Biosphère et chimie: Un laboratoire naturel 9782759816989

Cet ouvrage présente les phénomènes chimiques qui interviennent dans la biosphère. Il permet de mieux comprendre comment

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Biosphère et chimie: Un laboratoire naturel
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Biosphère et chimie Un laboratoire naturel

Grenoble Sciences Grenoble Sciences est un centre de conseil, expertise et labellisation de l’enseignement supérieur français. Il expertise les projets scientifiques des auteurs dans une démarche à plusieurs niveaux (référés anonymes, comité de lecture interactif) qui permet la labellisation des meilleurs projets après leur optimisation. Les ouvrages labellisés dans une collection de Grenoble Sciences ou portant la mention « Sélectionné par Grenoble Sciences » (Selected by Grenoble Sciences) correspondent à : ––des projets clairement définis sans contrainte de mode ou de programme, ––des qualités scientifiques et pédagogiques certifiées par le mode de sélection (les membres du comité de lecture interactif sont cités au début de l’ouvrage), –– une qualité de réalisation assurée par le centre technique de Grenoble Sciences. Directeur scientifique de Grenoble Sciences Jean Bornarel, Professeur émérite à l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1 Pour mieux connaître Grenoble Sciences : https://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr Pour contacter Grenoble Sciences : Tél : (33) 4 76 51 46 95, e-mail : [email protected]

Livres et pap-ebooks Grenoble Sciences labellise des livres papier (en langue française et en langue anglaise) mais également des ouvrages utilisant d’autres supports. Dans ce contexte, situons le concept de pap-ebook. Celui-ci se compose de deux éléments : ––un livre papier qui demeure l’objet central avec toutes les qualités que l’on connaît au livre papier, ––un site web compagnon qui propose : ››des éléments permettant de combler les lacunes du lecteur qui ne posséderait pas les prérequis nécessaires à une utilisation optimale de l’ouvrage, ››des exercices pour s’entraîner, ››des compléments pour approfondir un thème, trouver des liens sur internet, etc. Le livre du pap-ebook est autosuffisant et certains lecteurs n’utiliseront pas le site web compagnon. D’autres l’utiliseront et ce, chacun à sa manière. Un livre qui fait partie d’un pap-ebook porte en première de couverture un logo caractéristique et le lecteur trouvera la liste de nos sites compagnons à l’adresse internet suivante : https://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr/pap-ebooks Grenoble Sciences bénéficie du soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de la région Rhône-Alpes. Grenoble Sciences est rattaché à l’Université Joseph Fourier de Grenoble. ISBN 978 2 7598 1267 7 © EDP Sciences 2014

Biosphère et chimie Un laboratoire naturel Robert Luft

17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabœuf - BP 112 91944 Les Ulis Cedex A - France

Biosphère et chimie - Un laboratoire naturel Cet ouvrage, labellisé par Grenoble Sciences, est un des titres du secteur Sciences de la Vie de la collection Grenoble Sciences d’EDP Sciences, qui regroupe des projets originaux et de qualité. Cette collection est dirigée par Jean Bornarel, Professeur émérite à l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1. ── ── ── ── ── ──

Comité de lecture de l’ouvrage :  idier Astruc, Professeur à l’Université Bordeaux 1, membre senior de l’Institut D Universitaire de France Rutger de Wit, Directeur de Recherche CNRS, Montpellier Guy Hervé, Directeur de Recherche émérite CNRS, Paris Claude Lance, Professeur honoraire, Université Pierre et Marie Curie, Paris Thierry Lissolo, Maître de Conférences, directeur du département des Sciences de la Vie, Université de Savoie Paulette Vignais, Directeur de Recherche honoraire CNRS, Grenoble

Cet ouvrage a été suivi par Stéphanie Trine pour la partie éditoriale et par Sylvie Bordage & Anne-Laure Passavant du centre technique de Grenoble Sciences pour sa réalisation pratique, avec le concours de Patrick Dessenne pour les figures. L’illustration de couverture est l’œuvre d’Alice Giraud. Autres ouvrages labellisés sur des thèmes proches (chez le même éditeur) : Bactéries et environnement (J. Pelmont) • Respiration et photosynthèse (C. Lance) • Hydrothermalisme (M. Chenevoy & M. Piboule) • Abrégé de biochimie appliquée (A. Marouf & G. Tremblin) • Biodégradations et métabolismes (J. Pelmont) • Glossaire de biochimie environnementale (J. Pelmont) • Mémento technique, à l’usage des biologistes et des biochimistes (A. Marouf & G. Tremblin) • Chimie, le minimum à savoir (J. Le Coarer) • De l’atome à la réaction chimique (R. Barlet et al.) • Chimie organométallique et catalyse (D. Astruc) • Électrochimie, concepts fondamentaux illustrés (C. Lefrou, P. Fabry & J.-C. Poignet) • Électrochimie des solides. Exercices corrigés avec rappel de cours (A. Hammou & S. Georges) • Électrochimie des solides (C. Déportes et al.) • Thermodynamique chimique (M. Ali Oturan & M. Robert) • Radiopharmaceutiques (sous la direction de Michel Comet & Michel Vidal) • Méthodes et techniques de la chimie organique (D. Astruc, en collaboration avec l’Institut Universitaire de France) • Chemogénomique (sous la direction de E. Maréchal, S. Roy & L. Lafanechère) • Bioénergétique (B. Guerin) • Énergie et environnement, les risques et les enjeux d’une crise annoncée (B. Durand) • L’énergie de demain (Groupe Energie de la Société Française de Physique, sous la direction de J.-L. Bobin, E. Huffer & H. Nifenecker) • Science expérimentale et connaissance du vivant (P. Vignais) • Histoire de la science des protéines (J. Yon-Kahn) • La biologie des origines à nos jours (P. Vignais) • Cinétique enzymatique (A. Cornish-Bowden, M. Jamin & V. Saks) • Enzymes (J. Pelmont) • Enzymologie moléculaire et cellulaire, tomes 1 et 2 (J. Yon-Kahn & G. Hervé) • Éléments de biologie à l’usage d’autres disciplines (P. Tracqui & J. Demongeot) • Physique et biologie (B. Jacrot) • L’air et l’eau. Alizés, cyclones, Gulf Stream, tsunamis et tant d’autres curiosités naturelles (R. Moreau) • Sous les feux du Soleil, vers une météorologie de l’espace (J. Lilensten & J. Bornarel) • La spectroscopie de résonance paramagnétique électronique, tomes 1 et 2 (sous la direction de P. Bertrand) et d’autres titres sur le site internet : https://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr

Remerciements Ma gratitude va tout d’abord à James Lequeux, astrophysicien (Observatoire de Paris), dont les avis pour la description de « La genèse des espèces atomiques » et les connaissances dans le domaine éditorial m’ont été précieux. L’aide amicale et désintéressée apportée à mon projet, ainsi que les suggestions pour la présentation de l’ouvrage, que j’ai reçues de mes amis Francine et Maurice Chastrette (Université Claude Bernard), Günther Schütz (Euratom - Ispra) et Dieter Bürkle (ELF), sortis de leurs retraites pour une lecture approfondie du texte initial a été un grand soutien pour l’entreprise dans laquelle je m’étais engagé. Je n’oublierai pas non plus de remercier mon collègue Yves Chevalier (UNSA) pour ses conseils dans le domaine des Sciences de la Terre. Aux consultants scientifiques chargés par Grenoble Sciences de l’expertise de mon projet je tiens à dire combien, grâce à leurs rapports, leurs conseils judicieux, ainsi que leurs relevés précis de passages critiquables, j’ai pu amender la première ébauche du texte. Il m’est particulièrement agréable de remercier Grenoble Sciences et son Directeur, le Professeur Jean Bornarel, pour l’accueil réservé à mon projet. Je tiens à dire à Madame Stéphanie Trine, responsable éditoriale, combien j’ai apprécié sa disponibilité, son ouverture à mes sollicitations, tout comme son action méticuleuse pour éliminer les défauts de mon manuscrit grâce à laquelle Mesdames Sylvie Bordage et Anne-Laure Passavant ont pu accomplir une belle réalisation matérielle. Les encouragements, la patience et le soutien de mon épouse dont j’ai bénéficié au cours de la création du manuscrit m’ont permis, pour une part importante, de le mener à bien. Que tous veuillent trouver ici l’expression de mes remerciements sincères et profonds. Nice, été 2014

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Avant-propos La seconde moitié du xxe  siècle a été marquée par de profondes mutations. En France, elles ont provoqué le passage de collectivités en grande partie rurales, fortement imprégnées de leurs traditions de solidarité, vers la société de consommation et de loisirs, hautement urbanisée et individualiste. L’abondance et la diversité des biens matériels que les avancées technologiques ont rendus disponibles sont le fruit des percées réalisées dans un certain nombre de domaines des sciences. Mais cette abondance, outre qu’elle ne profite qu’à une petite minorité de l’humanité, va de pair avec une multiplication des nuisances qui affectent notre quotidien. Aussi, en ce début de nouveau millénaire, l’inquiétude de l’humanité va croissante quant à l’évolution de sa biosphère. Le régime climatique semble évoluer sous l’effet du réchauffement planétaire, entraînant entre autres une nette réduction de l’emprise des glaciers, des périodes de vents violents et de cyclones à travers tous les continents, un accroissement de la pluviosité dans certaines régions et sa diminution dans d’autres, avec son corollaire d’inondations et de submersions des côtes par ci, d’aridité et de progression du désert par là. D’autre part, la croissance de la population mondiale renforce le pillage des ressources naturelles et multiplie les pollutions ; l’agriculture intensive épuise les terres agricoles qui simultanément rétrécissent et se mitent sous l’effet de l’étalement urbain, parallèle au dépeuplement des communes rurales. La densification de la population des villes et la promiscuité qui en résulte inévitablement sont créatrices de problèmes de circulation, de risques accrus d’épidémies, de stress, d’angoisses, d’agressivité, voire de criminalité, etc. L’interaction entre l’homme et la biosphère peut-elle devenir aussi vertueuse que certains aimeraient le voir, ou bien est-elle encore plus pernicieuse que ce que laissent craindre certaines activités dictées par l’appât du gain ? Notre mode de vie doit-il vraiment être révisé à fond sous peine de création de situations catastrophiques ? Pour pouvoir trouver des réponses à ces questions fondamentales, il est indispensable d’identifier et de comprendre les facteurs qui conditionnent l’évolution de la biosphère et leurs mécanismes sous-jacents, pour pouvoir assurer la survie de l’humanité sur notre planète. Parmi ces facteurs les phénomènes chimiques ont un rôle capital, car la chimie est par excellence le moteur des transformations profondes de la composition et de la structure intime de toute espèce matérielle, dans le respect de l’intégrité des noyaux des atomes. Fort heureusement, depuis plusieurs décennies, de grands progrès ont

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été réalisés dans la connaissance des transformations chimiques au niveau de l’Univers, de leur manifestation à celui de la planète Terre, ainsi que de leur puissance et de leur immuabilité. Par ses multiples aspects, la chimie gouverne non seulement une grande partie des activités industrielles, mais elle est surtout le moteur d’un grand nombre de processus indépendants des activités anthropiques. Sans que la plupart des humains en aient conscience, des transformations chimiques en grand nombre se déroulent autour de nous à chaque instant, tant dans l’atmosphère, le sol et les océans, que dans les organismes vivants  ; leurs conséquences sur l’évolution de la biosphère peuvent devenir capitales. La perturbation des états stationnaires de ces processus chimiques par les activités anthropiques et ses conséquences sur le bien-être humain font l’objet d’études de plus en plus approfondies. Toutes ces constatations ne doivent pas faire oublier que la chimie est aussi une belle aventure intellectuelle. N’est-ce pas une prouesse remarquable que d’avoir su décortiquer des structures aussi complexes que celles du cholestérol, de la chlorophylle, de l’acide désoxyribonucléique (ADN), etc., d’avoir ensuite su en inventer les voies de synthèse et réaliser ainsi des copies conformes de ces molécules, assemblées selon des schémas strictement définis, alors qu’on n’a jamais pu voir ou toucher aucun des atomes qui les constituent ? Malheureusement, en ce début de millénaire, l’ampleur et la rapidité de l’évolution des savoirs dans les différents secteurs des sciences et des techniques fait souvent croire au public que la connaissance scientifique constitue, plutôt que le fruit d’observations planifiées, d’expérimentations rigoureuses et de lois issues de raisonnements logiques, un domaine hermétique, hors de sa portée, une sorte de religion et une vérité révélée. Pourtant, quoi de plus rationnel, dans les sciences expérimentales, que la programmation d’une série d’expériences et/ou d’observations, puis l’établissement d’un modèle mathématique, une sorte de règle du jeu du phénomène étudié, prenant en compte l’ensemble des résultats acquis et établissant les limites de validité du domaine exploré ? La théorie qui découle de tels modèles restera toujours subordonnée à des observations et mesures ultérieures et, par là même, entachée d’une certaine incertitude, puis sera invalidée au premier écart entre le modèle et la réalité. Comme l’écrit Claude Bernard, le grand principe expérimental est donc le doute, le doute philosophique qui laisse à l’esprit sa liberté et son initiative, et d’où dérivent les qualités les plus précieuses pour un investigateur en physiologie et en médecine. Il ne faut croire à nos observations, à nos théories, que sous bénéfice d’inventaire expérimental.

Avertissement Ce livre n’est pas un traité de la biosphère, mais un « livre-ressources » mettant en lumière l’intervention de la chimie dans la biosphère depuis la nuit des temps. Il cherche à faire ressentir au lecteur l’existence de systèmes chimiques qui gouvernent le monde depuis sa naissance et dont la perturbation par les pratiques anthropiques peut conduire à des bouleversements imprévisibles. À ce titre nous examinerons les grandes catégories de réactions chimiques qui dominent dans chacun des compartiments de la biosphère, à savoir : réactions ioniques différenciées de la lithosphère et de l’hydrosphère – réactions radicalaires de l’atmosphère – transformations moléculaires dans les processus régissant les organismes vivants. Au-delà des chimistes, des biochimistes et des enseignants de ces matières, ce livre devrait aussi pouvoir retenir l’attention d’un public averti plus large, ouvert aux sciences de la nature et sensible aux problèmes de sa protection. Les figures, les formules structurales et les équations chimiques sont surtout données à titre illustratif, rarement à titre explicatif ou interprétatif. Toutefois, les notations, termes et expressions en usage en chimie pouvant constituer un obstacle pour les lecteurs non-chimistes, nous avons cherché à pallier cette situation au moyen de quelques aides, regroupées dans des annexes à la fin de l’ouvrage. La liste des espèces atomiques de notre planète, appelée « Tableau périodique des éléments » constitue l’Annexe A. Nous représentons ce tableau sous deux formes : la première est celle validée en 2003 par l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée (IUPAC), la seconde est le fruit des avancées les plus récentes dans ce domaine, elle est basée sur un paradigme nouveau. Dans l’Annexe B, nous expliquons la notation des isotopes, en usage chez les atomistes et les astrophysiciens, que nous avons adoptée dans la partie qui traite de la formation des espèces atomiques dans l’Univers. Cette notation diffère de celle en usage chez les chimistes que nous appliquons dans les autre chapitres. Nous transcrivons les noms des substances chimiques selon les recommandations de Nomenclature établies par l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée (IUPAC). Pour le non-chimiste cela constitue un obstacle potentiel ; néanmoins, il n’est pas possible de désigner les corps purs, simples ou composés, autrement que

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par leur nom scientifique et leur formule, sauf à vouloir retourner aux expressions confuses du Moyen Âge et de la Renaissance, où fleurissaient le beurre de zinc ou d’arsenic, les sucres de Diane et de Vénus, la fleur de soufre, le gaz des marais, l’huile de vitriol, l’esprit de sel, la pierre d’enfer, le sel de corne de cerf (ou de licorne), la pierre de lune et d’autres expressions imagées, mais vides de signification scientifique. Afin de permettre aux non-chimistes de retrouver aisément une concordance entre la formule et le nom d’une substance citée dans ce livre, nous avons créé en Annexe C un répertoire à double entrée de ces noms. Le Système International des grandeurs et unités de mesures, au départ une création de la Première République française, fait l’objet de l’Annexe D. Remanié plusieurs fois, au fur et à mesure des progrès de la physique, il a par ailleurs cohabité dans certains domaines avec d’autres systèmes de mesures, avant de devenir l’actuel Système International (SI), reconnu et appliqué par l’ensemble mondial des institutions scientifiques et de normalisation. Dans l’Annexe E nous avons rappelé la notation scientifique des grands nombres, appelée « notation exponentielle », ainsi que les opérations arithmétiques qui en découlent. L’Annexe F décrit les principes de la validation des messages envoyés et reçus. Enfin, dans l’Annexe G nous donnons un bref aperçu de la biographie des personnages cités dans le texte, permettant de mieux les situer dans le domaine historique des Sciences. Pour en faciliter une consultation rapide, nous avons placé tout à la fin de l’ouvrage un glossaire en deux parties. ►► La première réunit les définitions fondamentales de quelques entités de base de la matière : élément, atome, molécule, etc. La signification de la notion d’élément doit retenir particulièrement notre attention, car son caractère d’entité immatérielle n’est pas toujours perçu convenablement, alors que lui seul nous permet d’affirmer par exemple qu’un bloc de cuivre, un morceau de laiton ou de bronze, un cristal de malachite, la liqueur de Fehling, etc. contiennent en commun l’élément cuivre, bien que selon le cas on soit en présence tantôt d’un corps simple métallique, tantôt d’une solution solide de plusieurs métaux, tantôt d’un réseau cristallin ionique ou enfin d’ions solvatés. ►► La seconde partie porte sur des termes utilisés dans le livre et dont la signification précise nous semblait importante à rappeler. Nous espérons que ces différentes annexes, compléments des réminiscences scolaires et/ou universitaires, faciliteront aux lecteurs érudits non-chimistes la lecture de cet ouvrage.

Sommaire Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Première partie - La genèse des espèces atomiques Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Chapitre 1 - Les nucléosynthèses des atomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Deuxième partie - Aspects abiotiques de la biosphère Chapitre 2 - Inventaire de la planète Terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 3 - Les surprises de l’atmosphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 4 - Les phénomènes chimiques de l’hydrosphère . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 5 - La lithosphère et son altération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Troisième partie - La biomasse et sa chimie Chapitre 6 - La vie et la matière vivante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 7 - Inventaire des bioéléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 8 - L’assimilation chlorophyllienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 9 - Glucides, lipides et protéines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 11 - L’espèce humaine et son biotope . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 12 - L’interaction des activités anthropiques avec la biosphère . .

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Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Post-scriptum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223

Annexes Annexe A - Le Tableau périodique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227 Annexe B - Notation des nucléides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229

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Annexe C - Composés chimiques cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe D - Le Système International SI des grandeurs et unités de mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe E - Notation exponentielle des nombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe F - La validation des informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe G - Brèves indications biographiques sur les savants cités . . . . . .

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Bibliographie & Glossaire Ouvrages bibliographiques classés par secteurs d’interêt . . . . . . . . . . . . . 265 Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269 Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

Introduction

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L’espace de Terre que les aventuriers, puis les chercheurs scientifiques, ont successivement exploré comporte plusieurs secteurs matériels connexes. Dans son état initial la planète Terre peut être subdivisée en trois secteurs de base, l’atmosphère, l’hydrosphère et la lithosphère. Au moment de l’apparition sur Terre du phénomène de la vie, au début du second milliard d’années de son existence, il s’y est ajouté un quatrième secteur qui empiète sur les trois précédents ; on peut l’appeler « domaine de la biomasse » ; il englobe tous les secteurs des sphères de base avec lesquels la biomasse interagit. L’ensemble de ces secteurs ou biosphère (bios = vie en grec) est un domaine d’échanges constants et le lieu de résidence d’innombrables organismes végétaux et animaux qui interagissent entre eux et chacun pour sa part avec les secteurs de base ; ils possèdent chacun leur milieu de vie individuel ou niche écologique dans cet ensemble global.

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La biomasse vive échange de l’eau, du gaz carbonique et de l’oxygène avec les trois secteurs de base dans lesquels elle se décharge aussi de ses produits de dégradation, la biomasse morte, et desquels elle tire les éléments nutritifs nécessaires aux organismes vivants. Les matières gazeuses produites au cours de réactions chimiques dans l’atmosphère sont acheminées vers l’hydrosphère et la lithosphère avec l’eau des précipitations. Inversement, les gaz résultant des transformations chimiques au niveau de l’hydrosphère et de la lithosphère s’échappent dans l’atmosphère. Enfin, des particules minérales solides et des sels sont échangés entre l’hydrosphère et la lithosphère.

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Selon le point de vue auquel on se place, la délimitation de la biosphère peut présenter des différences considérables. En théorie elle peut être étendue au système solaire et au-delà, puisque des chutes de météorites, des pierres venues d’ailleurs, peuvent modifier les conditions de vie de notre planète, ainsi qu’en témoigne la chute, il y a environ un siècle, de la météorite qui a ravagé la Toungouska, en Sibérie orientale. On pourrait aussi y adjoindre les secteurs profonds de notre globe, car les activités volcaniques et tectoniques qui y trouvent leur origine peuvent exercer une influence et provoquer des modifications de la biosphère. C’est ainsi qu’en 1883, en Indonésie dans le Détroit de la Sonde, l’île Krakatoa a disparu à la suite de l’explosion de son volcan éponyme (depuis 1930 un nouveau cône volcanique a émergé, formant l’île d’Anak Krakatoa ou fils de Krakatoa). Entendue jusqu’à 5000 km de là, cette explosion a conduit non seulement à 35 000 morts, mais a été accompagnée d’une pluie de cendres répandues sur des centaines de km2, d’un énorme tsunami dont la vague a été observée jusque dans la Manche, ainsi que d’un nuage de poussières qui a tourné plusieurs mois autour de Terre et influé pendant un certain temps sur le climat en faisant écran au rayonnement solaire. Plus raisonnablement, nous limiterons la biosphère, considérée au sens large, à l’espace compris entre la tropopause et la zone de contact de la croûte terrestre avec le manteau supérieur. Cet espace peut être subdivisé en trois secteurs, solide, liquide et gazeux, que nous analyserons successivement sous un angle abiotique. Dans un second temps nous examinerons les apports dus au phénomène de la vie qui a commencé à se manifester au début du second milliard d’années d’existence de Terre et qui nous permet de parler de biosphère. Dans la dernière partie nous passerons en revue un certain nombre d’activités anthropogéniques pouvant avoir une incidence sur l’état de cette biosphère et son évolution. Nous y dépasserons les aspects strictement chimiques, pour mettre en lumière un ensemble de problèmes de société qui y ramènent indirectement. Nous en espérons une meilleure prise de conscience, tant au niveau des individus que des collectivités, de l’existence de limites à leurs activités, à leurs déplacements, à leur mode de vie, en un mot à leur biosphère. Car, si dans le passé le développement technique a conduit en l’espace de quelques décennies, en Amérique du Nord et dans l’Union Européenne du moins, à une abondance et une diversité des biens matériels, provoquant une transformation profonde de la vie domestique et professionnelle de leurs habitants, les nuisances collatérales qui en ont résulté, ainsi que le dénuement dans lequel vit le reste du monde obligeront à des révisions déchirantes dans les domaines économiques et sociaux, sous peine de voir l’humanité se diriger vers son suicide collectif. Pour offrir au lecteur une vue vraiment complète du sujet, nous avons placé en première partie un abrégé de l’histoire de la naissance de l’Univers, focalisé sur celle des éléments chimiques, car, sans eux, il n’y aurait pas de biosphère.

Préambule Dès la plus haute Antiquité, les différentes religions ou ce qui en tenait lieu ont considéré le Monde comme un ensemble immuable, sans début et sans fin, créé d’un seul jet. Cette idée est reprise et enseignée encore aujourd’hui par les religions monothéistes, où Dieu est supposé avoir installé le Monde en sept jours 1. À travers elles le modèle du Monde figé perdure jusqu’à nos jours. Les philosophes ioniens (- 650 à - 500 environ) semblent avoir été les premiers à étudier la Nature sans associer une loi divine à son fonctionnement. Ils ont toutefois conservé l’idée mythique d’une substance origine invisible, sacrée, qu’ils appellent « protyle » ou « hyle » (protos = premier et hylè = matière), mère de toutes les matières réelles, qui leur a fourni l’outil de pensée permettant de rendre cohérente l’idée de permanence du Monde avec leurs observations quotidiennes de l’évolution de la Nature. Thalès de Milet, initié à la géométrie et à l’astronomie par les prêtres de Memphis et de Thèbes, est le premier à avoir fait évoluer l’idée de matière vers une notion scientifique au sens actuel. Il s’efforça d’approfondir les merveilles de la création […] en se demandant : comment et pourquoi tout ce qui existe s’est-il produit ? la matière, d’où vient-elle ? où va-t-elle ? 2. Il est guidé par la curiosité intellectuelle, plutôt que par les nécessités de la vie courante, le premier d’une longue lignée de penseurs grecs recherchant le savoir pour le savoir 3 et établit une première théorie raisonnée de l’origine du Monde, bien qu’elle se rattache à une croyance mésopotamienne selon laquelle l’océan serait à la base du Monde matériel (légende de Gilgamesh). Pour Thalès et ses disciples toutes les substances ne sont que des assemblages d’éléments ou briques d’un substrat de base, l’eau : car, dit-il, l’eau est nécessaire au développement de toute chose. Il indique qu’on peut la convertir en air par « raréfaction » (évaporation) au moyen du feu (la chaleur) et en terre (en solide) par congélation. Ce raisonnement qui prend en compte les états physiques de la matière est caractéristique de l’école ionienne de philosophie dont les représentants s’attachent à l’étude des changements spontanés ou provoqués de la matière, en se fondant sur les principes de génération et de corruption, considérés comme 1 Genèse, chapitres 1 et 2. 2 F. Hoefer (1866) Histoire de la Chimie, tome 1, Firmin Didot Frères, Paris, p. 72. 3 H.M. Leicester (1956) The historical background of chemistry, Dover Publ., New York.

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I - La genèse des espèces atomiques

des évidences. À leurs yeux les transformations basées sur ces principes, visibles pour tous, affectent le substrat primordial invisible, qu’ils appellent hyle, archè = origine, ousia = essence, ou encore hénos = l’Unique, le Premier, celui à partir duquel toute chose est formée et vers lequel toute chose retourne sous l’effet de transformations. Anaximandre parle ainsi de l’archè : L’origine des choses est incommensurable. Tout est formé à partir d’elle, tout y retourne nécessairement. On peut voir là une première forme du principe de la conservation de la matière, affirmé de plus en plus fort dès cette époque. De son côté, Anaximène de Milet considère que tout se forme à partir de l’air. Ce serait donc lui la matière originelle, sujette de façon permanente tant à la raréfaction sous l’effet du feu (chaleur), qu’à la condensation qui conduit à l’eau et à la terre (les roches). Héraclite d’Éphèse enfin estime que c’est le feu [qui] se transforme en le « tout » et le tout en feu comme l’or en monnaie et la monnaie en or. Selon lui, la matière est en continuelle transformation ; παντα ρει, tout est mouvement, par affrontement des contraires chaud / froid, sec / humide, jour / nuit, été / hiver, doux / amer, etc., les quatre premières propriétés affectant plus particulièrement la matière. C’est à Leucippe et à Démocrite d’Abdère que l’on doit la première théorie atomique de la matière, clairement définie. Conservant l’hypothèse fondamentale selon laquelle la matière est éternelle et que rien de matériel ne peut être créé à partir de rien ou transformé en rien, ils admettent que, contrairement à la divisibilité mathématique, la divisibilité physique, c’est-à-dire matérielle, ne saurait être infinie. Pour eux les atomes sont les particules ultimes de la division matérielle, ce sont des unités minimales de la composition de la matière 4. Formés à partir de la même substance origine, perpétuellement en mouvement, différents par la taille, la forme et probablement la masse, ils sont séparés entre eux par du vide. Admettre l’existence de ce vide permet d’attribuer aux atomes la faculté de se mouvoir et d’entrer ainsi en combinaison avec d’autres atomes au cours de chocs qui peuvent aussi défaire les combinaisons. Démocrite établit ainsi la première hypothèse d’une structure corpusculaire, lacunaire, de la matière. Empédocle d’Agrigente, tout en admettant l’existence des atomes, rejette l’idée de leur liberté de mouvement. Dans son enseignement il suppose que toutes les substances matérielles sont formées à partir d’assemblages, en proportions non définies, de quatre substances racines (rhizomata) qui peuvent se présenter sous une forme mâle ou active et sous une forme femelle ou passive. Il leur attribue en outre deux qualités, « amour » (Éros) et « haine » (Polémos), sous l’influence desquelles ils s’attirent ou se repoussent.

4 B. Bensaude-Vincent & I. Stengers (1992) Histoire de la Chimie, éd. La Découverte, Paris.

Préambule 7 Les « racines » (rhizomata ) d’Empédocle

Racine

air

feu

terre

eau

Forme mâle active

vent

flamme

rochers

torrent, mer démontée

atmosphère au repos

lumière

prés, terre cultivée

autres formes d’eau

Forme femelle passive

Pour expliquer la nature, Platon, élève de Socrate, s’écarte de la réalité matérielle, au profit de spéculations intellectuelles du domaine arithmétique et géométrique. Il admet que les quatre racines d’Empédocle, qu’il a été le premier à appeler éléments (stoicheia) 5, sont toutes formées à partir de protyle ou hyle, la matière origine, mais il leur attribue à chacune la forme d’un polyèdre régulier, qu’il justifie par sa théorie de l’harmonie de la nature, ou de sa tendance vers la perfection. Il connaît ainsi cinq polyèdres réguliers « idéaux », le tétraèdre, l’hexaèdre (ou cube), l’octaèdre, le dodécaèdre et l’icosaèdre. Il relève que tous sont inscriptibles dans une sphère, le symbole de l’enveloppe de l’Univers, et que quatre d’entre eux peuvent être obtenus par des combinaisons de triangles rectangles 6.

)(8

$,5

7(55(

($8

&26026

Les polyèdres de Platon

En définitive, il attribue l’hexaèdre ou cube, le polyèdre le plus stable, à la terre, l’élément le plus stable et le plus solide. De même identifie-t-il le tétraèdre au feu, car ses faces triangulaires symbolisent les « langues de feu ». Enfin, il représente l’air par l’octaèdre et l’eau par l’icosaèdre. Il existe une dernière forme polyédrique inscriptible dans une sphère, le dodécaèdre. N’étant pas constructible à partir de triangles, il ne saurait représenter un élément pour Platon qui l’affecte à la représentation de l’Univers ou cosmos. En effet, à son époque on considère que le Monde est constitué de sphères qui s’emboîtent (même aujourd’hui certains parlent encore de la sphère céleste) et le dodécaèdre est la forme polyédrique qui se rapproche le plus de la sphère. Aristote, élève de Platon, restructure les idées de son maître et, en se basant sur le corpus de pensée de l’ensemble des philosophes grecs, établit ses propres principes 5 Nous noterons toujours les quatre éléments d’A ristote en lettres capitales. 6 Platon connaît deux variétés de triangles rectangles : la variété α est obtenue en divisant un carré par ses deux diagonales, la variété β en partageant un triangle équilatéral en six parts égales à l’aide des trois médianes.

8

I - La genèse des espèces atomiques

pour construire une vue du monde qui a perduré près de vingt siècles. Elle imprègne toujours les représentations ou conceptions initiales d’un grand nombre d’adultes et, à travers eux, d’adolescents. En premier lieu Aristote rejette la théorie des atomes de Démocrite, l’idée du vide ne lui paraissant pas logique. Il considère que tout ce qui est matériel est formé à partir de la substance primordiale indifférenciée ou hyle, invisible, sur laquelle seraient plaquées des qualités, des propriétés sensorielles. Les quatre éléments aristotéliciens seraient issus de la combinaison entre la hyle et ces qualités. Pour déterminer celles-ci, il retient l’idée des « contraires » d’Héraclite et limite son choix à celles qui sont organoleptiques, c’est-à-dire capables d’affecter un récepteur sensoriel ; ce sont le « chaud » et le « froid », des qualités mâles, actives, ainsi que le « sec » et l’« humide », des qualités femelles, passives. Ces qualités s’opposent deux à deux, aucune substance ne pouvant être à la fois chaude et froide, ou sèche et humide. Le couplage des propriétés élémentaires conduit alors aux associations : chaud et sec – chaud et humide – froid et sec – froid et humide. /H)(8FDUDFWpULVHFHTXL HVW&+$8'HW6(&

++&2+@2+2

HW

2"&"2+6KȞ">+&2+@6+2

Partant de cette observation, Van Niel propose l’équation plus générale :  



2"&"2+$KȞ">+&2+@$+2



accepteur donneur d’hydrogène d’hydrogène

accepteur donneur hydrogéné déshydrogéné (réduit) (oxydé)

Mais une preuve plus directe de l’origine du dioxygène émis au cours de la photosynthèse a pu être établie en 1941, lorsqu’on a su séparer les isotopes O16 et O18 de l’oxygène et préparer de l’eau H(8O18)H et du dioxyde de carbone C(8O16)2 purs. En soumettant leur mélange à l’assimilation chlorophyllienne il s’est formé du dioxygène (8O18)2 exclusivement (voir l’équation au chap. 3, section 3.2.3). Enfin, en 1939 R. Hill découvre que des chloroplastes isolés, extraits des plantes et placés dans de l’eau débarrassée du dioxyde de carbone qui aurait pu y être dissous, provoquent un dégagement de dioxygène lorsqu’on les place en présence d’un accepteur d’électrons tel que des ions ferricyanure :

2 H2O + 4 [Fe(CN)6]3 - " O2 + 4 H+ + 4 [Fe(CN)6]4 L’expérience de Hill montre que : ►► il est possible d’obtenir du dioxygène lors de photoréactions, ►► la photosynthèse chlorophyllienne doit se dérouler en plusieurs étapes réactionnelles, puisque la formation de dioxygène, l’un des produits de la photosynthèse, a lieu en l’absence de l’un des réactifs, le dioxyde de carbone, ►► puisqu’on recueille du dioxygène en l’absence de dioxyde de carbone, il ne peut s’être formé qu’à partir de l’eau, ►► la formation du dioxygène au cours de la photosynthèse, concomitante à la libération de protons dans le milieu réactionnel, doit précéder la réduction du dioxyde de carbone, tributaire de la présence de protons H+ dans le milieu.

8.1.3 - Synthèse d’ATP par photophosphorylation Dans les organismes vivants, l’ATP fournit, par perte d’un groupe phosphate, l’énergie indispensable au bon fonctionnement du métabolisme. Le mécanisme de

8 - L’assimilation chlorophyllienne

147

sa régénération dans le milieu biologique a fait l’objet de longues recherches qui ont abouti à un modèle satisfaisant grâce à la théorie de la chimiosmose à travers la membrane des cellules proposée en 1961 par P. Mitchell. Nous avons vu plus haut (voir 8.1.1) que le système redox Q/QH2, alimenté en protons du stroma (pH ~ 8) du chloroplaste, se décharge de ceux-ci au niveau du cytochrome b6-f. Celui-ci les transfère au lumen (pH ~ 4), fonctionnant ainsi comme une pompe à protons (pompe redox). Nous avons vu aussi que le complexe CEO libérait des protons dans le lumen lors de la décomposition de l’eau et l’alimentation du photosystème II en électrons. Ces apports créent par conséquent un grand déséquilibre entre les concentrations en protons de part et d’autre de la membrane, ce qui génère une importante différence de potentiel protonique, un gradient le long duquel les protons se déplacent (fig. 8.6).

WK\ODFRwGH

^

PHPEUDQH

S+

+

S+ $'33L

VWURPD

OXPHQ

!$73V\QWKDVH

+

$73

Figure 8.6 - Pompe ATP synthase

Fort heureusement la membrane, très peu perméable aux protons, contient une structure enzymatique, le complexe ATP synthase, qui fonctionne pour sa part comme pompe à protons (pompe ATP synthase) dans le sens lumen → stroma et permet ainsi un certain rééquilibrage des concentrations en protons de part et d’autre des parois membranaires. Le couplage des deux pompes engendre un flux de protons à travers la structure de l’ATP synthase et libère à son niveau suffisamment d’énergie pour réaliser l’addition d’un ion phosphate sur l’adénosine diphosphate ADP.

8.2 - Le double mode d’action de l’enzyme RuBisCO Dans les végétaux, la formation du glucose, le produit phare de l’assimilation chlorophyllienne, est tributaire pour son démarrage de l’action en tant que carboxylase de la ribulose bisphosphate carboxylase/oxygénase RuBisCO. Cette enzyme peut intervenir de deux façons dans les chloroplastes du fait de son affinité, tant pour le

148

III - La biomasse et sa chimie

dioxygène, que le dioxyde de carbone, pour lequel elle est dominante. Mais par suite de la très grande différence de concentration entre ces deux espèces chimiques dans l’atmosphère (21 % O2, ~ 0,04 % CO2), la RuBisCO intervient en permanence sous ses deux modes d’action.

8.2.1 - L’intervention de la RuBisCO en tant que carboxylase En intervenant en tant que carboxylase, la RuBisCO amorce un cycle de réactions appelé cycle de Calvin. Première partie du cycle de Calvin : incorporation d’une molécule de CO2 Le cycle de Calvin se déroule en deux parties ; la première correspond à la fixation du dioxyde de carbone sur une molécule de 1,5-ribulose bisphosphate 4 RuBP et la formation de 1,3-bisphosphoglycérate BPG après hydrolyse du produit intermédiaire. Elle est suivie de la réduction de celui-ci en 3-phosphoglycéraldéhyde AldPG et, en passant par son énol, en 3-dihydroxyacétone phosphate. Étape 1 - Dans le milieu faiblement basique (pH 8) du stroma, sous l’effet de la ribu-

lose bisphosphate carboxylase/oxygénase RuBisCO, une molécule de RuBP subit une carboxylation du carbonyle, puis une hydrolyse qui provoque la coupure de la molécule en deux molécules d’acide 3-phosphoglycérique APG. 3 2&+ +2&22+ &2 +2 +  " " +2  & " 2 +2+  3" 32 3 2&+ DFLGHSKRVSKRJO\FpULTXH ULEXORVHELVSKRVSKDWH SURGXLWGHO¶LQFRUSRUDWLRQ $3* RX3*$HQDQJODLV 5X%3 VRXPLVjO¶K\GURO\VH 32&+ 2 +2+ +2+ 32&+

32&+ +2&22+ 2 +2+ 32&+

Étape 1 : carboxylation et formation d’acide D-3-phosphoglycérique PGA

Cette étape est irréversible, à la différence de celles qui vont suivre. Étape 2 - L’acide 3-phosphoglycérique est l’objet d’une phosphorylation en 1,3-bis-

phosphoglycérate, catalysée par la 3-phosphoglycérate kinase.

4 Dans la description du cycle de Calvin nous ferons appel à la nomenclature des biochimistes pour la désignation des substances. Le préfixe bis est employé lorsque deux groupements phosphate sont situés en deux endroits de la molécule  ; le préfixe di (et tri) indique que deux (resp. trois) groupements phosphate sont enchaînés l’un à l’autre, comme dans l’ion pyrophosphate.

8 - L’assimilation chlorophyllienne

32&+ +2&22+

149

$73 $'3

+ DFLGHSKRVSKRJO\FpULTXH

3 2&+ +2&22 3 + ELVSKRVSKRJO\FpUDWH

Étape 2 : phosphorylation

Étape 3 - Le 1,3-bisphosphoglycérate est réduit sous l’action de NADPH,H+. Cette

oxydo-réduction est catalysée par la 3-phosphoglycéraldéhyde déshydrogénase. La structure rigide de cette enzyme impose un positionnement particulier des réactifs et conduit de ce fait à une configuration chirale stéréospécifique, le D-3-phosphoglycéraldéhyde AldPG. 3 2&+ 1$'3++1$'33 +2&22 3 +

+&"2 +2+ 32&+

Étape 3 : réduction du BPG en AldPG

Le D-3-phosphoglycéraldéhyde AldPG est à la fois à la base de la formation du glucose et de la reconstitution du RuBP qui a capté CO2 à l’entrée du cycle. La formation du glucose ne fait pas partie du cycle de Calvin et sera examinée plus loin, après la description des étapes de la reconstitution du RuBP. Deuxième partie du cycle de Calvin : reconstitution du RuBP Cette partie concerne la reconstitution du 1,5-ribulose bisphosphate RuBP à partir de 5 molécules d’AldPG introduites successivement dans la chaîne réactionnelle. Étape 4 - Introduction du premier AldPG dans la chaîne réactionnelle - Sous l’action

catalytique de la phosphotriose isomérase une molécule de AldPG du milieu est transformée en monophosphate de la 1,3-dihydroxyacétone, celle-ci est aisément déprotonée sous l’effet de la forte électronégativité des atomes d’oxygène portés par deux carbones voisins, pour aboutir à un anion très réactif. ‡‡

+& "2 +& 2+ + & "2+ + +2+ ? 2 2 " 3 2&+ 32&+ 32&+ Étape 4 : formation et déprotonation du monophosphate de la 1,3-hydroxyacétone

Étape 5 - Introduction du deuxième AldPG - L’attaque nucléophile de l’anion issu de

l’étape 4 sur une molécule d’AldPG conduit au fructose 1,6 bisphosphate. La réaction est catalysée par la fructose 6-bisaldolase.

150

III - La biomasse et sa chimie

+& "2 +2+ 32&+

‡‡

+ & 2+ 2 3 2&+

Étape 5 : condensation entre le D-3-phosphoglycéraldéhyde et le dihydroxyacétone phosphate

Étape 6 - Introduction du troisième AldPG - L’action de la transcétolase sur une molé-

cule de fructose-1,6 diphosphate catalyse la rupture de la chaîne carbonée entre les carbones  2 et 3  ; le chaînon le plus court se fixe sur une molécule d’AldGP pour former du D-5‑xylulose phosphate, le plus long se réarrange en D‑4‑érythrose phosphate. 32&+

32&+ UXSWXUH 2"& " +2+ +2+ +2+ 3 2&+

'IUXFWRVH ELVSKRVSKDWH

2"&‡ ‡  +& "4 +2+ +2+ 32&+ 'pU\WKURVH SKRVSKDWH

3 2&+ 2 " &‡ ‡

FRPELQDLVRQ "

+2 " &  +2+ 32&+ FRQGHQVDWLRQGHO¶DQLRQ LQWHUPpGLDLUHDYHF$OG3*

+2&+ 2 +2+ +2+ 3 2&+

'[\OXORVH SKRVSKDWH

Étape 6 : première transcétolation

Étape 7 - Introduction du quatrième AldPG - Le D‑4‑érythrose phosphate (voir

étape 6) subit une réaction d’aldolisation avec une molécule de monophosphate de la 1,3‑dihydroxyacétone (voir étape 4) pour former du D‑1,7‑sédoheptulose bisphosphate qui conduit au D‑7‑sédoheptulose phosphate après hydrolyse. 32&+

3 2&+

2

2

+2&++

+2+ " +2+ +& "4 " +2+ +2+ +2+ +2+ 3 2&+ 32&+ 'pU\WKURVHSKRVSKDWH 'VpGRKHSWXORVHELVSKRVSKDWH "

Étape 7 : aldolisation

Étape 8 - Introduction du cinquième AldPG - La dernière molécule d’AldGP est enga-

gée dans une transcétolation avec 1 molécule de D‑7‑sédoheptulose phosphate.

8 - L’assimilation chlorophyllienne

151

Il se forme une molécule de D‑5‑xylulose phosphate et 1 molécule de D‑5‑ribose phosphate. +2&+ UXSWXUH 2" & " +2+ +2+ +2+ +2+ 32&+

'VpGRKHSWXORVH SKRVSKDWH

+2&+

+2&+

2"&‡ ‡

2 " &‡ ‡

 +&"4 +2+ +2+ +2+ 32&+ 'ULERVH SKRVSKDWH

FRPELQDLVRQ "

+2 " &  +2+ 3 2&+

FRQGHQVDWLRQGHO¶DQLRQ LQWHUPpGLDLUHDYHF$OG3*

+2&+ 2 +2+ +2+ 3 2&+

'[\OXORVH SKRVSKDWH

Étape 8 : deuxième trancétolation

Étape 9 - Le D‑5‑xylulose phosphate s’épimérise et D‑5‑ribulose phosphate sous

l’effet de la phosphopentose‑3 épimérase, tandis que le D‑5‑ribose phosphate s’isomérise en D‑5‑ribulose phosphate par action de la phosphopentose isomérase. La régénération du RuBP s’achève par la phosphorylation des molécules de D‑5‑ribulose phosphate en D‑1,5‑ribulose bisphosphate.

2 +2+ +2+ 32&+ '[\OXORVH SKRVSKDWH

"

+2&+

+ & " 4

3 2&+

2 +2+ +2+

+2+ +2+ +2+

2 +2+ +2+

32&+ 'ULERVH SKRVSKDWH

32&+ 'ULEXORVH ELVSKRVSKDWH5X%3

"

+2&+

32&+ 'ULEXORVH SKRVSKDWH $73 $'3

Étape 9 : réarrangements moléculaires et phosphorylation

Formation du glucose par isomérisation du fructose Le D‑1,6‑fructose diphosphate formé dans le milieu biologique (voir étape 6) peut échapper au cycle de Calvin et s’isomériser en D‑glucose selon la chaîne réactionnelle suivante : ►► le D‑1,6‑fructose diphosphate est hydrolysé sous l’action de la fructose 1,6‑bisphosphatase et se transforme en D‑6‑fructose phosphate par perte d’un groupe phosphate ; ►► le D-6‑fructose phosphate est isomérisé en D‑6‑glucose phosphate par la phosphogluco-isomérase ;

152

III - La biomasse et sa chimie

►► le

passage au glucose par déphosphorylation est réalisé sous l’effet de la glucose 6‑phosphatase. 32&+ +2&+ 2 2 +2+ +2+ +2+ +2+ ? ? +2+ +2+ 32&+ 32&+ 'IUXFWRVHELVSKRVSKDWH 'IUXFWRVHSKRVSKDWH

+&"4 +2+ +2+ +2+ +2+ +2&+ 'JOXFRVH

Figure 8.7- Déphosphorylation et isomérisation de D-1,6-fructose diphosphate

En définitive, l’élaboration de 1 molécule d’hexose (fructose ou glucose) selon le cycle de Calvin consomme 6 molécules de CO2 et conduit au bilan global : &21$'3++$73"KH[RVH1$'3$'33 Le processus est endothermique et l’énergie absorbée correspond à

- ΔG = 75 kJ/mol CO2

Cette énergie est fournie en grande partie par l’adénosine‑5’‑triphosphate (ATP), responsable des transferts du groupement phosphate dans les transformations biochimiques. L’ATP (voir chap. 7 section 7.2, figure 7.6) est le précurseur d’un certain nombre de cofacteurs enzymatiques essentiels, tels que le NAD+ ou le coenzyme A. Le glucose est le produit le plus stable issu du cycle de Calvin. Il est à la fois le combustible du métabolisme vital et la réserve d’énergie d’un grand nombre d’organismes vivants, animaux et végétaux qui en produisent en général plus qu’ils n’en consomment. L’excédent est stocké dans l’organisme sous forme de polymères (cellulose, glycogène, etc.) et devient disponible pour d’autres transformations biochimiques.

8.2.2 - L’intervention de la RuBisCO en tant qu’oxygénase En intervenant en tant qu’oxygénase, la RuBisCO amorce un cyle de réactions appelé « photorespiration ». La photorespiration Dans les végétaux la photorespiration se déroule à travers trois compartiments cellulaires, le chloroplaste, le peroxysome et la mitochondrie. ►► Dans le chloroplaste, la fonction oxygénase de la RuBisCO est responsable de la fixation de 1 molécule de dioxygène sur RuBP. La scission de l’intermédiaire conduit aux acides D‑3‑phosphoglycérique et 2‑phosphoglycolique.

8 - L’assimilation chlorophyllienne

153

+2  & " 4 +2+ 3 2&+

3 2&+ "

3 2&+

IRUPHFpWRQLTXH

3 2&+

IRUPHpQROLTXH

"

3 2&+ 3 2&+ ‡ 22‡ DFLGH' 2 +2  & +2  & +2  &  4  4- SKRVSKRJO\FpULTXH  &2+ " &"4 &2+" +2+ ? " 3 2&+  +2+ +2+ +2+ +2+ 3 2&+

3 2&+

3 2&+

ULEXORVHELVSKRVSKDWH5X%3

+2  & " 4

DFLGHSKRVSKR JO\FROLTXH

Figure 8.8 - Action de la RuBisCO en tant qu’oxygénase

L’acide D‑3‑phosphoglycérique peut intégrer le cycle de Calvin ; l’acide 2‑phosphoglycolique est déphosphorylé en glycolate et migre dans le peroxysome. ►► Dans le peroxysome le glycolate est oxydé en glyoxylate (catalyseur : glycolate oxydase).

HO-CH2-COOH + O2 + H2O " O=CH-COOH + H2O2 2 H2O2 " 2 H2O + O2

Le glyoxylate subit une transamination en glycine qui passe dans la mitochondrie, tandis que le peroxyde de dihydrogène qui se forme accessoirement est décomposé par l’action catalytique de la catalase. L’oxygène est absorbé par le peroxysome. ►► Dans la mitochondrie la glycine subit une oxydation en L‑sérine, accompagnée de la formation de CO2 et [NH4]+.

2 glycine + NAD+ + H2O " L-sérine + CO2 + [NH4]+ + NADH La L‑sérine retourne dans la mitochondrie. À travers la sérine, la photorespiration est liée à la fois au métabolisme du carbone et à celui de l’azote.

La chaîne réactionnelle qui, de l’incorporation de dioxygène sur RuBP, suivie de la dégradation en acide 2‑phosphoglycolique, aboutit à l’expulsion de dioxyde de carbone et à l’absorption d’oxygène, ressemble fort à la respiration animale, d’où son nom de photorespiration.

8.3 - La glycolyse des oses Dans le cytoplasme des cellules le glucose et d’autres oses issus de processus métaboliques sont l’objet de dégradations ; la plus importante est la glycolyse qui libère l’énergie nécessaire à l’entretien des processus biochimiques. Pour tous les oses, la glycolyse aboutit au même produit terminal, l’ion pyruvate. C’est pourquoi nous ne détaillerons ici que le cas du glucose.

154

III - La biomasse et sa chimie

Dans la voie principale de la glycolyse, la « voie glycolytique » ou voie Embden-Meyerhof-Parnas, une première phase correspond au retour du glucose au D‑1,6‑fructose bisphosphate, le véritable intermédiaire de la glycolyse, par le chemin inverse de sa formation. Au cours de la phase suivante le D‑1,6‑fructose bisphosphate est scindé par la fructose 6‑diphosphate aldolase en deux trioses en équilibre céto-énolique, le D‑3‑phosphoglycéraldéhyde AldGP et son isomère, le monophosphate de la 1,3‑dihydroxyacétone (réaction inverse de l’étape 6 du cycle de Calvin). En présence de glycéraldéhyde-phosphate déhydrogénase l’AldGP est oxydé (NAD+) et phosphorylé en D‑1,3‑bisphosphoglycérate, puis perd un groupement phosphate sous l’action de la 3‑phosphoglycérate kinase. 4"& 4 3 4 " &  4 +& "4 +2+ +2+ +2+ " " 32&+ 32&+ 3 2&+ 'SKRVSKRJO\FpUDOGpK\GH 'ELVSKRVSKRJO\FpUDWH 'SKRVSKRJO\FpUDWH

La NADH qui se forme das cette réaction est disponible pour réduire le pyruvate ou l’éthanal dans les fermentations lactique et alcoolique (voir plus loin, section 8.4.2). Le D‑3‑phosphoglygérate qui s’est ainsi formé subit alors une permutation des groupes hydroxyde et phosphate portés par les carbones 2 et 3 de la molécule et devient D‑2‑phosphoglycérate en présence de la phosphoglycérate mutase. Le D‑2‑phosphoglycérate perd une molécule d’eau sous l’effet catalytique de l’énolase et devient phosphoénolpyruvate. Celui-ci est déphosphorylé par l’action de la pyruvate kinase et se transforme en pyruvate. " &

" &

 4 " &  4 4"&4 4"&4 $'3 $73 4 " &  4 &"4 &4 3 +2+ +2 3 &+ &+ 32&+ +2&+ 'SKRVSKRJO\FpUDWH 'SKRVSKRJO\FpUDWH SKRVSKRpQROS\UXYDWH S\UXYDWH

Figure 8.9 - Dégradation aérobie du D‑3‑phosphoglycérate en pyruvate

Cette dernière réaction clôt la glycolyse.

8.4 - Le métabolisme de l’ion pyruvate Selon la nature aérobie ou anaérobie du milieu, on peut distinguer plusieurs voies d’évolution de l’ion pyruvate. Dans le premier cas, la filière de dégradation

8 - L’assimilation chlorophyllienne

155

correspond à une décarboxylation oxydative, dans le second aux fermentations lactique et alcoolique.

8.4.1 - Biodégradation aérobie - le cycle de Krebs Le cycle de l’acide citrique décrit l’intégration du résidu de la décarboxylation de l’ion pyruvate dans un cycle de réactions fournissant des intermédiaires de départ menant aux glucides, lipides et protides. Il a été mis en évidence en 1937 par H.A. K rebs, prix Nobel de médecine (1953) qui lui a donné son nom. Avant de s’engager dans la série des réactions du cycle de l’acide citrique, l’anion pyruvate produit dans le cytosol passe dans la mitochondrie. Sous l’action de la pyruvate deshydrogénase, il réagit avec le co‑enzyme A (HSCoA), en présence de NAD+, pour former l’acétylcoenzyme A CH3COSCoA, avec perte de CO2 et réduction de NAD+ en NADH. Cette réaction est irréversible. CH3COCOO - + HSCoA + NAD+ " CH3COSCoA + NADH + CO2 Le cycle de K rebs correspond à une succession de 8 réactions enzymatiques : ►► En amorce du cycle la citrate synthase catalyse la fixation du groupe acétyle de l’acétylcoenzyme A sur le carbonyle d’une molécule d’oxaloacétate pour donner du citrate.

DFpW\O6&R$

+6&T&

&+  &22 +2  &  &22 &+  &22  &



&22 &" 2 &+ &22

 &

 &

&R$ 6 &"2 &+

+

+4

R[DORDFpWDWH

FLWUDWH

►► La cis-aconitase transforme le citrate en isocitrate au cours de deux étapes avec la

formation intermédiaire de cis-aconitase.

FLWUDWH ►► L’isocitrate

FLVDFRQLWDWH

+2

?

&44 +  &  4+  22&  & + &+ &44 &   & 

+2

?

+ 22&&  22&& &+ &44 

&   "& 

&   & 

&44 + &+  22&& 2+ &+ &44

LVRFLWUDWH

déshydrogénase est responsable d’une décarboxylation oxydative de l’isocitrate en α‑cétoglutarate qui perd à son tour une molécule de dioxyde de carbone dans une réaction catalysée par la cétoglutarate déshydrogénase.

III - La biomasse et sa chimie

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succinyl‑SCoA synthétase catalyse la rupture de la liaison entre le coenzyme A et le succinate ; l’énergie libérée au cours de cette réaction sert à synthétiser du guanosine triphosphate à partir du diphosphate et d’un ion phosphate qui, par une réaction de transphosphorylation, sera à l’origine de la formation d’une molécule d’ATP. ►► Le succinate est ensuite oxydé en fumarate par la succinate déshydrogénase, puis le fumarate fixe une molécule d’eau grâce à l’action catalytique de la fumarase. La réaction conduit exclusivement à une structure stéréospécifique, le L‑malate qui, au cours d’une dernière réaction enzymatique catalysée par la malate déshydrogénase transforme le malate en oxaloacétate, disponible pour un nouveau cycle de K rebs.

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En définitive, le pyruvate alimente directement les biosynthèses des lipides à partir de l’acétylcoenzyme et, au moyen du cycle de K rebs, celles des glucides à partir de l’oxaloacétate, ainsi que celle des aminoacides à partir de l’α‑cétoglutarate (→ glutamate → glutamine, proline, arginine) et de l’oxaloacétate (→ aspartate → asparagine, méthionine, thréonine, lysine).

8.4.2 - Biodégradation anaérobie ou fermentation En milieu anaérobie des bactéries, des levures et ferments peuvent provoquer des fermentations, des réactions de réduction. Parmi celles-ci on rencontre en particulier deux types, la fermentation lactique et la fermentation alcoolique. Dans la fermentation lactique le cofacteur NADH réduit l’ion pyruvate en lactate en présence de lactate‑déhydrogénase, alors que dans la fermentation alcoolique l’ion pyruvate est d’abord transformé en éthanal, sous l’effet de la pyruvate-décarboxylase, puis ce dernier réduit en éthanol par le cofacteur NADH, H+ en présence d’éthanol‑déhydrogénase :

8 - L’assimilation chlorophyllienne

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157

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Il faut noter qu’en milieu aérobie et en présence de bactéries Acetobacter l’éthanol peut subir une fermentation qui l’oxyde en acide acétique.

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

Chapitre 9 Glucides, lipides et protéines Comme nous l’avons vu au chapitre précédent (section 8.4), l’acide pyruvique et l’acide acétique constituent le point de départ de biosynthèses qui, selon la structure des enzymes qui les gouvernent, mènent aux glucides, lipides, terpènes et stéroïdes, acétogénines et leurs dérivés, aminoacides et nucléotides, etc.

9.1 - Les glucides et leurs dérivés Les glucides (oses) communément appelés sucres et leurs dérivés, les glucosides (osides) sont les composés carbonés les plus répandus dans la nature. Ils présentent tous des structures stéréospécifiques. Leurs principaux représentants sont des pentoses (chaîne de 5 atomes de carbone) et des hexoses (chaînes à 6 atomes de carbone), ainsi que leurs polymères et dérivés. Certains pentoses jouent un rôle très important dans les biosynthèses : ►► le ribose se retrouve dans les graines de ricin (Ricinus communis) ; avec le désoxyribose, il est l’un des constituants des acides nucléiques et de divers enzymes ; ►► le ribulose est contenu dans des algues, les feuille de betteraves, etc. Son 1,5‑bisphosphate est le composé-clé de la biosynthèse du glucose ; ►► le xylose est un constituant des matières boisées. Les hexoses sont nombreux dans le monde végétal et animal. Ils s’y présentent tant sous la forme moléculaire isolée (monoses) que sous celle de polymères (polyoses) et de polycondensats (combinaisons de deux hexoses en général). En voici les principaux : ►► le glucose (ou dextrose) qui se retrouve en particulier dans le jus de raisin et dans le sang ; c’est le monose le plus répandu ; ►► le fructose (ou lévulose) est l’épimère 1 du glucose ; dans les organismes vivants, il se retransforme facilement en glucose. On trouve le fructose dans le miel, les pommes, les prunes, etc. ; 1 Au sens strict, on dit que deux aldoses sont épimères, lorsque leurs structures ne diffèrent que par la configuration du carbone assymétrique le plus proche de la fonction aldéhyde. La figure 6.3 (chap.6, section 6.5.2) représente deux couples de molécules épimères (D- et L-glycéraldéhyde, D- et L-sérine). La notion d’épimère a ensuite été élargie et appliquée à des composés possédant plusieurs centres de chiralité, mais ne différant entre eux qu’au niveau d’un seul de ces centres.

160

III - La biomasse et sa chimie

►► le

maltose est un dimère du glucose. Il se forme dans les organismes à partir d’amidon ou de glycogène, sous l’action de l’amylase ; ►► le saccharose, extrait de la canne à sucre et de la betterave, le sucre de la ménagère est une combinaison d’une molécule de glucose avec une molécule de fructose ; ►► le lactose, le constituant du lait des mammifères, est la combinaison d’une molécule de glucose avec une molécule de galactose ; ►► l’amidon et l’amylopectine, des polymères du glucose, constituent des réserves temporaires du glucose dans les plantes. Ils restituent le monomère sous l’action d’amylases ; ►► le glycogène, un autre polymère du glucose, constitue une réserve de glucose dans les organismes animaux ; ►► la cellulose est un polymère très condensé (n > 10 000) du glucose, le composé principal de très nombreuses plantes dont il assure la rigidité. Elle constitue une forme quasi-définitive de stockage de glucose ; ►► la glucosamine, (2-amino-2-desoxy-D-glucose) est le produit de dégradation de la chitine. La chitine est le polymère acétaminé (groupe NH-CO-CH3) le plus répandu du glucose.

9.2 - Les lipides Les lipides ou matières grasses sont des esters du 1,2,3‑propanetriol (ancien nom glycérol), essentiellement issus d’un petit nombre d’acides carboxyliques linéaires en C16, C18 et C20, saturés ou partiellement insaturés. Les acides gras des tissus végétaux et animaux sont tous formés de chaînes carbonées à nombre pair d’atomes. Cette observation a fait supposer depuis longtemps que dans les processus biologiques ces acides et leurs esters étaient élaborés à partir d’unités acide acétique issues du métabolisme. Une première preuve concrète de l’intervention de molécules d’acide acétique dans les biosynthèses a été apportée en 1945 par Bloch qui a montré que les rats convertissent de l’acide acétique en acide palmitique au cours de leur métabolisme alimentaire

&+&22+ DFLGHDFpWLTXH

DVVLPLODWLRQPpWDEROLTXHSDUOHUDW

&+ &+ &22+ DFLGHSDOPLWLTXH

L’étude détaillée de la biosynthèse des acides gras a ensuite mis en évidence deux observations capitales :

9 - Glucides, lipides et protéines

161

présence d’hydrogénocarbonate HOCOO - (qui se forme dans le milieu à partir de dioxyde de carbone et d’eau) est indispensable pour réaliser la biosynthèse, bien qu’il n’apparaisse pas dans l’équation-bilan ; ►► en opérant avec de l’acide acétique dont le carbone fonctionnel est l’isotope radioactif 6C14 (C* dans l’équation ci-dessous) et le carbone méthylique l’isotope courant 6C12, on obtient de l’acide palmitique dont chaque deuxième atome C de la chaîne est radioactif : ►► la

8 CH3C*OOH " CH3−(C*H2−CH2)14−C*OOH



Par contre, le CO2 qui retourne dans le milieu ne présente pas de radioactivité et ne peut, par conséquent, provenir d’une molécule d’acide acétique. En se basant sur ce résultat, Birch a émis en 1953 l’hypothèse que sous l’effet du coenzyme A les molécules d’acide acétique s’unissent « tête-queue ». La première étape de cette réaction biochimique aboutit à l’acétyl-coenzyme  A CH3CO−SCoA par fixation de coenzyme A sur l’acide acétique : CH3COOH + HS−CoA " H2O + CH3CO−SCoA Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’acétylcoenzyme A peut aussi se former à partir de l’ion pyruvate (voir chap. 8, section 8.4.1). La suite de l’élaboration de la chaîne des acides gras fait intervenir un nouveau système enzymatique, la synthéthase des acides gras qui, comme le coenzyme A, comporte un groupe sulfhydrique et que nous désignerons par HS−protéine. Au cours des étapes qui suivent la formation de CH3CO−SCoA, la chaîne des acides gras se tricote selon le schéma suivant : ►► la

carboxylation de CH3CO−SCoA a lieu en présence d’acétylCoA carboxylase avec formation de malonylcoenzyme HOCOCH2COSCoA

CH3CO−SCoA + HOCOO - + ATP, H+ " HOCOCH2CO−SCoA + ADP + Pi acétyl- coenzymeA

hydrogéno- carbonate

malonylcoenzymeA

►► l’acétylcoenzyme

et le malonylcoenzyme sont transformés, chacun pour sa part, en agents de transfert du groupe acétyle, sous l’action de la HS−protéine

CH3CO−SCoA + HS−protéine " CH3CO−S−protéine + HSCoA HOCOCH2CO−SCoA + HS−protéine " HOCOCH2CO−S−protéine + HSCoA ►► les

deux agents de transfert entrent en couplage avec perte de CO2 

CH3CO−S−protéine + HOCOCH2CO−S−protéine " CH3COCH2CO−S−protéine + HS−protéine + CO2

162 ►► le

III - La biomasse et sa chimie

thioester 3‑oxobutanoïque est réduit en acide butanoïque par NADH NADH, H+



CH3COCH2CO−S−protéine "

CH3CH2CH2COOH + HS−protéine (+ NAD+) acide butanoïque

La présence de NADPH dans le milieu métabolique peut conduire à la réduction d’un ou de plusieurs groupes carbonyle en groupe hydroxyle, par exemple :

CH3CO-CH2CO−SCoA

NADPH, H+

"

CH3CH(OH)-CH2CO−SCoA + NADP+

La perte de H et OH sur deux carbones voisins conduit à la formation d’une liaison double qui peut, à son tour, être hydrogénée grâce à NADPH : CH3CH(OH)-CH2CO−SCoA " CH3CH=CHCO-SCoA + H2O

CH3CH=CHCO-SCoA

NADPH, H+

"

CH3-CH2-CH2-CO-SCoA + NADP+, etc

Le processus peut se poursuivre par l’incorporation successive de nouvelles unités CH3CO-SCoA. Q&+&26&R$+2&2&+&26&R$



UpGXFWLRQVVXFFHVVLYHVHWILQDOH

DGGLWLRQVVXFFHVVLYHVGHJURXSHVDFpW\OH

&+ &+ Q&22+ Q  +6&R$&2

Ainsi, lorsque tous les groupes carbonyle et toutes les doubles liaisons sont réduites, l’hydrolyse du produit final conduit à un acide gras saturé et à l’élimination de HSCoA. Lorsque des doubles liaisons restent présentes au moment de l’hydrolyse, on aboutit à des acides gras insaturés. Les principaux acides gras biosynthétiques sont : ►► l’acide palmitique CH3-(CH2)14-COOH, extrait de l’huile de palme (jusqu’à 40 %), ►► l’acide stéarique CH3-(CH2)16-COOH, extrait des graisses animales et végétales, ►► l’acide oléique CH3-(CH2)7 -CH=CH-(CH2)7 -COOH, extrait de l’huile d’olive, de colza, de tournesol, du suif bovin, ►► l’acide linoléique CH3-(CH2)4-(CH=CH−CH2)2-(CH2)6-COOH, on retrouve son ester glycérique, indispensable dans le métabolisme des organismes animaux, dans pratiquement toutes les matières grasses, ►► l’acide linolénique CH3-CH2-(CH=CH-CH2)3-(CH2)6-COOH, contenu dans l’huile de lin (jusqu’à 45 %) et de chanvre (jusqu’à 30 %), ►► l’acide arachidonique CH3-(CH2)3-(CH2-CH=CH)4-(CH2)3-COOH, présent dans les graisses animales, le foie, le cerveau, etc., et dont l’oxydation enzymatique conduit à de nombreux composés tels que les prostaglandines, les thromboxanes, etc.

9 - Glucides, lipides et protéines

163

9.3 - Les acétogénines Lorsque le processus de l’enchaînement d’entités acétyle que nous venons de décrire dans la biosynthèse des acides gras a lieu sans qu’il y ait réduction, on aboutit à des β-polycétoacides et leurs dérivés appelés acétogénines ou cétides : n CH3CO−SCoA + HOCOCH2CO-SCoA " H-(CH2CO)(n + 1)-OH + (n + 1) HSCoA + CO2 Un certain nombre d’acétogénines sont les précurseurs de molécules intervenant dans les phénomènes métaboliques. Ces systèmes sont caractérisés par le fait que, selon le pH du milieu, un groupement acétyle -(CH2-C=O)- peut se transformer facilement en sa structure énolique -(CH=C-OH)- et vice-versa, par migration d’un atome H du groupe CH2 sur l’oxygène du groupe carbonyle avec création d’une double liaison carbone – carbone. À partir d’un système de 3 enchaînements acétyle successifs, une cyclisation peut avoir lieu (fig. 9.1). C’est ainsi qu’au prix d’une hydrogénation partielle au cours du processus, l’acétogénine à 3 chaînons -(CH2-C=O)- forme un hétérocycle, l’acide parasorbique, qui se retrouve en particulier dans les baies du sorbier des oiseaux (Sorbus aucuparia). 2

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‡‡

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2 DFLGHGLR[R SHQWDQRwTXH

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2

2

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2+

Figure 9.1 - Formation d’une acétogénine cyclique

À partir de 4 enchaînements acétyle, la cyclisation conduit plutôt à des composés à noyau aromatique, comme le montre l’exemple de l’acide orsellinique, une composante de l’humus, et celui de l’acide 6-méthylsalicylique (fig.  9.2), formé après une hydrogénation partielle au cours de la chaîne réactionnelle. L’acide 6-méthylsalicylique, produit dans la nature par la moisissure Penicillium griseofulvum, est le premier β‑polycétoacide dont on a étudié la biosynthèse. &+

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2

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DFLGHRUVHOOLQLTXH DFLGHPpWK\OVDOLF\OLTXH

Figure 9.2 - Passage d’un β-polycétoacide à une structure aromatique

164

III - La biomasse et sa chimie

Lorsqu’une hydrogénation partielle intervient, elle a lieu en règle générale sur le chaînon terminal du β-polycétoacide, pour conserver le système énolique (potentiel ou réel) le plus long. Certaines plantes supérieures, ainsi que des mousses et des lichens réalisent la biosynthèse d’anthraquinones par cyclisation et oxydation d’acétogénines contenant au moins 8 entités acétyle (fig. 9.3). Le terme le plus simple de cette série est l’endocrocine, le pigment rouge de Aspergillus amstelodami. Les plantes réalisent de leur côté la biosynthèse d’un certain nombre d’anthraquinones, l’une des plus connues est l’alizarine, le colorant de la garance (Rubia tinctorum). 2

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DOL]DULQH

Figure 9.3 - Formation d’anthraquinones

Dans la nature les dérivés des acétogénines sont très nombreux, de structures complexes et extrêmement variées. Parmi eux on peut citer les flavonoïdes et anthocyanines, des pigments naturels des fougères et des plantes supérieures. Les roténoïdes élaborées dans les racines de certaines plantes présentent une toxicité vis-à-vis des insectes  ; les tétracyclines, des antibiotiques actifs vis-à-vis des bactéries et des virus, sont produites par des moisissures du genre Streptomyces.

9.4 - Les terpènes Le squelette carboné d’un certain nombre de molécules élaborées par les végétaux peut être décomposé en deux ou plusieurs « unités isoprène ». Ces structures dont quelques-unes sont représentées dans la figure  9.4 (découpées par des traits pour une meilleure visualisation des enchaînements isoprène) constituent la famille des hydrocarbures terpéniques et de leurs dérivés, les terpénoïdes. Elle est subdivisée en monoterpènes (2 unités isoprène), sesquiterpènes (3 unités), diterpènes (4 unités), etc. Un bon nombre de ces composés est recherché pour l’odeur (parfums et arômes alimentaires). Le myrcène se retrouve dans le laurier, l’ocimène dans le basilic, le limonène dans l’écorce des agrumes, l’α-pinène dans l’essence de térébenthine, le menthol dans la menthe poivrée, etc. La biosynthèse terpénique prend son origine au niveau de la formation de l’acétylcoenzyme A, c’est-à-dire au même point que celle des lipides, mais diverge après la formation de l’acétoacétyl-coenzyme A.

9 - Glucides, lipides et protéines

165

¶     XQLWpLVRSUqQH P\UFqQH

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GVpOLQqQH

FDU\RSK\OOqQH

FIDUQpVqQH

FDGLQqQH

OLPRQqQH

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LVRSUqQHVWUDQV

FSLQqQH

YpW\YD]XOqQH

Figure 9.4 - Exemples de structures terpéniques

Celui-ci se combine alors avec une molécule d’acétylcoenzyme A et non plus avec le malonylcoenzyme A. La nouvelle molécule d’acétylcoenzyme A s’est fixée par une réaction d’aldolisation, c’est-à-dire selon un mécanisme différent de celui de la formation des lipides. Le produit de la réaction est réduit par NADPH en acide mévalonique :  

 

&+&26&R$ &+&+2+ &+&26&R$ "&+&&+&26&R$"&+&&+&22+  + &+&2 6&R$ 2+ 2+ DFLGHPpYDORQLTXH

La molécule d’acide mévalonique est à l’origine des structures terpéniques. Sa phosphorylation par l’ATP, suivie d’une décarboxylation aboutit au 3‑isopentényl-pyrophosphate ou 3‑PP dont le squelette carboné est analogue à celui de l’isoprène. Dans le milieu biologique une petite quantité de 3‑IPP s’isomérise en 2‑isopentényl-pyrophosphate 2‑IPP qui se combine avec le 3‑IPP selon un enchaînement 1‑4, dit « têtequeue », accompagné de l’élimination d’un ion pyrophosphate.  

&+&+4 34 

&+&&+&444 34 



"

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2 32 

&

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& TXHXH

,33



+ & & WrWH

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2 32 

&

&+

&+

"*33

+ ,33

Il se forme du géranylpyrophosphate (GPP) (fig. 9.5) qui, par hydrolyse, conduit à deux monoterpènes isomères de configuration, le géraniol et le nérol.

166

III - La biomasse et sa chimie

2+ 233 

"

JpUDQ\OS\URSKRVSKDWH *33

JpUDQLRO

2+ QpURO

Figure 9.5 - Hydrolyse du géranylpyrophosphate en géraniol et nérol

L’addition d’unités 3‑IPP peut continuer (fig.  9.6) au niveau du GPP qui peut se retrouver face à l’unité 3‑IPP sous au moins deux conformations, en fonction des contraintes stéréochimiques imposées par l’enzyme catalysant la réaction : 233

!

)33

233

332

332

RX

233 *33,33

"

233

)33

Figure 9.6 - Combinaison du 3-isopentényl-pyrophosphate avec le géranylpyrophosphate

Les deux dispositions résultantes du farnésylpyrophosphate FPP laissent prévoir la configuration potentielle de certains produits supérieurs de cyclisation ou d’addition (voir section 8.4.1). Après l’union en mode 1‑4 entre le GPP et le 3‑IPP en farnésylpyrophosphate, celui-ci peut à son tour soit subir des cyclisations, soit s’unir une dernière fois en mode 1‑4 avec une unité 3‑IPP pour donner du géranylgéranylpyrophosphate GGPP. Par contre, sous l’action de NADPH deux ions FPP s’unissent non pas selon le mode tête‑queue, mais en joignant leurs extrémités symétriques (fig. 9.7). Le squalène, le produit de cette combinaison, est un triterpène qui se retrouve en quantité importante dans le foie de requin, sa cyclisation enzymatique conduit à la formation des stéroïdes (voir deux exemples de stéroïdes, le coprostanol et le cholestanol, au chap. 7, fig. 7.3). La plupart des tétraterpènes naturels se présentent sous forme de polyènes qui, dans les végétaux en particulier, se repèrent par leur couleur, car ils absorbent fortement la lumière dans domaine du visible. Parmi les plus répandus on peut citer le β-carotène (pigment des carottes), le lycopène (pigment des tomates), etc.

9 - Glucides, lipides et protéines

167

332

233 )33,33

"

233

JpUDQ\OJpUDQ\OS\URSKRVSKDWH**33

332 332 1$'3+ "

)33)33

VTXDOqQH

Figure 9.7 - Formation du squalène, un précurseur des stéroïdes

9.5 - Les aminoacides et protéines Les α-aminoacides ou 2-aminoacides sont d’importants constituants des organismes animaux et végétaux. Ils sont les précurseurs des protéines, alcaloïdes, acides nucléiques, etc. et ont été présents dans les organismes vivants dès l’apparition du phénomène de la vie. Dès ce moment des bactéries ont su capter l’azote atmosphérique ou dissous dans les océans et le réduire en gaz ammoniac, réactif de base dans la biosynthèse des α‑aminoacides. On estime à 1011 kg N2 (cent millions de tonnes !) la masse d’azote atmosphérique captée annuellement au niveau de bactéries du sol nichées sur les racines d’un certain nombre de plantes. Les protéines sont des macromolécules élaborées à partir des 20 α‑aminoacides qui forment les unités structurales de base de la matière vivante : acide aspartique arginine glutamine isoleucine méthionine sérine tyrosine

acide glutamique asparagine glycine leucine phénylalanine thréonine valine

alanine cystéine histidine lysine proline tryptophane

La biosynthèse enzymatique des 2‑aminoacides, catalysée par la glutamate déhydrogénase, consiste en une amination stéréosélective, combinée à une réduction,

168

III - La biomasse et sa chimie

d’acides α‑cétoniques R−CO−COOH, principalement l’acide pyruvique, l’acide oxalacétique et l’acide α‑oxo‑glutarique, issus du phosphoénolpyruvate, la moléculeclé de la glycolyse dans les plantes. Ces trois acides conduisent respectivement à l’alanine, l’acide aspartique et l’acide glutamique, 2‑aminoacides précurseurs de nombreux autres acides α‑aminés. " "



 1+ 2 2 1$'++ &+&&2+1+?&+&+&22+2

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DFLGHDVSDUWLTXH



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1$'

DFLGHR[RJOXWDULTXH

DFLGHJOXWDPLTXH

En présence de transaminase, l’acide glutamique sert par ailleurs d’agent de transamination pour la formation d’autres 2‑aminoacides : 



"

"



1+ 2  +2&2&+&+&+&22 +2&2&+&+&&22  DFLGHJOXWDPLTXH DFLGHR[RJOXWDULTXH WUDQVDPLQDVH   "  2 1+ 5&+&22 5&&22 Selon la nature plus ou moins acide ou basique du milieu, les 2‑aminoacides se retrouvent sous forme d’ions dipolaires (zwitterion ; groupes ammonium et carboxylate), d’ammoniums substitués (forme protonée : groupes ammonium et acide carboxylique) ou d’ions carboxylate (forme déprotonée : groupes amino et carboxylate), ce qui correspond dans le cas général aux structures spatiales suivantes : 2 ˆ

+1

& &

2

2+ +

5 IRUPHSURWRQpH

+ˆ

? +ˆ

ˆ

+ 1

& &

2

2 +

+ˆ

? +ˆ

+1

5 IRUPHGLSRODLUH Figure 9.8 - Les formes des 2-aminoacides

& &

2 +

5 IRUPHGpSURWRQpH

9 - Glucides, lipides et protéines

169

La forme dipolaire, ion hybride électriquement neutre, aussi appelée zwitterion ou sel interne (inner salt) par les biochimistes, s’établit pour une valeur d’acidité (ou pH) 2 du milieu appelée « point isoélectrique pI » qui varie avec la nature du groupement R. Pour un pH  pI c’est la forme déprotonée dont le taux s’élève. Ainsi, en fonction de leur point isoélectrique pI, donc de leur structure, les 2‑aminoacides peuvent, selon l’acidité ou la basicité du milieu biologique, enlever ou restituer des protons à d’autres espèces chimiques. Les pH correspondant aux points isoélectriques pI des 20 acides α‑aminés de base sont les suivants : acide aspartique acide glutamique cystéine asparagine thréonine tyrosine sérine glutamine méthionine tryptophane

2,98 3,08 5,11 5,41 5,60 5,66 5,68 5,70 5,74 5,88

phénylalanine valine isoleucine leucine alanine glycine proline histidine lysine arginine

5,91 6,00 6,04 6,04 6,07 6,07 6,30 7,64 9,74 10,76

2 L’acidité du milieu est désignée conventionnellement au moyen de l’échelle du pH. Pour la valeur 7 de cette échelle, le milieu aqueux contient autant de protons H+ que d’ions hydroxyde HO -, le rapport H+/HO - est égal à 1 (milieu neutre). Pour les valeurs pH  7 (milieu basique) le rapport H+/HO - est inférieur à 1 et décroît avec pH croissant.

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

Chapitre 10 Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols Nous sommes maintenant en mesure d’aborder l’examen de l’évolution cyclique des principaux éléments constituant la biosphère. L’étude de l’interaction entre celle-ci et les sols, examinée en fin de chapitre, représente un aspect complémentaire des transformations dont la biosphère est le siège.

10.1 - Le carbone Le carbone est l’élément-clé de la vie sur Terre. Dans un contexte abiotique, il est présent dans les trois sphères de base : ►► dans l’atmosphère, sous forme de dioxyde de carbone, de méthane, etc. ; ►► dans l’hydrosphère, sous forme d’ions carbonate et/ou hydrogénocarbonate, ainsi que de gisements sous-marins ou lacustres (à des profondeurs supérieures à 50 m environ) de solutions sous haute pression de dioxyde de carbone et de méthane sous forme de molécule centrale d’agrégats (clusters) d’eau. Lorsque cette pression décroît brutalement sous l’effet de phénomènes climatiques ou géologiques, il peut y avoir éruption du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, telle que celle observée le 21 août 1986 au lac Nyos (Cameroun) et qui a fait 1700 morts par étouffement, du fait de l’irrespirabilité de l’air (sans compter les milliers de cadavres d’animaux), ou encore l’éclatement aléatoire de bulles de ces deux gaz dans le lac Kivu (RD Congo/Rwanda). Dans ce dernier lac les quantités de méthane stockées sont telles, qu’elles font l’objet d’une tentative de récupération, en vue d’alimenter des centrales électriques à gaz ; ►► dans la lithosphère, sous la forme de carbonates divers, à la suite de l’absorption du gaz carbonique par l’eau et sa transformation en ions hydrogénocarbonate [HOCO2]−, puis en carbonates. Ceux-ci constituent aujourd’hui d’énormes massifs

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III - La biomasse et sa chimie

calcaires (CaCO3) et dolomitiques (CaCO3 - MgCO3), ainsi que des gîtes de trona (Na2CO3 - NaHCO3 · 2 H2O). Nous avons déjà passé en revue une grande partie des transformations abiotiques du carbone, depuis leur point de départ, le dioxyde de carbone de l’atmosphère, jusqu’à leur aboutissement sous la même forme, le dioxyde de carbone qui s’échappe dans l’atmosphère (voir en particulier chap. 3, section 3.5.1). Dans le contexte de la biosphère, le carbone se retrouve sous de multiples formes dans la biomasse vive et morte, ainsi que dans les composés intermédiaires résultant de son élaboration et de sa dégradation progressive (biocycles, fig. 10.1). Le biocycle le plus court est celui de la respiration animale, caractérisé par l’inhalation de dioxygène et le rejet par l’organisme de dioxyde de carbone. Les autres biocycles du carbone sont amorcés par la photosynthèse, puis continués par des chaînes réactionnelles (voir chap. 8 et 9) conduisant à la biosynthèse de molécules très diversifiées, indispensables au déroulement convenable du métabolisme des organismes vivants, puis à l’élimination biodégradative des matières organiques au cours de réactions aérobies ou anaérobies. Ces déchets de biomasse, solides, liquides et/ou gazeux, résident pendant des temps plus ou moins longs dans leur milieu propre tout en se dégradant, pour finir sous forme de méthane ou de dioxyde de carbone. Dans le domaine végétal la respiration correspond à l’inversion, en l’absence de lumière, du processus de l’assimilation chlorophyllienne (voir chap. 8, section 8.2.2). UHVSLUDWLRQGHVDQLPDX[ UHVSLUDWLRQGHVYpJpWDX[

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Figure 10.1 - Biocycles du carbone

Il est à noter qu’un cycle beaucoup plus long dans la durée correspond à la transformation de la biomasse morte en pétrole, gaz naturel, kérogènes, charbon, lignite,

10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols

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dont le stockage avant dégradation finale en gaz carbonique peut durer des millions d’années.

10.2 - L’azote Le biocycle de l’azote a prise à la fois sur l’atmosphère, la lithosphère, ainsi que l’hydrosphère et représente un enchaînement complexe. Tout d’abord le diazote de l’atmosphère, la principale source de l’azote des tissus et fluides constituant les organismes vivants, doit être transformé en une structure chimique hydrosoluble, pour pouvoir être incorporé dans les organismes végétaux ; cette étape est appelée fixation de l’azote. Elle se déroule sous l’effet d’enzymes et coenzymes de bactéries tant dans les sols, qu’au niveau d’organes spécifiques de certaines familles de plantes des milieux terrestre et aqueux. Ce passage de la forme moléculaire, le diazote, vers un composé azoté aboutit en général à l’ion ammonium. La fixation de l’azote sur des organismes végétaux fait intervenir une enzyme, la « nitrogénase », contenue dans certaines bactéries (espèces Azotobacter, Clostridium, etc.) vivant dans le sol et par des cyanobactéries, en symbiose ou non avec des lichens, des angiospermes, ou vivant à l’air libre. Elle est produite de même par des bactéries du genre Rhizobium vivant en association avec des légumineuses de nos régions telles que les trèfles (Trifolium ssp.) et luzernes (Medicago ssp.) dont elles colonisent les nodules radiculaires. Mais une telle association vaut aussi avec les vesces et fèves (Vicia ssp.), et bien d’autres espèces végétales. La bioréduction du diazote en ion ammonium correspond globalement à la réaction N2 + 8 H+ + 6 e - " 2 [NH4]+ Certaines plantes sont capables d’assimiler directement l’ammoniac NH3 ou les ions ammonium [NH4]+ entrant en réaction avec les produits de la glycogenèse et de la glycolyse pour former des α‑aminoacides. Dans ce contexte, la glutamine [H2NCOCH2CH2CH(NH2)COOH] joue le rôle d’un agent de transfert de l’ammoniac. Avec les acides pyruvique, oxalacétique ou α‑oxoglutarique, en présence de coenzymes et enzymes, des molécules géantes à site actif métallique (Fe, Mo, etc., intervenant en tant qu’agents de coordination), la glutamine conduit à la formation d’une dizaine d’acides α‑aminés qui interviennent dans le métabolisme de nombreux organismes végétaux et animaux. Mais la plupart des végétaux n’assimilent l’azote que sous forme d’ion nitrate produit par l’action enzymatique de bactéries nitrifiantes autotrophes des espèces Nitrosomonas et Nitrobacter  ; les ions ammonium sont oxydés successivement par voie aérobie en ions nitrite [NO2]-, puis nitrate [NO3]- ; c’est l’étape de nitrification.

174

III - La biomasse et sa chimie

En général, le passage du nitrite au nitrate est plus rapide que celui de l’ammoniac au nitrite dont la concentration dans le sol est toujours très faible. Nitrosomonas 2 [NH4]+ + 3 O2 " 2

[NO2]- + 4 H+ + 2 H2O + 636 kJ

Nitrobacter 2 [NO2]- + O2 " 2

[NO3]- + 151 kJ

L’équation bilan de cette oxydation correspond à :

2 [NH4]+ + 4 O2 " 4 [NO3]- + 4 H+ + 2 H2O + 787 kJ

Rappelons pour mémoire que, sous l’effet de décharges électriques dans l’atmosphère il se forme des oxydes de l’azote et, en fin de chaîne réactionnelle, de l’acide nitrique qui est dissous et ionisé par l’eau des nuages et retourne dans le sol et l’hydrosphère avec les pluies. Cet apport d’ions nitrate par voie abiotique ne constitue qu’une petite fraction de la quantité quotidienne nécessaire au fonctionnement des organismes végétaux. À ce stade des espèces bactériennes aérobies telles que Flavobacterium, Thiobacillus denitrificans, etc. peuvent intervenir. Lorsqu’elles sont placées dans des conditions anaérobies, donc privées d’oxygène pour leur fonctionnement, elles lui substituent les ions nitrate et induisent une succession de réductions aboutissant au diazote :



- e -

- • O •

- • O •

- e -

- • O •

[NO3]- " [NO2]- " •NO2 " •NO " N2O " N2

Ce processus est appelé dénitrification. De son côté le biocycle de l’azote se poursuit à partir des ions nitrate par l’intégration de l’azote dans les structures protéiniques des végétaux. Ceux-ci apportent aux animaux herbivores, et à travers ces derniers aux carnivores, les protéines qui leur sont indispensables, mais que leurs organismes sont dans l’incapacité d’élaborer par eux-mêmes.

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QLWULILFDWLRQ Figure 10.2 - Biocycle de l’azote

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10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols

175

L’avidité des organismes vivants pour les composés azotés explique la faible concentration de dérivés azotés minéraux tant dans l’hydrosphère, que dans les sols de la lithosphère. Pour sa part, la biomasse morte, tant animale que végétale, est ensuite dégradée par des espèces bactériennes selon les voies aérobie et anaérobie. Certaines transforment l’azote des matières organiques par voie anaérobie en ammoniac NH3 et, en présence d’eau, en ions ammonium [NH4]+ qui se fixent dans le sol et dans l’eau sous forme minérale. D’autres suivent la voie de la dénitrification et libèrent du diazote au terme de la chaîne des dégradations chimiques successives que l’on peut schématiser par :  



>12@>+&2+@+"1&2+2

Enfin, la biomasse morte peut suivre une évolution alternative par ensevelissement dans les sédiments de la croûte terrestre (hydrocarbures et charbons qui emprisonnent le diazote) et résider ainsi pendant une grande durée dans les profondeurs du sol. Les ions nitrates sont fortement solubles dans le milieu aqueux, de sorte qu’une certaine part de ceux qui se retrouvent dans le sol, plutôt qu’assimilés par les végétaux, sont entraînés par l’eau et soit aboutissent dans les nappes phréatiques et finalement les océans, soit enrichissent des eaux dormantes (étangs, lacs, barrages-réservoirs, lagunes, etc.). Lorsque celles-ci constituent un milieu peu oxygéné, l’introduction d’ions nitrate provoque dans un premier temps un développement accéléré de la végétation aquatique et de certaines populations bactériennes. Mais les bactéries aérobies consomment le dioxygène dissous plus rapidement que les organismes végétaux, on est en présence d’un phénomène d’eutrophisation, le milieu devient anaérobie. Les bactéries dénitrifiantes consomment alors les ions nitrates en tant que substituants de l’oxygène et les disputent aux végétaux qui ne peuvent plus édifier les métabolites indispensables à leur croissance et à leur entretien. Elles meurent par privation d’azote et le milieu s’encombre de biomasse morte.

10.3 - L’oxygène Nous n’évoquons ce biocycle que pour mémoire, sa partie essentielle est constituée par l’ensemble photosynthèse – respiration du cycle du carbone (voir chap. 8), le dioxygène de l’atmosphère correspondant à son excédent de fonctionnement.

10.4 - Le phosphore L’affinité du phosphore pour l’oxygène est telle que sous la forme allotropique dite phosphore blanc le corps simple prend feu spontanément au contact de l’air ; elle

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III - La biomasse et sa chimie

explique aussi le fait que tous ses minéraux connus sont des oxydes. En effet, dans le monde minéral on le retrouve essentiellement sous forme de gisements d’apatites [Ca5(PO4)3]F, [Ca5(PO4)3]Cl, [Ca5(PO4)3](OH), largement répandus sur tous les continents, ainsi que de phosphates de fer Fe(PO4) et d’aluminium Al(PO4). Tous ces minéraux sont difficilement solubles, leur produit de solubilité est très faible : Composé

Ca3(PO4)2

Mg3(PO4)2

Fe(PO4)

Al(PO4)

Produit de solubilité

2,0.10 - 29

1,0.10 - 27

1,3.10 - 22

5,8.10 - 19

Leur hydrolyse au cours de l’altération ne libère en général que la première acidité, la seconde et la troisième réclament des conditions que l’on ne retrouve pas dans les terres végétalisées. Les groupes phosphate se caractérisent par leur faculté à s’enchaîner les uns aux autres en entités polyphosphates linéaires et cycliques. De tels enchaînements interviennent dans la phase terminale du biocycle du phosphore, sa minéralisation ; d’autre part les di- et triphosphate d’adénosine jouent un rôle capital dans le métabolisme des organismes vivants. Dans son biocycle le phosphore se distingue des autres bioéléments majeurs par le fait que ni lui, ni aucun de ses composés intervenant dans les processus biologiques n’est volatil et ne peut, par conséquent, circuler à travers l’atmosphère. Sa biochimie est essentiellement celle des phosphates, on n’y observe pas de stades de réduction en phosphites, hypophosphites, voire phosphine. Par contre, à la place d’un changement dans son état d’oxydation au cours d’une réaction biochimique, l’ion phosphate (ou l’acide phosphorique) est à la base d’une estérification qui le lie à un atome de carbone ou d’azote par l’intermédiaire d’un atome d’oxygène. "

"

"

"

5&2++23 2+ "5&23 2+ +2 2 2 2 2

La seule source de phosphore absorbable par les microorganismes (bactéries), les algues et les racines des végétaux pour satisfaire aux besoins de leur développement est l’anion monophosphate [(HO)2PO2]-. Mais cette absorption est fonction du milieu  : en milieu aqueux elle est très rapide et des essais avec du phosphate préparé à partir de l’isotope P22 montrent que 50 % des ions présents au départ de l’expérience sont absorbés au bout de 1 minute, 80 % au bout de 3 minutes !), ce qui explique le faible taux de phosphate assimilable dans la couverture végétale (hors intervention humaine). Dans les cellules et les fluides qui circulent dans les organismes vivants ce sont les ions [HOPO3]2- que l’on retrouve. Ils s’y présentent dans des assemblages moléculaires tels que les acides ribonucléique (ARN) et désoxyribonucléique (ADN) qui interviennent dans le stockage de l’information génétique, les membranes des cellules et les structures osseuses. On retrouve des ions phosphate et polyphosphate

10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols

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dans des entités glucidiques (voir plus haut la photosynthèse et la photolyse, etc.), les coenzymes où ils interviennent dans les transferts de matière et les échanges d’énergie entre cellules. Il faut se rappeler aussi que les structures osseuses des animaux sont basées sur des phosphates. Le métabolisme de certains oiseaux et chauve-souris a conduit à la formation de dépôts de guano, leurs excréments minéralisés, accumulés au cours de millénaires (en particulier à l’époque des glaciations) sur leurs lieux de résidence  ; ceux des régions arides le long des côtes du Pérou et du Chili ont été conservés et y ont servi dès l’époque inca comme engrais phosphatés. Ces guanos contiennent entre 20 et 30 % de monophosphate de calcium et 10-15 % d’azote sous forme d’oxalate d’ammonium et de dérivés de l’urée. RUJDQLVPHV DQLPDX[

PDWLqUHVIpFDOHV ELRPDVVHPRUWH

PLFURRUJDQLVPHV DOJXHVYpJpWDX[

 

+2 LRQPRQRSKRVSKDWH 4"34 DJHQWG¶LQVHUWLRQ GDQVOHELRF\FOH +2

SKRVSKDWHVGH&D)H$O IL[pVGDQVOHVURFKHV +232  32  Figure 10.3 - Biocycle du phosphore

Sans vouloir entrer dans le détail de l’évolution des entités phosphorées au cours des biocycles, rappelons que toutes les cellules d’organismes vivants contiennent des acides nucléiques, des polycondensats d’acides aminés et de glucides incorporant de l’acide phosphorique.

10.5 - Le soufre Le soufre est une composante du magma volcanique, d’où il est expulsé avec les laves, tant sous la forme native (en Europe au niveau des solfatare de Sicile ou des

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III - La biomasse et sa chimie

Champs Phlégréens, dans la grande banlieue de Naples), que de dioxyde de soufre et de sulfure de dihydrogène. Au niveau des évents des volcans sous-marins des rifts océaniques en particulier on observe l’expulsion de sulfure de dihydrogène qui réagit avec des ions métalliques de son environnement et qui entre dans le métabolisme de certaines bactéries. D’autre part, des sulfures métalliques constituent de nombreux minéraux au sein de roches diverses. On en exploite un certain nombre depuis l’Antiquité, par exemple : pyrite et marcassite FeS2 chalcosite Cu2S sphalérite ZnS réalgar As4S4

chalcopyrite CuFeS2 galène PbS cinabre HgS orpiment As3S3

Enfin, des dépôts de sulfates divers forment des roches sédimentaires (gypse, anhydrite, etc.), des gîtes salins (sulfate de sodium, sulfate de magnésium, etc.) et tapissent les fonds marins. À partir de la phase biotique de Terre au moins, le sulfure de dihydrogène échappé dans l’atmosphère a pu subir des oxydations et se retrouver en fin de transformations sous forme d’acide sulfurique retombant sur la lithosphère et dans l’hydrosphère au cours de pluies acides. Dans les océans en particulier, l’action de bactéries anaérobies sur la biomasse morte a abouti dans le passé à la formation de soufre et de composés soufrés que l’on retrouve dans les gisements de charbon, de pétrole et de gaz naturel, voire des dômes de sel. De nos jours certaines algues produisent du sulfure de diméthyle en milieu anaérobie ; les organismes supérieurs assimilent le soufre à travers leur nourriture  ; des coenzymes soufrés (coenzyme A, etc.) interviennent dans le métabolisme, des protéines incluant dans leur structure des résidus méthionine ou cystéine (des acides α-aminés contenant du soufre) participent à l’édification de nucléotides. Au cours de la première période, anaérobie, de bioprocessus sur Terre (en gros le deuxième milliard d’années de son existence), le soufre a dû jouer un rôle capital, à la place du dioxygène qui n’est devenu disponible que peu à peu, au fur et à mesure du développement de la photosynthèse bactérienne et végétale. Notre ignorance des conditions de cette époque ne nous permet pas de simuler ou de recréer au laboratoire les situations biochimiques existant alors, nous ne pouvons que les pressentir, mais il est certain que l’apparition de l’oxygène dans le milieu biologique a dû bouleverser et détruire, certains disent « empoisonner », les métabolismes des premiers organismes vivants, anaérobies, et contribuer à la formation d’autres, aérobies, plus proches de ceux d’aujourd’hui.

10.6 - Les sols et leur contenu en biomasse Au contact de l’atmosphère humide, l’altération chimique des roches se met en route dès leur émergence du milieu marin, comme on a pu le vérifier à l’occasion de la

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naissance d’îlots volcaniques marins, donc a priori exclusivement rocheux. Cependant, à peine plusieurs mois plus tard, une flore pionnière y fait déjà son apparition, les embruns salés, l’humidité ambiante et une température propice ayant permis la formation d’un sol primaire. La végétalisation des sols suit un processus naturel de colonisation spontanée par une flore pionnière : algues → mousses → lichens. Celle-ci évolue → graminées → légumineuses. C’est le processus de développement normal que l’on observe après une perturbation sérieuse, voire catastrophique, de la végétation après des événements tels que des éboulements et glissements de terrain, des inondations, des opérations militaires, des constitutions de crassiers, terrils, des zones d’enfouissement de déchets, etc. En reprenant la définition des sols que nous avons donnée au chapitre 5 (section 5.3), nous pouvons la compléter en ajoutant que les sols se différencient des autres parties de la lithosphère par leur contenu significatif en biomasse vive et morte. Les sols sont à la fois un support et une conséquence du phénomène de la vie. La transformation destructrice de la biomasse morte fraîche est assurée en présence d’eau grâce au métabolisme d’organismes microbiens, fongiques, végétaux et animaux. Elle aboutit d’une part à une masse de matière organique amorphe entraînée par l’eau ou qui se mélange à des argiles et des hydroxydes métalliques pour former l’«humus », d’autre part à une minéralisation avec la formation de composés inorganiques, tels que les carbonates, les nitrates (et leurs produits de réduction), leurs ions et enfin le dioxyde de carbone, le gaz ammoniac et le diazote.

10.6.1 - Les subdivisions des sols ou « horizons » Les sols ne constituent pas une masse uniforme, ils sont organisés en strates ou « horizons » contenant des quantités plus ou moins importantes de matière organique. On appelle horizon une couche de sol homogène, parallèle à sa surface, identifiée par un certain nombre de données, en particulier la nature des composants chimiques, la composition granulométrique, le pH, le degré d’altération de la roche mère, etc. L’ensemble des horizons rencontrés dans une tranchée de terrain constitue un « profil ». Pour l’étude de ces profils et la description des types de sols, l’Association Française pour l’Étude des Sols (AFES) a proposé en 1995 un « Référentiel Pédologique » contenant la définition d’horizons de référence 1. En descendant le long d’une coupe de terrain idéale on distingue successivement un secteur humifère dominé par une activité biologique, un secteur mixte d’activités 1 AFES (1995) Référentiel pédologique, techniques et pratiques, INRA éditions, 332 p. ou voir http://www.u-picardie.fr/~beaucham/mst/typsol.htm ou http://www.jymassenet-foret.fr/cours/pedologie/chapitre6.pdf

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III - La biomasse et sa chimie

biologiques et chimiques, un secteur d’accumulation des matières provenant du lessivage des horizons supérieurs, un secteur lessivé et enfin la roche mère. Ces secteurs recouvrent les différents horizons. Dans la pratique certains horizons peuvent être absents ou réduits à leur plus simple expression. Le secteur humifère C’est le support de la végétation herbeuse et buissonneuse. Sa biomasse vive est formée de micro-organismes bactériens et fongiques, d’invertébrés, d’arachnides, de nématodes, arthropodes et d’insectes, de petits rongeurs, etc. qui, tout comme les racines des végétaux, le travaillent et permettent ainsi une certaine circulation d’air et d’eau. Il est traversé plus ou moins rapidement, en fonction de sa porosité, par les eaux de pluie et de ruissellement qui lui apportent les résidus biologiques qu’elles charrient, des petites molécules minérales gazeuses, telles que O2, N2, CO2, NH3, etc., ainsi que des ions. Ces derniers peuvent réagir avec ceux déjà présents dans les horizons OL et OF (voir ci-dessous) et créer ainsi une différence de composition et de nature entre le contenu en ions des eaux d’alimentation et celui des eaux effluentes. Sa biomasse morte ou « matière organique fraîche » contient les exsudats et résidus du métabolisme des matières végétales, moisissures et microbiennes, les déjections animales, les produits de décomposition des litières végétales et des cadavres d’animaux. Il englobe les horizons organiques O qui comprennent : ►► l’horizon OL ou litière, l’ensemble des débris de surface, peu transformés, toujours reconnaissables et constitués par le tapis de fragments végétaux, feuilles mortes, aiguilles, écorces, racines, etc., soumis à altération dans des conditions aérobies ; ►► l’horizon sous-jacent OF, des débris en voie de transformation mélangés à de la matière organique fine (boulettes fécales). L’isolation par la litière crée des conditions optimales de température et d’humidité pour ces transformations ; ►► l’horizon OH qui contient presque exclusivement de la matière organique morte transformée (boulettes fécales et débris non identifiables à l’œil nu). Le secteur mixte Il est réparti en deux fractions de matières organiques et minérales mélangées. La fraction fine réunit les particules d’argile de taille inférieure à 0,002 mm, des hydroxydes tels que Al(OH)3, Fe(OH)3 et leurs produits d’hydratation, ainsi que des particules colloïdales organiques et les humines. Ces dernières sont des hétérocondensats associant des structures phénoliques, des acides aminés, des protéines, des polysaccharides et des ions métalliques chélatisés. Elles ont leur origine dans la dégradation de la lignine, un composant du bois des conifères (~ 30 à 35 %) et des feuillus (~ 20 à 25 %). Elles s’hydrolysent en acides humiques et fulviques, des acides forts. La fraction grossière est formée de graviers, limons et sables.

10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols

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A , situé sous l’horizon O, est constitué d’un mélange de matière organique et de minéraux et structuré par l’activité biologique (faune, racines, etc.) qui contribue à la formation de complexes argilo-humiques ; ►► l’horizon structural  S est le siège de l’altération chimique (hydrolyses, oxydations, décarbonatation, etc.) des minéraux primaires qui libèrent des argiles et des oxydes/hydroxydes de fer. ►► l’horizon

Le secteur d’accumulation Encore appelé « sous-sol », il présente une épaisseur relativement importante ; il reçoit en dépôt les ions et les particules de matière minérale (hydroxydes de fer et d’aluminium, argiles) provenant des horizons supérieurs, ainsi que les fragments colloïdaux organiques de décomposition de la biomasse morte (humus) entraînés par les eaux de percolation. Le secteur lessivé ou horizon éluvial E Il est appauvri en ions, en hydroxydes de fer et d’aluminium, ainsi qu’en minéraux argileux et en humus du fait de leur épuisement par les eaux d’infiltration opérant par entraînement latéral ou en profondeur des éléments matériels. Le secteur rocheux ou horizon C Il correspond à de la roche altérée et fragmentée, située à la base de la couverture pédologique. À ce niveau du profil la roche peu ou pas altérée est cataloguée  R lorsqu’elle est dure et massive, M lorsqu’elle est meuble et D lorsqu’il s’agit de débris de roche dure. En dehors de ces horizons disposés en succession ordonnée le long d’un profil pédologique nous retenons deux parmi ceux décrivant des situations particulières : ►► les horizons listriques H, caractéristiques des tourbes (histosols), entièrement constitués de matières organiques (végétaux aquatiques ou hygrophiles) et formés dans les milieux saturés d’eau pendant plus de la moitié de l’année ; ►► les horizons réductiques G, milieux en engorgement quasi-permanent, dominés par des phénomènes de réduction, en particulier du fer ferrique en fer ferreux.

10.6.2 - Les types de sols Les sols bruts sont caractérisés par la présence visible de roche mère, une végétation pauvre et clairsemée, des apports en matière organique très faibles ou nuls. On les trouve dans les régions polaires, la haute montagne et les régions désertiques. Les sols peu évolués restent sous une forte influence de la roche mère et présentent souvent un caractère acide.

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III - La biomasse et sa chimie

On distingue en particulier : ►► les rankosols sont des sols de forte pente en montagne qui surmontent directement la roche mère silicatée (schistes durs). Ils sont acides (pH ~ 6) et humifères, peu ou pas sujets à la formation de complexes argilo-humiques. Leur horizon O est riche en matière organique. Les humus que l’on y trouve sont du type mor ou moder (voir ci-dessous) ; ►► les rendosols sont les homologues des rankosols aux roches mères calcaires. Ce sont des sols basiques (pH 7 à 8,7). Ce sont eux qui sont les plus fréquemment rencontrés en France ; ►► les sols de steppe se situent dans des zones à faibles précipitations et sont de ce fait faiblement lessivées. Cependant, ils présentent un complexe argilo-humique saturé et, riches en matière organique, ils sont de nature fertile. Voici quelques traits caractéristiques des sols de type « mor », « mull » ou « moder » : ►► Les mors ou terres de bruyère caractérisent les sols siliceux portant une végétation acidifiante (landes à bruyères et forêts à conifères), qui ralentissent la décomposition des matières organiques et leur humification. L’horizon  O surmonte directement l’horizon E ; ►► Les mulls se forment en aérobiose. Ils sont riches en nématodes (lombrics, etc.) et en arthropodes (cloportes, etc.) qui assurent une rapide incorporation de la litière à l’humus, d’où un horizon O de faible épaisseur. Ce sont des zones très fertiles, à forte capacité d’échange cationique. On distingue les mulls calciques, faiblement basiques (pH 7,7 à 8,5), riches en calcium échangeable et en acides humiques, et les mulls forestiers (forêts à feuillus) et des prairies qui sont acides (pH 5 à 6,5) ; ►► Les moder sont, eux aussi, formés en aérobiose. Les nématodes sont peu présents, ils sont surtout peuplés par des détritivores (acariens, collemboles, annellidés). Sous la litière en décomposition on trouve une zone de matière organique feutrée, un domaine de produits de décomposition de végétaux et d’organismes fongiques.

10.6.3 - L  es argiles et leur rôle de source d’éléments nutritifs de la végétation Pour assurer sa croissance et son métabolisme, la végétation plonge ses racines dans les horizons humifères des sols (jusqu’à l’horizon C pour les arbres) pour y trouver des éléments nutritifs ioniques (tab. 10.1). Ces éléments nutritifs qui entrent das le métabolisme végétal sous forme d’ions proviennent essentiellement de l’humus et pour une faible part des eaux de ruissellement qui les traversent. Ils sont libérés au cours de la dégradation bactérienne des biomasses et sont retenus pour une grande part par les argiles de l’humus qui contient en règle générale les ions minéraux Cl-, F-, [CO3]2-, [HOCO2]- , [NO3]-, [PO4]3-, [SO4]2-, Na+, K+, Ca2+, Mg2+, [NH4]+, etc.

10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols

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Nous avons déjà rencontré (voir chap. 5, section 5.2.2) les produits d’altération de roches cristallines. Selon la nature acide ou basique de telles roches mères, les conditions climatiques, la topographie du terrain et son taux d’humidité, l’altération conduit à des minéraux argileux diversifiés. Les roches acides (granite) libèrent la kaolinite Al2O3, 2 SiO2, 2 H2O, les roches basiques (basaltes) des smectites telles que la montmorillonite [Al2O3, 4 SiO2, H2O], n H2O et d’autres minéraux de même structure cristalline. Les argiles boréales (toundra) contiennent surtout de l’illite KAl2[AlSi3O10](OH)2, et de la chlorite (Mg,Fe)3[(OH)2 | (Al,Si)4O10] ⋅ (Mg,Fe,Al)3(OH)6 ; dans les régions tempérées s’y ajoutent des smectites qui deviennent dominantes dans les régions méditerranéennes subtropicales et les déserts. La gibbsite et la kaolinite forment l’essentiel des argiles de la zone équatoriale. Tableau 10.1 - Les interactions entre les sols et les biomasses Éléments nutritifs

C

Structure chimique assimilable 2-

CO2, [CO3] , [HCO3] +

H

H , HO

O N P K Ca Mg S Fe Mn B Mo Cu Zn Cl Co

-

-

air, eau, biomasse, minéraux eau

O2 +

Source

air -

[NH4] , [NO3] , [NO2] 2-

-

biomasse

-

biomasse, minéraux

[HOPO3] , [(HO)2PO2] +

minéraux

2+

minéraux

K Ca

Mg

2+

minéraux

2-

2-

[SO3] , [SO4] 2+

3+

minéraux

Fe , Fe 2+

Mn , Mn

4+

3-

minéraux 2-

[BO3] , [B2O7]

minéraux

2+

minéraux

Cu , Cu Zn

minéraux

2-

[MoO4] +

biomasse, minéraux

2+

minéraux

-

minéraux

2+

minéraux

Cl Co

Du point cristallographique, les minéraux argileux sont des phyllosilicates d’aluminium à structures foliacées. Les feuillets sont formés selon le cas de 2 ou de 3 couches dont l’une de cristaux octaédriques [Al(OH)6], la ou les deux autres de

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III - La biomasse et sa chimie

cristaux tétraédriques [SiO4]. La distance inter-réticulaire qui sépare deux feuillets varie avec le type de minéral (fig. 10.4). La nature de l’atome central des tétraèdres (Si) et des octaèdres (Al) peut donner lieu à des substitutions. En fonction du pH des eaux et des matières organiques du milieu humique, les feuillets peuvent céder des cations ou des anions ; ceux-ci se logent dans les espaces interfoliaires ou la tranche des feuillets, d’où ils sont extraits le cas échéant par les eaux de ruissellement. Les espaces interfoliaires peuvent aussi contenir des molécules d’eau, des bactéries, des moisissures. Les feuillets, porteurs de charges électriques après la perte d’ions, deviennent potentiellement le siège de diverses réactions chimiques et biochimiques qui contribuent à leur tour à l’altération de la roche. .DROLQLWH$O2  6L2  +2

6PHFWLWHV@ $O2  6L2  +2B Q +2 0RQWPRULOORQLWH 0J&D 2 $O2  6L2 Q +2

FRXFKHRFWDpGULTXH FRXFKHWpWUDpGULTXH j QP

QP

,OOLWH.$,@$O6L2B 2+ 

QP

.

+2

.

.

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+2

+ 2

+2

+2

&D1D

+2

&KORULWH 0J)H > 2+ a 6L$O 2@š 0J)H$O  2+ 

QP

 FRXFKH0J2+ 

Figure 10.4 - Minéraux argileux représentatifs [D’après http://www.u-picardie.fr/~beaucham/cours-sed/sed-3.htm]

Dans ce contexte, la biomasse morte et les excrétions métaboliques animales jouent un rôle capital ; elles s’hydrolysent en acides humiques et fulviques, des acides forts. Leurs produits de dégradation, une agglutination de matières colloïdales, mélangées aux matières minérales de base constituent la couche d’humus dont la consistance influe sur le granulat des sols et leur porosité. Certains produits de dégradation des biomasses contribuent aussi à l’extraction de nouvelles quantités d’éléments nutritifs ; c’est ainsi que l’acide oxalique et les ions oxalate, des métabolites de certaines espèces de moisissures, sont capables d’extraire de l’argile les ions du fer et de l’aluminium en formant avec eux des complexes dont l’hydrolyse libère ensuite les éléments nutritifs. D’autres métabolites tels que l’acide citrique agissent de façon analogue.

10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols

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10.6.4 - Le rôle capital de l’eau dans les sols L’eau est le composant principal de tout organisme vivant ; indispensable à son fonctionnement interne, elle est un constituant important de ses cellules et le fluide vecteur des substances chimiques qui s’échangent entre ses différents organes. Aussi tous les organismes vivants doivent-ils consommer régulièrement de l’eau pour compenser les pertes par transpiration (végétaux et animaux), par exhalaison respiratoire et par miction (animaux). Dans les organismes végétaux, l’alimentation en eau est assurée par les systèmes radiculaires des plantes qui extraient de façon continue l’eau retenue dans les sols et l’amènent jusqu’au niveau des feuilles d’où elle peut s’échapper par transpiration. Cette eau n’intervient pas seulement par sa contribution au métabolisme, mais joue en outre le rôle de véhicule des éléments nutritifs entre le sol et les racines. Par conséquent, ces éléments nutritifs doivent se retrouver dans les sols sous une forme hydrosoluble. Selon les circonstances locales, les quantités d’eau et de matières ioniques d’un sol peuvent sensiblement varier. Le contenu en eau dépend entre autres de la porosité des particules, c’est-à-dire de la finesse et de l’extension de leurs structures capillaires, à l’origine d’effets de rétention d’eau par adsorption. Ces effets garantissent au sol un certain taux d’humidité, même en l’absence de ruissellements ou de pluie, la situation qui se présente dans les déserts. En second lieu, le contenu en eau des sols est fonction du degré de compactage de leurs particules, responsable aussi de leur perméabilité à l’air. L’action des racines, celle de la faune (vers de terre, cloportes, etc. voire des rongeurs qui y élisent domicile), favorisent un faible compactage et une bonne circulation des fluides gazeux. Il y a lieu de remarquer que la composition de l’air contenu dans les sols peut différer notablement de celle de l’atmosphère. Par son accumulation au détriment du dioxygène, la proportion en gaz carbonique des sols, issu tant de la dégradation oxydative finale des biomasses mortes, que du métabolisme respiratoire des organismes vivants et de l’altération de certaines roches, est supérieure de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de fois à la sienne dans l’atmosphère. Les fortes pluies et eaux de ruissellement provoquent une importante lixiviation, c’est-à-dire une importante extraction d’ions des particules terreuses, accompagnée de leur déplacement rapide, peu propice à un prélèvement par les racines des plantes. Par contre, les pluies fines, le crachin, ainsi que l’humidité de l’atmosphère sont absorbés par les sols, où ils se chargent progressivement d’ions et sont stockés sous l’effet de la capillarité, elle-même fonction de la porosité des sols. Ces eaux deviennent ainsi disponibles à plus long terme pour l’alimentation des systèmes radiculaires des végétaux, en particulier au cours des périodes de sécheresse.

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III - La biomasse et sa chimie

Dans les sols confinés ou à faible circulation des eaux, les éléments nutritifs s’accumulent, la porosité à l’air disparaît et prive les racines des végétaux de l’oxygène qui leur est nécessaire tout comme aux micro-organismes qui assurent la dégradation oxydative des biomasses mortes. L’exclusion de l’air de ces sols conduit à un milieu fortement réducteur, les biomasses subissent une dégradation dorénavant réductrice qui provoque un dégagement de méthane. Par ailleurs, les oxydes et hydroxydes des métaux de transition, surtout ceux du fer ferrique et du manganèse manganique, sont réduits en ions ferreux et manganeux : MnO2 + 4 H+ + 2 e - " Mn2+ + 2 H2O Fe2O3 + 6 H+ " 2 Fe2+ + 3 H2O L’évolution des organismes aérobies en milieu aquatique est parallèle à celle dans les sols et gouvernée par les mêmes facteurs. Le premier est le taux de dioxygène dissous. Dans les eaux courantes naturelles celui-ci est en moyenne de 5 à 7 mg O2/L (limite de solubilité à 25 °C  : 8,5  mg/L). Cette situation permet à la plus grande partie de la faune et de la végétation aquatiques de se développer de façon satisfaisante. Par contre, la survie devient problématique pour beaucoup d’espèces, lorsque le taux de dioxygène passe au-dessous de 2  mg/L, l’action bactérienne anaérobie prend alors le dessus. L’autre facteur est la mise à disposition des éléments nutritifs aux organismes vivants. Au fur et à mesure de sa disponibilité d’éléments nutritifs, la végétation se développe, des planctons et des algues peuvent se multiplier. Pour qu’une telle situation s’instaure, il faut prendre en considération les problèmes de circulation de l’eau. Indépendamment de la nature des roches traversées, une circulation d’eau turbulente sur ses débris favorise l’aération d’un torrent de montagne, mais son courant entraîne trop rapidement les ions provenant des dégradations des roches pour qu’une végétation s’y installe. La situation s’améliore parallèlement au passage dans des zones peu ou pas pentues. Lorsque la circulation des eaux devient laminaire et ralentie et que la profondeur du lit des rivières, étangs ou lacs est faible, des végétaux aquatiques peuvent s’implanter. Dans les milieux où la disponibilité d’éléments nutritifs est telle que la vitesse de production de biomasse est inférieure à celle de sa destruction, peu de débris de biomasse morte se déposent sur le fond. Tant que l’aération de l’eau est suffisante, la décomposition bactérienne est aérobie et aboutit en dernière instance à du dioxyde de carbone et de l’eau. Par contre, lorsque l’aération de l’eau est faible ou nulle et la production de biomasse vivante supérieure à celle de sa dégradation, celle-ci devient anaérobie, le lit des ruisseaux, étangs et lacs s’encombre de biomatière morte et se rehausse progressivement. À terme on aboutit à un milieu tourbeux, surmonté éventuellement d’une prairie humide où serpente un filet d’eau.

10 - Les cycles des bioéléments majeurs et l’interaction des biomasses avec les sols

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10.6.5 - L’interaction entre les sols et leur végétation Les sols sont surmontés par la végétation qui y plonge ses racines et ses graines pour en extraire les matières nécessaires au métabolisme des différentes espèces d’herbes, buissons, arbres. Cette végétation prospère d’autant mieux que le sol est convenablement aéré. Le degré d’aération dépend des peuplements microbien et fongique, d’arthropodes (nématodes, etc.) et de la richesse en matières nutritives. L’horizon humifère accueille plus ou moins aisément les graines, puis les racines des végétaux. Pour leur part, les acides fulviques contribuent à l’amendement de la structure physique des sols, en particulier ceux des pelouses et des zones tourbeuses ; mais à l’opposé leur action de complexation de certains éléments trace conduit à un appauvrissement des sols en éléments nutritifs, indispensables à la croissance des plantes. La nature de la végétation dominante d’une région est gouvernée par quelques facteurs, parmi lesquels on relève : la latitude du secteur et sa température moyenne annuelle, le degré local d’ensoleillement ou d’ombre, la nature acide ou basique des sols locaux, leur contenu en éléments nutritifs minéraux, le taux d’humidité et de porosité des sols du lieu. C’est ainsi que seuls des arbres parmi les espèces les plus robustes sont capables de survivre sur des sols devenus stériles et compacts. Ils s’y maintiennent grâce à leur capacité à développer des racines profondes pour s’ancrer solidement et pour puiser dans les couches profondes les éléments nutritifs dont ils ont besoin. L’ancrage débute souvent par l’insertion d’une radicule dans une fissure fine de roches. Sous l’effet de leur développement consécutif, les racines arrivent ensuite à faire éclater ces roches, ouvrant ainsi la porte à leur altération. Elles peuvent aussi prendre des proportions telles, qu’elles arrivent à soulever et faire éclater les couches de sol qui les surmontent.

10.6.6 - Les sols agricoles Depuis l’invention de l’agriculture (du latin ager = champ et du verbe colere = cultiver, travailler la terre) il y a environ 12 000 ans, les sols et les végétations subissent de nombreuses interventions anthropiques. L’assainissement et la conservation des sols peut prendre plusieurs formes : l’irrigation des terrains arides, le drainage des secteurs humides, la culture en terrasses en montagne, la protection des champs et des prés par des diguettes, etc. en sont des exemples réalisés depuis plusieurs milliers d’années. Les agriculteurs primitifs avaient déjà reconnu la nécessité d’une aération des sols, qu’ils pratiquaient à l’aide d’un araire qui « ouvre » le sillon, pour obtenir une récolte satisfaisante. Ils pratiquaient des brûlis, initialement pour créer des sols agricoles,

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III - La biomasse et sa chimie

plus tard pour compenser leur épuisement en les rechargeant en ions nutritifs contenus dans les cendres. Ultérieurement une alternative a consisté dans la pratique de la jachère, le « repos » du sol pendant une certaine durée au cours de laquelle les apports d’ions minéraux véhiculés par les précipitations et ruissellements rétablissent les déficits d’ions. Les techniques modernes d’amendement des sols par l’apport de matières minérales (chaulage en particulier) et organiques, ainsi que la modification régulière des assolements pour éviter l’épuisement des sols agricoles, sont des pratiques qui n’ont été mises en route qu’à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, lorsque Lavoisier a mis en évidence d’une part l’intérêt de la fumure des champs, de l’autre la sélection des végétaux et des animaux domestiques, en vue de l’amélioration des espèces. Pour terminer, notons que depuis les temps reculés les sols font l’objet, de la part de leurs exploitants, d’un classement de leurs qualités agricoles et les végétations d’un inventaire de leur dominance dans un lieu. Ce classement et cet inventaire, remontant quelquefois à l’époque gallo-romane et au-delà, se retrouvent encore aujourd’hui dans les toponymes de nos cadastres et cartes géographiques. Il est ainsi loisible à tout un chacun de vérifier sur le terrain que leur validité est toujours actuelle. Voici deux exemples : ►► un terrain calcaire dénudé ou aride, où ne poussent que des graminées, est représenté par les toponymes calme, calvin, chalvet, chaume, chauve, chaux… et leurs diminutifs et déformations – on trouve même « chaussette » (Cime de Chaussette, commune de Saint-Étienne de Tinée 06) ; ►► une forêt peuplée d’une des différentes variétés de chênes est caractérisée par le vocable roure, rouvre pour le grand chêne, yeuse, alzine, else, éouve pour le chêne vert, blache, blacas, casse pour le chêne blanc, garric pour le chêne kermès des garrigues, etc. Cette marque d’une « intimité » de nos ancêtres avec la nature n’est-elle pas remarquable ?

Chapitre 11 L’espèce humaine et son biotope Comme nous l’avons vu à travers les exemples décrits dans les parties précédentes, l’Univers en général, la Terre et sa biosphère en particulier, constituent des systèmes dynamiques dans lesquels les transformations d’ordre chimique prennent une place prédominante. Certaines de ces transformations, d’une extrême variété selon les lieux et les conditions physiques, se sont mises en route dès le moment où le refroidissement de la matière initiale a été suffisant pour assurer les conditions énergétiques d’existence de la matière sous la forme condensée, celle des atomes, molécules et ions. Qu’elles soient à court ou à long terme, elles ne s’arrêteront qu’au moment où d’autres conditions énergétiques conduiront à la dégradation des molécules, atomes et ions. Il nous reste maintenant à examiner en quoi et comment ces transformations, dont les chapitres précédents constituent un aperçu du fonctionnement au niveau de la biosphère, peuvent être influencées par les activités humaines, en particulier celles d’ordre chimique. Dans ce but, nous passerons successivement en revue les efforts de Homo sapiens pour explorer et inventorier les potentialités que lui offre la biosphère, puis ses tentatives pour adapter la biosphère à ses besoins, et, plus près de nous, même la soumettre dans certains cas à ses appétits. Un certain nombre d’exemples illustrera les interventions humaines d’aujourd’hui dont les réussites et les échecs, imprévisibles, ne se manifesteront pas, selon toute probabilité, avant quelques dizaines d’années, voire plus d’un siècle. L’existence de tels délais dans la manifestation de certains effets de l’interaction humaine avec la biosphère doit nous inciter à une extrême prudence dans nos interventions individuelles et collectives, car leurs conséquences conditionneront le cadre de la biosphère dont hériteront les générations futures.

11.1 - Des hominidés à Homo sapiens Il y a environ : 7 millions d’années Apparition des premiers hominidés en Afrique, du Tchad au Rift de l’Afrique orientale.

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III - La biomasse et sa chimie

4,5 millions d’années Avec l’Ardipithécus les hominidés ont définitivement acquis la station bipède. 2,5 millions d’années Homo habilis crée les premiers outils de pierre (galets aménagés sur une seule face, choppers). 1,8 millions d’années Homo erectus fabrique des choppers biface. Il commence sa migration hors d’Afrique vers le Proche-Orient et le Caucase, puis les terres asiatiques plus lointaines (îles de la Sonde, Sud-Est asiatique, Chine) et enfin l’Europe du sud, vers − 1,5 millions d’années. 300 000 années Homo neandertalensis apparaît en Eurasie. Sa présence est attestée depuis la région rhénane (Néandertal) jusqu’aux régions ibériques et méditerranéennes. En Asie il peuple le Proche-Orient (Croissant Fertile, Caucase) et l’Asie centrale jusqu’à l’Ouzbekistan. Son espèce s’éteint vers − 30 000 avant notre ère. Les produits des fouilles archéologiques laissent pressentir des individus trapus à l’ossature épaisse, des chasseurs et artisans d’une grande habileté. Ils pratiquent une vie semi-sédentaire dans des grottes ou des abris pérennes, enterrent leurs morts et font preuve d’une grande richesse culturelle. Leurs outils sont progressivement diversifiés, aux masses bifaces en pierre brute se substituent des couperets, couteaux, racloirs, lames, haches, etc. en pierre polie. 250 000 années Homo sapiens, l’espèce humaine qui succède à Homo neandertalensis et à laquelle nous appartenons apparaît il y a environ 250 000 ans dans les régions des Hauts Plateaux éthiopiens et du Rift. Vers − 130 000 ans, à l’époque de l’interglaciaire Riss‑Würm, il part à la conquête du Monde par étapes. Il occupe successivement le pourtour méditerranéen, l’Asie Mineure, l’Anatolie, l’Asie centrale, le souscontinent indien et atteint la Chine vers − 70 000 ans. Plus récemment, il peuple le Sud-Est asiatique, l’Indonésie et l’Australie, puis, aux alentours de − 20 000 ans, la Sibérie d’où il passe en Alaska dix millénaires plus tard et se répand dans les deux hémisphères américaines jusqu’en Patagonie. Il se différencie de son prédécesseur à plusieurs égards et se substitue peu à peu à lui, après une large période de cohabitation en plus ou moins bonne entente. Une certaine vie sociale et culturelle devait s’être instaurée rapidement, conduisant à des manifestations artistiques, comme en attestent les peintures rupestres de la grotte

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Chauvet (~ − 35 000 ans), suivies quelques milliers d’années plus tard de celles des grottes d’Altamira, de Lascaux, des rochers du Tassili des Ajjers, etc.

11.2 - Première exploration du biotope humain Comme toutes les espèces animales et végétales, l’Homme doit dans un premier temps s’imposer face à la totalité des autres espèces vivantes et créer son propre biotope, c’est-à-dire affecter toute son énergie à sa survie, à l’observation et à l’exploration permanente de son environnement immédiat, modifié plusieurs fois sous l’effet de changements climatiques. Dans ce contexte, son sort est peu enviable et son espérance de vie réduite à une vingtaine d’années de nomadisme. Il vit de la main à la bouche ; au hasard de ses pérégrinations, il se nourrit des produits de ses cueillettes de végétaux, ainsi que de la viande crue des animaux qu’il est capable de capturer de ses mains (chasse et pêche). Entouré d’une faune qui lui est a priori hostile, il doit rester jour et nuit sur le qui-vive, pour ne pas en devenir la proie ; autant dire qu’il ne profite pratiquement jamais d’un vrai sommeil. Ses premiers moyens de défense, qui lui servent aussi pour la chasse, sont des branches d’arbres qu’il brise ou qui ont été arrachées par les tempêtes, ainsi que des pierres de différentes grosseurs. Son intérêt lui commande d’étudier les mœurs des animaux qu’il essaie de chasser, contre lesquels il doit se défendre ou qui peuvent lui être utiles d’une autre façon. Il en est de même en ce qui concerne les végétaux qui peuvent présenter un intérêt du point de vue de leur comestibilité (feuilles, graines, racines, fruits) ou un danger, lorsqu’ils contiennent des poisons. La maîtrise du dosage de ceux-ci peut se révéler bénéfique sous forme de médicament. Une amélioration de son sort intervient à partir du moment où il comprend tout l’intérêt d’une association avec des congénères ; un regroupement occasionnel en horde permet une pratique plus efficace de la chasse au gros gibier. Il en est de même en ce qui concerne un regroupement familial, puis en tribu, dans lequel une diversification des tâches quotidiennes peut être organisée : ►► tours de garde pour les plus forts, permettant à chacun un sommeil réel, même s’il est court ; ►► multiplication des éducateurs et allongement de la durée d’instruction des rejetons, ce qui favorise l’extension de leur domaine de connaissances par rapport à celui de leurs aînés ; ►► partage des tâches en cherchant à prendre en compte les aptitudes individuelles qui se révèlent, ce qui stimule l’esprit inventif et aboutit à des techniques de travail améliorées.

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III - La biomasse et sa chimie

Sa maîtrise du feu, il y a environ 1 million d’années, est un important facteur de progrès. Elle lui permet la conservation des viandes par séchage et fumaison. En revanche, leur cuisson fait passer en partie leur contenu en sel (chlorure de sodium) dans le jus, ce qui compromet l’équilibre salin dans le métabolisme humain et doit être compensée quotidiennement dans la nourriture. Les modifications du régime alimentaire intervenues au cours des millénaires ont eu pour conséquence une augmentation, à travers les générations, de la taille et des capacités du cerveau humain ; le volume de la boite crânienne passe de 700 cm3 chez les hominidés il y a environ 4 millions d’années à 1200 cm3 chez l’homme moderne. À force d’épier le monde qui l’entoure pour assurer sa sécurité et sa nourriture, l’Homme fait d’intéressantes observations. Il constate par exemple que le feu durcit le bois, avant de le consumer, et en profite pour améliorer ses épieux de chasse. Il relève que l’arête d’un morceau de roche telle que l’obsidienne permet d’entailler le bois et il en tire avantage pour fabriquer des pieux et poutres qui servent, mieux que les branchages ramassés, à fabriquer des abris solides et des palissades de protection. Vers − 2,5  millions d’années il en vient à fabriquer ses premiers outils de pierre en faisant éclater des galets (choppers monoface). Peu à peu il améliore ses techniques, travaille les pierres sur deux faces (choppers biface) et affine les tranchants de ces outils et armes lithiques pour la fabrication desquels il privilégie le silex, mais recourt ailleurs, nécessité faisant loi, au quartz, au granite ou au calcaire dur. Dans les régions volcaniques il trouve de l’obsidienne, un verre volcanique (rhyolite) dont les éclats sont particulièrement tranchants. Cela le conduit à la recherche de gisements de silex, à la création de sites de leur extraction (vers l’an − 4000 elle se fait déjà par puits et galeries) et de leur transformation.

11.3 - De l’ère des prédateurs à celle des producteurs Une mutation a lieu avec le changement de climat qui met fin à la dernière glaciation, il y a dix millénaires, époque pour laquelle la population mondiale est estimée voisine de 10 millions d’individus. Des groupes humains commencent à se sédentariser et construisent des huttes en bois et en pisé, groupées en hameaux et quelquefois en véritables villages dont certains sont même lacustres (entre les Alpes et le Jura souabe, lac de Constance). Ces regroupements imposent des règles de vie en communauté et sont ainsi à l’origine d’îlots de civilisation. Pour subsister, les Hommes de l’époque néolithique ont appris à pratiquer, à côté de la cueillette, de la chasse et de la pêche, une agriculture primitive sur des terrains

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tels que des prairies sauvages et des essarts 1, des niches propres aux travaux agricoles. Vers l’an − 8000 ils se lancent dans la culture de céréales, l’orge et le sarrasin, très résistants au climat, sur un sol qu’ils aèrent à l’aide d’un araire simple, une forte branche ou un petit tronc d’arbre. Simultanément ils domestiquent le chien, la chèvre, le mouton ; plus tard le sanglier et les ruminants. Ils appliquent aussi la technique des brûlis dont les cendres apportent l’engrais minéral aux sols, cultivés pendant quelques années jusqu’à leur épuisement, puis délaissés pour de nouveaux secteurs. C’est là l’une des premières procédures anthropiques empiriques d’ordre chimique interagissant avec la biosphère. Il est remarquable qu’en Europe l’intérêt de la fumure animale ait échappé aux agriculteurs jusqu’à la fin du xviiie siècle. Le développement de la connaissance des propriétés de la matière, acquise à partir d’observations éparses, liées au hasard plutôt qu’à une action systématique, conduit à l’épanouissement d’un artisanat : poterie, tannage des peaux, tissage, teinture. Vers l’an − 4000, en Égypte, on sait tirer profit du procédé de fermentation des fruits et extraire l’alcool par une distillation grossière. On prépare déjà des produits médicamenteux, des fards et pommades cosmétiques selon des procédés dont certains ont été en usage jusqu’à une époque très proche ou le sont encore (macérations, infusions, percolations, etc., sans oublier le procédé « d’enfleurage » au suif et à l’axonge pour extraire les matières odorantes des végétaux). L’obtention de récoltes suffisantes pour stocker des provisions en prévision des périodes creuses et, parallèlement, le développement de l’élevage ont des conséquences culturelles  ; les hommes doivent pouvoir évaluer des quantités d’objets. Ils apprennent à compter et à tenir un état de leur bien ; ils utilisent à cet effet des baguettes dont les entailles représentent des nombres. À ce stade ils n’éprouvent pas encore le besoin d’effectuer des calculs, ni celui de lire ou d’écrire. La création de métiers exercés à plein temps, c’est-à-dire qui ne fournissent que de façon indirecte leur nourriture à ceux qui les exercent, entraîne celle d’une activité relationnelle nouvelle, l’échange de produits agricoles contre des produits de l’artisanat qui rapproche le producteur du consommateur. Le silex, le sel et l’ambre sont quelques-uns des premiers produits commerciaux. Ces bouleversements d’activité en génèrent d’autres, sociaux et culturels, renforcés par un début d’urbanisation et la constitution de castes de fonctionnaires, de 1 Le terme essart (du latin exsarire = sarcler à fond, arracher toute végétation) désigne des terrains totalement défrichés. L’essartage est réservé aux terrains en taillis ou buissoneux que l’on transforme ainsi en terres arables et met en culture. Cette technique est encore pratiquée de nos jours dans certaines régions. Les essarts gagnés sur une forêt sont appelés gaudissarts, la racine gau est une déformation du gothique wal = pieu, tronc d’arbre, et a donné l’allemand moderne wald = forêt. Les termes essart, gaudissart et leurs formes dérivées issart, ichart, essert, etc. se retrouvent dans de nombreux toponymes de notre pays.

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prêtres - médecins, de guildes d’artisans, de soldats, etc. Les communautés humaines se structurent, on assiste à l’apparition d’élites qui gouvernent à l’aide d’un corps d’administrateurs, chargés d’assurer les contributions régulières en matières et/ou en travail réclamées à la collectivité. En voici quelques exemples qui se placent entre le huitième et le troisième millénaire avant notre ère. Un véritable État est créé en Égypte. Il dispose d’une administration très structurée et efficace. Sur le pourtour du Croissant fertile les centres de civilisation se multiplient avec Jéricho, Damas et Alep le long de sa façade méditerranéenne, Çatal Höyük en Cilicie, Uruk, Babylone, Ninive en Mésopotamie à son autre extrémité. Dans la vallée de l’Indus il faut citer Mehrgarh et surtout Mohenjo-Daro au Baloutchistan. En Chine les premières installations néolithiques apparaissent le long du fleuve Jaune 2.

11.4 - Découverte des ressources cachées de la biosphère Tant que l’Homme vit exclusivement de chasse et de cueillette, il ne dispose pas de beaucoup de temps pour d’autres activités. Tout au plus apprend-il à conserver sa nourriture pendant quelques heures grâce à la cuisson des aliments, et pendant quelques mois au moyen du séchage des graines (céréales, légumineuses) et des viandes, ainsi que de la fumaison de ces dernières. Cela lui permet de créer quelques réserves alimentaires pour les périodes de disette. La construction quotidienne d’un foyer au cours de ses expéditions de chasse apprend au chasseur à apprécier progressivement la diversité du comportement des pierres sous l’effet de la chaleur et de l’épreuve du feu. Au fil des ans il observe que certaines retiennent mieux ou au contraire transmettent plus facilement la chaleur que d’autres ; pour créer son foyer domestique il sait écarter celles qui éclatent à la flamme et évite autant que possible celles qui se dégradent progressivement à température élevée, telles le calcaire et le gypse que le feu réduit peu à peu en une poussière sensible à l’action ultérieure de l’eau 3. 2 Pour les développements des civilisations en Asie, voir : M. Soutif (2009) Fondements des civilisations de l’Asie, collection Science et culture, EDP Sciences, Paris ; J. Needham (1974) La tradition scientifique chinoise, collection Savoir, Hermann, Paris ; L. Ch’iao-p’ing (1948) The Chemical Arts of old China, Journal of Chemical Education, Easton, Pennsylvania. 3 Nos ancêtres ont rapidement su tirer profit de ces observations. À partir de la chaux vive, le produit de décomposition du calcaire, ils ont su préparer des mortiers, des mélanges de chaux et de sable qui, additionnés d’eau, constituent d’excellents liants des pierres ou briques résistant aux intempéries (le Pont du Gard a près de deux mille ans). Dans les régions sèches telles que l’Égypte, depuis au moins 6000 ans la pierre à plâtre (le gypse, du sulfate de calcium hydraté) fournit par chauffage un produit anhydre qui remplace la chaux pour la préparation des mortiers. Ces derniers cependant ne résistent pas à l’eau.

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Il constate que les sols argileux sur lesquels il établit un foyer deviennent durs et cassants, ce qui l’incite par la suite à fabriquer des briques et des tablettes d’argile plus résistantes aux intempéries que celles durcies au Soleil. Par le chauffage à température élevée de mélanges de certaines argiles (kaolinite) et de sables divers il crée des céramiques. Il relève aussi que plus la pile de pierres qui délimite et entoure le foyer est haute, plus la température atteinte en son centre est élevée, en un mot, il découvre l’accélération de la combustion par un courant d’air (qui apporte régulièrement de l’oxygène et enlève les produits gazeux de la combustion) et invente la cheminée qui sera ultérieurement d’une très grande utilité dans le traitement des minerais métallifères. Dans le domaine de la chaleur, il note aussi que sous l’action du Soleil l’eau de mer, ainsi que celle de certains lacs et sources, laissent en dépôt, au cours de leur évaporation, des mélanges de sels, souvent au goût amer, mais constituant une matière vitale pour ses troupeaux. En ce qui concerne le sel de table, le chlorure de sodium, indispensable au métabolisme des hommes et des bêtes, le creusement des premières galeries d’exploitation des gisements alpins du Salzkammergut 4 (Hallein, Autriche) remonte à près de 1000 ans avant notre ère ; le nom donné à la région montre l’importance que ce gisement avait pour les peuplades de la région. Le chauffage occasionnel de pierres et de roches contenant des inclusions minérales met en lumière l’existence de substances qui, en se liquéfiant au feu, libèrent des métaux tels que le plomb et l’étain dans les foyers peu intenses, du cuivre, du mercure et du fer dans les foyers très vifs. Cette constatation conduira vers l’an - 3000 à l’art de la métallurgie, mais la familiarisation avec quelques métaux a eu lieu bien plus tôt, comme l’ont révélé les analyses de carottes de glace du Groenland contenant des poussières résultant de la métallurgie du cuivre 5. Le cuivre natif de Chypre (île qui a donné son nom « κυπρος » au métal) et du Sinaï a servi dès environ l’an - 8000 à façonner des objets par martelage. L’argent natif se présente en filons et l’or se retrouve sous forme de pépites et de paillettes très minces charriées par les cours d’eau. Ces trois métaux ont très rapidement été appréciés pour leurs propriétés mécaniques, leur ductilité en particulier, qui permettent de les travailler aisément. De plus ils sont peu ou pas altérables, ce qui confère aux objets qu’on en tire une valeur immuable et a conduit à leur utilisation comme premières monnaies dans tout le Proche-Orient. Enfin, leur éclat en fait rapidement une matière de base pour la fabrication de bijoux. Les métallurgies sont nées à partir du moment où l’Homme a su construire des foyers permettant d’atteindre les températures élevées qui sont indispensables pour 4 Salzkammergut = chambre du sel. Salz = sel en allemand. 5 L’obtention du cuivre à partir de ses minerais, la plus ancienne des métallurgies, remonte à près de 5000 années.

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arriver à faire fondre les métaux. Parmi ceux connus dès l’Antiquité, le mercure est liquide à la température ambiante (il ne se solidifie qu’à - 39 °C), le plomb fond à 328 °C, l’étain à 232 °C, l’argent à 962 °C, l’or à 1063 °C, le cuivre pur à 1085 °C. Le point de fusion du fer est si élevé (1530 °C), que les peuplades de l’Asie Mineure n’ont pas réussi à mettre au point sa métallurgie. Les premiers lingots de fer ont pu être préparés il y a seulement environ 2500 ans 6. Il en est de même d’un certain nombre d’alliages, des structures cristallines à base de deux ou plusieurs métaux. Les premiers métallurgistes constatent qu’en soumettant à fusion des mélanges de deux métaux, établis dans des proportions définies, ils obtiennent des alliages aux propriétés remarquables et aux points de fusion inférieurs à ceux des métaux purs qui les composent. Ces alliages sont découverts très tôt et utilisés dans différents domaines largement avant notre ère. Les coulées de bronzes (alliages cuivre/étain appelés « airain » par les Romains) servent à la fabrication d’armes et d’outils, celles d’or rouge (alliages cuivre/or), d’or blanc (alliages argent/or) et d’électrum (alliage naturel d’or et d’argent) sont transformées en monnaies et bijoux. Le profit que l’Homme tire de ces observations le conduit à un nouveau tournant dans sa relation avec la biosphère : il découvre les minerais et cherche à les acquérir. Cela le conduit à entamer les ressources non renouvelables de Terre.

11.5 - Développements intellectuels et techniques Les créneaux de temps libre que l’humanité se crée grâce aux améliorations de l’agriculture et aux inventions de l’artisanat lui permettent d’entamer de grands développements intellectuels. Les Égyptiens inventent le système numérique décimal vers l’an - 3000 ; ils créent d’autre part un système de mesure des longueurs, masses et volumes qui comporte des multiples et des sous-multiples et permet à l’administration pharaonique une appréciation des surfaces cultivées et de leurs rendements. Elle s’empresse de l’utiliser pour fixer les parts de récolte de chacun à livrer à la collectivité. En Mésopotamie, les administrateurs des cités inventent vers - 3500 une première écriture, cunéiforme et gravée sur des tablettes d’argile, créent le système numérique sexagésimal et jettent les bases de l’astronomie. L’écriture leur a servi d’abord à l’établissement de listes des noms des matériaux, végétaux, animaux, etc., un véritable 6 Les fouilles de Samanalawewa (120 km au sud de Colombo, au Sri Lanka) ont mis à jour un centre sidérurgique à flanc de coteau ayant fonctionné d’environ - 1300 à l’an 1200 de notre ère en produisant de l’acier. À partir des vestiges de 139 fours on en a reconstitué quelques-uns, testé leur fonctionnement et vérifié que les maîtres de forge de l’endroit avaient pu obtenir directement des aciers à haute teneur en carbone en utilisant les minerais de l’endroit. La température dans leurs fours devait par conséquent avoir dépassé 1400 °C (voir Nature n°379 du 04/01/1996).

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inventaire de leurs ressources. Par la suite ils ont même établi un dictionnaire bilingue akkadien – sumérien, facilitant les échanges commerciaux et culturels, puis des chroniques de règnes, des codes de lois (Code de Hammourabi), etc. L’analyse des documents archéologiques, gravures sur pierre, inscriptions cunéiformes sur tablettes d’argile, hiéroglyphes sur papyrus, etc. permettent d’affirmer que dès le deuxième millénaire avant notre ère au moins, il existait des cités possédant une structure administrative codifiée, une caste de lettrés et de savants, astronomes et géomètres en particulier. En Anatolie, les Hittites maîtrisent, eux aussi, la métallurgie du cuivre, la fabrication des bronzes, la cémentation superficielle du fer. En Extrême-Orient les chinois préparent des fontes de grande qualité, permettant le moulage en se servant de la température très élevée des fours à cuisson des porcelaines qu’ils ont inventés. D’autres inventions chinoises datant d’avant notre ère sont la porcelaine, le papier, la poudre à canon, la typographie, la boussole (vers - 400). Ils découvrent la déclinaison géographique, inventent le billet de banque, maîtrisent les fractions et partagent la connaissance de l’algèbre avec les Indiens qui, de leur côté, inventent le zéro. Pour expliquer l’inexplicable, Égyptiens et Chaldéens inventent dès ce moment des déités censées gouverner les phénomènes naturels (foudre, tempêtes, tremblements de terre, etc.), les aspects spirituels de l’existence (vie, mort, amour, haine, savoir, etc.) et les activités matérielles de la vie (métallurgie, commerce, etc.). Quelquefois ils leur assignent même des résidences. Le monde spirituel indien est d’abord dominé par le brahmanisme (vers - 1500) qui évolue en l’hindouisme (- 900). Ce panthéisme semble général, seuls les Hébreux et les Zoroastriens défendent très tôt une croyance monothéiste. Le bouddhisme qui ne fait référence à aucune déité apparaît vers - 600. En Europe, le développement intellectuel atteint un sommet avec les philosophes grecs et aboutit à une vue du Monde et de la Nature qui a perduré près de 1500 ans, celle de la Physique d’Aristote pour qui chaque être est organisé et tend vers la perfection. Sa vue du Monde a marqué aussi bien la pensée des périodes gréco-latine, patristique chrétienne, arabo-musulmane et médiévale européenne dominée par la scolastique et le dogmatisme. Euclide met au point la géométrie. Dans le domaine technique, les Sumériens inventent la roue et la métallurgie du cuivre, indépendemment de celle mise au point en Anatolie à la même époque. Au cours de toute cette période, la biosphère apparaît comme un système en équilibre statique, les métiers artisanaux, essentiellement d’intérêt local, et leurs pollutions ne provoquant que très peu de perturbations. En Europe une rupture est amorcée avec l’invention de l’imprimerie vers 1450. Désormais la transmission des savoirs n’est plus soumise aux aléas de la copie manuscrite, source d’innombrables erreurs de transcription. On assiste rapidement à la publication d’un grand nombre

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de manuels de vulgarisation des techniques minières et chimiques écrits par des ingénieurs, plutôt que des adeptes de l’alchimie. Un renouveau de l’étude de la Nature et de la biosphère se manifeste au début du e xvi  siècle avec Paracelse qui met en cause les idées médicales de Galien et d’Avicenne et pose les bases de la séparation entre alchimie et chimie. Il fonde la iatrochimie (du grec iatros = médecin), un ensemble de techniques permettant de séparer les mélanges que constituent les substances naturelles, d’identifier et de caractériser par l’analyse chimique les corps purs ainsi isolés, puis de déterminer leurs principes actifs et de doser leur action sur l’organisme. La iatrochimie constitue le germe de la chimie moderne, de la pharmacie et de la toxicologie. La véritable rupture avec la vue aristotélicienne du Monde qui nous entoure est amorcée au début du xviie siècle avec une première récusation des éléments par Boyle (vers 1650). Elle devient patente au siècle des Lumières, avec les Encyclopédistes. À la fin du xviiie siècle, les bases de la connaissance scientifique moderne et les procédures techniques de son acquisition sont solidement établies et permettent dorénavant une exploration rationnelle de notre biosphère 7.

11.6 - Incidence des techniques pré-industrielles sur la biosphère À la signature des traités de Westphalie (Münster et Osnabrück, 1648) l’Europe Centrale est complètement ravagée. La reconstruction des cités et des États se traduit par de grands bouleversements dans la conception de la société et un éveil de l’esprit d’entreprise. Dans toute l’Europe, on assiste à un développement technique, en particulier à un renouveau de l’extraction minière qui prend une grande importance (fig.  11.1)  ; dans divers secteurs de l’économie, des artisans agrandissent leur entreprise et deviennent manufacturiers. Toutes ces modernisations réclament la mise à disposition de fortes quantités de matériaux et de combustibles, ce qui ne reste pas sans influence sur la biosphère dont les forêts payent un lourd tribut. Dès le xve siècle, le recours à la force hydraulique a permis de développer les dispositifs mécaniques tels que meules de moulins, soufflets de forge, pompes, etc. et de surmonter une première crise de main d’œuvre. Mais le recours à la force hydraulique n’a pu suffire pour induire la révolution industrielle et la production de masse. Pour cela, deux prémisses, l’invention d’une machine à vapeur efficace et la création du coke sidérurgique, furent déterminantes. 7 Voir l’excellente étude de J. Debyser (2007) Un nouveau regard sur la Nature, EDP Sciences, Paris.

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Figure 11.1 - Dessin extrait de l’ouvrage de G. Agricola, De re metallica libri XII, Bâle, 1530

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La transformation de la machine à vapeur primitive de Papin (1687), améliorée en 1705 par Newcomen, puis, en générateur efficace d’importantes quantités d’énergie mécanique par J. Watt entre 1765 et 1782, a ouvert la voie au machinisme 8. Mais elle n’a pu le faire que grâce à une substitution de combustible, le charbon de bois, devenu rare par suite des déboisements intensifs, est remplacé par du « charbon de terre » dont l’extraction se développe rapidement ; une agression de la biosphère remplace la précédente. Ce nouveau combustible permet aussi d’atteindre des températures plus élevées. Pendant près de 200 ans, la machine à vapeur a ensuite été la centrale énergétique de toutes les usines, ainsi que le moteur de grands moyens de transport (chemins de fer et bateaux), avant d’être relayée progressivement, à partir du xxe siècle, par le moteur à combustion et l’énergie électrique. Le coke, l’autre invention cruciale, est le résidu solide de la distillation de la houille et des charbons. Sa structure et, à travers elle, son comportement mécanique sont fonction de l’origine des matières premières et de la technique de distillation. En 1709, A. Darby réussit le premier à produire un coke suffisamment résistant à l’écrasement pour pouvoir servir dans les fourneaux sidérurgiques. Il en est résulté une nouvelle structure architecturale de ceux-ci, le haut-fourneau. Le coke qui y sert de combustible doit être à la fois très dur pour résister à la pression exercée par plusieurs tonnes de coke et de minerai de fer, tout en conservant une structure suffisamment poreuse pour ne pas freiner le tirage de l’installation, responsable du maintien de la température interne à une valeur de 1500 °C à 1600 °C. La production de masse de fers, fontes et aciers est mise en route. La Grande-Bretagne est le premier pays à amorcer la transformation de la société qui, de la structure rurale basée sur le travail manuel, évolue vers une structure de type urbain. Pour faciliter son industrialisation, elle provoque la première migration technologique en attirant sur son sol de nombreux ingénieurs et techniciens continentaux, spécialistes des domaines minier, métallurgiste, manufacturier (tissage, teinture, verrerie, etc.) qui feront sa prospérité au long du xviiie siècle. Le passage de techniques artisanales de tissage, de teinture, de tannage, etc. à des productions manufacturières exige en retour la fourniture de composés chimiques en quantités importantes. La préparation d’acide sulfurique à grande échelle par J. Roebuck débute en 1746. Son procédé dit des « chambres de plomb » est encore 8 Le saut quantique dans la disponibilité d’énergie mécanique, réalisé grâce à l’invention de la machine à vapeur, est marqué en physique par deux grandeurs en usage au xixe siècle. Ce sont les unités de puissance aujourd’hui disparues appelées cheval vapeur, normalisé à 75 watts, et l’homme-manivelle qui en représente la quinzième partie, soit 5 watts. Cette dernière grandeur apparaît aujourd’hui comme une curiosité, mais éclaire bien la progression de la quantité d’énergie disponible au moment du remplacement de la « force des bras » par la pression de la vapeur d’eau.

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largement en usage à la fin de la seconde guerre mondiale. De son côté, la fabrication de l’eau de javel, le puissant agent de blanchiment des tissus avant teinture, est mise en route en 1796 par Berthollet et Alban. Très rapidement on assiste à une diversification des procédés de fabrication et des matières premières ; il en résulte une grande abondance de produits qui suscite l’apparition de la concurrence dans le commerce. Tous ces bouleversements technologiques et la multiplication des déchets qui accompagnent les productions semi-industrielles posent des problèmes de gestion d’un nouveau genre. Le recyclage de ces déchets conduit d’une part à des productions nouvelles de « produits secondaires » des fabrications principales, de l’autre à des « résidus absolus », des substances qu’il devient impossible à recycler et dont il faut assurer l’élimination définitive par incinération, fermentation, enfouissement profond, etc., dans des conditions qui assurent la meilleure protection de l’environnement.

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Chapitre 12 L’interaction des activités anthropiques avec la biosphère À son entrée dans l’ère préindustrielle, Homo sapiens n’est plus exclusivement soumis aux aléas de la biosphère. Dans la phase précédente celle-ci ne subissait que des égratignures, des atteintes mineures et bénignes, mais avec la disponibilité d’une quantité importante d’énergie et de matières premières, ses interactions quotidiennes avec les activités anthropiques ont maintenant des effets plus profonds et plus graves, au point qu’un nombre croissant de scientifiques considèrent que depuis le début du xviiie siècle nous sommes entrés dans une nouvelle époque, « l’anthropocène ». Dans les pages qui suivent, nous cherchons à fournir, dans trois domaines fondamentaux qui touchent à la chimie, une illustration des modifications qui ont influencé à partir de là le bien-être de l’espèce humaine.

12.1 - Chimie et disponibilités en produits alimentaires 12.1.1 - Historique de la chimie agricole Avec la mise en place de l’agriculture, les êtres humains arrivent à influer sur le fonctionnement de la biosphère. Un grand pas est franchi, Homo sapiens ne consomme plus seulement des produits renouvelables que la biosphère lui offre, souvent de façon aléatoire ; désormais il cherche à développer la production de tels produits, surtout de ceux capables d’améliorer son bol alimentaire. Le véritable point de départ de l’intervention de la chimie dans l’agriculture se situe aux alentours de 1780 - 1800, lorsque le Duc de Bedford en Angleterre et Lavoisier en France font effectuer sur leurs terres des essais systématiques d’acclimatation de nouvelles espèces végétales, ainsi que d’amendement des sols par chaulage et/ou

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fumure 1. C’est l’amorce de la pédologie. Ils mettent largement leurs observations à la disposition du monde agricole, par l’intermédiaire d’associations professionnelles telles que, en France, la Société d’Agriculture de Paris. Pour soutenir le développement du monde rural, Calonne crée en 1785 un Comité d’Agriculture dont il confie le fonctionnement à Lavoisier. Les premiers ouvrages d’ordre chimique dédiés spécifiquement à l’agriculture voient le jour au début du xixe siècle. En 1813, Davy, le chimiste qui a isolé les métaux alcalins par l’électrolyse, démontré que le chlore est un corps simple et établi l’existence des hydracides, s’attaque aussi à des problèmes de chimie pratique et publie sa Chimie Agricole, traduite en français en 1819. De son côté, Chaptal qui, avec GayLussac, a assuré l’industrialisation de la France et sa prééminence en Europe dans ce domaine jusqu’en 1840, fait paraître en 1823 sa Chimie appliquée à l’agriculture, rééditée en 1829. J. Liebig, le véritable père de la chimie agricole et de la chimie physiologique, publie 20 ans plus tard ses fameuses Lettres sur la Chimie, d’abord sous forme d’articles dans la Augsburger Allgemeine Zeitung, puis, en 1844, sous forme d’un livre, traduit immédiatement en français (2 éditions, en 1844 et 1845). Il est le premier à étudier le cycle du carbone dans la nature. À partir de 1840, il examine l’action des engrais et les facteurs de leur efficacité. Son action a permis d’obtenir un recul notable des disettes épisodiques qui régnaient encore en ce temps en Europe. Ses études sur la viande ont abouti à la création d’une industrie. L’agriculture tire rapidement profit de ses enseignements.

12.1.2 - Chimie et agriculture industrialisée Les agriculteurs ont mis beaucoup de temps pour comprendre le rôle de la fumure et des engrais ; pendant longtemps ils en sont restés à un profond empirisme en pratiquant la jachère et/ou les cultures par alternance. Dans le premier cas on laisse reposer la terre un certain temps, pendant lequel les eaux de ruissellement apportent de nouveaux éléments fertilisants. Dans le second cas on tire profit du fait que les éléments nutritifs réclamés par les plantes varient d’une espèce à l’autre, le sol n’est pas épuisé, mais seulement appauvri en certains éléments nutritifs ; en quelque sorte le terrain est en jachère pour une culture donnée, pendant que l’on en pratique une autre. 1 Acquéreur du domaine agricole de Freschines, à Villefrancœur (Loir-et-Cher), le chimiste A. Lavoisier le transforme en exploitation agricole expérimentale, dresse des plans de mise en culture et tient un véritable cahier de laboratoire agricole. Il investit l’équivalent de 2  millions d’euros dans cette entreprise et démontre au monde paysan l’intérêt de l’adaptation des cultures à la nature des terrains, de la sélection des végétaux, ainsi que celle des animaux domestiques, en vue de l’amélioration des races, mais il leur démontre surtout l’importance de la fumure des champs. Ses conseils sont rapidement adoptés par les paysans de la région de Blois, malgré les vicissitudes de la Révolution française.

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L’intérêt de la fumure régulière des terrains n’est reconnue que vers la fin du xviiie siècle, celle des engrais vers le milieu du siècle suivant. Dans un grand nombre de régions ces apports de connaissances ont permis de réduire les famines en disettes, mais ces dernières n’ont été définitivement surmontées qu’après la première guerre mondiale, lorsque le procédé Haber  2 de fabrication de gaz ammoniac, puis de nitrate d’ammonium, tous deux utilisés comme engrais azotés, est devenu disponible pour l’économie de paix. À partir du moment où le monde agricole a pris conscience de l’importance des engrais chimiques sur les rendements des produits agricoles, on est passé progressivement des cultures extensives aux productions intensives. Celles-ci ont exercé une grande influence sur notre biosphère. Mises en route tout d’abord dans les vastes plaines d’Amérique du Nord, elles ne se sont vraiment développées en Europe qu’à la suite d’opérations de remembrement des terres agricoles, après la seconde guerre mondiale. Elles aboutissent à la création de grands espaces continus, favorables à la pratique et l’industrialisation des monocultures agricoles. L’agriculture échappe en peu de temps à ceux qui pendant des millénaires ont essayé de comprendre les mécanismes de la Nature pour en tirer, pour eux et les générations futures, un avantage raisonnable à travers une gestion sans dégâts profonds. Pour leur part, la mise à la disposition des agriculteurs de nouveaux genres de pesticides et phytosanitaires par l’industrie chimique, bio- et agrochimique, ainsi que la création de nouvelles variétés d’espèces végétales maraîchères et fruitières, puis de semences génétiquement modifiées, induisent une profonde transformation des pratiques agricoles et permettent une élévation sensible des rendements, mais du point de vue écologique cette évolution de l’agriculture s’accompagne aussi d’une série de phénomènes défavorables, aux conséquences d’ordre chimique, dont voici quelques exemples : ►► nuisances liées à l’épandage en doses excessives de produits phytosanitaires dont les effets bénéfiques sur la biosphère sont ainsi contrariés ; ►► développement abusif de cultures telles que celles du maïs et du tournesol qui réclament un apport d’eau souvent démesuré par rapport aux quantités disponibles dans le sol. L’arrosage permanent de cultures et/ou de prés, exerce une grande influence sur le niveau des nappes phréatiques et appauvrit par son lessivage le contenu des sols en composés chimiques nutritifs ;

2 En 1913 le chimiste F. Haber, spécialiste de thermodynamique et de cinétique chimique, met au point un procédé catalytique de fabrication d’ammoniac à partir d’azote et d’hydrogène, travail qui lui a rapporté le prix Nobel. Cette réaction peut être complétée par l’oxydation du gaz ammoniac en acide nitrique. La combinaison de l’ammoniac avec l’acide nitrique conduit au nitrate d’ammonium, toujours utilisé de nos jours comme engrais, comme explosif des carrières et, malheureusement, comme arme par des groupes terroristes divers.

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►► multiplication

de troupeaux de ruminants qui fait qu’en certains endroits le taux moyen de méthane dans l’atmosphère a été fortement dépassé, comme l’ont montré des analyses systématiques de l’air ; ►► épandage, en quantité très élevée, et souvent illicite, du lisier des élevages de porcs et des fientes des élevages de volailles en batterie. Dans certaines régions, la pollution des nappes phréatiques en nitrates et nitrites est si élevée, que l’eau des sources n’est plus propre à la consommation pour les malades et les enfants en bas âge !

12.2 - Activités industrielles et risques chimiques Des composés chimiques d’une grande variété interviennent dans les activités industrielles et présentent souvent des risques élevés de transport, de stockage et de manipulation. Leurs dangers potentiels exigent le respect de règles strictes et sévères pour assurer une sécurité permanente des personnels et installations des entreprises, tout comme celle des populations dans un rayon plus ou moins important. Il faut en particulier garantir une élimination satisfaisante des effluents et déchets solides, liquides et gazeux, pour éviter la pollution de l’air, de l’eau et des sols.

12.2.1 - Les déchets à l’ère pré-industrielle Les émanations résultant d’activités domestiques et/ou artisanales ont, dès l’aube des temps, affecté la composition de l’atmosphère. Les foyers domestiques et les opérations de brûlis sont sources d’émission de dioxyde de carbone ; les produits de fermentation de la biomasse morte et des déchets ménagers correspondent essentiellement à du méthane. Comme on sait, l’action de ces deux gaz sur le climat est l’objet de nombreuses et vives discussions d’ordre scientifique, économique, politique et, dans certains cas, idéologique. On trouve aisément une documentation sérieuse  3 sur cette problématique dont l’humanité n’a pris conscience que depuis peu et dont le monde scientifique poursuit l’étude. Cependant, dans un certain nombre de régions, malgré leur ignorance des processus scientifiques, les hommes semblent avoir été sensibles depuis des millénaires aux risques sanitaires liés aux déchets des activités domestiques et artisanales. Les archéologues ont ainsi pu analyser les habitudes alimentaires dans d’anciennes collectivités des pays nordiques dans lesquelles il était d’usage de rassembler en un seul lieu les déchets domestiques auxquels on a donné le nom de kjökkemödding 3 Le lecteur intéressé trouvera dans l’ouvrage de A. Legendre (2009) L’homme est-il responsable du réchauffement climatique ? collection Bulles de Sciences, EDP Sciences, Paris, une bonne étude des problèmes du climat et, surtout, une documentation très complète sur ce thème.

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(littéralement : déchets de cuisine – kjökke équivaut à l’allemand küche = cuisine ; mödding rappelle l’anglais mud = vase, boue). En tous lieux les tanneurs et les teinturiers avaient interdiction de travailler en amont des prises d’eau des villages, etc., les cultivateurs et éleveurs rassemblaient et rassemblent toujours les fumiers et lisiers, sources de produits ammoniacaux, dans des entassements et des fosses à l’écart de l’habitat. L’évacuation des déchets domestiques par des égouts ouverts ou couverts était une pratique courante dans les cités de l’Antiquité. À Rome la cloaca maxima a été édifiée vers l’an - 600 par Tarquin ; des réseaux d’évacuation des eaux usées ont été révélés dans les ruines de l’époque gallo-romane de beaucoup d’autres localités en France et dans d’autres régions de l’Empire romain. Il est d’autant plus étonnant qu’au xxe siècle, jusqu’aux environs de 1970, en méditerranée, entre Saint-Raphaël et Gênes, les agglomérations côtières ne disposaient pas de stations d’épuration des eaux usées produites par leurs 2 millions de résidents permanents, déversées directement dans la mer  4  ! Heureusement qu’en se baignant les touristes n’en savaient rien.

12.2.2 - Les activités minières et leurs conséquences L’observation du comportement des matières minérales au feu conduit l’Homme à un nouveau tournant dans sa relation avec la biosphère : il entame ses ressources non renouvelables. Par l’extraction des premiers minerais à fleur de sol, puis du soussol, il est à l’origine du pillage de la planète, mais ne possède pas encore la capacité de s’en rendre compte, tant ses premiers pas dans ce domaine sont petits, tant les bénéfices initiaux qu’il en tire à partir du moment où il maîtrise la métallurgie et la poterie sont élevés par rapport aux inconvénients. Dès l’Antiquité les travaux miniers et métallurgiques ont posé de sérieux problèmes. Ils accaparent d’importantes surfaces pour le dépôt des stériles à la sortie de la mine. D’autres installations étendues sont nécessaires pour le traitement des minerais ; ce sont des espaces de concassage et de broyage, suivis de vastes bassins de flottation pour séparer les minerais de leur gangue qui réclament la consommation de grandes masses d’eau courante. S’y ajoutent des plate-formes pour le « grillage » du minerai et le stockage des combustibles nécessaires à cet effet, car le grillage en consomme une grande quantité et est la source de l’émission d’une importante quantité de fumées (dioxyde de carbone et dioxyde de soufre en particulier, mélangés à de fines poussières de suie). 4 Vers 1970 le projet RAMOGE (Saint-RAphaël - Monaco - GÊnes) a enfin sonné le long de 300 km de côtes de la Méditerranée la fin d’une source d’importantes pollutions et d’une situation sanitaire intolérable.

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Selon la disposition des terrains, l’exploitation des galeries minières entraîne des risques de perturbation des nappes phréatiques et des réseaux hydrologiques souterrains, le percement de poches d’eau, le tarissement de sources, la libération de gaz (méthane, mono- et/ou dioxyde de carbone), ainsi que d’effondrement des galeries dont il faut assurer en permanence le soutènement. En France, dans un secteur allant du Pas-de-Calais à la Moselle, l’abandon, vers 1970, de l’extraction du charbon et du minerai de fer, ainsi que de l’entretien des galeries minières a eu pour conséquence jusqu’à nos jours de nombreux effondrements de terrain provoquant à leur suite celui des habitations qui s’y trouvaient. Dans le monde entier, le secteur minier donne aujourd’hui lieu à d’importants dévoiements, facilitant un pillage très organisé des ressources et faisant fi de la protection de l’environnement. On connaît ainsi des sites d’extraction à ciel ouvert 5 dans lesquels des millions de tonnes de roche et de terre sont déplacés pour en tirer un très faible pourcentage de minerai désiré. Aux USA on rase carrément les sommets des montagnes, pour accéder aux filons de charbon 6. De son côté l’extraction de l’or 7 est l’objet de graves pollutions chimiques de la biosphère.

12.2.3 - L  a fabrication des produits chimiques et les risques de leur emploi Les impératifs liés à la fabrication de nombreux produits du quotidien sont particulièrement mis en lumière dans l’industrie chimique et pharmaceutique, où règnent une réglementation très contraignante et des contrôles réguliers sévères qui couvrent les domaines de la santé des intervenants, de la sécurité des installations, de la circulation des fluides, du transport des matières dangereuses, de l’enfouissement durable des déchets dans des sites contrôlés, etc. La mise au point d’un procédé de fabrication chimique lui-même est l’objet de longues expérimentations pour passer du stade du laboratoire à celui de la fabrication 5 Mines de cuivre au Chili, mines d’argent, de cuivre et d’étain en Bolivie. En République fédérale d’Allemagne, extraction à ciel ouvert de lignite dans la Ruhr, la Thuringe et la Saxe, avec destruction de zones d’habitation ! 6 Dans les Kayford Mountains en West Virginia, un secteur des Monts Appalaches, pour exploiter un filon de charbon à ciel ouvert, plus de 400 sommets ont été pratiquement nivelés et les vallons comblés, toute la faune et la flore ont disparu. Les nappes phréatiques, dans la mesure où elles n’ont pas été gravement perturbées, sont polluées par les apports de dérivés du plomb, du fer, du manganèse, du sélénium, du soufre, etc. La société West Virginia Coal Association, auteur de ce désastre, clame qu’elle est l’industrie la plus créative et innovatrice du monde ! 7 En Guyane, on n’hésite pas à polluer les sites d’orpaillage avec du mercure dont les effets sur l’organisme (vapeurs toxiques et dérivés organo-mercuriques vénéneux) sont très graves et irréversibles (par exemple, la catastrophe de Minamata au Japon). En Transylvanie, on procède par complexation par du cyanure, ce qui a entraîné au début de ce siècle une catastrophe, à la suite de la rupture d’un bassin réservoir contenant ce produit.

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pilote et enfin à la production sur une grande échelle. En général, il n’est pas possible de procéder à des extrapolations pour passer du premier stade au dernier, car dans la plupart des procédés interviennent des problèmes d’effet catalytique des surfaces de contact entre réactifs et d’échanges de chaleur qui, lorsqu’ils sont mal contrôlés, conduisent soit à un emballement de la réaction avec le risque d’une évolution catastrophique, soit au contraire à un ralentissement du processus chimique au point de le rendre inintéressant du point de vue économique. Malgré quelques accidents spectaculaires en Europe depuis la fin de la première guerre mondiale, tels que ceux de Oppau/Ludwigshafen en Allemagne, de Seveso en Italie, de Schweizerhalle en Suisse ou d’AZF à Toulouse, on peut dire que, en comparaison des 500 millions de tonnes de produits chimiques fabriqués annuellement dans le monde, l’industrie chimique est celle où, du moins en Europe, la sécurité, la protection des travailleurs et de l’environnement sont parmi les mieux assurées. Il n’en va malheureusement pas de même dans les pays en voie de développement (voir l’accident de Bhopal en République indienne), ni même aux États-Unis, où les règles de sécurité et de protection des personnels et du voisinage sont beaucoup moins contraignantes et les accidents plus fréquents que chez nous. En réalité, le problème de l’interaction entre la chimie et le quotidien de chaque individu se situe à un tout autre niveau, trop souvent méconnu, celui de l’usage des produits chimiques au niveau artisanal et ménager. Au début du xxe siècle, la ménagère connaissait au mieux une douzaine de produits chimiques dont elle se servait régulièrement, par exemple l’eau de javel (hypochlorite de sodium), les « cristaux » (carbonate de sodium hydraté) pour la vaisselle, la poudre à lever (carbonate d’ammonium) pour les pâtisseries, « l’esprit de sel » (solution de chlorure d’hydrogène) pour décaper, l’alcool dénaturé, etc. L’artisan connaissait quelques composés chimiques de plus, de nature variable en fonction du métier exercé, le paysan utilisait quelques engrais (potassiques, azotés) et de rares produits phytosanitaires, tels que la bouillie bordelaise (arséniate de cuivre) pour traiter la vigne. Ces produits étaient connus de longue date, d’où leurs noms antiques ; chacun savait comment les employer sans danger. Au total, les droguistes de l’époque ne devaient pas distribuer plus d’une cinquantaine de produits chimiques proprement dits, le nombre total de composés répertoriés à ce moment étant de l’ordre de quelques dizaines de mille. Cent ans plus tard, à l’aube du xxie siècle, le nombre de composés chimiques connus et décrits dans des dictionnaires chimiques et des banques de données consultables par le public (c’est-à-dire non couverts par le secret industriel on militaire) avoisine quinze millions et celui des corps purs commercialisés quinze à vingt mille auxquels il faut ajouter un nombre important de « formulations » constituées de mélanges de substances chimiques dont les propriétés peuvent notablement différer

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de celles des corps purs et dont seuls des spécialistes savent vraiment apprécier les risques inhérents. Par ailleurs la manipulation de ces substances est trop souvent décrite en termes de jargon professionnel (et de plus en plus en anglais exclusivement), peu compréhensibles pour des utilisateurs tels que les agriculteurs et les artisans, sans grande formation en chimie et en langue étrangère. En outre, cette manipulation exige souvent des dispositions contraignantes dont les utilisateurs ne comprennent pas la signification et qu’ils négligent de respecter de ce fait. Ce sont les usagers de ces produits, les particuliers, petits fabricants, artisans et cultivateurs, qui sont le plus exposés à des accidents et qui, par leur ignorance, mettent en danger leur vie et leur environnement.

12.3 - Pollution et protection de l’environnement Depuis la nuit des temps, l’humanité est confrontée à des problèmes de pollution et a su y réagir, quoique trop souvent avec des retards importants, d’abord de façon empirique, puis progressivement de façon plus rationnelle, grâce aux observations de plus en plus précises des causes supposées et à leur diffusion. Nous avons déjà mentionné (section 12.2.1) le premier égout de Rome édifié vers - 600, ainsi que l’obligation faite aux tanneurs et teinturiers de s’établir en aval des lieux habités. On pourrait rajouter les tentatives pour juguler par des moyens parachimiques les épidémies du Moyen Âge, etc. Quoi qu’il en soit, la prise de conscience du véritable danger dans le domaine sanitaire date de l’époque de Pasteur, de ses travaux et de ceux de ses collègues au niveau européen sur les bactéries. Elle a conduit aux premiers travaux d’ordre scientifique et de règlements administratifs destinés à assurer une protection de notre vie et de notre environnement. Malgré la multiplication du nombre d’habitants de Terre et la concentration des populations dans des secteurs urbains, l’humanité semble avoir résolu le problème sanitaire, du moins dans un très grand nombre de régions. Cependant, à travers, ses activités dans des domaines divers elle en crée régulièrement une quantité d’autres, souvent d’ordre chimique, qui affectent tant la santé que l’environnement au niveau de l’air, de l’eau et du sol et du sous-sol.

12.3.1 - Les pollutions de l’atmosphère L’Homme est le principal responsable de ce type de pollution dont les manifestations naturelles sont en général limitées dans le temps (tempêtes de sable et de pollens). Tant que l’habitat était dispersé et les pratiques artisanales limitées, les produits des combustions du bois et du charbon, les fumées et le dioxyde de carbone, étaient rapidement dispersés par les mouvements naturels de l’air.

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Smogs Les premiers problèmes se sont posés lors de l’urbanisation, mais surtout à partir du moment où le charbon, souvent riche en soufre, a remplacé le bois comme combustible domestique. Sous certaines conditions météorologiques on voit alors se former des smogs épais et persistants, dont le type est celui de Londres, connu depuis le Moyen Âge. Ce sont des brouillards épais chargés de particules de suie, de dioxyde de carbone et de dioxyde soufre, d’oxydes d’azote, ainsi que d’ozone, très agressifs du fait de leur acidité ou de leur réactivité. La situation empire à partir de 1750 environ, lors de la première vague d’industrialisation de notre continent, partie de Grande-Bretagne, puis avec le développement de la machine à vapeur comme source d’énergie mécanique d’abord, électrique ensuite jusque vers 1930. Il faut relever que l’industrie a réussi à diminuer fortement leur ampleur par un traitement approprié des fumées. Un autre type de smog est celui de Los Angeles. Il est le produit de l’action photochimique sur un mélange des oxydes du carbone, d’azote, de soufre, d’ozone, ainsi que de composés organiques, résultant en particulier de la combustion incomplète des carburants dans les moteurs à explosion des véhicules de transport qui se multiplient de jour en jour depuis 1940 environ. Ce smog contient en particulier des dérivés benzéniques cancérigènes, du méthanal nécrosant et des peroxydes tels que le peroxyacétylnitrate (PAN) et ses homologues. Depuis 1958, ce smog est en forte régression. Les propriétés du smog photochimique le rendent particulièrement agressif vis-à-vis des organismes vivants et provoquent une forme particulière d’asthme. Cependant, bien qu’elles en soient à la fois acteurs et victimes, une grande partie des populations urbaines refusent d’abandonner l’usage de leur voiture particulière pour de petits déplacements. Et pour cause, « Comment pourrait-on de nos jours renoncer à son 4×4 diesel et accepter de déchoir de son standing en utilisant les transports en commun ou en allant à pied acheter son pain, ses cigarettes, ou encore pour accompagner son enfant à l’école ? » H2O, CO2, CH4 et effet de serre Dans l’atmosphère, la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone et le méthane absorbent des rayonnements infra-rouges (λ > 700 nm) du Soleil à des degrés divers. Ils les restituent ensuite à leur environnement aérien et terrestre selon un mode de fonctionnement quasi-stationnaire qui a conduit pendant une grande période à une stabilité, dans des limites étroites, des températures annuelles moyennes. Mais à partir du début de l’industrialisation et, plus récemment, de l’accroissement sensible tant de la population mondiale que de l’élevage de ruminants, les taux de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère ont sensiblement augmenté.

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Vers 1750, au début de l’ère industrielle, la teneur de l’air en dioxyde de carbone était de 278 ppm, en 1940 8 de 300 ppm, en 1973 9 de 318 ppm, en 1984 10 de 325 ppm, en 2012 de 393 ppm et en 2013 400 ppm. Cette dernière teneur n’a jamais été aussi forte depuis 2,1.106 ans ! Entre 1990 et 2005 les émissions anthropiques directes de CO2 sont passées de 21 Gt/ à 26,5 Gt/an. À ce montant s’ajoutent les rejets indirects de 6 Gt/an liés à la déforestation.La lithosphère et l’hydrosphère n’absorbent que 11 Gt/ an et les rejets dans l’atmosphère ont été de 24 Gt/an en 2007. Une récente étude française indique que dans notre pays plus de 50 % des rejets de CO2 proviennent des voitures particulières, 25 % des camions, 2,5  % des avions et 0,5 % des chemins de fer. En 2007 les cinq pays aux émissions de CO2 les plus élevées ont été, dans l’ordre décroissant, la Chine, les États-Unis, la République indienne, la Russie et le Japon, à l’origine d’une émission globale de 16,7 Gt/an. En conséquence la quantité d’énergie rayonnante, captée dans la troposphère par ces deux espèces chimiques (auxquelles il faut ajouter les CFC, voir ci-après) et rétrocédée à l’environnement, conduit à une élévation progressive de la température moyenne de l’atmosphère, des mers et des sols de notre globe. Ce phénomène, appelé « effet de serre », est responsable de modifications climatiques qui, si elles sont rampantes, sont toutefois bien réelles, comme en témoignent la fonte des glaciers et la régression des banquises et des zones de permafrost, ainsi que l’élévation des niveaux de la mer, la multiplication des tornades et coups de vent. Pour l’heure l’absence d’une réelle prise de conscience de ce phénomène par la grande majorité de l’humanité, le scepticisme de certains cercles scientifiques, ainsi que l’intervention de puissants groupes d’intérêt cherchant à empêcher toute réorientation de l’économie mondiale, n’ont pas encore permis la mise en place de dispositifs permettant d’enrayer, ou au moins de stabiliser, l’effet de serre. Hydrocarbures polyhalogénés (CFC) gazeux Les chloro-fluoro-hydrocarbures (CFC) sont à l’origine de la diminution de la couche d’ozone stratosphérique qui protège les organismes vivants de la destruction par les rayonnements UV. Ces halogénures sont des composés très stables qui ne se décomposent pas dans la troposphère. Dans la haute stratosphère (~ 50 km) par contre, ils sont attaqués dans des réactions en chaîne (voir chap. 3, section 3.2.2) par l’ozone qui leur arrache un atome d’halogène et retourne à l’état de dioxygène. Or, l’ozone absorbe les rayons UV les plus dangereux, les UV-B (290 nm