Phnomnologie et culturation 9782140299124

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Phnomnologie et culturation
 9782140299124

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ÉPIGRAPHE
DÉDICACE
AVANT-PROPOS
PRÉFACE
POSTFACE1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Chapitre 1 Tradition comme transmission et comme création

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Ouverture philosophique Collection dirigée par Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot Une collection d’ouvrages qui se propose d’accueillir des travaux originaux sans exclusive d’écoles ou de thématiques. Il s’agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions, qu’elles soient le fait de philosophes « professionnels » ou non. On n’y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu’habite la passion de penser, qu’ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques. Dernières parutions Abdallah BAKOUCHE, La philosophie arabe classique, Une lecture rationalisante de Mohammed Abed al-Jabri, 2023. Fabrice GUÉHO, La politique du bonheur de Robert Misrahi, 2023. Søren KIERKEGAARD, Miettes philosophiques Ou Une miette de philosophie, traduit du danois par Hélène Politis, 2023. Joël BALAZUT, Heidegger avec Lacan face au monde moderne, 2023. Marguerite El Asmar Bou Aoun, Le besoin de croire, 2023. Éric BWANGA MABUNDI, La pertinence du concept d’autonomie réciproque chez Jean-François Malherbe, Pour une approche dialogique entre la bioéthique procédurale et théologique, 2023. Sandrine ALEXANDRE, L’Attente, Ou l’art de perdre patience, 2023. Fabien TARBY, Métaphysique des abîmes, 2023. Fatié OUATTARA, De la crise de l’éducation. La rationalité comme principe de l’éducation à la liberté et à la paix chez Kant et Hegel, 2023. Hans COVA, Croissance, stagnation et crises financières. Essai sur les impasses du modèle néolibéral, 2023. Nicolas CESANO, La question du lien social. Essai sur les relations interpersonnelles, 2022.

Antoine-Dover Osongo-Lukadi

Phénoménologie et culturation Heidegger « interprète » de Max Scheler

Préface de Denis Bosomi Postface de Jean-Claude Bourdin

© L’Harmattan, 2024 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr/ ISBN : 978-2-14-029910-0 EAN : 9782140299100

ÉPIGRAPHE

« Ce sont les dangers de la guerre, ce sont les circonstances exceptionnelles de la vie qui révèlent le courage et l’homme courageux, personne n’est jugé héros simplement sur sa bonne mine ou sur ses discours (sauf quand la parole elle-même implique un engagement de tout l’être) ; on ne fait pas crédit à un héros virtuel s’il n’a jamais été que candidat ; l’héroïsme ne se lit pas d’avance sur le visage ou dans la démarche de ce petit ouvrier, de ce modeste fonctionnaire, dont on aura découvert après coup qu’il fut capable de l’abnégation la plus sublime face à un ennemi implacable » (Vladimir Jankélévitch, Le paradoxe de la morale, Paris, Seuil, 1981).

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DÉDICACE

À Monseigneur Albert YUNGU, feu Évêque honoraire du Diocèse de Tshumbe Sainte-Marie, dont la recommandation inattendue mais salutaire auprès de l’organisme boursier allemand d’Achen a permis le financement de mes recherches et études prédoctorales, doctorales et postdoctorales en philosophie respectivement à l’Institut Supérieur de Philosophie de Université Catholique de Louvain (Belgique) et au Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand du Départrement de Philosophie de l’Université de Poitiers, et dont le nom gravé en lettres d’or dans ma mémoire jusqu’à la fin de mon parcours sur cette terre des éphémères. L’auteur

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AVANT-PROPOS

« Les larmes qui coulent sont amères mais plus amères encore sont celles qui ne coulent pas. », dit un Proverbe Gaélique.

Les recherches que je présente ici et maintenant ont, de l’avis des plusieurs spécialistes avisés et avertis, une profondeur originale, novatrice voire inédite. Mais avant d’en faire la démonstration, elles ont une histoire. Et c’est cette histoire dont je me permets de retracer quelques lignes. L’une des tâches précise de l’herméneutique est de comprendre l’histoire, la vie et la psychologie de l’auteur dans sa tâche. Il s’agit d’un aspect subjectif qui ne peut tout renseigner ni sur la profondeur du travail qu’il a accompli ni sur son sérieux, mais tout au moins il renseigne sur les sentiments, les émotions, les conditions dans lesquels, l’auteur a mené, conduit sa recherche. Elles ont, donc, une histoire. Une histoire qui remonte à partir du Département de Philosophie de l’Université de Lubumbashi (Zaïre)1, au Département de Philosophie des Facultés Catholiques de Kinshasa (Zaïre)2, à l’Institut Supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain (Belgique), en Mémoire de Licence Complémentaire

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OSONGO-LUKADI A-D,. « Être et Pensée. Contribution critique à la compréhension de l’ontologie herméneutique de Martin Heidegger », mémoire de licence, juillet 1982, Université de Lubumbashi (Zaïre). 2 OSONGO-LUKADI A-D, « Martin Heidegger et le Mouvement Philosophique Africain. Recherche des incidences philosophico-politiques à partir d’une analyse thématique et praxéologique de la “Lettre sur l’humanisme”, mémoire du Diplôme d’Études Supérieures en Philosophie (D. E. S.), juillet 1990, Facultés Catholiques de Kinshasa (Zaïre).

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Préparatoire au Doctorat3, en Thèse Doctorale en Philosophie et Lettres4, jusqu’au Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand du Département de Philosophie de l’Université de Poitiers (France)5. Une histoire dont les premiers pas et balbutiements furent jetés en terres africaines de l’ancienne République du Zaïre, aux Facultés Catholiques de Kinshasa (aujourd’hui Université Catholique du Congo). En effet mon premier lecteur et ancêtre promoteur pressenti était Monsieur le Professeur Octave UGIRASHEBUJA (professeur des Facultés Catholiques de Kinshasa et de l’Institut St. Pierre Canisius). C’est à lui que je soumis cette intuition qui me conduisit jusqu’à tous ces développements majeurs auxquels on assiste aujourd’hui. Sa plus grande intelligence, ses analyses, ses remarques, ses observations, ses doutes en sont la preuve patente : « Je maintiens que le projet de thèse est valable. Mais je me permets d’attirer ton attention sur les points suivants pour la réalisation du détail de ton travail : premièrement, savoir humblement qu’aucune méthode ne peut prétendre être absolument la meilleure. La dialectique, l’herméneutique... sont des approches qui ont leurs mérites et leurs défauts. Il faut bien te rendre compte que tu ne pourras pas lire toute l’œuvre de Heidegger (même si elle était intégralement traduite en français) et que, par conséquent, il t’est impossible de percevoir le mouvement global de cette pensée (objectivement). Tu seras nécessairement amené à extrapoler à partir des quelques coordonnées. Systématiser une pensée c’est toujours, en quelque manière, la réduire à quelques lignes que l’on croit globalement explicatives. Donc là je crois qu’il faut perdre certaines illusions. Deuxièmement ta tentative de comparaison entre la praxiologie marxienne et ce que tu appelles “praxiologie heideggérienne” me semble pleine d’embûches. Il faut absolument préciser les notions. Il apparaît 3

OSONGO-LUKADI A-D, « Est-il possible de légitimer une philosophie pratique à partir de l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger ? Essai de “pratique éthique de la normativité”, mémoire de licence complémentaire préparatoire au doctorat, juillet 1993, Institut Supérieur de Philosophie, Université Catholique de Louvain (Belgique). 4 OSONGO-LUKADI A-D, « De la possibilité d’une philosophie pratique dans l’articulation de l’ontologie fondamentale de M. Heidegger à partir de sa “déconstruction” d’E. Kant. Prolégomènes à une “éthique de l’Aufenthalten” (dissertation doctorale, le mardi 22 décembre 1998, 16 heures 30-23heures30, Institut Supérieur de Philosophie, Université Catholique de Louvain (Belgique). 5 OSONGO-LUKADI A-D, « Les linéaments pratiques de l’ontologie fondamentale. Esquisse d’une interprétation thématico-praxéologique de Sein und Zeit comme prolégomènes à une “morale constative-explicative-descriptive” (dissertation d’habilitation à diriger des recherches, le lundi 28 avril 2008 de 14 heures à 20 heures), Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand, Université de Poitiers (France).

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clairement que la pensée de Marx va dans le sens de la métaphysique (pensée calculante, manipulatrice des étants, puisqu’aussi bien il n’y a que des étants), celle de Heidegger va à l’encontre (pensée méditante). Dès lors on peut en dégager une “éthique”, je veux dire les racines profondes d’un comportement éthique, mais pas une praxis au sens de Marx. Ou alors il faut un tour de force pour faire des méditations de Heidegger une philosophie de la transformation de la matière. Troisièmement Heidegger n’est pas poète : c’est un penseur proche de la poésie. Quatrièmement si tu veux absolument dégager une certaine “praxis” de cette pensée, il faut que tu lises : -J. M. Palmier, Les écrits politiques de Heidegger, L’Herne, Paris, 1968 : tu trouveras dans cet ouvrage une bibliographie suffisante pour savoir comment Heidegger passait de la pensée de Être à la praxis politique ; -Martin Heidegger Réponses et questions sur l’histoire et la politique, Mercure de France, 1977. Courage » (Octave Ugirashebuja, professeur Institut St. Pierre Canisius, BP. 3724, Kinshasa-Gombe, République du Zaïre, 1990). Une histoire montrant aussi qu’en dehors des études menées au département de Philosophie de l’Université de Lubumbashi (Zaïre) pour l’obtention du diplôme de Licence en Philosophie et Lettres (œuvre de jeunesse), où il était question d’interpréter l’Être en tant qu’Être comme ontologiquement, phénoménologiquement et herméneutique-ment un reflet de la pensée humaine, les autres études eurent deux préoccupations majeures constantes : premièrement la mise en œuvre d’un « dialogue interculturel » dans (ou à partir) de la pensée de Heidegger, et secondement la possibilité et/ou la fondation d’une philosophie pratique dans (ou à partir) de l’ontologie fondamentale comme analytique existentiale du Dasein de l’homme. Deux prétentions qui ont posé beaucoup de problèmes et d’interrogations aux grands disciples, commentateurs et interprètes de cette ontologie fondamentale, d’autant plus que Heidegger lui-même a démenti fermement avoir entrepris de philosophie pratique (éthique ou morale voire politique) et encore moins de philosophie de la culture. Cela d’autant plus que dans mon analyse et interprétation des « seinsweisen » (« manières d’être »), que j’ai nommées « handlungweisen » (« manières d’agir ») de l’être quotidien du Là et de l’échéance du Dasein » que sont : « le bavardage » (Das Gerede, SZ, § 35) ; « la curiosité » (Die neugier, SZ, § 36) ; « l’équivoque » (Die Zweideutigkeit, SZ, § 37) ; et « l’échéance et l’être-jeté » (Das Verfallen und die Geworfenheit, SZ, § 38) ; lesquelles « sous-manières d’être ou d’agir » relèvent de la structure de « l’être quotidien du Là et l’échéance du 11

Dasein »6, Heidegger avait été plutôt très clair en montrant que « Ce qui est exigé en premier lieu, c’est de rendre visible sur des phénomènes déterminés l’ouverture du On, c’est-à-dire le mode quotidien d’être du parler, de la vue et de l’explicitation. Par rapport à ces phénomènes, il ne sera peut-être pas superflu d’observer que leur interprétation a une intention purement ontologique, et qu’elle se tient à cent lieues d’une critique moralisante du Dasein, ainsi que de toute entreprise de « philosophie de culture (Mit Bezug auf diese mag die Bemerkung nicht überflüssig sein, dass Interpretation eine rein ontologische Absicht hat und von einer moralisierenden Kritik des alltäglichen Daseins und von « kulturphilosophischen » Aspirationen weit entfernt ist)7. Un avertissement plutôt net et clair que pour devoir y insister ou passer outre mesure les conseils et consignes de ses commentateurs les plus illustres et davantage encore de Heidegger lui-même. Difficile donc d’en dire mieux quand on débarque d’Afrique ! Comment alors oser penser l’inverse pour les « contredire ; la contradiction demeurant dans l’imaginaire collectif l’alpha et l’oméga du seul homme occidental en tant qu’il décide sur ce qui a raison ou tort. Ainsi imaginer débarquer en Occident avec des idées – même nouvelles ou osées – est tout simplement impossible. Culturellement parlant, le « dialogue » entre l’Europe occidentale et l’Afrique (dans tous les domaines) est en général « monologique ». C’est l’Occident qui dicte les règles. Qui les structure. Qui dit ce qui est vrai ou faux et ce qui est bien ou mal. L’Afrique n’a qu’à suivre, le Tiers) -Monde mêmement. Parce que de façon globale, elle n’a rien ni à montrer ni à proposer. En effet être africain, noir en plus, et débarquer en Europe avec une lecture différente de celle généralement courante, c’est s’attiser des quolibets, des refus, des interrogations. Parce qu’essentiellement l’Occident n’encense jamais les idées qu’il n’a pas produites ni générées encore moins. Il tient constamment, comme en football, à être au commencement et à la conclusion de l’action. C’est le triomphateur sublime et absolu. Tous ceux qui ne réfléchissent pas, ne 6

« L’intention de toute cette analyse reste ontologique ; elle ne doit surtout pas être confondue avec une dénonciation moralisatrice de certaines formes de comportement (SZ 167). Une autre question est de savoir si Heidegger lui-même a toujours réussi à respecter parfaitement cette consigne dans ses propres descriptions. » (GREISCH J., Op. cit., p. 216). Nous ne sommes pas prêt de le penser, du moins à notre avis. Et c’est d’ailleurs pourquoi nous nous évertuons à projeter ici une « morale constative » à travers certains existentiaux du Dasein. 7 Sein und zeit, p. 167, tr. fr., Martineau, p. 133 (Boehm et De Waelhens, p. 206, Vezin, p. 214).

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pensent pas, ne mangent pas, ne vivent pas et ne meurent pas comme lui sont contre lui et donc ses ennemis ! C’est cette paranoïa psychopathique voire obsessionnelle occidentale globale que Serge LATOUCHE désigne par « Occidentalisation du monde » et qui n’est pas, à mon humble avis, ni péjoratif ni injurieux ni encore moins stigmatisant, mais au contraire à la fois une remarque et une suggestion. En effet, dans son illustre ouvrage intitulé « L’occidentalisation du monde. Essai sur la signification, la portée et les limites de l’uniformisation planétaire », celui-ci explique comment « Au terme d’une histoire multiséculaire complexe, l’Occident s’est transformé en une “machine sociale” non contrôlable, ayant la certitude d’être universelle parce qu’elle est reproductible. Croissance illimitée des marchandises, multiplication des réseaux de communication, urbanisation intensive, changements techniques continuels, éclatement de la famillesouche, émancipation des femmes, Êtat-providence, scolarisation forcée, démocratie parlementaire : le modèle occidental est persuadé d’être le meilleur. Il joue de la fascination. Il joue de la fascination qu’il exerce sur les élites et les peuples pour s’exporter au Sud et à l’Est. L’universalisation du modèle se heurte pourtant à des résistances et à des obstacles de toute nature. Son triomphe même engendre des ferments de décomposition qui suscitent des alternatives possibles »8. Ce que dénonce Latouche se répercute dans toutes les facultés et tous les départements de philosophie en Belgique, en France. Alors qu’aux États-Unis et au Canada ça se passe différemment. L’étrangèreté ne suscite aucune peur, c’est même un avantage, mieux un plus, la diversité, l’universalité de la recherche est absolument respectée et sauvegardée. La parole est garantie. La pensée libérée. Tout le monde peut parler et afficher ses ambitions. Ce n’est pas le cas de l’Europe occidentale. Tout est mécanique. La racialisation de la science une envergure et sommation contre toute idée qui ne vient pas d’elle ou qu’elle n’a pas produite. L’Europe occidentale déteste la surprise. La totalisation de sa structure mentale lui en empêche résolument. Une culture monadique occidentale plutôt contre-productive dans la mesure où elle bloque la création, la production, l’invention et j’entends par-là, la régénération des idées. Il est interdit de prendre des risques. Il faut répéter et se répéter. Dans l’entretemps, tous mes collègues chercheurs ou doctorants qui ont immigré aux USA ou au Canada ont été traités comme personnes utiles et honorables 8 LATOUCHE S., L’occidentalisation du monde, La Découverte, Paris, 1989, 1992, 2005.

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aussi bien dans leurs universités respectives que dans leurs villes. Ce n’est pas du tout le cas pour nous autres qui avons choisi la Belgique, la France comme terres d’asile. Dans ces deux pays, malgré le discours officiel, le racisme scientifique est un mot d’ordre si ce n’est un mot de passe. Quand on lit attentivement l’avis donné par le promoteur pressenti de la Faculté de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain sur le projet de recherche doctorale que j’avais soumis, lequel a requis l’anonymat alors qu’il ne devait pas, s’il n’avait rien à cacher -, mon malheur serait certainement d’avoir choisi de travailler sur la philosophie pratique chez Heidegger où précisément s’agissant de l’aspect politique, je récusais le « nazisme » dont celui-ci est accusé et eu égard auquel aucun de ses accusateurs n’avait réussi ni à montrer ni à prouver son implication avérée dans le projet national-socialiste hitlérien ni encore moins sa culpabilité exacte. Ainsi, le fait d’y avoir travaillé, en le déculpabilisant à partir des arguments philosophiques quasi imparables relevant non des significations externes mais des arguments internes réfléchis trouvés dans ses textes, il me fut collé l’étiquette d’antisémite ! C’est la première fois qu’en France, me dis-je, - pays de la Déclaration universelle des droits de l’homme – qu’une telle sottise pouvait être sortie, qu’un Nègre – même naturalisé belge – puisse être antisémite ! Heureusement tant moi-même que beaucoup de citoyens belges et français – parmi lesquels des nombreux professeurs et scientifiques de tous bords - avaient compris que c’était une astuce toute imaginée pour me barrer la route de l’Enseignement supérieur et universitaire européen. Sans chercher à me faire passer pour un héros, je crois n’y avoir été qu’une des nombreuses victimes de la pensée unique9. Un nègre trop intelligent, qui propose, analyse, discute, projette n’est pas une bonne nouvelle. Il fallait me mettre les bâtons dans les roues. Au mieux m’écarter de toute responsabilité scientifique et académique. L’activité philosophique en Europe est un vase clos. Rien ne doit y filtrer. C’est entre les professeurs européens blancs et leurs étudiants ou élèves. Lors de l’année académique 1999-200 une charge de remplacement m’a été accordée à l’Institut Cardijn de Louvain-la-Neuve (Haute École de Formation Sociale Catholique) et où à l’occasion du cours de « Questions spéciales de Philosophie », j’ai mis dans ma poche le monde académique de cette haute école et bien entendu de l’Université Catholique de Louvain juste à côté. Malheureusement ça n’a jamais suffi pour en émouvoir plus d’une conscience. Parce que, sans doute, un Nègre est un Nègre. Même 9

KAHN J-K, La pensée unique, Fayard, 1995.

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hautement cultivé, en Europe, il reste à sa place, ou il rentre dans son pays même naturalisé. Point. C’est de notoriété philosophique qu’il n’y ait aucune chance pour un noir d’enseigner la philosophie en Europe. On me l’a confié. On me l’a dit et redit des fois. Mais je n’y ai jamais cru. Parce que j’ai toujours eu une confiance et une admiration presqu’« infaillibles » à l’homme eurooccidental blanc. C’est le modèle dont je m’en suis constamment identifié. Jusqu’à ce que j’en sois profondément déçu et vaillamment moqué par mes pairs africains noirs de la diaspora. Je me donnais tellement aux études, comme mes encadreurs euro-occidentaux, que je pensais qu’au final ils me remarqueraient et me donneraient un diplôme d’assiduité, en me faisant travailler près d’eux et avec eux. Malheureusement non seulement ceci ne vint jamais, mais au contraire une campagne orchestrée délibérément contre ma modeste personne et mes recherches, pourtant saluées unanimement par d’autres grands professeurs d’autres universités en Allemagne, en France, aux USA, au Canada, en Italie, pour me fermer drastiquement les portes de l’enseignement supérieur et universitaire eurooccidental ! Plus tard j’appris, au-delà des arguments totalement subjectifs sur le « nazisme » de Heidegger (pourtant inexistants chez Heidegger) sur lequel j’avais, entre autres, travaillé -, au point de courir le risque d’y être fait passé pour un des porte-parole et un électron libre sur le continent européen -, que l’autre argument le plus plausible émanait d’un préjugé culturel fondé sur les thèses négationnistes de Hegel sur l’Afrique et l’homme noir. Mais avant de rappeler ces thèses négationnistes, je commence de prime abord par la gravissime accusation portée contre ma modeste contribution heideggérienne où j’ai été présenté, surtout après la publication de mon livre intitulé « Heidegger et l’Afrique... » (AcadémiaBruylant, L’Harmattan, 2001), comme un éclaireur, pourtant totalement à tort, sur le « nazisme » de Heidegger ! Dans le Journal Le Monde.fr, on pouvait le lire sans aucun filtre. Ce n’est pas la rigolade. Une diffamation passée sous silence. Parce que, sans doute, la vie et la réputation d’un tout petit chercheur afro-noir ne compte pas. Pourtant l’antisémitisme est comme le péché mortel dont, par Adam et Eve, l’humanité entière est condamnée. Alors quand on est accusé gratuitement d’antisémitisme pas seulement par des ignares, des illuminés, des militants, des fanatiques aveugles et absolument irréfléchis, mais pas que aussi par des professeurs d’universités, dont la compétence en philosophie est tout simplement incontestable, comment quand on est qu’un petit nègre pouvoir espérer avoir meilleur sort en Europe et dans le monde ? 15

C’est ainsi que j’ai été presque surpris que dans le journal Le Monde, sous le titre « Lettre sur l’humanisme : vive Auschwitz ! (Heidegger), auteur nazi (II) Work in progress », qu’on me fasse un faux procès et pas que, très dangereux, dans la mesure où mon principal ouvrage sur les ouvertures interculturelles dans (et à partir) de l’ontologie phénoménologique et herméneutique de Heidegger, intitulé « Heidegger et l’Afrique- réception et paradoxe d’un “dialogue” monologique » a été, sans ménagement, purement et simplement associé aux discussions et controverses antisémites pro- ou anti- Heidegger et dont pourtant il ne se préoccupait nullement (cfr, PhiloBlog. Le Journal Le Monde.fr, 02/06/2007) ; un ouvrage pourtant salué tant pour l’originalité de la problématique soulevée (parce qu’inédite) que par la qualité et la pertinence de l’interprétation engagée sur cette question du « dialogue » interculturel chez Heidegger. Malheureusement ce n’était pas fini. Le même journal Le Monde.fr fit suivre un post-scriptum, sans doute, pour élargir, éclairer, révolter le plus grand nombre, alors que la controverse suscitée par son blogueur m’était non pas seulement étrangère mais également indifférente. En tout cas les commentaires laissés et publiés par le journal Le Monde étaient franchement à côté de la plaque, car très loin des motivations et déclarations contenues dans cet ouvrage-choc publié par L’Harmattan. Le monde scientifique connaît mon obstination à la vérité ; le monde sait que je n’ai jamais été un apologète même pas de Jésus-Christ mon idole, mon maître, mon chemin, ma vie et ma vérité, et nullement donc à tout jamais de personne même pas de Heidegger dont je suis un friand interprète, mais plutôt un petit homme honnête, objectif, digne et sincère. En conséquence, tous les propos tenus tant contre ma modeste personne que sur Heidegger ne sont jamais les miens, à telle enseigne que toute conscience digne, équitable, objective pourrait se demander où Le Monde était allé les chercher ou les trouver ? Ainsi autant donc moi-même que tant d’autres lecteurs avons parlé de faux procès pour mettre en avant le fait d’une propagande mal intentionnée dans l’unique but de me nuire dans l’obtention, mieux, dan une reconnaissance scientifique et académique d’un emploi correspondant à mes titres et qualifications dans l’enseignement supérieur et universitaire euro-occidental ? Avec recule on peut évidemment mettre en évidence la mauvaise foi du journal Le Monde, qui a accepté, sans se douter de son aura et des conséquences néfastes sur la carrière d’un chercheur africain noir, pourtant dynamique, courageux, intelligent et très talentueux, de publier les âneries de son bloggueur. Reste que les amalgames faits dans des déclarations de ce blogueur 16

farouchement anti-Heidegger (son droit le plus inaliénable) et publiées par Le Monde entre « les enfants-soldats qui tuent leurs familles en Afrique » sont totalement étrangères, mais pas que, absentes de ce que j’écris dans mon livre « Heidegger et l’Afrique » ! (Cfr, PhiloBlog. Le Journal Le Monde.fr, 02/06/2007). C’est le Journal Le Monde. Et ce n’est pas n’importe quel papier. C’est la voix de la France en Europe et dans le monde. Pourtant tous les lecteurs et chercheurs avisés de l’ontologie heideggérienne de bonne fois comprennent que ce qui est écrit est en cent lieues de mes préoccupations. On fait trop d’amalgames et de mélanges complètement insensés. Mais en même temps c’est la voix de la France qui me mélange à Hitler et ses sympathisants dont Heidegger, l’un des plus célèbres. L’antisémitisme fait peur partout. L’Université Catholique de Louvain, prise de panique, n’hésita l’ombre d’un iota à me refuser une bourse d’études, parce qu’il ne fallait tout simplement pas que je défende mon projet initial, supposé d’accointances avec le nazisme ! N’importe quoi. Mais la même crainte de se fâcher avec les juifs traversa l’Atlantique où l’éminent professeur Jean Grondin dût d’abord accepté de m’envoyer une invitation à y aller poursuivre mes recherches postdoctorales à ses côtés : « Cher Monsieur, la présente est pour vous inviter à faire un stage de recherches postdoctorales au Département de Philosophie de l’Université de Montréal, qui s’honorera et s’enrichira de votre présence. Aussi est-ce avec le plus grand plaisir que j’accepte d’agir comme votre conseiller. Veuillez agréer, cher Monsieur, l’expression de mes pensées les plus dévouées. » (Cfr, Jean Grondin, professeur, Département de Philosophie, Université de Montréal, Montréal, le 10 octobre 2000), avant de revenir sur sa décision, certainement dissuadé par ceux qui me prenaient, malencontreusement, pour le parolier du nazisme de Heidegger « Cher Monsieur, vos nombreux écrits des derniers mois ont fini par me convaincre que vous ne trouverez jamais au Département de philosophie de l’Université de Montréal ce que vous imaginez y trouver. Je vous conseille donc de renoncer à votre projet. Veuillez croire à l’assurance de mes sentiments les meilleurs. » (Cfr, Jean Grondin, professeur, Département de Philosophie, Université de Montréal, Montréal, le 4 décembre 2000). Mais il ne s’agit là que de mon petit cas. Car le pire est encore à venir lorsque dans sa « Raison dans l’histoire », Hegel expulse, exclut tout un continent et tout un peuple de l’histoire universelle entendue comme histoire de l’Esprit, non autrement identifiée comme histoire de la raison. Parmi ses thèses les plus insensées voire abjectes sur l’homme noir est 17

l’anhistorisme : « Dans cette partie principale de l’Afrique, il ne peut y avoir d’histoire proprement dite. Ce qui se produit, c’est une suite d’accidents, de faits surprenants. Il n’existe pas ici un but, un État qui pourrait constituer un objectif. Il n’y a pas une subjectivité, mais seulement une masse de sujets qui se détruisent. »10. Mais également la thèse sur la sauvagerie congénitale où Hegel montre comment « L’Afrique n’a pas de fin en soi, pas de but, pas d’État susceptible de constituer un objectif, et pas de subjectivité capable d’assumer le destin d’une nation ou d’un État, mais un assemblage d’hommes prêts à se « manger » les uns les autres, à se combattre, à s’entretuer ; bref à imaginer ce qu’il y a de pire pour l’humaine humanité. De fait, l’un des concepts hégéliens est celui de « l’esprit d’un peuple (Volksgeist). Rejetant d’un seul coup l’individualisme et le cosmopolitisme, Hegel saisit l’esprit concret comme esprit d’un peuple. Le tout que constitue un peuple n’est pas un assemblage d’individus, mais une communauté spirituelle, une réalité supraindividuelle. La religion est un des moments essentiels du génie d’un peuple : elle exprime la vie humaine plus concrètement que ne saurait le faire un moralisme abstrait. »11. Et, enfin, la thèse sur l’attachement quasi de l’homme afro-noir à la nature plutôt qu’à la culture selon laquelle « L’homme en Afrique, c’est l’homme dans son immédiateté. L’homme en tant qu’homme s’oppose à la nature et c’est ainsi qu’il devient homme. Mais en tant qu’il se distingue seulement de la nature, il n’en est qu’au premier stade, et est dominé par les passions. C’est un homme à l’état brut. Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour le comprendre, nous devons abandonner toutes les façons de voir européennes. »12. Que « Le “paradeisos”, est un parc habité par des animaux, dans lequel l’homme vivait lui aussi dans l’état animal et était innocent, ce que précisément l’homme ne doit pas être. L’homme n’est vraiment homme que lorsqu’il connaît le bien et, par suite, son opposé, que lorsqu’il s’est divisé à l’intérieur de lui-même. Il ne peut en effet connaître le bien que lorsqu’il connaît aussi le mal. C’est pourquoi l’état paradisiaque 10

DUMAS J.-L., « La postérité de Kant : Fichte, Schelling, Hegel », in Histoire des grandes philosophies, Toulouse, Edouard Privat, 1980, p. 241. p. 249. 11 DUMAS J.-L., « La postérité de Kant : Fichte, Schelling, Hegel », in Histoire des grandes philosophies, Toulouse, Edouard Privat, 1980, p. 241. 12 Ibidem, p. 251.

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n’est pas un état parfait. Cet état premier de perfection dont parlent les mythes de tous les peuples signifie que son fondement n’était que la détermination abstraite de l’homme. »13. Ainsi donc, quand on quitte son Afrique natale pour venir se mesurer aux philosophes occidentaux à l’occasion des recherches doctorales ou autres études de philosophie, ceux-ci n’attendent rien de leurs récipiendaires africains noirs, car ils sont intimement marqués par cette tâche d’« hommes naturels » que d’« hommes culturels ». Par conséquent ils n’ont rien ni à proposer ni à opposer sinon tout à recevoir religieusement et de préférence à genoux. Les Occidentaux y croient dur comme fer qu’au 21è siècle l’ancien président français Nicolas SARKOZY se crut en droit d’aller répéter aux africains noirs en juin 2007 à l’Université CHEIKH ANTA DIOP de Dakar au Sénégal, les thèses abominables hégéliennes sur l’anhistorisme et la sauvagerie des Nègres : « 1°“Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. » ; 2° “Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.”. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. » ; 3° « Le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là. Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans l’histoire. C’est de puiser en elle l’énergie, la force, l’envie, la volonté d’écouter et d’épouser sa propre histoire. » ; 4° « Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé. » ; 5° « Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. » ; 6° « Le problème de l’Afrique, c’est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter... » (Cf. Nicolas SARKOZY, Extrait du Discours de

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Ibidem, p. 252.

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l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Juin, 2007). On n’était pas au 19è Siècle mais bel et bien au 21è Siècle. Dans toutes les facultés de philosophie occidentales, plusieurs radicaux, hégéliens de gauche ou de droite, socialistes ou républicains, démocrates ou extrêmes droites, pensent la même chose qu’Adolf Hitler, que JeanMarie Lepen, que Sarkozy. Le professeur CHEIKH ANTA DIOP qui a été rejeté en France, malgré sa science et sa grande réputation dans le domaine des sciences humaines, s’est obstiné pourtant à apporter une histoire différence sur l’origine de la science et en particulier de la philosophie, dont l’Occident s’accapare la paternité mais par la force des « armes » et de tant de grandiloquence inutile, futile, sénile. En effet, dans sa théorie historiographique qu’il élabore et énonce dans son célèbre ouvrage « Civilisation et barbarie, anthropologie sans complaisance », le savant sénégalais contredit la prétention et la grandiloquence des Occidentaux sur la provenance de la philosophie et de la science dont ils s’imputent la paternité, en parlant de l’antériorité des civilisations nègres. Selon Diop, l’Homme (Homo sapiens) est apparu sous les latitudes tropicales de l’Afrique, dans la région des Grands Lacs. La chaîne d’hominisation africaine est la seule qui soit complète, la plus ancienne et la plus prolifique. Ailleurs on trouve actuellement encore des fossiles humains représentant des maillons épars d’une séquence d’hominisation incertaine. Pour Cheikh Anta Diop pose que les premiers Homo sapiens devaient être probablement de phénotype noir, parce que, selon la règle de Gloger, les êtres vivants originaires des latitudes tropicales sécrètent plus de mélanine dans leur épiderme, afin de se protéger des rayonnements solaires. Ce qui leur confère une carnation aux nuances les plus sombres (ou les moins claires). Pour lui, pendant des millénaires, il n’y a eu d’hommes sur terre que des « Nègres », nulle part ailleurs dans le monde qu’en Afrique, où les plus anciens ossements d’hommes « modernes » découverts ont plus de 150 000 ans ; tandis qu’ailleurs les plus vieux fossiles humains (ex. Proche-Orient) ont environ 100 000 ans. Selon Günter Bräuer, les fossiles humains sont d’autant plus anciens qu’ils se trouvent en Afrique, au cœur de l’Afrique. Tandis qu’ils sont d’autant plus récents qu’ils se trouvent hors et loin de l’Afrique. D’après Yves Coppens, aucune exception n’a encore été apportée à cette règle de cohérence de la

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théorie « Out of Africa », qui reste la seule à présenter un si haut degré de stabilité14. D’où cette déduction implacable de Cheikh Anta Diop selon laquelle si l’Afrique est le « berceau de l’humanité », alors les plus anciens phénomènes civilisationnels ont dû nécessairement avoir eu lieu sur ce continent. Selon Nathalie Michalon, né en Afrique, l’homme y expérimente les plus anciennes techniques culturelles avant d’aller conquérir la planète, précisément grâce à elles. C’est ainsi que l’Afrique est l’un des endroits au monde (avec la Mésopotamie et la Chine) où la fabrication d’outils (lithiques), la poterie, la sédentarisation, la domestication, l’agriculture, la cuisson, etc. sont attestées et notamment dans le site de Nabta Playa. Selon Cheikh Anta Diop, comme l’Afrique a une superficie approximative de 30 millions de kilomètres carrés, on imagine que la seule hominisation de tout cet espace a dû prendre plusieurs millénaires. En sorte que les fossiles/phénomènes humains de la moitié sud de l’Afrique sont généralement plus anciens que ceux de sa moitié nord. Selon un Bulletin de l’IFAN, cette immensité géographique du premier environnement d’Homo sapiens, compte tenu de sa grande diversité climatique, a eu pour autre conséquence de différencier très tôt l’humanité africaine, des points de vue phénotypique et morphologique15. De telle sorte qu’au bout de plusieurs autres millénaires, des colonies humaines auraient émigré dans les régions limitrophes de l’Afrique, là où sont attestés les plus anciens fossiles humains après ceux de l’Afrique, c’est-à-dire en Asie méridionale et en Europe méridionale. La principale cause naturelle des premières migrations humaines résiderait dans les évolutions climatiques : en la succession de périodes pluvieuses et de sécheresses en Afrique, correspondant respectivement à des périodes de glaciation et/ou de précipitations dans ses contrées limitrophes, en Europe méridionale et au Proche-Orient. Selon Diop, Homo sapiens aurait suivi, dans les premiers temps, la disponibilité naturelle des ressources alimentaires (animales et végétales) au gré des conjonctures climatiques ;

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OSONGO-LUKADI A-D, Philosophie de l’histoire. Un regard africain noir, Cours inédit, Faculté de Philosophie, Université Saint Augustin de Kinshasa, Année Académique, 2015 à ce jour. 15 OSONGO-LUKADI A-D, Philosophie de l’histoire. Un regard africain noir, Cours inédit, Faculté de Philosophie, Université Saint Augustin de Kinshasa, Année Académique, 2015 à ce jour.

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en empruntant toujours les voies naturelles de sortie de l’Afrique (Sicile, Italie du Sud, isthme de Suez, détroit de Gibraltar)16. Difficile évidemment, même de mon propre point de vue d’attester qui dit vrai ou faux sur la provenance de la philosophie et de la science. Reste que si l’on s’en tient à l’exode et la formation des plusieurs grecs à l’Université d’Alexandrie d’Égypte ancienne, incontestablement la thèse de Cheikh Anta Diop, qui lie l’Égyptienne ancienne aux terres africaines nègres, il y a lieu de rattacher cette provenance à l’Afrique. L’égyptologie « afrocentrée » est un domaine de recherche initié par Cheikh Anta Diop, où l’on étudie la civilisation de l’Égypte ancienne en partant du postulat qu’elle est une civilisation négro-africaine. En effet, selon Cheikh Anta Diop, la civilisation égyptienne serait une civilisation « nègre ». Cheikh Anta Diop rapporte que selon Hérodote, Aristote, Strabon et Diodore de Sicile les Égyptiens avaient la peau « noire ». Il signale également l’opinion du comte de Volney, pour qui les Égyptiens seraient les descendants de « nègres ». D’autres auteurs, comme Mubabinge Bilolo, reprendront et développeront cet argument. La plupart des égyptologues contestent cette thèse en se basant sur les milliers de représentations humaines figurant dans les tombes ou les temples d’époque pharaonique : lorsque les Égyptiens y font figurer d’autres peuples, comme les Syriens, les Libyens, ils leur donnent d’autres traits et d’autres vêtements (les Syriens portent la barbe et une robe, par exemple). Or ils ont maintes fois représenté les Noirs du Soudan, le pays de Kouch, avec des traits africains

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Selon le site internet Hominides, les catalyseurs culturels de cette migration consisteraient dans la maîtrise du feu, permettant de vivre dans des contrées tempérées, et, selon Diop, l’invention de la navigation, permettant de traverser de vastes étendues aquatiques. Selon Théophile Obenga, jusqu’à la première moitié du XXe siècle, cette perspective historiographique de Diop est aux antipodes de ce qui est communémentdiffusée depuis Hegel, Hume, Kant, Rousseau, Hobbes, Marx, Weber, Renan, etc., en sorte que son Nations nègres et culture serait le premier ouvrage de cette envergure à étudier l’histoire de l’Afrique antérieure aux traites négrières arabe et européenne, dans les temps les plus anciens. Toujours selon Obenga, Diop introduit une profondeur diachronique qu’il n’y avait pas ; à la différence radicale des travaux ethnologiques ou anthropologiques généralement anhistoriques. « Le livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit », en dira Aimé Césaire dans son « Discours sur le colonialisme » cités par OSONGO-LUKADI A-D, Philosophie de l’histoire. Un regard africain noir, Cours inédit, Faculté de Philosophie, Université Saint Augustin de Kinshasa, Année Académique, 2015 à ce jour...

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et une peau noire, alors qu’ils se représentaient eux-mêmes avec une peau claire et des traits proches de ceux des Égyptiens modernes17. Pourtant, malgré toutes ces preuves de Cheikh Anta Diop accumulées contre sa grandiloquence et son « occidentalisme » planétaire contreproductif, l’homme occidental ne cesse d’être le champion toute catégorie du magister dixit, autrement dit de « celui qui n’est pas avec nous, est contre nous », ou encore de « celui qui ne pense pas comme nous, est contre nous ». E. de Bono n’est pas d’accord et a égratigné cette pensée unique à travers la façon des occidentaux de concevoir et de mener la discussion, en montrant comment « l’habitude des occidentaux de pratiquer la discussion et la dialectique est mauvaise, car elle exclut la création et la génération des idées. La pensée critique convient pour réagir à ce qui est proposé, mais ne propose rien en échange »18. Et de montrer comment, enfin, « Les japonais, par exemple n’ont jamais pris l’habitude occidentale de la discussion. Il se peut que le désaccord soit trop impoli ou trop risqué dans une société féodale, que le respect mutuel et le fait de sauver la “face” soient trop importants pour permettre d’attaquer un argument. Il se peut que la culture japonaise ne soit pas fondée sur le moi comme la culture occidentale, la capacité de discussion reposant fortement sur le moi. Ce qui est plus vraisemblable, c’est que la culture japonaise n’a pas été influencée par les modes de pensée grecs, repris et développés par les moines du Moyen-Âge pour prouver que les hérétiques étaient dans l’erreur. Il nous semble étrange qu’ils ne discutent pas. Il leur semble étrange que nous aimions la discussion19. Peu importe cette dictature occidentale de la pensée unique, reste cependant qu’on accepte l’efficience de certaines règles. Les choses se compliquent en effet dans certains domaines précis, à l’instar de l’interprétations et explication de quelques textes philosophiques écrits en langues spéciales étrangères, quand on est un handicapé linguistique. Et honnêtement sur ce point précis, je ne crois plus en la fameuse pensée unique occidentale. Parce qu’il importe que quand on travaille sur un philosophe allemand, connaître l’allemand n’est pas qu’une exigence pour y arriver, mais aussi un impératif pour pénétrer le fin-fond des choses dans leur essence. La contestation ou la nouveauté qu’on prétend apporter doit se faire dans la langue de l’auteur, plutôt qu’en français ou encore en 17

OSONGO-LUKADI A-D, Philosophie de l’histoire. Un regard africain noir, Cours inédit, Faculté de Philosophie, Université Saint Augustin de Kinshasa, Année Académique, 2015 à ce jour. 18 De BONO E., Six chapeaux pour penser, Paris, InterEditions, 1987, p. 8. 19 Ibidem, pp.54-55.

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Atetela qui est ma langue maternelle. L’auteur doit être lu, réfuté ou corroboré dans sa langue maternelle. Au besoin le traduire soi-même pour espérer obtenir un crédit de la part des spécialistes ou simples lecteurs. Parce qu’il est vrai qu’en tant que simple doctorant, même doté d’une science infuse, prétendant naviguer en contre-courant des interprétations en cours en Europe et en Amérique du Nord, n’accorde aucune crédibilité ni encore moins solidité dans ce qu’on entreprend comme démarche. Là je conviens que l’exigence qui m’avait été faite à la Faculté de philosophie de l’Université Catholique de Louvain était judicieuse dans ma carrière scientifique et d’interprète modeste de l’ontologie heideggérienne. Plus tard j’ai compris comment il m’avait été judicieux, opportun, de connaître et de comprendre Heidegger à partir de sa langue maternelle, plutôt que de la traduction française pas toujours juste ni conforme à la pensée ni au dire de Heidegger. Écrire sur Heidegger prioritairement dans une autre langue que l’allemand n’est d’aucun sérieux. Ces interprètes célèbres et mondialement connus allant de J. Taminiaux, F. Volpi, P. Ricœur, J. Grondin, G. Vattimo, F. Dastur, R. Garaudy, M. Zarader, D. Janicaud, B. Stevens, J. Greisch pour ne citer que ceux que j’ai connus et contactés en Belgique, sont ceux qui m’ont également énormément marqué et impressionné de toute façon par leur connaissance de l’allemand. Ils furent pour ma modeste personne une véritable source d’inspiration et d’exemple. C’est d’ailleurs en cédant à la recommandation de l’un d’eux – Jacques Taminiaux – qu’il plut à l’Institut de Missiologie Missio/Aachen-Deutschland de m’accorder une bourse d’études de langue à Bonn ancienne capitale de la République Fédérale d’Allemagne où j’y ai séjourné six mois20. Le niveau d’apprentissage de l’allemand acquis m’a permis d’être plus compétitif dans l’interprétation de la pensée heideggérienne, jusqu’à “inventer” des “néologismes” à l’instar du substantif “Aufenthalt” au verbe Aufenhalten » pour juste dire « éthique du séjourner » chez Heidegger. Un verbe totalement inédit du lexique heideggérien officiellement répertorié ! Reste pourtant au regard de la grandiloquence occidentale globale, venir pour prétendre prendre de court tous ces grands commentateurs de la pensée heideggérienne, en mettant en avant une interprétation « infidèle », inconnue n’est pas seulement un crime de lèse-majesté, une arrogance punissable mais également surtout une provocation. Et dans l’ensemble, une audace à étouffer coûte que coûte dans l’œuf. Voilà qui explique, sans doute, l’avis négatif émis par le Secrétariat à la Coopération au 20

Cf. Zertificat-Grundstufe I signé et obtenu Joseph GRILL, 1994 (Kreurberg Bonn)

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Développement de l’Université Catholique de Louvain qui, sous couvert d’un promoteur pressenti, émit un avis sibylline pour justifier son refus de financement « Nous avons, soumis à nouveau, votre dossier à l’instance compétente de notre faculté, afin d’obtenir son avis sur le plan d’études que vous avez proposé. Nous informons que : -la Faculté, après avoir consulté un promoteur pressenti, a émis plutôt un avis négatif « C’est surtout le contenu même du projet qui est déconcertant. Si le projet a le mérite d’interroger la dimension sociale (trop souvent méconnue) de la pensée heideggérienne, il a le tort de la promouvoir dans la seule direction où l’on ne souhaite précisément pas la voir développée : l’identité “romantique”, le “romantisme” de la patrie, en tant que fondement pour une praxis politique. Enfin, la seule motivation clairement exprimée, par le candidat, pour venir étudier en Europe- l’apprentissage de la langue allemande – ne place pas vraiment l’UCL, en première position. Par conséquent, il ne vous est pas possible de vous attribuer une bourse d’études. Nous espérons qu’il vous sera possible de réaliser votre projet dans une autre université et nous vous souhaitons un plein succès. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments les meilleurs » (Belgique, Louvain-La-Neuve, le 25 février 1992) ! Voilà un avis qui aurait purement et simplement mis un terme à toutes mes ambitions scientifiques sur Martin Heidegger en Europe. Mais loin de me décourager, le projet fût envoyé par son Excellence Mgr Yungu Albert, Évêque du Diocèse de Tshumbe, à l’Institut de Missiologie (Missio) d’Aachen (Allemagne), qui n’hésita l’ombre d’aucun doute pour m’accorder un financement directement « Très cher révérend père Bertsch, permettez-moi de recourir une fois de plus à l’institut de Missiologie pour obtenir une bourse d’études. Le bénéficiaire est Monsieur Antoine OSONGO-LUKADI originaire de mon Diocèse. Il y a ceci de particulier que c’est vraiment le chapeau que nous sollicitons : Études secondaires dans mon diocèse, 1er et 2e cycle au Zaïre, le complément de D.E.S donnant accès au doctorat aux Facultés Catholiques de Kinshasa toujours au Zaïre. L’espérance est fondée au terme de la promotion qu’il devrait obtenir que les premiers bénéficiaires seront les candidats au séminaire de mon diocèse. Je vous remercie d’avance et vous prie de croire, Révérend Père, en l’assurance de mes sentiments dévoués pour le règne du Christ. » (Kinshasa, le 1 février 1991). Donc, sans cette recommandation de mon Évêque, matériellement et financièrement il m’aurait été pratiquement impossible d’y faire aboutir mon projet. Une position prioritairement financière au détriment de l’esprit scientifique qui avait révolté plus d’un enseignant de la Faculté de 25

Philosophie de l’Université Catholique de Louvain, dont le professeur André BERTEN : « Madame Delcampe-Bal, Secrétariat à la Coopération Internationale. Permettez-moi de vous écrire à propos du cas de Monsieur OSONGO-LUKADI, étudiant à l’ISP et boursier de Mission (Allemagne). Monsieur OSONGO est un étudiant qui mérite attention en raison de ses capacités et de ses motivations. Vous verrez sur dossier l’excellent niveau de ses résultats aux épreuves de Licence complémentaire préparatoire au doctorat. Il a passé avec moi un très bon examen, mais surtout j’ai eu l’occasion plusieurs fois de discuter de questions de philosophie et je puis vous assurer qu’outre son intelligence et sa formation, il s’agit d’une personne ouverte, droite et travailleuse. En consultant son dossier, j’ai lu le contenu d’une lettre du 25/02/1992, que vous avez consignée avec Hubert Gérard et qui motive un refus de bourse en raison du projet de doctorat portant sur la pensée de Heidegger et sur le romantisme de la patrie. Je comprends parfaitement cette motivation, mais je souhaiterais remettre le projet de M. Osongo dans son contexte. Les débats de philosophie politique contemporains, s’ils permettent de rejeter les “nationalismes”, quels qu’ils soient, n’ont néanmoins pas réglé de façon définitive la question du “patriotisme” et de la légitimité morale de l’attachement préférentiel qu’une personne peut manifester pour sa patrie (comme il peut la manifester pour sa religion ou pour sa famille). J’en parle d’autant plus à l’aise que je défends moi-même des positions plutôt universalistes. Quant à M. Osongo, il a accepté de discuter rationnellement les positions philosophiques engagées dans le débat politique et il a procédé à des révisions de certains a priori qu’il aurait pu avoir en arrivant. Je serais personnellement désolé que l’UCL manifeste dans ses décisions financières une rigueur idéologique trop sévère. Le pluralisme de la recherche doit être sauvegardé... » (André BERTEN, Professeur UCL, Faculté de Philosophie, Louvain-La-Neuve, le 8/11/1993). Voilà un débat qui reprend de volée et pointe du doigt l’occidentalisme, le « monologisme », la pensée unique consistant à ramener la vérité de toute chose à l’Occident où en dehors de lui point de salut. Une attitude qui n’a pas servi ses intérêts vitaux, que du contraire, dans la mesure où plusieurs projets des recherches recalés, refusés, bloqués en France, en Belgique, ont eu un avenir au-delà de l’Atlantique aux États-Unis, au Canada ; deux pays occidentaux plus ouverts, plus universalistes, plus tolérants scientifiquement et académiquement parlant, qui garantissent effectivement ce qu’exige le vaillant et généreux professeur André BERTEN dans sa diatribe contre l’idéologisme financier de l’Université 26

Catholique de Louvain, à savoir l’ouverture et la sauvegarde du pluralisme scientifique. Travailler sur Heidegger n’est pas simple. Trouver un promoteur n’est pas donné non plus. Pourtant depuis mon pays d’origine la défunte République du Zaïre, après le désengagement du promoteur pressenti, je savais qu’un autre professeur de la Faculté de Philosophie de l’UCL avait accepté de conduire mes recherches. Ce professeur était l’éminent et le célébrissime Jacques TAMINIAUX. Je parle ici d’une des grandes sommités belges en philosophie et plus particulièrement en phénoménologie heideggérienne. Malheureusement, en arrivant, cette collaboration tomba dans l’eau pour trois raisons fondamentales et précises qu’il me communiqua sans détour. La première était qu’il avait atteint l’âge de la retraite, il entrait en éméritat et la loi académique dans cette université ne permettait à aucun enseignant ayant atteint ce grade de diriger des thèses et encore moins d’enseigner. La deuxième était qu’il ne croyait pas tout simplement en la thèse que je prétendais défendre, malgré la meilleure cote que j’obtins dans son cours d’Explications de textes phénoménologiques (sur Martin Heidegger et Hannah Arendt), et ajouter à cela également mon handicap linguistique dû à ma méconnaissance de l’allemand. La troisième, enfin, fût d’ordre doctrinal qui mettait carrément en avant son scepticisme prenant source de ses propres recherches sur la « possibilité d’une philosophie pratique » (dans ou à partir de) l’ontologie fondamentale heideggérienne où ses conclusions, me dit-il, ne laissaient aucun doute sur l’impossibilité de possibiliser une philosophie pratique dans (ou à partir) de l’ontologie fondamentale de Heidegger21. Il en rajouta même en évoquant l’étude de son collègue Franco Volpi qui ne voyait non plus aucune issue dans cette direction22. C’est sur la base de ce scepticisme que J. Taminiaux me conseilla pour éviter de faire le tourisme comme beaucoup d’africains noirs ici en Europe, de m’orienter sur un auteur francophone comme Lévinas où la question éthique est plus claire, plutôt que chez Heidegger où on n’y voit rien du tout... ! Au total, si l’Institut Supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain a été le lieu initial de mon projet de recherche où il n’était encore que question de « possibilisation » d’une philosophie pratique dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale de Heidegger, c’est 21

TAMINIAUX J., « Poièsis et praxis dans l’articulation de l’ontologie fondamentale », in Heidegger et l’idée de la phénoménologie, S. L., Kluwert Academic, 1988. 22 VOLPI F., « Dasein comme praxis : l’assimilation et la radicalisation heideggerienne de la philosophie pratique », in Heidegger et l’idée de la phénoménologie, S. L., Kluwert Academic, 1988.

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au Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand du Département de Philosophie de l’Université de Poitiers que cette « possibilisation » devint une « morale-constative-explicativedescriptive ». L’Université de Poitiers est donc le point d’aboutissement de cette intuition qui a traversé des cours d’eau, des savanes, des forêts de la République du Zaïre en Europe. Après avoir quand même réussi à « possibiliser », en dépit du scepticisme de mon maître Jacques Taminiaux et beaucoup d’autres professeurs de l’UCL et d’ailleurs, et après l’échec inespéré et inexpliqué des recherches postdoctorales au Département de Philosophie de l’Université Montréal sous la direction du professeur Jean GRONDIN, je me résolu à immigrer partiellement géographiquement en France (ce pays que j’ai toujours aimé de tout mon cœur, supporteur de l’équipe de football de l’Olympique de Marseille) pour entamer ces recherches inexplicablement annulées à Montréal. Je parle d’immigration géographiquement partielle parce que j’ai dû laisser mes enfants en Belgique leur pays de naissance pendant que j’étais résolu aux navettes mensuelles entre la France et la Belgique et vice-versa. Quitter la Belgique pour la France, pays de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, m’espérait à une transition plus réceptive voire compréhensive quant à mes recherches postdoctorales. Malheureusement ce fût une grande désillusion, car à l’Université de Poitiers, la tâche n’allait être ni facile ni aisée. Le climat sur place, sans tarder, fût que parler de morale ou d’éthique chez Heidegger c’est très grave ! Pourquoi était-ce grave ? J’eus comme seule réponse : « Heidegger s’y était interdit ». Traduction : « le maître a dit ». On dirait qu’on n’était pas dans la région natale de René Descartes, qui s’était opposé au « magister dixit », dont on se prévalait par rapport à Aristote, où personne ne pouvait aller contre ce qu’il a dit ou fait. Pourtant René Descartes se fait connaître et est devenu le fondateur du rationalisme philosophique par la formulation de sa méthode comportant quatre règles : premièrement l’évidence consistant à n’admettre « jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle » : autrement dit se garder de toute « précipitation » et de toute « prévention » (préjugé) et ne tenir pour vrai que ce qui est clair et distinct : deuxièmement l’analyse consistant à « diviser chacune des difficultés en autant des parcelles qu’il se pourrait ; troisièmement la synthèse consistant à “conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés” ; et enfin quatrièmement le dénombrement consistant à faire partout des 28

dénombrements si entiers que je fusse assuré de ne rien omettre »23. Si cette méthode est devenue très célèbre, c’est parce que les siècles ultérieurs y ont vu le manifeste du libre examen et celui du rationalisme. En effet la méthode affirme l’indépendance de la raison et le rejet de toute autorité : « Aristote l’a dit » n’est plus un argument sans réplique, car seules comptent la clarté et la distinction des idées24. Le doute est le point central de l’itinéraire spirituel, intellectuel, philosophique de Descartes. Mais il ne s’agit pas d’un doute radical ou définitif des sceptiques. Il s’agit d’un tout volontaire, systématique et intégral pour distinguer nettement et clairement ce qui vrai et ivraie, peut-on dire. Plus tard, Karl Popper25 fît mieux que Descartes lorsque répondant à Francis BACON (Novum Organum, 1620) sur la question consistant à savoir s’il « existait » « un critère fiable permettant de distinguer une théorie qui est scientifique d’une théorie qui ne l’est pas ? », K Popper opposa le principe de « falsify » (en français falsifiabilité), selon laquelle « La falsifiabilité est ce critère ou la possibilité d’une théorie d’être falsifiée par l’expérience. « pour une théorie, l’“irréfutabilité n’est pas vertu mais défaut”. C’est dans cette direction que K. Popper considère, à titre d’illustration, que le marxisme et la psychanalyse sont hors de la science, précisément parce que ces discours totalisants n’excluent aucun fait possible et qu’ils peuvent rendre compte de la totalité des phénomènes qui se produisent dans leur domaine d’attribution ; et il en va de même pour l’astrologie ; dont les prédictions sont tellement vagues qu’elles ne peuvent jamais être infirmées par les faits. Un accent est ainsi mis sur le caractère conjecturel, provisoire, hypothétique de n’importe quelle théorie scientifique. K. Popper est convaincu, en effet et fort de son critère, que “la formulation d’une hypothèse scientifique est donc loin de correspondre à l’enregistrement passif de données expérimentales ; elle est plutôt de l’ordre de la conjecture”, car une hypothèse qui résiste aujourd’hui aux tests n’en est pas pour autant confirmée de manière définitive ; elle n’est que provisoirement “corroborée”. En ce sens qu’aucune théorie, pour K. Popper, même la plus parfaitement établie dans la communauté scientifique, n’est à l’abri d’une éventuelle réfutation ultérieure. Ce qui veut dire autrement qu’il faut considérer toutes les lois ou théories scientifiques comme 23

HUISMAN D. et VERGEZ A., Histoire des philosophies illustrée par les textes, Nathan, 1996, p. 103. 24 Ibidem. 25 SORMAN G., Les vrais penseurs de notre temps, p.321.

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provisoires, hypothétiques ou conjecturales, les nouvelles théories ne s’imposant que comme des approximations meilleures que celles qui les ont précédées. Bien davantage encore, K. Popper est contre l’attitude dogmatique, qui s’efforce de vérifier les lois pour les confirmer ; il prône à la place un “rationalisme critique” qui cherche au contraire à les réfuter en les soumettant à l’épreuve des tests. Ainsi l’erreur n’est plus ni un manque ni un défaut (comme le tenait F. Bacon et R. Descartes), mais plutôt une étape essentielle du développement du savoir. L’histoire de la science lui donne raison ; la science procédant (et progressant) nécessairement et toujours-déjà par essais et erreurs, par conjectures et réfutations. Enfin pour K. Popper, la démarche de l’homme de science consiste à inventer d’abord d’audacieuses conjectures, à consacrer ensuite tous ses efforts à les faire apparaître comme erronées, puis à y souscrire par provision, aussi longtemps qu’elles survivent aux tests destinés à les invalider. Pourtant sur ce que nous voyons depuis très longtemps et de façon continue, on dirait que Descartes et Popper qui sont deux des immenses grands philosophes occidentaux, n’ont presque jamais inspiré leurs congénères qui m’ont reçu d’abord en Belgique et ensuite en France au moment de juger de mon projet. On dirait que les leçons tirées par les deux philosophes ne les concernent pas et ne s’adressent donc qu’aux autres, aux non-occidentaux. Ils sont totalement “incapables” de se rappeler le rejet du magister dixit de Descartes et encore moins le principe de faslsifiabilité de Popper. Faisant que ni l’intuition ni l’imprévisibilité de la recherche soient pris en compte dans leur analyse des projets de recherche, dont ils en ont la charge. Ils pensent que quand un projet est nouveau ou incompris, ou encore parce qu’ils ne le connaissent pas ou n’en ont jamais ni vu ni entendu parler, c’est qu’il n’existe pas ou que c’est mauvais. Intolérants simplement par vaillance et par suffisance, mais péniblement au rabais, ils ne patientent pas et prêts tout de suite au refus. C’est comme si le progrès était interdit. Que l’histoire était monolithique et linéaire. Parce qu’il est inscrit quelque part dans leur cerveau que tout le monde devait voir et dire la même chose qu’eux. Gare alors à celui qui va au-delà des consignes reçues ! La preuve, texte à l’appui, cette déclaration du professeur François Chirpaz qui pouvait être classée “interdite aux mineurs” : “Quant à la question sur laquelle vous travaillez, permettez-moi de m’interroger sur sa pertinence et sa nécessité. Comment, en effet, pouvez-vous si facilement conduire une question sur l’éthique au-delà la question du ‘bien’ et du ‘mal’ et du rapport à l’autre”, comme vous l’écrivez, alors que le lieu de 30

l’éthique est précisément ce rapport à l’autre et qu’il implique le repérage de la frontière du bien et du mal ? Et qu’y a-t-il à chercher à “écrire une ‘philosophie pratique’ dans l’ontologie heideggérienne”, alors que, du propre aveu de Heidegger, cette interrogation lui demeure extérieure ? D’un mot, si c’est à la question de l’éthique que vous voulez vous attacher, pourquoi prendre votre point de départ et votre référence dans cette œuvre ? La référence à Aristote, à Kant ou à Lévinas me paraît plus féconde. Dans ces conditions, il ne me serait pas possible d’aborder la lecture de votre travail, sinon à partir de ce doute initial. Je regrette d’avoir à vous faire cette réponse, mais je ne vois comment le faire autrement... » (Annecy le Vieux, le 4 septembre 1997). Cette déclaration ferme éveilla en moi quelques doutes quand même, en me demandant si je n’étais pas isolé ou si ne je ne marchais pas sur la tête, les pieds en l’air ? Or c’est pour me rassurer que je décidai de voyager à Paris pour rencontrer le professeur Jean GREISCH, présenté en ce moment comme le « meilleur » commentateur, interprète de l’ontologie heideggérienne. Mais avant tout, je me résolus à prendre pour commencer conseil auprès du professeur Otto PÖGGELER (désigné de son vivant par Heidegger comme meilleur disciple et interprète de sa pensée dans leur langue natale, l’allemand). Celui-ci contrairement à tous ceux qui ne croyaient pas à mon projet doctoral, déjà à l’Université Catholique de Louvain, trouvait excellente la démarche que je proposais pour contourner le vide pratique de l’ontologie fondamentale au travers l’établissement d’un cordon ombilical entre « Sein und Zeit » (Être et Temps) et « Brief über den Humanisme » (Lettre sur l’humanisme), Richardson disant de ce dernier ouvrage comme la porte par laquelle on y entre pour comprendre le premier. Dans sa lettre, le professeur Otto Pöggeler est même étonné et heureux que je m’appuie sur des textes non encore traduits (à l’époque) de Heidegger intitulés les « Beiträgen zur Philosophie » (Contributions philosophiques) : « Sehr geehrter Herr Osongo-Lukadi, haben Sie besten Dank für Irhren Brief von 17. August. Sicherlich ist eine Arbeit wie die von Ihnen geplante wichtlig-Freilich liegt zwischen Sein und Zeit und dem Brief über den Humanismus jetzt auch ein Werk Heideggers aus den dreissiger Jahren vor, das als Vermittlung wichtig ist: die Beiträge Philosophie. Doch bleibt dabei, das Heidegger vom Wohnen her oder wom Aufenthalt her auch im späteren Werk die Probleme der Ethik mitführt“ (Bochum, le 31. August. 1995). Sur la même lancée que le professeur Otto Pöggeler, le professeur Dominique JANICAUD de l’Université de Nice ne se priva pas de cette remarque perplexe, mais totalement déterminante pour la continuité de 31

mes recherches doctorales à la Faculté de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain : « Cher monsieur, votre aimable lettre me laisse un peu perplexe. Certes je ne peux qu’encourager un projet qui, inspiré par mes amis Taminiaux et Volpi, me paraît très pertinent et qui semble solidement appuyé sur une étude des textes fondamentaux de Heidegger. Je serais d’accord avec vous pour parler d’une “éthique du séjourner” chez Heidegger, tout en faisant des réserves sur l’expression “éthique de la normativité” (qui réintroduit les “valeurs” au sens métaphysique). Mais c’est une lecture de l’ensemble de votre travail qui me permettrait de déterminer jusqu’à quel point je puis vous suivre » (Nice, le 16 novembre 1997). Ces deux grands enseignants que furent Otto Pöggeler et Dominique Janicaud émettaient sur la même longue d’onde que Descartes et Popper. En effet pour eux, tout pouvait être possible chez Heidegger grâce au miracle herméneutique. La force argumentative des textes en présence pouvait donner lieu à n’importe quelle démonstration ontologico-phénoménologique dans (ou à partir de) la pensée heideggérienne. Dans le même ordre de pensées, c’est depuis Louvain-La-Neuve (Belgique), que je pris connaissance de l’immense et pertinent livre intitulé « Ontologie et Temporalité » ; ouvrage de Jean GREISCH professeur à l’Institut Catholique de Paris. Ce livre fût tout sauf une mauvaise nouvelle pour moi, que du contraire. À quelques exceptions près, l’ouvrage de Jean Greisch venait, en effet, réconforter ma thèse tant doctorale que postdoctorale surtout sur la « présence » d’une morale dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale heideggérienne. C’est assis prostré dans la salle d’attente de l’Institut Catholique de Paris, que le professeur Jean Greisch vint me chercher avec empressement, en m’avouant, au contraire, au cours de l’entretien qu’il m’accorda, son admiration, et ses encouragements, car il se disait également d’avis qu’il y avait tout de même une dérive « moralisante » des existentiaux du Dasein de l’homme que décrit Heidegger dans « Sein und Zeit »26. Pour lui, la façon dont Heidegger lui-même les analysait et les décrivait ne pouvait y laisser le moindre doute. Même si, m’expliqua-t-il, « L’intention de toute cette analyse reste ontologique ; elle ne doit surtout pas être confondue avec une dénonciation moralisatrice de certaines formes de comportement (SZ 167). Une autre question, conclut-il, est de

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GREISCH J., Ontologie et Temporalité, p. 218.

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savoir si Heidegger lui-même a toujours réussi à respecter parfaitement cette consigne dans ses propres descriptions27. Ce “ralliement” de taille de la part d’une des grandes voix de la pensée heideggérienne et la publication de cette “morale constative-explicativedescriptive” dans une revue de Théologie et de Philosophie internationalement sûre et reconnue28 m’apparurent comme la fin de l’hérésie globale voire hypocrisie funeste autour de cette intuition prémonitoire conçue en terres africaines. Finalement, après l’entreprise de “possibilisation” d’une “philosophie pratique” chez Heidegger d’un côté et de “fondation” d’une morale “constative-explicative-descriptive” dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale de Heidegger d’un autre côté, il ne me restait plus qu’à conclure sur la question du “dialogue interculturel” et de la philosophie de la culture dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale heideggérienne. S’agissant du dialogue interculturel, il a été conçu dans un livre élaboré et publié par l’Harmattan, un livre qui du reste m’a fait connaître dans le monde philosophique29, comme le montre une étude faite en Allemagne, retenant ma lecture et mon interprétation comme la référence et la voix de Heidegger en Afrique, que cette problématique a eu un intérêt retentissant : “Neue Publikationen belegen das globalisierte Interesse : Japaner kriegen nicht genug von Heidegger (Yamashita Yoshiaki : Identität als Unverborgenheit), Franzosen sowieso (Dominique Janicaud : Heidegger en France, tome 1 & 2), America ebenso (Richard Wolin : The Heidegher Controversy), sogar Afrikaner (Antoine-Dover Osongo-Lukadi : Heidegger et l’Afrique) ...”30. Heidegger a montré en effet comment du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, l’opinion s’est fait que la compréhension des cultures les plus étrangères et la “synthèse” de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein sur lui-même. Comment une curiosité multiplie, une infatigable connaissance de tout organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein (In der besonderen Rücksicht auf 27

Ibidem, 216. OSONGO-LUKADI A-D, « Les indices d’une “morale constative-explicativedescriptive dans la pensée de Heidegger”, in Science et Esprit, (Vol. 56, janvier-avril 2004). 29 OSONGO-LUKADI A-D, Heidegger et l’Afrique. Histoire de réception et paradoxe d’un « dialogue » monologique, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, Paris, L’Harmattan, 2001. 30 Cf.Der Gründer der Ding-Dynastie. 28

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die Daseinsauslegung kann jetzt die Meinung aufkommen, das Verstehen der fremdesten Kulturen und die « synthese » dieser mit der eigenen führe zu restlosen und erst echten Aufklärung des Daseins über sich selbst. Vielgewandte Neugier und ruheloses Alles-kennen täuschen ein universales Daseinsverständnis vor) »31. Même si au fond, pour Heidegger, la question de savoir ce qu’il s’agit à proprement parler de comprendre demeure indécise, et même elle n’est pas posée ; pas davantage ne comprend-on que le comprendre lui-même est un pouvoirêtre qui ne doit être libéré que dans le Dasein le plus propre. Dans cette comparaison rassurée et universellement « intelligent » de soi-même avec tout, le Dasein œuvre à une extranéation où son pouvoir-être le plus propre se retire à ses yeux. Tentateur et rassurant, l’être-au-monde échéant est en même temps aliénant (entfremdend) »32. Mais comment peut-on saisir cette expression : « Dasein universel » ? Est-ce une sorte de prélude au « dialogue interculturel » ? Dans l’affirmative, ce « dialogue » est-il enrichissant ou appauvrissant ? Il y a été évidemment retenu le premier aspect ayant rapport avec le qualificatif « enrichissant », car le mot colle aux propos de Heidegger relevés dans Sein und Zeit que « du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, nous laisse-t-il entendre, l’opinion peut désormais se faire pour selon laquelle la compréhension des cultures les plus étrangères et la “synthèse” de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein lui-même. Car c’est une curiosité – qui – multiplie une infatigable connaissance de tout – qui – organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein (Daseinsverständnis) »33. Prendrait-on cependant ce bout de phrase - d’ailleurs en elle-même foncièrement ambiguë – comme une forme de légitimation en faveur du « dialogue » interculturel voire d’un « dialogue » tout court dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale développée et élaborée par Heidegger dans Sein und Zeit ? Nous y avons répondu par l’affirmative, qu’elle n’en désigne pas moins une certaine « intersubjectivité » voire une certaine « interculturalité » ontologico-phénoménologico-herméneutique ! Même quand il ajoute immédiatement après que « cette extranéation 31

Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). 32 Ibidem, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). 33 Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De waelhens, pp. 218-219, Vezin, p. 226). Les « - qui - » dans le texte sont « ajoutés pour clarifier l’interprétation d’Emmanuel Martineau.

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(Entfremdung), à son tour, ne peut pas signifier que le Dasein serait facticement arraché à lui-même ; au contraire, elle conduit le Dasein à un mode d’être où l’“analyse de soi” la plus infatigable s’essaie à toutes les possibilités d’interprétations, à tel point que l’on ne parvient plus à dominer du regard les “caractérologies” et les “typologies” qui en résultent. Cette extranéation qui referme au Dasein son authenticité et sa possibilité, serait-ce même celle d’un échec véritable, ne le livre cependant pas à l’étant qu’il n’est pas lui-même, mais le pousse vers son inauthenticité, c’est-à-dire vers un mode d’être possible de lui-même. L’extranéation tentatrice et rassurante de l’échéance conduit, en sa mobilité propre, le Dasein à se prendre à lui-même »34. Aujourd’hui, après avoir renversé l’ensemble des commentaires et des interprétations sur l’ontologie fondamentale heideggérienne, et surtout réussi à prendre Heidegger lui-même aux mots, et mis dans la poche la plupart des commentateurs de référence de l’ontologie fondamentale heideggérienne, au départ sceptiques, mais qui ont dû en fin de compte s’incliner devant l’évidence et la force de l’analyse proposée au bout du sacrifice suprême sur l’existence d’une philosophie pratique dans (et à partir de) la pensée heideggérienne, il sera difficile sinon impossible de refuser de voir, qu’un philosophe afro-noir est entré dans le cercle très fermé des commentateurs et interprètes les plus avertis de cette pensée. La question sur toutes les lèvres aussi bien en France qu’en Belgique est de savoir comment et pourquoi un chercheur de cette dimension n’a pu trouver un poste d’attache dans l’une des universités de ces deux pays reconnus pour être les plus controversés en matière du racisme scientifique ? Moralement, éthiquement -, au-delà de ma valeur scientifique réelle et mise en évidence dans toutes les universités où j’ai été entreprendre mes recherches doctorales en Belgique, en France voire mes études de langue à Bonn (Allemagne) -, personne n’a souhaité me voir retourner au regard de la précarité de la situation sociale, économique, politique, culturelle voire technologique en République Démocratique du Congo. C’est ainsi que plusieurs professeurs, plusieurs citoyens, plusieurs politiques belges, dont Madame Joëlle MILQUET en tête, Présidente du Parti Chrétien Démocrate Humaniste, CDH en sigle, soutinrent, sans tergiverser ma demande de naturalisation belge. Parmi tous mes professeurs de l’époque, c’est l’humaniste et démocrate André BERTEN qui dégaina le premier et de quelle manière ? Il écrit : 34

Ibidem, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De waelhens, pp. 218-219, Vezin, p. 226).

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« Monsieur OSONGO-LUKADI introduit une demande de naturalisation. Je viens témoigner de mon appui à cette demande. Je connais très bien M. Osongo, qui a suivi mes cours, participé à des colloques et séminaires et dont j’ai été de nombreuses fois discuté la thèse de doctorat. Je tiens, donc, en premier lieu, à souligner sa valeur académique. Etudiant intelligent, travailleur, il a constamment manifesté dans ses recherches perspicacité, modération, esprit de synthèse et clarté du style. Sur le fond même de ses recherches, il est entré profondément dans la culture philosophique occidentale, en a compris la richesse et les nuances et en a assimilé les grandes orientations humanistes. Je pense que ce qui a orienté son questionnement philosophique, c’est plus profondément une attitude une attitude morale admirable : non seulement, force et courage dans l’adversité, non seulement dévouement à sa famille et à ses amis, mais sens aigu de la responsabilité éthique dans le monde d’aujourd’hui. D’une grande honnêteté et d’une franchise totale, il est resté toujours fidèle à lui-même et à ses convictions intimes. J’ajouterai enfin qu’il est susceptible de s’intégrer parfaitement en Belgique : connaissance excellente de la langue française, déjà un long séjour, mais surtout le fait que M. Osongo a depuis le début de son séjour fréquenté ses collègues belges et plusieurs familles belges, manifestant par là son souci et sa capacité d’intégration » (André BERTEN, Professeur, Faculté de Philosophie, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, le 16/03/1998). Reste, enfin, qu’en dépit cependant de l’occidentalisme décrié exemplairement par Serge LATOUCHE et que j’ai accompagné et commenté sans quartier, j’ai pu compter dans mon combat d’acceptation et de reconnaissance de mon exploration scientifique sur une poignée de professeurs courageux, fidèles, combatifs, généreux, humanistes, sans lesquels, tout ceci ne se serait peut-être jamais réalisé : Gilbert GERARD (professeur, Faculté de Philosophie, Université Catholique de Louvain, mon Promoteur), André BERTEN (Professeur, Faculté de philosophie, Université Catholique de Louvain), Jean-Claude BOURDIN (Professeur, Département de Philosophie, Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand, Université de Poitiers). Au nom de Pauline ma mère éternelle, de Paul mon papa et ancien chef coutumier d’Oshing’Untu mon village natal, et de mes enfants Immaculée, Évangile, Trinitée, Vérité, Félicité et Épiphanie, je les remercie de tout cœur pour tout ce qu’ils m’ont apporté en tant que scientifique et en tant qu’homme tout court. Dans son ouvrage « Oser parler », Louis Evely dit : « L’homme qui recherche le contact avec autrui s’identifie à lui et mime 36

inconsciemment ses attitudes, ses gestes, ses intonations, pour deviner ce que l’autre ressent, en observant ce qu’ils font naître en lui. On ne comprend les autres que par un mime correct. “L’homme, dit Hesnard, est acteur secret de tout ce à quoi il assiste” ; il rythme la musique, il imite les comédiens, il boxe avec les pugilistes et galope dans les westerns. Les disciples copient leur maître et les vieux époux arrivent à se ressembler à force d’échanges. On ne comprend que ce qu’on est devenu »35. Un proverbe africain d’où je viens dit : « Le bonheur ne s’acquiert pas, il ne réside pas dans les apparences, chacun d’entre nous le construit à chaque instant de sa vie avec son cœur ». Enfin, les mots tirés d’une lettre manuscrite du philosophe et savant français Monsieur et éminent Professeur Paul RICŒUR résonnent et résonneront dans mon esprit, aussi longtemps que la terre tournera, selon Copernic et Galilée, autour du soleil comme le glas, la rosée du matin, l’apocalypse de l’élaboration et l’accomplissement de mes recherches doctorales et postdoctorales respectivement en Belgique et en France : « Cher Monsieur, j’apprécie vivement l’orientation de vos travaux sur “la possibilité d’une philosophie pratique dans l’ontologie fondamentale”. C’est une question essentielle ; le cœur de la difficulté me paraît être dans la notion de résolution face à l’être-pou-la-mort ; le chapitre sur Gewissen est plus décevant. Je serai heureux de lire la thèse achevée » (Paris, le 17 août 1998). « Le mensonge donne des fleurs mais pas de fruits. » (Proverbe Africain). Louvain-La-Neuve-Université (Belgique), le 17 janvier 2019 21 heure30 OSONGO-LUKADI Antoine-Dover

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EVELY L., Oser parler. Désir et peur de communiquer, Centurion, 1982, p. 31.

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PRÉFACE

J’ai de nouveau l’honneur et le plaisir de préfacer le quatrième tome des recherches postdoctorales de Monsieur Osongo pour l’obtention de son titre d’Habilitation à Diriger des Recherches de philosophie au Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand du Département de Philosophie de l’Université de Poitiers. Ce quatrième tome porte sur une problématique, dont le titre (dans la même ligne que les précédents tomes) « Histoire-culture-tradition dans l’articulation de l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger » paraîtrait d’un côté comme polémique voire provocateur dans la mesure où il ne respecterait pas les propres consignes de Heidegger, qui s’est toujours pourtant refusé d’élaborer de philosophie de la culture, encore moins de l’histoire, de la tradition dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale), mais d’un autre côté plutôt son interprétation est plutôt comme « révolutionnaire » mieux « novateur », soutenu en cela par les tenants de l’herméneutique structurale et positiviste qui croit aux textes et en leur capacité à se donner un sens autre indépendamment de celui de leurs auteurs. En lisant l’avertissement et l’avant-propos de l’auteur, j’ai cru comprendre que son souci d’origine est le champ herméneutique, faire parler les textes de Martin Heidegger, plutôt que ses commentateurs. Désormais, sa question est de savoir ce que dit le texte lui-même et non plus ce que Heidegger ou Untel ou Untel a dit, avait dit ou aurait dit. La plaidoyerie est textuelle, contextuelle, plutôt que personnelle. Textuel signifie structural, positiviste tandis que contextuel veut dire quant à lui historique, psychologique. Ce qui nous ramène de nouveau à l’herméneutique en tant que science de l’interprétation des textes à la fois profanes et sacrés. C’est l’éternel débat qui concerne la naissance de l’herméneutique philosophique qui tient l’attention de Monsieur Osongo dans ses nombreuses études et recherches, dont le but, qui n’est ni défi ni conflit ni suffisance consiste uniquement depuis toujours à suivre pas à pas son maître Heidegger voire à le précéder. Récusant l’idée que celui-ci avait 39

tout compris, tout saisi, tout dit, qu’il n’y a plus rien à dire sur la composition et la structure de l’ontologie fondamentale, constitue le cauchemar perpétuel de Monsieur Osongo, car il est persuadé que n’ayant pas achevé « Sein und Zeit » (« Être et Temps »), ce qui n’est ni une faute ni une lacune mais au contraire une entre parenthèse essentielle, Monsieur Osongo reste constamment persuadé que l’ontologie fondamentale et/ou la pensée heideggérienne pourrait encore donner lieu aux discussions et interprétations, que « Sein und Zeit » n’est pas une Bible où tout a été annoncé, dit, écrit ; plus rien à ajouter ni à retrancher. Le parcours de Monsieur Osongo tout au long de son « dialogue » pendant plus d’une quarantaine d’années avec Heidegger porte sur le Même : l’Être en tant qu’Être même si l’obsession ontologique diverge profondément entre les deux auteurs. Si Monsieur Osongo, qui ne fait que suivre son maître Heidegger dans ses choix de pensée, n’a que trop peu d’arguments pour oser la moindre rébellion à son encontre, il s’y est quand même toujours pris à relativiser l’obsession ontologique de Heidegger, l’emmenant à voir l’ontologie partout et nulle part ailleurs. En effet pour Monsieur Osongo même s’il est vrai qu’il pourrait y avoir de l’être partout et nulle part ailleurs, cet éparpillement de l’Être n’empêche ni l’existence ni la présence de l’étant, sans lequel l’Être luimême n’est pas. L’Être, comme Dieu qui est créateur de la terre et du ciel, ne justifie sa propre existence, son propre pouvoir fondateur qu’en rapport à l’existence des étants, des objets. Ainsi, les concepts d’histoire, de culture et de tradition auxquels Heidegger à réimprimé un sens ontologique, mais qui n’en restent pas moins ontiques, c’est-à-dire métaphysiques ne-fû-ce que par son propre échec à sortir du langage et de la pensée métaphysique, constituent le fond même de l’ontologie fondamentale. Au terme de ses recherches et études doctorales à l’Institut Supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain (Belgique) où il avait écrit une thèse doctorale originale sur « De la possibilité d’une philosophie pratique dans l’articulation de l’ontologie fondamentale de M. Heidegger à partir de sa « déconstruction » d’E. Kant. Prolégomènes à une « éthique de l’Aufenthalten » (dissertation doctorale, le mardi 22 décembre 1998, 16 heures 30-23heures30, Institut Supérieur de Philosophie, Université Catholique de Louvain (Belgique) », Monsieur Osongo a été invité par le Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand du Département de Philosophie de l’Université de Poitiers (France) et s’est rendu avec l’idée finalement, dans le cadre de ses recherches et études postdoctorales, d’imputer à l’intuition commencée en Belgique de « possibiliser » une philosophie pratique (dans et à partir de) 40

l’ontologie fondamentale une carte d’identité, qu’il a nommée « moraleconstative-explicative-descriptive » ; une morale qui n’est pas normative, déontologique impérative (à l’instar d’E. Kant formulée tant dans la « Critique de la raison pratique » que dans les « Fondements de la métaphysique des mœurs »), mais plutôt une morale phénoménologique qui constate les choses telles qu’elles sont, qui se contente de les expliquer et de les décrire, tout simplement, quitte à qui veut faire quelque chose de le faire. Avant même la fin de son travail d’habilitation à Diriger des Recherches, cette « morale-constative-explicative-descriptive » de Monsieur Osongo est plébiscitée au Canada dans une publication intitulée : « Les indices d’une “morale constative-explicative-descriptive dans la pensée de Heidegger”, in Science et Esprit, (Vol. 56, janvier-avril 2004) ». Quant à l’intitulé du travail d’habilitation lui-même, il se voulait : « « Les linéaments pratiques de l’ontologie fondamentale. Esquisse d’une interprétation thématico-praxéologique de Sein und Zeit comme prolégomènes à une “morale constative-explicative-descriptive” (dissertation d’habilitation à diriger des recherches, le lundi 28 avril 2008 de 14 heures à 20 heures), Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand, Université de Poitiers (France) ». À l’Université de Poitiers, Monsieur Osongo arriva avec deux ambitions, donc, premièrement montrer qu’en dépit de ses dénégations de l’époque de l’ontologie fondamentale, Heidegger, s’il ne met jamais ouvertement en évidence une philosophie de la morale, au moins il ne respecte pas sa propre consigne selon la manière qu’il décrit certains existentiaux de l’analytique existentiale du Dasein de l’homme et en particulier ceux liés aux phénomènes du « Man » (On) impersonnel ; secondement que dans la même logique que la précédente ambition, Heidegger ne respecte pas non plus l’autre consigne qu’il s’était faite de ne pas développer une philosophie de la culture et donc de l’histoire, de la tradition et de la société, cela se voit dans le traitement qu’il engage avec les phénomènes d’historicité, du positionnement du Dasein de l’homme dans l’histoire, dans la tradition, dans la culture ; notre rapport au phénomène de la mort, de la manière d’y être assisté, bref de l’assistance sociale, etc. Enfin dans ce quatrième tome, l’objectif avéré de Monsieur Osongo consiste, donc, à montrer la présence d’une philosophie de la culture dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger. C’est ainsi qu’après avoir passé au peigne fin sa première ambition sur la possibilité d’une « critique moralisante » dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale, Monsieur Osongo s’en est pris à la seconde ambition 41

portant sur la question du « dialogue interculturel » et de la philosophie de la culture dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale heideggérienne. S’agissant du dialogue interculturel, il a été prouvé dans un livre intitulé « Heidegger et l’Afrique. Histoire de réception et paradoxe d’un “dialogue” monologique » (Paris, L’Harmattan, 2001), que même si avec le continent africain ce « dialogue » n’avait jamais été évoqué directement comme un souci de recherche de la part de Heidegger, mais Monsieur Osongo a essayé de le forger sous la forme d’un « dialogue » qu’il qualifie de « monologique » au regard de l’intérêt des philosophes africains pour son ontologie fondamentale ; un « dialogue » en sens unique donc mais dialogue tout de même. Cet ouvrage de Monsieur Osongo a marqué les esprits en Allemagne au point d’en faire un des quatre représentants du courant du « dialogue interculturel » à partir de la pensée de Martin Heidegger tant dans le monde qu’en Afrique plus particulièrement (cfr. L’article « Der Grunder der Ding Dynastie). Dans “Acheminement vers la parole”, un des ouvrages le plus difficile voire ambigu de Heidegger, Monsieur Osongo a mis également en évidence, malgré ses dénégations, l’intérêt de Heidegger au “dialogue” interculturel notamment dans ce qu’on a appelé son “dialogue” avec le Japonais. Ce dialogue avec le Japonais montre bel et bien, selon Monsieur Osongo, que Heidegger, contrairement à sa propre consigne, n’était pas, mais du tout, fermé au “dialogue” interculturel, dialogue des cultures, des traditions, des histoires. En empruntant les mots de Monsieur Osongo, il y a été relevé la façon dont Heidegger a montré comment du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, l’opinion avait pu désormais se faire pour selon laquelle la compréhension des cultures les plus étrangères et la “synthèse” de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein sur lui-même. Comment une curiosité multiplie, une infatigable connaissance de tout organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein (In der besonderen Rücksicht auf die Daseinsauslegung kann jetzt die Meinung aufkommen, das Verstehen der fremdesten Kulturen und die « synthese » dieser mit der eigenen führe zu restlosen und erst echten Aufklärung des Daseins über sich selbst. Vielgewandte Neugier und ruheloses Alles-kennen täuschen ein universales Daseinsverständnis vor) » ( Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). Même si, pour Monsieur Osongo, au fond, de l’avis de Heidegger, la question de savoir ce qu’il s’agit à proprement parlé de comprendre demeure indécise, et même elle n’est pas posée ; pas davantage ne comprend-on que le comprendre lui-même est un pouvoir-être qui ne doit être libéré que dans 42

le Dasein le plus propre. Dans cette comparaison rassurée et universellement « intelligent » de soi-même avec tout, le Dasein œuvre à une extranéation où son pouvoir-être le plus propre se retire à ses yeux. Tentateur et rassurant, l’être-au-monde échéant est en même temps aliénant (entfremdend) » (Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). La question de Heidegger, précise Monsieur Osongo, a été de savoir comment peut-on saisir cette expression : « Dasein universel » ? Est-ce une sorte de prélude au « dialogue interculturel » ? Dans l’affirmative, ce « dialogue » est-il enrichissant ou appauvrissant ? Pour Monsieur Osongo, la réponse ne fait l’ombre d’aucun doute chez Heidegger qu’il s’agit d’un « dialogue » enrichissant dans le cadre d’un « Dasein universel », mieux, de ce que Monsieur Osongo aime appeler une « communauté de Dasein ». Le « DA-SEIN » n’est pas une existence isolationniste, mieux, sans ouverture mais au contraire un espace des relations où les gens se rencontrent, se confrontent, s’aiment, se désaiment, se chamaillent, se réconcilient. De telle sorte que dire « DA-SEIN » chez Heidegger, c’est en quelque sorte dire Liberté, c’est-à-dire ouverture. L’universel est le principal attribut du « Dasein ». Ainsi, contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer au regard de l’éloquence de sa déclaration selon laquelle « la philosophie est grecque dans son essence même », autrement dit qu’il n’y a de philosophie qu’occidentale, ayant fait de lui un philosophe ethnocentriste, opposé à la reconnaissance d’autres cultures, Heidegger soutient qu’il était désormais possible de s’atteler à la compréhension des cultures les plus étrangères et d’y tirer la meilleure « synthèse » possible pour la compréhension de sa propre culture (occidentale). Monsieur Osongo évoque une forme de légitimation en faveur du « dialogue » interculturel voire d’un « dialogue » tout court dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale développée et élaborée par Heidegger dans Sein und Zeit, malgré cette nuance, mieux, cette prudence de Heidegger selon laquelle « cette extranéation (Entfremdung), à son tour, ne peut pas signifier que le Dasein serait facticement arraché à lui-même ; au contraire, elle conduit le Dasein à un mode d’être où l’“analyse de soi” la plus infatigable s’essaie à toutes les possibilités d’interprétations, à tel point que l’on ne parvient plus à dominer du regard les “caractérologies” et les “typologies” qui en résultent. Cette extranéation qui referme au Dasein son authenticité et sa possibilité, serait-ce même celle d’un échec véritable, ne le livre cependant pas à l’étant qu’il n’est pas lui-même, mais le pousse vers son inauthenticité, c’est-à-dire vers un mode d’être possible 43

de lui-même. L’extranéation tentatrice et rassurante de l’échéance conduit, en sa mobilité propre, le Dasein à se prendre à lui-même » (Ibidem, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De waelhens, pp. 218-219, Vezin, p. 226). Au regard de l’ampleur du sens herméneutique du « dialogue » entre Monsieur Osongo et Heidegger son maître, je ne peux, à tout Seigneur tout honneur, que vous invitez à vous mettre à l’écoute. Ainsi, fait à Kinshasa, le 01 octobre 2021 Rd Père BOSOMI Denis -Recteur honoraire de l’Université Saint Augustin de Kinshasa -Rvd père Provincial -Docteur en Philosophie -Professeur d’Universités de l’Université Saint Augustin de Kinshasa et de l’Université Catholique du Congo

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POSTFACE1

Monsieur Osongo-Lukadi présente en vue de sa soutenance d’HDR un volumineux travail de 1158 pages, constitué de 4 tomes, portant sur le philosophe Martin Heidegger. Le titre de ce travail explicite très précisément l’objet, la méthode, le corpus et la visée de la recherche : « Les linéaments pratiques de l’ontologie fondamentale. Esquisse d’une interprétation thématico-praxéologique de Sein und Zeit comme prolégomènes à une « morale-constative-explicative-descriptive ». Le corpus privilégié est l’ouvrage Être et temps (Sein und Zeit) qui a déjà donné lieu à des multiples analyses et commentaires aussi bien en Allemagne, en Italie, qu’en France, en Grande-Bretagne et aux ÉtatsUnis, pour s’en tenir aux pays occidentaux. Ce livre est considéré comme l’un des plus fondamentaux de la philosophie du XXe siècle, s’inscrivant dans la lignée de ceux de Platon, d’Aristote, de Descartes, de Kant, de Hegel et de Nietzsche. S’attaquer à ce monument révèle un beau courage, d’autant plus que l’entreprise du candidat ne consiste pas seulement à proposer un nouveau commentaire, mais qu’elle soutient une véritable thèse, originale, qui va à contre-courant de nombreuses lectures. En effet Monsieur Osongo s’efforce que cet ouvrage de Heidegger, entièrement consacré à la « question du sens de l’Être », relevant ainsi de l’« ontologie fondamentale », et se situant dans la totalité de l’histoire de la métaphysique dont il fait apparaître qu’elle est un « oubli du sens de l’Être », contient ce qu’il appelle des « linéaments » d’une philosophie pratique (morale et politique). Il est sans doute l’un des rares à penser que non seulement la dimension 1

Jean-Claude BOURDIN, « Avis sur le travail d’Habilitation à Diriger des Recherches de Philosophie de Monsieur Antoine-Dover OSONGO-LUKADI », Professeur des Universités, Chef de Département de Philosophie, Membre du Centre de Recherche sur Hegel et l’Idéalisme Allemand, Université de Poitiers, Mardi 15 Mai 2007 (mentionnée avec l’autorisation verbale de l’auteur lui-même).

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pratique n’est pas absente de cet ouvrage, mais qu’elle en structure la visée ultime et l’économie profonde. La méthode suivie est elle aussi originale : Monsieur Osongo l’appelle « thématico-praxéologique ». Cela signifie qu’il se donne comme fil conducteur l’articulation entre le niveau dit « thématique » qui englobe les concepts de l’ontologie fondamentale et le niveau « praxéologique » où se dégagent les concepts relatifs à la pensée de la pratique. Cette articulation est délicate où elle engage à s’interroger sur le statut de concepts nouveaux dans un discours philosophique et qui relèvent de ce que Heidegger appelle « l’analytique existentiale » : le souci, l’angoisser, le « on et le bavardage », les différentes modalités d’être des objets par rapport au Dasein, intraduisible « être-là », le Dasein lui-même, son mode d’être authentique et/ou inauthentique, la nouvelle pensée de l’homme qui en découle, entre autres. L’examen de la notion de « communauté », son rapport à l’histoire, à l’historicité humaine occupent une place privilégiée. Monsieur Osongo creuse avec beaucoup d’acribie ces questions, avec une connaissance sans défaut des textes, dans l’original et en français. Enfin, la visée finale du travail manifeste l’ampleur de cette recherche : le candidat se propose de poser les « prolégomènes » à la constitution d’une « morale-constative-explicative-descriptive ». Il pense pouvoir trouver dans son interprétation de Heidegger de quoi fonder cette entreprise. S’il y a une morale dans Sein und Zeit, c’est en sens qui à la fois rompt avec la tradition et ses apories, et en recueille les différentes aspirations. En tout cas, cette morale s’affranchit de sa détermination comme normative, puisqu’elle censée être constative, explicative, descriptive. La démarche générale de ce travail doit être relevée : Monsieur Osongo présente sa recherche comme des « linéaments », des « prolégomènes ». L’aspect pro-grammatique de cette démarche montre qu’il est déjà engagé dans une suite qu’il attend de ce type de morale des ressources pour penser des réalités que Heidegger n’avait pas connues. Mon appréciation : nous nous trouvons devant un travail de grande ampleur, originale et ambitieuse, manifestant une connaissance profonde non seulement de l’ensemble de la philosophie de Heidegger, mais de la tradition philosophique et des grands commentateurs ayant fait autorité. Le candidat n’hésite pas à engager la discussion critique avec certains d’entre eux et donne à son écriture un élan qui trahit sa passion philosophique et la force de ses convictions. Certes on peut 46

discuter plusieurs points, en particulier cette « morale-constativeexplicative-descriptive ». Mais il faut reconnaître que c’est avec beaucoup de probité intellectuelle et de scrupule scientifique qu’il avance ses thèses et ses commentaires. Je pense donc que ce travail mérite sans restriction de venir en soutenance pour une HDR. Jean-Claude BOURDIN

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Dans l’esprit, cet ouvrage serait soit prétentieux soit provocateur. Parce que Heidegger s’est lui-même refusé, comme pour la question éthique, morale et politique, d’élaborer une philosophie de la culture dans (ou à partir de) de son analytique existentiale du Dasein de l’homme dans « Sein und Zeit ». Cependant, et c’est ce que nous martelons depuis le commencement de nos recherches doctorales et postdoctorales, il y a une différence marquante entre les déclarations d’intention de Heidegger et la mise en pratique de celles-ci. Il est vrai que l’intention de son projet philosophique se tenait à cent lieues de la métaphysique, et donc de la critique moralisante, de la philosophie de la culture, de la politique élaborée ou politique politicienne. Mais la façon dont Heidegger s’y était pris pour traiter justement ce dont il voulait ou se disait se démarquer, n’a cessé de le confondre et en même temps d’embarrasser ses disciples, interprètes et commentateurs les plus orthodoxes. Très peu d’illusion justement sur sa détermination originaire. Et ce n’est pas un procès ni un défi mais un argument dont le but consiste tout simplement à compléter voire à renforcer son intention ontologique, qui n’entre nullement en contradiction ni formelle ni fondamentale avec les phénomènes moraux, éthiques, politiques, culturels, historiques tels qu’il les dénonçait et se refusait à les intégrer dans sa démarche absolument inédite. Reste que pour mesurer l’ampleur de toute sa démarche, il faut aller au commentaire des « manières d’être ou d’agir » de l’être quotidien du Là et l’échéance du Dasein. Ces « manières d’être ou d’agir » sont : « le bavardage » (Das Gerede, SZ, § 35) ; « la curiosité » (Die neugier, SZ, § 36) ; « l’équivoque » (Die Zweideutigkeit, SZ, § 37) ; et « l’échéance et l’être-jeté » (Das Verfallen und die Geworfenheit, SZ, § 38) ; lesquelles « sous-manières d’être ou d’agir » relèvent de la structure de « l’être

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quotidien du Là et l’échéance du Dasein »1. Pour Heidegger, l’analyse et l’interprétation des structures existentiales de l’ouverture de l’être-aumonde – ainsi que nous venons de le voir il y a un moment – ont jeté de l’ombre sur la quotidienneté du Dasein, pourtant horizon phénoménal de l’analytique existentiale dans Sein und Zeit. D’où une nouvelle mise en garde de Heidegger après celle qu’il a donnée en son chapitre portant sur les « manières d’être ou d’agir » liées à la constitution existentiale du « Là ». Voyons en filigrane la portée de cette mise en garde : « Ce qui est exigé en premier lieu, c’est de rendre visible sur des phénomènes déterminés l’ouverture du On, c’est-à-dire le mode quotidien d’être du parler, de la vue et de l’explicitation. Par rapport à ces phénomènes, il ne sera peut-être pas superflu d’observer que leur interprétation a une intention purement ontologique, et qu’elle se tient à cent lieues d’une critique moralisante du Dasein, ainsi que de toute entreprise de “philosophie de culture (Mit Bezug auf diese mag die Bemerkung nicht überflüssig sein, dass Interpretation eine rein ontologische Absicht hat und von einer moralisierenden Kritik des alltäglichen Daseins und von « kulturphilosophischen » Aspirationen weit entfernt ist)2. Comme dit, nous pouvons comprendre les difficultés, les craintes, les incertitudes des nombreux commentateurs dont certains se sont essayés dans l’élaboration d’une perspective ‘moralisante’, soit ‘éthicisante’ dans (ou à partir de) l’analytique existentiale du Dasein dans Sein und Zeit. Or, malgré les craintes d’enlisement voire de mésinterprétation, J. Greisch évoque quand même une dérive ‘moralisante’3 à travers la description ontologico-phénoménologique heideggérienne aussi bien des ‘manières d’être ou d’agir’ liées à la constitution existentiale du ‘Là’ que des ‘manières d’être ou d’agir’ liées à l’être quotidien du ‘Là’ et l’échéance du Dasein. Pour J. Greisch, ‘L’intention de toute cette analyse reste ontologique ; elle ne doit surtout pas être confondue avec une dénonciation moralisatrice de certaines formes de comportement (SZ 167). Une autre 1 GREISCH J., Ontologie et Temporalité : « L’intention de toute cette analyse reste ontologique ; elle ne doit surtout pas être confondue avec une dénonciation moralisatrice de certaines formes de comportement (SZ 167). Une autre question est de savoir si Heidegger lui-même a toujours réussi à respecter parfaitement cette consigne dans ses propres descriptions. » (GREISCH J., Op. cit., p. 216). Nous ne sommes pas prêt de le penser, du moins à notre avis. Et c’est d’ailleurs pourquoi nous nous évertuons à projeter ici une « morale constative » à travers certains existentiaux du Dasein. 2 Sein und zeit, p. 167, tr. fr., Martineau, p. 133 (Boehm et De Waelhens, p. 206, Vezin, p. 214). 3 GREISCH J., op. cit., p. 218.

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question est de savoir si Heidegger lui-même a toujours réussi à respecter parfaitement cette consigne dans ses propres descriptions. »4. Or du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, l’opinion peut désormais se faire pour selon laquelle la compréhension des cultures les plus étrangères et la ‘synthèse’ de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein sur lui-même. Une curiosité multiplie, une infatigable connaissance de tout organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein (In der besonderen Rücksicht auf die Daseinsauslegung kann jetzt die Meinung aufkommen, das Verstehen der fremdesten Kulturen und die « Synthese » dieser mit der eigenen führe zu restlosen und erst echten Aufklärung des Daseins über sich selbst. Vielgewandte Neugier und ruheloses Alles-kennen täuschen ein universales Daseinsverständnis vor)”5. Même si au fond, pour Heidegger, la question de savoir ce qu’il s’agit à proprement parler de comprendre demeure indécise, et même elle n’est pas posée ; pas davantage ne comprend-on que le comprendre lui-même est un pouvoir-être qui ne doit être libéré que dans le Dasein le plus propre. Dans cette comparaison rassurée et universellement “intelligent” de soi-même avec tout, le Dasein œuvre à une extranéation où son pouvoir-être le plus propre se retire à ses yeux. Tentateur et rassurant, l’être-au-monde échéant est en même temps aliénant (entfremdend) »6. Comment peut-on saisir cette expression : « Dasein universel » ? Est-ce une sorte de prélude au « dialogue interculturel » ? Dans l’affirmative, ce « dialogue » est-il enrichissant ou appauvrissant ? Nous retenons le premier aspect ayant rapport avec le qualificatif « enrichissant », car le mot colle aux propos heideggériens suivants relevés Sein und Zeit : « du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, nous laisse-t-il entendre, l’opinion peut désormais se faire pour selon laquelle la compréhension des cultures les plus étrangères et la “synthèse” de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein lui-même. Car s’était-il dit une curiosité multiplie une infatigable connaissance de tout organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein (Daseinsverständnis) »7. Cependant même s’il n’y 4

(GREISCH J., Ontologie et Temporalité, p. 216. Sein und zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). 6 Ibidem, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). 7 Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De waelhens, pp. 218-219, Vezin, p. 226). 5

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aurait pas lieu de prendre ce bout de phrase - d’ailleurs en elle-même foncièrement ambiguë – comme une forme de légitimation en faveur du « dialogue » interculturel voire d’un « dialogue » tout court dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale développée et élaborée par Heidegger dans Sein und Zeit, nous pensons quant à nous qu’elle n’en désigne pas moins une certaine « intersubjectivité » voire une certaine « interculturalité » phénoménologique ! Même si Heidegger ajoute immédiatement comment, à son avis, « cette extranéation (Entfremdung), à son tour, ne peut pas signifier que le Dasein serait facticement arraché à lui-même ; au contraire, elle conduit le Dasein à un mode d’être où l’“analyse de soi” la plus infatigable s’essaie à toutes les possibilités d’interprétations, à tel point que l’on ne parvient plus à dominer du regard les “caractérologies” et les “typologies” qui en résultent. Cette extranéation qui referme au Dasein son authenticité et sa possibilité, serait-ce même celle d’un échec véritable, ne le livre cependant pas à l’étant qu’il n’est pas lui-même, mais le pousse vers son inauthenticité, c’est-à-dire vers un mode d’être possible de lui-même. L’extranéation tentatrice et rassurante de l’échéance conduit, en sa mobilité propre, le Dasein à se prendre à lui-même »8. Reste que et au regard de ce qu’on vient d’entendre, la démarche en cours pourrait ainsi être une hérésie voire un anathème, quand elle veut faire faire ou faire dire à Heidegger ce qu’il n’a jamais ni dit ni fait. On serait excommunié au cas où l’on appartenait à un ordre clérical quelconque. Sans doute. Heureusement on n’en est pas là. On est en philosophie. Et davantage encore en phénoménologie et en herméneutique. Il n’en est rien. Et s’il n’en est rien ça ne veut nullement dire qu’il n’y a pas débat. Il y a débat et il y en aura toujours aussi longtemps que Heidegger sera Heidegger et que son analytique existentiale du Dasein sera toujours telle. C’est-à-dire en théorie une dénégation moralisante et « éthicisante » d’un côté et « politisante » et culturelle d’un autre côté. Alors même que dans l’ordre pratique, l’herméneutique sur le terrain nous en dit le contraire, à savoir qu’au cours de son interprétation phénoménologique des préalables pour donner suite à la question ontologique, Heidegger n’avait jamais lui-même respecté la propre consigne qu’il s’était donnée, celle de ne jamais se mêler des questions moralisantes, « éthicisantes », « politisantes », et culturelles.

8 Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De waelhens, pp. 218-219, Vezin, p. 226).

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En effet, malgré ses dénégations par rapport à ces tendances, Heidegger ne s’est jamais gardé, à travers ses mises en garde à l’égard par exemple d’une techno-science interplanétaire très envahissante et hyper dangereuse pour l’essence du Dasein de l’homme et de l’Être en tant qu’Être, de porter le masque d’un « guide » moral, « politique » voire culturel. En même temps qu’il affirme à qui veut l’entendre que la pensée de l’Être qu’il développe n’avait pas pour but ni ambition de donner des consignes pour la vie pratique, alors qu’on le voit très bien distinguer (évidemment sans rien proposer à personne, même s’il indique laquelle entre ces deux types d’existence, le meilleur et le plus souhaitable) l’existence authentique et l’existence inauthentique, tout en énonçant l’existence authentique comme la seule condition pour se débarrasser de l’existence étante au profit de l’existence ontologique. C’est pour cette raison que j’ai toujours dit que sa prudence méthodologique donne bel et bien des consignes pour la vie pratique du Dasein de l’homme ! Ce qui n’est nullement contre-productif de la part d’une pensée de l’Être en tant qu’Être, dont le but consiste à replacer celui-ci dans son essence oubliée. Dans Brief über den Humanismus, Heidegger est plus pragmatique, c’est-à-dire plus réaliste par rapport au conditionnement ontologico-phénoménologicoherméneutique du Dasein de l’homme face à toutes les formes d’aléas auxquels il fait face. On voit bien que les questions pratiques d’ordre moral, éthique, politique, traditionnel, historique, politique, culturel qu’il s’interdisait de prononcer dans Sein Und Zeit, sont évoquées, affirmées et réaffirmées sans complexe dans Brief über den Humanismus. Lorsqu’en 1927 Heidegger publia Sein und Zeit ce fut, s’exclama J. Taminiaux dans son ouvrage intitulé « Lectures de l’ontologie fondamentale », l’effet d’un météorite9. Et il n’avait pas du tout tort. Ce fut effectivement un séisme philosophique si l’on en croit également M. Zarader pour qui, il est difficile sinon impossible de philosopher sans Heidegger, mieux, de penser en dehors du projet phénoménologique et herméneutique proposé dans cet ouvrage ; et cela, renchérissait-elle, que l’on soit contre lui ou en désaccord avec l’objectif poursuivi par celui-ci. « La pensée contemporaine, relève-t-elle, ne cesse de “s’expliquer” avec Heidegger. Elle peut penser avec lui ou contre lui, rarement sans lui. Il s’agit de savoir, fût-ce de manière très globale, ce qui permet à l’œuvre

9 TAMINIAUX J., Lectures de l’ontologie fondamentale, Grenoble, Jérôme Million, 1989, p. 5.

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heideggérienne d’occuper cette position communément reconnue aujourd’hui comme incontournable. »10. À la suite de M. Zarader on peut se demander si Heidegger n’est-il pas finalement le gardien de la tradition occidentale ? Autrement dit n’est-il pas le « messager » ou le « berger » de l’être ? On pourrait l’affirmer positivement. En effet ses lamentations à ce propos sont légendaires que pour devoir y insister. Il n’y a qu’à se souvenir de ses déclarations faites à propos d’O. Spengler qui évoqua le déclin de la pensée et de la civilisation occidentales et d’autres figures remarquables telles Möricke, Hebel, Hölderlin, etc. Heidegger était celui qui, après les présocratiques grecs à l’instar de Parménide d’Elée et d’Héraclite d’Ephèse, a compris mieux que quiconque comment la « question de l’être » (Seinsfrage) demeurait le seul rempart contre un tel déclin. D’ailleurs pour J. Greisch, « Une tradition interprétative très forte cautionnée par Heidegger lui-même, voudrait n’y lire qu’une seule et unique question, la question du sens de l’être. Même si Heidegger a voulu que son itinéraire de pensée soit interprété de cette manière et même s’il avait de bonnes raisons de proposer cette grille de lecture, l’état actuel du corpus heideggérien nous oblige à la remettre en question et à prendre acte d’un certain décalage entre l’interprétation systématique du philosophe et la genèse réelle, certainement beaucoup plus complexe, de la pensée heideggérienne. »11. En effet, le projet heideggérien se voulut vaste. Mais la difficulté de la question l’obligea à revoir ses ambitions à la baisse. Ainsi du projet initialement fixé sur la Seinsfrage, c’est-à-dire sur la question de l’être, Heidegger ne dût-il se contenter que du Dasein, c’est-à-dire de l’analyse et de l’interprétation d’une des manières privilégiées du « comportement » humain signifiant « être-là »12. L’ouvrage portera donc sur une description ontologico-phénoménologique et herméneutique (cfr. SZ § 7) de l’analyse du comportement humain. En termes heideggériens, cette analyse s’entend comme « ontologie fondamentale » ou comme « analytique existentiale du Dasein ». 10

ZARADER M., La dette impensée. Heidegger et l’héritage hébraïque, Paris, Seuil, 1990, p. 13. 11 Cf. « Introduction historique. De l’herméneutique de la facticité à l’ontologie fondamentale » de J. GREISCH dans Ontologie et temporalité. Esquisse d’une interprétation intégrale de Sein und Zeit, Paris, P. U. F., 1994, p. 1. 12 Cf. Pour complément d’information les études publiées dans « Heidegger 1919-1929. De l’herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein » (Actes du colloque organisé par Jean-François Marquet à l’Université de Paris-Sorbonne, novembre 1994), Paris, J. Vrin, 1996.

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Portant sur 83 paragraphes, Heidegger ne conçut plus le Dasein, c’est-àdire l’être humain comme une subjectivité transcendantale (aussi bien à la manière de Descartes, de Kant, de Hegel que de Husserl). Pour Heidegger, l’homme est un « être-au-monde » (In-der-Welt-sein). Et s’il est « aumonde » - et non « dans le monde » car l’homme est différent de l’étant ensoi (sartrien qui est là dans le monde sans savoir pourquoi, autrement dit sans raison) -, le Dasein est « Là » pour « être », c’est-à-dire pour « orienter », pour « guider » le monde et le reste de l’étant. À ce titre, il est « avoir-à-être » (Zu-sein) et « pouvoir-être » (Seinkönnen). L’ouverture dans le monde, le désigne pour être « transcendant ». Au sens heideggérien, cela signifie « être-avec » (Mit-sein), « être-avec-autrui » (Mit-dasein) et « êtreen-commun » (Mit-einander-sein). Séjournant avec les autres Dasein et étant au milieu des étants, c’est-à-dire au milieu des « étants-disponiblessous-la-main » (Zuhandenheit), Heidegger ne crut pas que cette « présence du Dasein » « au-monde » était une bonne chose car il perdait par le fait même son « authenticité » (Eigentlichkeit). Car n’étant plus lui-même en propre. D’où il ne tarda guère d’imputer une telle « inauthenticité » (Uneigentlichkeit) aux « manières d’être » (Seinsweisen) du « bavardage », de la « curiosité », de « l’équivoque » et de « l’être-jeté », entre autres. Ainsi, l’objectif assigné, entre autres, au § 9 sur la « mienneté » (Jemeinigkeit ») – paragraphe clé de l’ouvrage avec le § 65 sur la « temporalité » (Zeitlichkeit) – consista justement à faire démarquer le Dasein humain de cet environnement dépaysant voire surtout « impropre ». Ainsi, et dans la mesure où l’objectif ultime de Sein und Zeit a consisté dans la détermination heideggérienne de montrer que la temporalité qui est à la fois finie et mortelle est la seule et unique « manière d’être » humaine qui met en avant « l’être-tout » du Dasein, pour Heidegger, en tant que tel, le Dasein est mortel. Mais il n’est pas uniquement que cela ; il est également et surtout « être-pour-la-mort » (Sein-zum-Tode) (§§ 51-60). D’où la possibilité, à chaque fois pour le Dasein humain, de recouvrer son « authenticité », c’est-à-dire son authentique authenticité d’être authentique et authentisant de son authenticité. Quant aux autres paragraphes suivants ceux qui viennent de mis en évidence, plus précisément les §§ 71-77, ils discutent entièrement de l’« immersion » du Dasein aussi bien dans la tradition que dans l’histoire humaines. Ils contiennent des indications pratiques, mieux, pragmatiques montrant comment le Dasein s’affirmait aussi bien comme « historialité » (Geschichtlichkeit) que comme « historial » de cette historialité. Le « dialogue » qui s’en était suivi à ce propos tant avec W. Dilthey, le Comte

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York qu’avec Aristote et Hegel en particulier, ne manqua pas d’intérêt, que du contraire. Tel est, en résumé, le but de l’analytique existentiale du Dasein élaborée par Heidegger dans son pertinent ouvrage où l’accent avait été mis sur l’ontologicité de celle-ci, plutôt que prioritairement sur des considérations d’ordre « morale », « éthique » ou « politique », disons brièvement existentialistes, humanistes, métaphysiques, anthropologiques. Convaincu, donc, que l’ontologie était antérieure à toutes ces disciplines, Heidegger voulut placer l’analytique existentiale au-delà de toute éthique, morale, culture et de toute politique, sans la déterminer « par rapport » à celles-ci. Tout simplement parce qu’il était convaincu que ces trois disciplines (ensemble de la culture d’un peuple) relevaient de la métaphysique qu’il s’efforçait, donc, de « dépasser » (cfr. Essais et Conférences), mais seulement avec un certain succès dans la mesure où il n’y était parvenu que partiellement ; Heidegger fut, à vrai dire et cela malgré lui, prisonnier du langage de la métaphysique. D’ailleurs on attribue la non-publication de la deuxième partie de l’ouvrage, pourtant annoncée dès les sept premiers paragraphes de Sein und Zeit, à la difficulté qu’il éprouva de se débarrasser dudit langage. Mais ça c’est un autre problème qui n’a pas droit de cité ici. On a souvent parlé de cette non publication comme un échec, mais en réalité, logique, de l’avis de Heidegger lui-même, au regard du contexte historique et traditionnel de l’Être en question dont la nature se donne à nous à la fois comme donation et retrait, ouvert et fermé, voilement et dévoilement. De telle sorte que cette non publication d’« Être et Temps » devrait finalement être vue comme normale, parce que conforme à la nature même de l’Être en tant qu’Être, en tant qu’il se donne tantôt comme différent de l’étant et tantôt comme semblable à ce même étant. Donc doctrinement ce n’est nullement un échec, mais un pas en avant dans la question de l’« authenticisation » de l’Être dans sa question. Dans un cours instant, nous allons pouvoir examiner le rapport de Heidegger avec la tradition ; rapport au cours duquel nous tacherons de répondre à la double question consistant à savoir si Heidegger est un « créateur » de tradition ou, alors, simplement un simple « imitateur » de ce qui existe nécessairement et toujours déjà là ? Un débat à rouvrir dans un instant et qui n’est pas sans importance tant qu’il en va de la crédibilité et de la pertinence de la question sur l’insertion « sociale » voire « populaire » de l’œuvre de Heidegger.

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Chapitre 1 Tradition comme transmission et comme création

1. Heidegger et la tradition À présent, nous allons en venir à la question portant sur le rapport de Heidegger avec la tradition, où la question centrale sera celle de savoir comment déterminer les principes de la lecture heideggérienne de la tradition. Cette question pose, en clair, le problème de l’« authenticité », de l’« originalité » de la pensée heideggérienne en général, et de l’ontologie fondamentale en particulier. Pour A. Boutot, « Amorcé dès les premières années d’enseignement à Fribourg, le dialogue de Heidegger avec la tradition s’est poursuivi de manière pratiquement ininterrompue pendant toute son œuvre. Ce dialogue a connu des revirements, et s’est développé selon deux modalités connexes. Heidegger s’est attaché aussi bien à dégager l’essence de la métaphysique comme telle et en général, qu’à interpréter les doctrines ou les thèses des principaux penseurs de l’Occident. Heidegger n’est certes pas le premier à avoir “pratiqué” l’histoire de la philosophie, et pourtant son approche de l’histoire de la philosophie demeure exceptionnelle à plus d’un titre. D’abord par son ampleur, puisque Heidegger parvient à réinterpréter l’ensemble, ou presque, de la pensée occidentale, ce qui témoignerait déjà à soi seul de la puissance d’éclairement de la pensée heideggérienne elle-même. Ensuite par sa rigueur, c’est-à-dire par la volonté d’éviter toute interprétation récurrente ou systématisante des œuvres du passé. Heidegger est enfin un des rares penseurs de l’occident à avoir fait de l’histoire de la philosophie un chapitre essentiel de la philosophie elle-même. De ce point de vue, l’approche heideggérienne de l’histoire de la philosophie ne peut se comparer à celle d’aucun autre, sinon peut-être à celle de Hegel lui-même »1. 1

BOUTOT A., Heidegger, Paris, P.U.F., 1989, p. 61.

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La question du « positionnement » de Heidegger par rapport à la tradition philosophique occidentale s’avère une question importante. Mais elle demande au préalable une clarification susceptible de dissiper toute obscurité. Heidegger lui-même lui a accordé une importance majeure dans les §§ 6 et 67 de Sein und Zeit. Nous reviendrons bientôt sur l’interprétation des deux paragraphes en question, le temps de relever aussi bien l’horizon de l’interprétation que l’évolution de l’attitude de Heidegger à l’égard de la tradition. Pour commencer, A. Boutot insiste sur le fait que : « Toute interprétation doit être animée et conduite par la force d’une idée inspiratrice. Cette idée, dans le cas de l’interprétation heideggérienne de la tradition, est fournie par la problématique heideggérienne elle-même, c’està-dire par la question de l’être. En replaçant la tradition philosophique dans l’horizon de la question de l’être, Heidegger n’évalue pas la pensée occidentale au moyen d’une mesure qui lui serait étrangère, mais la jauge à l’aune de ce qui constitue ou plutôt aurait dû constituer, depuis toujours, son objectif essentiel. En anticipant sur les résultats de l’exégèse heideggérienne, disons que Heidegger veut montrer que les penseurs qui l’ont précédé ont omis, sauf exception, de poser la question de l’être, qu’ils ont laissé l’être dans l’oubli sans se rendre compte, du reste, de leur oubli lui-même. Heidegger adopte donc une attitude “critique”, si l’on veut, à l’égard de la tradition. Mais cette critique n’a pas une signification simplement négative. En mettant au jour l’omission de la question de l’être dans l’histoire de la philosophie, Heidegger fait apparaître non seulement les limites de la tradition, mais aussi et corrélativement ses contours. C’est la raison pour laquelle son interprétation de la tradition est dans son fond une appropriation de celle-ci. Heidegger s’approprie et approprie la tradition à elle-même en dévoilant ses zones d’ombre, ses fondements cachés »2. Mais J. Taminiaux est celui, en réalité, qui exprime une opinion très négative de Heidegger par rapport à la tradition. Son objectif – celui contre 2

Ibidem, pp. 62-63. Il poursuit : « A l’intérieur de ce cadre exégétique général, l’attitude de Heidegger à l’égard de la tradition n’a pas toujours été la même et s’est infléchie dans les années qui ont suivi Être et Temps. Alors qu’à l’époque de Etre et Temps, Heidegger abordait la tradition à la lumière de l’ontologie fondamentale, il l’envisagera, après le tournant, à la lumière de la pensée de l’être : cela veut dire qu’après avoir découvert l’impensé de la pensée occidentale dans le Dasein, ou plutôt dans l’omission du phénomène du Dasein, il le trouvera, dans la seconde partie de son œuvre, dans l’oubli de l’être ou mieux dans l’oubli lui-même oublié de la différence de l’être et de l’étant. Cette différence d’appréciation de l’impensé s’accompagne d’une évolution de la méthode exégétique : après avoir été conçue comme une “destruction”, la quête de l’impensé supposera, après le tournant, l’accomplissement d’un “pas en arrière ‘(Schritt zurück)’ (Ibidem, pp. 64-65).

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lequel nous tenons des réserves et nuances – est de montrer que l’ontologie fondamentale élaborée dans Sein und Zeit n’est qu’une simple réappropriation de différentes péripéties de la tradition, mieux, de la philosophie occidentale. Réappropriation pour J. Taminiaux, ce n’est qu’une simple reprise sans création : « ... Un thème, dit-il, comme le solipsisme peu importe qu’il soit existential, n’est pas sans évoquer un certain héritage cartésien, de même que le rôle central de l’angoisse dans l’ouverture du Dasein à ce qu’il a de plus propre, son être-vers-la-mort, n’est pas sans faire écho à l’analyse de la naissance de la Selbstbewusstsein dans la Phénoménologie de l’Esprit »3. Il poursuit : « ... Cette thématisation critique s’accompagne d’une réappropriation transformée. C’est à la confrontation aristotélicienne de la poièsis et de la praxis que l’ontologie fondamentale emprunte sa distinction entre une manière d’être quotidienne impropre ou inauthentique et une manière d’être en propre ou authentique. C’est d’Aristote encore que Heidegger s’inspire lorsqu’il souligne que la forme la plus haute de praxis est la theoria. Cependant, il s’en déprend radicalement lorsqu’il assigne pour rôle à la theoria, non de se dissocier de la phronèsis, mais de la redoubler, c’est-à-dire, de prendre pour thème le mouvement fini de l’exister mortel »4. Ainsi, pour J. Taminiaux, Heidegger se réapproprie certains aspects, sinon les principaux, de la philosophie ancienne, médiévale, moderne et contemporaine. Concernant le rapport de l’ontologie fondamentale à la philosophie médiévale, J. Taminiaux relève que : « Lorsqu’il thématise les concepts fondamentaux de la métaphysique médiévale, Heidegger en rapporte la généalogie aux vues de la préoccupation quotidienne et au comportement producteur qui les régit. Mais il se réapproprie discrètement de cette onto-théo-logie la notion centrale d’analogia entis. De même que les scolastiques déterminaient ontologiquement la hiérarchie des étants, les degrés d’être, par un rapport analogique au summum ens en lequel l’acte est pur de potentialité et l’essence identique à l’existence, de même Heidegger détermine analogiquement la hiérarchie des sens d’être – ainsi l’être de la pierre définie comme sans monde, l’être de l’animal défini comme pauvre en monde – par rapport au seul Dasein dont l’essentiel, une fois qu’il est, 3

TAMINIAUX J., Lectures de l’ontologie fondamentale, Grenoble, éd. Jérôme Millon, 1989, p. 6. 4 Ibidem, p. 11. « Néanmoins cette transformation même, tout en déplaçant le thème de la theoria - non plus l’éternel mais le temps fini - conserve l’ambition de l’onto-théologie antique puisque ce temps fini est censé livrer un centre ultime d’intelligibilité de l’être de l’étant » (Ibidem).

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est d’exister »5. Concernant, à présent, son rapport à la métaphysique moderne qui culmine dans ce qu’on appelle l’« onto-théo-égo-logie » hégélienne, J. Taminiaux écrit : « Ici encore le geste est double : mise à distance critique ou démarcation (Abhebung) et réappropriation. Et cette réappropriation, à la différence de celle qui concernait les anciens et les médiévaux, est d’autant plus serrée que, comme Hegel, l’ontologie fondamentale soutient que la dernière clé de l’intelligibilité ontologique se trouve non plus dans une nature ou un Dieu transcendant mais dans la compréhension du soi »6. Concernant, enfin le rapport de cette ontologie fondamentale à la philosophie contemporaine, Taminiaux note : « On présente parfois la méditation heideggérienne de l’histoire de l’être postérieure à l’abandon de l’ontologie fondamentale - comme une sorte de hégélianisme à rebours qui substituerait à l’éclaircissement progressif de l’absolu l’épaississement progressif de l’oubli de l’être. Nous croyons à l’inverse que c’est l’ontologie fondamentale qui témoigne le plus intensément d’un hégélianisme heideggérien. Car au cœur de cette ontologie, tout attentive qu’elle s’efforce d’être à la finitude, il y a un cercle : la praxis authentique culmine dans la theoria comme savoir de l’être, mais réciproquement la theoria culmine dans la justification spéculative de la praxis résolue ou authentique »7. Jusque-là, nous pouvons dire que les analyses faites par A. Boutot et J. Taminiaux nous ont donné une image presque globale du rapport de Heidegger avec la tradition philosophique de l’Occident en général. Si nous disons « presque », c’est parce que nous estimons que leurs analyses – surtout celle de J. Taminiaux – cachent encore quelques points d’ombre. Mais A. Boutot qui a eu par rapport à cette question une attitude beaucoup plus neutre, c’est-à-dire positive a su trouver des mots justes : « En mettant au jour l’omission de la question de l’être dans l’histoire de la philosophie, Heidegger fait apparaître non seulement les limites de la tradition, mais aussi et corrélativement ses contours. C’est la raison pour laquelle son interprétation de la tradition est dans son fond une appropriation de celle-ci. Heidegger s’approprie et approprie la tradition à elle-même en dévoilant ses zones d’ombre, ses fondements cachés »8. Mais pour en venir au clou de la question, nous constatons que c’est dans les paragraphes 6 et 67 de Sein und Zeit, dans Introduction à la 5

Ibidem, pp. 11-12. Ibidem, p. 12. 7 Ibidem. 8 BOUTOT A., Op. cit., p. 63. 6

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métaphysique et dans Chemins d’explication, que Heidegger expose sa « critique » de la tradition et il le fait en termes de « transmission » et de « création ». Avant de décrire cette conception heideggérienne de la tradition, nous nous proposons de donner un sens à chacun des termes qui constituent le corps de ce « dialogue » entre Heidegger et la tradition, à savoir les termes « appropriation » et « réappropriation ». Dans l’ensemble, les termes « appropriation » et « réappropriation » sont généralement d’usage lorsqu’il s’agit du « dialogue » entre Heidegger et la tradition philosophique de l’Occident. Il s’agit des termes-clés qui règlent ce « dialogue ». « Approprier » une tradition, c’est, à vrai dire, la rendre en propre, c’est-à-dire, dans ce qu’elle possède de « plus propre ». Et qu’est-ce que la tradition posséderait de « plus propre » dans le contexte heideggérien sinon l’être lui-même dans sa vérité essentielle ? M. Zarader écrit : « ... l’histoire de la métaphysique est reparcourue en sa diversité, renvoyée à son unité, pensée en sa vérité - autant de gestes qui n’en font qu’un, puisqu’ils reviennent tous à nous mettre en possession d’un héritage qui était nôtre tout en nous demeurant fermé. En rendant au philosophe son passé, Heidegger lui permet de se reconnaître comme homme de la modernité (la fin de la métaphysique) et de chercher, fût-ce en tâtonnant, son nouveau visage de penseur, qui est peut-être aussi son avenir, s’il doit en avoir un. Tel est l’un des sens possibles de l’entreprise heideggérienne, et il serait déjà suffisant pour rendre compte de son prodigieux impact sur le paysage de la pensée contemporaine »9. Ce que Zarader veut nous dire ici, c’est qu’un penseur du genre de Heidegger ne peut être « rencontré » uniquement sur le chemin de la routine. La pensée de Heidegger donne à penser, car elle donne à l’Occident la mesure de son être. Pour Marlène Zarader, Heidegger est un penseur « original », il est celui qui a posé une question, que l’antiquité, la scolastique, et la « modernité » croyaient vidée de son importance dans la mesure où l’on a assisté à la radicalisation d’une indistinction entre l’être et l’étant. Heidegger a appelé cette indistinction entre l’être et l’étant « indifférence ontologique ». Pourtant l’être est bel et bien différent de l’étant. D’où dans cette perspective de différence entre l’être et l’étant l’émergence du concept de « différence ontologique » dans la pensée de Heidegger. En vérité, le souci de poser la question de l’être dans sa vérité n’est vraiment propre qu’à Heidegger. Il s’avère donc qu’autant il s’« approprie » et se « réapproprie » la tradition, Heidegger prend 9 ZARADER M., La dette de l’impensé. Heidegger et l’héritage hébraïque, Paris, éd. Du Seuil, 1990, pp. 14-15.

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radicalement ses distances, et indique même la voie à suivre désormais, voie jamais auparavant proposée par un autre philosophe, excepté peut-être les penseurs de l’Antiquité grecque comme Héraclite et Parménide : « Lorsqu’il pose la question de notre provenance, Heidegger répond : nous sommes les héritiers des Grecs. Par où il faut entendre que l’injonction déposée dans les paroles fondamentales des premiers Grecs constitue le coup d’envoi de notre histoire et à ce titre, détermine encore le lieu où nous nous tenons »10. Voilà ce qui est bien dit. Car si Heidegger différencie l’acte de simple transmission dans la tradition et celle de création, c’est justement parce qu’il a refusé d’être un simple lecteur de la tradition, c’est-à-dire un simple héritier de sa propre tradition et par rapport auquel on demeure passif, inactif. On ferait, ainsi, tort à Heidegger si on ne se limitait qu’aux seuls paragraphes 6 et 67 de Sein und Zeit. C’est d’ailleurs là le principal tort de J. Taminiaux et de ceux nombreux qui pensent comme lui. 2. Tradition comme simple « transmission » Dans l’analyse et à l’interprétation des §§ 6 et 67 Heidegger, comme nous venons de le dire, expose sa vision « critique » de la tradition. Il faut noter qu’il ne s’agira à ce niveau que d’un des aspects de la tradition qu’il récuse, à savoir la « transmission », autrement dit la « tradition dans son apparaître quotidien ». Commençons par l’analyse heideggérienne de la tradition dans « Etre et Temps ». Dans sa problématique d’ensemble, nous pouvons dire que « Être et Temps » pose la question de la répétition (Wiederholung). La répétition a pour rôle de montrer que les diverses caractéristiques du souci (Sorge), c’est-à-dire la compréhension, le sentiment de la situation et la chute, trouvent leur origine dans la base ontologique de la temporalité (Zeitlichkeit). L’interprétation heideggérienne se fonde sur le présupposé selon lequel « Être, c’est être dans le temps »11. Donc, l’être-là est dans le temps, non seulement comme présent - ainsi que le laissait entrevoir Aristote - ou comme exclusivement passé pour Dilthey, mais aussi et surtout futur. Voilà pourquoi pour Heidegger, l’être-là est historicité (Geschichtlichkeit). 10

Ibidem, p. 17. Cf. BEAUFRET J., Dialogue avec Heidegger. Philosophie grecque, Paris, de Minuit, 1973 et également DE RUBERCY R. et LE BUHAN D., Douze questions posées à Jean Beaufret à propos de Martin Heidegger, Paris, Aubier Montaigne, 1983. 11 LARTHOMAS J-P., « La question de la répétition », in Être et Temps de M. Heidegger. Questions ouvertes et voies de recherche, SUD, mai, 1989, pp. 97-109.

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Ainsi, l’innovation heideggérienne consiste à ne plus restreindre l’êtrelà au seul présent ou au seul passé, mais à l’orienter également sur le futur, c’est-à-dire sur son avenir. Le futur, le passé et le présent sont les trois extases de la temporalité d’un Dasein. Il s’agit, en premier lieu, du moment de l’anticipation (Vorlaufen), en deuxième lieu, avec le passé, du moment de la reprise (Wiederholen), et, en troisième lieu, avec le présent, dernière extase par ordre d’importance, du moment de la vision (Augenblick). Nous approfondirons cette question quand viendra (dans des travaux futurs) le moment de procéder à l’analyse et l’interprétation des « manières d’être » du Dasein comme temporalité. Nous nous devons pour le moment de signaler que la question de la temporalité posée au § 67 de Etre et Temps, est posée dans le cadre exclusif de la re-conquête par l’être-là de son authenticité. Mais cette question est déjà présente au § 6. Le § 6 considère « la destruction de l’histoire de l’ontologie comme une tâche à accomplir ». À la différence du § 67 qui, comme nous venons de le voir, pose la question de la temporalité en rapport à l’authenticité de l’être-là, le § 6, pour sa part, entre en « conflit » ouvert avec l’ancienne conception de la notion d’histoire et du temps dans l’ontologie classique, en essayant de proposer une autre conception de l’histoire, mais aussi du temps qu’il croit être meilleure. En effet, pour Heidegger : « Toute recherche - à commencer par celle qui se meut dans l’orbe de la question centrale de l’être - est une possibilité ontique du Dasein. L’être de celui-ci trouve son sens dans la temporalité. Celle-ci, toutefois, est en même temps la condition de possibilité de l’historialité en tant que mode d’être temporel du Dasein lui-même, abstraction faite de la question de savoir si et comment il est un étant “dans le temps”. La détermination de l’historialité est antérieure à ce que l’on appelle histoire (procès de l’histoire mondiale) »12. Cet extrait met en exergue la notion d’historicité. Or, ce que Heidegger appelle historicité, n’est-ce pas la tradition dans laquelle se trouve inséré tout Dasein ? Il répond par l’affirmative : « L’historialité désigne la constitution d’être du “provenir” du Dasein comme tel, provenir sur la base duquel seulement est possible quelque chose comme une “histoire du monde” et une apparence historique à cette histoire. Le Dasein est à chaque fois, en son être factice, comme et “quel” il était déjà. Expressément ou non, il est son passé, et il ne l’est pas seulement en ce sens que son passé se glisserait pour ainsi dire “derrière” lui, qu’il posséderait du passé comme

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SZ., p., 19, tr. fr., Martineau, p. 38, (Vezin, p. 45, De Waelhens, p. 36).

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une qualité encore sous-la-main qui parfois manifesterait ses effets en lui »13. La notion d’historicité est une notion-clé dans l’interprétation heideggérienne de la tradition. C’est dans l’historicité que l’être-là de l’homme se trouve tout à la fois sur le mode du futur, du passé et du présent. Il est un « héritier ». Mais dans le mode de la « transmission », l’être-là est constituvement chaque fois son passé. Or, insiste Heidegger, si l’être-là est chaque fois son passé, il va falloir, en vue d’une « transmission » ou d’un « héritage », que cet « être passé » qui le marque s’accomplisse à partir de son avenir (de son futur) : « Le Dasein “est” son passé sur le mode de son être, lequel, pour le dire grossièrement, “provient” à chaque fois à partir de son avenir. Dans toute guise d’être à lui propre, donc aussi dans la compréhension d’être qui lui appartient, le Dasein est pris dans une interprétation traditionnelle du Dasein, il a grandi en elle. C’est à partir d’elle qu’il se comprend d’abord, et même en un sens constamment. Cette compréhension ouvre les possibilités de son être et les règles. Son passé propre - autant dire toujours celui de sa “génération” - ne suit pas le Dasein, il le précède au contraire toujours déjà »14. Certes, pour Heidegger, cette historialité élémentaire du Dasein peut demeurer voilée à ses yeux. Mais, elle peut aussi d’une certaine manière être découverte et faire l’objet d’une culture particulière : « Le Dasein peut découvrir la tradition, la conserver, la poursuivre expressément. La découverte de la tradition, l’ouverture de ce qu’elle “transmet” et de la manière dont elle le transmet peut être prise pour tâche autonome. Le Dasein adopte ainsi le mode d’être du questionnement et de la recherche historiques. Toutefois l’histoire - plus exactement l’historicité - n’est possible en tant que mode d’être du Dasein questionnant que parce qu’il est déterminé au fond de son être par l’historialité. Si celle-ci demeure en retrait pour le Dasein et aussi longtemps qu’elle le demeure, c’est également la possibilité du questionnement et de la découverte historique de l’histoire qui lui est refusée. Le manque d’études historiques n’est pas une preuve contre l’historialité du Dasein, mais au contraire, en tant que mode déficient de cette constitution d’être, une preuve à l’appui de celle-ci. Une époque ne peut être anhistorique que pour autant qu’elle est “historiale”15.

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Ibidem, p. 20, tr. fr., Martineau, p. 38, (Vezin, p. 45, De Waelhens, p. 36). Ibidem, p. 20, tr. fr., Martineau, p. 38, (Vezin, pp. 45-46, De Waelhens, p. 36). 15 Ibidem, p. 20, tr. fr., Martineau, p. 38, (Vezin, p. 46, De Waelhens, pp. 36-37). 14

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L’être-là, ainsi que l’indique Heidegger, est capable non seulement de “lire” sa tradition, c’est-à-dire de la “découvrir” à la suite des récits et des événements à lui légués par les “anciens”, mais aussi peut-être capable de la “conserver”. Mais il peut également la “perdre” et donc la faire passer dans l’oubli ou dans l’errance : la question de l’être dans sa vérité par exemple. La perte de la tradition proviendrait, sans doute, du fait de l’êtrelà qui se laisse aller dans l’abandon au monde de la quotidienneté. “Pris” par ce “monde”, il n’est pas impossible qu’il succombe aussi à la tradition qui lui devient du même coup étrangère. C’est pourquoi, Heidegger nous dit : “L’être-là n’a pas seulement la tendance de succomber au monde dans lequel il est, et de s’interpréter lui-même ‘réflexivement’ à partir de ce monde, il succombe aussi et du même coup à une tradition que, d’ailleurs, il ne saisit que plus ou moins explicitement. Cette tradition le décharge du souci de conduire lui-même sa vie, de poser une question radicale et de faire un choix décisif. Cela concerne surtout la compréhension ontologique et ses possibilités de développement, enracinées dans l’être même de l’être-là”16. Tout être-là incapable de considérer sa vie et son existence comme une décision personnelle, est donc, absolument, sous l’emprise de la quotidienneté ; et dans cette quotidienneté disparaît le “jugement personnel” : on essaye de penser ou de parler comme les autres. C’est cela, c’est-à-dire cette façon de parler ou de penser comme les autres plutôt que par soi-même, que nous appelons l’“autorité de la tradition”. N’est-ce pas au nom de cette “tradition autoritaire” que la question de l’être est devenue une question banale ? Cette banalité est confirmée par nombre de préjugés : l’être comme le concept le plus vague, le plus général, le plus vide... Nietzsche (dont l’importance métaphysique est cependant relevée par Heidegger), ne définit-il pas l’être comme une vapeur ?17 Pourtant, l’être est la question directrice de toutes les questions de la métaphysique, question qui, on le sait, représente pour Heidegger l’élément essentiel de la grandeur de l’Occident comme peuple et comme culture. Les philosophes occidentaux, selon Heidegger, ont été tous victimes de ce que nous avons appelé l’“autorité de la tradition”. C’est-elle qui a occulté la vérité de l’être en Occident : “En accédant ainsi à la suprématie, la tradition, bien loin de rendre accessible ce qu’elle ‘transmet’, le recouvre d’abord et le plus souvent. Elle livre ce contenu transmis à l’‘évidence’, et barre l’accès aux sources originelles où les catégories et les concepts traditionnels furent puisés, en partie de manière authentique. La tradition va même jusqu’à 16 17

Ibidem. Einführung in die Metaphysik, p. 30, tr., fr., p. 50.

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plonger complètement dans l’oubli une telle provenance. Elle supprime jusqu’au besoin de seulement comprendre un tel retour en sa nécessité propre”18. À la lumière de ce qui précède, nous sommes déjà en mesure de comprendre ce que veut dire, pour Heidegger, ce que nous avons appelé une “tradition transmission” ; c’est celle où chacun fait comme chacun car soumis à la loi des préjugés, interdits, tabous que nul ne peut enfreindre. Elle emprisonne le Dasein en ceci que jamais, elle ne lui donne aucun espace de liberté pouvant lui permettre d’assumer sa tradition d’une façon créatrice, ce qui demande de l’être-là une décision personnelle en vue de conduire sa vie ou son existence de manière “autonome” et “responsable”. En effet, nul n’ignore qu’un passé a besoin d’être transformé, non essentiellement en vestige ou en musée, mais aussi et surtout en “devenir” et en “avenir”. Il s’agit d’un passé à “cultiver”, à “recréer”, à “réactualiser” », à « réanimer ». C’est là un moment important de la « re-prise herméneutique » à laquelle fait souvent allusion Benoît Okolo à la suite de Heidegger et surtout de Gadamer et de Ricœur19. Or, il nous semble comprendre sensiblement que la « tradition transmission » ignore ce moment de la « re-prise herméneutique ». Privée de toute initiative de créativité : « La tradition déracine à tel point l’historialité du Dasein qu’il ne se meut plus que dans l’intérêt porté à milles formes de types, de courants, de points de vue philosophiques tel qu’on peut les rencontrer dans les cultures même les plus éloignées et les plus étrangères, et cherche à voiler par cet intérêt sa propre absence de sol. La conséquence en est que le Dasein, malgré tout son intérêt, malgré tout le zèle qu’il déploie en faveur d’une interprétation philosophique “objective”, ne comprend plus les conditions les plus élémentaires qui seules rendent possible un retour positif au passé au sens d’une appropriation productive »20.

18

SZ., p. 21, tr. fr., Martineau, p. 39, (Vezin, p. 47, De Waelhens, p. 38). A propos de cette « re-prise herméneutique », Cf. OKOLO OKONDA B., « L’herméneutique chez P. Ricœur : instances et méthodes », in Cahiers Philosophiques Africains, Lubumbashi, P. U. Z., 1979 ; « Pour une philosophie de la culture et du développement. Recherches d’herméneutique et de praxis africaines, Kinshasa, P. U. Z., 1986 ; “Avenir et tradition”, in Nouvelles Rationalités Africaines, Louvain-La-Neuve, vol 3, n° 9, octobre 1987 ; etc. 20 SZ., p. 21, tr. fr., Martineau, p. 39, (Vezin, p. 47, De Waelhens, p. 38). 19

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3. Tradition comme « création » et instance créatrice Comme on le verra très bien, de cette critique de la « tradition transmission » à la volonté de « création », se dessine lentement mais sûrement une nouvelle image de la tradition « à la Heidegger », c’est-à-dire sa « re-prise herméneutique »21. S’adressant aux étudiants de son « auditoire » de l’Université de Fribourg, Heidegger déclare : « Ce peuple (le peuple allemand) ne se fera un destin que si d’abord, il crée en lui-même une résonance, une possibilité de résonance pour ce destin, et s’il comprend sa tradition d’une façon créatrice »22. Comprendre sa tradition d’une façon créatrice, c’est la soumettre à un double langage d’interprétation et de transformation, c’est-à-dire au travail de l’herméneutique. Alors, le sens de la « re-prise herméneutique » veut que chaque peuple assume sa situation, la connaisse, mieux, en prenne conscience. Et c’est seulement de la lecture de cette situation herméneutique qu’un peuple pourra se faire un destin. Dans ce contexte, la lecture, contrairement à ce qu’on a toujours cru être vrai, devient plutôt une instance véritable de « création ». Il y a là, à la lumière de ce qui précède, deux questions qu’il convient de nous poser, avant de poursuivre : primo comment la connaissance de sa situation herméneutique pourrait être à même de conduire à l’idée d’un certain destin ? Secundo dans quelle mesure, la lecture de sa situation herméneutique devient-elle synonyme de « création » ? Pour donner suite à ces deux questions, nous nous proposons d’aller au-delà du cours de Heidegger « Einführung in die Metaphysik » (« Introduction à la métaphysique »), pour retrouver un autre texte intitulé « Chemins d’explication » qui, selon nous, continue la réflexion en rendant de plus en plus explicite l’idée d’une « tradition créatrice » commencée dans « Introduction à la métaphysique ». Relevons donc la teneur de l’idée développée dans « Chemins d’explication » : « La Véritable compréhension mutuelle des peuples ne peut commencer et s’accomplir que par une méditation, menée réciproquement au sein d’un dialogue de créateurs, sur l’héritage et la tâche que leur donne l’Histoire. Dans cette méditation, les peuples s’attachent à ce qui leur est propre et s’y arrêtent avec une lucidité et une résolution accrues. Car ce qu’un peuple a de plus propre, est cette œuvre de création qui lui a été assignée et par laquelle il se pénètre de sa 21

Sur l’herméneutique chez Heidegger, lire GREISCH J., L’arbre de vie et l’arbre du savoir. Le chemin phénoménologique de l’herméneutique heideggérienne (1919-1923), Paris, Cerf, 2000, 335 pages ; La parole heureuse. Martin Heidegger entre les choses et les mots, Paris, Beauchesne, 22 Einführung in die Metaphysik., p. 29, tr. fr., pp. 49-50.

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mission historiale, tout en se dépassant : c’est ainsi, et ainsi seulement, qu’il accède à lui-même »23. Cet extrait présente à notre attention deux thèses. La première est celle qui nous indique que l’acte de « création » permet une meilleure compréhension entre les peuples. La deuxième, affirme, quant à elle, que l’acte de « création » est ce qui permet à un peuple de s’assumer en tant que peuple authentique. En tant que peuple authentique, il est donc absolument appelé à « créer » à partir de ce qui lui a été légué par l’histoire ; d’où la notion d’« héritage » que nous avons déjà décrite précédemment24. En fait, Heidegger est convaincu qu’il n’existe jamais d’acte de « création » absolu et qui ait pour fondement le néant. Le « créateur » s’appuie toujours sur les faits et œuvres de sa tradition, de son histoire et donc de sa culture, dans lesquels il est lui-même aussi partie prenante. C’est uniquement de cette façon qu’un être-là peut être capable de reprendre critiquement son « historialité » faite de futur, de passé et de présent. C’est de ce point de vue, celui de la « tradition création » que Heidegger est, à notre avis, le penseur du destin et du déclin. Pour lui, il n’y a que l’acte de création, en fait, qui peut « sauver » l’Europe du déclin. D’où, le sens de cette longue interpellation heideggérienne : « A l’heure actuelle, la mission de ces peuples occidentaux faiseurs d’histoire, consiste pour l’essentiel, à sauver l’Occident. Sauver, explique Heidegger, ne veut pas dire ici simplement conserver ce qui existe encore, mais signifie originairement une justification novatrice de sa propre histoire passée et à venir. C’est pourquoi, la compréhension mutuelle des peuples voisins dans ce qu’ils ont de plus propre, implique de savoir se donner la nécessité de cette salvation comme tâche propre à chacun. Le savoir de cette nécessité vient surtout de l’expérience de la détresse née de la menace qui atteint l’Occident au plus profond de lui-même, ainsi que de la force capable d’un projet qui transfigure les possibilités les plus hautes de l’être-là occidental. Mais de la même manière que la menace subie par l’Occident risque de mener à un déracinement complet et à un chaos général, il faut que, dans le sens contraire, des décisions radicales guident cette volonté de rénovation de

23

Chemins d’explication, in Cahiers offerts à Martin Heidegger, Paris, éd. de l’Herne, 1983, p. 59. 24 Cf. LARTHOMAS J-P., Op. cit., : “ Si, dit-il, pour Heidegger, tout “bien” est héritage, et si le caractère des “biens” consiste à rendre possible une existence authentique, alors, c’est dans la décision qui déclôt que se constitue la tradition d’un héritage ” (Ibidem., p. 106). Il poursuit : « Ouvrir des possibilités nouvelles, et les faire partager, c’est cela qui exige don de la “communication et combat” (Mitteilung und Kampf) (Ibidem).

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fond en comble »25. Il poursuit : « L’entente, dans son sens authentique c’est, à partir d’une nécessité réciproque, le courage souverain de reconnaître ce que l’autre a de propre. Une entente historialement créatrice n’est jamais un sentiment de gêne issu de la faiblesse, mais présuppose bien au contraire la fierté véritable des peuples. La fierté, qui est fondamentalement différente de la vanité, est la résolution mûrie de se maintenir à son propre rang essentiel, qui procède de la tâche que l’on s’est fixée »26. Il est clair, à la suite d’un tel propos, que Heidegger n’a pas fait que reprendre de manière « passive » ce que d’autres philosophes, qu’ils se nomment Aristote, Descartes, Kant, Hegel, Fichte, Schelling, Nietzsche, Husserl, etc. ont dit. Heidegger est l’un des rares philosophes occidentaux qui a tenté de restituer aux penseurs présocratiques (Héraclite et Parménide) leur crédibilité, en insistant radicalement sur la nécessité de ranimer la philosophie à partir de la pensée présocratique. Heidegger a saisi, mieux que quiconque, les enjeux du destin de l’Occident, de son peuple et de sa culture ; il est un des philosophes occidentaux enfin qui a le mieux compris les dangers de la rationalité et de la modernité, le déclin des « civilisations » (dans la perspective d’une déchéance de la vérité de l’être), à la suite de la 25

Chemins d’explication (1937), in Cahier de L’Herne, Paris, L’Herne, 1983, p. 59. Ibidem, pp. 59-60. Et Heidegger de poursuivre : « Mais, la plupart du temps, nous ne connaissons l’entente que dans son sens inauthentique, nous l’abordons avec suspicion et, dans les efforts que nous faisons pour l’atteindre, nous rencontrons bien des déceptions. Ce n’est pas par hasard. Car l’entente inauthentique n’aboutit qu’à un désaccord provisoire, elle est arrangement opportuniste qui se fait par l’équilibre des ambitions et des réalisations du moment. Cette compréhension réciproque n’est qu’une façade et elle est pleine de réserves formulées et informulées. Une entente de cette sorte peut être dans certaines conditions inévitable. Elle est absolument utile. Mais il lui manque la force historiale et créatrice de la véritable compréhension qui transforme à tour de rôle ceux qui en sont l’objet et les rapproche ainsi de ce qu’ils ont de plus propre, et qui est aussi toujours ce qu’ils ont de plus certain et de plus caché. La véritable compréhension ne se laisse jamais entraîner à supputer un succès immédiat et des résultats définitifs. La compréhension authentique ne produit pas cette quiétude qui ne tarde pas à dégénérer en une indifférence réciproque, mais elle est en soi l’inquiétude de la remise en question réciproque, à partir du souci que les peuples ont des tâches historiales communes » (Ibidem., p. 60). Il renchérit : « Une telle compréhension doit se manifester dans tous les domaines de l’activité des peuples par des moyens divers et à un rythme différent. Elle englobe la connaissance et l’appréciation de l’existence quotidienne, simple des peuples, tout autant que l’appréhension et la compréhension de leurs attitudes et tonalités d’âme fondamentales, insondables et le plus souvent complètement impossibles à formuler directement. Celles-ci acquièrent leur forme de référence et leur force fascinante dans la grande littérature, dans les arts plastiques et dans la pensée essentielle d’un peuple, c’està-dire dans la philosophie » (Ibidem). 26

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technique et de la métaphysique. Cela, on le voit, fait figure de révolution et d’innovation plus que de simple « appropriation » ou de simple « réappropriation » de telle ou telle pensée. Et J. Taminiaux lui-même reconnaît de manière explicite ce caractère « révolutionnaire » ou « créateur », en déclarant : « L’ontologie fondamentale est le titre du projet dans lequel s’inscrit Sein und Zeit. Lorsque le livre parut il fit l’effet d’un météorite »27. Certes, le rapport de Heidegger à la tradition en général tel que nous venons de l’esquisser, pourrait paraître très orthodoxe pour les uns, partisan pour les autres. Aux uns et aux autres, nous suggérons de s’en remettre à la destinée de l’œuvre heideggérienne elle-même qui, en tant que texte, se présente à nous comme une instance de lecture. Nous voilà donc renvoyés à la tâche essentielle de lire Heidegger. Et Martineau d’écrire : « Expliquer à un public tenu pour “mal informé” ce que Heidegger a dit est peut-être utile, tenter d’interpréter ce qu’il a voulu dire est certainement très bon, lire inlassablement ses écrits est encore ce qu’il y a de mieux »28. Dans le même ordre d’idées M. Zarader relève que : « La première tâche est indubitablement une tâche de lecture. Qu’il s’agisse de reparcourir les grands axes de la tradition ou d’ouvrir de nouvelles voies de recherche, on ne peut prétendre sérieusement se situer dans l’espace de pensée contemporain en se privant de toute référence à la formidable commotion heideggérienne. Le seul moyen pour en prendre la mesure est de reparcourir, avec Heidegger, les chemins si déconcertants frayés par son œuvre »29. Elle poursuit en précisant : « Cette lecture une fois accomplie (même si elle n’est jamais vraiment achevée), il reste une autre tâche. Elle consiste à entrer en débat avec Heidegger, débat qui n’a de sens que s’il se tient résolument à l’écart de la polémique. Or il n’est qu’un moyen d’éviter ce danger, c’est partir du texte, texte qu’il s’agit d’ouvrir de l’intérieur, au questionnement. L’ouvrir de l’intérieur, c’est repérer les points, fussent-ils mineurs, qui réclament réflexion et les prendre thématiquement pour objets ; c’est aussi, y déceler ce qui peut être véhiculé par lui d’affirmations non explicitées, de présuppositions - et, pour tout dire, d’impensé. Ce n’est qu’au prix de ce patient travail que pourra s’amorcer une discussion plus large sur la légitimité même de l’interprétation heideggérienne de notre histoire »30. Ainsi, un débat « direct » est-il nécessaire pour pénétrer le fonds de la pensée 27

TAMINIAUX J., Lectures de l’ontologie fondamentale, p. 5. Cf. De l’essence de la liberté humaine (Avertissement du traducteur Martineau Emmanuel, p. 10). 29 ZARADER M., La dette impensé. Heidegger et l’héritage hébraïque, Paris, éd. du Seuil, 1990, p. 15. 30 Ibidem. C’est nous qui ajoutons la précision entre parenthèses. 28

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heideggérienne en général, et de l’ontologie fondamentale en particulier. Il faut se mettre en dehors de toute polémique, et lire inlassablement l’œuvre de Heidegger. C’est pourquoi, pour M. Zarader, il faut partir du texte, texte qu’il est question d’ouvrir de l’intérieur, au questionnement. Il faut lire Heidegger en lui-même, pour lui-même, par lui-même. Mais pour y arriver, il nous faudra lire non seulement le texte à déployer de l’intérieur pour l’ouvrir vers l’extérieur, mais également et surtout – dans un monde en proie aux suspicions – n’est pas pouvoir se fier aux apparences. Car non seulement celles-ci sont trompeuses mais elles altèrent la vérité et intensifient la zizanie. 4. L’être humain comme œuvre créatrice non-sacralisée Créer, c’est penser différemment. Mais c’est aussi tolérer et accepter la différence. Différence est source d’innovation et de création. C’est le progrès au bout de la pensée. C’est la plume et le fusil. Héraclite fut le premier à l’avoir saisi et porté en place publique ; et il n’avait pas du tout tort notamment lorsqu’il détermina le conflit comme sens et essence de l’être. N’est-ce pas lui qui parla d’« harmonie » des contraires ? Le problème de l’Afrique c’est l’approbation de l’approche différentielle des conceptions. Ainsi toute opposition voire toute contestation est aperçue comme subversion. L’autre en face n’est jamais autrement conçu que comme négation de mon affirmation. Ce n’est plus une richesse mais un appauvrissement ; ce n’est plus une totalité de la non-totalité mais absence de totalité ou de globalité. Ainsi, la création est-elle mise en mal. Or l’action n’est possible qu’avec l’autre et pour l’autre. Car l’action n’est possible qu’à deux. L’action est un ensemble des subjectivités : « Toute action est création. Création du monde, de moi-même et de l’homme. »31. C’est pour cette raison que Sartre dit : « J’agis pour m’enliser dans l’autre et pour me retrouver autre dans l’autre. Naturellement je puis décider ensuite du sens que prend pour moi cet autre que je suis, à moimême ennemi. Mais cela signifie que je suis devenu situation pour moimême. Ainsi suis-je dans mon caractère et dans mon œuvre. »32. Ainsi, le dictateur ou le despote maniaco-dépressif et auto-suffisant n’est pas et ne peut jamais être un homme d’action parce qu’il ne connaît pas les termes remarquables d’H. Arendt que sont la pluralité et la réciprocité. Le dictateur même s’il est toujours bien entouré des fidèles prêts à tout n’est pas un acteur car il n’est justement pas en « relation » avec personne même pas 31 32

SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 129. SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 129.

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son entourage. Ceci est d’autant plus intéressant voire pertinent que dans l’esprit de Sartre une subjectivité ou un homme est une œuvre dans la mesure où il y fait partie : « Dire que je suis pour moi, nous explique-t-il, c’est-à-dire que mon œuvre devient moi sous la forme d’une nécessité objective c’est-àdire que je m’appartiens à moi-même sous la forme de destin. En se jetant dans la dimension du pour-autrui le choix devient destin pour lui-même, il me renvoie à moi-même comme destin. »33. Dans quel continent y a-t-il cependant un nombre impressionnant de dictateurs ? C’est sans conteste en Afrique. Celle-ci serait, selon Sartre, le seul endroit au monde où le responsable politique n’est pas acteur voire encore mieux une œuvre. Pour Sartre, en effet, « L’action est humanisation d’éléments inhumains don appropriation par l’homme d’un secteur du monde. Mais par là même, elle est pour l’homme une manière de se faire apprendre ce qu’il est pour une région d’être dont il portera la marque. Ainsi toute action technique est décision sur l’homme lui-même. L’action de l’homme, c’est la création du monde, c’est la création de l’homme. L’homme se crée par l’intermédiaire de son action sur le monde. Voilà ce qu’on peut concéder aux marxistes. »34. Observons l’Afrique. Aujourd’hui quel homme politique africain au pouvoir, hormis quelques rares exceptions, peut se prévaloir d’une telle marque aussi bien par rapport au peuple dont il a la charge que par rapport à lui-même ? Personne. Le dictateur ne possède pas de référence humanisante voire humaniste. Ce n’est pas un homme mais plutôt un animal. Il n’est pas intelligent. Jamais raisonnable et réfléchi. La société, le pays, les hommes, tous les étants-objets lui appartiennent. Ce n’est pas qu’il ne peut pas dialoguer, il en est tout simplement incapable. N’ayant pas de cœur, il est aveugle et donc non-créateur nous venons de le dire il y a un instant. Souffrant des phobies diverses, il est un frein au développement et à la liberté. Mais, en dépit de ces diverses phobies, il ne peut s’empêcher de sillonner le monde à la recherche d’on ne sait quoi. Le nomade n’est pas un créateur ; le sédentaire non plus mais à la seule différence que celui-ci peut chaque jour balayer au moins devant sa porte. Ce dont n’est jamais capable celui-là (le nomade) qui croit toujours trouver le bonheur ailleurs, alors que pendant ce temps-là son peuple peine à trouver un bien-être. C’est de bonne guerre dira-t-on mais pour quelle guerre et surtout quel destin ? Là est le hic de la question. Comme nous le verrons dans un instant avec Heidegger, l’essence d’un peuple consiste dans sa capacité à la « création » et la « re-création », à la production et la re33

SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 129. SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 129. Et c’est nous qui soulignons dans le texte.

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reproduction, à l’invention et à la ré-invention, à la participation et à la reparticipation. Or Sartre ira même plus loin en imputant à l’homme une essence « productive » dans la mesure où il attribue à celui-ci le statut d’une « œuvre ». En effet pour lui, l’œuvre est création car la création n’est pas négativité et le Moi-sujet ou le sujet acteur ne crée rien d’autre que lui-même et le monde à la fois. Pour Sartre, « cette œuvre est une certaine couche d’appropriation du monde, je n’ai pas d’autre moi dans la dimension de l’êtreen-soi ou du monde que le monde en tant que recréé par moi. Et si je m’y reconnais comme moi, ce n’est pas par je ne sais quelle comparaison, car il n’y a rien à comparer, mais seulement par appropriation. »35. Dans le même ordre d’idée, Sartre affirme que la « (...) création signifie à la fois commencement premier et production intentionnelle. Sans ces deux éléments il n’y a pas création, il peut y avoir apparition miraculeuse ou réparation. Mais la création ne peut être reconnue comme telle que si elle est rapportée à un être qui lui-même ne peut être dérivé d’un autre être. Sinon il n’y aurait point commencement premier. Ainsi la création implique un créateur, qui ne soit point lui-même dérivé ou si l’on veut qui soit commencement premier et intention. »36. S’approprier une tradition, une culture, une histoire c’est se re-connaître dans telle ou telle situation, condition, c’est se créer sans être soi-même créature de sa propre création. Mais l’homme est-il, en cela, devenu un démiurge ? Loin de là, car seul Dieu créateur est celui qui ne peut être dérivé d’un autre être que lui : « (...) ce créateur, explique Sartre, ne saurait être à luimême sa création sous peine de devenir objet et sujet à la fois donc d’introduire entre lui et lui-même une distance infinie. En vérité le lien de créateur et de chose créée est de dépendance réciproque : c’est en créant la chose que le créateur existe (non point seulement comme créateur, ce qui serait pure application du principe d’identité, mais comme créateur incréé). C’est dans la chose même créée qu’il se crée lui-même et non point dans l’indistinction d’une subjectivité »37. Or c’est là tout le problème, en Afrique, où le dictateur cherche dans tout ce qu’il fait d’être à la fois sujet et objet. Il est en plein dans l’indistinction comme le dit si bien Sartre. C’est en quelque sorte le salaud sartrien, c’est-àdire un gros plein d’être. Mais nous le voyons également chez l’« intellectuel analphabète ». Celui-ci n’est pas l’« analphabète-analphabète » lui-même, mais il le rejoint non seulement dans l’« indistinction » mais aussi en ce qu’il 35

SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 134. SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 134. 37 SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 134. 36

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entremêle tout, par exemple, le beau et le laid, le bien et le mal, le vrai et le faux ; tout devient chez lui équivoque et « voyeurisme ». Ce genre d’individu fait légion en Afrique. Cet « intellectuel-analphabète » est celui qui affiche avant tout le diplôme comme argument à tout et pour tout. Or le diplôme n’est qu’un simple papier qui ne donne droit ni à la vie, ni à l’existence. Quel diplôme avait P. E. Lumumba (principal et farouche opposant à la politique coloniale belge), au point d’accepter d’offrir sa vie en échange de l’indépendance totale de son pays le Congo-Kinshasa ? Autodidacte, voilà quelqu’un qui a su introduire une distinction entre ce qu’il fut et son action : « Le créateur, disait Sartre, doit être pur dépassement de sa facticité vers la création de lui-même dans le monde de la facticité. »38. En d’autres termes : « (...) la création est aussi processus de don. Puisque nous ne parvenons pas à conférer par nous-mêmes l’entière objectivité à l’objet créé, il est nécessaire que nous recourions à l’autre. L’autre est précisément le Moi pour qui nous sommes un Autre. »39. Or, l’autre et Moi nous retrouvons dans l’Histoire et dans nos histoires respectives. Cette Histoire-là et nos histoires particulières-là méritent, chacune à sa manière, d’être « créatrice », dans la mesure où la « création » est justement le fondement irréversible de la vie en communauté, mieux, de ce que Heidegger appelle le « vivre-ensemble » (Zusammhang lebens). Cela dit et compte tenu du rôle de l’histoire dans l’existence d’un Dasein, il nous est venu à l’esprit de nous en tenir à l’analyse serrée du concept d’historialité du Dasein (SZ §§ 72, 73, 74, 75, 76, 77) dans (ou à partir de) l’analytique existentiale du Dasein. Mais cette analyse en question sur le concept d’« historialité », comme il en avait été le cas il y a un instant avec la notion de tradition, consiste à nous conforter dans la conviction qui est la nôtre, à savoir que ce concept là (historialité), - bien que relevant selon la demande expresse de Heidegger d’une analyse ontologique et qu’elle en demeure en tant que telle une modalité ontologico-phénoménologique d’être du Dasein , reste un indice certain pour la « possibilisation » d’une « philosophie de la culture » (dans ou à partir de) l’analytique existentiale du Dasein. À travers l’« historialité » du Dasein, nous sous-entendons sa pragmaticité libératrice qui est celle qui le met à la fois en relation et en « conflit » avec l’Autre. Vérifions tout ça dans le deuxième chapitre de la première partie de notre travail qui suit dans un instant.

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SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 134. SARTRE J-P., Cahier pour une morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 134.

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Chapitre 2 La dimension praxéologique de la geschichtlichkeit : dasein comme zusammhang lebens1

1. Position du problème Le cinquième chapitre de la deuxième section de Sein und Zeit intitulé « Temporalité et Historialité »2 (Zeitlichkeit und Geschichtlichkeit) aborde la question du rapport entre ces deux derniers concepts eu égard à la position du Dasein dans le monde et par rapport à la question du sens de l’être. Dans le § 72, Heidegger tente une « exposition ontologicoexistentiale du problème de l’histoire ». Pour commencer, Heidegger rappelle avant tout ce qui avait été dit déjà dans le § 1 relatif à « La nécessité d’une répétition expresse de la question de l’être », en indiquant comment tous les efforts de l’analytique ont été tournés vers cet unique but : trouver une possibilité de réponse à la question du sens de l’être en général (« eine Möglichkeit der Beantwortung der Frage nach dem Sinn von Sein überhaupt zu finden »). Car, pour Heidegger, l’élaboration de cette question requiert une délimitation du phénomène où devient accessible quelque chose comme l’être, à savoir la compréhension de l’être. Or celle-ci, dit-il, appartient à la constitution d’être du Dasein3 qui devrait avant tout voir sa structure ontologique clarifiée en priorité et à partir d’une telle clarification poser la question de l’être comprise en elle et des « présupposés » de cette compréhension. Cependant, Heidegger ne dit pas avoir tout clarifier de cette structure du Dasein, dans la mesure où il avoue que certaines de ses structures demeurent encore obscures dans 1

Cf. OSONGO-LUKADI A-D, « La dimension praxéologique de la Geschichtlickeit : Dasein comme Zusammenhang Lebens », in RAS-Revue Africaine du Savoir, Vol. I, n° 1 Janvier-Avril 2006. 2 La traduction Vezin parle de « Temporellité et historialité ». 3 Sein und Zeit, p. 372, tr. fr., Martineau, p. 258 (Vezin, p. 436).

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leur détail. Même s’il reconnaît comment avec la mise au jour de la temporalité comme condition originaire de possibilité de souci, l’interprétation originaire requise du Dasein soit atteinte ; la temporalité ayant été dégagée par rapport au pouvoir-être-tout authentique du Dasein ; après quoi, l’interprétation temporelle du souci s’est confirmée grâce à la monstration de la temporalité de l’être-au-monde préoccupé : « L’analyse du pouvoir-être-tout authentique a dévoilé la connexion cooriginaire – enracinée dans le souci – entre mort, dette et conscience. »4. Cependant même si Heidegger regrette de n’avoir pas eu l’occasion de traiter du « commencement » du Dasein, c’est-à-dire de sa « naissance », il reste d’avis, malgré tout, que l’univocité ontologique véritable du Dasein a été trouvée dans l’« être-pour-la-fin ». Seulement, observe-t-il, la mort n’est pourtant que la « fin » du Dasein : ou, pour le dire formellement, elle est seulement l’une des fins qui circonscrivent la totalité du Dasein. Or « l’autre « fin », c’est le « commencement », la « naissance » (« Das andere « Ende » aber ist der « Anfang », die « Geburt »). Or, “Seul l’étant qui se trouve ‘entre’ naissance et mort représente le tout cherché” (“Erst das Seiende « zwischen » Geburt und Tod stellt das gesuchte Ganze dar.”)5. Or cet “étant-tout-du tout” c’est le Dasein. Voilà pourquoi, pour Heidegger, l’orientation antérieure de l’analytique, malgré toute son insistance sur le Dasein existant, et en dépit d’une explication appropriée de l’être pour la mort authentique et inauthentique, est demeurée “unilatérale” (“einseitig”). À quoi est due cette unilatéralité ? Elle est due au fait que “le Dasein n’était jamais pris pour thème de recherche que tel qu’il existe pour ainsi dire ‘vers l’avant’ (‘nach vorne’) et laisse ‘derrière lui’ (‘hinter sich’) tout ce qu’il a été (‘Gewesene’)”6. Car “non seulement l’être pour le commencement est resté sans examen, mais encore et avant tout l’extension du Dasein entre naissance et mort. C’est donc précisément l’‘enchaînement de la vie’ (‘Zusammenhang Lebens’), enchaînement où pourtant le Dasein se tient constamment d’une manière ou d’une autre, qui est passé inaperçu dans l’analyse de l’être-tout”7. Pour Heidegger, donc, la question est ici d’une grande importance tant il convient de se demander s’il ne lui est pas possible de se rétracter par rapport à sa thèse du départ suivant laquelle “la temporalité comme sens d’être de la totalité du Dasein” en faveur d’une nouvelle thèse selon 4

Sein und Zeit, p. 372, tr. fr. Martineau, p. 258 (Vezin, p. 436). Sein und Zeit, p. 373, tr. fr., Martineau, p. 258 (Vezin, p. 437). 6 Sein und Zeit, p. 373, tr. fr., Martineau, p. 258 (Vezin, p. 437). 7 Sein und Zeit, p. 373, tr. fr., Martineau, p. 258 (Vezin, p. 437). 5

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laquelle le “Zusammenhang lebens” (l’enchaînement entre naissance et mort), comme sens ontologique de la totalité du Dasein. Car pour lui, c’est même beaucoup plus simple de caractériser l’enchaînement de la vie » entre naissance et mort en tant qu’il consiste dans une séquence de vécus « dans le temps ». Mais alors d’où vient la temporalité du Dasein ? Elle provient de cette séquence de vécus où « ce qui est « proprement effectif », ce n’est à chaque fois que le vécu sous-la-main « en chaque maintenant ». Les vécus passés et à venir, au contraire, ne sont plus, ou ne sont pas encore « effectifs ». Le Dasein mesure le laps de temps qui lui est octroyé entre l’une et l’autre limites de telle manière que, n’étant à chaque fois « effectif » que dans le maintien, il sautille pour ainsi dire sur la suite de maintenant de son « temps ». C’est en ce sens que l’on dit que le Dasein est « temporel » (« Man sagt deshalb, das Dasein sei « Zeitlich ».) »8. Mais doit-on, à la lumière de ce qui avait été dit dans le § 65 sur la temporalité du Dasein, prendre pour fil conducteur l’explicitation vulgaire du Dasein ? Heidegger n’en croit pas ses oreilles car, selon lui, « Le Dasein n’existe pas en tant que sommes des effectivités momentanées de vécus apparaissant et disparaissant les uns après les autres ; pas davantage, du reste, cette succession ne peut-elle remplir progressivement un cadre : car comment celui-ci pourrait-il être sous-la-main là où seul le vécu “actuel” est “effectif” et où les limites du cadre, la naissance et la mort étant seulement passée ou à venir, sont dépourvues de toute effectivité ? Au fond, même la conception vulgaire de l’“enchaînement de la vie” ne songe point à un cadre tendu “en dehors” et autour du Dasein, mais elle cherche au contraire à le découvrir dans le Dasein lui-même. Cependant la position ontologique tacite de cet étant comme étant sous-la-main “dans le temps” condamne à l’échec toute tentative de caractériser ontologiquement l’être “entre” naissance (Geburt) et mort (Tod). »9. Car « Bien loin de remplir seulement, à travers les phases de ses effectivités momentanées, un cours et un chemin “de la vie” qui serait en quelque manière sous-la-main, le Dasein s’é-tend lui-même, et cela de telle manière que c’est son être propre qui est d’emblée constitué comme ex-tension. C’est dans l’être du Dasein que se trouve déjà le “entre” de la naissance et de la mort (“Im Sein des daseins liegt schon das « Zwischen » mit Bezug auf Geburt und Tod”)10. En revanche, et dans le même ordre d’idées, “le Dasein n’‘est’ nullement effectif en un point temporel, ni de surcroît, ‘entouré’ par la non8

Sein und Zeit, p. 373, tr. fr., Martineau, p. 259 (Vezin, p. 438). Sein und Zeit, p. 374, tr. fr., Martineau, p. 359 (Vezin, p. 438). 10 Sein und Zeit, p. 374, tr. fr., Martineau, p. 259 (Vezin, p. 438). 9

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effectivité de sa naissance et de sa mort. Entendue existentialement, la naissance n’est pas, n’est jamais du passé au sens d’un étant qui n’est plus sous-la-main, et pas davantage la mort n’a-t-elle le mode d’être d’un ‘reste’ non encore sous-la-main et seulement à venir. Le Dasein factice existe nativement, et c’est nativement encore qu’il meurt au sens d’être pour la mort (Das faktische Dasein existiert gebürtig, und gebürtig stibrt es auch schon im Sinne des Seins zum Tode »). L’une et l’autre ‘fins’, ainsi que leur ‘entre deux’ sont aussi longtemps que le Dasein existe facticement, et elles sont comme il leur est seulement possible d’être sur la base de l’être du Dasein comme souci. Dans l’unité de l’être-jeté et de l’être pour la mort fugitif – ou devançant – naissance et mort ‘s’enchaînent’ à la mesure du Dasein. En tant que souci, le Dasein est l’‘entre-deux’ (« Als Sorge ist das Dasein das « Zwischen »)11. S’agissant de l’éclaircissement ontologique de l’‘enchaînement de la vie’, c’est-à-dire de l’extension, de la mobilité et de la permanence spécifiques du Dasein, on doit son amorçage dans l’horizon de la constitution temporelle de cet étant que nous sommes Dasein. Ainsi la mobilité de l’existence n’est pas le mouvement d’un sous-la-main mais elle se détermine à partir de l’extension du Dasein (‘Erstreckung des daseins’). Cette mobilité spécifique du s’é-tendre-étendu, Heidegger dit qu’il l’appelle ‘le provenir du Dasein’ (‘das Geschehens das daseins’). D’où pour Heidegger, ‘La question de l’‘enchaînement’ du Dasein est le problème ontologique de son provenir (‘Die Frage nach dem « Zusammenhang » des Daseins ist das ontologische Problem seines Geschehens.’). La libération de la structure de provenance et de ses conditions temporalo-existentiales de possibilité signifie l’obtention d’une compréhension ontologique de l’historialité’ (Die Freilegung der Geschehensstruktur und ihr existenzial-zeitlichen Möglichkeitsbedingungen bedeutet die Gewinnung eines ontologischen Verständnisses der Geschichtlichkeit. »)”12. Pour Heidegger, en analysant la mobilité et la permanence spécifiques qui échoient au provenir du Dasein, l’analytique existentiale du Dasein fait retour vers un problème qui, dit-il, a effleuré immédiatement avant la libération de la temporalité : vers la question du maintien du Soi-même qu’il avait déjà déterminé comme “le qui du Dasein”. Le maintien du Soimême (stature-autonome), poursuit-il, est une guise d’être du Dasein, et il se fonde donc dans une temporalisation spécifique de la temporalité. En 11 12

Sein und Zeit, p. 375, tr. fr., Martineau, p. 259 (Vezin, p. 439). Sein und Zeit, p. 375, tr. fr., Martineau, p. 259 (Vezin, p. 439).

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clair, conclut Heidegger, l’analyse du provenir le conduit devant les problèmes d’une investigation thématique de la temporalisation comme telle13. Pour lui, si la question de l’historialité du Dasein reconduit à ses “origines” (“Ursprünge”), il est par là du même coup décidé du lieu (Ort) du problème de l’histoire (Geschichte) Ce lieu ne saurait être, selon lui, recherché dans l’histoire au sens de la science de l’histoire (Er darf nicht in der Historie als der Wisenschaft von der Geschichte gesucht werden. »)14. Mais “si c’est à partir de la temporalité, et, plus originairement encore, à partir de la temporalité authentique que l’historialité doit elle-même être mise au jour, alors l’essence même d’une telle tâche implique qu’elle ne puisse être exécutée qu’au moyen d’une construction phénoménologique. La constitution ontologico-existentiale de l’historialité doit nécessairement être conquise contre l’explicitation vulgaire et recouvrante de l’histoire du Dasein. La construction existentiale de l’historialité trouve des points d’appui déterminés dans la compréhension vulgaire du Dasein, et un guide dans les structures existentiales conquises jusqu’ici. »15. Il s’agit, pour Heidegger, de pouvoir déterminer ce qui est historique. Pour ce faire, il estime se fier aux moments qui sont communément considérés comme essentiels pour l’histoire. Pour lui, “Le fil conducteur pour la construction existentiale de l’historialité nous est offert par l’interprétation précédemment accomplie du pouvoir-être-tout authentique du Dasein et par l’analyse, qui en était issue, du souci comme temporalité. Le projet existential de l’historialité du Dasein porte simplement au dévoilement ce qui se trouve déjà à l’état voilé dans la temporalisation de la temporalité. Conformément à l’enracinement de l’historialité dans le souci, le Dasein existe à chaque fois en tant qu’authentiquement ou inauthentiquement historial (‘Entsprechend der Verwuzelung in der Sorge existiert das Daseins je als eigentlich oder Uneigentlich Geschichtliches’). Ce qui était pris en vue comme horizon prochain par l’analytique existentiale du Dasein sous le titre de quotidienneté se clarifie comme historialité inauthentique du Dasein. »16. Ainsi, pour Heidegger, “L’analyse de l’historialité du Dasein tente de montrer que cet étant n’est pas ‘temporel’ parce qu’il est dans l’histoire”, mais au contraire qu’il n’existe et ne peut exister historialement que parce 13

Sein und Zeit, p. 375, tr. fr., Martineau, p. 260 (Vezin, p. 439). Sein und Zeit, p. 375, tr. fr., Martineau, p. 260 (Vezin, p. 439). 15 Sein und Zeit, pp. 375-376, tr. fr., Martineau, p. 260 (Vezin, p. 440). 16 Sein und Zeit, p. 376, tr. fr., Martineau, p. 260 (Vezin, p. 440). 14

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qu’il est temporel dans le fond de son être. (Die Analyse der Geschichtlichkeit des Daseins versucht zu zeigen, dass dieses Seiende nicht « zeitlich» ist, weil es « in der Geschichte steht », sondern dass es umgehrt geschichtlich nur existiert und existieren kann, weil es im Grunde seines Seins zeitlich ist. ») »17. En revanche, il persiste et signe comment « Le Dasein doit nécessairement être nommé “temporel” au sens de “l’être dans le temps”. Le Dasein factice, même sans théorie historique élaborée, a besoin de et emploie le calendrier et l’horloge. Ce qui advient “de lui”, il l’expérimente comme se produisant dans le temps. »18. Mais ce qui intéresse ici Heidegger, c’est que l’historialité (Geschtlichkeit) soit « déduite » de manière pure de la temporalité originaire ou temporalité authentique. Cela même si dans la mesure où le temps comme intratemporalité (Innerzeitigkeit) « provient » aussi de la temporalité du Dasein, historialité et intratemporalité n’en manifesteront pas moins une cooriginarité19. Le problème de Heidegger ne consiste pas à parcourir tous les horizons différents de l’histoire mais il se contente d’indiquer le lieu ontologique du problème de l’historialité à la suite des recherches de Dilthey, dont il reste encore à la génération présente de s’acquitter de leur « dette » à son égard20. Pour pouvoir exposer ce lieu ontologique du problème de l’historialité, Heidegger s’était fixé des échéances ou étapes suivantes : la première échéance ou étape comment déterminer « la compréhension vulgaire de l’histoire et le provenir du Dasein (§ 73) ; deuxième échéance ou étape comment déterminer « la constitution fondamentale de l’historialté (§ 74) ; troisième échéance ou étape comment déterminer « l’historialité du Dasein et l’histoire du monde » (§75) ; quatrième échéance ou étape comment déterminer « l’origine existentiale de la science historique à partir de l’historialité du Dasein » (§ 76) ; la cinquième échéance ou étape comment déterminer, enfin, « la connexion de la présente exposition du problème de l’historialité avec les recherches de Dilthey et les idées du comte Yorck » (§ 77). Nous allons pouvoir commencer pour le moment par le paragraphe 73 portant sur « La compréhension vulgaire de l’histoire et le provenir du

17

Sein und Zeit, p. 376, tr. fr., Martineau, p. 260 (Vezin, p. 441). Sein und Zeit, p. 376, tr. fr., Martineau, pp. 360-361 (Vezin, p. 441). 19 Sein und Zeit, p. 377, tr. fr., Martineau, p. 261 (Vezin, p. 441). 20 Sein und Zeit, p. 377, tr. fr., Martineau, p. 261 (Vezin, pp. 441-442). 18

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Dasein » (« Das vulgäre Verständnis der Geschichte und das Geschehen des Daseins. »21). 2. Constitution existentiale de l’historialité Heidegger se trouve ainsi à la recherche de l’essence de l’histoire. C’est-à-dire au qu’en est-il de ce qui est originairement historial. La méditation, dit-il, commencera par caractériser ce qui est désigné dans l’explicitation vulgaire du Dasein par les expressions – plurivoques – d’« histoire » - d’« historique ». Qu’entend-t-on par le terme d’« histoire » ? Pour Heidegger, « Le terme d’“histoire” atteste son équivoque immédiate – souvent aperçue, mais non pas pour autant “approximative” - par le fait qu’il désigne aussi bien l’“effectivité historique” qu’également la science possible de cette effectivité. (Provisoirement, nous mettrons hors-circuit l’“histoire” prise au sens restreint d’une science de l’esprit.) »22. Le « passé » (Vergangenes) revendique, - parmi les signifiactions du terme d’« histoire » -, une éminente primauté : « Cette signification s’annonce dans l’expression : ceci ou cela appartient déjà à l’histoire. « Passé », cela veut dire ici ou bien : plus sous-la-main, ou bien aussi : certes encore sous-la-main, mais sans « effet » sur le présent (« aber ohne “Wirkung” auf die “Gegenwart”). »23. Mais, du reste poursuit-il, « l’historique entendu au sens du passé présente également la signification opposée, lorsque nous disons : il est impossible d’échapper à l’histoire (« man kann sich der Geschichte nicht entzichen. »). Ici, l’histoire désigne le passé, mais un passé qui ne continu pas moins d’exercer ses effets. Quoi qu’il en soit, l’historique comme passé est compris du point de vue d’un rapport – positif ou privatif – d’influence sur le « présent » pris lui-même au sens de ce qui est effectif « maintenant » et « aujourd’hui »24. Ce qui vient d’être dit sur le terme « histoire » épuise-t-il l’ampleur de la question ? Heidegger n’en croit pas son entendement car, selon lui, il existe un double sens remarquable : le premier sens est ici celui qui détermine le passé comme appartenant « irréversiblement au temps antérieur, il appartenait aux événements d’alors, et pourtant il peut encore être sous-lamain « maintenant », ainsi par exemple des restes d’un temple grec. Avec 21

À noter que Vezin traduit ce titre par : « Entente courante de l’histoire et l’aventure du Dasein ». 22 Sein und Zeit, p. 378, tr. fr., Martineau, p. 261 (Vezin, 442). 23 Sein und Zeit, p. 378, tr. fr., Martineau, p. 261 (Vezin, pp. 442). 24 Sein und Zeit, p. 378, tr. fr., Martineau, p. 261 (Vezin, pp. 442-443).

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celui-ci, un « morceau de passé » est encore « présent »25. Quant au second sens, Heidegger estime que « (...) l’histoire ne désigne pas tant le « passé » au sens de ce qui a passé que la provenance à partir de lui. Ce qui « a une histoire » se tient dans l’enchaînement d’un devenir. L’« évolution » est alors tantôt ascension, tantôt déclin (« Die « Entwicklung » ist dabei bald Aufstieg, bald Verfall. »). Ce qui « a » ainsi une « histoire » peut en même temps la « faire ». « Faisant époque » (« Epochemachend »), il détermine « présentement » un « avenir » (« Zukunft »). L’histoire signifie ici un « enchaînement » d’événements et d’« effets », qui s’étend à travers le « passé », le « présent » et l’« avenir » (« Geschichte bedeutet hier einen Ereignis- und « Wirkungszusammenhang », der sich durch « Vergangenheit », « Gegenwart », une Zukunft », hindurchzieht. »). C’est ainsi donc dans ce deuxième sens-ci, nous dit Heidegger, que le « passé » (« Vergangenheit ») perd toute primauté particulière (« besonderen Vorrang »). Mais il y a à côté de ce double sens, un autre sens de l’histoire qui désigne, selon Heidegger, « le tout de l’étant qui se meut “dans le temps”, plus précisément, à la différence de la nature qui, elle aussi, se meut “dans le temps”, les vicissitudes et les destinées d’hommes, d’associations d’hommes et de leur “culture”. L’histoire, dans ce cas, ne désigne pas tant le mode d’être, le provenir lui-même, que la région de l’étant que l’on distingue de la nature en considération de la détermination essentielle de l’existence de l’homme par l’esprit et la culture, quand bien même la nature appartient elle aussi d’une certaine façon à l’histoire ainsi comprise. »26. Au-delà de ces trois premiers sens du concept d’histoire, Heidegger en a distingué un quatrième sens désignant ce qui est traditionnel. Ainsi, « est considéré comme “historique” le traditionnel comme tel, qu’il soit historiquement connu ou qu’il soit reçu comme allant de soi, en restant retiré dans sa provenance (“Und schliesslich gilt als « geschchtlich » das Überlierferte als solches, mag es historisch erkannt oder als selbstverständlich und in seiner Herkunft verborgen übergommen sein.”) »27. En rassemblant les quatre significations distinguées, on obtient le résultat suivant lequel « l’histoire est le provenir spécifique, se produisant dans le temps, du Dasein existant, et cela de telle manière que le provenir qui est “passé” dans l’être-l’un-avec-l’autre et qui en même temps se “transmet” et continue de produire son effet vaut comme histoire 25

Sein und Zeit, p. 378, tr. fr., Martineau, pp. 261-262 (Vezin, p. 443). Sein und Zeit, p. 379, tr. fr., Martineau, p. 262 (Vezin, 443). 27 Sein und Zeit, p. 379, tr. fr., Martineau, p. 262 (Vezin, p. 443). 26

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dans un sens accentué (“Geschichte ist das in der Zeit sich begebende spezifische Geschehen des existierenden Daseins, so zwar, dass das im Miteinandersein « vergangene » und zugleich « Überlierferte » und fortwirkende Geschehen im betonten Sinne als Geschichte gilt.”) »28. Dans la mesure où, selon Heidegger, « Ce qui relie les quatre significations, c’est qu’elle se rapportent à l’homme comme “sujet” des événements (“Die vier Bedeutungen haben dadurch einen Zusammenhang, dass sie auf den Menschen als « Subjekt » der Ereignisse sich beziehen.”) »29. Par ailleurs, Heidegger cherche à déterminer les caractères de l’historial qui présentent manifestement un sens temporel. Cette détermination provient de l’hypothèse selon laquelle l’histoire appartient à l’être du Dasein, et cet être se fonde dans la temporalité. Prenons l’exemple des « antiquités » (« Alterümer ») conservées au musée, des ustensiles domestiques (Hausgerät) qui appartiennent à un « temps passé », et pourtant ils n’en sont pas moins sous-la-main dans le « présent ». La question est évidemment de savoir : dans quelle mesure un tel ustensile est-il historial ? À supposer donc que nous répondions que « Le caractère historial des antiquités encore conservées se fonde dans le “passé” du Dasein au monde duquel elles appartenaient ». L’objection serait que seulement le Dasein « passé » qui serait historial, et non pas le Dasein « présent » ? Mais le Dasein peut-il en général être passé, si nous déterminons nous dit Heidegger, ce mot « passé » au sens de « maintenant plus sous-la-main ou à-portée-de-la-main ? Mais pour Heidegger, « Manifestement, le Dasein ne peut jamais être passé, non point parce qu’il est impérissable, mais parce qu’il ne peut essentiellement jamais être sousla-main, mais s’il est... existe (“Offenbar kann das Dasein nie vergangen sein, nicht weil es unvergänglich ist, sondern weil es wesenhaft nie vorhanden sein kann, vielmehr, wenn es ist, existiert.”) »30. Et de poursuivre : « Or justement, un Dasein n’existant plus, au sens ontologique strict, n’est point passé (“vergangen”), mais ayant été-Là (“da-gewesen”). Les antiquités encore sous-la-main ont un caractère de “passé” et d’histoire sur la base de leur appartenance utilitaire à, et de leur provenance depuis un monde ayant-été d’un Dasein ayant-été-Là (“da-gewesenen”). C’est celui-ci qui est le primairement historial. »31. 28

Sein und Zeit, p. 379, tr. fr., Martineau, p. 262 (Vezin, p. 443). Sein und Zeit, p. 379, tr. fr., Martineau, p. 262 (Vezin, p. 443). 30 Sein und Zeit, p. 380, tr. fr., Martineau, p. 263 (Vezin, p. 445). 31 Sein und Zeit, pp. 380-381, tr. fr., Martineau, p. 263 (Vezin, p. 445 : il traduit « dagewesenen » par « être-été »). 29

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Heidegger multiplie encore une série d’objections du genre : mais estce à dire que le Dasein ne devient historial que du fait qu’il n’est plus Là ? Ou bien n’est-il pas justement historial en tant que facticement existant ? Le Dasein est-il seulement un ayant-été au sens de l’ayant-été-Là, ou bien n’est-il pas « été » en tant que présentifiant-à-venir, c’est-à-dire dans la temporalisation de sa temporalité ? Le constat de Heidegger est le suivant : « De cette analyse provisoire de l’outil qui est encore sous-la-main tout en appartenant, en tant qu’il est en quelque manière « passé », à l’histoire, il ressort qu’un tel étant n’est historial que sur la base de son appartenance au monde. Mais le monde a le mode d’être de l’historial parce qu’il constitue une déterminité ontologique du Dasein (« Die Welt aber hat die Seinsart des Geschichtlichen, weil sie eine ontologische Bestimmtheit des Daseins ausmacht. »). Mais pourquoi est-ce précisément le « passé », ou, plus adéquatement, l’être-été qui détermine l’historial de façon prépondérante, alors que l’être-été ne se temporalise pourtant que cooriginairement avec le présent et l’avenir ? Pour Heidegger : « Est primairement historial – avons-nous affirmé – le Dasein (“Primär geschchtlich – behaupten wir – ist das Dasein.”). Mais est secondairement historial l’étant qui fait encontre de manière intramondaine : non pas seulement l’outil à-portée-de-la-main au sens le plus large, mais aussi la nature du monde ambiant en tant que “sol historique” (“geschichtlicher Boden”). L’étant qui, sans être à la mesure du Dasein, est historial sur la base de son appartenance au monde (“Weltzugehörigkeit”), nous le nommons mondo-historial (“Weltgeschtliche”). Il est possible de montrer que le concept vulgaire de l’“histoire du monde” provient justement de l’orientation sur cet historial secondaire. Le mondo-historial n’est pas seulement historial, par exemple, sur la base d’une objectivation historique, il l’est comme l’étant que, faisant encontre à l’intérieur du monde, il est en lui-même. »32. La thèse suivant laquelle « le Dasein est historial » nous conduit directement à la question cherchant à déterminer les conditions ontologiques de l’historialité. Autrement dit : dans quelle mesure, et sur la base de quelles conditions ontologiques l’historialité appartient-elle à titre de constitution d’essence à la subjectivité du sujet « historial » ? Heidegger répond à cette question dans le § 74 sur « La constitution fondamentale de l’historialté » (Die Grundverfassung der Geschichtlichkeit). Venons-en à son analyse.

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Sein und Zeit, p. 381, tr. fr., Martineau, p. 263 (Vezin, p. 446).

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3. Exposition du problème ontologique de l’histoire comme problème historial C’est la thèse suivante qui préoccupe Heidegger ici : « Facticement, le Dasein a à chaque fois son “histoire”, et s’il peut l’avoir, c’est parce que l’être de cet étant est constitué par l’historialité. (Das Dasein hat faktisch je seine “Geschichte und kann dergleichen haben, weil das Sein dieses Seienden durch Geschichtlichkeit konstituiert wird.”) »33. Pour Heidegger, c’est venu le moment de justifier cette thèse avec l’intention d’exposer le problème ontologique de l’histoire en tant que problème existential. Nous avons vu, rappelle Heidegger, que l’être du Dasein a été délimité comme souci (« Das Sein des Daseins wurde als Sorge umgrenzt. ») ; et que le souci se fonde dans la temporalité (« Sorge gründet in der Zeitlichkeit). Pour Heidegger, donc, c’est dans l’orbe de la temporalité que nous devons nous mettre pour pouvoir nous mettre en quête d’un provenir qui détermine l’existence en tant qu’historiale. D’où, observe-t-il, l’interprétation de l’historialité du Dasein se révèle n’être au fond qu’une élaboration plus concrète de la temporalité. Nous n’avions, précise Heidegger, d’abord dévoilé celle-ci que par rapport à la guise de l’exister authentique, que nous caractérisions comme résolution devançante (« vorlaufende Entschlossenheit »). Maintenant, relève-t-il, la question est celle de savoir dans quelle mesure la « résolution devançante » implique un « provenir authentique » (« eigentliches Geschehen ») du Dasein ? Réponse de Heidegger : « La résolution a été déterminée comme le se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette propre. Elle conquiert son authenticité en tant que résolution devançante. Dans celle-ci, le Dasein se comprend de telle sorte quant à son pouvoir-être qu’il comparaît devant la mort, afin d’assumer ainsi totalement l’étant qu’il est lui-même en son être-jeté. L’assomption résolue du « Là » propre factice signifie en même temps la décision pour la situation (« Die Entschlossenheit wurde bestimmt als das verschwiegene, angstbereite Sichentwerfen auf das eigene Schuldigsein. Ihre Eigentlichkeit gewinnt sie als vorlaufende Entschlossenheit. In ihr versteht sich das Dasein hinsichtlich seines Seinkönnens dergestalt, dass es dem Tod unter die Augen geht, um so das Seiende, das es selbst ist, in seiner Geworfenheit ganz zu übernehmen (« Die entschlossene übernahme des eigenen faktischen « Da » bedeutet zugleich den Entschluss in die Situation.») »34. En revanche, Heidegger ne saurait ni déterminer ni 33 34

Sein und Zeit, p. 382, tr. fr., Martineau, p. 264 (Vezin, p. 447). Sein und Zeit, p. 382, tr. fr., Martineau, p. 264 (Vezin, p. 447).

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élucider « ce pour quoi le Dasein se décide à chaque fois facticement », ni non plus en débattre des « possibilités factices de l’existence » (« von faktischen Möglichkeiten der Existenz aus »). Malgré tout, il ne peut s’empêcher la question de savoir « d’où en général peuvent être puisées les possibilités vers lesquelles le Dasein se projette facticement ? » Est-ce à partir de « l’être-pour-la-mort » ? Heidegger n’en crut pas ses oreilles, même si la mort, dit-il, ne garantit seulement que la « totalité » (« Ganzheit ») et l’« authenticité » (Eigentlichkeit) de la « résolution » (« Entschlossenheit »). En tout cas, pour lui, « les possibilités facticement ouvertes de l’existence ne sauraient être empruntées à la mort, et cela d’autant moins que le devancement vers la possibilité en signifie point une spéculation sur celle-ci, mais justement un retour vers le Là factice. »35. Pour Heidegger, - et cela avant de décider précipitamment si le Dasein puise ou non ses possibilités authentiques d’existence dans l’être-jeté -, on doit assurer du concept plein de cette déterminité fondamentale du souci. Voilà pourquoi : « Jeté, le Dasein est certes remis à lui-même et à son pouvoir-être, mais cependant en tant qu’être-au-monde (“Geworfen ist zwar das Dasein ihm selbst und seinem Seinkönnen überantwortet, aber doch als In-der-Welt-sein.”). Jeté, il est assigné à un “monde” et il existe facticement avec d’autres (“Geworfen ist es angewiesen auf eine « Welt » und existiert faktisch mit Anderen.”). Entre d’autres, de prime abord et le plus souvent, le Soi-même est perdu dans le On. Il se comprend à partir des possibilités d’existence qui “ont cours” dans ce qui est à chaque fois aujourd’hui l’explicitation publique “moyenne” du Dasein. Le plus souvent, elles sont rendues méconnaissables par l’équivoque, et cependant elles sont connues. Le comprendre existentiel authentique se soustrait si peu à l’être-explicité traditionnel que c’est à chaque fois à partir de lui et contre lui, et pourtant à nouveau pour lui qu’il saisit dans la décision la possibilité choisie (“Möglichkeit im Entschluss ergreift.”) »36. C’est pourquoi pour Heidegger, « La résolution où le Dasein revient vers lui-même (zurückkommt) ouvre les possibilités à chaque fois factices d’exister authentique à partir de l’héritage (dem Erbe) qu’elle assume en tant que jetée. Le retour vers l’être-jeté abrite en soi un se-délivrer de possibilités traditionnelles, quoique non pas nécessairement en tant que traditionnelles. Si tout “bien” est héritage et si le caractère de la “bonté” se trouve dans la possibilisation d’existence authentique, alors se constitue à 35 36

Sein und Zeit, p. 383, tr. fr., Martineau, p. 264 (Vezin, p. 447). Sein und Zeit, p. 383, tr. fr., Martineau, p. 264 (Vezin, pp. 447-448).

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chaque fois dans la résolution la délivrance d’un héritage (“Wenn alles « Gute » erbschaft ist und der Charakter der « Gute » in der Ermöglichung eigentlicher Existenz liegt, dann konstituiert sich in der entschlossenheit je das überliefern eines Erbes.”) »37. Dans le même sens, « Plus authentiquement, poursuit-il, le Dasein se résout, c’est-à-dire se comprend sans équivoque à partir de sa possibilité la plus propre, insigne dans le devancement vers la mort, et plus univoque et nécessaire est la trouvaille élective de la possibilité de son existence. Seul le devancement dans la mort expulse toute possibilité arbitraire et “provisoire” ; seul l’être-libre pour la mort donne au Dasein son but pur et simple et rejette l’existence dans sa finitude. La finitude saisie de l’existence arrache à la multiplicité sans fin des possibilités immédiatement offertes de la complaisance, de la légèreté, de la dérobade et transporte le Dasein dans la simplicité de son destin (“Nur das Vorlaufen in den Tod treibt jede zufällige und « vorläufige » Möglichkeit aus. Nur das Freisein für den Tod gibt dem Dasein das Ziel schlechthin und stösst die Existenz in ihre Endlickeit. Die ergriffene Endlichkeit der Existenz reisst aus der endlosen Mannigfaltigkeit der sich anbietenden nächsten Möglichkeiten des Behagens, Leichtnehmens, Sichdrückens zurück und bringt das Dasein in die Einfachheit seines Schicksals.”) »38. Heidegger définit le destin (Schicksals) comme « le provenir originaire du Dasein, inclus dans la résolution authentique, où, libre pour la mort, il se délivre à lui-même en une possibilité héritée et néanmoins choisie (“Damit bezeichnen wir das in der eigentlichen Entschlossenheit liegende ursprüngliche Geschehen des Daseins, in dem es sich frei für den Tod ihm selbst in einer ererbten, aber gleichwohl gewählten Möglichkeit überliefert.”) »39. De telle sorte que « Si le Dasein peut être frappé par les coups du destin, c’est uniquement parce qu’au fond de son être il est destin au sens qu’on vient de caractériser (“Das Dasein kann nur deshalb von Schicksalsschlägen getroffen werden, weil es im Grunde seines Seins in dem gekennzeichneten Sinne Schicksal ist”). Existant destinalement dans la résolution auto-délivrante, le Dasein comme être-au-monde est ouvert à 37

Sein und Zeit, pp. 383-384, tr. fr., Martineau, pp. 264-265 (Vezin, p. 448). Sein und Zeit, p. 384, tr. fr., Martineau, p. 265 (Vezin, pp. 448). 39 Sein und Zeit, p. 384, tr. fr., Martineau, p. 265 (Vezin, p. 448). À noter que nous avons ici pris en référence, du moins en une partie, la traduction Vezin qui écrit justement par « ... que naît un destin » au lieu de la traduction Martineau « ... qui naît un destin » ; et dont on se demande s’il ne s’agit pas un peu plus d’une faute de frappe que vraiment d’une erreur de traduction. 38

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la “survenue” des circonstances “heureuses” et à la cruauté des hasards (“Schicksalhaft in der sich überliefernden Entschlossenheit existierend, ist das Dasein als In-der-Welt-sein fûr das « Entgegenkommen » der « glücklichen » Umstände und die Grausamkeit der Zufälle erschlossen.”). Ce n’est nullement du concours des circonstances et des événements que naît un destin. Même l’irrésolu – et plus encore que celui qui a choisi – est concerné par eux, et pourtant il ne peut “avoir” destin. »40. Tant il est attesté que pour Heidegger « Lorsque le Dasein, en devançant, laisse la mort prendre pouvoir sur soi, il se comprend, libre pour elle, dans la sur-puissance (“Übermacht”) propre de sa liberté finie (endlichen Freiheit), afin d’assumer en celle-ci, qui n’“est” jamais que dans l’avoir-choisi du choix, l’im-puissance (“Ohnmacht”) de son abandon à lui-même, et de devenir clairvoyant pour les contingences de la situation ouverte. Mais si le Dasein destinal comme être-au-monde existe essentiellement dans l’être-avec avec autrui, son provenir est co-provenir, il est déterminé comme co-destin, terme par lequel nous désignons le provenir de la communauté, du peuple (Wenn aber das schicksalhafte Dasein als In-der-Welt-sein wesenhaft im Mitsein mit Anderen existiert, ist sein Geschehen ein Mitgeschehen und bestimmt als Geschick. Damit bezeichnen wir das Geschehen der Gemeinschaft, des Volkes. »). Le codestin ne se compose pas de destins individuels, pas plus que l’être-l’-unavec-l’-autre dans le même monde et dans la résolution pour des possibilités déterminées, les destins sont d’entrée de jeu déjà guidés. C’est dans la communication qui partage et dans le combat que se libère la puissance du co-destin. Le co-destin destinal du Dasein dans et avec sa “génération” constitue le provenir plein, authentique du Dasein (“Das Geschick setzt sich nicht aus einzelnen Schicksalen zusammen, sowenig als das Miteinandersein als ein Zusammenvorkommen mehrer Subjekte begriffen werden kann. Im Miteinandersein in derselben Welt und in der Entschlossenheit für bestimmte Möglichkeiten sind die Schicksale im vorhinein schon geleitet. In der Mitteilung und im Kampf wird die Macht des Geschickes erts frei. Das schicksalhafte Geschick des Daseins in und mit seiner « Generation » macht das volle, eigentliche Geschehen des Daseins aus.”) »41. Cela dit pour que le Dasein puisse exister sous le mode de destin, il faut selon Heidegger que « la sur-puissance im-puissante, prête à l’obstacle, du se-projeter ré-ticent, prêt à l’angoisse, vers l’être-en-dette propre – requiert 40 41

Sein und Zeit, p. 384, tr. fr., Martineau, p. 265 (Vezin, pp. 448-449). Sein und Zeit, pp. 384-385, tr. fr. Martineau, p. 265 (Vezin, p. 449).

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comme sa condition ontologique de possibilité la constitution d’être du souci, c’est-à-dire la temporalité ; et c’est seulement si, dans l’être d’un étant, la mort, la dette, la conscience, la liberté et la finitude co-habitent aussi co-originairement qu’elles le font dans le souci, que cet étant peut exister selon le mode du destin, c’est-à-dire être historial dans le fond de son existence. »42. Pour Heideger, « Seul un étant qui est essentiellement AVENANT en son être, de telle manière que, libre pour sa mort et se brisant sur elle, il puisse se laisser re-jeter vers son Là factice, autrement dit seul un étant qui, en tant qu’avenant, est en même temps ETANT-ETE, peut, en délivrant à lui-même la possibilité héritée, assumer son être-jeté propre et être INSTANTANE pour « son temps ». Seule la temporalité authentique, qui est en même temps finie, rend possible quelque chose comme un destin, c’est-à-dire une historialité authentique (« nur Seindes, das wesenhaft in seinem Sein zukünftig ist, so dass es frei für seinem Tod an ihm zerschellend auf sein faktisches Da sich zurückwerfen lassen kann, das heisst nur Seiendes, das als zukünftiges gleichursprünglich gewesend ist, kann, sich selbst die erbte Möglichkeit überliefernd, die eigene Geworfenheit übernehmen und augenblicklich « sein Zeit ». Nur eigentliche Zeitlichkeit, die zugleich endlich ist, macht so etwas wie Schicksal, das heisst eigentlich Geschichtlichkeit möglich. »)43. De même, « Que la résolution ait un savoir exprès de la provenance de la possibilité vers laquelle elle se projette, cela n’est pas nécessaire. En revanche, il y a bien dans la temporalité du Dasein, et en elle seulement, la possibilité de ramener expressément le pouvoir-être existential vers lequel il se projette depuis la compréhension transmise du Dasein. La résolution qui revient vers soi, qui se dé-livre, devient alors la répétition d’une possibilité transmise d’existence (“Wohl aber liegt in der Zeitlichkeit des daseins und nur in ihr die Möglichkeit, das existenzielle Seinkönnen, darauf es sich entwirft, ausdrücklich aus dem überleferten Daseinsverständnis zu holen. Die auf sich zurückkommende, sich überlierfende Entschlossenheit wird dann zur Wiederholung einer überkommenen Existenzmöglichkeit.”). La répétition est la délivrance {tradition} expresse, c’est-à-dire le retour dans des possibilités du Dasein qui a été Là (“Die Wiederholung ist die ausdrückliche Überlieferung, das heisst der Rückgang in Möglichkeiten des dagewesenen Daseins.”) possibilité d’existence passée – le fait que le Dasein se choisit ses héros – se fonde existentialement dans la résolution devançante : car c’est en elle seulement qu’est choisi le choix qui rend libre 42 43

Sein und Zeit, p. 385, tr. fr., Martineau, p. 265 (Vezin, p. 449). Sein und Zeit, p. 385, tr. fr., Martineau, p. 265 (Vezin, pp. 449-450).

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pour la poursuite du combat et pour la fidélité au répétable (“Die eigentliche Wiederholung einer gewesenen Existenzmöglichkeit – dass das Dasein sich seinen Helden wählt – gründet existenzial in der vorlaufenden Entschlossenheit ; denn in ihr wird allerest die Wahl gewählt, die für die kämpfende Nachfolge und Treue zum Wiederholbaren frei macht.”) »44. D’où atteste Heidegger que « Néanmoins, le se-délivrer répétitif d’une possibilité passée n’ouvre nullement le Dasein ayant été Là afin de le réaliser à nouveau. La répétition du possible n’est ni une restitution du “passé”, ni une liaison après coup du “présent” à ce qui est “révolu”. Jaillissant d’un se-projeter résolu, la répétition ne se laisse pas compter par le “passé”, pour ensuite se borner à le laisser revenir en tant qu’effectivité antérieure. Bien plutôt la répétition ren-contre-t-elle la possibilité de l’existence ayant été Là. La ren-contre de la possibilité dans la décision est cependant en même temps, en tant qu’instantanée, le rappel de ce qui se déploie dans l’aujourd’hui comme “passé”. Pas plus qu’elle ne s’en remet au passé, pas plus la répétition ne vise un progrès. L’une et l’autre attitude sont indifférentes à l’existence authentique dans l’instant. »45. Mais l’avenir s’avère, malgré tout, primordial dans l’« assumation » destinale du Dasein, c’est-à-dire dans sa façon d’« assumer » son destin car en caractérisant la répétition, nous dit Heidegger, comme le mode de la résolution auto-délivrante par lequel le Dasein existe expressément comme destin ; et si d’autre part le destin constitue l’historialité originaire du Dasein, c’est qu’alors l’histoire n’a son poids essentiel ni dans le passé, ni dans l’aujourd’hui et dans son « enchaînement » avec le passé, mais dans le provenir authentique de l’existence, lequel jaillit de l’avenir du Dasein. Ainsi, « L’histoire, en tant que guise d’être du Dasein, plonge si essentiellement sa racine dans l’avenir que la mort – en tant que possibilité caractérisée du Dasein – re-jette l’existence devançante vers son être-jeté factice et ne prête qu’ainsi à l’être-été sa primauté spécificique au sein de l’historial. L’être authentique pour la mort, c’est-à-dire la finitude de la temporalité, est le fondement retiré de l’historialité du Dasein. Le Dasein ne devient pas pour la première fois historial dans la répétition, mais c’est parce qu’il est historial en tant que temporel qu’il peut, en répétant, s’assumer dans son histoire (« Das Dasein wird nicht erst geschichtlich in der Wiederholung, sondern weil es als zeitliches geschichtlich ist, kann es sich wiederholend in seiner Geschichte übernehmen. »). Et pour cela, il

44 45

Sein und Zeit, p. 385, tr. fr., Martineau, p. 265 (Vezin, p. 450). Sein und Zeit, pp. 385-386, tr. fr., Martineau, pp. 265-266 (Vezin, p. 450).

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n’est encore besoin d’aucune science historique (« Hierzu bedarf es noch keiner Historie.) »46. Quant au destin du Dasein, il n’est rien d’autre que l’auto-délivrance devançante, contenue dans la résolution, au Là de l’instant, car « En lui se fonde conjointement le co-destin, terme par lequel nous entendons le provenir du Dasein dans son être-avec avec autrui. Le co-destin destinal peut, dans la répétition, être expressément ouvert quant à son attachement à l’héritage transmis. C’est la répétition qui seule rend sa propre histoire manifeste au Dasein. Le provenir lui-même et l’ouverture qui lui appartient, ou encore son appropriation, se fondent existentialement dans le fait que le Dasein comme temporel est ekstatiquement ouvert. »47. Par ailleurs et en s’inspirant de tout le cours antérieur de l’analytique existentiale, Heidegger remarque que rien ne se dégage si nettement que le fait que l’ontologie du Dasein ne cesse toujours de nouveau de succomber aux séductions de la compréhension vulgaire de l’être ; qu’à celle-ci, il n’est possible de donner méthodiquement la réplique que si nous nous enquérons de l’origine de cette question si « évidente » de la constitution de l’enchaînement du Dasein et déterminons dans quel horizon ontologique elle se meut ; que si l’historialité appartient à l’être du Dasein, alors il faut que l’exister inauthentique soit lui aussi historial. Or qu’en serait-il, se demande Heidegger, si c’était l’« historialité inauthentique » (« uneigentliche Geschichtlichkeit ») du Dasein qui déterminerait l’orientation de la question qui s’enquiert d’un « enchaînement de la vie » (« Zusammenhang des lebens ») et qui barrait l’accès à l’« historialité authentique » (« eigentlichen Geschichtlichkeit ») et à l’« “enchaînement” qui lui est propre » (eigentlichen « Zusammenhang ») ? Pour rendre complète l’analyse du problème ontologique de l’histoire, Heidegger se propose dans un instant (et nous aussi) l’analyse et l’interprétation de l’historialité inauthentique du Dasein, mieux, « L’historialité du Dasein et l’histoire du monde » (« Die Geschichlichkeit des Daseins und die Welt-Gescichte ») (§ 75). 4. Historialité et inauthenticité du Dasein Comme vu dans les paragraphes relatifs au deuxième chapitre de Sein und Zeit sur « L’être-au-monde en général comme constitution fondamentale du Dasein » » Heidegger commence l’analyse du § 75 par le 46 47

Sein und Zeit, p. 386, tr. fr., Martineau, p. 266 (Vezin, pp. 450-451). Sein und Zeit, p. 386, tr. fr., Martineau, p. 266 (Vezin, p. 451).

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même credo, à savoir que « De prime abord et le plus souvent, le Dasein se comprend à partir de ce qui lui fait encontre dans le monde ambiant et dont il se préoccupe ciron-spectivement. »48. Cette façon d’être, ou d’agir du Dasein est corrélative à son propre comprendre qui n’est pas, selon Heidegger, une simple prise de connaissance de lui-même, qui se bornerait à accompagner tous les comportements du Dasein. « Comprendre signifie se-projeter vers ce qui est à chaque fois la possibilité de l’être-au-monde, autrement dit exister en tant que cette possibilité. Ainsi, le comprendre comme entente constitue-t-il également l’existence inauthentique du On. Ce qui fait encontre à la préoccupation quotidienne dans l’être-l’-un-avecl’autre public, ce ne sont pas seulement l’outil, l’ouvrage, mais aussi ce qui en « résulte » : les « affaires » (« die Geschäfte », les entreprises (« Unternehmungen »), les incidents (« Vorfälle ») et les accidents (Unfälle ») »49. Car, pour Heidegger, « Le « monde » est à la fois le sol et le théâtre (Die « Welt » ist zugleich Boden un Schauplatz), et, comme tel, appartient conjointement aux faits et gestes quotidiens (und gehört als solcher mit zum alltäglichen Handel und Wandel »). Dans l’être-l’unavec-l’autre public, les autres ne nous font encontre que dans une affaire où « l’on est soi-même plongé ». Et cette affaire, on la connaît, on la commente, on la promeut, on la combat, on la préserve et on l’oublie – mais toujours en ayant primairement d’yeux que pour ce qui se poursuit et ce qui en « sort »50. À telle enseigne que « Le progrès (Fortgang), la stagnation (Stillstand), le changement (Umstellung), le “bilan” du Dasein singulier, nous ne les évaluons de prime abord qu’à partir du cours, de l’état, du changement et de la disponibilité de l’étant offert à la préoccupation. Si trivial que puisse être ce renvoi à la compréhension du Dasein qui caractérise l’entendement quotidien, nous dit Heidegger, il se trouve que, du point de vue ontologique, elle est rien moins que transparente »51. Dès lors, pour Heidegger les vraies questions sont les suivantes : ne pourrait-on pas déterminer aussi l’« enchaînement de la vie » du Dasein à partir de ce dont on se préoccupe, de ce que l’on « vit » ? L’outil, l’ouvrage, et tout ce auprès de quoi le Dasein se tient, tout cela ne co-appartient-il pas à son « histoire » ? Le provenir de l’histoire, dès lors, ne serait-il que le déroulement – considéré isolément – de « flux de vécus » dans les sujets 48

Sein und Zeit, p. 387, tr. fr., Martineau, pp. 266-267 (Vezin, p. 452). Sein und Zeit, pp. 387-388, tr. fr., Martineau, p. 267 (Vezin, p. 452). 50 Sein und Zeit, p. 388, tr. fr., Martineau, p. 267 (Vezin, p. 452). 51 Sein und Zeit, p. 388, tr. fr., Martineau, p. 267 (Vezin, p. 452). 49

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singuliers ? Heidegger répond en indiquant comment « En fait, l’histoire n’est ni le complexe dynamique des modifications des objets, ni la séquence arbitraire des vécus des « sujets » (« In der tat ist die Geschichte weder der Bewegunszusammenhang von Veränderungen der noch die freiscwebende Erlebnisfolge der « Subjekte ».) »52. Dans la mesure où « La thèse de l’historialité du Dasein ne dit pas que c’est le sujet sans-monde qui est historial, mais bien l’étant qui existe comme être-au-monde ». Le provenir de l’histoire est provenir de l’être-au-monde. L’historialité du Dasein est essentiellement historialité du monde qui, sur la base de la temporalité ekstatico-horizontale, appartient à la temporalisation de celleci (« Die These von der Geschichtlichkeit des Daseins sagt nicht, das Weltlose Subjek sei geschichtlich, sondern das Seiende, das als In-derWelt-sein existiert. Geschen der Geschchte ist Geschehen des In-der-Weltseins. Geschichtlichkeit ist wesenhaft Geschichtlikeit von Welt, die auf dem Grunde der ekstatisch-horizontalen Zeitlichkeit zu deren Zeitung gehört.) »53. Car, « Pour autant, dit Heidegger, le Dasein existe facticement, de l’étant intramondain découvert lui fait aussi et déjà encontre. Avec l’existence de l’être-au-monde historial, de l’à-portée-dela-main et du sous-la-main est à chaque fois déjà inclus dans l’histoire du monde (“Mit der Existenz des geschichtlichen In-der-Welt-seins ist Zuhandenes und Vorhandenes je schon in die Geschichte der Welt einbezogen.”)54. Cela dit et pour répondre à l’une des questions heideggériennes du point de départ du § 75, nous pouvons, avec Heidegger, dire que “L’outil et l’ouvrage, des livres par exemple, ont leurs ‘destins’, des monuments et des institutions ont leur histoire. Mais la nature elle aussi est historiale. Certes, elle ne l’est précisément pas lorsque nous parlons d’‘histoire naturelle’ (‘Naturgeschichte’), mais elle l’est bel et bien en tant que paysage (‘Landschaft’), domaine d’installation (‘Ansiedlungs) et d’exploitation (‘Ausbeutungsgebiet’), comme champ de bataille (‘Schlachtfeld’) ou comme lieu de culte (Kultstärte »). Cet étant intramondain est comme tel historial (‘Dieses innerweltliche Seiende ist als solches geschichtlich’), et son histoire ne représente pas un cadre ‘extérieur’ qui accompagnerait purement et simplement l’histoire

52

Sein und Zeit, p. 388, tr. fr., Martineau, p. 267 (Vezin, p. 453). Sein und Zeit, p. 388, tr. fr., Martineau, p. 267 (Vezin, p. 453). 54 Sein und Zeit, p. 388, tr. fr., Martineau, p. 267 (Vezin, p ? 453). 53

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‘intérieure’ de l’‘âme’. Nous nommons cet étant le mondo-historial (‘Wir nennen dieses Seiende das Welt-Geschichtliche.’)”55. Mais il faut, prévient Heidegger, prendre quelque recul par rapport à l’expression dite “Welt-Geschichtliche” car elle peut prêter à confusion, ou donner lieu à l’équivoque. D’où, il faut lui donner une signification ontologique selon laquelle : “histoire du monde” (“Welt-Geschichte”). Cette expression signifie d’une part, et selon lui, le provenir du monde en son unité essentielle, existante avec le Dasein. Mais d’autre part, dans la mesure où avec le monde existant facticement de l’étant intramondain est à chaque fois découvert, elle désigne le “provenir” intramondain de l’àportée-de-la-main et du sous-la-main. Le monde historial n’est facticement que comme monde de l’étant intramondain (“Geschichtliche Welt is faktisch nur als Welt des innerweltlichen Seienden.”) »56. Mais dans quelle mesure l’« historialité inauthentique » (selon la traduction Martineau que nous suivons) voire suivant l’« historialité impropre » (selon la traduction Vezin) détermine l’« enchaînement de la vie » du Dasein ? Heidegger répond, en montrant comment « Le Dasein quotidien est dispersé dans la multiplicité de ce qui “se passe” chaque jour. Les occasions, les circonstances auxquelles la préoccupation s’attend d’entrée de jeu “tactiquement” produisent le “destin” (« Die Gelegenheiten, Umstände, deren das Besorgen im vorhinein « taktisch » gewärtig bleibt, ergeben das « Schicksal. »)57. C’est seulement à partir de la préoccupation que le Dasein existant inauthentiquement se forme une histoire (“Aus dem Besorgten errechnet sich das uneigentlich existierende Dasein erst seine Geschichte.”). Et comme il doit alors, assiégé qu’il est par ses “affaires” (“Geschäften”), se reprendre hors de la dispersion (“Zerstreuung”) et de l’incohérence (“Unzusammenhang”) de ce qui “se passe” dans le moment même s’il veut advenir à lui-même, c’est seulement de l’horizon de compréhension de l’historialité inauthentique que naît en général la question de la formation possible d’un “enchaînement” (“Zusammnhang”) du Dasein, celui-ci étant pris au sens des vécus “également” sous-la-main du sujet. La possibilité de la domination de cet horizon de questionnement se fonde dans l’ir-résolution (“Unentschlossenheit”) qui constitue l’essence de l’in-stabilité (“Unständigkeit”) du Soi-même (“Selbst”). »58. 55

Sein und Zeit, pp. 388-389, tr. fr., Martineau, p. 67 (Vezin, p. 453 : il traduit « WeltGeschichtliche » par « monde-historial »). 56 Sein und Zeit, p. 389, tr. fr., Martineau, p. 267 (Vezin, p. 453). 57 Sein und Zeit, pp. 389-390, tr. fr., Martineau, p. 268 (Vezin, 58 Sein und Zeit, p. 390, tr. fr., Martineau, p. 268 (Vezin, p. 454).

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C’est donc de cette façon, renchérit Heidegger qu’ « ... est mise en évidence, rassure l’origine de la question d’un “enchaînement” du Dasein au sens de l’unité de la chaine des vécus entre naissance et mort. La provenance de la question trahit en même temps son caractère inadéquat par rapport à une interprétation existentiale originaire de la totalité du provenir du Dasein. Mais d’autre part la prépondérance de cet horizon “naturel” de questionnement permet également d’expliquer pourquoi tout se passe comme si c’était justement l’historialité authentique du Dasein – le destin et la répétition – qui paraît le moins capable de livrer le sol phénoménal requis pour porter à la figure d’un problème ontologiquement fondé ce qui vise fondamentalement la question de l’“enchaînement” du Dasein. »59. Comme on le sent il y a, dans tout ceci, une question fondamentale que Heidegger s’est posée de savoir – non comment le Dasein obtient-il l’unité d’enchaînement permettant après coup de lier la séquence passée et actuelle des « vécus » - mais plutôt en quel mode d’être lui-même le Dasein se perd-il de telle manière qu’il doive pour ainsi dire ne se reprendre qu’après coup à partir de la distraction et inventer pour l’ensemble ainsi réuni une unité englobante ? Pour répondre, Heidegger rappelle les faits. Il montre tout d’abord, comment la perte dans le On et dans le mondo-historial s’est dévoilée antérieurement comme fuite devant la mort ; comment cette fuite devant... manifeste l’être pour la mort comme une déterminité fondamentale du souci ; comment la résolution devançante porte cet être pour la mort à l’existence authentique ; comment le provenir de cette résolution, autrement dit la répétition auto-délivrante de l’héritage des possibilités, a pu être interprété comme historialité authentique. Ainsi, il peut dire enfin que la résolution du Soi-même contre l’in-stabilité de la distraction est en soi-même la continuité é-tendue où le Dasein en tant que destin tient « inclus » dans son existence la naissance, la mort et leur « entre-deux, de telle manière qu’en une telle stabilité il est instantané pour le sens mondo-historial de ce qui lui est à chaque fois situation. Heidegger rappelle de nouveau comment dans la répétition destinale de possibilités ayant été, le Dasein se re-porte « immédiatement », c’est-à-dire, en termes temporels, ekstatiquement, à ce qui a déjà été avant lui ; comment, en fin, avec cette auto-délivrance de l’héritage, la « naissance », dans le retour depuis la possibilité indépassable de la mort, est reprise dans l’existence, et cela, bien sûr, afin que celle-ci n’en accueille que plus lucidement l’êtrejeté du Là propre60. 59 60

Sein und Zeit, p. 390, tr. fr., Martineau, p. 268 (Vezin, pp. 454-455). Cf. Sein und Zeit, pp. 390-391, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, p. 455).

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La résolution n’est pas subordonnée à la « durée » de l’acte de décision. Par contre « La résolution constitue, selon Heidegger, la fidélité (« die Treue ») de l’exigence envers le Soi-même propre. En tant que résolution prête à l’angoisse, la fidélité est en même temps possible respect de l’unique autorité que puisse avoir un libre exister, c’est-à-dire des possibilités répétables de l’existence. Ce serait mécomprendre ontologiquement la résolution que d’imaginer qu’elle n’est effective en tant que « vécu » (« Erlebnis ») qu’aussi longtemps que « dure » l’« acte » (« Akt » de « décision » (« dauert »). Dans la résolution est contenue la stabilité existentielle qui, par essence, a déjà anticipé tout instant possible né d’elle. La résolution comme destin est la liberté pour le sacrifice, tel qu’il peut être exigé par la situation, d’une décision déterminée (« Die Entschlossenheit als Schichsak ist die Freiheit für das möglicherweise situationsmässig geforderte Aufgeben eines bestimmten Entschlusses. »). Par-là, la continuité de l’existence n’est point interrompue, mais au contraire justement avérée dans l’instant. La continuité ne se forme pas d’abord par et à partir de l’ajointement d’« instants », mais ceux-ci naissent au contraire de la temporalité déjà-étendue de la répétition en tant qu’étantété de façon avenante. »61. La distinction est de toute manière radicale entre l’« historialité inauthentique » d’une part, et l’« historialité authentique » d’autre part. Commençons par résumer en quelques mots la première forme qui est l’historialité inauthentique : « Dans l’historialité inauthentique (“Uneigentlichen Geschichtlichkeit”) (...) l’être-é-tendu du destin est retiré. C’est in-stablement que, en tant que On-même, le Dasein présentifie son “aujourd’hui”. Attentif à la prochaine nouveauté, il a aussi et déjà oublié l’ancien. Le On se dérobe au choix. Aveugle aux possibilités, il est incapable de répéter de l’étant-été, mais il le conserve seulement, n’obtenant par là que ce qui reste en fait d’“effectivité” du mondo-historial passé – les résidus et la relation sous-la-main les concernant. Perdu dans la présentification de l’aujourd’hui, il comprend le “passé” à partir du présent. »62. S’agissant de l’autre type d’historialité, et donc authentique Heidegger indique comment « La temporalité de l’historialité authentique, au contraire, est en tant qu’instant devançant-répétant une déprésentification de l’aujourd’hui et une désaccoutumance de l’ordinaire du On. »63. La différence est radicale dans la mesure où « L’existence 61

Sein und Zeit, p. 391, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, pp. 455-456). Sein und Zeit, p. 391, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, p. 456). 63 Sein und Zeit, p. 391, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, p. 456). 62

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inauthentiquement historiale, à l’inverse, chargée qu’elle est des séquelles – devenues pour elle-même méconnaissables – du “passé”, cherche le moderne (“Die uneigentlich geschichtliche Existenz dagegen sucht, beladen mit der ihr selbst unkenntlich gewordenen Hinterlassenschaft der « Vergangenheit », das Moderne.”) »64 ; alors que de l’autre côté « L’historialité authentique comprend l’histoire comme le « retour » du possible, et elle sait que la possibilité ne revient que si l’existence est ouverte à elles en tant que destinale-instantanée dans la répétition résolue (« Die eigentliche Geschichtlichkeit versteht die Geschichte als die « Wiederkehr » des Möglichen und weiss darum, dass die Möglichkeit nur wiederkehrt, wenn die Existenz schicksalhaft-augenblicklich für sie in der entschlossenen Wiederholung offen ist. »)65. Nous allons pour le moment passé à l’analyse du § 76 portant sur « l’origine existentiale de l’enquête historique à partir de l’historialité du Dasein (“Der existenziale Ursprung der Historie aus der Geschichtlichkeit des Daseins”) ». 5. Historialité et enracinement du Dasein dans la temporalité Il s’agit tout d’abord de savoir, dit Heidegger, que l’enquête historique est dépendante en tant que mode d’être du Dasein de la « conception du monde dominante » (herrschenden Weltanschauung »). Car ne dit-on pas que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire et aux « vaincus » de l’apprendre ? Rien ne s’oppose, en réalité, à une telle philosophie. Mais ce n’est pas là le problème de Heidegger qui, au-delà de ce fait comme il le dit lui-même, cherche à s’enquérir de la possibilité ontologique de l’origine des sciences à partir de la constitution d’être du Dasein. Car, observe-t-il, est encore fort peu claire, cela même si dans le cadre présent, l’analyse heideggérienne ne se doit que de dégager sommairement l’origine existentiale de l’enquête historique, autant qu’il est requis pour que vienne encore plus clairement en lumière l’historialité du Dasein et son enracinement dans la temporalité66. L’analytique existentiale du Dasein est présupposée être ici le « fondement » originaire ou essentiel de toute science. C’est du moins ce que laisse penser l’auteur de Sein und Zeit à travers ces mots : « Si l’être du Dasein est fondamental historial, alors, manifestement, toute science factice demeure rattachée à ce provenir 64

Sein und Zeit, p. 391, tr. fr. Martineau, p. 269 (Vezin, p. 456). Sein und Zeit, pp. 391-392, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, p. 456) 66 Sein und Zeit, p. 392, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, p. 457). 65

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(“Wenn das Sein des Daseins grundsätzlich geschichtlich ist, dann bleibt offenbar jede faktische Wissenschaft diesem Geschene verhaftet.”). Néanmoins, si la science historique a l’historialité du Dasein pour présupposition, c’est également d’une autre manière, spécifique et privilégiée. »67. C’est donc, fort de cette prétention que Heidegger tient à préciser de la manière suivante ce rapport entre Dasein et Wissenschaft : « (...) l’enquête historique en tant que science de l’histoire du Dasein doit nécessairement avoir l’étant originairement historial pour “présupposition” en tant que son “objet” possible. Seulement, il ne suffit pas que l’histoire soit pour qu’un objet historique devienne accessible ; d’autre part, la connaissance historique n’est pas seulement historiale en tant que conduite provenante du Dasein, mais l’ouverture historique de l’histoire est en elle-même enracinée de par sa structure ontologique, qu’elle s’accomplisse ou non facticement, dans l’historialité du Dasein (“die historische Erschliessung von Geschichte ist an ihr selbst, mag sie faktisch vollzogen werden oder nicht, ihrer ontologischen Struktur nach in der Geschichtlichkeit des Daseins verwurzelt.”)68. Voilà, d’une façon brève, la signification de l’“enquête historique” à partir de l’historialité du Dasein (“der Historie aus der Geschichtlichkeit des Daseins”). En revanche et pour autant que “l’être du Dasein est historial, c’est-àdire qu’il est ouvert, sur le fondement de la temporalité ekstaticohorizontale, en son être-été, la thématisation du” “passé” accomplissable dans l’existence a la voie libre. Et parce que le Dasein – et le Dasein seul – est originairement historial, il faut que ce que la thématisation historique propose comme objet possible à la recherche possède le mode d’être du Dasein ayant-été-Là. Avec le Dasein factice comme être-au-monde est à chaque fois aussi l’histoire du monde. Que le Dasein ne soit plus Là, et le monde, lui aussi, est ayant-été-Là, et à cela ne contrevient point le fait que l’à-portée-de-la-main auparavant intramondain ne passe pas encore, et, en tant que non-passé du monde qui a été Là, est “historiquement” trouvable pour un présent. »69. De même poursuit Heidegger « Des restes encore sous-la-main, des monuments (“Überreste”), des récits (“Denkmäler”), sont un “matériel” (“Material”) possible pour l’ouverture concrète du Dasein ayant-été-Là (Konkrete Erschliessung des dagewesenen). De tes étants ne peuvent devenir matériau historique (“historischem Material”) 67

Sein und Zeit, p. 392, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, p. 457). Sein und Zeit, p. 392, tr. fr., Martineau, p. 269 (Vezin, p. 457). 69 Sein und Zeit, pp. 393-394, tr. fr., Martineau, p. 270 (Vezin, p. 458). 68

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que parce qu’ils ont, selon leur mode d’être propre, un caractère mondohistorial (“Welt-geschichtlichen”). D’autre part, ils ne deviennent matériaux que pour autant qu’ils sont d’emblée compris en leur intramondanéité. Le monde déjà projeté se détermine par l’interprétation du matériau mondo-historial (“Weltgeschichtlichen”) “conservé” (“erhaltenen”). Ce n’est nullement la récollection, l’examen et la mise en sûreté du matériau qui met en route le retour au “passé” ; bien plutôt présuppose-t-il déjà l’être historial pour le Dasein ayant-été-Là, c’est-àdire l’historialité de l’existence de l’historien (Historikers). C’est celle-ci qui fonde existentialement l’enquête historique comme science jusqu’en ses procédures “artisanales” (“handwerklichen”) les plus inapparentes. »70. Ce n’est que véritablement à partir de l’historialité authentique (« eigentlich Geschichtlichkeit ») et la répétition (« Wiederholung »), c’està-dire à partir du mode à elle propre d’ouverture de ce qui a été Là que pourra s’accomplir, estime Heidegger, la délimitation du thème originaire de l’enquête historique. La répétition « comprend le Dasein qui a été Là en sa possibilité authentique étant-été. La “naissance” de l’enquête historique à partir de l’historialité authentique signifiera donc ceci : la thématisation primaire de l’objet historique projette le Dasein ayant-été-Là vers sa possibilité la plus propre d’existence. »71. Mais que signifie la phrase suivant laquelle « le Dasein est factuel » (« Dasein ist tatsächlich »). Autrement dit, en quoi et comment le Dasein est-il un être « factuel » ? Il y a deux hypothèses : la première hypothèse explique que « Si le Dasein n’est “à proprement parler” effectif que dans l’existence, alors sa “factualité” se constitue justement dans le se-projeter résolu vers un pouvoir-être choisi. Par suite, ce qui a à proprement parler été-Là “en fait”, c’est la possibilité existentielle en laquelle se déterminèrent facticement un destin, un co-destin et une histoire du monde. L’existence n’étant jamais que comme facticement jetée, l’enquête historique ouvrira de manière d’autant plus pénétrante la force tranquille du possible qu’elle comprendra plus simplement et concrètement l’être-été-au-monde à partir de sa possibilité et se “bornera” à le présenter comme tel. »72. La deuxième hypothèse est que « Si l’enquête historique, naissant elle-même de l’historialité authentique, dévoile répétitivement le Dasein ayant-été-Là en sa possibilité, alors elle a aussi et déjà manifesté l’“universel” dans l’unique. La question de savoir si l’enquête historique n’a pour objet que 70

Sein und Zeit, p. 394, tr. fr., Martineau, p. 270 (Vezin, pp. 458-459). Sein und Zeit, p. 394, tr. fr., Martineau, p. 270 (Vezin, p. 459). 72 Sein und Zeit, p. 394, tr. fr., Martineau, pp. 270-271 (Vezin, p. 459). 71

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la série des événements uniques, “individuels”, ou aussi des “lois”, est donc radicalement aberrante. Ce qui constitue son thème, ce n’est ni ce qui s’est produit une seule fois, ni un universel flottant au-dessus de lui, mais la possibilité étant-été de manière facticement existante. Et celle-ci n’est point répétée comme telle, c’est-à-dire comprise de manière authentiquement historique, si elle est travestie en un pâle modèle supratemporel. Seule l’historialité authentique factice peut, en tant que destin résolu, ouvrir de telle sorte l’histoire ayant-été-Là que, dans la répétition, la “force” du possible rejaillit sur l’existence factice, c’est-à-dire ad-vient à elle en son être-avenant. »73. Bien plus, estime Heidegger, « l’enquête historique prend tout aussi peu que l’historialité du Dasein an-historique (“des unhistorichen Daseins”) son point de départ dans le “présent” - non, même l’ouverture historique se temporalise à partir de l’avenir. La “sélection” (“Die Auswahl”) de ce qui doit devenir pour l’enquête son possible objet est déjà impliquée dans le choix (Wahl) factice, existentiel de l’historialité du Dasein, choix d’où seulement l’enquête prend naissance et où seulement elle est. »74. Dans ce contexte, seule l’ouverture historique, pour Heidegger est à même de garantir l’objectivité de l’enquête historique : « L’ouverture historique, fondée dans répétition destinale, du “passé” est si peu “subjective” que c’est elle seule au contraire qui garantit l’“objectivité” de l’enquête historique (“Die in der Schicksalhaften Wiederholung gründende historische Erschliessung der « Vergangenheit » ist so wenig « subjektiv », dass sie allein die « Objektivität » der Historie gewährleister”). Car l’objectivité d’une science se règle primairement sur ce critère : est-elle capable d’ap-porter à découvert au comprendre l’étant thématique concerné selon l’originarité de son être. Il n’est point de science où la “validité universelle” des normes et les revendications d’“universalité” élevées par le On et son entente puissent moins s’imposer comme critères de la “vérité” que dans l’enquête historique authentique. »75. Et Heidegger de renchérir : « C’est seulement parce que le thème central de l’enquête historique est à chaque fois la possibilité de l’existence ayant-été-Là, c’est seulement parce que celle-ci, facticement, existe toujours de manière mondo-historiale, qu’elle peut exiger d’ellemême une orientation inexorable sur les “faits”. C’est pourquoi la

73

Sein und Zeit, p. 395, tr. fr., Martineau, p. 271 (Vezin, pp. 459-460). Sein und Zeit, p. 395, tr. fr., Martineau, p. 271 (Vezin, p. 460). 75 Sein und Zeit, p. 395, tr. fr., Martineau, p. 271 (Vezin, p. 460). 74

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recherche factice se ramifie, faisant de l’histoire des outils, des ouvrages, de la culture, de l’esprit, des idées, son objet. »76. Voilà pourquoi « En même temps, précise Heidegger, l’histoire est en elle-même chaque fois, en tant qu’elle se délivre, incluse dans un êtreexplicité à elle propre, qui a lui-même son histoire, de telle sorte, que le plus souvent, l’enquête historique ne peut percer jusqu’à ce qui a-été-Là qu’en traversant l’histoire de la tradition (« die Überlieferungsgeschichte »). À cela tient le fait que la recherche historique peut se rapporter à son thème propre dans une proximité variable. L’historien qui se « lance » d’emblée dans la « conception du monde » d’une époque n’a point encore prouvé pour autant qu’il comprend son objet de manière authentiquement historiale, et pas seulement « esthétique » ; et à l’inverse, l’existence d’un historien qui « ne fait qu’« éditer des sources peut être déterminée par une historialité authentique. »77. De telle manière que « C’est ainsi que la prédominance d’un intérêt historique différencié jusqu’aux cultures les plus lointaines et les plus primitives n’est pas encore en soi, elle non plus, une preuve en faveur de l’historialité authentique d’un “temps”. En fin de compte, le surgissement du problème de l’“historicisme” est le signe le plus clair de l’enquête historique du Dasein ne demande qu’à s’aliéner de son historialité authentique. Car celle-ci n’a point nécessairement besoin d’enquête historique. Telle époche, sous prétexte qu’elle est an-historique, n’est point comme telle déjà aussi an-historiale. »78. Existe, par ailleurs, « la possibilité que l’enquête historique (« Historie überhaupt ») présente « pour la vie » (« für das Leben ») une « utilité » (« von Nutzen ») ou des « inconvénients » (« Nachteil ») se fonde dans le fait que la vie même est historiale à la racine de son être, et qu’elle s’est par suite à chaque fois déjà décidée, en tant que facticement existante, pour une historialité authentique ou inauthentique (« gründet darin, dass dieses in der Wurzel seines Seins geschichtlich ist und sonach als faktisch existierendes sich je schon für eigentliche oder uneigentliche. »)79. Prenant à contribution Nietzsche (dans la deuxième de ses considérations intempestives (1874), Heidegger se réapproprie, à propos de ses dires et observations sur « L’utilité et les inconvénients de la science historique pour la vie ». Il indique, ensuite, les trois sortes d’enquête historique 76

Sein und Zeit, p. 395, tr. fr. Martineau, p. 271 (Vezin, p. 460). Sein und Zeit, pp. 395-396, tr. fr., Martineau, p. 271 (Vezin, pp. 460-461). 78 Sein und Zeit, p. 396, tr. fr., Martineau, p. 271 (Vezin, p. 461). 79 Sein und Zeit, p. 396, tr. fr., Martineau, p. 271 (Vezin, 461). 77

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relevées par Nietzsche : en premier lieu « la monumentale » (« die monumentalische »), l’« antiquaire » (« antiquarische ») et la « critique » (« Kritische »). Or, selon lui, ce n’est pas du tout suffisant, de s’arrêter uniquement à une pareille division. Ainsi, il reproche à Nietzsche de n’avoir pas pu mettre en lumière de manière expresse la nécessité de cette trinité et le fondement de son unité. Pour Heidegger, « La triplicité de l’enquête historique est pré-dessinée dans l’historialité du Dasein, et celleci permet en même temps de comprendre dans quelle mesure l’enquête historique authentique doit nécessairement être l’unité facticement concrète de ces trois possibilités. Cependant, il croit que Nietzsche était bel et bien sûr de ses déclarations sur l’enquête historique car laissant dire qu’il est, lui Heidegger, convaincu que dans sa deuxième Considération, que Nietzsche comprenait plus qu’il n’en disait ; une autre dette en quelque sorte après celle exhibée par rapport à Dilthey : « En tant qu’historial, le Dasein, pour Heidegger, n’est possible que sur le fondement de la temporalité (“Als geschichtliches ist das Dasein nur möglich auf dem Grunde der Zetlichkeit.”) ; Celle-ci se temporalise dans l’unité ekstaticohorizontale de ses échappées. Le Dasein n’existe, en tant qu’avenant, authentiquement que dans l’ouvrir résolu d’une possibilité choisie. Revenant à soi dans la résolution, il est répétitivement ouvert pour les possibilités “monumentales” de l’existence humaine. L’enquête historique provenant d’une telle historialité est “monumentale”. Le Dasein, en tant qu’étant-été, est remis à son être-jeté. »80. En tant que « monumentale », l’enquête historique authentique est donc par conséquent « antiquaire » (« antiquarisch ») car dans l’appropriation répétitive du possible est en même temps pré-dessinée la possibilité de la préservation honorifique de l’existence ayant-été-Là. Dans le même ordre d’idées, Heidegger montre que « Le Dasein se temporalise dans l’unité de l’avenir et de l’être-été en tant que présent. Celui-ci ouvre – à savoir en tant qu’instant – authentiquement l’aujourd’hui. Mais dans la mesure où celuici est explicité à partir du comprendre avenant-répétant (“zukünftigwiederholenden”) d’une possibilité saisie d’existence, l’enquête historique authentique devient la dé-présentification (“Entgegenwärtigung”) de l’aujourd’hui (“des Heute”), autrement dit la douleur de se délier de la publicité échéante de l’aujourd’hui. L’enquête historique monumentaleantiquaire est nécessairement, en tant qu’authentique, critique du présent (“kritik”) (“der Gegenwart”). L’historialité authentique est le fondement de la possible unité des trois guises de l’enquête historique. Mais le 80

Sein und Zeit, p. 396, tr. fr., Martineau, p. 272 (Vezin, p. 461).

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fondement du fondement de l’enquête historique authentique est la temporalité en tant que sens d’être existential du souci (“Der Grund des Fundamentals der eigentlichen Historie aber ist die Zeitlichkeit als der existenziale Seinssinn der Sorge”) »81. Dans le paragraphe 77 portant « Sur la connexion de l’exposition antérieure du problème de l’historialité avec les recherches de W. Dilthey et les idées du comte Yorck » (Der Zusammenhang der vorstehenden Exposition des Problems der Geschichtlichkeit mit den Forschungen W. Dilthey un den Ideen des Grafen Yorck »), Heidegger ne fait que prolonger la discussion avec la question de l’enquête historique mais cette fois-ci en s’appuyant sur les recherches de W. Dilthey et du comte Yorck. Cette « discussion » de Heidegger avec Dilthey et le comte Yorck est, sans doute, très pertinente mais elle ne nous intéresse pas au premier abord par rapport au but que nous nous sommes assigné dans l’analyse et l’interprétation des paragraphes consacrés à l’historialité comme telle en général et à l’historialité du Dasein en particulier. De toute façon les §§ 72, 73, 74, 75, 76 ont déjà effectué une analyse qui a répondu à nos ententes. Dès lors, nous pensons que Heidegger a présenté une interprétation thématiquement existentiale et « praxéologique » de l’historialité du Dasein, et répondu au rôle ontologique de l’historialité dans le parcours « événementiel » du Dasein comme « naissant », « vivant » et « mourant ».

81

Sein und Zeit, pp. 396-397, tr. fr., Martineau, p. 272 (Vezin, pp. 461-462).

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Chapitre 3 La « phénoménologie de la mort » : une critique virtuelle de l’euthanasie et de la biologie médicale dans l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger1

1. Entrée en matière Il n’y a pas un phénomène plus fascinant de l’existence humaine qui excède celui de la mort. La vie pour tout homme, qu’elle soit meilleure, belle, pénible, douloureuse, vaut toujours la peine d’être vécue. Personne ne veut en tout cas mourir. Vivre et toujours vivre reste l’obsession majeure pour tout un chacun ! Vivre n’est pas souvent l’objet de questionnement comme il est question de mourir : pourquoi mourir mon Dieu, entend-t-on souvent ? Quelques ouvrages tentent de répondre à cette question sur la vie après la vie ou la vie après la mort2. Mais comme nous le disons souvent, il s’agit des livres pour calmer les angoisses, les inquiétudes des gens par rapport au phénomène de la mort dont nul ne sait comment l’arrêter, que des études vraiment fiables qui détermineraient l’origine ou la suite, dans la mesure où de mémoire on ne dispose jamais encore, en dehors de Jésus-Christ, d’un mort qui a été enseveli comme lui, et qui est revenu d’entre les morts après pour distribuer sa véritable et authentique expérience au sujet de la mort et de ce qu’il se passe après être mort. Le travail que nous présentons ici n’aliène ou n’altère d’aucune manière la portée ontologico-phénoménologique et herméneutique de l’ontologie fondamentale heideggérienne. Nous voulons tenter – et c’est tout à fait 1

Cf. OSONGO-LUKADI A-D, « La phénoménologie de la mort : une critique virtuelle de l’euthanasie et de la biologie médicale dans l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger », in RFS-Revue Africaine du Savoir, Vol. I, n° 1, Janvier-Avril 2006. 2 Cf. MOODY R., Lumières nouvelles sur l’après la vie (Paris, Robert Laffont, 1978, 180 pages.

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conforme aux préoccupations heideggériennes – de vérifier, au milieu des débats actuels, par exemple sur l’euthanasie, les dons d’organes, le clonage humain, objectival, animal et d’autres nouveautés apportées par la technoscience, comment et dans quelle mesure l’ontologie fondamentale, mieux, l’analytique existentiale du Dasein élaborée par Heidegger dans Sein und Zeit pourrait ou aurait dû apporter un éclairage à sa manière. Personnellement nous convenons à ce que l’analytique de la mort « déconstruite » par Heidegger dans Sein und Zeit contient des indices ontologico-phénoménologico-herméneutico-sociaux susceptibles de nous aider à comprendre aussi bien le phénomène de la mort que les éléments nouveaux proposés par la technoscience pour repousser chaque fois qu’il sera possible celui-ci (phénomène de la mort). Pour y arriver, nous nous proposons de devoir parcourir, en présentant aussi court que possible, les linéaments en lien avec l’existential d’être-pour-la-mort chez Heidegger. Pour Heidegger, a contrario de son maître Husserl, la phénoménologie, n’est pas un mouvement philosophique, mais au contraire une possibilité (SZ § 7). En disant cela, il s’agissait pour Heidegger de poser l’accent sur le rapprochement entre phénoménologie et vie facticielle. Or, qui dit vie facticielle, dit aussi vie mortelle, car la mort est ce qui nous détermine existentialement et fondamentalement en tant que Dasein. En référent à la vie facticielle, il ne s’agit plus, comme par exemple chez Kant, Husserl, d’aller au-delà du phénomène, en opérant simplement un retour aux choses elles-mêmes, mais en réalité à rester existentialement, c’est-à-dire « concrètement » là comme un être inscrit dans la durée, mieux, dans le temps fini. S’agissant de l’expression de « phénoménologie de la mort » qui n’est pas, disons les choses clairement de Heidegger, elle évoque simplement, à notre avis, l’« ontologie de la mortalité » que Heidegger développe dans les §§ 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59 relatifs à l’« » être-pour-la-mort » (Sein-zum-Tode) suivant le cheminement de l’analytique existentiale du Dasein dans Sein und Zeit. Bien sûr, nous n’allons pas développer tous ces paragraphes qui s’y rapportent, mais nous privilégierons quelques-uns d’entre eux, dont la portée s’inscrit ouvertement à charge contre la biologie médicale et ses manipulations génétiques en général et contre l’euthanasie3 en particulier. Maintenant, s’il nous était demandé de résumer en une phrase l’idée de la mort chez Heidegger, nous dirions que la mort chez Heidegger n’est pas 3 Par rapport à cette question nous conférons aux travaux de J.-F., MALHERBE, Pour une éthique de la médecine, Larousse, 1987 ; Compromis, dilemmes et paradoxes en éthique clinique, Fides, 1999.

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une fatalité ; qu’elle n’est pas non plus un épouvantail mais en revanche un existential, c’est-à-dire une « manière d’être » (Seinsweisen) ou une « manière d’agir » (Handlungsweisen) du Dasein de l’homme. En disant en effet que la « mort est la possibilité propre du Dasein (Der Tod ist eigenste Möglichkeit des Daseins) »4, Heidegger et Sein und Zeit s’inscrivent – même si le concept d’euthanasie n’est pas clairement désigné voire même cité du tout dans Sein und Zeit – contre l’euthanasie et surtout sa pratique dans les milieux hospitaliers ; celle-ci étant entendue comme attitude consistant soit à donner la mort, soit à se la donner – au nom d’une certaine opinion de la souffrance – la mort par anticipation. Or, ainsi énoncée, l’idée heideggérienne de la mort entre totalement en contradiction avec l’idée première (essentielle) de l’euthanasie qui consiste à se donner une mort douce. Mais attention, en disant cela, nous n’entendons nullement prétendre que Heidegger fut un prétendant, mieux, un adepte de la mort violente. Car, pour Heidegger, le problème ne consiste pas dans la façon de mourir (violemment ou doucement), mais en revanche dans le fait d’encourager le Dasein de l’homme à pouvoir et / ou à devoir s’assumer par rapport à son être-pour-la-mort. Ainsi, c’est le mourir qui devrait intéresser le Dasein et non, - que diable ! – de savoir pourquoi il devrait mourir ou comment le devrait-il. Les questions sur le comment et le pourquoi devant la mort, du moins croyons-nous, ne devraient selon Heidegger avoir aucune signification ontologico-phénoménologique et herméneutique profonde. D’où l’incompatibilité ou l’inadéquation entre l’idée heideggérienne de la mort et la pratique courante de l’euthanasie. Et pourquoi cela ? Parce que, comme nous venons de l’entendre il y a un instant, la mort, pour Heidegger, est la possibilité la plus propre, la plus absolue, la plus indépassable, la plus certaine du Dasein de l’homme et par rapport à laquelle possibilité aucun Dasein ne peut échapper. Cependant, avant de relever les principales thèses à ce propos, nous aimerions préciser une chose, à savoir que déjà dans le § 9 de Sein und Zeit dans lequel Heidegger détermine ontologiquement l’être humain à la fois comme Da-sein, Zu-sein et Sein-können ; paragraphe central soit dit en passant de ce monumental ouvrage, nous pourrions déjà comprendre, – même sans avoir à recourir à l’autre paragraphe clé de Sein und Zeit, c’està-dire le § 65 sur la « temporalité » (Zeitlichkeit) -, pourquoi pour Heidegger l’homme est absolument un « être-pour-la-mort » ; et donc pourquoi en quelque sorte la pratique même de l’euthanasie est en contradiction flagrante avec l’essence ou la condition du Dasein humain. 4

Sein und Zeit, p. 263, tr. fr. Martineau, p. 192, (Vezin, p. 318).

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D’autre part, la « Manière d’être ou d’agir » d’« Être-là-mien » (Daseinmeines) »(§ 9) constitue le thème central de ce paragraphe, sinon de l’ensemble des 83 paragraphes constituant Sein und Zeit. C’est l’occasion, donc, de dire ici que la déclaration heideggérienne suivant laquelle le Dasein est « être-pour-la-mort » fait partie de la stratégie adoptée par Heidegger pour pouvoir conférer au Dasein de l’homme une « unité », c’est-à-dire une « totalité ». Il en dépend, nous dit-il, de son authenticité. D’où, en quelque sorte, sa préoccupation de mettre en place un existential-référence, c’est-à-dire une « manière d’être ou d’agir » à partir de laquelle (existential-référence) on pourrait déterminer, mieux, définir le Dasein de l’homme. L’analyse serrée des 83 existentiaux de Sein und Zeit révèle tour à tour cet existential-référence comme 1) « être-au-monde » (In-der-Welt-sein », 2) « souci » (Sorge), 3) « être-pour-la-mort » (Seinzum-Tode), et enfin 4) « temporalité » (Zeitlichkeit). Finalement, il s’est avéré au terme de cette analyse fouillée que c’est la temporalité qui remporte la palme d’or pour avoir été désignée par Heidegger comme cet existential-référence qu’il était en train de rechercher depuis le § 9 de Sein und Zeit. Cependant et malgré cette distinction accordée à la temporalité, Heidegger reconnût qu’elle n’était en fait rien d’autre qu’une temporalité finie, c’est-à-dire, si nous osons écrire, « mortelle » dans la mesure où le Dasein en tant que s’inscrivant dans la durée, est justement un être fini, c’est-à-dire un être marqué, traversé par la finitude (Endlichkeit). C’est pourquoi, d’ailleurs, la « mort » (der Tode) est un existential-référence, dans la mesure où c’est elle qui marque la « fin » ou la « limite » de tous les autres existentiaux. Il ne s’agit pas de vivre éternellement, mais de mourir un jour car on est déjà mort comme ça avant même de mourir. Dès lors que le Dasein est né, relevait alors Heidegger, il est déjà essentiellement assez vieux pour mourir ! Toutefois, malgré l’intérêt que nous manifestons à l’égard de la question de la mort chez Heidegger, il sera hors de question, – et cela vaut une bonne précision – de reprendre tous les paragraphes constituant le premier chapitre sur « L’être-tout du Dasein et l’être-pour-la-mort » dans la deuxième section de Sein und Zeit. Cela dit, nous devrions nous limiter aux § 47 sur « L’expérimentabilité de la mort des autres et la possibilité de saisie d’un Dasein en son tout. » ; § 49 sur « Délimitation de l’analyse existentiale de la mort par rapport à d’autres interprétations possibles. » ; § 51 sur « L’être pour la mort et la quotidienneté du Dasein. » ; § 52 sur « L’être quotidien pour la fin et le concept existential plein de la mort. », et le § 53 sur le « Projet existential d’un être authentique pour la mort. ». Or, malgré leur importance et pertinence, c’est le § 49 qui a vraiment un 108

rapport direct avec la critique heideggérienne de la biologie médicale, et en quelque sorte donc de l’euthanasie. Mais nous limiter à l’analyser le seul § 49, c’est-à-dire sans les autres paragraphes que nous avons mentionnés précédemment voire ceux qui lui sont postérieurs (cfr. §§ 54, 55, 56, 57, 58, 59), c’est-à-dire avant et après le § 49, la critique de Heidegger risquerait de paraître obscure et sans intérêt. Cependant et comme nous venons de le dire, il y un moment, nous n’irons pas jusquelà, en d’autres termes jusqu’à analyser ces paragraphes qui lui sont postérieurs et dont la pertinence est aussi significative que les paragraphes intimement liés au § 49. Néanmoins, nous sommes sûr et certain que c’est, en effet, les §§ 47, 51, 52 et 53 qui permettent de saisir l’inutilité de l’euthanasie, des soins palliatifs et leurs corollaires. Ces paragraphes nous montrent que quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise, par exemple « euthanasier » son proche parent aujourd’hui ou l’« euthanasier » demain ; prendre ou non la place de l’« euthanasié » ou se suicider, la mort, elle, est toujours-là avec et devant nous. Pas moyen d’y échapper. Telle est, chez Heidegger mais également à notre avis (car nous avons adopté la position heideggérienne) l’inutilité de la pratique de l’euthanasie dans notre vie courante. Pour mieux présenter les choses, mais aussi pour faciliter une bonne compréhension de la question que nous soulevons ici, nous allons de prime abord exposer à travers quelques paragraphes que nous avons choisis, pour ce faire, l’idée heideggérienne de la mort ; et ensuite quelques conceptions sur l’euthanasie en introduisant ci et là, si nécessaire, les paragraphes heideggériens contredisant telle ou telle autre conception de l’euthanasie. Voilà quant à la démarche. Cela dit, venons-en à présent à l’exposé luimême où nous allons commencer par l’analyse du § 47 portant sur l’« expérimentabilité de la mort des autres et la possibilité de saisie d’un Dasein en son tout ». 2. Expérimentation de sa propre mort à travers la mort des autres Dasein Pour J. Greisch, il s’agit ici d’une fausse approche car aborder le phénomène de la mort, c’est se heurter à une difficulté fondamentale dans la mesure où « personne n’a une expérience directe de la mort, communicable à autrui. Les expériences limites de retour à la vie au terme d’un coma prolongé sont elles-mêmes trop problématiques pour servir d’un contre-exemple probant. Ce que mourir veut dire pour celui qui l’éprouve est par définition incommunicable. D’où l’impossibilité de décrire l’expérience « de l’intérieur », comme l’exigent l’analytique 109

existentiale et la phénoménologie intentionnelle5. Pourtant, le Dr. Raymond Moody auteur du livre à sensation qu’est « La vie après la vie », nous dit le contraire6. Dans son livre, le Dr. R. Moody s’attarde longuement sur les expériences « indirectes » des hommes dans le coma. Malheureusement que vient de récuser il y a un instant J. Greisch qui propose à défaut d’une approche « directe », une approche indirecte, la seule praticable, à son avis, où il s’agit, selon lui, de partir de la mort d’autrui et de ce que nous ressentons à cette occasion, pour définir la signification existentiale du mourir. Pour J. Greisch, en effet, « L’intérêt d’une telle approche est évident : non seulement le spectacle de la mort d’autrui nous apporte la preuve « objective », irréfutable, que nous ne sommes pas immortels, mais voués à mourir. En outre, ce que nous ressentons quand nous sommes témoins de la mort d’un de nos proches ou d’un être aimé semblerait nous fournir une idée adéquate de ce que mourir veut réellement dire pour un existant. Pourtant Heidegger hésite à s’engager dans cette voie prônée entre autres vigoureusement par Gabriel Marcel, la voie qui consisterait « à choisir l’achèvement du Dasein d’autrui comme thème de substitution (Ersatzthema) pour l’analyse de la totalité du Dasein »7. Pourtant les approche du Dr. R. Moody et de J. Greisch s’avèrent, du point de vue heideggérien, tout simplement impossibles, dans la mesure où « Atteindre sa totalité dans la mort, pour le Dasein, c’est en même temps perdre l’être du Là. Le passage au ne-plus être-Là ôte justement au Dasein la possibilité d’expérimenter ce passage et de le comprendre en tant qu’il l’expérimente. Cependant, quand bien même cela peut demeurer interdit à chaque Dasein par rapport à lui-même, la mort des autres ne s’en impose que plus fortement à lui. Un achèvement du Dasein devient alors « objectivement » accessible. Le Dasein peut, et cela d’autant plus qu’il est essentiellement être-avec d’autres, obtenir une expérience de la mort. Cette donation « objective » de la mort doit alors nécessairement rendre 5

GREISCH J., op. cit., p. 268. Cf. MOODY R., Lumières nouvelles sur la après la vie (Paris, Robert Laffont, 1978, 180 pages. Ce livre nous rapportent des témoignages, - dont il est vrai l’« authenticité » et la sincérité des propos peuvent être discutables -, mais qui ont l’avantage d’être vivants et émouvants car il faut cependant être hyper-insensible pour ne pas être étonné voire ébranlé par la crudité de certains témoignages. Mais nous ne savons pas si c’est un travail scientifique au sens où l’entend K. POPPER. 7 Ibidem, p. 268. Heidegger n’hésite pas à s’engager dans la voie de l’achèvement du Dasein d’autrui comme thème de substitution pour l’analyse de la totalité du Dasein (comme nous le dit J. Greisch), mais la récuse, en revanche, proprement et fermement. C’est une nuance qui nous paraissait pertinente voire importante pour la suite du débat. 6

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également possible une délimitation ontologique de la totalité du Dasein8. Or même, nous dit Heidegger, dans le cas où le Dasein pourrait – en tant qu’être-avec d’autres Dasein – obtenir une expérience de la mort, une telle donation « objective » de la mort devrait alors nécessairement être une délimitation ontologique de la totalité du Dasein. Or, voilà ce qui n’est pas possible pour Heidegger dans la mesure où il est justement à la recherche d’une totalité originaire du Dasein : « Le Dasein des autres, écrit-il, avec la totalité qu’il atteint dans la mort, est lui aussi un ne-plus-être-Là (Nichtmehr-dasein) au sens d’un ne-plus-être-au-monde (Nicht-mehr-inder-Welt-seins). Mourir, cela ne signifie-t-il pas quitter le monde, perdre l’être-au-monde ? Néanmoins, le ne-plus-être-au-monde, si on le comprend de manière extrême, est un être au sens de l’être sans plus sousla-main d’une chose corporelle qui fait encontre. Dans le mourir des autres peut être expérimenté le remarquable phénomène d’être qui se laisse déterminer comme virage d’un étant du mode d’être du Dasein (ou de la vie) au ne-plus-être-Là. La fin de l’étant comme Dasein est le commencement de cet étant comme sous-la-main. Et pourtant, cette interprétation du virage du Dasein au sans plus sous-la-main manque la réalité phénoménale qui est à penser dans la mesure où l’étant qui ne fait plus que subsister ne devient pas pour autant pure chose corporelle. Même le cadavre sous-la-main, considéré théoriquement, demeure encore un objet possible d’anatomie pathologique, discipline dont la tendance compréhensive reste orientée sur l’idée de la vie. Ce qui n’est plus que sous-la-main est “davantage” qu’une chose matérielle inerte. Ce qui fait encontre avec cet étant, c’est de l’in-animé en ce sens qu’il a perdu la vie (Unlebendiges). Toutefois, même cette caractérisation de l’étant qui subsiste encore n’épuise pas la pleine donnée phénoménale à laquelle nous avons ici affaire selon qu’elle est la mesure du Dasein »9. En disant « Hier kann un muss sogar a seine Dasein in gewissen Grenzen das andere « sein » (Ici, un Dasein peut, et même il doit, dans certaines limites, « être » l’autre), Heidegger reconnaît qu’on peut mourir, dans certaines conditions, à la place d’une autre personne. Mais cela suffitil pour « arracher » le mourir de celle-ci ? Heidegger n’en croit pas ses oreilles car, selon lui, « cette possibilité de représentation échoue totalement lorsqu’il s’agit de représenter la possibilité d’être que constitue la venue-à-la-fin du Dasein et qui, comme telle, lui procure sa totalité. Nul ne peut prendre son mourir à autrui (Keiner kann dem Anderen sein 8 9

Sein und Zeit, p. 237, tr. fr., Martineau, p. 177 (Vezin, p. 291). Sein und Zeit, p. 238, tr. fr. Martineau, p. 177 (Vezin, pp. 291-292).

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Sterben abnehmen). L’on peut certes « aller à la mort pour un autre » (Jemand kann wohl « fur einen Anderen in den Tod gehen », mais cela ne signifie jamais ceci : se sacrifier pour l’autre « dans une affaire déterminée » (fûr den Anderen sich opfern « in einer bestimmten Sache). En revanche, un tel mourir ne peut jamais signifier que sa mort serait alors le moins du monde ôtée à l’autre. Son mourir, tout Dasein doit nécessairement à chaque fois le prendre lui-même sur soi. La mort, pour autant qu’elle « soit », est toujours essentiellement mienne, et certes elle signifie une possibilité spécifique d’être où il y va purement et simplement de l’être du Dasein à chaque fois propre. Dans le mourir, il apparaît que la mort est ontologiquement constituée par la mienneté et l’existence. Le mourir n’est pas une donnée, un événement, mais un phénomène à comprendre existentialement, et cela en un sens insigne, qu’il nous reste encore à délimiter plus précisément »10. Pour clore le § 47, nous allons prendre deux remarques dont la première récuse, avec raison selon nous, la solution de la « mort par représentation pour la simple raison primo que cette solution n’apporte aucune réponse, solution à l’“être-tout” du Dasein. Ce qui pousse Heidegger à l’observation suivante : “Mais si le ‘finir’ (Enden) en tant que mourir (Sterben) constitue la totalité du Dasein, alors il faut que l’être de la totalité elle-même soit conçu comme un phénomène existential du Dasein à chaque fois propre. Dans le ‘finir’ et l’être-tout du Dasein constitué par lui, il n’y a essentiellement point de représentation. Or cette réalité existentiale, c’est elle que méconnaît l’échappatoire citée, lorsqu’elle recourt au mourir d’autrui pour en faire le thème de remplacement de l’analyse de la totalité. Ainsi donc, la tentative de rendre accessible l’être-tout du Dasein de manière phénoménalement adéquate a échoué une fois de plus (...)”11. Secundo la sortie-du-monde du défunt est différente de celle du Dasein encore en vie qui au lieu de “mourir” périt. Ainsi pour le Dasein encore “vivant” Heidegger le désigne par périr car “à la faveur de notre caractérisation du passage du Dasein au ne-plus-être-Là en tant que neplus-être-au-monde, il est apparu que la sortie-du-monde du Dasein au sens du mourir doit être distinguée d’une sortie-du-monde du seulement vivant. Ce finir propre à un vivant, nous le désignons terminologiquement par le terme périr. La différence citée ne peut être rendue visible que par une délimitation du finir qui est à la mesure du Dasein par rapport à la fin 10

Sein und Zeit, p. 240, tr. fr., pp. 178-179 (Vezin, pp. 293-294). Sein und Zeit, p. 240, tr. fr., Martineau, p. 179 (Vezin, p. 294 : traduit « Enden » par « le moment final »).

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d’une vie. Sans doute, il est également possible de concevoir le mourir en termes physiologico-biologiques. Néanmoins, le concept médical d’‘exitus’ n’en coïncide pas avec le concept du périr”12. Au-delà de la “substitution”, il y a chez Heidegger la structure de Vertretbarkeit (la “délégation” ou la “représentabilité”). En effet, pour Heidegger l’être-avec-autrui comporte ces deux structures que nous venons de mentionner il y a un instant et dont J. Greisch se charge de nous les expliquer en indiquant comment “L’être-ensemble quotidien est rempli des manifestations de cette représentabilité : du délégué de classe au ministre plénipotentiaire qui se fait représenter par un sous-secrétaire pour inaugurer les chrysanthèmes en passant par les délégués syndicaux des entreprises. Mais quoi qu’il en soit de l’étendue et de l’importance sociale de ce phénomène, personne ne peut déléguer un autre pour mourir à sa place, même s’il est vrai qu’on peut envoyer quelqu’un à la mort, comme le fait le roi David avec Urie. ‘Nul ne peut prendre sur soi le mourir d’autrui’ (SZ 240). Nul ne peut dire, même s’il le voulait : ta mort, c’est moi qui m’en charge à ta place. »13. Mais pour éviter tout malentendu, nous dit J. Greisch, Heidegger précise aussitôt qu’il est tout à fait possible de se sacrifier à la place d’un autre. Et c’est cette possibilité de “substitution”, avec sa profonde signification éthique et métaphysique, que Levinas ne cesse de méditer dans “Autrement qu’être ou au-delà de l’essence”. Sans doute Heidegger a-t-il suffisamment prêté attention, poursuit J. Greisch, à cet aspect “éthique” de la substitution, qui pourrait bien, à sa façon, apporter une réponse à la question de l’“être-tout” du Dasein. Mais à ses yeux, il importe de ne pas brouiller les frontières entre l’analyse éthique et l’analyse ontologique. Du point de vue ontologique, on ne saurait tricher avec l’implacable constat que chacun meurt seul, même s’il a la chance d’être entouré et assisté au moment de son trépas : “Son mourir, tout Dasein doit nécessairement à chaque fois le prendre lui-même sur soi. La mort, pour autant qu’elle ‘soit’, est toujours essentiellement mienne, et certes, elle signifie une possibilité spécifique d’être où il y va purement et simplement de l’être du Dasein à chaque fois propre. Dans le mourir, il apparaît que la mort est ontologiquement constituée par la mienneté de l’existence” (SZ 240)14. 12

Sein und Zeit, pp. 240-241, tr. fr., Martineau, p. 179 (Vezin, p. 294 : traduit « Ganzheit » par « entièreté »). 13 GREISCH J., op. cit., p. 271. 14 GREISCH J., op. cit., pp. 271-272.

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Voilà donc pourquoi pour J. Greisch, l’enquête sur le phénomène existential de la mort doit repartir à zéro, et a pour consigne de s’en tenir à la stricte mienneté (Jemeinigkeit). Vient s’y ajouter une seconde consigne : s’en tenir à la pure description phénoménologique, à supposer que celle-ci soit possible, sans s’encombrer de considérations médico-biologiques. Le regard purement biologique a bien du mal, poursuit-il, à reconnaître que tous les vivants ne “finissent” pas de la même manière ! L’arrêt purement biologique de la vie peut être désigné par le terme de Verenden (“périr”), avec souvent la connotation cynique : “crever”) ou par le terme médical d’exitus (qui désigne souvent dans le langage des carabins le défunt). Toute l’analyse heideggérienne repose ainsi sur le pari que, compris au sens existential, le mourir du Dasein n’est réductible à aucun de ces aspects15. Nous passons maintenant à l’analyse du § 49 sur la “Délimitation de l’analytique existentiale du Dasein de la mort par rapport à d’autres interprétations possibles” du phénomène de la mort. 3. Délimitation de l’analyse existentiale de la mort par rapport à d’autres interprétations possibles » Heidegger n’est pas d’accord, nous venons de le voir, avec la conception biologico-médicale de la mort comme subséquente à la vie ; déterminant donc, comme il le dit lui-même, la mort au sens le plus large comme un phénomène de la vie ; que la vie, pour lui, doit être comprise comme un mode d’être auquel appartient un être-au-monde ; qu’« Elle ne peut être fixée ontologiquement que dans une orientation privative sur le Dasein (Sie kann nur in privativer Orientierung am Dasein ontologisch fixiert Werden). Même le Dasein peut se laisser considérer comme une pure vie. Aux yeux de l’approche biologico-physiologique, il sera alors intégré au domaine d’être que nous connaissons comme monde animal et végétal. À l’intérieur de ce champ, il est possible, par voie de constat ontique, de recueillir des données et des statiques sur la durée de vie des plantes, des animaux et des hommes. Des connexions entre durée de vie, reproduction et croissance peuvent être découvertes, et les “types” de mort – les causes, les “mécanismes” et les guises de son intervention – être soumis à une investigation scientifique »16.

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Ibidem, p. 272. Sein und Zeit, p. 246, tr. fr., Martineau, p. 182 (Vezin, pp. 300-301).

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Cela dit, la vraie question n’est-elle pas de savoir comment à partir de l’essence ontologique de la vie, savoir déterminer celle de la mort car à cette étude biologico-physiologique de la mort, une problématique ontologique est sous-jacente ? « Dans une certaine mesure, répond Heidegger, l’investigation ontique de la mort a toujours déjà tranché ce point. Des préoccupations plus ou moins clarifiées de la vie et de la mort y sont à l’œuvre. Elles ont besoin d’être pré-dessinées par l’ontologie du Dasein. En outre, à l’intérieur même de cette ontologie du Dasein préordonnée à une ontologie de la vie, l’analytique existentiale de la mort est à son tour subordonnée à une caractérisation de la constitution fondamentale du Dasein. Nous avons nommé le finir de l’être vivant le périr. Or s’il est vrai que le Dasein “a” sa mort biologique – non point ontiquement isolée, certes, mais codéterminée par son mode d’être originaire -, qu’il peut même finir sans à proprement parler ou mourir, et s’il est vrai, d’un autre côté, que le Dasein en tant que tel ne périt jamais simplement, nous caractériserons ce phénomène intermédiaire par le terme de décéder, le verbe mourir étant au contraire réservé à la guise d’être (Seinsweise) en laquelle le Dasein est pour sa mort. En conséquence de quoi, nous devons dire : le Dasein ne périt jamais, mais il ne peut décéder qu’aussi longtemps qu’il meurt (Dasein verendet nie. Ableben aber kann das Dasein nur solange, als es stirbt). L’étude biologico-médicale du décéder est en mesure de dégager des résultas qui peuvent également posséder une signification ontologique, à condition du moins que soit assurée l’orientation fondamentale pour une interprétation existentiale de la mort. A moins que nous ne devions concevoir la maladie et la mort – même envisagées médicalement – primairement comme des phénomènes existentiaux ? »17. Or, pour Heidegger, il n’en est pas question dans la mesure où la biologie-médicale n’est en aucun cas capable d’assurer l’orientation fondamentale pour une interprétation existentiale de la mort. Autrement dit, elle n’est pas capable de concevoir autrement la maladie et la mort comme des phénomènes existentiaux. Mais pourquoi la science biologicophysiologique n’en est-elle pas capable ? Parce qu’à son avis, « L’interprétation existentiale de la mort est antérieure à toute biologie et ontologie de la vie. Mais elle n’est pas moins fondatrice pour toute investigation biographico-historique et ethnologico-psychologique de la mort. Une “typologie” du “mourir” comme caractéristique des états et des guises en lesquels le décéder est “vécu” présuppose » déjà le concept de la 17

Sein und Zeit, pp. 246-247, tr. fr., Martineau, p. 183 (Vezin, p. 301).

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mort. En outre, une psychologie du « mourir » apporte davantage de révélations sur la « vie » des « mourants » que sur le mourir lui-même, ce qui reflète simplement le fait que le Dasein ne meurt pas d’abord ou même ne meurt jamais – proprement dans et par un vécu de son décéder factice. De même, les conceptions de la mort chez les primitifs, leurs conduites à l’égard de la mort dans la sorcellerie et le culte, éclairent primairement la compréhension du Dasein – de ce Dasein dont l’interprétation a déjà besoin d’une analytique existentiale et d’un concept correspondant de la mort »18. L’analyse ontologique de l’être pour la fin, poursuit Heidegger, n’anticipe aucune prise de position existentielle à l’égard de la mort. Que la mort soit déterminée comme « fin » du Dasein, c’est-à-dire l’être-aumonde, cela n’implique aucune décision sur la question de savoir si « après la mort », un autre être, plus élevé ou plus bas, est encore possible, si le Dasein « survit », ou même si, se « perpétuant, il devient “immortel”. Sur l’“au-delà” et sa possibilité, il est alors tout aussi peu décidé ontiquement que sur l’“en-deça”, comme s’il s’agissait de proposer, à des fins d’édification », des normes et des règles au comportement devant la mort. Si l’analyse de la mort reste purement « immanente », c’est dans la mesure où elle n’interprète que le phénomène qu’en examinant comment, en tant que possibilité d’être de chaque Dasein, il se tient engagé en lui. Il n’est sensé et légitime, et surtout il n’est méthodiquement possible de se demander ce qui est après la mort qu’à partir du moment où celle-ci est conçue dans son essence ontologique pleine. Une telle question constituet-elle sinon en général une question théorique possible, nous pouvons nous abstenir d’en décider : l’interprétation ontologique immanente de la mort précède toute spéculation ontico-transcendantale sur celle-ci – là est l’essentiel19. C’est pour cette raison précise que Heidegger désapprouve, ainsi, ce que l’on entend sous le titre de « métaphysique de la mort » (Metaphyik des Todes) car ce titre, dit-il, n’en est pas moins non plus extérieur au domaine d’une analyse existentiale de la mort. Car on s’accroche à ce type des questions : comment et quand la mort « est-elle entrée dans le monde », quel « sens » peut-elle et doit-elle posséder en tant que mal et souffrance dans tout l’étant ? De telles interrogations présupposent nécessairement non seulement une compréhension du caractère d’être de la mort, mais encore l’ontologie du tout de l’étant dans sa totalité, et en particulier la 18 19

Sein und Zeit, p. 247, tr. fr., Martineau, p. 183 (Vezin, pp. 301-302). Sein und Zeit, pp. 247-248, tr. fr., Martineau, p. 183 (Vezin, p. 302).

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clarification ontologique du mal et de la négativité en tant que tels. D’où « Aux questions d’une biologie, d’une psychologie, d’une théodicée et d’une théologie de la mort, nous dit Heidegger, l’analyse existentiale est méthodiquement pré-ordonnée. Envisagés ontiquement, ses résultats manifestent la formalité et le vide spécifiques de toute caractéristique ontologique. Cependant, cela ne doit point nous rendre aveugles à la structure riche et complexe du phénomène. S’il est vrai que le Dasein en général n’est jamais accessible comme sous-la-main, puisque l’êtrepossible appartient de manière propre à son mode d’être, il faut d’autant moins s’attendre à pouvoir déchiffrer purement et simplement la structure de la mort, si tant est par ailleurs que la mort constitue une possibilité insigne du Dasein »20. Venons-en, à présent à l’analyse et interprétation du § 51 sur la quotidienneté du Dasein mortel. 4. « L’être pour la mort et la quotidienneté du Dasein Pour Heidegger, faire appartenir originairement et essentiellement l’être-pour-la-mort à l’être du Dasein, c’est autrement dit mettre celui-là en lumière eu égard à la quotidienneté du Dasein. Pour fournir une explication adéquate entre l’être-pour-la-mort du Dasein et l’être quotidien du même Dasein, Heidegger estime orienter son analyse sur les structures qui ont été précédemment interprétées de la quotidienneté (cfr SZ, § 27). Heidegger relève de prime abord que dans l’être pour la mort, le Dasein se rapporte à lui-même comme à un pouvoir-être insigne. Mais le Soi-même de la quotidienneté est le On (Man), lequel se constitue dans l’être-explicité public qui s’ex-prime dans le bavardage. Celui-ci par suite, doit manifester en quelle guise le Dasein quotidien s’explicite son être pour la mort. Le fondement de l’explicitation est toujours formé par un comprendre, lequel est toujours aussi affecté, c’est-à-dire intoné : « La publicité de l’être-l’-unavec-l’autre quotidien (Die Öffentlichkeit des alltäglichen Miteinander) “connaît” la mort comme un accident survenant constamment, comme décès annoncé. Tel ou tel, proche ou éloigné, “meurt”. Des inconnus “meurent” chaque jour, à chaque heure. “La mort” fait encontre comme un événement bien connu, survenant à l’intérieur du monde. Comme telle, elle demeure dans la non-imposition caractéristique de tout ce qui fait quotidiennement encontre. Et le On s’est toujours déjà assuré d’une explicitation de cet événement. Ce que veut dire à ce sujet le discours 20

Sein und Zeit, p. 248, tr. fr., Martineau, p. 183 (Vezin, pp. 302-303).

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“passager”, qu’il soit explicite, ou, comme le plus souvent, retenu, c’est : on finit toujours par mourir un jour, mais de prime abord, le On-même demeure hors d’atteinte (man stirbt am Ende auch einmal, aber zunächst bleibt man selbst unbetroffen) »21. D’où l’analyse du « on meurt » (man stirbt) dévoile sans équivoque le mode d’être de l’être quotidien pour la mort (das alltäglichen Seins Zum Tode). Celle-ci, en un tel parler, est comprise comme un quelque chose indéterminé, qui doit tout d’abord survenir depuis on ne sait où, mais qui, pour nous-mêmes, n’est pas encore sous-la-main, donc n’est pas menaçant. Le « on meurt » propage l’opinion que la mort frapperait pour ainsi dire le On. « L’explicitation publique du Dasein dit : “on meurt”, parce que tout autre, et d’abord le On-même, peut alors se dire : à chaque fois, ce n’est justement pas moi – car ce On est personne (denn dieses Man ist das Niemand). Le “mourir” (Das “Sterben) est nivelé en un événement survenant qui certes atteint le Dasein, mais n’appartient pourtant proprement à personne. Si jamais l’équivoque caractérise en propre le bavardage, c’est bien lorsqu’il prend la forme de ce parler de la mort. Le mourir, qui est essentiellement et ir-représentablement mien, est perverti en un événement publiquement survenant, qui fait encontre au On. Le discours caractéristique parle alors de la mort comme d’un “cas” survenant constamment. Il la donne comme toujours déjà “effective”, donc il en voile le caractère de possibilité, et, avec lui, les moments essentiels de l’absoluité 21

Sein und Zeit, pp. 252-253, tr. fr., Martineau, p. 186 (Vezin, pp. 307) : il traduit « Die öffentlichkeit » par « la vie publique »). « S’il est vrai que le concept existential de la mort implique les structures de l’existence, de la facticité et de la déchéance, il devient nécessaire d’interroger également le visage qu’offre le mourir à même la quotidienneté. En effet celle-ci donne lieu à sa manière à une certaine compréhension de l’être-pour-lamort, interprétation qui se reflète dans une “affection” (Befindlichkeit) particulière, un discours social sur la mort, des “attitudes” et des “comportements” (GREISCH J., op. cit., p. 277). Et de poursuivre : “Même s’il le voulait, le discours public ne peut pas masquer le fait que la mort est un événement de la vie : les décès” (Todesfall) sont “des choses qui arrivent”, “on meurt” autour de nous. Mais dans le discours quotidien, ces “cas de décès” ne nous concernent pas vraiment. Le “on” qui meurt, c’est “personne” (SZ 253). Nous retrouvons ici quelque chose de l’équivoque analysée au § 38. “Le mourir” est nivelé en un événement survenant, qui certes atteint le Dasein, mais n’appartient pourtant proprement à personne. Si jamais l’équivoque caractérise en propre le bavardage, c’est bien lorsqu’il prend la forme de ce parler de la mort. Le mourir, qui est essentiellement et irremplaçablement le mien, est perverti en un événement publiquement survenant qui arrive au On. Le discours caractéristique parle de la mort comme d’un “cas” survenant constamment. Il la présente comme toujours déjà “effective” et il en voile le caractère de possibilité et, avec lui, les moments essentiels de l’absoluité et de l’indépassabilité » (SZ 253). » (GREISCH J., op. cit., pp. 277-278).

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et de l’indépassabilité. Avec une pareille équivoque, le Dasein se met en position de se perdre dans le On du point de vue d’un pouvoir-être insigne, propre au Soi-même le plus propre pour la mort »22. Or dans la quotidienneté, il y en a qui croient en la réversibilité de la mort à telle enseigne que, pour Heidegger, « L’esquive recouvrante de la mort gouverne si tenacement la quotidienneté que, dans l’être-l’-un-avecl’autre, les “proches” (die Nächsten) suggèrent encore souvent justement au “mourant” qu’il échappera à la mort et, par suite, qu’il retournera vers la quotidienneté rassurée du monde de la préoccupation. Une telle “sollicitude” (Fürsorge) s’imagine même “consoler” ainsi le “mourant” (Sterbenden). Elle veut le ramener au Dasein en l’aidant à voiler encore totalement sa possibilité la plus propre, absolue d’être. Le On se préoccupe ainsi d’un constant rassurement sur la mort (ständige Beruhigung über den Tod) – d’un rassurement qui, au fond, s’adresse non seulement au “mourant”, mais tout aussi bien aux “consolateurs” (Tröstenden). Plus encore : même en cas de décès, il convient que la publicité ne soit point perturbée et inquiétée en son in-curie préoccupée par l’événement : dans le mourir des autres, il n’est pas rare que l’on voie un désagrément social, quand ce n’est un manque de tact dont la publicité doit être préservée » (gesellschaftliche Unnanehmlichkeit, wenn nicht gar Taklosigkeit, davor die öffentlichkeit bewahrt werden soll)23. Or, « en même temps, explique Heidegger, qu’il procure ce rassurement propre à repousser le Dasein loin de sa mort, le On obtient légitimité et considération grâce à la régulation silencieuse de la manière dont on doit se comporter en général par rapport à la mort. Déjà la “pensée de la mort” vaut publiquement comme une peur lâche, un manque d’assurance du Dasein, une obscure fuite du monde. Le On interdit au courage de l’angoisse de la mort de se faire jour. Aussi bien, la souveraineté de l’êtreexplicité public du On a déjà décidé de l’affection à partir de laquelle la position vis-à-vis de la mort doit se déterminer. Dans l’angoisse de la mort, 22

Sein und Zeit, p. 253, tr. fr., Martineau, p. 186 (Vezin, pp. 307-308). Sein und Zeit, pp. 253-254, tr. fr, Martineau, pp. 186-187 (Vezin, p. 308). « Le discours quotidien relatif à la mort porte ainsi la marque de l’“esquive courante” (Verdeckendes Ausweichen), dont un des symptômes est le comportement de dénégation qui pousse les proches du mourant (qui est lui-même souvent plus “lucidfe” qu’il n’ose l’avouer) à se retrancher derrière des paroles de consolation faussement rassurantes : “Demain cela ira mieux”, “Ce n’est pas si grave”, etc. Ceux qui parlent ainsi cherchent en réalité à se rassurer eux-mêmes. Dans la mesure où ce genre de discours est collectivement pratiqué, on devra parler d’une véritable aliénation ou d’un véritable refoulement collectif : “Le On empêche le courage de l’angoisse de la mort de se faire jour” (Das Man lässt den Mut zur Angst vor dem Tode nicht aufkommen, SZ 254). » (GREISCH J., op. cit., p. 278).

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le Dasein est transporté devant lui-même en tant que remis à la possibilité indépassable. Or le On prend soin d’inverser cette angoisse en une peur d’un événement qui arrive. L’angoisse rendue équivoque comme peur, de surcroît, passera pour une faiblesse qu’un Dasein sûr de lui-même ne saurait connaître. Ce qui “sied”, conformément au décret tacite du On, c’est le calme indifférent face au “fait” que l’on meurt. La formation d’une telle indifférence “supérieure” aliène le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, absolu »24. Or, pour Heidegger, la tentation (Versuchung), le rassurement (Beruhigung) et l’aliénation (Entfremdung) caractérisent le mode d’être de l’échéance. Ainsi, l’être quotidien pour la mort, en tant qu’échéant, est une constante fuite devant elle. L’être pour la fin a le mode de l’esquive devant elle, esquive qui la ré-interprète, la comprend inauthentiquement et la voile. Que le Dasein propre, facticement, meure à chaque fois toujours déjà, autrement dit qu’il soit dans un être pour sa fin, ce fait, il se l’occulte à lui-même en transformant la mort en « cas » survenant quotidiennement chez les autres, et qui nous est encore plus clairement garanti par le fait que le « On-même », à n’en point douter, « vit » toujours. Mais, avec cette fuite échéante devant la mort, la quotidienneté du Dasein ne se laisse pas de témoigner que le On même est lui aussi à chaque fois déjà déterminé comme être pour la mort, et cela même lorsqu’il ne se meut pas expressément dans une « pensée de la mort ». Pour le Dasein, il y va, même dans la quotidienneté médiocre, constamment de ce pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable, serait-ce même selon le mode de la préoccupation pour une indifférence quiète à l’égard de la possibilité extrême de son existence25. C’est le moment d’analyser et d’interpréter le § 52 relatif à certaines attitudes curieuses du Dasein de l’homme devant la mort telle l’esquive, etc. 5. « L’être quotidien pour la fin et le concept existential plein de la mort » Après l’analyse du § 51, Heidegger est convaincu que nous sommes déjà dans la bonne direction car il s’agit maintenant de déterminer ontologiquement comment en esquivant la mort, le Dasein comprend luimême sa mort. Partant de l’explicitation de l’être quotidien pour la mort, 24 25

Sein und Zeit, p. 254, tr. fr., Martineau, p. 187 (Vezin, pp. 308-309). Sein und Zeit, pp. 254-255, tr. fr., Martineau, p. 187 (Vezin, p. 309).

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dont celles reliées au bavardage du On : « on finit bien par mourir, mais provisoirement, ce n’est pas encore le cas ; du fait que jusqu’à maintenant il n’a interprété que le « on meurt » comme tel ; dans on « un jour mais pour l’instant pas encore », la quotidienneté concède quelque chose comme certitude de la mort ; qu’il s’agit, en fin, pour Heidegger de revenir sans cesse sur « l’on meurt » qui n’est sans aucun doute, mais d’affirmer voire de certifier la « certitude » (Gewissheit) de la mort. De toute manière, l’être quotidien de l’être pour la mort « recouvre » celle-ci ; il faut donc la « dé-couvrir » en quelque sorte. Pour Heidegger : « Être-certain d’un étant, cela veut dire : le tenir pour vrai en tant qu’il est vrai. Mais la vérité signifie l’être-découvert de l’étant. Or tout être-découvert se fonde ontologiquement dans la vérité la plus originaire, l’ouverture du Dasein. Le Dasein, en tant qu’étant ouvert-ouvrant et découvrant, est essentiellement “dans la vérité”. Or la certitude se fonde dans la vérité où lui appartient cooriginairement. L’expression “certitude”, tout comme le terme “vérité”, à une double signification. Originairement, vérité veut dire autant qu’être-ouvrant, en tant que comportement du Dasein. La signification dérivée de celle-ci désigne l’être-découvert de l’étant. De manière correspondante, la certitude (Gewissheit) signifie originairement autant que l’être-certain comme mode d’être du Dasein. Suivant la signification dérivée, cependant, même l’étant dont le Dasein peut être certain (Gewiss) est nommé “certain” (Gewisses)26. Or, pour Heidegger, “Un mode de la certitude est la conviction” (Ein Modus der Gewissheit ist di Überzeugung) »27. Dans la mesure où « Le plus souvent, le Dasein quotidien recouvre la possibilité la plus propre, absolue et indépassable de son être. Cette tendance factice au recouvrement confirme la thèse qui dit que le Dasein, en tant que factice, est dans la “non-vérité”. Du coup, la certitude qui appartient à un tel recouvrir de l’être pour la mort doit nécessairement être un tenir-pour-vrai inadéquat, et non pas, par exemple, une incertitude au sens de doute. La certitude inadéquate tient ce dont elle est certaine dans l’être-recouvert. Si l’“on” comprend la mort comme un événement survenant dans un monde ambiant, la certitude relative à lui n’atteint pas l’être pour la fin »28. De telle sorte qu’« On dit : il est certain que « la mort vient. On le dit, et le On ne voit pas que, pour pouvoir être certain de la mort, il faut à chaque fois que le Dasein propre soit lui-même certain de son pouvoir-être 26

Sein und Zeit, p. 256, tr. fr., Martineau, p. 188 (Vezin, pp. 310-311). Sein und Zeit, p. 256, tr. fr., Martineau, p. 188 (Vezin, p. 311). 28 Sein und Zeit, pp. 256-257, tr. fr., Martineau, p. 188 (Vezin, 311). 27

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le plus propre et absolu. On dit que la mort est certaine, et l’on transplante alors dans le Dasein l’apparence qu’il serait lui-même certain de sa mort »29. La question, alors, est celle qui consiste à demander où se trouve le fondement de l’être-certain quotidien ? Pour Heidegger, celui-ci ne se trouve manifestement pas dans une simple persuasion mutuelle. Et pourtant, l’on expérimente chaque jour le « mourir » d’autrui (Sterben Anderer). Pour Heidegger, « la mort est un indéniable « fait d’expérience » (Der Tode ist eine unleugbare « Erfahrungstatsache)30. Mais comment l’être quotidien pour la mort comprend-il la certitude ainsi fondée ? Pour Heidegger, voilà ce qui se trahit lorsque le Dasein tente de « penser » avec une prudence critique sur la mort. D’emblée, l’on remarque, et c’est vrai, que tous les hommes meurent, et cela autant que l’on sache. La mort est pour tout homme au plus haut degré vraisemblable, mais pourtant pas « inconditionnellement » certaine ! Pourquoi pas donc ? Parce que pour Heidegger, il n’est permis d’imputer à la mort qu’une « certitude empirique » (empirische Gewissheit) car elle reste en deçà de la certitude la plus haute, de la certitude apodictique que nous atteignons dans certains domaines de la connaissance théorique31. Comment expliquer cette situation ? Pour Heidegger, la certitude de la mort pour le Dasein ne résulte ni du fait que le décéder en tant qu’événement survenant ne soit qu’empiriquement certain, ni de la possibilité de l’expérience de la mort des autres Dasein. Cependant, pour Heidegger tant que le Dasein demeure dans la certitude empirique, il sera absolument incapable de devenir certain de la mort considérée en son mode d’« être ». Et cela bien que le Dasein, dans la publicité du « On », ne « parle » apparemment que cette certitude « empirique » de la mort, il ne s’en tient pourtant pas, au fond, exclusivement et primairement aux cas de mort survenants. Esquivant sa propre mort, poursuit-il, même l’être quotidien pour la fin est pourtant autrement certain de la mort que luimême, dans une considération purement théorique, ne voudrait le croire. Cet « autrement » se voile le plus souvent aux yeux de la quotidienneté, qui n’ose pas s’y rendre translucide. Avec son affection quotidienne « plus haute » que la certitude seulement empirique. On sait la mort certaine, et pourtant l’on n’est pas proprement certain d’elle. La quotidienneté échéante du Dasein connaît la certitude de la mort et esquive néanmoins l’être-certain. Mais cette esquive atteste phénoménalement par ce devant 29

Sein und Zeit, p. 257, tr. fr., Martineau, p. 188 (Vezin, pp. 311-312). Sein und Zeit, p. 257, tr. fr., Martineau, p. 188 (Vezin, p. 312). 31 Sein und Zeit, p. 257, tr. fr., Martineau, p. 189 (Vezin, p. 312). 30

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quoi elle recule que la mort doit être conçue comme la possibilité (Möglichkeit) la plus propre (eigenste), absolue (Unbezügliche », indépassable (Unüberholbare), certaine (gewisse)32. C’est le On qui est à la base de l’incertitude de la mort chez le Dasein. Celui-ci ne sait plus dire « je meurs » mais plutôt « On meurt ». En se disant « un jour, viendra mon tour de mourir mais je n’y suis pas encore », le On dénie en quelque sorte à la mort sa certitude. C’est pourquoi Heidegger relève : « On dit : la mort vient certainement, mais provisoirement pas encore. Avec ce « mais... (Aber...), le On dénie à la mort la certitude. Le “provisoirement pas encore” n’est pas un simple énoncé négatif, mais une auto-explicitation du On, par laquelle il se renvoie lui-même à ce qui de prime abord demeure encore accessible à la préoccupation du Dasein. La quotidienneté se presse vers le caractère pressant de la préoccupation et secoue les liens de la “pensée” fatigante, “oisive de la mort”. Celle-ci est renvoyée à “un jour, plus tard” et, cela sous l’invocation de l’“échelle commune”. Le On recouvre ainsi cette spécificité de la certitude de la mort : être possible à tout instant. Avec la certitude de la mort se concilie l’indétermination de son quand. C’est elle qu’esquive l’être pour la mort quotidien en lui prêtant de la déterminité. Mais un tel déterminer ne saurait signifier que l’on calculera le quand de l’intervention du décès. Devant une telle déterminité de la mort certaine de telle manière qu’elle interpose devant elle les urgences et les possibilités contrôlables du quotidien le plus proche »33. Comment arriver à présent au concept existential plein de la mort – objectif principal du § 52 ? Heidegger suggère comment parti de l’interprétation complète du parler quotidien du On sur la mort et le mode sur lequel elle se tient engagée dans le Dasein l’ayant conduit aux caractères de la certitude (Gewissheit) et de l’indéterminité (Unbestimmtheit), il est désormais possible de délimiter le concept ontologico-existential plein de la mort grâce à d’autres déterminations suivantes : « la mort comme fin du Dasein est la possibilité la plus propre, absolue, certaine et comme telle indéterminée, indépassable du Dasein. La mort est, en tant que fin du Dasein, dans l’être de cet étant pour sa fin (Der Tod als Ende des Daseins ist die eigenste, unbezügliche, gewisse und als solche unbestimmte, unüberholbare Möglichkeit des Daseins. Der Tod ist als Ende des Daseins im Sein dieses Seienden zu seinem Ende) »34. Voilà 32

Sein und Zeit, pp. 257-258, tr. fr., Martineau, p. 189 (Vezin, pp. 312-313). Sein und Zeit, p. 258, tr. fr., Martineau, p. 189 (Vezin, p. 313). 34 Sein und Zeit, pp. 258-259, tr. fr., Martineau, p. 189 (Vezin, p. 313). 33

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pourquoi : « La délimitation de la structure existentiale de l’être pour la fin se tient au service de l’élaboration d’un mode d’être du Dasein où celui-ci peut être total en tant que Dasein. Que même le Dasein quotidien soit à chaque fois déjà pour sa fin, autrement dit se confronte constamment, quoique “fugacement”, avec sa mort, cela montre que cette fin qui conclut et détermine l’être-tout n’est nullement quelque chose où le Dasein ne ferait qu’arriver finalement lors de son décès. Dans le Dasein, en tant qu’étant pour sa mort, l’extrême ne-pas-encore de lui-même, par rapport auquel tous les autres sont en retrait, est toujours déjà engagé. C’est pourquoi l’inférence formelle qui conclurait du ne-pas-encore du Dasein – qui plus est, interprété de manière ontologiquement inadéquate comme excédent – à sa non-totalité est illégitime. Le phénomène du ne-pas-encore pensé à partir du en-avant-de-soi est si peu, comme la structure de souci en général, une instance contre un être-tout existant possible que c’est cet êtreen-avant-de-soi qui rend tout d’abord possible un tel être pour la fin. Le problème de l’être-tout possible du Dasein que nous sommes à chaque fois nous-même ne demeure donc légitime que si le souci comme constitution fondamentale du Dasein est pensé en “connexion” avec la mort comme possibilité extrême de cet étant »35. Mais avons-nous jusqu’ici réussi à déterminer existentialement ou ontologiquement l’« être pour la fin », c’est-à-dire « l’être pour la mort » du Dasein ? Heidegger négativement et exprime en revanche même un certain dépit : « L’être pour la mort se fonde dans le souci. En tant qu’êtreau-monde jeté, le Dasein est à chaque fois déjà remis à sa mort. Etant pour sa mort, il meurt facticement et même constamment aussi longtemps qu’il s’est toujours déjà, en son être pour la mort, décidé de telle ou telle manière. Le recul quotidiennement échéant devant elle est un être inauthentique pour la mort. L’inauthenticité a une possible authenticité à son fondement. L’inauthenticité caractérise un mode d’être où le Dasein peut se placer et s’est aussi le plus souvent toujours déjà placé, mais où il ne doit pas nécessairement et constamment se placer. Parce que le Dasein existe, il se détermine à chaque fois en tant qu’étant comme il est à partir d’une possibilité qu’il est et comprend lui-même »36. Pour Heidegger, il s’agit maintenant de pouvoir initier le Dasein à la compréhension authentique comprendre de sa possibilité la plus propre, absolue et indépassable, certaine et comme telle indéterminée, c’est-à-dire à se tenir dans un être authentique pour sa fin. Car, pour lui, aussi longtemps que cet 35 36

Sein und Zeit, p. 259, tr. fr., Martineau, pp. 189-190 (Vezin, pp. 313-314). Sein und Zeit, p. 259, tr. fr., Martineau, p. 190 (Vezin, p. 314).

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être pour la mort authentique n’est pas dégagé et déterminé ontologiquement, une carence essentielle s’attache à l’interprétation existentiale de l’être pour la fin (objectif des paragraphes précédents et plus précisément du § 52). Remarquons, cependant, que le problème de la « certitude » quotidienne de la mort est posée par Heidegger dans le contexte des énoncés quotidiens du genre suivant : « Il faut bien mourir un jour », « notre retour reste à venir », « il n’est pas mort, il se repose » : Il est important de remarquer, nous dit J. Greisch, que c’est précisément dans ce contexte que Heidegger, dont nous avons vu l’intérêt qu’il porte au « je suis » du cogito cartésien, croise la problématique cartésienne de la certitude. D’où, J. Greisch note d’emblée que c’est précisément ici, et nulle par ailleurs, surtout pas dans un contexte épistémologique, que doit être développée la problématique existentiale de la certitude, c’est-à-dire une interrogation sur « l’être-certain comme mode d’être du Dasein » (Gewisssein als Seinsart des Daseins, SZ 256). Il fait voir qu’un tel êtrecertain n’est pas contrairement aux apparences, une simple « conviction ». Sans doute sommes-nous intimement « convaincus » qu’il nous faut mourir un jour. Mais il ne s’agit, nous dit J. Greisch, que d’une expression inadéquate de la certitude existentiale (Daseinsgewissheit) qui caractérise l’être-pour-la-mort. Contrairement aux apparences, observe J. Greisch, il ne s’agit pas d’une simple certitude empirique, résultant d’une inférence à partir d’un certain nombre d’observations empiriques. Car une telle inférence présuppose un savoir acquis, mais qu’on pourrait tout aussi bien ne pas avoir37. C’est pour convaincre les indécis, du moins croyons-nous, que J. Greisch est contrait à recourir à la légende de Bouddha – figure emblématique de la philosophie orientale – qui, au cours d’une promenade aurait fait la découverte d’un « cadavre en putréfaction » et à la suite duquel il se serait fait une opinion sur la vie et la mort d’un être humain. Pour J. Greisch, ce n’est pas la confrontation brutale avec le spectacle d’un cadavre qui lui fait découvrir sa moralité. Et pour quelle cause ? Parce que, à son avis, avant même cette découverte, Bouddha portait déjà en lui la certitude de son mourir, même si son entourage l’entretenait dans l’esquive constante : « Tout se passe pour Heidegger, relève-t-il, comme si, empêtrés dans la quotidienneté, nous avions une attitude analogue à celle de Bouddha. Nous nous trompons d’objet de certitude : ne sachant ni le jour ni l’heure de notre mort, nous pouvons entretenir l’incertitude, alors que la 37

GREISCH J., op. cit., pp. 278-279.

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vraie certitude est celle que la mort est “possible à tout instant” (SZ 258). Cette esquive ne fait que révéler a contrario quelles sont les véritables déterminations du concept ontologique plénier de la mort : “La mort comme fin du Dasein est la possibilité la plus propre, absolue, certaine et comme telle indéterminée, indépassable du Dasein” (SZ 258-259). »38. Donc, première réponse à la question de l’être-tout possible du Dasein est la certitude d’être-pour-la-mort. Mais cet élément, déterminant soit-il, explique J. Greisch, ne vaut de prime abord que pour le plan de l’existence inauthentique / existence quotidienne. C’est en réfléchissant à nos multiples réactions de fuite, d’esquive (besoin de consoler, de rassurer, etc.) devant la mort que nous entrevoyons sa véritable signification existentiale39. La question est celle de trouver maintenant la deuxième réponse à la question de l’être-tout possible du Dasein. Inévitablement – parce que nous venons d’identifier la première voie comme inauthentique ou quotidienne – la deuxième voie ne peut être qu’authentique et porte sur la question de savoir s’il existe une attitude « authentique » devant la mort, comme possibilité existentielle et existentiale ? Pour y répondre, Heidegger envisage de déterminer le « projet existential d’un être authentique pour la mort » (§ 53). 6. « Projet existential d’un être authentique pour la mort » Dans un tel projet Heidegger tient à dénoncer la conception inauthentique de la « mort » en montrant comment « facticement, le Dasein se tient d’abord et le plus souvent dans un être pour la mort inauthentique ou quotidienne »40. Et J. Greisch de renchérir, pour sa part, qu’il y a manifestement « le danger de succomber aux constructions spéculatives arbitraires. La seule façon de parer à ce danger est de se tenir au plus près de ce qui a déjà été défini comme concept existential de la mort (être-pour-la-mort = être-pour-une-possibilité) et de la compréhension de la mort qui se révèle, fût-ce sous le mode de l’occultation et de l’esquive, dans les attitudes quotidiennes que nous adoptons à son égard. Ici et plus qu’ailleurs peut-être, on vérifie que l’analyse de la quotidienneté possède un pouvoir de manifestation ontologique propre, qui ne doit pas être confondu avec un jugement moral ! »41 38

Ibidem, p. 279. Ibidem, p. 279. 40 Sein und Zeit, p. 260, tr. fr., Martineau, p. 190 (Vezin, p. 315). 41 GREISCH J., op. cit., pp. 279-280. 39

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Mais examinons plutôt de plus près le propos de Heidegger d’il y a un instant suivant lequel « facticement, le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans un être pour la mort inauthentique »42. Comme préalable à toute analyse, posons-nous la question suivante : comment la possibilité ontologique d’un être authentique pour la mort doit-elle être « objectivement » caractérisée si le Dasein, en fin de compte, ne se rapportait jamais authentiquement à sa fin, ou bien si cet être authentique, de par son sens propre, doit demeurer retiré aux autres ? Autrement dit comment est-il possible de projeter l’édifice existential d’un être pour la mort authentique ? Pour Heidegger, « Le Dasein est constitué par l’ouverture, c’est-à-dire par un comprendre affecté. Un être pour la mort authentique ne peut pas reculer devant la possibilité la plus propre, absolue, ni la recouvrir dans cette fuite, ni la ré-interpréter dans le sens de la compréhensivité du On. Par suite, le projet existential d’un être pour la mort authentique doit nécessairement dégager les moments d’un tel être qui le constituent en tant que comprendre de la mort au sens d’un être nonfuyant et non-recouvrant pour la possibilité qu’on a caractérisée »43. Pour Heidegger, « Il convient tout d’abord de caractériser l’être pour la mort comme un être pour une possibilité, à savoir pour une possibilité insigne du Dasein lui-même (Zunächst gilt es, das Sein zum Tode als ein Sein zu einer Möglichkeit und zwar zu einer ausgezeichneten Möglichkeit des Daseins selbst zu Kennzeichnen). Être pour une possibilité, c’est-à-dire pour une possible, peut signifier être ouvert à un possible sous la forme d’une préoccupation pour sa réalisation. Dans le champ de l’à-portée-dela-main et du sous-la-main, de telles possibilités font constamment encontre : l’accessible, le maîtrisable, le viable, etc. L’être-ouvert préoccupé à un possible a la tendance à anéantir la possibilité du possible en le rendant disponible. Cependant, la réalisation préoccupée d’un outil sous-la-main (en tant que produire, apprêter, remplacer, etc.) n’est jamais que relative, dans la mesure où même le réalisé, ou justement lui, a encore le caractère d’être de la tournure. Bien que réalisé, il reste en tant qu’effectif un possible pour... caractérisé par un pour... »44. C’est ainsi que l’« être-pour-la-mort » ne saurait jamais avoir le caractère de l’être-ouvert préoccupé (des besorgenden Aus-sein) à sa réalisation. Et pourquoi donc ? Parce que de prime abord, relève Heidegger, « la mort en tant que possible n’est pas un à-portée-de-la-main 42

Sein und Zeit, p. 260, tr. fr., Martineau, p. 190 (Vezin, p. 315). Sein und Zeit, p. 260, tr. fr., Martineau, pp. 190-191 (Vezin, p. 315). 44 Sein und Zeit, p. 261, tr. fr., Martineau, p. 191 (Vezin, pp. 315-316). 43

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ou un sous-la-main possible, mais une possibilité d’être du Dasein. Par suite, la préoccupation pour la réalisation de ce possible devrait signifier une provocation du décès. Mais par là, le Dasein s’ôterait justement le sol nécessaire à un être existant pour la mort »45. Or, explique-t-il, « Si ce n’est donc pas une “réalisation” de l’être pour la mort qui est visée sous ce nom, l’être pour la mort ne peut pas signifier : “séjourner auprès de la fin en sa possibilité” (sich aufhalten bei dem Ende in seiner Möglichkeit). Une telle conduite consisterait dans la “pensée de la mort” (Denken an den Tod). Cette attitude est celle qui médite la possibilité, le moment et la manière dont elle pourrait bien se réaliser. Certes, cette rumination de la mort ne lui ôte point totalement son caractère de possibilité, la mort y est encore et toujours ruminée en tant qu’elle vient ; néanmoins elle affaiblit la mort par une volonté calculatrice de disposer d’elle. La mort, comme possible, doit alors manifester aussi peu que possible de sa possibilité. Dans l’être pour la mort, au contraire, si tant est qu’il a à ouvrir la possibilité citée en la comprenant comme telle, la possibilité doit être comprise sans aucune atténuation en tant que possibilité, être configurée en tant que possibilité, être soutenue, dans le comportement face à elle, en tant que possibilité »46. Or, le Dasein en tant que possible possibilité est également sous le mode de l’attente (Erwarten) dans a mesure où « Le Dasein, selon Heidegger, peut également se rapporter à un possible en sa possibilité sur le mode de l’attente (Zu einem Möglichen in seiner Möglicheit verhält sich das Dasein jedoch im Erwarten) »47. Mais, se dit-il, avec ce phénomène de l’attente, l’analyse ne rencontre-t-elle pas le même mode d’être pour la possible qui a déjà caractérisé à propos de l’être-ouvert préoccupé à quelque chose ? Non répond-t-il car « Tout attendre comprend et “a” son possible du point de vue de la question de savoir si, quand et comment il peut bien devenir sous-la-main. Non seulement, poursuit-il, l’attendre se détourne à l’occasion du possible pour se tourner vers sa réalisation possible, mais encore il attend essentiellement celle-ci. Même dans l’attente, nous nous détachons du possible pour prendre pied dans cet effectif pour lequel l’attendu est attendu (das Erwartete erwarter ist). C’est à partir de l’effectif et en direction de lui que le possible est entraîné par l’attente dans l’effectif »48.

45

Sein und Zeit, p. 261, tr. fr., Martineau, p. 191 (Vezin, p. 316). Sein und Zeit, p. 261, tr. fr., Martineau, p. 191 (Vezin, p. 316). 47 Sein und Zeit, p. 261, tr., fr., Martineau, p. 191 (Vezin, 316). 48 Sein und Zeit, p. 261-262, tr. fr., Martineau, p. 191 (Vezin, pp. 316-317). 46

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L’être pour la mort en tant que possibilité est saisie comme devancement dans la possibilité (Vorlaufen in die Möglichkeit). Mais ce comportement n’évoque-t-elle déjà l’approchement de l’être possible pour la mort ? Tel n’est pas justement l’avis de Heidegger en ce sens que « La proximité la plus proche de l’être pour la mort comme possibilité est aussi éloignée que possible d’un effectif » (Die Nähe des Seins zum Tode als Möglichkeit ist einem Wirklichen so fern als möglich). Qu’est-ce à dire ? Que, pour Heidegger, plus cette possibilité est comprise sans aucun voile, et d’autant plus purement le comprendre pénètre dans la possibilité comme possibilité de l’impossibilité de l’existence en général. La mort est la possibilité ultime du Dasein mais en tant que telle, elle ne donne aucune information au Dasein ; il n’y a pas de « fuite d’information » ; c’est la possibilité de l’impossibilité possibilité : « La mort comme possibilité ne donne au Dasein rien à “réaliser”, et rien non plus qu’il pourrait être luimême en tant qu’effectif. Elle est la possibilité de l’impossibilité de tout comportement par rapport à... (Er ist die Möglichkeit der Unmöglichkeit jeglichen Verhaltens zu ...) de tout exister. Dans le devancement dans cette possibilité, celle-ci devient “toujours plus grande”, c’est-à-dire qu’elle se dévoile comme une possibilité qui ne connaît absolument aucune mesure, aucun plus ou moins, mais signifie la possibilité de l’impossibilité sans mesure de l’existence. De par son essence propre, cette possibilité n’offre aucun point d’appui pour être tendu vers quelque chose, pour “se figurer” l’effectif possible et, par le fait même, oublier la possibilité. L’être pour la mort comme devancement dans la possibilité possibilise pour la première fois cette possibilité et la libère en tant que telle »49. Or en tant que possibilité de l’impossible possibilité, l’être-pour-la-mort possibilise la possibilité en tant que devancement. En d’autres termes, « L’être-pour la mort, nous dit Heidegger, est devancement dans un pouvoir-être de l’étant dont le mode d’être est le devancement même. Dans le dévoilement devançant de ce pouvoir-être, le Dasein s’ouvre à lui-même quant à sa possibilité extrême. Mais se projeter vers son pouvoir-être le plus propre veut dire : pouvoir se comprendre soi-même dans l’être de l’étant ainsi dévoilé : exister. Le devancement se manifeste comme possibilité du comprendre du pouvoir-être extrême le plus propre, c’est-àdire comme possibilité d’existence authentique »50. C’est pour cela que Heidegger estime que la constitution ontologique de celle-ci (existence authentique) doit être rendue visible grâce au dégagement de la structure 49 50

Sein und Zeit, p. 262, tr. fr., Martineau, pp. 191-192 (Vezin, p. 317). Sein und Zeit, pp. 262-263, tr. fr., Martineau, p. 192 (Vezin, pp. 317-318).

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concrète du devancement de la mort. La question consiste à savoir à présent comment s’accomplit la délimitation phénoménale de cette structure ontologique de l’existence authentique ? Pour Heidegger, c’est manifestement, en déterminant les caractères de l’ouvrir devançant qui doivent nécessairement lui appartenir pour qu’il puisse devenir le pur comprendre de la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine et comme telle indéterminée. Qu’en est-il du comprendre suivant cette perspective ? Pour Heidegger, le comprendre ne signifie pas primairement comme « fixer du regard un sens, mais se comprendre dans le pouvoir-être qui se dévoile dans le projet » (sondern sich verstehen in dem Seinkönnen, das sich im Entwurf enthüllt) »51. Voilà comment nous arrivons au « projet existential d’un être authentique pour la mort » (§ 53), c’est-à-dire à la phrase-clé du projet authentique de l’être authentique pour la mort énonçant que « La mort est la possibilité la plus propre du Dasein (Der Tod ist eigenste Möglichkeit des Daseins). L’être pour celle-ci ouvre au Dasein son pouvoir-être le plus propre, où il y va purement et simplement de l’être du Dasein. En ce pouvoir-être, il peut devenir manifeste au Dasein que, dans la possibilité insigne de lui-même, il demeure arraché au On, autrement dit qu’il peut à chaque fois, en devançant, s’y arracher. Mais c’est le comprendre de ce “pouvoir” qui dévoile pour la première fois la perte factice dans la quotidienneté du On-même »52. Et de poursuivre : « La possibilité la plus propre est absolue (Die eigenste Möglichkeit ist unbezügliche). Le devancement fait comprendre au Dasein qu’il a à assumer uniquement à partir de lui-même le pouvoir-être où il y va purement et simplement de son être le plus propre. La mort n’“appartient” pas seulement indifféremment au Dasein propre, mais elle interpelle celui-ci en tant que singulier. L’absoluité de la mort comprise dans le devancement isole le Dasein vers lui-même. Cet isolement est une guise de l’ouvrir du “Là” pour l’existence. Il manifeste que tout être auprès de l’étant offert à la préoccupation et de la sollicitude ne signifie nullement que ces guises du Dasein se trouvent détachées de l’être-Soi-même authentique. En tant que structures essentielles de la constitution du Dasein, elles appartiennent conjointement à la condition de possibilité de l’existence en général. Le Dasein n’est authentiquement lui-même que pour autant qu’il se projette primairement, en tant qu’être préoccupé auprès... et en tant qu’être-avec éclairé par le sollicitude, vers son pouvoir-être le plus propre, et non pas 51 52

Sein und Zeit, p. 263, tr. fr., Martineau, p. 192 (Vezin, p. 318). Sein und Zeit, p. 263, tr. fr., Martineau, p. 192 (Vezin, p. 318).

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vers la possibilité du On-même. Le devancement dans la possibilité absolue force l’étant devançant à la possibilité d’assumer de lui-même et à partir de lui-même son être le plus propre »53. C’est là toute la différence entre l’être pour la mort authentique et l’être pour la mort inauthentique où, pour Heidegger, la possibilité la plus propre, absolue, est indépassable (Die eigenste, unbezügliche Möglichkeit ist unüberholbar). L’être pour la mort fait comprendre au Dasein qu’elle le précède, à titre de possibilité extrême de l’existence, {la nécessité} de se sacrifier. Mais le devancement n’esquive pas l’indépassabilité comme l’être pour la mort inauthentique, mais il se rend libre pour elle (sonderne gibt frei für sie). Le devenir-libre (Das Freiwerden) devançant pour la mort propre libère de la perte dans les possibilités qui ne se pressent que de manière contingente, et cela en faisant comprendre et choisir pour la première fois authentiquement les possibilités factices qui sont en deça de la possibilité indépassable. Ainsi, poursuit-il, le devancement ouvre à l’existence, à titre de possibilité extrême, le sacrifice de soi et brise ainsi tout raidissement sur l’existence à chaque fois atteinte. En devançant, le Dasein se préserve de retomber derrière soi et son pouvoir-être compris, et de « devenir trop vieux pour ses victoires » (Nietzsche). D’où, « Libre pour les possibilités les plus propres, déterminées à partir de la fin, c’est-à-dire comprises comme finies, le Dasein expulse le danger de méconnaître à partir de sa compréhension finie de l’existence les possibilités d’existence d’autrui le dépassent, ou bien en mésinterprétant, de les rabattre sur les siennes propres afin de se délivrer ainsi lui-même de son existence factice la plus propre. Mais la mort, en tant que possibilité absolue, n’isole que pour rendre, indépassable qu’elle est, le Dasein comme être-avec compréhensif pour le pouvoir-être des autres. Parce que le devancement dans la possibilité indépassable ouvre conjointement toutes les possibilités antérieures à elle, il inclut la possibilité d’une anticipation existentiale de tout le Dasein, c’est-à-dire la possibilité d’exister comme pouvoir-être total »54. Mais si ainsi que nous venons de le voir, la possibilité la plus propre est absolue et indépassable, Heidegger estime que « La possibilité la plus propre, absolue et indépassable est certaine (Die eigenste, unbezügliche un unüberholbare Möglichkeit ist gewiss). Le mode d’être certain d’elle se détermine à partir de la vérité (ouverture) qui lui correspond. Mais la possibilité certaine de la mort n’ouvre le Dasein comme possibilité qu’en 53 54

Sein und Zeit, pp. 263-264, tr. fr., Martineau, p. 192 (Vezin, p. 318). Sein und Zeit, p. 264, tr. fr., Martineau, pp. 192-193 (Vezin, p. 319).

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tant que celui-ci, devançant vers elle, possibilise pour soi cette possibilité comme pouvoir-être le plus propre. L’ouverture de la possibilité se fonde dans la possibilisation devançante (Die Erschlossenheit der Möglichkeit gründet in der vorlaufenden Ermöglichung). Le maintien dans cette vérité, c’est-à-dire l’être-certain de ce qui est ouvert, requiert précisément le devancement. La certitude de la mort ne peut être calculée à partir de la constatation de cas de mort. Elle ne se tient absolument pas dans une vérité de ce sous-la-main qui fait encontre le plus purement, du point de vue de sa découverte, à faire-encontre simplement a-visant de l’étant lui-même. Le Dasein doit nécessairement s’être tout d’abord perdu dans des états de chose – ce qui peut constituer une tâche et une possibilité propre du souci – pour conquérir la pure pertinence, c’est-à-dire l’indifférence de l’évidence apodictique. Si l’être-certain au sujet de la mort n’a pas ce caractère, cela ne signifie nullement qu’il est de degré inférieur à cette évidence, mais au contraire qu’il n’appartient absolument pas à l’ordre hiérarchique des évidences au sujet du sous-la-main »55. Dans le même ordre d’idées, Heidegger note que « Le tenir-pour-vrai de la mort (Das Für-wahr-halten des Todes) – la mort n’est à chaque fois que comme propre – manifeste une autre modalité et est plus originaire que toute certitude concernant un étant rencontré à l’intérieur du monde ou les objets formels ; car il est certain de l’être-au-monde. En tant que tel, il ne sollicite pas seulement une conduite déterminée du Dasein, mais celuici même dans la pleine authenticité de son existence. C’est seulement dans le devancement que le Dasein peut s’assurer de son être le plus propre dans sa totalité indépassable. Par suite, l’évidence d’une donation immédiate des vécus, du Moi et de la conscience doit nécessairement rester en deçà de la certitude qui est renfermée dans le devancement. Et cela non pas parce que le mode concerné de saisie ne serait pas rigoureux, mais parce qu’il ne peut fondamentalement pas tenir pour vrai (ouvert) ce qu’il veut au fond “avoir-là” en tant que vrai : le Dasein que je suis moi-même et que, en tant que pouvoir-être, je ne puis être authentiquement qu’en devançant (das Dasein, das ich selbst bin und als Seinkönnen eigentlich erst vorlaufend sein kann) »56. C’est ainsi que « La possibilité la plus propre, absolue, indépassable et certaine est indéterminée en sa certitude (Die eigenste, unbezügliche, unüberholbare und gewisse Möglichkeit ist hinsischtlich der Gewissheit

55 56

Sein und Zeit, pp. 264-265, tr. fr., Martineau, p. 193 (Vezin, pp. 319-320). Sein und Zeit, p. 265, tr. fr., Martineau, p. 193 (Vezin, p. 320).

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unbestimmt) »57. Encore une fois, la question est de savoir pourquoi la possibilité la plus propre, absolue, indépassable et certaine est indéterminée en sa certitude ? Parce que personne ne sait ni l’heure, ni le jour, disent les chrétiens catholiques ou parce que comme le déclare Heidegger l’être du Dasein reste « indéterminé » face à la mort ? Heidegger nous a déjà prévenu de ne pas confondre l’analytique existentiale de la mort avec la conception théologico-chrétienne de la mort. Donc, c’est à la position de l’analytique existentiale de la mort que nous allons nous pencher suivant laquelle « Dans le devancement vers la mort indéterminément certaine, le Dasein s’ouvre à une menace jaillissant de son Là lui-même, constante. L’être pour la fin doit se tenir en elle, et il peut si peu l’aveugler qu’il doit au contraire nécessairement configurer l’indéterminité de la certitude »58. Mais comment et dans quelle condition se demande Heidegger, l’ouvrir natif de cette menace constante est existentialement possible ? Parce que pour Heidegger, « Tout comprendre est affecté. La tonalité transporte le Dasein devant l’être-jeté de son “qu’il-est-Là”, mais l’affection qui est en mesure de tenir ouverte la menace constante et pure et simple qui monte de l’être isolé le plus propre du Dasein. C’est l’angoisse. C’est en elle que le Dasein se trouve devant le rien de la possible impossibilité de son existence. L’angoisse s’angoisse pour le pouvoir-être de l’étant ainsi déterminé, et elle ouvre ainsi la possibilité extrême. Comme le devancement isole purement et simplement le Dasein et, dans cet isolement de lui-même, le fait devenir certain de la totalité de son pouvoirêtre, à cette auto-compréhension du Dasein à partir de son fond appartient l’affection fondamentale de l’angoisse. L’être pour la mort est essentiellement angoisse. L’attestation univoque, quoique “seulement” indirecte en est donnée par l’être pour la mort qu’on a caractérisé, lorsqu’il pervertit l’angoisse en peur lâche et annonce, avec le surmontement de celle-ci, la lâcheté devant l’angoisse »59. Ainsi c’est grâce au « devancement » (Vorlaufen) que le Dasein échappe au « On-meurt », c’est-à-dire à l’« inauthenticité mortelle » (si néanmoins on peut nous passer cette expression), dans la mesure où « Le devancement dévoile au Dasein sa perte dans le On-même et le transporte devant la possibilité, primairement dépourvue de la protection de la sollicitude préoccupée, d’être lui-même – mais lui-même dans la LIBERTE POUR LA MORT 57

Sein und Zeit, p. 265, tr. fr., Martineau, p. 193 (Vezin, p. 320). Sein und Zeit, p. 265, tr. fr., Martineau, p. 193 (Vezin, p. 320). 59 Sein und Zeit, pp. 265-266, tr. fr., Martineau, pp. 193-194 (Vezin, pp. 320-321). 58

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(Freiheit zum Tode) passionnée, déliée des illusions du On, factice, certaine d’elle-même et angoissée »60. 7. Pensées, réflexions, vues, langages classiques sur la mort face aux considérations programmatiques ontologiques, phénoménologiques et herméneutiques En déterminant, ainsi que nous venons de le voir, le Dasein de l’homme comme être-pour-la-mort (Sein-zum-Tode), c’est-à-dire comme ce par quoi il se détermine, Heidegger n’aurait, donc, jamais été favorable à la pratique de l’euthanasie, dont la caractéristique déjà courante dans l’Antiquité grecque a consisté à « Hâter la mort d’autrui par nécessité (trop de bouches inutiles à nourrir61), voire par pitié. Ceci est un problème aussi ancien que l’homme lui-même. Par exemple, Platon au 5e siècle avant J. C., demandait aux médecins (déjà !) de sa République de ne pas soigner “un homme incapable de vivre le temps fixé par la nature parce que cela n’est avantageux ni à lui-même ni à l’État”, par contre, Hippocrate, dont le serment a marqué l’entrée d’innombrables médecins dans leur profession, s’y refusait de donner à quiconque lui en prierait une drogue homicide ni ne prendrait l’initiative d’une telle suggestion. ». Si les codes pénaux de la plupart des Etats légifèrent à son sujet, de manières diverses, c’est bien parce que des cas devaient se produire amenant devant les tribunaux médecins ou entourage trop complaisants, pour se voir inculper, au moins en Quasi-totale, d’homicide volontaire (art. 295 du Code pénal). »62. Pour leur part D. Blondeau et J. Baudouin distinguent le sens étymologique du sens « contemporain ». Ils déplorent une confusion installée entre les deux sens. En vérité, la notion d’euthanasie, disent-ils, est soumise à une confusion conceptuelle qui n’est pas étrangère aux malaises entourant sa discussion. « Le mot euthanasie fait, en effet, référence à des pratiques fort différentes. Dans son sens étymologique premier (euthanatos), elle signifie tout simplement mort douce, mort paisible, mort sans souffrance »63. Cependant, ce sens étymologique ne connote aucunement l’idée de provoquer la mort, de la donner, mais, en

60

Sein und Zeit, p. 266, tr. fr., Martineau, p. 194 (Vezin, p. 321 : traduit « Freiheit zum Tode » par « Liberté envers la mort »). 61 L’eugénisme poursuit aussi pareil objectif ! Y a, donc, ressemblance, mieux, concordance des points de vues. 62 REGNIER J., op. cit., p. 140. 63 BLONDEAU et BAUDOUIN, op. cit., p. 98.

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revanche, de faciliter uniquement le passage de la vie à la mort, en supprimant en tout et en partie la souffrance qui l’accompagne. Pour en revenir au sens étymologique de la notion d’euthanasie, selon Blondeau et Baudouin, c’est celui dans lequel on regroupe au sens large les unités de soins palliatifs, l’accompagnement psychologique des mourants, les techniques de contrôle de la douleur, l’arrêt des traitements devenus inutiles dans des mesures euthanasiques. Jamais, dans toutes ces hypothèses du sens étymologique de l’euthanasie, l’intention ou la finalité poursuivie n’est-elle de provoquer ou de hâter la mort. Au contraire, elle cherche à maintenir, pendant ce difficile passage, une qualité de vie acceptable à la personne mourante64. Aussi, ils montrent comment (au sens « contemporain » du mot l’euthanasie) : « (...) on ne parle plus cependant d’euthanasie contrairement à l’étymologie d’origine pour désigner la “bonne mort” ; on n’en parle même que très rarement pour caractériser l’interruption de traitement désormais inutiles et l’administration de soins palliatifs. Euthanasie, désormais, pour le commun des mortels, signifie l’acte de tuer, le meurtre par compassion, l’administration de drogues à dose létale. Dans le contexte actuel, ainsi que le relève J-F. Malherbe dans Pour une éthique de la médecine (Paris, Larousse, 1987), il est donc bien accepté de réserver l’appellation euthanasie à l’acte de provoquer directement la mort. L’euthanasie, contrairement à l’acharnement thérapeutique, tend à éviter la mort en la devançant. C’est une fuite en avant »65. D’où le slogan « agir sur la mort plutôt que de laisser la mort agir ». Or, que la mort soit comme le prétend Heidegger la possibilité la plus propre, la plus absolue voire la plus certaine, l’opinion favorable à l’euthanasie, nous dit J. Régnier, continue à soutenir que dans le cas où quelqu’un est condamné à mort par l’état irréversible de sa maladie ou de sa décrépitude, si quelqu’un endurant de terribles souffrances, ayant conscience de sa dégradation physique ou mentale, les médecins ou les proches parents peuvent arriver à souhaiter la mort, hâter cette mort. Ceuxci, disent-ils, n’est pas encore un homicide, dans la mesure où c’était au contraire une façon de lui rendre un service que de l’aider à franchir dans de meilleures conditions un cap de toute manière inéluctable66. Pour l’opinion favorable à la pratique de l’euthanasie, la marge qui sépare la réponse du Code de celle de beaucoup de nos contemporains tient à ce que, 64

BAUDOUIN L., et BLONDEAU D., op. cit., C’est nous qui soulignons dans le texte. BAUDOUIN L. et BLONDEAU D., op. cit., p. 99. 66 REGNIER J., op. cit., pp. 140-141. 65

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de part et d’autre, on ne considère plus la mort de la même façon. Le code rappelle, d’une manière un peu intemporelle, le principe fondamental : « Tu ne tueras pas. ». D’autres voix lui répondent : « Notre mort nous appartient. Laissez-nous l’aménager comme nous l’entendons. ». D’entrée de jeu, au cœur du débat, se situe bien la manière dont, au sein d’une culture donnée, on envisage la mort. »67. Or, que l’euthanasie soit comme nous le dit J. Régnier 1) « » assistance aux mourants », qui comporte leur accompagnement par la présence attentive et affectueuse des vivants, l’atténuation des douleurs grâce à l’arsenal de la pharmacopée moderne, etc. » ; 2) « passive » qui implique l’arrêt des moyens médicaux extraordinaires mis en œuvre pour réanimer, alimenter, subvenir par l’adjonction d’appareils à la défaillance des organes. » ; 3) « active », qui est l’administration par un tiers de doses suffisantes non seulement pour atténuer la douleur mais pour progressivement provoquer la mort. » ; 4) « suicide » secondé qui est l’acquiescement aux demandes libres et réitérées de quelqu’un qui souhaite voir son existence abrégée dans certaines circonstances physiques ou mentales qu’il aura, soit précédemment prévues soit ressenties au cours de sa maladie comme véritablement insupportables. » ; 5) « eugénique » pratiquée par une collectivité à l’égard de ses membres dont elle estime qu’ils sont devenus socialement inutiles parce que racialement impurs, dégénérés, handicapés, trop vieux, etc. »68, ou comme nous le dit, à son tour, B. Baertschi a) « volontaire », demandée par le malade, b) « non volontaire », lorsqu’il est dans l’incapacité de donner son accord a, au moins idéalement, été prise en considération ; 6) « volontaire passive » : le patient refuse qu’on continue à le soigner. S’il est atteint d’une maladie incurable et à un stade terminal ; 7) « volontaire active indirecte » : le malade demande qu’on lui administre un traitement qui diminue ses souffrances, mais qui va hâter sa fin. Il n’y a rien à objecter si aucun moyen plus adapté n’existe, puisque cela va dans le sens de la qualité de vie du malade. » ; 8) « volontaire active directe » : le malade demande qu’on mette fin à ses jours, car la vie lui est devenue insupportable. Ici encore, la considération de la qualité de vie peut très bien l’appuyer si c’est la seule solution qui respecte la vie personnelle du patient. »»69 ; pour Heidegger toutes ces formes d’esquives n’amènent à rien, dans la mesure où, à son avis et nous venons de le voir il y a un moment, la mort est la possibilité 67

REGNIER J., p. 141. REGNIER J., op. cit., pp. 145-146. 69 BAERTSCHI B., op. cit., pp. 83-84. 68

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ultime du Dasein qui ne donne en tant que telle aucune information au Dasein, il n’y a pas de « fuite d’information » ; c’est la possibilité de l’impossible possibilité. La mort ne donne rien à réaliser. Dans le devancement de cette possibilité, celle-ci devient toujours plus grande, c’est-à-dire qu’elle ne se dévoile comme une possibilité qui ne connaît absolument aucune mesure, aucune retenue, plus ou moins, mais signifie la possibilité de l’impossibilité sans mesure de l’existence. Ce qui fait plutôt dire à Heidegger que de par son essence propre, cette possibilité n’offre aucun point d’appui – même les drogues pour mourir plus vite – pour être tendu vers quelque chose, pour « se figurer » l’effectif possible et, par le fait même, oublier la possibilité. C’est dans (ou par) la mort que, pour Heidegger, le Dasein de l’homme atteint son être authentique. L’euthanasie ne favoriserait, donc, pas celuici. Dans la mesure où dès qu’il est né, écrivît-il, le Dasein de l’homme est assez vieux pour mourir. La mort est la possibilité la plus propre du Dasein (Der Tod ist eigenste Möglichkeit des Daseins). Cette possibilité propre, nous venons de voir avec Heidegger il y a un moment, est absolue (Die eigenste Möglichkeit ist unbezügliche). Pendant que le devancement fait comprendre au Dasein qu’il a à assumer uniquement à partir de lui-même le pouvoir-être où il y va purement et simplement de son être le plus propre. Ainsi, la mort pour Heidegger n’« appartient » pas seulement indifféremment au Dasein propre, mais elle l’interpelle en tant que singulier. Pour Heidegger, l’absoluité de la mort comprise dans le devancement isole le Dasein vers lui-même, c’est-à-dire vers son authenticité (Eigentlichkeit). À ne pas oublier que, pour Heidegger, l’authenticité consiste dans la coïncidence de soi par soi (cfr. M. de Biran), dans la mienneté (Jemeinigkeit) (cfr. SZ § 9). Mais cet isolement du Dasein est tout simplement une guise de l’ouvrir du « Là » pour l’existence. Voilà pourquoi, il est aberrant voire paradoxal, pour Heidegger, de dire « On mourra un jour » ou par exemple « la mort c’est les autres ». S’exprimer de la sorte, c’est s’emballer dans l’inauthenticité (Uneigentlichkeit) du « On meurt » où le « mourant » n’est jamais personne. Alors que pour Heidegger, le Dasein n’est authentiquement luimême que pour autant qu’il se projette primairement, en tant qu’être préoccupé auprès, et en tant qu’être-avec éclairé par la sollicitude, vers son pouvoir-être le plus propre, et non pas vers la possibilité du On-même. Le devancement dans la possibilité absolue force l’étant devançant à la possibilité d’assumer de lui-même et à partir de lui-même son être le plus propre.

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C’est pourquoi, Heidegger nous dit que « la possibilité de l’impossibilité possibilité (celle de la mort bien sûr) est indépassable » (en Allemand cela se dit : Die eigenste, unbezügliche Möglichkeit ist unüberholbar). Mais cette possibilité propre, c’est-à-dire de l’impossible possibilité qu’est la mort du Dasein, n’est pas que propre, absolue ou indépassable, elle est aussi certaine (gewiss). Heidegger a écrit plus exactement que « la possibilité la plus propre, absolue et indépassable est certaine » (Die eigenste, unbezügliche un unüberholbare Möglichkeit ist gewiss). Parce que cette possibilité de l’impossibilité qu’est la mort est « indéterminée » (unbestimmt). De telle sorte que « La possibilité la plus propre, absolue, indépassable et certaine est indéterminée en sa certitude » (Die eigenste, unbez¨gliche, unüberholbare une gewisse Möglichkeit ist hinsischtlich der Gewissheit unbestimmt). Cette possibilité est indéterminée parce que, comme on dit, personne ne sait ni l’heure, ni le jour. Parce que plus précisément, pour Heidegger, le Dasein de l’homme est « indéterminé » face à la mort. C’est pourquoi, d’ailleurs, pour barrer la route, nous osons penser, à la pratique de l’euthanasie ou à toute forme de manipulation génétique, Heidegger exhibe l’analytique existentiale dont le rôle, selon lui, serait de promouvoir ce qu’il appelle la LIBERTE POUR LA MORT (Freiheit zum Tode). On ne sait pas évaluer, estime-t-il, l’importance de ce concept ontologique, car c’est finalement lui qui permet au Dasein de l’homme d’anticiper sur son être. Cette anticipation, Heidegger la nomme « devancement » (Vorlaufen). C’est ce Vorlaufen qui permet au Dasein d’échapper au « On meurt » dont il était question il y a un instant, c’est-àdire à ce que nous avons appelé (audacieusement peut-être) il y a un moment « inauthenticité mortelle ». Quant au devancement, nous avons vu avec Heidegger, qu’il dévoile au Dasein sa perte dans le On-même et le transporte devant la possibilité, primairement dépourvue de la protection de la sollicitude préoccupée, d’être lui-même, mais lui-même dans la liberté, nous venons de le dire il y a un instant, pour la mort passionnée, déliée des illusions du On, factice, certaine d’elle-même et angoissée. Alors que si on se dit heideggérien, rien dans ce monde ne permet la pratique de l’euthanasie car la mort, elle, est toujours là avec nous et devant nous. Même dans le cas des deux perspectives souvent évoquées et renvoyant primo à la « vision quantitative de la vie » ; et secundo à la « vision qualitative de la vie » où l’euthanasie serait justifiée par le principe de la sauvegarde de la qualité de la vie. Ne dit-on pas qu’une vie dépourvue, de façon permanente, de possibilités de communication et d’interrelations, tant sur le plan affectif qu’intellectuel, sans faculté de 138

penser, de choisir, de poser un regard critique sur soi-même et sur les autres, est une vie privée de qualité ? Heidegger le confirme positivement au nom de l’argument selon lequel Der Tode ist eigenste Möglichkeit des Daseins, mieux, la possibilité la plus propre du Dasein. Par le mot « propre » (eigenste), nous entendons évidemment « authentique » (eigenstlich). Ceux qui soutiennent l’euthanasie le font, non doctrinement, mais par besoin métaphysique, humaniste, morale, éthique voire politique. Or tout ceci ne rentre pas dans le champ ontologico-phénoménologicoherméneutique de Heidegger. Cette catégorie d’hommes et femmes proeuthanasie active, reconnaissent l’inutilité de certaines quasi-totale thérapeutiques qui n’auraient pour résultat que de prolonger la seule vie biologique. Une prolongation qui deviendrait alors une atteinte à la dignité humaine : « L’euthanasie active, tend à éviter le moment de la mort en le devançant. Y recourir est donc une autre façon de la fuir, de déjouer la fatalité pour vaincre la mort. C’est se la réapproprier par l’agir, avant qu’elle ne surgisse, c’est donc en reprendre le contrôle. Il ne s’agit cependant là, bien évidemment, que d’une nouvelle voie d’évitement, car devancer l’heure réelle du moment fatal est au fond un moment de fuir sa réalité. La conséquence de cet évitement est encore une fois grave : la mort est à nouveau évacuée en tant que processus inévitable et de continuité de la vie. L’intervention vient y signer le refus de la réalité et, au fond, encore une fois une certaine négation de la condition humaine »70. Il se fait, donc, qu’à la suite de cela, les gens meurent à la suite de cela par la décision des autres. Ce qui chrétiennement dit est une faute et moralement, éthiquement une dépravation, dégradation, dégénérescence des mœurs généralisée. Ces « donneurs de la mort » se préoccupent tant des autres que d’eux-mêmes sur « l’exigence du mieux mourir ». Cette exigence majeure porte, donc, sur le développement des mouroirs. L’objectif de ces mouroirs est de permettre à la personne malade de mourir dans la dignité ; il faut lui éviter coûte que coûte la souffrance. Autrement dit, il faut humaniser les soins destinés aux personnes malades : « Avec l’exemple du St-Christophers Hospice en Angleterre sont apparues, surtout aux Quasi-totale et au Canada, des institutions dont la vocation réside essentiellement dans l’amélioration des moyens de contrôle de la douleur et dans l’accompagnement des personnes en phase terminale. Ces institutions offrent aux personnes mourantes les services d’un personnel qualifié et polyvalent, dont la formation vise à les assister jusqu’à la fin. On y trouve ainsi des infirmières, des travailleurs sociaux, des aumôniers, 70

Ibidem, p. 104.

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des médecins, des psychologues et divers autres thérapeutes dont le seul objectif de soins vice à combler la totalité des besoins de la personne – physique, psychologique, spirituel, familial, etc. – vivant la dernière étape de leur vie. C’est dans ce contexte que l’idée plutôt récente d’accompagnement des mourants s’est développée. Les imposants travaux de l’Américaine Elizabeth Kübler-Ross, entre autres, ont contribué à accréditer la légitimité du courant d’humanisation des soins à l’égard des personnes mourantes »71. Dignité d’accord, mais c’est la mort naturelle du Dasein qui intéresse Heidegger. Il s’agit de mettre en exergue le bien-fondé de reconquérir le sens de la vie et de la mort et de restituer à l’être humain, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, sa dignité compromise par les artefacts de la technoscience. Ainsi, l’avènement des soins palliatifs annonce un changement d’attitudes à l’égard de la mort par la reconnaissance qu’ils font de l’inéluctabilité de la mort et de la prise en charge du processus du mourir. Donc, les soins palliatifs s’inscrivent comme un contre-courant à l’interventionnisme basé sur l’acharnement thérapeutique. En soins palliatifs, le but consiste à laisser la mort agir plutôt que d’agir sur la mort. En d’autres termes, l’avènement des soins palliatifs incarne, d’une part, la lucide soumission à l’ordre des choses et, d’autre part, un souci de solidarité envers le sort des êtres humains. Ce respect de la non-intervention thérapeutique joint au soulagement des douleurs signifie cependant uniquement la reconnaissance du laisser mourir et non pas celle du droit de faire mourir. La non-intervention ne peut être perçue comme une forme d’euthanasie, dans le sens de provoquer la mort ou d’en accélérer le processus. L’administration des soins palliatifs ne vient que supporter un processus déjà en cours dont l’issue est la mort, sans intervention ni pour la provoquer, ni pour l’en empêcher72. Mais les soins palliatifs constituent-ils, en somme une fin en-soi ? La réponse est négative au regard de cette double carence. La première carence montre l’importance des unités spéciales pour donner au patient en phase terminale tous les soins analgésiques appropriés. C’est clairement admettre l’incapacité ou l’échec des cliniques et hôpitaux à le faire en dehors de ce cadre spécifiquement créé. La question est donc celle de savoir pourquoi isoler ainsi le mourant des autres malades ? Pourquoi ne pourrait-il pas bénéficier des mêmes soins ? La deuxième carence traduit l’absence quasi-totale de la fourniture de ces soins à domicile. La question 71 72

BAUDOUIN J. et BLONDEAU D., op. cit., p. 105. BAUDOUIN J. et BLONDEAU D., op. cit., p. 106.

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est alors la suivante : pourquoi le malade devrait-il vivre ses derniers moments dans une institution spécialisée en dehors d’un cadre qui lui est familier ? Pourquoi les soins ne viendraient-ils pas au malade, plutôt que d’obliger le malade à venir à ces soins ?. Néanmoins, la mise en place des soins palliatifs constitue cependant un progrès indéniable et nécessaire dans l’humanisation des soins entourant la personne mourante et, par conséquent dans la conquête de la dignité humaine73. Globalement, donc, nous retiendrons que tous les arguments qui viennent d’être avancés sur l’euthanasie s’avèrent importants voire pertinents. Ils se valent tous. Cependant, pour ou contre la « qualité » de vie pour justifier ou récuser l’euthanasie, nous affirmons deux ou trois choses : la première consiste à dire qu’en suivant le cheminement heideggérien, l’euthanasie aurait dû être non pas une question d’ordre moral, éthique mais au contraire ontologique ; et qu’en tant que telle elle est contraire à la quête par l’homme de son « authenticité ». Ontologiquement, l’euthanasie serait un profond déracinement de soi. La deuxième consiste à dire que même dans le cas où elle est une question d’ordre moral, éthique soit par rapport à la souffrance ou non du patient, soit eu égard à une certaine aisance en fin de vie, l’euthanasie ne saurait, à notre avis, se justifier ni moralement ni éthiquement en tant que sœur jumelle de l’eugénisme. Qu’est-ce que cela signifie ? Nous répondons en nous associant à J. Régnier lorsqu’il parle d’« euthanasie eugénique pratiquée par exemple par une collectivité à l’égard de ses membres dont elle estime qu’ils sont devenus socialement inutiles parce que racialement impurs, dégénérés, handicapés, trop vieux, etc.74. Mais aussi la prise en compte de l’exemple nazi hitlérien qui, à son avis, est l’un des exemples les plus connus représentant “l’extermination de 100. 000 vieillards allemands provoquée sur ordre d’Hitler entre 1939 et 1941 et connue sous le nom de ‘Gnadentod’ : la mort par grâce.”75. Ces déclarations de J. Régnier ne font que clarifier et encore davantage celles précédemment mentionnées par D. Blondeau et J. Baudouin sur l’expérience nazie qui, dans les années 30, envoyèrent à la mort les handicapés mentaux ou physiques, les vieillards, les noirs, les juifs et les tziganes, etc. Reste que pour Heidegger, “La mort pour autant qu’elle soit, nous dit Heidegger, est toujours essentiellement mienne, et certes elle signifie une possibilité spécifique d’être où il y va purement et simplement de l’être du 73

BAUDOUIN J. et BLONDEAU D., op. cit., pp. 106-107. REGNIER J., op. cit., p. 146. 75 REGNIER J., op. cit., p. 146. 74

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Dasein à chaque fois propre. Dans le mourir, il apparaît que la mort est ontologiquement constituée par la mienneté et l’existence. Le mourir n’est pas une donnée, un évènement, mais un phénomène à comprendre existentialement, et cela en un sens insigne”76. En d’autres termes, l’euthanasie sous quelque forme qu’elle soit, le suicide sous quelque forme qu’elle soit, l’exécution d’un condamné sous quelque forme que ce soit est inutile et paradoxale par rapport à l’idée que la mort est une possibilité spécifique et radicale de l’être humain. Pourquoi tant d’émotion, de discussion à ce point, dirait Heidegger, alors que l’être-pour-la-mort sommeille déjà en nous. Parce que et quoi qu’il advienne cet évènement qu’est la mort le surprendra un jour sans lui prévenir, sans l’avertir, sans lui annoncer. La mort en tant que possible de l’impossibile possibilité, avons-nous vu avec Heidegger, n’est pas à-portée-de-la-main ou un sousla-main possible, mais une possibilité du Dasein qui s’est déjà produite mais reste encore à venir. À telle enseigne que la préoccupation pour la réalisation de ce possible doit signifier une provocation du décès. D’où par-là le Dasein s’ôterait justement le sol nécessaire à un être existant pour la mort. Cette discussion sur la mort de quelqu’un aussi bien par rapport à l’homme lui-même comme tel que par rapport au phénomène d’euthanasie qui fait très rage aujourd’hui dans le monde, nous conduit, non sans transition, à l’autre grave problème de l’assistance qu’on apporte aux pauvres, aux démunis, aux SDF ou aux malades. Comment du point de vue phénoménologique eu égard au point de vue sociologique ou morale définir l’assistance ? Est-ce bien ou mauvais de venir en aide ? C’est notre question dans notre quatrième chapitre suivant.

76

Sein und Zeit, p. 240, tr. Fr., Martineau, pp. 178-179 (Vezin, p. 293).

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Chapitre 4 « La dimension phénoménologico-praxéologique de l’assistance sociale comme pragmaticité libératrice »1

1. Position du problème S’il est vrai, d’une part, que nous vivons dans un monde où seuls les êtres plus puissants, plus robustes, plus riches avaient droit à la vie et d’autre part, les moins forts, les pauvres, les malades droit à la mort, la question n’en reste pas moins de savoir comment imputer, par exemple, à un acte consistant à “assister à la mort” d’un proche une signification morale, ontologique, ou non-morale ou encore non-ontolgique ? En d’autres termes, que signifie le fait d’“assister” quelqu’un » qui a faim ou qui a une maladie incurable du point de vue ontologique, sociologique, psychologique ou encore éthico-moral ? En d’autres termes, comment « assister » quelqu’un, qui n’a a rien demandé, – citons le cas d’aide au développement des pays du Tiers-Monde, et d’Afrique en particulier, selon la rhétorique grandiloquente occidentale, pourtant teintée des restrictions, des contraintes, d’intérêts obscurantistes -, sans pouvoir en même temps lui ôter sa dignité, sa personnalité, son humanité ? Sans le soumettre dans une dépendance soit physique soit mentale ? Comment justifier « éthiquement », « moralement », « chrétiennement » justifier l’aide ou l’assistance (au travers l’acte d’« euthanasier » une personne souffrant du sida ou du cancer en phase terminale), sans que cela soit assimilé à un assassinat ou un crime contre l’humanité ? Est-ce gazer les juifs, les noirs, les tziganes comme Hitler et ses illuminés l’avaient fait était une assistance ou un acte des crimes de guerre et contre l’humanité ? Comment celui qui donne peut-il attester qu’à travers ses dons, il ne se mettait pas dans une position dominatrice par rapport à celui qui reçoit ? Quelqu’un qui a faim 1 Cf. OSONGO-LUKADI A-D, « La dimension phénoménologico-praxéologique de l’assistance sociale comme pragmaticité libératrice », in RAS-Revue Africaine du Savoir, Vol. II, n° 2, Juin-Septembre 2006.

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ou qui a une maladie incurable a-t-il le droit sacré de dire non, c’est-à-dire de « refuser » l’aide ou l’assistance, sans être traité d’irresponsabilité alors que pour lui c’est juste un appel à sa propre dignité ? Toutes ces questions sont intéressantes, pertinentes dans le cadre de l’ontologie fondamentale de « l’assistance sociale » (Fürsorge) où la position de Heidegger est confrontée à celle de J. Rachel. Cependant, cette confrontation est tout sauf un rapprochement des positions autour cette question. 2. La thèse d’Equivalence Dans son article « tuer et laisser mourir », James Rachel écrit : « On ne sait pas exactement combien de personnes meurent chaque année de la malnutrition ou de ses effets, mais les victimes se comptent sans doute par millions. En soutenant financièrement les efforts de lutte contre la famine, chacun de nous pourrait sauver au moins quelques personnes, et ne rien donner revient à les laisser mourir »2. L’auteur pose un problème éthique bien pertinent, à savoir la responsabilité à l’égard de la situation sociale d’autrui. En d’autres termes, du droit d’ingérence humanitaire (depuis l’exministre Bernard Kouchner). Ce « droit d’ingérence humanitaire » n’a pas, on s’aperçoit, de frontières. Dans un certain contexte, la Communauté Internationale l’utilise comme une arme de pression et d’oppression politiques à l’encontre des Etats peu soucieux des droits de l’homme, des progrès socio-économiques, des institutions politiques stables et démocratiquement viables. Pour en revenir à la déclaration d’il y a un instant, remarquons que le but de J. Rachels consiste à contrarier certains philosophes qui prétendent qu’il n’est pas aussi grave de laisser mourir quelqu’un que de le tuer, étant donné qu’en général, pour ces philosophes, notre « devoir positif » de venir en aide aux autres n’est pas aussi contraignant que notre « devoir négatif » de ne pas nuire à autrui3. « Pour ma part, je soutiens le contraire, à savoir que laisser mourir quelqu’un est tout aussi grave que de le tuer »4. Pour J. Rachels, le propos ne consiste pas seulement à montrer que des gens meurent de faim en Inde ou en Afrique tandis qu’en Occident les gens dépensent leur argent à des futilités, ou bien que ceux-ci se sentent un peu coupables ou tout simplement des criminels. Le propos de Rachels consiste également à s’interroger sur la rationalité de la moralité occidentale. À dire 2

RACHELS J., « Tuer et laisser mourir de faim », in NEUBERG M., La responsabilité. Questions philosophiques, Paris, P. U. F., 1997, p. 195. 3 Ibidem. 4 Ibidem.

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vrai, le fonds du problème pour lui consiste, donc, à amener les peuples développés à savoir que l’on a tort de se rassurer en se disant que l’on laisse « seulement » mourir ces gens d’Inde et d’Afrique, car le devoir de ne pas les laisser mourir est en fait aussi contraignant que celui de ne pas les tuer. L’élément prépondérant demeure la thèse d’Equivalence émise par J. Rachels. Nous allons la commenter avec l’auteur. Celle-ci traduit une idée radicale en éthique qui signifie que certaines de nos « intuitions » (nos croyances préréflexives sur ce qui est bien ou mal dans des situations données) ne sont pas fondées et doivent être rejetées. « La Thèse de l’Equivalence, écrit J. Rachels, est en fait une affirmation concernant les critères moralement pertinents susceptibles de fonder un jugement de valeur : le simple fait que tel acte consiste à tuer quelqu’un, tandis que tel autre revient “seulement” à le laisser mourir, n’est pas une raison moralement valable pour juger le premier pire que le second »5. Pour J. Rachels, si nous pensons, qu’il est pire de tuer quelqu’un que de le laisser mourir, ce n’est pas parce que nous surestimons la gravité du fait de tuer ; c’est plutôt parce que nous sous-estimons la gravité du fait de laisser quelqu’un mourir. Il s’agit, pour nous résumer, de montrer que le fait de laisser des gens mourir de faim dans des pays lointains est beaucoup plus grave qu’on ne le suppose généralement. Pour mieux pénétrer l’argumentation de J. Rachels, nous allons prendre un exemple : J. Rachels imagine qu’il y ait un enfant en train de mourir de faim - le regard creux, le ventre ballonné, etc., - dans la pièce où vous vous trouvez et que vous ayez sous la main un sandwich dont vous n’avez pas besoin. Bien sûr, vous seriez horrifié ; vous arrêteriez de lire et lui donneriez le sandwich, ou mieux, vous l’emmèneriez à l’hôpital. Vous ne penseriez pas avoir accompli un acte héroïque ; vous ne vous attendriez pas à ce que l’on vous félicite, et si vous n’aviez pas secouru l’enfant, vous vous seriez attendu à des critiques. Imaginez, poursuit J. Rachels, ce que vous penseriez de quelqu’un - appelons-le M. X... - qui ignorerait simplement l’enfant et continuerait à lire, le laissant ainsi mourir de faim. On aurait de bonnes raisons de juger très sévèrement cet individu, et l’on estimerait en gros que, moralement parlant, M. X... est un monstre. Qu’en est-il, cependant, des gens que l’on laisse mourir de faim dans des pays éloignés sous-développés ? Pour J. Rachels, « c’est là, comme l’écrit Ph. Foot, quelque chose de mal ». Mais est-ce, pour autant, en dépit de la ressemblance frappante, que le comportement des Occidentaux est aussi monstrueux que celui de M. X.... ? J. Rachels ne l’estime pas. La raison est 5

Ibidem, p. 202.

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simple : M. X.... pourrait sauver l’enfant, mais il ne le fait pas ; et l’enfant meurt devant lu6. Les Occidentaux, de leur côté, pourraient facilement sauver un certain nombre de ceux qui meurent de faim ; ils ne le font pas ; et ils meurent. Quelle est, cependant, la vraie différence entre M. X.... et les Occidentaux ? Une différence évidente, relève J. Rachels, tient au fait que la personne que M. X.... laisse mourir se trouve dans la même pièce que lui, alors que les gens que nous laissons mourir sont généralement loin de nous. Cependant, on peut difficilement considérer la distance géographique comme un élément pertinent. Il est, cependant, absurde de supposer que le fait de se trouver à tel point du globe puisse donner droit à un traitement que l’on ne mériterait pas si l’on se trouvait sous d’autres latitudes. Bien sûr, si le lieu où se trouve la personne rendait toute aide impossible (par exemple dans des régimes totalitaires, fascistes, antidémocratiques, corrompus), cela excuserait les Occidentaux. Mais on peut passer par le canal des organismes d’aide humanitaire efficace. Dans ce cas, l’excuse n’a plus aucun fondement. Donc, ce serait presque aussi facile, pour les Occidentaux, d’envoyer à ces organismes humanitaires une somme équivalent au prix du sandwich que, pour M. X...., de donner le sandwich à l’enfant.7. Pour Heidegger, il s’agit de demander si l’enfant a besoin uniquement de ce sandwich ou carrément d’un poulet ; il a faim d’accord mais de quoi a-t-il vraiment besoin pour boucher son estomac ? D’où, on peut supposer que du point de vue heideggérien M. X... n’a commis aucune atteinte à l’ordre éthique ou moral. Pour cela, il nous demande de savoir que celui qui donne pour donner sans auparavant requérir l’avis de la personne nécessiteuse commet une faute grave qui ontologiquement voire même moralement n’est ni justifiable ni défendable. Heidegger distingue deux formes de « sollicitude » ou d’« assistance » inauthentique et authentique. La « sollicitude inauthentique » : « peut ôter pour ainsi dire le “souci” à l’autre, et, dans la préoccupation, se mettre à sa place, se substituer à lui. Cette sollicitude assume pour l’autre ce dont il y a à se préoccuper. L’autre est alors expulsé de sa place, il se retire, pour recevoir après coup l’objet de préoccupation comme quelque chose de prêt et de disponible, ou pour s’en décharger complètement. Dans une telle sollicitude, l’autre peut devenir dépendant et assujetti, cette domination demeurerait-elle même 6

RACHELS J., « Tuer et laisser mourir de faim », in NEUBERG M., La responsabilité. Questions philosophiques, Paris, P. U. F., 1997, p. 195. 7 Ibidem, p. 198.

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silencieuse au point de lui rester voilée. Cette sollicitude qui se substitue, qui ôte le “souci” détermine l’être-l’-un-avec dans la plus large mesure, et elle concerne le plus souvent la préoccupation pour l’à-portée-de-lamain. »8. Par contre M. X... en ignorant l’enfant affamé, on dirait du plan de Heidegger qu’il avait fait preuve de « sollicitude authentique » qui en tant que telle : « (...) ne se substitue pas tant à l’autre qu’elle ne le devance en son pouvoir-être existentiel, non point pour lui ôter le “souci”, mais au contraire et proprement pour lui restituer. Cette sollicitude, qui concerne essentiellement le souci authentique, c’est-à-dire l’existence de l’autre n’est pas quelque chose dont il se préoccupe, aide l’autre à se rendre transparent dans son souci et à devenir libre pour lui. »9. Bien évidemment, il n’est pas question pour J. Rachels de voir les choses de cette façon-là. C’est ainsi qu’après la différence géographique, il révèle la différence d’ordre purement quantitatif. Dans l’exemple fictif de J. Rachels, un individu, M. X...., est confronté aux besoins d’un autre individu, ce qui rend sa position relativement simple. Pour l’Occidental, la situation est plus compliquée, et c’est de deux façons : premièrement, des millions de gens ont besoin d’être nourris, et aucun des Occidentaux ont besoin d’être nourris, et aucun de ceux-ci n’a les moyens de les aider tous ; et deuxièmement, pour chaque personne qu’un Occidental pourrait aider, il y a des millions d’autres personnes qui pourraient le faire aussi facilement que lui10, mais malheureusement personne ne le fait. Et si, personne ne le fait, c’est la faute à personne. Car les gens à sauver de la faim sont tellement nombreux que nul n’a les moyens de donner à manger à tout ce grand monde. Il faut être réaliste ; et savoir surtout, ainsi que le relève J. Rachels, qu’aucun Occidental n’a, en tant qu’individu, la responsabilité de sauver tout le monde. Cependant, Il ne s’ensuit nullement que les Occidentaux soient dégagés de l’obligation de sauver tel ou tel individu, ou même le plus de gens possible. Pour Richard Trammell11, une différence importante, du point de vue moral, entre tuer et laisser mourir, réside dans la possibilité de s’acquitter

8

Sein und Zeit, p. 122, tr. fr., Martineau, p. 105 (Boehm et de Waelhens, pp. 153-154, Vezin, p. 164. 9 Sein und Zeit, p. 122, tr. fr., Martineau, p. 105 (Boehm et de Waelhens, p. 154, Vezin, p. 164. 10 Ibidem, p. 199. 11 RACHELS J., « Tuer et laisser mourir de faim », in NEUBERG M., La responsabilité. Questions philosophiques, Paris, P. U. F., 1997, p. 195.

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de son devoir12. Qu’est-ce que cela signifie ? R. Trammell dit que si chacun des Occidentaux peut s’acquitter complètement du devoir de ne pas tuer, aucun d’eux ne pourrait s’acquitter totalement du devoir les prescrivant de sauver tous ceux qui ont besoin d’aide. L’argument tient débout même si le devoir de sauver est restrictif. Or, la restriction pourrait donner lieu à un argument du genre de la part de M. X.... « Je ne vois pas pourquoi je donnerais mon sandwich à cet enfant affamé, car, après tout, je serais incapable de sauver tous ceux qui, dans le monde entier, demandent à être sauvés ». Pour J. Rachels, si pareille excuse ne vaut pas pour M. X...., celle-ci ne peut pas servir non plus à justifier la passivité des Occidentaux vis-à-vis des enfants qu’ils pourraient sauver en Inde ou en Afrique13. Pour clore la brève analyse de la thèse de l’Equivalence, J. Rachels relève : « Le but de ce qui précède n’est pas de prouver qu’il est aussi grave de laisser des gens mourir de faim que de les tuer. Mais il apparaît néanmoins clairement que le fait de laisser mourir quelqu’un est beaucoup plus grave qu’on ne le pense généralement, et que cette passivité est donc beaucoup plus proche de l’homicide qu’on ne le suppose habituellement. Ces réflexions contribuent également à mettre en évidence la fragilité de nos intuitions en la matière. Si nous voulons découvrir la vérité, il est donc préférable de se baser sur des arguments reposant sur autre chose que des intuitions non vérifiées »14. 3. La validité de la Thèse de l’Equivalence La Thèse de l’Equivalence, ainsi que nous venons de le voir, est une affirmation concernant les critères moralement pertinents susceptibles de fonder un jugement de valeur. Ainsi, tuer ou laisser mourir peuvent être moralement justifiables. Prenons deux exemples pour comprendre. Le premier exemple met en exergue la famille d’un patient plongé dans un coma irréversible ; laquelle souhaite qu’on le laisse mourir, mais ne veut pas qu’il soit tué (le motif de cette préférence étant par exemple d’ordre religieux), on a alors au moins une raison - la préférence formulée par la famille - de laisser mourir le patient plutôt que de le tuer. Mais cela, comme on le voit, ne signifie pas que la distinction entre tuer et laisser mourir soit importante en soi. Ce qui importe dans ce cas, c’est de respecter les souhaits de la famille (il convient souvent de respecter les souhaits des 12

Ibidem. Ibidem, pp. 199-200. 14 Ibidem, p. 202. 13

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gens, même si l’on pense qu’ils reposent sur des fausses croyances). Prenons, à présent, un deuxième exemple dans lequel il est question d’un patient qui souffre d’une maladie mortelle et douloureuse, et, prévoyant une lente et pénible agonie, formule le souhait qu’on mette fin à ses jours. Nous aurions ici une raison de tuer plutôt que de laisser mourir, mais encore une fois, cette raison n’est pas que l’une des alternatives est intrinsèquement préférable à l’autre, mais bien que l’une d’elles entraîne davantage de souffrances15. Donc, J. Rachels tient à souligner que son propos ne consiste pas à soutenir qu’il est, dans tous les cas, aussi grave de laisser mourir quelqu’un que de le tuer. Il existe de multiples raisons pour lesquelles, dans des cas concrets, il peut être pire de tuer que de laisser mourir, ou inversement. Il prend deux exemples. Dans le premier exemple, il montre comment si une personne en bonne santé est victime d’un crime crapuleux, tandis que, par ailleurs, on laisse mourir un patient plongé dans un coma irréversible, ayant jugé, après mûre réflexion, qu’il serait vain de le maintenir en vie, il est certain que le crime évoqué est beaucoup plus grave que le fait de laisser mourir le patient. Dans le deuxième exemple, J. Rachels indique comment inversement, si on laisse volontairement mourir une personne malade qui pourrait être sauvée, tandis qu’un patient en phase terminale est tué, à sa demande et par compassion, nous aurions de bonnes raisons d’estimer que, dans ce cas de figure, il est pire de laisser mourir que de tuer. En définitive, le but que poursuit J. Rachels à travers ces deux exemples est celui de montrer, c’est que, quelles que soient les raisons invoquées pour juger un acte pire qu’un autre, le simple fait que l’un consiste à tuer, tandis que l’autre consiste à laisser mourir, ne peut faire partie de ces bonnes raisons. Le raisonnement a trait ici aux liens formels entre les jugements moraux et les raisons qui les fondent. D’un point de vue logique, pour qu’un jugement moral soit vrai, il doit être soutenu par de bonnes raisons ; par exemple, s’il n’y a pas de bonnes raisons pour faire telle ou telle chose, il serait faux de prétendre faire cette chose ; De plus, lorsqu’il faut choisir entre diverses actions possibles, l’option à privilégier est celle qui est soutenue par les meilleures raisons16.

15 16

Ibidem, pp. 202-203. Ibidem, pp. 203-204.

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4. Le caractère contre-intuitif de la Thèse de l’Equivalence On va dire que J. Rachels met en évidence ici les arguments de certains philosophes qui militent pour le rejet de la Thèse de l’Equivalence en tant que susceptible des répercussions radicales sur le comportement de l’être humain. Ainsi, R. Trammell se plaint notamment de ce que « la négation de la distinction entre devoirs positifs et négatifs mène tout droit à une morale tellement stricte qu’elle ferait même hésiter un Saint Jean-Baptiste philosophe »17. Prenons un exemple pour comprendre l’enjeu que suscite pareille thèse sur notre comportement : imaginons que Trésor soit sur le point d’acheter un disque, purement pour le plaisir d’écouter de la musique, et qu’il se souvienne soudain que cet argent pourrait servir à nourrir quelqu’un qui est en train de mourir de faim. Si Trésor adoptait le point de vue défendu ici par J. Rachels dans sa thèse de l’Equivalence, il devrait donner l’argent à une association qui se chargerait de nourrir la personne en question. Conséquence : ayant fait un premier don, Immaculée Osongo n’est plus libre de débourser la même somme pour acheter son disque. Car les pauvres sont toujours là autour de lui : il y a toujours une autre personne qui doit être nourrie, et puis une autre, et puis encore une autre, etc. Pour J.Trammell : « Le problème est que, si le fait d’accomplir un geste altruiste ne nécessite somme toute qu’un effort minime, il crée cependant un précédent pour des millions d’autres efforts semblables »18. On en arrive donc, relève J. Rachels, à l’étrange conclusion selon laquelle il est presque toujours immoral d’acheter un disque ! Et il en va de même pour les vêtements de luxe, les voitures, les jouets, etc. Ainsi, tant qu’il y aura des pauvres, il n’y aura jamais quelqu’un pour s’acheter quelque chose ! Autrement dit, on est fait pour l’autre. Une telle logique est-elle moralement, éthiquement défendable. L’assistance doit-elle être impérative ou hypothétique ? Suivant la perspective heideggérienne, que nous allons découvrir dans un instant, l’assistance doit être authentique, c’est-à-dire relevant d’un souci d’être que l’être-là de l’homme assume luimême. Et la déclaration suivante de Heidegger clarifie définitivement son point de vue : « La sollicitude apparaît ainsi comme une constitution d’être du Dasein qui, suivant ses possibilités diverses, est aussi bien solidaire de son être vis-à-vis du monde de la préoccupation que de son être authentique vis-à-vis de lui-même. L’être-l’-un-avec-l’autre se fonde de prime abord, et même souvent exclusivement, dans ce qui fait l’objet d’une 17 18

Ibidem, p. 209. Ibidem.

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préoccupation commune dans cet être. Un être-l’-un-avec-l’autre provenant de ce que l’on fait la même chose se tient non seulemnt le plus souvent dans des limites extérieures, mais encore revêt le mode de la distance et de la réserve. L’être-l’un-avec-l’-autre de ceux qui sont attelés à la même affaire ne se nourrit souvent que de méfiance. Inversement, l’engagement commun pour la même chose est déterminé par le Dasein à chaque fois saisi de manière propre. C’est seulement cette solidarité authentique qui rend possible la “pragmaticité” vraie qui libère l’autre, sa liberté, vers lui-même. »19. 5. Les termes ontologico-phénoménologiques de l’assistance sociale « à la Heidegger » Dans son maître ouvrage Être et Temps, Heidegger détermine l’être-là de l’homme comme souci (Sorge). Celui-ci est à la fois « souci-pour-soi » (Selbtsorge), « souci-pour-les choses » (Besorgen) et « souci-pour-les autres » (Fürsorge). C’est à travers la structure du « souci » que Heidegger aborde la question de l’assistance sociale. Avant de nous étendre là-dessus, permettons-nous une précision que le « souci » dont il est question n’a rien à voir avec nos soucis quotidiens : perte d’emploi, chômage, pauvreté, richesse, ethnocentrisme, entre autres. Il s’agit du « souci-pour-être-soimême ». Le souci est l’être-là de l’homme aussi bien dans sa modalité authentique que dans sa modalité inauthentique20. Aussi bien l’existential de souci, dans l’ontologie fondamentale, n’a rien à voir avec le genre de souci lié aux préoccupations ontiques, c’est-à-dire quotidiennes. Il s’agit d’un souci existential enraciné dans l’essence même de l’être-là de l’homme comme tel. Dès lors, « avoir du souci » n’est plus réductible à avoir du souci pour l’argent ou pour le manger par exemple, mais c’est au contraire « avoir du souci » pour son destin (Geschik) d’être-pour-lamort ». Ce souci ontologique, l’être-là de l’homme ne le rencontre que dans l’épreuve de l’angoisse (Angst)21. Nous n’allons pas nous étendre en longueur sur le concept d’angoisse et sa place charnière dans l’ontologie fondamentale de Heidegger puisque ce n’est pas là l’objet de ce cours mais, en revanche, nous allons poursuivre l’analyse de l’existential de souci afin de relever la distance que Heidegger intercale entre la connotation ontologique du souci et la signification 19

Sein und Zeit, p. 122, tr. fr., Martineau, p. 105 (Boehm et de Waelhens, p. 154, Vezin, pp. 164-165. 20 VATTIMO G., Introduction à Heidegger, p. 53. 21 GREISCH J., Ontologie et temporalité, pp. 236-237.

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ontique du même existential à savoir le souci. Heidegger écrit : « La préoccupation » pour la nourriture et le vêtement, les soins donnés au corps malades sont eux aussi sollicitude. Toutefois, nous comprenons cette expression, comme c’était le cas pour notre usage terminologique de la « préoccupation », comme un existential »22. S’agissant du « souci » (Sorge) (§§ 41, 42), Heidegger nous demande de distinguer très nettement d’un côté les « Soucis originels » et de l’autre côté les « soucis ontologiques ». Venons-en à présent aux manières d’être ou d’agir de seconde importance du « souci originel ou ontologique ». Celles-ci sont de trois sortes : « souci-pour-soi », « souci-pour-les-choses » et « souci-pour-les autres ». Ces trois manières d’être ou d’agir sont foncièrement caractéristiques de la « sollicitude ». Nous allons commencer en premier lieu par l’analyse du « souci-pour-soi ». En effet, Heidegger considère que l’être du Dasein est fondamentalement « souci ». C’est, donc, un être pour lequel, en son être, il y va de cet être même. Le « y aller de... », pour Heidegger, s’est déjà clarifié dans la constitution d’être du comprendre comme être qui se projette vers le pouvoir-être-le propre. Et c’est par rapport à ce « pouvoir-être » que le Dasein de l’homme est à chaque fois comme il est : « Le Dasein, en son être, s’est à chaque fois déjà confronté avec une possibilité de lui-même »23. Pour Heidegger, la structure du « souci-pour-soi » concerne le tout de la constitution du Dasein de l’homme. Autrement dit, « l’être-en-avant-de-soi » caractéristique du souci ne signifie pas quelque chose comme une tendance isolée d’un « sujet » sans monde, au contraire cette tendance d’« être-pour-soi » propre caractérise l’être-au-monde, c’est-à-dire détermine le Dasein de l’homme. Après l’analyse du « souci-pour-soi », nous allons en venir, à présent, à celle du « souci-pour-les choses » (Besorgen). En tant qu’ouverture au monde, le Dasein de l’homme observe un certain enthousiasme à l’égard des choses dans le monde. Cependant, cette structure du « souci-pour-les choses » est, en tant que telle, inadéquate pour qualifier le Dasein de l’homme. Or, la structure qui le caractérise à la rigueur est celle du « soucipour-les autres » (Fürsorge), cela en tant que « être-avec » (Mit-sein), « être-en-commun » (Mit-einander-sein), mieux, « être-avec-autrui » (Mitdasein). La « sollicitude » ou Fürsorge permet au Dasein de porter ses 22

HEIDEGGER M., Sein und Zeit (Être et Temps), pp. 121-122, tr., fr., Martineau, p. 104 (Vezin, pp. 163-164, De Waelhens, p. 153). 23 Ibidem, p. 191, tr., fr., Martineau, p. 147 (Vezin, p. 218, De Waelhens, p. 210).

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soucis vers les autres êtres-là. Cependant, il n’est pas admissible de confondre la « Sollicitude inauthentique » et la « sollicitude authentique ». C’est, à travers la manière d’être ou d’agir du « souci-pour-les autres », mieux, de « sollicitude » (Martineau), de « souci mutuel » (Vezin) ou d’assistance » (De Waelhens), que Heidegger introduit une différence entre « assistance inauthentique » et « assistance authentique ». Nous allons avant tout commencer par faire voir comment il décrit l’« assistance inauthentique ». Heidegger décrit celle-ci comme une sollicitude qui peut : « (...) ôter pour ainsi dire le “souci” à l’autre, et, dans la préoccupation, se mettre à sa place, se substituer à lui. Cette sollicitude assume pour l’autre ce dont il y a à se préoccuper. L’autre est alors expulsé de sa place, il se retire, pour recevoir après coup l’objet de préoccupation comme quelque chose de prêt et de disponible, ou pour s’en décharger complètement. Dans une telle sollicitude, l’autre peut devenir dépendant et assujetti, cette domination demeurerait-elle même silencieuse au point de lui rester voilée. Cette sollicitude qui se substitue, qui ôte le “souci” détermine l’être-l’unavec-l’autre dans la plus large mesure, et elle concerne le plus souvent la préoccupation de l’à-portée-de-la-main »24. Pour Heidegger, une telle sollicitude, mieux, assistance est foncièrement négative, dominatrice, envahissante : « Une telle assistance, poursuit-il, peut aboutir à mettre autrui en dépendance et en sujétion, cette oppression demeurât-elle silencieuse et dissimulée à l’opprimé. Cette forme d’assistance qui se substitue à l’autre et le prive de ses “soucis” est déterminante pour de larges secteurs de l’être-en-commun »25. Ainsi, à l’encontre de l’« assistance (sollicitude) inauthentique », mieux, « négative », « aliénante », « opprimante », Heidegger est venu à proposer une « assistance authentique », c’est-à-dire « positive », « libératrice ». Il s’agissait pour Heidegger, de concevoir une « sollicitude » qui n’emprisonne pas l’autre être-là de l’homme, c’est-àdire qui ne l’opprime pas, ne le méprise pas, bref une sollicitude libératrice et émancipatrice. Il s’agit, donc, de « laisse-être-l’autre » face à ses « soucis » quotidiens. Il y a, ainsi, face à la sollicitude inauthentique : « La possibilité d’une sollicitude qui ne se substitue pas tant à l’autre qu’elle ne le devance en son pouvoir-être existentiel, non point pour lui ôter le “souci”, mais au contraire et proprement pour lui restituer. Cette sollicitude, qui concerne essentiellement le souci authentique, c’est-à-dire

24 25

Ibidem, p. 122, tr., fr., Martineau, p. 105 (Vezin, p. 164, De Waelhens, pp. 153-154). COURTINE J-F., Heidegger et l’idée de la phénoménologie, Paris, Vrin, 1990, p. 344.

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l’existence de l’autre, et non pas quelque chose dont il se préoccupe aide l’autre à se rendre transparent dans son souci et à devenir libre pour lui »26. Malgré tout, la sollicitude est guidée par l’« égard » et par l’« indulgence ». Mais, le problème de Heidegger consiste à mettre au premier plan de l’existence du Dasein, le mode de la « sollicitude authentique » en espérant « bâtir » une « communauté d’êtres-là authentique », c’est-à-dire sans « interventionnisme » à partir de cette « assistance libératrice » ou « libérale ». J-F. Courtine relève que la « La sollicitude authentique ouvre ainsi la possibilité de “laissser-être” les autres dans ce qui constitue à chaque fois en propre leur pouvoir-être le plus propre. C’est par là que le Dasein peut devenir, comme métaphoriquement “Das Gewissen der Anderen”, où l’on retrouve sans doute un écho de la voix de l’ami que chaque Dasein parle en lui. Cette délivrance est, en tout cas la seule possibilité d’un authentique Miteinandersein qui soit envisagée par Heidegger, et sans doute envisageable dans le cadre de l’analytique existentiale »27. J. Greisch, pour sa part, montre qu’il n’est pas dans l’intention de Heidegger de rapprocher le « souci » de l’aspect purement ontique du « se faire du souci » (Besorgnis) ou de son contraire, l’insouciance (Sorglosigkeit) : « Pour Heidegger, écrit-il, le Dasein n’est pas plus une fourmi qu’une cigale. Le « souci de soi » qui a fourni le titre d’un des derniers ouvrages de Michel Foucault est aux yeux de Heidegger une notion purement tautologique et en ce sens superflue. Le souci ne peut être que « souci de soi » d’un Dasein pour qui il y va nécessairement de son être même. C’est pourquoi il « ne peut pas désigner un comportement particulier vis-à-vis du soi-même, parce que celui-ci est déjà caractérisé ontologiquement par l’« être-en-avant-de-soi »28. Pour P. Ricœur, relevait Delfosse, la sollicitude constitue la deuxième composante de la visée éthique, le souhait d’une vie bonne « avec et pour les autres. Elle désigne la bienveillance spontanée par laquelle, avant toute obéissance à une règle, nous portons vers autrui. Elle n’est donc pas la pitié “où le moi jouit secrètement d’être épargné”. Elle vise la réciprocité qui institue l’autre comme mon semblable et moi-même comme le semblable de l’autre. Elle engage dès lors la recherche d’égalité dans la relation, qui peut être inégalitaire en raison des contextes 26

HEIDEGGER M., Sein und Zeit (Être et Temps), p. 122, tr., fr., Martineau, p. 105 (Vezin, p. 164, De Waelhens, pp. 153-154). 27 COURTINE J-F., Heidegger et l’idée de la phénoménologie, pp. 344-354. 28 GREISCH J., Ontologie et temporalité, p. 237.

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dans lesquels elle s’inscrit ou, plus fondamentalement, de la dissymétrie des positions initiales soulignées par E. Lévinas. Echange entre deux êtres qui, dans leur singularité irremplaçable, se perçoivent mutuellement comme semblables, comme foyers d’estime de soi, elle débouche sur l’estime de l’autre comme un soi-même et sur l’estime de soi-même comme un autre. Or, comme l’indique P. Ricœur, poursuit Delfosse, l’estime de soi se fonde sur le fait de s’éprouver comme un “pouvoirfaire”, un être capable d’agir intentionnellement et d’inscrire ses intentions dans des réalisations effectives. Cette liberté que je suis, je ne puis la démontrer, mais seulement l’attester dans mes actes. Et la sollicitude me conduit à la reconnaître chez autrui à l’égal de moi-même. Dès lors, c’est seulement en me croyant libre que je peux croire à la liberté de l’autre : si je me considère comme entièrement déterminé, autrui ne peut attendre de moi aucun geste responsable à son égard29. À la lumière de ce qui précède, Heidegger contredirait ainsi sur tous les plans la Thèse de l’Equivalence relevée par J. Rachels dans la mesure où on peut, pour Heidegger, “laisser mourir” quelqu’un de faim ou de maladie au nom de sa “liberté”, c’est-à-dire de son “indépendance”, de sa responsabilité et de sa personnalité. Heidegger serait-il, pour cela, un “monstre” ? Encore une fois, la réponse varierait suivant les convictions d’un chacun. Cependant, nous estimons, qu’avant de nous risquer dans une quelconque conclusion sur l’attitude de Heidegger, il serait prudent de savoir, avant tout, le sens que celui-ci impute aux concepts de “liberté” (d’“indépendance”), mais surtout de “responsabilité”, d’autoresponsabilité et de “personnalité”. Pour le savoir, il faudrait préconiser une étude des textes produits par Heidegger à l’époque de l’ontologie fondamentale. Ce que, évidemment à raison de l’économie du texte, nous ne saurions faire, du moins, pour l’instant. Nous notons, toutefois, que si, Heidegger lui-même n’a jamais prétendu élaborer une philosophie pratique, c’est-à-dire une éthique ou une morale, nous relèverons, en revanche, comment la disposition pratique qui accompagne son ontologie fondamentale n’a vraiment jamais été possible que grâce à sa lecture agissante des philosophies pratiques d’Aristote, de Kant, de Fichte et de Schelling30. Et on 29

Cf. RICŒUR P. cité par DELFOSSE M-L., L’expérimentation médicale sur l’être humain. Construire les normes, construire l’éthique (Préface de Jean LADRIERE), Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1993, p. 264. 30 Cf. OSONGO-LUKADI A-D, La philosophie pratique à l’époque de l’ontologie fondamentale. Le dialogue de Heidegger avec Kant, Paris, L’Harmattan, 2000 (plus précisément les chapitres sur la liberté et le respect chez Kant).

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comprend, bien sûr parfaitement la “déception” de J. Greisch et de P. Ricœur qui lui reprochent d’avoir manqué de faire le pas de la morale vers l’ontologie, alors qu’il a lui-même – et ce malgré ses dénégations dans Sein und Zeit – cherché à faire, mais sans jamais l’avoir avoué, ce pas de l’ontologie vers la morale.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Dans ce quatrième tome, comme dans les trois tomes précédents, résultant de nos recherches et études postdoctorales à l’Université de Poitiers en France, sans oublier les résultats du doctorat lui-même à l’Institut Supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain en Belgique, relève un combat herméneutique. La philosophie herméneutique, le “conflit” des interprétations est le fil conducteur, même s’il ne s’agit que de conflit comme pont entre savoir, avoir, connaître et convaincre. Dans le domaine herméneutique, le conflit n’est pas éternel, mais provisoire, sinon ce n’est plus de l’herméneutique, mais alors autre chose. Le débat avec Heidegger est perpétuellement dans l’inconnu inachevé, mais dont seule l’herméneutique comme méthode d’analyse, d’interprétation et de discussion offre une sortie. On verra par exemple ici que si l’histoire et la tradition sont deux concepts suffisamment reconnus par Heidegger au détriment de la culture comme philosophie, en forçant une lecture herméneutique, on finit par s’apercevoir que c’est finalement la culture que Heidegger approprie comme le lieu par excellence du Dasein de tout homme. L’analyse et la description ontologico-phénoménologique et herméneutique des concepts d’histoire de culture et de tradition prouve en suffisance, qu’en dépit de sa volonté ferme de ne pas mélanger l’ontologie fondamentale des préoccupations “moralisantes” et “culturisantes”, Heidegger avait été loin de respecter sa propre consigne ; celle de ne pas entreprendre une philosophie de la culture ; une preuve supplémentaire s’il en fallait est la présence de Max Scheler1 dans “Sein und Zeit” et à 1

Max Scheler, né à Munich le 22 août 1874 et mort à Francfort-sur-le-Main le 19 mai 1928, est un philosophe et sociologue allemand. Son père est luthérien, sa mère est juive orthodoxe. Professeur à l’Université de Iéna de 1900 à 1906 puis à Munich de 1907 à 1910. Ses premières œuvres sont marquées par l’influence de Nietzsche et de sa philosophie des valeurs et des intuitions (en particulier le concept de ressentiment développé dans la Généalogie de la morale). En 1902, il rencontre Edmund Husserl dont

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découvert. Qu’avait-il valu à Scheler cette présence ? L’herméneutique si elle est historico-psychologique dira par exemple que c’est parce que Heidegger était marqué par les mêmes problèmes d’ordre social et humain que Scheler ; et si l’herméneutique est structurale, l’interprète donnera à cette présence un sens que les textes lui recommanderont. Malgré, donc, sa rigueur méthodologique, Heidegger a continué à faire usage des concepts liés à l’environnement humain quotidien, même s’il prétend les “ontologiser”, les “phénomélogiser”, les “démétaphyciser” (en se débarrassant du langage de la métaphysique en tant que principal responsable, selon lui, de l’oubli de la question de l’être, nous parlons et pensons mal, dit-il, toujours dans la direction de l’étant au lieu et place de l’Être en tant qu’Être), Heidegger n’en réserve pas moins à la culture, et donc, à la société une place en part entière dans l’articulation de l’ontologie fondamentale élaborée entre 1920-1930. Ainsi, malgré sa propre consigne qu’il s’est fixée sans trembler, Heidegger n’hésita pas un seul instant à se poser des problèmes au moment de l’analyse et l’interprétation des phénomènes du “Man” (On). À telle enseigne qu’une philosophie de la culture, de la société ne peut qu’être possible dans (et à partir de) l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger. Même s’il a montré, en effet, comment du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, l’opinion avait pu désormais se faire pour selon laquelle la compréhension des cultures les plus étrangères et la “synthèse” la pensée (la phénoménologie) le marquera durablement bien qu’il n’ait jamais été son étudiant. En 1910-1911, il donne un cours à la société philosophique de Göttingen. De 1919 à sa mort, il enseigne la philosophie et la sociologie à l’Université de Cologne. Il est considéré de son temps comme l’un des chefs de file de la phénoménologie (avec Nicolai Hartmann, notamment) à laquelle il donne toutefois quelques accents mystiques. Avant sa rupture avec l’Église, il contribue largement au renouvellement de la tradition catholique - Karol Wojtyla, le futur pape Jean-Paul II, qui comptait parmi ses admirateurs, lui consacre sa thèse de 1953. Mais l’entreprise principale de Scheler est la fondation d’une discipline nouvelle : l’ anthropologie philosophique et sa contribution au développement de la sociologie de la connaissance (Wissensoziologie). Sa mort subite par apoplexie l’ empêche de publier plus que les prémices de ce projet (La Situation de l’ homme dans le monde publié l’ année de son décès). Ses élèves Helmuth Plessner et Arnold Gehlen développent cette approche de l’ humain dont ils revendiquèrent ensuite la paternité. Les réflexions sociologiques de Scheler marquent un tournant audacieux dans l’ histoire de la sociologie en tentant un rapprochement entre la démarche des sciences humaines et la phénoménologie (dont le primat subjectiviste et l’ importance accordée à la conscience ne vont pas de soi dans le cadre souvent objectiviste de la sociologie). Cette nouvelle perspective aura un écho, notamment, dans les travaux des sociologues Alfred Schütz, Peter Berger et Thomas Luckmann (La Construction sociale de la réalité). (https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal).

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de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein sur lui-même. Comment une curiosité multiplie, une infatigable connaissance de tout organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein (In der besonderen Rücksicht auf die Daseinsauslegung kann jetzt die Meinung aufkommen, das Verstehen der fremdesten Kulturen und die « synthese » dieser mit der eigenen führe zu restlosen und erst echten Aufklärung des Daseins über sich selbst. Vielgewandte Neugier und ruheloses Alles-kennen täuschen ein universales Daseinsverständnis vor)2 Même si pour Heidegger, la question de savoir ce qu’il s’agit à proprement parler de comprendre demeure indécise, et même elle n’est pas posée ; pas davantage ne comprend-on que le comprendre lui-même est un pouvoir-être qui ne doit être libéré que dans le Dasein le plus propre. Dans cette comparaison rassurée et universellement “intelligent” de soi-même avec tout, le Dasein œuvre à une extranéation où son pouvoir-être le plus propre se retire à ses yeux. Tentateur et rassurant, l’être-au-monde échéant est en même temps aliénant (entfremdend) »3 D’où la question de savoir comment devrait-il saisir cette expression : « Dasein universel » ? Est-ce une sorte de prélude au « dialogue interculturel » ? Dans l’affirmative, ce « dialogue » est-il enrichissant ou appauvrissant ? Pour Heidegger, il n’y en aurait la moindre hésitation qu’il s’agit d’un « dialogue » enrichissant pour un « Dasein universel », en effet pour Heidegger, « du point de vue particulier de l’explicitation du Dasein, nous laisse-t-il entendre, l’opinion peut désormais se faire pour selon laquelle la compréhension des cultures les plus étrangères et la “synthèse” de celles-ci avec la sienne propre pourrait conduire à un éclaircissement exhaustif et enfin véritable du Dasein lui-même. Car s’était-il dit une curiosité multiplie une infatigable connaissance de tout organisent l’illusion d’une compréhension universelle du Dasein 4 (Daseinsverständnis) » Tout en se demandant s’il pouvait ce bout de phrase, qu’on vient de lire il y a un instant, - d’ailleurs en elle-même foncièrement ambiguë – comme une forme de légitimation en faveur du « dialogue » interculturel voire d’un « dialogue » tout court dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale 2

Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). 3 Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De Waelhens, p. 218, Vezin, p. 226). 4 Sein und Zeit, p. 178, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De waelhens, pp. 218-219, Vezin, p. 226).

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développée et élaborée par Heidegger dans Sein und Zeit, nous y avons répondu par l’affirmative, malgré cette nuance, mieux, prudence de Heidegger que « cette extranéation (Entfremdung), à son tour, ne peut pas signifier que le Dasein serait facticement arraché à lui-même ; au contraire, elle conduit le Dasein à un mode d’être où l’“analyse de soi” la plus infatigable s’essaie à toutes les possibilités d’interprétations, à tel point que l’on ne parvient plus à dominer du regard les “caractérologies” et les “typologies” qui en résultent. Cette extranéation qui referme au Dasein son authenticité et sa possibilité, serait-ce même celle d’un échec véritable, ne le livre cependant pas à l’étant qu’il n’est pas lui-même, mais le pousse vers son inauthenticité, c’est-à-dire vers un mode d’être possible de luimême. L’extranéation tentatrice et rassurante de l’échéance conduit, en sa mobilité propre, le Dasein à se prendre à lui-même »5. L’herméneutique comme méthode est la seule solution pour pénétrer, connaître et comprendre les auteurs les plus obscurs, les plus fermés tels Héraclite, Nietzsche ou Heidegger ; pour les saisir beaucoup mieux peutêtre qu’ils s’étaient saisis eux-mêmes. Seule la méthode herméneutique peut permettre de faire dire à un auteur ce qu’il n’a pas dit ; seule cette méthode nous a permis de « possibiliser » tout d’abord une « philosophie pratique » comme « pratique éthique de la « normativité » interprétant l’Être en tant qu’Être comme la « norme ; une philosophie de la culture, une philosophie de l’histoire ; une philosophie de la tradition ; et ensuite une « morale constative-explicative-descriptive », mieux, une « phénoménologie praxéologique » dans (ou à partir de) l’ontologie fondamentale de Heidegger. Pour amorcer l’herméneutique d’un texte, il faut une méthode herméneutique. La méthode herméneutique6 consistera donc à mettre au jour le sens latent présent dans le récit en avançant par paliers successifs dans l’interprétation. Il s’agira de s’interroger sur la cohérence interne du texte, sur l’articulation entre les diverses expressions de manière à éclairer la logique interne du texte. On admettra ici que le problème central de l’herméneutique est celui de l’interprétation. Non point l’interprétation en un sens indéterminé quelconque du mot, mais l’interprétation selon deux déteimina- tions : la première concernant son champ d’application, la seconde sa spécificité épistémologique. Prenons la naissance de l’herméneutique philosophique. Pour la petite histoire, l’herméneutique philosophique contemporaine se conçoit comme 5 Sein und Zeit, tr. fr., Martineau, p. 139 (Boehm et De waelhens, pp. 218-219, Vezin, p. 226. 6 Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal

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une théorie de l’interprétation, et de la réception de l’œuvre (littéraire ou artistique). Elle questionne la textualité en elle-même, et son rapport à l’auteur (processus d’explication) et au lecteur (processus de compréhension). L’herméneutique philosophique cherche à analyser ce qui se manifeste, ce qui se présente de soi dans l’œuvre d’art (perspective phénoménologique). Elle pose donc de manière originale le problème de la représentation et de la phénoménalisation, s’inspirant en cela des travaux novateurs de Husserl (lequel avait livré une théorie très élaborée de l’imagination, notamment dans les Ideen I, à défaut d’esthétique à proprement parler). Le langage de l’art représente pour les herméneutes le lieu où la vérité de l’Être se déploie, au-delà de la description scientifique des étants particuliers. L’herméneutique se fonde ainsi sur une nouvelle interrogation du verbe « être », à la fois grammaticale, ontologique et esthétique, à partir des importants travaux de Martin Heidegger dans Être et Temps (et dans ses œuvres ultérieures, dont la tentation hermétiste sera critiquée). L’herméneutique philosophique utilise comme paradigme majeur la poésie, notamment la poésie romantique, surréaliste ou d’inspiration hermétiste, c’est-à-dire la poésie qui ne se comprend pas à la première lecture, mais qui nécessite un effort pour être décryptée. Les philosophes herméneutes analysent par exemple les textes et l’esprit de Hölderlin, Mallarmé, Valéry, Rilke, Artaud ou encore Ponge. Le deuxième grand paradigme de l’herméneutique est le roman, notamment les œuvres subversives qui remettent en cause les normes traditionnelles d’écriture. Ainsi, on croisera sous la plume des grands herméneutes Rabelais, le Marquis de Sade, Joyce, Kafka, Bataille, ou encore d’autres grands écrivains comme Goethe ou Borges. Les figures de cette herméneutique philosophique vont de Martin Heidegger jusqu’à Michel Foucault en passant par Hans-Georg Gadamer, Paul Ricœur et Hans Robert Jauss. Pour commencer, Martin Heidegger étend la conception de Dilthey et conçoit à un certain moment l’herméneutique comme la tâche même de la philosophie si l’existence – objet de la philosophie – demande à être interprétée et si elle n’est autre qu’un processus d’interprétation, une compréhension de soi. L’herméneutique est en ce sens un dépassement de la phénoménologie car elle s’applique à ce qui ne se montre pas, à détruire plutôt un rapport de conscience qui dissimule un rapport authentique à l’être. L’herméneutique constitue ainsi l’ontologie ; Gadamer élève de Heidegger, Hans-Georg Gadamer publia en 1960 l’ouvrage qui passe encore pour son livre le plus important : Vérité et Méthode. Cette œuvre affirme, en contestation de la 161

fausse objectivité souvent présente dans les sciences humaines, que « la méthode ne suffit pas ». Une œuvre ne peut pas être expliquée uniquement selon notre propre horizon d’attente. La lecture est faite dans la tension existant entre le texte du passé et l’horizon d’attente actuel. De plus, Gadamer affirme que « tout texte est réponse à une question. » Si le texte parle encore aux lecteurs présents, c’est qu’il répond encore à une question. Le travail de l’historien est de trouver à quelle question le texte répondait dans le passé et à laquelle il répond aujourd’hui ; Paul Ricœur qui entreprend une herméneutique du soi, herméneutique dans la mesure où le moi ne se connaît pas par simple introspection, mais par un ensemble de symboles. Il s’agit de déchiffrer le sens caché dans le sens apparent. Pour Paul Ricœur, la psychanalyse est une forme d’herméneutique (interprétation des symptômes du malade) ; Hans Robert Jauss, appartenant à l’École de Constance, dans Pour une esthétique de la réception (1972), reprenant les enseignements de Gadamer, affinera la théorie herméneutique. Il proposera l’usage d’une « triade » herméneutique pour l’étude des œuvres ; c’est qui établit une triade herméneutique qui portera son nom : -l’interprétation du texte où il faut réfléchir, rétrospectivement et trouver les significations ; -la reconstruction historique, où l’on cherche à comprendre l’altérité portée par le texte ; -la compréhension immédiate du texte, de sa valeur esthétique et de l’effet que sa lecture produit sur soi-même ; pur Jauss l’herméneute qui utilise ce modèle s’implique donc énormément dans l’étude et tente de comprendre la valeur novatrice de l’œuvre ; enfin en1982, Michel Foucault intitule son cours au Collège de France : « herméneutique du sujet ». Il est question en réalité d’une « herméneutique de soi » au sens d’une forme de connaissance de soi. La notion fondamentale est la pensée grecque de l’epimeleia heautou (le souci de soi). Cette question est en même temps esthétique : une « esthétique de l’existence » entendue comme une éthique, soit la production de normes qui ne soient pas cryptées, mais que le sujet fonde ou découvre, et par lesquelles il se découvre également. Foucault considère que la « généalogie » nietzschéenne, qui interprète les jugements de valeur (vrai/faux, bien/mal, beau/laid) à partir de l’histoire et de la physiologie (état de santé du corps), est une herméneutique. La tradition désigne la transmission continue d’un contenu culturel à travers l’histoire depuis un événement fondateur ou un passé immémorial (du latin traditio, tradere, de trans « à travers » et dare « donner », « faire passer à un autre, remettre »). Cet héritage immatériel peut constituer le vecteur d’identité d’une communauté humaine, élément pouvant contribuer à son ethnogenèse. Dans son sens absolu, la tradition est une 162

mémoire et un projet, en un mot une conscience collective : le souvenir de ce qui a été, avec le devoir de le transmettre et de l’enrichir. Avec l’article indéfini, une tradition peut désigner un mouvement religieux par ce qui l’anime, ou plus couramment, une pratique symbolique particulière, comme les traditions populaires. Dans le langage courant, le mot tradition est parfois employé pour désigner un usage, voire une habitude, consacré par une pratique prolongée au sein d’un groupe social même restreint (par exemple une tradition familiale). Le concept de tradition revêt un sens différent dans le mot traditionalisme, qui représente une volonté de retour à des valeurs traditionnelles, et non de transmission d’un héritage à travers l’évolution historique. Le traditionalisme est l’opposé du progressisme. Il ne s’agit donc pas d’une notion directement liée à la définition première de la tradition7. « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social8. Si nos recherches postdoctorales effectuées tant à l’institut Supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain (Belgique) qu’au Centre des Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand du Département de Philosophie de l’Université de Poitiers (France) ont retenu l’attention de pas mal de connaisseurs voire simples lecteurs ; des recherches ayant portées sur le double visage de l’ontologie fondamentale heideggérienne l’un portant sur la possibilité d’une “morale constative-explicativedescriptive” et l’autre sur la présence d’une “philosophie de la culture”, l’usage de l’herméneutique comme méthode d’approche y a été pour beaucoup. En effet, nous avons fait parler aussi voire surtout les textes de Heidegger, plutôt que celui qui les a produits. Si plusieurs commentateurs de Heidegger - même parmi les plus célèbres – n’ont pu jamais faire une lecture autre que celle que Heidegger leur a proposée, ce n’est pas tout simplement par la peur du crime de lèse-majesté consistant à y aller à l’encontre du magister dixit, mais c’est également et surtout par manque de curiosité intellectuelle, par manque de caractère. Dans ces commentateurs-là figurent nos propres formateurs, qui nous ont fait découvrir Heidegger et Sein und Zeit, par simple souci du quand dira-t-on, la peur d’être mis à l’index par les puissants de cette humanité ; ceux qui détiennent le Bic rouge et noir, qui disent ce qui est philosophique et ce qui ne l’est pas, ce qui vaut pour vérité philosophique et ce qui ne vaut pas, 7

https://fr.wikipedia.org/wiki/ Cf.Définition de la culture par l’ UNESCO - Federal Council www.bak.admin.ch/bak/fr/home/themes/definition-de-la-c... 8

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etc. Or, seule l’herméneutique dans son double visage à la fois psychologico-historique et structuro-ontologico-positiviste peut déterminer ce qui est vrai ou faux dans un texte ; le texte porte en lui-même, dans sa propre structure donc, le vrai et le faux. Il se présente aux lecteurs tel quel, et non comme nous aurions voulu le voir ou le présenter, c’est pourquoi il faut le lire plutôt que le penser ou l’imaginer. C’est pourquoi nous sommes persuadé que beaucoup n’ont pas ou jamais lu Heidegger lui-même, autant qu’ils ne l’ont pas ou jamais compris. Or ceux-là doivent méritoirement se taire. Il vaut mieux. La philosophie gagnerait beaucoup en crédit. Nous admettons ici, avec Paul Ricœur, que le problème central de l’herméneutique est celui de l’interprétation. Non point l’interprétation en un sens indéterminé quelconque du mot, mais l’interprétation selon deux déterminations : la première concernant son champ d’application, la seconde sa spécificité épistémologique. En ce qui concerne le premier point, je dirai qu’il y a un problème de l’interprétation parce qu’il y a des textes, des textes écrits, dont l’autonomie des difficultés spécifiques. J’entends par autonomie, l’indépendance du texte à l’égard de l’intention de l’auteur, de la situation de l’œuvre ou du rapport à un lecteur originel. Ces problèmes sont résolus dans le discours oral par la sorte d’échange ou de commerce que nous appelons dialogue ou conversation. Avec les textes écrits, le discours doit parler par lui-même. Disons donc qu’il y a des problèmes d’interprétation parce que la relation écrire-lire n’est pas un cas particulier de la relation parler-écouter telle que nous la connaissons dans la situation de dialogue. Tel est le trait le plus général de l’interprétation en ce qui concerne son champ d’application ». Et P. Ricœur de poursuivre « Deuxièmement, le concept d’interprétation paraît, au niveau épistémologique, comme concept opposé à celui d’explication. Pris ensemble ces deux concepts constituent une paire contrastée qui a suscité maintes disputes depuis le temps de Schleiermacher et de Dilthey ; selon cette tradition, l’interprétation a des connotations subjectives spécifiques, telles que l’implication du lecteur dans le processus de compréhension et la réciprocité entre l’interprétation du texte et l’interprétation de soi-même. Cette réciprocité est connue sous le nom de cercle herméneutique ; elle implique une opposition marquée à la sorte d’objectivité et de nonimplication qui est supposée caractériser l’explication scientifique des choses »9. 9 RICŒUR P., La métaphore et le problème central de l’herméneutique, Revue Philosophique de Louvain, 1972, n°5, pp.93-112

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BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

La présente bibliographie se limite aux ouvrages lus et consultés. Elle se divise en deux parties principales. La première partie porte sur les sources. Elle comporte deux étapes qui portent, d’une part, sur les écrits de Heidegger en version originale et en version traduite et, d’autre part, sur les autres sources. La deuxième partie porte sur la littérature secondaire, livres, articles, etc. 1. Les sources A. Ecrits de Martin Heidegger (1889-1976) 1. Textes allemands a) Gesamtausgabe (Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann) Bd 2 : Sein und Zeit, 1977. Bd 3 : Kant und das Problem der Metaphysik, 1991. Bd 5 : Holzwege, 1977. Bd 6. 1. : Nietzsche I, 1996. Bd 6. 2. : Nietzsche II, 1997. Bd 9 : Wegmarken, 1976. Bd 10 : Der Satz Vom Grund, 1997. Bd 19 : Plato : Sophistes, 1992. Bd 24 : Die Grundprobleme der Phänomenologie, 1975. Bd 25 : Phänomenologische Interpretation von Kants Kritik der reinen Vernunft, 1977. Bd 31 : Vom Wesen der menschlichen Freiheit. Einleitung in die Philosophie, 1982. Bd 40 : Einführung in die Metaphysik, 1983. Bd 42 : Schelling : Vom Wesen der menschlichen Freiheit, 1988. Bd 52 : Hölderlins Hymne « Andenken », 1982. 165

Bd 58 : Grundprobleme der Phänomenologie, 1993. Bd 63 : Ontologie (Hermeneutik der Faktizität), 1988. Bd 65 : Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis), 1989. b) Autres éditions Aufenthalte, Frankfurt, A. M, V. Klostermann, 1989. « Brief über den Humanismus », in Wegmarken, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1967. « Der Feldweg », in Zum 80. Geburtstag von seiner Heimatstadt Messkirch, Frankfurt, A. M., V. Klostermann, 1969, pp. 11-15. « Eileitung zu « was ist Metaphysik », in Wegmarken, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1967. Einführung in die Metaphysik, Tübingen, Max Niemeyer, 1966. Gelassenheit, in Zum 80. Geburtstag von seiner Heimatstadt Messkirch, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1969, pp. 16-30. « Kants These über das Sein (1961) », in Wegmarken, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1967. « Nachwort zu « Was ist Metaphysik », in Wegmarken, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1967. Nietzsche I, Pfüllingen, Günther Neske, 1961. Nietzsche II, Pfüllingen., Günther Neske, 1961. Phänomenologie und Theologie, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1970. Sein und Zeit, Tubingen, Max Niemeyer, 1977 (14è. édition). Vorträge und Aufsätze. Teil 1 (2è. Edition), Pfüllingen, Günther Neske, 1967. Vorträge und Aufsätze. Teil 2 ( 2e. Edition), Pfüllingen, Günther Neske, 1967. Vorträge und Aufsätze. Teil 3 (3è. Edition), Pfüllingen, Günther Neske, 1967. « Vom Wesen des Grundes », in Wegmarken, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1967. « Vom Wesen der Wahrheit », in Wegmarken, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1967. Was heisst Denken ?, Tübingen, Max Niemeyer, 1954. Was ist Metaphysik?, in Wegmarken, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1967. Zur Seinsfrage, in Wegmarken, Frankfurt A. M., V. Klostermann, 1967.

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THERY J-H., « A la recherche du fondement de la morale chez Thomas d’Aquin et Emmanuel Kant. Essai d’éthique philosophique’, ISP-UCL, mars 1983 (dissertation non publiée, mentionnée avec l’autorisation de l’auteur). TROISFONTAINES C-L., ‘Cours de Question approfondie d’épistémologie’, ISP-UCL, 92 / 93 (cous non publié, mentionné avec l’autorisation de l’auteur).

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Table des matières Épigraphe ........................................................................................................ 5 Dédicace ......................................................................................................... 7 Avant-propos ................................................................................................... 9 Préface .......................................................................................................... 39 Postface ......................................................................................................... 45 Introduction générale .................................................................................... 49 Chapitre 1 Tradition comme transmission et comme création ....................................... 57 1. Heidegger et la tradition ...................................................................... 57 2. Tradition comme simple « transmission » ........................................... 62 3. Tradition comme « création » et instance créatrice.............................. 67 4. L’être humain comme œuvre créatrice non-sacralisée .......................................................................................... 71 Chapitre 2 La dimension praxéologique de la geschichtlichkeit : dasein comme zusammhang lebens .............................................................. 75 1. Position du problème ........................................................................... 75 2. Constitution existentiale de l’historialité ............................................. 81 3. Exposition du problème ontologique de l’histoire comme problème historial ....................................................................... 85 4. Historialité et inauthenticité du Dasein ............................................... 91 5. Historialité et enracinement du Dasein dans la temporalité ................................................................................... 97 Chapitre 3 La « phénoménologie de la mort » : une critique virtuelle de l’euthanasie et de la biologie médicale dans l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger ............................................................ 105 1. Entrée en matière ............................................................................... 105 2. Expérimentation de sa propre mort à travers la mort des autres Dasein ................................................................................... 109 3. Délimitation de l’analyse existentiale de la mort par rapport à d’autres interprétations possibles »................................... 114 4. « L’être pour la mort et la quotidienneté du Dasein ............................................................................................... 117 4. « L’être quotidien pour la fin et le concept existential plein de la mort » .................................................................. 120 5. « Projet existential d’un être authentique pour la mort »......................................................................................... 126

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6. Pensées, réflexions, vues, langages classiques sur la mort face aux considérations programmatiques ontologiques, phénoménologiques et herméneutiques ................................................. 134 Chapitre 4 « La dimension phénoménologico-praxéologique de l’assistance sociale comme pragmaticité libératrice » ........................... 143 1. Position du problème ......................................................................... 143 2. La thèse d’Equivalence ...................................................................... 144 3. La validité de la Thèse de l’Equivalence ........................................... 148 4. Le caractère contre-intuitif de la Thèse de l’Equivalence .................................................................................... 150 5. Les termes ontologico-phénoménologiques de l’assistance sociale « à la Heidegger » .............................................. 151 Conclusion générale.................................................................................... 157 Bibliographie générale ................................................................................ 165 1. Les sources ........................................................................................ 165 A. Ecrits de Martin Heidegger (1889-1976) ....................................... 165 1. Textes allemands ............................................................................ 165 2. Traductions françaises .................................................................... 167 B. Autres sources ................................................................................ 169 2. Litterature secondaire ........................................................................ 170 A. Les livres........................................................................................ 170 B. Les articles ..................................................................................... 175 C. Autres ............................................................................................. 190

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Du même auteur Afrique. Négritude et Mondialisation : Lettre d’un Africain « affranchi » à la Négritude de Léon Damas, d’Aimé Césaire et de Léopold Sédar Senghor, Louvain-La-Neuve, CIPA-CIACO, 1999. La phénoménologie pratique à l’époque de l’ontologie fondamentale. Le « dialogue » de Heidegger avec Kant, Paris, L’Harmattan, 2000. Heidegger et l’Afrique. Histoire de réception et paradoxe d’un « dialogue » monologique, Louvain-La-Neuve, Académia-Bryulant, Paris, L’Harmattan, 2001. Les indices d’une « morale constative-explicative-descriptive » dans la pensée de Heidegger, in Sciences et Esprit, Vol 56, Fascicule 1, JanvierAvril 2004. Aux sources de la rationalité stratégico-mécanique. Contribution critique à la critique du négationnisme culturel, Louvain-La-Neuve, Institut Africain du Savoir-IFS, Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique, 2005. Heidegger et la politique. Tentative de dépolitisation : 1920-1933, LouvainLa-Neuve, Institut Africain du Savoir-IFS, Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique, 2006. Le dialogue des créateurs. Essai sur la colonisation passive, Institut Africain du Savoir-IFS, Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique, 2006. Les deux visages » du Dasein heideggérien dans l’herméneutique philosophique de Jean Greisch, in Πηονσισ&Πηρονιμοσ (Revue de Phénoménologie herméneutique et de Sociologie politique), Vol. 4, n° 4, Janvier-avril 2007, pp. 4-15. « La présomption d’extranéation. Le « dialogue » de Sartre avec Heidegger, Louvain-La-Neuve, Editions du Centre des Recherches Phénoménologiques Praxéologiques et des Interculturalités CréatricesCRPIC, Bibliothèque Royale de Belgique, 2006, 2008. Humanisme et métaphysique. Heidegger « interprète » de Sartre, Louvain-LaNeuve, Editions du Centre des Recherches sur la Phénoménologique herméneutique et l’Interculturalité créatrice-CRPIC, Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique, 2008. Culture et Mondialisation. L’« occidentalisation » du monde est-elle un obstacle au dialogue interculturel et au développement intégral des pays du sud ?, Pensée Agissante, Revue trimestrielle de l’Université Saint Augustin, Vol. 23, n°43, Juin-Déc. 2015, pp. 25-40. Histoire et culture. Cheikh Anta Diop, interprète de Hegel, in Pensée Agissante (Revue semestrielle de l’Université Saint Augustin de Kinshasa), Vol. 25, n° 46, juillet-déc. 2017. Comment introduire à la philosophie au 21e siècle ? Questions et réponses africaines, in Pensée Agissante (Revue semestrielle de l’Université Saint Augustin de Kinshasa), Vol. 26, n° 48, juillet-déc. 2018. 195

Kant et la Gestion de l’Espace public. De la critique de la « Communauté internationale » à la fondation d’une « Critique de la raison politique » chez Emmanuel KANT, in Revue Africaine du Savoir-RFS, Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique, Vol.9, N°9, Septembre-Décembre 2018. Quelle éthique pour le développement de l’Afrique noire ? Questions et réponses sur la philosophie, l’histoire, la culture et la politique, in Revue Africaine du Savoir-RFS, Bibliothèque Royale Albert 1er de Belgique, vol.9, N°9, Septembre-Décembre 2018. Quelle éthique pour le développement de l’Afrique noire ?Questions et réponses africaines, in Pensée Agissante (Revue semestrielle de l’Université Saint Augustin de Kinshasa), vol. 28, n°51, pp.63-98.

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