièrement riche en citations de Cyrille. Au contact de ces sources originales, Philippe de Péra a pu réévaluer l’importance du schisme de Photios, masqué en Occident par le caractère officiel de celui de Michel Cérullaire12. LE LIBER

DIALOGORUM, SON AUTEUR ET SES SOURCES

Un auteur anonyme et son milieu L’auteur du Liber dialogorum gerarchie subcelestis est resté anonyme en raison du ton très polémique de son traité. Écrit pendant le grand Schisme, celui-ci défend la thèse conciliariste. Les seules in8 Philippe de Péra nous en a rendu compte lui-même : Th. Kaeppeli, Deux nouveaux ouvrages de fr. Philippe Incontri de Péra, dans Archivum Fratrum Praedicatorum, 23, 1953, p. 163-183. 9 R. J. Loenertz, La Société des Frères Pérérinants, I, Rome, 1937, p. 38-43; Les établissements dominicains de Péra-Constantinople, dans Échos d’Orient, 34, 1935, p. 332-349. 10 Ces relations étroites sont attestées par les lettres que Simon de Constantinople a adressées aux officiels de la cour de Constantinople : M. H. Congourdeau, Frère Simon le Constantinopolitain et Note sur les Dominicains de Constantinople, dans Revue d’études byzantines, 45, 1987, p. 165-174 et 175-181. 11 C. Delacroix-Besnier, Les Dominicains et la chrétienté grecque aux XIVe et XVe siècles, Rome, 1997 (Collection de l’École française de Rome, 237), p. 207-267. 12 Ibid., p. 217.

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formations dont nous disposons sont contenues dans l’explicit du manuscrit de Madrid13, le plus ancien. Il y est dit que le texte a été écrit à Sienne en 1388 par un évêque appartenant à l’ordre des Prêcheurs14. Cet auteur a longtemps été considéré comme Siennois mais une lecture attentive du texte montre qu’il faudrait plutôt s’orienter vers la France pour déterminer son origine15. L’auteur a laissé quelques indices disséminés dans son œuvre parmi lesquels l’expression de sa confiance dans le nouveau roi de France Charles VI pour mener à bien la réforme de l’Église, son père en ayant été empêché par la mort. L’auteur nous livre également le nom de deux de ses relations : Gondisalvus, prêcheur de Sainte-Sabine et attaché à l’autel de saint Pierre, et Guillaume de Salvarville, universitaire parisien, favorable à la réunion d’un concile général. Cependant la personnalité qui semble la plus proche de lui par la pensée est Pierre Bohier. Ce dernier est à plusieurs reprises nommé dans le Liber dialogorum. Bénédictin de la province de Narbonne, il était très lié au pape Urbain V qui le nomma sur le siège d’Orvieto en 1364 et lui confia le soin d’accompagner la délégation grecque qui suivait l’empereur Jean V Paléologue à Rome en 136916. Il fut impressionné par l’humilité des ambassadeurs grecs et frappé par leur attachement à la tradition des premiers conciles œcuméniques contrastant avec l’étroitesse de la conception ecclésiologique exprimée par le pape17. En 1378, lors de l’éclatement du grand Schisme, il répondit à l’invitation du roi de France Charles V auquel il dédia son commentaire du Liber pontificalis. Il écrivit également un traité Cum inter nonnullos dont les thèmes et conclusions sont très proches du Liber dialogorum. Ces quelques indices montrent donc que l’auteur du Liber dialogorum devrait être originaire de la France du Nord, familier de l’axe Paris, Avignon, Rome, le long duquel circulent intellectuels et réMadrid, Biblioteca nacional, Ms. 54, fo 1-28. D. Menozzi critique l’attribution du texte à Michael di Paulo Pelagalli, initialement formulée par N. Valois, La France et le Grand Schisme d’Occident, I, Paris, 1896, p. 329 n. 4 et 398-399, puis par R. Scholtz, Eine Geschichte und Kritik der Kirchenverfassung vom Jahre 1406, dans Papsttum und Kaisertum, Paul Kehr zur 65. Geburstag, Munich, 1926, p. 595-621, et même H. J. Sieben, Traktate und Theorien zum Konzil, Francfort, 1983, p. 20., voir D. Menozzi, La critica alla autenticità della Donazione di Constantino in un manoscritto della fine del XIV secolo, dans Cristianesimo nella Storia, 1, 1980, p. 123-134. 15 E. Petrucci, Gli Ebrei in un inedito opusculo anonimo sulla costituzione, dans Aspetti e problemi della presenza ebraica nell’Italia centro-settentrionale (s. XIV e XV), Roma, 1983 (Quaderni dell’Istituto di scienze storiche dell’Università di Roma, 2), p. 309-342. 16 E. Petrucci, Bohier, Pietro, dans Dizionario biografico degli Italiani, XI, Rome, 1969, p. 193-203. 17 Ibid., p. 195. 13 14

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flexions nouvelles de cette période préhumaniste. L’étude de ses sources semble confirmer ces hypothèses18. Les sources du Liber dialogorum, lib. II Le traité anonyme de 1387/88 est un dialogue entre un catéchumène et son maître, dit «orthodoxus». Dans le premier livre le catéchumène pose une série de questions sur l’histoire de l’Église primitive et la validité de la concession des clés à Pierre. Son rôle est de donner les arguments habituels sur la primauté, le maître défendant la thèse conciliariste. Dans cette première partie, l’auteur fonde son argumentation sur les Évangiles et des citations des pères latins, tirées pour la plupart du Décret de Gratien. Le second livre traite du gouvernement des Églises, de la hiérarchie, de l’autorité des patriarches et des conciles, remet en cause l’authenticité de la donation de Constantin. L’auteur y manifeste une admiration affirmée pour les Grecs et leur Église sur un ton pouvant évoquer les réflexions de Pierre Bohier au moment de sa rencontre avec les ambassadeurs grecs à Rome19. C’est donc dans cette partie du texte que les citations des pères grecs pouvaient être nombreuses, or il ne se réfère qu’une seule fois à Cyrille d’Alexandrie sans donner de titre d’ouvrage pour donner une information que tout clerc latin cultivé devait connaître : Cyrille a dit que Jean Chrysostome avait fait appel au pape de Rome. Il n’en reste pas moins que ce qu’il dit de l’Église grecque est exact et assez original. L’étude des sources de ce texte appelle différentes remarques si l’on excepte les références habituelles à ce genre littéraire, citations de l’Écriture, des canons conciliaires et lettres pontificales. Les sources du Liber sont des histoires de l’Église soit anciennes, datant du Ve au VIIe siècle comme celles de Cassiodore, d’Eusèbe de Césarée, dans la traduction latine de Rufin, ou de Bède le vénérable, soit récentes, du XIIe au XIVe siècle. Beaucoup de ces auteurs de cette seconde période sont des Prêcheurs comme Vincent de Beauvais ou Martin de Pologne, très souvent cités dans la littérature dominicaine, d’autres le sont moins tels Barthélemy de Lucques (Ptolémée) ou Jean Colonna. L’auteur n’évoque pas le schisme de Photios ce qui peut s’expliquer par la lacune bibliographique des VIIIe-XIe siècles, pourtant Anastase le Bibliothécaire avait traduit en latin les actes du

Voir annexe I. Ms. Reg. Lat. 715, fo 24v. : Itaque fili vides quod superioritatis desiderium fuit et est omnium causa scismatum et quod cessarent omnia si hec refferentur ad concilia. 18 19

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concile antiphotien de 869/70 20 et compilé les historiens grecs dans sa Chronographia tripartita 21. Il convient de faire une autre remarque sur les sources du second livre du Liber dialogorum. L’auteur donne deux citations du récit de la première croisade par Foucher de Chartres. Cette incursion est assez étrange dans un traité sur l’organisation de l’Église. La première appuie l’affirmation selon laquelle le siège de Saint-Jacques de Compostelle est apostolique au même titre que ceux d’Antioche et d’Alexandrie, la seconde pour réfuter la donation de Constantin. Cette familiarité de l’auteur avec l’œuvre de Foucher de Chartres pourrait plaider, bien que sa diffusion ait été large, en faveur d’une origine septentrionale ou du moins d’une fréquentation des milieux cléricaux de la France du Nord-Ouest. Elle invite à un rapprochement avec la carrière de Jean Colonna, neveu de Landolfo Colonna. Il suivit des études dans plusieurs écoles du Nord de la France, dont celle de Chartres où son oncle était chanoine. Puis il entra chez les Prêcheurs, séjourna plusieurs années à Nicosie jusqu’en 1332, comme chapelain de l’archevêque Jean Conti, Dominicain lui aussi, avant de séjourner à Avignon où il retrouva son oncle. L’épistolier de Pétrarque porte la marque de leur amitié. Pétrarque reçut de Landolfo Colonna le manuscrit chartrain qui lui manquait pour achever l’édition des Decades de Tite Live, ouvrage mentionné dans le chapitre quinze du livre II du Liber dialogorum anonyme 22. Les œuvres de Jean Colonna sont en grande partie inédites et certaines semblent perdues 23. Il est possible qu’elles portent le souvenir de son séjour à Chypre, terre de chrétienté orientale, et qu’elles purent inspirer à notre auteur anonyme ses louanges adressées à la chrétienté grecque. Avant de les évoquer, il convient de remarquer que ces regards vers l’Antiquité et vers la Grèce, surtout, sont autant de composantes qui marquèrent plus tard l’humanisme. Autant de caractères qu’il faut ajouter à une tendance constante à débusquer les apocryphes. Ce mot revient en effet quatre fois dans le second livre. Au chapitre V, à propos des sièges patriarcaux, il estime que les sources qui les ont institués sont apocryphes ou réputées telles et pense que c’est l’usage qui a établi les patriarches au20 P. Dagron, L’Église et l’État (milieu du IXe - fin du Xe siècle), dans J. M. Mayeur et alii (dir.), Histoire du Christianisme, V, Paris, 1993, p. 178. 21 Anastase le Bibliothécaire, dans W. Buchwald, A. Hohlweg et O. Prinz (éd.), J. D. Berger et J. Billen (trad.), Dictionnaire des auteurs grecs et latins de l’Antiquité et du Moyen Âge, Turnhout, 1991. 22 F. Surdich, Colonna Giovanni, dans Dizionario biografico degli Italiani, XXVII, Rome, 1982, p. 337-338; W. Braxton Ross, Giovanni Colonna, historian at Avignon, dans Speculum, 45, 1970, p. 533-563. 23 Th. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 2, Rome, 1975, p. 399-400; édition partielle de Mare historiarum : St. L. Forte, John Colonna O.P. life and writings, dans Archivum Fratrum Praedictorum, 20, 1950, p. 369-414.

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dessus des évêques. Il dénonce les faux dans les sources officielles, tant dans le Liber pontificalis, comme la Donation de Constantin, dont la critique a été mentionnée plus haut, que dans le Décret 24, dont il suspecte les lettres du pape Anaclet instaurant le primat de Rome. En effet leur attribution au second successeur de Pierre dépend du Pseudo-Isidore 25. Une certaine connaissance de la Grèce Dans ce second livre, où il critique la hiérarchie pyramidale de l’Église, l’auteur évoque très souvent les Grecs et en termes élogieux 26. Il n’évite certes pas les topos habituels à son époque mais il les réinterprète dans un sens favorable. Ainsi mentionne-t-il le pacifisme des Grecs. Mais s’ils n’aiment pas faire la guerre c’est que depuis leur conversion au christianisme la foi et la prudence surpassent chez eux la cruauté 27. Certes les hérésies ont pullulé, expression classique, mais les conciles ont été multipliés pour les surmonter. C’est la raison pour laquelle les théologiens furent particulièrement nombreux et plus qu’en Occident afin de définir le dogme. Grâce à leur œuvre, la Grèce est mère du christianisme c’est à dire de la vérité catholique, de la doctrine évangélique et apostolique 28, dit-il avec une certaine originalité, et non pas mère de la civilisation comme les Latins le disent habituellement. Nous devons donc aux Grecs l’orthodoxie catholique et la doctrine évangélique, et les premières Églises de Gaule furent fondées par des Orientaux. Il cite Saint-Denis mais aussi Narbonne, Reims, Rouen, Poitiers, Limoges et Saintes 29. Enfin l’une des vertus de l’Église grecque est qu’elle n’abrite pas de décrétalistes, comme la curie romaine, mais seulement des canonistes, c’est à dire de vrais théologiens, détenteurs de la science sacrée 30. Sur ce dernier point, notre auteur fait encore une fois preuve tant d’originalité que de justesse dans ses propos 31. 24 E. Friedberg (éd.), Corpus Juris canonici, 1, Graz, éd. 2, 1959, DG I, D. 21, c. 2, col. 69-70; DG I, D. 22, c. 2, col. 73-74. 25 Ph. Jaffé, Regesta Pontificum Romanorum, éd. revue et augmentée par G. Wattenbach, 2 vol., Leipzig, 1885-1888, réimpr., Graz, 1956, 1, p. 1-2; J. B. Migne, PG, II, col. 789-818. 26 Une question du catéchumène donne le ton du texte; ms. Reg. Lat. fo 23v. : Tuis preceptor stupeo fatibus et iam amare Grecos incipio. Sed rogo te si sunt Greci in humanis virtutibus et viribus virtuosi. 27 Ms. Reg. Lat. fo 23v-24r. 28 Ms. Reg. Lat. fo 23r. 29 Ms. Reg. Lat. fo 23v. 30 Ms. Reg. Lat. fo 23v. 31 Canon Law, dans A. Kazhdan (dir.), Oxford dictionary of Byzantium, 1, Oxford, 1991, p. 372-374.

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Par cette admiration manifestée, l’auteur justifie la revendication d’égalité des Grecs comme principe de gouvernement de l’Église, se fondant sur la parole du Christ «Nous sommes tous frères» et sur le concile de Nicée alors que Rome impose sa supériorité, nous retrouvons là les idées de Pierre Bohier après sa rencontre avec les ambassadeurs grecs 32. L E DE

SYNODIS DE

JEAN LEY

L’auteur et son œuvre Ce traité porte le nom de son auteur : Jean Leonis, alias Ley, de Rome, mais les sources sont très discrètes sur ce Prêcheur de la province de Rome. Les archives pontificales ne nous informent que de sa promotion sur un siège épiscopal, celui de Larino, le 16 septembre 1440 33. Cependant il est possible de déduire de son œuvre et de cette même promotion qu’il eut une place importante dans la préparation des débats dogmatiques entre les deux délégations lors du concile de Ferrare-Florence. Cinq des six traités qui lui sont attribués sont étroitement connectés avec les discussions conciliaires et deux d’entre eux furent dédiés au pape Eugène IV : De synodis et ecclesiastica potestate libri VI de 1437/38, De visione beata libri VI, de 1438. Les trois autres portent les titres suivants : Liber adversus perfidias schismaticorum, De azymo et fermentato et Gesta conciliorum Ferrariensis et Florentini. Le traité De visione beata 34 évoque une question qui devait y être discutée mais qui fut écartée comme secondaire et trop polémique en raison de la doctrine officielle de l’Église grecque alors très influencée par le palamisme. L’auteur y défend la vision béatifique de l’essence divine par les âmes des justes après la mort, point de doctrine mis en doute par certains milieux grecs. Jean Ley avait donc aussi préparé un argumentaire sur les questions du pouvoir des conciles sur l’Église et de l’usage latin du pain azyme. Il est donc légitime de penser que Jean Ley appartenait à l’équipe des théologiens qui avaient été chargée par le pape de préparer les dossiers nécessaires aux débats avec la délégation grecque. Il est possible qu’il fût l’un des deux collaborateurs de Giovanni de Montenero 35, ou plus E. Petrucci, Bohier Pietro, op. cit., p. 195. Th. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 2, Rome, 1975, p. 469-470. 34 E. Candal (éd.), Tractatus Ioannis Lei O.P., De visione beata, Rome, 1963 (Studi e testi, 228). 35 G. Meersseman, Les Dominicains présents au concile de Ferrare-Florence 32 33

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sûrement de Jean de Torquemada, et hébergé au couvent de SainteMarie Nouvelle de Florence, siège du concile. De plus le De synodis contient des éléments d’information sur les premières sessions de Ferrare et le Gesta conciliorum, qui est un recueil de notes devant servir à la rédaction d’un ouvrage qui ne vit pas le jour, est souvent fondé sur des souvenirs personnels 36. Le traité De synodis Ce traité couvre les 104 folios du ms. Vat. lat. 4127, dédié à Eugène IV. Il se compose de trois parties. La première, jusqu’au folio 42v., comprend quatre livres dont chacun des chapitres est consacré à un concile ou synode. Jean Ley a eu soin d’en donner une exacte énumération comme il l’écrit à la fin de cette partie. Ceux du XVe siècle ne sont évoqués que par une série de notices brèves au folio 42r. Le XIVe et dernier chapitre de ce quatrième livre nous informe de la révocation du synode de Bâle par Eugène IV et de la convocation à Ferrare d’un concile général. Cette décision fut prise, nous dit l’auteur, grâce aux efforts des députés pour atteindre la majorité. Le pape, l’empereur et le patriarche des Grecs se rendirent donc à Ferrare avec de nombreux prélats pour le concile général. Ses informations ne sont donc guère originales mais il précise que ces faits se produisirent au moment où il écrivit son traité : iam nunc hiis diebus quibus ista conscripsimus, et qu’il n’en dit pas plus des deux derniers synodes car ce sujet est polémique : quod et res lite non careat. Ce traité a donc été écrit au moment où était réuni le concile de Ferrare-Florence. La seconde partie correspond au cinquième livre et traite de la puissance du pape. La troisième, au livre VI, est une réfutation des thèses conciliaristes de Jean d’Antioche. Il s’agit de Jean Maurroux, patriarche latin d’Antioche, membre du concile de Bâle, décédé récemment comme l’écrit Jean Ley. La place des autorités grecques Le tableau placé en annexe 37 propose de comparer les citations des Pères grecs dans le Contra errores graecorum et la Catena aurea de Thomas d’Aquin avec celles de plusieurs traités d’ecclésiologies du XVe siècle 38, dont celui de Jean Ley. Les citations de Jean Ley jusqu’au décret d’union pour les Grecs (6 juillet 1439), dans Archivum Fratrum Praedicatorum, 9, 1939, p. 62-75. 36 G. Meersseman, Les œuvres de Jean Ley O.P. se rapportant au concile de Ferrare-Florence, dans Archivum Fratrum Praedicatorum, 9, 1939, p. 76-85. 37 Voir annexe II. 38 Jean de Torquemada, De summi pontificis auctoritate quaestiones omnes

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sont abrégées et placées avec le nom de leur auteur dans la première colonne. Comme l’auteur le dit dès la fin du prologue de ce livre (fo 43v), il entend s’appuyer également sur les autorités grecques et latines : Proinde uti spero eterne veritatis auxilio fultus rem prosequar et grecorum pariter et latinorum sententiis roboratam... Cette phrase se répète comme un leitmotiv tout le long de la démonstration. Ainsi au folio 45v de cuius principatu si disputare voluero ad grecorum simul et latinorum me summas conferam, puis au début du chapitre V, fo 47v : Et grecorum et latinorum in communi testimonia una retulimus. De nouveau fo 50 de collata Petro potestate diximus et evangelicis et grecorum ac latinorum pariter testimoniis roboremus. fo 53 : Conferam me igitur ad utroque grecorum et latinorum testimonia». La dernière mention se trouve au chapitre XI, fo 58 Proinde prescripto nobis more ex grecis et latinis pariter ita esse probemus. Ainsi ce motif tend-il à se raréfier à la fin de la démonstration, l’auteur s’écarte en effet peu à peu des sources grecques pour celles qui lui étaient plus familières. Les pères et docteurs de langue latine sont très sollicités, le décret de Gratien est très souvent cité. Jean Ley, partisan de la primauté romaine, utilise à la différence de son confrère du Liber les collections de décrétales comme les Clémentines, datant du début du XIVe siècle et les œuvres de canonistes comme Joannis Andrée et Henri de Suse. Revenons à la patristique grecque et comparons les citations de Jean Ley avec celles de Thomas d’Aquin, nous constatons une très forte dépendance du prêcheur romain du XVe siècle à l’œuvre du maître à penser de l’ordre. Mais si trois citations sont communes au De synodis et au Contra errores Graecorum, cinq autres proviennent de la Catena aurea. Il convient de noter que trois des quatre citations de Cyrille, extraites du Thesaurus, proviennent du Contra errores, la première de la Catena et qu’elles se retrouvent chez les deux autres auteurs. Ceci montre d’une part la tendance générale chez les prêcheurs à puiser massivement chez le docteur angélique, d’autre part la recherche de l’authenticité de la source. Peut-être faisaient-ils davantage confiance au second ouvrage alors que nous avons vu que

D. Thomae, in unum collectae per Reverendiss. D. Joannem de Turre Cremata TT. Sancti Sixti presb. Cardinalem, Nanni (éd.), Venise, 1562; Jean de Torquemada, De potestate papali, De conciliis, De summi pontificis et generalis concilii potestate, Ioannes Thomas de Rocaberti (éd.), dans Bibliotheca maxima pontificia, XIII, Rome, 1698; F. Sanjek (éd.), Tractatus de Ecclesia, Rome, 1986; Thomas d’Aquin, Contra errores graecorum, dans Opera omnia [édition léonine], XL, Rome, 1969, A71-105, suivi du Libellus ou Liber De Fide Trinitatis de Nicolas de Cotrone, A109151; A. Guarientis (éd.), Catena Aurea, 2 vol., Rome, 1953.

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les citations du Contra errores Graecorum étaient sujettes à caution. Cependant même les Prêcheurs de Péra ont largement puisé dans ce dernier traité, Ainsi Jacques dans sa lettre à Andronic II 39 ou Barthélemy de Constantinople 40, il est vrai qu’ils écrivirent au début du XIVe siècle. Cependant cette dépendance est encore marquée chez deux auteurs du siècle suivant comme Jean de Torquemada, qui fut chargé démontrer la primauté romaine au concile de Florence, ou Jean de Raguse. Ce dernier fut certes membre du parti conciliaire et électeur de l’antipape Félix V, mais, prêcheur, il exposa dans son Tractatus de ecclesia une position ecclésiologique très mesurée. Passons rapidement sur les citations de Théophylacte de Bulgarie qui ne peut certes pas être classé parmi les Pères de l’Église grecque puisqu’il écrivit au XIIe siècle 41. Il faut néanmoins remarquer que les quatre Dominicains ont utilisé les mêmes passages de son œuvre et que Jean Ley et Jean de Torquemada le citent sous le même nom de Théophile, ce qui tendrait à montrer qu’ils ont puisé à la même source et accréditerait l’idée d’une collaboration entre ces deux frères pendant le concile. L’ouverture du corpus de références à l’œuvre de Jean Damascène et à celle de Jean Chrysostome est plus intéressante. Elle dénote une recherche de sources originales et authentiques. La citation du de Jean Damascène est extraite de l’homélie De transfiguratione domini. Ce thème évangélique fut très sollicité par les partisans de Grégoire Palamas et très présent dans l’iconographie byzantine au début du XIVe siècle 42. Les prêcheurs de Péra ont montré l’intérêt de l’œuvre de Jean Damascène pour soutenir la doctrine latine de la procession du saint Esprit 43. Autant de remarques qui montrent une ouverture des latins vers la littérature religieuse grecque. Les homélies de Jean Chrysostome sont citées cinq fois par Jean Ley qui ne dépend de Thomas d’Aquin que pour deux références. Il s’agit d’une tendance qui se retrouve chez ses confrères et particulièrement Jean de Raguse. Cependant une des citations est originale et il faut noter à son propos qu’elle est parfaitement repérable dans l’œuvre de Jean Chrysostome grâce à la précision de Jean Ley qui indique qu’elle appartient à l’homélie 19 (mention en chiffre arabe dans le texte). Cette 39 R. J. Loenertz (éd.), Jacobi Praedicatoris ad Andronicum Paleologum maiorem epistula, dans Archivum Fratrum Praedicatorum, 29, 1959, p. 73-88. 40 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit. 41 A. Kazhdan (dir.), Oxford dictionary of Byzantium, III, Oxford, 1991, p. 2068. 42 A. Chastel a montré l’importance du thème de la lumière dans la peinture byzantine et ses prolongements dans l’art italien contemporain, L’Italie et Byzance, Paris 1999, p. 138 et pl. 44-45. 43 Ils ont plus particulièrement utilisé l’œuvre liturgique de Jean Damascène, C. Delacroix-Besnier, Les Dominicains et la chrétienté grecque, op. cit., p. 228.

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CLAUDINE DELACROIX-BESNIER

redécouverte des homélies de Jean Chrysostome ne cessa de s’affirmer au cours du XVe siècle et les traductions en latin se multiplièrent tant dans les milieux cléricaux que laïcs. Il convient de mentionner même brièvement la grande richesse du Tractatus de Ecclesia de Jean de Raguse afin de donner la juste mesure de l’ouverture du clergé latin à la patristique grecque 44. Celle-là s’explique par le long séjour à Constantinople de ce prêcheur qui fut le chef de la délégation du concile de Bâle auprès de l’empereur Jean VIII Paléologue. Il échoua certes dans sa mission puisque l’Église grecque se rendit à la convocation du pape Eugène IV à Ferrare, mais il rapporta, tout comme Nicolas de Cuse dans les mêmes conditions, des manuscrits grecs 45. Sa bibliothèque personnelle, aujourd’hui conservée dans celle de l’université de Bâle, porte la marque de sa curiosité pour la chrétienté grecque et de son souci de mettre fin au schisme 46. L’un de ses manuscrits, collationné par ses soins en 1434 comme l’indique l’explicit, rassemble deux des traités étudiés : le Contra errores Graecorum de Thomas d’Aquin et le Liber dialogorum anonyme, de même que plusieurs ouvrages de ses frères missionnaires en Orient : le De processione Spiritus sancti de Philippe de Péra et l’Adversus Graecos de Manuel Calécas dans la traduction latine d’Ambroise Traversari. Cette étude des sources du cinquième livre du De synodis de Jean Ley montre donc combien ce texte est exemplaire de la littérature dominicaine de l’époque du concile de Florence. Depuis l’œuvre de saint Thomas et le concile de Lyon, les Prêcheurs ont pris conscience de la place à donner à la patristique grecque dans leur argumentation. Ils n’en ont toutefois qu’une connaissance partielle, il semble en effet que l’œuvre des frères de la mission de Péra n’ait été que partiellement prise en compte alors qu’elle est bien présente dans les collections de manuscrits de Bâle et de Florence, où les couvents de Prêcheurs ont servi de laboratoires de recherches pendant les conciles. Cette étude des sources de ces deux traités d’ecclésiologie, écrits en Occident par des frères Prêcheurs de la fin du XIVe siècle aux années 30 du siècle suivant, peut certes avoir donné l’impression que les méthodes chères aux écrivains médiévaux étaient toujours à l’honneur. Ils ont continué à beaucoup puiser dans les compilations et florilèges et Jean de Torquemada est l’auteur d’un ouvrage de ce type. Cependant, et peut-être dès saint Thomas, commencent à se 44 Voir chapitre 28, Pars II, Tractatus de Ecclesia, F. Sanjek (éd.), op. cit., p. 135-141. 45 A. Krchnak, De vita et operibus Iohannis de Ragusio O.P., Rome, 1960. 46 A. Vernet, Les manuscrits grecs de Jean de Raguse, dans Basler Zeitschrift, 61, 1961, p. 75-108.

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L’OUVERTURE DE L’ÉGLISE LATINE À LA PATRISTIQUE GRECQUE

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développer des pratiques annonçant l’humanisme avec la recherche de sources plus variées, plus authentiques, l’élimination ou même, chez certains auteurs plus contestataires, la dénonciation de textes apocryphes, pourtant intégrés au corpus canonique. Humaniste aussi l’intégration de la littérature antique, celle des pères de l’église grecque. Sans doute les discussions avec les Grecs, dans la perspective d’une union recherchée depuis maintenant plusieurs siècles, ont-elles permis aux Prêcheurs d’élargir leur corpus de références même si les travaux de leurs frères missionnaires en Orient semblent avoir eu une influence limitée. Mais les homélies de Jean Chrysostome les ont beaucoup inspirés et elles eurent un succès considérable dans les milieux humanistes. Parmi les nombreuses traductions qui en furent faites en latin, il suffira de mentionner celle que Francesco Griffolini dédia à Cosme de Médicis 47. Claudine DELACROIX-BESNIER

47 A. Daneloni, San Giovanni Crisostomo, In Evangelium Iohannis. Traduzione latina di Francesco Griffolini, dans G. Cavallo (dir.), Umanesimo e Padri della Chiesa, Rome, 1997, p. 294-296.

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CLAUDINE DELACROIX-BESNIER

ANNEXE I

LES SOURCES DU SECOND LIVRE DU LIBER DIALOGORUM Titre

Auteur

Foucher de Chartres

2; 6 21

Historia sua

Eutrope

6

Sermon Pierre et Paul

Fulgence

7

Jherosolimitana historia

Abbreviationes chronicorum

Raoul de Diceto

10

Suma lib. III Historia Romanorum?

Isidore de Séville

10 10

Décret C. II, Q. VII, c. XL; Dist. LXIII c. 30

Gratien

10 21

Historia ecclesiastica H. E. VI c. XXIII; V

Eusèbe de Césarée

11; 14 16

Augustin

11 20 21

De temporibus

Bède le vénérable

11

Historia tripartita H. T. XV H. T. IV

Cassiodore

13 16 17

Super psalmum De civitate V, XXV

Historia rom. Pont. Liber pontificalis

13; 21

Historie libri tertii ecclesiastice Speculum

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chapitre

15 Vincent de Beauvais OP

16; 21; 22

Cyrille d’Alexandrie

16

Ad Eugenium papam De consideratione

Bernard de Clairvaux

18; 19; 20

Sermon Pierre et Paul

Ambroise de Milan

21

Tripartita (Historia ecclesiastica)

Tolomeus (Barthélemy de Lucques) OP

21

Mare historiarum

Jean Colonna de Rome OP

21

Martiniana historia

Martin de Pologne OP

21

Chronicae

Sicard de Crémone

22

Chronique universelle de Adam jusqu’en 455

Prosper d’Aquitaine

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L’OUVERTURE DE L’ÉGLISE LATINE À LA PATRISTIQUE GRECQUE

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ANNEXE II

LES CITATIONS DE JEAN LEY, DE SYNODIS, LIVRE V Thomas d’Aquin

Jean de Torquemada

Jean Ley

Jean de Raguse

Fo 47v

T de E, 135

Cyrille CEG, cap. 34 Florilège de Bâle, q. 14 Nulli alii quam Petro

Fo 47v

T de E, 138

Cyrille Cui scilicet Petro

Fo 47v

T de E, 138, 139

Cyrille d’Alex. Ommissis caeteris

Cat. Aur. II, p. 289

CEG, cap. 35

Cyrille CEG, cap. 36 Florilège de Bâle q. 14, Fo 59v Ut membra manea47 mus Théophylacte de Bulgarie Mecum robur es

Cat. Aur. II, De Potestate papali, p. 289 p. 302

Fo 47v-48r T de E, 135-136

Théophylacte Cat. Aur. II, De Potestate papali, Ca. Fo 50v Sequere me...cuncto- p. 590 XV, p. 299 rum fidelium

T de E, 136

Jean Damascène Faciamus hic tria

T de E, 137

De Potestate papali, Ca. Fo 48r XVII, p. 303

Jean Chrysostome Non dixit ego

Fo 46v

Jean Chrysostome Credenda erat

Fo 50v

T de E, 139

Fo 50v

T de E, 136

Jean Chrysostome Et negacionem

Cat. Aur. II, p. 590

Jean Chrysostome Vide qualiter Christus Jean Chrysostome Eximius enim

De potestate papali, p. 302

Cat. Aur. II, p. 590

Fo 47v

Fo 48r

T de E, p. 136

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DAVID RUNDLE

THE TWO LIBRARIES : HUMANISTS’ IDEALS AND ECCLESIASTICS’ PRACTICE IN THE BOOK-COLLECTING OF PAUL II AND HIS CONTEMPORARIES

A friend of mine, when visitors, awestruck by his book-lined walls, ask «have you read them all?», responds : «Some of them twice». Modern mores assume that book-owning reflects bookreading in a manner which is, let us admit, self-deluding. Intense intellectual scrutiny is not the only purpose of possession; indeed, some volumes are designed for causal and convivial perusal (the ‘coffee table’ book), others are intended to be consulted in resolving dinner-party debates (the reference work), yet others to impress by their sheer weight (a Tom Wolfe novel, for example). Bookownership in any society – be it one in the midst of the second information technology revolution, or one at the threshold of the first – has its own semaphore that spells out several basic messages; what changes between each culture are the gestures – or posturings – themselves. Quattrocento humanists might, like modern pedagogues, have emphasised that books are for reading but they dealt with bookowners who often had different agenda. The variations of Renaissance book-ownership can be reduced to a quasi-Augustinian dualism. Imagine that for each of the two civitates, Augustine forgot to describe their libraries. In the city of this world, the bibliotheca would exist simply to be seen, a sign of status exhibiting its owner’s virtues of magnificence and magnanimity. For the higher-minded, however, there was another library where outward manifestation mattered less than the intellectual fruits that could be picked from the books – it was a source of wisdom, both phronesis and sophia. Complicating this basic dichotomy, there are other variables : how extensive or how select the collection was, how accessible or how private, for instance. This paper attempts, in the first place, to discern some of the variations in Renaissance libraries, providing as it were an outline of a typology of manuscript-collecting. What follows is also a tale of two libraries in a more specific sense : it particularly concerns the book collections of two midquattrocento ecclesiastical princes. They were both Venetians, but

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DAVID RUNDLE

were divided by the success of their careers, as well as by the attention they paid to their books. On the one hand, there is the supreme pontiff as well known for torturing humanists as for reading their works, Paul II. On the other, there is a bishop who never made the cardinalate and, on not being elevated, died of a broken heart : he was called Pietro del Monte. The connexions between their libraries, and their differing responses to their books, provides a telling case-study in Renaissance book-ownership. Let me begin the typology of book-collecting with an example drawn not from Italy but from beyond the confines of this conference (some might say beyond the confines of civilisation). The Englishman, John Whethamstede, abbot of St. Albans in the midfifteenth century, was fairly addicted to writing. In the largest of his encyclopaedias, he appropriately includes an article on books, where he relates with approval the reverence with which the classical world treated libri, from according them religious status to counting them as prized possessions. He praises Ptolemy for his founding of the library at Alexandria; he also (lifting a passage from Pliny’s Historia naturalis) describes an incident involving Alexander : the Emperor found among the booty captured from Darius a priceless jewel-encrusted box and wondered what of his riches should have the honour of being contained in it; he decided there was nothing more fitting than his copy of Homer’s epics.1 A prince, Whethamstede tells us through these exempla, should value books and, indeed, he should be seen to value them. Princely book-collecting – this vignette reminds us – could hardly be a private affair. The libraries of the great could not reflect simply personal inclination or reading-habits : interfering intellectuals were all too willing to act as arbitri elegantiarum for that to be the case. The learned, moreover, could present competing or conflicting advice. In Whethamstede’s description of imperial bibliophilia what is praiseworthy is reverence for the book as an object, but this was not, of course, the way to enter an humanist’s good books. On the contrary, what is more ludicrous than a library without reading? asked Petrarch and his successors echoed him – often enough to suggest that their censure had little effect. 2

1 London : British Library, MS. Cotton Tiberius D. v, fol. 98va–vb , the presentation copy of the second volume of Whethamstede’s Granarium. This anecdote is taken from Pliny, Naturalis historia, VII. 29. On Whethamstede generally, see D. R. Howlett, Studies in the Works of John Whethamstede (unpublished D.Phil thesis, Oxford University, 1975). 2 Petrarch, Le Familiari, i / 2, ed. U. Dotti, Urbino, 1974, p. 609, l. 170-9. For a similar comment from Pietro del Monte, see D. Rundle, A Renaissance bishop

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THE BOOK-COLLECTING OF PAUL II AND HIS CONTEMPORARIES

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Humanist eloquence might have persuaded many people to many things, but perhaps not those without a literary appetite to voracious reading. After all, only a fool (to quote Æneas Sylvius Piccolomini) thinks princes read books. In the face of such recalcitrance, one solution could be to decrease one’s expectations and to consider persuading book-owners to read just a few of their codices a moral victory. Such an attitude might inform Angelo Decembrio’s description of a library in his De Politia litteraria, an idealised portrait of the lettered life at the Ferrarese court of Leonello d’Este. 3 Decembrio uses the term bibliotheca for both the palace library and the prince’s private collection situated in his cubiculum. 4 Volumes privileged to sleep in the same room as the prince are those, following Plinian injunction, which he would wish not just to read but to reread. Leonello may have needed no excuse for his reading patterns but, if he did, Decembrio here provides one : the prince who can concentrate his study on selected texts is credited with having read more widely – how else could he have selected the chosen few in the first place? Elsewhere in his dialogue, Decembrio’s classical mentor is not Pliny but Seneca : cum legere non possis quantum habueris, satis est habere quantum legas. In such passages, De Politia Litteraria provides what might be called an aesthetic of the studiolo. Yet, while the studiolo had an honourable history ahead of it, it was certainly not the only approach to book-collecting praised by humanists. 5 Indeed, for some such scholars, attending only to a modest book-collection would have seemed pusillanimous. After all, in this culture of the book called studia humanitatis, the concern was not just to produce texts but to make them accessible, both in terms of appearance and of circulation. For the Florentine humanists of the early Quattrocento, their agenda involved not only liberating classical manuscripts from dingy monastic vaults but also making them available to like-minded litterati – in the case of that doyen of book-collectors, Niccolò Niccoli, by bequeathing them to the altogether less dingy vaults of the convent of San Marco in and his books : a preliminary survey of the manuscript collection of Pietro del Monte, in Papers of the British School at Rome, 69, 2001, p. 245-272 at p. 262; and for another by Angelo Decembrio, see A. Grafton, Commerce with the Classics, Ann Arbor, 1997, p. 32. 3 The following sentences are indebted to the discussion in Grafton, Commerce with the Classics, c. 1, though the construction I place upon the relevant passages in Decembrio is not necessarily one shared by Prof. Grafton. 4 Generally on humanist variation in using the term bibliotheca, see S. Rizzo, Il lessico filolologico degli umanisti, Rome, 1973, p. 85-87. 5 On the studiolo in all its aspects, see D. Thornton, The scholar in his study, New Haven, 1997.

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DAVID RUNDLE

Florence. 6 For these humanists’ agenda to succeed, others were needed to emulate the munificence of Niccoli, even if they did not imitate his close (some said hair-splitting) attention to the texts. In convincing the great of the benefits of acting the bibliophile, humanist blandishments were not addressed only to secular princes; naturally, their ecclesiastical colleagues (and, sometimes, relatives) were also subjected to them. Arguably, indeed, princes of the church, more often university-educated and employing their learning in their line of work, provided especially encouraging prospects. If an ecclesiastic did build up a book-collection, he could find that there were as many routes to praiseworthy bibliophilia as there were to godliness. Something of the range of attitudes which would be considered honourable is suggested by Vespasiano da Bisticci in his Vite. With his professional eye and impressionistic remembrances, Vespasiano tells of a menagerie of churchmen : there were holy men, like San Antonino, who owned no volumes of his own; there were others, like Nicholas of Cusa, who congregò grandissimo numero de’ libri in ogni facultà; and yet others, like Pietro Donato, who Vespasiano describes as collecting a number of books a fine de fare una libraria. 7 Leaving aside the ascetic renunciation of bookownership, Vespasiano suggests there are two contrasting ways to receive his praise : you can either commit yourself to large scale but piecemeal collecting of books for private use or you can consciously construct a library for the benefit of others as well as yourself. There is a similar contrast in the orations given at the funerals of churchmen, where commonplace praise is directed to the cleric’s bibliotheca, but this term can mean various things. 8 So, for example,

6 B. L. Ullman, P. A. Stadter, The public library of Renaissance Florence, Padova, 1952, esp. p. 1-15; see also Poggio’s funeral oration, printed in P. Bracciolini, Opera Omnia, ed. R. Fubini, I, Turin, 1964, p. 270-277. On the humanist ideal of a public library, see L. Gargan, Gli umanisti e la biblioteca pubblica, in G. Cavallo (ed.), Le Biblioteche nel mondo antico e medievale, Rome, 1989, p. 165-186; see also E. Canone, Nota introduttiva in Id. (ed.), Bibliothecae selectae da Cusano a Leopardi, Florence, 1993, p. ix-xxxii at p. xii. 7 Vespasiano, Vite, p. 185, 205. On Donato’s library, see Gargan, Gli umanisti, p. 178. What Vespasiano seems not to have known is that Cusa did, of course, bequeath his books to his local hospital; on his library generally, see C. Bianca, La biblioteca romana di Niccolò Cusano in M. Miglio (ed.), Scrittura, biblioteche e stampa a Roma nel Quattrocento : atti del secondo Seminario, Città del Vaticano, 1983, p. 669-708, and on the attention he paid to his manuscripts, Ead., Niccolò Cusano e la sua biblioteca : note, ‘notabilia’, glosse in canone, in Bibliothecae selectae, p. 1-11. 8 J. M. McManamon, Funeral oratory and the cultural ideals of Italian Humanism, Chapel Hill, 1989, p. 82.

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Cardinal Pedro Ferriz (d. 1478) is said to have had bibliothecam confertissimam & variis librorum generibus habundantem to entertain him in his hours of otium. 9 On the other hand, Leonardo Mansueti, the General of the Dominican Order (d. 1480), is praised for his generosity to the convent of his hometown of Perugia : egregiam Biblyotecam erigi instituit et quadringentis pulcherrimis ac pretiosissimis diversorum auctorum voluminibus iam tunc ornari decrevit.10 The library is, on the one hand, a physical building and, on the other, its contents; it is either an act of public munificence or a retreat into private contemplation. Scholars and rhetoricians, then, did not present patrons with one single aesthetic of bibliophilia. The range of advice they freely gave parallels the gamut of bookish activities reprised by the patrons themselves. Some, indeed, may have been fully impervious to importuning and failed to act as book-collectors, preferring perhaps like San Antonino to borrow books from ecclesiastical libraries rather than purchase them; but, of course, one has to handle with care any such argumentum ex silentio – lack of surviving books can not prove a lack of book-collecting in the first place. A similar evidential difficulty hampers any assertion that a particular collection was studiolo-size; only six manuscripts, for example, exist which were owned by Cardinal Enrico Rampini (d. 1450) but whether this represents something close to the extent of his bookcollecting is impossible to judge.11 In other cases, we can be more confident that the surviving manuscripts reflect only a proportion of the library : the collection of Juan de Torquemada (d. 1468) is a case in point. Torquemada is notable also because his book-collecting seems to have concentrated on his professional interest in canonist 9 Ludovici Imolensis ex ordine minorum theologie professoris in funere Reverendissimi domini domini Petri Ferrici... oratio feliciter incipit, Rome, c. 1478, [IGI 5982], fol. 4. 10 The funeral oration, preached by fellow Perugian Francesco Maturanzio, is preserved in two manuscripts [Iter Italicum, ii, 385 & iv, 158]; I have consulted London : British Library, MS. Harl. 2425 (written in italic bookhand of s.xvex), the quotation occurring at fol. 18v. A modern biography of Mansueti appears in T. Kaeppeli, Inventari di Libri di San Domenico di Perugia (1430-1480), Rome, 1962, at p. 21-40. 11 For the identification of Rampini’s manuscripts, see A. Manfredi, I codici latini di Niccolò V, Città del Vaticano, 1994 (Studi e testi, 359), p. lxxxv. Similarly, of Cardinal Jorge Costa’s (d. 1508) library, only twelve manuscripts are known to survive, though there is a tradition that claims he built up a much larger collection : see V. Romani, Per la biblioteca romana del cardinal Jorge de Costa, in Accademie e biblioteche d’Italia, 51, 1983, p. 236-246; D. S. Chambers, What made a Renaissance cardinal respectable? The case of cardinal Costa of Portugal, in Renaissance Studies, 12, 1998, p. 87-108 at p. 102-104.

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texts.12 Yet others – the Bessarions and the Jouffroys of the midfifteenth century world – were receptive to humanist encomia of humanistically-inclined libraries.13 In this category could also be placed a collector like Cardinal Francesco Gonzaga (d. 1483) but here another distinction has to be added – he exemplifies the bibliophile not known for his reading habits.14 In other cases (be it Torquemada or Jouffroy, say), we can state with certainty that they were readers : by their annotations you will know them. Cardinal Gonzaga can also stand as an example of yet another elaboration of the humanist ideals of book-collecting : humanists may not just encourage collecting but also proffer opinions on what should be collected. This sort of guidance was frequently directed to secular lords, and even when it is offered to an ecclesiastic, as with Francesco Filelfo’s list of required reading for the young Gonzaga cardinal, it is the well-born who are usually thought worthy, or needful, of advice.15 A cleric, indeed, could be the one giving the advice, as the famous example of Tomasso Parentucelli’s letter to Cosimo de’ Medici reminds us. Alternatively, the scholar might address the ecclesiastic as a fellow intellectual : for example, the brother of Angelo Decembrio, Pier Candido, who counselled that distant prince Humfrey, Duke of Gloucester on bookish matters, couches his letters to his patron Francesco Pizolpasso, Archbishop of Milan (d. 1443), at the level of a literary discussion between scholarly (if not social) equals. But when a scholar like Decembrio does draw up a list ex latinis scriptoribus magis necessaria, what is notable is its relative modesty : Decembrio’s essential reading adds up to only sixty-two volumes.16 A well-stocked but not an universal 12 On Torquemada’s library, see the incomplete listing of manuscripts in T. Izbicki, Notes on the manuscript collection of Cardinal Johannes de Turrecremata, in Scriptorium, 35, 1981, p. 306-311; further identifications made by Manfredi, Codici di Niccolò V, no. 458 & 471. See also D. Barbalarga, Centri di aggregazione : la biblioteca domenicana di S. Maria sopra Minerva, in M. Miglio et al. (ed.), Un Pontificato ed una città : Sisto IV (1471-1484), Città del Vaticano, 1986, p. 599-612, esp. p. 603. 13 On Bessarion, see L. Labowsky, Bessarion’s library and the Biblioteca Marciana, Rome, 1979, and, more generally, G. Fiaccadori (ed.), Bessarione e l’umanesimo, Napoli, 1994; on Jouffroy, see C. Märtl, Kardinal Jean Jouffroy († 1473) : Leben und Werk, Sigmaringen, 1996. 14 On Gonzaga, see D. Chambers, A Renaissance cardinal and his worldly goods : the will and inventory of Francesco Gonzaga (1444-1483), London, 1992, p. 50-74. On humanist canons of essential reading, see R. Sabbadini, Le Scoperte dei codici latini e greci, Florence, 1967, I, p. 200-203. 15 Chambers, A Renaissance cardinal, p. 54-55. 16 Decembrio’s list survives in his notebook, Milan : Biblioteca Ambrosiana, MS. R 88 sup., fol. 172v-173r ; it is printed by A. Sammut, Unfredo duca di Gloucester e gli umanisti italiani, Padua, 1980 p. 37-8. Sammut erroneously suggested that the list sent to Humfrey was identical to this; the correspondence

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library was the intent of humanists like Decembrio.17 Yet, for all the restraint of their lists of desiderata, this did not mean that constructing an approved library was a simple or swift task. In many ways, the humanist concern to compile a canon of texts, available in accurate copies, stood like Canute against the tide of manuscript culture : for, before the so-called ‘coming of the book’, circulation was necessarily piecemeal and localised, errors of transcription necessarily proliferated. Indeed, it was because of these conditions that the libraries of great clerics had such a public significance : it was, cardinals were regularly told, their particular duty to show their humanitas and assist learning by allowing others to consult their prized books. Allowing others to consult one’s manuscripts did not necessarily mean allowing scholars to borrow them (a type of kindness that many a book-collector has come to regret) : while a scholar like Niccoli might lend – and expect to be lent – manuscripts within his humanist circle, Angelo Decembrio advised princes only to lend their books to the lower sort.18 Others advised that one should countenance scholars actually visiting one’s library. Indeed, Paolo Cortesi, in his description of a cardinal’s ideal palace in his 1510 De Cardinalatu, explained that the palatial library should be located in the building so that it was freely accessible by the generis litteratae multitudo.19 Of course, in the process of visiting such a library which contemporaries would describe as publica or familiaris, the reader could be said to be, momentarily, joining the owner’s household. In other words, by having a valuable book collection which attracted others to come to study it, the ecclesiastical prince was allowing others to show him deference, while he, for his part, was demonstrating that ill-defined virtue, his magnificence. It was not only the scholars themselves that a prince would allow into his library; it was also their works. The act of an author

shows that this can not be the case. On Pizolpasso’s library, see A. Paredi, La biblioteca del Pizolpasso, Milan, 1961, supplemented by R. Fubini, Tra umanesimo e concili, in Id., Umanesimo e secolarizzazione da Petrarca a Valla, Rome, 1990, p. 77-135. 17 For similar comments applied to early modern print culture, see R. Chartier, The Order of Books, Cambridge, 1994, c. 3. 18 Ullman, Public library, p. 7; Grafton, Commerce with the Classics, p. 33-4. 19 K. Weil-Garris and J. F. D’Amico, The Renaissance cardinal’s ideal palace : a chapter from Cortesi’s De Cardinalatu, in H. A. Millon, Studies in Italian art and architecture fifteenth through eighteenth century, Rome, 1980 (Memoirs of the American Academy in Rome, 35), p. 45-119 at p. 78; on this, and the issue of cardinal’s libraries more generally, see G. Curcio, Per una biblioteca ideale : note per la teoria e l’uso, in C. Bianca et al. (ed.), Scrittura, biblioteche e stampa a Roma nel Quattrocento : aspetti e problemi, Città del Vaticano, 1980, p. 85-101.

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dedicating and presenting a copy of his work to a leading figure had elements of self-promotion, respect and gold-digging; it both created and belittled a sense of social distinction. Naming a prince as dedicatee added to his name a sometimes undeserved lustre of virtuous interest in learning but it also placed on this social superior a burden of reciprocating, with the expectation being financial recompense. Naturally, a simple principle governed these dealings : the number of dedications a prince received would reflect how influential and generous he was perceived to be. This was not – or not simply – a crude calculation of a potential patron’s wealth : while some clerics like Bessarion when raised to the cardinalate were also raised out of episcopal poverty, many cardinals found the demands on their pockets more than equalled their income. 20 Basically, however, the higher one rose in the ecclesiastical hierarchy, the more likely one was to receive unsolicited dedications. This same dynamic was at work when any manuscript, not just authorial presentation copies, was given to a prince. For, overwhelmingly, it is my impression, gifts of books were to one’s social betters or equals – rarely would an owner show generosity by presenting a manuscript to someone lower than him in the social scale. As gift-giving was seen to place the recipient in the donor’s debt, it would surely have been invidious to present a book fitting to one’s standing to an inferior who, by the nature of his position, would not have been able to provide adequate recompense. For the social superior, his book-collection would, as it were, grow of its own accord – in parts, it would more clearly reflect others’ attempts to attract the book-owner’s attention and patronage than his desire to acquaint himself with those works. There were, of course, other methods of building up one’s collection which were more fully under the control of the collector. In particular, a prince could employ his own scribes or, indeed, transcribe works himself – with the main proviso being that an exemplar has to be available for transcription to occur. One might assume that, as in the career of Tommaso Parentucelli, the number of personal transcriptions would decrease in line with one’s rise up the ecclesiastical hierarchy; however, as we shall see in the second half of this paper, some clerics continued to involve themselves closely with the production of their manuscripts throughout their career. 21 Another element which we would expect to increase as the 20 On Bessarion’s finances, see Labowsky, Bessarion’s library; on the costs of being a cardinal, see D. S. Chambers, The economic predicament of Renaissance cardinals, in Id., Renaissance cardinals and their worldly problems, London, 1997, p. 289-313. 21 On the library of Parentucelli, the future Nicholas V, see Manfredi, Codici

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cleric rose is augmenting a book-collection by purchase. These purchases would include specially commissioned codices from a fashionable book-seller like Vespasiano da Bisticci but could also involve the buying up of manuscripts owned previously by another prince. 22 For, however much control the collector managed to exert in his life over his books, following his death, his library could have its own afterlife. In some cases, for sure, the collector continued to present a magnificent image through his manuscripts even after death : as we have already seen, one route to contemporaries’ praise was to arrange for one’s collection to pass wholesale to an institutional library. This is what Leonardo Mansueti did by building and stocking his home convent’s library; humanist pleas for accessible bibliothecae were even better answered by the project of, for example, Cardinal Domenico Capranica (d. 1458) with the founding of his college at Rome. 23 However, in many cases, such well-laid plans were either not made or not followed. This did not necessarily mean that a collection would be broken up : some libraries passed near-wholesale from the hands of one ecclesiastical prince to another. 24 Alternatively, a library might be put on the market and thus dispersed; it would seem that this could happen even to important collections owned by noble cardinals. So, for example, the impressive nature of the library of Cardinal Prospero Colonna (d. 1463), complete with classical manuscripts discovered by Poggio, did not stop it being dispersed on the cardinal’s death. 25 When such a sale did happen, the collection would quickly be broken up, with some of the manuscripts likely soon to leave their homeland; yet, many manuscripts were bought by acquaintances of their former owner, so that, for example, Mansueti’s library just mentioned, included codices bought from the executors of his Dominican

di Niccolò V and Id., Per la biblioteca di Tommaso Parentucelli negli anni del concilio Fiorentino, in P. Viti (ed.), Firenze e il concilio del 1439, Florence, 1994, II, p. 649-712. 22 For a sense of the range of quality in the manuscripts Vespasiano produced, see A. C. de la Mare, Vespasiano as producer of classical manuscripts, in C. A. Chavannes-Mazel and M. M. Smith (ed.), Medieval manuscripts of the Latin classics, London, 1996, p. 167-207. 23 For a discussion of Capranica’s library, see A. V. Antonovics, The library of Domenico Capranica, in C. H. Clough (ed.), Cultural aspects of the Italian Renaissance, Manchester, 1976, p. 141-159. 24 For examples of popes taking possession of fellow ecclesiastics’ libraries, see Manfredi, Codici di Niccolò V, p. lxxx, lxxxv-vi. 25 Colonna’s library has not been reconstructed; for discussion of one of his scribes and their manuscripts, see G. Castoldi, Johannes Mediolanensis Scriptor, in C. Bianca (ed.), Scrittura, biblioteche, p. 353-361.

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colleague, Cardinal Juan de Torquemada. 26 Such a process is hardly surprising – acquaintances were, after all, the most likely to know the details of what was being sold – but such a purchase might have been inspired as much by the manuscript’s connexions as its contents : perhaps taking possession of a former colleague’s manuscripts was a means of expressing respect for the dead. 27 To conclude, then, this attempt at outlining a typology of bookcollecting. For all the differences between the pronouncements of various arbitri elegantiarum, they all shared a forlorn hope : that a book-collection could be a matter of design and control. On the contrary, a library was not a passive entity; it was more like a living organism, growing, changing in proportions, dissolving or dying and sometimes (miraculously) being resurrected. The autonomous existence of a princely library was also a public existence : personal, private reading by the owner was only one use for these books. It was, moreover, a use that was all but ignored by some princely collectors, while for others this may well have been the main purpose of their library. The second half of this paper discusses one particular instance of such a dichotomy. Humanitatis studia... oderat et contemnebat. 28 Paul II was one Renaissance pope arguably not mindful of immortality. When he arrested Platina and the other members of that curious confraternity, the Roman Academy, and when he had them tortured, he clearly had no thought to what revenge they could reek; if he had, he would surely have had sense enough to finish the job off and kill them. The official charges against the Roman academians included encompassing the death of the pope; what Platina was later able to achieve was certainly character assassination. After 1471 and the election of Sixtus IV, Platina grasped his opportunity in writing the Vitae Pontificum to delineate with sharp pen-strokes a hostile portrait of the late pope. 29 This

26 In the case of Domenico della Rovere, his library was augmented by collecting manuscripts which had belonged to a series of acquaintances : G. C. Alessio, Per la biografia e la raccolta libraria di Domenico della Rovere, in IMU, 27, 1984, p. 175-231 at p. 193-6. 27 Purchase could also reflect respect for the author of a manuscript rather than its owner : this is the construction plaeed on Oliviero Carafa’s purchase of manuscripts of Torquemada’s works made for Cardinal Philibert Hugonet in D. Norman, The library of Oliviero Carafa, in The Book Collector, 36, 1987, p. 354371 & 471-490 at p. 370-1. 28 Platina, RIS, 3/i, p. 397. 29 For discussions of Paul II’s relations with the Roman Academy, see A. J. Dunstan, Pope Paul II and the humanists, in Journal of Religious History, 7, 1973, p. 287-306; R. J. Palermino, The Roman Academy, the catacombs and the conspiracy of 1468, in Archivum Historiae Pontificiae, 18, 1980, p. 117-155;

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black legend has proven influential, if controversial. A belated rearguard action was undertaken with characteristic erudition by Paul II’s fellow Venetian, the eighteenth-century cardinal and scholar, Angelo Maria Quirini. 30 This apologist tradition has attracted later standard-bearers, amongst whom the most notable from the twentieth century was the historian who when in England was Italian and when in Italy was English, Count Robert(o) Weiss. 31 Central to Quirini’s argument for Paul II’s learned credentials was his support for printing. Prefaces to several incunabula leave no doubt that Paul allowed men like Giovanni Andrea Bussi to use manuscripts from the papal library as the sources for their editions. In doing that, indeed, he certainly demonstrated one element of the humanitas expected from a magnificent patron. On the other hand, Roberto Weiss, perhaps stretching an elastic term beyond breaking point, claimed Paul II was a humanist because of his penchant for collecting – glittering jewels, mainly, but also books. 32 It is Paul II’s apparent bibliophilia which concerns us here. It is certainly the case that he donated to the Vatican book-collection a range of manuscripts emblazoned with his coat-of-arms. 33 In some cases, it should be noted, it is difficult to differentiate between his codices and those that belonged to his relative, Marco Barbo, whom Paul II nepotistically raised to the cardinalate. In general, Marco’s manuscripts give some sign of his interest in building up his library and in reading the texts he owned; this, however, is exactly what is in doubt in Paul II’s book-collecting – how far he was the conscious constructor and user of his library. 34 More than one well-placed contemporary seems to have suspected that Pietro Barbo was not much of a reader. Cardinal Jouffroy, for example, was reminded of Barbo when he was reading his copy of Chrysostom; against a section on the proper use of books, he wrote in the margin : P. Medioli Masotti, L’Accademia Romana e la congiura del 1468, in IMU, 30, 1982, p. 188-204. 30 In his introduction to Pauli II Veneti Pont. Max. Vita... Praemissis ipsius sanctissimi pontificis Vindiciis adversum Platinam..., Rome, 1740. 31 R. Weiss, Un umanista Veneziano : Papa Paolo II, Venezia, 1957. The fundamental work on Paul II and the arts is E. Müntz, Les arts à la cour des papes, II, Paris, 1879; see also, G. Zippel, Paolo II e l’arte, note e documenti, in his Storia e cultura del Rinascimento italiano, Padova, 1979, p. 402-462. 32 M. Miglio, «Vidi thiaram Pauli papae secundi», in Id., Storiografia pontificia del Quattrocento, Bologna, 1975, p. 119-153. 33 For the coat-of-arms (azure, a lion rampant argent, over a bend or), see... D. Rundle, A Renaissance bishop cit., fig. 3. 34 On Marco Barbo’s library, see G. Zippel, La morte di Marco Barbo, cardinal di S. Marco, in his Storia e cultura, p. 483-493, esp. p. 493; A. Torroncelli, Note per la biblioteca di Marco Barbo, in Bianca, Scrittura, biblioteca e stampa, p. 343352; Alessio, Per la biografia... di Domenico della Rovere, p. 195.

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Comparandos libros ut legas, non ut servas et ornes. Cardinalis Sancti Marci. 35 Even more explicit evidence comes from a man who in his incunabule prefaces regularly praised Paul II’s learning, Bussi himself. With the pope not yet cold in his grave, Bussi addressed the preface of his edition of Nicholas of Lyra to Paul’s successor, Sixtus IV; in this he comments : Epistolas meas cum ad Paulum II Pontificem gloriosum predecessorem tuum in librorum quos recognoscebam initus scriberem ab eo tamen lectum iri non putabam gratis me quod ad illum attineret magna ex parte laborare perspiciebam. Sed non debeam illi esse ingratus. 36

Bussi was right : he should not have been ungrateful to the pope who had allowed him access to the Vatican collection, but his parsimony of praise is, for us, suggestive. Paul may have had a great store of books, but clearly no great store was put by his personal inclination to read them. If Paul’s use of his library is in doubt, so too should reservations be expressed about his involvement in collecting his books. In this respect, his library provides an example of two of the general points made in the first half of this paper. In the first place, Paul can be counted among the high-ranking who fell victim to unsolicited manuscripts : as Roberto Weiss noted, his library was augmented by works dedicated to him by the likes of Lapo Birago, Ognibene da Lonigo and the young, ill-starred Englishman John Free. 37 More significantly – but crucially less noticed – Paul II, when he was a cardinal, was one of those characters whose library was in large part created out of a wholesale takeover of another manuscript collection. In early 1457, Pietro Barbo was the recipient of a stroke of good fortune when a colleague died : he took care of the funeral and took possession of many of the dead man’s manuscripts. The colleague in question was Pietro del Monte, bishop of Brescia from 1442. It is no new revelation to note that some of del Monte’s

35 Noted by Märtl, Kardinal Jean Jouffroy, p. 289, citing BAV, MS. Vat. lat. 390, fol. 88v. It is possible that the Cardinal of St. Mark mentioned is Barbo’s successor and relative, Marco; however, probability leans very heavily towards Pietro. 36 Nicholas of Lyra, Postilla super Bibliam, I, Rome, 1471, fol. 2r, reprinted in G. A. Bussi, Prefazioni alle Edizioni di Sweynheym e Pannartz, ed. M. Miglio, Rome, 1978, p. 73. 37 Weiss, Un umanista Veneziano, p. 16-17. For examples of manuscripts presented by Birago and Ognibene, see S. Gentile (ed.), Umanesimo e Padri della Chiesa, Florence, 1997, no. 93 & 94.

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manuscripts passed into the hands of the future Paul II (and thus eventually into the Vatican collection); what has not previously been noticed is, first, the proportion of the Barbo library that originated with this bishop and, second, the inherent interest of del Monte’s collection. About half of the Vatican manuscripts related to Paul II come from del Monte; in many cases, the identification of this provenance adds significant new information about the early history of codices where before they have been identified only by their Barbo arms. 38 Those heraldic symbols are usually an addition – or an overpainting – demonstrating the cardinal’s ownership of manuscripts that he himself had not commissioned. At this point, Pietro del Monte is perhaps in need of some introduction : he was a Venetian born c. 1400 and was educated as a lawyer at Padua; he entered papal service as a polemicist against the pretensions of the Council of Basel. He was employed by Eugenius IV on extended diplomatic missions to England (1435 – 1440) and to France (1442 – 1445); the same pope also appointed him bishop of Brescia. His later years, until his death in Rome in January 1457, were divided between ecclesiastical administration and, to judge from his writings, legal studies; he produced in the early 1450s, an encyclopaedia, the Repertorium Utriusque Iuris. This encyclopaedia in some ways reflects the range of his interests : its dry alphabetical listing of legal precepts was prefaced with a praise of virtue written in humanist style. 39 A similar combination of interests – fashionable classical and humanist texts alongside traditional canonist and civilian works – is displayed by the manuscripts he owned. Vespasiano da Bisticci alerts us to del Monte’s avid book-collecting; indeed, in this instance, Vespasiano is guilty not of exaggeration or inaccuracy but of uncharacteristic understatement : my researches have revealed a collection impressive in its size, range and signs of its owner’s personal involvement. I should hasten to add that my investigation of del Monte’s manuscripts is by no mean complete and that the sixty-five codices already identified indubitably do not represent the full extent of his collection. However, I hope that while what follows is necessarily provisional, it is also enlightening.

38 This is, for example, the case in E. Pellegrin (ed.), Manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, III/1, Paris, 1991, p. 101, 110-2, 122-3 etc. For a summary listing of the manuscripts so far identified as del Monte’s, see Rundle, A Renaissance Bishop, p. 265-272. 39 The Repertorium is the focus of the most important recent discussion of del Monte, D. Quaglioni, Pietro del Monte a Roma, Rome, 1984; the fullest life, with little reference to his works, remains A. Zanelli, Pietro del Monte, in Archivio Storico Lombardo, XXXIV, 1907, p. 317-378 & 46-115.

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A revelation though del Monte’s collection is, it could be questioned whether it constitutes a libraria, if by that we mean a collection constructed with the intention of eventually depositing it in an accessible biblioteca. We have no explicit evidence to tell us whether del Monte had considered the posthumous fate of his manuscripts – if he did have any such plan, Vespasiano seems not to have known, as del Monte is one of the men who he praises not for making a library but for his eclectic collecting. Moreover, if there was any plan, it would seem to have been ignored with (as we shall see in a moment) some of his books dispersed while the majority became the core of another private collection. The internal evidence of the codices themselves certainly does not suggest that display was high on his agenda; while a few of the manuscripts are certainly attractive, most have the appearance of working copies – many copied by the bishop of Brescia himself. In other words, this is a collection that seems originally to have been intended for private use and that was incongruously turned to more ostentatious purposes by its later owner. This is not to say that Pietro Barbo acquired or retained all of del Monte’s manuscripts; the fate of the minority which eluded him tells us something more about ecclesiastical book-communities in the second half of the fifteenth century. In the first place, it is likely that Barbo allowed some of the manuscripts to be sold off, perhaps to ensure that he did not make a loss from taking care of the late bishop’s goods. One of the purchasers, Juan de Torquemada, was certainly known to del Monte and there may here be an example of a phenomenon already mentioned : an acquaintance buying a manuscript as a sign of respect for the dead. 40 Torquemada himself, however, outlived del Monte by only eleven years; I have already had cause to mention that Torquemada’s library was also dispersed with several of his manuscripts being purchased by Leonardo Mansueti. It must, however, be noted that the books which followed this line of descent were mainly canonist or patristic texts. Meanwhile, a few humanist manuscripts seem to have remained in del Monte’s see rather than travel with him to Rome; this would explain how they came to be bought by del Monte’s successor as the bishop of Brescia, Bartolomeo Malipiero, who was himself something of a patron of scribes and illuminators. 41 This procedure was repeated in 1464 : 40 Rundle, no. 6; a parallel case may be BAV, MS. Vat. lat. 2675, on which see Rundle, op. cit., n. 32. 41 The manuscripts in question are Rundle, no. 1, 2, ?8 & 9. On Malipiero’s manuscripts, see M. L. Gatti Perer, M. Marubbi (ed.), Tesori miniati : codici e incunaboli dei fondi antichi di Bergamo e Brescia, [Cinisello Balsamo, 1995], p. 151-167.

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Malipiero died and at least some of the humanist manuscripts were bought by his successor, the canonist Domenico Domenichi, who was himself something of a book-collector. 42 By the turn of the century, however, all these humanist manuscripts had been removed to Venice; there, they were sold in a piecemeal fashion and thus dispersed, with some of the manuscripts leaving Italy for Seville. This case exemplifies the point that death could both aid the circulation of humanist manuscripts and undermine the integrity of a collection : the group had included a two-volume collection of Pier Candido Decembrio’s letters; of this collection, one volume, in the early sixteenth century, travelled to Spain, while the other was bought by the Bolognese monastery of San Salvatore, making it the proud possessor of only half of Decembrio’s epistolary. Naturally, the majority of del Monte’s manuscripts have led a more sedentary life in the Vatican vaults. These manuscripts can tell us more about how del Monte went about building up his library. Del Monte’s collection contains a fair range of texts, including scholastic philosophy, legal works and the acta of the Council of Basel (compiled by del Monte himself) but in what follows I am going to concentrate on examples drawn from his classical, classicising and patristic manuscripts, that is those which can be said to reflect studia humanitatis. First, it should be emphasised that, while del Monte’s bookcollecting activities were most active in the last twelve years of his life, when he had, as it were, retired from foreign diplomatic missions, they were certainly not confined to that period; on the contrary, these activities were patently a life-long – and international – pursuit. This can be exemplified by two manuscripts which can be dated to del Monte’s years in England. The first of these is his copy of the Church Father whom some humanists rated most highly, while others derided – Lactantius. 43 Del Monte’s manuscript of his works is written in his own hand and has English illuminations, including at the first folio his coat-of-arms. 44 Lactantius is particularly significant for del Monte, for in his humanist writings of these same years, he litters his texts with quotations from Cicero’s De Republica drawn out of the Divinae

42 On Domenichi’s book-collecting, see C. Villa, Brixiensia, dans IMU, xx, 1977, p. 243-275. 43 For differing attitudes to Lactantius, contrast Leonardo Bruni’s comments in De Studiis et Litteris in L. Bruni, Opere letterarie e politiche, ed. P. Viti, Turin, 1996, p. 252-254 with those of Decembrio and Antonio da Rho, discussed by J. Hankins, Plato in the Renaissance, Leiden, 1990, p. 148-54 & 597-618. 44 Rundle, no. 12; the illuminations of Rundle, no. 8 are by the same artist.

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Institutiones. Strikingly, del Monte does not note these quotations in his dense marginalia; his annotations do, however, suggest his close – if not always approbatory – reading of the text. The other manuscript constructed in England is not patristic but classical : it is del Monte’s copy of Pliny the Elder’s Historia naturalis. 45 Unlike the Lactantius, this is not copied solely by del Monte : he transcribed some sections while others were copied by his secretary and yet others by two unidentified Englishmen. Once again, del Monte adds copious annotations, many providing textual additions and corrections which suggest that he came back to the work over his career. Yet, the most telling feature of these manuscripts, I would suggest, is del Monte’s apparent willingness to copy such approved works from manuscripts available in England. However barbarian the culture of a northern country was supposed to be, that was manifestly no impediment to using the locally available manuscripts to assist one’s studies in the studia humanitatis. It is noticeable that, in both these examples, del Monte is himself involved in the copying of the manuscript. It might be imagined that this was a function of his relative youth and it might be expected that as he became a more significant ecclesiastical figure, his scribal activity would decline. On the contrary, it did not so much decrease as become augmented by other methods of bookproduction. So, del Monte came to have the purchasing power which allowed him to buy fashionably produced manuscripts, including ones from that most celebrated of bookshops, Vespasiano da Bisticci’s. Vespasiano clearly returned the compliment by including del Monte in his Vite, but, just as his biography is fairly short, so del Monte was probably not the most extravagant of his customers : his manuscripts have an off-the-peg look rather than being special commissions. Of course, del Monte shopped at more than one book-seller’s : he also bought manuscripts in Rome and may have used Pier Candido Decembrio as a conduit for purchasing Milanese codices. Nor did del Monte rely solely on purchases; he also employed scribes, though (with one exception) usually for short periods. The exception is Bruno Johannes of Deventer, a scribe perhaps best known for his work on del Monte’s set of Aquinas manuscripts. He was in del Monte’s service from the early 1440s and produced a whole range of texts both for him and sometimes with him. A good example is provided by the volumes of Decembrio’s epistolary, which we have already had cause to mention : Bruno

45 Rundle, no. 48; note that the revelation of del Monte’s ownership and involvement corrects the tentative dating provided by Pellegrin, Manuscrits Classiques, p. 496-7.

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Johannes’ gothic script appears as the second hand of these manuscripts, the first being del Monte’s own italic cursive. 46 Del Monte’s duties as Bishop of Brescia or as variously Governor of Perugia and papal referendarius clearly detracted little from his humanist interests. He still found time to transcribe in his own hand works of (for example) Ammianus Marcellus, Aulus Gellius, Eutropius, Macrobius and Solinus, of Leonardo Bruni and of Flavio Biondo. This is not to mention the evidence we have from his copious marginalia for his reading of a wider range of texts. It is an intriguing question why he chose to act so often as his own scribe. We have no detailed evidence for his financial predicament in his later years, though we know he was burdened by a requirement to repay the papacy for revenues that he had pocketed himself during his English years. It may not, however, have been a sense of poverty which led him to purchase or have copied only a proportion of his manuscripts. More positively, his scribal activities may have been inspired by a desire to equate himself with those humanists, less high-ranking but undeniably influential, who populated the papal curia, especially in the pontificate of Nicholas V : the likes of Flavio Biondo or Poggio Bracciolini. Like them, he was keen to peruse the recently rediscovered manuscripts of littleknown classical works; for example, the transcription he made of Ammianus Marcellus is a direct copy of the famous codex, found by Poggio at Fulda, owned by Cardinal Prospero Colonna, and annotated by scholars like Niccolò Niccoli and Flavio Biondo. 47 This is not to suggest that del Monte carried out these activities merely to appear one of ‘the group’ : he took too much care over his transcriptions for this to be the case. Indeed, another reason for his personal involvement in his manuscripts may have been that he did not rate highly the textual accuracy of professional scribes – and, as one small example can demonstrate, with some justification. Sometime in the decade after Leonardo Bruni’s death, del Monte compiled a set of the renowned humanist’s works. 48 Of this

46 On Bruno Johannes, see now E. A. Overgaauw, Les manuscrits copiés par Bruno de Deventer, copiste néerlandais au service de Pietro del Monte au milieu du XVe siècle, in Scriptorium, 54, 2000, p. 64-86, listing fourteen manuscripts, of which BAV, MS. Vat. lat. 1142 is unnoticed by Rundle, A Renaissance Bishop. Further manuscripts partly or wholly written by Bruno Johannes are Rundle, no. 9, 13, 18, 38, 50, 53, 57, 60. 47 On this, see Rundle, and bibliography cited there. 48 Rundle, no. 31-32, noting that H. Baron, From Petrarch to Bruni, Chicago, 1968, p. 227 incorrectly states that the copy of the Laudatio derives from Giannozzo Manetti’s collection (BAV, MS. Pal. lat. 1598). Both the identification of del Monte’s prototype, and the identity of its scribe, are presented here for the first time.

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set, which soon after its production was divided into two volumes, the first part is copied directly from another surviving manuscript. This prototype was written by Ser Giovanni di Piero da Stia, a noted Florentine scribe who was a regular copyist of Bruni’s work. 49 Unfortunately, however, his manuscripts are marked more by their elegance than their accuracy. What is notable is that del Monte repeatedly recognises that Ser Giovanni’s text must be in error and attempts to correct it. So, for example, in the Dialogi ad Petrum Paulum Histrum, Ser Giovanni completely muddles the meaning of a passage on how one should despise vice; he inverts its sense by writing de contemnenda virtute. 50 When he read this, del Monte was awake enough to realise this would not do and he silently alters the text so that it reads de contemnenda morte. This reading (unique to del Monte’s transcription) is not what Bruni wrote but it is much closer to the original meaning than the manuscript from which he was working. In the case of Bruni’s work, del Monte was necessarily working only with one copy in front of him. However, as was mentioned with his work on Pliny, he did at times attempt to compare various copies together in an attempt to create a more accurate text. In doing that, he was certainly not as inspired as his colleagues like Parentucelli but he was patently working to the same aspirations. At the same time, it should be remembered that, in prizing accuracy, del Monte did so at the expense of attractiveness : written on paper with simple initials, del Monte’s manuscripts have the appearance of working copies; they are far removed from the resplendent books one would expect to find in a magnificent patron’s library. To conclude, the true heroes of this discussion have not been the collectors but the manuscripts themselves. Any collection that was constructed was liable to be broken up; in these circumstances, normality must have tended towards the piecemeal circulation of works, and thus towards partial knowledge of these texts. Indeed, the humanist listings of desiderata can be said themselves to bear testimony to the difficulty of constructing an humanist library. Of course, in some felicitous cases, a collection remained mainly in tact – as does that of Pietro del Monte for which he has to thank (not 49 BAV, MS. Ottob. lat. 1901 (unsigned). On Ser Giovanni, see A. C. de la Mare, New research on humanistic scribes in Florence, in A. Garzelli (ed.), Miniatura fiorentina del Rinascimento, Florence, 1985, I, p. 499-500. 50 The Dialogi has recently received a critical edition by S. Baldassari (Florence, 1994) which, ironically, ignores del Monte’s manuscript completely. The passage discussed, 83. 6 in Baldassari’s edition, occurs at 30, fol. 49v. Another unique reading occurs at 10. 8 : quae agitaverim rescire. In other cases, del Monte’s corrections actually return his text to that intended by Bruni (eg. 27. 3-4, 46. 8 etc.).

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without irony) Pietro Barbo. As to these two collectors, Paul II and del Monte stand close to the opposite ends of the spectrum of ecclesiastical book-collecting. The Barbo pope is the ostentatious, magnificent book-collector, his library including several manuscripts presented or donated to him and with his books announcing his ownership with their consistent and prominent display of his coat-of-arms. He is, as it were, an outspoken collector while del Monte’s activities are at best sotto voce. His manuscripts do not suggest him standing above his contemporaries as much as alongside his colleagues who shared his clerical profession and his humanist interests. On a broader level, del Monte’s humanist interests were to some extent silent. In his last years, his written output suggests a man preoccupied with legal studies : his few attempts at humanist writings were mainly youthful products which he had nearly totally left behind him in the 1440s and 1450s. The reconstruction of his collection, therefore, provides another insight into the career of a cleric who saw Poggio Bracciolini and Flavio Biondo at work and, metaphorically speaking, in his library. Del Monte directed his humanist interests into the construction of a working library of classical and classicising works. Indeed, it is notable how much time he must have spent on making his own transcriptions and building up his library. If one considers the time and effort that Pietro del Monte must have expended on his books, we might be inclined to conclude that this was not so much a case of a humanist culture at the service of the Church, as clerical employment at the service of humanist interests. David RUNDLE

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DIEGO QUAGLIONI

IL CONTRIBUTO DELLA CANONISTICA AL PRIMO UMANESIMO GIURIDICO IL DE IURE DI LEON BATTISTA ALBERTI (1437)

Desidero avvertire subito che non mi propongo di fornire uno schizzo degli interessi «umanistici» della canonistica quattrocentesca, né di insistere sulle personalità che coltivarono studi canonistici ed ecclesiologici partecipando al moto di rinnovamento umanistico. Intendo invece limitarmi a introdurre il problema del rapporto fra la tradizione canonistica e un tratto caratterizzante il primo umanesimo giuridico, quale è quello che si manifesta con i primi tentativi di rifondazione del concetto stesso di diritto su basi che oggi si direbbero «meta-giuridiche». Una parte della relazione sarà dedicata a Leon Battista Alberti e al suo De iure, la cui lettura offre l’occasione per più di uno spunto di riflessione sui caratteri del primo Umanesimo giuridico1. Tralascio perciò ogni considerazione intorno alle profonde modificazioni della percezione dell’Umanesimo giuridico nel corso della più recente stagione degli studi, dando per inteso ed acquisito l’avvenuto distacco da tutte quelle visioni convenzionali del fenomeno, a rivedere le quali hanno a lungo lavorato diverse generazioni di storici, almeno a partire dall’Europa und das römische Recht di Paul Koschaker, del 1947, passando, in Italia, per gli studi notissimi di Francesco Calasso, Riccardo Orestano, Domenico Maffei, Ennio Cortese e molti altri 2. Credo infatti superfluo insistere, almeno in 1 All’Alberti ho dedicato in tempi recenti una prima riflessione, nata come conferenza introduttiva alla giornata su «Le De iure et l’Humanisme juridique», in apertura del Séminaire international Leon Battista Alberti (Fontenay-aux-Roses, École normale supérieure, 20-22 maggio 1999), organizzato dal Centre de recherche sur la pensée politique italienne e dalla Société internationale Leon Battista Alberti. Se ne veda il testo, dal titolo Primi appunti per un commento al De iure di Leon Battista Alberti, in Leonis Baptistae Alberti, De iure (Du droit). Testi raccolti e presentati da F. Furlan. Edizione critica a c. di C. Grayson. Traduction française et Postface par P. Caye. Studi di D. Quaglioni e G. Rossi, in Albertiana, 3, 2000, p. 157-248 : 201-219. 2 Mi riferisco ovviamente all’ampio e ancora importantissimo, per quanto «datato», studio di P. Koschaker, L’Europa e il diritto romano, trad. di A. Biscar-

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questa sede, sulle insufficienze della vecchia tradizione storiografica, intesa a risolvere il problema dei rapporti fra umanesimo e diritto in quello degli influssi della cultura umanistica su una scienza del diritto «colta [...] nella fase della stanchezza e della decadenza» 3, o a compiacersi della visione «matrimoniale» dell’Umanesimo giuridico come «congiunzione» del diritto con la filologia e con la storiografia 4. Una diversa e articolata visione del fenomeno, sottratto ad un giudizio semplificatore e collocato sotto l’insegna di una crisi del diritto nella scienza giuridica europea, lascia oggi tuttavia aperto il problema del rapporto tra umanesimo e diritto nello stesso ambiente dei giuristi-umanisti e degli umanisti di formazione giuridica. La questione riguarda i giuristi-umanisti del Quattrocento così come quelli del secolo successivo, legati ancora alla giurisprudenza dell’età di mezzo, come si deve riconoscere a dispetto della convenzionale visione della scolastica del diritto e dell’Umanesimo giuridico l’una all’altro opposti, «conchiusi in precisi termini temporali, senza sfumature nei caratteri differenziali, i cui uomini rappresentativi non conoscono esitazioni e conflitti di ideali» 5. Bisogna tornare a porre l’accento sulle «novità» del Trecento, sugli interessi «se non proprio umanistici comunque nuovi» dei giuristi 6, al di là della costante e vulgata rivendicazione di autosufficienza della scientia iuris (l’accursiano omnia in corpore iuris inveniuntur) 7. Quella rivendicazione di autosufficienza si affacciava,

di, introd. di F. Calasso, Firenze, 1962 (condotta sulla terza edizione inalterata, Monaco e Berlino, 1958), nonché ai fondamentali lavori di F. Calasso, Umanesimo giuridico, in Id., Introduzione al diritto comune, Milano, 1951 (ristampa inalterata 1970), p. 181-205; R. Orestano, Introduzione allo studio storico del diritto romano, Torino, 1953 (ristampa della seconda edizione, 1963), poi ampiamente modificato e aggiornato col titolo Introduzione allo studio del diritto romano, Bologna, 1987; D. Maffei, Gli inizi dell’Umanesimo giuridico, Milano, 1956 (terza ristampa inalterata 1972); E. Cortese, Il diritto nella storia medievale, II, Il basso Medioevo, Roma, 1995, p. 453-484. Per una riflessione su quella stagione della storiografia giuridica mi permetto di rinviare al mio Primi appunti per un commento al De iure di Leon Battista Alberti cit., p. 201-209. 3 F. Calasso, Umanesimo giuridico, cit., p. 183. 4 Cfr. gli accenti polemici in R. Orestano, Introduzione allo studio del diritto romano, cit., p. 153. 5 D. Maffei, Gli inizi dell’Umanesimo giuridico, cit., p. 17. Per una ripresa di questi temi cfr. D. Quaglioni, Tra bartolisti e antibartolisti : l’Umanesimo giuridico e la tradizione italiana nella Methodus di Matteo Gribaldi Mofa (1541), in F. Liotta (a cura di), Studi di storia del diritto medievale e moderno, Bologna, 1999, p. 185212. 6 M. Ascheri, Giuristi, umanisti e istituzioni del Tre-Quattrocento, in Id., Diritto medievale e moderno. Problemi del processo, della cultura e delle fonti giuridiche, Rimini, 1991, p. 101-138 : 105. 7 Cfr. in proposito F. Calasso, Umanesimo giuridico, cit., p. 193 e n. 27, con

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non a caso in margine alla definizione dei primi princìpi del diritto civile, in opposizione all’orizzonte canonistico e alla pretesa ancillarità del diritto civile alla teologia e al diritto canonico. Ennio Cortese ha dimostrato che proprio a cavaliere del Trecento, per il canonista, «il necessario, ineliminabile collegamento con la teologia non è più sintomo di una sua debolezza tecnico-giuridica, ma è solo garanzia di una più ortodossa consistenza del pensiero, e quindi gli dà forza», quasi a segnare il riflesso sul diritto «di quella supremazia pontificia ch’era sempre più apertamente proclamata dopo il crollo dell’Impero» 8. In questo senso occorrerebbe nuovamente indagare le «aperture» del maturo insegnamento civilistico trecentesco alla teologia, da Cino a Bartolo a Baldo, al pieno interesse di quest’ultimo per la canonistica, nel compiersi di quella che Cortese ha chiamato, incisivamente, «la resa finale del legista al diritto ecclesiastico» 9. Da quella resa, e da quella vittoria, lo stesso diritto canonico doveva uscire in qualche modo sconfitto nella sua pretesa di compiuta sovraordinazione al diritto secolare, aprendo così la via ad una nuova dialettica, tutta moderna, tra giuridico e meta-giuridico10. Solo perciò il diritto, come sapere «ordinante», diviene l’oggetto di quella che si è soliti chiamare «disputa delle arti» e che in realtà è disputa sulla crisi di universalità del diritto. A quei temi la canonistica doveva mostrarsi sensibile per il suo connaturato distacco dal culto formalistico del diritto, di stampo civilistico, oltre che per la «strumentalità» implicita nella sua stessa concezione del diritto positivo (è superfluo ricordare qui l’assunzione grazianea di tutto il diritto «umano» sotto la categoria della consuetudine, la cui approbatio non può mai prescindere da un giudizio di conformità alla legge divino-naturale)11. Ad un ripensamento in termini filosofici del diritto, insomma, la canonistica poté dare, prima della sua crisi quattrocentesca, il suo contributo proprio perché essa ebbe sempre presen-

le importanti osservazioni di E. Cortese, Legisti, canonisti e feudisti : la formazione di un ceto medievale, in Università e società nei secoli XII-XVI, Pistoia, 1983, p. 195-281 (ora rielaborato in Id., Il rinascimento giuridico medievale, Roma, 1992, p. 37 e n. 102). Cfr. Anche D. Quaglioni, Autosufficienza e primato del diritto nell’educazione giuridica preumanistica, in A. Cristiani (ed.), Sapere e/è potere : Discipline, dispute e professioni nell’Università medievale e moderna : Il caso bolognese a confronto, II, Verso un nuovo sistema del sapere, Bologna, 1990, p. 125-134 : 126 s. e nn. 2-5. 8 E. Cortese, Legisti, canonisti e feudisti, cit., p. 57; cfr. più in generale Id., Il diritto nella storia medievale, II, cit., p. 385. 9 E. Cortese, Il diritto nella storia medievale, II, p. 390. 10 Rinvio per tutto ciò a P. Prodi, Una storia della giustizia. Dal pluralismo dei fori al moderno dualismo tra coscienza e diritto, Bologna, 2000, p. 105-106 e ss. 11 Cfr. P. Grossi, L’ordine giuridico medievale, Bari-Roma, 1995, p. 119.

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te il nesso, per usare parole di Paolo Grossi, tra la plasticità del diritto umano e le incrollabili immobilità del diritto divino, nesso per il quale il diritto canonico ci appare «articolato in due livelli distinti : il primo, superiore, contraddistinto da una immobilità assoluta, universale, perpetua [...], resistente a ogni divenire storico quasi come una cittadella inespugnabile; il secondo, e inferiore [...] plasticissimo e mobilissimo»12. Dialettica di contrarii, è stato detto più volte : il diritto naturale instillato nel profondo della coscienza umana e identificantesi in una scelta squisitamente razionale, pertanto immobile e inattaccabile dalle forze storiche; il diritto umano, che la Chiesa non irrigidisce in regole assolutamente generali ma varia a seconda di quanto esiga la ratio aequitatis. Perciò è soprattutto nella canonistica che l’equità, «da vago ideale di giustizia effettiva diventa principio generale e istituto cardine di un ordine giuridico, diventa addirittura fonte formale di diritto»13. Come questo patrimonio intellettuale, comprendente di necessità la difesa del ruolo del diritto «impostata molto nettamente sul terreno morale»14, si sia combinato nella crisi del Medio Evo giuridico con il ‘ritorno degli antichi’, come si sia trasmesso alla cultura giuridica quattrocentesca e abbia contribuito a tener vivo un dibattito complesso, è questione che attende ancora risposta. Occorre forse uscire, ancora una volta, da un orizzonte tutto interno alla scuola e rivedere il giudizio sull’Umanesimo giuridico come fenomeno di trapasso ad una nuova concezione del diritto nel suo rapporto con la dimensione etico-politica della prima modernità. In questo senso si può affermare che l’Umanesimo giuridico «apre» ad una concezione dinamica e positiva del diritto, poiché tra Quattro e Cinquecento si attua il passaggio dall’interpretatio, come conciliazione e armonizzazione di norme confliggenti, allo sforzo di fornire alle norme una base storico-filologica e, soprattutto, una riflessione teorico-filosofica capace di fondarle e sostenerle davanti al nuovo fenomeno dell’accentramento politico e della «compiutezza» del potere15. Si tratta di un passaggio difficile, nel contesto di una più spinta relativizzazione del diritto, e perciò è importante riconoscere, con una recente intuizione di Paolo Prodi, che le polemiche interne all’Umanesimo

Ibid., p. 121. Ibid., p. 212. 14 E. Garin, Introduzione, in Coluccio Salutati, De nobilitate legum et medicinæ : De verecundia, a c. di E. Garin, Firenze, 1947, p. XXXII. Per questo motivo cfr D. Quaglioni, Un’orazione «de nobilitate, utilitate et origine legum» attribuita a Coluccio Salutati, in Il pensiero politico, 19, 1986, p. 349-365. 15 Uso l’espressione coniata da P. Grossi, L’ordine giuridico medievale, cit., p. 41. Cfr. più in generale D. Quaglioni, Assolutismo laico e ricerca del diritto naturale, in Il pensiero politico, 25, 1992, p. 96-106. 12 13

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giuridico nascondono una tensione più profonda, sulla via che conduce al moderno dualismo tra coscienza e diritto positivo16 : Gli umanisti registrano la fuoriuscita del pensiero giuridico dalla legge scritta e dai suoi commenti, dal corpo stesso del diritto [...]; la discussione sui principi del diritto tende quindi a trasferirsi sempre più sul piano della filosofia morale, dell’etica, e della teologia, a collegarsi ad Aristotele, a Cicerone, a Tommaso d’Aquino. Non si tratta ancora di una transplantazione del diritto naturale dal piano giuridico a quello filosofico [...], ma in qualche modo si comincia a porne le premesse.

Proprio in tal senso dev’essere interpretato il fenomeno di una riflessione d’impianto «filosofico» sul diritto, propria degli umanisti; e in tal senso acquista un significato nuovo il bisogno di «collegare» lo studio del diritto a quello della filosofia : Legibus [...] nemo perfectus fiet, nisi philosophiæ studiis incubuerit, come Enea Silvio Piccolomini scrive in una celebre lettera del 1444, a breve distanza di tempo dalla redazione del De iure di Leon Battista Alberti, del 143717. Si tratta, nell’ambiente curiale e negli anni in cui il crogiolo del dibattito conciliare costituisce il fattore di accelerazione più forte della storia politica e culturale d’Europa, di un indice di un più accentuato e definitivo distacco dall’orgogliosa autosufficienza del diritto. Questa è la temperie dalla quale nascono i primi repertori umanistici giuridico-teologici, attenti a filtrare attraverso l’elaborazione tomista lessemi e concetti di derivazione ciceroniana e patristica, in primo luogo agostiniana e isidoriana18 ; e questa stessa è la temperie dalla quale nasce l’operetta albertiana. Il De iure costituisce per molti rispetti un unicum nella letteratura umanistica del primo Quattrocento, proprio in ragione della sua estraneità, a così breve distanza dall’opuscolo celebre del Valla (1433)19, all’invettiva antibartolista. Domenico Maffei, sulla fede del vecchio Girolamo Mancini, richiamò il De iure come esemplare di atteggiamenti di «esaltazione del diritto» di sapore salutatiano, quali quelle, situate tutte nella prima metà del Quattrocento, di un Giovanni Baldi da Faenza o di un Andrea di Ugo Benzi da Siena, riconoscendo tuttavia che il De iure è «animato da considerazioni diver-

P. Prodi, Una storia della giustizia, cit., p. 159-160. Enea Silvio Piccolomini a Wilhelm von Stein, 1o giugno 1444, cit. In G. Kisch, Enea Silvio Piccolomini und die Jurisprudenz, Basilea, 1967, p. 114. 18 Cfr. D. Quaglioni, Pietro del Monte a Roma : la tradizione del Repertorium utriusque iuris (c. 1453) : Genesi e diffusione della letteratura giuridico-politica in età umanistica, Roma, 1984. 19 Si veda ora M. Regoliosi, L’Epistola contra Bartolum del Valla, in V. Fera e G. Ferraù, Filologia umanistica : Per Gianvito Resta, Padova, 1997, II, p. 15011571 (con l’edizione critica della celebre invettiva alle p. 1532-1571). 16

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se» 20. In tempi più recenti anche Mario Ascheri, sulla base della prima edizione critica del De iure, offerta da Cecil Crayson nel 1985, ha potuto giudicare che l’Alberti si muoveva su un diverso solco 21. Il breve scritto, indirizzato al giurista Francesco Coppino 22, fu redatto in forma epistolare e «di getto» «a Bologna in men di un giorno il 30 settembre 1437» 23, come si ricava dalla soscrizione del ms. Ambrosiano J 193 inf. (nota che Riccardo Fubini ha dimostrato costituire un «caratteristico tratto albertiano», dove «l’eccesso di precisione del giorno e dell’ora, nonché ostentare rapidità di composizione, parrebbe denotare preoccupazioni astrologiche») 24. Lo scritto, ora disponibile in un’emendata ristampa rispetto all’edizione riprodotta negli Studi su Leon Battista Alberti del compianto Cecil Grayson, appartiene a quel numero di testi latini «importanti» 25, come il De commodis litterarum atque incommodis e gli Apologi, per non dire della Vita, che sono stati indicati come il necessario punto di partenza per una conoscenza dell’Alberti, «così per il pensiero come per le caratteristiche letterarie e stilistiche» : «Scrivendo in latino, Leon Battista predilige la composizione breve e lo stile rapido, non cita le autorità, presupponendole e innovando implicitamente rispetto ad esse», mentre l’opera volgare è in stile grave, trattatistico e didascalico 26. Ricco – ovviamente – di stilemi plutarchei, quintilianei e ciceroniani, il De iure può essere a prima vista ascritto al genere dei componimenti retorici intorno al diritto. Tuttavia alcune caratteristiche, a partire dall’ostentato distacco dagli appigli autoritativi del diritto scritto, ne fanno un primo esempio di riflessione di natura «giusfilosofica» (se non proprio, come pure si è voluto affermare da parte dei 20 D. Maffei, Gli inizi dell’Umanesimo giuridico cit., p. 68 e p. 69, nota 11, con rinvio al vecchio G. Mancini, Vita di Leon Battista Alberti, Firenze, 1882, p. 160164. 21 M. Ascheri, Giuristi, umanisti e istituzioni del Tre-Quattrocento cit., p. 114, nota 30. Per la prima edizione critica dell’operetta albertiana cfr. C. Grayson, Il De iure di Leon Battista Alberti, in R. Cardini, E. Garin, L. Cesarini Martinelli e G. Pascucci (ed.), Tradizione classica e letteratura umanistica. Per Alessandro Perosa, I, Roma, 1985, p. 173-194; poi raccolto in Id., Studi su Leon Battista Alberti, a c. di P. Claut, Firenze, 1998, p. 373-388 (se ne veda la recensione di F. Furlan, in Albertiana, 3, [2000], p. 275-279). Il testo critico e l’apparato dato dal Grayson sono ora editi, con la correzione di alcuni refusi, in Leonis Baptistae Alberti, De iure (Du droit) cit., p. 160-191. 22 Cfr. A.I. Galleti, Coppini Francesco, in Dizionario biografico degli Italiani, XXVIII, Roma, 1963, p. 619-624. 23 D. Maffei, Gli inizi dell’Umanesimo giuridico, cit., p. 69, nota 11 (correggo qui la data, che per un refuso risulta del 20 settembre). 24 R. Fubini, A. Menci-Gallorini, L’autobiografia di Leon Battista Alberti. Studio e edizione, in Rinascimento, II s., 12, 1972, p. 21-78 : 35, nota 1. 25 Ibid., p. 32. 26 Ibid.

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rari commentatori moderni, un’opera «informata da uno spirito quasi «illuministico») 27. In particolare, l’asserita impossibilità di ricorrere all’intervento dei libri legali e al sussidio della letteratura commentariale (nullum penitus legum commentarium vidimus [...] neque librorum copia perfrui licuerit) 28, non può fare dell’opuscolo, secondo il giudizio del suo editore, un contributo «basato in parte su cose vecchie ricordate dagli studi passati e in parte su cose nuove escogitate indipendentemente» 29, e può forse essere inteso come un elegante e ardito pretesto per fondare l’argomentazione sulle sole basi della speculazione (nullo librorum adiumento sed solo ingenio) 30, soprattutto se si ricorda quel luogo del De commodis in cui Alberti descrive con sarcasmo gli amplissimi codices, la tanta tanque amplissima librorum congeries che rappresenta l’officina, lo strumentario faticoso del giureconsulto (canonista così come «civilista»); per non dire del ricordo degli «assidui studi di diritto» 31, che com’è noto ha un luogo centrale nella Vita, posteriore di pochi mesi alla composizione del De iure. L’affermazione audace è, ch’io sappia, il primo conato di rinnovamento del diritto su basi dichiaratamente «mentali», secondo l’insegnamento del De legibus ciceroniano : penitus ex intima philosophia haurienda iuris disciplina. Il programma albertiano sta tutto qui, nel canone ciceroniano seguìto, nel De legibus, dal richiamo a quella disputatio in cui si racchiude tota causa [...] uniuersi iuris ac legum, che fonda la prospettiva della scienza giuridica come scienza compendiosa del ius in artem redigere, e che alla celebre definizione della legge come ratio summa, insita in natura, quæ iubet ea quæ facienda sunt, prohibetque contraria, fa precedere la nota polemica che identifica come ignorante praticismo ogni concezione del diritto che non si fondi sui principia iuris 32. Filosofica perché ciceroniana è 27 Così, di passaggio, C. Grayson, Introduzione, in Leon Battista Alberti, De iure (Du droit) cit., p. 160-163 : 160 e nota 3, dove oltre a G. Mancini, Vita di Leon Battista Alberti. Seconda edizione completamente rinnovata, con figure illustrative, Firenze, 1911 [= Roma, 1971], p. 142-145, si ricordano i sommari contributi di N. Casagli, Sul «De Jure» di Leon Battista Alberti, in Miscellanea di Studi Albertiani, Genova, 1975, p. 71-79, e di G. Ponte, Leon Battista Alberti umanista e scrittore, Genova, 1981, p. 72 s. Di «un segreto e precoce proto-illuminismo, sia pur prevalentemente concentrato nella sfera etica ed emblematicamente espresso» si parla anche in R. Fubini e A. Menci-Gallorini, L’autobiografia di Leon Battista Alberti, cit., p. 54. 28 Leonis Baptistae Alberti, De iure, § 1, ed. cit., p. 165. 29 C. Grayson, Introduzione, cit., p. 163. 30 Leon Battista Alberti, De iure, § 1, ed. cit., p. 165. 31 R. Fubini e A. Menci-Gallorini, L’autobiografia di Leon Battista Alberti, cit., p. 35. 32 M. Tullii Ciceronis, De legibus libri tres, I, 5-6, 17-18, ed. C. Büchner, Firenze, 1973, p. 30-31.

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l’impostazione dell’operetta albertiana, e filosofico perché ciceroniano è il suo esordio. La formazione giuristica e canonistica dell’Alberti traspare però da ogni rigo, ed è anzi ripetutamente richiamata (quasi con orgogliosa civetteria, a dispetto della lamentata lacuna dell’applicazione agli studi giuridici), appunto fin da quel cenno al difetto della librorum copia che apre all’intervento dell’ingenium in luogo dell’auctoritas normativa e della tradizione dottrinale. Manifesto di un incipiente umanesimo giuridico (ma non direi opera di «profonda estraneità culturale [...] rispetto al mondo dello ius commune») 33, il De iure è ispirato su questo punto al petrarchismo giuridico e al De legibus ciceroniano, soprattutto per quel che riguarda la sottrazione del diritto civile alla sua dimensione «pratica», quaestuosa professio, potius ignoratio iuris litigiosa [...] quam scientia 34, con la conseguente fondazione di una scienza della «natura» del diritto (origine del tema schiettamente cinquecentesco della reductio iuris ad brevem artem, cioè della riduzione del diritto a scienza compendiosa e metodica, rivolta alla conoscenza e all’applicazione di princìpi universali, iuris principia) 35. Si può dire che tutto lo scritto dell’Alberti si conformi a questo ideale di un diritto non opinione, sed natura constitutum 36. Il soggetto dichiarato del trattatello è perciò de iudicio promendo 37, cioè «dell’amministrazione della giustizia» – Cosimo Bartoli, non a caso, volgarizzando il testo nel 1568, lo intitolava Dello amministrare la ragione 38. Si deve perciò tenere presente fin dal principio che Alberti risolve il «diritto» nella dimensione giurisprudenziale. Il diritto «si dice», cioè si pronunzia (e si «trova», si «invera») nel processo. Non a caso, dopo il breve passo proemiale, lo scritto ha inizio con la formula che definisce l’officium iurisconsulti, tutto risolto nella ricostruzione di un ordine giuridico reso incerto dalla controversia (ordine giuridico che non è un ordine normativo coattivo, ma un ordine di ragione) : Iurisconsulti officium est integra fide et summa

33 G. Rossi, Intorno al De iure di Leon Battista Alberti, in Leon Battista Alberti, De iure (Du droit) cit., p. 221-248 : 223. Il giudizio, nonostante qualche attenuazione (p. 84), è confermato nella più ampia redazione del saggio del Rossi, apparsa col titolo Un umanista di fronte al diritto : a proposito del De iure di Leon Battista Alberti, in Rivista di storia del diritto italiano, 72, 1999, p. 77-154 : 92. 34 M. Tulli Ciceronis, De legibus libri tres, I, 6, 18, ed. C. Büchner cit., p. 31. 35 Ibid., I, 5, 17, p. 30-31. 36 Ibid., I, 10, 28, p. 36. 37 Leonis Baptistae Alberti, De iure, § 1, ed. cit., p. 165. 38 Cfr. Opuscoli morali di Leon Batista Alberti gentil’huomo fiorentino Ne’ quali si contengono molti ammaestramenti, necessarii al viver de l’Huomo, così posto in dignità, come privato, tradotti et parte corretti da M. Cosimo Bartoli, Venetia, Francesco Franceschi, 1568, p. 128-139.

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religione controversiam dirimere, cavereque ac prohibere ne quis dolus ne que fraus uspiam locum, quoad in se sit, habeat 39. La formula è di eccezionale complessità, perché racchiude in sé una molteplicità di motivi, parte dei quali risale alla tradizione romano-canonica, parte va ricercata invece nelle autorità «letterariemorali» dell’umanesimo 40. Ovviamente tutto il luogo è giocato dall’Alberti sull’assimilazione-confusione del duplice significato di fides, così come di religio (che è propriamente il vincolo della coscienza, o la coscienza tout court). Lo scritto sembra poi assumere una piega di carattere «tecnico» là dove si enuncia la regula che distingue le due forme dell’estinzione della controversia, giudiziale e stragiudiziale. Ma anche in questo caso la preoccupazione dell’autore è rivolta alla distinzione tra l’ordine giuridico positivo e quello naturale, distinzione che sottolinea essere l’officio del giudice quello di ricomporre il possibile dissidio fra ragione e norma mediante il ricorso all’equità. Non a caso ad alcuni esempi di discrepanza del diritto scritto dal diritto naturale in ragione della publica salus fa seguito una non breve discussione, largamente tributaria delle stimatissime Vitae Philosophorum di Diogene Laerzio e dell’Etica Nicomachea, discussione che mostra come i princìpi del diritto riposino su basi morali 41. Tutto lo svolgimento del De iure non è, in definitiva, che la delineazione di una «tavola del diritto universale», una sorta di ideale matrice di ciò che nell’età matura dell’Umanesimo giuridico sarà la Iuris universi distributio di un Bodin 42. In questo senso è vero, come vuole il compianto Cecil Grayson, che «il profondo senso morale, tipico del pensiero albertiano, fa del De iure uno scritto squisitamente etico, lontano nel suo spirito dalle opere giuridiche tradizionali» 43 ;

De iure, § 2, ed. cit., p. 165. Per queste autorità (Cicerone nel De legibus, III, 1, 2 e nel De officiis, II, 19, 65; Quintiliano nelle Declamationes, 343; Ulpiano in D. 5, 1, 79, § 1) cfr. Ancora D. Quaglioni, Primi appunti per un commento al De iure di Leon Battista Alberti, cit., p. 213. 41 Per il ricorso a Diogene Laerzio cfr. ancora, L’autobiografia di Leon Battista Alberti cit., p. 45 e 50. 42 Cfr. J. Bodin, Exposé du droit universel : Juris universi distributio, texte traduit par L. Jerphagnon, commentaire par S. Goyard-Fabre, notes par R.M. Rampelberg, Parigi, 1985, con le osservazioni di V. Piano-Mortari, L’«ordo juris» nei giuristi francesi del secolo XVI, in Clio, 1989, p. 145-167 (poi in Id., Itinera juris : Studi di storia giuridica dell’età moderna, Napoli, 1991, p. 365-398) e di D. Quaglioni, I limiti della sovranità : Il pensiero di Jean Bodin nella cultura politica e giuridica dell’età moderna, Padova, 1992, p. 15. Una nuova edizione del testo bodiniano è ora in C. Pedrazza Gorlero, La «Iuris Universi Distributio» di Jean Bodin, Rovereto, 1999 (Biblioteca del pensiero giuridico, 1). 43 C. Grayson, Introduzione, cit., p. 163. 39 40

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ma proprio perciò esso non può essere visto solo come «un brillante, non sistematico excursus, – di non facile lettura –, sui princìpi fondamentali della giustizia insiti nella natura e nell’uomo, corrispondenti [...] a precetti filosofici, e assicurati dalla fede religiosa» 44. Alla base del De iure sta la concezione albertiana della virtus, coincidente con l’esercizio della disciplina, massimamente di quello in quo litterarum ac rerum difficillimarum ratio et cognitio adsit 45. Questa definizione, così importante per comprendere i libri De familia e la lode che della virtù vi si legge («lieta, graziosa e amena, sempre ti contenta, mai ti duole, mai ti sazia, ogni dì più e più t’è grata e utile») 46, è congiunta alla regula che sottomette la virtus alla religio, la scienza alla coscienza, ut nulla bona, nulla virtutis species, nulla commoda, nulli affectus nullaque hominum iudicia et opiniones sanctissime religioni et pietati repugnent 47. Di qui discende la necessità di subordinare i patti e le promesse giurate non solo alla religio, ma anche all’honestum e al decus 48. L’ideale ciceroniano della congiunzione dell’utilitas e dell’honestas si realizza nell’applicazione all’esercizio della «discrezione», della prudente valutazione del bene e del male, che s’incarna nell’æquitas. In tal senso la virtus del giusdicente consiste in quella ratio discernendorum bonorum et malorum, per la quale una scienza del diritto si fonda necessariamente sopra una disciplina morale 49. Ne consegue direttamente la definizione del giusto (iusta [...] sunt que sine alicuius iniuriam animum honesti, quoad eius fieri possit, compleant) 50, della pena e del premio, dello stesso diritto come medietà fra pena e premio, medium quoddam inter poenas et premia 51, che impone la determinazione della sanzione secondo le rationes della giurisprudenza di diritto comune. Cicerone sembra in ogni caso fondersi con la concezione del diritto naturale tipica della tradizione romano-canonica, attratta cioè nella sfera del diritto divino, secondo l’insegnamento che dalla canonistica grazianea trapassa nella interpretazione civilistica del Corpus iuris 52. Tutto ciò assume appunto la

Ibidem. Leonis Baptistae Alberti, De iure, § 8, ed. cit., p. 173. 46 Leon Battista Alberti, I libri della Famiglia, a c. di R. Romano e A. Tenenti, Torino, 1969, I, p. 29; cfr. ivi, a proposito della utilità della virtù, l’Introduzione di R. Romano, p. XXIII – ora I, 400-401 (p. 29) e p. XXV nella nuova edizione a cura di F. Furlan, Torino, 1994, dalla quale d’ora in poi cito. 47 Leonis Baptistae Alberti, De iure, § 8, ed. cit., p. 173-175. 48 Ibid., § 10, p. 175-177. 49 Ibid., § 13, p. 179. 50 Ibid., § 15, p. 181. 51 Ibid., § 16, p. 181. 52 Per la celebre glossa accursiana a D. 1, 1, 1, § 3 (natura : idest Deus), per i suoi rapporti con la concezione grazianea del diritto naturale-divino e per il per44 45

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coloritura ciceroniana di un ordine giuridico soggiacente ad un ordine morale, nel quale è il vero fondamento di ogni legge 53. Il De iure può dunque esser letto come un tentativo di innalzamento dell’amministrazione della giustizia ad una scienza del giudizio, sottratta ai brocardi e alla casistica della scuola e riposta su basi filosofiche. Al centro dell’opuscolo è perciò l’æquitas, della quale si tenta una determinazione che ricupera i tratti della tradizione romano-canonica coniugandoli col pensiero ciceroniano, in una sorta di concordia Ciceronis et utriusque iuris. Nella decostruzione della tradizione di scuola, che in quegli anni stessi si manifesta, Alberti tenta di offrire regole nuove, e nuove perché antiche, all’officio dell’interprete, con lo sguardo sempre rivolto all’equità del giudizio. Questo sembra anche il senso di passaggi polemici come quello che si legge nella Vita, a proposito dell’identificazione tra diritto e luogo del giudizio, che ha essa pure la sua origine dotta come ironico richiamo al frammento di Paolo in D. 1, 1, 11, in cui l’affermazione che alia significatione ius dicitur locus in quo ius redditur, anzi che ubicumque praetor... ius dicere constituit, is locus recte ius appellatur, fa seguito al celebre e controverso passo in si osa proclamare : Praetor quoque ius reddere dicitur etiam cum inique decernit. Di qui, se non vedo male, nella Vita dell’Alberti, «la risposta al forestiero diretto al palazzo del podestà : Non equidem [...] ius ipsum istic habitasse, o cives, memineram 54 ; risposta che da una parte, com’è stato giustamente osservato, «non può non far pensare alla critica dei sistemi giudiziari nel De iure» 55, e che dall’altra, proprio perciò, esalta la ripugnanza – tutta canonistica – del De iure per l’idea di un ius iniquum, di un diritto che non si risolva nell’aequitas. In questo senso

manere di tale principio nella tradizione civilistica, cfr. A. Padovani, Dio natura e diritto nel secolo XII, Parma, 1994, e Y. Thomas, «Auctoritas legum non potest veritatem naturalem tollere» : Rechtsfiktion und Natur bei den Kommentatoren des Mittelalters, in J.-F. Kervégan e H. Mohnhaupt (ed.), Recht zwischen Natur und Geschichte : Le droit entre nature et histoire. Deutsch-französisches Symposion vom 24. bis 26. November 1994 an der Universität Cergy-Pontoise, Francoforte, 1997, p. 1-32. 53 Leonis Baptistae Alberti, De iure, § 27, ed. cit., p. 189 : Possem et eos adducere qui altius repetant ac dicant Deum ipsum et naturam esse legem, cuius ea sit vis, ut recte facere iubeat, vetet delinquere, hominisque esse proprium legem tueri, in seque accipere, quo sit Deo quam proximus. Dehinc leges et ipsi quasdam edant, quibus deos coli, pietatem haberi, religionem servari, disciplinam morum teneri imperetur, ac ne quid iniustum sit, communi utilitati ut provideatur, in omnibusque esse oportere specimen et decorem. 54 R. Fubini e A. Menci-Gallorini, L’autobiografia di Leon Battista Alberti, cit., p. 39. Cfr. Leonis Baptistae de Albertis, Vita, ivi, p. 74. 55 Ibidem.

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si può dire che si tratta di un «sapere nuovo», quale è predicato nel primo dei libri De familia 56 : Studiate conoscere le cose umane e divine, quali con intera ragione sono accomandate alle lettere [...]. Niuna è sì premiata fatica, se fatica si chiama più tosto che spasso e ricreamento d’animo e d’intelletto, quanto quella di leggere e rivedere buone cose assai. Tu n’esci abundante d’essempli, copioso di sentenze, ricco di persuasioni, forte d’argumenti e ragioni; fai ascoltarti, stai tra i cittadini udito volentieri, miranoti, lodanoti, amanoti.

In questa luce possono essere letti molti luoghi dei libri De familia, a cominciare dal celeberrimo prologo, che è tutto intriso di motivi giuridico-umanistici. Lì si trovano già i motivi salienti della prudenza e dell’equità, del binomio ragione-prudenza (cioè diritto-prudenza), lì l’accento posto sulle «buone legge e santissime e consuete discipline» 57, lì anche gli exempla storici di cui si tratta ampiamente nel De iure. Sempre nei libri Della famiglia si trovano motivi tradizionali che riguardano l’uso del denaro, il giusto prezzo, l’autonomia dei privati, l’ufficio del paterfamilias, la buona consuetudine, e soprattutto i præcepta iuris. In questo rinnovarsi della giurisprudenza, della prudentia iuris, come divinarum atque humanarum scientia, e del diritto come ars boni et æqui, sta l’insegnamento dell’Alberti, che è insegnamento del diritto ritratto verso i suoi princìpi morali, riposti nella disciplina dell’equità, nel discernimento del bene dal male e del lecito dall’illecito, in una parola nella prudenza, vera philosophia ed esercizio di una sapienza quasi-sacerdotale, in contrapposizione al triste praticismo aborrito in quel celebre passaggio del libro III Della famiglia, dove si ha la riduzione polemica della iurisdictio a ufficio servile, dell’amministrazione della giustizia a pratica maligna 58 : E che piacere d’animo mai può avere costui, se già e’ non sia di natura feroce e bestiale, il quale al continuo abbia a prestare orecchie a doglienze, lamenti, pianti di pupilli, di vedove, e di uomini calamitosi e miseri? Che contentamento arà colui il quale tutto il dì arà a porgere fronte e guardarsi insieme da mille turme di ribaldi, barattieri, spioni, detrattori, rapinatori e commettitori d’ogni falsità e scandolo? E che recreamento arà colui al quale ogni sera sia necessario torcere le braccia e le membra agli uomini, sentirli con quella dolorosa voce gridare misericordia, e pur convenirli usare

Leon Battista Alberti, I libri della famiglia, ed. cit., I, 2035-2049, p. 85-86. Ibid., Prologo, 168, p. 8. 58 Ibid., III, 867-879, p. 222. 56 57

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molte altre orribili crudeltà, essere beccaio e squarciatore delle membra umane? Au! Cosa abominevole a chi pur vi pensa, cosa da fuggilla. Il De iure ci ricorda dunque che giuristica e canonistica è la formazione dell’Alberti, e ci costringe a confrontarci con quella dimensione e radice del suo pensiero, nel quale essa appare quasi come una «costante», non solo e non semplicemente polemica. Nessuno scritto più del De iure dell’Alberti ci mostra, nel Quattrocento, al tempo stesso il senso del distacco e della perdurante dipendenza dalla tradizione, che formano i tratti originarii del primo Umanesimo giuridico. Diego QUAGLIONI

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PUBBLICITÀ E CONTROLLO DEL LIBRO NELLA CULTURA DEL RINASCIMENTO CENSURA PALESE E CONDIZIONAMENTI COPERTI DELL’OPERA LETTERARIA DAL TEMPO DEL PETRARCA A QUELLO DEL VALLA

Questa ricerca ha origine da una mia precedente sul processo inquisitoriale di Lorenzo Valla nel 14441. Avevo allora potuto stabilire, sulla traccia del resoconto di Valla stesso, l’origine della denuncia (l’intempestiva campagna giurisdizionalistica da Valla condotta a prolungamento della diatriba sulla Donazione di Costantino, malgrado la pace conclusa dal re di Napoli con il papa); ed avevo identificato l’autore della denuncia secondo l’allusione di Valla, vale a dire Alfonso Borgia, l’ecclesiastico e il funzionario di maggiore spicco a corte, allora in procinto di ricevere la nomina cardinalizia, e che nel recente passato aveva fermamente difeso le prerogative della Chiesa di fronte alla politica marcatamente regalistica e filo-conciliare di Alfonso d’Aragona. Secondo Valla la principale seppure dissimulata ragione del processo sarebbe stata appunto la pubblicazione dell’opuscolo sulla Donazione di Costantino, opera alla quale si sarebbe esplicitamente riferito il re nell’atto di interrompere d’autorità il processo, così implicitamente contribuendo al suo accreditamento. Al resoconto del Valla (peraltro l’unico dell’intera vicenda) possiamo entro certi limiti prestare fede, anche se sappiamo che la prima diffusione dell’opera sovversiva, che estendeva l’accusa di mendacio alla stessa istituzione positiva del papato, già risaliva all’anno precedente, poco dopo la pace di Terracina 2. Eppure, già si è accennato, la denuncia non riguardò espressamente la Donazione di Costantino. Anche per questo ci dobbiamo 1 R. Fubini, Lorenzo Valla tra il concilio di Basilea e quello di Firenze, e il processo dell’Inquisizione, ora in Id., L’umanesimo italiano e i suoi storici. Origini rinascimentali – critica moderna, Milano, 2001, p. 136-162. 2 Nell’epistola di giustificazioni al cardinale camerlengo Ludovico Trevisan, Napoli, 29 novembre 1443, Valla si riferisce all’opuscolo come conditum editumque; per la prima volta ne scrive in lettera a Guarino del 25 ottobre; cfr. L. Valla, Epistolae, a cura di O. Besomi e M. Regoliosi, Padova, 1984, p. 243, 247.

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affidare a quanto Valla scrive in sua difesa, per la verità più con l’animo del controversista che con quello dell’imputato : la Apologia ad Eugenium IV e la Defensio quaestionum in philosophia 3. Coperta viceversa nei suoi intenti e nelle sue motivazioni rimase la preparazione e la formulazione dell’accusa, che soltanto trapela in alcune epistole di ammonimento da parte di amici e corrispondenti, quali particolarmente Maffeo Vegio e Giovanni Tortelli, ambedue gravitanti intorno al mondo della curia pontificia 4. Ambedue i personaggi, Vegio e Tortelli, fanno preciso riferimento a un’opera capitale del Valla, ma che l’autore non considerava ancora come «pubblicata» . Egli si rivolgeva infatti al Tortelli quale suo consigliere, o meglio quale fautore dell’edizione, che avrebbe dovuto cumulare anche quella del De vero bono, l’altro contributo filosofico essenziale, che peraltro già aveva avuto una sua prima edizione : Forsitan ad te libros De vera philosophia mittam, quos proxime transcripsi ut edam, una cum libris olim editis De vero bono 5. In effetti, Valla considerava l’edizione dell’opera filosofica come la più alta mira della propria 3 Edite rispettivamente in L. Valla, Opera omnia, vol. I (= Opera, Basilea, 1540), Torino, 1962, p. 795-800a; e in G. Zippel, La «Defensio quaestionum in philosophia» di Lorenzo Valla e un noto processo dell’Inquisizione napoletana, in Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano, 69, 1967, p. 319-347. Il processo è narrato in Valla, Antidoti in Pogium, IV (= Antidotum II), in Opera, p. 345-362. 4 Cfr. le lettere di Maffeo Vegio al Valla, Pavia, 26 agosto 1434; e Firenze, 1442-1443, rispettivamente in O. Besomi, M. Regoliosi, Laurentii Vallae Epistolae. Addendum, in M. Cortesi e M. Regoliosi (a cura di), Lorenzo Valla e l’Umanesimo italiano, Padova, 1986, p. 87-88; e in R. Sabbadini, Studi sul Panormita e sul Valla, Firenze, 1891 (= Valla, Opera omnia, cit., vol. II), p. 395-398. Costante in ambedue le epistole, e dunque lungo un notevole arco di tempo, è l’accusa di intenti eversivi e di «violenza» intellettuale : philosophorum ingenia... iudicio omnium probata... evertere; tuam hanc... ingenii violentiam; nunc philosophos, nunc logicos, nunc theologos evertere, ecc. Del Tortelli si segnala l’ammonimento de relinquendis novis opinionibus, in riferimento all’intervento del Valla in tema di teologia trinitaria, per cui si era consultato con Tortelli stesso; cfr. lettera al Tortelli, 23 giugno 1441, in riferimento a una precedente, ubi de Trinitate te interrogabam; la materia è ripresa in lettera del 5 agosto; cfr. Epistolae, cit., p. 212, 214. 5 Cfr. lettere a Tortelli, 8 maggio e 9 giugno 1441, in Epistolae, cit., p. 211-212, 213. È interessante che nella più tarda polemica con B. Facio (di cui si discorre più oltre) Valla smentisca il vanto che gli attribuisce l’avversario (Repastinationem dialecticae et philosophiae edidi), come frase mai da lui pronunciata : Si istuc ego scripsi, quin locum profers?; cfr. L. Valla, Antidotum in Facium, ed. M. Regoliosi, Padova, 1981, p. 380. Nel proemio al libro III delle Elegantiae Valla aveva affermato di essere stato dissuaso dall’edizione dagli amici : ...in libris meis «De dialectica» ostendo, quos iam edidissem, nisi amici me hos potius edere coegissent; cfr. Opera, cit., p. 80. Per inciso, il concetto del «pubblicare» (edere) a cui il Valla fa capo, ha una precisa radice giuridica : tale era infatti la facoltà attribuita, nel tardo impero romano, ai constitutionarii, gli ufficiali incaricati di diramare gli editti imperiali; per esempio, alla composizione del Codice Teodosiano, essi ottennero licentiam in edendis exemplaribus; cfr. T. Birt, Das antike Buchwesen,

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carriera, ed era tanto consapevole del carattere controverso dell’impresa, da appoggiarla, per un verso, a un personaggio sicuramente autorevole per attinenze elevate nell’ambiente curiale come il Tortelli, ma affidandosi pure, per un altro, a un copista-editore della corte aragonese, quale il diplomatico e funzionario Giovanni Serra : fu questi appunto il destinatario di quella Epistola apologetica, che, nel rintuzzare le accuse e nell’addurre l’approvazione dei «dotti», avrebbe dovuto fungere da introduzione alla silloge 6. Nell’oltrepassare il varco periglioso della pubblicazione, dalla sfera «privata» del concepimento dell’opera e della comunicazione riservata tra dotti a quella della piena e riconosciuta pubblicità, Valla sembra quasi voler superare l’ostacolo capovolgendone, se così si può dire, i termini. Di fronte all’accusa di sovvertire le buone tradizioni, egli rincara la polemica, sostituendo le sue buone ragioni – anzi meglio, la ragione tout court – all’autorità contestata, che era poi quella, dalle radici tutt’altro che divelte, della vecchia Scolastica. Giacché – egli scrive – «come le stelle non eguaglieranno mai lo splendore del sole, così gli indotti non eguaglieranno la sapienza del dotto» 7. Tali concetti, nell’edizione progettata, sarebbero stati rappresentati da un emblema disegnato dal medesimo Serra : le sacras arbores, e cioè l’immagine biblica dell’albero fertile che dà buoni frutti (i poma aurea del Valla), a contrasto di quello sterile, «siquidem ex fructu arbor agnoscitur», secondo l’accusa evangelica alla cattiva scienza dei farisei 8. Il progetto editoriale del Valla ambiva dunque a una solennità biblica, né meno categorico era l’atto di accusa all’avversario che veniva sfidato, la tradizione globale della Scolastica cristiana. Le cose, sappiamo, andarono diversamente. Il patrocinatore designato dell’edizione, Giovanni Tortelli, assurto poi al rango dei maggiori ufficiali di curia con il pontificato di Niccolò V, si sottrasse. (A lui sicuramente faceva riferimento il Valla, fra coloro che, appunto a proposito dell’atteso sostegno alla propria opera, aut non possunt aut nolunt) 9. E del resto anche da parte dello storico moderno è lecito

Berlino, 1882, p. 342-343; e N. Rubinstein, Public rhetoric in the Imperial Chancery during the twelfth and thirteenth centuries, in Medium Aevum, 14, 1945, p. 33. 6 Satis est mihi abundeque probari a doctis et quidem omnibus, quorum singulorum etiam scriptis testimonia proferrre possum; cfr. lettera a G. Serra, 13 agosto 1440, in Epistolae, cit., p. 194; e anche lettera a G. Tortelli, 23 giugno, cit., 7 Et ut stellae aequare lumen solis nequeunt, ita nec indocti sapientiam docti : lettera al Serra, cit., p. 197. 8 Cfr. Matth., 12, 33 : Aut facite arborem bonum, et fructum eius bonum, aut facite malum et fructum eius malum, siquidem ex fructu arbor agnoscitur; e anche Levit., 26, 4 : Et terra gignet germen suum et pomis arbores replebuntur. Si veda, del Valla, lettera a G. Tortelli, 23 giugno, cit., p. 213. L’interpretazione della figurazione valliana è mia. 9 Fubini, Lorenzo Valla, cit., p. 147-148. In effetti le prime edizioni a stampa

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ipotizzare un’ambiguità da parte del Tortelli : egli era per esempio il depositario del manoscritto unico del De professione religiosorum, che offrì poi uno dei capi di imputazione al processo : da dove è lecito supporre che l’inquisitore avesse tratto la sua informazione?10 Ma, per quante illusioni Valla avesse potuto farsi, vero cardine del progetto editoriale rimaneva, non la curia, ma la corte aragonese di Napoli, dove aveva vagheggiato, provocando una pubblica disputa, di ottenere l’avallo del re (di qui appunto la sfida al predicatore Antonio da Bitonto, che in una concatenazione di vicende avrebbe poi portato al processo). La speranza era dunque quella di pervenire a un’edizione autorizzata e dignificata dell’opera : un progetto che al contrario gli avversari mirarono a bloccare. Provocato sul tema del Simbolo apostolico e della sua leggenda, Antonio da Bitonto sfoderò pubblicamente un dossier d’accusa evidentemente già pronto da tempo : quelle medesime accuse di cui Valla era stato preavvertito dagli amici, e intorno alle quali avrebbe voluto organizzare la disputa in questione. Tali furono i temi del processo, al di là delle motivazioni essenzialmente giurisdizionalistiche che l’avevano mosso, sicché il materiale preparato dal Valla per la disputa si convertì in un memoriale difensivo, la Defensio quaestionum in philosophia. Il processo, sappiamo, fu troncato per intervento del re, che reclamò l’immunità per Valla in quanto suo ufficiale, ma la divisata edizione del-

delle opere filosofiche valliane, rispettivamente la Dialectica e il De vero bono, ambedue uscite a Parigi per le cure di Badio Ascensio nel 1509 e 1512, risalgono, non a tradizione napoletana o curiale, ma milanese. L’edizione del 1509 riproduce una precedente stampa milanese (cfr. Fubini, L’umanesimo italiano, cit., p. 186); quella del 1512 preserva in esemplare unico la prima redazione del dialogo, De voluptate, essa pure di evidente provenienza lombarda (cfr. L. Valla, De vero falsoque bono, ed. M. De Panizza Lorch, Bari, 1970, p. XV-XVI). È interessante che un insegnante, che aspirava a prendere in affitto i locali scolastici un tempo adoperati da Valla e ancora da lui posseduti, Giorgio Valagussa, pronunciasse per ingraziarselo un enfatico elogio del dialogo, per quel che sappiamo inusuale per l’epoca : Sic te dialogi, quos magna arte, eloquentia quam suavi, ac divino paene ingenio conscripsisti, non apud nos solum, sed iam paene omnes clarum reddidere, ut iam de fama tua ultra Taurum sit auditum (lettera a Valla, novembre 1456, in G. Resta, Giorgio Valagussa, umanista del Quattrocento, Padova, 1964, p. 258-259). Il passo è notevole, oltre che per l’incipiente fortuna del dialogo, anche per i termini adoperati dal Valagussa, che ricalcano visibilmente l’elogio di Antonio da Rho all’apparire del De voluptate : librum illum tuum, quem eloquentia, doctrina et arte divinum multi audivimus, multi testantur (cfr. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione da Petrarca a Valla, Roma, 1990, p. 346). È dunque lecito ipotizzare una coperta linea di continuità dell’opera di Valla a Milano, nell’ambito stesso dei suoi discepoli e della sua scuola (come del resto sarebbe avvenuto anche a Napoli). 10 Cfr. L. Valla, De professione religiosorum, a cura di M. Cortesi, Padova, 1986, p. XXXIV, XLVI-XLVII.

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l’opera filosofica – alla base implicitamente dell’accusa – fu di qui in poi bloccata. I problemi che la vicenda presenta impongono a questo punto una pausa e una ricapitolazione storica di più ampio raggio. Sono le questioni dell’autore nel rapporto con il suo pubblico, dei processi di pubblicazione dell’opera di pensiero, e della parte giocata in modo visibile, o meno, dalla pubblica autorità, particolarmente da quella ecclesiastica, ed infine delle forme anche indirette di censura. Poche vicende come quella del Valla focalizzano l’insieme di tali questioni. E tuttavia si tratta del punto di arrivo di una vicenda dalle radici più lontane, a cui sommariamente ci riferiamo nelle pagine che seguono. *

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Alla radice della nozione del carattere pubblicistico del libro, e dunque di pubblicazione dell’opera, sta, come bene si sa, l’organizzazione degli Studia generalia a partire dal XIII secolo. Ci si può affidare al riguardo alle ricerche di G. Fink-Errera11. L’Università assume infatti il monopolio della pubblicazione dei testi, concepiti come auctoritates, e con ciò provvisti della fides, requisito di credibilità in materia di dottrina. L’exemplar, le cui copie avrebbero costituito i testi di studio, non può pertanto limitarsi a fornire garanzia di correttezza e uniformità formali : deve essere sottoposto a un vaglio istituzionale di dottrina. Al di sopra della bottega operativa degli stationarii (gli antenati dell’attuale editoria universitaria) si collocano le commissioni plenipotenziarie dei petiarii, così detti dal controllo sui singoli fascicoli, o petiae, un comitato incaricato al caso di mettere in esecuzione censure deliberate in più alta sede. Ogni testo prodotto, in quanto dotato di riconosciute auctoritas e fides, trapassava a testimonianza «del sistema ufficiale». Sicché, come scrive il FinkErrera, le idee espresse dall’autore, «prima di essere affidate allo stazionario perché le ‘mettesse in circolazione’, sono state sottoposte alla revisione di coloro che si sono appropriata l’opera per divulgarla, e questa ‘censura’ era ancora precedente a quella dei petiarii, incaricati di esaminare, di correggere il testo», onde verificarne «la conformità all’exemplar ed attestarne l’auctoritas e la fides»12. Merita di soffermarsi ancora per un momento sul tema per una questione di terminologia e per i riflessi che avrebbe poi avuto anche oltre il mero ambito universitario. Nel corso del secolo XIV il 11 Cfr. G. Fink-Errera, La produzione dei libri di testo nelle Università medievali, in G. Cavallo (a cura di), Libri e lettori nel Medioevo. Guida storica e critica, Bari, 1977, p. 133-165. 12 Ibid., p. 163.

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panorama della produzione libraria tende sensibilmente ad allargarsi. Si afferma allora, come scrive H.-J. Michel, un nuovo modello d’autore, che «trascrive egli stesso in bella copia l’opera da offrire al proprio protettore», mentre «copisti riuniti attorno ad officine specializzate s’incaricano di riprodurre, normalmente su commissione, testi per universitari, umanisti, o per laici devoti»13. Abbiamo dunque, sia pure in un quadro sintetico, autori reputati, che operano fuori dell’ambito della Scuola; dedicatari autorevoli (in genere figure principesche), che con la loro autorità conferiscono legittimità all’opera; ed infine una produzione libraria e un pubblico aperti a campi svariati della società. Vale aggiungere alcune osservazioni derivate da un vecchio saggio ancor oggi interessante, se non altro per il titolo : «La pubblicazione prima della stampa»14. Il Root, a differenza del Michel, considera particolarmente la situazione italiana e segnatamente Petrarca. Non indaghiamo ora (mi soffermerò più oltre) se egli non pecchi di un eccesso di ottimismo : a suo parere «nel XIV secolo chiaramente, in prima istanza, l’autore è editore di se stesso. Era suo compito assicurarsi il lavoro del copista, e quindi rivederne l’opera»; mentre a pubblicazione avvenuta «varie copie dell’opera erano inviate ad amici e patroni», al di fuori della competenza di stationarii e librarii15. Nel mondo monarchico e feudale di Francia e Inghilterra, il Root nota una maggiore dipendenza dell’autore dal patrono (secondo una frequente rappresentazione nella miniatura del frontespizio, l’autore appare inginocchiato dinanzi al trono del principe dedicatario, «presentando di persona una copia del lavoro rifinito»)16. L’affermarsi del principato – tanto su scala europea che nella più circoscritta forma della Signoria in Italia – costituisce dunque un fattore essenziale dell’affermarsi di un’editoria autonoma, se non addirittura alternativa a quella universitaria. Si pensi alle biblioteche principesche, quella per esempio di Carlo V di Francia, e alle relative commissioni librarie; ma si pensi pure agli endemici conflitti fra le autorità civile ed ecclesiastica (sicuramente accentuati con l’indebolimento della Chiesa al tempo dello Scisma d’Occidente), nonché ad una, almeno tendenziale, subordinazione all’autorità regia della stessa università : fattori ambedue su cui si sarebbe sorretta l’opera riformatrice di un J. Wyclif17. 13 H.-J. Michel, Histoire et pouvoirs de l’écriture, Paris, 1988, p. 182; sul tema si veda ora anche il recentissimo J. Blanchard, J.-C. Mühletaler, Écriture et pouvoir à l’aube des temps modernes, Parigi, 2002. 14 R. H. Root, Publication before printing, in Publications of the Modern Languages Association of America, XXVIII, 1913, p. 417-431. 15 Ibid., p. 426. 16 Ibid., p. 427-428. 17 Cfr. Michel, Histoire, cit., p. 174-175. L’A. ravvisa nel linguaggio di Wyclif «le serviteur d’un roi dont l’administration était alors plus efficace».

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Tali brevi, schematiche premesse sono essenziali per intendere l’opera e la proposta innovativa del Petrarca, nel pieno del secolo XIV e nel seno stesso della curia avignonese, dove venivano accentrate le fila della cultura scolastica ufficiale e delle sue funzioni operative. Per cominciare, la direttiva culturale del Petrarca fin da data precoce (ex quo pueritiam excessi, a suo stesso dire)18 non fu uno sviluppo di quella avignonese, ma bene al contrario una sua opposizione frontale. Il testo che più di ogni altro manifesta un tale radicalismo di vedute è sicuramente il proemio al De viris illustribus, vero e proprio manifesto dell’ideologia petrarchesca. Nell’accingersi all’opera storica, scrive Petrarca, «ho ritenuto bene rifuggire dall’inutile e temeraria diligenza di coloro che, raccogliendo le parole di tutti quanti gli storici, per non sembrare di avere omesso alcunché di loro, mentre gli uni si contraddicono con gli altri, avvolgono il testo della loro storia di nebulose ambagi e nodi inestricabili»19. La contrapposizione alle forme topiche di presentazione delle storie universali, da Vincenzo di Beauvais in giù, è frontale : il concetto della ‘totalità’, canonico ed enfaticamente ribadito nei proemi, stava infatti a indicare l’universalità della materia e la veridicità della dottrina; la finalità, non già dell’autore, ma, più oggettivamente, del compilatore (o l’actor, al dire di Vincenzo di Beauvais), rimane quella tradizionale della reductio ad unum, la ‘concordanza’ nell’unica verità oltre la varietà delle contingenze 20. In senso del tutto opposto,

18 Cfr. F. Petrarca, Secretum, in Prose, a cura di G. Martellotti, MilanoNapoli, 1955, p. 192. 19 Qua in re temerariam et inutilem diligentiam eorum fugiendam putavi, qui omnium historicorum verba relegentes, nequid omnino pretermisisse videantur, dum unus alteri adversatur, omnem historie sue textum nubilosis ambagibus et inenodabilibus laqueis involverunt; cfr. F. Petrarca, De viris illustribus, ed. critica a cura di G. Martellotti, vol. I, Firenze, 1964, p. 3-4. 20 Si veda per esempio (ma il luogo è topico) l’introduzione di Vincenzo di Beauvais al Memoriale temporum (un abbozzo del successivo e ampiamente influente Speculum historiale) : Per cunctas seriatim preteritas generationes... ac per singula tempora tocius orbis eventus notabiles diligenter ad edificationem ac recreationem legentium pertractare... cunctaque pene... a diversis hystoriographis sive ab actoribus ceteris... in unum volumen... coartare... utilem visum est... ex illo grandi volumine libellum manuale excerpere, in quo totam seriem temporum summatim perstringere..., eo quod omnium temporum memoriam brevem contineat (si noti il ricorrere dei termini medesimi – o dei loro contrari – di quelli indicati a biasimo da Petrarca : cunctas, tocius, cuncta... a diversis hystoriographis... coartare, diligenter pertractare, utile visum est); cfr. M. Paulmier-Foucart, Histoire ecclésiastique et histoire universelle : le Memoriale temporum, in M. Paulmier-Foucart, S. Lusignan e A. Nadeau (dir.), Vincent de Beauvais : intentions et réception d’une œuvre encyclopédique au Moyen Âge, Montréal, 1990, p. 109; si veda anche S. Lusignan, Préface au «Speculum maius» de Vincent de Beauvais : réfraction et diffraction, in Cahiers d’études médiévales, 5, 1989, p. 115-139.

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Petrarca mira a ritrovare la particolarità del «vero» storico, francamente riconoscendo l’imprescindibile soggettività delle testimonianze : «Io non mi propongo come pacificatore degli storici, e nemmeno come raccoglitore di tutti quanti loro, ma come imitatore di chi dimostri o una più certa verosimiglianza o una maggiore autorità» 21. Molto naturalmente andrebbe ancora detto su di una contrapposizione di tanto respiro tra l’universalità della dottrina e, all’opposto, la rivendicazione fatta orgogliosamente propria da Petrarca della «verità» inevitabilmente soggettiva dell’accadimento storico, e, di conseguenza, della relatività delle varie tradizioni («pensi il lettore alla discordia degli storici, che tenne in dubbio Tito Livio, pur tanto più vicino agli eventi») 22. Basti qui, per il nostro assunto, sottolineare il fatto fondamentale che una così orgogliosa contrapposizione alla dottrina scolastica e alla cultura di Curia aveva costituito in origine per Petrarca non soltanto una semplice proposizione di metodo, ma anche, inseparabilmente, un progetto editoriale. Non diversamente da come abbiamo veduto operare poi Valla un secolo più tardi, già Petrarca – per quel che possiamo conoscere attraverso la lente spesso deformante della testimonianza epistolare – aveva mirato ad offrire con il corpo congiunto della propria poesia e della propria storiografia ispirate a Roma (l’Africa e il De viris) un vero e proprio modello culturale alternativo a quello istituzionale, in ciò mosso dalla non dissimulata ambizione del pubblico riconoscimento. Tale fu la ragione del celebre episodio della laurea poetica nel 1341, conseguita attraverso la sottile regia di Petrarca stesso, non senza la sorprendente particolarità che egli veniva premiato, per dir così, sulla fiducia, avendo ancora l’opera incompiuta e comunque serbando gelosamente presso di sé le parti già composte 23. Per l’importanza nodale nell’economia dell’opera e delle strategie culturali petrarchesche, la laurea rimane episodio sicuramente meritevole di ulteriore analisi. Per prima cosa, è notevole come Petrarca avesse preventivamente scartato, ignorandoli, gli immediati

21 Ego neque pacificator historicorum neque collector omnium, sed eorum imitator quibus vel verisimilitudo certior, vel auctoritas maior est; cfr. De viris, cit., p. 4. 22 ...cogitentque historicorum discordiam, que tanto rebus propinquiorem Titum Livium dubium tenuit; ibid. 23 Si cfr. al riguardo E. H. Wilkins, Coronation of Petrarch, in Id., The making of the Canzoniere and other Petrarchan studies, Roma, 1951, p. 9-69; Id., Vita di Petrarca, Milano, 1970, p. 43-48; S. Gensini, «Poeta et Historicus». L’episodio della laurea nella carriera culturale di Francesco Petrarca, in La Cultura. Rivista di filosofia, letteratura e storia, 18, 1980, p. 166-194; U. Dotti, Vita di Petrarca, Bari, 1987, p. 78-89; D. Biow, Doctors, ambassadors, secretaries, Chicago-Londra, 2002, p. 27-44 (Chap. I, «Petrarch’s profession and his laurel»).

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precedenti a lui sicuramente noti. Sia nel caso di Albertino Mussato (incoronato a Padova nel 1315), che nell’auspicio dantesco la cornice della cerimonia era di natura prettamente civica. Era il riconoscimento della ‘patria’ nei riguardi del figlio benemerito : Mussato fu incoronato per iniziativa del Comune e dello Studio di Padova nella persona del vescovo; il motivo – in qualche modo poi ripreso da Petrarca – fu la storiografia della Historia Augusta e la poesia della tragedia Ecerinis, nonché l’ispirazione patriottica di entrambi 24. Dante, lo si ricorda, aspirava ad essere incoronato nel suo «bel San Giovanni», nel battistero, simbolo stesso, religioso e civile, della città di Firenze 25. Petrarca, si diceva, scarta in piena consapevolezza una tale tradizione cittadina. La trattativa presso Roberto de’ Bardi, cancelliere della Sorbona, mostra – per quel poco che possiamo desumere dai cenni epistolari – come egli intendesse porsi allo stesso livello di universalità del centro della dottrina scolastica, con ciò entrando in competizione con esso. Ne abbiamo conferma dalla Collatio laureationis, il discorso solenne pronunciato nell’occasione della cerimonia, che è modellato sulla struttura del sermone universitario, dove tuttavia, a guisa di concorrenza, il «tema» è rappresentato da un detto poetico virgiliano, che tiene il luogo di quello scritturale di regola nel sermone 26. Petrarca drammatizza, nelle Familiari, la scelta, quale teatro dell’incoronazione, tra Parigi e Roma, essendogli – così ci racconta – i due inviti pervenutigli nel medesimo giorno. La scelta di Roma, che nella simbologia del poeta definitivamente lo allontanava dal dominio della Scolastica, fu ovviamente connessa alle memorie antiche alla cui celebrazione era intesa l’opera petrarchesca, ma anche al patronato esercitato dai Colonna, e alle relative obbligazioni di una condizione clientelare. Estraneo viceversa all’influenza dei Colonna fu il patrocinio richiesto a re Roberto d’Angiò, del quale non vi è cenno nelle consultazioni al riguardo che Petrarca ebbe con il cardinale Giovanni Colonna, suo alto protettore 27. Ed infine uomo 24 Cfr. M. Dazzi, Il Mussato preumanista, Venezia, 1964, p. 66; R. Witt, «In the footsteps of the ancients». The origins of Humanism from Lovato to Bruni, Leida, 2000, p. 130. 25 Paradiso, XXV, 9. 26 Non aliunde quam ex poeticis scripturis elicui. Al che Petrarca aggiunge, per accentuare la concorrenza con il sermone universitario : resecatis ad presens distinctionibus illis minutissimis, quibus in theologicis declamationibus uti solent; cfr. C. Godi, La «Collatio laureationis» del Petrarca, in Italia medioevale e umanistica, XIII, 1970, p. 1-27, in particolare p. 13; si veda anche Biow, Doctors, cit., p. 35 : «In title and form Petrarch strategically evokes the tradition of the collatio as a medieval sermon but then conspicously – indeed playfully – departs from it. He cites, after all, not from Scripture as he goes about defining in so many oblique ways the value of the laurel, but from, as he prefers call it, the «scripture» of the pagan poets», ecc. 27 De qua (laurea) multa tecum egi... Ad extremum non alibi quam Rome su-

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dei Colonna fu quell’Orso dell’Anguillara, senatore di Roma, che conferì a Petrarca il titolo e il privilegio connesso. Che c’entrava re Roberto in questa successione di atti simbolici e in questa rete di rapporti personali? Ritengo che per meglio spiegare l’anomalia occorra qui introdurre una breve digressione. Particolarmente legato a Petrarca, quasi una persona di famiglia, era stato quel Convenevole da Prato, che, compagno di esilio di ser Petracco e poi venuto con lui in Avignone, fu precettore del giovane Francesco. Avendo associato, come spesso accadeva, la professione notarile con quella delle lettere, tenne – ci ricorda Petrarca – una celebrata scuola, frequentata dall’aristocrazia curiale 28. Ora quest’uomo eminente, ci ricorda ancora Petrarca, era mosso da ambizioni letterarie decisamente non all’altezza delle benemerenze pedagogiche, e fra altre composizioni attendeva a un’opera di impegno (libros mirabilium ... inscriptionum), da cui continuamente divagava 29. Malgrado i dubbi espressi da A. Frugoni, concordo pienamente con C. Grassi nell’identificare i libri suddetti con i Regia Carmina, e cioè con il libro di illustrazioni e composizioni poetiche varie dedicato, in nome della città di Prato, alle lodi di re Roberto e del ‘buongoverno’, là dove l’autore si definisce come «poeta pratese» («michi vati terrigene Prati»), ma mantenendo l’anonimato appunto perché egli scrive in nome della sua città, che compare simbolicamente nella raffigurazione di un prato fiorito 30. Nell’ambito di un vero e proprio repertorio dell’immaginario allegorico del guelfismo e della regalità virtuosa, laddove il verso vale soprattutto a didascalia dell’immagine, la città toscana si rivolge a re Roberto come a garante di giustizia e di pace : Prato infatti, fra altre città della Toscana, aveva compiuto atto di dedizione al sovrano angioino il 26 novembre 1313 e all’epoca di composizione del poema si annoverava

per cineribus antiquorum vatum... ante alios fratre tuo (scil. Giacomo Colonna) suasore et consultore disposui; cfr. Fam. IV, 6, 5 (F. Petrarca, Le Familiari, ed. critica a cura di V. Rossi, vol. I, Firenze, 1933, p. 170). 28 magni viri multi, ut scientia et statu, et legum professores et sacrarum magistri litterarum, et preterea episcopi et abbates et ad ultimum cardinalis unus, cui ego puer patris intuitu charus fui : Seniles, XVI, 1; cfr. A. Frugoni, Convenevole da Prato e un libro figurato in onore di Roberto d’Angiò, in Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano, N.S., 81, 1969, p. 1-32, qui p. 3. Il personaggio nominato è Niccolò Albertini da Prato, cardinale Ostiense. 29 Cfr. Frugoni, Convenevole, cit., p. 7; ma anche il contributo più recente di C. Grassi, Il testo latino e la traduzione, in Convenevole da Prato, «Regia Carmina», dedicati a Roberto d’Angiò re di Sicilia e Gerusalemme, Introduzione, testo critico e commento di C. Grassi, Saggi di N. Ciatti e A. Petri, Milano, 1982, p. 9. 30 Cfr. Grassi, Il testo, cit., p. 8; l’attribuzione a Convenevole è accolta anche da E. Pasquini, alla voce Convenevole da Prato, in Dizionario biografico degli Italiani, 28, 1983, p. 563-568.

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fra i suoi sudditi 31; e la commissione a Convenevole fu presumibilmente la ragione di revoca del bando. Sta comunque di fatto che nel 1336 Convenevole fu richiamato in patria nelle forme più onorevoli (ebbe per stipendio il quadruplo del collega) e, venuto a morte nel 1338, ebbe tributata alle esequie l’onorificenza dell’incoronazione poetica, appunto secondo le consuetudini civiche di cui si è detto. Inoltre, connessa probabilmente alla cerimonia – è un’ipotesi che qui avanzo – fu la ‘pubblicazione’ dei Carmina con tutto il loro laborioso apparato iconografico. Che sia avvenuta una forma di pubblicazione, e cioè di edizione avallata dall’autorità pubblica e quindi più volte riprodotta, appare indubbio : solo così possiamo spiegare la perfetta uniformità degli esemplari conservati 32. Dedica del poema al re, incoronazione poetica, pubblicazione : ecco il modello che, pur nella diversità, deve avere sedotto Petrarca, che non per nulla è l’unica fonte che ci tramanda notizia della laurea postuma di Convenevole, per di più in anni immediatamente precedenti la sua. A suo stesso dire, Petrarca non aveva avuto una precedente occasione di conoscenza di re Roberto; l’immagine che egli configura del sovrano, piuttosto che non quella del «re da sermone» di dantesca memoria, del dilettante in filosofia e teologia ammirato dai contemporanei 33, è parte inseparabile di un mito (e di un programma) suo personale. Il dotto monarca sarebbe divenuto l’ideale dedicatario del poema l’Africa, il simbolo stesso del rinascere della buona poesia, o, più generalmente ancora, il segno di una nuova era che nasceva sopra l’avvilimento di quella presente. Sono questi i concetti di un’epistola retrodatata, posta da Petrarca in posizione introduttiva alle Familiari, dove al mito del nuovo Augusto corrisponde la condanna senza appello della dottrina scolastica. Si tratta di Fam. I, 2, diretta a Tommaso Caloria, apparentemente datata negli anni ’20 (gli studiosi hanno proposto la data del 18 aprile 1326), ma che, come giustamente ha osservato G. Billanovich, risale in effetti ai primi anni ’50, fra gli altri argomenti per «l’elogio canoro di re Roberto» 34. Nell’epistola appunto il sovrano angioino appare emble-

31 Cfr. A. Petri, La Signoria di re Roberto d’Angiò sul comune di Prato, in Convenevole, Regia Carmina, cit., I, p. 33-38. 32 Scrive Grassi, Il testo, cit., p. 7 : «Si può supporre che la base fosse una specie di menabò, in cui l’autore aveva scritto il testo e indicato o disegnato figure schematiche dei personaggi, dei simboli eccetera. Di questa sorta di menabò fu probabilmente fatta una copia, o ne fu eseguita una prima realizzazione», per l’appunto ciò che qui chiamiamo ‘edizione’, a maggior ragione se eseguita in nome, non di una persona, ma di un ente, come il comune di Prato. 33 «Grandissimo maestro in teologia e sommo filosofo», secondo Giovanni Villani, Cronica, XII, 10; cfr. Dotti, Vita di Petrarca, cit., p. 82. 34 Cfr. G. Billanovich, Petrarca letterato. I, Lo scrittoio del Petrarca, Roma, 1947, p. 46. Si aggiunga, oltre alle ragioni del Billanovich, che viene citata te-

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maticamente rappresentato quale una sorta di reincarnazione di Augusto, che ai suoi tempi aveva accordato una savia protezione ai grandi poeti, di cui aveva saputo riconoscere il merito, in particolare difendendo dai critici Virgilio 35. Sono precisamente questi due temi, del buon giudizio e della protezione regale, quelli che informano le epistole di Petrarca a re Roberto riguardanti l’incoronazione. Si veda la Fam. IV, 7, dove, a contrasto delle lodi del re, egli lamenta la iniquissima intentio di coloro che avrebbero volute extinctas ac sepultas le buone scienze (non solo la poesia, quindi) : ragion per cui Petrarca si attendeva protezione dal re, al modo stesso in cui Augusto aveva protetto dai critici Virgilio 36. E sul tema, ancora dopo la morte del sovrano, Petrarca insiste nei Rerum memorandarum libri 37. Su re Roberto Petrarca aveva fatto conto di appoggiare la pubblica edizione della sua opera programmatica, il poema dell’Africa e la storiografia del De viris congiuntamente. A tale fine preciso fu diretta la cerimonia dell’incoronazione, che appositamente chiamava in causa la partecipazione altrimenti incongrua del re nelle vesti dell’esaminatore, al modo del conferimento dei titoli universitari, e dunque come fonte di alta legittimazione. Il Privilegium lauree contemplava infatti, fra gli altri punti ed insieme al titolo universitario di magister, la sorprendente, preventiva approvazione degli scritti presenti e futuri, evidentemente a piena discrezione dell’autore medesimo 38. In conformità a tali concetti, ma spogliata della cornice

stualmente un’epistola di Cicerone (in epystola quadam), e cioè Ad Quint. fr., 2, 13, 2; Petrarca era venuto a conoscenza delle collezioni epistolari ciceroniane solo nel 1345 : ibid., p. 4. Si veda inoltre E. H. Wilkins, Petrarca’s correspondence, Padova, 1960, p. 23, 49. 35 ipse (Virgilius)... ingenti fiducia et iudice fretus Augusto; cfr. Fam. I, 2, 7 (ed. cit., I, p. 16). 36 Cfr. Fam. IV, 7, 7-8 (ed. cit., I, p. 173). 37 Cfr. F. Petrarca, Rerum memorandarum libri, Edizione critica per cura di G. Billanovich, Firenze, 1945, p. 193-194 (III, 96, 1-3) : Sed nonne truncus erit et informis sapientie tractatus absque Roberti nomine? ...Quamvis enim inclitum eius nomen nostra ope non egeat contraque potius nostro eius auxilio et claritatem et diuturnitatem sperare queat, tamen tam digno tamque honesto officio fungi dulce erit, permixtisque nominibus amborum regiam famam nullius indigam debito obsequio prosequi, propriam vero et illius radiis illustrare et in evum pariter fortasse extendere. Quis enim librum qui «De Roberto rege» inscriptus erit abiciat? Quis non cupide, quocunque stilo scriptus sit, relegat? Hoc nempe proposito precibus suis, quas, heu, supremo mitissimus digressu fundere dignatus est, illicet acquievimus ut «Africam» sibi Scipiadamque nostrum dicaremus, ecc. 38 Reliqua vero que esse scripturum eum contigerit in posterum, ex quo ab eodem promulgata in lucem edita fuerint, simili modo approbanda censemus; cfr. Gensini, Poeta et Historicus, cit., p. 179; e anche Wilkins, Vita, cit., p. 47. Si noti la precisa definizione, sicuramente di mano petrarchesca, del concetto di pubblicazione.

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istituzionale scolastica, la Collatio laureationis, il pubblico discorso pronunciato a conclusione della cerimonia capitolina, assume lo spiccato carattere di un annuncio epocale. La nuova poesia rinasceva in un clima di rinnovata dignità pubblica, capace di superare gli impedimenta, e di opporsi alla asperior fortuna. Il modello proposto era quello di un’altra età, etas quedam felicior poetis... sub imperio Cesaris Augusti; di qui l’alto compito proposto, scandere per ardua deserta Parnasi et inaccessum Musarum nemus 39. Da tale impresa Petrarca si riprometteva di esercitare una funzione di stimolo per quei tanti giovani volenterosi (soprattutto in Italia), che tuttavia con le loro sole forze erano incapaci di sollevarsi oltre l’attuale avvilimento 40. Triplice è dunque l’ambizione del poeta : onorare lo Stato (honor rei publice), meritare la fama (decor proprie glorie), ed operare di sprone alle nuove generazioni (calcar aliene industrie) 41. Sicché, in tale prospettiva, la cerimonia capitolina diveniva il simbolo di una reviviscenza culturale dopo un’età più che millenaria di oscuramento : morem illum, non modo intermissum, sed obmissum, nec obmissum tantum, sed in miraculum esse conversum, et iam ultra mille ducentos annos obsolevisse 42. La Collatio laureationis è sicuramente un testo non ancora adeguatamente apprezzato nella sua importanza storica. Nello spiccato carattere anti-scolastico (si noti la netta separazione della poesia dalla teologia, a differenza della filosofia morale e naturale) 43, nel considerare la poesia nel quadro ampio della cultura, ma soprattutto nella prospettiva ampiamente pubblica della cultura medesima, ed infine nel mito epocale del secolo di Augusto posto a contrasto del millennio di oscuramento delle buone scienze, l’orazione capitolina del Petrarca già contiene gli elementi essenziali dell’ideologia rinascimentale, che non avrebbero mancato di essere anche testualmente ripresi sul principio del nuovo secolo. Tutto ciò era legato, si diceva, al progetto di edizione solenne dell’Africa e del De viris illuCfr. Godi, La collatio, cit., p. 16-17 (I, 1-4). Circa tertium, hoc est «calcar aliene industrie», hoc tantummodo dixerim : sicut quosdam pudet per aliorum isse vestigia, sic alii multoque plures sunt qui, sine aliquo certo duce, iter arduum aggredi reformidant, quales ego multos, et precipue per Ytaliam, novi, eruditos quidem et ingeniosos viros eisdem studiis deditos, eademque sitientibus animis anhelantes, herentes tamen adhuc et seu verecundia, seu segnitie, seu diffidentia, seu – quod suspicari malim – humilitate quadam ac modestia, sed non, ut michi videtur, maligno proposito, ceteris cessantibus me in tam laborioso et michi quidem periculoso calle ducem prebere non expavi, multos posthac, ut arbitror, secuturos; ibid., p. 19 (VIII, 1). 41 Ibid., p. 17 (IV, 7). 42 Ibid. 43 possem facile demonstrare poetas sub velamine figmentorum nunc phisica, nunc moralia, nunc hystorias comprehendisse; ibid., p. 20-21 (IX, 6). Si pensi, in senso opposto, alla «teologia poetica» del Boccaccio. 39 40

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stribus, le opere per cui Petrarca era stato incoronato. La morte di Roberto d’Angiò nel 1343 mise fine al progetto, e la carriera stessa del Petrarca ne risultò alterata. Il progetto di pubblicazione, inseparabile alle origini dal concepimento dell’opera, si tramutò in invincibile ritegno ad affrontare la dimensione della pubblicità letteraria. Non est ludus in publicum prodire, il pubblicare non è uno scherzo, egli scriveva a Boccaccio, che a sua volta definiva l’amico come rerum suarum tenacissimus homo, persona ostinatamente aliena dal partecipare agli altri i propri scritti 44. Non si trattava precisamente di scrupoli di natura letteraria. Fin da data precoce le inclinazioni ideologiche del Petrarca non avevano mancato di attirare l’attenzione di circoli ecclesiastici influenti; tale dovette infatti essere l’intenzione del dono delle Confessioni di Agostino da parte dell’autorevole teologo agostiniano legato ai Colonna, Dionigi di Borgo San Sepolcro, senza peraltro acquietare le perplessità del superiore diretto di Petrarca, Giacomo Colonna, vescovo di Lombez, che osservava come egli avesse accolto Augustinum et eius libros simulata quadam benivolentia, mentre in realtà non sapeva distaccarsi dai poeti e filosofi antichi (re autem vera a poetis et philosophis non avelli) 45. Ed in effetti, anche dopo la scomparsa di Dionigi, l’ordine degli Agostiniani non mancò di fare oggetto Petrarca della propria sorveglianza e delle proprie attenzioni, una risposta alle quali può essere considerata la composizione del Secretum. Ma più ora importa il fatto che la professata predilezione, da parte del Petrarca, per la poesia antica, emblematicamente rappresentata da quella virgiliana, non aveva cessato dal destare sospetto : e sicuramente non a torto, se questa veniva da Petrarca espressamente contrapposta a quella biblica dei Salmi 46, con ciò riprendendo e rovesciando uno stereotipo di tradi-

44 Cfr. Seniles, II, 1, a Boccaccio, 13 marzo 1363, in Petrarca, Prose, cit., p. 1030; e lettera di G. Boccaccio a Barbato da Sulmona, maggio-giugno 1362, in M. Vattasso, Del Petrarca e di alcuni suoi amici, Roma, 1919, p. 27. 45 Fam. II, 9, 8 (ed. cit., I, p. 92). Risulta di qui il carattere di ammonimento che ebbe il dono delle Confessioni. Sulle attenzioni che di qui in poi l’ordine degli Agostiniani ebbe per Petrarca, cfr. M. Mariani, Petrarca e gli Agostiniani, Roma, 1949; ma soprattutto R. Arbesmann, Die Augustinereremitenorder und der Beginn der humanistischen Bewegung, Würzburg, 1965. 46 Cfr. Bucolicum carmen, Ecloga I, Parthenias, in Petrarca, Rime, Trionfi e Poesie latine, a cura di F. Neri, G. Martellotti, E. Bianchi, N. Sapegno, MilanoNapoli, 1951, p. 808-816. La poesia biblica del Salmista appare a «Franciscus» (che si contrappone al fratello monaco, «Monicus») come «roca» : Semper habet lacrimas et pectore raucus anhelat (p. 813). È lo stesso epiteto, raucus, con cui Petrarca qualifica le voci dei suoi censori ecclesiastici : si quissem vel nil scribere, vel scripta perurere, perpetuam illis raucedinem, michi requiem peperissem; vix putassem nostro sub ethere nasci posse qui tam rauce tamque exiliter blaterarent, ecc. (cfr. Sen. II, 1, cit., p. 1032, 1050). Come mi fa osservare l’amico U. Staico, il ter-

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zione agiografica. Una profanazione, questa, alla quale si può fare risalire quell’opinione di negromanzia di cui Petrarca fu circondato in curia di Avignone 47. La già menzionata Senile, II, 1 a Boccaccio, del marzo 1363, è il documento fondamentale, seppur ancor oggi troppo trascurato, di tale perdurante controllo, e dell’esasperazione con cui Petrarca lo viveva. L’argomento si riconnette direttamente ai primitivi progetti di edizione dell’Africa e all’interessamento al riguardo della corte napoletana. Morto il sovrano, la questione era stata presa a cuore dal suo segretario, Barbato da Sulmona, al punto che questi, nel 1362, gli inviava una pressante epistola in nome di alti dignitari del regno, quali Niccolò Acciaiuoli, Gran Siniscalco, e i conti Nicola e Napoleone Orsini, perché non dilazionasse ulteriormente l’edizione 48. Ora, Petrarca aveva lasciato nelle mani di Barbato, come anticipazione del poema, l’episodio dell’eroe cartaginese Magone, che, in punto di morte, ripercorre nell’animo gli errori compiuti in vita sua 49. Il testo, contrariamente al volere dell’autore, aveva circolato : a Firenze, per esempio, ne erano informati Francesco Nelli e Lapo da Castiglionchio 50. Fu appunto per tale via che il manoscritto venne a conoscen-

mine è suggerito a Petrarca dallo stesso contesto dei Salmi : Laboravi clamans, raucae factae sunt fauces meae (Ps. 68, 4). 47 Cfr. D. Comparetti, Virgilio nel Medioevo, Firenze, 1967, vol. I, p. 180; e anche p. 111, a proposito delle insidie demoniache celate sotto le sembianze lusinghiere della poesia virgiliana. Nella Vita b. Alcuini, il santo, dopo avere letto in giovinezza «i libri degli antichi filosofi e le menzogne di Virgilio», ed avere preferito «la lettura di Virgilio a quella dei Salmi», ripudia in età matura tale preferenza e vieta ai discepoli la lettura del poeta : «possono bastarvi i poeti divini, né è necessario che siate contaminati dalla lussuriosa facondia del dire virgiliano». È questo il topos, evidentemente di lungo periodo, che viene rovesciato nell’ecloga petrarchesca. Si sa che Petrarca era stato oggetto in curia della stessa accusa mossa a Virgilio, quella cioè di magia. Egli si riferisce per questo al pontificato di Innocenzo VI (1352-1362) : magum ille me dixit nec erubuit afferre rationem quod Virgilii libros legerem seu legissem, et invenit fidem; cfr. Sen. I, 4, a E. de Talleyrand, in Petrarca, Le Senili, Testo a cura di E. Nota, Introduzione di U. Dotti, Libro I, Roma, 1993, p. 30. Soggiunge Petrarca, ed è importante, che egli subiva il controllo di informatori (cui delator meus persuaserat). Si veda al riguardo E. H. Wilkins, Petrarch’s last years, Cambridge (Mass.), 1959, p. 29-32. 48 Il concetto viene espresso con una metafora biblica : quod scilicet opus principale tui poematis «Africam», iam dudum conclusione signatum et debita correctione politum, non sub modio teneatur ulterius nec alligetur in pretioso sudario, sed ponatur super candelabrum et exponatur, ut luceat plurimis (cfr. Matth. 5, 15); in Vattasso, Del Petrarca, cit., p. 20. 49 Cfr. F. Petrarca, L’Africa, Edizione critica per cura di N. Festa, Firenze, 1926, p. 166-169 (VI, 839-918); cfr. in particolare v. 900-904 : Mors, optima rerum, / Tu retegis sola errores et somnia vite / Discutis exacte. Video nunc quanta paravi, / Ha miser, in cassum, subii quot sponte labores / Quos licuit transire michi, ecc. 50 Cfr. Wilkins, Last years, cit., p. 24; e Billanovich, Petrarca letterato, cit., p. 343. Petrarca, che ancora non aveva interamente abbandonato ogni prospetti-

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za – tale almeno mi pare l’ipotesi più attendibile – dei padri agostiniani del convento di Santo Spirito in Firenze, che compilarono un elenco di proposizioni riprovevoli, e lo mandarono a notificare da un giovane confratello (probabilmente Luigi Marsili) a Petrarca, allora a Venezia 51. La reazione esasperata, «exceedingly angry» a dire del Wilkins, non soltanto mette a nudo una situazione sicuramente non solo contingente, ma rivela anche i termini del dissidio. Noti erano da tempo a Petrarca gli artefici della censura : «io, non tanto per timore, quanto per odio e disprezzo, e per non dare a tali lingue pruriginose modo di raccogliere materia e pretesti di intervento, ho frequentemente ammonito me medesimo e gli amici : me medesimo, di non scrivere più nulla di nuovo; gli altri, se già avessi scritto qualcosa, di non portarlo a pubblicità» 52. Il riferimento del passo è trasparente, così come risulta con pari chiarezza che si tratta di questione antica (sepe me monui, sepe amicos, ecc.). Gli «avversari», a cui anonimamente Petrarca allude, nonché suscitargli «odio e disprezzo», sono anche per lui temibili, come pronti a raccogliere «materia e pretesti» atti ad «incidere» (scalpere). Vi è qui, in altri termini, il chiaro cenno a una minaccia di inquisizione (più sopra viene accusata la superbia di coloro che pretendono iudices aliorum fieri, mentre per conto loro sono intolleranti della critica altrui). L’esasperazione era tanto maggiore per essere, come si è notato, gli appunti redatti per iscritto (obiectorum stilo criminum, per l’appunto) : il procedimento inquisitorio prendeva infatti le mosse, secondo la norma canonica, dalla pubblica fama, quasi deferente fama vel denunciante clamore 53. In parole povere, un appunto scritto di fonte

va di edizione, guardava al Nelli, priore dei Santi Apostoli, e con lui a Boccaccio come ai suoi possibili editori, così come nell’Antichità lo erano stati per Virgilio Tucca e Vario : ibid., p. 300. 51 Cfr. E. H. Wilkins, Petrarch’s eight years in Milan, Cambridge (Mass.), 1958, p. 53-54. Quanto al carattere scritto della notificazione, così desumo dall’intitolazione petrarchesca dell’epistola : obiectorum stilo criminum purgatio; l’edizione Martellotti traduce lacunosamente (e riduttivamente) : «difesa di alcune critiche»; il testo in Petrarca, Prose, cit., p. 1030-1067. 52 Equidem horum ego, non tam metu quam odio et contemptu et ne prurientibus linguis scalpendi materiam atque instrumenta congererent, sepe me monui, sepe amicos : me, ne novi aliquid scriberem; alios ne, siquid forte iam scripseram, in apertum educerent; ed. cit., p. 1032. 53 Cfr. Decretales Gregorii IX, V, 1, 24; risale al Concilio Lateranense IV (1215), Const. 8, De inquisitionibus, in Conciliorum oecumenicorum decreta, a cura di G. Alberigo ecc., II ed., Bologna, 1991, p. 237 : Ex quibus auctoritatibus manifesta comprobatur quod, non solum cum subditus, verum etiam cum praelatus excedit, si per clamorem et famam ad aures superioris pervenerit, non quidem a malivolis et maledicis, sed a providis et honestis, nec semel tantum sed saepe (quod clamor tenuit et diffamatio manifestat), debet coram ecclesiae senioribus veritatem diligentius perscrutari; et, si rei poposcerit qualitas, canonica districtio culpam fe-

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accreditata poteva valere come presupposto alla denuncia. È Petrarca stesso a rendere evidente il merito dell’accusa : attribuire a un personaggio pagano, come il cartaginese Magone, sentimenti in realtà propri a un cristiano significava smarrire il significato sacramentale della penitenza; e per di più, tra gli appunti recati dal giovane monaco, era appositamente menzionato il Bucolicum carmen, dove Petrarca avrebbe travalicato la natura pastorale, «umile», del genere 54, con evidente riferimento alla già menzionata Ecloga I, con il confronto tra la poesia di Virgilio e quella dei Salmi. È di grande significato, anche sotto il profilo psicologico, che di fronte alla formulazione di tali accuse Petrarca, anziché celarsi, chiarisca il proprio pensiero con un’arditezza forse mai raggiunta altrove. Poco ora importa soffermarsi sul come egli concepisca ed accolga la fede cristiana, quale speranza della vita eterna, ma non quale assoluta peculiarità di un sentimento morale, condiviso in realtà da tutti gli uomini secundum naturale ingenium atque insitam rationem, così come confermavano significative concordanze del Salmista con il poeta Terenzio : al pari del cristiano ciascun uomo può riconoscere e far contrizione dei propri errori, sia pur con esiti diversi quanto alla salvezza eterna, fructu quidem impari, penitentia autem pari 55. Importa piuttosto il seguito della vicenda. Con conseguenze che si proiettano fin nella nostra odierna prospettiva storiografica, Petrarca non fu inquisito : fu invece, o quasi, santificato. L’operazione fu al solito condotta, soprattutto postumamente al poeta, dai padri agostiniani. Alla morte di Petrarca, un autorevole agostiniano, Bonaventura Badoer, docente allo Studio di Padova, pronunciò un’orazione funebre dai toni agiografici, che poi, trasmessa al confratello lombardo Pietro da Castelletto, si allargò fino a tracciare il quadro di una mirabolante dottrina enciclopedica, sacra e profana 56. A Firenze era attivo Luigi Marsili, probabilmente, come si ricorda, il medesimo che aveva recato a Petrarca le contesta-

riat delinquentis; non tamen sit actor et iudex, sed quasi deferente fama vel denunciante clamore officii sui debitum exequatur. L’editore traduce : «non sia nello stesso tempo accusatore e giudice, ma adempia il suo dovere riferendo le voci o denunciando il clamore». Sul tema si veda H. A. Kelly, Inquisition and prosecution of heresy, in Church History, 58, 1989, p. 439-451 (e anche Id., Inquisitorial and other trial procedures in the medieval West, Ashgate, 2001). 54 Altior in «Bucolicis», ut aiunt, stilus est meus quam pastorii carminis poscat humilitas; ed. cit., p. 1064. 55 Ibid., p. 1050; cfr. al riguardo R. Fubini, «Sogno» e realtà dell’umanesimo. Contributi recenti sull’umanesimo italiano, in Archivio storico italiano, CLX, 2002, p. 93-94. 56 Cfr. Billanovich, Petrarca letterato, cit., p. 346; Fubini, L’umanesimo italiano, cit., p. 83.

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zioni teologiche all’Africa, e che poi, entrato nella confidenza del poeta, aveva da lui avuto in dono l’esemplare delle Confessioni, ricevute un tempo da Dionigi di Borgo San Sepolcro 57. Morto Petrarca, il Marsili ne scriveva nei termini di «quello uomo non terreno, che se ne andò al cielo e lasciat’ha la turba ingrata e la terrena situazione a sì alto animo molesta e grave» 58. In tali vedute egli influenzò personalità di laici, come Coluccio Salutati, per il quale il Secretum era opera che valeva a testimoniare la dottrina teologica dell’autore 59 ; o come Filippo Villani, che nelle Vite dei fiorentini illustri immortala la leggenda dell’anima del poeta che, alla morte, è veduta miracolosamente salire al cielo nelle parvenze di una nuvoletta 60. Era come, se così si può dire, il rovescio del principio inquisitorio che si è ricordato : la «pubblica fama», rappresentata ora in tinte edificanti, valeva a neutralizzare un’opera di per sé imbarazzante; o, per dirla più semplicemente, era un invito a leggere l’opera conformemente all’immagine che era stata tracciata del suo autore. La lettura penitenziale del Secretum, come testo capace di produrre conversioni, è sufficientemente indicativa al riguardo : basti menzionare il caso, ormai a ‘400 inoltrato, del prelato Francesco da Legname, secondo il pio racconto di Vespasiano da Bisticci 61. L’operazione dei padri agostiniani sull’immagine postuma del Petrarca non mancò di suscitare reazione. Contro la leggenda petrarchesca («le favolette intorno a quest’uomo, che tanto vanno a genio a certa gente») insorse vivacemente a Milano Pier Candido Decembrio, in palese riferimento alla dottrina enciclopedica del poeta celebrata, come si è sopra ricordato, da Pietro di Castelletto 62. QualCfr. Seniles, XV, 7, in Prose, cit., p. 1132-1134. Lettera a Guido del Palagio, in Billanovich, Petrarca letterato, cit., p. 374. 59 Lege librum... «De secreto conflictu curarum suarum» et videbis eum non religione solum, fide ac baptismate christianum, sed eruditione theologum et gentilibus illis philosophis preferendum : lettera a Poggio Bracciolini, Firenze, 17 dicembre 1405, in Epistolario di Coluccio Salutati, a cura di F. Novati, vol. IV, 1, Roma, 1905, p. 135. 60 Existimavere plerique Petrarcham, cum benefitiis ecclesiasticis aleretur nec ab odis lascivientis cupidinis abstineret, parum sancte vite studuisse. Sed a vero longius aberrarunt : cum etate provecta maturuisset, sine intermissione studio theologie, offitio ecclesiastico, orationibus et ieiuniiis pie simpliciterque vacavit, ut eius docuit exitus. Secondo la testimonianza di Lombardo della Seta, suo segretario, ex ore Petrarce, dum tutum efflaret spiritum aerem tenuissimum exalasse in candidissime nebule speciem, che si leva al modo di un fumo di incenso, fino a disperdersi in aerem limpidissimum; cfr. Filippo Villani, De origine civitatis Florentie et de eiusdem famosis civibus, ed. G. Tanturli, Padova, 1997, p. 95-96; il testo è del 1381, e non muta nella redazione del 1396, ibid., p. 370. 61 «per mezo di questo libro si convertì al suo Idio et mutossi della vita et de’ costumi»; cfr. Billanovich, Petrarca letterato, cit., p. 377-378; e Vespasiano da Bisticci, Le vite, a cura di A. Greco, vol. I, Firenze, 1970, p. 258-259. 62 quibus huius viri fabellae gratae esse solent; costoro, aggiunge Decembrio, 57 58

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cosa di simile avvenne a Firenze, a dispetto del fatto che il cancelliere Salutati, figura eminente della cultura cittadina, avesse assunto su di sé il compito della celebrazione petrarchesca. In reazione appunto a tale enfatica celebrazione, il giovane Poggio Bracciolini in una lettera diretta a Niccolò Niccoli (che evidentemente fin da allora aveva assunto il suo tipico, silenzioso ruolo di mediatore e tramite di cultura) si riallacciò polemicamente alle formulazioni programmatiche e anti-scolastiche della Collatio laureationis petrarchesca. Anziché moderna autorità enciclopedica e maestro di dottrina cristiana, e pertanto, come asseriva Salutati, superiore a tutti quanti gli antichi, Petrarca era da apprezzare come colui che con l’ingegno e le sue fatiche aveva aperto la via per chi avesse voluto ristabilire nell’antico splendore gli studi di umanità : quippe qui primus suo labore, industria, vigilantia, hec studia pene ad internecionem redacta nobis in lucem erexerit et aliis sequi volentibus viam patefecerit 63. Particolarmente sensibile, tra i temi petrarcheschi, Poggio si era mostrato alla celebrazione di Varrone, lo scrittore antico che, a dispetto della svalutazione condotta da Agostino nel De civitate Dei, quasi rappresentava in sé la grandezza di Roma 64. Ma sensibile soprattutto egli era stato al ripudio del principio di autorità (veritatem secutus sum, non auctoritatem, protestava di fronte ai rimproveri del Salutati) 65, ed ancor più alla netta separazione, secondo Petrarca, del dominio delle lettere da quello della fede. Alla superiorità, in quanto tali, degli autori cristiani, che Salutati aveva affermato, replicava Poggio che ciò poteva essere sostenuto soltanto come articolo di fede, che non esige altra giustificazione se non di dover essere creduto : si velles probare, nil possis adducere preter fidem, in qua nulla ratio queritur, sed credulitas sola 66. La replica di Salutati a tali assunti fu di insolita

erano persone temibili, per cui finora aveva evitato di mettere per iscritto il suo pensiero su Petrarca : cfr. lettera ad A. Loschi, attribuita – ma è da verificare – agli anni ’20, in Fubini, L’umanesimo italiano, cit., p. 83-84. 63 Il passo di Poggio è citato nella replica di Salutati, 26 marzo 1406, che così lo conserva; cfr. Epistolario di C. Salutati, cit., IV, p. 161; Poggio a sua volta rispondeva alla lettera del Salutati, 17 dicembre, su cui cfr. qui sopra n. 59. Si notino le corrispondenze con Collatio laureationis, ed. Godi, cit., p. 16, 19 : Fuit quoddam tempus... Hodie vero mutata sunt omnia... me in tam laborioso et michi quidem periculoso calle ducem prebere non expavi, multos posthac, ut arbitror, secuturos, ecc. 64 Romanorum omnium longe doctissimo, secondo Collatio, cit., p. 14. Nella risposta a Poggio, Salutati riprende i temi dell’apologetica di Lattanzio e Agostino, additando a Poggio quam valide, quam invicte, quamque rationabiliter eos (scil. Gentiles) reprehendant, et singulariter tuum Varronem, cui rerum omnium noticiam incomparabiliter tribuisti; cfr. Epistolario, cit., p. 165. 65 Ibid., p. 160. 66 Ibid., p. 165. Nei suoi Rerum memorandarum libri, I, 25, Petrarca aveva dichiarato di ricorrere solo a fonti secolari, onde evitare ogni confusione di sacro e

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durezza : Poggio, come recidivo, aveva mostrato di non sapere ancora bene comprendere la perfezione del precetto cristiano, e con ciò lo minacciava di una vera e propria denuncia : Expecto quidem quod omnia rectius ponderes et errorem corrigas tuum, nec eo necessitatis rem deducas, quod oporteat nudis gladiis dimicare 67. Detto in altri termini, la censura che era stata evitata al Petrarca si abbatteva ora per non diversi motivi sulla figura giovane e pertanto indifesa di un suo schietto continuatore. La carriera di Poggio, di conseguenza, subì l’interruzione (che male spiegheremmo altrimenti) di una decina di anni : per ritrovarlo scrittore di successo dobbiamo infatti attendere le sue lettere dal concilio di Costanza del 1416, mentre per procedere alla vera e propria pubblicazione di un’opera propria egli attese fino al 1429, con il dialogo De avaritia, quando, ormai cinquantenne, egli poteva contare su di una solida posizione presso la Curia romana 68.

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Per comprendere la tradizione di Petrarca, e cioè l’origine del movimento umanistico, bisogna dunque tenere conto non soltanto dei testi scritti, ma anche di correnti di opinione che ancora non avevano trovato lo sbocco della scrittura, e che appena trapelano dalla nostra documentazione, talora – il più delle volte – negli scritti di confutazione. Di tal natura fu per esempio la deplorazione del Salutati rivolta a certe anonime maldicenze verso «il nostro Petrarca», che dovevano provenire dai centri dell’Italia settentrionale, se l’epi-

profano : ne res distantissimas importuna permixtione confunderem; rimando al riguardo al mio contributo : Luoghi della memoria ed antiscolasticismo in Petrarca : i «Rerum memorandarum libri», in corso di pubblicazione negli atti del convegno «Topoi, Gedankenfiguren in der Kunst und Kunstliteratur der Renaissance», 8-11 maggio 2000, a cura del Kunsthistorisches Institut di Firenze. 67 Epistolario, cit., p. 167. 68 Cfr. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione, cit., p. 189. Così Poggio annunciava la sua opera : Hoc primum est opusculum, quod tanquam in campum atque in palaestram sit perventurum; e si cautelava per questo di sottoporlo preventivamente al vaglio di N. Niccoli (lo stesso destinatario, si ricorda, della lettera censurata dal Salutati), il quale si sarebbe preoccupato di mostrare lo scritto ad A. Traversari e a L. Bruni; cfr. lettera del 6 maggio 1429, in P. Bracciolini, Lettere, I, Lettere a Niccolò Niccoli, a cura di H. Harth, Firenze, 1984, p. 209. Si veda pure la lettera precedente, 2 aprile, ibid., p. 207 : Oportet me illud (opusculum) occultum tenere, ne quis in se dictum existimaret, donec veniat tempus edendi. Al riguardo cfr. H. Harth, Niccolò Niccoli als literarische Zensor. Untersuchungen der Textgeschichte von Poggios «De avaritia», in Rinascimento, ser. 2, VII, 1967, p. 2953.

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stola in merito è diretta al Signore di Imola. Dal momento che tali critiche erano state finora soltanto orali, egli si sarebbe per il momento astenuto di intervenire con lo scritto : si verbis insaniunt, verbis refellendi sunt; sin autem scribere super hoc aggressi fuerint, ex nunc pro viribus Francisci nostri me vindicem sentient 69. Un’osservazione del genere ci è dato anche compiere sul più ristretto teatro cittadino, dove un accreditato maestro di scuola, Cino Rinuccini, usciva in una «invettiva» di carattere, per dir così, preventivo contro «certi calunniatori» di Dante, Petrarca e Boccaccio : «calunnie» peraltro ancora mantenute in una sfera orale («gridano a piaza, ...dicono, ...tramano, ...affermano») 70. E per concludere al riguardo di questa distinzione così essenziale nella storia della cultura, anche Petrarca non aveva mancato, con perfetta cognizione di causa, di distinguere tra la parola detta e la responsabilità della scrittura, nella fattispecie a proposito della condanna di Cicerone delle credenze superstiziose : neque id verbo volatili, sed eternum permansuris libris 71. Come si sia usciti da una tale situazione di quasi clandestinità, come abbia potuto così repentinamente mutarsi il volto di una cultura, è questione che non può essere affrontata soltanto dal punto di vista della storia culturale. Elemento fondamentale, incalcolabile nelle sue implicazioni e nelle sue conseguenze, è il protrarsi del Grande Scisma della Chiesa, che indebolisce l’autorità pontificia, fino a metterne in dubbio l’obbedienza. La diffidenza da parte dei pontefici verso le alte gerarchie ecclesiastiche, specie di fronte all’incipiente movimento conciliare, rafforza una presenza laica nella curia papale, particolarmente nel collegio dei segretari pontifici, che vedremo in breve assumere una netta coloritura umanistica. È di tali circostanze il modificarsi del quadro politico d’Italia, nella rapida concentrazione dei poteri in alcuni pochi potentati principali, che apertamente rivendicano piena sovranità. Per tornare al tema, la trasmissione e diffusione postuma dell’opera petrarchesca segue, sulla scorta del resto degli itinerari di Petrarca in vita, la mappa di tali poteri e di tali ambizioni principesche. Tipica al riguardo è la vicenda del De viris illustribus, ora congiunto agli incompiuti Rerum memorandarum libri, che dalla biblioteca e cancelleria dei Carraresi, signori di Padova, vengono esemplati per quella dei Visconti, signori di Milano. Autore dell’operazione è il vicentino Antonio Loschi, cancelliere visconteo 72 ; mentre Pier Paolo Vergerio si fa editore del69 Lettera a Ludovico degli Alidosi, 4 dicembre 1402, in Epistolario, cit., vol. III, Roma, 1896, p. 618. 70 Cfr. Fubini, L’umanesimo italiano, cit., p. 91. 71 F. Petrarca, Rerum memorandarum, cit., p. 209 (IV, 19). 72 Cfr. Billanovich, Petrarca letterato, cit., p. 310, 327, 331; sullo sfondo politico, cfr. B. H. Kohl, Padua under the Carrara, 1318-1405, Baltimora-Londra, 1998.

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l’Africa, in ciò coronando il precedente lavoro dei cancellieri e funzionari carraresi, dai cui ranghi egli stesso proveniva : editore, appunto, in ciò concettualmente distinguendosi dalle mere trascrizioni che erano state tratte dal lascito del poeta 73. Detto in altri termini, l’attività culturale viene sempre più accentrata nelle maggiori cancellerie, e ciò costituisce anche il terreno per una fitta e organizzata rete di rapporti culturali intercittadini; ed è appunto la sede cancelleresca, e cioè essenzialmente politica, ad assumere iniziative di grande rilievo, come particolarmente la chiamata a Firenze, ad opera del Salutati, del maestro greco Manuele Crisolora (1397), frequentato fra gli altri dallo stesso Vergerio. Di natura parimenti politica, come già si è accennato, è il rinnovato collegio dei segretari pontifici, dove trovano luogo in breve successione personalità quali Leonardo Bruni, Pier Paolo Vergerio, Antonio Loschi, così ricongiungendo in ambiente omogeneo e congeniale i tre principali filoni dell’eredità petrarchesca, il fiorentino, il veneto-padovano, ed infine quello visconteo 74. La vicenda dell’umanesimo, come movimento di cultura che si riconosce e si definisce all’insegna delle humanae litterae (o studia humanitatis) entro una cerchia circoscritta di rappresentanti accreditati (i litterati homines), comincia qui. Di tale spiccata politicizzazione della cultura, o, per meglio esprimersi, di tali nuovi poteri che all’uomo di cultura derivano dalla sede politica in cui egli opera, Leonardo Bruni, presto riconosciuto come figura guida del movimento, è la personificazione stessa. Pensiamo alla precoce nomina a segretario pontificio, con le buone credenziali del Salutati; poi, più informalmente, ai servizi prestati come accorto agente diplomatico in Curia, e infine, dopo la convocazione del concilio di Costanza e le dimissioni del papa romano a cui egli prestava servizio, Gregorio XII, all’onorato ritorno in Firenze, dove, con la promessa di scrivere le Storie cittadine, ottiene la cittadinanza onoraria e un congiunto privilegio fiscale, con cui porre al sicuro la cospicua ricchezza che aveva radunato. La carriera si concluse, come si sa, con la nomina a cancelliere (1427), anche in ciò adeguando l’ufficio ai tempi nuovi, essendo il primo ad eludere il requisito statutario del titolo notarile 75. L’antico legittimismo cittadino lasciava luogo a figure più

73 Cfr. Billanovich, Petrarca letterato, cit., p. 361 : «non trascrizione, ma edizione». 74 Cfr. Fubini, L’umanesimo italiano, cit., p. 100. 75 Cfr. R. Fubini, La rivendicazione di Firenze della sovranità statale e il contributo delle «Historiae» di Leonardo Bruni, in P. Viti (a cura di), Leonardo Bruni cancelliere della repubblica di Firenze, Firenze, 1990, p. 29-62, in particolare 31-35; e inoltre R. M. Zaccaria, Il Bruni cancelliere e le istituzioni della Repubblica, ibid., p. 97-116.

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flessibili, più idonee alla rinnovata struttura dei regimi politici, nonché più capaci di iniziativa politica, così come il Bruni non mancò di dimostrare, con le riforme da lui ispirate all’ufficio della cancelleria, con gli interventi pubblicistici, e, sul finire della carriera, con un cursus honorum del tutto eccezionale, incompatibile in teoria con la carica cancelleresca 76. Infine, aspetto essenziale, la ricchezza, le credenziali politiche congiunte alla notorietà letteraria, acquisirono al Bruni una salda posizione di notabilità sociale, non senza che in ciò operasse il modello lontano del Petrarca, che così Bruni descrive con ammirazione : «E certo il vivere in reputazione ed in vita onorata da tutti i signori non fu senza grandissima virtù e sapienza e costanza» 77. L’universale prestigio di cui il Bruni seppe circondarsi si rivelò alla fine decisivo per portare il movimento umanistico, per dir così, allo scoperto, ormai in un quadro di piena e riconosciuta pubblicità. Impossibile sarebbe ripercorrere in breve le sapienti strategie culturali del Bruni, in cui comunque una parte essenziale ebbero gli studi greci, e con essi il progetto di una versione latina delle opere filosofiche, retoriche e storiche, a cominciare dai Dialoghi di Platone 78. Basterà soffermarsi su due episodi che mi paiono essenziali. Con il primo mi riferisco ai Dialogi ad Petrum Paulum Histrum, che, scritti due anni dopo la morte del Salutati, fanno riferimento allusivo all’episodio della censura a Poggio, nuovamente ricollegandosi – stavolta con pieno, pubblico successo – ai programmi petrarcheschi della Collatio laureationis. Criticato nel primo dialogo, Petrarca era viceversa esaltato nel secondo come l’uomo che aveva riportato a vita gli studi di umanità, che già parevano estinti, indicando agli altri la via per riacquisirne l’apprendimento : praesertim cum hic vir studia humanitatis, quae iam extincta erant, repararit, et nobis quemadmodum discere possemus viam aperuerit 79. Ma in pari tempo il Bruni, che non per nulla dedicava l’operetta a P. P. Vergerio, prendeva le distanze dalle vecchie ambizioni di Petrarca di rinnovare la poesia epica, prospettando al contrario il quadro – essenzialmente prosastico e critico – di una cultura rappresentata nella definizione degli studia humanitatis. Studi che – in tal senso sulla schietta linea della tradi-

Cfr. Fubini, «Sogno» e realtà, cit., p. 108-111. Cfr. Notizia del Boccaccio e parallelo dell’Alighieri e del Petrarca, a conclusione delle Vite di Dante e Petrarca, in L. Bruni, Opere letterarie e politiche, a cura di P. Viti, Torino, 1996, p. 560. 78 Un quadro esauriente della produzione e diffusione dell’opera bruniana, in J. Hankins, Repertorium brunianum. A critical guide to the writings of Leonardo Bruni, vol. I, Handlist of manuscripts, Roma, 1997. 79 Cfr. Fubini, L’umanesimo italiano, cit., p. 75-103, in particolare p. 95. 76 77

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zione petrarchesca – si qualificano nell’opposizione alla tradizione scolastica ampiamente considerata, che nei Dialogi è fatta oggetto di sommaria condanna in tutta l’estensione delle sue discipline, a partire dalla filosofia fino a discendere alla più umile propedeutica grammaticale. La condizione presente del sapere era tale da precludere ogni ulteriore sviluppo, le discipline apparivano come «dislocate» (suo loco motae) rispetto alle buone fondamenta antiche. E dal momento che il Salutati, nelle vesti di personaggio del dialogo, aveva indicato in Dante, Petrarca e Boccaccio una conferma che anche la modernità, e cioè la buona tradizione della Scuola, sapeva pervenire a risultati eccelsi, pure il giudizio su Dante subisce in Bruni un brusco ridimensionamento : egli è apprezzato per le «finzioni» poetiche, non già per la dottrina, così accantonando la vecchia concezione cara a Boccaccio della ‘poesia-verità’. Isolando, e reinterpretando, il nucleo vivo dell’ideologia petrarchesca, quella patrocinata dal Bruni è essenzialmente una cultura prosastica – la prosa dell’eloquenza, ma soprattutto della filosofia e della storia. E, con la poesia, una pari emarginazione subisce l’elemento sacro. Come Petrarca, Bruni distingue il sacro dal profano; ma, diversamente da Petrarca (nonché, dietro a lui, da Poggio), egli è attento a evitare inferenze e tratti polemici, serbando normalmente un’accorta distinzione tra le due sfere, salvo – ed è essenziale – acquisire pacificamente la moralità fra le discipline secolari (Haec igitur duo, quorum alterum ad religionem, alterum ad bene vivendum spectat, come egli scrive nel suo trattatello pedagogico, additando il duplice e parallelo ordine di letture) 80. Si tratta quindi ormai di una cultura radicalmente secolarizzata, prudente nell’evitare compromissioni, quasi sviluppandosi, senza sfiorarle, accanto alle tradizioni sacre. Nei Dialogi, si diceva, sono contenuti gli indirizzi che Bruni avrebbe sviluppato nel corso della sua fortunata carriera. Ora, questa è un’opera di cui il Bruni si fa da se stesso editore. L’occasione della composizione era stata di duplice natura. La morte del Salutati, sgomberando il campo dall’auctoritas di cui questi aveva goduto in Firenze, gli aveva permesso di riprendere quello stesso discorso che era stato troncato nel caso di Poggio (i Dialogi furono infatti scritti in luogo di un encomio di Salutati, reclamato dai circoli governativi di Firenze, e che Bruni si era rifiutato di comporre) 81. D’altra parte i Dialogi furono composti a Lucca, dove il Bruni si trovava inoperoso al seguito di papa Gregorio XII, quivi giunto per il progetto, poi mancato, di un incontro con il papa avignonese Benedet-

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Ibid., p. 106. Cfr. qui sopra, n. 79.

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to XIII per la risoluzione dello Scisma; l’indecisione dei due papi e l’inosservanza della capitolazione elettorale che aveva impegnato Gregorio a perseguire fino alla rinunzia il bene della Chiesa, provocò la secessione dei cardinali di ambedue i partiti, e la proclamazione del concilio di Pisa. I Dialogi furono dunque scritti nella virtuale vacanza della sede pontificia, in posizione interna alla Curia papale, e dunque protetta da una sorta di personale immunità. Fu appunto allora, come si è scritto, che Bruni diede pubblicità al suo manifesto culturale. L’edizione si appoggiò a personaggi di pari rango dell’autore. Già si è detto del dedicatario, P. P. Vergerio, collega d’ufficio del Bruni tra i segretari pontifici, e lo stesso può essere detto dell’immancabile N. Niccoli, protagonista come personaggio dell’azione dialogica, ma anche nella realtà suo primo destinatario, e come tale depositario dell’esemplare autentico. Vediamo per esempio Bruni indirizzargli in data precoce un conoscente, Thomas Britannus, che desiderava trarne una copia per sé 82 : la diffusione autorizzata da un’esemplare riconosciuto dall’autore equivale per l’appunto a «edizione», come del resto ci viene confermato dall’ampia e variegata diffusione dell’opera. L’altro episodio sommamente indicativo della pubblica, fortunata sfida del Bruni alla tradizione scolastica è la nuova versione latina dell’Etica nicomachea di Aristotele. Ancor più che i Dialogi, quest’opera costituisce la sfida più diretta all’autorità scolastica, portata sul suo peculiare terreno dell’esegesi aristotelica. Un esteso saggio introduttivo attacca con violenza i criteri di traduzione del vetus interpres, il traduttore scolastico del XIII secolo, Roberto Grossatesta. In luogo della stretta versione letterale secondo i requisiti prescritti dalla Scuola, Bruni rivendica il criterio della traduzione ad sensum, secondo lo schietto spirito e le potenzialità espressive della lingua latina 83. Ma in tal modo il traduttore si tramutava egli stesso in interprete (si è per questo parlato di «traduzione ermeneutica»), rompendo la gradualità prescritta dalla Scuola per le operazioni di traduzione e commento (littera, sensus, sententia) e, più importante ancora, aprendo con ciò la via a elaborazioni concettuali indipendenti. Forse già composta in precedenza, la versione fu pubblicata

82 Cfr. lettera al Niccoli, Lucca, febbraio-maggio 1408, in L. Bruni, Epistolarum libri, ed. L. Mehus, Firenze, 1741, vol. I, p. 55; si veda insieme F. P. Luiso, Studi su l’Epistolario di Leonardo Bruni, a cura di L. Gualdo Rosa, Roma, 1980, p. 48. 83 Cfr. Praemissio ad evidentiam novae translationis Ethicorum Aristotelis, in L. Bruni, Humanistisch-philosophische Schriften, ed. H. Baron, Lipsia-Berlino, 1928 (ristampa, Wiesbaden, 1969), p. 76-81; sulla questione e bibliografia relativa, cfr. Fubini, L’umanesimo italiano, cit., p. 108-117.

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nel 1417 con dedica a Martino V, il papa allora eletto dal concilio di Costanza mettendo così fine allo scisma. Probabilmente Bruni aveva confidato in una personalità già a lui nota, mentre il pontefice, reciprocamente, accettando la dedica pensava – così come poi avrebbe progettato su ampia scala un suo successore, Niccolò V – di risollevare l’immagine del pontificato circondandolo del prestigio della nuova cultura. Rimane comunque essenziale il fatto che un’opera espressamente rivolta contro i principi dottrinari delle università e degli ordini mendicanti (e come tale a più riprese discussa e contestata) si rivolgesse in sede politica all’autorità pontificia, accrescendo di riflesso il prestigio stesso dell’autore. Con la pubblica affermazione delle humanae litterae, anche i litterati homines acquisirono una loro posizione di autorità. Bruni divenne un punto di riferimento essenziale per le giovani generazioni; a lui, per un solo esempio, fu dedicato il secondo libro delle Intercoenales di L. B. Alberti – un testo peraltro, al pari di molte opere albertiane, destinato a una circolazione ristretta e pressoché segreta 84. Posizione anche sociale di prestigio acquisì altresì Guarino da Verona, maestro dei giovani patrizi veneziani prima, e dei gentiluomini della corte ferrarese poi; un prestigio in virtù del quale egli, fra varie altre opere, potè accreditare con un’epistola lusinghiera la scandalosa raccolta di poesie erotiche, Hermaphroditus, di Antonio Beccadelli (il Panormita), che anche per una tale legittimazione culturale godette di ampia circolazione, a dispetto di reiterate diffide, specie da parte degli ordini religiosi 85. Anche l’alunno di Guarino, Francesco Barbaro, per il rango di nobile veneto congiunto al prestigio di uo84 Cfr. Prohemium ad Leonardum Aretinum, in L. B. Alberti, Intercenali inedite, a cura di E. Garin, Firenze, 1969 (= Rinascimento, s. 2, V), p. 127; Alberti si rivolge a Bruni in nome della comune appartenenza alle humanae litterae : eo instituto misi ad te hunc secundum «Intercoenalium» libellum deferri, ut cum his artibus, quibus tu omnium approbatione et consensu cunctos exsuperas, me quoque aliquid adhibuisse operae et diligentiae intelligas, tum me perinde tibi cariorem habeas. Si noti come qui il rapporto tra autore e dedicatario venga mantenuto in termini strettamente privati, e non vi sia accenno alla volontà di pubblicare (a scrivere cioè in communem utilitatem, come si esprimeva Poggio nel proemio a F. Barbaro del De avaritia; cfr. Opera omnia, t. I (= Basilea, 1538), p. 1). Manca tuttora un’edizione completa e unificata delle Intercoenales; si vedano le versioni inglese e italiana, rispettivamente a cura di D. Marsh, Dinner Pieces, Binghamton, 1987; e di I. Garghella, Napoli, 1998. 85 Cfr. Antonio Panormita, Hermaphroditus, a cura di D. Coppini, Roma, 1990, p. LXXXI-XCVI. Un documento interessante della campagna di delegittimazione dell’Hermaphroditus nell’ambiente umanistico sono certe invettive inviate dal monaco certosino Mariano da Volterra a Carlo Marsuppini, cancelliere a Firenze e professore allo Studio, in assenza, egli scrive, di Poggio, allora in Curia romana; cfr. lettera di fra’ Mariano ad Angelo Gaddi, Lido di Venezia, 11 novembre 1443, in Nuovi documenti per la storia del Rinascimento, raccolti e pubblicati da T. De Marinis e A. Perosa, Firenze, 1970, p. 16.

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mo di lettere, fu talora dedicatario di opere significative : basti richiamare il caso, di cui già si è detto, del De avaritia di Poggio. Un cenno meritano pure alcuni brevi opuscoli di natura clandestina o comunque riservata, e che tuttavia circolarono sotto la copertura di umanisti di fama. Un buon esempio è la «Oratio» scritta da Poggio al concilio di Costanza, in cui denunciava in termini schiettamente petrarcheschi l’inefficacia della predicazione corrente; il testo (che con ogni probabilità costò all’autore una nuova censura, che ebbe l’esito di allontanarlo temporaneamente dalla Curia pontificia e costringerlo ad anni di esilio presso la corte di Inghilterra) fu certamente nelle mani di Guarino, per opera del quale fu diffuso nell’ambiente veneto, finché, per il tramite dell’università di Padova, venne raccolto e divulgato, non senza intenti di riformismo religioso, dagli scolari della nazione tedesca 86. Ed ancora Guarino fu coperto destinatario, facendosene tramite, di un altro opuscolo eterodosso, la celebrazione di Epicuro da parte dell’umanista lombardo Cosma Raimondi, che è conservato in una duplice redazione d’autore, in difetto appunto di un’edizione riconosciuta ed accolta 87. E fu precisamente l’opuscolo del Raimondi ad offrire diretto spunto al De voluptate di L. Valla, per il tramite del Panormita, che, potente allora alla corte viscontea, accreditò l’opera ambiziosa del giovane amico, che rendeva pubblica vergando di propria mano il frontespizio del codice 88. *

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E con ciò ci ricolleghiamo al principio di questo discorso. Tipico esponente della seconda generazione dei litterati homines, Valla mirò ad appoggiarsi alle personalità affermate e più anziane dei Bruni, Guarino, Panormita, Decembrio, per portare un pubblico attacco alle fondamenta stesse della vecchia Scolastica, in una sorta di sistematico sviluppo e completamento dell’opera petrarchesca; e, come Petrarca, forse sul suo diretto modello, anch’egli vantò un privilegio del re di Napoli, che gli accordava il diritto di disputare in tutte le arti liberali 89. Ma in pari tempo egli dovette sempre più direttamente Cfr. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione, cit., p. 303-338. Cfr. M. C. Davies, Cosma Raimondi’s defence of Epicurus, in Rinascimento, s. 2, XXVII, 1987, p. 123-139; e anche Fubini, Umanesimo e secolarizzazione, cit., 376-377. 88 Cfr. Valla, Antidotum in Facium, cit., p. 372 : Mentior nisi titulus, qui ex duabus lineis constat, cum litera initiali cumque principii parte maiusculis literis scriptus est manu Panormitae; l’apposizione dell’intitolazione dell’opera, tanto più se, per maggiore autorevolezza, di mano del patrono, era indicatore essenziale dell’avvenuta pubblicazione. 89 Sul diploma concesso da Alfonso d’Aragona al Valla quale laureatus poeta 86 87

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appoggiarsi al potere politico, quasi nell’incontro di un duplice radicalismo, nel senso filosofico e metodologico da un lato, e, dall’altro, nel pronunciato regalismo di re Alfonso d’Aragona, impegnato nel suo scontro con papa Eugenio IV, e insieme intento a sottomettere il clero dei suoi domini. L’equilibrio si ruppe con la pacificazione di Terracina del giugno 1443, che accordava al re l’investitura papale, mentre l’anno seguente Valla era citato a comparire dinanzi all’Inquisizione napoletana. Sicché, pur essendo stato il processo interrotto per intervento del re, le sue speranze di pervenire alla pubblicazione solenne dell’opera filosofica potevano dirsi virtualmente tramontate, mentre l’ambiente della corte napoletana, o perlomeno un suo consistente partito, gli divenne ostile, fino ad indurlo, appena gli fu permesso, di cercare una sistemazione presso la Curia romana. Rimangono a questo punto da considerare i mezzi che furono adoperati per estromettere Valla dalla corte aragonese, e per circoscriverne e neutralizzarne senza clamore gli aspetti più sovversivi dell’opera, così anticipando, come vedremo, i metodi adoperati nel corso della seconda metà del secolo per ricondurre gli studia humanitatis a termini più ortodossi, e cioè più consoni a una cultura di scuola. L’atto di accusa dell’Inquisizione era corrisposto a una situazione eccezionale e la motivazione immediata, prima che direttamente teologica, era stata di carattere giurisdizionale. Anche per questo esso non fu riproposto malgrado l’intemperante reazione del Valla, e malgrado, poco più tardi, la presentazione faziosa che egli fornì, a propria autodifesa, dell’evento. Il metodo repressivo ora perseguito fu un altro. Si è detto come i seguaci delle humanae litterae avessero puntato per la diffusione della loro opera su personaggi ragguardevoli per posizione politica e sociale. Su questo stesso livello si verifica ora un processo, promosso dall’alto, di ristabilimento delle buone regole di comportamento e dell’ortodossia disciplinare. Fu la corte aragonese di Napoli a muoversi tra i primi in tale direzione. Verso la seconda metà del 1444, l’anno stesso in cui si era celebrato il processo del Valla, fu trattenuto a corte un giovane letterato, venuto a Napoli come ambasciatore genovese, Bartolomeo Facio, per essere impiegato nel compito ufficiale, che già era stato assegnato a Valla, di storiografo regio. Il sospetto che con questa nuova presenza si fosse mirato fin da principio a soppiantare il Valla a corte è

(o orator), che, al modo universitario, lo abilitava a disputare nelle discipline liberali (ma anche nel diritto civile e canonico), cfr. M. Fois, Il pensiero cristiano di Lorenzo Valla nel quadro storico-culturale del suo ambiente, Roma, 1969, p. 175. Così il privilegio è vantato da Valla : certe collata sunt ab rege nostro omnium artium liberalium ac utriusque iuris ornamenta literis aureo sigillo munitis; cfr. Antidotum in Facium, cit., p. 305.

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legittimo (Facio godette precocemente del medesimo status e trattamento economico di Valla, e collaborò strettamente con il Panormita, che sovrintendeva fra altri uffici alla biblioteca regia); e in tale luce va comunque interpretata la polemica con reciproco scambio di «invettive», che presto seguì 90. Nel corso del suo impiego a corte, Facio, che non per nulla proveniva dalle fila del notariato, esercitò la mansione del copista siglando poi la pubblicazione del testo (o editio), che era così destinato alla biblioteca palatina, previa tuttavia l’approvazione gerarchica da parte del Panormita 91. In altri termini, pur nella duttilità degli ordinamenti di corte, era stato ristabilito un controllo di legittimità nella produzione del libro, in qualche modo riproducendo un rapporto analogo a quello dello stationarius e del petiarius negli ordinamenti delle università. In nessun altro luogo tali aspetti sono documentati più al vivo che nella polemica del Facio e del Valla intorno alle Historiae Ferdinandi regis, un’ampia premessa alla storia di re Alfonso, che quest’ultimo si era impegnato a comporre. Valla infatti, messo sull’avviso (egli si appoggiava particolarmente all’autorità del suo superiore d’ufficio, J. Olzina, primo segretario regio) 92, si era affrettato ad anticipare, depositandola presso la biblioteca del re, la prima sezione composta delle Storie, evidentemente per parare le insidie del rivale. Di qui la pubblica disputa tra i due, tutta incentrata sul concetto di pubblicazione. Secondo le proteste del Valla, la sua opera non poteva ancora essere sottoposta a giudizio in quanto mancante dell’ultima revisione, essendo cioè ancora inedita e passibile di correzioni d’autore. Facio viceversa, considerandola insieme al Panormita opera licenziata e compiuta, rivendica la libera facoltà di denunciarne pubblicamente i vari «errori», con ciò intendendo le

90 Si veda ora particolarmente G. Albanese e D. Pietragalia, «In honorem regis edidit». Lo scrittoio di Bartolomeo Facio alla corte napoletana di Alfonso il Magnanimo, in Studi su Bartolomeo Facio, a cura di G. Albanese, Pisa, 2000, p. 1-44; inoltre M. Regoliosi, Introduzione a Valla, Antidotum in Facium, cit., p. XXXVIII (per lo stipendio di 300 ducati assegnato a Valla e a Facio); e P. Viti, alla voce Facio, Bartolomeo, in Dizionario biografico degli Italiani, 44, 1994, p. 113-121 (fin dal 24 aprile 1444 il Facio aveva presentato al Panormita per saggio la sua storia della guerra di Chioggia). Sulla posizione di potere del Panormita, cfr. A. F. C. Ryder, Antonio Beccadellii : a humanist in government, in C. H. Clough (a cura di), Cultural aspects of the Italian Renaissance, Manchester-New York, 1976, p. 123140 (Panormita era fra l’altro protonotario, «one of the seven principal officers of the state»). 91 «La copia così preparata veniva... sottoposta infine al controllo definitivo del Panormita»; cfr. Albanese-Pietragalia, Lo scrittoio, cit., p. 29. 92 Valla asserisce di aver fino a quel momento taciuto delle Historiae con tutti praeter unum Olzinam, cui libros illos, sicut in aliis semper factitavi, legendos exhibuerim; cfr. Antidotum in Facium, cit., p. 15.

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deroghe alla compostezza retorica di rigore in una storiografia di carattere ufficiale, ma anche altri aspetti non soltanto di carattere formale : là per esempio dove Valla non si era trattenuto dal rigettare nozioni consacrate, quale per esempio la dottrina del iustum bellum, «spiegando che le guerre hanno origine per odio o rivalità, per invidia o avidità» 93, o dove, rifiutando di sottostare alle buone regole dell’encomio, giungeva a dissacrare la persona stessa del re 94. Ma l’attacco di cui il Facio si era fatto portavoce andava bene al di là della rivalità per le storie di re Alfonso. L’intento di allontanare Valla da Napoli è palese : con la sua opera egli traeva in inganno gli ignari, o, peggio, esercitava corruzione sui giovani 95, in riferimento a una delle sue più peculiari e gelose attività, la scuola privata, là dove poteva allargare la sfera dell’insegnamento all’esposizione delle proprie dottrine, guadagnandosi l’adesione, a Napoli e altrove, di rappresentanze significative del giovane patriziato. È a tale scopo che il Facio per primo porta a notorietà il processo dell’Inquisizione : «i teologi ti condannano, ti avrebbero anzi portato a giudizio nella chiesa episcopale, giudicandoti come eretico che nutriva dottrine riprovevoli sulla fede cristiana», salvo desistere dopo umiliante atto di contrizione 96. Le Invectivae di Facio furono trasmesse in Curia romana a Poggio Bracciolini, nell’evidente intento di estendere al di là della corte aragonese l’opera di delegittimazione, e fu appunto Poggio che, riprendendo alcuni anni più tardi l’accusa, avrebbe provocato, in risposta, la versione del processo da parte di Valla, la nostra sola fonte di conoscenza dell’avvenimento, che è al tempo stesso un orgoglioso atto di accusa verso l’Inquisizione stessa 97. In realtà in ambiente di

93 docens bellum aut odio, aut simultate, aut invidia, aut avaritia nasci solere; cfr. B. Facio, Invectivae in Laurentium Vallam, ed. E. I. Rao, Napoli, 1978, p. 87. 94 Rem narro an in laudibus versor?, protestava Valla al riguardo; cfr. Antidotum in Facium, cit., p. 275. 95 adolescentium animos depravas; cfr. Invectivae in L. Vallam, cit., p. 62, 96. 96 theologi damnant, immo vero subiiciendum iudicassent in episcopali templo, cum de te ut de haeretico et de fide christiana male sentiente existimarent; cfr. ibid., p. 92. Evidentemente Facio non ritiene conveniente menzionare l’intervento del re, che Valla avrebbe poi vantato nel suo resoconto del processo. 97 Cfr. A. Wesseling, Introduzione a L. Valla, Antidotum primum. La prima apologia contro Poggio Bracciolini, Amsterdam, 1978, p. 1-53; e qui sopra, n. 1. A differenza della disputa con Facio, quella con Poggio ebbe alle sue origini motivazioni di rivalità letteraria, essendo questi rimasto offeso da certi appunti critici, che attribuiva al Valla, sul latino delle proprie raccolte epistolari. Era infatti tipico in Valla l’atteggiamento emulativo verso i letterati della generazione più anziana; per esempio aveva raccolto una lista di «più di quattrocento errori nella lingua latina» nella versione che Bruni aveva compiuto della Politica di Aristotele; cfr. Epistolae, cit., p. 289.

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Curia, specie dopo l’avvento di Niccolò V (1447), l’incriminazione del Valla non fu più giudicata attuale. Al pari del regno di Napoli, anche il papato aveva raggiunto la sua pacificazione con l’isolamento del concilio di Basilea, seguito dal suo scioglimento nel 1449 : il conflitto ecclesiastico era stato sullo sfondo anche dell’irrigidimento nei riguardi delle dottrine del Valla, che pur avevano tutt’altra motivazione (fra le altre cose, egli era stato accusato di avere accettato benefici ecclesiastici dal Concilio). E tuttavia, pur accolto in Curia sotto il nuovo pontificato, dove entrò a far parte della «famiglia» del cardinale Bessarione 98, Valla trovò una situazione in qualche modo analoga a quella napoletana. Il personaggio curiale su cui più in passato si era appoggiato, Giovanni Tortelli, si trovava ora nella posizione eminente di cubiculario del pontefice, con la particolare cura di edificare la Biblioteca Vaticana : come abbiamo avuto modo di anticipare sul principio di questo discorso, Valla stesso fece intendere di non potere ormai più contare su di lui per il sostegno alla propria opera. Da Niccolò V Valla ebbe, non già licenza di pubblicare la Collatio Novi Testamenti (come aveva sperato, fino a redigere una dedica apposita) 99, ma la commissione delle traduzioni di Tucidide ed Erodoto, secondo il piano caro al pontefice di una collezione latina degli storici greci, a illustrazione e complemento della storiografia universalistica cristiana. Valla ebbe infine un incarico di insegnamento nello Studium Urbis, ma, come risulta dalla sua corrispondenza, egli incontrò difficoltà, forse un ostacolo definitivo, ad ottenere i locali per il prediletto insegnamento privato100. E se anche nell’epistolario degli ultimi anni compaiono nomi nuovi di ammiratori, particolarmente di patrizi e prelati veneti, egli è menzionato ormai soltanto per l’eccellenza dell’insegnamento grammaticale, come autore delle Elegantiae latinae linguae, e tale sarà, almeno a livello ufficiale, la fama che lo accompagnerà nella seconda metà del secolo e oltre101. Ma l’intervento del Facio non riguardò soltanto la storiografia di corte. Alla partecipazione di non meglio precisati theologi fu dovuto il dialogo De humanae vitae felicitate, di trasparente polemica anti98 Cfr. per questo in particolare M. C. Davies, Lettere inedite tra Valla e Perotti, in L. Valla e l’Umanesimo italiano, cit., p. 93-106. Il legame con il cardinale fu stretto particolarmente tramite l’amicizia del suo segretario, Niccolò Perotti, grande ammiratore del Valla. 99 Cfr. L. Valla, Collatio Novi Testamenti, Redazione inedita a cura di A. Perosa, Firenze, 1970. 100 Cfr. Valla, Epistolae, cit., p. 326-328. 101 Cfr. lettere al Valla di Lorenzo Zane, Giovan Pietro da Lucca, Francesco Diana, in Epistolae, cit., p. 378-379, 382. Sulla fortuna delle Elegantiae, cfr. V. De Caprio, Le «Elegantiae» di Lorenzo Valla, in Letteratura italiana. Le opere, vol. I, Dalle origini al Cinquecento, Torino, 1992, p. 647-679.

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valliana (è Facio stesso ad avvisare di aver sottoposto preventivamente l’opuscolo, prima della pubblicazione, et theologis et oratoribus omnibus)102 ; ed è essenziale aggiungere che fu proprio un tale interessamento di autorità politiche e religiose ad accordare allo scritto quell’eccezionale diffusione, che ancora è testimoniata dalla trentina di esemplari manoscritti superstiti103. Il dialogo, come si è detto, è in diretta, seppur implicita, contrapposizione al De vero bono del Valla : analogamente alla prima redazione, De voluptate, è protagonista la figura del Panormita, ma stavolta per sostenere le tesi contrarie, e in una simile veste compare pure Guarino, a cui Valla a suo tempo aveva raccomandato la propria opera : nel significato implicito del dialogo di Facio, Valla si vedeva ora sottratto il sostegno dei due autorevoli personaggi su cui a suo tempo aveva particolarmente contato104. A sostenere, per la verità assai blandamente, la tesi valliana (o, per dir meglio, pseudo-valliana), secondo cui la felicità consisterebbe nel piacere, è introdotta nel dialogo la figura del giovane Giovanni Lamola, allievo di Guarino ed egli stesso maestro di scuola, che tuttavia si mostra arrendevole alle immediate obiezioni del maestro, secondo una contrapposizione allusiva che Valla stesso non mancò di rimarcare nell’Antidotum in Facium, in cui appunto rimprovera l’avversario quod feceris collocutores non saepius repugnantes, et praecipue Lamolam nimis in assentiendo facilem105. «Lamola», in altre parole, nel dialogo del Facio rappresentava il modello pedagogico di quelle buone regole di comportamento che Valla aveva violato, mostrandosi ossequente, dopo i trascorsi di gioventù, alla correzione degli anziani, e con ciò ben disposto ad accogliere, nei dilemmi dell’opinione, la corretta dottrina ortodossa, per esempio l’onesto contro l’utile, o la creazione divina del mondo contro l’eternità della materia106. A una trasparente confutazione del Valla è diretto infine l’intervento conclusivo del Panormita, che, dopo aver ricalcato intenzionalmente alcuni exempla valliani, riportandoli al

102 Cfr. Facio, Invectivae, cit., p. 109. Il dialogo fu composto «fra il luglio e il dicembre 1445» (Viti, B. Facio, cit., p. 115), a poco più di un anno quindi dal processo del Valla. 103 Cfr. Regoliosi, Introduzione a Valla, Antidotum in Facium, cit., p. XXXIII; l’editio princeps è in Dialogi decem, Louvain, 1470 (Hain, 6107). Cito dalla seguente edizione : B. Facio, De humanae vitae felicitate ad Alphonsum Aragonum et Siciliae regem inclytum, in De regibus Siciliae et Apuliae, in queis et nominatim de Alfonso rege Aragonum Epitome Felini Sandei Ferrariensis ad Alexandrum VI Pontificem Maximum, Hannover, 1611, p. 106-147. 104 L’esposizione più ampia rimane quella di C. Braggio, Bartolomeo Facio e le sue opere minori, excursus in Giacomo Bracelli e l’Umanesimo dei Liguri, in Atti della Società ligure di storia patria, XXIII, 1890, p. 207-257. 105 Valla, Antidotum in Facium, cit., p. 188. 106 Facio, De humanae vitae, cit., p. 125.

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loro retto significato (per esempio M. Attilio Regolo, che certamente non aveva affrontato il supplizio «voluptatis causa»)107, introduce quello che è indubbiamente il tema più significativo dell’opera. Mi riferisco non tanto all’argomentazione, che si riduce a una serie di ovvie citazioni di autorità, quanto al ristabilire ostentatamente il primato della teologia e delle sue fonti patristiche, al riparo da ogni contestazione filosofica. Così infatti il Panormita conclude nel dialogo il suo intervento «filosofico» : Quae sit philosophorum opinio de summo bono, in quo beata vita continetur, satis explicatum videtur. Nunc reliquum est quid nostri – e cioè i cristiani – de eo sentiant explicetur; e con ciò venivano separati e gerarchizzati i due piani, filosofico e teologico, che Valla aveva unificato nell’ambito indivisibile della medesima logica argomentativa108. Fa seguito una trafila di allegazioni da autori cristiani – Lattanzio, Isidoro, Agostino, ecc. – a dimostrazione di quanto la filosofia sia inseparabile dalla fede secondo le migliori tradizioni della Scolastica (Oportet autem religionem cum sapientia coniungi, nec alteram rem absque altera perfectam esse, eosque qui alterutram suscipiunt altera neglecta viam magnis erroribus implicitam sequi, quoniam in his duobus inseparabiliter connexis et officium hominis et veritas omnis inclusa sit)109. Ma vi è un altro aspetto degno di nota in questo opuscolo dalle scoperte finalità apologetiche. Accanto alla dedica al re, il Facio annuncia di avere scritto una diffusa lettera a Roberto Strozzi, che aveva fatto proprie le critiche mosse da Valla al dialogo : in una parola, che ne aveva preso le difese, addirittura anticipando l’aperta risposta che questi avrebbe dato nel più tardo Antidotum110. Figlio di Nanni Strozzi, Roberto, che risulta trovarsi allora a Napoli, era stato discepolo di Guarino; laureato in legge, avrebbe più tardi svolto un’importante carriera di funzionario presso la corte estense111. Egli Ibid., p. 133. Ibid., p. 136. Più oltre, nella ricerca di un parallelismo antagonistico al De vero bono, anche il Panormita del Facio conclude con una celebrazione della beatitudine paradisiaca (ex ipso paradiso vera et perfecta gloria), p. 144. Sul Valla, cfr. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione, cit., p. 339-394. 109 Ibid., p. 137. 110 Cfr. Facio, Invectivae in L. Vallam, cit., p. 108; la risposta del Facio allo Strozzi è citata dal Valla, Antidotum, cit., p. 188 : Animadverti ex tuis litteris perbrevibus id quod per hosce dies ex te audivi, videri tibi Lamolam, cui partes dialogi mei tribuo, nimis facile concedentem omnia Guarino, quod et quidam alius, quem honoris causa non nomino (e cioè, s’intende, Valla stesso) dixisse fertur : ait enim Lamolam victas ubique praebere manus, quasi nescientem obiecta confutare. Ab ista ratione, ut me tibi dixisse memini, pace tua loquar, Roberte, dissentio. Lo Strozzi aveva dunque passato a Valla la replica del Facio. 111 Cfr. Epistolario di Guarino Veronese, a cura di R. Sabbadini, vol. III, Venezia, 1919, p. 319; e M. Folin, Rinascimento estense. Politica, cultura, istituzioni di un antico Stato italiano, Bari, 2001, p. 180. Valla intratteneva legami di stretta 107 108

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era insomma, per quel che ci riguarda, un significativo rappresentante di quel ceto colto, in posizione influente nella società e nella pubblica amministrazione, su cui Valla contava a «difesa» della propria opera : la disputa col Facio (e con chi stava dietro a lui) aveva anche come posta la salvaguardia di tale appoggio. In altri termini, mentre Valla teneva ferma la sua strategia antica di coinvolgere nei propri intenti ideologico-culturali personalità di elevata levatura sociale, come appunto Guarino e la sua cerchia (l’avversario, egli per l’appunto protestava, insieme a lui avrebbe dovuto confutare tutti i dotti, a quibus illi probati sunt libri, ... praecipueque Guarino, quem praeceptorem tuum facis)112, Facio, all’opposto, nell’immediato seguito del processo dell’Inquisizione si era fatto tramite di una sorta di apologetica anti-valliana, inseparabile da un intento dissuasivo rivolto agli uomini della corte e ai ceti alti della società. Il De humanae vitae felicitate si era dunque proposto come scopo la delegittimazione delle proposizioni eversive del De vero bono valliano, già poste come oggetto primario dell’accusa inquisitoriale. È questo pure l’intento riconoscibile in un’opera più tarda, il dialogo De falso et vero bono di Bartolomeo Platina, che, come si vede, ricalca alla rovescia l’intitolazione valliana, là dove il «falso» bene precede nella formulazione del titolo quello «vero», al pari dei trattati medievali dove l’esposizione dei vizi precedeva quella delle virtù, nella fattispecie alludendo all’atto di contrizione e rettifica che viene richiesto all’autore113. Il personaggio del Platina compare infatti nel dialogo, così come era stato nella realtà, imprigionato a Castel Sant’Angelo, dove personalità autorevoli e sapienti (il castellano, Teodoro Gaza, il cardinale Barbo) gli richiedono un’abiura delle false opinioni che aveva coltivato insieme ai soci dell’Accademia romana, e in conclusione viene edificato nei retti principi della buona filosofia. S’intende che l’opera non è, così come nel caso precedente del Facio, immediatamente diretta contro quella corrispondente ed opposta del Valla. Il fine è più ampio. Come rettamente nota M. G. Blasio, la connotazione dell’opera sta nel suo carattere di «pubblicazione strategica, concordata dal Platina con lo stesso pontefice, sull’impegno amicizia anche con il cugino di Roberto, Carlo di Palla Strozzi, curiale; cfr. Epistolae, cit., p. 270-271. 112 Cfr. Valla, Antidotum in Facium, cit., p. 35. 113 Bartolomeo Platina, De falso et vero bono, a cura di M. G. Blasio, Roma, 1999. Come l’edizione critica dimostra, il dialogo fu composto in due successive redazioni : la prima, dedicata a Paolo II, dopo l’imprigionamento del 1465-66; la seconda, dedicata a Sisto IV verso il 1471-72, in riferimento all’imprigionamento e ai processi contro gli accademici pomponiani nel 1468. In questa seconda redazione, fermo restando il primo interlocutore, Rodrigo Sanchez, castellano di Castel Sant’Angelo, gli altri sono nell’ordine Teodoro Gaza e il cardinale Marco Barbo.

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di propaganda politico-culturale, che trova il suo punto di forza nella stesura del Liber de vita Christi et omnium pontificum, consegnato al papa dal neoeletto bibliotecario probabilmente in occasione dell’apertura al pubblico della Biblioteca Vaticana nel 1475»114. Un aspetto notevole del dialogo di Platina, anche in ciò differenziandosi dal Facio, è il cauto, quasi parsimonioso richiamo ai testi cristiani; e ciò non per un privilegio accordato agli autori profani su quelli sacri, ma, all’opposto, per evitare di mettere questi ultimi in questione, mantenendo il discorso sul piano essenziale della propedeutica. I sani principi della filosofia antica – primi fra tutti l’immortalità dell’anima, la natura privilegiata dell’uomo nell’ambito della natura, ed il bene definito come esercizio della virtù – stanno a presupposto di un pacifico accoglimento delle verità di fede. Si tratta di una sorta di breviario per un laico, uomo di scuola e di dottrina, che, pur muovendosi sul suo terreno di competenza, riconosca il primato della fede e la superiorità gerarchica degli uomini di Chiesa. In ciò egli si contrappone – e qui riconosciamo il diretto riferimento a Valla – alla falsa dottrina epicurea, non tanto quella di Epicuro, quanto dei suoi cattivi discepoli115. La voluptas, concepita in Valla come l’istinto che muove all’azione, comune tanto agli uomini che agli animali, è viceversa qui teologicamente ricondotta alla sua intrinseca malvagità : Ad malum natura humana inclinata est; si ad bonum itur, ex mandato summi Dei et ratione fit116. Pur mantenendone implicito il nome (così come del resto per opposte ragioni era stato in Valla), è ristabilita la reverenza dovuta ai dettami della dottrina di Agostino. E qualcosa di simile può essere detto a proposito della bellezza corporea, immagine ingannevole dello oculorum nostrorum crassus et obtusus intuitus117. Nella pagina conclusiva del dialogo i due termini apposti all’intitolazione, il «falso» e il «vero» bene, si invertono : confutate le dottrine erronee, il «vero» bene può finalmente ritornare ad essere l’oggetto primario del discorso : Habes nunc veri et falsi boni speciem satis dilucide, ut arbitror, explicata118. Si tratta, come si è veduto, di prospettive ampiamente istituzionali, corroborate dalla posizione poco dopo assunta dall’autore, preposto alla Biblioteca ed Archivio Vaticani, nonché autore di una rin-

Ibid., p. XCI-XCII. Cfr. Blasio, ibid., p. CXIII. 116 Ibid., p. 36. In Valla la concezione dell’unica, indivisibile voluptas implicava una continuità dei sensi e dell’animo, di istinto animale e ragione umana; cfr. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione, cit., p. 349, 353-354. 117 Ibid., p. 100. Si oppone alla celebrazione, in Valla, del piacere dei sensi; cfr. Fubini, Umanesimo e secolarizzazione, cit., p. 349. 118 Ibid., p. 110. 114 115

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novata, ufficiosa, storiografia pontificia. Platina fu anche, fra l’una e l’altra delle due redazioni del De falso et vero bono, autore di una trattazione De principe, notevole per riprendere implicitamente, correggendoli e ripresentandoli in un contesto di legittimità, temi trasgressivi dei Dialogi di Poggio Bracciolini (De avaritia e soprattutto De infelicitate principum). A tale ultimo riguardo, l’assunto di Poggio, che poneva il principe oltre ogni sfera regolabile da principi etici, si converte in Platina in una precettistica di corte, nutrita di buona dottrina e dovizia di esempi119. È questo un tema che ritroviamo in un’opera più tarda, celebre per altra ragione. Il De regnandi peritia di Agostino Nifo è noto per avere incorporato, tacitamente rettificandone gli assunti, la materia del Principe di Machiavelli; ma esso contiene anche, significativamente, una confutazione alla stessa maniera implicita del De infelicitate principum di Poggio120. Il Nifo era, per dir così, un professionista in materia : confutatore deputato dell’aristotelismo materialistico del Pomponazzi121, egli trovò modo di rispondere anche alla Dialectica di L. Valla, traducendone le argomentazioni logiche in esemplificazioni e precetti pedagogici sul ben vivere e sul ben governare122. Il Nifo, sappiamo, operava per conto di papa Leone X, nella veste ufficiale di professore a Pisa. In un’età di crescenti radicalismi, bene esemplificati nei nomi di Pomponazzi e Machiavelli, si perpetuava dunque nelle sedi ufficiali il cauto principio di una correzione implicita, se vogliamo di una censura silenziosa, capace di far rientrare la trasgressione nella norma, mediante l’espediente di far ritrattare la medesima materia da autore diverso ed accreditato, così sottraendo autorità allo scrittore in esame, come nei casi qui considerati di B. Facio, B. Platina ed infine, su più ampia scala, di A. Nifo, forse l’ultimo della serie e figura tipica dei pontificati medicei. Ma i tempi erano ormai mutati : lo possiamo anche constatare nel campo tradizionale dell’università, dove da proposizioni meramente

119 Bartolomeo Platina, De principe, a cura di G. Ferraù, Palermo, 1979. Cfr. Poggio Bracciolini, De infelicitate principum, ed. D. Canfora, Roma, 1998; e Fubini, Umanesimo e secolarizzazione, cit., p. 290. 120 Cfr. S. Pernet-Beau et P. Larivaille, Une reécriture du Prince de Machiavel : le «De regnandi peritia» de Agostino Nifo, Université de Paris X-Nanterre, 1987; per il riferimento a Poggio, cfr. Proemium al «Liber quintus», p. 141 : Sunt qui principes infelices esse probant, ecc.; cfr. Fubini, «Sogno» e realtà, cit., p. 100; e anche D. Canfora, Il «De rege et tyranno» di Agostino Nifo e il «De infelicitate principum» di Poggio Bracciolini, in Critica letteraria, 104, 2000, p. 455-468. 121 Per una chiara e aggiornata documentazione al riguardo, cfr. M. L. Pine, Pietro Pomponazzi, radical reformer of the Renaissance, Padova, 1986. 122 Cfr. L. Jardine, Dialectic or dialectical rhetoric? Nifo’s criticism of Lorenzo Valla, in Rivista critica di storia della filosofia, XXXVI, 1982, p. 253-270.

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a tutela dell’integrità degli articoli di fede si passa ad interventi espliciti in materia filosofica ed educativa, che direttamente anticipano i pronunciamenti del Concilio Lateranense V123. Il libro a stampa è ormai ampiamente affermato, e la censura preventiva è espressamente contemplata nelle bolle pontificie, a partire da quella di Innocenzo VIII del 1487124. Con lo scoppio dei conflitti di religione la censura silenziosa sarebbe divenuta arma evidentemente inadeguata, e più in là nel tempo un impedimento decisivo sarebbe stato posto all’attività stessa dei tipografi : subentrava, in una parola, non più un’età di dissuasione, ma di divieti. Ma questa è ormai un’altra storia. Riccardo FUBINI

123 Al riguardo si vedano a confronto, da un lato, la posizione cautelativa del vescovo di Pavia (il francescano Guglielmo Centuriense), che nel 1396 fa rogare la rinuncia, da parte del filosofo Biagio Pelacani, a ogni proposizione che genericamente fosse contraria alla fede (presupponendo con ciò la tradizionale separazione scolastica delle due sfere, filosofica e teologica); e, dall’altro, la condanna espressa nel 1489 dal vescovo riformatore di Padova, Pietro Barozzi, delle proposizioni averroistiche dei filosofi dello Studio, secondo la linea poi sfociata nel decreto del Lateranense V; ed è al riguardo importante che egli espressamente prescinda dalla «distinzione tanto cara agli averroisti tra ermeneutica e teoresi». Cfr. G. Federici Vescovini, Astrologia e scienza. La crisi dell’aristotelismo, Firenze, 1979, p. 33, 298; P. Gios, L’attività pastorale del vescovo Pietro Barozzi a Padova (1484-1507), Padova, 1977, p. 294-296. 124 Cfr. P. Lopez, Sul libro a stampa e le origini della censura ecclesiastica, Napoli, 1972, p. 63-64, 73-74.

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PEUT-ON PARLER D’HUMANISME DANS LES UNIVERSITÉS FRANÇAISES DU MIDI AVANT 1500?

Malgré le titre de ce colloque, le Midi n’y est que très modestement représenté. Est-ce le fait du hasard, du petit nombre des intervenants possibles ou plutôt de la minceur prévisible du sujet? Il est clair en effet qu’au moins avant 1500, le Midi, tant provençal que languedocien, n’a pas été un grand foyer créateur d’humanisme. On pourrait se demander pourquoi. Mais avant d’envisager cette question, peut-être un peu vaine, il faut quand même essayer de relever toutes les traces possibles, même mineures, d’humanisme. Où les chercher? Dans les milieux de cour (Avignon, Aix)? Dans les milieux canoniaux et monastiques? Dans les milieux politiques, bourgeois, marchands, seigneuriaux? Des pistes multiples existent1, on le voit, même si aucune n’est a priori très prometteuse. La piste universitaire, la seule qui sera suivie ici, a le mérite d’être précise, visant des institutions bien définies, relativement bien pourvues d’archives. Elle n’est cependant pas très prometteuse elle non plus. On sait bien en effet que, de manière générale, les universités n’ont nulle part été des foyers créateurs d’humanisme, même si elles ont parfois accueilli, plus largement et plus volontiers qu’on ne le disait jadis, des humanistes et des doctrines et enseignements humanistes. La recherche de «l’humanisme universitaire», dans le Midi comme ailleurs, amène donc à explorer moins le mouvement humaniste lui-même dans sa dynamique créatrice que quelques-uns de ses reflets, l’écho de sa diffusion et son arrière-plan intellectuel, institutionnel, voire social. On prendra ici en considération les trois principales universités du Midi, universités anciennes et bien établies, remontant au XIIIe siècle (Montpellier, Toulouse) ou au début du XIVe (Avignon). On laissera de côté les universités secondaires de Cahors (pour laquelle je n’ai rien trouvé de significatif pour notre propos), d’Orange (quasi inexistante au XVe siècle) 2, de Perpignan (alors rattachée à la Cou1 Voir, au moins pour la Provence et faute de travaux plus récents, A. Coville, La vie intellectuelle dans les domaines d’Anjou-Provence de 1380 à 1435, Paris, 1941. 2 Cf. M. Vidor-Borricand, Une Université méconnue. L’Université d’Orange, Aix-en-Provence, 1977.

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ronne d’Aragon) et d’Aix-en-Provence (bien étudiée par Noël Coulet) 3. Faute d’avoir poussé au-delà mes recherches, je me suis fixé comme terminus ad quem la date de 1500. Il s’agira donc avant tout, dans ce qui suit, du XVe siècle, à partir de l’effondrement de la papauté d’Avignon consécutif au départ de Benoît XIII. Les hommes Quelques rappels préliminaires s’imposent ici. Tout d’abord, soulignons qu’au XVe siècle, les universités méridionales ont eu en règle générale des effectifs assez bas, inférieurs à ceux tant du XIVe que du XVIe siècle, ne dépassant pas, dans chacune, quelques centaines d’individus, avec un recrutement très majoritairement régional, tant des maîtres que des étudiants 4. Même les professeurs étaient largement d’origine et de formation locales. Il y a certes bien eu, surtout dans la seconde moitié du siècle, quelques Méridionaux qui sont allés étudier en Italie ou à Paris 5, mais on ne voit guère que ces hommes soient ensuite revenus au pays pour y enseigner et y rapporter les idées et les œuvres découvertes ailleurs. On notera ensuite qu’on ne trouve guère de grands noms parmi les professeurs des universités méridionales du XVe siècle. Il y en a bien quelques-uns qui ont laissé un certain souvenir et parfois des œuvres : des médecins comme Raymond Sebond, Jean Piscis, Jacques Angeli, Adam Fumée 6, des juristes comme Bernard de Rosier, ultérieurement auditeur de Rote puis archevêque de Toulouse 7. Mais, précisément, on ne voit guère de raisons de parler d’humanisme à propos de ces hommes. La «pierre de touche» classique de l’humanisme hors d’Italie se3 Cf. N. Coulet, Aix en Provence. Espace et relations d’une capitale (milieu XIVe s.-milieu XVe s.), 2 t., Aix-en-Provence, 1988, spéc. t. I, p. 549-576. 4 Comme j’ai essayé de le montrer dans ma thèse dactylographiée (J. Verger, Les universités du midi de la France à la fin du Moyen Âge (début du XIVe sièclemilieu du XVe siècle), Paris, 1994, t. I, p. 106-115 et 130-143). 5 Cf. J. Verger, Les rapports entre universités italiennes et universités françaises méridionales (XIIe-XVe siècles), dans Università e società nei secoli XII-XVI, Pistoia, 1982, p. 145-172, et Id., Les étudiants méridionaux à Paris au Moyen Âge : quelques remarques, dans Annales du Midi, 102, 1990 (numéro spécial : Cadres de vie et société dans le Midi médiéval. Textes réunis par P. Bonnassie et J.-B. Marquette en hommage à Charles Higounet), p. 359-366. 6 Voir les notices biographiques de ces personnages dans E. Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge, 2 t. réimpr. avec un vol. de supplément par D. Jacquart, Genève, 1979. 7 Sur B. de Rosier, voir P. Arabeyre, Un prélat languedocien au milieu du XVe siècle : Bernard de Rosier, archevêque de Toulouse (1400-1475), dans Journal des savants, 1990, p. 291-326.

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rait, selon Gilbert Ouy, la référence à Pétrarque (et accessoirement à Boccace) 8. Il est vrai que les œuvres de ces deux auteurs étaient assez facilement accessibles dans le Midi, comme on le verra plus bas. Il est sûr par ailleurs que plusieurs docteurs méridionaux ont connu, lu et utilisé leurs écrits. Pierre Flamenc (1352-1424), bénédictin, docteur en décret et vice-chancelier de l’Université de Montpellier vers 1400 puis abbé de Saint-Victor de Marseille, a laissé à la fois des notes de lecture et un recueil de harangues et de sermons qui attestent de sa familiarité avec Pétrarque 9. On pourrait aussi citer Jean de Vitrolles, lui aussi moine, cousin du précédent, professeur à Aix-en-Provence10, ou Jean Isnard, docteur ès-lois d’Avignon, mort vers 145311. Pour ces deux derniers, on est renseigné à travers l’inventaire de leurs bibliothèques. Mais doit-on pour autant qualifier ces maîtres d’humanistes? Leur connaissance de Pétrarque semble souvent très instrumentale. La possession et la connaissance de certains Classiques, sur lesquelles nous reviendrons, seraient encore moins probantes. À défaut, des influences humanistes ont-elles pu être importées dans les universités du Midi par des maîtres étrangers? On pense d’abord ici à Avignon, en liens constants avec l’Italie depuis le XIIIe siècle. Dans les années 1430, Cosma Raimondi, rhéteur exilé de Milan, humaniste de quelque renom, y a donné un enseignement de rhétorique attesté dans son Libellus super laudibus eloquentiæ qui eut, selon Cosma lui-même, du succès12 ; mais il faut avouer que cet enseignement n’a guère laissé de trace dans la documentation universitaire proprement dite.

8 G. Ouy, Gerson, émule de Pétrarque. Le «Pastorium carmen», poème de jeunesse de Gerson, et la renaissance de l’églogue en France à la fin du XIVe siècle, dans Romania, 88, 1967, p. 175-231, spéc. p. 176. 9 Sur Pierre Flamenc et ses lectures, voir N. Mann, Pierre Flamenc, admirateur de Pétrarque, dans Romania, 91, 1970, p. 306-340 et 491-520. 10 Sur ce personnage, voir N. Coulet, Jean de Vitrolles, moine de Saint-Victor, et les commencements de l’université d’Aix, dans Provence historique, 16, 1966, p. 540-551; il possédait les Genealogiæ deorum de Boccace, le De viris illustribus, le Secretum et les Familiares de Pétrarque (cf. N. Coulet, Aix en Provence..., cit. n. 3, t. I, p. 569-571 et t. II, p. 982). 11 Son inventaire après décès dressé en 1459 mentionne un De claris mulieribus de Boccace (no 131) (publ. dans M. Fournier, Les statuts et privilèges des universités françaises depuis leur fondation jusqu’en 1789, t. II, Paris, 1891, no 1359). 12 Sur Cosma Raimondi et son séjour à Avignon, voir F. Simone, Il Rinascimento francese. Studi e ricerche, 2e éd., Turin, 1965, p. 34-35, et P. Gilli, Le conflit entre le juriste et l’orateur d’après une lettre de Cosma Raimondi, humaniste italien en Avignon (c. 1431-1432), dans A Journal of the history of rhetoric. Rhetorica, 16, 1998, p. 259-286, où est donnée une nouvelle édition du Libellus super laudibus eloquentiæ (p. 276-286).

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Même constatation pour Jean Serra dont Evencio Beltrán a récemment remis en lumière l’intéressante figure : ce Valencien enseigna la rhétorique à Toulouse, au moins en 1458, et est peut-être passé aussi par Montpellier. Plusieurs textes issus de cet enseignement sont connus (De contemplacione amicicie, dédié à Bernard de Rosier – De agro noviter sato – De instructione rhetorica), sans parler d’inédits13 ; mais ici aussi, on trouve peu de traces de ce passage, sans doute assez bref, dans les archives. Peut-être s’est-il agi d’un enseignement facultatif, éventuellement donné au sein d’un collège? Pour revenir à Avignon, on sait qu’à la fin du XVe siècle, le conseil de ville et le légat Giuliano della Rovere firent venir du Piémont, de l’université de Turin, plusieurs professeurs italiens de droit et d’arts : Agricola Panizza, Baldassare Merlo detto Parpaglia, Jean de Saluces14 ; ils restèrent un certain temps, mais on ne connaît pas d’œuvres d’eux. L’appel à ces maîtres transalpins, qui acceptèrent d’enseigner sans salaire fixe, fut d’ailleurs motivé moins par le désir d’introduire à Avignon des enseignements humanistes que par celui de faire pression sur les régents autochtones qui, à la même époque, réclamaient avec vigueur (et obtinrent quelques années plus tard) l’instauration de rémunérations régulières prises en charge par l’administration pontificale. Une enquête plus poussée ferait probablement apparaître quelques exemples supplémentaires, qui ont échappé jusqu’à ce jour aux historiens. Mais il ne s’agirait sans doute à nouveau, de toute façon, que de cas isolés et concernant des personnages assez secondaires. En aucune manière, on ne peut parler d’une tradition régulière d’enseignement humaniste, ni de filières régulières entre le Midi et l’Italie. Les livres On connaît pour le Midi de la fin du Moyen Âge, grâce à une documentation classique (inventaires, actes notariés divers, manuscrits subsistants), des bibliothèques de gradués et de docteurs, enseignants ou non, ainsi que des bibliothèques de collèges ou d’universités (ellesmêmes souvent constituées au départ par des legs de gradués)15. 13 Cf. Humanistes français du milieu du XVe siècle. Textes inédits de P. de la Hazardière, Jean Serra, Guillaume Fichet, éd., introd., notes et index par E. Beltrán, Genève, 1989 (Travaux d’Humanisme et Renaissance, 235), p. 9-16 et 27-135. 14 Texte dans M. Fournier, Les statuts et privilèges des universités françaises depuis leur fondation jusqu’en 1789, t. III, Paris, 1892, no 1950. Cf. L.-H. Labande, Avignon au XVe siècle. Légation de Charles de Bourbon et du cardinal Julien de la Rovère, Monaco-Paris, 1920, p. 242-247; voir aussi F. Simone, Il Rinascimento francese..., p. 40-41, et J. Scheurkogel, L’université d’Avignon à la fin du Moyen Âge, dans Études vauclusiennes, 32, 1984, p. 10-14. 15 Sur les bibliothèques universitaires du Midi, voir J. Verger, Le livre dans les universités du midi de la France à la fin du Moyen Âge, dans M. Ornato et

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Toutes sont avant tout juridiques (droit civil et droit canon), souvent d’ailleurs riches et bien à jour, avec des œuvres françaises et italiennes récentes des XIVe et XVe siècles (Antonin de Florence, le Panormitain, etc.). Elles comportent souvent aussi, en plus du droit, deux autres secteurs de moindre importance : un secteur religieux (Bible, Pères, spiritualité, théologie) et un secteur centré sur l’enseignement classique des artes (grammaire et Aristote). Il n’y a rien là, on le voit, de très remarquable. Les éventuelles marques d’humanisme sont à chercher ailleurs, dans le secteur «divers» qui contient habituellement, à côté de beaucoup d’œuvres typiquement «médiévales» (encyclopédies, chroniques, etc.), des textes plus intéressants pour notre propos. Il y a d’abord des Classiques; mais il s’agit alors, le plus souvent, il faut le dire, d’œuvres et d’auteurs qui ont été appréciés et lus tout au long du Moyen Âge (Cicéron, Virgile, Ovide, Sénèque); seul Quintillien, d’ailleurs très rare, est peut-être plus significatif16 ; les livres grecs sont évidemment totalement absents17. N. Pons (éd.), Pratiques de la culture écrite en France à la fin du Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, 1995, p. 403-420, et Id., Les bibliothèques des universités et collèges du Midi, dans Livres et bibliothèques (XIIIe-XIVe siècle), Toulouse, 1996 (Cahiers de Fanjeaux, 31), p. 95-130; voir aussi M.-H. Jullien de Pommerol, La bibliothèque du collège de Pélegry à Cahors à la fin du XIVe siècle, dans Bibliothèque de l’École des chartes, 137, 1979, p. 229-272 (concerne en fait l’ensemble des bibliothèques de collèges du Midi), et Ead., Livres d’étudiants, bibliothèques de collèges et d’universités, dans Histoire des bibliothèques françaises, I, A. Vernet (dir.), Les bibliothèques médiévales du Ve siècle à 1530, Paris, 1989, p. 92-111. 16 Les Rhétoriques de Cicéron (i.-e. le De inventione et la pseudépigraphe Rhétorique à Herennius) sont présents, à Toulouse, dans les bibliothèques du collège de Verdale (M. Fournier, Les statuts et privilèges des universités françaises depuis leur fondation jusqu’en 1789, t. I, Paris, 1890, no 593, § 50, 121) et du collège de Foix, accompagnées, dans cette dernière, de discours du même Cicéron (L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale, t. I, Paris, 1868, p. 499-507, I/3 et II/34). Virgile est attesté dans les bibliothèques des docteurs avignonnais Philippe de Costeria (no 35 et 43 de l’inventaire publ. par P. Pansier; voir infra n. 21) et Jean Isnard (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1357, 121) ainsi qu’au collège de Foix (L. Delisle, Le cabinet des manuscrits..., III/18). Ovide et Sénèque sont représentés par diverses œuvres dans ces trois mêmes bibliothèques (no 11 de l’inventaire de Ph. de Costeria, no 109, 123, 124, 125, 126, 148 et 150 de celui de J. Isnard, no III/16 de celui du collège de Foix); on trouvait aussi un Sénèque (Lettres à Lucillius) au collège d’Annecy à Avignon (M. Fournier, La bibliothèque de l’Université et des collèges d’Avignon pour les étudiants en droit, dans Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 15, 1891, p. 76-112, no 132). On pourrait encore citer un Tite-Live en français et des Commentaires de César au collège de Foix (L. Delisle, Le cabinet des manuscrits..., I/14 et III/35), un Lucain, un Macrobe et un Juvénal chez J. Isnard (no 132, 139 et 144), un Lucain chez Ph. de Costeria (no 30) qui possédait aussi un Quintilien (no 46). 17 Mise à part une Iliade d’Homère au collège de Foix (L. Delisle, Le cabinet des manuscrits..., II/284); mais s’agissait-il bien d’un manuscrit médiéval?

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On trouve ensuite parfois des œuvres littéraires du Moyen Âge latin, i.-e. du XIIe siècle (Hugues de Saint-Victor, Jean de Salisbury, Pierre de Blois)18. Ces deux types de textes pouvaient évidemment avoir une portée humaniste, mais leur présence est cependant à cet égard ambiguë. Les œuvres en vernaculaire sont quasiment absentes19. En fait, les auteurs récents autres que les juristes et les médecins sont représentés avant tout par des Italiens, Pétrarque et Boccace surtout, beaucoup plus rarement Dante, Lorenzo Valla ou Guarino de Vérone, essentiellement sous la forme d’œuvres latines de ces auteurs 20. Ici, il s’agit incontestablement de textes «humanistes», mais on notera que, s’ils étaient relativement répandus dans le Midi au XVe siècle, c’était toujours sous la forme d’exemplaires peu nombreux, voire isolés au sein de chaque bibliothèque. De plus, on les trouvait surtout dans les bibliothèques individuelles (Philippe de Costeria, J. Isnard) 21 ou, à Avignon, dans la bibliothèque pontificale où Pierre Flamenc a été les copier. 18 Saint Anselme, Hugues de Saint-Victor, Alain de Lille (De planctu nature) sont bien représentés au collège de Verdale (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. I, no 593, § 50, 26, 36) et de Foix (L. Delisle, Le cabinet des manuscrits..., I/6, II/204) à Toulouse, au collège d’Annecy (M. Fournier, La bibliothèque de l’Université..., no 21, 41) et de Sénanque (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1416, 87, 93, 99) ainsi que chez J. Isnard (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1359, 88) à Avignon. Mais plus significative pour notre propos est sans doute la présence de lettres de Pierre de Blois au collège de Foix (no III/32) à Toulouse et d’Annecy à Avignon (no 27) et du Policraticus de Jean de Salisbury chez Ph. de Costeria (no 48). 19 Notons quand même la présence du Breviari d’Amor de Matfre Ermengau, in romancio, dans la bibliothèque du collège de Mirepoix à Toulouse d’après l’inventaire de 1435 (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. I, no 813, 61). 20 J. Isnard avait un Boccace (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1359, 131), un traité de Guarino de Vérone se trouvait à la fin du siècle au collège de Sénanque à Avignon (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1416, 113) et dans cette même ville, au témoignage de Guillaume Fichet, le collège clunisien Saint-Marcel aurait possédé les œuvres complètes de Pétrarque (cf. infra n. 25); mais c’est surtout au collège de Foix que les Italiens, Dante, Pétrarque et Boccace, étaient bien représentés (L. Delisle, Le cabinet des manuscrits..., I/21, II/45, 86, 193), certainement par des manuscrits provenant de la bibliothèque pontificale (cf. infra n. 23). 21 Philippe de Costeria fut régent en droit civil à l’université d’Avignon de 1435 à 1460 (sur ce personnage, J. Verger, Les professeurs de l’université d’Avignon (1430-1478), dans Études vauclusiennes, 57, 1997, p. 69-74, spéc. p. 71); il laissa à sa mort une bibliothèque de 48 volumes : elle réunissait, à côté de 20 volumes seulement de droit, 8 ouvrages religieux, 6 textes philosophiques (Aristote) ou grammaticaux, 1 chronique et 1 encyclopédie et surtout, en ce qui concerne notre propos, 5 Classiques (Virgile, Lucain, Sénèque, Quintilien), un Boèce en français et le Policraticus de J. de Salisbury; 5 volumes n’ont pu être identifiés (inventaire publ. dans P. Pansier, Histoire du livre et de l’imprimerie à Avignon du XIVe au XVIe siècle, t. I, Avignon, 1922, p. 66-68).

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En revanche, ils apparaissent peu recherchés dans les bibliothèques, beaucoup plus strictement utilitaires et religieuses, des collèges. On en trouvait au mieux un ou deux exemplaires par bibliothèque, au milieu de dizaines de livres de droit. C’est ainsi par exemple que, de manière caractéristique, on ne jugea pas utile de laisser au collège Saint-Michel d’Avignon les livres «humanistes» de son fondateur Jean Isnard, qui furent vendus; ne furent conservés que ses livres de droit, les plus utiles – et les plus précieux 22. Les seules exceptions notables mais, en réalité, peu significatives, sont : 1) la bibliothèque du collège de Foix à Toulouse qui a récupéré, via son fondateur le cardinal Pierre de Foix, une part non négligeable de la bibliothèque du pape Benoît XIII 23 ; 2) celle du collège du Roure à Avignon où auraient été transférées en 1481 les épaves non ramenées à Rome de la bibliothèque du Palais pontifical, alors à l’abandon 24 ; mais en l’absence d’inventaire conservé, on ne peut malheureusement en dire plus. Il en va de même pour le collège clunisien Saint-Martial d’Avignon où Guillaume Fichet aurait découvert Pétrarque en 1455, car, ici non plus, il n’existe pas d’inventaire connu de la bibliothèque et le passage de Fichet à Avignon, sans doute bref, est lui-même également mal documenté 25. L’inventaire après décès de J. Isnard mentionne quant à lui, outre Boccace (n. 11), un Alain de Lille (De Planctu Nature) et une douzaine de Classiques, surtout Ovide et Sénèque, plus un Virgile, un Macrobe, un Juvénal (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1359, 81, 109, 121, 123, 124, 125, 126, 129, 132, 139, 144, 148, 150, 162). 22 Les exécuteurs testamentaires de J. Isnard vendirent immédiatement près de la moitié de ses 164 manuscrits à dix acheteurs, pour la plupart gradués ou étudiants d’Avignon; le Boccace fut acquis par Pierre de Lassonia, docteur en droit civil (sur ce personnage, J. Verger, Les professeurs de l’université d’Avignon..., p. 72); les autres volumes seraient mis en vente ultérieurement; neuf seulement, i.-e. un Corpus iuris civilis et un Corpus iuris canonici, devaient obligatoirement rester au collège (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1359). 23 Sur les vicissitudes de la bibliothèque de Benoît XIII et le transfert d’une partie de ses livres au collège de Foix, voir M.-H. Jullien de Pommerol et J. Monfrin, La bibliothèque pontificale à Avignon et à Peñiscola pendant le Grand Schisme d’Occident et sa dispersion. Inventaires et concordances, vol. I, Rome, 1991 (Collection de l’École française de Rome, 141), p. 50-55; sur la composition de la bibliothèque du collège, voir les trois listes de manuscrits publ. par L. Delisle, Le cabinet des manuscrits..., t. I, p. 499-507. 24 Ce transfert fut ordonné par le pape Sixte IV le 6 mai 1481, cinq ans après la fondation du collège par son neveu, le cardinal-légat Giuliano della Rovere (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1383). 25 Dans une note portée en marge d’un manuscrit de Pétrarque (BNF, fr. 16683, fo 123vo ), Fichet déclare avoir visité la tombe de Pétrarque lors de son séjour d’études à Avignon et avoir vu toutes ses œuvres dans la bibliothèque du

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Au total, des livres de portée «humaniste» possible existaient dans les villes universitaires du Midi; mais nous ignorons leur usage effectif et surtout leur influence réelle. Les enseignements Reste, pour terminer, la question essentielle : y a-t-il eu des enseignements «humanistes» dans les universités du Midi au XVe siècle? Je rappelle d’abord que ces universités enseignaient avant tout les deux droits (et la médecine à Montpellier). Les autres enseignements (spécialement ceux d’arts et de grammaire) sont difficiles à saisir à travers la documentation subsistante et s’adressaient à des effectifs étudiants nettement moindres et de niveau sans doute des plus modestes 26. Par ailleurs, il n’y avait pas à cette époque, officiellement, de véritables enseignements dans les collèges, au moins séculiers. Quant à la théologie, elle était enseignée essentiellement dans les studia, universitaires ou non, des ordres mendiants. A priori, les enseignements des facultés «supérieures», restaient très classiques, au moins à en croire les programmes, fixés dans l’ensemble au début du XIVe siècle et inchangés depuis 27. C’est sans doute en grammaire et en arts qu’il a pu y avoir le plus de nouveautés, mais elles sont difficiles à repérer, car des enseignements de rhétorique comme ceux de Cosma Raimondi ou Jean Serra, cités supra, ont sans doute été «officieux» et facultatifs. Notons quand même qu’il a pu exister des enseignements du même genre dans certains collèges, notamment réguliers. À SaintBernard de Toulouse par exemple, il fut prévu en 1482 d’organiser, collège Saint-Marcel : sepultusque fuit [Franciscus Petrarca] avinionensis [sic] in ecclesia beati Laurentis que loca singula pergressus fui ego Guglielmus Ficheti dum studio vacarem in dicta civitate avinionensis Mo IIIIcLV; cuius omnia opera sunt in libreria collegii Sancti Marcelli avinionensis (cité dans F. Simone, Il Rinascimento francese..., cit. n. 12, p. 30). Cependant la bizarrerie de cette annotation (Pétrarque est évidemment enterré à Arquà, près de Padoue), le fait que Fichet n’apparaît pas dans la matricule de l’université d’Avignon (A. D. de Vaucluse, D 134) et qu’il soit en revanche signalé à l’université de Paris comme régent ès-arts à partir de 1453 jette un doute, sinon sur son séjour avignonnais, en tout cas sur la durée de celui-ci (cf. F. Simone, Il Rinascimento francese..., p. 112-113). 26 Cf. J. Verger, Remarques sur l’enseignement des arts dans les universités du Midi à la fin du Moyen Age, dans Annales du Midi, 91, 1979, p. 355-381. 27 Les programmes des diverses facultés ont été fixés, à Toulouse, dans les années 1300-1320 (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. I, no 535, 542, § II à IX, 545, § XXI et XXII), à Avignon peu après la fondation de l’université en 1303 (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1245, § VI), à Montpellier en 1309 et 1339 pour la médecine (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 910 et 847quater, § XX, XXI) et en 1339 pour le droit (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 947, § X, XI).

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les jours fériés (dies non legibiles), un enseignement de poetica vel rhetorica aut ceterae artes humanitatis 28. Mais c’est une référence tardive. C’est aussi très tardivement qu’à Montpellier, dans les écoles de grammaire de la ville qui semblent avoir tenu lieu ici de faculté des arts de l’université (sous le double contrôle des consuls de la Commune et des médecins), on voit engager des régents, maîtres èsarts, pour enseigner, outre les disciplines traditionnelles (grammaire, philosophie, logique) la poesia en 1494, la grammaire (avec les œuvres de Lorenzo Valla) et l’ars oratoria (à partir de Térence, Virgile, Juvénal, Perse, etc.) en 1496 29. Plus significatif, au total, est peut-être l’accent assez souvent mis dans les textes du XVe siècle sur l’utilité d’une parfaite connaissance du latin, l’apprentissage de l’éloquence, la valeur propre de la grammaire 30, qui semble concurrencer victorieusement la logique, au point que les régents de logique de Toulouse cherchèrent à donner eux aussi des cours de grammaire, ce qu’essayèrent d’empêcher les régents patentés en grammaire 31. Il semble donc y avoir eu, au total, comme un déplacement d’accent par rapport à la conception universitaire traditionnelle des artes. Il faut cependant dire, ce qui limite la portée de cette observation, que le Midi de la France a sans doute toujours participé, au Moyen Âge, d’une tradition «méditerranéenne» littéraire et grammaticale, qui s’opposait à la tradition philosophique et dialecticienne de Paris 32. 28 Statuts du collège Saint-Bernard publ. dans M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. I, no 861, § 6. 29 M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1200 et 1206. 30 Par ex. à Montpellier, en 1454, un candidat à la régence des «grandes écoles d’arts» de l’université est récusé car, s’il connaît bien la philosophie naturelle, il est insuffisant en grammaire (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1155); en 1481, toujours à Montpellier, un maître de grammaire est institué au collège monastique Saint-Germain Saint-Benoît (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1181). En 1457, à Toulouse, les statuts du collège de Foix mettent les étudiants en garde contre les solécismes et les barbarismes et les engagent à soigner leur prononciation latine par la pratique des lectures publiques au réfectoire (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. I, no 840, § 27, 35). De même, en 1491-94, au collège Notre-Dame de la Pitié à Avignon, on insiste sur la nécessité pour les étudiants d’avoir une parfaite connaissance de la grammaire (M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. II, no 1399). 31 Les plaintes des régents en grammaire de Toulouse sont publiées dans M. Fournier, Les statuts et privilèges..., t. I, no 798 (21 avril 1426) et 869 (24 décembre 1489). 32 Le poids de la tradition grammaticale et rhétorique, qui apparente les écoles méridionales aux écoles italiennes plus qu’aux écoles parisiennes, avait déjà été bien souligné dans L. J. Paetow, The arts course at medieval universities with special reference to grammar and rhetoric, Champaign (Ill.), 1910.

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De plus, cela restait dans des limites assez étroites. On notera par exemple que dans ses lettres Cosma Raimondi, déjà mentionné, après avoir vanté l’université d’Avignon et la «grande éloquence» de certains de ses professeurs de droit, se contredit en se plaignant de ne trouver aucun livre de rhétorique à Avignon «où on ignore même le nom de Cicéron»; et notre rhéteur de poursuivre en se lamentant sur le triste contraste avec l’Italie où les bonæ artes étaient à l’honneur 33. Ultime indice enfin, on pourrait se demander si le succès du thomisme méridional à la fin du Moyen Âge (symbolisé en particulier par la figure du «prince des thomistes», Jean Capreolus (1380-1444) dominicain et professeur à Toulouse et Rodez, dont les écrits auront par la suite grand succès chez les humanistes italiens du XVIe siècle) 34 ne participe pas également de la création d’un climat, sinon humaniste, du moins proche et assez favorable à diverses formes d’influences et de contaminations. Mais il serait dangereux d’en dire plus, au moins avant 1500.

Conclusion On aura noté que, tout au long de cette communication, nous n’avons pas cherché à distinguer dans les milieux universitaires méridionaux un secteur laïc et un secteur ecclésiastique. Non seulement les universités, tout en répondant largement aux besoins de la société laïque, restaient des institutions de nature ecclésiastique mais, dans la plupart des disciplines, clercs et laïcs s’y retrouvaient étroitement mêlés. Certains des hommes dont nous avons le plus invoqué l’exemple – Pierre Flamenc, Jean de Vitrolles – étaient même des moines. Les collèges réguliers – Saint-Germain Saint-Benoît à Montpellier, Saint-Bernard à Toulouse – ont été, on l’a dit, de ceux qui ont créé pour leurs membres des enseignements complémentaires de grammaire et de poésie. Il était donc légitime de parler des universités du Midi comme d’un tout. Ceci dit, il est manifeste que ces universités n’ont pas été au XVe siècle des foyers d’humanisme. Mais elles ont sans doute constitué un milieu qui n’avait pas d’hostilité foncière à l’humanisme (peutêtre en vertu de traditions culturelles anciennes), qui en a accueilli

33 Cité dans F. Simone, Il Rinascimento francese..., cit. n. 12, p. 34, n. 3 et 5, et dans P. Gilli, Le conflit entre le juriste et l’orateur..., cit. n. 12, p. 285. 34 Sur Capreolus et sa fortune en Italie et chez les humanistes, voir G. Bédouelle, Les éditions «humanistes» de Capreolus, dans Mémoire dominicaine, no spécial 1 ( = G. Bédouelle, R. Cessario, K. White (dir.), Jean Capreolus en son temps, 1380-1444. Colloque de Rodez), 1997, p. 195-207.

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occasionnellement certains aspects (le pétrarquisme), mais où n’a pas existé d’incitation vigoureuse à l’innovation culturelle dans un sens humaniste – ni autre, d’ailleurs. Noël Coulet a conclu sa thèse sur Aix-en-Provence en parlant, pour la capitale de la Provence, d’une vie culturelle «sans éclat» 35. Peut-être y aurait-il lieu, hélas!, d’étendre ce diagnostic à l’ensemble du Midi du XVe siècle (je ne me prononce pas sur le XVIe), en tout cas vu de l’observatoire universitaire. Jacques VERGER

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N. Coulet, Aix en Provence..., cit. n. 3, t. I, p. 537.

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ENQUÊTE SUR LA BIBLIOTHÈQUE DE FRANÇOIS DU PUY, OFFICIAL DU DIOCÈSE DE GRENOBLE, PUIS PRIEUR GÉNÉRAL DE CHARTREUSE (FIN XVe SIÈCLE)

François Du Puy, prieur général de Chartreuse de 1503 jusqu’à sa mort en 1521, apparaît dans l’ordre, à l’aube de l’âge moderne, comme l’homme du retour aux racines fécondes des origines. L’attestent, de ce point de vue, les acquis essentiels de son priorat en six années particulièrement denses, de 1509 à 1515, depuis l’édition des œuvres attribuées à Bruno à Paris chez Josse Bade jusqu’à l’inscription de sa fête dans les livres liturgiques de l’ordre, accompagnées d’une nouvelle biographie par François Du Puy lui-même, précédant celle de Blomevenna, le prieur de la chartreuse de Cologne1. L’existence d’une riche bibliothèque d’incunables connue non seulement par un catalogue, mais bien par les volumes eux-mêmes heureusement conservés et déposés en Bibliothèque municipale de Grenoble, permet de s’interroger sur la culture de cet homme 2. Cette bibliothèque, constituée dans les années précédant l’entrée de son possesseur en Chartreuse en 1500, est celle d’un homme d’une cinquantaine d’années, comme naguère Bruno à son arrivée dans les Alpes, et nanti, comme lui, d’un passé dense. Dès lors, est-ce un fonds dont la constitution et la fréquentation conduisent en Chartreuse? Sans céder à une perception téléologique sommaire – tel choix, tel titre de livre constituant l’indice d’une vocation dont il ne resterait qu’à constater l’accomplissement nécessaire –, il est difficile, dans la mesure où existent les preuves de sa fréquentation et de son utilisation, de n’être pas tenté de percer mieux les centres d’intérêt du lecteur quand on est confronté au mystère de la vocation : rupture ou épanouissement ou bien rupture et épanouissement? 1 A. Rayez, François Du Puy, 34e prieur général de Chartreuse, mort en 1521, dans Dictionnaire de spiritualité, 3, 1957, 1836; D. Sochay, François Du Puy, dans Dictionnaire d’histoire et géographie ecclésiastique, 14, 1960, 1150-1153; mise au point P. Paravy, De la Chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné, I, Rome, 1993 (Collection de l’École française de Rome, 183), p. 97-103. 2 Les ouvrages sont répertoriés dans E. Maignien, Catalogue des incunables de la Bibliothèque municipale de Grenoble, Mâcon, 1899.

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Dans le cas de Bruno, la lettre à Raoul Le Verd formule en termes dont la perfection adamantine égale la discrétion, ce qui va demeurer le propos cartusien : «solitude et silence»... «loisir bien rempli» où «l’on s’immobilise dans une action tranquille» pour le combat des «hommes forts», des «athlètes», «pour acquérir cet œil dont le clair regard blesse d’amour le divin époux et dont la pureté donne de voir Dieu».... 3. En ce qui concerne François Du Puy, aucune œuvre personnelle n’exprime ce choix : du moins a-t-on la certitude qu’il a entendu l’injonction adressée à Raoul Le Verd, le compagnon resté sur la rive après l’engagement pris à Reims «dans le petit jardin attenant à la maison d’Adam» : «ne pas se laisser éloigner de la divine charité pour le service du seigneur archevêque qui a grande confiance en tes conseils et s’appuie sur eux» 4 – ce qui était précisément en 1500 la situation de François Du Puy auprès de l’évêque de Grenoble – et surtout, peut-on jalonner son parcours intellectuel, dans la mesure où ses centres d’intérêt apparaissent nettement non seulement dans ses achats de plus en plus diversifiés au fil du temps, mais aussi dans ses lectures et les notes qui les accompagnent, montrant la focalisation sur des thèmes privilégiés. Ainsi convient-il d’envisager cette bibliothèque à la fois comme le révélateur des choix culturels très larges d’un homme mûri dans la seconde moitié du XVe siècle, à l’âge de la révolution de l’imprimerie, comme le moyen de s’interroger sur ses méthodes de raisonnement et au delà, peut-être, comme le révélateur d’un travail sur soimême, d’une quête qui donne finalement son sens à une vie. *

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L’étude de la biographie de François Du Puy met en lumière les deux versants de sa vie : le temps du hiérarque et du conseiller écouté de l’évêque de Grenoble dans l’Église séculière, à l’époque de la constitution du fonds, puis à partir de 1500, le temps du moine chartreux. Né vers 1450 à Saint-Bonnet le Château en Forez, il était fils de Pierre Du Puy, bourgeois de la ville. De solides études juridiques le conduisirent jusqu’au doctorat in utroque jure, titre qu’il possédait dès la période de ses responsabilités valentinoises : il demeura en effet vicaire général et official de Valence avant de le devenir à Grenoble en 1487-1488 auprès de l’évêque Laurent Ier Allemand (1477/ 3 Lettres des premiers Chartreux, I, Saint Bruno, Guigues, saint Anthelme, éd. par un Chartreux, Paris, 1962 (Sources chrétiennes, 88), p. 66-81, en particulier p. 77 et p. 81. 4 Ibid., p. 79.

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1484-1518), son exact contemporain 5. Il développa dans cette charge une activité impressionnante comme homme d’ordre, organisateur hors pair, procédant à la réforme de l’officialité en 1491, établissant six ans plus tard un pouillé du diocèse d’une exceptionnelle précision, référence fondamentale pour toute étude de l’organisation de celui-ci et enfin classant et inventoriant les archives de l’évêché en 1499 au moment de gagner la Grande Chartreuse. Mais François Du Puy ne se borna pas au rôle purement technique d’un gestionnaire, il fut également un pasteur vigilant. Accompagnateur de son évêque tout au long des visites pastorales dont il a rédigé les comptes rendus à partir de 1488, il fut surtout son inspirateur et son guide, ainsi que le montre le traité de la visite pastorale qu’il a élaboré dès cette date et qui figure en tête du registre. Il s’est préoccupé de la formation du clergé et a mis au point en 1495 des statuts synodaux qu’il a pris soin de diffuser au mieux en les faisant imprimer sur les presses grenobloises pour les distribuer gratuitement à tous les prêtres ayant charge d’âmes dans le diocèse 6. L’homme savait ce que le livre permettait d’apporter. En 1500, il entra en Chartreuse, en devint prieur général trois ans plus tard et y mourut le 17 septembre 1521. Le parallélisme est frappant entre cette période de sa vie et la précédente dans une démarche où idéal d’ordre et sens aigu d’une mission coexistent dans la parfaite harmonie d’un accomplissement fécond. L’idéal d’ordre s’exprime dans le Repertorium generale des archives du monastère (près de 2600 actes), entrepris en 1500, et dans le célèbre «Grand Cartulaire» composé pour l’essentiel en 1507 et comprenant deux gros volumes in – folio de 520 pièces. À la fois bullaire et recueil de privilèges, il dessine en un vaste ensemble parfaitement ordonné toute l’histoire médiévale de la maison mère et de l’ordre cartusien 7. La troisième compilation des statuts à laquelle François Du Puy procéda – après celle de 1368 – et qu’il fit éditer à Bâle en 1510 chez Amerbach, témoigne également de son souci d’ordre et de clarification de la discipline monastique. Quant à la mission spécifique qu’il assuma comme prieur général de la Chartreuse, elle fut celle de l’exaltation de la mémoire du fondateur. Dès 1509, Josse Bade édita à Paris les œuvres de saint Bruno; l’invention en 1513-1514 de ses reliques dans la seconde maison qu’il avait établie en Calabre à Santa Maria della Torre, où il était mort en 1101, préluda à la restitution de

P. Paravy, ouv. cit., p. 91-92. Id., ibid., p. 154-160 et p. 262-268. 7 S. Excoffon, p. 261-268, Recherches sur le temporel des chartreuses dauphinoises, XIIe-XVe siècles, thèse dactylographiée, 3 vol., Université de Grenoble, 1997 (en cours d’édition). Analyse des travaux de François Du Puy et présentation du cartulaire, p. 17-40. 5 6

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la maison aux chartreux en 1514 par les cisterciens qui en avaient hérité. Enfin, la démarche du chapitre général en vue d’obtenir du pape la reconnaissance de la sainteté du fondateur aboutit quand, en juillet 1514, Léon X donna verbalement l’autorisation de réciter un office en son honneur, décision bientôt suivie, le 7 mai 1515, sur décision du chapitre général, de l’inscription de la fête de Bruno dans les livres liturgiques de l’ordre, en attendant la reconnaissance dans l’Église tout entière par l’inscription de son office dans le bréviaire romain en 1623 8. Pendant ces démarches François Du Puy avait rédigé une nouvelle biographie de saint Bruno éditée à Bâle, précédant celle de Blomevenna, prieur de la chartreuse de Cologne, ville natale du saint 9. D’autre part, comme naguère Ludolphe de Saxe, ou, il y a peu, Denys le Chartreux, François Du Puy exprima le fruit de ses méditations dans un commentaire des Psaumes, la Catena aurea super psalmos, éditée à Paris en 151010. Dans ses deux phases successives, dans l’Église séculière puis au désert, la vie de François Du Puy offre des similitudes avec celle de saint Bruno : hommes de science tous deux, ils œuvrèrent d’abord au service de la réforme de l’Église et le lien étroit établi entre saint Bruno et saint Hugues, auquel François Du Puy donna une large place dans la biographie du premier, n’est pas sans préfigurer celui qui devait demeurer entre lui-même et Laurent Allemand après de longues années d’apostolat commun. Comme Bruno et sur ses traces, la cinquantaine venue, François Du Puy répondit à une vocation plus haute. *

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C’est à cette vocation que l’on doit la conservation de la bibliothèque qu’il avait patiemment constituée vingt-cinq ans durant avant de la transporter en Chartreuse où, bien individualisée par le blason ou l’ex-libris de son possesseur, elle demeura jusqu’au moment de son transfert à la Bibliothèque municipale de Grenoble (1803-1813), en application des décrets de saisie de la Révolution11. C’est désormais là que, outre une dizaine de manuscrits, 210 incunables demeurent consultables12. 8 (Dom Maurice Laporte), Aux sources de la vie cartusienne, I, Éclaircissements concernant la vie de saint Bruno, Grande Chartreuse, 1960. 9 Vita Brunonis, par Blomevenna; voir Gérald Chaix, Réforme et ContreRéforme catholiques. Recherches sur la chartreuse de Cologne au XVIe siècle, Salzbourg, 1982, Analecta cartusiana 80, I, p. 147-148. 10 Catena aurea super Psalmos, Paris, 1510, in f. 11 Mise au point par P. Hamon, La bibliothèque de la Grande Chartreuse, dans Les Chartreux, le désert et le monde (1084-1984), Grenoble, 1984, p. 52-54. 12 E. Maignien, Catalogue cité ci-dessus n. 2.

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La constitution de cette bibliothèque a été l’œuvre d’une vie, si l’on en juge par ce que l’on peut savoir par les dates d’édition ou la période d’achat quand elle est connue. Près du tiers des volumes (60) comportent en effet une indication sur la situation de l’acheteur : sur 13 d’entre eux, il est «docteur dans les deux droits et official de Valence» sur 47 autres «official de Grenoble». Quand aucune précision ne figure sur le livre, une date d’édition postérieure à l’installation à Grenoble en 1487-1488 permet d’ajouter 89 volumes à la période grenobloise13 : les deux tiers au moins du fonds – 136 volumes – sont donc à coup sûr rassemblés pendant cette période et probablement davantage, une date d’édition antérieure à 1487 ne permettant évidemment pas de conclure que l’achat a été réalisé avant l’arrivée à Grenoble, comme ce fut le cas pour l’Encyclopédie de Barthélemy l’Anglais, pour la Somme théologique d’Alexandre de Halès ou les œuvres de saint Antonin de Florence. Une durée de constitution de 25 ans environ étant avérée, c’est une moyenne de 8 à 10 volumes qui furent achetés chaque année : moyenne qui ne correspond vraisemblablement pas au rythme réel des achats, mais qui permet au moins de constater que les dernières années ne constituent en aucun cas une période de détachement : à s’en tenir en effet aux dates d’édition, 12 volumes ont été édités en 1496, 7 en 1497 et 1498. C’est dire que jusqu’à son entrée en Chartreuse, François Du Puy n’a pas cessé de s’intéresser aux mouvements des idées et de se pourvoir dans tous les foyers d’édition contemporains, si l’on en juge par le clavier très large de ses fournisseurs14. L’analyse interne des grandes sections de la bibliothèque montre la part importante du droit : chez un docteur in utroque, nanti de responsabilités dans la gestion de l’Église, on ne saurait s’étonner de la présence de 57 titres, soit plus du quart du fonds. Des textes de base du droit civil (Code, Institutes) et du droit canonique (Sexte) y figurent, assortis de grands commentaires tant en droit civil – Azon, Bartole, Balde et leur longue postérité de Jason de May-

13 Sur la détermination de cette date, voir P. Paravy, De la Chrétienté romaine... cit., p. 98, n. 59. 14 Vingt-neuf centres d’édition sont représentés dans ce fonds; quinze d’entre eux sont italiens et fournissent la moitié des ouvrages dont la provenance est connue (92 sur 182). Largement en tête, les presses vénitiennes ont fourni 44 incunables dans les domaines du droit, des sentences et des sermons et dans celui de l’humanisme littéraire. Suivent en importance les centres de Milan, Bologne et Pavie. Dans le monde germanique, 51 ouvrages proviennent de 10 centres : Bâle, avec 18 incunables (8 pour le domaine spirituel seul), surclasse Nuremberg, Cologne et Strasbourg. En France, à l’exception d’un bréviaire édité à Vienne, ce sont Lyon (21) et Paris (16) qui fournissent des ouvrages appartenant à chacune des catégories de la bibliothèque.

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no ou Alexandre d’Imola jusqu’à François de Accoltis ou André de Barbatia – qu’en droit canonique, avec Guillaume Durand, Panormitain et de nombreux autres commentateurs des décrétales15. La Summa de Ecclesia de Torquemada, dans l’édition lyonnaise de 1496, montre l’intérêt pour les problèmes contemporains de l’Église. Le droit coutumier n’ est pas absent si l’on en juge par la Somme rural de Jean Boutillier et les traités sur les fiefs d’Andreas d’Ysernia et d’Alvarotis. L’utilisation des instruments de travail, répertoires et dictionnaires, correspondant à la diffusion pédagogique des XIVe et XVe siècles, témoigne également sans surprise du caractère pratique, «fonctionnel» de cette bibliothèque orientée principalement sur les productions italiennes. C’est le même souci pratique, en fonction de ses responsabilités d’official, qui a conduit François Du Puy à réunir une documentation sur les phénomènes hétérodoxes16. La théologie, science de Dieu entendue au sens le plus large, tient une place essentielle dans le fonds avec 80 titres, près de 40% de l’ensemble, entre patristique, spiritualité, théologie scolastique, pastorale et sermons. Les spéculations de l’École, Sommes ou Commentaires des Sentences, comportent 21 titres avec une égale attention à la tradition thomiste et à la tradition franciscaine. Tradition thomiste avec saint Thomas d’Aquin lui-même, dont la Somme contre les Gentils est la

15 Sur l’édition de ces ouvrages, voir D. Coq et E. Ornato, La promotion et le marché de l’incunable. Le cas des livres juridiques, dans Le livre dans l’Europe de la Renaissance : actes du XXVIIIe Colloque international d’études humanistes de Tours, Paris, 1988, p. 305-322. 16 Alphonse de Spina, Fortalitium fidei contra fidei christianae hostes, Nuremberg, A. Koburger, 1485; voir M. Esposito, Notes sur le Fortatilicium fidei d’Alphonse de Spina, dans Revue d’histoire de l’Église, 43, 1978, p. 514-536; un deuxième exemplaire de cette œuvre où sont évoquées les sorcières, perverse mulieres, qui abondent in Dalphinatu et in Vasconia était entre les mains de Claude Rolin, prieur du couvent des frères Prêcheurs de Grenoble en 1520 (E. Maignien, cat. cit., p. 18); Hilarius Litomiricensis, Tractatus contra perfidiam aliquorum Bohemorum, Strasbourg, sn., 1485; Henri Institoris, Tractatus varii contra errores adversus Eucharistiae sacramentum exortos, Nuremberg, A. Koburger, 1496; voir A. Danet (éd.), H. Institoris, J. Sprenger, Le marteau des sorcières. Malleus Maleficarum, 1486, 2e éd., Grenoble, 1990, introduction, p. 32-39; Pierre Mamoris, Flagellum maleficorum (v. 1462) et Henri de Gorichem (Gorkum), Tractatus de superstitiosis quibusdam casibus, (v. 1425); J. Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte der Hexenwahns und der Hexenverfolgung im Mittelalter, Bonn, 1901, a publié des extraits de l’œuvre d’Henri de Gorkum, professeur de théologie de Cologne et de celle de Pierre Mamoris, chanoine de Saintes et régent de l’Université de Poitiers, 18, p. 87-88 et 38, p. 208-212; pour H. de Gorkum, voir E. Delaruelle, L’Église au temps du Grand Schisme et de la crise conciliaire (13781449), Paris, 1964, 14,2, p 824-826 et pour Pierre Mamoris, J. B. Russell, Witchcraft in the Middle Ages, Ithaca-Londres, 1972, p. 236-238.

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plus ancienne édition présente dans le fonds (Rome, 1475) et ses commentateurs les plus autorisés, Gilles de Rome, Pierre de La Palud, Capreolus, rassemblés méthodiquement jusqu’aux plus récentes éditions vénitiennes de 1492 et 1493; tradition franciscaine avec saint Bonaventure, Alexandre de Halès (édition de Nuremberg, 1482), lu dès la période valentinoise, et aussi spéculations de l’école critique et nominaliste, de Duns Scot à Guillaume d’Occam et jusqu’au contemporain Gabriel Biel (mort en 1495), avec l’Exposition du canon de la messe (Reutlingen, 1488), œuvre du dernier scolastique de l’École d’Occam et proche de Windesheim, dont on sait l’influence exercée et la lecture attentive dont il a été l’objet de la part de Luther17. Dix titres concernent le domaine moral avec une forte place aux œuvres de diffusion pédagogique, de la Summa de casibus conscientiae (vers 1317, éd. A. Koburger, Nuremberg, 1482) du frère mineur Astesanus d’Asti, vaste synthèse de la vie morale intégrant les apports du droit et de la théologie18, jusqu’à de véritables dictionnaires comme la Summa Baptistiniana (Nuremberg, 1488) de Jean-Baptiste Trovamala, frère mineur observant de la province de Gênes19 ou à l’anonyme Summa in virtutes cardinales et vitia (Paris, 1480) représentative d’un ample courant de diffusion trois fois séculaire. Quatorze volumes de sermons ou d’ouvrages en permettant l’élaboration, depuis l’héritage du XIIIe siècle – la Summa Abstinentia, recueil inspiré de Guillaume Peyraut, traditionnellement attribué à Nicolas de Biard, l’un des maîtres de recueils de Distinctiones (vers 1280) à l’usage des prédicateurs de son temps 20 et les sermons ad status de Guibert de Tournai, (mort en 1284) 21 – puis, pour le XIVe siècle, l’Opus de laudibus sanctorum (Venise, 1493) de François de Meyronnes (mort vers1325/1326 ou 1328/1329), le franciscain de Barcelonnette 22, jusqu’aux contemporains de grand renom, le dominicain Léonard d’Udine (mort en 1469), qui prêcha devant Eugène IV à

17 M. Staub, Biel (Gabriel) (vers 1410-1495), dans DEMA, 1, 1997, p. 203-204; et W. Dehloff, Biel, dans Theologische Realenzyklopädie, 6, 1980, p. 488-491. 18 P. Michaud Quentin, Sommes de casuistique et manuels de confession au Moyen Âge (XIIe-XVIe siècles), Analecta mediaevalia Namurcencia, 13, LouvainLille-Montréal, 1962, p. 57-60. 19 P. Édouard d’Alençon, Baptiste de Sale (de Salis). v Baptiste Trovamala, dans Dictionnaire de théologie catholique, 2, 1905, p. 378-379. 20 J. Bataillon, The tradition of Nicholas of Biard’s Distinctiones, dans Viator, 25, 1994, p. 245-288; N. Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole. La prédication à Paris au XIIIe siècle, 1, Paris, 1998, p. 155, p. 182, n. 169. 21 Sermones, slnd (Lyon, 1477); voir N. Bériou, ouv. cit. p. 185-186. 22 E. Longpré, François de Meyronnes, dans Catholicisme hier, aujourd’hui, demain, 4, 1956, p. 1555-1557; H. Rossman, id., dans Dictionnaire de spiritualité, 10, 1980, p. 1155-1161.

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Florence, les mineurs observants Michel de Carcano de Milan (mort en 1484) appartenant à la première génération des disciples de Bernardin de Sienne dont il prononça le panégyrique à L’Aquilà lors du transfert de sa dépouille en 1472, Robert Caracciolo de Lecce (mort en 1495), qualifié en son temps de très grande célébrité de «second Paul» par ses auditeurs enthousiastes et dont le Quadragesimale de peccatis (Lyon, 1488) possédé par François Du Puy, fut une œuvre très éditée en cette fin du XVe siècle (6 éditions avant 1496) 23, et enfin Henri de Herp (mort en 1477), frère de la Vie commune, homme du Nord devenu frère mineur observant à Rome, puis artisan d’un nouveau développement de l’Observance franciscaine en Flandre. Il est présent ici par son recueil de sermons ad modum instructionem tam confessorum quam predicatorum, le Speculum aureum decem preceptorum dont l’élaboration accompagna celle de son œuvre de spiritualité ascétique et mystique, objet bientôt d’une ample diffusion par les chartreux de Cologne 24. Dans le domaine de la spiritualité, la forte tradition patristique s’exprime, à la notable exception de saint Augustin, à travers 16 titres où figurent saint Ambroise, saint Grégoire, Léon Le Grand, Isidore de Séville aux côtés de Jean Cassien et surtout de saint Bernard par Lettres et Sermons. En ce qui concerne la fin du Moyen Âge – 18 volumes –, les œuvres des auteurs rhénans et flamands sont les plus nombreuses, depuis la Vita Christi de Ludolphe de Saxe (mort en 1378) et le De reformatione virium animae de Gérard Zerbolt de Zutphen (mort en 1398), penseur des origines de la fraternité de Deventer et considéré, après Groote et Radewijns, comme l’un des fondateurs de la Devotio moderna 25, jusqu’à celles des humanistes cri23 Léonard d’Udine, Sermones quadragesimales de legibus, Paris, M. Krantz, 1478; voir Th. Kaeppeli, Scriptores ordinis praedicatorum, Rome, 1980, 3, 80-85; Michel de Carcano, Sermones quadragesimales, Venise, J. et G. de Gregoriis, 1492; voir R. Rusconi, Michele Carcano da Milano e le caratteristiche delle sue predicazioni, dans Picenum seraphicum, 10, 1973, p. 196-218; Robert Caracciolo de Lecce, Quadragesimale de peccatis, Lyon, J. Trechsel, 1488; J. Heerinckx, Caracciolo (Robert) de Lecce, dans Dictionnaire de spiritualité, 2, 1, 1953,p. 120-121. 24 Henri de Herp, Speculum aureum de preaeceptis divinae legis, Nuremberg, A. Koburger, 1481; voir E. Gullick et O. de Veghel, Herp, dans Dictionnaire de spiritualité, 7, 1969, 346-366; sur son œuvre mystique qui connut une large diffusion dans toute l’Europe de l’Ouest dès la traduction par Blomevenna et l’édition du Miroir de perfection à Cologne en 1509, voir G. Chaix, ouv. cit., I, p. 143-146 et p. 289-291. 25 Ludolphe de Saxe, Vita Christi, Lyon (Jean Syber) s.d., voir W. Baier, dans Dictionnaire de Spiritualité, 9, 1976, p. 1130-1138 et Id., Untersuchungen zu den Passionsbetrachtungen in der Vita Christi des Ludolf von Sachsen, dans Analecta Cartusiana, 44, 1977, p. I-3. Gérard de Zutphen, De reformatione virium animae (Bâle, Amerbach, 1492); voir Th. Mertens et G. H. Gerrits, Inter timorem et spem. A study of the theological thought of Gérard Zerbolt de Zutphen (1367-1398), Leyde, 1986.

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tiques strasbourgeois contemporains, Brant, Wimpheling à travers des textes reflétant une dévotion ardente, telle celle que Wimpheling vouait à la Vierge 26. La présence du De triplici vita de Marsile Ficin (édition parisienne, s.d.) montre aussi en ce domaine l’ouverture à un autre pôle spirituel, celui des humanistes néo-platoniciens florentins 27, au cœur d’un monde méridional qui triomphe sans partage dans le domaine de l’humanisme littéraire, celui des traductions des auteurs grecs et des éditions des auteurs de l’Antiquité latine et du présent. C’est en effet la dernière grande catégorie de cette bibliothèque, ne comptant pas moins de 50 ouvrages, soit près du quart de l’ensemble. Douze volumes sont consacrés aux auteurs grecs que François Du Puy, comme la plupart de ses contemporains, aborde à travers les traductions. Aristote, avec cinq titres, dont l’Éthique, l’Économique, la Politique dans la traduction de Jean Versor, recteur de l’Université de Paris au milieu du XVe siècle, et édité à Cologne dans la dernière décennie du siècle, précède Platon et Plotin dans les traductions de Marsile Ficin éditées à Venise et à Florence, Hésiode et aussi Strabon, Hérodote, Thucydide, représentants antiques d’un courant cher à François Du Puy, celui de l’histoire. Plus nombreux, les trente livres latins constituent un florilège où voisinent lectures médiévales traditionnelles et nouveautés avec Cicéron, Hérodien, Horace, Juvénal, Lucain, Macrobe, Martial, Plaute, Pline, Properce, Quintilien, Sénèque, Stace et les historiens César, Tite Live, Tacite, Valère Maxime, pour la plupart d’entre eux dans les éditions italiennes de la dernière décennie du siècle. Parmi les grands auteurs italiens – huit volumes – Dante est présent par une superbe édition vénitienne de 1491 de La Divine Comédie. De Boccace figure la Généalogie des dieux dans un ensemble où voisinent avec Marsile Ficin, Laurent Valla – Des élégances de la langue latine –, Filelfe, dans l’édition vénitienne de 1492 des Orationes et Alberti, avec le De re aedificatoria 28.

26 Sébastien Brant, Varia Carmina, slnd., (Bâle, 1494) voir Ph. Dollinger, Sébastien Brant, Strasbourg, 1955; Wimpheling, De nuncio angelico Carmen (Bâle, 1494); voir F. Rapp, Réforme et Réformation à Strasbourg. Église et société dans le diocèse de Strasbourg (1450-1525), Paris, 1975, p. 160-169 et Id., dans Dictionnaire de spiritualité, 16, 1994, p. 1454-1457. 27 Sur l’humanisme mystique de Ficin, voir H. de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Paris, 1964, seconde partie, 2, p. 391-396; P. O. Kristeller, Marsilio Ficino and his works after five hundred years, Florence, 1987; C. Vasoli, Quasi sit deus : studi su Marsilio Ficino, Lecce, 1999. 28 Dante Divina Commedia col Commento di Christophoro Landino, Venise, Bernadinus de Benaliis et Matthaeus de Parme, 1491; Boccace, Genealogiae deorum Libri XV, Vienne, 1487; L. Valla, Opus elegantiarum linguae latinae, sl., 1487; Alberti, De re aedificatoria libri X, (Florence), 1485.

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Le goût pour l’histoire de François Du Puy, affirmé dans la présence des grands auteurs grecs et latins, se confirme dans le choix de neuf autres ouvrages dont les Chroniques de Saint-Denis, le Chronicon de saint Antonin de Florence, ou le très répandu Fasciculus temporum du chartreux Rolevinck (mort en 1502), attestant l’ampleur d’une quête étendue à tous les foyers de culture 29. Encyclopédies, en particulier celle de Barthélemy l’Anglais, De proprietatibus rerum acquise dans l’édition lyonnaise de 1482 dès la période valentinoise, grammaires et vocabulaires, complètent l’ensemble avec un bréviaire et un martyrologe romains. *

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L’étude comparée de ce fonds avec celui d’autres bibliothèques contemporaines ou ayant appartenu à des clercs ayant un profil proche de celui de François Du Puy permet de mesurer mieux la place de cet homme modelé par la forte tradition des Écoles et ouvert aux nouveautés du temps présent. Ce que l’on sait des bibliothèques ecclésiastiques depuis le XIVe siècle par la documentation des Archives du Vatican où sont répertoriés les acquis liés à l’exercice du droit de dépouilles, ou par les informations tirées des minutiers des notaires, ne fait que confirmer l’évidence de l’ampleur de la révolution liée à l’imprimerie : non pas en ce qui concerne les fondements mêmes de la culture universitaire juridique, théologique et pastorale des membres de la hiérarchie de l’Église, mais bien dans la possibilité d’accès rapide aux recherches du présent et aux publications des humanistes. Il est frappant de ce point de vue que la seule bibliothèque du passé à laquelle on puisse comparer la physionomie de celle de François Du Puy est celle, incomparablement plus vaste, du pape Benoît XIII à l’aube du XVe siècle, où Marie-Henriette Jullien de Pommerol a pu constater entre les inventaires de 1397 et de 1407 une «véritable explosion culturelle» sous l’influence des préhumanistes Jean de Montreuil et Nicolas de Clamanges en particulier 30. Ce qui était naguère privilège pon29 Chroniques de Saint-Denis, Paris, A. Vérard; saint Antonin de Florence, Chronicon sive opus historiarum, Nuremberg, A. Koburger, 1484; W. Rolevinck, Fasciculus temporum, Aix, 1486; voir G. Chaix, Rolevinck (Werner) chartreux, 1425-1502, dans Dictionnaire de spiritualité, 13, Paris, 1982, 894-897; sur les éditions et traductions nombreuses et précoces du Fasciculus temporum attestant sa très grande diffusion, voir R. Werner, Étude sur le Fasciculus Temporum, Château d’Oex, 1937 et J. Seynnaeve, The langage of the first vernacular version of the Fasciculus Temporum, dans Die Kartäuser und die Künste ihren Zeit, Salzbourg, 2001 [= Analecta cartusiana, 157, 2], p. 31-36. 30 Sur les bibliothèques privées des gens d’Église, voir G. Hasenohr, L’essor des bibliothèques privées aux XIVe et XVe siècles, dans A. Vernet (dir.), Histoire des

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tifical est devenu trois générations plus tard accessible à d’autres à partir du milieu du XVe siècle. De ce point de vue, il est d’ailleurs frappant de constater la précocité de l’adhésion de François Du Puy à la nouveauté du siècle : la possession de plus de deux cents incunables le met en effet à égalité avec son contemporain Jean Heynlin, fondateur avec Guillaume Fichet du premier atelier typographique en Sorbonne en 1470, avant de gagner Bâle, d’y entrer en Chartreuse où il mourut en 1492 en léguant à la maison cinquante-trois manuscrits et deux cent quatre incunables 31. Ces chiffres de plus de deux cents imprimés dès la fin du XVe siècle montre à l’évidence une particulière avance par rapport à ce que révèle nombre d’inventaires contemporains 32. Dans la mesure où le don de François Du Puy a contribué à enrichir la bibliothèque de la Grande Chartreuse, la comparaison s’impose enfin avec les bibliothèques monastiques contemporaines, celle rénovée de Clairvaux, par l’achèvement en 1503 de la Magna Libraria, dotée d’après l’inventaire de 1521 de nombreux incunables et de livres imprimés au début du XVIe siècle 33 ; l’évaluation à deux cent soixante-douze du nombre des incunables témoigne d’ailleurs par comparaison de la valeur du don personnel de François Du Puy à ses frères chartreux. On l’a crédité, inexactement, d’être à l’origine de l’inventaire de la bibliothèque de la Grande Chartreuse, qu’il faut plutôt faire remonter à la fin du XVe siècle 34. La suprématie écla-

bibliothèques françaises. Les bibliothèques médiévales du VIe siècle à 1530, Paris, 1989, p. 215-263, en particulier p. 232-239. Pour les bibliothèques du XIVe siècle, voir M. H. Jullien de Pommerol et J. Monfrin (éd.), Bibliothèques ecclésiastiques au temps de la Papauté d’Avignon, II. Inventaire de prélats et de clercs français, Paris, 2001 et pour celle d’Avignon, M. H. Jullien de Pommerol et J. Monfrin, La bibliothèque pontificale à Avignon et à Peniscola, 2 vol., Rome, 1991 (Collection de l’École française de Rome, 141); M. H. Jullien de Pommerol, Les papes d’Avignon et leurs manuscrits, dans Livres et Bibliothèques (XIIIe-XVe siècles), Toulouse, 1996 (Cahiers de Fanjeaux, 31), p. 131-156, p. 148. 31 J. Monfrin, Les lectures de Guillaume Fichet et de Jean Heynlin d’après le registre de prêt de la Bibliothèque de la Sorbonne, dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 17, 1955, p. 7-23 et p. 145-153, p. 145. 32 Sont révélateurs à cet égard les graphiques établis par C. Pozzolo et E. Ornato, Les bibliothèques entre le manuscrit et l’imprimé, dans Histoire des bibliothèques françaises, cit., p. 333. à partir de 58 inventaires, tirés du Minutier central des Archives nationales. 33 J. P. Bouhot, La bibliothèque de Clairvaux, dans Bernard de Clairvaux. Histoire, mentalités, spiritualité, Paris, 1992 (Sources chrétiennes, 380), p. 141-153. 34 Edité par P. Fournier, Notice sur la bibliothèque de la Grande Chartreuse au Moyen Âge, suivie d’un catalogue de cette bibliothèque au XVe siècle, extrait du Bulletin de l’Académie delphinale, Grenoble, 1887. Pour la date de cet inventaire, voir D. de Becdelièvre, Les manuscrits du XIIe siècle provenant de la Grande Chartreuse. Enquête codicologique sur le fonds de la Bibliothèque municipale de Grenoble, thèse dactylographiée, Grenoble II, 2000, vol. 1, p. 994.

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tante, dans ce fonds – que la date même de l’inventaire incite à penser constitué principalement de manuscrits – de l’Écriture et de la tradition patristique, morale et juridique, permet de mesure l’ampleur de l’ouverture au présent liée à l’intégration de la bibliothèque de François Du Puy. C’est donc moins avec cet inventaire, comportant plus de 630 titres, qu’avec celui de la bibliothèque de la Chartreuse de Cologne dans les années 1500 que la confrontation des contenus s’impose, dans la mesure où cette dernière présente une physionomie proche de celle de François Du Puy avec les choix de la scolastique jusqu’à Duns Scot, Guillaume d’Occam, Gabriel Biel, l’importance de la mystique avec, auprès de saint Bernard, les Flamands, Ruysbroek et Herp et de la Devotio moderna (Groote, Zutphen), la présence attendue de Ludolphe de Saxe. Si l’ouverture au courant septentrional chez François Du Puy impose le rapprochement, il convient d’ailleurs de remarquer que ce n’est qu’au XVIe siècle que l’humanisme littéraire présent chez lui pénètre à Cologne au moment où les presses fonctionnent un temps à la chartreuse même 35. Il est évident que si l’on compare enfin avec une bibliothèque contemporaine italienne, l’ouverture à l’humanisme reste modeste en importance statistique par rapport à l’ensemble d’un fonds marqué par la tradition médiévale. Mais plus que les pourcentages, importent ici la notion essentielle d’ouverture et l’ampleur d’une interrogation culturelle qui ne laisse dans l’ombre aucune des orientations privilégiées de la Via moderna. C’est jusqu’au moment de son entrée en Chartreuse que François Du Puy conserva cet esprit d’ouverture : le calendrier des achats établi en fonction des dates d’édition des ouvrages, analysé antérieurement du point de vue statistique, est non moins révélateur du point de vue thématique. La première évidence est que l’enrichissement date de la période grenobloise : les treize ouvrages comportant explicitement la référence au séjour valentinois sont, à l’exception de la Somme de théologie d’Alexandre de Halès, de la Somme de théologie morale de saint Antonin de Florence, destinée à demeurer l’un des livres les plus lus de son possesseur et de la Summa de casibus conscientiae d’Astesanus d’Asti, des ouvrages de droit. C’est la période grenobloise qui été celle de l’épanouissement des aspirations culturelles : sans entrer dans l’analyse détaillée d’une chronologie des éditions montrant que la moitié des ouvrages relevant de l’humanisme ont été éditée après 1490, ce qui signifie à l’évidence la concentration des achats dans la dernière période grenobloise, et à

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G. Chaix, Réforme et Contre-Réforme, cit., p. 86-99.

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s’en tenir aux dernières années, il apparaît que les choix d’œuvres éditées en 1496 par exemple – douze titres – appartiennent à chacune des sections : le droit (Torquemada), la lutte contre les hétérodoxes (Institoris), les commentaires des Sentences, la patristique (Grégoire Le Grand, Exposition sur le Cantique), les sermons (Léonard D’Udine), et aussi Thucydide et Priscien le grammairien. La constatation s’impose dès lors d’un effort d’approfondissement dans tous les domaines, montrant combien cet homme d’École est constamment demeuré dans une attitude d’écoute à l’égard du monde : ce qui ne donne que plus de relief et de signification au choix de rupture fait en 1500 et rend d’autant plus nécessaire d’aborder le problème de ses lectures et de ses choix privilégiés, pour connaître, par-delà les épisodes d’une carrière devenus anecdotiques de ce point de vue, l’homme et bientôt le chartreux qu’il choisit d’être.

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Ses notes de lecture sont parfaitement identifiables par l’écriture même, ronde, moulée, très ferme ainsi que le montre sa signature. Dans la mesure où son exemplaire de la Somme de théologie morale de saint Antonin de Florence est la source essentielle de son traité de la visite pastorale, né d’une lecture attentive et d’une recomposition de celui de son inspirateur, l’attribution à François Du Puy de ces notes est incontestable et fournit la clé d’identification pour l’ensemble du fonds. Très méthodique, François Du Puy utilise fréquemment une main stylisée à l’index pointé pour désigner les passages essentiels, écrit Nota bene ou le mot lui-même qu’il entend détacher et qu’il copie en marge. L’accolade souligne les paragraphes essentiels avec très souvent une numérotation des arguments du texte, caractéristique du goût du classement, de l’inventaire, de cet homme à l’esprit précis et rigoureux. Statistiquement, plus du tiers des ouvrages du fonds (72) comportent des preuves de lecture, à l’exclusion bien entendu des passages simplement soulignés, en particulier dans les tables des matières, dont on ne peut garantir qu’ils soient de sa main. Mais la répartition de ces preuves est inégale et deux grandes catégories de lecture apparaissent à l’évidence : les ouvrages révélateurs de son ouverture au monde et de son appétit culturel, tout ce qui relève de l’humanisme, est peu souligné, sans qu’on puisse pour autant conclure à l’indifférence dans la mesure où la quête elle-même est significative de la volonté de connaître. Sept volumes seulement sur la cinquantaine conservée comportent ces marques : Aristote, Platon édité par Ficin, les livres d’histoire des Romains, Quintilien en sont

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l’objet. Il est vrai qu’un ouvrage de la qualité éditoriale de la Divine Comédie se serait mal prêté à ce genre d’annotations. À l’évidence, ce sont les ouvrages de travail, ceux qu’il manie soit pour des raisons professionnelles, soit en fonction de recherches visant à son approfondissement personnel qui sont lus avec une attention scrupuleuse. Plus du tiers de ses livres de droit – 21 sur 57 – sont annotés et en ce qui concerne la théologie entendue au sens large, tel est le cas pour près de la moitié – 38 ouvrages sur 80 – avec une insistance particulière sur la patristique, où les deux tiers des auteurs sont abondamment soulignés. Dans chaque catégorie, on constate l’utilisation de véritables livres de base, avec accumulation de notes. Il en est ainsi dans ses ouvrages de droit mais aussi dans le domaine des sermons – ceux de Léonard Matthieu d’Udine – par exemple, font l’objet d’un intérêt exceptionnel – et dans celui des Pères : saint Ambroise et plus encore saint Bernard sont au premier plan de ses centres d’intérêt, ainsi que Jean Cassien. D’une étude en cours sur François Du Puy, quelques pistes essentielles peuvent être évoquées ici sur ce que l’ensemble révèle de sa démarche : d’abord tout ce que ses lectures montrent de son souci de maîtrise du monde, à la fois dans l’action à y conduire et dans sa connaissance. C’est en effet en fonction des problèmes qu’il rencontre que François Du Puy s’intéresse à l’apport des auteurs consultés. Tous les aspects de la réforme religieuse sont au premier plan de ses préoccupations tant pour l’Église séculière – avec l’insistance sur les responsabilités de l’épiscopat, en ce qui concerne en particulier les visites pastorales, la discipline et la formation du clergé – que pour le monde monastique : le lecteur a accumulé l’information sur les règles religieuses et sur les choix qu’elles impliquent. Official diocésain dans une principauté fortement marquée par la présence de foyers hétérodoxes et les longs combats dont ils furent l’objet à la fin du Moyen Âge, François Du Puy scrute avec une extrême attention tout ce qui touche aux querelles sur la pauvreté, depuis la critique des Fraticelli jusqu’à celle des Vaudois. Il a souligné fortement dans la Summa de Ecclesia de Torquemada ce qui concerne Wyclif, Hus et les Vaudois, intérêt que l’on retrouve dans sa lecture de saint Antonin de Florence. L’intéressent également les exposés sur les différences entre hérésies et sorcellerie en un temps où l’action rigoureuse de la justice laïque contre les sorciers souligne avec force la spécificité de cette déviance majeure. L’intéresse non moins la connaissance du monde à la fois sur le plan géographique, comme l’atteste le fait qu’il ait scruté de très près l’itinéraire de Bernard de Breydenbach, doyen et camérier de l’Église de Mayence, dont il possède la première édition 36 et sur le

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Sanctae peregrinationes in Montem Sion, Mayence, Erhardus Reuwich,

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plan historique. De ce point de vue, François Du Puy a un sens très concret et très précis de l’histoire, loin des perceptions anciennes privilégiant la perspective théologique des événements 37. Son exemplaire du Chronicon de saint Antonin de Florence montre son ouverture au monde romain : il y annote soigneusement les guerres puniques, Scipion, puis César et la guerre civile – on s’explique par là l’intérêt qui l’a conduit à se procurer l’édition du De Bello gallico. L’histoire du christianisme fait l’objet d’une lecture particulièrement attentive tant en ce qui concerne les origines, la vie et la passion du Christ, que le temps des Pères très largement soulignés. Pour la période plus proche, le titre XVII, d’Urbain II à Innocent III, se caractérise par l’attention particulière portée à la réforme dans le cadre grégorien, à la croisade et aux missions, celle de Jean de Plancarpin en particulier. Dans l’histoire des souverains et des royaumes, François Du Puy s’est particulièrement intéressé à Saint Louis et à toute la période qui a suivi jusqu’à la mort des fils de Philippe Le Bel. L’idéal d’ordre et d’autorité se dégage avec force de l’ensemble, tant en ce qui concerne le primat de l’autorité pontificale que l’exercice de celle du roi en son royaume. François Du Puy ne cède manifestement jamais au prestige du symbolisme, des correspondances à travers le temps et conserve les yeux ouverts dans une réflexion actuelle.

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L’examen de ses œuvres personnelles témoigne d’ailleurs de l’assimilation et de l’utilisation directe de ses lectures. Deux exemples le montrent, appartenant aux deux phases successives de son existence : le traité de la visite pastorale et la Vita Brunonis. Le traité, objet d’une étude antérieure dont il suffit de rappeler les conclusions, est né de la lecture attentive de celui de saint Antonin de Florence, présenté dans la Somme de théologie morale 38. Une rare bonne fortune a permis de conserver trois des quatre volumes de l’œuvre

1486; voir H. W. Davies, Bernhard von Breydenbach and his journey to the Holy Land, 1483-1484, A bibliography, Londres, 1911. 37 B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 29-38. 38 P. Paravy, Le traité de la visite pastorale de François Du Puy, official du diocèse de Grenoble (fin XVe siècle). Lecture et influence de la Summa theologiae moralis de saint Antonin de Florence, dans H. Dubois, J. C. Hocquet et A. Vauchez (dir.), Horizons marins. Itinéraires spirituels (Ve-XVIIIe siècles), I, Mentalités et sociétés, Paris, 1987, p. 213-222.

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acquise dès le séjour valentinois de son possesseur. On peut y lire les notes nombreuses dont le texte a fait l’objet avant l’élaboration du traité qui figure lui-même dans les premiers folios des procès-verbaux des visites pastorales de Laurent Ier Allemand en 1488. Une première confrontation suggère un simple démarquage du modèle. En fait, les preuves apparaissent bientôt d’une assimilation accompagnée d’une réévaluation des données foisonnantes de son inspirateur; par exemple en ce qui concerne la prédication : elle figurait chez saint Antonin dans l’exposé des différents devoirs de l’évêque; ici, elle est présentée après l’inspection des lieux et du mobilier liturgique et avant l’enquête sur les hommes réunis pour répondre, comme un moment clé de la visite et de la présence agissante de l’évêque. Autre preuve de celle-ci : l’examen du Corpus Christi qui s’accompagne d’une ostension aux fidèles et devient le premier temps fort de la visite. Ainsi prend-elle son sens : elle n’est pas seulement pensée comme inspection corrective, mais bien comme rassemblement privilégié de la communauté réunie autour de son évêque dans une perspective pastorale stimulante. La Vita Brunonis éditée chez Amerbach, à Bâle, témoigne tout aussi évidemment de l’influence de ses lectures 39. L’œuvre de François Du Puy prenait place dans une longue suite de biographies, depuis l’évocation première de la vie du saint dans la Vita Hugonis par Guigues, depuis la notice Magister, puis la chronique Laudemus du milieu du XIIIe siècle, jusqu’à la fin du XIVe siècle avec la chronique Quoniam précédant l’œuvre de Dom Kalkar de Cologne, (1398) et jusqu’au poème de Zacharias Benedictus de 1508, chacune de ces évocations jalonnant les étapes essentielles de la construction d’une mémoire. Située à l’aboutissement de cet ample courant où, entre rares jalons dûment attestés établissant une chronologie sûre, mais très elliptique de la vie de Bruno depuis Reims jusqu’à la Calabre – la notice Magister 40 – et extrapolations quant à nombre d’épisodes qui l’accompagnent, la démarche de François Du Puy est d’abord cumulative par les emprunts littéraux qu’il fait à l’ensemble d’une tradition qu’il eût été hors de propos de remettre en cause dans une construction critique anachronique à l’heure où il convient d’exalter le grand fondateur 41. Son apport propre n’en est pas moins évident et

Éd. Patrologie latine, t. 152, col. 491-526. B. Bligny, Saint Bruno, le premier Chartreux, Rennes, 1984, a présenté une mise au point biographique, où sont discutés les aspects légendaires introduits au fil du temps. 41 Je remercie mon étudiante F. André de sa collaboration par son étude : François Du Puy, hagiographe de saint Bruno. L’hommage du prince des humanistes dauphinois au Père des chartreux, TER dactyl., Grenoble, 1993. 39 40

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se manifeste dans sa réflexion approfondie sur les motivations de Bruno à la lumière de ses propres lectures et recherches personnelles. Les références sont parfois explicites; ainsi quand il cite Rolevinck : legi autem in quadam historia quae Fasciculus Temporum dicitur ... 42, et plus souvent dans la présentation des faits : ainsi en estil pour le séjour romain de Bruno auquel Kalkar a donné une importance particulière en faisant du saint fondateur un véritable conseiller d’Urbain II. C’est à la lumière de sa lecture attentive de cette période clé de la fin du XIe siècle dans le Chronicon de saint Antonin de Florence que François Du Puy présente les deux thèmes de la réforme de l’Église et de la croisade dans le détail de la chronologie des conciles contemporains. Plus encore, les discours de Bruno à ses premiers disciples et les débats qui les agitent dans les moments cruciaux où, entre idéal de retraite et obéissance à la volonté du Pape, il fallut renoncer au séjour en Grande Chartreuse pour gagner Rome, constituent de véritables exposés de l’idéal cartusien tel que François Du Puy l’a progressivement intériorisé au terme d’une quête ardente : à ce niveau, modèle et disciple se rejoignent à travers les siècles. *

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Les traces d’une quête spirituelle constituent en effet l’un des enseignements les plus certains et les plus solidement attestés de ce dossier de lecture : la confrontation des œuvres annotées fait apparaître l’intérêt pour des thèmes récurrents. Ainsi François Du Puy at-il privilégié l’enquête sur les voies du renoncement : le prouvent le travail d’information sur les ordres religieux analysés dans les nombreux exposés auxquels ils ont donné lieu à travers le temps jusqu’à saint Thomas et saint Antonin et plus encore l’analyse attentive de nombreux textes relatifs à l’ascèse monastique. Chacun des thèmes de la spiritualité est abordé avec la même ampleur d’investigation, qu’il s’agisse des méditations sur le Christ – des sermons de Léon le Grand à ceux de saint Bernard et à la grande Vita Christi de Ludolphe – ou sur l’Eucharistie, depuis les Pères jusqu’aux scolastiques. L’exaltation de la Vierge est fondée à la fois sur l’attention aux débats de l’École concernant l’Immaculée Conception en particulier – Capreolus commentant les Sentences de saint Thomas d’Aquin – et sur la pure méditation spirituelle : l’attention portée aux sermons de saint Bernard sur l’Annonciation en constitue une manifestation évidente tout comme la quête sur le même thème poursuivie chez Léonard Mathieu d’Udine. Pratiquement la collecte des 42

P.L. 152, éd. citée, col. 515.

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notes de lecture permet d’établir une large convergence de références, où les thèmes abordés le sont aussi bien du point de vue de la réflexion scolastique que du point de vue spirituel. Ainsi en est-il de chacune des vertus monastiques, propédeutiques de la contemplation. Quant au thème fondamental de la prière, il fait l’objet d’une véritable fascination dont témoigne l’attention portée à Jean Cassien tant dans les Institutions que dans les Conférences à travers les propos de l’abbé Isaac et de l’abbé Cheremon : chacun des paragraphes comporte une annotation aiguë, où l’on constate que les mots font l’objet d’une véritable appropriation de la part du lecteur. Ces notes ardentes datent-elles de la période grenobloise ou sontelles le fruit de méditations cartusiennes dans les vingt années fécondes de l’épanouissement d’une vocation? La seule certitude est celle de la profonde cohérence, sans solution de continuité, d’une démarche d’approfondissement depuis les sources multiples façonnant l’homme dans toute sa richesse jusqu’à l’immersion dans la contemplation silencieuse. *

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Le choix de la voie cartusienne par François Du Puy est celui que Bruno innova naguère et proposa à Raoul Le Verd dans la fidélité au vœu commun de renoncement. Formé par les Écoles, en pleine gloire, Bruno a été le modèle de François Du Puy, ouvert lui-même à une ample recherche du savoir et n’ignorant rien du prodigieux épanouissement culturel de son temps. Pour cet homme aux yeux ouverts, tout plein de l’expérience de la gestion de l’Église séculière et parfaitement averti des débats religieux contemporains aussi bien que de la quête spirituelle et des acquis culturels du présent, le renoncement cartusien fut bien accomplissement. Loin de se borner à recevoir ce qui fut défini et créé naguère, il le retrouva au terme d’une démarche ouverte qui donne sens et profondeur à une vocation accomplie dans la fidélité. Pierrette PARAVY

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HUMANISME MONASTIQUE ET RÉFORME DENIS FAUCHER ENTRE L’ITALIE ET LA PROVENCE

Denis Faucher n’est pas un inconnu1. Et je ne prétends pas apporter beaucoup de nouveau sur sa personnalité qui, sans être de premier plan, n’en est pas moins fort attachante. Mais il aurait été regrettable qu’il ne soit pas évoqué dans un colloque dont le titre semble avoir été conçu pour lui. Car en Denis Faucher, mieux qu’en personne autre, dans la première moitié du XVIe siècle, un lien s’est tissé entre l’Humanisme et l’Église, entre l’Italie et la France méridionale. Et cela en raison du rattachement de la vieille et vénérable abbaye provençale de Lérins à la congrégation bénédictine réformée de Sainte-Justine de Padoue et du Mont-Cassin. Après avoir rappelé sommairement la vie et la carrière de Denis Faucher, je me propose d’étudier en lui le moine lettré, l’auteur spirituel et le réformateur, afin de mieux le situer parmi ses contemporains.

De la Provence à la plaine du Pô et retour Denis Faucher est né en Arles en 1493. Faisant retour sur son passé, au soir de sa vie, il écrira à ses filles spirituelles : «Dès l’enfance j’ai été attiré vers trois choses : les lettres, la peinture et la vie monastique 2 ». De l’œuvre peinte de Denis Faucher, rien n’a subsisté; 1 Presque toute l’œuvre conservée de Denis Faucher se trouve, accompagnée d’une courte notice biographique, dans Chronologia sanctorum et aliorum virorum illustrium ac abbatum sacrae Insulae Lerinensis, de Vincent Barral, Lyon, 1613, t. II, p. 221-446. À compléter par le Ms 760 (536) conservé à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence. V.-L. Bourrilly a écrit un bon article dans les Mélanges Abel Lefranc, Paris, 1936 : Un correspondant provençal de Jean du Bellay abbé de Lérins : Denys Faucher, p. 170-182. Une notice a été consacrée à Denis Faucher dans le Dictionnaire de spiritualité, par A. Derville. J’ai moi-même étudié le personnage dans un passage de ma thèse dactylographiée, telle qu’elle a été reproduite dans l’édition de Lille 1980 (p. 350-365), mais ce passage n’a pas été retenu dans l’édition imprimée en 1993, et je l’ai passablement revu et complété pour le présent colloque. 2 Bibl. Méjanes, Ms 760 (536), p. 138.

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mais en revanche nous avons d’abondants témoignages sur son attrait pour les lettres et pour la vie monastique. Pour quelle raison ce Provençal est-il entré dans le monastère bénédictin de San Benedetto Polinore, près de Mantoue, où il a fait profession en 1508, cela reste un mystère. Mais ce monastère appartenait à la congrégation réformée de Sainte-Justine de Padoue et du Mont-Cassin, qui connaissait alors, comme l’a bien montré Barry Collett, sa plus grande floraison 3. Denis Faucher y passe sept ans à étudier la théologie, entrecoupés par un voyage à Rome. En 1516, il est envoyé à Lérins avec dix autres moines italiens – parmi lesquels Jérôme de Montferrat, qui sera le premier abbé, Gregorio Cortese, Benedetto de Mantoue... – pour occuper l’abbaye qui vient d’être réformée par Agostino Grimaldi, évêque de Grasse et abbé commendataire, et rattachée par lui à la congrégation de SainteJustine 4. Il y compose un commentaire sur les épîtres de saint Paul (Ad divi Pauli Epistolas praelectiones), dont le texte est malheureusement perdu, et divers autres traités. Mais à partir de 1524 les malheurs s’abattent sur Lérins : parce que l’évêque Grimaldi a pris parti pour Charles- Quint quand celui-ci a envahi la Provence, l’abbaye est confisquée par François Ier, et les religieux italiens sont expulsés; elle ne leur sera restituée que par les traités de Madrid et de Cambrai. Denis Faucher est donc retourné au monastère de Mantoue, où il passe de nouveau six ans 5. Mais au début des années 1530, il est appelé en Provence pour réformer le monastère féminin Saint-Honorat de Tarascon, qui dépend de l’abbaye de Lérins; car l’abbé Jean-Évangéliste d’Averse, qui venait de le visiter, l’avait trouvé en fort mauvais état. Mais la mission de Denis Faucher aboutit alors à un échec. De 1533 à 1535, notre moine est encore une fois à San Benedetto, où il forme les jeunes religieux. Pendant ce temps, Lérins va mal : Grimaldi est mort en 1532 et l’abbaye est passée sous la commende de Jean du Bellay; celui-ci remet en cause la réforme et le rattachement à Sainte-Justine; le conflit ne sera réglé qu’en 1534, par un compromis 6.

3 B. Collett, Italian Benedictine scholars and the Reformation. The Congregation of Santa Giustina of Padua, Oxford, 1985. 4 Voir Abbé Alliez, Histoire du monastère de Lérins, 2 vol., Paris, 1862, t. II, p. 317 sq. Jean-Marie Le Gall prépare actuellement une nouvelle étude de cette réforme; je le remercie d’avoir bien voulu me fournir quelques références. 5 La correspondance de Denis Faucher publiée par V. Barral devrait permettre de bien suivre sa carrière, si les lettres n’étaient pas datées avec l’imprécision propre à cette époque. Le séjour de D. Faucher à Mantoue de 1525 à 1529 est vérifié par le cartulaire de l’abbaye (voir Correspondance d’Antoine Arlier, humaniste languedocien, 1527-1543, éditée par J. N. Pendergrass, Genève, 1990, p. 203 note 3). 6 B. Collett, Italian Benedictine, op. cit., p. 29.

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Revenu dès lors à Lérins, Denis Faucher est de nouveau chargé de réformer l’abbaye Saint-Honorat de Tarascon. Son action est cette fois couronnée de succès, en 1538, grâce à la présence de quelques religieuses ferventes dont Scolastique de Bectoz, qu’il fait nommer abbesse, et Delphine Tornatoris (Tornet?). Dans les années suivantes, de 1540 à 1545, il est encore fréquemment à Tarascon : c’est la grande époque de ce monastère, jusqu’à la mort de Scolastique en 1547. Ensuite, il semble que Denis Faucher n’ait plus quitté l’île des Saints. Il écrit des lettres de direction à Delphine et il rédige des traités spirituels. L’abbaye de Lérins, sous le règne de Henri II, a retrouvé la stabilité et la discipline monastique. Notre moine suit de loin avec inquiétude les premiers éclats du calvinisme en France; il meurt en 1562. Le moine lettré Denis Faucher est d’abord un produit de l’humanisme italien, tel qu’il florissait dans le monastère de Mantoue où il a passé sa jeunesse. Nous savons que dans la congrégation de Sainte-Justine, la formation donnée aux moines comportait une solide initiation au latin et au grec. Excellent latiniste, Denis Faucher avait-il acquis la même aisance en grec? Il est difficile d’en juger, car dans tout ce qui nous est parvenu de son œuvre, on ne relève que deux expressions en grec. Rien ne prouve non plus qu’il ait lu le Nouveau Testament directement dans le texte grec, et bien qu’on sache que les Pères grecs étaient très en honneur dans sa congrégation, lui-même ne les cite que très rarement. Quant à la théologie reçue à Mantoue, dont Barry Collett a bien marqué les traits originaux, notamment en ce qui concerne la doctrine du salut 7, il est probable que nous pourrions la reconnaître si nous avions conservé le cours sur les Épîtres de Paul qu’il a professé à Lérins. Aller des lettres humaines aux lettres sacrées, tel est le programme que se donne Denis Faucher quand il doit, à son tour, instruire les jeunes moines de Mantoue. Il l’expose dans deux lettres écrites l’une à Gregorio Cortese, alors abbé de Lérins, à la fin des années 1520 8, et l’autre à Antoine Gilbert, chanoine d’Arles, en 1535 9. «Chaque jour, dit-il, nous expliquons un passage de Cicéron». À Cortese, il précise qu’il a choisi le De Amicitia. S’agissant, comme il le dit, de permettre à ses élèves «de conjoindre avec la piété monasIbid., p. 51-54. Barral, Chronologia, II, p. 276. 9 Ibid., II, p. 348. Propos semblable, vers la même date, dans une lettre à Antoine Arlier, ibid., II, p. 338 (éditée par J. N. Pendergrass, Correspondance d’Antoine Arlier, p. 201-203). 7 8

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tique la beauté de la langue latine», place est faite également à la littérature chrétienne : ancienne, avec les Opuscules de Jean Cassien, et moderne, avec le poème de Sannazaro De partu Virginis, dont le sujet lui a paru convenir à l’approche de la fête de Noël. Quant à l’étude de l’Écriture sainte, elle est entourée de quelque solennité. D’abord, elle est réservée aux jours de fête; ensuite, Denis Faucher ne la conçoit que sous l’inspiration divine et l’éclairage de la Tradition patristique. On dira que cet idéal de piété lettrée est largement répandu à l’époque dans le milieu clérical. Plus originale à nos yeux est la transposition qu’en fait Denis Faucher dans le monde féminin. Car l’instruction qu’il destine aux religieuses de Tarascon, dans son programme réformateur, n’est pas différente de celle qu’il a pratiquée à Mantoue et à Lérins. Une fois encore, c’est à Gregorio Cortese qu’il expose leur programme d’études : Toutes, elles s’adonnent aux lettres, et elles apprennent à tourner les pages des livres aussi bien que leurs fuseaux et leurs quenouilles. Nous expliquons des passages des lettres de saint Cyprien et de saint Jérôme, et des extraits de saint Ambroise et d’autres auteurs, pour autant que j’estime que cela convient à leur mode d’existence et que cela leur servira; le De Officio et le Lelius de Cicéron, et en outre beaucoup de proverbes de Salomon, que je leur fais même apprendre par cœur10.

Ce faisant, Daniel Faucher se heurte à des critiques, mais il n’en a cure car, dit-il, son initiative a la faveur des princes et de presque tout le monde, en particulier des gens cultivés. De sorte que la réputation de ce monastère est très grande dans toute la France, et notamment à la cour. Le recrutement en bénéficie, car les familles nobles qui destinent leurs filles au cloître veulent qu’elles soient formées à l’exemple des moniales de Tarascon, préférant qu’elles comprennent ce qu’elles lisent ou chantent, plutôt que de réciter l’office comme des pies. En somme, Denis Faucher est très fier de ses «pieuses muses de Tarascon», auxquelles il a donné pour modèle les religieuses du monastère de La Celle, qui jadis correspondaient avec les moines de Fleury sur les sujets les plus savants. À un magistrat du parlement d’Aix, il ne craint pas d’affirmer, non sans doute sans quelque exagération, qu’«elles connaissent à fond les saintes Écritures, le grec et le latin, la poésie oratoire, l’histoire civile et ecclésiastique, la physique, morale en particulier, et la mystique qui les met en relation intime avec le Christ11». 10 11

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Barral, Chronologia, II, p. 277. Bibl. Méjanes, Ms 760 (536), p. 140.

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Mais Denis Faucher ne se contente pas d’inciter les autres à cultiver les lettres. Il prêche d’exemple, en s’adonnant aux genres les plus variés. En témoigne un catalogue des ses nugae, qu’il envoie à Delphine, sur sa demande12 ; et plus tard celui qu’a dressé le chroniqueur de Lérins, Vincent Barral, au début du XVIIe siècle13. Dans un cas comme dans l’autre, beaucoup des œuvres mentionnées ne sont pas parvenues jusqu’à nous, à commencer par le cours, déjà cité, sur les Épîtres de saint Paul. Mais ce qui subsiste est assez considérable. On y trouve des éditions de textes anciens, notamment le De eremo d’Eucher, dont Denis Faucher s’emploie vigoureusement à prouver que l’auteur était moine à Lérins; des sermons et des traités spirituels, sur lesquels nous reviendrons plus loin; une abondante correspondance, rédigée sur le modèle cicéronien, et que Barral a classée, selon l’usage, dans l’ordre hiérarchique des destinataires, des plus illustres – cardinaux, hauts magistrats – aux plus obscurs; une chronique de Provence, seul vestige d’une œuvre d’érudition locale qui dut être fort développée sur les villes et les illustrations de la Provence14 ; et enfin des poèmes, hymnes liturgiques ou pièces de circonstance, parmi lesquels se distingue un joli morceau intitulé De laudibus horti : partant d’une peinture pleine de charme des fleurs et des oiseaux qui peuplent l’île de Lérins, le chant se fait louange du Créateur; puis on glisse de là à l’âme, comparée à un jardin que l’amour du Christ doit arroser; et le poète de conclure : Quam foelix igitur mens est, quae culta pudicis / Moribus, et Christi languet amore sui15. L’auteur spirituel Dans ses écrits, Denis Faucher reste essentiellement un moine qui écrit en latin pour des moines et des moniales. Il a une idée très haute de la vocation monastique : Quid est monachus aut monacha, nisi expiatum os et castificatum corpus, et animus in Deum semper intentus, divinoque lumine irradiatus?16 Comme on voit, l’ascétisme est chez lui primordial. Il en développe les exigences dans plusieurs traités, notamment sous le titre De cruce post Christum tollenda. Il est bon, écrit-il, de nous glorifier Ibid., p. 139. Barral, Chronologia, II, p. 224. 14 Annales Provinciae, Bibl. Méjanes, Ms 760 (536). Pour des raisons qui m’échappent, certains ont mis en doute la paternité de Denis Faucher sur cet ouvrage, dont il s’affirme clairement comme l’auteur, ainsi que des quelques lettres qui l’accompagnent. 15 Barral, Chronologia, II, p. 379-380. 16 Dans la conclusion du traité De reformatione mentis, V. Barral, Chronologia, II, p. 248. 12 13

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avec l’apôtre Paul dans la croix du Seigneur, car elle est notre salut et notre rédemption. Mais le Christ nous a dit : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Et aussi : Qui ne renonce à soi-même et ne prend sa croix ne peut être mon disciple. Or la croix, pour le moine d’aujourd’hui, ce sont les jeûnes, les veilles, le renoncement à soi-même, les mortifications des sens, la discipline du cloître. Le moine doit être un soldat du Christ (miles Christi), prêt à combattre pour lui comme jadis les martyrs. «Regardez, écrit Denis Faucher, tout ce que les soldats, les agriculteurs, les artisans sont prêts à supporter pour obtenir la faveur du roi, des récoltes, la nourriture pour eux et leurs familles. Honte donc aux moines paresseux qui ne font rien pour obtenir la gloire céleste17 ». On retrouve une thématique semblable dans le sermon De coelesti desiderio et amore. Il s’agit toujours de suivre le Christ dux et magister, d’imiter le Christ qui a versé son sang pour nous, en prenant modèle sur les martyrs. S’ajoute ici le thème de la solitude : Monachus solitarium sonat, observons donc la solitude et la retraite silencieuse de notre cellule18. Toutefois ces exhortations assez banales sont empreintes, chez Denis Faucher, d’un ton très affectif qui nous touche davantage. On le trouve par exemple dans une méditation sur la passion du Christ, écrite pour un religieux qui la lui a demandée pour en «imprimer plus profondément le souvenir dans sa mémoire et dans son cœur, et enflammer plus vivement ses sentiments pour l’amour divin». O passio magna, ô profunda vulnera, ô effusio sanguis! s’écrie Denis Faucher, qui va ensuite conduire sa méditation selon un plan assez scolaire, mais en la rythmant d’appels à l’imagination et à la sensibilité : Considera... Cerne... Ainsi par exemple : «Regarde ce beau visage, ce visage divin, souillé de crachats, barbouillé du sang qui découle de sa tête, les cheveux collés par le sang, la face blêmie par la mort...». On retrouve aussi l’idée chère aux mystiques que les plaies du Christ sont un refuge pour le pécheur : «Tire-moi vers toi, que je sois caché avec toi, dans tes blessures... Pour que lorsque tu apparaîtras comme notre vie, à la fin du monde, moi aussi, grâce à toi je mérite d’apparaître avec toi dans la gloire19 ». Le traité De reformatione mentis adressé par Denis Faucher en 1548 à sa fille spirituelle, la religieuse Delphine, passe pour son œuvre spirituelle majeure. C’est un traité de spiritualité à l’usage des religieuses, sans grande originalité en ce qu’il débouche sur l’exposé des trois vœux monastiques traditionnels. Mais ce que l’auteur en-

Barral, Chronologia, II, p. 254-257. Ibid., p. 261-265. 19 Ibid., p. 248-254. 17 18

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tend par réforme du cœur, c’est proprement la conversion, et aussi l’équivalent de la justification sur laquelle ses contemporains ont tant débattu. L’homme, rappelle Denis Faucher, a été créé à l’image de Dieu, mais cette image a été déformée, brouillée par le péché. Il faut donc la «re-former» (au sens premier de ce mot) en se faisant semblable au Christ : Qu’est-ce d’autre qu’être reformé de cœur et d’esprit... sinon revêtir l’homme nouveau, c’est-à-dire le Christ, et être transformé en lui par une manière de vivre semblable, de sorte qu’ayant été en nous réparée par lui la ressemblance et l’image de Dieu, nous soyons comptés au nombre des fils de Dieu? Car l’âme raisonnable faite à l’image et à la ressemblance de Dieu par la nature, et rendue difforme par la faute, a besoin d’être reformée par la grâce divine 20.

Cette «reformation» (sans accent) permet à l’homme de redevenir l’image du Dieu trinitaire. On remarquera que Denis Faucher, dans tout ce développement, n’emploie pas le terme de «justification». Sa conception du salut, tout en préservant l’initiative gracieuse de Dieu, est plus johannique que paulinienne, conformément à l’enseignement théologique reçu dans la congrégation de SainteJustine. Est-ce pour cela que Denis Faucher, malgré son christocentrisme certain, n’a pas été séduit par le message luthérien? Réforme ou Réformation? Selon une tradition multiséculaire, la notion de réforme est d’abord la propriété des ordres religieux. Avec Denis Faucher, on ne sort pas de ce contexte. S’il n’a pas été un acteur décisif de la réforme de Lérins réalisée en 1515, il s’est ensuite vigoureusement battu pour la préserver contre les menaces d’origine gallicane. Mais surtout, il s’est lui-même investi corps et âme dans la réforme du monastère féminin de Tarascon. Voici comme il la relate lui-même dans ses Annales de Provence : À Tarascon, la discipline monastique, renversée par un long laisser-aller, fut restaurée sur ordre du cardinal Du Bellay abbé de Lérins. La charge de faire cette restauration fut confiée par le cardinal à l’auteur des présentes Annales, avec pour compagnons Antoine Gilbert chanoine d’Arles et (Laurent) Garin vicaire de l’abbé. Après huit années d’immenses labeurs, après des ennuis infinis, poussés par un vent du Ciel, nous sommes arrivés à bon port, à peu près au moment où nous mettions la dernière main à ces Annales. Et l’on n’a pas seulement rétabli la discipline, mais la piété rendue à la vie a introduit avec elle la sainte érudition, pour chasser l’oisiveté néfaste, de sorte

20

Ibid., p. 228.

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que un couvent qui auparavant était stérile passe maintenant pour un Parnasse sacré. 21

En fait, la correspondance de Denis Faucher est pleine du récit de ses démêlés avec les anciennes religieuses et leurs partisans, au nombre desquels figure un certain Curtabotus. Inversement, le réformateur s’appuie sur plusieurs personnalités proches, celles qu’il nomme ici, auxquelles il faut ajouter le juge royal d’Arles, Antoine Arlier 22. Et il a réussi à intéresser à son œuvre de très grands personnages de l’entourage du roi, à commencer par Marguerite de Navarre, mais aussi Gilles Bohier et le connétable Anne de Montmorency. Ces protections lui ont été bien utiles quand il a fallu, par exemple, obtenir du chancelier la confirmation de l’élection de Scolastique de Bectoz à l’abbatiat de Tarascon. Pour Denis Faucher, la réforme est d’abord intérieure, et quand elle se traduit sur le plan institutionnel, elle concerne essentiellement les monastères. Mais il ne pouvait rester indifférent au mouvement général de réforme qui secoue l’ensemble de l’Église. En 1542, l’élévation à la pourpre de son ami Gregorio Cortese suscite en lui de grands espoirs. Denis Faucher compte sur l’illustre bénédictin pour apaiser les tempêtes qui frappent la République chrétienne, en leur opposant sagement «les dogmes sacrés de la foi orthodoxe» et en corrigeant «les scandaleuses déviations morales». Car aux yeux de notre moine, la chrétienté n’est pas moins assaillie de l’intérieur par les mœurs perverses des faux chrétiens, que de l’extérieur par les hérétiques 23. Mais, dira-t-il un peu plus tard, avec au gouvernement des hommes comme Cortese, il a bon espoir de voir arriver ce temps «où Dieu, prenant en pitié la misère du genre humain, ne laissera pas l’homme errer plus longtemps dans les ténèbres par ignorance de la vérité 24 ». Ainsi la réforme, selon Denis Faucher, est inséparablement doctrinale et morale. Cette conception, le moine de Lérins a eu une fois au moins l’occasion de l’exposer hors du cloître. Lorsqu’il a été invité à prêcher devant le clergé du diocèse d’Arles réuni en synode diocésain de Pâques 1543 25. Ce sermon est essentiellement une exaltation du sacerdoce, et en cela il s’élève plus haut que les rappels, si fréquents dans les textes de ce genre, de la dignité des clercs ou même des devoirs des pasteurs. Reprenant une idée que, sans le citer, il emprunte Bibl. Méjanes, Ms. 760 (536). Sur ce personnage, magistrat humaniste qui appartint à l’entourage de Guillaume du Bellay et siégea au parlement de Turin, voir sa correspondance, éditée par J. N. Pendergrass (cit. note 5). 23 Barral, Chronologia, II, p. 277-278. 24 Ibid., p. 279. 25 Ibid., p. 265-269. 21

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sans doute au pseudo-Denys, notre prédicateur compare les prêtres aux anges, comme intermédiaires entre Dieu et les hommes. Les prêtres sont la lumière du monde, les yeux de l’Église, et à ce titre ils occupent la place la plus haute dans le corps mystique qu’est l’Église. Ils sont également les vicaires de Dieu et les portiers du ciel et, à l’exemple du Christ, «médiateurs de la réconciliation entre Dieu et les hommes». Une si haute dignité implique des devoirs, que Denis Faucher expose ensuite sans grande originalité : le prêtre doit respecter les biens consacrés aux serviteurs de Dieu et aux pauvres du Christ; combien au contraire les gaspillent en banquets et en beuveries, quand ce n’est pas dans la prostitution. Jadis nos pères se jugeaient indignes des charges ecclésiastiques, aujourd’hui on les brigue, on confère les bénéfices aux enfants dès leur naissance. Les prêtres sont des pasteurs; parce qu’elle les assimile au Christ, la cure des âmes est plus haute qu’aucune fonction civile; elle oblige le prêtre à enseigner par la parole, et plus encore par l’exemple. On ne sait quel effet ce morceau d’éloquence aura produit sur le public sans doute passablement blasé du synode arlésien 26 ; on peut même craindre que l’élégance du style humaniste n’ait fait quelque tort à la force du propos. Mais il nous permet de ranger Denis Faucher dans la lignée de Josse Clichtove et de ces humanistes qui ont rêvé de réformer l’Église en se contentant de réformer le clergé. On connaît l’ironie de Lucien Febvre à leur encontre : «Réformez le clergé, la religion sera sauvée, c’est l’aveuglement du professionnel 27 ». Les adversaires de Denis Faucher, dans les débuts de la réforme du monastère de Tarascon, avaient essayé de le compromettre en l’accusant de professer l’hérésie luthérienne. Mais ce n’est pas la conviction que la grâce de Dieu l’emporte sur sa justice, ni l’accent qu’il met sur le Christ médiateur qui peuvent suffire à rattacher à Luther le moine de Lérins 28. Au contraire, celui-ci n’a pas cessé d’affirmer son attachement à l’ancienne orthodoxie, dont il fait la base de la reformatio mentis, et de durcir ses positions vis-à-vis des adeptes de la Réforme protestante. En 1540, il écrit à Charles de Sainte-Marthe, qui avait connu la prison sous l’inculpation d’hérésie : «J’ai supporté avec douleur d’entendre dire que tu soutenais les 26 Durant le XVe siècle et la première moitié du XVIe, le synode d’Arles se réunit très régulièrement deux fois par an. Voir A. Artonne, Les synodes diocésains d’Arles de 1410 à 1570, dans la Revue d’histoire de l’église de France, 41, 1955, p. 7684. 27 L. Febvre, Au cœur religieux du XVIe siècle, Paris, 1957, p. 41. 28 Plus à propos, Richard Cooper a relevé les liens entre Denis Faucher et Marguerite de Navarre. Voir R. Cooper, Marguerite de Navarre et la Réforme italienne, dans Litterae in tempore belli. Études sur les relations littéraires italofrançaises pendant les guerres d’Italie, Genève, 1997, p. 218-219.

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opinions fausses des hérétiques; depuis tu as prouvé qu’il n’en était rien; fais en sorte maintenant qu’aucune opinion ne puisse jamais te détacher de la foi catholique ferme et sincère 29 ». En 1545, au lendemain du massacre des vaudois du Luberon, il adresse ses félicitations au président Meynier d’Oppède qui a dirigé l’expédition : «Tu as attaqué viriliter les ennemis de la foi; ton triomphe sur ces sauvages t’a valu une gloire immense 30 ». Au soir de sa vie, en 1561, alors que le protestantisme en France éclate partout au grand jour, Denis Faucher manifeste son inquiétude. Voici que le régent des écoles d’Antibes, qu’il avait contribué à faire nommer trois ans plus tôt en témoignant de son orthodoxie, penche vers «les erreurs des nouveautés profanes». Pour tenter de le retenir, notre moine dénonce avec véhémence les hérétiques, et tout spécialement les religieux apostats : «Sous prétexte de liberté évangélique, ils se moquent des jeûnes, ils sacrifient le célibat, et ils précipitent vers le mariage des moines et des moniales qui avaient émis des vœux solennels... Mais il y a tant d’années que leurs erreurs ont été condamnées, qu’il n’est pas dans mon intention de disputer contre les hérétiques... 31». Malgré tout, Denis Faucher garde espoir : si malade soit-il, il voudrait vivre assez longtemps pour voir rétablie la paix de l’Église du Christ; ne dit-on pas que cinq ministres venus d’Allemagne et de Genève, après une longue dispute, se sont ralliés publiquement à la doctrine catholique de l’Eucharistie, et sont rentrés dans l’unité de la vraie et légitime Épouse du Christ? La dernière lettre connue du moine de Lérins s’achève donc sur ces mots : «Fasse le Dieu très grand et très bon qu’une fois rétablie notre sainte mère l’Église dans sa gloire passée, et les mœurs réformées, nous puissions chanter joyeusement avec le bienheureux Siméon Nunc dimittis... 32. Des modèles et des semblables Quant on cherche les modèles qui ont pu guider ou inspirer Denis Faucher, on songe tout d’abord, bien sûr, à Erasme. Celui-ci n’est jamais nommé dans l’œuvre du moine de Lérins, mais on note des parentés d’expression, ainsi celle de miles Christi, soldat ou chevalier du Christ. Mais sur ce point, le P. John O’Malley vient de nous rappeler, à propos des jésuites, que cette expression «est le synonyme médiéval du membre d’un ordre religieux», et qu’elle «appartient 29 Barral, Chronologia, II, p. 327. Sur les positions et les malheurs de Charles de Sainte-Marthe, voir la Correspondance d’Antoine Arlier (cit. n.e.), p. 158-159. 30 Bibl. Méjanes Ms 760 (536), p. 140. 31 Barral, Chronologia, II, p. 362. 32 Ibid., p. 368-369 : au médecin Antoine, de Lérins le 15 novembre 1561.

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donc à l’héritage commun 33 ». Plus nettement érasmien nous paraît être le combat de Denis Faucher en faveur de l’instruction chez les religieuses. Ici, on songe au célèbre colloque Abbatis et eruditae, dans lequel une jeune femme (religieuse ou laïque?) défend avec talent le droit pour son sexe de lire des livres en latin et en grec contre un abbé grossier qui sait à peine lire son bréviaire. Mais l’attachement viscéral de Denis Faucher au monachisme empêche de voir en lui un disciple du prince des humanistes. Il y a deux personnes, en revanche, pour qui notre moine professe une grande admiration. Le premier, c’est Gregorio Cortese, le confrère et l’ami parvenu, en 1542, au sommet de l’Église romaine : nous savons quel espoir il met en lui pour réaliser leur idéal commun d’une réforme qui ne touche pas à l’orthodoxie traditionnelle. L’autre, c’est Sadolet, que Denis Faucher ne semble avoir jamais rencontré, mais qu’il salue, dans une lettre de 1538, de purae veraeque fidei lumen, Christianeque vivendi normam 34 : donc un modèle, tout à la fois, de doctrine et de vie. Cette parenté d’esprit entre Denis Faucher et l’évêque de Carpentras, je la vois confirmée par les recommandations que fait celui-ci aux prêtres de son diocèse, au moment de les quitter, en 1545 35. Gregorio Cortese et Jacopo Sadoleto : ces deux figures emblématiques de l’humanisme chrétien tel qu’il s’est épanoui dans l’Italie du premier Cinquecento représentent incontestablement des modèles pour le moine de Lérins. Mais ce moine réformateur ne manque pas non plus d’émules dans sa génération. Dans son milieu provençal, on pense d’abord à François Lambert, le franciscain observant d’Avignon dont la première œuvre conservée est un petit livre, La corone de nostre Sauveur, dont la spiritualité n’est guère éloignée de celle de Denis Faucher : même attachement à la personne du Christ, et du Christ souffrant, à travers un exercice de piété réglée. Certes, la lecture de Luther a conduit Lambert à jeter le froc et à se faire le Réformateur de la Hesse après avoir espéré être celui du royaume de France, mais la Réforme selon Lambert nous semble davantage disciplinaire et morale qu’inspirée par la doctrine de la justification par la foi 36. N’est-ce pas parce que le climat de la légation d’Avignon n’était pas celui qui régnait dans les monastères de Mantoue et de Lérins?

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J. W. O’Malley, Les premiers jésuites, 1540-1560, Paris, 1999, p. 70. Barral, Chronologia, II, p. 287 : lettre de Denis Faucher à Sadolet, octobre

1538. 35 Voir M. Venard, Réforme protestante, Réforme catholique dans la province d’Avignon, XVIe siècle, Paris, 1993, p. 382-384. 36 Ibid., p. 135-139; à actualiser avec P. Fraenkel (éd.), Pour retrouver François Lambert. Bio-bibliographie et études, Baden-Baden et Bouxwiller, 1987 (Bibliotheca bibliographica Aureliana, CVIII).

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Mieux encore qu’avec François Lambert, un rapprochement s’impose entre l’idéal de Denis Faucher et celui des premiers jésuites. Écoutons encore le P. O’Malley : «Lorsque le mot ‘réforme’ apparaît dans le documents de la Compagnie – et les occurrences sont fréquentes –, il fait parfois référence à la réforme d’une institution, comme un monastère ou un couvent. Plus souvent et de manière significative, il s’applique à un individu, et est alors synonyme de conversion 37 ». Cette génération est encore fortement marquée par le mouvement de Selbstreform dont Hubert Jedin a montré le succès à la fin du Moyen Âge 38. Finalement, il me semble que le frère spirituel de Denis Faucher, il faut aller le chercher à Paris. Mais c’est un Italien, Antonio Caracciolo, prince napolitain, moine de Saint-Victor 39. Peu après son entrée au cloître, il a écrit pour lui-même et pour ses frères un traité de vie spirituelle, Le mirouer de vraye religion (1544). On y lit : «L’estat d’un vray religieux ne consiste poinct aux ceremonies exterieures... mais plustost en la pureté du cueur, à laquelle seullement est promise la vision de Dieu». Une phrase qu’aurait pu signer Denis Faucher. L’historien qui nous a révélé Caracciolo, il y a troisquart de siècles, Joseph Roserot de Melin, définissait sa pensée comme «une théologie mystique de la Passion» 40 : pourrait-on mieux qualifier celle du moine de Lérins? L’abbé de Saint-Victor, devenu évêque de Troyes, a, comme on sait, tenté en vain de concilier l’adhésion à la Réforme protestante et la fidélité à l’Église ancienne. Denis Faucher, lui, n’a jamais hésité, parce qu’au fond de son cœur la croyance en la gratuité du Salut ne remettait pas en cause son engagement monastique. Dans une de ses dernières lettres aux religieuses de Tarascon, en 1550, il écrit : «Désormais, à Lérins, j’attends d’être libéré de ma chair : de ma part je crains tout, de la part du Christ j’espère tout; je tremble à cause de mes péchés, j’ai confiance dans le sang du Sauveur. Je redoute le Juge, je me jette dans les bras du Sauveur 41». Marc VENARD J. W. O’Malley, Les premers jésuites..., p. 34. H. Jedin, Katholische Reformation oder Gegenreformation?, Lucerne, 1946, p. 25-27. 39 J. Roserot de Melin, Antonio Caracciolo, évêque de Troyes (1515?-1570), Paris, 1923, p. 66-115. Récemment, T. Wanegffelen (Ni Rome ni Genève. Des fidèles entre deux chaires, Paris, 1997) a repris le cas Caracciolo pour le placer «entre Rome et Genève», mais en s’intéressant davantage à l’ évêque qu’au moine. 40 J. Roserot de Melin, Antonio Caracciolo, p. 84. 41 Demum Lerinae carnis resolutionem expecto, omnia ex me timens, omnia ex Christo sperans, a peccatis tremens, in Salvatoris sanguine confidens. Judicem paveo, Salvatorem amplector. Bibl. Méjanes, Ms 760 (536), p. 138. 37 38

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RENOUANTUR SAECULA LE QUINTUM BONUM DU DIXIÈME ÂGE SELON GILLES DE VITERBE DANS L’HISTORIA UIGINTI SAECULORUM ET LE DE PARTU VIRGINIS DE SANNAZAR*

Tout près de la Place Navone où l’École française de Rome accueillit les propositions et les débats du colloque dont on lit ici les Actes, dans l’église Sant’Agostino reconstruite dans la seconde moitié du XVe siècle par le cardinal camerlingue Guillaume d’Estouteville, au pied du maître-autel, sous une dalle funéraire qui renouvela en 1982 l’originale posée en 1536 en mémoire d’un décès advenu en 15321, est enterré un autre membre du Sacré Collège. Sant’Agostino fut son église de 1506 à 1532 quand il fut vicaire puis prieur général de l’ordre des frères ermites de saint Augustin. La Biblioteca Angelica attenante conserve une partie de ses livres et manuscrits et son palais cardinalice se trouvait au carrefour de la via della Scrofa et de la via de’ Portoghesi, au dos de l’église. Qui s’intéresse à la façon dont les versants vatican et municipal de l’humanisme romain, au temps des papes Della Rovere et Médicis, œuvrèrent à une conciliation renouvelée des studia diuinitatis et des studia humanitatis – quoique d’une façon que les historiens constatent plus aisément dans les œuvres figurées et dans les bâtiments que dans les textes de toutes natures – aura sans doute reconnu Gilles de Viterbe (Egidio Antonini da Viterbo), né à Viterbe en 1469 et mort à Rome le 12 novembre 1532. Or cette reconnaissance ne va cependant pas sans un paradoxe, dont la présence presque effacée et quasi ignorée de Gilles de Viterbe dans Sant’Agostino pourrait être l’image. Nous savons,

* Cette étude est offerte au Professeur Massimo Miglio, avec toute notre amicale gratitude. 1 V. Forcella, Iscrizioni delle Chiese e d’altri edifici di Roma dal secolo XI fino ai giorni nostri..., vol. V, Rome, 1874, p. 40, no 118 (a. 1536) : D.O.M. / Egidio viterbiensi / cardinali / Gabriel venetus / Generalis P. / MDXXXVI. À propos du prieur général de l’ordre des augustins Gabriele Veneto, intime de Gilles de Viterbe, voir les renseignements fournis par A.-M. Voci-Roth dans son édition des Lettere familiari (cf. infra).

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grâce aux nombreux travaux consacrés à son œuvre depuis une quarantaine d’années après les études pionnières d’il y a un siècle, à quel point il compta à Rome, en Italie et dans l’Europe d’Alexandre VI à Clément VII. En effet, préparées par l’érudition des siècles passés et de la première moitié du vingtième, quelques monographies et plusieurs éditions de textes ont remis en lumière la personne de Gilles de Viterbe, l’œuvre et l’action d’un homme qui contribua comme peu en son temps au dialogue entre l’humanisme lettré des académies, la philosophie, la théologie et l’histoire de l’Église. En un mot, la réputation de Gilles de Viterbe est établie comme réformateur religieux, comme diplomate, orateur sacré, poète latin, lettré et fin connaisseur de la littérature gréco-latine, théologien, philosophe platonicien dans la tradition de Ficin, hébraïsant et kabbaliste également versé dans l’étude de l’araméen et de l’arabe 2. Mais, pour revenir au para-

2 Un accès fort commode à la maison quelque peu labyrinthique des studi egidiani, ainsi qu’à leur histoire et à leur développement – quoique à contrôler dans le détail des indications bibliographiques ou des références aux œuvres imprimées et manuscrites –, est offert par la monographie de F. X. Martin, Friar, reformer, and Renaissance scholar. Life and work of Giles of Viterbo, 1469-1532, Villanova (PA), 1992, car elle est à la fois fondée sur sa thèse inédite (Egidio da Viterbo, a study in Renaissance and reform history, Cambridge University, Angleterre, 1959) mais divulguée en plusieurs articles (The problem of Giles of Viterbo : a historiographical survey, dans Augustiniana, 9, 1959, p. 357-379; 10, 1960, p. 43-60), sur ses travaux postérieurs et sur les travaux connus des éditeurs à la date de sa parution posthume. Signalons, pour leur nouveauté et pour les informations bibliographiques qu’ils contiennent (Il existe pour les années 1510-1982 une bibliographie – F. X. Martin, Egidio da Viterbo, 1469-1532. Bibliography, 1510-1982, dans Biblioteca e società, 4, 1982, p. 5-91 – que l’on peut compléter pour les années 1983-1989 en se reportant à A. de Meijer, Bibliographie historique de l’Ordre de Saint Augustin, dans Augustiniana, 35, 1985; 39, 1989) : L.-G. Pélissier, Pour la biographie du cardinal Gilles de Viterbe, in Miscellanea di studi critici edita in onore di Arturo Graf, Bergame, 1903, p. 789-815; G. Signorelli, Il Cardinale Egidio da Viterbo : Agostiniano, umanista e riformatore, 1469-1532, Florence, 1929; E. Massa, Egidio da Viterbo e la metodologia del sapere nel Cinquecento, dans Pensée humaniste et tradition chrétienne au XVe et XVIe siècles, H. Bedarida (éd.), Paris, 1950, p. 185-239; Id., L’anima e l’uomo in Egidio da Viterbo e nelle fonti classiche e medioevali, dans Archivio di filosofia, 1951, p. 37-138; Id., I fondamenti metafisici della «dignitas hominis» e testi inediti di Egidio da Viterbo, Turin, 1954; J. W. O’Malley, Giles of Viterbo on church and reform. A study in Renaissance thought, Leyde, 1968 (Dix articles consacrés à Gilles de Viterbe et fondamentaux pour l’histoire de la pensée théologique et humaniste dans la Rome des papes Jules II, Léon X et Clément VII, publiés de 1966 à 1979 par ce savant, se trouvent commodément assemblés dans son volume intitulé Rome and the Renaissance. Studies in culture and religion, Londres, 1981, I à X); Egidio da Viterbo, O.S.A. e il suo tempo. Atti del V Convegno dell’Istituto storico agostiniano, Rome-Viterbe, 2023 octobre 1982, Rome, 1983; Egidio da Viterbo, Lettere familiari. I, 1494-1506; II, 1507-1517, A.-M. Voci-Roth (éd.), Rome, 1990; Giles of Viterbo, Letters as Augustinian General, Cl. O’Reilly (éd.), Rome, 1992. Mentionnons également une importante contribution qui n’est pas prise en compte par F. X. Martin : J. Monfasani,

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doxe que nous soulignions à l’instant, ceux qu’intéressent les rapports de l’Église et de l’humanisme dans l’œuvre de Gilles de Viterbe, les liens qu’entretiennent les litterae humaniores et les studia diuinitatis à la Renaissance, ne disposent pas d’une édition critique commentée de ses Sententiae ad mentem Platonis – un exposé de théologie platonicienne et mythologique fondé sur un commentaire des dix-sept premières distinctions du livre I des Sentences de Pierre Lombard – ni de son Historia uiginti saeculorum 3. Hermes Trismegistus, Rome and the myth of Europa : an unknown text of Giles of Viterbo, dans Viator, 22, 1991, p. 311-342. Parce que le volume de F. X. Martin veut faire le point des études égidiennes plus qu’il n’entend ouvrir de nouvelles voies (l’influence de Gilles de Viterbe sur les lettrés napolitains et romains n’est pas encore un champ d’études très fréquenté), on ne s’étonnera pas qu’il ne puisse satisfaire nos propres curiosités quant aux relations de Gilles avec les savants, de l’Académie napolitaine par exemple (voir par exemple les pages 17, 120, 155-157, dont les notes renvoient à un état dépassé de la bibliographie). On pourra donc à ce propos se reporter aux divers travaux que nous avons publiés et qui seront indiqués à mesure ainsi qu’à notre étude à paraître (titre provisoire : «Renouatio temporum». La signification du «De partu Virginis» de Sannazar, Genève : Droz, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance). Pour l’influence de Gilles dans le milieu académique napolitain, on pourra consulter, en plus des études de F. Tateo signalées ci-dessous à la note 16, F. Fiorentino, Egidio da Viterbo e i Pontaniani di Napoli, dans Archivio storico per le provincie napoletane, 9, 1884, p. 430-452. Pour le milieu romain, voir quelques pages dans Ch. L. Stinger, The Renaissance in Rome, Bloomington (Indiana), 1985, p. 108-109, 120-121, 184186, 245-246; J. F. D’Amico, Renaissance Humanism in Papal Rome. Humanists and churchmen on the eve of the Reformation, Baltimore et Londres, 1983; M. E. Reeves, Cardinal Egidio of Viterbo and the Abbot Joachim, dans Il profetismo gioachimita tra Quattrocento e Cinquecento. Atti del II Congresso internazionale di studi gioachimiti. S. Giovanni in Fiore, 17-21 sept. 1989, G. L. Potestà (éd.), Gênes, 1991, p. 139-155; Ph. Jacks, The antiquarian and the myth of Antiquity. The origins of Rome in Renaissance thought, Cambridge, 1993, p. 176, 180. 3 À la date où nous écrivons (juin 2001), le Professeur D. Nodes achève une édition critique des Sententiae ad mentem Platonis. Les manuscrits apographes connus de ce commentaire sont conservés à la Bibliothèque apostolique Vaticane (Vat. Lat. 6325), à la Biblioteca Angelica de Rome (Ang. Lat. 636) et à la Biblioteca nazionale de Naples (VIII.F.8. et XVI.H.71). E. Massa a fourni de ces quatre exemplaires une description (I fondamenti metafisici della dignitas hominis..., p. 49-53) et a donné un extrait du texte (Ibid., p. 54-110) qui correspond aux folios 49v-79v du manuscrit Vat. Lat. 6325, comparé aux trois autres copies. Voir également P. O. Kristeller, Iter Italicum, vol. II, Leyde, 1967, p. 380; J. Pâquier, Un essai de théologie platonicienne à la Renaissance : le commentaire de Gilles de Viterbe sur le premier livre des Sentences, dans Recherches de science religieuse, 13, 1923, p. 293-312, 419-436. Gilles travailla aux Sententiae de 1510 à 1512 au moins. Sur ce point et pour une discussion, voir J. W. O’Malley, Giles of Viterbo on church and reform..., p. 15, 16, 21, 24, 26, 60, 63, 67, 68, 197. Quant à l’Historia uiginti saeculorum, elle nous est transmise par un manuscrit autographe (Biblioteca nazionale, Naples, IX.B.14) et cinq copies à ce jour (Biblioteca nazionale, Naples : IX.B.12; Biblioteca Angelica, Rome : Lat. 351, Lat. 502; nous n’avons pas pu prendre connaissance de la cinquième, conservée à la Sächsische Landsbibliothek de Dresde sous la cote F.48 et signalée par A. Zumkeller, Manuskripte von

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Cette Historia, en quelques deux cent cinquante folios dans l’autographe rédigé de 1513 à 1518 environ, est une histoire des opérations de la Providence, saisie dans son élection de la colline vaticane et du Janicule sur la rive étrusque du Tibre, où doit finalement régner sur le monde unifié un pasteur d’ascendance étrusque ou toscane qui sera Léon X. Il convient bien de dire «finalement» car cette théologie de l’histoire, exposée de façon prophétique ex euentu, est fondée sur l’interprétation des vingt premiers psaumes de David. Gilles y reconnaît, non sans se servir d’autres textes vétéro-testamentaires, les linéaments d’une theologia arcana dont la véracité lui paraît parfaitement corroborée par les révélations parallèles et concordantes, quoique voilées, qu’il distingue chez Platon, chez Pythagore, chez les Etrusques (tels que Annius de Viterbe venait de les réinventer dans ses Antiquitates en 1498) et chez Virgile, le Platonicus Maro interprète des Sibylles et de leurs oracles. Précisons que cette progressive révélation prophétique des desseins de la Providence advient selon un plan immuable composé de dix âges ou saecula. Les dix premiers, qui correspondent aux dix premiers psaumes, prennent fin avec l’histoire des Macchabées 4. Les dix suivants, qui forment la seconde ère, s’ouvrent avec le siècle d’Auguste et de Virgile où l’Incarnation et l’Église primitive, jusqu’au pape Sylvestre, coïncident avec le triomphe de Rome, les conquêtes qui agrandissent son Empire quasi mondial, la magnificence des arts, l’éclat des Lettres et des sciences. De cette progression des temps vers l’achèvement du Magnus annus et la régénération du monde aux temps du Christ et

Werken der Autoren des Augustiner-Eremitenordens in mittel-europäischen Bibliotheken, dans Augustiniana 11, 1961, p. 27-86, 261-319, 478-532. Informations prises, elle est dans un si piètre état de conservation que le conservateur du Département des manuscrits n’espère plus qu’en la reproduction d’un ancien microfilm, qui ne serait pas consultable avant le printemps de 2002. F. X. Martin, Giles of Viterbo as scripture scholar, dans Egidio da Viterbo O.S.A. e il suo tempo..., p. 191-222, indique à tort p. 204 que le ms. VII.F.8 de la Biblioteca nazionale de Naples contient l’Historia viginti saeculorum – par confusion avec le ms. VIII.F.8 du commentaire des Sententiae ad mentem Platonis? – cf. supra dans cette même note –, qu’il n’existe pas d’autographe et semble confondre l’Historia avec le commentaire des Sententiae). Pour une description du manuscrit autographe, voir L. G. Pélissier, Manuscrits de Gilles de Viterbe à la Bibliothèque Angélique, dans Revue des bibliothèques, 2, 1892, p. 228-240; Id., De opere historico Aegidii Cardinalis Viterbiensis, Montpellier, 1896 (ces deux études pionnières en leur temps sont évidemment à corriger sur bien des points); P. O. Kristeller, Iter Italicum, vol. I, Leyde, 1963, p. 405; J. W. O’Malley, Giles of Viterbo on church and reform..., p. 193. 4 Cette première ère n’occupe, à vrai dire, qu’une vingtaine de folios sur les quelques deux cent cinquante que compte le manuscrit autographe IX.B.14.

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d’Auguste, les dix psaumes suivants prophétisent qu’elle doit se répéter tout en se perfectionnant. C’est ainsi que le nouveau dixième âge, annoncé par le psaume 20 (19 de la Vulgate) et dont Gilles ne se lasse pas de redire qu’il commence avec l’élection de Léon X, voit Rome et l’Italie reproduire et achever sub ueste christiana l’époque d’Auguste, de Virgile et du Christ. Le nombre dix organise cette scansion spéculaire de l’histoire d’une façon qui ne doit plus rien à la conception médiévale communément admise d’une suite de sept âges correspondant aux sept jours de la Création. Au-delà de la tradition pythagoricosibylline qui pouvait diviser le Magnus Annus en dix saecula comme les spéculations étrusco-pythagoriciennes ou gréco-hébraïques contemplaient la perfection d’un cycle séculaire, il tient son autorité, inédite dans l’histoire chrétienne, du prestige que lui confèrent les dix sefirot, attributs de la nature de Dieu et noms donnés à ses énergies que nous enseigne la Kabbale. Pour Gilles de Viterbe, l’histoire des sociétés et de l’Église est l’image ombreuse, terrestre et imparfaite de ces séfîrots, un miroir des arrêts de la Providence, une imitation des réalités divines sur le modèle d’une structure décimale que partagent les psaumes. Cette communauté produit une correspondance de l’histoire et des psaumes qui s’éclairent mutuellement, passibles au même titre d’une heuristique dont les mythographes et les exégètes de la Bible avaient raffiné la méthode et que Gilles veut employer pour s’approcher de la nature de Dieu et comprendre le futur de l’Église. Cette conception eschatologique de l’histoire, qui progresse vers la plénitude du nombre dix, accueille cependant aussi la tradition cyclique, biblique et hésiodique, selon laquelle les âges se suivent en descendant une pente du temps dont la malignité croissante est symbolisée par le passage de l’or au fer avant une renaissance au meilleur métal. En effet, si l’âge d’or chrétien ne saurait être que celui des origines – jusqu’au moment, selon Gilles, où l’Église s’enrichit sous Constantin –, si tous les âges, du deuxième au neuvième, ouvrirent une libre carrière aux hérésies, à la corruption et aux maux de toutes sortes, la structure spéculaire des psaumes et de l’histoire, corroborée et comme doublée par l’accord profond qu’il décèle et expose entre l’Ancien Testament, les mythes classiques et l’histoire antique, garantit aux yeux de Gilles que la Providence a éternellement prophétisé l’élection de l’Église et de Rome, Israël dernière dont la colline vaticane est le vrai mont Sion sur la rive étrusque du Tibre. Sans doute est-ce la venue du dixième âge – celui de la dixième sefira, cette Shekinah qui est la Présence de Dieu révélé en majesté – qui illustre le mieux cette double postulation cyclique et eschatologique de la théologie de l’histoire chez Gilles de Viterbe : il doit être un re-

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tour à l’âge d’or du Christ et un accomplissement de sa Révélation tout à la fois, dans une Rome où l’entier du savoir et des arts antiques se trouve revivifié 5. Cette même église Sant’Agostino dont nous parlions en

5 Nous ne nous attarderons pas ici sur la tradition pythagorico-sibylline dont la division du Magnus Annus (Platon en parle dans le Timée et Cicéron, son traducteur, dans le De republica, VI) en dix saecula (voir par exemple le commentaire de Servius au v. 4 de la IVe églogue de Virgile) associés à autant de métaux pouvait être aisément repérée, ni sur les saecula des théories étrusco-pythagoriciennes (Varron ap. Censorinus, De die natali, XVII, 5) ou bien le cycle séculaire des Sibylles hellénistico-hébraïques (Varron, De gente populi Romani, ap. saint Augustin, De ciuitate Dei, XXII, 28). On se reportera, pour une présentation générale avant que le texte de l’Historia soit disponible dans une édition critique avec traduction et commentaire, à J. W. O’Malley, Giles of Viterbo on church and reform... p. 89-91, 100-101. On pourra également consulter avec profit des études qui sont accompagnées de brèves citations du texte (presque toujours tirées du ms. apographe 502 de la Biblioteca Angelica) ou bien qui en sont dépourvues : M. Creighton, History of the papacy during the period of the Reformation, IV, Londres, 1887, p. 279-287; E. G. Dotson, An Augustinian interpretation of Michelangelo’s Sistine ceiling, dans The Art Bulletin, 61, 1979, p. 233-256 et 405429; M. E. Reeves, Cardinal Egidio of Viterbo and the Abbot Joachim, dans G. L. Potestà (éd.), Il profetismo gioachimita tra Quattrocento e Cinquecento. Atti del II Congresso internazionale di studi gioachimiti, S. Giovanni in Fiore, 17-21 sept. 1989, Gênes, 1991, p. 139-155, 144-148; V. De Caprio, La tradizione e il trauma. Idee del Rinascimento romano, Manziana, 1991, p. 139-155; R. Alhaique Pettinelli, Ars antiqua e nuova religio : gli autori dei «Coryciana» tra classicità e modernità, dans Ead., Tra antico e moderno. Roma nel primo Rinascimento, Rome, 1991, p. 63-81, p. 65-75; E. Massa, L’eremo, la Bibbia e il Medioevo in umanisti veneti del primo Cinquecento, Naples, 1992, p. 152-153, 238; G. Savarese, Egidio da Viterbo e Virgilio, dans L. Fortini (éd.), Un’idea di Roma. Società, arte e cultura tra Umanesimo e Rinascimento, Rome, 1993, p. 121-142, p. 138 et suiv.; A. Collins, The Etruscans in the Renaissance : the sacred destiny of Rome and the Historia viginti saeculorum of Giles of Viterbo (c. 1469-1532), dans Studi e materiali di storia delle religioni, 64, 1998, n.s. XXII, 2, p. 337-365, 348 et suiv. Quant à la Kabbale chez Gilles de Viterbe, on lira, outre le livre cité de J. W. O’Malley, qui envisage ses rapports avec l’œuvre du théologien en général, et les deux traités de Gilles de Viterbe entièrement consacrés à l’exposé de la méthode kabbalistique (Scechina e Libellus de litteris Hebraicis, F. Secret (éd.), 2 vol., Rome, 1959), J. Blau, The Christian interpretation of the Cabbala in the Renaissance, New-York, 1944; G. Vajda, Introduction à la pensée juive du Moyen Âge, Paris, 1947; F. Secret, Le symbolisme de la Kabbale chrétienne dans la Scechina de Egidio da Viterbo, dans Umanesimo e simbolismo : archivio di filosofia, 1958, p. 131-154; Id., Le Zohar chez les kabbalistes chrétiens de la Renaissance, Paris, 1958, p. 113 et suiv.; Id., Recherches sur la philosophie et la Kabbale dans la pensée juive du Moyen Âge, Paris, 1962; Id., Les kabbalistes chrétiens de la Renaissance, Paris, 1964, p. 106-26; Id., Notes sur Egidio da Viterbo, dans Augustiniana, 15, 1965, p. 68-72 et 414-418; Id., Egidio da Viterbo et quelques-uns de ses contemporains, ibid., 16, 1966, p. 371-385; G. Busi, Mistica ebraica, en collaboration avec E. Loewenthal, Turin, 1995; Id., La qabbalah, Rome-Bari, 1998; Id., Simboli del pensiero ebraico. Lessico ragionato in settanta voci, Turin, 1999, p. 344-352 : La Shekînah.

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commençant nous fournit précisément un exemple précieux et probant de la façon dont Gilles de Viterbe pouvait concevoir cette imitation de l’antique plus excellente que son modèle parce qu’elle est réputée en achever le christianisme latent en se mettant à l’école des beautés propédeutiques qu’offre le même modèle. En effet, le prélat luxembourgeois de la Curie Johan Goritz, appelé Corycius dans la sodalité lettrée qu’il réunit un temps autour de sa personne, après avoir fait peindre à fresque par Raphaël en 1512 une représentation du prophète Isaïe sur la face interne du troisième pilier à gauche de la nef centrale, commanda à Andrea Sansovino un groupe de marbre (sculpté entre 1510 et 1512) qui représente l’Enfant, la Vierge et sainte Anne, placé sous cette fresque sur un autel portant une inscription – l’ensemble a été restauré dans son assiette primitive et étudié par Anne Virginia Bonito et Phyllis Pray-Bober 6. À partir du 26 juillet 1512, jour de la fête de sainte Anne, après une messe dite dans cette église, les lettrés offraient des épigrammes en les accrochant à des tableaux – sortes de contre-pasquinades à faible distance des vraies. L’après-midi, dans la vigna de Goritz ornée de statues et d’inscriptions antiques qui se trouvait sur le forum de Trajan, une autre couronne de vers latins et grecs (mais ces derniers demeurent introuvables à ce jour) fut offerte tous les ans à leur hôte par les let6 À propos de Johan Goritz, fonctionnaire de la Curie et protonotaire apostolique, consulter L. Geiger, Der älteste römische Musenalmanach, dans Vierteljahrschrift der Kultur und Literatur der Renaissance, I, 1886, p. 143-161; T. Simar, Christophe Longueil, Louvain, 1911, p. 194-203; D. Gnoli, La Roma di Leone X, Rome, 1938, p. 151-161; E. Amadei, Di Giovanni Coricio e di una rara edizione dell’anno 1524 stampata a Roma, dans Almanacco dei bibliotecari italiani, 1968, p. 198-201; J. Ruysschaert, Les péripéties inconnues de l’édition des «Coryciana» de 1524, dans Atti del Convegno di studi su Angelo Colocci (Jesi, 13-14 sept. 1972), Jesi, 1972, p. 45-66. Pour l’ensemble constitué par l’autel, la triple statue et la fresque, se reporter à P. P. Bober, The «Coryciana» and the nymph Corycia, dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 40, 1977, p. 223-239; V. A. Bonito, The St. Anne altar in Sant’Agostino in Rome : a new discovery, dans The Burlington Magazine, 122, 1980, p. 805-812; Ead., The saint Anne altar in Sant’Agostino : restoration and interpretation, dans The Burlington Magazine, 124, 1982, p. 268-276; R. Alhaique Pettinelli, Tra antico e moderno. Roma nel primo Rinascimento, Roma, 1991, IV, 63-81 : «Ars antiqua» e «nova religio» : gli autori dei «Coryciana» tra classicità e modernità (reprise de : Punti di vista sull’arte nei poeti dei «Coryciana», dans La Rassegna della letteratura italiana, 1986, 1-2, p. 41-54); J. Ijsewijn, «Puer Tonans» : de animo christiano necnon pagano poetarum, qui «Coryciana» (Romae, 1524) conscripserunt, dans Academiae Latinitati fouendae Commentarii, 12, Rome, 1988, p. 35-46; Id., Poetry in a Roman garden : the «Coryciana», dans P. Godman et O. Murray (éd.), Latin poetry and the classical tradition, Oxford, 1990, p. 211-231. La synthèse biographique la plus commode et la plus récente se trouve dans l’édition des Coryciana (p. 3-15, cf. note suivante) par J. IJsewijn (voir également, du même auteur, l’article synthétique Goritz, dans W. Killy (éd.), Literatur Lexikon. Autoren und Werke deutscher Sprache, Gütersloh-Munich, 1989 (4), p. 270.

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trés qui les suspendaient aux plantes et aux antiquités, jusqu’à ce qu’un choix de vers latins fût publié en 1524 dans le recueil intitulé Coryciana, dont l’édition critique fut donnée en 1997 par feu Joseph Ijsewijn 7. Or, de même que les historiens de l’art Heinrich Pfeiffer en 1975, Esther Dotson et Malcolm Bull en 1979 et 1988, Jörg Traeger en 1983, ont cherché à démontrer que Gilles de Viterbe avait inspiré l’iconographie de la Chambre de la Signature, de la voûte de la Chapelle Sixtine et de la Chambre d’Héliodore au Vatican, je suis enclin à croire comme d’autres que la pensée de celui qui est, en 1512, Prieur Général de l’ordre dont Sant’Agostino est l’église généralice, est à l’origine de l’autel qui associe les arts visuels et plastiques de la peinture et de la sculpture aux qualités épidictiques et ecphrastiques de la parole poétique 8. La voix désire dans ce cas, sur le modèle de la section de l’Anthologie Grecque de Planude consacrée aux descriptions d’œuvres d’art 9, plaire à l’oreille en guidant l’œil dans son ap-

7 L’édition princeps romaine est de 1524 (colophon : Impressum Romae apud Ludouicum Vicentinum / Et Lautitium Perusinum. Mense Iulio / MDXXIIII). L’édition critique récente (Iosephus Ijsewijn, «Coryciana» critice edidit, carminibus extrauagantibus auxit, praefatione et annotationibus instruxit, Romae, in aedibus Herder, MCMXCVII) contient l’histoire du recueil (p. 17-28, qui poursuivent les travaux de J. Ruysschaert, Les péripéties inconnues de l’édition des «Coryciana» de 1524... et, outre les sources utiles à l’identification des auteurs des Coryciana (p. 393), une bibliographie (IX-X). À propos de ce recueil, de certains carmina extrauagantia et, surtout, de la place des Coryciana dans le paysage littéraire et idéologique de la Rome des papes Médicis, voir M. Deramaix, «Sapientia praeponitur quibuscunque rebus». Les loisirs académiques romains sous Léon X et la «Christias» de Sannazar dans un manuscrit inédit de Séville, dans Chemins de la re-connaissance. En hommage à Alain Michel, dans Helmantica 151-153, 1999, p. 301-329; Id., «Christias, 1513». La «forma antiquior» du «De partu Virginis» de Sannazar et l’académie romaine sous Léon X dans un manuscrit inédit de Séville, dans Les Cahiers de l’Humanisme, 1, 2000, p. 151-172. 8 H. Pfeiffer, Zur Ikonographie von Raffaels Disputa. Die christlich-platonische Konzeption der Stanza della Segnatura, Rome, 1975; E. G. Dotson, An Augustinian interpretation of Michelangelo’s Sistine ceiling, dans The Art Bulletin, 61, 1979, p. 233-256 et 405-429; M. Bull, The iconography of the Sistine Chapel ceiling, dans Burlington Magazine, 130, 1988, p. 597-605; J. Traeger, Raffaels römische Kirche. Das Bildprogramm der Stanza d’Eliodoro im Vatikan, dans E. Ullmann (éd.), Von der Macht der Bilder Beiträge des C.I.H.A. – Kolloquiums «Kunst und Reformation», Leipzig, 1983, p. 76-86. Voir ci-dessous, dans le premier extrait proposé de l’Historia, la formule ad diuae Annae aram meo in templo per Gorycium erectam («au pied de l’autel de sainte Anne élevé dans mon église par l’entremise de Goritz»), où l’adjectif possessif insiste nettement sur le fait que rien ne pouvait se faire dans Sant’Agostino sans l’aval du général de l’ordre et où la préposition per implique, en conséquence, que Goritz agissait avec le plein accord de Gilles de Viterbe et sa délégation. V. A. Bonito, The St. Anne altar in Sant’Agostino in Rome : a new discovery, dans The Burlington Magazine, 122, 1980, p. 805812) donne le texte du contrat passé entre le prélat et les pères augustins le 13 décembre 1510. 9 À propos de l’Anthologia Graeca de Planude, dans l’édition de Jean Lascaris

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préciation esthétique mais sans oublier de présenter à l’esprit les comparaisons possibles avec l’art antique, les paradoxes théologiques propres au groupe sculpté ou les raisons qu’ont les contemporains de se réjouir devant tant de preuves accumulées de la concorde entre l’antique et le moderne, le profane et le sacré10. Cependant, pour l’autel de Sant’Agostino, contrairement au cas des fresques de Raphael et de Michel-Ange, nous disposons d’un témoignage direct et explicite de l’intérêt que Gilles portait à cette entreprise plastique, picturale et littéraire. Traduisons un passage en bonne partie inédit, extrait des folios de l’Historia uiginti saeculorum qui ont trait au saeculum nonum, qui prend fin avec la mort de Jules II en février 1513. On n’en a jamais cité que les quelques lignes qui évoquent directement l’hymnique religieuse latine de la Renaissance, à l’exemple de Giovanni Pontano, le De partu Virginis de Iacopo Sannazaro ainsi que les Coryciana. Cet extrait s’est ainsi trouvé dépourvu du contexte prophétique et théologique où Gilles de Viterbe le place et qui est propre aux signes qui doivent selon ce théologien de l’histoire annoncer le 9e âge à la fin du 10e : Dans l’exposé du quatrième bonheur de ce [9e] âge [il s’agit entre autres de la connaissance du texte hébreu de l’Ancien Testament], cet oracle a été cité : Si dormiatis inter medios cleros [Vulg. ps. 67, 14]. Jusqu’à ce moment-ci, il n’a pas été permis de dormir au milieu des avertissements [dont Gilles vient de parler]. Il fallait veiller jusqu’à une heure avancée de la nuit pour s’occuper des corrections et des amendements nécessaires. Maintenant que la vérité est restaurée et remise en son état primitif, il est permis de dormir sans danger sur ses deux oreilles. À l’oracle du quatrième bonheur vient s’ajouter dans le même verset l’oracle d’un cinquième : Pennae columbae deargentatae [Vulg. ps. 67, 14 mais avec pinnae car pennae est une leçon empruntée à Virgile, En., VI, 190, 240 et à Ovide, Mét., II, 536]. Au témoignage des apôtres, la source des auteurs sacrés est l’Esprit Saint, dont nous lisons que le signe de reconnaissance, lors du baptême du Messie, fut une colombe. Le prophète [David] appelle «plumes de colombe» [ibid.] celles dont ces auteurs sacrés usent d’ordinaire pour exposer les mystères sacrés. Il ajoute l’épithète deargentata [ibid.] pour sa sonorité et son brillant. Certains, en effet, «avec des plumes de colombe» [ibid.], se sont bornés à écrire ce qu’un souffle divin put leur inspirer; il n’ont pas écrit, dis-je, d’inventions humaines mais ce dont on croit que la volonté divine les avait vivement engagés à écrire. D’autres n’ont pas écrit ces enseignements divins tout uniment mais ont usé d’un style d’argent, précis, d’un poli parfait et d’un goût délicat; ils ont étincelé par la nature rythmée de leur langue et la pureté chez Alde à Venise en 1506, voir J. Hutton, The Greek anthology in Italy to the Year 1800, Ithaca-New York, 1935, p. 35-37. 10 Consulter R. Alhaique Pettinelli, Tra antico e moderno. Roma nel primo Rinascimento...

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brillante de leur expression. Fort nombreux sont ceux, chez les Grecs, qui écrivirent ces choses avec goût; ils sont tout aussi nombreux chez les Latins : là-bas Chrysostome, Basile, Origène; ici Léon, Augustin, Ambroise, Jérôme, Cyprien. Mais, même s’ils écrivirent avec de l’élégance et du goût, ceux qui, cependant, n’approuvent rien d’ordinaire qui ne soit d’une perfection achevée, ont pris le pli de regretter chez ces auteurs l’absence d’un je ne sais quoi qui pût parfaire leur goût. Au 9e âge, en revanche, on est arrivé à un point de raffinement, un point d’éclat du langage qu’aucune époque n’a atteints après qu’eut été mis à bas le véritable goût du siècle d’or. En cet âge a écrit le carme Battista [Spagnoli dit le Mantouan]. Pontano a écrit des hymnes et, au jugement des savants, il rejoignit les anciens ou ne leur céda guère le pas. Actius Sincerus Sannazarius a écrit sur l’enfantement de la Vierge en rival heureux de la Calliope virgilienne. Que dire? À Rome, ces mêmes années-ci, au pied de l’autel de sainte Anne élevé dans mon église par l’entremise de Goritz, on vit des poètes dans un concours où leurs louanges avaient la religion pour objet comme ils participèrent jadis à un concours de vers deshonnêtes où l’indécence satisfaisait leur intempérance de plume. Presque sans que l’on retouchât la fleur de langage ainsi éclose, Vénus céda le pas à la Vierge, l’impudicité à la sainteté divine, la volupté à la chasteté. Je tais les auteurs d’hymnes sacrés en l’honneur de Stéphane, de Laurent, de François, de Jean, de Gabriel et d’autres divins hommes. De leur bonheur de plume tu as su te servir, Léon X; tu as fait en sorte que ton époque, en des temps habiles à parler, n’envie pas les Cicérons, les Antoines, les Cottas ni les Hortensius. Or, puisque ceci ne s’est trouvé en aucun autre âge qu’au 9e, il n’est écrit en aucun autre psaume qu’au 9e : Et erunt ut complaceant eloquia oris mei [Vulg. Ps. 18, 15]. Oui, ce qui auparavant s’écrivait saintement l’était avec moins de goût que n’en avait ce qui ne s’écrivait pas saintement. Maintenant, on écrit sur les mêmes sujets saintement et avec goût tout à la fois. Jusqu’ici, les parleurs habiles ne trouvaient pas bon de traiter de la religion, les paroles habiles ne plaisaient pas aux hommes de religion. Maintenant, parce que les sujets divins trouvent à s’écrire, ils plaisent aux gens honnêtes; parce qu’ils sont habilement tournés aussi, ils touchent les gens de goût11.

Ce texte appellerait un fort long commentaire mais contentonsnous de n’y souligner que ce qui nous intéresse ici : le quintum bonum du 9e âge finissant, c’est-à-dire l’elegantia laudum diuinarum et les eloquia. Observons tout d’abord du point de vue de la méthode que si nous n’avions pas ce témoignage Gilles de Viterbe n’apparaitraît dans l’histoire même de ces concours poétiques annuels et de leur publication qu’au détour d’un document autorisant la construction de l’autel dans Sant’Agostino ou dans des travaux qui détectent son intervention dans le texte hébreu du phylactère que porte le pro11

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Texte latin en appendice, document no 1.

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phète Isaïe sur la fresque de Raphael12. Or cette elegantia scriptorum sacrorum, prophétisée par le psaume 19 (Vulg. 18) entre autres textes davidiques, forme l’un des bona quinque, des cinq bonheurs ou bienfaits qui, à la fin du neuvième âge, signalent l’imminence du dixième13. Le premier a trait aux découvertes des Portugais à l’est et des Espagnols à l’ouest. Sur le modèle du recensement de l’Empire que décida Auguste au moment où le Christ naissait, elles inaugurent l’extension au monde entier d’un empire romain et chrétien unifié par l’évangile. Le second est formé des victoires et des conquêtes qui, en Afrique, en Asie ou bien en Espagne et en Afrique du Nord, récompensèrent Emmanuel de Portugal et Ferdinand d’Aragon pour leurs découvertes. Le troisième est plus connu et concerne la construction de la nouvelle Basilique Saint-Pierre entre12 Voir les articles cités de V. A. Bonito et de P. P. Bober. Précisons cependant pour notre part un autre indice de l’intérêt de Gilles de Viterbe pour ce rite académique et son décor nécessaire. Dans une lettre datée du 7 avril 1525, il répond à Pierio Valeriano qui lui avait demandé quel animal il souhaitait se voir attribuer dans les Hieroglyphica que Valeriano se préparait à organiser en chapitres correspondant à des animaux. Gilles propose la cigogne, qu’il donne pour symbole de piété (ce symbole kabbalistique se rencontre déjà chez Gilles dans l’Historia viginti saeculorum en 1513-1518, nous y reviendrons dans une autre étude). Il dit plaisamment qu’elle n’entre point dans les menus des banquets que donne Goritz lors des festivités en l’honneur de sainte Anne. Il ajoute qu’il est moins à l’aise dans ces réunions que dans le Corytius specus habité par les Dii. Comme souvent chez lui, la formule est à double entente, au-delà du jeu de mots entre Corytius, «corycien» et Corytianus, «de Goritz». Gilles entend bien dire qu’il préfère la quiétude recueillie de l’église Sant’Agostino, de son culte et de ses saints à l’animation propre aux banquets académiques. Mais il distingue également ces réjouissances des épigrammes implicitement évoquées par la comparaison de l’église à l’antre corycien secret fréquenté par les nymphes et Pan, importante pièce de la topographie symbolique d’un Parnasse dont l’évangélisation était en cours depuis Pétrarque et qui trouvait, chez Gilles de Viterbe ainsi que chez les poètes Battista Spagoli dit le Mantouan et Iacopo Sannazaro (Sannazar) cités dans le présent passage, un accomplissement singulier (voir ci-après le commentaire du texte). Le texte se trouve dans le volume intitulé Ioannis Pierii Valeriani Bellunensis Hieroglyphica seu de sacris Aegyptiorum aliarumque gentium literis commentarii, Basileae, apud Thomam Guarinum, 1567, (réimprimé à Lyon en 1602, voir p. 167-168. Réimpression anastatique de cette seconde édition : New York et Londres : Garland, 1976) f. 123r-v : Liber XVIIo, «de iis quae per ciconiam [...] significantur». [...] Ego non ad Corytianas coenas, ubi quandoque quasi digladiatum pugna plusquam Centaurea, sed velut in arcanum Corytium specum, qui ut Pomponii verbis utar, ‘mirificus et pulcher’, ac paulo post totus angustus et vere sacer, habitarique a Diis et dignus et creditus [...] (cité d’après Iosephus Ijsewijn, «Coryciana» critice edidit, carminibus extrauagantibus auxit, praefatione et annotationibus instruxit..., p. 14-15). 13 Dans le ms. autographe IX.B.14, la liste des bona quinque se lit au f. 114v : praedicatio ad gentes, uictoriae, templum inchoatum, lex cognita, elegantia laudum diuinarum comme au f. 119r : praedicatio, retributio, Templum, lex immaculata, eloquia. Suivent les exposés de chaque bonum : f. 119v; 120r; 120v-121r; 121v-123r; 123v (texte correspondant au document 1 de l’appendice).

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prise sous Jules II. John O’Malley a publié en partie le passage où Gilles raconte comment le pape dut résister à la volonté qu’avait Bramante de déplacer le tombeau de saint Pierre afin de modifier l’axe de la basilique et l’ouvrir au sud sur l’obélisque du cirque de Néron. Mais le développement est bien plus disert : Gilles nous rapporte non seulement comment Bramante veut créer ainsi une scénographie capable de disposer les cœurs et les esprits à l’émotion religieuse mais il nous dit longuement, en liaison avec son interprétation du psaume 19 (Vulg. 18) que le nouveau Saint-Pierre doit être le Temple et le Tabernacle du Soleil. Il y a là des données particulièrement intéressantes pour l’histoire de l’architecture dans ses rapports avec les cérémonies cultuelles d’une religion vaticane informée par la mystique solaire et la métaphysique de la lumière propres au platonisme ficinien mais aussi avec l’idéologie impériale des pontifes14. Le quatrième bonum a trait au rétablissement du texte correct de la Bible à l’époque moderne, depuis Nicolas de Lyre jusqu’aux hébraïsants et kabbalistes comme Jean Pic, Johannes Reuchlin, Jacques Lefèvre d’Étaples, et Gilles plaide abondamment en faveur de la connaissance de la Kabbale par les Chrétiens. Revenons au quintum bonum dont nous avons traduit le texte, celui qui voit l’alliance pacifique des lettres profanes et sacrées, et remarquons que les deux premiers exemples donnés sont ceux des Napolitains Giovanni Pontano et Iacopo Sannazaro, le premier pour son recueil De laudibus diuinis publié en 1458 mais d’une actualité plus récente dans les rapports de

14 À propos du concept d’empire mondial de l’Église chez Gilles de Viterbe, on pourra consulter M. Deramaix, [titre provisoire] «Romae imperare». Renaissance chrétienne de la Rome impériale chez Gilles de Viterbe, à paraître dans les Actes du colloque international «Empire et Méditerranée. XIVe-XVIIe siècles» organisé par F. Crémoux, J.-L. Fournel et M. Deramaix à l’Institut Universitaire de France et à Paris VIII les 2 et 3 février 2001, qui devraient paraître en 2003 aux Presses de l’E.N.S. de Lyon. D’autre part, voir J. W. O’Malley, Giles of Viterbo on church and reform..., p. 125, n. 3, où se trouve omis, dans l’extrait cité, un passage sur l’usage émotionnel de cet obélisque projeté par Bramante. Sur l’intérêt historique et théologique de Gilles de Viterbe pour la fabbrica di San Pietro d’après l’Historia, voir M. Deramaix, «Phoenix et ciconia». Il «De partu Virginis» di Sannazaro e l’«Historia viginti saeculorum» di Egidio da Viterbo, à paraître en 2002 dans les Mélanges offerts à Francesco Tateo (Bari). On trouvera dans cette étude, pour demeurer dans le contexte du quartum bonum qu’est la décision de reconstruire Saint-Pierre de Rome, le texte complet inédit du principal passage de l’Historia relatif au Templum vatican mais aussi les références aux auteurs qui, en dehors des études proprement égidiennes comme chez J. W. O’Malley et sans indication des sources bibliques ou classiques, en ont cité des extraits en historiens de l’Église ou de l’architecture (L. von Pastor, F. G. Wolff Metternich et C. Thoenes, C. L. Frommel). On se reportera à notre monographie consacrée à Sannazar, pour les textes de Gilles de Viterbe en particulier (voir ci-dessous la note bibliographique sur Sannazar).

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Gilles avec Naples15, le second pour son poème sur l’Incarnation, De partu Virginis, publié à Naples en 1526. C’est, précisément, l’histoire des rapports qu’entretinrent Gilles de Viterbe et Sannazar et qui pro15 Au sujet de Giovanni Pontano (1429-1503), dont la bibliographie est très considérable, on s’informera en consultant : G. Vinay, Gli studi sul Pontano nel dopo-guerra (1918-1934), dans Rivista di sintesi letteraria, 1, p. 510 et suiv.; A. Altamura, G. Pontano, Naples, 1938, p. 81 et suiv.; V. Rossi, Il Quattrocento, Milan, 1960 (1933), p. 515 et suiv., n. 3-26 et le supplément bibliographique de A. Vallone pour les années 1932-1960, p. XXI; C. Vasoli, G. Pontano, Milan, 1961, p. 619-624; L. Monti Sabia, dans Poeti latini del Quattrocento, F. Arnaldi, L. Gualdo Rosa et L. Monti Sabia (éd.), Milan-Naples, 1964, p. 312-313; M. Cosenza, Dictionary of the Italian humanists, Boston (Mass.); F. Tateo, L’Umanesimo meridionale, Bari, 1976 (1973), p. 73-75; la dernière réédition de ses dialogues (Dialoge, H. Kiefer, H.-B. Gerl et K. Thieme (éd.), Munich, 1984. Le texte des Dialogues est celui de l’édition procurée par C. Previtera : Dialoghi, Florence, 1943) donne une ample bibliographie. Pour sa biographie, voir E. Pèrcopo, Vita di G. Pontano, M. Manfredi (éd.), Naples, 1938 et, en dernier lieu, Ch. Kidwell, Pontano, poet and prime minister, Cambridge, 1991. Citons, parmi les études (– 1/) et les éditions (– 2/) : – 1/ E. Walser, Die Theorie des Witzes und der Novelle nach dem «De sermone» des J. Pontano, Strasbourg, 1908; S. Lupi, Il «De sermone» di Giovanni Pontano, dans Filologia romanza, 2, 1955, p. 390 et suiv.; F. Tateo, La poetica di Giovanni Pontano, dans Filologia romanza, 6, 1959, p. 277-370; Id., Astrologia e moralità in Giovanni Pontano, Bari, 1960; S. Monti, Ricerche sulla cronologia dei dialoghi di Pontano, dans Annali della Facoltà di lettere e filosofia dell’Università di Napoli, 10, 1962-1963 (publ. en 1965), p. 247 et suiv.; F. Tateo, Tradizione e realtà nell’Umanesimo italiano, Bari, 1967; Id., Umanesimo etico di Giovanni Pontano, Lecce, 1972; Id., L’Umanesimo meridionale, Bari, 1973; Id., Il linguaggio comico nell’opera di G. Pontano, dans I. Ijsewijn, E. Kessler (éd.), Acta conventus neolatini Lovaniensis, Louvain-Munich, 1973, p. 647-657; M. De Nichilo, I poemi astrologici di Giovanni Pontano. Storia del testo, Bari, 1975; D. Marsh, The Quattrocento dialogue. Classical tradition and humanist innovation, Cambridge (Mass.)Londres, 1980; G. Ferraù, Pontano critico, Messine, 1983; M. Deramaix, «Excellentia» et «admiratio» dans l’«Actius» de G. Pontano. Une poétique et une esthétique de la perfection, dans Mélanges de l’École française de Rome. Moyen ÂgeTemps modernes, 99, 1, 1987, p. 171-211; A. Mirouze, Un héritier de Ptolémée à la Renaissance. Imagination symbolique, astrologie et biographie intérieure dans l’œuvre de G. Pontano, thèse dactylographiée, Paris IV-Sorbonne, 1998). – 2/ G. Pontano, Carmina, B. Soldati (éd.), Florence, 1902; Ioannis Ioviani Pontani Carmina, J. Oeschger (éd.), Bari, 1948; G. Pontano, De Sermone, S. Lupi et A. Risicato (éd.), Lugano, 1954; Id., I trattati delle virtù sociali. De Liberalitate, De Beneficentia, De Magnificentia, De Splendore, De Conviventia, F. Tateo (éd.), Florence, 1969; Id., De Magnanimitate, F. Tateo (éd.), 1969; Id., De Immanitate, L. Monti Sabia (éd.), Naples, 1970; Id., Lyra, L. Monti Sabia (éd.), dans Rendiconti dell’Accademia di lettere e belle arti di Napoli, 47, 1972, p. 1-70; Id., De Tumulis, L. Monti Sabia (éd.), Naples, 1974; Id., Hendecasyllaborum libri, L. Monti Sabia (éd.), Naples, 1978. Dans l’extrait cité, Gilles de Viterbe vise un hymne latin composé par Pontano, dans sa jeunesse, en l’honneur de saint Augustin et inclus dans son recueil De laudibus diuinis dédié en 1458 à Jean d’Aragon (Ioannis Ioviani Pontani Carmina, J. Oeschger (éd.), Bari, 1948, De laudibus divinis, p. 275-276 : XIII, Hymnus ad divum Augustinum Carthaginiensem). Pour les circonstances dans lesquelles Gilles en obtint le texte et leur signification, voir plus loin.

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duisirent l’invention du De partu Virginis que nous voudrions maintenant exposer de façon synthétique parce qu’il est possible dans ce cas de reconstruire ce que nous ne voyons qu’indirectement à propos des Coryciana, du nouveau Saint-Pierre, des Chambres vaticanes ou de la voute de la Sixtine16.

16 Aucune étude ne rassemble commodément les éléments de la biographie de Iacopo Sannazaro, appelé Sannazar en France (Naples, 1457-1530). Aussi, outre la bibliographie de notre étude à paraître (voir ci-dessous dans cette note), on pourra consulter G. B. Crispo, Vita di Giacopo Sannazaro, Rome, 1593; E. Pèrcopo, Vita di Iacobo Sannazaro, G. Brognoligo (éd.), dans Archivio storico per le province napoletane, 56, 1931, p. 87-198; A. Altamura, Iacopo Sannazaro, Naples, 1951 (peu sûr); C. Vecce, Iacopo Sannazaro in Francia. Scoperte di codici all’inizio del XVI secolo, Padoue, 1988 et M. Deramaix, La genèse du «De partu Virginis» de Iacopo Sannazaro et trois églogues inédites de Gilles de Viterbe, dans Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 102, 1, 1990, p. 173-276. Une liste des éditions italiennes et européennes des œuvres latines de Sannazar (De partu Virginis, De morte Christi Domini ad mortales Lamentatio, Eclogae piscatoriae VI, Salices, Fragmentum, Elegiae libri III, Epigrammaton libri III) est commodément fournie par l’édition critique du De partu Virginis, Ch. Fantazzi, A. Perosa (éd.), Florence, 1988 (Istituto nazionale di studi sul Rinascimento, Studi e testi, XVII), p. XCVII et suiv. En l’absence d’édition critique des autres œuvres latines, à l’exception de la Lamentatio (cf. C. Vecce, «Maiora numina». La prima poesia religiosa e la «Lamentatio» di Sannazaro, dans Studi e problemi di critica testuale, 43, 1991, p. 4994), on aura intérêt, parmi les très nombreuses éditions anciennes, à recourir à la dernière qui présente le texte non censuré des épigrammes anti-papales (Opera latine scripta, ex secundis curis Jani Broukhusii. Accedunt... Vitae Sannazarianae et Notae Petri Vlamingii, Amsterdam, apud Hermannum Uytwerf, 1728) car son commentaire érudit est très utile. Pour son œuvre en langue vulgaire (Arcadia, Sonnetti e Canzoni [= Canzoniere], Gliuomeri), on recourra à l’édition d’A. Mauro (Opere volgari, Bari, 1961) mais, pour l’Arcadia, on se reportera à celle de F. Erspamer (Milan, 1990. Importante bibliographie). Nous avons pour notre part soutenu en 1994, sous la direction de M. le Prof. A. Michel, une thèse de doctorat intitulée Théologie et poétique : le «De partu Virginis» de Jacques Sannazar dans l’histoire de l’humanisme napolitain (Université de Paris IV-Sorbonne) à paraître chez Droz à Genève dans la collection Travaux d’Humanisme et Renaissance, sous une forme très profondément remaniée et augmentée. On y trouvera toute la bibliographie nécessaire. Signalons cependant ici C. Vecce, Iacopo Sannazaro in Francia. Scoperte di codici all’inizio del XVI secolo, Padoue, 1988; Id., Gli zibaldoni di Iacopo Sannazaro, Messina, 1998. Nous avons nous-mêmes abordé l’œuvre de Sannazar de plusieurs façons (développées dans notre étude à paraître) : 1/ l’histoire du texte du De partu Virginis et des rapports entre Sannazar et Gilles de Viterbe (La genèse du «De partu Virginis» de Jacques Sannazar...; «Phoenix et ciconia». Il «De partu Virginis» di Sannazaro e l’«Historia viginti saeculorum» di Egidio da Viterbo, à paraître dans les Mélanges Francesco Tateo (Univ. De Bari) en 2004. Soulignons ici que nous fûmes mis sur la piste égidienne par les intuitions et les hypothèses fécondes de F. Tateo : Per una lettura critica dell’opera latina del Sannazaro, dans Convivium, 25, (n.s. IV), 1957, p. 413-427 (sur l’attente de la renouatio ficinienne transmise à Sannazar par Gilles), repris et développé dans Id., Tradizione e realtà nell’umanesimo italiano, I Cultura poesia, religiosità; 1 La crisi culturale di Iacopo Sannazaro, Bari 1967, p. 71-111, p. 82-109 (sur la lecture chrétienne des mythes classiques commune à Gilles et à Sannazar, tous deux pré-

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J’avais tenté, avant que les lettres familières de Gilles de Viterbe ne fussent publiées, de rassembler ce que l’on pouvait en extraire afin de reconstituer les circonstances de ses premiers contacts avec les élites de Naples et son Académie17. L’entreprise est maintenant

sents au chant III du De partu Virginis où, sous les masques bucoliques de Lycidas/Sannazar et d’Aegon/saint Augustin-Gilles de Viterbe, ils chantent l’âge d’or moderne avec les mots de Virgile. Repris dans Id., L’Umanesimo meridionale cit., p. 203-204); Id., S. Agostino e l’umanesimo italiano, dans L’Umanesimo di Sant’Agostino, Bari, 1988, p. 335-357, p. 338-346, avec références à l’Historia et au milieu romain à propos du De partu), 2/ l’évangélisation du Parnasse classique («Maroni Musa proximus ut tumulo» : l’église et le tombeau de Jacques Sannazar, en collaboration avec B. Laschke, dans Revue de l’art, 1992, p. 25-40; «Mons reuelationum». L’œuvre de Jacques Sannazar ou l’évangélisation du Parnasse de Pétrarque à Gilles de Viterbe, à paraître), 3/ la question de l’orthodoxie religieuse de l’œuvre latine et italienne de Sannazar dans la période qui suivit le Concile de Trente («Inepta et indecora comparatio» : «sacris prophana miscere». Une censure ecclésiastique post-tridentine et inédite du «De partu Virginis» de Jacopo Sannazaro, dans Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1991, 2, p. 172-193), 4/ la réflexion de Sannazar sur la tradition pétrarquienne d’un possible accord entre vie érémitique et loisir lettré («Otium Parthenopeium» à la Renaissance : le lettré, l’ermite et le berger, dans Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1994, 2, p. 187199), 5/ la question de l’imitation virgilienne et la theologia poetica («Theologia poetica» et imitation poétique à la Renaissance : les Champs Elysées et les limbes des Justes, dans L’École des lettres, II, 4, 1995-1996, p. 87-99; «Mendax si caetera Proteus»... Le mythe virgilien de Protée et la théologie poétique dans l’œuvre latine et italienne de Sannazar, dans Il sacro nel Rinascimento. XII Convegno internazionale, Istituto studi umanistici F. Petrarca, Chianciano-Pienza, 17-20 juillet 2000, Florence, 2002, p. 87-105; (titre provisoire) «Synceromastix nescio quis». Le Virgile napolitain et le Virgile romain ou la correction du «De partu Virginis» en 1521, à paraître dans les Actes du Premier Congrès de la Société française d’études néo-latines, Tours, 19-20 janvier 2001), 6/ les rapports entre la vie réelle et sa recréation littéraire chez Sannazar («Amicum cernere numen». Jacques Sannazar en exil en France (1501-1505), saint François de Paule et saint Nazaire, dans J. Balsamo (éd.), Passer les Monts. Français en Italie – l’Italie en France (14941525). Xe colloque de la S.F.E.S.S., Paris-Fiesole, 1998, p. 313-326), 7/ la connaissance précoce de Sannazar dans le milieu de l’Académie romaine et des loisirs lettrés au temps des papes Léon X et Clément VII Médicis («Sapientia praeponitur quibuscunque rebus». Les loisirs académiques romains sous Léon X et la «Christias» de Sannazar dans un manuscrit inédit de Séville, dans Chemins de la re-connaissance. En hommage à Alain Michel, Helmantica, 151-153, 1999, p. 301329; «Christias, 1513». La forma antiquior du «De partu Virginis» de Sannazar et l’académie romaine sous Léon X dans un manuscrit inédit de Séville, dans Les Cahiers de l’Humanisme, 1, 2000, p. 151-172). En rapport avec le rôle de la lumière dans le succès du platonisme ficinien auprès des poètes humanistes de tradition virgilienne et pétrarquienne, nous avons étudié la question chez Virgile («Spiritus intus alit» : la poétique dans la lumière dans l’«Énéide», dans Revue des études latines, 72, 1994, p. 90-112). 17 Dans La genèse du «De partu Virginis»..., p. 187 et suiv. Bien que la chronologie des lettres soit évidemment à corriger en fonction de l’édition citée d’A.-M. Voci-Roth, on pourra cependant consulter nos notes et commentaires en plus de ceux que celle-ci fournit.

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beaucoup plus aisée, grâce à cette édition mais aussi parce que nous avons depuis lors mis au jour de nombreux documents. À la fin d’avril 1498, au lieu de retourner à Florence comme il l’eût désiré, Gilles est contraint par son protecteur et général de l’Ordre des Augustins, Mariano da Genazzano, de l’accompagner dans une tournée des monastères de la province campanienne18. Une lettre du 21 mai 1498 nous montre qu’après avoir vu Naples il parcourt, du lac Lucrin au lac Fusaro en passant par le lac Averne et l’antre supposé de la Sibylle, tous les lieux qui le reconduisent au chant VI de l’Énéide19. Une autre, de la seconde moitié de 1498, nous apprend qu’il poursuit ses promenades, des Champs Phlégréens au Cap Misène en passant encore par l’antre supposé de la Sibylle 20. Le 14 décembre de la même année, sur le chemin du retour, il assiste à la mort de Mariano da Genazzano à Sessa Aurunca, des suites d’un naufrage 21. C’est à partir de la fin de 1499, comme il le dit dans un lettre d’août 1504, qu’il peut «monter sur le Pausilippe et se donner à Dieu pendant deux ans» (conscendere Pausilipum et uacare biennium Deo) 22. En réalité il ne demeure de façon fixe à Naples ou dans son voisinage que jusqu’en septembre 1500 puis revient dans cette ville en 1501, probablement au moment du carême, pour en partir à la fin d’octobre 150123. À la fin de 1499, donc, du Pausilippe, où il s’est retiré, avec la permission du dernier roi aragonais de Naples 18 D. Gutiérrez, Testi e note su Mariano da Genazzano, dans Analecta Augustiniana, 32, 1969, p. 117-204, p. 198-199. À propos de ce maître de Gilles de Viterbe, nous avons publié un article qui s’attache à son opposition à l’égard de Savonarole comme à ses talents oratoires reconnus de tous («Consumatum est». Rhétorique et prophétie dans un sermon de Mariano da Genazzano contre Savonarole, dans A. Fontes, J.-L. Fournel et M. Plaisance (éd.), Savonarole : enjeux, débats, questions. Actes du colloque international (Paris, 25-27 janvier 1996), Paris, 1997, p. 173-197). 19 Egidio da Viterbo O.S.A.., Lettere familiari... I, lettre 12, p. 97. 20 Ibid., lettre 13, p. 98-100, l. 1-15. 21 Voir D. A. Perini, Bibliographia Augustiniana cum notis biographicis. Scriptores Itali, 4 vol., Florence, 1929-1938, p. 101-102; D. Gutiérrez, Testi e note... et L. Torelli, Secoli Agostiniani..., VII, Bologne, 1682, ad Indicem. 22 Egidio da Viterbo O.S.A.., Lettere familiari... I, lettre 116, p. 234-236, l. 2122. 23 Un correspondant lui écrit de Naples le 1er octobre 1500 (Ibid., lettre 18, p. 106-108). Il est de retour dans cette ville lorsqu’il écrit à un correspondant le 2 mai (Ibid., lettre 26, p. 120), selon toute apparence pour y prêcher le carême (voir M. Deramaix, La genèse du «de partu virginis»..., p. 182-187, p. 191 et n. 46; Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari... I, lettre 47, p. 145-146, p. 146, l. 17-21. Cette lettre démontre qu’il prêcha pendant le carême de 1502 ce qu’il nomme les mira quedam Platonis misteria propres à induire le mépris de la mort et de ce monde tandis que le carême de l’année précédente – altero anno – l’avait vu s’attaquer aux vices : uitiorum omnium truncos extirpauimus. Cf. infra la note 37 sur ce dernier sermon). Sa dernière lettre datée de Naples est du 30 de ce mois (Ibid., lettre 32, p. 128-129).

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Frédéric III, dans la maison religieuse de Santa Maria della Consolazione attachée au monastère napolitain de San Giovanni a Carbonara (congrégation observante de l’ordre des Frères Ermites de saint Augustin), il écrit précisément qu’il consacre ses prières et méditations à la Vierge 24. Le 1er octobre 1500, alors que Gilles a quitté le Pausilippe, Crisostomo Colonna, poète et prosateur latin précepteur de l’héritier du trône de Naples, lui écrit que son élève le duc de Calabre et lui même regrettent fort son absence 25. C’est grâce à une lettre du 3 novembre 1500, envoyée par Gilles à Pontano, que nous mesurons pour la première fois les liens qui déjà l’unissaient aux membres les plus en vue de l’Académie napolitaine fondée par Antonio Beccadelli dit le Panhormite et alors dirigée par Pontano lui-même. En effet, nous y voyons Gilles au fait des travaux divers de ce polygraphe – poésie, art oratoire, philosophie morale, astronomie et astrologie – et lui conseiller de leur ajouter les études religieuses afin de songer à la vie immortelle qui attend les sages et qu’il lui décrit avec force citations de Lucrèce, de Virgile et de Platon 26. Pontano lui répond de Naples le 13 décembre 1500. Insistons ici sur ce qu’il lui dit pour finir : Itaque sic habeto desiderium tui Neapolitanos cepisse uniuersos, mirifice uero tum litteratos tum patritios. Ce goût des élites napolitaines pour Gilles n’est au demeurant 24 Pour l’identité du monastère, voir G. Signorelli, Il cardinale Egidio da Viterbo agostiniano, umanista e riformatore (1469-1532), Florence, 1929, p. 131, n. 29. Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari..., I, lettre 16, p. 104-105, l. 8-9. 25 Ibid., lettre 18, p. 106-108, l. 31-33, 40-42. 26 Ibid., lettre 20, p. 111-113. À propos de l’Académie napolitaine, que présida Sannazar après la mort de Pontano, voir C. Minieri Riccio, Biografie degli accademici alfonsini, detti poi pontaniani dal 1442 al 1543, Bologne, 1969 (Naples, 1881); F. Fiorentino, Egidio da Viterbo ed i Pontaniani di Napoli, dans Archivio storico per le provincie napoletane, 9, 1884, p. 430-452 (réimprimé dans : Id., Risorgimento filosofico nel Quattrocento, Naples, 1885, p. 251 et suiv.); E. Gothein, Il Rinascimento nell’Italia meridionale (1886), traduction de T. Persico, Florence, 1915; A. Altamura, L’Umanesimo nel Mezzogiorno di Italia, Florence, 1941 M. Santoro, L’Accademia pontaniana, dans Storia di Napoli, IV, 2, Naples, 1974, p. 361373; F. Tateo, L’Umanesimo meridionale, Rome-Bari, 18762 ; J. F. D’Amico, Renaissance Humanism in papal Rome. Humanists and churchmen on the eve of the Reformation, Baltimore-Londres, 1983, p. 90-92; J. H. Bentley, Politics and culture in Renaissance Naples, Princeton, 1987; V. De Caprio, Roma, dans Letteratura italiana. Storia e geografia, a cura di A. Asor Rosa, II, 1, Turin, 1988, p. 419420; L. D’Ascia, Erasmo e l’umanesimo romano, Florence, 1991, ad indicem; L. Gualdo Rosa, L’Académie pontanienne et l’élaboration d’une poétique du classicisme, dans Les Cahiers de l’Humanisme, 1, 2000, p. 209-224. On trouvera des analyses inédites de la floraison du pétrarquisme méridionale dans les années 1530-1552 dans T. Toscano, Letterati, corti, accademie. La letteratura a Napoli nella prima metà del Cinquecento, Naples, 2000. On pourra également voir de façon plus générale M. Fumaroli, L’École du silence. Le sentiment des images au XVIIe siècle, Paris, 1994, première partie, I : Le Parnasse romain. «Académie, Arcadie, Parnasse : trois lieux allégoriques du loisir lettré», p. 19-36.

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pas séparable des qualités théologiques et de l’éloquence religieuse du frère augustin, sur laquelle se clôt la lettre : Recte uale, atque in diuinis siue sermonibus siue predicationibus regna 27. Le même Pontano, le 7 janvier 1501, envoie à Gilles l’hymne XIII de son recueil De laudibus diuinis publié en 1558 et l’assure qu’il regrette leurs promenades dans les jardins de Naples 28. C’est à l’un des patricii évoqués par Pontano que Gilles écrit de Rome le 20 janvier 1501 : il fait part à Antonio de Guevara, comte de Potenza et autre précepteur du fils du roi Frédéric III, de ses réflexions sur le Souverain Bien et sur la foi, sur la piété et l’amour pour le prochain 29. Il est probable qu’il prêcha à Naples sur l’Incarnation et le sacrifice du Christ ainsi que sur les vices pendant le carême de 1501 mais il y était assurément le 2 mai 150130. Le 10 septembre 1501, dans un contexte politique fébrile puisque le roi Frédéric, bientôt suivi par Sannazar, s’est réfugié depuis le 4 août dans la forteresse de l’île d’Ischia tandis que les Français approchent, Gilles est sans doute encore sur le Pausilippe, d’où il écrit le 29 septembre à un confrère qu’il y jouit avec délices du silence, de l’otium religieux, du paysage à la fois montagneux, céleste et marin, un lieu qui semble placé sous la protection du tombeau du Platonicus Maro interprète de la Sibylle : Locus (...) hic noster, ubi Maronis urna perpetuo uere fruitur, rosa numquam caret, lilia uberrime sese offerunt 31. Mais le lendemain, cependant, il explique au même correspondant que la guerre l’a contraint à descendre du Pausilippe et il se trouve encore en ville le 2 octobre, jour où le roi, accompagné de Sannazar, quitte Ischia pour se rendre en France où il mourra au château du Plessis-lès-Tours en 1503 dans les bras de saint François 27

Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari..., I, lettre 21, p. 113-115, l. 43-44,

50-51. 28 Ibid., lettre 23, p. 116-117. Pour ce recueil d’hymnes latins, voir ci-dessus la note bio-bibliographique consacrée à G. Pontano. 29 Ibid., lettre 25, p. 118-120. 30 Ibid., lettre 26, p. 120. Pour la présence de Gilles à Naples durant le carême de 1501, voir ci-dessus. 31 Pour une lettre datée du 10 septembre, sans indication de lieu : Ibid., lettre 27, p. 120-122. Pour celle du 29 septembre : Ibid., lettre 28, p. 122-123, l. 17-18. À propos de l’occupation française de Naples, de l’exil forcé du roi Frédéric III qu’accompagna Sannazar jusqu’à la mort du monarque au château royal de Montils-lès-Tours en 1504, du partage du Royaume de Naples entre la France et l’Espagne en vertu du traité secret de Grenade conclu entre ces deux puissances et le pape Alexandre VI, voir la chronologie du départ pour l’exil proposée par C. Vecce (Iacopo Sannazaro in Francia. Scoperte di codici all’inizio del XVI secolo, Padoue, 1988, p. 178-186, p. 179). Outre cette étude, on pourra se reporter à notre article consacré à l’exil français de Sannazar («Amicum cernere numen». Jacques Sannazar en exil en France (1501-1505), saint François de Paule et saint Nazaire, dans J. Balsamo (éd.), Passer les Monts. Français en Italie – l’Italie en France (1494-1525). Xe Colloque de la S.F.E.S.S., Paris-Fiesole, 1998, p. 313-326).

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de Paule 32. Gilles passe le mois à Sorrente mais, de retour à Naples avant le 30 octobre, malade et désireux de s’adonner de nouveau à l’étude de Platon, il refuse de céder à ceux qui voudraient le retenir au bord du golfe 33. Enfin, pour nous en tenir à ce qui peut éclairer notre objet, à la fin de 1501, Gilles, qui n’est plus à Naples, reçoit une lettre de Benedetto Gareth, dit Cariteo, réfugié à Rome. Ce secrétaire d’État membre de l’Académie de Pontano et grand ami de Sannazar non moins que de la dynastie aragonaise lui envoie l’œuvre d’Hésiode, les Églogues de Théocrite et lui promet un Homère. Il finit en se réjouissant de la si haute estime en laquelle il a pu voir, dans la lettre à laquelle il répond, que Gilles tenait Sannazar : Actii [Sannazarii] nostri laudes mihi quam gratissime fuere. Ex tuo more facis, cum hominem laudas e celo delapsum atque diuinitatis exemplum 34. Nous pouvons, grâce à d’autres sources, entrer plus avant encore dans la façon dont Gilles de Viterbe pouvait concevoir son rôle auprès des lettrés de l’Académie napolitaine. En 1991, John Monfasani a publié ce qui est peut-être un fragment du Liber dialogorum perdu, datable des années 1499-1500. Or les sections 5 et 6 du dialogue intitulé Quod diuina cognosci natura non possunt nous sont précieuses. L’archange Michel y dit en effet à san Lorenzo Maiorano, évêque de Siponto : «Platon, qui comprit notre théologie de si près qu’aucun des philosophes grecs ou barbares ne s’introduisit plus près de la vérité et qu’il laissa à la postérité un enseignement qui empêcherait notre époque de s’éloigner autant de l’affirmation de la vérité si elle le comprenait, un enseignement dont je dirais qu’il s’accorde tout à fait avec nos dogmes. Mais le Pausilippe parthénopéen s’est arrogé cette province pour son compte; aussitôt que possible, selon mon vœu, il rencontrera un mortel. Je sais que par de très fréquentes discussions avec Cimino et Vesuvius cet homme a conçu en esprit de nombreux fruits» 35. Dans ce texte, nécessairement écrit pendant le seul séjour de Gilles au bord de la baie de Naples, nous voyons comment il envisage d’œuvrer à la conciliation du platonisme ficinien et de la religion en associant le Pausilippe et 32 Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari..., I, lettre 29, p. 123-125, l. 1-5; lettre 30, p. 125-126. Pour le départ du roi Frédéric III et de quelques fidèles, dont Sannazar, pour la France, voir C. Vecce, Iacopo Sannazaro in Francia... À propos des chemins croisés du roi, de Sannazar et de saint François de Paule, voir M. Deramaix, «Amicum cernere numen». Jacques Sannazar en exil... 33 Ibid, lettre 31, p. 126-128, de Sorrente; lettre 32, p. 128-129, l. 6-8, 13-20. 34 Ibid., lettre 36, p. 133-134, l. 1-3, l. 12-14. Sur Benedetto Gareth Cariteo (Barcelone, 1450 – Naples, 1514), on verra Chariteo, Le rime, E. Pèrcopo (éd.), I, II, Naples, 1892, I, passim et F. Tateo, L’Umanesimo meridionale, Bari, 1976 (1973), p. 121-133. 35 Texte latin en appendice, document no 2.

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la Toscane agostiniennes à la Naples lettrée. En effet, en personnifiant ces trois lieux sous la forme d’anges gardiens et de genii locorum, selon une habitude que l’on observe dans ses lettres familières, il désigne le monastère augustinien de Santa Maria della Consolazione bâti sur le Pausilippe et où il résidait le plus souvent, l’ermitage augustinien de Cimino près de Viterbe et l’Académie napolitaine de Pontano et de Sannazar 36. Or cette rencontre de l’otium monastique, de l’érémitisme d’ascendance pétrarquienne, du platonisme chrétien et des lettres antiques au service de la foi ne caractérise pas seulement de façon durable un pan entier de la pensée de Gilles de Viterbe, elle conditionne la véritable révolution qui s’opère, au tournant du Quattrocento et du Cinquecento dans l’œuvre poétique de Sannazar. J’ai eu déjà l’occasion d’exposer dans quelles circonstances Sannazar, à l’époque de sa rencontre avec Gilles de Viterbe, avait converti sa Muse, tout à la fois arcadienne en langue vernaculaire et bucolique d’expression latine, au profit de l’hymnique religieuse latine. Je n’insisterai ici que sur un épisode très significatif de cette conversion essentielle dans sa carrière poétique : la composition de sa De morte Christi domini ad mortales lamentatio dans les années 1500-1505. Dans le dialogue de Pontano intitulé Aegidius en l’honneur de Gilles (Egidio), publié en 1507 mais qui se déroule en 1501, l’auteur rapporte la teneur d’un sermon prononcé par ce dernier à Naples durant le carême de cette année-là. Il avait pour sujet l’Incarnation et le sacrifice du Christ (cf. supra) et l’emploi par le frère augustin d’une citation de Virgile dans son prêche fit même dire en 1719 à un biographe de Sannazar, Giovanni Antonio Volpi, que le Napolitain avait trouvé dans le sermon original l’aiguillon qui lui fit entreprendre le De partu Virginis. Nous sommes plus près de la vérité des faits si nous constatons que le thème de ce sermon, ajouté à un autre prononcé par Gilles pendant le même carême à propos des vices, nous donne exactement la structure de la Lamentatio, dont Carlo Vecce a d’autre part fourni une édition critique en 1991 et dans laquelle se signale tout particulièrement, dans le contexte platonico-

36 J. Monfasani, Hermes Trismegistus, Rome and the myth of europa : un unknown text of Giles of Viterbo, dans Viator, 22, 1991, p. 311-342; p. 333, n. 1 et 2 au paragraphe 6 et n. 35 p. 319. Cette façon de désigner des milieux en personnifiant des toponymes trouve un écho dans un passage d’une lettre écrite du Pausilippe le 29 septembre 1501 (Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari..., I, lettre 28, p. 122-123, l. 20-21) : Vale, quoad aut ego ad te eam, ibo autem si Dominus assit prope brumam, aut tu nos uisas prius, quod omnis mecum precatur Vesuuius et Campania, mais un écho seulement car l’adjectif omnis suggère que Vesuuius et Campania ne sont ici que des personnifications et non pas des anges gardiens.

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ficinien de ces années, l’intérêt du poète pour les phénomènes célestes et la représentation solaire et apollinienne du Christ 37. Il est possible d’éclairer davantage la question décisive de l’influence que l’éloquence religieuse de Gilles de Viterbe exerça sur les lettrés lors de son séjour napolitain (de 1499 à 1501 en général ou bien lors du carême de 1501), grâce à quelques témoignages inconnus. La Bayerische Staatsbibliothek de Munich conserve sous la cote Lat. 30001 un manuscrit qui appartint au poète humaniste napolitain Decio Apranio, mort en juin 1524. Ce parent de Girolamo Seripando (le propre postillateur de l’autographe de l’Historia viginti saeculorum) était un admirateur de Sannazar et si le manuscrit già Viennesi Lat. 59 du De partu Virginis conservé à la Biblioteca nazionale de Naples est en partie de sa main, le manuscrit già Viennesi Lat. 60 du poème de Sannazar, conservé dans la même bibliothèque, lui est entièrement dû 38. Or, parmi les nombreux poèmes d’Apranio

37 Pour notre thèse et l’étude à paraître construite à partir de celle-ci, voir cidessus la notice bibliographique consacrée à Sannazar. On trouvera les données et la résolution de cet épisode important des rapports de Gilles de Viterbe et de Sannazar dans notre édition des bucoliques de Gilles (La genèse du «De partu Virginis» de Iacopo Sannazaro et trois églogues inédites de Gilles de Viterbe... p. 183-187 – depuis l’édition des Lettere familiari... de Gilles, I, no 41, il convient de modifier la note 36 de cet essai : la lettre alléguée du 25 février est de 1502 au lieu de 1503 et l’auteur est Raffaele Brandolini et non pas Giovanni Botonti – où il est expliqué que Gilles prêcha pour le carême napolitain de 1501 au moins deux sermons; l’un, certain, sur les vices, de flagitiis et un autre, de amore Dei ou de Incarnatione, si nous retenons comme je suis enclin à le faire le sermo Aegidii ad populum contenu dans l’Aegidius de Pontano). Pour le texte de l’Aegidius, voir G. Pontano, Dialoghi, C. Previtera (éd.), Florence, 1943 (princeps : Naples, ex officina Sigismondi Mayr Alemani, mense octobri MDVII). La biographie de G.-A. Volpi parut pour la première fois en 1719 (Jacobi, siue Actii Synceri Sannazarii poemata... Accessit eiusdem uita Jo. Antonio Vulpio auctore... Patauii, excudebat Jos. Cominus). Pour une reprise plus générale de cette question dans le contexte qui voit Sannazar, sous l’influence de Gilles de Viterbe, transcrire dans son hymnique latine une expérience poétique religieuse en langue vulgaire, et pour une édition critique de la De morte Christi Domini ad mortales Lamentatio, voir C. Vecce, «Maiora numina». La prima poesia religiosa e la «Lamentatio» di Sannazaro... 38 Ce manuscrit, signalé comme vendu au moyen de la maison new-yorkaise H. P. Kraus (P. O. Kristeller, Iter Italicum, IV, Londres-Leyde, 1990, p. 354-355) et acheté par la Bayerische Staatsbibliothek de Munich (Iacopo Sannazaro, De partu Virginis, Ch. Fantazzi et A. Perosa (éd.)..., p. XXVIII, n. 51), a été décrit assez récemment (O. Besomi et M. Regoliosi, Lorenzo Valla et l’Umanesimo italiano, Padoue, 1986, p. 80-81; Lorenzo Valla, Epistole, O. Besomi, M. Regoliosi (éd.), Padoue, 1984, p. 66-67). Nous n’en avons pour l’instant pris connaissance que par une reproduction microfilmée de sa section finale (f. 31r-57v), qui forme un recueil poétique (avec quelques pièces en langue vulgaire aux f. 31r-32v) dont Ch. Fantazzi et A. Perosa (p. XXVIII) ne signalent que les folios autographes de Decio Apranio (f. 42r-57v; corriger, sauf erreur due à la numérotation sur les folios microfilmées et dans P. O. Kristeller, Iter Italicum ...l’indication du folio fi-

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réunis par leur auteur, tous adressés à des membres de l’Académie napolitaine et réunis dans un section finale autographe du manuscrit, deux sont pour notre objet d’un intérêt particulier. Nous leur adjoindrons un troisième d’un semblable intérêt, qui les précède sans mention de l’auteur comme dans les deux autres cas retenus mais qui présente des ressemblances frappantes avec ceux-ci 39. Cette pièce s’intitule De egidio concionatore et est composée de onze distiques élégiaques 40. Posant que les songes ont partie liée avec la vérité, l’auteur, dans une fictio bien attestée dans la littérature contemporaine, rapporte qu’il se trouva en rêve dans la citadelle céleste et vit Orphée chanter insuetis modis à la stupeur de Pallas, de Phébée et des Napées. Pour affermir ce lien supposé du songe avec la vérité, le poète établit un parallèle entre Orphée (v. 13 : uerum Orphea) et Gilles de Viterbe (v. 14 : nomen ab egide, i. e. Aegidius), entre Minerve (v. 16) et Béatrice d’Aragon (vv. 15-16), entre PhébéeDiane (v. 17) et Isabelle del Balzo (ibid.) épouse du roi Frédéric, entre les Napées ou nymphes (v. 19) et les demoiselles d’honneur qui forment la suite de ces deux «déesses» (v. 19 : harum dearum turba) de la cour napolitaine. Si nous croyons, comme le titre de cette pièce nous y engage, qu’il s’agit là de la teneur d’un sermon, nous voyons d’une façon particulièrement nette comment l’éloquence sacrée de Gilles, digne héritier de Mariano da Genazzano, suscitait dans la nal 56v donnée par Ch. Fantazzi et A. Perosa. À propos de Decio Apranio, voir C. Minieri Riccio, Biografie degli accademici alfonsini, detti poi pontaniani dal 1442 al 1543, Bologne, 1969 (Naples, 1881), p. 65-68; E. Pèrcopo, Pomponio Gaurico umanista napoletano, Naples, 1894, p. 70-71; A. Altamura, L’Umanesimo nel Mezzogiorno di Italia, Florence, 1941, p. 122, 187-190 et, en général, Iacopo Sannazaro, De partu Virginis, Ch. Fantazzi et A. Perosa (éd.)..., p. XXIX, n. 54, 56, 58. Les deux manuscrits du De partu Virginis liés à Decio Apranio et conservés à Naples sont décrits dans l’édition critique de ce poème par Ch. Fantazzi et A. Perosa (p. XXVIII-XXXIV) qui, outre les folios autographes d’Apranio (voir cidessus), signalent (p. XXIX-XXX et n. 56) quelques noms de dédicataires des carmina contenus dans le ms. 30001 (dont Gilles de Viterbe, déjà signalé dans Iter Italicum...) et assurent que ces poésies sont presque toutes inconnues et inédites. Nous entendons pour notre part revenir bientôt sur ce recueil poétique dont une première lecture montre à tout le moins chez Apranio une forte imitation des hymnes de Sannazar (conservés dans ses Epigrammaton libri tres), à l’exemple de la prière à la Vierge dont nous parlons ici même (document 3b). 39 Il y aurait bien un indice en faveur de l’attribution à Apranio dans le fait que le document 3c de l’appendice (Apranius ad Aegidium) présente en commun avec ce carmen (document 3a) De egidio concionatore le jeu étymologique qui rapproche le prénom Aegidius de l’égide d’Athéna mais un examen mené sur un tirage du microfilm en notre possession nous fait croire dans le cas du document 3a à une main différente de celle d’Apranio (pour un avis semblable, voir I. Sannazaro, De partu Virginis, A. Perosa et Ch. Fantazzi (éd.)..., p. XXVIII). 40 Texte latin en appendice, document no 3a. Nous remercions le Prof. M. De Nichilo qui nous a très amicalement proposé quelques difficultés dans un état antérieur de ce texte.

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jeunesse lettrée de Naples formée aux leçons de l’Académie des louanges qui trouvaient dans la mythologie le principe topologique de leur invention. Elles n’en reflètent pas moins fidèlement sa pensée et son expression ordinaire : un auditeur savant de notre Orphée chrétien pouvait donc sans peine voir le lien qui unissait sa prédication à l’évangélisation des mythes classiques et des lieux symboliques de l’invention littéraire, à la conciliation des studia humanitatis avec les studia diuinitatis, en un mot au corps de doctrine dont le frère augustin se faisait l’avocat auprès de l’Académie et de Sannazar en particulier 41. Le premier des textes indubitablement autographes d’Apranio et placés sous son nom est une prière à la Vierge, en dix distiques élégiaques : Apranii deprecatoria ad Virginem 42. Cette prière se ressent à l’évidence beaucoup des hymnes latins de Sannazar, attentifs à traiter le thème de la lumière, dans la tradition de Lucrèce et de Pindare qui se poursuivait alors à Naples avec les Hymni naturales de Marulle, les hymnes Ad Solem ou De mundi creatione de Pontano ou bien l’épithalame du Pindaricus Gabriele Altilio pour les noces de Giangaleazzo Sforza et Isabelle d’Aragon en 1489. Mais on est également frappé, dans ce plausus naturae, par la façon dont la Vierge devient ici une Vénus chrétienne dont la divinisation astrale rappelle aussi bien l’héroïsation astrale de Daphnis que le sort promis aux 41 Signalons, quoique la bibliographie relative à cette question soit immense, que Gilles, en membre d’un ordre qui voulait avoir été fondé par saint Augustin, pouvait s’autoriser de la façon dont l’évêque d’Hippône, au livre VI du De ciuitate Dei, avait identifié les noms divins de la mythologie mais rappelons surtout que cette herméneutique est au cœur du commentaire de Gilles sur les Sentences de Pierre Lombard. On se reportera, enfin, au sermo Aegidii ad populum de l’Aegidius (G. Pontano, Dialoghi, C. Previtera (éd.), Florence, 1943, p. 245-284, p. 249252) et à notre commentaire (La genèse du «De partu Virginis» de Iacopo Sannazaro et trois églogues inédites de Gilles de Viterbe..., p. 183-187), en particulier (p. 185) au quatrième et triple exemplum, de nature mythologique, auquel Gilles recourt pour exposer le don gratuit de l’amour divin dans la Passion et l’Incarnation (sur ce sermon, voir F. Tateo, Egidio da Viterbo fra sant’Agostino e Giovanni Pontano (Il dialogo Aegidius), Rome, 2000, version révisée de l’article homonyme paru dans Vetera christianorum, 6, 1969, p. 145-159 et du cinquième chapitre Retorica e sapientia de son Umanesimo etico di Giovanni Pontano, Lecce 1972). Nous aurons bien entendu l’occasion de reprendre l’étude de ce poème De Egidio concionatore (en compagnie des deux autres), rare témoignage à propos des liens de Gilles de Viterbe et de la cour aragonaise à son crépuscule, connus mais fort peu documentés. Disons simplement ici que si ce carmen doit bien être directement rapporté au séjour napolitain de Gilles de 1499 à 1501 ainsi que ces mêmes liens le supposent, il conviendra de le rapporter plus précisément à la période comprise entre le retour de Gilles de Rome à Naples au début de mai 1501 (Lettere familiari..., I, lettre n. 26, 2 V 1501) et juillet de la même année, parce que Béatrice d’Aragon, revenue répudiée de Hongrie en 1501, se réfugia le 4 août dans l’île d’Ischia en compagnie du roi Frédéric son frère. 42 Texte latin en appendice, document no 3b.

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âmes d’élite dans le Songe de Scipion de Cicéron 43. Le second, enfin, de ces carmina autographes d’Apranio, Apranius ad Aegidium, en distiques également, est une prosopopée du Créateur qui s’adresse à Gilles en personne 44. Dieu, sous forme jovienne, commande à un archange-Hermès de lui conduire une âme afin de remédier aux crimes des hommes. Hermès se rend aux Champs-Élysées chrétiens et choisit une âme qui, à l’instar de celles qu’Anchise montre à Enée au chant VI de l’Enéide et qui appartiendront aux héros de l’histoire romaine, n’est pas encore incarnée. Au moyen d’une revue chorographique des lieux célèbres de la Grèce aux mains du Turc, Dieu avertit cette âme de la menace qui pèse sur l’Europe parce que les princes chrétiens ne savent pas s’accorder. Puis, soulignant combien Rome est déchue de ses antiques vertus, il trace pour cette âme ce qui sera le parcours terrestre et la mission de Gilles de Viterbe : entrer dans l’ordre des augustins, étudier le platonisme avec l’éloquence de Démosthène et de Cicéron, prêcher en Italie la paix et l’unité des chrétiens. Ici comme dans la première des trois pièces que nous venons de présenter, Egidio tirera son nom de l’égide de Pallas, contrainte par son père de la remettre à Gilles. Nous avons à la fois la preuve, dans cette ébauche exacte de biographie, de l’étroitesse des liens d’amitié qui unissaient Gilles aux lettrés napolitains, de la façon dont il préconisait à Naples vers 1500 l’étude du platonisme ficinien concilié avec la tradition rhétorique afin de l’exposer aux doctes, mais aussi un témoignage, enfin, de son inquiétude devant le péril turc, qu’il ne cessera de dénoncer. Il est très probable que Sannazar, comme les autres membres de l’Académie napolitaine et avant son départ pour la France en octobre 1501, fut le témoin de ces leçons de concorde entre les Lettres profanes et les studia diuinitatis. Mais nous pouvons faire mieux que le supposer si nous nous reportons aux trois bucoliques latines que Gilles composa fort peu de temps après son séjour napolitain et dont

43 Voir M. Marullo, Carmina, A. Perosa (éd.), Vérone, 1951; M. Marulle, Hymnes naturels, J. Chomarat (éd. et trad.), Genève, 1995; Ioannis Iouiani Pontani Carmina, J. Oeschger (éd.), Bari, 1948, p. 353-378 (Lyra; Ad Solem, p. 360-362), 261-276 (De laudibus diuinis; I : De mundi creatione, p. 261-264); Actii Sinceri Sannazarii... Opera latine scripta ex secundis curis Jani Broukhusii. Accedunt Gabrielis Altilii... Carmina... Amsterdam, apud Hermannum Uytwerf, 1728, p. 290298 : Gabrielis Altilii Epithalamium... ; en général, C. Vecce, «Maiora numina». La prima poesia religiosa..., p. 62-63 et, à propos de la symbolique de la lumière dans l’œuvre italienne et latine de Sannazar, on se reportera à notre étude à paraître. La renaissance, encore une fois, de l’hymnique religieuse, comme la reverdie des mètres lyriques redécouverts chez les grecs ou relus chez Horace, est une question qui ne recouvre pas exactement le traitement du thème néo-platonicien et mystique de la lumière chez les humanistes napolitains. 44 Texte latin en appendice, document no 3c.

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nous avons montré, dans notre édition, que la seconde fut écrite à l’intention particulière de Sannazar. Il s’agit au total, dans la première et la seconde associées, de convertir la Muse virgilienne à l’augustinisme platonisant et au pétrarquisme grâce à une évangélisation de l’Arcadie qui se voit transportée en Terre sainte 45. Le 2 juillet 1504, Gilles de Viterbe écrivait au frère Antonio Zocolo : «Aujourd’hui, laissant l’île du lac de Bolsena, chassé par le désagrément de l’air, nous quittons non sans une immense peine un lieu si propice à la religion et à la contemplation. Sur cette île, nous avons composé des églogues. (...)» 46. Ces bucoliques furent donc écrites au cours de juin 1504 sur l’île Martana du lac de Bolsena près de Viterbe. L’un des deux bergers de la première pièce s’appelle Aegon. C’est le nom que porte, dans le De partu Virginis (III, 186-191), le chef des pasteurs venus adorer le Christ et qui n’est autre – Francesco Tateo l’a écrit en 1967 déjà – que saint Augustin, considéré par Gilles de Viterbe comme le fondateur de son ordre et le conciliateur du platonisme et du christianisme 47. Cette bucolique met donc en scène saint Augustin sous les traits d’Aegon et Gilles de Viterbe en personne sous ceux du berger Paramellus. Cette fabula permet à l’auteur une forme de dialogue spirituel intérieur, selon le canon établi par Pétrarque dans le Secretum où l’interlocuteur du poète est aussi l’évêque d’Hippône, quoiqu’il trouve chez le poète de Vaucluse un interlocuteur bien plus rétif que ne l’est Gilles, d’autant plus acquis au fondateur putatif de l’ordre auquel il appartient que cet Augustin-là doit beaucoup à l’œuvre de Pétrarque 48. Cette bucolique nous fait percevoir combien sont puissants dans la pensée de Gilles, à cette date voisine de son séjour napolitain, le désir d’érémitisme,

45 Pour tout ce qui a trait à ces trois bucoliques latines de Gilles de Viterbe et à leur histoire, nous renvoyons le lecteur à notre édition (M. Deramaix, La genèse du «De partu Virginis» de Iacopo Sannazaro et trois églogues inédites de Gilles de Viterbe... ainsi qu’à notre étude à paraître, où ces textes seront repris et le commentaire modifié pour tenir compte du progrès des travaux depuis une dizaine d’années. Nous ne fournirons ici que les informations indispensables. 46 Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari..., I, lettre 112, p. 231-232, l. 3234 : Hodie Vulsiniam relinquentes insulam, aeris inclementia pulsi, non sine ingenti dolore a loco tam religioni, tam contemplationi accommodato discedimus. Eglogas in ea edidimus. (...) 47 F. Tateo, Tradizione e realtà nell’Umanesimo italiano, Bari, 1967, p. 71-111 : La crisi culturale di J. Sannazaro. 48 Voir A.-M. Voci-Roth, Petrarca e la vita religiosa : il mito umanista della vita eremitica, Rome, 1983; Ead., Idea di contemplazione ed eremitismo in Egidio da Viterbo, dans Egidio da Viterbo, O.S.A. e il suo tempo..., p. 107-116 ainsi que notre étude à paraître pour la méditation des leçons de Pétrarque, grâce auxquelles se fait dans l’œuvre de Sannazar le passage sans solution de continuité de l’œuvre italienne à l’œuvre latine.

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l’espoir en un âge d’or à renaître, la haine des guerres entre chrétiens alors que font rage les guerres d’Italie et particulièrement celle qui oppose Français et Espagnols dans le royaume de Naples, la recherche, enfin, d’un accord entre la religion et les Lettres, saisies sous les espèces du genre bucolique virgilien. Gilles adapte la métaphore scripturale du troupeau de Dieu, si bien que les soins du pasteur pour ses brebis (au double sens sur lequel joue tout ce poème) concilie le goût pour l’érémitisme lettré d’ascendance pétrarquienne et le souci du prêtre pour les âmes. L’usage que Gilles fait des types, caractéristique de l’exégèse biblique, retentit sur la conception de l’histoire qui se fait jour dans ce texte : la chute de Rome que vécut saint Augustin trouve son double spéculaire dans les désastres dont l’Italie est victime au début du Cinquecento. Cette itération est caractéristique d’une conception de l’histoire à la fois cyclique et eschatologique car la répétition achève son modèle. Comme nous l’avons exposé ici-même, nous la retrouvons très exactement à l’œuvre dans la théologie de l’histoire propre à l’Historia viginti saeculorum. Elle influe dans cette églogue sur l’imitation de Théocrite et de Virgile. En effet, si nous sommes ici au centre de certaines des questions les plus importantes du De partu Virginis (II et III) comme nous le verrons en conclusion de cette étude, la fin de cette première bucolique n’en est pas moins une méditation sur l’Arcadie et sur le passage de Sannazar à la poésie religieuse latine. On le comprend d’autant mieux si l’on sait qu’en juin 1504, au moment où Gilles rédige ses églogues, l’édition princeps autorisée de l’Arcadia est parue depuis trois mois, en mars, sur les presses de Mayr et sous le contrôle de Pietro Summonte! Le berger sous la persona duquel se dissimule Gilles de Viterbe, dans une description de la vie arcadienne clairement apprise dans le prosimètre de Sannazar, affirme se rappeler la victoire de Daphnis et dit que ce pasteur n’était pas un dieu sous les traits d’un homme mais un homme qu’un dieu avait doué d’inspiration. Cette position est accueillante à la conception d’une révélation imparfaite et inachevée des vérités chrétiennes aux gentils, dont l’œuvre de Virgile est comme le livre saint. Seule la foi chrétienne peut alors conjurer les périls de la fable et des amours arcadiennes. Le final de la bucolique dit comment les monts d’Arcadie seront remplacés par ceux de Palestine : on chantera les créatures célestes et les saints hommes, les pères de l’Église et Augustin à leur tête pour que les ouailles se nourrissent aux pâturages de Terre sainte, douaire autrefois commun aux anges et aux Muses. Une telle translatio Arcadiae rapproche les lieux du christianisme de ceux qui sont propres à l’invention littéraire et spirituelle classique, tel le Parnasse, dont la pureté dédaigne de façon topique les blandices de Cythère. Gilles de Viterbe, dans cette méditation poétique à l’adresse de Sannazar, fait clairement voir sa position face aux aigreurs sé-

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culaires que les prêcheurs concevaient à l’égard des Lettres antiques et qui s’étaient concentrées chez un Savonarole au temps de la jeunesse de Gilles. Dans ce conflit entre les prêcheurs, qui répandent le dogme, et les poètes savants, qui manient la fiction et les lieux communs de la mémoire gréco-latine où se conservent les secrets de l’invention littéraire, Gilles de Viterbe choisit d’exercer un magistère de conciliation. Il n’est pas indifférent de remarquer combien cette attitude est aux antipodes de la violente critique morale qu’Erasme devait mener contre l’imitatio ciceroniana et l’humanisme romain de la période léonine. La seconde églogue a pour sujet la Nativité et est plus intimement liée encore, s’il est possible, à la façon dont Sannazar, pendant les années où Gilles de Viterbe vécut à Naples, abandonna la Muse italienne pour la poésie religieuse latine. L’un des deux bergers a pour nom Mélibée et dissimule Virgile jusqu’au point de la bucolique où son nom est révélé. Celui-ci demande à son ami Lycidas (il s’agit de Sannazar qui, à l’instar du pasteur de la IXe Bucolique de Virgile que les Muses firent uates mais qui s’effraie encore du genre épique, portera ce nom pastoral dans l’Adoration des bergers du De partu Virginis, III après l’avoir adopté dans l’ecloga piscatoria I Phyllis) de lui faire part des mystères qu’il vécut en Terre sainte, c’est-àdire la naissance du Christ. Poursuivant la méditation de la pièce précédente, ce poème réfléchit au congé de l’Arcadie qu’il interprète comme la recherche, confortée et appelée par Gilles, d’un chant dont la clef fût accordée à de maiora numina qu’à ceux de la pastorale. L’Arcadia se clôt en effet sur un adieu a la sampogna, sorte de cornemuse agreste et héritière des pipeaux antiques, et sur l’entrée du poète dans un silence dont Mélibée voudrait connaître la raison. Lycidas lui répond qu’il vit dans la nuit le ballet des anges de la Nativité. Mélibée, persuadé que son constant dégoût du vulgaire impie le qualifie pour connaître ces mystères, presse Lycidas de lui faire part de ce qu’il a vu. Son compagnon lui confie qu’il veillait sur ses agneaux dans les pâturages de Palestine en décembre quand la bergerie où il logeait avec d’autres bergers fut nimbée d’une lumière inconnue et visitée par des nymphes angéliques – danseuses, musiciennes et tresseuses de guirlandes – tandis que toutes les bêtes s’accordaient et que la nature faisait entendre son bonheur. Puis une nymphe célébra la gloire et la miséricorde de Dieu, de la Vierge et du Fils, à la fois pauvre enfant nu et soleil où la lumière se recrée chaque jour 49. Cet ange à l’apparence de nymphe annonce alors le 49 Bien entendu, comme nous l’avons exposé dans notre étude sur les rapports entre ces bucoliques et la naissance de ce qui deviendra le De partu (La genèse du De partu Virginis...; voir également C. Vecce, «Maiora numina». La prima poesia religiosa..., p. 54-55) sans toutefois disposer de tous les éléments mainte-

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retour de l’âge d’or du christianisme primitif et son accomplissement dans le renouveau platonicien de la Renaissance. Il prie Virgile, sous son vrai nom de Maro maintenant, de lui enseigner un chant d’allégresse car les espérances eschatologiques de l’homme ont été exaucées. Le Magnus Annus se renouvelle. Recommence cet âge du christianisme primitif, contemporain de l’Empire augustéen et de la poésie de Virgile pendant la jeunesse du Christ, le dixième des saecula de l’histoire providentielle dont Gilles devait exposer la série dans l’Historia viginti saeculorum et redire inlassablement que le dixième trouverait la perfection de son double dans le vingtième sous le pontificat de Léon X. Sannazar sera donc le Virgile de ce temps. Après de tels témoignages sur le magistère de Gilles de Viterbe auprès de l’Académie napolitaine, nous disposons de plusieurs sortes de documents pour éclairer les relations de Sannazar et d’Egidio depuis le retour d’exil du Napolitain au printemps de 1505 jusqu’à la publication du De partu Virginis en 1526 : correspondances directes et indirectes dont nous ne connaissons parfois que l’existence sans la teneur mais qui laissent voir nettement la continuité de leurs liens, journaux officiels, lettres privées dans des recueils chronologiques de missives officielles rédigées pendant le généralat de Gilles (1506-1517) et qui offrent son itinéraire, témoignages contenus dans des lettres variées imprimées en dédicaces, manuscrits que nous avons trouvés enfin. Bref, un faisceau d’indices dont on ignore à quel point ils convergent vers notre objet. Le 13 avril 1505, une lettre de Pietro Bembo à Sannazar, à peine revenu de France, témoigne des louanges que Gilles répandait déjà à l’égard de Sannazar comme poète latin et italien, non sans vanter ses qualités d’ami 50. À la vérité, le frère augustin et le napolitain ne devaient guère attendre pour renouer leur dialogue de vive voix : Gilles séjourne à Naples en 1506, en octobre et en novembre à tout le moins 51. C’est encore à Naples que Gilles se trouve en mai 1507, en

nant en notre possession, ces documents sont essentiels pour reconstruire la chronologie et l’histoire de la composition de l’opus maximum de Sannazar, d’une façon qui remet en question ce que propose en introduction l’édition critique de Ch. Fantazzi et A. Perosa (Iacopo Sannazaro, De partu Virginis..., p. LVII et suiv.). Voir ci-dessous notre signalement du texte de la Christias, que les éditeurs du De partu Virginis nomment sa forma antiquior d’une façon que nous croyons abusive au regard de la chronologie, dans un manuscrit conservé à Séville. 50 Iacopo Sannazaro, Opere volgari, A. Mauro (éd.), Bari, 1961, p. 404-405. À propos de cette période, voir M. Deramaix, La genèse du «De partu Virginis»..., p. 197-200. 51 C’est ce qu’il appert de plusieurs lettres officielles et familières de Gilles rédigées à Naples (Giles of Viterbo O.S.A., Letters as augustinian General, 1506-

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temps que vicaire général de l’ordre des augustins, qui s’apprête à tenir son chapitre général du 21 au 30 de ce mois au bord du golfe à l’invitation du Grand Capitaine Gonsalve de Cordoue. Gilles y est élu prieur général dans l’église Sant’Agostino en présence de Sannazar, seul laïc, avec le philosophe Agostino Nifo, à être mentionné dans les resgestae du généralat qui commençait après le vicariat, avec le titre de Parnassi gloria 52. Le 26 septembre 1507, c’est Gilles qui écrit de Rome à Sannazar pour lui demander son aide dans l’interprétation de difficultés chez Théocrite tout en démontrant sa profonde connaissance de l’Arcadie, comme nous l’ont fait déjà voir les circonstances dans lesquelles il composa ses églogues. Mais cette lettre nous intéresse surtout pour ce qu’elle révèle si l’on y prend garde. Le poète qui, dit le Prieur, ne confierait pas même au ciel ses exercices poétiques (exercitationes) a cédé devant l’insistance que Gilles reconnaît plaisamment et lui a envoyé, à Rome – cette axe deviendra essentiel dans leur collaboration –, ce qui ne peut être que des vers et dont le théologien fait ses délices quotidiens 53. Nous comprenons mieux ainsi que Gilles écrive de Rome au début de 1508 à Pietro Gravina (en réponse à une lettre de Naples du 17 décembre 1507 dans laquelle celui-ci le rappelait à Naples où tous l’attendaient) : «Même s’il me fut toujours pénible et pesant d’être privé de la Campanie heureuse (...) l’assiduité de mes amis, le charme de mon cher Sannazar (Sannazari[i] mei lepos) et les aiguillons fort délicats de ta lettre, dont je me sentis admirablement piqué, ont cependant ajouté à mon désir de façon peu croyable» 54. Ce désir de revoir Naples et Sannazar fut exaucé en 1509 car Gilles s’y trouve le 8 février 55. Le 24 1517, Cl. O’Reilly (éd.), Rome, 1992, lettres 40, 41 et 46 de novembre 1506, 44 de 1506; Lettere familiari, A.-M. Voci-Roth (éd.)... I, lettres 212 du 22 octobre 1506 et 213 du 13 novembre [1506?]). 52 Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari..., II, lettre 227, p. 1617 (Naples, 11 mai 1507) et Aegidii Viterbiensis O.S.A., Resgestae Generalatus, A. De Meijer (éd.), I 1506-1514, II 1515-1517, Rome, 1988, I, p. 30-34 (Capitulum Generale, Naples, 21-30 mai 1507. Mention de Sannazar et de Nifo – Parnassi et Porticus gloria – p. 31). 53 Egidio da Viterbo O.S.A., Lettere familiari..., II, lettre 271, p. 66-67, l. 18-20 pour Théocrite, 23-24 pour l’Arcadia, 1-9 pour l’obtention de vers. 54 Ibid., lettre 301 de Gilles à P. Gravina, Rome [janvier 1508?], p. 107, l. 1-5 : Etsi felici Campania carere semper mihi molestum fuit ac graue (...), adauxit tamen mirum in modum desiderium meum amicorum omnium studium, Sannazari mei lepos et litterarum tuarum elegantissimi stimuli, quibus mirifice excitari me persensi; lettre 289 de P. Gravina à Gilles, Naples, 17 décembre 1507, p. 87-88, l. 1, 12-16. Une lettre de Gilles au même P. Gravina, sans lieu ni date (Ibid., lettre 400, p. 242-243), est assignée par l’éditeur à une période de peu postérieure à juillet 1506, lorsque Gilles fut nommé vicaire général dans l’attente du chapitre général. 55 Giles of Viterbo O.S.A., Letters as Augustinian General, 1506-1517, Cl. O’Reilly (éd.)..., lettre 105, p. 207-209.

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juillet 1509, s’il n’y est plus, il écrit de Cimino près de Rome à Sannazar, à Naples, une lettre destinée à assainir une brouille. Il semble que Sannazar lui ait recommandé quelqu’un sans grand effet à son goût tandis que Gilles proteste des mauvais traitements qu’il subit de la part du bénéficiaire. Se comparant à Ulysse qu’Eole chasse de son île comme le poète le repousse, il rappelle d’une façon pour nous capitale que la Muse de Sannazar l’accueillit dans ses antres de Mergellina (sa villa, son domaine et ses grottes) et lui accorda une place, l’admit à entendre ses divins chants (poésies religieuses, latines et italiennes?) pendant onze ans (depuis l’arrivée de Gilles à Naples en 1499, donc, si l’on compte l’année 1509, à la latine), l’introduisit auprès de la famille royale aragonaise et du roi Frédéric III (ce que nous savons), procura à sa voix la faveur des assemblées de fidèles et fit par ses pouvoirs qu’il devint un prédicateur fameux en Italie 56. De ce témoignage direct on ne saurait trop tenir compte à l’avenir pour évaluer ce que le poète et le théologien se doivent. Plus rien, ensuite, jusqu’à l’édition, très probablement à la fin de 1512, du discours prononcé le 25 novembre de cette année-là par Gilles, à Santa Maria del Popolo, pour célébrer le traité signé entre Jules II et l’empereur Maximilien. Le début de la dédicace à Sannazar, due à Jacques Sadolet, témoigne de la fréquence et de l’admiration avec lesquelles Gilles parlait du Napolitain avec ses amis romains 57. La question de l’influence de Gilles de Viterbe sur le poème de Sannazar finalement connu sous le titre de De partu Virginis ne saurait être disjointe des problèmes de chronologie, qui sont essentiels. Sans du tout vouloir ici reprendre l’exposé de l’affaire – les données en sont très nombreuses et de nature variée –, j’ai déjà écrit en 1990, en plein accord avec Carlo Vecce en 1991, que l’histoire du texte reconstruite par Charles Fantazzi dans l’édition critique du De partu Virginis parue en 1988 devait être revue en bien des points cruciaux 58. Sannazar ne peut avoir parfait le De partu ou modifié son

56 Ibid., lettre 121, p. 229-230 (surtout l. 12-17 pour les rapports entre les deux hommes). 57 Présentation, texte et notes dans Cl. O’Reilly, «Maximus Caesar» and «Pontifex Maximus». Giles of Viterbo proclaims the alliance between emperor Maximilian I and pope Julius II, dans Augustiniana, 22, 1972, p. 80-117, p. 100. Nous trouvons un écho indubitable de ces louanges répandues à Rome auprès des lettrés à l’endroit de Sannazar dans la lettre de Gilles à Sannazar du 24 juillet 1509 (cf. supra). Gilles fit ce discours, important pour entendre sa conception de l’empire de l’Église, entre la première session du Ve Concile de Latran – ouvert par lui-même – et la seconde. 58 Iacopo Sannazaro, De partu Virginis, Ch. Fantazzi et A. Perosa (éd.)..., p. LVII et suiv.; M. Deramaix, La genèse du «De partu Virginis»..., p. 179-182, 203-211 sans compter l’essentiel qui est ici l’existence des bucoliques de Gilles de Viterbe; C. Vecce, «Maiora numina». La prima poesia religiosa..., p. 49-55.

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projet initial à son retour de France en 1505 comme le soutient cette édition. À cette date, comme cela a été montré, il n’a en tête qu’un poème sur le Christ et la Passion, qui sera converti en premier chant d’un poème sur la Vierge entre 1513 environ et 1517 ou 1518. Dans une lettre du 23 mars 1521, Sannazar dit qu’à cette date il ne s’agissait plus que de la révision du De partu Virginis, poursuivie de façon chorale entre Naples et Rome jusqu’au printemps de 1521, comme en témoignent la même lettre et trois autres toutes reproduites dans l’édition critique en question. Alessandro Perosa et Charles Fantazzi donnent bien ce poème sur la Passion du Christ (ils le qualifient de forma antiquior du De partu, une appellation qui suggère que le passage de l’un dans l’autre était prévu : cela n’est pas démontré) mais ne pouvaient le dater en l’état des connaissances en 1988. Or, dans le manuscrit 7.1.19 de la Biblioteca Capitular y Colombina de Séville (un manuscrit miscellané rédigé par l’humaniste Aurelio Sereno da Monopoli et acheté à Rome en 1530 par le fils de Christophe Colomb, Hernàn) se trouve ce même texte mais (avec des variantes) sous le titre de Christias (Sinceri Accii Iacobi Neapolitani Christias). Une date figure à la fin : «Rome, le 24 août 1513» (Rome die XXIIII [sic] augusti 1513). C’est là la première fois que l’histoire de l’invention progressive du De partu Virginis peut s’appuyer sur un terminus ad quem pour l’histoire de son prodrome qu’est la Christias 59. D’autre part, comme le démontrait déjà le manuscrit Vaticanus Latinus 2874 de la Cristias [sic], propriété d’Angelo Colocci et pris en compte par les éditeurs du De partu Virginis, nous enregistrons une preuve supplémentaire de l’intérêt du milieu académique

59 À propos du texte de la Christias dans ce manuscrit, voir M. Deramaix, «Sapientia praeponitur quibuscunque rebus». Les loisirs académiques romains sous Léon X et la «Christias» de Sannazar dans un manuscrit inédit de Séville...; Id., «Christias, 1513». La forma antiquior du «De partu Virginis» de Sannazar et l’académie romaine sous Léon X dans un manuscrit inédit de Séville.... Notre étude du texte de la Christias (signalé par P. O. Kristeller, Iter Italicum..., alia itinera, IV, p. 622a avec plusieurs inexactitudes – le manuscrit fut acquis en 1530 et non pas en 1520, la page de titre se trouve au f. 109r au lieu de 107r, le nom académique de Sannazar y est orthographié Acci[us], forme plus archaïque, et non pas Acti[us] – puis par C. Vecce, «Maiora numina». La prima poesia religiosa..., p. 54 d’après cette même description), qui sera publié dans notre monographie à paraître, nous permet d’affirmer que la manuscrit d’Aurelio Sereno da Monopoli n’est pas un simple apographe du texte alors en circulation à Rome autour de l’élection de Léon X et qui appartenait à Angelo Colocci, l’un des animateurs de l’Académie romaine (sur ce texte de la Cristias [sic] que l’édition critique du De partu Virginis nomme la forma antiquior, voir Iacopo Sannazaro, De partu Virginis..., p. XXXVII-XXXIX) mais qu’il présente des variantes sans exemple dans la tradition manuscrite et dont certaines doivent très probablement être attribuées à l’auteur.

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romain pour la poésie latine religieuse de Sannazar autour de l’élection de Léon X au trône pontifical. Aurelio Sereno da Monopoli était en effet jusqu’à maintenant uniquement connu pour être l’auteur du poème latin Theatrum capitolinum publié en 1514 et composé en 1513 à l’occasion des fêtes théâtrales qui couronnèrent, dans un théâtre provisoire bâti sur le Capitole, l’attribution de la citoyenneté romaine honoraire à Julien, duc de Nemours et à Laurent, duc d’Urbin, cousins du nouveau pontife 60. Or, il se trouve que nous disposons d’un document propre à nous éclairer sur la diffusion des vers de Sannazar à Rome la même année. Les spécialistes du Napolitain ne se sont pas aperçu que le recueil des lettres officielles de Gilles en tant que Général de l’ordre des augustins contenait, en plus de celle du 24 juillet 1509 (cf. supra), un billet adressé par ce dernier au poète. Il nous est conservé par un manuscrit qui existait déjà en 1549 au moins et dont le principe de classement, naturellement adopté en un temps si proche de la rédaction des documents et alors que beaucoup des correspondants sont encore en vie, est chronologique. Placé entre deux lettres rédigées à Cimino et datées du 4 septembre 1513 pour l’une et du 12 septembre pour l’autre, ce billet devra donc être rapporté à un laps de temps qui va du 5 au 11 septembre 1513. Nous y apprenons de Gilles que Sannazar l’entretient des projets qui lui sont le plus intimes et que le Napolitain fait si grand cas de la façon dont son ami romain s’emploie à son renom qu’il ne saurait méditer les monuments littéraires qui doivent éterniser son nom sans songer à Gilles d’un même mouvement. C’est à bon droit, dit Gilles, car personne plus que lui-même n’honore, ne vante et n’admire les vers de Sannazar, même si c’est là l’opinion de tous car, partant de cette unanimité, le pouvoir qu’a eu la générosité du poète atteste à Rome que rien depuis Virgile ne fut plus semblable à Virgile que les œuvres du Napolitain et que, si quelqu’un voulait aujourd’hui bien écrire, il ne le peut faire sans les imiter. Témoin de cet engouement, 60 Le texte peut se lire aisément dans F. Cruciani, Il teatro del Campidoglio e le feste romane del 1513, Milan, 1968, p. 95 et suiv. D’autre part, si, la date de 1513 se rencontre bien dans l’épigramme (anépigraphe mais composée pour un pape) de dédicace du De partu Virginis au f. 34v du manuscrit autographe de Sannazar Ashburnham 411 (343) de la Biblioteca Medicea Laurenziana (Florence), ni E. Rostagni dans une note portée sur le manuscrit, ni G. Calisti dans son étude (Il «De partu Virginis» di Iacopo Sannazaro, Città di Castello, 1926, p. 24-25; voir aussi Autografi e pseudo-autografi del «De partu Virginis», dans Giornale storico della letteratura italiana, 101, 1933, p. 48-72, p. 52), ni Ch. Fantazzi dans l’histoire du texte du De partu proposée dans son édition (p. LXIV-LXV) ne la mettent en rapport avec la Christias, à la différence de C. Vecce («Maiora numina». La prima poesia religiosa..., p. 54) qui, cependant, croit à l’existence d’un projet d’ensemble du De partu dès l’époque où, en 1513, Sannazar aurait voulu présenter au nouveau pape une forma antiquior de ce qui deviendrait le chant I du poème publié en 1526.

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Gilles eût volontiers accompagné sa lettre si la fièvre le lui avait permis. Lorsqu’il achève son billet en recommandant à Sannazar de rétablir sa santé par amour du bien public, qui doutera que le théologien dont l’Historia viginti saeculorum ne vantera d’œuvres littéraires que spirituelles eût à l’esprit des vers latins sur des sujets religieux? La De morte Christi Domini ad mortales lamentatio, très probablement née du carême préché par Gilles à Naples en 1501, est hors de cause ici. Sachant que du futur De partu Virginis – que l’on admette ou pas qu’il fût projeté dès 1513 environ – il n’existe alors que ce qu’il faut appeler Christias, je suis enclin à croire que cette lettre témoigne précisément de la façon dont ce poème se répandit parmi les membres de l’Académie romaine grâce à Gilles de Viterbe et explique les traces manuscrites ou les témoignages que nous constatons 61. De la métamorphose de la Christias ou Christeis en forma antiquior du De partu Virginis I, nous n’avons pas à notre connaissance de meilleure preuve extérieure que ce passage déjà cité ici de l’Historia uiginti saeculorum, dans le manuscrit autographe, où une main porta le titre De partu Virginis au-dessus de la ligne en rayant le mot Christeidem. Si cette main n’est très probablement pas celle de Gilles, l’œuvre dont le titre est biffé trouve en revanche un terminus ante quem très solide dans le contexte immédiat. Gilles parle en effet du nonum saeculum et précise bien que hoc saeculo... scripsit christeidem Actius Sincerus Sannazarius pour poursuivre avec Romae his ipsis annis ad Diuae Annae aram meo in templo per Gorycium erectam, certamen poetarum ... Or le neuvième saeculum prend fin à la mort de Jules II en 1513. L’expression hoc saeculo employée à propos de la Christeis date donc son achèvement et, sans doute, sa diffusion à Rome de cette même année, comme nous le confirme la précision his ipsis annis rappportée au rite académique des Coryciana dont nous savons qu’il nacquit en 1512 62. 61 Giles of Viterbo O.S.A., Letters as augustinian General, 1506-1517, Cl. O’Reilly (éd.)..., lettre 219, p. 341 (p. 18, 20-21 en particulier à propos de la nature du recueil et de sa composition). Les lettres datées dans l’entourage de la 219 sont la 217 et la 229. Nous donnerons dans notre monographie à paraître le texte et l’analyse complète de cette lettre dont nous comblons trois des quatre lacunes offertes par l’édition mentionnée ci-dessus à cause de l’état du manuscrit. Pour l’histoire de la De morte Christi Domini ad mortales lamentatio, voir C. Vecce, «Maiora numina». La prima poesia religiosa... (p. 65 à propos du carême de 1501). Ajoutons que l’on entend encore mieux la composition de ce poème bipartite sur l’Incarnation et la méchanceté humaine maintenant que l’on sait, avec les poèmes de Decio Apranio (cf. supra), que ce ne fut pas un cas isolé. Pour les manuscrits de Colocci et de Sereno da Monopoli, voir ci-dessus; quant aux témoignages, nous en traitons dans notre étude à paraître. 62 Voir le document no 1 de l’appendice. Comme nous le disons dans la note incluse dans ce texte à propos de la correction de christeidem en de partu Virginis, nous croyons que cette modification, portée avec la même encre rouge que celle

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Nous ne disposons malheureusement pas de témoignages de cette précision pour les années suivantes, jusqu’en 1521. L’année 1517 nous laisse une simple trace de cette correspondance suivie que nous avons reconnue entre les deux hommes : la mention d’une lettre de Gilles à Sannazar ainsi que de la réponse de celui-ci 63. Tout laisse à penser, cependant, qu’ils eurent l’occasion de se revoir. Dans l’attente d’autres indices à venir encore, signalons-en un, nouveau mais difficile à dater avec précision : s’il est connu que le livre XX des Hieroglyphica de Piero Valeriano (consacré au phénix, au pélican, à la chouette, à la corneille et au moineau) est dédié à Sannazar, on n’a jamais remarqué qu’au moment de passer à l’interprétation «hiéroglyphique» de ces animaux Valeriano flatte son dédicataire en précisant que le Napolitain peut bien la connaître par sa fréquentation des auteurs gréco-latins ou bien grâce à la table de bronze (tabula aenea) qu’il étudia en sa compagnie chez Pietro Bembo et qui fait voir toute l’histoire très ancienne des Egyptiens (omnem Aegyptiorum historiam antiquiorem... ostentat). Il s’agit de la tavola bembina, cette table isiaque du Ier siècle de notre ère et témoin du temps où les signes hiéroglyphiques devenaient ornementaux mais qui fut bientôt prise pour l’une des plus importantes «antiquailles» jamais trouvées. On sait seulement avec des arguments fondés que cette table fut trouvée avant novembre 1522 et que, si l’on ignore où cela se fit (même si on songe à Rome), elle avait été déjà à cette date acquise par Pietro Bembo, dont les liens documentés avec Sannazar remontent au 13 avril 1505 (Bembo envoya alors une lettre de Venise à Sannazar, à Naples) et finissent le 24 avril 1525, avec une lettre du même au même expédiée de Padoue à Naples pour accuser réception d’une lettre de Sannazar pour nous perdue et inciter le poète à publier enfin sa reverenda Cristeide en usant d’un titre alors ancien sans nul doute rapporté à cette date au De partu Virginis. Il conviendra donc de tenir compte à la fois de la présence de Valeriano à Rome à partir de 1509 ainsi que de son absence en 15271529, de la mort de Sannazar en 1530 mais surtout de sa mauvaise santé qui le retient si bien à Naples (sa correspondance, quoique fragmentaire, nous renseigne à ce sujet) que nous n’avons pas de trace vérifiée d’un séjour qu’il eût fait à Rome pendant les années de qui a servi à Girolamo Seripando pour ajouter dans les marges rubriques et sources, est de la main de ce dernier, qui voulut un temps préparer une édition du traité de Gilles de Viterbe (sur ce disciple de Gilles, Général de l’ordre des augustins et cardinal parmi les plus influents dans la première phase du Concile de Trente, voir H. Jedin, Girolamo Seripando. Sein Leben und Denken im Geisteskampf des 16. Jahrhunderts, 2 vol., Würzburg, 1937. Rappelons que Gilles pour sa part abandonna l’Historia en 1518). Pour les Coryciana, se reporter à la note bibliographique consacrée à ce recueil. 63 Iacopo Sannazaro, Opere volgari..., p. 312, 313.

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son amitié avec Gilles, des périodes, enfin, où Bembo fut romain avant le décès du Napolitain... Si la rencontre eut lieu à Rome, il serait étonnant que Sannazar n’eût pas rencontré alors Gilles de Viterbe, dédicataire du livre XVII des mêmes Hieroglyphica principalement consacré à la cigogne et que nous sommes enclin à apercevoir à l’horizon du recueil. Aux côtés de Sannazar, philologue réputé depuis la fin du quinzième siècle comme épigraphiste et antiquaire expert, le cardinal uomo universale versé dans les traditions religieuses ésotériques y servit d’informateur aux dires mêmes de l’auteur 64. 64 La princeps parut à Bâle en 1556 seulement (Ioannis Pierii Valeriani Bolzanii Bellunensis, Hieroglyphica siue de sacris Aegyptiorum literis commentarii); la dédicace du livre XX à Sannazar se lit dans cette édition au f. 144r mais si l’on désire dater la rédaction du livre même, il faudra le relire en se demandant ce qu’il peut révéler d’informations précises quant à la composition et au contenu du De partu Virginis tel que le milieu romain peut le connaître. Consulter F. Vuilleumier Laurens, La raison des figures symboliques à la Renaissance et à l’âge classique. Études sur les fondements philosophiques, théologiques et rhétoriques de l’image, Genève, 2000, p. 16, 100, 141, 150, 176, 196, 206, 254, 320 ainsi que Stéphane Rolet, Les «Hieroglyphica» de Pierio Valeriano : somme et source du langage symbolique de la Renaissance (thèse inédite de l’Université de Tours soutenue le 14 janvier 2000 sous la direction de M. le Prof. M. Brock. Nous remercions l’auteur de nous en avoir offert un exemplaire), en particulier le vol. I, p. 229-237 à propos de la tabula Bembi aujourd’hui conservée au Musée archéologique de Turin et p. 234-236 pour le terminus ad quem de la datation proposée. On se reportera aux mêmes pages pour la bibliographie, à laquelle on pourra ajouter E. Iversen, The myth of Egypt and its hieroglyphs in European tradition, Princeton, 1993 (1961), p. 55, 85 (où l’auteur prétend sans citer de source que la tabula fut trouvée à Rome en 1525) et D. Pastine, La nascita dell’idolatria. L’Oriente religioso di Athanasius Kircher, Florence, 1978, p. 82, 84. La correspondance de Bembo et de Sannazar se trouve dans I. Sannazaro, Opere volgari, A. Mauro (éd.)... Pour la biographie de Pietro Bembo et les années en question ici : C. Dionisotti, art. Pietro Bembo, dans le Dizionario biografico degli Italiani, p. 133-151, p. 141-142. La dédicace du livre XVII des Hieroglyphica à Gilles reproduit la lettre (sans date) dans laquelle l’auteur rappelle au cardinal qu’il lui doit telle ou telle suggestion ainsi que le courage de porter l’entreprise à son terme mais elle reproduit également la réponse de Gilles (datée du 7 avril 1525), qui choisit pour lui la cigogne, exemplum pietatis (voir les f. 123r-v dans l’édition de 1567 et les p. 167-168 de l’édition lyonnaise de 1602 – reproduite anastatiquement en 1976 par les éditions Garland de New-York et Londres – dans I. Ijsewijn, «Coryciana» critice edidit, carminibus extrauagantibus auxit, praefatione et annotationibus instruxit..., p. 14-15. À propos de la cigogne, voir la note 12 de la présente étude). Quant à Sannazar antiquaire, voir C. Vecce, Gli zibaldoni di Iacopo Sannazaro, Messine, 1998, p. 9-60. Précisons qu’à la date où nous révisons cette étude, le prof. J. Monfasani, qui participe à ces mêmes Actes, nous informe amicalement qu’il a découvert un document selon lequel Nicolò Scutelli, secrétaire de Girolamo Seripando (cf. supra), compila des orphica à la demande de Gilles et le qualifie de uerus Orpheus comme Decio Apranio dans son poème de egidio concionatore (appendice, document 1, v. 13). Signalons une autre difficulté de datation de nature semblable et qui met également en jeu les relations entre Sannazar et Gilles de Viterbe. La lettre du 7 avril 1525 signalée dans cette même note répond à celle, sans date, de Valeriano qui invite Gilles au banquet académique

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Lorsque, le 31 mars 1521, Gian Tommaso Tucca, correspondant d’Isabelle d’Este, évoque l’envoi par Sannazar à Gilles de Viterbe d’une copie de son poème, il parle bien à cette date en revanche de De partu Virginis : «Il Sr. Sanazaro [sic] quisti giorni proximi passati mandò in Roma al Car.le Egidio ad vedere la sua compositione De partu Virginis e che la emendasse donde li piacesse» 65. C’est ce rôle de conseiller en matière de théologie que nous constatons dans une lettre du 23 mars 1521 où Sannazar, pour expliquer la nature de leur collaboration, souligne que Gilles est aussi lettré qu’il est bon théologien : «Volea da sua S.R.ma quello che al creder moi niuno altro religioso mi po dare, ché di quelli che io conosco solo essa, se è dotta ne le cose sacre, ne li studi nostri è esercitatissima, né da la buona memoria del Pontano espetteria io più saldo e desecato iudicio che da lei». Sannazar attend si bien que les observations de Gilles soient à la fois de nature théologique et poétique qu’il se plaint de la réserve de son lecteur en matière littéraire : «Recercava io quell’altra lima, e le liture di quella mano sarebbero in quel libro state per me stelle lucidissime, attento che ancora che la materia sia de cose sacre, avendole io, cosi come ho possuto, scritte in verso, o bene o male che siano dette, la composizione, il modo e lo ordine son pur di poema» 66. En veut-on un exemple? La lettre circulaire que Sannazar envoie 13 avril, destinée comme les autres de cette époque à circuler auprès de ses amis romains qui l’assistent dans la révision du De partu, offre un cas fort éclairant d’imitation virgilienne. Peut-il remployer, en les appliquant à la Vierge, les plaintes de la mère de Daphnis contre les étoiles qui supportent la mort de son fils? ‘Crudelia dicit sidera’ (DpV., I, 339-340) : «da che fu fatto, mi diede dubio in quanto a la teologia, ché a la poetica stava bellissimo : ‘Atque deos atque astra uocat crudelia mater’ (Buc., V, 23). Domandatone poi molti e molti scrupulosissimi teologi, non volsono che’l movesse. Non so se in quel che scriverà ancora il R.mo Egidio se’l passerà....». des Coryciana en lui faisant miroiter la présence attendue de Sannazar, de Bembo et de Sadolet. Il ne peut s’agir que de celui du 26 juillet 1525 or nous n’avons pas de témoignage parallèle de la présence de Sannazar à Rome cet été-là et Bembo ne fut présent à Rome à cette époque que d’octobre 1524 à avril 1525 (il vint présenter à Clément VII les Prose della volgar lingua qu’il lui avait dédiées). Le doute est donc permis quant à cette rencontre romaine, même en dehors du banquet que Gilles refuse aimablement (voir également S. Rolet, Genèse et composition des «Hieroglyphica» de Pierio Valeriano : essai de reconstitution dans P. Pellegrini éd., Umanisti bellunesi fra Quattro e Cinquecento. Atti del Convegno di Belluno (5 novembre 1999), Florence, 2001, p. 211-244, p. 233-28). 65 A. Luzio et R. Renier, La cultura e le relazioni letterarie di Isabella d’Este Gonzaga. 7 : Gruppo meridionale, dans Giornale storico della letteratura italiana, 40, 1902, p. 289-334, p. 316. 66 Iacopo Sannazaro, Opere volgari, A. Mauro (éd.)..., 1961, p. 369 et Iacopo Sannazaro, De partu Virginis, Ch. Fantazzi et A. Perosa (éd.)..., 1988, p. 88.

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Il dut le laisser passer puisque nous le trouvons dans le poème publié en 1526, en compagnie d’une lettre de Gilles à Sannazar dans laquelle il se félicite d’avoir trouvé un poème dont la poétique et la théologie le réjouissent 67. Maintenant que, dans les champs définis de cette étude, nous en savons plus à propos de l’influence qu’exerça Gilles de Viterbe sur Sannazar et, au-delà du poète, sur le magistère qu’il exerça ainsi auprès de l’Académie napolitaine en la rapprochant de Rome, nous pouvons plus efficacement retourner au texte de l’Historia viginti saeculorum afin d’en entendre un passage intitulé Laus Neapolis par les marginalia autographes et inséré dans la trame du neuvième âge à propos de l’installation à Naples de la dynastie aragonaise au milieu du XVe siècle sous Calixte III 68. Gilles explique le refus de la part d’Alphonse le Magnanime d’aider le pape contre les Turcs par le charme des délices campaniennes et par le chant des Sirènes, dont, souligne-t-il, parle Cicéron dans le De finibus (V, 49). La baie de Naples possède le pouvoir d’attirer à soi les esprits, comme Gilles en a fait lui-même l’expérience. Il rappelle à ce propos que cette baie appartient à la mer tyrrhénienne et que, selon Diodore, il existe une arcana sapientia Tyrrhenorum. Cette sagesse étrusque (et donc, selon Gilles, d’origine araméenne ou kabbalistique) n’est permise qu’aux seuls sages afin que la connaissance du fait qu’il existe des gradus dans les diuina – une allusion aux sefirot de la Kabbale – n’entraîne pas le polythéisme. Cette nécessité du secret explique, selon Gilles, le recours aux mystères chez les Hébreux, aux symboles chez Pythagore, à l’enseignement ésotérique des Epîtres chez Platon, au livre VI chez Virgile et aux livres secrets chez le roi Numa. C’est donc le summum bonum in terris, la diuina sapientia platonicienne que les Sirènes promirent à Ulysse et elles noient, en revanche, les marins qui les entendent car seuls les sages peuvent tirer profit de leurs révélations. Aussi est-ce à bon droit, ajoute-t-il, que les Anciens firent à Naples une réputation de sagesse car, dans un paysage qui réunit toutes les beautés, cette ville est faite pour cultiver à la fois les otia, les bonae artes et la sapientia. LorsqueVirgile préféra Naples à Man67 Iacopo Sannazaro, Opere volgari..., p. 372; Iacopo Sannazaro, De partu Virginis..., p. 91-92. Voir M. Deramaix, «Inepta et indecora comparatio» : «sacris prophana miscere». Une censure ecclésiastique post-tridentine et inédite du «De partu Virginis» de Jacopo Sannazaro.... Pour les trois lettres évoquées ici, voir M. Deramaix, La genèse du «De partu Virginis»..., p. 200-203. Les lettres dont il s’agit ici sont circulaires et, destinées au cercle des amis romains académiciens participant à la révision formelle du De partu, elles n’enregistrent malheureusement pas le sentiment théologique de Gilles dont elles attestent l’existence. Pour le texte de la lettre de Gilles, voir I. Sannazaro, De partu Virginis..., p. 114-115 ainsi que notre étude à paraître pour une analyse. 68 Texte latin en appendice, document no 4.

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toue et à Rome, il savait par Homère et Cicéron qu’elle était la demeure des Sirènes et de la sagesse. Il n’est bien entendu pas question de se livrer ici à l’examen détaillé du De partu Virginis que seule permet la publication d’un volume consacré aux questions que cette étude synthétique a pour but d’évoquer. Cependant, comme on l’aura compris, je crois fermement que l’on errerait à vouloir expliquer non seulement la venue de Sannazar à la poésie religieuse latine et la composition de la Christias mais surtout le passage de ce poème au De partu Virginis en dehors de l’influence directe de Gilles de Viterbe, autour de 1513, précisément au moment où celui-ci commence à rédiger son Historia. Nous avons vu qu’elle est fondée sur la vérification réciproque des oracles et prophéties transmis de façon concordante par les traditions biblique et davidique, sibylline et platonico-virgilienne, mythologique enfin, toutes sorties du tronc commun da l’arcana sapientia aramaïco-kabbalistique. C’est là l’exacte structure du De partu Virginis : à la prophétie de la Passion du Christ dans les Psaumes, qui occupe le chant I, répondent au chant III la IVe Bucolique de Virgile et la prophétie du Jourdain, qu’il tient lui-même de Protée, soit au total une concaténation de quatre prophètes involontaires qui répond exactement à la triple tradition distinguée ci-dessus. Le centre du poème est quant à lui consacré à la Nativité et à la renaissance du Phénix, qui inaugure un nouvel Annus Magnus. Contrairement aux textes chrétiens tardo-antiques, le phénix n’est pas ici une image de la Résurrection du Christ. Le phénix, c’est la Vierge, c’est-à-dire l’humanité rendue à la vie céleste par l’Incarnation, comme le déclare Dieu le Père au chant I et selon l’un des canons théologiques de ce que John O’Malley a appelé «théologie de l’Incarnation» 69. À vrai dire, c’est l’ensemble des bona quinque du neuvième âge finissant et de l’aube du dixième qui forme le fond du poème de Sannazar. Le recensement de l’Empire commandé par Auguste et confirmé par la prophétie de Joseph (II, 454-458) occupe la moitié du chant II (116-234) pour finir en son centre parfait et répond à l’Empire universel de l’Église (praedicatio ad gentes) que permettent à Gilles d’espérer les découvertes contemporaines des Espagnols et des Portugais. Les victoires et conquêtes propres au secundum bonum figurent elles aussi sous la forme d’un appel à la lutte contre les Turcs, dissimulé sous les espèces de la «nouvelle Argo» (alter Tiphys) et des «héros choisis» (delecti heroas) (III, 228-229) repris de la IVe Bucolique récitée et vérifiée par Aegon (saint Augustin et Gilles de Viterbe) et Lycidas

69 J. W. O’Malley, Praise and blame in Renaissance Rome. rhetoric, doctrine and reform in the sacred orators of the Papal Court, c. 1450-1521, Durham (N.C.), 1979.

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(Virgile et Sannazar). La prophétie virgilienne d’un empire mondial (à laquelle Sannazar emprunte ces deux expressions en les glosant dans les marges de ses manuscrits autographes comme des types mythologiques de la religion chrétienne : nauicula Petri et Apostolorum (...) agones 70) veut ainsi servir à la reconquête du monde hellénistique et de la Terre Sainte dont les anges de l’Adoration célèbrent déjà le triomphe à l’antique (III, 237-254) et chantent le péan (III, 255-278). Quant à la théologie solaire, indissociable de la construction du nouveau Temple comme tabernacle du Soleil, elle occupe, sous une forme spéciquement ficinienne, tous les cantons du poème qui lui doit tout un pan de sa poétique. L’étude des textes sacrés et, en parallèle, des mystères païens transmis sub uelamento poetico, c’est-à-dire le quartum bonum, trouve un écho profond : au chant I le manteau du jeune homme qui symbolise l’évangéliste Luc porte sur sa frange l’histoire des rois juifs jusqu’à Babylone et, au chant III, le manteau qui enveloppe Dieu est le monde créé, tandis que le Jourdain est appuyé sur une urne fluviale qui porte la représentation du baptême du Christ. Il sera aisé, dans notre étude à paraître, pourvue d’un appendice où de larges extraits de l’Historia uiginti saeculorum trouveront une édition critique, d’estimer la part de Gilles de Viterbe dans une telle fabula sacrée. Pour lors, puisque non seulement le De partu Virginis mais toute la carrière poétique de Sannazar depuis 1500 environ peut à bon droit se résumer comme une entreprise d’évangélisation du Parnasse, je traduirai pour finir un passage tiré du neuvième âge de l’Historia et qui traite avec enthousiasme de cette montagne sacrée où toutes les générations de l’histoire des beautés humaines sont convoquées dans une conversation pérenne, sous le patronage d’Apollon et des Muses dont Gilles croit qu’ils répondent aux dix sefirot de la Kabbale, sur le Parnasse qui ne serait qu’un des noms de la Shekinah ou mentis alimonia 71 : «Je suis emporté par un élan et un souffle prophétique qui me poussent à découvrir les réalités divines aux oreilles latines; tel un canot sans force, il m’emporte et me ravit d’un air engageant, ce bel élan du fleuve qui, comme dit le prophète, saisit à l’instant la faible créature que je suis mais rend joyeuse et heureuse la Cité de Dieu. Qui donc maîtriserait sa plume? Qui pourrait modérer sa parole? Quel homme se contiendrait tandis qu’il fait l’ascension de la montagne du Seigneur et qu’il pose les yeux en son lieu saint? Quelle est donc cette montagne? C’est une montagne très haute et très saillante par nature, où resplendissent

70 Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Ashburnham 411 (343) et plut. 34, 44 (voir I. Sannazaro, De partu Virginis...). 71 Texte latin en appendice (document no 5).

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ces numérations sacrées que nous avons dénombrées – origines, créatrices et pilotes des choses – et, puisque dans la langue des Araméens, qui consignent ces mystères, parnasa se lit également pharnesa, c’est-à-dire «pilotage», les Grecs appelèrent Parnasse cette montagne divine, libératrice, nourricière et pilote de toutes choses» 72. Marc DERAMAIX

72 De cette dérivation du Parnasse de la «Parnasa/Pharnesa» kabbalistique, autre nom de la Shekinah dont il nous semble qu’il profite pour exalter la famille Farnèse, Gilles parle encore, après 1518 et l’abandon de l’Historia, dans son œuvre proprement kabbaliste où la Shekinah, qui expose en personne les mystères de la Kabbale à l’empereur Charles Quint, se définit entre autres images innombrables comme celle qui puise à la source de la sapientia divine les ruisseaux destinés à la mentium alimonia (Gilles de Viterbe, Scechina e Libellus de litteris Hebraicis, F. Secret (éd.), I, II, Rome, 1959, p. 144).

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APPENDICE DOCUMENT

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Nous donnons de cet extrait un texte établi sur le manuscrit autographe (Naples, Biblioteca nazionale, IX.B.14, f. 123v) en retenant le dernier état du texte, dont les manuscrits apographes Lat. 351 (f. 247v-248v) et 502 (f. 197rv) de la Biblioteca Angelica (Rome) enregistrent respectivement la première phase et la seconde (voir la note 3 pour des informations complémentaires sur les manuscrits connus). Nous suivrons cette règle pour tous les extraits de l’Historia uiginti saeculorum transcrits et traduits dans cette étude, en renvoyant le lecteur en quête d’un texte critique, traduit et annoté, aux longues sections (principalement des saecula neuf et dix) qui forment un appendice à notre étude à paraître. Signalons quelques extraits de ce texte, chez J. W. O’Malley, Giles of Viterbo on church and reform..., p. 57, n. 3 mais sans la mention de Sannazar et du De partu Virginis ou de la Christeis antérieure, d’après le ms. Lat. 502, f. 197v (Rome, Biblioteca Angelica) : Quae enim sancte (...) eleganterque scripta sunt; chez R. Alhaique Pettinelli, Tra antico e moderno..., p. 74 (même remarque à propos de Sannazar), d’après le même manuscrit : Quid dicam Romae (...) luxuria castitati; chez E. Massa, L’eremo, la Bibbia e il Medioevo in Umanisti veneti del primo Cinquecento, Naples : Liguori, 1992, p. 153, avec en revanche la mention de Sannazar et du De partu Virginis mais pas de la Christeis car cette leçon est absente du même manuscrit encore utilisé dans ce cas : eo in dicendo (...) hymnorum sacrorum [lacune] quorum in scribendo (...) capiunt elegantes). Les sources figurent dans la traduction (nota : quand Gilles de Viterbe commente ce qui est pour lui le psaume 19 censément prophétique du 9e âge, il s’agit pour la Vulgate du psaume 18 parce qu’il a rétabli la partition du psaume 9 en psaumes 9 et 10 selon la tradition hébraïque). Nous avons normalisé et unifié l’usage des majuscules, développé les abréviations ainsi que les cédilles marques de diphtongues (ces dernières sont parfois dues à l’auteur mais sont le plus souvent portées à l’encre rouge, comme l’apparat marginal de sources et de rubriques ou titres formant sommaire que l’on doit à la main de Girolamo Seripando. Nous traiterons de l’histoire du manuscrit autographe dans notre étude à paraître). In quarto saeculi commodo, citatum illud oraculum est : si dormiatis inter medios cleros; hactenus inter utrunque instrumentum dormire fas non fuit, ad quae emendanda castigandaque ad multam noctem uigilandum erat; nunc ueritate reposita restitutaque in utranque dormire aurem tuto licet. Additur oraculo quarti commodi eodem uersu oraculum quinti : Pennae columbae deargentatae; sacrorum scriptorum, apostolo teste, spiritus sanctus est auctor cuius symbolum in baptizando Messia columbam fuisse legimus; pennas columbae uocat uates quibus sacrorum scriptores ad sacra describenda uti solent; adiecit deargentatam ob sonum candoremque; quidam enim scripsere pennis columbae dumtaxat ea quae spiritus diuinus afflauerit, scripsere, inquam, non humana inuenta sed ea ad quae scribenda numen sollicitasset; alii

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non diuinas tantum res scripsere sed argenteo usi stilo sunt exacto, perpolito et eleganti in quibus et numerosa dicendi ratio et purus elocutionis candor emicuit; scripsere eleganter haec apud Graecos permulti, plurimi nihilominus apud Latinos : illic Chrysostomus, Basilius, Origenes; hic Leo, Augustinus, Ambrosius, Hieronymus, Cyprianus. Qui etsi ornate eleganterque scripsere, qui tamen nihil nisi absolutissimum probare solent nescio quid in illis ad summam elegantiam desiderari consuerunt; At nono saeculo eo cultus, eo in dicendo splendoris uentum est quo post euersam aurei saeculi ueram elegantiam nulla aetas peruenit. Scripsit hoc saeculo Baptista carmelita, scripsit hymnos Pontanus qui eruditorum iudicio ueteribus aut iunxit sese aut parum cessit, scripsit de partu Virginis Actius [in ras., alia manus ut uidetur, fortasse Hieronymi Seripandi : Christeidem] Sincerus Sannazarius uirgilianae Calliopes foelix aemulator; quid dicam? Romae his ipsis annis ad Diuae Annae aram meo in templo per Gorycium erectam certamen poetarum uisum in sacris celebrandis quale olim in turpi carmine fuit in obscenis scriptitandis. In scribendi flore fere eodem cessit Venus Virgini, impudicitia sanctimoniae, luxuria castitati. Taceo scriptores hymnorum sacrorum Stephani, Laurentii, Francisci, Iohannis, Gabrielis et aliorum diuorum quorum in scribendo foelicitate tu usus, Leo Decime; fecisti aetatem tuam disertis temporibus non Cicerones, non Antonios, non Cottas, non Hortensios inuidere. Quae quidem res cum nullo alio saeculo fuerint quam nono, non psalmo alio scriptum est quam nono et erunt ut complaceant eloquia oris mei. Quae enim sancte prius minus eleganter, quae eleganter non sancte scribebantur. Nunc eadem simul sancte eleganterque scripta sunt; sacra hucusque diserti non probabant, diserta sacris hominibus non placebant; nunc quod diuina scribuntur delectant probos, quod et diserta capiunt elegantes.

DOCUMENT

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Texte du ms. autographe Lat. V.F.14, f. 19v, Naples, Biblioteca nazionale; cfr. J. Monfasani, Hermes Trismegistus, Rome and the myth of Europa : un unknown text of Giles of Viterbo, dans Viator, 22, 1991, p. 311-342; p. 333. (5) Huius (i.e. Socratis) quoque auditor, Plato, qui res nostras adeo de proximo intellexit ut nemo seu Grecorum seu barbarorum philosophantium uero se ingesserit proprius, que si tua intelligerent tempora, non ab assertione ueritatis tantopere abhorrerent, dicerem, profecto que nostris institutis consona posteritati commiserit. (6) Sed hanc sibi prouinciam Parthenopeus Pausylipus arripuit, qui quamprimum mortalium aliquem ex sententia offenderit. Scio ex sepissima cum Cimino et Vesuuio disputatione multa feta mente concepisse. (...)

DOCUMENTS

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Textes extraits du ms. Lat. 30001, Bayerische Staatsbibliothek, Munich. A) f. 33r-34r : De Egidio concionatore Irrita quis dicat sopita insomnia mentis?

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Quis fatuus somnum vera referre neget? Ecce sub extrema requiescens nocte videbar Stellantis nitida sistere in arce poli. In media mihi cernere erat testudine tecti Orphea mellifluos ore ciere sonos. Quem Pallas Phoebeque soror, quem mille Napeae Miratae, insuetis obstupuere modis. Nam modo dulcisonos tollebat in aera cantus Et modo tentabat fila canora lyrae. Vera fides somno est nobis, nec finxit imago Vana; quid hoc viso verius esse potest? Et hic, quem facimus nostro verum Orphea seclo, Hic, qui palladia nomen ab egide habet? Nonne Beatricem, cui proh! sapientia quanta est, Reginam doctam[add.] mente Minerua refert? Regia num magnae impar Isabella Dianae, Vel genere aut facie, corde vel ingenio? Et nymphae quid sunt, harum nisi turba dearum? Quae Phoeben, quae aliam Pallada persequitur. Quales ergo habuit cetus illa aula Tonantis, Tales haec coetus aula Tonantis habet.

Note : au pentamètre du huitième distique, si nous conservions la leçon docta du manuscrit, il faudrait que la syllabe finale brève –a (que cette épithète soit rapportée à mente ou bien à Minerua, finissant tous deux par une voyelle brève) soit allongée par la césure, cas dont les exemples sont rarissimes et pas toujours sûrs. Nous supposons une erreur du copiste en nous fondant sur l’initiale en –m du mot suivant (mente). Un autre amendement possible consisterait à remplacer docta par docte, avec un –e long. B) f. 42r-v : Apranii deprecatoria ad Virginem Virgo, decus coeli, summo quae a sanguine ducis Principium, Angelicos inter habenda choros, Tu cunctas Regina deum formosa puellas Praecellis, vultu uincis et astra tuo, Tu patriae coelestis honos, tu nata parentis, Tu requiesque piis, profugiumque pates, Mirantur Pontus te, sydera, terra Polique, Et celebrant nomen diua Maria tuum, Scandimus Aethereas te nos ducente choreas Inter sydereas stella serena faces, Aequore tu miseros iactatos undique nautas E coelo eueniens aura secunda foues, Et quia sperantes in te non deseris unquam, Et pia tu talis et quia tanta potes, Per sacros Regina thoros, Prolemque beatam,

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Per nati lusus verbaque grata tui, Perque sinus dulces, e quis deus ore tenello Lac bibit, et nomen casta Puella tuum, Eripe nos saeuis turbinibus, et dare pacem, Digneris fessis candida luna viris. C) f. 49r-51v : Apranius ad Aegidium Dum procul e summo despectat Magnus olympo Iuppiter, in terris aspicit omne nephas, Luxuriem, fraudem, periuria, furta, rapinas Et quibus humanum confremit usque genus. Pertesus scelerum tantorum, protinus Hermen Aduocat atque illi talia voce refert : «I, puer, Elisios dextro pete numine campos Atque aliquam huc illo de grege duc animam». Ille quidem summi peragens mandata parentis Protinus ad lucos deuolat aerios Atque unam ex aliis uultuque a[t]que ore verendam Deligit et magni sistit ad ora Patris. Ille ait : «Umbrarum cunctarum gloria felix, Aspicis humanum deperiisse genus. Non tantum a me olim missus per Tartara notus Quantum nunc iuris hostis acerbus habet Cuncta tenet, Libyen, Asiam, vix tertia restat Europe, multis exagitata malis. Hanc quoque perdidimus, partem tenet impius hostis, Partem aliam secum crimina dira ferunt (suivent dix-sept distiques, à propos des conquêtes turques tandis que les princes d’Europe se font la guerre et que Rome, dépourvue de ses antiques vertus, ne sait plus rien de la notion de res publica) Te, laus ista manet, veterem Lucumonis in urbem Descende et laribus nascere casta piis. Mox Augustini cultusque habitusque verendos Indue, nanque illis gratia maior inest. Sume animos doctique libens sectere Platonis Dogmata, nam nulli mens mea nota magis. Sume etiam magni vires Demosthenis et quas In rostris voces Tullius ipse dabat. Curre per Ausonias urbes et vocibus imple Hesperiam magnis : «Tollite bella, duces; Viuite concordes, saeuum vertamus in hostem, Signa oriens istas sentiat ipse manus». Sic ait atque illi natam dare iussit opacam Aegida; dixerunt Aegidiumque dei Aegidiumque etiam nos laeta uoce vocamus. Ille quidem aeterno est dignus honore coli.

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LE QUINTUM BONUM DU DIXIÈME ÂGE SELON GILLES DE VITERBE

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Voir la note philologique au document no 1. Naples, Biblioteca Nazionale, IX.B.14 : f. 148r-v; Rome, Biblioteca Angelica, Lat. 351 : f. 291v-292v, Lat. 502 : f. 231r-232r (on se reportera à notre étude à paraître pour une édition critique annotée et commentée de ce texte). (...) Federic[us] re[x] (...) et in Galliam abire coactus est. Nulla ratione adducere [non legitur; potuit proposui] Alphonsum neapolitanum regem pontifex ut ad sanctum bellum se conferret; regem, inquam, alioqui strenuum atque animo, uirtute, rebus gestis imprimisque liberalitate insignem sed campaniis delitiis plus aequo delinitum et homericarum Sirenum uoce auribus non picatis occupatum. Nam praeter altum fabulae sensum, quem Ciceronis fines aperuere, habet loci ingenium miram capiendorum et alliciendorum animorum uim, quam sentire experiendo possumus, assequi dicendo non possumus. Porro eum tractum Orpheus, Hesiodus aliique ueteres Thyrrenum et Thyrreni esse maris uolunt; Thyrrenorum uero archanam sapientiam significat sexto libro Diodorus quae quoniam capi nisi a sapientissimis non potest, iccirco uetita est in uulgus dari, ne illi quum audiunt gradus multos in diuinis numerari ab unitatis integritate recedant et in suspicionem adducantur plures esse deos. Eam ob rem Hebraei in mysteriis, Pythagoras in symbolis, Plato in epistolis, Maro in libro sexto, Romani in Numae libris cauendum a diuinis propalandis testati sunt ne ea quae sanctissima sunt et salutem afferunt sapientibus, male ins[i]pientibus cognita, errori atque exitio cedant. Illud in causa est quod teste Cicerone Sirenes Ulissem inuitaturae summum in terris bonum promiserunt, quae a Platone et Aristotile diuina sapientia nuncupatur. Sed si salutaris est, cur mergit nautas? Iam diximus insipientibus noxiam, sapientibus esse commodissimam; quid sole carius, quid iucundius sanis oculis? Quid aegris odiosius, molestius, incommodius? Quin idem sol oculos probe utentes luce oblectat mirum in modum, contra contumaci obtutu contendentes non laedit modo sed excaecat et perdit. Iccirco Sirenas uni Ulissi auditas non uulgo sociorum Homerus ait; idem cauens diuinus Filius prohibuit sanctum dari canibus eundemque esse uoluit aliis lapidem angularem et pretiosum, aliis, ut sacris uerbis utar, petram scandali, ut quis apostolus est postea testatus. Aliis est odor uitae in uitam, aliis odor mortis in mortem, sic Sirenes Ciceronis sententia ex Homeri uersu sapientiam se daturas spondent, in qua ueluti in alto pelago sapientum animi seruantur; uulgi et stultorum ingenia obruuntur. Nec ab re Neapolim Thyrreni decus maris ueteres fama sapientiae nobilitauere, quippe quae coeli et aurae suauitate spirans, terrae marisque tum commoditate tum opibus florens, hinc Alcinoi et Hesperidum hortos spectans, hinc tanquam feriati maris sinum, una uidetur ad ocia et bonas artes et sapientiam uestigandam nata. Quam rem tametsi clarissimam, Maronis quoque iudicium comprobauit. Is enim Parthenopen non modo Mantuae patriae uerum etiam Italiae, orbi terrarum et orbis gloriae urbi Romae praetulit, quam unam Sirenum ab Homero, sapientiae a Cicerone, domum factam animaduerterat. Ocia uero et rerum copiam studiosis sapientiam et salutem, uulgo luxum atque perniciem afferre satis constat, ut Ulissi non sociis. Haec longius quam par erat rettulimus, in delitiis Campaniae Alphonsum aliosque demulcentibus exponendis. Ad Calixtum redeo.

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Voir la note philologique au document no 1. Naples, Biblioteca nazionale, IX.B.14 : f. 198v; Rome, Biblioteca Angelica, Lat. 351 : f. 370r-v, Lat. 502 : f. 299r. Trahor impetu et spiritu diuinarum rerum latinis auribus aperiendarum et, tanquam cymbam inualidam, trahit rapitque inuitans fluminis ille impetus qui, sicut uates ait, modo me homuncionem capit sed laetam beatamque efficit ciuitatem dei. Quis enim stilum temperet, quis modum dicendo adhibere possit, quis hominum se contineat quum ascendit in montem Domini figitque oculos in loco sancto eius? Quisnam mons ille est? Altissima eminentissimaque natura, ubi numerationes illae fulgent quas numerauimus, rerum origines, creatrices ac gubernatrices cumque Arameorum lingua, qui haec archana scribunt, parnasa et pharnesa, gubernationem, sonet, Graeci montem illum diuinum, omnium seruatorem, altorem, gubernatorem Parnasum nominauere.

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DOMINIQUE DE COURCELLES

JUAN DE VALDÉS À NAPLES (1534-1541) COURTISAN, PHILOLOGUE ET RÉFORMATEUR SPIRITUEL

C’est à l’automne 1529 que l’Espagnol Juan de Valdés, originaire de Cuenca, arrive en Italie et entre dans l’histoire de l’Église et des studia humanitatis de l’Italie Il mourra en 1541, laissant des disciples et des livres en langue espagnole et en langue italienne. Son histoire est exemplaire de l’entrelacement de l’Église et de l’humanisme. Mais de quel humanisme s’agit-il? L’Église elle-même n’est pas un organisme uniforme, une totalité close. UN

HOMME DE COURS

La formation espagnole Fils d’un regidor de l’ayuntamiento de la ville de Cuenca, d’origine conversa, c’est-à-dire juive, né vers 1495 et pas après 1504 selon les historiens Miguel Jiménez Monteserín ou Massimo Firpo, Juan de Valdés est le frère d’Alonso de Valdés, personnage intelligent et habile, devenu le secrétaire influent de la chancellerie de l’empereur Charles Quint et proche d’Érasme. Les plus anciens documents concernant Juan de Valdés le montrent à Escalona, vers 1523, au service de don Diego López Pacheco, marquis de Villena, et écoutant les prêches de Pedro Ruiz de Alcaraz, administrateur du marquis et «alumbrado» notoire, condamné par l’Inquisition au terme d’un dur procès en 15241. Dans son Diálogo de la Lengua écrit à Naples vers 1535, Juan de Valdés fera dire au personnage qui le représente et qui porte son nom «Valdés» que, durant une dizaine d’années, alors qu’il résidait en différentes cours et palais, il a été un lecteur assidu de romans de chevalerie 2. Sans doute peut-on voir dans cette affir1 Cf. M. Serrano y Sanz, Pedro Ruiz de Alcaraz, iluminado alcarreño del siglo XVI, dans Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, 8, 1903, p. 1-16, 126-139. Le procès original est conservé aux Archivos históricos nacionales, Inquisición de Toledo, leg. 106, exp. 5. 2 «Diez años, los mejores de mi vida, que gasté en palacios y cortes, no me

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mation un argument rhétorique semblable au repentir que Thérèse d’Avila formulera dans les mêmes termes quelques années plus tard. En 1526 Juan retrouve son frère Alonso à Séville où il assiste aux fêtes du mariage de Charles Quint et d’Isabel de Portugal. On sait qu’en décembre 1527 il suit à l’Université d’Alcalá, siège des études bibliques et d’un enseignement nominaliste, où se retrouvent les érasmistes espagnols, les cours de grec du grand helléniste Francisco de Vergara 3. Juan étudie alors les trois langues sapientielles; sa connaissance du latin, à la différence de son frère, est bonne; il acquiert de sérieuses notions de grec et d’hébreu 4. Érasme a exprimé dans ses lettres à Alonso et à Juan sa très grande amitié à l’égard des deux frères. Érasme écrit à Juan de Valdés depuis Bâle le 21 mars 1529 une lettre tout à fait remarquable. Il fait d’abord allusion aux tracasseries que la publication du De Doctrina Cristiana, paru anonymement le 14 janvier 1529 à Alcalá de Henares chez Miguel de Eguía, l’imprimeur des écrits d’Érasme, a valu à leur auteur, mais il est heureux qu’elles aient pris fin. Il se déclare ensuite très attristé par la situation de l’Espagne : Jam non mediocriter me discruciat vestram Hispaniam tot affligi malis. Puis il rappelle à Juan qu’il aime d’un égal amour son frère Alonso et lui-même : ...ego vos tam gemellos pro unico habeo non pro duobus... Et il conclut sa lettre en déclarant : Tibi tuique similibus omnibus ex animo gratulor, qui studia conatusque vestros omnes in hoc confertis, ut cum elegantia literarum pietatis Christianae synceritatem copuletis, quod apud Italos antehac a non ita multis tentatum videmus. Quid enim est eruditio si absit pietas? Bene vale... 5 Érasme reconnaît à Juan à la fois le savoir intellectuel – eruditio – et le savoir spirituel – pietas. L’allusion à l’Italie et aux Italiens est évidemment tout à fait intéressante. Érasme connaît-il déjà le projet de Juan de quitter l’Espagne, de se rendre en Italie? De ces années passées à la cour d’Escalona, puis à l’Université

empleé en exercicio más virtuoso que en leer estas mentiras, en las cuales tomaba tanto sabor que me comía las manos tras ellas». 3 Cf. M. Bataillon, Introducción à son édition du Diálogo de doctrina cristiana, Coimbra, 1925, p. 26 et suiv. 4 Cf. M. Morreale, Juan de Valdés traducteur de la Bible, dans L’humanisme dans les lettres espagnoles, Paris, 1979, p. 65-88. L’auteur étudie la version du Psaume 17 (18). Elle constate que Valdés s’en tient de très près au texte massorétique dans la forme courante à son époque, n’ignore pas la traduction de la Vulgate ni les commentaires augustiniens, se laisse aussi guider par la sonorité des mots espagnols. Valdés fait donc preuve d’une grande maîtrise des langues et du fait linguistique, dûe sans aucun doute à ses études à Alcalá. 5 Lettre d’Érasme de Rotterdam à Juan de Valdés, Bâle, le 21 mars 1529. Oeuvres d’Érasme, Lyon, 1703, 3, 2e partie, col. 1165.

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d’Alcalá, de ces séjours à la Cour impériale, Juan de Valdés a acquis sans aucun doute de vastes connaissances mais aussi une expérience religieuse profonde. On sait depuis les travaux d’Augustin Redondo que les œuvres de Luther sont bien diffusées dans les milieux universitaires, aristocratiques et courtisans 6. Carlos Gilly a démontré que le De Doctrina Cristiana de Juan de Valdés, la seule œuvre publiée du vivant de l’auteur et conçue lors de son séjour à l’Université d’Alcalá, contient sous une apparence érasmienne les traductions littérales du latin en castillan de divers textes catéchétiques de Luther, des fragments du Commentaire au livre d’Isaïe écrit par Jean Oecolampade 7. Dans quelle mesure s’agit-il là d’exercices d’école révélateurs du goût de la fronde et du risque de leur auteur? Il est difficile de le savoir exactement. Les premières années en Italie À l’automne 1529 Juan part pour l’Italie. Juan veut-il rejoindre son frère afin de profiter de ses relations impériales et pontificales ou quitte-t-il l’Espagne parce qu’il vient d’apprendre que l’Inquisition prépare un procès contre lui à la suite de la publication de son livre le Diálogo de doctrina christiana, qui a été finalement interdit en août 1529? Il n’est pas impossible que Juan, se sentant menacé en Espagne, soit venu chercher auprès de son frère à la fois une protection et un emploi. Juan rejoint Alonso à Bologne et assiste avec lui au couronnement de l’empereur par le pape Clément VII Médicis en 6 Cf. M. Bataillon, ouvr. cit. p. 118 et suiv. Voir aussi Augustin Redondo, Luther et l’Espagne de 1520 à 1536, Mélanges de la Casa de Velázquez, 1, 1965, p. 151. 7 Cf. C. Gilly, Juan de Valdés, traductor y adaptador de escritos de Lutero en su ‘Diálogo de doctrina christiana’, dans L. López Molina (éd.), Homenaje de las hispanistas de Suiza a Ramón Sugranyes de Franch, Montserrat, 1982, p. 88 et suivantes; Juan de Valdés, Übersetzer und Bearbeiter von Luthers Schriften in seinem Diálogo de Doctrina, dans Archiv für Reformationsgeschichte, 74, 1983, p. 257306. L’ouvrage de Valdés a été conçu dans le milieu des théologiens érasmisants de l’Université d’Alcalá. Valdés le nomme «doctrine chrétienne», «doctrine évangélique» ou «doctrine de Jésus Christ», jamais «doctrine catholique». Il est publié quelques mois avant les deux catéchismes de Luther et vise le même public : le clergé ignorant et les fidèles à instruire. Valdés prétend suivre Érasme et l’ordre du Diálogo est bien érasmien, de telle sorte que l’avis de Marcel Bataillon, selon lequel ce traité est un ouvrage érasmien sans aucune influence protestante, a longtemps prévalu. Carlos Gilly dans les articles cités ci-dessus a démontré que Valdés a placé dans les discours de l’archevêque Fray Pedro de Alba les extraits des Decem Praecepta Wittenbergensi praedicata populo de 1518 (série de sermons sur les dix commandements) et la Auslegung Deutsch des Vaterunsers für die einfältigen Laien Doktor Martini Luther Augustiner zu Wittenberg. Nicht für die Gelehrten de 1519, traduite anonymement en latin et publiée en 1520 sous le titre Explanatio dominicae orationis pro simplicioribus laicis, que Valdés a sans aucun doute lue dans cette version.

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février 1530. Entre novembre 1529 et mars 1530, Alonso, qui séjourne à Bologne avec la cour impériale et fait fonction d’agent de Charles Quint auprès du pape, s’est fait apprécier de la cour pontificale et des milieux romains et en a obtenu des avantages financiers importants pour lui et pour sa famille, alors qu’il a défendu la légitimité du sac de Rome de 1527 par les troupes impériales comme condition de rénovation spirituelle de Rome et de la chrétienté. En décembre 1530, la Diète d’Augsburg marque l’échec de la politique impériale de réconciliation en Allemagne entre les réformés et les catholiques; Alonso de Valdés qui est présent a de longues conversations avec Mélanchthon 8. Juan séjourne à Rome à partir du printemps 1531, cependant que la Cour impériale s’est déplacée à Vienne contre les Turcs. Il obtient, sans doute grâce à l’influence de son frère, l’emploi de gentilhomme ou chambellan du pape Clément VII, dont il devient un courtisan apprécié. Il y rencontre Juan Ginés de Sepúlveda, humaniste espagnol, ami de son frère, et il a avec lui une correspondance sur le mouvement des astres 9. Il se lie d’amitié avec les proches du pape, tels le cardinal Gonzaga et le protonotaire apostolique Carnesecchi. En octobre 1532, Charles V quitte Vienne, en raison d’une épidémie de peste, et regagne l’Italie, cependant que son secrétaire Alonso de Valdés meurt à Vienne le 6 octobre, ayant demandé dans son testament que l’on prenne «sur ses biens de quoi dire mille messes» pour lui10. Clément VII accorde un sauf conduit à Juan, dans lequel il le qualifie de Camerarium nostrum et Cesareae Maiestatis Secretarium ad eamdem Maiestatem profiscentem11, pour lui permettre de voyager sans encombre, mais ce dernier ne peut revoir son frère. Juan est désormais privé du soutien politique et économique d’Alonso. Il demeure un moment à la Cour impériale à Bologne, puis il regagne Rome. La persécution inquisitoriale à Cuenca s’intensifie contre les Valdés. A la fin de 1532, l’empereur confie à Juan qui est alors à Rome la charge des archives de Naples et Juan s’installe à Naples auprès du vice roi don Pedro de Toledo, mais cette charge est bientôt supprimée. Ce premier voyage à Naples lui permet de décou8 J. F. Montesinos, Introducción au Diálogo de las cosas ocurridas en Roma, Madrid, p. XLVII. 9 F. Caballero, Alonso y Juan de Valdés, edición facsímil del original publicado en 1875, introducción par Miguel Jiménez Monteserín, reproduction de la lettre envoyée par Juan Ginés de Sepúlveda à Juan de Valdés, Rome, 5 septembre 1531, p. 454-455. 10 Le texte complet du testament d’Alonso de Valdés est édité avec une introduction par Julián Zarco Cuevas dans : Testamentos de Alonso y Diego de Valdés, dans Boletín de la Real Academia Española, 14, 1927, p. 679-685. 11 Cf. B. Fontana, Renata di Francia, duchessa di Ferrara, 1, Rome, 1889, p. 476.

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vrir les milieux à la fois aristocratiques et spirituels de la ville. Juan retrouve ensuite ses fonctions de chevalier courtisan à la Cour pontificale. A la mort de son frère Diego, chanoine de Carthagena, il obtient du pape Clément VII la possession des bénéfices de son frère, ce qui augmente ses revenus de façon appréciable, mais il ne semble pas qu’il ait jamais été clerc. Auprès de Clément VII, Juan de Valdés a joué un rôle politique assez mal connu, sans être secret. En tant qu’agent au service de la politique impériale, tout en ne ménageant pas parfois ses critiques à l’égard de l’empereur, il est en relation avec les plus illustres personnages de l’entourage du pape, tel le cardinal Gonzaga avec qui il a une importante correspondance de septembre 1535 à janvier 1537, et il jouit de la confiance du pape; sa première lettre au cardinal Gonzaga a trait à sa rencontre avec la princesse napolitaine Julia Gonzaga. NAPLES (1534-1541) À la mort de Clément VII en septembre 1534, les représentants de l’empereur à Rome ne veulent plus de ses services. Juan de Valdés qui est en butte, comme les autres collaborateurs du pape défunt, à l’hostilité du nouveau pape Paul III Farnèse, s’installe alors définitivement à Naples. Il est impensable pour lui de rentrer en Espagne12. Loin de la Cour pontificale romaine, son activité politique se réduit considérablement, ce qui ne l’empêche pas de garder une grande activité épistolaire, dont il ne reste que quelques bribes, sur des sujets variés, en général politiques, avec des personnages divers et en particulier avec ceux qui dirigent alors la chancellerie impériale, Francisco de los Cobos et Granvella; il est amené par exemple à critiquer dans une lettre à Cobos la corruption régnant à Naples; ses lettres au cardinal Gonzaga consistent souvent en amères considérations politiques. Juan de Valdés revoit sans doute l’empereur en 1535, lorsque ce dernier après la prise de Tunis se rend dans ses Etats de Sicile et de Naples13. Il s’accommode apparemment fort bien des lois et pratiques du milieu dans lequel il vit, il perçoit avec la plus grande vigilance les revenus importants de ses bénéfices espagnols, avec l’accord finalement obtenu du nouveau pape Paul III, et il est fier d’appartenir à la 12 Cf. J. F. Montesinos, Cartas inéditas de Juan de Valdés al cardenal Gonzaga, dans Anejos de la Revista de filología española, 14,1931, p. 183-191. 13 Comme il le raconte lui-même au cardinal Gonzaga, il rapporte à l’empereur «ce qui lui paraît des choses» : cf. Lettres, XV, 25; XXI, 19; XXVII, 35 (éd. citée de José F. Montesinos).

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bureaucratie de la vice-royauté de Naples. Il a le goût du luxe et de la fréquentation des grands. Jouissant d’une bonne aisance matérielle, il habite dans une élégante maison de Chiaja, proche de Naples, où réside l’aristocratie locale. Il exerce simultanément une certaine activité politique au service du vice roi Don Pedro de Toledo et de Granvella, secrétaire d’Etat de l’empereur puis plus tard vice roi de Naples, et des fonctions d’ordre spirituel qui l’accaparent de plus en plus. En 1536, Valdés écrit au cardinal Gonzaga qu’il ne croit pas que Paul III veuille vraiment réunir un concile et qu’il n’a plus confiance non plus dans une action religieuse de l’empereur «tyrannisé par deux bêtes féroces» : «Ce qu’il nous faut désormais c’est la patience, jusqu’à ce que Dieu dispose de nous, puisque seul Dieu sait comment tout avance14 ». Vers 1537, il reçoit la charge de «veedor de los castillos del reino de Nápoles», surveillant des châteaux du royaume de Naples, mais son activité publique est sans doute alors réduite. Sa fortune lui permet de prêter de l’argent à quelque prince de l’Église. C’est ainsi que le Cardinal de Ravenne reçoit de Juan de Valdés 3000 escudos d’or, qui furent très difficilement récupérés15. Or il est probable que, dans le même temps, il a des préoccupations de plus en plus exclusivement spirituelles. C’est à Naples que Juan de Valdés, jusqu’alors apparaissant essentiellement comme agent politique et courtisan érudit, dans l’ombre et le souvenir de son brillant frère Alonso, va révéler une nouvelle originalité et donner une autre mesure. Très vite il enchante la meilleure société napolitaine. Hommes et femmes de l’aristocratie, intellectuels, religieux, abbés et évêques participent avec enthousiasme à ses «coloquios espirituales» qui ont lieu dans sa maison ou dans celles d’autres personnes. Sa doctrine du «beneficio de Cristo» modère l’excessive angoisse de ceux qui se soumettent à ses avis spirituels et pratiquent un ascétisme rigoureux. Parmi ses disciples on trouve le Capucin siennois Bernardino Ochino, célèbre prédicateur, dont les paroles «faisaient pleurer les pierres», selon l’expression de Charles Quint lui-même, le protonotaire apostolique Monseigneur Pietro Carnesecchi qui avait été ambassadeur du duc de Ferrare à Rome et était un protégé de Clément VII et des Médicis, l’augustin Pietro Martire Vermigli, le médecin et poète humaniste originaire de Vérone Marco Antonio Flaminio, l’historien gênois Jacopo Bonfadio, l’humaniste marquis de Vico Galeazzo Caracciolo, Isabel Briceño, épouse du gouverneur espagnol de Piacenza García Manrique, qui devait mourir en Suisse, Catalina Cibo, duchesse de 14 Cartas inéditas..., ouvr. cit., carta XXXVIII, p. 86-87. Les deux «bêtes féroces» pourraient être Cobos et Granvella. 15 Cf. J. F. Montesinos, Introducción au Diálogo de la lengua, ouvr. cit., p. XVI.

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Camerino, Vittoria Colonna, marquise de Pescara, etc. La plus chère disciple de Valdés est la belle Julia Gonzaga, duchesse veuve de Trajetto et comtesse de Fondi, à qui il dédie plusieurs de ses livres. De nombreux archevêques et évêques du sud de l’Italie sont en relation d’amitié avec lui : les archevêques d’Otrante, Sorrente et Reggio; les évêques de Catane, La Cava, San Felice, Nola et Policastro, et quelques autres. En Espagne, l’archevêque de Tolède Bartolomé Carranza a été également son ami et en correspondance avec lui. La mort de Juan de Valdés, survenue les premiers jours d’août 1541, précède de quelques mois l’établissement à Rome de l’Inquisition sur le modèle du Saint Office espagnol. On ne conserve pas le testament de Juan mais seulement une memoria qui indique «qu’a été accompli tout ce qu’il a ordonné pour son âme», ce qui est une expression parfaitement conventionnelle16, mais certains historiens, tel José C. Nieto, prétendront que Juan a refusé toute messe pour le salut de son âme. Carnesecchi et Julia Gonzaga ont comparé les derniers moments de la vie de Juan de Valdés avec ceux du cardinal Reginald Pole. Selon eux, Pole aurait affirmé avoir toujours vécu dans la foi catholique et n’avoir jamais douté que le pape était le vrai vicaire du Christ, tandis que Valdés aurait seulement souligné qu’il mourait dans la foi même dans laquelle il avait toujours vécu, ce qui, selon Carnesecchi et Julia était «authentiquement catholique»17. L’Inquisition italienne va s’intéresser au mouvement napolitain, désormais animé par Carnesecchi, et aux disciples de Juan de Valdés. Le développement des enquêtes inquisitoriales effraie et divise les esprits. Plusieurs disciples, dans la deuxième moitié du XVIe siècle, s’enfuieront à Genève, adhérant ouvertement aux idées de Calvin. Carnesecchi, lui-même, est décapité et son cadavre est brûlé en septembre 156718. Julia Gonzaga doit venir s’expliquer à Rome. La violence inquisitoriale entraîne les ruptures. On peut se demander dans quelle mesure le valdésianisme considéré ultérieurement comme une hérésie protestante par les juges de l’Église n’est pas essentiellement une élaboration idéologique due aux prises de position radicales de certains disciples de Valdés et non du maître lui-même, ces prises de position radicales ayant elles-mêmes été suscitées par les juges de l’Église soucieux de démontrer le pouvoir et la force de coercition de l’Église catholique

16 Cf. B. Croce, introduction, notes et appendices de : Alfabeto cristiano; diálogo con Giulia Gonzaga, Bari, 1938, p. 174-175. 17 Cf. O. Ortolani, Pietro Carnesecchi : Con estratti dagli Atti del Processo del Santo Officio, Florence, 1963, p. 201-203. 18 Cf. M. Firpo, Tra «alumbrados» e «spirituali». Studi su Juan de Valdés e il Valdesianismo nella crisi religiosa del ‘500 italiano, Florence, 1990, p. 103.

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romaine sur les consciences et sur les corps. Certains historiens ont considéré la spiritualité intimiste, élitiste de Juan de Valdés, comme «en attente» devant le développement des événements religieux et politiques du temps. De Marcel Bataillon à Carlo Ginzburg, plusieurs auteurs récents ont qualifié son attitude de «nicodémisme»19, c’est-à-dire de dissimulation de son hétérodoxie. Plus simplement Benedetto Croce a évoqué à son propos «la fusion du mysticisme espagnol avec la logique de l’humanisme italien» 20. Massimo Firpo voit, contre l’analyse de José C. Nieto, dans le valdésianisme de Naples un groupe avant tout aristocratique, autonome et indépendant de toute Réforme d’Outre Alpe 21. L’expression de Thierry Wanegffelen «entre deux chaires» pourrait s’appliquer à Juan de Valdés 22. LES

DONNÉES PHILOLOGIQUES

Les conditions d’une réflexion sur la langue C’est en Italie, et plus particulièrement à Naples, donc après son séjour à la Cour pontificale, que Juan de Valdés conçoit ses œuvres majeures. En Italie les polémiques sur la question de la langue sont en plein essor. En 1525, Pietro Bembo dans les Prose della volgar lingua unit l’exaltation du latin et de Cicéron et la promotion de la langue vulgaire. Le volgare de Bembo n’est pas le volgare illustre d’auteurs comme Castiglione. Juan de Valdés, à la différence de Juan Maldonado 23 ou Luis Vives ou Juan Ginés de Sepúlveda, n’est pas tenté par l’usage érasmien du latin comme langue littéraire d’une communauté du savoir et du goût. Valdés pose le problème de la langue dans sa première œuvre italienne, le Diálogo de la lengua 24, écrit à Naples en 1535. Les critiques ont tardé à lui attribuer cette œuvre et l’ont jugée ensuite sans aucun rapport avec le reste de ses 19 Cf. C. Ginzburg, Il nicodemismo. Simulazione e dissimulazione religiosa nell’Europa dell’500, Turin, 1970; Marcel Bataillon, Juan de Valdés, nicodemita?, dans Erasmo y el erasmismo, Barcelona, 1978, p. 268-285. 20 B. Croce, La Spagna nella vita italiana durante la Rinascenza, Bari, 19682 (1915), p. 234. 21 Cf. M. Firpo, ouvr. cit., chapitre I : «Forme, esiti e metamorfosi dell’«Heresia» valdesiana». L’ouvrage de José C. Nieto est : Juan de Valdés y los orígenes de la Reforma en España e Italia, Madrid-Buenos Aires, 1979 (1re édition en anglais, 1970). 22 Cf. T. Wanegffelen, Ni Rome ni Genève : des fidèles entre deux chaires en France au XVIe siècle, Paris, 1997. 23 Juan Maldonado est l’auteur en 1528 de la Paraenesis ad litteras. 24 On se réfèrera à l’édition de Cristina Barbolani, Diálogo de la lengua, Madrid, 1987. Les traductions sont miennes.

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écrits. En fait dans son exil de Naples, Juan de Valdés élabore le lien entre la philologie humaniste – dont il a acquis les principes dans ce qui était alors, avant la persécution contre les érasmistes, l’érasmienne Université d’Alcalá –, la réforme du savoir et la réforme de la vie spirituelle. Il est probable que son expérience de la cour impériale grâce à son frère secrétaire d’Etat, c’est-à-dire son approche d’une puissance politique forte, puisque le roi d’Espagne est aussi l’empereur, a contribué à l’expression de sa pensée en langue vernaculaire. Le Diálogo de la lengua est écrit un an avant que Charles Quint prononce à Rome son discours en espagnol devant le pape Paul III (le 7 avril 1536). Dans le Diálogo de la lengua, il affirme son choix déterminé de la langue castillane : «Quand je m’applique à écrire en castillan, je ne cherche pas à me conformer au latin, mais à exposer la pointe de ma pensée – conceto de mi ánimo – de telle sorte que, si possible, toute personne qui comprend le castillan ait bien ce que je veux dire» 25. Ce qui ne l’empêche pas d’acquérir rapidement une excellente connaissance de la langue italienne et de connaître également le français. Se situerait-il dans la ligne de l’impérialisme linguistique inauguré par le philologue et grammairien Nebrija qu’il ne cesse par ailleurs d’attaquer? Valdés vit concrètement en Italie l’usage du castillan comme langue internationale, – «lengua franca» –, mais son expérience italienne lui montre bien les limites des affirmations de Nebrija : une littérature remarquable n’est pas liée en Italie à une puissance politique forte. Dante, comme Valdés, écrit en exil. Pétrarque, Boccace ont choisi une langue de la péninsule parmi d’autres. Valdés est fier de sa langue castillane. Pluralité des langues et traduction en langue vernaculaire Dès l’époque de ses études à Alcalá, Valdés s’est attaché à la traduction des textes sacrés. Il estime que la traduction est une nécessité. Pour lui, très tôt, le problème de la réforme spirituelle est lié au problème de la réforme du savoir et de la réforme de la langue. L’exégèse, la science des textes est la condition de la possibilité de la conversion personnelle, de la réforme intérieure. L’accès au texte sacré traduit dans la langue del uso, la langue quotidienne, éveille tout homme et toute femme, même les plus simples, à la pensée et au sentiment. Valdés traduit du grec une partie de l’évangile de saint Matthieu et de l’hébreu les Psaumes. Dans le prologue de sa traduction des Psaumes 26, qui est une lettre adressée à la princesse Julia Gonzaga, il déclare avoir hésité entre une traduction de ce texte ou 25 26

Édition citée, p. 184. J. de Valdés, Diálogo «de Doctrina Christiana» y El Salterio traducido de he-

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celle des Epîtres de saint Paul, mais il a choisi les Psaumes, «parce que j’ai compris que les Psaumes nécessitent plus une bonne traduction que les Epîtres, car ils sont dans les livres latins traduits plus improprement que ne le sont les Epîtres...» Et il ajoute : «Je me vois dans la nécessité de traduire pour aider avec mes faibles forces Votre Seigneurie à pratiquer la piété et la justice». Selon l’historien Marcelino Menéndez Pelayo, que l’on ne peut soupçonner de complaisance à l’égard de quelqu’un qu’il juge comme hérétique, la traduction par Valdés des Psaumes est à la fois juste et belle 27. Menéndez Pelayo cite Galeazzo Caracciolo évoquant dans son récit manuscrit de la Vie de Paul IV l’activité de Valdés à Naples : «En 1535 vint à Naples un certain Juan de Valdés, noble espagnol et perfide hérétique. Il était, à ce que me dit le cardinal Monreal, de bel aspect, de très douces manières et de parler suave et attirant; il faisait profession de connaître les langues et l’Ecriture sainte; il habita à Naples... il lisait et expliquait dans sa maison à ses disciples et fidèles les épîtres de saint Paul». Dans le Diálogo de la lengua qui est un dialogue entre quatre personnages, parmi lesquels l’un est Valdés lui-même, on peut lire : «V. Est grande la témérité de ceux qui se risquent à traduire d’une langue en une autre, sans être aussi habiles en l’une et en l’autre. M. Ainsi peu de choses devraient être traduites. V. Il devrait surtout y avoir plus de personnes qui sachent les langues nécessaires, comme le sont la latine, la grecque et l’hébraïque, en lesquelles se trouve écrit tout ce qu’il y a de bon dans le monde tant en religion qu’en science» 28.

Juan de Valdés peut se prévaloir de sa connaissance des trois langues sapientielles, mais c’est le castillan qu’il veut utiliser pour son action de conversion personnelle. Sur sa pratique de traduction il donne les précisions suivantes dans la lettre déjà citée qui est une véritable lettre sur la traduction : «Je les ai mis en romance castillan, les tirant de la lettre hébraïque, presque mot à mot (palabra por palabra), jusqu’à faire souffrir le parler castillan (hablar castellano). J’ai bien plus souvent porté atteinte à la langue castillane en parlant improprement qu’altéré l’hébreu. J’ai procédé ainsi, parce qu’il m’a semblé convenable et juste que les choses écrites par l’Esprit Saint soient traitées avec un grand

breo en romance castellano, transcripción, introducción y notas por Domingo Ricart, México, 1964, p. 135. 27 Cf. Historia de los heterodoxos españoles, 4e édition, Madrid, 1986 (Biblioteca de autores cristianos), 1, livre 4, chap. 4 : «El protestante Juan de Valdés», p. 783-833. 28 Édition citée, p. 226.

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respect. J’y ai mêlé de ma propre initiative quelques mots (palabras) afin que la lettre (letra) acquière plus de lustre (lustre), en soit plus claire et plus savoureuse. Ceux-ci, afin qu’ils soient bien reconnaissables, ont été écrits avec de l’encre rouge, car j’estime qu’il faut leur donner le crédit qu’on doit donner aux mots des hommes en faisant bien la différence entre eux et ceux qui sont du Saint Esprit...» 29.

Ainsi la langue castillane de Valdés se mêle aux paroles du Saint Esprit pour former une langue vulgaire qui a lustre, clarté et saveur, une sorte de vugar illustre sacré. Le problème de la langue est en cette première moitié du XVIe siècle complètement lié au problème religieux. L’encre rouge marque la liberté interprétative de l’homme Valdés qui reçoit la lettre divine. Lustre, claridad, sabor sont donnés par l’homme qui a la maîtrise de la langue sapientielle et de la langue vulgaire traductrice de la langue sapientielle. Tantôt la lettre, tantôt le sens apparaissent au lecteur, l’emploi de l’encre rouge permettant ici de ménager les droits de la lettre et les droits du sens et de l’élégance. Valdés honore à la fois les exigences de Leonardo Bruni qui veut retraduire Aristote dans un latin élégant et liquider les traductions techniques et celles d’Alonso de Cartagena qui reproche à Bruni de rendre incompréhensible Aristote. C’est Valdés qui a autorité pour décider. Ainsi, contre la scolastique, Valdés évalue les possibilités de la langue sacrée d’après les possibilités de la langue vernaculaire; sans attribuer la même couleur à la langue vernaculaire et au texte saint, mais en les mettant sur la même surface de page, il prend appui sur la langue vernaculaire. Traducteur de l’hébreu, il affirme sa maîtrise de la langue castillane. Grâce à son œuvre de traduction, la lettre et l’esprit se rejoignent; la langue castillane souffre, mais elle est du côté de l’esprit. Dans la préface «A tous les pieux chrétiens» de son Summarien über die Psalmen und Ursachen des Dolmetschens (Résumés des Psaumes et raisons de la traduction) de 1531-1533 30, Luther ne dit pas autre chose : «Personne ne doit s’étonner si nous nous séparons ici ou là des grammairiens et des rabbins. Car nous nous sommes tenus à cette règle : là où les mots ont pu le tolérer, là où ils ont pu donner un sens meilleur, nous ne nous sommes pas laissé contraindre par la fausse grammaire des rabbins à adopter un autre sens moins satisfaisant. Comme l’enseignent tous les maîtres des écoles, ce n’est pas le sens qui doit suivre et servir les mots, ce sont les mots qui doivent suivre et servir le sens... Qui veut parler allemand n’a pas à parler comme on parle en hébreu... qu’il exprime librement le sens dans le Édition citée, p. 135. Dr. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, Weimar, 1883- : WA 38, 9-19. Je remercie Philippe Büttgen de m’avoir communiqué ce texte et sa traduction. 29 30

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meilleur allemand possible... 31. A l’inverse nous avons aussi parfois traduit exactement selon la lettre, et ce alors que nous aurions pu rendre autrement, d’une façon plus compréhensible...» 32. Les rapports à la langue vernaculaire Le Diálogo de la lengua se situe en Italie, dans une maison qui pourrait être celle où vit Valdés près de Naples. Les personnages, identifiables, sont les figures des différents rapports possibles à la langue vulgaire, la langue castillane. L’auteur participe à la conversation sous son vrai nom, comme nous l’avons dit plus haut, comme il est normal dans la tradition italienne du genre (cf. Pétrarque). Il est apprécié à la fois «comme courtois et poli avec tout le monde» et comme pointilleux et intransigeant 33. Ses trois interlocuteurs le contraignent à leur exposer ses conceptions de la langue à partir des lettres qu’il leur a écrites lors de son absence. Par sa condition bilingue (castillan et italien), par sa connaissance des trois langues sapientielles, par sa condition d’exilé, Valdés est apte à comprendre les différents points de vue de ses interlocuteurs, à discerner et éclaircir les questions de la langue et à fixer des normes. Il est l’autorité qui décide et ne supporte pas que l’on s’oppose à ce qu’il croit juste. Un autre Espagnol participe au dialogue, un homme d’armes du nom de Torres, bien représentatif des tercios españoles qui ont rendu possible la diffusion de la langue castillane en Italie. Il est natural de la lengua, c’est-à-dire connaisseur de l’uso mais ignorant de l’arte, il n’a aucune culture littéraire. Il montre une certaine capacité à assimiler la problématique de la langue, selon la conviction valdésienne que l’«on n’approuve bien que ce que l’on arrive à comprendre». C’est le motif fondamental du dialogue, repris par les autres personnages. Il s’agit de se convertir aux lettres. L’analogie avec la conversion religieuse peut être établie, si l’on considère que les œuvres suivantes de Valdés, une fois posée la théorie de la langue dans le Diálogo de la lengua, sont des traités spirituels, également en forme de dialogues. Valdés, sans être soldat, désire conquérir l’Italie et participer à la réforme spirituelle en profondeur de la chrétienté. Ancien familier de Clément VII, proche du vice roi de Naples, il ne prétend jamais qu’il faut agir en dehors de l’Église catholique romaine. Les deux autres personnages du Diálogo sont des Italiens. L’un Coroliano, défini comme «bon courtisan» et novicio en langue castillane est peut-être le calabrais Coroliano Martirano (1503-1558), évêque de Cosenza, voix de l’orthodoxie au concile de Trente, grand helléniste; l’autre, WA 38, 11, 11-17 et 27-32. WA 38, 13, 3. 33 Édition citée, p. 261. 31

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Marcio, est curioso de la langue castillane qu’il sait parler mais non écrire et qu’il souhaite savoir écrire. Il est le principal interlocuteur de Valdés, sans doute le poète vénitien cité plus haut Marco Antonio Flaminio (1498-1550) qui sera clairement attaché à la Réforme. Caché et muet, un personnage, Aureliano, ordonnance le dialogue, ajoute un début et une fin. Les principales considérations du Diálogo de la lengua, qui a l’aspect soigneusement voulu d’une conversation informelle, quotidienne, ont des implications religieuses, à la fois du point de l’ecclésiologie et du point de vue de la théologie fondamentale. Selon Valdés, aucune langue, qu’elle soit sapientielle ou vernaculaire, ne peut se prétendre supérieure à une autre. On peut tout dire, plus ou moins bien, dans toutes les langues : «Chaque langue a ses propres mots et ses propres manières de dire... et ainsi des choses se disent bien dans une langue, qui ne peuvent pas se dire aussi bien dans une autre; et dans cette autre langue il y a aussi des choses qui se disent mieux que dans aucune autre» 34. Aucune langue sapientielle ou vernaculaire ne peut prétendre rendre compte de la totalité du savoir. Chacune à sa mesure rend compte d’un aspect du savoir; la vérité est partagée par tous, grands et petits. Les arguments de Valdés sont linguistiques et historiques. Valdés est soucieux d’un bien hablar castellano, lié à la connaissance des langues sapientielles et en particulier de la langue latine. Il est important d’accomplir un travail philologique à partir du latin, car telle est la condition de l’éveil de la pensée 35. Valdés a la conception augustinienne d’une relation signifiante entre les mots et les choses; la langue castillane tient du latin les mots «propres à la vie humaine» et du grec ceux qui «ressortissent presque tous à la religion ou à la doctrine». En castillan les deux langues sapientielles latine et grecque fondent, l’une, la vie des corps, et l’autre, langue par excellence de l’Écriture sainte, la vie des âmes. À propos de la langue hébraïque régulièrement citée par Valdés, on trouve l’anecdote suivante : M. Croyez-vous que la langue castillane ait quelques mots de l’hébreu? V. Je ne me souviens que d’un seul, qui, je crois, se rapporte à la religion; c’est abad, d’où viennent abadessa, abadía et abadengo.

Édition citée, p. 226. Il ne faut pas oublier que dans le significatif épisode de la querelle des langues à l’occasion des discours prononcés en latin devant le pape en 1498 par les ambassadeurs d’Italie, France, Espagne et Portugal, alors que chacun prétendait être le plus fidèle au latin, ce fut l’ambassadeur castillan, père du poète Garcilaso de la Vega, qui parut le plus proche du latin, d’où la fierté des Espagnols. Cf. E. Buceta, La tendencia a identificar el español con el latín, dans Homenaje a Menéndez Pidal, Madrid, 1925, 1, p. 88 et suivantes. 34 35

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C. Ce dernier mot est très nouveau pour moi; vous n’irez pas plus loin sans me dire ce que veut dire abadengo. V. Parce que dans la langue castillane de real on dit realengo ‘ce qui appartient au roi’, les clercs ont voulu avec leur coutumière humilité, pour ressembler aux rois, que de abad on dise abadengo ‘ce qui appartient à l’abbé ou à l’abbaye’ 36.

Ainsi l’une des questions sur la langue hébraïque, et ce n’est certainement pas un hasard, donne à Juan de Valdés, d’ascendance conversa, soucieux de philologie et de réforme spirituelle, l’occasion d’exercer un humour satirique, très érasmien, à l’égard des clercs et plus particulièrement des moines. DE

LA DISCRECIÓN À LA RÉFORME SPIRITUELLE

La «discreción» dans le parler ordinaire – «hablar ordinario» Si en Italie on discute sur l’usage du toscan ou volgare illustre, dans l’empire hispanique unifié politiquement on ne se préoccupe guère de trouver un modèle de castillan. Mais Valdés sait que la langue castillane manque d’une tradition littéraire comme celle du Trecento italien, qui permette à la langue castillane de faire autorité comme langue de formation et de savoir. V. Je vois que la langue toscane a été illustrée et enrichie par un Boccace et un Pétrarque qui, étant de bons hommes de lettres, non seulement se sont appliqués à écrire de bonnes choses mais ont cherché à les écrire avec un style très clair et très élégant; la langue castillane n’a jamais eu quelqu’un qui l’écrivît avec autant de soin et d’attention (con tanto cuidado y miramiento) qu’il le faudrait pour que celui qui voudrait soit rendre compte du fait qu’il écrit différemment des autres, soit réformer les abus qu’il y a aujourd’hui en elle, pût se réclamer de son autorité 37.

Valdés emploie pour désigner les qualités de la langue castillane les deux notions de distinction et de réforme des abus qui sont évidemment significatives, dans la mesure où elles peuvent renvoyer par analogie ou par métaphore à la distinction spirituelle et à la réforme des abus de l’Église. Mais cette distinction et cette réforme, c’est dans le parler ordinaire en langue castillane que Valdés les prône.

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Édition citée, p. 143. Édition citée, p. 123.

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M. Nous avons l’obligation d’illustrer et d’enrichir plus la langue qui nous est naturelle et que nous tétons au sein de notre mère, que celle que nous apprenons dans les livres... 38.

Cette image se trouve chez Dante dans le De vulgari eloquentia, elle est reprise par Bembo et Castiglione. Valdés la lie à sa doctrine du «lait spirituel» dans l’Alfabeto Cristiano. En évoquant comme modèle possible l’agile prose de Lucien de Samosate, il prétend se soustraire à la double influence italienne de Bembo (formalisme imitatif, cicéronianisme) et Castiglione (solutions éclectiques), par ailleurs hostile aux Valdés de son vivant. Valdés sait que, si la langue castillane manque d’une grande littérature, en revanche elle possède un riche ensemble d’antiguos refranes, poèmes et proverbes populaires, témoins de la rhétorique populaire 39. Ce castillan populaire, par lequel la langue doit se générer et affirmer sa noblesse, est celui d’un lieu symbolique, la Castille profonde, berceau des contes populaires et des refranes dits à la veillée par les femmes, berceau du pouvoir de l’actuelle monarchie espagnole, lieu, surtout, des prédications en langue vulgaire et de la première diffusion des idées de la Réforme, lieu d’où partent les conquérants du Nouveau Monde mais aussi les réformateurs comme Valdés. Il y a chez cet exilé un certain nationalisme, émouvant. V. Les mots que j’ai utilisés je me suis rappelé les avoir entendu dire quand je traversais la Castille, car, en chemin, quand on va d’auberge en auberge, on est forcé de converser avec les paysans et autres personnes grossières; mais en cela vous pouvez considérer la richesse de la langue castillane, car nous n’avons qu’à choisir en elle les mots comme parmi des fruits 40.

Il n’y a pas de clivage social de la langue, mais partage entre tous de sa vérité naturelle et simple. La connaissance de la langue, le goût de la langue consiste à connaître qu’on ne peut pas la connaître par ses règles; elle échappe à la fixation par normalisation; elle est de l’ordre du vivant; il y a une sorte de transcendance de la langue que l’on éprouve par expérience, par usage. De fait, c’est par l’usage que la langue castillane s’est imposée en Italie : l’expansion de la langue y est liée au politique mais aussi à l’économique, au marÉdition citée, p. 123. Au début du XVIe siècle peu de livres sont plus célèbres et appréciés en Espagne que la collection de refranes du marquis de Santillane, glosés par Pero Díaz de Toledo, traducteur des Proverbios de Séneca : Refranes famosísimos y provechosos glosados, Burgos, 1509, qui paraissent au moment où les Adages d’Érasme publiés à Venise connaissent un vif succès. Tandis qu’apparaît la première génération de «pétrarquistes» espagnols, Valdés revalorise la production traditionnelle de coplas, villancicos, canciones et romances. 40 Édition citée, p. 209. 38 39

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chand. L’exilé Valdés a des préoccupations et des intérêts politiques, économiques, à côté de ses préoccupations et de ses intérêts linguistiques et spirituels. À l’usage qui donne la connaissance des particularités de la langue et à l’art qui donne le savoir grammatical après usage et observation de l’usage, sont liées plusieurs composantes du goût : d’abord et principalement la discreción qui est la sagesse, le discernement, l’esprit, ensuite le cuidado y miramiento, c’est-à-dire le soin et l’attention de ceux qui écrivent bellement, qui rappellent le studio, la diligenza revendiqués par Castiglione. La subjectivité du critère de discreción est soulignée par l’importance attribuée dans le maniement de la langue à deux qualités étroitement complémentaires : l’ingenio, qui est l’ingéniosité, l’esprit créatif, et le juizio, qui est le jugement, le discernement 41 : «Quand je parle ou écris, j’ai soin d’utiliser les meilleurs mots que je trouve et de toujours laisser ceux qui ne sont pas bons» 42. Il n’y a plus de différence entre l’oral et l’écrit. La pratique de la langue rejoint celle de la littérature. Tels sont les principaux traits de la doctrine valdésienne de la langue. Refusant de donner des règles qui seraient facticement calquées sur celles de la grammatica latine, refusant de faire un traité de la langue castillane construit comme une grammaire artificielle, car ce qui intéresse Valdés c’est le vivant, l’existentiel, il impose ses choix d’un hablar ordinario en langue castillane, d’une rhétorique de la langue qui est la langue maternelle. C’est son propre goût, son propre bon sens, sa propre sagesse, qui est en fin de compte normatif. Discreción, c’est la sagesse de la langue tout autant que la sagesse au quotidien, critère ultime d’intelligence, laïque et non plus réservée à l’Église. Et cette sagesse est opposée à tout dogmatisme : «Je ne vous dirai pas ce que je sais de science certaine, parce que je ne sais rien de cette manière, mais seulement ce que j’aperçois par conjectures et ce que je déduis par discreción» 43. Ainsi la question de la langue vulgaire chez Valdés est celle de la formation du sujet au jugement libre et clair, à la discreción, cette sagesse de la langue. Le castillan peut exprimer les plus fines nuances de la pensée ou de la sensibilité à condition d’être cultivé comme il convient par un sujet capable et responsable de choix linguistiques, capable d’ingenio et juizio. Valdés ne le dit pas explicitement, mais il est évident que la question de la langue est à la fois le miroir et la condition de la question de la foi.

41 Sur le couple ingenio et juizio chez Valdés, voir R. Menéndez Pidal, El lenguaje del siglo XVI, dans La lengua de Colón, Buenos Aires, 1947, p. 49-87. 42 Édition citée, p. 194. 43 Édition citée, p. 247.

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Philologie et réforme spirituelle Dans le même temps où il conçoit le Diálogo de la lengua, Juan de Valdés entreprend différents ouvrages spirituels. Ces ouvrages constituent les implications dans l’ordre spirituel de ce qu’il a énoncé dans l’ordre philologique. Dans son Comentario o declaración breve y compendiosa sobre la Epistola de S. Paulo Apostol a los Romanos muy saludable para todo Christiano, lui qui apparaissait jusqu’alors comme un homme de cour, «de cape et d’épée», se qualifie de «pio y sincero Theologo». Ce livre paraît à Venise en 1556 en langue castillane, onze ans après sa mort, alors que ses disciples sont persécutés. Il explique dans sa dédicace à Julia Gonzaga qu’un texte sacré traduit en langue vernaculaire permet au lecteur d’y conformer son âme et de progresser spirituellement. Parce que vous m’avez convaincu, très illustre Dame, que, par le moyen de la continuelle lecture des Psaumes de David que l’année dernière je vous ai envoyés traduits de l’hébreu en langue romane castillane, vous avez formé en vous une âme aussi pieuse, confiante en Dieu et remise en tout à Dieu que l’était celle de David, et parce que vous souhaitez former à l’intérieur de vous, en progressant encore davantage, une âme aussi parfaite, aussi forte et aussi constante dans les choses qui ressortissent à l’Evangile du Christ que l’était celle de saint Paul, je vous envoie maintenant ces Epîtres de saint Paul traduites du grec en langue romane castillane, car je suis certain que par leur continuelle lecture vous ferez beaucoup de progrès spirituel. Je sais bien que vous ne les lirez pas par un désir de savoir dû à la curiosité et à la vanité, comme font les hommes sans piété qui pensent faire allégeance à Dieu en lisant saint Paul, mais parce que vous avez la ferme intention de former et fonder votre âme comme était formée et fondée celle de saint Paul 44.

Il compare ensuite les textes écrits par David et saint Paul à des portraits peints à l’image et à la ressemblance de Dieu et du Christ et il invite sa pénitente et lectrice à devenir elle-même, par considération des portraits peints de David et saint Paul à l’image et à la ressemblance de Dieu et du Christ, elle-même un portrait peint «au naturel» à l’image et à la ressemblance de Dieu et du Christ. Philologie, travail sur les textes et réforme spirituelle – exactement ici reconfiguration spirituelle – ne sauraient être plus clairement liés, imbriqués. Pour lire il faut une profonde humilité. Le traducteur ne saurait donner ses concepts, mais ceux de l’auteur inspiré. La traduction est faite sur le texte grec, car saint Paul a écrit en grec, et non sur le texte latin. Ainsi la réforme du savoir chrétien et la réforme de 44

Venise, Juan Philadelpho, 1556, p. 3.

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la vie spirituelle s’engagent dans la philologie et l’exégèse. Juan de Valdés s’inscrit ici dans la ligne de Luther et Calvin. Il y a là une ferme critique de la scolastique, fondée sur le latin. À partir de 1536 Juan de Valdés compose El Alfabeto Cristiano et Le cento e dieci divine considerazioni. De l’Alfabeto Cristiano/ Che insegna la vera via d’acquistare il lume dello Spirito Santo nous ne possédons pas aujourd’hui l’original mais une traduction italienne faite par Marco Antonio Magno et publiée anonymement à Venise en 1545. Il s’agit d’un dialogue entre Julia et Valdés, sur le modèle formel du Diálogo de la lengua. Ici encore il s’agit par la langue vernaculaire, par le dialogue en langue vulgaire sur des sujets religieux, par l’éloquence en langue vulgaire, d’accéder au savoir chrétien, à une réflexion philosophique et théologique plus ou moins élaborée et donc aux conditions de possibilité d’une réforme intérieure personnelle. Le titre même de l’Alfabeto Cristiano dit bien la transposition de la philologie à la spiritualité. De ce dialogue il faut se servir, dit Valdés dans sa préface à Julia, comme les enfants se servent d’une grammaire latine, car vous y trouverez les règles et les principes de la perfection chrétienne, vous pourrez alors oublier l’alphabet et appliquer votre âme aux choses les plus excellentes et les plus divines. Il convient que votre Seigneurie fasse comme je le dis, autant pour son profit que pour ma tranquillité d’âme... Laissons la vaine rhétorique et les cérémonies inutiles... Les hommes ont fondé en hommes leurs religions sur les choses dont ils connaissent l’utilité présente ou future : d’où vient que toutes leurs religions ne sont que vaines cérémonies et diaboliques superstitions 45.

L’Alfabeto ne manque pas de réserver de longs passages à l’Église catholique, aux pratiques de la messe, l’écoute des sermons, la lecture, l’oraison, le jeûne, la confession, la communion et l’aumône. Valdés souligne évidemment la nécessité de compléter les pratiques par une attitude intérieure constante dans la foi. Il affirme la présence réelle du corps et du sang du Christ dans les espèces eucharistiques. L’Alfabeto prend fin sur l’évocation de la liberté chrétienne, ce qui n’est pas sans rappeler le texte de Luther sur ce même thème. La postface de l’auteur rappelle en contrepoint de la préface à Julia que le livre a bien été conçu à la fois comme un commentaire de l’Ecriture sainte et comme un recueil de règles et principes et qu’il convient désormais de vivre soi-même la perfection chrétienne 46. 45 Venise, Nicolo Bascarini, «ad instantia di M. Antonio Magno», 1545, f. 2 vo . L’introduction de Massimo Firpo à l’Alfabeto cristiano, Turin, 1994, explique bien l’affaire de la publication. 46 Ouvr. cit., f. 79 : «E u’o detto in che maniera mi servo della santa scrittura, come in modo di commentario, per potere meglio intendere il mio libro».

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Les Considerazioni, dernière œuvre de Valdés, sont éditées en toscan à Bâle en 1550. Peut-être l’ouvrage a-t-il circulé manuscrit 47. L’œuvre consiste en une suite de «considérations» spirituelles qui développent les thèmes de l’Alfabeto, par exemple le «bénéfice du Christ», la «liberté chrétienne», la patience, l’abus des images, l’utilisation de l’Ecriture sainte, plus généralement la mortification, la perfection chrétienne, etc. L’auteur s’adresse au lecteur avec familiarité, lui fait part de ses propres réflexions, parfois il lui explique la façon dont il a été amené à avoir telle «considération». Les textes pauliniens sont fréquemment cités. À aucun endroit n’est clairement explicité le rôle, la fonction du magistère ecclésial; Valdés n’évoque pas les problèmes de pastorale, de formation des masses. La douzième Considération reprend la postface ou l’appendice publié avec l’Alfabeto cristiano en 1545 : désormais, il n’est plus question pour le chrétien de lire les livres des autres mais de lire son propre livre, c’est-à-dire soi-même, afin d’y trouver et d’y confirmer l’image et la ressemblance de Dieu, Dieu. Il convient de faire sa propre exégèse pour trouver Dieu. Cette attitude sera très exactement celle de la grande sainte de la Contre Réforme, Thérèse d’Avila : elle explique dans le livre de sa Vie que, lors de la publication en 1559 de l’Index de l’inquisiteur Fernando de Valdés prohibant la lecture des textes sacrés et d’un grand nombre de traités spirituels en langue vulgaire, le Christ lui apparut et lui affirma qu’il convenait désormais de lire en elle-même le livre vivant qui était lui. Ecrivain d’ouvrages spirituels, le courtisan et philologue Juan de Valdés renonce en fin de compte, en fin de vie, aux livres, qu’ils soient profanes, évidemment, ou même sacrés, comme le feront les grands saints de la Contre Réforme. Seule demeure la parole, le Verbe. Telle est la rhétorique d’un humanisme voué à connaître ce qui est la vérité de l’homme, cette vérité de l’homme étant pour Valdés le Verbe image de Dieu. À partir du milieu du XVIe siècle, alors que Juan de Valdés est mort depuis une dizaine d’années, les théologiens et inquisiteurs espagnols qui s’affirment les gardiens de l’orthodoxie reprochent aux 47 Juan de Valdés : Las Ciento Diez Divinas Consideraciones, recensión inédita del manuscrito de Juan Sánchez (1558), introducción, edición y notas por J. Ignacio Tellechea Idígoras, Salamanca, 1975. José Ignacio Tellechea Idígoras a trouvé un manuscrit en castillan de 1558 (Bibl. Vat. Lat. 12921), Las ciento diez divinas consideraciones, qui serait une recension dûe à Juan Sánchez, copiste ou traducteur de l’œuvre de Valdés en même temps que de quelques textes d’Occhino, et qui aurait peut-être été introduit en Espagne avec d’autres livres prohibés par don Carlos de Seso; l’archevêque Bartolomé Carranza, emprisonné et condamné en 1559, aurait possédé un texte antérieur à la mort de Valdés, datable de 1539, et beaucoup plus court.

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philologues et traducteurs «d’offrir en langue castillane au peuple ignorant des matières théologiques et scripturaires qui sont difficiles». Telle est la censure que le Dominicain Melchior Cano (15091560) porte sur les Commentaires du Catéchisme chrétien de l‘archevêque de Tolède Bartolomé Carranza, également Dominicain, ami de Valdés, parus à Anvers en 1558. Selon Melchior Cano, l’archevêque de Tolède, à la suite d’Érasme, Luther, Calvin, Valdés, ne respecte pas le magistère des philosophes et des théologiens, puisqu’il estime que tous les hommes et toutes les femmes ont droit à l’accès aux livres sacrés, désormais traduits, et doivent être formés – c’est le rôle des nouveaux catéchismes – à les comprendre et à les interpréter dans leur propre langue vulgaire, maternelle. À la même époque, le Sévillan Juan de Mal Lara, si vanté par ses contemporains pour, entre autres écrits, une Philosophia vulgar qui est un recueil de proverbes espagnols glosés avec abondance, reste plusieurs mois emprisonné par l’Inquisition en 1561. Melchior Cano, dans le livre IX, chapitre IV, du De locis theologicis paru en 1563, estime que la raison de l’homme doit être «philosophique, dialectique, scientifique» et que, «si l’on supprime cette raison, il n’y a plus de différence – je ne vais pas jusqu’à dire entre un théologien et un paysan – mais entre un théologien et un animal, une pierre ou un tronc ou quelque chose de semblable» 48. Le «je ne vais pas jusqu’à dire» est évidemment tout à fait significatif; le Dominicain ne va pas jusqu’à le dire, mais il le dit cependant. Contre la rhétorique, il affirme la primauté de la dialectique. Il n’y a pas de réflexion philosophique, théologique, spirituelle officiellement possible en langue vernaculaire en Espagne; il ne saurait y avoir de traduction en langue castillane des langues sapientielles, ni de commentaire déclaré en langue vernaculaire des vérités philosophiques et théologiques. Le courtisan et philologue Valdés ayant fait œuvre de théologien, comme il se présentait lui-même, en langue vernaculaire est pour longtemps considéré comme hérétique et sa mémoire doit être bannie de l’histoire de l’Église catholique romaine de la première moitié du XVIe siècle. EN

CONCLUSION

À partir de l’exemple de Juan de Valdés à Rome puis à Naples, courtisan et politique, philologue, animateur spirituel de groupes aristocratiques, c’est une série d’espaces sociaux qui se dessine, correspondant à peu près à des strates d’écriture, où se meut un indivi48 Cf. C. Fernández, Los filósofos escolásticos de los siglos XVI y XVII, Selección de textos, Madrid, 1986, p. 294.

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JUAN DE VALDÉS À NAPLES (1534-1541)

du, Juan de Valdés. Espaces de censure et de prudence à la cour de l’empereur, des papes, du vice roi de Naples? Espaces de critique politique dans la correspondance au cardinal Gonzaga, à Francisco de Cobos? Espace de liberté et de fortune en Italie à la cour de Clément VII, dans les cours de Naples? Espace ascétique et fermé, réservé, auprès des aristocrates napolitains, des femmes? En tout cas, il s’agit d’espaces spécifiques et de temps spécifiques de la vie de Juan de Valdés, simultanés, entremêlés. L’histoire valdésienne apparaît comme une expérience historique complexe d’espaces et de temps spécifiques qui sont ceux de l’humanisme et de l’Église catholique romaine de l’Italie de la première moitié du XVIe siècle. Juan de Valdés se situe, délibérément ou non, dans l’entrelacement de sphères différentes, de langages différents, de références différentes. Il peut encore le faire jusqu’en 1541. Il laisse à ses «disciples» les difficultés suscitées par cette complexe situation d’entrelacement. Après sa mort, ces derniers se font ou sont faits porteurs de savoirs hérétiques qui lui sont attribués; la passion pour la clarification l’emporte, héritée de la scolastique. Valdés devient alors un véritable objet épistémologique classique, le représentant de l’hérésie protestante au sud de l’Italie. Juan de Valdés demeure un humaniste. Ceux qui le condamnent comme ceux qui choisissent de sortir de l’Église ne sont sans doute plus des humanistes, parce qu’ils retrouvent les uns comme les autres, les uns contre les autres la logique scolastique de la clarification, de la classification des savoirs, des choses et des hommes; n’est-ce pas là le commencement du classicisme? Dominique

DE

COURCELLES

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GIUSEPPE ALBERIGO

SUL LIBELLUS AD LEONEM X DEGLI EREMITI CAMALDOLESI VINCENZO QUERINI E TOMMASO GIUSTINIANI

IL

CONTESTO

Il contesto del Libellus è delimitato dall’elezione (11.03.1513) del nuovo papa Medici, Leone X, che succede a Giulio II, dalla sospensione e ripresa del concilio Lateranense V, che il 27.04.1513 celebra una nuova [VI] sessione, la prima col nuovo pontefice, dall’impulso alla riforma espresso dalla ristrutturata Commissione conciliare per la riforma. La decadenza della chiesa era sotto gli occhi di tutti e le istanze e i progetti di riforma si moltiplicavano : da quelli più remoti di Giovanni da Segovia, di Pio II, del Cusano, del Capranica sino alla denuncia di Savonarola e del profetismo post-savonaroliano, alla orazione di Egidio da Viterbo (03.05.1512), a quella di Pico della Mirandola De reformandis moribus oratio, al De veri pastoris munere di Lippo Brandolini e alla proposta di Stefano Taleazzi, vescovo di Torcello (1486-1514)1, ma residente in Curia. Un’altra tessera del contesto è costituita dal clima umanisticoerasmiano in generale e veneziano in particolare 2. Gli autori del testo sono infatti entrambi veneziani : Tommaso Giustiniani (14761528) 3 e Vincenzo Quirini (1479-1514) 4. Entrambi ricchi di esperien1 N. H. Minnich, The reform proposal (1513) of Stefano Taleazzi for the fifth Lateran Council (1512-1517), in Annuarium historiae conciliorum, 27/28, 1995-96, p. 543-570. Dello stesso studioso si veda anche Concepts of reform proposed at the fifth Lateran Council, in Annuarium historiae pontificiae, 7, 1969, p. 163-251, riedito in The fifth Lateran Council (1512-17), Brookfield, 1993, con numerosi interventi inediti al Lateranense V sulla riforma e Incipiat iudicium a domo Domini. The fifth Lateran Council and the Reform of Rome del 1978, ora riedito in N. H. Minnich, The catholic reformation : council, churchmen controversies, Aldershot, 1993. 2 Cf. E. Massa, L’eremo, la Bibbia e il Medioevo in Umanisti veneti del primo Cinquecento, Napoli 1992, soprattutto i cap. V e IX (p. 121-185 e 240-263). 3 Cf. J. Leclercq, Un humaniste ermite. Le bx. Paul Giustiniani (1476-1528), Roma, 1951. 4 Cf. H. Jedin, Vincenzo Quirini e Pietro Bembo, in Chiesa della fede, Chiesa della storia, Brescia, 1972, p. 481-498.

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ze culturali alla Università di Padova, umanistiche e spirituali in un gruppo veneziano raccoltosi intorno al Giustiniani, diplomatiche in occasione sia della lega santa per l’alleanza di Venezia col papa contro la Francia, che come rappresentanti di Venezia presso il re di Castiglia e poi presso l’Imperatore, giungono entrambi a una conversione spirituale. Prepara la conversione un pellegrinaggio di Giustiniani in Terrasanta nel 1507, poi – dopo interessanti trattative – entrano entrambi tra i monaci camaldolesi a Camaldoli : Giustiniani, che prende il nome di Paolo, dal luglio 1510 e Querini, col nome di Pietro, dall’ottobre successivo. La vicenda di Querini si concluderà molto prematuramente a Roma 5 il 23 settembre 1514, dopo aver ricevuto e declinato l’offerta del cardinalato. Il concilio Lateranense, sospeso dopo la morte di Giulio II, era stato riaperto da Leone X pochi giorni dopo la propria elezione e si era impegnato in alcuni tentativi di riforma degli abusi ecclesiastici dilaganti. Forse anche per effetto delle proposte di riforma come quella di Taleazzi, il 13 dicembre 1513 fu emanata la bolla di riforma Pastoralis officii, confermata poi nella VIII sessione conciliare del 19 successivo con la In apostolici culminis 6. Il 5 maggio dell’anno dopo seguì, nella IX sessione, la Supernae dispositionis arbitrio, che riformava la curia 7 e il 4 maggio 1515 nella X sessione fu votata una Bulla contra exemptos : Regimini universalis ecclesiae e una sui libri Inter sollicitudines 8. Infine, il 19 dicembre 1516 l’XI sessione emanò altre due bolle : la Supernae maiestatis praesidio circa modum praedicandi e la Super religiosos et eorum privilegia 9. Il «LIBELLUS

AD

LEONEM X»

Nel 1513 Giustiniani e Querini redigono a quattro mani e in breve tempo una proposta di riforma globale, indottivi dalla loro insofferenza per la condizione di decadenza della Chiesa e dall’imminente elezione del giovane cardinale Medici col quale avevano una relazione di fiducia. È significativo che il Libellus sia indirizzato al Papa e non al Concilio Lateranense. Non si conosce l’originale del

5 Il 4 luglio dello stesso 1513 Leone X confermò le decisioni del Capitolo generale camaldolese di Firenze, conferma che era lo scopo della presenza a Roma di Querini e Giustiniani. È in questa circostanza che Querini redige il frammento edito da Jedin in Chiesa della Fede Chiesa della Storia, op. cit., p. 497-498. 6 Conciliorum oecumenicorum decreta, Bologna, 1973 (d’ora in poi COD), p. 608-609. 7 COD 614-625. 8 COD 627-633. 9 COD 634-638 e 645-649.

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testo, noto essenzialmente per l’edizione che ne hanno dato Gb. Mittarelli e A. Costadoni negli Annales Camaldulenses10. Si tratta di una presentazione sistematica, anche se ordinata discorsivamente, della visione della Chiesa dei due camaldolesi veneziani. Non è una proposta di «provvedimenti» né un progetto di «autoriforma»; il testo trascende il frequente «moralismo» degli scritti di questo genere per coinvolgere le stesse strutture ecclesiastiche, ridisegnando la chiesa cristiana. Nell’assenza di informazioni sull’accoglienza del Libellus è difficile comprendere se sia stato letto come essenzialmente restaurativo o piuttosto come arditamente innovativo. La premessa si rivolge abilmente a Leone X come legittimo pontefice rompendo, con il recente passato di inania deliramenta, aniles fabulas, aegrotantium somnia11. «Accetta – scrivono – beatissimo Padre lo scritto, che Ti offrono gli umili servi della Santità Tua, Pietro e Paolo eremiti. Se poi quanto i Pontefici da molti anni erano soliti fare era approvato da Gesù Cristo – ma non lo crediamo affatto -, allora vi troverai inutili deliri, favole senili, sogni di febbricitanti. Ma se vorrai considerare non ciò che gli altri hanno fatto, ma quanto è necessario che un legittimo Pontefice, quale non dubitiamo che tu sia, operi, può darsi che trovi molte cose utili e qualcuna persino necessaria se intendi adempiere il compito che Dio ti ha affidato, non soltanto con la nobiltà del nome o la dignità della persona, ma anche con i fatti»12. Papa Leone – chiedono gli autori – consideri non come le cose sono dette ma quali, non quali sono dette ma quali avrebbero voluto dire. Dopo assidue preghiere hanno deciso di scrivere a lui pontefice e pastore dato da Dio13. Il testo, articolato in sei parti, è collocato nella prospettiva dei doveri del papa, considerato come centro coordinatore e vivificatore di tutta la vita cristiana, esaminata pertanto in tutti i suoi aspetti. La Ia parte è dedicata al Potere del papa e suo ufficio14. La potestà del papa, che non è quella di un principe nè di un despota, è qualificata in senso spirituale e con respiro universale. È questa la chiave di tutta la prima parte. Leone X è chiamato alla reparatio e alla reductio in pristinum della chiesa. L’ufficio pontificale implica la stessa autorità di Pietro sugli Apostoli15. Portare tutti a un’unica fede in 10 IX Venezia 1773, col. 612-719. D’ora in poi abbreviato AC. Uno dei primi a valorizzare il Libellus è stato J. Schnitzer, Peter Dolfin. Ein Beitrag zur Geschichte der Kirchenreform, Alexanders des VI. und Savonarolas, Monaco, 1926, p. 227-249. 11 Il 27 giugno 1513 era avvenuta a Roma la riconciliazione di Carvajal e Sanseverino con il nuovo papa. 12 AC 612. 13 AC 614. 14 AC 614-621. 15 AC 616.

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un’unica pace è lo scopo affidato al papa : vera autem Ecclesiam Dei non terrenae abitationis civitates aut manufacta aedificia, sed hominum Congregationem esse te latere non debet16. Come Cristo ha patito la croce, così non vi è nulla che possa essere umiliante per il papa, se è necessario per la salute delle anime. Scopo delle sollecitudini del papa sono tutte le anime : di chi non è mai stato nella chiesa, di quanti vi sono già stati, di chi non si sa se vi appartenga o no e, infine, dei cristiani17. La moltitudine di quanti vivono sulla terra è composta da una varietà diversa e molteplice di uomini – ricordano i Camaldolesi, mettendo a frutto la loro personale esperienza –. Non tutti hanno la stessa religione, la stessa fede, gli stessi costumi, nè le circostanze sono eguali; non ti può sfuggire che tutta l’umanità in quest’epoca della storia si distingue, per quanto riguarda la verità della fede, da tre punti di vista. Alcuni infatti sono così completamente al di fuori della pietà della Chiesa cristiana che non risulta ne abbiano mai fatto parte, altri invece, pur potendo essere calcolati con i precedenti in quanto ora sono completamente estranei alla retta fede della chiesa, tuttavia devono essere giudicati diversamente da quelli poiché si sa che una volta furono nel seno della stessa chiesa cristiana; ma molto più numerosi sono quelli che sembrano accettare solo alcune delle verità cristiane e altre no, cosicché nessuno, eccetto la tua Beatitudine, può chiaramente stabilire se sono nella chiesa o fuori di essa. A queste tre categorie di uomini se ne aggiunge una quarta, che l’Apostolo Pietro ha indicato come «stirpe eletta, sacerdozio regale, nazione santa, popolo acquisito». Questi sono coloro che come figli carissimi sono nel grembo castissimo della Chiesa cristiana. E ben sapendo che la massima cura di tutti gli apostoli e di tutti gli uomini apostolici fu sempre quella di riunire una sola chiesa di Cristo dalla diversità di tutte le genti, Tu vicario del principe degli Apostoli non puoi dubitare che attenga alla maestà del tuo ufficio accollarsi la sollecitudine di tutte le creature umane, affinché non vi sia nessuna gente barbara, e persino infedele e lontana dalla verità della religione cristiana, alla quale tu non debba servire per amore di Cristo, per guadagnare a Cristo chiunque potrai18.

La IIa parte riguarda la «Conversione degli idolatri e degli ebrei»19. Questi siano allettati, istruiti, puniti, espulsi. Ai pagani delle «grandi isole transoceaniche» 20 il papa invii gli ordini religiosi; occorre superare la difficoltà della lingua, che dovrà essere introdotAC 618. AC 620. 18 AC 619. 19 AC 621-631. 20 AC 626 si tratta delle Americhe; questa parte appare redatta dal Querini, cf. H. Jedin, Ein Vorschlag für Missionswissenschaft, in Neue Zeitschrift für Missionswissenschaft, 1946, 81-84. 16 17

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ta nelle scuole. Contro quanti resistono alla fede con le armi, la chiesa impugni le armi e li sottometta. Alla «Conversione o sconfitta dei maomettani» è dedicata la IIIa parte 21. Da un punto di vista pienamente universale della Chiesa i maomettani sono un impedimento al ricongiungimento delle membra cristiane. La lotta contro di essi non è causa del papa, ma causa di Dio. I veneziani, ben al corrente delle tensioni in atto, criticano esplicitamente la politica di divisione dei precedenti papi 22. Solo promuovendo la lotta contro gli infedeli si otterrà la pace tra i cristiani, mentre non è secondo verità il modo di procedere inverso. Oltre ai maomettani, sono da considerare : i Mori, i Mamelucchi o Giannizzeri, gli Arabi e i Persiani. I camaldolesi consigliano di tentare la conversione da questi ultimi, che conservano ancora il nome cristiano. Successivamente si passi agli altri, non badando ai giudizi degli uomini, che avrebbero considerato pazza l’impresa di convertire l’impero romano. Quanto meno, il papa ottenga che gli altri infedeli si alleino con il papa contro il turco, o almeno restino neutrali. Poi, quando avrà battuto i turchi, sarà facile conquistarli; inoltre faccia conto anche sulla ribellione dei cristiani ora oppressi dal turco. Leone non si muova però da Roma per guidare la guerra ai Maomettani, per questa impresa ha un alter ego, il fratello Giuliano; egli continui il Concilio Lateranense e si impegni nella cura delle anime 23. Finalmente la IVa parte tratta della «unione al capo delle sette nazioni cristiane separate» 24. Spezzato il diaframma, ora costituito dai maomettani, rispetto ai popoli delle lontane Africa e Asia, il papa si rivolga ai popoli cristiani non più in rapporto con la Chiesa, che sono in numero maggiore sia degli infedeli che dei cristiani europei. Occorre accertare se i motivi di distacco non siano involontari o dovuti alla distanza, all’isolamento e alla diversità della lingua. Gli autori richiamano il papa a curarsi di costoro, data la natura spirituale della Chiesa. Sono poi illustrate le enormi diversità di questi popoli. Giustiniani ha conosciuto uomini di questi popoli quando è stato a Gerusalemme per tre mesi. Ve ne erano provenienti da sette diverse nazioni : Abissini, Giacobiti, Armeni, Georgiani, Siriani, Maroniti e Greci. Essi non riconoscono il primato del papa e di Pietro, ma la loro tradizione cristiana è grande e fermissima la loro fede, al cui confronto gli europei non possono che vergognarsi. Hi christiani AC 631-654. AC 635. 23 AC 653. Il riferimento ai comportamenti di Giulio II è trasparente. 24 AC 654-668. 21

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vere sunt, nos semipagani 25. Anch’essi hanno il Nuovo Testamento e sono disposti a imparare, salvo i pervicaci Greci. Il papa mandi a tutti inviati sapienti e autorevoli e inviti i loro vescovi al Concilio Lateranense 26. I camaldolesi sono molto severi con i Greci, perché sono gli unici a chiamare eretici gli altri cristiani 27. Occorre tuttavia risalire all’origine di tale stato di cose. Il papa provveda all’ignoranza del popolo e alla povertà dei loro sacerdoti. Leone incarichi di tutto questo il vescovo di Cremona, Girolamo Trevisan, cistercense, uomo ineccepibile che è stato molti anni tra i Greci e li conosce a fondo, come pure la loro lingua 28 ; ma Giustiniani e Querini offrono anche se stessi per qualsiasi compito. Alla «riforma dei cristiani che sono nella chiesa» è dedicata la Va sezione 29 : è la parte della famiglia cristiana più prossima al papa e che egli non può certo non avere particolarmente a cuore. La Chiesa è costituita da membra diverse : in nullo plena sanitas est 30. Vari sono i mali che la affliggono, riconducibili a due generi : quelli che derivano dalla libido dominandi di pochi príncipi e quelli che hanno la loro causa nei vizi dei religiosi. Il papa garantisca il fondamentale bene della pace, evitando la lotta tra i cristiani e concentrando le forze della Cristianità nella lotta al Turco. Alla pace è indissociabilmente unita la giustizia : imponga ai príncipi il rispetto dei beni ecclesiastici e dei popoli, impedendo che impongano decime ecclesiastiche e procedano a nomine di ecclesiastici. Obblighi anche a dare ai poveri la terza parte delle rendite ecclesiastiche. Garantita pace e giustizia al popolo, non resterà che indicare ad esso la via della vita eterna, togliendo gli impedimenti derivanti dai AC 662. AC 664. 27 AC 665. L’esperienza veneziana dettava l’aspra diffidenza verso i Greci. 28 Egli «non è per nulla inferiore per zelo religioso, dottrina, costumi e ogni altra virtù ai santi dell’antichità, luci della chiesa, il quale avendo abitato per molti anni presso i greci, conobbe da vicino le miserevoli infermità di questo popolo. Se tu gli affidassi questo affare per la sua devozione e obbedienza verso la chiesa di Roma, per la grande prudenza e dottrina del suo animo, egli condurrebbe la cosa secondo i desideri della tua beatitudine : non ignora infatti i loro costumi, ne parla ottimamente la lingua, conosce le infermità e i rimedi che possono loro giovare, non teme di affrontare fatiche e pericoli per la causa della pietà cristiana e infine, per aggiungere anche questo, se avesse da te, sommo pontefice di tutti, l’autorità non dispera di poter ricondurre in breve tempo tutti i Greci alla concordia, all’unità e alla vera obbedienza della chiesa romana. Nè è uomo che osi affrontare qualche cosa senza riflessione, che possa impegnarsi in qualche cosa, il cui esito non abbia previsto con molta prudenza. Volesse il cielo che la chiesa romana avesse molti di questi uomini.», AC 666-667. Il Trevisan è stato vescovo a Cremona tra il 1507 e il 1523. 29 AC 668-714. 30 AC 670. 25 26

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religiosi. Sono questi la fonte dei mali che, direttamente o indirettamente, da loro passano nel popolo : ignoranza, superstizione, divisioni, ambizioni, avarizia, abbondanza di beni, inosservanza delle norme. L’ignoranza, anche elementare, della Scrittura, dei Padri, del latino è tale che è inutile stupirsi che in queste condizioni pullulino gli errori 31. Si riformino dunque gli studi col ritorno alle fonti e l’abbandono della intossicazione della theologia parisiensis e dei commenti dei canonisti. Turpe et indecens est chiamare alla cura delle anime chi non sa neppure da dove cominciare. Si predichi e si predichi il Vangelo, non le opinioni personali o le diatribe di scuola 32. La superstizione sia combattuta e così anche i cattivi libri, tra cui quelli che narrano la storia sacra e la vita dei santi senza attenersi alla verità. Si diffonda la lettura dei testi dei concili di Nicea, Cos-

31 AC 676 : «Sarebbe stato infatti compito dei religiosi, se essi stessi non fossero afflitti dalla medesima infermità, soccorrere l’ignoranza dei popoli e sarebbe loro dovere rimuovere tutte le superstizioni, se non avessero invece imparato a stabilire consuetudine perverse e a svilupparle. [...] Niente può istruire gli uomini intorno alle cose divine ed umane più delle sacre scritture dell’antico e del nuovo Testamento. Per questo gli antichi Padri stabilirono che fosse letta ogni giorno nelle chiese, affinchè la maggior parte dei cristiani che, per altre occupazioni della vita o per incapacità nel leggere o anche per mancanza di libri (infatti allora i cristiani non abbondavano in libri come adesso) non potevano leggere a casa queste cose, radunandosi nelle chiese, ivi ascoltassero la parola di Dio, giovandosene molto e nella conoscenza della dottrina e nella correzione dei costumi». 32 AC 678 : «Gli studi potranno essere riformati e la scuola migliorata se, oltre allo studio della letteratura dei Gentili, saranno proibite per tuo ordine le cavillazioni dei dialettici, che sono chiamate arte sofistica, in modo tale che non vi sia nessuno che in seguito osi professare pubblicamente tale arte; in essa infatti senza alcuna utilità i più giovani spendono tempo e ingegno. Ciò sarebbe ulteriormente facilitato se, soprattutto nelle quaestiones, fossero eliminati tanti commenti di autori moderni, che espongono semplicemente in modo deteriore ciò che hanno scritto con grande diligenza gli antichi : se fosse fatto spazio agli autori antichi, che hanno trattato correttamente gli stessi problemi, se a nessuno fosse lecito, non dico scrivere, ma pubblicare scritti senza l’approvazione per la stampa di alcuni uomini particolarmente dotti incaricati da te, se in tutti gli Studi fossero letti non i commentatori degli autori, ma piuttosto gli autori stessi. Infatti è stupefacente e insieme deplorevole quanto tempo consumiamo nel cercare diligentemente tutti i commentatori, mentre non ci preoccupiamo di imparare nulla di ciò che avremmo potuto facilmente apprendere, se avessimo voluto applicarci al testo degli autori piuttosto che a quello dei commentatori. Se stabilirai queste cose, gioverai molto agli stessi studi umanistici [...] Gioverà curare che siano attuate quelle antiche disposizioni dei Santi Padri e dei sacri canoni, secondo le quali nei luoghi dove sono in atto studi letterari vi sia sempre chi insegni la teologia cristiana, cioè non la disciplina assai cavillosa della scuola di Parigi, ma la pura dottrina delle sante Scritture canoniche. Costoro naturalmente dovrebbero chiarire i punti oscuri dell’antica legge e dei profeti, e non vergognarsi di spiegare il santo evangelo e gli scritti apostolici».

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tantinopoli, Efeso e Calcedonia, facendone opportune pubblicazioni. Se infatti essi sono stimati da Gregorio magno come i quattro Vangeli 33, è facile immaginare quanto danno soffrano i cristiani per la loro ignoranza. Base di ogni insegnamento è però sempre la parola di Dio, letta in volgare, come via via è avvenuto nei vari popoli cristiani 34. Cosa serve leggere tutti i giorni in chiesa la Scrittura se nè chi legge nè chi ascolta capisce? Nulla è più necessario, utile, fecondo che la traduzione dal latino in volgare della Scrittura 35. Anche gli atti pubblici siano in volgare. È necessaria la lotta contro le superstizioni che infettano tutto e contro le quali non insorge l’episcopato. Siano vietate le divinazioni, le sofisticazioni spiritualistiche, le superstizioni negli atti di culto, come le invocazioni di santi per singole infermità o l’efficacia magica delle immagini. Si riducano i religiosi in un unico Ordine per ciascuna Regola (Benedetto, Agostino, Francesco ecc.). Siano vietate le dispute tra Ordini e soppressi i monasteri che non si riesce a riformare (690). Nulla è così efficace per la riforma dei sudditi come i buoni costumi del principe. Cominci il papa con l’eliminazione delle consuetudini cattive, si ispiri alla Regula pastoralis di Gregorio, abbandonando la via dei suoi predecessori. Osservi quattro regole fondamentali : elezione legittima, vita retta, esempio positivo ai predicatori e alle istituzioni, perseguire l’ideale del buon pastore. Ma occorre anche riformare la Curia, i cardinali, i vescovi, gli Ordini maschili e femminili : Ecclesiam universam virginem castam exhibere Christo 36. Ai cardinali non possa essere conferito alcun beneficio, oltre quello del loro titolo. Verso quanti l’hanno eletto, il papa non può fare di meglio che liberarli dall’errore 37. Arcivescovi e 33 Cf. Y. Congar, Primauté des premiers conciles oecuméniques, in Le concile et les conciles. Contribution à l’histoire de la vie conciliaire de l’Église, Chevetogne 1960, p. 75-109. 34 AC 681. 35 AC 681 : «Nei primi tempi del cristianesimo le divine Scritture venivano lette nelle chiese in lingua ebraica o greca. Era conveniente infatti che fossero lette tra gli Ebrei in ebraico, tra i Greci in greco. Anzi non potevano essere lette altrimenti poiché tutto l’antico Testamento era stato scritto in ebraico, e il nuovo, eccetto Matteo e una lettera di Paolo, in greco. Ma quando il numero dei credenti cominciò ad aumentare tra i romani e i latini, e la maggior parte dei fedeli non conosceva più la lingua ebraica o greca, i santi Padri compresero che non avrebbe giovato nulla che le Scritture fossero lette nelle chiese, senza che il popolo le capisse. Per queste nuove esigenze dei tempi le scritture furono tradotte in lingua latina, e si cominciò a leggerle in latino nelle chiese». Sono noti a questo riguardo progetti di Giustiniani. 36 AC 692. 37 AC 696.

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vescovi siano tenuti a rendere conto del loro operato annualmente o triennalmente. Se non vivranno come si conviene e non adempiranno al loro ministero (visite pastorali e insegnamento) siano privati della dignità e incarcerati 38. Il papa vigili che nessuno sia candidato vescovo se non per integrità di vita, santità di costumi e dottrina nella Scrittura. Le stesse esigenze riguardino l’ordinazione dei preti; nessuno dovrebbe essere ordinato se non sa a memoria i Salmi 39. Nulla per la disciplina di tutta la piramide soggetta al papa sarà tanto efficace quanto l’esempio della sua famiglia 40. Tutto dipenderà dalla sua virtù personale e dal trasfonderla nei suoi familiari : da essi passerà a tutto l’ordine ecclesiastico 41. Anche i regolari sono tutti decaduti e pene inutiles factos esse. I monaci siano tutti ricondotti alla Regola di Benedetto. I singoli Ordini siano riesaminati dal papa che approvi i meritevoli, condanni gli indegni, riformi dove occorra 42. Elimini i conventuali unendoli agli osservanti; chi lascia monastero o convento sia scomunicato e divenga soggetto alla potestà secolare. I monasteri siano di nuovo sottoposti all’autorità del vescovo, che li visiti personalmente e li riformi, a condizione che i pastori siano degni di questo nome 43. Oltre a togliere vizi e peccati bisogna eliminare le occasioni di peccato dei cristiani e in primo luogo i giuramenti. Altra occasione di peccato sono i giochi, soprattutto con le carte (704). Vi sono poi i peccati commessi a causa delle prescrizioni ecclesiastiche troppo rigide : ad esempio, il peccato mortale per chi viola il digiuno (705). Altra occasione di peccato sono le donne che si dipingono, vanno a 38 AC 685 : «E nessun vescovo si oppone, al punto che – nè possiamo scriverlo senza pena – a stento è rimasta qualche traccia della religione, della verità e della purezza cristiana presso i popoli cristiani mentre non vi è nessun atto pubblico o privato, profano o sacro che non appaia contaminato dalla superstizione». 39 AC 697. 40 Cf. il frammento di Quirini edito da H. Jedin in Chiesa della fede, Chiesa della storia, p. 497-8. 41 AC 699. 42 AC 700. 43 AC 702 : «La sottrazione ed esenzione degli abati, dei monaci e degli Ordini religiosi dall’autorità dei vescovi, di cui molti si lagnarono come nè conveniente, nè lecita, nè utile presso papa Eugenio quando fu introdotta da s. Bernardo e che ora sperimentiamo non solo lecita e conveniente, ma anche utilissima e ottima, fu fatta perchè a quell’epoca coloro i quali erano soggetti ai vescovi, sentivano di avere dei pastori. Invece nell’attuale depravazione di tutte le cose coloro che sono soggetti ai vescovi sperimentano miseramente di avere lupi rapaci per pastori. Onde quando diciamo che i monaci e gli altri religiosi debbono essere soggetti ai vescovi, perché questi li riconducano alla perfetta osservanza delle regole, sappiamo che è necessario che prima i vescovi imparino ad osservare essi stessi la propria regola di vescovi e pastori, altrimenti non potrebbero giovare, ma danneggerebbero gravemente gli ordini religiosi. Infatti è più saggio lasciare le greggi senza pastori piuttosto che affidarle ai lupi».

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capo scoperto e non stanno in chiesa separate dagli uomini (706). Ancor più va tolto lo scandalo del commercio esercitato dai prelati, che mantengono concubine con i redditi delle chiese 44. Non dubitiamo che tu escogiterai i rimedi per tutte le membra malate della comunità cristiana. Ma oltre i particolari rimedi per le singole membra, riteniamo che la santità tua abbia già ricercato e concentrata l’attenzione su quei futuri rimedi universali, salutari per tutte insieme le membra, tra i quali tiene il primo luogo quello senza del quale nessuna religione, nessun ordine, nessuna congregazione, nessuna chiesa può custodire a lungo la regola di una retta pratica e di qualsiasi santo principio. Questo consiste nella frequente celebrazione dei concili 45. Dunque devi stabilire, che ogni ordine e ogni congregazione convochi e celebri l’assemblea, cioè il capitolo; che ogni vescovo convochi più spesso il sinodo. Stabilisci inoltre che i vescovi sottoposti al metropolita celebrino ogni anno in un giorno stabilito con i più anziani e i più valenti dei loro sacerdoti il sinodo metropolitano; questi concili episcopali o metropolitani siano presieduti in tuo nome da un cardinale o da uno dei tuoi collaboratori. Analogamente, sia osservato quanto crediamo essere tanto più perfetto, nella misura in cui è comune a tutta la chiesa, cioè che i concili universali siano celebrati non solo ogni decennio, ma ogni quinquennio; i loro testi escano dalle biblioteche nelle quali sono conservati e, stampati, circolino nelle mani dei cristiani. Senza i concili infatti abbiamo imparato per esperienza che la santa chiesa di Dio non può stare. Nulla infatti ha condotto la chiesa di Dio da uno stato di perfezione e di bene all’attuale miserevole condizione, se non l’omissione dei concili. Se coloro che hanno occupato la sede apostolica si fossero preoccupati di conservare tale uso, la chiesa romana, che è capo di tutte le chiese, non avrebbe perso già nobilissime membra nè altre chiese d’Africa e d’Asia si sarebbero divise e sarebbero sconosciute a coloro che vivono a Roma 46.

Il papa richiami i cristiani ora separati da Roma e riprenda il concilio Lateranense 47. Ristabilita l’unità della chiesa il papa dovrà dedicarsi alla riforma della Curia. Per organizzarla sono necessarie tre cose. Anzitutto il papa deve evitare di essere accecato dalla imponenza dei problemi o dalla perversa consuetudine di abusi, ma considerando la condizione della chiesa, per non dire piuttosto la sua rovina e desolazione, deve decidere di operare una grande riforma della stessa chiesa di Dio, che gli è stata affidata da Dio non per possederla così com’è, ma perché la AC 707. Trasparente ripresa del decreto Frequens approvato dal concilio di Costanza nella XXXIX sessione del 9 ottobre 1417, COD 438-439. 46 AC 707. 47 AC 709. Dunque il Libellus è stato redatto avanti la riassunzione del concilio da parte di Leone X? 44 45

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riformi. Se non crede che la chiesa soffra e che gli sia stata affidata per risanarla, non vi è niente di qualche importanza che possa fare. La seconda cosa, non meno necessaria, consiste nel fatto che Leone non consideri come sono quelli che sotto di lui detengono il governo della santa chiesa, ma piuttosto scruti quali saranno coloro che intende scegliere per reggere pesi di questo genere. Questa vigna del Signore, che invece della dolcezza dell’uva, offre l’amarezza del fiele e il mortale veleno dei serpenti, non deve tanto essere migliorata, curando i vizi dei vecchi, ma piuttosto va rinnovata piantando nuovi ottimi sostegni. Infatti sarà minor fatica crescere nuove tenere viti che offrano dolci frutti, che cambiare in dolcezza l’amaro dei vecchi frutti. Mentre infatti il vecchio a poco a poco viene meno, se avrai deciso di disporre il nuovo in modo diverso dal vecchio, dopo non molto tempo la forza della chiesa apparirà tutta rinnovata, dato che il nuovo sarà cresciuto al posto del vecchio. Confidiamo che ti sia informato in tutte le regioni d’Italia, in tutte le parti della cristianità e prenda nota degli uomini che avrai trovato dotati per dottrina e costumi, facendone addirittura un elenco, perché quando qualcuno che adesso tiene il governo della chiesa, morirà, tu abbia sempre sotto mano chi devi mettere in luogo del defunto. Confidiamo che all’inizio del pontificato vorrai prestare particolare attenzione alle nomine e alle promozioni, poiché da questi inizi si intravederà come sarà la chiesa di Cristo sotto di te e come sarà il corso del tuo pontificato 48.

L’analisi dell’aumento del potere temporale della Chiesa presso gli infedeli occupa la VIa e ultima parte 49 dedicata alla polemica verso chi suggerisce al papa di anteporre gli affari temporali alla cura delle anime. Il Libellus è dunque un complesso e organico programma di pontificato imperniato su riforma della Chiesa nella prospettiva di una ecclesiologia. Questa impostazione è un sintomo umanistico? Lo fa pensare questo passo per cui Giustiniani e Querini affermano che se stabilirai queste cose, Padre santo, gioverai molto agli stessi studi umanistici, poiché niente può essere stimato più pedantesco, vano, faticoso e sterile, niente infine più estraneo ai cristiani di questi stessi studi dei poeti, degli oratori e degli autori gentili, quando non siano finalizzati agli studi divini e alle sacre lettere 50.

Giuseppe ALBERIGO 48 AC 712-713. Dunque almeno questa parte è stata redatta prima dell’elezione del Medici? 49 AC 714-718. 50 AC 677.

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In the academic year 1577-1578 Edmund Campion, the future martyr, taught a course on rhetoric at the Jesuit college in Prague1. Born in 1540, educated at Oxford, and at one time involved in an attempt to revive the University of Dublin, Campion was culturally a fully formed man and a distinguished orator – «one of the diamonds of England» Queen Elizabeth’s Secretary of State William Cecil called him – well before he became a Jesuit in 1573 2. His rhetorical theory is therefore all the more interesting in that it reflected not just a Jesuit, but as much or more an English educational tradition. His Tractatus de imitatione rhetorica edited by his student Robert Turner shows Campion to have been a staunch Ciceronian 3.

1 I used Roberti Turneri Devonii Angli, professoris Ingolstadiensis Posthuma. Acceserunt Edmundi Campiani, Societatis Iesu martyri in Anglia, orationes, epistolae, tractatus de imitatione rhetorica a Roberto Turnero, Campiani discipuli, collecta, Ingolstadt, 1602, Part 2, p. 65-83 : Tractatus de imitatione ex Compendio Rhetorices quod Edmundus Campianus Societatis Iesu suis oratoriae facultatis studiosis anno 1577 et 1578 proposuit Pragae. This tractatus bears the colophon : Calendis Februarii anno 1578 finivit reverendus et sanctissimus vir Edmundus Campianus tum tempore adhuc magister, postmodum presbyter, Pragae, vero sanctissimus et constantissimus Angliae martyr etc. Ora pro me. Descripsit Selenderus 1586 in vigilia D. Thomae. 2 See R. Simpson, Edmund Campion : a biography, London, 1867 ; E. E. Reynolds, Campion and parsons. The Jesuit mission of 1580-1, London, 1980; T. M. McCoog (ed.), The reckoned expense : Edmund Campion and the early English Jesuits, Woodbridge (Suffolk), 1996; and C. Sommervogel et al., Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, 12 vols., Brussels-Paris, 1890-1960, II, col. 586-97. 3 On Turner (d. 1599), who studied at Oxford and Cambridge, before leaving for the Continent, where he became a priest (but not a Jesuit) and had a career as a professor, eventually becoming rector of the University of Ingolstadt, see the Dictionary of national biography, XIX, Oxford, 1898-1899, p. 1280-81. On the vitality of Ciceronianism and opposition to it in England in the second half of the sixteenth century see J. W. Binns, Ciceronianism in sixteenth century England : The late debate, in Lias, 7, 1980, p. 199-223; and id., Intellectual culture in Elizabethan and Jacobean England : the Latin writings of the age, Leeds, 1990, p. 270-90.

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Campion accepted the evolutionary scheme expounded by the Ciceronian Adriano Castellesi at the beginning of the sixteenth century which divided classical Latin into four periods, with the age of Cicero, the tempus perfectum or tempus aureum, being the only one fit for imitation 4. Speaking seventy years later, Campion added a fifth period to Castellesi’s scheme, namely, the present age of neoclassical Latin. For his own century, the sixteenth, Campion recommended as models to his students Castellesi, Pietro Bembo, Iacopo Sadoleto, Christophe Longueil, Jerónimo Osório da Fonseca, Silves, Paolo Manuzio, and Ioachim Périon, Ciceronians all. As a Catholic of the Counter-Reformation, he also praised the martyr St. Thomas More, Alberto Pio (best known as a critic of Erasmus), the Catholic polemist Johannes Cochlaeus, the Polish CounterReformation Cardinal Stanislaus Hosius, the well known Spanish theologian Melchior Cano, and the Spanish theologian and orator Petrus Fontidonius (de Fuentidueña, a participant in, and defender of, the Council of Trent) 5. Fifty years after Erasmus in the Ciceronianus of 1528 had damned Ciceronianism as subversively pagan and anachronistic 6, Campion boldly proclaimed Catholic Ciceronianism triumphant and laid out a vision of the history of Renaissance Latin diametrically opposed to that of Erasmus. For Campion, Ciceronianism was virtually synonymous with the advance of neoclassical Latin. That, incidentally, was also the view of the historian Flavio Biondo more than a century earlier 7. Who was right? Modern critics tend to favor Erasmus’s view of the quarrel 8. But, as we shall see, Campion more 4 A. Castellesi, De sermone Latino et modis Latine loquendi, Rome, 1514. See G. Fragnito, Castellesi, Adriano, in Dizionario biografico degli Italiani, XXI, Rome, 1978, p. 665-71; and J. D’Amico, Renaissance Humanism in papal Rome : humanists and churchmen on the eve of the Reformation, Baltimore, 1983, p. 13233, et ad indicem. 5 Roberti Turneri Posthuma... cit. n. 1, Part 2, p. 74-75. 6 There are two modern editions of the Ciceronianus, the first by A. Gambaro under the title Il Ciceroniano o Dello stile migliore. Brescia, 1965; the second by P. Mesnard, in Erasmus, Opera Omnia, I-2, Amsterdam, 1971, p. 581710. 7 F. Biondo, De Roma triumphante, in his De Italia illustrata, Basel, 1559, p. 346-47. 8 The classic study is R. Sabbadini, Storia del Ciceronianismo e di altre questioni letterarie nell’età della Rinascenza, Turin, 1886, p. 1-74, where Ciceronianism is viewed as the tyranny of form; no less critical was the earlier C. F. Lenient, De Ciceroniano Bello apud Recentiores Commentariolum, Paris, 1855. Sabbadini was a major source for J. E. Sandys, Harvard lectures on the revival of learning, Boston, 1905, p. 145-73; I. Scott, The imitation of Cicero as a model for style and some phases of their influence on the schools of the Renaissance, New York, 1910 ; and T. Zielinski, Cicero im Wandel der Jahrhunderte, 4th ed., Leipzig, 1929 (I used the Darmstadt, 1967 reprint), p. 179-91.

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correctly represented the place of Ciceronianism in the Renaissance than did Erasmus. Indeed, we need to see Erasmus’s Ciceronianus not as a clarion call to halt the spread of an implicitly pagan stylistic fad, but rather as a brilliant rhetorical performance which sought to transform a stylistic quarrel into a religious battle. We cannot rehearse the whole history of Renaissance Ciceronianism here, but we can examine Erasmus’s charge of paganism 9. Erasmus cultivated a distinctly non-Ciceronian style10. Since Latin no longer had a community of native speakers, its linguistic norm, he explained in the De Duplici Copia, was the written monuments of those moderns whom he vaguely identified as eruditi (the learned) and the classical authors they favored11. Erasmus did not include the Aristotelian scholastics among the eruditi. His favorite authors were Terence and Horace. The Latin of Quintilian and Seneca also appealed to him12. Moreover, he several times expressed his preference for Jerome over Cicero as a stylist13. But his formula did allow for considerable flexibility, especially when it suited his argument. In his quarrel with Diego de Zuñiga (Stunicus) A. Gambaro (cit. n. 6) offers an overview in the introduction to his edition; more sympathic to the Ciceronians are two more recent studies on the late Renaissance : M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence : rhétorique et «res literaria» de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Geneva, 1980; and C. Mouchel, Cicéron et Sénèque dans la rhétorique de la Renaissance, Marburg, 1990. See also my The Ciceronian controversy, in G. P. Norton (ed.) The Cambridge history of literary criticism. III. The Renaissance, Cambridge, 1999, p. 395-401. 9 One point that should be acknowledged from the start is that no one in the Renaissance had the linquistic and scholarly tools needed to recreate consistently the specific diction of Cicero; see T. O. Tunberg, Ciceronian Latin : Longolius and Others, in Humanistica Lovaniensia. Journal of Neo-Latin Studies, 46, 1997, p. 1361. As Sabbadini, Ciceronianismo..., p. 4, remarks, this incapacity «nè poteva essere altrimenti in tempi, in qui vocabolari e i repertori da consultare in un dubbio non c’erano o si cominciavano appena a compilare. E poi, uno scrittore non può mai assolutamente spogliarsi delle proprie qualità personali.» 10 See D. F. S. Thomson, The latinity of Erasmus, in T. A. Dorey (ed.), Erasmus, Albuquerque, 1970, p. 115-37. 11 In a passage added to the 1534 edition of his De duplici copia verborum ac rerum commentarii duo, ed. B. I. Knott, in Erasmus Opera Omnia, I-6, Amsterdam, 1988, p. 2.321-26, he had this to say about verba inusitata : Olim plurimum ius erat consuetudini publicae, quemadmodum testatur et Horatius : ‘Multa renascentur quae nunc cecidere, cadentque’ [Hor. Ars Poetica (= Ep. 2 :3) 70-72] / Quare nunc sunt in honore vocabula si volet usus. Nunc quoniam loquendi ratio non a vulgo sed ex eruditorum monumentis petitur, non est eadem consuetudinis autoritas. Inusitata tamen videri possunt quae rarius occurrunt apud eos autores qui frequentius teruntur ab eruditis. 12 See J. Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Erasme, 2, Paris, 1981, p. 399-403. 13 Erasmus, Opus Epistolarum, 12 vols., ed. P. S. Allen, H. M. Allen, and H. W. Garrod, Oxford, 1906-58, I, p. 332.41-45 (= ep. 141); and II, p. 214.115-18 (ep. 396).

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he could turn on a dime and deny Jerome’s authority as a doctor dicendi14. Nor did he treat Ambrose any more kindly15. As Erika Rummel has shown16, though he never explicitly said so, in his battle with Stunica, Erasmus rejected both archaic writers such as Plautus and Terence and the Christian writers as probati autores. He also slighted Silver Age authors such as Pliny and Suetonius. He effectively limited the probati autores to Golden Age Latinity. In short, when it served his purposes, Erasmus came close to the position of the moderate Ciceronians. Indeed, in the De Pronuntiatione of 1528 and in the last edition of his De Copia in 1534, he endorsed the notion of the Ciceronian golden age of Latin, though in both works he also swipes at the Ciceronians for their rigidity17. As several modern scholars have noted, Erasmus was himself guilty for much of his career of the «paganizing» faults for which he condemned the Ciceronians18. As one of his Renaissance opponents, Étienne Dolet, pointed out, it ill behooved Erasmus to carp about the excessive classicizing of the Ciceronians when in his translation of the start of St. John’s Gospel he changed the Verbum of the

14 In his Apologia against Zuñiga, to justify his rejection of the word gemina, which he mistakenly thought Jerome had used in his translation of the Bible, Erasmus asserted : Equidem pono Hieronymum inter probatos autores rei theologicae, ut dicendi certum doctorem non accipio (Apologia respondens ad ea quae Iacobus Lopis Stunica taxaverat in prima duntaxat Novi Testamenti, ed. H. J. de Jonge, in Erasmus, Opera Omnia, IX-2, Amsterdam, 1983, p. 86.557-58). I owe this reference to J. Ijsewijn, Companion to Neo-Latin studies. Part I, Leuven, 1990, p. 32. See also E. Rummel, «Probati autores» as models of the biblical translator, in I. D. McFarlane, ed., Acta Conventus Neo-Latini Sanctandreani. Proceedings of the fifth international Congress of Neo-Latin studies. St Andrews 24 August to 1 September 1982, Binghamton (N.Y.), 1986, p. 121-27, at p. 125, who cites the passage but not the reference to Jerome. 15 See his Epistola Apologetica adversus Stunicam, in his Opera Omnia, ed. J. Clericus, 10 vols., Leiden, 1703-06, IX, col. 391-400, at col. 395 B : Sed Ambrosius sic loquitur. Quid ni? Referens Scripturae verba. Nec statim Latinum est si quid dixit Ambrosius. 16 Rummel, «Probati autores»... cit. n. 14. 17 See De Recta Latini Graecique Sermonis Pronuntiatione, ed. M. Cytowska, in Opera Omnia, I-4, Amsterdam, 1973, p. 99.884-87 for the Golden Age concept and ibid., p. 99.887-91 for criticism of the Ciceronians; and De Duplici Copia, ed. B. I. Knott, in Erasmus, Opera Omnia, I-6, Amsterdam, 1988, p. 46.375-86, on the Golden Age; see n. 26 below for his anti-Ciceronianism remarks. 18 See Gambaro, in his introduction to Erasmus, Il Ciceroniano... cit., p. LXXX-LXXXI; M. Magnien, in his introduction to his edition of Julius Caesar Scaliger, Oratio pro M. Tullio Cicerone contra Des. Erasmum (1531). Adversus Des. Erasmi Roterdom. Dialogum Ciceronianum Oratio Secunda (1537), Geneva, 1999, p. 19-20. For instance, as Gambaro points out, in his letters Erasmus had no compunction in referring to the divine power as caelites, superi, and dii.

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Vulgate for the more refined Sermo19. It is possible that it was Erasmus whom Edmund Campion had in mind when he cited passio as a Christian term which should not be changed by Latin purists to something more classical 20. In his translation of the New Testament Erasmus in fact changed every instance of the word passio in the Vulgate to afflictio or something else more classical 21. Thus in some instances, Erasmus was more classicizing, or, if one wishes, more paganizing, in his Latin than the Ciceronians 22. In Antibarbari, first printed in 1520, but whose text goes back to 1494 or 1495, Erasmus defended someone calling himself Ciceronianus and has his mouthpiece in the dialogue confess that he enjoys Cicero as much as the «theological» poets of antiquity 23. Indeed, in the early 1520s, if any thing, Erasmus became increasingly appreciative of Cicero 24. Then suddenly a new attitude took over in 1524. Why? The common explanation, that he suddenly became aware of the religious danger of Ciceronianism, is rank nonsense. Amour-propre, and not religious insight, caused the volte-face. The dates of events leading up to the Ciceronianus make this clear. Erasmus first encountered Italian Ciceronians in his visit to Italy in 1506-09 25. After returning north, he criticized them briefly in his De Duplicia Copia of 1512 26. Then, in his edition of St. Jerome in 19 E. V. Telle, L’Erasmianus sive Ciceronianus d’Étienne Dolet (1535), Geneva, 1974, p. 19 (Dolet), p. 308.22 (commentary). 20 Roberti Turneri Posthuma... cit. n. 1, Part 2, p. 79. 21 For the 18 instances of passio listed in F. P. Dutripon, Bibliorum sacrorum concordantiae, 8th ed., Paris, 1880; reprint Hildesheim, 1976, Erasmus used afflictio for all but Acts 1:3, Rom. 7:5, and 1 Thess. 4:5, where he used affectus; Rom. 1:26, where he used cupiditas; and Hebr. 2:9, where he used cruciatus. 22 To give one more example, see Rummel, «Probati autores»... cit. n. 14, p. 124 on his wish to change the Vulgate’s benedictus to laudandus. 23 See Erasmus, Opera omnia, I-1, ed. K. Kumaniecki, Amsterdam, 1969, p. 81.15-16, and p. 96.16-17 (but correct the punctuation to read : habebantur iidem qui poetae, et ingenue etc.). 24 In the Convivium Religiosum of 1522, he virtually attributed divine inspiration to Cicero (Colloquia, ed. L.-E. Halkin, F. Berlaire, R. Hoven, in Erasmus, Opera Omnia, I-3, Amsterdam, 1972, p. 251.621-23); in the preface to his 1523 edition of the Tusculan Disputations, he praised Cicero as a protoChristian and confessed a growing affection for his style (Opus Epistolarum..., V : p. 337-41, ep. 1380). On Erasmus’s enthusiasm for Cicero in this period see G. Vallese, Les lettres-préfaces au «De Officiis» et aux «Tusculanes», in Colloquia Erasmiana Turonensia, Paris, 1972, I, p. 241-46; and C. Béné, Érasme et Cicéron, ibid., II, p. 571-79. 25 See P. de Nolhac, Erasme en Italie : étude sur un épisode de la Renaissance, Paris, 1898; A. Renaudet, Érasme et l’Italie, Geneva, 1954, p. 41-109. 26 See De Duplici Copia... cit. n. 17, p. 68.881-83 : Qua quidem in re longe lateque dissentio ab his qui vocem omnem ceu barbaram horrent quam apud M. Ciceronem non legerint. In the last edition of 1534 he added a section in which he repeated this criticism (ibid., p. 46.388-91).

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1516, he openly mocked them at several points 27. Two years later the Roman professor Battista Casali drafted an invective against Erasmus in which he rebuked the Dutchman for his attacks upon Cicero and the Italian Ciceronians, but this attack never was published and remained unknown to Erasmus 28. But in 1524 Erasmus first received news that Roman Ciceronians were criticizing his Latin 29 ; and in 1525 he learned that Ciceronians at Padua were also finding fault with his Latin 30. In mid-1526, a friend wrote that Ciceronianism had made Italians despise Erasmus; in fact the Bolognese professor Lazzaro Bonamico had become a virtual Erasmiomastix 31. From Spain in late 1526 and early 1527 he got word that Italian Ciceronians there were blackening his name and praising to the sky Erasmus’s recently deceased compatriot, the arch-Ciceronian Christophe Longueil 32. Not surprisingly, by early 1526 Erasmus was complaining about the appearance in Italy of the wicked sect of the Ciceroniani, who with their paganism were doing as much evil in Italy as the Lutherans in Germany 33. Even earlier, in June 1525, he had already condemned the Italian humanists for their paganism 34. So the pivotals dates were 1516 for the Italian

27 See his Opus Epistolarum, II, p. 214-15, ep. 396; and p. 56-57, ep. 326; and Erasmi Opuscula. A supplement to the Opera omnia, ed. W. K. Ferguson, The Hague, 1933, 183, p. 186-87, and 188-89. I note that already in 1516 Erasmus had also hit upon one of his chief arguments in the Ciceronianus of 1528, namely, that a true Ciceronian is one who speaks best (optime dicere) and not one who apes Cicero; contrast Hieronymi Vita, in Erasmi Opuscula, p. 187.1439-40 : Siquidem quid aliud est esse Ciceronianum quam optime dicere and Ciceronianus, ed. Mesnard, p. 653.14 sq.; ed. Gambaro, p. 184.2594 sq. 28 See my Erasmus, the Roman Academy, and Ciceronianism : Battista Casali’s invective, in Erasmus of Rotterdam Society Yearbook, 17, 1997, p. 19-54. 29 Erasmus, Opus Epistolarum, V, p. 514-21 (ep. 1479), dated 31 August 1524, where Erasmus responds to a lost letter of Haio Herman from Rome. 30 Ibid., VI, p. 143-46 (ep. 1595), dated 23 August 1525, from Thomas Lupset in Padua. 31 Ibid., VI, p. 356 (ep. 1720), dated 6 June 1526. 32 Ibid., VI, p. 395 (ep. 1742), dated 1 September 1526, and p. 471-75 (ep. 1791), dated 13 March 1527. 33 Ibid., VI, p. 328-29 (ep. 1701), dated 29 April 1526; 6 : p. 336 (ep. 1706), dated ca. 6 May 1526, and p. 354 (ep. 1719), dated ca. 6 June 1526; 6 : p. 345 (ep. 1713), dated 16 May 1526; 7 : p. 16 (ep. 1805), dated 30 March 1527; p. 167 (ep. 1875), dated 2 Sept. 1527; p. 194 (ep. 1885), dated 13 Oct. 1527. For Erasmus’s fortuna in Italy see in general S. Seidel Menchi, Erasmo in Italia, 15201580, Turin, 1987, which is far more comprehensive, but does not totally supercede the classic studies of Nolhac and Renaudet cited in n. 25 above. 34 Opus Epistolarum, VI, p. 90.115-17 (ep. 1581 to Noël Beda) : ...ut inciperent et bonae literae sonare Christum, quae quam apud Italos hactenus nihil aliud quam paganismum crepent ipse non ignoras. I owe this reference to Gambaro, in his introduction to Il Ciceroniano... cit., p. XXVI-XXVII.

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Ciceronians and 1524 for Erasmus. What is interesting is that from 1525 on Erasmus began to condemn his Ciceronian critics for their paganism and not simply their stylistic rigidity. Despite those who wish to see in the Ciceronianus a serious religious text 35, Erasmus had clearly lost all sense of proportion in the matter. Similarly, in 1526, he privately described the pious laymen Alberto Pio, Prince of Carpi, and his supposed accomplice Cardinal Girolamo Aleandro, as heading «that pagan band of scholars in Rome» who were scheming against him, though in fact Pio was complaining not about Erasmus’s Latin, but about his theology 36. «Pagan» had become a convenient term for Erasmus with which to smear his critics. It cannot be taken any more seriously than Erasmus’s pose in the Ciceronianus as the opponent of the Latin purists who scorned the barbarisms of Thomas, Scotus, Durand, and Bonaventure 37. Moreover, Erasmus applied the smear quite selectively. In March 1528, he took his revenge upon his literary critics by published the Ciceronianus, in which, inter alia, he laid the charge of paganizing at the feet of the Ciceronians 38 and caricatured Longueil, who, Erasmus had learned from the Longolii Vita of 1524, had spent five years reading only Cicero 39, as Nosoponus who spent seven years reading only Cicero 40. Yet, in the preface to the 1529 edition of the Ciceronianus, he was disingenuous enough to claim that he and the former papal secretary and future cardinal Pietro Bembo disagreed hardly at all 41. Bembo was the leading Ciceronian theorist of the day 42, who, as the Longolii Vita specifically tells us, had 35 See, e. g., P. Mesnard, La religion d’Érasme dans le «Ciceronianus», in Revue thomiste, an. 1968, p. 267-72; more sensible is Gambaro, Il Ciceroniano, p. LXXXIII : «non gli [ciceronianismo] si possono mettere a carico tutte le imputazioni di cui l’investe Erasmo.» More forcible is J. M. Nùñez González, El Ciceronianismo en España, Salamanca, 1993, p. 172 : «Acusaciones como las de paganismo non parecen tener más razón que la acumulación de argumentos.» 36 Opus Epistolarum, VI, p. 354.34-35 (ep. 1919, dated, ca. 6 June 1526) «Romae paganum illud eruditorum sodalitium». See C. L. Heesakkers, Erasmus’s suspicions of Alexander as the instigator of Alberto Pio, in McFarlane, Acta Conventus... cit. n.14, p.371-83. 37 Ciceronianus, ed. Mesnard, p. 640.2-6 ; p. 661.2-5 ; ed. Gambaro, p. 136.1867-72; p. 212.3033-37. 38 Ibid., ed. Mesnard, p. 640-47; ed. Gambaro, p. 138-52. 39 C. Longueil, Orationes Duae, Florence, 1524; reprint Farnborough, 1967, with the title Opera, f. 5r : Cuius [sc., Petri Bembi] consilio et authoritati tantum tribuit ut quinque annos continuos ab ea cohortatione nullum alium authorem Latinum in manibus haberet, nullum legeret praeter unum Ciceronem. 40 Ciceronianus, ed. Mesnard, p. 609.7-8; ed. Gambaro, p. 20.164-66. 41 ...haud ita multum a me dissentit(Ciceronianus, ed. Mesnard, p. 604.16; ed. Gambaro, p. 328.134-35). 42 His famous exchange with Gianfrancesco Pico della Mirandola is available in G. Santangelo (ed.), Le epistole «De imitatione» di Giovanfrancesco Pico della

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encouraged Longueil to read no Latin author save Cicero 43, whose personal life left much to be desired 44, and whose well know propensity to classicize Christian diction resulted in his publishing shortly before Erasmus’s death a notorious collection of model papal letters, where he significantly altered the originals, eliminating traditional Christian technical terms and phrases, for no other purpose than to introduce a more classical vocabulary 45. Erasmus was cruel to the innocuous Longueil, but almost unctuous in his dealings with the influential Bembo 46. Nor could the charge of paganizing stick with Longueil’s other well known Ciceronian patrons, the future cardinals Jacopo Sadoleto and Reginald Pole, the goodwill of both of whom Erasmus cultivated 47. Mirandola e di Pietro Bembo, Florence, 1954. Scott, Imitation of Cicero... cit. n. 8, Part II, p. 1-18, translated into English Pico’s first letter and Bembo’s reply. 43 See n. 39 above. The larger context of the passage cited there runs : Quod vero genus scribendi nutraverit id Petri Bembi consilio... Ille enim cum Longolio amicissimus esset... dolere se apud eum saepe testatus est quod... negligeret tamen eam partem emendate et Latine loquendi quam M. Cicero eloquentiae Romanae parens solum et quasi fundamentum oratoris esse indicavit.... Magnopere igitur est cohortatus ut totam suam dictionem ad praestantem illam Ciceronis dicendi formam revocaret.... Cuius consilio etc. 44 Bembo had taken his solemn vows as a Knight of St. John in December 1522 in order to maintain his benefices. Nonetheless, thereafter, between 1523 and 1528, the year the Cicernonianus was published, he had three children by his mistress. As C. Dionisotti put it in Bembo, Pietro, in Dizionario biografico degli italiani, VI, Rome, 1966, p. 133-51, at p. 141 : «il loro legame, benché non ostentato, certo non era segreto.» 45 See A. Ferrajoli, Due lettere inedite di Francesco Berni, in Giornale storico della letteratura italiana, 45, 1905, p. 66-73, at 72 n. 2; L. Pastor, The history of the popes from the close of the Middle Ages, 3rd ed., tr. R. F. Kerr, VIII, London, 1950, p. 482-511 (Appendix 22. The «Leonine Letters» of P. Bembo); and V. Cian’s review of the original German edition of this volume of Pastor in Giornale storico della letteratura italiana, 52, 1908, p. 429-35, at p. 433-34 46 Not only was Erasmus generous with his praise of Bembo’s Latin in the Ciceronianus (ed. Mesnard, p. 697.27-698.4; ed. Gambaro, p. 272.3957-273.3964) but when he began a correspondence with Bembo he even played the country bumpkin, apologizing for the litterae neglecte scriptae by a homo Batavus such as he (Erasmus, Opus Epistolarum... cit., IX, p. 388, ep. 2290, dated 25 March 1530). He also bragged of his friendship with Bembo (ibid., IX, p. 190, ep. 2453, dated 15 March 1531; X, p. 55, ep. 2682, dated ca. 5 July 1532; XI, p. 96, ep. 3002, dated ca. March 1535; XI, p. 108, ep. 3005, dated 18 March 1535; and XI, p. 178, ep. 3032, dated ca. August 1535). But they also each threw little challenges at each other; in his first letter to Bembo, Erasmus made sure to insert a Greek neologism of which Bembo would not have approved (grammatophorus in ep. 2106, dated 22 Feb. 1529, at IX, p. 65.15), while in his response Bembo slipped in a classicizing Deus Optimus Maximus (ep. 2144, dated 4 April 1529, at IX, p. 131.37-38). 47 In the Ciceronianus, Erasmus had this to say about Pole (ed. Mesnard, p. 679.2; ed. Gambaro, p. 238.3451-52) «Ciceronis admirator summus et aemulator non infelix.» And concerning Sadoleto (ed. Mesnard, p. 698.4-11; ed. Gambaro, p. 274.3964-72) : At Iacobus Sadoletus... non adeo affectat haberi

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Of course one might say that Erasmus’s aim was not to criticize any particular individual, but rather to warn of the danger that Ciceronianism presented to Christian language and therefore to the very essence of Christian belief and devotion 48. However, as we have noted, he himself could have been charged with the same crime. Furthermore, if one means the paganizing language of the Roman literati, one needs, first of all, to make allowances for differences of sensibility. The language of Jacopo Sannazaro’s De Partu Virginis may have offended Erasmus 49, but Sannazaro’s piety is beyond doubt; and his epic is a noble work, «a profound meditation», as one critic put it 50. Its great popularity in Counter-Reformation Italy, France, and Spain and even in Protestant areas suggests that Erasmus was overreacting 51. Even the anti-Ciceronian Francesco Florido, who defended in print Erasmus’s Ciceronianus against Étienne Dolet, chided Erasmus for misunderstanding Sannazaro 52. Erasmus overreacted, as well, in criticizing the poets and scholars Ciceronianus ut non personae decorum tueatur... dixit potius qui eo modo dixit quo probabile est iisdem de rebus, si viveret, dicturum esse Ciceronem, hoc est, Christiane. For Erasmus’s relationship with both see s.v. vol. 12 (index) of Erasmus, Opus Epistolarum. For Pole and Longueil see G. B. Park, Did Pole Write the ‘Vita Longolii’, in Renaissance Quarterly 26, 1973, p. 274-85, who did not know the suggestion mentioned by A. Schottus, Tulliarum Quaestionum de Instauranda Ciceronis Imitatione Libri III, Antwerp, 1610, p. 29, that Simon de Neufville (Villanovanus) wrote the biography. For Sadoleto see his letters to Longueil in the latter’s Orationes, f. 161v-163r; and P. A. Becker, Christophe de Longueil : Sein Leben und sein Briefwechsel, Bonn, 1924, p. 40, 90-91, and 96-97. Cf. also Longolii Vita in Longueil, Orationes Duae, f. 6v-7r. 48 See, for instance, G. Chantraine, Langage et théologie selon le «Ciceronianus» d’Érasme, in R. J. Schoeck (ed.), Acta Conventus Neo-Latini Bononiensis : proceedings of the fourth international Congress of Neo-Latin studies. Bologna 26 August to 1 September 1979, Binghamton (N.Y.), 1985, p. 216223, at p. 219 : «On peut observer que les membres du Club de Rome auxquels il fait allusion sont chrétiens.... Cependant, à nos yeux, l’essentiel du Ciceronianus n’est pas dans sa véracité historique... Érasme a détecté la tentation du paganisme que le logos humain porte en lui.» 49 Erasmus, Ciceronianus, ed. Mesnard, p. 700.18-702.11; ed. Gambaro, p. 276.4019-282.4095. 50 J. Tylus, Sannazaro, Jacopo, in P. Grendler (ed.), The encyclopedia of the Renaissance, 6 vols., New York, 1999, IV, p. 394-96, at 395 col. 1; see also M. Deramaix, La genèse du «De partu Virginis» de Jacopo Sannazaro et trois églogues inédites de Gilles de Viterbe, in Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 102, 1, 1990, p. 173-276; and D. Quint, Origin and originality in Renaissance literature : versions of the source, New Haven, 1983, p. 69-80. 51 See I. Sannazaro, De Partu Virginis, ed. C. Fantazzi and A. Perosa, Florence, 1988, p. XCVII-CXIII. An edition that appeared at Amsterdam in 1689 even included antipapal epigrams (p. CXI). 52 See Telle, L’Erasmianus... cit. n. 19, p. 84-85; R. Sabbadini, Vita e opere di Francesco Florido Sabino, in Giornale storico della letteratura italiana 8, 1886, p. 333-63, at p. 348-49.

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associated with the Roman Academy in the early sixteenth century. To see this, one just has to peruse their most notable common venture, the Coryciana, the collection of poems published in 1524, which focused on a statue by Andrea Sansovino of the Virgin, St. Ann, and the Christ Child 53. No less significantly, what Erasmus implied was a common occurance, namely, the paganizing Good Friday sermon he said he once heard in Rome, was, in fact, extraordinarily rare, if it happened at all. We know from John O’Malley that no such sermon has survived 54 ; and in the two instances where we have even a hint of a paganizing sermon, the preachers provoked general disapproval at Rome 55. Even one of fiercest Ciceronian critics of Erasmus, Julius Caesar Scaliger, specifically condemned Bembo’s use of the pagan word for a demigod, Heros, in his poem Benacus to denote Christ, and he consciously avoided paganizing formulas such as Jupiter Optimus Maximus when referring to the Christian God 56. Erasmus had lost all sense of proportion. He had become paranoid about the Ciceronianism in general and about marginal aspects of Ciceronianism in specific. Not only could he make the absurd assertion in the later 1520s that the Ciceronians in Italy were doing as much damage as the Lutherans in Germany 57, but even as late as a letter written a month before he died in 1536, he was still railing against Ciceronianism as the work of Satan 58. On the matter of

53 See J. Ijsewijn, Puer Tonans : De animo christiano necnon pagano poetarum, qui Coryciana (Romae 1524) conscripserunt, in Quid muto altera alteri suppeditaverint antiqua Roma et religio christiana, Rome, 1988, (Academiae Latinitati Fovendae Commentarii, 12) p. 35-46. The Coryciana is now available in a critical edition by J. Ijsewijn, Rome, 1997. In general also see J. F. D’Amico, Renaissance Humanism in papal Rome : humanists and churchmen on the eve of the Reformation, Baltimore, 1983, in the index under «Roman Academy.» 54 J. W. O’Malley, Praise and blame in Renaissance Rome : rhetoric, doctrine, and reform in the sacred orators of the papal Court, c. 1450-1521, Durham (N.C.), 1979; also see 30 n. 94 for his argument that Seidel Menchi, Alcuni atteggiamenti della cultura italiana di fronte a Erasmo, in Eresia e riforma nell’Italia del Cinquecento. Miscellanea I, Florence-Chicago, 1974, p. 106-07 n. 169, was wrong to propose Battista Casali and Tommaso Inghirami as the preachers Erasmus specifically had in mind. 55 See K. Gouwens, Ciceronianism and collective identity : defining the boundaries of the Roman Academy, 1525, in Journal of Medieval and Renaissance Studies, 23,2, 1993, p. 173-95; and O’Malley, Praise and Blame... cit. n. 54, p. 31. 56 See J. C. Scaliger, Poetices Libri Septem, Lyon, 1561; reprint Stuttgart, 1964, p. 309 C (Bk. 6, c. 4); see also Magnien in Scaliger, Orationes Duae, p. 29293, 295. 57 See n. 33 above. 58 Erasmus, Opus Epistolarum, XI, p. 334 (ep. 3127), dated 6 June 1536 : Nec dubium est quin haec organa moveat Satanas... Hoc lucelli Satanas Christo invidens instigat istos.

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Ciceronianism, Erasmus was a sixteenth-century Chicken Little, running around telling all who would listen that the sky was falling. After Erasmus, the Ciceronians continued to have their opponents and even their rivals in the form of imitators of Apuleius, Seneca, and Tacitus; but the fact that there were at least 68 editions of Mario Nizolio’s Ciceronian dictionary in the hundred years after its publication in 1535 59, to cite just one piece from a great mass of evidence, proves that Ciceronianism thrived for the whole of the Renaissance. The Jesuits were undoubtedly the most powerful force for the maintenance of Ciceronianism in Catholic Europe. But Ciceronianism thrived among Protestants as well. Philip Melanchthon, the right-hand man of Martin Luther and admiring correspondent of Erasmus, is a case in point. He came to the defense of Erasmus against Dolet when Erasmus was alive 60, but in the definitive 1542 edition of his Elementa Rhetorices after Erasmus’s death he clearly showed himself a Ciceronian 61. Starting with the two standard premises of the Ciceronians, that Latin could only be gotten from classical texts and that Latin had reached perfection in the aetas Ciceronis, Melanchthon prescribed the special imitation of Cicero (specialis quaedam imitatio Ciceronianae compositionis) 62 and chided Angelo Poliziano (he could not bring himself to criticize Erasmus) for discouraging students from the imitation of Cicero 63. Like the Jesuits and, in fact, like most Ciceronians, Melanchthon accepted specifically Christian vocabulary on the principal that new things demand new words 64. But not all Ciceronians gave up the attempt to classicize Christian vocabulary, most notably the Protestant humanist Sebastiano Castellio, who in his translation of the Bible replaced angelus with genius, fides with confidentia, baptismus with lavacrum, 59 G. Pagani, Mario Nizzoli ed il suo lessico Ciceroniano, in Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, ser. 5, vol. 2, 1893, p. 554-75, at p. 567; and Q. Breen’s introduction to his edition of M. Nizolio, De Veris Principiis et Vera Ratione Philosophandi contra Pseudophilosophos, Rome, 1956, I, p. XXIII-XXV. 60 See Telle, L’Erasmianus... cit. n. 19, p. 27-34. 61 He published the second edition at Wittenberg in 1542; the text is available in his Opera omnia, ed. C. G. Bretschneider, 13, Halle, 1846, col. 413-506. 62 Ibid., p. 492-504 (De Imitatione). 63 Ibid., p. 496 : Nam Politianus parum liberaltier facit, qui videtur ideo deterrere alios ab imitatione Ciceronis... atque ego vel obscura lineamenta Ciceronis malim quam nativam Politiani aut Gellii faciem. 64 Ibid., p. 462 : Fugienda est in sermone pereginitas, et illam licentiam gignendi novum sermonem, nullo modo permittamus nobis.... Tametsi alicubi pereginis vocabulis utendum est. Alia forma nunc est imperii; religio alia est quam Ciceronis temporibus. Quare propter rerum novitatem interdum verbis novis ut convenit, quae tamen usus mollivit, quem penes arbitrium est, et vis et norma loquenidi.

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God the Father with Jove, and so forth 65. One of the most learned of the first generation of Protestant scholars was Joachim Camerarius. His De Imitatione of 1538 shows that he was one of the more thoughtful of the Ciceronians 66. Labelling as pure calumny Erasmus’s description of Ciceronians as apish imitators who would read only Cicero, 67 he pointed that if Erasmus really believed in his argument from anachronism then we all should stop using Latin 68. Indeed, all discussions of modern things in Latin is a form of translation 69. However, inasmuch as impiety derives from behavior and belief, it is silly to condemn Ciceronians for merely translating Christian things into a pure, classical Latin 70. Camerarius did not approve of Étienne Dolet’s polemical tone in refuting Erasmus’s Ciceronianus 71, but Camerarius’s wholesale reject of Erasmus did not differ substantially from Dolet’s, even to the extend of being very hostile to neologisms 72. One might call the influential Protestant educational authority Johann Sturm a mitigated Ciceronian. In comments on imitation in 1543 and in a treatise in 1574 on oratorical imitation, he held Cicero up as the prime model, the optimus without peer, for students of Latin 73 ; but he would not make him the sole model, even in oratory.

65 See The Cambridge History of the Bible, III, ed. S. L. Greenslade, Cambridge, 1963, p. 72 and 207; H. Liebing, Die Schriftauslegung Sebastian Castellios, dissert., Tübingen, 1953, available in Id., Humanismus, Reformation, Konfession : Beiträge zur Kirchengeschichte, ed. W. Bienert and W. Hage, Marburg, 1986, p. 11-124, at p. 97; and H. R. Guggisberg, Sebastian Castellio, 1515-1563 : Humanist und Verteidiger der religiösen Toleranz im konfessionellen Zeitalter, Göttingen, 1997, p. 56-58, 73-75. 66 The De Imitatione takes up p. 22-151 of his Commentarii in M. T. Ciceronis Tusculanam Primam, sive de Morte, Basel, 1538; see H.-B. Gerl, «De Imitatione» von Camerarius. Die Wichtigkeit der Nachahmung für humanistische Anthropologie und Sprachtheorie, in F. Baron (ed.), Joachim Camerarius (15001574), Munich, 1978, p. 187-97 67 Camerarius, Commentarii... cit. n. 66, p. 33 and 45. 68 Ibid., p. 34 : Quod si haec lex sanciatur, desinamus Latinitatem affectare. 69 Ibid. 70 Ibid., p. 38-42. 71 Ibid., p. 145 (unius Doleti furiosum scriptum). 72 Ibid., p. 64 sq. 73 See H. Gmelin, Das Prinzip der Imitatio in den romanischen Literaturen der Renaissance, in Romanische Forschungen, 46, 1932, p. 98-173, at p. 348, for the comments on imitation in his De Amissa Dicendi Ratione et Quomodo Ea Recuperanda Sit, which carries a dedication date of 1543 and which first appeared as an appendix to his In Partitiones Oratorias Ciceronis Dialogi Duo, Strasbourg, 1563. See also his De Imitatione Oratoria Libri Tres, Strasbourg, 1574. In Bk. 1, c. 4 (sign. B 4r), in answer to the question Qui imitandi sint? (in oratory), he listed Cicero first, and then the speeches in Livy, Quintilian’s Declamationes, and Pliny the Younger’s Panegyricus; see also Gmelin, Das Prinzip, p. 348-50.

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Nonetheless, despite his assertion that non unus imitandus 74, the whole thrust of Sturm’s tuition was to encourage the imitation of Cicero 75. This is obvious from his most important follower, the English educator Roger Ascham. In a letter of 1568 to Sturm and in his Scholemaster of 1570, Ascham took exception with Erasmus for treating Longueil so roughly 76. Ascham especially recommended to his English readers the treatises on imitation of the Ciceronians Cortesi, Bembo, Melanchthon, and Camerarius 77. Not surprisingly, Ascham also admired the Portuguese bishop and Ciceronian Osório da Fonseca 78. Osorius was part of the large tide of Catholic Ciceronianism. We have already seen the treatises on Ciceronian imitation mentioned by Ascham. But there were many others authors of such treatises, including the Italians Giovambattista Giraldi 79 and Bartolomeo Ricci 80, the German jurist Iacobus Omphalius 81, the Dutch humanist Antonius Schorus 82, and the Hungarian scholar and future Imperial librarian Iacobus Sambucus 83. De Imitatione Oratoria... cit. n. 73, sign. B 5r. See the preface to his edition of Cicero’s Orations, Strasbourg, 1563, where he tries to establish a middle ground between Erasmus and Longueil by condemning extreme Ciceronianism while urging the imitation of Cicero; see also G. Codina Mir, Aux sources de la pédagogie des Jésuites : Le «Modus Parisiensis», Rome, 1968, p. 222, 227, 230-31; and A. Schindling, Humanistische Hochschule und freie Reichsstadt : Gymnasium und Akademie in Strassburg 15381621, Wiesbaden, 1977, p. 220.. 76 Roger Ascham, Whole Works, 3 vols. in 4, London, 1864-65 (reprint New York 1965), I.2 : p. 186-87, where he also wonders why the Italian Ciceronian Paolo Manuzio was so hard on Longueil; and III, p. 221-22. 77 Ibid., III, p. 222-25. 78 Binns, Ciceronianism in sixteenth century England... cit. n. 3, p. 202-04. 79 His Epistola of 1532 on imitation to Celio Calcagnini was printed as part of his Poemata at Basel in 1540. It can be read in B. Weinberg (ed.), Trattati di poetica e retorica del Cinquecento, I, Bari, 1970, p. 196-206. Calcagnini’s response is in ibid., p. 206-20. 80 Bk. 1 of his De Imitatione Libri Tres was edited by Weinberg, Trattati, I, p. 415-49, from the editio princeps of Venice, 1545; see Gmelin, Das Prinzip... cit. n. 73, p. 350-56 81 De Elocutionis Imitatione ac Apparatu Liber Unus, Paris, 1537; see Telle, L’Erasmianus... cit. n. 19, p. 445, for this edition and Gmelin, Das Prinzip... cit. n. 73, p. 331-33. 82 See his De Ratione Discendae Docendaeque Linguae Latinae et Graecae Libri Duo. I used the edition of Strasbourg, 1549; see especially sign. ** 3v-4r. Schorus also prepared a Thesaurus Verborum Linguae Latinae Ciceronianae, which was printed several times in the sixteenth century. In his Phrases Linguae Latinae Ratioque Observandorum Eorum in Auctoribus Legendis (I used the edition of Cologne, 1595), he assured the reader, sign. 5r, that unum Ciceronem tanquam praestantissimam ducem in his observantionibus sum secutus. 83 De Imitatione a Cicerone Petenda Dialogi Tres, Paris, 1561; I used the 74 75

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Among the Spanish, the Ciceronians dominated. Juan Luis Vives may have supported Erasmus, but he lived in the Netherlands 84. In Spain proper, it was a different story. In the 1520s, for instance, the prolific humanist author Juan Maldonado felt no contradiction in proclaiming himself a strict Ciceronian and an admirer of Erasmus 85. By the 1540s, however, Maldonado was advertizing his admiration of Longueil while advising students not to read Erasmus 86. In the second half of the century, a whole string of Spanish cultural leaders, such as Honorato Juan 87, Lorenzo Palmireno 88, Francisco Sánchez de las Brozas 89, Juan Ginés de Sepùlveda 90, Jerónimo Zurita 91, and Antonio

edition of Antwerp, 1563; see Gmelin, Das Prinzip... cit. n. 73, p. 356-58. Interestingly enough, to make the point of how difficult it is to catch exactly the propriety of a language even if one’s grammar is correct, Sambucus used examples from the vernacular, in this case, German and Italian, as hypothetically spoken by foreigners (ed. cit., sign. B 5v-6r). 84 See his letter of 1 October 1528 from Bruges congratulating Erasmus on the Ciceronianus; Erasmus, Opis Epistolarum, VII, p. 512-14, ep. 2061. In later years he clearly opposed Ciceronianism; see E. Asensio, Ciceronianos contra erasmistas en España : Dos momentos (1528-1560), in Revue de littérature comparée, 52, 1978, p. 135-54, at p. 146-48 ; J. M. Nuñez Gonzalez, El Ciceronianismo en España, Valladolid, 1993, p. 46-53; and E. V. George, Rhetoric in Vives, in Juan Luis Vives, Opera omnia, I, Valencia, 1992, p. 113-77, especially p. 150. 85 See Asensio, Ciceronianos... cit. n. 84, p. 139-46. Maldonado’s text, Praenesis ad Politiores Literas adversus Grammaticorum Vulgum appeared in 1529, the year after Erasmus’ Ciceronianus, but, as Asenio points out, Maldonado seems not to have known the latter work when he wrote the Praenesis. 86 Ibid. On Maldonado see also M. Bataillon, Érasme et l’Espagne, 2nd ed., 3 vols., Geneva, 1991, I, ad indicem; but Ciceronianism itself plays no significant role in Bataillon’s book. 87 Asensio, Ciceronianos... cit. n. 84, p. 148-49. 88 Ibid., p. 149-153 ; and M. Menéndez y Pelayo, Apuntes sobre el ciceronianismo en España, y sobre la influencia de Cicerón en la prosa latina de los humanistas españoles, in his Bibliografía hispano-latina clásica, now to be read in Edición nacional de las obras completas de Menéndez Pelayo, XLIV-LIII, Santander, 1950-1953, XLVI, p. 93-100; Nuñez Gonzalez, El Ciceronianismo en Espana... cit. n. 84, p. 83-87. 89 Menéndez y Pelayo, Bibliografía hispano-latina clásica... cit., XLVI, p. 238, 239-41; Nuñez Gonzalez, El Ciceronianismo en Espana... cit. n. 84, p. 103-23; 16268. 90 Menéndez y Pelayo, Bibliografía hispano-latina clásica... cit., XLVI, p. 25157; Nuñez Gonzalez, El Ciceronianismo en Espana... cit. n. 84, p. 54-61; see also Bataillon, Érasme et l’Espagne... cit. n. 86, I, p. 440-43 and 456-60. 91 Asensio, Ciceronianos... cit. n. 84, p. 153-54; Nuñez Gonzalez, El Ciceronianismo en Espana... cit. n. 84, p. 70-75 (his dispute with Agustín); Menéndez y Pelayo, Bibliografía hispano-latina clásica... cit. n. 88, XLVI, p. 11416.

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Agustín 92 aggressively placed themselves in the Ciceronian camp 93. Even before the creation of the Jesuits, Cicero dominated the curriculum of the new humanist colleges 94. What the Jesuits did was to insure the continuity of this dominance 95. By 1562 they had their first standard rhetorical textbook, Cipriano Soarez’s De Arte Rhetorica Libri Tres ex Aristotele, Cicerone, et Quintiliano praecipue deprompti 96. Soarez emphasized, but did not make Cicero the sole model of style. But as early as 1557 we find the first rector of the Jesuit college in Cologne instructing his staff that ad imitandum vero unicum Ciceronem proponetis 97, a sentiment echoed by the order’s Regulae Praeceptorum of 1558 98. Though it would be a mistake to suppose that all Jesuits were Ciceronians, certainly in the second half of the sixteenth century, Jesuits such as Francesco Benci 99,

92 Asensio, Ciceronianos... cit. n. 84, p. 153-54; Nuñez Gonzalez, El Ciceronianismo en Espana... cit. n. 84, p. 65-75; and Menéndez y Pelayo, Bibliografía hispano-latina clásica... cit. n. 88, XLI, p. 107-14. 93 Even Alfonso Garcia Matamoros, the long-time teacher at Alcalá who admired Erasmus and criticized the Ciceronians, advocated making Cicero the sole model of Latin where possible; for his support of Erasmus and criticism of the Ciceronians, see his Pro Adserenda Hispanorum Eruditione, ed. J. López de Toro, Madrid, 1943, p. 164; and Nuñez Gonzalez, El Ciceronianismo en España... cit. n. 84, p. 62-64, 95-102; for his rule of Ciceronian imitation, see Nuñez Gonzalez, p. 64 and 101. 94 See Scott, Imitation of Cicero... cit. n. 8, p. 120-24, where she gives the curricula of the Collge de Guyenne and of Johann Sturm’s academy in Strasbourg; J. S. Freedman, Cicero in sixteenth- and seventeenth-century rhetoric instruction, in Rhetorica, 4, 1986, p. 227-54, at p. 251-52, for Vienna, Geneva, and Giessen; Codina Mir, Aux sources de la pédagogie des Jésuites... cit. n. 75, ad indicem; and G. Huppert, Public schools in Renaissance France, Urbana (Ill.), 1984, p. 53 and 79. 95 Fumaroli, L’âge de l’éloquence... cit. n. 8, p. 170-202 and 223-423 passim; A. Battistini, I manuali di retorica dei Gesuiti, in G. P. Brizzi (ed.), La «Ratio studiorum» : modelli culturali e pratiche educative dei Gesuiti in Italia tra Cinque e Seicento, Rome, 1981, p. 77-120. 96 On Soarez see L. Flynn, The De arte rhetorica of Cyrpian Soarez, S.J., in Quarterly Journal of Speech, 42, 1956, p. 356-74; and id., Sources and Influences of Soarez’ «De arte rhetorica», in ibid., 43, 1957, p. 257-65. 97 Monumenta Paedagogica Societatis Iesu, I-III, ed. L. Lukács, Rome, 1974, III, p. 600.29-601.58; see also Ignatius Loyola’s letter of 1544, in I, p. 452.10-16; and Codina Mir, Aux sources de la pédagogie des Jésuites... cit. n. 75, p. 305-06, on Jerome Nadal and the choice of authors in the Jesuit colleges. 98 Monumenta Paedagogica... cit. n. 97, II, p. 37.280-81 : in scribendo Ciceronem doceat imitari, et ipse imitetur potius quam alios; which reflects the view of Petrus Ioannes Perpiny, S. J.,’s subsequent Ratio liberorum Instituendorum, prepared in 1565 (ibid., p. 650-651 : De authoribus. Caput 6). 99 On him see Fumaroli, L’Âge de l’eloquence... cit n. 8, p. 176-78; and R. Negri, Benci (Bencio, Benzi, Bencius), Francesco, in Dizionario biografico degli

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Francesco Negrone100, Pedro Perpiny101, Edmund Campion102, Iacobus Pontanus103, Carlo Reggio104, and Famiano Strada105 constituted the most coherent block of Ciceronian propagandists in Europe. The last great Renaissance representative of this tradition was the Dutch Jesuit Andreas Schottus in the early seventeenth century. His Cicero a Calumniis Vindicatus of 1613 was the last major polemical work in the controversy106 ; and his Tullianarum Quaestionum de Instauranda Ciceronis Imitatione Libri III of 1610 was a major statement of the moderate Ciceronianism of the Jesuits in the Renaissance, which was open to the use of the whole tradition of pagan and Christian Latinity, flexible in terms of vocabulary, but also insistent on the imitation of Cicero’s style and language107. Interestingly enough, a Catholic arch-critic of the Jesuits, Kaspar Schoppe (Scioppius) criticized Schottus for being too open to neologisms108. In his massive De Ortu et Occasu Linguae Latinae of

italiani, VIII, Rome, 1966, p. 192-93. His major publication was Orationes et Carmina, cum Disputatione de Stylo et Scriptione, Ingolstadt, 1595. 100 See Mouchel, Cicéron et Sénèque cit. n. 8, p. 61-64, 87 n. 14, 164, 257-58, 507 num. 101. 101 See ibid., p. 508-09 num. 110; and Sommervogel et al., Bibliothèque... cit. n. 2, VI, col. 547-54.. 102 See p. 361-362 above; and Mouchel, Cicéron et Séneque... cit. n. 8, p. 73-74. 103 His major work was the Progymnasmatum Purae Latinitatis in 4 vols., published at Augsburg, 1588-1594; see C. Sommervogel et al., Bibliothèque... cit. n. 2, VI, col. 1007-19. 104 See his Orator christianus, Rome, 1612; Mouchel, Cicéron et Sénèque... cit. n. 8, p. 274-81, 366 n. 173; and C. Sommervogel et al., Bibliothèque... cit. n. 2, col. 1586-87. 105 He is best know for his Prolusiones Academicae, first printed in 1627; I used the edition of Oxford, 1745, which in itself suggests the continued interest in his work into the eighteenth century. Bk. 2, Prael. 1, De Stylo Oratorio, is essentially a praise of Cicero; see Mouchel, Cicéron et Sénèque... cit. n. 8, p. 27196. See G. Venturini, De Famiani Stradae S. I. Prolusionibus Academicis, in Latinitas, 8, 1960, p. 273-88; and J. Ijsewijn, Latin Literature in 17th century Rome, in Eranos, 93, 1995, p. 78-99, at p. 82-86.. 106 Andreas Schottus, Cicero a Calumniis Vindicatus (1638), which I consulted in Simon Vallambertus, M. Tullii Ciceronis Fillis Vita, ed. J. A. Fabricius, Hamburg, 1729, p. 81-183; On him see Mouchel, Cicéron et Séneque... cit. n. 8, p. 238-45; and J. Fabri, Un ami de Juste Lipse : L’humaniste André Schott (1552-1629), in Études classiques, 21, 1953, p. 188-208. 107 He attacked the contemporary taste for archaic Latin (Bk. 1, c. 12) and the Apuleians (Bk. 1, c. 21), but he was generous toward Golden ge and Silver Age authors (Bk. 1, c. 14), and was sympathetic to the new «Laconic» epistolary style popularized by his countryman Justus Lipsius (Bk. 1, c. 27). But throughout he sang the praises of the Jesuit and non-Jesuit Renaissance Ciceronians and inculcated proper imitation of Cicero. 108 See his Pascasii Grosippi [i.e., Kaspar Schotte] De Rhetoricarum Exercitationum Generibus, praecipueque De Recta Ciceronis Imitatione deque Orationis Latinae Vitiis ad Virtutibus Dissertatio, Amsterdam, 1660, p. 20.

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1627, the Jesuit scholar Ioannes Niess continued this tradition of moderate Ciceronianism109. It is true that in the mid-seventeenth century Jesuit Ciceronianism began to wan. But in the early eighteenth century, under the leadership of Joseph Jouvancy and Domenicus de Colonia, whose Ciceronian De Arte Rhetorica of 1704 became the third and last great standard Jesuit rhetorical textbook before the repression of the order, the Jesuits returned to their Renaissance tradition of moderate Ciceronianism110. Among the later Protestants, the Manductio ad Latinam Linguam of 1619 of the Lutheran teacher in Hanover Christian Becman as well as the Dissertatio de Lingua Latina of 1602 of the Lutheran teacher at Wittenberg Friedrich Taubman inculcated a flexible Ciceronianism, not dissimilar to the Jesuits111. Even if the late seventeenth-early eighteenth-century érudit Daniel Georg Morhof attacked Ciceronianism, this only proves that Ciceronians remained a force among Protestants in the early eighteenthcentury112. The authoritative contemporary Latinist Johann Georg Walch was equally critical of the Ciceronians113. But the best alternative Walch could advance to replace the Ciceronian standard of Latinity, was a complex set of rules which in essence validated the Ciceronian vision since his precepts still made Cicero the standard. He tried to identify which words could be accepted as proper according to the best usage of Cicero’s age though not attested in any extant Ciceronian text114. Walch was in fact a great admirer of the Italian Ciceronian, the Paduan cleric Iacopo Facciolati115. Facciolati, in turn, was a promoter of the greatest Latin dictionary of the eighteenth century, the Lexicon of his fellow Paduan priest 109 The full title was De Ortu et Occasu Linguae Latinae, cum Eiusdem Instaurandae modo Libri Duo al Politioris Litteraturae Studiosos, Dillingen, 1627. In his list of modern authors, sign. B1v-24, he favored the Ciceronians; see especially Bk. 1, c. 9 and Bk. 2, c. 9. 110 See Battistini, I manuali... cit. n. 95, p. 94-103. 111 I used the Hanover, 1629 edition of Becman’s work; on Ciceronian imitation see especially p. 64-67; for Taubman see Mouchel, Cicéron et Séneque... cit. n. 8, p. 123-43. 112 See his De Pura Dictione Latina Liber, Hanover, 1725, p. 34-35; he is less hostile in his De Legendis, Imitandis, et Excerptibus Auctoribus Libellus Posthumus, Hamburg, 1731, p. 7-10, on Cicero in the schools, and p. 58 sq., where he treats modern Ciceronians respectfully. 113 Historia Critica Latinae Linguae, Leipzig, 1716; I used the third edition, Leipzig, 1761; see p. 163, 194-99, 713-25. 114 Ibid., p. 164-66; see also p. 46. 115 We may note in passing that Facciolati was responsible for an edition of Nizolio’s Ciceronian dictionary at Padua in 1734; it was this edition of Facciolati’s which was reprinted in London in 1820 as the last edition of Nizolio. The most recent discussion is M. Boscaino, Facciolati, Iacopo, in Dizionario biografico degli Italiani, XVI, Rome, 1994, p. 65-58.

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Egidio Forcellini, in which for every word authorities were cited not in chronological order, but in a sequence that began with Golden Age or Ciceronian Latin116. A fascinating work in this regard is the collection of treatises for and against Ciceronianism which the future theologian Friedrich Andreas Hallbauer dedicated to the faculty of the University of Jena, including to Johann Georg Walch, in 1726117. In his introduction Hallbauer listed fifty texts on imitation and Ciceronianism. Thirtyeight of these cited texts date from the fifteen and sixteenth centuries and twelve from the seventeenth and eighteenth centuries. In short, for Hallbauer, Ciceronianism was a vital contemporary concern. One, in fact, could carry the story into the twentieth century. Johann Krebs’ Antibarbarus der lateinischen Sprache, first published in 1834 and put out in a seventh edition as revised by Joseph Schmalz’ in two volumes in 1905-1907, advocated a Ciceronian norm in almost the same terms as the Renaissance Ciceronians. Krebs called upon students to concentrate on reading Cicero and his contemporaries118. Karl Nägelsbach did the same in his Lateinische Stilistik für Deutsche of 1846, the ninth edition of which, prepared by Iwan Müller, appeared in 1905119. To give one last example, the Vatican journal Latinitas flew the banner of Ciceronianism in the 1950s.120. In conclusion, into the beginning of the twentieth century, Ciceronianism enjoyed a vigorous life in religious as well as secular culture. What has changed since the Renaissance is not the linguistic issues, but the cultural climate. Practical interest in speaking and writing Latin has receded drastically. Already in the eighteenth century, even before the last edition of Nizolio’s

116 See G. Bianco, Forcellini, Egidio, in Dizionario biografico degli Italiani, XLVIII, Rome, 1997, p. 787-90, for the literature. 117 Collectio Praestantissimorum Opusculorum de Imitatione Oratoria, Jena, 1726; I used the microfilm at the University of Toronto. 118 See the comments of W. Ax, Sprachstil in der lateinischen Philologie, Hildesheim, 1976, p. 116. 119 N ä g e l s b a c h , N u r e m b e r g , 19 0 5 , p . 4 8 , r e j e c t e d « e i n b l i n d e r Ciceronianismus;» but as Ax, Sprachstil... cit. n. 118, p. 126, points out, by dint of his examples Nägelsbach made Cicero normative; 35 of the 60 pages of his index of Latin citations consist of references to Cicero as compared to J. Marouzeau, Traité de stylistique latine, 4th ed., Paris, 1962, where a little less that three columns out of twenty-two contain citations of Cicero). 120 See, for instance, A. Bacci, Quid sit ecclesiastice scribere, quid Latine, in Latinitas, 1, 1953, p. 90-95; E. Sanesi, Brevis de Latino stilo excursus, in ibid., p. 191-203; I. Parisella, Hieronymus Ferrius incorruptae Latinitatis vindex, in ibid., 5, 1957, p. 210-23; and H. Tondini, De Ciceronianae imitationis ortu et progessione ab exordio renatarum litterararum ad P. Bembum, in ibid., 7,1959, p. 166-81.

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Ciceronian lexicon had appeared, Johann August Ernesti published in 1737 his Clavis Ciceroniana, which was unequivocally intended as a tool for an historical understanding of Cicero rather than for writing like Cicero121. Since then, in the twentieth century, the marginalization of Latin as a literary language and the historicization of Ciceronianism has finally brought Renaissance Ciceronianism to an end.122 John MONFASANI

I consulted the edition of London, ca. 1780. On the decline of Latin see now F. Waquet, Latin or the empire of a sign from the sixteenth to the twentieth centuries, tr. J. Howe, London-New York, 2001. 121

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LATINO LATINI (1513-1593) UNE LONGUE VIE AU SERVICE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

La conférence que l’amitié des organisateurs nous a permis de présenter, bien qu’elle sorte un peu du programme de ces journées, aurait plutôt dû s’intituler : «Latino Latini, une longue vie au service de la critique textuelle, notamment des textes patristiques latins». En effet, si nous avons été amené à nous intéresser à cet érudit, plutôt oublié aujourd’hui1, c’est pour la contribution qu’il a apportée, au soir de sa vie, à l’établissement du texte de Tertullien. Son petit recueil de conjectures, paru à Rome en 1584, est même la première monographie consacrée à ce Père de l’Église 2. Par l’acuité de son sens critique, elle peut se comparer honorablement à l’édition princeps qu’avait donnée en 1521 l’humaniste alsacien Beatus Rhenanus, sans doute le meilleur philologue parmi les familiers d’Érasme. L’idée nous est venue de comparer ces deux savants, qui connaissent aujourd’hui des fortunes très différentes, bien qu’ils aient pris exactement la même initiative à cinquante ans de distance. Chacun a en effet légué sa bibliothèque à sa ville natale (l’un au «magistrat», l’autre à la cathédrale), où elle demeure encore après quatre siècles, mais alors que Sélestat, après avoir longtemps

1 Il est absent de la plupart des répertoires et encyclopédies des XIXe et XXe siècles. Il n’y a guère que le Nomenclator literarius recentioris theologiae catholicae de H. Hurter (I2, Innsbruck, 1892, p. 107-108) pour l’évoquer, rapidement, et le Biographical and Bibliographical Dictionary of the Italian Humanists de M. E. Cosenza ( Boston, 1962, t. 3, p. 1943-44) pour regrouper quelques références. Il faut remonter à la Storia della letteratura italiana de Girolamo Tiraboschi pour trouver une notice un peu consistante (Seconda edizione, Tomo VII, Parte II, Modena, 1791, p. 788-791). Elle dérive pour l’essentiel de la Vita due à D. Macri (voir infra n. 8). – Je n’ai pu consulter V. Scardala, Latino Latini, umanista viterbese del Cinquecento, Sutri, 1966. 2 Loci ex coniectura Latini Latinii Viterbiensis vel restituti, vel aliter lecti in Tertulliano post editionem Iacobi Pamelii Brugen. ann. 1583, Romae, excudebat Franciscus Zannettus, 1584, 6 f. non paginés, in-folio. Ce recueil de conjectures sera réimprimé plusieurs fois, d’abord à la fin de la seconde édition de Pamèle, Parisiis, apud Michaelem Sonnium, 1598, f. PPP 1-6 ro, et finalement dans la Bibliotheca sacra et profana citée n. 7, p. 191-208.

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négligé son illustre fils, l’honore aujourd’hui dans la Bibliothèque humaniste 3, et jusque dans ses pâtisseries où l’on peut déguster d’excellents chocolats à l’effigie du savant, il semble qu’à Viterbe la vie posthume de Latini se soit arrêtée au XVIIe siècle, à la mort du chanoine Domenico Macri (1604-1672) 4 qui, avec l’appui du cardinal archevêque Francesco Maria Brancacci 5, avait publié deux recueils de ses lettres 6 et rassemblé un choix des notes manuscrites dont Latini avait parsemé ses livres 7. La Vita qu’il avait rédigée à partir de la correspondance n’a jamais été remplacée ni même poursuivie 8. On a

3 Comme en témoigne l’exposition organisée en 1998, Beatus Rhenanus (1485-1547). Son activité de lecteur, d’éditeur et d’écrivain (catalogue paru dans la collection «(Re)découvertes»), et le colloque international tenu la même année à Strasbourg et Sélestat, Beatus Rhenanus, lecteur et éditeur des textes anciens (actes édités par J. Hirstein, Turnhout, 2000). 4 La vie de cet ecclésiastique maltais est beaucoup plus remuante que celle de notre héros, spécialement pendant ses voyages au Moyen Orient. Son activité littéraire connut un certain succès puisqu’un avatar de sa Notizia dei vocabuli ecclesiastici (Messine, 1644) était encore réédité et mis à jour en plein XVIIIe siècle (Hierolexici sive Sacri dictionarii editio sexta, Bologne, 1765-1767). 5 Originaire d’une illustre famille napolitaine, F. M. Brancacci (1592-1675), nommé cardinal par Urbain VIII en 1633, est évêque de Viterbe et Toscanella de 1638 à 1670; cf. G. Lutz, Dizionario biografico degli Italiani, 13, 1971, p. 774-776. Sa bibliothèque est à l’origine de la Biblioteca Brancacciana, ouverte au public en 1690, et fondue dans la Biblioteca nazionale de Naples en 1922. Elle conserve des documents de ou sur Latini : cf. n. 7 et 67. 6 Latini Latinii Viterbiensis Epistolae, coniecturae et obseruationes sacra profanaque eruditione ornatae. Ex Bibliotheca cathedralis Ecclesiae Viterbiensis a Dominico Macro Melitensi... triennali [t. II : decennali] labore collectae. Prodeunt in lucem publicae studiosorum utilitati, iussu [t. II : liberalitate]... D. Francisci Mariae cardinalis Brancaccii [t. II : Brancatii] Philogrammati. – Romae, typis Tinassii, apud Io. Casonum, 1659, 4o, [4-] 360 p. [t. I]; Viterbii; ex Typographia Brancatia, apud Petrum Martinellum, 1667, 4o , XII-214 p. [t. II]. Une source essentielle de Macri a dû être le manuscrit 8 de la Capitolare (no 37 dans l’inventaire dressé par L. Dorez, Latino Latini et la Bibliothèque capitulaire de Viterbe, dans Revue des bibliothèques, 5, 1895, p. 241-254), un recueil d’epistulae familiares, copiées et divisées en livres par Latini lui-même, ce qui fait supposer qu’il avait envisagé une publication. 7 Latini Latinii Bibliotheca sacra et profana. sive obseruationes, correctiones, coniecturae et variae lectiones in sacros et profanos scriptores, e marginalibus notis codicum eiusdem a Dominico Macro Melitensi... collectae, et nunc primum e Bibliotheca Brancaccia editae, Romae, sumptibus Pontii Bernardon (typis Angeli Bernabò), 1677, in-folio, [14-] 214 p. (Bibl. sacra); [2-] 80 p. (Bibl. profana). Le manuscrit de la Bibliotheca sacra est conservé à la Bibliothèque nationale de Naples, dans le recueil Fondo Brancacciano, 6 B 19; le frère de Domenico Macri, Carlo (préfet de la Biblioteca Alessandrina), qui a édité la Bibliotheca, le craignait perdu (cf. une lettre de dom Durban à dom Luc d’Achery, 19 mars , publiée dans Revue Mabillon, 28, 1938, p. 159). 8 La Vita est publiée d’abord dans Epistolae, I, p. 1-8, puis dans la Bibliotheca, f.* 1-2vo (version abrégée par Carlo Macri). On a aujourd’hui accès à de nombreuses sources que ne connaissait pas D. Macri.

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LATINO LATINI (1513-1593)

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bien donné le nom de Latini à une rue nouvelle dans un faubourg de Viterbe, mais ses livres, sur lesquels nous avions travaillé dans les années 60, sont actuellement en caisses dans une chapelle de San Lorenzo, dans l’attente de la réouverture, qu’on espère prochaine, de l’Archivio capitolare 9. Quoi qu’il en soit de ces destinées post mortem, on peut tenter sinon d’écrire les «vies parallèles» des deux humanistes, du moins d’évoquer leurs parcours qui présentent (à un demi-siècle de distance : Rhenanus est mort en 1547) des similitudes intéressantes, même si les conditions de la vie intellectuelle ont profondément changé entre le début et la fin du XVIe siècle. On évoquera ensuite l’instrument de travail de Latini, c’est-à-dire sa bibliothèque, objet constant de ses soins. On se demandera enfin comment ce critique très doué s’est accommodé du contrôle idéologique que l’Église post-tridentine entendait exercer sur les esprits et les textes. *

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Les œuvres de Rhenanus remplissent des in-folio : éditions d’auteurs classiques et patristiques (certains publiés pour la première fois, comme Velleius Paterculus et Tertullien) et contributions originales, comme l’In C. Plinium (de 1526), premier traité de critique textuelle, et ses Rerum Germanicarum libri III (1531), un travail de pionnier sur l’histoire de la Germanie antique et médiévale10. Latini, lui, a refusé que son nom figure dans sa grande œuvre, l’édition romaine de s. Cyprien (nous verrons bientôt pourquoi), et n’a guère publié que quelques brochures, qui paraîtraient aujourd’hui sous forme d’articles de revue11. Son nom apparaît quelquefois dans la production savante du temps, ainsi lorsque Jacques de Pamèle le re9 L’Archivio vescovile, situé dans le Palais des Papes, fonctionne normalement, mais les locaux qu’occupait jadis la Bibliothèque ont été consacrés au Museo Diocesano, et le nouveau siège prévu pour l’Archivio capitolare demande encore quelques travaux. 10 Bibliographie de Rhenanus : A. Horawitz et K. Hartfelder, Briefwechsel des Beatus Rhenanus, Leipzig, 1886, p. 592-618, et, plus sommaire mais plus à jour, J. Hirstein, «Liste chronologique provisoire de livres auxquels le nom de Beatus Rhenanus est associé (titres abrégés)», dans Beatus Rhenanus, lecteur et éditeur des textes anciens..., p. 491-511. 11 Outre les Loci de 1584 (cf. n. 2), Latini Latinii Viterbiensis opinio de ea historiae Socratis Sozomenique parte, qua Nectarii Episcopi factum de abrogato Paenitentiario presbytero continetur, Romae, ex Typ. Bartholomaei Bonfadini, 1587, 40 p. in 8o [repris dans Epistolae, I, p. 326-338] et L. L. V. Rei nouae proposita consideratio, Romae, apud Franciscum Zannettum, 1590, 16 p. in 8o [problèmes de chronologie, résumés dans A. Possevino, Apparatus Sacer, t. 2, Venise, 1606, p. 329; repris dans Epistolae, I, p. 356-361]. On notera que Latini commence à publier à plus de 70 ans.

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mercie de ses conjectures12, ou lorsque Michele Mercati répond longuement à ses remarques sur le De gli obelischi di Roma13. En revanche ses opiniones ou observationes manuscrites, dont certaines seulement ont été publiées par Macri, ont connu, dans l’Italie savante, une large diffusion dont témoignent les relevés de l’Iter italicum de Kristeller14. Elles nous montrent l’étendue des curiosités de Latini qui vont de la botanique et la métrologie antiques – qu’est-ce que le pe¥pwn de Galien? à quel volume correspond le corus des Hébreux? – jusqu’à des points de détail d’histoire ou de discipline ecclésiastiques – Ambroise fut-il consacré évêque de Milan du vivant d’Auxence? à quel âge doit-on créer les cardinaux?15. Elles ont été souvent le point de départ d’échanges très animés entre les savants, que ces questions amusaient ou provoquaient, et il arrive même qu’elles aient eu les honneurs d’une publication posthume16. Le statut social des deux humanistes était aussi différent que leur stature scientifique. Rhenanus, fils d’un riche boucher, pouvait se consacrer à un otium littéraire qui lui valut, outre la considération générale, l’anoblissement par Charles-Quint. Latini, issu d’un milieu modeste mais cultivé (il nous rapporte que dans sa maison paternelle, l’on pouvait lire une édition incunable de Pline l’Ancien17), doit littéralement vivre de sa plume : sa maîtrise du beau

12 Dans son édition de Tertullien (Paris/Anvers, 1583/1584). Latini loue une politesse et une probité qui n’étaient manifestement pas communes : «Il Pamelio de le poche [congetture], che gia molti anni ne hebbe, per mezo del’Alano Copo, se ne è ualuto assai, et honoratomi molto, ancora col nominarmi ne la prefatione à Sua Santità [f. a 4vo]... Non hò ancora in tali materie conosciuto alcuno grato, se non P. Vittorio e’l Pamelio, se ben molti altri haueuano occasione di fare il medesimo, e massimamente il Ciaccone, il quale intorno à Tertulliano hà hauuto piu che il Pamelio...» (à Pinelli, le 19 avril 1584; Ambros. D 169 inf., f. 94). 13 Considerationi di Mons. Michele Mercati sopra gli avvertimenti del Sig. Latini intorno ad alcune cose scritte nel libro de gli Obelischi di Roma, In Roma, appresso Domenico Basa, 1590 (p. 1-109). Cet appendice complète le livre, paru l’année précédente chez le même éditeur. 14 Cf. A cumulative Index to volumes I-VI, Leyde, 1997, p. 306-307. 15 Cf. Ambros. R 102 sup. et Epistolae, I, 254-274 (Galien); Vat. lat. 6531, f. 147-148 et Epistolae, II, p. 206-208 (corus); Ambros. S 81 sup. et Epistolae, I, p. 375-380 (Ambroise); Epistolae, II, p. 202-203 (cardinaux). 16 Ainsi on trouve dans la publication posthume (par les soins de G. B. Bandini) des Opuscula de Pedro Chacón (Romae, ex Typographia Vaticana, 1608) un appendice De pede Romano ex Latini Latinii observationibus (p. 188-189). 17 À Pinelli, le 5 février 1575 : «Plinio e Vite di Plutarcho latine furno stampate in fo. regale, la prima uolta il Plinio in Roma, e non mi ricordo l’anno [1470]. In casa de miei Latini in Viterbo, ne deue ancor uiuer uno, se le donne mie cugine non l’hanno fatto seruire ad altro mistier che di leggere» (Ambros. D 169 inf., f. 30). Sa Bible de famille (Venise, Octavianus Scottus, 1480) porte l’inscription «Latini Latinii Viterbiensis auita pietate primum, deinde paterna in familiae usum parata et custodita».

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style cicéronien lui permet d’être dix ans secrétaire ab epistulis du cardinal Giacomo del Pozzo (Iacobus Puteus), une charge qu’il qualifie à l’occasion de molestissimum scribendi onus18. Mais lorsque celui-ci tombe gravement malade, c’est la crise : «j’ai abandonné Cyprien à moitié corrigé et mes autres études»19. A sa mort, en 1563, Latini se retrouve un patron, ou plutôt trois, car le premier meurt en 1564 (Rodolfo Pio de Carpi) et le second l’année suivante (Ranuccio Farnese). La tranquillité viendra enfin lorsqu’un quatrième cardinal, Marcantonio Colonna 20, lui permettra de loger gratis dans une petite maison, sise in via Lata, près de son palais. Il y restera plus de vingt ans – de 1572 à sa mort 21 – avec une stabilité comparable à celle de Rhenanus qui à partir de 1528 ne quitte plus guère sa demeure de Sélestat. Auparavant celui-ci avait connu des «Lehr- und Wanderjahre» : études à Paris auprès de Bovelle et Lefèvre d’Etaples, vie à Strasbourg et surtout à Bâle dans le milieu des humanistes et des imprimeurs. Latini fait, lui, à Sienne des études de droit qu’il qualifie d’élémentaires 22, puis vers 1545 23 il se fixe définitivement à Rome, où il est ordonné prêtre en 1554. Il fera tout pour ne pas quitter la Ville. Sa santé fragile lui fournit une raison de ne pas aller à Trente, au grand mécontentement de son ami Stanislas Hosius («tu te soucies plus de ta petite personne que du corps du Christ» 24); mais malgré tout il doit suivre ses patrons, l’un à Bologne en 1565, où il trouve manuscrits et savants 25, l’autre à Salerne en 1573, où il se plaint de la «pauvreté et mesquinerie» de la ville : le pain est mauvais et cher; le 18 À Masius, 7 janvier 1559 (Epistolae, II, p. 62). Les lettres écrites pour le cardinal ouvrent le premier volume des Epistolae (p. 1-221; index, p. 222-229); elles vont du 5 novembre 1552 au 2 janvier 1563. 19 À Masius, 16 juin 1562 : Patronus meus in difficillimum morbum incidit... et Cyprianum semirestitutum et alia studia mea abieci (Epistolae, II, p. 104). 20 Il survivra à Latini, et s’éteindra en 1597 à Zagarolo (là où il avait réuni en 1592 la fameuse commission qui révisa en 19 jours la Vulgate sixtine). On verra sur sa carrière ecclésiastique F. Petrucci, Dizionario biografico degli Italiani, 27, 1982, p. 368-371 (qui ne dit trop rien sur son activité intellectuelle). 21 Il meurt le 21 janvier 1593 et est enterré dans l’église voisine de Santa Maria in Via Lata; cf. V. Forcella, Iscrizioni delle chiese e d’altri edifici di Roma, t. 8, Rome, 1876, p. 394 (no 935). 22 La Vita insiste sur ce séjour de onze ans (Epistolae, II, p. 1-2); Latini aime cette «seconde patrie» (à Masius, 10 février 1555; Epistolae, II, p. 22), mais minimise les résultats obtenus : cf. n. 48. 23 Une lettre à Pinelli (26 novembre 1583; Ambros. D 169 inf., f. 82) nous apprend qu’il a vécu depuis 38 ans dans la Ville Éternelle : «in Roma doue son uisso anni 38 per la bassezza mia non son conosciuto senon da pochi». 24 Lettre du 6 octobre 1561 (Vat. lat. 6201, f. 143) : dum tui corpusculi, quam Christi corporis maiorem curam geris. 25 En particulier le célèbre naturaliste Ulisse Aldovrandi (1522-1605), avec qui il correspondra (cf. Kristeller, Iter italicum, t. V, 1990, p. 495a et 496b).

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vin moins bon qu’à Rome; «on ne voit pas un livre, il y a un librairie qui n’a quasi rien dans sa boutique» 26. À part ces escapades obligées, la vie de Latini est calme, orthodoxe, sans histoire. Il n’y a pas de coupure comme celle que la Guerre des Paysans constitue pour Rhenanus, qui se détache alors définitivement d’une Réforme qui l’avait d’abord tenté 27. Latini ne connaît pas non plus l’agitation des imprimeries, et le milieu stimulant des correcteurs qu’on trouvait à Bâle autour de Froben, comme jadis à Venise autour d’Alde et plus tard à Paris chez Robert Estienne. A partir des années 70, sa santé l’oblige même à garder la chambre, voire le lit; pendant l’année sainte 1575, il reste des mois sans aller à Saint-Pierre; une visite à la Bibliothèque Vaticane mérite d’être notée... 28. Il voit à peine «son» cardinal, qui plein de prévenance l’emmène un jour dans son carrosse au Corso : «je lui fais faire une petite promenade» dit-il à Fulvio Orsini 29, un érudit d’un tout autre entregent, qui a ses entrées auprès du pape (au moins quand celui-ci s’appelle Grégoire XIII). Latini ne recherche pas le contact des puissants. Il évoque avec sympathie la figure d’un érudit selon son cœur, son ami Girolamo Mei, «l’homme le plus libre de cette cité» (n’était sa goutte), qui vit tranquillement sous la protection de son riche patron, Giovanni Francesco Ridolfi 30, et a la sagesse de refuser les beaux partis qu’on lui propose, en cela mieux avisé que Rhenanus que son amanuensis avait réussi à marier à l’une de ses parentes. Toutefois cette vie solitaire finit par peser sur Latini, qui s’ennuie 31, surtout quand une vue défaillante 32 lui interdit ses passe-temps favoris : la lecture, la rédac26 À Pinelli, le 22 décembre 1572 : «la pouertà e meschinità de la città è tale che con piu bonacia di cielo, si patisce piu che in Roma... non si uede un libro, c’è un libraro che non ha quasi niente in bottega, etc.» (Ambros. D 424 inf., f. 51). 27 Ce «tournant» est dû aussi à une réflexion théologique, brièvement présentée par E. Rummel, The confessionalization of Humanism in Reformation Germany, Oxford, 2000, p. 95-96. 28 À Pinelli, 26 février 1575 : «Io non sono stato da luglio in quà à uisitar S. Pietro; onde faccia ella conclusione del resto essendo l’anno santo. Le mie forze sono molto scemate...» (Ambros. D 169 inf., f. 32); à Pamèle, 23 juin 1584 : «cum longe admodum ad Vaticanam bibliothecam me semel iterumque contuli» [pour y chercher des manuscrits de Tertullien] (Epistolae, II, p. 183). 29 «Io lo meno un pocco a passo» (lettre d’Orsini à Pinelli, 26 août 1589, citée par P. de Nolhac, La bibliothèque de Fulvio Orsini, Paris, 1887, p. 22). 30 À Pinelli, 22 février 1578 : «V.S. saprà che’l Mei non pigliò mai alcuna seruitù, e se fusse libero da la podagra, potrià quasi tenersi per il piu libero huomo di questa Città» (Ambros. D 424 inf., f. 71). 31 À Pinelli, 5 janvier 1584 : «Io mi stò in letto al solito; la Domenica mi conduco quando posso à la Chiesa mia uicina [Santa Maria in Via Lata; cf. n. 21], e passo il tempo nela solitudine con gran noia. Consolomi con la presentia de gli amici, o con lettere loro» (Ambros. D 169 inf., f. 125). 32 À Antonio Agustín, 13 mars 1567 : Huc accedit oculorum infirmitas in tan-

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tion de poésies, latines et italiennes, et la correspondance. Il lui manque ce qui faisait le sel de son existence, la «compagnie si douce d’hommes savants et bons» (virorum eruditorum optimorumque suauissima consuetudine frui), comme il l’écrivait jadis à Antonio Agustín 33. Le premier cercle de «classical scholars» où nous le rencontrons est celui qui apparaît dans la préface à l’édition princeps de la Bibliothèque d’Apollodore (publiée en 1555 par Antonio Blado, «Pont. Max. excuser de Campo Florae») 34. Y brillent deux astres, promis à des destins bien différents. Le premier, Guglielmo Sirleto, qui vient d’abandonner Chrysoloras pour se consacrer aux Pères grecs, sera cardinal et bibliothécaire de la Sainte Église 35. Le second, Basilio Zanchi, un fin lettré, chanoine de Saint-Jean-de-Latran, sera victime de la politique de Paul IV contre les «sfrattati» (les clercs en situation irrégulière) et mourra en prison en 1558. L’historien Ottavio Pantagato échappe à ce sort en se cloîtrant chez lui 36. Moins heureux, le commentateur d’Apollodore, Scipione Tetti, finira sa vie sur les galères pontificales 37. Si l’on ajoute la mort du délicat latiniste Gabriele Faerno (victime, lui, de repas trop plantureux) 38 et les dé-

tum aucta ut medicorum praeceptis a libris et a scriptione penitus arcear (Epistolae, II, p. 125). C’est un thème récurrent dans la correspondance de Latini. 33 Lettre du 16 décembre 1566 (Vat. lat. 6201, f. 6). 34 Lettre de Benedetto Egio à Fulvio Orsini, 27 juillet 1555, republiée dans B. Botfield (éd.), Prefaces of the First Editions of the Greek and Roman Classics, Londres, 1861, p. 479-481, et commentée par P. de Nolhac, La bibliothèque de Fulvio Orsini..., p. 6. 35 Pour la période qui nous intéresse, reste fondamental l’article de P. Paschini, Guglielmo Sirleto prima del cardinalato [1565], dans Tre ricerche sulla storia della Chiesa nel Cinquecento, Rome, 1945, p. 153-281. Mise au point récente par G. Denzler, Sirleto, Guglielmo, dans Biographisch-bibliographisches Kirchenlexikon, 10, 1995, c. 532-33. 36 À Masius, 7 janvier 1559 : Zanchius noster in apostatarum tempestate graui carceris dolore confectus iampridem obiit. Pater Octauius autem ita eum casum tulit, ut praeter molestum illud tot scalarum adscensum in libero, sed angusto sublimique cubiculo nihil illi prorsus ademptum esse videatur... (Epistolae, II, p. 61). 37 Auteur d’un précieux index des œuvres antiques encore inédites au milieu du XVIe siècle (cf. A. Diller, Scipio Tettius’ «Index librorum nondum ineditorum», dans American Journal of Philology, 56, 1935, p. 14-27), il avait travaillé sur les manuscrits grecs du cardinal Pio de Carpi, à la demande de Latini; cf. sa lettre à Pinelli du 14 novembre 1579 : «La scritta greca [sc. libreria] è ordinata, ch’io hebbi il Teti, che fece uolentier questa fatica con diligentia» (Ambros. D 424 inf., f. 115). Son dossier ne se retrouve pas dans les archives de l’Inquisition. 38 Bonnes présentations du personnage par R. De Maio, La Biblioteca Apostolica Vaticana sotto Paolo IV e Pio IV, dans Collectanea... Albareda, Cité du Vatican, 1962, t. I, p. 288-290, et de ses talents de critique textuel par A. Grafton, Joseph Scaliger. A Study in the History of Classical Scholarship, I. Textual Criticism and Exegesis, Oxford, 1983, p. 65-70 (nombreuses autres références dans l’article de S. Foà, Dizionario biografico degli Italiani, 44, 1994, p. 146-148). Il était meil-

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parts de Jean Matal 39 et d’Andreas Masius 40, d’Antonio Agustín, nommé évêque d’Alife en 1557, puis de Lerida en 156141, et de Nicolò Maiorano, contraint de rejoindre son diocèse de Molfetta en 1560 42, au grand dam de Latini qui, peu familier des lettres grecques, trouvait en lui un guide éclairé, on constate que ce premier cercle humaniste (où il est souvent question de Térence, Tite-Live et Quintilien) n’a pas survécu aux changements que connaît la Rome de Paul IV et Pie IV. Latini va échanger quelques lettres avec ces amis partis au loin, qui seront ses principaux points de contact avec l’Europe savante (en dehors de l’Italie) 43. On notera qu’il n’a aucun contact avec des érudits protestants. Mais cette correspondance, latine et sporadique, ne peut se comparer avec celle qu’il mène, en italien et pendant plus de vingt ans (les lettres conservées s’échelonnent de 1570 à 1591), avec son ami Gian Vincenzo Pinelli, de Padoue 44. La fréquence, la

leur connaisseur des classiques que des Pères : «Il Faerno promise il Cipriano, ma non l’ha dato mai; non pero in cose sacre mi sarei fidato interamente del giuditio suo» (Paolo Manuzio à Girolamo Seripando, 25 novembre 1561; A. A. Renouard, Annales de l’imprimerie des Alde3, Paris, 1834, p. 528). 39 Il quitte Rome en 1555, après y avoir séjourné dix ans, pour accompagner Agustín dans sa mission en Angleterre (cf. R. Truman, Jean Matal and his relations with Antonio Agustín, Jerónimo Osório da Fonseca and Pedro Ximenes, dans M. H. Crawford (éd.), Antonio Agustín between Renaissance and Counter-Reform, Londres, 1993 (Warburg Institute Surveys and Texts, 24), p. 251). Il n’y reviendra jamais, mais restera en relations avec Latini. 40 Sur la carrière de cet orientaliste, qui joua aussi un rôle politique, bonne introduction par H. De Vocht, Andreas Masius (1541-1573), dans Miscellanea Giovanni Mercati, IV, Letteratura classica e umanistica, Cité du Vatican, 1946 (Studi e testi, 124), p. 425-441. 41 Il ne retournera plus jamais à la Ville éternelle, malgré son désir. Les «regrets» d’Agustín emplissent sa correspondance, et lui inspirent par ex. une poésie dédiée à Latini (copie dans le ms. British Library, Egerton 1875, f. 350) : O mihi felices, frustra suspiria duco, /Praeteritosque dies. / Viximus, antiquas cum urbis lustrare ruinas / Romuleae liceret...». Dans sa réponse (au f. suivant), Latini «abjure» cet humanisme païen : «Olim cana meos mutarunt tempora sensus / Vrbisque cineres et uirûm / Nosse sepulta diu magnorum nomina, resque / Gestas, inanis otii / Insanique laboris opus uere esse putaui.... 42 Il a fait l’objet d’une étude de P. Paschini, Un ellenista del Cinquecento : Nicolò Maiorano, dans Atti dell’Accademia degli Arcadi, 11, 1927, p. 47-62 (reprise dans Cinquecento romano e riforma cattolica, Rome, 1958, p. 219-236). 43 Le lien est parfois ténu, comme celui avec Laevinus Torrentius, évêque de Liège puis d’Anvers, avec qui Latini était lié d’amitié dans les années 1550 (cf. Epistolae, II, p. 56) : Latinum vero Latinium... ante annos vix XXX Romae familiarissime novi, virum doctum et probum, cui tamen ut multis aliis fortuna non respondit. Miror si adhuc vivat (Torrentius à Pamèle, 1er septembre 1585, publiée dans sa Correspondance, I, Période liégeoise, 1583-1587, Paris, 1950, p. 302). 44 Sur Pinelli (1535-1601), Napolitain fixé à Padoue depuis 1558, sur son cercle d’amis et sur le destin de sa bibliothèque, finalement incorporée à l’Ambrosienne en 1609, on verra A. Paredi et M. Rodella, Le raccolte manoscritte e i primi

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variété, le décousu de ces messages font penser à un courrier électronique avant la lettre. Ils nous offrent en tout cas une chronique exceptionnelle de la Rome savante, au moins de celle que connaissait Latini 45. Il est heureusement au courant de beaucoup de choses. Devenu une sorte d’institution, il reçoit la visite des étrangers de passage à Rome : certains discrets, comme Claude Dupuy 46, d’autres plus importuns comme ce bouillant jésuite allemand Ioannes Rethius qui cherche – en vain – à l’embrigader dans une croisade contre l’érudition protestante 47 et pour cela le gratifie de titres que Latini juge déplacés 48. Il est lui-même engagé dans un long travail de longue haleine, la préparation d’une édition révisée du Décret de Gratien, qui paraîtra finalement en 1582. Il est responsable de la correction du texte, et notamment de la vérification des citations patristiques 49.

fondi librari, dans Storia dell’Ambrosiana. Il Seicento, Milan, 1992, p. 64-73. Le Catalogo dei codici pinelliani dell’Ambrosiana d’A. Rivolta (Milan, 1933) signale un très grand nombre d’écrits, lettres ou mémoires envoyés par Latini à son correspondant de prédilection. On a surtout utilisé ici les recueils de lettres D 169 inf. et D 424 inf. 45 Ainsi c’est grâce à lui qu’on peut suivre les remous que fait naître à Rome la fausse Consolatio Ciceronis publiée par Sigonio (1583); cf. W. McCuaig, Carlo Sigonio. The changing world of the late Renaissance, Princeton, 1989, p. 310-312 et les lettres publiées en appendice (p. 329-332). 46 À Pinelli, le 8 février 1586 : «Fù quà l’anno del LXX un Claudio Puteano gentilhuomo Parigino gran bracco di ricercare libri antichi; uenne alcune uolte da me per uedere se haueua qualche uaria lettione o congettura in scrittori latini...» (Ambros. D 169 inf., f. 165). Dans le compte rendu de son voyage philologique en Italie (1571-1572), Dupuy raconte comment Latini a corrigé devant lui un passage de Columelle mal compris par Turnèbe (d’après A. Grafton, Joseph Scaliger..., I, p. 98, n. 156). 47 Il note dans son journal de voyage au 1er juin 1573 : Latinus Latinius Viterbiensis habitat Romae e regione palatii Cardinalis Urbini. Visitaui illum et loquutus cum illo de interpretatione Theologorum Graecorum : ad hoc mihi commendauit Christophorum Rufum qui Mediolani est praeceptor nepotum Cardinalis Borromaei – deinde de emendandis operibus S. Gregorii impressis, in quo ipsius requirebam industriam : spem licet necdum perfectam praebuit. Demum de uitis sanctorum praetermissis a Surio : hic me remisit ad Cardinalem Sirletum (Köln, Historisches Archiv, Universitätsakten 977, f. 90-91). Sur le recteur du Collège des Trois couronnes, à Cologne, et son «tour de l’Italie patristique», on verra toujours l’étude de P. Holt, Aus dem Tagebuch des Johann Rethius, 1571-1574. Ein Beitrag zur Geistesgeschichte und zur stadtkölnischen Politik, dans Jahrbuch des Kölnischen Geschichtsvereins, 20, 1938, p. 77-138 et 21, 1939, p. 47-110. 48 À Rhetius, 27 juin 1574 : Latini n’est ni docteur ni conseiller du cardinal d’Urbino, sed Cardinalis Columnae infimus in familiaribus cliens, qui numquam disciplinas liberales, nisi cum adulescens essem iurisprudentiae prima tantum elementa didici (Epistolae, II, p. 163) 49 Au P. Torres, 6 mars 1580 : Cum Gratiano enim mihi res est, eaque molestissima, cum singula quaeque eius uerba relegere et examinare cogar una cum nota-

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Les réunions de la Congrégation chargée de cette tâche vont le tenir occupé pendant plus de dix ans 50 et le faire entrer en contact avec les savants attirés à Rome par les projets pontificaux, ainsi l’Espagnol Pedro Chacón (à Rome de 1569 jusqu’à sa mort en 1581), aussi remarquable comme antiquaire que comme connaisseur des textes païens et chrétiens 51. Un nouveau réseau s’est recréé autour de Latini, moins dense sans doute. On y retrouve des vétérans, comme Orsini ou le jésuite Francisco Torres 52, mais aussi des nouveaux venus : le futur cardinal Cesare Baronio, qui le remercie plusieurs fois pour le révision de ses notes au Martyrologe romain 53 – le bibliste Antonio Agellio 54 – et Giovanni Battista Bandini, alors chanoine de Pise, le «transmetteur»par excellence de la philologie du temps, d’abord comme collectionneur et comme copiste (ou faudrait-il dire «copieur»?) de tout travail important, puis plus tard comme directeur de la Typographie Vaticane 55. Latini le recommande à Pinelli comme «le meiltionibus adiectis, praeterea etiam Patrum scripta iterum conferre, ne ad typographum mendosa perferantur (Epistolae, I, p. 247). 50 Le manuscrit 9 de la Bibliothèque capitulaire de Viterbe (no 72 du catalogue de Dorez) contient des notes de Latini qui s’échelonnent de 1568 à 1577; elles devraient éclairer le fonctionnement de la congrégation. 51 Latini apparaît à l’ocasion dans le long mémoire d’E. Ruiz, Los años romanos de Pedro Chacón [sc. de 1572 à 1581] : vida y obras, dans Cuadernos de filologia clásica, 10, 1976, p. 189-247. M. Crawford, qui prépare une étude d’ensemble sur Chacón, m’indique qu’il était arrivé à Rome en tout cas en 1569, puisqu’il copie à cette date la Lex Antonia «in palatio Capranicarum». 52 La notice de D. Bertrand, The Society of Jesus and the Church Fathers in the sixteenth and seventeenth centuries, dans I. Backus (éd.), The reception of the Church Fathers in the West from the Carolingians to the Maurists, Leyde, 1997, p. 894-95, repose essentiellement sur Sommervogel; il faudrait exploiter un important matériel manuscrit, comme nous avons essayé de le faire sur un point précis : Deux ‘Bibliothèques’ de la Contre-Réforme : la Panoplie du Père Torres et la «Bibliotheca Sanctorum Patrum», dans A. C. Dionisotti, A. Grafton, J. Kraye (éd.), The uses of Greek and Latin. historical essays, Londres, 1988 (Warburg Institute Surveys and Texts, 16), p. 127-153. 53 Références soigneusement notées dans la Bibliotheca, f. * 4ro. 54 Latini le recommande chaudement au cardinal de Granvelle le 16 avril 1586 (Epistolae, II, p. 191-92). Ce religieux théatin (1532-1608) a fait l’objet d’une étude de F. Andreu, Il teatino Antonio Agellio e la Volgata sistina, dans La Bibbia «vulgata» dalle origini ai nostri giorni, Cité du Vatican, 1987, p. 68-97 (qui publie en appendice une lettre autobiographique d’Agellio à Latini, non datée, mais sans doute de 1592 ou 1593). 55 L’article de P. Prodi dans le Dizionario biografico degli Italiani, 5, 1963, p. 713-14, laisse un peu sur sa faim. On verra par ex., pour sa collecte de manuscrits épigraphiques J.-L. Ferrary, Onofrio Panvinio et les antiquités romaines, Rome, 1996 (Collection de l’École française de Rome, 214), p. 238-242, et pour un cas de transmission de variantes (copie des travaux de Latini) notre article : Le «Codex Veronensis» de saint Cyprien. Philologie et histoire de la philologie, dans Revue des études latines, 46, 1968, p. 341.

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leur limier pour trouver des livres anciens et nouveaux, et savoir quelle impression est la meilleure» 56 : cette érudition bibliographique le rend particulièrement cher à un savant pour qui la recherche des meilleurs textes a toujours été fondamentale, comme en témoigne sa bibliothèque. *

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Tout comme Rhenanus, Latini a voulu vivre en autarcie, c’est-àdire disposer chez lui d’un instrument de travail qui lui permette de mener à bien ses études. Il s’est créé, pour lui-même et par luimême, une sorte de «bibliothèque de séminaire de recherche» (comme le faisaient encore, au siècle dernier, les spécialistes d’études extrême-orientales). Le témoignage des livres eux-mêmes et les nombreuses indications contenues dans les lettres à Pinelli permettraient de décrire précisément la genèse et l’usage de cette collection. On se bornera ici à un esquisse, basée sur l’analyse de son fonds patristique. Dans sa Bibliotheca Apostolica Vaticana a Sixto V. Pont. Max. in splendidiorem commodioremque locum translata, parue en 1591 (donc du vivant de Latini), Angelo Rocca cite en tête des collections privées romaines, celles de Fulvio Orsini et de Latini 57. Il s’agit en fait de bibliothèques très différentes. Orsini, bibliothécaire des Farnese, dispose d’une remarquable collection de manuscrits et d’imprimés «postillati» qui après sa mort, survenue en 1600, entrera en bloc à la Bibliothèque Vaticane 58. Latini, lui, n’est ni riche, ni bibliophile; sa collection de manuscrits se limite à une demi-douzaine de pièces, presque toutes récentes 59 ; il recule devant le prix d’ouvrages essen56 Lettre du 7 septembre 1591 : «Il Gio. Battista Bandini Archidiacono Pisano è molto atto a sodisfare à V.S. poi che non ho truouato più diligente bracco in truouar libri nuoui e uecchi, e saper qual stampa sia migliore con piu aggiunte e in che forma» (Ambros. D 169 inf., f. 295vo). 57 Le texte est facilement accessible dans A. Serrai, Storia della bibliografia, V, Trattistica biblioteconomica, a cura di M. Palumbo, Rome, 1994, p. 174. Les trésors de Fulvio Orsini y sont longuement décrits, mais c’est Latini qui vient en premier : ille enim vir vndequaque doctus, et magnae existimationis vir Bibliothecam habet librorum varietate satis refertam, quam viuens Canonicis Viterbiensibus, suis conciuibus, donauit. 58 Voir le livre classique de P. de Nolhac, La bibliothèque de Fulvio Orsini... cité n. 29, et pour la bibliographie plus récente, J. Bignami Odier, La Bibliothèque vaticane de Sixte IV à Pie XI. Recherches sur l’histoire des collections de manuscrits, Cité du Vatican, 1973 (Studi e testi, 272), p. 96-97. 59 À la Bibliothèque capitulaire de Viterbe, L. Dorez (art. cité supra n. 6, dont nous reproduisons les cotes, maintenant changées) avait identifié cinq manuscrits lui ayant appartenu : trois Cicéron (no 5, 34 et 44; tous du XVe siècle), un Festus (no 38; XVe siècle), le Panthéon de Godefroy de Viterbe (no 67; XIIIe

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tiels 60, et note que la Bibliotheca Sanctorum Patrum, soupçonnée d’hérésie, est si chère qu’elle ne risque guère de contaminer les esprits! 61. Pourtant, dans ce cas, il fera la dépense, car son ambition, qui fut aussi celle de Rhenanus, est d’avoir sous la main tous les textes de l’Antiquité païenne et chrétienne. Il entend dire qu’un jésuite allemand vient de traduire Titus de Bostra, et aussitôt il prie Pinelli de lui trouver l’ouvrage 62. Lorsqu’un livre demandé arrive, parfois après de longs délais, c’est un petit événement dans la maison du Corso : Latini le lit toujours avec esprit critique et dans le «compte rendu» qu’il envoie à son ami, ou qu’il inscrit en tête de l’ouvrage, il expose avec précision les motifs de son enthousiasme, ou de sa déception, ainsi : «J’ai lu presque tout le Pierre Chrysologue avec diligence, et je n’y ai pas gagné beaucoup ni pour le fond ni pour la forme. C’est un auteur très recherché, qui fait montre d’éloquence, imitateur d’Arnobe, Cassiodore, Apulée...» (et ainsi de suite) 63. Certains écrivains le passionnent davantage. Il les possède souvent en plusieurs éditions, mais en règle générale il concentre ses annotations sur une seule, son exemplaire de travail, où viennent se déposer, au fil des ans, les fruits de son activité philologique. Le cardinal Sirleto tenait comme à la prunelle de ses yeux à sa Bible de Louvain, compagne de toute une existence de savant, au point d’en faire mention dans son testament 64 – de même Latini était particulièrement attaché à sa «Geleniana» de Tertullien (Bâle, Froben, 1550), qu’il n’a cessé d’utiliser de 1554 à sa mort 65. siècle). On pourrait se demander si le Salluste (no 7; XVe siècle) n’est pas le témoin dont Latini fait mention à Agustín (lettre du 29 mai 1567; Epistolae, II, p. 126) : collegeram ego ante annos XIIII aliqua ex unico codice meo.... Les Barb. lat. 23 (Properce; XVe siècle) et 87 (Cicéron, De finibus; XVe siècle) appartenaient jadis à Latini, comme le montrent des ex-libris grattés (cf. Les manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, I, Paris, 1975, p. 73-74 et 134). 60 À Pinelli, 1er novembre 1586 : «Del Gesnero la spesa mi spauenta e mi risoluo far senza esso» (Ambros. D 169, f. 196). 61 À Pinelli, 28 février 1579 : «La spesa graue farà prohiberla a molti, senza precetto de superiori» (Ambros. D 424, f. 100). 62 À Pinelli, 24 mars 1582 : «Intendo che sia uscito fuora Tito Bostreno in 4 Euangelii fatto latino da un Gesuita, stampato in Germania; se si puo hauere, V. S. mi farà gratia di farmene prouedere» (Ambros. D 424 inf., f. 197). Il s’agit sûrement de l’édition avec traduction latine des Commentarii in Lucam, due au jésuite Théodore Peltanus (Ingolstadt, 1580), qui sauf erreur ne figure pas à la Bibliothèque capitulaire de Viterbe. 63 À Pinelli, 18 juin 1575 (Ambros. D 424, f. 66A). Latini annota assez largement son édition (Paris, Jérôme de Marnef, 1575?) : cf. Bibliotheca, I, p. 98-102 (qui donne la date de 1574). 64 Cf. G. Denzler, Kardinal Guglielmo Sirleto, Munich, 1964, p. 156 (cote actuelle : Vat. lat. 9517). 65 Viterbe, Bibl. Capit., N. 142 (cote en 1964 : Latini 57). C’est à propos d’elle

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Le catalogue que nous donnons en appendice est partiel et sommaire, mais il permet tout de même de faire quelques remarques : 1. Le fonds semble bien conservé : sur les 134 ouvrages repérés, trois seulement ont quitté Viterbe pour les collections de hauts dignitaires ecclésiastiques 66 : les cardinaux Brancacci 67 et Domenico Passionei 68, ainsi que l’archevêque de Reims Charles-Maurice Le Tellier 69 ; ainsi s’explique qu’une édition annotée par Latini se conserve aujourd’hui en plein Quartier Latin. On peut espérer retrouver de même l’Arnobe le Jeune, l’Ambroise ou l’Augustin qui étaient encore à Viterbe lorsque Macri en transcrivait les annotations. La situation est moins favorable pour les ouvrages attestés seulement dans la correspondance de Latini ou dans liste soumise vers 1559 au Maître du Sacré Palais 70. 2. Il s’agit d’un fonds est essentiellement latin : nous n’avons retrouvé qu’une traduction en italien (les Institutions monastiques de Jean Cassien) et une douzaine d’éditions grecques sans traduction latine; Latini ne devait guère les pratiquer, si l’on en juge par la rareté de ses annotations. 3. Une dizaine de livres seulement proviennent de dons, le plus souvent faits par des amis de Latini (jamais par des imprimeurs, comme c’est souvent le cas chez Rhenanus). Un vestige de la Bibliothèque Pio de Carpi, «qui me fut léguée en l’an 1564» – pratiquement sans effet, d’ailleurs 71 –, tranche par sa date : c’est un des rares que Latini indique à Pinelli qu’il a légué il y a quelques années, devant notaire, ses livres à la cathédrale de Viterbe (12 mai 1584; Ambros. D 169 inf., f. 96). Les autres éditions de Tertullien ne comportent que des annotations sporadiques, sauf celle de l’Apologétique comprise dans l’édition aldine de Lactance (voir infra n. 74), sur laquelle il a collationné un manuscrit. 66 Le cardinal Francesco Barberini avait dû lui aussi se servir, mais il s’intéressait aux manuscrits : cf. n. 59. 67 Il avait incorporé à sa bibliothèque la précieuse édition de Cyprien où Latini avait noté les variantes du Veronensis (maintenant Naples, B. N. Branc. Rari A. 19). 68 C’est par son intermédiaire que sont venues à la Biblioteca Angelica l’édition de Paulin de Nole, dont les notes avaient été recueillies par Macri dans la Bibliotheca, I, p. 89-93 (cote : L.10.41) et celle de Syméon Seth, Syntagma de cibariorum facultate [grec et traduction latine], Bâle, 1538 (cote : FF.10.42). 69 L’édition aldine de Lactance (cf. infra n. 74) est ainsi décrite dans la Bibliotheca Telleriana, Paris, 1693, p. 32 : Aliud Exemplar ad Codd. mss. Collatum manu Latini Latinii Viterbiensis. 70 Voir infra n. 73. 71 La vente de la bibliothèque fut le moyen de payer les dettes du cardinal; cf. G. Mercati, Codici Pico Grimani Pio... esistenti nell’Ottoboniana, Cité du Vatican, 1938 (Studi e Testi, 75), p. 39-40. Avec le temps, Latini se rend compte qu’il n’aura rien de cette collection qu’il connaissait si bien : «son risoluto che di questi [libri] che Carpi mi lascio, non hauro mai speranza d’hauerne alcuno» (A Girolamo Mercuriale, 20 mai 1570; Ambros. D 169, f. 3).

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livres «anciens» du fonds, un Isidore de Séville imprimé à Paris en 1520. La grande majorité des éditions est postérieure à 1550 : Latini achetait ce qu’on trouvait alors sur le marché, sans partir, en règle générale, à la chasse d’incunables et d’autres raretés. 4. Les lieux d’impression se répartissent dans toute l’Europe, protestante comme catholique : Paris, 38; Bâle : 28; Anvers : 15; Cologne : 13; Venise et Rome : 12 chacune. Pour le reste : France et Italie, 5 chacune; Suisse : 3; Belgique : 2; Allemagne : 1. Les imprimeurs les mieux représentés sont Froben (13 éditions) et Plantin (12). 5. L’usage d’éditions suspectes d’hérésie a été autorisé par le Maître du Sacré Palais, dans un cas à la requête du libraire 72, dans tous les autres sur la demande de Latini lui-même qui lui a soumis une liste de 78 ouvrages (dont 13 éditions patristiques), avec le détail des expurgation proposées : «supprimer tout ce qui est d’Érasme» (ou de Beatus Rhenanus) – «faire disparaître le nom du typographe» (ou du scoliaste), etc. 73. Ces indications ont été scrupuleusement respectées, comme le montrent tant de page découpées et de passages blanchis ou caviardés. Il semble que les rigueurs de cette censure «capillaire» se soient atténuées après le pontificat de Pie IV : en tout cas, dans l’Athanase de 1570, Latini se borne à transformer «Theodorus Beza» en «Theodorus Gaza»... L’édition de Lactance conservée à Paris 74 permet de comprendre comment Latini travaillait, comme critique textuel et comme critique non pas doctrinal mais «littéraire (au sens ancien du terme, celui qui subsiste encore dans le titre «Histoire littéraire de la France»). Ce qui frappe dans son exemplaire de travail, c’est d’abord la précision des dates (le travail s’est déroulé du 1er au 30 mai 1558) et des données : les sources sont parfaitement identifiées, et les leçons attribuables sans ambiguïté à l’un ou l’autre manuscrit, ou à l’accord des deux 75. Le fameux Lactance de Bologne est heureuse72 Viterbe, N. 136 (Tertullien; Bâle, Froben, 1539), à la page de titre : Latini Latinii Viterbiensis 1562. Impetrata venia Rdi P. M. Thomae Manricii sacri palatii Apci Magistri a Francisco Tramezino. 73 Viterbe, «manuscrit» 10 (caisse contenant les papiers de Latini) : à la fin de la liste, on lit : Vsus huiusmodi librorum concessus sit D. Latino Latinio deletis omnibus delendis secundum decreta sancti (?) officii. F. Daniel M(agister). 74 Bibliothèque Sainte-Geneviève, Œa 1402 inv. 323 (réserve). Il s’agit de l’édition aldine de 1535 (Venetiis, in aedibus haeredum Aldi et Andreae soceri), qui comprend aussi l’Apologétique de Tertullien. 75 On lit sur la page de garde : Romae. 1558 cal. Maii. Emendare cœpi libros hosce Lactantii, ex uariis lectionibus duorum Codicum; quorum alter ex bibliotheca S. Saluatoris Bononiensis litteris Longobardicis descriptus mirae uetustatis [Bologne, Bibl. Univ. 701, Ve siècle; CLA 3, 280], alter itidem Bononiae ab erudito uiro Michaele Thoma Taxaquetio ex Balearium maiore Insula orto diligentissime

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ment conservé, ce qui rend moins utile un document secondaire. En revanche dans le cas de Cyprien, les annotations scrupuleuses de Latini, «homme vraiment admirable et comme moderne» écrivait jadis le cardinal Mercati 76, sont notre seul témoignage sur le très ancien codex Veronensis, ce qui vaut à l’œuvre de Latini une place de choix dans la préface que G. F. Diercks vient de donner à son édition des lettres de Cyprien dans le Corpus Christianorum 77. L’autre caractéristique, c’est l’ampleur du réseau des références. Latini a lu et relu tous les auteurs de sa bibliothèque, et renvoie à de nombreux passages parallèles en indiquant simplement l’auteur et la page dans son exemplaire de travail (où l’on trouvera d’ailleurs un renvoi symétrique) 78. Cette toile, tissée au fil des ans, est une sorte de chef d’œuvre artisanal, et oublié (la Bibliotheca sacra et profana ne signale pas ces renvois), qui mériterait des voyages à Viterbe, et pourrait donner des leçons de modestie à certains spécialistes de la «Quellenforschung». En tête de l’édition, Latini note un jugement de Jérôme sur Lactance. Il fait de même sur la page de titre de son Tertullien, où il signale les erreurs dénoncées par Augustin et Hilaire de Poitiers. Parfois il se risque à écrire lui-même une «censure», comme dans le cas des homélies qui circulaient sous le nom d’Eusèbe d’Émèse, dont il va montrer par un raisonnement chronologique irréfutable qu’une au moins est postérieure à ce dernier; l’auteur, qui n’utilise pas encore la Vulgate, est latin, gaulois et moine 79. L’intuition était bonne, même si on identifie mieux aujourd’hui les auteurs des sermons rassemblés dans la collection dite d’«Eusèbe Gallican» 80. Il suffisait de rassembler les annotations éparses dans les marges pour composer

excussus atque examinatus est. Cum igitur Longobardici codicis meminero, notam L. apponam; cum alterius A., cum utriusque V. Neutrius autem extabat primi libri initium usque ad tertii capitis postremas lineas. Earum uero emendationum copiam fecit mihi Taxaquetius quum Romae esset, meque mirifice diligeret, quae est hominis humanitas; et au f. 323vo, à la fin de l’Epitome : Emendationi huic manum primam adhibui Romae 1558 tertio Cal. Iunii. 76 Dans son mémoire toujours fondamental, D’alcuni nuovi sussidi per la critica del testo di S. Cipriano [1898-99], repris dans Opere minori, t. 2, Cité du Vatican, 1937 (Studi e Testi, 77), p. 163. 77 S. Cypriani Epistolarium (CCSL, t. III, 3), Turnhout, 1999, p. 741-760. 78 Ainsi au f. 26ro, à côté de et illi lex Papia fibula imposuit (Instit., I, 16, 10), il note «Tertull : 572», ce qui renvoie à la page 572 de sa Geleniana, où l’on trouve en effet à côté de supremam iam carni fibulam imponere (Mon. 3, 10) l’indication «Lact. lib. 1. 26a». 79 Cf. Bibliotheca, I, p. 114, et déjà une lettre à Pinelli du 22 janvier 1574 (Ambros. D 169 inf., f. 12). 80 Cf. H. J. Frede, Vetus Latina. Kirchenschriftsteller, Verzeichnis und Sigel, Fribourg en Brisgau, 1995, p. 455-460.

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un recueil d’observations, comme celui qu’un an avant sa mort, Latini envoie à Juste Lipse par l’intermédiaire du père jésuite Francesco Benci 81. Le grand philologue est un peu surpris d’une lecture si attentive de son œuvre : «pour ce qui est de Latini, ses remarques sont elles aussi bienvenues, même s’il y a des points où je pourrais répondre avec fermeté... Mais j’ajoute que je peux et je veux être non seulement critiqué, mais aussi corrigé et que (Dieu m’en sache gré) je suis reconnaissant à l’excellent vieillard pour sa lecture attentive et sa censure» 82. Cet esprit critique contraste avec la pauvreté des jugements émis sur la Bibliotheca Sanctorum Patrum de Marguerin de la Bigne, dans un document émanant de la congrégation de l’Index et conservé dans le Vat. Lat. 6207 83 : par exemple, Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum : «liber elegans et facundus»; Fauste de Riez : «sic loquuntur Lutherani...», Phœbade d’Agen : «bonus author, eloquens, eleganter argumentans, sed multis mendis plenus...», etc. 84. Latini se demandait lui-même si les personnes chargées de l’amender se révéleraient à la hauteur de leur tâche 85. On dut connaître ses scrupules, et l’utiliser une fois de plus comme un «érudit consultant». Toujours est-il qu’il fait plus tard allusion à ses travaux au service de l’Indice nuovo 86. Il serait intéressant de voir s’il y a une parenté entre les annotations qu’il porte en grand nombre sur 81 Lettre de Francesco Benci à Lipse, du 6 mars 1592 : Cum Latino sene antiqui prorsus exempli frequens de te sermo. Is quam delectetur lectione operum tuorum indicabunt pagellae, quas eius rogatu inclusi in hanc epistolam (Iusti Lipsi Epistolae, t. 5, Bruxelles, 1991, p. 139 [no 1164]). Latini écrivait à Pinelli le 29 novembre 1586 : il Lipsio mi riesce piu diligente et affettato breue, che chiaro et eloquente, come fù ne le prime cose... De Lipsio tibi soli quae supra scripta sunt, cupio dicta (Ambros. 169 inf., f. 198). 82 Lettre de Lipse à Benci, du 16 avril 1592 : De Latinio, illa quoque grata, etsi sunt quibus firmiter possim respondere... Sed hoc addo, quod moneri non solum possum et volo, sed etiam corrigi atque (ita me Deus amet) gratiam optimo seni habeo pro lectione accurata et notatione (ibid., p. 190 [no 1192]). 83 Ce manuscrit a été exploité par P. Simoncelli, Documenti interni alla congregazione dell’Indice, 1571-1590. Logica e ideologia dell’intervento censorio, dans Annuario dell’Istituto storico italiano per l’età moderna e contemporanea, 3536, 1983-1984, p. 189-215, et plus récemment par P. Godman (voir infra n. 86). 84 Vat. lat. 5207, f. 240ro, 249ro, 259ro. 85 À Pinelli, 18 février 1580 : «mi dubito che quelle persone che ambiscono il loco de la purgatione non saranno conosciute molto atte» (Ambros. D 424, f. 92). 86 Latini a pu collaborer (à titre privé?) à la Congrégation de l’Index nommée par Grégoire XIII (bulle du 13 septembre 1572). Après la mort du cardinal Sirleto (6 octobre 1585), qui en était l’âme, elle sommeille, puis est remplacée par une nouvelle congrégation nommée par Sixte-Quint en février 1587. En faisait partie le patron de Latini, Marcantonio Colonna (qui avait participé jadis à la rédaction de l’Index tridentin), et Latini lui-même figure parmi les «consultores extra classes» (P. Godman, The Saint as Censor. Robert Bellarmine between Inquisition and Index, Leyde, 2000, p. 429). Latini ne semble pas avoir eu, à cette époque en

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ses exemplaires du Catalogus scriptorum ecclesiasticorum de Trithème ou de la Bibliotheca sancta de Sixte de Sienne et les censures «littéraires» de l’Index expurgatorius publié à Rome en 1607 par le Maître du Sacré Palais, Giovanni Maria Guanzzeli 87. *

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En tant que bon catholique et bon philologue, Latini s’est trouvé parfois confronté à des problèmes de conscience, lorsque deux logiques s’affrontaient : quelle attitude prendre devant un texte manifestement contraire à la saine doctrine? Le problème était relativement simple pour ce qu’on appellerait aujourd’hui la «littérature secondaire». Il est certes déplaisant de ne pouvoir identifier l’auteur d’une expression proverbiale comme «ficum, ficum / ligonem ligonem appello», parce qu’on n’a pas le droit de disposer des Adages d’Érasme – mais on peut toujours lancer un appel au secours à Pinelli 88, ou se contenter d’attendre l’édition expurgée de Florence 89, qui rendra enfin accessible un instrument de travail nécessaire à tant de recherches 90. Latini déplore vivement qu’une telle procédure n’ait pas été envisagée pour un classique de l’humanisme, le commentaire de Vivès à la Cité de Dieu, qu’on a préféré ne pas reproduire : «si son nom et ses erreurs étaient odieux et mauvais, on pouvait les enlever sans priver le monde de ces fruits qui pouvaient être utiles à beaucoup, comme on l’a fait dans le cas des Proverbes d’Érasme» 91. Mais que faire quand c’est l’œuvre antique elle-même qui peut tout cas, de contact avec les deux autres puissances «censoriales», la Congrégation de l’Inquisition et le Maître du Sacré Palais. 87 Sur lequel on verra H. Reusch, Der Index der verbotenen Bücher. Ein Beitrag zur Kirchen- und Literaturgeschichte, I, Bonn, 1883, p. 549-559 (spécialement p. 554-55 sur la censure de la Bibliotheca Sanctorum Patrum par le dominicain Thomas Malvenda). 88 À Pinelli, 13 février 1573 (Ambros. D 424 inf., f. 53); c’est l’adage 1305 d’Érasme (éd. de Leyde, t. 2, c. 485-86). 89 L’édition révisée par les soins de Paolo Manuzio et Eustachio Locatelli, évêque de Reggio, parut à Florence en 1575 «apud Iuntas». Voir sur la censure des Adagia, S. Seidel Menchi, Sette modi di censurare Erasmo, dans U. Rozzo (éd.), La censura libraria nell’Europa del secolo XVI, Udine, 1997, p. 186-189. 90 Latini défendra plus tard l’utilité d’Érasme devant la Congrégation de l’index : An autem eius scripta, purgata quum fuerint, permittenda sint, ex eo commodo, quod adhuc puer retulisse me memini ex quibusdam eius scriptis perlectis, non modo facile assentior, sed etiam expedire maxime censeo... (protocole cité par P. Godman, The Saint as Censor...., p. 429). 91 À Pinelli, 14 avril 1582 : «Di S. Agostino hanno leuato a fatto da la Città di Dio Lodouico Vives, di cui se il nome o gli errori erano odiosi e cattiui, se poteuano tor uia senza fraudare il mondo di quel frutto che poteua esser utile a molti, come fu fatto nel opera de Prouerbii d’Erasmo» (Ambros. D 424 inf., f. 199).

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être dangereuse? Là encore, il y a une solution simple, qui consiste à ne pas la publier du tout. Ainsi les variantes du Codex Vaticanus de la Bible (B), recueillies par Maiorano, restent inédites «parce que j’ai su de Sirleto (écrit Latini à Masius) qu’il y a dans ce manuscrit bien des leçons qui ne peuvent être diffusées inconsidérément, de peur que les passionnés de nouveautés, c’est-à-dire les modernes Ariens et Macédoniens, n’aient là une meilleure occasion de délirer» 92. Cette politique de suppression pure et simple avait été adoptée par l’Index de 1559 qui range dans la troisième classe, – celle des livres qui, dus à des hérétiques non définis, sont entachés des «doctrines les plus pestilentielles» –, un certain nombre d’apocryphes, comme l’Itinerarium Petri per Clementem, l’Evangile de Nicodème ou cet Opus imperfectum in Matthaeum dont, ironie du sort, Érasme avait été le premier à mettre en doute l’attribution à s. Jean Chrysostome 93. La situation est plus délicate quand on se trouve face à un auteur reconnu, probabilis. Un cas d’école est fourni par la publication de lettres inédites de saint Cyprien. Latini, qui a pris le relais du bon Faerno, soumet ses travaux à Sirleto le 16 septembre 1562 94. Il lui communique les lettres récemment découvertes, et lui demande son avis sur l’opportunité de les publier «soit toutes, soit partiellement, soit aucune». De fait quatre lettres inédites sur vingt vont passer à la trappe 95 ; Latini ne protestera pas. Il présente aussi à Sirleto une ébauche d’index, commencé sur son édition in 8o (celle maintenant à Naples) : «On pourra adapter les chiffres à la nouvelle impression, et ajouter, retrancher et changer ce qui semblera bon au jugement de Messer Gabriele 96, parce qu’en vérité c’est l’œuvre d’un théologien consommé, et non la mienne». Passe encore pour l’index – mais ce qui ne va plus, c’est que le même dominicain trafique le texte, par exemple en accommodant à la Vulgate les citations bibliques de Cyprien (antérieur d’un siècle et demi à Jérôme), et en insérant dans le ch. 4 du De unitate ecclesiae les mots Hic Petro primatus datur, qui étaient pour Latini un cas typique de glose introduite abusivement dans le texte original : «Pour respecter le témoignage des manuscrits les plus anciens et les plus 92 À Masius, le 3 décembre 1560 : «nam ex Sirleto didici, multa sunt in eo codice non temere vulganda, ne nouarum rerum studiosis id est Arrianis et Macedonianis huius temporis maior insaniendi occasio praeberetur» (Epistolae, II, p. 80). 93 Cf. H. Reusch, Der Index der verbotenen Bücher..., p. 292. 94 Vat. lat. 6189, f. 122; nous publierons ailleurs cette lettre qui nous avait autrefois échappé. 95 Il s’agit des epist. 8, 21, 22 et 75, qui seront publiées l’année suivante à Paris par Guillaume Morel. 96 Sur les méfaits de ce correcteur, voir Le ‘Codex Veronensis’... cit. n. 55, p. 337-38.

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LATINO LATINI (1513-1593)

399

nombreux, il aurait fallu se contenter d’indiquer ce qu’on trouvait dans des recentiores, et non l’intégrer dans le contexte de Cyprien» 97. Ecœuré, Latini se retire l’entreprise 98 et, comme nous l’avons dit, son nom n’apparaît nulle part dans l’imprimé. Il défendra plus tard l’idée qu’on se doit de respecter même les erreurs des Pères, faillibles comme tous les hommes, à condition de mettre en garde le lecteur 99. Cette attitude (que les Anciens avaient adoptée face aux écrits d’Origène) est encore plus justifiée aujourd’hui – un traitement trop énergique tomberait sous la critique des adversaires (protestants), toujours prêts à dénoncer les falsifications romaines100, et rendrait de surcroît incompréhensibles les nombreuses réfutations de ces erreurs par les théologiens catholiques. Lorsque, dans les années 1580, il s’attaque au texte de Tertullien (maître de Cyprien), il est confronté à une situation bien différente de celle qu’il avait connue avec Cyprien (dont le texte est bien attesté et sans grand problème) : «Je suis pour l’instant occupé de Tertullien, dans lequel je trouve tant de passages en mauvais état, et si fréquents, que, à mon avis, il est si difficile de s’en tirer avec honneur que, sans l’aide de manuscrits, l’entreprise ne réussira jamais, quels que soient le savoir et le jugement de l’éditeur»101. Malheureusement les témoins auxquels il a accès appartiennent à la même branche de la tradition que l’édition princeps, et ne lui servent guère dans son entreprise de restituer «le pur Tertullien»102, c’est-à-dire le texte qu’il a vraiment écrit : les lieux communs et les controverses avec les hérétiques, sur lesquels les commentateurs 97 Bibliotheca, I, p. 179 : Quare, ut Codicum fidem sequeremur vetustiorum, et plurium, indicari oportuerat tantum quae in recentioribus reperta erant; sed non statim in Cypriani contextum referri. 98 Il s’en explique à Masius le 11 décembre 1562 (Epistolae, II, p. 109), puis, quelque vingt années plus tard, à Pamèle le 21 juin 1584 (ibid., p. 182). 99 Dans ses De expurgatione librorum aliqua consideranda (Epistolae, II, p. 203-205); on trouvera des idées analogues dans le mémoire tiré du Vat. lat. 6207, que nous publions dans un article sur Les éditions patristiques de la ContreRéforme romaine, dans I Padri sotto il torchio. Le edizioni dell’antichità cristiana nei secoli XV-XVI, Florence, 2002, p. 3-31. 100 Nous nous permettons de renvoyer à notre étude De adulteratis Patrum editionibus. La critique des textes au service de l’orthodoxie, dans E. Bury, B. Meunier (éd.), Les Pères de l’Église au XVIIe siècle. Actes du colloque de Lyon, 2-5 octobre 1991, Paris, 1993, p. 17-31. 101 À Pinelli, 25 juin 1583 : «Trattengomi tal hora in Tertull. nel quale truouo tanti cattiui passi, e si frequenti, che giudico l’impresa di cauarne le mani con honore tanto difficile che senza aiuto di testi scritti, non sia mai per riuscire à persona per erudita e giuditiosa che sia» (Ambros. D 169 inf., f. 71). 102 À Pinelli, le 11 décembre 1582 : s’il n’a pas de manuscrit nouveau, Panciroli aura du mal à faire mieux que ses prédécesseurs «i quali ueggo essersi occupati in lochi communi e controuersi con gli heretici, e pieni i fogli di tali discorsi, et io uorrei il puro Tertulliano» (Ambros. D 169 inf., f. 52).

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400

PIERRE PETITMENGIN

écrivent des pages et des pages, ne sont pas sa tasse de thé. Il précise sa position lorsqu’il reçoit l’édition monumentale de Jacques de Pamèle, le savant archidiacre de Saint-Omer : «à moi, il n’apporte pas grande aide parce que ma partie consiste uniquement à améliorer le texte, et non à expliquer les histoires, les fables, les phrases, les mots, les dogmes, ou à confirmer les catholiques et réfuter les hérétiques»103. Son travail est donc le fruit de son seul jugement critique : quelque 700 ou 800 conjectures «fra buone, mediocri e friuole», qu’il soumet d’abord, manuscrites, à deux lecteurs chargés de les critiquer, Pinelli et Girolamo Mercuriale104, puis fait imprimer en trois cents exemplaires pour les diffuser auprès de ses amis et connaissances, qui lui adresseront force remerciements élogieux, sans peut-être saisir l’importance de l’enjeu. Pour qu’une conjecture soit réussie, il faut (nous dit Latini) qu’elle respecte «le style ordinaire et naturel» de l’auteur, et surtout la «nécessité de la sentence»105. Cette exigence de logique me semble caractéristique de son approche des problèmes. Il veut des raisonnements clairs et irréfutables dans tous les domaines des études classiques où il a œuvré, qu’il s’agisse par exemple de séparer les deux Fulgence, l’évêque et le mythographe, ou de trouver la clé des poids et mesures des Romains : «En lisant Budé, Agricola et d’autres, j’ai noté beaucoup de points qui m’ont semblé manquer de principes assurés et sont pour cela ambigus même maintenant, à moins d’être affermis sur des principes nécessaires, comme sur des fondements stables»106. La conclusion me paraît claire, même si elle n’est pas explicitée : une autorité extérieure (fût-elle celle de l’Église) n’a pas à interférer avec la découverte et le respect de ces necessaria principia. Nous sommes peut-être à une étape dans le chemin qui va de la préface à Paul III du De revolutionibus, où Copernic affirme l’autonomie du travail des techniciens, jusqu’à la maxime de Scipione Maffei : 103 À Pinelli, 25 février 1584 : le Tertullien de Pamèle «à me non porta molto aiuto, poi che la mia parte consiste in accommodare la lettione solamente e non in dichiarare l’historie, fauole, frasi, uocabuli, dogmi, et in confirmare i catholici e confutare gli heretici» (Ambros. D 169 inf., f. 89). 104 Dont il espère des réponses franches «lasciando le cerimonie, ò lode da banda» (à Pinelli, le 2 juin 1584; Ambros. D 169 inf., f. 97; voir aussi au f. 101 la lettre du 12 juillet 1584). Un de ces recueils est conservé à l’Ambrosienne, Q 113 sup., f. 83-98. 105 À Pinelli, le 12 mai 1584 : «La necessità de la sententia de lo scrittore e la sua ordinaria e natural maniera di scriuere ha da entrare per mezo à far giuditio de le congetture» (Ambros. D 169 inf. f. 96). 106 À Masius, le 18 mai 1571 : Obseruaui ego dum Budæum, dum Agricolam, dum alios legerem, multa, quae mihi visa sunt certis principiis carere, atque ideo ambigua etiam num [lege nunc] esse, nisi necessariis principiis, quasi stabilibus fundamentis firmarentur (Epistolae, II, p. 143).

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LATINO LATINI (1513-1593)

401

«nell’erudizione non si dà eresia» [dans l’érudition, l’hérésie n’intervient pas]107. *

*

*

Loin de moi, l’idée de faire de l’ermite de la Via Lata un précurseur de Descartes dans son poêle. Il ne s’occupait que de petits problèmes, plus philologiques que théologiques, mais il le faisait avec compétence et indépendance d’esprit, et en mettant en œuvre les meilleurs instruments dont l’érudition disposait alors. Pour cela il mériterait d’être traité avec autant de pietas que d’autres figures plus illustres, comme Beatus Rhenanus ou, plus proche de lui, Pierre Canisius. Une vie où il ne se passe pour ainsi dire rien ne tentera peut-être pas un nouveau biographe, mais la reconstitution de sa bibliothèque et de son double réseau – celui des érudits avec lesquels il correspond108 et celui des auteurs qu’il fait dialoguer à travers les marges de ses livres – devrait permettre de mieux cerner la transformation, à Rome même, de la culture humaniste entre les années 1550 et 1580; de mieux comprendre la place que le savant peut et doit tenir au sein d’entreprises collectives, et parfois dirigistes; et surtout de voir naître l’affirmation de la philologie comme un mode de pensée autonome, et supra confessionnel. La critique s’est libérée des a priori de la controverse théologique : bientôt viendra le temps d’une coopération entre les savants venus d’horizons différents, au service de la vérité des textes109. Pierre PETITMENGIN

107 Dans son Ricordo per la riforma dello Studio di Padova (1715), cité par A. Rotondò, La censura ecclesiastica e la cultura, dans R. Romano et C. Vivanti (éd.), Storia d’Italia, V, I documenti, Turin, 1973, p. 1444. 108 Nous espérons pouvoir donner un jour sinon une nouvelle édition, du moins un inventaire de sa correspondance. 109 Cf. H. J. Sieben, Von der Kontroverstheologie zur Zusammenarbeit in der Respublica literaria (1546-1643). Jesuitenpatristik von Petrus Canisius bis Fronton du Duc, dans R. Berndt (éd.), Petrus Canisus SJ (1521-1597), Humanist und Europäer, Berlin, 2000, p. 169-201.

.

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B = Bâle G = Genève V = Venise

Br = Bordeaux L = Lyon Vé = Vérone

C = Cologne Lo = Louvain Z = Zurich

D = Dillingen P = Paris

Arnobe le Jeune Athanase

Antoine, Maxime Arnobe

Ambroise

Auteur

Opera Opera Opera In Psalmum 118 Opera Adu. gentes Adu. gentes Opera Opera (lat)

Titre

P. Nanningh

S. Gelen

C. Gesner

Érasme J. Gillot J. Gillot

Éditeur / Traducteur

P, G. Chevallon, 1539 P, G. Merlin, 1569 P, G. Merlin, 1569 R, D. Basa, 1585 Z, C. Froschauer, 1546 R, F. Priscianese, 1542 B, Froben, 1546 B, Froben, 1537 B, Froben, 1556

Adresse

1590 1565 d

1540

Date acquisit.

Vi/ P.261 Vi/ O.375 ––– Vi/ M.49 Vi/ M.124 Vi/ O.368 Vi/ C.37 ––– Vi/ M.140

Cote

cens

(à suivre)

BSP BSP BSP

nms nms BSP

Censure Notes

BSP = les notes sont publiées dans la Bibliotheca Sacra et Profana (cf. n. 7); on a omis les auteurs médiévaux. Dans la colonne «Date d’acquisition», d = présence d’un ex-dono; c = circa (date déduite de la correspondance de Latini; les autres sont celles des ex-libris)

Vi/ = Viterbo, Archivio Capitolare (cotes antérieures aux remaniements des années 1960; – indique que nous n’avions pas cherché ou trouvé le livre en 1964) cens : le livre a fait l’objet d’une censure (cf. n. 72 et 73) nms : l’exemplaire comporte des annotations de Latini

A = Anvers F = Florence R = Rome

Lieux d’impression

La Bibliothèque patristique de Latino Latini : essai de reconstitution

ANNEXE

402 PIERRE PETITMENGIN

Clément d’Alexandrie

Cassiodore

Cassien

Canones Apostol.

Bibl. S. Patrum Bède le Vénérable Boèce

Ausone Basile de Césarée

Athénagore Augustin

Auteur

Opera Opera Cons. Philos. gr gr. lat lat Opera Instit. Collation. Instit. (ital) Opera In psalmos Institut. I Opera (gr) Opera (lat)

De trinitate + Opera Opera Opera De doctr. christ. In eplas Pauli Epitome oper. Opera Opera (gr) Opera (lat) Opera (lat)

Titre

J. de Pamèle P. Vettori G. Hervet

G. Fournier

H. van Cuyck P. Chacón

Th. Pulmann J. du Tillet J. Quintin

M. de la Bigne

J. Cornarius

I. Piscatorius E. Vinet

Érasme Lovanienses

Th. de Bèze

Éditeur / Traducteur

P, H. Estienne, 1570 sl (G), H. Estienne, 1557 V, ad signum Spei, 1552 A, C. Plantin, 1576 C, E. Cervicornus,1529? V, G. I. de Ferrariis,1543 V, s.s. S. Bernardini, 1542 Br, S. Millanges, 1580 B, Froben, 1551 V, ad signum Spei, 1548 A, Ph. Nuttius, 1569 P, M. Sonnius, 1575-79 B, J. Herwagen, 1563 B, H. Petri, 1546 A, C. Plantin, 1562 P, C. Neobar, 1540 P, A. Wechel, 1558 P, G. Morel, 1561 A, C. Plantin, 1578 R, D. Basa, 1580 V, M. Tramezzino, 1563 P, S. Nivelle, 1579 V, h. O. Scoti, 1517(-34) A, C. Plantin, 1566 F, L. Torrentinus, 1550 F, L. Torrentinus, 1551

Adresse

1580 c1580d

1561

1570d

1543

Date acquisit.

Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/

Vi/ Vi/ Vi/ Vi/

M.80 M.81 H.161 O.289 ––– O.308 O.312-5 P.256-63 M.164 L.7 E.27 O.9 G.165 M.88 F.52 T.194 O.316 A.227 C.27 O.305 O.306

Vi/ M.87 Vi/ F.46 ––– Vi/O.377-84

Cote

cens

cens

cens

(à suivre)

nms

nms

BSP?

nms nms BSP

Censure Notes

LATINO LATINI (1513-1593)

403

.

.

Eusèbe d’Émèse Fulgence

Diuinis (de) officiis Épiphane de Salamine Eucher de Lyon Eugippe Eusèbe de Césarée

Denys l’Aréopagite

Cyrille d’Alexandrie

Cyprien

Clément de Rome Conciles Constitutions Apost.

Auteur

Opera (gr) Opera (lat) Opera Extr. Augustin Prepar. Ev. (gr) Demon. Ev. (gr) Chronicon (lat) Prep+Dem. (lat) Vita Const. (lat) Homeliae Opera

Recognitiones lat gr lat lat Opera Opera Opera Opera (lat) In Isaiam Catéchèses (lat) De adorat. (lat) Opera (gr) Opera (lat)

Titre

J. Sichard G. Trapezuntius J. Portesius J. de Gaigny

J. Cornarius P. Galesini

J. Périon M. Hittorp

L. Hunfredus I. Grodeck A. Agellio

J. Sichard L. Surius F. Torres G. C. Bovio, F. Torres Erasme P. Manuzio J. de Pamèle

Éditeur / Traducteur

B, J. Bebel, 1536 C, G. Calenius, 1567 V, G. Ziletti, 1563 V, G. Ziletti, 1563 A, C. Plantin, 1578 L, S. Gryphe, 1537 R, P. Manuzio, 1563 A, v. & h. Stelsii, 1568 B, (J. Herwagen, 1546) B, Froben, 1563 C, M. Cholinus, 1564 R, in aed. Pop. Rom,1588 P, G. Morel, 1562 Lo, J. Bogard, 1566 C, G. Calenius, 1568 B, J. Herwagen, 1544 B, J. Oporinus..., 1560 R, P. Manuzio, 1564 B, R. Winter, 1542 P, R. Estienne, 1544 P, R. Estienne, 1545 B, H. Petri, 1536 C, M. Novesianus, 1539 P, M. Fezandat, 1546 P, N. Le Riche, 1547 B, H. Petri, 1566

Adresse

c1574

1565 1565

c1588d

1563

1579d

1567 1564

Date acquisit.

Vi/ O.295 Vi/ F.128-31 Vi/ E.89 Vi/ E.26 Vi/ O.311 Naples, BN Vi/ N.149 Vi/ O.363 Vi/O.369-70 Vi/ O.365 Vi/ O.284 Vi/ O.364 Vi/ M.74 Vi/ M.75 ––– Vi/N.130 Vi/N.129 Vi/ B.123 Vi/ C.123 Vi/ A.262 Vi/ A.262 Vi/ T.263 Vi/ O.283 Vi/ T.8 Vi/ M.83 Vi/ M.27

Cote

cens

cens

(à suivre)

BSP BSP

BSP BSP

BSP

nms nms BSP

nms

nms BSP

Censure Notes

404 PIERRE PETITMENGIN

Jean Chrysostome

Isidore de Péluse Isidore de Séville

Irénée de Lyon

Ignace d’Antioche

Historiens eccles.

Grégoire de Tours Hilaire de Poitiers

Grégoire de Nysse

Grégoire le Grand Grégoire de Nazianze

Auteur

Opera Opera Opera (gr) Opera (lat) Sermones 3 (lat) Opera (lat) De virg. (gr.lat) Opera Opera Opera Opera (gr) Opera (lat) Opera (lat) Epist. (gr) Epist. (gr.lat) Opera Opera Opera Epist (gr.lat) Opera Origines Sententiae Opera (lat) Opera (lat) In ep. Pauli (gr) In Philip. (lat)

Titre

Donat. Veron. F. Nobili

Érasme et alii

Érasme F. Feuardent F. Feuardent J. de Billy M. de la Bigne

B. Rhenanus J. Christophers. V. Paceus

Érasme Érasme/MLipse

J. de Billy G. Gabrieli J. Löwenklau J. Livineius

J. Molanus

Éditeur / Traducteur

A, C. Plantin, 1573 B, Froben, 1551 B, J. Herwagen, 1550 P, N. Chesneau, 1583 A, C. Plantin, 1573 B, E. Episcopius, 1571 A, C. Plantin, 1574 B, P. Perna, 1568 P, Ch. Guillard, 1544 B, Froben, 1550 P, R. Estienne, 1544 P, Galliot du Pré, 1541 P, N. Chesneau, 1571 D, S. Mayer, 1557? A, C. Plantin, 1566 B, Froben, 1548 P, S. Nivelle, 1576 P, S. Nivelle, 1576 P, G. Chaudière, 1585 P, M. Sonnius, 1580 P, J. Petit, 1520 A, J. Bellère, 1566 V, ad signum Spei, 1549 P, S. Nivelle, 1581 Vé, St. & fr.a Sabio,1529 R, G. de Angelis, 1578

Adresse

1581

1564d 1569

c1586

1567

1553 1572

1572

Date acquisit.

Vi/M.37 Vi/ O.373-4 Vi/ O.366 Vi/ O.298-9 Vi/ M.73 Vi/ O.292 Vi/ M.108 Vi/ R.65 Vi/ O.307 Vi/ O. 367 Vi/ S.142 Vi/ T.203 Vi/ S.141 Vi/ N.109 Vi/ M.89 Vi/ O.288 Vi/ O.311 Vi/ N.150 Vi/ N.141 Vi/ O.304 Vi/ N.125 Vi/ O.11 ––– Vi/ P.249-53 Vi/ O.302/9 Vi/ M.120

Cote

cens

cens

(à suivre)

BSP

BSP

BSP BSP

BSP

Censure Notes

LATINO LATINI (1513-1593)

405

.

.

Léon le Grand Lucifer de Cagliari Macaire Martyr. Romanum Maxime le Confess. Optat de Milève Origène Orose Palladius Paulin de Nole Philastre de Brescia

Juvencus Lactance

Justin

Josèphe

Jérôme

Jean Damascène

Auteur

In Dion. Areop. (gr) De schism. Donat. Opera (lat) Opera Hist. laus. (lat) Opera Haeresewn catal.

In Matthaeum (lat) Opera (lat) Ed. orth. fidei (gr) De imag. (gr) De imag. (lat) Opera Opera Opera (lat) De bello iud. (lat) Opera Opera (lat) Opera (lat) Opera Opera Opera Opera Opera Homiliae (lat)

Titre

Erasme J. Caesarius G. Hervet H. Grauius J. Sichard

P. Canisius J. du Tillet J. Picot C. Baronio

J. Périon S. Gelenius

C. Gualtherus

J. de Billy Donat. Veron. N. Maiorano F. Zini Érasme M. Vettori

Éditeur / Traducteur

P, A. Girault, 1545 P, G. Chaudière, 1577 Vé, St. & fr.a Sabio, 1531 R, St. Nicolino, 1553 V, Alde, 1554 L, S. Gryphe, 1530 R, aed. Pop. R., 1565-72 B, Froben, 1548 C, M. Cholinus, 1559 P, R. Estienne, 1551 P, J. Dupuys, 1554 B, Froben, 1555 L, J. de Tournes, 1553 V, Alde, 1535 A, C. Plantin, 1570 C, M. Novesianus, 1546 P, M. Sonnius, 1568 P, G. Morel, 1559 R, D. Basa, 1586 P, G. Morel, 1562 P, M. Sonnius, 1569 B, Froben, 1557 C, I. Gennepaeus, 1542 P, G. Chaudière, 1570 C, M. Cholinus, 1560 B, H. Petri, 1528

Adresse

1572

1560 1586d

1554 1571d

Date acquisit.

(à suivre)

BSP BSP

BSP

BSP

BSP BSP

BSP BSP nms

BSP BSP

nms

Censure Notes

O.87 O.303 C.78 M.76 M.76 ––– cens Vi/ N.144-8 Vi/ N. 138 cens Vi/ R.56 Vi/ O.305 Vi/ N.140 Vi/ O.288 Vi/ G.20 P, SGeneviève Vi/ C.28 Vi/ N.127 Vi/ F.47 Vi/ V.92 Vi/ M.157 Vi/ M.84 Vi/ T.37 Vi/ O.296-7 Vi/ R.55 Vi/ T.172 R, Angelica Vi/ Lat. 32

Vi/ Vi/ Vi/ Vi/ Vi/

Cote

406 PIERRE PETITMENGIN

Opera (gr) Opera (lat)

Titre

Éditeur / Traducteur Adresse

P, A. Turnèbe, 1552 B, N. Episcopius, 1554 Physiologus G. Ponce de Leon R, F. Zannetti, 1588 Pierre Chrysologue Opus homiliarum P, J. de Marnef, 1574? Prosper d’Aquitaine Opera J. Soteaux Lo, J. Bogard, 1566 Prudence Opera L, J. de Tournes, 1553 Opera Th. Pulman A, C. Plantin, 1564 Salvien Opera R, P. Manuzio, 1564 Sulpice Sévère Opera V. Giselin A, C. Plantin, 1574 Tertullien Opera B. Rhenanus B, Froben, 1539 Opera S. Gelenius B, Froben, 1550 Opera R. L. de la Barre P, G. Julien, 1580 Opera J. de Pamèle P, M. Sonnius, 1583 Théodoret de Cyr Opera (lat) C, J. Birckmann, 1567 De providentia (gr) Z, Ch. Froschauer, 1546 Eranistes (lat) B, I. Parcus, 1549 Vincent de Lérins Commonitorium C, h.A. Birckmanni,1560 Vitae Sanctorum L. Surius C, G. Calenius, 1570-75 Zénon de Vérone Sermones Vé, G. Discepolo, 1586 bibl. Trithème Catal.script.eccl. C, P. Quentel, 1531 bibl. Sixte de Sienne Bibliotheca Sancta V, F. Francischi, 1566

Philon d’Alexandrie

Auteur

1584

1562 1554

1568

c1588d

Date acquisit.

Vi/ S.134 Vi/ S.138 Vi/ T.195 ––– Vi/ N.118 Vi/ G.20 Vi/ H.50 Vi/ B.123 Vi/ M.85 Vi/ N.136 Vi/ N.142 Vi/ O.301 Vi/ N.147 Vi/ Lat. 43 Vi/ L.70 Vi/ C.37 Vi/ B.28 Vi/ P.212-7 Vi/ M.48 Vi/ T.193 Vi/R.119-20

Cote

cens

cens cens

cens

nms BSP BSP

BSP

nms

BSP

BSP

BSP

Censure Notes

LATINO LATINI (1513-1593)

407

.

MARION LEATHERS KUNTZ

RUOLI PROFETICI NELLA VENEZIA DEL SEDICESIMO SECOLO APPUNTI STORICI TRA MASCHI E FEMMINE*

La profezia costituì un aspetto considerevole e penetrante della cultura medievale, del quale si occupò numerosa letteratura. Lo studio monumentale di Marjorie Reeves, The influence of prophecy in the later Middle Ages : a study of Joachimism, diede l’avvio ad un rinnovato interesse, non solo in Gioacchino, ma anche nella profezia in generale; prova ne sia la comparsa di numerosi testi sulla profezia durante gli ultimi vent’anni1. Per quanto concerne il presente studio, anche Gioacchino si rivela una preziosa e ricca fonte d’informazione, in quanto egli vide il suo Terzo Stato, o Età dello Spirito Santo, nelle vesti di rappresentante e non di demiurgo. «...allorquando la

* Un sincero ringraziamento rivolgiamo alla dottoressa Maria Francesca Tiepolo, già direttore dirigente dell’Archivio di Stato di Venezia, al direttore dirigente, Paolo Selmi, e al suo personale, per averci permesso l’uso di materiale raro; al dottor Marino Zorzi, direttore della Biblioteca Marciana, alle dottoresse Anna Maria Zanotto e Margherita Carboni, della Biblioteca Marciana, e alla signorina Nancy Romero, della Rare Book and Special Collection Library dell’Università dell’Illinois, Urbana, per averci procurato le fotocopie dell’edizione del 1557 del Chronicon di Carion. Estendiamo i nostri ringraziamenti anche a Georgia State University e alla Fuller E. Callaway Foundation, per il generoso sussidio accordato alla ricerca. 1 Oltre a M. Reeves, The influence of prophecy in the later Middle Ages. A study in Joachimism, Oxford, 1969, si veda B. McGinn, Visions of the end. Apocalyptic traditions in the Middle Ages, New York, 1979; R. B. Barnes, Prophecy and gnosis in the wake of the Lutheran Reformation, Stanford, 1988, A. Williams (ed.), Prophecy and millenarianism. Essays in honour of Marjorie Reeves, Essex, 1980; C. Vasoli, Profezia e ragione. Studi sulla cultura del Cinquecento e del Seicento, Napoli, 1974; Id., Filosofia e religione nella cultura del Rinascimento, Napoli, 1988; O. Niccoli, Profeti e popolo nell’Italia del Rinascimento, Roma-Bari, 1987. La profezia è anche il tema centrale di D. Weinstein, Savonarola and Florence. Prophecy and patriotism in the Renaissance, Princeton, 1970 e di M. L. Kuntz, Guillaume Postel : prophet of the restitution of all things, L’Aja, 1981; Id., The anointment of Dionisio. Prophecy and politics in Renaissance Italy, University Park, Pa., 2001. Si veda inoltre Guillaume Postel, Le Trésor des Prophéties de I’Univers, manoscritto pubblicato con introduzione e note di F. Secret (L’Aja, 1969) e C. Vasoli, Immagini umanistiche, Napoli, 1983.

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Terra e il Cielo erano in armonia, il nuovo ordine non creava quell’armonia, ma l’accompagnava accuratamente» 2. La profezia, quale componente del clima religioso del Cinquecento, è stata documentata da molti studiosi, tra i quali figurano Delio Cantimori, Cesare Vasoli, Donald Weinstein e, recentemente, Ottavia Niccoli e Marion Leathers Kuntz. Nei primi anni del sedicesimo secolo, i profeti parvero abbondare, soprattutto a Firenze, dietro l’esempio del Savonarola 3. Dopo il quinto Concilio Laterano del 1512-1517, il cardinale Giulio de’ Medici, nel 1517, proclamò un concilio fiorentino che aveva lo scopo di mettere in pratica le riforme del Concilio Laterano 4. Tra le restrizioni formulate del concilio, vi era il divieto di «predicare libero e ispirato» e di profetizzamento sugli ultimi giorni. Tali proibizioni sono ancora più esplicite, come precise Cantimori, poiché il cardinale Egidio da Viterbo, nel suo discorso inaugurale del Concilio Laterano, dichiarò di avere predicato per vent’anni circa i tempi profetizzati nell’Apocalisse 5. La profezia è stata generalmente considerata una parte fondamentale della cultura italiana dei primi decenni del Cinquecento, che perse ogni importanza effettiva negli anni che seguirono il 1530. Numerosi e importanti esempi veneziani confutano questa tesi. Venezia si rivela il locus ex quo adatto all’inizio di una discussione sulla profezia, in quanto la Serenissima vantò essa stessa un’origine profetica. Innumerevoli Chroniche parlano dettagliatamente dell’origine divina di Venezia e narrano la missione predicatoria di San Marco nei dintorni della laguna veneziana. Allo scatenarsi di un improvviso e violento temporale, San Marco, credendo che la fine fosse imminente, affidò la sua anima a Dio. Un angelo mandato dal Cielo gli rivolse allora le ormai famose parole : Pax tibi, Marce, evangelista meus. Il divino messaggero disse a San Marco che dove ora si vedevano solamente paludi e piccioni, un giorno sarebbe sorta una splendida città, dedicata a lui e alla venerazione di Dio. La leggenda di San Marco ebbe un ruolo importantissimo nella storia di Venezia e nel sedicesimo secolo. Il mito della sua fondazione servì a glorificare Venezia, ma anche ad ammonire i Veneziani affinché ritornassero alla loro antica pietà 6.

M. Reeves, The influence of prophecy...., p. 265. Si veda D. Weinstein, Savonarola and Florence. Prophecy and patriotism in the Renaissance, Princeton, 1970 e D. Cantimori, Eretici italiani del Cinquecento, Firenze, 1977. 4 D. Cantimori, Eretici..., p. 10. 5 Op. cit., p. 11. 6 Si veda Venezia, Bibl. Marciana, Mss. Italiani CI.V11 cod. CXX (8158), f. 3r. 2 3

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Nel presente studio saranno analizzate tre profetesse che operarono nella Venezia del sedicesimo secolo, in relazione alla profezia e al suo significato nella Venezia del Cinquecento. Inoltre, ci si soffermerà anche sulla relazione tra femmina-profeta e maschio «addetto» alla profezia femminile. Una donna misteriosa, vissuta a Venezia nel sedicesimo secolo, provvede allo studioso moderno, interessato alla profezia, alla storia e ai contributi da parte delle donne, un incredibile ordine di idee; alcune con precedenti medievali, altre incredibilmente moderne 7. Questa donna, il cui cognome ci è sconosciuto, riuscì ad esercitare una così grande influenza sui ricchi veneziani, che essi l’aiutarono finanziariamente nel mantenimento di un ospizio che lei, da sola, aveva fondato. Ancora più sorprendente è il fatto che essa divenne la voce più duratura nei numerosi scritti di una delle figure più erudite del Rinascimento, Guglielmo Postello. Essa era conosciuta semplicemente come la Vergine Veneziana o Giovanna, in veneziano Zuana, suo nome di battesimo. Non godette dell’appoggio della sua famiglia, dell’ordine della chiesa o di amici potenti e non era istruita nelle libere arti, come lo erano alcune donne del suo tempo. Era una donna semplice, di origine sconosciuta a che fu quasi trascurata dagli storici dei secoli seguenti. La sua vita, tuttavia, fonde passato e presente, per quanto concerne le cause femminili 8. Era una profetessa che si rifiutava di essere ridotta al silenzio e che progredì, lentamente, in una carriera basata su imperativi spirituali da lei stessa formulati. Essa proclamò il bisogno di uno stato e di una chiesa universali, predicati su principi di fratellanza universale, che implica anche sorellanza universale. Il

7 La sua vita ci è stata documentata da Guillaume Postel in tre libri e numerosi manoscritti. Si veda in special modo Les très merveilleuses victoires des femmes, Parigi, 1553. Si veda anche M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 69-129; Id., Guglielmo Postello e la «Vergine Veneziana». Appunti storici sulla vita spirituale dell’Ospedaletto nel Cinquecento, Venezia, 1981 (Quaderni [del] Centro tedesco di studi veneziani, 21). 8 Importanti studi su donne del Medioevo e del Rinascimento si concentrano su argomenti simili a quelli trattati nel presente studio. Si veda, ad esempio, D. Baker (ed.), Medieval women, Oxford, 1978, e si noti specialmente in questo volume S. Wessley, The thirteenth-century Guglielmites : salvation through women, p. 289-303; C. Klapisch-Zuber, Women, family, and ritual in Renaissance Italy, trad. L. G. Cochrane, Chicago, 1985; K. M. Wilson (ed.), Medieval women writers, Athena, 1984; R. Kieckhefer, Unquiet souls. Fourteenth-century saints and their religious milieu, Chicago, 1984; C. Walker Bynum, Holy feast and holy fast. The religious significance of food to medieval women, Berkeley, 1987; M. Beth Rose (ed.), Women in the Middle Ages and the Renaissance, Syracuse, 1986; si veda anche E. Macek, The emergence of a feminine spirituality in the Book of Martyrs, in Sixteenth century journal, 19-1, 1988, p. 63-80.

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nostro interesse si concentra sul principio più significativo del dualismo sessuale maschio-femmina, che Giovanna definì la base della nuova età della restaurazione. Negli insegnamenti della Vergine Veneziana, il genere diventa indistinto. Essa, ad esempio, sosteneva che, nella persona che è stata restaurata e resa completa, deve esserci un’unione maschio-femmina 9. L’androginia spirituale è alla base della sua convinzione di essere il «Papa Reformatore del mondo». Essa non chiese timidamente l’uguaglianza con gli uomini, ma affermò una superiorità spirituale nei confronti, sia degli uomini, che delle donne; poiché la natura maschio-femmina aveva trovato la perfetta unione nella sua persona, attraverso l’intervento di Cristo10. In una mistica unione con Cristo, ella assunse la Sua superiore natura paterna e Cristo assunse l’inferiore natura materna di lei11. L’unione maschio-femmina si trova alla base del suo invito a uno stato e a una chiesa universali. Nel presente studio, tracceremo lo sviluppo del pensiero della Vergine Veneziana, la sua influenza, soprattutto su Guglielmo Postello, e l’applicazione del suo pensiero ai concetti del millennio a Venezia. Inoltre, ci soffermeremo brevemente anche sugli insegnamenti di altre due donne veneziane, le cui idee somigliano moltissimo a quelle della Vergine Veneziana. Nella documentazione ufficiale dell’Ospedaletto, non appare il nome della Vergine Veneziana12, ma appaiono piuttosto i nomi di ricchi uomini veneziani, in quanto non si era soliti riconoscere pubblicamente l’opera straordinaria di una donna povera e poco istruita, che «chiedeva al ricco per sfamare il povero» e che, così facendo, fondò l’Ospedaletto che, ancor oggi, è un ospedale che provvede agli anziani poveri di Venezia.

9 Sull’androginia nel Rinascimento si veda L. S. Marcus, Shakespeare’s comic heroines, Elizabeth I and the political uses of androgyny, in M. Beth Rose (ed.), Women... cit. n. 8, p. 135-153; N. Zemon Davis, Women on top : symbolic sexual inversion and political disorder in early Modern Europe, in B. A. Babcock (ed.), The reversible world, Ithaca, 1978; F. A. Yates, Astraea, Londra, 1975, p. 4251; E. Wind, Pagan mysteries in the Renaissance, Londra, 1958, p. 173-175. 10 Sui precedenti medievali della salvazione femminile, si veda C. Walker Bynum, Jesus as mother. Studies in the spirituality of the Middle Ages, Berkeley, 1982; S. Wessley, The thirteenth-century Guglielmites... cit. n. 8, p. 289-303. 11 Postello parla spesso della trasformazione mistica di Giovanna avvenuta nel 1540. Si veda M. L. Kuntz, Guillaume Postel... cit. n. 1, p. 77-83. Sull’unione maschio-femmina nella letteratura cabalistica, si veda G. G. Scholem, Major trends in Jewish mysticism, New York, 1974, p. 225-235. 12 Si veda Venezia, Ospedale dei Derelitti, Archivio storico di Istituzioni di Ricovero e di Educazione, Libro di Parte et Determinationi diverse, Prencipia 1546 finno 1604; G. Ellero (a cura di), L’Archivio IRE. Inventari dei fondi antichi degli ospedali e luoghi pii di Venezia, Venezia, 1987. Il nome di Giovanna (Zuana) si trova, tuttavia, presso l’Archivio di Stato di Venezia, Ospedali e luoghi pii, busta 910.

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I favolosi insegnamenti della Vergine Veneziana e la loro influenza su Postello ed altri non possono essere ignorati e, certamente, causarono costernazione tra gli Inquisitori di Venezia. Non è stato accertato se questa mistica veneziana sia stata o meno chiamata di fronte al Sacro Tribunale; sembra possibile, tuttavia, che essa sia stata investigata contemporaneamente a Paola Negri e ai Paolini quando, nel 1551, furono scoperti alcuni strani insegnamenti che circolavano all’Ospedaletto dei SS. Giovanni e Paolo13. Il nome della Vergine Veneziana o Giovanna apparve distintamente durante il processo di Guglielmo Postello da parte dell’Inquisizione veneziana, nel 1555, a causa di due libri sulla vita della pia donne da lui pubblicati a Padova nello stesso anno14. Inoltre, il Chronicon di Ioannes Carion, con l’Appendix scritta da Guglielmo Postello, conteneva una biografia di Giovanna Veronese. Due edizioni dell’opera erano state pubblicate a Venezia da Vicenza Valgrisio, proibite dagli inquisitori e, infine, trovate nel magazzino del Valgrisio, presso il convento dei SS. Giovanni e Paolo. Nel 1553 e nel 1556, Valgrisio aveva pubblicato il Chronicon e l’Appendix al Chronicon, ma senza la biografia di Giovanna Veronese. Vista l’interesse da parte dell’Inquisizione, nel 1558, nel Chronicon di Carion, ci sembra estremamente probabile che la preoccupazione degli inquisitori si concentrasse nella edizione del 1557, che conteneva la biografia di Giovanna Veronese, la Vergine Veneziana di Postello15. Questa edizione fu probabilmente quella trovata nel magazzino di Vicenzo Valgrisio, presso il convento dei SS. Giovanni e Paolo. Giovanna ebbe una lunga relazione can la chiesa dei SS. Giovanni e Paolo poiché, intorno al 1528, essa fondò una cucina nel campo adiacente alla chiesa e, alla fine, riuscì a raccogliere fondi sufficienti a costruire un ricovero permanente dietro l’abside della grande chiesa16. La vita e l’opera di Giovanna sono intimamente col-

13 Si veda Venezia, Archivio di Stato, Consiglio dei Dieci, Segreto, Registro 6, f. 78rv, 80r. 14 Si veda Venezia, Archivio di Stato, Santo Uffizio, buste 12 e 159. 15 Si veda la nota 13. Il titolo e l’edizione del 1557 è Joan. Carionis mathematici Chronicorum libri III... Appendix eorum quae a fine Carionis ad haec usque tempora contingere. Catalogus pontificum, Caesarum, regum, et ducum venetorum..., Parisiis apud S. Calvarinum, 1557. Si veda anche M. L. Kuntz. 16 Si veda M. L. Kuntz, Guglielmo Postello e la «Vergine Veneziana»... cit. n. 7, p. 3-24 e Id., Guillaume Postel..., p. 69-108; W. J. Bouwsma, Concordia Mundi : the career and thought of Guillaume Postel, Cambridge, Mass., 1957. Oltre ai testi stampati che Postello scrisse sulla Vergine di Venezia (si veda la nota 14), i suoi scritti inediti abbondano di materiale sulla vita e sulle opere di Giovanna. Egli continuò a scrivere su di lei fino al 1581, anno della sua morte.

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legate alle idee millenarie che circolavano a Venezia nel Cinquecento ed è molto probabile che la sua biografia, apparsa nell’edizione del 1557 del Chronicon, fosse una delle ragioni che portarono alla ricerca diligente e alla scoperta del magazzino di Vicenza Valgrisio, nel convento dei SS. Giovanni e Paolo. Ritorneremo più avanti sul ruolo che Giovanna, la Vergine di Venezia, ebbe nei concetti del millennio a Venezia e, particolarmente, presso il suo ospizio, che divenne noto sotto il nome di Ospedaletto. Dobbiamo precisare, tuttavia, che questa non era la prima volta che l’Inquisizione di Venezia si era interessata all’Ospedeletto. L’Ospedaletto aveva, infatti, attratto l’attenzione dell’Inquisizione veneziana nel 1550-1551, quando Paola Antonia Negri fu interrogata con parecchi altri monaci, a causa di certi insegnamenti profetici17. Paola Negri, nata a Castellanza nei pressi di Milano, fu una donna di grande intelletto, appartenente ad un gruppo di donne del circolo della nobile contessa milanese di Guastalla, Lodovica Torelli18. La contessa di Guastalla fu la prima donna ad allearsi con i Barnabiti, un gruppo di sacerdoti al seguito di Giacomo Antonio Morigia di Milano, che volevano la riforma del laicato e del clero19. Essa era specialmente devota ad uno dei sacerdoti, Antonio Zaccaria, che ricevette insegnamenti di preparazione al sacerdozio da Fra Battista da Crema. Fra Antonio era il cappellano di un gruppetto di donne che la Contessa di Guastalla aveva riunito sotto i Barnabiti. Queste donne, di diversa età ed estrazione sociale, vivevano in un palazzo provvisto dalla contessa e si dedicavano ad opere pie e caritative e alla riforma dei monasteri. Nel 1533, questo gruppo di donne ottenne l’approvazione del loro Istituto e, nel 1535, Papa Paolo III emise una bolla per la fondazione di un ordine femminile religioso sotto sant’Agostino 20. Paola Negri si unì al gruppo della contessa di Guastalla nel 1530 ed iniziò ad insegnare alle novizie dell’Istituto. Essa rimase a Milano fino al 1536 o 1537, per essere quindi assegnata a Vicenza per lavorare con Padre Bartolomeo Ferrari, il cui compito era quello di riforma di due monasteri dei Convertiti. A Vicenza divennero ben note le storie della virtù della Negri e la sua reputazione di santità si diffuse anche a Verona e a Padova 21. Tanto grande era la sua statura religiosa, che molti, clerici inclusi, si rivolgevano a lei come a un oracolo 22. 17 Venezia, Archivio di Stato, Consiglio dei Dieci, Segreto, Registro 6, f. 78rv; Santo Uffizio, busta 159, f. 21; Consiglio dei Dieci, parti segrete, filza 6, 17 febb. 1551. 18 Si veda O. Premoli, Storia dei Barnabiti nel Cinquecento, Roma, 1913; M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 70-73. 19 M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 71-72. 20 Ibid. 21 Op. cit.., p. 72, 228 n. 22 Op. cit., p. 228 n.

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Nel 1539, una delegazione della chiesa dei SS. Giovanni e Paolo di Venezia chiese l’aiuto dei Barnabiti e delle donne dell’ordine per il loro piccolo ospizio, conosciuto come Ospedaletto, situato vicino alla grande chiesa domenicana. La contessa di Guastalla rispose positivamente alla richiesta e fra le donne scelte per andare a Venezia e lavorare all’Ospedaletto si trovava Negri 23. La missione dell’ordine femminile dei Barnabiti, noti anche come Paolini, era quella di lavorare tra le vedove e gli orfani che avevano trovato rifugio specialmente dopo la pestilenza del 1528. Queste donne godevano dell’appoggio dei nobili veneziani e Giuseppe Contarini, nipote del famoso cardinale Gasparo Contarini, fu tra i primi ad aiutare questo gruppo femminile di Barnabiti. Nel 1545, Papa Paolo III emise una bolla ufficiale per i Padri di San Barnaba di Venezia 24. La bolla includeva anche le donne collegate ai Barnabiti o Paolini 25. Paola Antonia Negri dimostrò lo stesso zelo nei confronti dei poveri e degli ammalati di Venezia che aveva esibito precedentemente a Milano e a Vicenza. Si dice che Gasparo Contarini fosse un ammiratore della Negri e che la reputazione di santità della donna continuasse ad aumentare 26. Essa affermava di aver ricevuto lo spirito di Dio in una trasformazione mistica e che perciò lo Spirito Santo, disceso nella sua persona, le permise di conoscere i segreti del cuore. A causa delle sue opinioni profetiche e delle sue affermazioni spirituali, l’influenza da lei esercitata sui Barnabiti dell’Ospedaletto e su certi Veneziani era tanto grande, che le fu conferito il nome di «divine Madre», a sottolineare l’acume spirituale che la rendeva capace di condurre le anime a Dio 27. Nonostante la sua ampia reputazione di virtù, essa aveva i suoi detrattori, a causa dei suoi modi sempre più arroganti e della durezza esibita verso coloro la cui spiritualità essa giudicava imperfetta 28. Paola Antonia Negri raggiunse un controllo sempre maggiore sull’Ospedaletto, finché la sua autorità parve 23 Op. cit.., p. 72; si veda anche O. Premoli, Storia dei Barnabiti... cit. n. 18, p. 77-80. 24 O. Premoli, Storia dei Barnabiti..., p. 64 e segg. Il gruppo era originariamente noto come la confraternita dell’Eterna Saggezza; più tardi divenne l’Ordine di San Paolo Converso, di San Paolo o dei Paolini, di San Paolo e Barnaba, di San Barnaba e, infine, dei Barnabiti. La formula usata quale simbolo dai Barnabiti fu Jesus Christus Crucifixus amor meus. 25 Per la storia dell’Ospedaletto, si veda anche A. Bosisio, L’Ospedaletto e la chiesa di S. Maria dei Derelitti in Venezia, Venezia, 1963; Venezia, Ospedale dei Derelitti, Archivio storico di Istituzioni di Ricovero e di Educazione, Libro di Partte et Determinationi diverse, Prencipia 1546 finno 1604; Venezia, Archivio di Stato, Ospedali e luoghi pii, busta 910. 26 M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 72, 228n. 27 O. Premoli, Storia dei Barnabiti... cit. n. 18, p. 92. 28 Op. cit., p. 92-101.Come vedremo più avanti, Guglielmo Postello si riferisce con asprezza ai «Paolini ipocriti».

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estendersi non soltanto sull’operato quotidiano dello ospizio, ma anche sulle parole e sui pensieri che vi si generavano. Essa e i Barnabiti organizzavano confessioni pubbliche ed assegnavano ai penitenti severi castighi. I sacerdoti erano spesso ai piedi de «la detta madre maestra» e la sua autorità tra alcuni sacerdoti era tanto grande, che essa dava ad alcuni e toglieva ad altri il permesso di celebrare la Messa e di dispensare l’Eucaristia 29. La sua usurpazione dell’ufficio sacerdotale e le eccessive affermazioni sulla sua «natura divina», con l’andar del tempo, spinsero gli inquisitori veneziani ad investigare l’agitazione che essa aveva sollevato all’Ospedaletto 30. Nel 1551, al tempo dell’investigazione della Negri e di altri Barnabiti che operavano all’Ospedaletto, Paola Negri aveva trentasei o trentasette anni. Quattro anni prima, quando le venne assegnato l’Ospedaletto, essa aveva scritto un libro di lettere spirituali a angeliche e notabili. Il libro, intitolato Lettere spirituali de la devota religiosa Angelica Paula Antonia di Negri, Milanese, contiene lettere scritte tra il 1547 e il 1549; l’opera non ricevette tuttavia l’imprimatur fino al 1563 31. Le sue lettere sono piene di inviti spirituali alla santa povertà, alla preghiera e alle opere di carità 32. Paola scrive ardentemente di voler indossare le vesti e la vita di Cristo – la Sua povertà, la Sua vergogna, la Sua sofferenza e perfino le Sue tentazioni 33. Essa ammonisce tutti coloro che partecipano alle festività pubbliche, ma ignora-

29 Venezia, Archivio di Stato, Consiglio dei Dieci, Segreto, Registro 6, f. 78rv; Consiglio dei Dieci, parti secrete, filza 8, 17 febb. 1551; Santo Uffizio, busta 159, f. 21. Si veda anche O. Premoli, Storia dei Barnabiti..., p. 101-103. 30 Ibid. 31 La copia da me usata si trova presso la Biblioteca Apostolica Vaticana, Raccolta, teologia IV, 2330. Sono infinitamente grata al quondam Monsignor Josè Ruysschaert, Vice Prefetto emerito della Biblioteca Vaticana, per avermi procuralo il microfilm di questa opera rara, di cui non esiste oggi alcuna copia a Venezia. È interessante precisare che Padre Jacob Lainez, della Società di Gesù, scrisse sulla pagina di aver letto il libro, eseguito alcume correzioni e che non vi trovava più nulla che fosse contrario alla fede o alla buona morale. Lainez era stato un amico di Guglielmo Postello durante la sua permanenza presso i Gesuiti. 32 Si legge nelle Lettere spirituali..., 18v : «ma patiremo noi che a tutti sia nato il Saluatore, et a noi non sia nato? sarà nato il Saluatore, anchora secondo la parola dell’Angelo, se trouaremo esso Saluatore inuolto ne i panni, et reclinato nel presepio, ove ne i panni? cio è ne i poveri pannicelli, non ricchi ne sontuosi, et riclinato, non nelli alti et belli palazzi, con superbi apparati, ma nel presepio, con la guardia, et custodia, et compagnia de doi animali, lo trouaremo talmente inuolto, et riposto con questi modi poueri, et dentro di noi si sentiremo con desiderio di povertà, et non solo delle cose esteriori, ma d’ogni desiderio de honore, di esaltazione, et riputatione...». 33 Lettere spirituali..., 27 : «...ma esso solo Christo, si manifestò nel andar in esso deserto, per esser tentato, a darci ad intender, che debbiamo desiderare le tentazioni, et conoscer, che le sono il mezzo della corona dell’anima, che non è coronato, se non chi combatte legittimamente, et se egli fu... tentato per tutte le

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no le «festività del cielo», che non raggiungeranno l’unione con Dio 34. Dalle descrizioni delle sue azioni presso l’Ospedaletto e dal suo libro di devozioni spirituali, si evidenzia il fatto che Paola Negri si sentiva spinta da Dio a proclamare il bisogno di riforma, di carità e di fratellanza universali. La sua fama e la sua autorità aumentarono di pari passo con la costernazione degli inquisitori. Qualunque fossero le intenzioni della Negri, il suo potere e la sua influenza sui Barnabiti furono la causa di molti problemi e l’ordine fu in seguito bandito, nel febbraio del 155135. La sua arroganza influì negativamente, non soltanto sui Barnabiti, ma anche sulla fondatrice del piccolo ospizio al quale la Negri era stata assegnata. Questa donna aveva servito i poveri, gli infermi e gli orfani, in un’area che si era procacciata nei pressi della chiesa dei SS. Giovanni e Paolo, per circa vent’anni, prima dell’arrivo di Paola Antonia Negri 36. Essa era chiameta Madre Giovanna e Vergine Veneziana e fu idoleggiata da Guglielmo Postello come la «Madre del mondo e della nuova età». Postello conobbe Madre Giovanna nel 1546-47, allorquando si recò all’Ospedaletto per portarvi la sua opera sacerdotale, dopo la separazione dai Gesuiti di Roma 37, e scrisse intorno ai problemi dell’Ospedaletto, che egli attribuiva ai Paolini. Pur senza fare il nome di Paola Negri, egli ci fa capire chiaramente che essa, la più importante dei Paolini, fu la fonte dei problemi di cose, come noi debbiamo abhorrire le tentationi, et le contraditioni, et le persecutioni?». 34 Lettere spirituali..., 61v : «Ah poueri questi tali che assumono it testamento di Dio per la bocca sua, et predicano le sue giustitie, et essi gettano le discipline della vera charità della fraterna dilettione, della purità della mente, della benignità et mansuetudine, dell’allegrezza che deuono sentire perche Dio sia honorato et seruito in molti, et per molte vie, et per le molte mansioni che sono nella chiesa sua, la gettano dico doppo le spalle, correndo con il ladro demonio a robbar la gloria di Dio...» 35 Circa l’ordine di espulsione, si veda I’Archivio di Stato di Venezia, Consiglio dei Dieci, parti secrete, filza 8. Si noti anche : «Franciscus Donato Dei Dux Venetiarum... Per deliberazione del nostro Consiglio dei X con la Zonta vi commettemo che dobbiate intimare alle Donne forestiere della Congregazione di S. Paolo di Milan, che si trovano da li introdotte al governo di alcun luogo Pio et agli Sacerdoti et altri ministri di essa sua Congregazione che debbano in termini di giorni 6, partir da questa Città, et in termini di 15 giorni da tutte le Città, et Terre et Luoghi del dominio nostro astenendosi in fra essi termini dalle solite operationi sue, et che non debbano li medesimi, nè Altri, sì Donne come Sacerdoti et ministri di detta congregazione, venir et ritornare a questa città di Venezia...» (citazione tratta da O. Premoli, Storia dei Barnabiti..., p. 97). 36 M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 86-87. 37 Si veda Postello, Le prime nove del altro mondo, Padova, 1555, sig. Fi v, dove egli afferma : «... io attendeua a la Spirituale et essa a la corporale cura delli infermi...»; e ancora : «Et la Causa della mia faticha fra quasi continui trauagli di confessare, ministrare, et confortare infermi, di celebrare, et di predicare...», sig. Giii.

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Madre Giovanna all’Ospedaletto 38. La sua durezza stava causando grande ansietà a Madre Giovanna; ciò non deve sorprendere, in quanto l’arroganza di Paola Negri era in netto contrasto con l’umile dolcezza di Madre Giovanna. Forse Paola Negri era gelosa delle grandi lodi di Guglielmo Postello verso la Vergine Veneziana e comunque, da ciò che sappiamo su Paola Negri, essa certamente non voleva la rivalità di nessuna profetessa all’Ospedaletto. Molti anni prima dell’investigazione di Paola Negri, la Vergine Veneziana aveva proclamato un messaggio profetico di restituzione e riforma basato sulla pratica di carità, lode a Dio, riforma del clero e sul «raggrupparsi di tutte le pecore in uno stesso ovile». Le affermazioni profetiche della Vergine Veneziana, trasmesse da Guglielmo Postello, divennero per lui ed altri le fondamenta per l’inaugurazione di una nuova età, che aveva avuto il suo inizio a Venezia e presto avrebbe avviluppato il mondo intero 39. La storia e le profezie della donna che Postello chiamò «Madre Giovanna», «Zuana», «Madre del mondo» e «Vergine Veneziana», sono state documentate da lui in numerosi testi, stampati o inediti e, soprattutto, in Les tres merveilleuses victoires des femmes, Le prime nove del altro mondo, cioè l’admirabile Historia... intitulata La Vergine Venetiana e Il libro della divina ordinatione 40. Fino a poco tempo fa, si pensava che Postello fosse il solo biografo della Vergine Veneziana, ma, tuttavia, in un articolo pubblicato recentemente, abbiamo dimostrato che la biografia di Giovanna appare anche in un’opera di Lodovico Domenichi, intitolata Historia varia e pubblicata nel 1558 41. La biografia di Giovanna di Domenichi prova che essa godeva la stima di altri, oltre Postello, ed era considerata abbastanza importante da essere inclusa nella storia di Domenichi, prolifico traduttore, poeta, compilatore e correttore nella Venezia della metà del sedicesimo secolo 42. Giovanna nacque nel 1496 o 1497 in una località tra Verona e 38 Postello, op. cit., scrisse : «in quel tempo che gli empii Hippocriti et assassini della povertà, cominciauano gia a dar I’angosciosa morte alla sopradetta Vergine laguale per suo comandamento io chiamo mia madre...». 39 M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 69-142, e Id., Guglielmo Postello e la «Vergine Veneziana»... cit. n. 7, p. 3-24. 40 Questi testi furono pubblicati a Padova nel 1555 e furono in grande misura responsabili della condanna di Postello da parte dell’Inquisizione veneziana nel 1555. 41 M. L. Kuntz, Lodovico Domenichi, Guillaume Postel and the biography of Giovanna Veronese, in Studi veneziani, n. s., 16, 1988, p. 33-34. 42 La biografia di Giovanna appare in Historia di Messer Lodovico Domenichi, di detti, e Fatti degni de Memoria di diversi principi, e huomini privati antichi, et moderni di Domenichi del 1558 e nella edizione del 1564, intitolata Historia varia... nella quale si contengono molte cose argute, nobili e degne, di memoria di diversi principi e huomini illustri... Su Domenichi e le sue altre pubblicazioni, si ve-

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Padova, ma non esiste alcun documento sui suoi genitori, la loro religione, la loro terra o età. Quando Postello le chiese informazioni circa i suoi genitori, essa rispose : «Nisuno sa donde io sia...» 43. Vista una sua certa conoscenza delle fonti ebraiche, Giovanna poteva appartenere ad una famiglia di Marrano. Postello afferma che, nonostante Giovanna non fosse istruita nelle lingue antiche, essa poteva spiegare dei passi dello Zohar che egli non riusciva a comprendere 44. Naturalmente, non vi è alcuna certezza circa l’ambiente in cui Giovanna crebbe e le sue interpretazioni dei testi mistici ebraici potrebbe essere attribuita alla sua natura profondamente sensibile e mistica piuttosto che alla sua origine ebraica 45. Comunque sia, quando arrivò all’età della discrezione, essa lasciò la casa natale, decisa a servire Dio in perpetua verginità, preghiera e contemplazione e al servizio dei poveri e degli infermi. Lavorò, dapprima, in un ospedale di Padova e poi, nel 1520 o 1521, arrivò a Venezia per continuare la sua opera tra i poveri 46. Essa lavorò in diversi posti a Veneda Annali di Gabriel Giolito De’ Ferrari, Lucca, 1890, I, p. XXV-XXVII; II, p. 67, 246-249. 43 Postello, Le prime nove... cit. n. 37, sig. B.; si veda anche Il Libro della divina ordinatione, Padova, 1555. 44 Così si esprime Postello circa l’intuito di Madre Giovanna : ...et tantam interea Diuinarum literarum cognitionem alias legendi omnino ignara consequuta est, ut in sacris Traditionibus et Libris sacris, nil tam abditum sit, et, quod est summoper mirandum, etiam in secretissimis Hebraeorum, et Vetustissimis priscorum interpretum sententiis, quin clarissime intellegeret, et ita caperet. ut cuiuis explicare posset (Parigi, B.N.F., lat. 3401, f. 3); Postello, Le prime nove..., sig. Gııı-Gıııv, Giii v, parla anche della difficoltà di traduzione dello Zohar e della penetrazione ispirata di Giovanna : «Pero io mi misse a cosi difficile et alta imprese dove sono li magiori, et li più alti et profundi et admirandi sensi et piu difficile che siano nel mondo... Onde ogni giorno consolandomi la sacra Madre del mondo, dopo che era si reconciliata, et haueua per Meditatione et Chiarissima visione ragunato le pecore del Signore, essa da sua posta mi mouea certi dubii, li piu alti del mondo, alliquali non sapendo io rispondere, essa mi dicea, o che uoi sapete poco cosi s’intendende. Dopo di questo io trouaua dentro del testo del Zohar, le medesime questioni proposte, ma al costume delli antiqui, cioe con solutione oscurissima... Volendo io far Parafrasi, egli era al tutto impossibile che io l’hauesse dichiarata se primo quella che ha tutte le Dotrine del mondo et ha la chiaue di David, non me l’hauessi esposto et dichiarato. Cosi senza mai monstrarmi saper niente ch’io interpretassi tal cosa ouer hauesai bisogno di simili questioni, essa m’interpretò tutto quanto il detto libro...». 45 Postello, Le prime nove..., sig. Aiv v-B, scrive : «Et quantunche io essendo gia mosto, et tutto commosso per le stupende cose ch’io in lei di continuo uedeua spesso gli dimandassi, mai mi uolse rispondere a proposito, ma solamente mi diceua La Terra et Il Sangve non hanno parte in Cielo, cercate la generatione uera del Cielo. Nissuno sa donde io sia... Cosi di cosa che hauesse alcuno odore di parenti, sangue, paese, età et altre cose doue si suole attacar il fondamento della fama de mortali, mai ne uolse raggionare». Si puo’ notare che Postello, dopo i Suoi incontri con Giovanna, divenne sempre più interessato alle fonti ebraiche. 46 Op. cit., sig. B.

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zia al servizio degli indigenti 47 ed era convinta che nel giorno del Giudizio, Dio avrebbe chiesto ad ognuno se avesse cercato ed aiutato i poveri e gli indifesi 48. Giovanna è descritta da Postello come «la più picciola, bassa, et debile del mondo», che non si arrese finché non si assicurò l’aiuto finanziario da parte di donne e uomini ricchi per provvedere un ridotto in cui accogliere i poveri e poi sfamarli in poche stanze vicino al monastero dei SS. Giovanni e Paolo 49. Poco a poco, grazie alla sua ottima amministrazione e al suo duro lavoro, essa riuscì a migliorare ed espandere l’ospizio per accogliervi gli orfani e i bisognosi. Giovanna elargiva la sua opera caritativa così diligentemente, che da sola cucinava per ottocento persone alla volta 50. Molti poveri, ammalati e sani, che non riuscivano a trovare di che nutrirsi nelle loro contrade, erano sfamati dalla Vergine Veneziana nella sua «cucina aperta» 51. Oltre alla sua costante opera di carità verso i poveri, altrettanto esemplari erano le abitudini quotidiane di Madre Giovanna. Essa aveva vissuto tutta la sua vita in perpetua verginità e, nonostante preparasse carne per gli affamati, essa non ne consumava affatto. Inoltre, essa lasciò da parte i cibi succulenti dei ricchi, dando la preferenza a quelli conditi solo con olio ed era così astemia, che beveva soltanto piccole quantità di vino mescolato con molta acqua 52. Dormiva solo poche ore durante la notte, a causa della sua costante opera caritativa all’Ospedaletto. Poiché le lunghe giornate lavorative non le permettevano una presenza regolare alle Messa o alle preghiere pubbliche, essa generalmente partecipava alla Messa quando veniva celebrata tra gli infermi, insieme con le predicazioni 53. Eppure, persino quando si ritirava, alla fine di una lunga giornata, essa passava la maggior parte della notte nella «contemplazione della. vita, morte e gloria finale di Cristo». Per il suo amore supremo di Dio, la contemplazione la riempiva di tale serenità e comprensione della Bontà Divina, che tutti, secondo Postello, rimanevano stupiti del suo

47 Op. cit., sig. B v. «Essendo stata parte in Padoua, parte in Venetia., fin al tempo delle pettechie, nelquale guerre per terra et per mare...» 48 Ibid. 49 Ibid. 50 Ibid. 51 Ibid. : «Et tal fu la sua diligentia, che lei sola, essendoci qualche uolta fin a ottocento et piu poueri ragunati tanto infermi, come poueri sani, essa sola et cuoceua et ministraua a tutti in tal modi che uedendo la Città come quella opera divina, in tal sorte che spesso son si potendo per danari in molte contrade trouar pane ne farina, una continua abondantia iui si ritrouaua. Cosi a poco a poco il luoco fu serrato et acconciato a tal che orfani et infermi dell’uno et dell’altro sesso iui in grandissimo numero se ritrouauano essere benissimo recapitati». 52 Ibid. 53 Ibid.

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acume profondo 54. Postello parla del successo della Vergine Veneziana nell’assicurare il cibo per i poveri, predicando la carità ai ricchi, e afferma anche che la sua opera di incessante carità le aveva guadagnato, tra i Veneziani, la reputazione di «opera divina» 55. Ben meritata sembra essere la sua fame a Venezia ed i nobili veneziani, i cui nomi sono registrati negli archivi del piccolo ospedale, le offrirono il loro appoggio 56. Quando Postello arrivò a Venezia, nel 1546 o 1547, la mistica veneziana era già direttrice dell’Ospedaletto da ventisei o ventisette anni. Postello ci narra del suo primo incontro con questa «vecchietta» di circa cinquant’anni, che si recò da lui, poco dopo il suo arrivo, per chiedergli di essere il suo padre spirituale e confessore 57. Egli si sofferma sull’ordine straordinario delle sue confessioni, che essa non aveva né scritto, né imparato a memoria, poiché erano ogni volta differenti. Egli scrive che, dopo essersi insospettito dell’«ordine dei suoi discorsi», le chiese chi le avesse insegnato tali cose 58 e la Vergine Veneziana rispose : «Colui che è e conosce tutto» 59. Quando Postello le chiese ancora chi fosse costui, la Vergine rispose : «Colui che è vivo in me e in cui io sono morta» 60. Timoroso che spiriti maligni si fossero impossessati della donna, Postello le chiese di dirgli chi le avesse insegnato confessioni così ordinate ed essa rispose : «Nessuno al di fuori del mio redentore» 61. I sospetti di Postello non si dissiparono finché un frate di San Francesco della Vigna, che aveva talvolta udito le confessioni degli ammalati all’Ospedaletto ed anche quelle della Vergine Veneziana, confermò la stessa ammirazione per l’ordine delle confessioni di Zuana e la profondità del suo pen54 Op. cit., sig. Bii v : «...era venuta in tanta consolatione et in tanta conversatione della divina bontà et essentia di Christo Iesu per il supremo amore dal quale si sforzaua di responderli, che tutti gli alti misterii et secreti tanto delle cose Divine quanto delle naturali necessarie per conoscere et piu amare IDDIO gli erano talmente riuelate et chiare, che non è intelletto al mondo il quale udendola non restasse abbagliato». 55 M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 76 e seg. 56 I documenti si trovano a Venezia, Ospedale dei Derelitti, Archivio storico di Istituzioni di Ricovero e di Educazione, Libro di Parte et Determinationi diverse, Prencipia 1546 finno 1604. Tra i prominenti veneziani che servirono quali deputati durante gli anni in cui la Vergine Veneziana e Postello operarono a Venezia, figurano Domingo Loredan, Zuane Basegio, Baldisera Spinelli, Jacomo Foscarini, Lodovico di Viscardi, Jacomo Paralion, Lorenzo Lotto e Gianmaria Giunta. Per ulteriori eventi circa la vita e l’opera della Vergine Veneziana all’Ospedaletto, si veda Parigi, B.N.F., fr. 2115, f. 105v. 57 Postello, Le prime nove..., sig. Bii v, Parigi, B.N.F., fr. 2115, f. 105v. Si veda anche M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 74-76. 58 Postello, Le prime nove..., sig. Bii v. 59 Ibid. : «Quello che è et sa il tutto». 60 Ibid. : «Quello il quale è uiuo in me, et io morta in lui». 61 Ibid. : «...nian altro che il mio redentore».

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siero che Postello aveva esitato a credere 62. Dopo la sua conversazione con il francescano, Postello si convinse che questa umile Vergine di Venezia aveva poteri e virtù soprannaturali. Il confessore precedente di Giovanna era stato un frate dell’Ordine di San Francesco della Vigna. Questi potrebbe essere stato Francesco Giorgio, visto che essa aveva spiegato a Postello, dopo il suo arrivo nel 1547, che il suo confessore era morto da sette anni 63 e che Francesco Giorgio morì nel 1540. La Vergine Veneziana attese sette anni che il sostituto divinamente designato le venisse rivelato 64. È interessante notare che Francesco Giorgio fu influenzato anche da una mistica, la Beata Chiara Bugni, del convento di San Sepolcro 65. In una relazione simile a quella che si sviluppò tra Postello e la Vergine Veneziana, Giorgio confermò che le estasi di Chiara Bugni le avevano rivelato i segreti misteriosi della volontà divina e l’avevano dotata di una conoscenza profetica che rive1ò la salvezza universale concessa da Dio ad ogni uomo di fede che partecipi estaticamente ai tesori divini e alla salvezza del sangue di Cristo 66. Se, come abbiamo suggerito, Francesco Giorgio era stato veramente il confessore precedente della Vergine Veneziana, le affermazioni simili di Chiara e di Giovanna possono essere originariamente derivate dall’ambiente francescano di San Francesco della Vigna. Abbiamo recentemente dimostrato che l’enfasi di Giovanna sulla povertà, sul disprezzo e sul dolore, riflette gli insegnamenti di Angela da Foligno, una francescana terziaria che morì nel 1309 67. Come Chiara Bugni, la Vergine Veneziana ebbe un’esperienza mistica dell’infusione divina in cui il corpo spirituale o celeste di Cristo discese nella sua persona per risiedervi nel modo più completo. Postello scrive in numerosi testi in-

Op. cit.., sig. Biii. M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 77-78. 64 Postello scrisse spesso intorno a questa esperienza : «...elle me dist, quelle hauoit expres commandement de Dieu de me dire choses de moment, et d’importance pour le bien, paix, et concorde de tout le monde ce que mieuls par apres i’entendroys. Et qu’il y hauoit des-ia long temp quelle en hauoit revelation, de laquelle s’estoit voulu descourir a ses aultres peres spirituels, mais qu’il luy hauoit este desfendu de par Dieu de leur en parler. Mais au contraire moy arriué la luy hauoit de par Dieu este commandé, de me dire que c’estoit, la somme dequoy c’est, Que Dieu vouloit, que toutes les creatures raisonables, fussent unies ensemble en une Bergerie...» : Parigi, B.N.F., fr. 2115, f. 105v. 65 Si veda C. Vasoli, Un precedente della «Vergine Veneziana» : Francesco Giorgio Veneto e La clarissa Chiara Bugni, in M. L. Kuntz (a cura di), Postello, Venezia e il suo mondo, Firenze, 1987, p. 203-225. 66 Op. cit., p. 213. 67 M. L. Kuntz, Angela da Foligno : a paradigm of Venetian spirituality in the sixteenth century, in Miscellanea Moreana : Essays for Germain Marc’hadour, vol. 100 di Moreana, 1988, p. 449-464. 62 63

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torno a questa restituzione miracolosa e collega la salvazione di Venezia ai meriti straordinari della Vergine Veneziana. Nel 1540, secondo Postello, il corpo spirituale o celeste di Cristo discese nella «santissima vergine di nome Jochanna» la quale divenne veramente una con il Cristo e portò la Sua sostanza nel corpo 68. La Presenza Divina nella sua persona le rivelò il mistero della restituzione di tutte le cose 69. I misteri rivelati alla Vergine Veneziana divennero la base delle idee millenarie di Postello, che egli chiamò la quarta età o età della restituzione. Egli dichiarò di essere la canna attraverso la quale erano scritte le verità di restituzione della Vergine Veneziana 70. In un passo particolarmente interessante, Postello spiega. di averla chiamata «Vergine Veneziana» poiché fu a Venezia che essa ricevette la sostanza di Cristo e perché il nome «Veneziana» avrebbe ricordato i benefici conferiti da Cristo «sulla sua sposa i cui meriti Egli desiderava incoronare...» 71. La Vergine Veneziana informò l’erudito Postello sui molti misteri che avrebbero portato alla restituzione universale. Essa, inoltre, rivelò al suo «figlioletto» Postello sette profezie che dobbiamo ritenere di grande importanza, per quanto concerne le idee millenarie che circolavano a Venezia nel Cinquecento e per quanto esse ci rivelano circa la misteriosa Giovanna. Le profezie della Vergine Veneziana sono le seguenti 72 : 1. L’inizio della riforma del mondo avrà luogo a Venezia; sebbe68 M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 77-79. Si vedano anche le parole di Giovanna, riportate da Postello, Le prime nove..., sig. Biii : «Sia in eterno glorificato il mio dolce Sposo Iesu... che ui ha voluto dar questa inclinatione, che quello che piu io ho bramato in questa vita mi vogliate concedere, che cosi come io sento et porto di continuo la Sostanza del mio dolce Sposo in me, cosi anchora, per la unione di tutte le creature lequali hanno in se ragione, nel santissimo sacramento della medesima sostantia sua, io lo possa per mani et authorità della Santa Chiesa riceuer, accioche esso come Dio PADRE ET SPOSO MIO possi esser da me piu che la vita propria amato, et accioche tutti li membri suoi possino esser in me con infinita CHARITA abbracciate, unite, et conservate». 69 M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 77-78. 70 Op. cit., p. 79. 71 Postello, Le prime nove..., sig. Giv v, «...quiui in Venetia venesse detta Vergine estratta dalla sostanza propria di Iesu Christo, per dar ordine alle cose del Vniverso, quando del tutto appareriano esser disperate. Et per questo non volendo lei esser chiamata da niun luoco, ne manco Venetiana, quantunche IVI descendesse Christo sopra di lei, per molte ragioni io la voglio chiamare et da tutto quanto il mondo essere Chiamata Venetiana.... cosi anche lei nel suo penultimo auenimento sia chiamata Venetiana per li beneficii della Restitutione dell’universo conferiti da Dio in Venetia, non per Sangue, Carne, o Parenti d’Abrahamo o altro ma per pura gratia et sommi meriti. Imperoche esso havendo conferito il sommo grado delli soi meriti Possanza Sapientia, et Clementia a questa sua Sposa, li cui meriti ha voluto coronar...» 72 Postello, Le prime nove..., sig. H r-Hii v.

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ne la Vergine Veneziana sia la Santa Papessa che deve riformare la Chiesa, essa non deve appartenere alla Magistratura. 2. Il Ministro-Principe di questo Papato sarà il principe più cristiano, non solo nelle parole, ma soprattutto nei fatti. (La Vergine Veneziana non rivelò il nome del principe); 3. Tutti i Turchi saranno presto convertiti e diventeranno i migliori cristiani del mondo; ma se i Cristiani non si dedicheranno a una vita di bontà, i Turchi li castigheranno prima di diventare cristiani; 4. Tutti coloro che hanno fede in Dio, nell’amore per tutto e nella vita di bontà, saranno segretamente benedetti dallo Sposo della Vergine Veneziana e saranno loro assegnati due corpi cambiati, uno bianco nel pane e uno rosso nel vino; 5. Verrà il tempo in cui tutti coloro che si sono perduti per colpa di Satana, saranno restaurati, come se i genitori originali non avessero mai peccato. Ci sarà una «Pasqua» o «Raccolta» universale; 6. La natura umana sarà condotta a una tale perfezione che tutti saranno come Cristo, tranne che nella Sua Divinità; negli uomini sarà visto il Cristo vivente come radice, fonte e tronco; 7. Il Signore dei Signori ha predisposto il Suo mondo in modo tale che esso è tutto fatto come la natura della Palma (Thamar), di una sostanza. perfetta, immortale ed incorruttibile, come il corpo dell’oro o delle gemme. Questa sostanza è stata creata dal Signore che la conosce attraverso la Sua prima e più degna creatura; ma Egli ha creato questa creatura per Se stesso e perché essa sia conosciuta, creduta e dichiarata Sua. In tutta la natura, sia essa composta o elementare, la vita è più nobile del semplice Essere e, tra le cose elementari, non vi è cosa vivente che produce frutti della dolcezza e del nutrimento perfetti dei frutti della Palma. Il Signore vuole essere conosciuto attraverso la sostanza della Palma, non solo per la sua dolcezza, il suo nutrimento, la sua armonia e durata, ma per il suo amore perfetto. La sostanza della Palma è una spiegazione dell’unione materiale di Cristo con essa, in quanto il suo corpo elementare, attraverso la morte, deve essere separato dagli altri due, quello celeste e quello etereo, per diventare un’immortale parte vittoriosa sopra la morte; e come la Palma rimarrà sempre con gli altri due corpi, così, la volontà celeste rimarrà sempre con la parte inferiore, cosicché, crescendo e moltiplicando, nasceranno nuovi corpi con nuove anime. Queste profezie della Vergine Veneziana sono alquanto significative, non solo per quanto esse ci rivelano sul concetto di Giovanna di se stessa quale profetessa e recipiente di Cristo, ma anche per il significato attribuito a Venezia per aver portato a termine la «nuova età» o millennio sulla terra. Le profezie della Vergine Veneziana in-

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fluenzarono Guglielmo Postello, al punto in cui esse diventarono per lui una piattaforma di restituzione e la base di una monarchia universale sotto il governo di Dio. Postello si riferì occasionalmente alle Vergine Veneziana quale «Thamar» (Palma), indicando così la sua convinzione nel significato della profezia di Madre Zuana. La fondazione di questa monarchia universale doveva, secondo Postello, costituire l’inizio del millennio 73. Egli credeva che la nuova età aurea dovesse iniziare nel 1566 e che Venezia fosse la città scelta da Dio per condurre il mondo verso l’unione di tutte le genti sotto la Sua divina autorità. La convinzione di Postello che la restituzione di tutto il mondo doveva iniziare nel 1566, derivò probabilmente dall’importanza da lui attribuita ad un miracolo che si verificò a Laon nel 1566. Postello fu, infatti, presente ad un esorcismo che ebbe luogo sui gradini della cattedrale di Laon nel 1566, durante il quale un demonio fu esorcizzato da una giovane donna, Nicole Obrey, alla vista dello Spirito Santo 74. Postello si riferì spesso al «miracolo di Laon» come un segno del potere del Cristo vivente nell’uomo e proclamò il 1566 l’anno in cui il potere del Cristo vivente si manifestò universalmente. L’anno 1566 conteneva delle implicazioni profetiche anche per Jacopo Tintoretto, che Postello probabilmente conosceva. Nel grande dipinto di Tintoretto intitolato «Madonna dei Tesorieri», l’artista dipinse in primo piano sulla sinistra una colonna sulla quale erano incise le seguenti parole : unanimis concordiae simbolus 1566. Tintoretto completò il dipinto nel 1566 o verso il 1567 ed appare ovvio che il tema dell’opera, il recare doni alla Vergine e al bambino da parte di prominenti Veneziani, simboleggiasse per l’artista l’armonia universale caratterizzata da atti di carità 75. Questo dipinto originariamente decorò la sala del Magistrato dei Camerlenghi al Rialto, poi la Chiesa dei SS. Giovanni e Paolo e si trova oggi presso la Galleria dell’Accademia. È possibile che Postello e Tintoretto si siano conosciuti, sebbene attualmente non possediamo alcuna evidenza che sostenga tale ipotesi. Possiamo, tuttavia, verificare che le idee millenarie di Postello su Venezia derivarono in gran parte da Giovanna, la mistica veneziana che lavorò per i poveri a Venezia e credette nell’imminenza della restituzione di tutte le cose. Il «Miracolo di Laon» del 1566

73 Si veda Londra, Brit. Libr., Sloane 1411, f. 338; M. L. Kuntz, Guillaume Postel..., p. 144. 74 Si veda Parigi, B.N.F., lat. 3678, f. 64v; lat. 3224; A.H. Chaubard, Le Miracle de Laon en Laonnoys... a Chambray, 1556, Lione, 1955. 75 M. L. Kuntz, Guillaume Postel e l’idea di Venezia come la magistratura più perfetta, in Ead. (a cura di), Postello, Venezia e il suo mondo... cit. n. 65, p. 176178. Si veda anche Jacopo Tintoretto. Ritratti, Milano, 1994, p. 138-139.

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confermò, nella mente di Postello, le profezie di questa donna misteriosa e l’urgenza della loro inaugurazione. Talmente certo era Postello dell’imminenza della restituzione, che scrisse : «Nell’anno 1566 dalla creazione del mondo, la chiave della instaurazione di tutte le cose sarà a portata di mano» 76. Nei misteri e nelle profezie che la Vergine Veneziana comunicò a Postello, si può osservare un interessante capovolgimento di ruoli sessuali. Essa era stata comandata da Dio di rivelare le dichiarazioni divine ad un «figlioletto» scelto, che sarebbe poi stato anche il suo padre spirituale. Analogamente, Postello, il figlio eletto, proclamò gli insegnamenti della sua vergine madre, che era anche la sua figlia spirituale 77. La casta madre Giovanna affidò l’adempimento della sua piattaforma di restituzione al suo casto figliolo Postello. La castità o verginità rappresenta un aspetto importante delle profezie di Madre Giovanna e di Postello. La verginità di Madre Giovanna è costantemente enfatizzata da Postello attraverso l’appellativo con cui descrive Zuana – Vergine Veneziana. La verginità sessuale, tuttavia, è solo un aspetto della castità di Giovanna. La vera verginità, secondo Postello, risiede in colui o colei che conosce l’unico vero Dio e, conseguentemente, ottiene la ragione restaurata 78. Una persona casta è anche quella in cui risiede lo spirito di Dio. Postello afferma ripetutamente che Cristo risiede nel modo più completo in Madre Giovanna e che, per questa ragione, è chiamata la verginissima, anche se essa praticava anche la castità sessuale; come del resto faceva Postello. Tuttavia, la castità sessuale non è consigliata a tutti, poiché il matrimonio e le relazioni familiari sono necessari per la sopravvivenza. La castità nel senso spirituale è invece essenziale per tutti, in un mondo restaurato. L’amore puro di Dio veste gli uomini con un corpo vergine e «i suoi elementi sono mutati nella candida Manna» 79. Postello scrive che questo amore di Dio, come ci dimostrano le vite di Gesù e di sante donne quali Caterina da Siena, Giovanna d’Arco e la Vergine Veneziana, rende «vergine, israelita e giudice» tutto il mondo, fino al punto in cui tutti gli uomini, attraverso la carità, diventano vergini e veramente restaurati 80. 76 5566. anno a creatione mundi Instaurationi omnium clauis aderit : Parigi, B.N.F., lat. 3678, f. 64v. 77 Per ulteriori idee circa la sessualità nel pensiero di Postello, si veda C.-G. Dubois, Les métamorphoses mystiques de la sexualité dans la pensée de Guillaume Postel, dans Études françaises, 4-2, 1969, p. 172-207. 78 Si veda Parigi, B.N.F., fr. 2115, f. 102v. 79 Parigi, B.N.F., lat. 3399, f. 13v-14. Si veda anche M. L. Kuntz, Guillaume Postel and the world state : restitution and the universal monarchy, in History of European ideas, 4-4, 1983, p. 449-450. 80 ...ibi sanctis desideriis cooperans. Virginificat, Israelificat et Judicificat sensim hunc mundum quousque per Charitatem omnes fiant Virgines et in Integrum

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In una unione mistica con Dio, alla Vergine Veneziana fu annunciata la volontà divina che tutte le creature ragionevoli fossero raccolte in un unico ovile e che vi fosse un perdono generale per tutti, senza alcuna eccezione. Il Signore proclamò che la pace e l’armonia del mondo dipendevano dalla sanzione di questi principi di restituzione per tutti, dall’unione di tutti i popoli e di tutte le religioni e da un perdono generale attraverso un battesimo generale. Grazie ai meriti singolari della Vergine Veneziana, Postello credeva che Venezia avesse un ruolo provvidenziale nella restituzione di tutte le cose. Egli credeva anche che Venezia fosse la città prediletta di Dio su tutte le altre, con l’eccezione di Gerusalemme. Per l’amore di Dio verso questa città, essa fu scelta come centro amministrativo del mondo unito 81. Venezia godette dell’attenzione provvidenziale di Dio, in quanto essa aveva mantenuto un governo stabile per più di ottocento anni; contrariamente ad altre città e altri stati dove crudeltà, violenza ed ambizione seguono la deposizione dei principi e la rovina dei governi. Secondo Postello, un governo stabile rappresenta un fattore essenziale nella fondazione del regno di Dio in terra 82. Per la stabilità delle sue istituzioni politiche e per la purezza della sua fede e religione, Venezia fu un paradigma per lo stato celeste sulla terra, proprio «l’idea del principato perfetto». Postello attribuì grande significato anche alla posizione geografica di Venezia ed osservò che tutte le cose venivano dall’acqua e dall’acqua derivava la loro unione e coesione. Egli scrive che civitatem Maris antonomasticum esse Basim Restitutionis onmium 83. Una parte considerevole delle generose lodi di Postello nei confronti di Venezia, deriva dalle qualità che egli attribuisce alla Vergine Veneziana, tra le quali emerge il suo amore di Dio, espresso dalla sua opera di carità tra gli ammalati, i senzatetto e gli orfani dell’Ospedaletto dei SS. Giovanni e Paolo. L’opera caritativa della Vergine Veneziana si riflette nella beneficenza di Venezia, che Postello restituti sicut antequam Adam peccasset : Parigi, B.N.F., lat. 3399, f. 13v. Per una discussione generale sulla castità nel pensiero medievale e rinascimentale, si veda D. Weinstein e R. M. Bell, Saints and society, Chicago, 1982, p. 73-99. Si vede anche C. Walker Bynum, Jesus as mother... cit. n. 10. Si notino anche le parole di Postello su Cristo quale Madre : Sic itaque Restitui onmia necesse est, ut, ex Patre aeterno Jesu qui est VIR uirorum, et ex eodem Matre Christo Rege regum seipsum Pontificem abscondente et FOEMINA HAEC VIRVM ILLVM CIRCVNDET... : Londra, Brit. Libr., Sloane 1412, f. 11v. 81 M. L. Kuntz, Guillaume Postel e l’idea di Venezia... cit. n. 75, p. 165. 82 Op. cit., p. 166. Si vede anche la descrizione di Venezia come la più ospitale e la più stabile in M. L. Kuntz (ed.), Colloquium of the Seven about Secrets of the Sublime of Jean Bodin, Princeton, 1975, p. 3. Si veda anche M. Leathers Kuntz, Venice, myth and utopian thought in the sixteenth century. Bodin Postel and the Virgin of Venice, Aldershot, 1999. 83 Londra, Brit. Libr., Sloane 1411, f. 244v.

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chiama il Publico Bene, e si palesa nella nobile cura degli ammalati, vecchi, poveri e orfani nelle sue scuole e nei luoghi pii 84. Postello paragona l’amore di Venezia del Publico Bene all’amore che Dio riversa su Venezia, come se essa fosse un Publico Bene Divino 85. Abbiamo precedentemente accennato al rovesciamento sessuale nel rapporto di Postello con la Vergine Veneziana ed ora ne constatiamo uno analogo nei riguardi di Venezia, che è chiamata figlia del maschio Gerusalemme e della femmina Roma. Venezia è il paradigma femminile di Gerusalemme, che discende come una «sposa adornata per il marito e che si stabilisce nella località materna dell’ultima dimora di Giovanni Marco» 86. La Vergine di Venezia, evidentemente, usò questo tipo di immagini sessuali nella discussione del suo ruolo e di quello di Venezia con il suo erede designato, Postello. Egli cita le seguenti parole di Madre Giovanna che definisce, in termini maschili, il suo ruolo provvidenziale : «Io son el Signor per che esso habita in me, et per questo io sono in esso il Papa Santo Reformatore del mondo» 87. Nella traduzione di Postello dello Zohar, in un passo sul regno di Geova come vera Arca del Patto, egli chiosa il testo con le parole : Mater mundi et Christus Foemineus latente et circundato masculo 88. Postello cita spesso la profezia di Geremia (31i22) di un’Israele restaurata, come uno stato in cui «la donna circonderà l’uomo». Ciò significa che nel regno di Geova in terra, deve essere realizzata la perfezione di ogni uomo. Quando Cristo, che è completo e, quindi, sia femminile che maschile, risiede nella persona umana, si dice che la donna o la natura materiale circonda l’uomo. Questo costituisce il ritorno alla purezza e all’unità originali 89. Nel suo stato perfetto, Adamo conteneva l’unità maschio-femmina. Anche Eva conteneva tale unità quando chiamò da parte Adamo. L’androginia di Postello implica l’unità della persona totale, che è il requisito indispensabile per la restituzione di tutte le cose. Si deve raggiungere l’unità individuale o particolare prima di poter realizzare la restituzione generale di tutte le cose. La Vergine Veneziana è un esempio dell’unità totale della persona; Cristo risiede pienamente e completamente nella sua persona e, di conseguenza, essa rivela la 84 Postello afferma che «Publico Bene è il uero fine alquale debbe tendere il uero Cittadino...» : Il Libro della divina ordinatione... cit. n. 43, sig. B. Sulle scuole di Venezia, si veda B. Pullen, Rich and poor in Renaissance Venice, Cambridge, Mass., 1971. 85 Il Libro della divina ordinatione..., sig. Bii v. 86 M. L. Kuntz, Guillaume Postel e l’idea di Venezia... cit. n. 75, p. 172-173. 87 Londra, Brit. Libr., Sloane 1410, f. 51v. Si veda anche M. L. Kuntz, Guillaume Postel e l’idea di Venezia..., p. 172. 88 Londra, Brit. Libr., Sloane 1410, f. 52v. 89 M. L. Kuntz, Guillaume Postel and the world state : restitution and the universal monarchy, in History of European ideas, 4-3, 1983, p. 299-301.

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presenza di Dio nel mondo. Giovanna è perciò chiamata Shechinah, l’attributo femminile che circonda la presenza maschile nel mondo. L’unità maschio-femmina o unità di forma e materia è il principio basilare della renovatio mundi. Come l’unità del maschio e della femmina si trova nella Vergine Veneziana, così anche Venezia rappresenta tale unità. La forma maschile è la magistratura papale fondata da Giovanni Marco quando fondò il suo patriarcato ad Aquileia, nei pressi di Venezia; la forma femminile è lo stato temporale conservato da Dio per più di un millennio. Dalla perennitas dello stato veneziano, si sono sviluppate le virtù attive della carità, in particolar modo definite dalla vita e dall’esempio della Vergine Veneziana, simbolo di maternità universale che dà alla luce il mondo. Nel suo doppio ruolo di magistratura temporale femminile e di patriarcato papale maschile, Venezia rappresenta l’unione tra maschio e femmina, che produce figli e figlie virtuosi. Per questa ragione, Venezia è stata chiamata la magistratura più perfetta e la vera forma di quella «Politia» che deve essere trasferita al mondo intero. Secondo la visione millenaria di Postello, Venezia sarebbe diventata il centro degli affari legislativi della Politia universalis, mentre Gerusalemme avrebbe adempito il suo ruolo provvidenziale di centro spirituale e Parigi quello di capitale legale. La monarchia universale doveva dividersi in una libera confederazione di dodici capitali amministrative, poiché il numero dodici rappresenta le dodici tribù d’Israele, i dodici Apostoli e i dodici segni dello zodiaco. Vi sarebbero stati anche dodici centri supplementari quali sostituti 90. Postello concepisce lo stato universale come una Ecclesia mundana, una teocrazia la cui autorità suprema è rappresentata da Dio. A rappresentare l’autorità di Dio in terra ci doveva essere un re e un sacerdote i cui doveri non sono specificati da Postello. Egli afferma soltanto che il sacerdote o Papa Angelico non promulgherà leggi, ma coopererà con Cristo e la Sua fede e che la maggiore responsabilità del re sarà quella di accertarsi del benessere spirituale della repubblica del mondo. Sia il re che il sacerdote avranno la funzione di giudice equo, insieme con i sei giudici scelti in ciascuna delle dodici divisioni amministrative 91. Le funzioni di re e sacerdote sono interdipendenti. La costituzione della ecclesia che il re sosterrà è l’eterno testamento e la legge di Mosè 92. Il testamento eterno è descritto come amore e lode di un unico, vero Dio e la pratica di fratellanza universale e opera di carità. 90 Si veda Londra, Brit. Libr., Sloane 1412, f. 12v. Si veda anche M. L. Kuntz, op. cit. nota precedente. 91 M. L. Kuntz, Guillaume Postel and the world state... cit. n. 79, p. 454. 92 Parigi, B.N.F., lat. 3398, f. 7v, 8v, 14.

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Allorché ogni uomo sarà riformato e diventerà una persona completa, ci sarà poco bisogno di leggi, in quanto ognuno, come figlio di Dio, tratterà il prossimo come un fratello. Gli uomini di tutte le nazioni si raggrupperanno, quindi, in uno stesso ovile, per usare le parole della Vergine Veneziana di Postello e delle profezie medievali. Nel concetto postelliano dell’età millenaria, gli insegnamenti della Vergine Veneziana si evidenziano ovunque. Non si può, tuttavia, trascurare l’influenza del millenarismo francescano e, probabilmente, lo stesso Francesco Giorgio. Vi sono, tuttavia, altre influenze francescane. Venezia era ricca di materiale gioachimita che, per la maggior parte, fu pubblicato da Silvestro Meuccio tra il 1516 e il 1527 93. Padre Rusticianus, un Domenicano veneziano studioso della profezia di Gioacchino, fece le sue proprie compilazioni concentrandosi soprattutto sulle profezie di Telesphorus di Cosenza, un Gioachimita del quattordicesimo secolo. Postello afferma di aver tradotto in italiano le profezie di Rusticianus. Nelle stesure rusticiane sono anche comprese le profezie di Santa Brigida, che proclamò il bisogno di riforma del clero e di tutto il genere umano e della riunione di tutte le pecore in un unico ovile 94. Postello ammirò e citò nelle sue opere Santa Brigida, Santa Caterina da Siena, Santa Ildegarda di Bingen e, specialmente, la beata Angela da Foligno, la francescana terziaria che fu un paradigma per la spiritualità della Vergine Veneziana di Postello. Una caratteristica comune di Postello e di tutti i mistici fu l’unione della vita attiva con la vita contemplativa. L’enfasi sull’opera attiva di carità costituì il fulcro del programma della Vergine Veneziana di rinnovo e di restituzione e della domanda da parte di Postello di una repubblica mundana restaurata, basata sul modello della repubblica veneziana. Ho recentemente scoperto che Postello era in possesso anche di un manoscritto di Giovanni de Rupescissa, intitolato Divinum opus... de philosophiae famulatu... Il manoscritto iniziava con le parole : Dixit Salomon Libro sapientiae cap. VII. Deus dedit mihi horum scientiam veram quae sunt ut sciam Dispositionem orbis terrarum... 95. Postello credeva che Dio gli avesse anche dato la capacità di comprendere l’ordine dell’universo tramite la restituzione della sua ragione allo stato originale, prima della caduta. Secondo Postello, apparteneva alla Vergine Veneziana il merito di questa sua trasformazione miracolosa, poiché essa venne a risiedere dentro di lui du93 Si veda M. Reeves, The influence of prophecy... cit. n. 1, p. 262-263, 380384; si veda anche B. McGinn, Angel pope and papal Antichrist, in Church history, 47-2, giugno 1978, p. 158-173; si veda anche Id., Visions of the End... cit. n. 1. 94 Venezia, Bibl. Marciana, Codices latini, Cl III, Cod. CLXXVII (2176). 95 Venezia, Bibl. Marciana, Codices latini, Cl VI, Cod. CCLXXXII(2859).

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rante una immutazione spirituale che restaurò la sua ragione. La sua trasformazione era simile a quella della Vergine Veneziana nel 1540, quando Cristo scese per risiedere nella sua persona. Postello credeva ardentemente che, attraverso l’uso della ragione e le opere di carità, l’uomo poteva realizzare il regno di Dio in terra. La seconda metà della sua vita egli la visse cercando di raggiungere questo fine. Benché, nella prima parte delle sua carriera, Postello abbia parlato di una monarchia gallica restaurata, dopo il suo incontro con la Vergine Veneziana all’Ospedaletto dei SS. Giovanni e Paolo, Venezia divenne per lui il paradigma della «repubblica più perfetta». Egli ammirava sinceramente le istituzioni veneziane ed i luoghi pii. Tuttavia, le virtù della Vergine Veneziana e i suoi insegnamenti sulla riforma e sull’unità erano in gran parte responsabili per la sua lode di Venezia e la sua scelta della città come centro amministrativo della Ecclesia mundana. Per Postello, la restituzione di tutte le cose sarebbe iniziata a Venezia, poiché la vita della Vergine Veneziana, dello spirito di Cristo, provvide per gli uomini un esempio di vita nel regno di Dio in terra. Per quanto queste idee appaiano oggi fantastiche, esse furono precedute da una lunga storia medievale sul mondo restaurato sotto Cristo. Postello, sotto la tutela delle Vergine Veneziana, prese queste profezie seriamente e, tanto era certo della veridicità degli insegnamenti della Vergine Veneziana su Venezia, quale posto scelto da Dio per inaugurare la restituzione di tutte le cose, che scrisse una lettera al Senato e al Doge di Venezia in cui esortava i Veneziani ad iniziare la riforma, assumendo il proprio ruolo nelle monarchia universale. Secondo Postello, la monarchia universale o politia in un mondo riformato e restaurato è l’arte delle arti e vero artista è colui o colei che ne proclama la fondazione e ne progetta la struttura. Nelle speculazioni di Postello, veri artisti sono la Vergine Veneziana, il papa femmina e il suo erede scelto, Postello. La città dell’arte ed il posto scelto da Dio per la instaurazione dell’età aurea è Venezia, città della Vergine Veneziana e della vera arte delle arti 96. Marion LEATHERS KUNTZ

96 Sul mito di Venezia, si veda E. O. G. Haitsma Mulier, The myth of Venice and Dutch republican thought in the seventeenth century, Assen, 1980; E. Muir, Civic ritual in Renaissance Venice, Princeton, 1981; M. L. Kuntz, The myth of Venice in the thought of Guillaume Postel, in J. Hankins, J. Monfasani e F. Purnell, Jr. (ed.), Supplementum Festivum. Studies in honor of P. O. Kristeller, Binghamton, 1987 (Medieval and Renaissance texts and studies), p. 505-523, con la bibliografia sul mito di Venezia, p. 505-506, n. 1.

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LA LECTURE ASSIDUE DES CLASSIQUES MARCELLO CERVINI ET PIERO VETTORI

INTRODUCTION Les évolutions de l’humanisme florentin et ses rapports avec l’Église jusqu’aux dernières années du XVe siècle ont déjà été évoqués. Le siècle suivant voit des transformations, présentées ici à travers deux figures, qui, dans les années 1550, étaient au faîte de leur gloire, deux hommes très différents, liés par l’amitié et une longue collaboration : un homme d’église, cardinal puis pape, et un humaniste, professeur, stipendié par le Duc de Toscane, l’un à Rome, l’autre à Florence. Marcello Cervini, né en 1501, étudia le droit et les mathématiques à Sienne, puis à Florence, mais suivit aussi des cours de grec1; il arriva à Rome en 1524. Après l’élection au pontificat de Paul III Farnèse, il entra parmi les familiers d’Alexandre Farnèse, neveu du nouveau pape, que ce dernier le chargea d’accompagner dans ses missions en Europe. Il fréquenta les érudits groupés autour du cardinal : hommes de lettres, laïques, attachés à la maison d’Alexandre Farnèse, aussi bien qu’hommes d’Église. Il se lia d’amitié avec Angelo Colocci, ancien secrétaire de Léon X, homme d’Église humaniste 2, et le grec Constantin Lascaris, l’un des promoteurs de la diffusion du grec en Italie. Nonce apostolique, puis légat pontifical auprès de Charles Quint 3, il devint en 1539 cardinal de Sainte-Croix-de1 Marcello Cervini à son père Ricciardo Cervini, Sienne, avril-mai 1520, Archivio di Stato, Florence (ASF), Carte cerviniane, filza 49 f. 12, 13, 17, 20, 24, 31; 30 janvier 1521, ibid. f. 39 : cit. P. Piacentini Scarcia, La giovinezza di Marcello Cervini nelle lettere al padre (1519-1524), dans Vincenzo Fera et Giacomo Ferraù (éd.), Filologia umanistica per Gianvito Resta, 2, Padoue, 1997, p. 1437-1438. 2 1467-1549. Il occupa quelques fonctions à la cour pontificale, et fut évêque de Nocera à la suite de l’helléniste Guarino Favorino. Voir les travaux de Vittorio Fanelli, regroupés dans Ricerche su Angelo Colocci e sulla Roma cinquecentesca, Cité du Vatican, 1979 (Studi e testi, 283), et Rossella Bianchi, Per la biblioteca di Angelo Colocci, dans Rinascimento, s. 2, 30, 1990, p. 271-282. 3 En 1540. Voir le portrait de Cervini tel qu’il apparaît dans M. Dykmans, Quatre lettres de Marcel Cervini cardinal-légat auprès de Charles Quint en 1540, dans Archivum Historiae Pontificiae, 29, 1991, p. 113-171.

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Jérusalem (Santa Croce). Protecteur de plusieurs ordres monastiques, il fut administrateur des diocèses de Nicastro, Reggio Emilia, puis Gubbio; membre de l’Inquisition réorganisée en 1542, il joua un rôle important au Concile de Trente, où il représentait Paul III et dirigea les débats entre 1545 et 1549 4. Le 9 avril 1555 il fut élevé au pontificat, devenant Marcel II 5. Il mourut à peine 20 jours plus tard, le 1er mai, et c’est une figure toute différente qui le remplaça : le cardinal Gian Pietro Carafa, qui prit le nom de Paul IV. Avec cette élection prit fin définitivement, pour l’humanisme, ce que Mario Rosa appela le «secolo d’oro farnesiano» 6. Ce furent ses qualités d’homme d’Église, montrées dans les charges ecclésiastiques qu’il avait occupées comme au concile de Trente, qui valurent à Cervini son accession au trône de SaintPierre, mais sa carrière ecclésiastique n’éclipse pas son goût pour l’étude humaniste, et il fut un homme réellement intéressé par la culture, essentiellement sous deux aspects : les textes de l’antiquité gréco-romaine, qu’il lut et commenta, et l’histoire naturelle qui demeura un de ses sujets de prédilection 7. Marcello Cervini ne fut pas le seul prélat de cette période à cultiver ainsi carrière ecclésiastique et passion humaniste 8 : ce fut aussi 4 Voir H. Jedin, Storia del concilio di Trento, trad. it. G. Basso, 2, rééd., Brescia, 1974. Liste de ses charges ecclésiastiques dans G. Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica (...), 42, Venise, 1847, p. 239-240. 5 Sur M. Cervini, voir l’ouvrage de William V. Hudon, Marcello Cervini : an ecclesiastical government in tridentine Italy, Dekalb, 1992, avec une bibliographie (qui ne s’arrête pas sur les intérêts culturels de Cervini) et la recension de P. Piacentini, Cerviniana, dans Roma nel Rinascimento, 1995, p. 101-108; la dernière mise au point de P. Piacentini, La biblioteca di Marcello II Cervini : una ricostruzione dalle carte di Jeanne Bignami Odier : i libri a stampa, Cité du Vatican, 2001 (Studi e testi, 404). Je n’ai pas pu consulter l’ouvrage de B. Neri, Marcello II, Albe, 1937. 6 Mario Rosa, La Chiesa e gli Stati regionali nell’età dell’assolutismo, dans Letteratura italiana, vol. 1, Il letterato e le istituzioni, Turin, 1982, p. 260. 7 Il en parle longuement avec Vettori dans sa correspondance : l’un et l’autre cherchent à identifier poissons et oiseaux, à faire correspondre les noms latins aux noms italiens, etc. (M. Cervini à P. Vettori, 12 juin, 15 novembre 1550, 9 janvier 1551, 30 janvier, 12 juin 1552, British Library, Londres (BL), Add. Ms 10274, f. 4, 18, 21, 31, 39). Cervini encourageait le travail d’Ippolito Salviani, qui publia en 1554 un Aquatilium animalium historiae : Stanley Morison, Marcello Cervini, Pope Marcellus II : bibliography’s patron saint, dans Italia medioevale e umanistica, 5, 1962, p. 301-318 (p. 315). Vettori participa à l’entreprise par l’intermédiaire de Cervini, en aidant l’auteur à se procurer des dessins et peintures de poissons. Les intérêts de Cervini sont beaucoup plus larges, et il possédait et lisait les œuvres latines et italiennes de Bembo, et bien d’autres textes italiens et latins contemporains : Concetta Bianca, Marcello Cervini e Vittoria Colonna, dans Lettere italiane, 45, 1993, p. 427-439 (p. 432-435). Il possédait aussi probablement une collection d’antiquités : P. Piacentini, La biblioteca..., cit., p. 8. 8 Voir les exemples cités par G. Fragnito, Per lo studio dell’epistolografia volgare del Cinquecento : le lettere di Lodovico Beccadelli, dans Bibliothèque d’huma-

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le cas de son ami le cardinal Bernardino Maffei, ou encore de Guglielmo Sirleto, protégé de Cervini, devenu après lui custode de la bibliothèque Vaticane, bien connu, lui, pour ses travaux sur les textes chrétiens 9. Cardinal en 1565, Sirleto refusa en 1585 l’élection au pontificat. Le cardinal Niccolò Ardinghelli, autre proche de Cervini, s’intéressait de près aux travaux d’érudition et d’édition qu’il pouvait connaître10. Tous faisaient partie du cercle qui entourait le cardinal Alexandre Farnèse11. En 1537 au plus tard, Marcello Cervini rencontra Piero Vettori, l’humaniste florentin, à l’occasion d’un bref voyage à Rome de ce dernier12. Ils se connaissaient peut-être déjà depuis au moins deux ans, comme le laisserait penser une lettre de Benedetto Varchi à Vetnisme et Renaissance, 43, 1981, p. 61-87; et W. Hudon, Marcellus II, Girolamo Seripando, and the image of the angelic pope, dans Marjorie Reeves (éd.), Prophetic Rome in the hight Renaissance period, Oxford, 1992 (Oxford-Warburg Studies), p. 374-390. 9 I. Backus et B. Gain, Le cardinal Guglielmo Sirleto (1514-1585), sa bibliothèque et ses traductions de saint Basile, dans Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge Temps Modernes, 98, 2, 1986, p. 889-955. Voir sa correspondance sur le sujet : lettres de Rome à M. Cervini à Trente, Biblioteca Apostolica Vaticana, Cité du Vatican (BAV), Vat. lat. 6177. Federico Borromeo raconte comment Cervini prit Sirleto sous sa protection : «Il giorno appresso [del primo arrivare del Sirleto a Roma] il Cervini, vedutolo alla Vaticana ed osservato com’egli leggeva e traduceva il greco da un antico codice, lo prese seco» : P. Paschini, Guglielmo Sirleto prima del cardinalato, dans Id., Tre ricerche sulla storia della Chiesa nel Cinquecento, Rome, [1945], p. 159. Mais Cervini n’était pas à Rome à l’arrivée de Sirleto. 10 Voir l’article de Mario Rosa, Dizionario biografico degli Italiani (DBI), IV, Rome, 1962, ad uocem. Ardinghelli fut secrétaire de Paul III après Cervini. 11 Voir les remarques de Carlo Dionisotti sur le collège cardinalice sous Paul III dans son article, utile sous beaucoup d’aspects pour notre propos : C. Dionisotti, Chierici e laici, dans Id., Geografia e storia della letteratura italiana, Turin, 1967 (Saggi, 409), p. 47-74 (p. 71). Un autre correspondant de Vettori, le cardinal Guido Ferreri, écrivait à Vettori en latin, et envisagea même de lui écrire une lettre en grec : il y renonça par manque de temps (Guido Ferreri à P. Vettori, Viterbe, 13 octobre 1568, éd. Angelo Maria Bandini, Cl[arorum] Italorum et Germanorum epistolae ad Petrum Victorium, (...), Florence, [s. n.], 1758-1760, 4o, 2, lettre 7). 12 La rencontre entre les deux hommes pendant ce séjour de Vettori à Rome est attestée par les lettres d’Annibal Caro à P. Vettori au début de l’année 1538. Caro lui-même avait fait pendant ce séjour la connaissance du Florentin, qui lui avait laissé un fort souvenir : A. Caro à Luca Martini, Rome, 4 janvier 1538 : «(...) che mi tegnate in grazia di M. Pier Vettori, il quale è stato qui, e mi sono innamorato di lui più che altri non farebbe d’una bella fanciulla, per la rarezza non tanto della letteratura, quanto dell’umanità e della sincerità sua» : Opere del commendatore Annibal Caro, I, volume primo delle lettere familiari colla vita dell’autore (...), In Venezia, nella stamperia Remondini, 1752, p. 6, lettre 4. Lors de cette rencontre, Vettori et Cervini avaient parlé de studia literarum : voir les Posteriores Petri Victorii castigationes in Epistolas, quas uocant Familiares, Luguduni [sic], apud Seb. Gryphium, 1541, commentaire à livre 8, lettre 8.

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tori, envoyée en 1535; le Marcello de cette lettre, qui suit le pape dans ses déplacements, parle avec Vettori de manuscrits et promet de collationner pour lui un texte de Cicéron13. Membre d’une vieille famille de l’oligarchie florentine, Vettori était né en 1499, deux ans avant Cervini. Il avait participé à la République florentine, entre 1527 et 153014, et ce voyage à Rome, où étaient installés les plus puissants fuorusciti florentins, fut sa dernière tentative pour échapper aux Médicis. Il rentra pourtant à Florence au bout de quelques semaines, et accepta une chaire à l’université, chaire de philosophie morale qui lui permit d’abandonner rapidement les auteurs latins pour enseigner le grec pendant presque cinquante ans. Il mena en même temps une carrière d’éditeur scientifique, et tenta de fixer le texte des auteurs classiques par une méthode héritée d’Ange Politien, qui refusait autant que possible la correction inutile au profit du maintien d’une leçon trouvée dans un manuscrit. Vettori fut le premier représentant, à Florence, des humanistes libérés de toute profession administrative, sans être enfermés uniquement dans la fonction d’enseignant. Comme Ange Politien, mais contrairement à Coluccio Salutati, à Bartolomeo Della Fonte, Machiavel ou encore son prédécesseur direct à l’université, Marcello Virgilio Adriani, il ne fut pas chancelier de Florence. Pour autant, il ne resta pas en dehors des affaires politiques ou religieuses. Il défendit le Decamerone contre une deuxième édition expurgée en cinquante ans15, les œuvres de Machiavel contre une révision16, ou s’inquiéta du protonotaire Carnesecchi lorsque celui-ci fut accusé d’hérésie. Il fut choisi comme ambassadeur et orateur par Côme Ier, qui 13 Benedetto Varchi à Piero Vettori, Florence, 16 octobre 1535, BL, Add. Ms 10274, f. 198 : «Messer Marcello m’ ha scritto e molto a voi si raccomanda e pregami lo scusi con voi, perché è stato assente con Nostro Signore e mi ricorda quegli libri in foglio grande e quando si potranno vedere le Annotationi vostre; e che ora che è tornato in Roma, anzi Ogni Santi vi manderà quelli riscontri dell’Oratore. Io gli riscriverò quanto mi parrà a proposito e voi volendo dirgli altro me lo scriverrete». Cette lettre m’a été signalée par le prof. Vanni Bramanti. 14 En combattant mais aussi en occupant des charges administratives et en prenant parti dans les questions politiques. 15 P. Vettori à G. Sirleto, Florence, 6 février 1573, éd. dans Raccolta di prose fiorentine, parte quarta, volume quarto, contenente lettere, in Firenze, nella stamperia granducale per li Tartini, e Franchi, 1734, p. 25-26; rééd. Ch. Dejob, De l’influence du Concile de Trente sur la littérature et les beaux-arts (...), Paris, 1884, p. 393-394. Voir R. Mordenti, Le due censure : la collazione dei testi del Decameron «rassettati» da Vincenzo Borghini e Lionardo Salviati, dans Le pouvoir et la plume : incitation, contrôle et répression dans l’Italie du XVIe siècle, actes du colloque international (...) Aix-en-Provence, Marseille, 14-16 mai 1981, Paris, 1982 (Centre interuniversitaire de recherche sur la Renaissance italienne, 10), p. 253-273. 16 P. Vettori à G. Sirleto, San Casciano in Val di Pesa, 17 mai 1578, éd. dans Raccolta di prose fiorentine..., cit., p. 32-33.

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lui laissa une grande liberté pour rédiger et prononcer à Rome, en latin, le discours d’obédience florentin au nouveau pape Jules III en 155017. Il prononça plusieurs discours funèbres, dont celui de Côme Ier, et occupa diverses charges honorifiques et administratives dans le duché : nommé sénateur en 1548, il occupa aussi plusieurs fonctions temporaires18, sans que celles-ci n’aient jamais gêné ses occupations d’enseignement et d’édition. Par l’intermédiaire des Florentins installés à Rome et amis de Vettori, Donato Giannotti19, Lodovico Beccadelli 20 et surtout Niccolò Ardinghelli, son ancien compagnon d’étude, il noua à la Curie, à l’occasion de ses deux séjours romains – 1537-1538 et 1550 –, des relations destinées à durer. C’est en 1537 que naquit avec Cervini une amitié qui ne prendrait fin qu’à la mort de ce dernier, amitié documentée essentiellement par quarante-neuf lettres envoyées par Cervini à Vettori entre 1550 et 1553, période pendant laquelle, sous le pontificat de Jules III, le cardinal s’éloigna un peu de la Curie et passa chaque année de longs mois hors de Rome 21. Cette correspondance soutenue s’intègre parfaitement dans ce réseau d’amitiés romaines et florentines qui permit à Vettori de connaître et d’être connu d’un ensemble d’hommes liés à la Curie 22. 17 Il serait intéressant de lire ce discours dans la perspective qui est celle de ce colloque. Le vocabulaire employé, en particulier, montre l’évolution continue des termes choisis par les humanistes pour décrire la réalité de l’Église. Cette étude a été menée en partie seulement dans R. Mouren, La rhétorique antique au service de la diplomatie moderne : Piero Vettori et l’ambassade florentine au pape Jules III, dans Journal de la Renaissance, 1, 2000, p. 121-154. 18 Come celles de Capitano di parte Guelfa ou consul de l’Arte dei Mercatanti. 19 Sur D. Giannotti, voir C. Roth, Nuovi contributi alla biografia di Donato Giannotti, dans D. Giannotti, Lettere a Piero Vettori, R. Ridolfi et C. Roth (éd.), Florence, 1932 (=Ridolfi-Roth), p. 3-54. 20 Ludovico Beccadelli, lié en particulier à Ranuccio Farnese (le cardinal Sant’Angelo), dont il fut le précepteur, ami de Giovanni Della Casa, secrétaire du cardinal Contarini sur la suggestion de Pietro Bembo puis vicaire général de Cervini dans son évêché de Reggio Emilia. Il fut aussi chargé de la correction du Decameron, nécessaire pour éviter une mise à l’index de l’ouvrage. Voir Gigliola Fragnito, Per lo studio dell’epistolografia (...), cit., p. 61-87; ead., Evangelismo e intransigenti nei difficili equilibri del pontificato farnesiano, dans Rivista di storia e letteratura religiosa, 25, 1989, p. 33-34 et notes; ead., Le contraddizioni di un censore : Ludovico Beccadelli di fronte al Panormita e al Boccaccio, dans F. Magnani (éd.), Studi in memoria di Paola Medioli Masotti, Naples, [1995], p. 153-171. 21 L’étude des volumes de correspondance de Piero Vettori montre que les lettres qu’il avait reçues ont été triées par ses descendants, et certaines d’entre elles éliminées. Par ailleurs, comme on le verra plus loin, Cervini correspondait volontiers par l’intermédiaire d’autres amis de Vettori, en particulier Donato Giannotti. Ses séjours loin de Rome et de ses activités curiales, entre 1551 et 1554, lui permirent de disposer de beaucoup plus de temps. 22 Tout au long de sa vie, Vettori fut en correspondance avec de nombreux prélats, évêques, cardinaux, futurs papes : Giovanni Maria Ciocchi Del Monte

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Ceux-ci, hommes d’Église ou érudits entrés au service de ces derniers, lui apportaient leur aide, lui donnaient leur avis sur ses œuvres, dont ils attendaient la sortie avec impatience. Cervini recevait ainsi les lettres de Vettori par l’intermédiaire de Donato Giannotti, ou encore du français Gentien Hervet, engagé comme Sirleto dans la traduction des Pères de l’Église 23 ; à l’inverse, il pouvait luimême être chargé de distribuer des lettres, par exemple au grec Ange Vergèce. Les relations entre ces deux hommes étaient centrées sur leur intérêt commun pour les textes classiques, jusqu’à aboutir à une collaboration de fait dans l’élaboration et la réalisation d’éditions. MARCELLO CERVINI,

AMATEUR IMPLIQUÉ

Cervini lecteur des classiques L’intérêt de Cervini pour les textes antiques apparaît clairement dans les correspondances. En 1533 il rendait à Angelo Colocci le manuscrit d’Héron qu’il lui avait prêté, accompagné de la traduction qu’il venait d’en faire 24. À la fin de l’année 1540, Donato Giannotti écrivait à Vettori que le cardinal était en train de lire Cicéron : il avait fait venir un manuscrit de Césène, ce qui laissait supposer à Giannotti qu’il n’avait pas trouvé de bon manuscrit à Rome 25. Cervini avait besoin de bons manuscrits : il ne lui suffisait pas de lire simplement l’une des nombreuses éditions imprimées dont il pouvait disposer à Rome. Il travaillait sur le texte lui-même, comparant les versions, cherchant toujours à vérifier sur un manuscrit ancien si la leçon des éditions imprimées ne devait pas être corrigée. Il avait acquis, pendant sa jeunesse, cette méthode de lecture des textes. Des (Jules III), toscan qu’il connaissait avant de venir réciter devant lui l’oration d’obédience florentine; Michele Ghislieri devenu Pie V, qu’il rencontra à Rome en 1550 (Niccolò del Nero à P. Vettori, 27 octobre 1567, BL, Add. Ms 10269, f. 133); Niccolò Sfrondato (Grégoire XIV); Ippolito Aldobrandini (Clément VIII, dont le père Silvestro, exilé florentin devenu premier secrétaire du pape en 1555, avait été un ami de Piero, BL, Add. Ms 10275, f. 6-12). 23 M. Cervini à P. Vettori, Montepulciano, 14 juillet 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 7. Voir plus loin p. 450. 24 M. Cervini à A. Colocci, Castigni [Castiglione d’Orcia?], 20 septembre 1533, BAV, Vat. Lat. 4104, f. 17 et f. 57. 25 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 4 décembre 1540, BL, Add. Ms 10277, f. 55 : «Mons. Cervini par che studi l’orationi di Marco Tullio et perciò ha fatto venire da Cesena un testo a penna, tanto che io penso che egli habbi tolto se nulla è di buono in queste librerie; pur vedrò se potrò ancora io haver cosa alcuna» (éd. Ridolfi-Roth no 15). Cervini avait sans doute des informations sur les bibliothèques de Césène par le Florentin Benedetto Varchi, qui avait séjourné dans cette ville (voir plus loin n. 150).

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manuscrits portent la trace de ses collations de textes, véritable travail d’éditeur 26. Cervini engagea un moment pour le guider Antonio della Mirandola, c’est à dire Antonio Bernardi, ancien professeur de l’université de Bologne, protégé du cardinal Farnèse 27. En 1541, Giannotti informait Vettori que messer Antonio della Mirandola, qui se présentait comme le meilleur philosophe du monde et n’était, selon Giannotti, qu’un bavasseur, expliquait la Rhétorique d’Aristote chez le cardinal tous les matins 28. Le choix de cette œuvre d’Aristote ne présente rien d’original : la Rhétorique intéressa beaucoup les érudits tout au long du XVIe siècle. Elle fut plusieurs fois éditée, et traduite en latin comme en toscan. Le texte, difficile, en était étudié dans les cours d’humanité de toutes les universités. Non seulement le cardinal Cervini étudiait lui aussi le texte d’Aristote dans une lecture continue, mais il chercha à en faire un commentaire. Giannotti, à qui il avait développé ses idées, les rapporta ainsi à Vettori : Le cardinal m’a lu un long discours qu’il a écrit sur la Rhétorique, dans lequel il expose le sujet et la finalité de cet art : il y démontre la différence entre la rhétorique et la dialectique. Et à propos d’un passage il discute de la naissance de l’une et de l’autre, et veut que la dialectique soit née avant la rhétorique, et une des raisons qu’il avance est qu’il pense que les premiers raisonnements entre les hommes aient été de demander et répondre en peu de paroles, sans autre artifice que celui du sujet lui-même. Et quand il s’est trouvé qu’un

26 Petri Pollidori Frentani de uita et moribus Marcelli II Pontificis Maximi commentarius, Romae, ex typographia Hieronymi Mainardi, 1744, 4o, p. 13-14. Un exemplaire de l’édition de saint Cyprien parue à Lyon, chez Sébastien Gryphe, en 1537, ayant appartenu à Latino Latini, porte la trace d’une collation, identifiée par Latini : emendauit Marcellus Papa II ex collatione trium codicum Cypriani opera : ubi igitur codex unus, aut plures uariabunt, numeris distinguetur. 1559, XVI Cal. Mai. F. Coniecturas Faerni. L. Coniecturas meas. V. Librum Veronensis ecclesiae litteris parne maiusculis mirae antiquitatis. Ex bibliotheca Neapolitana codex mirae uetustatis ab A. Aug. Episcopo Allifano, 1559, obseruatus est (...) : cit. Giovanni Mercati, D’alcuni nuovi sussidi per la critica del testo di S. Cipriano, dans Studi e documenti di storia e diritto, 19, 1898, p. 325. Sur ce texte avaient travaillé plusieurs érudits proches de Cervini et du cercle d’Alexandre Farnèse, Gabriele Faerno, l’évêque Antonio Agustín, et Latino Latini. Cervini avait aussi travaillé sur les livres ad Quirinum (G. Mercati, cit., p. 327). 27 Voir l’article de Paola Zambelli, DBI, vol. 9, Rome, 1967, ad uocem. 28 «[La retorica] è lett[a] in camera del reverendissimo S. Croce da m. Antonio della Mirandola, il quale fa professione del maggior philosopho del mondo ed è uno chiacchierino. Et S. Croce l’ode ogni mattina» : D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 22 janvier 1541, BL, Add. Ms 10267, f. 64, éd. dans D. Giannotti, Lettere italiane, Furio Diaz (éd.), Milan, Marzorati, 1974 (Scrittori italiani, sezione storica e politica) (= Diaz), lettre 59 (Ridolfi-Roth lettre 22).

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homme n’ait pu être persuadé par les simples paroles, alors il a été nécessaire d’utiliser un discours continu et long, avec des artifices pour émouvoir l’âme de l’auditeur. Et c’est ainsi que la rhétorique est née après la dialectique. Il [le cardinal] tient que le but de l’une et de l’autre est le même, comme leur matière, si je me souviens bien 29.

Le cardinal avait entrepris un commentaire linéaire, au moins de l’introduction de la Rhétorique (qui lui semblait très difficile) 30. Il avait commencé à partir de la première phrase du traité, où Aristote dit que la rhétorique est l’antistrophé de la dialectique. Les discussions sur la signification d’antistrophé occupaient les commentateurs, et Vettori lui-même s’y attarda dans son commentaire, pour conclure avec tous que la rhétorique est l’analogue de la dialectique 31. Il n’est pas sans intérêt de voir comment Giannotti considérait le commentaire de Cervini. Il écoutait ses idées, et pensait qu’elles pourraient peut-être être utiles à Vettori : il savait que ce dernier avait travaillé sur la Rhétorique, qu’il devait éditer bientôt 32. Il lui conseilla donc de s’interroger sur la question de savoir si ces deux arts étaient une même chose, comme l’affirmait le cardinal, manifestement d’après les idées d’Antonio della Mirandola 33. Comme il avait été question de ce problème à Rome, on attendrait maintenant

29 «(...) egli [il cardinale S. Croce] mi lesse un lungo discorso che egli ha fatto sopra la rhetorica, nel quale egli dichiara la materia et il fine di questa arte : dove egli dimostra che differenza sia tra la rhetorica et la dialettica. Et a certo proposito disputa del nascimento dell’una e dell’altra, et vuole che la dialectica nascesse prima della rhetorica, et una delle ragioni che egli adduce è che egli vuole che i primi ragionamenti tra gli huomini siano stati il domandare et rispondere con poche parole, senza altro artificio che quel che ha porto la materia sola. et quando è avenuto che alcuna non si sia potuto persuadere a semplici parole, allhora è stato necessario usare il parlare continuato e lungo, con qualche artificio per muovere l’animo dell’ascoltante. Et cosí la rhetorica viene a nascere dopo la dialectica. Il fine dell’una et dell’altra vuole che sia la medesima : et cosí la materia, se io mi ricordo bene» : D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 26 février 1541, BL, Add. Ms 10267, f. 72-73, éd. Ridolfi-Roth, lettre 27. 30 «Credo che S. S. Reverendissima habbia in animo di fare come un commento, almeno sopra il proemio, che gli pare molto difficile» : ibid. 31 Vettori, commentant aßntı¥strofon, explique d’abord les différentes significations du préfixe aßntı¥ ; il s’appuie ensuite sur l’ensemble de l’œuvre d’Aristote, mais aussi sur Cicéron et sur les commentaires anciens du Stagyrite, comme celui d’Alexandre d’Aphrodise qui explique aßntı¥strofon par ıßso¥strofon : Petri Victorii commentarii in tres libros Aristotelis De arte dicendi, positis ante singulas declarationes Graecis uerbis auctoris, Florentiae, in officina Bernardi Iunctae, 1548. 32 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 22 janvier 1541, éd. Ridolfi-Roth, lettre 22. 33 Qui s’occupa de la question dans ses ouvrages.

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de trouver l’avis de Vettori dans son livre et Cervini avait chargé Giannotti de lui en parler 34. Le cardinal Cervini n’était pas simplement en train de s’adonner à une aimable distraction : depuis son adolescence, il passait suffisamment de temps à lire les auteurs anciens et les philosophes pour que ses réflexions aient pu être prises au sérieux, ou du moins relevées. Plusieurs années auparavant, il avait traduit en italien le De amicitia de Cicéron 35. Il avait profité d’un séjour hors de Rome, au moment de la peste de 1525, pour lire Plutarque et Euclide 36. Mais si Giannotti rapportait à Vettori les réflexions du cardinal, c’était aussi pour expliquer pourquoi il lui signalait le problème de l’identité de la rhétorique et de la dialectique. Il eut l’occasion ailleurs de dire que, comme Vettori, il pensait que pour comprendre Aristote il fallait y passer tout son temps 37. Le cardinal de Santa-Croce ne se risquait d’ailleurs pas à des discussions philologiques avec Vettori : en 1554, celui-ci s’interrogeait sur un passage du Pro Marco Marcello de Cicéron, dans l’édition de son ami Gabriele Faerno 38. Le cardinal, au sujet de ce passage, demanda des avis autour de lui et confia l’affaire à Guglielmo Sirleto, qui répondit après avoir consulté Faerno; ce dernier expliqua le

34 «Io vi ho scritto queste cose accioché lo sappiate essendo in su questo studio. Bisogna che consideriate molto bene se queste due arti sono una medesima o se sono differenti : perché, come credo havervi scritto, un certo m. Antonio dalla Mirandola tiene che elle siano una medesima, habbiano una medesima fine, et una medesima materia. Sí che bisogna che voi examiniate molto bene questa questione et che la dichiarate, perché se uscisse fuori scritto alcuno vostra [sopra] la Rhetorica nel quale voi non havessi considerato questa cosa, costoro qua direbbero che voi non l’havessi saputa decidere. Cosí anche considerate bene il nascimento dell’una et dell’altra arte : et ne farete piacere al Cardinale di Santa Croce che mi ha imposto che io ve ne scriva, sanza che e’ mi pare anco necessaria» : ibid. Bernardi et Vettori se rencontrèrent lorsque le premier vint séjourner à Florence avec Alexandre Farnèse en 1551. 35 Ce que relève son biographe en 1744 : Petri Pollidori..., cit., p. 13. 36 Sur un manuscrit puisque la première édition d’Euclide dans le texte original est postérieure. L’envie de lire Euclide lui venait sans doute de ses études de mathématiques. Toutefois, comme une grande partie de ceux qui lisaient les textes antiques, il avait des intérêts très larges et étudiait des textes très variés. 37 C’est ce qu’il dit à propos du cardinal de Ravenne, Benedetto Accolti, qui vient de lui montrer un discours : «Et ho sempre creduto che sia vero quello che dite, cioè che in intendere quel philosopho bisogna consumar tutta la sua vita et in luogo dove non s’attenda ad altro, siccome noi veggiamo che hanno fatto quelli che hanno acquistato fama di valenti huomini» : D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 6 mars 1540, éd. Ridolfi-Roth, lettre 28. 38 Le latiniste dont il terminerait le Térence posthume, protégé de Cervini qui l’avait fait appointer à partir de 1548 et contre d’autres influences à la bibliothèque Vaticane.

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choix de variantes dans son édition à partir des leçons trouvées dans des manuscrits 39. Cervini était toujours heureux de recevoir les ouvrages de Vettori, qu’il remerciait à chaque envoi 40, mais il passa surtout beaucoup de temps à l’encourager à mener à bien ses éditions : la Politique d’Aristote, dont le texte avait vraiment besoin d’être corrigé 41, ou les œuvres de Clément d’Alexandrie, auteur chrétien important, en particulier du Pédagogue, traité de formation morale, théorique et pratique du chrétien 42. Le cardinal Cervini donnait son avis dans de nombreux domaines : ainsi, après avoir lu les épreuves de Clément d’Alexandrie, remarqua-t-il que les errata ne se trouvaient pas avec l’épître. Il supposa qu’elle seraient mises séparément, et conseilla vivement de les placer avant le texte plutôt qu’après, pour la commodité du lecteur 43. Il conseilla enfin au Florentin de rajouter à ses Variae Lectiones une étude d’un passage de Varron particulièrement difficile 44. Rome centre d’humanisme L’intérêt de Cervini apparaît aussi à travers l’attention qu’il prêtait à tout ce qui se faisait autour de lui. Il était au centre d’un groupe d’érudits, et de plus, sa position à Rome lui permettait d’obtenir toutes les informations qu’il souhaitait. On voit bien dans ses lettres qu’il se tenait au courant des travaux en cours des érudits romains, et il signalait à Vettori ce qui concernait les textes antiques : en 1552 par exemple, un Faerno (Filippo, sans doute par erreur pour Gabriele) avait lu et corrigé César en le collationnant «con molti testi antichi» – expression courante qui indique le sérieux du travail –, mais Cervini n’avait pas pu savoir s’il était prêt à l’éditer 45. Rome était l’endroit où arrivaient les nouveaux livres, en partiG. Sirleto à P. Vettori, Rome, 3 mars 1554, BL, Add. Ms 10275, f. 239. Il le remercie pour le De elocutione de Démétrios de Phalère : M. Cervini à P. Vettori, Rome, 29 avril 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 33; pour le Lysis de Platon : M. Cervini à P. Vettori, Rome, 7 février 1551, BL, Add. Ms 10274, f. 23. 41 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 29 avril 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 33. 42 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 22 février 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 2. 43 M. Cervini à P. Vettori, 8 novembre 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 17. 44 M. Cervini à P. Vettori, dal’abbadia fuor de Agubbio, 19 juin 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 41v. 45 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 30 janvier 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 31. Dans l’autre sens, Vettori informait Cervini des entreprises florentines : P. Vettori à Vincenzo Borghini, S. Casciano in Val di Pesa, 19 oct. 1549, biblioteca Riccardiana (Florence), Ricc. 2133, f. 342-343, éd. L. Cesarini Martinelli, Contributo all’epistolario di Pier Vettori (Lettere a don Vincenzio Borghini, 1546-1565), dans Rinascimento, 19, 1979, p. 203-204. 39 40

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culier ceux qui étaient publiés à l’étranger : lorsque Vettori apprit qu’un de ses livres avait été réédité en Allemagne, il écrivit à Rome 46. Il sut de Giannotti que «nella Magna è stato stampato solamente un volume nel quale si contengono tutte le annotationi che sono state fatte sopra le Familiari. Gli autori sono Philippus Melanthon, Rutilius, Sebastianus Conradus et voi» 47 : intéressant mélange. Les défenseurs romains de Vettori C’est par Rome aussi que Vettori pouvait connaître les attaques dont il faisait l’objet et y répondre : il apprit tout de suite par Faerno que Marc-Antoine Muret, l’humaniste français et professeur à la Sapienza, l’Université de Rome, qu’il ne connaissait pas, l’attaquait dans ses Variae Lectiones 48. Les perfidies de Paul Manuce dans l’édition de la correspondance de Cicéron publiée peu après la sienne lui furent aussitôt rapportées 49. Et lorsqu’il s’apprêtait à répondre en éditant un nouveau volume d’explications à ses corrections, décidé à se défendre sur un plan philologique et codicologique, ce furent les Romains qui lui donnèrent leur avis : Donato Giannotti abonda d’abord en son sens 50, puis se rangea à l’avis de Niccolò Ardinghelli, fa46 P. Vettori à Benedetto Varchi, Florence, 19 juillet 1540, éd. Lettere serie, erudite e famigliari di diversi uomini scienzati et illustri nuovamente raccolte, e in due parti divise, in Venezia, presso Domenico Occhi, 1735, p. 10. 47 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 13 août 1540, BL, Add. Ms 10267, f. 79-80, éd. Ridolfi-Roth, lettre 3. In omnis M. T. Ciceronis epistolas quæ Familiares appellantur, doctissimorum uirorum annotationes, nemper Sebastiani Corradi, Bernardini Rutilii, Philippi Melanchthonis, Petri Victorii et aliorum (...), Basileæ, in officina R. Winter, 1540. 48 Gabriele Faerno à P. Vettori, 25 novembre 1559, BL, Add. Ms 10266, f. 128, cit. Anthony Grafton, Joseph Scaliger : a study in the history of classical scholarship, I, Textual criticism and exegesis, Oxford, 1983 (Oxford-Warburg studies), p. 89-92. Je remercie Anna-Carla Dionisotti, qui avait identifié l’ouvrage critiqué par Faerno dans sa lettre. 49 Petri Victorii explicationes suarum in Ciceronem castigationum, Lugduni, apud Seb. Gryphium, 1540, 8o. D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 13 août 1540, BL, Add. Ms 10267, f. 79-80, éd. Ridolfi-Roth, lettre 3. En 1540 Paul Manuce édita toutes les lettres de Cicéron : M. Tulli Ciceronis Epistolae familiares, diligentius, quam quae hactenus exierunt, emendatae. Pauli Manutii scholia, quibus & loci familiarium epistolarum obscuriores explanantur, et castigationum, quæ in iisdem epistolis factæ sunt, ratio reditur, Venetiis, apud Aldi filios, 1540; M. Tullii Ciceronis Epistolae ad Atticum, ad M. Brutum, ad Quintum fratrem, summa diligentia castigatæ, ut in iis menda, quae plurima erant, paucissima iam supersint. Pauli Manutii in easdem Epistolas scholia, quibus abditi locorum sensus ostenduntur cum explicatione castigationum, quæ in his epistolis perne innumerabiles factae sunt, Venetiis, apud Aldi filios, 1540. L’exemplaire annoté de Giannotti, portant son ex-libris, est conservé à la BAV, Aldine III 128. 50 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 13 août 1540, BL, Add. Ms 10267, f. 79-80, éd. Ridolfi-Roth, lettre 3.

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vorable à un apaisement 51. Vettori s’entêta 52, et ses amis romains relurent son texte avant l’édition, s’aidant de manuscrits prêtés par Giovanni Gaddi, florentin lui aussi, qui connaissait Piero depuis longtemps 53. Gaddi, doyen des clercs de la Chambre apostolique, était le frère du cardinal Niccolò, ami des cardinaux Ridolfi et Salviati, et hostile à Alexandre puis Côme Ier de Médicis 54. L’affaire, qui se conclut provisoirement par l’édition du nouveau livre de Vettori 55 (et définitivement par l’indifférence des imprimeurs, qui éditèrent ensuite les textes en y mélangeant les commentaires de Manuce et ceux de Vettori 56), avait remué à Rome un milieu plus large que celui des humanistes. ENTREPRISES

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Devenu cardinal de Sainte-Croix-de-Jérusalem, c’est dans ses domaines de prédilection que Cervini joua un rôle important à Rome. Il occupa, à partir de 1540 environ, une place suffisamment importante à la Curie pour pouvoir mener à bien les entreprises qui lui tenaient à cœur : l’édition des textes anciens, et la gestion de la

51 D. Giannotti à Lorenzo Benivieni, Rome, 14 août 1540, BL, Add. Ms 10267, f. 81, éd. Diaz, lettre 40 (Ridolfi-Roth appendice 1); D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 23 octobre 1540, BL, Add. Ms 10267, f. 98-99, éd. Ridolfi-Roth lettre 13. 52 «Passarmela non posso, perché costui mi morde et nell’honore dell’uomo da bene, et nella professione delle lettere» : Ludovico Martelli rapporte ainsi les paroles de Vettori à Carlo Strozzi, Florence, 21 août 1540, ASF, Carte Strozziane, ser. I, ms CXXXVII, éd. Le carte strozziane del R. archivio di stato in Firenze, inventario, serie prima vol. I, In Firenze, dalla tipografia galileiana di M. Cellini e c., 1884, p. 585 (cit. Pio Ferrieri, Pier Vettori e l’umanesimo nel secolo XVI, dans ses Studi di storia e critica letteraria, Milan-Rome-Naples, 1892, p. 349). 53 Voir la lettre de Giovanni Gaddi à P. Vettori, Rome, 29 janvier 1536, BL, Add. Ms 10277, f. 22; Ruberto Rophia à P. Vettori, Rome, 24 octobre 1536, BL, Add. Ms 10277, f. 220, renouvelle de la part du cardinal une invitation à venir le trouver à Rome «4 o 6 mesi o quel piu o manco che bene vi venisse». Il lui fait dire que les commensali du cardinal sont Francesco Marsupini, Niccolò Ardinghelli, il Thilesio, il Cursio... Gaddi réunissait autour de lui des érudits, et fut en rapport étroit avec Annibal Caro, Benedetto Varchi, Pietro Aretino. Voir l’article de Vanna Arrighi, DBI, vol. 51, ad uocem. 54 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 11 septembre 1540, BL, Add. Ms 10267, f. 85-87, éd. Ridolfi-Roth, lettre 6; Rome, 30 septembre 1540, BL, Add. Ms 10267, f. 89-90, ibid., lettre 8. 55 Posteriores Petri Victorii Castigationes in Epistolas, quas uocant familiares, Lugduni, apud Seb. Gryphium, 1541, 8o. 56 De nombreux éditeurs réunirent les annotations de Vettori et celles de Manuce à partir de 1546 (M. T. Ciceronis Rhetoricorum ad C. Herennium libri quatuor. Eiusdem de Inuentione libri duo. Ex Petri Victorii ac Pauli Manutii castigationibus, Lugduni, apud S. Gryphium, 1546).

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bibliothèque Palatine, qui devint, sous sa direction, la Bibliothèque Vaticane 57. L’imprimerie grecque Dès 1511, Angelo Colocci avait formé le projet de faire venir des imprimeurs de grec à Rome, pour éditer les commentaires d’Eustathe à Homère. En 1515 seulement fut imprimé le premier livre grec à Rome 58. En 1517, l’imprimerie du Collège grec fondé par Léon X éditait les scholia palaia de l’Iliade, suivi de quatre autres ouvrages, mais s’arrêtait en 1519. L’imprimerie grecque, née à Rome par la volonté de l’Église, n’y renaîtrait que de la même façon, et c’est Marcello Cervini qui, avant même son accession au cardinalat, entreprit de constituer un groupe d’hommes chargé d’éditer des textes grecs 59. Il voulait faire imprimer «tutta la scrittura sacra», puis «i philosophi, gli oratori e poeti, et finalmente (...) libri latini» 60. Il alla chercher à Venise un des frères Niccolini da Sabbio, éditeurs confirmés d’ouvrages liturgiques et de textes en langue grecque vernaculaire 61, ainsi que Nicolas Sophianos, originaire de Corfou, qui avait préparé l’édition, à Venise aussi, d’ouvrages liturgiques, de traductions en grec

57 Bref de Jules III remplaçant le titre de «Bibliotecario del palazzo apostolico» par celui de «Bibliotecario di s. Chiesa ovvero protettore della biblioteca Vaticana» : cit. G. Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica (...), cit., vol. 42, p. 241. 58 Alors que le premier livre entièrement en grec avait été publié à Milan en 1476. 59 Sur cette entreprise de Marcello Cervini voir la lettre de D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 4 décembre 1540, BL, Add. Ms 10277, f. 55, éd. Ridolfi-Roth lettre 82 : «Il detto cardinale mette ordine di fare una stamperia greca per stampare tutta la scrittura sacra, e di quella gli autori più reconditi. Seguiteranno poi i philosophi, gli oratori e poeti, et finalmente stamperanno libri latini; che sarà bella cosa»; Léon Dorez, Le cardinal Marcello Cervini et l’imprimerie à Rome, dans Mélanges d’archéologie et d’histoire, 12, 1892, p. 289-313; Alberto Tinto, Nuovo contributo alla storia della tipografia greca a Roma nel secolo XVI : Niccolò Sofiano, dans Gutenberg Jahrbuch, 1965, p. 171-175; Pio Paschini, Un cardinale editore : Marcello Cervini, dans Miscellanea di scritti di bibliografia ed erudizione in memoria di Luigi Ferrari, Florence, 1952, p. 383-413; Evro Layton, The sixteenth century Greek book in Italy : printers and publishers for the Greek world, Venise, 1994 (Library of the hellenic institute of byzantine and post-byzantine studies, 16), p. 462. M. L. Agati, Giovanni Onorio da Maglie copista greco (1535-1565), supplément no 20 au Bollettino dei classici, 2001, p. 157-190. 60 Ibid. 61 Sur la participation de Stefano Nicolini da Sabbio, E. Casanova, Le carte di Costantino Corvisieri all’Archivio di Stato di Roma, dans Gli archivi italiani, 7, 1920, p. 30-33 (cit. E. Vaccaro-Sofia, Documenti e precisazioni su Antonio Blado ed eredi tipografi camerali del sec. XVI, extr. de Bollettino dell’Istituto di patologia del libro, 1950).

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moderne de textes antiques grecs, et de divers autres ouvrages 62 ; l’imprimeur romain Antonio Blado – ami de Giovanni Gaddi – fit partie de l’entreprise. Benedetto Giunti, membre de la famille d’imprimeurs installés à Venise, Florence et Lyon, est nommé dans le contrat et participa lui aussi 63, comme Niccolò Maiorano, professeur de grec à la Sapienza à Rome, custode de la bibliothèque Vaticane depuis 1532 ou 1533, futur évêque de Molfetta 64. Cette initiative permit d’imprimer les commentaires d’Eustathe à Homère, entre 1542 et 1550 : les urgences n’avaient pas changé depuis 1511, quand Colocci avait souhaité éditer ces scholies. Le corfiote Mathieu Devaris, attaché à la maison du cardinal Ridolfi 65 puis d’Alexandre Farnèse comme copiste, futur correcteur de grec à la bibliothèque Vaticane 66, fut chargé de l’index 67. Eustathe fut le seul texte de l’antiquité païenne que le cardinal de Sainte-Croix fit éditer 68. Il chercha essentiellement à éditer des

Sur Nicolas Sophianos voir E. Layton, cit., p. 460-472. Malgré les dissensions qui l’avaient opposé à plusieurs reprises à Blado, Benedetto Giunti avait déjà passé un contrat pour une édition avec lui en 1536 : G. Fumagalli, Antonio Blado tipografo romano del secolo XVI, Milan, s.d. Les Giunti s’occupèrent de la vente d’une partie des ouvrages publiés pour le compte du cardinal Cervini : voir Angela Nuovo, Il commercio librario nell’Italia del Rinascimento, Milan, 1998, cit. P. Piacentini, La biblioteca...cit., p. 10-11. 64 Sur Niccolò Maiorano voir Pio Paschini, Un ellenista del Cinquecento Niccolò Maiorano, extrait des Atti dell’Accademia degli Arcadi, 1927; J. Bignami Odier et J. Ruysschaert (coll.), La bibliothèque vaticane de Sixte IV à Pie XI, Cité du Vatican, 1973 (Studi e testi, 272). 65 La maison du cardinal Niccolò Ridolfi accueillait de nombreux érudits grecs et italiens, parmi lesquels plusieurs acteurs de l’entreprise cervinienne : Nicolas Sophianos, Mathieu Devaris, Francesco Priscianese. Donato Giannotti, intermédiaire entre Vettori et le cardinal, en faisait partie lui aussi : L. Byatt, «Una suprema magnificenza» : Niccolò Ridolfi, a Florentine cardinal in sixteenth-century Rome, thèse pour obtenir le diplôme de docteur de l’Institut universitaire européen, Florence, 1983, vol. 1 p. 41. Un ouvrage écrit par Roberto Ridolfi sur Niccolò Ridolfi semble être resté inédit : Roberto Ridolfi, La biblioteca del cardinale Niccolò Ridolfi, dans La Bibliofilia, 31, 1929, p. 173-193 (173). Sur Devaris voir Massimo Ceresa, DBI, ad uocem. 66 Pierre de Nolhac, La bibliothèque de Fulvio Orsini : contributions à l’histoire des collections d’Italie et à l’étude de la Renaissance, Paris, 1887 (Bibliothèque de l’École des hautes études, 74), p. 30 n. 1. 67 Eustathii archiepis. Thessalonicensis Commentarii in Homeri Iliadem et Odysseam edidit N. Maioranus cum indice Math. Devarii, 1542-1550. Le troisième volume porte la mention : impressum Romae apud Antonium Bladum Asulanum et socios Typis Ioannis Honorii Manliensis Salentini Bibliothecae Palatinae instauratoris, 1549 (sur le graveur de la fonte, Giovanni Onorio da Maglie, voir infra p. 452). Devaris reçut peut-être l’aide d’un autre familier du cardinal Ridolfi, Constantinos Rhallis : L. Byatt, cit., vol. 2 p. 31. Voir R. Ridolfi, Nuovi contributi sulle «stamperie papali» di Paolo III, dans La Bibliofilia, 50, 1948, p. 183-197 (190197). 68 Dans une de ses lettres, D. Giannotti citait Plutarque : «I Greci hanno fatto 62 63

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Pères de l’Église : il encouragea les travaux de Niccolò Ardinghelli, mais aussi ceux de Piero Vettori. Il souhaitait l’édition de saint Athanase et saint Cyrille, des discours encore inédits de saint Grégoire de Nazianze et «simili altri autori buoni, e catholici, sicondo che fusse giudicato meglio, e più a proposito» 69. Il poussa Vettori à éditer les œuvres de Clément d’Alexandrie, et Côme Ier de Médicis à l’aider dans son entreprise 70. Blado édita les commentaires de Théophylacte aux Évangiles en 1542, avec la participation de Guglielmo Sirleto qui en corrigea le texte 71, et les Tragoedia Christus patiens de Grégoire de Nazianze 72, ainsi qu’un ouvrage de Théodoret, préparé par Niccolò Maiorano 73. Marcello Cervini suivit de très près l’édition des textes de Théoanchora eglino una lettera greca simile a quella d’Aldo, con la quale sono stampate le Vite di Plutarco, i Morali e tante altre cose (...). Et havevano cominciato a stampare Theophylato (...)» : D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 22 janvier 1542, BL, Add. Ms 10267, f. 104, éd. Ridolfi-Roth, lettre 46. Blado n’imprima pas cet auteur (d’après les catalogues de grandes bibliothèques et Domenico Bernoni, Dei Torresani, Blado e Ragazzoni celebri stampatori a Venezia e Roma nel XV e XVI secolo, Milan, 1890). 69 M. Cervini à G. Sirleto, Trente, 19 février 1547, BAV, Vat. Lat. 6178 f. 1. Une liste des auteurs édités est donnée par P. Piacentini, La biblioteca..., cit., p. 11. 70 Klh¥mentov Alejandre¥ov taù eyΩrisko¥mea a™panta, ex bibliotheca medicea, Florentiae, cudebat Laur. Torrentinus, 1550, fo, 42, [2], 357 p. Il a lui-même beaucoup insisté pour que Vettori, qui s’intéressait peu à ce type d’auteurs, se décidât à l’éditer : Petri Victorii variarum lectionum libri XXXVIII ad Alexandrum Farnesium S.R.E. Cardinalem libri XXV. Ad Ferdinandum Medicem S.R.E. Cardinalem libri XIII, Quorum librorum ueteribus editionibus addita sunt quaedam, pauca uariata, Florentiae, apud Iunctas, 1582, livre 14, chap. 18 p. 163 «illa tamen ipse purgaui : cum aliquid laboris in eius auctoris conferendis exemplaribus emendandisque, antequam impressoribus traderentur, suscepi, atque id, ut & uoluntati satisfacerem Marcelli Ceruini cardinalis, qui id a me impense petierat : ardebat enim ille ut est omnium honestarum rerum cupidissimus, in primisque adiuuandarum litterarum studiosissimus mito quodam desiderio huius auctoris uidendi, atque in manus eruditorum tradendi : bona tamen ipsius magnaque parte carebat, quae in Medicea tantum bibliotheca inueniebatur, ut igitur ipsi in tam iusta re praesto essem, & uetus institutum meum, equerer, nullum laborem recusandi, ut iis, quos recta studia delectant, prosim, aliquantulum in eo laboraui. quare hunc locum restitui, consulto tamen antea ipso, summi iudicii, atque eruditioni uiro : cum alicuius ponderis res esset : Gulielmo Sirleto, qui domi eius uiuit, doctissimo homine : & ut olim in humanioribus studiis magna cum laude uersato, ita nunc in sacris abditisque litteris toto animo occupato. nec enim temere manus ueteribus auctoribus admouere soleo». 71 Ueofyla¥ktoy aßrxiepisko¥poy Boylgarı¥av ermhneı¥a eıßv taù te¥ssara Eyßaggelı¥a, Romae, [per A. Bladium], 1542, 2o. P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 395; M. L. Agati, Giovanni Onorio da Maglie..., cit., p. 159. 72 [Toy˜ aΩgı¥oy Grhgorı¥oy Nazianzenoy˜ Tragw ∞ dı¥a Xristoùv pa¥sxwv], Romae, impressum per A. Bladum, 1542, 8o. 73 Ueodwrh¥toy (...) perıù Pronoı¥av lo¥goi de¥ka, Theodoreti (...) De prouidentia sermones X nunc primum in lucem editi, Romae, [A. Blado], 1545, 8o.

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doret, et particulièrement celle du Contra hæreses. Le texte avait été copié pour le cardinal par le grec Ange Lascaris en 1546 74. Sirleto l’avait ensuite fait collationner à Rome. La préparation du texte fut l’objet de tous les soins de Marcello Cervini, alors à Trente. Il posa toutes sortes de questions à Sirleto sur Théodoret 75, à qui il demanda, avant de faire éditer le texte, de le faire vérifier par une personne «intelligente et versée dans la Sainte Écriture», pour éviter qu’il y reste des «erreurs» 76. Le légat était prêt à laisser passer un certain nombre de points, qui n’intéressaient pas le concile; mais d’autres étaient plus importants 77. Cervini proposa finalement de faire précéder le texte d’une note montrant que les erreurs de l’auteur avaient bien été relevées par les éditeurs, ce qui fut fait 78. L’ouvrage fut terminé le 22 janvier 1547 79. L’imprimeur était Stefano Niccolini da Sabbio d’après le titre, mais ce dernier, dont les presses étaient à Venise, faisait travailler à Rome Antonio Blado 80. Le Vénitien participa à nouveau à l’entreprise en 1555, en imprimant les discours de saint P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 402. Lettres de M. Cervini, BAV, Vat. Lat. 6177, 6178. 76 M. Cervini à G. Sirleto, Trente, 29 janvier 1547, BAV, Vat. Lat. 6178, f. 155, cit. P. Batiffol, La Vaticane de Paul III à Paul V d’après des documents nouveaux, Paris, 1890, p. 28. 77 «Circa il luogo del Theodoreto, ch’io ve advertii del peccato originale, non è stimato da me di molta importantia, massime che questo punto non è hora in controversia, ne vi si dubita sopra. Paremi bene, che quel che ne ho scritto da poi de la transubstantiatione del pane sia di maggior consideratione, et degno d’esser piu advertito, come harete potuto vedere» : M. Cervini à G. Sirleto, Trente, 19 février 1547, BAV, Vat. Lat. 6178 f. 1. 78 «Saria bene di notare in margine a Theodoreto (almeno in penna, dico a tutti li libri prima che si vendessero) qualche parola : per la quale apparisse che quelli due luoghi sono stati conosciuti et avvertiti. accioché non si possa dire che il libro è stampato a Roma con l’approbatione di quelli errori» : ibid. La note est portée sur les exemplaires imprimés. 79 Ueodwrı¥toy (...) Dia¥logoi treı˜v kata¥ tinwn aıΩre¥sewn. Kataù aıΩretikw˜n biblı¥on eßn wü∞ taùv ayßtw˜n Flyarı¥av (...) eßjele¥gjei. Ueı¥wn dogma¥twn eßpitomh¥, Theodoreti (...) Dialogi tres contra quasdam haereses. Contra haereticos liber, in quo illorum nugas et fabulas (...), redarguit. Diuinorum dogmatum epitome, Romae, per S. Nicolinum, 1547, 4o. 80 L. Dorez, Le cardinal..., cit., p. 305, n. 2. L’édition de Théodoret resta une entreprise importante tout au long du XVIe siècle. En 1562, Sirleto défendait encore Théodoret en s’aidant des actes du concile de Chalcédoine (G. Sirleto, sans doute au cardinal Seripando, légat au concile de Trente, Rome, 2 décembre 1562, BAV, Vat. Lat. 6179, f. 187-192). Théodoret fut édité la même année par l’imprimerie du Vatican, formée depuis peu. En 1581, Fulvio Orsini faisait encore chercher à Florence des manuscrits de Théodoret, pour le pape qui «aveva animo di fare stampare il Teodoreto greco» : il s’agissait de l’édition des sermons, et Vettori fut à nouveau appelé à l’aide pour compléter le texte incomplet à l’aide de la biblioteca Laurenziana : P. Vettori à G. Sirleto, Florence, 18 et 24 novembre 1581, 3 et 23 mars 1582, BAV, Vat. lat. 6194, f. 27-28, 192, 196, éd. Raccolta di prose fiorentine (...), cit., p. 38-40, 44-45. 74 75

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Jean Damascène De imaginibus, accompagnés d’un discours de Théodore Stoudite sur le même sujet et d’une vie de saint Jean Damascène écrite par Jean patriarche de Jérusalem. L’édition avait été préparée par Niccolò Maiorano 81. Cervini s’était mis en tête d’éditer aussi des textes latins. En septembre 1541, quand Vettori, lancé dans sa controverse sanglante avec Paul Manuce, travaillait à nouveau sur la correspondance de Cicéron, Cervini décidait de faire éditer cet auteur, en faisant travailler un groupe de «ciceroniani» : la première chose qu’il fit fut de se procurer une fonte, et un imprimeur. La casse était en capitales, l’imprimeur était Francesco Priscianese, toscan installé auprès du cardinal Ridolfi 82. Priscianese édita aussi Arnobe grâce à l’aide du cardinal 83, et il prévoyait «altri scrittori sacri dategli dal cardinale di Santa Croce» 84 ; en 1543 sortaient encore de ses presses l’Assertio septem sacramentorum du roi Henri VIII 85, ainsi que deux discours latins de Bessarion 86. Priscianese cite deux autres ouvrages dans une 81 Toy˜ aΩgı¥oy Iwa¥nnoy toy˜ Damaskhnoy˜ Lo¥goi treı˜v aßpologhtikoıù proùv toyùv uiaba¥llontav taùv aΩgı¥av eıßko¥nav. Toy˜ oΩsı¥oy patroùv hΩmw˜n Ueodw¥roy... Dogmatikhù perıù timh˜v kaıù proskynh¥sewv tw˜n aΩgı¥wn eıßko¥nwn. Bı¥ov toy˜ oΩsı¥oy patroùv hΩmwn Iwa¥nnoy toy˜ Damaskhnoy˜ syggrafeıùv paraù Iwa¥nnoy, patria¥rxoy Ierosoly¥mwn, Romae, apud S. Nicolinum, 1553, 12o. P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 409. 82 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 3 septembre 1541, BL, Add. Ms 10277, f. 57-58, éd. Ridolfi-Roth lettre 42; voir P. Paschini, ibid., p. 390-391. Priscianese est considéré comme hostile aux Médicis. En 1543 pourtant, Vettori écrivait à Francesco Campana, premier secrétaire de Côme Ier, accompagnant sa lettre d’une missive de Priscianese, pour que le contenu en soit transmis au duc : Lelio Torelli à P. Vettori, Florence, 15 août 1543, BL, Add. Ms 10278, f. 121. L’entreprise (mais on ne sait pas laquelle exactement) n’eut pas de succès car le duc, déjà très occupé par de graves problèmes, venait de tomber malade. En 1545, Priscianese se renseignait auprès de Benedetto Varchi pour savoir si l’imprimeur allemand invité à Florence pour imprimer le manuscrit des Pandectes (Lorenzo Torrentino) était arrivé, manifestement dans l’idée de proposer ses services : F. Priscianese à B. Varchi, Rome, 30 août 1545, Raccolta di prose Fiorentine (...), parte quarta, volume due, (...), p. 217-218. Sur les caractères utilisés, Roberto Ridolfi, Nuovi contributi sulle «stamperie papali»..., cit., p. 184-185. 83 Arnobii disputationum aduersus gentes libri octo nunc primum in lucem editi, Romae, Franciscus Priscianensis, 1542, 2o. F. Priscianese à P. Vettori, Rome, 18 octobre 1543, éd. Dioclecio Redig de Campos, Francesco Priscianese stampatore e umanista fiorentino, dans La Bibliofilia, 40, 1938, p. 178. Voir P. Paschini, ibid., p. 392-394. 84 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 22 janvier 1542, BL, Add. Ms 10267, f. 104, éd. Ridolfi-Roth, lettre 46. 85 Assertio septem sacramentorim aduersus Martin Lutherum (...), Romae, apud F. Priscianensem Flor., 1543, 4o. L’ouvrage avait déjà été publié à Rome en 1521 par Étienne Guilleret. 86 Bessarionis Niceni cardinalis orationes de grauissimis periculis quae rei publicae Christianae a Curia iam tum impendere prouidebat..., Romae, Franciscus Priscianensis, 1543, 4o. Les passages en grec utilisent la casse de Giovanni Onorio citée infra, p. 452.

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lettre à P. Vettori, mais il semble qu’il s’agisse de deux éditions qu’il doit terminer avant de pouvoir travailler pour le cardinal 87. Marcello Cervini encouragea aussi des traductions des textes grecs en latin, en particulier celles de Gentien Hervet, qui traduisit à sa demande Clément d’Alexandrie, ou encore Théodoret 88. Hervet, avec le privilège d’imprimer sa traduction du Contra hæreses, obtint aussi celui des traductions des liturgies de saint Jean Chrysostome 89 et saint Basile, de la Mistagogia de Maxime le Confesseur 90 et de deux ouvrages d’Alexandre d’Aphrodyse, les questions morales et le De anima 91. Hervet publia ses traductions chez plusieurs éditeurs, à Venise, Florence, Bâle ou Paris, et ne travailla pas avec l’équipe mise en place par Cervini à Rome : ses éditeurs florentin et vénitien ne furent pas les Giunti, et il n’imprima aucun de ses livres à Rome. Grâce à un manuscrit copié pour Marcello Cervini sur un texte de la bibliothèque du cardinal Bessarion à Venise, il publia toutefois en 1552 à Florence, chez imprimeur ducal, Lorenzo Torrentino, les traductions des com-

87 Francesco Priscianese à P. Vettori, Rome, 6 mai 1543, éd. D. Redig de Campos, Francesco Priscianese..., cit., p. 177 : «Io sono in su la fine della mia cancelleresca et pur hoggi se n’è fatta una pruova che riuscirà bellissima; io ve manderò tosto una mostra. Et son dietro anchora a finir di stampare certi libri papali et un libretto del Governo delle Corti de’ Cardinal, il quale finito et finito di gettar la cancelleresca, metteremo mano ad altre stampe». La cancelleresca est la fonte de caractères qu’il dessinait pour imprimer «oltre agli autori toscani tutta la lingua latina di novo» : D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 22 janvier 1542, BL, Add. Ms 10267, f. 104, éd. Ridolfi-Roth, lettre 46. 88 M. Cervini à G. Sirleto, Abbatia [d’Agubbio], 4 juillet 1551, BAV, Vat. Lat. 6178, f. 8. La traduction de Clément était prévue dès l’édition du texte en 1550 : l’éditeur l’annonçait au colophon. La traduction de Théodoret fut imprimée à Bâle : Beati Theodoreti, Episcopi Cyri, Eranistes, seu Polymorphus, in quo tribus dialogis contra quosdam sui temporis Haereticos acerrime & subtilissime disputat. Eiusdem Haereticorum improbarum nugarum ac fabularum compendium. Eiusdem Diuinorum decretorum, seu dogmatum epitome. Omnia nuper a Gentiano Herueto Aurelio latine uersa, & in lucem edita (...), Basileae, per Jacobum Parcum, sumptu Johanni Oporini, 1549, 8o : voir F. Hieronymus, En Basileı¥a∞ po¥lei th˜v Germanı¥av, Griechischer Geist aus Basler Pressen, [catalogue d’exposition, Universitätsbibliothek Basel, 4 juillet-22 août 1992], Bâle, 1992, no 412. 89 Parues en 1549 à Venise : D. Ioanni Crisostomi archiepiscopi Constantinopolitani Opera, quatenus in hunc diem donata noscuntur, omnia cum ad collationem Latinorum codicum mira antiquitatis, tum ad Græcorum exemplarium fidem innumeris pene locis natiua integritati restituta, uix ulli astimandis laboribus uirorum lingua utriusque insigniter calletium (...), Venetiis, ad signum Spei, 1549, 4o. 90 Publiée en 1560 à Paris par Guillaume Morel. 91 P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 403. La traduction d’Alexandre d’Aphrodyse fut publiée en 1548 à Bâle : Quæstiones Alexandri Aphrodisei naturales, de anima, morales, siue difficilium dubitationum & solutionum libri quattuor, nunc primum in lucem editi, Gentiano Herueto interprete, Basileæ, per Ioannem Oporinum, 1548, 8o. Hervet traduisit le De anima d’Aristote et les commentaires anciens de ce texte.

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mentaires de Théodoret aux lettres de saint Paul 92. La traduction de L’histoire religieuse de Théodoret parut à Paris en 1555; Hervet fut chargé aussi de la traduction de l’Historia lausiaca de Palladius, complément indispensable à l’Histoire religieuse 93. Luigi Lippomano, l’évêque de Vérone qui avait entrepris à la demande de Cervini de recueillir et faire imprimer les vies des saints, lui fit demander les traductions des vies de saint Jean l’Aumônier, archevêque d’Alexandrie, Symeon Métaphraste et de saint Grégoire le Thaumaturge (toutes éditées grâce à l’entreprise de Lippomano) 94. L’organisation cervinienne, à ce qu’il semble, devint de plus en plus lâche : en 1554, le futur pape fit traduire le De imaginibus de saint Jean Damascène, qui venait d’être édité par Niccolò Maiorano et Stefano Niccolini da Sabbio, par Pier Francesco Zini, qui avait travaillé avec Lippomano; le texte fut imprimé par Paul Manuce à Venise 95. Manuce et Zini furent peut-être choisis pour pouvoir éditer le livre rapidement : le De imaginibus en effet était un texte qui pouvait être utilisé contre les protestants 96. Ce que visait Cervini, c’était l’«utilità pubblica» : cette même utilité publique que Vettori, et d’autres éditeurs comme lui, citaient souvent dans leurs épîtres dédicatoires 97. Lors de sa légation au Concile de Trente, il chercha à convaincre les autres légats de l’importance du retour à la lecture des sources patristiques pour la formation des clercs 98.

92 L’ouvrage fut édité simultanément en deux formats différents, 8o et 2o : Beati Theodoreti Cyrensis Episcopi in quatuordecim Sancti Pauli Epistolas Commentarius, nunc primum latine uersus Gentiano Herveto Aurelio interprete, Florentiae, excudebat Laurentius Torrentinus, 1552. 93 Palladii diui Euagrii discipuli Laudiaca quæ dicitur historia, et Theodoreti episcopi Cyri Theophiles, id est religiosa historia... Gentiano Herueto Aurelio interprete, Parisiis, apud Bernardum Turrisanum, uia Iacobea, in Aldina bibliotheca, 1555, 4o. 94 P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 405-407 d’après la correspondance de Cervini et les préfaces de Lippomano aux vies des saints. Tomus quintus Vitarum Sanctorum Patrum, numero nonagintatrium, Per Simeonem Metaphrastem, auctorem probatissimum conscriptarum. Et nuper instante R. P. D. Aloysio Lipomano Episcopo Veronense ex Graecis Latinitate donatarum, cum scholiis eiusdem solitis, contra haereticorum blasphemias. Librum hunc Occidentalis Ecclesia primum nunc uidet, et recipit, quem Latinum fecit Gentianus Heruetus Gallus (...), Venetiis, ad Signum Spei, 1556. 95 Sancti Ioannis Damasceni aduersus sanctarum imaginum oppugnatores orationes tres, Petro Francisco Veronensi interprete, Venetiis, [Paul Manuce], 1554, 8o. 96 P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 409. 97 Piero Vettori en effet cita souvent lui-même cet intérêt commun. Il chercha à éditer les vies de Dinarque et d’Isée, écrites par Hipparque de Bithynie, «per utile comune» : P. Vettori à G. Sirleto, Florence, 19 décembre 1575, BAV, Vat. Lat. 6192, f. 440-441, éd. Raccolta di prose fiorentine, parte quarta volume quarto..., cit., lettre 19. 98 W. Hudon, Marcello Cervini..., cit., p. 58-61.

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Cervini mit sans doute l’entreprise au service de Vettori : c’est ainsi qu’on peut expliquer l’édition, en 1545, d’une tragédie d’Euripide par Antonio Blado; ce fut le seul exemple d’une impression à Rome d’un livre de l’humaniste florentin 99. Fait remarquable, la fonte grecque appartenait à Cervini : faire dessiner, puis graver une fonte était une entreprise particulièrement onéreuse, et Cervini en fit même dessiner deux successivement100. Mais loin de réserver sa fonte à la compagnie qu’il avait mise sur pied, il chercha à la diffuser le plus possible. Il la prêta un moment aux Giunti de Florence, les principaux éditeurs de Vettori101. À la mort de Bernardo Giunti en 1551, Cervini s’inquiéta et demanda à Vettori de récupérer ses matrices pour éviter qu’elles ne se perdent102. Il est vrai que les Giunti firent faillite à ce moment-là103. Cervini la laissa à Vettori quand il vit que les fils de Bernardo Giunti reprenaient l’édition du grec, comme il avait toujours encouragé l’humaniste à les en convaincre. Cette fonte servit pour imprimer à Florence plusieurs des livres de Vettori, le Lysis de Platon104, Démétrios de Phalère105 et la Politique d’Aris-

99 Eyßripı¥doy Hle¥ktra, Euripidis Electra, nunc primum in lucem edita, Romae, [Ant. Blado], 1545, 8o, 30 f. Il s’agit de l’editio princeps du texte. L’offre, sans doute faite par Cervini, fut relayée par le cardinal Ardinghelli, qui mit Blado à la disposition du Florentin, et lui envoya un feuillet d’Homère pour lui faire choisir le module à utiliser (celui du texte ou celui des scholies) : N. Ardinghelli à P. Vettori, Rome, 14 mars 1545, BL, Add. Ms 10275, f. 63. L’épître dédicatoire d’Électre fut adressée à Ardinghelli. 100 Aux débuts de l’entreprise, Blado était parti à Venise, chez Paul Manuce, pour y faire fondre des caractères : R. Ridolfi, Nuovi contributi sulle «stamperie papali»..., cit., p. 184. La première fonte fut dessinée suivant des caractères de Nicolas Sophianos, qui semble en être resté le propriétaire (E. Layton, cit., p. 464 et 467); la seconde, suivant les caractères dessinés par le copiste Giovanni Onorio d’Otrante (R. Ridolfi, Nuovi contributi sulle «stamperie papali»..., cit., p. 191). En 1552, il faisait dessiner une fonte syriaque par un Syrien : Léon Dorez, Le registre des dépenses de la bibliothèque vaticane de 1548 à 1555, dans Fasciculus Ioanni Willis Clark dicatus, Cambridge, 1909, p. 166. 101 Vettori avait pu voir une fonte grecque de Giovanni Onorio très tôt, puisqu’une lettre de ce dernier, envoyée de Rome le 2 juillet 1542 à Bartolomeo Rontini, contenant un échantillon de texte imprimé, lui avait été transmise (BL, Add. Ms 10270, f. 4-6, éd. R. Ridolfi, Nuovi contributi sulle «stamperie papali»..., cit., p. 186). Roberto Ridolfi conclut lui aussi que la présence de cette lettre dans la correspondance de Vettori signifie qu’elle lui a été transmise volontairement : ibid., p. 186-187. La fonte montrée à Vettori en 1541, en réalité, ne fut utilisée que pour des passages en grec dans des ouvrages imprimés par Priscianese : ibid., p. 189. 102 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 24 janvier 1551, BL, Add. Ms 10274, f. 22. 103 L. G. Camerini, D. Decia, R. Delfiol, I Giunti tipografi editori di Firenze 1497-1570, Florence, 1978, p. 236. 104 Ly¥siv hß perıù maieytikoùv taù toy˜ dialo¥goy pro¥swpa, Florentiæ, [apud Juntas], 1552, 8o, 29, [1] f. 105 Dhmhtrı¥oy Falhre¥wv Perıù eΩrmhneı¥av, Demetrii Phalerei De elocutione, Florentiae, apud Juntas, 1552, 8o, [12], 96, [4] p.

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tote106. Cervini en eut besoin à nouveau en octobre 1552 : il les réclama à Vettori mais sans lui dire exactement ce qu’il voulait en faire, lui parlant seulement d’une «certa opera greca»107. Cervini promit toutefois de les remettre au plus vite à la disposition de Vettori108. La seule collaboration de Vettori à la vaste entreprise d’édition d’auteurs chrétiens, les œuvres de Clément d’Alexandrie, fut éditée chez Lorenzo Torrentino, installé depuis peu à Florence, qui imprima aussi la traduction de Clément faite par Gentien Hervet et celle de Théodoret109. Vettori considérait sa collaboration avec Torrentino dans l’édition grecque comme un échec; il se tourna ensuite vers les Giunti. Malgré les efforts du cardinal Cervini, l’édition des auteurs chrétiens ne fut vraiment organisée à Rome qu’à partir de 1561, confiée à Paul Manuce110. La bibliothèque Vaticane Tout en cherchant à éditer des ouvrages, il fallait se préoccuper des manuscrits. Cervini s’intéressait à la bibliothèque Vaticane bien avant d’en être nommé cardinal bibliothécaire en 1548. Depuis la mort en 1542 de Girolamo Aleandro, il s’occupait de fait de la bibliothèque, confiée officiellement à Agostino Steuco111. Il faisait copier 106 Aristote¥loyv Politikw˜n biblı¥a oßktw¥, Aristotelis de optimo statu reip. libri octo, Florentiæ, apud Juntas, 1552, 4o, [4], 204, [4] p. 107 «Poi ch’io so tornato a Roma il Maiorano, a chi ho ordinato che stampi una certa opera greca, mi dice come gli mancano le lettere» : M. Cervini à P. Vettori, Rome, 22 octobre 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 45. Vettori avait été tenu au courant de la première entreprise, l’édition des scholies d’Homère. 108 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 22 octobre 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 45; Rome, 2 novembre 1552, ibid., f. 47. Cervini ayant prêté les poinçons, il est possible qu’une ou plusieurs matrices aient été coulées à Florence : Alberto Tinto a trouvé une utilisation de cette fonte par les Giunti jusqu’en 1594 et même après : The history of a sixteenth-century Greek type, dans The Library, 5e s., 25, 1970, p. 285-293. 109 Voir supra. Les traductions de Clément d’Alexandrie furent publiées en trois volumes : Clementis Alexandrini omnia, quæ quidem extant Opera, nunc primum e tenebris eruta, latinitateque donata, Gentiano Herueto interprete, Florentiae, Laur. Torrentinus Ducalis Typographus excudebat, 1551, 2o ; Clementis Alexandrini uiri longe doctissimi, qui panteni quidem Martyris fuit discipulus, praeceptor uero Originis Paedagogus, in quo docet, quod nam sit Christiani hominis officium, Gentiano Herueto Aureliano interprete, Florentiae, 1551, 2o ; Clementis Alexandrini Scriptoris grauissimi, et antiquissimi Stromatum Libri octo, Gentiano herueto Aurelio interprete, Florentiae, 2o. 110 Voir F. Barberi, Paolo Manuzio e la stamperia del Popolo Romano, Roma, Cuggiani, 1942. 111 Sur le rôle de Cervini à la bibliothèque Vaticane voir Léon Dorez, Le registre des dépenses..., cit., p. 142-185. Divers documents sur le personnel de la bibliothèque sous les pontificats de Clément VII et Paul III sont édités dans Eugène

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des manuscrits en Italie, à Rome, à Venise, mais aussi en France112. Antoine Éparque, qui s’était montré prêt à participer à l’entreprise d’édition de textes grecs, trouva pour lui des manuscrits à Corfou, en fit copier d’autres à Venise113. En 1551, Cervini achetait cinquante livres pour la bibliothèque Vaticane à Éparque114. D’autres manuscrits, venus de Crète, lui furent procurés par l’évêque de Milopotamos, Dionisio Zannettini115. Gasparo Viviano, évêque de Sitia en Crète, était parti pour son évêché avec une liste de titres : il en trouva une partie et les ramena pour la Vaticane116. Cervini sut aussi tirer parti des richesses de cette bibliothèque : pendant son séjour au Concile de Trente, son incessante correspondance avec Guglielmo Sirleto, resté à Rome, cite auteurs chrétiens et recherches variées à faire dans les bibles de la Vaticane pour l’avancement du concile et la rédaction des nouveaux textes de l’Église117. Le cardinal de Santa Croce avait lui-même une importante bibliothèque, dont une partie revint à sa mort à son ami Sirleto. Parmi les 1547 ouvrages mentionnés dans les inventaires qui nous sont conservés, Cervini possédait entre autres 414 manuscrits latins, acquis parfois loin de Rome : il était ainsi entré en possession de manuscrits venus des couvents dominicain, franciscain, et augustin de Cambridge118. Il avait aussi, semble-t-il, des manuscrits venus de l’abbaye du Mont Cassin119. Sa bibliothèque comprenait aussi une Müntz, La bibliothèque du Vatican au XVIe siècle : notes et documents, Paris, 1886, passim. 112 À Venise, Ottaviano Raverta, évêque de Terracina, fit copier pour lui en 1547 un manuscrit prêté par un grec, Giorgio Corintio : P. Paschini, Un cardinale editore, cit., p. 401. Des copistes travaillaient à Rome pour le cardinal Cervini et la bibliothèque Vaticane : Pierre Batiffol, cit., p. 43-51. 113 L. Dorez, Un élève de Paul Manuce : Romolo Cervini, dans Revue des bibliothèques, 5, 1895, p. 139-143 et 153-179 (p. 157-159). 114 P. Batiffol, cit., p. 39-41 (liste de ces manuscrits ibid., p. 117-123). 115 P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 400, en donne la liste. Le manuscrit BAV, Vat. Lat. 3963 décrit les «libri che vennero in libreria sotto Marcello Cervini». 116 P. Batiffol, cit., p. 41-42. 117 Sirleto, nommé custode en 1553 ou 1554, devint lui-même cardinal bibliothécaire de 1570 à 1585. Pendant le séjour à Trente de Cervini, la bibliothèque était confiée à Bernardino Maffei; mais les lettres échangées entre Cervini et Sirleto montrent que celui-ci s’occupait beaucoup de la bibliothèque. Certaines de ces lettres sont éditées dans G. Buschbell, Reformation und Inquisition in Italien um die Mitte des XVI Jahrhunderts, Paderborn, 1910 (Quellen und Forschungen, 13). Les autres sont inédites dans les volumes de correspondance des deux hommes à la BAV : Vat. Lat. 6177, 6178, 6186, 6189, etc. Voir P. Batiffol, cit., p. 624; P. Paschini, Guglielmo Sirleto..., cit., p. 173-190. 118 Neil R. Ker, Cardinal Cervini’s manuscripts from the Cambridge friars, dans R. Cretens et P. Künzle (éd.), Xenia Medii Aeui historiam illustrantia oblata Thomae Kaeppeli O.P., Rome, 1978 (Storia e letteratura, 141), p. 51-71. 119 Voir plus loin n. 136.

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collection de manuscrits grecs (141) et même trois manuscrits orientaux, ainsi que des imprimés120. Il avait commencé très jeune à acheter des livres : pendant ses études à Sienne en 1520 et 1521, il commandait des livres grecs à Venise121. LES

ÉCHANGES DE SERVICES ENTRE

ROME

ET

FLORENCE

Entre Rome et Florence, des échanges incessants de services permettaient à chacun de profiter des compétences de l’autre, et des bibliothèques de chacune des deux villes. Cervini et les amis de Vettori d’un côté, Vettori lui-même et les richesses sans fonds des bibliothèques florentines, de l’autre, étaient toujours prêts à apporter leur aide à la grande œuvre, encore en cours, de mise à jour de textes anciens. Les relecteurs Le cardinal Cervini faisait partie des relecteurs de Vettori, quand il en avait le temps. Lorsque ce dernier écrivit un volume de commentaires sur les choix d’édition qui avaient été les siens dans son édition des Res rusticae de Varron, Caton et Columelle (dont le texte, édité séparément, était dédicacé au cardinal)122, il l’envoya à Rome pour le faire relire mais Cervini ne put l’étudier avec atten120 Sur la bibliothèque de Cervini voir G. Mercati, Sulla venuta dei codici del Cervini nella Vaticana e la numerazione loro, dans Per la storia dei manoscritti greci di Genova, di varie badie basiliane d’Italia e di Patmo, Cité du Vatican, 1935 (Studi e testi, 68), p. 181-202; Id., Codici Latini Pico Grimani Pio, Cité du Vatican, 1938 (Studi e testi, 75). J. Bignami Odier et J. Ruysschaert (coll.), La bibliothèque vaticane de Sixte IV à Pie XI, cit., p. 53-55. R. Devreesse, Les manuscrits grecs de Cervini, dans Scriptorium, 22, 1968, p. 250-270; Id., Le fonds grec de la bibliothèque Vaticane des origines à Paul V, Cité du Vatican, 1965 (Studi e testi, 244), p. 380-469. Des manuscrits grecs furent copiés pour lui par Giovanni Onorio da Maglie : M. L. Agati, Giovanni Onorio da Maglie..., cit., p. 203-210. Le catalogue des imprimés de Cervini a été édité par Paola Piacentini, La biblioteca di Marcello II... cit. 121 M. Cervini à R. Cervini, Sienne, juin 1520, ASF, Carte cerviniane, filza 49 f. 16, cit. Paola Piacentini, La giovinezza di Marcello Cervini..., cit., p. 1435-1436. Un exemple des efforts de Cervini pour acquérir des ouvrages qu’il jugeait importants est donné par L. Dorez, L’exemplaire de Pline l’Ancien d’Agosto Valdo de Padoue et le cardinal Marcello Cervini, dans Revue des bibliothèques, 5, 1895, p. 14-20 et p. 214-215. 122 Petri Victorii Explicationes suarum in Catonem, Varronem et Columellam castigationum, Lugduni, apud S. Gryphium, 1541, 8o, 144 p.; Marci Catonis ac M. Terentii Varronis De re rustica libri per Petrum Victorium, ad veterum exemplarium fidem, suæ integritati restituti, Lugduni, apud Seb. Gryphium, 1541, 8o, 214, [17] p. d’index et errata.

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tion, et confia le manuscrit à l’évêque de Bitonto, Sebastiano Delio, ancien professeur de grec123 ; cet autre familier d’Alexandre Farnèse n’eut pas non plus le temps de relire le texte, à cause de sa présentation : les renvois de Vettori ne permettaient pas de trouver le passage cité124. Il en avait lu suffisamment pour avoir un avis sur les choix d’édition de Vettori, et regrettait que ce dernier eût trop confiance dans les manuscrits anciens, et ne corrigeât pas assez125. Bien que ce soit sur un mode critique, c’est l’élément le plus important des principes d’édition de textes mise au point par Vettori que l’évêque avait relevé : le respect du texte manuscrit, la correctio ope codicum préférée à la correctio ope ingenii126. Vettori envoya le premier feuillet d’épreuves de la Politique d’Aristote à Cervini127, qui en fit vérifier le texte sur les manuscrits qui pouvaient se trouver à Rome128. Il était clairement chargé, dans ce cas, de vérifier que le texte de Vettori ne différait pas trop de manuscrits que le Florentin n’aurait pas vus. Lorsque l’impression fut terminée, ce dernier lui envoya tous les cahiers, que le cardinal relut et fit relire par Faerno et Sirleto129. Il reçut aussi les premiers cahiers du texte de Clément d’Alexandrie, en cours de parution130. Lorsqu’il les eut enfin tous, il les donna à Guglielmo Sirleto, «afin qu’il finisse de le lire en entier, et sans

123 Sur Sebastiano Delio (ca. 148-1544) voir la notice de Lucia Gualdo Rosa, DBI, ad uocem. 124 «(...) massimamente perché voi non l’havete contrassegnate in modo che si possano trovare i luoghi in su gli autori» : D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 3 septembre 1541, éd. Ridolfi-Roth p. 101-102. 125 «(...) ma per quanto egli aveva letto, le approvava molto, et più le approverebbe anchora se voi non dessi tanta fede a questi vostri testi antichi, i quali insino a’tempi di Cicerone erano guasti et cosí bisogna dire che siano questi altri restati delle rovine gottice et langobarde. In somma, egli vuol dire che voi vi fondate troppo in su’ testi antichi. Et questo è tutto il suo iudicio, del quale io non tengo più conto che bisogni, perché, a dirlo qui tra noi, io l’ho per un gran pedante» : ibid. 126 Il oppose, lui, «ope antiqui libri» et «[ope] coniectura» : Petri Victorii variarum lectionum libri..., cit., livre 30, chap. 22, cit. S. Timpanaro, La genesi del metodo del Lachmann, Florence, 1963, rééd. Padoue, 1985, p. 4. n. 3. Vettori cherche à corriger un passage de la Guerre civile de César : «quare quomodo emendari posse putem, declarabo, atque id non tantum iudicium meum secutus, sed uestigia etiam ueteris lectionis». 127 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 28 mai 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 37. Ouvrage cité n. 106. 128 M. Cervini à P. Vettori, dal’abatia fuor d’Agobbio, 12 juin 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 39. Cervini, qui a quitté Rome où il a laissé le document, parle par erreur de l’Éthique. 129 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 29 avril 1553, BL, Add. Ms 10274, f. 53. 130 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 15 mars 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 3. Ouvrage cité n. 70.

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perdre de temps, vous envoie les passages qui lui semblent devoir être notés come douteux et dangereux pour la religion», écrivit-il à Vettori131. L’intérêt des hommes d’Église ne saurait être uniquement philologique et codicologique : lorsqu’il s’agit d’éditer un auteur chrétien, la vérification du texte se porte aussi, naturellement, sur le contenu. Cervini ne renvoya pas les épreuves aussi vite qu’il aurait voulu : Vettori informait l’érudit Vincenzo Borghini que le cardinal lui avait envoyé «il Clemente stampato» le 22 novembre suivant132. La recherche de manuscrits Cervini, qui connaissait lui-même l’importance de la collation dans l’établissement d’un texte, aida beaucoup Vettori en lui procurant des manuscrits des auteurs qu’il souhaitait éditer : il lui proposa des ouvrages qu’il venait de trouver, ou répondit à des commandes de Vettori. Ces échanges et copies de manuscrits sont le reflet des intérêts de l’humaniste, bien plus étendus que les éditions qu’il prépare. Le cardinal envoya ainsi à Florence Varron133, Vitruve134, ainsi que deux manuscrits, les Philippiques et la Topique, écrits en «lettera longobarda»135, deux manuscrits venus peut-être 131 «(...) accioché lo finisca di legger tutto : et senza perdita di tempo vi mandi li luoghi che gli paiano da notare, come dubii et pericolosi nella Religione» : M. Cervini à P. Vettori, Montepulciano, 14 juillet 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 7. Le 26 juillet, Cervini écrivait à Sirleto qui l’avait informé avoir relu le texte : BAV, Vat. Lat. 6178, f. 23. 132 P. Vettori à V. Borghini, [San Casciano in val di Pesa?], 22 novembre [1550], Florence, biblioteca Riccardiana, Ricc. 2133, f. 378, éd. L. Cesarini Martinelli, Contributo..., cit., p. 208. Vincenzo Borghini, abbé de la Badia florentine, et futur prieur de l’hôpital des Innocents, joua un rôle important dans la vie culturelle et politique florentine; il fut chargé, en particulier, de diriger l’édition du Décaméron menée à Florence en 1573 : R. Mordenti, Le due censure..., cit., p. 254. 133 Sur lequel Vettori continuait à travailler après son édition (dédicacée à Cervini), citée n. 121. D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 2 avril 1541, BL, Add. Ms 10267, f. 108, éd. Ridolfi-Roth, lettre 32. En 1538, Cervini et Angelo Colocci avaient fait collationner un texte de Varron avec «l’antico vostro di là» : A. Colocci à P. Vettori, Rome, 3 février 1538, BL, Add. Ms 10265, f. 264-265, éd. V. Fanelli, Le lettere di Mons. Angelo Colocci nel Museo Britannico di Londra, dans Rinascimento, 2e s., 6, 1959, p. 107-135, rééd. Id., Ricerche su Angelo Colocci e sulla Roma cinquecentesca, Cité du Vatican, 1979 (Studi e testi, 283), p. 45-90, appendice, lettre 1. 134 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 18 juin 1541, BL, Add. Ms 10267, f. 111, éd. Ridolfi-Roth, lettre 35. Dès 1536, Vettori faisait chercher des manuscrits – sans doute Cicéron – dans la bibliothèque du cardinal Ridolfi : mais celui-ci ne semblait pas posséder de manuscrits latins (uniquement sans doute des manuscrits grecs) : D. Giannotti à P. Vettori, Comiano, 27 septembre 1536, BL, Add. Ms 10267, f. 65-66, éd. Ridolfi-Roth lettre 2. 135 D. Giannotti à P. Vettori, Rome, 8 janvier 1541, BL, Add. Ms 10267, f. 6162, éd. Ridolfi-Roth, lettre 21.

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du Mont Cassin136. Il fit aussi copier pour lui à Rome la bibliothèque d’Apollodore137. En 1550, après l’édition de Clément d’Alexandrie, Cervini réclama à Vettori les livres qu’il lui avait prêté, un Pédagogue imprimé portant des variantes en marge, et un manuscrit contenant le Protreptique138. Sur son exemplaire imprimé, Cervini avait fait noter des variantes tirées d’un manuscrit appartenant au cardinal de Carpi (Rodolfo Pio)139. Mais il ne signala la provenance de ces variantes que quand, une fois le livre imprimé et prêt à être distribué, Vettori l’interrogea sur le manuscrit de Rodolfo Pio, dont il venait d’entendre parler140. Pour Vettori, qui indiquait toujours la provenance des textes qu’il utilisait, l’information était importante : il cita le manuscrit de Pio dans l’épître dédicatoire de l’ouvrage, adressée à Cervini141, comme il avait déjà cité son manuscrit de la Rhétorique qu’il avait utilisé pour la publication, deux ans auparavant, de l’édition commentée de l’œuvre d’Aristote142. 136 Les actuels BAV Vat. Lat. 3227 et Ottob. Lat. 1406. D’autres manuscrits de Cervini auraient la même provenance : F. Lo Monaco, Note su codici Cassinesi tra Quattro e Cinquecento, dans Monastica IV : scritti raccolti in memoria del XV centenario della nascita di S. Benedetto (480-1980), Montecassino, (Miscellanea Cassinese, 48) p. 229-254 (p. 232-254). 137 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 8 novembre 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 17. 138 M. Cervini à P. Vettori, Montepulciano, 6 juillet 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 6 : «quel Pedagogo in stampa che ha in margine le nostre corretioni, et l’altro mio in penna con il Protreptico». Dans le catalogue des manuscrits grecs de la bibliothèque, postérieur semble-t-il à la mort de Cervini, on trouve les manuscrits suivants de Clément d’Alexandrie : no 9 «Clementis Alexandriae admonitiones ad Graecos»; no 25 «Excerpta quaedam de libris Clementis Alexandr., qui inscribuntur de Strogmatibus»; dans un autre inventaire apparaissent deux ouvrages, no II, 116 «Clementis Alexandrini Stromaton in lib. in pergo (...)» (Ottob. 94); no II, 128 «Epitome Clementis Alexandrini sine principio» (Ottob. 98?). Les numéros sont ceux de l’édition de R. Devreesse, Les manuscrits grecs de Cervini, op. cit. Vettori renvoya l’imprimé annoté à Cervini par l’intermédiaire de Giovanni Cavalcanti : P. Vettori à V. Borghini, s.d. [après le 6 juillet 1550], Florence, Biblioteca Riccardiana, Ricc. 2133, f. 338, éd. L. Cesarini Martinelli, Contributo..., cit., p. 205. 139 Manuscrit aujourd’hui conservé à Modène avec la bibliothèque. Il apparaît dans plusieurs inventaires de la famille Pio : voir Giovanni Mercati, Codici latini..., cit., p. 217 (inventaire 1532-1537), 231 (inventaire après décès – 1564 – des manuscrits grecs du cardinal Rodolfo Pio). 140 M. Cervini à P. Vettori, Montepulciano, 8 juillet 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 9. 141 P. Vettori à M. Cervini, [s.l.], 28 août 1550, dans Klh¥mentov Alejandre¥ov, cit., f. [aii]v. 142 Petri Victorii commentarii in tres libros Aristotelis De arte dicendi, positis ante singulas declarationes Graecis uerbis auctoris, Florentiae, in officina Bernardi Iunctae, 1548, «Rationis dicendi studiosis», f.❧ ivv. Bien entendu, l’épître dédicatoire, comme toujours, fut soumise au dédicataire avant d’être imprimée; en 1550, elle fut transmise au cardinal Cervini par Bernardino Maffei : M. Cervini à P. Vettori, Rome, 8 novembre 1550, BL, Add. Ms 10274, f. 17. Le cardinal proposa

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En 1554 Cervini fit chercher pour Vettori – vraisemblablement par Sirleto – un manuscrit d’Eschyle essentiel pour la tradition des textes, appartenant au cardinal Alexandre Farnèse143. La recherche de manuscrits était un échange : Vettori, bien avant l’ouverture de la bibliothèque Médicis au public, avait accès aux manuscrits de la collection. Comme d’autres correspondants, Cervini le chargea d’en trouver, pour lui ou pour la bibliothèque Vaticane. Très souvent, Vettori reçevait des demandes de vérification : Cervini lui fit chercher «le epistole di S. Ignatio», qu’il souhaitait faire collationner avec un livre qui lui venait de Grèce, incomplet144. Vettori ne les retrouvait pas, mais Cervini insista : il était sûr de les avoir vues dans un inventaire de la bibliothèque145. Il enverrait son exemplaire pour faire ajouter ce qui lui manquait et indiquer les variantes en marge : c’est la façon de collationner les textes la plus répandue, qui peut être très précise grâce à l’utilisation de sigles désignant manuscrits et imprimés. Cervini lui fit aussi chercher des manuscrits dans la riche bibliothèque du couvent des Dominicains de San Marco, première bibliothèque publique de Florence, qui conservait les manuscrits de Niccolò Niccoli146. Il avait connu les richesses de cette bibliothèque,

des corrections, qui ne concernaient pas le texte, mais la forme : se rappelant les remarques faites au concile de Trente par des prélats espagnols, il conseilla à Vettori de ne pas omettre la mention «santo» ou «beato» quand il cite les saints : «(...) quando si nominano li santi nella detta epistola absolutamente senza darli titulo alcuno di santo, o di beato, saria forse da non lassarli passare con si poca dignità : percio che io mi ricordo, che in Trento al Concilio li Prelati, massimamente Spagnoli se ne scandalizavano molto». De la même façon, les épîtres adressées au cardinal Alexandre Farnèse lui étaient envoyées au préalable. Vettori rencontra le cardinal Pio au plus tard pendant son dernier voyage à Rome, en 1550 : Scipione Theti à P. Vettori, Rome, 9 janvier 1554, BL, Add. Ms 10278, f. 116. 143 La correspondance sur ce sujet entre Marcello Cervini, Guglielmo Sirleto et Piero Vettori est éditée dans R. Mouren, La bibliothèque du palais Farnèse avant Fulvio Orsini, dans Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 107, 1, 1995, p. 7-14. 144 Dans le catalogue des manuscrits grecs de Cervini : no 89 «Ignatii et Policarpi martirum epistolae»; II, 58 : «Ignatii et Policarpi martirum epistolae in pergo » (Ottob. 348). 145 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 7 février 1551, BL, Add. Ms 10274, f. 23. Le manuscrit du cardinal Cervini lui fut fourni par Antoine Éparque : c’était une copie, dont il ne reçut d’abord que le tiers (P. Batiffol, cit., p. 44). Le manuscrit florentin est le Laur. 57, 7, biblioteca Medicea Laurenziana, du XIe siècle : Ignace d’Antioche, Lettres, éd. Th. Camelot, Paris, Cerf, 1969 (Sources chrétiennes, 10), p. 14, qui ne cite que ce manuscrit. Un autre manuscrit, du Xe siècle, contient seulement la lettre aux Romains, le Paris. Graec. 1451 (Bibliothèque nationale de France). 146 B. L. Ullman et P. A. Stadter, The public library of Renaissance Florence : Niccolò Niccoli, Cosimo de’ Medici and the library of San Marco, Padova, 1972 (Medioevo e umanesimo, 10).

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pendant ses études à Sienne, par son maître Giovanni Battista Politi (qui lui enseignait la dialectique et les mathématiques) : ce dernier, dont le frère Lancellotto était profès de San Marco, avait accès à cette bibliothèque et parlait à Marcello des manuscrits qu’il y voyait147. Lui-même y était entré en 1533, de même qu’à la bibliothèque Laurentienne, à la recherche de manuscrits du mathématicien Leonardo Pisano148. En 1552, Cervini avait «entendu dire» qu’on trouvait à San Marco les homélies de Grégoire de Nazianze sur l’Évangile149. Ses renseignements étaient même très précis : le manuscrit était à gauche en entrant dans la bibliothèque, «a pochi banchi», sur un des premiers bancs. Il préféra envoyer Vettori avant de demander aux frères. En réalité ces indications étaient erronées, Cervini, à qui Vettori envoya «une liste», dut bien le reconnaître150. Lorsque Vettori trouva dans la bibliothèque Médicis un manuscrit attribué à Hipparque de Bithynie, Cervini lui donna son avis sur l’auteur du texte : il lui semblait bien qu’il s’agissait de l’Hipparque cité par Ptolémée et Pline. En revanche, le manuscrit n’était pas unique, apprit-il au Florentin : il y en avait un à Venise, et peut-être un aussi à Rome151. Cervini avait lui-même vu le manuscrit à la bibliothèque Laurentienne en 1533152. Le cardinal connaissait bien l’état des collections de manuscrits en Italie : il s’approvisionnait, on l’a vu, à Césène153, savait ce qu’il pouvait trouver à Venise, à Florence (aussi bien dans la bibliothèque Médicis qu’au couvent San Marco). À Rome, outre la bibliothèque Vaticane, il savait aussi chercher dans les collections cardinalices : P. Piacentini, La giovinezza di Marcello Cervini..., cit., p. 1426, 1436-1437. M. Cervini à A. Colocci, 13 juin et 20 septembre 1533, BAV, Vat. Lat. 4104, f. 23, 17. 149 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 21 mai 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 35. 150 M. Cervini à P. Vettori, dal’abatia fuor d’Agobbio, 12 juin 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 39. 151 Vettori édita le texte qu’il avait découvert : Ippa¥rxoy Biuy¥noy tw ˜ n Ara¥toy kaıù Eyßdo¥joy Fainome¥nwn eΩjhgh¥sewn Biblı¥a g8. Toy˜ ayßtoy˜ aßsterismoı¥, Axille¥wv Statı¥oy prolego¥mena eıßv taù Ara¥toy Faino¥mena. Ara¥toy bı¥ov kaıù sxo¥lia palaiw˜n tinw˜n eıßv toù ayßtoy˜ poı¥hma, Hipparchi Bithyni in Arati et Eudoxi Phænomena Libri III, Eiusdem Liber Asterismorum, Achillis Statii in Arati Phænomena, Arati vita, et fragmenta aliorum veterum in eius pœma, Florentia, in officina Juntarum Bernardi filiorum, 1567. Outre le manuscrit florentin (Laur. 28, 44), il utilisa un manuscrit de la BAV, Vat. Gr. 191. 152 M. Cervini à Angelo Colocci, 20 septembre 1533, BAV, Vat. Lat. 4104, f. 17 : «in la libraria de Medici ho visto Hipparco sopra Arato». 153 Le cardinal avait emprunté en 1541 un manuscrit de Cicéron : voir supra, p. 438. Il fit aussi copier les homélies de saint Jean Chrysostome sur les psaumes à partir d’un manuscrit des franciscains de Césène et d’un manuscrit des dominicains de Ferrare : lettre dédicatoire de Gentien Hervet à Marcello Cervini, Bologne, 1er février 1549, cit. P. Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 404. 147 148

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celle des Farnèse, celle de Rodolfo Pio, celle de Niccolò Ridolfi154. Il profita de son séjour à Trente pour se faire prêter des manuscrits par Diego Hurtado de Mendoza, ambassadeur de l’empereur à Venise, grand collectionneur de livres155, et faire copier des manuscrits du cardinal Bessarion156. Antoine Éparque, on l’a vu, chercha des manuscrits pour lui à Corfou. Mais les manuscrits se cherchent souvent aux mêmes endroits, au risque de se recopier indéfiniment : lorsque Vettori, sans doute encore par ouï-dire, demanda un manuscrit qu’il savait en possession de Guglielmo Sirleto, il apprit que ce texte avait été copié par quelqu’un d’autre sur un de ses propres manuscrits, avant de finir entre les mains de Sirleto157. CONCLUSION Marcello Cervini se révèle un bon connaisseur des textes classiques et de leurs traductions. Il a lu, étudié, retenu des auteurs de tous genres : biographes (Plutarque), historiens, philosophes (Aristote, Cicéron), orateurs, auteurs scientifiques (Ptolémée, Euclide, Pline l’Ancien). Il montre les mêmes intérêts que les correspondants de Vettori plus spécialisés : il étudie Aristote pour comprendre le texte lui-même, puis l’interprétation qu’il faut en faire. Il cherche à enrichir son vocabulaire, à disposer de textes encore inconnus ou incomplets. Il n’est pourtant pas un de ces hommes d’Église érudits tournés avant tout vers les lettres, comme le sont Pietro Bembo, ou encore Guglielmo Sirleto, dont les lettres à Vettori montrent une connaissance des textes de l’Antiquité, de l’histoire comme de la langue latine et grecque, beaucoup plus approfondie158. L’intérêt de Marcello 154 Il lui avait demandé en 1544 s’il avait un manuscrit des commentaires d’Eustathe : N. Ridolfi à M. Cervini, Vicence, 5 mars 1544, ASF, Carte cerviniane, filza 41, f. 123 : cit. L. Byatt, cit., vol. 2, p. 175. Le manuscrit fut utilisé par l’éditeur, Niccolò Maiorano, qui le mentionna dans l’épître dédicatoire du dernier volume. 155 Pio Paschini, Un cardinale editore..., cit., p. 399. 156 Ibid., p. 405. 157 M. Cervini à P. Vettori, Rome, 30 janvier 1552, BL, Add. Ms 10274, f. 31. 158 Voir par exemple les lettres de Piero Vettori à Guglielmo Sirleto, dans Raccolta di prose fiorentine, parte quarta volume quarto (...), cit., lettres 7-35 : vingt-neuf lettres où l’on voit que Vettori respecte le jugement de son correspondant et lui demande son opinion sur des questions de texte et d’histoire. Vettori s’appuya même sur lui dans son épître dédicatoire du traité Du style, qu’il attribua selon la tradition à Démétrios de Phalère : Petri Victorii commentari in librum Demetrii Phalerei de elocutione (...), Florentiae, In officina Iuntarum, Bernardi f., 1562. Sirleto toutefois avait une vision de l’édition des textes peu avancée : il fit copier l’Historia lausiaca de Palladius à partir de deux manuscrits

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Cervini pour la culture classique peut être comparé à celui d’Alexandre Farnèse, qui, tout en jouant un grand rôle dans l’Église, porta toujours intérêt à l’étude du grec, qu’il n’abandonna jamais : il étudia avec divers érudits, dont Romolo Amaseo, mais aussi Piero Vettori, pendant l’année qu’il passa à Florence sous le pontificat de Jules III. Il suivit alors ses cours à l’université, ainsi que des leçons privées. Vettori lui dédicaça plusieurs ouvrages, n’hésitant pas à lui proposer d’apporter les corrections qu’il jugerait nécessaires à la réédition de ses Variae Lectiones159. L’intérêt pour l’Antiquité et les livres, qu’il faut réunir en une bibliothèque, est un des devoirs du cardinal : Paolo Cortesi, dans le De cardinalatu, publié en 1510, fait de la constitution d’une bibliothèque un devoir moral160 ; la situation est la même à la fin du siècle, quand le cardinal Valier conseille à Federico Borromeo, devenu cardinal, de créer une bibliothèque, et d’étudier les langues et les auteurs antiques161. Nombreux sont ceux qui passent de longues heures à lire les textes anciens, cherchant à corriger les mauvaises leçons de manuscrits. De son assiduité à l’étude, et de ses efforts pour enrichir la bibliothèque Vaticane, Cervini fut loué dans son éloge funèbre162. Les manuscrits que cherche Cervini sont souvent des textes patristiques. Les limites de son approche philologique et codicologique sont les nécessités théologiques, comme on le voit dans l’exemple, développé par Alain Tallon, du Contra haereses de Théodoret de Cyre, qu’il fait préparer pour l’édition à partir de manuscrits du Vatican163. Lorsqu’il s’aperçoit que certains passages pourraient être utilisés à mauvais escient, et nécessiteraient au moins un commentaire explicatif, il envisage tout simplement de les faire disparaître164. présentant des variantes importantes, et pensait en obtenir ainsi un «bon» exemplaire (G. Sirleto à M. Cervini, Rome, 13 juin 1551, BAV, Vat. Lat. 6177, f. 198v, cit. P. Batiffol, cit., p. 49-50). 159 P. Vettori à Fulvio Orsini, Florence, 22 avril 1581, BAV, Vat. Lat. 4105, f. 92, cit. P. de Nolhac, cit., p. 72; Guerriera Guerrieri, Il mecenatismo dei Farnese, dans Archivio storico per le provincie parmensi, 3e s., 7-8, 1942-1943, p. 151. F. Orsini à P. Vettori, 11 mai 1581, cit. G. Guerrieri, ibid. 160 Paolo Cortesi, [De cardinalatu], [Castro Cortesiano], Symeon Nicolai Nardi, 1510. Cit. Gabriella Miggiano, I cataloghi delle biblioteche cardinalizie, dans A. Serrai, dir., G. Miggiano, éd., Storia della bibliografia, vol. 7, Storia della catalogazione bibliografica, Rome, 1997 (Il bibliotecario, 4/7), p. 605. 161 Augustini Valerii Cardinalis et Episcopi Veronensis De Occupationibus Diacono S. R. E. Cardinale dignis ad Federicum Cardinalem Borromaeum, [1587], cit. G. Miggiano, cit., p. 607. Le cardinal Borromeo ouvrira en 1609 à Milan la bibliothèque Ambrosienne. 162 Laudatio Marcelli II Pont. Max. per Iulium Pogianum ad Sacrum Collegium recitata, Romae, apud Ascanium, & Hieronymum Donangelos, 1592, f. [A3]v. 163 Voir supra. 164 A. Tallon, La France et le Concile de Trente, Rome, 1997 (BEFAR, 295), p. 746-747.

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Piero Vettori n’a édité Clément d’Alexandrie que parce qu’il a trouvé un manuscrit exceptionnel dans la bibliothèque des Médicis165, comme cela lui est arrivé à plusieurs reprises pour d’autres auteurs. Bien sûr, le texte du Pédagogue pouvait l’intéresser, en particulier ce qui concerne la rhétorique, dont les règles, rappelées ça et là dans l’ouvrage, sont mises en œuvre dans sa composition et son écriture. Il dit lui-même que Cervini a beaucoup insisté pour qu’il éditât ces textes. Mais pour ses autres éditions, il est resté fidèle aux auteurs classiques; le cardinal Gabriele Paleotti a d’ailleurs regretté un jour qu’il n’ait pas mis son savoir au service des auteurs chrétiens166. La collaboration entre Vettori et Cervini aurait pu prendre un tout autre tour. Les deux hommes ont failli reproduire un schéma plus ancien de rapports entre l’homme d’Église et l’humaniste, resté encore vivant. Piero Vettori, qui n’appartenait à aucune cour, aucun cercle regroupé autour d’un homme puissant, était prêt à abandonner l’indépendance, toute relative, qu’il s’était acquise à Florence, et ses intérêts les plus chers, l’enseignement et l’étude des textes. En 1555, quand finit le conclave qui a élu Marcel II, Vettori est déjà à Rome, prêt à occuper auprès de son ami le poste qu’il voudra bien lui confier : la mort, vingt jours plus tard, empêche Marcel II de le nommer secrétaire des brefs. Raphaële MOUREN

Aujourd’hui Biblioteca Medicea Laurenziana, Laur. 5, 3. Gabriele Paleotti à P. Vettori, Bologne, 15 octobre 1577 : «(...) Quod si tu ipse, doctissime Victori, cuius multiplicem eruditionem, orationisque grauitatem, & elegantiam omnes admirantur, praeclarum istud ingenium ad historiam Ecclesiasticam conscribendam, aut ad sacros fastos, siue ad Sanctorum uitas, quos Florentia genuit, aut qui aliunde oriundi isthic conquiescunt, siue ad insigniora omnia, quae ad christianam pietatem pertinent, & in ditione Magni, & serenissimi Ducis Etruriae uisuntur, in unum colligenda, atque exornanda, seu ad selectiores aliquot homelias S. Basilii, Nazianzeni, Chrysostomi latine reddendas : siue ad Epiphanii libros, qui doctiorum postulant auxilium, uertendos, & scholiis inlustrandos, siue ad maiora alia, quae tuo se ingenio, diuina tibi adspirante gratia offerent, adgredienda te conuerteris; nae sacrosancto labentis uitae tuae cursum sigillo obsignabis, gloriosumque tui ad omnem posteritatem exemplum reliquens, inmortalem tibi in caelis triumphum comparabis.» : éd. A. M. Bandini, Clarorum Italorum et Germanorum Epistolae ad Petrum Victorium..., cit., livre 2, lettre 50. 165 166

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CONCLUSIONS

Au moment de proposer une conclusion de ce colloque, deux remarques me viennent à l’esprit. La première, c’est que le programme invitait à dépasser la traditionnelle coupure entre le XVe et le XVIe siècles. Étant «moderniste», je m’efforcerai, bien sûr de garder à l’esprit tout ce que j’ai appris sur le Quattrocento; toutefois je serai amené nécessairement à centrer ma réflexion sur le Cinquecento qui m’est plus familier. Ma seconde remarque, c’est que nous avons réveillé, à cent ans de distance, et en toute sérénité, un débat qui fut fort vif au début du siècle qui s’achève. Il s’agissait déjà de l’humanisme, et de savoir s’il fut plutôt chrétien ou païen, et dans quelle mesure il avait ouvert la voie à la Réformation, cet éclatement de la chrétienté médiévale. En France, on entendait d’un côté Jean Guiraud, Alfred Baudrillart et Pierre Imbart de la Tour, selon qui l’humanisme était foncièrement chrétien, et avait finalement fait barrage à une Réforme protestante qui niait la liberté de l’homme et sa coopération à l’œuvre salvifique de Dieu; et de l’autre Henri Hauser, Augustin Renaudet, Lucien Febvre qui s’ingéniaient à baliser le chemin conduisant de l’humanisme à la Réforme. Ceux-ci, forts de leur position dans l’université française, ont eu longtemps le dernier mot. D’une certaine façon, notre colloque invite à réviser bon nombre des idées qu’ils nous ont transmises. Quant à moi, il me paraît que le parti le plus sage, pour tirer les leçons de ce colloque, est d’en reprendre tout simplement, terme après terme, l’intitulé. L’HUMANISME ... Comment, une fois encore, définir l’humanisme? Tant d’historiens s’y sont essayés, depuis Burckhardt et Michelet. Plusieurs d’entre nous, ici-même, en ont donné comme critère, au XVe siècle, la référence à Pétrarque. Pour le XVIe siècle, je pense que c’est la référence à Érasme qu’il faut mettre en avant. S’agissant de l’Italie, la chose pourrait être discutée, si le beau livre de Silvana SeidelMenchi n’était venu récemment prouver combien celui que l’Europe

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du Nord saluait comme le prince des humanistes avait, outre-monts aussi, polarisé sur son nom et sur son œuvre louange et réprobation1. On sait combien l’Italie avait séduit Érasme, que ce soit à Venise dans l’atelier d’Alde Manuce, ou à Rome dans l’entourage des cardinaux. Inversement, les Italiens ont reconnu en lui le continuateur de Lorenzo Valla, tant dans le culte de la belle latinité que dans l’esprit critique. On me permettra de retenir comme particulièrement significative de la rencontre entre l’humanisme italien et celui de l’Europe du nord l’amitié épistolaire inaugurée en 1524, par l’entremise de Boniface Amerbach, entre Sadolet et Erasme 2. Mais ici, nous aurons surtout entendu parler de la brouille qui s’est produite entre l’humaniste néerlandais et ces Italiens qu’il appelle avec mépris les «cicéroniens». Nous n’avons pas pu faire état de la toute récente publication, par Michel Magnien, des discours de Jules César Scaliger contre le Ciceronianus d’Erasme 3. Mais John Monfasani nous a montré du doigt les contradictions qui ruinent la position d’Erasme, en faisant apparaître sous la prétendue défense de l’héritage chrétien de médiocres blessures d’amour-propre et des jalousies d’auteur. Il reste que Rome, de son côté, ne sera pas tendre pour le Rotterdamois, en qui elle s’obstinera à voir l’initiateur de la Réforme luthérienne : la condamnation des Colloques par la Commission de réforme de l’Église, en 1538, prélude à l’inscription des œuvres complètes dans l’Index de Paul IV, en 1559. Si l’on renonce à prendre l’érasmisme comme pôle de référence de l’humanisme du Cinquecento, force est de reconnaître que les conditions de travail de ses représentants n’ont guère changé par rapport au siècle précédent. Les hommes d’étude ne sont toujours pas des intellectuels à plein temps; il leur faut besogner dans la clientèle des princes et des cardinaux, les mieux lotis étant ceux qui trouvent une place à la curie pontificale. La préoccupation première reste la collecte des manuscrits rares, pour en donner soit l’édition princeps, soit une version plus exacte. On aura noté, par exemple, que le cardinal Marcello Cervini doit faire venir à Trente des manuscrits pour alimenter les travaux du concile. Toutefois, la grande nou1 S. Seidel Menchi, Erasmo in Italia, 1520-1580, Turin, 1987; trad. fr., Paris, 1999. Ce livre ne doit pas faire oublier A. Renaudet, Erasme et l’Italie, Genève, 1954. 2 Voir M. Venard, Réforme protestante. Réforme catholique dans la province d’Avignon, XVIe siècle, Paris, 1993, p. 271-273. 3 J. C. Scaliger, Oratio pro M. Tullio Cicerone contra Des. Erasmum (1531). Adversus Des. Erasmi Roterod. dialogum ciceronianum oratio seconda (1537), textes présentés, établis, traduits et annotés par M. Magnien, Genève, 1999 (Travaux d’Humanisme et Renaissance, CCCXXIX).

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veauté, c’est l’imprimerie, qui a fait en un demi-siècle une avancée prodigieuse 4 ; elle permet maintenant de répandre dans de nombreuses bibliothèques les ouvrages qu’après les avoir tirés de l’oubli, il avait d’abord fallu recopier à grand peine; dès la fin du XVe siècle, un homme d’Église cultivé, comme François Du Puy, et un demisiècle plus tard de simples lettrés, comme le modeste Latino Latini, peuvent s’entourer de solides instruments de travail et des éditions les plus récentes. L’humanisme est inséparable d’une certaine vision de l’histoire. Mais en faisant de l’Antiquité gréco-romaine le sommet de la réussite et le modèle à restaurer, on risquait de se condamner à une conception cyclique décourageante. L’imprimerie, ignorée des Anciens, est un des arguments les plus forts que peuvent faire valoir ceux qui veulent substituer à la vision de l’histoire comme une succession de périodes de grandeur et de décadence, celle d’une marche continue de l’humanité vers un avenir radieux. En découpant l’histoire de l’humanité en deux fois dix «siècles», dont la première série culmine sous Auguste en un premier apogée, et la seconde le dépasse par des réalisations plus grandioses encore, Gilles de Viterbe se range parmi les chantres de ce qui sera plus tard appelé la «Renaissance», dans une historiographie guidée par l’idée de Progrès. Plus tard, s’agissant seulement de stylistique latine, le jésuite Edmund Campion osera affirmer à son tour la supériorité des auteurs de son siècle sur ceux de l’Antiquité. En somme, nous pourrions donc définir l’humanisme comme un acte de foi en l’homme et en son avenir. ...

ET L’ÉGLISE

Que faut-il entendre par l’Église? Vu d’Italie, c’est d’abord la papauté, et autour d’elle tout le milieu romain. Au début du XVIe siècle, ils sont profondément pénétrés par l’humanisme. Celui-ci était déjà monté sur le trône pontifical avec Aeneas Silvio Piccolomini devenu le pape Pie II triomphe de nouveau avec l’avènement de Léon X, le fils de Laurent le Magnifique. Son pontificat ouvre, selon Gilles de Viterbe, le dixième et dernier âge de l’humanité, celui qui couronne tous les bienfaits de l’âge précédent, dont le cinquième, et non le moindre, a été la restauration des bonnes lettres et l’épanouissement de la poésie chrétienne. 4 Est-il nécessaire de dire ici que le terme «incunable» est trompeur, en ce qu’il donne à croire que l’imprimerie a connu un changement technique à partir de 1500?

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Le Libellus ad Leonem, ce programme de renouveau de la chrétienté qu’adressent au nouveau pape deux nobles vénitiens de haute culture, Vincenzo Querini et Tommaso (Paolo) Giustiniani, retirés chez les Camaldules, est significatif de l’attente du milieu humaniste italien. On notera que c’est au pape, et non pas au concile réuni par son prédécesseur, qu’ils s’adressent. En un temps où les chrétiens du Nord continuent de revendiquer un gouvernement conciliaire de l’Église, les auteurs du Libellus commencent par proclamer la grandeur de la papauté et mettent en elle tous leurs espoirs : qu’il s’agisse de mobiliser la chrétienté contre les infidèles, ou de réconcilier l’Orient et l’Occident, ou enfin et surtout de réformer l’Église latine. À la clôture du concile, en 1517, ils pourront être satisfaits du résultat. En effet, le Ve concile du Latran, habilement tenu en main par Léon X, a mis un point final au conciliarisme, en même temps qu’il répond à plusieurs des questions soulevées par l’humanisme. À propos de l’imprimerie, le concile reprend à son compte le jugement favorable déjà porté par plusieurs papes sur cette invention du génie humain, mais il prétend en même temps imposer la censure de l’Église sur tous les livres à éditer. Sur la réflexion philosophique, il souffle également le chaud et le froid, en affirmant l’accord entre la raison et la foi, mais en interdisant de mettre en question l’immortalité de l’âme ou de professer que le monde est éternel. L’Église qui est concernée par l’humanisme, c’est aussi très spécialement le clergé régulier. Mais ici, des distinctions s’imposent, si l’on ne veut pas tomber dans la caricature qui fait des humanistes des adversaires résolus du monachisme. Certes, des hommes comme Lorenzo Valla rejettent celui-ci en bloc, en dénonçant chez les religieux leur prétention à vivre dans un «état de perfection»; ce qui sera encore le principal grief avancé par Érasme. Mais les religieux que les humanistes poursuivent de leur vindicte, et cela dès le XVe siècle, ce sont essentiellement, on nous l’a bien montré, les frati, c’est-à-dire les Mendiants. Et ceux-ci le leur rendent bien, à juger par l’affrontement entre Jean Dominici et Coluccio Salutati. Le conflit n’est pas près de s’apaiser. Il se manifeste au concile de Latran, qui est décidément une excellente vitrine des fêlures qui travaillent l’Église, comme il a rebondi dans l’affaire Reuchlin, qui a dressé l’un en face de l’autre, en deux camps haineux, d’un côté les humanistes et de l’autre les théologiens universitaires, tous religieux mendiants. Mais il existe d’autres familles religieuses qui, elles, et tout particulièrement en Italie, se sont ouvertes à la nouvelle culture et bénéficient, de ce fait, de la faveur des humanistes. Ont été ici évoqués tout d’abord les Camaldules pour lesquels, au XVe siècle, Ambrogio Traversari puisait chez les Pères de l’Église, notamment les Pères grecs,

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CONCLUSIONS

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les éléments d’un retour aux origines. Nous savons que c’est chez les Camaldules que, au tournant du siècle, Querini et Giustiniani ont trouvé la pieuse solitude qui comble leurs aspirations humanistes, sans pour autant les rendre indifférents au devenir de la chrétienté. Très semblables aux Camaldules sont les Chartreux qui, eux aussi, et pour les mêmes raisons, échappent à l’opprobre que les humanistes jettent sur les «moines». Érasme, qui a jugé sévèrement le décor fastueux de la chartreuse de Pavie, n’en porte pas moins sur l’ordre de saint Bruno un regard sympathique; il n’oublie pas que son ami John Colet avait songé à se faire chartreux, et il semble parfois envier l’existence de ces solitaires qui peuvent s’adonner aux saintes lettres. Mais pourquoi parler encore d’Érasme, alors qu’on nous a présenté, en François Du Puy, une véritable réplique, à quatre siècles de distance, du saint Bruno fondateur? Après une carrière semblable, qui allie les études et l’action pastorale, François, comme Bruno, choisit la solitude de Chartreuse. Et là, non seulement il assume la direction de son ordre, mais il lui procure une seconde naissance, en publiant la vie et les œuvres de Bruno, en obtenant la reconnaissance romaine de sa sainteté et en récupérant son tombeau, en encourageant chez ses frères la piété lettrée qui faisait déjà la gloire et le rayonnement de la chartreuse de Cologne, et qu’on retrouvera en d’autres solitudes urbaines 5. Mais c’est sans doute chez les Bénédictins, dans la congrégation réformée de Sainte-Justine de Padoue, que l’on observe le mieux la convergence entre idéal monastique et culture humaniste. L’enseignement du grec s’y ajoute à celui de la belle latinité, permettant non seulement une approche érudite des Pères grecs, mais une assimilation théologique qui, ainsi que l’a montré Barry Collett, permettra à ces religieux d’échapper à l’interprétation augustinienne de l’économie du Salut qui a fait le lit des Réformes protestantes 6. Contemporain et ami de Gregorio Cortese, Denis Faucher est un bon représentant de ce monachisme lettré, chez qui la lecture assidue de l’Écriture et des Pères se combine harmonieusement avec celle de Cicéron, et l’ascétisme avec le goût pour les beautés de la nature et des arts. Le grand modèle est saint Jérôme, et c’est à l’école de Jérôme que le moine de Lérins veut mettre les moniales de Tarascon, afin qu’elles puissent elles aussi accéder aux saintes Lettres. 5 Cela a été bien mis valeur dans le colloque «Bruno et sa postérité spirituelle. IXe Centenaire de la mort de saint Bruno», tenu à Paris en octobre 2001, à paraître. 6 B. Collett, Italian Benedictine scholars and the Reformation. The Congregation of Santa Giustina of Padua, Oxford, 1985.

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EN ITALIE ... Il y a assurément une modalité italienne de la rencontre entre humanisme et christianisme. Et elle n’est pas caractérisée seulement par l’antériorité, bien qu’il faille sans cesse rappeler ce fait, si évident soit-il. La première impression qui se dégage, si on pense à ce qui se passera plus tard dans l’Europe du Nord, est celle d’une interpénétration paisible entre les nouvelles curiosités et la tradition chrétienne, d’une sorte d’innocence. La mythologie antique et les mystères chrétiens semblent faire bon ménage, aussi bien dans la poésie de Sannazzaro que dans les discours de Gilles de Viterbe. Un Santi Pagnini peut se mettre à l’école des rabbins de Rome et d’Avignon sans déchaîner l’orage que déclenche Reuchlin en prenant la défense de la littérature talmudique. Mais comme beaucoup d’ humanistes italiens ne se montrent pas moins provocateurs à l’égard des croyances et des coutumes de leurs contemporains que le seront Erasme, Ulrich von Hutten et bientôt Luther, il faut penser que c’est le milieu italien qui amortit le choc en adoptant une attitude plus compréhensive, voire complice. Un bon témoin de cette attitude, c’est le chanoine napolitain Antonio de Beatis qui accompagne son maître, le cardinal d’Aragon, dans un grand voyage à travers l’Europe, dans les années 1513-1514 7. Sans être proprement un humaniste, notre chanoine est un bon représentant de la culture nouvelle, telle qu’elle est diffuse dans toute l’élite de la péninsule, en ce début du Cinquecento. Ses curiosités le portent non seulement vers les villes et les monuments, qu’il sait apprécier en connaisseur, comme par exemple le château de Gaillon que le cardinal d’Amboise vient de faire construire et décorer sous la direction d’artistes italiens, mais aussi vers les savants qu’il rencontre. À Augsbourg, il signale la présence, tout en déformant son nom, de Konrad Peutinger, «valentissimo homo in hebreo et in latino, gran philosopho», et à Lauingen, celle d’un frère ermite de Saint Augustin, Gaspare Ammonio, «valentissimo homo in greco, in latino et in hebreo, quale traduce de nuovo molte cose de la scriptura». À Paris, il ne manque pas non plus de citer toutes les lumières de l’humanisme, Jacques Lefèvre d’Etaples, «très docte en toutes disciplines, et en latin et en grec», Guillaume Budé, conseiller du roi, qui bien que juriste ne s’est pas cantonné dans cette discipline, Guillaume 7 Ce journal de voyage, découvert par Ludwig Pastor, a d’abord été édité par lui dans son texte italien original, à Fribourg-en-Brisgau, en 1905 (d’où je tire mes citations). La traduction française publiée en 1913 est très défectueuse. À défaut de l’original, on peut utiliser avec profit l’édition en anglais donnée par J. R. Hale et J. M. A. Lindon (Londres, 1979).

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CONCLUSIONS

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Cop, médecin du roi, très versé dans l’une et l’autre langue; et aussi l’imprimeur Josse Bade Ascensius. Ce chanoine italien aventuré dans les pays du Nord sait voir et juger. La piété qu’il observe en Allemagne et en France suscite chez lui de tristes réflexions sur le sans-gêne dont ses compatriotes font preuve dans les églises. Quant au culte des reliques dont il est partout le témoin, sans illusion aucune sur leur authenticité, il le considère avec indulgence, convaincu, dit-il, «que toutes ces confusions et ces ambiguïtés ne portent aucun préjudice ni à l’essence divine, ni à la sainte Trinité, ni aux dix commandements de la loi, ... ni aux douze articles de la foi». Certes, il reproche aux pasteurs de n’avoir pas mis les populations en garde contre ces abus. Mais il estime que l’on ferait maintenant plus de mal que de bien en voulant les déraciner. On est ici bien loin des railleries d’Érasme, qui seront reprises avec plus de véhémence encore par Calvin et par Henri Estienne. Car en Italie, à côté de l’humanisme anticlérical, voire antichrétien, que l’on peut suivre de Boccace à Valla et de Pogge à Machiavel et à Guichardin, il existe aussi un humanisme pieux (je dirais même «dévot» si l’adjectif n’avait pas été retenu, depuis Henri Bremond, pour une autre époque). Nous l’avons déjà rencontré dans les cloîtres, mais il s’épanouit également dans le monde laïc. Il prend la forme de multiples confréries, dont nous n’avons guère parlé, et dans ces cercles qui ont acquis une certaine célébrité sous le nom d’Oratoires du Divin Amour. C’est là que l’on rencontre un christianisme féminin, aussi bien dans les couches supérieures de la société où se recrutent les auditrices de Juan Valdés, que dans la simple bourgeoisie de Brescia ou de Milan. Des femmes qui, sans accéder aux langues anciennes – c’est une des raisons pour lesquelles Valdés opte résolument pour la littérature en langue vulgaire –, et donc sans prétendre rivaliser sur ce point avec les religieuses que dirige Denis Faucher, n’en sont pas moins pétries d’une culture qui s’alimente chez Dante et Pétrarque. Féminin ou masculin, cet humanisme pieux pratique souvent une charité active. Ouvrir et gérer des hôpitaux, recueillir des orphelins, scolariser les enfants et notamment les filles, tout cela est le fruit d’une conception rajeunie, et adaptée aux besoins nouveaux, des traditionnelles œuvres de miséricorde. Ce n’est pas un hasard si le concile du Latran – encore lui – réfute la condamnation étroitement scolastique de l’usure en approuvant l’institution des Monts-de-piété. De Milan à Vicence, et finalement à Venise, Paola Antonia Negri est une figure exemplaire de ce christianisme italien qui ne conçoit pas de séparer la foi de la charité.

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ET DANS LA

FRANCE

MÉRIDIONALE

Par rapport à ce que nous avons pu observer en Italie, l’humanisme, dans la France méridionale présente un bilan assez pauvre, du moins si l’on considère la place qu’il occupe dans ce colloque. À vrai dire, peut-être était-ce une erreur d’optique de supposer qu’il y eût une proximité méditerranéenne de part et d’autre des Alpes. Par rapport au courant novateur qui vient d’Italie, le Languedoc et même la Provence occupent une position plutôt marginale. Car ce courant, au départ de Venise ou de Milan, s’oriente davantage vers Lyon, Bâle et Paris. Dans les conditions de circulation de ce temps, pour les hommes comme pour les idées, Marseille est plus loin de Rome, et même de Gênes, que ne sont Lyon et Paris; quant à Montpellier et Toulouse, elles sont quasiment hors de course, sauf quand les Italiens se dirigent vers l’Espagne. Il y a toutefois une exception, celle que constituent Avignon et le Comtat Venaissin, du fait de la souveraineté pontificale. Il y a en Avignon une importante colonie italienne, florentine surtout, celleci encore renforcée après l’échec de la conjuration des Pazzi; grâce à elle, le souvenir de Pétrarque est entretenu avec une certaine ferveur; et l’influence italienne s’exerce aussi dans les arts, et même dans la vie religieuse, avec la création, par les Florentins, d’une compagnie de pénitents calquée sur celles d’Italie. Mais, au début du XVIe siècle, la légation d’Avignon est entre les mains de cardinaux français, de sorte que le rayonnement de l’Italie connaît un certain effacement, avant de donner ses derniers feux, dans les années 1540 à 1560, sous l’autorité du cardinal Farnèse. Toutefois, les universités, dont Jacques Verger nous a dit qu’elles n’avaient guère été touchées, au XVe siècle, par l’humanisme, s’ouvrent au XVIe à la culture nouvelle. Non pas Aix-enProvence, qui demeure toujours «sans éclat», mais Valence, qui prend un nouveau départ en engageant à grand frais, en 1512, le juriste milanais Filippo Decio. Quatre ans plus tard, c’est Avignon qui, pour soutenir la concurrence, fait appel à Alciato et à Sannazar de Ripa. Aussitôt ils attirent, le premier surtout, un flot d’étudiants venus du Nord, dont le plus illustre est le Bâlois Boniface Amerbach. Si l’université de Valence, après avoir recruté encore pendant une ou deux décennies des professeurs italiens, va se tourner vers des juristes français formés outre-monts, Avignon, elle, restera fidèle aux Italiens jusqu’en 1559. Ainsi, pendant un demi-siècle au moins, les études juridiques des universités méridionales seront marquées par l’humanisme italien. Mais il en va de même dans les autres universités françaises, si l’on songe que d’Avignon, Alciato est parti à Bourges... D’autres points de pénétration humaniste tiennent à la présence

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CONCLUSIONS

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de telle ou telle personnalité. Nous avons vu que le rattachement de l’abbaye de Lérins à la congrégation de Sainte-Justine, opéré par l’évêque de Grasse Agostino Grimaldi, avait permis à Denis Faucher d’y apporter la solide culture qu’il avait reçue à Polinore près de Mantoue, et d’en faire bénéficier à leur tour les moniales de Tarascon. De même, les circonstances qui amènent Jacopo Sadoleto à venir résider dans son évêché de Carpentras, qu’il n’avait d’abord reçu que comme une prébende destinée à rémunérer ses fonctions curiales, font que se forme autour de lui tout un cercle de cicéroniens de province 8. Citons encore le Nîmois Antoine Arlier qui, après avoir étudié à Padoue et séjourné à Venise, rentré dans sa patrie, crée autour de lui le milieu favorable à la fondation d’une «université des arts» conçue dans l’esprit humaniste 9. Mais dans l’ensemble, en Provence comme en Languedoc, c’est du Nord, plus que de l’Italie, que souffle le vent de novation culturelle. Ou plutôt, s’il vient d’Italie, c’est par l’intermédiaire de Lyon et de Bâle, où s’impriment les livres, et de Paris, où les magistrats et les régents de collège ont pris leurs grades universitaires. Dans la France méridionale, c’est par la vallée du Rhône, plus que par la mer Méditerranée, que passent les «chemins de l’écriture», selon la jolie expression d’Emmanuel Le Roy Ladurie. CONFLITS

ET RUPTURES

On ne reviendra pas sur la face anticléricale, et même parfois antichrétienne de l’humanisme italien. Même après avoir tenu les propos les plus violents, leurs auteurs savaient ne pas aller trop loin, ne serait-ce que parce qu’ils avaient besoin de la papauté et de l’Église pour vivre. Même Guichardin, dont le nationalisme exacerbé, égal à celui de Machiavel, n’a pas de mots assez durs pour la «tyrannie des prêtres», n’en a pas moins accepté de représenter la papauté auprès de la cour d’Espagne. C’est peut-être même la mauvaise conscience qu’ils tirent de cette contradiction qui les rend si hargneux. Moyennant quoi, le même Guichardin, qui espère que Luther coupera les ailes au régime papiste, se garde bien de se déclarer publiquement en faveur du Réformateur. C’est aussi que le message de Luther, en ce qui en constitue le cœur, à savoir la justification par la foi seule et le serf arbitre, n’est 8 M. Venard, La vie intellectuelle à Carpentras au temps de Sadolet, d’après la correspondance de Jean-Baptiste Centenari, dans Mémoires de l’Académie de Vaucluse, 5e série, IX, 1963-1964, p. 75-88. 9 A. Arlier, Correspondance latine, 1527-1545, texte établi et commenté par J. N. Pendergrass, Genève, 1990 (Travaux d’Humanisme et Renaissance, CCXLIV).

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pas fait pour séduire la plupart des humanistes italiens, et j’ajoute même, méditerranéens. Certains ne s’intéressent guère qu’à une réforme ecclésiastique : à côté de ceux dont nous avons déjà parlé, il faut citer le franciscain observant François Lambert d’Avignon, pour qui Luther, qu’il va rejoindre à Wittenberg, semble être avant tout le libérateur de la Captivité babylonique et le pourfendeur des vœux monastiques. D’autres, comme les Bénédictins de la congrégation de Sainte Justine ont, nous l’avons dit, puisé chez les Pères grecs une doctrine de la reformation de l’homme assez éloignée de la justification luthérienne. Il reste que, ainsi que le prouve la figure de Juan Valdés, passé d’Espagne à Naples, un certain évangélisme dans lequel se fondent les enseignements d’Érasme et de Luther, a trouvé en Italie son terrain d’élection. Mieux même, à mon sens, qu’en France, où le terme a été inventé, pour autant que l’expression la plus accomplie s’est trouvée consignée dans le célèbre Trattato utilissimo del beneficio di Giesù Cristo crocifisso verso i cristiani10. Cet évangélisme a subi un coup d’arrêt très dur en 1542, avec la restauration de l’Inquisition romaine, entraînant la fuite hors d’Italie de plusieurs de ses représentants les plus illustres, à commencer par Bernardino Ochino. Valdés, lui, était mort à temps. Quelques années plus tard, après l’espoir éphémère suscité par l’élection de Marcello Cervini à la succession de Pierre, le pontificat de Paul IV Carafa, caractérisé notamment par le terrible index de 1559, sonne comme le glas de l’humanisme italien. N’est-ce pas comme une façon de s’évader, quand l’horizon paraît bouché, que Guillaume Postel, qui a accumulé tout le savoir auquel pouvait aspirer un humaniste, le met au service d’une prophétesse visionnaire dont il attend la régénération du monde? Triste destin, apparemment, de l’humanisme italien, que symbolise, dans un Cinquecento tardif, la carrière médiocre d’un Latino Latini. Et pourtant, d’une certaine façon, l’essentiel est sauf. Il est sauf parce que le concile de Trente, sous la présidence du cardinal Cervini, dans l’année 1546, en adoptant des décrets sur le péché originel et sur la justification «est allé aussi avant qu’il se pouvait à sauver l’homme intact dans son acte d’homme pour l’œuvre de salut. Dans les rapports entre le monde de la nature et le monde de la grâce, la majorité méditerranéenne de Trente a posé un équilibre optimiste.» Alphonse Dupront, à qui j’emprunte ces lignes, ajoute un peu plus loin : «Ce ne sera pas diminuer l’importance de l’apport tridentin à l’histoire spirituelle du monde moderne, que de schémati-

10 Voir C. Ginzburg et A. Prosperi, Giochi di pazienza. Un seminario sul «Beneficio di Cristo», Turin, 1977.

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ser ainsi l’attitude mentale de l’assemblée conciliaire : conserver le donné traditionnel, cela d’abord importait, et donc atteindre à la sauvegarde de tout le patrimoine méditerranéen, chrétien et païen11». Il est sauf aussi parce que les jésuites vont recueillir et faire fructifier une bonne partie de l’héritage. Et cela en ouvrant, à partir de 1549, des collèges dont l’objectif est de former la jeunesse dans la litterata pietas12. Ils le font en les mettant à l’école des auteurs anciens, au premier rang desquels Cicéron, maître d’élégance grammaticale et de rhétorique, et même d’Érasme, en utilisant des Colloques soigneusement expurgés. Dans les collèges jésuites, la querelle du Ciceronianus connaît ainsi son happy end. D’autant que l’éloquence latine se marie désormais avec une solide éducation chrétienne, et une bonne formation scientifique, dont le Collège romain construit le modèle pour la Compagnie tout entière. L’expérience pédagogique des jésuites sera réunie et codifiée dans le Ratio studiorum adopté définitivement en 1599. Une date venue à point pour signifier l’aboutissement de notre colloque. Marc VENARD

11 A. Dupront, Le Concile de Trente, dans Le Concile et les conciles. Contribution à l’histoire de la vie conciliaire de l’Église, Chèvetogne-Paris, 1960, p. 239-240. 12 12 Le changement introduit dans la Compagnie de Jésus par l’orientation vers les collèges a été très bien analysé par J. W. O’Malley, Les premiers jésuites, 1540-1565, Paris, 1999 (trad. fr. de l’édition en anglais de 1993).

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INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Andrea Biglia, 22, 33, 122, n. 22, 123, 137-140 Agostino Nifo, 236, 309 Adam Fumée, 240 Adam, 428 Adriano Castellesi, 362 Aegon, 305 Agostino da Fivizzano, 29, n. 63 Agostino da Portico, 127 Agostino Grimaldi, 270, 473 Agostino Patrizi, 91 Agostino Steuco, 453 Agricola Panizza, 242 Aix, 239, 249, 272, 472 Alamanno Rinuccini, 142 Albert le Grand, 152 Albertino Mussato, 31, n. 73, 76, 209 Alberto da Sarteano, 109 Alberto Pio, 362, 367 Albrecht von Eyb : 108 Alciat, 472 Alde Manuce, 386, 466 Alexandre de Macédoine, 89, 444 Alexandre d’Aphrodyse, 450 Alexandre de Halès, 255, 257, 262 Alexandre d’Imola, 256 Alexandre VI, 21, 113, 145, 281, 433, 435, 446, 459, 462, 456 Alexandrie, 156, 451 Alfonso Borgia, 201 Alphonse d’Aragon, 42, 228, 229, 230, 317 Alfonso Garcia Matamoros, 375, n. 93 Alonso de Cartagena, 8, 337 Alonso de Valdès, 327 Ambrogio Traversari, 11, 13, 68, 72, 117-136, 140, 141, 144, 153, 162, 468 Ambroise (saint), 258, 290, 384, 393 Amedeo di Spagna, 27, n. 53 Ammianus Marcellus, 183 Ancône, 144 Andrea de Barbazza, 256 Andrea Crisoberga, 103 Andrea d’Ysernia, 256

Andrea Fiocchi, 103 Andrea Sansovino, 287, 370. Andrea Schottus, 376. Andrea Zamometic, 8, n. 5. Andreas Baier, 108 Andreas Masius, 388 Andronic III, 153 Ange Lascaris, 448 Ange Politien, 72, 113, 119, 436 Ange Vergèce, 438 Angela da Foligno, 422, 430 Angelo Clareno, 25, 27 Angelo Colocci, 311, 433, 445 Angelo da Perugia, 19 n. 10, 110, Angelo da Recanate, 80, 82, 104 Angelo Decembrio, 169, 172, 173 Angelo Rocca, 391 Anne de Montmorency, 276 Annibaldo da Ceccano, 65 Antioche, 156 Antoine Arlier, 276, 473 Antoine Eparque, 454, 461 Antoine Gilbert, 271, 275 Antonin de Florence (saint), 110, 125, 170, 171, 255, 260, 262, 263, 265, 267 Antonio Agli, 124 Antonio da Bitonto, 204 Antonio Loschi, 97, 100, 222 Antonio Schorus, 373 Antonio Agellio, 390 Antonio Augustin, 374, 387, 388 Antonio Beccadelli dit le Panormitain, 226, 227, 229, 232, 297 Antonio Beccaria, 111 Antonio Bernardi, 439 Antonio Blado, 452, 446, 447 Antonio Caracciolo, 280 Antonio da Rho, 10, 79, n. 46 Antonio de Beatis, 470 Antonio de Ferrariis, dit le Galateo, 18, n. 4, 92 Antonio de Guevara, 298 Antonio degli Alberti, 129 Antonio della Mirandola, 439, 440

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INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Antonio de Nebrija, 335 Antonio Zaccaria, 414 Antonio Zocolo, 305 Anvers, 394 Apollodore, 387 Apranio, 301, 304 Apullée, 392 Aragon (royaume d’), 240, 470 Aristote, 2, n. 2, 6, 13, n. 35, 54, 58, 137, 225, 258, 337, 458, 439, 453 Arles, 271, 276, 277 Arnobe le Jeune, 392, 393 Athanase (saint), 153, 447 Auguste, 210, 211, 213, 214, 284, 318, 467 Augustin (saint), 2, 121, 122, 132, 137, 138, 140, 167, 219, 233, 258, 303, n. 41, 395-396 Aulus Gellius, 183 Aurelio Lippi Brandolini, 38 Aurelio Sereno da Monopoli, 311, 312 Auxence, 384 Avignon, 154, 239, 242, 245, 248, 470 Azon, 255 Bartolomeo Facio, 228, 232, 236 Bartolomeo Morandi, 31 Bartolomeo Platina, 176, 236 Babylone, 66, 79, 319 Badia Fiorentina, 24, n. 37 Baldassare Merlo dit Parpaglia, 242 Baldassarre Cossa, 97 Balde, 255 Bâle, 8, 100, 179, 253, 254, 261, 345, 385, 386, 394, 472 Barbato da Sulmona, 215 Barcelonnette, 257 Barthélemy l’Anglais, 255, 260 Bartole, 255 Bartolomé Carranza, 345, n. 47 Bartolomea degli Alberti, 49 Bartolomeo della Fonte, 436 Bartolomeo Facio, 229, 230, 232 Bartolomeo Ferrari (le père), 414 Bartolomeo Fiadoni (alias Ptolémée de Lucques), 155 Bartolomeo Platina, 87, 176, 234 Bartolomeo Ricci, 373 Bartolomeo Rontini, 452, n. 101 Bartolomeo Scala, 12 Basile (saint), 8, 126, 290, 450 Basilio Zanchi, 387 Battista Casali, 366, 370, n. 354 Battista da Crema 414 Battista Sforza, 41

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Battista Spagoli, 291, n. 12 Béatrice d’Aragon, 302 Beatus Rhenanus, 381, 394, 401 Benedetto de Mantoue, 270 Benedetto Giunti, 446 Benedetto Gareth dit Cariteo, 299 Benedetto Varchi, 435 Benoît (saint), 357 Benoit XIII, 33, 225, 240, 245, 260 Bergame, 34 Bernard de Breydenbach, 264 Bernard de Clairvaux, 132, 258 Bernard de Gaillac, 153 Bernard de Rosier, 242 Bernardin de Sienne, 67, 69, 83, 109, 125, 258 Bernardino Maffei, 435, 454 Bernardino Ochino, 332 Bernardo Giunti, 452, 453 Bessarion (cardinal), 6, 173, 231, 461 Biagio Molin, 105 Biago Pelacani, 238 Bitonto, 456 Blomevenna, 251, 254 Boccaccio, 24, 77, 214, 215, 221, 224, 244, 471 Bodin, 195 Bologne, 47, 103, 138, 192, 330, 385, 439 Bonaventure (saint), 23, 257 Boniface Amerbach, 466, 472 Bonifacio VIII, 19 Bosnie, 19, n. 9 Bovelle, 385 Poggio Bracciolini, 74, 79 Bramante, 292 Brancacci, 393 Brescia, 180, 182, 471 Brigitte (sainte), 430 Bruno (saint), 251, 252, 253, 267, 268, 469 Bruno Johannes (Bruno de Deventer), 183 Byzance, 149 Calvin, 344, 471 Camaldoli, 115-148 Cambridge, 454 Cantorbery, 131 Carlo Marsuppini, 5 Carlo Reggio, 376 Carlos de Seso (don), 345 Cassiodore, 392 Castellazzo, 136 Castiglione, 341, 342

INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Catalina Cibo, 332 Catane, 333 Catherine de Sienne, 426, 430 Cencio de’ Rustici, 76, 77, 103 Cesare Baronio, 390 Césène, 460 Chalcédoine, 356 Charles de Sainte-Marthe, 277 Charles V (empereur), 206, 328, 330, 332, 335, 384 Charles V (roi de France), 154 Charles VI (roi de France), 154 Charles-Maurice Le Tellier, 393 Cheremon (abbé), 268 Chiara Bugni (la Bienheureuse), 422 Christophe Longueil, 362, 366 Chrysostome, 290 Chypre, 66 Cicéron et cicéronianisme, 34, 131, 133, 221, 248, 259, 304, 317, 361-379, 438, 475 Cimino (ermitage augustin), 299, 300, 310, 312 Cino Rinuccini, 37, 221 Cipriano Soarez, 375 Claude Dupuy, 389 Claude Rolin, 256, n. 16 Clément d’Alexandrie, 442, 447, 450, 453, 456, 458, 463 Clément IV, 18, n. 5 Clément VII, 91, 281, 316, n. 64, 329, 330, 331, 332, 338, 347 Cologne, 262, 394, 469 Coluccio Salutati, 3, 4, 40, n. 37, 44, 45, 48, 58, 60, 62, 66, 67, 74, 76, 98, 107, 126, 129, 131, 218, 219, 222, 224, 244, 436, 468 Côme l’Ancien de Médicis : 24, 68, 118, 119, 163, 172 Côme Ier de Médicis (duc de Florence), 433, 436, 437, 444, 447 Compostelle, 90 Condulmer (cardinal), 80 Constance, 73, 76, 80, 97, 98, 222, 222, 226, 227 Constantin (empereur), 201, 285 Constantin Lascaris, 42, 433 Constantinople, 150, 151, 153, 162, 356 Contarini, 15, n. 20, 437 Corfou, 445, 454 Coroliano Martirano, 338 Cortesi, 373 Cosimo Bartoli, 194 Cosma Raimondi, 227, 241, 246, 248 Crémone, 354

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Crisoberga, 103 Cristoforo Landino, 12, 85, 141 Cuenca, 327 Curtabotus, 276 Cyprien (saint), 272, 290, 395, 398, Cyrille d’Alexandrie (saint), 151-155, 447 Daniel Georg Morhof, 377 Dante, 31, 224, 471 Daphnis, 306 David, 284 Decio Apranio, 301 Delphine Tornatoris, 271 273, 274 Demetrio Guazzelli, 102 Démosthène, 304 Denis Faucher, 269-281, 469, 471, 473 Denys le Chartreux, 254 Descartes, 401 Deventer, 258 Didier de Mont Cassin, 120 Diego de Carthagène : 331 Diego Hurtado de Mendoza, 461 Diogene di Borgo, 214 Diogène Laerce, 195 Dionigi di Borgo, 218 Dionisio Zannettini, 454 Domenico Capranica, 175 Domenico Domenichi, 180 Domenico Passionei, 393 Donato Acciaioli, 142 Donato Giannotti, 437, 443, 437, 438 Du Bellay (cardinal), 275 Duns Scot, 262 Edmund Campion, 361, 365, 376, 467 Éphèse, 356 Egidio Forcellini, 378 Élisabeth (reine d’Angleterre), 361 Emmanuel de Portugal, 291 Enea Silvio Piccolomini, 99, 100 Enrico Rampini, 171 Éole, 310 Érasme, 7, 14, 15, 37, 278, 307, 329, n. 7, 362, 364, 381, 394, 397, 466, 468, 469, 470, 471, 474, 475 Ercole I d’Este, 34 Ermolao Barbaro, 76, 112, 113, 124 Escalona, 327 Étienne Tempier, 53, n. 42 Eudes de Viterbe, 139 Eugène IV, 10, 18, 19, 69, 100, 119, 128, 135, 141, 150, 158, 159, 178, 228, 257, 357

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INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Eusèbe de Césarée, 124 Eusèbe d’Émèse, 395 Eustathe 445 Eutropius, 183 Famiano Strada, 376 Farnèse (cardinal), 472 Federico Borromeo, 462 Federico di Montefeltro, 41 Felino Sandei, 89, 113 Félix V, 161 Ferdinand d’Aragon, 291 Fernando de Valdés, 345 Ferrare, 89, 100, 111, 112, 127, 460, n. 153 Ficin, 6, 9, 36 Fiesole, 146 Filippo Buonaccorsi, dit Callimacus Esperiens, 14, 88 Filippo Decio, 472 Filippo Villani, 218 Flavio Biondo, 11, 183, 185, 362 Florence, 3, 5, 24, 31, 37, 44, 69, 78, 79, 93, 98, 110, 118, 131, 136, 141, 146, 162, 170, 216, 219, 222, 251, 258, 259, 296, 397, 433, 436, 446, 452, 455, 457, 462 Foucher de Chartres, 156 Francesca Romana (sainte), 40 Francesco Barbaro, 99, 119, 144, 226 Francesco Barberino, 393, n. 66 Francesco Benci, 396 Francesco Coppino, 192 Francesco da Castiglione, 110 Francesco da Fiano, 11, 76 Francesco da Legname, 218 Francesco della Vigna (saint), 421, 422 Francesco Filelfo, 37, n. 118, 102, 103, 106, 172 Francesco Giorgio 422, 430 Francesco Gonzaga (cardinal), 172 Francesco Griffolini, 163 Francesco Insegna, 35 Francesco Maria Brancacci, 382 Francesco Micheli, 112 Francesco Micheli del Padovano, 110 Francesco Negrone, 376 Francesco Nelli, 215 Francesco Patrizi, 41, 88 Francesco Pizolpasso, 172 Francesco Priscianese, 449 Francesco Zabarella, 122, n. 22 Francisco de Cobos, 347 Francisco de los Cobos et Granvella, 331 Francisco de Vergara, 328

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Francisco Sanchez de la Brozas : 374 Francisco Torres, 390 François, 290 François de Accoltis, 256 François de Meyronnes, 257 François de Paule (saint), 299 François Du Puy, 251-265, 467, 268, 469 François Ier, 270 François Lambert, 280, 474 Frédéric III de Naples, 297, 298, 302, 310 Friedrich Andreas Hallbauer, 378 Frignani (cardinal), 131 Froben, 386 Fulvio Orsini, 386, 391 Gabriel Biel, 257, 262 Gabriele Altilio, 303 Gabriele Faerno, 387, 398, 439, 456 Gabriele Paleotti, 463 Galeazzo Caracciolo, 336 Galeotto Malatesta, 40 Galeotto Marzio, 31, 38 Garcia Manrique, 332 Garcilaso de la Vega, 339, n. 35 Gaspare Ammonio, 470 Gasparino Barzizza, 33 Gasparo Contarini 415 Gasparo Viviano, 454 Gênes, 472 Gentien Hervet, 438, 450, 451, 453 Georges de Trébizonde, 11, 152 Gérard Groote, 258 Gérard Zerbolt de Zutphen, 258 Gerolamo Aliotti, 83, 87, 128 Giacomo Bracelli, 232, n. 104 Giacomo Colonna, 214 Giacomo del Pozzo, 385 Giacomo Della Marca, 109 Gian Galeazzo Visconti, 31, 122 Gian Nincenzo Pinelli, 388 Gian Pietro Carafa, 434 Giangaleazzo Sforza, 303 Giannantonio Campano, 41 Giannozzo Manetti, 11, 106, 127 Gilles Bohier, 276 Gilles de Rome, 257 Gilles de Viterbe, 30, 137, 281-326, 467, 470 Giorgio Corintio, 454, n. 112 Giorgio Gemisto Pletone, 35 Giovambattista Giraldi, 373 Giovanna (vierge vénitienne), 411, 412, 413, 418

INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Giovanni Andrea (canoniste), 160 Giovanni Andrea Bussi, 177-178 Giovanni Antonio Volpi, 300 Giovanni Battista Bandini, 390 Giovanni Battista Politi, 460 Giovanni Capistrano, 109 Giovanni Caroli, 110 Giovanni Colonna, 209, 210 Giovanni Crivelli, 98 Giovanni da Mantova, 31 Giovanni da Prato, 111 Giovanni da San Miniato, 131 Giovanni de Montenero, 158 Giovanni Della Casa, 437, n. 20 Giovanni di Pietro da Stia, 184 Giovanni di Savonarola, 349 Giovanni di Segovia, 39, n. 129 Giovanni Dominici, 33, 43-62, 468 Giovanni Francesco Ridolfi, 386 Giovanni Gaddi, 444, 446 Giovanni Gallo, 144 Giovanni Giacomo Sclaffenati, 102 Giovanni Lamola, 232 Giovanni Marco, 428, 429 Giovanni Maria Cioccho Del Monte, 437, n. 22 Giovanni Maria Guanzzeli, 397 Giovanni Onorio, 453, n. 101 Giovanni Pontano, 88, 289, 292, 297, 298, 300 Giovanni Tortelli, 107, 125, 202-204, 231 Girolamo Aleandro, 367, 453 Girolamo Aliotti, 13, 109, 110, 119, 141 Girolamo Mancini, 191 Girolamo Mercuriale, 400 Girolamo Seripando, 301 Girolamo Trevisan, 354 Girolamo di Matelica, 146, 147 Girolamo da Praga, 32 Girolamo Mei, 386 Giuseppe Contarini 415 Gomes, 123 Gondisalvus, 154 Gonzaga, cardinal de Ravenne, 330332 Gonzalve de Cordoue (le Grand Capitaine) : 309 Grégoire de Nazianze, 447, 460 Grégoire de Nysse, 11 Grégoire Palamas, 161 Grégoire le Grand (saint), 258, 356 Gregorio Correr, 109 Gregorio Cortese, 270, 271, 272, 276, 279, 469

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Gregorio de Sanok, 39 Gregorio XII, 33, 44, 222, 224, 386 Grenoble, 251, 252, 254, 255 Guarin de Vérone, 40, n. 137, 111, 119, 127, 226, 227, 232, 234, 244 Guastalla, 415 Gubbio, 434 Guglielmo Sirleto, 387, 441, 454, 456, 459, n. 143, 461 Guglielmo Traversagni, 22 Guibert de Tournai, 257 Guichardin, 90, 94, 471, 473 Guido Ferreri, 435, n. 11 Guido Vernani da Rimini, 31, n. 71 Guillame de Bellay, 276, n. 22 Guillaume Budé, 470 Guillaume Cop, 471 Guillaume d’Estouteville, 9, 281 Guillaume d’Occam, 262 Guillaume Durand, 256 Guillaume Fichet, 244, n. 20, 245, 261 Guillaume Peyraut, 257 Guillaume Postel, 409-431, 474 Guillaume de Moerbeke, 8, 152 Guillaume de Salvarville, 154 Guinifforte Barzizza, 42 Henri de Herp, 258 Henri Estienne : 471 Henri II, 271 Henri V d’Angleterre, 34 Henri VIII Henri Institoris, 256, n. 16 Henri de Gorkum, 256, n. 16 Hercule, 4 Hermès, 304 Hernan Colomb : 311 Hérodien, 259 Hilaire de Poitiers, 395 Hildegarde de Bingen (sainte), 430 Hipparque de Bithynie, 460 Homère, 445 Hongrie, 88 Honorato Juan, 374 Horace, 131, 259, 304, n. 43 Hugues de Saint Victor, 244 Hugues Ethérien, 150 Humfrey de Gloucester, 172 Iacobus Omphalius, 373 Iacobus Pontanus, 376 Iacobus Sambucus, 373 Imola, 221 Innocent III : 265 Innocent VII, 33, n. 85, 97, 100, 101

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INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Innocent VIII, 27, n. 53, 36, n. 109 Ionnes Niess, 377 Ioannes Rethius, 389 Isaac, 92, n. 78 Isabel Briceno, 332 Isabelle d’Aragon, 303 Isabelle de Portugal, 328 Isabelle del Balzo, 302 Isidore de Séville, 233, 258 Issac (abbé), 268 Jacopo Bonfadio, 36, 332 Jacopo Facciolati, 377 Jacopo Sadoleto, 279, 316, n. 69, 362, 466 Jacopo Sannazaro, 108, 291, 292, 298, 299, 300, 301, 304, 305, 306, 307, 309, 310 n. 59, 311, 312, 313, 315, 319, 369, 470, 472 Jacopo Périon, 362 Jacopo Tintoretto, 425 Jacopo Tornaquinci, 127 Jacopo Zeno, 108 Jacques Angeli, 240 Jacques de Pamèle, 383, 400 Jacques de Vitry, 26, 28 Jacques Lefèvre d’Étaples, 30, 292, 470 Jacques Sadolet, 279, 310, 368, 473 Jason de Mayno, 255 Jean XXII, 19 Jean XXIII, 97, n. 2 Jean Baptiste Trovamala, 257 Jean Boutillier, 256 Jean Capreolus, 248, 257 Jean Cassien, 258, 268, 272 Jean Chrysostome (saint), 152, 155, 161, 162, 163, 398, 450, 460, n. 153 Jean Damascène (saint), 449, 451 Jean Colonna, 155, 156 Jean Conti, archevêque de Nicosie, 156 Jean d’Antioche, 159 Jean de Maurroux, 159 Jean de Montreuil, 260 Jean de Plancarpin, 265 Jean de Salisbury, 244 Jean de Saluces, 242 Jean de Torquemada, 159, 161, 162, 180 Jean de Vitrolles, 24, 248 Jean du Bellay, 270 Jean Gerson, 3, 32 Jean François Pic de la Mirandole, 6, 7, 12, 35, 292 Jean Guiraud, 465 Jean Heynlin, 261 Jean Hus, 32, n. 83

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Jean Isnard, 241, 245, n. 22 Jean l’Aumônier (saint), 451 Jean Ley, 150, 159, 160, 161, 162 Jean Matal, 388 Jean Oecolampade, 329 Jean Raguse, 162 Jean de Sanminiato, 45 Jean Serra, 203, 242, 246 Jean V, 154 Jean-Évangéliste d’Averse, 270 Jeanne d’Arc, 426 Jérôme (saint) : 4, 9, 123, 124, 126, 136, 290 Jeronimo Osorio da Fonseca, 362 Jeronimo Zurita, 374 Joachim Camerarius, 372, 373 Joachim de Fiore, 409 Johann August Ernesti, 379 Johann Georg Walch, 377, 378 Johannes Cochlaeus, 362 Johan Goritz, dit Corycius, 287 Johannes Olzina, 229 Johannes Reuchlin, 292, 468 Johannes Roth, 107 John Colet, 469 John Whethamstede, 168 John Wyclif, 206 Joseph Jouvancy, 377 Joseph Roserot de Melin, 280 Josse Bade Ascensius, 253, 471 Josse Clichtove, 277 Jean Jouffroy, cardinal, 177 Jourdain de Saxe, 47, n. 16 Jules César, 213, 259 Juan de Torquemada, 171, 176, 180 Juan Ginés de Sepulveda, 330, 334, 374 Juan Maldonado, 334, 374 Juan Valdés, 327-347, 374, 471, 474 Jules César Scaliger, 312, 466 Jules II, 11, 15, 292, 310, 349, 410 Jules III, 437, 462 Julia Gonzaga, 331, 333, 335, 343 Julien della Rovere, 245, n. 24 Julien, duc de Nemours, 312 Juste Lipse, 396 Juvénal, 259 Karl Nâgelsbach, 378 Kaspar Schoppe, 376 Konrad Peutinger, 470 Lactance, 10, 182, 233 Lancellotto Politi, 460 Landolfo Colonna, 156

INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Lapo Birago, 178 Lapo da Castiglionchio, 79-83, 215 Larino (évêché de) : 158 Latran V, 238, n. 123 Latino Latini, 381-408, 467, 474 Lauingen, 470 Laurent Garin, 275 Laurent le Magnifique, 6, 20, 36, 118, 120, 142, 145, 252, 266, 290, 312, 467 Lazzaro Bonamico, 366 Lecceto, 131, 137, 140 Lefèvre d’Estaples, 385 Leon Battista Alberti, 9, 92, 104, 124, 126, 187, 191, 192, 197, 199 Léon Le Grand, pape, 258 Léon Toscan, 150 Léon X, pape, 22, 91, 236, 254, 284, 285, 290, 308, 311, n. 59, 312, 349, 351, 433, 445, 467 Léonard Matthieu d’Udine, 257, 263, 264, 267 Leonardo Bruni, 8, 10, 33, 37, 67, 68, 69, 75, 77, 98, 101, 103, 132, 183, 222, 223, 225, 226, 227, 337 Leonardo di ser Uberti, 110 Leonardo Mansueti, 110, 171, 175, 180 Leonardo Pisano, 460 Leopolis, 88 Lerida, 388 Lérins, 271, 272, 273, 276, 278, 279 Ley, 158 Limoges, 157 Lionel d’Este, 169 Lipsia, 110 Lodovica Torelli, 414 Lodovica Beccadelli, 437 Lope de Olmedo, 123, 124 Lorenzo da Prato, 34 Lorenzo Maiorano, 299 Lorenzo Palmireno, 374 Lorenzo Torrentino, 450, 453 Lorenzo Valla, 7, 26, 75, 77, 83, 101, 108, 201-238, 244, 247, 466 Louis (saint) : 265 Luc (saint), 63 Lucain, 259 Lucca da Penne, 72, n. 27 Lucia da Narni, 89 Lucien de Samosate, 341 Lucrèce, philosophe antique, 297 Ludolphe de Saxe, 254, 258, 262 Ludovico Barbo, 45 Luigi Lippomano, 451 Luigi Marsili, 3, 41, 122, 127, 216, 217, Luis Vives, 329, 334, 344, 470, 473, 474

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Lycidas, 307 Lyon, 151, 152, 153, 446, 472 Machiavel, 14, 87, 90, 236, 436, 473, 471 Macri 393 Macrobe, 183, 259 Madrid, 154 Madruzzo (cardinal), 15 Maffeo Vegio, 67, n. 10, 202 Mayence, 217 Mahomet, 14, 30 Maiorano, 398 Malipiero, 180 Mantoue, 127, 279 Manuel Calécas, 153, 162 Manuel I, 150 Manuel Chrysoloras, 98, 222, 387 Marcantinio Colonna, 385 Marc-Antoine Muret, 443 Marcel II, 434, 463 Marcello Cervini, 15, 433-463, 466, 474 Marcello Virgilio Adriani, 436 Marco Antonio Flaminio, 332, 339, 344 Marco Barbo, 177, 234, n. 113 Marco Girolamo, 11 Marco Parenti, 142 Marguerin de la Bigne, 396 Marguerite de Navarre, 276 Maria Francesca Tiepolo, 409 Maria Sforza, 41 Mariano de Genazzano, 296, 302 Mariotto Allegri, 128, 143 Marseille, 472 Marsile Ficin, 5, 86, 141, 218, 259 Marsile de Padoue, 90 Martial, 259 Martin de Pologne, 155 Martin Luther, 7, 277, 371 Martin V, 11, 97, 100, 103, 104, 127, 153, 226 Marzello Palingenio, 91, 93 Masius, 387, n. 36 Mathieu Devaris, 446 Mathieu (saint), 7, 63, 356 Matteo da Camerino, 109 Matteo da Reggio, 18, n. 5 Mattia Palmietri, 107 Maxime le Confesseur, 450 Maximilien, 310 Mayence, 264 Médicis (famille) : 6, 148, 349, 436, 463 Mélanchthon, 330, 373 Melchior Cano, 346, 362

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INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Mélibée, 307 Meynier d’Oppède, 278 Michel Cérullaire, 153 Michel de Carcano de Milan, 258 Michel Magnien, 466 Michel VIII Paléologue, 151, 153 Michelangelo Pini, 141 Michele De Santa Maria degli Angeli, 119 Michele Marullo Tarcaniota, 35 Michelet, 465 Milan, 10, 109, 135, 218, 284, 471, 414 Milopotamos, 454 Molfetta, 446 Monique, mère de saint Augustin, 122 Monréal (cardinal), 336 Mont Cassin, 269, 454, 458 Montpellier, 239, 241, 242, 247, 472 Naples, 230, 231, 296, 297, 299, 300, 303, 304, 306, 307, 308, 310, 311 Napoleone Orsini, 215 Narbonne, 154 Nègrepont, 153 Niccolini da Sabbio, 445 Niccolò (cardinal), 444 Niccolò Acciaiuoli, 215 Niccolò Arcimboldo, 78, n. 46 Niccolò Ardinghelli, 435, 437, 443, 453, n. 99 Niccolò Modrussiense, 21 Niccolò Niccoli, 5, 24, n. 38, 34, 37, 68, 102, 118, 169, 170, 183, 219, 225 Niccolò Ridolfi, 461 Niccolò Lapi da Uzzano, 129 Nicée, 149, 151, 355 Nicola, comte Orsini, 215 Nicola de Cotrone, 151, 152 Nicolas V, 11, 26, 77, n. 44, 105, 106, 107, 108, 111, 112, 184, 203, 206, 231 Nicolas de Biard, 257 Nicolas de Clamanges, 260 Nicolas de Cues, 4, 39, 162, 170, 179 Nicolas Sophianos, 445 Nicole Obrey, 425 Nicolò Maiorano, 388, 446, 447, 449, 451 Nicolas de Lyre, 292 Nicosie, 156 Nola 333 Numa, 86, 90, 317 Ognibene da Lonigo, 178 Origène, 290 Orphée, 302

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Orvieto, 154 Otrante, 333 Ottaviano Raverta, 454, n. 112 Ottavio Pantagato, 387 Ottovia Niccoli, 410 Ovide, 45 Oxford, 2, 361 Pier Paolo Vergerio l’Ancien, 223, 225 Padoue, 2, 217, 221, 227, 238, n. 123, 349, 414, 419 Palingène, 93 Pallas, 302 Paola Antonia Negri, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 471 Paolo Cortesi, 173, 462 Paolo di Venezia, 415 Paolo Giustiniani, 144, 145 Paolo II, 36 Paolo III, 414, 415, 420, 425, 427, 431 Paolo Maffei, 41, 111 Paolo Manuzio, 362, 443, 449, 451, 453 Paolo Selmi, 409 Paramellus, 305 Paris, 47, 55, 146, 147, 154, 280, 394, 451, 472 Paul (apôtre), 274, 351, 356, n. 35, 451 Paul II, 12, 88, 168, 176, 177, 178, 179, 185, 433 Paul III Farnèse; 331, 332, 335, 434, 435 Paul IV, 387, 388, 466 Pedro Chacón, 390 Pedro de Alba, 329, n. 7 Pedro de Toledo (don), 330, 332 Pedro Ferriz, 171 Pedro Perpiny, 376 Péra, 153 Perpetua, 123 Perpignan, 239 Pérouse, 182 Petracco (ser), 210 Pétrarque, 2, 4, 7, 65, 67, 79, 89, 123, 127, 32, 136, 206-224, 241, 244, 245, 291, 305, 465, 471, 472 Petriolo, 26 Petrus Fontidonius, 362 Phalère, 452 Phébée-Diane, 302 Philip Melanchthon, 371, 443 Philip Norreys, 30 Philippe de Costeria, 244 Philippe Le Bel, 265 Pie II, 99, 100, 144, 169, 349, 467 Pie IV, 388, 394

INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Pier Candido Decembrio, 9, 78, 85, 104, 172, 173, 182, 218, 227 Pier Francesco Zini, 451 Pier Paolo Vergerio, 9, 221, 222 Piero Valeriano, 291, n. 12, 314, 315 Piero Vettori, 435, 447, 462, 463 Pierre Bohier, 154, 155, 158 Pierre (saint), 154 Pierre Canisius, 401 Pierre Chrysologue, 392 Pierre d’Ailly, 28, 32, n. 38 Pierre Damien, 120 Pierre de Blois, 244 Pierre de la Palud, 257 Pierre de Lassonia, 245, n. 22 Pierre Du Puy, 252 Pierre Flamenc, 24, 244, 241, 248 Pierre Imbart de la Tour, 465 Pierre Lombard, 283 Pierre Mamoris, 256, n. 16 Pietre Gravina, 309 Pietro Barbo, 177, 185 Pietro Barozzi, 238, n. 123 Pietro Bembo, 308, 314, 315, 316, n. 64, 334, 341, 362, 367, 373, 437, n. 20, 461 Pietro Carnesecchi, 332, 333 Pietro del Monte, 168, 178, 182-185 Pietro di Castelletto, 218 Pietro Dolfin, 120 Pietro Donato, 170 Pietro Garcia, 113 Pietro Marsi, 113 Pietro Martire Vermigli, 332 Pietro Massaleni, 144 Pietro Summonte, 306 Pietro Teutonico, 144 Pietro Vettori, 433-463 Pinelli (correspondant de Latino Latini), 384, n. 17, 385, n. 23, 390, 391, 392, 397, 400 Pise, 80, 390 Pizolpasso, 136 Platon, 6, n. 35 p. 13, n. 35, 23, 223, 259, 284, 297, 299, 452 Plaute, 259 Plessis-lès-Tours, 298 Pline, 259, 460 Plotin, 259 Pogge, 5, 11, 24, 32, 33, 37, 67, 99, 102, 122, 126, 133, 135, 175, 183, 185, 219, 220, 227, 230, 236, 471 Poitiers, 157 Polimore 473 Pologne, 88

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Pomponazzi, 9, 236 Priscien, 263 Properce, 259 Prospero Colonna, 175 Ptolémée, 460 Pythagore, 284 Quintilien, 259 Rabelais, 52 Radewijns, 258 Raffaele de Pornassio, 112 Ranuccio Farnese, 385, n. 20 p. 437 Raoul Le Verd, 252, 268 Raphaël, 287, 291 Raymond de Capoue, 56, 63 Raymond Sebond, 240 Reggio Calabria, n. 5 p. 18 Reggio Emilia, 333, 434, 437 Reginald Pole, 368 Réginald, archevêque de Reims, 137 Reims, 157 Rhenanus, 383, 384, 386, 391, 392 Ridolfi, 444 Rinaldo degli Albizzi, n. 12 p. 68, 118 Rinuccio da Castiglione, 107 Robert Caracciolo de Lecce : 258 Robert Estienne, 386 Robert d’Anjou, 209, 212, 214 Roberto de’ Bardi, 209 Roberto Grossatesta, 225 Roberto Strozzi, 233 Rodez, 248 Rodolfo Pio, 458, 461 Rodolfo Pio de Carpi, 385 Rodrigo Sanchez, 234, n. 13 Roger Ascham, 373 Rolande de Crémone, 53 Rolevinck, 260, 267 Rome, 5, 11, 1, 19, 27, 29, 36, 73, 77, 78, 81, 100, 123, 152, 154, 175, 182, 208210, 219, 239, 258, 270, 281, 282, 285, 286, 304, 306, 309, 310, 311, 245, 330, 381, 385, 433, 452, 394 436, 437, 445, 455, 470 Romolo Amaseo, 462 Romuald, 120 Rouen, 157 Rutilius, 443 Rotterdam, 15 Sacchetti, 71 Saint Albans, 168 Saint Bonnet le Château en Forez, 252 Saint-Denis, 157

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INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Saint Jacques de Compostelle, 156 Saint Jean de Jérusalem, 79, n. 48 Saint-Omer, 400 Sainte Croix de Jérusalem, 434, 444 Sainte Justine de Padoue, 45, n. 8, 73, 123, 269, 270, 271, 469, 474 Saint-Honorat de Tarascon, 271 Saint-Jean-de-Latran, 387 Saint-Marcial d’Avignon, 245 Saint-Victor de Marseille, 280 Salerne, 385 San Barnaba di Venezia, 415 San Benedetto Polinore, 270 San Felice, 333 Santi Pagnini, 470 Savonarola, 21, 22, 40, 410 Scipione, 387 Scipione Maffei : 400 Scolastique de Bectoz, 271, 276 Sébastien Brant, 259 Sebastiano Delio, 456 Sebastianus Conradus, 443 Sénèque, 259 Sercambi, 71 Servius, 286, n. 5 Sessa Aurunca, 296 Sicco Polenton, 36, n. 115 Sienne, 127, 128, 433, 455, 460 Sirizni, 353 Sirleto, 398, 435, 447, 454, n. 17, 456 Sixte IV, 20, 176, 178, 245, n. 24 Sisyphe, 49 Sitia, 454 Solin, 183 Sorrente, 33, 299 Stace, 259 Stanislaus Hosius, 362 Stefano Niccoline da Sabbio, 451 Stefano Porcari, 111 Strabourg, 19, 385 Stunica, 364 Sylvestre (pape), 284 Symeon Métaphraste, 451 Tacite, 259 Tantale, 49 Tarascon, 271, 272, 275, 473 Teodoro Gaza, 234, n. 113 Terracina, 201, 228 Théocrite, 306, 309 Théodore Laskaris, 151 Théodoret, 450, 451 Thérèse d’Avila, 328, 345 Thomas d’Aquin, 9, 51, 53, 55, 110, 150, 151, 152, 160, 162, 191, 256, 267

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Thomas Britannus, 225 Thomas More (saint), 362 Thucydide, 259, 263 Timoteo Maffei, 108, 111 Tite Live, 208, 259 Titus de Bostra, 392 Tom Wolfe, 167 Tommaso di Eccleston, n. 58 p. 28 Tommasso Grossatesta, 28 Tomasso Parentucelli, 172 Tommaso Caloria, 211 Tommaso Giustiniani, 348-359, 469 Tommaso Inghirami, 15, 370, n. 5 Tommaso Parentucelli, 173 Torrentino, 453 Torres, 338 Toscane, 136, 210 Toulouse, 47, 239, 241, 242, 248, 472 Trente, 385, 447 Troyes, 280 Turin, 242 Ugo Benzi da Siena, 191 Ugolino Verino, 144 Ulisse Aldovrandi, n. 25 p. 385 Ulrich von Hutten 470 Ulysse, 310 Urbain VIII, n. 5 p. 382 Urbain II, 265 Urbain IV, 151 Urbain V, 1547 Urbin, 312 Valence, 252, 472 Valère Maxime, 259 Valier, 462 Valla, 8, 9, 84, 85, 191, 201, 202, 203, 204, 228, 229, 230, 232, 234, 471 Vallombrosa, 72 Varron, 219 Venise, 44, 93, 118, 119, 259, 343, 386, 394, 412, 413, 415, 445, 446, 451, 455, 461 Vérone, 414, 418, 451 Vespasiano da Bisticci, 127, 146, 147, 175, 178, 179, 182, 218 Vésuve, 299 Vicence, 471 Vicenza da Valgrisio, 413, 414 Vincenzo Querini, 349-360, 469 Vico Galeazzo, 332 Vienne, 330 Villena, 327 Vincent Barral, 273

INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Vincent de Beauvais, 155, 207 Vincenzo Borghini, 457 Virgile, 45, 132, 212, 217, 306, 297, 308, 317 Viterbe, 152, 382, 393 Vittoria Colonna, 333 Vittorino da Feltre, 127 Voltaire, 1

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William Cecil, 361 William Flete, 139 Wimpheling, 259 Windesheim, 257 Wittenberg, 474 Wittenberg Friedrich Taubman, 377 Zagarolo, 385, n. 20

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RÉSUMÉS

Remo L. GUIDI, Frati e umanisti : ragioni di un conflitto, 17-42. I Mendicanti, e soprattutto i Francescani, nel Quattrocento si trovarono nell’occhio del ciclone, ad opera degli ecclesiastici e degli Umanisti, e per ragioni diverse. I primi, che furono di gran lunga più radicali e temibili, li contestarono per la loro invadenza e le larghe esenzioni ottenute dai pontefici, che in pratica li sottraevano ad ogni verifica della gerarchia. I secondi avversarono le frange corrotte dei claustrali, ma la radice della loro opposizione poggiava sul fatto che i frati si facevano espressione di una cultura diversa dalla loro (che essi non compresero, e anzi negarono); in tal senso la polemica non poté coinvolgere, come a torto si ripete, tutti i frati perché nel loro novero figuravano elementi di spicco del revival, ed altri erano incolti per prendevi parte. Lo scontro, invece, avvenne con i maestri di spirito e fu fortemente ideologizzato, perché da parte laica si rivendicava il diritto a una più ampia autonomia, una dignità che non fosse sancita dalla divisa indossata, e una maggiore considerazione per gli aspetti laici della vita. Se l’Umanesimo si fosse esaurito negli orizzonti retorici, questa importantissima polemica non avrebbe avuto senso.

Anne RELTGEN-TALLON, L’observance dominicaine et son opposition à l’humanisme : l’exemple de Jean Dominici, p. 43-62. L’œuvre de l’observant dominicain Jean Dominici, et notamment sa Lucula Noctis (1405), est l’exposé le plus célèbre, mais également le plus précoce et le plus systématique des raisons de la méfiance, voire de l’hostilité de la plupart des membres de son ordre envers l’humanisme naissant. Celles-ci ne s’expliquent nullement par de quelconques réserves vis-à-vis de l’activité intellectuelle, ni même de l’étude des auteurs de l’Antiquité classique, fussent-ils païens (à l’exception toutefois des poètes, selon un procès déjà anciennement intenté contre eux) : tout cela fait au contraire partie de la formation élémentaire des Prêcheurs. La critique porte plutôt sur les buts assignés par les lettrés italiens à un tel programme pédagogique, et en fait sur leur élitisme auquel le dominicain oppose, en bonne théologie catholique, une conception beaucoup plus solidaire du genre humain.

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Patrick GILLI, Les formes de l’anticléricalisme humaniste : anti-monachisme, antifraternalisme ou anti-christianisme?, p. 63-95. Y-a-t-il une singularité de l’anticléricalisme humaniste en Italie? Autrement dit, la critique adressée à l’Église et à ses diverses institutions par les lettrés du XVe siècle se distingue-t-elle des formes non moins répandues d’anticléricalisme diffus comme il s’en trouve facilement dans la littérature et la vie sociale de l’Italie tardo-médiévale? Par une approche typologique des diverses composantes de la critique, on peut se rendre compte des innovations les plus radicales en la matière opérées par les humanistes. Innovations qui peuvent aller jusqu’à une approche instrumentale de la fonction de la religion dans la société. Reste que, par delà la violence des propos, l’anticléricalisme humaniste n’a guère menacé le cœur de l’institution, tant la proximité avec la curie et la papauté, principal marché du travail des lettrés, désamorçait la portée de la dénonciation.

Concetta BIANCA, La curia come domicilium sapientiae e la sancta rusticitas, p. 97-113. Con il ritorno della curia a Roma sotto il pontificato di Martino V inizia ad affermarsi una ben delineata tendenza di opinione, supportata dallo stesso pontefice e dai curiali più rappresentativi, quella cioè di presentare la stessa curia come un «porto sicuro», un luogo dove i dotti possano confluire in modo stabile, al duplice scopo di dare lustro alla città di Roma, sede del papato, e di poter approfondire, nella tranquillità, il corso dei propri studi. Questa tendenza si viene necessariamente a scontrare con altre posizioni, fondate soprattutto sul richiamo alla «rusticitas» e sulla necessità di seguire studi strettamente religiosi e professionali per chi fa parte degli ordini e della ecclesia in genere. In concomitanza con il prevalere degli assertori della potestas pontificia, alla fine del XV secolo, sembra però affermarsi stabilmente la teoria della curia come «domicilium sapientiae et eruditionis».

Cécile CABY, L’humanisme au service de l’observance : quelques pistes de recherches, p. 115-148. Le but de cette contribution, largement programmatique, est de tenter de comprendre comment certains aspects du renouvellement des méthodes du savoir et du bouleversement de la hiérarchie des connaissances constitutifs de la culture humaniste furent utilisés au service de la promotion d’un mouvement de réforme interne des ordres religieux à la fin du XIVe et au XVe siècle. Dans l’immédiat, un certain nombre de terrains d’enquête ont été privilégiés dans le cadre de deux ordres, celui des Camaldules et celui des ermites de saint Augustin : la constitution et le fonctionnement des réseaux interpersonnels à l’intersection entre pratique politique, culture humaniste et réforme ecclésiastique; certains thèmes privilégiés communs aux différents milieux, comme la récogni-

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tion du passé en vue de sa restauration, les vertus salvatrices des études, ou encore la rencontre entre l’otium intellectuel et l’ascétisme à travers le réinvestissement humaniste et lettré de la solitude érémitique.

Claudine DELACROIX-BESNIER, L’ouverture de l’Église latine à la patristique grecque, p. 149-165. Alors que les relations entre les deux Églises se sont multipliées depuis le milieu du XIIIe siècle, il s’agit d’évaluer la prise en compte de la patristique grecque par les auteurs latins. Cette évaluation est réalisée à partir de deux traités écrits par des Frères prêcheurs et restés inédits et se fonde sur leurs systèmes de références respectifs. L’un est anonyme, écrit par un frère partisan de la thèse conciliariste en 1387, l’autre par un tenant de la thèse opposée en 1437/38. Le traité anonyme montre davantage une admiration pour l’Église grecque qu’une véritable prise en compte de sa patristique. En revanche, le traité de 1437/ 38 présente un certain nombre de citations des pères grecs. L’ouverture de l’Église latine est donc réelle mais assez limitée. L’auteur le plus cité est Jean Chrysostome, déjà bien connu des auteurs latins. De même, l’étude de ces traités montre, malgré la permanence de pratiques médiévales, comme l’utilisation de florilèges, que l’humanisme se dessine dans les deux traités par la dénonciation des apocryphes et la recherche de textes authentiques.

David RUNDLE, The two libraries : humanists’ ideals and ecclesiastics’ practice in the book-collecting of Paul II and his contemporaries, p. 167-185. This discussion of the manuscript-collections of high-ranking churchmen in fifteenth century Italy has a twofold purpose. First, it attempts briefly to outline what could be called a typology of book-collecting, comparing the prescriptive and descriptive comments of humanists with the practical activities of ecclesiastics. The typology discerns various styles of bookcollecting and various intentions underpinning them. This typology can be exemplified by a comparison between two related manuscript collections, and such a contrast is the purpose of the second part of the article. The collections are those of Pietro del Monte, bishop of Brescia (d. 1457) and Pietro Barbo, Paul II (1464-1472). It is demonstrated that Paul II’s library is much more indebted to del Monte’s manuscript-collecting activities than has previously been realised. Del Monte’s collection, moreover, is worthy of study in its own right, as he can be seen using his humanist skills in both reading and transcribing the works in his library.

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Diego QUAGLIONI, Il contributo della canonistica al primo Umanesimo : il De iure di Leon Battista Alberti (1437), p. 187-199. La storiografia recente ha riveduto i giudizi tradizionali sull’umanesimo giuridico, come frutto di una «influenza» dell’umanesimo sul diritto o come «connubio» del diritto con la filologia e la storia. L’umanesimo giuridico fu la manifestazione di una crisi del diritto nel sistema dei saperi nella prima modernità. In quella crisi la canonistica, come parte intima ed essenziale del discorso teologico e con la sua propensione a sfuggire al rigoroso formalismo dei civilisti, offre molti motivi ad un ripensamento in termini filosofici del diritto. Su quel terreno si attua un primo trasferimento della discussione sui principi del diritto sul piano della filosofia morale, dell’etica e della teologia. Di quel momento è esemplare il De iure di Leon Battista Alberti.

Riccardo FUBINI, Pubblicità e controllo del libro nella cultura del Rinascimento : censura palese e condizionamenti coperti dell’opera letteraria dal tempo del Petrarca a quello del Valla, p. 201-237. Il saggio considera genesi e sviluppi dell’umanesimo italiano dal punto di vista della pubblicità del libro, e con ciò del controllo censorio palese o coperto. Segnatamente tratta di Petrarca e del suo progetto rientrato di un’edizione solenne, di valore programmatico, dell’Africa e del De viris illustribus; quindi dell’intento, stavolta vittorioso, di L. Bruni di accreditare pubblicamente gli humanitatis studia; e infine del processo intentato dall’Inquisizione a Lorenzo Valla, bloccandone il progetto, un secolo dopo Petrarca, di consacrare con un’edizione riconosciuta la sua opera filosofica e metodologica più ambiziosa. In conclusione sono considerati alcuni scritti umanistici, portavoce di assunti istituzionali politici ed ecclesiastici, che, senza nominare l’autore, implicitamente ne correggono gli assunti più eterodossi.

Jacques VERGER, Peut-on parler d’humanisme dans les universités françaises du Midi avant 1500?, p. 239-249. L’humanisme n’a que marginalement pénétré dans les universités du Midi avant 1500 et on ne peut en relever que des indices modestes : quelques rares professeurs lecteurs de Pétrarque, quelques rares cours facultatifs de rhétorique, le souci parfois exprimé d’une plus grande correction grammaticale du latin pratiqué dans les écoles. Classiques latins et humanistes italiens ne se rencontraient qu’en petit nombre dans les bibliothèques et, dans les facultés des arts et les collèges, les enseignements à connotation humaniste étaient bien peu nombreux. Plus qu’une hostilité systématique aux idées nouvelles, c’est sans doute l’atonie intellectuelle de ces universités au XVe siècle qui est en cause.

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Pierrette PARAVY, Enquête sur la bibliothèque de François Du Puy, official du diocèse de Grenoble, puis prieur général de Chartreuse (fin XVe siècle), p. 251-268. Prieur général de l’ordre de 1503 à 1521, François Du Puy était entré en Grande Chartreuse en 1500, apportant avec lui le fonds important d’incunables (210 conservés à la Bibliothèque municipale de Grenoble) que cet éminent juriste avait constitué au long de sa carrière au service des évêques de Valence et de Grenoble. La composition du fonds montre la part importante du droit (57 titres, plus du quart du total). La théologie, science de Dieu entendue au sens le plus large (patristique, spiritualité, théologie scolastique, pastorale et sermons) tient une place essentielle, près de 40% du fonds, avec 80 titres, tous témoignant d’une égale attention à la tradition et aux spéculations les plus récentes des écoles de spiritualité. L’humanisme littéraire comprend 50 titres, entre éditions d’auteurs latins (30 ouvrages), traductions du grec (Aristote – Platon et Plotin traduits par Marsile Ficin) et 8 volumes de grands auteurs italiens. La comparaison de ce fonds avec ceux d’autres bibliothèques contemporaines montre la précocité de l’adhésion de François Du Puy à la nouveauté du siècle; elle le place à égalité avec Jean Heynelin (mort en 1492), fondateur avec Guillaume Fichet du premier atelier typographique en Sorbonne en 1470, avant de devenir lui-même chartreux à Bâle. Elle montre également l’importance du legs personnel fait à la Grande Chartreuse et permet la confrontation avec le fonds contemporain de la chartreuse de Cologne. Les notes de lectures figurant sur 72 ouvrages, plus du tiers du fonds, révèlent les méthodes de travail et les choix de François Du Puy. L’examen de ses œuvres personnelles permet de percevoir la mise en œuvre rigoureuse de ses connaissances et surtout de connaître les fondements d’une spiritualité de chartreux.

Marc VENARD, Humanisme monastique et réforme : Denis Faucher entre l’Italie et la Provence, p. 269-280. Denis Faucher (1493-1562), né en Provence, a fait profession religieuse dans l’abbaye bénédictine de Polinore, près de Mantoue. Il y a reçu une solide formation humaniste, qu’il transporte à Lérins, quand cette abbaye est réformée et rattachée à la congrégation de Sainte-Justine de Padoue. Moine lettré, auteur fécond de poèmes et d’écrits spirituels, c’est aussi un moine réformateur, qui s’avise de faire apprendre le latin aux moniales bénédictines de Tarascon, qui dépendent de Lérins. Toutefois, chez D. Faucher, le culte des belles lettres demeure toujours au service de l’idéal monastique, et s’épanouit dans une piété très affective envers le Christ souffrant. Il se montre par ailleurs très conscient des tares de l’Église de son temps. Certains traits qui le rapprochent d’Érasme et même de Luther n’empêchent pas qu’il ait toujours manifesté une ferme répulsion à l’égard de la Réformation protestante.

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Marc DERAMAIX, Renouantur saecula. Le quintum bonum du dixième âge selon Gilles de Viterbe dans l’Historia uiginti saeculorum et le De partu Virginis de Sannazar, p. 281-326. L’Historia viginti saeculorum inédite de Gilles de Viterbe (1469-1532) est une théologie de l’histoire. Le De partu Virginis (Naples, 1526) de Sannazar (Iacopo Sannazaro, 1457-1530) est un poème de la rénovation des temps. Obscur ou fameux, ils partagent la conviction que l’Italie des débuts du Cinquecento reproduit le siècle d’Auguste et l’accomplit sous forme chrétienne. Pour Gilles, ce saeculum inauguré par Léon X est annoncé par les découvertes, les victoires coloniales, le nouveau Saint-Pierre de Rome, l’essor des études hébraïques et l’efflorescence de la poésie religieuse latine, avec le De partu Virginis pour exemple. Aussi, après un exposé du système à l’œuvre chez Gilles, cet essai reconstitue-t-il les relations littéraires et spirituelles qui, de 1499 à 1521 environ, permirent l’invention d’un poème qui exalte les mêmes signes de la renovatio temporum que la théologie de l’histoire dont il partage la genèse.

Dominique DE COURCELLES, Juan de Valdés à Naples (1534-1541) : courtisan, philologue et réformateur spirituel, p. 327-347. Originaire d’Espagne, Juan de Valdés fréquente les milieux alumbrados, passe quelques années à l’Université de Alcalá de Henares, où il étudie les trois langues sapientielles, et séjourne à la cour impériale auprès de son frère Alonso de Valdés, érasmien secrétaire de Charles Quint. Il publie une Doctrina christiana proche des idées d’Érasme et de Luther et, se sentant alors menacé par l’Inquisition espagnole, il quitte l’Espagne pour se rendre en Italie en 1529. Il mène d’abord une vie de courtisan et de politique auprès du pape Clément VII, puis il s’installe à Naples en 1534, où il organise des coloquios espirituales auxquels participent les personnes les plus influentes de la société napolitaine, tant hommes que femmes, ecclésiastiques que laïcs, et de nombreux évêques italiens. Amoureux de la langue castillane, dont il déplore qu’elle manque d’une littérature propre, il est théoricien de la langue dans son Diálogo de la lengua, composé vers 1535, et il lie le développement de la langue castillane, apte à traduire les textes sacrés, à la réforme spirituelle. La philologie est une science spirituelle. L’histoire valdésienne apparaît donc comme une expérience historique complexe d’espaces et de temps spécifiques qui sont ceux de l’humanisme et de l’Église catholique romaine de l’Italie de la première moitié du XVIe siècle. À sa mort en 1541, Juan de Valdés laisse des disciples fervents qui se font ou sont faits porteurs de savoirs hérétiques qui lui sont attribués. Il devient le représentant de l’hérésie protestante au sud de l’Italie.

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Giuseppe ALBERIGO, Sul Libellus ad Leonem X degli eremiti camaldolesi : Vincenzo Querini e Tommaso Giustiniani, p. 349-359. Nel 1513 Giustiniani e Querini redigono a quattro mani e in breve tempo una proposta di riforma globale, indottivi dalla loro insofferenza per la condizione di decadenza della Chiesa e dell’imminente elezione del giovane cardinale Medici. Si tratta di una presentazione sistematica della visione della Chiesa dei due camaldolesi veneziani. Non è una proposta di «provvedimenti» né un progetto di «autoriforma». Il testo trascende il frequente «moralismo» degli scritti di questo genere per coinvolgere le stesse strutture ecclesiastiche, ridisegnando la Chiesa cristiana. Il testo, articolato in sei parti, è collocato nella prospettiva dei doveri del papa. La Ia parte è dedicata al Potere del papa e suo ufficio; la IIa riguarda la «Conversione degli idolatri e degli ebrei»; la IIIa tratta della «Conversione o sconfitta dei maomettani». Finalmente la IVa parte tratta della «unione al capo delle sette nazioni cristiane separate», mentre alla riforma dei cristiani che sono nella chiesa è dedicata la Va. L’analisi dell’aumento del potere temporale della Chiesa presso gli infedeli occupa la VIa e ultima parte.

John MONFASANI, Renaissance Ciceronianism and Christianity, p. 361-379. In his Ciceronianus of 1528 Erasmus tried to transform a literary quarrel between himself and the Ciceronians into a religious issue. Not only should we not take seriously his paranoid hostility towards the Ciceronians, but we should also understand that far from being vanquished by the Ciceronianus, Ciceronianism remained the dominant influence in the teaching of Latin throughout the Renaissance. The Jesuits played an important role in the success of Ciceronianism in Catholic lands into the eighteenth century, but no less so did many other non-Jesuit Catholic authorities. Similarly, the Protestant tradition of Ciceronianism can be traced into the eighteenth century from its beginning at the start of the Reformation in major figures such as Philip Melanchthon and Joachim Camerarius.

Pierre PETITMENGIN, Latino Latini, une longue vie au service des Pères de l’Église, p. 381-407. Latino Latini, un érudit bien oublié aujourd’hui, fut un connaisseur exceptionnel des Pères de l’Église latins, et en particulier de Tertullien. Pour l’acuité de son jugement critique, il soutient la comparaison avec le premier éditeur, Beatus Rhenanus, l’ami alsacien d’Érasme, mais il a fait l’essentiel de

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son œuvre dans un contexte tout différent, celui de la Rome post-tridentine. On s’efforce d’abord d’évoquer sa vie studieuse (et quasi casanière) et de retrouver son réseau de correspondants dans l’Europe de la Contre-Réforme, d’après des correspondances largement inédites. Elles permettent aussi de reconstituer la genèse de son principal instrument de travail, sa bibliothèque personnelle, conservée pour l’essentiel à l’Archivio capitolare de Viterbe (on donne en appendice l’inventaire de son fonds patristique). Les annotations dont il a rempli les marges de certains livres révèlent l’étendue de ses lectures et son talent de critique textuel et littéraire, qui fut mis à profit par la congrégation de l’Index. Toutefois la recherche de «principes nécessaires» pour l’établissement et la compréhension des textes anciens l’amène à des prises de position courageuses à une époque où l’on privilégiait avant tout l’orthodoxie.

Marion LEATHERS KUNTZ, Ruoli profetici nella Venezia del sedicesimo secolo : appunti storici tra maschi e femmine, p. 409-431. Nel presente studio saranno analizzate tre profetesse, Antonia Paola Negri, la Beata Chiara Bugni, e la Vergine Veneziana, che operano nella Venezia del Cinquecento in relazione alla profezia e al suo significato in quel secolo. La Vergine Veneziana ne riceverà più attenzione a causa della sua influenza enorme su Guillaume Postel, grand’umanista francese (1510-1581). La vita della Vergine Veneziana fonde passato e presente, per quanto concerne le cause femminili; era una profetessa che si rifiutava di essere ridotta al silenzio; progredì in una carriera basata su imperativi spirituali secondo sua propria formulazione. Essa proclamò il bisogno di uno stato e di una chiesa universali predicati su principi di fratellanza, charità, servizio ai poveri ed infermi, e lode a Dio. Fondò una cucina nel campo adiacente alla chiesa SS. Giovanni e Paolo e, alla fine, riuscì a raccogliere fondi dai ricchi Veneziani sufficienti a costruire un ricovero permanente dietro l’abside della grande chiesa. La Vergine Veneziana informò l’erudito Postello sui molti misteri che avrebbero portato alla restituzione universale. Rivelò sette profezie che dobbiamo ritenere di grande importanza, per quanto concerne le idee millenarie che circolavano a Venezia nel Cinquecento. Fra le profezie della Vergine Veneziana si trova che l’inizio della riforma del mondo avrà luogo a Venezia; che tutti coloro che hanno fede in Dio e nell’amore per tutto saranno segretamente benedetti; che verrà il tempo in cui tutti coloro che si sono perduti saranno restaurati, come se i genitori originali non avessero mai peccato; che ci sarà una «Pasqua» o, «Raccolta» universale. Ma la restituzione universale deve procedere dalla restituzione dell’individuo frammentato acciochè tutti diventino persone complete in unum ovile.

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Raphaële MOUREN, La lecture assidue des classiques : Marcello Cervini et Piero Vettori, p. 433-463. Les rapports entre hommes d’Église et humanistes sont étudiés à travers deux hommes exceptionnels : Piero Vettori, professeur florentin, et Marcello Cervini, devenu pape en 1555. Le cardinal Cervini a toute sa vie étudié les classiques, il a aussi profité de son rôle au sein de la Curie pour s’occuper de l’enrichissement de la bibliothèque Vaticane et mettre sur pied une entreprise d’édition de textes grecs, essentiellement patristiques. Parmi ses familiers, érudits, membres de la Curie, les réfugiés florentins apportèrent leur aide, comme le cardinal lui-même, aux projets d’édition de Vettori. L’intérêt pour la culture classique de Cervini, on le voit dans les correspondances et dans ses actions, était loin d’être anecdotique et il l’étudiait avec sérieux.

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TABLE DES MATIÈRES

Pages

Patrick GILLI, Humanisme et Église ou les raisons d’un malentendu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Remo L. GUIDI, Frati e umanisti : ragioni di un conflitto Anne RELTGEN-TALLON, L’observance dominicaine et son opposition à l’humanisme : l’exemple de Jean Dominici . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Patrick GILLI, Les formes de l’anticléricalisme humaniste : anti-monachisme, anti-fraternalisme ou anti-christianisme? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Concetta BIANCA, La curia come domicilium sapientiae e la sancta rusticitas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cécile CABY, L’humanisme au service de l’observance : quelques pistes de recherches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Claudine DELACROIX-BESNIER, L’ouverture de l’Église latine à la patristique grecque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . David RUNDLE, The two libraries : humanists’ ideals and ecclesiastics’ practice in the book-collecting of Paul II and his contemporaries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Diego QUAGLIONI, Il contributo della canonistica al primo Umanesimo : il De iure di Leon Battista Alberti (1437) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Riccardo FUBINI, Pubblicità e controllo del libro nella cultura del Rinascimento : censura palese e condizionamenti coperti dell’opera letteraria dal tempo del Petrarca a quello del Valla . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jacques VERGER, Peut-on parler d’humanisme dans les universités françaises du Midi avant 1500? . . . . . . . . . Pierrette PARAVY, Enquête sur la bibliothèque de François Du Puy, official du diocèse de Grenoble, puis prieur général de Chartreuse (fin XVe siècle) . . . . . . . . . . . . . . . Marc VENARD, Humanisme monastique et réforme : Denis Faucher entre l’Italie et la Provence . . . . . . . . . . . . . . . . .

1-15 17-42

43-62

63-95 97-113 115-148 149-165

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TABLE DES MATIÈRES Pages

Marc DERAMAIX, Renouantur saecula. Le quintum bonum du dixième âge selon Gilles de Viterbe dans l’Historia uiginti saeculorum et le De partu Virginis de Sannazar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dominique DE COURCELLES, Juan de Valdés à Naples (1534-1541) : courtisan, philologue et réformateur spirituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Giuseppe ALBERIGO, Sul Libellus ad Leonem X degli eremiti camaldolesi : Vincenzo Querini e Tommaso Giustiniani . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . John MONFASANI, Renaissance Ciceronianism and Christianity . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pierre PETITMENGIN, Latino Latini, une longue vie au service des Pères de l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Marion LEATHERS KUNTZ, Ruoli profetici nella Venezia del sedicesimo secolo : appunti storici tra maschi e femmine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Raphaële MOUREN, La lecture assidue des classiques : Marcello Cervini et Piero Vettori . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Marc VENARD, Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Résumés des communications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

489-497

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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