La chimie et l'habitat 9782759812219

Les progrès de la chimie conditionnent cette activité traditionnelle de l'humanité qu'est l'aménagement d

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La chimie et l'habitat
 9782759812219

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La chimie et l’habitat

Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie et habitat », qui s’est déroulé le 19 janvier 2011 à la Maison de la Chimie.

Collection dirigée par Paul Rigny

La chimie et l’habitat Jean-Claude Bernier, Alain Ehrlacher, Daniel Gronier, Patrice Hamelin, Marc J. Ledoux, Carole Leroux, Daniel Lincot, Jacques Méhu, Jean-Marc Michel, Guy Némoz, Valérie Pernelet-Joly, Dominique Plée, Daniel Quénard, Juliette Ruchmann, Johann Souvestre, Jean-Paul Viguier Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Illustrations de couverture : Maison en bois avec panneaux photovoltaïques : le maître d’ouvrage est Alain Ricaud et le maître d’œuvre est Cythelia Expertise et Conseil ; immeuble en bois rouge : Jean-Paul Viguier et Associés ; ruban photovoltaïque orange : Power Plastic® Konarka ; textile : www.porcher-ind.com

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari Conception des graphiques : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN : 978-2-7598-642-3

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2011

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage :

Paul Acker Lafarge Centre de Recherche Olivier Baverel École nationale supérieure d’architecture de Grenoble (ENSAG) Institut Navier Jean-Claude Bernier Société Chimique de France Vice-président Laurent Brochard Institut Navier Alain Ehrlacher École des Ponts ParisTech (ENPC) Institut Navier Daniel Gronier DGChem Guillaume Habert Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR) Patrice Hamelin Université Lyon 1 Laboratoire de génie civil et d’ingénierie environnementale (LGCIE), site de Bohr EA 4126 Armand Lattes Fédération Française pour les sciences de la Chimie (FFC) Marc J. Ledoux Université de Strasbourg Laboratoire des matériaux, surfaces et procédés pour la catalyse (LMSPC) UMR 7515/CNRS

Carole Leroux Agence nationale de sécurité sanitaire en charge de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) Direction de l’évaluation des risques Unité d’évaluation des risques liés à l’air

Valérie Pernelet-Joly Agence nationale de sécurité sanitaire en charge de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) Direction de l’évaluation des risques Unité d’évaluation des risques liés à l’air

Robert Leroy École nationale supérieure d’architecture ParisMalaquais Institut Navier

Dominique Plée Arkema Direction Recherche et Développement

Daniel Lincot Institut de recherche et de développement sur l’énergie photovoltaïque (IRDEP) UMR 7174 CNRS/EDF/Chimie ParisTech Jacques Méhu Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon Laboratoire de Génie Civil et d’Ingénierie Environnementale Directeur de Provademse

Daniel Quénard Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) Développement enveloppe et revêtements – Division matériaux Mathieu Rivallain Institut Navier Juliette Ruchmann Saint-Gobain Recherche Groupe vitrages actifs Service couches minces Johann Souvestre BASF France

Jean-Marc Michel Ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement Directeur général de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN)

Jean-Paul Viguier Jean-Paul Viguier et Associés Architecture et Urbanisme

Guy Némoz Textiles Techniques Conseil, Lyon

Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Équipe éditoriale

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Sommaire Avant-propos : par Paul Rigny .........................

9

Préface : par Bernard Bigot..............................

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Introduction : Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ? par Jean-Paul Viguier ..................................

13

Partie 1

La chimie, une amie qui vous veut du bien Introduction : La chimie, une amie qui vous veut du bien par Armand Lattes .......................................

37

Chapitre 1 : La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique par Valérie Pernelet-Joly.............................

41

Chapitre 2 : La photocatalyse pour dépolluer l’air intérieur par Marc J. Ledoux .......................................

55

Chapitre 3 : Biogaz : un avenir pour les déchets ménagers ? par Carole Leroux.........................................

65

Partie 2

Énergie et habitat Chapitre 4 : Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories ! par Jean-Claude Bernier .............................

75

Chapitre 5 : La chimie au service de l’efficacité énergétique : comment concevoir un habitat performant ? par Johann Souvestre ..................................

97

7

La chimie et l’habitat

Chapitre 6 : Le soleil comme source d’énergie – Le photovoltaïque par Dominique Plée ...................................... 109 Chapitre 7 : Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat par Daniel Lincot .......................................... 127 Chapitre 8 : Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ? par Daniel Quénard ...................................... 151

Partie 3

Matériaux et habitat Chapitre 9 : Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat par Alain Ehrlacher et al. ............................ 175 Chapitre 10 : Les vitrages : laissez entrer la lumière ! par Juliette Ruchmann ................................. 193 Chapitre 11 : Le textile, un matériau multifonctionnel par Guy Némoz ............................................. 207 Chapitre 12 : Matériaux composites à matrices polymères D’après la conférence de Patrice Hamelin .. 225 Chapitre 13 : Couleur et habitat « vert » par Daniel Gronier ........................................ 239 Chapitre 14 : Recyclage des matériaux et évaluation environnementale par Jacques Méhu ........................................ 261

Conclusion Chapitre 15 : La politique de l’habitat urbain par Jean-Marc Michel .................................. 277 Crédits photographiques ................................ 289

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L’Actualité Chimique veut contribuer à faire connaître l’impact qu’ont, par leurs résultats, les sciences chimiques dans la vie quotidienne. Dans le même objectif, la Fondation de la Maison de la Chimie organise des colloques qui traitent chaque fois d’un domaine d’application particulier (la mer, la santé, l’art, l’alimentation, le sport…). La rencontre entre ces deux initiatives donne naissance aux ouvrages « La chimie et… », qui veulent pérenniser les enseignements des colloques. L a collec tion L’Actualité Chimique – Livres a ainsi publié La chimie et la mer, ensemble au service de l’homme, La chimie et la santé, au service de l’homme, La chimie et l’art, le génie au service de l’homme, La chimie et l’alimentation, pour le bien-être de l’homme, La chimie et le sport, et présente ici La chimie et l’habitat. Même s’ils veulent répondre aux questions d’un large public, ces ouvrages demandent à leurs lecteurs de disposer d’une culture scientifique de base (par exemple acquise par une ou deux années d’études au-delà du baccalauréat), en sus de la curiosité qui les a conduits à s’en approcher.

Sans être, stricto sensu, les comptes-rendus des colloques de la Fondation, ces ou v r ages en présentent néanmoins les contenus d’une façon fidèle. Les divers chapitres reposent de façon étroite sur les conférences qui y ont été présentées. Un soigneux travail de rédaction, concerté avec les auteurs des conférences, en reprend les messages, en y ajoutant, parfois, des contenus pédagogiques permettant l’accès du plus grand nombre et harmonisant les niveaux de formation nécessaires pour aborder les différents chapitres. Ce travail a été fait par une équipe éditoriale (M.-T. DinhAudouin, D. Olivier et P. Rigny) constituée de membres de la Fondation de la Maison de la Chimie ou de L’Actualité Chimique (Société Chimique de France) qui a travaillé en étroit contact avec les conférenciers du colloque. Dès qu’on réalise que la Chimie est une composante majeure de la science des matériaux, on comprend que ses progrès conditionnent ceux de cette activité si traditionnelle de l’humanité qu’est la construction et l’aménagement de son habitat. La

Paul Rigny Rédacteur en chef L’Actualité Chimique

Avantpropos

La chimie et l’habitat 10

chimie offre à l’architecte et au constructeur une palette de matériaux toujours plus riche, qui nourrit leur imagination et conduit à cette diversité que nous montrent les villes modernes, l’immobilier de loisir et les édifices publics de la vie moderne ; la présentation de l’architecte JeanPaul Viguier sera ici de nature à faire rêver le lecteur. À côté des matériaux de construction traditionnels comme le bois ou les bétons, toujours majoritairement utilisés – même si c’est dans des conditions améliorées par rapport aux temps anciens (A. Ehrlacher) –, c’est l’irruption des vitrages modernes (J. Ruchmann), des textiles nouveaux faisant appel aux polymères fonctionnels et aux nanotechnologies (G. Némoz), et des multiples emplois des matériaux polymères (P. Hamelin) qui marquent les évolutions actuelles ; leurs propriétés sont abordées dans ce livre. Mais les demandes d’aujourd’hui (J.-M. Michel), imprégnées des impératifs du « développement durable », ne se limitent pas à la construction de l’édifice brut au sens premier : on réclame l’économie des ressources et le confort du X XI e siècle. La ressource à économiser, c’est d’abord l’énergie fossile (D. Quénard) et l’ouvrage montre comment la chimie permet d’éviter le gaspillage des calories (J.-C. Bernier, J. Souvestre) et comment utiliser l’énergie solaire (D. Plée, D. Lincot) forcément incidente sur l’habitation ou le biogaz que l’on peut produire par traitement des déchets ménagers (C. Leroux). L’économie des

ressources fossiles conduit, d’un autre côté, à pousser le recyclage des matériaux des bâtiments vétustes (J. Méhu) et à faire appel à la chimie du végétal, déjà aujourd’hui très performante pour fournir les différents liants et pigments des peintures des bâtiments (D. Gronier). Quant au confort, s’il est lié aux matériaux – qui permettent le contrôle de la lumière et de la température des habitations –, il exige aussi le contrôle de la qualité de l’air intérieur (M.J. Ledoux) dont les dommages potentiels à la santé ont été réalisés récemment (V. Pernelet-Joly). Réfléchir à l’habitat moderne, on le voit, conduit à découvrir plusieurs pans des sciences chimiques fort différents les uns des autres – les matériaux (leur conception, leur synthèse, leurs propriétés), les polymères, l’analyse moléculaire, les bilans d’énergie. Des remarques analogues peuvent être faites pour les autres livres de notre collection qui traitent d’autres aspects de la vie quotidienne. Le lecteur sensibilisé ne cessera ainsi de réaliser à quel point la chimie nous entoure et, bien loin de se réduire aux nuisances qu’on peut parfois mettre en avant, nous apporte des satisfactions dont nous ne voudrions plus nous passer.

Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, L’Actualité Chimique – Livres Danièle Olivier, Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny, L’Actualité Chimique – Livres

La Fondation de la Maison de la Chimie s’investit depuis de nombreuses années pour mieux faire connaître à tous les publics, et en particulier aux jeunes, les apports actuels et espérés dans le futur des applications de la chimie, et ce, dans tous les domaines d’activités de la vie quotidienne. L’objectif est de répondre avec honnêteté et toute la rigueur scientifique qui s’impose à la soif de comprendre du public, aux interrogations de toute nature et éventuellement aux inquiétudes que ces applications peuvent soulever. L a sér ie de s colloque s « Chimie et… » et la collection des livres accessibles à un large public qui en découlent sont, depuis 2007, des outils importants de cette action que nous organisons avec la collaboration de la Fédération Française pour les sciences de la Chimie (FFC) et, pour les livres, l’équipe éditoriale de L’Actualité Chimique – Livres. Après la Mer, la Santé, l’Art, l’Alimentation, le Sport, le colloque « Chimie et Habitat », le 6e de la série, a rassemblé plus de 900 participants d’origines très variées (dont un tiers de lycéens et leurs enseignants), et a été l’un des grands évé-

nements de l’Année internationale de la chimie, dont l’ouverture mondiale officielle a eu lieu le 27 décembre 2011 à l’UNESCO. L’habitat, dans sa conception comme dans sa construction, est sur la voie d’une profonde métamorphose qui concerne le neuf, comme l’ancien, l’efficacité énergétique comme le confort intérieur, l’éco-toxicologie des produits et matériaux comme leur mise en œuvre. Le s indus tr iel s concernés par ce domaine s’activent pour mettre au point des produits qui doivent répondre non seulement aux exigences classiques en matière d’acoustique, de normes antisismiques, de confort et d’esthétique, mais aussi aux nouvelles attentes de la société en ce qui concerne l’exigence sanitaire, l’écologie et l’environnement. L’innovation est un puissant levier pour repenser les lieux de vie dans leur globalité, mais elle nécessite la coopération entre toutes parties prenantes et le dialogue interdisciplinaire dans lequel la chimie tient une place importante. C’est dans cet esprit que nous avons rassemblé les

Bernard Bigot Président de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie

Préface

La chimie et l’habitat

meilleurs experts scientifiques, industriels et universitaires, concernés par ce « nouvel habitat » : les architectes représentés ici par l’un parmi les plus grands de la profession, les urbanistes et les spécialistes de l’écologie et du développement durable, de la construction du bâtiment et les chimistes des matériaux, de l’énergie et de l’environnement pour présenter les dernières innovations et leur point de vue sur l’avenir de l’habitat. L’enregistrement vidéo du colloque à la base de cet ouvrage est accessible sur le site http://actions.maisondela chimie.com. Nous souhaitons

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mettre ainsi à la disposition d’un large public, en particulier de lycéens, d’enseignants et d’étudiants (universités, écoles d’architecture et d’ingénieurs), sous une forme accessible et intéressante, les mises au point et les échanges entre ces scientifiques universitaires et industriels sur des questions d’ordre scientifique, industriel ou sociétal du plus haut intérêt.

Bernard Bigot Président de la Fondation Internationale de La Maison de la Chimie

l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ? Jean-Paul Viguier est architecte, diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris puis de l’Université d’Harvard. Il obtient le « premier prix du jury » du concours pour l’Opéra Bastille en 1981, puis pour le projet Tête Défense en 1983. En 1986, il remporte avec Alain Provost, Patrick Berger et Gilles Clément le concours pour la construction du Parc André-Citroën à Paris, puis celui du Pavillon de la France à l’Exposition Universelle de Séville de 1992. Il remporte en 1990 le concours pour la construction de l’ensemble Cœur Défense, réalise entre autres le siège de France Télévision à Paris. Jean-Paul Viguier est membre de la Commission supérieure des monuments historiques (2002-2007), membre de l’Académie d’architecture (dont il a été le président de 1999 à 2002), Chevalier de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre des Arts et Lettres et Chevalier de l’Ordre national du mérite. Sublimer la matière… les matériaux dans des situations improbables.

Il existe entre l’architecture et la chimie un rapport d’ordre à la fois scientifique, artistique, mais aussi poétique. De même il existe une relation entre la matière, l’architecture, l’espace, l’art mais aussi la société car l’architecture est un art social. Je souhaite, dans

les lignes qui suivent, vous faire découvrir les dimensions passionnantes de ces rapports à travers quelques exemples issus de mes travaux, qui donneront un support à notre exploration et illustreront ce lien entre chimie et architecture.

Jean-Paul Viguier Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

Qu’attend

La chimie et l’habitat

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Les trois dimensions de l’architecture

L’architecture est un art de l’espace qui, en plus de sa dimension sociale, doit être utile et fonctionnel. Ces dimensions de l’architecture sont décrites dans l’un des rares ouvrages littéraires sur cette discipline : Eupalinos ou l’Architecte (1921) de Paul Valéry. Le poète, philosophe, parlant du triptyque de l’architecture, écrit : « Ainsi, le corps nous contraint de désirer ce qui est utile, ou simplement commode ; et l’âme nous demande le beau ; mais le reste du monde, et ses lois comme ses hasards, nous oblige à considérer en tout ouvrage, la question de sa solidité ». Donc le beau, l’utile et le durable constituent d’une manière assez sommaire, mais en tout cas assez claire, les principales dimensions de l’architecture.

Le beau, l’utile et le durable constituent les principales dimensions de l’architecture.

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De ces trois dimensions, les deux dernières sont totalement mesurables mais la première ne l’est pas. On sait en effet très bien mesurer l’utilité : savoir si un bâtiment sert bien ou sert mal, ou sert un peu ou pas beaucoup ; on peut aussi savoir si un bâtiment est durable ou pas : il suffit de l’observer par tous les temps, d’étudier les nombreuses agressions qu’il subit : le froid, le chaud, la pluie, le vent, l’usure, l’usage des êtres humains, etc. L’utilité et la durabilité se mesurent… mais pas le beau. Le beau est

la dimension qui ancre l’architecture dans l’art, alors que les architectes – même si cer tains prétendent le contraire –, ne sont pas seulement des artistes. Mais alors, où se situe le lien de l’architecture avec la chimie ? D’abord l’architecture, dans sa dimension de durabilité et de fonctionnalité, va devoir répondre à un ensemble d’orientations sociales, à un programme proposé par des commanditaires ; pour y répondre, l’architecte devra avoir recours à des assemblages de matériaux qu’il mettra à l’épreuve dans l’élaboration du projet. La chimie sera souvent sous-jacente dans cette stimulante mise au point. Il me semble intéressant de rappeler que dans la langue japonaise, le mot « architecte » n’existe pas, et que le mot qui désigne « l’architecte » en japonais est un mot issu de la culture traditionnelle : le kanteguchi, c’est-àdire l’homme qui assemble. Dans la tradition asiatique, et en particulier au Japon, l’architecte est décrit comme celui « qui prend certains éléments et qui les assemble ». C’est l’art de la charpente, ou la sublimation de l’assemblage des pièces de bois pour fabriquer une structure qui démultiplie les capacités de chaque pièce à tenir les efforts : on prend une simple pièce de bois qui tient à certains efforts, on en met deux, cela tient plus que deux fois en efforts et ainsi de suite. L’intelligence de l’assemblage

Ces matériaux que les architectes assemblent doivent êtres mis à l’épreuve, et c’est là que s’établit un lien vraiment intéressant avec la chimie ; se posent alors des questions dans les situations créées par le projet et des problèmes sont à résoudre sur l’adéquation des matériaux choisis et leur utilisation pour lesquelles ils n’ont pas toujours été conçus. C’est ce point que je voudrais illustrer au moyen de quelques expériences personnelles.

Du carbone, de l’acier et de la toile pour la beauté d’une ligne dans le ciel et d’un ciel pour toit

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Exposition Universelle à Séville Parlons de l’usage du carbone, de l’acier et de la toile à travers l’exemple du Pavillon de la France que j’ai construit à l’Exposition Universelle de Séville en 1992 (Figure 1). Le président François Mitterrand, qui choisissait les projets, m’avait dé-

signé comme lauréat de ce concours de projets d’architecture très disputé. J’avais pourtant pris une option paradoxale risquée qui pouvait me faire perdre ce concours… mais qui au final me l’a fait gagner. Cette option était que le Pavillon de la France ne devait montrer que son propre espace, dans cette exposition universelle où règne un fatras de discours, de propos dans lesquels on a du mal à trouver sa voie, empilage de savoir-faire ou de produits plus ou moins ordonnés, plus ou moins intéressants, tournant souvent en lieu commun. Je voulais que toutes les capacités de savoir-faire de la France, sa technologie, sa culture, soient contenues au sein même d’une structure d’accueil capable de tout représenter par un seul geste architecural. Je voulais que ce lieu soit unique, au centre de l’exposition et rassemble toutes les énergies. Pour réaliser cela, j’ai travaillé sur la notion de vide ; c’est une notion que j’utilise très souvent dans mes travaux et que j’appelle parfois l’« absence », au sens où le manque qu’on ressent lorsqu’on regarde un bâtiment est souvent plus intéressant que ce que l’on voit. Ce que vous ne voyez pas ou ce sur quoi vous vous interrogez en observant une structure architecturale interpelle votre imagination, alors que ce que vous voyez interpelle plutôt votre capacité d’analyse. C’est la grande différence en architecture entre les systèmes structuralistes et les approches plus abstraites, qui sollicitent l’imagination plus que la vision.

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

des pièces démultiplie les capacités de la structure créée. Cela était autrefois réalisé au Japon essentiellement avec le bois, matériau de base des constructions. Mais maintenant, les architectes, pour créer les structures, peuvent choisir et développer une gamme infinie et très large de matériaux qui non seulement peuvent être utilisés en l’état mais aussi assemblés les uns avec les autres.

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La chimie et l’habitat 16

Je voulais faire de ce pavillon un bâtiment dont la performance, la structure, la capacité à créer un espace soient du domaine de l’impossible. Il me fallait donc trouver les matériaux me permettant d’atteindre cet objectif ambitieux. Étant d’origine toulousaine, je regardais les avions qui se construisaient non loin de chez moi et je voyais qu’ils utilisaient des matériaux magnifiques, notamment du carbone utilisé sous forme de structures en nid d’abeilles assemblées sous la forme de tubes collés les uns aux autres. Avec cette technique, on arrivait à produire des portées et des surfaces absolument immenses en utilisant un minimum de matière (Encart : « Des nids d’abeilles, solides et légers »). Je me suis alors dit : c’est exactement ce qu’il me faut ! J’ai donc créé le premier lien de ma vie d’architecte avec la chimie en travaillant à l’époque avec les ingénieurs d’Airbus pour réaliser en quelque sorte un transfert de technologie et de savoir-faire sur les matériaux de l’aviation vers l’architecture. Mon but était de créer une plaque de 50 mètres par 55 mètres de côté, soulevée à 15 mètres de hauteur et dont on aurait l’impression qu’elle n’avait pas d’épaisseur. Ces plaques de carbone utilisées en aéronautique me semblaient pouvoir être adaptées à cet objectif ; nous avons dû faire au préalable un véritable projet de recherche-développement pour mettre au point des prototypes. Mais au moment de chiffrer la réalisation finale, le coût est apparu exorbitant.

Nous avons donc buté sur ce coût. Le budget de ce pavillon étant limité, nous n’avons pas pu utiliser complètement les possibilités de la technologie pour réaliser le projet d’origine, que j’ai dû adapter. Le financement qui m’était alloué ne me permettait de réaliser en carbone que la partie inférieure de la plaque de 50 × 55 mètres, le reste devant être fait avec des poutres en acier à inertie variable, c’est-à-dire que la section de chaque point de la poutre devait être calculée pour correspondre aux efforts qu’elle devait supporter (Figure 1E). La performance architecturale a été cependant atteinte puisqu’en regardant du sol cette plaque (dont la rive était finalement de l’ordre de 10 centimètres au total), on avait vraiment l’impression qu’elle n’avait pas d’épaisseur et qu’elle ne formait qu’une seul ligne. Et le carbone permettait de réaliser, vue de dessous, une surface absolument plate, sans aucune déformation, un véritable ciel ! On voit sur ce premier exemple du lien entre architecture et matière que pour réaliser ce pavillon, il a fallu rassembler des compétences inhabituelles : celles de chimistes spécialistes des carbones, celles d’industriels de l’aéronautique et celles de l’architecte pour solliciter ou assembler les matériaux dans des conditions inusuelles et difficiles. Le passage des idées du plan sur papier aux maquettes prototypes et à la réalisation sur le terrain n’a, de plus, pu se faire qu’avec le travail conjoint des ingénieurs, des

Figure 1 Le Pavillon de la France à l’Exposition Universelle de Séville (1992). Une double poutre métallique à inertie variable de 70 cm posée selon les diagonales de la forme, revêtue au-dessous de plaques de polyester bleues et au-dessus d’un film monochrome, également bleu. Le « ciel » repose aux quatre angles sur des colonnes fines en métal creux d’inox (E). D : Habillage en toile du Pavillon de la France ; G : coupe.

B

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

A

C

E

D

F

G

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La chimie et l’habitat

DES NIDS D’ABEILLES, SOLIDES ET LÉGERS On appelle « nids d’abeilles » des matériaux dont les structures sont comparables aux alvéoles d’abeilles (Figure 2), et qui servent à renforcer la résistance d’un élément tout en garantissant une légèreté maximale. Les nids d’abeilles peuvent être constitués de papier carton, d’aluminium, de matière plastique synthétique (polypropylène), de fibres aramides (voir le Chapitre de G. Némoz), de fibres de verre ou de carbone, ces fibres pouvant être renforcées de résine époxy ou phénolique*, **. L’âme des avions Dans l’industrie, ces matériaux modernes sont utilisés en sandwich avec d’autres pour former des composites** légers grâce au vide important (95 %), et résistants en compression, tout en ayant une grande capacité de déformation. Leur réputation vient de l’industrie aéronautique qui utilise des panneaux à âme en nid d’abeilles, dont l’excellent rapport légèreté/ rigidité permet le maximum d’économie de carburant (Figures 2 et 3). À partir de 3 kg/m², leur rigidité est déjà supérieure à celle d’une tôle d’aluminium cinq fois plus lourde ! Leur résistance mécanique les rend adaptables à tout niveau de charge et sollicitations statiques et dynamiques. L’âme des bâtiments Ces performances exceptionnelles trouvent une grande utilité dans de nombreux secteurs industriels pour le remplissage de volumes creux : automobile, nautisme, éolien et, depuis les années 1980, dans les travaux publics (structures alvéolaires ultra légères), notamment pour le remblai. Particulièrement appréciés pour leur parfaite planéité quelles que soient leurs épaisseurs, ces nids d’abeilles offrent une esthétique qui en fait un matériau très recherché pour des façades et grandes cloisons, de même que pour des planchers et plafonds. De plus, ils peuvent facilement être revêtus de toutes sortes de peaux : acier, inox, aluminium, composites, bois, voire de fines feuilles de marbre. De ce fait, ils sont très appréciés dans la décoration intérieure ou extérieure des bâtiments. Le carbone, un matériau exceptionnel La fibre de carbone est un matériau composé d’un alignement de cristaux de carbone très fins, d’une dizaine de micromètres de diamètre. Cet alignement rend la fibre extrêmement résistante (à la traction et à la compression) pour sa taille. De plus, elle présente une bonne tenue en température et une grande inertie chimique. Elle est donc un matériau de choix pour renforcer les matériaux composites et pour des applications exigeant une grande résistance et un poids réduit. Ces applications couvrent des domaines aussi larges que : l’aérospatial (les nez et les bords d’attaque des navettes spatiales sont en fibres de carbone), l’aéronautique (airbus A380, Figure 3), le sport** (bateaux et rames en aviron, arcs et flèches, raquettes de tennis, planches de snowboard et planches à voile, freins de formule 1), mais aussi la musique (en remplacement de l’ébène pour des instruments à vent), …, pour ne pas tout citer.

Figure 3

Figure 2 Structure en nid d’abeilles.

L’airbus A380 a bénéficié de nombreux éléments en fibres carbone qui lui confèrent à la fois une remarquable légèreté et rigidité.

* Au sujet des matériaux composites, voir le Chapitre d’après la conférence de P. Hamelin dans cet ouvrage. ** Voir l’ouvrage La chimie et le sport. Chapitre de N. Puget. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011. 18

La réalisation de la toiture par exemple a demandé un effort technologique tout à fait exceptionnel, d’autant qu’elle a été fabriquée dans le sud de l’Espagne, un endroit où jamais un tel ensemble n’avait été construit. Ce fut compliqué à réaliser, l’impression de légèreté du pavillon fut atteinte, grâce un ensemble de dispositifs dont celui appelé rostre, colonnes fines en acier inox qui reprenaient à chaque angle de la plaque les efforts à supporter ; le poids total étant de 500 tonnes, chaque fin poteau d’angle devait supporter de l’ordre de 160 à 180 tonnes de charge, réparties sur très peu de matière (Figure 1E) ! Une fois la toiture terminée, il ne restait plus d’argent pour habiller le bâtiment, et j’ai dû faire, mais cette fois pour des raisons financières, un nouveau détournement de matière en allant trouver le fabricant de toiles « Saint Frère », dont le patron m’avait dit : « Écoutez, je ne peux pas vous aider mais je vous donne un camion de toile, je vous l’envoie, vous en faites ce que vous voulez ». Nous avons donc reçu ce camion de toile à Séville et avons habillé le bâtiment comme un coussin, comme on le fait sur des vieux fauteuils avec des boutons qui permettent de tendre le tissu (Figure 1D). Cette expérience fut réussie, et j’ai retenu l’idée de l’utilisation de la toile pour concevoir quelques dizaines d’années plus tard un bâtiment à Lyon dont je parlerai plus loin (voir le paragraphe 5).

Le verre : peau du bâtiment ou élément de structure ? Un matériau vivant !

3

De tous les matériaux qui servent à construire, le verre est probablement celui qui depuis vingt ans a fait le plus de progrès. Le verre aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui utilisé au tout début de mon activité professionnelle d’architecte. Aujourd’hui, on y incorpore toute sorte d’autres composés ou matériaux, on le rend sensible à la lumière, on peut le rendre opaque, on le double, on le triple, on l’injecte, on y introduit toute sorte de lumières. Le verre est devenu une matière durable (voir aussi le Chapitre de J. Ruchmann), absolument merveilleuse, et que j’utilise abondamment dans les bâtiments.

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

architectes, mais aussi des entrepreneurs car l’architecture est l’art de bâtir.

C’est pour moi une manière de concevoir « la peau du bâtiment », un peu comme pour un corps humain, pour lequel on sait que la peau est essentielle car c’est par ce petit film que se font les échanges entre l’intérieur et l’extérieur. Le verre joue le même rôle sur les bâtiments que la peau sur le corps humain, il est donc fascinant de pouvoir travailler sur la question des échanges intérieur/extérieur. Je recherche toujours dans l’architecture l’impression de vide, et cette idée me pousse à croire que je dois être capable de toujours faire progresser les structures dans ce sens pour susciter des émotions que l’on doit éprouver lorsqu’on regarde un bâtiment. Comme je suis avide d’expériences, j’ai donc

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La chimie et l’habitat

eu envie d’utiliser le verre pour faire de la structure : le verre ne pourrait-il pas sortir de son rôle de paroi isolante pour devenir un élément de structure ? Deux occasions se sont présentées me donnant l’occasion d’exploiter deux merveilleuses propriétés de ce matériau pour réaliser mes rêves de beauté. 3.1. La place Vörösmarty à Budapest (Hongrie) Le verre, que tout le monde imagine comme un matériau inerte, est en fait un matériau vivant : il fl ue. Et cette propriété me fascine depuis très longtemps : je l’ai découverte quand, encore étudiant, je venais observer l’immeuble de la Maison de la Radio de l’époque, construit par Henri Bernard. Je venais y admirer les feuilles de verre impressionnantes, alors les plus grandes du monde, certaines plaques atteignant onze mètres de hauteur. Si vous regardez ces plaques avec attention, comme je l’ai fait à l’époque, vous verrez qu’elles n’ont plus la même épaisseur en haut et en bas : le verre, que l’on considère comme figé dans un état définitif, a « coulé » sous l’effet des forces de gravité, et il continue à couler sur sa propre peau et à l’intérieur de sa propre matière. Une sorte d’ampoule de verre dont l’épaisseur s’amplifie en permanence dans la partie basse des plaques.

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Cette observation m’a conduit à penser que si le verre a cette capacité de couler et de se

déformer après avoir été refroidi, pourquoi ne pas utiliser cette propriété pour créer et maîtriser de nouvelles formes, et former une peau de verre sur un bâtiment ? C’est avec cet objectif que je suis parti construire un bâtiment à Budapest ; mais pour le réaliser, j’ai dû travailler en étroite coopération avec des chimistes et des industriels d’Augsbourg, la ville de Mozart. Nous avons décidé de faire fluer le verre à froid afin de donner aux plaques les formes que je désirais pour réaliser la peau du bâtiment. Après de nombreux essais, nous avons réussi à mettre au point un protocole : nous tirions sur ces plaques, juste avant la limite où elles se brisent pour obtenir la déformation souhaitée et nous stabilisions les formes obtenues par passage à l’autoclave à des températures et des pressions soigneusement déterminées par les spécialistes. C’est ainsi que nous avons fabriqué la peau de verre de cet immeuble faite de plaques de verre flué, où vous voyez que les angles sont magnifi quement courbes (Figure 4). Certaines plaques ont une forme de tore conique, géométriquement compliquée. Mais une fois le protocole de traitement du verre établi, la complexité de la forme n’avait plus d’importance : nous étions capables de réaliser des moules selon le modèle géométrique choisi, dans lesquels nous appuyions les plaques de verre, et petit à petit en se déformant, ces plaques se fi xaient dans la forme choisie. Ces effets tout à fait saisissants sur le

Immeuble mixte Vörösmarty, Budapest (Hongrie). Une deuxième double peau emballe l’immeuble sur ses trois côtés, dont l’armature s’élève depuis la rue et se galbe en toiture pour former un ample comble arrondi. La trame de cette structure tubulaire est redoublée aux niveaux des bureaux pour suspendre les écailles de verre, fixes ou mobiles, qui composent un vitrage respirant.

plan visuel ont pu être obtenus avec des verres ordinaires, donc à des coûts raisonnables, uniquement grâce au travail de mise au point des ingénieurs qui ont

accepté de m’aider : aucune autre matière n’a été ajoutée, juste des températures et des pressions bien choisies dans un autoclave et beaucoup de patience et de savoir-faire.

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

Figure 4

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La chimie et l’habitat

Cet exemple montre combien le verre est pour l’architecte un matériau plein de promesses pour l’avenir. D’ailleurs Franck Gehry, célèbre architecte américain, vient de livrer à New York Chelsea (2007), en bordure de l’Hudson, un bâtiment destiné à être le siège de IAC, une grande compagnie américaine, et qui utilise le même type de technologie de fluage à froid du verre. Mais il est allé encore beaucoup plus loin dans la complexité des formes puisqu’il a réussi à réaliser une série de cônes à double courbure tout à fait passionnante sur le plan architectural. 3.2. Le siège de France Télévisions à Paris

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Une autre occasion d’explorer les possibilités du verre comme matériau de structure s’était présentée quelques années avant Budapest, quand j’ai construit le siège de France Télévisions à Paris sur les bords de Seine (Figure 5), et à l’intérieur duquel j’avais souhaité construire deux atriums entièrement bâtis en poutres de verre : l’atrium de France 2 et celui de France 3 (Figure 6). Mais comme nous avions du mal à calculer la capacité des poutres de verre à tenir les charges, j’ai dû préalablement résoudre ces difficultés de calcul par la modélisation de la structure : il m’a fallu faire de nombreux allers et retours entre l’expérimentation sur des maquettes prototypes et le calcul pour cerner peu à peu les performances d’une poutre de verre ; ce fut long et compliqué.

Pour satisfaire ce désir de vide, je voulais qu’à l’intérieur du petit atrium de France 2 on ait l’impression qu’il n’y avait pas de structure, que les passerelles tenues dans le verre, regardées du bas, donnent l’impression d’être suspendues dans le vide (Figure 6) ; effectivement il n’y a aucun élément de structure visible car tous les éléments sont en verre. Je n’ai pu réaliser ce défi qu’en travaillant en étroite collaboration avec les ingénieurs de Saint-Gobain (voir le Chapitre de J. Ruchmann, Encart : « De Louis XIV à nos jours : les origines du verrier Saint-Gobain ») car leur verres n’avaient jamais été utilisés ni pour cet usage, ni dans ces conditions. Ce fut long et cela nécessita beaucoup de calculs et d’expérimentations. Pour atteindre ce but, nous avons dû casser beaucoup de verre pour vérifier la tenue des poutres à la charge. Ce qui est très amusant au début sur des maquettes devient impressionnant quand il s’agit d’une poutre de verre d’un mètre de haut que l’on doit faire exploser pour voir jusqu’à quel point elle résiste à la charge. Nous avions donc fait tous les tests nécessaires pour fournir des preuves indiscutables de la capacité de nos poutres de verre à tenir les efforts qui leur seraient imposés. Ces tests sont obligatoires pour le bureau de contrôle qui garantit auprès des assurances la sécurité du bâtiment. Je voudrais raconter une anecdote qui montre que les précautions prises l’ont été de manière exagérée. Malgré tous les contrôles de solidité de la

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

structure de verre que nous avions effectués, une fois que tout a été magnifiquement et spectaculairement mis en place, il nous a été demandé de lui rajouter (je dirais plutôt de la dénaturer) une structure de protection métallique, au cas où elle casserait ! Un exemple qui témoigne combien la France, parmi les autres pays européens, est l’un des seuls à prendre autant de précautions par rapport aux nouvelles technologies. C’est bien dommage pour la beauté de ce bâtiment

car cette structure ajoutée de métal, dont l’observateur ne comprend pas la raison, masque l’effet spectaculaire de la structure de verre et le travail qui a été investi pour réaliser cette performance. Cette question de l’innovation et des précautions qui y sont liées est centrale dans le travail de création que nous faisons tous sans doute tous les jours, et nous en verrons un autre exemple avec le Pôle de loisirs et de commerces Lyon Confluence (paragraphe 5).

Figure 5 L’esplanade Henri de France et le siège de France Télévisions à l’arrière-plan (Paris).

Figure 6 France Télévisions, atrium.

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La chimie et l’habitat

Le marbre : un matériau à mémoire de forme qui s’étire

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Souvenons-nous il y a quelques années à Paris des plaques de marbre de bâtiments récents tombant dans la rue. Nous avions aussi été témoins de ces fi lets posés sur les façades d’immeubles parisiens pour empêcher les plaques de marbre de se décrocher et de tomber. Nous nous demandions pourquoi 2 000 à 3 000 ans après la découverte des carrières de Carrare, ce marbre si souvent utilisé se met brusquement à se décrocher des façades ?

Figure 7 Détail de la façade lisse France Télévisions, Paris 15e.

La question a été posée aux chimistes, et l’une des explications a été que dans ces carrières, explorées depuis tellement longtemps, les pierres doivent maintenant être prélevées à des profondeurs de plus en plus grandes, donc probablement dans des endroits où la pierre, pour se former, a été soumise à des pressions et à des températures plus élevées. Quand

marbre Intérieur coulisse

Extérieur

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nous découpons ces plaques de marbre pour en faire des plaques pour la construction, la matière conserve la mémoire de la pression et de la température à laquelle elle a été formée, une sorte de mémoire de forme qui lui donnerait l’envie de s’étirer comme nous le faisons au lever du matin. Et lorsque cette pierre est fixée sur des éléments métalliques verticaux qui l’empêchent de s’étirer, son seul choix est de se bomber, de se courber ; arrêtée par ces éléments métalliques, elle se tend jusqu’à atteindre une courbure tellement exagérée que la pierre se brise et tombe dans la rue. Ce phénomène a été observé par les architectes avec beaucoup d’inquiétude, d’autant que mon client pour France Télévisions, m’avait dit : « Je veux du marbre ». J’ai donc dû trouver du marbre qui n’ait pas trop l’envie de s’étirer et qui soit blanc. J’en ai finalement trouvé au nord d’Athènes, le célèbre marbre de Thassos qui a servi à construire l’Acropole et qui est beaucoup plus facile à extraire, car moins profond que celui de Carrare. Mais pour néanmoins prévoir une éventuelle dilatation, nous avons préféré imaginer un système qui permette au marbre, s’il en avait envie, de s’étirer sans se briser : au lieu de le fixer sur des points immobiles, nous l’avons fixé sur une réglette coulissante ; ainsi, si le marbre a envie de bouger, il glisse et coulisse sur cette réglette métallique, ce qui lui permettra de se mettre dans la position qui lui convient le mieux sans se briser (Figure 7).

Lyon Confluence Après le marbre, changeons de siècle et abordons l’usage de matériaux nouveaux totalement issus de la chimie comme l ’éthylène tétr afluoroéthylène (EF TE, Encart : « L’EFTE, un matériau magique pour une architecture magique »). C’est un polymère issu de l’industrie du fluor. Il est fabriqué par la société américaine DuPont de Nemours sous forme d’une fibre tissée qui ressemble un peu à de la toile d’abat-jour. Ce matériau très résistant, qui est insensible aux ultra-violets, ne jaunit pas, et si l’on y met le feu, se sublime. C’est donc un matériau a priori formidable pour l’architecte, à condition de trouver la forme sous laquelle l’utiliser. Mais nous l’avons vu, c’est souvent de la rencontre du chimiste et de l’architecte dans une perspective de création que naissent les idées intéressantes. Pour utiliser ce matériau en architecture, il faut pouvoir obtenir de grandes surfaces résistantes. L’idée a été ici de faire appel aux techniques de nos mamans, qui savaient coudre les matériaux en zigzag, comme sur nos pantalons autrefois pour résister aux efforts. De la même manière, ce matériau a été cousu en zigzag pour lui donner une résistance très forte à la traction, puis assemblé sous forme d’un coussin à l’intérieur duquel est soufflé de l’air à environ 1,5 bar avec un simple ventilateur, de façon à le gon-

fler. Nous avons obtenu un coussin sublime, beau à voir, avec lequel on peut réaliser ainsi une toiture étanche, isolante du froid, de la pluie et du vent, d’une portée de 30 à 50 mètres, et sur lequel on peut marcher, ce qui est absolument magique (Figure 8) ! Nous avions donc découvert une nouvelle façon totalement inattendue de faire les toitures pour les bâtiments, simplement en assemblant une toile fabriquée aux ÉtatsUnis, grâce à une technique de couture. À partir de cette opération qui au départ devait être expérimentale, ce sont finalement deux hectares de toitures qui ont été montés avec ce matériau, pour couvrir un espace de commerce et de loisirs avec des cinémas, des commerces, des restaurants construits sur la presque-île entre la Saône et le Rhône à Lyon, à Lyon Confluence (Figure 8). Cette toiture d’aspect tout à fait inattendu est très ludique et inscrit ce bâtiment dans les nouvelles normes de durabilité et d’écologie : il n’est en effet plus nécessaire de fermer ce mail commercial, qui ainsi ne consomme plus d’énergie pour son utilisation et n’utilise que des matériaux recyclables. Mais une fois encore, les bureaux de contrôle sont passés par là et nous ont imposé l’ajout d’une structure en métal en dessous, dans l’hypothèse où la toile s’effondrerait, bien que cette toile gonfl ée ne présente aucun danger potentiel car s’il y avait un problème, elle s’affaisserait tout simplement. De plus, un simple calcul montre que les deux tiers du métal de cette

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

Un polymère fluoré, coussin de lumière pour un toit

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La chimie et l’habitat

Figure 8 Le Pôle de loisirs et de commerces Lyon Confluence.

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plateforme de sécurité imposée sont inutiles pour tenir cette toiture. Une autre amélioration spectaculaire de l’usage de ce toit en EFTE a été, en plaçant sur chaque partie basse de la voûte des petites lampes LED qui consomment peu d’électricité, d’éclairer l’ensemble du toit par un véritable bain de lumière et de couleurs. Nous avons obtenu cet effet en imprimant sur la toile une petite sérigraphie de points blancs qui captent la lumière des LED, la diffusent et la diffractent à l’intérieur du coussin, en conduisant à des images fascinantes. Ce mail et le centre commercial seront ouverts au public en 2012. Lyon Confluence illustre donc à merveille, à travers l’exemple de l’EFTE, l’intérêt de la rencontre entre le chimiste et l’architecte, et comment un matériau qui sort

brut des usines de chimie peut être détourné en architecture pour en faire des toitures originales, belles et durables.

Le renouveau du bois : un matériau vivant auquel on s’attache

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Le bois est un matériau fantastique qui a beaucoup servi dans l’architecture, puis qui a totalement disparu et que l’on redécouvre aujourd’hui. C’est à Montpellier que j’ai trouvé des clients pour partager avec moi le désir de réutiliser ce matériau pour faire des structures, et prêts pour cela non seulement à investir sur le plan financier, mais aussi dans les essais nécessaires pour l’adapter aux besoins et aux normes. Nous avons donc décidé de lancer la construction d’un immeuble de neuf étages, le premier immeuble de France

L’éthylène tétrafluoroéthylène, plus fréquemment connu sous son abréviation ETFE, est un polymère fluoré thermoplastique (il se ramollit sous la chaleur) (Figure 9). C’est un copolymère alterné éthylène/tétrafluoroéthylène. Ce matériau semi-cristallin est utilisé comme alternative au verre. De densité 1,7, il est plus léger que le verre (densité du verre : 2,5) et transmet de manière plus efficace la lumière. Il est capable de supporter 400 fois son poids. De plus, il a une grande résistance à l’usure et est utilisable dans une large gamme de température (de –80 à 155 °C). À la différence du verre, il peut être transformé par injection : la matière plastique est ramollie puis injectée dans un moule, avant d’être refroidie dans la forme souhaitée. Enfin, l’ETFE est recyclable.

Figure 9 Structure chimique de l’EFTE.

réalisé tout en bois. Théoriquement, cela était effectivement possible car le bois est capable de tenir la charge pour supporter neuf étages, mais en fait cela n’était pas si simple car le bois est aussi un matériau qui craque, se tasse et s’entretient. Nous avons dû prévenir les acheteurs que pendant les premiers mois après la construction, les différents éléments de la structure, les poutres, les solives, les panneaux, allaient devoir progressivement trouver leur place avec les autres matériaux, et que les habitants entendraient l’immeuble gentiment craquer ; on pouvait même prévoir qu’il allait se tasser d’environ deux centimètres sans bien sûr le moindre risque de désordre. Nous leur avons donc proposé de peindre l’immeuble dans une jolie gamme de rouges (Figure 10), la même palette mode que celle des rouges à lèvres et rouges à ongles

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

L’EFTE, UN MATÉRIAU MAGIQUE POUR UNE ARCHITECTURE MAGIQUE

de Guerlain, en utilisant des couleurs permanentes. Et, alors que beaucoup achètent des logements pour faire des investissements financiers, parfois même sans regarder où ils sont situés, nous avons obser vé l’inverse : les acheteurs de nos appartements se sont approprié leur immeuble de bois, prêts à en accepter toutes les contraintes ; ils se sont mis à l’aimer, prêts à l’entendre craquer et à l’entretenir régulièrement. Et les soixante appartements se sont tous vendus, avec un succès populaire extraordinaire qui montre l’attachement touchant et utile du public pour l’innovation et la recherche de beaux matériaux. Dans cet immeuble à structure de bois, l’architecte a joué le rôle d’assembleur dans la définition japonaise ; le bois est certes le chef d’orchestre, c’est lui qui règle la structure, mais la base de l’immeuble, pour être horizontale, repose

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La chimie et l’habitat

techniques depuis ces vingt dernières années. Il y a vingt cinq ans, je travaillais avec des bétons dont les résistances à la pression étaient de l’ordre de huit à dix mégapascals, c’est dire qu’il fallait beaucoup de béton pour tenir un gros effort. Quand j’ai bâti, en 2001, les tours de Cœur Défense (Figure 11), la résistance montait jusqu’à 200 mégapascals. Ainsi, en dix à quinze ans, la résistance du béton avait été multipliée par vingt.

Figure 10 Immeuble de logements, Montpellier.

sur un socle de béton matriciel et il y a des contreventements métalliques pour tenir et raidir la structure (Figure 10).

Le béton : un matériau de haute technologie qui peut aussi être un moyen d’expression poétique

7

7.1. Cœur Défense

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Tout comme le verre, le béton fait partie des matériaux qui ont fait de grands progrès

Le béton est un assemblage complexe : il n’est jamais utilisé seul. Ce matériau est lui-même un amalgame de différentes matières. Ses performances techniques ont augmenté parce qu’on a su diminuer la taille des agrégats qui le constituent, y incorporer des fibres, des fumées de silice… (voir aussi les Chapitres d’A. Ehrlacher et de J. Méhu). Mais cela ne suffit pas à tout expliquer ; le béton est un matériau que l’on assemble avec de l’acier, et c’est cet assemblage de l’acier et du béton qui conduit à l’amélioration des performances. L’acier travaillant magnifiquement bien à la traction, et le béton magnifiquement bien à la compression, l’assemblage de ces deux capacités conduit à des matériaux magiques pour l’architecture, avec lesquels on peut obtenir des portées immenses pour de très faibles sections. Ces sections, grâce aux progrès récents de la recherche, s’affinent de jour en jour puisqu’aujourd’hui on annonce l’arrivée de bétons résistants à des pressions de 400-500 mégapascals qui pourront être utilisés de

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ? manière courante sur les chantiers. L’architecture est un art de terrain, l’esprit d’invention doit porter non seulement sur la constitution des matières qu’elle utilise, mais aussi sur la façon de les mettre en œuvre, c’est-à-dire de construire. Par exemple à Cœur Défense, nous construisions un étage de tour tous les quatre jours, c’est-à-dire que nous avions à organiser une rotation des machines mettant en œuvre les matériaux qui permettait tous les quatre jours de monter d’un étage, ce qui représente aussi un bel effort technique (Figure 11). 7.2. Le site du pont du Gard Le béton n’est pas seulement un matériau de haute technologie utilisé pour faire des structures, c’est aussi un ma-

tériau ancien qui a une histoire. Le béton était déjà connu des Romains qui savaient parfaitement le travailler. Le béton romain était de la chaux mélangée avec des agrégats de marbre. Je me suis intéressé au béton romain quand on m’a demandé de construire un musée sur le site archéologique du pont du Gard (Figure 12). Le pont du Gard est cet aqueduc spectaculaire, construit par les Romains en 17 après J.-C. pour transporter de l’eau sur 50 kilomètres entre Uzès et Nîmes, avec 17 mètres de dénivelé. Franchir 50 kilomètres avec si peu de dénivelé représente un exploit, et ce d’autant plus que la topographie des lieux est très compliquée ; il faut franchir des collines, traverser des ravins dont le plus spectaculaire est cette faille du Gardon, de 300 mètres

Figure 11 Chantier de Cœur Défense, la Défense.

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La chimie et l’habitat

A

B

Figure 12 Le pont-aqueduc du Gard (A) et son site touristique (entrée) (B).

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d’ouverture sur 50 mètres de haut. Mais les Romains l’ont fait : ils ont construit ce magnifique pont du Gard, qui n’est pas simplement un ouvrage d’ingénierie mais un ouvrage d’art classé aujourd’hui au patrimoine de l’UNESCO. Construire un ouvrage aussi gigantesque pour transporter de l’eau sur 50 kilomètres alors que le pays est plein de sources, de fontaines et de puits artésiens, amener de l’eau à Nîmes où il y en a déjà peut sembler étonnant. Mais en fait, ce n’est pas de l’eau que les Romains amenaient sur 50 kilomètres, mais de l’énergie : c’était la première fois que les Romains utilisaient 17 mètres de dénivelé pour créer l’eau sous pres-

sion. Cette énergie, que les Romains ont amenée dans la ville de Nîmes, a servi à nettoyer les égouts, à faire fonctionner les thermes, à faire jaillir les fontaines, à faire monter l’eau dans les étages des maisons, et grâce à ce magnifique ouvrage. Ma mission était donc de rendre hommage, à travers un musée, à cette manifestation de l’intelligence humaine. Mais le défi était aussi d’intégrer ce bâtiment dans un superbe site classé au patrimoine de l’UNESCO, où tout est protégé et où il ne faut pas déplacer le moindre caillou sans des précautions gigantesques. J’ai donc décidé que ce musée serait comme une nouvelle

7.3. Méditerranée, Marseille J’ai eu sur un chantier de Marseille une autre expérience du même type, où j’ai obtenu un béton blanc symbole des bords de la Méditerranée (Figure 13). 7.4. La tour Maroc Telecom, Rabat Je voudrais terminer par un dernier exemple qui montre

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

pierre posée dans ce site magnifi que, et que pour mieux s’intégrer, cette pierre serait constituée d’un béton dont les agrégats seraient pris dans la rivière qui coule sur le site : le Gardon. Et pour que la couleur de « cette pierre » s’harmonise avec celle des pierres naturelles, tous les autres composants du béton ont été trouvés localement : les sables roux dans le sol du site, la chaux et les autres matières dans la région. J’ai dû aller au Portugal chercher des ouvriers qui savaient encore sabler le béton pour enlever les laitances de surface et le travailler dans la masse de façon artisanale ; mais nous avons réussi à fabriquer un béton en harmonie avec le site, une matière touchante par son humanité et son rapport à la lumière (Figure 12B). Cet exemple montre que le béton n’est pas uniquement un matériau de structure et que l’innovation pour l’architecte ne consiste pas uniquement à voir augmenter sa résistance à des portées de plus en plus grandes. L’innovation dans sa fabrication peut être aussi un moyen de lui faire exprimer les qualités de l’âme humaine.

ce que l’architecte peut faire exprimer à ce matériau : c’est celui d’une tour actuellement encore en cours de construction dans le centre de Rabat (Figure 14). Rabat est une ville royale où d’une part les tours n’y sont en général pas autorisées, où la tour la plus grande doit rester la tour Hassan, symbole de la légende de la fondation de ce pays. Cette tour, dont la réalisation m’a été confiée, a donc fait l’objet de nombreuses discussions préalables et il m’a été demandé de réaliser un ouvrage à la fois exemple de performances technologiques

Figure 13 Chantier de Cœur Méditerranée, Marseille.

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La chimie et l’habitat

Figure 14 La tour Maroc Telecom.

mais qui soit aussi un symbole montrant, par l’architecture, la réussite de mon client Maroc Telecom.

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J’ai réalisé un assemblage d’acier et de béton, et je crois que la photo de cet ouvrier

marocain (Figure 14), sur ce bâtiment en construction, au bout de sa poutre, montre par la fierté qu’il exprime, assis aussi haut dans les airs, que ce pays est entré dans la modernité.

Pour respecter les trois dimensions de l’architecture – le beau, le durable et l’utile –, l’architecte doit en permanence explorer la palette des matériaux qui lui est offerte : par la nature, comme le bois ou les matériaux naturels anciens que l’on redécouvre, et par l’homme, qu’ils soient issus de sa longue histoire comme le verre ou le béton, ou résultent des plus récents progrès de son industrie comme l’exemple des polymères fluorés.

Qu’attend l’architecte, l’urbaniste et l’artiste de la chimie ?

Architecte et chimiste, ensemble pour l’utilité, la durabilité et la beauté des matériaux

DE L’ARCHITECTURE À LA CHIMIE : DU DÔME DE GÉODÉSIQUE AUX FULLERÈNES Molécule en forme de ballon de football, le fullerène (C60) a été découvert en 1985 par Harold Kroto, Robert Curl et Richard Smalley (prix Nobel de chimie 1996). Il est composé de douze pentagones et vingt hexagones, chaque sommet correspondant à un atome de carbone et chaque côté est une liaison covalente. De structure identique au dôme géodésique, il est appelé « buckminsterfullerène », en hommage à l’architecte Richard Buckminster Fuller qui a conçu ce dôme (Figure 15). A

B

Figure 15 A) Le fullerène (C60) ; B) la biosphère de Montréal. Pavillon américain de l’Exposition Universelle de 1967 à Montréal. Par R. Buckminster Fuller. 33

La chimie et l’habitat 34

Ce chapitre nous montre que les créations de l’architecte s’enrichissent non seulement des progrès technologiques, mais aussi des échanges qu’il peut avoir avec les chimistes qui créent ces matériaux ou qui l’aident à en comprendre et en maîtriser les propriétés pour les adapter aux besoins, à sa propre créativité, et à les mettre en œuvre pour procurer du plaisir en même temps que de l’usage. L’architecte travaille à exalter la beauté et même la poésie des matériaux créés par le chimiste, et à les pérenniser utilement et durablement. La même recherche de la beauté d’une structure anime l’architecte et le chimiste. C’est sans doute pour cela que l’une des plus belles et plus récentes molécules créées par les chimistes, le fullerène, porte ce nom en l’hommage à un architecte célèbre, Richard Buckminster Fuller, et à son magnifique dôme en forme de gigantesque ballon de football dont les faces sont des hexagones et des pentagones (Encart : « De l’architecture à la chimie : du dôme géodésique aux fullerènes »).

une

Introduction

Les auteurs réunis autour du thème de l’habitat, d’origines et de sensibilités très différentes, illustreront divers aspects des relations entre la chimie et le bâtiment. Mais d’abord quelques « clins d’œil » qui montrent que l’on peut avoir des habitats très variés selon les époques, les lieux, les origines et les moyens : pour ceux qui ont la nostalgie de la nature et de l’enfance, nous avons la maison champignon (Figure 1A) ; pour ceux qui aiment l’histoire et l’espace pour les amis, la maison château (Figure 1B). Ceux qui aiment l’aventure préféreront la yourte (Figure 1C) ou l’igloo (Figure 1D) ; mais ils devront dans ces deux cas faire attention aux problèmes de résistance et de sécurité ; ce qui n’était pas le cas pour les indiens Navajo qui se servaient des parois rocheuses pour bâtir leur maison, suivis en cela dans d’autres pays, dont le nôtre, par tous ceux qui ont construit des maisons et des villages troglodytes :

la Figure 1E donne un bel exemple de logement collectif. Et pour terminer, les containers empilés les uns sur les autres qui ont permis à la ville du Havre de résoudre rapidement le problème de l’habitat étudiant (Figure 1F). Les problèmes de sécurité, de stabilité et de durabilité de l’habitat, évoqués dans le Chapitre de Jean-Paul Viguier, sont présents partout. Outre les problèmes de résistance à considérer dans la qualité des bâtiments, on souhaite aussi qu’ils soient énergétiquement favorables, c’est-à-dire qu’ils restent frais quand il fait chaud dehors, et qu’ils restent chauds sans consommer trop d’énergie quand il fait froid à l’extérieur (Figure 2). De plus, on souhaite que l’environnement du bâtiment, au moins à l’intérieur, soit correct. Il faut donc modifier les matériaux de construction classiques de base pour résister aux chocs thermiques, de même que l’on cherche à créer une jolie atmosphère pour l’ensemble,

Armand Lattes La chimie, une amie qui vous veut du bien

chimie, amie qui vous veut du bien La

La chimie et l’habitat

B A

C

E

Figure 1 Maison champignon, château, yourte, igloo, …de tout temps et en tout lieu, l’homme a adapté son habitat en utilisant les matériaux les plus avantageux. 38

D

F

avec de jolies couleurs (Figure 3). Pour terminer, il faut aussi évacuer les déchets ménagers qui, dans l’habitat collectif, sont en grosse quantité, et mieux encore, les recycler intelligemment.

C’est donc à la résolution de tous ces problèmes que, nous allons le voir, les chimistes travaillent afin que notre environnement intérieur soit le plus confortable possible (Figure 4).

La chimie, une amie qui vous veut du bien Figure 2 La construction des bâtiments doit répondre à des exigences multiples : résistance, confort intérieur, performance énergétique, esthétique, etc., tout en veillant à la qualité environnementale et sanitaire des matériaux.

Figure 3 Matériaux de construction, matériaux de décoration : les chimistes travaillent à améliorer continuellement leur qualité.

Figure 4 Vision de l’habitat où il fait bon vivre !

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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

de

enjeu de santé publique

Valérie Pernelet-Joly est chef de l’unité en charge de l’évaluation des risques liés à l’air à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), au sein de la direction de l’évaluation des risques (Encart : « L’ANSES »).

La pollution atmosphérique est depuis déjà longtemps une préoccupation sanitaire et environnementale des pays industrialisés. Les principales sources en sont les véhicules, les usines et les appareils de chauffage qui brûlent des ressources fossiles telles que le charbon, le pétrole ou le gaz naturel, en émettant dans l’air des gaz et des particules potentiellement néfastes pour la santé et l’environnement (voir à ce sujet le Chapitre de D. Quénard). Longtemps restée mal connue, la pollution des espaces clos est au contraire une préoccupation

plus récente. Aujourd’hui la qualité de l’air intérieur est sérieusement prise en considération par les Pouvoirs publics de pays développés tels que la France, comme en témoigne le Plan national santé environnement (PNSE), ou les États-Unis avec l’« indoor environments program » de l’Environmental Protection Agency (EPA). Dans quelle mesure la pollution de l’air intérieur constitue-t-elle un problème de santé publique et quelles solutions sont proposées aujourd’hui pour y remédier ?

Valérie Pernelet-Joly La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique

qualité l’air intérieur : La

La chimie et l’habitat

L’ANSES Née le 1er juillet 2010 de la fusion entre l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) et de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle des ministères chargés de la santé, de l’agriculture, de l’environnement, du travail et de la consommation. Grâce à son expertise scientifique, l’ANSES contribue à assurer la sécurité sanitaire humaine dans les domaines de l’environnement, du travail et de l’alimentation, ainsi que la protection de la santé et du bien-être des animaux, et la protection de la santé des végétaux. www.anses.fr

Figure 1

42

Que ce soit dans les espaces de vie d’une maison (séjour, cuisine…) ou les lieux publics comme les crèches et écoles, soupçonnons-nous l’existence de la multitude de polluants qui peuplent l’air ambiant ?

1.1. Où ça se passe ?

La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique

La pollution de l’air intérieur, un enjeu de santé publique

1

Elle dépend aussi des matériaux présents dans la pièce, sur les sols, les murs, les meubles, les objets… de la fraîcheur des peintures, de la

Lorsqu’on évoque l’« air intérieur », à quels lieux fait-on précisément référence ? Les environnements intérieurs sont multiples, allant de nos habitations privées aux bâtiments publics ; ils sont la somme des lieux que nous fréquentons régulièrement : cuisine, séjour, crèches, établissements scolaires, maisons de retraite, établissements de loisirs (gymnases, etc.), établissements commerciaux, de santé, transports, bureaux… (Figure 1). Nous fréquentons de façon prépondérante des environnements clos pendant de longues durées, tout au long de la journée et tous les jours ; tout cela représentant en moyenne 85 % de notre temps ! 1.2. Les pollutions de l’air intérieur et leurs sources 1.2.1. Les sources Que trouve-t-on exactement dans l’air ambiant de ces espaces intérieurs ? La composition de l’air intérieur dépend en grande partie de nos activités, de nos comportements et habitudes, au jour le jour, qu’il s’agisse de travaux de bricolage (peinture, ponçage, collage de moquette ou de parquet), de ménage, de cuisine (cuisson), de chauffage (au bois, au fioul…), d’utilisation de désodorisants, d’encens, de bombes aérosols, d’ordinateurs, … ou encore de la présence de fumeurs, d’animaux de compagnie… (Figure 2).

Figure 2 En plus des matériaux qui occupent nos espaces intérieurs (parquets, peintures, colles), n’oublions pas que nos activités quotidiennes sont aussi sources de pollutions (bricolage, ménage, cuisson, cigarette, élevage d’un animal domestique).

43

La chimie et l’habitat

qualité des meubles en bois – est-il aggloméré ? est-il verni ? – de la présence ou non de moisissures sur un papier peint humide… Car une fois le parquet posé, le mur repeint, le papier peint collé et les dalles posées, tous ces matériaux vont au fil du temps, de manière complètement invisible, relarguer petit à petit un certain nombre de composés qui, de par leur caractère volatil, vont se retrouver dans l’atmosphère de la pièce. Quels sont donc ces composés qui s’échappent et s’installent dans nos environnements intérieurs ? 1.2.2. Les types de polluants De ces nombreuses sources émanent de multiples sortes de polluants. Il peut s’agir de polluants chimiques comme les oxydes d’azote (NOx), gaz qui proviennent essentiellement d’appareils de combustion (chaudières, cuisinières

Figure 3

44

Qu’ils proviennent de matériaux de construction ou de décoration, ou qu’ils soient issus de nos activités quotidiennes, les composés organiques volatiles (COV) tels que le formaldéhyde, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, etc., sont plus nombreux qu’on ne le soupçonne dans notre environnement intérieur.

à gaz, chauffe-eau, chauffages individuels…), mais également de l’air extérieur pollué par les émissions des transports (véhicules routiers notamment) ou de sites industriels (centrales thermiques par exemple) et qui pénètrent dans les bâtiments par les ouvertures des portes et fenêtres. Des systèmes de chauffage, anciens ou mal entretenus, peut aussi se dégager du monoxyde de carbone (CO), ce gaz mortel, inodore et invisible, qui reste problématique en France où il est la première cause domestique de mortalité accidentelle par intoxication, responsable d’environ 5 000 intoxications et 100 décès par an ! On relève également la présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) émis par exemple par des appareils de chauffage au bois ou au charbon, et de composés organiques volatils (comme par exemple le formaldéhyde, le chlorure de vinyle, les éthers de glycol, le toluène, les xylènes…) ou semi-volatil s (phtalates…) pouvant provenir d’aérosols tels que les parfums, les déodorants, ou de colles, mais qui émanent également des constituants structurels des bâtiments comme les parois isolantes ou les faux plafonds, les revêtements de sol et de murs, et aussi du mobilier, des tissus d’ameublement (Figure 3 et voir aussi le Chapitre de M.J. Ledoux). Citons aussi l’ozone, produit par des équipements électriques tels que des épurateurs d’air ou des imprimantes laser. Nous sommes également confrontés aux bio-contaminants tels que

Figure 4 1.3. L’air intérieur et la santé Les nombreux polluants de l’air intérieur peuvent générer plusieurs types d’effets sur la santé, qui peuvent aller de la simple gêne olfactive à une irritation des yeux, de la peau, voire de l’appareil respiratoire, en passant par des problèmes de somnolence. Des pathologies plus lourdes peuvent aussi apparaître telles que des crises d’asthme, avec l’installation possible d’un asthme chronique. On relève des symptômes graves pouvant aller d’allergies, qui souvent perdurent toute la vie, jusqu’à des pathologies plus graves comme des cancers (poumon, plèvre…) pouvant survenir par suite d’expositions longues à des polluants de l’air intérieur. Ainsi les types de polluants et leurs sources sont extrêmement nombreux dans ces lieux clos où la population passe de longues périodes, en particulier des populations sensibles comme les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées et toutes les personnes immunodéprimées, risquant de contracter des pathologies très diverses.

La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique

les moisissures, les allergènes domestiques provenant des acariens, d’animaux domestiques, etc., ainsi qu’aux polluants physiques que sont les particules comme celles du bois, de la silice, ou les fi bres comme celles de l’amiante, les fi bres minérales artificielles, en particulier celles sur lesquelles peuvent s’adsorber des composés chimiques, … pour ne pas tout citer.

La conjugaison de nombreux facteurs (multiplicité des polluants, des sources, des effets sur la santé, du temps passé dans les espaces clos et taille de la population) nous conduit à un véritable enjeu de santé publique en matière de qualité d’air intérieur.

La conjugaison de tous ces facteurs conduit à faire de la qualité de l’air intérieur un véritable enjeu de santé publique (Figure 4), auquel s’ajoute le souci nouveau et croissant de l’efficacité énergétique des bâtiments (à ce sujet, voir les Chapitres de J.-C. Bernier, D. Quénard, J. Ruchmann et J. Souvestre).

2

Mesurer la qualité de l’air intérieur

Quelle connaissance avonsnous à l’heure actuelle de la qualité de l’air intérieur en France ? Suite à une importante campagne nationale, des résultats ont été publiés en 2006 par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI), structure coordonnée par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) (Encart : « Le CSTB et l’OQAI »). L’étude a été menée dans 567 logements, un échantillon représentatif du parc de logements français, et il

45

La chimie et l’habitat

s’agissait de déterminer, à un instant t, la composition des environnements intérieurs des habitations… La photographie qui en est ressortie est édifi ante. Bien que tous les polluants qui peuvent se retrouver dans l’air intérieur n’aient pas été mesurés à l’époque, la vingtaine de composés suivis a suffi pour donner une idée du sérieux de la situation, en faisant ressortir que l’air intérieur pouvait même être plus pollué que l’air extérieur (voir la Figure 1 du Chapitre de M.J. Ledoux) ; ceci a fait prendre conscience aux responsables politiques de la nécessité d’agir pour protéger les concitoyens. Pour donner des chiffres : environ 10 % des logements français peuvent être qualifiés de « multi-pollués », c’est-

LE CSTB ET L’OQAI Acteur public indépendant au service de l’innovation dans le bâtiment, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) exerce quatre activités clés – recherche, expertise, évaluation, diffusion des connaissances – qui lui permettent de répondre aux objectifs du développement durable pour les produits de construction et les bâtiments, et leur intégration dans les quartiers et les villes. Le CSTB contribue de manière essentielle à la qualité et à la sécurité de la construction durable grâce aux compétences de ses 850 collaborateurs, de ses filiales et de ses réseaux de partenaires nationaux, européens et internationaux. Missionné par les Pouvoirs publics, l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) a pour enjeu de mieux connaître la pollution intérieure, ses origines et ses dangers, notamment grâce à des campagnes de mesures, et d’apporter des solutions adaptées à sa prévention et à son contrôle : sensibilisation des professionnels, information du grand public, évolution de la réglementation, etc. www.cstb.fr/le-cstb www.air-interieur.org/oqai.aspx 46

à-dire dans lesquels trois à huit des composés recherchés ont été mesurés à de fortes concentrations, et 15 % des logements sont considérés comme « pollués » – avec un à deux des composés recherchés présents à de fortes concentrations. C’est ainsi le quart des logements français qui sont considérés comme pollués ou très pollués ! Pour poursuivre, 30 % des logements sont considérés comme « légèrement pollués » : on y a trouvé quatre à sept composés présents à des concentrations supérieures aux concentrations médianes. Enfin, 45 % peuvent être considérés comme « peu pollués », c’est-à-dire que l’ensemble des composés y sont présents à des concentrations inférieures aux médianes. Au cours de cette campagne nationale, la problématique des teneurs en allergènes d’acariens dans la poussière est apparue tout particulièrement : il a été calculé que pour 50 % des logements, elles pouvaient être supérieures au seuil déclenchant la production – tout au moins pour les personnes les plus sensibles – d’anticorps spécifiques à la réaction allergique. Parmi les vingt composés qui ont été suivis, les plus fréquemment trouvés étaient le formaldéhyde, l’hexaldéhyde, l’acétaldéhyde, le toluène, les m/p xylènes, qui ont été retrouvés dans la totalité des logements, puis le styrène et le trichloroéthylène, trouvés dans la moitié des logements… un véritable cocktail qui pourrait présenter un certain nombre de risques pour notre santé...

La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique

3

Gérer la qualité de l’air intérieur

3.1. Les réglementations existantes De quels moyens disposonsnous aujourd’hui pour gérer la qualité de l’air intérieur ? Seuls trois types d’outils réglementaires existent, qui ciblent certaines substances parmi lesquelles se trouve l’amiante. L’usage de l’amiante a été interdit dans les bâtiments construits depuis 1997 et des actions sont menées pour l’éliminer progressivement des bâtiments anciens, par des travaux de désamiantage (Figure 5). Une réglementation analogue a été édictée pour le radon, gaz radioactif présent dans certaines régions rocheuses et qui pénètre dans les logements à travers les porosités et fissures des sols de mauvaise qualité. Le radon est rigoureusement contrôlé en France depuis 1994, notamment dans certains établissements publics où des mesures correctives sont adoptées si sa concentration dépasse un certain seuil. Des dispositions législatives et réglementaires existent aussi pour le monoxyde de carbone, en lien avec l’entretien des organes de chauffage des habitations, notamment les chaudières. Enfi n, plus récemment, des dispositions ont été adoptées pour le tabagisme, interdisant depuis le 1er février 2007 que l’on fume dans les lieux collectifs. Des dispositions réglementaires ont par ailleurs été prises concernant la ventilation et l’aération, qui font

Figure 5 Depuis 1997, l’usage de l’amiante est interdit dans les bâtiments et de nombreux travaux de désamiantage ont été menés.

l’objet de certaines obligations à respecter lors de la construction des bâtiments, avec des exigences de débits d’air minimaux en fonction du nombre de pièces et en fonction du nombre de personnes dans des établissements non résidentiels Un autre t ype de réglementation vise à limiter les concentrations de certaines substances dans la composition même des produits que nous utilisons, notamment pour le bricolage et la décoration. Pour les peintures par exemple, une réglementation européenne déclinée en France impose l’absence totale de cer taines substances ou la limitation de la concentration pour d’autres substances : c’est la gestion du problème de la pollution « à la source ». En revanche, les émissions réelles ne sont pas encore prises en considération, ni les effets de

47

La chimie et l’habitat

recombinaisons de polluants dans l’air. Au vu de la photographie rendue par l’observatoire de la qualité de l’air intérieur en 2006 citée plus haut, et compte tenu de la toxicité de nombreuses substances qui existent dans l’air intérieur, toutes ces réglementations ne sont pas suffisantes et des groupes d’experts s’attellent aujourd’hui sérieusement à cette problématique de l’air intérieur. Quelles premières réponses nous apportent-ils ? 3.2. Des valeurs guides

48

Comment aider aujourd’hui les Pouvoirs publics à gérer la qualité de l’air dans les bâtiments ? Des travaux de recherche sont menés afin d’asseoir de nouvelles réglementations, visant notamment à proposer des seuils de limitations pour certaines substances. Des tr avaux d’expertise scientifique sont menés par l’Anses, dont certains concernent l’élaboration de valeurs guides pour l’air intérieur. Ces travaux initiés en 2005 et toujours en cours se fixent l’objectif d’élaborer des seuils pour un certain nombre de substances identifiées comme problématiques dans les environnements intérieurs ; ces substances ont été choisies à partir notamment du diagnostic de l’observatoire de la qualité de l’air intérieur. Les seuils sont établis sur des hypothèses sanitaires : on considère qu’en dessous de ces seuils il n’est pas attendu d’effets sur la santé, tandis qu’en cas de dépassement, des effets sur la santé peuvent survenir.

Un groupe de travail d’experts, coordonné par l’Anses, qui travaille activement sur cette thématique, a établi une série de valeurs guides d’air intérieur pour certaines substances. Il existe aujourd’hui en France de telles valeurs pour le formaldéhyde, le monox yde de carbone, le benzène, le naphtalène, le trichloroéthylène et le tétrachloroéthylène (Tableau 1). Les particules de l’air intérieur ont également fait l’objet d’une étude mais les données ont été jugées insuffisantes pour permettre l’établissement de valeurs guides pour ces particules. Quelle sera concrètement l’utilité de ces valeurs guides d’air intérieur ? Elles servent de fondement à d’autres travaux comme ceux du haut conseil de santé publique (HCSP) qui a été saisi par le ministère de la Santé pour aider à élaborer des valeurs de gestion, qui pourront être des socles réglementaires. À la différence des valeurs guides d’air intérieur établies par l’Anses qui sont élaborées sur des seuls critères sanitaires, les valeurs de gestion pourront être réglementaires et prendront en compte d’autres aspects tels que la faisabilité, la mise en œuvre, le coût économique, la perception sociale, etc. Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est elle-même saisie de la problématique de l’air intérieur et a proposé, en décembre 2010, des valeurs guides pour neuf substances ; il s’agit des Indoor air quality guidelines (IAQG).

Des travaux d’expertise coordonnés par l’Anses depuis 2005 en appui aux Pouvoirs publics ont permis d’élaborer des valeurs guides d’air intérieur (VGAI).

Substance

VGAI proposées

Formaldéhyde

– VGAI court terme : 50 μg.m –3 pour une exposition de 2 h – VGAI long terme : 10 μg.m –3 pour une exposition supérieure à un an

Monoxyde de carbone

VGAI court terme : 10 mg.m –3 pour une exposition de 8 h 30 mg.m –3 pour une exposition d’1 h 60 mg.m –3 pour une exposition de 30 min 100 mg.m –3 pour une exposition de 15 min

Benzène

– VGAI court terme : 30 μg.m –3 pour une exposition d’une journée à 14 jours – VGAI intermédiaire : 20 μg.m –3 pour une exposition de plus de deux semaines à un an – VGAI long terme : 10 μg.m –3 pour une exposition supérieure à un an 0,2 μg.m –3 pour une exposition vie entière correspondant à un excès de risque de 10 –6 2 μg.m –3 pour une exposition vie entière correspondant à un excès de risque de 10 –5

Naphtalène

– VGAI long terme : 10 μg.m –3 pour une exposition supérieure à un an

Trichloroéthylène

– VGAI intermédiaire : 800 μg.m –3 pour une exposition > 2 semaines et < 1 an – VGAI long terme : 2 μg.m –3 pour une exposition vie entière correspondant à un excès de risque de 10 –6 20 μg.m –3 pour une exposition vie entière correspondant à un excès de risque de 10 –5

Tétrachloroéthylène

– VGAI court terme : 1 380 μg/m –3 pour une exposition de 1 à 14 jours – VGAI long terme : 250 μg.m –3 pour une exposition > 1 an

Particules en suspension

Pas de proposition en raison de l’insuffisance de données

3.3. Vers un étiquetage des matériaux de construction et de décoration L’Anses, en appui aux Pouvoir publics, a conduit des travaux d’expertise concernant directement les matériaux de construction et de déco-

ration sous l’angle de leurs émissions en composés organiques volatils (à propos des produits de construction, voir aussi le Chapitre de J. Méhu). Pour 165 substances, un protocole de qualification a été établi, définissant les tests à

La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique

Tableau 1

49

La chimie et l’habitat

les émissions de substances polluantes. DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES RÉCENTES SUR L’AIR INTÉRIEUR Loi 2008-757 sur la responsabilité environnementale du 1er août 2008 : prévoit que soient établies des valeurs réglementaires sur la qualité de l’air intérieur. Loi Grenelle 1 d’août 2009 (art. 40) : obligation d’étiquetage des matériaux de construction sur leurs émissions de substances volatiles. Loi Grenelle 2 de juillet 2010 (art. 180) : surveillance obligatoire de la qualité de l’air intérieur de certains établissements recevant du public. PNSE n° 2 : 1.3 Améliorer la qualité de l’air intérieur des bâtiments et accompagner les efforts d’amélioration de la performance énergétique : – Action 7 : Limiter les sources de pollution à l’intérieur des bâtiments – Action 8 : Aérer, ventiler et climatiser sainement – Action 9 : Mieux gérer la qualité de l’air intérieur dans les lieux publics – Action 10 : Réduire les expositions liées à l’amiante

50

mettre en œuvre avant la mise sur le marché de produits de construction ou de décoration. Les matériaux sont enfermés en chambre d’émission, leurs émissions dans l’air sont analysées au bout de trois puis de vingt-huit jours. Elles sont ensuite évaluées par rapport à des repères appelés « concentrations limites d’intérêts », qui permettent d’évaluer si le protocole a été respecté et si le matériau peut être qualifié de faiblement émissif ou non. Ces travaux visent essentiellement à encourager des organismes de labellisation ; à l’aide de ce protocole, ils pourront labelliser les matériaux comme faiblement émissifs, afin d’inciter les industriels à réduire

L’élabor ation de valeurs guides d’air intérieur et la caractérisation des émissions en composés organiques volatils des matériaux de construction et de décoration sont autant de travaux scientifiques qui viennent alimenter des dispositions législatives et réglementaires récentes. La loi n° 2008-757 du 1er août 2008 prévoit que soient établies des valeurs réglementaires sur la qualité de l’air intérieur. Une nouvelle étape a été marquée par le Grenelle de l’environnement, à la suite duquel ont été édictées les lois Grenelle 1 et 2 (voir le Chapitre de J.-M. Michel). Ces textes prennent en considération l’environnement, y compris celui des espaces clos. L’article 40 de la première loi indique ainsi une obligation d’étiquetage des matériaux de construction relativement à leurs émissions de substances volatiles. De plus, l’article 180 de la loi Grenelle 2 instaure une surveillance obligatoire de la qualité de l’air dans certains établissements recevant du public, comme les crèches et les écoles. Il existe également un outil de planification, le Plan national santé environnement (PNSE – n° 2, 2009-2013), dont l’action 7 vise à limiter les sources de pollution à l’intérieur des bâtiments, l’action 8 vise à aérer, ventiler et climatiser sainement, l’action 9 vise à mieux gérer la qualité de l’air intérieur dans les lieux publics et l’action 10 porte sur la réduction des expositions liées à l’amiante.

L’article 40 de la loi Grenelle 1 du 3 août 2009 a rendu obligatoire, à compter du 1er janvier 2012, l’étiquetage des caractéristiques sanitaires des produits de construction et de décoration afin d’informer les consommateurs de leur degré d’émissivité (Figure 6). Actuellement, un protocole a été établi pour onze substances ou famille de substances : le formaldéhyde, l’acétaldéhyde, le toluène, le tétrachloroéthylène, le xylène, le 1,2,4-triméthylbenzène, le 1,4-dichlorobenzène, l’éthylbenzène, le 2-butoxyéthanol, le styrène et les composés organiques volatils totaux (COVT). Dans la réglementation relative à l’étiquetage, quatre classes de performance sont attachées aux matériaux, allant de A+ à C. Selon le protocole, pour chaque substance, les émissions du matériau sont mesurées à vingt-huit jours puis seront comparées à des seuils de valeurs. La classe A+ est basée sur les concentrations limites d’intérêts qui ont été édictées dans le cadre du protocole de l’Anses.

La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique

UN ÉTIQUETAGE INDICATEUR DE L’ÉMISSIVITÉ DES PRODUITS DE CONSTRUCTION ET DE DÉCORATION

Figure 6 Projet d’étiquetage pour les produits de construction et de décoration permettant d’informer les consommateurs sur les émissions potentielles de polluants dans leurs logements. Sur l’étiquette est prévu un pictogramme avec une note, la plus grosse en jaune étant celle la plus défavorable parmi les notes attribuées aux onze substances testées.

Les traductions réglementaires de ces différentes lois et des actions du PNSE n° 2 sont en cours d’élaboration sous forme de décrets ou d’arrêtés avant de pouvoir devenir effectifs (Encart : « Des dispositions législatives récentes sur l’air intérieur »). L’article 40 de la loi Grenelle 1 a notamment été récemment traduit dans la réglementation française par le décret

n° 2011-321 du 23 mars 2011 relatif à l’étiquetage des produits de construction ou de revêtement de mur ou de sol et des peintures et vernis sur leurs émissions de polluants volatils, et l’arrêté du 19 avril 2011 relatif à l’étiquetage des produits de construction ou de revêtement de mur ou de sol et des peintures et vernis sur leurs émissions de polluants volatils. Cette

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La chimie et l’habitat

Figure 7 À partir de 2012, les consommateurs seront désormais informés par étiquetage des émissions potentielles de composés organiques volatils par les matériaux de construction et de décoration (peinture, vernis, parquet, lino…).

réglementation vise à un étiquetage obligatoire des matériaux de construction et de décoration pour le grand public dès 2012. Il s’agit de revêtements de mur, de sol ou de plafond, de produits d’isolation, de cloisons, de faux plafonds, etc., qui seront obligatoirement étiquetés avec un pictogramme, comme représenté sur la Figure 6. Ainsi informés par cet étiquetage, les consommateurs peuvent s’approvisionner en étant informés des émissions potentielles de composés organiques volatils par les matériaux qui seront utilisés ou installés chez eux (Figure 7).

Travailler sur un protocole pour 165 substances est ambitieux et relativement coûteux. Dans une première phase, il a été retenu la mise en place d’un étiquetage concernant dix substances, identifiées comme prioritaires (Encart : « Un étiquetage indicateur de l’émissivité des produits de construction et de décoration »), auxquelles s’ajoute la famille des « composés organiques volatils totaux »… Un premier pas en matière de réglementation pour l’air intérieur qui laisse augurer d’autres étapes à venir, en augmentant progressivement la liste des polluants.

Vers l’amélioration de la qualité de l’air intérieur : encore un long chemin à parcourir

52

Le travail en cours de réalisation sur la qualité de l’air intérieur est un chantier qui occupe de nombreux experts, en particuliers chimistes, métrologues, toxicologues, épidémiologistes, qui sont en mesure de fournir de la connaissance et des premières pistes prometteuses en vue de préserver la santé des habitants. Il reste encore beaucoup d’inconnues, notamment sur les effets sanitaires de mélanges de polluants, ce qu’on appelle l’« effet cocktail », dont on sait pour l’instant peu de choses mais et représente vraiment la réalité de nos vies, car nous sommes exposés à toutes ces substances simultanément, au sein d’une même enceinte : quelles sont les synergies, quels sont les antagonismes qui peuvent exister entre les différentes substances ?

La qualité de l’air intérieur : enjeu de santé publique

D’autre part, des études sont menées sur l’exposition aux composés organiques semi-volatils qui peuvent se déposer et s’adsorber sur les poussières qui se déposent au sol ou sur les surfaces. Ces poussières sédimentées constituent un autre vecteur d’exposition, notamment pour les jeunes enfants, pour lesquels les contacts main-bouche sont fréquents. Compte tenu de la population exposée, ce sujet d’étude et de recherche fait partie des sujets prioritaires aujourd’hui. De manière générale, les expositions des populations les plus fragiles font l’objet d’une attention particulière. Enfin, l’exposition aux bio-contaminants est également considérée ; leurs effets sur la santé, notamment sur l’apparition des maladies allergiques (allergènes domestiques, moisissures, etc.) restent encore mal documentés : les recherches se poursuivent. Au final, nous avons aujourd’hui une photographie de la réalité de la contamination de nos environnements intérieurs insuffisamment précise. Il reste encore beaucoup d’études à faire, travail qui revient notamment aux chimistes.

53

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

pour dépolluer l’air intérieur Marc J. Ledoux est directeur de recherche au CNRS au Laboratoire des matériaux, surfaces et procédés pour la catalyse (LMSPC), unité mixte de l’Université de Strasbourg et du CNRS, et co-fondateur du Laboratoire européen associé European laboratory for catalysis and surface sciences (ELCASS). Il a dirigé le département Chimie du CNRS de 2004 à 2006, puis la Direction de la politique industrielle du CNRS de 2006 à 2010.

Les chimistes interviennent sur le contrôle de la pollution de l’air dans les bâtiments, en aidant les Pouvoirs publics à mettre en place des réglementations destinées à protéger les citoyens et à améliorer la qualité sanitaire des matériaux de construction et de décoration (voir les Chapitres de J.-M. Michel et de V. Pernelet-Joly). D’un côté, ils définissent les mesures à prendre en amont pour éviter la présence de matériaux émissifs de composés organiques volatils dans nos bâtiments, d’un autre, ils développent des techniques pour assainir l’air pollué à l’intérieur des bâtiments. Une mé-

thode de choix fait appel à la photocatalyse, qui fait l’objet de ce chapitre.

À quels types de polluants avons-nous affaire ?

1

À quels types de composés s’attaque-t-on pour dépolluer l’air intérieur ? Il existe deux grandes familles de polluants, les polluants chimiques (organiques et inorganiques) et les polluants biologiques. 1.1. Les polluants chimiques Depuis que la composition de l’air intérieur fait l’objet d’études approfondies, on

Marc J. Ledoux La photocatalyse pour dépolluer l’air intérieur

photocatalyse La

La chimie et l’habitat

25

Concentration (μg/m3)

20

15

10

5

0 Intérieur

Figure 1 Dès que l’on entre dans les bâtiments, on est confronté à une nouvelle famille de polluants, plus nombreuse et plus abondante qu’à l’extérieur. Sont entourés en rouge des composés trouvés dans l’air intérieur et absents à l’extérieur.

56

Extérieur

réalise l’importance de la pollution par les composés organiques volatils (COV). Classe importante et nouvelle puisque jusqu’à présent, on n’a jamais mesuré dans l’atmosphère extérieure une aussi grande variété de composés, et à des concentrations aussi élevées : ceci fait ressortir que l’air intérieur des bâtiments est plus pollué que l’air extérieur, tout au moins par ces polluants chimiques (Figure 1). Un chiffre très représentatif est celui du formaldéhyde, polluant détecté dans la totalité des logements français : sa concentration est multipliée par dix dès que l’on entre dans un bâtiment (étude réalisée par l’OQAI ; voir le Chapitre de V. Pernelet-Joly). Les autres polluants chimiques sont des molécules inorganiques telles que le monoxyde de carbone et les oxydes d’azote comme le monoxyde d’azote NO, qui peut très vite remplir la cuisine

2-butoxy-éthylacétate 1-méthoxy-2-propylacétate styrène trichloroéthylène acroléine tétrachloroéthylène 2-butoxyéthanol 1-méthoxy-2-propanol benzène éthylbenzène o-xylène 1,2,4-triméthylbenzène 1,4-dichlorobenzène n-décane m/p xylène n-undécane acétylaldéhyde toluène hexaldéhyde formaldéhyde

si l’on utilise des plaques de cuisson au gaz ou un chauffeeau au gaz. Citons également le radon, un gaz radioactif surtout présent dans des régions granitiques, volcaniques et uranifères telles que la Bretagne, le Massif Central, les Vosges et la Corse, et qui est dû à la radioactivité naturelle de certaines roches, voire même du béton des bâtiments. Il n’existe pour l’instant aucun procédé pour éliminer ce gaz toxique, et la seule chose à faire est d’ouvrir les fenêtres… ce qui est évidemment coûteux en énergie. Notons qu’à côté des COV, la matière particulaire est aussi à prendre en considération car elle peut être un efficace vecteur de pollution chimique. 1.2. Les polluants biologiques Il existe par ailleurs des polluants biologiques – virus, bactéries, moisissures ou encore des acariens et

Les polluants biologiques comprennent les virus, bactéries, mycobactéries, moisissures présents dans les aérosols nosocomiaux, ainsi que les excréments d’acariens et allergènes issus d’animaux. Source : Centers for Disease Control and Prevention (CDC Atlanta).

Nom

Cas/an

Virus Influenza A

2 000 000

Nom

Cas/an

Pseudomonas æruginosa (-)

2 626

Virus de la rougeole

500 000

Klebsiella pneumoniae (-)

1 488

Streptococcus pneumoniae (+)

500 000

Legionella pneumophila (-)

1 163

Streptococcus pyogenes (+)

213 962

Heamophilus influenzae (-)

1 162

Virus syncytial respiratoire

75 000

Histoplasma capsulatum (fs)

1 000

Virus de la varicelle Zoster

46 016

Aspergillus (fs)

666

Virus Parainfluenza

28 900

Serratia marcescens (-)

479

Mycobacterium tuberculosis

20 000

Acinetobacter spp. (-)

147

Bordella pertussis (-)

6 564

Corynebacterium diphteriæ (-)

10

Virus Rubella

3 000

SARS virus

10

Staphylococcus aureus (+)

2 750

allergènes – que l’on détecte régulièrement dans les aérosols des maisons et des hôpitaux. Une étude réalisée par le CDC d’Atlanta (Center for Disease Control and Prevention) a consisté à mesurer pendant une année les occurrences de maladies nosocomiales contractées dans des hôpitaux, par suite de la présence de ces polluants biologiques. Arrive en premier la grippe, avec deux millions de cas, devant la rougeole. Outre les maladies infectieuses, on relève des cas d’allergie dus aux excréments d’acariens ou à la présence d’animaux (Tableau 1). De quelles armes disposonsnous aujourd’hui pour éliminer ces multiples polluants, qu’ils soient biologiques ou chimiques ?

La photocatalyse pour dépolluer l’air intérieur

Tableau 1

La photocatalyse pour dépolluer et désinfecter l’air

2

2.1. Le principe de la photocatalyse et ses avantages pratiques On qualifie aujourd’hui la photocatalyse de « remède miracle » pour dépolluer l’air, bien que cette technique soit connue de longue date. Il est basé sur le principe suivant : de la lumière émise par une source active la surface d’un matériau semi-conducteur1, 1. Un semi-conducteur est un matériau possédant les caractéristiques électriques d’un isolant, mais pour lequel la probabilité qu’un électron puisse contribuer à un courant électrique est suffisamment importante. Sa conductivité est donc intermédiaire entre celle des métaux et celle des isolants.

57

La chimie et l’habitat

Figure 2

O2

e– + A → A• : réduction Recombinaison de surface

O2• -, HO2• –

e Recombinaison de volume

e–/h+ Molécules organiques, Micro-organismes, H2O

h+ Bande de conduction

h+ + D → D+ ; oxydation

e– 3,2 eV +

h Bande de valence

CO2, H2O OH• + D → D+ ; oxydation

générant alors une paire électron-« trou ». Ces deux entités vont migrer de différentes manières : soit elles se recombinent et cela ne produit aucun effet, soit elles se dirigent vers la surface du matériau, qui devient alors le lieu de réactions très vives d’oxydation et de réduction (Figure 2). Ces réactions génèrent, à partir du dioxygène de l’air, des entités superoxydantes qui vont pouvoir attaquer violemment les COV, lesquels vont finir par se décomposer principalement en CO2 et en H2O, ou attaquer les micro-organismes (virus, bactéries…), qui vont mourir par suite de la destruction de leurs membranes.

58

Le principe de la photocatalyse. Lorsqu’un photon de lumière percute le matériau, il crée un électron et un « trou » qui migrent vers la surface pour provoquer des réactions d’oxydation, dégradant les polluants chimiques et biologiques par photo-oxydation.

La photocatalyse étant un procédé physique, il n’est pas nécessaire d’utiliser un produit désinfectant comme le phénol, autrement abondamment utilisé dans les hôpitaux. Dans la mise en œuvre du procédé, l’air intérieur, qu’il soit celui d’une voiture, d’un autobus, d’un avion ou

d’un hôpital, passe à travers un appareil qui le purifie sans générer de produit dangereux. Le côté « miraculeux » de ce procédé de dépollution de l’air est sa grande simplicité : il peut fonctionner en continu même en présence d’êtres vivants (hommes ou animaux), à température ambiante et avec très peu d’énergie, un simple appareil dimensionné pour désinfecter une pièce entière consommant moins de cent watts. 2.2. Choisir le matériau et le rayonnement actif Le matériau utilisé en photocatalyse est généralement de l’oxyde de titane TiO2. La Figure 3 représente le spectre de la lumière solaire et les régions du spectre dans lesquelles ce matériau absorbe les rayonnements et devient photoactif. Il absorbe la lumière ultraviolette du spectre des UV-C, et pour la forme rutile jusqu’aux UV-A et même jusqu’au bleu.

Au Laboratoire des matériaux, surfaces et procédés pour la catalyse de Strasbourg, des équipes travaillent sur un nouveau matériau : de l’oxyde de titane dopé avec de l’oxyde de tungstène (WO3), qui peut absorber jusqu’au vert. Un tel développement permettrait l’utilisation directe de la lumière solaire sans avoir recours à la lumière artificielle.

3

La photocatalyse pour dépolluer l’air intérieur

Les UV-A suffisent pour photoactiver l’oxyde de titane. Les UV-C, souvent recommandés car plus énergétiques et donc germicides, ne sont en fait pas dénués de danger. S’ils sont producteurs d’ozone, et comme tels dépolluants, ils sont aussi très mutagènes. La probabilité existe pour qu’à côté des bactéries qu’ils auront détruites, d’autres aient muté et soit devenues dangereuses : les gains en destruction de polluants peuvent être anéantis par l’apparition de polluants plus dangereux. Une normalisation rigoureuse doit donc être adoptée pour interdire l’utilisation des UV-C dans ces appareils.

Figure 3 Spectre de la lumière solaire : les fréquences (en λ/nm) vont de l’infrarouge à l’ultraviolet (UV) en passant par le rayonnement visible. Les rayonnements deviennent de plus en plus énergétiques à mesure que l’on s’approche des ultraviolets. En irradiant de l’oxyde de titane dans ces régions, ce matériau devient photoactif et peut être utilisé en photocatalyse pour dépolluer l’air.

A

B

Place à l’expérience en photocatalyse

Le procédé de photocatalyse doit être validé en laboratoire pour chaque polluant considéré. On place un appareil de photocatalyse dans une chambre qui simule une pièce d’habitation (Figure 4A), à l’intérieur de laquelle on injecte un certain nombre de produits dont on mesure l’évolution. La Figure 4B montre une chambre de test dit « labo P2 » utilisée pour les tests biologiques.

3.1. Cibler des polluants inorganiques Une série de tests a été réalisée sur la destruction du monoxyde de carbone. Le meilleur catalyseur trouvé a été un alliage palladium/ platine sur dioxyde de titane

Figure 4 Chambres de test et de validation : test chimique (A) et test biologique (B).

59

La chimie et l’habitat

Figure 5

100

Photo-oxydation du monoxyde de carbone sur le catalyseur PdPt/TiO2 (100 mg), à pression normale, avec un débit de 200 cm3/min. On observe l’élimination totale du CO en atmosphère sèche, et près de 90 % en atmosphère humide sur le catalyseur optimisé, tandis que l’acétone est complètement éliminée.

Taux de conversion (%)

90 80 0,3 % Pt/TiO2 0,3 % Pd/TiO2 0,3 % Pd50Pt50/TiO2

70 60 50 40 30 20

CO (250 ppm)

10

Introduction de 50 % d’humidité relative

0 0

60

120

180

240 300 360 Temps (minutes)

420

480

540

600

100

Taux de conversion (%)

90 0,3 % Pt/TiO2 0,3 % Pd/TiO2 0,3 % Pd50Pt50/TiO2

80 70 60 50 40 30

Acétone 1 800 ppm

20 10 0

Introduction de 50 % HR 0

60

60

120

180

240 300 360 Temps (minutes)

420

480

540

600

(PdPt/TiO2) ; une très faible quantité (0,3 % de PdPt : 50/50) a suffi pour photooxyder la totalité de ce gaz en atmosphère sèche. Afin de reproduire l’atmosphère humide que l’on trouve dans la plupart des maisons, on a introduit entre 50 et 70 % d’humidité, et les résultats restent encore satisfaisants, avec 90 % de destruction du monoxyde de carbone (Figure 5). Il est intéressant de noter qu’au cours des mêmes expériences, les mesures de concentrations d’acétone dans l’air ont montré que cette molécule organique est totalement dégradée, ce qui prouve

qu’avec un appareil unique et des conditions uniques, on peut s’attaquer à plusieurs types de polluants à la fois !

3.2. Cibler des composés organiques volatils (COV) Des expériences ont été réalisées sur la méthyléthylcétone (MEC), un des COV les plus stables, très diffi cile à détruire. Les tests ont été effectués dans la chambre représentée sur la Figure 4A. Avec un appareil miniaturisé, 80 % de la MEC sont détruits après 1h30 de fonctionnement (Figure 6).

Photo-oxydation de la méthyléthylcétone (MEC) à 120 ppm en recirculation (150 m3/h), avec 50 % d’humidité relative.

MEC (ppm)

100 80

Changement en dispositif UV-A

60 40

Introduction MEC

20 0

10 20 30 40 50 60 70 80 90 Durée de fonctionnement sous illumination (min)

Un tr avail impor tant de mise au point du procédé a été mené sur les appareils de dépollution pour concilier au niveau du catalyseur à la fois une interaction importante des molécules diluées dans l’air (efficacité des chocs molécules-surface du catalyseur) et un éclairage maximum pour augmenter le nombre de sites photoactivés à la surface du catalyseur (effi cacité d’activation) (voir la Figure 2). Ces deux exigences sont contradictoires car pour assurer un éclairage important, il faut ouvrir au maximum la structure macroscopique du catalyseur, mais pour optimiser le nombre de chocs, il faut resserrer cette structure, ce qui entraîne aussi une perte de charge non désirée. Cette optimisation des deux contraintes a permis de réussir la destruction efficace de la méthyléthylcétone, même aux doses ex trêmement faibles qui correspondent au fonctionnement en continu des appareils de dépollution, les polluants étant détruits au fur et à mesure de leur émission dans l’air (Figure 6). Il faut par ailleurs rappeler que l’on est ici en conditions cinétiques défavorables car la vitesse de réaction dépend aussi de la

100

concentration des molécules à détruire, qui est très faible. C’est un autre avantage de la photocatalyse par rapport aux autres procédés chimiques classiques que de pouvoir travailler à dilution extrême. 3.3. Cibler des polluants biologiques : du court terme à la science fiction Quel est l’effet de la photocatalyse sur des micro-organismes ? Des études réalisées sur des légionelles ont montré une très grande efficacité de ce procédé : un débit de destruction d’un million de bactéries par litre d’air en vingt à trente minutes a été obtenu (Figure 7) !

Figure 7 Effet de la photocatalyse sur Legionella pneumophila (106 bactéries par litre d’air, 200 m3/h). La droite bleue indique la réactivité du système en absence d’éclairage. Il est clair que la photoactivation de la surface du catalyseur par les UV-A est indispensable.

100 Pourcentage de bactéries en vie

0

La photocatalyse pour dépolluer l’air intérieur

Figure 6 120

80 60 40 20 0 0

20

40

60

80

100

Temps (min)

61

La chimie et l’habitat

à la pression… mais pas à la photocatalyse !

100 90

La photocatalyse a également été testée avec succès sur un modèle de l’anthrax, le Bacillus subtilis, dont les spores ont été détruites au bout de deux heures (Figure 9).

% de la valeur initiale

80 70 60

Test blancs

50 40 Tests photocatalytiques

30 20 10 0 0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100 110 120

durée du traitement (min)

Figure 8 Effet de la photocatalyse sur le virus bactériophage T2, qui simule le virus grippal (1,5/105 virus par litre d’air, 200 m3/h). Courbes du haut : fonctionnement sans éclairage UV-A ; les courbes du bas avec les pointillés rouges montrent l’erreur de mesure maximum, et les traits verts, l’erreur moyenne.

100 90 % de la valeur initiale

80 70 60 50 40 30 Tests photocatalytiques

20 10 0

0

20

40

60

80

100 120 140 160 180 200 220 240

durée du traitement (min)

Figure 9 Effet de la photocatalyse sur le bacillus subtilis, qui simule l’anthrax (1,5.105 spores par litre d’air, 200 m3/h). Courbes du haut : fonctionnement sans éclairage UV-A ; les courbes du bas avec les pointillés rouges montrent l’erreur de mesure maximum, et les traits verts, l’erreur moyenne.

62

Qu’en est-il des virus ? L’étude a été menée sur le bactériophage T2, qui simule la grippe. Face à près d’un million de virus par litre d’air, nous passons en dessous du seuil de contamination (situé à environ 10 % de la concentration initiale en virus) au bout d’une heure (Figure 8). Les spores, eux, résistent aux UV-C, aux rayons X, aux antibiotiques, à la chaleur, à la dessication,

La Direction générale de l’armement (DGA) a établi une collaboration avec le Laboratoire des matériaux, surfaces et procédés pour la catalyse de Strasbourg dans l’objectif de concevoir des tissus d’uniformes militaires adaptés aux soldats qui ont été exposés à des composés chimiques ou à des organismes pathogènes. Au lieu d’avoir à se doucher dans des lieux spéciaux de décontamination avant de se déshabiller, ils se soumettent à un simple passage de quelques minutes sous une lampe UV qui détruit les composés étrangers absorbés sur le tissu. Des uniformes ont été traités par un procédé spécial pour déposer des nanotubes2 d’oxyde de titane dopés avec de l’oxyde de tungstène (Figure 10) et testés par la DGA avec l’ypérite (gaz moutarde). Les tests se sont révélés très positifs : en vingt minutes, toute l’ypérite a disparu de l’uniforme, sous le simple rayonnement solaire (Figure 11). On peut ainsi envisager qu’un soldat puisse se décontaminer en marchant seulement sous le soleil ! Ce résultat est d’autant plus remarquable que ces molécules s’accrochent si solidement au tissu qu’elles y restent même après vingt lavages successifs. 2. Structure tubulaire dont les dimensions transversales sont de l’ordre du nanomètre (milliardième de mètre).

non imprégnée

Les appareils de dépollution de l’air par photocatalyse

4

Plusieurs types d’appareils commerciaux pour la dépollution de l’air intérieur par photocatalyse existent déjà, parmi lesquels des appareils brevetés par le CNRS-Université de Strasbourg et la société Biowind3, une start-up née du laboratoire de Strasbourg. Il existe deux types d’appareils commerciaux à usage professionnel, dont plusieurs centaines ont déjà été vendus par la société Biowind. L’un de ces types d’appareils est installé en routine dans les ambulances, où l’air est alors désinfecté en continu, ce qui résout les problèmes liés au transport des patients 3. www.biowindgroup.com

Figure 10 Décontamination et nettoyage des tissus fonctionnalisés par des nanotubes de TiO2 dopés avec 4 % de WO3 pour être actif à partir du bleu de la lumière visible.

S

Cl

ypérite résiduel, μg/cm2

Dans la même idée, le laboratoire travaille actuellement en collaboration avec des industriels pour appliquer ce procédé aux sièges d’automobiles qui pourraient ainsi être automatiquement nettoyés par la lumière entrant par les vitres des voitures...

La photocatalyse pour dépolluer l’air intérieur

imprégnée

Cl

1 400

textile fonctionnalisé avec TiNT-WO3 illumination solaire

1 200

textile nu + illumination solaire textile fonctionnalisé avec TiNT-WO3 illumination UV-A

1 000

textile nu + illumination UV-A

800 600 400 200 0 0

20

40

60

80

durée sous illumination (min)

ainsi que du personnel médical. L’autre type d’appareil est utilisé dans des cabinets médicaux ou des salles d’hôpitaux. Le laboratoire de Strasbourg a conçu un appareil, peu coûteux, destiné au grand public à usage domestique, qui doit être commercialisé par une autre société fin 2011. De petite taille, il pourra être placé dans n’importe quelle pièce de la maison pour en dépol-

Figure 11 Effet de la photocatalyse sur l’ypérite (4 %-WO3/nanotubes TiO2) sous illumination solaire ou UV-A. On observe la disparition de la contamination au bout de vingt minutes.

63

La chimie et l’habitat

luer l’air. Des tests ont été effectués dans une pièce régulièrement occupée par des chats dégageant des odeurs

– qui sont des molécules organiques ; après mise en marche de l’appareil, les odeurs ont disparu.

La photocatalyse, outil d’avenir pour un environnement intérieur meilleur La qualité de l’air intérieur n’a été identifiée comme un facteur important de santé publique que récemment (voir le Chapitre de V. PerneletJoly). Le Grenelle de l’environnement (2007) a demandé la mise en place d’un jeu complet de réglementations. Les intentions sont donc bonnes et s’appuient sur des données toxicologiques mises à jour. Ces heureuses évolutions, cependant, seront suivies de bien peu d’effets si des moyens de diagnostics et de désinfection appropriés ne sont pas mis à la disposition des citoyens. La méthode de la photocatalyse et les appareils conçus par le laboratoire viennent occuper cette importante place : faire passer dans la réalité quotidienne l’excellente recommandation faite par le législateur pour qu’il s’occupe de l’hygiène de son habitat comme de son hygiène corporelle.

64

un

pour les déchets

ménagers ?

Carole Leroux est chargée de projet scientifique à la direction de l’Évaluation des risques de l’Unité d’évaluation des risques liés à l’air de l’Agence nationale de sécurité sanitaire en charge de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES, voir le Chapitre de V. Pernelet-Joly, Encart : « L’ANSES »).

Les exigences actuelles en matière d’énergies renouvelables et moins polluantes ont contribué à renforcer l’intérêt de la valorisation énergétique du biogaz, obtenu par dégradation de matières organiques issues par exemple des déchets ménagers. La production de biogaz permet de stabiliser ces déchets et de produire de l’énergie sous diverses formes, selon le contexte local : chaleur, électricité, et peut même, après épuration, être utilisé sous forme de carburant pour alimenter des véhicules.

gaz naturel, afin d’alimenter les gazinières et chaudières domestiques. Néanmoins, l ’évaluation des r isques sanitaires du biogaz est un élément essentiel des perspectives de son utilisation comme gaz de ville. En effet, un décret de 20041 précise que le ministre en charge de l’environnement peut demander la réalisation d’« une expertise destinée à établir que cette injection ne présente pas de risque pour la santé publique, la protection de l’environnement et la sécurité des installations ».

Depuis quelques années, une nouvelle voie de valorisation pour les logements est envisagée, il s’agit de l’injection de biogaz dans le réseau de

1. Décret n° 2004-555 du 15 juin 2004 relatif aux prescriptions techniques applicables aux canalisations et raccordements des installations de transports, de distribution.

Carole Leroux Biogaz : un avenir pour les déchets ménagers ?

Biogaz : avenir

La chimie et l’habitat

1

Présentation du biogaz

1.1. Qu’est-ce que le biogaz ? Le biogaz est un gaz combustible issu de la dégradation de matières organiques, animales ou végétales, en l’absence d’oxygène. Il s’agit d’un processus de fermentation réalisé par des bactéries dites méthanogènes, ce processus est également appelé méthanisation : en effet, le biogaz produit est composé majoritairement de méthane (CH 4) et de dioxyde de carbone (CO2). On trouve également des composés intermédiaires comme l’eau, l’hydrogène sulfuré, ainsi qu’un grand nombre de composés minoritaires : hydrocarbures, aldéhydes, alcools, cétones, siloxanes, etc.

Figure 1 Un torchère. Dans cette haute tour métallique sont brûlés des déchets de gaz.

66

La variabilité de la composition du biogaz est liée aux procédés utilisés pour sa production et son épuration, mais également, à l’origine de la matière organique et à la nature des déchets. Ces derniers sont directement dépendants des saisons, de

l’évolution de la réglementation et des modes de vie, qu’il s’agisse des habitudes de tri ou de consommation. Une première étude réalisée en 2008 par l’Anses2 a mis en évidence plus de 250 composés susceptibles d’entrer dans la composition des différents types de biogaz. Généralement, ces composés représentent moins de 5 % de la composition totale du biogaz. 1.2. Dans quelles conditions est produit le biogaz ? Dès lors que toutes les conditions de matières organiques, d’absence d’oxygène et de bactéries méthanogènes sont réunies, on peut assister à la production spontanée de biogaz par dégradation naturelle de la fraction de matière organique. C’est ce qui se produit par exemple dans les marais et les rizières. Le biogaz est également produit spontanément dans les installations de stockage de déchets. Le captage du biogaz sur ces installations est obligatoire afin d’éviter d’une part de générer des nuisances locales, et d’autre part, d’émettre dans l’atmosphère un puissant gaz à effet de serre. Il arrive encore que ce biogaz soit brûlé en torchère sur le site de l’installation (Figure 1). Une étude réalisée en 2010 par l’Agence 2. Depuis le 1er juillet 2010, l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail) a fusionné avec l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) pour devenir l’Anses (Agence française nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).

Biogaz : un avenir pour les déchets ménagers ?

de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a montré que 75 % de la production de biogaz provient des installations de stockage de déchets. Or seulement 25 % de ces installations valorisent leur biogaz ; il reste donc une grande marge de valorisation pour les années à venir. Il est également possible de réaliser une production contrôlée de biogaz dans des méthaniseurs (Figure 2). Il s’agit des bioréacteurs dans lesquels sont réunies les conditions physico-chimiques idéales afin de convertir un maximum de la matière organique en biogaz. 1.3. Quelles sont les sources de matières organiques ? Toute la matière organique est susceptible d’être décomposée et donc de produire du biogaz. Différents types de déchets contiennent de la matière organique, notamment les déchets ou sous-produits agricoles, dont on peut citer le lisier3, le fumier (Figure 3), les résidus de récoltes, etc., ou encore les cultures énergétiques dédiées. On trouve aussi des déchets de l’industrie agroalimentaire tels que des déchets d’abattoirs ou des produits périmés des grandes surfaces, ainsi que des déchets industriels, notamment de papeterie, ou encore des 3. Le lisier est un mélange de déjections d’animaux d’élevage et d’eau. Il est produit principalement par les élevages de porcs, de bovins et de volailles qui n’emploient pas, ou peu, de litière (paille) pour l’évacuation des déchets (dans le cas contraire, ils produisent du fumier).

boues de stations d’épuration, des déchets ménagers issus de nos ordures ménagères, qui sont autant de sources de matière organique. La production de biogaz est directement influencée par la nature même de la matière organique. En effet, le pouvoir méthanogène est variable en fonction du type de matière organique, c’est-à-dire que toutes n’ont pas la même capacité à générer du méthane. Par exemple, les déchets de cuisine sont susceptibles de

Figure 2 Un méthaniseur. Dans ce bioréacteur, toutes les conditions sont réunies pour produire du biogaz.

67

La chimie et l’habitat

Figure 3 Lisier, fumier, résidus de récoltes ou déchets d’abattoirs sont autant de matières organiques, sources potentielles de biogaz.

produire plus de méthane que le carton. En revanche, les constituants du bois tels que la lignine ont un pouvoir méthanogène très faible car ce sont des composés très stables.

Les biodéchets ménagers comme source de biogaz

2

2.1. Les déchets ménagers

Figure 4 Les biodéchets ménagers, une fois triés, peuvent être valorisés pour produire du biogaz.

68

Intéressons-nous en particulier aux déchets ménagers, notamment aux biodéchets, c’est-à-dire les déchets triés par les ménages en amont de la collecte (Figure 4). Souvent, la collecte s’effectue au porte-à-porte et les déchets sont triés à la source par les ménages. En fonction des communes, les biodéchets collectés sont constitués des

restes de repas, des déchets de jardin et éventuellement des papiers et cartons. En complément de ces collectes, il est possible de capter la part fermentescible des ordures ménagères résiduelles par un procédé de tri mécanique. De même, l’apport en biodéchets peut être complété par la collecte des déchets organiques de cantines. Ainsi, en plus de fournir de l’énergie renouvelable, la production de biogaz permet de réduire sensiblement le volume de déchets qui seraient normalement dirigés en centres d’enfouissement ou directement incinérés. 2.2. Comment valoriser le biogaz ? Le biogaz peut être valorisé de différentes façons. Le choix

la chaleur pour la production d’énergie thermique. Il s’agit d’un procédé de co-génération qui offre l’avantage d’atteindre un rendement énergétique global élevé. La production du biométhane carburant à partir de biogaz est également une solution de valorisation du biogaz. Dans le contexte actuel où les énergies fossiles s’épuisent, il peut constituer une ressource prometteuse. Afin d’être utilisé comme carburant, il doit subir un traitement très exigeant en vue de répondre à des prescriptions techniques garantes de l’intégrité des véhicules et de leur bon fonctionnement.

Biogaz : un avenir pour les déchets ménagers ?

de la valorisation s’effectue en fonction de différents paramètres, tels que le type d’intrants, la variation de la production, la capacité de production, ainsi que la réglementation en vigueur. Le choix va dépendre également du contexte économique de l’installation et de son implantation. Par exemple, la production d’énergie thermique est généralement adaptée pour une consommation locale. Quelles sont les différentes manières de valoriser le biogaz ? Le biogaz permet la production d’énergie thermique. Cette chaleur peut être utilisée afin de chauffer les logements et les collectivités. Il s’agit du mode de valorisation dont la mise en œuvre est la plus simple, notamment car elle implique une épuration peu contraignante dont l’objectif est d’éliminer les composés responsables des phénomènes de corrosion (voir le paragraphe 2.3). Le biogaz est également une source d’électricité. La production d’électricité peut être réalisée à partir d’une chaudière associée à une turbine à vapeur, à l’aide d’un moteur à combustion interne ou d’une turbine à combustion. En fonction du procédé utilisé, les conditions d’épuration sont variables, de peu contraignantes à exigeantes. Il peut être nécessaire d’enrichir le biogaz, c’est-à-dire, d’augmenter la part de méthane dans ce biogaz afin d’obtenir un rendement de production énergétique satisfaisant. La production d’énergie électrique peut être associée à un système de récupération de

Enfin, un nouveau mode de valorisation est envisagé en France, il s’agit d’injecter le biogaz dans le réseau de gaz naturel afin d’alimenter les gazinières et chaudières domestiques. Cette voie de valorisation nécessiterait une épuration très exigeante à la fois pour garantir la qualité du gaz et l’intégrité du réseau de distribution, mais surtout pour respecter la sécurité des opérateurs et la santé des futurs utilisateurs. Dans plusieurs pays d’Europe tels que la Suède, la Suisse et l’Allemagne, l’injection de biogaz dans le réseau est autorisée et encadrée par la réglementation. 2.3. Comment épurer le biogaz ? Comme le montre le paragraphe précédent, le choix du mode de valorisation va conditionner l’épuration. Dans le cas de valorisations sous forme de chaleur, d’électricité

69

La chimie et l’habitat

ou de co-générations, la première étape d’épuration est l’enrichissement du biogaz, qui consiste à en augmenter la proportion de méthane. Une deuxième étape d’épuration est nécessaire pour éliminer certains composés tels que les composés organo-halogénés, les composés à base de silices et les composés soufrés. Cette étape permet de garantir le bon fonctionnement du matériel (moteurs, turbines…) et de limiter l’usure, l’émission de polluants ou la surconsommation. Pour l’utilisation du biogaz sous forme de carburant pour véhicules, une étape d’enrichissement plus poussée peut être nécessaire pour répondre à des critères techniques spécifiques. Ceux-ci peuvent concerner plusieurs composés tels que les métaux. Enfin, pour que l’injection de biogaz dans le réseau soit possible, il faut qu’elle soit encadrée par la réglementation. Celle-ci s’appuie entre autres sur une évaluation des risques sanitaires pour les usagers. Un exemple de système d’épuration est détaillé dans les lignes qui suivent.

Injection du biogaz dans le réseau : exemple du Centre de valorisation organique de Lille

3

3.1. Historique

70

L’injection de biogaz est autorisée depuis 2003 par une directive européenne qui a été retranscrite en droit français dans un décret de 2004 autorisant l’injection de gaz autres que le gaz naturel dans le ré-

seau, et prévoyant la réalisation d’une évaluation des risques sanitaires par un organisme agréé : « dans le cas où est prévue l’injection dans un réseau de gaz autre que du gaz naturel, le ministre de l’énergie peut confier à un organisme agréé une expertise destinée à établir que cette injection ne présente pas de risque pour la santé publique, la protection de l’environnement et la sécurité des installations ». C’est dans ce contexte réglementaire que la communauté urbaine de Lille a adressé une demande au ministre en charge de l’énergie afin de pouvoir injecter du biogaz dans le réseau de gaz naturel. Comme le permet le décret de 2004, le ministère a confié à l’Anses la réalisation d’une étude sanitaire sur les différents biogaz. Cette étude s’est achevée en 2008 par un avis favorable à l’injection dans le réseau de biogaz issu d’un certain type de déchets4. 3.2. La valorisation du biogaz au Centre de valorisation organique de Lille Le Centre de valorisation organique de Lille (CVO, Figure 5) produit du biogaz destiné à alimenter la flotte de bus de la communauté urbaine. Afin de valoriser le surplus de biogaz généré par la différence entre une production continue et une alimentation discontinue, la communauté urbaine de Lille a souhaité pouvoir injecter ce biogaz dans le réseau de gaz naturel. L’installation est 4. Voir le rapport de l’Afsset sur l’évaluation des risques sanitaires liés à l’injection de biogaz dans le réseau de gaz naturel, 2008.

Biogaz : un avenir pour les déchets ménagers ? Figure 5 Le Centre de valorisation organique de Lille transforme divers déchets organiques en biogaz destiné à être injecté dans le réseau de gaz. À leur arrivée, les déchets sont broyés, prétraités puis intégrés dans des méthaniseurs.

située à proximité du réseau de gaz naturel, ce qui rend ce projet techniquement possible. Au CVO, trois types de déchets organiques servent à produire ce biogaz : − la fraction fermentescible des déchets ménagers : biodéchets triés à la source et collectés auprès des particuliers ; − les déchets verts, issus de la déchetterie, dans lesquels les ligneux, compte tenu de leur faible pouvoir méthanogène, sont séparés afin d’être broyés puis ajoutés comme structurant au digestat ; − les déchets de cantine. À leur arrivée au CVO, ces déchets organiques sont broyés et prétraités avant

d’être intégrés dans les méthaniseurs (Figures 5 et 6), où ils passent environ trois semaines. La méthanisation est réalisée à une température de 57 °C ; il s’agit d’un procédé dit « thermophile » qui permet de réduire le temps de séjour de la matière organique dans le méthaniseur. À l’issue de cette étape, le biogaz produit est constitué d’environ 55 à 65 % de CH 4 et 35 à 45 % de CO2. Il subit donc une épuration dans le but d’obtenir une teneur en CH 4 de l’ordre de 95 %, et 2 % de CO2. La technique d’épuration consiste en une absorption par l’eau sous pression des gaz tels que le H2 S dans une colonne de lavage, puis

71

La chimie et l’habitat

> 95 % CH4 2 % CO2 saturé en vapeur d’eau

Air de process rejeté vers le biofiltre < 1 % CH4 traces de H2S 56 % N2 29 % CO2 14 % O2

Sécheurs > 95 % CH4 2 % CO2 point de rosée : – 80 °C

Tour de lavage

Tour de désorption du méthane pression 4 bars

Tour de dégazage du CO2 pression atmosphérique

Pression Air

9 bars Compresseur à 2 étages Biogaz brut 55-65 % CH4 35-45 % CO2 pression relative 50 mbar

Pompe à eau refroidie (< 15 °C) Recyclage du méthane dissout dans l’eau de lavage

Figure 6 Schéma du procédé d’épuration du biogaz sur le site de Lille (procédé Flotech).

d’une étape de désorption du méthane et de dégazage du dioxyde de carbone dans deux colonnes. En sortie de colonne, le biogaz épuré est séché (Figure 6).

Le biogaz est ensuite stocké afin d’être injecté comme carburant pour les bus. L’injection du biogaz produit par le CVO dans le réseau de gaz naturel est attendue pour courant 2011.

Le début du biogaz, la fin des incinérations d’ordures ? Le biogaz constitue une importante source d’énergie thermique, électrique et de carburant. Une étude de l’Ademe de 2010 a montré qu’il existe encore une proportion non négligeable de biogaz non valorisé. La valorisation de ces biogaz pourrait constituer une source d’énergies renouvelables intéressantes compte tenu du contexte énergétique actuel. Les techniques de production et d’épuration du biogaz et la réglementation concernant l’injection de biogaz dans le réseau de gaz naturel sont actuellement en pleine évolution5. 72

5. Ce chapitre apporte quelques éléments de compréhension à un instant donné, mais qui devront être complétés par des documents plus spécialisés.

la chimie pour ne pas gaspiller de calories ! Jean-Claude Bernier est professeur émérite de l’Université de Strasbourg. Il a été directeur de l’École nationale supérieure de chimie de Strasbourg, directeur scientifique du Département des sciences chimiques du CNRS et il est actuellement vice-président de la Société Chimique de France (SCF 1).

Le coût de plus en plus élevé du carburant, du fioul, du gaz et même de l’électricité invite à faire des économies pour le chauffage des habitations et pour le transport. Le comportement « éco-citoyen » incite lui aussi à diminuer toutes les causes de production de gaz à effet de serre, notamment le CO2. La montée en charge de l’exploitation des sources alternatives d’énergie – le soleil (voir les Chapitres de D. Lincot, D. Plée et D. Quénard sur le photovoltaïque), le vent, la biomasse (sujet abordé dans le Chapitre de D. Gronier) – répond partiellement à ces préoccupations mais elle reste 1. www.societechimiquedefrance.fr

souvent coûteuse et marginale. En fait, il faut d’abord se mettre en tête que :

« L’énergie la moins chère et la plus écologique est celle qu’on ne dépense pas. » Ce devrait être la première priorité qu’ont comprise nombre de gouvernements en encourageant par exemple le « down sizing » en automobile et les crédits d’impôts pour les investissements d’économie d’énergie dans l’habitat. Une nouvelle campagne de « chasse au gaspi » doit être encouragée prônant le « négawatt » par opposition au « mégawatt ».

Jean-Claude Bernier Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

Isolation dans l’habitat :

La chimie et l’habitat

Il reste cependant une grande marge de progrès pour atteindre les performances de basse consommation situées à 50 kWh/m2 /an (voir le paragraphe 3.1), mais les perspectives sont grandes, comme le montrent les nombreuses réalisations décrites dans cet ouvrage. L’amélioration du rendement et de l’effi cacité énergétique des 30 millions de logements représente pour la France d’ici 2020 et 2050 un immense chantier, particulièrement pour l’habitat ancien, et un important business ainsi qu’un gisement d’emplois remarquable. Figure 1 Les pertes de chaleur d’une maison peuvent s’effectuer de multiples manières : par le toit, les systèmes de ventilation, les murs, les sols, les portes et fenêtres, ou encore par les ponts thermiques.

Quand on chauffe une maison ou un appartement, les échanges de température avec l’extérieur occasionnent des pertes de calories. On estime qu’elles sont de 16 à 25 % par les murs, 13 à 15 % par les portes et fenêtres, 30 % par la toiture, 10 à 16 % par le sol et 5 % par les ponts thermiques2 (Figure 1). Une bonne isolation permet de réaliser plus de 35 % d’économie de chauffage et de grands progrès ont été faits depuis 1973, date de la première crise pétrolière en France. La réglementation thermique (voir le Chapitre de D. Quénard, Encart : « La réglementation thermique (RT) ») et l’apparition de matériaux isolants efficaces ont abaissé la consommation moyenne d’énergie de 375 kWh/m2 /an en 1973, puis à 250 kWh/m2 / an en 2006.

Dans les lignes qui suivent, nous essayerons de donner quelques précisions sur les définitions, les matériaux, les objectifs et les réalisations en matière d’isolation thermique dans le bâtiment.

Quelques principes sur l’isolation thermique

1

Lorsqu’un corps ou une paroi sépare deux zones à des températures différentes, T1 ≥ T2, les lois de l’équilibre thermodynamique font que les calories diffusent à travers cette paroi si elle est conductrice de la chaleur. Le flux ne s’arrêtera que lorsque T1 = T2 (Figure 2). Si T1 reste supérieure à T2, le flux sera permanent de T1 vers T2. Ce flux est plus ou moins fort suivant la résistance thermique R de la paroi : R = e/λS avec :

76

2. Un pont thermique est une zone qui, dans l’enveloppe d’un bâtiment, présente une variation de résistance thermique (à la jonction de deux parois en général).

− e l’épaisseur de la paroi (en mètres) ; − λ la conductivité thermique, exprimée en watt par degré

Tableau 1 Valeurs de conductivités thermiques.

Conductivité thermique (W/K/m) Métaux

Matériaux

− S la surface de la paroi, en mètres carré. Plus R est grand, plus la paroi est isolante et le flux de chaleur est ralenti ; plus R est petit, plus la paroi est conductrice et le flux de chaleur accéléré. On définit également l a conduction U comme l’inverse de la résistance en W/ m2 /K. Le fl ux de chaleur se définit comme proportionnel à la conductivité λ et à la différence de température ΔT sur la distance Δx : Φx = – λ.ΔT/Δx. Le Tableau 1 donne quelques valeurs de conductivités λ. Ce tableau montre que ce sont les métaux qui sont les meilleurs conducteurs de la chaleur et donc les moins bons isolants. Le verre et le béton conduisent la chaleur mais raisonnablement. Le bois, le polystyrène expansé (voir le paragraphe 2.2.3), la paille et la laine de verre (voir le paragraphe 2.2.2) sont de bons isolants (Figure 3), l’air sec et les gaz rares encore meilleurs. Quand on sait que ce sont les vibrations des molécules ou des atomes qui sont, sous l’influence de la température, les vecteurs de

Gaz

Argent

418

Cuivre

390

Aluminium

237

Acier

46

Verre

1,2-1,4

Béton

0,9

Bois chêne

0,16

Polystyrène expansé

0,036

Perlite expansée

0,038

Paille

0,04

Laine de verre

0,04

Laine

0,05

Air sec

0,026

Hélium

0,15

Argon

0,017

Krypton

0,010

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

Kelvin et par mètre (W/K/m), qui est une caractéristique d’un corps. On peut s’en apercevoir si l’on dispose d’une casserole en cuivre avec un manche en métal et une casserole en inox avec un manche en bois ou en plastique, on se brûle la main bien plus facilement avec la première qu’avec la seconde. C’est que le cuivre et les métaux sont plutôt bons conducteurs de la chaleur, alors que le bois ou le plastique sont plutôt de médiocres conducteurs ;

la conduction, le vide est alors l’isolant absolu puisqu’il n’y a plus de vecteur de conduction. À partir de ces propriétés, on a fabriqué, découvert ou redécouvert des matériaux d’isolation…

2

Les matériaux d’isolation

Pour l ’isolation dans la construction il faut associer : − une structure céramique (c’est-à-dire de la terre cuite) ou de type béton alvéolaire à de l’air ou à une substance peu conductrice ; − accompagner le matériau de structure d’une barrière isolante si possible à l’extérieur.

Figure 2 Les calories diffusent à travers une paroi conductrice de la zone à température la plus chaude T1 à la zone T2, jusqu’à égalisation des températures.

77

La chimie et l’habitat

Figure 3 Bois, paille, béton, polystyrène et laine de verre sont de bons isolants thermiques.

78

2.1. Les matériaux de structure La brique monobloc en terre cuite alvéolaire (Figure 4 en haut) possède une bonne inertie thermique et ses alvéoles contiennent de l’air qui n’est pas en mouvement. Le dessin des alvéoles de type labyrinthe est tel que le flux thermique à travers la céramique doit parcourir plus d’un mètre pour faire un pont thermique avec l’extérieur, alors que l’épaisseur de la brique n’est que de l’ordre de 37 cm. On peut encore améliorer la performance en remplissant les alvéoles avec de la perlite expansée (voir le paragraphe 2.2.1) qui bloque

définitivement l’air emprisonné dans ces alvéoles (Figure 4 en bas). Le béton cellulaire joue un peu le même rôle ; il est constitué de blocs légers, combinaison de sable, de ciment, de chaux et d’eau, mais au cours de la prise du ciment, on y piège des bulles d’air (sous pression) ou de gaz (par réaction chimique) lorsque l’ensemble est encore pâteux ; ces bulles sont alors bloquées et immobilisées lors de la solidification (à propos de la préparation du béton, voir les Chapitres d’A. Ehrlacher et de J. Méhu). Cela donne un matériau poreux très léger et isolant, à comparer au parpaing, que l’on voit

Résistance thermique et conduction de quelques matériaux.

Figure 4 La brique monobloc en terre cuite alvéolaire sans ou avec remplissage.

malheureusement encore beaucoup dans les constructions et qui font preuve d’une résistance thermique faible. Qu’en est-il du bois ? Les maisons à ossature en bois sont nombreuses dans les pays scandinaves, aux ÉtatsUnis, un peu moins prisées en France sauf dans les régions montagneuses, et pourtant, elles effectuent des percées intéressantes sur le marché national (voir notamment l’immeuble en bois décrit dans le Chapitre de J.-P. Viguier). Elles cumulent en effet deux avantages : − une rapidité de construction grâce, le plus souvent, à une fabrication intégrée en usine ; − des structures de panneaux à faible conductivité thermique.

Matériau

Résistance thermique R (m2.K/W)

Conduction U (W/m2/K)

Brique monomur (37,5 cm)

3

0,33

Brique isolation intégrée

5,55

0,18

Béton celullaire

3,13

0,32

Parpaing classique (22 cm)

0,20

5

Autour des traverses de soutien et de montage, on trouve de la laine de roche entre les panneaux intérieurs et les panneaux d’isolation extérieure, le tout d’épaisseur de l’ordre de 25 cm avec des résistances thermiques intéressantes (R = 4,8 m2.K/W, avec U = 0, 21 W/m 2 / K ) et même en super iso lées (R = 7,5 m 2 .K / W, avec U = 0,13 W/m2 /K), valeurs qui permettraient de construire des maisons passives (« zéro énergie ». À propos des maisons passives, voir les Chapitres de D. Quénard et de J. Souvestre) ou mieux encore (Figure 5). Par ailleurs, les revêtements extérieurs en bois couvrant des couches d’isolants avec les progrès de la protection du bois sont de bonnes solutions d’isolation par l’extérieur des bâtiments, si l’esthétique le supporte.

2.2. Les isolants des structures composites Ils sont disposés au sein ou en éléments barrière des maté-

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

Tableau 2

Figure 5 Ossature en composite à base de bois, composé de polystyrène avec revêtement enduit séparé par une plaque de bois (par exemple avec de la laine de verre ou de roche). Les montages peuvent être réalisés en usine en y intégrant canalisations et fils électriques.

79

La chimie et l’habitat

composition en sodium, revêtues, par un procédé appelé ensimage, d’un polymère qui constitue une barrière à l’eau.

Figure 6 Laine de verre, laine de roche, perlite expansée… Ces fibres minérales sont utilisées en isolation, seules ou en composites.

riaux de structure porteuse. On va trouver : − des isolants minéraux – fibres et laines de verre, laine de roche, perlite expansée ; − des isolants bio-organiques et végétaux – fibres de lin, fibres de chanvre, de coco, paille, laine de mouton, plumes de canard… ; − des isolants synthétiques – polystyrène expansé ou extrudé, polyuréthane, Kevlar ®, ouate de cellulose… Ils seront mêlés aux murs, sols, toitures, soit en couche, soit en revêtement extérieur ou intérieur, parfois en sandwich entre parois, parfois en couche mince réfl échissante. 2.2.1. Les fibres minérales (Figure 6)

80

Ce sont les plus courantes. La plupart du temps, on trouve des fibres de verre à basse

On trouve par ailleurs des fibres de roche (plus riches en silice que les fibres de verre), qui ont été fondues à haute température (1 100 °C). Leur fabrication ressemble beaucoup à celle de la « barbe à papa » hormis la température : le verre en fusion, comme le sucre fondu, tombe sur un disque tournant à grande vitesse qui projette les fibres dans un réceptacle, lequel alimente ensuite une bande déroulante de papier ou carton pare-vapeur où elles sont collées en diverses épaisseurs ; plus l’épaisseur est grande, meilleure est l’isolation. Elles sont délivrées en rouleaux ou en panneaux. La perlite expansée est aussi une roche volcanique contenant de l’eau qui est expansée par chauffage haute température en de petites granules creuses isolantes, et qui est utilisée en vrac. 2.2.2. Les fibres bio-organiques issues de végétaux Issues de plantes fi breuses largement utilisées pour le textile (lin, chanvre, coton) mais très concurrencées par les fibres ar tificielles (rayonne, nylon), elles retrouvent une nouvelle jeunesse grâce à l’« écoconception ». Elles utilisent en effet les fibres courtes qui ne peuvent être employées pour le textile et valorisent donc la filière. Les fibres, après imprégnation d’un polyester protecteur, sont

La paille, qui est aussi un matériau partiellement de récupération après récolte des céréales, a également une structure naturelle de canaux qui peuvent emprisonner de l’air. C’est un isolant bien connu de nos ancêtres qui, entre les poutres de leurs maisons, la mêlaient à l’argile pour en faire du torchis, constituant alors l’un des matériaux composites les plus anciens 3 (Figure 8). La paille est redécouverte pour cer taines constructions écologiques, soit par assemblage de ballots de paille, soit mélangée au ciment, à la chaux ou à l’argile (comme le montre le Chapitre d’A. Ehrlacher). Cela reste bien sûr encore très artisanal et marginal. On peut aussi trou ver depuis quelques temps des isolations à base de laine de coton, de mouton et même de plumes de canard qui déser tent nos chambres à coucher pour s’attaquer aux combles et 3. Un matériau composite est composé d’une matrice et d’un renfort (voir le Chapitre d’après la conférence de P. Hamelin) : dans le torchis, la matrice est la terre et le renfort est en fibres végétales.

Figure 7 Le chanvre possède une conductivité thermique comparable à la laine de verre.

murs. Plus récemment encore, on peut aussi faire une bonne œuvre en utilisant des feutres à base de vêtements défibrés recyclés par l’association Emmaüs.

Figure 8 La paille a longtemps été utilisée comme isolant, notamment dans les torchis.

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

mises en forme de feutres de diverses épaisseurs. La conduc ti v ité des feutres de lin ou de chanvre est de l’ordre de 0,39 ; elle est comparable à la laine de verre qui est de 0,40. Cela donne des résistances thermiques de l’ordre de 2,5 m 2 .K/W pour des épaisseurs de 10 cm et de 3,8 m2.K/W pour 15 cm, comparables aux fibres minérales. Le chanvre (Figure 7) est de plus un élément répulsif pour les rongeurs !

2.2.3. Les isolants synthétiques Ce sont en général des matériaux issus de la chimie du pétrole ou de la transformation chimique de substances naturelles (voir aussi le Chapitre de J. Souvestre, Encart « Des polymères synthétiques pour notre quotidien. Exemples du polystyrène et du polyuréthane »). Le polystyrène est le plus utilisé (Figure 9). On le trouve sous deux formes : expansé (PSE) avec des porosités ouvertes, et extrudé avec des porosités fermées. Dans les deux cas, il contient plus de 95 % d’air (λ = 0,026) ou de pentane (λ = 0,013) immobilisé dans ses pores. Ces derniers ont été créés lors d’une pré-expansion du polymère par du pentane sous forme de petites sphères qui sont ensuite fortement expansées par chauffage à la vapeur dans des moules de formes variées que l’on connaît pour

Figure 9 Le polystyrène est un excellent isolant thermique grâce à ses 95 % d’air ou de pentane emprisonnés.

81

La chimie et l’habitat

les emballages divers et les plaques d’isolation de 2 à 10 cm d’épaisseur, de basse ou de haute densité. C’est un très bon isolant, peu sensible à l’humidité avec des conductivités λ de 0,03 à 0,035. Figure 10 La ouate de cellulose est obtenue par recyclage de papier journal.

82

Le polyuréthane est un polymère fabriqué à partir de l’urée ; il est aussi très poreux, sur le même principe que le PSE, d’un coût plus élevé, et sa conductivité thermique est aussi basse (λ = 0,025 à 0,030). À cette famille appartiennent également les isolants en couche mince ; ils ne font que quelques millimètres d’épaisseur ; les multicouches sont de l’ordre du centimètre : ils sont constitués de couches multiples de polyéthylène (λ = 0,037) revêtues d’une mince couche d’aluminium réfl échissant et de couches de polyéthylène bulles qui contiennent de l’air immobilisé. Ces couches allient le pouvoir isolant et le pouvoir de réflectivité en réfléchissant aussi bien l’énergie extérieure du soleil que l’énergie des zones intérieures chauffées. Les fabricants revendiquent une aussi bonne isolation qu’une couche de laine de verre de 20 cm qui, elle, est sensible à l’hygrométrie et à l’humidité. Les professionnels de l’isolation et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB, voir le Chapitre de V. Pernelet-Joly, Encart : « Le CSTB et l’OQAI ») sont plus prudents, ils affichent des per formances moindres et reprochent à ces films d’être étanches à la vapeur d’eau et de ne pas laisser « respirer » les murs ou la toiture.

Quelques nouvelles matières apparaissent depuis quelques temps. La plus industrialisée est la ouate de cellulose (Figure 10), que ses promoteurs présentent comme un produit écologique. En vérité, il s’agit de papier journal recyclé au moyen d’un procédé chimique et mécanique qui permet une seconde vie au papier journal. On sait que la cellulose du papier est issue de fibres de bois ou du textile, de faible conductivité (λ = 0,039). Le produit est disponible en vrac ou en panneaux, il peut aussi être projeté. La ouate est revêtue d’oxyde de bore ou de borates, qui sont de bons ignifuges et qui sont aussi protecteurs par rapport aux insectes et moisissures. De coût encore un peu élevé, elle apporte, semble-t-il, une bonne protection et isolation thermique qui concourent au confort en hiver mais aussi en été. 2.3. Les vitrages4 On a vu qu’un bâtiment perd environ 15 % d’énergie par les fenêtres et huisseries vitrées. Il faut cependant avoir une surface vitrée minimum pour l’éclairage bien sûr, mais aussi pour profiter du rayonnement solaire qui peut pénétrer et chauffer la maison en hiver. On estime qu’il faut un minimum de 1/6 e de surface vitrée par rapport à la surface habitable (2 m2 pour une chambre de 12 m2, 7 m 2 pour une salle de séjour de 42 m2). Encore faut-il qu’elles soient judicieuse4. Voir aussi le Chapitre de J. Ruchmann.

Le verre, bien que peu conducteur (λ = 1,2-1,4), n’est pas un isolant lorsqu’il est massif ; on le constate facilement sur les fenêtres à vitrage simple d’épaisseur 4 à 6 mm. En hiver, la paroi froide intérieure se couvre de buée de condensation et parfois de givre, lors de températures extérieures très négatives. Les fenêtres à double vitrage sont constituées de deux verres de 4 mm séparés par un espace de 16 mm, le tout scellé par un joint métallique ou plastique qui isole l’air sec intérieur entre les deux lames. Elles ont apporté un réel progrès sur l’isolation thermique et le confort intérieur (Figure 11). Le coefficient de conduction thermique s’exprime par deux valeurs : − Ug : la conduction thermique du vitrage ; − Uw : la conduction thermique de la fenêtre (vitrage + huisserie). Uw va bien évidemment varier, pour le même double vitrage, avec le matériau utilisé pour l’huisserie. Il sera très bon pour une huisserie en polychlorure de vinyle (PVC), polymère industriel de bonne tenue mécanique et bon isolant. Uw sera un peu moins bon avec une huisserie en bois, encore un peu moins bon pour l’aluminium s’il n’y a pas rupture du pont thermique.

On définit aussi le facteur solaire g, qui est le pourcentage d’énergie solaire que laisse passer le vitrage et qui contribuera à gagner des calories en hiver, mais aussi malheureusement en été. Une solution possible est présentée dans le Chapitre de J. Ruchmann. On trouve depuis quelques années des vitrages à isolation renforcée (VIR), qui sont aussi à faible émissivité. Ils sont constitués de deux parois de verre de 4 mm, en général séparées comme dans le double vitrage standard par un espace de 16 mm, serti par un joint en aluminium ou en plastique. Cet espace est rempli par un gaz rare, l’argon, qui a un pouvoir isolant meilleur que l’air (λ = 0,017 au lieu de 0,026). De plus, la face interne du vitrage intérieur est revêtue d’une mince couche nanométrique d’argent ou d’oxyde métallique (à la façon d’un miroir sans tain) qui, par son pouvoir de réfl ectivité, fait barrière aux infrarouges de grandes longueurs d’ondes issus des pièces chauffées de l’habitation et laisse passer les infrarouges du rayonnement solaire. Ce type de vitrage VIR (Climaplus®, Planitherm futurN ®) est deux fois plus performant qu’un double vitrage classique et cinq fois meilleur qu’un simple vitrage, avec des conductions Ug = 1,2 à 1,5 W/m2 /K. On peut également trouver depuis quelques temps des triples vitrages portés par des huisseries en aluminium à rupture de pont thermique, avec un facteur

Extérieur

Intérieur

0° C

17°

20° C



Figure 11 Les doubles vitrages ont apporté un progrès considérable en termes d’isolation, permettant mieux maintenir la chaleur en hiver.

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

ment orientées ; on considère qu’il faut au minimum 40 % exposés au sud et 20 % pour les trois autres orientations en minimisant celles exposées au nord.

83

La chimie et l’habitat

Ug = 0,8 W/m2 /K. Les avis diffèrent sur l’avantage de ces derniers. Leur dimension de 36 mm (4/12/4/12/4) et leur poids (30 kg/m 2), comparés au double vitrage classique (24 mm et 20 kg/m2), posent des problèmes d’adaptation ; de plus, les deux couches de basse émissivité réduisent le facteur solaire g, ce qui pénalise les apports solaires en hiver. Il ne semble donc pas que les coûts supplémentaires qu’ils occasionnent soient réellement rentables.

Les objectifs, la réglementation et les réalisations

3

3.1. Les constructions neuves Depuis 1974, les divers règlements thermiques pour les bâtiments et constructions neufs (voir le Chapitre de D. Quénard, Encart : « Les règlements thermiques (RT) ») ont permis, dans le domaine du logement, des économies de près de 50 % par rapport aux consommations d’avant la crise pétrolière. La réglementation thermique RT 2005 prolonge celle de 2000 et, par arrêté paru en mai 2006, fixe

Zone H1a

les exigences de performance énergétique des bâtiments neufs. À partir de septembre 2006, des consommations énergétiques de référence ont été établies en kilowattheure par mètre carré par an (kWh/m 2 /an), ainsi que des coefficients thermiques Cep du bâtiment et une température intérieure pour l’été maximums. La France est divisée en huit zones (Figure 12) : trois zones H1 (nord et est), quatre zones H2 (ouest), une zone H3 (zone méditerranéenne). Ces zones correspondent à des climats particuliers imposant des consommations de référence énergétiques de 80 à 130 kWh/m 2 /an si l’on se chauffe au fioul (chauffage combustible fossile), et de 130 à 250 kWh/m2 /an si l’on se chauffe à l’électricité. Les exigences suivant les zones et type de chauffage sont reportées sur le Tableau 3. L’arrêté recommande également d’éviter ou de supprimer les ponts thermiques ; il soutient très for tement les installations de chaudières à condensation ou au bois et les systèmes solaires d’eau chaude sanitaire. Par ailleurs, dans la ligne du Grenelle de l’environnement

Zone H1b

Zone H2a Zone H2b

Zone H1c Zone H2d

Tableau 3 Consommation énergétique maximum par zone (RT 2005).

Zone H2c Zone H3

Figure 12

84

Les trois zones géographiques pour la règlementation du chauffage en France.

Zone

Chauffage combustible fossile

Chauffage électrique

H1

130 kWh/m2 /an

250 kWh/m2 /an

H2

110 kWh/m2 /an

190 kWh/m2 /an

H3

80 kWh/m2 /an

130 kWh/m2 /an

− le label haute performance énergétique (HPE), réservé aux bâtiments consommant 10 % de moins que la consommation de référence ; − le label très haute performance énergétique (THPE), se définissant par une consommation inférieure de 20 % aux références ; − s’y ajoutent les labels HPE EnR et THPE EnR, réservés aux constructions qui de surcroît utilisent des énergies renouvelables : biomasse (voir le Chapitre de D. Gronier), pompes à chaleur, solaire thermique ou photovoltaïque (voir les Chapitres de D. Lincot, D. Plée et D. Quénard) ; − enfin, le label basse consommation énergétique (BBC 2005), calqué sur le Passivhaus allemand (environ 15 kWh/m 2/an) pouvant être attribué aux logements co n s o m m a n t m o i n s d e 50 kWh/m2/an (valeur variant d’un facteur 0,8 à 1,2 suivant

= 50

les zones H) (voir aussi le Chapitre de J. Souvestre, Encart : « Les labels énergie »). Nul doute que ces classifications et labels assortis d’étiquettes, dont nous sommes d e v e nu s f amil ie r s p o ur l’électroménager, auront et sont déjà un facteur de plus en plus déterminant en cas de construction, d’achat ou de revente d’une maison ou d’appartement, car depuis 2006 en cas de vente d’un bâtiment, et depuis 2007 en cas de location, doit être établi un diagnostic de performance énergétique qui range et affiche la classe du logement. Le classement de consommation énergétique va de A (logement économe) à G (logement énergivore), et la classe d’émission de gaz à effet de serre va aussi de A (faible émission) à G (forte émission). Pour les bâtiments des collectivités, les communes et départements sont fortement incitées à afficher l’étiquette énergie sur leurs propriétés, officialisée au 1er août 2008 (Figure 13).

Logement

Logement économe

A

51 à 90 91 à 150

B

6 à 10

C

231 à 330 331 à 450 > 450 Logement énergivore

11 à 20

D

XXX E

kWhEP/m2.an

F

Figure 13 La réglementation impose d’afficher les performances énergétiques des logements et leurs classes d’émission de gaz à effet de serre (GES).

A B C

21 à 35 36 à 55 56 à 80

G

Logement

Faible émission de GES =5

151 à 230

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

depuis 2007 (voir le Chap i tre d e J.- M . M i ch e l ) , de nouveaux labels assortis de conditions sont apparus :

> 80 Forte émission de GES

D

XX

E

kWhéqCO2/m2.an

F G

85

La chimie et l’habitat

Tableau 4 Objectifs de consommation moyenne d’énergie visés par les règlementations thermiques.

Année

Objectif de consommation moyenne (kWh/m2/an)

2008

150

2010

120

2013

50

2020

0

Figure 14 Dépenses énergétiques des foyers en France. La totalité de ces dépenses (principalement pour le chauffage et l’éclairage) atteint 37,5 milliards d’euros, à comparer aux dépenses de carburant pour le transport (35,3 milliards d’euros).

On sait que la moyenne de consommation des bâtiments anciens est située entre 250 et 350 kWh/m2 /an. Pour les bâtiments neufs après 2005, cette fourchette sera comprise entre 80 et 250 kWh/ m2 /an. Après le Grenelle de l’environnement, les objectifs sont nettement plus ambitieux (Tableau 4). Ces objectifs de très basse cons ommation pour le s constructions neuves et la réglementation thermique 2012 en préparation vont inciter et encourager les architectes et bureaux d’études à étudier et concevoir des constructions de bâtiments et de maisons à « énergie zéro », et même à énergie positive, avec inévitablement des conséquences sur l’aspect esthétique, environnemental et patrimonial, aspects auxquels les municipalités et préfets devront veiller. 3.2. Et pour l’existant ? Il est déjà clair que l’objectif « énergie zéro » des logements ne pourra être atteint pour 2020 pour l’ensemble immobilier français ; le Gre-

2,5 % 4 %

23 %

48 %

23 %

86

Électricité Gaz naturel Fioul Bois, charbon Chauffage urbain

nelle de l’environnement, dans le « facteur quatre », se fixe de réduire par quatre les émissions de CO2 en 2050. La France étant le meilleur élève de l’Europe sur les émissions de gaz à effet de serre grâce à l’énergie nucléaire, on peut se demander si cet objectif n’est pas utopique, sauf à considérer un effort sans précédent, non pas dans l’habitat mais pour le transport des personnes et des marchandises. Pour les logements existants, cela représente environ 400 000 logements à rénover par an d’ici 2050 dans des conditions qui sont à rapprocher d’exigences supérieures à RT 2005, puisque la RT 2012 est en élaboration et concernera les bâtiments anciens. Les études statistiques et enquêtes menées en 2006 sur les dépenses énergétiques des Français ont donné les résultats reportés sur la Figure 14. Depuis novembre 2007, en cas de rénovation, réhabilitation de maisons, logements ou bâtiments de moins de 1 000 m2, les chaudières, fenêtres, radiateurs, ballons d’eau chaude, isolation, pompe à chaleur, etc., doivent présenter des performances énergétiques supérieures ou égales au niveau réglementaire minimum. Des réductions d’impôts de 25 % sur les fournitures qui satisfont à ces exigences sont accordées et peuvent s’ajouter aux réductions de 50 % accordées aux fournitures solaires (eau sanitaire) ou 25 % depuis 2011 pour le photovoltaïque, s’il y a investissement de cet ordre. Par ailleurs, des réductions de taxe foncière pourront être

3.3. Les réalisations Les maisons basse consommation doivent mettre en place une stratégie d’isolation de tous les éléments de la maison : les murs, les toitures, les sols et les vitrages. Les murs Il existe trois types de structures (Figure 15) : − les murs massifs à isolation extérieure, éliminant les ponts thermiques, protègent les murs porteurs sans réduire la surface habitable. Ils conviennent donc en cas de rénovation ou d’assainissement. Il faut simplement veiller à la diffusion de la vapeur d’eau afin d’éviter les dégâts consécutifs à une humidité permanente par condensation. Le matériau isolant, la finition extérieure et la couleur de façade doivent être assortis et compatibles avec l’environnement et l’aspect architectural initial (ce qui pose souvent problème pour des bâtiments anciens ou patrimoniaux) ; 5. Le coefficient d’occupation des sols (COS) détermine la quantité de construction admise sur une propriété foncière en fonction de sa superficie. Il est contrôlé notamment lors de l’instruction des permis de construire.

− les murs à double paroi : l’isolant central ne peut dépasser une certaine épaisseur pour des raisons mécaniques (15 cm maximum). Les points de jonction entre la maçonnerie extérieure et les zones chauffées peuvent entraîner des ponts thermiques. Les murs à double paroi conduisent souvent à de bonnes stabilité et inertie thermique contribuant au confort, mais ils ne conviendront pas en général pour des maisons à énergie zéro ; − les structures légères : souvent les parois et structures sont fabriquées en atelier à partir d’éléments porteurs en bois. L’ossature en bois peut être recouverte de polystyrène et d’enduit, l’intérieur comblé par de la laine de verre ou de cellulose avec une contrecloison intérieure en plâtre. Les canalisations et circuits électriques sont intégrés en usine et le montage sur site est bien plus rapide que pour la construction traditionnelle. Il faut simplement veiller à la conduction de la chaleur par le bois, à son vieillissement sous charge et à la sensibilité à l’humidité.

1

2

3

4

A : monomur + isolation externe 1

2

3

4

5

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

prévues en cas de travaux conduisant à des réductions de consommation et changement de classe. Enfin, il est aussi prévu, en cas d’obtention du label THPE, la possibilité de dépasser le COS 5 dans la limite des 20 %, dans l’hypothèse d’une nouvelle construction ou d’un agrandissement.

B : brique silico-calcique 1

2

3

4

5

6

7

8

Les toitures Pour les toitures, deux cas se présentent : − les combles perdus : il s’agit alors d’épandre sur les solives des plafonds ou sur la dalle supérieure des feutres épais de 15 à 30 cm de laine de verre, de lin ou chanvre, ou en vrac de la ouate de cellulose ou laine isolante de même épaisseur (en veillant à placer un parevapeur du côté habitable) ; − les combles habitables : il faut alors dérouler entre les

C : structure légère composite

Figure 15 Les différents types de structures pour les murs : A : monomur + isolation externe ; B : brique silico-calcique ; C : structure légère composite.(voir la figure 5).

87

La chimie et l’habitat

charpentes des bandes d’isolants de matériau classique ou de films minces isolants et réflectorisants, en veillant toujours à laisser une lame d’air près de la toiture.

Les ouvertures

Les sols

La réglementation thermique se traduit sur le terrain par les caractéristiques de résistance thermique ou de conductivité des éléments de construction ou de rénovation. Elles sont résumées dans le Tableau 5.

Il s’agit d’isoler les dalles et chapes du sol ou du vide sanitaire, voire des sous-sols. Ce sont le plus souvent des plaques de polystyrène expansé ou extrudé d’épaisseur variable qui sont utilisées.

On utilisera des vitrages à double parois, classiques ou à isolation renforcée. Les caractéristiques techniques

Tableau 5 Caractéristiques thermiques minima des matériaux (R résistance en m2.K/W et U conduction thermique en W/m2/K).

R (RT 2005)

U (RT 2005)

R (BBC)

U (BBC)

Toiture

6

0,17

8

0,125

Mur

4

0,25

5

0,20

Sol/terre

4

0,25

5

0,20

Sol/vide sanitaire

4

0,25

6

0,17

0,4

2,5

0,9

1,1

Vitrage

Que choisir pour les toitures avec R = 6 m2.K/W ou U = 0,17 W/m2 /K ? Λ (W/K/m)

Épaisseur recommandée (cm)

Laine de verre

0,035-0,045

24

Laine de roche

0,035-0,045

24

Polystyrène extrudé

0,030-0,040

21

Polystyrène expansé

0,030-0,035

18 à 23

Flocons de cellulose

0,035-0,045

24

Laine de lin

0,039-0,045

25

0,038

23

Isolant

Laine de chanvre

Que choisir pour les murs avec R = 4 ou U = 0,2 (laine de verre ou ouate de cellulose) ? Type de mur Bloc isolant (37,5 cm), isolation externe

88

Épaisseur d’isolation (cm) 4à6

Brique silico-calcique (24 cm)

12 à 15

Cloison composite à madrier

16 (R = 6)

Maison en 1960 non isolée

Prenons l’exemple d’une maison construite en 1960, en un temps « que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître », où le litre de fioul domestique coûtait moins de vingt centimes (de nouveau franc !), évidemment sans isolation, que ses propriétaires ont progressivement rénovée et isolée, et imaginent remplir un objectif 2012, c’est-à-dire BBC ! (Figure 16 et Tableau 6) Près de cinq millions de logements sont encore chauffés au fioul ; il y en avait près

Maison en 1982

de neuf millions avant 1973, ils représentent actuellement plus de 20 % du parc immobilier. Voyons ce que les propriétaires d’une maison telle que celle de l’exemple précédent peuvent dépenser pour atteindre les objectifs 2012, qui sont ou seront très proches du label THPE et même BBC. La réduction

Maison en 2000

Maison en 2012

Figure 16 Des étapes nombreuses et coûteuses pour rénover une maison des années 1960 selon les objectifs 2012.

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

À titre de comparaison édifiante

4

Tableau 6 Comparaisons d’isolations rénovation.

Maison 1960

Rénovation 1982

Rénovation 2000

Objectifs 2012

Non isolée

Combles et murs

Combles, murs, sols

Super isolation

7 200 L fioul (75 000 kWh)

2 150 L fioul (22 500 kWh)

1 050 L fioul (11 000 kWh)

800 L fioul (8 500 Wh)

Prix 2008*

7 200 €

2 150 €

1 050 €

800 €

Prix en € constants*

150 €

2 865 €

900 €

800 €

Isolation Consommation annuelle

Solutions mises en œuvre : Combles

Sans isolations

R = 2,5

R=5

R = 6,5

Murs extérieurs

Sans

R = 1,25

R = 2,2

R=5

Sols

Sans

Sans isolation

R=2

R = 2 + PSE intérieur

Simples

Doubles

Doubles + VIR

Double + VIR + argon

Naturelle

Simple flux

Hygroréglable

Hygroréglable

Vitrages Ventilation

* Pour les prix du fioul, le choc pétrolier de 1973 a doublé le prix, qui a été à nouveau doublé en 1979 lors du second choc, d’où un facteur quatre entre 1970 et 1982. Après le contre choc des années 1990, les années 2000 sont caractérisées par des fluctuations importantes de plus de 60 % qui amènent le prix du litre de fioul proche de 1 € (2008-2011). N.B. : Les prix à la consommation générale ont augmenté de 636 % en quarante ans.

89

La chimie et l’habitat

des dépenses de chauffage compense-t-elle les investissements consentis pour l’isolation ? Pour le calcul, on prendra l’hypothèse de 96 m2 au sol et de 50 m2 en étage et de l’ordre de 25 m2 d’ouvertures lumineuses. Les prix des matériaux sont des prix moyens 2010, ils peuvent varier suivant les sources, on s’attachera surtout à l’ordre de grandeur : 1) Isolants traditionnels : Sol – PSE 4 cm : 96 × 7,00 = 672 €. Murs-cloison placo + 100 mm. Laine de verre : 220 × 15 = 3 300 €. Combles et une partie du toit – 200 mm laine de verre : 144 × 7 = 1 008 €. Total : 5 000 € + pose 2 500 € = 7 500 €. 2) Isolants écologiques : Sols – laine de roche : 96 × 8,00 = 770 €. Murs – Panneaux de lin + placo : 220 × 25 = 5 500 €. Combles et une partie du toit : ouate de cellulose 1 056 + 2 374 = 3 430 €. Total : 97 000 € + 2 500 € pose = 12 200 €. 3) Fenêtres et baies vitrées : Huisseries et doubles vitrages avec couche faible émissivité et argon 25 × 170 = 4 250 € + Pose 750 € = 5 000 €. Investissements et dépenses : Cas 1 : 12 500 €. Après crédit d’impôt sur les fournitures (2 900) : 9 600 €.

90

Cas 2 : 17 200 €. Après crédit d’impôt sur les fournitures (4 200) : 13 000 €.

Par rapport à une maison non isolée, cela permet, si chauffage au fioul, une économie de l’ordre de 6 000 € par an, d’où une rentabilité en moins de deux ans dans le premier cas et d’un peu plus de deux ans dans le deuxième cas (isolants écologiques). Pour la maison rénovée en 1982, c’est une économie de l’ordre de 2 000 € et donc une rentabilité en cinq ans ou six ans. Notons que les dispositions favorables du crédit d’impôt pour les habitations construites avant 1977 ont été abrogées pour 2011. Il est de 25 % sur les fournitures et la pose pour les matériaux d’isolation, sauf pour les vitrages où la pose est exclue (loi de finance 2010).

5

L’évolution et la recherche

En matière d’isolation, la recherche est plus technologique qu’elle n’est par exemple dans le photovoltaïque et le solaire. Les principes d’investigation de base sont la conductivité et l’émissivité. Dans le premier concept, c’est remplacer les éléments solides conducteurs de la chaleur par des espaces fermés emprisonnant un gaz peu conducteur comme l’air ou un gaz rare comme l’argon ou le krypton. Avec le second concept, c’est comment bloquer tout ou partie du rayonnement solaire externe et le rayonnement infrarouge interne pour améliorer le confort ; ceci peut être réalisé par des métaux ré-émetteurs tels que l’aluminium poli ou l’argent et certains oxydes en couche mince, tels que l’oxyde

− amélioration des propriétés mécaniques des polymères expansés ou extrudés qui, à facteur R égal, ont maintenant des tenues mécaniques à la compression bien meilleures ; − protection des fibres naturelles ou minérales portant sur la résistance à l’humidité et à leur tenue au feu. Ceci est réalisé par des revêtements par ensimage qui font barrière à la vapeur d’eau (acétates de vinyle), ou ignifuges (oxyde ou sel de bore), ou encore antimoisissures et insecticides ; − recherche de nouveaux produits naturels pour constituer des laines, flocons, feutres à partir de végétaux dédiés ; cela s’apparente davantage à la recherche sur les textiles (voir le Chapitre de G. Némoz) et à la recherche agronomique. C’est ainsi qu’ont vu le jour des laines et feutres de lin, de chanvre, de coton, de laines de moutons, de plumes de canard, etc., qui, s’ils sont effectivement d’origine naturelle, exigent cependant pour leur conservation et leur mise en forme des traitements chimiques. Leurs prix restent cependant encore deux à quatre fois plus élevés que les matériaux isolants standard ; − des composites comportant des aérogels qui sont obtenus par évaporation en phase critique6 de gels de silice et donnent des microsphères creuses de silice très légères 6. Un corps se trouve en phase critique lorsqu’on ne peut plus distinguer les états gazeux et liquide.

qui ne peuvent être utilisées seules mais en sandwich avec des polymères ou fibres, et dont la mise en œuvre reste complexe ; − l’isolant ultime et absolu étant le vide, la construction de panneaux de matériaux nanostructurés et sous vide (PIV) constitue une nouvelle étape ; c’est un peu le principe du Dewar de la bouteille thermos qui est appliqué à la construction. Deux propriétés sont alors mises en œuvre, un polymère contenant des nanopores, de dimensions inférieures au libre parcours moyen des molécules d’un gaz, lequel ne peut alors plus transmettre, par agitation, la chaleur. Le tout est emprisonné dans une enveloppe étanche, constituée de couches de polymères sandwich revêtues d’une mince couche d’oxyde ou de métal, barrière empêchant la diffusion de l’air, de la vapeur d’eau ou du CO 2, puisque l’on fait le vide dans cette enveloppe. On y ajoute aussi un absorbant qui va permettre sur le long terme de maintenir le vide ou au moins une très faible pression. Ce type de panneau est, pour une épaisseur donnée, quatre fois plus isolant qu’un panneau standard ; il est actuellement testé pour l’isolation des ballons d’eau chaude ; – un nouveau concept est apparu depuis environ cinq ans, c’est celui qui consiste à profiter de la chaleur latente. Lorsque vous chauffez un solide, au cours de sa fusion, il absorbe une certaine quantité de chaleur pour le changement de phase état solide-état liquide, et lors de son refroidissement, il restitue cette

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

de gadolinium, qui agissent un peu comme des miroirs sans tain. La recherche a donc porté sur les sujets suivants :

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La chimie et l’habitat 92

quantité de chaleur pour recristalliser et passer de l’état liquide à l’état solide. L’idée de l’application aux générateurs de chaleur (sels eutectiques) est assez ancienne, mais la réalisation pour l’application à un mur ou panneau de construction est plus récente. On enferme alors une cire à base de co-polymères7 et de paraffine8 dont le point de fusion est compris entre 22 °C et 26 °C dans un panneau mural ; lorsque la chaleur solaire externe chauffe le panneau, la cire fond et absorbe cette chaleur, et limite donc l’augmentation de température intérieure ; la nuit, lorsque le mur se refroidit, la cire se solidifie et restitue la chaleur latente en limitant la diminution de température intérieure. C’est ce que l’on appelle une structure composite « intelligente » à changement de phase qui régule par elle-même la température de la maison par ses simples propriétés physiques. Les réalisations existent sous forme de panneaux de polymères laminés entre deux feuilles d’aluminium (Energain® de DuPont de Nemours) ou de microbilles de 5 μm contenant la cire, pouvant être dispersées dans

7. Un polymère est constitué par l’enchaînement d’une ou plusieurs unités répétitives appelées monomères. Dans ce dernier cas, il est appelé co-polymère. 8. Les paraffines, du latin parum affinis (« qui a peu d’affinité »), sont un mélange d’alcanes.

des panneaux de plâtre ou des revêtements (Micronal® de BASF). Des panneaux de ce type de 15 mm ont la capacité thermique équivalente d’un mur de 12 cm, et contribuent remarquablement au confort intérieur. À coté de cette recherche sur les matériaux, il ne faut pas non plus négliger la recherche architecturale et esthétique, qui devient primordiale puisqu’elle va conduire à proposer des structures multi-matériaux, des liaisons par colles minérales, des panneaux pré-industrialisés, des matériaux bio-sourcés (abordés dans le Chapitre de D. Gronier), des couvertures naturelles végétales… La recherche porte aussi évidemment sur la disposition des pièces du logement afin d’en améliorer l’aspect bioclimatique. Un point très important pour les années futures concernera la recherche architecturale pour la réhabilitation des bâtiments existants par l’extérieur, qui ne sacrifie pas les surfaces habitables, mais qui va nécessiter des solutions où l’esthétique ne sera pas sacrifi ée aux exigences techniques de la réglementation thermique.

Le marché de l’énergie renouvelable est un marché assez porteur et en pleine expansion. Après le Grenelle de l’environnement et l’objectif du « facteur quatre », le Gouvernement, par les lois de finances et les dispositions du crédit d’impôt, souvent relayées par les régions et les départements, a institué des aides appréciables aux particuliers et aux sociétés. Ces aides conduisent, du moins c’est l’espérance des décideurs, à des économies importantes dans la consommation des ressources fossiles qui grèvent notre balance extérieure, et à la diminution de l’émission des gaz à effet de serre. La question que l’on peut se poser est celle-ci : est-ce que ces aides sont toujours bien dirigées et encouragent-elles des solutions efficientes ? Plaçons-nous dans l’optique d’un propriétaire qui dispose d’une maison partiellement rénovée et isolée en 1982 (exemple précédent de la maison de 150 m2), et qui veut la rénover dans une optique d’éco-citoyen pour aller au-delà des normes du RT 2005, anticiper RT 2012 et viser les labels THPE ou même BBC. Il a le choix entre des travaux de super isolation de sa maison avec des matériaux et systèmes satisfaisant les conditions du crédit d’impôt de la loi de finance 2010, ou l’installation d’un chauffeeau solaire, ou l’installation de tuiles photovoltaïques remplaçant partiellement une partie de sa toiture, ces deux dernières solutions ouvrant droit non seulement aux crédits d’impôts y afférant mais aussi aux subventions des collectivités territoriales auxquelles peut s’ajouter, pour la solution photovoltaïque, la possibilité de vendre son électricité à EDF à un tarif subventionné. Résumons les solutions et dépenses dans le Tableau 7. En prenant un prix du kWh de

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

Les aides gouvernementales sont-elles bien ciblées ?

93

La chimie et l’habitat

l’ordre de 0,08 € (prix moyen heures normales pratiqué par EDF pour un particulier) ou 1 € le litre de fioul (valeurs d’amortissements entre parenthèses), on peut comparer l’efficacité de ces différentes actions (Tableau 8). On peut voir, grâce à ces tableaux, que l’investissement par isolation est à peu près onze fois plus efficace que l’investissement dans les panneaux photovoltaïques et quatre fois plus efficace que celui pour un chauffe-eau solaire. En revanche, les subventions publiques (qui coûtent de l’argent à la collectivité) sont aussi onze fois plus fortes par kWh économisé pour le photovoltaïque et huit fois plus fortes pour le chauffe-eau solaire. Pour être complet, il Tableau 7 Investissements, dépenses, économies générées de diverses solutions.

Investissement en ¤

Crédit d’impôt en ¤

Subvention en ¤

Dépenses en ¤

Économie d’énergie par an

Photovoltaïque

19 500

4 000

500

15 000

2 000 kWh

Chauffe-eau solaire

6 000

2 500

500

3 000

2 000 kWh

Isolation standard

12 500

2 300

néant

10 200

14 000 kWh

Isolation écologique

17 000

3 300

néant

13 700

14 000 kWh

Travaux

Tableau 8 Amortissements et efficacités des diverses solutions.

Amortissement/ investissement

Amortissement/ dépense

Crédit d’impôt + subvention par kWh économisé/an

Économie réalisée pour 1 ¤ investi

Photovoltaïque

110 ans

93 ans

2,25 ¤

0,1 kWh

Photovolt. + vente EDF

22 ans

18 ans

2,75 ¤*

0,1 kWh

Chauffe-eau solaire

47 ans

18 ans

1,50 ¤

0,30 kWh

Isolation standard

9 ans

7 ans

0,16 ¤

1,14 kWh

Isolation écologique

12 ans

9 ans

0,24 ¤

0,8 kWh

Travaux

94

*Avec le rachat par EDF à 0,58 € par kWh.

Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !

faudrait y ajouter la subvention déguisée de 0,58 – 0,08 = 0,50 € par kWh photovoltaïque accordée par EDF que payent in fine tous les abonnés par augmentation du tarif général, et qui monte les subventions à quatorze fois plus fortes ! Il y a clairement une incohérence de la part des Pouvoirs publics, qu’ils soient nationaux ou régionaux ; elle est clairement mise en lumière dans le cas de l’isolation thermique avec des matériaux naturels (donc renouvelables !) qui est neuf fois moins subventionnée que le photovoltaïque (dont on dit qu’il bénéficie surtout à l’industrie des panneaux photovoltaïques chinois, c’est un comble !) On peut craindre que, portés par l’enthousiasme des néoconvertis du Grenelle de l’environnement, soumis aux lobbies des écologistes radicaux et du Syndicat des énergies renouvelables (SER), les décideurs aient cédé à la mode perverse. Celle de subventionner au-delà du raisonnable les mesures les plus visibles et les plus médiatisées en négligeant les plus efficaces mais moins spectaculaires, et en imposant à EDF un prix de rachat déraisonnable de l’électricité de sources renouvelables. Il est maintenant clair que le Comité opérationnel (COMOP) n’a pas vraiment joué son rôle et qu’il importe au plus vite de réorienter la loi vers des mesures plus efficaces pour ne pas gaspiller l’argent public.

95

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au

de

l’efficacité énergétique : comment concevoir un habitat performant ?

Johann Souvestre est ingénieur « efficacité énergétique » et concepteur certifié de maison passive dans l’entité Efficacité énergétique et construction du groupe BASF.

BASF, leader mondial de la chimie, travaille pour de nombreux secteurs industriels : l’automobile, l’emballage, l’agroalimentaire, la cosmétique, l’industrie pharmaceutique et la construction. Le lien de BASF avec l’habitat se situe à deux niveaux : − BASF possède sa propre société de logement (LUWOGE) créée en 1926, qui gère un parc de plus de 7 500 logements sociaux à coût modéré destinés essentiellement aux ouvriers de BASF, localisé près du site industriel historique à Ludwigshafen (Allemagne). De ce fait, la charge énergétique dans le coût des loyers est une problématique au cœur des préoccupations du

groupe depuis de nombreuses années ; − par ailleurs, BASF fabrique plus de 40 000 produits pour l’habitat, allant des produits pour la structure des bâtiments (adjuvants pour bétons, mortiers de réparation, etc.) aux produits pour l’isolation, mais également ceux qui concernent la finition intérieure comme les peintures ou les colles (Figure 1). Depuis de nombreuses années, BASF établit sa stratégie en fonction de l’étude des grands enjeux de demain et essaye d’y apporter des solutions. Par exemple, sachant que les véhicules automobiles augmenteront de manière importante d’ici 2030, comment

Johann Souvestre La chimie au service de l’efficacité énergétique : comment concevoir un habitat performant ?

chimie service La

La chimie et l’habitat

Figure 1 Avec son parc de plus de 7 500 logements sociaux, l’entreprise BASF est fortement impliquée dans les problématiques énergétiques liées à l’habitat, à travers la production de nombreux matériaux de construction, notamment ceux destinés à l’isolation thermique.

98

peut-on réduire les consommations de carburant et les émissions de gaz à effet de serre liées ? S’agissant du domaine de la construction et de l’habitat, comment pouvons-nous prévoir un déplacement des populations vers les villes, comment peut-on aider à concevoir des villes peu consommatrices d’énergie ? Dans le domaine de la santé et de la nutrition, comment contribuer à garantir l’accès à l’eau et à l’alimentation pour tous, compte tenu de l’augmentation du nombre d’individus sur Terre ? Enfin, étant donnés les besoins accrus en énergies primaires d’ici 2030, comment contribuer à cet approvisionnement en énergie de façon efficace et respectueuse de l’environnement ?

Comment économiser l’énergie des bâtiments ?

1

1.1. Les deux leviers d’action Comme il est montré dans le Chapitre de J.-C. Bernier, le premier levier d’action pour économiser l’énergie est de réduire le besoin énergétique des bâtiments via une bonne isolation, puis de jouer ensuite sur l’offre énergétique, c’està-dire de diversifier les modes de production d’énergie pour s’orienter de plus en plus vers les énergies renouvelables comme l’énergie solaire (voir à ce sujet les Chapitres de D. Lincot, D. Plée et D. Quénard) ou l’énergie éolienne. Mais il faut toujours le redire : « l’énergie la moins chère

1.2. Comment concevoir un habitat passif, consommant peu d’énergie ? Établissons un parallèle simplifié entre un bâtiment et l’homme (Figure 2) : 1. Ne pas isoler un bâtiment revient en quelque sorte à placer un homme nu dehors par –5 °C, ce qui est bien peu confortable ! 2. Pour isoler un bâtiment, la première question à se poser est : où est-il le plus souhaitable de maintenir un certain confort au niveau de la température ? Dans le cas d’une maison individuelle, faut-il y inclure la cave et le grenier ? Une fois choisi, ce volume chauffé – ou volume thermique –, doit ensuite être entièrement bien isolé, en commençant par la dalle : c’est un peu comme mettre de bonnes bottes ! 3. Ensuite, l’isolation de la toiture peut être imagée par le fait de porter un bon bonnet. 4. Des fenêtres performantes, qui limitent au maximum les déperditions de chaleur mais qui permettent également de profiter de la source d’énergie gratuite qu’est le rayonnement solaire, sont à comparer avec un bon masque de ski. 5. Isoler les murs extérieurs revient à enfiler un bon manteau. 6. Le traitement des ponts thermiques, c’est-à-dire des endroits où l’isolation est plus faible (par exemple la liaison entre le mur extérieur et les

fenêtres, ou la liaison entre le mur extérieur et la toiture), peut être imagé par l’utilisation d’une bonne écharpe ; car même avec un bon manteau et un bon bonnet, l’air qui passe au niveau du cou est peu confortable pour l’homme, et c’est aussi le cas pour le bâtiment. 7. Mettre de bons gants est l’équivalent des balcons qui dépassent et qu’il faut également traiter. 8. Une fois que le volume choisi est bien isolé, il faut veiller à ce qu’il demeure étanche, de la même manière qu’un bon manteau ne doit pas posséder de fermeture défaillante : l’air chaud intérieur ne doit pas sortir, parallèlement au fait que l’air froid extérieur ne doit s’infiltrer. 9. Néanmoins, l’air intérieur doit être renouvelé car il est primordial d’en assurer la bonne qualité (voir les Chapitres de M. J. Ledoux et V. Pernelet-Joly) et, de la même façon que l’homme a besoin d’air pour respirer, le bâtiment en a besoin, et ce d’autant plus qu’il est très étanche.

La chimie au service de l’efficacité énergétique : comment concevoir un habitat performant ?

est celle que l’on ne consomme pas ». Ainsi le premier levier que nous allons examiner est celui de l’isolation.

10. Si le bâtiment est très étanche, deux moyens existent pour renouveler l’air intérieur : − par les ventilations dites simple flux, qui consistent à extraire l’air du bâtiment et à apporter de l’air neuf via des ouvertures situées en général au niveau des fenêtres. L’inconvénient est que les calories de l’air chaud extrait ne sont pas récupérées, et donc que l’énergie utilisée pour le chauffer est perdue ; − par les ventilations dites double flux, qui se développent

99

La chimie et l’habitat

Figure 2 Les règles de conception d’un habitat performant.

100

de plus en plus, où à la fois l’air est insufflé de façon mécanique dans les pièces dites « sèches » du bâtiment, tandis qu’il est extrait des pièces

« humides » (cuisine, sanitaires…). Les flux entrants et sortants se croisent au niveau d’un échangeur de chaleur qui permet de récupérer jusqu’à

11. Un bâtiment bien isolé, étanche à l’air et bien ventilé a néanmoins besoin d’une certaine production de chaleur, un peu comme notre homme bien habillé avec un très bon manteau, muni d’une très bonne fermeture éclair, qui a tout de même besoin de manger et de boire pour se sentir bien. Cet apport de chaleur doit lui aussi se faire de manière efficace, en préférant par exemple des chaudières possédant de bons rendements. 12. Il faut ensuite apporter la chaleur de la chaudière jusqu’aux pièces où elle est émise et la distribuer de façon efficace, en veillant à limiter au maximum les longueurs de canalisation entre la production de chaleur et l’émission. Il faut donc aussi isoler ces canalisations pour éviter les déperditions. Présentées de manière simplifiée, ces conditions montrent comment concevoir un habitat performant sur le plan énergétique dans lequel la réduction des consommations d’énergie réduira de manière significative les factures correspondantes.

La chimie au service de l’efficacité énergétique : comment concevoir un habitat performant ?

90 % des calories de l’air extrait, ce qui représente une économie d’énergie en termes de chauffage du bâtiment.

polystyrène et le polyuréthane (Encart : « Des polymères synthétiques pour notre quotidien. Exemples du polystyrène et du polyuréthane » et Figure 3). Les panneaux de polystyrène sont fréquemment utilisés pour l’isolation des murs extérieurs, tandis que le polyuréthane, avec de très bonnes propriétés de compression, est fréquemment utilisé pour l’isolation des toitures. Ces matériaux sont les plus courants mais ne sont pas les seuls. Beaucoup d’autres matériaux isolants possèdent des composants d’origine chimique. C’est par exemple le cas de la laine minérale ou des matériaux dits « verts », comme la laine de bois, dans lesquelles les liants entre les différentes fibres sont souvent issus de la chimie (voir aussi les Chapitres de P. Hamelin et G. Némoz).

2.2. La place de la chimie dans la chaîne de valeurs de la construction Les industriels de la chimie se retrouvent souvent en amont de la chaîne de valeurs de la construction (Figure 6). Prenons l’exemple du Neopor ® (Figure 7 ). BA SF produit des billes de polystyrène

Figure 3 Exemples de matériaux isolants issus de la chimie.

Où intervient la chimie dans la réalisation d’un « habitat passif » ?

2

2.1. Les matériaux isolants et la chimie De nombreux matériaux isolants sont issus de la chimie, les plus connus étant le

101

La chimie et l’habitat

DES POLYMÈRES SYNTHÉTIQUES POUR NOTRE QUOTIDIEN Exemples du polystyrène et du polyuréthane Molécules formant de longues chaînes constituées par l’enchaînement d’une ou plusieurs unités répétitives appelées monomères, et liées entre elles par des liaisons covalentes, les polymères se trouvent en abondance dans la nature, dont on peut citer des polysaccharides comme la cellulose (bois, coton…) et l’amidon (pomme de terre, maïs…), des protéines (laine…) (voir le Chapitre de D. Gronier), ou encore le caoutchouc naturel, largement exploité par l’industrie, et qui peut également être produit de manière synthétique par réaction chimique de polymérisation*. Les polymères synthétiques (Tableau 1) ont été développés après la Seconde Guerre mondiale, grâce à l’exploitation du pétrole, devenant aujourd’hui les composants majeurs d’un grand nombre de matériaux de notre quotidien : pneumatiques, emballages, isolants, textiles… Tableau 1 Structures de polymères synthétiques courants.

Nom

Structure

Polyéthylène (PE) Polypropène (PP)

Polychlorure de vinyle (PVC)

Polystyrène (PS)

Polyuréthane (PU)

Les polymères sont souvent classés d’après leurs propriétés mécaniques en fonction de la température. On distingue ainsi : - les polymères thermoplastiques, qui deviennent malléables lorsqu’ils sont chauffés audessus d’une certaine température et qui, en dessous, redeviennent durs ; - les polymères thermodurcissables, qui durcissent de façon progressive sous l’action de la chaleur pour atteindre un état solide irréversible ; - les élastomères, qui sont déformables de manière réversible. 102

Parmi les polymères synthétiques les plus connus, le polystyrène est largement répandu dans notre quotidien, que ce soit pour les emballages alimentaires ou pour l’isolation des bâtiments (cloisons, planchers...). Facile à transformer, ce matériau peut se présenter sous différentes formes : cristal, choc, expansé, etc. Le polystyrène cristal est une matière dure et cassante, pouvant être transparente ou colorée. Ses propriétés mécaniques et thermiques peuvent être modifiées par l’ajout de plastifiants ou de butadiène (caoutchouc) pour en faire un polystyrène dit choc. L’application la plus connue du grand public est le polystyrène expansé (PSE), mousse blanche compacte obtenue par mélange d’un gaz (butane ou pentane) et de polystyrène cristal (voir aussi le Chapitre de J.-C. Bernier). Le polystyrène est synthétisé par polymérisation du styrène, monomère issu du pétrole (Figure 4). CH2 CH

CH2 CH

CH2 CH

CH2 CH

CH2 CH

CH2 CH

CH2 CH

polymérisation

Figure 4 styrène

polystyrène

Synthèse du polystyrène par polymérisation du styrène.

Le polyuréthane Décliné en une grande variété de textures selon le monomère utilisé, ou en ajoutant d’autres substances (additifs), les polyuréthanes sont utilisés pour de nombreuses applications, principalement sous forme de mousses, en particulier pour l’isolation des bâtiments ou l’ameublement (assises des sièges). Sous la forme de mousse expansée, ils sont appréciés pour leur qualité d’isolation phonique et thermique, leur adhérence sur tout support, leur pouvoir de flottaison, leur capacité à remplir les vides quels qu’ils soient et à permettre des emballages sur mesure, légers et solides. Ils sont aussi largement utilisés dans la décoration (peinture, colles… voir le Chapitre de D. Gronier), ou encore dans les textiles*. Citons leur utilisation dans des combinaisons de natation apparues en 2008, améliorant considérablement les performances des athlètes qui les ont utilisées, avant d’être interdites par la Fédération internationale de natation (FINA) en 2010*.

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Le polystyrène

Les polyuréthanes sont des polymères d’uréthane, molécule issue de la réaction entre un isocyanate et un alcool (Figure 5). La synthèse chimique du polymère à partir d’isocyanate peut s’effectuer de différentes manières : par polymérisation « en chaîne », par polycondensation (voir le Chapitre de D. Gronier, Figure 16 et note 8) ou par « polyaddition ». Figure 5 Synthèse d’uréthane à partir d’un isocyanate et d’un alcool.

Comme la plupart des matières plastiques, les polyuréthanes présentent une toxicité très faible par rapport à de nombreux autres matériaux utilisés pour l’isolation ou pour le rembourrage des meubles. Cependant, ils sont très infl ammables et leur combustion produit de nombreux gaz mortels tels que le cyanure d’hydrogène et le monoxyde de carbone. Un additif retardateur de fl ammes, la pentabromodiphényléther, a été incorporé à ces mousses, mais, réputé toxique, il est interdit depuis 2001. * Voir l’ouvrage La chimie et le sport. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011. 103

La chimie et l’habitat

concrets de construction, sont très importants pour les équipes de recherche des industriels de la chimie.

3 Figure 6 La chaîne de valeurs de la construction. Situées très en amont de cette chaîne, les industries de la chimie sont néanmoins à l’écoute des besoins des clients, condition nécessaire à l’innovation.

Figure 7 Neopor® : utilisées sous forme de panneaux, ces billes expansibles en alliage de polystyrène et de graphite offrent des performances d’isolation meilleures que le polystyrène pur.

Figure 8

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Inauguré au début de l’année 2010, La Clairière est le premier bâtiment social passif français. Après un été et un hiver, ses habitants se disent totalement satisfaits.

expansible. Elles sont expansées par ses clients (dits transformateurs) sous forme de panneaux, qui sont ensuite recouver ts d’un enduit et équipés d’armatures par les industriels appelés « systémistes », lesquels vont les vendre à l’acheteur final (société de construction, artisan ou particulier). Bien que l’industriel de la chimie soit situé très loin de l’acheteur final dans la chaîne, il doit néanmoins répondre au cahier des charges du client et donc aller chercher l’information au niveau de ce marché final. Cette condition est à l’origine de toute innovation : les retours d’expérience de l’usage de ces matériaux sur le terrain, dans des projets

La route vers les bâtiments « passifs »

3.1. Le premier exemple français La Clairière (Figure 8), premier bâtiment social passif français construit en conformité avec le label Passivhaus (Encart : « Les labels énergie »), a été inaugurée en mars 2010 à Bétheny près de Reims, soit deux ans avant l’entrée en vigueur des recommandations du Grenelle de l’environnement sur les per formances énergétiques des bâtiments (voir le Chapitre de J.-M. Michel). À l’origine de cette initiative, le « Foyer Rémois », un bailleur social bien implanté dans la région Champagne-Ardennes et ses partenaires dont BASF. Ce bâtiment passif consomme moins de 15 kWh/m2 /an pour

Le label Effinergie Le label bâtiment basse consommation-Effinergie (BBC-Effinergie) a été mis en place en France en 2007 par le collectif Effinergie avec des organismes certificateurs pour encourager la mise en place de mesures d’économie d’énergie lors de la construction des bâtiments. Actuellement, une maison conforme à la réglementation thermique 2005 consomme en moyenne entre 91 et 150 kWh/m²/an. L’objectif de ce label est d’abaisser la consommation à moins de 50 kWh/m2 /an (variable en fonction des régions et de l’altitude). Il prend en compte la consommation d’énergie primaire pour le chauffage, le refroidissement, la ventilation, les auxiliaires, la production d’eau chaude sanitaire et l’éclairage des locaux. Le label (correspondant au niveau A sur l’étiquette énergie, Figure 9) est attribué aux maisons individuelles qui répondent aux exigences du label bâtiment basse consommation (BBC, voir les Chapitres de J.-C. Bernier et de D. Quénard) avec, en plus, l’obligation de réaliser une mesure d’imperméabilité à l’air. Par la suite, le collectif Effinergie a décidé d’étendre ce label aux bâtiments existants en lançant en 2009 le label BBC-Effinergie rénovation. Ce sont ainsi plus de 31 millions de logements français et plusieurs centaines de millions de mètres carré de bâtiments tertiaires qui seront concernés, et qui devront respecter plusieurs conditions telles qu’une consommation maximale en énergie primaire de 80 kWh/m2 /an.

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LES LABELS ÉNERGIE

Figure 9 L’objectif des labels est d’atteindre des performances énergétiques de niveau A. www.effinergie.org/site/Effinergie/

Le label Passivhaus Passivhaus est un label d’origine allemande de performance énergétique dans les bâtiments, accordé aux logements neufs dont les besoins en chauffage sont inférieurs à 15 kWh/m²/ an. La consommation totale, calculée en énergie primaire, prenant en compte le chauffage, la ventilation, l’éclairage, l’eau chaude sanitaire, les auxiliaires et les équipements électro-domestiques doit être inférieure à 120 kWh/m²/an. Il met notamment l’accent sur l’étanchéité à l’air du bâtiment. www.lamaisonpassive.fr 105

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son chauffage, ce qui représente une performance énergétique supérieure de 70 % aux objectifs imposés par le règlement thermique 2005 (voir le Chapitre de D. Quénard, Encart : « La réglementation thermique (RT) ») et une anticipation sur les exigences de la nouvelle norme RT 2012 et du label bâtiment basse consommation Effinergie qu’elle préconise (voir l’Encart : « Les labels énergie »). Ce n’est en effet qu’en 2012, conformément au Grenelle de l’environnement et à la nouvelle réglementation thermique, que tous les bâtiments neufs devront se rapprocher des performances énergétiques de ce bâtiment pilote. Pour Christophe Villers, président du Foyer Rémois, innovations et par tenariats sont les maîtres mots de ce projet. Innovation, car il faut trouver des solutions de plus en plus efficaces pour les nouveaux modes d’habitats ; partenariats, pour arriver à ces réponses et à cette qualité d’innovation. Des alliances professionnelles sont donc à rechercher, ce qui a déjà été le cas avec EDF, BASF et le bureau d’étude Synapse. De cette alliance est ainsi né le premier immeuble passif social en France, qu’est La Clairière.

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Il faut lancer à la fois des recherches technologiques innovantes sur la basse consommation et en même temps offrir à l’intérieur des logements vastes, éclairés, de bonne qualité et attractifs. L’immeuble passif La Clairière est une réponse concrète à la question de savoir comment on peut habiter aujourd’hui, en préfiguration à ce que demande le Grenelle de l’envi-

ronnement à l’horizon 2020. Pour obtenir un logement labellisé passif, il est nécessaire de réduire au maximum les déperditions de chaleur. Pour cela, il faut répondre aux exigences définies dans le paragraphe 1.2 : obtenir une isolation de qualité en supprimant les ponts thermiques, une étanchéité à l’air élevée et une ventilation contrôlée avec récupération de chaleur. L’amélioration du niveau de performances énergétiques doit toutefois être précédée d’une réfl exion globale prenant également en compte l’impact environnemental des matériaux et systèmes utilisés pendant l’ensemble du cycle de vie du bâtiment. L’élément primordial pour qu’un bâtiment soit passif est la compacité du bâtiment, et c’est ce qui permet d’avoir un meilleur rapport entre la surface du bâtiment et les façades. 3.2. Les solutions énergétiques utilisées Bâtiment pilote en France, La Clairière bénéficie de solutions énergétiques innovantes. Le toit est équipé de panneaux solaires pour le chauffage de l’eau chaude sanitaire. Il est également recouvert d’une toiture végétalisée qui retient l’eau de pluie et forme ainsi une barrière naturelle contre l’humidité et le froid. Le système de ventilation double-flux avec récupération de chaleur est complété par un puits canadien (Encart : « Le puits canadien, un climatiseur naturel ») à l’extérieur, ce qui permet d’avoir une faible amplitude thermique en été comme en hiver.

Le puits canadien est un système géothermique qui sert de climatisation naturelle. Il est basé sur le simple constat que la température du sol à 1,60 m de profondeur est plus élevée que la température ambiante en hiver, et plus basse en été. Son principe consiste à faire circuler l’air entre l’extérieur et l’intérieur de la maison, dans un tuyau enterré à environ deux mètres de profondeur (Figure 10). Dans ce tuyau, où le flux est maintenu grâce à un ventilateur, s’effectuent les échanges thermiques entre l’air et le sol, ce qui permet de réchauffer cet air en hiver avant qu’il n’entre dans la maison et, à l’inverse, de le rafraîchir en été. Dans le même temps, l’air intérieur est renouvelé. Encore peu utilisé, son installation serait pourtant peu chère s’il était prévu lors de la construction des bâtiments. Extraction VMC

Diffusion de l’air

Entrée d’air

Ventilateur 1,5 m à 2,5 m

Circulation de l’air perte de 1 % à 2 %

Siphon

~20 m à 30 m

Enfin, toujours dans l’idée de gagner en confort, les principes de l’architecture bioclimatique sont respectés dans la Clairière : la façade principale avec de grandes ouvertures a été orientée plein sud pour bénéficier des apports solaires naturels alors que les autres façades comptent de plus petites ouvertures. De plus, toutes les fenêtres sont équipées de doubles ou de triples vitrages en fonction des orientations (à propos des vitrages, voir le Chapitre de J. Ruchmann). La somme de toutes ces solutions énergétiques apporte un confort supplémentaire mais ne serait pas efficace sans une isolation complète du bâtiment. C’est bien le Neopor ®, ce nouveau matériau isolant, qui permet

à La Clairière d’atteindre ses performances énergétiques grâce à son excellente isolation thermique. Outre sa couleur grise, l’ajout de graphite dans ce polymère expansible donne à ce matériau la capacité d’absorber et de réfléchir les rayonnements infrarouges. Cela lui confère non seulement un pouvoir isolant supérieur mais permet aussi l’utilisation de plaques plus minces de 20 % par rapport à un isolant en polystyrène classique. Pour plus d’efficacité, le bâtiment est isolé par l’extérieur. Des plaques de Neopor ® de trente centimètres d’épaisseur ont été posées sur les murs et permettent de supprimer les ponts thermiques et d’obtenir une isolation optimale.

Figure 10 Le puits canadien permet de réguler la température de la maison par le sol.

La chimie au service de l’efficacité énergétique : comment concevoir un habitat performant ?

LE PUITS CANADIEN, UN CLIMATISEUR NATUREL

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La chimie et l’habitat 108

2020 tous passifs : c’est possible L’exemple de La Clairière montre qu’il est possible, pour des coûts modérés, de construire des bâtiments « passifs » sur le plan énergétique, en respectant à la fois esthétique et confort. La problématique de réhabilitation énergétique des bâtiments anciens, dont les façades sont à préserver du point de vue architectural, est beaucoup plus complexe à résoudre : il faut prévoir une isolation renforcée par l’intérieur, mais avec des problèmes de perte de surface habitable, de création de ponts thermiques, etc. Cependant, la réhabilitation énergétique des bâtiments construits dans les années 1970, plus facile à réaliser, constituerait déjà un grand progrès sur le plan des économies d’énergie et rendrait beaucoup plus intéressant et surtout plus rentable leur équipement ultérieur en photovoltaïque. Dans tous les cas, résoudre au mieux les problèmes d’isolation est le moyen le plus efficace et le plus rentable pour diminuer la consommation énergétique dans l’habitat. Les industriels de la chimie y jouent et auront à y jouer un grand rôle dans la mise au point de produits efficaces et répondant aux besoins sur le terrain.

Le photovoltaïque

Dominique Plée est directeur scientifique au département de recherche d’Arkema, entreprise de chimie française dont les trois pôles d’activité sont : les produits vinyliques, la chimie industrielle et les produits de performance. Arkema concentre notamment ses efforts sur l’optimisation des cellules photovoltaïques, aussi bien sur leur rendement que sur leur résistance et leur longévité.

Dans tous les domaines et pas seulement celui de l’habitat, la question énergétique est vouée à occuper durablement le devant de la scène. L’équation mondiale ressemble de plus en plus à un casse-tête avec d’une part la demande des pays émergents, de la Chine et de l’Inde, qui doublera d’ici 2050, d’autre part les problèmes posés par l’usage massif des combustibles fossiles : épuisement des ressources, perturbations climatiques (ces sujets sont abordés dans les Chapitres d’A. Ehrlacher et de D. Quénard). Les leviers d’action pour faire face à ce problème mondial

sont d’augmenter la production globale d’énergie, de diversifier les sources et d’économiser l’énergie. La tenue des objectifs européens requiert un fort investissement dans la recherche et le développement. En effet, l’Europe s’est fixée d’atteindre d’ici 2020 l’objectif ambitieux des « 3 fois 20 » (paquet énergie climat), à savoir : - une diminution de 20 % des gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 ; - une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique ; - une contribution des énergies renouvelables à hauteur de 20 % dans la consommation finale d’énergie.

Dominique Plée Le soleil comme source d’énergie Le photovoltaïque

Le soleil comme source d’énergie

La chimie et l’habitat

L’EUROPE ET LE PLAN SET OU « PLAN STRATÉGIQUE POUR LES TECHNOLOGIES ÉNERGÉTIQUES » Afin d’atteindre les objectifs européens en matière de lutte contre le changement climatique, de sécurité d’approvisionnement en énergie et de compétitivité des entreprises européennes (les « 3 fois 20 »), la Commission a présenté en 2007 le plan SET ou « plan stratégique pour les technologies énergétiques », qui a été adopté par le Conseil de l’Union européenne en 2008. Ce plan stratégique vise à accélérer le développement et le déploiement au meilleur coût des technologies à faible intensité carbonée. Il comprend des mesures portant sur la planification, la mise en œuvre, les ressources et la coopération internationale en matière de technologies énergétiques. Des obstacles à franchir Or, certaines contraintes freinent le développement et la diffusion des technologies énergétiques, qu’il s’agisse du sous-investissement chronique qui touche ce secteur depuis les années 1980, des délais importants de commercialisation des nouveaux produits, du surcoût qu’ils entraînent souvent sans toujours assurer un meilleur rendement énergétique, des obstacles juridiques et administratifs, ou encore de leur acceptation sociale. De plus, face à la concurrence de certains pays industrialisés et des économies émergentes, les États membres de l’Union européenne doivent adopter une approche commune efficace. Le temps est en outre un facteur décisif dans l’adoption de cette approche pour que les objectifs européens soient atteints. Des objectifs pas à pas Le plan SET fixe les objectifs suivants pour l’Europe : – à court terme : renforcer la recherche pour réduire les coûts et améliorer les performances des technologies existantes, et favoriser la mise en œuvre commerciale de ces technologies. Les actions à ce niveau devraient porter notamment sur les biocarburants de deuxième génération, la capture, le transport et le stockage du carbone, l’intégration des sources d’énergie renouvelables dans le réseau électrique et l’efficacité énergétique en matière de construction, de transport et d’industrie ; – à plus long terme : soutenir le développement d’une nouvelle génération de technologies à faible intensité carbonée. Les actions à réaliser devraient se concentrer, entre autres, sur la compétitivité des nouvelles technologies en matière d’énergies renouvelables, le stockage de l’énergie, la durabilité de l’énergie de fission, l’énergie de fusion, ainsi que le développement des réseaux transeuropéens de l’énergie. Des moyens pour l’innovation technologique La réalisation de ce plan SET implique un effort collectif et des actions au niveau du secteur privé, des États membres et de l’Union européenne, ainsi qu’au niveau mondial. Ce plan propose tout d’abord une nouvelle méthode de gouvernance en matière de technologies énergétiques, basée sur une planification stratégique commune. Dans cette optique, un groupe de pilotage, créé par la Commission en 2008 et constitué de représentants des États membres, permet de renforcer la cohérence en concevant des actions communes, en mettant des ressources à disposition et en évaluant les progrès. Grâce à une augmentation des ressources, tant financières qu’humaines, et à l’encouragement des formations de chercheurs, la Commission encourage et lance progressivement de nouvelles initiatives industrielles européennes – dans les secteurs de l’énergie éolienne, de l’énergie solaire, de la bioénergie, du piégeage, du transport et du stockage de CO2, du réseau électrique et de la fission nucléaire – qui prendront la forme de partenariats publicprivé ou de programmes communs entre États membres.

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1. Voir aussi l’ouvrage La chimie et la mer, ensemble au service de l’homme. Chapitre de S. Blain. Coordonné par Minh-Thu DinhAudouin, EDP Sciences, 2009. 2. Voir le Chapitre de D. Gronier, Encart : « La biomasse, ressource renouvelable de demain ? ».

Le soleil comme source d’énergie

Les défis technologiques à relever par l’Union européenne au cours des dix prochaines années ont été définis dans le plan SET (Encart : « L’Europe et le plan SET ») et la production d’électricité voltaïque y figure en bonne place. Les atouts pour la génération d’électricité photovoltaïque reposent en grande partie sur une recherche en plein développement qui permet d’améliorer constamment le rendement des cellules photovoltaïques. Nous avons maintenant pris conscience que nous consommons sans les reconstituer les énergies fossiles (gaz naturel, charbon, pétrole), dont le stockage s’est effectué durant des millions d’années. C’est la différence des deux vitesses – formation/ consommation – qu’il faut bien avoir à l’esprit : c’est la cause de l’augmentation rapide de la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, puis dans les mers1 (le cycle dans ce dernier cas est de l’ordre de dix siècles). Nous avons là une des raisons du développement du concept des énergies renouvelables – l’éolien, l’hydraulique, le solaire, la biomasse 2 , la géothermie... (Figure 1). Sauf pour la géothermie, le soleil est le plus souvent le véritable réservoir d’énergie des énergies renouvelables : c’est l’énergie solaire qui est à l’origine de la montée en al-

titude de l’eau retenue par les barrages pour faire tourner les turbines ; c’est aussi l’origine des vents et de l’énergie éolienne correspondante, tout autant que de l’échauffement des panneaux solaires thermiques (et de l’eau chaude qu’ils délivrent dans la maison). Ce chapitre est consacré aux panneaux solaires photovoltaïques, dans lesquels le rayonnement solaire provoque une séparation des charges électriques dans un semiconducteur3, avec circulation d’un courant électrique (Encart : « Les panneaux photovoltaïques, ou comment transformer la lumière en électricité »). Il se focalise en particulier sur la filière utilisant le silicium cristallin, qui est encore actuellement le semi-conducteur le mieux connu et le plus utilisé, tandis que le Chapitre de D. Lincot est consacré aux filières sans silicium. Commençons par un rapide état des lieux des différentes technologies photovoltaïques et de leur développement. 3. Voir la note 1 du chapitre 2.

Figure 1 Éolien, hydraulique, solaire, géothermie… les énergies renouvelables sont amenées à se développer de plus en plus pour remplacer les énergies fossiles.

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La chimie et l’habitat

LES PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES, OU COMMENT TRANSFORMER LA LUMIÈRE EN ÉLECTRICITÉ De la découverte de l’effet photovoltaïque aux cellules photovoltaïques C’est A.-C. de Becquerel (Figure 2) qui fit la première observation d’un photo-courant dès 1839, avec une électrode en platine et l’autre en cuivre oxydé, plongées dans une solution conductrice acide. Les propriétés semi-conductrices du sélénium furent mises en évidence un peu plus tard (1877) par W.G. Adams et R.E. Day.

Figure 2 Antoine-César de Becquerel (1788-1878), physicien français qui a découvert l’effet photovoltaïque, à savoir l’apparition d’une tension aux bornes d’un matériau semi-conducteur.

Il fallut attendre le XXe siècle pour voir émerger des résultats importants. La contribution théorique d’A. Einstein fut d’expliquer en 1905, en particulier grâce à la notion du quantum élémentaire d’énergie de Planck porté par le photon, que la longueur d’onde du rayonnement incident doit être inférieure à une valeur limite pour provoquer l’émission d’un électron par un métal, et que le courant d’électrons produit est proportionnel au nombre de photons reçus (au flux lumineux). La connaissance de la première « jonction p-n » dans le silicium dut attendre 1941, et l’obtention d’une cellule photoélectrique (Figure 3) à bon rendement (construite par les chercheurs du laboratoire américain Bell Telephone Laboratories) s’est faite en 1955.

Figure 3 La première cellule photovoltaïque provient de la Bell Telephone Laboratories ou « Bell Labs ». L’assemblage de cellules conduit à un module photovoltaïque

Comme marche un semi-conducteur ? En purifiant intensivement un composé tel que le silicium (qui comporte quatre électrons périphériques), puis en y introduisant une impureté bien choisie, on obtient un semiconducteur. Il est dit de type n (comme « négatif ») si l’impureté est de l’arsenic ou du phosphore par exemple, qui possèdent cinq électrons périphériques, donc par rapport au silicium un électron excédentaire (appelé donneur) susceptible de circuler assez facilement c’est-à-dire de passer facilement, par une faible absorption d’énergie, du niveau de la bande de valence au niveau de la bande de conduction (pour plus de détails, voir le Chapitre de D. Lincot). Il est dit de type p quand il s’agit du bore, qui n’a que trois électrons périphériques, ce qui entraîne un déficit de charge négative donc l’équivalent d’une charge positive dans la bande de valence. 112

Une partie d’un semi-conducteur étant dopée n et l’autre p (les deux étant séparées par un plan dit de jonction), le courant ne circule que dans un sens : de la partie n où ils sont excédentaires vers la partie p (le courant, lui, circule par convention dans l’autre sens). Pour que cette circulation se fasse, il faut au préalable que, par l’absorption de l’énergie portée par les photons du rayonnement solaire, les électrons du semi-conducteur aient été portés de leur niveau fondamental (bande de valence) jusqu’à la bande de conduction d’énergie plus élevée, créant ainsi une paire « électron-trou » (électron et trou sont appelés excitons. Voir aussi le Chapitre de M. J. Ledoux). Généralement, cette paire électron-trou revient à l’état initial en réémettant l’énergie absorbée sous forme d’énergie thermique : le semi-conducteur s’échauffe au soleil. Comment récupérer l’énergie électrique ?

Le soleil comme source d’énergie

Qu’est-ce que la jonction p-n ?

Récupérer tout ou partie de cette énergie sous forme électrique est justement l’objectif de la conversion photovoltaïque. Comment faire ? Tout simplement en séparant les paires électron-trou créées et en forçant les électrons à circuler dans un circuit extérieur. Le champ électrique très fort existant à l’interface entre les deux zones permet de faire circuler les électrons dans le circuit extérieur et crée ainsi le photo-courant. La différence de potentiel étant notée U et l’intensité I, la puissance est : P = UI. On obtient une cellule solaire qui possède une caractéristique courant-tension. La puissance maximale correspond à un point particulier de cette caractéristique appelé point de fonctionnement. Le rapport de cette puissance à la puissance lumineuse incidente définit le rendement de la cellule photovoltaïque. Les différents types de semi-conducteurs utilisés Le silicium* monocristallin, polycristallin et même amorphe représente 85 % du marché. Il existe des filières sans silicium, l’une fondée sur le tellurure de cadmium (CdTe), l’autre sur des diseléniures de cuivre et d’indium (CIGS), alliages du type Cu(In, Ga)Se2. * Le silicium (Si) est l’élément le plus abondant dans la croûte terrestre, présent notamment dans le sable et le quartz.

Les technologies photovoltaïques : où en sommes-nous ?

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1.1. Les différentes filières Même pour la filière silicium, il faut distinguer plusieurs types de matériaux (Figure 4 et voir le Chapitre de D. Lincot). Le rendement (voir l’Encart : « Les panneaux photovoltaïques, ou comment transformer la lumière en électricité ») n’est pas le même pour ce type de semiconducteur lorsqu’il est monocristallin (c-Si) – où le rendement le plus élevé peut aller jusqu’à 24 % –, polycristallin

ou amorphe 4 (a-Si), dont le rendement est le plus faible. L’intérêt du silicium amorphe est cependant de permettre une forte absorption des photons dans le visible – cent fois plus que le silicium cristallin –, ce qui permet la fabrication de cellules à l’aide de couches minces, de l’ordre du 4. Un matériau monocristallin est constitué d’un seul et unique cristal, par opposition avec un matériau polycristallin, constitué d’une multitude de petits cristaux de tailles et d’orientations variées. Dans un matériau amorphe, les atomes ne respectent aucun ordre à moyenne et grande distance, contrairement aux matériaux cristallins.

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La chimie et l’habitat

Figure 4 État de l’art pour le photovoltaïque. Les technologies de couches minces sont écrites en rouge.

micromètre d’épaisseur, et ce qui entraîne une baisse significative des coûts de production. Cela explique que malgré les rendements plus faibles qu’avec le silicium cristallin (de 6 à 7 %), cette filière tend à se développer dans le contexte d’une forte demande. La découverte récente d’autres formes structurales du silicium entre l’amorphe et le cristallin (polymorphe, microcristallin μ-c Si) susceptibles d’améliorer le rendement des modules autour de 10 %, constitue une autre base de développement de la filière dite « couches minces ». Les filières sans silicium, dont celle fondée sur le CdTe ou les dérivés de CIGS, sont également bien adaptées à une utilisation en couches minces.

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À coté des substrats de verre, les supports souples très minces, métalliques ou plastiques, commencent à voir le jour. L’avantage de ces supports est leur poids, plus faible que le verre, ainsi que leur souplesse d’utilisation et de transport. Cependant, ces substrats entraînent des contraintes supplémentaires (températures limitées, déformations, propriétés barrière…) qui doivent être surmontées.

Une autre filière, encore à l’état de la recherche et du développement, repose sur l’utilisation de semi-conducteurs organiques ou hybrides organique-inorganique. Quelques récentes démonstrations existent néanmoins sur des produits commerciaux, encore à petite échelle, qui atteignent des rendements autour de 3 %, tandis que le silicium cristallin monte, pour certains systèmes, à plus de 20 %, et les systèmes couches minces sont quant à eux compris entre 8 et 13 % pour les produits commerciaux. L a technologie photovoltaïque concentré correspond à une partie émergente encore très faible du silicium cristallin. La partie « semiconduc teur s III-V » des chimistes nécessite encore des concentrations solaires très élevées sur les cellules semi-conductrices. 1.2. Les facteurs de développement 1.2.1. Les facteurs politiques et économiques Le photovoltaïque a connu une croissance importante, de 25 à 40 % depuis dix ans, mais cette croissance est due pour beaucoup à des subventions au niveau mondial et à beaucoup d’incitations des gouvernements de nombreux pays. Il est probable que dans l’avenir, le photovoltaïque va devoir vivre avec des subventions moins importantes et une aide des Pouvoirs publics plus limitée. Par exemple en Espagne, dès 2008, à la suite de spéculations sur le photovoltaïque,

1.2.2. Les facteurs à considérer pour le développement du photovoltaïque D’autres facteurs importants sont à considérer pour le développement du photovoltaïque :

− le coût de l’énergie photovoltaïque comparé au prix réseau, appelé la parité réseau (« grid parity »), dont dépend le taux de retour sur investissement. Ce retour varie selon les localisations géographiques et bien entendu selon les structures et technologies de coût locales. Pour raisonner au niveau européen, il faut par exemple prendre en compte le fait qu’au Sud, le watt-heure (Wh) photovoltaïque est moins cher qu’au Nord et que l’électricité du réseau italien est la parmi les plus chères, sinon la plus chère d’Europe ; la parité réseau ne sera donc pas obtenue à la même date en Allemagne et en Italie ;

Le soleil comme source d’énergie

le gouvernement a décidé de mettre des barrières en baissant les aides tarifaires (« feeds in tarifs », FIT) de 45 % pour les fermes solaires et de 5 % pour les particuliers. En Allemagne, on annonce une baisse de 11 % des FIT en 2011. En France, non seulement il y a une baisse de 12 % des subventions accordées pour le rachat du courant d’origine photovoltaïque, mais on annonce un moratoire sur les nouveaux projets, mis à part ceux des particuliers inférieurs à 3 kW, et une limitation globale souhaitée aux alentours de 500 MW/an. Par ailleurs, quelques autres points importants méritent d’être notés : à la fin 2010, 70 % de la production des modules de silicium cristallin sont localisés en Asie, qui fournit 80 % des modules installés en France, ce qui pèse pour près d’un milliard d’euros dans le déficit commercial de la France. Ainsi l’on peut dire que les subventions gouvernementales françaises ont servi à financer l’industrie chinoise. Il faut donc imaginer des systèmes de subvention et des tarifs différents (voir aussi la conclusion du Chapitre de J.-C. Bernier), et cela, en sachant que le potentiel de production français est de l’ordre de 500 MW et que l’on a quelques acteurs français qui tournent chacun autour de 100 MW : Tenesol, Fonroche et Photowatt.

− l’intermittence : l’électricité est produite de jour et l’alternance jour-nuit rend le stockage nécessaire, mais à quel coût et avec quelle technologie ? C’est un point important aujourd’hui en France : quand on pose des panneaux photovoltaïques sur un bâtiment, c’est dans 99 % des cas pour les raccorder au réseau. L’électricité non utilisée est revendue à EDF et le particulier reçoit une somme d’argent qui aujourd’hui est en moyenne de 0,4 € par kWh de différence entre ce qu’il consomme et ce qu’il revend. Avec un tel tarif, le retour sur investissement et de dix à quinze ans, selon la région où il se trouve ; − l’intégration aux bâtiments qui comporte trois critères principaux : le poids relativement élevé des panneaux (16 kg/m2) qu’il faut alléger et l’étanchéité car le panneau intégré fait office de toit ; − le panneau doit respecter à la fois les normes électriques

115

La chimie et l’habitat

A

commencent à être menées autour de la disponibilité d’un certain nombre de métaux stratégiques : indium, gallium, tellure… Le tellure par exemple n’est jamais pur. Si l’on augmente sa production, on augmente donc aussi celle des autres métaux associés, avec peut être, le risque de déséquilibrer d’autres marchés. L’indium est un métal relativement rare, ce qui augmente notre dépendance par rapport aux pays producteurs ;

B

− le devenir des panneaux en fin de vie est une thématique de réflexion émergente : comment les recycle-t-on ?

C

Figure 5

116

Comment intégrer des panneaux photovoltaïques à nos toits tout en assurant efficacité et esthétisme ? A) Système classique de panneaux avec possibilité de circulation d’air à l’arrière pour refroidissement ; B et C) tuiles incorporant des cellules photovoltaïques.

et les normes bâtiments, ce qui n’est pas forcément facile. Un projet sur ce sujet, aidé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Photobat5, s’est terminé fin 2010 ; − les procédés de fabrication doivent être réexaminés dans le contexte du développement durable car il y a émission de polluants ou de gaz à effet de serre, en particulier de CO2 dans le cas de la purification du silicium. Des discussions 5. www.tenerrdis.fr/rep-projets/ ido-117/photobat.html

− l’intégration architecturale : deux exemples sont présentés sur la Figure 5. Nous avons vu dans l’Encart « Les panneaux photovoltaïques, ou comment transformer la lumière en électricité » que la recombinaison des excitons génère de la chaleur, donc le rendement du panneau diminue avec la température ; on aura ainsi intérêt à prévoir des systèmes de panneaux avec circulation d’air à l’arrière pour les refroidir (Figure 5A). Un concept plus esthétique avait été développé par une société américaine, SRS Energy, qui fabriquait des tuiles incorporant des cellules photovoltaïques et s’emboîtant entre elles comme des tuiles standard. Leur performance au mètre carré est cependant moindre que pour les panneaux classiques car la cellule ne couvre pas la totalité de la surface de la tuile. Elles peuvent néanmoins séduire une certaine clientèle malgré leur prix élevé (Figures 5B et 5C).

Le soleil comme source d’énergie Les panneaux en silicium cristallin : comment diminuer le coût pour atteindre la parité réseau ?

2

2.1. Les procédés de fabrication Le silicium cristallin est d’abord fondu sous forme de gros lingots, lesquels sont alors taillés (sciage) en briques dans lesquelles on découpe des plaques ou galettes fines (wafer) d’environ 200 microns d’épaisseur. Pour fabriquer les cellules photovoltaïques à partir de ces galettes, on a ensuite recours à différents procédés (Figure 6) : − le dopage par des impuretés bien choisies : à cinq électrons périphériques pour avoir une

zone n à excès d’électrons, et à trois électrons périphériques pour avoir une zone p à défaut d’électrons (voir l’Encart : « Les panneaux photovoltaïques, ou comment transformer la lumière en électricité ») ;

Figure 6 Procédé de fabrication des panneaux photovoltaïques en silicium cristallin : une fabrication verticalement intégrée.

− l’encapsulation : les cellules sont ensuite assemblées sous forme de modules, incorporant un certain nombre de matériaux polymères dont le rôle est de les protéger contre l’eau et l’oxygène de l’air, de permettre leur maintien en place et de protéger de la corrosion les nombreuses connexions électriques (qui sont souvent en cuivre) ; − la fabrication de la face arrière du panneau (backsheet) : dans la majeure partie des cas, elle est constituée d’une couche de polymère

117

La chimie et l’habitat

2.2. Comment rendre le photovoltaïque attractif et compétitif ?

Verre Encapsulant

Cellules Si

Encapsulant

Connecteurs

Face arrière ou backsheet

Figure 7 Structure schématisée la plus classique d’un module photovoltaïque. L’ensemble est laminé à chaud en plaçant successivement les différentes couches à partir du verre substrat puis en traitant pendant 10 à 15 minutes à 150 °C de façon à permettre à l’encapsulant de réticuler chimiquement.

fluoré blanc donc le rôle est de réfléchir et de récupérer les photons par l’arrière. Cette couche est anti-UV, antisalissure et à haute durabilité ; − l’assemblage des modules en systèmes : incorporation des connectiques électriques et de tous les éléments en aval capables d’assurer la gestion électrique du système. La Figure 7 représente une coupe complète d’un module photovoltaïque où l’on retrouve au centre les cellules au silicium et leurs connecteurs protégés par les deux couches d’encapsulant à base de polymère, la face arrière réfléchissante et la face avant, en général constituée d’une plaque de verre. Les différentes opérations d’assemblage se font par laminage6 à chaud pour positionner les différentes couches, en partant de la plaque de verre qui sert de support et en traitant 10 à 15 minutes à 150 °C pour produire la réticulation chimique7 de l’encapsulant.

118

6. Le laminage est un procédé de fabrication par déformation plastique de matériaux par compression continue au passage entre deux cylindres tournant dans des sens opposés. 7. La réticulation chimique de chaînes polymères correspond à la formation d’un réseau tridimentionnel entre ces chaînes (qui peut se faire sous l’action de l’air ou encore par chauffage), qui se lient les unes aux autres par des liaisons chimiques covalentes et forment un gel (ou élastomère) où elles ne peuvent plus couler.

Dans le Tableau 1 figurent les prix moyens des technologies photovoltaïques européennes de la filière silicium comparées à celles des producteurs chinois et japonais. Les technologies couches minces apparaissent les moins chères, mais du fait de leurs rendements moins élevés, il faudra plus de surface pour obtenir la même énergie. On constate une baisse générale des prix sur l’année 2009 de l’ordre de 30 à 40 %. Le coût de production du module européen, qui est de 1,2-1,3 €/W en 2010, se décompose de la façon suivante (Figure 8) : − les matériaux non semiconducteurs tels que les polymères et le verre ; − les matériaux semi-conducteurs tels que le silicium ; − les procédés mis en jeu pour réaliser les lingots, les briques et les galettes, en particulier le sciage, où le rendement est loin d’être de 100 % car il y a beaucoup de pertes de silicium au cours de l’opération ; − la fabrication de la cellule ; − si l’on estime le coût de vente moyen européen à une valeur de l’ordre de 1,65 €/W en 2010, il faut encore y ajouter l’aval, c’est-à-dire la structure porteuse éventuelle, la conversion électrique et l’installation. En Europe, ce prix est en moyenne de 1,5-1,8 €/W en 2010, soit un total de 3,15-3,45 €/W, auxquels il faut ajouter la marge des installateurs. Pour rendre le photovoltaïque plus attractif, il faudrait

Évolutions respectives des prix du silicium cristallin et des couches minces sur 2009. Remarque : les prix indiqués sont ceux des modules hors installation, sur le marché international.

Prix moyen (€/W)

Variation

déc. 2009

janv.-déc. 2009

Silicium cristallin producteurs européens (rdt 16,5 %)

2,05

–35 %

Silicium cristallin producteurs chinois (rdt 16,5 %)

1,62

–45 %

Silicium cristallin producteurs japonais (rdt 16,5 %)

2,05

–35 %

Type de module

Couches minces Cd-Te (rdt 11 %)

1,68

–20 %

Couches minces silicium amorphe (rdt 7 %)

1,46

–34 %

arriver, en 2015, à un prix de vente de 1,2-1,3 €/W, soit une diminution de 30 %. Pour y parvenir, il faudra augmenter le rendement et diminuer les coûts, ce qui implique la mise en œuvre d’autres technologies comme : − des hétérojonctions8, relativement compliquées technologiquement et plus sensibles ; − l’utilisation des contacts arrière pour récupérer tous les électrons par l’arrière et non plus par l’avant (évitant ainsi l’ombrage des grilles sur la face avant : voir la Figure 13) ; − des galettes plus fines pour diminuer la quantité de silicium par watt. Aujourd’hui, les galettes sont de 180 microns d’épaisseur. Lorsqu’on la diminue, le matériau devient plus cassant et les rebuts augmentent ; – le cuivre au lieu de l’argent pour véhiculer le courant et, 8. Une hétérojonction est une jonction formée de deux semi-conducteurs différents ou d’un métal avec un semi-conducteur.

Le soleil comme source d’énergie

Tableau 1

d’un point de vue général, utiliser des matériaux moins coûteux sur tout le reste de la chaîne. Mais tout cela sera insuffisant si les coûts avals n’évoluent pas et si l’on ne met pas en place une gestion fiable de l’électricité produite afin d’éviter de solliciter trop l’électronique.

Figure 8 Coût de la production des modules photovoltaïques en Union européenne en 2010 : 1,2-1,3 €/watt.

Coût du module €/watt

Coût installé €/watt 0,15 0,35

0,5

0,5

0,55 0,2 0,55 0,45 matériaux trichlorosilane + silicium métallurgique lingots et galettes cellules 1,65 €/watt

Strucrure Conversion Installation Divers 1,6 €/watt

Somme = 3,25 €/watt

119

La chimie et l’habitat

réseau et diminuer le coût du kWh. Pour atteindre cet objectif, les chimistes et les électroniciens devront travailler pour améliorer : les protections, les encapsulations, les pâtes de métallisation et toute l’électronique du système.

€/kWh 1,0

900 heures par an : 0,60 €/kWh

0,8

1 800 heures par an : 0,30 €/kWh

0,6 0,4 0,2 0,0 1990

2000

2010

Réseau prix de gros

2020

2030

Réseau prix de détail

2040 Photovoltaïque

Source : RWE Energie AG an RSS GmeH

Sur la Figure 9, on voit que la parité réseau varie en fonction de l’ensoleillement donc selon les années et selon le lieu géographique, mais le principal paramètre à considérer est le coût du kilowatt-heure (kWh), dont la diminution ne sera assurée que par une augmentation de la durée de vie des panneaux. Une étude allemande à montré que la parité réseau pourrait être atteinte en 2012 pour une durée de vie prévue des panneaux de trente ans et en 2020 pour une durée de vie de vingt-cinq ans. Si l’on pouvait concevoir des panneaux de durée de vie de quarante ans, la parité avec le réseau serait déjà atteinte aujourd’hui (Figure 10).

Figure 9 La parité réseau en fonction de l’ensoleillement (fourchettes de prix par kWh). À partir de 2020, la parité réseau commencera à être atteinte par l’ensemble des pays européens.

Figure 10 Coût du kilowatt-heure (kWh) en euros en fonction de la durée de vie du panneau photovoltaïque en Allemagne.

Il est donc fondamental d’accroître la durée de vie des systèmes pour atteindre la parité

0,30 2012

€/kWh

0,20

2020

Photovoltaïque : 25 ans 30 ans 40 ans Réseau

0,20 0,15 0,10 0,05

120

0,00 2000

2010

2015

2020

2025

2030

2035

La mesure du kWh est bien plus pertinente que celle du kW. 2.2.1. Comment augmenter la durée de vie des panneaux ? Si l’on veut fabriquer des panneaux photovoltaïques qui dureront longtemps, il faut assurer une bonne protection des cellules : pour cela ils doivent : − être insensibles à l’eau ; − avoir une bonne inertie chimique ; − avoir une transmittance 9 adaptée à la réponse spectrale des cellules ; − être faciles à mettre en œuvre ; − résister au fluage10 ; − être bien isolés thermiquement ; − être traités ou être naturellement antisalissure ; − être recyclables. Dans le cahier des charges des systèmes de protection des cellules, les encapsulants jouent un rôle important, comme le montre la Figure 11 qui donne les courbes de transmittance en fonction de la longueur d’onde pour 9. La transmittance lumineuse d’un matériau est la fraction de l’intensité lumineuse le traversant. 10. Le fluage est un phénomène physique qui provoque la déformation irréversible d’un matériau soumis à une contrainte constante pendant une certaine durée.

La croissance du marché a incité les producteurs de silicium à investir car les délais pour les nouvelles capacités ont provoqué une pénurie en 2007-2008. Si la croissance photovoltaïque ne dépasse pas 30 %, il devrait de nouveau y avoir une disponibilité de silicium (Figure 12) ; aujourd’hui, l’offre est supérieure à la demande et le prix risque donc de devenir plus « modéré », peut-être de 30 €/kg en 2012. Seuls les industriels avec des structures de coût et un savoir-faire bien établis seront compétitifs sur le long terme car les usines en question nécessitent des investissements très lourds et une compétence avérée. Comment améliorer l’efficacité d’un panneau en silicium ? Plusieurs possibilités sont envisageables : − en texturant la surface du silicium de manière à diminuer la réflexion de la lumière.

80 70 60 50

Encapsulant 1 Encapsulant 2 EVA

40 30

Le soleil comme source d’énergie

90

20 10 0 200

300

400

500 600 700 longueur d’ondes (nm)

Les formes de pyramides que l’on voit sur la Figure 13 à gauche, qui sont faites par attaque chimique, permettent de mieux capter les photons et d’augmenter le rendement de la cellule ; − en diminuant les effets de l’ombrage : la Figure 13 montre à droite la coupe d’une ligne de métallisation en argent qui sert à récupérer les électrons. Comme on le voit sur le schéma d’une cellule en bas de cette figure, ces lignes font de l’ombrage et diminuent la quantité de lumière captée.

800

900

Figure 11 Étude comparative de différents types d’encapsulants pour protéger les cellules photovoltaïques. Il est important que l’encapsulant assure une transmittance optimale pour assurer un bon rendement tout en préservant les cellules de la dégradation par les rayons ultraviolets (en dessous de 400 nm de longueur d’onde).

Figure 12 Les problématiques des prix liées au silicium.

300 250

Si (kilotonnes)

2.2.2. Comment diminuer le coût lié au silicium et à sa mise en œuvre ?

100

transmittance (%)

trois encapsulants différents. L’éthylène vinylacétate (EVA) est aujourd’hui l’encapsulant le plus fréquemment utilisé ; il coupe à environ 350 nm le rayonnement solaire, soit les ultraviolets. Certains encapsulants (comme l’« encapsulant 1 ») laissent en revanche passer les ultraviolets, ce qui n’est pas forcément un avantage à long terme car d’une part, il faut tenir compte du spectre de réponse solaire de la cellule utilisée qui est peut être mauvais dans l’UV, et d’autre part les ultraviolets peuvent nuire aux structures sous-jacentes.

200 150 100 50 0 2009

2010

2011

2012

2013

Capacités (kilotonnes) Si électronique Si total (si taux de croissance moyen = 15 %) Si total (si taux de croissance moyen = 30 %)

121

La chimie et l’habitat

Figure 13 Pour augmenter le rendement des cellules photovoltaïques en silicium, on peut travailler sur la texturation de la partie silicium (image au microscope) : c’est une question de chimie ! On peut aussi trouver un compromis entre ombrage et résistance pour les lignes de métallisation.

L’idée est donc, soit de récupérer la totalité des électrons par l’arrière, moyennant différentes techniques à mettre au point, soit de diminuer la largeur de ces lignes mais avec l’inconvénient dans ce cas d’augmenter la résistance. Sur la Figure 14 est représentée la perte de rendement en fonction de la largeur des lignes de métallisation (courbe verte) ;

la courbe bleue représente la diminution de la résistance et la courbe violette l’augmentation de l’ombrage. On voit bien qu’il y a un optimum pour une certaine largeur des lignes de métallisation. 2.2.3. Le recyclage des panneaux La recyclabilité des panneaux photovoltaïques sera aussi

3,5 3,0

perte (%)

2,5 2,0

Résistance Ombrage Total

1,5 1,0

Figure 14

122

Compromis ombrage-résistance. On a au moins 1,4 % à regagner par la disparition des contacts en face avant.

0,5 0,0 0

50 100 150 200 largeur des lignes de métallisation (microns)

250

Face à l’absence de règlementation spécifique pour le recyclage des panneaux, l’association européenne PV cycle11 a été créée en 2007, regroupant plus de trente producteurs européens de panneaux photovoltaïques qui s’engagent à collecter et recycler les panneaux usagés installés en Europe.

déterminante pour la durabilité de cette technologie. À l’heure actuelle, ce sujet est loin d’être mûr, et les traitements sont pour l’instant très rustiques car il n’existe pas de réglementation spécifique. Sur la Figure 15 sont résumées les méthodes utilisées par les différents fabricants. Les parties cadre métallique, cuivre et semi-conductrice sont récupérées, mais on ne sait en revanche que faire des polymères, qui sont généralement brûlés. Il reste donc un très gros effort à faire pour rendre le photovoltaïque plus acceptable d’un point de vue environnemental. Deux projet

Le soleil comme source d’énergie

Figure 15

européens et un projet FUI (Fonds unique interministériel), dont Arkema fait partie, ont été lancés pour résoudre les problèmes de recyclage dans les différentes filières photovoltaïques, avec les préoccupations de : − simplifier les procédés ; − diminuer l’énergie grise (celle utilisée pour la production, la fabrication, l’utilisation et le recyclage des matériaux) ; − diminuer les rejets liquides ; − recycler au mieux le silicium, le verre, les plastiques, l’argent et le cuivre. Des PME et des start-up françaises se positionnent actuellement sur le sujet.

Le photovoltaïque au silicium et demain ? Si l’on se pose la question de l’avenir du photovoltaïque dans le cadre de la filière silicium, il est clair que pour le consommateur, la durée de vie est actuellement le problème le plus important à prendre en compte, dans la mesure où elle est actuellement donnée pour vingt ans (période pendant laquelle la perte d’efficacité

11. www.pvcycle.org

123

La chimie et l’habitat 124

est inférieure à 20 %), alors que le retour sur investissement est de dix à quinze ans. De plus, il faut prendre conscience que les problèmes de stockage de l’électricité produite doivent être résolus à un coût acceptable, du fait du caractère intermittent de cette énergie. Si l’on veut diminuer les dépenses d’énergie liées à l’habitat, actuellement l’attitude la plus responsable et la plus pertinente est de travailler d’abord sur l’isolation du bâtiment (voir notamment les Chapitres de J.-C. Bernier, D. Quénard, J. Ruchmann et J. Souvestre). Quand les bâtiments sont proches de l’énergie positive, l’équipement photovoltaïque devient alors pertinent. Par ailleurs, il est impératif de résoudre les problèmes de cycles de vie qui ont été jusqu’à présent très négligés. Les nouvelles technologies couches minces ou les systèmes organiques en cours de recherche, et pour certaines en cours de développement (voir le Chapitre de D. Lincot), vont certainement résoudre beaucoup de problèmes dans la mesure où le retour sur investissement pourrait être diminué jusqu’à trois ans et même pour les derniers à une année. La France a démarré depuis longtemps dans le photovoltaïque mais n’a pas donné les efforts suffisants, du fait de la place de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique, jusqu’à il y a environ six à sept ans (en comparaison à l’Allemagne qui y travaille intensément depuis vingt ans) ; elle tient maintenant sa place au niveau de l’Europe. La Chine, qui a démarré tard, s’est très rapidement développée dans ce domaine avec une production bien implantée, moyennant de très gros investissements, dont la plus grosse partie de la production est actuellement exportée, tandis que l’Inde est en plein développement.

Le soleil comme source d’énergie

En résumé : augmenter le rendement, diminuer le coût de fabrication, stocker l’énergie, augmenter la duré de vie des cellules et résoudre les problèmes de recyclage, avec en plus de cela l’intégration esthétique, sont certainement les problèmes sur lesquels les chercheurs, les architectes et les industriels doivent continuer à travailler.

125

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

filières

photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat Directeur de l’Institut de recherche et de développement sur l’énergie photovoltaïque (CNRS-EDF-Chimie ParisTech), Daniel Lincot est l’initiateur, en 2008, de l’« appel international de scientifiques pour l’accélération du développement de l’énergie photovoltaïque ».

Le soleil : sa place dans les sources d’énergie renouvelable

1

Source de l’énergie photovoltaïque, le soleil est aussi à l’origine de l’énergie hydraulique et de la biomasse (voir le Chapitre de D. Plée). Pour comparer la ressource hydraulique, la ressource de biomasse et la ressource solaire proprement dite, il est intéressant de les comparer sur une année et par mètre carré. On passe de 1 kilowatt-heure (kWh) pour l’hydraulique (par m2 en considérant que toute cette eau a été utilisée sur 400 mètres de dénivelé) à environ 2 à 5 kWh pour la biomasse, en considérant de 2 à 10 tonnes de matière sèche produite par hectare.

Lorsque l’on regarde l’énergie qui nous arrive directement du soleil par m2, c’est 1 000 à 2 000 fois plus, c’est-à-dire 1 à 2 MWh par mètre carré et par an ! On peut récupérer 70 % de cette énergie sous forme de chaleur grâce au solaire thermique : cela représente donc pratiquement une ressource de 1 MWh/m2/an. Dans le cadre du solaire photovoltaïque, avec des rendements de conversion de 10 à 20 %, ce sont 100 à 200 kWh/m2/an que l’on peut récupérer directement sous forme électrique… Il est donc intéressant de méditer et de discuter sur la comparaison de ces ressources énergétiques que la nature peut nous offrir en une année, montrant

Daniel Lincot Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

Les

La chimie et l’habitat

1 m2

1 m2

1 m2

Eau (= 1 m3) Moyenne des précipitations Europe centrale

Bois Biomasse

Courant solaire photovoltaïque

1 kWh

2 kWh

Par année :

Centrale hydroélectrique avec chute de 400 mètres

Par exemple poêle à bois

Figure 1 Que nous offre la nature en une année ?

172 kWh Cellules solaires

de façon claire l’intérêt de la conversion directe de l’énergie solaire, en particulier photovoltaïque (Figure 1). Un autre point souvent négligé, et qui fausse la plupart du temps la perception de l’intérêt du solaire, est la difficulté de se rendre compte de ce que représentent des puissances exprimées en kilowatt ou des énergies exprimées en kilowatt-heure. L’éclairement solaire de référence, celui qui arrive sur terre en plein midi en plein soleil, est de 1 000 W/m2… Cela représente l’équivalent de quelques lampes halogènes de forte puissance. Sur un an, chaque m2 reçoit environ 1,3 MWh à Paris par an, soit l’équivalent d’un baril de pétrole (159 litres) ; cela représente des quantités d’énergie énormes. Même en France, pour un rendement photovoltaïque classique de 10 % (voir le Chapitre de D. Plée), la production électrique actuelle de 550 térawatt-heure1 peut

128

1. 1 térawatt-heure (TWh) = 1 000 GWh = 1 000 000 000 kWh.

être produite avec une surface de 5 000 km2, alors que la surface des infrastructures (toits, routes…) en France potentiellement équipables en panneaux solaires est évaluée à 30 000 km2. Ces éléments quantitatifs de discussion montrent donc, comme il est souligné dans le Chapitre de D. Quénard, qu’une politique volontariste de génération d’électricité, sous forme notamment d’équipements de toitures ou/et de façades, pourrait contribuer à une part importante de l’électricité européenne

2

Les filières photovoltaïques

2.1. Les principes théoriques La Figure 2 rappelle le processus d’absorption de la lumière par un matériau. Quand un photon interagit avec un électron impliqué dans les liaisons chimiques entre les atomes, il le fait passer de son niveau d’équilibre (niveau occupé de la bande de valence) à un niveau excité d’énergie supérieure (niveau inoccupé de la bande de conduction). L’électron revient ensuite à l’équilibre sur son niveau initial en réémettant l’énergie absorbée, qui peut être sous forme de chaleur, de lumière, d’énergie chimique – comme dans le cas de la photosynthèse (voir le paragraphe 5, Encart « La photosynthèse : des cellules végétales aux cellules photovoltaïques ») –, ou d’énergie électrique si l’on arrive à la récupérer. Dans ce dernier cas, on parle d’énergie photovoltaïque.

Niveau inoccupé

Énergie

Excitation

Potentiel

Retour à l’équilibre Chaleur, lumière, photosynthèse, ou… énergie électrique Niveau occupé

Photon (E = hν)

Comme expliqué dans le Chapitre de D. Plée (dans l’Encart : « Les panneaux photovoltaïques, ou comment transformer la lumière en électricité ? »), dans le cas d’une jonction p-n d’un semiconducteur, il y a création

Trou (+q)

d’une paire électron-trou sous l’action d’un photon, le trou étant l’équivalent d’une charge positive. Sous l’action du champ électrique ainsi crée à l’interface n-p, il y a séparation des charges et création d’un photo-courant (Figure 3).

Processus d’absorption de la lumière dans un matériau. Quand un photon lumineux interagit avec un électron sur son niveau occupé de la bande de valence, il le fait passer sur un niveau inoccupé de la bande de conduction, en laissant une place vide dans la bande de valence (appelée trou). L’électron revient à son état d’équilibre en réémettant l’énergie absorbée sous diverses formes possibles. L’énergie est souvent indiquée en électronvolt (eV), 1 eV représentant 1 électron excité sous 1 volt, soit 1,6/10-19 joules.

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

Figure 2

Électron (–q)

Figure 3 Comment le soleil génère-t-il un photo-courant dans un semiconducteur ? Quand le photon lumineux percute le matériau, il se crée une paire électron-trou. Cette paire électron-trou (également appelés excitons) peut ensuite se séparer grâce au champ électrique, ce qui va générer un photo-courant dans le matériau. Grâce au potentiel électrique également créé, on peut recueillir la puissance électrique : c’est la conversion photovoltaïque.

129

La chimie et l’habitat

44 40

Simple jonction GaAs Monocristal Concentrateur Couche mince

36 32

BoeingSpectrolab

33,8 %

Nano-, micro-, poly-Si Polycristal multi-jonction

20

Kopin

UNSW

Spire

UNSW

Kodak

Georgia Tech

Université de Floride ARCO

Solarex

Boeing Boeing

Boeing

Kodak

Monosolar

Solarex

RCA

16,5 %

12,1 % 11,1 %

NREL Konanka Univ. de Linz Groningen

5,4 %

Plextronics

RCA

RCA

RCA

RCA

Siemens Université de Linz

RCA

1980

Figure 4 Les filières photovoltaïques les plus efficaces.

1985

1990

1995

2.2. Les filières photovoltaïques La Figure 4 résume l’évolution des différentes fi lières photovoltaïques depuis le démarrage il y a bientôt soixante ans. Les principales filières actuellement commercialisées, détaillées dans le Chapitre de D. Plée, sont basées sur le silicium, celles au silicium cristallin pouvant atteindre des rendements de 25 % (en bleu sur la Figure 4) ; elles représentent 80 % du marché. Ce chapitre sera plus spécifiquement consacré aux filières couches minces, actuellement en plein développement, dont les rendements peuvent aller de 11 à 20 % (Figure 4).

130

Sharp (grande surface)

20,3 % 19,9 %

Sharp

EPFL

Université du Maine

0 1975

United Solar

NREL

NREL

Kaneka (2 µm sur verre)

RCA

Boeing

4

FhG-ISE

NREL NREL NREL NREL NREL Univ. de Stuttgart (45 µm Transfert NREL de couche mince) NREL NREL/ (CdTe/CIS) United Solar

EPFL

Matsushita

24,7 %

UNSW

AstroPower NREL (petite surface) Euro-CIS United Solar

Photon Energy

27,6 %

FhG-ISE NREL Cu(In,Ga)Se2 (14× conc.)

Sharp

Georgia Tech

Varian

AMETEK

8

UNSW

Stanford

Westing-ARCO

Boeing

UNSW UNSW

UNSW

de Caroline du Nord

12

Amonix (92× conc.)

SunPower (96× conc.)

Stanford (140× conc.) Spire

NREL/ Spectrolab

NREL

Varian (216× conc.)

Photovoltaïque émergent house Cellules à colorants sensiblisés Cellules organiques Université

16

NREL

NREL

Japan NREL Energy

Technologies de couches minces Cu(In,Ga)Se2 CdTe Silicium amorphe

24

40,7 %

Spectrolab

Cellules en silicium cristallin Monocristal Polycristal Couche épaisse de silicium

28 Rendement (%)

BoeingSpectrolab (métamorphe)

Concentrateurs multi-jonction Triple jonction Double jonction

Les structures de base des principales filières photovoltaïques actuelles et leurs parts du marché en 2009 sont résumées dans la Figure 5. Les autres filières en cours de développement seront dé-

2000

Université de Linz

2005

2010

crites en fin de chapitre : les cellules à colorant, dites « de Grätzel » et les cellules organiques. Les filières couches minces représentent 17 % du marché et sont issues des technologies du revêtement de différents supports : revêtements sur du verre, sur des métaux, sur des plastiques ; ce sont des accumulations de couches minces de quelques microns d’épaisseur que l’on peut classer en trois grandes catégories : les cellules basées sur le silicium amorphe – ce sont les cellules utilisées dans les calculatrices –, les cellules basées sur du tellurure de cadmium (TeCd), et enfin celles basées sur un alliage de cuivre, d’indium, de gallium et de sélénium (Cu(In,Ga)Se 2 , noté CIGS). Il faut souligner qu’en quelques années, cette dernière filière a beaucoup progressé pour atteindre des rendements de 20 % en laboratoire.

Cellule au Cu(In,Ga)Se2

81 %

N-ZnO Couche antireflet N-Si

électron

1-3 microns

Contact avant

150-250 μm

1,7 %

P-CIGS

Mo P-Si

trou

Verre

Contact arrière (Ag) Cellule au tellure de cadmium Cellule au silicium amorphe

5,3 %

1-2 microns

SnO2 N-aSi

2-5 microns

Verre Verre

i-a Si

Ag

P-CdTe P-aSi

Figure 5 Structure de base des principales filières photovoltaïques actuelles et leurs parts du marché.

La filière photovoltaïque au silicium en couches minces

3

La première basée sur le silicium amorphe (a-Si) fut découverte dans les années 1970 et développée en France par Lionel Solomon, académicien et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dans son laboratoire de l’École poly technique. Cette filière représente actuellement 5 % de la production et produit des cellules dont le rendement est de

SnO2 N CdS

C

9,6 %

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

Cellule au silicium cristallin

l’ordre de 6 à 8 %. Elle a longtemps servi des « niches » d’applications comme les calculatrices (Figure 6). 3.1. Les technologies de dépôt des couches minces de silicium Il existe deux versions de cellules couches minces au silicium : la version simple, dite monojonction, et la version dite multijonctions où l’on superpose deux jonctions simples pour augmenter le rendement, l’une qui fonctionne bien aux courtes longueurs d’onde et l’autre aux

131

La chimie et l’habitat

Figure 6 La filière silicium couches minces : la filière « historique ». Les cellules sont obtenues par dépôt des couches par plasma à partir de silane et d’hydrogène.

Figure 7 Le dépôt chimique en phase vapeur assisté par plasma (« plasma enhanced chemical vapor deposition », PECVD) est la méthode de dépôt des cellules photovoltaïques la plus courante. Ici, est représenté le dépôt de silicium amorphe hydrogéné (a-Si:H).

132

grandes longueurs d’onde. Cela permet d’atteindre des rendements plus élevés (environ 10 %). Il existe même des versions triple jonctions. La chimie intervient au niveau des technologies des dépôts. Ces dépôts sont réalisés en phase vapeur par plasma 2 , technologie utilisée aussi pour la fabrication des écrans 2. Le plasma est un état de la matière constitué partiellement ou totalement de particules ionisées mais globalement neutre, issues de l’excitation en radiofréquence d’un gaz (souvent de l’argon).

plats. Ce dépôt chimique part d’hydrures (molécules représentées à gauche sur la Figure 7), qui, après décomposition sous l’action du plasma, permettent de déposer sélectivement du silicium dopé n ou p (grâce à l’introduction d’un peu de phosphore ou de bore respectivement) sur des substrats supports (à droite de la Figure 7) à très basse température. Cette technologie de revêtement est très utilisée dans l’industrie électronique. Le Laboratoire de physique des interfaces et couches minces (LPICM) de l’École Polytechnique, qui vient de créer le groupe « nano-PV » en partenariat avec la société Total, développe des recherches sur des cellules basées sur des polymorphes 3 de silicium amorphe, qui, comme on le voit sur la Figure 8, atteignent 3. Le polymorphisme est la faculté d’une substance à cristalliser dans plusieurs structures différentes dans les conditions ambiantes. Dans le cas du silicium, c’est un mélange de silicium amorphe et de nanoparticules de silicium cristallin.

Figure 8 De récents progrès ont été réalisés sur des mini-modules photovoltaïques en silicium en couches minces hydrogéné. Ce graphe montre la progression des résultats obtenus au Laboratoire de physique des interfaces et couches minces (LPICM) de l’École polytechnique, en fonction de la vitesse de dépôt que l’on cherche à augmenter au maximum.

8 7

Rendement (%)

6 5 4 3

100 cm2 mini-module

2

1,5 As 5 As

1 0

8 As Déc-06

Juin-07

Juilllet-07

Août-07

Oct-07

Mar-08

Date

8 à 9 % de rendement en fonction de la vitesse de dépôt (en Angström par seconde). A u co mm en cem ent d e s études sur la chimie des dépôts assistés par plasma, la croissance du dépôt s’effectuait atome par atome. L’une des découvertes majeures a été d’augmenter la vitesse de croissance du dépôt en générant en phase vapeur de petits « clusters » (paquets de molécules représentés en bleu à gauche dans la Figure 9), avant de les déposer ensuite sur la surface. On obtient dans ce cas des nanocristaux de silicium au sein d’une matrice

amorphe. Cette technologie est actuellement en pleine extension et correspond à des perspectives d’augmentation de rendement importantes (Figure 9). 3.2. L’intégration des cellules couches minces dans l’habitat

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

9

3.2.1. La moquette photovoltaïque Les moquettes photovoltaïques sont des modules photovoltaïques flexibles et légers, réalisés à partir de revêtements déposés comme nous l’avons vu précédem-

Figure 9 Dépôt par plasma de silicium hydrogéné polymorphe (pm-Si:H) par formation de nanocritaux/ clusters. À gauche : principe du dépôt. À droite : vue au microscope électronique à transmission d’un grain de silicium cristallin dans une matrice de silicium amorphe. *

L’épitaxie (« épi » = sur ; « taxis » = arrangement) est une technique de croissance orientée, l’un par rapport à l’autre, de deux cristaux possédant des éléments de symétrie communs dans leurs réseaux cristallins. ** L’autocorrélation est un outil mathématique permettant de détecter des régularités dans des signaux périodiques perturbés par beaucoup de bruit.

133

La chimie et l’habitat

A

B Feuille Oxyde conducteur transparent a-Si a-SiGe (10 % Ge) a-SiGe (40 % Ge) ZnO : Al Al Acier inoxydable

Figure 10 Les moquettes photovoltaïques : des modules photovoltaïques flexibles et légers.

Feuille

ment, à basse température, avec des méthodes dites « rouleau sur rouleau », qui permettent de couvrir des kilomètres carré de toiture.

Figure 11 Maison de Jacques Dupin (Les Houches), utilisant des panneaux solaires en silicium amorphe.

134

La technique est assez complexe ; on voit sur la Figure 10A que l’on part d’un rouleau de feuille d’inox à la surface de laquelle sont déposées plusieurs couches successives (Figure 10B). Bien que le dépôt de chaque couche nécessite la maîtrise de problèmes chimiques délicats, on sait maintenant produire et commercialiser ce type de produit à grande échelle. Un exemple de l’application datant de dix ans (pionnière à son époque) de ces « moquettes solaires » est repré-

senté sur la Figure 11 ; elle permet d’avoir un retour d’expérience intéressant de cette technologie implantée dans des conditions climatiques pourtant assez rigoureuses. 3.2.2. Les panneaux photovoltaïques en verre Comme il est montré dans le Chapitre de J. Ruchmann, le développement de l’utilisation du verre en architecture explique sans doute le développement actuel des technologies couches minces sur verre. Sur la Figure 12, on peut voir un exemple d’assemblage de modules de silicium amorphe qui possèdent un rendement de 6 %. Ce type de module est le résultat de la collaboration des spécialistes du photovoltaïque avec l’industrie du verre et les industriels du bâtiment. Récemment des modules de très grande taille, de près de 6 m2, on été faits d’un seul tenant !

4

Les nouvelles filières couches minces

4.1. La filière au tellurure de cadmium Cette filière est en plein développement : d’abord négligeable en 2005, elle a pris une

Intégration de cellules photovoltaïques au silicium en couches minces dans un vitrage.

part importante du marché en 2009. L’entreprise qui l’a développée (First Solar4) est devenue leader mondial. Ces cellules couches minces atteignent déjà des rendements de 11 % en production industrielle et de 16,5 % en laboratoire. Ces cellules sont constituées d’un empilement de couches minces sur un substrat de verre (Figure 13). L’intérêt dans cette technologie – et ce qui explique son succès – est que les procédés de dépôts sont extrêmement rapides (de quelques secondes à quelques minutes), ce qui permet d’atteindre des débits de production importants et donc de diminuer les coûts de production (moins de 1 dollar par watt). L’arrivée de cette technologie a marqué une véritable rupture dans la compétitivité du photovoltaïque. Il e x i s te d e n o m b r e u x exemples d’intégration de ces cellules couches minces sur verre à grande échelle sur des bâtiments (usines, stade 4. www.firstsolar.com

de football…). Beaucoup de fermes solaires sont aussi basées sur cette technologie, dont une à Perpignan en France (Figure 14). 4.2. La filière au diséléniure de cuivre et d’indium (filière CIS) Cette filière devrait beaucoup se développer car les cellules basées sur le même système de couches minces atteignent en laboratoire des rendements de plus de 20 %. Les modules de production industrielle ont des rendements pouvant atteindre 13 %, mais cette production encore

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

Figure 12

Verre (3 mm) SnO2 (0,5 mm) N CdS (0,5 mm) P CdTe (2-5 mm) Contact noir (2 microns) EVA Verre (3 mm)

Figure 13 La filière tellurure de cadmium : la filière « star ». EVA : plaque d’acétate de vinyle.

135

La chimie et l’habitat

A

B

C

C

D

D

D

D

E Figure 14

136

Intégration de cellules photovoltaïques couches minces sur verre dans un stade de football (A : Stade Marcantonio-Bentegodi à Vérone, Italie), des toits d’usines aux États-Unis (B : Fontana, Californie et C : Perrysburg, Ohio), et dans des fermes solaires (D : Sarnia en Ontario, Canada et E : KarlstadtLaudenbach, Allemagne).

Il est intéressant de regarder les progrès apportés par la recherche à la progression des rendements de cette filière depuis son démarrage dans les années 1976 aux États-Unis, à l’Université du Maine. À cette époque, seuls les scientifiques du domaine spatial s’y intéressaient (Boeing en particulier). La Figure 16 montre que le gain de rendement se fait par sauts de 1 à 2 %, suivis d’un pallier pendant parfois deux à cinq ans : chaque rupture correspond à un changement dans la composition du matériau semi-conducteur, cœur du système (par exemple, on ajoute du gallium), ou un changement du système (procédés de dépôts), lui-même suivi par quelques années de consolidation de la découverte. Le groupe européen EuroCIS, auquel a participé notre laboratoire, est associé à la rupture majeure effectuée dans les procédés de dépôts à partir des années 1995. Aujourd’hui, nous obtenons des rendements de 20,3 %, c’est-

Verre Contact EVA ZnO (1 mm) CdS, ZnS 50 nm Cu(In,Ga)Se2 (2 mm) Mo (0,5 mm) Contact Verre

à-dire équivalents à ceux du silicium polycristallin.

Figure 15 La filière au diséléniure de cuivre et d’indium (CIS), la « future championne » ?

4.3. Le rôle de la chimie dans le développement des nouvelles filières CIS La chimie a joué un rôle particulièrement important dans les progrès de la filière CIS au niveau des matériaux semi-conducteurs, de la métallurgie et des technologies couches minces. 4.3.1. Mise au point du matériau semi-conducteur C’est « une affaire de famille », dans le sens où la mise au point a été réalisée grâce à la collaboration de nombreux chercheurs spécialistes d’une famille de matériaux que l’on appelle les chalcopyrites (par

Figure 16 Un long chemin vers les sommets !

20 16 Rendement (%)

Ces cellules utilisent des matériaux polycristallins, remplis de défauts, de joints de grains, des matériaux auxquels les spécialistes du photovoltaïque n’auraient pas accordé le moindre intérêt quelques années auparavant. Pourtant, par le miracle de la compréhension de la chimie de ces matériaux et de leurs interfaces très complexes, cela fonctionne et même très bien ! La Figure 15 montre la composition des diverses couches d’une cellule de ce type.

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

naissante (1,7 % du marché) est en plein développement.

ARCO

12

Boeing

NREL EuroCIS Boeing

Boeing 8

Boeing Boeing Université du Maine

4 0 1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

137

La chimie et l’habitat

référence au minéral CuFeS2). Les chercheurs de ce domaine ont trouvé des compositions qui donnaient de meilleurs résultats que d’autres et ont peu à peu mis au point les couches de compositions les plus efficaces (Cu(In,Ga)Se 2 et CuIn(S,Se) 2 ), notamment quand on ajoute un peu de gallium à la place du l’indium (Figure 17).

Figure 17 La famille des matériaux chalcopyrites : une affaire de famille. Cette figure montre en abscisse la largeur de bande interdite, c’est-à-dire la distance entre la bande de valence et la bande de conduction (voir la Figure 3). Les couches les plus efficaces sont : Cu(In,Ga)Se2 et CuIn(S,Se)2.

Figure 18 La connectique « monolytique » des panneaux en couches minces.

Par ailleurs, la mise en module des technologies couches minces n’est pas basée sur la mise en série de « galettes » collées les unes à côté des autres, comme c’est le cas dans les technologies silicium classique (décrites dans le Chapitre de D. Plée). Dans le cas des modules couches minces, tout cela est fait directement sur le panneau en isolant de fines bandes, souvent grâce à des lasers, qui sont ensuite connectées en série les unes aux autres, comme le montre la Figure 18. On appelle cela la connexion « monolytique ». La connexion

Jph

Vph

Jph

Vph

Jph

ZnO (1 µm)

CdS (0,05 µm)

CIGS (2 µm)

Mo (0,5 µm)

Verre (2-3 mm)

Mise en série des cellules

138

série permet d’augmenter la tension délivrée par le module en additionnant les tensions élémentaire produites par chaque cellule (ici par chaque bande) (Figure 18). Cette spécificité dans la technique de production des cellules couches minces permet une grande flexibilité dans les modèles de cellules produites et une grande adaptabilité aux besoins selon le domaine d’application, à l’image du sur mesure dans la grande couture ! 4.3.2. Revêtements pour une meilleure intégration esthétique dans l’habitat Les applications dans le domaine de l’habitat sont très intéressantes. La Figure 19 montre un exemple d’intégration architecturale réussie avec des modules d’aspect très homogène du type velours noir. L’innovation ici vient également de la toiture concave. Les exemples de façades sont également intéressants avec une combinaison de panneaux de type velours noir avec un fond bleu vif (Figure 20). On voit également de plus en plus de toitures entières réalisées sur des maisons individuelles avec ce type de panneaux en couches minces comme le montre le modèle de la Figure 21. L’un des points clés pour améliorer la palette des possibilités esthétiques de l’intégration architecturale est de s’affranchir de la couleur sombre des panneaux et de disposer d’une palette de couleurs plus larges : de premières réalisations concrètes commencent à apparaître, qui

4.3.3. Procédés d’élaboration Les chimistes ont non seulement travaillé à la recherche de matériaux CIGS performants, mais aussi à la mise au point de procédés d’élaboration moins coûteux et mieux adaptés à la réalisation de grandes surfaces. En quelques années, on est passé des méthodes physiques de dépôt sous ultravide (PVD) à des méthodes chimiques comme la sérigraphie ou l’électrodépôt. Ces procédés de dépôt à la pression atmosphérique sont non seulement moins coûteux à mettre en œuvre, mais permettent de préparer de plus grandes surfaces : le film de précurseur est déposé puis recuit pour obtenir le film fonctionnel (Figure 23).

Figure 19 Intégration de cellules photovoltaïques dans l’architecture. Façade de l’Institut Ferdinand Braun à Berlin (Allemagne).

Cette chimie est très proche de la chimie des encres : la rhéologie, l’encrage puis la sérigraphie sont les étapes successi ves à optimiser pour réaliser les nouveaux panneaux photovoltaïques, qui peuvent alors atteindre, suivant le substrat, des rendements très intéressants (Tableau 1).

Tableau 1 Rendements des panneaux photovoltaïques au CIGS préparés par sérigraphie en fonction des substrats utilisés. Source : ISET.

Substrat

Rendement

Verre

13,6 %

Feuille de molybdène

13,0 %

Feuille de titane

9,5 %

Film en polyimide

9,3 %

Figure 20 Façade avec panneaux solaires en CIGS à Widderstall (Allemagne).

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

utilisent l’effet optique d’interférences lumineuses dans des couches supplémentaires déposées sur le module. Cela permet de changer la couleur du panneau et de mieux l’harmoniser à l’ensemble extérieur comme le montrent de premiers tests (Figure 22).

Figure 21 Intégration de cellules CIGS à un toit près d’Osnabrück (Allemagne).

139

La chimie et l’habitat

Figure 22 Cellules photovoltaïques couches minces colorées sur la façade de démonstration à Widderstall (Allemagne).

Figure 23 Principe des méthodes atmosphériques (sérigraphie et électrodépôt) en deux étapes pour l’élaboration de cellules photovoltaïques CIGS (gauche). Exemple de préparation par sérigraphie

Recuit thermique précurseur

Figure 24 Électrodepôt de CuInS2 par galvanoplastie : réaction globale à la cathode : Cu2+ + In3+ + 2HSeO 3– + 10 H+ + 13 e – → CuInSe2 + 6 H2O réaction à l’anode : H2 O → ½ O 2 + 2 H + + 2 e –

T° Se, S

Film fonctionnel

La galvanoplastie est un autre procédé de dépôt dont l’adaptation s’est révélée intéressante : l’Institut de recherche et développement sur l’énergie photovoltaïque (IRDEP), en collaboration avec EDF, a réalisé un électrodépôt de CuInS2 (Figure 24), qui a conduit en

2005 à des cellules dont le rendement était de 11,5 %. Ce procédé est actuellement en phase de développement à grande échelle par la société française Nexcis, créée à partir de l’IRDEP. La Figure 25 montre un exemple de revêtements électrochimique de modules par des couches de cuivre et d’indium réalisés à Nexcis. On peut également noter la fabrication de panneaux souples au CIGS de type moquette solaire par électrodépôt à l’aide de la méthode des rubans dite « roll to roll » (Figure 26). 4.4. Les nouveaux matériaux semi-conducteurs performants sans éléments rares

140

Les semi-conducteurs de la filière CIS utilisent de l’indium,

Préparation de couches minces de grande surface par électrodépôt à l’échelle pré-pilote pour la réalisation de modules CIGS.

Figure 26 Méthode d’électrolyse sur rubans souples dite « Roll to Roll ». V

électrolyte anode

Figure 27 Durabilité : la question de l’indium avec CuInSe2. Une voie de recherche consiste à substituer l’indium par du zinc et de l’étain.

qui est un élément rare ; les chimistes ont donc imaginé de considérer une maille double (Figure 27) et d’y remplacer deux In3+ par un Zn2+ et un Sn4+ (ensemble hexavalent de zinc et d’étain). Ce nouveau matériau, Cu2 ZnSnS 4 , appelé kestérite (encore par analogie avec le minéral Cu2FeSnS 4), auquel on a donné le nom CZTS, ne contient plus d’élé-

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

Figure 25

ments rares et possède potentiellement les mêmes propriétés semi-conductrices que CuInSe 2. Il est possible qu’ils deviennent dans les années à venir un matériau phare du photovoltaïque en couches minces à grande échelle. La synthèse chimique de ce composé a récemment été réalisée à partir des précurseurs

141

La chimie et l’habitat

Composés dissous : Cu-Sn-Se-S

Composés solides : Zn-Se-S

Précurseur d’encre hybride Revêtement direct de liquide Recuit absorbeur Cu2ZnSn(S,Se)2

Figure 28 Méthode de fabrication du nouveau matériau Cu2ZnSnS4 en couches minces à partir de procédés chimiques sol gel (IBM 2010).

décrits sur la Figure 27, et les cellules couches minces obtenues ont un rendement de 9 %5 (Figure 28).

Les cellules photovoltaïques à colorants

5

Ces cellules représentent l’apothéose de l’apport de la chimie dans le domaine du photovoltaïque, non seulement au niveau des matériaux et des procédés de fabrication, mais au niveau même du nouveau concept qui est ici la « photosynthèse » (Figures 30 et 31) (Encart : « La photosynthèse : des cellules végétales aux cellules photovoltaïques »). Le matériau de base est ici une molécule de colorant, et la difficulté est de réaliser les contacts pour récupérer les électrons et les trous. L’idée originale – et géniale – a été d’utiliser des matériaux d’électrodes poreux (l’oxyde de titane TiO2 sur l’exemple

142

5. Todorov T.K., Reuter K.B., Mitzi D.B. (2010). High-efficiency solar cell with earth-abundant liquidprocessed absorber. Adv. Mater., 22 : 1-4.

choisi), à partir desquels on peut réaliser des interfaces de très grandes sur faces sur lesquelles on fixera une petite pellicule de molécule photo-active (ici un complexe de ruthénium) ; et de faire baigner le tout dans un électrolyte (Figure 30B). À partir de ce concept, on peut concevoir des cellules de couleurs et de propriétés totalement différentes. Ce type de cellule a été mis au point au début des années 1990 par le professeur Michael Grätzel, à l’École polytechnique de Lausanne en Suisse (Figure 30). Les Figures 31D et 31E montrent des exemples d’intégration en milieu urbain.

Les cellules photovoltaïques « plastiques » : cellules à polymères organiques

6

Ces cellules fonctionnent sur le même principe que les cellules à colorant (Encart : « L’essor des cellules photovoltaïques à polymères organiques »). Les rendements n’atteignent encore que 5 à 7 %, des recherches importantes sont en cours, notamment pour comprendre et maîtriser les mécanismes de vieillissement et développer les technologies couches minces de ce type de cellules. Ces recherches sont faites à l’Institut national de l’énergie solaire de Grenoble (INES) et au Commissariat à l’énergie atomique (CE A), ainsi que dans de plusieurs laboratoires académiques (Bordeaux, Limoges, Strasbourg, Poitiers…).

La photosynthèse est le processus bioénergétique le plus important sur Terre : c’est lui qui permet aux plantes et à certaines bactéries de synthétiser, grâce à la lumière du soleil, la quasi-totalité de la matière organique et de l’énergie nécessaire à l’existence des écosystèmes. Ces organismes utilisent du dioxyde de carbone, de l’eau et des sels minéraux pour produire de la matière organique et du dioxygène. Dans le cas des plantes, la présence de chlorophylle, parmi d’autres pigments, est déterminante pour permettre à ce processus d’avoir lieu. C’est ce pigment vert qui absorbe les photons lumineux ; cette énergie électromagnétique est ensuite transformée en énergie chimique sous forme de potentiel d’oxydo-réduction, qui permet alors la réduction du CO2. Une succession de réactions chimiques, appelée cycle de Calvin, a lieu dans les chloroplastes (les cellules des plantes), dont le bilan est le suivant : 6CO2 + 12H2O + lumière → C6H12O6 (glucose) + 6O2 + 6H2O. Et si l’on passait des cellules végétales aux cellules photovoltaïques ? (Figure 29) C’est l’idée du concept des cellules solaires à base de colorants, constituées d’oxydes semi-conducteurs déposés sur un substrat conducteur. Un colorant est ensuite appliqué sur cette couche d’oxyde, jouant le rôle de la chlorophylle pour les plantes photosynthétiques : les électrons des molécules de colorant sont excités par la lumière du soleil et diffusent à travers l’oxyde semi-conducteur jusqu’à la zone de contact conductrice. Ils se déplacent ensuite jusqu’à la contre-électrode avant d’être réacheminés vers la couche de colorant à travers un électrolyte. C’est ainsi que se produit l’effet photovoltaïque. Grâce à l’utilisation de colorants comme centres photoactifs, une nouvelle génération de cellules solaires entre dans la compétition avec les cellules des filières classiques. En plus de leur moindre coût, ces cellules présentent, grâce aux propriétés des colorants, l’avantage de pouvoir revêtir plusieurs coloris différents, d’où un potentiel esthétique remarquable. Leur prochaine commercialisation s’avère très prometteuse. On peut noter que ce n’est pas la première fois que les colorants font une entrée spectaculaire dans le domaine des dispositifs optoélectroniques de pointe, c’était déjà le cas avec les lasers… à colorants !

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

LA PHOTOSYNTHÈSE : DES CELLULES VÉGÉTALES AUX CELLULES PHOTOVOLTAÏQUES

Figure 29 Grâce à des colorants, les cellules végétales et photovoltaïques captent une grande partie de la lumière solaire pour la convertir en énergie (chimique pour la plante et électrique pour le panneau photovoltaïque). 143

La chimie et l’habitat

Phase 3 Lumo I V

Homo Phase 1

Phase : 2 matériau actif quelques nanomètres ! verre électron

électrolyte

I–3

colorant

I–

3I– + hν → I–3 + 2e– TiO2 ou ZnO électrode arrière

Circuit extérieur

électrode avant

électron

verre

Figure 30 Faire de l’électricité avec une molécule : de la photosynthèse au photovoltaïque moléculaire. Principe du photovoltaïque moléculaire (en haut) et son application dans les cellules à colorants (en bas à gauche matrice de ZnO nanoporeux, au centre principe d’une cellule à colorants).

A

B

D

Figure 31

144

La filière des cellules photovoltaïques à base de colorants est en plein développement, comme en témoignent ces fenêtres semitransparentes intégrant ces cellules, conçues par l’entreprise Dyesol pour la « maison du futur » (Sydney Olympic Park).

C

E

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat Figure 32 Toiles de tentes, abris de bus… les applications des cellules à colorant sont promises à un avenir coloré !

Cette filière en développement est aussi portée par des entreprises comme Konarka 6 . Les exemples d’ap6. www.konarka.com

plications sont nombreux et cette filière est susceptible de se développer dans des niches spécifiques : toiles de tentes, abris de bus… (Figure 32).

145

La chimie et l’habitat

L’ESSOR DES CELLULES PHOTOVOLTAÏQUES À POLYMÈRES ORGANIQUES Les cellules photovoltaïques organiques comportent une ou plusieurs couches (au moins la couche active) constituée(s) de molécules organiques. En particulier, des laboratoires et groupes industriels dans le monde se tournent de plus en plus vers la fabrication de cellules à semi-conducteurs polymères, en raison d’une grande flexibilité d’utilisation et surtout d’un abaissement potentiel du prix de fabrication des cellules. En effet, les polymères semiconducteurs coûtent généralement moins chers que les semi-conducteurs classiques tels que ceux au silicium, et leurs processus de fabrication peuvent être très simplifiés (par exemple par dépôt comme des encres, paragraphe 4.3.3) et sont moins consommateurs d’énergie. À la fois solides et légers, leur intérêt réside aussi dans la possibilité de les intégrer à d’autres matériaux, par exemples les verres ou les textiles (voir les Chapitres de J. Ruchmann et G. Némoz). Pour l’instant, leur durée de vie reste limitée, du fait de la dégradation des polymères lorsqu’ils sont exposés au soleil, de même que leurs rendements sont amenés à être améliorés. À titre d’exemple, des films en polyéthylènenaphtalate sont conçus comme revêtements protecteurs en surface, afin d’empêcher notamment la dégradation des performances électroniques de la cellule par action de l’oxygène de l’air. Le donneur d’électrons (type p) peut être un polymère semi-conducteur, par exemple un dérivé de polyphénylènevinylène ou de polythiophène. L’accepteur d’électrons (type n) peut être un dérivé du fullerène (comme le [6,6]-phényl-C61-butyrate de méthyle (PCBM)). Donneur et accepteur sont intimement mêlés pour obtenir une grande surface d’échange et assurer le transport des charges (trous vers l’anode en verre ou en plastique, électrons vers la cathode en métal). Les cellules photovoltaïques polymères : comment ça marche ? La physique sous-jacente à l’effet photovoltaïque dans les semi-conducteurs organiques est plus complexe à décrire que celle des cellules à semi-conducteurs inorganiques comme ceux au silicium. Un peu de chimie quantique… Le processus fait intervenir les différentes orbitales moléculaires, certaines jouant le rôle de bande de valence, d’autres de bande de conduction (voir le paragraphe 2 et la Figure 2), entre deux espèces moléculaires distinctes, l’une servant de donneur d’électrons et l’autre d’accepteur, organisées autour d’une hétérojonction comme dans le cas des semi-conducteurs inorganiques (voir le Chapitre de D. Plée, Encart : « Les panneaux photovoltaïques, ou comment transformer la lumière en électricité ? »). Les molécules servant de donneurs d’électrons sont caractérisées par la présence d’électrons π, généralement dans un polymère de type p. Ces électrons peuvent être excités par des photons visibles ou proches du spectre visible, les faisant passer de l’orbitale moléculaire haute occupée (jouant ici un rôle similaire à celui de la bande de valence dans un semi-conducteur inorganique) à l’orbitale moléculaire basse vacante (jouant un rôle similaire à celui de la bande de conduction) : c’est ce qu’on appelle la « transition π-π* ». L’énergie requise pour cette transition détermine la longueur d’onde maximale qui peut être convertie en énergie électrique par le polymère.

146

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

Le photovoltaïque, vers l’habitat à énergie positive Il est intéressant d’examiner le potentiel « géographique » de développement du photovoltaïque à l’aide de photos aériennes dans une zone donnée, couplées aux données météorologiques de plus en plus précises. C’est le cas en particulier en milieu urbain comme le montre une étude exemplaire effectuée en 2007 par une équipe japonaise pour un quartier de Tokyo (Figure 33 et Tableau 2). L’étude tient compte des orientations des bâtiments existants et évalue ainsi le potentiel de production d’énergie photovoltaïque. Ces approches tendent à se développer avec des initiatives très intéressantes (comme Solar Energy at Urban Scale qui s’est tenue à Compiègne en 2010) à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’une région. Dans tous les cas, on redécouvre le potentiel énergétique considérable ainsi disponible. Le développement du photovoltaïque est aussi à rapprocher du développement de l’habitat à énergie positive, et donc de l’efficacité énergétique dans l’habitat. Dans cet esprit, l’Agence

Figure 33 Exemple d’une étude sur le potentiel du photovoltaïque en milieu urbain réalisée par une équipe japonaise dirigée par le professeur Kurokawa en 2007. Image de Koganei City (Japon). Les zones rouges représentent le potentiel d’installation de panneaux photovoltaïques en toiture permettant d’alimenter théoriquement 62 000 maisons, avec 3 621 kWh par maison et par an. La surface totale est de 11,33 km2, pour 110 000 habitants, avec une surface totale des toits de 2,73 km2 (soit environ 20 % de la surface totale)

147

La chimie et l’habitat

Tableau 2 Trois hypothèses pour la production d’électricité photovoltaïque à Koganei City (Japon).

Hypothèse

1

2

3

Surface totale des toits (km2)

2,73

2,73

2,63

Surface disponible (km2)

2,73

1,23

1,44

Capacité possible (MW)

409,5

184,5

216,1

Production annuelle d’énergie (GWh)

453,6

204,4

225,7

solaire suisse prime chaque année des bâtiments à énergie positive, parrainée en 2010 par le grand architecte Norman Foster et, en France, depuis 1988, l’association « systèmes solaires » organise un concours « habitat solaire, habitat d’aujourd’hui » et récompense les équipements photovoltaïques bien intégrés à l’habitat. Un lauréat de cette année est une maison à énergie positive, construite à Chambéry, qui utilise une toiture entièrement recouverte de panneaux photovoltaïques en couches minces (Figure 34).

Figure 34

148

La maison Zen (Zero Energy Net) à énergie positive d’Alain Ricaud, construite à Chambéry.

Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat

Les technologies couches minces offrent donc des palettes exceptionnelles de possibilités, en particulier dans l’habitat, et la chimie est au cœur de ces nouveaux développements, non seulement en termes de procédés mais aussi en termes de nouveaux concepts et donc de nouvelles applications. Le photovoltaïque devrait continuer à se développer de façon très soutenue et deviendra rapidement une fonctionnalité essentielle de l’habitat et, au-delà, une composante majeure de l’industrie énergétique. Il sera aussi logiquement lié au développement de l’habitat à énergie positive. Mais la bataille du photovoltaïque doit aussi passer par la question du stockage permettant de lisser les effets de l’intermittence sur le réseau. Une prochaine étape sera donc de développer le stockage stationnaire, et pourquoi pas au niveau de l’habitat ou d’un quartier grâce au couplage avec des batteries… On voit donc qu’au-delà du photovoltaïque, c’est une révolution passionnante de toute la chaîne énergétique au niveau de l’habitat qui se dessine. Pour terminer sur une anecdote, l’entrée du photovoltaïque dans les problématiques de l’habitat à permis de moins parler de maisons passives mais de plus en plus de maisons à énergie positive, une conséquence positive inattendue et plus stimulante !

Pour en savoir plus : L’électricité fille du soleil : www.photovoltaique.info/IMG/pdf/ dossier_69_p046053_1_-2.pdf. 149

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

loger,

déplacer :

se peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

Daniel Quénard travaille au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB, voir le Chapitre de V. Pernelet-Joly, Encart : « Le CSTB et l’OQAI ») où il est chef de la division « caractérisation physique des matériaux » dans le département Enveloppe et revêtements. Il co-anime également le programme « solaire et bâtiment » de Tenerrdis, pôle de compétitivité basé en Rhône-Alpes consacré aux nouvelles énergies.

Face à la pénurie annoncée des ressources fossiles, il est urgent de trouver des solutions efficaces et durables pour réduire notre consommation en énergie et pour répondre à nos futurs besoins, tout en s’efforçant de limiter les émissions de gaz à effet de serre et autres polluants. Un des domaines les plus consommateurs en énergie est celui du bâtiment, mais à l’avenir, ce n’est pas tant le bâtiment en lui-même et les équipements installés (chaudières, climatiseurs…) pour pallier les défauts du bâti (étanchéité, isolation thermique, protection solaire…)

que les équipements utilisés par les occupants dans la vie courante comme la production d’eau chaude sanitaire, l’électroménager ou le multimédia. L’objectif est donc double : d’une part, concevoir, réaliser et faire fonctionner des bâtiments aux besoins énergétiques réduits, voire producteurs, et d’autre part, prendre en compte les consommations liées au mode de vie des occupants. Loin d’être les seuls responsables d’impor tantes consommations énergétiques et d’émissions de CO2, les bâtiments induisent aussi, de par leurs localisations par

Daniel Quénard Se loger, se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

Se

La chimie et l’habitat

Dépenses de consommation

Émissions de CO2 14 %

12 %

18 %

27 %

9%

25 %

35 %

15 % 31 % 14 % Alimentation Logement Transport Hôtels, cafés, restaurants, loisirs, culture Autres

Figure 1 C’est dans le logement et le transport que les 65 millions de Français sont les plus dépensiers.

rapport aux lieux de travail et aux commerces notamment, de nombreux déplacements en voiture dont les impacts sont comparables à ceux du bâtiment. La question du logement et des déplacements induits doit donc être abordée dans sa globalité en parlant de bilan énergétique et CO2 global, et en prenant en compte non seulement la performance du bâtiment mais aussi sa localisation1. Quels seront les bâtiments (résidentiels, tertiaires, industriels et agricoles) et les équipements de mobilité de demain, qui tiendront compte à la fois des besoins énergétiques et des contraintes environnementales ?

Bâtiments, déplacements et énergie : quelle réalité ?

1

1.1. La consommation globale des ménages Pour avoir une vue d’ensemble dans un pays comme

152

1. www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/ actualites/observatoire-bilancarbone-menages

la France, examinons comment se répartissent les dépenses de consommation des ménages. L’étude réalisée en 2010 par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)2 a mis en évidence deux postes pesant particulièrement lourd dans la consommation de ces derniers : le transport et le logement. On observe qu’à eux seuls, ils sont responsables de près de 70 % des émissions de dioxyde de carbone d’un ménage (Figure 1). Il est par ailleurs intéressant de noter que la France compte d’un côté environ 33 millions de logements (dont 28 millions de résidences principales ; avec 16 millions de maisons individuelles, représentant plus de la moitié du parc), et de l’autre côté un nombre de véhicules quasiment équivalent, à savoir 31 millions de véhicules. 1.2. Comment consommonsnous à la maison ? Il ne fait aucun doute que c’est le chauffage qui coûte le plus cher dans nos dépenses énergétiques ménagères. Depuis les années 1980, les dépenses globales des Français pour le chauffage ont régulièrement augmenté, du fait essentiellement du nombre croissant de logements et cela malgré les réglementations thermiques successives depuis 1973. Néanmoins, depuis 2000, la part du chauffage s’est mise à décroître, et l’on peut y voir l’impact de la réglementation thermique 2005 (Encart : « La réglementation thermique 2. www.insee.fr/fr/ppp/comm_ presse/comm/DP_ecofra_10.pdf

La réglementation thermique française a pour but de fixer une limite maximale à la consommation énergétique des bâtiments neufs. Succédant à celle de 2000 depuis le 1er septembre 2006 et y ajoutant 15 % de performance énergétique supplémentaire, la réglementation thermique 2005 actuellement en vigueur s’applique aux bâtiments neufs (dont le permis de construire a été déposé après le 1er septembre 2006) et aux parties nouvelles, mais pas aux travaux de rénovation. Elle définit des caractéristiques thermiques de référence ainsi que des caractéristiques thermiques minimales à respecter, qui sont : l’isolation thermique, les apports de chaleurs solaires, la perméabilité à l’air, la ventilation, le chauffage, l’eau chaude sanitaire, l’éclairage des locaux et la transformation de l’énergie primaire. Les règles de calcul énergétique sont établies par le CSTB. Son successeur sera la réglementation thermique 2012, rédigée suite au Grenelle de l’environnement (voir le Chapitre de J.-M. Michel, et notamment l’Encart : « Les lois du Grenelle de l’environnement » de ce chapitre), visant notamment à diviser par trois la consommation énergétique des bâtiments neufs et de développer ainsi des « bâtiments basse consommation ».

(RT) »). L’électricité spécifique a quant à elle continué à augmenter3 (Figure 2). 1.3. Quelle consommation induisent nos déplacements ? Les bâtiments n’ont pas seulement un impact du fait de la consommation en chauffage et en électricité. Leur localisation même est un facteur important que l’on oublie souvent de prendre en compte car c’est ce qui va induire des déplacements plus ou moins importants par les habitants, qui doivent par exemple se rendre régulièrement à leur travail et dans les centres commerciaux, et par conséquent autant d’énergie supplémentaire qui sera consommée, tout comme davantage d’émissions de CO2.

3. www.stats.environnement. developpement-durable.gouv.fr/ donnees-essentielles/societe/ menages/la-consommation-denergie-et-les-emissions-de-co2dans-lhabitat.html

Million de tonnes équivalent pétrole (Mtep)

Rendez-vous ensuite en 2020 pour une réglementation thermique 2020 pour les futurs bâtiments à énergie positive !

50

Électricité spécifique (1) Cuisson Eau chaude sanitaire Chauffage (corrigé du climat (2))

45 40 35 30

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

LA RÉGLEMENTATION THERMIQUE (RT)

25 20 15 10 5 0 1985

1990

2000

Une étude réalisée sur Lille Métropole4 compare, pour une famille de trois personnes vivant dans 100 m2 et utilisant du gaz naturel, les impacts respectifs du logement et des déplacements dans différents cas de figure (Figure 3). Il est tout d’abord fl agrant de mesurer à quel point l’émission de CO2 pour une famille vivant dans un bâtiment ancien en zone périurbaine est nettement supérieure (soit quatre fois plus) par rapport au cas 4. www.lillemetropole.fr/index. php?p=1279&art_id=

2008

Figure 2 Consommation d’énergie finale par usage dans le résidentiel. (1) L’électricité spécifique est l’électricité nécessaire pour les services qui ne peuvent être rendus que par l’usage de l’énergie électrique tels que l’éclairage et l’électroménager. Elle ne prend pas en compte l’eau chaude, le chauffage et la cuisson, qui peuvent utiliser différents types d’énergie. (2) Les chiffrés corrigés des variations climatiques sont calculés en tenant compte d’un indice de rigueur climatique permettant d’obtenir la consommation correspondant à des conditions climatiques « normales ».

153

La chimie et l’habitat

Bâtiment basse consommation (50 kWh/m2/an) en centre-ville

Logement récent (aux normes RT 2005) en centre-ville

Bâtiment basse consommation (50 kWh/m2/an) en péri-urbain

Logement récent (250 kWh/m2/an moyenne du parc) en péri-urbain

CO2 : 7,9 tonnes CO2 : 4 tonnes CO2 : 2 tonnes

CO2 : 4,3 tonnes 21 %

27 %

55 %

45 %

57 % 73 %

Énergie : 20 300 kWh Énergie : 9 300 kWh

46 %

43 %

79 %

Énergie : 38 100 kWh

Énergie : 18 100 kWh 34 %

21 %

28 %

54 % 66 % 79 %

Logement

Figure 3 Impact annuel respectif des logements et des déplacements pour une famille de trois personnes vivant dans 100 m2 au gaz naturel (Source : Lille Métropole). Un bâtiment basse énergie, c’est mieux, encore faut-il dans le même temps limiter les déplacements par voiture !

154

72 % Déplacements

de figure opposé d’une famille qui vit dans un bâtiment basse consommation récent et en centre-ville. Dans ce dernier cas, le logement et les déplacements pèsent de manière équivalente dans la consommation totale en énergie. Si l’on reste en centre-ville mais cette fois dans un logement aux normes de 2005, la part du poids du logement augmente sensiblement, passant aux deux tiers. Le rapport est inversé si l’on habite un bâtiment basse consommation mais en zone périurbaine... mais la consommation globale reste inchangée ! Ainsi la question de la localisation doit être prise en compte dans le calcul global de la consommation d’énergie, tout autant que sur l’évaluation de l’émission

totale de CO2 par les familles. Aujourd’hui, avec le mode de déplacement dominant qu’est la voiture thermique, construire basse consommation « un peu plus loin » ne conduira pas forcément à une réduction des émissions de CO2 d’un ménage. 1.4. Quelle idée nous faisons-nous de notre consommation ? Comment les citoyens perçoivent-ils leur consommation ? Deux enquêtes ont été menées, l’une en France et l’autre en Allemagne, auprès de personnes à qui on a posé la question suivante : « D’après vous quels sont vos principaux postes de consommation ? » Les réponses ont

2

Le problème des énergies fossiles

2.1. La dépendance aux énergies fossiles Depuis la révolution industrielle, la consommation en énergie dans les pays industrialisés n’a cessé d’augmenter pour répondre d’une part à la demande industrielle, et d’autre part à des besoins accrus en énergie dans les logements pour satisfaire les besoins de confort des occupants et assurer leurs déplacements (contraints ou volontaires). Cette consommation massive de ressources naturelles fossiles comme le charbon, puis le pétrole et le gaz naturel, résulte de l’utilisation de deux inventions de

Automobile

Électricité

Eau chaude sanitaire

Ne se prononce pas

FRANCE Ce que pensent les Français

34 %

24 %

36 %

50 %

La réalité

0%

35 %

25 %

50 %

1%

11 % 4 %

75 %

100 %

ALLEMAGNE Ce que pensent les Allemands

La réalité

0%

26 %

39 %

14 %

53 %

25 %

cette époque : la chaudière et le moteur à combustion interne qui, à l’entrée, brûlent des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) et émettent à la sortie gaz à effet de serre et polluants. À cet égard, les chiffres du ministère de l’Industrie sont éloquents : pour l’année 2006, les bâtiments (résidentiel et tertiaire) et le transport consomment à eux deux près de 70 % de l’énergie totale. Il faut tout de même noter que l’habitat présente un mix énergétique beaucoup plus varié que celui des transports. En effet, dans l’habitat, gaz, fioul et électricité (principalement nucléaire et hydraulique en France) sont dominants, environ à parts égales, alors que pour les transports, les moteurs des véhicules ne brûlent quasiment que du

18 %

31 %

50 %

75 %

3%

8% 8%

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

Chauffage

5%

révélé un écart de perception considérable des consommateurs avec des réponses assez proches dans les deux pays (Figure 4). Dans les deux cas, on observe une sous-estimation nette des consommations pour le chauffage et la voiture, alors que dans le même temps les consommations électriques sont tout autant surestimées, révélatrice d’un certain « électrocentrisme » : les citoyens ont l’impression d’utiliser beaucoup d’électricité ; peut-être à cause d’une utilisation intense d’équipements électriques en tout genre à travers leurs diverses activités journalières. S’intéressent-il réellement au détail de leur consommation ou manquent-ils d’informations ? Les chiffres en kilowatt-heure par mètre carré (kWh/m²) par an sont-ils finalement assez parlants ?

100 %

Figure 4 Usages et perception des consommateurs sur leur consommation d’énergie : on observe un écart de perception entre les Français et les Allemands et une méconnaissance générale des consommations réelles.

155

Million de tonnes équivalent pétrole (Mtep)

La chimie et l’habitat

comportementales et organisationnelles) pour limiter, voire supprimer le recours à la combustion d’énergie fossile.

80 70

40 %

60 29 %

50

2.2. Les énergies fossiles : quelles émissions dans l’environnement ?

21 %

40 30

15,4 %

20 10

2,9 %

0 Résidentiel tertiaire

Transports

Industrie y.e Non Agriculture sidérurgie énergétique

Énergie thermique Électricité (uranium, hydraulique) Gaz Pétrole Charbon

Figure 5 Répartition de la consommation de l’énergie finale (177,1 Mtep) corrigée du climat. Chiffres de 2006.

pétrole (98 %) (Figure 5). Dans l’habitat, on remarque une proportion non négligeable d’énergies renouvelables (principalement le bois de chauffage) et 70 % de l’énergie est aujourd’hui consacrée au chauffage et à l’eau chaude sanitaire. Aujourd’hui, nous savons que ces ressources fossiles, consommées en masse depuis deux siècles, se font de plus en plus rares... Il faut donc imaginer de nouvelles solutions (technologiques,

2.2.1. Les émissions de gaz à effet de serre Mais ce n’est pas le seul problème. La combustion des énergies fossiles non seulement consomme des ressources, mais produit aussi des gaz à effet de serre (GES) et ce, de manière croissante. Les principaux responsables de ces émissions sont le bâtiment et le transport, qui sont les deux seuls secteurs économiques en croissance importante et qui totalisent 45 % des émissions de gaz à effet de serre (Figure 6). 2.2.2. Les émissions de polluants Un autre impact considérable de la combustion des énergies fossiles est l’émission de polluants à travers les pots d’échappement, les cheminées, etc. (il n’y a pas de feu sans fumée !) (Figure 7). Quels sont les secteurs les plus

Transports 26 % (+ 23 %) Industrie 20 % (– 22 %)

Figure 6

156

Émission de gaz à effet de serre en France (y compris DOMCOM) en 2004, par secteur (entre parenthèses est indiquée l’évolution depuis 1990). PFC : perfluorocarbures, HFC : hydrofluorocarbures.

Énergie (production transformation) 13 % (– 9 %)

Agriculture/ Bâtiment Sylviculture 19 % (+ 22 %) 19 % (– 10 %)

74,2 % CO2

10,5 % CH4 Traitement des déchets 12,7 % N2O 3 % (– 8 %) 2,7 % PFC + HFC + SF6

L’utilisation massive des énergies fossiles, notamment pour les transports et les bâtiments, conduit à d’importantes émissions de polluants atmosphériques, en plus du bruit engendré par les moteurs.

suite du Grenelle de l’environnement (voir le Chapitre de J.-M. Michel), les politiques publiques incitent de plus en plus à l’économie d’énergie et à la recherche de solutions alternatives. Un appel important est lancé aux scientifiques, notamment aux chimistes, pour trouver des solutions durables dans le domaine de l’habitat en particulier. Quelles sont les solutions préconisées ?

100 90

3

Face aux problèmes environnementaux et sanitaires causés par l’utilisation massive d’énergies fossiles, et à la

2,4

6,2 3,4

Contribution des différents secteurs d’activités aux émissions de polluants en Île-de-France.

13,4

5,8

36,2

35,1 70 60

6,7 2,8

2,4

5,2

29

33 52,2

76,9

50 18,6

40 30

23,6

39,2

54,9

10

20 10 0

Quelles solutions pour l’habitat de demain ?

12,5

Figure 8

80

en %

polluants ? Une estimation a été réalisée en Île-de-France en 2000 sur les contributions des différents secteurs d’activité aux émissions de polluants. Elle montre du doigt encore une fois le bâtiment et le transport, qui totalisent 60 % des émissions en particules (de diamètres inférieurs à 10 μm) et 60 % des émissions en oxydes d’azote (NOx). Face à ce constat, le ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement a décidé de développer des Zones d’action prioritaire pour l’air (ZAPA), la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet déclarant en décembre 2010 : « La pollution de l’air diminue l’espérance de vie de neuf mois pour chaque Français et l’exposition aux particules fines causerait 40 000 décès chaque année. C’est un enjeu de santé public »… Ce chiffre dépasse de loin les décès par accident de la route !

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

Figure 7

20,1

17,2

NOx

2,6 CO

SO2

31,4

32,9

COVNM

PM10

22,3 CO2

Sources biogéniques Agriculture et sylviculture Autres transports Transport routier Résidentiel, tertiaire, artisanat Industrie

157

Déforestation à moyen coût

Coût de réduction du CO2 en euros par tonne de CO2 équivalent

La chimie et l’habitat

Déchets

Capture et stockage du carbone, nouveau charbon

Conversion charbon-gaz Capture et stockage du carbone, charbon propre

Co-combustion de la biomasse

100

Substitution de matières premières industrielles Capture et stockage du carbone, récupération assistée du pétrole, nouveau charbon

50

Déforestation évitée

Déforestation à faible coût Élevage Nucléaire

0 Industries non émettrices de CO2 Pertes des appareils en veille

– 50

Biocarburant issu de la canne à sucre Efficacité des véhicules à moteurs thermiques Eau chaude sanitaire

– 100

Climatisation Systèmes d’éclairage Efficacité des véhicules commerciaux à moteurs thermiques

– 150

5 Isolation des bâtiments

Figure 9 Les nouvelles technologies pour réduire les émissions de CO2 : quel coût ? Coût de réduction = (coût de la solution alternative – coût de la solution de référence)/(tCO2 pour la solution de référence - tCO2 pour la solution alternative) Le coût correspond à un coût total : construction + usage.

10

15

20

25

30

35

Réduction en émission de CO2 réalisée pour 2030 (en gigatonnes de CO2 équivalent)

3.1. Développer de nouvelles technologies La courbe dite des « coûts de réduction » (en € par tonne de CO2 économisée), proposée par le cabinet McKinsey, classe les technologies en fonction de ces coûts. On constate que travailler sur l’efficacité énergétique pour réduire les émissions de CO2 est économiquement le plus intéressant (Figure 9). Ainsi, isoler les bâtiments, utiliser des systèmes efficients pour l’eau chaude sanitaire et l’air conditionné, installer un éclairage efficace, etc., toutes ces technologies nouvelles présentent un coût négatif et sont par conséquent les plus rentables. 3.2. Objectif principal en Europe : la rénovation aux nouvelles normes

158

Abattements de plus hauts coûts

Systèmes de moteurs industriels

Vent : faible taux de pénétration

Biodiesel Capture et stockage du carbone industriels

Au vu du potentiel d’économie d’énergie dans le bâtiment, l’Europe doit miser sur la rénovation avec les réglementations thermiques à venir. Elle

compte aujourd’hui 210 millions de bâtiments, avec 60 % dans le résidentiel et 40 % dans le tertiaire. On constate aussi que le nombre de bâtiments construits avant 1973 est équivalent au nombre de constructions après cette date qui correspond au premier choc pétrolier, époque où sont apparues les premières réglementations thermiques (Tableau 1 et voir l’Encart « La réglementation thermique (RT) »). Ce sont ainsi cent millions de bâtiments en Europe qui n’ont jamais été soumis à aucune réglementation thermique ! Un chiffre important comparé à celui de la construction neuve qui ne représente que 1 % des bâtiments. Il faut donc construire dès à présent du neuf très performant (pour réduire le nombre d’entrants énergivores dans le stock) et miser sur la rénovation, dont on peut mesurer le poids avec, en France, environ vingt millions de logements construits avant

Nombre et catégories de bâtiments construits en Europe, avant et après 1973, sur un total de 210 millions de bâtiments, sur environ 53 milliards de m2.

Nombre de constructions avant 1973

Nombre de constructions après 1973

Pourcentage du stock total

Résidences individuelles privées

42 840 000

28 560 000

34

Immeubles d’appartements privés

17 640 000

11 760 000

14

Logements sociaux

16 800 000

8 400 000

12

Immeubles commerciaux

18 900 000

44 100 000

30

Immeubles publics

5 040 000

11 760 000

8

Autres (loisirs, industries)

1 890 000

2 310 000

2

Totaux

103 110 000

106 890 000

100

Tertiaire

Résidentiel

Type de bâtiment

1975. Depuis cette date, les réglementations thermiques successives ont eu un impact notable sur la consommation d’énergie par logement, avec un effort massif sur le chauffage – poste numéro 1 avec l’eau chaude sanitaire, soit 70 % de la consommation énergétique totale (voir la Figure 11). Rappelons que la réglementation thermique porte sur cinq postes : le chauffage, la ventilation, la climatisation, l’eau chaude sanitaire et l’éclairage, mais il en existe d’autres, en particulier la consommation électrique des ménages (électroménager et multimédia), l’énergie grise5 et la mobilité qui ne sont pas 5. Pour un composant d’ouvrage, l’énergie grise est l’énergie primaire procédé consommée tout au long de son cycle de vie. Pour un ouvrage complet tel qu’un bâtiment, elle correspond à l’énergie primaire procédé nécessaire à la mise à disposition de ce bâtiment : construction (dont préparation du terrain et mise à disposition des produits/matériaux/ équipements), entretien/maintenance et démolition/déconstruction (dont gestion des déchets et remise en état du terrain).

pris en compte… (voir le paragraphe 3.4). Le label BBC (bâtiment basse consommation) qui préfigure la prochaine RT 2012 montre une consommation équivalente pour les trois principaux postes que sont le chauffage, l’eau chaude sanitaire et l’électricité spécifique (éclairage/systèmes électriques du type pompes et ventilateurs...).

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

Tableau 1

3.3. Objectif bâtiments basse consommation et à énergie positive Le cap est aujourd’hui la RT 2012 (BBC) qui sera suivie de la RT 2020 avec l’apparition des bâtiments dits à énergie positive (BEPOS). Afin d’encourager les efforts de réduction de consommation énergétique, des labels ont été créés depuis le milieu des années 1990, les labels Minergie (Suisse), Passivhaus (Allemagne) et plus récemment BBC-Ef finergie en France (Figure 10 et voir le Chapitre de J. Souvestre, Encart « Les labels énergie »).

159

La chimie et l’habitat

Énergie renouvelables nécessaires recommandées Besoins de chaleur pour le chauffage 90 % de la valeur limite 60 % de la valeur limite SIA 380/1:2009 SIA 380/1:2009 Étanchéité à l’air bonne contrôlée Isolation thermique 20 cm à 25 cm 20 cm à 35 cm Vitrages isolants doubles triples Distribution de chaleur distribution conventionnelle chauffage à air possible Appareils électroménagers de classe A recommandés exigés Aération douce automatique exigée exigée Besoin de puissance thermique pas d’exigence max. 10 W/m2* * avec chauffage à air

Indice énergétique pondéré Comparaison valable pour nouvelles constructions d’habitation individuelle

Figure 10 L’objectif 2012 est au bâtiment basse consommation : un effort sera porté sur l’enveloppe des bâtiments (étanchéité à l’air, isolation thermique et triples vitrages).

160

Le label Passivhaus présente la particularité de s’intéresser à toutes les consommations énergétiques du bâtiment, électroménager et multimédia compris, et inclut donc les apports internes pour ces derniers. On constate d’ailleurs que pour un ménage occupant une maison labellisée Passivhaus, la moitié des consommations est due à l’électroménager et au multimédia. Par ailleurs, il impose un critère très exigeant sur les besoins de chauffage qui doivent être inférieurs à 15 kWh/m²/an. Comment atteindre les objectifs d’un bâtiment basse consommation ? La première chose à faire est de travailler sur l’enveloppe : isolation performante, étanchéité à l’air, vitrages performants, autant de moyens pour réduire très fortement les besoins énergétiques (voir aussi les Chapitres

de J.-C. Bernier, J. Souvestre et J. Ruchmann). On obtient des bâtiments étanches qui induisent alors des exigences de ventilation pour assurer un air de bonne qualité aux occupants, ventilation avec récupération d’énergie bien sûr. Les efforts doivent ensuite être portés sur des équipements à haute efficacité énergétique tels que la chaudière à condensation (voire demain à absorption) ou la pompe à chaleur, ce qui permet encore d’abaisser la consommation énergétique.

3.4. Vers les bâtiments à énergie positive Si l’on pousse encore les efforts, on peut descendre autour des 30 kWh/m² par an pour les besoins et atteindre alors le niveau des maisons passives (label Passivhaus).

Bâti existant

Consommation 2005

Consommation 2012

production locale

100 50

RT 2020

Consommation d’énergie primaire (kWh/m2 par an)

0 – 50  – 100 – 150 – 200 – 250

photovoltaïque éclairage + auxiliaires eau chaude sanitaire

– 300

chauffage

– 350 – 400 – 450

En ajoutant la production locale d’énergie, nous entrons dans la vision 2020 des bâtiments à énergie positive (Figure 11). La tendance qui émerge aujourd’hui est la production locale d’électricité, notamment grâce aux panneaux photovoltaïques installés sur les toits ou en façades (voir les Chapitres de D. Lincot et de D. Plée), électricité que l’on revend aujourd’hui à EDF avec un tarif de rachat très avantageux. EDF a d’ailleurs réalisé une étude parue en 2008 dans la revue Futuribles, envisageant des efforts combinés sur les économies et la production d’énergie ; le « triptyque traditionnel », qui consiste à réduire les besoins, utiliser des équipements à haute efficacité énergétique et favoriser les énergies renouvelables. Cette étude montre que l’on pourrait répondre aux besoins des bâtiments sans énergies fossiles vers 2050 en utilisant des systèmes performants du type pompe à chaleur, de la bio-

masse et de l’énergie solaire pour l’eau chaude sanitaire… avec un investissement certes élevé, mais envisageable (Figure 12) !

Figure 11 Ordres de grandeur des consommations et productions locales d’énergie pour un logement en France. Depuis le premier choc pétrolier en 1973, des progrès massifs ont été réalisés sur le chauffage.

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

Épave thermique

« Dans un pays tempéré tel que la France, disposant de biomasse, une diffusion réaliste de technologies existantes d’isolation thermique, de pompes à chaleur, de biomasse et de solaire permet de supprimer les usages directs des fossiles dans le secteur bâtiment. » 6 Quelle estimation pouvonsnous faire de la production locale photovoltaïque en France ? Nous disposons d’environ 51 447 km² de zones artificialisées sur lesquelles nous comptons 8 142 km² de sols bâtis, ce qui représente 1,5 % du territoire. Or, nous consommons environ 550 T Wh/an d’électricité (chiffre de 2008). Si l’on envisage d’installer des panneaux photovoltaïques ayant 6. Extrait de : Les bâtiments sans énergie fossile. Étude EDF, Futuribles, juillet-août 2008, n° 343.

161

La chimie et l’habitat

TWh 120 Chauffage fossile Cuisson fossile

2005

100

Eau chaude sanitaire fossile

une surface au sol d’environ 22 000 km² couverts de bâtiments, on estime possible de couvrir 40 % des toitures et 15 % des façades en panneaux photovoltaïques, ce qui permettrait de couvrir 40 % de la consommation électrique en Europe (Encart : « Objectif production locale d’énergie »).

Chauffage bois Chauffage électrique

80

Climatisation Éclairage

60

Cuisson électrique Eau chaude sanitaire électrique Électricité spécifique

40

20

0 1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

80 70

Énergies renouvelables thermiques, pompe à chaleur et solaire Eau chaude sanitaire bois

2050

Chauffage bois

60

Chauffage électrique Climatisation

50

Éclairage Cuisson électrique Eau chaude sanitaire électrique

40

Électricité spécifique Production électrique cogé bois

30

Production électrique photovoltaïque

20 10 0 1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

– 10

Figure 12 Le triptyque pour l’objectif 2050 en termes de consommation annuelle d’énergie : 1. réduire les besoins de chauffage : rénovation thermique + bâtiment basse consommation neuf ; 2. développer les énergies renouvelables solaires (chauffeeau solaire, photovoltaïque) ; 3. fournir les besoins de chauffage et appoints d’eau chaude sanitaire : systèmes performants (pompes à chaleur/biomasse).

162

des rendements de 10 %, les calculs montrent qu’il faudrait équiper environ 60 à 70 % des surfaces bâties ou 10 % des sols artificialisés pour couvrir ces besoins de consommation électrique. Est-ce envisageable ? La réponse nous sera donnée avec les futurs panneaux photovoltaïques qui seront plus rentables, comme l’annoncent les Chapitres de D. Lincot et de D. Plée. Au niveau européen, l’estimation est équivalente : sur

N’oublions pas que d’autres énergies renouvelables peuvent être ajoutées comme l’éolien, la géothermie et la biomasse, qui peuvent aussi être installés localement. Récemment, une étude comparative a été réalisée en Suisse entre la capitale Zurich et le canton de Fribourg pour évaluer les surfaces potentielles sur lesquelles pourraient être installés des capteurs solaires thermiques (Encart : « Quelle production locale possible en Suisse ? »). La conclusion en est que 70 % des besoins thermiques pourraient être couverts pour 50 % des bâtiments d’habitation de Fribourg, contre seulement 12 % de ceux de Zurich. Ce résultat peut s’expliquer d’une part par le nombre important d’étages en ville, et d’autre part par le nombre plus important de toits orientés de manière optimale pour recevoir l’énergie solaire, en province. À travers cet exemple, on réalise que même si la densification des villes peut être intéressante pour réduire la consommation d’énergie liée aux déplacements, la potentialité de production d’une ville dense peut cependant être plus faible que celle d’une ville plus étalée. Ainsi dans l’optique, peut-être lointaine, d’une

En France Sur 543 965 km² : – 8 142 km² de sols bâtis (1,5 %), – 51 447 km² de zones artificialisées (9,4 %). Consommation électrique française : 550 TWh/an, soit l’énergie solaire reçue par un carré de sol d’environ 25 km sur 25 km. Avec des cellules photovoltaïques ayant un rendement de 10 %, cela correspond à environ 5 000 km², soit 61 % des sols bâtis ou 10 % des zones artificialisées. Source : www.stats.environnement.developpement-durable.gouv.fr.

En Europe Il y a environ 22 000 km² de sols bâtis. 40 % des toitures et 15 % des façades sont adaptées pour l’installation de panneaux photovoltaïques. Avec un rendement de 15%, la production potentielle est de 1 400 GWh, soit 40 % de la consommation d’électricité en Europe. Source : European Photovoltaic Industry Association (EPIA). Remarque : Les calculs sont en énergie cumulée sur un an et non pas en puissance disponible.

« société post-carbone », il sera nécessaire de penser en termes de surfaces nécessaires pour produire de l’énergie avec des ressources renouvelables (solaire, éolien, biomasse…) et non pas penser uniquement à la réduction des consommations d’énergies fossiles. De plus, la densification peut faire apparaître d’autres problèmes comme les « îlots de chaleur », des zones de fortes pollutions… 3.5. Vers le stockage de l’énergie Il existe d’autres moyens auxquels on ne pense pas toujours et qui permettraient pourtant des gains importants en énergie. Nous évoquions en effet les consommations à l’inté-

rieur des bâtiments – appareils électriques, électroménagers et multimédia –, mais il y a également la mobilité, un poste qui pèse relativement lourd dans le budget des ménages. Aujourd’hui la consommation d’énergie pour une voiture est supérieure à celle du chauffage pour un ménage français moyen (Figure 13). S’agissant de la consommation électrique des ménages en France, environ 3 000 kWh sont consommés chaque année par les occupants d’un logement. Avec l’évolution des usages entre 1990 et 2000, on voit augmenter très fortement l’impact de l’audiovisuel et des postes informatiques qui étaient quasiment inexistants auparavant, et qui au final ont contrebalancé les économies

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

OBJECTIF PRODUCTION LOCALE D’ÉNERGIE

163

La chimie et l’habitat

QUELLE PRODUCTION LOCALE POSSIBLE EN SUISSE ? Surface de toit potentiellement utilisable pour le solaire thermique : – 32,1 m²/100 m² pour le canton de Fribourg, – 31,6 m²/100 m² pour la ville de Zurich. Surfaces de captage d’orientation optimale (orientée au sud et inclinaison moyenne) : – 11,7 m² pour 100 m² de surface habitable chauffée – Fribourg, – 4,8 m² pour 100 m² de surface habitable chauffée – Zurich. Avec des bâtiments basse consommation (Minergie) + 100 litres de stockage par m² de capteur solaire, 70 % des besoins (chauffage, eau chaude sanitaire) sont alors couverts pour : – 50 % des bâtiments d’habitation de Fribourg, – 12,5 % des bâtiments d’habitation de Zurich. Un « potentiel solaire thermique » nettement plus élevé à la campagne qu’en ville ! « Cette étude montre que dans les zones d’habitation qui sont situées dans des zones rurales, plus de la moitié des bâtiments d’habitation économes en énergie seraient en mesure de couvrir leurs besoins thermiques exclusivement au moyen d’une installation de captage solaire, éventuellement complétée par un petit chauffage à bois. Le chauffage de bâtiments d’habitation reposant exclusivement sur des énergies renouvelables, préservant le potentiel de la biomasse qui est limité, est donc à notre portée. » Sources : Le Moniteur, 2011 et : www.admin.ch/aktuell/00089/index.html?lang=fr&msg-id=36622. * Les capteurs solaires thermiques transforment l’énergie solaire en chaleur grâce à un fluide caloporteur.

Figure 13

164

Des bâtiments économes et producteurs d’énergie… des usagers « énergivores ».

Consommation d’énergie primaire (kWh/m2 par an)

100

Bâti existant

Conso 2005

Conso Production Électricité 2012 locale spécifique Règlementation 2020

mobilité

50

0

– 50 Bâtiments à énergie positive – 100 photovoltaïque – 150

éclairage + auxiliaires eau chaude sanitaire chauffage

– 200

Émission (tCO2/pers/an)

Un effort de 80 kWh/m² par an est annulé par 20 km parcourus en véhicule particulier par jour…, ce qui pose le problème de l’urbanisme et du lien bâtiment/ transport !

1,50

1,00

0,50

0,00 1970

Chauffage Voiture particulière 1980

que nous avons fait sur le réfrigérateur, ce qui nous fait rester au même niveau de consommation électrique ! Nous l’avons vu, les déplacements en véhicules particuliers sont également très consommateurs en énergie et conduisent à d’importantes émissions de CO 2 . Pour un ménage, on réalise que les efforts réalisés sur le chauffage, après quarante ans de règlementations successives,

1990

2000

2010

peuvent être annulés par la consommation d’énergie de la voiture particulière avec l ’accroissement des distances parcourues pour les déplacements domicile/travail et domicile/commerces. En effet, une économie de 80 kWh/m² par an est annulée par 40 km parcourus par jour (Figure 14) ! Cette estimation montre bien l’importance de prendre en compte la localisation des habitats et

Figure 15

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

Figure 14

2,00

Des bâtiments à énergie positive… mal localisés ?

165

La chimie et l’habitat

Figure 16 Comment mutualiser les équipements et tirer profit de leur multifonctionnalité pour assurer production/consommation/ stockage et partage ? Pour le stockage thermique, on peut utiliser l’inertie du bâtiment, le froid domestique, les ballons d’eau chaude sanitaire… ; pour le stockage électrique, on peut réaliser un stockage stationnaire ou un stockage mobile, par exemple via la voiture électrique. Une mutualisation de certains équipements est aussi envisageable : climatiseur et eau chaude sanitaire, serveurs informatiques et eau chaude sanitaire…

166

les transports induits dans le calcul global (Figure 15). Cependant, il est possible de construire des bâtiments et de se déplacer en utilisant judicieusement l’énergie : il s’agit de trouver un équilibre entre économie d’énergie, production locale, stockage et partage. Sans vraiment y faire attention, nous stockons déjà du « froid » dans nos réfrigérateurs et du « chaud » dans nos ballons d’eau chaude. N’oublions pas non plus que le bâtiment luimême qui, par son inertie thermique, peut l’hiver et en mi-saison stocker de la chaleur pendant les journées ensoleillées et la restituer en fin de journée, et l’été stocker de la fraîcheur grâce à la ventilation nocturne et contribuer ainsi à maintenir une température intérieure de confort satisfaisante… si la protection solaire n’est pas oubliée. Ces atouts – apports solaires, protections solaires, fraîcheur nocturne, ventilation nocturne – doivent aujourd’hui être mieux pris en compte au moment de la conception des bâtiments. Mais demain, on pourra encore faire mieux pour répondre à notre utilisation

croissante d’électricité en intégrant dans l’habitat le stockage d’électricité. Certains équipementiers comme General Electric proposent des systèmes de stockage électrique de quelques kWh (3 à 5 kWh) pour stocker une partie du surplus de production locale et écrêter la consommation. Des expérimentations de stockage local (3 à 5 kWh) sont en cours dans le cadre du projet Premio7, dans le sud de la France. Poussons maintenant les projets pour l’avenir : pour être encore plus efficace, certains envisagent d’utiliser les batteries d’un véhicule électrique comme système de stockage, le véhicule électrique devenant ainsi une sorte de « banque mobile d’énergie » ! Ce sont donc autant de possibilités intéressantes pour stocker de l’énergie afin de répondre aux intermittences de production et de consommation, et de satisfaire l’augmentation des consommations électriques des ménages (Figure 16). Les bâtiments de demain seront aussi ceux où les équipements seront mutualisés. Par exemple, l’énergie dégagée par un climatiseur ou des eaux usées pourra être récupérée pour préchauffer l’eau. On a même pensé à tirer profit des systèmes de refroidissement des ordinateurs en récupérant la chaleur libérée pour chauffer l’eau, et pourquoi pas le plancher. Ainsi des entreprises comme IBM travaillent sur l’idée de faire des Datacenters les « nouvelles chaufferies » de demain, quand on sait que l’usage 7. www.projetpremio.fr

3.6. Vers une convergence bâtiment/transport À l’avenir, on pourrait imaginer le scénario « solaire » suivant : un capteur solaire chauffe l’eau sanitaire (c’est le CESI : chauffe-eau solaire individuel), qui est alors stockée pour servir à la douche du matin, puis on se rend sur le lieu de travail ou à la gare la plus proche pour prendre le train électrique… en utilisant son équipement de mobilité électrique (vélo, scooter, quadricycle, voiture… ou véhicule électrique solaire individuel (VESI)), lequel a pu être rechargé par les capteurs photovoltaïques installés à la maison, au travail ou sur le parking relais (Figure 17). 8. www.zurich.ibm.com/news/ 08/ zed.html

C’est un scénario envisageable quand on sait que la moitié des salariés en France travaillent à moins de 10 km de leur domicile, distance qui reste très inférieure aux autonomies annoncées pour les véhicules électriques, de l’ordre de la centaine de kilomètres. En France, d’après l’INSEE, le trajet domicile-travail est en moyenne de 25,9 km (la distance médiane est de 7,9 km). En Europe, 87 % des personnes parcourent moins de 60 km par jour en voiture. Il faut aussi prendre en compte les temps d’arrêt des véhicules, en moyenne de plusieurs heures, temps pendant lequel ils peuvent être rechargés. On constate alors que les voitures ne sont utilisées que 5 % du temps ; il reste ainsi près de 95 % du temps pour les recharger. D’après une étude réalisée aux ÉtatsUnis par l’Electric Power Research Institute (EPRI) sur le stationnement pendant une semaine, il a été montré que plus de 80 % du temps, les véhicules sont garés à proximité d’un bâtiment, d’où l’idée émergente de la convergence bâtiment/transport.

Figure 17 Une convergence bâtiment/ transport pour un maximum d’économie d’énergie ! *Pour un véhicule électrique avec une consommation de 150 Wh/km parcourant 13 000 km/an. ** L’électronique de puissance convertit l’énergie électrique en une autre forme d’énergie.

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

des ordinateurs et serveurs ne fait que croître et que ces appareils sont en fonctionnement tout le long de l’année, assurant sans discontinuer des échanges de données tout autour de la planète. À Zurich, par exemple, IBM récupère la chaleur d’un Datacenter pour chauffer une piscine8.

167

La chimie et l’habitat

Figure 18 Projet de démonstration dans le village de Rokkasho par ToyotaPanasonic-Hitachi. La voiture électrique, bientôt un équipement de la maison pour stocker l’énergie ? HEMS = système de gestion de l’énergie domestique (« home energy managment system »).

Contrôle de la génération d’énergie et stockage dans le lieu de la demande via le système de gestion de l’énergie domestique Climatiseur

Photovoltaïque

Compteur Visualisation de l’énergie sur un écran

Borne Photovoltaïque de recharge

168

Quelques premiers retours d’expérience (Berlin, Londres, New York) montrent très clairement qu’il est plus intéressant pour les utilisateurs – y compris financièrement – d’utiliser des bornes de recharge proches des bâtiments ou des maisons individuelles que dans les lieux publics. Aussi 95 % des utilisateurs américains préfèrent la recharge « à la

Pompe à chaleur

Batteries de stockage domestique

maison » indique le rapport de l’EPRI, ce qui conduit à favoriser l’installation de prises chez l’habitant, un investissement qui semble plus efficace. À Londres et à Berlin, des expérimentations en cours montrent que les utilisateurs utilisent très peu les bornes de voiries et les places réservées à cet effet servent plutôt de stationnements gratuits ! Paradoxale-

Au Japon, le président de Toyota Home, filiale de Toyota, Senta Morioka, a déclaré en décembre 2010 : « l’intégration totale entre résidence et voiture est enfin arrivée ». C’était le jour de l’inauguration d’un site d’expérimentation basée sur l’idée de la voiture électrique considérée comme un nouvel équipement de la maison pour stocker l’énergie et effacer les pics de demande, ce qui pourrait réduire considérablement le besoin en centrale de production d’énergie comme le montre un rapport de la Federal Energy Regulation Commission aux États-Unis (Figure 18).

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

ment, cette analyse est à tempérer par le fait qu’un réseau dense de bornes publiques serait considéré par les Londoniens comme un signe de confiance de la part des Pouvoirs publics et un moyen d’éliminer l’anxiété des utilisateurs pour la « panne sèche » … ou plutôt la « batterie vide ». Mais on pourrait se demander si, pour éviter des équipements publics onéreux et peu utilisés, ne faudrait-il pas mieux impliquer les assureurs, comme ils le font déjà avec les véhicules thermiques, pour rassurer les utilisateurs des véhicules électriques en offrant de nouveaux services (dépannages, prêts de véhicules…) ?

Un nouveau paradigme pour l’énergie de demain Les bâtiments de demain seront plus économes voire producteurs d’énergie grâce à l’intégration des énergies renouvelables avec par exemple le développement de nouvelles technologies comme le photovoltaïque (voir les Chapitres de D. Lincot et de D. Plée). Aussi, que ce soit dans le domaine des matériaux d’isolation (voir les Chapitres de J.-C. Bernier, de J. Souvestre et la partie « Matériaux et habitat » de cet ouvrage), dans celui des carburants ou celui de la conversion et du stockage de l’énergie, la chimie est présente à chaque étape où il est crucial d’innover pour améliorer la qualité de nos bâtiments, de nos équipements et de nos véhicules en termes d’économie d’énergie et d’impact environnemental. À titre d’exemple, il serait préférable

169

La chimie et l’habitat

Figure 19 L’avenir est tourné vers le développement d’une énergie de flux avec des ressources inépuisables comme le soleil ou le vent. Que ce soit pour le photovoltaïque ou pour l’éolien, des efforts doivent se porter sur le développement d’une gestion intelligente de la production et de la consommation d’énergie.

170

d’utiliser le pétrole pour fabriquer des isolants thermiques pour notre maison au lieu de brûler ce pétrole dans une chaudière qui fume. Ce raisonnement est valable pour l’ensemble des ressources, y compris le bois. Transformer est souvent préférable à brûler. Demain, nous allons progressivement migrer d’une énergie de stock, qui demande des millions d’années pour être reconstituée et que nous utilisons avec une efficacité réduite par sa combustion, vers une énergie de flux qui demande le développement de systèmes performants de conversion (photovoltaïque, pompe à chaleur…), mais avec des ressources inépuisables (soleil, vent...) à l’échelle humaine (Figure 19). Au-delà des progrès technologiques, la gestion de l’énergie constitue aussi un enjeu stratégique essentiel, notamment pour éviter d’importants gaspillages. À l’heure actuelle, le photovoltaïque se développe selon un modèle économique de rachat dont la pérennité n’est pas assurée. Que ce soit pour le photovoltaïque ou pour l’éolien, des efforts doivent avant tout se porter sur le développement d’une gestion intelligente de la production et de la consommation d’énergie, à l’image du réseau de transport électrique (Figure 20). L’intégration des systèmes de stockage stationnaire ou mobile (via le véhicule électrique) comme nouvel équipement du bâtiment permet d’envisager de

Figure 20 Un nouveau paradigme pour une gestion efficace de l’énergie ?

Se loger,se déplacer : peut-on se libérer de l’addiction aux énergies fossiles ?

nouveaux scénarios de production et consommation locales de l’électricité, avec le soutien du réseau. En redécouvrant, même partiellement, les exigences de la production, le consommateur devenu alors « prosumer » devrait radicalement changer ses rapports avec l’énergie : quand on en produit soi-même, on s’en préoccupe forcément plus et mieux ! Nous avons là un nouveau paradigme qui pourrait permettre d’aller vers des territoires durables, moins énergivores et plus respectueux de l’environnement et des personnes. Ces territoires durables pourraient être caractérisés par des indicateurs, dans un premier temps énergétiques, qui associeraient à chaque bâtiment identifié sur le cadastre sa performance et sa localisation. La performance pourrait être décrite par le classement en consommation énergétique, en émission de CO2 et en potentialité de production photovoltaïque… ; quant à la localisation, elle indiquerait les distances par rapport aux lieux de travail, aux transports en commun, aux écoles, aux centres commerciaux et de loisirs…

171

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

du «

développement durable » pour l’habitat Préparé par Paul Acker, Olivier Baverel, Laurent Brochard, Guillaume Habert, Mathieu Rivallain, Robert Leroy et Alain Ehrlacher

Alain Ehrlacher est professeur de matériaux à l’École des Ponts ParisTech où il dirige le département Génie mécanique et matériaux. Il est Directeur de recherches de l’Institut Navier, au Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) Université Paris-Est. Il est lauréat du prix Henri de Parville, Arthur du Fay et Mme E. Hamel de l’Académie des sciences de Paris en 2000.

La construction constitue un secteur d’activité très important, représentant 10 % du PIB mondial. Le domaine du bâtiment et travaux publics représente à lui seul 6 % du PIB français (voir aussi le Chapitre de J. Méhu) et 28 % des emplois. C’est donc un poids très lourd de l’économie mondiale. C’est aussi, logiquement, un poids très lourd de la pollution mondiale : 40 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre en Europe (30 % dans le monde), 40 % de la consommation mondiale d’énergie sont liés à la construction ainsi que 40 % de la consommation des ressources natu-

relles et 40 % de la génération des déchets en volume. C’est ce qu’on appelle le « quatrequarante ». Comment agir maintenant pour développer une construction durable ? Le terme « durable » dépasse aujourd’hui son acception première de durée de vie des bâtiments. Il renvoie désormais à l’objectif moderne qui demande à l’activité de construction de se préoccuper de la préservation de la planète. Le cadre de la mission du constructeur se définit donc en fonction des hypothèses sur l’évolution de la planète et de sa population. Il commence par un exercice de prospective.

Alain Ehrlacher Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

matériaux de structures

Les

La chimie et l’habitat

LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION EST GLOBALEMENT RESPONSABLE DE : – 40 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre en Europe… (30 % dans le monde), – 40 % de la consommation mondiale d’énergie, – 40 % de la consommation des ressources naturelles, – 40 % de la génération de déchets (en volume).

Pour quel monde devons-nous maintenant construire ?

1

1.1. Le changement climatique et ses conséquences Figure 1 Évolution des concentrations atmosphériques en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4) depuis une trentaine d’années.

Il faut d’abord citer ses références. Elles proviennent essentiellement de trois documents : les rapports du sommet de Copenhague de 2009 sur le changement climatique,

380 CO2 (ppm)

CO2 360

340

CH4 (ppb)

1 700

1 600 1980

176

1990

La Figure 1, extraite du rapport qui a servi d’introduction au sommet de Copenhague sur le climat en 2009, rappelle l’augmentation des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) dans l’atmosphère depuis 1980. Il est maintenant admis que ces augmentations sont dues à l’activité de l’homme et que sa première conséquence est le réchauffement global de la planète. La Figure 2, extraite aussi de ce rapport, montre une augmentation de la température de la planète d’environ 1 °C en une centaine d’années. Ramenée à la masse de la planète ou à celle des océans, ce simple degré est considérable en termes d’énergie. Cette augmentation de température, comme la production de dioxyde de carbone et de méthane (gaz à effet de serre), est toujours active.

CH4

1 800

le rapport intitulé State of the Future, rédigé par une réunion de chercheurs internationaux, qui analyse divers aspects de l’évolution de l’humanité et de la planète ; le rapport GT 2030 du ministère de la Défense français, rapport « géostratégique » qui présente une prospective à l’horizon des trente prochaines années1. Ce dernier rapport donne des éléments d’information assez troublants et parfois quelque peu déprimants…

2000

2010

1. The Copenhagen Diagnosis (2009). Updating the World on the Latest Climate science ; The Millennium Project of the American Council for the United Nations University ; rapport de « Prospective géostratégique à l’horizon des trente prochaines années », GT 2030 du ministère de la Défense.

Température (déviation de la moyenne 1880-1920)

Le réchauffement climatique depuis 1850. Température globale moyenne entre 1850 et 2009 par rapport à la ligne de base de la période 1880-1920, estimée à partir des données de la NASA/ GISS et de Hadley.

0,8

0,6

0,4

0,2

0

Figure 3 –0,2

0,4 1840

Hadley GISS 1860

1880

1900

1920

1940

1960

1980

2000

2020

Année

Les modèles les plus pessimistes prévoient une augmentation de 7 °C en un siècle, les plus optimistes de 2 °C. On peut déjà constater certaines conséquences de ce réchauffement comme la fonte des glaces (Figure 3).

Le réchauffement climatique cause une augmentation du niveau des océans (Figure 4A), davantage consécutive d’ailleurs à la dilatation thermique de l’eau qu’à la fonte des glaces, qui aura des conséquences graves

A

B

C

D

Recul des glaciers. A) L’une des conséquences remarquables du réchauffement climatique est la fonte des glaciers. B) Le glacier d’Easton (États-Unis) a reculé de 255 mètres de 1990 à 2005. C) Le glacier de Valdez (Alaska) s’est aminci de 90 mètres au cours du dernier siècle et des sols désertiques sont apparus sur les bords du glacier du fait de son amincissement et de son recul. D) Image de la NASA montrant la formation de nombreux lacs glaciaires aux terminus des glaciers en recul au Bhoutan dans l’Himalaya.

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

Figure 2

1

177

Changement du niveau de la mer (cm)

La chimie et l’habitat

A

que tornades, sécheresse, inondations ou encore désertification (Figure 5).

Observations satellites

6

4

ns de

tio Prédic

2

l’IPCC

0

–2

Tide Gauges

–4 1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

Année

Changement du niveau de la mer par rapport à 1990 (cm)

B

500 400 300

WBGU, 2006 Delta Commitee, 2008 Rhamstorf, 2007

cti

je Pro

200

1.2. Les besoins démographiques

100 0

Data

1900

1950

2000

2050 2100 Année

Figure 4 A) Montée du niveau des océans due au réchauffement climatique. B) Les prévisions les plus optimistes indiquent que le niveau des océans aura monté de deux mètres en 2300. IPCC : Intergovernmental Panel on Climate Change. Tide Gauge est une unité de mesure relative du niveau de la mer prise par un instrument appelé marégraphe.

178

s on

Que faut-il retenir de tout cela du point de vue de l’activité de la construction ? C’est à la fois la perspective de futurs changements et cataclysmes et la grande incertitude qui demeure sur leur nature exacte et leurs intensités, provenant d’abord de l’incertitude sur le niveau des futures émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Toutes les écoles qui forment des ingénieurs doivent sensibiliser la profession – en particulier les futurs ingénieurs – pour que de moins en moins de CO2 soit émis par la production des matériaux de construction.

2150

2200

2250

2300

pour l’humanité. Sur la Figure 4A, on peut faire la triste constatation que la réalité a été proche de la prévision la plus pessimiste (Figure 4B). Si l’on extrapole jusqu’à l’année 2300, la version la plus optimiste prévoit que cette année-là, le niveau des océans aura monté de deux mètres. C’est énorme ; le découpage des côtes en serait profondément modifi é, nombre de villes et d’hectares de terres agricoles auront disparu. Par ailleurs, il est clair pour les experts que cette évolution du climat sera accompagnée de tout un cortège d’événements météorologiques tels

La construction est destinée à héberger la population ; il faut donc regarder les prévisions démographiques. La Figure 6B, extraite de GT 2030, montre de nouveau une forte dispersion des prévisions, mais un fort accroissement pour les cinquante prochaines années : en 1950, la population mondiale était de 2,5 milliards d’individus ; cette année, elle passe le cap des 7 milliards et la plupart des prospectives annoncent un chiffre de 9 milliards en 2050. Incidemment, on peut citer les prévisions du « Millennium Project » qui annoncent que la population pourrait redescendre à 5,5 milliards en 2100. Avec l’allongement de la durée de vie, cela signifierait une proportion énorme de personnes âgées, ce qui peut poser certains problèmes de gestion.

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat Cette augmentation considérable de la population est très inégalement répar tie sur la planète, comme l’illustre la Figure 6B. Mais les prévisions démographiques sont des prévisions à long terme. Aujourd’hui, la réalité du monde est que le taux de fécondité s’effondre partout, y compris en Afrique. Peu de pays ont un taux de fécondité au-dessus du seuil de renouvellement, égal à 2,1, et ceci annonce d’assez sensibles diminutions de la population sur notre planète aux alen-

tours de 2050-2100 (Figure 7). Ainsi l’Europe pourrait perdre 33 millions d’habitants entre 2010 et 2050. Le vieillissement de la population concerne directement les questions de construction. La Figure 8, qui donne la proportion des plus de 65 ans dans la population, est éloquente. Le vieillissement est le résultat des progrès de la biochimie et de la médecine et n’est pas parti pour s’arrêter ; ainsi en 2009, l’espérance de vie des Français a gagné quatre mois ! Ce chiffre

Figure 5 Tornades, inondations, désertification, sécheresse sont des conséquences du réchauffement climatique, indique la rapport de The Copenhaguen Diagnosis (2009).

179

14

A

Basse

A) Prévisions démographiques. B) Évolution de la population au Japon, en Russie et en Europe, de 1950 à 2050.

Moyenne

12

Élevée Constante

10 En milliards d’habitants

La chimie et l’habitat

Figure 6

8

6

4

2

0 1950

1975

2000

2007

2050

B 680

En millions d’habitants

580

480

Japon Russie

380

Europe

280

180

80 1950

Figure 7 Évolution de l’indice de fécondité dans le monde.

2007

2015

2025

2050

8 Afrique Asie Europe Amérique Latine et Caraïbes Amérique du Nord Océanie

7

6

5

4

3

2

1

0

180

1970-1975

2005-2010

2045-2050 (moyenne des hypothèses)

En fait, on continuera à avoir affaire à la poursuite du mouvement actuel de sur-urbanisation : l’essentiel des nouveaux habitants ira grossir les villes : on prévoit pour 2015 de nombreuses villes gigantesques à très for te population (Figure 9). L’urbanisation à grande échelle entraîne malheureusement la plupart du temps l’apparition de bidonvilles avec ses catastrophes humaines, sécuritaires et sanitaires. On doit donc prévoir la multiplication d’habitats dans des bâtiments de type « tour ». L’impératif sera de faire des constructions à très hautes caractéristiques mécaniques pour permettre les fortes charges qu’impliquent les grandes hauteurs. S’il faut certainement prêter attention aux matériaux bio-sourcés comme le bois, la paille (à propos des matériaux bio-sourcés, voir le Chapitre de D. Gronier), la priorité restera tout de même aux nouvelles variantes des bétons.

2

Les matériaux et leur empreinte écologique

2.1. Les principaux matériaux utilisés La Figure 10 présente l’ensemble des les matériaux utilisés par l’activité humaine. Pour la construction, on utilise essentiellement l’acier,

en % de la population Japon

25

Italie

France 20

États-Unis Russie Émirats arabes unis

15

Chine 10 Brésil

5

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

est impressionnant. Il est important de prévoir comment vivra cette population car les technologies de construction à utiliser ne seront pas les mêmes pour les paysans et pour les citadins (Figure 8).

Niger

0 1950

1975

le bois, le verre (le verre est abordé dans le Chapitre de J. Ruchmann), mais c’est le béton qui est de loin le matériau le plus utilisé ; on en fabrique la quantité colossale de 25 milliards de tonnes par an mondialement. Ce qui rend le béton difficilement remplaçable dans la construction, c’est sa résistance à la compression alliée à un coût raisonnable (le béton est également abordé dans les Chapitres de J. Méhu et J.-P. Viguier). La courbe de la Figure 11A présente différentes réalisations impor tantes en béton. En 1988, le pont de l’Île-de-Ré (Figure 11B) a été construit

2000

2025

Figure 8 Évolution de la part des plus de 65 ans.

181

La chimie et l’habitat

A 9 8 7

Cattenom. Les recherches continuent et les laboratoires promettent des matériaux de plus en plus résistants, l’avantage étant que de plus faibles quantités sont utilisées pour des performances équivalentes, mais l’inconvénient est qu’aux résistances élevées, le béton est cher. On utilise rarement des bétons à 200 MPa pour faire de la construction ; cependant, les évolutions techniques permettraient d’avoir des résistances de plus en plus élevées, avec des prix de plus en plus élevés.

6 5 4 3 2 1 0

1950

1975

2000

Urbaine

2005

Rurale

2050

Total

2000

1950

Pekin Tokyo Osaka Shanghaï Manille

Los Angeles Mexico

B New York

New York Le Caire

Jakarta Osaka Calculta Bombay Karachi Delhi

Lagos 101 100

Rio de Janeiro São Paulo Buenos Aires

26,4

Population (en millions)

1975 Tokyo

Mexico

Shanghai New York

avec un béton qui atteignait 80 MPa, valeur considérée comme exceptionnelle à l’époque. Le ductal®, qui est un matériau atteignant 200 MPa, a permis de faire la tour aérofrigérante de la centrale électronucléaire de

Figure 10

1012

Métaux

Polymères

1010 109 108 107 106 105

Autres

Béton

Pétrole et charbon Acier

Asphalte

Alliages Al PE PVC PP Alliages Cu PET Alliages Zn Alliages Pb Alliages Ni Alliages Mg Alliages Ti Argent

104 Or

103

182

Céramiques

1011 Production annuelle (tonnes/an)

Production annuelle des principaux matériaux utilisés (échelle logarithmique). PE : polycarbonate, PVC : chlorure de polyvinyle, PP : polypropylène, PET : polyester.

Jakarta Bangkok Dakha Calcuta Hyderabad Bombay Karachi Dehli

Lagos Rio de Janeiro São Paulo Buenos Aires

São Paulo

A) Population rurale et urbaine dans le monde, de 1950 à 2030 (en miliards) ; B) Agglomérations de plus de 10 millions d’habitants. (GT 2030)

L’empreinte écologique est le point noir des bétons, devenus très performants du point de vue des constructeurs. Si la construction est responsable de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (voir le « quatrequarante » cité en introduction de ce chapitre), quelle est la part qui doit en être attribuée aux matériaux ? Le bilan énergétique de la consommation moyenne d’un logement en Europe est environ : 50 % dus au chauffage des locaux,

New York Istambul Le Caire

Figure 9

2.2. Les empreintes écologiques

Tianjin Pekin Tokyo Osaka Shanghai Manille

2015 Los Angeles Mexico

102

Verre Brique

Laine Fibres naturelles Fibres synthétiques

Fbres de carbone

Ductal° Aéroréfrigérant de Cattenom (EDF, Bouygues 1998)

B

200 150

Pont de l’Île-de-Ré (Bouygues 1988)

100 50 0 1900

1920

1940

25 % dus au chauffage de l’eau sanitaire et 25 % dus aux divers équipements (voir aussi le Chapitre de D. Quénard). En valeurs absolues, il s’agit d’environ 200 kWh par m2 et par an. Rapporté à l’énergie cumulée sur cinquante ans, estimation conservatoire car la durée de vie d’un bâtiment est plutôt de l’ordre de cent ans, on trouve que « l’usage » (c’est-à-dire l’exploitation du bâtiment) est responsable de 83 % de la consommation énergétique totale sur tout le cycle de vie (Figure 12). L’énergie dépensée pour la fabrication des matériaux ne représente que 12 % ; le chantier ainsi que la maintenance du bâtiment coûtent peu, de même que sa démolition en fin de vie. En résumé, la consommation d’énergie et la production de CO2 associées au bâtiment sont essentiellement liées au chauffage. Une priorité appelée par l’objectif d’économie d’énergie est donc de développer des « usages » moins coûteux en énergie et donc des matériaux isolants performants. En valeurs absolues, la France totalise plus de 70 millions de tonnes d’équivalent pétrole

1960

1980

2000

d’énergie dépensée pour le domaine de la construction en 2008. Les bâtiments présentent une moyenne de consommation d’environ 240 kWh/m2/an pour les 31,6 millions d’habitations qui existent en France (dont la superficie est d’environ 670 000 km²). L’objectif de la profession est d’atteindre 15 kWh/m2/an, et l’on en est encore très loin. À côté de labels « bâtiments basse consommation (BBC) », un label « bâtiment à énergie positive » a été introduit (voir les Chapitre de D. Quénard et J. Souvestre). L’école nationale des ponts

Figure 11 A) Évolution des performances du béton au cours du XXe siècle. B) Construction du pont de l’Îlede-Ré (1987).

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

Résistance en compression du béton (MPa)

A

Figure 12 Détail de la consommation énergétique d’un logement en Europe.

Énergie cumulée sur 50 ans : Démolition Maintenance

1% 3%

Consommation moyenne d’un logement en Europe Total : 200 kWh/m2/an Cuisson 7%

Usage

83 %

Éclairage et appareils 11 %

Chauffage 57 %

Eau chaude sanitaire 25 %

Construction Matériaux

1% 12 %

183

La chimie et l’habitat 184

et chaussées construit à côté de son bâtiment actuel à Marne-la-Vallée un bâtiment à « énergie positive » – il correspond à un investissement important, mais représentera un outil exceptionnel pour la formation qui montrera aux jeunes ingénieurs que l’on peut construire un bâtiment qui produit plus d’énergie qu’il n’en consomme. La réalité de la situation de la construction en France, et dans les pays occidentaux d’une manière générale, est qu’elle est dominée par le grand nombre de constructions datant de l ’après-guerre – environ 21 millions. Pour les bâtiments construits entre les années 1949 et 1974, la consommation n’est pas de 240 kWh/m2 /an, mais de 350 kWh/m2 /an. C’est donc en traitant ce stock de logements que l’on pourra espérer tenir les objectifs environnementaux, à savoir diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Pour comparaison, rappelons qu’actuellement, on ne renouvelle annuellement que moins de 1 % du parc. La priorité pour les pays développés est ainsi la réhabilitation du parc ancien, et les industriels travaillent actuellement d’arrache-pied à l’invention de nouveaux matériaux – à l’exemple des prometteuses « mousses de gel » – pour l’isolation. À ce stade, on peut citer les résultats de modélisations thermiques qui quantifient l’importance des ponts thermiques. Ils montrent qu’en divisant par trois la conductivité thermique du matériau de façade, on économiserait 35 % de l’énergie nécessaire au chauffage du bâtiment ; le renforcement de

l’isolation des façades apparaît ainsi comme particulièrement important. En dehors de l’Europe, certains pays ont des croissances extrêmement élevées et leur besoin prioritaire va vers des constructions nouvelles. Par exemple en Chine, on construit deux milliards de mètres carré par an, soit 50 % de la construction nouvelle mondiale, et les besoins chinois continuent à croître au rythme considérable de 22 % par an. D’autres pays ne sont pas en reste : au Brésil, les besoins ne sont pas au même niveau, mais croissent tout de même au rythme de 8 % par an – et en l’occurrence pour des habitations qui ont des critères de confort compar ables aux nôtres. Pour la construction dans les pays émergents, la priorité se porte vers la sélection de matériaux de structure que l’on va vouloir « écologiques » (à faible émission de CO 2) et pas seulement de matériaux d’isolation comme c’est le cas dans les pays développés. Béton et émission de CO2 Comme nous l’avons vu, pour ses propriétés mécaniques, le béton reste le matériau chéri de la construction. Son inconvénient est d’être fabriqué à partir d’un matériau « peu écologique », le ciment. À vrai dire, une tonne de béton ne contient qu’un kilogramme de ciment et c’est quelque peu injustement que le béton est stigmatisé (Figure 13). Le caractère « peu écologique » du béton prend sa signification quand on considère les énormes quantités

Émissions de CO2 (kg/kg)

Émissions de CO2 en fonction de l’énergie grise. L’énergie grise correspond à la somme de toutes les énergies nécessaires à la production, la fabrication, l’utilisation et le recyclage des matériaux ou produits industriels.

Acier vierge

3 2,5

Aluminium recyclé

2 1,5 Ciment

1

0,5 Béton 0 0

Bois

Bois multicouche Verre

Acier recyclé Maçonnerie 10

20 Énergie grise (MJ/kg)

qui en sont produites, qui représentent actuellement environ 1 m 3 de ciment par an et par personne sur la planète, à comparer aux 200 kg d’acier. D’après des chiffres cités par le GIEC, l’industrie du ciment présente 6,97 % des émissions mondiales de CO2, et l’industrie de l’acier 4,83 %. La forte émission de CO2 associée à l’industrie du béton provient pour partie de la forte consommation en énergie du procédé de fabrication, qui est un procédé à très haute température et pour partie du procédé lui-même qui fait intervenir une réaction chimique qui produit du CO2 – la décomposition du calcaire sous l’effet de la chaleur en chaux et en CO 2 . Pour faire une tonne de ciment, on émet dans l’atmosphère 400 kg de CO2, qui s’ajoutent aux émissions liées au chauffage du système. Au total, c’est l’importante quantité de 850 kg de CO2 qui est émise par tonne de ciment. Comment résoudre ce problème du dégagement de CO2 qui semble inévitable, au vu des besoins croissants en béton ? La première idée est de

30

40

récupérer le CO2 produit dans les usines de fabrication de ces matériaux et de le stocker.

Le stockage du CO2, espoir, difficultés et risques

3

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

Figure 13

1 tonne de béton ≈ 100 kg de ciment

Malgré la nocivité du CO2 dans l’atmosphère du point de vue du changement climatique, on ne peut envisager de se passer d’en rejeter, en dépit des efforts qui sont faits pour remplacer les procédés qui en produisent par des procédés écologiques. Ainsi, il existe de grandes réserves de charbon sur la planète, suffisantes pour plusieurs siècles et situées dans des pays en train de se développer comme la Chine, et qui vont bien entendu le consommer. Il y a donc lieu de chercher à neutraliser l’effet nocif des concentrations de CO2 dans l’atmosphère. Le stockage du CO 2 , technique encore à l’étude, est développé dans cet objectif. Le principe en est très simple : le CO 2 produit en grande quantité dans une installation industrielle est d’abord récupéré puis débarrassé des fumées et des gaz qui

185

La chimie et l’habitat

l’accompagnent ; on le stocke ensuite dans des réservoirs souterrains, où l’on espère qu’il va y rester pendant environ un millier d’années. Le GIEC, dans son rapport GIEC3, estime qu’il y a une fourchette entre 15 et 55 % de l’ensemble des réductions d’émissions de CO 2 à l’horizon 2100 qui pourraient être faites grâce aux techniques de stockage. Le CO 2 fait déjà l’objet de stockages à titre expérimental dans le monde, mais l’on rencontre de très nombreux obstacles qu’il faut résoudre avant d’en faire un procédé industriel :

− dresser un bilan des sites d’injection possibles et estimer la capacité de stockage de CO2 sur la planète, aujourd’hui très mal connue.

Pour un exemple un peu plus détaillé, on peut considérer le stockage du CO2 dans une formation de charbon. Le charbon est une roche qui contient des nano-pores sur lesquels les gaz viennent s’adsorber. Le CO 2 introduit chasse le méthane qui occupe généralement ces formations, ce méthane étant récupéré et utilisé. Le CO2 n’a pas la même action sur la roche que le méthane et exerce une pression physique qui voudrait dilater la roche. Or les zones dans lesquelles on veut stocker sont des zones profondes où elle ne peut pas se dilater. Elle doit donc gonfler et referme ses fissures, provoquant une perte de perméabilité. À l’issue de ce processus, la veine étant devenue imperméable, on ne peut plus introduire de CO2. Des recherches sont actuellement conduites pour comprendre le fonctionnement des sites de stockage.

Voici quelques exemples de recherches qui sont menées au laboratoire de l’École nationale des ponts et chaussées autour du stockage de CO2. On étudie les comportements des bouchons en ciment, destinés

2. Voir aussi l’ouvrage La chimie et la mer, ensemble au service de l’homme. Chapitre de S. Blain. Coordonné par Minh-Thu DinhAudouin, EDP Sciences, 2009.

− comprendre la faisabilité et les impacts du stockage à long terme (typiquement un millier d’années). La technologie nécessaire pour réaliser les opérations est à développer. L’un des points importants est de pouvoir séparer le CO2 en usine, sans que cela ne coûte trop cher en énergie ; − assurer l’étanchéité du réservoir. S’agissant d’un millier d’années, on comprend bien que ce n’est pas simple à réaliser et à garantir. Les espoirs initiaux d’utiliser les réservoirs ayant contenu du pétrole ou du charbon se heurtent à des difficultés techniques ;

186

aux très grands réservoirs dans lesquels on veut stocker le CO 2 et en particulier aux réservoirs de type « veine de charbon ». Dans un autre programme, on étudie les stockages par carbonatation bactérienne2 puisque c’est une façon alternative de stocker le CO2. Le concept en est inspiré par l’observation des roches calcaires qui nous entourent et qui sont produites par l’activité vivante ; ces roches peuvent être vues comme des sites de stockage de CO2.

Des matériaux « bio-sourcés » pour limiter l’empreinte écologique

4

La thématique « matériaux et écologie » conduit à évoquer les matériaux « bio-sourcés » (voir aussi le Chapitre de D. Gronier). Le bois est un excellent matériau et largement utilisé, y compris pour des bâtiments de plusieurs étages. Sa limitation vient de ce que l’état des ressources en bois est très inégalement réparti sur la planète. D’après un rapport de l’United nations environment programm (UNEP), on consomme mondialement environ 400 kg de bois par an et par personne. Remplacer 1 m3 de béton par du bois rajouterait, à ces 400 kg, 700 kg par an et par personne ; la ressource en bois est simplement insuffisante et ne peut être retenue pour construire les grands bâtiments nécessaires pour héberger en zones urbaines les milliards de personnes qui vont venir grossir la population de la planète. Le bois reste naturellement un matériau de choix, même s’il

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

Un stockage de CO2 est une installation potentiellement dangereuse, eu égard à la très grande quantité de gaz concernée. Il faut évidemment travailler cette question qui conditionne l’appropriation sociale de cette technique de lutte contre l’effet de serre. La maîtrise du risque est donc un sujet de préoccupation tout à fait essentiel, au point qu’elle constitue maintenant un domaine scientifique très actif et régulièrement appliqué au stockage du CO2.

ne peut prétendre satisfaire tous les besoins. Le Chapitre de J.-P. Viguier présente ainsi une construction entièrement en bois comme création moderne. À l’École des ponts, on apprécie particulièrement l’association du bois avec du béton, de préférence du béton de très haute performance. La Figure 14 illustre le type de poutre que l’on y fabrique. Le bois résiste très bien aux tractions, le béton très bien aux compressions. Pour le laboratoire, on fabrique de très grandes poutres sur lesquelles sont pratiqués des essais de rupture. Le mécanisme de ruine apparaît sur la Figure 15. L’analyse des courbes ef for ts-déplacements de ce genre de poutre convainc aisément que l’association du bois et du béton est une excellente solution pour les constructions d’avenir. On a parlé de construction en paille, on a évoqué le torchis de nos anciens (voir le Chapitre de J.-C. Bernier), mais il y a beaucoup plus simple encore. Des recherches menées par l’École des ponts en

Figure 14 Poutre mixte bois-béton.

187

La chimie et l’habitat

Figure 15 Des essais de rupture sont pratiqués au laboratoire sur de très grandes poutres en bois, ce qui permet d’étudier les mécanismes de ruine.

Figure 16 Petit bâtiment prototype avec des murs en paille, réalisé par des élèves du professeur Olivier Baverel.

188

association avec l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble ressuscitent et modernisent ce vieux concept. Le bâtiment prototype est un simple empilement de bottes de paille que l’on recouvre de terre (Figure 16). On équipe ce bâtiment de toute la panoplie de capteurs nécessaire et l’on obtient le confort absolu : régularité thermique, régularité hydrique, ce qui donne un excellent habitat. La question de la durée de vie du bâtiment se pose légitimement, mais la réponse issue de l’expérience profonde des vieux murs de terre et de paille est très positive. Pour les bâtiments de faible hauteur, cette solution est en fait tout à fait pertinente : si vous avez des bottes de paille, construisez votre pavillon avec cela !

Composants minéralogiques du ciment.

Même la bonne vieille terre pourrait ainsi, par certains côtés, être considérée comme matériau de construction moderne, mais elle ne se prête pas à la construction de bâtiments de grande hauteur, pourtant rendu nécessaire par l’évolution démographique et ne peut être considérée sérieusement. Qu’on le veuille ou non, il faut recourir au béton, et l’on n’a pas le choix !

Des liants hydrauliques alternatifs

5

La cohésion entre les éléments de construction qui assurent la solidité du bâtiment et son étanchéité est assurée par des « liants hydrauliques » qui sont mis en forme à l’état liquide ou pâteux et sont préparés directement sur le chantier. Le liant hydraulique le plus utilisé est le simple ciment (voir aussi le Chapitre de J. Méhu), qu’on appelle aussi le « clinker ». Il est fait d’un mélange de 80 % de calcaire et 20 % d’argile, que l’on fait chauffer dans des fours qui tournent lentement. Au cours de cette étape, des réactions chimiques se produisent, dont la principale est la décarbonatation du carbonate de calcium, qui donne de la chaux vive et du CO 2 . L’argile elle-même se scinde en silice et en alumine. Ces trois composés, qui sont les trois principaux de pratiquement tous les matériaux de construction, se combinent pour donner des silicates et des aluminates de chaux. C’est cette dernière étape qu’on appelle la « clinkerisation ». Ce clinker, broyé finement, se dissout facilement dans l’eau et

Formule chimique

Formule abrégée

Dénomination

3CaO.SiO2

C 3S

Silicate tricalcique – Alite

2CaO.SiO2

C2S

Silicate dicalcique – Belite

3CaO.Al 2O3

C 3A

Aluminate tricalcique – Celite

4CaO.Al 2O3.Fe2O3 C 4 AF

Aluminoferrite tétracalcique

3CaO.MgO.2SiO2

C 3MS2

Merwinite

2CaO.MgO.2SiO2

C2MS2

Akermanite

2CaO.Al 2O3.SiO2

C2 AS

Gehlenite

CaO.SiO2

CS

Wollastonite

CaO.SO3

CS

Anhydrite

donne naissance à une variété d’hydrates qui précipitent et forment des cristaux qui s’enchevêtrent et se gênent dans leurs mouvements : c’est le mécanisme de base de la cohésion du matériau. Du point de vue du développement durable, ces transformations produisent malheureusement 850 kg de CO 2 par tonne de ciment produit – 400 kg liés à la décarbonatation et 450 kg à l’énergie de fabrication.

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

Tableau 1

Pour comprendre plus en détail les propriétés des matériaux de construction, il faudrait aller au-delà de leur composition chimique et considérer aussi leur état minéralogique, qui joue un rôle très important (Tableau 1). La silice et l’alumine peuvent s’associer de très nombreuses façons, dont le Tableau 1 montre les majoritaires dans le ciment anhydre avant l’hydratation. À partir de la synthèse de base, produisant les composés de base, chaux, silice et alumine, il existe une variété de liants hydrauliques. On peut par exemple rajouter du

189

La chimie et l’habitat

sulfate de calcium : on appelle le résultat CSA, d’utilisation courante. Un liant hydraulique particulièrement intéressant est produit à partir du laitier granulé de haut fourneau. Ce produit contient de nombreux constituants, mais principalement, là encore, de la chaux, de la silice et de l’alumine. Il ressemble donc beaucoup à nos clinkers, à la différence près qu’il cristallise très facilement et devient alors inutilisable. L’une des raisons de l’intérêt de l’utilisation du laitier est en fait artificielle et liée à la façon dont on calcule les bilans CO2. Le laitier est un déchet de la fabrication de l’acier et, en tant que « déchet », il ne lui est affecté aucun bilan carbone (émission zéro) ; par convention, le bilan carbone correspondant est en effet affecté à l’acier, produit principal du haut fourneau et non à ses déchets de procédé. Si dans la fabrication du ciment, on remplace le clinker, qui produit du CO2, comptabilisé comme tel, par du laitier, on peut économiser – du fait des conventions de calcul des émissions de CO2 – jusqu’à 95 % de l’émission de CO2 attribuée au ciment. On produit environ 250 millions de tonnes de laitier par an dans le monde, c’est-à-dire à peu près 10 % de la production actuelle de ciment.

190

L’introduction de laitier dans le ciment fait de très beaux matériaux, ressemblant au ciment blanc. Les compositions des différents produits contenant plus ou moins de laitier, plus ou moins de clinker sont très similaires ; il y a là un moyen d’agir finement sur la composition chimique du ciment, la limite des variations étant

de conserver la possibilité de leur mise en œuvre. Ceci ne va pas de soi, car le laitier ne se dissout pas simplement dans l’eau : quand il se refroidit, il vitrifie et stocke donc l’énergie qui le sépare de l’état cristallin. Cette énergie permet ensuite de dissoudre le laitier dans une eau – qui incidemment doit être alcalinisée. Après dissolution du laitier, on observe des précipitations de composés sous forme d’hydrates. Cette précipitation fait bien sûr baisser la concentration de certains éléments, d’où nouvelle dissolution, nouvelle précipitation et ainsi de suite. La formation du squelette cimentaire en résulte. Selon la manière dont on essaye de dissoudre le laitier, on peut obtenir toutes sortes de cristaux très spectaculaires. Parmi d’autres concepts de liants hydrauliques, on pourrait citer les cendres volantes qui contiennent de la silice et de l’alumine mais pas de chaux, et partagent avec les laitiers la propriété d’être produites en très grandes quantités (780 millions de tonnes de cendres volantes sont produites chaque année dans le monde, dont on n’utilise que 14 %, tout le reste étant mis en décharge) et d’être affectées d’un bilan carbone nul puisqu’elles sont considérées comme des déchets (voir aussi le Chapitre de J. Méhu). On peut aussi citer les géopolymères 3. À partir de produits 3. Voir par exemple : Joseph Davidovits (2002). 30 Years of Successes and Failures in Geopolymer Applications. Market Trends and Potential Breakthroughs. Geopolymer, Conference, October 28-29, 2002, Melbourne, Australia.

Quand le rapport Si sur Al est légèrement supérieur à 2, un réseau de polymérisation se forme et fournit une matrice solide. De très hautes propriétés mécaniques, jusqu’à 50 MPa, peuvent être atteintes avec un produit radicalement différent du béton dans lequel on a affaire à un enchevêtre de cristaux4.

Le défi des matériaux de structure se présente bien Il n’est plus guère d’hésitation sur la nécessité de contrôler les émissions anthropiques de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ; tous (presque) admettent que les évolutions démographiques à venir et l’accroissement prévisible du niveau de vie des populations vont être cause d’une dangereuse dégradation du climat si aucune mesure n’est prise pour réduire les émissions. Le secteur de la construction, responsable de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe, ne peut rester passif devant cette situation. Le concept de « matériau écologique » imprègne maintenant tous les professionnels du bâtiment. Il s’agit d’orienter le choix des matériaux de construction d’une part en fonction d’une relativement faible émission de CO2 – apprécié sur toute la vie du matériau – et d’autre part en veillant à l’économie des ressources naturelles. Le ciment classique, dont la fabrication demande une grande quantité d’énergie, est malheureusement peu « écologique ». Devant cette situation, les laboratoires ont travaillé sur de nouvelles façons d’utiliser le bois – par exemple en conjonction avec 4. Cette famille de matériaux est particulièrement étudiée à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), par Guillaume Habert.

Les matériaux de structures du « développement durable » pour l’habitat

à base de silice et d’alumine, au lieu de faire des cristaux qui, comme on l’a vu, s’enchevêtrent et frottent, on est capable de les assembler par polymérisation. Les géopolymères sont ainsi des ensembles de groupes SiO3/AlO3 accolés par un atome d’oxygène pour former des chaînes.

191

La chimie et l’habitat

le béton. Ils ont aussi développé de nouvelles formulations à base de silice ou d’alumine et fournies sous forme de laitier ou de cendres volantes. Ces « matériaux écologiques » ne sont pas uniquement de faibles émetteurs ; ils se révèlent également tout à fait performants pour la qualité des constructions.

Pour aller plus loin : UNEP Sustainable Building and Climate Initiative, 2006. Worldwide Trends in Energy Use and Ef ficienc y – Key Insights from IE A Indicator Analysis (2008). IEA. (Fichier pdf accessible sur : http://iea. org/publications/free_new_ Desc.asp?PUBS_ID=2026.) UNEP Industry and environment, 2003. OECD Measuring material flows and resource productivity, 2008. (Fichier pdf accessible sur : w w w.oecd.org/dataoecd/46/ 48/40485853.pdf.)

192

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vitrages :

laissez entrer la

lumière !

Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Cachan, ingénieure diplômée de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Paris (ENSCP), agrégée de sciences physiques option chimie et docteur en physico-chimie des polymères, Juliette Ruchmann est ingénieure de recherche à Saint-Gobain Recherche (Aubervilliers) (Encart : « De Louis XIV à nos jours : les origines du verrier SaintGobain ») où elle travaille sur de nouveaux vitrages aux propriétés étonnantes.

DE LOUIS XIV À NOS JOURS : LES ORIGINES DU VERRIER SAINT-GOBAIN Saint-Gobain est riche d’une longue histoire internationale qui commence en France en 1665, avec la création de la Manufacture des Glaces de Miroirs par le roi Louis XIV et se poursuit par la fusion avec Pont-à-Mousson en 1970, point de départ des différentes évolutions qui configurent le Groupe aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires de 37,8 milliards d’euros en 2009, une présence dans 64 pays et plus de 190 000 salariés. Aujourd’hui, Saint-Gobain, devenu leader mondial de l’habitat, est un pionnier de « l’habitat durable » innovant constamment dans le domaine des matériaux et particulièrement des vitrages.

Juliette Ruchmann Les vitrages : laissez entrer la lumière !

Les

La chimie et l’habitat

Agriculture 2%

Transports 30 %

Résidentiel et tertiaire 40 % Sidérurgie 9% Industrie 19 % Cuisine 7% Éclairage 11 %

photovoltaïques en le rendant conducteur de l’électricité (voir le Chapitre de D. Lincot), proposer un matériau-verre pour les nouveaux t ypes d’écrans réclamés par les progrès de la communication, le rendre autonettoyant, améliorer ses propriétés mécaniques, le rendre résistant aux rayures, ou encore améliorer ses performances thermiques (vitrages à isolation thermique renforcée, vitrages de contrôle solaire)… La liste peut être longue ! 1.2. L’isolation des bâtiments, clé de l’économie d’énergie

Chauffage 57 % Eau chaude 27 %

Figure 1 Les bâtiments sont les plus gros consommateurs d’énergie en France, le chauffage constitue le pôle de consommation le plus important.

194

Le « matériauverre », réponse à un besoin d’économie d’énergie

1

1.1. Les multiples fonctions du verre Le « matériau verre » dans son utilisation en tant que vitrage dans l’habitat s’est aujourd’hui éloigné du verre brut. Modifié par des dépôts de couches minces diverses, choisies pour répondre à des cahiers des charges fonctionnels, il a évolué en matériau de haute technologie. Si l’on peut adapter l’esthétique du verre en le colorant ou en lui appliquant un traitement anti reflet pour réaliser des vitrines commerciales attrayantes, on peut aussi adapter le verre aux applications

Le bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie finale en France (Figure 1) avec 40 % du total (voir aussi les Chapitres d’A. Ehrlacher et de D. Quénard), ainsi qu’il ressor t des analyses de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Ceci fi xe à la profession l’ardent objectif de réduire les pertes thermiques associées au contrôle de la température des bâtiments ; dans cette course à l’amélioration de l’isolation thermique et grâce aux avancées technologiques récentes, l’utilisation du matériau verre représente un atout majeur (Figure 2).

2

Les propriétés thermiques du verre

Il y a lieu de revenir aux fondamentaux de la physique du transfert thermique (Figure 3). Soit une paroi maintenue à deux températures différentes, T1 à l’intérieur, T2 à l’extérieur. La thermodynamique stipule

Schéma thermique d’une habitation. Les pertes thermiques dans l’habitat (par chauffage) viennent des : portes et fenêtres (13 %), murs (16 %), toits (30 %), sols (16 %), ventilation (20 %), ponts thermiques (5 %).

qu’en l’absence de couplage extérieur, ces deux températures vont évoluer jusqu’à devenir égales (équilibre thermique) par transfert de chaleur du point chaud vers le point froid. La facilité avec laquelle ce transfert s’effectue est quantifiée par le coefficient de transfert thermique U, qui s’exprime en watt par mètre carré et par Kelvin (W/m²/K) et est calculé selon la norme EN 673. Les phénomènes physiques à la base du transfert thermique sont :

Les vitrages : laissez entrer la lumière !

Figure 2

− la conduction, qui dépend de la conductivité du matériau (1,4 W/m²/K pour le verre et 0,03 W/m²/K pour l’air) ; − la convection, qui est liée au transport de matière. Sur une surface vitrée, la température n’est pas forcément uniforme et le milieu en contact avec les surfaces – l’air, l’eau, etc. – se déplace ; il peut ainsi « emporter » de la chaleur et participe donc au transfert thermique ; − le rayonnement (Figures 3 et 4). Le spectre solaire irradie

Figure 3 Les trois modes de transfert thermique à travers une paroi en verre : par conduction, par convection et par rayonnement.

195

La chimie et l’habitat

W/m2nm

W/m2nm 1,5 Radiation solaire

Radiation thermique

1

0,03

0,02

0,5

0,01

émission d’un corps noir à 20 °C

Visible

0

0 100 %

Transmission

50 %

du spectre visible et du proche infrarouge. En revanche, il absorbe pratiquement toute la lumière de l’infrarouge thermique comme schématisé sur la Figure 4. Ainsi le rayonnement thermique qui provient de l’intérieur chauffé d’une pièce est-il absorbé par le verre puis réémis des deux côtés ; le bilan thermique global est un transfert de chaleur à travers le verre, de l’intérieur vers l’extérieur, entraînant une diminution de la température de la pièce.

Réflexion 0 0,2

0,5

1

2

5

10

20

50

Logueur d’onde (µm)

Figure 4 Spectres de transmission et de réflexion du verre en fonction de la longueur d’onde. Le verre est transparent dans le visible et dans le proche infrarouge. Par contre, il absorbe dans l’infrarouge lointain (longueur d’onde > 5 μm) dont il est mauvais réflecteur : il réémet ces rayons et transfère de la chaleur.

196

dans le visible, dans l’ultraviolet (UV) aux plus courtes longueurs d’onde et dans l’infrarouge (IR) aux plus grandes longueurs d’onde (voir aussi le Chapitre de M.J. Ledoux, Figure 3). Plus précisément, ce spectre contient 5 % d’énergie dans l’ultraviolet (longueur d’onde inférieure à 0,4 μm), 50 % de son énergie dans le spectre visible (longueur d’onde entre 0,4 et 0,8 μm) et 45 % dans l’infrarouge. Dans ce dernier domaine, on distingue le proche infrarouge, juste à côté du visible, et l’infrarouge lointain. Les corps émettent tous des radiations : aux températures proches de l’ambiante, ils émettent principalement dans l’infrarouge lointain, appelé aussi, pour cette raison, infrarouge thermique. Transparent et peu réfléchissant sur tout le spectre solaire, le verre est capable de transmettre la lumière solaire

3

Du simple au triple vitrage

Les valeurs des coefficients de transfert thermique et donc les ordres de grandeur des contributions des trois phénomènes physiques impliqués (conduction, convection, rayonnement) sont bien documentés et permettent le dimensionnement du vitrage en fonction des objectifs à atteindre. Dans le cas d’un simple vitrage, le transfert thermique se fait essentiellement par conduction. Pour un verre de 4 mm d’épaisseur, le coefficient U est environ 5,8 W/m²/K, et le transfert de chaleur à travers le verre est aisé. Augmenter l’épaisseur du verre a peu d’effet, puisque la valeur de U diminue seulement de 5,8 à 5,4 W/m²/K en passant de 4 mm à 19 mm : pour obtenir un vitrage suffisamment isolant (U proche de 1 W/m²/K), il faudrait lui donner une épaisseur de 70 cm (Figure 5) ! L’introduction entre deux plaques de verre (double vitrage) d’une lame d’un gaz (air ou argon) à très faible

Les vitrages : laissez entrer la lumière !

conductivité thermique permet une très forte réduction des pertes par conduction (voir aussi le Chapitre de J.-C. Bernier). Dans le cas d’argon à pression ordinaire (conductivité de 0,025 W/m²/K), le gain est ainsi d’un facteur 2 ; la perte résiduelle est alors due au rayonnement. Un perfectionnement supplémentaire consistant à ajouter une couche mince sur la surface du verre pour réfléchir l’infrarouge lointain (Figure 6) donne le matériau dit « verre de haute technologie ». Sur une plaque de verre « float »1 classique, on dépose une couche dite « basse émissive » qui laisse passer le spectre visible, préservant la propriété de transparence, mais réfléchit l’infrarouge thermique avec une grande effi cacité. Le verre absorbe toujours le r ayonnement thermique, mais ne le réémet plus vers l’extérieur mais vers l’intérieur sous l’effet de la couche « basse émissive » qui le réfléchit. Le transfert thermique par rayonnement est ainsi considérablement atténué avec des valeurs de U de l’ordre de 1,1 W/m²/K. Le progrès par rapport au double vitrage – pour ne pas men-

1. Le procédé du Float à été établi par le groupe Pilkington en 1952 et instaure désormais la norme internationale pour la production du verre plat de haute qualité. Un mélange de verre recyclé (calcin), de sable de silice, de chaux, de soude et d’oxydes est versé sur un bain d’étain à sa sortie du four. Le verre flotte sur l’étain, ce qui lui confère une surface très lisse et des qualités optiques exceptionnelles. La vitesse de la coulée est le paramètre qui détermine l’épaisseur du verre.

Figure 5 Schéma du fonctionnement thermique d’un simple vitrage. L’échange thermique entre l’intérieur et l’extérieur étant lié principalement à la conduction dans le verre, l’isolation ne dépend alors que de son épaisseur. Pour commencer à avoir une bonne isolation, il faudrait un verre épais de 70 cm !

Figure 6 Principe de l’isolation thermique par double vitrage. L’efficacité de l’isolation dépend de la nature et de l’épaisseur du volume de gaz. On arrive ainsi à diviser par deux l’énergie thermique échangée par rapport à un simple vitrage.

197

La chimie et l’habitat

− en utilisant le vitrage sous vide – le vide étant le meilleur isolant possible. La limitation d’usage provient de problèmes technologiques, la cavité sous vide devant être parfaitement étanche. En résumé, en passant du simple vitrage au double vitrage puis au double vitrage bas émissif, le gain est tel qu’on égale presque avec le verre la performance d’isolation d’un mur (Figure 8).

Gagner en énergie en contrôlant la transmission de la lumière

4 Figure 7 Principe de l’isolation thermique par vitrage « bas émissif ». Dans un double vitrage classique, le transfert thermique résiduel est, pour 70 %, dû au rayonnement. Si l’on ajoute une couche basse émissive qui bloque la transmission de l’infrarouge lointain (peu de transmission + réflexion élevée), le transfert thermique est réduit d’un facteur trois par rapport à un double vitrage classique et d’un facteur six par rapport à un simple vitrage.

tionner le simple vitrage – est spectaculaire (Figure 7). Des progrès de performances au-delà de celles du double vitrage bas émissif sont obtenus de plusieurs façons : − en utilisant du triple vitrage, c’est-à-dire en répétant ce qui a été fait pour le double vitrage, la présence de deux lames d’air au lieu d’une seule diminuant encore la conduction ;

Si seul comptait le critère d’isolation thermique, la « maison basse consommation » se concevrait comme une habitation à très peu d’ouvertures, très peu de fenêtres et donc très peu de verre. Mais, à côté des « pertes thermiques », il y a lieu de considérer les « gains thermiques » qui correspondent à la quantité d’énergie apportée par la lumière et le soleil. Les pertes sont quantifiées par le paramètre U (voir le

6

U en W/m2/K

4

5,8 2 2,7 1,1 0

Figure 8 198

Technologies successives pour l’isolation thermique.

SIMPLE VITRAGE 4 mm

DOUBLE VITRAGE sans couche

DOUBLE VITRAGE bas émissif

0,5 TRIPLE VITRAGE bas émissif

0,36 MUR avec une bonne isolation (selon RT 2005)

Les vitrages : laissez entrer la lumière !

paragraphe 2) et les gains par le facteur solaire2 g. Le bilan énergétique global, tenant compte à la fois des pertes et des gains, peut être rendu positif ; un vitrage serait alors plus performant qu’un mur (Figure 9). Un calcul a été effectué sur un bâtiment localisé à Stuttgart (Allemagne). Il montre que même avec l’emploi du triple vitrage, les pertes thermiques sont beaucoup plus importantes via les vitres que via les murs. En revanche, avec un facteur solaire g égal à zéro pour le mur (aucun apport de chaleur par le soleil) et à 60 % pour les vitres, un gain très important est mis en évidence sur la face sud (très ensoleillée) et un gain moins important mais encore positif pour la face nord. Le bilan énergétique est positif pour les façades sud, est et ouest, faiblement négatif pour la façade nord et confirme que le bilan global peut être meilleur pour le vitrage que pour le mur (Figure 10). En conclusion : mettez des vitrages, laissez entrer la lumière dans vos bâtiments et faites du même coup des gains d’énergie de chauffage !

Figure 9 Schéma des échanges thermiques à travers les parois servant de base au calcul du bilan thermique. g est le facteur solaire, qui correspond à l’énergie solaire transférée à travers le vitrage. U est l’énergie thermique transférée à travers le vitrage.

Figure 10 Bilan énergétique réalisé sur un bâtiment à Stuttgart. Un gain thermique est mis en évidence sur les faces sud et est/ouest, qui reçoivent beaucoup de rayonnements solaires, notamment par les vitres !

Autre exemple : sur une maison située à Vienne (Autriche), où l’énergie surfacique nécessaire au chauffage était de 11 kWh/m² par an pour une surface de fenêtres de 24 %, on a proposé d’agrandir la surface vitrée au sud plus qu’au nord, à l’est et à l’ouest, la portant à 49 % au total. La consommation électrique et la consommation 2. Le facteur solaire g d’un vitrage est le rapport entre l’énergie totale entrant à travers ce vitrage et l’énergie solaire incidente.

199

La chimie et l’habitat

Figure 11 Bilan énergétique simulé sur une maison à Vienne. En augmentant la surface vitrée au sud, on augmente les économies en chauffage.

d’énergie nécessaires au chauffage (6 kWh/m²/an) ont été sensiblement diminuées, et le confort de la construction amélioré (Figure 11).

Le vitrage de demain pour le confort et l’économie d’énergie

5

5.1. Bloquer le proche infrarouge par des vitres réfléchissantes Figure 12 Blocage du proche infrarouge. Des vitres qui réfléchissent le proche infrarouge pour ne pas trop chauffer dans les bâtiments.

La construction d’immeubles d’habitation n’est pas la seule activité du bâtiment ; il faut aussi considérer les bâtiments conçus pour les activités tertiaires qui posent au construc-

W/m2nm

W/m2nm 1,5

0,03 Radiation solaire

1

0,02

0,5

0,01 Visible

0

200

Radiation thermique

0,2

0,5

IR proche 1

2

IR thermique 5

Longueur d’onde (μm)

10

20

0 50

teur un problème supplémentaire, celui de la climatisation des grands volumes. L’utilisation de panneaux vitrés pour clore ces bâtiments paraît de prime abord comme inappropriée, le soleil apportant un excès de chaleur difficile à réguler lorsqu’il frappe les façades. Cependant, il est possible de concevoir des « verres techniques » capables de contourner la difficulté. Pour ce faire, il faut contrôler l’apport direct d’énergie par les radiations du soleil, c’està-dire bloquer non seulement l’infrarouge thermique, mais aussi le proche infrarouge, ne laissant passer que la lumière

Les vitrages : laissez entrer la lumière !

Figure 13 Exemples d’influence des traitements sur la transmission des verres.

visible3 (Figure 12). Des couches réfléchissantes spécifiques de type métallique ou oxydo-métallique ont été conçues dans ce but. La Figure 13 montre les spectres de transmission de différents types de verres traités par dépôts de différentes couches minces : un premier type de couche mince coupe l’infrarouge lointain et laisse passer le visible et l’infrarouge solaire : c’est le verre « bas émissif » rencontré précédemment (paragraphe 3) ; un autre type de dépôt est destiné 3. Voir aussi l’ouvrage La chimie et l’art, le génie au service de l’homme. Chapitre de J.-C. Lehmann. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2010.

à réfléchir l’ensemble de l’infrarouge proche et lointain tout en permettant la transmission des rayonnements du spectre visible : c’est le verre « contrôle solaire » (Figure 13).

Figure 14 Synoptique des options de confort. Face à des besoins contradictoires en fonction de la saison, les solutions traditionnelles (choix entre vitrage standard ou contrôle solaire) trouvent leurs limites.

5.2. L’électrochrome, un vitrage actif La variation saisonnière, qui agit sur la définition des performances recherchées, rend la conception des vitrages difficile. Pour le résidentiel, par exemple, un contrôle solaire serait souhaitable en été pour éviter les apports en énergie thermique et éviter la climatisation ; en revanche un vitrage classique serait souhaitable en hiver pour bénéficier du chauffage par le rayonnement solaire (Figure 14).

201

La chimie et l’habitat

Figure 15 Effet du vitrage électrochrome.

Figure 16 L’électrochrome pour optimiser confort visuel et thermique : une simple commande électrique fait passer le vitrage d’un état clair, avec une transmission lumineuse (TL) et un facteur solaire élevés, à un état foncé.

202

La conception d’un « vitrage actif », « intelligent », doit être développée pour contourner cette contradiction. Aujourd’hui, c’est le vitrage électrochrome qui présente les possibilités techniques les plus modernes dans ce contexte. Il s’agit d’un vitrage qui fonce sous l’effet d’une sollicitation électrique pouvant passer d’un état clair avec transmission lumineuse et facteur solaire élevés (toutes les radiations du soleil « passent ») à un état foncé, à transmission faible dans le visible et dans l’infrarouge. Il permet ainsi d’optimiser

confort thermique et confort visuel (Figures 15 et 16). Différentes technologies permettent de réaliser des verres électrochromes (Figure 17) : − la technologie « inorganique » met en œuvre le dépôt successif d’une série de couches minces ayant chacune un rôle spécifique : électrodes d’amenée de courant pour les TCO4, couches actives pour la couche électrochrome et pour la contre-électrode associée, électrolyte pour la conduction ionique. Ce système offre une 4. « Transparent conductive oxyde ».

Les vitrages : laissez entrer la lumière ! bonne durabilité et des performances satisfaisantes ; il permet la réalisation de vitrages de grande taille adaptés au bâtiment, mais son prix est élevé du fait du coût élevé des machines de dépôt. Également, on ne peut éviter que les verres électrochromes présentent une coloration bleue – le retour d’expérience indique que les usagers s’y habituent avec une très grande facilité ; − la technologie « organique » utilise un gel comme milieu électroactif, selon une technique déjà mûre, commercialisée par l’industrie automobile (rétroviseurs « électrochromes »). Les verres électrochromes organiques présentent un excellent contraste et leur couleur est ajustable par choix de la formulation de la couche. En revanche, la réalisation d’objets de grande taille par cette technique nécessiterait de maintenir le liquide entre de grandes surfaces ; par ailleurs, elle souffre des faibles performances de durabilité propres à la matière organique ;

− une troisième technologie utilisant des polymères est à l’étude. Très séduisante par la richesse structurale des polymères, elle offre potentiellement un foisonnement de propriétés possibles. Aujourd’hui elle ne constitue pas encore une solution concurrente des technologies inorganique ou organique.

Figure 17 Comparaison des différentes technologies de verres : inorganiques, organiques et polymères.

Saint-Gobain a choisi de poursuivre la voie inorganique pour fonctionnaliser ses vitrages destinés aux bâtiments. La couche électrochrome est un oxyde de tungstène WO3 dont la couleur varie en fonction de la quantité de cations dans la couche, de bleu foncé en excès de cations à bleu très clair en situation anionique. La tension électrique appliquée aux électrodes (les couches TCO) provoque la migration des cations à travers la couche électrolyte ; ils migrent de l’anode vers la cathode qui se modifie par oxydo-réduction et s’assombrit (Figure 18). Le fonctionnement du système est basé sur l’existence

203

La chimie et l’habitat

Figure 18 Schéma de fonctionnement d’un verre inorganique avec oxyde de tungstène. Lorsqu’on applique une tension électrique aux électrodes, les cations migrent à travers la couche électrolyte, de l’anode vers la cathode, laquelle qui se modifie par une réaction de réduction et s’assombrit.

204

d’un « effet mémoire » : quand on débranche la source, on conserve la couleur atteinte. Il n’y a aucune consommation électrique pour conserver la couleur ou la transparence, mais uniquement pour modifier le réglage. Un verre électrochrome à l’état transparent a quasiment les mêmes propriétés que le vitrage de contrôle solaire présenté plus haut ; cependant, il permet une souplesse dans le réglage du facteur solaire par passage du vitrage dans son état coloré, où la transmission lumineuse et le facteur solaire diminuent conjointement. L’utilisation de verres électrochromes permet de contrôler les échanges énergétiques globaux d’un bâtiment, incluant ensemble aspec t thermique et aspect lumière (éclairage) ; il optimise ainsi le confort de l’utilisateur. Un exemple : en cas d’éblouissement par une luminosité excessive, la solution classique est de fermer les stores,

mais ceci peut entraîner une surconsommation d’énergie d’éclairage, les stores fermés dans la journée obligeant le recours à la lumière artificielle ; l’utilisation d’un verre électrochrome permet un ajustement beaucoup plus fin. Il est instructif de comparer la consommation d’énergie d’un bâtiment dans les deux situations suivantes : soit utilisation d’un double vitrage de type contrôle solaire (approximativement équivalent à un électrochrome à l’état clair), soit utilisation d’un électrochrome commandé selon une stratégie destinée à minimiser la consommation énergétique. Une simulation grossière fait ressortir l’avantage de l’électrochrome : il entraîne une consommation en chauffage un peu plus élevée en particulier au nord à cause de la diminution des apports du soleil, mais permet un gain important sur les postes « éclairage » et « climatisation ».

il pourrait être nécessaire de contrebalancer une possible décision intempestive d’un utilisateur qui pourrait vouloir régler le contrôle en faveur du confort visuel, sans prendre en compte un éventuel effet négatif sur la consommation d’énergie. Confort de l’utilisateur, confor t thermique, il faut adapter les stratégies de commande à la définition des objectifs du bâtiment.

Les vitrages : laissez entrer la lumière !

Pour évaluer ces gains énergétiques avec précision, il convient de faire une simulation soignée du bâtiment considéré, en prenant en compte sa localisation, sa configuration, ainsi que la stratégie de contrôle à adopter. Afin d’être les plus performants possibles, les électrochromes devront être ainsi être commandés par un « building management system » global. Par exemple,

L’avenir des vitrages convoque la chimie La démarche technique raisonnée mise en œuvre par la profession du bâtiment pour concilier la qualité de la vie dans les bâtiments et la sobriété énergétique a déjà largement fait ses preuves, mais de belles perspectives de progrès se présentent encore. Le classique « volet », que le talent des architectes permettait d’intégrer harmonieusement aux bâtiments, a fait place aux vitrages passifs traités par des couches appropriées capables de laisser passer l’ensoleillement tout en présentant d’excellentes performances d’isolation thermique et en permettant une gestion fine de la transmission du rayonnement solaire en fonction des besoins. L’utilisation de vitrages électrochromes, technologie qui est proche de la maturité, va permettre des gains d’énergie et une gestion de l’éblouissement tout en conservant la transparence du vitrage. D’autres solutions techniques de modification des vitrages sont à l’étude et n’ont pas été présentées ici. En particulier, de nouvelles méthodes font appel au mélange de solutions organiques et inorganiques, mettant au premier plan l’importance de la chimie pour obtenir les nouvelles fonctionnalités des futurs vitrages intelligents, vitrages du futur.

205

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textile,

matériau multifonctionnel

un

Ingénieur de l’École Supérieure de Chimie Industrielle de Lyon et Docteur ès Sciences en rhéologie des polyesters, Guy Némoz est expert, consultant en textiles à usages techniques.

Présents depuis toujours dans l’habitat et plus récemment dans les ouvrages d’art, les textiles s’introduisent dans le bâtiment et la construction comme des matériaux techniques ; seuls ou en composites (les composites sont abordés par le Chapitre d’après la conférence de P. Hamelin), ils peuvent rivaliser avec les matériaux traditionnels (bois, béton, acier) par leurs performances, leur légèreté et leur durabilité. La durabilité peut parfois être utilisée dans ses deux acceptions, à savoir la tenue dans le temps et la compatibilité environnementale (par exemple la recyclabilité). Dans le domaine de l’habitat, le textile peut intervenir à différents niveaux de fonctions techniques : il peut jouer un rôle mécanique, notamment en renforcement de matériaux,

un rôle thermique, acoustique ou d’étanchéité, un rôle de protection contre le rayonnement solaire ou électromagnétique, contre le feu, ou encore l’électricité statique. N’oublions pas qu’il intervient aussi largement dans la décoration et le confort de la maison. Quels sont ces textiles et comment l’habitat les utilise-t-il en tant que matériaux multifonctionnels ?

1

Les textiles : produits et traitements

1.1. Des fibres de toute nature pour les textiles Depuis que l’art du filage existe, qui consiste à former des fils par assemblage et torsion de fibres, l’homme a très vite développé des techniques

Guy Némoz Le textile, un matériau multifonctionnel

Le

La chimie et l’habitat

Figure 1 Les fibres constitutives des textiles sont de natures chimiques très variées.

Figure 2 Du rouet à la filature industrielle : l’art du filage a traversé les siècles et se renouvelle chaque fois avec de nouvelles techniques. A) Minerve utilisant un rouet, par Diego Vélasquez (Les Fileuses, La légende d’Arachné, huile sur toile, 222 × 293 cm, 1644-1648, musée du Prado, Madrid) ; B) image photochrome d’une Irlandaise filant au rouet. Photo 1890-1900. Library of Congress ; C) filature de coton.

A

208

de tissage pour confectionner des textiles pour son usage quotidien, en par ticulier pour se vêtir et se protéger du froid. Il a commencé par utiliser des fibres d’origine animale (laine de mouton, de lapin Angora…) ou végétale (lin, coton…) (Figure 1). Au fil des siècles, la quenouille, le rouet et le fuseau ont laissé place au métier à filer, puis au XVIIIe siècle sont apparues les premières filatures industrielles (Figure 2). Peu à peu, les chimistes ont complété la palette des fibres naturelles avec des fibres artificielles, fabriquées à partir de matières premières naturelles, avant d’inventer et de A

développer après la Seconde Guerre mondiale les fibres synthétiques, à base de polymères obtenus par réactions chimiques généralement à partir d’hydrocarbures issus du pétrole (voir la Figure 1). Depuis quelques années, on s’intéresse aux matières premières issues de sources renouvelables pour obtenir des matériaux bio-sourcés, qui présentent de nombreux avantages environnementaux (voir le Chapitre de D. Gronier) : un exemple est la fibre d’acide polylactique, polymère biodégradable synthétisé à partir de l’amidon de maïs, et qui peut, entre autres, remplacer le polyéthylène pour les A

Le textile, un matériau multifonctionnel

sacs plastiques. Ces fibres appartiennent à la catégorie des fibres organiques ; il faut leur ajouter les fi bres inorganiques d’origine minérale comme la fibre de verre, à base de silice et d’alumine essentiellement, ou constituées de métaux, céramiques ou carbone. Ces fibres à très hautes performances sont utilisées principalement pour le renforcement des matériaux composites, comme nous le verrons par la suite. Nous utilisons aujourd’hui quotidiennement des textiles synthétiques, aussi bien pour les vêtements1 que pour les tissus de décoration ou d’usage intérieur (rideaux, matelas, serviettes, tapisseries…), en passant par des matériaux de construction de plus en plus élaborés, à la fois résistants et légers, avec des applications techniques très diverses : tissus ignifugés, tissus d’isolation, géotextiles, etc. (voir aussi le Chapitre d’après la conférence de P. Hamelin).

1.2. Des fibres aux textiles : la structuration Qu’ils soient confectionnés par la nature (ver à soie, araignée…), par l’artisan ou par le chimiste (Figure 3), les fils peuvent être structurés entre 1. Au sujet des textiles pour vêtements, en particulier pour le sport, voir l’ouvrage La chimie et le sport. Chapitre de F. Roland. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011. Voir aussi : Némoz G. (1999). Chimie pour le textile. Habillement. Des molécules et macromolécules pour le confort et la protection de l’homme. L’Act. Chim., 225 : 56.

Figure 3 Le tissage : des fibres naturelles aux fibres artificielles puis synthétiques, de l’artisan au chimiste : le métier est le même !

209

La chimie et l’habitat

eux par différentes techniques, afin de former des surfaces ou même des volumes. 1.2.1. En deux dimensions

Figure 4 Différentes manières de faire des surfaces avec des fils pour confectionner des textiles.

210

L’entrecroisement de ces fils dans un même plan2 conduit à une armure, et les possibilités sont multiples : orthogonalement, en diagonale (tissus, tresses, tricots) ou aléatoirement (non tissé)3 (Figure 4 et Encart : « Des fibres aux armures : l’art du tissage, des fibres naturelles aux fibres synthétiques »). De la même manière que l’on fabrique des tissus et étoffes pour l’habillement, on peut réaliser des textiles techniques à partir de fibres synthétiques ; elles sont obtenues à partir de chaînes de polymères par une technique de filage qui consiste, après extrusion à l’état fondu et refroidissement partiel de la résine, à étirer les chaînes dans un sens privilégié, de sorte que les forces des interactions moléculaires puissent être exploitées pour la résistance thermique et/ou mécanique. Citons l’exemple des aramides (contraction de aromatique polyamide) : ces fibres sont résistantes à la chaleur et présentent de bonnes pro2. En artisanat, les fils à tisser s’entrecroisent perpendiculairement, les uns dans le sens de la chaîne, c’est-à-dire tendus entre les ensouples du métier à tisser, et les autres perpendiculairement, c’est-à-dire dans le sens de la trame. 3. Voir aussi l’ouvrage La chimie et le sport. Chapitre d’Y. Rémond et de J.-F. Caron. Coordonné par MinhThu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011.

priétés mécaniques qui en font de bons composants de renfort pour des matériaux composites (voir le Chapitre d’après la conférence de P. Hamelin). On peut citer le célèbre Kevlar ® (Figure 6) fabriqué pour la première fois en 1973 par la société DuPont de Nemours, ainsi que son concurrent Twaron®, de structure chimique identique, fabriqué par Akzo en 1978. 1.2.2. En trois dimensions Il existe également des technologies qui permettent de confectionner des textiles en trois dimensions. C’est ce qu’illustre le parabeam®, qui ressemble à un matériau stratifié de type nid d’abeilles (voir le Chapitre de J.-P. Viguier, Encart : « Des nids d’abeilles, solides et légers ») ; sa rigidité est obtenue par le durcissement en température de la résine qui imprègne les fibres de verre. Une autre possibilité : enduit de résine et possédant une double paroi, le tissu de la Figure 7, fabriqué par la société Tissavel, est gonflé et fait preuve d’une rigidité remarquable qui lui permet de supporter des charges très importantes ; il sert par exemple à fabriquer des planchers, par exemple pour des bateaux gonfl ables, réalisés par la société Zodiac, ou encore dans de domaine de l’habitat. Il existe un autre type de textile double paroi, qui possède deux couches tissées, reliées par un filament perpendiculairement aux deux plans (voir la Figure 26). Il possède la particularité de laisser passer les gaz, ce qui en fait un matériau

Dans la confection des textiles, selon la manière dont les fils s’entrecroiseront, on obtiendra une armure différente : toile, sergé ou satin (Figure 5). L’armure toile est obtenue en soulevant alternativement les fils pairs et les fils impairs de la chaîne, pour laisser passage au fil de trame. Les tissus obtenus n’ont ni envers ni endroit. Citons les batistes, les calicots, les fl anelles, les organdis, les cretonnes, le vichy ou encore le zéphyr.

Le textile, un matériau multifonctionnel

DES FIBRES AUX ARMURES : L’ART DU TISSAGE, DES FIBRES NATURELLES AUX FIBRES SYNTHÉTIQUES

Le sergé se caractérise par la présence de côtes obliques sur l’endroit et est uni sur l’envers. Il peut être à effet chaîne ou trame. Parmi les sergés, on trouve les amazones, les cheviottes, les gabardines, les pieds-de-poule, les twills ou encore les shetlands. Le satin est un tissu fin et brillant sur l’endroit et mat à l’envers. B A

Figure 5 Flannelle, crétonne, twill, organdi, vichy, pied-de-poule (A : de gauche à droite) : les textiles, qu’ils soient toiles, sergés ou satins, peuvent être réalisés avec des fibres naturelles ou artificielles comme avec des fibres synthétiques ou inorganiques : fibres de verre, fibres de carbone ou fibres aramides (B).

Figure 6 Structure chimique des chaînes (A) et représentation en trois dimensions (B) du Kevlar® (ou poly(p-phénylènetéréphtalamide), première fibre aramide industrialisée.

211

La chimie et l’habitat

Figure 7 Un tissu double paroi gonflé supportant une charge d’une centaine de fois son propre poids.

respirant. Par ailleurs, son élasticité à la compression le rend résiliant et donc idéal pour des matelas ! Ces remarquables propriétés font probablement de ces textiles synthétiques des matériaux pour le futur, dont certains pourraient remplacer des matériaux élastomères comme la mousse polyuréthane (voir le Chapitre de J. Souvestre, Encart : « Des polymères synthétiques pour notre quotidien. Exemples du polystyrène et du polyuréthane »). 1.3. Fonctionnaliser les textiles

Figure 8 Fonctionnalisation du textile par le plasma : des modifications de surface (1-5 nm) par gaz ionisé permettent d’améliorer la mouillabilité et l’adhésivité du textile.

On peut encore aller plus loin pour obtenir d’autres propriétés des textiles à des fins d’usages de plus en plus précis. Les chimistes sont en effet capables de fonctionnaliser les fibres de manière à les rendre antibactériennes, anti-odeur, anti-acariens, antimites, anti-UV, hydrophobes, anti-tâches, résistantes au feu, régulatrices thermiques,

thermochromes 4 ou encore photochromes 5, pour ne pas tout citer. Un autre point important est de pouvoir les rendre compatibles avec des résines au sein de matériaux composites. Un exemple de technique est la fonctionnalisation par plasma6 (en utilisant un gaz excité comme O 2 , CO 2 , N 2 ou CF4 , généré par des décharges électriques ou des ondes électromagnétiques HF. Voir aussi le Chapitre de D. Lincot). Cette technologie existe notamment dans l’industrie des plastiques et se développe maintenant dans le textile. Elle est utilisée pour faire du décapage, des modifi cations de surface ou du greffage (ajout de groupements chimiques). Par exemple des modifications de surface par un gaz ionisé permettent d’améliorer la mouillabilité et l’adhésivité du textile (Figure 8 et voir le paragraphe 2.3).

Les textiles multifonctionnels pour de multiples applications

2

Les textiles, utilisés seuls ou en composites, trouvent de nombreuses applications.

212

4. Un matériau thermochrome est capable de changer de couleur en fonction de la température. 5. Un matériau photochrome a une teinte qui varie en fonction des changements de l’intensité lumineuse ambiante. 6. Le plasma est un état de la matière constitué partiellement ou totalement de particules ionisées mais globalement neutre.

Par exemple, certains ouvrages d’arts, atteints par le vieillissement dû à la corrosion des armatures métalliques soumises aux intempéries, sont renforcés par des textiles composites. Les câbles de haubanage de ponts, en acier, peuvent être remplacés par des torons de fils carbone en composite. Des grilles de verre renforcent les enduits de façades des systèmes d’isolation par l’extérieur. Elles ont l’avantage d’être imputrescibles. Les tissus enduits sont à la base d’une véritable architecture textile, permettant de réaliser des toitures et des structures de couvertures légères et élégantes pour des stades, des halls d’aéroport ou de gare. Pour le second œuvre, on trouve des revêtements de murs, des toiles de verre à peindre, des écrans solaires extérieurs ou intérieurs, des cloisons de séparation, des parois anti-bruit, des auvents, des abris, des toiles évènementielles, des textiles conducteurs pour salles à risques liés à la présence d’électricité statique, pour ne pas tout citer. Pour quelles fonctions et quelles qualités ces textiles sont-ils utilisés dans le bâtiment ?

Le textile, un matériau multifonctionnel

On en différencie deux catégories, en fonction de l’utilisation : pour le gros œuvre, qui concourt à la solidité des édifices (gros murs, poteaux, planchers, charpentes, etc.) et pour le second œuvre (couvertures de toits, enduits de façades, bardage, menuiseries, portes et fenêtres, isolation thermique et acoustique, plafonds, etc.).

2.1. La fonction mécanique Du fait de propriétés mécaniques exceptionnelles que l’on peut obtenir avec des textiles, ceux-ci trouvent des applications importantes dans la construction, notamment au sein de matériaux composites. 2.1.1. Propriétés en traction Un des atouts majeurs des textiles synthétiques est leur faible masse volumique, en comparaison avec celle de matériaux comme le verre et l’acier (Tableau 1), et leur grande résistance à la traction (Tableau 1 et Figure 9). Ces textiles peuvent ainsi être utilisés pour réaliser des architectures tensibles (voir le paragraphe 2.1.4), des enduits de façades ou encore la réparation d’ouvrages d’art.

Tableau 1 Masse volumique des fibres. Elle permet de calculer le module d’élasticité spécifique (en Newton par tex) : Esp = E/ρ, où E est le module spécifique (en GPa) et ρ la masse volumique de la fibre (en g/cm3).

Fibre

Masse volumique (g/cm3)

Polypropylène (PP)

0,91

Polyéthylène haute ténacité (PE HT)

0,97

Polyamide 66 (PA 66)

1,14

Polyester (PET)

1,38

Polyester aromatique (PEAr)

1,40

Aramide haut module (aramide HM)

1,44

Polyazole (PBO)

1,55

Polyazole (M5)

1,70

Carbone haute résistance (carbone HR)

1,80

Verre E

2,60

Acier

7,80

213

Résistance à la rupture spécifique (ou ténacité, en Newton par tex) : Rsp = R/ρ, où R est en GPa (1 GPa = 109 N/m2).

Résistance spécifique (N/tex)

La chimie et l’habitat

4

Figure 9

PBO

3,5 3 2,5 2 1,5 1

PIPD PEHT Carbone HR Aramide HM Aramide Carbone HM Verre R PEAr Verre E PEN

PA66HT

PET HT

Viscose HT

0,5

PA6HT

PA6 PET PA66

PPHT PP

0 0

5

10

15

20

25

50

Allongement à rupture (%)

Tableau 2 Résistance kilométrique (en km) de différents types de fibres.

Nanotube de carbone théorique Polyazole (PBO)

375

Polyéthylène haute ténacité (PE HT)

330

Aramide

235

Polyester aromatique (PEAr)

195

Carbone

195

Verre E

135

Polyamide 66/Polyester (PA 66/PET)

85

Acier

25

2.1.2. Résistance kilométrique

Figure 10 Test de résistance kilométrique des différents types de fibres.

214

4 700

Un autre atout de ces fibres est leur résistance kilométrique, correspondant à la longueur à laquelle le fil se rompt sous son propre poids. Par exemple, un fil de polyamide comme le nylon va rompre sous son propre poids à 85 km de longueur, tandis qu’un verre rompt à 135 km. Une fibre de polyéthylène haute ténacité (à haut poids moléculaire) appelée dyneema® atteint 330 km de résistance kilométrique. Il s’agit d’un polyéthylène extrêmement résistant, utilisé notamment pour fabriquer des sangles, cordes et cordelettes dont celles destinées à la pratique de la voile (Figure 10 et Tableau 2).

De manière hypothétique, la résistance kilométrique a été évaluée à 4 700 km pour des fils qui seraient en nanotubes de carbone7. On ne sait pas, actuellement, réaliser de tels fils mais ces matériaux très légers, bien qu’encore coûteux, sont amenés à connaître un développement fantastique. Il y a dix ans, on produisait des nanotubes de carbone au niveau de quelques grammes, tandis qu’actuellement, on en produit annuellement des dizaines 7. Un nanotube de carbone est une structure cristalline, de forme tubulaire, creuse et close, composée d’atomes de carbone disposés régulièrement en pentagones, hexagones et/ou heptagones (voir la conclusion du Chapitre de J.-P. Viguier).

Le textile, un matériau multifonctionnel

voire des centaines de tonnes dans le monde. Ils sont produits en France par plusieurs sociétés comme Arkema (quelques dizaines de tonnes en 2011). Avec une résistance kilométrique aussi forte, des fils en nanotubes de carbone pourraient permettre la réalisation futuriste d’ascenseurs spatiaux. La Figure 11 montre en image de synthèse un satellite géostationnaire qui gravite à 1 000 km de la Terre, tenu par un assemblage de fils en nanotubes de carbone.

2.1.3. La compatibilité entre fibre et résine dans les matériaux composites Les matériaux composites, du fait de propriétés exceptionnelles qui peuvent être atteintes grâce à l’ingéniosité des chimistes qui les conçoivent, sont de plus en plus utilisés dans l’habitat (voir aussi les Chapitres de P. Hamelin et de J.-P. Viguier). Une des applications les plus anciennes de composites est la construction en pisé8, matériau très solide, typique des régions lyonnaise et dauphinoise. Dans des temps plus anciens, il fut utilisé par les Égyptiens, ainsi que dans le 8. Le pisé est un système constructif en terre crue, comme la bauge ou le torchis, mis en œuvre dans des coffrages, traditionnellement appelés banches. La terre est idéalement graveleuse et argileuse, mais on trouve souvent des constructions en pisé réalisées avec des terres fines.

palais impérial à Kyoto, où il comporte un renfort en paille (à propos de la paille, voir le Chapitre de J.-C. Bernier). Un matériau composite est constitué d’une ossature appelée renfort qui assure la tenue mécanique – par exemple des fibres de verre ou de carbone – et d’une pro-

Figure 11 Des fibres de nanotubes de carbone pourraient permettre de construire un véritable ascenseur spatial !

Figure 12 La résistance des fibres naturelles.

0,60 Lin 0,50 Chanvre Charge (en Newtons par tex)

La Figure 12 compare les propriétés mécaniques de fibres naturelles. Elle met en évidence une résistance importante pour le lin, voisine de celle de la fibre de verre.

Soie

Jute 0,40 Coton

0,30

0,20

0,10

0

5 10 Allongement (en pourcent)

15

215

La chimie et l’habitat

Figure 13 Pour fabriquer un bon composite, il faut assurer une bonne adhésion entre la fibre (A : en vert, une fibre de verre) et la résine (B : en rouge). Pour favoriser cette adhésion, on peut réaliser un traitement chimique de surface en ajoutant un agent de couplage qui assure un bon collage entre le renfort (ici : fibre de verre) et la matrice (ici une résine).

216

tection appelée matrice, qui est généralement une matière plastique – résine thermoplastique ou thermodurcissable – et qui assure la cohésion de la structure et la retransmission des efforts vers le renfort. Pour obtenir un composite solide, il faut assurer une bonne adhésion entre la fibre et la résine (Figure 13). Pour favoriser cette adhésion, on est souvent amené à bâtir des couches intermédiaires entre les deux, en réalisant des traitements de surface. Pour cela, il existe des techniques bien connues des chimistes qui produisent des fibres de verre, ainsi que des tisseurs. Au cours de ces traitements, sont définis différents paramètres : l’accessibilité du réseau fibreux par la résine (qui dépend de la porosité du réseau fibreux et de la fluidité/viscosité de la résine), la

mouillabilité, la solubilité, la compatibilité, la diffusion et la réactivité, l’adhérence/adhésion (par ancrage mécanique ou par liaison chimique). 2.1.4. Utilisation dans les architectures tensibles Les textiles synthétiques qui sont à la fois solides, légers et étirables trouvent une application intéressante dans les architectures tensibles, en particulier pour des toitures (voir le Chapitre de J.-P. Viguier), des structures de couvertures pour les stades, ou encore des halls d’aéroports ou de gares. Citons le stade Charléty à Paris, les stades de Reims et de Lyon, ou encore le stade de Foshan en Chine (Figure 14). Ces structures sont souvent réalisées à partir de tissus polyesters enduits de polychlorure de vinyle (PVC) avec des traitements de surface antisalissure.

mère et d’une couche de surface hydrophobe.

Fabricant de textiles techniques, la société Ferrari possède un savoir-faire dans ce type de matériaux, grâce entre autres à sa technologie Précontraint ® Ferrari ®, qui lui permet de procéder à une opération d’enduction9 sous une tension d’une tonne par mètre exercée en chaîne et trame, donc dans les deux dimensions, pendant tout le cycle de fabrication. Ceci confère au textile à la fois stabilité dimensionnelle et résistance (Figure 15). L’épaisseur de la couche d’enduction protège les fils de l’abrasion et des agressions climatiques, et le faible embuvage10 des fils accroît la durabilité de l’architecture. On obtient ainsi des armatures tissées en fils polyester haute ténacité, recouvertes par enduction de plusieurs couches de poly-

En plus de leur durabilité dans le sens classique du terme, à savoir leur solidité dans le temps et par tout temps, les textiles techniques doivent aussi répondre à des exigences de durabilité au sens du « développement durable », mentionné dans le Chapitre d’A. Ehlacher, c’est-àdire être recyclables en fin de vie par exemple, notamment pour des applications à plus court terme que celles du bâtiment. Dans ce domaine, des innovations existent, parmi lesquelles on peut citer le procédé Texyloop®, initié par le groupe Ferrari, qui permet de réutiliser les fibres ainsi que la résine d’enduction. Au cours de ce procédé, une membrane textile (par exemple un composite polyester/PVC) est d’abord broyée, avant de subir une dissolution sélective (le PVC est soluble, le polyester ne l’est pas). Dans un autre réacteur, le PVC est précipité pour fournir des granulés réutilisables dans un procédé d’extrusion, tandis que l’on récupère par ailleurs la fibre polyester, elle-même réutilisable (Figure 16).

9. L’enduction est un traitement de surface qui consiste à appliquer un revêtement généralement pâteux sur le textile. 10. L’embuvage désigne la relation entre la longueur d’un tissu et la longueur du fil qui est nécessaire pour faire le tissage. Plus le tissage est dense plus l’embuvage est grand. L’embuvage est de 0 % quand le fil est tendu.

2.1.5. Le recyclage des textiles enduits

Une autre voie de recyclage est utilisée pour récupérer

Des architectures tensibles : de nombreux stades possèdent des toitures en tissus polyester enduits de PVC avec traitement de surface antisalissure. Photos : à gauche le stade de Foshan (Chine) et à droite le stade de Reims (France).

Le textile, un matériau multifonctionnel

Figure 14 La durabilité de ces membranes est très grande, comme en témoignent un certain nombre d’ouvrages qui ont déjà plus de trente ans d’existence.

Figure 15 Tissu constitué de fils de polyester, recouvert de deux couches de PVC et d’une couche terminale antisalissure, fabriqué par la technologie Précontraint® Ferrari®. Une tension biaxiale bien contrôlée est exercée, au cours de laquelle l’armature est traitée pour la protéger des agents atmosphériques. On obtient ainsi des toiles à la fois légères et très résistantes mécaniquement. Des bâtiments textiles en membranes Préconstraint® ont été installés dès 1982 : un état des lieux a révélé une longévité largement supérieure à vingt ans.

217

La chimie et l’habitat

thermique (Figure 18A), les matelas de lin sont très à la mode parmi les fibres naturelles (Figure 18B). Il est également possible de fabriquer des composites renforcés par du lin, par exemple pour des panneaux intérieurs de portes de voitures, réalisées en composite lin/résine. 2.3. Les fonctions de protection

Figure 16 Recyclage textiles enduits selon le procédé Texyloop® de la société Ferrari.

les textiles enduits en fin de vie, en réalisant des poufs ou des sacoches de styles très variés, tous différents et très appréciés (Figure 17). Tous ces produits peuvent, en fin de vie, eux-mêmes être renvoyés aux fabricants qui vont les réutiliser.

Figure 17 Des bâches publicitaires usagées sont réutilisées pour créer des sacoches originales et très appréciées. Au lieu d’incinérer ces textiles en PVC (l’incinération conduit à des rejets de dioxine), on peut judicieusement leur donner une seconde vie.

2.2. La fonction isolation thermique Les textiles jouent un rôle également important dans l’isolation des bâtiments. À côté des matelas en fibres de verre utilisés pour l’isolation

Une autre fonction importante des textiles est la fonction protection : contre les rayonnements solaires, les rayonnements électromagnétiques, le feu, l’électricité statique, mais aussi la protection antisismique. 2.3.1. Les rayonnements solaires Pour filtrer les rayonnements solaires, des textiles techniques peuvent être utilisés en tant que stores (Figure 19). Mais on peut aussi profiter de ces rayons pour produire de l’électricité (voir aussi les Chapitres de D. Lincot, D. Plée et D. Quénard). C’est dans ce but qu’ont été développées des couvertures textiles photovoltaïques par les sociétés Coatema et Solar integrated (Figure 20). Citons également les stores avec cellules photovoltaïques, souples et très fins, à base de silicium amorphe, fabriqués par la société Dickson, et qui peuvent produire 400 kW pour 25 m2 de stores (Figure 21). 2.3.2. Les rayonnements électromagnétiques

218

On peut aussi utiliser le textile dans la construction pour se protéger contre les

Figure 18

B

A) Les matelas de laine de verre apportent de l’isolation thermique dans l’habitat. Ils sont généralement renforcés par un tissu de verre sur une face ; B) Des fibres naturelles comme les fibres de lin peuvent être une excellente alternative aux fibres de verre pour l’isolation.

Le textile, un matériau multifonctionnel

A

Figure 19 Des stores intérieurs et extérieurs en fils de verre enduit de PVC, tissés avec une armure spéciale.

A

B

C

D

Figure 20 Des couvertures textiles photovoltaïques pour des toits (B : sur un bâtiment d’usine en Italie, D : sur l’Autorité portuaire de Mannheim, en Allemagne).

219

La chimie et l’habitat

applications dans les toiles de tentes faradisées, tandis que d’autres pensent à des emballages souples pour des matériels sensibles, ou pour la protection de l’homme… 2.3.3. Le feu

Figure 21 La première toile de store photovoltaïque chez Dickson (2009). Cette toile de store solaire intègre des cellules photovoltaïques souples et ultrafines (silicium amorphe). Pour 25 m² de store avec une production de 400 kWh par an, le coût de départ est entre deux et trois fois celui d’un store classique, rentabilisé sous sept ans.

Figure 22

220

Dans un tissu triple paroi d’environ six millimètres d’épaisseur, la multiplication de couches de fils entrecroisés constitue une barrière métallique d’absorption et de réflexions multiples qui permet de bloquer les rayonnements électromagnétiques.

rayonnements électromagnétiques. C’est ainsi que les sociétés Tissavel et Euro-Shelter ont conçu un tissu en trois dimensions à base de nickel capable de stopper ces ondes dans une large gamme de fréquences. C’est la géométrie des fils guipés de métal qui génère des champs électromagnétiques s’opposant à l’effet des champs incidents. La Figure 22 montre leur structure comportant une double paroi qui réfléchit les rayonnements électromagnétiques. De tels textiles pourraient permettre, par exemple, d’éviter les réceptions téléphoniques dans des salles de cinéma ou des salles très confidentielles. Certains prévoient même des

Une autre fonction importante recherchée dans les textiles est la fonction ignifuge (Figure 23). Ignifuger une matière consiste à limiter son inflammabilité, soit en perturbant sa décomposition, soit en inhibant la fl amme. Pour cela, il existe plusieurs techniques : − en masse : modification de la matière première : un retardateur de flamme est introduit lors de la polymérisation, ce qui conduit à un effet permanent ; − par traitement de la surface. Par exemple, pour le polyester : ajout de dérivés phosphorés réticulants qui permettent la permanence du traitement. 2.3.4. Les séismes Une autre évolution intéressante concerne le textile antisismique. Il s’agit d’un textile constitué de câbles à fibres optiques qui incorpore des capteurs de mesure, permettant de détecter des effets antisismiques par rapport à

PTFE

90

Comportement thermique des fibres organiques. L’indice limite d’oxygène est la concentration en oxygène minimale dans un mélange oxygène/ azote qui permet d’entretenir la combustion d’un plastique en position verticale, avec un allumage en haut de l’échantillon. C’est ainsi que l’inflammabilité des matériaux est quantitativement caractérisée.

Indice limite d’oxygène

80 70

PBO

60 50

PVC

PPS PBI P8 PEEK PEAr PAI Modacrylique Phénolique p-Aramide PA6 PA66 m-Aramide PET PP PE Viscose Acrylique

40 30 20 10 100

200

300

400

500

600

Le textile, un matériau multifonctionnel

Figure 23

100

700

Température de dégradation (°C)

2.3.5. L’étanchéité

pénétrer11. Ce type de membrane peut par exemple être utilisé sous les toitures. Leur mécanisme est similaire à celui du célèbre tissu Gore tex®, dont les microporosités permettent à l’eau et l’air de passer et les fibres hydrophobes le rendent imperméable à l’eau liquide (Figure 25).

D’autres technologies innovantes ont été développées pour fabriquer des membranes imper-respirantes, c’est-à-dire qu’elles permettent à la fois d’évacuer l’humidité (par exemple la transpiration) et d’empêcher l’eau de

11. Voir aussi les applications pour le sport dans l’ouvrage La chimie et le sport. Chapitre de F. Roland. Coordonné par Minh-Thu DinhAudouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011.

la situation où l’on se trouve. Ces matériaux peuvent donc être utilisés pour détecter les débuts de tremblements de terre afi n de réagir au plus vite (Figure 24 et voir le Chapitre d’après la conférence de P. Hamelin).

Figure 24 Un revêtement mural textile antisismique « intelligent ». Le textile est constitué de câbles à fibres optiques et incorporant des capteurs de mesure (piézocéramiques nanocristallins). Appliqué avec du mortier amélioré par des additifs polymères à nanoparticules, il permet d’améliorer la résistance et la ductilité des structures et de les surveiller lors d’épisodes sismiques. Ce revêtement mural a été mis au point par la société D’Appolinia, qui a remporté le prix JEC Composites Innovation Awards 2010/Construction. 221

La chimie et l’habitat

Figure 25 Les tissus Gore Tex®, membranes imper-respirantes garantissant une étanchéité quasi-parfaite.

2.4. Le confort et la décoration

Figure 26 Un textile double paroi pour le maximum de confort : respirabilité, compressibilité et résilience.

222

Passons au domaine du confort et de la décoration, où des textiles techniques peuvent trouver des usages intéressants, notamment lorsqu’ils sont antibactériens, absorbeurs d’odeurs, respirables et compressibles (par exemple pour des matelas, Figure 26), thermorégulants ou lumineux, et si possible esthétiques… pour ne pas citer toutes les qualités possibles de ces tissus. Ils peuvent

notamment remplacer des mousses polyuréthanes, qui sont beaucoup moins chères, mais néanmoins beaucoup plus dangereuses en cas d’incendie. Des technologies très récentes permettent de fabriquer des textiles à changement de phase en leur ajoutant de petites capsules qui incorporent des matériaux à changement de phase (des paraffines) capables de stocker et de restituer l’énergie : une perspective de solution

pour le stockage de l’énergie à grande échelle ? (Figure 27). Enfin, le domaine des nouveaux matériaux compte de nombreux autres développements. Citons les matériaux biomimétiques : on sait par exemple réaliser des matériaux ressemblant à la feuille de lotus grâce à une nanostructuration de la surface (par tr aitement plasma), conduisant à des tissus qui ne retiennent pas la salissure. Mentionnons également les

Le textile, un matériau multifonctionnel

A

B

textiles éclairants qui peuvent trouver un usage dans les aménagements intérieurs, au niveau des plafonds, des cloisons, ou encore des porte-bagages, des sièges, des zones d’intercirculation ; ils peuvent aussi servir comme éclairage d’ambiance sur des éléments de cloisons pour le confort de passagers, pour des numérotation dynamique des places intégrées aux sièges… On peut finalement tout imaginer !

Figure 27 Des textiles renfermant des microcapsules contenant des matériaux à changement de phases. Les capsules peuvent être incorporées en masse ou dans une couche de liant déposée par enduction (traitement de surface) sur le textile. A) Enduction sur tissu sous le microscope ; B) fibre acrylique. Technologies Outlast®, vues microscopiques.

223

La chimie et l’habitat 224

Une révolution en marche ! S’il est un secteur traditionnel de l’activité humaine, c’est bien celui du textile. Fibres animales (laine, soie) ou fibres végétales (le coton, le lin), la nature satisfaisait les principaux besoins. La chimie a fait une irruption remarquée dans le domaine au milieu du XXe siècle avec l’apparition des fibres synthétiques (rayonne, nylon) qui ont plu par leur faible coût, leur résistance et leur durée de vie. Aujourd’hui, la demande change – souci du confort, impératifs du développement durable – et la chimie se présente une nouvelle fois. Mais la chimie moderne, capable de concevoir des matériaux en fonction des propriétés demandées et de les réaliser. Ce sont les progrès de la chimie de synthèse, de l’analyse physicochimique des propriétés qui sont sollicités avec la pluridisciplinarité et les nanotechnologies ; ils apportent aujourd’hui les matériaux fonctionnels et les matériaux composites. Cela provoque une véritable révolution qui, après l’industrie du vêtement, conquiert le domaine de la construction traditionnellement associé aux matériaux « durs » comme l’acier ou le béton. Cette évolution va continuer et tient sûrement encore de belles surprises en réserve.

à matrices

polymères

Ingénieur en génie civil et professeur à l’Université Claude Bernard Lyon 1, Patrice Hamelin est directeur du Laboratoire de génie civil et d’ingénierie environnementale (LGCIE) et responsable du groupe de travail matériaux composites à l’Association française de génie civil (AFGC).

En matière de matériaux de construction, la tendance depuis une quinzaine d’années est au remplacement progressif des matériaux classiques par ce qu’on appelle les composites à matrices polymères. Cependant, on peut noter un retard du secteur de la construction par rapport aux autres secteurs industriels d’un côté, et de la France par rapport aux pays du Nord de l’autre. Ce retard demande à être comblé et cela constitue une promesse de croissance pour la demande en matériaux polymères. L’évolution technique du bâtiment est actuellement portée par l’évolution de la demande – importance des critères de

développement durable, mise en sécurité, sobriété énergétique – plus que par celle de l’offre technique – progrès dans la maîtrise scientifique de la formulation apportée par la chimie des polymères ou la compréhension de la cristallisation des matrices minérales. Les matériaux composites à matrices polymères élargissent considérablement la capacité de répondre aux nouvelles exigences des consommateurs. Une remarque préalable pour remettre en mémoire la dimension économique impressionnante du secteur de la construction, que ce soit en termes de chiffre d’affaires ou en termes d’emplois : il

D’après la conférence de Patrice Hamelin Matériaux composites à matrices polymères

Matériaux composites

La chimie et l’habitat

correspond, au plan national, à un chiffre d’affaires de 131,8 milliards d’euros pour le bâtiment, 55,8 milliards d’euros pour les travaux publics et concerne 1 300 000 personnes dans le bâtiment, 270 000 salariés dans le bâtiment et travaux publics (au sujet du BTP, voir aussi le Chapitre de J. Méhu). Une première partie de ce chapitre posera les idées générales sur le rôle des matériaux composites à matrices polymères dans la construction ; une deuxième présentera trois thèmes qui illustrent l’importance des matériaux composites pour le respect des critères de Grenelle de l’environnement pour la construction (voir le Chapitre de J.-M. Michel). La référence au Grenelle indique bien que les approches diffèrent d’un pays à un autre ; la « vieille Europe » a ainsi d’autres options que les États-Unis ou que d’autres continents.

Les deux grandes classes de matériaux composites et la diversité de leurs usages pour la construction

1

1.1. Intérêt des composites à matrices polymères pour la construction Un matériau composite est l’association de charges ou sous-structures (souvent minérales) avec des matrices1 polymères qui sont

226

1. Dans un matériau composite, une matrice est une matière (plastique, métal, céramique…) servant à transférer les efforts au renfort (fibres, billes...), qui est plus rigide et plus résistant.

thermodurcissables2 ou thermoplastiques 3. Les principaux avantages des composites, déjà largement utilisés pour le développement indus tr iel , p ar exemple dans l’automobile, l’aéronautique (voir notamment le Chapitre de J.-P. Viguier) ou encore la robotique, sont la facilité de transformation, la résistance et la rigidité qui permettent de réduire le poids propre des ouvrages pour une résistance donnée. Ils présentent aussi de bonnes propriétés de durabilité au sens traditionnel du terme, à savoir une forte résistance à la corrosion et des propriétés physiques particulières comme celles de pouvoir être amagnétiques ou thermiquement isolants. Les matériaux composites sont recherchés pour la construction dans deux domaines différents : les matériaux d’enveloppe – ce qu’on appelle le second œuvre – et les matériaux structuraux (ossature) chargés de supporter les efforts pour la tenue du bâtiment et son exploitation. On les classe en matériaux composites « souples » d’une part et « rigides » d’autre part. 1.2. Les composites souples Les composites souples sont des matrices thermoplastiques avec fibres de polymère 2. Un matériau plastique thermodurcissable durcit progressivement sous l’action de la chaleur pour atteindre un état solide irréversible. 3. Un matériau thermoplastique se ramollit lorsqu’il est chauffé audessus d’une certaine température et qui, en dessous, redevient dur.

La famille des composites souples avec matrice polymère et leurs applications.

Matériaux composites à matrices polymères

Figure 1

Figure 2 De nombreux ponts tiennent avec des câbles en composite.

(Figure 1). Ils permettent la réalisation d’architectures tensibles, comme des membranes souples pour réaliser des structures gonflables telle que des couvertures de stades (voir les Chapitres de J.-P. Viguier et de G. Némoz) ; ils peuvent aussi donner lieu au développement de câbles ouvrant la voie aux applications d’infrastructures telles que les ponts suspendus (Figure 2). Les composites souples peuvent aussi être des géotextiles ou des géomembranes, matériaux d’interfaces entre le bâtiment, l’habitat ou l’ouvrage et le

milieu naturel – généralement le sol. Les conditions de sol ou de terrain ne sont en effet pas toujours adaptées à la construction de routes ou de fondations de bâtiments. Les membranes vont modifier la répartition des charges et assurer la durabilité des talus en termes de tenue dans le temps et de résistance. 1.3. Les composites rigides Les composites rigides sont des matrices thermodurcissables renforcées en général par des charges minérales (Figure 3). Ils permettent de

227

La chimie et l’habitat

Figure 3 La famille des composites rigides et leurs applications.

Figure 4 Tuyauteries anti-corrosion pour le génie chimique et le génie industriel.

réaliser des « bétons de polymères » ou des revêtements routiers comme les bétons de ville quand ils sont associés à des fibres telles que la fi bre carbone-aramide (voir le Chapitre de G. Némoz). En outre, les composites rigides fournissent des armatures ou des éléments de structure porteurs tels que le profilé4. On réalise avec ces composites des structures que l’on appelle matériaux stratifiés, qui sont des empilements de couches et dont les applica-

228

4. Un profilé est un matériau auquel on a donné une forme déterminée.

tions sont la réalisation d’éléments d’enveloppe tels que les panneaux de façade, qui sont autoporteurs et doivent en même temps posséder des propriétés d’isolation acoustique, phonique et thermique. Après expansion, les matrices thermodurcissables peuvent être insérées entre deux plaques de matériaux selon le principe du sandwich ; elles jouent alors à la fois un rôle mécanique et un rôle thermique. Par ailleurs, les composites durs sont utilisés pour la fabrication d’une variété de composants intervenant dans la construction. Dans

Bâtiment entièrement réalisé en composite.

Figure 6

Matériaux composites à matrices polymères

Figure 5

Les profilés pultrudés, des demiproduits industriels composites.

les usines chimiques, par exemple, elles constituent des tuyauteries anti-corrosion (Figure 4) ; elles constituent aussi le matériau verre polyester pour la fabrication de panneaux. Le bâtiment montré sur la Figure 5 est une maison développée par la société Impact Design, donnant une vision quelque peu futuriste de ce que pourrait être une cellule d’habitation. On pourrait imaginer qu’elle soit mobile et qu’elle puisse suivre l’évolution du soleil dans la journée par un déplacement des cellules. Ce procédé a été déjà développé industriellement. Les composites rigides sont également adaptés à la réalisation des structures traditionnelles en acier, comme les profilés « pultrudés » 5 pouvant adopter différentes géométries, avec des renforts bi- ou tri-dimensionnels (Figure 6). Les composites en

5. La définition de ce terme technique est reportée au paragraphe 2.2 de ce chapitre.

229

La chimie et l’habitat

A

C

les armatures, les solutions composites, plus facilement formables, sont nettement mieux adaptées que l’acier (Figure 7).

B

D

Figure 7 Armatures composites pour le renforcement des ouvrages en béton : treillis composites (A et B) et armatures composites (C et D).

verre/carbone6, verre/résines polyesters ou vinylesters sont capables de remplacer l’acier comme armatures de béton armé. Pour certaines applications, comme la réalisation de tunnels pour lesquelles il y a lieu de déformer

230

6. Au sujet des fibres de carbone, voir le Chapitre de J.-P. Viguier de cet ouvrage, ainsi que l’ouvrage La chimie et le sport. Partie 3 : « Les matériaux de la performance ». Coordonné par Minh-Thu DinhAudouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011.

Malgré tous les atouts des matériaux composites, les matrices cimentaires traditionnelles chargées d’ions minéraux restent majoritairement utilisées (à propos des bétons performants, voir le Chapitre d’A. Ehrlacher). Mais les bétons à très haute performance, nécessaires pour des conditions techniques exigeantes, se fissurent, entraînant des problèmes de corrosion, de ruptures, et donc de durabilité au sens « durée de vie ». L’incitation à développer l’utilisation des matériaux composites est donc indubitablement là. Des matrices cimentaires peuvent être utilisées pour la fabrication de matériaux composites en lieu et place des matrices polymères ; des fibres de carbone6 ou des fibres polymères sont utilisées comme charges. Un exemple en est le Ductal®, un béton à très hautes performances (200 MPa de résistance) ; pour qu’il reste utilisable sans subir de rupture explosive ou présenter des risques d’inflammation, on rajoute des fibres de différentes natures, métalliques ou polymères (Figures 8 et 9). 1.4. Les obstacles techniques et psychologiques au développement des nouveaux matériaux dans la construction Pour que les matériaux composites s’imposent dans la profession du BTP, il ne suffit

La famille des composites rigides à matrice minérale et leurs applications.

A

pas qu’ils soient performants, il faut aussi que leurs qualités soient portées à la connaissance des responsables du choix des matériaux – les concepteurs – et acceptées avec un par fait degré de confiance ; il faut aussi que soit présente chez tous une réelle motivation de progrès technique (Figure 10). Une première série d’éléments qui freinent l’introduction des nouveaux matériaux dans la profession est à trouver dans le type d’informations qui parvient aux décideurs, qui sont souvent incomplètes ou même trompeuses : − la nature des informations techniques données aux concepteurs. On leur fournit en général les propriétés mécaniques « instantanées »

Matériaux composites à matrices polymères

Figure 8

B

C

Figure 9 A) Centre-bus de Thiais en Ductal® ; B) Passerelle de Séoul en Corée réalisée en Ductal®, un composites fibre/ciment résistant à toute épreuve ; C) détail d’un panneau en Ductal®. Centre-bus RATP (France).

alors qu’ils ont besoin de prévoir les comportements à long terme – une dizaine d’années pour l’habitat, une centaine pour un ouvrage d’art – qui sont le cadre dans lequel travaille le BTP ; − la distorsion du discours de la presse technique qui souvent, cherche d’abord à flatter le lecteur en mettant en avant, pour promouvoir les nouveaux matériaux, des applications de très haute technologie comme

231

La chimie et l’habitat

leurs performances sont bien maîtrisées en termes de durabilité et de sécurité entre autres. Compte tenu de l’importance des enjeux, on peut comprendre la prudence qui préside à la décision de choisir un nouveau matériau, décision qui comporte toujours une prise de risque. Figure 10 Innovation dans la conception et la réalisation d’un ouvrage en génie civil.

la robotique, le spatial, etc. Ceci tend à créer un effet de mode, éventuellement techniquement infondé, illustré par la « black fashion » qui voudrait tout peindre en noir pour faire croire que l’on va s’approprier la performance d’une raquette de tennis ou d’une paire de skis de hautes technologies. Un autre problème est, bien entendu, le coût élevé des composites. À l’évidence, la fibre de carbone ou de la résine époxy 7 ne se produiront pas au prix de l’acier (0,50 €/kg) pour faire un béton de 1 €/kg. C’est le cercle vicieux habituel : les prix pourront baisser si les tonnages augmentent ; ils augmenteront si les prix baissent ! On doit aussi reconnaître qu’un important obstacle à la généralisation du recours aux matériaux composites se trouve dans l’état d’esprit conservateur – trop conservateur – qu’on constate chez les professionnels. C’est que les ouvrages en béton ou béton armé de la construction traditionnelle permettent des réalisations très largement satisfaisantes, et les méthodes de calcul et de dimensionnement permettant de prédire

232

7. Voir la note de bas de page 9 du Chapitre de D. Gronier.

Ces difficultés portent une conclusion très claire : pour développer l’utilisation des nouveaux matériaux dans la construction, il faut qu’existe une vraie volonté de recherche de la rupture technologique et une volonté partagée par tous les acteurs : maître d’ouvrage, architecte, maître d’œuvre, bureau d’étude, entreprise chargée de l’exécution, organismes de contrôles sans oublier les usagers de l’exploitation. Cette volonté générale n’est pas facile à obtenir, compte tenu de la diversité des acteurs impliqués aux intérêts et engagements souvent différents ; elle exigerait des efforts accrus de formation mettant l’accent sur l’innovation en génie civil ainsi, certainement, qu’une rigueur accrue sur les méthodes d’évaluation des risques et de suivi des ouvrages.

Les multi-matériaux dans le contexte du développement durable (Grenelle de l’environnement)

2

2.1. Objectifs de développement durable et multi-matériaux Les principaux textes qui sous-tendent le présent chapitre sont les suivants :

B rouleau de fibres renforcées

rouleau bain de de tension résine

− loi (octobre 2008) relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement : réduction des consommations d’énergie des bâtiments ; − loi (juillet 1976) en relation avec la directive européenne SEVESO : directive du 31 juillet 2003 relative à la présentation des risques technologiques et naturels ; − réduction de la vulnérabilité des bâtis vis-à-vis des actions sismiques (circulaire du 26 avril 2002) : mise en sécurité du patrimoine existant ; − décret 15 mars 2010 relative à l’utilisation du bois dans certaines constructions : procédés constructifs multi-matériaux bois-composites. Pour se mettre en conformité avec les objectifs de ces textes, la voie privilégiée par les divers départements de recherche du génie civil est de combiner des matériaux aux performances complémentaires (multifonctionnalité) et d’autre part de chercher à développer des technologies d’assemblages, c’est-à-dire d’approfondir les concepts et les techniques de fonctionnalisation de surface ou de collage. Les critères du développement durable conduisent à chercher l’optimum des durées de vie (typiquement, il faut prévoir sur cent ans) et à donner des éléments de réponse sur la fin de vie des

résine de fibre imbibée

source de chaleur

finis en fibres système de polymères de tirage renforcés durcis

matériaux (recyclage, coût énergétique) (à propos du recyclage, voir le Chapitre de J. Méhu).

Figure 11 A) Banc de pultrusion. B) Différentes sections géométriques de barres composites pultrudés.

Matériaux composites à matrices polymères

A

2.2. Des composites pour les performances thermiques Les plaques ou les profilés pultrudés 8 en composite « Schöck ComBAR ® » sont susceptibles de remplacer les armatures des fers à bétons, et ceci permet de maîtriser les ponts thermiques9. La Figure 11 schématise un banc de pultrusion ; il est possible de fabriquer en continu des profilés de sections géométriques variées. Les propriétés mécaniques de résistance à la traction sont caractérisées par 550 N/mm² (newton par millimètre carré) pour un acier de construction classique et 1 000 N/mm² pour le composite, soit un gain de résistance par un facteur deux. La conductivité thermique est de 60 W/mK pour l’acier à béton, mais cent fois plus faible pour le composite (à propos de la conductivité des matériaux, voir le Chapitre de 8. Le terme pultrusion, qui provient de « pull » et « extrusion », désigne un procédé de moulage continu dans la fabrication de matériaux composites à section constante. 9. Les ponts thermiques sont des zones de déperdition thermique dans l’enveloppe des bâtiments.

233

La chimie et l’habitat

Tableau 1 Comparaison des caractéristiques de Schöck Combar® et de l’acier. HA = haute adhérence.

Acier HA Fe E500

Acier inoxydable HA

Schöck ComBAR® (HA)

Résistance à la traction (N/mm2)

550

550

1 000

Limite d’élasticité (N/mm2)

500

500

1 000

Contrainte état de service (N/mm2)

286

286

250 (= 0,5 % d’extension)

Contrainte état limite (N/mm2)

435

435

337

0,18 %

0,18 %

0,42 %

200 000

160 000

60 000

Contrainte d’adhérence (20/25 (N/mm2))

2,3

2,3

2,3

Contrainte d’adhérence (30/37 (N/mm2))

3,0

3,0

3,0

Contrainte d’adhérence (40/50 (N/mm2))

3,7

3,7

3,7

Classe d’expos

Classe d’expos

ds + 1 mm

7,85

7,85

2,2

Conductivité thermique (W/mK)

60

15

< 0,5

Coefficient de dilatation thermique linéaire α 105/K

1,0

1,2

0,6 (axial), 2,2 (radial)

7,5.10 3

> 1014

très faible

non

Caractéristiques

Allongement en charge de service Module d’élasticité (N/mm2)

Recouvrement (mm) 3

Densité (g/cm )

Résistivité (Ω cm) Magnétisme

oui

J.-C. Bernier). Les propriétés de résistance comme les propriétés thermiques sont ainsi considérablement améliorées quand on passe de l’acier au composite (Tableau 1).

234

Du fait de ses qualités mécaniques, l’utilisation du béton armé composite apparaît ainsi comme plus performante que celle du béton armé acier pour la réalisation des structures.

X2

:100

La différence des comportements – diagramme élastoplastique avec phénomène de plastification pour l’acier Fe550 mais comportement quasi-linéaire avec rupture brutale pour le composite – entraîne cependant une réelle difficulté (Figure 12), en ce que la méthode de dimensionnement des structures en composite ne pourra pas être celle

Les ponts thermiques étant largement dus aux armatures au niveau des balcons où un transfert direct de chaleur vers l’extérieur prend place, ils pourront être supprimés ou fortement atténués par l’utilisation des composites qui permettent ainsi d’atteindre les objectifs d’isolation thermique fixés. 2.3. Mise en sécurité de l’habitat et maîtrise du risque sismique Du fait de leurs excellentes per formances, les matériaux composites permettent l’amélioration de la sécurité de l’habitat par rapport aux matériaux traditionnels, le béton et l’acier. Ces qualités, si l’on en prend conscience, devraient contribuer à briser

10. Les Eurocodes sont les normes européennes de conception, de dimensionnement et de justification des structures de bâtiment et de génie civil. Ils ont pour but d’harmoniser les techniques de construction en Europe afin de permettre le libre accès des entreprises de travaux ou des bureaux d’études techniques aux marchés des autres États membres. Ils sont développés par le Comité européen de normalisation (CEN).

Matériaux composites à matrices polymères

1 200 acier haute adhérence 1 000

contrainte (N/m2)

qui est pratiquée aujourd’hui dans les Eurocodes10 adaptés aux structures acier. Il est nécessaire que de nouveaux textes pour les Euro codes soient écrits pour permettre aux architectes d’utiliser des règles de calcul de dimensionnement. D’une nature réglementaire autant que technique, cette difficulté correspond à un réel obstacle pratique.

Schock ComBAR®

800

600

400

200

0 0

0,5

1

1,5

2

élasticité (%)

le côté conservateur évoqué plus haut (paragraphe 1.4). La nécessité d’adapter le patrimoine existant ou les ossatures existantes s’impose à la lumière des accidents météorologiques qui semblent sur venir de plus en plus fréquemment. Le Chapitre d’A. Ehrlacher a ainsi évoqué la remontée possible du niveau des eaux de deux mètres ; si elles sont en béton, les digues soumises au marnage sont susceptibles de se fissurer et d’être soumises à la corrosion de l’eau de mer. Les matériaux composites comme les profilés pultrudés vinylester/verre, parfaitement adaptés pour protéger, réparer ou renforcer les ouvrages existants, sont évidemment indiqués dans ce cas. Une technologie aujourd’hui répandue pour le renforcement de dalles de béton, de ponts ou de planchers, etc., est de déposer sur le substrat des polymères généralement d’origines époxydes pour stratifier ou coller des tissus en fibre de carbone ou de verre. On protège ensuite le revêtement par des gels (coating).

Figure 12 Diagramme de contrainte/ élasticité comparant l’armature acier haute adhérence et le composite Schöck ComBAR®. Des lois de comportements en traction différentes imposent méthodes de dimensionnement différentes.

235

La chimie et l’habitat

renforcer notamment dans les bâtiments sensibles – les préfectures, les hôpitaux par exemple dont bien souvent les parois séparatrices sont en maçonnerie.

Figure 13 Carte de sismicité en France de 1980 à 1998 (données BCFS). Il est nécessaire de prendre en compte les risques sismiques en France : les bâtiments et ouvrages doivent être mis en conformité, ce qui conduit à un enjeu technologique important, avec des impacts socio-économiques.

Figure 14 Parts des différents secteurs dans le marché de la réparation en France (estimation 2006).

En France, le dommage sismique est pris en compte par une série de décrets et règlements qui ont été révisés en 2008. Des secousses sismiques ne peuvent en effet pas être exclues et les bâtiments construits dans les années 1950 ne sont pas nécessairement en conformité avec les sollicitations considérées comme possibles (Figure 13). Le problème majeur est celui de la tenue des maçonneries qu’il y a lieu de

Autres 14 %

Cheminées 5%

Bâtiments 37 %

236

Ponts 36 %

Tunnels 8%

Le poids économique des divers chantiers de réparation ou mise en conformité est considérable. La mise en conformité intervient pour 40 % du marché de la réparation, soit une estimation de deux millions de mètres carrés (estimation 2006). Incidemment, ceci absorbe pratiquement 40 % du marché total de la production de fibre de carbone ; il serait donc bien venu d’arrêter de limiter la publicité en faveur de la fibre de carbone à la robotique ou aux raquettes de tennis… (Figure 14). 2.4. Réhabilitation du « matériau bois » grâce aux composites La recommandation d’accroître l’utilisation du bois dans la construction par un facteur dix, formulée dans le décret du 15 mars 2010, a déjà comme conséquence que l’on voit se développer des maisons « tout en bois » (voir le Chapitre de J.-P. Viguier). Mais la généralisation de ces pratiques ne va pas sans inconvénient du point de vue de la stabilité dimensionnelle – le retour d’expérience des chalets savoyards le montre. Des recherches se développent pour améliorer les performances des ossatures en bois en dépit de la rigidité intrinsèquement plus faible de ce matériau, relativement aux portées maximum, à sa déformation et à son comportement acoustique.

Béton très haute performance fibré

Platelage en bois Frise en bois

Figure 15

Nervure en bois

Panneau autoporteur en bois. Membrures supérieures en bois

La voie privilégiée dans les centres de recherche est de recourir aux multi-matériaux, assemblages de plusieurs matériaux aux propriétés complémentaires : composites pultrudés ou composites stratifiés pour la constitution de poutres (voir aussi le Chapitre d’A. Ehrlacher). L’insertion de bois à l’intérieur des composites améliore la tenue à la traction des poutres ou des renforts composites et permet de plus l’utilisation de bois aux caractéristiques limitées mais de faibles coût. Ainsi il est possible d’utiliser des éléments préfabriqués (panneaux ou poutres) aux performances mécaniques améliorées par rapport aux éléments classiques grâce à l’ajout ou

Armatures composites

Matériaux composites à matrices polymères

Dalle compression en BFUHP

Membrures inférieures en BFUHP Béton très haute performance

par insert de composites (Figures 15 et 16). Sont également fabriqués des planchers autoporteurs où l’on combine une dalle de béton à très haute performance fibrée avec des platelages en bois. Les assemblages sont réalisés à l’aide de polymères de haute performance et de colles époxy. Sur les parties tendues, on utilise en remplacement des fers à bétons les composites hautes performances ainsi que les armatures de verre vinylester qui améliorent la résistance en traction.

Figure 16 Éléments préfabriqués multimatériaux d’un panneau autoporteur haute performance avec collage époxyde. BFUHP = béton filtré à ultrahautes performances.

237

La chimie et l’habitat

Les matériaux à matrices polymères, matériaux d’aujourd’hui, matériaux d’avenir Ce chapitre a montré à travers la présentation d’exemples que les matériaux composites à matrices polymères apportent la capacité : – d’atteindre les objectifs de la consommation d’énergie des bâtiments en supprimant presque complètement les ponts thermiques ; – de contribuer à la mise en sécurité des ouvrages existants, en particulier par rapport au risque sismique ; – de contribuer à l’amélioration de la durabilité des bâtiments et notamment des bâtiments en bois. Leur qualification et leur certification au niveau du marché européen nécessitent une démarche volontaire de toutes les parties impliquées dans l’activité de la construction pour élaborer de nouvelles règles de dimensionnement qui leur soient adaptées et qui devront compléter les Eurocodes guidant la construction en Europe. Pour l’universitaire, il y a urgence d’actualiser les formations d’ingénieurs par l’introduction de masters spécialisés utilisables professionnellement pour le développement de l’utilisation des matériaux à matrices polymères.

238

et

Daniel Gronier a effectué une longue carrière au sein du groupe suisse Ciba-Geigy dans les spécialités chimiques, plus particulièrement dans le domaine des polymères, des pigments et additifs, pour devenir le président-directeur général de la filiale française en 1996. Il a ensuite pris la direction Europe du groupe japonais Toyo Ink, jusqu’en 2008. Il est aujourd’hui ingénieur conseil en nanotechnologies et chimie du végétal, et gérant de la société DGChem (Digital and Green Chemistry).

Depuis toujours, l’homme a une passion pour décorer son habitat, comme nous pourrons le réaliser au cours d’un voyage au fil des siècles, à travers les couleurs et pigments utilisés par les civilisations qui nous ont précédés1. Ce voyage nous révèlera que la couleur a toujours été indissociable du bâtiment, que ce soit pour les peintures de façade, les revêtements d’étanchéité, 1. Voir aussi l’ouvrage La chimie et l’art, le génie au service de l’homme. Chapitre de B. Valeur. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2010.

l’isolation, les menuiseries bois ou plastiques, la décoration intérieure ou encore les textiles (voir le Chapitre de G. Némoz). C’est un fait : la couleur est partout dans l’habitat (Figure 1). Colorer sur toute sorte de support nécessite une chimie de formulation très performante du fait de la variété des couleurs que l’on souhaite obtenir, de la multitude d’ingrédients entrant dans la composition des peintures, du souci de les faire tenir dans le temps et de la problématique récente de la qualité de l’air intérieur (voir les Chapitres de

Daniel Gronier Couleur et habitat « vert »

Couleur habitat « vert »

La chimie et l’habitat

fraction complémentaire est absorbée par l’objet que l’on regarde. La couleur qui est alors perçue correspond aux longueurs d’onde de la fraction réémise de la lumière. Ainsi un mur peint en rouge absorbe les rayonnements de longueurs d’onde en dessous de 600 nm, et réémet la fraction de la lumière qui correspond au rouge.

Figure 1 Des murs aux rideaux, en passant par les meubles et les revêtements de sols…, la couleur est partout dans l’habitat.

M.J. Ledoux et de V. PerneletJoly). L’émergence des nanotechnologies et de la chimie du végétal ouvrent des perspectives d’innovation, insoupçonnables il y a encore dix ans. Une nouvelle chimie de formulation utilisant des matières premières renouvelables s’active sous nos yeux. Elle s’inscrit « naturellement » dans le développement durable de l’habitat et de la société, comme l’illustreront des exemples pratiques. Pouvons-nous aujourd’hui réconcilier chimie, nature et habitat, à l’image de nos anciens qui ont par exemple construit Versailles sans connaître un mot de la carbochimie et encore moins de la pétrochimie ?

Pourquoi certains objets sontils colorés alors que d’autres sont aussi blancs qu’une baignoire, réémettant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ? Il faut examiner leurs molécules constitutives qui ont les propriétés d’absorber ou non la lumière et qui font que ces objets sont colorés ou non. Des structures de molécules capables d’absorber la lumière sont appelées « chromophores »2 (du grec khroma = couleur ; phoros = produit), structures caractéristiques des molécules de pigments. Constituants majeurs des peintures et revêtements, ces pigments doivent être formulés dans des mélanges de manière à faciliter leur application sur le support. Ainsi pour obtenir une certaine liquidité, on utilise des solvants organiques (alcool, éthers, etc.), ou, de plus en plus, de l’eau (Figure 2).

Qu’est-ce que la couleur ?

240

Avant d’entreprendre notre voyage à travers couleurs et habitats, expliquons ce phénomène selon lequel nous voyons qu’un rideau est bleu, qu’une moquette est rouge ou qu’un meuble est jaune… La couleur est un effet visuel obtenu par la réémission d’une partie du rayonnement visible de la lumière, tandis que la

2. Voir l’ouvrage La chimie et l’alimentation, pour le bien-être de l’homme. Chapitre de S. Guyot. Coordonné par Minh-Thu DinhAudouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2010.

Couleur et habitat « vert » Histoire de la coloration de l’habitat

1

1.1. La décoration à travers les siècles Voyageons maintenant dans le temps et redécouvrons comment nos ancêtres décoraient leurs habitats. Dès la préhistoire, ils ont cherché à décorer les murs des grottes, comme en témoignent de magnifiques peintures pariétales telles que celles de Lascaux et de Chauvet (Figure 3). On est impressionné de voir que ces œuvres d’art tiennent toujours, témoignant déjà à l’époque d’une remarquable durabilité. Cette habitude de peindre les murs s’est poursuivie avec les célèbres fresques égyptiennes datant de l’Antiquité, témoins

A

d’une technologie très avancée dans le domaine des colorants (Figure 4), et celles des Romains, dont la richesse des couleurs est également remarquable (Figure 5). Le Moyen Âge a été une période par ticulièrement riche en œuvres d’art pour la décoration des bâtiments ; il suffit de citer l’exemple des cathédrales, décorées de toute part avec les couleurs les plus diverses et éclatantes (Figure 6). Nous arrivons à la Renaissance, marquée par la construction de châteaux aux intérieurs somptueusement décorés, comme celui de Fontainebleau ou de Versailles, dont on connaît le magnifi que plafond de la galerie des glaces ou la charmante chambre de la reine (Figure 7).

Figure 2 Comment passe-t-on du blanc à la couleur ? En appliquant un pigment, molécule qui a la propriété d’absorber une certaine fraction de la lumière. À nous de jouer maintenant, dans toutes les pièces de la maison !

Figure 3 Des aurochs (bovidés) représentés dans la grotte de Lascaux en Dordogne (A) et des chevaux sur les murs de la grotte Chauvet dans l’Ardèche (B) font partie des nombreuses peintures pariétales qui prouvent qu’à l’âge de la pierre, l’usage des pigments pour la décoration de l’habitat était déjà répandu et élaboré.

B

241

La chimie et l’habitat

A

B

Figure 4 Fresques égyptiennes : A) bas-relief mortuaire représentant le labour des champs, la récolte des cultures et le battage du grain ; B) peinture murale représentant des fêtes et festivals accompagnés de musique de danse. Les Égyptiens possédaient une technologie très avancée dans le domaine des colorants qui recèle encore des secrets pour nous.

A

B

Figure 5 A) Fresque de la villa des Mystères, Pompéi, vers 60 avant J.-C ; B) synagogue Dura Europos, David sacré roi par Samuel. Les fresques romaines témoignent d’une technique de peinture bien maîtrisée.

Figure 6

242

Polychromie de l’église Notre-Dame de la Grande (Poitiers), construite entre le XIe et le XVIe siècle. Le Moyen Âge a connu un foisonnement d’œuvres de décorations de bâtiments.

1.2. La chimie de nos ancêtres pour décorer leurs habitats : des produits naturels On ne peut s’empêcher de se poser la question à notre époque : mais comment faisaient-ils ? Ils n’allaient pas acheter leurs pots de peinture ni leurs outils de décoration comme nous le faisons aujourd’hui dans les magasins de bricolage, pourtant ils étaient capables de réaliser d’impressionnantes décorations, et qui durent ! Pour trouver une réponse, plongeons-nous dans l’En-

Couleur et habitat « vert »

A

B

cyclopédie de Diderot et de D’Alembert et tentons de retrouver quels étaient les repères de la société juste avant la révolution industrielle du XIX e siècle. Les pages sont malheureusement rares sur les notions de peinture et de décoration, hormis un paragraphe très intéressant sur les techniques relatives aux fresques : toutes les méthodes y sont données pour élaborer de belles fresques, et l’on s’aperçoit que les dispersions aqueuses pigmentaires étaient celles qui s’accrochaient le mieux sur les supports (Figure 8).

Figure 7 A) Château de Fontainebleau : plafond de la chapelle de la trinité. B) Château de Versailles : galerie des glaces.

Figure 8 L’Encyclopédie de Diderot et de D’Alembert (1751-1772). Un paragraphe entier énumère des dispersions aqueuses pigmentaires pour les fresques. La peinture à l’eau était déjà largement préconisée à l’époque !

243

La chimie et l’habitat

Figure 9 L’art du peintre, doreur, vernisseur et du fabricant de couleurs. Rédigé par Jean Félix Watin, fournisseur majeur de matériaux de décoration au XVIIIe siècle, cet ouvrage mentionne l’utilisation de nombreux ingrédients d’origine naturelle pour les peintures.

244

Une réponse a finalement été trouvée du côté de l’ouvrage L’art du peintre, doreur, vernisseur et du fabricant de couleurs, rédigé sous le règne de Louis XV par Jean Félix Watin, qui tenait une boutique au centre de Paris – équivalent au Lenôtre que nous connaissons pour la décoration intérieure –, qui fournissait des matériaux pour la décoration, et dont l’ouvrage faisait office d’un catalogue qui indique les prix (Figure 9). En parcourant les quatre cents pages de cet ouvrage, on trouve dans les

dernières pages la mention de l’utilisation de « savon noir », savon fabriqué à partir d’huile de lin, et d’« eau seconde », qui n’est autre que de l’acide nitrique dilué (il ne s’agit pas d’eau « féconde », comme il est écrit car la lettre « f » remplaçait la lettre « s » à l’époque). On trouve aussi l’huile de lin, l’huile de noix (voir l’Encart : « Les résines, ingrédients clés des peintures », paragraphe 3.3), l’huile d’œillets 3, de l’essence de térébenthine4, du « noir de pêche », et de nombreux autres ingrédients qui ont par exemple permis de décorer les pièces du château de Versailles.

3. L’huile d’œillets est extraite des graines du pavot à œillets. Essentiellement composée d’acide linoléique, elle est utilisée pour le broyage des pigments et comme liant des peintures à l’huile. 4. L’essence de térébenthine est un mélange comprenant en particulier des terpéniques (classe d’hydrocarbures produits par les conifères), des acides et des alcools. Liquide incolore à odeur caractéristique de pin et très bon solvant des graisses, l’essence de térébenthine est utilisée comme solvant dans des peintures et vernis.

Figure 10 A) Hundertwasserhaus, immeuble viennois construit entre 1983 et 1986 par l’artiste-peintre et architecte Friedensreich Hundertwasser ; B) immeubles colorés ; C) intérieurs décorés. Que ce soit pour la peinture d’extérieur ou d’intérieur, nous profitons tous aujourd’hui des progrès de la pétrochimie et de la synthèse chimique.

Couleur et habitat « vert »

A

B

C

Ainsi il apparaît que toutes ces for midables œu v res d’époque ont été réalisées à partir de produits d’origine naturelle. Par exemple les pigments rouges pouvaient être à base d’oxydes de fer (l’hématite Fe2O 3) ; les Romains utilisaient plutôt du cinabre (sulfure de mercure HgS). Pour le bleu, les Égyptiens utilisaient un silicate de calcium cuivre (CaCuSi 4 O10) appelé bleu égyptien. Pour les charges, généralement

destinées à épaissir les peintures, on trouve du talc (silicate de magnésium hydroxylé Mg 3 Si 4 O 10 (OH) 2 ) ou du feldspath, minéral à base de silicate d’aluminium, de potassium, de sodium ou de calcium. Les liants étaient principalement à base de cire d’abeille, d’huile de lin ou de noix et les solvants étaient essentiellement de l’eau ou de l’essence de térébenthine. La conclusion qu’on peut en tirer est que Versailles a été

245

La chimie et l’habitat

décoré sans recours au pétrole, comme cela a été le cas pour toutes ces œuvres réalisées au cours des millénaires qui nous ont précédés. Cela peut paraître étonnant à notre époque où nous dépendons tant du pétrole ! Seulement autrefois, la décoration était entre les mains d’alchimistes, jaloux de leurs formules, qui vendaient très cher leurs produits. Seuls les riches et les puissants pouvaient se permettre des décorations aussi riches que celles que nous avons parcourues (voir les Figures 4 à 7), et il est évident que la petite chaumière de campagne n’était pas décorée de la même façon… Mais arrive la révolution industrielle…

La décoration à l’ère de la révolution industrielle

2

2.1. Une démocratisation de la décoration La révolution industrielle a profondément marqué les XIX e et XX e siècles, avec le développement de la carbochimie5, puis de la pétrochimie, laquelle nous a donné l’accès à des molécules nouvelles grâce à la synthèse chimique. Ces progrès fabuleux nous ont permis une banalisation des procédés, une grande simplification des techniques d’ap-

246

5. La carbochimie est une branche de l’industrie chimique qui utilise comme matière première principale les sous-produits de la cokéfaction de la houille (charbon naturel fossilisé, extrait du sol) à haute température (1 200 °C) : coke, goudrons, benzols, ammoniac et gaz riches en hydrogène.

plication, un fort abaissement des coûts et donc une démocratisation à grande échelle des procédés de décoration. Nous en profitons tous aujourd’hui à travers la peinture extérieure de nos maisons et immeubles, et à travers les décorations intérieures (Figure 10).

2.2. Un prix lourd à payer Néanmoins, le prix à payer est fort pour ce bond en avant qui a permis une banalisation des produits. Pour commencer, nous avons pillé depuis deux cents ans les réserves de carbone fossile qui étaient d’un accès facile et peu chères, à savoir le charbon et le pétrole. Nous réalisons aujourd’hui que ce pillage a une limite physique : les réserves de pétrole se tarissent et les gaz à effet de serre augmentent avec des conséquences planétaires dont on prend de plus en plus conscience (voir le Chapitre d’A. Ehrlacher). On relève aussi de nombreux effets toxicologiques liés à l’utilisation massive de dérivés à base de métaux lourds, de composés organiques volatils (voir les Chapitres de M.J. Ledoux et de V. Pernelet-Joly), avec des émissions diverses et variées. 2.3. Des mesures insuffisantes Prenant peu à peu conscience de ces problèmes, des efforts ont été réalisés surtout depuis une trentaine d’années. C’est ainsi que l’on a assisté au bannissement des pigments à base de plomb, de cadmium et de nickel. Progressivement, des solvants

Couleur et habitat « vert » volatils ont été retirés des formulations, laissant place à l’arrivée massive des peintures aqueuses, avec toute la chimie des acryliques6 qui se cache derrière. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, nous sommes dans une dépendance totale au carbone fossile et l’humanité se trouve dans une impasse environnementale sérieuse. Comment en sortir ?

La chimie du XXIe siècle : un retour aux sources ?

3

3.1. Les bio-raffineries, pour exploiter une ressource renouvelable : la biomasse Arrive la chimie du végétal. Depuis une dizaine d’années, il se développe de par le monde des bio-raffineries qui, à l’image des raffineries de pétrole qui procèdent au 6. Les peintures acryliques sont formulées avec de l’acide acrylique (CH2=CHCOOH), liquide incolore et peu odorant qui permet une dilution dans l’eau, une facilité de préparation et d’application sur divers types de supports, et un séchage rapide.

craquage des hydrocarbures, transforment des végétaux à l’aide notamment de procédés de biotechnologie, pour obtenir des intermédiaires chimiques comme des monomères ou même des polymères. Dans les deux cas, ces intermédiaires sont utilisés pour synthétiser des produits grâce à des procédés chimiques, produits qui vont être formulés par exemple en peintures ou revêtements, ou tout autre produit d’usage courant. La différence est qu’au lieu d’aller chercher dans le sol la ressource fossile qu’est le pétrole, on va chercher une ressource renouvelable : la biomasse (Figure 11 et Encart : « La biomasse, ressource renouvelable de demain ? »).

Figure 11 Parallèle entre le raffinage des ressources fossiles (pétrole, charbon ou gaz naturel) et le raffinage de la biomasse (bois, maïs, colza, blé, betteraves, etc.) : la différence se trouve à la source !

3.2. La chimie du végétal ou l’art d’accéder à une infinité de produits à partir de la biomasse À quelles molécules nous donne accès la biomasse ? La Figure 13 est quelque peu compliquée mais très parlante : elle montre qu’à partir de sources comme l’amidon,

247

La chimie et l’habitat

LA BIOMASSE, RESSOURCE RENOUVELABLE DE DEMAIN ? La biomasse désigne l’ensemble des matières premières organiques d’origine végétale, animale ou fongique pouvant devenir sources d’énergie – par combustion (bois), par méthanisation (biogaz : voir le Chapitre de C. Leroux) ou après transformations chimiques (biocarburant) – ou sources d’intermédiaires chimiques après transformations dans des usines de bio-raffinage (transformations chimiques ou biotechnologiques par des enzymes ou micro-organismes). Les matières premières sont très diverses, tant les sources sont nombreuses : amidon (maïs et pomme de terre), sucre (cannes à sucre, betteraves sucrières, céréales), huiles (oléagineux : arachide, soja, palmier à huile, colza), algues, lignine/cellulose/hémicellulose (bois, paille, bagasse de canne à sucre, fourrage) (Figure 12). Cellulose et lignine représentent près de 70 % de la biomasse totale, ce qui laisse prévoir pour les arbres à croissance rapide une utilité notable pour l’avenir, d’autant qu’ils n’entrent pas en compétition avec le secteur agroalimentaire. Considérée comme une ressource renouvelable tant qu’il n’y a pas de surexploitation, la biomasse est de plus en plus convoitée par de nombreux pays (Europe, États-Unis, Brésil, Chine…) qui y trouvent une solution à la pénurie de pétrole, ressource fossile qui n’en a pas pour plus d’un demi-siècle de disponibilité pour l’homme. Une solution aux problèmes environnementaux… à condition de rester vigilant La filière de la biomasse est en développement rapide depuis une dizaine d’années et constitue déjà une réalité industrielle (Figure 12). De nombreux produits bio-sourcés s’affirment sur le marché mondial comme les plastiques produits à partir d’acide polylactique, obtenu par fermentation d’amidon, à près de cent mille tonnes par an pour faire des emballages biodégradables. Ils représentent déjà près de 1 % du tonnage des emballages plastiques mis sur le marché européen. La biomasse peut aussi apporter des solutions face au problème des gaz à effet de serre (abordé dans le Chapitre d’A. Ehrlacher). Par exemple une usine de bio-raffinage peut utiliser la biomasse même comme source d’énergie pour en extraire la matière première, en veillant à ne pas libérer d’autres gaz à effet de serre. Il faut aussi veiller à limiter la production de CO2 du fait du transport des ressources, de même éviter les déforestations massives.

Figure 9 Amidon de maïs et de pomme de terre, sucre de canne, huiles d’oléagineux, lignocellulose de bois (la structure de la celullose est représentée : il s’agit d’un polymère du glucose)… la biomasse est une source précieuse de matière organique pour la fabrication de produits très divers (plastiques, peintures, adhésifs, détergents, cosmétiques…) à partir d’intermédiaires chimiques comme le glucose, le sorbitol, l’épichloridrine, le glycérol, etc. Pour aller plus loin : – Site de l’Association chimie du végétal : www.chimieduvegetal.com. – Messal R. (2002). Produits renouvelables, vers un nouvel âge d’or du végétal ? L’Act. Chim., 255 : 41. – Dinh-Audouin M.-T. (2011). Le végétal, un relais pour le pétrole ? L’Act. Chim., 351 : 24. 248

Blocs de synthèse

Plateforme intermédiaire

Industrie

Gaz de synthèse

SG

Reagents-building unit

Higher alcohols

Linear and branched 1º alcohols, and mixed higher alcohols

Antifreeze and deicers

Oxosynthesis products

Olefin hydroformylation products: aldehydes, alcohols, acids

Solvents

Transport

Iso-C4 molecules, isobutene and its derivatives

Green solvents

Fuels, oxygenates, anti-freeze, wiper fluids molded plastics, car seats, belts hoses, bumpers, corrosion inhibitors

Mixed alcohols

Iso-synthesis products

C2

Hémicellulose

Fische-Tropsch Liquids

Glycerol Lactic

C3

Sucres Glucose Fructose Xylose Arabinose Lactose Sucrose Amidon

3-Hydroxpropionate Propionicacid

Acrylates, Acrylamides, Esters, 1,3-Propanediol, Malonic acid and others

Emulsifiers

Textiles

Chelating agents

Carpets, Fibers, fabrics, fabric coatings, foam cushions, upholstery, drapes, lycra, spandex

Amines

Reagent, propionol, acrylate

Alimentation

Plasticizers Pharma. Intermediates 2-amino-1,3-PDO, 2-aminomalonic, (amino-3HP)

Polyvinyl acetate

THF, 1,4-Butanediol, γ butyrolactone, pyrrolidones, esters, diamines, 4,4-Bionelle, hydroxybutyricacid

pH control agents

Polyvinyl alcohol Hydroxysuccinate derivatives (above), hydroxybutyrolactone

3-Hydroxybutyrolactone

Amino succinate derivatives (see above)

Polyacrylates

Hydroxybutyrates, epoxy-γ-butyrolactone, butenoicacid

Polyacrylamides

Butanediols, butenols

Polyethers

Itaconic acid

Diols, ketonederivatives, indeterminant

Polypyrrolidones

Furfural

Methyl succinate derivatives (see above), unsaturated esters

Threonine

Levulinic acid Glutamic acid Xylonicacid Xylitol/Arabitol Citric/Aconitic acid

Molded plastics, computer casings, optical fiber coatings, liquid crystal displays, pens, pencils, inks, dyes, paper products

Habitat

PEIT polymer δ-aminolevulinate, 2-Methyl THF, 1,4-diols, esters, succinate Polyhydroxypolyesters Amino diols, glutaricacid,substituted pyrrolidones Nylons (polyamides)

Peintures résines, bardage, vernis, isolation, ciments, enduits, tapis, retardateurs de flammes, adhésifs

Polyhydroxypolyamides

Loisirs

BisphenolA replacement

Gluconic acid

Numerous furan derivatives, succinate, esters, levulinic acid

Polycarbonates

Glucaric acid

Caprolactam, diaminoalcohols, 1,5-diaminopentane

Footgear, protective equipment, camera and film, bicycle parts & tires, wet suits, tapes-CD’s-DVD’s, golf equipment, camping gear, boats

Polyurethanes

Gluconolactones, esters Phenol-formaldehyde resins

Gallicacid Ferulicacid

Direct Polymers & gums

Ce schéma nous rappelle que le chimiste est un architecte des molécules : il lui suffit de disposer de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote et de soufre pour pouvoir reconstruire pratiquement tous les éléments naturels en assemblant judicieusement des briques (« blocs de synthèse ») les unes avec les autres. Il s’agit de l’art de la synthèse organique, qui a connu un essor important au XIXe siècle et qui a permis l’accès aux nombreux produits de notre quotidien à partir du pétrole (voir le paragraphe 2.1). Avec le végétal comme source de matière première, les voies de synthèse et les procédés d’industrialisation changent, et les chimistes ont devant eux un nouveau domaine de recherche à explorer. Ils avaient jusqu’à présent développé une chimie permettant de synthétiser des molécules élaborées à partir d’hydrocar-

Communication

1,5 pentanediol, itaconic derivatives, pyrrolidones, esters

Lysine

Sorbitol

la cellulose, la lignine, des huiles végétales et des protéines, on reconstitue pratiquement toute la chimie !

Water chemicals, flocculants, chelators, cleaners and detergents

Phthalate polyesters

Many furan derivatives

Lactones, esters

Environnement

EG, PG, glycerol, lactate, hydroxyfurans, sugar acids

5-Hydroxymethylfurfural

Ar

Food packaging, preservatives, fertilizers, pesticides, beverage bottles, appliances, beverage can coatings, vitamins

Resins, crosslinkers Unsaturated succinate derivatives (see above)

Aspartic acid

Acetoin

C6

Specialty chemical intermediate

Acrylates, L Propylene glycol, dioxanes, Polyesters, Lactide

Serine

Malicacid

C5

Protéines

Fermentation products, Propylene glycol, malonic, 1,3-PDO, diacids, propylalcohol, dialdehyde, epoxides

Fumaric acid

Lignine

Huile végétale

α-Olefins, gasoline, waxes, diesel

Malonic acid

Succinic acid

C4

Corrosion inhibitors, dust control, boiler water treatment, gas purification, emission abatement, specialty lubricants, hoses, seals

Fuel oxygenates

Methyl esters, Formaldehyde, Acetic acid, Dimethylether, Dimethylcarbonate, Methyl amines, MTBE, olefins, gasoline

Methanol

Cellulose

Produits Utilisations

Intermédiaires

Ammonia synthesis, hydrogenation products

H2

Amidon

Produits chimiques secondaires

Couleur et habitat « vert »

Matière première issue de la biomasse

Dilactones, monolactones, other products polyhydroxyalkonoates Glycols (EG, PG), glycerol, lactate, isosorbide Phenolics, food additives

polysaccharides

Santé et hygiène Plastic eyeglasses, cosmetics, detergents, pharmaceuticals, suntan lotion, medical-dental products, disinfectants, aspirin

polyaminoacids

bures issus du pétrole ; ils sont maintenant face à un tout autre type de matière première : des biomolécules aux structures complexes telles que polysaccharides (amidon, cellulose (structure représentée sur la Figure 12)…), protéines ou acides gras).

Figure 13 Voies d’accès à divers produits de consommation à partir de la biomasse. Ce schéma, bien qu’illisible, montre que les possibilités sont quasi-infinies !

3.3. Les débouchés industriels de la chimie du végétal 3.3.1. De nombreuses filières autour du végétal Le nouveau domaine de recherche est vaste et les perspectives sont grandes pour la chimie du végétal : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a réalisé un travail remarquable d’identification des opportunités dans différentes filières. Citons parmi elles la filière de la betterave : après passage à travers les bio-raffineries, la betterave débouche sur une multitude de produits énumérés dans la Figure 14. La filière

249

La chimie et l’habitat

• Betterave à sucre 361 000 ha « sucre » + 38 000 ha « alcool »

• Semences, eau, engrais, produits phytosanitaires, fuel, …

• Feuilles et collets • acide mucique

• Racines (”cossettes”)

• Fertilisation agricole

• Distilleries

• Écumes •

• Égouts pauvres

• Fermentation Distillation

• Bioéthanol

• Alimentation animale

• Source d’énergie

• Vinasses

• Ciments composites • Papier

• Mélasses • 664 Kt

• Alimentation animale

• Déshydratation • “Flegmes” Alcool (éthanol) • 4 300 Khl

• Saccharose (sucre blanc cristallisé) 3930 Kt

• Fermentation avec souches spécialisées

• Édulcorants, substituts de • graisse, sucralfate, polysucrose

• Fertilisation agricole

• Lysine

• 3 unités de production d’ETBE

• Spiritueux, Parfumerie, Chimie • Pharmacie, Vinaigre

• Esters éthyliques

• Filières carburants

Figure 14 La filière de la betterave débouche sur une multitude de produits de consommation usuelle.

• Acide citrique

• Acide glutamique

animale

• Levures de boulangerie • IAA, Divers

• Bétaïne

• Alimentation

• Pharmacie

des oléagineux comme le colza est également intéressante : elle nous fournit par exemple des résines alkydes non siccatives à partir des huiles raffinées, pour déboucher naturellement sur les peintures (voir l’Encart : « Les résines, ingrédients clés des peintures »). Or, rappelons que la fabrication de cent tonnes de biocarburant à partir de colza génère dix tonnes de glycérine (voir la Figure 12) : il est désormais envisageable de la valoriser en la transformant en résines alkydes et en polyuréthanes, composants essentiels des peintures. 3.3.2. La synthèse de résines bio-sourcées

250

• Cosmétique

• Support de fermentation

• Pulpes humides 308 Kt, surpressées 1 288 Kt, déshydratées 1 126 Kt)

• Sucreries (30 en France)

• Broyées et restituées au sol

Les résines constituent un ingrédient important des peintures. À partir d’acides gras et du glycérol extraits des plantes oléagineuses, on peut obtenir des résines synthétiques (Encart : « Les résines, ingré-

• Ciments et bétons, Fonderie, • Tabac, Adhésifs, • Cuir, Polyuréthanes…

• Marchés spécifiques divers • Fructo-oligo saccharides

• Diététique

• Sucroesters • Sucroglycérides

• Tensioactifs : IAA, Cosmétique, Pharmacie, Détergents

humaine, animale

dients clés des peintures »). Un des leaders mondiaux sur ce marché, la société française Sofiprotéol7 a développé une filière permettant de produire ce type de résines à partir de la biomasse. En mettant en réaction ces acides gras naturels avec des diamines, des diols ou des isocyanates, au cours de réactions de polycondensation8, on peut aboutir à la formation de polymères de type polyamides, polyesters et polyuréthanes (Figure 16). Au sujet des polyuréthanes, des études universitaires sont 7. www.sofiproteol.com 8. La polycondensation est un mécanisme de polymérisation qui procède par étapes indépendantes : les monomères, avec deux ou plusieurs groupements fonctionnels (groupement carboxyle, groupement amino, etc.), réagissent pour former des dimères, puis des trimères, pour aboutir à des chaînes de plus en plus longues de polymères.

• Paille

• Colza • Graines • Alimentation animale

• Trituration

• Tourteau

• Alimentation animale

• Soap stocks (phospholipides, savons, triglycérides)

• Démucilagination Neutralisation

• Phospholipides

• Restent sur la parcelle

• Valorisation énergétique

• Lipochimie • Décoloration, désodorisation

• Phytostérols, Tocophérols

• Alcool behénique • (filière colza érucique seulement)

• Cosmétique

• Huile semi-raffinée

• Trans-estérification

• Esters éthyliques

• Huiles acides

• Huile raffinée

• Traitement acide

• Alimentaire, cosmétique

• Hydrogénation, distillation

• Distillation • Estérification

• Huiles acides

• Glycérol

• Fibres

• Carbonate de glycérol

• Polyglycérols et esters

• Tensioactifs, lubrifiants, traitement du bois

• Glycidol • Polyglycidol • Résines époxy

• Alcools gras

• Tabac, IAA, cosmétique, indu.

• Valorisation comme Polyol

• Glycidol

• Pour encres d’imprimerie

• Esters de glycérol

• 1,3 propanediol • PTT

• Peintures

• Adjuvants phytosanitaires

• Esters méthyliques

• Dihydroxyacétone, ac. pyruvique, ac. glycémique, analogues PLA…

• Polyuréthanes

• Cosmétiques, lubrifiants

• Acides gras et dérivés (esters)

• Distillation

• Pharmacie, cosmétique, Indus • Glycérine brute

• Résines alkyles siccatives

• Trans-estérification • Phytostérols

• Pharmacie, cosmétique

• Biolubrifiants (colza 00 ou eucérique) • Polyols

• Carburants

• Solvants

• Alimentation animale

Couleur et habitat « vert »

• Semences, eau, engrais, produits phytosanitaire, fuel, …

• Biolubrifiants

• Biodiesel

• ASA

Traitement du bois

• Alcools gras éthoxylés ou sulfatés

• Tensioactifs (cosmétique)

• Carburants

Polyuréthanes • Résines alkydes…

actuellement réalisées pour accéder à ces polymères sans partir d’isocyanates, molécules problématiques du fait de leur toxicité (voir aussi le Chapitre de J. Souvestre, Encart : « Des polymères synthétiques pour notre quotidien. Exemples du polystyrène et du polyuréthane »).

sines thermoplastiques à partir du propanediol, etc. (Figure 17). 3.3.3. La synthèse de pigments bio-sourcés Enfin, une filière de l’amidon est développée, notamment par la société française

Figure 15 La filière du colza est très riche et permet notamment l’accès à des ingrédients de peintures.

Figure 16 Utilisation de diacides issus d’oléagineux pour la synthèse de résines.

De son côté, le glycérol permet l’accès à de nombreux produits comme des résines acr yliques ou des résines époxy 9, ou encore des ré9. Époxy est une contraction d’époxyde. Les résines époxy, résultant de la polymérisation d’un époxyde, sont couramment utilisées comme peintures ou colles. Elles durcissent irréversiblement sous l’effet de la chaleur ou par adjonction d’un catalyseur (voir aussi l’ouvrage La chimie et le sport. Chapitre de N. Puget. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011).

251

La chimie et l’habitat

LES RÉSINES, INGRÉDIENTS CLÉS DES PEINTURES Les peintures, une question de formulation Les peintures sont des préparations composées de plusieurs types d’ingrédients : les pigments pour la couleur, le solvant pour la fl uidifi cation et l’application, des liants faits à partir de résines pour maintenir les pigments à l’état dispersé, des charges pour épaissir et des adjuvants pour optimiser la peinture dans le temps. Qu’est-ce qu’une résine ? Les résines, un rôle clé pour une peinture Les résines sont des polymères, naturels ou artificiels, qui vont modifier la consistance voire l’aspect d’une peinture ou d’un vernis grâce à des propriétés physiques qui peuvent être thermoplastiques ou thermodurcissables. Parmi les résines naturelles, on peut citer le mastic, le dammar, l’ambre ou encore la gomme laque. Les résines synthétiques sont généralement dérivées d’hydrocarbures. Parmi elles, on peut citer les résines acryliques, les résines cétoniques et les résines alkydes. Les résines alkydes (vient de « alcool » et « acide ») sont des polyesters synthétiques modifiés avec des acides gras – naturels (huile de lin…) ou synthétiques – qui donnent une souplesse à la préparation. Elles sont dérivées de polyols tels que le glycérol (voir la formule sur la Figure 12), et d’un acide dicarboxylique ou anhydride d’acide carboxylique. Certaines résines alkydes ont des propriétés siccatives, c’est-à-dire qu’elles sèchent rapidement à l’air, conduisant à la formation d’un film. Quelles huiles confèrent aux résines des propriétés siccatives ? Des huiles pour le séchage Ce sont les huiles insaturées, c’est-à-dire celles qui comportent une ou plusieurs doubles liaisons, qui ont la propriété de réagir avec l’oxygène de l’air. Un enchaînement de réactions radicalaires complexes se produit alors pour aboutir à la formation d’un réseau tridimensionnel par réticulation des chaînes d’acides gras, l’ensemble formant alors un film souple et résistant. C’est ainsi que se déroule le processus de séchage de la peinture. Une huile de choix pour le séchage est l’huile de lin. Elle est constituée d’un mélange de triglycérides, à savoir de triesters du glycérol et d’acides gras insaturés, principalement l’acide linoléique (« oméga-6 »), l’acide linolénique (« oméga-3 ») et l’acide oléique, d’où son nom « lin ». L’huile de lin polymérise spontanément à l’air, ce qui permet de l’utiliser comme siccatif efficace (par exemple dans des vernis de finition), comme liant de broyage pour la peinture à l’huile ou comme agent plastifiant du mastic vitrier. L’huile de noix est également utilisée pour le séchage car elle est essentiellement composée d’acide linoléique et d’acide oléique.

Pour aller plus loin : La chimie et l’art, le génie au service de l’homme. Chapitre de B. Valeur. Coordonné par Minh-Thu DinhAudouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2010.

252

Figure 17

OH

1,3-propanediol

Cl Procédé Épicerol

Hydrogénation catalytique Conversion enzymatique Conversion enzymatique

HO OH Conversion Propylène glycol enzymatique (MPG)

HO

Via acroléine déshydratation du glycérol

HO

O

Carbamoylation/carbonylation Urée/cat. Zn

OH O

OH Acide acrylique

Roquette10, qui utilise le glucose (monomère constitutif de l’amidon) pour accéder à une multitude de composés dont l’acide succinique (Figure 18). Cette molécule est un précurseur du diméthylsuccinosuccinate (DMSS), qui donne l’accès à de nombreux pigments organiques de la famille des quinacridones et de celle des dikéto-pyrrolopyrroles, pigments organiques de haute performance qui permettent de réaliser une ribambelle de jaunes, d’oranges, de rouges et de violets. 3.4. Chimie du végétal : où en sommes-nous dans l’industrie ? 3.4.1. Une dynamique prometteuse On assiste aujourd’hui à un début de maturité dans le domaine des polymères thermoplastiques et thermodurcissables. La société Roquette, par exemple, connaît un franc succès avec ses résines Gaïalen®, qui sont des chaînes modifiées à partir d’amidon et qui ressemblent beaucoup au polyéthylène. Citons également 10. www.roquette.fr

OH

Dihydroxyacétone (DHA)

OH OH

Les intermédiaires dérivés du glycérol.

O

Couleur et habitat « vert »

HD

O

Zéolithe

O OH

O O Carbonate de glycérol

Glycidol

O

H3CO2C

(CH2)2

CO2CH3

CO2CH3

NaOCH3 CH3OH

DBE-4 H3CO2C O DMSS

la société brésilienne Braskem dont la notoriété n’est plus à faire dans le domaine de la fabrication de polyéthylène à partir de la canne à sucre. Des innovations très intéressantes sont attendues du côté des résines liquides pour encres, peintures, adhésifs, colorants et additifs. On a désormais accès à la chimie des époxydes à partir du glycérol ; Solvay synthétise l’épichlorhydrine, que l’on peut faire réagir avec du bisphénol pour former des résines époxydes11. Des recherches sont en cours pour trouver un substitut au bisphénol qui pose des problèmes de toxicologie. 11. Voir l’ouvrage La chimie et le sport. Chapitre de N. Puget. Coordonné par Minh-Thu DinhAudouin, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2011.

Figure 18 L’acide succinique bio-sourcé et son dérivé DBE-4 (« dibasic ester » ou succinate de diméthyle) sont précurseurs du diméthylsuccinosuccinate (DMSS), lequel donne accès à une large gamme de pigments de la famille des quinacridones et de celle des dikéto-pyrrolopyrroles.

253

La chimie et l’habitat

Ainsi une dynamique très intéressante est en marche. Elle va dans le sens du souci croissant de « développement et de croissance durables » qui fait que l’on se pose aujour d’hui de s que s tions comme : « Comment puis-je dans ma voiture ou dans mon packaging introduire un maximum d’ingrédients qui me libèrent du boulet des ressources fossiles ? » On pressent bien qu’à terme, il va falloir trouver des alternatives. Des progrès en développement automobile et en packaging sont actuellement en train d’ouvrir de grandes portes à tous ces agro-industriels qui étaient des chimistes en devenir et qui le deviennent de plus en plus. Les enjeux sont importants car un nouveau marché s’ouvre et va permettre d’abaisser considérablement les coûts en produisant de gros volumes. L’acide succinique issu de la betterave ou de l’amidon connaît déjà des applications industrielles car il est compétitif par rapport au produit traditionnel issu du pétrole. 3.4.2. Une réalité industrielle dans le domaine de la décoration

254

Quelles résines bio-sourcées avons-nous aujourd’hui à disposition pour les peintures et vernis ? Des résines acr yliques et des résines alkydes diluables dans l’eau sont disponibles et permettent de retrouver ces belles laques que l’on avait dans le passé et que l’on ne pouvait plus utiliser du fait d’une trop grande quantité de solvant. Il est désormais possible de les fabriquer à l’eau et de re-

trouver la même beauté. Tout un travail est à réaliser sur les solvants bio-sourcés. Ils sont cependant encore lourds et gras (peu volatils), ce qui empêche une évaporation efficace et leurs applications sont encore limitées (2 à 3 % du marché national des solvants). Des progrès sont donc attendus dans ce domaine. Aujourd’hui, les sociétés de peinture ont généralement dans leurs laboratoires des programmes de recherche et développement sur des gammes de bio-peintures. Citons parmi elles la société Derivery qui a reçu le prix Pierre Potier en 2008 pour ses premières formules de biopeinture et la société PPG qui vient de relancer sa marque historique Ripolin sur ce segment. Dans le domaine des solvants, un travail remarquable a été fait par le pôle de compétitivité Industries et agro-ressources (IAR)12 pour identifier tous les solvants extraits de végétaux commercialisables (Figure 19). Un autre travail intéressant réalisé par IAR a consisté à comparer les ingrédients synthétiques aux ingrédients « naturels » des peintures (Tableau 1). Une opposition est souvent faite entre la présupposée toxicité des peintures synthétiques et la bonne situation des peintures d’origine naturelle. Or, il faut mentionner que de nombreux pigments traditionnels étaient toxiques. D’autre part, l’inconvénient des pigments minéraux ou d’origine végétale

12. www.iar-pole.com

Nom

O

262/760

> 110



180/12

> 110



218/20

> 110



224/17

> 110



167/1

> 110



259/760

138



154/760

48

225/760

107



O

214/760

107



O

217/760

90



57/760

– 16

77/760

–3

101/760

13

Laurate de méthyle

O O

Myristate d’éthyle

O O

Oléate d’éthyle

O O

Linoléate d’éthyle

O O

Linolénate d’éthyle

O O

O O

Triacétate de glycérol

O O O

OH

O

Lactate d’éthyle

R10, 37, 41

Succinate de diéthyle (DMS)

O

O O O

Néanmoins, la chimie du végétal nous permet de retrouver un schéma de développement qui soit durable, tout en restant performant. Elle permet donc de faire une bonne synthèse de ces deux approches qui semblaient divergentes.

O

O

Glutarate de diméthyle (DMG)

O

O

Adipate de diméthyle (DMA)

O O

Esters

O O

Acétate de méthyle

O O

Acétate d’éthyle Acétate de n-propyle

O O O O

Acétate d’isopropyle Acétate de n-butyle

O O O O

Acétate d’isobutyle

O

7 28

117/760

21

R10, 66, 67 R11, 66

78/760

12

R11

35

R10, 22, 37, 38, 41, 67

137/760

48

R10, 20

197/760

> 110

R22

187/760

107



214/760

129



170/760

75

351/760

> 200



α-Pinène

156/760

32

R10, 20, 21, 22, 36, 37, 38

β-Pinène

167/760

32

R10, 20, 21, 22, 36, 37, 38

δ-Limonène

175/760

48

Éthanol

Derrière cette chimie du végétal se cache une forte mobilisation d’acteurs. Une première mondiale a été la création en 2008 de l’Association chimie du végétal (ACDV), par une initiative de l’Union des industries chimiques (UIC), l’Union des syndicats des industries des produits amylacés et de leurs dérivés (USIPA), l’IAR et les entreprises Rhodia et Roquette, ses membres fondateurs. Cette association a pour rôle de conduire une réflexion stratégique pour dynamiser ce secteur d’innovation, d’être une force de représentation et d’influence en France, en Europe et dans le monde, et d’être une maison de concertation pour les acteurs en question. Parmi ses membres, on trouve les grands groupes chimiques de France tels que Rhodia, BASF, Cognis, Arkema, Solvay, etc., les grands agro-industriels

Alcool isoamylique

OH

Butanol

Propanediol-1,3 Alcool furfurylique

OH OH OH OH OH

Propylène glycol ou propanediol-1,2

OH

OH

Éthylène glycol

Alcools

88/760 126/760

R11, 36, 66 R11, 36, 66, 67 R11, 36, 66, 67 R11, 36, 66, 67

118/760

3.4.3. Une forte mobilisation des acteurs clés

OH

réside dans le faible choix de coloris offert. De force colorante faible, ils permettent de faire seulement des teintes pastel ; quant aux colorants naturels, ils résistent mal aux ultraviolets, ce qui pose un problème de dégradation de la couleur. Les pigments et colorants naturels ne sont donc pas la réponse aux divers besoins.

Point T. éb Étiquetage (°C/mmHg) éclair (°C)

Formule

Couleur et habitat « vert »

SOLVANTS VERTS DISPONIBLES

O

OH OH

R20/21/22

O

Carbonate de glycérol

O O

Terpènes

OH

français comme Sofiprotéol, Roquette, Unigrains, ainsi que de nombreuses PME voire de start-up spécialisées dans la synthèse enz ymatique ou dans les technologies blanches. Nombre d’entre eux font partie de pôles de compétitivité comme Axelera13, IAR et

13. www.axelera.org

R10, 38, 43, 50/53

Figure 19 Les bio-solvants : déjà une belle palette !

255

La chimie et l’habitat

Tableau 1 Composition des peintures : risques/opportunités. Source : IAR.

Peintures synthétiques Composants

256

Avantages/ inconvénients

Peintures « naturelles » Composants

Avantages/ inconvénients

Liant

Polymères synthétiques (résines acryliques, vinyliques ou époxydes, polyuréthanes, polyester, caoutchouc chloré)

Facilité d’emploi Séchage rapide Certains sont cancérigènes ou irritants Imperméables à la vapeur d’eau

Huiles de lin, de ricin ou de romarin Cire d’abeille Caséines

Pénétration du support (durent plus longtemps) Perméabilité à la vapeur d’eau (sauf laques à huiles) Séchage lent

Solvant

Hydrocarbures (white-spirit, toluène, xylène) Alcools Cétones (acétone) Eau

Intoxications (troubles neurologiques, digestifs et respiratoires) parfois très sévères Dermatoses et allergies Émission de composés organiques volatils (COV) Peu dégradables

Eau Essence de térébenthine (pin) Terpènes d’agrumes (citron, orange…)

À forte concentration, irritant pour la peau et les muqueuses, mais sans effet à long terme (essences d’agrumes moins irritantes que celles de térébenthine)

Pigment

Métaux lourds (plomb, chrome, zinc, cadmium…)

Risque d’intoxication Pigments minéraux (ocre, terre de sienne, oxyde de fer…) Teintures végétales (thé, indigo, brou de noix…)

Charge

Métaux naturels ayant subi des traitements chimiques

Additif

Plomb, cobalt

Matériaux naturels sans traitement chimique (chaux, talc, kaolin) PCP (pentachlorolphénol) et lindane (organochloré) cancérigènes, tératogènes et toxiques puissants du système nerveux Grande rémanence

Moins de couleurs possibles

Le pôle IAR a récemment lancé une base de données intéressante mettant à disposition du public un annuaire sur les agro-matériaux et biomolécules15. On peut y trouver le solvant, la résine et tous les matériaux dont on a besoin, ainsi que des propositions de produits commercialisés aujourd’hui par les professionnels. Ce site est appelé à se développer fortement.

encres, les joints, les adhésifs, les peintures, ou encore les plastiques. Deux opportunités stratégiques s’offrent ainsi pour l’industrie chimique française :

3.5. Chimie du végétal et chimie de formulation

− la chimie du végétal va inviter les partenaires des filières complètes (emballages, automobile, bâtiment) à se mettre autour d’une table pour essayer de rentrer dans l’éco-conception des produits, depuis le produit fini jusqu’à l’amont, la matière première. Il est maintenant possible de travailler à livre ouvert sur la créativité dans ce domaine, ce qui mènera à de nouvelles sources d’innovation technologiques et artistiques ;

Depuis une quinzaine d’années, l’innovation dans la chimie s’essouffl ait quelque peu. Avec la chimie du végétal, on retrouve une offre de spécialités chimiques nouvelles, ainsi que de nouveaux gisements d’innovation pour les cosmétiques, les

− ce nouveau secteur ouvre la possibilité de reconstruire des barrières d’entrées technologiques face à la concurrence internationale et donc mène à une relocalisation compétitive, ce qui est un facteur clé de succès pour nos économies occidentales notamment.

14. Site du pôle MAUD (Matériaux et applications pour une utilisation durable) : www.polemaud.com 15. www.agrobiobase.com

Couleur et habitat « vert »

le pôle Maud14 et leur coopération permet de dynamiser fortement le secteur de la chimie du végétal.

257

La chimie et l’habitat

La chimie du végétal, un retour vers le futur ! L’empreinte de notre ancêtre dans la grotte Chauvet montre que l’homme est un animal très particulier, le seul qui a la possibilité de pouvoir mettre la main sur l’univers qui l’entoure (Figure 20). C’est ce que montrent aussi les deux cents ans qui se sont écoulés derrière nous, période au cours de laquelle on a trouvé une magnifique opportunité d’avoir du carbone fossile peu cher et facile à exploiter. Après s’être jetés sur cette ressource, on réalise que l’on se trouve aujourd’hui dans une impasse. Réalisons que deux cents ans par rapport à l’histoire de l’humanité, c’est vraiment infime. Il va falloir trouver une alternative au pétrole, qui devient une denrée rare à utiliser de plus en plus avec parcimonie, en même temps que des efforts seront à fournir pour recycler au maximum. Néanmoins, au vu de la croissance de la population terrestre, qui aura vraisemblablement toujours envie de décorer son habitat, des solutions alternatives durables devront prendre le pas pour permettre de satisfaire en technologie et en quantité les besoins à venir.

Figure 20 Comme depuis toujours, la chimie de demain contribuera fortement au confort et à la beauté de notre habitat. Empreinte de main d’un Aurignacien (Paléolithique supérieur) sur les parois de la grotte Chauvet : il y a environ 30 000 ans, ces hommes ont été les premiers sapiens sapiens à fabriquer des images.

258

Couleur et habitat « vert »

Il est hors de doute que la chimie de demain, comme elle l’a toujours fait, contribuera largement au confort et à la beauté de notre habitat. À la seule différence que la chimie du végétal ouvre une perspective intéressante qui nous donnera l’accès à un confort et une beauté qui seront durables, car basés sur le « génie » chimique des matières premières renouvelables. Le terme « génie » se rapporte non seulement au génie chimique, celui qui met en œuvre des procédés industriels en usine (celui qui manie des vannes, des tuyaux et des boulons), et dont on a besoin pour toute synthèse à grand échelle, mais désigne également le génie au sens strict du terme, c’est-àdire l’intelligence. Et c’est sans doute ce qui est en train de se passer actuellement : un certain retour vers le futur, un retour qui apparaît plein de raison, d’intelligence et surtout plein d’espérance, ce qui, dans le contexte économique actuel et géopolitique, arrive à point nommé (Figure 21).

Figure 21 Un confort et une beauté durables car fondés sur le « génie » chimique en matières premières renouvelables.

259

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

des

matériaux

et évaluation environnementale

Professeur de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Lyon, Jaques Méhu est directeur de la plateforme Provademse, une plateforme d’innovation technologique de Rhône-Alpes dédiée aux écotechnologies et en particulier à des études sur le recyclage et l’évaluation environnementale.

Le bâtiment et travaux publics (BTP) est à la fois un secteur industriel de grande consommation de matières premières et de grande production de déchets (voir aussi les Chapitres d’A. Ehrlacher et de P. Hamelin). C’est donc le domaine par excellence du recyclage des matériaux en boucle courte (déchets du BTP réutilisés en BTP) et en « import/export » (déchets du BTP réutilisés dans d’autres secteurs ou déchets d’autres secteurs industriels réutilisés en BTP). Compte tenu de la raréfaction des ressources naturelles minérales et de la volonté d’en limiter le prélèvement dans le milieu naturel, la priorité actuelle va vers l’importation

de déchets candidats à être réutilisés en BTP. Quel est l’état des lieux dans la valorisation des déchets1 de construction en Europe et dans l’évaluation environnementale pour chacun des deux secteurs, celui du bâtiment et celui des travaux publics ? Où en sont les règlementations ?

Recycler les matériaux de construction et pour la construction : un chantier de taille !

1

Le rec yclage des matériaux représente un enjeu 1. Remarque : dans ce chapitre, les déchets métalliques ne seront pas abordés.

Jacques Méhu Recyclage des matériaux et évaluation environnementale

Recyclage

La chimie et l’habitat

considérable pour le domaine du bâtiment et des travaux publics, et mobilise de nombreux industriels et équipes de recherche. Et pour cause, en plus de générer d’énormes quantités de déchets de chantiers que l’on va chercher à valoriser, les activités de construction sont ellesmêmes amenées à utiliser des matières premières secondaires, c’est-à-dire celles qui ont déjà connu un premier cycle de vie dans d’autres domaines industriels ou urbains.

Figure 1 Les trois phases du cycle des matériaux de construction – élaboration, vie en œuvre et déconstruction – génèrent d’immenses quantités de déchets. Comment les recycler ?

262

Pour donner une idée de l’ampleur, trente-quatre millions de tonnes de déchets de chantiers du bâtiment sont générées chaque année en France, aussi bien pour la construction et la réhabilitation que pour la démolition. Si l’on regarde la consommation dans le domaine des travaux publics, ce sont par exemple 20 000 tonnes de ma-

tériaux par kilomètre qui sont utilisées pour construire les routes en France. C’est un défi de taille que de recycler les matériaux utilisés massivement dans la construction, et ce, à toutes leurs phases de vie. Une première phase correspond à l’élaboration, à partir de l’extraction de matières naturelles comme l’argile ou le calcaire, de matériaux basiques tels que la chaux ou le ciment, lesquels vont permettre de construire des produits plus complexes, allant des briques jusqu’aux matériaux d’isolation les plus élaborés, recouvrant un domaine industriel important. Arrive le domaine de « la vie en œuvre », également très important d’un point de vue règlementaire car on y est notamment confronté à la proximité de l’être humain qui va occuper les lieux. Enfin arrive le domaine de la fin de vie, c’est-à-dire la phase de déconstruction suivie de la phase de démolition (Figure 1), du recyclage et in fine du stockage des matériaux non recyclables. Ces trois phases de vie – élaboration, vie en œuvre et démolition – génèrent des déchets que l’on envisage désormais de plus en plus de valoriser… Aussi la communauté européenne a fixé des engagements en matière de limitation et de valorisation des déchets (voir le paragraphe 4). Mais il n’existe aujourd’hui pas de réglementation cadre et/ou spécifique concernant l’usage de matières premières secondaires dans les matériaux et produits de construction pour le bâtiment…

Recyclage des matériaux et évaluation environnementale

Bâtiments et travaux publics : des exigences différentes

2

2.1. Le secteur du bâtiment Le bâtiment et les travaux publics représentent deux domaines chacun aux exigences mécaniques et techniques propres : dans le bâtiment, les exigences techniques sont dues aux besoins de résistance mécanique, mais aussi de résistance aux intempéries, nécessitant d’utiliser par exemple les bétons les plus performants, ainsi qu’illustré dans les Chapitres d’A. Ehrlacher, P. Hamelin et J.-P. Viguier. S’y ajoute une exigence sanitaire, liée à un souci croissant de la qualité de l’air qui règne à l’intérieur des bâtiments, comme l’abordent les Chapitres de M.J. Ledoux et V. Pernelet-Joly (Figure 2). Sont également très surveillées les émissions de polluants par l’eau à travers un important réseau urbain d’eau captive. Des chercheurs de l’INSA travaillent sur l’hydrologie urbaine et ont pour projet, avec le CSTB (voir le Chapitre de V. Pernelet-Joly, Encart : « Le CSTB et l’OQAI »), un programme de recherche sur le terme source du bâti. Le secteur du bâtiment utilise-t-il des déchets recyclés ? Pour l’instant, on a peu de retours d’expériences de recyclage et de valorisation de matières premières secondaires, tout au moins en ce qui concerne les matériaux dits de structures, c’est-à-dire ceux qui donnent la solidité aux bâtiments (les cendres de centrales thermiques au charbon sont depuis long-

temps utilisées en substitution ou en complément du ciment dans les bétons, comme nous le verrons dans le paragraphe 3). 2.2. Le secteur des travaux publics Le domaine des travaux publics impose quant à lui des exigences techniques et mécaniques plus faibles, avec une sensibilité moindre à l’impact sanitaire. Pourtant, il existe bien un impact sanitaire indirect à prendre en compte, à travers le milieu naturel, les sols agricoles,

Figure 2 Les exigences du secteur du bâtiment sont multiples : résistance mécanique, résistance aux intempéries, mais également qualité sanitaire des matériaux pour les futurs occupants et performance énergétique (voir la partie 2 de cet ouvrage).

263

La chimie et l’habitat

Figure 3 Les chaussées bitumées sont composées de différents types de couches : la couche de roulement (généralement en béton bitumeux), la structure de chaussée (graves, granulats), l’ensemble reposant sur le sol par l’intermédiaire de la couche de forme et le remblai. Certaines chaussées sont plus perméables car conçues pour permettre de ralentir le ruissellement d’eau en cas de pluie, pour empêcher les inondations. On estime que selon son intensité, 10 à 30 % de la pluie peut s’infiltrer dans les ouvrages routiers.

Figure 4 En France, les routes sont construites avec du bitume, substance noire très visqueuse correspondant à un mélange d’hydrocarbures obtenus par distillation du pétrole.

264

les nappes phréatiques et les eaux de surface auxquelles sont reliés directement les ouvrages de travaux publics. En revanche, ce contact direct avec le milieu naturel rend l’impact environnemental particulièrement sensible. Le retour d’expérience sur la valorisation des déchets de travaux publics est quant à lui très important, puisque depuis plusieurs dizaines voire centaines d’années, de grandes variétés de déchets ont été utilisés en technique routière. Pour construire ces routes, on a recours à plusieurs types de matériaux, en fonction des linéaires (autoroutes, routes nationales…), mais aussi en fonction des couches de routes (Figure 3). Leur nature diffère aussi selon les pays : en France, les routes sont généralement construites avec des matériaux dits « noirs », c’est-à-dire avec beaucoup de bitumes à plusieurs étages (Figure 4), alors qu’aux ÉtatsUnis ce sont plutôt des matériaux dits « blancs », principalement constitués de béton et de ciment.

Recyclage des matériaux et évaluation environnementale

Quels matériaux valorisés pour la construction ?2

3

Quelles sont les voies de valorisation de déchets pour le bâtiment et les travaux publics ? Pour rappel, les matériaux utilisés dans la construction sont de trois types : - les matériaux dits « non liés », constitués de granulats (Figure 5), fragments de roches (ou graviers) qui forment la base des systèmes et qui sont par exemple utilisés dans les remblais pour le terrassement des routes (voir la Figure 3) ; – les matériaux « liés » avec des liants hydrauliques (Encart : « Le béton, un matériau de construction inégalé ») ; – les matériaux dits « noirs », liés avec du bitume. Pour fournir des granulats, les principaux flux de matières premières secondaires (hors laitiers de haut fourneaux et cendres volantes de charbon) viennent du traitement des déchets ménagers, sous forme de mâchefers d’incinération d’ordures ménagères (MIOM). Leur valorisation dépend des pays, avec par exemple une forte utilisation proche de 100 % aux Pays-Bas, alors qu’elle est plus modeste en France où l’on dispose d’une importante réserve de granulats naturels (sable ou roche concas2. Nous nous limiterons aux matériaux de structures, bien qu’il y ait également beaucoup à dire sur des matériaux fonctionnels, qui vont de la paille – déchet de l’agriculture qui peut être utilisé pour l’isolation de bâtiments –, le bois ou de nombreux matériaux techniques (polymères…).

sée) utilisés principalement pour les remblais routiers. Pour réaliser ces remblais, on peut également utiliser des cendres volantes (résidus de combustion du charbon), des laitiers 3 de sidérurgie cristallisés, ou encore des granulats de bétons recyclés : une part du recyclage des déchets de démolition trouve une place en travaux publics.

Figure 5 Transport de granulats par convoyeur à bande en vue du stockage. Utilisés dans la construction de routes et de bâtiments, les granulats peuvent provenir du milieu naturel (sable, roche concassée) ou de la valorisation des déchets ménagers.

Pour des usages à plus hautes valeurs ajoutées, la fumée de silice 4 se révèle particulièrement intéressante, comme l’a mentionné J.-P. Viguier. Ce sous-produit de la métallurgie et de la production de silicium peut être utilisé dans

3. Un laitier est un sous-produit de la sidérurgie ou de la métallurgie contenant des oxydes métalliques, généralement des silicates, des aluminates et de la chaux, formés en cours de fusion ou d’élaboration de métaux par voie liquide. 4. Les fumées de silice sont formées de particules très fines de moins de cent millimètres ayant une très haute teneur en silice amorphe.

265

La chimie et l’habitat

certains bétons leur permettant d’atteindre d’importantes performances en termes de résistance à la flexion et à la compression. Principal liant utilisé dans le béton, le ciment peut être remplacé entièrement ou partiellement par d’autres matériaux qui vont améliorer la fluidité, la mise en œuvre et la compacité du béton (Encart « Le béton, un matériau de construction inégalé »). Parmi ces matériaux on trouve les laitiers de hauts-fourneaux sous forme granulée, c’està-dire sous forme vitreuse et finement broyée. On utilise également des cendres volantes de charbon et, de façon plus exploratoire, des cendres volantes d’incinération de déchets non dangereux, principalement constituées de silice amorphe (SiO2) générée dans des conditions particulières d’incinération. La présence de cette silice amorphe confère aux cendres des propriétés dites pouzzolaniques, car proches de celles des pouzzolanes5, ces roches volcaniques utilisées à l’époque romaine dans la fabrication de bétons particulièrement résistants à l’eau6. Quelle est cette propriété de pouzzolanicité ? Lorsqu’on prépare du béton (Figure 7), au moment du processus de durcisse-

266

5. Pouzzolane, du latin pulvis puteolana, désigne les sables de Pouzzoles, ancienne Dikearchie (Cité de la Justice), port italien riche en sable volcanique, situé au pied du Vésuve. Sa composition est proche de celle du basalte. 6. Le béton romain était fabriqué avec de la chaux éteinte mélangée à de la silice issue des cendres volantes d’un volcan et à de l’eau.

ment, le ciment s’hydrate en présence d’eau pour libérer de la chaux Ca(OH)2, laquelle va pouvoir se combiner à la cendre volante pour former des composants qui vont s’hydrater à leur tour, se durcir avec le temps et compléter la compacité du ciment, tout en le rendant imperméable. Depuis peu, on valorise également des cendres volantes de papeterie, de même que l’INSA mène actuellement des recherches en vue de valoriser les cendres volantes d’incinération de boues de stations d’épuration, lesquelles sont par ailleurs de moins en moins valorisées pour l’agriculture.

Recyclage des matériaux et évaluation environnementale : quelles règlementations ?

4

4.1. Le contexte réglementaire européen Quel est le contexte règlementaire européen concernant les déchets et la construction ? Parmi les nombreuses réglementations existantes sur les déchets, citons la Directive Cadre Déchets, qui a connu plusieurs modifications depuis sa première parution en 1975, et dont la dernière date de novembre 2008, avec une ordonnance en 2010. Dans cette directive, figurent deux articles intéressants vis-à-vis de la valorisation : l’article 5 concerne la notion de sousproduits et l’article 6 porte sur la fin du statut de déchet (Encart « La Directive Cadre Déchets »).

Le béton est un matériau très ancien déjà utilisé par les Romains, comme en témoigne le pont du Gard qui a environ deux mille ans (voir le Chapitre de J.-P. Viguier) ! Cependant, les architectes de l’époque privilégiaient encore la pierre, et c’est en 1756 que l’ingénieur britannique John Smeaton redécouvre le principe du béton, dont l’utilisation s’est ensuite généralisée au milieu du XX e siècle. Avec un volume se chiffrant en milliards de tonnes par an, le béton reste aujourd’hui le matériau de construction le plus utilisé au monde (Figure 6).

Figure 6

Recyclage des matériaux et évaluation environnementale

LE BÉTON, UN MATÉRIAU DE CONSTRUCTION INÉGALÉ

Déjà utilisé depuis l’époque romaine, le béton est aujourd’hui le matériau de construction le plus utilisé.

Qu’est-ce que le béton chimiquement ? Le béton est un matériau de construction composite, résultat d’un mélange intime de granulats – le plus souvent du sable et des pierres – agglomérés par un liant. Ce liant est qualifié d’hydraulique car il se forme et durcit par réaction chimique avec de l’eau (voir aussi le Chapitre d’A. Ehrlacher). Le liant le plus utilisé est le ciment, matière pulvérulente qui forme avec l’eau ou avec une solution saline une pâte plastique capable d’agglomérer des substances variées en durcissant. En agrégeant du sable fin avec du ciment, on obtient un mortier qui conduit à ce qu’on appelle le béton de ciment. L’ajout d’un maillage de tiges de fer torsadées conduit au béton armé, largement répandu dans les constructions civiles nécessitant une grande solidité. L’ajout d’adjuvants permet de modifier certaines propriétés physico-chimiques du béton : par exemple l’ajout de plastifiants permettent d’augmenter sa fluidité, facilitant sa mise en œuvre ; l’adjonction d’une résine polymère permet de le rendre hydrofuge, etc. (Figure 7).

Figure 7 Au cours de la préparation du béton, l’ajout de divers adjuvants permet de changer les propriétés du béton en fonction des utilisations : plasticité, fluidité au moment de la mise en œuvre, ou imperméabilité une fois durci. Pour aller plus loin : Pichat P. (2008). Dix milliards de tonnes par an de béton. L’Act. Chim., 315 : 12. 267

La chimie et l’habitat

Au cours des trente dernières années, des procès ont eu lieu entre des industriels et la commission européenne autour de la notion de « sousproduit » : certains industriels défendaient l’idée qu’un certain nombre de matières produites par des procédés, et qui ne sont pas le produit visé par ce procédé, ne devraient pas être considérées comme des déchets mais comme des sous-produits. Quasiment tous les procès ont été remportés par la commission, se basant sur un principe intangible : un procédé ne génère qu’un seul produit et toutes les sorties alternatives de matières sont considérées soit comme des effluents, soit comme des déchets. C’est ce principe qui a été suivi au cours du travail effectué dans le catalogue européen des déchets à la direction générale environnement du ministère. La nouvelle directive ouvre désormais une fenêtre juridique et règlementaire dans ce domaine en considérant que, moyennant un certain nombre de critères et de dossiers que l’industriel doit fournir, d’autres sorties alternatives des procédés que celles du produit et des déchets peuvent être considérées comme des sous-produits, les critères tenant à la régularité, l’utilisation et la qualité de ces sorties, ces nouveaux flux de matières.

268

Un deuxième aspect réglementaire important, récent et avec encore peu de retours d’expériences, est la possibilité, pour un déchet qui aura fait l’objet de traitements, de valorisations, d’améliorations, etc., d’avoir dans son nouvel

usage à nouveau un statut de matière première, et non plus celui de déchet valorisé. Autrefois, toute la valorisation de matière première secondaire était de la valorisation de déchets, ceux-ci ne perdant pas leur statut. Mais dans le cadre de valorisations très régulières, sans aucun impact environnemental, avec un certain nombre de précautions, on pourra maintenant assister à la fin de statuts de déchets… une véritable révolution juridique qui a bénéficié au domaine de la construction. Qu’en est-il de la réglementation européenne dans le domaine spécifique de la construction ? Les textes concernant les déchets de construction sont peu nombreux. Citons principalement la Directive Produits de Construction (Encart : « La Directive Produits de Construction ») qui établit des exigences d’ordre environnemental. Une exigence essentielle est l’« hygiène, santé et environnement », qui concerne la garantie que doivent apporter les produits de construction vis-à-vis des objectifs d’hygiène, de santé et d’environnement. Objectifs qui ont impliqué un immense travail normatif, décrit dans les paragraphes qui suivent. Une nouvelle exigence a récemment été ajoutée, qui concerne le domaine de la valorisation et qui met l’accent sur l’importance d’utiliser des matériaux recyclés et recyclables dans la construction, et d’autre part d’intégrer des matières premières venant d’autres domaines (exigence n° 7 : voir l’Encart : « La Directive Produits de Construction »).

19 novembre 2008 (Ordonnance-n° 2010-1579 du 17 décembre_2010) Article 5 - Sous-produits 1. Une substance ou un objet issu d’un processus de production dont le but premier n’est pas la production dudit bien ne peut être considéré comme un sous-produit et non comme un déchet au sens de l’article 3, point 1, que si les conditions suivantes sont remplies : a) l’utilisation ultérieure de la substance ou de l’objet est certaine ; b) la substance ou l’objet peut être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes ; c) la substance ou l’objet est produit en faisant partie intégrante d’un processus de production ; et d) l’utilisation ultérieure est légale, c’est-à-dire que la substance ou l’objet répond à toutes les prescriptions pertinentes relatives au produit, à l’environnement et à la protection de la santé prévues pour l’utilisation spécifique et n’aura pas d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine.

Recyclage des matériaux et évaluation environnementale

LA DIRECTIVE CADRE DÉCHETS

Article 6 - Fin du statut de déchet 1. Certains déchets cessent d’être des déchets au sens de l’article 3, point 1, lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation ou de recyclage et répondent à des critères spécifiques à définir dans le respect des conditions suivantes : a) la substance ou l’objet est couramment utilisé à des fins spécifiques ; b) il existe un marché ou une demande pour une telle substance ou un tel objet ; c) la substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ; et d) l’utilisation de la substance ou de l’objet n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine. Les critères comprennent des valeurs limites pour les polluants, si nécessaire, et tiennent compte de tout effet environnemental préjudiciable éventuel de la substance ou de l’objet.

4.2. Le contexte réglementaire national Le contexte réglementaire est malheureusement pauvre en France. Avec aucune règlementation environnementale actuellement pour les produits de construction, la France est en retard par rapport à des pays européens comme l’Allemagne et les Pays-Bas. Ces derniers avaient réagi très tôt, plus de dix ans auparavant, face à des

ressources naturelles en granulats bien plus faibles que celles de la France. Ils avaient alors édité un texte, le « Building material decree » qui s’appelle maintenant le « Soil quality decree », définissant les conditions d’acceptation d’un certain nombre de produits en construction, qu’ils soient d’origine déchets ou non, avec des critères d’émission de polluants, sur lequel la France avait beaucoup

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La chimie et l’habitat

LA DIRECTIVE PRODUITS DE CONSTRUCTION 89/106 du 21 décembre 1988 Six (+ 1) exigences essentielles (ou fondamentales) : 1. Résistance mécanique et stabilité. 2. Sécurité en cas d’incendie. 3. Hygiène, santé et environnement. 4. Sécurité d’utilisation. 5. Protection contre le bruit. 6. Économie d’énergie et isolation thermique. 7. + Utilisation durable des ressources naturelles. Exigence fondamentale n° 7 : utilisation durable des ressources naturelles Les ouvrages de construction doivent être conçus, construits et démolis de manière à assurer une utilisation durable des ressources naturelles et à permettre : a) la recyclabilité des ouvrages de construction, de leurs matériaux et de leurs parties après démolition ; b) la durabilité des ouvrages de construction ; c) l’utilisation, dans les ouvrages de construction, de matières premières primaires et secondaires respectueuses de l’environnement.

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collaboré à l’époque, ce qui a abouti aux travaux normatifs décrits dans le paragraphe suivant.

4.3. Le contexte environnemental normatif européen

La France a quant à elle consacré ces trente dernières années à la production, non sans peine, d’un guide à la fin 2010, grâce à la réunion de quelques industriels et de collectivités locales autour du ministère de l’Environnement. Ce guide, édité par le Service d’études sur les transports, les routes et leur aménagements (SETRA) au nom du ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer (MEEDDM), permet de fixer des règles environnementales pour utiliser des matériaux alternatifs, donc des matières premières secondaires, en technique routière.

4.3.1. Les normes L’ensemble des règlementations portant sur les déchets et sur la construction ont conduit à la mise en place d’outils normatifs. En ce qui concerne les déchets, un travail conséquent qui a commencé en 1991, et auquel a particulièrement participé la France, a permis de mettre en place le Comité technique européen TC292 avec un certain nombre de commissions miroirs à l’Afnor telles que X30Y et X30L (voir l’Encart « La normalisation européenne »). Les principaux résultats de ces travaux sont, d’une part, l’établissement

d’une méthodologie permettant d’avoir une appréhension d’une fraction lixiviable7, qui est une part du déchet risquant de partir dans l’eau naturelle de surface ou de profondeur. De très nombreuses méthodes existent dans ce domaine. La plus utilisée a été développée sur la base du test dit « INSA » dans les années 1980, puis normalisé en France par AFNOR (X31-210), puis enfin au niveau européen par le CEN TC 292 (norme EN12457-2). L’essai final est très proche de celui qui avait déjà été développé initialement en France. D’autre part, un travail important, auquel la France a œuvré pour établir un guide méthodologique, a porté sur le comportement des déchets dans différents scénarios, et en particulier des scénarios de valorisations. Tout ce travail a abouti à la norme EN12920 (dont la méthodologie est présentée dans le paragraphe 4.3.2). Parmi les nombreux essais effectués, certains portent sur l’évaluation du risque pour un déchet d’émettre des polluants sous l’effet de contraintes physicochimiques extérieures comme les pluies acides ou les milieux très alcalins comme la proximité avec des liants hydrauliques. Pour l’étude des déchets destinés à être utilisés en sous-couche routière, par exemple les mâchefers d’incinération d’ordures ménagères, un essai de 7. La lixiviation consiste à extraire des produits solubles par un solvant, par exemple par circulation d’eau dans un sol pollué ou encore dans une décharge industrielle. Le lixiviat est le liquide résiduel issu de ce processus.

Instrument des politiques européennes, les normes européennes (EN) sont élaborées grâce à des groupes de travail constitués d’experts, sous la responsabilité d’un comité technique. Une fois ratifiées, ces normes doivent être adoptées à l’identique au niveau national. Un moyen efficace d’influencer leur contenu consiste à participer à la commission miroir du pays respectif : cette instance délègue des experts au sein des organismes de normalisation européens (comme Afnor), décide au niveau national de la position à prendre sur des projets de normes européennes et accompagne le processus de normalisation dans ses différentes étapes. La normalisation des déchets (TC292) Groupe de travail 1 : échantillonnage Groupe de travail 2 : procédures d’essais de lixiviation Groupe de travail 3 : paramètres liés aux espèces solubles dans de l’acide ou de l’eau : les méthodes d’analyse et de digestion

Recyclage des matériaux et évaluation environnementale

LA NORMALISATION EUROPÉENNE

Groupe de travail 4 : terminologie Groupe de travail 5 : analyse de déchets/paramètres du groupe sélectionné Groupe de travail 6 : tests basiques de caractérisation du comportement de la lixiviation Groupe de travail 7 : propriétés éco-toxicologiques. La normalisation des produits de construction (TC351) Mandat M/366 de la commission SDR : « émissions de substances dangereuses par les produits de construction » Groupe de travail 1 : émission des produits de construction dans le sol, les eaux souterraines et les eaux de surface Groupe de travail 2 : émission des produits de construction dans l’air intérieur. Trois normes sont en cours de validation : – TS1 : guide d’orientation, – TS2 : lixiviation des produits monolithiques (béton, briques…), – TS3 : lixiviation des produits granulaires (remblais…).

percolation a été développé. D’autres essais ont été consacrés aux déchets stabilisés, par exemple les déchets monolithiques (blocs massifs de grandes dimensions), dans le contexte français de la stabi-

lisation des déchets pour la mise en décharge de déchets de classe I, à savoir les déchets industriels présentant un caractère dangereux pour le milieu naturel ou les êtres vivants.

271

La chimie et l’habitat 272

Dans le domaine de la normalisation des produits de construction, en application de l’exigence 3 de la Directive Produits de Construction (voir l’Encart : « La Directive Produits de Construction »), le comité technique TC351 a été créé en 2005, avec une commission miroir également très active au niveau français, la Commission Substances Dangereuses Réglementées (SDR). Par un mandat spécifi que, la Commission européenne a demandé au TC351 de développer des outils pour appréhender les émissions de substances dangereuses par les produits de construction, d’une part dans le but de préserver la qualité de l’air intérieur des bâtiments (sujet abordé dans les Chapitres de M.J. Ledoux et de V. PerneletJoly) et d’autre part de déterminer les émissions dans les sols et les eaux naturelles. Pour cela, un autre groupe de travail s’est penché sur l ’étude de l ’émission de substances à partir de produits de construction via la lixiviation. Ce qui a conduit à trois normes, en cours de validation (voir l’Encart : « La Directive Produits de Construction »), à savoir un guide d’orientation général et deux essais sur la lixiviation : l’un concerne les produits monolithiques comme le béton, les briques ou les tuiles, très majoritaires dans le domaine du bâtiment, et l’autre concerne les produits de construction granulaires normalisés, très majoritaires quant à eux dans le domaine des travaux publics, par exemple pour les remblais.

4.3.2. Les étapes d’évaluation des candidats au recyclage pour la construction Un déchet peut devenir matière première secondaire pour le domaine de la construction s’il correspond à toutes les normes imposées par la réglementation européenne. Pour ce faire, il doit passer un certain nombre d’étapes : − faisabilité technique : on ne cherche pas à valoriser des déchets en construction s’ils n’amènent pas une qualité intrinsèque en termes de structure ou s’ils ne présentent pas au moins les mêmes qualités que les matières de structures d’origine, c’est-à-dire celles d’origine naturelle. On va donc étudier et vérifier les propriétés physico-chimiques des matières premières secondaires candidates, par exemple la granulométrie, la composition, et également éviter la présence d’inhibiteurs de prise du béton. Sont également vérifiées les propriétés pouzzolaniques pour éventuellement envisager l’ajout d’une plusvalue économique par rapport au ciment classique, ce qui permettra également d’avoir un avantage d’un point de vue environnemental en faisant baisser le bilan carbone de la construction, puisque le bilan carbone du ciment est élevé ; − vérification des performances mécaniques des nouveaux produits de construction, qui vont intégrer généralement des pourcentages entre 5 et 20 % de déchets ; − vérification des classes d’usage : à quels usages ces nouveaux produits peuvent-ils être proposés et comment les

inertes

non dangereux

Figure 8

dangereux

Les candidats au recyclage pour la construction doivent se situer en dessous de la courbe rose.

10 000 1 000 100 10 1 0,1 0,01 As

Ba Cd

Cr

Cu Hg Mo Ni

Pb Sb Se Zn

Cl

F

S

intégrer ainsi dans le marché de la construction ? − vérification de l’acceptabilité environnementale du candidat en veillant notamment à ce qu’il soit peu polluant. La Directive cadre et la Directive Décharge permettent de classer les déchets en trois catégories : inertes, non-dangereux ou dangereux. Quel est le seuil d’acceptabilité en France ? Les déchets, ainsi que tous leurs éléments de relargage, doivent être non dangereux, c’est-àdire que toutes la valeurs de relargage soient inférieures aux valeurs limites de non dangerosité (sous la ligne rose de la Figure 8), l’idéal étant que les déchets soient inertes ;

Figure 9 Évaluation de l’émission de polluants à l’échelle du laboratoire. Un monolithe est plongé dans un lixiviant (ici : de l’eau déminéralisée) soumis à agitation pendant quinze jours. Des échantillons du liquide sont prélevés régulièrement et analysés.

Recyclage des matériaux et évaluation environnementale

Concentration d’éléments (mg/kg)

100 000

rience mise en œuvre pour mesurer l’émission de polluants par un monolithe dans des conditions de lixiviation ;

− étude du comportement : après examen des types de scénarios/ouvrages (souscouche routière, murs en béton banché, etc.) et des types de produits (grave hydraulique, grave bitume ou béton prêt à l’emploi, contenant des matières premières secondaires), on réalise une prédiction sur l’émission de polluants sur la durée de vie de l’ouvrage ;

− validations à l’échelle pilote : la Figure 10 montre un test réalisé sur un mur de béton qui a été construit à partir d’une formulation élaborée par le CSTB. Sur la plateforme EEDEMS8 est reconstitué un scénario où le mur est exposé à de la pluie sur une grande partie de sa surface et baignerait dans une nappe phréatique, comme s’il s’agissait d’une fondation profonde ou d’un parking. L’évaluation est alors réalisée à la fois dans l’eau de ruissellement et dans l’eau de profondeur.

− essais au laboratoire : on évalue la quantité de polluants émis (essais relatifs aux déchets et aux produits de construction : voir l’Encart « La normalisation européenne »). La Figure 9 montre une expé-

8. EEDEMS (Évaluation Environnementale des Déchets, Sols pollués et Matériaux), est un groupe d’intérêt scientifique regroupant l’INSA de Lyon, le CSTB, le BRGM, l’ENTPE et l’ENSMSE. Voir : www.eedems.com.

Figure 10 Évaluation à l’échelle pilote de l’émission de polluants à partir d’un mur de béton exposé pendant huit mois à la lixiviation (eau de pluie en façade et fondation immergée). Des échantillons de l’eau sont prélevés toutes les semaines et analysés.

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La chimie et l’habitat

Gestion des déchets des matériaux de construction et évaluation environnementale : encore des progrès à faire Nous disposons maintenant de méthodologies bien développées, avec un bon positionnement des partenaires français notamment, bien que relayé lentement par le ministère dans la réglementation. Pourtant, il existe un réel besoin de cadre réglementaire dans le domaine des déchets qui soit cohérent et spécifique à la construction. Il est par ailleurs souhaitable de mettre en place des stratégies d’incitation à la valorisation en vue d’appliquer la septième exigence de la Directive Cadre Déchets, avec notamment l’inscription des variantes avec matières premières secondaires dans les appels d’offres pour encourager les industriels du BTP à mieux se lancer dans l’intégration des matières premières secondaires dans leurs ouvrages. Enfin, il restera à veiller à l’acceptation de la valorisation de ces matières premières secondaires de la part des maîtres d’ouvrages publics et privés, qui sont les commanditaires de la construction, ainsi que de la part du grand public.

274

de

Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, Jean-Marc Michel est directeur général de l’aménagement, du logement et de la nature au ministère chargé de l’Écologie, et membre, depuis juillet 2010, du conseil d’administration de l’Établissement public d’aménagement de la Défense Seine Arche en qualité de représentant de l’État.

Quelle politique de l’habitat pour notre société ? Les sciences chimiques, organiques ou minérales sont au cœur des mouvements de l’innovation, de l’activité industrielle et de la construction. La chimie du végétal, la chimie des insectes, etc., et la chimie en tant que support d’échange entre les êtres vivants, est un sujet si vaste, constituant un champ si fascinant, qu’il ne peut laisser indifférent le monde de la construction des habitations humaines (voir l’Encart « Quand la nature inspire l’architecte, quand la chimie lui donne les outils… »).

La direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement regroupe une série de politiques publiques dédiées à des territoires, à leurs habitants ou aux ressources naturelles vivantes ou non vivantes qui sont hébergées sur notre territoire métropolitain, sur nos territoires d’outre-mer et au fond des milieux marins... Une large palette d’activités qui permet de mieux répondre aux demandes de nos concitoyens. Or, même s’ils attendent toujours sur certaines questions des réponses

Jean-Marc Michel La politique de l’habitat urbain

politique l’habitat urbain La

La chimie et l’habitat

précises et immédiates des autorités publiques, qu’elles soient d’État ou municipales (par exemple au sujet de la taxation de leur patrimoine immobilier), les citoyens ont aussi besoin de réponses couvrant des champs larges, d’autant que l’information circule de plus en plus vite, parce qu’Internet est là, parce que leur niveau de formation s’est élevé et qu’ils ont besoin de réponses beaucoup plus intégrées. Autour du thème « chimie et habitat », je vais évoquer les politiques publiques dont ma direction a la charge, et leurs évolutions, notamment dans le contexte des nouvelles politiques d’accession à la propriété. Si l’action de la DGALN porte d’abord sur le contenu et les modalités des politiques publiques, elle doit aussi se préoccuper de les présenter de la façon la plus simple possible aux citoyens. Réciproquement, il paraît intéressant que les citoyens soient bien informés aux grandes orientations de politique publique, que le travail scientifique et technique vient contribuer, selon le cas, à éclairer ou à rendre possibles.

L’innovation en chimie est incontournable

278

Être aujourd’hui chimiste dans le domaine de la construction, de l’amélioration de l’habitat et du confort de nos concitoyens, c’est d’abord être dans une logique d’innovation – innovations scientifiques, innovations industrielles –, comme le démontrent entre autres les chapitres de cet ouvrage sur le photovoltaïque. Personne

ne sait aujourd’hui tenir une position industrielle s’il n’est pas lui-même porteur d’une politique de recherche et de développement. Or, si les politiques du logement et de la construction représentent un chiffre d’affaires qui équivaut à celui de l’automobile, le volume de recherche et d’innovation y est sensiblement moins élevé, et l’on n’y trouve pas la même concentration de constructeurs et de producteurs que dans l’automobile. La comparaison de ces deux secteurs met en lumière l’importance qu’il y a à installer l’innovation au cœur des programmes de construction et d’aménagement, et c’est ce qui a été souligné récemment dans le cadre du Grenelle de l’environnement, par exemple avec le lancement du programme de travail « urbanisme de projet »1. Pour le logement comme pour l’automobile, et comme pour toutes les branches industrielles, le moteur principal de l’innovation est la recherche et la compétitivité. Malgré la très longue échelle de temps d’existence de ses productions, le bâtiment doit viser l’excellence – en particulier en 1. Le secrétaire d’État chargé du Logement et de l’Urbanisme Benoist Apparu a lancé, le 23 juin 2010, le comité de pilotage pour la mise en œuvre d’un « urbanisme de projet » dont les nombreux objectifs sont assignés à la réforme du Grenelle de l’environnement : faciliter la construction, favoriser un urbanisme économe en ressources foncières et énergétiques, mieux articulé avec les politiques d’habitat, de développement commercial et de transports, améliorer dans le même temps la qualité de vie des habitants.

L’effort qui a été fourni jusqu’à présent est-il suffisant ou faut-il envisager une révolution permanente ? Le volet de la chimie des matériaux, naturellement associé au monde du bâtiment, est loin d’être le seul à devoir être pris en compte. La biochimie apparaît ainsi de plus en plus comme importante : le vivant et ses secrets ont mille choses à nous apprendre (voir l’Encart « Quand la nature inspire l’architecte, quand la chimie lui donne les outils… »). Le jour où l’on aura inventé et compris la manière dont les fils des toiles d’araignées sont ex trêmement résistant s, nous comprendrons peut-être comment cette chimie-là peut nous servir dans le maillage des revêtements de façades

ou dans la construction d’éléments habitables !

Prendre en compte l’écotoxicité des produits et les cycles de vie du matériau

La politique de l’habitat urbain

ce qui concerne le logement – et pour cela il doit faire face à une obligation d’anticipation. Même le fait que les bâtiments soient « non transportables » ne protège pas de la concurrence étrangère ; si le produit fini ne peut arriver par bateau, les composants ou les sousensembles le peuvent. Pour anecdote, le directeur général de l’Office national des forêts, qui voulait construire les bureaux de Bourgogne évidemment en bois, a lancé un marché en espérant favoriser l’industrie locale. Résultat : 200 m² au sol, 400 m² de bureaux, construits en trois jours et trois nuits, mais à part l’escalier en chêne qui permettait de passer du rez-dechaussée au premier étage, le tout était arrivé en semiremorque de Suède ! Ceci illustre à quel point l’innovation est nécessaire pour ne pas rester sur le bord de la route.

Mais le vrai tournant résulte des préoccupations de nos concitoyens sur les questions d’environnement. Elles posent de nouvelles exigences à l’industrie du bâtiment pour lesquelles des innovations sont nécessaires et déterminent la compétitivité. Ainsi le devenir des matériaux en fin de vie du bâtiment ne peut être ignoré. L’analyse du cycle de vie devient une préoccupation majeure. L’introduction d’un nouveau matériau sur le marché doit se faire après l’étude non seulement de sa chimie à l’amont (sa conception, sa fabrication), mais aussi la chimie à l’aval (son vieillissement, ses évolutions à long terme), qui déterminera les comportements au moment de la déconstruction des bâtiments et ultérieurement. Inventer un produit multicouches qui soit hyperperformant pendant vingt ans de sa vie, mais qui devienne un handicap pour les milieux naturels pendant un demisiècle, n’est pas forcément une bonne stratégie ! Innover c’est donc aussi penser cycle de vie des matériaux et facilité de recyclage. Comme l’idée de sobriété énergétique, cette idée de rec yclage est largement soulignée à travers les deux cents articles du Grenelle de l’environnement. Aventure de démocratie participative puis aventure de démocratie

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La chimie et l’habitat

QUAND LA NATURE INSPIRE L’ARCHITECTE, QUAND LA CHIMIE LUI DONNE LES OUTILS… Des concepts architecturaux inspirés du monde animal et végétal Résultats de milliards d’années d’évolution, les créations naturelles sont d’une complexité pouvant constituer une grande source d’inspiration pour les architectes qui peuvent en tirer de précieux enseignements : toutes les caractéristiques nécessaires à une structure, telles que l’aspect esthétique, fonctionnel et durable, voire économique, peuvent y être présentes. Comment fait l’araignée pour tisser des toiles aussi résistantes en même temps qu’élastiques ? Comment ajuste-t-elle cette élasticité de manière à ce qu’un insecte qui se heurte à la toile ne rebondisse pas, sans pour autant déformer trop la toile en pesant de son poids, comment cette toile si légère résiste-t-elle au vent et reprend sa forme après le passage de ce vent ? Imiter des édifices aussi élaborés que des toiles d’araignées par exemple est un défi pour les architectes et les ingénieurs pour construire des structures résistantes en même temps qu’esthétiques, qui recouvrent de vastes superficies telles que le terminal de pèlerinage de l’Aéroport de Jeddah, le Stade olympique de Munich (Figure 1), le Stade National d’athlétisme de Sydney, les zoos à Munich et au Canada, l’Aéroport de Denver dans le Colorado et le Schlumberger Cambridge Research Center en Angleterre (Figure 2).* D’autres exemples d’édifices comme le toit du Canada’s Royan Market ont été inspirés de la nature tels que des toits lumineux et solides en formes de coquilles d’huîtres, dont les formes incurvées leur permettent de supporter d’énormes pressions malgré leur légèreté. Quant au Crystal Palace construit pour la première Exposition Universelle de Londres en 1851, cette merveille d’architecture possède un toit à la fois léger et solide, entièrement fait de fer et de verre par l’architecte Joseph Paxton, qui s’est inspiré d’une espèce de nymphéa, le Victoria d’Amazonie. Avec le fer, il a reproduit les nervures radiales rigides des feuilles de nymphéa qui leur donnent leur solidité, et avec les feuilles il a reproduit le verre. Enfin, citons la Tour Eiffel dont les courbes métalliques imitent la structure anatomique du fémur en formant un treillage qui lui permet de tenir debout en dépit du vent, ou encore le dôme du pavillon américain de l’Exposition Universelle de 1976 à Montréal inspiré des formes sphériques de certaines espèces de phytoplancton (radiolaires, diatomées).

Figure 1 Construit à l’occasion des Jeux Olympiques de 1972, le Stade olympique de Munich est l’une des œuvres architecturales sportives les plus audacieuses de la fin du XXe siècle. Son toit imite les toiles d’araignées. 280

La politique de l’habitat urbain Figure 2 Schlumberger, compagnie de services pétroliers. Son toit est fait d’une toile résistante et légère.

La chimie a un rôle primordial à jouer pour aider l’architecte à réaliser ses rêves artistiques tout en assurant la solidité des bâtiments et édifices, comme l’illustre le Chapitre de J.-P. Viguier. Si la nature regorge de matériaux aussi complexes et solides que le bois, les chimistes eux-mêmes développent de plus en plus de matériaux composites, qu’ils soient béton, textiles ou plastiques. Alliant de nombreuses propriétés, comme la résistance, la souplesse, la légèreté, etc., ils vont entrer dans la composition d’un toit, d’une façade, d’un pont, d’une charpente, d’une plaque isolante, ou encore dans des matériaux de décoration. *Voir aussi les Chapitres de P. Hamelin, G. Némoz et J.-P. Viguier sur les architectures tensibles.

législative, cette immense réunion a rassemblé pendant dix-huit mois depuis mai 2007, pour la première fois, l’État et les représentants de la société civile (collectivités locales, ONG, employeurs et salariés) afin de définir une feuille de route en faveur de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables. Cela a abouti aux lois Grenelle 1 et 2 (Encart : « Les lois du Grenelle de l’environnement ») qui inscrivent des objectifs, des ambitions et des nouveautés pour de nombreux pans de la société et, en premier lieu, pour le secteur du bâtiment. Il est un sujet pour lequel la chimie et la construction se croisent systématiquement :

c’est celui de l’évaluation de l’impact environnemental du bâtiment. Par les réglementations, françaises ou de plus en plus européennes, l’évaluation de l’impact environnemental des produits et matériaux mis sur le marché devient obligatoire. Il s’agit notamment, de par la règlementation REACH (enRegistrement, Évaluation, Autorisation et restriction des produits Chimiques), entrée en vigueur en juillet 2007, de répertorier 30 000 substances pour 2018 (Encart « REACH, un règlement européen pour la santé et l’environnement »). L’Europe se construit aujourd’hui autour du thème des chantiers de l’environnement.

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La chimie et l’habitat

LES LOIS DU GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT Face à l’urgence d’agir conte la dégradation de l’état de notre planète, la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement dite « loi Grenelle 1 » a été promulguée le 3 août 2009. Elle propose, à travers 57 articles, des mesures touchant les secteurs de l’énergie et du bâtiment, des transports, de la biodiversité et des milieux naturels, de la gouvernance et enfin des risques pour l’environnement et la santé. Elle entend favoriser et accélérer la prise en compte de ces nouveaux défis par tous les acteurs, afin de garantir à la société et à l’économie un fonctionnement durable, et de préserver sur la durée le pouvoir d’achat des Français. La loi Grenelle 1 reprend fidèlement les engagements du Grenelle, précise et complète certaines des orientations à partir des propositions émises par les comités mis en place dans la foulée du Grenelle et donne des estimations budgétaires. Parmi les grands principes résolument engagés par le projet de loi figurent les secteurs du bâtiment et de l’énergie : – la confirmation de l’ensemble des orientations en matière de maîtrise de l’énergie, de développement des énergies renouvelables et de lutte contre le changement climatique : division par quatre des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, 23 % d’énergies renouvelables dans le cadre du « 3 × 20 » européen, intégralité du Plan Bâtiment, avec notamment la confirmation de la norme de 50 kWh/m2 /an exprimée en énergie primaire ; – le souhait que le plan d’urgence pour l’emploi des jeunes s’oriente d’abord vers les métiers du bâtiment. Promulguée le 12 juillet 2010, la loi portant sur l’« engagement national pour l’environnement », dite Grenelle 2, correspond à la mise en application d’une partie des engagements du Grenelle de l’environnement. Les 248 articles qui composent cet important texte de loi ont été largement enrichis par le Parlement et déclinent des mesures dans six chantiers majeurs : bâtiments et urbanisme, transports, énergie, biodiversité, risques/santé/ déchets, gouvernance. Une des avancées concerne l’amélioration énergétique des bâtiments et l’harmonisation des outils de planification en matière d’urbanisme, avec pour objectif de concevoir et construire des bâtiments plus sobres énergétiquement et un urbanisme mieux articulé avec les politiques d’habitat, de développement commercial et de transports tout en améliorant la qualité de vie des habitants (engager une rupture technologique dans le neuf, accélérer la rénovation thermique du parc ancien, favoriser un urbanisme économe en ressources foncières et énergétiques). Source : www.legrenelle-environnement.fr

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Les chimistes perçoivent bien que l’évolution des politiques publiques se fait aussi au regard d’une demande de nos concitoyens. Aujourd’hui, en dépit des frontières qui existent entre le nord et le sud de l’Europe, on perçoit bien une convergence sur ce sujet : aux Commissions environnement du Parlement européen à Strasbourg, siègent des « mi-

litants de l’environnement » qui nous rappellent qu’il ne faut pas tourner le dos à l’impact environnemental de nos produits. Nous devons donc être vigilants dans le domaine de la construction, de l’aménagement et de l’habitation, voire de la décoration, en anticipant la demande sociale relayée par un corps politique de niveau européen.

Entré en vigueur en 2007, le règlement européen REACH a pour objectif d’offrir une meilleure protection de l’homme et de l’environnement contre les risques dus aux produits chimiques. Elle prévoit la promotion de méthodes d’essai alternatives, la libre circulation des substances au sein du marché intérieur, tout en renforçant la compétitivité et l’innovation. REACH fait porter à l’industrie la responsabilité d’évaluer, de gérer les risques posés par les produits chimiques qu’elle utilise et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs utilisateurs : d’après ses directives, les substances chimiques fabriquées ou importées dans des quantités d’une tonne ou plus par an doivent obligatoirement être enregistrées dans une base de données centrale gérée par l’Agence européenne des produits chimiques (European CHemical Agency, ECHA). L’enregistrement exige de l’industrie – fabricants et importateurs – d’établir un dossier technique très complet fournissant des informations relatives aux propriétés, aux utilisations et aux précautions d’emploi des substances chimiques, parfois en détaillant les différents scénarios d’exposition possibles et les mesures de gestion de ces risques.

La politique de l’habitat urbain

REACH, UN RÈGLEMENT EUROPÉEN POUR LA SANTÉ ET L’ENVIRONNEMENT

Les réglementations et les normes : freins ou aiguillons ? Contrainte ou progrès pour assurer durabilité et compétitivité ? Les réglementations comme REACH induisent la mise en place de procédures lourdes qui sont probablement vécues par les industriels comme une contrainte, un frein dans leurs activités. Pourtant, REACH le mentionne bien dans ses textes : « renforcer la compétitivité et l’innovation ». De fait, la compétitivité passe par l’anticipation, comme nous l’a démontré l’aventure des pots catalytiques où les Allemands, qui étaient en avance par rapport aux Français dans les techniques d’analyse des polluants, ont su très tôt établir des normes rigoureuses sur cette nouvelle technologie et imposer, par les normes, leurs solutions aux pays concurrents.

Intégrer le souci de performance énergétique Les lois du Grenelle de l’environnement mettent l’accent sur l’intégration des objectifs environnementaux dans les politiques publiques de santé, l’intégration de l’écotoxicologie dans les champs de recherche, mais aussi l’intégration de la performance énergétique dans le secteur du bâtiment, un sujet au cœur de nombreux débats. Or le bâtiment représente plus de 40 % de la consommation et de la production de gaz à effet de serre : il est donc plus que temps d’agir, avec une véritable mobilisation volontariste. Parmi les deux cents décrets à produire pour l’application des lois Grenelle, la Direction générale de l’aménagement, du logement et de

la nature vient de publier un premier fin 2010, celui de la réglementation thermique 2012 (voir le Chapitre de D. Quénard, Encart : « La réglementation thermique (RT) »), qui représente un véritable monument ! Ce décret s’inscrit dans une logique d’anticipation car il a été estimé qu’au moins deux ans sont nécessaires aux professionnels du bâtiment et de la construction pour concevoir des bâtiments dont les permis de construire respecteront la réglementation thermique. Un de ses principes forts, conforme aux politiques publiques du logement, est d’agir d’abord sur le neuf en assurant un maximum d’isolation thermique dans les nouveaux bâtiments construits. Ce chantier, bien évidemment, sollicite l’innovation en chimie qui doit

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permettre de réaliser des constructions qui ne soient ni des passoires thermiques, ni des bouteilles thermos : ce que l’on aura gagné en confort et en sobriété d’hiver ne doit pas être perdu en confort d’été. Les efforts sont aussi tournés vers la rénovation : c’est ainsi plus de 400 000 logements par an qui seront à rénover à partir de 2013 et 800 000 logements d’ici 20102. Construire dans le neuf et rénover l’ancien sont deux chantiers séparés mais qui ne peuvent être dissociés. Les logements sont aujourd’hui caractérisés par des labels de performance énergétique, comme ceux que l’on trouve sur les congélateurs et machines à laver actuels (voir le Chapitre de J. Souvestre), éclairant nos concitoyens dans leurs choix. La politique entre bien dans les faits : c’est au point que le maire de Grenoble indiquait récemment : « il ne se fait plus un mètre carré nouveau, y compris dans le logement social à Grenoble, qui ne soit pas déjà aux normes de 2013 ». L’anticipation sur la performance énergétique concerne aussi les bureaux – ce qu’on appelle les bâtiments basse consommation. Les produits, notamment pour la décoration, ne sont pas tout à fait les mêmes que pour l’habitat traditionnel, les formes de bâtiments non plus, mais la norme RT2012 donne déjà des idées commerciales à un certain nombre d’opérateurs qui se positionnent en offres de services. Politique incitative également au niveau de l’accession à la

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2. D’après l’Union sociale de l’habitat, qui regroupe les offices ou les SA d’HLM.

propriété : l’aide qui y est allouée tient compte de la qualité des bâtiments et des logements à acquérir. C’est ainsi que le « prêt à taux zéro renforcé » (PTZ+), remplaçant le prêt à taux 0 % depuis le 1er janvier 2011, est accordé jusqu’au 31 décembre 2014 aux personnes qui souhaitent acquérir leur résidence principale si elles achètent dans le neuf, ou sinon dans l’ancien dans des bâtiments de bonne qualité et de bonnes performances énergétiques. Ce sujet, au cœur du Grenelle de l’environnement, a pesé lourd dans la perception de sa mise en œuvre.

Santé et environnement dans l’habitat : un chantier pris très au sérieux Un chantier de taille ouvert par le Grenelle de l’environnement est celui de la « maîtrise des effets de l’environnement sur la santé » dans les logements et les bâtiments publics. Un premier Plan national santé environnement3 (PNSE)

3. Le Plan national santé environnement vise à répondre aux interrogations des Français sur les conséquences sanitaires à court et moyen termes de l’exposition à certaines pollutions de leur environnement. Pour la première fois dans l’histoire de la santé environnementale en France, l’ensemble de l’expertise publique française dans ce champ a été réuni au sein d’une commission d’orientation pour bâtir un diagnostic de l’état des risques sanitaires liés à l’environnement dans notre pays. Source : http://www.sante.gouv. fr/plan-national-sante-environnement-pnse-juin-2004-actualisation-septembre-2006.html.

4. Le deuxième plan national santé environnement décline les engagements du Grenelle de l’environnement, en matière de santé environnement. Il a pour ambition de donner une vue globale des principaux enjeux et de caractériser et de hiérarchiser les actions à mener pour la période 2008-2013, sur la base d’un constat commun. Il définit un ensemble d’actions communes et concertées, tant au niveau national que local. Source : http://www.sante.gouv.fr/ deuxieme-plan-national-santeenvironnement-pnse-2-20092013.html.

La politique de l’habitat urbain

a été présenté en 2004 ; il a été suivi d’un second pour la période 2009-20134. Les impacts sur l’environnement – et donc potentiellement sur la santé – des produits de construction, d’ameublement, de décoration, et même des produits d’entretien, doivent aujourd’hui être surveillés pour assurer à la fois qualité sanitaire et environnementale (voir notamment les Chapitres de M.J. Ledoux et V. Pernelet-Joly). De plus en plus sensibles à ces sujets, nos concitoyens attendent du gouvernement qu’il agisse sur ces nouveaux champs. Le Grenelle a inclus dans ses textes la relation entre santé, qualité de l’air intérieur et qualité de la construction. Trois décrets sont prévus par la DGALN. Ils portent sur les établissements publics, sur la certification des éco-matériaux et sur l’étiquetage, autant de chantiers lourds qui nécessitent la rencontre de divers partenaires et de compétences variées. C’est ainsi que se sont mises en place des discussions dans le cadre de l’Association française de normalisation (AFNOR), à l’is-

sues desquelles a été fi xée, dès 2012, l’obligation d’étiqueter tous les produits de construction et de décoration pour donner des renseignements sur l’impact sanitaire et environnemental de leurs constituants (Figure 3). La chimie est évidemment pleinement sollicitée dans cette démarche. Elle se trouve propulsée au cœur même des appartements, pour pouvoir satisfaire aux exigences de qualité et d’innocuité à la fois environnementale et sanitaire. Il est impératif, non seulement pour les chimistes mais pour toutes les autres professions, que ces nouvelles responsabilités soient rigoureusement respectées. Autant qu’un vecteur de progrès pour réaliser cet objectif, la loi Grenelle a d’abord été un vecteur de transmission d’opinion publique à travers les médias, conduisant à la prise en compte des attentes sociétales. La chimie ne pourrait se permettre d’apparaître comme un facteur d’intervention négative sur la santé des citoyens, au risque de nuire à sa crédibilité et de ruiner des pans entiers d’innovation. Qu’arriverait-il si toute une chaîne de production devait être interrompue à cause d’un défaut d’études ou d’un défaut de qualité des fiches environnementales et sanitaires

Figure 3 Depuis 2010 déjà, de nombreux fabricants proposent pour leurs produits de décoration (peintures, colles…) un marquage sur tous les pots et emballages, permettant aux consommateurs de se repérer facilement, de connaître par exemple les taux de composés organiques volatils (COV). Aujourd’hui, tout fabricant qui manquera de transparence sur ces aspects sanitaires et environnementaux prend le risque de perdre des parts de marché !

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La chimie et l’habitat

d’un certain nombre de matériaux ? Qu’arriverait-il si un chef de production et des personnalités morales devaient être traduites en correctionnelle suite à la mise en évidence de conséquences indésirables d’un produit ? Il ne faut pas revivre l’affaire de l’amiante mais, par une recherche scientifique active, se mettre en capacité de démontrer que tel ou tel produit ou tel ou tel matériau, installé dans telle ou telle condition, par tels et tels professionnels qualifiés, est inoffensif.

Figure 4 Tous les aspects liés au bien-être des citoyens sont pris en compte dans les politiques publiques du logement : performance énergétique, éco-toxicologie des matériaux et conditions d’usage par les habitants et travailleurs.

Toutes les politiques d’habitat et de construction, qu’elles soient menées pour le logement locatif social ou privé, pour l’investissement locatif, ou qu’elles soient en soutien en accession à la propriété, ont besoin de matériaux de qualité, certes, mais aussi d’une extrême rigueur dans la démonstration de leur innocuité. Ce secteur pèse près de 200 milliards de chiffres d’affaire par an : il n’est pas permis de prendre le risque de se heurter à une opinion publique, ni de se perdre dans des procédures judicaires. En retour, les politiques publiques, qui interviennent en régulation, sont très dépendantes de la capacité d’innovation et de la capacité de recherche et développement des entrepreneurs privés. D’où les attentes que je veux aujourd’hui renvoyer aux communautés scientifiques, et en particulier à celle des chimistes.

Sécurité, confort et urbanisme, et… un peu d’utopie 286

L’habitat concerne aussi la sécurité des habitants dans leurs

activités d’auto-construction et d’auto-aménagement, ce que nous appelons plus simplement le « bricolage ». Le Grenelle va jusqu’à considérer l’importance de maîtriser les conditions de mise en œuvre des matériaux. Il faut ainsi que les vendeurs des magasins de bricolage puissent conseiller les consommateurs sur la mise en œuvre et l’usage des matériaux, sur les produits à risques et leurs conditions de détention, étant ici rappelé que les accidents domestiques sont la première cause d’accidents individuels. Les politiques ont donc besoin que la communauté des chimistes garde une préoccupation forte autour de la qualité des produits mis en place et des conditions d’usage (Figure 4). À une échelle plus grande, les politiques de l’habitat touchent aussi les politiques de construction de bâtiments et d’organisation de l’espace, espace public et espace privé, par quartier, par îlot, par rue, par trottoir, par place… Tout aspect où le matériau, donc la chimie, joue un rôle clé. De nouveaux produits pour les routes ou les espaces publics sont apparus et refont la ville. Là encore, la chimie a des rendez-vous : non seulement avec la construction mais aussi avec l’aménagement, et non plus seulement du logement, mais même de la ville, où il faut innover pour adapter le cadre de vie de nos concitoyens aux exigences modernes. Il faut en fait mobiliser chimie, sciences technologiques, sciences physiques mais aussi sciences humaines et sociales pour, au travers des matériaux nouveaux,

Un peu d’utopie maintenant. En réaménageant les villes, un bénéfice environnemental immense est à tirer, avec par exemple la multiplication de panneaux photovoltaïques pour de nouveaux usages, la maîtrise des déchets, faisant évoluer, grâce à l’innovation en chimie, la consommation de nouveaux produits, l’adaptation au changement climatique par la performance énergétique des bâtiments. Mais pourquoi ne pas nous mettre aussi dans la perspective d’un changement de températures au cours de crises et d’évènements météorologiques ? Il revient à la chimie de nous aider à inventer ce que seront les matériaux du futur qui ne réagiront pas comme les matériaux d’aujourd’hui. Face à des épisodes climatiques lourds en été, la chimie des matériaux et la chimie du vivant peuvent-elles aider à concevoir de nouvelles façades pour nos immeubles ? Cette idée a été développée au sein de la DGALN dans le service dédié à la recherche et au développement, et dans le cadre du Plan urbanisme construction architecture (PUCA). Ce plan, qui prévoit de réhabiliter des immeubles en changeant les « peaux », ou en leur ajoutant des peaux supplémentaires,

veut développer une technologie de l’isolation pour les bâtiments existants. Il s’agit ainsi de politiques publiques d’anticipation non plus seulement pour les besoins immédiats de logement, mais également pour concevoir des éco-quartiers, des éco-cités adaptés aux changements climatiques. Les épisodes tels que celui de la tempête Xynthia, qui a balayé plusieurs pays européens dont la France entre février et mars 2010, provoquant de fortes submersions marines, nous obligent à réinventer un autre urbanisme du littoral (Figure 5). De même, face aux prévisions des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC) (élévation du niveau de la mer prévue. Voir le Chapitre d’A. Ehrlacher), des programmes d’innovation et de recherche doivent être lancés pour préparer les adaptations nécessaires. La solution estelle de recourir au zonage, au repli stratégique en abandonnant certaines zones ? Cela n’est pas si simple à réaliser et il est difficile de déconstruire les villes bâties sur le littoral ou à proximité de zones inondables.

La politique de l’habitat urbain

toucher le compor tement des habitants et l’usage des logements, au travers d’un nouveau design améliorer le confort, l’aide à l’accessibilité et au vieillissement sur place… En somme pour améliorer la vie ! C’est ce que vise le Grenelle, et ce que permet le progrès technique.

Figure 5 Le passage de la tempête Xynthia (en 2010) a causé la mort de soixante cinq personnes et de nombreux dégâts matériels. La Charente-Maritime (photo : à Fouras) a été sérieusement touchée par des inondations.

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La chimie et l’habitat

Une politique de régulation mais aussi d’innovation Je confirme donc que les acteurs des politiques de l’habitat se tournent vers la communauté des chimistes pour qu’elle les aide non seulement à établir des réglementations et des normes, mais également à donner des réponses aux citoyens par l’anticipation et par l’innovation. À la DGALN, nous essayons d’adosser l’action quotidienne des services déconcentrés de l’État, ou des services techniques des municipalités, à celle des opérateurs publics, que ce soit l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ou le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) (voir le Chapitre de V. Pernelet-Joly), comme à celle des spécialistes des entreprises privées ou publiques. Ainsi nous essayons au quotidien de faire en sorte que, quels que soient les aléas, quels que soient les dangers, des réponses économiquement accessibles et sociologiquement souhaitées soient apportées aux questions que nous posent nos concitoyens. Et si jour après jour, nous réussissons à faire en sorte que la réponse en politique publique s’adapte aux besoins de nos concitoyens, nous aurons fait œuvre utile. Pour cela, nous comptons sur l’engagement des scientifiques et en particulier des chimistes dans ces démarches d’innovation et d’adaptation. J’ajoute que l’enseignement a également un rôle important à jouer pour préparer les générations futures.

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photographiques

INTRODUCTION Fig. 1A, B, C, D et E : Véronique Paul.

CHAPITRE 3 Fig. 1 : CC-BY-SA-3.0, Javier Blas.

Fig. 1F : François Seigneur pour l’agence Jean-Paul Viguier et Jean-François Jodry et Associés.

Fig. 2 et 5 : Max Lerouge/Lille Métropole Communauté urbaine.

Fig. 1G, 7, 10 et 14 : Jean-Paul Viguier et Associés.

Fig. 6 : source : Lille Métropole Communauté urbaine.

Fig. 4 : Christian Michel. Fig. 5 et 6 : Georges Fessy.

CHAPITRE 4

Fig. 8 : Renaud Araud.

Fig. 6B : Licence CC-BY-SA-3.0, D-Kuru Wikimedia Commons.

Fig. 12 : Xavier Testelin et Pierre Bourdis. Fig. 15A : Licence CC-BY-SA-3.0, Yassine. Fig. 15B : Licence CC-BY-SA-3.0, Eberhard von Nellenburg. INTRODUCTION DE LA PARTIE 1 Fig. 1E : Licence CC-BY-SA-3.0, Clemensfranz. Fig. 1F : Charlotte Cattani et A lber to C at tani architec t s . Photographe : Vincent Fillon. CHAPITRE 1 Fig. 1A et 2D : photo : M.-T. DinhAudouin. Fig. 1B : photo : E. Carret. Fig. 1C : photo : J.-M. Serdel.

Fig. 7 : Licence CC-BY-SA-3.0, Rasbak. Fig. 7 : Licence CC-BY-1.2, Stefdn. CHAPITRE 5 Fig. 1, 2, 3, 7 et 8 : BASF. CHAPITRE 6 Fig. 5 : srsenergy. Fig. 6 : Photowatt. Tableau 1 : source : Snapshot of spot market for PV modulesquaterly repor t Q4 2009, PV Xchange, Photovoltaic s, 1st Quarter 2010, p. 345. Fig. 9 : source : d’après RWE Energy.

Crédits photographiques

Crédits

La chimie et l’habitat

Fig. 10 : source : Grid parity analysis of solar photovoltaic s y stems in Ger many using experience curves, Bhandari R. (2009). Solar Energy, 83 : 1634. Fig. 12 : source : Snapshot of spot market for PV modules- quaterly report Q4 (2009). PV Xchange, Photovoltaics, 1st Quarter 2010, p. 345. Fig. 13 : images microscope : Grenoble INP/CMTC. CHAPITRE 7 Fig. 1 : biomasse : source : Université de Postdam, Professeur W. Palz ; courant solaire photovoltaïque : source : SES/SIG, mesures 2008-2009.

Fig. 34 : le maître d’ouvrage est Alain Ricaud et le maître d’œuvre est Cythelia Expertise et Conseil. CHAPITRE 8 Fig. 2 : source : Ceren. Fig. 4 : sources : France : enquête BVA pour « Isolons la Terre contre le CO2 » et statistiques DGEMP ; Allemagne : enquête EMND pour l’Agence allemande de l’énergie (DEA). Fig. 6 : source : CITEPA/Inventaire SECTEN/Format, février 2006.

Fig. 11 : http://resosol.org/visites/ 2002/visite19Houches.htm

Fig. 8 : source : ZAPA – Ministère – airparif. Impact sanitaire de l a pollution atmosphér ique urbaine. Estimation de l’impact lié à l’exposition chronique aux particules fines sur l’espérance de vie. Afsset, 2005. Estimations 2000.

Fig. 12 : source : www.signetsolar. com

Fig. 14 : d’après J.-P. Traisnel, CNRS.

Fig. 14A : Stade MarcantonioBentegodi (Vérone, Italie).

Fig. 15 : Rolf SolarArchitecture.

Fig 14B : First Solar rooftop PV installation, Fontana, 2 MW (CA, USA).

Fig. 18 : source : http://corporatemedia.toyota.eu

Fig. 7, 8 et 9 : source : Pere Roca i Cabarrocas (LPICM). Fig. 10A : Stefano Oppo/photonpictures. com

Fig. 14C : First Solar rooftop PV installation, Perr ysburg (OH, USA), 2,3 MW. Fig 14D : First Solar PV solar farm, Sarnia, 80 MW (Ontario, Canada). Fig. 14E : Phoenix SolarFirst Solar PV solar farm, KarlstadtLaudenbach (Allemagne), 810 kW. Fig. 19 : www.sulfurcell.de Fig. 21 : source : Würth Solar. Fig. 20 et 22 : ZSW (www.zsw-bw. de). Fig. 25 : source : Nexcis. Fig. 31A : avec l’autorisation de Innovarchi PTY LTD. Fig. 31B à E, 29 (droite) et 32A : avec l’autorisation de Dyesol Limited. Fig. 32B : Power Plastic Konarka Power Plastic®. 290

Fig. 32D : San Francisco Bus Shelter with Konarka Power Plastic® by Ryan Hughes.

Fig. 32C : Carport with Konarka Power Plastic®.

Disch

Fig. 20 : source : NREL – D. Armstrong & T. Penney. CHAPITRE 9 Fig. 1, 2 et 4 : source : The Copenhagen Diagnosis (2009). Updating the World on the Latest Climate science. Fig. 5B : CNRS Photothèque Thery Hervé. Fig. 6B, 7, 8 et 9 : source : GT 2030 du ministère de la Défense. Fig. 10, 11A, 12 et 13 : source : Paul Acker (2010). Clé des innovations dans la construction, Sciencedriven engineering of concrete. Fig. 11B : Licence CC-BY-SA-1.0., TCI. Fig. 14 et 15 : équipe de R. Leroy à l’École des Ponts ParisTech. CHAPITRE 10 Fig. 15 et 16 : Saint-Gobain.

Fig. 3A : Licence CC-BY-SA-2.5, Colocho. Fig. 3B : Licence CC-BY-SA-2.0 de Morris, MN, USA.

Fig. 7A : Licence CC-BY-SA-3.0, Le Brun, Charles (1619-1670) – décorateur ; Hardouin-Mansart, Jules (1646-1708) – architecte.

Fig. 7 et 22 : www.tissavel.fr

Fig. 7B : Licence CC-BY-SA-2.5, Eric Pouhier.

F i g . 11 : A g e n c e européenne (ESA).

Fig. 9 : montage M.-T. DinhAudouin.

spatiale

Fig. 14A : Licence CC-BY-SA-3.0, Alexchen4836. Fig. 18B : CELC MASTERS OF LINEN. Fig. 19 : www.porcher-ind.com Fig. 20A : Coatema. Fig. 20B, C et D : avec l’aimable autor is ation de : w w w. solarintegrated.com. Fig. 21 : www.dickson-constant. com Fig. 24 : FP6 EU Project Polytect (www.polytect.net) et D’Appolonia (www.dappolonia.it). CHAPITRE 12 Fig. 9 : Lafarge DR. A : architecte : agence ECDM, photo : Benoît Fougeirol.

Crédits photographiques

CHAPITRE 11

Fig. 11 : source : Roquette. Fig. 13 : source : Department of Energy (DOE). Fig. 14 et 15 : source : ADEME. Fig. 20 : cliché ministère de la Culture et de la Communication, Direction régionale des affaires culturelles de Rhône-Alpes, Service régional de l’archéologie. CHAPITRE 14 Figure 7 – Licence CC-BY-3.0., Achim Hering. CONCLUSION – CHAPITRE 15 Fig. 1B : licence CC-BY-SA-3.0., Elcèd77.

CHAPITRE 13

Fig. 1 D : licence CC-BY-SA-3.0., Chritian Fischer.

Fig. 6 : Licence CC-BY-SA-3.0, Enzo627.

Fig. 2 : Licence CC-SA-2.0, Andrew Dunn, 2005.

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