Chimie et énergies nouvelles 9782759826582

Il y a seulement quelques années, les énergies fossiles (charbon, pétrole) étaient reines et le nucléaire les complétait

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French Pages 258 [250] Year 2022

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Chimie et énergies nouvelles
 9782759826582

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Chimie

et énergies

nouvelles

Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie et énergies nouvelles », qui s’est déroulé le 10 février 2021 à la Maison de la Chimie.

 « COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Chimie et

énergies nouvelles Christophe Behar, Jean-Claude Bernier, Bernard Bigot, Laurent Carme, Jean-Pierre Clamadieu, Olivier Greiner, Dominique Larcher, Jean-Philippe Laurent, Jean-Eudes Moncomble, Jean-Paul Moulin, Catherine Rivière, Christine Rousselle, Grégory De Temmerman, Benjamin Tincq, Xavier Vigor Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Crédits couverture : Centre d’Études Alexandrines et Atelier de Recherche et Conservation-Nucléart/CEA Grenoble Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN (papier) : 978-2-7598-2657-5 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2658-2

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, ­réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de ­l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ­«  toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1 er de l’article 40). Cette ­représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2021

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : Christophe Behar Directeur Énergie groupe Fayat, Président de la supply chain nucléaire française Président du groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (GIFEN)

Dominique Larcher Professeur de chimie à l’Université de Picardie Jules Verne (Amiens) Laboratoire de réactivité et de chimie des solides (CNRS UMR 7314)

Christine Rousselle Professeure Université d’Orléans

Jean-Claude Bernier Professeur émérite Université de Strasbourg

Jean-Philippe Laurent EDF Directeur Stratégie et Développement, pôle Clients, Services et Territoires

Benjamin Tincq Good Tech Lab Co-fondateur et président Fondateur de Solve[Climate]

Bernard Bigot Directeur général de l’Organisation ITER Président de la Fondation de la Maison de la Chimie Laurent Carme McPhy Directeur général Jean-Pierre Clamadieu ENGIE Président du conseil d'administration Olivier Greiner Total Directeur de la recherche et du développement de la branche Raffinage Chimie

Jean-Eudes Moncomble Secrétaire général du Conseil Français de l’Énergie (CFE), Président du Comité Énergie de la Fédération Mondiale des Organisations d’Ingénieurs (FMOI)

Grégory De Temmerman Directeur général de Zenon Research

Xavier Vigor Air Liquide Vice-président Technologies et direction industrielle, de la Branche d’activité mondiale énergie hydrogène, World Business Line H2

Jean-Paul Moulin Arkema Directeur scientifique Matériaux Catherine Rivière IFPEN Directrice générale adjointe de l’IFP Énergies nouvelles

Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny



Sommaire Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny....................................................... 9 Préface : par Bernard Bigot.............................. 13

Partie 1 : L’évolution possible du bouquet énergétique diversifié en cours de développement Chapitre 1 : Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ? par Jean-Eudes Moncomble.............................. 21 Chapitre 2 : Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone par Benjamin Tincq............................................ 37 Chapitre 3 : Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies par Grégory De Temmerman............................ 53

Partie 2 : Innovation et énergie Chapitre 4 : Le nucléaire dans le futur et la transition énergétique/complémentarité par Christophe Behar........................................ 91 Chapitre 5 : Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ? par Bernard Bigot.............................................. 103 Chapitre 6 : Quelques apports de la R&D à l’accélération de la transition énergétique par Catherine Rivière......................................... 137

Partie 3 : Transports et vecteurs énergétiques Chapitre 7 : Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ? par Jean-Claude Bernier................................... 153

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Chimie et énergies nouvelles

Chapitre 8 : Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée par Xavier Vigor................................................. 173 Chapitre 9 : Avancées et perspectives dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie (batteries) par Dominique Larcher...................................... 187 Chapitre 10 : L’ammoniac : un des futurs e-fuel pour une production d’énergie à zéro empreinte carbone par Christine Rousselle..................................... 199

Partie 4 : Politique de R&D des industriels dans les prochaines décennies ; apports attendus de la chimie Chapitre 11 : Chimie et énergie, acteurs de la lutte contre le changement climatique par Jean-Pierre Clamadieu............................... 211 Chapitre 12 : Transition énergétique : comment la recherche de Total trace la route (vers la neutralité carbone) par Olivier Greiner............................................. 217 Chapitre 13 : La R&D au service de la décarbonation de l’industrie par Jean-Philippe Laurent................................ 229 Chapitre 14 : Les matériaux de la transition énergétique : les attentes et les défis par Jean-Paul Moulin........................................ 237 Chapitre 15 : Trajectoire technologique et industrielle : accélérer la mise à l’échelle pour améliorer la compétitivité de l’hydrogène zéro ­carbone par Laurent Carme............................................. 247

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La Fondation a créé, en 2007, un cycle de colloques « Chimie et … » qui traite successivement des domaines d’application de la chimie. Ces colloques ont donné naissance à une collection d’ouvrages, la collection « Chimie et … », qui en diffusent les enseignements. Depuis, La chimie et la mer, le premier de la série, au présent volume, Chimie et énergies nouvelles, ce sont vingt-quatre volumes qui sont ainsi présentés sur vingtquatre thématiques importantes pour la vie quotidienne qui n’existeraient pas sans la chimie. La Fondation de la Maison de la Chimie s’attache à faire prendre conscience à tous que les sciences de la chimie – dans l’industrie, dans la recherche scientifique et dans le développement – sont essentielles à nos vies quotidiennes. Elle se penche ainsi sur la réalité de ce qui nous entoure – les objets quotidiens, les vêtements, nos habitations, nos loisirs, nos médicaments etc. Certains de ces objets et de ces usages sont, pourrait-on dire, « vieux comme le monde », mais aujourd’hui, tous, sans exception, sont marqués pas

les progrès de la recherche dans les laboratoires publics et industriels et souvent dans le cadre d’un partenariat étroit entre les deux. Il n’est par exemple, pour présenter le présent volume Chimie et énergies nouvelles que de noter dans nos expériences personnelles les changements des conditions de vie. Sur une période d’au moins une dizaine d’années, l’explosion de notre consommation d’électricité est frappante : le nombre de prises de courant par pièce dans un appartement, de voyants associés à nos équipements, l’éclairage dans les rues ou les bâtiments nous rappellent que nous vivons dans un « toujours plus » d’énergie. Les ordinateurs, les téléphones portables, bientôt les maisons connectées, bientôt les transports électriques etc., tout va dans le même sens : plus d’électricité. Et la vie des individus n’est pas seule en cause, bien évidemment, la vie des entreprises est prise dans la même spirale : toujours plus d’électricité, toujours plus d’énergie, que tout le monde – toute la planète ! – recherche.

Danièle Olivier et Paul Rigny

Avantpropos

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Hélas ! ce magnifique emballement – qui apporte un merveilleux confort à toujours plus de gens – est potentiellement mortel, il ne faut pas se le cacher. L’épuisement des ressources de la planète qui nous donnent leur énergie (le pétrole en particulier) et le changement climatique qui panique tant de gens sont de nature à faire s’effondrer nos sociétés. Le monde en a pris conscience et les scientifiques et les ingénieurs évoquent des solutions : les économies d’énergies, les bioressources, le soleil, le vent… tout le monde en entend parler. Mais les discours comportent tant d’imprécisions, d’optimisme, de croyances, et de manques d’actualisations (puisque le domaine évolue), qu’il est difficile aux non-spécialistes de s’y retrouver ! Les chapitres qui suivent font appel à des acteurs divers et complémentaires : responsables de jeunes entreprises qui se construisent sur des aspects particuliers très innovants au point de vue scientifique ou technologique, comme Climatech ou McPhy, chercheurs universitaires comme Christine Rousselle (sur l’utilisation de l’ammoniac) ou Dominique Larcher (sur l’hydrogène). Ils donnent aussi la parole aux responsables des grandes entreprises qui mûrissent leurs programmes de transitions énergétiques depuis plusieurs années et présentent des stratégies opérationnelles très convaincantes et représentatives de l’avenir. Il s’agit des entreprises Engie, Total, EDF, Arkema, Air Liquide – soit les principales entreprises françaises du domaine.

Au-delà des entreprises, on pourra lire les travaux mêlant à la fois la recherche techno­ logique et les prospectives économiques de responsables de grands programmes comme la fusion nucléaire, la nouvelle génération des réacteurs nucléaires ainsi que le développement et les promesses de la voiture électrique. Les lecteurs apprécieront par ailleurs l’exposé synthétique de haut niveau de la Fédération mondiale des ingénieurs par Jean-Eudes Moncomble, judicieusement complété par le chapitre très éclairant de Grégory De Temmerman sur la nécessaire prudence de la prévision des évolutions qui implique une compréhension fine des contraintes temporelles de la recherche. Ces exposés, adossés à une présentation synthétique des apports de la R&D à la transition énergétique faite par l’IFPEN, font de cette publication un outil exceptionnel pour appréhender cette question de la transition énergétique, si importante pour la société aujourd’hui… et de demain. Toute cette richesse d’informations scientifiques et techniques, économiques même puisque c’est l’industrie d’aujourd’hui qui est concernée, est précieuse et doit être valorisée. C’est un des rôles du site internet « www.mediachimie. org » que la Fondation a créé en 2012. Ce site est consulté tant pour l’enseignement de la chimie (aide aux professeurs, étudiants et élèves à intégrer la recherche actuelle) que pour répondre à la curiosité du grand public qui veut connaître la réalité technique. Que nos lecteurs se rendent sur ce site

Liste des ouvrages de la collection « Chimie et… »  La chimie et la mer ; Chimie et santé ; Chimie et art ; Chimie et alimentation ; Chimie et sport ; Chimie et habitat ; Chimie et nature ; Chimie et enjeux énergétiques ; Chimie et transports : vers des transports décarbonés ; Chimie et technologies de l’information ; Chimie et expertise : sécurité des biens et des personnes ; Chimie et cerveau ; Chimie et expertise  : santé et environnement ; Chimie et

changement climatique ; Chimie dermo-cosmétique et beauté ; La chimie et les grandes villes ; La chimie et les sens ; Chimie, aéronautique et espace ; Chimie et biologie de synthèse ; Chimie, nanomatériaux, nanotechno­ logies ; Chimie et Alexandrie dans l’Antiquité ; Chimie et nouvelles thérapies, Chimie et lumière  ; Chimie et énergies nouvelles (le présent ouvrage) et, en préparation Chimie et agriculture durable.

Avant-propos

et cherchent les réponses à leurs questions… Nul doute qu’ils y reviennent, pour approfondir leurs connaissances, à la lecture des nombreuses ressources proposées qui, bien entendu, font bon usage des volumes de la collection « Chimie et… » !

Danièle Olivier Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny Conseiller scientifique auprès du président de la Fondation de la Maison de la Chimie

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D’ici 2050 au plus tard, le système énergétique mondial devra être mis sur une trajectoire dont les caractéristiques seront déterminantes pour l’avenir du climat à long terme : le sujet est au cœur des préoccupations de la société et de l’industrie. Malgré l’engagement des États et la progression des énergies dites renouvelables – notamment du solaire photovoltaïque ou thermique et de l’éolien offshore pour lesquels on s’attend à des facteurs de croissance importants dans les prochaines décennies, pour faire face aux besoins toujours croissants de la demande en énergie en dépit des économies envisagées – toutes les énergies flexibles, propres, abondantes, décarbonées, capables de se substituer aux énergies fossiles seront nécessaires. Pour cela, il est urgent d’innover mais aussi d’optimiser les technologies existantes en lien avec l’objectif de développement durable garantissant l’accès de tous à des services énergétiques fiables à des coûts abordables.

sur l’évolution du « bouquet énergétique diversifié » en cours de développement.

Nous avons souhaité dans ce vingt-quatrième ouvrage de la collection « Chimie et » faire un point scientifique, objectif

C’est à ces questions que tente de répondre JeanEudes Moncomble, du Conseil Français de l’Énergie (CFE),

Notre futur énergétique est un sujet fondamental pour la société, l’industrie et l’économie. Les auteurs des différents sujets ont été choisis parmi les meilleurs experts de la recherche, de l’industrie, de la politique et de l’économie, dans les différents domaines concernés. Esquisser le paysage énergétique est un exercice indispensable pour élaborer des politiques énergétiques ou des stratégies d’entreprise qui par nature, requièrent des temps de mise en œuvre. Après les nombreuses ruptures dues au contexte sanitaire de l’année 2020, comment envisager le paysage énergétique à long terme ? Comment caractériser les systèmes énergétiques auxquels nos sociétés aspirent ? Quels cheminements cohérents sont envisageables et souhaitables et quelles politiques les favoriseront ?

Bernard Bigot

Préface

Chimie et énergies nouvelles 14

dans la première partie de cet ouvrage. Face à ces enjeux du siècle, Benjamin Tincq montre comment les progrès technologiques et l’entreprenariat jouent un rôle décisif et présentent les facteurs clés du développement des « climate tech », et comment l’Europe peut se positionner face aux États-Unis et à la Chine. Les discussions autour des transitions énergétiques souvent centrées sur le type de sources d’énergie négligent généralement le temps nécessaire pour mettre en place les technologies associées et les limites sur ce qui est physiquement possible. Cet aspect de la transition énergétique est examiné par Grégory De Temmerman ainsi que d’autres aspects importants à considérer pour la nécessaire transition à venir : l’acceptabilité sociale des différentes technologies, la gestion des déchets, les besoins en matériaux, l’occupation des sols... Ces sujets de controverse rendent l’adoption et la réalisation de grands projets difficiles et longs dans un contexte d’urgence climatique croissante. La seconde partie de l’ouvrage est ciblée sur l’innovation dans le domaine des énergies décarbonées. La population mondiale va continuer à croître et aspirera à un meilleur niveau de vie en consommant, pour de nombreux habitants de la planète, plus d’énergie, quand d’autres devront consommer moins. Parmi les moyens de production d’électricité, le nucléaire est dans le peloton de tête en termes de faible

production de CO2 par kWh et c’est un moyen de production pilotable. Christophe Behar montre qu’un mix énergétique souhaitable regroupant renouvelables et nucléaire est possible. Au-delà des réacteurs à eau légère (REL), le contrat de filière avec l’État prévoit la mise en place de quelques réacteurs à neutrons rapides (RNR) avant la fin du siècle, car cette technologie permet non seulement d’économiser fortement la ressource en uranium naturel, mais aussi de recycler une partie des combustibles usés et de simplifier la gestion des déchets de très haute réactivité à vie longue. À la demande du Comité d’organisation, j’ai accepté de vous présenter à travers l’état d’avancement du programme international ITER en cours de réalisation sur le site de Cadarache en Provence, les échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène ». Après un résumé scientifique de l’origine historique de ce grand programme international de recherche dont l’objectif est de construire le dit équipement ITER et d’en exploiter les potentialités pour démontrer la faisabilité d’usage de l’énergie de fusion de l’hydrogène, ce chapitre présente l’état actuel d’avancement du projet, son calendrier de réalisation avec un premier plasma fin 2025, la capacité de fusion à pleine puissance fin 2035, et au vu des résultats de recherches en 2040, la perspective d’une première installation industrielle connectée au réseau en 2050-2060.

Préface Catherine Rivière montre que les équipes d’IFP Énergies nouvelles, par adjacence de compétences, travaillent à créer les innovations de la transition énergétique. La chimie catalytique, qui est au cœur des procédés de raffinage, apparaît aussi comme une compétence clé dans le développement des technologies bas carbone. Des exemples sont donnés concernant la transformation de la biomasse en carburant. L’économie circulaire et les procédés chimiques de recyclage des plastiques sont également présentés. D’autres enjeux comme l’hydrogène, le stockage d’énergie et le captage de CO2 sont abordés. La troisième partie est consacrée aux transports et vecteurs énergétiques. Jean-Claude Bernier mène une étude comparative de l’impact sur l’environnement des nouveaux véhicules électriques et thermiques. Sont décrits les divers moyens que la chimie et la métallurgie ont développés pour diminuer la consommation de carburant et la pollution avec un réel progrès dans l’atmosphère des grandes villes en un peu plus de dix ans. Les progrès de l’électrochimie et l’avènement des batteries ions/lithium industrielles entraînent la mise sur le marché de nouveaux véhicules électriques pour particuliers dans le monde entier. Sont examinées leurs qualités écologiques en fonction des mix électriques nationaux et des différents kWh plus ou moins carbonés. Avec le plan de relance, se greffent les véhicules à hydrogène, et l’impact environnemental de

ces nouveaux véhicules est examiné. Leur développement est discuté, ainsi que leur influence sur le transport ferroviaire, poids lourds et automobiles particuliers, ainsi que les conséquences sociétales à moyen terme. Le chapitre de Xavier Vigor présente la filière hydrogène comme vecteur d’énergie décarbonée. Les différents usages envisagés pour l’hydrogène sont présentés, ainsi que les différentes filières, leur empreinte CO2, le stockage, le transport, la distribution et les coûts associés. Les défis à relever pour baisser les coûts et accroître les volumes d’ici 2030 sont discutés. Dominique Larcher et Mathieu Morette montrent que les deux modes d’utilisation des batteries – collecte/concentration des énergies renouvelables et conception d’un réseau multiéchelle de connexion entre la source et le consommateur – impliquent des exigences et des critères de sélection parfois très différents qui guident et justifient les voies d’amélioration actuellement explorées. Ce chapitre illustre l’évolution des recherches en montrant comment ces aspects sont abordés grâce à la mise au point d’accumulateurs Na-ions capables d’être rechargés très rapidement et d’autre part, à la synthèse et études d’électrolytes solides inorganiques non inflammables. Ces développements ont révélé des problèmes et des limitations encore non résolus qui montrent l’étendue et la marge de progression et d’adaptabilité du domaine qui est illustré par quelques prospectives.

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L’ammoniac, facile à produire, capable de stocker et transporter aisément de l’énergie, pourrait avoir un rôle dans la transition énergétique dès qu’il sera produit à partir de l’excès d’électricité des sources renouvelables. Christine Rousselle fait le point sur ce sujet. Depuis ces cinq dernières années, le potentiel de l’ammoniac pour des groupes énergétiques stationnaires tels que les turbines à gaz ou les moteurs électrogènes est exploré soit comme combustible pur soit partiellement mélangé avec de l’hydrogène. De nouvelles études montrent son intérêt pour décarboner partiellement des brûleurs industriels fonctionnant au charbon ou au gaz de cokerie. La dernière partie du livre est consacrée à la politique de recherche et développement des industriels de l’énergie dans la prochaine décennie et aux apports attendus de la chimie. JeanPierre Clamadieu, président du conseil d’administration d’Engie, montre qu’énergéticiens et chimistes disposent de solides avantages pour répondre aux besoins des autres filières industrielles qui engagent leur transformation, parmi lesquelles l’aéronautique, le transport terrestre, l’électronique, l’agriculture… Les opportunités de collaboration sont nombreuses, la plus emblématique étant l’hydrogène « vert ». Olivier Greiner, directeur de la recherche et du développement de la branche Raffinage Chimie de Total, montre que 10 % des budgets de R&D de Total sont désormais consacrés à la capture,

au transport, à la séquestration et à la conversion du CO2. Des thèmes tels que le recyclage, les produits biosourcés, la décarbonation du gaz, la production d’électricité renouvelable solaire ou éolienne, la mobilité électrique occupent une place de plus en plus importante dans le portefeuille de programmes du groupe. L’engagement d’EDF dans la transition énergétique est présenté par Jean-Philippe Laurent, directeur Stratégie et Développement du Pôle Clients, Services et Territoires. Cet engagement se traduit dans la mise en œuvre de quatre plans : le plan solaire (30 GW), le plan stockage (10 GW), le plan mobilité et le plan hydrogène axé sur les industriels. Le groupe EDF a par ailleurs choisi de développer quatre voies pour décarboner l’industrie : l’efficacité énergétique, la récupération de chaleur et l’intégration énergétique de pompes à chaleur haute température, l’électrification des procédés et le développement des énergies renouvelables. L’ensemble de ces actions est illustré par des exemples. Jean-Paul Moulin, directeur scientifique matériaux chez Akema, présente les attentes et les défis des matériaux de la transition énergétique au sein du groupe : les matériaux composites pour l’éolien offshore, les réservoirs pour le stockage sous 700 bars de l’hydrogène… Pour la mobilité, il faut aussi réduire la masse des équipements (batteries, réservoirs) en optimisant l’usage de composites fibres de carbone. Le recyclage en fin de vie de ces

Préface matériaux doit être intégré dès la conception. Les défis à relever sont nombreux et multifactoriels. Les thermoplastiques de hautes performances peuvent déjà répondre à certains de ces défis. Dans le dernier chapitre, Laurent Carme, directeur général de McPhy, présente les activités du groupe, spécialiste des équipements de production et de distribution de l’hydrogène qui contribue au développement mondial de l’hydrogène zéro carbone (hydrogène « vert »). Fort de sa gamme complète dédiée aux secteurs de l’industrie, de la mobilité et de l’énergie, McPhy offre à ses clients des solutions clés en main adaptées à leurs applications d’approvisionnement en matière première industrielle, de recharge de véhicules électriques à pile à combustible, ou encore de stockage et valorisation de

surplus d’électricité d’origine renouvelable. Chimie et énergie partagent une forte culture de la recherche, de l’innovation, de la performance. Les différents acteurs présentés dans cet ouvrage participent aux bases du monde résilient qu’il nous faut construire d’ici 2030 pour maintenir l’équilibre de notre écosystème et préserver la biodiversité de notre planète. Je vous souhaite une agréable lecture de ces chapitres, que j’ai personnellement trouvés passionnants.

Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie Directeur Général de ITER

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quel

la crise,

paysage

énergie

de l’

en 2050 ?

Jean-Eudes Moncomble est secrétaire général du Conseil Français de l’Énergie (CFE1), président du Comité Énergie de la Fédération Mondiale des Organisations d’Ingénieurs (FMOI2).

En 2019, les débats sur la transition énergétique étaient nombreux. Les enjeux étaient principalement environnementaux avec, au premier rang d’entre eux, la lutte contre le changement climatique. On discutait de la composition du bouquet énergétique3, de la capacité de nos sociétés à évoluer vers d’autres modes de transports, et on s’interrogeait sur les conséquences de l’irruption du numérique, pour ne citer que quelques-uns des

débats très présents dans le monde d’avant.

1. www.wec-france.org 2. www.wfeo.org 3.  Bouquet énergétique : proportion des différentes sources d’énergie dans la production d’énergie nécessaire à un pays, une industrie, etc.

1

Et la pandémie de Covid-19 a frappé : un choc d’une violence inouïe qui surprend chaque jour d’avantage par sa puissance, sa persistance et par l’ampleur encore mal estimée de ses conséquences. A-t‑elle modifié directement ou indirectement, par ses nombreuses conséquences, notre perception des enjeux énergétiques ou des transitions énergétiques possibles ?

Les missions du Conseil Mondial de l’Énergie Avant d’entamer ce point, rappelons rapidement ce qu’est le

Jean-Eudes Moncomble

Un an après

Chimie et énergies nouvelles

Figure 1 Les pays faisant partie du Conseil Mondial de l’Énergie.

Conseil Mondial de l’Énergie (CME). Il s’agit d’une organisation qui est présente dans à peu près 100 pays (en bleu sur la Figure 1), dont les deux tiers sont des pays en développement. Indirectement, cela représente environ 3 000 organisations dans le monde, qui représentent toutes les ressources, toutes les énergies, toutes les technologies et tous les types d’acteurs. La première conférence mondiale de l’énergie s’est tenue en 1924 à Londres (Figure 2). Le Conseil Français de l’Énergie (CFE) représente en France le Conseil Mondial de l’Énergie. Sénèque (Figure 3) a écrit, dans une lettre à Lucilius : « Ignoranti quem portum petat nullus suus uentus est », ce que l’on peut traduire très rapidement par : « Il n’est de bon vent pour qui ne sait où il va ».

Figure 2 Personnalités présentes lors de la première conférence mondiale de l’énergie en 1924 à Londres.

Ignoranti quem portum petat nullus suus uentus est.

Seneca, Epistulae morales ad Lucilium

Figure 3

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« Ignoranti quem portum petat nullus suus uentus est », ce que l’on peut traduire très rapidement par : « Il n’est de bon vent pour qui ne sait où il va » – Sénèque (4 av. J.-C.-1 apr. J.-C.).

Cette phrase s’applique remarquablement à la transition énergétique, car il est primordial d’identifier clairement les objectifs et de ne pas confondre les objectifs avec les moyens d’atteindre ces objectifs. Pour le Conseil Mondial de l’Énergie, dont la mission est de promouvoir la fourniture et l’utilisation durables de l’énergie pour le plus grand bien de tous, on considère habituellement qu’il y a trois objectifs principaux (Figure 4) : – le premier est l’accès à l’énergie : c’est d’abord permettre un accès physique, comme c’est encore le cas dans beaucoup de pays en développement où l’on n’a pas accès à l’électricité, où l’on a accès à des modes de cuisson qui sont peu satisfaisants du point de vue de la santé ou de l’environnement.

Mais c’est aussi l’accès économique, avec le problème de la précarité énergétique que l’on retrouve très proche de chez nous et qui est aussi une forme de non-accessibilité ; – le deuxième enjeu est la sécurité des approvisionnements énergétiques, l’« availability » (disponibilité). Cette sécurité des approvisionnements peut dépendre de risques géopolitiques, comme par exemple l’accès à certaines matières premières : on pense immédiatement au problème du pétrole ou à certains métaux ou matières rares indispensables pour fabriquer certains équipements importants. Mais il y a aussi de nouvelles formes de la sécurité d’approvisionnement sur lesquels nous reviendrons ; – le troisième objectif est l’acceptabilité environnementale, c’est-à-dire retenir des choix énergétiques qui soient compatibles avec le respect de l’environnement. Aujourd’hui, l’enjeu majeur est certainement la lutte contre le changement climatique, mais il ne faut pas oublier la perte de la biodiversité, la question des pollutions locales ou la montée du stress hydrique4 dans beaucoup de pays. C’est aussi l’acceptabilité sociale, car même si nous n’avons pas directement ce problème dans nos pays développés, bien souvent des filières sont indirectement associées dans d’autres parties du monde à des conditions de travail inacceptables et inenvisageables. 4.  Stress hydrique : situation durant laquelle la demande en eau dépasse la quantité d’eau disponible ou la qualité de l’eau limite son usage.

2

L’évolution des consommations énergétiques depuis la deuxième moitié du xxe siècle

Promouvoir la fourniture et l’utilisation durables de l’énergie pour le plus grand bien de tous

Accessibility Availability Acceptability

Figure 4 La règle des trois A qui gouverne la transition énergétique : Accessibility (accessibilité), Availability (disponibilité), Acceptability (acceptabilité).

Deux constats s’imposent : le changement de la carte de l’énergie et l’inertie du système énergétique.

Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ?

Alors « accessibility », « availability » et « acceptability » – en anglais, c’est la règle des trois A – est un peu ce qui guide le bateau de Sénèque lorsqu’on l’adapte à la transition énergétique (Figure 4).

2.1. La carte de l’énergie a fortement changé Pour l’illustrer, représentons, dans chacune des grandes régions du monde, les émissions de CO2 proportionnellement à la surface des bulles. La situation en 1965 est représentée par les bulles en gris clair et celle en 2015 par les bulles bleu foncé (Figure 5). La situation a profondément changé dans beaucoup de régions du monde. Si pour l’Europe et l’Amérique du Nord les bulles grises et bleues sont assez proches, en revanche, c’est en Afrique ou au MoyenOrient que les bulles ont le plus augmenté, et surtout, il y a explosion de la bulle de l’Asie pacifique. Cela montre qu’aujourd’hui, c’est dans d’autres régions du monde que les nôtres que va se jouer le combat contre le changement climatique. En 2019, les émissions mondiales sont de 34 Gt5 5. Gt (Giga tonnes) correspond à 109 tonnes (1012 kilogrammes).

1965

à 2015

Figure 5 L’évolution des émissions de CO2 dans le monde entre 1965 (gris clair) et 2015 (bleu foncé) montre une forte augmentation dans diverses régions.

de CO2, dont 12 pour l’OCDE6 et 22 pour les pays hors OCDE, ce qui représente donc un tiers OCDE et deux tiers non OCDE. Pour mémoire en 1965, les proportions étaient inverses : l’OCDE émettait 7,7 Gt et hors OCDE nous étions à 3,5. Autrement dit, la consommation énergétique s’est complétement déplacée de l’OCDE vers hors OCDE. 6. OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Éco­ nomique. Cette organisation inter­ nationale consultative a pour principale mission de faire des études économiques (sur les échanges commerciaux majoritairement).

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Chimie et énergies nouvelles

Il faut aussi rappeler que l’Union européenne ne représente que 3 Gt, c’est-à-dire moins de 10 % des émissions de CO2 mondiales. Deux autres chiffres doivent aussi être rappelés : de 2018 à 2019, la France a diminué ses émissions de 307 Mt à 299 Mt7, tandis que dans le même temps, la Chine a augmenté ses émissions de 9,5 Gt à 9,8 Gt. On peut dire les choses plus brutalement : de 2018 à 2019, les émissions de la Chine ont augmenté du total des émissions de la France. Autrement dit, la croissance des émissions chinoises est équivalente au total des émissions de la France. Il faut avoir ces chiffres en tête pour se rendre compte que même si évidemment il faut que l’on fasse des efforts dans nos pays industrialisés et riches, le vrai combat contre le changement climatique va se gagner ailleurs qu’en Europe et ailleurs que dans les pays industrialisés. 7. Mt (Méga tonnes) correspond à 106 tonnes (109 kilogrammes).

1.2. L’inertie du système énergétique Le second constat est qu’il y a beaucoup d’inertie dans le système énergétique, alors que l’on a souvent un peu l’impression de pouvoir accélérer la transition énergétique. Avec les trois grandes catégories d’énergies, le nucléaire, le renouvelable et le fossile, dessinons le cheminement (en rouge) d’un point qui va représenter l’évolution de la composition du bouquet énergétique mondial de 1965 à 2017 (Figure 6). En faisant un zoom sur cette zone, on retrouve de 1973 à 1995 le développement du nucléaire, puis de 2007 environ à aujourd’hui le développement des énergies renouvelables, mais le point reste bien calé dans le coin des énergies fossiles. Cela peut aussi s’illustrer les quelques chiffres suivants : 87, 84, 85, 85, qui représentent le pourcentage pratiquement constant des énergies fossiles dans le bouquet énergétique mondial de 1989, 1999, 2009, 2019.

1995

Nucléaire

1990

2007

2011

2017

1973 1965

Fossiles

Renouvelables

Figure 6 24

Évolution de la composition du bouquet énergétique mondial entre 1965 et 2017.

Modern Jazz

Marchés

Coopération et innovation Symphonie Inachevée

Politiques publiques

3

Les scénarios de transition énergétique du Conseil Mondial de l’Énergie Avant la pandémie de 2020, le Conseil Mondial de l’Énergie a élaboré des scénarios possibles de transition énergétique en tenant compte d’un certain nombre de conditions (Figure 7). Étions-nous plutôt dans un monde de coopération et d’innovation, ou plutôt dans un monde de fragmentation et de repli sur soi ? La deuxième déclinaison de ces scénarios était l’évolution dans le cadre des politiques publiques ou par l’action directe du marché. Trois scénarios avaient été ainsi définis qui s’appelaient « Modern Jazz », « Symphonie inachevée » et « Hard rock ». Ce sont des images musicales pour donner la tonalité finale de ces scénarios. Un scénario transition énergétique de coopération et d’innovation qui passe par le marché est « Modern Jazz » : c’est une évolution dans un monde de coopération, dans lequel l’innovation et la recherche sont poussées, mais c’est un monde assez libéral, plutôt choisi par les entreprises. On peut aussi avoir un monde de coopération et d’innovation dans lequel ce ne sont pas les entreprises qui ont la

Hard Rock

Fragmentation et repli sur soi

Politiques publiques & Marchés

Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ?

C’est une seconde leçon qu’il faut avoir en tête quand on pense aux transitions énergétiques évidemment indispensables, mais dont on doit concilier la difficulté avec l’inertie de nos systèmes énergétiques.

Figure 7 Les conditions prises en compte par le CME pour élaborer les différents scénarios de la transition énergétique.

main mais plutôt les gouvernements. On y utilise des outils pour orienter le comportement des entreprises, ce serait le monde d’un grand succès de la COP218 par exemple. C’est le scénario « Symphonie inachevée ». Ces deux scénarios sont finalement des scénarios coopératifs. Puis il y a le troisième scénario de repli sur soi, c’est le « Hard Rock », avec finalement des pays qui ne veulent plus coopérer et qui, face à la diversité des enjeux, préfèrent se replier et jouer l’égoïsme d’une certaine manière. 3.1. Évolution de la demande en énergie primaire La Figure 8 représente la prévision d’évolution de la 8. COP21 (21e Conférence des Parties) a eu lieu à Paris en 2015, elle a abouti aux accords de Paris sur le climat.

25

Chimie et énergies nouvelles

2,0 1,9

tep/habitant

1,8

Hard Rock

1,7

Modern Jazz

1,6

Symphonie Inachevée

1,5 1,4 1,3 2000

2014

2030

2060

Figure 8 La consommation d’énergie primaire par habitant va diminuer d’après les prédictions du CME et ce, quel que soit le scénario.

demande d’énergie primaire par habitant dans ces trois scénarios, jusqu’en 2060. Dans tous les cas, on a un pic de la consommation d’énergie primaire par habitant. Il faut insister sur le fait que ce n’est pas la consommation d’énergie primaire totale, qui, elle, continue de croître ; en revanche chacun des habitants de la planète va en moyenne consommer moins d’énergie. Le premier message est que la diminution est plus efficace

23,816

48,491

44,474

44,914

avec le scénario « Symphonie inachevée », qui associe la coopération et la politique publique, que lorsqu’on a le repli sur soi de « Hard Rock ». Les prévisions de la production d’électricité dans les trois scénarios sont reportées sur la Figure 9 et comparées à celle de 2014, qui était d’environ à 24 000 TWh9. Elle passe à 48, 44, 44 milliers de TWh dans les trois scénarios, c’est donc un doublement de la consommation d’électricité dans les trois cas. Cette augmentation de la demande d’électricité est vraiment un mouvement qui semble inéluctable dans les transitions énergétiques. 3.2. Évolution de la demande en énergies fossiles

2014 (en TWh)

Modern Jazz 2060

Symphonie Inachevée 2060

Hard Rock 2060

Figure 9

26

Dans les trois scénarios du CME, la production d’électricité double d’ici 2060, ce qui fait de l’électricité un enjeu important des transitions énergétiques.

L’évolution dans les trois scénarios de la demande des grandes familles d’énergies fossiles est reportée sur la Figure 10. On peut prévoir 9. TWh : térawattheure (1 milliard de kW-heure).

100

4

Modern Jazz

4 3

70

2

Symphonie Inachevée

60

1

2000

2060

0 2030

50 2014

2014

2000

0

2030

Symphonie Inachevée

80

2000

1

2060

2

Modern Jazz Hard Rock Symphonie Inachevée

5

Modern Jazz

90

Hard Rock

3

6

Hard Rock

2060

110

5

Gaz naturel (milliers de milliards de m3)

2030

6

Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ?

Pétrole (Mbl/jour)

2014

Charbon (milliards de tep)

Figure 10 Prévisions d’évolution des demandes des énergies fossiles les plus communes : charbon, pétrole, gaz naturel.

dans tous les cas un déclin du charbon, qui est l’énergie la plus nocive en termes d’émissions de CO2 par rapport au pétrole et au gaz naturel. Quand on produit 1 kWh d’électricité avec du charbon, on émet deux fois plus de CO2 qu’avec du gaz. Le pétrole devrait être lui aussi plutôt sur le déclin, sauf dans le scénario « Hard Rock ». La seule énergie fossile dont la demande ne devrait pas diminuer est le gaz naturel, qui devrait même connaître un certain déploiement. Cependant, si c’est bien le cas au niveau mondial, en Europe on attend un déclin du gaz comme des autres formes d’énergie fossiles.

Modern Jazz 2060

2014 29 %

21 %

31 % 19 %

11 %

29 %

13,652 MTOE

16,085 MTOE

5% 1% 5%

23 % 37 %

3% 3%

10 %

24 %

10 % 8 % 22 % 49 %

17 %

16 %

24 %

15,085 MTOE

28 % 31 %

18,272 MTOE

Charbon Gaz Pétrole 13 %

19 %

Non fossiles Autres renouvelables

13 %

3.3. Le bouquet énergétique en 2060 C’est dans le scénario « Symphonie inachevée », où la coopération et l’innovation sont initiées par les politiques publiques, que l’on utilisera le moins d’énergies fossiles (en orange, gris et bleu sur la Figure 11) et le plus d’énergies bas carbone (en gris foncé). Du point de vue des émissions de carbone, les scénarios

4%

Symphonie Inachevée 2060

7 % 9 % 3 % 12 %

Hard Rock 2060

Nucléaire Hydro Biomasse

Figure 11 Composition du bouquet énergétique en 2060 en fonction des scénarios du CME.

sont assez différenciés et on retrouve ces résultats dans le graphique de la prévision des émissions annuelles de carbone dans les trois scenarios

27

Chimie et énergies nouvelles

(Figure 12). L’objectif de limiter le réchauffement à 2 °C en 2050, mis en avant dans les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), est représenté en pointillé. Aucun des scénarios du CME n’arrive à atteindre cette courbe en pointillés. Celle qui en est le moins éloignée est la courbe « Symphonie inachevée », et la plus éloignée est la courbe d’émissions liées au scénario « Hard Rock ». Ce résultat est encore plus visible sur la Figure 13. En termes d’émissions cumulées de carbone sur la période 2015-2060, il faudrait limiter les émissions à environ 1 000 Gt de CO2 pour atteindre l’objectif de 2 °C du GIEC. Seul le scénario « Symphonie inachevée » s’en approche, sans cependant y arriver.

(Gt CO2) 40 35 30 25 20 15 10 5 0 2000

History Modern Jazz Symphonie Inachevée Hard Rock Objectifs du GIEC 2014

2030

2060

Figure 12 Émissions annuelles de carbone. Pour limiter le réchauffement global, le GIEC a établi les émissions annuelles de carbone à ne pas dépasser, un seul scénario s’en rapproche, « Symphonie inachevée ».

1,642

1,491 1,165

Carbon Budget 1,000 Gt CO2

Modern Jazz 2060

Symphonie Inachevée 2060

Hard Rock 2060

Figure 13

28

Les émissions cumulées de carbone (2015-2060, en Gt de CO2) des trois scénarios du CME dépassent l’objectif fixé de 1 000 Gt de CO2 pour limiter le réchauffement à 2 °C.

Une réflexion a donc été conduite sur la base des hypothèses faites dans le scénario « Symphonie inachevée » pour préciser les exigences et les efforts à faire pour atteindre cet objectif, en termes par exemple d’efficacité énergétique ou de promotion des énergies non carbonées.

4

Évolution des scénarios face aux incertitudes apportées par la crise sanitaire de la Covid-19 4.1. Les incertitudes nouvelles Par rapport à l’analyse que l’on pouvait faire avant 2020, quatre incertitudes nouvelles sont apparues après la crise sanitaire, incertitudes que

nous partageons encore aujourd’hui : – la première incertitude est la santé parce qu’on ne sait pas quand le monde sera débarrassé de ce virus. Donc la santé sera l’un des éléments déterminants des prochaines années. Dans cette réflexion sur la santé, il y a beaucoup d’incertitudes sur l’anticipation des risques futurs comme l’apparition de nouveaux virus : on parle beaucoup des virus qui pourraient réapparaître à cause de la fonte du permafrost par exemple. Mais on pourrait imaginer d’autres risques que nous n’avons pas ou insuffisamment pris en compte comme les risques cybernétiques. Nous avons vu la force et la puissance des conséquences sanitaires quand elles impactent nos économies et nos sociétés ; – la deuxième incertitude est l’économie. Notre économie est, comme chacun le sait, mal en point et nous ne sommes qu’au début de la crise économique. Par le passé, car on peut peut-être espérer que ce genre d’argument va disparaître, certains disaient que la solution était la décroissance économique. En dehors du fait que dans une enceinte internationale, c’est insultant de parler de décroissance économique à des pays qui sont en voie de développement et qui ne peuvent satisfaire les besoins vitaux de leurs habitants, nous voyons actuellement dans nos pays développés les conséquences de la décroissance économique. Certes, en 2020, les premiers chiffres semblent

Il y a beaucoup de débats notamment sur l’endettement : est-ce qu’il faut annuler ou transformer la dette ? Ce sont des questions importantes parce qu’on a du mal à imaginer que les acteurs économiques, entreprises, collectivités locales ou ménages par exemple, puissent reprendre fortement les investissements de la transition énergétique s’ils se retrouvent à la sortie de la crise, trop endettés. Des réflexions sont aussi à mettre en œuvre en ce qui concerne la réindustrialisation de notre pays et la sécurité de l’approvisionnement de

certains biens : pensons aux masques ou aux vaccins ! La troisième incertitude porte sur la gouvernance. Nous avons vu pendant la crise un intérêt croissant des citoyens pour s’impliquer dans toutes les décisions locales. On ne peut que se réjouir de l’intérêt des citoyens à prendre en main leur destin. En revanche il va falloir en conséquence que les énergéticiens, comme pour tous les industriels qui développent des infrastructures, discutent, informent et échangent davantage. Cela passera certainement par une information plus complète, peut-être aussi par une redéfinition du rôle des experts et de la manière de débattre de ces questions.

Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ?

montrer qu’il y a eu une baisse des émissions de CO2, mais on en a aussi apprécié le coût. On a vu le coût dramatique de la décroissance économique, en termes de dérapage des finances publiques, et on va en voir le coût en termes de développement des inégalités, d’augmentation du chômage, d’augmentation de la pauvreté. Autrement dit, oui ; moins de croissance économique implique moins d’émissions de CO2, mais à un coût qui est réellement exorbitant et cela incite évidemment à trouver d’autres voies pour faire diminuer nos émissions de CO2. Après le « quoi qu’il en coûte » bien connu, la vraie question dont débattent les économistes est finalement de savoir si, lorsque la crise économique commencera à avoir moins d’impacts et de conséquences, les acteurs économiques auront la capacité économique et financière à reprendre les investissements nécessaires pour les transitions énergétiques.

Cela implique certainement, à plus long terme, des progrès en termes d’éducation pour avoir des citoyens plus responsables et capables de s’impliquer plus fortement ; – puis la quatrième incertitude est le sociétal. La crise a mis en évidence des changements de comportements qu’on ne pouvait pas imaginer. Nous avons changé nos modes de transports et basculé dans le télétravail bien plus rapidement qu’on imaginait pouvoir le faire sans la crise. Toutes ces modifications demeureront-elles la crise passée, quand on connaît la force de rappel qu’ont nos sociétés pour revenir à leur point de départ ? 4.2. Évolution des scénarios Au mois de mai 2020, le Conseil Mondial de l’Énergie a réfléchi sur la manière dont il fallait infléchir les trois scénarios

29

Chimie et énergies nouvelles

présentés au paragraphe 3 pour tenir compte de tout ce qui était lié à l’apparition de la Covid. Le scénario sur la santé n’a pas été développé car personne n’est capable aujourd’hui de prévoir l’avenir dans ce domaine, qui n’est d’ailleurs pas dans la compétence du CME. Mais la crise a fait apparaître finalement deux dimensions assez fortes : – d’une part, la remise en cause pour certains de la mondialisation et un retour vers le local, ce qui entraînera, comme reporté sur l’axe horizontal de la Figure 14, une évolution dans l’organisation de nos sociétés : vers la droite, plus de coopération internationale, vers la gauche, plus de diversité et d’autonomie locale ; – la seconde dimension à prendre en compte, reportée sur l’axe vertical de la Figure 14, c’est le retour à la normale : va-t-on revenir au monde d’avant, vers le bas, ou va-t-on évoluer vers des transitions radicales, vers le haut ? Ces deux axes d’évolution déterminent des secteurs

Transition radicale Le bottom-up pour une transition centrée sur l’humain

RÉENREGISTRER

AVANCE RAPIDE

Diversité et économie

Moins de mondialisation pour réparer l’économie locale

Des opportunités de coopération vers un monde d’après Coopération mondiale

REMBOBINER

PAUSE

La coopération pour un retour à la normale

Retour à la normale

Figure 14 30

Le CME a évalué comment les scénarios vont évoluer suite à la crise sanitaire de la Covid-19.

que nous avons choisi d’illustrer par des images liées au fonctionnement des vidéos en streaming : avec l’avance rapide, la pause, le rembobinage ou le réenregistrement, pour essayer de caractériser l’évolution des scénarios. Dans chaque secteur, nous avons pris en compte les principales conséquences attendues dans les domaines sanitaire, économique, dans la coopération internationale, dans la gestion de la dette financière et dans la transition énergétique (Figure 15). Tous ces travaux sont accessibles sur le site du Conseil Français de l’Énergie 1 et du Conseil Mondial de l’Énergie. Mais finalement, l’incertitude rend quasiment impossible le choix entre les scénarios. Nous avons développé une nouvelle méthode, appelée « radar de la transition énergétique ». En utilisant le réseau du Conseil Mondial de l’Énergie, plus de 3 000 interventions caractérisant l’évolution du système énergétique, issues de la presse, de politiciens et de scientifiques du monde entier, ont été identifiées et analysées (Figure 16). Ces signaux de diverses origines ont été regroupés d’abord en cinq familles : l’environnement, le politique, l’économique, le social et la technologie. Les pourcentages dans chaque famille sont déjà des indicateurs de tendance. Puis ensuite, chacune de ces petites phrases a été analysée pour l’associer à la pause, à l’avance rapide, au réenregistrement ou au retour en arrière, puis l’ensemble a été regroupé (Figure 17).

REMBOBINER

RÉENREGISTRER

AVANCE RAPIDE

L’avènement d’un vaccin et la volonté de collaborer permettent de contenir le virus d’ici 2022

Le développement des vaccins est lent et les gouvernements cherchent des solutions comportementales pour lutter contre le virus

Les vaccins et les traitements prolifèrent de manière confuse et non coordonnée, avec des résultats très différents d’une ville à l’autre

La collaboration scientifique utilisant des données importantes, des ressources de laboratoire combinées et d’une mise à l’échelle rapide la fabrication est efficace

L’économie internationale se concentre sur une tentative de retour à la normale prépandémie

L’accent mis sur la dimension intérieure creuse le fossé entre les pays riches et les pays pauvres, avec une reprise lente et inégale à tous les niveaux

La lenteur de la reprise économique s’accompagne de troubles sociaux et d’une focalisation locale

L’innovation collaborative mène à une reprise mondiale

La communauté internationale met l’accent sur la stabilité

Les pays se détournent de la mondialisation dans une volonté de réparer l’économie locale

La mondialisation est en déclin

Un nouvel ordre mondial est en train de se mettre en place, avec l’essor de la Chine

La plupart des gouvernements ont mis en place une résilience progressive, avec de lents progrès dans la réalisation des ambitions de la COP21

Le découplage mondial s’étend aussi à la transition énergétique

Les expériences locales, rendues possibles par la technologie, conduisent à la création d’une nouvelle voie de régénération

La collaboration est à la base des progrès réalisés dans la mise en œuvre de la politique de lutte contre le changement climatique

Le tissu social tient dans la plupart des pays

Le tissu social est effiloché dans de nombreux pays

L’évolution des normes sociales déclenche la décentralisation du pouvoir populaire

La résilience sociale est renforcée

La dette et l’incertitude rendent difficile le financement de nouveaux projets énergétiques, ce qui ralentit la transition vers une nouvelle économie de l’énergie

Le secteur de l’énergie est confronté à un protectionnisme croissant à mesure que le commerce devient moins global et plus bilatéral

L’investissement passe des combustibles fossiles à des mélanges de combustibles fossiles et d’énergies renouvelables selon des voies diverses et un système hybride

La collaboration en matière de construction d’infrastructures d’énergies renouvelables permet d’accroître la compétitivité des énergies renouvelables

Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ?

PAUSE

Figure 15 Travaux du CFE et du CME : conséquences attendues dans les quatre nouveaux scénarios possibles.

‘The new fund, HydrogenOne Capital, is being launched by a former Royal Dutch Shell and Exxon Mobil executives’ (EnergyWorld) ‘Google tells employees to take Friday off as a ‘collective wellbeing’ holiday during pandemic’ (CNBC)

‘A group of the world's top oil companies including Saudi Aramco, China's CNPC and Exxon Mobil have set targets to cut their GHG emission’ (Euractiv) ‘World's Largest Green Hydrogen Project Unveiled in Saudi Arabia’ (GreenTech) ‘Microsoft launches initiative to help 25 million people worldwide acquire the digital skills needed in a COVID-19 economy’ (Microsoft)

‘South Korea to spend $95 billion of government funds by 2025 on green projects’ (Reuters)

‘Big questions are being posed about the future of examination —there is a lag between technological development and educational reform’ (World Economic Forum)

‘Enel to launch hydrogen business as part of green drive’ (Reuters)

‘Chancellor Rishi Sunak announced £3 billion of support for what he called a ‘green recovery’ from the financial downturn triggered by the coronavirus outsbreak’ (Forbes)

‘Siemens to let staff ‘Work From Anywhere’ permanently’ (SightsIn Plus)

‘India sets Ambitious Renewable Energy Targets’ (Bloomberg)

‘Hyundai ships world's first fuel cell heavy-duty trucks for commercial use’ (Bloomberg)

‘Tenders for wind and solar projects continued in June despite Covid’ (The Economic Times)

‘European Commission presented its hydrogen strategy’ (Euractiv)

‘Due to coronavirus 138 million people will need help of World Food Programme in 2020 compared to 97 million in 2019’ (World Food Programme)

‘The pandemic has uncovered weaknesses in the supply chains of critical minerals needed for clean energy future’ (World Economic Forum)

‘The Climate Group analysis demonstrates strong business support for green measures despite uncertainties and challenges presented by the pandemic’ (Climate Group)

‘Australia extends jobs support as new COVID-19 outbreaks threaten economy’ (Reuters)

‘Spain said Thurstday [30 July] it had agreed with Airbus to invest €185 million to boost its aerospace sector and minimise job cuts’ (Euractiv)

‘More than 95,000 opportunities under the SGUnited Jobs and Skills Package have been made available to job seekers so far in Singapore’ (CAN)

‘The European Council highlights that the european economy needs to become greener, more circular and more digital while remaining competitive globally’ (Europe.eu)

‘Over $13 billion of wind turbine capacity ordered in Q1 2020—this is the second highest first quarter on record’ (Wood Mackenzie)

‘Saudi Arabia called on global cooperation for the rapid scale up of carbone capture utilization and storage [CCUS] to address climate change, and urged the adoption of the circular carbon economy’ (Aramco. com)

‘Influential investor group demands ‘net-zero’ targets’ (Financial Times) ‘Microsoft makes first Climate Fund Investment —the €50 million investment will go to VC firm Energy Impact Partners’ (Bloomberg)

‘15 EU countries set to receive 81.4 bln euros for saving jobs during COVID-19’ (European Commission)

‘South Korea plan to spend $94.6 billion on a ‘New Deal’ to create jobs and help the economy recover, anchored in part by investment in EVs and hydrogen cars’ (Reuters)

Figure 16 Le CME a rassemblé à grâce à son réseau des phrases pour comprendre et analyser la tendance de transition énergétique vers laquelle on se dirige.

31

Chimie et énergies nouvelles

Technologie 22 % Environnement 24 %

Politique 8%

Social 15 %

Technologie 22 %

Environnement 24 %

Rembobiner 21 % Réenregistrer 26 %

Pause 15 % Économique 31 %

Politique

Social

Politique 8%

Social 15 %

Technologie Environnement

Économique Avance rapide 38 %

Économique 31 %

Figure 17 Les phrases recueillies par le CME ont été analysées afin de quantifier les scénarios.

Finalement, on voit que 38 % de ces petites phrases plaident en faveur de l’avance rapide, 26 % en faveur du réenregistrement, 21 % pour le rembobinage et 15 % pour la pause. L’avance rapide, c’est évidemment le retour à la mondialisation avec une transition énergétique forte. Le rembobinage, c’est revenir en arrière et puis essayer d’avancer en ayant moins de mondialisation et plus de local par exemple. C’est donc avec ce type d’outils que nous avons essayé de quantifier les scénarios.

Un groupe des plus grandes sociétés pétrolières mondiales, dont SaudiAramco, la CNPC chinoise et ExxonMobil, se sont fixés des objectifs pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre  (Euractiv)

La Corée du Sud va consacrer 95 milliards de dollars de fonds publics d’ici 2025 à des projets verts (Reuters)

Le Conseil européen souligne que l’économie européenne doit devenir plus verte, plus circulaire et plus numérique tout en restant compétitive au niveau mondial (Union européenne)

Les chiffres eux-mêmes sont assez peu instructifs, plus intéressants sont les cadres de couleur qui permettent de trouver des messages clés issus de l’analyse de tous les signaux issus de chaque famille. Par exemple, prenons les bleus, qui sont des signaux économiques : il nous a semblé qu’ils montraient que la crise était aussi une opportunité de transition et de transformation radicale de nos sociétés (Figure 18). C’est peut-être l’aspect positif de la pandémie qui a entraîné une

L’analyse du Climate Group démontre un fort soutien des entreprises aux mesures vertes malgré les incertitudes et les défis posés par la pandémie (Climate Group) 

Le chancelier Rishi Sunak a annoncé un soutien de 3 milliards de livres sterling pour ce qu’il a appelé une « reprise verte » après le ralentissement financier déclenché par l’épidémie de coronavirus (Forbes)

L’Arabie saoudite a appelé à une coopération mondiale pour une intensification rapide de l’utilisation et du stockage du carbone afin de lutter contre le changement climatique, et a appelé à l’adoption de l’économie circulaire du carbone (Aramco.com)

L’Inde fixe des objectifs ambitieux en matière d’énergie renouvelable (Bloomberg)

Un groupe d’investisseurs influent exige des objectifs « zéro net » (Financial Times)

Microsoft effectue le premier investissement dans le ClimateFund – l’investissement de 50 millions de dollars ira à la société de capital-risque Energy Impact Partners (Bloomberg)

Figure 18 32

Les phrases rassemblées par le CME qui ont trait à l’économie montrent que la crise est une opportunité de transformation.

En regardant d’autres messages, ceux qui sont entourés en jaune (Figure 19), on retrouve aussi le souhait de donner d’avantage d’importance à l’humain. On n’est plus du tout comme dans le monde d’avant, qui tendait à oublier la dimension sociale. Le troisième type de message est issu des encadrés verts (Figure 20), qui concernent

15 pays de l’UE devraient recevoir 81,4 milliards d’euros pour la sauvegarde de l’emploi pendant la COVID-19 (Commission européenne)

Google demande aux employés de poser congé le vendredi en tant que vacances de « bien-être collectif »pendant la pandémie (CNBC)

Siemens va permettre au personnel de « travailler de n’importe où » en permanence (SightsIn Plus)

Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ?

plus grande capacité de nos sociétés à évoluer.

l’environnement. On constate un développement évident des vecteurs d’énergies propres avec notamment aujourd’hui, au premier rang d’entre eux, l’hydrogène. L’avenir dira, avec beaucoup plus de précision, ce que l’on peut attendre de l’hydrogène, mais aujourd’hui il y a un effet d’enthousiasme très fort – faut-il parler d’un effet de mode ? – et il faut prendre garde de prendre des décisions sans

Microsoft lance une initiative pour aider 25 millions de personnes dans le monde à acquérir les compétences numériques nécessaires dans une économie COVID-19 (Microsoft)

De grandes questions sont posées sur l’avenir des examens - il y a un décalage entre le développement technologique et la réforme de l’éducation (World Economic Forum)

L’Espagne a déclaré jeudi 30 juillet qu’elle avait convenu avec Airbus d’investir 185 millions d’euros pour dynamiser son secteur aérospatial et minimiser les suppressions d’emplois (Euractiv)

Plus de 95 000 opportunités dans le cadre du paquet SG United Jobs and Skills ont été mises à disposition des demandeurs d’emploi à ce jour à Singapour (CAN)

L’Australie étend son aide à l’emploi alors que les nouvelles épidémies de COVID-19 menacent l’économie (Reuters) 

En raison du coronavirus, 138 millions de personnes auront besoin de l’aide du Programme alimentaire mondial en 2020 contre 97 millions en 2019 (World Food Programme)

Figure 19 Une dimension plus humaine apparaît après la crise sanitaire.

Le nouveau fonds, HydrogenOne Capital, est lancé par un ancien dirigeant du Royal Dutch Shell et d’Exxon Mobil (EnergyWorld)

La pandémie a mis au jour des faiblesses dans les chaînes d’approvisionnement en minéraux essentiels nécessaires à un avenir énergétique propre (World Economic Forum)

La Corée du Sud prévoit de dépenser 94,6 milliards de dollars dans un « New Deal » pour créer des emplois et aider l’économie à se redresser, en partie grâce à des investissements dans les véhicules électriques et les voitures à hydrogène (Reuters)

Hyundai expédie les premiers camions lourds à pile à combustible au monde à usage commercial (Bloomberg)

Les appels d’offres pour les projets éoliens et solaires se sont poursuivis en juin malgré la Covid (The Economic Times) La Commission européenne a présenté sa stratégie hydrogène (Euractiv)

Le plus grand projet d’hydrogène vert au monde dévoilé en Arabie saoudite (Reuters) Enel va lancer une activité hydrogène dans le cadre de la dynamique verte (Reuters) Plus de 13 milliards de dollars de capacité d’éoliennes commandés au premier trimestre 2020 - il s’agit du deuxième trimestre le plus élevé jamais enregistré (Wood Mackenzie)

Figure 20 Les vecteurs d’énergies propres sont en pleine croissance, notamment l’hydrogène.

33

Chimie et énergies nouvelles

trop finalement avoir fait les études globales. Le dernier point concerne les disparités régionales : la vision est très différente selon les grandes régions du monde. Par exemple, le scénario

avance rapide en gris, très présent dans la vision européenne y compris le RoyaumeUni, est moins important dans des régions comme les ÉtatsUnis, l’Amérique du Nord (Figure 21).

Europe (dont le Royaume-Uni)

RÉENREGISTRER

PAUSE

États-Unis Chine

Moyen-Orient REMBOBINER

Inde

AVANCE RAPIDE

Amérique latine

Afrique

Figure 21 Les différentes régions du monde ne sont pas au diapason sur la vision de la sortie de crise.

L’urgence climatique impose d’agir dès maintenant L’urgence climatique impose d’agir dès maintenant, et de mettre en œuvre sans délais des technologies qui sont matures et qui sont prêtes à un déploiement industriel. Trois catégories de sources énergétiques répondent à ce critère : – les énergies renouvelables, et principalement l’hydroélectricité10, qu’on oublie beaucoup dans les débats mais qui est certainement une partie de la solution, notamment dans les pays en développement, mais aussi dans les pays développés où la capacité de production hydroélectrique doit être préservée ;

34

10. Hydroélectricité : électricité produite par l’énergie hydraulique. L’énergie hydraulique est l’énergie produite par le mouvement de l’eau.

Un an après la crise, quel paysage de l’énergie en 2050 ?

– le nucléaire, qui est évidemment une source de production massive d’électricité décarbonée et dont la contribution est clairement incontournable ; – et, n’en déplaise à certains, il y a des énergies fossiles dont il semble très difficile de se passer, au moins dans le court/moyen terme, et qui pourraient jouer un rôle notamment quand elles sont associées à des technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone. Du côté de la demande énergétique, il faut continuer à développer les efforts dans le sens d’une plus grande efficacité énergétique, sachant qu’on se heurte à beaucoup d’inertie, comme par exemple pour l’isolation des logements, avec un manque de compétences disponibles au niveau des artisans. Le fait de ne retenir et de ne promouvoir dans le court terme que des technologies matures ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’intéresser aux technologies du futur. Simplement, il ne faut pas compter sur les technologies de demain pour résoudre l’urgence climatique dès aujourd’hui. La géopolitique des émissions avec le fait que ce n’est pas en Europe, avec un 9,7 % des émissions, que va se gagner la lutte contre le changement climatique est un point majeur. Cela veut dire qu’il faut prévoir d’accompagner les pays en développement. La neutralité carbone en Europe est importante, elle est utile mais elle ne suffit pas. S’il y a neutralité carbone en Europe mais si dans le reste du monde les émissions de carbone se développent trop fortement, on aura perdu la lutte contre le changement climatique. Il faut donc par exemple, dans les technologies que l’on va promouvoir, prévoir des transferts de technologies, des transferts de compétences, aider à l’instruction du projet.

35

Chimie et énergies nouvelles 36

Il faut agir pour que l’aide au développement soit aussi un moyen de décupler les efforts que l’on fait en termes de lutte contre le changement climatique. L’état des économies est aussi un sujet important et la réflexion sur l’endettement est une vraie question. Nous sommes dans une situation extraordinaire, et à situation extraordinaire on apporte des réponses extraordinaires : le virus n’a que faire des traités et des directives, et donc il faut peut-être sortir un peu de la boîte pour trouver de façon très exceptionnelle et très extraordinaire des solutions. Il demeure deux interrogations majeures. La mondialisation a été pour beaucoup de raisons désignée comme coupable, mais reviendrat-on vraiment vers le local ou réinventeronsnous un mode de mondialisation qui sera plus respectueux, plus cohérent avec nos manières de vivre ? Sortirons-nous de cette crise avec un monde très fractionné ou au contraire avec un monde où les valeurs de coopération et de solidarité, qui ont été très présentes pendant la crise, auront une place à nouveau très importante ?

aux

cleantech

climate tech :

vers une

énergie

net-zéro carbone

Benjamin Tincq est co-fondateur et président de Good Tech Lab1, qui réalise des études avec des cleantech et des climatetech pour des grands groupes et différentes organisations, et lancera prochainement une nouvelle structure visant à accompagner des projets entrepreneuriaux à bases scientifiques et technologiques autour des réponses aux urgences climatiques.

1

L’enjeu pour répondre au défi climatique avec des énergies nouvelles Les récents évènements météorologiques extrêmes montrent que la crise climatique et la crise environnementale qui lui est associée commencent à arriver. On prévoit qu’elles pourraient en termes d’impact humain être équivalentes à une Covid par an pendant quelques décennies. Des études alarmantes prévoient même que les décès 1. www.goodtechlab.io/fr/accueil

liés uniquement à l’élévation des températures pourraient être équivalents à ceux de toutes les maladies infectieuses aujourd’hui connues d’ici la fin du siècle. Nous devons arriver à la neutralité carbone le plus rapidement possible, idéalement dès la moitié du siècle. Cela implique que nous devrons passer d’environ 50 milliards de tonnes de CO2 émises par an à une émission proche de zéro d’ici 2050. La Figure 1 résume la situation.

Benjamin Tincq

Des

Ciments (3 %)

Industrie

5,2 %

Énergie

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Expédition (1,7 %)

73,2 %

16,2

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Br

l Cu

Chimie et énergies nouvelles

ferr Méta

Fer et acie eux (0,7l non r (7,2 %) C

Figure 1 Les sources d’émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre par secteurs. Source : Climate Watch, the World Resources Institute (2020).

Les trois quarts des émissions dépendent des méthodes d’extraction, de transformation et d’utilisation de l’énergie dans ses différentes applications : le transport, le chauffage et la production de l’électricité, de la lumière, du mouvement… On connaît les secteurs auxquels sont associées les différentes émissions et où se situent les problèmes à résoudre pour l’énergie et ses usages à travers les enjeux industriels de transport, de décarbonations de l’habitat et des bâtiments, etc.

38

Trois leviers sont généralement évoqués pour trouver des réponses à apporter face à cette urgence climatique et énergétique. L’un consiste à penser que les solutions viendront de l’innovation technologique, l’autre dit qu’elles

seront issues de la sobriété et des changements de comportement à l’échelle individuelle et collective qui permettront de réduire nos émissions. Enfin, un troisième discours consiste à de dire qu’il faudra du courage politique associé à des mesures ambitieuses, contraignantes, et à des réglementations. Il semble que nous soyons arrivés à un stade d’urgence qui ne permette pas de choisir l’une ou l’autre de ces solutions et qu’il faille utiliser ces trois leviers à la fois et ne pas les voir comme opposés, mais au contraire comme très complémentaires. Face à l’urgence climatique, on entend souvent que nous disposons de toutes les technologies nécessaires pour décarboner et qu’il suffit de les déployer : énergies

2

Les cleantech pour décarboner l’énergie

2.1. Les nouvelles sources de l’innovation Il y a quelques décennies, l’innovation était attendue des grands laboratoires de R&D liés à l’entreprise : on se souvient peut-être de la grande époque de Bell Labs, qui a été le laboratoire ayant produit les premières cellules photovoltaïques, les premiers transistors, les premiers lasers, et qui était le modèle de l’innovation portée par ces grands « laboratoires d’entreprise ». Plus récemment, l’innovation technologique est devenue beaucoup plus dispersée. Elle vient en partie des grands groupes, en partie des universités et des grands établissements de recherche. Mais elle est également de plus en plus issue des startups, et notamment d’une catégorie de startups qui ont une composante technologique et scientifique très forte

2030

2040

2050

2060

2070 Mature (25 %)

–5 –10

Adoption hâtive (41 %)

–15 –20

Démonstration (17 %)

–25 –30

Prototype (17 %)

–35 –40

Figure 2 Réductions attendues des émissions de CO2 selon le stade d’évolution des différentes technologies utilisées. Source : d’après IEA, 2020.

Quelques exemples de startups devenues très grandes et aujourd’hui leaders sur leur marché, ou en train de le devenir, sont reportées sur la Figure 3.

Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone

2019 0

GtCO2 /an

renouvelables, pompes à chaleur, etc. Ce n’est en fait pas aussi simple. Nous disposons effectivement d’une partie des solutions mais les données brutes actuelles (Figure 2), issues de l’Agence internationale de l’énergie, montrent que les trois quarts des réductions d’émissions qui seront nécessaires d’ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone seront issues de technologies qui sont encore aujourd’hui à un stade très peu mature ou à l’état de prototypes qui n’ont pas encore pénétré leur marché à très large échelle. L’innovation technologique est donc nécessaire.

Nous sommes au début d’une nouvelle décennie de startups de haute technologie, celle des « climate tech », et on voit déjà apparaître une vague entrepreneuriale puissante qui pourra apporter une partie des réponses aux enjeux technologiques, énergétiques et climatiques auxquels nous devrons faire face.

1945-1960

Grands laboratoires d’entreprises

aujourd’hui

Entreprises R&D Instituts de recherche Startups/deeptech

Figure 3 Les acteurs de l’innovation scientifique et technologique d’hier et d’aujourd’hui.

39

Chimie et énergies nouvelles

Trois facteurs principaux favorisent cette nouvelle vague entrepreneuriale : – de plus en plus de nouvelles technologies arrivent à maturation pour être déployées par ces acteurs et seront bientôt en cours de commercialisation ; – de plus en plus de capitaux sont prêts à suivre ces projets entrepreneuriaux, des « capitaux risques » notamment. En 2020, environ 16 milliards de capital-risque ont été investis dans les technologies dites « climate tech », et des taux de croissance annuelle de 83 % des montants investis ont été observés sur les dernières années ; – enfin, et sans doute le plus intéressant, est l’émergence de cette nouvelle vague de talents entrepreneuriaux avec

Suède Norvège

1,2 °C

0,9 °C Danemark

Royaume-Uni

3 °C

1,2 °C

Pays-Bas

2,4 °C Belgique

2,9 °C

France

2,5 °C

Allemagne

1 °C

Autriche

1,2 °C Italie

1,2 °C Espagne

2,2 °C

Figure 4 40

L’efficacité énergétique en Europe : pertes de température dans l’habitat des particuliers après cinq heures.

des scientifiques, des ingénieurs et des commerciaux qui ont aujourd’hui envie de se lancer corps et âme dans la lutte face à l’urgence climatique. Ils ont envie de créer leur prochain projet entrepreneurial, de rejoindre des startups ou d’investir dans des projets qui vont répondre à cette urgence. Beaucoup d’entrepreneurs, d’investisseurs et autres qui étaient dans l’univers startups relativement classique font ce changement de carrière. On peut décomposer le défi de l’énergie zéro carbone en plusieurs domaines : l’efficacité énergétique, la décarbonation de l’électricité et l’électrification là où c’est possible, la gestion des secteurs difficiles à décarboner ou difficiles à électrifier, la capture et l’extraction atmosphérique du carbone là où c’est complémentaire et nécessaire, et puis finalement la question des matériaux qui vont servir cette transition énergétique. 2.2. L’efficacité énergétique L’efficacité énergétique est un sujet bien connu et il est important de rappeler qu’elle intervient partout : dans les transports, le bâtiment, l’industrie. Dans le bâtiment, on pense notamment à la rénovation énergétique et à l’isolation thermique. La Figure 4 montre les écarts qui existent, ne serait-ce qu’en Europe, sur le degré d’isolation thermique dans l’habitat des particuliers. Il y a donc des progrès colossaux à faire. On trouve dans ce domaine des innovations intéressantes portant sur de nouvelles technologies de construction, de préfabrication

Dans l’industrie, il existe des technologies dont on entend peu parler mais qui sont intéressantes, tel l’exemple de Via Séparation. C’est une entreprise qui développe de nouvelles technologies de membranes à base de graphènes plus résistantes à des conditions opératoires très complexes pour filtrer de l’eau, mais également à des solvants ou des produits qui détériorent les membranes classiques ; elles peuvent aussi être utilisées à des températures plus importantes. Ces membranes permettent de remplacer des processus de séparation thermique par un processus de séparation mécanique, et réduisent ainsi la facture énergétique de processus industriels complexes.

Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone

pour simplifier l’isolation par l’extérieur, de thermostats connectés…

grandes technologies de réacteurs : les EPR2 – même si les prochaines générations de très grande taille prennent parfois du retard –, et il est intéressant de voir qu’il y a également une nouvelle vague de développement technologique avec de nouveaux réacteurs plus compacts (NRC) qui sont moins chers à déployer et à fabriquer. Dans ce domaine des NRC, de nouveaux acteurs arrivent sur 2. EPR (« Evolutionary power reactor ») : réacteur fonctionnant avec de l’eau pressurisée et utilisé en Europe.

2.3. La décarbonation de l’électricité La Figure 5 représente la carte européenne de l’électricité « bas carbone » : en France, nous avons la chance d’avoir une électricité qui est en très grande partie très bas carbone, notamment grâce au nucléaire et un peu également grâce à l’hydroélectricité. Il est important de rappeler que l’électricité nucléaire joue dans ce domaine un rôle fondamental, même si elle est décriée, puisqu’elle permet de fournir une électricité non intermittente très bas carbone, y compris là où les ressources géothermiques et hydroélectriques ne sont pas en abondance. Nous disposons en France de toutes les

France

53 g

93 %

27 %

Intensité carbone

Bas carbone

Renouvelable

Figure 5 Carte européenne de l’électricité bas carbone.

41

Chimie et énergies nouvelles

ce marché tel SEABORG, une entreprise danoise qui développe des réacteurs compacts à base de sels fondus (qui sont à peu près de la taille d’un container) et qui peuvent être utilisés sur des bateaux ainsi que sur des barges dans les zones portuaires. Ils se développent notamment en Asie du Sud-Est.

la manière du pompage turbinage3, mais avec d’autres éléments comme des blocs de béton ou autres ; – le stockage thermique, par exemple dans des matériaux à changement de phase ou avec des pompes à chaleur réversibles ; – le stockage électrochimique, dans lequel les batteries à flux ont un regain d’intérêt extrêmement fort avec quelques acteurs notables telle la startup Formenergy, qui a levé plus d’une centaine de millions d’euros, notamment de break throughenergy venture 4, un fond alimenté par Bill Gates ;

Les énergies renouvelables intermittentes que sont le solaire et l’éolien ont énormément d’avantages, à savoir que les coûts ont diminué drastiquement et qu’elles sont extrêmement rapides à déployer. Mais au-delà d’un certain niveau de pénétration de ces énergies renouvelables électriques, un stockage énergétique de longue durée est nécessaire pour lequel les batteries au lithium ne sont pas encore compétitives (Figure 6).

– le stockage chimique, avec notamment le power to X5, ou le power to gas (gaz), en s’appuyant sur l’hydrogène ou sur d’autres procédés.

Plusieurs technologies non matures, en cours de développement, sont candidates aujourd’hui pour réaliser du stockage énergétique longue durée :

3. Pompage turbinage : technique de stockage d’énergie où de l’eau est remontée d’un bassin à un autre pour ensuite être accumulé dans ce dernier. 4. Break through energy venture : avancée énergétique à risque. 5. Power to X : transformation de l’électricité en un autre vecteur énergétique.

– le stockage mécanique, qui consiste à reproduire un stockage sous forme de gravité, à

Jours-mois : équilibrage saisonnier 12-24 heures : équilibrage entre les jours 2-12 heures : équilibrage intrajournalier

Stockage de longue durée STEP/barrage réversible

20 minutes-2 heures : réserve de montée 5-20 minutes : réserve court terme < 5 minutes : rotation et suivi de charge

0%

Impact des énergies renouvelables

Mécanique

Thermique

Gravité/air comprimé) PAC/nouveaux matériaux

Stockage de courte durée Batteries lithium-ion (€€€)

100 %

Électrochimique

Batteries à flux/métal-air

Chimique

Power-to-X (ex : hydrogène)

Figure 6

42

Les technologies pour réaliser le stockage des énergies renouvelables intermittentes. Exemples de startups dans les différentes technologies. Source : d’après Rocky Mountain Institute.

La décarbonation de l’électricité est la partie relativement simple, mais elle ne représente que 20 % de l’énergie utilisée. La difficulté sera de décarboner les 80 % restants (Figure 7). On peut distinguer trois grands domaines selon les usages : – les usages dans lesquels on a besoin d’une forte densité énergétique, mais où la fourniture de l’énergie est très décentralisée : par exemple les véhicules électriques légers et le chauffage résidentiel. Sur ce type d’usage, l’électrification semble être a priori la solution la plus adaptée : les batteries, les pompes à chaleur, etc. ; – les usages pour lesquels on a besoin de beaucoup de

Usage léger et moyen

Chauffage de l’espace et de l'eau

Requiert une haute densité d’énergie et une distribution décentralisée

Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone

2.4. La décarbonation des secteurs énergétiques non électrifiés

puissance et d’une très forte densité énergétique : comme la chaleur industrielle, les véhicules lourds et les transports de longues distances, les secteurs de l’acier et du ciment, pour lesquels on a besoin d’une importante source de chaleur ; – les usages où les fossiles fournissent aujourd’hui à la fois de la chaleur et des réactifs/matières premières. Les carburants fossiles sont aujourd’hui la principale source d’énergie dans tous ces domaines. La solution sera peut-être dans certains cas de l’électrification, peut-être dans beaucoup de cas de l’hydrogène ou d’autres carburants de synthèse, ou peut-être de la capture de carbone au point d’émission dans les usines ou les centrales.

Véhicules lourds

Chauffage industriel

Expédition et aviation

Requiert une très haute densité d’énergie et un très haut taux de flux

Produits chimiques

Fer et acier

Ciment

Les énergies fossiles contribuent au réchauffement et à la chimie de base/la catalyse

20 Consommation totale aux États-Unis (quadrillions de Btu)

10 0

Électrification Hydrogène (et autres carburants synthétiques) Capture directe du CO2 de l’air et séquestration

Large point source CCS

Figure 7 Les domaines et secteurs énergétiques hors électricité représentent 80 % de l’énergie à décarboner.

43

Chimie et énergies nouvelles

Le secteur de l’acier est un exemple qui illustre cette diversité de solutions. Des startups comme Boston Metal développent des procédés électrolytiques6 de production d’acier. Des pays comme la Suède investissent des milliards dans la production d’acier avec réduction directe du minerai de fer par l’hydrogène. D’autre part, ArcelorMittal 7 investit dans la capture de carbone sur certains de ses sites sidérurgiques. 6. Procédé électrolytique (ou électrolyse) : procédé qui permet une conversion d’énergie électrique en énergie chimique. 7. ArcelorMittal : groupe international spécialisé dans la sidérurgie, c’est-à-dire l’industrie de la fonte, du fer ou encore de l’acier. 13 Craquage du méthane : méthode qui permet de produire de l’hydrogène à très haute température.

RÉSEAU ÉLECTRIQUE/ RESSOURCES

ENERGY CONVERSION SYSTEM

APPLICATION

PROCÉDÉS BIOLOGIQUES Digestion anaérobique

Solaire

Biomasse

Photo-fermentation

Bioraffinage

Industrie

Systèmes bioélectrochimiques Du solaire aux carburants

Chauffage

PROCÉDÉS ÉLECTROLYTIQUES Électrolyseur alcalin Électrolyseur à oxyde solide

Énergie renouvelable

Réseau électrique

Transport

Électrolyseur à membrane électrolytique polymère

PROCÉDÉS THERMOCHIMIQUES

Hydrogène

Agriculture

Gazéification du charbon/ biomasse Reformage du méthane à la vapeur

Ammoniac

Nucléaire PROCÉDÉS THERMOCHIMIQUES ALTERNATIVES Reformage autothermique Oxydation partielle

Carburant fossile

Conversion de fond de puits

Capture et séquestration du CO2

Technologies micro-ondes

Figure 8 44

L’hydrogène bas carbone : options de production et applications.

L’hydrogène comme vecteur d’énergie décarbonée est le thème du chapitre de X. Vigor dans cet ouvrage. Pourtant, l’hydro­g ène aujourd’hui est encore produit pour plus de 95 % par le reformage du gaz naturel, donc est encore une énergie très carbonée. Il faut donc penser à l’évolution de la production d’hydrogène dit « vert » pour le moyen et le long terme. L’électrolyse est pour cela la technologie prometteuse qui est aujourd’hui la plus avancée. Mais il est intéressant de montrer qu’il existe une très grande diversité d’autres chemins possibles pour produire de l’hydrogène bas carbone, comme le montre la Figure 8, qui présente aussi les voies biologiques et les procédés thermochimiques bas carbone, ou ce qu’on appelle les carburants solaires. Citons comme exemples quelques entreprises comme Monolith Materials (qui travaille sur une technologie issue de l’École des Mines de Paris), ou Spark Cleantech (qui est une filiale de l’École Centrale), qui s’attaquent déjà au développement de ces procédés de production moins connus en utilisant des billes microbiennes ou en craquant13 du méthane pour produire de l’hydrogène et du noir de carbone. 2.6. Les matériaux de la transition énergétique On parle peu des métaux fondamentaux pour cette transition énergétique, dont l’approvisionnement sera un facteur critique (Figure 9). On sait aujourd’hui que la demande en cuivre, en nickel,

×25

×20

×15

×10

2030

×5

A

Lithium

Cobalt

Graphite

0,3

Zones protégées

Dysprosium

Nickel

Néodyme

Praséodyme

Proportion de recouvrement

Zones clés de biodiversité 0,25

Zones vierges restantes

0,2

0,15

Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone

2050

0,1

0,05

B

0

Zone minière

Zone non minière

Figure 9 A) Les matériaux critiques de la transition énergétique : l’Union européenne sonne l’alarme sur une pénurie critique de matières premières ; B) Recouvrement entre l’extraction minière et la conservation de la biodiversité : la production d’énergie renouvelable aggravera les menaces minières vis-à-vis de la biodiversité. Source : A) Commission européenne.

en lithium, en cobalt, en manganèse et en terres rares va exploser du fait du développement des énergies renouvelables et de la croissance du marché des batteries et des véhicules électriques. Il faut donc savoir faire face à une possible pénurie de ces métaux et d’autre part les produire de la façon la plus durable possible, notamment éviter de détruire des pans

entiers de biodiversité du fait des exploitations minières qui vont y être associées. D’un premier point de vue stratégique, on peut décider de réserver les énergies renouvelables, en tout cas les énergies qui sont très consommatrices en métaux, là où c’est vraiment utile et utiliser ailleurs plutôt de la géothermie, qui est aussi en train d’évoluer, ou du nucléaire.

45

Chimie et énergies nouvelles

Il faut aussi améliorer l’exploitation minière pour la rendre efficace et durable. De nouveaux acteurs tentent de répondre à ces enjeux par exemple en utilisant l’intelligence artificielle et des données géologiques de manière à identifier de nouveaux gisements. C’est le cas de KoBold Metals8 pour les gisements de cobalt. Le cobalt est un métal extrêmement problématique sur le plan environnemental, mais surtout sur le plan des droits de l’homme et des conditions de travail épouvantables dans lesquelles travaillent les mineurs au Congo. KoBold Metals utilise l’intelligence artificielle pour identifier de nouveaux gisements de cobalt pouvant être exploités de façon plus durable. Un autre exemple est celui de la Société Lilac, qui utilise de nouveaux procédés d’extraction des métaux d’une manière moins extensive en surface et également plus performante et plus rapide. C’est un procédé d’extraction du lithium par échange d’ion qui n’a pas besoin des grands bassins d’évaporation, lesquels prennent énormément de place et monopolisent les terres. L’intelligence artificielle, aujourd’hui utilisée pour les biomatériaux et dans les biotechnologies, est un secteur en plein développement pour accélérer la R&D sur les matériaux du futur. Des acteurs comme Zymergen s’intéressent à des applications

46

8. KoBoldMetals : entreprise d’exploration manière qui utilise la science informatique pour améliorer l’éthique autour des matériaux critiques.

industrielles et mettent une plateforme à disposition des chercheurs en biomatériaux pour automatiser une partie du travail de design et d’expérimentation, qui s’appuie sur une base de données génomiques importante. Ce type d’approche est très intéressant pour découvrir les nouveaux biomatériaux du futur : des composés électroniques flexibles et souples ont été identifiés par Zymergen par ce moyen. Il faudrait pouvoir étendre ce type d’approche à l’ensemble de la chimie et de la science des matériaux. Quelques acteurs se positionnent sur cette chaîne, mais les applications ne sont pas encore matures. Elles consistent encore essentiellement à prédire les propriétés, les applications de composés et de molécules qui sont déjà connues que l’on a déjà dans la base. Le Graal serait de prédire dans le futur de nouveaux composés à partir de propriétés que l’on souhaiterait atteindre. 2.7. Coût de la décarbonation Toutes les solutions de décarbonation de l’énergie ont un coût parfois très important. Pour certains secteurs industriels, soit les méthodes de décarbonation n’existent pas, soit le coût en serait trop important, comme on le voit sur ces données de la Figure 10, qui viennent de Goldman Sachs9. Le coût augmente beaucoup avec la quantité d’émissions de CO2 à éliminer : au-delà 9. Goldman Sachs : groupe international qui investit dans la banque, la sécurité et autres secteurs.

1 000

Coût de la décarbonation (US $/tnCO2eq)

900 800 700 600 500 400 300 200 100

–200 –200 0

2

4

6

8

10

12

14

16

18

20

22

24

26

28

30

32

34

36

38

40

42

44

46

48

50

52

Potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre (Gt CO2eq) Production d'électricité (passage du charbon au gaz et aux énergies renouvelables) Industrie (fer et acier, ciment, produits chimiques et autres) Agriculture, sylviculture et autres utilisations des terres

Transport (aviation, routes, expéditions) Bâtiments (résidentiels et commerciaux) Non abatable aux technologies de conservation actuelles

Figure 10

Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone

1 100

Le coût de la décarbonation selon les secteurs énergétiques concernés et selon la quantité de CO2 à éliminer. Source : d’après Goldman Sachs Investment Research.

des trente premiers milliards de tonnes, on arrive sur des coûts très importants qui vont être amenés à diminuer, mais difficilement en dessous de 100 € la tonne, et cela, dans tous les scénarios de transition énergétique. Au-delà du temps, des moyens financiers, de l’innovation, cela ne suffira pas, nous aurons aussi besoin de ce que l’on appelle des émissions négatives ou du « carbon removal » (suppression du carbone), qui n’est pas l’élimination du carbone au point d’émission, à la sortie d’une cheminée d’usine ou autre, mais la capture du carbone atmosphérique pour ensuite soit le stocker soit le réutiliser dans des produits de longue durée tels que des matériaux de construction. Il faudrait

éliminer entre 5 à 20 milliards de tonnes par an d’ici le milieu du siècle pour être capable de tenir les objectifs de l’Accord de Paris, et potentiellement plus si l’on veut tenir le 1,5 degré. Une « metareview »10 de toutes les technologies possibles a été réalisée en 2018 par le Mercator Institute. Il existe deux voies pour créer des émissions négatives : – la voie qui utilise la photosynthèse, avec les restaurations d’écosystèmes naturels comme les sols agricoles, les technologies à base d’algues et la biologie de synthèse ; 10. « Metareview » : méthode d’analyse qui permet d’obtenir des résultats plus précis par l’augmentation du nombre de cas étudiés afin d’obtenir une conclusion plus globale.

47

Chimie et énergies nouvelles

– les procédés purement chimiques et physicochimiques à base de capture directe de CO2, ou l’utilisation de certaines roches alcalines qui vont réagir avec le CO 2 pour former des carbonates, qui vont être ainsi stockés sur le long terme.

3

Enjeux et perspectives des climate tech L’urgence climatique est un enjeu qui préoccupe énormément de monde, notamment dans les sphères entrepreneuriales, et on parle beaucoup de climate tech depuis 2018. Un engouement très important s’était déjà développé dès les années 2000 pour : les énergies renouvelables des prochaines générations, comme par exemple les photovoltaïques à couches minces,

$ 6 billion

les biocarburants, les algues et certains types de véhicules électriques ou autres. Mais à part Tesla et quelques autres acteurs, beaucoup ont échoué et beaucoup de capitaux risqueurs ont perdu énormément d’argent sur ces technologies (Figure 11), et pendant dix ans, les cleantech sont devenues le secteur maudit dans lequel plus personne ne voulait investir. L’engouement est en train de revenir car tous les acteurs de la société y sont favorables : – la société civile, avec les talents de demain, les jeunes et moins jeunes générations, qui sont vraiment motivées pour faire partie de la solution et pour travailler dans des entreprises qui font partie de la solution, voire créer ces nouvelles entreprises ; – les États, dont les gouvernements fixent des objectifs

150 entreprises Financement total

$5

125

$4

100

40

$3

75

30

3

États-Unis

50

A-Opérations

$1

Chine

Nombre d’offres

$2

Valeur

Europe

Reste du monde 20

2

1

10

25 A-Montants levés

0 2004

A

2009

0

0

0 2014

2010

15

20

2010

15

20

B

Figure 11

48

L’évolution des cleantech. A) 2000 : les entreprises de capital-risque ont dépensé plus de 25 milliards de dollars dans les cleantech et ont perdu plus de la moitié de leur argent ; B) 2020 : les fonds capitalistes-risque pour le climat sont de retour. Source : A) MIT Energy Initiative, 2016 ; B) The Capitalist.

Les objectifs sont clairs, mais il faut être vigilant sur les actes. Quand on discute avec les industriels, on s’aperçoit que beaucoup savent comment les premiers 30 ou 40 % du travail vont être réalisés mais pas la suite, ils auront donc besoin d’innovation, de s’associer avec des partenaires et des startups, pour atteindre leurs objectifs. Les étapes difficiles à passer pour les cleantech et les climate tech Les défis pour ces startups des cleantech et des climate tech seront de passer, ce que l’on appelle communément dans le jargon du milieu, les « vallées de la mort » (Figure 12). Ce sont les phases pendant lesquelles il y a le moins de capitaux disponibles pour passer à l’étape de croissance suivante. Il y en a plusieurs :

Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone

– au-delà des investisseurs, les grands groupes, sous la pression de la société civile, de leurs salariés, de leurs investisseurs se fixent également des objectifs de neutralité carbone extrêmement ambitieux. On estime que 1 500 entreprises qui totalisent environ 11 000 milliards de chiffre d’affaires annuel sont alignées sur une trajectoire de neutralité carbone.

– celle du démarrage du projet, où généralement le risque technologique est encore très important : au moment du développement de la technologie issue du laboratoire de recherche ou du développement de différentes technologies pour qu’elles atteignent le niveau mature de « Technologie Readiness Level » (TRL11). Beaucoup d’investisseurs privés n’ont pas l’habitude de traiter avec ces risques technologiques et ces risques ­marchés  ; – celle où la technologie est prouvée, mais il faut mettre au point un démonstrateur à l’échelle une, et construire les premières unités. À ce niveau, il faut trouver des investissements très importants en CAPEX12, qui ne sont pas habitués au capital-risque ; 11. « Technology Readiness Level » : indice qui permet de déterminer le niveau de maturité d’une ­technologie. 12. CAPEX : Capital expenditure : coûts et dépenses liés à un investissement qui au cours du temps entraîne des bénéfices.

Technologies prêtes pour faire face aux engagements ambitieux bas carbone

Investissement

de neutralité carbone qui n’étaient pas imaginables il y a une quinzaine d’années, y compris dans des pays comme la Chine. On sait que les ÉtatsUnis viennent de revenir dans l’Accord de Paris, donc plus de la moitié du PIB mondial est aujourd’hui alignée sur une neutralité carbone vers 20502060 ;

Recherche basique

Spinout

Développement

Démonstration

Déploiement Temps

Vallée de la mort n° 1 : Formation de la startup

Vallée de la mort n° 2 : Vallée de la mort n° 3 : Développement Validation pour la mise du produit sur le marché

Vallée de la mort n° 3 : Passage au démonstrateur à l’échelle 1

Figure 12 Les phases difficiles à passer pour les cleantech et les climate tech. Source : d’après Rocky Mountain Institute, 2020.

49

Chimie et énergies nouvelles 50

– puis le déploiement à très grande échelle qui demande d’investir dans des projets à CAPEX très lourds pour un déploiement à l’échelle industrielle et internationale. Les sources de capitaux associées à ces différentes phases sont différentes. C’est une multitude de types de capitaux et d’instruments de financement qui interviennent aux différents moments de la vie du projet. Une infographie réalisée par le Rocky Mountain Institute en 2019 constitue une source intéressante de données pour la recherche de ce type de capitaux pour les programmes de la transition énergétique et les technologies qui y sont associées. Toutes ces nouvelles technologies émergentes coûtent finalement très cher au démarrage et on ne sait pas si elles vont atteindre un niveau de coût suffisamment bas pour être viables à grande échelle. L’exemple du solaire illustre le fait qu’il faut parier sur des dynamiques de projet d’assez long terme, mais qui s’accélèrent sur la fin. La première cellule photovoltaïque a été démontrée à l’échelle expérimentale par Bell Labs dans les années 1950. Un assez grand nombre de financements publics sont intervenus aux différentes étapes du projet pour finalement financer à perte le développement de la technologie. Mais ensuite, des financements privés venant des grands groupes qui voulaient s’alimenter pour des crédits d’énergies renouvelables ou des crédits carbone sont arrivés. Sur les quarante dernières années, le taux de retour, ou « learning rate » (taux d’apprentissage),

qui est le pourcentage de réduction des coûts quand on double la capacité installée, a été d’environ 25 à 30 % entre 1976 et aujourd’hui, et sur les dix dernières années, les coûts du solaire ont été divisés par presque dix. Ce type de courbes d’apprentissage et de réduction des coûts avec ces économies d’échelle observé dans le solaire, est aussi observé dans les batteries au lithium, dans le séquençage ADN, dans les transistors, dans les disques durs, c’est-à-dire dans tous les secteurs sur lesquels les volumes augmentent très rapidement. Il faut simplement de bonnes initiatives, des financements publics, privés ou autres, qui vont finalement acheter à perte et financer au départ de manière à faire réduire progressivement les coûts. La Figure 13 est extraite d’un article de 2020 et identifie les caractéristiques communes à différentes technologies énergétiques selon la complexité de leur design et leur besoin d’adaptation, le niveau de complexité de la technologie, la complication en termes d’ingénierie : avec pour exemples pour le type 1 (en jaune) les panneaux solaires assez standard du point de vue ingénierie, et à l’autre extrémité les centrales nucléaires pour le type 3 (en rouge). Sur le tableau, les projets sont classés en colonne selon qu’ils vont être customisés, c’est-àdire être adaptés à chaque client, ou au contraire extrêmement standardisés et pouvant être produits à grande échelle. On voit sur le graphique de droite de la Figure 13 que

Personnalisé en série

Personnalisé

Systèmes de produits Systèmes de produits complexes basés complexes, sur des plateformes, par ex. centrales par ex. petites centrales nucléaires, valorisation nucléaires à réacteur énergétique de biomasse modulaire (SMR), captage avec captage et et stockage du carbone séquestration du carbone

Produits complexes fabriqués en série, par ex. véhicules électriques

Produits complexes basés sur des plateformes, par ex. éoliennes, concentrant l'énergie solaire

Produits personnalisés complexes, par ex. centrales à biomasse, géothermie

Produits fabriqués en série, par ex. modules solaires photovoltaïques, LED

Mass-customized products, e.g. Rooftop solar PV

Produits en petits lots, ex. modernisation de l’enveloppe du bâtiment

40 % 30 %

Complexe

10 % 0%

Intensif en conception

Type 1

– 10 % – 20 % – 30 %

Simple

– 40 % – 50 %

Besoin de personnalisation

A

20 %

Type 2

Type 3

– 60 %

B

Type 1 (27)

Type 2 (81)

Type 3 (33)

Figure 13 A) Caractéristiques de différentes technologies énergétiques selon la complexité de leur conception et de leur besoin de personnalisation ; B) Pourcentage de réduction des coûts quand on double la capacité.

plus le projet est standardisé et simple (solaire en jaune) et plus les coûts diminuent de plus en plus rapidement, alors que plus le projet est complexe et adapté au besoin du client (en rouge), plus la réduction de coûts se fait

forcément de manière lente (centrale nucléaire). Il faut en tenir compte pour optimiser le développement de certaines de ces technologies de manière à pouvoir favoriser ces économies d’échelle et ces courbes d’apprentissage sur la durée.

Des cleantech aux climate tech : vers une énergie net-zéro carbone

Degré de complexité de conception

Standardisé Systèmes de produits complexes standardisés, par ex. centrales à cycle combiné au gaz naturel

La diversité des climate tech et des cleantech La diversité dans cet écosystème des climate tech et des cleantech est un enjeu fondamental. Il y a divers types de diversité tels la parité homme/femme, la couleur de la peau, l’origine sociale, mais au-delà d’un argument moral, la diversité est fondamentale pour la créativité. La diversité est nécessaire pour trouver les nouvelles options énergétiques et climatiques, les nouvelles technologies et les nouvelles façons d’attaquer la décarbonation. Pourtant, aujourd’hui, on doit remarquer dans les startups climate tech, de même que dans l’ensemble des startups de manière générale,

51

Chimie et énergies nouvelles

qu’il y a encore une part très faible de diversité au sens général, et que ce sont principalement des hommes blancs qui portent ce type d’entreprise, et qu’il y a besoin de plus de femmes, de personnes de couleurs pour venir porter ce type de projets. De plus, beaucoup des exemples donnés sont des exemples d’Amérique du Nord, alors qu’il n’y a que quelques entreprises françaises ou européennes (Figure 14). Pourtant en France, en particulier et plus généralement en Europe, nous disposons de tous les éléments nécessaires pour créer les champions de cette nouvelle industrie des climate tech et des cleantech. Nous avons les talents scientifiques, techniques, commerciaux, un écosystème industriel, des champions industriels qui peuvent être les clients, des investisseurs pour ces projets. Nous avons des acteurs de rangs académiques internationaux, et de plus en plus de capitaux qui vont vers ce projet, mais nous avons un problème sur la transformation de ces projets via des champions industriels pour passer à grande échelle. Nous avons besoin de champions industriels pour accompagner les futurs fondateurs de startups climatetech et jouer un rôle qui sera absolument décisif dans la décarbonation, les émissions négatives et l’adaptation face au changement climatique. TALENT ÉCOSYSTÈME CAPITAL Docteurs, ingénieurs, Universités, laboratoires de Investissements et fonds publics entrepreneurs recherche, entreprises industrielles pour les deeptech & cleantech

Figure 14 Répartition géographique des climate tech. L’Europe a de grands talents, la recherche et l’industrie, mais manque un moteur commercial pour créer des champions des climate tech.

52

RECHERCHE

INDUSTRIE

PRIVÉ

PUBLIC

RECHERCHE

INDUSTRIE

PRIVÉ

PUBLIC

RECHERCHE

INDUSTRIE

PRIVÉ

PUBLIC

PRINCIPAUX CLIMATE TECH Nombre d’entreprise climatiques privées > 500 millions de dollars

Fossé à combler

acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des et

énergies

Grégory De Temmerman est directeur général de Zenon Research1.

Respecter l’Accord de Paris sur le climat, visant à limiter le réchauffement climatique global à 1,5 ou 2 degrés, implique de diviser les émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’un facteur 4 ou plus d’ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2100, c’est-àdire ne plus émettre de CO2 dans l’atmosphère2. Sachant que plus de 80 % de l’énergie consommée dans le monde en 2019 provenait de combustibles fossiles (environ 65 % si 1. www.zenonresearch.org/ 2. https://www.ipcc.ch/site/assets/ uploads/sites/2/2019/02/SR15_ Chapter2_Low_Res.pdf

on considère seulement l’électricité3), une transformation, ou transition, radicale de notre infrastructure énergétique est nécessaire dans les trente prochaines années. Les discussions autour de l’énergie sont souvent centrées sur le type de sources d’énergie à exploiter et négligent généralement le temps nécessaire pour mettre en place les technologies associées. On entend souvent des annonces spectaculaires de pays visant à décarboner leur production 3. https://ourworldindata.org/energymix

Grégory De Temmerman

Vitesse de déploiement

Chimie et énergies nouvelles

électrique dans des échelles de temps très réduites4. Le but de ce chapitre est de réexaminer la notion fondamentale de transition énergétique et les enseignements que l’on peut tirer des transitions passées et de leurs durées, tant au niveau national que mondial. Ainsi, l’étude du déploiement de différentes sources d’énergie (nucléaires, photovoltaïque, éolien, etc.) permet de mettre en avant des similitudes et surtout des limites sur ce qui est physiquement possible; contrastant ainsi avec les discours très optimistes souvent mis en avant. D’autres aspects importants sont à considérer pour la transition énergétique à venir. L’intégration d’une part croissante de moyens de production renouvelables intermittents implique que pour la première fois dans son histoire l’humanité évolue dans la direction d’une densité de puissance décroissante, et ce, alors que la tendance est vers l’augmentation de la consommation énergétique et la concentration d’une part croissante de la population dans des méga-villes. De plus, qu’on parle de nucléaire, d’éolien ou de solaire photovoltaïque, la question de l’acceptabilité sociale de ces différentes technologies se fait de plus en plus pressante5,6. Gestion des

54

4. https://www.scientificamerican. com/article/bidens-infrastructureplan-would-make-electricity-carbon-free-by-2035/ 5. https://www.sciencedirect.com/ science/article/pii/S221462962030 1213 6. https://www.eria.org/RPR_FY2015_ No.19_Chapter_2.pdf

déchets, besoin en matériaux, occupation des sols, etc., sont en effet des sujets de controverse qui rendent l’adoption et la réalisation de grands projets difficiles et longs dans un contexte d’urgence climatique croissante.

1

Définition de la transition énergétique et ses objectifs 1.1. Définition de la transition énergétique Avant toute chose, il est important de définir de quoi on parle quand on parle de transition énergétique. Les discussions sur l'énergie se concentrent souvent sur l’électricité qui, à l’échelle mondiale, n’est que 20 % de l’énergie finale que nous utilisons7. La littérature sur la transition énergétique est très riche et plusieurs définitions un peu différentes sont utilisées selon les auteurs8. Ici, nous avons sélectionné trois définitions, qui viennent de trois auteurs connus, parce qu’elles sont un petit peu différentes dans leur façon d’appréhender les choses (Figure 1) : – un changement dans les carburants utilisés, par exemple du bois au charbon ou du charbon au pétrole, et de leurs technologies associées 7. www.statista.com/statistics/ 111 7696/share-electricity-final-energy -consumption-globally/#:~:text= In%202017%2C%20the%20share %20of,around%2030%20percent %20by%202050. 8. www.nature.com/collections/vh mqpbnstc?WT.mc_id=PRT_NA_ 1117_Energytransitions

B Figure 1 A) Trois définitions différentes de la transition énergétique ; B) Page de garde du magazine Nature Outlook sur les transitions énergétiques.

comme de la machine à vapeur au moteur à combustion interne9 ; – le changement d’un système économique dépendant d’une ou d’une série de sources d’énergie et des technologies à un autre10 ; – le temps entre l’introduction d’une nouvelle source d’énergie primaire (ou force motrice) et son ascension pour atteindre une part de marché significative11. Les deux définitions utilisées dans ce chapitre sont celles 9. Hirsh  RF., Jones CF. (2014). EnergyRes,. 1 Soc. Sci. 10. Fouquet R., Pearson PJG. (2012). Energy Policy. 11. Smil V. (2010). EnergyMyths and Reality.

de Fouquet12 ou de Smil13, qui se réfèrent à la transition d’un système économique dépendant d’une source d’énergie ou d’une série d’énergie à une autre. La vision de Smil est intéressante car elle s’intéresse à l’aspect temporel : la durée entre le moment où une nouvelle source d’énergie est introduite (ou un nouveau type 12. Roger Fouquet est chercheur et professeur membre de l’Institut de recherche de Grantham sur le changement climatique et l’environnement. 13. Vaclav Smil est un chercheur et analyste politique canadien pluridisciplinaire, professeur émérite de l’Université de Manitoba. Il a rédigé plus d’une quarantaine de livres portant sur des sujets allant de l’environnement à l’énergie, en passant par la politique publique.

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

A

55

Chimie et énergies nouvelles

de moteur) et le moment où elle devient dominante dans le système énergétique. Dans ce cas, le terme dominant implique une part de marché de 20-25 %. Comme nous le verrons, lorsqu’on s’intéresse à l’énergie et aux transitions, les échelles de temps sont en général assez longues. 1.2. Situation actuelle et perspectives La Figure 2, issue du Global Carbon Project14, montre l’évolution des émissions anthropiques de dioxyde de carbone depuis 1850 et les différentes trajectoires de diminution des émissions compatibles avec la limitation à 2 °C, la hausse moyenne de la température mondiale par rapport à la période préindustrielle. En 2019, les émissions mondiales étaient d’environ 40 Gt 14. Le Global Carbon Project est une organisation qui vise à quantifier les émissions de gaz à effet de serre et à identifier leur origine.

Pour un objectif de 2 °C

40 milliards t

30 milliards t

20 milliards t

10 milliards t

0t 1850

1900

1950

2000

2050

2100

Figure 2

56

Évolution des émissions de CO2 dans l’atmosphère entre 1850 et 2100, avec plusieurs estimations entre 2020 et 2100. Source : Robbie Andrews (2019), based on Global Carbon Project & IPPC SR15.

(milliards de tonnes) pour le CO2 et d’environ 52 Gt pour l’ensemble des gaz à effet de serre15. On remarque que les émissions de CO 2 ont augmenté d’un facteur 4 entre 1950 et 2019, et n’ont jamais connu de baisses autres que celles liées à des événements ponctuels – des crises par exemple. Ces chiffres sont gigantesques et il est difficile de se rendre compte de ce que cela représente. Si on considère 40 Gt de CO2, cela correspond à 12 Gt de carbone (la molécule de CO2 et 3,6 fois plus lourde que l’atome de carbone). Si on suppose que tout ce carbone est émis par la combustion de charbon très pur (de l’anthracite), et qu’il est sous forme de cubes de 5 cm x 5 cm x 5 cm (la taille d’un Rubik’s cube), alors l’humanité brûle chaque seconde environ 1,35 million de ces cubes par seconde (Figure 3) ! Si on regarde les trois énergies fossiles que sont le charbon, le pétrole et le gaz naturel, la consommation mondiale en 2019 était de : – charbon : 8 milliards de tonnes ; – pétrole : 5 milliards de tonnes ; – gaz naturel : 3 milliards de tonnes. Pour le charbon, cela représente environ 1 tonne de charbon par an et par habitant au niveau mondial. Ces quantités sont gigantesques et illustrent une difficulté fondamentale de la transition énergétique : les quantités de matières et d’énergie que nous utilisons chaque année sont énormes et toujours en augmentation. Se passer des énergies fossiles, 15. www.unep.org/emissions-gapreport-2020

1,35 millions par seconde !

Figure 3 Émissions globales de CO2 en 2019.

fortement émettrices de CO2, implique donc un effort sans précédent. La Chine produit quasiment 50 % du charbon mondial16. Le deuxième producteur est l’Inde, avec environ 800 millions de tonnes, quasiment cinq fois moins que la Chine. En 2019, la Chine a émis 14 Gt, soit 27 % des émissions mondiales. Loin devant les États-Unis (6,6 Gt) et l’Union Européenne (4,3 Gt). Les sept plus gros émetteurs représentent 65 % du total. Le groupe des vingt pays les plus riches engendre 78 % des émissions mondiales. Ramenés à la population, les chiffres donnent une image assez différente puisque la Chine, avec 10 t CO2eq/hab., est alors très loin derrière les États-Unis avec quasiment 20 t CO2eq/hab.

Pour l’avenir du climat, le paramètre important est l’excès de CO 2 accumulé dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle. Depuis 1850, l’humanité a émis près de 2 000 Gt de CO2. Les États-Unis sont responsables d’environ un quart de ces émissions17. L’Union Européenne a émis 22 %, la Chine 12,7 %. Certes, la part de cette dernière augmente rapidement. Mais la responsabilité historique du changement climatique actuel est donc principalement sur les pays occidentaux.

Ces chiffres doivent cependant être remis dans un contexte plus large pour pouvoir être interprétés.

Sur la Figure 2, différents scénarios de baisse des émissions sont illustrés selon l’année à laquelle la baisse est effectivement engagée. Si celle-ci avait commencé en 2000, le rythme de baisse des émissions aurait été à peu près similaire au rythme de la hausse historique. Comme le montre le graphique, fin 2019 les émissions étaient

16. www.iea.org/reports/coal-2020 /supply

17. https://ourworldindata.org/contri buted-most-global-co2

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

Émissions 2019 : 12 Gt eqC

57

Chimie et énergies nouvelles

toujours en hausse. La baisse doit maintenant être d’environ 7 % par an pendant les trente prochaines années pour limiter le réchauffement climatique. Cela représente une division par un facteur quatre entre 2020 et 2050. Pour rappel, et pour caractériser la vitesse que cela représente, les émissions avaient été multipliées par quatre entre 1950 et 2019 donc sur une période d’environ soixante-dix ans. Les émissions doivent donc diminuer à un rythme au moins deux fois supérieur à la hausse de ces soixante-dix dernières années. Il faut préciser que ces scénarios ne prennent pas en compte les technologies dites « à émissions négatives », c’est-à-dire la captation du CO 2 atmosphérique pour le stocker. La Figure 4 montre la baisse des émissions observée en 2020 du fait de la crise de la Covid19. Les émissions mondiales

Émissions mondiales de CO2 fossile (en Gt)

2010-19 +0,9 %/an

38

Projection 2020

34,1 Gt CO2

34

6,7 %

2000-09 +3 %/an 30

1990-99 +0,9 %/an

26

22

18 1990

1995

2000

2005

2010

2015

2020 projeté

Figure 4

58

Évolution des émissions de dioxyde de carbone entre 1990 et 2020, avec une baisse observée en 2020 à cause de la pandémie de Coronavirus. Source : www.carbonbrief.org, octobre 2020.

ont baissé d’environ 6,7 %18 par rapport à 2019. Baisse équivalente à ce qu’il faudrait faire tous les ans d’ici 2050. Cette baisse est largement conjoncturelle et est le résultat des mesures drastiques, confinements notamment, qui ont été prises pour tenter d’endiguer la propagation du virus. L’économie mondiale a été mise au ralenti pendant de nombreuses semaines – le PIB mondial a baissé d’environ 5 % en 202019. S’il faut être prudent sur les parallèles entre la crise de 2020 et ce qu’il est nécessaire de faire pour diminuer les émissions, l’année 2020 illustre le fait que le défi climatique requiert des actions massives pour faire baisser significativement les émissions. Quand on parle de transition énergétique, on peut avoir l’image de la Figure 5 en tête, cette image d’un monde gris où l’on brûle du charbon, du pétrole ou du gaz naturel qui polluent l’environnement, et celui du monde à venir, un monde alimenté par des « énergies vertes ». Image d’un passage progressif vers des énergies peu émettrices de CO2 et en grande partie renouvelables. Les narrations de type « Green New Deal »20 donnent l’impression 18. www.carbonbrief.org/globalcarbon-project-coronaviruscauses-record-fall-in-fossil-fuelemissions-in-2020 19. www.imf.org/en/Publications/ WEO/Issues/2020/06/24/WEO UpdateJune2020 20. Le « Green New Deal », ou pacte vert, désigne des projets globaux d’investissement visant à promouvoir les énergies renouvelables de manière à lutter contre le changement climatique tout en assurant une justice sociale.

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

Figure 5 Représentation de la volonté de passer d’un monde pollué et gris à un monde plus respirable avec les énergies renouvelables.

d’un changement qui se fera rapidement pour peu que la volonté politique soit présente. Mais, comme nous le verrons, les transitions énergétiques sont par nature lentes, et celle que nous devons engager a bien des chances de l’être ­également.

2

Les transitions énergétiques par le passé : des additions 2.1. Historique des transitions énergétiques majeures Historiquement, l’humanité a connu plusieurs transitions énergétiques, comme l’illustre la Figure 6. Ces transitions peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs, mais une constante a été d’augmenter la quantité d’énergie utilisable. L’humain est en effet unique dans sa capacité de ne pas dépendre uniquement de son organisme mais d’être capable d’utiliser des sources d’énergie externes pour différents usages.

Le développement, permis par la stabilisation du climat, peut être vu comme une première façon de concentrer l’énergie solaire et ainsi d’augmenter la quantité d’énergie nette disponible. De même, l’utilisation de chevaux de traits représente un moyen d’augmenter la puissance disponible. Un cheval de trait consomme

100 %

Gaz 80 %

60 %

Charbon Pétrole

Biomasse

Autres renouvelables Solaire Éolien Nucléaire Hydraulique Gaz naturel

Pétrole 40 %

Charbon

20 %

0% 1800

Biomasse 1850

1900

1950

2000 2017

Figure 6 Évolution des sources d’énergie entre 1800 et 2017. Le graphe montre la part dans le bouquet énergétique primaire en pourcentage. Source : Vaclav Smil (2017) and BP Statistical Review of World Energy.

59

Chimie et énergies nouvelles

environ 4 kg d’avoine par jour, dont la culture prend l’espace nécessaire pour nourrir six personnes, mais fournit un travail équivalent à celui de dix hommes 21. Le développement de moulins à eau, à vent, l’utilisation de bois et de charbon de bois… sont autant d’étapes dans l’accroissement de l’énergie mobilisée22. La biomasse (le bois notamment) a constitué la principale source d’énergie primaire utilisée. Le charbon s’est ensuite imposé et a contribué au développement de l’industrie. Le charbon était déjà utilisé en Chine il y a 2 000 ans. Il fut utilisé pour des applications « industrielles » en Belgique dès le xiie siècle23. Mais c’est en Angleterre que son utilisation a vraiment décollée. En 1750, l’Angleterre en utilisait déjà 10 millions de tonnes notamment pour la sidérurgie. Le charbon a permis de contourner la limite posée par une déforestation sérieuse24 causée entre autres par le développement de la sidérurgie. Il marque de plus un pivot d’une économie de flux, limitée par la vitesse de pousse des arbres, à une économie de stock. Les capacités d’extraction de cette matière accumulée pendant des millions d’années se développent rapidement, la demande étant portée par le développement rapide de la machine à vapeur et son

60

21. Smil V., Energy, a beginner’s guide. 22. Smil V., Energy and Civilization: a history. 23. www.jstor.org/stable/pdf/40564 252.pdf?refreqid=excelsior%3A7e a1c4cb5c0f2f92aedecd32904bdfcb 24. https://oneworld-publications. com/energy.html

utilisation pour un nombre croissant d’applications. Le pétrole s’est ensuite développé rapidement à partir du début du xxe siècle. Le pétrole a l’avantage de posséder une densité énergétique bien plus élevée que le charbon : 42-47 MJ/kg contre 17-25 MJ/ kg pour le charbon et 16 MJ/ kg pour le bois sec. Étant dense et liquide, il peut être stocké et transporté plus facilement, ce qui explique son importance pour le domaine des transports. Enfin, le gaz naturel est le plus récent des combustibles fossiles à s’être déployé. Si sa densité énergétique massique (environ 53 MJ/kg) est plus élevée que celle du pétrole, il est gazeux à température ambiante et a donc une faible densité énergétique volumique. Il nécessite une infrastructure plus complexe pour être transporté et son transport par la mer n’a été possible qu’en le liquéfiant. Le bouquet énergétique primaire est largement dominé par ces trois énergies. Au niveau mondial, le pétrole compte pour 37 % de l’énergie primaire, le charbon pour 30 % et le gaz pour environ 26 %25. En regardant les choses de façon un peu large, on pourrait dire que l’histoire énergétique de l’humanité se résume en l’exploitation de sources d’énergie toujours plus denses, celle-ci culminant avec le développement de l’énergie nucléaire dont la densité énergétique est 10 000 fois supérieure à celle du ­charbon. 25. https://ourworldindata.org/energy -mix

Il y a des aspects économiques derrière, ce qui a permis par exemple le charbon. Quand vous utilisiez des moulins à eau, il fallait que vos usines soient installées auprès d’une rivière, auprès d’un cours d’eau. Il fallait en fait au début installer le charbon près d’une mine de charbon mais ensuite, une fois que les transports se sont un peu développés, ce qu’on vous a permis de faire, c’est d’installer des usines dans les villes, là où il y a 26. Freese B., Coal, a Human history. 27. Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire.

beaucoup de personnel, ce qui vous permet en fait de payer le personnel moins et d’augmenter la survaleur. Donc il y a aussi un aspect capitaliste derrière l’expansion du charbon. De même, Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil dans leurs travaux montrent que l’essor du pétrole a en fait été un peu aidé par les grèves de mineurs de charbon parce qu’en fait, cela permettait de compenser ou d’amener une source d’énergie en plus et de faire pression sur les travailleurs du charbon28. 2.2. Les transitions énergétiques : des accumulations de sources d’énergie La Figure 6 donnait l’évolution relative des différentes énergies utilisées. Si on regarde maintenant en valeur absolue (Figure 7), la perception change complètement. Les différentes sources d’énergie ne se sont pas substituées les unes aux autres mais elles se sont au contraire additionnées. L’histoire des deux cents dernières années, et on pourrait remonter plus loin, est celle d’un empilement de sources d’énergie. On peut ainsi remarquer qu’on utilise plus de biomasse en 2019 qu’il y a deux cents ans. Le charbon représentait environ 47 % de l’énergie primaire mondiale en 1900, la biomasse 50 %. Si cette part a diminué au cours du xxe siècle, la production de charbon a été multipliée par six sur le siècle. La part du charbon a même augmenté 28. Fressoz J.-B., Bonneuil C., L’événement anthropocène.

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

En fait, ce n’est pas tout à fait vrai et l’évolution fut tout sauf linéaire. Ainsi, le charbon fut longtemps décrié pour la fumée qu’il produisait et fut même officiellement banni par le roi d’Angleterre au xvie siècle26 – même si ce fut peu suivi. Le développement de l’industrie et de la population en Angleterre ont longtemps reposé sur le bois causant une importante déforestation. L’exploitation du charbon a permis de suppléer à la demande énergétique croissante. Il y a aussi des aspects économiques derrière l’émergence du charbon. Ainsi, l’utilisation de moulins à eau (pour les filatures par exemple) nécessitait d’être à proximité de cours d’eau. Le développement du charbon et du chemin de fer ont permis l’installation d’usines en ville là où la population est plus importante et la compétition pour l’emploi est plus grande. Cela a permis une pression sur les salaires et une augmentation des profits27.

61

Chimie et énergies nouvelles

Autres renouvelables Solaire Éolien Nucléaire Hydraulique Gaz naturel

× 1 000 TWh 140 120 100 80

Pétrole

60 40 Charbon

20 0 1800

Biomasse

1850

1900

1950

2000 2017

Figure 7 Additions des sources d’énergie les unes aux autres de 1800 à 2017, superposition des énergies au fur et à mesure de leur utilisation. Source : Vaclav Smil (2017) and BP Statistical Review of World Energy.

au début du xxie siècle sous l’influence de la Chine. La production chinoise a triplé entre 2000 et 2019. C’est pourtant la source d’énergie la plus émettrice de CO2 (par unité de puissance produite) et celle qui cause le plus de décès29, notamment à cause de la pollution de l’air. Pire, l’utilisation de nouvelles sources d’énergie a historiquement toujours été accompagnée d’une augmentation de l’utilisation des énergies déjà utilisées30. Et c’est assez logique puisque le développement de l’infrastructure nécessaire pour exploiter une nouvelle énergie se fait avec les énergies dont nous avons à disposition. Même à l’heure actuelle, les énergies fossiles

62

29. https://ourworldindata.org/gra pher/death-rates-from-energyproduction-per-twh 30. https://theconversation.com/ lenergie-fossile-cette-droguedont-nous-narrivons-pas-a-noussevrer-160507

comptant pour plus de 80 % de l’énergie primaire, la construction de panneaux solaires ou d’éoliennes (cela est vrai également pour des réacteurs nucléaires) est permise par des énergies fossiles. Ce point est très souvent négligé et beaucoup d’ouvrages ou de reportages dénoncent l’utilisation d’énergies fossiles pour la construction d’éoliennes par exemple31, mais il ne peut en être autrement. Tant que la part d’énergie bas carbone dans le bouquet énergétique est faible, notre société repose sur des énergies fossiles. Si on regarde la Figure 7, on constate que la transition énergétique à effectuer consiste à remplacer les trois gros blocs que sont le gaz, le charbon et le pétrole, par les énergies présentes sur le dessus de la courbe et comptant pour quelques pourcents. 31. https://www.youtube.com/watch? v=Zk11vI-7czE

Si on regarde la production d’électricité, on voit que la situation est encore pire : en 2019 la part des énergies fossiles dans la production d’électricité est légèrement plus élevée qu’en 1960 ! Le charbon représente en effet

Énergie primaire

Électricité

100

70 5 × 104

A

4 × 104 60 3 × 104 40

2 × 104 Part totale Charbon Gaz Pétrole

1 × 104

0 0 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020

60 50

Fraction (%)

80

20

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

32. https://ourworldindata.org/energymix 33. https://www.eia.gov/energyexplained/electricity/electricity-inthe-us.php 34. https://www.cleanenergywire. org/factsheets/germanys-energyconsumption-and-power-mixcharts 35. https://ourworldindata.org/energy /country/japan 36. https://endcoal.org/wp-content/ uploads/2020/03/BoomAndBust _2020_English.pdf

Production d’énergie (TWh)

Pour aller un peu plus loin, on peut regarder l’évolution de la part des énergies fossiles dans le bouquet énergétique primaire (Figure 8A) entre 1960 et 2019, ainsi que les quantités en valeurs absolues. Si la part des fossiles a légèrement baissé depuis 1960, on remarque que cette baisse est extrêmement lente et que les fossiles représentent toujours plus de 80 % de notre énergie primaire. En parallèle, la consommation de pétrole a été multipliée par presque 5 sur cette période, et celle de gaz naturel par 7. S’il faut retenir une chose, c’est que loin de décarboner notre énergie, nous la carbonons : nous utilisons toujours plus d’énergies fossiles même si leur proportion dans le bouquet énergétique diminue légèrement. La transition énergétique n’est donc pour l’instant amorcée que de façon relative, alors que ce qui est important pour le climat c’est la quantité absolue d’énergie fossile que nous utilisons.

37 % de l’électricité mondiale 32. Si la France est en train de fermer ses dernières centrales à charbon, certains pays développés en sont encore très dépendants. Cela représente en effet en 2020 : 19 % de l’électricité aux ÉtatsUnis33, 23 % en Allemagne34 et 29 % au Japon35. Au total, il y a environ 2 000 GW de puissance au charbon installée dans le monde et environ 500 GW en construction ou prévus. Le rythme de construction a tendance à diminuer36. Mais

Proportion d’énergie fossile (%)

Ainsi en 2020, le nucléaire représente 4 % de l’énergie primaire dans le monde, l’éolien 2 % et le photovoltaïque 1 %. L’hydroélectricité est la plus grosse source d’énergie bas carbone et compte pour environ 6,5 %. Ces sources devraient d’ici trente ans fournir la plus grosse part de notre énergie. Une substitution jamais réalisée jusqu’ici.

40 30

Combustibles fossiles Nucléaire Hydraulique Renouvelables

20 10 0

B

1970 1980 1990 2000 2010 2020

Figure 8 Évolution de la part des énergies fossiles (gaz, charbon, pétrole) dans l’énergie primaire (A) et de la proportion des sources d’énergie (fossiles, nucléaire, hydro-électricité) dans la production d’électricité (B) entre 1960 et 2020. Source : à partir des données de la Banque mondiale.

63

Chimie et énergies nouvelles

un pays comme le Japon prévoyait en 2021 la construction de vingt-et-une centrales à charbon37. On remarque que la part des renouvelables augmente dans la production électrique, et de nombreux pays ont des politiques très ambitieuses à ce niveau. Mais fermer les centrales à charbon et ne plus en construire est un passage obligé de la décarbonation, comme le rappelait, en 2021, l’IEA dans son scénario Net Zero by 205038. Si on regarde maintenant plus en détails une analyse intéressante sur la Figure 9, on 37. https://www.powermag.com/ japan-pulls-back-from-coalthough-new-plants-move-forward/ 38. https://www.iea.org/reports/net -zero-by-2050

2.3. Parallèle entre vitesse de déploiement des technologies et consommation d’énergie

Vitesse de croissance annuelle 250 EJ

+1,4 %/an

200

–0,3 %/an +3 %/an

150

100

+1,2 %/an

50

+1,2 %/an

+11,9 %/an

0 Charbon

Pétrole

Gaz

Nucléaire

Hydraulique

Autres renouvelables

Figure 9

64

voit que le charbon a très fortement augmenté entre 2000 et 2014, en grande partie portée par la construction d’un grand nombre de centrales en Chine, pour stagner entre 2014 et 2019, avec une légère baisse de 0,3 % par an sur cette période. Le pétrole connaît une hausse de 1,4 % par an quand le gaz est en croissance rapide de 3 % par an. Le nucléaire et l’hydraulique sont sur des hausses de 1,2 % par an quand les renouvelables (éolien et photovoltaïque) connaissent de fortes croissances de l’ordre de 12 % par an. Elles restent cependant très minoritaires dans le bouquet énergétique même si elles devraient d’ici quelques années dépasser l’hydraulique et le nucléaire.

Évolution de la consommation d’énergie mondiale annuelle entre 2000 et 2019 par source. Source : BP 2020 ; Jackson et coll., 2019 ; Global Carbon Budget, 2020.

Si on regarde l’activité humaine, tout donne l’impression d’aller de plus en plus vite. On parle d’ailleurs de ‘Grande Accélération’ pour caractériser le développement spectaculaire, depuis les années 1950, de la population mondiale, de l’économie, de la population, de la consommation énergétique, des échanges commerciaux, et… de l’impact sur l’environnement. Les vitesses d’adoption de certaines technologies peuvent également donner le vertige (Figure 10). En 2000, il y avait 730 millions de téléphones mobiles dans le monde. Seize ans plus tard, on en comptait 7,4 milliards, autant que d’habitants sur la planète. Ce qui ne signifie

Rien ne surpasse la loi de Moore formulée sur la base d’observations empiriques par 39. https://spire.sciencespo.fr/hdl: /2441/3tcpvf3sd399op9sgtn8tq 5bhd/resources/2019-cage-herveet-viaud-the-production-of-information-in-an-online-world-iscopy-right.pdf

le co-fondateur d’Intel en 1965 puis révisée en 1975. Elle postule un doublement du nombre de transistors sur un circuit imprimé tous les deux ans, soit une croissance annuelle de 41 %. Croissance maintenue sur quasiment cinquante ans, résultant en une multiplication par 25 millions ! Ces données (et les autres exemples montrés par la Figure 10 peuvent justifier l’optimisme entendu au sujet de la transformation de notre système énergétique. Mais il faut se rappeler qu’un téléphone portable, c’est très petit, même s’il y a une infrastructure d’antenne, etc., et cela ne concerne qu’une application donnée. Et l’infrastructure énergétique, par nature, ne peut pas avoir une dynamique aussi rapide parce que sa transformation représente en fait un changement

100 %

Chasse d’eau Eau courante Aspirateur Réfrigérateur Puissance électrique Radio Réfrigérateur domestique Télévision en couleur Téléphone mobile Micro-ondes Automobile Ordinateur Ventilation Sèche-cheveux Smartphone usage Machine à laver Tablette Ligne fixe

80 %

60 %

40 %

20 %

0% 1860

1880

1900

1920

1940

1960

1980

2000

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

pas que tous les habitants en ont un, certains en ayant plusieurs. Sur la même période, la proportion de foyers américains possédant une tablette est passée de 3 % à 64 %. Le rythme de sortie de nouveaux objets est également très rapide. Les fabricants de téléphone sortent une nouvelle version de leur modèle haut de gamme chaque année. Le nombre de pixels sur les appareils photos de smartphones a été multiplié par plus de 35 en dix ans39, et la tendance est maintenant à la multiplication des capteurs.

2019

Figure 10 Proportion de diffusion des technologies aux États-Unis entre 1860 et 2019. Source : Comin and Hobijn (2004) and others. OurWorldInData.org/technology-adoption/CC BY.

65

Chimie et énergies nouvelles

complet de la source d’énergie à la chaîne de transport et d’utilisation. Smil, dans son livre Energy transitions40, regarde la vitesse de déploiement du charbon, du pétrole et du gaz naturel à partir du moment où ces sources représentent 5 % de la demande mondiale. Ce critère est en partie arbitraire mais est choisi car représentatif du moment où une source d’énergie occupe une place non négligeable dans le bouquet énergétique. Ainsi, le charbon a mis cinquante ans pour passer de 5 % à 40 % de la part d’énergie primaire. Le pétrole a mis cinquante ans pour passer de 5 % à 30 % et le gaz naturel a mis cinquante ans mais pour passer de 5 % à 20 %. On remarque que les échelles de temps s’allongent sur ces trois exemples. Pourquoi ? En fait, parce que

Part de la production mondiale d’énergie (%)

40. http://vaclavsmil.com/2016/12/ 14/energy-transitions-global-andnational-perspectives-second-­ expanded-and-updated-edition/

Charbon 50 années pour fournir 40 % de la demande mondiale

Pétrole non raffiné 30 années pour fournir 30 % de la demande mondiale

Gaz naturel 50 années pour fournir 20 % de la demande mondiale

50 40 %

40

30 %

30

20 %

25 20

De plus, les énergies fossiles les plus faciles à récupérer ont d’abord été utilisées. Parce qu’au tout début, prendre du charbon, c’était assez simple. En Angleterre, les premiers filons étaient très proches de la surface. Pour le pétrole, on a tous des images de pétrole jaillissant du sol au début du xxe siècle. Maintenir le rythme de production et exploiter des nouveaux gisements impose l’utilisation de techniques plus complexes. Ainsi les puits de pétrole offshore les plus profonds atteignent maintenant des profondeurs supérieures à 3,5 km41. Enfin, le gaz naturel est complexe à transporter. Il faut, pour le transporter sur des grandes distances, soit des pipelines42 ou des gazoducs43, soit liquéfier le gaz. Cela induit une complexité. Tant qu’on est sur une base qui augmente, et comme on développe a priori des sources d’énergie qui sont de plus en plus techniques, il

15 10 5 0

10 20 30 40 50 60

1840

0 1840

10 20 30 40 50 60

0

10 20 30 40 50 60

1840

Figure 11

66

la base augmente : la consommation énergétique mondiale augmente et il devient de plus en plus difficile d’atteindre une certaine part du marché. Et comme la consommation énergétique était sur une évolution en croissance et plus ou moins en croissance exponentielle, il est de plus en plus dur de suivre le rythme.

Évolution des proportions de charbon, de pétrole et de gaz naturel utilisé pour la production mondiale d’énergie. Source : Smil V., Energy Transitions : Global and national perspectives.

41. https://www.offshore-technology.com/features/deepwaterexploration-what-it-takes-to-drillreally-really-deep/ 42. Pipeline : ouvrage destiné à transporter sur de grandes distances des fluides, comme du gaz dans notre cas. 43. Gazoduc : canalisation permettant le transport de gaz sous pression.

En effet, le développement d’une technologie, peut prendre énormément de temps. Entre le moment où une technologie commence à apparaître et le moment où elle se développe, il peut se passer des années et des dizaines d’années, voire même beaucoup plus. Un exemple avec l’éolien (Figure 12) : en 1888 dans l’Ohio (États-Unis), Charles Brush développe une éolienne de 16 kW ayant un diamètre de 17 m44. C’est la première à alimenter directement des foyers. Un an plus tôt en Écosse, une éolienne est utilisée pour charger une batterie. Le premier modèle de 1 MW date de 1941. Elle casse après 1 100 h de production, les matériaux de l’époque n’étant pas assez résistants. Le développement de l’éolien retrouve du souffle grâce à la NASA, qui développe son premier modèle de 100 kW en 197545. En 2021, Vesta détient le record de l’éolienne la plus puissance avec un modèle d’une puissance de 15 MW et dont le rotor a un diamètre de 236 mètres. Pour rappel, la Tour Eiffel mesure 324 mètres de haut. Le nucléaire a eu, lui, un développement un peu plus rapide (Figure 13). Et d’ailleurs, c’est la source d’énergie qui s’est développée le 44. http://xn--drmstrre-64ad.dk/ wp-content/wind/miller/windpower%20web/fr/pictures/brush. htm 45. https://fr.wind-turbine-models. com/turbines/98-nasa-mod-0nasa-lockheed

GE Haliade X 13 MW 2020

NASA Mod-O 1975 100 kW

Charles Brush, 1888 16 kW

260 m

38 m

13-15 MW

300 m

200 m

7 MW

9 MW

4 MW

1-12 kW

19th C

2 MW

1,2 MW

100 m 0,5 MW

1990

1995

2000

2005

2010

2015

2025

Figure 12 Diverses éoliennes produites au cours du temps, entre 1888 et 2020, et évolution des systèmes rotatifs à pâles, du moulin à l’éolienne. Source : Bloomberg, New Energy Finance, 2017.

plus rapidement dans l’histoire. De 1965 à 1990, les taux de déploiement du nucléaire ont été plus rapides que n’importe quelle énergie dans le monde. Le premier réacteur produisant de l’électricité fut mis en service en 1951 à Argonne, aux États-Unis. Le déploiement se fait assez rapidement après. Et de 1970 jusqu’à 1985, on passe de quelques réacteurs dans le monde à 418 réacteurs sur une croissance qui est assez rapide. En France, 58 réacteurs sont mis en service entre 1978 et 2000. À cette époque, l’argument climatique ne rentre pas en compte, mais l’intensité carbone de l’électricité française est divisée par 5. Depuis les années 1990, le nombre de réacteurs a stagné suite à l’accident de Tchernobyl. Les dernières années montrent une légère hausse du nombre de réacteurs qui reste à confirmer sur le long terme. Les pays ayant construit des réacteurs dans les années 1970-1980 ont lancé des programmes de prolongement des durées

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

faut de plus en plus de temps pour les développer.

67

Chimie et énergies nouvelles

Réacteurs nucléaires et capacité de production mondiale Capacité d’exploitation

2006 Capacité d’exploitation maximale 367 GWe 2002 7/2020 1989 Capacité d’exploitation 408 réacteurs 301 GWe maximale 362 GWe 418 réacteurs 438 réacteurs

GWe 400

400 Réacteurs en opération 300

Capacité d’exploitation

300

200

200

100

100

0

0 1954

A

1960

1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015

7/20

B

Figure 13 Première centrale nucléaire à produire de l’électricité (A) et évolution de la capacité de production électrique à partir de nucléaire entre 1954 et 2020 (B).

d’opérations mais rares sont ceux ayant des programmes de construction ambitieux pour les prochaines années.

3

Vitesses des déploiements des technologies dans l’énergie 3.1. Les deux lois empiriques du déploiement des technologies Une étude parue en 2009 dans Nature46 propose une explication intéressant des dynamiques de déploiement des énergies. Cet article se veut une réponse aux narrations de type Green New Deal promettant une décarbonation du secteur de l’énergie dans une échelle de temps de dix-vingt ans. En étudiant l’historique de différentes technologies (Figure 14), ils proposent deux lois empiriques expliquant le déploiement : 68

46. https://www.nature.com/articles/ 462568a

– les nouvelles technologies connaissent une phase de croissance exponentielle pendant plusieurs décennies, caractérisée au xxe siècle par une croissance de l’ordre d’un facteur dix par décennie (ou 26 % par an). Cette phase se poursuit jusqu’à atteindre le seuil d’environ 1 % de la demande globale, à partir duquel la technologie en question devient largement disponible et déployable ; – après cette phase, la croissance devient linéaire jusqu’à ce que cette technologie atteigne sa part finale du marché. Peut-on accélérer les choses ? Pendant la première phase, le retour d’expérience est extrêmement important (« C’est en faisant qu’on apprend »), et cela demande du temps : le temps de concevoir, de développer, de tester et d’optimiser. De plus, en parallèle de cette évolution, l’outil de production (mécanique mais aussi humain) doit lui aussi être développé et à ce stade les investissements

Total Pétrole Nucléaire Gaz naturel liquide Biocarburants (première génération)

Terajoules/an

108

107

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

109

Materiality

106

Éolien Solaire photovoltaïque Capture et stockage de carbone

105

Biocarburants (deuxième génération) Lois

104

Blueprints projections 103 1960

1970

1980

1990

2000

2010

1960

2030

2040

2040

Année

Figure 14 Évolution du déploiement des énergies et technologies entre 1960 et 2009, avec prévisions jusqu’en 2050. Source : d’après Kramer GJ ; Haigh M. (2009). Nature, 462, 568.

Tant que la nouvelle technologie ne représente que quelques pourcents de la demande, son déploiement ne concurrence pas vraiment les moyens de production existants. Ensuite, le déploiement de nouvelles sources nécessite de fermer des centrales existantes, ce qui est problématique pour des installations non amorties. Cette phase ne peut être accélérée qu’à la condition de liquider des installations non amorties. Une décision politique ayant des conséquences financières. La Figure 15 est une mise à jour des données de la Figure 14

avec les données pour les énergies fossiles depuis 1850, et en incluant les données jusque 2019. Ce que l’on remarque c’est que le nucléaire est en effet la technologie avec le taux de déploiement historique le plus rapide. Les biocarburants (de première génération) ont connu au début des années

100 000

10 000

Énergie (TWh)

ne sont pas nécessairement les éléments limitants. Autrement dit : l’argent ne peut pas résoudre tous les verrous scientifiques, technologiques et industriels. Pendant la deuxième phase, la vitesse de déploiement va être limitée par les durées de vie (souvent très longues) des centrales électriques et la volonté de ne pas sacrifier des outils de production non encore rentabilisés.

1 000

100

10

1 1850

Charbon Solaire Pétrole Gaz Hydraulique Nucléaire Éolien Biocarburants Total 1900

1950

2000

Année

Figure 15 Mise à jour des données de déploiement des énergies et de leurs technologies associées entre 1850 et 2019.

69

Chimie et énergies nouvelles

2000 une progression fulgurante avant d’atteindre un plateau assez rapidement. La Figure 15 montre également que les technologies introduites après les années 1950 ont connu des déploiements plus rapides que les fossiles. On remarque également que l’éolien semble montrer un léger ralentissement alors que le photovoltaïque est toujours sur une progression rapide. Il est trop tôt pour tirer des conclusions mais dans un contexte d’urgence climatique, un déploiement rapide devra être maintenu pendant une longue période. Si on regarde un peu plus en détails les taux de déploiement de l’éolien et du photovoltaïque pour quelques pays, on remarque que les vitesses de déploiement ont assez fortement ralenti dans plusieurs pays développés (Figure 16). Si on considère le cas de l’Allemagne par exemple, après une phase de forte croissance, l’éolien et le photovoltaïque ont connu un fort ralentissement qui pour le photovoltaïque depuis 2010 est très marqué. S’il est difficile d’expliquer de façon

Éolien

Photovoltaïque Puissance installée (W)

Puissance installée (W)

100

10

Allemagne France États-Unis Espagne Royaume-Uni

1 1995

2000

A

2005

2010

Années

2015

2020

100

1 2000

2005

2010

Années

2015

Figure 16 70

3.2. Perspectives de décarbonation de l’énergie Pour illustrer les besoins en termes de vitesse de déploiement, on peut procéder à l’analyse de la promesse de Joe Biden de décarboner la production électrique aux États-Unis d’ici 2035 47. En 2020, l’électricité provenait majoritairement du gaz naturel (40 %) et du charbon (20 %), donc des combustibles fossiles48. Le nucléaire et les renouvelables contribuaient chacun à hauteur de 20 % de la production. Le terme renouvelable inclut l’éolien (8 %), le photovoltaïque (2,2 %), l’hydraulique (7 %), la biomasse (1,4 %) et la géothermie (0,4 %). Dans un rapport récent, des chercheurs du Lawrence Berkeley National Lab étudient en détail l’évolution de la production électrique sur la période 2005-2020 49. Ce qui permet de mettre les déclarations récentes en perspective (Figure 17). Sur cette période, on constate deux évolutions majeures. Tout d’abord, une transition

Chine Europe France Allemagne États-Unis

10

1995

unique les observations dans différents pays, il est important de noter que les taux de déploiement dans la majorité des pays vont devoir fortement ré-augmenter pour tenir les objectifs climatiques.

Taux de déploiement de l’éolien (A) et du photovoltaïque (B) entre 1995 et 2019 dans différents pays.

2020

B

47. https://www.forbes.com/sites/ melissaholzberg/2021/05/06/bidenwants-clean-electricity-by-2035-apandemic-driven-fall-in-solar-jobscomplicates-that/ 48. https://www.eia.gov/tools/faqs/ faq.php?id=427&t=3 49. https://eta-publications.lbl. gov/sites/default/files/halfway_to_ zero_report.pdf

Les espoirs de décarboner la production électrique reposent donc sur les renouvelables, et notamment le solaire et l’éolien. Pour respecter l’objectif de 80 % de bas carbone en 2030, il faut quasiment tripler

la capacité de production renouvelable en neuf ans. Cela correspond à installer l’équivalent d’un tiers de la production électrique française chaque année, en supposant que la consommation reste constante. Un défi de taille. La Figure 17 montre une extrapolation prenant en compte les vitesses de déploiement actuelles pour les renouvelables et les prolongeant jusqu’en 2035. On voit qu’en continuant les courbes, on arrive tout juste à atteindre l’objectif fixé. Ce petit exercice ne prend pas en compte les besoins d’infrastructure comme le renforcement de la grille électrique ou le développement de capacités de stockage permettant de compenser l’intermittence des énergies renouvelables. Mais décarboner la production électrique signifie également de fermer des capacités de production carbonée. En 2018, on comptait 400 centrales à charbon et

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

du charbon vers le gaz naturel, soutenue par le gaz de schiste peu cher. La part du charbon a ainsi été divisée par 2,6 pendant que celle du gaz doublait. Ensuite, la part des renouvelables a été multipliée par 2,3. Le nucléaire est, lui, resté stable. La part d’électricité bas carbone est donc passée en quinze ans de 28 % à 40 % dans un contexte de consommation stable. Dans les prochaines années, la production nucléaire est vouée, au mieux, à rester stable. Deux réacteurs sont actuellement en construction dans la centrale de Vogtle en Géorgie et le réacteur numéro 2 de la centrale d’Indian Point, dans l’État de New York, vient d’être définitivement arrêté.

Puissance (GW)

100

10

1 Panneaux photovoltaïques Éolien 0,1

Panneaux photovoltaïques + éolien Total installé

0,01

2000

2010

2020

2030

Année

Figure 17 Simulation de la puissance électrique fournie par les différentes sources d’énergie renouvelable entre 1990 et 2035.

71

Chimie et énergies nouvelles

1 800 centrales à gaz aux États-Unis, des centrales qui devront fermer. L’âge de ces centrales américaines est plutôt propice à une transition rapide d’ici 203550. Seulement 15 % des centrales seraient forcées de fermer avant l’âge moyen de mise à l’arrêt pour des centrales thermiques (non nucléaires). Cela nécessite tout de même de gérer la reconversion des employés, les nouvelles capacités de production étant différentes et pas forcément installées au même endroit. Cet aspect social de la transition énergétique est d’ailleurs assez rarement évoqué. La même étude montre justement que 25 % des employés des centrales thermiques existantes pourraient se retrouver sans emploi plus rapidement que prévu, ce qui demande une action politique forte pour la reconversion du personnel (Figure 18).

Génération Consommation d’eau pour les usines et les carburants Emploi dans l’usine + extraction de combustible Émissions de CO2 des usines Émissions de SO2 des usines Émissions de NOx des usines Pétrole Gaz naturel Charbon

60

Gaz naturel

80

80 % 70 % 60 % 50 % 40 %

40 20

90 %

30 % 20 %

Âge moyen de mise à l'arrêt déjà atteint

10 % 2020

2025

2030

2035

2040

2045

2050

2055

2060

2020

0% 2070

Étude d’impact des usines de production d’énergie dont la durée de vie est atteinte cette année

100 %

Pétrole

100

Charbon

Capacité de production d’une unité dont la durée de vie est atteinte cette année (GW)

50. https://science.sciencemag.org /content/370/6521/1171/tabfigures-data

Figure 18

72

Prévision des fermetures des unités de production d’énergie arrivant à leur limite de durée de vie jusqu’en 2065 et le nombre de travailleurs impactés par ces fermetures. Source : Grubert E., Science, 2020.

3.3. Transitions nationales Le lecteur averti pourrait objecter que si à l’échelle mondiale l’infrastructure énergétique change très lentement, il y a eu des transitions rapides à l’échelle nationale. La France est évidemment un exemple qui vient immédiatement en tête, mais il y en a eu d’autres. Pour étudier le cas de différents pays, il est utile d’utiliser une représentation de type Fisher-Pry (Figure 19) utilisée pour les modèles de diffusion des innovations51. Commençons par étudier le cas des Pays Bas (Figure 19) sur la période 1950-2020. En 1950, les Pays Bas sont largement dépendants du charbon, qui fournit 83 % de l’énergie primaire, et un peu du pétrole. En 1959, le superchamp géant de gaz naturel de Groningen est découvert et commence à produire du gaz à partir de 1963. La capacité de ce champ était estimée à 2 800 milliards de m3. Cette même année, le charbon représentait 55 % de l’énergie primaire, le pétrole 43 % et le gaz moins de 2 %. En 1965, le gaz représentait 5 % de l’énergie primaire et atteindra 46 % à peine dix ans plus tard en 1975. Une transformation radicale du bouquet énergétique en un temps très faible. Il faut cependant garder en tête que les Pays Bas 51. Le modèle de diffusion des innovations, mis en place par Everett Rogers en 1962, vise à associer les différents groupes de clients correspondants aux différentes phases d’adoption d’une nouveauté. L’innovation elle-même est achevée et il s’agit d’expliquer comment elle se diffuse auprès des utilisateurs

F_gaz = 30 %

F_gaz = 46 %

f/(1 – f)

1,0

0,1 Charbon

1959 : découverte du superchamp géant de Groningen 0,0 1950

Gaz

F_gaz = 5 % 1960

1970

Pétrole 1980

1990

2000

2010

2020

Figure 19 Évolution des proportions des différentes sources d’énergie fossile dans l’énergie primaire des Pays Bas entre 1950 et 2019. Les données sont montrées sur une échelle particulière : fraction dans le mix divisée par 1 moins la fraction. Cette façon de montrer les données permet de mieux mettre en évidence les tendances. Source : Smil V.

sont un pays assez petit avec environ 17 millions d’habitants en 2019, et que cette transition s’est faite dans un contexte de hausse de la consommation. Néanmoins, le pays a transitionné de façon rapide du charbon au gaz naturel. La France a connu une évolution rapide de son bouquet énergétique dans les années 1970-1990 avec le plan Messmer52lancé en 1974, avec 14 TWh de production nucléaire. Avec la construction de 58 réacteurs, la France a atteint 415 TWh à la fin des années 1990. La part du nucléaire dans la production électrique a atteint quasiment 52. Le plan Messmer est un programme proposé par Pierre Messmer en 1974. Il s’agit d’un plan énergétique visant à limiter la dépendance de la France au pétrole par la construction d’un parc nucléaire et une série de mesures de sobriété énergétique.

80 %, pour redescendre un peu ces dernières années. Il faut cependant remarquer que là encore on est face à un empilement plus qu’à une transition. Si on regarde la Figure 20, on constate en effet que l’émergence du nucléaire a suivi la hausse de la consommation d’énergie primaire. La consommation de charbon a certes baissé un peu en parallèle, mais elle était déjà très faible. Le pétrole est resté à peu près stable alors que la consommation de gaz a augmenté. Cependant, l’exemple français montre qu’il est possible de construire rapidement des centrales nucléaires même si les déboires récents peuvent laisser penser le contraire. On parle souvent de l’­Allemagne quand on parle d’énergie ; il est aussi intéressant de regarder du côté de l’Angleterre (Figure 21). Jusqu’au milieu des années 1990, la production

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

10,0

73

Fraction (%)

12 10

Fossiles Hydraulique Nucléaire EnR

60 40 20

Énergie (TWh)

Chimie et énergies nouvelles

415 TWh en 2020

80

Charbon Gaz Hydraulique Nucléaire Pétrole Total

8 6 4 2

0 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020

A

0 1960

1970

1980

1990

2000

2010

2020

B

Figure 20 Part de la production d’électricité (A) ou d’énergie primaire (B) dans la production française entre 1960 et 2019.

électrique anglaise était majoritairement à base de charbon. Une première baisse de la part du charbon s’est produite entre 1990 et 2000 avec la construction de centrales à gaz. Le développement du gaz a été permis par le développement de l’extraction des champs offshore en mer du Nord. La consommation de gaz a ainsi été multipliée par neuf entre 1970 et 2000.

TWh 400 350 Nucléaire

300

Renouvelables

250 Turbine à gaz à cycle combiné

200 150 100

Charbon

50 0 1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015

2018

Figure 21 74

Origines de la production d’électricité au Royaume-Uni entre 1980 et 2018. Source : Aurora Energy Research, BEIS.

À partir de 2012, l’­Angleterre diminue rapidement sa consommation de charbon (qui tombe à zéro en 2019) avec en parallèle un fort développement des renouvelables et un maintien d’une forte portion de génération au gaz. Les centrales à gaz sont en effet idéales pour pallier l’intermittence des renouvelables car elles peuvent démarrer très rapidement. Il faut dans le meilleur des cas seulement quelques minutes pour atteindre la pleine capacité53. Les années à venir permettront de voir comment l’Angleterre réussira à diminuer sa dépendance au gaz, une nécessité pour arriver à une électricité bas carbone. Il est important de noter que l’Angleterre est un cas relativement unique car sa consommation d’électricité baisse régulièrement depuis le milieu des années 200054. 53. https://www.ge.com/power/ transform/article.transform. articles.2017.jun.load-followingpower-plant 54. https://www.carbonbrief.org/ analysis-uk-low-carbon-electricity-generation-stalls-in-2019

55. https://www.usinenouvelle.com /article/l-energiewende-ou-comment-l-allemagne-compte-sortirdu-nucleaire-et-du-charbon. N1045394 56. https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=38372

–19 % 100

France 80

–23 %

États-Unis Royaume-Uni

–15 %

Allemagne 60

1990

2000

2010

2020

Figure 22 Variation des émissions de dioxyde de carbone entre 1990 et 2018 pour la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Source : OurWorldinData, 2020.

4

Nécessité de la transition énergétique et contraintes à pallier 4.1. Le changement : pourquoi ? Pour aller un peu plus loin, il est intéressant de regarder quelles ont été dans le passé les motivations et raisons pour lesquelles de nouvelles sources d’énergie ont été adoptées. Le changement climatique et la finitude des ressources fossiles sont des motivations fortes pour la transition énergétique à venir, mais l’observation des tendances passées peut permettre d’identifier des facteurs la facilitant. Dans un ouvrage dédié57, l’économiste 57. https://www.lavoisier.fr/livre/ environnement/heat-power-andlight-paperback/fouquet/descriptif_3598456

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

–13 %

120

CO2 emissions

Si maintenant, on compare les différents pays sur leurs émissions de CO 2 dues à la production d’énergie, on remarque des résultats assez contrastés avec des politiques assez différentes sur la période 2005-2018 (Figure 22). L’Allemagne est les États-Unis sont deux cas intéressants. L’Allemagne a en effet une politique ambitieuse de transition énergétique, Energiewende 55 , qui repose sur un fort développement des renouvelables et un arrêt du nucléaire. Les États-Unis ont connu l’explosion de la production de gaz et de pétroles dit de schiste56. Ainsi, si en 2008 le gaz de schiste comptait pour environ 16 % de la production américaine, cette part est passée à 70 % en 2018. Ce gaz peu cher et abondant a rendu le charbon moins attractif d’un point de vue économique et a poussé à la fermeture d’anciennes centrales à charbon et au développement de centrales à gaz. Sur la période 2005-2018 l’Allemagne a vu ses émissions pour le secteur de l’énergie baisser de 15 % avec sa politique volontariste, alors que les États-Unis, en laissant le marché agir, ont connu une baisse de 13 %. L’Angleterre a connu la plus forte baisse avec 23 %, mais rappelons que cette baisse intervient dans un contexte de baisse de la consommation énergétique.

75

Chimie et énergies nouvelles

de l’énergie Roger Fouquet a étudié l’évolution énergétique de l’Angleterre depuis le Moyen Âge à différents niveaux (Figure 23). Il s’est intéressé non seulement aux transitions massives donc de production, du réseau de distribution, de la source d’énergie mais aussi du service. Il a notamment regardé le passage du cheval à la vapeur, ou de la cuisson au gaz à la cuisson électrique. Il a ainsi identifié que dans tous les cas les facteurs clés du

changement étaient l’accès à un meilleur service et le prix plus bas. Concernant les raisons du changement, dans quasiment tous les cas, encore une fois, c’est soit un meilleur service soit un nouveau service, quelque chose qui n’existait pas avant. Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’il remarque que toutes ces transitions sont toujours accompagnées d’une hausse de la consommation, aidée notamment par la baisse du prix. Et c’est quelque chose d’extrêmement important quand on parle de transition. Ce point, l’effet rebond58, sera abordé par la suite. 4.2. Des paramètres restrictifs à l’expansion des énergies renouvelables On vient de le voir, les transitions passées ont souvent été motivées par la possibilité d’accéder à un meilleur service. Mais la transition à venir diffère des transitions passées par le fait qu’elle semble se diriger vers des énergies moins denses et moins contrôlables que par le passé. Pour la première fois de son histoire, l’humanité pourrait ainsi évoluer vers une densité de puissance plus faible. La transition énergétique n’est donc pas motivée par la possibilité d’une amélioration de notre accès à l’énergie

Figure 23

76

Les intérêts du changement exprimés par R. Fouquet. Les transitions sont de trois natures : réseau de distribution, énergie, service. La transition s’est toujours accompagnée d’une hausse de la consommation. Source : Fouquet R. (2010). The Slow Search for Solutions : Lessons from Historical Energy Transitions by Sector and Service.

58. L’effet rebond a été mis en évidence par Jevons au xixe siècle. Il s’agit du phénomène par lequel les économies d’énergie prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées à la suite d’une adaptation du comportement de la société, une augmentation de la consommation.

Smil a proposé dans un ouvrage dédié le concept de densité de puissance60 (Figure 24), qui est définie comme la puissance produite (ou consommée) par unité de surface horizontale requise pour l’infrastructure de production (ou consommation). Ce paramètre est estimé à partir des installations existantes et prend en compte le facteur de charge61. Pour illustrer ce concept et fixer les ordres de grandeur, on peut regarder le cas de l’éolien. Les éoliennes ont des diamètres de plus en plus grands, dépassant maintenant 230 mètres pour les plus grandes turbines offshore (à titre de comparaison, un Airbus A380 a une envergure d’environ 80 mètres). Il est nécessaire d’espacer les éoliennes avec une distance entre trois et sept fois le 59. https://www.revue-internationale.com/2021/05/les-charbonssont-eternels/ 60. https://mitpress.mit.edu/books/ power-density#:~:text=Smil%20 provides%20the%20first%20systematic, and%20all%20common%20 energy%20uses. 61. Le facteur de charge est le rapport entre l’énergie électrique effectivement produite sur une période donnée et l’énergie qu’elle aurait produite si elle avait fonctionné à sa puissance nominale, puissance maximale pouvant être fournie, sur cette même période.

Hauteur (m) 220 200

3 MW

180

4,2 MW

8 MW

6 MW

160 140 1,5 MW

120 1,5 MW

100 80 60 40

V15 55 kW

N131

E18 80 kW V66

1,5 SL

V150

E126

20

AD 8-180

0 1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015

2018

Figure 24 Amélioration de la densité de puissance des éoliennes au cours du temps, entre 1995 et 2018. Source : Smil V. Power density : key to understanding Energy sources and uses, 2016.

diamètre selon l’orientation. On arrive alors à une densité de puissance de l’ordre de 1 à 5 watts par m2. Évidemment, l’espace entre deux éoliennes peut être utilisé pour différents usages, mais une certaine superficie doit être artificialisée et est couverte d’éoliennes – ce qui a un impact sur la biodiversité. Et pour mettre cela en perspective, on peut comparer les densités de puissance de différents moyens de production (Figure 25). Une méta-analyse parue en 2018 fait un bilan pour neuf sources d’énergie62. On note que les énergies fossiles et le nucléaire présentent des densités de puissance supérieures à 100 W/m2, avec jusqu’à 1 000 W/m2 pour le gaz. En comparaison, le photovoltaïque est aux alentours de 10 W/m2quand la biomasse est aux alentours de 0,1 W/m2 – trois ordres de grandeur 62. https://drpaulbehrens.com/wp -content/uploads/2018/09/1-s2.0S0301421518305512-main.pdf

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

mais par des contraintes climatiques, et à terme de finitude des ressources fossiles, même si celles-ci (notamment pour le charbon59) sont encore très abondantes. Au contraire, l’intermittence par exemple pose des problèmes que nos systèmes énergétiques avaient quasiment éliminés. Regardons en détails certains de ces facteurs.

77

Chimie et énergies nouvelles

plus faibles que les énergies fossiles. Cela n’est pas totalement surprenant si on se souvient que les énergies fossiles sont de la biomasse qui a été compressée et concentrée pendant des dizaines de

Gaz naturel (n = 7 mdn = 482,1)

La densité de puissance est importante car elle impose des contraintes spatiales qui peuvent se révéler compliquées. La Figure 26A, élaborée par David MacKay63 dans son livre Without the hot air, illustre ce point en comparant les densités de puissance en production pour différentes

Nucléaire (n = 11 mdn = 240,81) Pétrole (n = 4 mdn = 194,61) Charbon (n = 34 mdn = 135,1) Solaire (n = 20 mdn = 6,63) Géothermie (n = 11 mdn = 2,24) Éolien (n = 19 mdn = 1,84) Hydraulique (n = 8 mdn = 0,14) Biomasse (n = 63 mdn = 0,08) 10–3

10–2

10–1

100

101

102

Densité de puissance (W/m2)

103

104

Figure 25 Densités de puissance des différents types de production d’énergie. Source : J.Van Zalk, Energy Policy, 123 (2018).

63. David MacKay était un professeur de philosophie naturelle du département de physique de l’Université de Cambridge et conseiller scientifique en chef du département de l’énergie et du changement climatique britannique.

50

1000

40

Énergie utilisée (W/m2)

Consommation d'énergie par personne (kWh/j/p)

millions d’années. La Figure 25 illustre bien le fait que les scénarios de décarbonation de l’énergie sont principalement basés sur des sources beaucoup plus diffuses que l’infrastructure énergétique actuelle. Le nucléaire est une exception mais peu de scénarios considèrent le nucléaire comme la source principale d’énergie dans le futur.

100

30

20

10 10

A

0 0 10

100

1000

10000

Densité de population (personne au km ) 2

3000

6000

9000

Densité de population (personne au km2)

B

Figure 26

78

Mise en exergue des contraintes spatiales dans la production d’énergie. A) Évolution de la consommation énergétique par personne en fonction de la densité de population et comparaison à la densité énergétique des unités de production ; B) Évolution de la densité d’énergie utilisée en fonction de la densité de population. Source : McKay D., Without the hot air.

À titre de comparaison, du point de vue consommation, la ville de Paris présente en 2009 une densité de puissance d’environ 45 W/m²65. Celle de l’ensemble de la région Île-deFrance est d’environ 1 W/m², et pour l’agglomération lyonnaise66, on trouve une valeur de 7 W/m². Le rapport entre les densités de puissance de consommation et de production donne une idée de 64. https://ourworldindata.org/urb anization 65. https://api-site-cdn.paris.fr/images /71122 66. https://www.lesechos.fr/2017/03 /bilan-energetique-du-grandlyon-33-terawattheures-pour3-milliards-deuros-168574

la surface nécessaire pour fournir l’énergie requise. En d’autres termes, pour subvenir aux besoins de Paris avec des panneaux solaires, il faut couvrir une surface entre 4,5 et 45 fois plus grande que celle de la ville elle-même ! Pour l’agglomération lyonnaise, une surface sept fois plus grande que celle de la région doit être recouverte d’éoliennes pour fournir suffisamment d’énergie ! Un autre point important à considérer est que les énergies renouvelables sont dépendantes de la géographie, de l’ensoleillement, des vents dominants. Si on considère le taux de retour énergétique67 du solaire photovoltaïque, il dépend fortement de l’irradiance 68 locale (Figure 27). Le photovoltaïque n’est donc pas pertinent à toutes les latitudes, ce qui est différent par exemple des énergies fossiles, qui produisent partout de la même façon – l’énergie produite dépend de la qualité du combustible, mais ce dernier peut être exporté ou importé.

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

technologies avec les densités de consommations de différents pays. En fait, on voit que pour certains pays, il faudrait occuper quasiment toute la surface avec des éoliennes par exemple pour produire l’énergie nécessaire. C’est un exemple extrême et aucun pays ne compte sur une seule technologie, mais cela fixe la problématique. L’aspect densité de puissance est d’autant plus important que la population mondiale a tendance à se concentrer dans des villes, villes dont la densité de puissance dépend au premier ordre de la densité de population. La Figure 26B montre pour les États-Unis la relation entre la densité de puissance et la densité de population avec une corrélation quasiment parfaite entre les deux. Depuis 2008, plus de 50 % de la population mondiale vit dans des zones urbaines64 ; cette fraction est en hausse constante (54 % en 2017).

Les faibles densités de puissance vont avoir des implications sur les quantités de matériaux nécessaires pour construire l’infrastructure, et les unités de production. La Figure 28 illustre les quantités de béton et d’acier nécessaires pour différents types 67. Le taux de retour énergétique correspond au rapport entre l’énergie produite et l’énergie consommée pour la produire. 68. L’irradiance désigne la quantité d’énergie solaire atteignant chaque seconde une surface de 1 m² à l’extérieur de l’atmosphère terrestre.

79

13 Chypre : 12,5

ERO1st 12

ERO1final ERO1ext

Taux de retour énergétique des panneaux solaires photovoltaïques

Chimie et énergies nouvelles

A

Australie : 11,4

11 Inde : 10,2

10

Chine : 9,1

9

Espagne : 8,7 États-Unis : 8,0

8

Monde : 7,7

Italie : 7,5 Japon : 7,5

7 France : 6,5

6 Chypre : 5,7 Australie : 5,2

Allemagne : 5,1

5

Inde : 4,7

Royaume-Uni : 4,4

4

Chine : 4,1

États-Unis : 3,6 Monde : 3,5

3

France : 2,9

Finlande : 2,8 Royaume-Uni : 4,4

2

Inde : 2,3

Allemagne : 5,1

Allemagne : 1,2

1

Finlande : 0,6

Chypre : 2,8 Australie : 2,5

Italie : 3,5

Chine : 2,1 Espagne : 2,0 Monde : 1,8 Japon : 1,7

États-Unis : 1,8 France : 1,5

Finlande : 1,3

Espagne : 3,9 Italie : 3,5 Japon : 3,4

Royaume-Uni : 1,0

0 75

125

175

225

275

Irradiance moyenne (W/m2)

B Technologies

Taux de Taux de Retour Retour Énergétique, Énergétique, gamme dans cette étude la littérature

Large hydro

28.4

Wind onshore

13.2

Wind offshore

87

SolarPV

7.8

CSP

26

10-105 11.2-267 5.9-49.6 (24.7) 12.5-66.7 4.7-125.8 8.9 8.1-34.5 (126) 5.4-66.7 14.8-51.3 12 6.9-19.1 (13.5) 8.7-34.2 7.2 2.7-7.5 (4.8) 5.2-6.7 5.4-17.9 (9.8) 9.6-67.6

Source des valeurs de référence : méta-analyses et études individuelles Dale |108];n = 16 Schoenberg and Hall (109); n = 7 Kis et al. |74| (min-max)(base) Carbajales-Dale (34] (n = 42; power rating > 500 kW) Kubiszewski et al. [20]; n > 40 Dupont et al. [94] Kis et al. (74) (min-max)(base) Carbajales-Dale [34]; n = 37 Kubiszewski et al., (20]; n > 4 Dupont et al. [94] Kis et al. [74] (min-max)(base) Bhandari et al., [14]; n = 23 Dupont et al. [94] (présent) Kis et al. [74] (min-max)(base) Dupont et al. [94] (présent) Kis et al. [74] (min-max)(base) de Castro and Capellân-Pérez [25] n = 13

Figure 27

80

Taux de retour énergétique des panneaux solaires photovoltaïques en fonction de l’irradiance moyenne. Source : C. De Castro, I. Capellan Perez, Energies (2020).

Vidal et al. (2013, 2016) Ecoinvest 3.1 Hertwich et al. (2014)

CSP

Ferme photovoltaïque

Ferme photovoltaïque contrôlée en fonction de la saisonnalité

Éolien marin

Photovoltaïque sur toits

Éolien terrestre

Gaz

Charbon

Éolien marin en France

Nucléaire

B

900 800 700 600 500 400 300 200 100 0

Hydraulique

Acier (t/MW)

Ferme photovoltaïque

Ferme photovoltaïque contrôlée en fonction de la saisonnalité CSP

Éolien marin

Photovoltaïque sur toits

Éolien terrestre

Gaz

Charbon

Nucléaire

Hydraulique

Béton (t/MW)

A

Vidal et al. (2013, 2016) Ecoinvest 3.1 Hertwich et al. (2014)

Figure 28 Consommation de béton (A) et d’acier (B) pour les différentes sources d’énergie, tonnes de matériaux consommés par MW d’énergie produite. Source : Goffé B., 2017

de production d’électricité69. Ainsi une centrale à charbon nécessite environ 50 tonnes d’acier par MW produit, quand l’éolien onshore en requiert 150 t/MW et l’éolien offshore deux fois plus (300 t/MW). Le nucléaire, de par sa forte densité de puissance, est beaucoup plus proche des énergies fossiles en termes de matériaux nécessaires.

satisfaire à la forte croissance de la demande qu’imposera la décarbonation de l’infrastructure énergétique. L’électrification des usages (la mobilité par exemple) va également nécessiter des quantités importantes de différents métaux71. À terme, les capacités de recyclage vont devoir se développer pour diminuer les besoins d’extraction.

Cela ne veut donc pas dire qu’il ne faut pas utiliser d’énergies renouvelables, mais il faut garder à l’esprit que la disponibilité des matériaux va être un enjeu important. Dans un rapport récent70, l’Agence internationale de l’énergie met en évidence le besoin critique d’investissement dans les capacités d’extraction de minerais pour pouvoir

La question des ressources minérales et métalliques est également une question énergétique. La concentration des minerais, que ce soit en cuivre, en fer ou autre, a tendance à diminuer – les gisements les plus riches ont été exploités en premier. La quantité d’énergie nécessaire pour produire une quantité de métal donnée augmente avec la diminution de la concentration du minerai. La Figure 29A illustre cette situation avec la

69. https://www.decitre.fr/livres/ matieres-premieres-et-energie9781784054038.html 70. https://www.iea.org/reports/the -role-of-critical-minerals-in-clean -energy-transitions

71. https://www.sciencedirect.com/ science/article/pii/S095965262101 9168

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

Béton

7 000

4 000 3 500 3 000 2 500 2 000 1 500 1 000 500 0

81

Chimie et énergies nouvelles

production de cuivre au Chili sur la période 1998-2017. Les barres bleues représentent la quantité de cuivre produite, qui est relativement constante, les barres rouges la consommation énergétique associée à cette production. Cette dernière augmente

Consommation

Production

Variation en % par rapport à l’année 2001

100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 –10

2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

A 400

350

Consummation finale d’énergie

300

Fer et acier

250

200

Minéraux non métalliques

150

Métaux non ferreux Mines et carrières

100

Activités minières en aval

Activités minières en amont

B

1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011

50

Figure 29

82

Consommation et production de cuivre entre 2002 et 2017(A), d’autres minerais entre 1973 et 2011 (B). Sources : Hagens N., Ecological Economics, 2020 ; Fizaine F., Court V., Ecological Economics, 110 (2015).

fortement. La même tendance est observée pour différents métaux (Figure 29B). 4.3. L’effet rebond : limite à l’efficacité énergétique Il existe également des facteurs non techniques qui doivent être pris en compte dans les discussions sur l’énergie car ils peuvent annuler certains des efforts déployés pour diminuer la consommation énergétique. Ainsi, il a été prouvé de longue date que l’amélioration de l’efficacité énergétique des procédés n’amène pas la baisse de consommation attendue en théorie. Ainsi, acheter une voiture consommant 20 % moins de carburant ne diminuera pas vos dépenses en carburant de 20 %. Pourquoi ? Car le coût du transport diminuant, la tentation de voyager plus sera plus grande. Ce concept a été mentionné pour la première fois par William Jevons et porte le nom de paradoxe de Jevons (ou effet rebond, (Figure 30). Jevons, un économiste, s’est posé la question de savoir si le fait que l’efficacité des machines à vapeur augmentait allait diminuer les quantités de charbon utilisées. Mais en fait, non, c’est exactement le contraire. Plus les machines ont été efficaces, plus elles se sont déployées, plus la consommation de charbon a augmenté. L’augmentation de l’efficacité énergétique pousse paradoxalement à une augmentation de la quantité d’énergie totale utilisée. Il existe énormément d’exemples de cet effet. L’automobile est un exemple très parlant. L’efficacité du moteur diesel a augmenté de

William Stanley Jevons : « It is wholly a confusion of ideas to suppose that the economical use of fuel is equivalent to a diminished consumption. The very contrary is the truth ». William Stanley Jevons, The Coal Question ; An Inquiry Concerning the Progress of the Nation, and the Probable Exhaustion of Our Coal Mines, 1865 (« C’est une confusion totale que de supposer que l’utilisation économique de carburants est équivalente à une diminution de la consommation. C’est tout le contraire en vérité »).

High-end market 2 and 3-stage trendline (90-100 kW/L)

B Tendance de la performance des moteurs diesel Specific power output (kW/L)

100

3-stage application: P = 94 kW/L (BMW 3.0L TriTurbo)

Three-Stage charging

P = 78 kW/L (BMW 2.0L BiTurbo)

80

A 60

1500 1200

IDI Diesel TC Waste gate

40 900 600 300 0

758

1961

885

909

977

1971

1981

1991

1166

2001

20

2-stage application: P = 88 kW/L (VW 2.0L BiTurbo)

Two-Stage charging

Core FGT & VGT market trendline (55-60 kW/L) 1-stage application: P = 71 kW/L (Mercedes 2.0L Turbo)

First 2-stage application: P = 66 kW/L

First turbo diesel IDI = 1988 P = 35 kW/L First turbo diesel IDI = 1978 First DI Common Rail VGT 4-valve = 1997 P = 27 kW/L P = 41 kW/L

0 1970

Premium market 1-stage VGT trendline (70-75 kW/L)

P = 67 kW/L (BMW 2.0L Turbo)

IDI Diesel NA

1266

2011

DI Diesel TC-VGT Intercooler

DI Diesel TC-VGT Intercooler 4-Valve

2-stage with electrical boost: P = 100 kW/L (est) (VW 2.0L BiTurbo with EPC)

1980

1990

2000

Highest specific power engines in series production as of Apr-2016

2010

2015

Model year

Figure 31 Évolution de la performance des moteurs diesel entre 1970 et 2019 (A) et du poids moyen des voitures entre 1961 et 2011 (B).

façon impressionnante depuis les années 1970. La Figure 31B montre l’évolution de la puissance spécifique (la puissance produite pour un litre de carburant), qui a augmenté d’un facteur 3 ou 4 depuis 1970. Les moteurs deviennent de plus en plus efficaces parce qu’on optimise le cycle de combustion ou l’injection. Mais en parallèle, le poids des voitures augmente. L’amélioration de l’efficacité des moteurs est gommée par l’évolution du poids et du niveau de confort des voitures. L’aviation est un autre exemple marquant. Entre 1960 et 2015, la consommation par passager-

kilomètre a été divisée par 11, mais en parallèle le nombre de passager-kilomètres effectués a été multiplié par… 65 ! Un autre aspect de la transition énergétique consiste en la décarbonation des secteurs industriels sur lesquels repose notre infrastructure et qui sont difficiles à décarboner. Ainsi, en 2020, la production mondiale d’acier a été de quasiment 1,9 milliard de tonnes (Figure 32A). 56 % de la production étant située en Chine. Si la production a baissé de 0,6 % par rapport à 2019, cette baisse est largement conjoncturelle et causée par la crise de la Covid-19

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

Figure 30

83

Chimie et énergies nouvelles

A Production d’acier brut (en million de tonnes) 1 800

2,1 %

Taux moyens de croissance (%/an)

1 600

1 400

1 200

1 000

Années

World

1950-55 1955-60 1960-65 1965-70 1970-75 1975-80 1980-85 1985-90 1990-95 1995-00 2000-05 2005-10 2010-15 2015-19

7,4 5,1 5,6 5,5 1,6 2,2 0,1 1,4 –0,5 2,5 6,2 4,5 2,5 3,6

5,8 %

8,5 %

7,3 % 5,4 % 5,3 % 6,4 %

6%

53,3 %

800

Chine Inde

600

Japon

Autres pays d’Asie

400

Autres Union européenne (28) Autres pays européens

200

Communauté des États indépendants 0 1950

1960

1970

1980

1990

2000

2010

Accord de Libre-échange Nord-Américain (États-Unis, Canada, Mexique)

B

Figure 32 Évolution de la production d’acier brut entre 1950 et 2010 (A) et répartition de la production d’acier brut dans le monde (B). 50 % des émissions de CO2 de l’industrie sont émises pour la production de l’acier, du ciment et de l’aluminium. Source : Allwood et coll., 2018.

– la production a d’ailleurs augmenté en Chine. La production mondiale a été multipliée par trente entre 1900 et 2000, dépassant le milliard de tonnes en 2004 pour quasiment doubler entre 2004 et 201972. La production d’acier est responsable d’environ 7 % des émissions mondiales du domaine de l’énergie73. Il compte pour environ 9 % du total des émissions mondiales entre 1900 et 201574. Si de forts progrès

84

72. https://usbeketrica.com/fr/ article/l-age-du-fer-n-est-paspres-de-s-arreter 73. https://www.iea.org/reports/iron -and-steel-technology-roadmap 74. https://www.nature.com/articles/ s41467–021–22245–6

ont été réalisés – les émissions de CO2 par tonne d’acier ont diminué d’un facteur 2,8 entre 1970 et 2019 –, décarboner la production est un défi majeur dans la lutte contre le changement climatique. En 2019, l’acier représentait 8 % de la consommation mondiale d’énergie primaire, devançant le plastique, le ciment et le papier dans les matériaux les plus énergivores. Si des méthodes de production bas carbone existent, le volume produit annuellement est tel que le remplacement des hauts fourneaux actuels prendra du temps. On pourrait avoir le même raisonnement sur la production de ciment, qui est

problème d’image et de communication sur ce qu’est vraiment cette énergie et ce qu’elle représente. Ces sondages rendraient tout gouvernement plutôt prudent vis-à-vis du développement d’un programme nucléaire…

4.4. Réticences de la population et désinformation Le dernier point à considérer est celui de l’acceptabilité des technologies et des moyens pour décarboner notre système énergétique. Une technologie peut être idéale sur papier, si elle rencontre une trop forte opposition, elle ne permettra pas de répondre aux défis climatiques. L’exemple le plus représentatif est certainement l’énergie nucléaire. La Figure 33 montre un sondage réalisé annuellement sur la période 2014-2017 demandant aux sondés si selon eux le nucléaire contribue à l’effet de serre. Environ 70 % considèrent qu’il contribue « un peu » ou « beaucoup », alors que le nucléaire est la source d’énergie émettant le moins de CO275. Et cette proportion semble augmenter avec le temps. Il y a clairement un

Les raisons pour cette opposition sont assez complexes. Par exemple, en France, on sait que la discussion sur le nucléaire très difficile. Le nucléaire est un sujet complexe, la radioactivité est un sujet abordé très tard dans la scolarité. Les unités utilisées sont difficiles à appréhender. C’est donc quelque chose qu’il est nécessaire de prendre en compte : c’est une technologie qui a peut-être beaucoup d’atouts mais qui se heurte au moins dans les pays occidentaux (ce n’est pas forcément vrai partout) à une très faible acceptabilité sociale. Mais il n’y a pas que le nucléaire. Il y a aussi par exemple l’éolien. Les données de l’Allemagne montrent qu’en 2017, 2018, 2019, il y a eu une forte chute de la puissance éolienne ajoutée sur le réseau (Figure 34). Chute principalement causée par une

75. https://www.bilans-ges.ademe. fr/documentation/UPLOAD_DOC_ FR/index.htm?conventionnel.htm

B

Position face à l’énergie nucléaire

Pour chacun des éléments suivants, indiquez si, selon vous, il contribue à l’effet de serre (au rechauffement de l’atmosphère) : – les centrales nucléaires ?

Clairement contre 25 %

Plutôt contre 38 %

Ne sait pas 9%

Beaucoup Un peu Pas du tout Je ne sais pas

Plutôt pour 23 %

A

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

très émettrice de CO2 et qui est également un matériau fondamental pour nos sociétés.

Clairement pour 5%

2014

21

39

2015

20

2016

18

34

43

2017

16

34

44

34

35 40

Figure 33 Position des populations française entre 2014 et 2017 (B) et suisse en 2011 (A) vis-à-vis du nucléaire.

85

Chimie et énergies nouvelles

opposition grandissante aux projets d’installations d’éoliennes. On trouve de plus en plus d’articles de presse relatant des mouvements citoyens d’opposition à l’implantation de fermes éoliennes ou solaires. Ces oppositions rendent les projets plus longs à réaliser (quand ils ne sont pas annulés), ce qui n’aide pas une transition déjà compliquée. Il faut aussi prendre en compte le fait que la transition énergétique a un coût, porté en partie par l’usager. L’Allemagne est

Figure 34 Résistance de la population allemande au développement de l’éolien sur son territoire ; titres d’article de journaux et graphe de la capacité énergétique délivrée par les éoliennes en Allemagne entre 2016 et 2030.

Figure 35 86

Articles liés à la transition énergétique.

par exemple le pays d’Europe où l’électricité est la plus chère76, ce qui constitue un autre mécanisme d’opposition. La Californie connaît le même problème. Un autre sujet, un peu à l’opposé des arguments précédemment exposés, concerne le discours « solutioniste », qu’on peut voir se développer. La Figure 35 montre un florilège de titre de presse présentant des technologies comme des solutions au changement climatique. Ce discours donne l’impression que toutes les technologies nécessaires existent ou pourront être développées, ce qui peut amenuiser la complexité de la situation. Si les technologies seront utiles, elles ne constituent qu’un des multiples leviers qui devront être actionnés. De plus, comme mentionné précédemment, sans contrôle, le déploiement de nouvelles technologies peut donner lieu à des effets rebonds, qui annuleraient les effets escomptés. Un autre problème est que souvent on voit des articles exagérant la portée d’une découverte ou d’une nouvelle technologie en la présentant comme à même de résoudre par elles-mêmes tous les problèmes. Des annonces de nouvelles batteries révolutionnaires, d’avancée décisives dans la fusion nucléaire ou dans l’hydrogène, apparaissent chaque semaine ou presque. Pourtant, souvent ces annonces retombent dans l’indifférence quelques années plus tard. 76. https://ec.europa.eu/eurostat/ statistics-explained/index.php? title=Electricity_price_statistics

Pour conclure, une citation de Bill Gates, résumant assez bien ce qui nous attend dans les trente ans à venir (Figure 36), et qui, comme nous l’avons vu, n’a pas encore vraiment commencé. « Mais ce que nous nous demandons de faire ici est un changement d’énergie – et cela inclut tous les transports, toute l’électricité, tous les usages ménagers et tous les usages industriels. Et ce sont tous des domaines énormes ». Changer radicalement l’infrastructure énergétique pour limiter le changement climatique implique de tourner le dos aux combustibles (fossiles) qui nous ont permis de développer la société industrielle telle que nous la connaissons. Notre dépendance à ces combustibles fossiles n’a fait qu’augmenter au cours du temps, et ce qui est nécessaire de réaliser n’a pas de précédent dans l’histoire.

Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies

Conclusion

Figure 36 Bill Gates à propos de la transition énergétique : « Mais ce que nous nous demandons de faire ici est un changement d’énergie – et cela inclut tous les transports, toute l’électricité, tous les usages ménagers et tous les usages industriels. Et ce sont tous des domaines d’usage énormes ».

87

nucléaire

futur transition énergétique dans le

et la /

complémentarité Christophe Behar est entré en 1984 au CEA1 pour travailler dans le nucléaire civil puis dans le nucléaire militaire. En parallèle, il était chargé d’enseignement à l’École centrale de Paris ainsi qu’à l’École nationale supérieure des techniques avancées, et ses enseignements ont porté principalement sur le cycle du combustible. En 2009, il a été nommé directeur de l’Énergie Nucléaire au CEA, fonction qu’il a occupée jusqu’en 2016. Il a ensuite rejoint le groupe industriel Fayat2 comme directeur de l’énergie. Christophe Behar est aussi président de la supply chain3 nucléaire française au sein du GIFEN4 (Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire).

Ce chapitre est consacré au lien entre le nucléaire et la transition énergétique, et à sa complémentarité avec les énergies renouvelables. Plus précisément, il sera question de l’avenir du nucléaire, des études en cours ou envisagées pour l’adapter au 1. Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives : www.cea.fr/ 2. https://fayat.com/fr/ 3. Supply chain : chaîne d’approvisionnement. 4. Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire.

développement des renouvelables, et enfin, des réacteurs nucléaires du futur, avec un accent sur le rôle, majeur, de la chimie. Il ne s’agira pas seulement ici de montrer pourquoi le nucléaire est utile, mais aussi pourquoi nous aurons du nucléaire demain, aprèsdemain et encore aprèsdemain. Le présent chapitre concerne exclusivement le nucléaire « de fission », comme celui des réacteurs actuellement en service. Le chapitre de B. Bigot de cet ouvrage considèrera

Christophe Behar

Le

Chimie et énergies nouvelles

le nucléaire « de fusion » qui fait l’objet du programme de recherche ITER.

1.1. La population mondiale va croître et chacun souhaite avoir accès à un meilleur niveau de vie

1

L’accès à l’énergie est directement lié au développement social et économique des populations. À l’inverse, l’absence d’énergie, d’électricité, interdit ou handicape la fourniture d’eau potable, l’accès aux soins, à l’instruction, la capacité de manger tous les jours à sa faim, etc. La Figure 1 montre en effet la dépendance de l’espérance de vie des habitants en fonction de la consommation d’énergie primaire en tonnes d’équivalent pétrole (TEP) par an et par habitant. On observe qu’au-delà d’un certain seuil, l’espérance de vie est pratiquement constante, mais qu’au-dessous, elle chute brutalement.

Le nucléaire est un candidat légitime pour être une énergie majeure dans les futures décennies Cette assertion est souvent combattue dans l’opinion publique. Pourtant, il est constaté que la production d’électricité nucléaire, comparée aux autres sources d’énergie, y compris le solaire, est, sur tout le cycle de vie du moyen de production – de la construction à l’arrêt –, très peu émettrice de CO2 par kilowatt heure (KWh) produit ; il se situe parmi les meilleures des sources d’énergie selon ce critère. Autre précision : l’uranium n’est pas une « ressource rare », comme on l’entend parfois. De plus, certaines technologies de réacteurs en limitent considérablement les consommations.

90

Espérance de vie (années)

80

Suisse

Grèce

Japon

Canada USA

Chine

70

Roumanie

Russie

Inde

60

La demande totale en énergie est tirée par la croissance de la population d’une part, et le souhait de vivre mieux d’autre part.

Afrique du Sud 50

40 Zambie 30

0

1,5

3

4,5

6

Énergie primaire (tep/an/habitant)

Figure 1 92

Un facteur clé en matière de transition énergétique, et plus précisément de besoins mondiaux en énergie, est l’évolution de la population mondiale. La Figure 2 montre deux scénarios de croissance de la population : la courbe rouge et la courbe verte. Ils correspondent à des projections pour 2050, respectivement de 11 ou de 8 milliards d’habitants. Quoi qu’il en soit, ils impliquent de forts accroissements des besoins énergétiques, tels qu’illustrés sur la Figure 3.

La consommation d’énergie influence l’espérance de vie.

7,5

9

Si on considère la prévision d’évolution du mix énergétique5 (Figure 4) sur les trente ans qui 5. Mix énergétique : répartition de l’énergie produite selon la source de production.

11

Milliards

10 9 8 7 6 2000

2010

2020

Hypothèse basse

2030 Hypothèse moyenne

2040

2050

Hypothèse haute

Figure 2 Prévision de l’évolution de la population mondiale d’après les Nations Unies.

70 000

TWh par an

60 000 50 000 40 000

Le nucléaire dans le futur et la transition énergétique/complémentarité

12

30 000 20 000 10 000 0 2004

2030

2050

Figure 3 Projection de la demande en énergie primaire.

250

Historique

2012

Projections

30 % Pétrole et autres hydrocarbures liquides 26 %

milliards de MBtu

200

33 %

22 %

Gaz naturel Charbon

28 %

150

16 %

23 %

Renouvelables

100

12 % 50

0 1990

6%

4%

2000

2010

2020

2030

Nucléaire

2040

Figure 4 Prévision faite sur la répartition d’énergie dans le monde selon la source de production d’ici 2040. Source : EIA.

93

Chimie et énergies nouvelles

viennent, on se rend compte que toutes les sources de production d’énergie électrique vont davantage être sollicitées, mais en premier lieu les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon). Malheureusement, cela va conduire à émettre plus de CO2. Les énergies renouvelables vont croître de façon sensible, mais le nucléaire ne devrait connaître qu’une croissance extrêmement lente et limitée aux pays les plus développés pour des raisons évidentes. 1.2. Le nucléaire est un bon outil pour combattre le changement climatique car peu émetteur de CO2 La Figure 5 compare les émissions de gaz à effet de serre par les différentes sources d’énergie. Elle est un peu ancienne, mais au-delà des valeurs numériques, permet des comparaisons toujours valables. Bien entendu, les chiffres considèrent l’ensemble du cycle de vie des sources d’énergie. Ainsi, on prend en compte le fait que,

pour construire un barrage on a besoin de fabriquer du ciment, que ce ciment doit être mélangé à du sable pour faire du béton, que ce béton doit être transféré au point d’utilisation où l’on construit le barrage ou le réacteur, que l’on va faire fonctionner ce barrage ou ce réacteur, puis qu’en fin de vie il faudra arrêter le fonctionnement de l’installation et la démanteler. Sur l’ensemble du cycle de vie caractérisant la production d’énergie, on voit que l’hydraulique est le meilleur, mais son développement dépend des cours d’eau à disposition dans le pays. On voit aussi que le nucléaire est très bien placé. Quant aux énergies renouvelables, la situation présente des ambiguïtés : ainsi, pour prendre l’exemple du photovoltaïque, il faut tenir compte du fait que l’essentiel des panneaux photovoltaïques est fabriqué en Chine et utilise du charbon dans le procédés industriels de fabrication. Mais cette situation devrait évoluer dans l’avenir.

Hydraulique Nucléaire Éolien (terrestre) Éolien (en mer) Cogénération

Photovoltaïque solaire Bois Gaz Diesel

Gaz naturel (cycle combiné) Gaz naturel Pétrole Houille Lignite 0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

1,2

kg eq CO2/kWh

Figure 5 94

Émissions de gaz à effet de serre de certaines filières énergétiques.

1,4

À ce stade, une observation qui tient non pas directement à la production mais à l’utilisation de l’énergie doit être faite : on envisage de substituer de plus en plus fortement l’énergie électrique à l’utilisation du pétrole (Figure 6). C’est particulièrement clair en matière de transport : on est poussé à acheter des véhicules électriques ou hybrides au lieu de véhicules essence ou diesel. Tout cela fait que la consommation d’énergie d’origine électrique va aller très clairement en croissant et qu’il va falloir pouvoir suivre et produire cette énergie électrique. Certes, les économies d’énergie sont quelque chose d’important mais liées au fait qu’on a de plus en plus besoin d’électricité en particulier pour les transports,

grand pourvoyeur de CO2, et nos besoins resteront probablement importants. 1.3. Les ressources en uranium peuvent devenir « illimitées », selon la technologie de réacteur retenue dans le futur et nous avons déjà ces ressources sur notre territoire Un troisième point pour préciser la place du nucléaire dans la transition énergétique est celui des ressources en uranium. Certes, a priori, et à l’instar des ressources fossiles, elles vont aller en s’amenuisant (Figure 7). L’uranium, cependant, a un caractère très particulier intrinsèque à sa radioactivité. En effet, les techniques des réacteurs, non plus à « eau légère » comme les réacteurs actuels, mais des « réacteurs rapides », permettent de prolonger considérablement la durée de vie effective du combustible, qui pourrait atteindre quelques milliers d’années, comme on le verra plus loin.

Le nucléaire dans le futur et la transition énergétique/complémentarité

En résumé, la stricte contrainte environnementale liée à la quantité de CO2 créé par KWh produite place clairement le nucléaire dans les meilleurs systèmes producteurs d’électricité.

Mtep 180 160 140

Autres Chaleur Électricité Charbon Gaz Pétrole

120 100 80 60 40

Substitutions

20 0 1990

2005

2010

2020

2030

Figure 6 Analyse de l’évolution de la consommation d’énergie au profit de l’électrique.

95

Chimie et énergies nouvelles

900

Au rythme actuel de production et de consommation

800 700 600

> 3 000

500 400 300 200

120

100

63

46

gaz

pétrole

0 charbon

Uranium avec réacteurs à neutrons rapides

Figure 7 Durée de vie des ressources énergétiques en années. Source : BP Statistical Review of World Energy, 2010. Livre rouge.

2

Adaptation des réacteurs nucléaires aux renouvelables Les futurs contextes de production d’électricité, qui feront intervenir la production par « énergies renouvelables » et par réacteurs nucléaires, font apparaître de nouvelles contraintes sur ces derniers. Le premier point est lié à la fluctuation temporelle de la puissance électrique délivrée par les renouvelables : les réacteurs nucléaires doivent ainsi être capables de faire varier rapidement la puissance électrique qu’ils délivrent – par exemple de 80 % à la hausse ou à la baisse en une trentaine de minutes, performance à vrai dire déjà à la portée des réacteurs nucléaires du parc d’EDF d’aujourd’hui.

96

Un deuxième objectif est de rendre les réacteurs adaptés à la production de l’hydrogène, dont l’utilisation comme source d’énergie dans les transports de demain se profile comme majeure. La

production d’hydrogène se fera par dissociation de la molécule d’eau en apportant de l’énergie soit sous forme d’électricité soit directement de chaleur, deux procédés qui solliciteront les réacteurs nucléaires. Pour coupler renouvelables et nucléaire avec ces objectifs principaux, il est nécessaire de poursuivre des développements de combustibles adaptés à des cyclages thermiques. Ces variations rapides et intenses de puissance cyclent thermiquement les crayons de combustible et peuvent induire des comportements thermomécaniques non désirés. Il faut aussi examiner l’impact de ce cyclage sur l’ensemble du réacteur, la cuve, mais aussi les générateurs de vapeur.

3

Quel réacteur au-delà de l’EPR ?

En présentant les « réacteurs du futur », il y a lieu de présenter « les différentes générations » du concept, résumées

3.1. Les différentes générations de réacteurs Comment progresse-t-on d’une génération de réacteurs à une autre ? C’est en intégrant le retour d’expérience de la génération précédente. C’est

1950

1970

1990

Le nucléaire dans le futur et la transition énergétique/complémentarité

sur la Figure 8, correspondant au cas français. Depuis 1950, nous sommes passés de la génération 1 des premiers réacteurs refroidis au gaz à la génération 2, puis à la génération 3 actuelle qui est un réacteur à eau pressurisée (REP) et à la préparation de la génération 4. Au-delà de la période actuelle, le diagramme fait figurer des points d’interrogation qui correspondent au déploiement de nouveaux réacteurs à neutrons rapides (RNR) probablement à la fin de ce siècle, ce que prévoit d’ailleurs le contrat de la filière nucléaire passé avec l’État.

ainsi que les réacteurs dits de 3e génération intègrent des problématiques accidentelles comme Tchernobyl, Three Miles Island, Fukushima, comme les attentats du 11 septembre aux États-Unis... On améliore ainsi à chaque fois la sûreté de ces réacteurs, une demande permanente chez les utilisateurs finaux. La génération 1 était celle des réacteurs dits « uranium naturel-graphite-gaz », qui ne nécessitent aucun enrichissement d’uranium6, une opération dont la maîtrise industrielle n’était pas assurée à l’époque. Sa maîtrise a permis le passage à la génération 2, dont trois types sont mentionnés sur la Figure 8 : les REP 900, les 1300, ainsi que les N4. 6. Enrichissement d’uranium : procédé ayant pour but d’augmenter la proportion d’uranium 235 dans un uranium naturel.

2010

?

?

?

?

Génération I UNGG CHOOZ

Génération II REP 900 REP 1300 N4

Génération III EPR

Génération IV Construction et exploration de quelques RNR

Figure 8 Les générations de réacteurs depuis 1950.

97

Chimie et énergies nouvelles

La génération 3 est celle des EPR actuellement encore en construction en France (site de Flamanville) mais déjà opérationnels en Chine sur Taishan 1 et 2 et en construction au Royaume-Uni et en Finlande. 3.2. Quels avantages à développer la génération 4 ? Il y a potentiellement trois raisons pour développer des réacteurs à neutrons rapides. Une première raison est d’assurer plus complètement le recyclage total des matières, un objectif que l’industrie électronucléaire réalise avec succès depuis longtemps, tout simplement pour des raisons d’économie de matière. Une deuxième raison tient à la problématique de la préservation de la ressource en uranium, et une troisième est l’aide que ce type de réacteur peut apporter à la gestion des déchets nucléaires à vie longue, participant ainsi à « l’appropriation du nucléaire » par la population.

HAVL MAVL vitrifiés compactés

Pour comprendre le recyclage des matières nucléaires7, il faut comprendre le schéma de la Figure 9. Le fonctionnement d’un réacteur, est associé à un « cycle du combustible ». En France on utilise un « cycle fermé » parce qu’on retraite les combustibles usés pour en extraire la matière nucléaire encore valorisable, toujours dans l’esprit de recyclage et de préservation de la ressource. La première tâche du cycle est d’extraire l’uranium naturel des mines ; la France, au travers d’Orano, exploite des mines d’uranium dans différents pays. On doit ensuite concentrer cet uranium et le convertir dans un produit appelé « yellow cake » ; enfin, 7. Voir dans L’Actualité Chimique n° 345-346 les dossiers « Le cycle du combustible nucléaire », par Paul Rigny, et « Les déchets nucléaires et leur gestion », par Paul Rigny, Bernard Bonin et JeanMarie Gras.

Uranium naturel

Mines

Stockage

3.2.1. Premier avantage : le recyclage des matières

Concentration Conversion Enrichissement

Uranium de retraitement

Uranium appauvri Plutonium Fabrication combustibles UOx

Entreposage Déchets ultimes AMPF

Fabrication combustibles MOx

FMA-VC

Combustible usé

Usine de traitement

Entreposage

REL

MOX usé

Figure 9 98

Cycle du combustible pour un réacteur à eau légère.

Des précisions sur cette opération d’enrichissement : l’uranium naturel contient très peu d’isotopes8 d’uranium 235 fissile aisément dans un réacteur de génération actuelle (0,72 %). Tout le reste est principalement de l’uranium 238. Le fonctionnement des réacteurs repose sur la réaction de fission de l’isotope 235. On doit donc enrichir l’uranium naturel en cet isotope 235 jusqu’à une teneur de 3,5 à 4,5 %. Cette opération crée en même temps un flux d’uranium appauvri (Figure 10). Aujourd’hui en France, on a un stock d’uranium appauvri extrêmement important lié aux opérations de l’usine d’enrichissement de Pierrelatte dans la vallée du Rhône. Pour les réacteurs à neutrons rapides, ce stock d’uranium appauvri constitue naturellement, à terme, une « mine d’uranium » utilisable pour fabriquer du combustible pour ce type de réacteur. Une fois qu’on a enrichi notre uranium pour les réacteurs à eau légère de type UOx, on rentre ce combustible dans le cœur de réacteur et on le brûle pour produire de l’électricité. En France, on a pris la décision voilà plusieurs dizaines d’années de recycler ce combustible usé parce qu’il contient beaucoup de matières valorisables, en particulier de l’uranium dit « uranium de retraitement » et du plutonium. Ce combustible usé est retraité 8. Isotopes : atomes ayant le même numéro atomique mais une des masses atomiques différentes (nombre de nucléons différents).

Le nucléaire dans le futur et la transition énergétique/complémentarité

on enrichit isotopiquement l’uranium.

dans l’usine de La Hague dans le Cotentin. Trois flux sortent de cette usine : – premier flux : l’uranium de retraitement (la flèche verte sur la figure) qui quitte l’usine de La Hague ; – deuxième flux : du plutonium, qui est bien entendu une matière énergétique valorisable ; – troisième flux : ce sont les déchets dits ultimes, en particulier les déchets nucléaires dits de haute activité à vie longue (HAVL). Ce sont d’ailleurs principalement sur ces déchets-là, et non sur la totalité des déchets nucléaires créés, que portent les débats. Les flux d’uranium de traitement et de plutonium sont réutilisés dans la fabrication d’un combustible que l’on appelle oxyde mixte (MOx), utilisable dans les réacteurs à eau légère français avec l’oxyde d’uranium (UOx). En sortie de réacteur, après quelques années de fonctionnement, on a du MOx dit « usé », qui est aujourd’hui entreposé en vue

Concentration Conversion

Stockage

HAVL MAVL vitrifiés compactés Entreposage Déchets ultimes (PF + AM)

Enrichissement Uranium appauvri/ Uranium de retraitement

Plutonium Uranium

Fabrication combustibles MOx-RNR

FMA-VC

Combustible usé

Usine de traitement Réacteur à neutrons rapides

Figure 10 Cycle du combustible pour un réacteur à neutrons rapides.

99

Chimie et énergies nouvelles

d’une future utilisation dans les réacteurs à eau légère (en cours d’étude) et en tout cas dans les réacteurs à neutrons rapides (voir ci-dessous). La diversité des matières rendues disponibles par le cycle du combustible est une source considérable de souplesse dans le choix des types de réacteurs. Si on change de type de réacteur, on change de cycle du combustible, on change de technologie. Si on quitte les réacteurs à eau légère pour des réacteurs à neutrons rapides, on simplifie le cycle du combustible et on n’a plus besoin de toutes les opérations amont du cycle hors celles qui servent à fabriquer le combustible. On peut utiliser l’uranium appauvri aujourd’hui entreposé près des usines d’enrichissement de la vallée du Rhône. Avec un mélange plutonium/uranium/ uranium de retraitement/uranium appauvri, on fabrique un nouveau type de combustible appelé MOx RNR. C’est un MOx avec des teneurs en plutonium plus importantes que celles

des réacteurs à eau légère, et on peut recycler ces matières un très grand nombre de fois. 3.2.2. Deuxième enjeu : la préservation de la ressource en uranium La Figure 11 montre une application numérique rapide pour comprendre qu’avec les réacteurs à neutrons rapides on préserve la ressource en uranium. Dans un réacteur à eau légère, on utilise 200 tonnes d’uranium naturel (contenant approximativement 2 tonnes d’U235 et 198 tonnes d’U238), que l’on transforme en 40 tonnes d’uranium enrichi à 5 % (contenant approximativement 2 tonnes d’U235 et 38 tonnes d’U238) pour produire un giga watt électrique. Dans un réacteur à neutrons rapides, il suffit d’un mélange de 8 tonnes d’uranium appauvri ou d’uranium de retraitement – sans aucun uranium naturel – et de l’ordre de 1 à 2 tonnes de plutonium pour fabriquer 9 tonnes de combustible MOx

Dans un REL, pour 1 GWe x an, il faut : 1 t 235U

Enrichissement

200 t Unat

20 t U 5 %

Réacteur REL

180 t Uapp

Dans un RNR, pour 1 GWe x an, il faut :

8 t Unat, Urt

9,5 t MOx

Réacteur RNR

1,5 t Pu Dans un réacteur à neutrons rapides, il n’y a plus de besoin en uranium naturel issu de la mine

Figure 11 100

Consommation de la ressource en uranium en chiffres.

3.2.3. Troisième point : appropriation du nucléaire par l’opinion publique Il s’agit en fait de la problématique des actinides 9 mineurs qui s’explique avec le schéma de la Figure 13 où l’on voit comment la radioactivité intrinsèque des déchets, c’est-à-dire « l’impact radioactif » sur la biosphère du déchet nucléaire, décroît avec le temps. La courbe horizontale (en rouge) est la radiotoxicité intrinsèque 10 d’une mine d’uranium telle qu’on la trouve dans la nature. Les trois autres courbes décrivent l’évolution de cette radiotoxicité potentielle en fonction du temps selon trois cas de figure : – en bleu foncé est représentée l’évolution de la radiotoxicité du combustible usé en l’absence de tout traitement. On voit une décroissance extrêmement lente pour rejoindre au bout de 250 000 ans la radiotoxicité de la mine d’uranium ; – la courbe médiane correspond à la situation actuelle où l’on retraite le combustible à La Hague et on en extrait le 9. Actinide : famille d’atomes de numéros 89 à 103. 10. Radiotoxicité intrinsèque : toxicité suite à des réactions nucléaires qui émettent des rayonnements.

Quantité d’uranium cumulé engagé (Mt)

U engagé (H)

50

40

Toutes ressources conventionnelles + phosphates

30

20

Toutes ressources conventionnelles

10

Ressources identifiées

0 2030

2050

2070

2100

Figure 12 Utilisation des ressources en Uranium avec REP seuls pour deux scénarios (haut et bas).

10000

Radiotoxicité intrinsèque du déchet ultime

On peut voir aussi sur la Figure 12 qu’en fonction des scénarios d’utilisation d’uranium dans des parcs nucléaires mondiaux, on peut atteindre l’absence d’alimentation en uranium naturel aux alentours de l’année 2100.

U engagé (B)

60

Le nucléaire dans le futur et la transition énergétique/complémentarité

RNR et produire un GWatt électrique.

1000

100

10

Uranium (mine)

COMBUSTIBLE USÉ

VERRES sans AM (PF seuls)

10 000 ans

1

VERRES PF + AM

300 ans

250 000 ans

0,1 10

100

1000

10000

100000

1000000

Temps après déchargement (années)

Figure 13 Diminuer la radiotoxicité à long terme et la charge thermique des déchets ultimes.

plutonium. La décroissance de la radiotoxicité du combustible fait rejoindre celle de la mine d’uranium au bout de 10 000 ans ; – la radiotoxicité de ce combustible est essentiellement portée sur les temps longs par ce qu’on appelle les actinides mineurs américium, neptunium, curium. Si l’on extrait ces trois composants (par exemple par complexation par

101

Chimie et énergies nouvelles

des molécules extractantes), la radiotoxicité intrinsèque de ces déchets chute beaucoup plus vite. En 300 ans on peut rejoindre la radiotoxicité de la mine (courbe verte). Cette dernière situation serait plus facilement acceptée du grand public. Cela étant, une fois que sont extraits ces

trois actinides mineurs, très radioactifs, se pose la question de savoir comment les gérer. La solution consisterait à utiliser les réacteurs à neutrons rapides qui, contrairement aux réacteurs à eau légère, sont aptes à brûler ces actinides. C’est le troisième intérêt des RNR.

La chimie pour l’avenir du nucléaire Nous mentionnions plus haut que la chimie était partout dans l’industrie nucléaire. Elle est clairement partout dans le cycle du combustible, très fortement sollicitée par les procédés existants, que ce soit en amont ou en aval du cycle, mais aussi dans les réacteurs par exemple pour le développement de matériaux. Elle l’est aussi dans les laboratoires, ainsi que l’illustre l’allusion aux « molécules extractantes » pour la gestion des déchets. Pour être un peu provocateur, on pourrait dire que ce que fait le nucléaire c’est de la chimie verte, cette chimie théorisée dans la décennie 1990-2000 avec des objectifs de préservation de la matière première (ce que fait le nucléaire en particulier avec les opérations de retraitement), de privilégier des procédés peu consommateurs d’énergie, de limiter l’impact sur l’environnement et la santé des travailleurs. Tout est en place pour assurer la pérennité de l’industrie nucléaire qui, en France, représente 220 000 emplois et un taux d’embauche très important dans le domaine de la chimie, certes, que ce soit pour l’industrie ou pour la recherche.

102

échéances

vers la disponibilité

fusion

de l’option « 

hydrogène » ?

de l’

À côté de ses fonctions de président de la Fondation de la Maison de la Chimie, Bernard Bigot est directeur général de l’Organisation ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor1), en charge de réaliser le programme international de recherche ITER de développement de la fusion nucléaire contrôlée. Une première phase de la carrière de Bernard Bigot est une phase classique d’enseignement supérieur et de recherche scientifique fondamentale dans le domaine de la physico-chimie, et particulièrement de la catalyse. Une deuxième phase de management de la recherche s’est logiquement branchée sur la première avec plusieurs années au niveau du ministère de la Recherche et de la Technologie où il s’est vu confier les fonctions de directeur général de la recherche et de l’innovation. En 2003, Bernard Bigot a rejoint le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) comme Haut-Commissaire, l’une des fonctions les plus influentes du commissariat. Il a ensuite, il a été Administrateur Général de l’organisme de 2009 à 2015. Parallèlement, Bernard Bigot a été représentant pour le gouvernement de l’accueil en France du programme international sur la fusion nucléaire et est devenu en mars 2015 directeur général de l’Organisation ITER. En 2019, le conseil d’ITER a prolongé son mandat pour cinq ans. Construit sur ses responsabilités de direction de cette institution d’une complexité extraordinaire, de 35 partenaires internationaux, l’exposé de Bernard Bigot nous fera un peu mieux comprendre à la fois la difficulté, les enjeux et le côté un peu science-fiction d’une aventure scientifique tout à fait réelle. 1. www.iter.org/fr

Bernard Bigot

Quelles

Chimie et énergies nouvelles

Ce chapitre aborde la fusion de l’hydrogène (Figure 1), qui est une deuxième manière, à côté de la fission nucléaire à la base de nos centrales nucléaires actuelles, d’extraire l’énorme potentiel d’énergie disponible dans les noyaux atomiques. En cette période d’apparition des besoins d’une transition énergétique, il s’agit bien là d’une énergie d’avenir.

1

Émergence, histoire et généralités sur la fusion nucléaire 1.1. La naissance du concept de fusion Cette aventure est née au détour du siècle dernier quand, en 1919, un français, Jean Perrin (Figure 2), a publié un article faisant l’hypothèse que la source d’énergie

qu’utilisaient le Soleil et les astres était celle qui résulte de la fusion des noyaux d’­hydrogène. Cette hypothèse extrêmement originale a été reprise quelques mois plus tard de manière indépendante, à l’époque où la circulation de l’information n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, par un de ses collègues britanniques, Arthur Eddington (Figure 3), qui a confirmé de son point de vue cette hypothèse. Jean Perrin avait fait un petit calcul sur le dos d’une enveloppe en estimant que vu la masse d’hydrogène qu’il devait y avoir dans le Soleil, il y en avait encore assez pour 5-7000 ans de fonctionnement. Même s’il s’était trompé d’un facteur d’un million, il avait effectivement engendré une idée particulièrement fructueuse.

Figure 1 La fusion de l’hydrogène, énergie d’avenir. Image du cœur d’un réacteur à fusion d’hydrogène (en rose le plasma).

104

Figure 2 Le physicien Jean Perrin (18701942) suggéra que, dans les conditions de température et de pression qui règnent au cœur de notre étoile, le Soleil, les noyaux d’hydrogène fusionnent et donnent naissance à des noyaux d’hélium.

(Figure 4). Par bombardement d’une cible de deutérium 2 par des atomes de deutérium jusqu’à en provoquer la fusion, Ernest Rutherford a effectivement constaté la production d’énergie et caractérisé le fait que les produits de cette fusion étaient des atomes d’hélium et des neutrons. Le mécanisme de cette réaction n’était pas élucidé, mais il s’agissait cependant d’une rupture essentielle : au-delà des hypothèses purement spéculatives initiales qui avaient été émises, une démonstration physique était réalisée. C’est quelques années plus tard, en 1939, que l’alsacien Hans Bethe (Figure 5A), prix

Figure 3 Arthur Eddington (1882-1944) formula une hypothèse similaire à celle de Jean Perrin.

2. Deutérium : un isotope de l’hydrogène, c’est-à-dire qu’il possède un seul proton (même numéro atomique que l’hydrogène), mais ne possède qu’un neutron, contrairement à l’hydrogène.

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Une quinzaine d’années plus tard, dans une expérience en amphithéâtre en présence du public, pour la première fois au monde a été mise en évidence « sur Terre » la fusion de noyaux d’hydrogène

Figure 4 Lors d’une expérience publique en 1934, Ernest Rutherford (1871-1937) obtient un « effet considérable » en bombardant une cible de deutérium avec des noyaux de deutérium accélérés. Les noyaux de deutérium fusionnent en un noyau d’hélium porteur d’énergie.

105

Chimie et énergies nouvelles

A

B Figure 5 A) L’Alsacien Hans Bethe (1906-2005), qui identifia l’enchaînement des réactions qui se produisent au cœur des étoiles de type « solaire », obtiendra le prix Nobel de physique en 1967 ; B) Schéma explicatif de la fusion des noyaux d’hydrogène telle qu’elle se produit au cœur des étoiles sous l’effet des forces gravitationnelles et qui ne peut être reproduite sur Terre. C’est ce qui explique la recherche d’une approche alternative utilisant des champs magnétiques intenses.

Nobel de physique, a identifié l’enchaînement des réactions qui se produisent au cœur des étoiles dites « de type solaire ». Il a identifié la chaîne des réactions en jeu et montré qu’elle aboutit à la production d’énergie avec la production simultanée de deux particules particulières : un noyau d’hélium, qui est le fruit de la fameuse fusion des noyaux d’hydrogène, et un neutron (Figure 5B). Évidemment, cela suscitait un grand intérêt, énormément d’efforts ont été engagés. 1.2. Définition et fonctionnement du concept de fusion 106

Quel est le moteur de la réaction de fusion dans les astres ?

C’est la pression gravitationnelle, et c’est sous son effet que dans les étoiles à hydrogène, le cœur est dans l’état de plasma3 ; l’hydrogène est porté à de très hautes températures – la température du cœur du Soleil est de 15 millions de degrés –, où les noyaux sont séparés des électrons. La densité est alors imposée par la pression gravitationnelle : la densité du cœur du Soleil est environ cent fois celle 3. Plasma : état de la matière partiellement ou totalement ionisé. C’est le quatrième état de la matière. Le plasma est un milieu constitué d’un mélange de particules neutres, d’ions positifs, et d’électrons négatifs. Il est électriquement neutre et ses particules interagissent les unes avec les autres.

Sur Terre, on ne peut évidemment pas imaginer de réunir des masses telles que celles des astres – la masse du Soleil fait 300 000 fois la masse de la Terre. Pour faire fusionner les atomes, on a donc été amené à imaginer une technique totalement opposée, utilisant un plasma d’une densité ultra-faible (le millionième de la densité de l’atmosphère), qui permet d’accélérer les noyaux d’hydrogène pour qu’ils fusionnent lorsqu’ils entrent en collision. Avec une haute efficacité, ils donnent alors naissance au même phénomène que celui qui est à l’œuvre dans les astres. Sur la Figure 7, on voit deux noyaux d’hydrogène (en fait des isotopes lourds de l’hydrogène, le deutérium et le tritium), qui entrent en collision. Ils produisent alors les deux particules évoquées plus haut : le noyau d’hélium et le neutron. La collision se fait à 150 millions de degrés, l’équivalent de 0,7 million d’électronvolts, et le noyau d’hélium produit cinq fois plus d’énergie que l’énergie de la collision et le neutron en a vingt fois plus. L’énergie vient de la diminution de la masse

décrite par la célèbre formule ΔE = Δmc2. Cette production d’énergie extrêmement conséquente motive chercheurs

A

B

Figure 6 A) Schéma représentant la force électrostatique qui repousse les noyaux à faible vitesse (donc basse température) ; B) Schéma représentant les noyaux qui se rapprochent suffisamment pour rentrer dans le champ des forces nucléaires attractives à courte portée.

2

H

3

H

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

du fer ; très lentement, dans ces conditions extrêmes, les noyaux se rapprochent à des distances si courtes (subatomiques) que, par le jeu des forces d’attraction nucléaire à courtes portées qui sont celles qui assurent la cohésion des noyaux, ils surmontent la répulsion électrostatique qui leur impose dans les conditions « normales » de ne pas se rapprocher (Figure 6). Les noyaux vont alors fusionner et produire les phénomènes évoqués.

4

He + 3,5 MeV

n + 14,1 MeV Figure 7 Schéma de la fusion sur Terre. La réaction de fusion peut être obtenue à partir de différentes combinaisons de noyaux légers. Avec les connaissances et la technologie actuelle, c’est la réaction deutérium (D) + tritium (T), isotopes lourds de l’hydrogène, qui est la plus accessible. On peut noter que, comme au cœur des étoiles, la réaction de fusion sur Terre est une réaction de conversion masse/ énergie selon la formule ΔE = Δmc2. Le potentiel énergétique d’un gramme de DT équivaut à celui de 8 tonnes de pétrole.

107

Chimie et énergies nouvelles

et ingénieurs pour développer une technologie qui l’exploite de manière appropriée. Cette promesse d’une source d’énergie virtuellement illimitée a mobilisé de nombreux pays notamment à l’époque l’Union soviétique, la France, le Royaume-Uni, la GrandeBretagne, les États-Unis.

1.3. La naissance des premières machines Un premier brevet pour une machine de fusion a été déposé en 1946 (Figure 8). En 1951, l’astrophysicien américain Lyman a développé le concept de ce qu’on appelle le stellerator (Figure 9), une

FIG. 1

FIG. 2

• grand rayon R0 = 1,3 m • petit rayon a = 0,3 m • courant plasma 0,5 MA, généré par ondes radiofréquences à 3 GHz

Figure 8 Schéma du premier brevet déposé pour une machine de fusion en 1946.

Figure 9 108

Le stellerator développé par l’astrophysicien américain Lyman Spitzer (1914-1997) en 1951.

Plus tard, deux Soviétiques, Andrei Sakharov et Igor Tamm, ont proposé une technologie alternative que l’on appelle le Tokamak (Figure 10), qui est essentiellement un tore4 magnétique dessiné pour assurer la stabilité du plasma. De très nombreuses expériences ont été développées sur ce principe. La Figure 11 4. Tore : solide représentant un tube courbé refermé sur lui-même (exemple : un donut est un tore).

montre le premier Tokamak qui a été construit en France, à Fontenay-aux-Roses, où, à l’échelle de quelques mètres de diamètre au plus, on peut observer le phénomène. On peut même réaliser un « Tokamak de table ». Dans toutes ces expériences de taille réduite, on consomme plus d’énergie qu’on n’en récupère. Le volume de plasma est beaucoup trop faible et du fait d’effets de dissipation de cette énergie aux bords de l’installation, le rendement est extrêmement faible. Cela n’a découragé personne et le développement s’est poursuivi.

Solénoïde central

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

technologie qui permet d’envisager effectivement cette collision des noyaux d’hydrogène.

Plasma

Bobines toroïdales Bobines poloïdales

Figure 10 Le Tokamak inventé par Andrei Sakharov (1921-1989) et Igor Tamm (1895-1971).

Figure 11 Le premier Tokamak construit en France à Fontenay-aux-Roses en 1957.

109

Chimie et énergies nouvelles

En 1968, des performances exceptionnelles du premier Tokamak, à l’époque soviétique, ont été présentées à la communauté internationale (Figure 12). La performance annoncée selon laquelle on avait déjà atteint plusieurs millions de degrés – pas encore les 150, mais plusieurs

millions de degrés – a déclenché un certain scepticisme mais elle s’est vue confirmée (Figure 13). Le principe du Tokamak est celui d’une enceinte dans laquelle on fait le vide, puis où l’on injecte une très faible quantité d’hydrogène (environ deux grammes dans un volume

Figure 12 Photographie du Tokamak soviétique T-3 présenté à la communauté internationale en 1968. La recherche mondiale adopte le concept.

A

B

C

Figure 13

110

L’avènement des Tokamaks : A) Les Tokamaks Princeton Large Torus ; B) Couverture du magazine Sciences et avenir parlant du Tokamak français ; C) Le Tokamak de Fontenay-aux-Roses, le premier Tokamak français et le plus puissant au monde au milieu des années 1970.

Lorsqu’une particule électrique passe à proximité d’une ligne de champ magnétique, elle est capturée et s’enroule comme par une trajectoire hélicoïdale en accélérant continument. Pour atteindre des vitesses équivalentes à des températures de 150 millions de degrés, il faut, certes un fort champ magnétique pour une très forte accélération, mais aussi assez d’espace avant d’entrer en collision avec un autre noyau. Quelle que soit la grandeur de l’accélération, si on n’a pas assez d’espace pour accélérer avant de rentrer en collision avec un voisin, on n’atteindra jamais la bonne vitesse. C’est la raison pour laquelle il faut des équipements de très grande taille, faute de quoi on n’assiste qu’à un nombre d’évènements de fusion par unité de temps trop limité pour atteindre la température souhaitée. Chacun doit ainsi être convaincu que c’est la physique qui impose la taille. Plus le volume du plasma est important, meilleur est le rendement global. Dans les années 1990, des développements significatifs ont été réalisés dans ce sens, notamment avec un équipement qui fonctionne toujours et qui va bénéficier du soutien de l’Europe pour une prolongation de son activité pour quelques années, « dans l’attente du démarrage d’ITER ». Il s’agit du «  Joint European Torus  », construit près de Culham en

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

de plusieurs centaines voire milliers de mètres cubes), la densité extrêmement faible permettant l’accélération des noyaux.

Grande Bretagne. Cet équipement a été capable de produire jusqu’à 16 mégawatts de puissance de fusion, le record mondial. Le plasma avait un volume d’environ 80 mètres cubes, mais malheureusement la valeur de l’énergie de fusion produite était de seulement 70 % de celle injectée dans le plasma pour maintenir sa ­température. Une autre expérience, aujourd’hui arrêtée, s’était développée aux ÉtatsUnis, avec le fameux TFTR («  Tokamak Fusion Test Reactor »), d’un volume de 30 mètres cubes. Dans un cas comme dans l’autre, pour la première fois était mise en évidence la capacité de production massive d’énergie de fusion. Cependant, le rendement était toujours inférieur à 1, et il a fallu réfléchir aux caractéristiques de l’équipement nécessaire pour une vraie démonstration avec l’objectif très clair d’un rendement d’au moins 10 entre l’énergie injectée dans le plasma et l’énergie produite (Figure 14). C’est l’objectif du projet ITER, dont il va s’agir maintenant. 1.4. Les avantages de la fusion nucléaire Alors pourquoi, aujourd’hui, 35 pays, 7 grands partenaires ont accepté de se mobiliser ensemble pour conduire ce grand programme de recherche et faire la démonstration de la fusion ? C’est parce que cette technologie présente tout un ensemble d’avantages extrêmement importants et que tous sont convaincus qu’il y a nécessité

80 m3 1 m3

JET

TCV ASDEX U

ITER

13 m3

800 m3 0

2

4

Grand rayon (m)

6

8

Figure 14 La physique impose la taille : dans les années 1990, deux machines de grande taille, le « Joint European Torus » (JET, 80 m3) européen et le « Tokamak Fusion Test Reactor » (TFTR, 30 m3) américain obtiennent des puissances de fusion significatives (jusqu’à 16 MW pour JET). Toutefois, l’énergie investie sous forme de puissance de chauffage du plasma était supérieure à l’énergie restituée par les réactions de fusion au sein du plasma. Pour obtenir un gain net d’énergie, un volume de plasma encore plus important est nécessaire. D’où le projet ITER, qui vise Q ≥10 (rendement énergie restitué sur énergie investie), avec un volume de plasma de l’ordre de 800 m3.

111

Chimie et énergies nouvelles

urgente de remplacer les énergies fossiles par des énergies propres pour assurer les besoins énergétiques d’une population mondiale, qui va vers les 10 milliards d’individus. On a besoin d’une « énergie de base » qui, lorsque le soleil ne brille pas, que le vent ne souffle pas, que la pluie n’est pas au rendez-vous de l’hydraulique, reste en capacité d’assurer les besoins énergétiques de la population. L’avantage de la fusion est que c’est une « source massive », donc complémentaire des énergies renouvelables, lesquelles sont au contraire des « sources distribuées ou diffuses ». Elle est potentiellement continue mais aussi programmable dans le temps et repose sur une matière première pratiquement inépuisable (l’eau) pour assurer la production du deutérium et du tritium nécessaires (Figure 15). C’est à des échelles de la centaine de millions d’années qu’il y a des ressources sur Terre de cette nature. À la différence de l’énergie de fission ou de l’énergie de combustion du charbon ou du pétrole etc., la production

d’énergie de fusion ne fait intervenir aucun stockage d’énergie : elle fonctionne en flux. Aussi vite que l’on s’écarte des paramètres de fonctionnement de la fusion, la réaction s’arrête, il n’y a plus d’énergie dans le réacteur. Cette propriété permet de démarrer ou d’arrêter à volonté en une fraction de seconde le plasma réactif. Une autre propriété extrêmement importante est l’aspect intrinsèquement sûr de la technologie mise en œuvre, la réaction ne pouvant pas s’emballer. Dès que l’on s’écarte des paramètres nominaux, effectivement très exigeants (un très haut champ magnétique, un vide très poussé), la réaction s’arrête. On peut perdre le circuit de refroidissement, on peut perdre le circuit d’alimentation électrique, la réaction ne conduit pas à une destruction de l’équipement ni à un relâchement de matière à l’extérieur. Troisième élément important, la réaction de fusion ne produit a priori que de l’hélium, gaz chimiquement neutre, non radioactif, et ce, dans des quantités très faibles. Songeons qu’une centrale

Figure 15 112

Exemples de dynamique d’un plasma dans le Tokamak WEST (CEACadarache).

2

Le projet ITER

2.1. L’impulsion politique qui a permis d’aboutir au projet En 1985, en fin de guerre froide, une célèbre rencontre internationale (Figure 16) à Genève a décidé le lancement d’un grand programme destiné à apporter la démonstration tant attendue de la production d’énergie par la fusion de l’hydrogène. Cet objectif nécessitait la conception et la construction d’une installation de très haute technologie et de très grande dimension. Immédiatement, l’Europe et le Japon se sont joints aux ÉtatsUnis et à l’Union soviétique de l’époque et ont lancé un grand programme et mobilisé pendant environ une quinzaine d’années 200 ingénieurs, chercheurs, scientifiques pour élaborer le concept de la machine qui serait nécessaire (Figure 17).

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

de production de l’électricité de 1 000 Mégawatts en une année consomme entre 6 et 10 millions de tonnes de combustibles fossiles par an. Par fusion, on consommera à puissance égale moins de 350 kg de combustibles et on relâchera moins de 350 kg d’hélium au lieu d’une trentaine de millions de tonnes de dioxyde de carbone ou de gaz à effet de serre pour les combustibles fossiles. Par ailleurs, il n’y a pas de risque de prolifération puisqu’effectivement l’équipement est extrêmement volumineux et ne peut pas être déplacé à d’autres fins. Il y a certes de la radioactivité induite au cours du fonctionnement de l’équipement (ne serait-ce qu’à partir du tritium), mais sa durée de demi-vie est courte (12,3 années), et s’il y a activation de chaînes liées aux impuretés (par exemple à partir du nickel ou du cobalt) de l’acier de la machine, les quantités restent très ­limitées.

Vers les années 2000, ce concept a été considéré

Figure 16 Première rencontre de Reagan-Gorbatchev en novembre 1985 à Genève.

113

Chimie et énergies nouvelles

comme suffisamment mûr (Figure 18) pour permettre de commencer à réfléchir à la fois à son financement, à sa gouvernance et à sa localisation.

Figure 17 En 1988, sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les quatre premiers partenaires, ÉtatsUnis, Union soviétique, Union européenne et Japon décident de lancer les études pour le dessin conceptuel.

Rapidement, la Chine, la Corée du Sud puis l’Inde se sont joints à l’effort et, en 2005 à Moscou, un premier accord entre les 35 pays a été signé, l’Europe représentant 29 pays (les 28 de l’Union européenne, ainsi que la Suisse). Un accord international solennel a ensuite été signé en 2006 à l’Élysée (Figure 19) pour mettre sur pied ce programme avec un engagement minimal sur 42 ans des 7 partenaires : l’accord ITER. Aujourd’hui, ces partenaires représentent plus de 50 % de la population mondiale et 85 % du produit intérieur brut, c’està-dire que ce projet a toutes les garanties d’être soutenu et pérenne. Pourquoi tous ces pays se sont-ils engagés ? La raison est qu’ils mesurent que, seul, aucun pays, quelle que soit sa puissance, ne pourrait espérer réussir à faire la démonstration attendue dans de meilleurs délais. ITER mettra sans doute une vingtaine d’années pour construire la machine et faire cette démonstration. Un pays seul n’arriverait au mieux qu’à l’échelle du siècle, ce qui n’est pas à la mesure de l’urgence énergétique et climatique. 2.2. Le fonctionnement du Tokamak ITER

Figure 18

114

Dessin finalisé de la machine prévue. Cela marque le début des négociations sur la gouvernance, les ressources humaines et le choix d’implantation du site.

La Figure 20 représente l’image du Tokamak découpé comme un fruit en deux. La section torique de la chambre à vide figure en couleur orangée. C’est dans cette enceinte,

Le 21 novembre 2006, l’accord ITER est signé au palais de l’Élysée, les sept membres d’ITER (Chine, UE, Inde, Corée, Russie, États-Unis) représentent plus de 50 % de la population mondiale et 85 % du PIB de la planète.

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Figure 19

Figure 20 Schéma du Tokamak ITER. La chambre à vide pèse environ 8 000 tonnes. Les bobines verticales pèsent chacune respectivement 360 tonnes. Les bobines horizontales pèsent chacune respectivement entre 200 et 400 tonnes. Le solénoïde central pèse, lui, 1 000 tonnes. Au total, le Tokamak ITER pèse environ 23 000 tonnes – c’est le poids de 3,5 tours Eiffel.

de près de 1 800 mètres cubes, que l’on fera le vide ; sa paroi (une double paroi) sera parcourue par une circulation d’eau qui captera l’énergie de fusion sous forme de chaleur.

Comment capture-t-on l’énergie ? Du point de vue de l’énergie, on peut résumer l’essentiel de la réaction de fusion de l’hydrogène à la production de deux particules qui

115

Chimie et énergies nouvelles

partent avec une énergie cinétique considérable, le noyau d’hélium et le neutron. L’hélium, qui emporte cinq fois plus d’énergie que l’énergie de la collision, reste confiné dans le plasma et son énergie sert à auto-chauffer le plasma. Lorsqu’il atteint la température du plasma, on le soutire avec le reste du combustible d’hydrogène et de deutérium qui n’a pas encore fusionné pour obtenir le rendement optimisé. Le neutron, lui, s’échappe de la cage magnétique puisque par nature il n’est pas sensible au champ magnétique. Il va venir en collision avec la paroi ; on a recouvert celle-ci de tuiles de béryllium5, qui ont la vertu d’adsorber le neutron, transformant ainsi son énergie cinétique en énergie thermique. Cette étape porte la température de la paroi à environ de 200 °C et fait passer l’eau à l’état de vapeur, utilisé ensuite pour activer des turbines. L’enceinte à vide, le cœur du dispositif, est environnée d’une cage magnétique constituée de 18 bobines6 verticales, de 6 bobines horizontales et d’une bobine centrale, représentées sur la Figure 20, respectivement en bleu ou en blanc.

116

5. Béryllium : c’est l’élément chimique de numéro atomique 4, une source complémentaire de neutrons dans le réacteur expérimental à fusion d’ITER. 6. Bobine : elle est construite à partir d’un fil conducteur isolé enroulé autour d’un noyau. Ce noyau peut être fait de matériau magnétique comme le fer doux, ou de matériau non magnétique tel que le carton ou le plastique. Une bobine est caractérisée par son inductance, c’est-à-dire l’aptitude à s’opposer à la variation de l’intensité du courant qui la traverse.

L’ensemble de cette cage magnétique et de ses bobines, susceptible d’être réchauffé au contact de la chambre à vide, est cependant maintenu à une température inférieure à 270 °C en dessous de zéro, qui est la température en dessous de laquelle le matériau que nous utilisons reste supraconducteur7, c’est-à-dire ne consomme pas d’énergie lorsqu’il est traversé par le courant électrique. Le courant électrique opérationnel a une intensité de 70 000 ampères. Cette intensité est nécessaire pour produire un champ magnétique assez puissant d’une part pour assurer la qualité du confinement du plasma dans les lignes de champ magnétique et d’autre part créer l’accélération nécessaire aux réactions de fusion. L’ensemble du dispositif est installé dans un cryostat 8, qui assure la température de moins 270 °C (c’est-à-dire 4 °C seulement au-dessus du zéro absolu) ; le cryostat est une « grande boîte » de 30 mètres de diamètre, 30 mètres de hauteur et soumise à un vide poussé pour éviter les pertes d’énergie. On aura là l’écart de température le plus extrême qui existera jamais – y compris dans l’univers –, 150 millions de degrés au centre du plasma et à moins de 2 m de là moins 270 °C : c’est ce défi difficile à imaginer que nous avons à 7. En dessous d’une certaine température, un matériau peut devenir supraconducteur, c’est-à-dire qu’il n’oppose plus aucune résistance au passage du courant électrique, il ne dissipe pas d’énergie. 8. Cryostat : appareil servant à conserver une substance à basse température.

Revenons sur le défi thermique que pose ITER. Il s’agit d’apporter dans l’enceinte dix fois plus d’énergie thermique que l’énergie apportée sous forme de chaleur. C’est la condition nécessaire au démarrage du plasma. Comment cela marche ? On commence par faire le vide, on injecte ensuite deux grammes d’hydrogène dans l’enceinte à vide. On excite ensuite ces deux grammes par une décharge électrique, à l’instar de ce qu’on fait dans les tubes fluorescents ; on sépare les électrons des noyaux et ces particules chargées se couplent aux bobines et soutirent l’énergie magnétique. Il faut bien sûr entretenir celle-ci pour effectivement accélérer les noyaux. À partir d’une température de l’ordre de 40 millions de degrés, on a bien progressé mais on reste loin de l’atteinte de la température finale nécessaire, les 150 millions de degrés. À ce stade, on utilise une excitation supplémentaire par des milliers de générateurs micro-ondes, qui en une seconde vont injecter l’énergie nécessaire et permettre le démarrage du plasma et entrer en phases d’auto-entretien où les atomes d’hélium vont jouer leur rôle (voir ci-dessus). Il s’agit là d’un défi technique extraordinaire à gagner par une équipe de 35 pays (Figure 21).

Figure 21

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

relever ! Il oblige à inventer les méthodes les plus sophistiquées pour assembler tous ces composants, une masse totale d’environ 23 000 tonnes… mettre 3 tours Eiffel et demi dans la fameuse « boîte » de 30 mètres sans nuire aux performances thermiques hors du commun exigées.

Schéma du Tokamak ITER. Il devra être capable de générer dix fois plus d’énergie qu’il n’en aura reçue.

2.3. L’organisation et défis d’ITER Si extraordinaire qu’il soit, le défi technique de la démonstration du procédé de fusion industrielle pourra être gagné. C’est le pari que font tous les pays participants à ITER. On sera alors en face d’une rupture technologique majeure qui entraînera une rupture industrielle majeure, avec la construction de peut-être plusieurs centaines de centrales du type évoqué plus haut. En participant à ITER, les acteurs préparent leurs champions industriels à faire la démonstration que les composants extrêmement innovants et complexes (matériaux,

117

Chimie et énergies nouvelles

précisions) qui seront parties intégrantes du système seraient à leur portée. Ils ont donc constitué un ensemble de sept agences domestiques qui fourniront en nature les composants qu’il faudra intégrer (Figure 22). On devine tout de suite les efforts considérables de coordination entre les différentes équipes qui sont à surmonter pour que soient effectivement obtenues les fournitures en nature évoquées dans le cadre de l’accord ITER. Les pays non européens fournissent en valeur l’équivalent de 9 % du coût de la construction et l’Europe cinq fois plus car c’est en Europe qu’est installé l’équipement (Figure 23). La Figure 24 donne à nouveau l’image du Tokamak et fait

ressortir la complexité de l’approvisionnement des composants résultant de l’implication de plusieurs partenaires sur chacun des équipements. C’est que chacun voulait être sur une courbe d’apprentissage et prendre la juste proportion des difficultés. En revanche, il est acquis que toute la propriété intellectuelle, tout le savoir-faire industriel, le «  know-how », sera partagé entre tous. Par exemple, si une entreprise coréenne a mis au point une technologie qui n’a pas été effectivement expérimentée par une équipe américaine, l’équipe américaine bénéficiera tout de même du savoir-faire en question. La construction de la cage magnétique géante (Figure 25) donne l’exemple d’un défi

Figure 22 118

Schéma de l’organisation d’ITER, une équipe centrale et sept agences domestiques.

Des fournitures en « nature » : les sept membres d’ITER fabriquent les pièces de la machine et des auxiliaires. L’Europe construit en outre la quasi-totalité des bâtiments.

400

300

200

100

Cœur de la machine Auxiliaires externes Chauffage, diagnostics, contrôle Bâtiments

0 EU

CH

IN

JA

KO

RF

US

IO

Cryostat Solénoïde central (6) Alimentation (31)

Bobines de champ toroïdal (18)

Bouclier thermique

Chambre à vide

Couverture Bobines de champ poloïdal (18)

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Figure 23

Divertor

Bobines de correction (18)

Figure 24 Schéma du Tokamak montrant la provenance de ses différents éléments.

1 solénoïde central, 1 000 tonnes, 18 m de haut, 300 000 fois le champ magnétique terrestre 18 bobines de champ toroïdal, 17 m de haut, 380 tonnes chacune 6 bobines de champ poloïdal de 8 à 24 m de diamètre

Figure 25 Schéma du Tokamak, en blanc/gris au centre : la bobine centrale, en ocre : les 18 bobines verticales et en rouge les 6 bobines horizontales.

119

Chimie et énergies nouvelles

particulièrement spectaculaire. On remarque sur cette image le petit personnage en bas à droite. Même s’il fait 2 mètres, la cage fait 20 mètres de haut, 20 mètres de diamètre, rassemblant 18 bobines verticales, 6 bobines horizontales et la bobine centrale. Il faut que l’axe magnétique de cette cage soit positionné avec une précision inférieure au quart de millimètre avec l’axe géométrique de l’enceinte à vide. Il faut réaliser l’exigence de cette extrême précision. On doit faire circuler les particules d’hydrogène à des vitesses extrêmement élevées, dans des conditions telles que, si leur trajectoire n’est pas parfaitement conforme à la géométrie nécessaire, on va « aller dans le décor », c’està-dire heurter la paroi avant d’avoir eu la collision atomique nécessaire. Le défi d’ITER c’est donc à la fois de pouvoir manipuler, fabriquer des composants de très grande taille, de l’ordre de 20 mètres, avec des masses qui peuvent atteindre le millier de tonnes, et de les assembler avec une précision extrême. C’est l’alliance des

contraires : des dimensions colossales mais des précisions extrêmes ! Pour ce qui est des dimensions, les conditions sont plutôt familières de la construction navale (Figure 26), mais la précision exigée est celle des horlogers (Figure 27). La Figure 28 donne l’exemple d’une tâche en cours : il s’agit d’assembler près de 10 000 tonnes d’aimants supraconducteurs refroidis à 270 °C en dessous de zéro degré. Les bobines sont construites avec des matériaux supraconducteurs ; du point de vue de la chimie, c’est l’équivalent de céramiques. Les forces magnétiques entre les composants sont tellement considérables que si les bobines, leurs câbles supraconducteurs, n’étaient pas enchâssés dans des boîtiers les câbles se déchireraient. On est donc obligé d’enchâsser les câbles dans des boîtiers. Il faut que l’écart entre la surface du câble supraconducteur et la surface du boîtier soit inférieur au quart de millimètre alors que la taille du composant est de 20 mètres de long. La bonne

Figure 26

120

Exemple de dimension de type construction navale. On a ici un portique géant fourni par la Corée qui va manipuler des charges qui, une fois préassemblées, pèseront environ 1 500 tonnes.

Exemple de la précision d’horlogerie requise : dans les ateliers de Mitsubishi Heavy Industry, au Japon, insertion verticale du bobinage d’un aimant de champ toroïdal (TF) dans son boîtier. L’ensemble pèse plus de 300 tonnes et les tolérances d’assemblage sont de l’ordre de 0,2 millimètre.

Figure 28 Sur ce schéma du Tokamak, on voit en couleur les aimants supraconducteurs (10 000 tonnes) produisant le champ magnétique qui génère, confine, modèle et contrôle le plasma dans la machine. Les aimants de niobiumétain ou niobium-titane sont refroidis à 4 °K (-269 °C) par un flux d’hélium supercritique.

nouvelle est que l’industriel choisi est capable de réaliser cet exploit : nous avons déjà cinq bobines qui ont été faites et totalement qualifiées. Il y en reste certes encore treize à produire, mais on sait aujourd’hui que ces exploits-là sont des exploits accessibles. 2.4. Le calendrier d’ITER Ce projet s’est engagé en 2016 après une période de développement préliminaire. Il

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Figure 27

a fait l’objet d’une revue de projet devant le conseil ITER (Figure 29). Cette revue de projet a conduit à un calendrier et évidemment à une estimation des coûts associés avec une perspective d’un premier plasma en décembre 2025, donc dans moins de cinq ans maintenant, les premières expériences de physique en 2028 et le plasma de pleine puissance en 2035. Pour le premier plasma, on fera fusionner de l’hydrogène

121

Chimie et énergies nouvelles

Figure 29 Le conseil d’ITER se réunit deux fois par an (juin et novembre) au siège d’ITER à Saint-Paul-lez-Durance.

standard, qui ne produira pas d’énergie mais garantira que l’assemblage de l’équipement a été correct. On devra ensuite ajouter des composants de l’équipement futur les uns après les autres.

a été donné à cette époque, et nous avons déjà reçu un certain nombre des composants que nous allons assembler (petits triangles noirs sur la Figure 30). Tous doivent être prêts avant la fin 2022 ou au tout début de 2023. Le cryostat sera fermé fin 2024, et espérons que nous démontrerons

La bonne nouvelle est que depuis 2015 nous sommes sur la route du calendrier qui 2017 Construction du RF

Secteurs de livraison VV

2018

2019

2020

ICM 49.1

2021

1B Stage 1 Enlèvement temporaire des murs

2022

2023

2024

2025

Alimentation/instrumentation

Eq. regular Ports S6

S6

Livraison du TFC

S7

S8 S1 S5 S4

S7

S8S5 S4

PF6 PF5

S9

S3

S2

S1

Extension des ports supérieurs centraux et latéraux S2

S9 S3

PF2

PF4

PF3

CS Modules 1 to 6

SSAT #1

Secteur de sous-assemblage

S6

SSAT #2

S8 S7

A1

Assemblage principal

S4

S5

S9 S1

S2 S3

La fosse est prête pour le secteur VV PF6 PF5

S6

S8

S4

S9

S2

Réduction du soutien VV

Voie principale critique du projet S7

S5

S1

S3

Secteur en fosse et placement des GS terminé

A5 Supérieur A5 Inférieur Premier Fermeture plasma du cryostat inc NF

Achèvement du tore

Figure 30 122

2026

Début de l’installation de la base du cryostat

Détail du calendrier de construction, les petits triangles noirs représentant les composants déjà reçus.

Au-delà de cela, nous allons devoir ajouter les éléments des annexes d’exploitation. Alors qu’il y aura des dizaines de kilomètres de tuyauteries, de câbles, etc., en place au moment de l’installation, il serait déraisonnable d’installer artisanalement la première paroi qui devra collecter l’énergie. Cette paroi est constituée de 440 tuiles et chacune de ces tuiles, avec son support refroidi individuellement, pèse 4,5 tonnes. Seul un robot pourra les installer et cela demandera environ deux années de travail. On ne peut évidemment se permettre d’installer cette paroi de collecte de l’énergie puis de constater qu’il y a une fuite et devoir démonter les nombreuses tuiles en question pour trouver la fuite et la réparer. Nous avons donc imaginé une approche par étapes où c’est juste après le premier plasma qu’on installe les moyens de collecte de l’énergie. On permet aux physiciens,

avec cette capacité ajoutée, de faire de premières expériences avec un combustible approprié. Puis on ajoutera des chauffages pour atteindre plus rapidement les 150 millions de degrés. Enfin, la dernière étape sera celle du recyclage du combustible. La chimie jouera alors un rôle essentiel puisqu’il va s’agir de séparer les constituants du mélange de l’hélium, de l’hydrogène deutérium, de l’hydrogène tritium. Avec une parfaite continuité et une grande précision, il faudra séparer le 1 % d’hélium produit des 99 % autres et recycler. La chimie sera donc au premier plan (Figure 31). Pour conclure, voici quelques précisions complémentaires sur le point d’avancement des travaux. Depuis le lancement du programme, et notamment à partir de 2015, on suit toutes les activités nécessaires à l’achèvement du premier plasma, soit environ 25 000. À chacune d’entre elles, il a été donné un poids, et donc à chaque fois qu’on a rempli l’objectif d’une activité, on associe le poids dans la somme

Phase de construction

Phase d’opération

Premier plasma (FP) Déc. 2025

Ingénierie, fabrication des systèmes

Assemblage I

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

en 2025 que nous sommes au rendez-vous de la démonstration du premier plasma.

Fin de l’EO et début de l’assemblage II Jui. 2026

Communi- Opération cation d’ingénierie intégrée I (SC Magnets) (12 mois) (6 mois)

Étape I

Début de l’opération Fin de pour la l’assemblage puissance de II pré-fusion I Jui. 2028 Déc. 2028

Assemblage II (24 mois)

Fin de l’opération pour la puissance de pré-fusion et début de l’assemblage III Jui. 2030

Opération pour la Fin de puissance de l’assemblage pré-fusion II III (TP) Sep. 2031 Jui. 2032

Opération Communipour la cation Assemblage III puissance intégrée II (15 mois) de pré-fusion I (6 mois) (18 mois)

Étape II

Communication intégrée III (9 mois)

Étape III

Fin de l’opération pour la puissance de pré-fusion II et début de l’arrêt prénucléaire pour l’assemblage IV Mar. 2034

Opération pour la puissance de pré-fusion II (21 mois)

Fin de l’arrêt prénucléaire pour l’assemblage IV Mar. 2035

Assemblage IV (12 mois)

Opération de fusion (DT) Déc. 2035

Communication intégrée IV (9 mois)

Opération de fusion

Étape IV

Figure 31 Calendrier de construction et d’opération du plasma. Le calendrier est basé sur une approche par étapes. Cette proposition a été élaborée en étroite coordination avec les agences domestiques. Il prend en compte les contraintes budgétaires des membres d’ITER.

123

Chimie et énergies nouvelles

cumulée des activités accomplies. Aujourd’hui, on est à 72 % des tâches qui sont nécessaires pour aller jusqu’au premier plasma (Figure 32).

Comme depuis 2015 nous sommes sur un rythme d’environ 0,6-0,7 % de croissance par mois et qu’il nous reste aujourd’hui 58 mois, nous sommes capables d’atteindre les 38 % qu’il nous manque. En restant lucides et humbles, nous savons que l’étape la plus compliquée est l’étape d’assemblage et de qualification. C’est un défi qui est encore devant nous et... assez serré. 2.5. Le site d’ITER : fabrication, acheminement, assemblage : un casse-tête géant

Figure 32 Photographie de l’avancement du projet des tâches sur le site français pour aller jusqu’au premier plasma.

Cylindre supérieur du cryostat (stockage en cocon)

Le chantier ITER (Figure 33) est une grande plateforme d’environ 1 kilomètre de long et 500 mètres de large. Au centre, se trouve le « complexe Tokamak », le centre névralgique du système.

Atelier du cryostat

Usine de bobinage

Poste électrique 400 kV

Hall d’assemblage

Évacuation de la chaleur Unité cryogénique

Conversion électrique Bâtiment radiofréquence

Complexe Tokamak

Bâtiment Tokamak Zone entreprises

Siège ITER Organization

Future alimentation Injection de neutres

Systèmes électriques

Figure 33 124

Photographie aérienne du chantier ITER et ses différents bâtiments et éléments.

Novembre 2020

Il y a dix ans n’existait qu’une plateforme pratiquement sans aucun équipement si ce

A

n’est une petite excavation au centre et aujourd’hui, la plateforme est un peu occupée. La Figure 34 montre l’ampleur spectaculaire des progrès réalisés. Cette année ont été réalisées des étapes majeures (Figure 35A) : on a réussi à positionner la base du cryostat, qui est une grande soucoupe, comme une « assiette creuse » d’une certaine manière, mais qui pèse tout de même 1 250 tonnes et fait 30 mètres de diamètre, ainsi que le cylindre supérieur, puisque le tout peut être comparé à une boîte de conserve géante ; sur le fond sont positionnés des cylindres les uns sur les autres avec une précision inférieure au demi-centimètre. Il s’agit, on le voit, de deux cercles de trente mètres de diamètre et plusieurs centaines de tonnes à ajuster l’un sur l’autre puis soudés pour qu’il n’y ait aucun risque de fuite dans l’enceinte (Figure 35B).

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

C’est un grand bâtiment enfoui 18 mètres sous le sol, reposant sur une grande dalle de 120 mètres de long et 80 mètres de large, elle-même reposant sur des poteaux antisismiques pour éviter les effets du moindre mouvement qui pourrait désassembler les différents composants assemblés. Derrière ce Tokamak, se trouve le « hall d’assemblage », puis un certain nombre d’équipements nécessaires, comme le poste électrique, caractérisé par une très grande dimension rendue indispensable par la très grande quantité d’électricité qu’il faut prélever sur le réseau au démarrage du système – le démarrage du plasma, qui pourtant ne dure qu’une fraction de seconde (voir plus haut). Il faudra ensuite convertir l’énergie thermique produite par la fusion en énergie électrique et la coupler au réseau européen au moyen de bobines continues, comme adapté au fonctionnement d’une source d’énergie alternative.

La descente de la fameuse soucoupe de la base dans le puits est visible sur la Figure 36. De chaque côté il y avait moins de quelques

B

Figure 34 Avancement du chantier d’ITER : A) Photographie du site prise en août 2010 ; B) Photographie du site prise en novembre 2020.

125

Chimie et énergies nouvelles

A

B

C

Figure 35 A) 26 au 27 mai 2020 : insertion de la base du cryostat dans le puits d’assemblage ; B) Le 31 août 2020 : ajout du cylindre inférieur sur la base du cryostat ; C) Le 14 janvier 2021 : ajout de l’écran thermique du cryostat.

centimètres par rapport au mur de protection biologique associé. On a réussi « l’accostage » et le positionnement sur les pelotons (Figure 37-38). En 2020, de nombreux arrivages d’équipements à assembler sont intervenus, en particulier les bobines provenant d’Europe et du Japon, ainsi que les secteurs de la chambre à vide (Figure 39). On a découpé la chambre à vide (1 800 mètres cubes) en neuf secteurs comme des quartiers d’orange (chaque quartier pèse 450 tonnes) ; les

Figure 36

126

La base du cryostat, 30 mètres de diamètres, 1 250 tonnes, est la plus massive des pièces de la machine. C’est une des quatre sections du « thermos » géant, fourni par l’Inde, qui enveloppe le Tokamak.

opérations actuelles consistent à les rassembler les uns avec les autres. C’est dans ces conditions que l’on a invité en fin juillet 2020 tous les chefs d’États à s’exprimer sur les avancements du projet ITER, donc les chefs des sept États mentionnés plus haut se sont exprimés, et le chef d’État français a apporté son soutien à ITER, qu’il a qualifié d’« acte de confiance dans l’avenir ». C’est effectivement cet acte de confiance dans la science qui nous anime (Figure 40).

Figure 37 La base du cryostat repose sur un système de support (ancrage et rotules) qui redistribue les forces horizontales et de torsion générées par la production de plasma dans le Tokamak.

Un système de vérins hydrauliques a supporté la base dans l’attente des opérations finales d’ajustement avec des coins de plus d’1 mètre de diamètre ajusté au millimètre près. Vérin hydraulique : dispositif qui convertit de l’énergie de pression en un mouvement rectiligne (au sein du piston). Il est composé d’un tube dans lequel une tige avec un piston peut se déplacer.

Figure 39 Arrivages massifs de différents éléments du Tokamak en 2020.

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Figure 38

Figure 40 Le 28 juillet, lors du lancement officiel de la phase d’assemblage, le président Emmanuel Macron a porté son soutien à ITER : « ITER est un acte de confiance en l’avenir [...]. Grâce à la science, demain peut-être meilleur qu’hier ».

Après l’arrivée sur place des premiers composants, a commencé leur assemblage au sein du « poste d’assemblage » (Figure 41), dans lequel on doit assembler le secteur de la chambre à vide (450 tonnes, 20 mètres de hauteur) avec « une peau de protection

thermique », qui gère le considérable écart de température entre le tokamak – l’eau qui circule dans la double paroi à 200 degrés – et la bobine, qui est à -270 °C (Figures 42-43). Le secteur représenté sur la Figure 42 a été terminé et qualifié début 2021 ; il va falloir

127

Chimie et énergies nouvelles

Figure 41 Portique de pré-assemblage ou poste d’assemblage.

Figure 42

128

Figure 43

Avec la livraison, début août, d’un premier secteur de chambre à vide fabriqué en Corée, ITER va pouvoir procéder au premier des neuf « préassemblages » du cœur du Tokamak.

Un « pré-assemblage » est constitué d’un secteur de chambre à vide, deux bobines de champ toroïdal et une section de bouclier thermique.

quelques mois pour l’assurer de manière correcte. Au-delà de l’assemblage du Tokamak, nous travaillons activement à ce que tous les systèmes

annexes nécessaires soient installés correctement et en temps utile. Il s’agit par exemple de 5,5 kilomètres de lignes cryogéniques qui

Figure 44 Installation de 5,5 km de lignes cryogéniques.

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

permettront la circulation de 25 tonnes d’hélium liquide à –270 C (Figure 44). Il s’agit aussi des dispositifs de conversion entre le courant alternatif et le courant continu avec 8 kilomètres de lignes électriques en aluminium très pur (Figure 45) démontré comme parfaitement efficace. Le système de refroidissement est sur le point d’être qualifié, puis il y a ce qu’on appelle le phénomène de compensation de la puissance réactive quand on va prélever sur le réseau,

une fraction de seconde, les 500 Mégawatts nécessaires au démarrage du plasma (Figure 46-47). Bien évidemment, il ne faut pas perturber le réseau et donc il y a là aussi des efforts très importants qui sont déployés pour maîtriser tout cela. En parallèle de ces installations en cours, la fabrication se poursuit en Europe comme les bobines en Italie ; la Figure 48 montre la bobine avec ses circuits en céramique avant qu’elle ne soit

Figure 45 Modes de conversion entre le courant alternatif et le courant continu avec 8 kilomètres de tuyauteries électriques.

Figure 46 Système d’évacuation de la chaleur (1 200 MW).

Figure 48

Figure 47 Système de compensation de la puissance réactive (1 hectare d’équipements de haute technologie).

Bobines de champ toroïdal, fabriquées en Europe. La première bobine a été livrée sur site au mois d’avril 2020, la seconde en septembre et la troisième en décembre. 129

Chimie et énergies nouvelles

enfermée dans son enceinte. On note la complexité du système d’échange de la chaleur à double enceinte pour assurer effectivement un parfait transfert thermique. Et on est en train de fabriquer les plus grandes bobines horizontales,

Figure 49 Bobines de champ poloïdal (complémentaire du champ toroïdal), du fait de leur taille (1724 m de diamètre), quatre des six bobines sont fabriquées sur site par l’Europe.

Figure 50 La chambre à vide : l’Europe fabrique cinq des neuf secteurs de la chambre à vide du Tokamak. Tous sont en cours de fabrication avec des taux de finalisation allant de 66 % à 89 %.

Figure 51

130

Plus de 1 600 tonnes d’équipements destinés au système d’alimentation des aimants sont fournis par la Chine.

de 24 mètres de diamètre (Figure 49). Des fabrications d’éléments d’équipements de toutes natures sont en cours dans tous les pays, conformément aux plans d’avancements prévus (Figures 50-56).

Le Japon fournit neuf des dix-neuf bobines de champ toroïdal (dont un rechange) du Tokamak. La première d’entre elles a été livrée le 17 avril 2020, la deuxième le 3 juillet.

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Figure 52

Figure 53 Fabriquées en Inde, pour être assemblée et soudées sur site, les derniers éléments du cryostat ont été livrés le 29 janvier 2021.

Figure 54 La Corée est responsable de la construction de quatre des neuf secteurs de la chambre à vide. Le premier a été livré. Les taux de finalisation des trois autres sont de 86 à 99 %.

131

Chimie et énergies nouvelles

Figure 55 La fabrication russe de la bobine poloïdale n° 1 (9 mètres de diamètre, 193 tonnes) entre dans sa phase ultime. Cette bobine est la plus petite des six bobines annulaires de la machine. Elle sera installée peu avant la fermeture du cryostat.

Figure 56 Les six modules du solénoïde central (plus un rechange) abordent les dernières étapes de la fabrication dans les ateliers de General Atomics près de San Diego en Californie. Les tests du premier module sont finalisés. Ils sont attendus sur site mi-2021. Solénoïde : système constitué d’un fil électrique en métal enroulé régulièrement en hélice de façon à former une bobine longue.

Perspectives sur la fusion de l’hydrogène Tous les pays acteurs sont intensément mobilisés pour réussir cette opération technologique (Figures 57-61) hors du commun qu’est ITER. Des initiatives privées parallèles visent à mener des démonstrations complémentaires au programme principal, et c’est plus que bienvenu (Figure 62).

Figure 57

132

Premier exemple de coopération pour ITER : le JET (« Joint European Torus ») se prépare pour une campagne DT, c’est-à-dire qu’il subit des travaux de mise à jour dans le but d’augmenter ses capacités et aider au développement du projet d’ITER.

Deuxième exemple de coopération pour ITER entre le Japon et l’Union européenne ; les aimants du Tokamak JT60-SA sont refroidis pour être mis en service de façon imminente. Le JT60-SA, une amélioration du Tokamak japonais JT60, a été conçu pour soutenir les opérations d’ITER en servant de programme de recherche et développement complémentaire et pour chercher la meilleure optimisation pour le fonctionnement des centrales de fusion du futur.

Figure 59 Troisième exemple de coopération : un programme entre ITER et la Corée utilise le Tokamak KSTAR qui sert pour faire des tests d’atténuation des disruptions en configuration « ITER-like ».

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Figure 58

Figure 60 Quatrième exemple de coopération d’ITER avec la France et le Tokamak WEST, notamment, au travers d’une phase d’essai et d’exploitation des composants de revêtement par plasma de type ITER dans le Tokamak achevé en 2019, puis par une phase de longue durée pour tester le mode H à impulsions longues et un fonctionnement en régime permanent. 133

Chimie et énergies nouvelles

Figure 61 Cinquième exemple de coopération internationale pour ITER. Le Tokamak chinois a réussi en 2019 à obtenir une série de plasmas stationnaires en mode H.

A

B

D

C

134

E

Figure 62 Le développement récent d’initiatives privées, principalement dans le monde anglo-saxon et parfois associées au monde universitaire, renforce la crédibilité de la production d’énergie par fusion contrôlée. En explorant des voies souvent originales, certaines startups contribuent à la connaissance fondamentale autant qu’au développement technologique. ITER et la communauté de fusion sont attentifs à ces développements qui ne peuvent que bénéficier au progrès de la connaissance. Mais les lois de la physique s’imposent partout et certains projets, certaines annonces manquent de crédibilité. A) General Fusion, Canada ; B) Tokamak Energy, Royaume-Unis ; C) TAE Technologies, ÉtatsUnis ; D) Tri Alpha, États-Unis ; E) Commonwealth Technologies, États-Unis.

Quelles échéances vers la disponibilité de l’option « fusion de l’hydrogène » ?

Nous sommes donc sur la route de l’étape de recherche et développement qu’est ITER (Figure 63), mais déjà un certain nombre de pays réfléchissent à l’équipement industriel final qui permettra à l’installation d’être connectée au réseau. On pose souvent la question du délai dans lequel il faut espérer avoir connexion effective de l’installation de fusion au réseau. La Figure 64 met

A

B

Figure 63 ITER et au-delà. Les membres d’ITER ont engagé, individuellement, les études conceptuelles de la « machine suivante », collectivement baptisée « DEMO ». A) Schéma du réacteur d’ITER ; B) Schéma de DEMO, le démonstrateur industriel, dernière étape avant la série.

Figure 64 Vers l’industrialisation : en 2040, au terme de cinq années d’opérations à pleine puissance et d’optimisation des systèmes, ITER devrait avoir démontré la faisabilité de la fusion d’hydrogène et convaincu décideurs politiques et industriels de son potentiel. En 2045, l’industrie pourrait envisager de lancer la construction des premières centrales de fusion. Entre 2055 et 2060, ce serait la phase d’industrialisation. Puis à partir de 2060, c’est l’aire possible d’un potentiel mix énergétique 50-60 % fusion/fission et 40-50 % renouvelables.

135

Chimie et énergies nouvelles

en évidence le fait que l’on peut attendre ce résultat pour les alentours des années 2060, que cette technologie sera susceptible d’être développée. En attendant toutes les équipes sont fixées sur ce magnifique objectif de la démonstration technologique en 2025 (Figure 65).

Figure 65 Vue panoramique du site ITER : objectif 2025 !

136

apports de la

R&D à l’accélération de la

transition

énergétique

Catherine Rivière est directrice générale adjointe de l’IFP Énergies nouvelles1.

1

La transition énergétique : une dynamique enclenchée Plusieurs chapitres de cet ouvrage montrent que le système énergétique mondial est encore aujourd’hui très carboné et que sa transformation vers un système n’émettant pas de gaz à effet de serre prendra un certain nombre d’années, certainement de décennies. Mais il est cependant clair qu’aujourd’hui, même après la crise sanitaire et la crise économique que nous vivons, la transition énergétique est enclenchée : un élément clé a été la 1. www.ifpenergiesnouvelles.fr

signature de l’Accord de Paris en décembre 2015. Ce chapitre illustre la dynamique dans laquelle cette transition énergétique s’inscrit autour de quatre constats. Le premier de ces constats est qu’aujourd’hui, 38 pays sont engagés dans l’objectif de neutralité carbone : l’Europe s’y est engagée pour 2050, la France avec son plan climat s’y est engagée en 2017, le Japon plus récemment. La Chine, elle aussi engagée, vise une neutralité carbone à l’échéance 2060. Avec l’élection de Joe Biden à la présidence américaine, les États-Unis sont revenus dans l’Accord de Paris. Sur la carte de la Figure 1 à gauche, apparaissent en bleu

Catherine Rivière

Quelques

Chimie et énergies nouvelles A

Dans la loi Législation proposée Dans le plan d’action Objectif en cours de discussion Pas de discussion

B

Figure 1 La neutralité carbone : A) Carte des pays engagés dans la neutralité carbone ; B) Articles de la presse mondiale. Source : carte : © IFPEN.

les pays ayant pris des engagements fermes et en gris les pays qui sont en discussion pour prendre de tels engagements. La totalité de ces pays représente 64 % des émissions de CO2 sur la planète : cela démontre que cet engagement est bien une réalité.

138

Autre constat, en regardant l’évolution de la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial (Figure 2), on peut constater que depuis dix ans celle-ci (en vert) augmente. Elles sont le second fournisseur d’électricité. Si on prolonge les tendances, et avec l’érosion du charbon, les énergies renouvelables pourraient devenir le premier fournisseur d’électricité de la décennie en cours. 2020, avec la crise Covid, ne semble pas remettre en cause ces tendances puisqu’il apparaît dans le dernier bilan de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le WEO (« World Energy

Outlook ») de 2020, que de toutes les sources primaires d’énergie, les sources d’énergie renouvelables sont les seules à avoir continué à croître en 2020. Le troisième constat factuel, également cité dans d’autres chapitres de cet ouvrage, est le déploiement des véhicules électriques (Figure 3). L’électrification est une voie pour décarboner le secteur du transport concernant les véhicules de particuliers. C’est un secteur que l’on pensait très difficile à décarboner du fait de la très grande dépendance des carburants avec le pétrole. Pourtant en 2020, et malgré la crise sanitaire et économique, près de 10 millions de véhicules électriques ont été vendus dans le monde. Le dernier constat est l’évolution toujours croissante au niveau mondial des investissements dans la transition énergétique malgré le contexte

10

Charbon

40

9 8

35

%

Millions

Renouvelables

25

Gaz naturel

20 10 5 0 1970

5 4

1978

1986

1994

2002

Nucléaire

2

Pétrole

1

2010

0 2012 États-Unis

2018

2014 2016 2018 2020 Total EV Europe Chine

Figure 3

Figure 2 Mix électrique mondial : rôle croissant des renouvelables. Part dans la production mondiale d’électricité par combustible (1971-2018). Source : AIE (au 31/07/2020).

Évolution du stock de véhicules électriques. Source : © IFPEN.

1 000

600

900

501

500 434 441

600

235

297 263

G$

290

240

502

500

522

558

543

378

300

143 109 100

658

588

400

182 173

200

884

676

700

330 300

860 796

800

459

378

400

G$

6

3

12

200

61

100

33

0

0 2004

A

9,5 millions de VE en 2020

7

30

Quelques apports de la R&D à l’accélération de la transition énergétique

45

2006

2008

2010

2012

Hydrogène Captage et stockage du carbone Stockage de l’énergie

2014

2016

2018

2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020

2020

Transport électrique Chaleur électrique Énergie renouvelable

B

Afrique CEI Europe Amérique du Nord

Asie Amérique centrale et du Sud Moyen-Orient Océanie

Figure 4 Comparaison des investissements par année dans la transition énergétique (A) et dans le secteur pétrolier (B). Source : A) BloombergNEF ; B) : © IFPEN

de la pandémie ; il est intéressant de comparer, sur la Figure 4, la partie de gauche (A), qui concerne les investissements dans la transition énergétique, avec la partie à droite (B), qui présente l’évolution des investissements en exploration/production pétrolière qui est en baisse à partir de la crise pétrolière de 2014. Il est important dans cette

comparaison de noter que 2020 est la première année où les investissements dans la transition énergétique, de 501 milliards de dollars, sont supérieurs à ceux de l’exploration/production pétrolière, qui étaient de 378 milliards de dollars. C’est donc un élément factuel qui illustre bien ce qui est en train de se passer : une véritable bascule.

139

15 000

2019

B

12 000

6 000

–2 000

–4 000

3 000 0 Charbon

Évolution de 2019 à 2030

2 000

0

9 000

Mtoe

Mtoe

Chimie et énergies nouvelles

A

–6 000 Pétrole

Gaz

STEPS

Nucléaire

DRS Énergies renouvelables

SDS

NZE2050

Utilisation traditionnelle de la biomasse

Figure 5 Comparaison des sources énergétiques en 2019 (A) avec les sources énergétiques (B) par secteurs selon les scénarios de l’AIE en 2030. Source : d’après AIE : WEO 2020.

L’Agence internationale de l’énergie a établi plusieurs scénarios, avec des hypothèses plus ou moins sévères (Figure 5). Tous ces scénarios, du moins contraignant au plus exigeant, prévoient une forte croissance des sources d’énergies renouvelables dans la prochaine décennie : – le premier scénario, STEPS («  Stated policies scenario » (STEPS), scénario des politiques déclarées), est celui, qui prend en compte les engagements des États et qui prévoit une fin de crise Covid en 2021 ; – le scénario suivant, DRS (« Delayed recovery scenario » (DRS), scénario de reprise retardée), est un scénario récent qui a été élaboré l’année dernière, qui est le même que le STEPS mais qui prévoit une fin de crise Covid deux ans plus tard, en 2023 ;

140

– le scénario SDS (« Sustainable development scenario » (SDS), scénario de développement durable) est un scénario très

habituel de l’Agence internationale de l’énergie, qui prend en compte l’hypothèse du respect de la limitation de la température sur la planète de 1,5 °C et une neutralité carbone en 2070 ; – le scénario suivant, NZE2050 («  Net zero emissions »), prévoit la neutralité carbone mondiale en 2050 et a été élaboré également par l’AIE l’année dernière. Comment passer du scénario STEPS, qui est un scénario facile, au scénario SDS, qui est un scénario plus difficile, et ainsi obtenir un impact satisfaisant sur le climat en réduisant fortement les émissions de CO2 ? Un rapport de l’AIE de septembre 2020 montre que si nous voulons en 2030 réduire les émissions de CO2 à moins de 10 millions de tonnes pour passer du scénario STEPS au scénario SDS (Figure 6A), il faut mettre en place tout un ensemble de technologies différentes qui ne sont matures aujourd’hui qu’à 26 % (ex. H2 ou CCUS) (Figure 6B).

–10

–10

–20 –30

–30

–40 2019

A

–20

2030

2040

Demande évitée Bioénergie Électrification Autres changements de combustible

2050

2060

2070

Performances technologiques Autres énergies renouvelables Hydrogène Captage du carbone, utilisation et stockage

–40 2019

B

2030

2040

2050

Mature (26 %) TRL11 Adoption anticipée (39 %) TRL9-10

2060

2070

Démonstration (18 %) TRL7-8 Grand prototype (18 %) TRL5-6

Figure 6 Nécessité de technologies bas carbone matures : réduction des émissions de CO2 par technologies (A) et B (à droite) par maturité des technologies (B). Source : IEA : EnergyTechnology Perspectives 2020 (sept. 2020).

2

La recherche et l’innovation à IFP Énergies nouvelles L’atteinte de l’objectif de neutralité carbone nécessite donc des efforts soutenus de recherche et d’innovation parfois de rupture, pour augmenter leur rendement, réduire leurs coûts et ainsi accélérer leur déploiement. Si on regarde les dépenses publiques mondiales de R&D dans le domaine de l’énergie,

au global elles n’évoluent pas. S’il y a eu une nette augmentation dans les années 2010 avec une croissance importante des efforts sur les énergies renouvelables, les dépenses publiques mondiales de R&D dans le domaine de l’énergie demeurent stables depuis dix ans (Figure 7). Mais, comme on peut le voir dans plusieurs chapitres de cet ouvrage, les industriels affichent leur volonté de développer la R&D dans le domaine des énergies renouvelables.

Quelques apports de la R&D à l’accélération de la transition énergétique

0

GtCO2 /an

GtCO2 /an

0

30

USD (2019 PPP) billion

25 20 15 10 5 0

1977

1980

Efficacité énergétique

1990

Combustibles fossiles

Sources d’énergies renouvelables

2000

Nucléaire

Hydrogène et piles à combustible

2010

Autres technologies d’énergie et de stockage

2019

Transversal

Non alloué

Figure 7 Dépenses R&D en énergie par secteur et dans le temps depuis dix ans.

141

Chimie et énergies nouvelles

Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone, s’appuyer sur une R&D performante et coopérative entre les différents acteurs sera un plus. 2.1. Les domaines d’activité d’IFP Énergies nouvelles La transition énergétique est inscrite dans la réalité d’IFP Énergies nouvelles (IFPEN) depuis dix ans, avec aujourd’hui quatre priorités stratégiques (Figure 8), dont trois qui concernent directement la transition énergétique. Le cœur historique d’IFPEN, son histoire, ses compétences, ont

Énergies nouvelles

Climat, environnement et économie circulaire

Mobilité durable

Hydrocarbures responsables

Produire, à partir de sources renouvelables, des carburants, des intermédiaires chimiques et de l’énergie

Développer de nouvelles technologies dans les domaines du recyclage des plastiques, de la qualité de l’air, de l’interaction sous-sol climat, du captage et stockage du CO2

Développer des solutions pour des transports efficients et à faible impact environnemental

Proposer des technologies visant à satisfaire la demande en énergie et en produits chimiques, en réduisant l’impact environnemental

La recherche fondamentale, socle pour le développement de nos innovations

Figure 8 Domaines d’activités de l’IFPEN. La recherche fondamentale est un socle important et mutualisé.

Un continuum recherche fondamentalerecherche appliquée • De la recherche fondamentale : identification des verrous scientifiques fondamentaux et résolution dans le cadre de partenariats académiques • à la recherche appliquée : variation et expérimentation du laboratoire au stade industriel dans une approche multi-échelle en passant par les phases intermédiaires du pilote ou du démonstrateur, intégration à toutes les étapes d’une approche pluridisciplinaire • jusqu’à la valorisation : politique de propriété industrielle, prise de brevets, développements industriels

Figure 9 142

Stratégie de l’IFPEN concernant l’innovation.

été construites dans le domaine des hydrocarbures, qui ne représentent plus aujourd’hui qu’un tiers de ses activités. 2.2. La stratégie La recherche et développement à IFPEN intègre l’ensemble de la chaîne de l’innovation dans le cadre d’un continuum depuis la recherche fondamentale jusqu’à la recherche appliquée (Figure 9). La stratégie d’IFPEN est de conduire une recherche fondamentale mutualisée pour optimiser les capacités d’innovation et pour mettre le résultat des efforts des chercheurs sur le marché le plus vite possible. L’objectif est de partir des concepts expérimentaux mis au point au laboratoire et de les tester à une échelle différente, qu’on appelle « pilote », de le démontrer avec des partenaires lorsque nécessaire, avant de le mettre sur le marché, et de le faire commercialiser par des tiers. La valorisation est inscrite dans l’ADN des chercheurs à IFPEN et la prise de brevets est importante. IFPEN est un Institut public, un EPIC, le troisième institut public qui dépose le plus de brevets en France après le CEA et le CNRS. Il est essentiel à IFPEN de créer de la valeur non seulement par la prise de brevets mais également par la création de filiales. Un exemple de filiale emblématique est Axens2, qui est une 2. Axens est une société française du secteur de l’énergie, présente sur les marchés du raffinage, de la pétrochimie, du traitement du gaz, des énergies renouvelables (carburants et intermédiaires pétrochimiques).

2.3. La recherche partenariale À IFP Énergies nouvelles, il y a une grande expérience de partenariat public-privé. Il est en effet important de s’associer le plus vite possible, de manière complémentaire, avec d’autres acteurs du monde économique pour faciliter l’accès rapide des technologies au marché. Trois exemples avec des partenaires de tailles très différentes (Figure 10) dans des domaines très différents peuvent illustrer cette recherche partenariale. IFPEN est aujourd’hui dans le secteur des énergies nouvelles, mais son histoire était en partie l’exploration/ production pétrolière ; qui dit Groupe Industriel

exploration/production pétrolière dit offshore en mer. Les compétences développées sur l’éolien en mer, basées sur l’expérience acquise dans le domaine des plateformes pétrolières en mer, ont amené à développer un partenariat stratégique avec SBM3 pour construire des flotteurs d’éoliennes en mer. Ainsi, IFPEN a été retenu au côté de SBM dans un appel d’offres d’EDF pour installer trois éoliennes en mer au large de Fos-sur-Mer. Un autre exemple dans le domaine du recyclage chimique des plastiques est le partenariat avec une PME japonaise pour mettre au point un procédé de recyclage chimique de plastiques (PET), qui nécessite aujourd’hui une phase de démonstration. La démonstration aura lieu à partir de 2022, le procédé sera ensuite mis sur le marché, 3. SBM Offshore est une société travaillant comme sous-traitant de l’industrie pétrolière et gazière.

PME japonaise

SOLUTION DE FLOTTEUR ET D’ANCRAGE RECYCLAGE CHIMIQUE DES PLASTIQUES

Technologie de flotteurs et ancrage pour éoliennes flottantes 2023 : Mise en service de 3 éoliennes de 8 MW au large de Fos-sur-Mer (projet Provence Grand Large par EDF Renewable)

Quelques apports de la R&D à l’accélération de la transition énergétique

filiale 100 % IFPEN, créée il y a vingt ans et qui est le deuxième bailleur de procédés au monde. Aujourd’hui 42 % environ des technologies utilisées dans toutes les raffineries du monde proviennent de procédés Axens.

Valorisation des déchets à base de PET colorés (bouteilles, films, barquettes ou textiles) par dépolymérisation et purification Étape de démonstration : fin 2021

Startup

SERVICES POUR VÉLO

Compagnie des mobilités/Geovelo Cartographie et services pour vélo via smartphone

Figure 10 La recherche partenariale à l’IFPEN : trois exemples qui montrent la diversité des partenaires et des technologies sur le marché. Sources : A) © SBM Offshore ; C) © Geovelo/Compagnie des Mobilités-IFPEN.

143

Chimie et énergies nouvelles

pour être commercialisé dans les années suivantes.

de la compréhension de phénomènes physico-chimiques, en passant par leur modélisation, et jusqu’à l’évaluation d’un système complet.

Plusieurs partenariats ont été établis avec des startups. Ainsi, dans le domaine de la mobilité, IFPEN a à la fois un partenariat de recherche et une prise de participation dans la startup Geovelo, qui permet de faire de la cartographie extrêmement utile sur les smartphones pour les parcours à vélo.

Ces verrous scientifiques, transverses et interconnectés, n’ont pas tous le même poids ni la même importance. Certains sont des piliers, comme la caractérisation des matériaux et des fluides, les mécanismes réactionnels, la modélisation des phénomènes couplés aux différentes échelles, ainsi que la simulation numérique. L’intelligence artificielle et l’utilisation des données massives comme sources d’amélioration des connaissances sont montées en puissance ces dernières années.

La diversité des entreprises (grands groupes, PME, startups) et la diversité des thèmes montrent la diversité du type de partenariat souhaitée. 2.4. La recherche fondamentale À IFPEN, la recherche fondamentale est organisée autour de neuf verrous scientifiques, déclinés en défis (Figure 11), qui adressent des grandes questions scientifiques intervenant dans toutes les activités de recherche et innovation à IFPEN. Cette démarche autour de ces neuf verrous scientifiques permet d’aller

M ré éca ac ni tio sm nn e el s s VS 2

conception description

VS3

VS3

PRÉDICTION optimisation contrôle

de an tion mm isa Co tim op et

S7

modélisation

simulation

VS

4

V

VS6 M phén odélisa tio omè nes n des com plex es

VS5

de Scien sd on ce né es

VS8

compréhension

Effet du t confinemen

Perform ance des code s

Caractérisation s ue iq s matériaux et fluides om ale on ent c é m ns ne VS1 tio on ua ir al nv 9 Év et e VS

Un autre verrou scientifique transverse concerne l’évaluation économique et environnementale à laquelle s’intègre l’étude de l’acceptation sociétale qui apporte des méthodes et outils d’aide à la décision. C’est aussi un facteur clé pour mettre sur le marché de nouveaux procédés.

s teur

crip Des

Figure 11 144

Les neuf verrous scientifiques d’IFPEN en matière de recherche fondamentale et quelques partenaires.

3

La chimie, une discipline clé pour les technologies bas carbone 3.1. Transformation de la biomasse lignocellulosique La transformation de la biomasse lignocellulosique4 pour faire des biocarburants ou des bioproduits (Figure 12) est un exemple de technologie bas carbone pour laquelle la chimie 4. Biomasse lignocellulosique : biomasse d’origine agricole ou forestière telle que le bois, les déchets de bois, les cultures pérennes, les cultures annuelles et les coproduits ligneux des cultures.

est essentielle. La transformation de la biomasse fait appel à énormément de compétences très variées, qu’elles soient du domaine chimique, génie chimique ou biologique et biotechnologique. L’utilisation des biocarburants est une solution pour décarboner le secteur des transports. IFPEN y travaille depuis quelques années (Figure 13). La première génération de biocarburants (biocarburants conventionnels) était basée sur l’utilisation des ressources agroalimentaires, ce qui est en compétition avec leur utilisation dans le domaine de l’alimentaire, c’est donc devenu extrêmement réglementé. La deuxième génération de biocarburants (biocarburants avancés) développée depuis consiste en la transformation de résidus agricoles ou de bois et présente une réduction de gaz à effet de serre extrêmement compétitive (plus de 85 % de réduction des gaz à effet de serre par rapport à la référence fossile). C’est la voie qui

Quelques apports de la R&D à l’accélération de la transition énergétique

En explicitant les questionnements scientifiques, cette démarche structurée autour de neuf verrous scientifiques permet de mutualiser la recherche fondamentale en travaillant aux interfaces des disciplines et en collaboration avec des partenaires, dont certains sont cités sur la partie droite de la Figure 11.

Figure 12 Exemples de biomasse lignocellulosique. Source : © Michel Jolyot – PROCETHOL 2G.

145

Chimie et énergies nouvelles

FILIÈRE CONVENTIONNELLE Hydrotraitement Hydroisomérisation

Procédé IFPEN : Vegan™

Mélange au gazole ou au kérosène

Huile de colza Huile de tournesol

Procédé IFPEN :

HVO

FILIÈRE AVANCÉE

Résidus agricoles (pailles) et forestiers

Voie thermochimique

Cultures dédiées (taillis à croissance rapide)

Voie biochimique

(gazéification) (torréfaction)

(hydrolyse enzymatique)

Synthèse Gaz de synthèse

Hydrocarbures

Fermentation Sucres Éthanol

Mélange au gazole ou au kérosène

Mélange à l’essence

Projet FUTUROL : Partenaires R&I – Industriels et financiers

Figure 13 Les différentes générations de biocarburants.

a été retenue et dans laquelle IFPEN est impliqué avec deux procédés qui utilisent deux approches chimiques différentes : Futurol et BioTfueL. Futurol utilise une approche enzymatique, tandis que BioTfueL utilise une approche thermochimique. Le bas de la Figure 13 présente l’ensemble des partenaires, qu’ils soient académiques ou industriels, qui sont intervenus dans le développement du procédé Futurol, qui est dans la phase de commercialisation par Axens, filiale d’IFPEN, et pour lequel une première licence a été vendue en Croatie en 2020. 3.2. Vers les briques de la bioraffinerie : production des grands intermédiaires chimiques biosourcés

146

Trois exemples (Figure 14) illustrent l’utilisation de la biomasse pour la production

Source : © IFPEN.

de grands intermédiaires dans lesquels IFPEN est associé avec des partenaires industriels pour mettre sur le marché des procédés qui, à terme, s’inscrivent dans la transition énergétique. Le premier exemple est un partenariat avec Michelin pour fabriquer du butadiène biosourcé, élément indispensable dans la fabrication des pneumatiques. La phase de démonstration de ce procédé, sur l’unité de Michelin près de Bordeaux, va démarrer sous peu (l’unité entre en phase finale de construction). Le deuxième exemple (cité dans le chapitre d’O. Greiner), est un partenariat avec Total, pour le Procédé Atol-C2, technologie de production de bioéthylène par déshydratation d’éthanol. La première licence a été vendue en 2020. Le dernier exemple est un partenariat avec une startup

Procédé de production de butadiène biosourcé pour créer une filière industrielle de caoutchoucs bio Démonstrateur en cours de construction en 2021 à Bassens, près de Bordeaux Collaboration IFPEN, Axens et Michelin

Éthylène biosourcé

Mise au point par IFPEN, Axens et Total d’une technologie de production de bioéthylène par déshydratation de l’éthanol issu d’une production fermentaire Commercialisé par Axens 1re licence ATOL C2 vendue en 2020

Benzène, toluène et paraxylène biosourcé

Procédé de production de benzène, toluène et paraxylène (BTX) à partir de biomasse ligno-cellulosique pour la production de plastiques et de fibres textiles Pilote construit sur le site de Silsbee, au Texas Phase de commercialisation en cours Partenariat IFPEN, Axens et Anelliotech

Figure 14 Exemples de partenariats sur les procédés de synthèse d’intermédiaires biosourcés. Source : © IFPEN/Objectif Images, © IFPEN (David Arraou), © IFPEN (Frédéric Feugnet).

américaine, Anellotech, pour fabriquer du benzène et du paraxylène à partir de biomasse lignocellulosique, briques de base pour la production de plastiques biosourcés. Le point intéressant dans ce partenariat est que cette startup avait mis au point un procédé à l’échelle du laboratoire, et IFPEN a construit un partenariat pour extrapoler leur procédé à l’échelle industrielle via un passage par une échelle de démonstration, avant de lancer la phase de commercialisation, qui est désormais en cours.

4

Le recyclage chimique des plastiques Depuis 2020, IFPEN a également développé une autre priorité, en lien avec l’économie circulaire, pour s’inscrire dans la transition énergétique :

le recyclage chimique des plastiques (Figure 15).

Quelques apports de la R&D à l’accélération de la transition énergétique

Butadiène biosourcé

Le recyclage mécanique des plastiques est la méthode de recyclage la plus courante ; le recyclage chimique a un avantage même s’il est plus complexe, il permet d’élargir la gamme des déchets à traiter et permet d’éviter le « downcycling » (recyclage du produit vers un usage moins noble). La chimie est un élément clé pour le recyclage chimique des plastiques avec trois types de procédés : – par dissolution et on obtient directement un polymère5 ; – par dépolymérisation, on obtient un monomère5 ; 5. Polymère : molécule de masse moléculaire élevée généralement organique ou semi-organique. Une macromolécule constituée d’un enchaînement d’un grand nombre d’unités de répétition, d’un ou de plusieurs monomères (unités de répétition), unis les uns aux autres par des liaisons covalentes.

147

Chimie et énergies nouvelles

– par une conversion chimique beaucoup plus importante pour revenir directement à la molécule. On peut voir clairement dans les trois cercles de la Figure 15 que la difficulté va en s’accroissant quand on passe du polymère, au monomère, puis à la molécule. Pour illustrer ce procédé de recyclage chimique, prenons le cas du polyéthylène téréphtalate opaque et coloré (Figure 16), technologie en développement en partenariat avec la société JEPLAN, une PME japonaise choisie parce qu’elle avait un savoir-faire éprouvé sur le recyclage de textiles.

IFPEN avait mis au point au laboratoire un procédé de dépolymérisation et purification mais il fallait passer à une échelle pilote pour pouvoir le démontrer avant qu’il soit commercialisé. L’association avec JEPLAN permet de gagner du temps dans ce passage d’échelle, les travaux ont débuté en 2020, l’étape de démonstration sera réalisée à partir de 2022 ; il n’aura fallu que quatre-cinq ans pour mettre au point un procédé depuis le laboratoire jusqu’à sa mise sur le marché, soit deux fois moins de temps qu’il n’en faut pour mettre au point tout seul un procédé.

Plastiques For m

ula

Po ly



La réglementation des sacs plastiques dans le monde

Syn

ris

thè

ati

tion

se

on

Polymères

Monomères

Molécule

tio

ula

m for



n ion

sat

éri

lym

po Dé

on

rsi

nve

Co

Figure 15 Le recyclage chimique des plastiques, une prise de conscience sociétale à l’échelle mondiale : des évolutions réglementaires qui se développent, un comportement des consommateurs en évolution et une adaptation des industriels.

Projet IFPEN de valorisation des déchets à base de PET colorés, opaques ou thermoformés (bouteilles, films, barquettes ou textiles) par dépolymérisation et purification Partenariat IFPEN, Axens et JEPLAN Démarrage de l’étape de démonstration : fin 2021

Figure 16 148

Recyclage chimique du PET opaque.

Le numérique dans la chimie, un atout performant

manière beaucoup plus intrusive et aussi beaucoup moins chère.

Historiquement, la modélisation numérique a beaucoup apporté à la chimie. On peut citer la dynamique moléculaire par exemple, permettant de représenter les molécules et leurs interactions.

L’intelligence artificielle et l’utilisation du big data (mégadonnées) permettent de modéliser plus facilement et plus rapidement un grand nombre d’espèces chimiques, et en couplant un résultat de calculs avec des données et en les comparant, d’être beaucoup plus prédictif et de gagner beaucoup de temps. Cela ouvre des voies à une chimie beaucoup plus focalisée qui pourra aborder des phénomènes qu’elle ne savait pas aborder ou difficilement.

Les nouvelles techniques numériques sont devenues des outils performants au service de la chimie, comme illustré sur la Figure 17. Un exemple de calcul quantique est présenté sur la Figure 17 : un système de 500 atomes simulés dans une réaction visant à produire des intermédiaires chimiques biosourcés. Grâce à l’accroissement de la puissance de calcul des ordinateurs, et au fait que les codes sont beaucoup mieux adaptés, il est maintenant possible de simuler des systèmes plus complets associant la molécule et son environnement, et de prédire par exemple les vitesses de réactions. Cela ouvre la voie pour tester les procédés beaucoup plus rapidement et de

Chimie quantique Calcul ab initio

Les relations structure-propriétés à l’échelle quantitative : au lieu de partir d’une molécule et de regarder ses propriétés, visons directement la propriété que l’on cherche à avoir et reconstruisons l’histoire pour arriver à définir quel type de molécule pourra y répondre. Cette approche ouvre la voie à des perspectives très intéressantes. Les recherches sur ce domaine sont récentes, mais extrêmement prometteuses.

Quelques apports de la R&D à l’accélération de la transition énergétique

5

IA – Deep Learning Modéliser un grand nombre d’espèces chimiques

CO2(g) → CO2(aq) CO2(aq) + H2O(l) → H2CO3(aq) H2CO3(aq) → H+(aq) + HCO–3(aq) HCO–3(aq) → H+(aq) + CO2– 3(aq) – Mg(OH)2(s) + H+(aq) → Mg2+ (aq) + H2O(l) + OH(aq)

Structures O

O O

O

O O

Propriétés physicochimiques

O

Figure 17 Les nouvelles techniques numériques au service de la chimie.

149

Chimie et énergies nouvelles 150

Conclusion Emprunter la trajectoire d’émissions de CO2 la plus vertueuse et ainsi accélérer la transition énergétique est une absolue nécessité. Cela implique : – en premier lieu d’augmenter la R&D dans le domaine de l’énergie ; – également de favoriser le travail collaboratif et soutenir une recherche aux interfaces : génie chimique, génie des procédés, électrochimie, biochimie, chimie-numérique. Ce qui signifie associer recherche, innovation, valorisation, formation, et encourager les partenariats public-privé, favoriser un travail collaboratif entre acteurs R&D et acteurs économiques (industrie PME, startup). Cela veut tout simplement dire soutenir l’­innovation.

véhicules

électriques et

thermiques :

impact

quel sur l’environnement ?

Jean-Claude Bernier est professeur émérite de l’Université de Strasbourg, fondateur et ancien directeur de l’École européenne d’ingénieurs de chimie, polymères et matériaux (ECPM 1) à Strasbourg, ancien directeur scientifique du département de chimie du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il a été membre du conseil scientifique de Pechiney2, d’Alcan3 et de Rio Tinto4.

Ce chapitre aborde l’évolution des véhicules automobiles dits propres à la lumière 1. http://ecpm.unistra.fr 2. Pechiney est un groupe industriel français spécialisé dans l’aluminium, qui a été racheté en 2003 par Alcan. 3. Alcan est une entreprise canadienne, ex-numéro 3 mondial de la fabrication et de la commercialisation de l’aluminium, racheté en 2007 par Rio Tinto. 4. Rio Tinto est un groupe minier anglo-australien, spécialisé dans l’aluminium, le fer, le charbon et le cuivre.

de la transition énergétique en regardant leurs caractéristiques et en se posant la question de savoir s’ils sont plus ou moins écologiques. Après quelques rappels sur la part du transport dans les dépenses énergétiques et les émissions de gaz carbonique, nous nous pencherons sur les véhicules thermiques, les véhicules électriques puis les véhicules à hydrogène, et enfin, nous terminerons par des considérations économiques et d’évolutions futures.

Jean-Claude Bernier

Nouveaux

Chimie et énergies nouvelles

1

La part du transport dans les dépenses énergétiques et les émissions de gaz carbonique en France Replaçons-nous tout d’abord dans la perspective, en France, de la transition écologique et ses objectifs liés au changement climatique (Figure 1). On retrouve évidemment la réduction des

gaz à effet de serre, l’évolution de la production électrique en diminuant la part du nucléaire et le Graal de la neutralité carbone en 2050, que de nombreux scientifiques, y compris l’Académie des sciences, trouvent un peu prématuré. En France, les consommations énergétiques des ressources naturelles et donc les émissions

Figure 1

154

Les objectifs de la transition énergétique « accélérée » en France. « GES importés » correspond à la qualité des objets importés consommés en France. On en évalue la « trace carbone » qui traduit les émissions de gaz à effet de serre dues à la fabrication de ces objets et à leur transport vers la France. À titre d'illustration, rappelons que les panneaux photovoltaïques fabriqués en Chine ont émis 14 fois plus de carbone (ou équivalent) que les européens. Source : ministère de la Transition écologique – chiffres clés du climat – édition 2021.

Sur les répartitions des émissions de CO2, on constate que ce sont d’abord les véhicules particuliers pour 54 %, avant les poids lourds et les véhicules utilitaires (Figure 3).

Agriculture

Procédés industriels et solvants

Quand on regarde l’évolution des émissions de CO2 depuis une trentaine d’années (Figure 4), avec l’augmentation du trafic routier, qui a été de l’ordre de 10 %, nous sommes passés d’environ 111 mégatonnes d’émissions de gaz carbonique à 120, avec une stagnation depuis 2015, que l’on peut attribuer aux réglementations européennes,

Industrie de l’énergie 10,7

Utilisation d’énergie 70,4

16,4

Transports 29,0

9,5

Industrie manufacturière et construction 11,1 3,7

Résidentiel et tertiaire 16,5 Autres 3,2

Déchets

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

du gaz carbonique sont dues à plusieurs secteurs, dont celui des transports pour environ 30 %, et avant le secteur résidentiel et tertiaire (Figure 2).

Figure 2 Répartition des émissions de gaz à effet de serre en France en 2017 (en %). Source : ministère de la Transition écologique – chiffres clé du climat – édition 2021.

LA RÉPARTITION DES ÉMISSIONS DE CO2 DU TRANSPORT ROUTIER

Voitures

Poids lourds

54 %

22 %

Véhicules utilitaires

21 % Deux-roues motorisés

1,2 %

Autres transports

0,2 %

Figure 3 Répartition des émissions de CO2 du transport routier en France.

155

Chimie et énergies nouvelles

1%

1%

10 %

13 %

22 %

24 %

1990 111 MtCO2

45 % 19 %

2014 120 MtCO2 43 %

6% 14 % 2% Voitures particulières essence Voitures particulières diesel

Véhicules utilitaires légers essence Véhicules utilitaires légers diesel

Poids lourds diesel Deux-roues motorisés

Figure 4 Évolution des émissions de CO2 dues aux transports.

Source : CITEPA.

qui ont limité les consommations (Euro5 et Euro65), et évidemment les émissions de gaz carbonique.

2

Le véhicule thermique

2.1. L’habitude du consommateur et son impact sur l’environnement Une étude récente montre que depuis dix ans, il y a eu une réelle économie de consommation sur la plupart des modèles de véhicules thermiques. Si nous prenons l’exemple de quelques modèles de citadines, nous avons d’une part les métallurgistes et les motoristes qui ont travaillé sur la diminution des cylindrées, c’est ce qu’on appelle le «  down-sizing »6,

156

5. Euro5 et Euro6 : règlements de l’Union européenne qui fixent les limites maximales de rejets polluants pour les véhicules neufs. 6. Down-sizing (réduction de taille) : procédé de réduction du cylindré d’un moteur qui permet d’améliorer le ratio puissance/litre afin de diminuer la consommation de carburant et les émissions de gaz toxiques.

également l’adjonction des turbos7 avec des alliages réfractaires8 à géométrie variable, l’injection directe à haute pression9. Les chimistes ont réduit les frottements avec des huiles nouvelles et également des pneumatiques à faible résistance aux roulements. Si nous regardons l’exemple de deux modèles de citadines des fabricants français Peugeot et Renault (Tableau 1), nous avons vu en dix ans une diminution assez importante de la consommation, y compris pour les diesels et pour ces nouveaux véhicules que l’on appelle les SUV10, ou semi toutterrain. La Figure 5 présente les émissions en grammes de gaz 7. Un turbocompresseur permet d’injecter plus d’air dans le moteur, de manière à augmenter la puissance du moteur ou à diminuer la quantité de carburant consommé. 8. Un alliage réfractaire est mélange de métaux qui est très résistant à la chaleur et l’usure. 9. Injection directe à haute pression : le carburant est directement injecté dans la chambre de combustion du moteur, ce qui permet de consommer moins en injectant le moins de carburant possible et en modulant l’injection selon des paramètres extérieurs (pression, température, régime moteur…). 10. SUV : « Sport Utility Vehicle », véhicule utilitaire sportif.

Tableau 1 La consommation des véhicules thermiques est en baisse depuis dix ans. Citadines

Peugeot

27 %

Renault

40 %

Diésels

12 %

SUV

7%

QUEL EST LE MODE DE TRANSPORT LE PLUS ÉCOLO ? Émissions de CO2 par mode de transport, en gramme par km 250

200

150

100

50

0

TGV Transilien

3 6

Intercités Voiture électrique TER

11 22 30

Autocar (longue distance)

44

Covoiturage Voiture* (diesel) Voiture* (essence) Avion (vols intérieurs) Voiture* (passager unique)

74 127 135 168 207 250

4×4 Sources : SNCF, MEDDE, Ademe (chiffres 2016) Réalisation : Concepcion Alvarez

* 2,3 passagers

Figure 5 Le train est le moyen de transport le moins polluant. Source : Novelthic.fr ; SNCF Medoe.

carbonique par kilomètre et par passager pour les différents moyens de déplacement. Il montre que les moyens de transport les moins producteurs de gaz carbonique sont le TGV et les trains en général, grâce au mix électrique11, français qui utilise de l’électricité d’origine nucléaire. Les plus polluants sont, avec l’avion, l’automobile, surtout avec un seul conducteur. 2.2. Les émissions en ville Abordons maintenant des émissions du trafic routier urbain. 11. Mix électrique : répartition des différentes sources d’énergies primaires utilisées pour les besoins énergétiques. Ces énergies primaires (pétrole, nucléaire, solaire…) sont ensuite utilisées pour produire de l’électricité, du carburant, etc.

À côté du gaz carbonique, qui n’est pas à classer du côté des polluants, on trouve les oxydes d’azote NOx, le monoxyde de carbone et également les microparticules PM10 et PM 2,5 (dont les tailles sont au maximum de 10 ou 2,5 microns12), qui sont les plus nocives pour la santé (Figure 6).

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

VOYAGER SANS (TROP) POLLUER

Pourtant, en vingt ans, grâce à la chimie et contrairement aux idées reçues, de grands progrès ont été réalisés sur la diminution de la pollution automobile. La Figure 7 donne les résultats avec une base 100 13 en 2000. Pour l’oxyde 12. 1 micron (µm) = 10-6 mètre. 13. Les chiffres sont en indice base 100, ce qui permet de comparer leur évolution en pourcentage, avec comme valeur initiale 100 % en 200. Cette méthode permet de comparer les chiffres même s’ils ne s’expriment pas dans la même unité.

157

Chimie et énergies nouvelles

O3 Oxydes d’azote (NOx)

57 %

PM

12 %

NO2 PM

NO

Composés organiques volatiles (COV non méthanique)

9%

CO

Particules (PM10)

1 % Ammoniac (NH3)

1 % Dioxyde de soufre (SO2)

Figure 6 Les émissions du trafic routier en ville. Principaux polluants de l’air émis par les transports routiers en % des émissions totales en France.

de soufre SO2, grâce à l’hydro­ désulfuration des carburants, de 100 en 2000, on passe à environ 20 en 2020, soit une diminution de plus de 80 % (Figure 7). Sur les oxydes d’azote en vert, nous avons la même évolution grâce aux nouveaux pots catalytiques, puisque nous nous sommes passés de 100 à 60, soit 40 % de diminution. Il en est de

même pour les microparticules PM10 et PM 2,5, grâce aux nouveaux filtres à particules. Il n’y a que pour l’ozone, qui est une réaction complexe de l’atmosphère avec les composés organiques volatils, pour lesquels la concentration est restée à peu près constante. Cela nous amène à rappeler que la chimie atmosphérique

En indice base 100 des concentrations en 2000 120

100

80

60

40

20

0 2000

2002 SO2

2004

2006 NOx

2008

2010 PM10

2012

2014 PM 2,5

2016 O3

Figure 7 158

Progrès réalisés entre 2000 et 2020 dans la pollution automobile.

2018 2020

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

2.3. La marche forcée vers le véhicule électrique

reste extrêmement complexe. Une expérience grandeur nature a été réalisée à Paris lors du confinement de mars à mai 2020. Airparif14, qui dispose d’un nombre remarquable de capteurs, a rendu publiques l’été dernier ses analyses et ses mesures des divers polluants, dans le cadre d’une diminution du trafic qui a été pratiquement supérieure à 80 %. On constate qu’il y a une baisse effective de l’oxyde de carbone (71 %), des oxydes d’azote (37 %), du dioxyde de soufre (12 %), ces diminutions ne sont pas dans la proportion de 80 %, mais l’évolution est tout de même assez bonne (Tableau 2). Par contre, les microparticules qui sont, rappelons-le, les plus nocives en ville, sont en augmentation. Elles semblent donc provenir d’une autre source que celle des émissions automobiles, preuve s’il en est que les phénomènes chimiques et les solutions préconisées ne sont pas aussi simples que l’on croit.

Quoi qu’il en soit, l’Europe a pris en main le problème en menaçant de frapper les constructeurs au portefeuille dès 2021 en fixant pour chacun d’entre eux une valeur maximum de grammes de CO2 émis par km comme moyenne pour toute la flotte qu’ils produisent par an (Figure 8). Cette limite est de l’ordre de 95 à 100 grammes par kilomètre selon les constructeurs, avec de fortes amendes par gramme de dépassement multiplié par le nombre total de production d’automobiles produites dans l’année, ce qui amène à des amendes pouvant être de l’ordre du milliard, voire de plusieurs milliards d’euros. On peut également rappeler qu’un certain nombre de pays ont publié leur intention d’interdire la commercialisation des véhicules thermiques dès 2040 et même au RoyaumeUni dès 2030. La panique s’est donc emparée des grands constructeurs et plusieurs dizaines de modèles de véhicules électriques ou hybrides se sont fait jour notamment en Asie, mais c’est plus difficile en Europe. Le véhicule

14. Airparif : association chargée de mesurer et cartographier la pollution en Île-de-France. https:// www.airparif.asso.fr

PSA-Opel Renault Nissan BMW KIA Hyundai Toyota-Mazda

Tableau 2

Ford-Volvo

Pollution à Paris avec et sans confinement. Stations Trafic

FCA-Tesla

Sans

Avec

Différence

93

14

83 %

PM10

23

17,6

24,4

+39 %

PM 2,5

13

7,9

14,7

+87 %

NOx

40

57

36

–37 %

O3

22

56,6

67,5

+19 %

CO

5

0,124

0,006

–71%

SO2

6

0,66

0,58

–12 %

VW Group Daimler

–1 g

+2 g

+2 g

+2 g

+3 g

+3 g

+3 g

+4 g

+8 g

+9 g

+13 g

Objectif à atteindre en 2020 Moyenne de janvier à septembre

Figure 8 Directives européennes : valeur maximum en gramme de CO2 émis par km, par an et par type de véhicule.

159

Chimie et énergies nouvelles

électrique est évidemment la solution pour éviter la pollution dans les grandes villes et on connaît bien les photographies de Pékin sous un épais brouillard de pollution, ainsi que d’autres grandes villes chinoises (Figure 9).

3

Le véhicule électrique

En 2020, on comptait dans le monde 7 millions de véhicules électriques, dont 47 % en Chine (soit 3,3 millions de véhicules électriques), qui dispose aussi de 300 000 bus électriques. Un sondage mené en France sur les qualités du véhicule électrique montrait que c’était la faible pollution qui arrivait en tête, avant l’économie des ressources fossiles (Figure 10). 3.1. Il existe plusieurs types de véhicules électriques

Figure 9 La pollution de certaines villes en Chine est inquiétante.

Moins polluantes

65 %

Réduisent la dépendance aux énergies fossiles

43 % 37 %

Silencieuses Moins coûteuses

29 %

Modernes

23 %

Moins d’entretien Bénéficient de privilèges spéciaux* Amusantes à conduire

14 %

Il y a également les véhicules hybrides avec un moteur thermique et une batterie rechargeable sur une borne, dits « plug in ».

10 % 8%

Figure 10

160

D’abord, on peut citer les véhicules hybrides, qui comportent, un moteur thermique classique et une batterie qui se recharge en roulant, alimentant un moteur électrique. Ce sont donc des véhicules thermiques pouvant rouler de 30 à 50 km en électrique, mais alourdis par le poids d’un moteur supplémentaire et d’une batterie. Ce sont de bons alibis pour Bruxelles parce que les tests normaux WLTP15 privilégient la circulation en ville et à petite vitesse.

Pourcentage de répondants considérant que les voitures électriques ont ces avantages. Pour les Français, l’avantage premier du véhicule électrique est son faible impact sur l’environnement. *Par exemple : voies réservées, péages routiers, places de parking. Source : Dalia Research.

15. La norme WLTP («  Worldwild harmonised Light vehicle Test Procedure ») est obligatoire depuis le 1er septembre 2018 pour les véhicules particuliers neufs ; cette norme d’homologation permet de mesurer la consommation de carburant et les émissions de CO2 et de gaz polluants.

3.2. La réserve d’énergie du véhicule électrique C’est évidemment la réserve d’énergie pour la propulsion des véhicules qui est le nœud du problème. Comment lutter contre l’essence ou le gasoil, dont un litre représente une réserve d’environ 10 kW·hpour un litre ? Les électrochimistes, dont quelques brillants chercheurs français, ont réussi au cours du temps à augmenter les puissances spécifiques des batteries17 (Figure 12), d’abord les accumulateurs au plomb, 16. Wall box : la borne de recharge de la batterie, à accrocher au mur. 17. La puissance spécifique d’une batterie est la puissance maximale qu’elle peut fournir rapportée à sa masse.

Figure 11 La batterie du véhicule tout électrique doit se recharger grâce à une borne.

puis Nickel-Cadmium et, depuis les années 1970, les batteries avec à la cathode18un oxyde mixte Lithium-CobaltOxygène, par exemple en feuillet, et à l’anode 19 du carbone, du graphite et avec un électrolyte 20 qui permet la diffusion des ions lithium (Figure 13). Cette découverte a été majeure, car ces batteries devenues industrielles,

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

Enfin, le véhicule tout électrique qui, lui, ne comporte plus de moteur thermique, mais un ou plusieurs moteurs électriques avec une batterie qui peut se recharger sur une borne ou sur une « wall box »16 à domicile (Figure 11).

18. Cathode : borne positive de la batterie. 19. Anode : borne négative de la batterie. 20. Électrolyte : solution ou solide permettant de conduire l’électricité grâce à des ions mobiles.

1801

Pile Volta non rechargeable

Système au lithium

1900 1800

1973 Li métal 1978 Li-ion 1979 Li-polymère

Batteries rechargeables

1859 Accumulateur au Pb 1900 Ni-Cd et dérivés 1975 Ni-Métal-hydrure

2000

Futur

Li-S et Li-Air Systèmes au Na

Figure 12 Les progrès dans le stockage de l’énergie permettent le développement de l’électrique.

161

Chimie et énergies nouvelles

ÉLECTROLYTE

Décharge

Charge Li

Charge

Li

Décharge

Cathode (Oxyde de métal lithium)

Anode (Carbone)

Figure 13 Les progrès faits par les électrochimistes sur le stockage de l’électricité permettent l’industrialisation de véhicules électriques.

produites malheureusement majoritairement en Asie, sont en train de révolutionner le monde automobile. Faisons maintenant le point sur les sources d’énergie et les carburants pour l’automobile. Si l’hydrogène est le plus énergétique des carburants, il a le défaut d’être très léger, il est donc nécessaire de le comprimer à haute pression pour obtenir une énergie spécifique21 qui ne soit suffisante. Les réserves d’énergie issues du pétrole sont remarquables, comme le montre le Tableau 3, 21. Énergie spécifique : énergie fournie rapportée à la masse.

de l’ordre de 10 kWh par litre, ce qui explique leur fabuleuse conquête du marché depuis plus d’un siècle. À côté, les batteries de type Lithium-Cobalt-Oxygène ou Lithium-Cobalt-NickelManganèse-Oxygène peuvent stocker environ 150 à 200 W/kg, ce qui fait environ une centaine de W/L. Pour l’équivalent d’1 litre d’essence, il faudrait 47 à 63 kg de batterie Li-Ion, mais heureusement le moteur électrique a un rendement trois fois meilleur que celui du moteur thermique, ce qui fait que pour une consommation de 6 l/100 km d’essence, il faut l’équivalent d’une énergie de 15 à 20 kWh fournie par 75 à 100 kg de batterie. 3.3. La structure des nouveaux véhicules électriques La propulsion électrique a un avantage : elle a un rendement de la source à la roue de l’ordre de 72 %, alors que le moteur thermique a un rendement inférieur à 30 %, ce qui rend possible l’usage de l’électricité pour l’automobile, d’où l’architecture des nouveaux véhicules électriques légers (Figure 14). Ils comportent un ou plusieurs

Tableau 3 Comparatif des réserves d’énergie selon la source : l’hydrogène en tête.

Hydrogène

162

d (en kg/litre)

kwH/kg

kWh/L

0,00009

32,4

0,0035

H2 – 700 bars

0,062

Essence

0,750

Diesel

0,850

11,6

10

2

0,150-0,200

0,100

Ion/lithium

2,42 11,8

9,4

La structure du véhicule électrique.

moteurs électriques, propulsant ici les roues avant, un chargeur embarqué avec une prise de charge en courant alternatif ou en courant continu, dont la puissance va commander le temps de charge et, bien sûr, un pack de batteries qui est souvent disposé sur la plateforme de montage, en position basse pour améliorer la tenue de route. Pour une autonomie de 300 km, la batterie de 50 kWh pèse 250 kg pour la Peugeot électrique 208, et 540 kg pour la Tesla S. Pour l’instant, on peut presque assimiler l’autonomie de ces véhicules électriques en km au poids de la batterie en kg.

4

Les véhicules électriques sont-ils vraiment écologiques ? 4.1. Réduction des émissions de CO2 : peut-on sauver la planète en passant de la pompe à la prise ? Prenons l’exemple d’une automobile classique avec moteur thermique à la limite

du malus 22 en France, produisant 100 g de gaz carbonique par km soit 10 kg pour 100 km. En supposant un kilométrage annuel de l’ordre de 15 000 km, ce qui est une moyenne haute en France, il produit 1 500 kg de CO2 par an, donc si on la garde pendant dix ans, la durée de vie moyenne, cela représente environ 15 tonnes de CO2 émis.

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

Figure 14

Avant de regarder la consommation et l’émission délocalisée du gaz carbonique pour un véhicule électrique, il convient de voir comment sont produits les kWh qui vont servir à propulser le véhicule électrique. La Figure 15 donne les origines de la production d’électricité (mix électrique) en France et en Allemagne. Le mix électrique en France est majoritairement décarboné, grâce au nucléaire, à l’hydraulique et au renouvelable. C’est 22. Malus : lors de l’achat d’un véhicule neuf en France, si celuici dépasse 133 g de CO2 émis par km, le propriétaire doit payer un malus. Plus le moteur est polluant, plus le malus est élevé.

163

Chimie et énergies nouvelles

France (549 TWh)

Allemagne (613 TWh)

1,2 %

1,1 %

5,7 %

5% 20,3 %

13 % 36 %

34 % 71,7 %

12 %

Énergies renouvelables

Gaz

Nucléaire

Fioul, STEP et divers

Charbon/Lignite

Figure 15 Le mix électrique en France et en Allemagne en 2018.

différent pour l’Allemagne qui, après Fukushima, veut supprimer globalement en 2022 les centrales nucléaires, mais a malheureusement développé les centrales thermiques à charbon ainsi que les renouvelables ; sans pouvoir décarboner totalement le kW.h, le mix électrique allemand n’est décarbonné qu’à 48 %, alors qu’en France il est décarbonné à 92 %.

164

Donc les mix électriques des différents pays se traduisent par des émissions décalées de gaz carbonique par kWh, qui peuvent être différentes suivant la politique énergétique qui est menée (Tableau 4). Dans des pays comme la Suède ou la France, on est inférieur à 100 g de CO2 émis par kWh, tandis que des pays comme la Pologne ou la Chine, dépassent 800 g par kWh. Si nous nous reportons au cas du véhicule électrique, calculons donc l’émission décalée de CO2 de ce type de véhicule pour 100 km sachant que l’on

dépense 15 à 17 kWh en ville et 23-24 kWh sur route ou sur autoroute, soit une moyenne de 20 kWh. En Suède et en France, un véhicule électrique produit donc de l’ordre de 1 kg de CO 2 pour 100 km, alors que l’on est au-delà de 17 kg pour la Pologne et la Chine avec environ 9 kg de CO2 pour 100 km pour l’­Allemagne. Nous avons vu précédemment que la consommation moyenne en dix ans d’un véhicule électrique faisant 15 000 km/an est d’environ 30 000 kWh Calculons pour un véhicule électrique en France les émissions de CO 2 sur dix ans. Rappelons : 20 kWh pour 100 km, 200 kWh pour 1 000 km, 3 000 kWh pour 15 000 km, l’usage pendant dix ans, 30 000 kWh. Et donc, avec le mix français, même en prenant pour simplifier 70 g de CO2 émis par kW.h, on obtient sur dix ans une émission de 2 100 kg de CO2, alors que le même calcul pour l’Allemagne donne 14,1 tonnes.

L’émission de CO2 par un véhicule électrique dépend beaucoup du mix électrique. Gr de CO2/kWh

kg CO2 pour 100 km (20 kWh)

Suède

50

1

France

66

1,3

Belgique

260

5,2

Espagne

320

6,4

Royaume-Uni

350

7

Italie

410

8,2

Allemagne

470

9,4

Pays-Bas

620

12,4

Pologne

880

17,6

Chine

850

17

Pays

4.2. La comparaison thermique/électrique après dix ans d’usage Si nous effectuons la comparaison après dix ans d’usage, nous avons vu au paragraphe 2.3. que le véhicule thermique avait émis 15 tonnes de CO2, alors que pour le véhicule électrique, c’était en France 2 100 tonnes, en Allemagne 14,1 tonnes (donc un peu moins que le véhicule thermique), et en Chine 25,5 tonnes. Ce n’est donc pas du tout écologique en Chine et cela montre bien que l’on y a privilégié la dépollution des villes par rapport à la transition écologique. Pour aller plus loin, il faut également considérer le cycle de vie total, c’est-à-dire de la fabrication jusqu’au recyclage du véhicule. On considère que la fabrication du moteur, de la carrosserie, les vitres, des accessoires sont à peu près les mêmes pour le véhicule

thermique et l’électrique. En revanche pour l’électrique, il faut ajouter la dépense d’énergie pour la fabrication du pack de batteries qui est estimée entre 50 et 60 GJ, soit environ 15 000 kW.h en moyenne. Selon le pays de fabrication pour fabriquer le pack de batteries (voir paragraphe 2.3.), il faut donc ajouter les émissions de CO2 suivantes : – en France : 15 000 × 0,007 = 1 050 kg ; – en Allemagne : 15 000 × 0,047 = 7 050 kg ; – en Chine : 15 000 × 0,085 = 12 750 kg.

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

Tableau 4

C’est un argument supplémentaire pour que la Gigafactory23 de fabrication des batteries s’implante de préférence en France pour concurrencer les batteries chinoises. 23. Gigafactory : initialement attribué à une usine Tesla, désigne une usine de fabrication de batterie automobile.

165

Chimie et énergies nouvelles

Donc, on peut conclure, en prenant en compte la fabrication et les usages d’un véhicule électrique pendant dix ans, qu’il correspondra à une émission de 3,1 tonnes de CO2 en France, 21,1 tonnes de CO2 en Allemagne, et 3,825 tonnes de CO2 en Chine. Donc le véhicule électrique est plus ou moins écologique, selon le mix électrique des pays dans lesquels on circule ; malheureusement, les batteries importées d’Asie ne sont pas encore recyclées. 4.3. Les problèmes collatéraux d’environnement L’évolution vers la fabrication de nombreux millions de véhicules électriques fait qu’un certain nombre de d’écologistes radicaux pointent les dégâts environnementaux qui seraient provoqués par le tout électrique. Ils évoquent les salars 24 des plateaux andins, pour l’extraction du lithium, dont l’exploitation va polluer les nappes phréatiques des paysans chiliens ou boliviens, les métaux tels que le cobalt, exploité de façon dramatique dans les mines de la République démocratique du Congo, et les risques géopolitiques qui peuvent apparaître sur certains métaux comme le cobalt, le manganèse, le cuivre, et surtout les terres rares, pour lesquelles c’est la Chine qui a pratiquement le monopole de la production.

166

24. Salar : « désert de sel », lac superficiel dont les sédiments sont en grande partie composé de sels. Ils sont souvent exploités pour leur richesse en lithium.

5

Comparaison des véhicules électriques et thermiques 5.1. Les avantages – Le véhicule électrique est écologique quand le mix électrique est décarboné. – La pollution est extrêmement réduite en ville. – C’est une économie des ressources fossiles si les kW.h ne sont pas produits par des centrales thermiques. – Le prix au km est faible si la recharge est faite sur une prise ou « wall box » chez soi, à condition que le kW.h ne soit pas trop cher. – La conduite est agréable et silencieuse. 5.2. Les inconvénients – Les avantages ne se justifient pas dans les pays où l’électricité est issue de centrales thermiques. – L’autonomie est limitée pour l’instant et surtout les recharges sont lentes, souvent encore de quelques heures. – En France, les bornes de recharge sont en quantité insuffisante. – Le coût à l’achat est encore assez élevé. – Si on équipe des centaines de millions de véhicules électriques, certains métaux vont devenir très rares et stratégiques. Faisons aussi un peu de science-fiction en évoquant des scénarios auxquels nos politiques n’ont pas vraiment pensé. Si on part sur l’objectif 2030 avec un quart des véhicules en France électriques, rappelons-nous qu’il y a des grands départs en France de

6

Cela sera la malédiction pour la station de Beaune, à 300 km de Paris, car supposons qu’elle dispose de dix pompes à essence ou Gasoil et que, devenue un « distributeur d’énergie », elle ait réussi à y mettre 100 bornes de puissance 50 kW. Pour une voiture électrique, une charge à 80 % se fait en vingt minutes sur ces bornes rapides, ce qui correspond à trois véhicules électriques par heure sur une borne, donc en 20 heures 60 véhicules, et pour les 100 bornes de la station 6 000 voitures en vingt heures, alors qu’il y avait au départ 25 000 voitures électriques à recharger. On aurait donc 19 000 voitures faisant la queue et bloquant l’autoroute sur à peu près 20 km. D’où la « malédiction de la station de Beaune » ! (Figure 16).

Cette recharge lente de l’électricité nous fait aussitôt penser à un autre vecteur d’énergie : l’hydrogène. La pile à hydrogène est une merveille de chimie. Elle fonctionne à l’inverse d’un électrolyseur 25 , grâce à des électrodes revêtues de microparticules de platine et une membrane électrolyte qui laisse passer les protons H +. D’un côté, on alimente en hydrogène, et de l’autre côté avec l’oxygène de l’air. Si elle est couplée à un moteur électrique, elle ne rejette que de l’azote et de l’eau. Cela est formidable au niveau pollution (Figure 17).

Le véhicule à hydrogène

6.1. Le fonctionnement du véhicule à hydrogène

L’idée est donc venue, dans les années 2000, de se servir

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

temps en temps en été, avec environ 100 000 véhicules par jour sur l’A6 les jours de grands départs, donc 25 000 véhicules électriques si on en a le quart.

25. Électrolyse : réaction chimique forcée par activation électrique.

Figure 16 Les bornes électriques sur les aires d’autoroute risquent de créer de longs embouteillages

167

Chimie et énergies nouvelles

réservoir dihydrogène

dioxygène = air

e– H2

électrodes en platine

H2

e– H+

O2

cathode électrolyte (membrane échangeuse d’ions H+)

anode



+

H2O = eau

Figure 17 La pile à hydrogène est en apparence sans impact sur l’environnement. Source : mediachimie.org

de l’hydrogène pour propulser les véhicules. On pourrait le brûler comme l’essence et le conserver dans des réservoirs cryogéniques à moins 250 °C, mais cela pose un problème de sécurité. Sinon, pour avoir une réserve énergétique correcte, il faut le comprimer à 700 bars. L’automobile à l’hydrogène comportera des réservoirs à hydrogène sous haute pression, une pile à hydrogène couplée à un pack de batteries ion-lithium qui servent de tampon pour alimenter un ou plusieurs moteurs électriques. La membrane électrolyte en Nafion26, les couches minces de catalyseurs au platine et les réservoirs en matériau 168

26. Nafion : nom de marque d’un polymère.

composite représentent plus de la moitié du coût des véhicules. 6.2. L’impact écologique du véhicule à hydrogène Par contre, comme d’après les constructeurs, 1 kg d’hydrogène permet de parcourir environ 100 km, posons-nous la même question que pour les véhicules électriques : le véhicule à hydrogène est-il écologique ? On serait évidemment tenté de dire oui, puisqu’il ne rejette que de l’azote et de l’eau. Mais il faut tout de même regarder l’origine de cet hydrogène. Pour l’instant, en 2021, 95 % sont fabriqués à partir de « steam reforming » 27 du méthane 27. « Steam reforming » : reformage du méthane. C’est une réaction qui permet de transformer du méthane en hydrogène.

Par ailleurs, fabriquer l’hydrogène, soit chimiquement, soit par électrolyse de l’eau, demande de l’énergie. Il faut ensuite le transporter puis le comprimer. Toutes ces opérations consomment environ 70 % de son potentiel énergétique disponible, et après le rendement de la pile, on récupère du réservoir à la roue à peine 25 % de l’énergie. Dans ce cas, sachant que par électrolyse de l’eau il faut environ 50 kW.h pour produire 1 kg d’hydrogène, et sachant que l’on peut parcourir 100 km avec 1 kg d’hydrogène, on peut regarder l’équivalent de gaz carbonique émis de façon décalée par ces véhicules à

hydrogène selon l’origine de l’hydrogène (Tableau 5). En « steam reforming », pour l’hydrogène gris, on a donc, par kg, 6 à 10 kg de CO2 émis. Si on stocke ce CO2 soit dans des réserves sous terre ou par des carbonates, on a ce qu’on appelle l’hydrogène bleu. Mais ce stockage consomme de l’énergie, ce qui correspond à une émission de 2,5 kg de CO2 par kilogramme d’hydrogène. Si on produit l’hydrogène par électrolyse avec le réseau électrique en France, majoritairement d’origine nucléaire, cela correspond à peu près à une émission de CO2 de 3,5 kg, mais sur réseau allemand c’est sept fois plus, de l’ordre de 23,5 kg. Si l’électricité utilisée vient directement des éoliennes, c’est de l’ordre de 350 g. Avec de l’électricité photovoltaïque, c’est environ 2,7 kg. Si l’électricité est d’origine nucléaire ou hydraulique, ce n’est que 300 g. Les références par kW.h sont les bases de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

et d’hydrocarbures légers, c’est-à-dire que la production d’1 kg d’hydrogène s’accompagne de la production de 5 à 10 kg de gaz carbonique en raffinerie. C’est ce que l’on appelle l’hydrogène gris. L’industrie chimique en utilise à peu près 70 millions de tonnes par an. En France, on en utilise déjà 1 million de tonnes.

Tableau 5 Empreinte carbone du véhicule à hydrogène : selon le mix électrique de l’électrolyse, la quantité de CO2 émis diffère. Couleur H2

kg CO2 par 100 km (1 kg H2)

Steam reforming

gris

6 à 10

St ref et stockage CO2

bleu

2,5

Procédé

Électrolyse mix France

3,5

Électrolyse mix Allemagne

23,5

Électrolyse éolienne

vert

0,35

Électrolyse photovoltaïque

vert ?

2,75

Électrolyse nucléaire

jaune

0,3

vert

0,3

Électrolyse hydraulique

169

Chimie et énergies nouvelles

6.3. L’hydrogène, plus ou moins adapté selon le type de véhicule On voit donc que selon que l’on utilise un hydrogène vert, un hydrogène gris ou un hydrogène jaune 28, on aura des variations d’émissions de gaz carbonique décalées. On peut estimer, malgré l’emballement médiatique qui a accompagné le plan de relance en France et en Allemagne sur l’hydrogène, que le surcoût et le poids d’un tel équipement ne sont pour l’instant pas vraiment adaptés à un véhicule particulier léger. Il n’y a actuellement que deux constructeurs automobiles qui commercialisent ce type de véhicules pour les particuliers. Par contre, pour les poids lourds, les autobus, des trains, où le poids et le coût de l’équipement ne représentent qu’un faible pourcentage du coût et du poids total, la pile à hydrogène est bien adaptée. Il y a par exemple des réalisations françaises et européennes qui sont là pour le démontrer. Le train, type TER, CoradiaiLint, réalisé par Alstom et qui circule actuellement en Allemagne, est une très belle réalisation qui va remplacer à l’avenir nos TER qui fonctionnent au diesel. De même, les camions de la firme Gaussin sont une belle

170

28. L'hydrogène est qualifié de gris quand il est fabriqué à partir de gaz ou de pétrole par procédé chimique sans récupération du CO2, de bleu lorsqu'on capte et stocke le CO2 émis par le procédé, de vert quand il est fabriqué par électrolyse de l'eau avec une électricité renouvelable, de jaune lorsque cette électricité est d'origine nucléaire.

réussite, au point que pour le prochain Dakar, leur participation est envisagée. 6.4. Les avantages et inconvénients de l’hydrogène Bien sûr, il faudra attendre quelques années pour que l’hydrogène vert ou jaune permette aux véhicules à hydrogène d’accéder au mérite écologique, en plus du mérite non-pollution. Alors, à nouveau, comparons les mérites et les défauts de ces nouveaux véhicules : – parmi les avantages, bien sûr, ils sont très peu polluants puisqu’ils produisent uniquement de l’azote et de l’eau. Ils ont également tous les avantages du véhicule électrique puisqu’ils sont propulsés par des moteurs électriques et des piles lithium-ion. Un gros avantage par rapport à l’électrique est que la recharge de l’hydrogène sous haute pression se fait en 2-3 minutes. Économie des ressources, évidemment, si nous sommes avec de l’hydrogène vert, et il convient très bien au ferroviaire et aux poids lourds ; – les inconvénients : ces véhicules sont peu écologiques, si la majorité de l’hydrogène est de l’hydrogène gris. Il faut aussi faire accepter aux conducteurs qui vont l’utiliser les dangers des hautes pressions de l’hydrogène, mais il y a déjà pas mal de véhicules industriels qui fonctionnent sans trop de danger. La pile à hydrogène utilise des métaux précieux ; si on construit des millions de véhicules, il est clair que l’on aura des problèmes sur l’approvisionnement des métaux précieux,

à 10 euros, voire 15 euros, et il y a encore beaucoup moins de stations de recharge que pour l’électrique. Mais cela est normal puisqu’il y a encore très peu de véhicules.

L’avenir des véhicules Voyons quelques aspects économiques et d’infrastructures. Même si vous ne voulez pas acheter un véhicule Tesla, un véhicule particulier électrique coûte toujours aux alentours de 30 000 euros. Les véhicules à hydrogène sont plus chers, plutôt aux alentours de 80 000 euros. Pour le fonctionnement, si vous avez un véhicule thermique et qui fonctionne à l’E85-10, vous dépensez à peu près 8 euros aux 100 km, alors que pour un véhicule électrique, si c’est en France, il ne coûte que 3 euros aux 100 km sur une borne de recharge chez vous, et il y a des bornes gratuites dans les hôtels ou sur des parkings de supermarchés. En Allemagne, le véhicule électrique coûte 7 euros pour 100 km. N’oublions pas que le fisc est toujours là et que déjà en Australie, l’État pense à instituer une taxe pour les véhicules électriques au km qui remplacerait les pertes dues aux taxes sur l’essence et le diesel. Nul doute que le fisc français va trouver cela intéressant. Regardons les infrastructures. Avant 2019, le nombre de véhicules électriques représentait environ 2,5 % des ventes, en 2020 il est monté à 6 %. Cela veut dire qu’on a vendu, en 2020, 22 000 véhicules électriques et 15 000 hybrides, grâce aux 185 millions d’euros de subventions d’État. On a donc en France environ 300 000 véhicules électriques ou hybrides avec seulement 30 000 bornes et avec des prix à la borne de recharge de 0 à 50 centimes d’euro pour le kWh. En France, nous n’avons actuellement

Nouveaux véhicules électriques et thermiques : quel impact sur l’environnement ?

en particulier sur le platine. Pour l’instant, le coût d’achat et de fonctionnement est élevé pour un particulier, puisque le kilogramme d’hydrogène est plutôt aux alentours de 5

171

Chimie et énergies nouvelles 172

que 200 véhicules à hydrogène pour seulement 20 stations, dont 6 stations à 700 bars. Donc on voit que les voyages au long cours sont difficiles. Alors quel avenir ? Il est clair que les véhicules propres ont pour premier but l’économie des ressources fossiles. Mais les véhicules thermiques n’ont pas dit leur dernier mot. Les motoristes, les catalystes et les pétrochimistes peuvent encore faire des progrès. Les véhicules électriques sont la priorité pour éviter la pollution dans les villes. Ils sont écologiques suivant le mix électrique utilisé, et des progrès vont être réalisés dans l’avenir sur les batteries. Les véhicules à hydrogène sont les champions de la dépollution de l’atmosphère des villes. Des progrès sont évidemment attendus pour la production de l’hydrogène vert, mais il reste encore à trouver un remplaçant au catalyseur platine. N’oublions pas que l’essor des véhicules électriques va induire une mutation profonde de l’industrie automobile. On a beaucoup moins de main-d’œuvre nécessaire pour la production de véhicules électriques que pour un véhicule thermique, et il y a forcément du chômage à prévoir dans l’industrie automobile européenne. Enfin, on constate que les habitants des villes sont extrêmement sensibles à la pollution et donc, pour les populations urbaines, le caractère non polluant est une qualité première. Mais pour les populations à la campagne, loin d’une métropole, c’est d’abord l’autonomie et le coût de fonctionnement qui sont mis en avant. Il ne faudrait donc pas que tous ces nouveaux véhicules agrandissent le fossé de discrimination sociale et territoriale.

énergie décarbonée pour une

Xavier Vigor est vice-président Technologies et direction industrielle de la Branche d’activité mondiale énergie hydrogène d’Air Liquide1. Il a commencé sa carrière au sein du groupe, où il a occupé successivement des responsabilités dans les domaines de la recherche, du développement commercial, de l’ingénierie, du management dans des domaines innovants. Il a, dans son parcours, également travaillé aux États-Unis.

Au cours des cinquante dernières années, Air Liquide a développé une expertise unique et maîtrise l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de la production et du stockage à la distribution de l’hydrogène en tant que vecteur d’énergie propre, pour une large gamme d’applications telles que les usages industriels et la mobilité propre. Air Liquide est l’un des premiers producteurs mondiaux d’hydrogène et en fournit un peu plus d’un million de tonnes par an. Depuis une vingtaine d’années, le groupe déploie des solutions pour les filières 1. www.airliquide.com

et applications de l’énergie hydrogène. Ce chapitre cherchera à compléter les informations des autres présentations dans cet ouvrage en apportant une vision de synthèse et des points de repère sur les différentes manières de produire, stocker, transporter et distribuer l’hydrogène, sur les coûts, et enfin sur les défis à relever et la position de la France.

1

Les différents usages de l’hydrogène

Les différents usages de l’hydrogène ont été schématisés sous la forme présentée sur la Figure 1 par le Conseil

Xavier Vigor

Vision de l’hydrogène

Chimie et énergies nouvelles

Figure 1 Les usages de l’hydrogène : pour les énergies renouvelables (1, 2 et 3), ses nouveaux usages (4, 5, 6) et son usage historique (7). Source : Mc Kinsey & Hydrogen Council, 2017.

de l’hydrogène (« Hydrogen Council ») ; sur la partie gauche en vert, il s’agit du couplage aux énergies renouvelables dites « intermittentes2 ». Il faut bien évidemment continuer de développer l’éolien et le solaire (environ 100 GW de capacité solaire et 60 GW de capacité éolienne ont nouvellement été installés en 20193), malgré les défis que pose leur caractère intermittent, responsable par exemple de problèmes d’équilibrage du réseau électrique (écrêtage de puissance4) quand il y a trop de

174

2. L’énergie éolienne et l’énergie solaire sont des sources d’énergie intermittentes car leur production d’énergie cesse en l’absence de vent ou de soleil. L’intermittence d’une énergie désigne son incapacité à assurer une production constante d’électricité. 3. IRENA, 2020. 4. L’écrêtage consiste à diminuer l’amplitude de la puissance électrique, c’est-à-dire que lorsqu’il y a trop de production d’électricité, la puissance est lissée.

vent ou trop de soleil, et pas assez de consommation. Ces excédents d’énergie électrique permettent de produire de l’hydrogène car il est plus aisé à stocker et transporter que l’électricité. On peut le stocker en très grandes quantités dans des cavernes salines par exemple, comme on sait déjà le faire avec le gaz naturel. À titre d’exemple, Air Liquide opère le plus grand stockage d’hydrogène en cavité saline au Texas (États-Unis), l’équivalent de trente jours de production5. On peut le transporter dans des canalisations6, ou encore le transporter sur de longues 5. https://fr.media.airliquide.com/ actualites/etats-unis-air-liquidemet-en-service-le-plus-grandsite-de-stockage-dhydrogene-aumonde-a389-1ba6d.html 6. Aussi appelés pipelines, ce sont des tubes servant à transporter sur de longues distances des matières liquides ou gazeuses, en l’occurrence de l’hydrogène.

L’usage numéro 7 (Figure 1) est l’usage historique : l’hydrogène est une matière première dans l’industrie, par exemple dans les raffineries (pour désulfurer les essences), dans les aciéries, ou encore dans l’industrie de la chimie pour faire la synthèse de l’ammoniac (qui sert à la fabrication des engrais) ou du méthanol. Les usages 4, 5 et 6 sont les usages nouveaux : 4 pour le transport et la mobilité sous toutes leurs formes. On verra qu’aujourd’hui l’hydrogène est présent sur tous les types de véhicules : on a beaucoup parlé des voitures, mais l’usage s’étend jusqu’aux avions, un enjeu de réduction des émissions CO2 très important pour tous les types de mobilité puisque c’est là qu’elles ont le plus lieu. Par l’usage 5, il remplace le gaz naturel ou le fioul dans l’industrie, pour les chaudières par exemple. L’hydrogène bas carbone est un vecteur crucial pour décarboner des secteurs industriels : il peut par exemple être injecté dans les hauts fourneaux de production d’acier, afin de remplacer le charbon couramment utilisé. Un projet est en cours en Allemagne mené par Air Liquide et Thyssenkrupp steel. 7 À terme, et grâce à 7. https://fr.media.airliquide.com/ actualites/air-liquide-va-livrer-delhydrogene-a-un-projet-novateurde-thyssenkrupp-pour-reduireles-emissions-de-carbone-desa-production-dacier-5610-1ba6d.html

l’usage 6, il pourra sans doute pénétrer dans le résidentiel pour le chauffage des bâtiments, et pour de la production locale d’électricité.

2

Comment produire de l’hydrogène bas carbone ? 2.1. Les voies de synthèse de l’hydrogène bas carbone La Figure 2, également publiée par le Conseil de l’hydrogène, montre que si l’on veut effectivement limiter le changement climatique (réchauffement moyen limité à 2 °C à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industrielle), il faudrait qu’en 2050, l’hydrogène représente 18 % du mix mondial8 d’énergie. Cela correspond à des quantités absolument phénoménales (facteur d’environ 10) par rapport à ce que nous faisons aujourd’hui.

Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée

distances sous forme liquide. C’est un défi technique du fait de sa très basse température, mais tout cela est maîtrisé depuis des décennies.

Tout cela n’a de sens que si l’hydrogène est bas carbone. Aujourd’hui, les voies de synthèse industrielles, c’est-àdire capables de produire des quantités suffisantes, sont schématiquement au nombre de trois (Figure 3). La première est celle du biométhane qui vient de la biomasse. Il s’agit de la décomposition de déchets organiques d’agriculture fermentés grâce à l’action de bactéries. Le résultat est un mélange CO 2 -méthane (CH4), dont on sait extraire le méthane pour le transformer ensuite en hydrogène grâce au 8. Le mix énergétique est la répartition des différentes sources d’énergie primaire dans une zone géographique donnée.

175

Chimie et énergies nouvelles

Figure 2 La base des histogrammes (couleur rouge) représente l'équivalent en énergie de la demande actuelle en hydrogène. Les autres couleurs correspondent aux nouveaux usages liés à la transition énergétique. L’hydrogène représenterait 18 % du mix énergétique mondial en 2050 dans un scénario de réchauffement climatique limité à +2 °C. Les usages liés à la transition énergétique vont multiplier la demande en hydrogène par dix. Source : Mc Kinsey & Hydrogen Council, Hydrogen Scaling-up, nov. 2017.

Figure 3 Les voies de synthèse de l’hydrogène bas carbone (à gauche) et ses utilisations potentielles (à droite).

vaporeformage9. Le CO2 qui est émis par la suite est considéré comme circulaire puisqu’il est de source biogénique. Même si ce procédé fonctionne, il

176

9. Vapocraquage : réaction entre un hydrocarbure ou un alcool et de l’eau produisant des oxydes de carbone et de l’hydrogène. Ce procédé endothermique est très répandu pour la synthèse de l’hydrogène.

reste encore un peu cher. Une autre limite à l’utilisation de cette biomasse est qu’il n’y a pas assez de déchets sur Terre pour couvrir par cette voie l’ensemble des besoins énergétiques de la planète ! Une deuxième voie est la voie actuellement la plus utilisée, celle du vaporeformage de gaz naturel – il s’agit encore

La troisième voie est celle de l’électrolyse10, à condition que l’électricité soit renouvelable ou bas carbone. On pourrait aussi mentionner que l’hydrogène peut être un co-produit 10. Électrolyse : processus de conversion de l’énergie électrique en énergie chimique. La réaction a lieu dans un électrolyte, un courant électrique est appliqué entre deux électrodes et les ions circulent librement entre les deux électrodes dans l’électrolyte.

Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée

d’une source fossile. Cette voie implique de capturer le CO2 avant de soit le stocker soit le valoriser, ce qui donnera à l’hydrogène produit son caractère bas carbone. C’est un procédé moins vertueux que la dernière voie à considérer, à savoir l’électrolyse, mais il s’agit de la seule voie réaliste à court terme pour décarboner rapidement et à grande échelle de l’hydrogène. Aujourd’hui, ce qui est prioritaire, c’est d’équiper les SMR («  steam methane reforming », vaporeformeurs de méthane) de systèmes de récupération et stockage du carbone.

de procédés industriels utilisant l’électrolyse, notamment le chlore alkali (électrolyse utilisée pour produire du chlore), où de l’hydrogène est aujourd’hui brûlé pour sa valeur calorique mais qui pourrait être utilisé, même si cela reste marginal. 2.2. L’empreinte carbone de la production d’hydrogène La Figure 4 présente les émissions de CO2 par kilogramme d’hydrogène produit en fonction des filières de production. On retrouve les chiffres de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), mais ils sont un peu différents, car ils présentent les résultats de calculs complets d’empreintes carbone11 sur la totalité des cycles de vie. 11. Empreinte carbone : quantité de gaz à effet de serre induite par la demande finale d’un pays, unité de mesure de l’impact des activités humaines sur les changements climatiques.

Empreinte carbone en kg CO2eq/kg H2 30

25,2 20

10

0

–10

1,5

2

3

3,6

Électrolyse – Mix Québec

Reformage – biométhane sans CCS

Reformage – gaz naturel avec CCS

Électrolyse – mix français 2020

11

–5

Reformage avec CCS

Vaporéformage – gaz naturel sans CSC

Électrolyse – mix Europe des 27

Figure 4 L’empreinte carbone de l’hydrogène en fonction de la méthode de production et du mix énergétique. CCS = Capture et Stockage du CO2. Émissions calculées du puits à la sortie de l’unité de production. Source : Air Liquide. Chiffres 2020.

177

Chimie et énergies nouvelles

Le schéma le plus vertueux serait le vaporeformage du biométhane : peu de CO2 est produit, et si celui-ci est capturé et stocké, les émissions peuvent être considérées comme négatives ! Il existe également l’électrolyse alimentée avec de l’électricité nucléaire, hydraulique, éolienne, le mix québécois12, puis le vaporeformage avec du biométhane sans capture du carbone, ou encore le vaporeformage de gaz naturel avec capture du CO2, ou même l’électrolyse à partir du solaire et l’électrolyse à partir du mix français (ces derniers apparaissant comme très proches en termes d’émissions de CO2).

L’électrolyse sur le mix européen d’aujourd’hui (l’Europe des 27) nous amène à 25, et en Allemagne à 27. En conclusion, nous allons bien évidemment continuer de développer l’électrolyse, à condition que l’électricité qui l’alimente soit bas carbone ou, idéalement, renouvelable. Cela impose de bien déterminer la vitesse à laquelle vont se faire les choses. Aujourd’hui, il est important de capter le CO2 sur les sites de production d’hydrogène existants, et de déployer en parallèle la filière de l’électrolyse tout en continuant de faire monter en puissance le renouvelable.

Le vaporeformage du gaz naturel sans capture – ce qu’on appelle l’hydrogène d’origine fossile13 – est à 11 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit.

2.3. La capture du CO2

12. Le mix énergétique québécois est très particulier car l’électricité provient à 96 % de l’énergie hydraulique et le nucléaire représente seulement 2 % de l’électricité produite. 13. Hydrogène produit à partir d’énergies fossiles avec une forte émission de gaz à effet de serre.

5 % CO2 émis 30 kT/an

Technologie existante

Procédé exclusif Air Liquide

H2 + CO2 Eau

H2 pur et recyclé 115 kNm3/h (+15 %)

PSA

Aquifère salin naturel

Gaz naturel Air liquide Cryocap™ H2

60 % CO2

95 % CO2 capturé 570 kT/an

Figure 5 178

Le CO2 est purgé à une profondeur de 1,5 km ou plus Réservoir de pétrole ou de gaz épuisé

H2 recyclé

Gaz résiduels (CH4, CO)

Transport et séquestration Le CO2 est injecté et stocké en souterrain La roche couverture imperméable garde le CO2 sous la terre

35 % CO2

Lavage aux amines

SMR

Technologie répandue

La Figure 5 schématise le procédé mis en œuvre pour la capture du CO2 sur le site de Port-Jérôme (en fonctionnement depuis plus de cinq ans). Il est installé sur un SMR : on expose du méthane (CH4) à de la vapeur d’eau (H2O), ce qui permet de casser la molécule de méthane pour obtenir de l’hydrogène (H2) d’un côté et

Capture du CO2 : illustration pour une unité de vaporeformage.

Ces dispositifs sont mis en place sur les grands sites de production d’hydrogène (Figure 6) installés par exemple dans le nord de l’Europe, près des principaux bassins pétroliers. Il s’agit de projets impliquant à chaque fois un grand nombre d’acteurs. Air Liquide fait bien entendu partie de ces acteurs, ainsi que les pétroliers et les énergéticiens-gaziers.

– la technologie alcaline (voir le chapitre de L. Carme), est la plus ancienne et la plus mature, elle fait encore l’objet de développements intéressants ; – la technologie PEM (« Proton exchange membrane », membrane échangeuse de protons) fonctionne différemment : son principe est similaire à celui d’une pile à combustible inversée. Elle est plus récente, plus productive, plus compacte,

Figure 6 Principaux projets Air Liquide de capture et stockage de CO2 dans le nord de l’Europe.

H2O → ½O2 + H2 Électrolyse alcaline

Électrolyse avec membrane échangeuse de protons

02

H2

Cathode (Ni/Cd)

e–

H2O

H2O H

O2

Anode (Ni, Co, Fe)

Électrolyse à oxyde solide

e–

e–

2.4. L’électrolyse de l’eau L’électrolyse de l’eau est possible à l’échelle industrielle grâce à plusieurs technologies. Même si plusieurs d’entre elles sont encore au stade expérimental, trois d’entre elles dominent (Figure 7) :

Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée

du dioxyde de carbone (CO2) de l’autre. On sépare ensuite le mélange dans ce qui s’appelle un PSA (« Pressure Swing Adsorption », adsorption par inversion de pression) pour produire de l’hydrogène pur. Les gaz résiduaires du PSA qui contiennent beaucoup de CO2 et encore un peu d’hydrogène sont alors traités par un dispositif combinant de la cryogénie et de la séparation par membrane. De l’hydrogène pur est renvoyé vers la production (augmentant l’efficacité globale du système) et le CO2 quasiment pur peut être réutilisé ou stocké. De cette façon, 60 % des émissions de CO 2 sont supprimées. Il est possible de rajouter un lavage aux amines sur les fumées du four de vaporeformage afin d’atteindre 95 % de réduction des émissions de CO2, soit au total sur l’ensemble du procédé 3 kg de CO2 par kilogramme d’hydrogène produit.

Anode (Ir)

H2

+

Cathode (Pt)

O2

2–

O

Anode (LSM)

H2

Cathode (Ni/YSZ)

Diaphragme

Membrane polymère

Oxyde céramique

Anode

4OH– → 2HO2 + 4e– + O2

2H2O → 4H+ + 4e– + O2

O2– → ½O2 + 2e–

Cathode

4H2O + 4e–→ 4OH– + 2H2

4H+ + 4e–→ 2H2

H2O + 2e–→ H2 + O2–

Figure 7 L’électrolyse de l’eau.

179

Chimie et énergies nouvelles

mais nécessite des matériaux précieux. L’un dans l’autre, son coût reste assez proche de l’alcalin ; – la troisième technologie s’appelle « Solid Oxide Electrolysis » (ou électrolyse haute température) et consiste à mettre en œuvre la réaction à 700-800 °C. Dans ce caslà, l’énergie est partiellement fournie par de la chaleur, et la consommation d’électricité est moindre. Ce procédé nécessite donc une source de chaleur, idéalement de chaleur gratuite (encore appelée chaleur fatale14), ainsi que des matériaux suffisamment résistants. Nous mentionnons ce procédé, même s’il n’est pas encore déployé à une échelle industrielle et qu’il ne sera pas concerné par les principaux investissements des cinq à dix prochaines années. La Figure 8 montre un électrolyseur que nous venons de démarrer au Québec : avec une 14. Chaleur fatale : aussi appelée chaleur de récupération, elle désigne la chaleur générée par le fonctionnement d’un procédé et qui n’est pas récupérée.

capacité de 20 MW, il s’agit actuellement du plus gros de sa catégorie (à membrane échangeuse de protons, « proton-exchange membrane », PEM) au monde. La production y a démarré en 2020, en remplacement d’un électrolyseur alcalin. Huit tonnes d’hydrogène sont produites chaque jour depuis.

3

Comment stocker, transporter, distribuer l’hydrogène ? À quels coûts ? 3.1. Le transport de l’hydrogène Une fois produit, l’hydrogène doit être amené au point d’utilisation (par exemple une station de recharge de véhicules). La Figure 9 détaille les différentes étapes et les différentes solutions possibles en ce qui concerne les sources d’énergie, les procédés de production, les modes de transport. Aujourd’hui, l’hydrogène est transporté sous forme gazeuse pour les petites distances, et sous forme liquide pour les grandes

2 X SMR

Chambre de contrôle Liquéfacteur Sous-station Bâtiment électrolyseur

Stockage de H2 liquide Détenteur de gaz Terrain de stationnement de construction Pipeline H2

Aire de construction

Figure 8 180

Un projet Air Liquide : le plus gros électrolyseur PEM au monde de 20 MW, situé au Québec.

Production de H2

Conditionnement

Électrolyse

Centre de remplissage

Distribution Logistique du gaz

Utilisation finale

Stations-service

Transport Gaz naturel Logistique liquide

Stations liquides

Liquéfacteur de H2

SMR/ATR

Chauffage et électricité

Production de biométhane Export Capture du CO2 Pipelines de H2

Industrie de l’énergie Matières premières de l'industrie

Stockage du CO2

Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée

Production d’énergie Production d’électricité bas carbone

Figure 9 Circuit de l’hydrogène, des ressources énergétiques jusqu’à son utilisation. Une chaîne de valeur maîtrisée par Air Liquide : les coûts seront divisés par deux d’ici 2030 (objectif 2-6 euros/kg H2).

distances ou lorsque les quantités sont importantes. Air Liquide opère dans tous ces domaines depuis plus de cinquante ans, en ayant commencé par des utilisations pour l’industrie spatiale. La fusée Ariane, pour ne citer qu’elle, utilise entre autres de l’hydrogène liquide fourni par Air Liquide ainsi que d’un réservoir également conçu par le groupe. Aujourd’hui, les technologies de la chaîne de valeur de l’hydrogène sont matures, l’enjeu est désormais de les transposer à très grande échelle. Dans un futur pas si lointain, il sera envisageable de produire de l’hydrogène en très grandes quantités dans des pays disposant de ressources renouvelables en très grandes quantités (et donc un coût très bas), qu’il s’agisse de solaire ou d’éolien. Un très bon exemple serait un axe entre l’Australie, au fort potentiel de production

d’énergie renouvelable, et le Japon, qui dispose de très peu de ressources renouvelables mais avec d’importants besoins en énergie. L’hydrogène peut également être transporté sous forme gazeuse dans des canalisations, qu’il s’agisse de réseaux d’hydrogène existants (Air Liquide en opère par exemple près de 2 000 km) ou grâce à la conversion progressive de canalisations transportant du gaz naturel. En ce qui concerne les usages, la question se pose sur la solution la plus adaptée pour chaque mode de transport. Pour y répondre, nous proposons une règle assez simple : les véhicules plus légers qu’une berline peuvent fonctionner grâce à des batteries, pour tous les autres l’hydrogène sera plus adapté. Entre ces deux types d’utilisation, les flottes captives constituent un cas à part.

181

Chimie et énergies nouvelles

Par exemple, pour une flotte de taxis parisiens, l’hydrogène est bien adapté parce que ces véhicules tournent en 2/8 et les conducteurs n’ont donc pas la possibilité de recharger la batterie (ce qui est néanmoins envisageable pour un particulier). En ce qui concerne les transports de très grande taille (bateaux, avions, etc.), l’hydrogène liquide est plus adapté car sa densité plus importante permet d’économiser le nombre (et donc le poids) de réservoirs. Les batteries sont clairement trop lourdes dans le cas des avions commerciaux. Il est par contre possible d’utiliser des carburants synthétiques (mais ceuxci conservent une empreinte carbone) ou utiliser de l’hydrogène. Dans ce dernier cas, le défi à relever est particulièrement ambitieux, mais consiste probablement en la voie la plus vertueuse. Demain, une filière hydrogène liquide existera pour chacun de ces usages.

Coût total de possession pour les camions (USD/tonne par km) Véhicule à pile à combustible H2 Véhicule à batterie électrique Moteur à combustion interne

3.2. Le coût de l’hydrogène Question clé : l’hydrogène sera-t-il économiquement intéressant ? La Figure 10 propose un cas concret, celui des camions, mais les études du Conseil de l’hydrogène (notamment celles sur les coûts, sorties en janvier 2020 et 2021) proposent de nombreux autres cas de figure. En ce qui concerne les camions (légers, moyens et poids lourds), on considère le coût ramené à la tonne de matière transportée par kilomètre et par camion. La courbe grise du diesel a tendance à augmenter sous l’effet de l’application de taxes carbone (le reste est hors taxes). Les courbes des véhicules hydrogène et à batterie sont très proches, mais l’on observe néanmoins un effet favorable pour l’hydrogène dès que les tailles et les distances augmentent de manière significative.

Véhicule commercial léger/transport urbain

Camion de transport régional

Poids lourd/transport longue distance

0,22

0,22

0,22

0,20

0,20

0,20

0,18

0,18

0,18

0,16

0,16

0,16

0,14

0,14

0,14

0,12

0,12

0,12

0,10

0,10

0,10

0,08

0,08

0,08

0,06

0,06

0,06

0,04

0,04

0,04

0,02

0,02

2020 30 40 2050 Autonomie : 300 km

2020 30

0,02 40 2050 Autonomie : 500 km

2020 30

40 2050 Autonomie : 600 km

Figure 10

182

Le prix de l’hydrogène sera moins cher que le diesel pour les camions dès 2030. Source : H2 Coucil, Path to hydrogen competitiveness – a cost perspective, janvier 2020. Mc Kinsey Center for future mobility, CARB Advanced clean truck, ICCT.

la sécurité. Les technologies nécessaires sont disponibles et les crash-tests le prouvent : une voiture à hydrogène est plus sûre qu’une voiture à essence, notamment parce que la voiture à hydrogène a été conçue au xxie siècle alors que celle à essence date du e xix  siècle. Le réservoir d’essence de cette dernière n’est pas protégé contre les chocs (solution pourtant abordable), ce qui semble normal à tout un chacun car nous y avons été habitués. Lors d’un accident un peu violent, l’essence se répand. Dans une voiture à hydrogène, le réservoir est conçu de manière à résister à des chocs extraordinairement violents. Il s’agit de l’élément le plus solide du véhicule.

4

En revanche, la réglementation en est encore à ses balbutiements, et dans certains cas inexistante. Dans certains pays, il n’est d’ailleurs pas possible de produire de l’hydrogène, tandis que dans d’autres sa production sous forme liquide est uniquement possible par l’armée, comme c’est le cas en Chine (dans le cas de ce dernier, des lois sont en cours d’élaboration pour sortir de ce modèle). En France,

Les défis à relever et la position de la France Surmonter les obstacles à l’utilisation de l’hydrogène reste délicat (Figure 11). La diminution du coût de l’hydrogène, qu’il faudrait typiquement diviser par deux dans les dix prochaines années, en est un majeur, comme nous venons de le voir. Même si c’est techniquement possible, le principal levier pour jouer sur le prix reste le déploiement à grande échelle. Un point critique est notamment celui de la taille des électrolyseurs. De 1 MW il y a quelques années, nous en sommes arrivés à une vingtaine de mégawatts, et nous travaillons déjà sur des échelles de 100 MW, voire 200 MW, qui permettront d’abaisser le coût unitaire de façon significative. Un deuxième point critique concerne la réglementation et

Passer à l’échelle > 200 grands projets H2 annoncés dans le monde (> 260 b$), dont 80 b$ planifiés ou déjà en construction

Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée

Mais le plus intéressant n’est pas tant la comparaison entre batterie et hydrogène que celle entre batterie ou hydrogène avec le diesel. Ainsi, on peut voir qu’à l’horizon 2030, grâce aux progrès attendus et annoncés, l’hydrogène sera moins cher que le diesel. Au-delà d’une indispensable volonté politique en soutien à la filière hydrogène, son caractère compétitif va lui permettre de passer un seuil d’acceptation pour les acteurs et les utilisateurs des transports. À noter également que l’hydrogène bas carbone pourra donc être à la fois compétitif par rapport au diesel, et respectueux de l’environnement s’il est produit via un procédé bas carbone.

Réglementations

Sécurité

Exécuter des projets

Traçabilité de l’H2 gestion opérationnelle

Maîtriser les risques

Conseil national de l’H2 Appel à projets ADEME (hub territoriaux H2, briques technos & démonstrateurs)

Figure 11 Les défis à relever.

183

Chimie et énergies nouvelles

l’hydrogène entre directement dans les réglementations Seveso, on ne peut donc pas, ou tout du moins très difficilement, installer une station sur la voie publique. Il est crucial que les réglementations évoluent partout dans le monde, comme cela commence à être le cas aux États-Unis, en Europe, en Asie. Nous participons

d’ailleurs volontiers à ce travail dans toutes ces régions. Ces réglementations doivent avant tout permettre de garantir la sécurité grâce à des normes harmonisées. Enfin, il reste bien sûr à exécuter des projets, avec le soutien des pouvoirs publics, qui permettent d’assurer la robustesse et la crédibilité de la filière.

L’Air Liquide et les défis de la France La France a récemment annoncé une stratégie ambitieuse sur l’hydrogène (Figure 12), qui s’appuie sur des champions nationaux des technologies de l’hydrogène à un niveau mondial. Cependant, la France est partie avec cinq à dix ans de retard pour le déploiement de ces nouveaux usages par rapport au Japon, à la Corée du Sud, à la Chine, à l’Allemagne, à la Scandinavie et à la Californie. Jusqu’à récemment, tous nos grands projets hydrogène étaient en dehors du territoire national, situation qui est en train d’évoluer avec de nouveaux projets situés en France, une situation qui évolue de manière très positive et qu’il faut savoir pérenniser. La Figure 13 donne des exemples de projets concrets, actuellement en cours de réalisation

Une stratégie ambitieuse 7 b€ d’ici 2030 dont 3,4 b€ d’ici 2023 : priorité à l’industrie décarbonée, la mobilité lourde, l’innovation. Objection 6,5 GW d’électrolyseurs d’ici 2030

Figure 12 184

La position de la France.

Un écosystème maîtrisant les technologies

Une course à rattrapper En 2019, on comptait 115 stations de recharge d'hydrogène au Japon, contre 40 en France.

Des exemples de réalisations Air Liquide.

Figure 13

185

Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée

Chimie et énergies nouvelles 186

chez Air Liquide : ceux-ci nourrissent l’optimisme de tous les acteurs en l’avenir de la filière hydrogène. Il s’agit par exemple de stations-service pour les particuliers. L’avantage de la voiture à hydrogène réside dans son excellent potentiel de communication, comparable à celui de la batterie. D’autres exemples incontestables, notamment pour les véhicules industriels et les poids lourds, sont déjà en service partout dans le monde. Chez Air Liquide seulement, la production d’hydrogène grâce aux procédés classiques représente déjà plus d’un million de tonnes par an. Le passé a été fondateur, l’avenir sera riche de solutions hydrogène pour l’obligatoire transition écologique.

dans le domaine du

stockage

électrochimique

de l’énergie (batteries)

Dominique Larcher est professeur de chimie à l’Université de Picardie – Jules Verne où il mène des recherches dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie  : réactions d’alliage, synthèses bio-assistées, systèmes électrochimiques aqueux [Laboratoire de réactivité et de chimie des solides (LRCS) – UMR CNRS 7314, Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E1) – FR CNRS 3459].

Après un bref rappel sur les batteries où nous positionnerons les systèmes au lithium dans le panorama général (ex : Li vs. Pb) ainsi que visà-vis du domaine d’application (mobilité vs. stationnaire), nous rappellerons quelques jalons historiques des batteries Li-ion, leurs avantages et leurs inconvénients. Nous passerons ensuite en revue les différentes options actuellement à l’étude en vue d’améliorer ces systèmes et les systèmes alternatifs en développement. Deux de ces options (les batteries Na-ion et les batteries 1. www.energie-rs2e.com/fr

dites « tout-solide ») feront l’objet d’une description plus détaillée.

1

Un bref aperçu de la situation actuelle

1.1. Quelles sont les technologies les plus utilisées (Pb vs. Li) ? En termes de quantité d’énergie stockée, c’est toujours la batterie au plomb (Lead Acid) qui est la technologie la plus vendue, mais, depuis quelques années, les batteries lithium-ion (Li-ion) sont en très forte progression (Figure 1). En termes de marché,

Dominique Larcher

Avancées et perspectives

40 milliards de $

500 000 Autres (batterie à circulation, sodium-soufre, …) Li-ion Nickel-métal hydrure Nickel-cadmium

MWh

Chimie et énergies nouvelles

600 000

400 000 300 000

37 milliards de $

200 000 100 000

Batterie au plomb

20 15 20 16 20 17 20 18

95 20 00 20 05 20 10

19

19

90

0

Les batteries au plomb : la technologie la plus utilisée Les batteries à ion lithium : la plus forte croissance

Figure 1 Évolution, depuis 1990, du marché des accumulateurs. Source : Avicenne Energy, 2019.

les batteries au plomb et les batteries Li-ion représentent chacune, en 2018, à peu près 40 milliards de dollars. 1.2. Mobilité vs. stationnaire Alors que les batteries Li-ion alimentent la quasi-totalité des transports électriques (voitures, trottinettes, vélos, bus…) et de l’électronique portable (téléphones, ordinateurs, tablettes…), le stockage stationnaire2 de l’énergie se fait essentiellement par pompage hydro-électrique3 (« Pumped Storage Hydropower », PSH). Le stockage électrochimique ne

188

2. Stockage stationnaire : en opposition au stockage dédié aux applications mobiles (transports, électronique portable…). 3. Pompage hydroélectrique : technique qui consiste à convertir l’énergie électrique en alimentant des pompes qui font remonter de l’eau d’un point bas vers un bassin d’accumulation (point haut). L’énergie électrique est ainsi convertie et stockée sous forme mécanique potentielle.

représente que 1 % de la totalité de l’énergie stationnaire stockée à l’échelle mondiale, toutes technologies de batteries confondues. Cependant, les batteries Li-ion constituent maintenant la technologie prépondérante dans les nouvelles installations de stockage stationnaire d’énergie, hors PSH.

2

Histoire, avantages et inconvénients des batteries Li-ion 2.1. Fonctionnement d’une batterie lithium-ion (Li-ion) Le plus souvent, le graphite constitue le matériau actif de l’électrode négative d’une batterie Li-ion, tandis que le matériau actif de l’électrode positive est généralement un oxyde (ex : LiCoO2, LiMn2O4) ou un phosphate (ex : LiFePO4) d’un métal de transition. Grâce à leurs structures électroniques et cristallines adaptées, les ions Li+ peuvent être extraits et insérés dans ces matériaux. Ainsi, les deux

En 2019, le prix Nobel de chimie a été attribué à J. Goodenough, S. Whittingham et A. Yoshino pour avoir proposé et développé le concept de la batterie Li-ion à partir des années 1970.

Décharge e–

Collecteur de courant en aluminium

Charge e–

Avancées et perspectives dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie (batteries)

matériaux actifs d’une batterie Li-ion échangent des ions Li+, qui migrent par l’intermédiaire d’un électrolyte4 liquide anhydre baignant l’ensemble des constituants de la batterie. Cet électrolyte est un solvant liquide organique (et donc inflammable) dans lequel est dissous de l’hexafluorophosphate de lithium (LiPF6). Cet échange d’ions s’accompagne d’un échange d’électrons entre les deux électrodes, électrons qui sont captés via des collecteurs de courant constitués de fines feuilles métalliques d’aluminium (électrode positive) et de cuivre (électrode négative) (Figure 2).

Collecteur de courant en cuivre

Charge

Décharge Li+

Graphite

Li-M-O

Électrolyte liquide organique anhydre

O

O O

O

O O

Li+

F F

F F

– F F

Figure 2 Principe de fonctionnement de la batterie lithium-ion (Li-ion).

2.2. Les avantages des batteries lithium-ion

4. Électrolyte : substance conductrice d’ions.

800

400 Densité d’énergie 350

Énergie spécifique

600

300

500

250

400

200

300

150

200

100

100

50

0 1990

Énergie spécifique (Wh/kg)

700

Densité d’énergie (Wh/L)

Depuis leur première commercialisation (1991), la densité d’énergie des batteries Li-ion (Wh/kg ou Wh/L) a été multipliée par 3 à 3,5 (Figure 3), ce qui constitue une progression très rapide en regard de l’évolution des autres technologies de batteries. Actuellement, c’est la technologie de batteries commerciales ayant la plus forte densité d’énergie. Parallèlement, le coût des batteries Li-ion ($/kWh) a été divisé par quinze depuis l’an 2000 et par dix depuis dix ans, baisse drastique qui explique la forte pénétration de cette

0 1995

2000

2005

2010

2015

Figure 3 Évolution de la densité d’énergie des batteries Li-ion, exprimée en Wh/kg et Wh/L, depuis leur première commercialisation par Sony en 1991*. Source image : d’après Placke T., Kloepsch R., Dühnen S. et coll. (2017). Lithium ion, lithium metal, and alternative rechargeable battery technologies: the odyssey for high energy density. J Solid State Electrochem, 21 : 1939-1964.

189

Chimie et énergies nouvelles

technologie dans divers marchés. Cette baisse de coût se poursuit toujours et laisse donc entrevoir d’autres possibilités à venir. Ainsi, on estime que le prix d’un pack de batteries Li-ion pourrait atteindre 94 $/kWh en 2024, et même 62 $/kWh d’ici 2030, contre environ 180 $/kWh en 20185. 2.3. Inconvénients des batteries lithium-ion Il reste cependant des problèmes à résoudre : – l’accès aux métaux : outre le lithium lui-même, qui ne représente qu’environ 3 % de la masse d’une batterie Li-ion mais est au cœur de son fonctionnement, on y trouve beaucoup d’autres métaux, dits de transition. Il s’agit essentiellement du cobalt, du nickel et du manganèse au niveau des matériaux électro-actifs, et du cuivre (collecteur de courant), qui représente à lui seul 13 % de la masse de la batterie finale. Ce dernier point fait d’ailleurs l’objet de recherches spécifiques et sera de nouveau abordé par la suite (cf. Na-ion) ; – les impacts environnementaux de la fabrication de la batterie : il s’agit de la fabrication des matériaux d’électrodes, qui nécessitent parfois de très hautes températures (ex : > 2 800 °C pour le graphite), ou l’utilisation de métaux de transition (cuivre, cobalt, nickel), dont l’usage pose des problèmes aussi divers que nombreux. Finalement, les procédés de fabrication, de

190

5. https://about.newenergyfinance .com/blog/behind-scenes-takel i t h i u m - i o n - b a t t e r y - p r i ce s / (consulté le 23 juin 2021).

séchage et d’assemblage des batteries s’avèrent également très énergivores : – le temps de recharge et la puissance des batteries Li-ion doivent encore être optimisés afin d’étendre leurs domaines d’usage ; – les risques thermiques et chimiques : les premiers proviennent de l’utilisation d’un électrolyte dont le solvant organique est volatil et combustible, les seconds sont liés à la réactivité de l’ion hexafluorure de phosphore (PF6–), qui peut être source de gaz très toxiques en cas de dysfonctionnement ou d’utilisation inappropriée de la batterie. Tous ces aspects étant fortement interconnectés, ils sont assez complexes à résoudre. D’où l’intérêt et la nécessité de disposer et de développer d’autres options et d’autres technologies de stockage. Certaines sont déjà matures et commercialisées, comme les batteries Li-métal polymère (LMP), ou encore les batteries à circulation (« redoxflow »), mais d’autres alternatives et voies complémentaires sont aussi à l’étude.

3

Quelles sont les chimies et technologies alternatives/ complémentaires ? De nombreuses possibilités existent pour tenter de modifier un (des) composant(s) du système Li-ion actuel (ex : batteries organiques, batteries « toutsolide »), pour concevoir des systèmes alternatifs conceptuellement proches (Na-ion, Métal-ion multivalent) ou très différents (Li-S, Métal-oxygène), ou pour modifier des systèmes

– le sodium (Na) ne s’intercale pas entre les feuillets de carbone du graphite de l’électrode négative ; – l’insertion/désinsertion de Na dans l’électrode positive peut provoquer des transitions structurales limitant fortement la réversibilité de la réaction. Il a donc fallu faire évoluer la technologie tout en lui conservant un mode de fonctionnement classique. Pour cela, le graphite doit être remplacé par un carbone dit « dur » (« hard carbon »), qui est un type de carbone à structure désordonnée, tandis que les oxydes lamellaires classiquement utilisés dans les batteries Li-ion sont remplacés par d’autres oxydes lamellaires (Na-Mn-O) ou par des composés polyanioniques

Avancées et perspectives dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie (batteries)

Naïvement, on peut penser qu’il suffit juste de substituer Li par Na pour transformer une batterie Li-ion en une batterie Na-ion. Dans les faits, cela ne fonctionne pas, et ce, pour au moins deux raisons :

6. www.faradion.co.uk/ 7. www.tiamat-energy.com/

Charge e–

Décharge e–

Charge

Décharge

Li+

Graphite

Li-M-O

O

O O

O

O O

Électrolyte liquide organique anhydre

Charge e–

Décharge e–

Collecteur de courant en aluminium

3.1.1. Le fonctionnement des batteries Na-ion

L’intérêt des batteries Na-ion ne se limite pas au seul remplacement du lithium par un métal à faible coût et à forte abondance. En effet, l’utilisation du sodium lève l’obligation d’utiliser un collecteur de courant en cuivre et nous permet donc de le remplacer par l’aluminium, un métal beaucoup moins toxique et beaucoup moins dense que le cuivre. Cela procure donc un double avantage, tant au niveau environnemental qu’en termes de densité d’énergie.

Collecteur de courant en aluminium

3.1. La technologie des batteries Na-ion

3.1.2. Les intérêts des batteries Na-ion

Collecteur de courant en aluminium

Nous allons maintenant détailler deux de ces exemples, très représentatifs des tendances et des efforts actuels de ce domaine de recherche ­scientifique.

(ex : Na-V-PO4-F). Ces changements ont donné naissance à plusieurs technologies actuellement au stade de la pré-commercialisation, comme celles par exemple développées par les sociétés Faradion6 (GrandeBretagne) et Tiamat7 (Amiens, France) (Figure 4).

Collecteur de courant en cuivre

primaires déjà fiables en vue de les rendre rechargeables (Zn/MnO 2 aqueux). Notons qu’aucune de ces options n’est totalement originale ; il s’agit souvent d’une adaptation évolutive de systèmes anciens ou d’hybridation de plusieurs systèmes existants.

Charge

Décharge

Na+

Carbone désordonné (= Hard carbon)

O

O O

O

O O

Électrolyte liquide organique anhydre

Figure 4 La batterie lithium-ion (Li-ion) (A) comparée à la batterie sodium-ion (Na-ion) (B). Source : d’après Ya T., Arumugam M. (2017). Progress in High-Voltage Cathode Materials for Rechargeable Sodium-Ion Batteries ; https://doi.org/10.1002/aenm.201701785

191

Chimie et énergies nouvelles

Autre conséquence de l’utilisation de deux collecteurs de courant en aluminium : cette configuration permet de transporter les batteries Na-ion totalement déchargées (0 Volt), chose impossible avec les batteries Li-ion, qui doivent être transportées à un potentiel de l’ordre de 2 Volts. Il s’agit donc ici d’un avantage pour la sécurité du transport et du stockage des batteries. Pour finir, notons que les carbones durs utilisés pour l’électrode négative sont préparés à des températures beaucoup plus basses que celles requises pour la synthèse du graphite, et que les sels de sodium anhydres sont beaucoup plus simples à fabriquer que des sels de lithium anhydres. Au-delà de l’utilisation d’un métal plus facilement accessible et moins onéreux que le lithium, la technologie Na-ion nous fait donc bénéficier de nombreux autres aspects positifs, certes plus indirects, mais non moins importants. 3.1.3. Les performances et les limites des batteries Na-ion La différence de potentiels délivrée par une batterie Na-ion est d’environ 3,7 Volts mais la densité d’énergie demeure pour le moment nettement plus faible (120 Wh/kg) que celle des batteries Li-ion (250 Wh/kg). Par ailleurs, elles souffrent d’une forte autodécharge, c’est-à-dire d’une forte tendance à se décharger pendant un stockage long à l’état chargé, problème qui peut être limité par l’utilisation d’additifs appropriés.

192

Mais cette technologie présente aussi de très grands avantages, comme illustrés

ici par la technologie mise en œuvre par la société Tiamat (Figure 5) : – une batterie Na-ion peutêtre rechargée ou déchargée très rapidement. Ainsi, on peut la recharger à 75 % de sa capacité maximale, en 6 minutes seulement ; – une batterie Na-ion a une excellente cyclabilité, c’est-àdire que la quantité d’énergie qu’elle stocke varie très peu avec le nombre de cycles (= bonne durée de vie) ; – cette bonne cyclabilité est observée à température ambiante, mais également à 55 °C. Ces caractéristiques électrochimiques exceptionnelles permettent de cibler précisément les domaines d’applications potentiels de cette technologie Na-ion : les véhicules hybrides (récupération d’énergie et aide au démarrage), ainsi que l’application stationnaire pour l’écrêtage et le lissage des fréquences (réseau). Mais la technologie Na-ion ne répond pas à l’ensemble des limitations de la technologie Li-ion. Ainsi, les risques thermiques et chimiques liés à l’électrolyte liquide organique demeurent, et c’est sur ce point que les batteries dites « tout-solide » peuvent jouer un rôle important. 3.2. Les batteries à électrolyte solide, dites batteries « tout-solide » 3.2.1. Composition d’une batterie « tout-solide » Les batteries « tout solide » sont encore loin d’être commercialisées, mais elles font l’objet de nombreuses études

A

80

600

Décharge Charge

40

20

0 0

1

10

100

1000

C-rate 100

Rétention de capacité (%)

80

B

600

40

20

0 0

500

1000

1500

2000

2500

3000

3500

4000

Nombre de cycles

Figure 5 Performances d’une batterie Na-ion (Tiamat) au format cylindrique standard dit 18650 (18 mm de diamètre, 65 mm de hauteur). A) Évolution de la capacité en fonction du régime appliqué. Un C-rate = 10 correspond à une (dé)charge en 1/10 d’heure, soit en 6 minutes ; B) Évolution de la capacité en fonction du nombre de cycles (à un régime de 1C, soit 1 (dé)charge complète par heure). Tous ces tests sont réalisés à température ambiante*. Source : d’après https://doi.org/10.1002/smtd.201800215

Avancées et perspectives dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie (batteries)

Rétention de capacité (%)

100

* Broux T., Fauth F., Hall N., Chatillon Y., Bianchini M., Bamine T., Leriche J.-B., Suard E., Carlier D., Reynier Y., Simonin L., Masquelier C., Croguennec L. (2019). Small Methods, 3 : 1800215. https://doi.org/10.1002/smtd.201800215

à l’échelle laboratoire où elles apparaissent très prometteuses8. Elles fonctionnent exactement sur le même principe physico-chimique global qu’une batterie Li-ion classique, mais l’électrolyte liquide (organique et inflammable) y 8. Janek J., Zeier W. (2016). A solid future for battery development. Nat Energy, 1 : 1614. https://doi. org/10.1038/nenergy.2016.141

est remplacé par un électrolyte solide (inorganique et non combustible). Bien sûr, un solide ne pourra pas « mouiller » aussi facilement qu’un liquide les éléments internes de la batterie, et cela oblige : – à compacter l’ensemble de manière à améliorer les contacts ; – à augmenter la quantité d’électrolyte.

193

Chimie et énergies nouvelles

Ces électrolytes solides étant plus denses que leurs équivalents liquides organiques, leur utilisation entraîne donc une faible énergie massique et volumique. La seule option réaliste pour compenser efficacement cette perte d’énergie est d’utiliser du lithium métallique comme électrode négative. Il ne s’agit donc plus ici de batteries Li-ion mais de batteries au Li métal.

Li-ion, mais ils ont aussi des défauts rédhibitoires. D’abord, ils ont souvent tendance à facilement réagir avec l’eau et leur domaine de stabilité électrochimique est souvent très restreint, d’où une forte réactivité avec les matériaux des électrodes (Figure 6). De gros efforts sont donc encore nécessaires pour mettre au point un électrolyte solide stable et très bon conducteur ionique.

3.2.2. Les avantages et limites des batteries « tout-solide »

3.2.3. Le problème des dendrites

Cette configuration a l’avantage de permettre l’utilisation des matériaux d’électrodes positives initialement exempts de lithium, le lithium étant apporté par l’électrode négative. Nous disposons actuellement d’électrolytes solides presque aussi bons conducteurs que les électrolytes liquides des batteries

Un autre problème crucial à résoudre pour le développement des batteries « tout-solide » est celui des « dendrites » de lithium métallique, qui se forment au cours du cyclage. Sur l’électrode de Li métal, la dissolution et le re-dépôt électro­ chimiques du lithium ne se font

T (°C)

Doped Li3N Li3.25Ge0.25P0.75S4

Li3N

La0.5Li0.5TiO3 Organic electrolyte 1 M LiPF6 /EC-PC (50:50 vol. %)

A

B

LAGP

LISICON

LLTO

LATP

LLZO

LiPON

0

6

–1

Li7P2S8I

5

10 T (K ) –1

Li3PS4

4 3

Li6P2S5Cl

3

1

LIPON

Li3.5Ge0.25PS4

2

2

Li3P

1

3

LGPS

Polymer electrolyte LiN(CF3SO2)2/(CH2CH2O)n (n = 8)

–7

4

Li2S

Polymer electrolyte PEO-LiCIO4 (10 wt % added TiO2)

–6

Gel electrolyte 1 M LiPF6 EC-PC(50:50 vol. %) + PVDF-HFP (10 wt %)

Li3N

Glass electrolyte Li2S-P2S5

–5

5

Ionic liquid electrolyte 1 M LiBF4/EMIBF4 Glass-ceramic electrolyte Li7P3S11

Li3.6Si0.6P0.4O4

–4

6

–100

Li2I

Glass electrolyte Li2S-SiS2-Li3PO4

Li-β-alumina

–3

–30

Li2O

–2

27

New Li10GeP2S12 solid electrolyte

LiF

log [σ(S cm–1)]

–1

100

LiCl

0

LISICON Li14Zn(GeO4)4

200

Tension (V) vs Li/Li+

800 500

Figure 6 Conductivité ionique (gauche) et fenêtre de stabilité électrochimique (droite) de quelques électrolytes solides*. Sources : Kamaya N., Homma K., Yamakawa Y. et coll. (2011). A lithium superionic conductor. Nature Mater, 10 : 682-686 (2011) ; Yizhou Z., Xingfeng H., Yifei M. (2015). ACS Appl. Mater. Interfaces, 7, 42 : 2368-23 693. * Kamaya N., Homma K., Yamakawa Y. et coll. (2011). A lithium superionic conductor. Nature Mater, 10 : 682–686. https://doi.

194

org/10.1038/nmat3066 ; Yizhou Z., Xingfeng H., Yifei M. (2015). Origin of Outstanding Stability in the Lithium Solid Electrolyte Materials: Insights from Thermodynamic Analyses Based on First-Principles Calculations, ACS Appl. Mater. Interfaces, 7 : 42, 23685-23693. https://doi.org/10.1021/acsami.5b07517

Cependant, ce problème de croissance dendritique peut être résolu. Dans la littérature métallurgique classique, beaucoup de raisons sont reportées pour l’expliquer, comme la rugosité de surface, le courant imposé, la présence d’impuretés dans le métal, la vitesse de diffusion du métal dans le métal lui-même, et la pression appliquée sur le métal. Regardons plus en détails ces deux derniers points. 3.2.4. Des pistes pour remédier au problème des dendrites En 2007, T. Richardson propose d’utiliser un alliage lithiummagnésium (Li-Mg) à la place de Li pur9. Les micrographies réalisées à l’interface métal/ électrolyte au long du cyclage montrent clairement que la dissolution/re-dépôt de Li est beaucoup plus homogène avec 9. Thomas  J.R., Guoying C. (2007). Journal of Power Sources, 174 : 810.

Avancées et perspectives dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie (batteries)

pas de manière homogène et on observe la croissance de petits filaments de lithium, les dendrites, à l’origine de sérieux problèmes de performances puisqu’elles peuvent conduire à une perte de cohésion et à des courts-circuits. Il est intéressant de remarquer que ce même problème des dendrites a été observé il y a une trentaine d’années dans les premières batteries au lithium commercialisées par Moli Energy (1988), mais avec des effets beaucoup plus néfastes. En effet, ces batteries utilisaient un électrolyte organique liquide et les courtscircuits provoqués par la croissance dendritique incontrôlée ont eu pour conséquence plusieurs départs de feu et explosions de batteries.

un alliage Li-Mg qu’avec Li pur, même après près de 200 cycles (Figure 7). La croissance dendritique et la décohésion du film métallique sont donc fortement limitées avec ce type d’alliages binaires où la diffusion du lithium est facilitée par l’existence de solutions solides très étendues. À noter que les micro-batteries au lithium, batteries « toutsolide » très fines développées dès le début des années 199010, peuvent aussi fonctionner avec des anodes à base d’alliages de Li (ex : lithium-indium). Appliquer une pression perpendiculairement à la surface de l’électrode de lithium, métal très malléable, peut considérablement modifier son état de surface et retarder voire, 10. Steven D.J., James R.A. (1992). A thin film solid state microbattery, Solid State Ionics, 53-56 : 628634. https://doi.org/10.1016/0167 -2738(92)90439-V

A

Li 0,5 mm

Cycle #0

16

46

94

192

Li0,7Mg0,3 B Figure 7 Évolution de la texture de la surface d’un film de Li (A) et de Li0.7Mg0.3 (B) au cours des cycles de dissolution/dépôt électrochimiques de Li [9]. Source : T. J. Richardson, G. Chen, (2007). Journal of Power Sources, 174-810.

195

Chimie et énergies nouvelles

empêcher la croissance de dendrites. Cela a été démontré au début des années 1990 par les chercheurs de Moli Energy11. La Figure 8 compare l’état de surface d’une 11. Wilkinson D.P., Blom H., Brandt K., Wainwright D. (1991). Effects of physical constraints on Li cyclability, Journal of Power Sources, 36 : 517-527. https://doi. org/10.1016/0378-7753(91)80077-B

A

électrode de lithium cyclée dix fois sous une faible (20 psi) et sous une forte (200 psi) pression. Clairement, la pression a un effet très positif sur la texture du métal et sur son homogénéité. Appliquer une forte pression favorise aussi le contact entre les particules, limite la décohésion de l’électrode, et conduit donc à durée de vie et à une sécurité accrues.

B

Figure 8 Effet de l’application d’une pression sur l’évolution de la texture d’une feuille de Li soumise à dix cycles de dissolution/dépôt électrochimiques (Li/MoS2, électrolyte liquide organique, 21 °C). A) P = 20 psi (~1,5 atm) ; B) P = 200 psi (~15 atm). Source : Wilkinson D.P, Blom H., Brandt K., Wainwright D. (1991). Effects of physical constraints on Li cyclability, Journal of Power Sources, 36, 4 : 517-527.

Conclusion

196

Le domaine des batteries progresse rapidement : leur coût est en baisse constante et leurs performances augmentent. Mais dans un contexte de nécessité d’une transition énergétique, les batteries ne doivent pas être considérées comme la panacée, ni être mises en opposition avec les autres systèmes de stockage, ni surtout être considérées comme un alibi justifiant encore plus de consommation/ gâchis d’énergie. En complément d’une indispensable sobriété énergétique soutenue par un nécessaire effort pédagogique, il nous faut

Avancées et perspectives dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie (batteries)

aussi développer la diversité des systèmes de capture, de stockage et de distribution de l’énergie si l’on souhaite résoudre le problème dans sa globalité. Les options alternatives, en projet, à l’étude ou en développement, sont donc toutes d’intérêt. Ainsi, la recherche dans le domaine des batteries s’est fortement diversifiée ces dernières années, comme le montrent les deux exemples ici décrits (Na-ion et « tout-solide »). Beaucoup d’options sont en développement, ce qui initie souvent des connexions avec d’autres domaines, d’autres techniques, d’autres approches. Il est donc essentiel de conserver un contact étroit avec les autres secteurs de la recherche et de ne pas négliger les études/publications dites « anciennes », trop souvent négligées alors que leur lecture constitue à la fois une riche mine d’informations… et un gain de temps et d’­énergie assurés.

197

énergie à zéro

d’

empreinte carbone Christine Rousselle est professeure à Polytech Orléans1, au Laboratoire PRISME2.

L’ammoniac (NH3), que l’on pourrait appeler l’autre hydrogène, puisque c’est un hydrogène azoté, suscite depuis ces cinq dernières années un énorme intérêt (Figure 1). On considère en effet que l’ammoniac devient un carburant potentiel pour de nombreuses applications dans des domaines allant du transport marin, aérien, à la production d’électricité. Le Japon, la GrandeBretagne, la Norvège misent sur l’ammoniac, et même, récemment, un raffineur de pétrole, Saudi Aramco (Figure 1), 1. https://www.univ-orleans.fr/fr/ polytech 2. https://www.univ-orleans.fr/fr/ prisme

a annoncé qu’il produirait en 2023 de l’ammoniac bleu, avec peu d’empreinte carbone. Nous allons voir les raisons de cet intérêt grandissant chaque jour.

1

L’ammoniac, une solution de stockage chimique de l’énergie L’ammoniac, ou hydrogène azoté, est un gaz incolore à température ambiante qui produit une fumée de condensation à haute concentration. Son odeur très désagréable peut être un avantage car elle lui permet d’être facilement détecté, lors de fuites. Actuellement, l’ammoniac est produit facilement à partir du

Christine Rousselle

ammoniac

L’  : un des futurs e-fuel pour une production

Chimie et énergies nouvelles

Figure 1 Revue de presse des résultats correspondant à la recherche « ammoniac » sur Internet.

dihydrogène (H2) et du diazote (N2). Avec 180 millions de tonnes par an, c’est la deuxième espèce chimique produite et distribuée à travers le monde avec comme utilisations principales l’agriculture et la réfrigération. Un autre avantage de l’ammoniac est qu’on peut envisager de le produire localement et facilement.

Émissions mondiales CO2

« si on ne

change rien

»

Faible changement de comportement Amélioration efficacités des installations Nouvelles sources d’énergie

Objectif 2050 (EU = zéro !) 1945

1990

Figure 2 200

L’ammoniac devient une molécule de plus en plus attractive dans le monde de la combustion car sa combustion génère zéro CO2. La Figure 2 schématise, dans le cadre du défi énergie-climat, les prévisions des émissions de CO2 à l’horizon 2050 en fonction de la politique qui est mise en jeu. « Si on ne change rien », nos émissions

Le challenge Énergie-Climat.

2020

2030

2050

Énergie

demande en énergie vent nuit

lever

Malgré les progrès réalisés sur les batteries, d’autres moyens de stockage doivent être envisagés afin d’augmenter la densité d’énergie stockée et la durée de stockage. L’une des solutions est le stockage chimique, qui est le plus intéressant selon ces deux facteurs, comme le montre la Figure 4 (en vert), où sont comparées les différentes techniques de stockage. L’idée est basée sur l’utilisation de cet excès d’énergie perdue pour produire des espèces chimiques (hydrogène, ammoniac, méthane, méthanol…), vecteurs d’énergie. Il est même possible, à partir du captage de CO 2, d’envisager des carburants

coucher

nuit

demande

rayonnement solaire Janvier

Juin

Décembre

Figure 3 Décalage entre demande et production d’électricité.

Durée de stockage Mois Stockage chimique (hydrogène, ammoniac, méthane, méthanol, hydrates, etc.)

Semaines Jours

Batteries (Li-ion, NiCd, NiMH…)

Heures

1.1. Le stockage chimique de l’énergie

midi

Minutes

Batteries nouvelles générations

Barrages hydrauliques

Systèmes thermomécaniques (air comprimés…)

Volants d’inertie

Secondes

Supercondensateurs 1 kW

100 kW

1 MW

10 MW

100 MW

1 GW

L’ammoniac : un des futurs e-fuel pour une production d’énergie à zéro empreinte carbone

Ces nouvelles sources, majoritairement des énergies renouvelables (telles que l’éolien et le solaire), posent le problème du stockage (Figure 3). Que ce soit à l’échelle journalière ou annuelle, la disponibilité de ces énergies n’est pas en phase à 100 % avec nos besoins en énergie. Pour diminuer ce déphasage, la solution est le stockage.

rayonnement solaire

Énergie

de CO2 ne feront que croître. Par le changement de notre comportement quotidien, visant à maîtriser nos dépenses énergétiques, nos émissions de CO2 diminueront un peu. En améliorant l’efficacité de nos installations utilisant de l’énergie, elles diminueront un peu plus. Il est donc indispensable de déployer à grande échelle de nouvelles sources d’énergie non fossiles pour atteindre les objectifs fixés pour 2050.

Puissance stockée

Figure 4 Solutions de stockage de l’énergie.

classiques (essence, diesel, kérosène…). L’ensemble de ces espèces porte un nom générique, « e-fuels », c’est-àdire combustibles/carburants produits à partir de l’électrolyse de l’eau usant l’électricité. 1.2. L’ammoniac, vecteur d’énergie Il est intéressant de comparer les caractéristiques physiques de l’ammoniac à

201

Chimie et énergies nouvelles

celles des autres molécules utilisées dans le stockage chimique, comme le montre le Tableau 1. Une pression de stockage de 8,5 bars permet de stocker l’ammoniac sous forme liquide contre 700 bars, requis pour l’hydrogène. Sa densité de stockage, ainsi que sa chaleur de combustion, sont proches de celle d’un autre e-fuel, le méthanol. Quant à sa densité énergétique, elle est très intéressante comparée au méthane et au méthanol. Un autre paramètre physique, la chaleur latente de vaporisation3, doit être aussi considéré, en particulier pour des applications nécessitant l’injection liquide de l’ammoniac telles que dans les moteurs, les turbines à gaz ou les brûleurs.

de six usines de stockage de 1 000 kg d’hydrogène, ou encore 40*5 MWh de batteries. C’est aussi un très bon vecteur d’hydrogène puisqu’une molécule de NH3 va transporter 1,5 molécule de H2. L’une des premières utilisations envisagées pour l’ammoniac est tout simplement de le convertir, à partir de catalyseurs, en H2 et en N2, afin de récupérer l’H2. 1.3. La production de l’ammoniac

L’ammoniac est donc un bon vecteur d’énergie, nettement moins coûteux : par exemple, un réservoir de 945 tonnes de NH3 représente 200 MWh en puissance stockée, ce qui correspondrait à l’équivalent

Le procédé Haber-Bosch (HB), mis au point en 1913, est le procédé le plus utilisé dans le monde pour fabriquer de l’ammoniac, à partir de la réaction (N2 + 3 H2 → 2 NH3). Cette réaction, cinétiquement impossible à température ambiante, est catalysée par des catalyseurs4 (par exemple de type fer-nickel), à une température supérieure à 400 °C, et sous une pression pouvant aller de 10 à 300 bars. Ce procédé, certes peu coûteux en

3. Chaleur latente de vaporisation : quantité d’énergie nécessaire pour passer de l’état liquide à l’état gazeux.

4. Catalyseur : composé permettant d’accélérer une réaction chimique.

Tableau 1 Caractéristiques physiques de l’ammoniac comparées à d’autres molécules chimiques. H2

Méthane

Méthanol

Gasoline

NH3

–253

–162

65

27-225

–33

3

Densité (kg/m ) (20 °C, 1 bar)

0,08

0,66

790

740

0,71

Forme standard de stockage

liquide

gaz

liquide

liquide

liquide

Pression de stockage à 20 °C en liquide

700

250

1

1

9

Densité aux conditions de stockage (kg/m3)

39,7

194

790

740

610

Densité énergétique aux conditions de stockage (MJ/L)

4,76

9,70

15,72

32

11,47

Chaleur latente de vaporisation (kJ/kg)

461

510

1168

180-350

1370

Chaleur de combustion (MJ/kg)

120

49

19,9

44

18,8

Point d’ébullition (°C)

202

L’une des voies est l’électrolyse directe de l’eau et de l’azote, ce qui permettrait de s’affranchir de l’étape intermédiaire de la production de l’hydrogène, mais le coût énergétique à l’heure actuelle par mole d’ammoniac reste encore trop élevé. Une approche hybride électrolyse de l’eau et plasma pourrait aussi être développée à température et pression ambiante. Ces différents procédés pourraient être compétitifs à l’avenir au procédé HB. Au vu du développement potentiel de l’ammoniac comme vecteur d’énergie, les prédictions indiquent qu’en 2050, sa production devrait être à peu près multipliée par cent, d’où cette nécessité de développer des procédés plus propres en impact carbone. La Figure 6 schématise l’évolution possible des différentes techniques de production selon

Coût énergétique par mole NH3

Meilleur actuel Cas idéal : R&I, R&D indispensable

HB

Électrolyse directe

Plasma

Looping

Figure 5 Les différentes techniques de production de l’ammoniac.

L’Agence de la transition écologique française (ADEME) qualifie de « Power to X to Power » la transformation de l’électricité (Power) en un autre vecteur énergétique (X) pour valoriser les surplus d’électricité intermittente lors des périodes de faible demande et la production d’électricité (Power) à partir de ce vecteur, tel que NH3 (ou H2). Différents scénarii globaux peuvent voir le jour, tels que présentés sur la Figure 7.

L’ammoniac : un des futurs e-fuel pour une production d’énergie à zéro empreinte carbone

D’autres procédés, indiqués sur la Figure 5, sont à l’étude à des niveaux de maturation industriels plus ou moins avancés. On peut citer : la technologie plasma, qui permettrait d’obtenir l’ammoniac directement par réaction directe de l’azote et de l’hydrogène ; la technique « looping », qui permet d’obtenir de l’ammoniac à 100 °C par réaction d’un hydrure (type BaNH) sur de l’azote pour obtenir des imides, qui, en présence d’hydrogène et de catalyseurs au nickel, produisent de l’ammoniac et régénèrent de l’hydrure métallique.

l’évolution croissante des besoins en ammoniac. Pour augmenter cette production, le procédé Haber-Bosch (GEN1 sur la Figure 6) devra être remplacé par les autres procédés. On pourra ainsi se passer d’un ammoniac « gris », c’est-à-dire une forte émission de carbone sur tout le processus. L’électrolyse directe de l’eau permettrait de limiter réellement l’impact sur le réchauffement climatique, on parle d’ammoniac et d’hydrogène « bleus » (GEN2), voire « verts », c’est-à-dire, avec un impact quasi nul (GEN3).

Besoin en combustibles 100

Production de NH3 (1015 Wh/an)

énergie, nécessite de la chaleur et de l’hydrogène, qui jusqu’à aujourd’hui est produit à partir du méthane, donc à partir d’une source carbonée.

Production NH3

10

Besoin NH3 fertilisant

1 0,1

GEN2

GEN1

GEN3

0,01 2020

2030

2040-2050

CH4 + H2O → H2 + N2 → NH3

H2O → H2 + N2 → NH3

H2O + N2 → NH3

GEN1

GEN2

GEN3

Figure 6 Évolution possible de la production d’ammoniac dans le futur.

203

Chimie et énergies nouvelles

production N2 production H2

stockage N2 stockage H2

Production NH3

H2-toPower NH3-toPower énergie électrique

N2

H2

production N2

stockage NH3 NH3 stockage N2

A

Production NH3

H2O

NH3-toPower énergie électrique

N2

stockage NH3 NH3

B

Figure 7 Stockage chimique de l’énergie : 2 concepts de « Power to X to Power » : A) Scénario mixte NH3 et H2 ; B) Scénario pur NH3.

2

Utilisation de l’ammoniac comme carburant/combustible 2.1. Caractéristiques de ce carburant

204

Bien que possible et réalisé dans le passé, utiliser l’ammoniac comme combustible reste un défi. En effet, si on compare les caractéristiques de la combustion de l’ammoniac avec quelques combustibles classiques (Tableau 2), on peut noter que le rapport de la quantité d’air nécessaire pour brûler une quantité unitaire d’ammoniac est beaucoup plus faible : 6 pour l’ammoniac contre 15 pour l’essence et 34 pour l’hydrogène. Ce qui implique une consommation de carburant plus élevée, nécessitant

de grands réservoirs. Un autre inconvénient important est sa faible vitesse de combustion, qui va entraîner des problèmes de stabilité, d’extinction de flammes. Par contre, l’un de ses avantages est son domaine d’inflammabilité dans l’air, relativement réduit, limitant les risques d’explosion, comme d’ailleurs aussi sa température d’autoinflammation élevée (651 °C). Cela se traduit pour les motoristes par un indice d’octane5 élevé, limitant les risques de cliquetis6. 5. Indice d’octane : résistance à l’auto-allumage d’un carburant. 6. Cliqueti : combustion anormale au sein d’un moteur, entraînant une résonance du fort gradient de pression sur les parois de la chambre de combustion et du piston.

Caractéristiques de combustion de l’ammoniac et d’autres carburants. Hydrogène

Méthane

Méthanol

Essence

Ammoniac

Conséquences

34,2

17,65

6,46

14,6

6,06

Consommation élevée : taille des réservoirs

Limite d’inflammabilité dans l’air (vol. %)

4,5-75

5-15

6,7-36

1,3-7,6

15-30

Réduite : peu de risque d’explosion

Vitesse de combustion (cm/s)

210

38

40

~ 40

7

Très faible

Température d’auto-­ inflammation (°C)

537

595

465

275

651

Peu de risques

Rapport air/carburant à la stoéchiométrie (kg/kg)

Indice d’octane (*)

> 120

120

109

88-98

> 120

Pas de cliquetis

Température de flamme adiabatique (°C)

2 519

2 326

2 228

2 392

2 107

Flamme plus froide

Dans le cadre d’utilisation dans des brûleurs industriels, selon le type d’applications, sa plus faible température de flamme peut aussi être inconvénient. L’oxycombustion 7 pourrait permettre d’y remédier. 2.2. Exemples d’utilisation de l’ammoniac comme carburant La Figure 8 illustre les différences phases dans l’histoire de l’utilisation de l’ammoniac comme carburant. Celle-ci commence en 1940, lors de la deuxième guerre mondiale, où la Belgique, en rupture de carburant, fabrique du gazogène à partir du charbon, et y ajoute l’ammoniac qu’elle avait en surplus. Une flotte de bus a ainsi pu fonctionner avec un mélange de gazogène 7. Oxycombustion : processus au cours duquel de l’oxygène est ajouté à l’air pour améliorer la combustion et diminuer la proportion d’azote qui, neutre pour la combustion, agit comme un puits de chaleur.

et d’ammoniac à hauteur de 30 %. Il faut attendre près de vingt ans plus tard, dans les années 1960-1966, pour que les États-Unis considèrent déjà l’ammoniac comme vecteur d’énergie et carburant dans des moteurs de voiture, voire même un propulseur de fusée. Quarante ans plus tard, les États-Unis s’y réintéressent de nouveau, et l’Université de Michigan fait rouler une voiture à essence avec 30 % d’ammoniac sur 3 800 km. Puis d’autres expérimentations sont menées à travers le monde (Corée, Japon…). Le Japon, qui a d’ailleurs annoncé sa feuille de route et son accord avec l’Australie comme fournisseur de NH3, mène des travaux sur des turbines à gaz, soit en ajout partiel d’ammoniac avec du méthane pour de l’hydrogène dans une vision « X to Power » (le Power to X étant fait par l’Australie). Récemment, en 2017, la Chine tente de décarboner sa production d’énergie, majoritairement faite par

L’ammoniac : un des futurs e-fuel pour une production d’énergie à zéro empreinte carbone

Tableau 2

205

Chimie et énergies nouvelles

NOx removal unit

Micro gas turbine

Ammonia Charbon

3m

1960-1966 US Army Rocket record

2007-2012 Michigan University NH3/Essence

1940 Belgique NH3/Gazogène (charbon) 10 000 miles

2013 Central Valley, California Pompe avec moteur 1 000 h, ~50 % de rendement

Combustion Air

Charbon Ammonia

2014 AIST Japan Turbine à gaz – kérosène/NH3 jusqu’à 30 % NH3 – CH4/NH3 – NH3/H2

2017 Chugoku Electric Power Brûleur à lit fluidisé charbone : jusqu’à 25 % NH3

2012-2015 KIER, Corée NH3/Essence Jusqu’à 70 % NH3

Figure 8 Histoire de l’ammoniac comme carburant.

des centrales thermiques à charbon, en injectant jusqu’à 25 % l’ammoniac dans des brûleurs de charbon à lit fluidisé, et ainsi diminuer de 25 % l’impact CO2. 2.3. L’intérêt de l’ammoniac comme carburant

206

Même si la combustion de l’ammoniac n’est pas aisée, elle a un avantage certain, c’est sa non-production d’espèces carbonées (CO2, CO ou CxHy). Par conséquent, son introduction dans tout système de combustion entraîne une décarbonisation partielle de ce procédé, voire totale si l’ammoniac est mélangé à l’hydrogène ou utilisé seul. Toutefois, la présence de l’azote dans cette molécule va entraîner la formation d’un

polluant, le NOX8, via un mécanisme cinétique non habituel dans le cas de la combustion d’hydrocarbures. Par conséquent, dans les installations où l’on utilise l’ammoniac comme carburant, on peut avoir une formation plus rapide de NO2 et de NO, ainsi que la production de N2O, gaz à effet de serre à éviter, lié à son pouvoir réchauffant 25 fois plus important que le méthane, et 300 fois plus important que le CO2. Dans le cas d’applications dans le domaine des transports (automobile, routier, maritime), différents leviers technologiques doivent être étudiés : comme le montre la 8. NOx : famille des oxydes d’azote, certains de ces gaz sont des puissants gaz à effet de serre.

Ammoniac

gaz

Moteur à allumage commandé

injection directe

liquide

puissance

mixte

on board cracker ou réservoir

H2

Typé essence

démarrage

Typé diesel

NH3/NOx trade-off

injection directe/indirecte préchambre

Figure 9 Possibilités d’utilisation de l’ammoniac dans les moteurs à combustion interne.

Figure 9, l’ammoniac peut être injecté sous forme gazeuse ou liquide, directement dans le moteur ou indirectement ; on peut y ajouter de l’hydrogène pour aider la combustion et la stabilité du moteur via un réservoir dédié, ou encore un système qui décomposerait NH3 in situ en N2 et H2. Vu la résistance de l’ammoniac à l’inflammation, l’allumage ne peut se faire que via un système (bougie ou allumage par préchambre), que ce soit dans des moteurs type essence ou diesel. Il faut étudier les conditions de fonctionnement possibles et optimales selon la puissance, le démarrage, le régime moteur, pour avoir

une étendue de fonctionnalités possibles. Il est peu probable que ce type de moteur puisse être utilisé sur des voitures particulières pour des raisons de stockage et de sécurité. Mais il pourrait être très intéressant sur des véhicules utilitaires comme des camions, à cause du gain de stockage en énergie de l’ammoniac en comparaison avec l’hydrogène. Le secteur maritime, via l’Office Maritime International, a clairement déclaré en 2019 sa feuille de route pour décarboner ce secteur de 45 %, voire 50 % à l’­horizon 2050. C’est un énorme défi, et l’ammoniac fera partie de tout le panel de solutions.

L’ammoniac : un des futurs e-fuel pour une production d’énergie à zéro empreinte carbone

injection indirecte

Conclusion La conclusion est résumée dans le Tableau 3 : en dehors des défis de production, d’acheminement et de sécurité, l’ammoniac pourrait être utilisé comme carburant/combustible pour les systèmes énergétiques stationnaires

207

Chimie et énergies nouvelles

Tableau 3 L’ammoniac comme carburant/combustible : les défis technologiques. Challenges

R&D focus

Moteurs à combustion interne

Technologies

– Technologie robuste – Faisable avec d’autres carburants (essence, diesel, H2, gaz nat, …)

Possibilités testées avec NH3

– Pur NH3 ou petite quantité H2 – Rendement – Compromis émissions NOx et NH3

– Craquage partiel de NH3 – Améliorer/optimiser les techno de combustion pour NH3 pur – Développer des techniques de dépollution locales

Turbine à Gaz (TaG) – cycle combiné

– Puissance produite élevée (> 1 MW) – Optimum pour produire de la puissance durant les pics de consommation – Possible avec charbon, méthane (40 %) – Optimisation possible du cycle complet (puissance, + chaleur et refroidissement)

– Pur NH3 (petite et moyenne TaG) – NH3 + % H2 (grande TaG) – Limitation des émissions de NOx – Technologie en développement

– Nouveaux types de brûleurs pour une combustion optimale – Craquage partiel (pour grandes puissances) – Stratégie pour supprimer NOx – Concevoir des unités à forte puissance

Brûleurs et fours

– Technologie très robuste – OK pour faible concentration (max 20 %)

– Augmenter NH3 % – Compromis NOx/NH3 – Corrosion très forte selon les gaz ambiants

– Améliorer les techno de combustion, d’injection – Nouveaux systèmes (nouveaux matériaux)

et non stationnaires (moteur à combustion interne, turbine à gaz, les cycles combinés ou les brûleurs et les fours). Actuellement, des exemples fonctionnent en ajoutant de l’ammoniac aux carburants ou combustibles conventionnels, le défi est de réussir à fonctionner avec de l’ammoniac pur, ou partiellement décomposé en hydrogène. Il sera aussi nécessaire de trouver le compromis optimal quant aux émissions de NOx et d’ammoniac.

208

lutte

acteurs de la contre le changement

climatique

Jean-Pierre Clamadieu a été président directeur général de Rhodia, puis il a conduit la fusion de Rhodia avec Solvay, dont il est devenu chief executive officer de 2012 à 2019. Il est aujourd’hui président du conseil d’administration d’Engie1.

L’énergie et la chimie sont deux industries qui ont la caractéristique de constituer les bases de beaucoup de secteurs industriels.

1

Le rôle de l’énergie dans la transition écologique 1.1. Accélérer la transition énergétique : une nécessité La crise sanitaire a mis en évidence la fragilité de notre monde face à une crise qui a une constante de temps 1. www.engie.com/

courte, mais qui a donné un éclairage très fort sur la nécessité de construire un monde plus résilient face à la crise climatique, qui a une constante de temps beaucoup plus longue mais des effets beaucoup plus durables, sur lesquels il sera sans doute pour certains d’entre eux impossible de revenir. Effectivement, la problématique du changement climatique est devenue, encore plus depuis un an, une priorité et une urgence. Un certain nombre de décisions montrent que l’industrie et la société sont en cours d’évolution

Jean-Pierre Clamadieu

Chimie et énergie,

Chimie et énergies nouvelles

rapide. Le Forum de Davos2 de 2021 a montré que beaucoup de secteurs industriels accélèrent aujourd’hui la transition énergétique, c’est un élément d’espoir. 1.2. Deux priorités : mieux consommer l’énergie et mieux utiliser les énergies renouvelables En ce qui concerne le secteur énergétique, nos priorités aujourd’hui sont probablement de deux natures. La première, qui est essentielle, est de contribuer à une plus grande efficacité dans l’utilisation de l’énergie. Les acteurs du secteur de l’énergie ont la capacité d’aider la société, d’aider leurs clients quels qu’ils soient – particulier, entreprise ou très grande entreprise – à mieux consommer leur énergie. C’est une priorité très forte qui va de la rénovation des bâtiments, à l’optimisation de l’utilisation d’énergie dans l’industrie. La deuxième priorité de ce secteur est de changer notre mix énergétique. Ces dix dernières années ont été marquées par une évolution très rapide du développement des énergies renouvelables, qui ont pratiquement doublé en capacité, avec l’ambition de tripler ou quadrupler dans les vingt prochaines années. Dans un contexte dans lequel la consommation d’énergie continue d’augmenter, c’est un sujet qui mobilise des montants de capitaux extrêmement

212

2. À Davos (Suisse) a lieu chaque année le forum économique mondial (World Economic Forum, WEF), réunion des dirigeants de la planète et des élites économiques.

importants. Les dirigeants des grands groupes pétroliers comme Total, qui est devenu Total Énergies, et BP ont récemment rappelé leurs ambitions dans le domaine des énergies renouvelables. Le groupe Engie affiche lui aussi sa volonté d’accélérer sa croissance dans ce domaine. L e s é n e r g i e s r e n o u v elables sont un secteur qui va connaître un développement fulgurant dans les prochaines années avec des technologies matures, mais qui rencontrent un certain nombre de défis auxquels la chimie doit apporter des éléments de solutions. 1.3. Les défis de la transition énergétique Quand on pense aux technologies matures des énergies renouvelables, on pense au solaire et à l’éolien qui ont connu des progrès absolument fulgurants. Cela dit, il reste des défis, en particulier en ce qui concerne les matériaux, qui sont et seront nécessaires pour construire ces systèmes. Nous y travaillons au quotidien avec des entreprises du secteur de la chimie. Un autre point important est l’acceptabilité de ces technologies : nous voyons apparaître des défis apportés par un certain nombre de parties prenantes qui touchent au recyclage des installations, à leur efficacité, à la disponibilité des ressources, qui peuvent amener à chercher d’autres types de solutions. Nous avons besoin du soutien de l’industrie chimique pour aider à apporter des réponses et faire en sorte que ces technologies puissent être déployées à très grande

Le stockage est évidemment un très gros défi ; le développement des énergies renouvelables dans les systèmes énergétiques conduit à des contraintes majeures dans l’équilibre de ces systèmes. Ces contraintes peuvent trouver des éléments de solution au travers du stockage. Nous avons des solutions disponibles aujourd’hui, que ce soit le stockage hydraulique ou les batteries, mais nous avons encore d’énormes progrès à faire. Une batterie est un système chimique et les chimistes ont encore beaucoup d’efforts à déployer afin d’apporter des solutions qui soient plus efficaces.

2

L’hydrogène

Un deuxième défi, qui paraît particulièrement intéressant et important pour un groupe comme Engie, qui a un ADN de gazier, est l’utilisation de l’hydrogène, car sa fabrication est facile à partir d’électricité, en particulier d’électricité renouvelable, et on est capable de transformer ce gaz hydrogène en électricité dans une pile à combustible. Engie est assez convaincu que l’hydrogène a un potentiel de développement considérable, dans un premier temps probablement autour de projets localisés entre un producteur d’hydrogène et un consommateur qui sera pour beaucoup un consommateur industriel. C’est probablement dans l’industrie qu’on verra les premières applications

de l’hydrogène vert, et aussi peut-être demain dans le transport lourd. La vision à moyen long terme, qui est peut-être une vision de rêve, mais pour laquelle l’Europe semble plutôt bien armée pour transformer ce rêve en réalité, est un réseau d’hydrogène européen qui relierait nos grands champs de production d’énergies renouvelables aux différents pôles de consommation et qui permettrait de faire de l’hydrogène ce lien et cet élément de stockage. Un gaz se stocke très facilement dans les stockages souterrains et les stockages géologiques de gaz, stockages dont dispose Engie et dans lesquels on pourrait mettre très facilement de l’hydrogène. Il y a là un défi qui interpelle à la fois l’énergéticien et le chimiste.

Chimie et énergie, acteurs de la lutte contre le changement climatique

échelle dans les meilleures conditions possibles.

3

La volonté des industriels pour développer de l’énergie verte 3.1. Volonté des clients de passer au vert Au cours de plus de vingt années d’expérience de l’industrie chimique, J.-P. Clamadieu a pu se rendre compte des nombreuses incitations du secteur industriel à se décarboner et à aller plus vite et plus loin dans ce domaine. Un des exemples est le fait que l’un de leurs très gros clients, Apple, les a appelés pour leur dire : « je me fixe des objectifs ambitieux en termes de sustainability (durabilité), en particulier pour ce qui concerne mon mix énergétique, et je voudrais que mes grands

213

Chimie et énergies nouvelles

fournisseurs me rejoignent en prenant l’engagement d’utiliser des énergies renouvelables dans les sites qui travaillent pour notre supply chain (chaîne d’approvisionnement) ». Quand un client comme Apple fait une suggestion de cette nature, il est difficile de la refuser. Le groupe s’est engagé dès cette époque à un « verdissement » de l’ensemble de l’électricité consommée sur les sites, donc une dizaine voire un peu plus, qui contribuaient à la chaîne d’approvisionnement d’Apple. Le fait d’être interpellé par des clients sur cette problématique de recours à l’énergie renouvelable est le signe fort qu’il faut se transformer, mais un second signal encore plus fort est celui qui est donné par les investisseurs. Il n’y a plus aujourd’hui de discussion avec les investisseurs dans ce qui est appelé les roadshows3 sans que ce sujet de la durabilité, sous une forme ou sous une autre, avec un focus très fort sur la décarbonation, ne soit un élément au cœur des discussions et des débats. Et ce n’est pas simplement dans la lettre annuelle de la Rethink4, le président d’un très grand fonds d’investissement américain qui interpelle, c’est vraiment le quotidien de la relation entre les investisseurs et un grand groupe comme

214

3. Roadshow : rencontres entre dirigeants d’entreprise et investisseurs, organisées à l’occasion d’annonces de résultats ou d’opérations d’envergures. 4. Rethlink : « Rethinking International Responsability », la théorie du droit de la responsabilité internationale, est un colloque dirigé par des scientifiques autour du concept de responsabilité internationale.

Engie. En tant que président du conseil d’administration, J.-P. Clamadieu fait des roadshows de gouvernance dans lesquels une part importante du temps est consacrée à discuter du type d’engagements pris et de la vitesse à laquelle le groupe va les réaliser. 3.2. Actions des industries pour développer les énergies vertes Il y a donc effectivement matière dans chacune de nos industries à avancer ensemble sur un certain nombre de projets. Prenons l’exemple de l’hydrogène, pour lequel Engie et Total ont établi un partenariat pour combiner leurs efforts en vue de produire de l’hydrogène vert et l’amener à la raffinerie du site de la Mède5, de manière à améliorer le bilan carbone des procédés de production. Quand on parle de recherche, l’approche des énergéticiens et celle des chimistes est un peu différente ; Engie dépense à peu près 170 millions d’euros par an en recherche et innovation, ce qui est bien modeste par rapport aux chiffres des chimistes. Mais cela est lié au fait que les énergéticiens travaillent souvent sur un ensemble de solutions qui sont développées par d’autres. Pour autant, sur un certain nombre de sujets, Engie a fait le choix de développer sa propre recherche et a 5. Site de la Mède : situé à Châteauneuf-les-Martigues près de Marseille, plateforme qui regroupes plusieurs activités (logistique et stockage de produits pétrolier, ferme solaire, production de biodiesel…).

Engie travaille sur deux thèmes : les gaz verts, qui sont bien sûr l’hydrogène, mais aussi le biogaz. L’hydrogène est une technologie à venir, au moins pour ce qui est de ses développements à grande échelle. Le biogaz est une technologie qui est aujourd’hui disponible mais qui rencontre un certain nombre de défis, en

particulier un défi de compétitivité. Un réacteur qui produit du biogaz n’est pas très différent d’un réacteur de chimiste ou de biochimiste, mais il y a des travaux à faire pour en améliorer les performances et l’efficacité. Sur ce thème en particulier, les opportunités de collaborations avec les chimistes sont très grandes. La seconde priorité pour Engie est le digital en support de l’efficacité énergétique, comme outil permettant de rendre cette transition énergétique plus efficace.

Chimie et énergie, acteurs de la lutte contre le changement climatique

aujourd’hui en France à peu près 200 chercheurs, pour beaucoup localisés dans la région Nord de Paris. Un nouveau centre de recherche a été inauguré récemment.

Conclusion Engie est un groupe qui emploie aujourd’hui un peu plus de 10 000 ingénieurs dans le monde. La moitié est constituée d’ingénieurs d’études, qui construisent, dessinent, imaginent des solutions, des parcs d’éoliennes, des systèmes énergétiques complexes, et des centrales à gaz, car le gaz a certainement un rôle à jouer comme énergie de transition. Un tiers de ces 10 000 personnes sont des ingénieurs qui sur le terrain mettent en œuvre ces différents projets. Engie recrute donc beaucoup d’ingénieurs et considère avoir aussi un rôle à jouer dans leur formation. Ainsi, près de 400 élèves ingénieurs sont aujourd’hui en formation en alternance dans le groupe et ces efforts continueront dans l’avenir car cet accès à la compétence est essentiel pour le développement du groupe et pour apporter la meilleure contribution possible aux défis à relever au titre de la transition énergétique et climatique. 215

comment la recherche

Total trace la route (vers la neutralité de

carbone)

Olivier Greiner est directeur de la recherche et du développement de la branche Raffinage Chimie de Total1.

1

Les « promesses » de Total pour 2050

1.1. L’ambition de Total : la neutralité carbone L’objet du chapitre est de présenter le rôle de la recherche chez Total dans l’aventure entamée par le groupe vers la neutralité carbone (Figure 1), fixée par la déclaration suivante énoncée en mai 2020 : «  Total partage l’ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 en phase avec la société pour l’ensemble de ses activités mondiales sur les scopes (objectifs) 1, 2 et 3. » Tous les mots sont importants dans cette phrase, notamment 1. ww.total.com/fr

l’engagement de la société – essentiellement les utilisateurs des produits de Total et ses fournisseurs – qui doit bien entendu partager les objectifs de la neutralité carbone et créer les conditions, notamment réglementaires, pour l’atteindre. Précisons en expliquant ce que sont les « scopes » 1, 2 et 3 (Figure 2) : – le scope 1 : ce sont les émissions de CO2 des installations industrielles ; – le scope 2 : ce sont les émissions indirectes des usines. Un exemple : si on consomme dans une des usines de l’électricité qui a été produite à partir de charbon, l’électricité en question sera porteuse

Olivier Greiner

Transition énergétique :

Chimie et énergies nouvelles

d’émissions de CO2 qui devront être comptabilisées ; – le scope 3 concerne les émissions de CO2 liées à l’utilisation de nos produits par les clients. Par exemple, si un client remplit son réservoir avec de l’essence il va émettre du CO2. Ces scopes 1, 2 et 3 sont des concepts maintenant utilisés partout dans l’industrie pour mesurer les émissions de CO2. 1.2. Les trois axes majeurs pour atteindre la neutralité carbone

Figure 1 Les énergies renouvelables pour la neutralité carbone.

Le premier axe concerne les émissions des scopes 1 et 2, donc les émissions industrielles des activités de Total pour lesquelles son objectif est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Quand on parle de neutralité carbone, on parle bien des émissions nettes2, expression expliquée sur la Figure 3. 2. Émissions nettes : émissions brutes (voir note 4) en partie diminuées par des causes naturelles (forêts, prairies…) et artificielles (technologies à émissions négatives).

Le deuxième axe concerne plus spécifiquement l’Europe ; c’est l’engagement d’être neutre en carbone pour toutes les activités de Total en Europe à partir de 2050 en tenant compte non seulement de ses émissions industrielles, mais aussi des émissions dues à ses clients. Pourquoi être plus exigeant en ce qui concerne l’Europe ? C’est pour être cohérent avec l’engagement de l’Union européenne de viser la neutralité carbone d’ici 2050. Le troisième axe est l’ambition de réduire l’intensité carbone3 des produits de Total de 60 % d’ici 2050. L’intensité carbone ne désigne pas une valeur absolue comme pour les engagements 1 et 2 mais une valeur relative par tonnes de produits vendus : il y aura 60 % de moins de CO2 généré dans l’usage et la production de ce produit. Les deux premiers objectifs, exprimés en valeurs absolues, concernent les tonnes émises par le groupe Total dans son activité. Ils sont donc 3. Intensité carbone : rapport des émissions de CO2 à la production de l’entreprise (exprimé en gCO2/MJ).

1

Net Zero sur les opérations d’ici 2050 ou plus tôt (Scope 1+2)

2

Net Zero en Europe d’ici 2050 ou plus tôt (Scope 1+2)

3

60 % ou plus de réduction nette de l’intensité en carbone d’ici 2050 (Scope 1+2+3)

Figure 2 218

Les trois scopes utilisés dans l’industrie.

La Figure 3 donne une image de ce que pourrait être le trajet à suivre pour atteindre cet objectif de la neutralité carbone, a priori ambitieux pour une entreprise qui produit (entre autres) des combustibles fossiles. Les deux premières colonnes montrent les performances déjà réalisées ; ce sont les émissions des installations de Total sur les scopes 1 et 2 en 2015 et en 2019. En 2015, le groupe Total a émis 46 millions de tonnes de CO2, et en 2019 ces 46 millions se sont déjà réduits à 41 millions. Dans ces 41 millions, un certain nombre de millions de tonnes proviennent de nouvelles activités ou d’acquisitions ; par contre, les actifs présents en 2015 ont diminué beaucoup plus fortement leurs émissions de CO2. La somme de ce qui existait en 2015 et de ce qui a été rajouté depuis correspond à une diminution de l’émission totale. C’est l’objectif retenu pour les années suivantes : concilier croissance, démarrage de nouvelles activités et diminution des émissions de CO2 sur les activités existantes de façon à ce que la somme des émissions continue de baisser. 1.3. Les différentes énergies chez Total : priorité pour le futur Clairement, on ne peut pas envisager d’arriver à des émissions brutes4 de CO2 nulles 4. Émissions brutes : émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité industrielle.

46

41,5

40

2015

2019

< 40

2025

Acquisitions &startups depuis 2015

0 Puits de carbone (NBS, CCS)

2050 ou plutôt

Figure 3 Scopes 1 et 2 : émissions des installations pétrolières et gazières exploitées (Mt/a – CO2e). L’Objectif : 5 à 10 Mt/a capacité de puits d’ici 2030. Orange foncé : émissions de scope 1 et 2 des activités existantes ; orange clair : émissions des nouvelles activités (croissance) ; vert : émissions négatives qui permettront in fine de compenser les émissions résiduelles des activités en 2050.

même en 2050 puisqu’il restera des activités émettrices : utilisation résiduelle d’énergies fossiles – certains moyens de transports par exemple –, qu’il faudra compenser par des activités à émissions négatives : des activités qui vont absorber du CO2 pris dans l’atmosphère, ce qu’on appelle des puits de carbone. Des puits de carbone très divers existent. Certains sont de « type naturel », d’autres de « type technologique ». Les puits de carbone de type technologique sont appelés de type CCS (« Carbon Capture and Storage », ou capture et stockage du carbone). Ils consistent à capturer du CO2 soit à la sortie des installations, à la cheminée par exemple, soit directement dans l’atmosphère, puis à le concentrer et

Transition énergétique : comment la recherche de Total trace la route (vers la neutralité carbone)

susceptibles de représenter un frein à la croissance des activités de l’entreprise.

219

Chimie et énergies nouvelles

le stocker, par exemple dans des anciens gisements pétroliers. Les activités de « type naturel » sont par exemple la restauration d’écosystèmes, de forêts, ou l’utilisation de la photosynthèse pour capter du CO2 de façon quantifiée et auditable dans l’atmosphère. Cette démarche vers la neutralité carbone ainsi qu’envisagée par le groupe Total entraîne un grand nombre d’impacts sur les stratégies industrielles et commerciales qui devront être complètement transformées par rapport aux années passées et complètement orientées vers la demande sociale en matière d’énergie (Figure 4). Les grandes lignes de la stratégie industrielle à développer par Total se présentent comme suit : – pour les énergies fossiles, privilégier le gaz. Le gaz est en effet l’énergie fossile la moins riche en carbone, comparée

Gaz naturel • Cultiver le GNL (acteur n° 2) et développer le biogaz/H2 propre • Promouvoir le gaz naturel pour l’électricité et la mobilité

au pétrole ou au charbon. Par ailleurs, les technologies de décarbonation lui seront appliquées de plus en plus : par exemple l’ajout d’hydrogène ou de biogaz préparé à partir de carbone capté directement dans l’atmosphère ; – développer les activités de production et de distribution d’électricité : Total exploite déjà les procédés de production basés sur le gaz comme complément aux électricités produites à partir d’énergies renouvelables. Par ailleurs, le groupe a investi ces dernières années plusieurs milliards d’euros dans des développements et dans des acquisitions d’activités de production ou de distribution d’électricité et l’objectif est de maintenir et d’accélérer dans ces domaines. On pourra donc dire dorénavant que Total est aussi un électricien et non seulement producteur mais aussi distributeur jusqu’au client final ;

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i &D

Électricité • Accélérer les investissements dans l’élecricité bas carbone principalement d’origine renouvelable • Intégrer tout au long de la chaîne de valeur de l’électricité (production, stockage…) Carburant • Concentrer les investissements sur le pétrole et les biocarburants à faible coût • Adapter la capacité de raffinage et les ventes à la demande en Europe Les puits de carbone • Investir dans les puits de carbone (NBS et CCUS)

Figure 4 220

Les grands axes de la transition énergétique de Total.

– le dernier thème est l’amélioration des puits de carbone, forcément un volet important des activités futures puisqu’il faudra trouver les moyens d’absorber les quantités de CO2 résiduelles des activités de Total pour atteindre la neutralité carbone.

Mais surtout, les « biocarburants » devraient représenter une part très importante des carburants liquides commercialisés. Du fait de leur grande densité d’énergie, ils sont en effet une solution d’avenir pour les moyens de transports qui ne pourront pas se passer de carburant liquide, comme l’aviation par exemple, pour laquelle ils resteront longtemps le moyen incontournable de les alimenter ;

En vert sur la Figure 4 sont indiqués les domaines de ces axes stratégiques où la recherche va jouer un rôle prépondérant. Il est évident que pour Total, se transformer en un groupe neutre en CO2 va devoir passer par l’utilisation de gros efforts de recherche, donc la recherche est vraiment au centre de cette transformation, de cette transition.

– d’un autre côté, l’adaptation des capacités de raffinage reste à l’ordre du jour puisque la demande en produit pétrolier – et donc le besoin de capacité de raffinage – devrait baisser. Ce qui a été fait ces derniers temps, qu’il s’agisse de la raffinerie de la Mède5 ou prochainement la raffinerie de Grandpuits6, est de transformer ces installations en installations zéro fossile, bas carbone de façon à pouvoir maintenir les compétences et les emplois sur les sites en les utilisant pour la transition énergétique du groupe ;

La R&D au cœur de ces « promesses »

5. Raffinerie de Mède : anciennement « Raffinerie de Provence », située dans le quartier de C h â t e a u n e u f - le s - M a r t i g u e s (Bouches-du-Rhône). La plateforme a pour objectif d’être la première raffinerie de Biodiesel française de taille mondiale. 6. Raffinerie Grandpuits : raffinerie de pétrole française située en Seine-et-Marne, à 57 km de Paris.

2

2.1. Les domaines d’investissement chez Total Total dépense un peu moins d’un milliard de dollars par an en activités de R&D et ces dépenses sont réparties entre cinq grands pôles qui caractérisent la nature de ses projets de recherche (Figure 5).

Transition énergétique : comment la recherche de Total trace la route (vers la neutralité carbone)

– dans le domaine des carburants, la stratégie de Total est de produire des carburants abordables pour les clients et les moins chargés possibles en carbone. Les activités sont ainsi concentrées sur des pétroles à bas coûts relativement faciles à exploiter.

Le pôle « Bas Carbone » représente déjà aujourd’hui 44 % de ses efforts de recherche. L’objectif est d’arriver rapidement au-dessus de 50 %. Les efforts de R&D autour de l’Efficacité Opérationnelle sont et resteront très importants : améliorer l’efficacité énergétique des installations, réduire leur consommation de catalyseurs, améliorer leurs performances économiques, lutter contre la corrosion et travailler sur les modèles de fonctionnement.

221

Chimie et énergies nouvelles

Figure 5 Les investissements par domaine de R&D chez Total.

La recherche se mobilise aussi, bien entendu, sur les questions d’Environnement : comment réduire l’impact des usines ? On a parlé beaucoup du CO2 mais Total veut aussi réduire l’impact de ses usines sur les autres domaines de l’environnement comme l’impact sur l’eau, l’impact sur l’air, les émissions d’autres composés organiques, etc. La recherche de Total étudie aussi les Nouveaux Produits possibles en travaillant par exemple sur la qualité et la performance, qu’il s’agisse de carburant mais aussi de polymères puisque Total est un producteur important de polymères.

222

Enfin, le volet « Digital » est un volet en croissance pour la recherche puisque l’ensemble des activités du groupe sont engagées dans la voie du développement numérique : la plupart de ses procédés sont maintenant complètement suivis de façon digitale et la recherche elle-même fait de plus en plus appel à l’utilisation de calculs scientifiques et de modèles, ce qui devrait la rendre plus rapide, moins basée sur l’expérience et davantage sur le calcul, la théorie, la prédiction.

Au total, environ 4 000 personnes sont au travail dans les activités de recherche du groupe Total, à peu près un quart dans les activités Oil and Gas, et les autres dans les filiales de spécialités. Voici maintenant quelques projets représentatifs de la R&D de Total qui illustreront son approche vers la neutralité carbone. 2.2.1. Les projets de capture du CO2 Un premier volet concerne la capture du CO2 (voir le scope 1 au début du chapitre) ; il s’agit de capturer le CO2 et de créer des puits de carbone. La Figure 6 présente deux projets en cours : le « projet 3D » (à gauche) est fortement soutenu par l’Union européenne. Il consiste à capter le CO2 des gaz de hauts fourneaux des usines d’ArcelorMittal à Dunkerque et utiliser un procédé proche des moyens traditionnels de captage de CO2 industriel, mais toutefois basé sur un solvant particulier (Encart : Les partenariats sont obligatoires). Les amines, généralement utilisées, sont efficaces mais consomment beaucoup d’énergie pour absorber le

Le projet 3D fait intervenir onze partenaires et quasiment tous les projets dont il est question comportent de nombreux partenaires. Le domaine de la transition énergétique est en effet un domaine où l’on travaille rarement seul pour plusieurs raisons : – d’abord parce que l’on n’est pas, en général, dans sa zone de confort en matière de compétences et en matière de métier. Le fait de travailler avec plusieurs partenaires permet de regrouper les compétences et de profiter des complémentarités ; – une deuxième raison est la réduction des coûts. Si on est plus nombreux sur un projet, l’investissement de chacun des partenaires est plus faible, et si d’aventure le projet ne débouchait pas, cela permet de réduire les risques pour chacun des partenaires.

CO2 puis pour être régénérées. Ici, on utilise un solvant « démixant », dont l’action est basée sur une différence de pression ; le CO2 est absorbé dans le solvant puis désorbé, avec une dépense beaucoup moindre en énergie lorsqu’on réduit la pression. L’objectif est de diminuer la consommation d’énergie de 30 à 40 % pour arriver en dessous des 100 dollars par tonne de CO2 – l’ordre de grandeur du coût actuel. Le CO2 est ensuite chargé sur des bateaux à Dunkerque et acheminé en Mer du Nord pour être séquestré dans des anciens gisements de pétrole. L’autre projet s’appelle Cheers (Figure 6). C’est un projet sino-européen – la moitié des partenaires sont chinois et l’autre moitié européenne. Il est soutenu à la fois par l’Union européenne et par le gouvernement chinois, et vise à démontrer l’intérêt de la « combustion en boucle chimique ». Ce procédé est basé sur deux réacteurs qui

permettent de brûler un combustible sans excès d’oxygène. Ce résultat est obtenu par l’utilisation de petites particules de métal qui circulent entre les deux réacteurs et qui servent à transporter de l’oxygène. Le métal est introduit dans le premier réacteur (le réacteur à air), et, au contact de l’air chaud, il capte l’oxygène. On rejette l’excédent d’oxygène ainsi que l’azote de l’air, et on emmène le métal porteur d’oxygène dans le deuxième réacteur où il va être mis en contact avec le combustible qui se consomme alors avec juste la quantité d’oxygène nécessaire à sa combustion. Les produits sont uniquement du CO2 et de l’eau, et pourront être facilement séparés par condensation de l’eau. Le métal débarrassé de son oxygène est recyclé et régénéré dans le premier réacteur. Ce procédé produit automatiquement un flux de CO 2 pur, ce qui est très avantageux pour l’efficacité

Transition énergétique : comment la recherche de Total trace la route (vers la neutralité carbone)

LES PARTENARIATS SONT OBLIGATOIRES

223

Chimie et énergies nouvelles

PROJET CHEERS • Développer une usine de démonstration CLC (combustion en boucle chimique) à l’échelle semi-industrielle (3 MW) en Chine • Capturer 95 % du CO2 lié à la combustion • Une installation CLC dans une plate-forme de raffinerie typique peut réduire les émissions de CO2 de 0,25 à 1 Mt CO2/an • Réduire le coût de la capture de ~30 % (par rapport aux Amines) • Avec un combustible biosourcé, cette technologie pourrait être considérée comme une technologie à émissions négatives (Bio Energy CCS)

Un Consortium de 11 acteurs européens • Prouver l’efficacité (diminution de l’intensité énergétique de 30 à 40 %) du procédé DMX dans le cadre d’un projet pilote à l’échelle industrielle (0,5 t CO2/h) • Captage du CO2 – basé sur un solvant de démixtion spécifique • Réduire le coût de la chaîne CCS < 100 $/t d’ici 2030 • Captage du CO2 des hauts fourneaux sur le site d’ArcelorMittal à Dunkerque • Timeline Durée 48 mois 01/22 Début Opérations 06/23 Fin Opérations

Figure 6 Projet 3D et projet Cheers.

énergétique du procédé. La réduction du coût visée est de 30 % comme dans le projet 3D. 2.2.2. Les projets de Total visant le développement des biocarburants et des bioproduits Le deuxième domaine abordé, qui est le domaine des biocarburants ou des produits biosourcés, aborde un autre moyen de réduire les émissions de CO2 puisque tous ses ingrédients ont poussé grâce au carbone capté dans l’atmosphère.

224

Le premier projet, le projet  BioTfuel (Figure 7) en cours actuellement à Dunkerque, consiste à gazéifier de la biomasse. La biomasse est d’abord torréfiée, comme on torréfie du café : cela consiste simplement à la chauffer pour en enlever l’eau. Elle est ensuite introduite dans un gazéifieur, où règnent

une haute température, une haute pression et de l’oxygène ; ce traitement permet d’exploser les molécules et de les transformer en gaz de synthèse, mélange de monoxyde de carbone et d’hydrogène, qui va être purifié et envoyé dans un réacteur où il va être transformé en carburant synthétique. Ce procédé est donc une voie possible pour la production de carburant aérien à partir de biomasse. Si on utilise un carburant aérien produit à partir de biomasse, le CO2 produit par l’utilisation du biocarburant aura été, à l’origine, capté directement dans l’atmosphère pour assurer la croissance de la biomasse. L’opération est donc en principe « zéro carbone », donc idéale du point de vue du bilan carbone, à l’exception des émissions du procédé de transformation lui-même. Ce projet est en cours depuis

• La technologie de Lanzatech permet de « fermenter » un mélange CO/CO2 en éthanol par un procédé biotechnologique

• Conversion de la biomasse lignocellulosique (paille, bois…) en carburants synthétiques

• La technologie ATOL™ permet la production d’éthylène de qualité polymère par la déshydratation d’éthanol

• Production de carburants avancés de haute qualité pour les marchés de l’automobile et de l’aviation, avec une réduction des émissions de CO2 de 90 % par rapport aux combustibles fossiles

• Première d’une série de technologies visant à produire d’autres monomères oléfiniques par déshydratation d’alcools supérieurs bio-dérivés

• Première gazéification de biomasse en 2019 • Démonstration avec une exploitation à 100 % de biomasse validée en 2020 • Approche potentielle de la gazéification sur le recyclage de plastiques

Figure 7 Les projets BioTfuel et Atol.

deux ans et devrait se terminer en 2021. ATOL est un autre projet, dont l’objectif est de fabriquer des bouteilles en plastique à partir de déchets sans utilisation de pétrole, et qui a vu sa conclusion en 2021 (Figure 7). ATOL a été mené en commun avec LanzaTech, un fournisseur de technologies qui exploitent du monoxyde de carbone ou du CO2 provenant de cheminées industrielles (typiquement de hauts-fourneaux). Le monoxyde de carbone est envoyé dans un fermenteur, qui met en œuvre la fermentation, un procédé biotechnologique, pour le transformer en éthanol, matière première de base pour de nombreuses synthèses de molécules. Dans le procédé ATOL, on déshydrate cet éthanol pour produire de l’éthylène, molécule de base du polymère polyéthylène,

largement utilisé pour la fabrication de bouteilles, tels les flacons utilisés par L’Oréal, partenaire du projet. 2.2.3. Les projets de Total pour améliorer la circularité La Figure 8 présente deux projets très différents le domaine de la circularité. Un premier projet consiste à utiliser le CO 2 provenant par exemple de procédés industriels comme matière première pour produire de nouveaux produits. Actuellement, les procédés les plus matures consistent à faire réagir du CO2 avec de l’hydrogène pour faire des molécules de base et reconstruire des hydrocarbures : on utilise ensuite ceux-ci pour la synthèse soit de plastiques soit de carburants. Mais d’autres procédés apparaissent à

Transition énergétique : comment la recherche de Total trace la route (vers la neutralité carbone)

Total, LanzaTech et L’Oréal ont produit le premier emballage au monde fabriqué à partir de fumées industrielles captées et recyclées

225

Chimie et énergies nouvelles

RECYCLAGE CHIMIQUE Pour accélérer dans l’économie circulaire • Notre ambition est de produire 30 % de plastiques recyclés en 2030. Le recyclage mécanique classique ne suffira pas pour atteindre ces volumes

CO2 ÉLECTROCONVERSION

• 2 voies principales : la pyrolyse qui produit une huile pouvant alimenter les vapocraqueurs après purification, et la gazéification comme option pour de flux de recyclats plus pollués (ou des déchets municipaux)

Développer une solution d’électrocatalyse pour convertir le CO2 en produits hydrocarbonés • Un concept innovant de cellules d’électro-conversion pour produire de l’éthylène

• Nécessité de protocoles de caractérisation rapides et précis

• Ceci permet de convertir en une seule étape le CO2 versus la réaction avec de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau

• Analyse de cycle de vie pour départager les solution technologiques : les défis sont nombreux

• Défis principaux : améliorer l’efficacité énergétique du système et développer des catalyseurs stables et sélectifs • Discussion en cours avec un constructeur leader d’électrolyseurs pour une industrialisation

Figure 8 L’électroconversion du CO2 et le recyclage chimique.

partir de l’électroconversion7. Ils permettent de retransformer le CO2 en hydrocarbure sans passer par l’hydrogène gazeux, l’énergie nécessaire étant apportée par l’électricité. Un rôle important dans ces procédés est joué par les catalyseurs, qui permettent d’orienter la transformation du CO2 vers certains produits. Un projet dans lequel Total est actif actuellement est la conversion du CO2 en éthylène, en étant plus orientés vers les plastiques que vers les carburants. Les partenaires sont l’Université de Stanford, l’Université de Toronto et le Collège de France. L’Université de Toronto a récemment mis au point un électrocatalyseur8 de

226

7. Électroconversion électrochimique : la réaction chimique est facilitée par l’apport d’électricité. 8. Électrocatalyseur : catalyseur qui participe aux réactions électrochimiques.

CO2 en éthylène, qui est le plus gros au monde. Un mot, enfin, sur le domaine du recyclage chimique. Total est un producteur de polymères et l’enjeu numéro 1 dans ce domaine est d’augmenter la part du recyclage. L’objectif de Total est de produire 30 % de polymères recyclés en 2030, ce qui est un accroissement considérable par rapport à la situation actuelle – environ une multiplication par cent de la part du recyclé dans les polymères. Deux voies techniques existent : – la voie traditionnelle, déjà pratiquée depuis très longtemps, est appelée recyclage mécanique. Elle consiste à récupérer des objets les plus propres possibles, à les refondre et à en refaire de nouveaux objets en plastique. Le désavantage est que les propriétés mécaniques du polymère se dégradent fortement et qu’après un ou deux

– la voie d’avenir est le recyclage chimique, dans lequel on casse les chaînes de polymères en les chauffant ou en les gazéifiant pour aboutir à une espèce de « pétrole synthétique », qui pourra être

purifié et réinjecté dans les raffineries pour donner naissance à de nouveaux polymères de qualité équivalente à un polymère vierge. De nombreux acteurs sont actuellement actifs sur ce domaine, dont on attend un accroissement important.

Transition énergétique, transition des compétences Les six exemples de projets présentés dans ce chapitre donnent une idée de la nouvelle orientation de Total vers la neutralité carbone. La question stratégique qui se pose est : comment augmenter rapidement les efforts et les compétences dans un groupe qui a tout de même basé son succès et sa croissance sur la transformation du pétrole ? L’enjeu critique d’aujourd’hui pour Total est en effet d’accompagner la transition des technologies d’une transition des compétences, par exemple des compétences actuelles vers des compétences de numériciens. Pour relever cet enjeu, le groupe s’est engagé dans une réorganisation de ses activités techniques en une nouvelle branche, appelée One Tech (Figure 9). Concentrer toute l’expertise technique du Groupe

Transition énergétique : comment la recherche de Total trace la route (vers la neutralité carbone)

recyclages, on a des produits de très mauvaise qualité ;

Apporter une expertise pour soutenir la croissance des nouvelles énergies

Encourager l’innovation et la fertilisation croisée

> 3 300 ingénieurs dans une organisation centrale Mise en place d’ici l’été 2021

Figure 9 Le projet One Tech.

227

Chimie et énergies nouvelles 228

Il s’agit de créer une organisation centrale unique où seront réunies l’ensemble des compétences techniques actuellement réparties dans les différentes branches du groupe pour extraire et valoriser toutes les synergies possibles. Elle servira l’ensemble des ambitions du groupe dans la transition engagée. En donnant la possibilité aux ingénieurs de travailler dans les différents domaines sans être attachés spécifiquement à l’une des branches, elle optimisera l’efficacité technique de tous pour réussir la transition. Cet important projet, qui concerne 3  400 personnes, sera mis en place dans le courant de l’été 2021. C’est un élément fort de la transition stratégique en cours chez Total.

R&D

de la

au service

décarbonation

industrie

de l’

Jean-Philippe Laurent directeur Stratégie et Développement du pôle Clients, Services et Territoires du groupe EDF1.

Beaucoup de sujets qui seront traités dans ce chapitre sont aussi abordés par les autres industriels dans divers chapitres de cet ouvrage, ce qui montre que les grands énergéticiens constituent une sorte de communauté de convictions, de mouvements et d’actions similaires, chacun ayant ses prismes, mais dans laquelle on retrouve globalement la même tendance. Cette tendance s’inscrit dans la neutralité carbone à laquelle la France et l’Europe se sont engagées à l’horizon 2050. 1. www.edf.fr/

1

L’engagement dans la transition énergétique L’ambition du groupe EDF est d’être l’électricien performant et responsable, champion de la croissance bas carbone. S’appuyant sur les travaux de sa R&D, active depuis longtemps dans le domaine des utilités et procédés industriels, et des énergies renouvelables, le groupe EDF s’inscrit dans l’ambition du gouvernement d’aider et d’accompagner les acteurs dans la décarbonation de l’industrie. EDF un acteur engagé de la transition énergétique : pour

Jean-Philippe Laurent

La

Chimie et énergies nouvelles

porter cette ambition, le groupe a mis en place la stratégie « CAP 2030 », qui s’articule autour de trois priorités : – accompagner les clients et les territoires dans leur transition énergétique ; – produire une énergie bas carbone à base d’énergies nucléaire et renouvelables ; – développer ses solutions bas carbone à l’international. Cet engagement est illustré par la raison d’être du groupe EDF publiée en 2020 et qui est véritablement centrée sur la neutralité carbone (Figure 1). Le groupe EDF s’est engagé à être neutre en carbone en 2050 dans le cadre des « scopes 1, 2 et 3 », comme expliqués dans le chapitre d’O. Greiner dans Chimie et enjeux énergétiques, et à se décarboner à 50 % dès 2030 : – le scope 1 concerne les émissions de CO2 des installations industrielles ; – le scope 2 concerne les émissions indirectes des installations industrielles, comme celles résultant de leur consommation en électricité ; – le scope 3 concerne les émissions de CO2 liées à l’utilisation des produits par les clients. Pour un groupe énergéticien, cet engagement est un enjeu fort.

EDF a obtenu une certification par le « Science Based Target », une initiative des Nations Unies qui certifie non seulement les engagements pris, mais aussi les différents plans d’actions qui y sont associés par les postulants. Deux types de certifications sont distribués : celle qui concerne un programme conduisant à une limitation du réchauffement climatique à 2 °C et celle dite « WellBelow 2 °C », plus ambitieuse encore ; EDF a obtenu cette seconde certification, qui s’incarne d’un point de vue opérationnel dans : – le plan solaire, dans lequel le groupe s’engage à être l’acteur de référence du solaire en France et le leader de l’autoconsommation ; – le plan stockage (dont l’enjeu est rappelé dans les chapitres d’O. Tincq et de J.-P. Clamadieu). EDF n’est actuellement qu’à 5 GW de stockage à travers notamment ses « Stations de transfert d’énergie par pompage » (STEP). Le groupe souhaite doubler cette capacité de stockage d’ici 2035 ; – le plan mobilité, dans lequel le groupe souhaite intensifier le déploiement des bornes de charge, avec un objectif d’ici 2023 : 150 000 points de charge et 10 000 points de charge intelligents ;

Notre raison d’être

Figure 1 230

La raison d’être d’EDF.

« Construire un avenir énergétique neutre en CO2, conciliant préservation de la planète, bien-être et développement, grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants ».

accompagner ses différents clients. Pour les acteurs industriels, le groupe a choisi de développer quatre voies pour accompagner les acteurs dans la décarbonation de l’industrie (Figure 2) :

2

– la récupération de chaleur et l’intégration de pompes à chaleur haute température ;

La stratégie d’EDF pour accompagner ses clients dans la décarbonation EDF met ses compétences et l’expertise de sa R&D pour 2. Hynamics : société créée en 2019 qui alimente les véhicules lourds du domaine public et privé dans le secteur terrestre, fluvial, maritime et aéroportuaire en hydrogène bas carbone et renouvelable, produit par électrolyse de l’eau. 3. McPhy : concepteur, fabricant et intégrateur d’équipements hydrogène depuis 2008. Spécialiste des équipements de production et distribution d’hydrogène, McPhy contribue au déploiement mondial de l’hydrogène propre comme solution pour la transition énergétique.

– l’efficacité énergétique : il faut réduire la consommation autant que possible, partout où c’est possible. Il y a beaucoup de sujets et beaucoup de recherches sur le domaine ;

La R&D au service de la décarbonation de l’industrie

– le développement de l’hydrogène : une filiale a été mise en place, Hynamics2, qui est le bras armé du groupe sur ce sujet et qui est présente à la fois sur la partie industrielle et dans les transports lourds, notamment ceux des collectivités (les bus, les bennes à ordures ménagères…). EDF est aussi l’un des partenaires de McPhy3 (voir le chapitre de L. Carme).

– la substitution d’énergie fossile par l’électrification des procédés : quand les besoins en énergie sont réduits au minimum sur un site, il faut substituer l’énergie fossile par de l’énergie décarbonée. 2.1. L’efficacité énergétique En matière d’efficacité énergétique, EDF accompagne ses clients dans de nombreux domaines (Figure 3) : des domaines classiques comme la rénovation des bâtiments, mais aussi dans la mise au point de nouveaux procédés plus

Figure 2 Les quatre piliers de l’accompagnement EDF de l’industrie dans la décarbonation.

231

Chimie et énergies nouvelles

EDF accompagne les acteurs pour : – Trouver des solutions de verdissement de leurs procédés – La rénovation énergétique de leurs sites

COLLECTE DES DONNÉES Collecter, contextualiser et fiabiliser vos données énergie process

VISUALISATION EN TEMPS RÉEL Suivre vos KPIs, benchmark, prévoir et établir vos budgets

ANALYSE BIG DATA Identifier et hiérarchiser vos facteurs d’influences sur les consommations énergétiques

MODÉLISATION DYNAMIQUE PAR USAGE Détecter des dérives de consommations, Quantifier des gains liés à une action d’amélioration Identifier les meilleures pratiques

– Bénéficier des aides existantes (Plan de relance, fond de chaleur, CEE…) MANAGEMENT DES PLANS D’ACTIONS Gérer vos plans d’actions avec une plateforme dédiée et en liaison dynamique avec les tableaux de bord

OUTILS INTELLIGENTS D’AIDE AU PILOTAGE Simuler le pilotage optimal de vos consommations et suivre des recommandations en temps réels grâce à l’IA

Figure 3 Stratégie d’EDF en matière d’efficacité énergétique.

efficaces et moins consommateurs d’énergie, comme les procédés membranaires (cités dans le chapitre de B. Tincq). Sur ces sujets, EDF n’accompagne pas en tant qu’expert sur les procédés, ce n’est pas son métier, par contre le groupe est en mesure de monter des dossiers qui permettent d’aider les acteurs à financer l’investissement, par exemple avec les CEE4. Sur la partie droite de la Figure 3 figurent quelques exemples dans le domaine des apports de l’intelligence artificielle. EDF a des partenariats

232

4. CEE : Certificat d’économie d’énergie, système qui vise à obliger une catégorie d’acteurs énergétiques à réaliser des économies d’énergie et parallèlement, cette économie d’énergie garantit l’obtention d’un certificat.

avec les deeptech5 via sa filiale Dalkia6 et la startup Métron7, pour proposer des solutions d’analyse de données dans le process industriel lui-même : collecte de données sur la consommation énergétique des différentes étapes du process, pour aider à la modélisation et trouver les défaillances ou les dérives possibles, et à 5. Deeptech : startup qui propose des produits ou services sur la base d’innovation de rupture. 6. Dalkia : filiale du groupe EDF, leader des services énergétiques en France, qui propose à ses clients des solutions sur mesure à l’échelle de chaque bâtiment, ville, collectivité, territoire et site industriel. 7. Métron : startup d’intelligence énergétique qui développe des outils digitaux pour accompagner les industriels vers plus de performance énergétique.

2.2. La récupération de chaleur Il y a 50 Térawatt-heure (TWh) en France de chaleur de plus de 100 °C qui ont été émis par l’industrie et qui ne sont pas récupérés. C’est de la chaleur perdue parce que l’on n’avait pas de solutions simples pour la récupérer facilement. Maintenant, des solutions technologiques et des financements existent pour aller chercher cette chaleur, la récupérer et chauffer un autre endroit sur le site ou répondre à des besoins externes. On peut parler de R&D pour la récupération de la chaleur sur le site, car il faut associer des solutions de modèle thermodynamique à des analyses financières de type Pinch 8. Dans ce genre de systèmes, certaines solutions ne sont pas nouvelles mais ont besoin de gagner en maturité. On peut citer plusieurs exemples de récupération de chaleur pour alimenter et répondre à des besoins externes au site : – la capture de CO2, en sortie des hauts fourneaux d’ArcelorMittal à Dunkerque, où 8. Pinch : analyse qui a pour objectif d’optimiser le rendement financier d’investissements sur plusieurs projets simultanément pour tenir compte des effets croisés entre les projets et assurer leur compatibilité.

avant de capturer le CO2, on récupère la chaleur issue des hauts fourneaux pour chauffer, via un réseau de distribution de chaleur, les habitants de la ville de Dunkerque. C’est un exemple de substitution d’énergie fossile où, plutôt que d’alimenter un réseau de chaleur par la combustion d’un gaz ou un autre carburant, on l’alimente par de la chaleur récupérée, ce qui permet en plus dans ce cadre de complètement éliminer les émissions de CO2. De même, sur des fours de métallurgie de PSA à Charleville-Mézières, la chaleur est récupérée pour alimenter plus de 50 % des besoins de la ville ;

La R&D au service de la décarbonation de l’industrie

partir de là, pouvoir identifier et mettre en œuvre des plans d’action qui permettent de suivre un certain nombre d’indicateurs afin d’optimiser et de réduire les consommations dans la durée.

– les datacenter9 sont un autre exemple (un peu loin de la chimie) à partir desquels on récupère de la chaleur pour aller chauffer une piscine par exemple. 2.3. La substitution d’énergie fossile On parle beaucoup des pompes à chaleur, dont la technologie évolue énormément. Dans le laboratoire de R&D d’EDF, le groupe travaille pour augmenter les températures de sortie des pompes à chaleur et la diversité de sources de chaleur et des fluides intermédiaires qu’on peut utiliser. On arrive maintenant assez facilement à avoir des chaleurs de sortie jusqu’à 140 °C. Ces pompes à chaleur peuvent être utilisées dans beaucoup d’usages pour des systèmes de préchauffage ou du séchage par exemple. 9. Datacenter : centre de traitement des données.

233

Chimie et énergies nouvelles

Les solutions de substitution des énergies fossiles sont des sujets d’actualité qui sont éligibles dans le cadre du plan de relance. Dans ce cadre, EDF a déposé un dossier en partenariat avec un acteur important sur le développement du procédé d’évapo-concentration par compression mécanique de vapeur. Ces projets d’actualité ont encore besoin d’aide et de financement pour pouvoir voir le jour sur le marché et EDF a cette capacité d’association avec les industriels pour les faire éclore. 2.4. Développement des énergies renouvelables Nous ne reviendrons pas dans ce chapitre sur la production d’électricité sur site, comme les centrales solaires au sol, qui sont bien adaptées pour les bâtiments ou les particuliers mais qui ont une production insuffisante pour les procédés industriels gros consommateurs d’énergie.

234

Pour les sites industriels, il faut signaler l’intérêt des « Power Purchase Agreement » (PPA) : contrat (généralement à long terme) de vente directe d’électricité par un fournisseur d’électricité à un producteur indépendant d’électricité, permettant à ce dernier de garantir la rentabilité de sa centrale en assurant l’écoulement de sa production à un prix fixé à l’avance, et à partir de là d’obtenir une sorte de garantie sur l’énergie verte qui arrive sur le site. Les investissements ont une durée différente en fonction de la typologie du projet : réaménagement de friche

industrielle ou projet sur un terrain vierge. Les grands acteurs industriels (notamment les GAFA) s’intéressent de plus en plus à ces solutions qui garantissent le « verdissement » de leur site sans avoir eux-mêmes les mètres carrés ou la disponibilité du terrain pour le faire. Ils s’appuient sur des partenaires extérieurs tels qu’EDF, car Il faut aller chercher différents champs éolien ou solaire pour pouvoir atteindre finalement une production d’électricité qui corresponde exactement aux besoins de l’industriel. EDF développe donc le solaire et l’éolien, mais aussi la biomasse10, qu’elle soit productrice de chaleur pour faire de la vapeur ou électrogène. Nous avons sur la France 550 installations de biomasse. Le développement de la biomasse est une solution non seulement vertueuse puisque complètement renouvelable, mais aussi, dans certains cas avec les aides qui sont données, économique. Toutefois, l’utilisation de la biomasse a besoin de monter encore en puissance. Il faut aussi citer les combustibles solides de récupération, qui sont aussi un moyen d’utiliser des déchets pour alimenter un site, plutôt que d’aller soit brûler directement ces déchets et émettre du CO2 sans récupération de la chaleur, soit de les enfouir avec un risque de méthanisation, par dégradation ultérieure. Toutes ces solutions d’utilisation d’énergies renouvelables permettent d’alimenter un 10. Biomasse : ensemble de la matière organique d’origine végétale ou animale.

encore déployées très largement et qu’on peut mettre dans un plan à 3, 4 ou 5 ans pour l’alimentation d’un site industriel.

Enjeux de la neutralité carbone La neutralité carbone est maintenant incontournable. Elle est aussi un enjeu fort de compétitivité et finalement d’ancrage de nos industries dans notre territoire, notamment notre territoire national, et cette compétitivité est absolument indispensable pour y arriver. Il y a aussi des enjeux autour de la formation et du bassin d’emploi bien évidemment, mais aussi un enjeu énergétique car il est toujours difficile de trouver des solutions sur un site industriel isolé à cause d’un certain nombre de contraintes. Il faut, au niveau des territoires, développer la mutualisation énergétique comme à la Fos-surMer avec l’association Piicto (Figure 4), qui essaie

La R&D au service de la décarbonation de l’industrie

process industriel de façon massive. Ce sont toutes des technologies qui sont plutôt matures mais qui ne sont pas

Figure 4 Exemple de Piicto sur la mutualisation énergétique industrielle.

235

Chimie et énergies nouvelles 236

de mutualiser les efforts des différents acteurs du site industriel pour intégrer des projets innovants de développement et de consommation d’énergies ­renouvelables. Même si le sujet de l’énergie est déjà complexe quand on est seul, cela l’est encore davantage quand il est mutualisé avec d’autres qui n’ont ni forcément les mêmes courbes de charge ni forcément les mêmes besoins au même moment. Mais ce sont là des travaux d’intégration et c’est en intégrant bien l’industriel dans son territoire qu’on permet de rendre service à la collectivité, qu’on arrive à s’entraider entre différents industriels et qu’on arrive à trouver des solutions pour gagner en compétitivité.

matériaux de la

transition énergétique  : les

attentes défis

et les

Jean-Paul Moulin est le directeur scientifique d’Arkema1, une entreprise par excellence de la chimie. Il nous explique comment les recherches sur les matériaux d’Arkema vont permettre aux industriels, et donc à notre société, d’avancer dans la transition énergétique et vers une société plus sobre en carbone.

Les entreprises – et en premier lieu les grands groupes industriels – sont appelées à jouer un rôle majeur dans la transition énergétique et l’évolution vers des modes de production plus économes en ressources. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la chimie, qui fournit les matières indispensables à tous les secteurs industriels en aval. Dans cette optique, Arkema va bien au-delà des exigences réglementaires et se fixe des objectifs volontaristes afin d’agir en industriel responsable, cultiver un dialogue ouvert et de proximité, et offrir des solutions durables portées par l’innovation. 1. www.arkema.com/france/fr

Ainsi, le groupe Arkema met l’innovation durable au cœur de sa stratégie de croissance depuis sa création. Les cinq plateformes d’innovation, que sont l’allègement et le design des matériaux, les solutions pour l’électronique, les énergies nouvelles, la performance et l’isolation de l’habitat et la gestion des ressources naturelles, portent cette dynamique. Depuis 2018, une démarche d’évaluation systématique du portefeuille de vente au regard de sa contribution aux Objectifs de Développement Durable de l’ONU a été mise en œuvre. Sur la base d’un taux de 50 % à fin 2020, l’objectif est d’atteindre

Jean-Paul Moulin

Les

radicalement les modes de production, de distribution, de stockage et de consommation de l’énergie. Cela nécessitera une production d’électricité peu émettrice de CO 2, une efficacité énergétique accrue et une décarbonation des transports, des bâtiments et de l’industrie. L’Europe propose ainsi une stratégie portant à 60 GW la puissance éolienne offshore en 2030 contre 12 GW aujourd’hui, et 300 GW en 20502 (Figure 1).

Dans cet esprit, les matériaux et solutions techniques développés pour répondre aux besoins de la transition énergétique doivent contribuer doublement en minimisant les émissions et l’utilisation de ressources rares dans leur conception et leur élaboration tout en ayant un impact positif dans leurs usages et leur fin de vie.

1

On notera, parallèlement à l’augmentation de la capacité installée, l’augmentation de la puissance moyenne des éoliennes offshore, audelà de 10 MW dès 2030, ce qui entraîne une augmentation de la taille des pales, qui atteignent plus de 100 mètres, avec des exigences en termes de production et de recyclage en fin de vie de ces immenses structures en matériaux ­composites.

La transition énergétique

Afin de tendre vers une économie neutre en carbone, une transition rapide vers de nouveaux systèmes énergétiques est nécessaire. Cette transition va transformer

2. European Commission, « An EU strategy to harness the potential of offshore renewable energy for a climate neutral future », 19/11/2020.

30

350

Capacité UE (GW)

300

300

25

250

20

200

15

12

150

10

7,8

100

60 3

50 0 0,005

25

0,45 1991

3 2010

5

12 2020

2030

2050

Puissance moyenne (MW)

Chimie et énergies nouvelles

65 % des ventes à impact positif d’ici à 2030, et pour atteindre cet objectif stratégique, Arkema met en place des actions volontaires sur trois leviers principaux que sont l’amélioration continue des solutions, l’innovation durable portant sur les produits et les applications, ainsi que la promotion active des solutions à impacts positifs.

0

Puissance moyenne d’une éolienne en mer (MW) Capacité de production, dans l’UE, d’énergie éolienne en mer (GW)

Figure 1 238

Stratégie de l’Union européenne sur les énergies renouvelables en mer. Vers 300 GW en 2050.

On voit, à travers ces deux exemples, que les énergies renouvelables (éoliennes et photovoltaïques), les batteries et l’hydrogène sont appelés à jouer un rôle de premier plan. Enfin, l’efficacité énergétique est bien évidemment un élément clé de cette transition. L’isolation thermique, mais aussi la réutilisation de chaleur résiduelle locale dans des systèmes énergétiques intégrés 3. ADEME, Luc Bondineau. Prestataires : SPHERA, Cécile Querleu, Alexander Stoffregen ; GINGKO 21, Hélène Teulon, Analyse du Cycle de Vie relative à l’Hydrogène – Production d’Hydrogène et Usage en Mobilité Légère, septembre 2020.

contribuent à la décarbonation de nos modes de vie et de nos industries.

2

Besoins et attentes pour les matériaux dans la transition énergétique Ces objectifs ambitieux se traduisent par des attentes élevées en termes de performances techniques, économiques et de capacités d’industrialisation pour les équipements de production, de transport, de stockage et d’utilisation de l’énergie, et donc pour les matériaux mis en œuvre dans ces équipements. D’ores et déjà, de nombreuses solutions matériaux sont développées pour répondre aux enjeux de la transition énergétique (Figure 2). Néanmoins, il est nécessaire d’aller encore plus loin dans l’analyse des besoins pour anticiper les changements rapides à l’œuvre et comment répondre

Les matériaux de la transition énergétique : les attentes et les défis

Par ailleurs, l’initiative commune « Fuell Cell and Hydrogen Joint Undertaking » (FCH JU) a publié sa feuille de route en janvier 2019 visant à produire 3,7 millions de voitures particulières à hydrogène, 500 000 utilitaires légers et 45 000 poids lourds et bus hydrogène d’ici à 20303.

Figure 2 Les solutions matériaux pour la transition énergétique.

239

Chimie et énergies nouvelles

à des demandes en évolution permanente. Comme souvent, dans le développement de nouveaux matériaux, le problème à résoudre est multifactoriel. En effet, il s’agit d’identifier les meilleures réponses à un faisceau de contraintes qui relèvent du cahier des charges technique mais aussi des réglementations, de l’équilibre économique, du niveau de maturité et des délais de mise sur le marché, et enfin de l’ensemble du cycle de vie. Un outil pratique couramment utilisé est le traditionnel triptyque QCD, « Qualité-Coût-Délais », qu’on complète souvent d’un bilan masse et recyclabilité ou cycle de vie pour juger de la pertinence d’une solution matériau proposée (Figure 3). En termes de qualité et de performance matériau, les performances et exigences dépassent la traditionnelle amélioration continue attendue sur des fonctions établies. En effet, les dimensions, mais aussi les niveaux de pression, de température ou de conditions d’oxydation et vieillissement des applications liées aux nouveaux vecteurs

Qualité et performance

Q

Recyclage/cycle de vie R

Allégement

C

Coûts

Délais

P

D Usuel

Évolution

Figure 3 240

Diagramme QCD complété des axes poids-recyclabilité exprimant l’évolution nécessaire des matériaux adaptés à la transition énergétique.

d’énergie sont souvent sans équivalent dans les systèmes énergétiques traditionnels. Pour autant, les coûts doivent être maîtrisés afin de garantir un coût total à l’usage (le TCO, « Total Cost of Ownership ») comparable aux solutions existantes afin de permettre un accès le plus large possible à ces nouvelles solutions et donc des économies d’échelle pour un impact environnemental élevé. En termes de délais, l’urgence climatique et la compétition mondiale accélèrent les besoins et conduisent à une montée en volume rapide sur des technologies en développement. 2030-2035 semble être l’horizon pour amener les nouvelles technologies de la transition énergétiques à un niveau de maturité permettant une large adoption. Pour la mobilité, la maîtrise de la masse des véhicules ou des aéronefs est une condition nécessaire à la frugalité en énergie et ainsi pour limiter la taille, la masse et le coût des batteries, réservoirs et autres équipements embarqués nécessaires. Enfin, au-delà du coût à l’usage, l’analyse du cycle de vie permet d’avoir une véritable évaluation du coût environnemental afin de tendre vers la neutralité en maximisant les possibilités de réemploi, de recyclage et d’usage de matériaux à faible empreinte. Dans cette approche, certaines exigences peuvent paraître antagonistes. Néanmoins, nous allons voir à travers quelques exemples les possibilités de concilier les demandes et trouver des compromis pour atteindre les objectifs.

Concilier performances techniques et économiques L’utilisation de fibres de carbone de hautes performances est nécessaire pour réaliser des réservoirs d’hydrogène comprimés à 700 bars à un niveau de masse acceptable pour être embarqués à bord de véhicules comme les Toyota Mirai ou Hyundai Nexo. Néanmoins, comme le montrent diverses études menées par le « Departement Of Energy » américain (DOE)4 le coût de la fibre de carbone peut représenter de 50 à 70 % du coût du réservoir. Des solutions sont développées où l’on maximise l’efficacité de la fibre de carbone bobinée pour la fabrication du réservoir en l’associant à une nouvelle résine thermoplastique polyphtalamide Rilsan®Matrix (Figure 4). 4. « Impact of lightweight design on energy consumption and cost effectiveness of alternative powertrain concepts », Martin Redelbach, Matthias Klötzke, Horst E. Friedrich ; Institute of Vehicle Concepts, German Aerospace Center (DLR), Stuttgart, Germany, Martin.Redelbach@ dlr.de.

Les matériaux de la transition énergétique : les attentes et les défis

3

Une amélioration de la résistance à la rupture du ruban de 30 % est obtenue en améliorant le couple fibre/matrice et permet d’utiliser 20 à 25 % de fibres de carbone en moins pour la fabrication d’un réservoir permettant in fine de réduire son coût : moins de fibres, moins de temps de bobinage et élimination des étapes de cuisson des résines thermodurcissables utilisées traditionnellement. Par ailleurs, l’utilisation d’une matrice thermoplastique facilitera le recyclage du réservoir en fin de vie.

4

Accélérer l’adoption des nouveaux matériaux Un des enjeux majeurs de la transition énergétique en cours est d’atteindre rapidement des niveaux élevés d’industrialisation et d’usage des nouvelles technologies afin d’en maximiser l’impact. Aussi, disposer de matériaux composites thermoplastiques recyclables est nécessaire pour la réalisation de nombreux éléments où la performance mécanique

Force de tension (MPa)

3 000 2 500 2 000

Ruban B +30 % de résistance à la rupture

1 500

Ruban A

1 000 500 0 0%

10 %

20 %

30 %

40 %

50 %

60 %

70 %

Teneur en fibre (% vCF)

Figure 4 Rubans (tapes) fibres de carbone imprégnées Rilsan®Matrix et améliorations en contraintes à la rupture.

241

Chimie et énergies nouvelles

des matériaux composites est requise. Les résines thermoplastiques liquides Elium® développés par Arkema permettent de substituer des résines thermodurcissables dans de nombreuses applications, mais plus encore, ouvrent la voie à des propriétés inédites et des procédés de transformation complémentaires comme la soudure ou le thermo-estampage. D’ores et déjà, Elium® est accessible pour des procédés d’infusion (pales d’éoliennes), de moulage type SMC ou RTM (boîtiers batteries), de pultrusion (profilés structurels, renforts pour béton…) ou d’enroulement filamentaire (avec initiation UV pour réservoirs sous pression) (Figure 5). Cette adaptation à une large gamme de procédés de transformation ayant fait leurs preuves permet de réduire

Pales d’éoliennes

5

Alléger pour une meilleure efficacité énergétique L’effet de la masse sur la consommation des véhicules automobile a été très étudié ces dernières années. Une étude du DLR allemand de 20125 souligne déjà la meilleure efficacité des véhicules électriques par rapport aux véhicules thermiques diminuant l’impact du gain de masse sur la consommation. 5. https://www.bloomberg.com/news /features/2020-02-05/wind-turbine -blades-can-t-be-recycled-so-they -re-piling-up-in-landfills

Pultrusion

Pack batteries RTM

Windings

• High performance • Aero, Automotive

SMC

Infusion

• High filler cont • Semi-structural • Automotive, Appliances

• High perf. • UV initiator • Pressure vessels • Tubes, pipes

• Large parts • Wind turbine • Boats

les délais d’adoption et de formation nécessaires à l’utilisation de ces nouveaux matériaux composites recyclables, mais permet également d’utiliser des moyens capacitaires existants pour réduire les ­investissements.

Renforts de pales d’éolienne (sparcap)

• Continuous fibers • High perf. • Profiles, plaques…

Réservoirs hydrogène

Figure 5

242

Procédés et applications types accessibles avec les résines thermoplastiques liquides Elium®. SMC (sheet moulding compound) désigne la fabrication en composites à feuilles moulées adaptée aux grandes pièces ; RTM (resin transfer mouliding) désigne un procédé de moulage par transfert de résine qui permet des états de surface de grande qualité.

Dès lors, des solutions composites thermoplastiques permettent d’alléger le véhicule, comme par exemple des packaging de batterie en composites fibres de verre et résines Elium® illustrés sur la Figure 6. Les réductions de masse typiquement atteignables en utilisant des fibres de verre ou de carbone vont de 30 à 50 % respectivement par rapport à des solutions en acier.

Elium® SMC boitier sup. : • Moulage formes complexes • Isolation électrique • Blindage électromagnétique • Résistance au feu

Elium® C-RTM carter inf. : • Renforts fibres continues • Performance mécanique et chocs • Résistance au feu

Figure 6 Utilisation de composites thermoplastiques Elium® pour les packagings de batteries.

être mises en œuvre par infusion et permettre la fabrication de pales d’éoliennes recyclables. Le projet Zebra, conduit par l’IRT Jules Verne, a été lancé en 2020 afin de démontrer la faisabilité de pales d’éoliennes 100 % recyclables à l’échelle 1. Le schéma de la Figure 7 illustre les différentes possibilités offertes pour le recyclage de pales d’éoliennes.

6

Matériaux recyclés et bio-sourcés à isoperformance

Les résines Elium® thermoplastiques liquides peuvent

Démontage

Fin de vie

Broyage

Mécanique

Compoundage (avec ABS…)

Thermolyse (350-400 °C)

Injection, compression, extrusion

Distillation

Fibres

Nouvelle pièce (prop améliorées)

Nouvelle résine (monomère)

Nouveau renfort

Chimique

Le recyclage des matériaux composites constitue d’ores et déjà un enjeu environnemental important. En effet, les éoliennes de première génération arrivent en fin vie et les pales en composites thermodurcissables s’avèrent difficilement recyclables. Ainsi, aux États-Unis, ce sont 10 000 pales par an qui arrivent en fin de vie et qui sont mises en décharge.

Les matériaux de la transition énergétique : les attentes et les défis

Pour autant, même avec des véhicules électriques optimisés, le gain énergétique sur la vie du véhicule est de 1 kWh par kilogramme gagné. Par ailleurs, à autonomie équivalente, des batteries de moindre capacité sont nécessaires (de l’ordre de 1 kWh pour 50 kg d’allègement). Enfin, d’autres gains induits sont à prendre en compte comme un dimensionnement moindre en crash et en raideur de caisse, et un meilleur confort ainsi que de meilleures performances en conduite.

Nouvelles applications

Figure 7 Recyclage des composites Elium® : voies mécanique et chimique.

243

10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0

(kJ/m2)

15

Faible perméabilité H2

10 5

1 PA 1

2

2 PA 1

0

01 PA 1

12

01

PA 6

PA 1

6 PA 6

PA 6

10

0 PA 6

0

Humidité (%)

HDPE IM PA11

neat PA12

Kynar® PVDF

200

EVOH

400

neat PA11

600

Orgalloy®

cc·mm/m2·jour·atm

Chimie et énergies nouvelles

800

Faible reprise d’humidité

PA11

PA12

PA6

PA66

Résistant aux chocs

Kautex has produced a 320 litre hydrogen liner through blow moulding.

Soufflage grandes dimensions

Figure 8 Propriétés du PA11 Rilsan® pour la réalisation de liners pour réservoirs hydrogène.

Deux voies sont investiguées : le recyclage mécanique par broyage des pales et l’incorporation dans de nouveaux composés ou le recyclage chimique où la résine est dépolymérisée, séparée des fibres et réutilisée comme monomère dans de nouveaux matériaux composites. (Figure 7)

d’un point de vue environnemental et améliorent significativement le bilan pour un usage donné sans engendrer de nouvelles nuisances. C’est aussi un outil multicritères qui permet de bien peser les différents impacts et de prendre les meilleures décisions sur des sujets complexes.

Les matériaux bio-sourcés peuvent aussi offrir des performances de haut niveau pour satisfaire aux exigences les plus sévères des solutions adaptées à la transition énergétique. C’est le cas du polyamide 11 Rilsan® issu de l’huile de ricin qui permet la réalisation de liners pour réservoir hydrogène et qui allie une faible perméabilité à l’hydro­ gène, une faible reprise en eau, une haute résistance aux chocs à froid et des aptitudes à la mise en œuvre permettant la réalisation de liners en extrusion soufflage de plus de deux mètres (Figure 8).

À titre d’exemple, l’analyse du cycle de vie réalisée par l’ADEME en 2020 6 sur des véhicules à hydrogène (FCEV) comparés à des véhicules électriques (BEV) et diesel est riche d’enseignements.

7

Synthèse des besoins : un cycle de vie vertueux

244

L’Analyse du Cycle de Vie (ACV) est un outil indispensable pour s’assurer que les matériaux utilisés s’avèrent in fine vertueux

Le premier, sans rapport avec les matériaux, montre qu’un véhicule FCEV n’est vertueux par rapport à un véhicule diesel que si l’hydrogène utilisé est issu d’électrolyse à partir d’énergie renouvelable et non pas de vaporeformage de méthane. Un autre aspect concerne la production du véhicule où cette étude montre que les véhicules électriques ou hydrogènes souffrent d’impacts négatifs liés principalement aux batteries (métaux et terres rares), aux réservoirs d’hydrogène (fibres de carbone) et aux piles 6. 2019 DOE Hydrogen & Fuel Cells Program Review – Cassidy Houchins & coll.

– l’augmentation de la durabilité des équipements : des matériaux plus performants en termes de vieillissement pourront permettre de rouler plus de 300 000 kilomètres diminuant d’un tiers (par rapport à une durée de vie de 200 000 km) le besoin en ressources abiotiques pour le même usage ; – la limitation de l’usage de matériaux à fort impact : des matrices pour composites plus performantes comme

Rilsan®Matrix ou Elium® permettent de réduire la quantité de fibres de carbone ; des liants ou électrolytes plus performants permettent de réduire les quantités de lithium pour les batteries ; – l’allègement : comme nous l’avons vu plus haut, l’allègement du véhicule, c’est moins de consommation de matériaux, moins d’énergie pour transformer et fabriquer les véhicules et moins de consommation d’énergie en usage ; – le recyclage : pour des véhicules hydrogènes, le recyclage et la réutilisation du platine et des fibres de carbone permet de diminuer de 50 % l’impact en ressource abiotique.

Les matériaux de la transition énergétique : les attentes et les défis

à combustible (principalement platine). Néanmoins, les axes de progrès listés pour réduire l’impact recoupent les axes de développement des nouveaux matériaux et semblent atteignables à court terme. On listera ici :

Conclusion Les besoins matériaux liés à la transition énergétique nous projettent au-delà du progrès et de l’amélioration continue pratiquée pour des applications matures et traditionnelles. Les niveaux de performances à atteindre sont bien souvent inédits et correspondent à des exigences nouvelles aussi bien en termes de spécifications produits que de production industrielle (quantité et qualité). D’autre part, les exigences environnementales sont incontournables et nécessitent l’utilisation systématique d’outils type ACV pour faire les bons choix et ne pas nuire. Par ailleurs, cette recherche de performances technique et environnementale doit se faire à coût maîtrisé pour favoriser une adoption la plus massive possible de ces nouvelles technologies vertueuses. Dès lors, de fortes capacités

245

Chimie et énergies nouvelles 246

de d ­éveloppement et d’industrialisation sont requises pour répondre aux enjeux de l’urgence climatique. Enfin, un mode de travail collaboratif et agile est indispensable afin de développer les meilleures solutions en s’adaptant en permanence aux nouvelles avancées techniques et scientifiques.

industrielle  : accélérer la  mise à l’échelle pour et

améliorer la de l’

compétitivité

hydrogène

zéro ­carbone

Laurent Carme est directeur général de McPhy, groupe industriel spécialiste des équipements de production et distribution d’hydrogène zéro carbone (électrolyseurs et stations de recharge).  Le groupe est en particulier actif sur le passage à l’échelle des technologies hydrogène pour les applications industrielles et de mobilité, ainsi qu’en projets.

1

Les usages actuels de l’hydrogène

Utilisé depuis plusieurs décennies, notamment sur le secteur industriel, le marché de l’hydrogène est aujourd’hui une réalité en pleine croissance. Cent-dix millions de tonnes d’hydrogène sont consommées chaque année en France, essentiellement pour des applications industrielles. Un certain nombre d’applications dans la mobilité et l’énergie sont également promises à un brillant avenir. Cela devrait se traduire par un quasi triplement des volumes d’hydrogène produits au cours des prochaines décennies (Figure 1).

Les techniques de production qui seront mises en œuvre pour produire cet hydrogène auront un impact sur le potentiel de décarbonation de l’énergie hydrogène et sur sa contribution à la réalisation de l’objectif de neutralité carbone fixé à 2050. Dans l’industrie, les usages de l’hydrogène se concentrent essentiellement dans quatre domaines (Figure 2) : – le premier est la raffinerie, où le rôle de l’hydrogène est de retirer un certain nombre d’impuretés dans le pétrole ; – la chimie, avec notamment la production d’ammoniac ; – pour la production de méthanol, l’hydrogène est également un composé essentiel ; – les productions d’acier.

Laurent Carme

Trajectoire technologique

Chimie et énergies nouvelles

400 300 200 100 0

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015

2020

2050

Figure 1 Demande mondiale en hydrogène depuis 1975 (en MtH2 /an) en prédiction de la demande en 2050. Source : IEA 112019, Deloitte.

RAFFINAGE DU PÉTROLE

PRODUCTION D’AMMONIAC

PRODUCTION DE MÉTHANOL

PRODUCTION D’ACIER

Approvisionnement en hydrogène

Produit sur site

Produit sur site, pipeline

Produit sur site, pipeline

Produit sur site, livraison

Rôle de l’hydrogène

Élimination des impuretés du pétrole non raffiné

Au cœur de la production d’ammoniac avec l’hydrogène

Au cœur de la production de méthanol avec l’hydrogène

7 % de la production d’acier primaire s’effectue via la voie DRI (« Direct Reduction of Iron »), qui nécessite de l’hydrogène

Demande en hydrogène attendue d’ici 2030

Croissance de 7 % due au renforcement des réglementations sur les polluants

Croissance de 30 % due à la croissance économique et démographique

Croissance de 30 % due à la croissance économique et démographique

La demande d’hydrogène peut doubler d’ici 2030 grâce au développement du procédé DRI actuel

EXEMPLES D'UTILISATEURS Répartition du marché de l'hydrogène (en pourcentage)

Figure 2 Détails de la part et de l’utilisation de l’hydrogène dans les différentes industries majoritaires. La raffinerie est le marché le plus important pour l’hydrogène, suivi par les secteurs de la chimie et de l’industrie. Dans le premier, on peut prévoir une croissance de 7 % due au renforcement des politiques environnementales à l’avenir. Dans les secteurs chimiques, on envisage une augmentation de 30 % due à la croissance économique et démographique. La production d’hydrogène pour l’industrie de l’acier pourrait doubler d’ici 2030 grâce au procédé DRI (« Direct Reduction of Iron »), procédé de réduction du fer visant à transformer le fer en poudre ou petites boulettes. Source : IEA, 2019.

Ces quatre industries sont au cœur de nos économies et pour maintenir une souveraineté industrielle et technologique tout en concourant à la réalisation des objectifs climatiques, la décarbonation de l’hydrogène est un enjeu majeur.

248

Les applications mobilités posent aussi un enjeu de décarbonation majeur qui concerne

tous types de véhicules, du véhicule utilitaire ou de la berline citadine, jusqu’à la mobilité lourde comme les bus, bennes à ordures, camions, ou encore les mobilités lourdes en cours de développement à long terme comme le train, le bateau et l’avion, sur lesquels la France se positionne (Figure 3). Nous assistons au développement de flottes hydrogène

2025

2030

2035

2040

2045

Gaz naturel 75 %

Bus

Pétrole et charbon 24 % Énergies renouvelables 1%

Van Véhicule de taille moyenne Camion

Figure 4

Autobus Minibus

Répartition des sources de production de l’hydrogène en 2019 dans le monde. 99 % de l’hydrogène est produit à partir de ressources fossiles. Cette annéelà, 115 Mt ont été produites. Source : IEA, 2019.

Train Véhicule léger Bateau de croisière Aviation Marine marchande

Figure 3 Estimation de la date d’entrée sur le marché des moyens de mobilité fonctionnant à l’hydrogène. La mobilité hydrogène se développe notamment grâce aux flottes captives de véhicules électriques. Source IEA, 2019, Hydrogen Europe.

dans les différents pays du globe, l’Europe n’étant pas en reste avec un tandem France-Allemagne comme fers de lance. Rappelons que la France a lancé au mois de septembre 2020 un plan national hydrogène ambitieux doté de 7 milliards d’euros d’ici 2030.

2

C’est un processus qui est bien établi, efficace et relativement peu onéreux, de l’ordre de 1 à 2 euros par kilogramme d’hydro­gène produit (Figure 5). Cette technique de production, bien que très compétitive, a l’inconvénient d’émettre une quantité de CO 2 non

Les enjeux de la filière hydrogène

Éprouvé – Le méthane réagit avec la vapeur à hautes température et pression pour produire de l’hydrogène Compétitif – Fourchette de prix : 1-2 €/kg H2 Mature – Développé dans les années 1920 – Acteurs clés du vapocraquage :

L’hydrogène est aujourd’hui produit essentiellement à partir d’hydrocarbures (gaz naturel, charbon) (Figure 4). Le procédé le plus utilisé est ce qu’on appelle le SMR (« Steam Methane Reformer »1). 1. SMR (« Steam MethaneRefomer »), ou vapocraquage du méthane, ou vaporeformage, est le procédé consistant à faire réagir une molécule de méthane avec une molécule d’eau à fortes pression et température pour produire trois molécules d’hydrogène et une molécule de monoxyde de carbone.

Trajectoire technologique et industrielle : accélérer la mise à l’échelle pour améliorer la compétitivité de l’hydrogène zéro ­carbone

2020

Figure 5 SMR (« Steam Methane Reformer ») ou vapocraquage est le procédé industriel le plus commun pour la production d’hydrogène développé dans les années 1920. C’est une réaction chimique à haute température et haute pression qui permet de produire de l’hydrogène à un coût très compétitif. Source : IEA, 2019.

249

Chimie et énergies nouvelles

CO2

1 kg de H2 produit

12 kg CO2 émis

CO2 lié au procédé SMR

2 % de CO2 total émis dans le monde

Figure 6 Chaque année, la production d’hydrogène par le procédé SMR est responsable d’importantes émissions de CO2. Source : IEA, 2019.

négligeable. Pour chaque kilogramme d’hydrogène produit, il est communément admis que 12 kilogrammes de CO2 sont rejetés dans l’atmosphère. Cet hydrogène, dit « gris », serait ainsi responsable d’environ 2 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit l’équivalent de la pollution générée par le transport aérien (Figure 6). Face à ce constat, la filière hydrogène dans son ensemble se modernise pour verdir les procédés de production d’hydrogène pour lutter contre le réchauffement climatique. L’une des options consiste à capturer le CO2 émis lors de la production pour soit le réutiliser (sous forme de CO2 ou converti en méthanol de synthèse par exemple), soit l’injecter en réservoir et le stocker (Figure 7). Cette solution est pertinente sur une échelle moyen terme, notamment pour décarboner

CO2 Capture, utilisation et stockage du CO2 émis

les bases installées de SMR qui sont extrêmement importantes aujourd’hui dans le monde. En revanche, elle ne représente pas une approche totalement zéro carbone.

3

L’électrolyse, pierre angulaire pour décarboner la production d’hydrogène Face aux enjeux de décarbonation de la filière hydrogène, la solution privilégiée aujourd’hui par l’industrie est l’électrolyse2 2. Lors d’une électrolyse, la molécule d’eau H2O est soumise à un courant électrique au travers de deux électrodes (anode et cathode), celle-ci se dissocie en dioxygène et dihydrogène gazeux. Le courant électrique dissocie la molécule d’eau en ions hydroxyde HO– à la cathode et en protons H+ à l’anode. Les protons acceptent des électrons dans une réaction d’oxydation en formant de l’hydrogène gazeux selon l’équation 2H+ + 2e– → H2(g).

Nécessite un fort investissement – Coût supplémentaire potentiel de 0,5-0,70 € par kg d’hydrogène produit par le procédé SMR Défi environnemental et technique – La méthode capture-utilisation-stockage du CO2 conduit à une augmentation de 10 % de la consommation de combustible – Le stockage souterrain de CO2 acidifie les aquifères – Le CO2 n’est pas éliminé mais stocké avec des coûts et des risques car il peut s’échapper plus tard Émission résiduelle de CO2 – Environ 90 % de CO2 est capturé au mieux

Figure 7

250

La capture et le stockage du CO2 émis (CCUS) est une technologie permettant d’éviter l’émission de CO2 du procédé SMR. Cependant, le coût est majoré d’environ 0,5/0,70 ¤ par kilogramme d’hydrogène produit. D’autres défis techniques viennent s’ajouter : la méthode capture-utilisation-stockage du CO2 ou séquestration du CO2 conduit à une augmentation de 10 % de la consommation de combustible et acidifie les aquifères. Par ailleurs, le CO2 n’est pas éliminé mais stocké avec des coûts et des risques car il peut s’échapper plus tard. Cette méthode permet néanmoins de capturer jusqu’à 90 % du CO2. Source : IEA, 2019.

Le premier de manière assez évidente, est la sensibilité aux problématiques climatiques de la part des citoyens mais aussi de la part des politiques, ce qui se traduit dans les ambitions, les objectifs affichés par tous et traduits dans la loi. Le deuxième élément fondamental est celui de l’indépendance énergétique. Industrialiser la technologie de l’électrolyse pour produire de l’hydrogène bas carbone nécessite de

La Figure 9 montre l’évolution du nombre de projets et de la taille moyenne de ces projets au cours des vingt dernières années. Nous constatons une croissance extrêmement forte qui se traduit notamment par des projets de taille plus importante. Ces vingt premières années du siècle ont vu des projets d’électrolyseurs de taille moyenne, inférieure à un mégawatt. Aujourd’hui, des premiers projets à l’échelle multi-mégawatt sont en cours d’implémentation (de l’ordre de 20 mégawatts), ainsi que

Taille moyenne des projets

Nombre de projets

1,2

120

1

100

0,8

80

0,6

60

0,4

40

0,2

20

0

2000-04

2005-09 Taille moyenne

2010-14

2015-19

0

Collecteur de H2

Collecteur de O2

+

– O2

OH– – –

– –



H+ +



+

+ +

+ +

Électrolyte basique

Figure 8 Schéma du principe de l’électrolyse pour la production d’hydrogène. Source : IEA, 2019, The American Society of Mechanical Engineers.

Trajectoire technologique et industrielle : accélérer la mise à l’échelle pour améliorer la compétitivité de l’hydrogène zéro ­carbone

Le processus de l’électrolyse est bien connu des physiciens et des chimistes, et plusieurs facteurs nous font constater une accélération de la filière, et envisager aujourd’hui un passage rapide à l’échelle industrielle.

Courant électrique continu

Flux d’électrons

Cathode

L’oxygène ainsi libéré peut être soit réutilisé dans d’autres processus industriels soit être ventilé sans impact pour l’environnement. Quant à l’hydrogène produit, il peut être valorisé dans des applications industrielles, de mobilité ou d’énergie.

disposer de sources d’énergie électrique bas carbone à la fois abondantes et économiques. C’est le cas en France avec le nucléaire d’une part, mais également avec la croissance exponentielle des énergies renouvelables à la fois solaire et éolienne, qui au cours des dernières années se sont très fortement industrialisées. Ces énergies renouvelables commencent à représenter une part significative du mix énergétique et atteignent une compétitivité intéressante. Leur développement est corrélé au développement des projets en électrolyse.

Anode

de l’eau, processus bien connu visant à utiliser l’énergie fournie par l’électricité pour casser la molécule d’eau et émettre à la fois de l’hydrogène et de l’oxygène (Figure 8).

Nombre de projets

Figure 9 Évolution du nombre de projets d’implantation d’électrolyseurs (en vert) et puissance moyenne fournie par les électrolyseurs (en bleu). Source : IEA, 2019.

251

Chimie et énergies nouvelles

le lancement de projets beaucoup plus ambitieux (de l’ordre de 100 MW et plus). Ce type de projet multi-MW, voire GW, représente un jalon indispensable pour pouvoir décarboner massivement l’industrie.

4

(Figure 10), et en même temps une baisse spectaculaire des coûts (Figure 11). Nous constatons à l’heure actuelle des appels d’offres, en Espagne notamment, sur le solaire où le coût d’électricité est de l’ordre de 20 € par mégawattheure. L’éolien offshore de la mer du Nord est aujourd’hui de l’ordre de 40 € par mégawattheure, donc extrêmement compétitif et souvent même plus performant que les énergies fossiles.

Stratégie d’industrialisation

Les quantités d’hydrogène produites par électrolyse sont encore relativement faibles en proportion, et leur coût reste relativement élevé. Cependant, l’expérience acquise depuis plusieurs décennies, notamment à travers l’industrialisation des énergies renouvelables, à travers des processus industriels classiques d’économies d’échelle, nous montre que cette phase d’industrialisation, bien que critique, est un maillon indispensable à la trajectoire de décroissance des coûts. S’en est suivi un décollage extrêmement fort du nombre de MW installés en solaire et en éolien

En termes de technologies de production d’hydrogène (« électrolyseurs »), aujourd’hui deux technologies sont matures et peuvent être considérées pour cette industrialisation : il s’agit du PEM3, technologie utilisant des 3. PEM (« Proton Exchange Membrane ») : technique d’électrolyse dans laquelle l’électrolyte est une membrane polymère échangeuse de protons. Cette dernière est perméable aux ions mais imperméable aux gaz permettant ainsi de récupérer l’hydrogène produit.

Puissance des projets sur le marché (GW)

1 000

800

600

400

200

0 1990

1994

1998 Vent

2002

2006

2010

2014

2018

2022

2026

Solaire photovoltaïque

Figure 10

252

Évolution des dimensions des projets d’installation de panneaux solaires photovoltaïques et d’éoliennes depuis 1990, et projection pour 2026. L’augmentation très rapide de ces deux marchés de l’énergie en vingt ans permet de penser qu’il en sera de même pour le marché de l’hydrogène zéro carbone. Source : IEA 2019, Company.

0,25

0,15

0,05

2010 Centrale solaire thermique

2011

2012

2013

Éolien offshore

2014

2015

2016

Solaire photovoltaïque

2017

2018

Éolien onshore

Figure 11 Évolution de coût actualisé de l’électricité* entre 2010 et 2018 pour les centrales solaires, le solaire photovoltaïque, l’éolien terrestre et en mer (en USD/kWh). En dix ans, le coût du photovoltaïque s’est effondré de 75 %. Par ailleurs, les besoins en électricité représentent 80 % des coûts de production de l’hydrogène zéro carbone, donc plus les énergies renouvelables sont compétitives, plus l’hydrogène zéro carbone deviendra compétitif. *Le coût actualisé de l’électricité (LCOE en anglais) est un ratio permettant de calculer le coût réel du système d’exploitation sur toute sa durée de vie. Il prend en compte les coûts d’investissements, les coûts de financements actualisés, les coûts d’opérations et de maintenances.

Sources : IEA 2019, Company.

membranes, et de la technologie de l’électrolyse alcaline4 dans laquelle s’est spécialisé le groupe McPhy. Il est intéressant de constater que lorsque l’on considère le nombre de projets envisagés en Europe sur les prochaines années, le PEM représente à peu près les trois quarts de ce qui est envisagé en termes de nombre de projets, contre 25 % du nombre de projets pour l’alcalin. En revanche, lorsque l’on regarde les chiffres sous l’angle de la 4. La technologie alcaline (« pressurized alakline technology ») est une technique d’électrolyse à haute pression utilisant un électrolyte très concentré, permettant de casser la molécule d’eau par de l’électricité, produisant ainsi de l’hydrogène.

puissance installée (nombre de MW), l’alcalin représente les trois quarts des capacités envisagées par les industriels dans les prochaines années (Figure 12), ce qui démontre que l’électrolyse alcaline est aujourd’hui la technologie de production d’hydrogène privilégiée pour les projets de très grande capacité, préfigurant le passage à l’échelle industrielle de la filière. L’alcalin est extrêmement bien positionné sur cette problématique en raison d’une part de sa maturité – c’est une technologie qui est prouvée et qui a démontré à la fois sa résilience et sa stabilité au cours du temps –, et d’autre part de sa compacité. En utilisant l’alcalin haute pression (sous 30 bars par exemple, comme

Trajectoire technologique et industrielle : accélérer la mise à l’échelle pour améliorer la compétitivité de l’hydrogène zéro ­carbone

USD/kWh

0,35

253

Chimie et énergies nouvelles

Distribution des projets de production d’hydrogène en Europe

En fonction du nombre de projets

En fonction de la puissance en MW installée

24 %

27 %

76 %

73 %

PEM

Électrolyse par méthode alcaline sous pression

Figure 12 Distribution des dispositifs de production d’hydrogène en Europe en fonction de la technologie en termes de nombre de projets (à gauche) et en termes de dimension de projets (à droite). La technologie alcaline est la technologie privilégiée par les grands donneurs d’ordre du secteur pour répondre à la problématique de décarbonation de l’hydrogène à grande échelle. Source : Hydrogen Europe, Clean Hydrogen Monitor 2020, oct. 2020.

254

les électrolyseurs McPhy) ; les donneurs d’ordre du secteur retrouvent un niveau de compacité compétitif par rapport à d’autres technologies comme le PEM. Par ailleurs, l’alcalin s’affranchit beaucoup plus que le PEM de la dépendance aux métaux précieux tel que l’iridium et permet donc de proposer une technologie beaucoup moins dépendante de la volatilité de ces métaux. Enfin, il présente une capacité d’intégration excellente avec les énergies renouvelables solaires et éoliennes grâce à une très grande flexibilité et à sa capacité de participation aux réserves primaires et secondaires. En résumé : aujourd’hui deux technologies

sont en cours d’industrialisation, le PEM plutôt orienté vers les petites capacités et l’alcalin permettant de répondre aujourd’hui aux enjeux de passage à l’échelle d’électrolyseurs de grandes capacités pour les applications ­industrielles.

5

McPhy, un acteur leader dans la production d’hydrogène décarboné McPhy est un groupe industriel pionnier sur le marché de l’hydrogène, positionné à la fois sur les équipements de production d’hydrogène (électrolyseurs) et sur les stations

Le chiffre d’affaires de près de 14 millions d’euros sur l’année 2020 (Figure 13) est en forte croissance par rapport à 2019 (20 % de croissance). Le carnet de commandes a quant à lui crû de 75 % par rapport à l’année 2019 pour atteindre 23 millions d’euros. Des moyens importants sont mobilisés pour matérialiser le passage à l’échelle, notamment grâce au succès de l’augmentation de capital au mois d’octobre 2020, qui a permis au groupe de lever 180 millions d’euros pour accélérer sa croissance. De nouveaux investisseurs sont entrés au capital et apportent un support financier et technique. La société comptait fin 2020, 110 collaborateurs, présents dans trois pays (en France, qui représente la moitié des effectifs, en Allemagne et en Italie), ce qui est un point absolument majeur dans la construction européenne d’une filière hydrogène. 44 MW et 35 stations hydrogène McPhy

Investissement dans la TECHNOLOGIE

sont actuellement en cours de développement, en cours d’installation ou déjà installées sur le territoire européen. La stratégie de « scale-up » de McPhy s’articule autour de quatre piliers stratégiques (Figure 14) : – premier pilier : investir dans la technologie. McPhy investit en recherche et innovation pour maintenir son leadership technologique, en optimisant les performances de ses équipements aux meilleurs niveaux de qualité, de sécurité et de compétitivité coûts ; – deuxième pilier : bâtir des références solides. C’est un point majeur, à la fois pour démontrer la capacité du groupe à adresser les projets de grande capacité, mais également pour faciliter le financement de projets de très grande capacité en se référant aux références emblématiques installées.

13,7 m€ en chiffre d’affaires +20 % vs. 2019 Grands électrolyseurs 49 %

Stations de recharge à hydrogène 40 %

Petits électrolyseurs et pile à hydrogène (11 %)

Figure 13 Le chiffre d’affaires McPhy en 2020 s’élevait à 13,7 millions d’euros. Les revenus de l’entreprise sont réalisés à 60 % avec la technologie des électrolyseurs et à 40 % par le segment des stations hydrogène. Source : McPhy.

Matérialisant ce changement d’échelle, le groupe McPhy a été sélectionné pour un projet de 20 MW au nord des Pays Bas pour le compte des sociétés Nouryon&Gasunie, un des plus gros projets en cours de développement en Europe. Avec ses partenaires TSM et

Élaboration des modèles de RÉFÉRENCE SOLIDES

Amélioration de la COMPÉTITIVITÉ

Investissement dans les RESSOURCES HUMAINES

Trajectoire technologique et industrielle : accélérer la mise à l’échelle pour améliorer la compétitivité de l’hydrogène zéro ­carbone

de recharge, avec une concentration sur les projets de très grande capacité, permettant d’adresser la totalité du marché et les secteurs de l’industrie, la mobilité et l’énergie.

Figure 14 Les quatre piliers principaux de développement pour McPhy : la technologie de pointe, les références, la compétitivité et les ressources humaines. Source : McPhy

255

Chimie et énergies nouvelles

4

MW

20

MW

Atawey, McPhy a remporté un des plus gros marchés de mobilité en Europe, avec une contribution majeure au projet « Zero Emission Valley » ;

beaucoup l’approche d’économie d’échelle. La brique « technologique » au cœur de l’électrolyseur est ce qu’on appelle le stack5 (Figure 15).

– troisième pilier : améliorer la compétitivité. Cela se traduit par un travail sur les économies d’échelle et la réduction des coûts, notamment grâce à une augmentation des capacités de production. Dans cette optique, McPhy a pour projet, actuellement à l’étude, de construire une usine d’électrolyseurs d’une capacité de 1 GW en France. La décision finale d’investissement devrait intervenir d’ici fin 2021. Le groupe étoffe également ses capacités de production de stations hydrogène, avec un nouveau site industriel en France, d’une capacité de production de cent stations par an ;

Les stacks représentés sur la figure sont assemblés en série pour créer un module de 4 MW qui va pouvoir être déployé sur des équipements de tailles beaucoup plus importantes (20 MW, par exemple), sur le projet des Pays-Bas ; et sur des modules de tailles beaucoup plus importantes (100 MW par exemple) demain.

– dernier pilier : l’équipe et les talents McPhy. McPhy se positionne sur une toute nouvelle industrie. L’un des défis est de professionnaliser les compétences, recruter des talents et pouvoir les former pour asseoir la pérennité de l’entreprise ; tout en structurant l’organisation pour réussir la montée en puissance. À ce titre, le groupe prévoit de recruter plus d’une cinquantaine de collaborateurs cette année (soit + 50 %) tant en France qu’en Allemagne et en Italie afin de répondre aux demandes des marchés.

100 MW+

Figure 15

256

Trois exemples de projets d’électrolyseurs développés par McPhy. Source : McPhy.

6

Réalisations et ambitions de la filière

Citons quelques exemples de passage à l’échelle. Le design des électrolyseurs McPhy est un concept modulaire/modularisé, qui facilite

McPhy investit également en recherche et innovation pour proposer des stacks de plus hautes capacités permettant encore d’améliorer la compacité et la performance du système. Même approche sur les stations de recharge : les stations de recharge classiques aujourd’hui sont des stations de l’ordre de 200 à 400 kg telles que McPhy les implémente sur les projets « Zero Emission Valley » en AuvergneRhône-Alpes avec la société Hympulsion (rappelons que McPhy est en consortium avec les sociétés TSM-HRS et Atawey sur ce projet), « AUXR_ H2 » avec la société Hynamics à Auxerre, ou « Dijon Métropole Smart EnergHy » avec la société Rougeot à Dijon. La taille de ces équipements est amenée à croître pour permettre le déploiement des infrastructures adaptées aux applications de mobilité lourdes : camions, bateaux, trains, avions. À ce titre, McPhy dispose d’un certain nombre de brevets, notamment d’une architecture brevetée « Augmented 5. Stack : pile, ici une unité de l’électrolyseur.

En termes de référence (Figure 17), McPhy dispose de

44 MW d’électrolyseurs répartis sur toute l’Europe et de 35 stations de recharge en cours de développement, en cours d’installation ou installées. Cela fait partie des bases les plus importantes.

Figure 16

Architecture propriétaire et brevetée Reconfiguration dynamique Disponibilité et flexibilité augmentées

Le projet « Augmented McFilling » vise le développement des stations à hydrogène pour les véhicules de deux tonnes et plus. C’est une technologie brevetée et exclusive qui se veut flexible, efficiente et optimisée pour reconfigurer la mobilité sur le territoire. Source : McPhy.

Efficience énergétique optimisée Coûts d’investissement et d’opération optimisés

Base installée MOBILITÉ ZÉRO CARBONE (suite) HYDROGÈNE ZÉRO CARBONE

MOBILITÉ ZÉRO CARBONE

Trajectoire technologique et industrielle : accélérer la mise à l’échelle pour améliorer la compétitivité de l’hydrogène zéro ­carbone

McFilling » (Figure 16) pour les stations de plus de 2 tonnes par jour, qui permettront de répondre aux besoins à venir sur la mobilité lourde intensive.

Figure 17 La répartition des installations d’électrolyseurs en bleu et des stations à hydrogène en vert sur le territoire européen. Source : McPhy.

257

Chimie et énergies nouvelles

La matérialisation du « passage à l’échelle » Un passage à l’échelle important s’est amorcé sur 2020 pour toute la filière et en particulier, pour McPhy. Il va se poursuivre en 2021 grâce aux financements annoncés par l’Union européenne et les différents pays européens (dont la France) sur la filière hydrogène. En France, ce sont 7 milliards d’euros qui seront investis sur la période 2020-2030 pour développer une filière hydrogène vert compétitive à l’échelle des marchés, à la fois supporter des projets de grandes envergures et soutenir le développement des acteurs industriels comme McPhy. Tous ces développements exigent la matérialisation de nombreux passages à l’échelle (projets, technologies, infrastructure industrielle), sur lesquels les hommes et les femmes de McPhy sont aujourd’hui pleinement mobilisés (Figure 18).

Figure 18 Les chiffres clés de l’entreprise McPhy.

258

Source : McPhy.