Chimie, aéronautique et espace 9782759822843

Chaque enfant, chaque adulte est un vrai Jules Verne quand il s’agit de la conquête de l’espace. Les avions toujours plu

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French Pages 272 [265] Year 2018

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Chimie, aéronautique et espace
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Chimie, aéronautique et espace

Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie, aéronautique et espace », qui s’est déroulé le 8 novembre 2017 à la Maison de la Chimie.

 « COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Chimie,

aéronautique et espace Ane Aanesland, Vincent Aerts, Pierre Alphonse, Florence Ansart, Richard Bonneville, Denis Chapuis, Jean-Philippe Chessel, Pierre Crespi, Olivier Delcourt, Thomas Georgelin, Dominique Gilliéron, Marie Gressier, Michel Guélin, Jacques Louet, Marie-Joëlle Menu, Michel Viso et Tim Warner Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Crédits couverture : télescope spatial Hubble : NASA ; étoile Fomalhaut : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), MacGregor M. ; NASA/ESA Hubble, Kalas P. ; Saxton B. (NRAO/AUI/NSF) ; réacteur : Safran ; sonde Cassini-Huygens : NASA/JPL. Crédits 4e de couv : galaxie d’Andromède : Dieter Beer & Patrick Hochleitner ; galaxie des Chiens de Chasse : NASA/CXC/SAO ; optique : Detlef Hartmann ; Infrarouge : NASA/JPL-Caltech ; galaxies Arp147 : NASA, ESA, and M. Livio (STScI). Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN (papier) : 978-2-7598-2283-6 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2284-3

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, ­réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de ­l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ­«  toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette ­représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2018

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : Ane Aanesland Co-fondatrice et Présidentedirectrice générale ThrustMe École Polytechnique Vincent Aerts R&I Manager Solvay Composite Materials Pierre Alphonse Ingénieur de recherche Centre Interuniversitaire de Recherche et d’Ingénierie des Matériaux (CIRIMAT) Florence Ansart Professeure Université Paul Sabatier (Toulouse) Richard Bonneville Ingénieur Émérite Centre National d’Études Spatiales (CNES) Denis Chapuis Président ADAN consulting Jean-Philippe Chessel Directeur de la Ligne de Produit Stratobus Thales Alenia Space

Pierre Crespi Directeur de l’Innovation Air Liquide Advanced Technologies Olivier Delcourt Directeur du pôle Matériaux et Procédés de SAFRAN Tech  Thomas Georgelin Maître de conférences Sorbonne Université Centre de Biophysique moléculaire d’Orléans Dominique Gilliéron Directeur du Centre de compétence optique spatiale Airbus Defence and Space (Toulouse)

Jacques Louet Ancien responsable des projets de satellites scientifiques à l’Agence Spatiale Européenne (ESA) Marie-Joëlle Menu Professeure Université Paul Sabatier (Toulouse) Michel Viso Exobiologiste Centre National d’Études Spatiales (CNES) Timothy Warner  Competency and Knowledge Director Global expert (Metallurgy) Constellium Technology Center

Marie Gressier Maître de conférences Université Paul Sabatier (Toulouse) Michel Guélin Directeur de recherche Émérite Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM)

Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Sommaire Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny....................................................... 9 Préface : par Bernard Bigot............................... 11

Partie 1 : La R&D aéronautique et spatiale Chapitre 1 : La chimie et l’espace par Jacques Louet.............................................. 17 Chapitre 2 : Demain, l’aviation plus verte et plus autonome par Denis Chapuis.............................................. 43 Chapitre 3 : La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide ! par Pierre Crespi................................................ 61 Chapitre 4 : Les nouveaux matériaux composites pour l’aéronautique par Vincent Aerts............................................... 75 Chapitre 4 : Les matériaux pour l’espace : application aux instruments optiques par Dominique Gilliéron..................................... 85 Chapitre 5 : StratobusTM par Jean-Philippe Chessel................................ 99

Partie 2 : Chimie et aéronautique Chapitre 6 : Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques par Olivier Delcourt............................................ 117 Chapitre 7 : La propulsion électrique : de la propulsion classique à la micro-propulsion par Ane Aanesland............................................. 137

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Chimie, aéronautique et espace

Chapitre 8 : Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique par Marie-Joëlle Menu, Marie Gressier, Pierre Alphonse et Florence Ansart................. 151 Chapitre 9 : Dernières avancées dans les alliages d’aluminium pour applications aéronautiques par Timothy Warner........................................... 171

Partie 3 : Chimie et espace Chapitre 10 : Molécules dans l’Univers. Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? par Michel Guélin............................................... 183 Chapitre 10 : Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin ! par Michel Viso................................................... 215 Chapitre 11 : Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules d’après la conférence de Thomas Georgelin..... 237 Chapitre 12 : L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ? par Richard Bonneville...................................... 257

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L a collection d’ouvr ages « Chimie et… »1 se poursuit ici par Chimie, aéronautique et espace. C’est le 18e volume de cette collection qui traite des apports actuels et futurs de la chimie aux « questions de société » ; des volumes récents ont été consacrés au changement climatique et aux enjeux énergétiques. Comme tous les transports, les transports aériens sont confrontés à des changements drastiques résultant de la raréfaction du pétrole, ou plus généralement des combustibles fossiles, telle qu’on en sent déjà les prémices, qui s’annonce très grave pour les 1. Liste des livres de la collection « Chimie et …. » parus : La chimie et la mer ; Chimie et santé ; La chimie et l’art ; La chimie et l’alimentation ; La chimie et le sport ; La chimie et l’habitat ; La chimie et la nature ; Chimie et enjeux énergétiques ; Chimie et transports, vers des transports décarbonés ; Chimie et technologies de l’information ; Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes ; Chimie et cerveau ; Chimie et expertise, santé et environnement ; Chimie et changements climatiques ; Chimie, dermo-cosmétique et beauté ; La chimie et les grandes villes ; La chimie et les sens.

décennies à venir, et qui ne s’arrêtera que par leur disparition quasi-totale dans un plus grand avenir. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le transport aérien connaît une croissance constante, résultat du développement des relations commerciales entre tous les pays du monde. Le défi premier est donc clairement posé : il faut agir sur la sobriété des transports en travaillant sur les moteurs, l’efficacité de la combustion et sur l’optimisation aérodynamique des appareils. Les chapitres consacrés à ces questions montrent que les recherches et les innovations clés concernent les matériaux : des motorisations à plus hautes températures, des avions plus légers, éventuellement la capacité mécanique de résister aux contraintes de vols supersoniques… tout cela repose sur les qualités des matériaux – métaux courants, métaux rares, composites ou matières plastiques à hautes performances. L’innovation en matière de matériaux, bien sûr, sollicite la chimie de pointe. Les vols aériens, aujourd’hui, ne sont pas seulement effectués

Danièle Olivier et Paul Rigny, Fondation de la Maison de la Chimie

Avantpropos

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par les avions. Ce qu’on appelle « l’espace » a pris une place importante dans nos civilisations. Il s’est agit d’abord de projets « fous », rêvés par la science-fiction… La conquête de la Lune, de Mars, les civilisations extraterrestres. Mais l’espace est devenu on ne peut plus concret : notre vie repose largement sur les satellites – les télécommunications, puis l’observation de la Terre couronnée par l’extraordinaire succès des GPS – et bientôt sur l’utilisation des drones. La tendance est lourde, nourrie par des projets militaires mais tout autant par les besoins croissants de surveillances tous azimuts. Et les projets de toutes sortes fleurissent… des stations habitées, des satellites de transports, de petits satellites ou des drones aux fonctions bien spécialisées, etc. L’innovation semble ne plus avoir de limite et la recherche se développe dans toutes les directions. Là encore, comme pour l’aviation, et ce n’est pas une surprise, la recherche de nouveaux matériaux pour conquérir les milieux extraterrestres joue un rôle indispensable – la chimie encore… On la retrouve aussi dans la mise au point des lanceurs, qui sont et seront sollicités de façon toute nouvelle par les générations de vaisseaux spatiaux. Au vu de la dimension colossale des appareils et vaisseaux aériens, il est clair que le domaine est pris en charge aux plus hauts niveaux de l’activité économique, l’industrie lourde, les bureaux d’études sophistiqués et les laboratoires de recherche de pointe. On retrouve à tous ces niveaux la chimie sous ses deux dimensions de recherche scientifique

et d’industrie. Le présent livre illustre cette symbiose, qui est une richesse de la chimie. Il l’illustre dans un domaine qui frappe l’imagination plus que d’autres : tout enfant n’est-il pas un Jules Verne, et un peu aussi tout adulte ? Le présent ouvrage, comme tous ceux de la collection, sont destinés à des lecteurs ayant déjà un certain niveau scientifique, au moins bac+2, pour donner une indication. Ils intéresseront les enseignants ainsi que les familles des élèves qui s’apprêtent à choisir leur voie professionnelle. Les réflexions scientifiques et les informations qui constituent les chapitres sont maintenant accessibles sur le site www.mediachimie.com, qui a été créé par la Fondation de la Maison de la Chimie et connaît un remarquable développement en liaison avec les responsables de l’éducation nationale. À côté d’articles scientifiques de tous niveaux, ce site donne aussi des informations à caractère professionnel pour aider les élèves ou les étudiants à s’orienter dans leur avenir. Les ressources provenant de la collection « Chimie et… » sont associées dans le site à de nombreux articles d’origines très diverses, comme celles du collège de France, du CNRS ou des sociétés savantes, pour ne citer que quelques-unes d’entre elles. Danièle Olivier Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny Conseiller scientifique auprès du président de la Fondation de la Maison de la Chimie

Après les superbes reportages de Thomas Pesquet, le succès du Salon de l’Aéronautique et la fin de la grande exploration de Saturne et de ses mondes par la sonde spatiale Cassini, 2017 est apparue comme l’année de l’aéronautique et de l’espace. C’est sans doute ce qui explique le record de présences (avec 1 550 inscrits) à ce 18e colloque de la série « Chimie et… » à l’origine de cet ouvrage, mais pas seulement ! Au plan professionnel comme au plan des loisirs, le développement du tr anspor t aérien nous concerne tous ou presque. L’espace ne fait pas uniquement rêver, puisque de plus en plus d’aspects de notre vie quotidienne dépendent maintenant des nombreuses et diverses missions remplies par les satellites. L’aéronautique et l’espace jouent donc un rôle important sur le plan économique et industriel, et la France est bien placée dans ce domaine industriel concurrentiel à l’échelle mondiale, ce qui est très important pour l’avenir du marché de l’emploi des jeunes.

L’aéronautique et l’espace jouent aussi un rôle déterminant au niveau sociétal, pour le premier en termes d’énergie, de sécurité ou de confort, pour le second dans le cadre de la quête perpétuelle de l’humanité, des éléments fondamentaux pour la connaissance de l’Univers, de son évolution et des connaissances de l’origine de la vie. Le premier chapitre présente la place des sciences dont celle de la chimie dans les récents résultats de la R&D aéronautique et spatiale. Avec Jacques Louet et sa longue expérience d’ancien responsable des projets de satellites scientifiques à l’Agence Spatiale Européenne, nous découvrons les enjeux et les défis des missions spatiales avec une vue d’ensemble expliquant où l’on va dans l’espace et pour observer quoi. Il présente les apports de la chimie et des technologies qui y sont associées. Avec son expér ience de v ice - p r é sident d ’A ir b u s , Denis Chapuis brosse le tableau de l’aéronautique moderne. Nous découvrons les progrès technologiques

Bernard Bigot, Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Préface

Chimie, aéronautique et espace

et environnementaux extra­ ordinaires réalisés sous les pressions conjointes de la réglementation, des consommateurs et des nouvelles possibilités technologiques. La chimie joue un rôle important notamment dans l’allégement des structures, l’impact environnemental, la motorisation. Dans l’industrie du transport aérien les défis pour la recherche sont immenses et Denis Chapuis dresse un panor ama de cette aventure technique et humaine qui n’est pas prête de s’arrêter. Pierre Crespi est Directeur de l’innovation d’Air Liquide. Avec les nouvelles piles à combustibles, il nous fait découvrir l’importance de l’utilisation de l’hydrogène sous forme gazeuse ou liquide pour les applications aéronautiques et le large éventail de solutions innovantes, performantes et respectueuses de l’environnement qui est proposé. Il nous fait aussi rêver en nous parlant de l’alimentation en énergie envisagée pour les bases spatiales du futur dans lesquelles l’hydrogène pourrait jouer un rôle prépondérant pour le stockage de l’énergie solaire.

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Le groupe Solvay est fortement engagé dans la R&D des matériaux composites à matrice polymère dont l’utilisation n’a cessé d’augmenter dans l’industrie aéronautique cette dernière décennie. À travers quelques exemples, V incent Aer ts montre le rôle essentiel que joue la chimie pour répondre aux cahiers des charges spécifiques associés à ces nouveaux besoins. On imagine

facilement les contraintes auxquelles sont soumis les instruments d’optique spatiaux, alors même qu’on leur demande des performances exceptionnelles pour leurs missions d’obser vation de la Terre et de l ’Univers. Dominique Gilliéron, directeur du centre de compétence optique d’Airbus, présente les problèmes à résoudre et les solutions trouvées ou à trouver en termes de matériaux et de procédés de fabrication. Jean-Philippe Chessel, de Thales Alenia Space, est responsable du programme de développement de la nouvelle plateforme stratosphérique de haute altitude StratobusTM. Entre satellite et drone, elle devra couvrir un large spectre de missions d’observation, de sur veillance, de télécommunication, de renfort de navigation GPS. Nous voyons où la chimie intervient dans ce programme d’avenir ambitieux. Dans le chapitre dédié à l’aéronautique, la chimie des matériaux joue évidemment un rôle important. Pour réduire les coûts d’exploitation, la montée en puissance de la nouvelle gamme de moteurs, les rendements, la masse des équipements embarqués génèrent une saine compétition dans le domaine des matériaux. Olivier Delcourt, directeur du pôle matériaux et procédés du groupe Safran, présente sur ces différents points des développements de solutions utilisant des matériaux de plus en plus complexes pour la mise au point desquels la chimie apparaît comme une science indispensable.

Préface Les satellites de petites tailles déployés en constellation autour de la Terre pour obtenir plus de données sont en plein développement. Ils nécessitent la mise au point de systèmes de propulsion miniaturisés pour allonger leur durée de vie et leur mobilité orbitale. Ane Aanesland, directrice de la start-up TrustMe de l’École Polytechnique, décrit ces nouveaux propulseurs électriques qui combinent des technologies classiques avec les technologies inspirées de l’industrie des semi-­ conducteurs pour vaincre ces défis. L’ingénierie des surfaces, interfaces et revêtements, et les corrélations composition chimique, structure, micro­ structure, sont à l’origine des propriétés fonctionnelles exigées dans des domaines aussi diversifiés que la protection contre la corrosion, l’air ambiant dans les cabines ou la résistance des boucliers thermiques. Marie-Joëlle Menu, du Centre Interuniversitaire de Recherche et d’Ingénierie des Matériaux (CIRIMAT), présente différents exemples. Timothy Warner, de la société Constellium, décrit les nouvelles solutions développées par les industries de l’aluminium afin de répondre aux ambitieux projets d’allégement des structures aéronautiques. Le troisième chapitre est consacré à l’espace. On y découvre les molécules de l’Univers avec Michel Guélin, de l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM). Plus de 200 espèces moléculaires

sont identifiées dans les nuages inter et circumstellaires dont une soixantaine au-delà de notre galaxie et même pour certaines que nous connaissons bien comme CO et H2O aux confins de l’Univers. Michel Guélin tente de répondre aux grandes questions que ces découvertes soulèvent concernant les origines de la vie, la survie, l’évolution. Vous poursuivrez cette quête de la connaissance de l’Univers avec les résultats de la recherche d’une vie extraterrestre. Michel Viso, du Centre National d’Études Spatiales (CNES), présente les entités chimiques recherchées, les moyens mis en œuvre et l’interprétation des résultats. Avec lui vous voyagerez sur Mars, sur Titan, Europe, Encelade et même sur les exoplanètes extraterrestres. De l’espace nous reviendrons aux origines de la vie sur Terre. Cette chimie prébiotique est encore mal connue bien qu’elle fasse l’objet de nombreuses recherches. Thomas Georgelin, du Centre de Biophysique moléculaire d’Orléans, présente les hypothèses actuelles de l’apparition de la vie telle que nous la connaissons. Ce point de départ peut aussi éclairer sur les conditions d’habitabilité et d’émergence du vivant en vue d’une recherche de vie sur d’autres planètes. La conclusion de cet ouvrage est consacrée aux perspectives pour l’exploration spatiale. Richard Bonneville, ancien directeur du CNES et conseiller au Ministère des

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transports, présente notamment l’intérêt de la complémentarité homme-robot pour l’exploration spatiale, afin de répondre à la question scientifique centrale qui est celle de l’émergence de la vie dans l’Univers. La réalisation d’une base lunaire comme un objectif raisonnable sera même évoquée.

Voilà un ouvrage qui donne de quoi rêver et s’instruire pour toutes les générations. Je vous souhaite à toutes et tous une très bonne lecture ! Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

La

et l’

Responsable dès les années 1980 des premiers projets de satellites d’observation de la Terre à l’Agence Spatiale Européenne (ESA 1) avant de prendre la responsabilité des projets de satellites scientifiques, Jacques Louet a une longue expérience des enjeux et des défis des missions spatiales avec une vue d’ensemble expliquant où l’on va dans l’espace, et pour observer quoi. Il présente les apports de la chimie et des technologies qui sont associées à ces missions et, en retour, l’apport du spatial dans la compréhension des mécanismes chimiques en jeu, aussi bien autour de la Terre que dans le Système Solaire et l’Univers.

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Introduction : le décollage d’Ariane

1.1. L’enjeu du décollage avec Ariane 5 Le décollage se résume en une phrase : il faut lancer 780 tonnes pour en satelliser 10. Pour le lancement on dispose de trois propulseurs qui vont fournir au total 13 000 kN de poussée, sachant qu’il en faut déjà 7 800 pour vaincre l’apesanteur (Figure 1). On utilise deux étages à poudre, qui fournissent chacun 6 000 kN de poussée, et un étage liquide vulcain (au centre), qui représente seulement un peu plus de 10 % de l’ensemble de la poussée. 1. www.esa.int/ESA

On éjecte ainsi 2 tonnes/s de matière avec les étages à poudre, et 300 kg/s avec l’étage central. Pour résumer : on part avec 780 tonnes, et au bout de 100 secondes, au moment de la séparation des boosters (on est alors à 80 km d’altitude), on a déjà perdu plus de 600 tonnes sur 780. Ces quelques chiffres permettent de comprendre le problème de la propulsion chimique. 1.2. L’éjection de masse Pour pousser, il faut éjecter de la masse avec de la vitesse. Le problème est qu’avec une propulsion d’origine chimique traditionnelle, la vitesse de la masse éjectée est d’environ 3 000 m/s, et on ne sait

Jacques Louet

chimie espace

Chimie, aéronautique et espace

Figure 1 Au décollage, les deux boosters à poudre plus l’étage central cryogénique de la fusée Ariane 5 fournissent 13 000 kN de poussée. Source : ArianeGroup.

pas vraiment faire mieux. On obtient 4 000 m/s avec un moteur cryogénique, mélange de dihydrogène et de dioxygène stockés à l’état liquide. Donc pour obtenir une poussée de 10 kN ou plus, sachant que p = mv (poussée = masse éjectée par seconde x vitesse d’éjection), il faut éjecter énormément de masse, ce qui explique pourquoi en 100 s on a perdu 600 tonnes de matière

Allumage EPS H = 599 s Extinction EPC H = 586 s Z = 141 km Vr = 8 100 m/s D = 1 800 km Séparation coiffe H = 192 s Z = 105 km Vr = 2 700 m/s D = 200 km Séparation BAP H = 139 s Vr = 2 000 m/s D = 86 km

Figure 2

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Représentation des forces subies par la fusée lors du décollage. L’attraction gravitationnelle est dirigée vers le bas, la poussée vers l’arrière et la quantité de mouvement vers l’avant. m = masse éjectée par seconde ; v = vitesse d’éjection en m/s ; m.v = la poussée en Newtons, a = l’accélération de la fusée de masse M ; Mg la force gravitationnelle.

H = – 7 s Allumage H = 0 s Décollage

avec Ariane 5. De plus, il faut vaincre les forces de gravité : les forces appliquées à la fusée sont représentées sur la Figure 2. 1.3. Le lancement La Figure 3 représente les différentes étapes du lancement : on voit la séparation des boosters (100 s après le décollage), on est alors avec la seule

Extinction EPC H + 1 589 s Vr = 9 200 m/s = 9 300 km

Rentrée EPC H = 1 h 37 mn Z = 120 km

Rupture EPC H = 1 h 42

Récupération EAP D = 500 km

Figure 3 La séparation des étages est réalisée pour gagner en vitesse par éjection de masse, afin de se mettre en orbite. Poussée au décollage : 13 000 kN (2 EAP+ Vulcain 2) ; masse au décollage : 780 tonnes ; capacité GTO : 10 000 Kg ; en lancement double : 6 300 kg + 3 000 kg. Source : ArianeGroup.

La chimie et l’espace

très peu de satellites qui font 10 tonnes. 1.4. Les moteurs actuels

Figure 4 Les moteurs RD qui composent le moteur de Soyouz sont des propulseurs classiques fonctionnant au kérozène et oxygène liquide. Moteur RD 108/RD 107 : poussée : 829 kN au sol, 990 kN dans le vide ; poussée au décollage : 4146 kN (5 RD 108). Source : NPO.

poussée de l’étage liquide principal, le vulcain 2. En fait, au bout de 580 secondes, après extinction et séparation de l’étage principal cryotechnique, il ne reste plus que 30 tonnes, correspondant à l’étage supérieur, qui est aussi un étage cryotechnique, et qui va pousser de 600 s jusqu’à environ 1 600 s, donc pendant 1 000 s, la charge utile pour sa mise en orbite. Ainsi pour Ariane, on sait mettre en orbite (orbite de transfert géostationnaire, « Geo Transfert Orbite », GTO2) 10 000 kg, souvent en lancement double car on a 2. GTO : une orbite de transfert géostationnaire est une orbite intermédiaire hautement elliptique qui permet ensuite de placer des satellites en orbite géostationnaire.

Deux exemples bien connus permettent d’illustrer la poussée : le moteur de Soyouz (Figure 4) et celui de son concurrent redoutable qui arrive sur le marché, le Falcon 9 de SpaceX (Figure 5). Ce sont pratiquement les mêmes moteurs, qui fournissent aux alentours de 900 kN de poussée avec comme carburant un mélange d’oxygène liquide et de kérosène. Le plus amusant, c’est que c’est exactement la technique du V2 3, où l’on utilisait de l’éthanol et de l’oxygène liquide avec déjà une turbopompe à l’époque : il n’y a donc pas eu vraiment de progrès dans la propulsion chimique. Si l’on veut faire de l’exploration spatiale avec l’homme, il faut trouver un nouveau moyen de propulsion.

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Figure 5 Les moteurs Merlin qui propulsent le lanceur Falcon 9 sont également des propulseurs classiques fonctionnant au kérosène et oxygène liquide. Source : SpaceX. Moteur Merlin : poussée : 756 kN au sol, 934 kN dans le vide ; poussée au décollage : 6805 kN (9 moteurs Merlin).

Les enjeux de la mise en orbite

2.1. Les lanceurs Les Figures 6 et 7 montrent deux lanceurs, aux géométries magnifiques. On les transporte à vide, on les remplit seulement après érection sur le site de lancement, ce qui n’est pas le cas d’Ariane parce que les boosters étant à l’état solide, il faut les intégrer, déjà pleins, verticalement. Dans le cas de Soyouz, c’est un cluster de cinq moteurs identiques (Figure 6), dans le cas de Falcon 9, c’est 3. V2 : missiles balistiques des années quarante.

Figure 6 Le moteur de Soyouz est composé de cinq moteurs RD. Ce lanceur est relativement léger (306 t) face à son concurrent Falcon 9 (538 t). Soyouz ST : poussée au décollage : 4 146 kN (5 RD 108) ; masse au décollage : 306 t ; capacité en GTO (Kourou) 3 100 kg. Source : NPO.

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Chimie, aéronautique et espace

un cluster de neuf moteurs identiques (Figure 7). 2.2. L’orbite géostationnaire (GEO)

Figure 7 Le lanceur Falcon 9 est composé de neuf moteurs Merlin. Il permet une poussée plus importante que le lanceur Soyouz. Space X Falcon 9FF : poussée au décollage : 6 805 kN (neuf moteurs Merlin) ; masse au décollage : 538 t ; capacité en GTO : 8 300 kg. Source : SpaceX.

La plupart des lancements (80 %) sont réservés pour l’orbite géostationnaire (GEO) (Figure 8). Le lanceur ne délivre jamais ses charges utiles/satellites sur l’orbite géostationnaire, il les largue sur l ’orbite de transfer t (GTO) : 200 km au périgée et 36 000 km à l’apogée, où aura lieu la circularisation de l’orbite. On arrive avec 1,55 km/s à l’apogée, il faut alors passer à 3 km/s pour gagner l’orbite géostationnaire. Pour cela, il faut appliquer un Delta v.

à prendre un propulseur UDMH 5 / N 2 O 4 (hy dr azine / peroxyde d’azote) de 400 N (Figure 9), qui est le propulseur le plus classique, et l’ensemble de l’opération fait qu’il y a presque un facteur 2 entre la masse qui a été satellisée par le lanceur et celle qui est vraiment utile. Pour 6 tonnes mises en orbite par le lanceur, il n’y a plus que 3 tonnes de charge utile en GEO, tout le reste a servi à effectuer le delta v. 2.4. L’espoir du propulseur électrique

La méthode classique pour réaliser un delta v4 consiste

Une lueur d’espoir vient de la toute petite propulsion : la propulsion électrique a réalisé des progrès considérables depuis le début des années 2000, mais sur des puissances qui n’ont rien à voir avec celles d’un lanceur :

4. Delta v : différence de vitesse entre celle nécessaire pour la circularisation et celle initiale.

5. UDMH : la 1,1-diméthylhydrazine, composé chimique de formule H2N-N(CH3)2.

2.3. Le Delta v

Figure 8

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La mise en orbite géostationnaire s’effectue en trois temps : les étapes 1 et 2 (orbites bleue et jaune) sont atteintes grâce au lanceur, l’orbite en jaune est l’orbite de transfert géostationnaire (GTO), en rouge l’orbite de circularisation géostationnaire (GEO) obtenue par Delta v 1,45 Km/s, obtenu par un moteur d’apogée faisant partie de la charge utile. Méthode classique : propulseur de 400 N, bipropellant UDMH/N2O4 ; coût en masse : la masse en GEO est moins de 50 % de la masse en GTO.

Figure 9 La conception du propulseur de 400 N, bipropellant UDMH/N2O4 ici en laboratoire. Il utilise l’énergie libérée par la réaction entre l’hydrazine et le peroxyde d’azote pour produire la poussée nécessaire à la circularisation en orbite géostationnaire (GEO) par Delta v de 1,45 Km/s. Source : ArianeGroup.

2.4.1. Exemples d’utilisations des propulseurs électriques Les propulseurs électrique ont permis de belles aventures, dont Smart 16, lancé en 2003 en propulsion électrique pour aller sur la Lune : Ariane 6. Smart1 : sonde spatiale de l’Agence spatiale européenne propulsée par un moteur ionique alimenté par des panneaux solaires. Sa mission s’est déroulée du 27 septembre 2003 au 3 septembre 2006.

La chimie et l’espace

on parle ici de 150 à 300 mN. Il y a cependant un avantage considérable à ces propulseurs électriques, qui est qu’on peut pousser pendant très longtemps. La technique consiste à utiliser du Xénon pour avoir des ions relativement lourds et faciles à manipuler au niveau de l’éjection par une cathode, une anode et une énergie électrique qui est fournie par les panneaux solaires (Figure 10). La vitesse d’éjection s’élève à 150 000 m/s, le produit masse éjectée x vitesse d’éjection est considérable, et c’est bien entendu ce qui produit la poussée.

nous lance sur une orbite plus ou moins circulaire et de là en 18 mois, en poussant avec 130 mN en permanence, on est arrivés sur la Lune : c’était l’objectif de la mission. Une autre mission que l’on a sauvée, qui était moins prévue, était la mission de satellite relais de communication Artemis sur Ariane 510, juste avant Envisat, où le 3e étage d’Ariane n’a pas fonctionné correctement. Il y avait un vice de design qui s’est révélé au cours de ce vol : au lieu d’être placé sur l’orbite GTO avec apogée à 36 000 km, le satellite s’est retrouvé sur une orbite d’apogée 17 000 km. Heureusement on avait des propulseurs électriques qui n’étaient pas du tout prévus pour atteindre l’orbite GEO, mais seulement pour tester la propulsion électrique dans la maintenance en position géostationnaire. On a quand même mis en action ces propulseurs et on a finalement réussi en treize mois à passer des 17 000 km à l’orbite géostationnaire, on a alors actionné le booster d’apogée

Figure 10 Le réservoir de Xénon a permis deux belles aventures : propulser Smart-1 vers la Lune et récupérer Artémis. Le principe est d’éjecter des ions à très grande vitesse pour que la poussée (m x v) soit significative, avec une vitesse d’éjection proche de 150 000 m/s, on atteint une poussée de 130 mN à 320 mN. Source : Safran Group.

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Chimie, aéronautique et espace

prévu pour la circularisation de l’orbite et on était en orbite GEO ! Un miracle donc, grâce à ces propulseurs électriques, qui nous ont permis de sauver la mission. Cela tombait bien puisque c’était le satellite relais à utiliser plus tard pour relayer les données d’observations, notamment d’Envisat. Ce n’était pas tout à fait nouveau car les américains avaient un peu d’avance sur nous, mais avec des propulseurs moins puissants.

Figure 11 Le tout-électrique est plus lent à satelliser en GEO, mais plus léger que le tout-chimique, ce qui permet soit d’emporter une charge utile plus conséquente soit de réduire la masse du satellite et son coût de lancement. Source : Airbus.

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En fait, on peut maintenant passer du GTO à une orbite circularisée GEO en utilisant quatre propulseurs électriques de 300 mN chacun, et donc en prenant notre temps, c’est-àdire qu’au lieu de le faire en un boost, on atteint l’orbite géostationnaire en quatre ou cinq mois. Cela a été réalisé récemment avec le satellite Eutelsat 172B, et a permis de gagner 40 % de la masse. 2.4.2. Le gain des propulseurs électriques Le coût du lancement étant proportionnel à la masse, on peut choisir de gagner ainsi en diminuant la masse au lancement (Figure 11). L’autre

choix est de profiter du gain de masse, au niveau de la propulsion, pour augmenter la charge utile. Avec la propulsion électrique, on passe certes quatre ou cinq mois pour réaliser la mise en orbite GEO, mais le satellite ayant une durée de vie de quinze ans, ce choix représente un gain considérable sur le coût global de la mission. Sur ces satellites (Figure 12A), des petits propulseurs électriques sont installés en bout de bras spécifiques, deux propulseurs par bras. Sur le propulseur (Figure 12B) on aperçoit, sur le côté, un neutraliseur, qui a pour rôle d’éjecter des électrons afin de neutraliser le flux en ions positifs et éviter ainsi la formation de plasma7. Le propulseur est de petite dimension, soit 20 par 20 cm (Figure 12C), le bras du propulseur en 7. Plasma : c’est l’un des quatre principaux états de la matière, avec les états solide, liquide et gazeux. C’est un état désordonné, constitué de charges électriques libres dans un champ de force et ayant une durée de vie longue comparée aux temps caractéristiques des déplacements.

La chimie et l’espace

A

B

C

position repliée, configuration lancement.

3

L’orbite héliosynchrone et l’observation de la Terre

3.1. L’orbite héliosynchrone Rendons-nous maintenant sur l’orbite héliosynchrone 8, qui est inclinée à 99 degrés, et qui est très utilisée pour l’obser vation de la Terre (Figure 13). La plupart des 8. Orbite héliosynchrone : une orbite géocentrique dont on choisit l’altitude et l’inclinaison de sorte que l’angle entre le plan d’orbite et la direction du Soleil demeure quasiment constant.

orbites de ces satellites sont entre 700 et 800 km d’altitude et, avec un peu plus de quatorze orbites par jour, on peut couvrir la Terre avec un maillage qui dépend de la fauchée de l’instrument considéré et de la latitude de l’observation. En général, on choisit une orbite dont le nœud descendant est à 10 h 30, parce que c’est l’heure où nous avons les meilleures illuminations, notamment pour l’instrumentation optique. Cette orbite offre 66 minutes de jour, 33 de nuit : le jour, on en profite pour recharger les batteries, la nuit on opère avec les batteries, et on réalise cela plus de quatorze fois par jours.

Figure 12 A) Le satellite Eutelsat 172 B dispose de petits propulseurs électriques en bout de bras ; B) détail sur le propulseur et son neutraliser ; C) les deux propulseurs en bout de bras, en position repliée pour le lancement. Source : Airbus.

Figure 13 L’orbite héliosynchrone permet une observation optimale de la Terre. Elle est représentée ici avec ses différentes trajectoires. Source : ESA.

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Chimie, aéronautique et espace

3.2. Le projet Envisat

Figure 14 Le satellite Envisat, dédié à l’observation de l’environnement, embarquant une panoplie complexe de dix instruments optique et radar. Source : ESA.

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Le projet Envisat, un satellite de la taille d’un bus, 8 tonnes, 25 kW, a coûté 2 milliards d’euros, un gigantesque projet qui a succédé aux missions précurseurs ERS9 (ERS-1, ERS-2). ERS, au moment de l’approbation du programme au début des années 1980, était un grand saut dans l’inconnu avec des instruments très novateurs sans pratiquement d’expériences préalables. Des choix audacieux qui se sont révélés heureusement très judicieux. On avait, à l’époque, réalisé notamment le développement d’un instrument qui s’est avéré fantastique : un radar à ouverture de synthèse (Figure 14), une grande antenne de 1,30 m par 10 m de long. ERS-1 possédait un 9. ERS (European RemoteSensing) : famille de deux satellites d’observation de la Terre développée par l’Agence spatiale européenne, ERS-1 et ERS-2.

certain nombre d’autres senseurs qui sont devenus des musts : un radar altimètre de précision centimétrique pour observer les océans et les masses glaciaires, notamment des pôles, un diffusiomètre pour la mesure des vents et un imageur infrarouge pour mesurer précisément la température des océans. Au moment de décider du programme Envisat, au début des années 1990, le problème fut que l’observation de la Terre ayant tellement le vent en poupe, tous voulaient avoir leurs instruments favoris à bord, ce qui allait conduire à un monstre. Le monstre, nous l’avons coupé en deux : ce qui est associé à la météo a été placé sur MetOp10, tandis 10. MetOp : famille de trois satellites météorologiques placés en orbite polaire héliosynchrone et développés conjointement par l’Agence spatiale européenne et EUMETSAT.

Déplacement de portée (cm)

CHRONOLOGIE

qu’on avait sur Envisat tout de même encore dix instruments, dont un radar imageur à ouverture de synthèse de nouvelle génération, un radar altimètre, deux instruments optiques imageurs pour les océans et les zones côtières, et surtout trois instruments novateurs, complexes et de grand potentiel pour l’observation de l’atmosphère. Quelques résultats des instruments embarqués Non seulement le radar à ouverture synthétique offre des images précises et de haute résolution de jour comme de nuit, indépendamment de la couverture nuageuse, mais il permet de réaliser de l’interférométrie par superposition d’images prises à des instants différents en conservant et comparant la phase des signaux reçus sur chaque observation. Cette technique interférométrique, découverte durant l’exploitation des missions ERS et améliorée sur Envisat, permet d’observer des variations millimétriques de terrain entre deux observations. La Figure 15 donne l’exemple de l’Etna : les radars d’ERS et d’Envisat ont permis d’observer des mouvements de quelques centimètres au cours du temps. On peut dire

La chimie et l’espace

Déplacement de portée (cm)

que la zone de l’Etna respire : l’ensemble de la zone monte et descend avec des amplitudes variables. L’inter férométrie radar a de multiples applications : visualiser l’impact précis des tremblements de terre, visualiser avec précision des mouvements de terrain de toute nature, grands ou infimes. Autre exemple, si on prend le métro à Paris, on peut y suivre toute la constr uc tion d’une ligne rien qu’en observant dans le temps les immeubles situés au-dessus de la ligne, ils ont bougé de 2 à 4 mm.

CHRONOLOGIE

Figure 15 L’Etna se déplace au fil du temps, des allers-retours d’amplitude variable précisément caractérisés par interférométrie radar, comme une respiration. Source : ESA.

Avec des instruments spécifiques, on peut trouver tous les composants qui sont dans l’atmosphère, soit dans la colonne totale intégrée entre le satellite et la Terre, soit en observant le limbe11pour scanner toutes les couches de l’atmosphère. Le principe de mesure est simple car dans l’atmosphère, qui est notre base, les gaz ont des lignes d’absorption spécifiques12 , 11. Limbe : bord du disque d’un astre. 12. Ligne d’absorption : correspond à l’absorption du rayonnement électromagnétique à une longueur d’onde spécifique. Le motif de ces lignes est caractéristique d’atomes ou de molécules spécifiques dans le trajet du rayonnement.

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Chimie, aéronautique et espace

Figure 16 La densité de dioxyde d’azote (NO2) dans l’atmosphère est particulièrement forte dans les pays les plus riches tels que les États-Unis, l’Europe, ou très industrialisés comme la Chine. Source : IUP Heidelberg.

qui sont des signatures nous permettant de les identifier facilement : on observe le spectre13, chaque ligne d’absorption et sa profondeur d’absor ption c ar ac tér ise ce gaz et sa densité, en fait chaque gaz est caractérisé par plusieurs lignes d’absorption spécifiques. La densité du dioxyde d’azote NO2 peut être visualisée sur la Figure 16, et en particulier audessus de la Chine (Figure 17) 13. Spectre d’absorption : spectre obtenu par le passage d’une onde électromagnétique (la lumière en particulier) à travers un milieu transparent ou semi-transparent, dans lequel l’absorption affaiblit, voire élimine les contributions de certaines longueurs d’onde, ce qui conduit à des raies caractéristiques.

Figure 17

26

La concentration en dioxyde d’azote (NO2) au-dessus de la Chine est plus forte dans les grandes villes situées à l’Est. Source : ESA.

et au-dessus de l’Europe (Figure 18). On peut aussi suivre l’évolution du méthane (CH 4 ) (Figure 19) et du dioxyde de carbone (CO2) (Figure 20). L’un des objectifs majeurs d’Envisat était d’attirer toute la communauté des utilisateurs, déjà motivés par les missions ERS1 et 2, en leur offrant des services très efficients comme l’engagement de leur fournir des produits/ mesures géophysiques trois heures après la prise des données par Envisat. On a utilisé Artemis14 comme data relais, 14. Artemis : satellite relais de télécommunications expérimental de l’Agence Spatiale Européenne conçu en collaboration avec le Japon et lancé en 2001.

La concentration en dioxyde d’azote (NO2) au-dessus de l’Europe est plus forte dans les pays côtiers de la Mer du Nord et l’Italie du Nord. Source : ESA.

La chimie et l’espace

Figure 18

Figure 19 La quantité de méthane (CH4) passe chaque année par un pic de concentration pour ensuite diminuer au fil du temps. Source : ESA.

et la station de Kiruna qui permettait de récupérer dix orbites par jour. On avait développé tout le traitement de nos informations pour fournir les produits aux utilisateurs et notamment permettre l’assimilation de nos données atmosphériques dans les modèles météo en temps réel. Cela a bien fonctionné sur les dix ans d’opération d’Envisat,

ce qui nous a apporté plus de 40 000 publications scientifiques avec cette mission : un succès mondial et inédit. 3.3. Le projet COPERNICUS Après dix ans de fonctionnement d’Envisat, une énorme inquiétude por tait sur la continuité de tous ces services aux utilisateurs. Cette

Figure 20 Mesure de la quantité de dioxyde de carbone. La concentration en CO2 dans l’atmosphère est la plus forte globalement dans l’hémisphère Nord. Source : ESA.

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Chimie, aéronautique et espace

continuité est enfin venue d’une volonté de l’Agence spatiale européenne combinée avec celle de la Commission Européenne, avec le fameux projet Copernicus qui a vu le jour et qui a été mené d’une main de maître. En fait, il n’y avait pas de difficultés à produire les instruments, tout était maîtrisé, le problème était d’obtenir les fonds et de faire des satellites dédiés : il ne s’agissait pas de reproduire l’aventure d’Envisat à 8 tonnes et dix instruments. Le programme est finalement parti avec des satellites de 1 à 2 tonnes, l’Agence spatiale a mis les premiers 2 milliards d’euros pour lancer la fabrication des premiers satellites, la Commission en a mis un peu plus de 5 pour à la fois les satellites et leurs services.

Figure 21 Les différents satellites Sentinel lancés entre 2014 à 2017 et les projets de satellites de 2020, embarquant des instruments de mesures à la pointe de la technologie Source : ESA.

En 2014-2016, deux satellites (Sentinel 1A et 1B) emportant le fameux radar à ouverture de synthèse ont été lancés, suivis de deux satellites (Sentinel 2A et 2B) embarquant de l’instrumentation optique multi-spectrale à haute résolution, notamment pour l’agriculture et d’autres domaines. Puis le Sentinel 3A,

Sentinel-1

Sentinel-5 P

28

un satellite pour l’observation des océans et zones côtières avec un radar altimètre15, un instrument optique multispectral à 2-300 mètres de résolution et un instrument optique infrarouge pour la mesure des températures des océans. Le programme Copernicus approuvé inclut Sentinel 3B, les instrumentations de Sentinel 4 et 5 devant être embarqués sur les satellites d’EUMETSAT, MetOp et MTG (MétéoSat 3e génération) en 2020, et, pour de l’altimétrie très précise, Sentinel 6, le successeur de la mission fr anco-américaine Jason (Figure 21). La seconde phase du programme Copernicus est en discussion entre l’ESA et la Commission Européenne. Ce qui est très important c’est l’accès gratuit aux données et aux services opérationnels fournis par des organismes qui ont été sélectionnés sur des appels d’offre, ceci pour per met tre l ’ éclosion, le 15. Radar Altimètre : instrument de mesure permettant de déterminer avec une précision centimétrique la distance verticale entre un point et la surface de référence survolée.

Sentinel-2

Sentinel-5

Sentinel-3

Sentinel-4 MTG

Sentinel-6 Jason

La chimie et l’espace développement et la pérennité des nombreuses sociétés de service aux utilisateurs qui bénéficient de ce programme. Citons dans les entités fournissant un ser vice opérationnel l’ECMWF 16 , qui est en fait le centre météo pour l’ensemble de l’Europe, situé à Reading (Royaume-Uni) et qui fournit des services très poly valents : données sur l’atmosphère, les océans, les vents, etc., le tout de façon continue en prévisions et en mesures pour études climatologiques. Les six thèmes de Coper­nicus sont : l’atmosphère, le milieu marin, les terres et l’agriculture, le changement climatique, les désastres (feux, inondations, tremblements de terre) et la sécurité. 16. ECMWF : Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme.

3.4. La mission Cassini et Huygens : cap vers Saturne et ses satellites Partons à présent vers les missions planétaires. L’une des planètes que l’on vient d’explorer est Saturne avec la grande mission CassiniHuygens (Figure 22). L’Europe avait décidé d’aller se poser sur un satellite très intéressant, Titan, avec son atmosphère de méthane.

Figure 22 Saturne et de ses satellites ; celui auquel on s’intéresse particulièrement est Titan, avec son atmosphère de méthane. Source : NASA/JPL.

La sonde Cassini-Huygens (Figure 23A), partie en 1997, est arrivée en 2004 à proximité de Saturne : c’est long car il faut faire du billard interplanétaire pour arriver jusque Saturne, qui est à dix fois la distance TerreSoleil (10 UA17), si bien qu’un signal venant de ce satellite de Saturne met 90 min pour nous arriver. On a donc intérêt 17. UA : unité astronomique (150 millions de kilomètres).

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Chimie, aéronautique et espace

A

Figure 23 A) La sonde Cassini-Huygens a été envoyée en direction de Saturne, équipée de réacteurs thermonucléaires (RTGs) (zoom : B). Source : NASA/JPL.

B

à tout programmer à bord. La chose très intéressante est qu’à 10 fois la distance TerreSoleil, on ne peut plus utiliser de panneaux solaires. À cinq fois la distance Terre-Soleil, la puissance est 25 fois plus faible (inverse du carré de la distance), ce qui peut fonctionner pour des missions jusqu’à Jupiter, mais pour Saturne, la seule solution c’est d’avoir des réacteurs thermonucléaires : les fameux RTGs (Figure 23B). 3.4.1. Les RTGs

dioxyde de plutonium (partie rouge, Figure 24), et l’énergie est produite par des thermocouples silicium/germanium qui couplent la chaleur dégagée par le plutonium avec l’espace froid. Pour un thermocouple, le rendement est très mauvais, de l’ordre de 10 % à peine, ce qui permet tout de même d’obtenir 300 W. Cette technique a permis de réaliser plus de vingt-quatre missions aux États-Unis depuis les années 1960 pour aller très loin dans l’espace.

Quatre RTGs étaient embarqués, chacun délivrant 300 W de puissance électrique grâce à un processus un peu particulier : c’est une source de plutonium sous la forme de

La NASA n’a pas le droit de manipuler ces appareillages, qui sont délicats et sont fournis par le Depar tment of Energy (DOE), qui les intègre directement sur le satellite

GPHS-RTG Collecte de système Ensemble de coquille Tubes de extérieure en aluminium de refroidissement actif refroidissement Dispositif de Support de Assemblage pour Source de chaleur décompression source de chaleur la gestion du gaz à usage général

Figure 24

30

L’énergie des RTGs est produite par des thermocouples silicium/ germanium placés entre la source chaude et l’espace extérieur très froid ; aucune pièce n’est en mouvement. Source : NASA.

Bride de montage Isolation RTG multi-feuilles

Unicouple SiliconGermanium (Si-Ge)

Support de source de chaleur Midspan

La chimie et l’espace (Figure 25). Il existe en effet un risque de désintégration de cette partie avec retombée sur Terre durant toute la séquence de lancement, du décollage jusqu’à la mise en orbite, mais il n’y a aucun autre moyen pour réaliser des missions planétaires que d’utiliser le RTG. D’autre part, notre satellite est dans un environnement très froid (on est à -150 °C), on a très peu d’énergie, et le moyen efficace pour chauffer est d’embarquer des radioisotopes18 tous petits qui sont chargés avec du plutonium 238 (sur Cassini, il y en avait 82 unités, sur Huygens 35). L’avantage de ces sources est qu’elles ont une très longue durée de vie : on perd 0,8 % par an, on a cinquante ans d’autonomie, c’est très robuste, et cela ne peut pas tomber en 18. Radioisotope : un radionucléide est un nucléide radioactif, c’est-àdire qui est instable et peut donc se décomposer en émettant un rayonnement. Un radioisotope est un isotope radioactif. On appelle isotopes les nucléides partageant le même nombre de protons, mais ayant un nombre de neutrons différent.

panne : pas de pièce mécanique, tout comme pour les RTGs. 3.4.2. Une difficulté : le bouclier thermique Pour Huygens, le bouclier thermique (Figure 26A) était un élément critique. Il faut descendre dans une atmosphère qui est à dominante méthane, il y a aussi de l’argon, et différents gaz dont on ne sait pas prévoir la densité ; on émet des hypothèses à partir de ce que l’on sait et on prend des marges en conséquence. La construction du bouclier thermique a été confiée à EDS Aquitaine (Figure 26B). Les plus gros flux sont subis par le bouclier avant constitué de 200 tuiles. Réalisées avec une fibre de silice dans une matrice de résine phénolique, ces tuiles absorbent le flux thermique par abrasion, il faut donc avoir suffisamment de couches pour qu’on passe tout le freinage sans arriver à l’âme qui est derrière. Le couvercle arrière fabriqué en prosial subit des flux beaucoup moins importants.

Figure 25 Les RTGs sont fournis par le DOE (US Department of Energy). Plus de vingt missions ont volé avec des RTGs depuis 1961. Casssini emporte aussi des Radioisotope Heater units (RHUs), petites unités générant 1 W de chauffage localisé : 82 unités sur Cassini, 35 unités sur Huygens. Source : NASA/JPL.

31

Chimie, aéronautique et espace

Couvercle arrière

Prosial Prosial Aluminium

Bouclier avant

Figure 26 A) Le bouclier thermique permet de supporter le flux thermique accumulé lors de l’entrée et la descente de la sonde Huygens dans l’atmosphère de Titan, par abrasion ; B) représentation du bouclier thermique, le bouclier avant est composé de 200 tuiles de fibres de silice dans une matrice de résine phénolique qui va recevoir le plus grand flux thermique lors de l’entrée dans l’atmosphère, et le couvercle arrière composé de prosial. Source : ESA.

Figure 27

32

Le bouclier thermique au-dessus du module charge utile de la sonde Huygens contient toute l’électronique de contrôle et les instruments. Source : ESA.

De nombreux tests ont été effectués pour qualifier ce bouclier : on a 1 MW/m² de flux thermique et une onde de choc à l’avant qui est à 8 000 °C. Le problème est qu’après avoir lancé la sonde, Cassini est passée entre-temps près de Titan, nous fournissant des données plus précises concernant son atmosphère, données qui n’étaient pas tout à fait celles qu’on avait prévues. Après correction au vu de ces nouvelles mesures, les marges prises à l’origine du design furent érodées de façon

Sandwich (CFRP/AI/CFRP) AQ60/I tuiles collées sur la structure

significative mais restèrent suffisamment positives pour confirmer et engager sereinement la descente. Le bouclier avant de protection thermique mesure 2,7 mètres de diamètre (Figure 27), avec la partie intéressante qui est au centre : la charge utile avec son électronique de contrôle et les instruments. La Figure 28 montre notre plateforme avec toutes les expériences embarquées (une dizaine). On voit sur la vue éclatée (Figure 29) la partie frontale et la partie arrière qui vont s’éjecter de la charge utile au centre.

Vue sur la charge utile arrimée au couvercle arrière de protection. Source : ESA.

DISPOSITIF DE ROTATION/ÉJECTION

Sonde Huygens Vue éclatée de la sonde CONE ARRIÈRE

PLATEFORME DES EXPÉRIENCES

BOUCLIER ARRIÈRE DE PROTECTION

La chimie et l’espace

Figure 28

Figure 29 La plateforme charge utile de Huygens est située au centre, protégée par un bouclier à l’avant et un couvercle à l’arrière de la sonde. Source : ESA.

BOUCLIER FRONTAL DE PROTECTION PLATEFORME SUPÉRIEURE

DOME AVANT

La Figure 30 montre notre descente. On voit le brunissage des tuiles dû aux flux thermiques. On a un jeu de trois parachutes qui s’ouvrent en séquence : ouverture du premier parachute, on a encore l’intégrité de l’ensemble, puis on éjecte le bouclier avant, puis le second parachute se déplie, on est encore en réduction d’altitude, nos instruments n’opèrent pas, on se retrouve avec notre nacelle, son électronique de contrôle et ses instruments.

Puis un troisième parachute va s’ouvrir : notre radar altimètre s’est mis en route aux alentours de 20 km d’altitude comme prévu. La phase d’observation scientifique commence alors, le troisième parachute assurant de par son design la rotation régulière de la charge utile autour de l’axe de descente pour permettre une observation panoramique de l’environnement par les instruments optiques et atmosphériques. Après s’être posé, Huygens a

33

Chimie, aéronautique et espace

Figure 30 Lors de la descente de la sonde Huygens le 14 janvier 2005, le bouclier avant de la sonde brunit par effet thermique puis la sonde déploie ses trois parachutes pour atterrir en douceur. Source : ESA.

Figure 31 A) Cette image panoramique de Titan a été réalisée par assemblage d’images prises par la sonde Huygens faisant un tour sur elle-même aux alentours de 9 km d’altitude ; B) succession de trois photos de Titan prises à 8,4 et 1 km de haut en bas. Le sol est particulièrement accidenté ; C) dernière image prise par la sonde arrivée au sol, qui est parsemé de roches. Source : ESA.

encore fonctionné pendant près de 200 min. On avait peur de se poser sur un lac de méthane, une température de moins de 100 K tout de même, mais dans une zone relativement dure. 3.4.3. Les images de la descente La Figure 31A montre une image panoramique de la descente. 3.5. La mission Rosetta Rosetta est une mission de l’ESA, lancée par Ariane 5 début 2004, pour

A

B

C

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un rendez-vous avec une comète périodique du Système Solaire nommée, du nom de ses découvreurs, Tchuriyumov-Gerasimenko. Comme pour le voyage de Cassini-Hu ygens, il f aut faire du billard interplanétaire qui prend du temps pour atteindre la comète : on lance en 2004 et l’on arrive en 2014 à proximité de la comète. Au départ on connait en fait très peu de la comète, les images que l’on avait étant des images à 8-9 pixels, on avait juste une idée du fait qu’elle

Une espèce d’éponge ? On ne connaissait pas trop, alors que c’était très important, notamment pour l ’atterrisseur Philae qui risquait

La chimie et l’espace

mesurait un peu moins de 10 km de long, mais aucune idée de sa densité, ce qui a suscité de grosses discussions : est-ce de la glace ?

Figure 32 Représentation du « billard interplanétaire », pour envoyer la sonde et intercepter la comète, on utilise la gravité du Système Solaire afin de contrôler sa vitesse et sa trajectoire. Source : ESA.

35

Chimie, aéronautique et espace

de rebondir à la surface et même repartir en orbite du fait de la très faible gravité et du réglage des ressorts des bras de l’atterrisseur. Pour atteindre la comète en l’approchant par l’arrière à un peu plus de 3,5 UA (Unité Astronomique) en approche du Soleil, on a donc fait du billard avec la Terre et Mars, et on approche la comète par l’arrière (Figure 32).

Figure 33 A) La comète sur laquelle a été larguée Philae présente une forme très tourmentée ; l’éjection de gaz sur la comète est due à une faille apparente ; B) la découverte de gaz sur la comète a été une surprise pour la communauté scientifique. Source : ESA.

A

36

La Figure 33A montre la comète telle qu’elle nous apparaît quand on l’approche. On tourne autour et on largue Philae, le fameux petit robot de 100 kg qui descend sur la comète (Figure 33B). Philae n’a pas de système de propulsion. La gravité d’une comète est dérisoire, ce qui implique que Rosetta orbite à la vitesse d’une bicyclette à 10 km au-dessus. On largue notre atterrisseur, avec une petite vitesse initiale pour la descente, on ne sait pas trop s’il va s’accrocher avec ses harpons ou s’il ne va pas rebondir, le risque est qu’il reparte en orbite. En fait, il est équipé de petits bras, qui, au moment de l’atterrissage, fléchissent sous le poids et la vitesse, et déclenchent des harpons qui vont essayer de s’accrocher dans la comète, B

puis une rétrofusée19 devait pousser en même temps, mais on savait qu’elle ne fonctionnait plus… Ce fut acrobatique car on a rebondi deux fois avant de se poser un peu de travers, un bras en l’air, ce qui va poser un problème notamment pour la recharge des panneaux solaires du fait des ombres portées par tout le relief aux alentours. On est restés très longtemps sur cette comète : on était à 3 UA à l’arrivée ; passant à pratiquement 1 UA, la sonde orbitale Rosetta a fonctionné encore pour un an de plus, bien plus longtemps que prévu, ce qui nous a permis d’observer l’évolution de cette comète. On y a découvert de nombreuses évolutions : des failles sont apparues, des traces de gaz, des éjections de gaz. On a pu observer la queue de comète, qui correspond à l’éjection de matière quand on passe près du Soleil, on a vu que la comète était fendue, et on a pu étudier des matériaux qui nous manquaient, qui sont à l’origine du Système Solaire. Ce sont vraiment les 19. Rétrofusée : moteur de fusée utilisé pour fournir une poussée opposée au sens de mouvement d’un véhicule spatial, causant ainsi sa décélération.

La chimie et l’espace

ingrédients de base au tout début de la formation du Système Solaire. Philae et Rosetta ont parfaitement rempli leur mission, fournissant une moisson de données bien au-delà de ce qui était attendu, grâce notamment à la survie bien après le passage au plus près du Soleil. 3.6. Les points de Lagrange pour observer la Terre et le Soleil En 1772, l’astronome Joseph Louis Lagrange a démontré qu’il y avait un certain nombre de points d’équilibre où l’on pouvait conserver une géométrie constante par rapport à la Terre tout au long de l’année avec des points très intéressants dont certains sont stables, d’autres pseudostables que l’on a baptisés points de Lagrange. Les deux points les plus intéressants sont L1 et L2 (Figure 34) : L1 et L2 sont à 1,5 millions de kilomètres de la Terre, L1 situé entre le Soleil et la Terre, L2 à l’opposé, ce qui nous permet

d’avoir des communications permanentes avec la Terre tout en regardant l’Univers froid. Pour observer le Soleil en continu, on se met en L1 (Figure 35) et on fait de la météo solaire. L’étude de l’activité solaire est très importante car elle a des impacts dans de nombreux domaines d’activités sur Terre : impact

Figure 34 Les points de Lagrange (décrits par Joseph Louis Lagrange en 1772), numérotés de L1 à L5, sont des points remarquables en astronomie. Situés à 1,5 millions de kilomètres de la Terre, L1 et L2 sont les points les plus intéressants : L1 pour observer le Soleil et L2 pour observer l’Univers.

Figure 35 Le point L1 permet d’étudier la météo solaire, très importante pour l’explication de nombreux phénomènes, notamment terrestres. Ici le satellite SOHO de l’ESA, exploité en collaboration avec la NASA depuis plus de vingt ans déjà. Source : ESA.

37

Chimie, aéronautique et espace

sur les télécommunications, radiations, le climat, etc. L2 est ce que les anglais appellent un « vintage point », c’est le point idéal pour observer l’Univers. On peut citer quatre grandes missions spatiales (Figures 36), dont trois émanent de l’Agence Spatiale Européenne, qui ont choisi L2 comme point d’observation : les deux missions d’astronomie spatiale Herschel et Planck lancées en 2009 ; Gaïa lancé en 2013 pour l’observation des étoiles (cartographie de plus d’un milliard et demi d’étoiles) ; JWST, prévu pour un lancement en 2020 par Ariane 5, est le futur grand observatoire spatial qui va succéder à Hubble. JWST est une mission sous leadership de la NASA, en coopération avec l’ESA qui fournit deux des quatre instruments de cette mission, et l’agence spatiale canadienne qui fournit le quatrième instrument.

Figures 36

38

Les télescopes Herschel, Planck, Gaïa et JWST, qui sont/seront utilisés pour observer l’univers depuis le point de Lagrange L2. Chaque télescope a son rôle particulier. Source : ESA.

Les télescopes Herschel et Gaïa Le téléscope d’Herschel mesure 3,50 m ; il a été construit en silicium carbide, une technologie française révolutionnaire qui a été développée par Boostec à Pau, sous contrôle d’Airbus Toulouse. Pour réaliser ce télescope, on réalise douze pétales (Figure 37), on les soude, on métallise, puis on polit le miroir (Figure 38). On a obtenu une précision de surface de polissage de 3 microns pour environ 1 mm d’épaisseur de la métallisation. Cette précision était nécessaire pour remplir les exigences de performance du télescope (Figure 39). Avec le silicium carbide, le gain de poids est considérable, 300 kg pour le télescope d’Herschel contre près de 1500 kg pour une technologie traditionnelle comme celle utilisée pour le miroir d’Hubble. La rigidité

Le télescope Herschel est constitué de douze pétales qui sont fabriqués en silicium carbide par Boostec sous l’égide d’Airbus Toulouse. Source : ESA/Airbus/ Boostec.

La chimie et l’espace

Figures 37

Figure 38 Le télescope Herschel finalisé, après assemblage des douze pétales, métallisation et polissage de surface. Source : ESA.

Figure 39 On constitue une couche de métal d’environ 1 mm d’épaisseur et on polit la surface avec une précision de 3 microns, nécessaires pour assurer les performances des instruments embarqués. Source : ESA.

39

Chimie, aéronautique et espace

Figure 40 M1

Le tore du télescope Gaïa, fabriqué en silicium carbide, mesure plus de 3 m. Source : Airbus.

LOS 2

M’1

LOS 1 M’2

M3

M2

M5 M’3

M6

est remarquable et le coefficient d’expansion très faible permettant son utilisation et la prédiction précise de ses performances aux températures d’opération dans l’espace de l’ordre de 80 Kelvin. Gaïa a également été conçue en silicium carbide avec un tore faisant plus de 3 mètres de diamètre (Figure 40) et deux miroirs d’environ 1,50 m de long par plus de 50 cm de large (Figure 41).

4

L’observation et la chimie

Il l u s t r o n s l ’o b s e r v a t i o n de la chimie de l’espace Figures 41

40

Les grands miroirs de Gaïa doivent avoir une précision de finition de surface de 10 nm, ce qui est encore plus exigeant que pour le télescope Herschel. Cette précision est directement en rapport avec les longueurs d’ondes d’opération des instruments : sur la mission Herschel on observe dans des longueurs d’ondes submillimétriques alors que sur Gaïa on observe dans le spectre visible. Source : ESA/Airbus.

M4/M’4 (combiners)

avec une image obtenue à 6 000 années-lumière grâce au télescope Herschel, où l’on voit des nuages moléculaires (Figure 42). On observe des filaments qui correspondent à la formation d’étoiles : une véritable nurserie d’étoiles ! De tels systèmes, avec des naissances et des mor ts d’étoiles qui sont des processus courts, sur mille ans environ, présentent un grand intérêt pour les astronomes qui peuvent ainsi les observer durant cette phase dynamique, par opposition avec la partie stable de la vie d’une étoile, qui dure de l’ordre de 10 milliards d’années et

La chimie et l’espace présente donc peu d’intérêt du fait de sa stabilité à long terme. Le télescope spatial JWST Le nouveau télescope spatial JWST (Figure 43) est le plus gros projet scientifique de la NASA ; ce projet spatial a déjà coûté plus de 9 milliards de dollars à la NASA pour plus de quinze ans de développement. C’est le successeur du télescope spatial Hubble avec des per formances bien supérieures à celles de son prédécesseur, complémentaire des meilleurs télescopes terrestres jusqu’à 2,5 microns et bien

supérieur à tous aux plus grandes longueurs d’onde. JWST embarque trois instruments principaux dans le plan focal (deux fournis par l’Europe et le troisième par les américains) et une caméra secondaire fournie par le Canada.

Figure 42 Le nuage moléculaire pris par le télescope Herschel révèle la présence d’une nurserie d’étoiles, ce qui est extrêmement intéressant pour les scientifiques de par sa dynamique. Source : ESA.

La vue d’artiste sur la Figure 43 montre la composition du satellite avec, sous le grand écran solaire (constitué d’une isolation thermique multicouche de la taille d’un terrain de tennis une fois déployé), la plateforme de servitude regardant vers la Terre et le Soleil, incluant les panneaux solaires et l’antenne de télécommunication pour relayer

Figure 43 Vue d’artiste du satellite JWST avec, sous le bouclier thermique solaire, le module de service tourné vers la Terre et le Soleil et au-dessus, regardant vers l’espace froid, le télescope et, derrière, la tour supportant le télescope et abritant toute l’instrumentation. Source : NASA/GSFC.

41

Chimie, aéronautique et espace

Figure 44 Le miroir primaire du télescope de JWST, 6,5 mètres de diamètre, est composé de dixhuit miroirs en bérylium qui peuvent être contrôlés/orientés individuellement en orbite pour assurer la parfaite focalisation du télescope. Source : NASA/Desiree Stover.

les données d’observation du télescope. Protégés du Soleil par l’écran solaire, on aperçoit le télescope de 6,5 mètres de diamètre, constitué de 18 miroirs, et, derrière, la tour contenant toute l’instrumentation optique avec certains détecteurs refroidis jusqu’à 7 Kelvin par un compresseur cryogénique à l’hélium pour assurer leurs performances notamment dans l’infrarouge moyen.

Ce télescope est composé de dix-huit miroirs (Figure 44) qui sont contrôlables dans les six dimensions, x, y, z, rho, téta, phi : la focalisation du télescope est totalement contrôlable. Rendez-vous au printemps 2020 pour le lancement de ce joyau de l’astronomie spatiale qui sera lancé depuis Kourou par Ariane 5, une victoire de l’Europe chèrement acquise auprès des autorités américaines !

L’aventure spatiale, une belle synergie entre le spatial et la chimie !

42

Comme nous avons pu le constater à travers ces exemples, la chimie est partout dans l’activité spatiale, aussi bien dans l’accès à l’espace par la propulsion des lanceurs, la fabrication des satellites et des sondes spatiales que dans l’observation et la compréhension de la chimie de l’atmosphère de la Terre, les mécanismes chimiques en œuvre dans le Système Solaire et dans l’Univers. Une très belle histoire de synergie entre la chimie et le spatial qui ne peut que se perpétuer pour leur bénéfice mutuel.

Denis Chapuis

Demain,

aviation verte

l’

plus plus

et

autonome

Denis Chapuis a été vice-président d’Airbus, chargé d’un groupe de recherche et d’innovation. Il est aujourd’hui président d’ADAN consulting 1.

1

Les défis actuels de l’aéronautique

Parmi tous les défis de l’aéronautique, plus précisément de l’aviation de transport civil, deux sont particulièrement emblématiques : – l’aviation plus verte : bien que le transport aérien ne représente que 2 % de la consommation mondiale de carburant fossile, la réduction de consommation est un objectif fort, qui fait l’objet d’engagements volontaires entre les industriel s du transport aérien et les pouvoirs publics. Cette réduction se trouve donc au cœur des enjeux industriels et 1. www.adan-consult.fr

commerciaux des prochaines années. L’industrie aéronautique, très visible du grand public, est soumise à la même pression écologique que tous les autres moyens de transport et se doit de diminuer son empreinte carbone (Figure 1), m a l g r é l ’a u g m e n t a t i o n constante du trafic aérien ; – l’aviation autonome : après le pilote automatique, qui soulage les pilotes humains des tâches « de bas niveau », il est maintenant envisageable de rendre l’avion autonome, c’est-à-dire capable de se piloter seul et de gérer en sécurité les situations imprévues ou d’urgence. Cette évolution, rendue possible par les développements récents dans les domaines

Chimie, aéronautique et espace

Figure 1 E-Fan, l’avion électrique expérimental d’Airbus, traverse la Manche cent ans après Blériot.

des capteurs et des moyens de traitement, sera probablement lente mais elle n’en est pas moins inéluctable. Tout ou presque reste encore à inventer, à normaliser et à cer tifier, mais l’aventure, semblable à celle que vit l’automobile, est passionnante, tant par les développements à conduire que par ses conséquences révolutionnaires, à moyen et long terme.

2

Vers une aviation plus verte

2.1. Les attentes environnementales

Figure 2

44

L’Europe et les constructeurs aéronautiques se sont engagés pour une réduction de la consommation, des polluants et du bruit.

L’Europe et les industriels du transport aérien ont adopté conjointement une feuille de route (Flightpath 2050) visant à la réduction de la consommation (CO 2 ), des polluants (dont les ox ydes d’azote NOx), ainsi que du bruit, source de nuisance de plus en plus insupportable pour le grand public (Figure 2).

Cette démarche d’engagement volontaire conjoint est très semblable à celle qui a été conduite dans l’automobile et a abouti à l’adoption des normes Euro 1 à Euro 6. « Flightpath 2050 » impose la réduction de 75 % les émissions de CO2 en masse, par rapport à l’an 2000, malgré l ’augmentation constante du trafic aérien. Cet objectif très ambitieux ne pourra être atteint que par étapes, à la fois en améliorant tout ce qui peut l’être sur les avions actuels et en s’engageant dans des voies nouvelles, notamment vers de nouvelles architectures avions et de nouveaux systèmes de propulsion, tirant parti des possibilités offertes par le passage à l’énergie électrique (Figure 3). L’Europe, précurseur dans le domaine de la protection de l’environnement, a depuis été suivie par les autres acteurs globaux, et des accords semblables ont été signés partout dans le monde.

Croissance neutre en carbone à partir de 2020 Mise en œuvre de l’approche sectorielle globale

75 % de réduction des émissions de CO2 (Réf. an 2000)

CO2

– 75 %

Améliorations avion – 20 à – 25 %

Bruit

– 65 % – 90 %

Améliorations moteurs

– 15 à – 20 %

Oxydes d’azote

Gestion du trafic

– 5 à – 10 %

Usine verte

Carburants alternatifs

env. – 15 %

Très nombreux défis techniques sur les structures, les systèmes, la propulsion et la gestion du trafic. Recours aux carburants alternatifs obligatoires

2.2 Les différents moyens d’action 2.2.1. L’aérodynamique Afin de diminuer la traînée parasite et réduire les pertes par frottement, il est nécessaire de poursuivre les efforts en cours depuis le début de l’aviation en vue d’améliorer l’aérodynamique de l’avion, en le rendant plus lisse, en regroupant et améliorant les entrées d’air, en ajoutant des appendices (« sharklets ») pour réduire les turbulences de bouts d’ailes comme sur l’A320 NEO (Figure 4), en appliquant des revêtements spéciaux qui permettent la réduction des phénomènes

de couche limite (revêtements microstructurés type « peau de requin », etc.). Les économies déjà réalisées sont substantielles. Par exemple, sur l’A320 NEO, la simple adjonction des sharklets de bouts d’ailes apporte un gain de consommation de 3,5 % ! Pour donner un ordre de grandeur, sur un A320 NEO, ces 3,5 % correspondent à une économie de 700 tonnes de CO2 par an et par avion. Le gain en consommation autorise par ailleurs un accroissement de la distance franchissable et/ ou de la charge utile, au profit des compagnies utilisatrices et des voyageurs.

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

1,5 % p/a consommation de carburant Travail vers une croissance neutre en carbone

Croissance neutre en carbone

Figure 3 Les industriels de l’aéronautique cherchent à améliorer les performances des avions selon plusieurs axes afin de diminuer les dépenses en kérosène et ainsi atteindre les différents objectifs européens sur la diminution de l’émission de CO2 et du bruit émis par les avions. ACARE : Advisory Council for Aeronautics Research in Europe.

Figure 4 Un A320 NEO équipé de moteurs basse consommation et de sharklets.

45

Chimie, aéronautique et espace

La prochaine étape sera l ’adoption des nouveaux profils aérodynamiques permettant des écoulements laminaires au niveau des ailes en croisière, réduisant toujours plus les frottements et donc les pertes énergétiques. Ces profils, connus au niveau des laboratoires, sont en cours d’industrialisation et devraient apparaître sur les avions commercialisés d’ici quelques années seulement. 2.2.2. La réduction des masses : alléger, alléger, alléger… La masse est une donnée essentielle dans la conception d’un avion. Très simplement, plus un avion est lourd, plus il faudra de puissance pour le faire décoller et le faire voler, et plus il consommera. Et le cercle est vicieux ! Pour économiser l’énergie, il faut donc s’efforcer d’alléger les équipements et les structures tout en préservant ou améliorant leurs caractéristiques essentielles, à savoir la résistance mécanique, la tenue à la

foudre, l’étanchéité, le confort des passagers, etc. Ce combat intemporel de l’industrie aéronautique contre la masse est facilité par l’apparition de nouveaux matériaux aux propriétés étendues comme les composites 2 ou par la généralisation de l’emploi de matériaux très hautes performances, comme le titane. L’e m p l o i d e m a t é r i a u x composites se généralise depuis des années (Encart : « L’introduction progressive des matériaux composites ») et offre encore un large potentiel de gain, mais au prix de difficultés de fabrication, d’une augmentation de la complexité du système avion et d’un risque coût. L’emploi de matériaux multifonctionnels et de matériaux biosourcés apportera également un plus dans la dizaine d’années à venir. Il est important de noter que le choix 2. Composite : matériau composé d’un assemblage de plusieurs éléments chimiques non miscibles et dont les propriétés se complètent.

INTRODUCTION PROGRESSIVE DES MATÉRIAUX COMPOSITES Dans les années 1970, la masse de matériaux composites embarqués représentait environ 10 % de la masse totale des avions. Les composites étaient essentiellement employés pour les pièces extérieures ne supportant que peu d’efforts, comme les « belly fairings », sortes de carénages assurant la continuité de formes du dessous de l’avion. Aujourd’hui, l’A350 XWB, le dernier modèle de la gamme Airbus, embarque 53 % de matériaux composites (Figure 5). Pour la première fois dans la gamme Airbus, le fuselage de l’avion est également réalisé en composite (Figure 6). Cette évolution, qui peut apparaître comme un simple changement de matériau, est en fait très profonde, les matériaux métalliques et les matériaux composites présentant notamment des caractéristiques électriques très différentes, obligeant à reconcevoir de nombreux systèmes vitaux comme la distribution électrique ou la protection foudre. La proportion de titane dans les avions est également en augmentation constante depuis quarante ans, augmentant ainsi la dépendance des constructeurs aéronautiques mondiaux vis-à-vis des fournisseurs de ce métal. 46

40

30

Introduction étape par étape de composites sur 40 ans

fuselage A350-900 XWB caisson central Sec. 19

A400M

HTP

carénages vertical

20

ailes, portes

A380

A340-300

Figure 5 Évolution du pourcentage de matériaux composites utilisés dans chaque modèle d’avion en fonction du temps.

A340-600

A320 10

0 1970

A300

A310-200 poutre de quille

1980

1990

2000

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

Masse de matériau composite participant à la structure (%)

50

2010

Figure 6

Divers

Aluminium/ AluminiumLithium

7% 19 % 53 % Titane

7%

Proportion des matériaux utilisés dans l’A350, premier avion de la gamme Airbus à incorporer plus de 50 % de matériaux composites.

Acier

14 % Titane

des matériaux composites utilisables est contraint par les réglementations environnementales (RoHS, REACH3, etc.), qui interdisent ou limitent l’emploi de certaines substances (les nanomatériaux par exemple). L’industrie chimique a ici toute sa place, notamment pour apporter des solutions innovantes comme des matériaux moins chers, aux propriétés 3. Directive REACH : règlement du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne qui met en place un système intégré unique d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des substances chimiques dans l’Union européenne depuis 2007.

adaptées. Le domaine des résines conductrices est particulièrement important. 2.2.3. Maîtriser et optimiser la production et la distribution de l’énergie Toujours dans le but de diminuer les pertes énergétiques, les industriels travaillent à la redéfinition et à l’optimisation de la production et de la distribution d’énergie à bord. Aujourd’hui, une partie de la puissance des moteurs est prélevée pour produire de l’énergie électrique. On y prélève également de l’air chaud, essentiellement pour assurer le dégivrage des bords d’attaque des ailes. Une partie de

47

Chimie, aéronautique et espace

Figure 7 Les différentes formes d’énergie dans un avion et leurs utilisations actuelles. L’objectif est de réduire les pertes énergétiques en rationalisant production, distribution et utilisation de l’énergie à bord (avion plus électrique).

Puissance utilisée exemple de l’A330

Puissance électrique

Puissance hydraulique

Pneumatique

Puissance mécanique

Avionique Pompes Dégivrage Éclairage

Pilotage Train d’atterrissage Freinage Portes

Climatisation Dégivrage Démarrage moteur

Pompe à carburant Pompe à huile 200 kW crête

115 VAC-230 kVa

206 bars-240 kW

Jusqu’à 3 bars-1,2 MW

100 kW (local)

l’électricité générée est utilisée directement sous cette forme (éclairage, calculateurs de vol, etc.) mais l’autre partie est à son tour transformée, sous forme de pression hydraulique par exemple. Ces multiples transformations s’accompagnent de multiples chutes de rendement. Afin de diminuer les pertes, les industriels s’efforcent d’utiliser directement l’électricité à bord sans la retransformer, en allant vers un « avion plus électrique » (Figure 7).

Figure 8 Tous les appareils utilisés dans un aéroport (bus pour amener les passagers dans l’aéroport, camions citernes pour alimenter les avions en carburant…) deviennent électriques.

48

4 types de sources d’énergie 3 réseaux d’alimentation à bord

Les compromis sont actuellement difficiles à trouver, en raison de difficultés technologiques mais également d’évolutions importantes des coûts et des changements induits dans la chaîne de valeur. Une boucle d’optimisation globale, en cours, permettra

de trouver le meilleur compromis dans les quelques années qui viennent. Les premiers changements importants, comme le « bleedless » (renoncement au prélèvement d’air chaud dans les moteurs pour conserver un meilleur rendement à ceux-ci), sont déjà apparus sur le marché. Il est également nécessaire de réduire ou si possible d’annuler l’empreinte carbone des servitudes au sol (Figure 8). Les multiples véhicules nécessaires au sol, lorsque l’avion est nettoyé, avitaillé, déplacé d’un point de parking à un autre, sont tous électrifiés ou en cours d’électrification. Des solutions sont également à l’étude pour électrifier le taxiing des avions, c’est-àdire leurs déplacements entre le point d’embarquement ou

Une vision volontariste permet d’estimer que les améliorations portant sur l’avion pourraient apporter un gain de consommation de l’ordre 20 à 25 % à moyen terme. 2.2.5. Amélioration du rendement des moteurs L’amélior ation de s rendements des tur boréacteurs actuels est constante. D’immenses progrès ont déjà été accomplis par les industriels au cours des quarante dernières années et, même s’il reste encore des économies potentielles à réaliser, les asymptotes sont maintenant proches et les technologies à mettre en œuvre sont de plus en plus coûteuses. Les deux sources de gain sont l’augmentation de la température des parties chaudes des turbines (mais on atteint ici les limites de la technologie des matériaux) et l’augmentation

0,725 0,750 0,775 Efficacité 0,800 propulsive 0,825 0,850 0,875 0,900 0,925

0,65

Moteurs actuels

0,60

0,95

0,55

0,975

0,50

= 30 % Amélioration théorique

0,45 0,40 0,35

0,425 0,450 0,425 0,500 0,626 Efficacité 0,560

Proche de la limite théorique

0,30

Proche de la limite théorique

du « bypass ratio », grossièrement le rapport entre le débit massique total d’air qui rentre dans le moteur et le débit massique d’air qui alimente la turbine (Figures 9 et 10). Cet accroissement du bypass ratio augmente globalement le diamètre des moteurs, qui doivent cependant pouvoir être intégrés en sécurité dans une architecture avion existante, en conservant une garde au sol suffisante.

1,000 0,4

0,60

thermique

0,800

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

2.2.4. Bilan partiel

0,700

0,70

Consommation spécifique

de débarquement des passagers et la piste avant décollage ou après atterrissage. Ces déplacements se font aujourd’hui avec les moteurs en marche, dans des conditions de mauvais rendement.

Figure 9 Consommation de carburant en fonction de l’efficacité propulsive et de la température.

Malgré la proximité des asymptotes, des économies de carburant de l’ordre de 15 à 20 % seraient ainsi encore potentiellement réalisables, mais au prix de difficultés techniques importantes, avec

2e Génération BPR < 5 PW2037 3e Génération BPR = 5-8 CFM56, Trent 700, V2500

+ 12-15 %

4e Génération BPR = 8-10 Trent 500/900, GP7000 Référence – 5-8 % – 10 %

Nouvelles architectures

– 15 % – 20 %

1985

Turbofan à engrenages avec bypass ratio > 12, CRTF

5e Génération BPR > 10 Trent 1000, GENX

Turbofan à cycle récupératif > 20

Objectif ACARE 1990

1995

2000

2005 2010 Année

2015

2020

2025

Rotor ouvert, BPR > 35

Figure 10 Effet du taux de by-pass sur la consommation de carburant.

49

Chimie, aéronautique et espace

Figure 11 Modélisation des trajectoires empruntées par les avions pour atterrir avant l’utilisation des procédures RNP et après. Ces procédures ont permis de réduire les temps d’approche et les nuisances aux riverains (bruit) aux abords des aéroports. Pistes de vol avant RNP

un risque notable sur les coûts. L’industrie automobile, sous la pression réglementaire, a ainsi vu s’envoler les coûts de ses groupes motopropulseurs. 2.2.6. Optimisation des temps de vol Un certain nombre d’outils ont été développés et sont maintenant en cour s de déploiement pour optimiser les plans de vols (Figure 11). L’introduction de procédures de navigation plus précises, les RNP (« Required Navigation Performance »), a permis de réduire considérablement l’espacement entre avions à l’approche des aéroports, de fluidifer les approches et globalement de réduire

Figure 12

50

Modélisation de la trajectoire optimale pour l’aéroport du Cap (Afrique du Sud) permettant une économie de carburant d’environ 30 % pendant l’approche.

Pistes de vol après RNP

d’environ un tiers les temps d’accès. Les RNP permettent également d’adopter des trajectoires qui réduisent les nuisances aux riverains à l’approche des aéropor ts (Figure 12). L’optimisation des temps de fonctionnement des moteurs, et donc des temps pendant lesquels ils consomment, passe également par la rationalisation des mouvements des avions au sol et par le taxi en mode électrique, déjà évoqué plus haut. Les économies potentielles liées à ce domaine sont réelles, même si elles restent probablement assez faibles en valeur absolue.

Pour atteindre les objectifs de Flightpath 2050, les constructeurs et les équipementiers travaillent simultanément sur tous les domaines à la fois. Mais il est fort probable qu’il sera impossible ou trop coûteux de réaliser tous les gains envisagés. Il faudra trouver des moyens complémentaires de réduire l’empreinte carbone. Pour ce faire, deux solutions sont envisagées aujourd’hui. La première repose sur le développement des carburants alternatifs, qui fourniraient l’énergie manquante tout en présentant une empreinte carbone nulle. La seconde consiste en l’étude d’un changement radical des systèmes de propulsion pour en augmenter largement le rendement, opération de longue haleine qui entraînerait également une refonte complète de l’architecture des avions, aujourd’hui proche de son optimum. Les car bur ants alter natifs sont très attrayants sur le papier mais la voie vers leur généralisation n’est aujour d ’hui p a s ét abl ie

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

2.2.7. Les carburants alternatifs

(Figure 13). Il n’existe pas encore de filière qui permette de produire industriellement et à coût maîtrisé de grandes quantités de carburant. Du point de vue fonctionnel, un carburant liquide à température ambiante, avec un point de congélation de l’ordre de – 50 °C et un point éclair de l’ordre de + 40 °C représente une solution quasi idéale. Le carburant liquide permet d’embarquer de façon « simple » une très grande quantité d’énergie, nécessaire pour développer les puissances importantes au décollage et pour voler longtemps. Un carburant alternatif destiné à remplacer le Jet Fuel A1 (kérosène) devrait présenter des caractéristiques très proches de celui-ci et répondre aux mêmes exigences réglementaires. Un changement significatif de carburant serait très coûteux et particulièrement difficile à mettre en place. Le carburant alternatif recherché est dit « drop-in », c’est-à-dire qu’il doit pouvoir remplacer goutte pour goutte le kérosène sans modification ni des avions, ni des installations au sol.

Figure 13 Toutes les conditions, tant chimiques que réglementaires, que doit respecter un carburant alternatif pour être utilisé dans le domaine de l’aéronautique.

51

Chimie, aéronautique et espace

Figure 14 Remplissage des réservoirs droits d’un A320 avec du biofioul avant un vol d’essai.

Il n’existe pas de solution industrielle à ce jour mais des expérimentations ont déjà été conduites et ont donné d’excellents résultats. Par exemple, un Airbus A320 de la compagnie Air France a réalisé le vol commercial le plus vert du monde (Figure 14). L’un des deux moteurs était alimenté par du biocarburant et le vol a été optimisé. Le vol s’est parfaitement déroulé, les économies d’énergie au rendez-vous, mais le coût prohibitif et l’absence de disponibilité du carburant utilisé ne permettent pas d’envisager une mise en œuvre

Figure 15 52

Arrivés à maturité, les avions se ressemblent…

commerciale. L’ équation technico-­é conomique des carburants alternatifs pour l’aviation reste totalement à consolider, un beau domaine d’inves tigation pour les chimistes !

3

Les idées innovantes pour une aviation plus verte

Comme expliqué plus haut, les améliorations incrémentales apportées aux avions et à leurs systèmes ne permettront sans doute pas d’atteindre les objectifs de Flightpath 2050. En parallèle

les même causes produisent les mêmes effets et tous les avions se ressemblent peu ou prou.

Aujourd’hui, vus de l’extérieur, les avions se ressemblent (Figure 15). Ce n’est pas le fait du hasard mais plutôt une conséquence normale de l’évolution. Au fil des années, les constructeurs sont tous arrivés à des solutions optimisées, techniquement proches les unes des autres.

Pour faire des économies d’énergie significatives, il faut changer de paradigme et imaginer des solutions radicalement différentes. Nous sommes aujourd’hui arrivés au plus près des limites de nos architectures avion. La créativité des industriels de l’aéronautique a produit de nombreux concepts, dont certains ont donné naissance à des prototypes. La Figure 16 en présente quelques-uns, qui ont tous en commun d’être équipés d’une propulsion non conventionnelle, différente des habituels deux réacteurs sous les ailes.

Deux réacteurs sous les ailes pour assurer la redondance, des bras de levier et des surfaces actives qui permettent d’assurer le vol et la manœuvrabilité en cas de per te d’un des deux réacteurs, une silhouette adaptée au vol légèrement subsonique, là où les rendements propulsifs sont les meilleurs, A

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

avec ces études, qui restent indispensables pour le court et moyen terme, il est nécessaire d’envisager d’autres solutions, plus disruptives, qui permettraient de faire un saut quantique en termes de rendement.

3.1. Des architectures en rupture

Parmi les solutions en rupture envisageables, celle qui

Figure 16 A) Prototype du VTOL (aéronef à décollage et atterrissage vertical) Aurora, capable d’atterrir et de décoller verticalement ; B) Spector, le laboratoire volant développé par la NASA pour l’étude de la propulsion distribuée, qui vise à diviser par cinq la consommation de carburant ; C) Le S2, le prototype à décollage vertical et rotors basculants développé par Joby Aircraft. Source : B) NASA ; C) www.aeronewstv.com

B

C

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Chimie, aéronautique et espace 54

semble vraiment porteuse d’avenir est la « propulsion distribuée ». Le concept est simple : au lieu de pousser sur l’avion en deux points seulement, on répartit les points de poussée en de multiples endroits de l’avion, pour assurer une efficacité maximum et une maîtrise plus facile des situations incidentelles, la perte d’une source de poussée par exemple. Ce nouveau type de propulsion est utilisé par tous les concepts présentés sur la Figure 16. La multiplicité des propulseurs impose qu’ils soient électriques. Les transmissions mécaniques sont trop lourdes, trop complexes à installer et risquent de ne pas pouvoir fournir les prestations désirées, comme le contrôle individuel de la poussée de chaque propulseur. La puissance électrique nécessaire aux propulseurs doit pouvoir être produite à bord, les solutions de stockage électrique envisageables, comme les batteries d’accumulateurs, étant trop lourdes et ne présentant pas des performances suffisantes pour une utilisation opérationnelle sur moyens et longs courriers. Cette génération de puissance électrique doit être réalisée avec un rendement nettement accru. De l’ordre de 30 % aujourd’hui, ce rendement devrait être porté à plus de 60 %, probablement en utilisant des dispositifs de récupération de chaleur, comme ceux qui existent dans les centrales de production à turbine à gaz, mises en œuvre en cas de besoin par des distributeurs comme EDF.

Enfin, il est également nécessaire de pouvoir distribuer en sécurité toute cette énergie électrique, dans l’environnement particulier d’un avion en altitude, soumis à des phénomènes extérieurs parfois extrêmes, comme la foudre par exemple. Les circuits de distribution devront être alimentés en haute tension (kiloVolts, mégaVolts ?) afin de réduire les pertes par effet Joule dans les conducteurs et surtout réduire la masse de ceux-ci. L’installation de ces circuits devra faire l’objet de précautions particulières pour éviter les arcs et réduire les risques de claquage, surtout en altitude. En résumé, le passage à la propulsion distribuée impose la mise au point de générateurs électriques à haut rendement qui alimenteront, au travers de circuits de distribution haute tension adaptés, une nouvelle génération de moteurs électriques commandés par de nouvelles électroniques de puissance, sûres et présentant des pertes réduites. Ce type de propulsion hybride (fioulélectrique) devrait permettre une augmentation significative du rendement propulsif, à condition d’être adapté à une nouvelle architecture avion, spécialement conçue pour le recevoir (Figures 17 et 18). Les études nécessaires sont en cours mais prendront du temps avant d’aboutir à une nouvelle génération d’avions de transport de passagers, tellement la révolution envisagée est profonde. Toutes les étapes présentées ci-dessus devront être franchies une par une.

Concept d’architecture hybride à propulsion distribuée. Une turbine centrale produit de l’électricité qui charge une batterie qui alimente à son tour six propulseurs électriques indépendants

Pour s’engager sur ce chemin et commencer à comprendre les tenants et les aboutissants de la propulsion électrique et en particulier les problèmes de compatibilité électromagnétique (CEM 4 ), Airbus a commencé par développer E-Fan, un avion-laboratoire volant tout électrique, alimenté par batteries (Encart : « E-Fan, un avion laboratoire volant ! »).

qui nécessitent des moyens qu’il ne possède pas (force, précision, capacité à affronter des environnements dangereux…). Ainsi, depuis très longtemps, des systèmes automatiques performants ont été développés, comme les pilotes automatiques sur les avions, qui prennent en charge la presque totalité des actions courantes, autrefois dévolues aux pilotes.

Bien sûr, d’autres études à plus grande échelle sont déjà en cours et devraient aboutir à la réalisation de prototypes hybrides dans les quelques années à venir.

L’évolution des technologies relatives aux capteurs, aux moyens de calcul et à l’analyse des données permet aujourd’hui d’envisager d’aller plus loin et de donner à l’homme un rôle de superviseur qui n’agira plus lui-même sauf en cas d’anomalie, voire même de supprimer purement et simplement l’homme de la boucle. Parmi les mille et une définitions de l’autonomie, on peut retenir celle-ci, qui reste simple et accessible, et couvre la majeure partie du problème. L’autonomie est, pour un système, la capacité à réaliser une mission sans intervention humaine.

4

Un autre défi pour l’aviation de demain, l’autonomie

La tendance qui a toujours prévalu dans l’aéronautique comme partout ailleurs est de délivrer l’homme des tâches inutiles, répétitives ou 4. CEM (Compatibilité électromagnétique) : aptitude d’un appareil ou d’un système électrique ou électronique à fonctionner dans son environnement électromagnétique de façon satisfaisante, sans produire lui-même des perturbations électromagnétiques gênantes pour tout ce qui se trouve dans cet environnement.

Dans l’autonomie intervient la notion de prise de décision : le système doit décider des actions qu’il va entreprendre face à une situation qu’il aura évaluée lui-même, afin de

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

Figure 17

Figure 18 Aile volante intégrant partiellement une propulsion distribuée.

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Chimie, aéronautique et espace

E-FAN, UN AVION-LABORATOIRE VOLANT ! Ce laboratoire volant ne préfigure évidemment pas une solution adaptée aux avions du futur mais permet le franchissement d’une marche importante dans la compréhension des phénomènes physiques à prendre en compte pour le développement. L’avion a prouvé ses qualités en franchissant la Manche en mode électrique pur, cent ans après Blériot, en empruntant la même trajectoire que lui. Capable d’une endurance en vol d’une heure, E-Fan a surpris ceux qui l’on vu voler par son silence, un atout maître pour l’aviation générale et les écoles de pilotage, souvent en conflit avec les riverains des aéroports qui souffrent des nuisances sonores.

Figure 19 E-Fan, laboratoire volant destiné à la compréhension du vol en électrique pur. Source : Wikipédia, licence CCBY-2.0, Bernd Sieker.

réaliser la mission qui lui a été impartie. Les systèmes automatiques vont au contraire réagir, de façon parfois très sophistiquée, à des situations préprogrammées : si telles et telles conditions sont réunies, alors je fais ceci ou cela.

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Un système autonome doit connaître sa mission, connaître a priori son environnement et percevoir les changements qui lui sont liés, élaborer des stratégies d’action pour maximiser la probabilité de succès de la mission, décider des actions à conduire et les conduire, un peu comme le joueur d’échecs

qui réfléchit toujours avec plusieurs coups d’avance pour battre son adversaire. La véritable autonomie repose toujours sur les mêmes piliers, grossièrement décrits ci-après : −− avant tout, quelle est la mission ? Si je suis un avion de transport de passagers, ma mission est de partir d’un point A, arriver à un point B avec tous mes passagers à bord, en complète sécurité, dans le meilleur état mécanique possible, en consommant le moins de carburant possible, etc. Cette mission est relativement simple et assez facile

B

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

A

C

D

E

Figure 20 Toutes ces machines appartiennent-elles vraiment à la même catégorie ? A) R2D2, célèbre droïde de la série La guerre des étoiles, un exemple de robot autonome ; B) prototype de la voiture autonome de Google ; C) drone de reconnaissance militaire Prédator utilisé par de nombreux pays ; D) un robot chirurgical ; E) un robot d’exploration sur Mars. Sources : B) Wikipédia, licence CC-BY-SA-4.0 : Michael Shick ; C) Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Nimur.

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Chimie, aéronautique et espace

à décrire, mais certaines missions peuvent se révéler beaucoup plus compliquées, comme par exemple des missions de combat qui doivent prendre en compte la présence d’événements imprévus ; −− dans quel environnement se déroule la mission ? Il n’est pas obligatoire de le connaître a priori si l’on dispose suffisamment de capteurs et de puissance de calcul embarquée pour le découvrir, mais cela simplifie notablement l’établissement du référentiel dans lequel le système autonome devra évoluer. Bien entendu, la perception de l’environnement doit être continue et alimenter le système en temps quasi réel. Par exemple, de façon évidente, il doit être possible de détecter un autre avion en route de collision et de prendre les mesures d’évitement nécessaires ; −− dans la masse de données fournies par les capteurs, seul un petit nombre d’entre elles sont pertinentes pour la mission. Le système autonome doit réduire les données d’environnement sur lesquelles il travaille aux seules données utiles pour la mission et établir une représentation synthétique unique du monde environnant. L’unicité de la représentation est importante et n’a rien de trivial. En effet, chaque capteur comme un radar ou une boule opto-électronique5 est équipé de ses propres moyens de localisation/positionnement

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5. Boule opto-électronique : ensemble de capteurs optiques sensibles en visible et en infrarouge, souvent montés dans une « boule » orientable sur le nez ou le ventre de l’appareil.

et fournit des données relatives à ce référentiel, qu’il faut fusionner et transférer dans le référentiel avion. Dans le cas de l’automobile, qui évolue dans un environnement très riche, cette réduction des données est particulièrement complexe. L’aéronautique est, quant à elle, dans une situation plus favorable, l’environnement étant moins riche et très réglementé ; −− enfin, il faut calculer des scénarios. Aujourd’hui, sur un système automatique, les choix sont simples : devant un jeu de données, un jeu de situations, le système partira par exemple à droite, et partira toujours à droite, même si d’autres variables d’environnement pousseraient plutôt un système qui aurait une vision globale à partir à gauche. Un système autonome, lui, calculera des scénarios. Le mode d’analyse est simple en théorie : « si je pars à droite, quelle influence cela a-t-il sur ma mission ? Et si je pars à gauche ? » En réfléchissant de cette manière à la prochaine manœuvre mais également et simultanément à celles qui vont suivre, le système cherche à optimiser la probabilité de succès de la mission qui lui a été confiée. Il exécutera alors la chaîne d’actions jugée la plus porteuse de succès. Tout ou presque reste à inventer et de très nombreux points difficiles ne sont pas encore résolus. Ensuite, il faudra normaliser et certifier ces systèmes essentiellement non déterministes avant de pouvoir penser à une utilisation opérationnelle

Trois grandes voies d’accès à l’autonomie sont possibles : − l’approche classique, qui consiste à tout modéliser et tout préparer à l’avance. Cette approche présente une combinatoire explosive et ne pourra jamais être complète. Pour des systèmes devant présenter un haut degré de sécurité, elle est condamnée ; − l’approche plus expérimentale, aujourd’hui pratiquée par Tesla, par exemple, introduit dans le logiciel du véhicule un certain nombre de scénarios prédéfinis et met le véhicule en clientèle. Le logiciel recueille ensuite toutes les données pertinentes provenant des situations de conduites réelles rencontrées par l’utilisateur.

Ces données expérimentales sont ensuite analysées et conduisent à des évolutions régulières du logiciel de véhicule. Il est clair que cette méthode ne peut s’appliquer dans le monde de l’aéronautique ; − d’autres approches sont en cours d’élaboration, essentiellement par le milieu académique dans le cadre de programmes de R&D en coopération. Certaines voies apparaissent très prometteuses, en particulier celle, complètement originale et déjà testée sur des systèmes de robotique spatiale, du « Jet Propulsion Laboratory6 » à Pasadena en Californie.

Demain, l’aviation plus verte et plus autonome

généralisée, qui n’adviendra probablement pas avant deux ou trois dizaines d’années.

6. Jet Propulsion Laboratory : coentreprise entre la NASA et Caltech, chargée de la construction et de la supervision des vols non habités de la NASA.

Vers de nouveaux matériaux, de nouvelles architectures, de nouvelles fonctionnalités Un énorme champ d’investigation est ouvert en R&D autour des thèmes matériaux et procédés pour l’aviation (Figure 21), notamment pour tout ce qui concerne les composites, les résines, les générateurs électriques à haut rendement, les moteurs électriques à masse réduite et rendement élevé, les réseaux de distribution électrique haute tension et les isolants nécessaires, etc. Le stockage électrique est également un domaine d’investigation très important, et pas seulement pour l’aéronautique.

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Chimie, aéronautique et espace

De grandes évolutions sont en préparation, l’aéronautique est en train de changer d’ère ! Un métier passionnant pour un avenir plus vert ! Figure 21 De nombreux champs d’investigation sont ouverts à l’aviation aujourd’hui.

60

des

propulsion

fusées

et des

futurs

avions

chez

Air Liquide ! Ingénieur en aérodynamique, docteur en mécanique des fluides, après un postdoc à la NASA, Pierre Crespi est actuellement directeur de l’innovation de la Société Air Liquide advanced Technologies1.

L’élément le plus léger de l’univers, l’hydrogène, a de nombreuses applications actuelles et potentielles dans la propulsion automobile avec les piles à combustible, dans les futurs lanceurs spatiaux, dans les projets d’exploration spatiale, ainsi que dans l’aéronautique.

1

un électron, Figure 1), existe sous la forme de la molécule de dihydrogène notée H2

L’hydrogène

1.1. Un peu d’histoire L’hydrogène, l’atome le plus simple noté H (un proton et 1. www.airliquide.com

Figure 1 Structure de l’hydrogène, atome constitué d’un proton autour duquel gravite un électron.

Pierre Crespi

La

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Figure 2 Le dihydrogène, molécule la plus abondante dans l’Univers, dite « hydrogène » dans le langage courant.

Figure 3 La Nébuleuse du Cygne est un gigantesque nuage d’hydrogène.

(Figure 2) contenant deux électrons qui gravitent autour de deux protons.

Figure 4

62

Henry Cavendish (1731-1810) a découvert le dihydrogène un gaz inodore, incolore mais inflammable, nommé alors air inflammable.

Cette molécule, la plus abondante dans l’Univers puisque c’est la plus simple, constitue environ 75 % de la masse connue de l ’Univers (en dehors de la matière noire). Par exemple le merveilleux nuage de la constellation du Cygne (Figure 3) est un nuage d’hydrogène très froid qui est rétroéclairé par les étoiles situées derrière ou à l’intérieur. Notre Soleil consomme 600 millions de tonnes d’hydrogène par seconde pour les transformer en un peu moins de 600 millions de tonnes d’hélium, ce qui fournit l’énergie solaire ; remarquons qu’à chaque seconde, le Soleil consomme l’équivalent de dix fois la production annuelle mondiale d’hydrogène. L’hydrogène est connu depuis longtemps ; le premier à

l’avoir étudié est un chimiste anglais, Henr y Cavendish (Figure 4), qui avait remarqué qu’en versant de l’acide sur du fer ou du zinc, on obtenait un gaz, inodore et incolore mais inflammable, qu’il avait appelé de l’air inflammable. C’est Lavoisier (Figure 5) qui, au xviiie siècle, a caractérisé

Figure 5 Antoine Lavoisier a découvert l’une des caractéristiques du dihydrogène, celle de générer de l’eau (en grec hydrogène signifie générateur d’eau).

C’est encore un chimiste anglais, James Dewar (Figure 6), inventeur de la fameuse bouteille thermos isolée sous vide, qui a trouvé le procédé pour liquéfier cet hydrogène : avec sa bouteille thermos, il a pu ainsi le conserver pendant de longues minutes. Celui qui démarré la production industrielle d’hydrogène liquide, à la fin du xixe siècle, est Georges Claude (Figure 7), un chimiste français diplômé de l’École Supérieure de P hy sique et de Chimie Industrielle de Paris (ESPCI). Il avait déjà liquéfié l’air pour séparer l’oxygène de l’azote vers – 196 °C. En descendant la température de l’hydrogène gazeux jusqu’à – 253 °C (20 K), qui est sa température de liquéfaction à la pression ambiante, il a obtenu de l’hydrogène liquide et il en a profité pour fonder une société

qui perdure, la société Air Liquide, aujourd’hui le leader mondial des gaz industriels et médicaux. Cette société génère aujourd’hui un chiffre d’affaires de 20 milliards et emploie près de 70 000 personnes. 1.2. L’hydrogène et la conquête de l’espace Le spatial est le plus gros consommateur mondial d’hydrogène liquide : la navette spatiale est propulsée par l’hydrogène liquide, de même que la fusée Ariane depuis 1979. La Figure 8 représente une coupe de la fusée Ariane 5 ECA, qui mesure environ 55 mètres de haut et 5,40 mètres de diamètre. Cette fusée possède dans son premier étage une énorme réserve de 160 tonnes d’oxygène et d’hydrogène liquides, contenus dans des réservoirs de 5,40 mètres de diamètre et 26 mètres de long (Figure 8A). À la base de la fusée, se trouve comme une toute petite bouteille thermos qui contient environ 1 m3 d’hélium liquide, encore plus froid, à – 269 °C (4 K). Cet hélium est vaporisé pour pressuriser le réservoir d’oxygène, de manière à bien alimenter les turbopompes du lanceur (Figure 8B). Le second étage contient aussi un moteur à hydrogène ; deux réservoirs : un d’hydrogène (Figure 8C) et un d’oxygène (Figure 8D). Ces réservoirs sont fabriqués par Air Liquide (Figure 8E ) et sa filiale Cryospace, qui est une jointventure avec Ariane Group. Plus de 500 réservoirs ont été fabriqués et utilisés sans aucun problème, alors qu’en

Figure 6 James Dewar, inventeur de la bouteille thermos isolée sous vide et du procédé de liquéfaction de l’hydrogène à 253 °C (1898).

La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide !

l’hydrogène. Il avait remarqué que dans certaines conditions, quand on mélangeait une masse d’hydrogène avec huit masses d’oxygène, on obtenait de l’eau, donc il a déclaré que ce gaz était un générateur d’eau. Et générateur d’eau en grec se dit hydrogène. Cette molécule est très petite donc très légère : 1 m3 d’hydrogène gazeux à la pression ambiante pèse 85 grammes donc c’est difficilement utilisable dans une fusée, on préfère le liquéfier à très basse température où dans ces conditions, 1 m3 de liquide correspond à 70 kg d’hydrogène, soit presque 1 000 fois plus. Mais pour cela, il a fallu d’abord inventer le procédé pour refroidir l’hydrogène de la température ambiante jusqu’à – 253 °C.

Figure 7 Georges Claude (1870-1960), inventeur du procédé industriel, diplômé de l’ESPCI et fondateur d’Air Liquide.

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Chimie, aéronautique et espace

C A D

Réservoir d’hydrogène

B

Réservoir d’oxygène

E

Réservoir d’hélium liquide Réservoirs LH2&LOx

Figure 8 Plan de coupe de la fusée Ariane 5 ECA. A) réservoirs LH2&LOx au 1er étage de la fusée contenant 160 tonnes d’oxygène et d’hydrogène, de 5,40 mètres de diamètre et 26 mètres de long ; B) bouteille thermos à la base de la fusée contenant environ 1 m3 d’hélium liquide à – 269 °C ; C) réservoir d’hydrogène à l’étage supérieur ; D) réservoir d’oxygène à l’étage supérieur ; E) plus de 500 réservoirs ont été fabriqués par Air Liquide et Cryospace. Source : Air Liquide.

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2015 et 2016, deux lanceurs Falcon 9 de la société Space X ont explosé pour un problème de pressurisation du réservoir d’oxygène. La fusée Ariane 5 ECA (qui n’est pas une bouteille de thermos) est très froide : – 253 °C pour l’hydrogène et – 183 °C pour l’oxygène. Comme elle est simplement isolée par 2 cm de mousse en polyuréthane, évidemment elle se réchauffe dès que la fusée est remplie 4h avant le vol, et l’hydrogène bout en permanence quand le lanceur est sur le pas de tir. Si un retard de 8 à 10h est anticipé, il vaut mieux vidanger le lanceur pour ne pas se retrouver avec un bloc de glace sur les parois extérieures. Comme l’hydrogène bout en permanence, il faut évacuer les vapeurs : elles sont

récupérées par des bras ombilicaux pour les brûler dans une piscine loin du pas de tir. Mais en même temps, il faut faire un complément de plein en permanence de sorte qu’au moment de partir il y ait exactement la quantité nécessaire pour alimenter les moteurs du lanceur. Les réservoirs en aluminium sont très fins, environ 1,8 mm d’épaisseur, c’est-à-dire plus fins qu’une bouteille de Coca Cola si on se ramène à la même échelle. On peut dire que la fusée Ariane 5, tout comme son futur successeur Ariane 6 (Figure 9), est une fusée à eau puisque finalement on éjecte rapidement de la vapeur d’eau à très grande vitesse en combinant oxygène et hydrogène, et qu’elle est gonflée comme un pneu à la pression de 2 à 3 bars.

La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide ! 1.3. Le comportement de l’hydrogène liquide en apesanteur Air Liquide travaille actuellement sur la prochaine génération d’Ariane 6, qui devrait être plus performante et moins coûteuse qu’Ariane 5. Sur Ariane 5, le moteur pousse le lanceur pendant toute la durée du vol, le maintenant ainsi en permanente accélération, ce qui tasse tous les fluides au fond des réservoirs. Tandis que lorsqu’Ariane 6 arrive en orbite de transfert, le moteur est coupé, la fusée effectue alors plusieurs tours en orbite puis le moteur est rallumé au bon moment pour placer le satellite sur la bonne orbite géostationnaire. Ainsi, pendant 4, 5, et jusqu’à 6 heures, l’hydrogène et l’oxygène liquides sont en apesanteur dans des réservoirs qui sont à moitié voire au trois quart vides, et la question est donc de savoir quelles vont en être les conséquences ? Pourra-t-on par exemple rallumer le moteur sans risque

en ne lui fournissant que du liquide, alors qu’un mélange gaz/liquide pourrait le faire exploser?

Figure 9 Ariane 6. Source : ESA - David Ducros.

Dans la fusée de Tintin, Hergé nous suggère une petite idée, puisqu’il dit que le whisky se met en boule quand on coupe le moteur de la fusée. Et la question que nous a posée Airbus est : est-ce qu’en a p e s a nte u r l ’ h y d r o g è n e d’Ariane 6 va aussi se mettre en boule ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié, en partenariat avec le Centre National d’Études Spatiales (CNES), le comportement de l’hydrogène liquide dans le cadre d’un vol parabolique en apesanteur sur une fusée sonde lancée il y a trois ans au nord de la Suède. Au départ, l’accélération est de 15 G au minimum, ensuite la fusée tourne sur elle-même pour se stabiliser comme une toupie afin d’éviter qu’elle parte en travers. Au bout d’environ une minute, le moteur et la rotation de la fusée sont

Figure 10 Hergé a représenté le whisky se mettant en boule quand on coupe le moteur. Qu’en est-il du dihydrogène ? © Hergé/Moulinsart 2018.

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Chimie, aéronautique et espace

Figure 11 A) Réservoir d’hydrogène de chez Air Liquide ; B) l’expérience CryoFénix a permis d’étudier le comportement mécanique de l’hydrogène en apesanteur simulée. En rouge, l’accumulation d’hydrogène au fond du réservoir pendant la phase d’accélération. Des bulles d’hydrogène (en bleu) vont se former en apesanteur.

A

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stoppés, et celle-ci reste en apesanteur tout en continuant à monter dans l’espace jusqu’à 230 km d’altitude. On dispose alors de 6 minutes d’apesanteur parfaite pour étudier ce qui se passe dans le réservoir d’hydrogène, qui est bardé de caméras et de capteurs (Figure 11A). Les résultats montrent que Hergé avait raison, l’hydrogène fait bien des bulles en apesanteur, mais ce sont des bulles de gaz et non pas des bulles de liquide. Cette étude a permis de valider les modèles de simulation des fluides sur lesquels nous travaillons depuis une quinzaine d’années (Figure 11B). Dans la phase d’accélération, l’hydrogène s’accumule au fond du réservoir alors qu’il fait des bulles de gaz en apesanteur. Ce vol CryoFenix du CNES a aussi permis de valider les codes de calculs avec lesquels nous concevons les réservoirs de la fusée Ariane 6. 1.4. L’hydrogène et l’avion électrique Cette maîtrise de l’hydrogène dans le spatial nous B

permet désormais d’envisager de l’utiliser dans l’aéronautique. En effet, l’avion électrique existe déjà. Nous connaissons Solar Impulse (Figure 12A), qui a réalisé le tour du monde avec quatre moteurs électriques dont l’énergie est tirée du Soleil. Nous connaissons aussi l’EFan d’Airbus (Figure 12B) (voir le Chapitre de D. Chapuis dans cet ouvrage Chimie, aéronautique et espace, EDP Sciences, 2018), qui est un avion électrique à batterie très silencieux. En 2016, Siemens a aussi construit un avion classique d’acrobatie (Figure 12C) dans lequel le moteur à piston a été remplacé par un moteur électrique révolutionnaire qui fait 330 chevaux mais juste 50 cm de diamètre, 20 cm d’épaisseur et pèse 50 kg, alors qu’un moteur classique ayant la même puissance pèse près de 300 kg et occupe au minimum un volume d’un demi mètre cube. Enfin en 2016, la NASA a présenté un avion à moteur hybride : diesel-électrique (Figure 12D). L’avion à propulsion hydrogène existe déjà à titre expérimental. Par

B

C

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La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide !

A

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Figure 12 A) Solar Impulse a fait le tour du monde avec quatre moteurs électriques à énergie solaire. ; B) E-Fan d’Airbus, avion silencieux électrique à batterie ; C) E-330 de Siemens, avion d’acrobatie à moteur électrique de 330 chevaux et miniaturisé ; D) Grease Lightning de la NASA, avion américain hybride (diesel - électrique) ; E) HY4 de DLR, 1er avion à hydrogène entièrement électrique dont l’énergie est produite par une pile à combustible. Sources : A) Solar Impulse ; E) www.dlr.de

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Chimie, aéronautique et espace

Figure 13 A) LEAPTech de la NASA, avion multirotor comportant une dizaine de moteurs miniaturisés dont les emplacements influent sur l’aérodynamique ; B) EGenius, avion biplace électrique allemand avec un moteur électrique synchrone à aimant permanent ; C) CityAirbus, quadrocoptère à quatre places et huit moteurs de 100 kW de Siemens. Source : A) NASA Graphic ; B) wikipédia, licence cc-bysa-3.0, Andreas Doerr, C) licence cc-bt-sa-4.0, Marc Lacoste.

A

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des moteurs électriques de 100 kW fournis par Siemens, capable d’emmener quatre personnes à bord. Chez Air Liquide nous travaillons déjà sur le projet de l’E-Thrust d’Airbus présenté dans le Chapitre de D. Chapuis, où l’on a carrément six moteurs de 10 MW qui sont prévus pour l’avenir.

exemple, sur la Figure 12E, ce sont deux planeurs Pipistrelle qui ont été réunis entre eux par des ingénieurs allemands pour former le HY4 avec au milieu une hélice entraînée par un moteur électrique dont l’énergie est produite par une pile à combustible utilisant l’hydrogène et l’oxygène de l’air. C’est le premier avion à hydrogène entièrement électrique.

B

Ces moteurs électriques permettent la réalisation d’architec tures ex trêmement performantes au niveau aérodynamique offrant ainsi un bien meilleur rendement. Comme les moteurs plus petits sont nombreux, les avions sont aussi beaucoup plus sûrs : si un moteur tombe en panne l’avion peut continuer à voler ; enfin ils sont beaucoup plus silencieux et sans pollution.

L a miniaturisation des moteurs électriques autorise absolument toutes les fantaisies ! La NASA, par exemple, développe un programme expérimental d’avion électrique (le LEAP tech Project) multirotors, faisant intervenir une dizaine de très petits moteurs que l’on peut mettre aux meilleurs endroits du point de vue aérodynamique (Figure 13). L’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) est aussi très avancé dans l’aérodynamique des avions à propulsion électrique. Un constructeur allemand a aussi réalisé un moto-planeur motorisé avec un petit moteur mis sur l’empennage, ainsi l’hélice est complètement en dehors du sillage de l’avion et l’on gagne 40 % de traînée (Figure 13C). Airbus développe un programme (Figure 13D) avec d’ici fin 2018 un quadrocoptère quatre places, avec

L’électricité ne sert pas uniquement à propulser les petits avions mais également à fournir l’énergie à bord des gros avions de ligne (Chapitre de D. Chapuis), que ce soit pour les cuisines ou pour l’Auxiliary Power Unit (APU), qui est une turbomachine générant l’électricité nécessaire à bord de l’avion pour l’énergie dite non-propulsive. Pour un Airbus A320, la puissance de l’APU est d’une centaine de kW. En cas de panne totale des moteurs, une petite éolienne de quelques dizaines de C

Notons que la puissance nécessaire pour propulser un petit avion de quatre places est d’environ 60 à 80 kW. Cela signifie qu’il faut pouvoir stocker environ 0,5 MWh (soit environ 30 kg d’hydrogène ou encore 450 litres de liquide) afin d’assurer une autonomie de vol de 5 à 6 h avec un peu de marges de sécurité.

2

L’avenir de la propulsion électrique à l’hydrogène liquide

2.1. La pile à combustible La pile à combustible permet de réaliser la réaction inverse de l’électrolyse de l’eau en combinant l’hydrogène et l’oxygène. Dans l’électrolyse, lorsqu’on plonge deux électrodes dans de l’eau salée, qu’on appelle l’électrolyte, et qu’on fait passer un courant électrique, de l’oxygène se dégage sur une électrode et de l’hydrogène sur l’autre. Dans la pile à combustible 2 (Figure 14), l’eau est remplacée par une membrane 3 , la partie rouge au milieu qui fait office d’électrolyte, une fine 2. Pile à combustible : pile dans laquelle la génération d’une tension électrique se fait grâce à l’oxydation sur une électrode d’un combustible réducteur (par exemple l’hydrogène) couplée à la réduction sur l’autre électrode d’un oxydant, tel que l’oxygène de l’air. La réaction produit de l’électricité, de la chaleur et de l’eau. 3. Membrane : paroi fine perméable qui conduit les protons.

paroi de quelques dizaines de microns d’épaisseurs plaquée entre deux électrodes, une anode et une cathode, qui sont en général en carbone. L’anode (contenant un catalyseur) est balayée par de l’hydrogène pur (partie bleue), qui perd ses électrons qui partent vers l’anode via le circuit électrique. Les protons produits traversent la membrane et se recombinent avec l’oxygène de l’air, qui arrive sur la cathode, en recaptant les électrons du circuit électrique et produisent de l’eau (partie verte). Cette réaction électrochimique génère une tension de 0,7 volt par membrane. Afin d’obtenir 70 volts par exemple, il faut placer cent membranes en série. Ce faisant, on appauvrit l’air en oxygène et à la sortie, on obtient de l’eau, de la chaleur, de l’électricité et de l’azote contenant encore des restes d’oxygène. Le rendement est très bon, entre 45 et 60 %.

Hydrogène

Air

Azote Anode Cathode + Eau Électrolyte H2 ➝ 2H+ + 2e–

O2 + 4H+ + 4e– ➝ 2H2O

Figure 14 Principe de la pile à combustible : à l’anode, l’hydrogène libère un électron qui traverse le circuit électrique, le proton H+ alors formé traverse la membrane électrolytique (en rouge) ; à la cathode, le dioxygène de l’air (O2 + N2) réagit avec le proton pour donner de l’eau. La circulation d’électron aboutit à la production d’un courant électrique.

La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide !

kW, qu’on appelle la RAT, se déploie sur le côté de l’avion afin de produire juste l’électricité nécessaire pour les commandes de vol.

Air Liquide sait maintenant fabriquer des piles à oxygène pur travaillant à 60 % d’efficacité, avec lesquelles 1 kg d’hydrogène dans une pile à combustible génère entre 15 et 20 kWh d’électricité. 2.2. Le stockage de l’hydrogène liquide Pour utiliser une pile à hydrogène dans un avion, il faut pouvoir stocker l’hydrogène sous forme gazeuse ou liquide (et parfois solide), l’oxygène pouvant être pris dans l’air. En utilisant la technologie de la petite bouteille thermos (Figure 15A), qui est au pied de la fusée Ariane et dans laquelle on met 145 kg

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Chimie, aéronautique et espace

A

B

Figure 15 A) Réservoir d’hélium d’Ariane 5 contenant 145 kg d’helium liquide et pouvant contenir 84 kg d’hydrogène soir 1,2 MW ; B) Zimba F-WILD : on pourrait envisager de réduire davantage ces réservoirs pour les placer dans des avions huit places.

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d’hélium liquide à 4 K, on pourrait, à la place, stocker 84 kg d’hydrogène liquide à 20 K. Ces 84 kg d’hydrogène permettent de produire environ 1,2 MW de puissance mécanique sur l’arbre de l’hélice (en tenant compte des rendements de la pile, du moteur électrique ainsi que des convertisseurs de puissance), et nous avons vu que l’énergie nécessaire pour faire voler un petit avion 5 à 6h est de l’ordre de 0,51 MWh. Air Liquide travaille à diminuer la taille du réservoir et sa forme afin de pouvoir l’utiliser dans un petit avion (Figure 16). Si on réalise le réservoir à l’échelle 0,7, on peut stocker 30 kg d’hydrogène, qui permettent d’alimenter une pile à combustible de 70 kW (qu’on trouve déjà dans l’industrie automobile), qui peut faire voler 6h un avion de quatre places en complète autonomie. L a Figu re 16 p r é s e n te quelques exemples de ce type de réservoir. La Figure 16A est un réservoir cylindrique d’hydrogène liquide pour une voiture de formule 1. Il y a des réservoirs plats (Figure 16B) pour aller dans un coffre mais

ils sont un peu moins efficaces que la sphère (Figure 16C). Il faudra savoir s’adapter à toutes les architectures, notamment si on veut mettre ce type de réservoir dans une aile d’avion. Comparons les poids d’une chaîne de tr ac tion électrique à hydrogène à celui d’une chaîne de propulsion par moteur à combustion interne. Prenons l’exemple de ce petit avion français (Simba) qui a deux réservoirs de 75 l (Figure 17A) pesant à peu près 140 kg une fois plein. Son moteur continental (Figure 17B), qui fait 125 chevaux, pèse 125 kg. Au total, le poids de la chaîne de propulsion de cet avion est de 265 kg pour un volume d’un peu moins d’un-demi mètre cube. Si on utilise une pile à hydrogène liquide permettant de voler six heures, pour avoir les mêmes caractéristiques, il faut un réservoir qui fasse 90 cm de diamètre et pèse 130 kg, et stocker 30 kg d’hydrogène à bord (Figure 17C). Il faut ajouter le poids d’une pile à combustible, d’un convertisseur de puissance pour alimenter

La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide !

A

B

C

Figure 16 Exemples de réservoirs pour le stockage de l’hydrogène liquide : A) réservoir LH2 cylindrique, pour formule 1 ; B) réservoir LH2 plat ; C) réservoirs sphériques.

A

C

B

D

Figure 17 Comparaison des poids des chaînes de traction : A) moteur à combustion interne : deux réservoirs AVGAS de 75 l pesant 140 kg pleins, moteur continental IO-240B de 125 chevaux pesant 125 kg ; B) chaîne de traction électrique à hydrogène liquide : réservoir sphérique de 90 cm de diamètre pesant 130 kg avec 30 kg d’hydrogène, pile à combustible BoP 70 kW, batterie de 10 kWh, convertisseur de puissance et un moteur de 100 kW, le tout pesant entre 280 et 330 kg.

71

Chimie, aéronautique et espace

le moteur élec tr ique, et l’ensemble de cette chaîne de traction électrique pèse entre 280 et 330 kg. C’est donc presque comparable à une chaîne de propulsion par moteur à combustion interne (Figure 17D). 2.3. Les infrastructures et réseaux de distribution de l’hydrogène liquide Depuis plusieurs années, Air Liquide investit dans les stations de recharge à hydrogène pour les automobiles à pile à combustible. Le marché de l’hydrogène pour l’automobile commence à démarrer : 4 000 Toyota Mirai étaient en circulation en Californie à la fin 2017, alors qu’il n’y en avait aucune au mois de janvier de la même année.

72

Si le marché se développe, il faudra mettre en place des milliers de stations de recharge en hydrogène et des réseaux de distribution nationaux. Actuellement, ces stations sont ravitaillées avec du gaz qui est ensuite comprimé jusqu’à 700 bars au moment de la recharge de la voiture. Avec le développement prévisible du marché des automobiles à piles à combustible, la taille des stations va s’accroître et il sera alors préférable de les ravitailler avec de l’hydrogène liquide. Beaucoup de sociétés comme Air Liquide prévoient d’investir massivement dans d’énormes usines de liquéfaction d’hydrogène, ce qui veut dire que d’ici cinq à dix ans, l’hydrogène liquide va devenir une commodité. Dès lors, si des avions à hydrogène voient le jour, les aéroports pourront bénéficier de toute

cette infrastructure développée pour l’automobile. Cependant, quand on laissera l’avion avec son réservoir à hydrogène à moitié vide sur le parking, l’hydrogène liquide continuera à bouillir. Il suffira alors que ces vapeur s d’hydrogène soient envoyées dans la pile à combustible de l ’avion pour produire 1 à 2 kW, qui ser viront soit à recharger ses batteries, soit à renvoyer de l’électricité vers l ’aéropor t (en connectant l’avion à une prise de courant comme on le fait pour r e c h a r g e r l e s b a t te r i e s d’une voiture électrique). Il n’y aura donc absolument aucun problème de dégazage d’hydrogène dans l’environnement de l’avion. Les équipes d’Air Liquide travaillent aussi sur la conception des stations d’hydrogène liquide pour les aéroports. La différence avec l’automobile est que l’avion n’ira pas à la station : c’est la station qui devra aller vers l’avion (Figure  18A). Sur la Figure 18B est présenté un concept de station à hydrogène liquide mobile. Pour remplacer l’APU d’un A320 par exemple, il faudrait environ une cinquantaine de kg d’hydrogène afin d’assurer les 8h de vol quotidiennes, et cela prendrait 5 à 10 minutes au maximum pour faire le plein avec des petits camions. L’avenir qu’on espère entrevoir pour l’aviation électrique devrait bénéficier maintenant des développements incroyables qui commencent à démarrer dans le domaine de l’automobile.

3

B

Les prémices d’une nouvelle ère

La pile à combustible et le stockage de l’énergie solaire Si on veut retourner sur la Lune dans les prochaines décennies (voir le Chapitre de R. Bonneville), fournir l’énergie sur la base spatiale sera fondamental car il faudra y rester non pas quelques jours mais de nombreux mois, voire des années. La seule source d’énergie utilisable est probablement celle du Soleil. Or la Lune tournant autour de la Terre en environ 28 jours en lui présentant toujours la même face, il en résulte que la durée du jour lunaire est de 28 fois celle du jour terrestre, et il en est de même pour la nuit. Dans la journée, il n’y a pas de problème avec l’énergie solaire, mais comment fait-on la nuit pour alimenter une base lunaire pendant vingt-huit fois 12h avec des températures extrêmement basses ? Les astronomes pensent qu’il y a de l’eau, de l’hydrogène et de l’oxygène sur la Lune. S’il en est ainsi, cela est parfait parce que durant le jour

l’électricité solaire permettra par l’électrolyse de cette eau de produire l’hydrogène et l’oxygène, qui seront stockés (probablement sous forme liquide) en quantité suffisante pour, lorsqu’arrive la nuit, vaporiser cet oxygène et cet hydrogène liquides, et les renvoyer dans la pile à combustible en vue de produire de l’électricité et de la chaleur. Avec 9 m3 d’eau, on peut ainsi produire 50 kW non-stop pendant vingt-huit fois 12h, et la ressource sera trouvable sur place. En fait, l’eau tournera en circuit fermé, à chaque cycle jour-nuit lunaire, l’eau se dissocie en oxygène et hydrogène, et la nuit on refait de l’eau et de la chaleur dont on aura besoin.

Figure 18 Distribution de l’hydrogène liquide : A) l’automobile va à la station d’hydrogène liquide mais pas l’avion ; B) concept de station mobile d’hydrogène liquide aéroportuaire d’Air Liquide constitué d’un réservoir transporté par un camion pour effectuer des vols quotidiens de 8 h.

La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide !

A

Les travaux de recherche se développent sur le stockage de l’énergie solaire, que ce soit sur Terre ou dans l’espace. À n’en pas douter, les développements technologiques liés à l’exploration spatiale bénéficieront aux applications terrestres. L’hydrogène est en effet une technologie très prometteuse pour stocker les énergies renouvelables intermittentes, comme le solaire ou l’éolien.

73

Chimie, aéronautique et espace

L’hydrogène liquide : un vecteur d’énergie propre et durable La chimie du couple oxygène/hydrogène propulse Ariane depuis maintenant près de quarante ans ; l’électrochimie de ce couple commence aussi à propulser les voitures et pourrait bientôt propulser de petits avions, on parle même d’avions régionaux. Pour les avions de ligne, elle servira plutôt à fournir l’énergie à bord. Cette évolution de l’aéronautique bénéficiera des développements que l’on constate dans le secteur de l’automobile, que ce soit en Californie, en Allemagne ou au Japon, et bientôt en France, où les automobiles à pile à combustible (pour lesquelles l’hydrogène est l’élément central de stockage de l’énergie) commencent réellement à arriver. La société Air Liquide croit beaucoup en cette évolution car il est probable que d’ici quelques années, il sera aussi facile de recharger un avion électrique à hydrogène que de recharger une voiture à pile à combustible comme on le fait aujourd’hui en trois minutes, avec un plein de 6 kg d’hydrogène à 700 bars, permettant de rouler 600 km (Figure 19).

Figure 19

74

Certaines voitures peuvent déjà être rechargées très facilement à l’hydrogène. D’ici quelques années, les avions pourront sans doute profiter de cette même facilité.

Les

matériaux composites

pour

aéronautique

l’

Vincent Aerts est ingénieur chimiste de l’université de Liège et docteur en science des matériaux composites de l’université de Sheffield. Il est ingénieur de recherche à la société Solvay1 en tant que responsable de recherches « matériaux composites ».

Si l’industrie aéronautique a besoin d’un fort degré d’innovation, parce l’utilisation de ses appareils ne cesse d’évoluer, elle peut néanmoins paraître très conservatrice par beaucoup d’aspects. Adopter de nouvelles technologies ou de nouveaux polymères, pour fabriquer de nouveaux matériaux composites, réclame en effet d’énormes efforts en matière de conception, de développement, de tests et de vérifications. Le choix des nouveaux matériaux appelés par les nouvelles utilisations doit tenir compte, à chaque phase, de ces besoins et chercher à en diminuer les difficultés. 1. https//solvay.fr

1

Qu’est-ce qu’un matériau composite ?

Comme son nom l’indique, un matériau composite est composé de plusieurs éléments (Figure 1), dont le premier, qui est essentiel, est la fibre de renforcement. Typiquement, il s’agit du carbone ou du verre. Une fibre de carbone fait cinq à sept microns d’épaisseur, et on utilise des milliers de fibres pour fabriquer des matériaux composites. Le deuxième élément est la matrice organique, dont le rôle est de maintenir toutes ces fibres ensemble, comme une colle, et de les protéger en transférant toutes les contraintes de fibres en fibres.

Vincent Aerts

nouveaux

Chimie, aéronautique et espace

Aviation civile

Moteurs

Utilisation des composites à matrice polymère

Hélicoptère

Aviation militaire

Les avantages des matériaux composites sur les matériaux métalliques sont : leur grande rigidité et leur forte spécificité qui permettent de réaliser des structures plus légères et plus efficaces, une grande flexibilité dans le design (Figure 2), et la résistance à la fatigue. On pense a priori que remplacer

Figure 1 Les domaines d’utilisation des matériaux composites dans l’aéronautique.

Contrainte

Fibre

Composites

2

Comment choisir les matériaux composites pour l’aéronautique ?

Matrice

Élongation

Figure 2

76

Un matériau composite est l’assemblage de fibres de renforcement et d’une matrice souvent organique. Cela permet au matériau d’avoir des propriétés intéressantes comme une bonne résistance aux contraintes.

une structure métallique par une structure composite permet de gagner du poids. Ce n’est pas toujours vrai. Par exemple pour certains hélicoptères, leur avantage vient de leur tenue en fatigue, ce dont souffrent beaucoup les hélicoptères. D’autres avantages des matériaux composites sont la résistance à la corrosion, ainsi que la possibilité de réaliser des structures plus intégrées (Figure 3).

2.1. La matrice Figure 3 Exemples de fibres de renforcements de matériaux, utilisées par milliers pour former des composites.

La chimie de la matrice est sélectionnée pour répondre aux multiples impér atifs liés à l’utilisation du matériau. Le choix fondamental se fait entre une matrice

2. Thermodurcissable : qualifie un matériau qui durcit de façon irréversible au-dessus d’une certaine température. 3. Thermoplastique : qualifie un matériau qui se ramollit d’une façon répétée lorsqu’elle est chauffée au-dessus d’une certaine température, mais qui, audessous, redevient dure. Une telle matière conservera donc toujours de manière réversible sa thermoplasticité initiale. 4. Monomère : molécule qui, par enchaînements successifs avec des molécules identiques ou différentes, donne naissance à une structure polymère.

Les nouveaux matériaux composites pour l’aéronautique

thermodurcissable 2 ou une matrice thermoplastique 3 (Figure 4). Un thermodurcissable est un polymère fabriqué à partir de petites molécule s – le s mono mères 4  –, qui constituent un milieu liquide. Pendant l a cuis s on du matér iau composite, ces molécules réagissent pour former un réseau en trois dimensions qui durcira à la température de transition vitreuse (Tg) et donnera la structure finale du matériau composite. Un thermoplastique est un produit fabriqué à partir de chaînes

moléculaires déjà polymérisées solides à température ambiante. On doit fondre ces résines pour les mettre en forme ; au refroidissement, le produit conserve la forme qui lui a été donnée. 2.2. La température de service Un facteur de choix est celui de la température « de service », c’est-à-dire celle à laquelle le matériau doit être utilisé (Figure 5). Près d’un réacteur, les températures sont plus élevées que sur une aile. Pour un avion civil, ce ne sont pas les mêmes températures que pour un avion de chasse militaire supersonique où le frottement de l’air sur l’aile fait chauffer celle-ci à des températures jusqu’à 100-120 °C.

Figure 4 On différencie les thermoplastiques des thermodurcissables. Les thermoplastiques peuvent être fondus et mis en forme à volonté alors que les thermodurcissables ne peuvent plus être fondus après leur refroidissement.

2.3. La résistance à l’environnement Un autre critère est la résistance à l ’environnement. Si un avion est parqué sur un runway (une piste) en

Polyimide Tg(E’)

Tg(Tan δ)

Polybismaléimide Matrices thermodurcissables

Époxy

0

93 °C

204 °C

315 °C

Température de service (= Tg(E’) humide – 28 °C)

Température

Figure 5 1

Les matrices thermodurcissables peuvent avoir des températures de transition vitreuse Tg différentes et donc des températures de service différentes. Ces matrices ont donc toutes des applications distinctes dans l’aéronautique, en fonction de la température de service en question. Époxy = polyépoxyde (issu de la polymérisation de monomères époxyde).

77

Chimie, aéronautique et espace

Mal aisie par exemple, à Kuala Lumpur où règne un climat chaud et humide, il sera soumis à une humidité qui diffusera dans les polymères et en réduira les performances : avoir une bonne résistance à l’humidité est donc indispensable. En hiver c’est la résistance du polymère à l’antigel qui apparaît comme importante. On peut aussi citer la résistance au « jet fuel » (carburant) et même aux solvants à peinture ; quand un avion est vendu d’une compagnie à une autre, il faut enlever la peinture pour que la nouvelle compagnie puisse mettre son logo et repeindre avec ses couleurs. On doit donc utiliser des solvants très agressifs et il faut que le s matr ice s p oly mèr e s résistent. Tous ces critères sont importants. 2.4. La conduction électrique et la résistance au feu D’autres critères concernent la conduc tion élec trique pour assurer une résistance à la foudre (qui intervient en moyenne une fois par an et est susceptible de gravement endommager l’appareil), ainsi que la résistance au feu, surtout importante pour le fuselage, et qui permet que tous les passagers aient le temps d’évacuer l’avion en cas d’atterrissage difficile.

78

Bien entendu, le coût du produit fini reste inéluctablement un critère de choix, même pour les avions militaires. Toutes ces propriétés dépendent au premier degré du choix de la matrice, thermodurcissable ou thermoplastique.

3

La chimie des matériaux composites pour l’aviation

Pour les structures primaires des avions, les matrices ressortissent à trois types de chimie (voir la Figure 5). Ce sont les résines époxy 5, qui ont des températures de service jusqu’à environ 120 °C, les résines bismaléimides, qui peuvent aller jusqu’à 200 °C-230 °C, puis les polyimides 6, qui vont jusqu’à des températures de 300 °C et sont plus utilisées près des réacteurs dans les avions de combat. Un mot ici sur la flexibilité au design des composites. On en saisit l’importance en comparant diverses pièces de l’avion (Figure 6). Par exemple, un stabilisateur vertical est chargé en torsion. Une aile d’avion en vol, quand l’aile se plie, au-dessus on est en compression alors qu’en dessous on est en tension, donc on n’a pas toujours les mêmes besoins au point de vue design. Pour le bord d’attaque d’une aile ce sera la résistance à l’impact à haute vitesse qui sera déterminante. Sur le dessus du fuselage, la résistance à l’impact des grêlons est très importante et il en est de même pour le 5. Résine époxy : composé chimique au pouvoir adhérent et thermodurcissable qui peut être utilisé comme colle ou combiné à d’autres substances pour former une matière plastique comme la résine époxy. 6. Polyimides : polymères colorés (souvent ambrés) qui comportent des groupes imide (O = CNRC = O) dans leur chaîne principale. Les polyimides sont surtout connus pour leur thermostabilité.

Voici quelques exemples de choix de matériaux. Pour le nouveau bombardier, l’aile est en composite, la fibre est une fibre de carbone et la résine est une résine époxy. La technique de fabrication met en jeu une infusion de résine : toutes les fibres de renforcement sont sèches, mises en forme, puis la résine est infusée dans le renforcement. Le choix de la matrice polymère doit à la fois assurer de bonnes performances pour l’aile terminée après la cuisson mais aussi préserver une réactivité bien ajustée, ni trop élevée pour permettre d’infuser l’aile, ce qui peut prendre plusieurs heures, mais en avoir suffisamment pour que les réactions se fassent de manière efficace. Le chimiste

joue donc le rôle essentiel de concevoir la composition chimique de cette matrice polymère. Pour l’équipement intérieur de l’avion aussi, se pose le problème du choix des matériaux. Par exemple pour les boîtes de rangement des bagages dans l’avion, on doit garantir la résistance à la propagation du feu ainsi qu’à la toxicité des fumées. Il y a aussi une exigence forte de résistance mécanique compte tenu de l’utilisation faite par les passagers. Il faut aussi tenir compte du coût. Ces critères ont conduit à la sélection des résines phénoliques7, la chimie phénolique étant bien maîtrisée. Dans le cas des pales de rotor d’un hélicoptère, c’est le critère de résistance à la fatigue 7. Résine phénolique : polymère thermodurcissable issu du formaldéhyde et du phénol.

Impact à grande vitesse

Peau de l’aile externe Rigidité Résistance à l’impact

Peau inférieure de l’aile interne Tension Fatigue

Les différentes parties d’un avion subissent des contraintes diverses. Les matériaux composites utilisés doivent donc avoir une flexibilité importante afin de résister aux forces subies.

Flexion Torsion

Cisaillement transversal Torsion

Cisaillement Compression

SPAR Cisaillement Tension inter-laminaire

« LSP » Impact à grande vitesse

Figure 6

Flexion

Fuselage Résistance à l’impact Résistance au feu Fatigue Atténuation acoustique Conductivité Isolation thermique Rigidité

Peau supérieure de l’aile interne Compression

Les nouveaux matériaux composites pour l’aéronautique

dessus d’une aile. La technologie des composites permet d’adapter le design au besoin de l’application avec beaucoup de souplesse.

Compression

Impact à grande vitesse « LSP »

Haute température

« LSP »

Impact à grande vitesse Érosion « De-icing »

79

Chimie, aéronautique et espace

qui domine le design. Le matériau choisi est une fibre de verre de type S plutôt que de type E8 avec une résine époxy. Pour certains avions de combat, le critère de sélection de la chimie est d’une part la résistance à la compression et d’autre part la résistance à une température plus élevée nécessaire quand ils volent en vitesse supersonique. Une des solutions adoptées sont les résines bismaléimides9. Pour les aubes de réacteurs, on utilise les résines

Figure 7 Les matrices, fibres et procédés utilisés dépendent de l’application finale et des performances que doit fournir le matériau.

8. Les verres de type S et E se différencient l’un de l’autre par les proportions de leurs composants, notamment en silice (SiO2), alumine (Al2O3) ou encore oxyde e calcium CaO. 9. Résine bismaléimide : résine composée de deux fonctions malémide H2C2(CO)2NH.

époxy pour avoir des résistances suffisantes à de très grandes vitesses d’impact. Par exemple au décollage, s’il arrive que des oiseaux soient ingérés dans le réacteur, on peut évidemment avoir de la perte d’intégrité de l’équipement.

4

Les défis du futur

Quels sont les défis du futur ? On en voit de plusieurs catégories. Pour la recherche : il s’agit de continuer à développer des résines pour augmenter la performance. Les clients veulent toujours plus de performance mais aussi plus d’intégration dans le design et plus de multi-fonctionnalités.

Matrice : phénolique Fibre : Verre de type E Procédé : prepreg Paramètres clés : résistance au feu et coût

Intérieur Matrice : époxy Fibre : carbone Procédé : infusion Paramètres clés : performances, basse viscosité, stabilité à l’infusion

Aile

Aube

Application de la chimie en fonction des besoins de l’application

Matrice : époxy Fibre : carbone Procédé : injection Paramètres clés : résistance à l’impact à très grande vitesse

80

Pale de rotor Matrice : époxy Fibre : Verre de type S Procédé : prepreg Paramètres clés : fatigue

Avion de combat Matrice : BMI Fibre : carbone Procédé : prepreg Paramètres clés : résistance en compression à haute température

Un autre défi pour les composites est le recyclage. Comme

Les nouveaux matériaux composites pour l’aéronautique

Pour l’industrialisation : l’industrie aéronautique a adopté des cahiers des charges de composites sur la structure, et quand on voit les rythmes de production (peut-être 60 ailes par mois pour certaines industries), c’est vraiment de l’industrie. Cela se rapproche de l’industrie automobile avec des vitesses de production très élevées et les défis associés.

on utilise de plus en plus de composites dans l’aéronautique, que faire de ces composites en fin de vie d’un avion ? C’est un gros défi auquel nous faisons face. Et finalement, la certification : cela demande énormément de tests de validation, et pour adopter de nouvelles chimies et de nouveaux matériaux, c’est parfois plus long que ce qu’on ne souhaiterait (Figure 8).

DÉTAILS

ÉLEMENTS

COUPONS

Base de données

Spécimens génériques

SOUS-COMPOSANTS

Caractéristiques structurales

Spécimens non génériques

COMPOSANTS

Figure 8 Pyramide de tests nécessaire pour valider l’adoption d’un nouveau matériau.

81

Chimie, aéronautique et espace 82

Le développement des composites : pas sans la chimie ! La Figure 9 résume bien le rôle clé de la chimie dans le développement des matériaux composites. D’un côté nous avons l’aspect virtuel (la simulation par ordinateur), et de l’autre l’aspect expérimental. Ils vont vraiment main dans la main. Quand on développe des nouvelles chimies, on parle vraiment de la structure moléculaire : partir d’une molécule, et si on veut une plus grande réactivité, changer la structure de la molécule ou partir d’une molécule aliphatique10 vers une molécule aromatique11 pour avoir plus de rigidité sur le polymère et des températures d’utilisation plus élevées. Il y beaucoup de design, d’optimisation de molécules. On part des molécules puis on va vers les alliages de polymères, puis l’échelle suivante consiste à tester ces polymères puis les polymères avec les fibres de renforcement. Ensuite, on passe à une plus grande échelle ; point de vue échantillon mécanique, puis « sub elements » (donc des petites pièces d’avion) pour aller jusqu’à la tête de la pyramide. On trouve des chimistes qui ont commencé comme chimistes et qui ont fini comme ingénieurs en mécanique en réalisant des tests. On trouve des ingénieurs en mécanique qui ont commencé à faire des tests et qui ont pris passion pour la chimie, sont revenus plus bas dans la pyramide et ont travaillé sur la chimie. Cette activité est vraiment multidisciplinaire et il est passionnant de travailler dans ce domaine !

10. Aliphatique : molécule qui présente une chaîne carbonée ouverte. 11. Aromatique : molécule dont les atomes forment des structures cycliques et planes particulièrement stables (comme le benzène, le phénol…).

Le développement des matériaux composites pour la construction d’un avion requiert des simulations ainsi que des expérimentations, de l’étude au niveau moléculaire jusqu’aux études mécaniques afin de former, en haut de la pyramide, un avion.

Grandeur nature Composant Sous-composant Structures isotropiques efficaces

e for m l tue Vir

en

rim



Test/analyse de matériaux constitutifs

Ex

Unidirectionel/micro-mécanique

e

Analyse d’éléments finis

m for

en

en

Mi se

se

Ingénierie de produit Conception des matériaux

Mi

Évaluation des matériaux et sélection

tal

Formulation Synthèse de monomères

Les nouveaux matériaux composites pour l’aéronautique

Figure 9

Modélisation et conception de monomères

83

matériaux

espace :

pour l’

application aux

instruments

optiques Dominique Gilliéron a effectué ses études à l’École supérieure d’aéronautique de Toulouse puis obtenu un Master en astrophysique. Il a notamment travaillé à la Direction générale de l’armement (DGA) sur le programme «  Essaim de micro-­ satellites » destiné au renseignement électromagnétique. Il est actuellement responsable des instruments optiques spatiaux et directeur du Centre de compétence optique spatiale chez Airbus Defense & Space1.

Quel est le matériau idéal pour réaliser un instrument optique spatial ? C’est à cette question que nous essayerons de répondre en adoptant une démarche scientifique visant à poser le problème. Nous présenterons dans un premier temps les contraintes associées à l’environnement 1. www.airbus.com

spatial, puis nous identifierons les performances essentielles d’un télescope optique et enfin nous passerons en revue différents matériaux, avant de conclure sur une comparaison concrète de deux instruments optiques de même classe.

Dominique Gilliéron

Les

Chimie, aéronautique et espace

1

L’espace, un environnement hostile

Pour un opticien, l’environnement spatial est hostile et il est difficile d’y envoyer des instruments optiques extrêmement précis. Cela vient d’abord des caractéristiques spécifiques de l’espace qui posent une quantité de problèmes aux ingénieurs en charge de développer ces instruments. 1.1. Le vide Pour commencer, l’espace est presque « le vide ». Sur Terre, la pression est d’un bar, mais à trente kilomètres, elle n’est plus que d’un millibar (Figure 1). Or, les satellites évoluent à partir de 300 kilomètres, et à cette distance la

pression n’est plus que d’un millionième de bar : il n’y a quasiment plus d’air du tout et les matériaux vont donc être soumis à ce vide extrême. Sur Terre, ces matériaux captent les gaz, et en particulier l’eau sous forme de vapeur… Dans l’espace, ils vont être peu à peu relâchés via un lent processus qui peut durer plusieurs années et qui reste difficile à prédire au sol. Les composites 2 sont des matériaux très utilisés en spatial car ils sont rigides et très légers. Le problème est qu’ils ont tendance à capter beaucoup d’eau au sol qui 2. Composite : matériau formé de plusieurs composants élémentaires dont l’association confère à l’ensemble des propriétés que chaque composant pris séparément ne possède pas.

50

En dessous de 99,9 %

30

1 mb

40 5 mb

Altitude (mi)

10 mb

En dessous de 99 % 30

25 mb 50 mb 20

10

En dessous de 90 %

Figure 1

86

Évolution de la pression atmosphérique (en millibar, mb) en fonction de l’altitude (en kilomètres, km). Plus l’altitude est haute, plus la pression diminue, jusqu’à atteindre le « vide » de l’espace.

10 En dessous de 50 %

5,5

Mt. Everest 0 0

100

300

500 Pression (mb)

700

0 900 1 000

Altitude (km)

20

30

Température

29 28 27

PHR1A Évolution de la température du mécanisme de refocalisation en fonction du temps

26 25

Mesure • Contrôle

24 23 01/2012

01/2013

sera relâchée progressivement dans l’espace au prix d’une modification de leurs propriétés mécaniques : ces matériaux vont tout simplement se déformer. Si un miroir est fixé sur un composite, il se déformera à son tour très légèrement mais suffisamment pour modifier la courbure d’un grand miroir et déplacer le point de focalisation3, c’est-à-dire rendre les images floues ! Pour corriger cet effet, comme pour le satellite Pléiades du CNES, on refocalise l’instrument optique régulièrement sur plusieurs années (Figure 2). L’eau ainsi libérée va s’accumuler autour du satellite et va avoir tendance à se condenser sur les surfaces froides, propres et lisses… comme les miroirs ! Cela donne naissance à la formation de cristaux de glace qui vont atténuer peu à peu la lumière reçue par l’instrument et créer une lumière parasite gênante pour les observations. C’est ce qui est arrivé récemment au satellite GAIA de l’Agence Spatiale Européenne (Figure 3). Afin de traiter le problème, on réchauffe les miroirs contaminés périodiquement 3. Point de focalisation : point où convergent les rayons en provenance de différents endroits.

01/2014

01/2015

pour sublimer la glace. Plusieurs décontaminations ont été nécessaires en 2016 pour retrouver une performance nominale.

À cause du dégazage, c’està-dire de la libération progressive des gaz accumulés sur Terre par les matériaux composites, les instruments optiques doivent être refocalisés pendant plusieurs années. C’est le cas pour le satellite Pléiades où l’évolution de la courbure du miroir primaire est compensée par un dispositif thermique. La courbe montre l’évolution de la température du mécanisme de refocalisation de ce miroir primaire en fonction du temps, traduisant la lente évolution due à la déformation de la structure porteuse en composite comme suite au lent dégazage.

1.2. Les radiations Il faut en outre tenir compte des radiations dans l’espace (Figure 4). Sur la Terre, l’atmosphère dense et le champ magnétique nous protègent très efficacement des radiations qui ne pénètrent qu’aux pôles sous la forme d’aurores boréales. Mais lorsqu’on quitte l’atmosphère, on est rapidement soumis à trois types de radiations : −− le vent solaire : le Soleil est le lieu d’explosions thermonucléaires4 permanentes, 4. Réaction thermonucléaire : réaction nucléaire de fusion de noyaux d'atomes légers portés à très haute température.

Les matériaux pour l’espace : application aux instruments optiques

Figure 2

31

Figure 3 Pollution due à l’eau qui se condense sous forme de cristaux de glace sur les miroirs du satellite Gaïa, un observatoire spatial chargé de cartographier les étoiles proches de notre galaxie. Ce phénomène perturbe l’acquisition des données. L’eau vient du dégazage des matériaux composites utilisés pour réaliser la plateforme du satellite. Source : ESA.

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Chimie, aéronautique et espace

Figure 4 Les différentes radiations auxquelles sont soumis les satellites dans l’espace sont le vent solaire, les rayons cosmiques et les ceintures de radiation.

qui émettent énormément de radiations. L’exposition directe au vent solaire entraîne des dommages importants sur les électroniques et certains matériaux ; −− les rayons cosmiques : ce sont des particules extrêmement énergétiques qui viennent du fin fond de notre galaxie ainsi que de galaxies distantes. Elles sont générées par des évènements cataclysmiques. En pénétrant dans les matériaux, elles vont casser des liaisons chimiques et déposer des charges électriques importantes ;

Figure 5 Les propriétés mécaniques des matériaux dans l’espace changent à cause des radiations. Par exemple, ici est représentée l’évolution du rayon de courbure d’un miroir en verre en fonction de la dose de radiations reçue en orbite géostationnaire. Le changement est suffisant pour défocaliser le télescope et rendre l’image floue en moins d’un an.

Changement de rayon de courbure

0

M1 M4 M5 M2 M3

– 20

– 40

– 60

Pente = – 1,53 (Évolution moyenne du rayon de courbure de 1,53 microns par an en orbite géostationnaire)

– 80

– 100 0

88

10

20

30

40

50

60

70

GEO Dose (Années)

−− le bouclier magnétique, qui protège la surface terrestre, a tendance à piéger les particules du vent solaire et à les garder dans des ceintures fortement ionisées présentant de fortes densités d’électrons et de protons. Suivant leur altitude, les satellites croisent régulièrement ces ceintures et sont soumis à de fortes radiations. Pour les instruments optiques, ces radiations sont à l’origine de deux effets : −− une modification des propriétés mécaniques. Par exemple, sous l’effet du bombardement des particules, certains matériaux vont se densifier en surface. Appliqué à un miroir, cela va se traduire par un changement de courbure de quelques microns (Figure 5). C’est infime, mais cela suffit à rendre des images floues. Comme le dégazage, ce processus est très lent et dure des années. Il sera d’autant plus important que les miroirs sont exposés aux radiations et non protégés par la structure du satellite. −− une modification des propriétés optiques. Par exemple,

1.3. Un environnement thermique particulier Troisième par ticularité de l’environnement spatial, la

thermique. L’espace est très agressif thermiquement et soumet les satellites à un vér itable « bar becue ». D’un côté, le Soleil chauffe trè s for tement, il émet 1 400 watts par mètre carré. De l’autre, l’espace est très froid, avec une température de – 270 °C. Si rien n’est fait, la partie exposée au Soleil d’un satellite peut atteindre une température de 200 °C tandis que l’autre, face à l’espace froid, peut descendre jusqu’à – 100, voire – 150 °C (Figure 7). Ces variations ex trêmes d’environnement thermique posent des problèmes sérieux aux instruments optiques. En effet, une fois l’instrument optique réglé, un changement de température d’un

Figure 6 Un exemple de changement des propriétés optiques des matériaux sous l’effet des radiations. Les résultats d’essais de bombardements par des rayons gamma5 et des protons sont ici visibles. Cela provoque un jaunissement de lentilles fabriquées dans un matériau non durci. Source : ESA.

Les matériaux pour l’espace : application aux instruments optiques

sur des verres, les particules les plus énergétiques cassent des liaisons chimiques et créent des sites actifs qui vont à leur tour piéger la lumière, ce que l’on veut éviter. En effet, les lentilles doivent être transparentes et focaliser les photons sans les arrêter. Les radiations entraînent ainsi une perte de transmission des lentilles (Figure 6). Cet effet doit être pris en compte dans le choix des matériaux pour qu’une mission dure trois, quatre ou cinq ans. Il existe néanmoins des verres durcis qui ne noircissent pas sous les radiations.

Figure 7 Les différents flux auxquels sont soumis les satellites sont divers : le flux solaire intense de près de 1 400 W/m², l’albédo terrestre6 d’environ 500 W/m² dans le visible et de 200 W/m² dans l’infrarouge. Par ailleurs, il n’y a pas de convection car il n’y a pas d’air, seulement de la conduction et du rayonnement. 5. Rayons gamma : rayonnements électromagnétiques très pénétrants émis lors de transitions nucléaires. 6. Albédo terrestre : fraction de l’énergie de rayonnement incidente (envoyée par le Soleil) qui est réfléchie ou diffusée par la Terre.

89

Chimie, aéronautique et espace

seul degré est suffisant pour le dérégler à cause de la dil atation ther mique des matériaux, c’est-à-dire de leur changement de dimensions avec la température. Pour un matériau standard, une élévation d’un degré se traduit par une dilatation d’un micron au moins, ce qui est suffisant pour que la focalisation de votre instrument soit perdue. Figure 8 A) Les micrométéorites sont un danger pour les instruments envoyés dans l’espace. On voit ici un impact de 7 mm dû à une écaille de peinture sur un hublot de l’ISS (Station spatiale internationale). Cela a failli casser le hublot, bien qu’il soit épais de 4 cm ; B) la coupole de l’ISS possède des volets très robustes pour prévenir les problèmes dus aux impacts avec des micrométéorites. Source : NASA.

A

B

90

Il y a donc une nécessité de trouver des techniques et des matériaux qui assurent le contrôle thermique de l’instrument optique. Il faut que malgré un environnement aussi agressif thermiquement, la température de l’instrument au centre du satellite reste maîtrisée, du dixième au millième degré, comme cela a été réalisé pour Gaïa.

1.4. Micrométéorites et oxygène atomique Le quatrième élément hostile vient de la présence d’objets qui se promènent dans l’espace à proximité de la Terre – qui n’est en fait pas totalement vide. Ainsi, vers 300 km, c’est-à-dire dans la partie supérieure de l’atmosphère qui est totalement ionisée, il y a de l’oxygène atomique, qui résulte de la dissociation du dioxygène et est formé d’un unique atome d’oxygène. Il est chimiquement très réactif et va user très rapidement tous les matériaux. On trouve aussi des micrométéorites. Certaines sont naturelle s , ce sont par exemple des poussières de comètes. D’autres ne le sont pas, comme des écailles de peinture provenant d’un troisième étage de lanceur resté trop longtemps en orbite. Elles peuvent provoquer des impacts importants à cause de leur très grande vitesse (plusieur s km /s) comme sur les hublots de la Station spatiale internationale ISS (Figure 8A). Il est possible de s’en protéger par des écrans comme par exemple les volets pour la coupole de l’ISS (Figure 8B). Les instruments optiques sont le plus souvent intégrés à l’intérieur du satellite pour les protéger de tous ces risques. Des revêtements plus ou moins résistants, comme des fibres de verre tissées (le matériau des combinaisons de cosmonaute), s ont également utilis é s (Figure 9). Les satellites sont revêtus d’un tissu en fibres de verre

B

Figure 9 Les fibres de verre tissées (A) utilisées pour revêtir les satellites à basse altitude sont les mêmes que celles des combinaisons de cosmonaute, comme celles de la mission d’Apollo 11 (B : logo d’Apollo 11). Source : NASA.

Figure 10 Le satellite Aeolus, qui doit voler à 330 km d’altitude, est revêtu de fibres de verre pour être protégé des micrométéorites et résister à l’abrasion de l’oxygène atomique. C’est pour cela qu’il est blanc, alors que la plupart des satellites sont revêtus d’un isolant thermique doré. Source : ESA.

qui stoppe les micrométéorites ; celles-ci se subliment directement au contact de la fibre, qui encaisse le choc et évite qu’il ne se propage au reste de la structure (Figure 10). 1.5. La microgravité D e r n i e r a s p e c t : d a n s l’espace, si le satellite ne manœuvre pas, il est en situation de microgravité ou apesanteur. En effet, un satellite est en chute libre, il tombe en permanence mais ne s’écrase pas parce que la Terre est ronde. On parle d’apesanteur, non pas qu’il y ait absence de gravité, mais parce que le satellite ne subit aucune accélération. Or, les phénomènes se produisent différemment en apesanteur. Par exemple, sur Terre, la flamme d’une bougie est bien

Les matériaux pour l’espace : application aux instruments optiques

A

droite, mais dans l’espace, elle devient ronde et bleue (Figure 11). En optique, on ne s’intéresse pas aux bougies mais aux télescopes... Le problème est que les télescopes sont fabriqués et réglés au sol où il y a de la gravité. Il faut donc prédire ce qui va se passer pour cet instrument quand il sera en microgravité, c’est-à-dire choisir des matériaux dont la déformation peut être modélisée de manière précise pour anticiper sa forme une fois dans l’espace. Nous avons passé en revue le s di ver se s agre s sions subies par des objets placés dans l’espace et identifié certaines manières de s’en prémunir. Il faut maintenant analyser une étape critique de la vie des satellites, leur lancement.

Figure 11 A) Une bougie sur Terre a une flamme droite, plus chaude à la base (couleur bleue) qu’au sommet (couleur orangée). C’est un effet de la gravité, les gaz chauds moins denses montant et les gaz froids plus denses alimentant la bougie par sa base ; B) une bougie dans l’espace, en microgravité, a une flamme sphérique et bleue (chaude).

91

Chimie, aéronautique et espace

2

Le lancement, une étape obligée

Adoptons, à des fins didactiques, la vision des lanceurs7 du point de vue de la charge utile 8 et non de leurs fabricants. 2.1. La pression acoustique À la fin du compte à rebours, c’est l’allumage du moteur principal (Figure 12). Le lancement a débuté de manière spectaculaire, mais que se passe-t-il pour la charge utile ? À ce moment dans la coiffe9, on est complètement assourdi par les vibrations sonores du moteur propagées par l’air et la structure du lanceur. Il faut résister mécaniquement à cette pression sonore. Pour cela, les 7. Lanceur : véhicule propulsif capable d’envoyer une charge utile dans l’espace. 8. Charge utile : équipement pouvant être transporté par un véhicule spatial et qui est destiné à remplir une fonction donnée. Pour le lanceur, cela peut être un satellite, mais au niveau du satellite, cela peut être un télescope. 9. Coiffe : partie supérieure du lanceur abritant la charge utile.

Figure 12

92

L’allumage du moteur principal est une des étapes du lancement de sentinelle 1, à Kourou, par un Soyouz. Sentinelle 1 est un des satellites du programme Copernicus de l’ESA et de l’Union Europénne. Cette étape engendre des contraintes mécaniques importantes pour la charge utile via les ondes sonores générées par le moteur et propagées par l’air et la structure du lanceur. Source : ESA

ingénieurs essayent de minimiser les surfaces exposées comme un navigateur réduit la voilure dans la tempête. Les charges utiles doivent donc être les plus compactes possibles et éviter toute voile ou tout grand mur, qui vibrerait comme un haut-parleur sous la pression acoustique et pourrait céder. 2.2. L’accélération L a mis sion du l anceur consiste à accélérer la charge utile de quelques mètres par seconde à près de huit kilomètres par seconde. Cela se fait au moyen d’une poussée continue de 3 à 4 g10 mais également au prix de quelques vibrations. Il faut donc que le télescope soit assez solide mécaniquement pour résister à trois ou quatre fois son poids à cause de l’accélération. C’est le même phénomène quand les astronautes sont écrasés sur leur siège au lancement. Il faut aussi 10. g (comme gravité) : unité d’accélération correspondant environ à l’accélération de la pesanteur à la surface de la Terre.

Phase d’accélération lors du lancement du satellite Sentinelle 1. L’accélération provoque des vibrations auxquelles le télescope embarqué doit être capable de résister. Source : ESA.

que le télescope résiste aux vibrations qui peuvent générer des efforts encore plus importants sur l’ensemble de sa structure. Ces efforts sont tels que l’on doit tester les instruments optiques au sol en les secouant pour prouver leur intégrité lors du lancement (Figure 13). 2.3. Les chocs Il ne viendrait à personne l’idée de taper au marteau sur un instrument optique. C’est pourtant ce que font les lanceurs, car ils ont besoin d’évacuer plusieurs éléments au fur et à mesure de leur ascension. Une fois à court de carburant,

le premier étage devenu inutile est détaché, puis la coiffe, le deuxième étage, et enfin le satellite, sont séparés du troisième étage pour être mis en orbite. Ces séparations se font principalement au moyen de boulons explosifs qui cisaillent mécaniquement le lanceur afin d’assurer une parfaite séparation.

Les matériaux pour l’espace : application aux instruments optiques

Figure 13

Du côté de la charge utile, cela revient à subir quatre chocs successifs. Le télescope doit pouvoir résister à chacun de ces « coups de marteau », qui peuvent atteindre cent fois l’accélération de la pesanteur (g), c’est-à-dire qu’il doit résister à cent fois son poids à chaque choc (Figure 14).

Figure 14 Séparation de la coiffe lors du lancement du satellite Sentinelle 1. Cette étape est un nouveau défi pour les concepteurs de télescopes car ces instruments doivent être capables de supporter les chocs engendrés. Source : ESA.

93

Figure 15 Les différents domaines du spectre électromagnétique en fonction de la longueur d’onde λ. Un télescope optique ne recueille qu’une partie de ce spectre. Le domaine visible est situé entre le domaine ultra-violet (UV) et le domaine infrarouge.

3

Micro-onde

Choisir le bon matériau

Maintenant que nous connaissons toutes les contraintes associées au milieu spatial et au lancement, intéressonsnous aux propriétés fondamentales d’un télescope optique afin d’identifier le bon matériau.

Le télescope est un collecteur de photons. Les photons sont caractérisés par leur longueur d’onde. On s’intéresse à des photons ayant des longueurs d’onde comprises entre cent microns (soit un peu plus petit que le diamètre d’un cheveu) et cent nanomètres (soit un millième de cheveu). Les photons peuvent

94

hf

1 km

100 m

10 m vhf

mf

lf

Radio

Radar

Qu’est-ce qu’un télescope, et en particulier un bon télescope ? Un télescope est un dispositif conçu pour collecter des photons dont les longueurs d’onde varient entre l’ultra-violet et l’infrarouge (Figure 15).

Afin de fournir une image nette, les surfaces optiques des télescopes doivent être ajustées à un dixième de la longueur d’onde. Source : Airbus.

1m uhf

Infrarouge

3.1. Un bon télescope

Figure 16

10 cm

1 cm

1 mm

100 µm

10 µm

0,4 µ 0,7 µ 1 µm UV

VISIBLE

Rayons X

100 Å

10 Å



Chimie, aéronautique et espace

Rayons γ

λ

être traités, selon les situations, comme des particules dotées de propriétés élémentaires, ou comme une onde caractérisant des propriétés collectives. Au moment de la collecte par le télescope, ils réagissent comme une onde. Chaque photon doit alors avoir un chemin exactement identique aux autres, afin d’éviter qu’ils n’interfèrent de manière négative en supprimant une partie importante de signal se traduisant à nouveau par une image floue (Figure 16). Pour cela, il faut garantir que le chemin parcouru par chaque photon soit identique à un dixième de sa longueur d’onde près. Ainsi, pour un télescope en infrarouge, il faut que les surfaces optiques soient ajustées à 10 microns près. Dans le visible et dans l’ultra-violet, cela descend à 10 nanomètres près. Il faut donc s’assurer que les surfaces optiques, qui sont des collecteurs de 1 ou 1,50 mètres, voire 3,50 mètres de diamètre, soient maîtrisées

Deuxième contrainte : nous nous intéressons à des télescopes spatiaux qui doivent donc pouvoir être lancés. Ainsi, nous devons rechercher des solutions les plus légères possibles mais suffisamment rigides pour pouvoir résister aux conditions de lancement. 3.2. Le carbure de silicium, un matériau optimum pour un télescope spatial Avec tous les éléments de l ’ équation désor mais en main, plusieurs matériaux ont été comparés et sélectionnés pour faire la structure et les miroir s des télescopes spatiaux. Ce choix dépend des caractéristiques intrinsèques de ces matériaux (Tableau) mais aussi de leur capacité à être fabriqués à des coûts et dans des délais raisonnables. L’aluminium est très léger mais peu rigide ; il est néanmoins

Les matériaux pour l’espace : application aux instruments optiques

à la dizaine de nanomètre ou de micron près !

utilisé pour fabriquer certains miroirs de qualité optique moyenne compatible de l’infrarouge notamment. Le béryllium est un excellent matériau pour faire des miroirs à la fois légers et résistants, et présentant des per formances thermiques remarquables, mais il est difficile à fabriquer (toxique) et très onéreux. Il a néanmoins été choisi par la NASA pour la réalisation du James Webb Space Telescope (Figure 17). Une céramique, le carbure de silicium (SiC) et des verres à très faible dilatation thermique (ULE, « Ultra Low Expansion glass ») apparaissent également comme des candidats intéressants. Les matériaux retenus doivent être très résistants mais aussi légers. On recherche donc des coefficients indiquant la rigidité et la densité. L’objectif est de supporter le lancement avec le moins de matière possible. Il faut donc s’intéresser au rapport rigidité/densité (voir le Tableau).

Tableau Données de comparaison entre plusieurs matériaux : aluminium, béryllium, carbure de silicium (SiC), verre à très faible dilatation thermique ULE (« ultra low expansion glass »).

Propriété

Unités

ρ, Densité

g/cm

Ε, Rigidité

GPa

3

Aluminium

Beryllium

SiC

ULE

2,71

1,85

2,95

2,21

68,3

303

364

67,6

Ε/ρ, Rapport rigidité/densité

KN-m/g

25

164

123

31

σ/ρ, Résistance à la contrainte

N-m/g

46

11

24

3,2

α, Trempage thermique

ppm/°C

22,7

11,4

3,38

± 0,03

Λα, Homogénéité

ppb/°C

100

100

30

10

Κ/α, Gradients thermiques

MW/m

6,9

19

51

44

6,55

6,07

8,7

0,08

101

63

140

646

2

Κ/rCp, Diffusivité thermique

m /s

Κ/αΕ, Tension thermique

MW-m/N

95

Chimie, aéronautique et espace

Figure 17 Partie du James Webb Space Telescope. Les segments de miroir sont fabriqués en béryllium (ici recouverts d’or), utilisé pour son bon rapport rigidité/densité et ses propriétés thermiques. Source : NASA.

Le carbure de silicium est excellent de ce point de vue : il permet de résister au lancement avec des miroirs jusqu’à trois fois plus légers qu’un miroir équivalent en verre. Par exemple, un miroir de 1,50 mètres de diamètre en carbure de silicium pèse 40 kg, mais en pèserait 110 kg s’il était en verre ! Cette propriété a été exploitée dans le cadre de la mission Hershell de l’ESA avec la fabrication d’un miroir de 3,5 m de diamètre en carbure de silicium (Figure 18). Le deuxième élément essentiel est le contrôle thermique des instruments : il existe deux solutions pour réguler thermiquement un instrument. Soit il

Figure 18

96

Miroir Hershell en carbure de silicium de 3,5 m de diamètre. Source : ESA.

faut totalement isoler l’instrument de l’environnement, soit il faut le contrôler activement, c’est-à-dire réguler sa température. Cette régulation est d’autant plus efficace que le matériau conduit la chaleur. Il faut en effet éviter qu’il y ait un point chaud dans l’instrument, qui conduirait à une déformation locale et donc à une image floue. Or, une mauvaise conduction thermique empêcherait de drainer la chaleur du point chaud pour rééquilibrer la température de l’instrument. Le carbure de silicium et le béryllium présentent une excellente conduction thermique qui va permettre de simplifier le contrôle thermique et donc

La troisième propriété intéressante du car bure de silicium, c’est qu’il est chimiquement inerte. Après sa cuisson à plus de 1 600 °C, le carbure de silicium n’absorbe plus ni l’humidité ni les gaz. Étant formé de silice et de carbone, sa composition est simple et extrêmement résistante aux radiations. Le carbure de silicium ne change

Les matériaux pour l’espace : application aux instruments optiques

réduire la complexité de l’instrument. De plus, le carbure de silicium possède un coefficient de dilatation relativement faible, ce qui permet de tolérer une excursion en température plus importante et donc une régulation thermique plus simple.

pas de propriétés en orbite : il ne dégaze pas, ne contamine pas et ne se déforme pas. Enfin, la diversité de pièces que l’on sait réaliser grâce aux propriétés des céramiques est spectaculaire. La céramique est un peu comme l’argile du potier, c’est une matière très malléable, facilement usinable avant cuisson et extrêmement dure après cuisson. Cette malléabilité avant cuisson est utilisée pour réaliser des pièces élémentaires complexes, assemblées ensuite en structure pouvant atteindre des tailles de plusieurs mètres comme dans l’exemple du télescope Gaïa pour l’ESA (Figure 19).

Le carbure de silicium confirme ses qualités exceptionnelles comme matériau optique pour les applications spatiales 11

A-t-on fait un bon travail d’ingénieur ? A-t-on élaboré une solution robuste, élégante, efficace et répondant à des performances optiques extrêmes ? La réponse est oui, comme le montre l’exemple ci-dessous. Comparons deux télescopes ayant le même facteur de mérite12, c’est-à-dire avec la même taille de miroir principal, et donc permettant d’obtenir des images de même résolution et de même rapport signal sur bruit (Figure 20). La seule différence entre ces deux instruments est l’utilisation d’un côté d’une structure et de 11. Tore : solide ayant la forme d’un tube refermé sur lui-même, comme une bouée ou un donut. 12. Facteur de mérite : grandeur servant à caractériser les performances d’un appareil, pour les comparer à celles d’un autre.

Figure 19 Série de pièces en carbure de silicium utilisées pour Gaïa, instrument qui est comme un immense lego, constitué d’un tore11 de quatre mètres de diamètre réalisé en dizaine de tronçons élémentaires. Source : Airbus Defense & Space.

97

Chimie, aéronautique et espace

Figure 20 Comparaison entre deux télescopes fournissant la même qualité d’image, mais ayant des propriétés physiques différentes : A) avec utilisation du carbure de silicium, B) avec un miroir en verre et un composite contenant des fibres de carbone. Source : A) Airbus Defense & Space ; B) CNES.

A

B

miroirs en carbure de silicium (Figure 20A), et de l’autre d’un miroir en verre et de panneaux en CFRP («  carbon fiber reinforced polymer », composite à base de fibre de carbone, Figure 20B). Le télescope en carbure de silicium est visiblement beaucoup plus compact, mais il est aussi beaucoup moins lourd (d’un facteur deux typiquement). Il sera donc moins cher à lancer, pourra être embarqué sur un petit satellite, qui sera d’autant plus agile que l’instrument sera compact.

98

Stratobus

Jean-Philippe Chessel est directeur et manager de la ligne de produit Stratobus Thales Alenia Space.

1

StratobusTM, une innovation pour de nouveaux horizons StratobusTM est un projet qui généralise le concept du dirigeable. Il peut donner naissance à un système d’observation, de navigation et de communication complémentaire des satellites, mobile, guidé par télécommandes et beaucoup plus performant que les stations au sol. L’envoi du StratobusTM dans la stratosphère ne nécessite pas de lanceurs. Au moyen de ballonnets de gaz internes, on le fait décoller du sol et monter en altitude (Figure 1A-C). Contrairement au zeppelin1, ce n’est pas un dirigeable troposphérique mais stratosphérique ; il va se positionner à une altitude d’environ 20 000 mètres, plus haut que les hélicoptères et les avions : il dépasse les nuages (Figure 1D).

faire, de lutter contre les vents qui se trouvent dans la stratosphère afin de pouvoir offrir un grand nombre de missions : 1) missions d’observation (Figure 1F) : −− surveillance de frontières ; −− surveillance de sites sensibles comme des raffineries pétrolières, des usines (Figure 1G) ; −− surveillance maritime : un navire qui pollue et qui dégaze pourra être pris en photo sur le fait ; −− surveillance d’actes de piraterie maritime : présence ou pas de l’identification numérique (AIS) des bateaux qui pourraient être réceptionnés ; −− érosion des plages pour les applications de caractérisation des évolutions environnementales ; −− propreté à la fois de l’eau et des plages ;

L’enjeu est de le maintenir stationnaire (Figure 1E), et pour ce

−− détection et aide à la gestion des tempêtes de sable ;

1. Zeppelin : premier dirigeable allemand à enveloppe rigide construit par Ferdinand von Zeppelin à la fin du xixe siècle. Le terme zeppelin est maintenant utilisé pour désigner tous les types de ballon dirigeable.

2) mesures météorologiques pour améliorer les modèles (Figure 1H) : −− surveillance et intervention dans le cas de désastres naturels ;

Jean-Philippe Chessel

TM

Chimie, aéronautique et espace

A

B

C

D

E

F

G

H

I

J

Figure 1 100

StratobusTM et ses missions.

−− mesure du taux de carbone au-dessus des villes ; −− thermographie urbaine pour détecter les défauts d’isolation thermique des immeubles ; 3) missions de télécommunications (renfort GPS local) (Figure 1J) : −− embarquer un pseudolite pour relayer et renforcer la localisation GPS. Thales Alenia Space propose le StratobusTM comme un complément aux satellites, qui se positionne entre drones et satellites. Pour se maintenir en position dans la stratosphère, le StratobusTM utilise quatre moteurs à motorisation purement électrique. La majeure partie du temps face au vent, il évolue comme une girouette en utilisant ses moteurs pour contrer la force du vent et

Stratobus™

−− surveillance et aide à la gestion pour combattre les incendies de forêts (Figure 1I) ;

rester stationnaire. Lorsque le vent grossit, la motorisation se fait plus puissante, la vitesse augmente. Lorsque le vent diminue, il diminue sa vitesse. Lorsque le vent tourne, il suit le vent (Figure 2A-B). Lorsque le vent s’arrête, StratobusTM utilise ses moteurs pour décrire une figure de type hippodrome autour de son point de référence, de manière à créer un vent relatif modéré. Le StratobusTM est complètement autonome. Il n’y a pas de pilote à bord et il génère sa propre énergie ; pour ce faire, il est équipé d’un panneau solaire placé sur le sommet de l’enveloppe. La Figure 2C présente une vue du dessus du panneau solaire et une vision à l’intérieur de l’enveloppe. En réalité, cette enveloppe est opaque et vide ; elle est utilisée pour renfermer un système de ballonnets et de gestion de gaz (pompes, valves, capteurs) que l’on actionne pour le gonflage d’air afin de

A

B

C

D

Figure 2 StratobusTM joue avec le soleil et le vent pour s’alimenter et se diriger.

101

Chimie, aéronautique et espace

l’alourdir dans la descente, ou pour le vider et le monter en altitude. Le StratobusTM est rempli d’un gaz plus léger que l’air : l’hélium. Il pourra également fonctionner à l’hydrogène dans quelques années. L’innovation spécifique au projet StratobusTM repose sur le fait que l’ensemble de l’enveloppe tourne et s’oriente pour optimiser l’éclairement solaire. De jour, l’énergie utilisée est l’énergie solaire. De nuit, on utilise l’énergie qui a été stockée pendant la journée pour assurer la mission du StratobusTM : rester stationnaire, lutter contre le vent, alimenter des charges utiles (Figure 2C-D).

Figure 3 Le StratobusTM, positionné dans l’espace aérien entre les drones et les satellites, couvre un rayon/ champ d’action intermédiaire.

102

L e c o n ce p t S tr a to b u s T M peut surprendre : c’est le retour du dirigeable. En fait, StratobusTM n’est pas dans le cœur de métier de Thales Alenia Space, qui est leader mondial dans la fabrication de solutions par satellite. Mais des clients de tous horizons sont intéressés par ce produit qui répond parfaitement aux demandes d’un nouveau marché, le

marché des HAPS 2 (« High Altitude Pseudo-Satellite ») : du monde militaire, du monde de la sécurité, du monde privé également, par exemple les opérateurs de télécommunication, qu’ils soient terrestres ou par satellite. Le StratobusTM n’est pas un concurrent du satellite, mais un produit destiné à augmenter la valeur des solutions par satellite. Il se positionne à 20 kilomètres d’altitude alors que les satellites évoluent entre 300 et 36 000 kilomètres lorsqu’ils sont géostationnaires ; ils sont beaucoup plus éloignés et ont une vision plus globale de la Terre, d’un pays, voire d’une partie de continent. À 20 kilomètres d’altitude au contraire, la vision est régionale (environ 500 km de diamètre). Le niveau de service offert aux clients n’est pas le même qu’avec un satellite, mais ses atouts complètent le satellite et la constellation de satellites (Figure 3). 2. HAPS (« High Altitude Pseudo Satellite ») : plateforme stratosphérique qui est un aéronef stationnaire fournissant des services de communication et d’observation.

Pour les applications de télécommunication, dans les situations de diffusion d’Internet par satellite, on couvre des zones importantes, et le débit que reçoit l’utilisateur est faible, beaucoup plus faible que celui du câble. Le StratobusTM va permettre d’augmenter le débit Internet

Stratobus™

Les satellites d’observation de la Terre, dotés d’une très bonne résolution, se situent autour de 700 kilomètres d’altitude et sont défilants autour de la Terre. Ils ne peuvent pas être stationnaires. À partir de là, il y a un temps de re-visite de quelques heures à quelques jours, ils vont repasser par exemple toutes les trois heures, tous les deux jours. Avec un StratobusTM , au contraire, on peut rester permanent au-dessus d’une zone. Le StratobusTM va rester toute la journée, tous les mois, voire jusqu’à une année, suivant l’endroit où il est positionné sur la Terre. Il permet de compléter les informations et les images données par le(s) satellite(s), voire envoyer une vidéo de sa zone observée.

(data rate) dans une zone régionale, comme un amplificateur de satellite (Figure 4), et en particulier en bordure de couverture satellitaire ou dans des lieux à forte densité comme une zone portuaire. On voit ainsi que StratobusTM, situé à une altitude où il n’y a pas encore de HAPS, s’attaque à un marché nouveau. Ce marché est estimé à plus d’un milliard de dollars à partir de 2020, et il fait aujourd’hui l’objet de nombreuses convoitises par les GAFA en particulier, Google (avec son projet « Loon »), Facebook avec son Aquila, Lockheed Mar tin 3 , des Chinois… C’est une réelle course pour prendre la première position autour de 20 kilomètres et pour pouvoir offrir des services avec un premier produit le plus tôt possible. Le but du projet n’est pas d’abord scientifique mais industriel en vue de créer et alimenter un marché de milliers d’unités qui est mondial. 3. Lockheed Martin : entreprise américaine de défense et de sécurité.

Figure 4 Avec son dirigeable dernière génération, le StratobusTM, Thales Alenia Space s’étend vers de nouveaux horizons, offrant ainsi de nouveaux outils aux réseaux des télécommunications. Cette technologie offre un nouveau moyen d’accéder et de transmettre des informations au sein du réseau (en augmentant le débit Internet par exemple).

103

Chimie, aéronautique et espace

2

équation très simple qui utilise la poussée d’Archimède (cette fois dans l’air) et la portance de l’air, et relie la masse totale emportée et la masse du volume d’air (densité 100 g par m 3 à l’altitude voulue). Pour emporter une charge de 7 tonnes, on calcule un volume de 63 000 m3.

Le StratobusTM est ce que l’on appelle un « blimp » (dirigeable à enveloppe souple), c’est-à-dire qu’il n’a pas de coque rigide ni même semirigide, à l’inverse du zeppelin qui a une coque semi-rigide renforcée par une poutre carbone. L’enveloppe du ballon est vide à l’exception du système de gestion des gaz et des ballonnets pour assurer son équilibrage, son accès à 20 km ; le ballonnet principal est gonflé d’air et dégonflé pour permettre la descente et la montée du ballon dans la stratosphère.

Le StratobusTM et ses panneaux solaires flexibles et ultralégers (technologie silicium). Ces panneaux convertissent le rayonnement solaire en énergie électrique. Cette énergie est utilisée pour alimenter différentes appareillages du StratobusTM (notamment les piles à combustibles). La pisciforme aérodynamique dérivée du BD33 est une forme capable d’optimiser la traînée globale du dirigeable, c’est-à-dire capable de minimiser les frottements avec l’air. Les frottements les plus importants sont focalisés au niveau du nez de l’aéronef et s’estompent le long de l’enveloppe.

Le StratobusTM n’est pas un « petit » dirigeable ; il fait 115 m de long, 34 m de diamètre au maître-couple (l’endroit où le diamètre est le plus important) (Figure 5) : très impressionnant. Il est un peu plus long et plus haut qu’un A380. À vrai dire, les dirigeables existants, comme le zeppelin, ont tous des tailles importantes, et les zeppelins faisaient jusqu’à 150 m de long et 40 m de diamètre. Par rapport aux projets concurrents, et grâce aux innovations technologiques, le StratobusTM reste « relativement petit » – ce qui ne signifie pas qu’il ne s’agit pas d’un grand projet à développer et à réaliser industriellement. En effet, des projets concurrents parlent de 150 000 à 250 000 m3.

Au sol, le volume du gaz (hélium) qui remplit le StratobusTM est de 6 000 m 3 environ ; à 20 000 m d’altitude, il fait 60 000 m3. Au sol, le ballonnet est rempli d’air pour le ballaster et maintenir le StratobusTM au sol. Au fur et à mesure que l’air du ballonnet interne est purgé, l’hélium prend sa place et le volume porteur augmente. Le volume, limité par la taille de l’enveloppe, est défini par une

Réseau de cellules solaires silicium ultralégères

vent

Diamètre maximum 34 m

Figure 5

104

Une prouesse technologique

55 hPa

13-20 km

propulsion

traîne

propulsion

traîne

– 80 °C à – 50 °C

Longueur 115 m Aramides ou fibres Kevlar

PET Alumininisé tissu PET Alumininisé

Technologie de coque unique résistante aux contraintes stratosphériques

Stratobus™ Masse battrerie + toile pour une toile de 150 g/m2 et une batterie à 600 Wh/kg 13 h de nuit et 25 m/s

Allongement L/D du dirigeable Élongation optimale L/D

L’hélium interne est maintenu en état de légère surpression, de 55 hectopascals vis-à-vis de l’environnement extérieur. Cette surpression assure la rigidité d’enveloppe ainsi que des propriétés aérodynamiques intéressantes permettant de résister à la pression du vent, de réduire la traînée, et donc de la puissance nécessaire pour la motorisation. Les simulations de traînées aérodynamiques ont permis de définir une forme optimale proche de celle qui avait été mise au point par Zeppelin dans les années 1930 : la « forme BD33 », très aérodynamique. Le facteur d’allongement a lui aussi été optimisé (Figure 6). Plus le Str atobusT M est allongé, plus il est aérodynamique, mais il y a une limite : s’il est trop allongé, il risque de se plier lors de la montée en traversant des vents importants. L’environnement thermique est bien connu et très stable : il fait très froid (de -80 à -50 °C). Le StratobusTM a été conçu en fonction de cette contrainte.

3

Le système autonome du StratobusTM

Le StratobusTM est autonome : il n’y a pas de pilote à bord,

pas de câble qui le relie au sol comme les ballons captifs (à 20 000 m de distance, cela ferait beaucoup), on peut circuler en dessous. Il est télécommandé et, pour des questions de certification et de sécurité, on a séparé le « lien de la commande » de StratobusTM du « lien des données mission » (Figure 7).

Figure 6 Courbe traduisant l’évolution de l’allongement du dirigeable. Le facteur optimal est déterminé au minimum de la courbe, c’est en ce point que le dirigeable sera le plus aérodynamique.

La commande de StratobusTM peut se faire en direct, à partir d’une station au sol pour peu que l’on ne dépasse pas environ 200 kilomètres de distance. Grâce à sa motorisation, le StratobusTM peut se déplacer dans les airs ; il faut donc pouvoir le piloter à distance. Pour le piloter, on passe par un satellite ; une antenne satellite est placée sur le sommet du StratobusTM. On peut par exemple le lancer à Istres dans le sud de la France et l’amener au-dessus du Mali. Il y sera en quelques jours par sa propre motorisation. Il en est de même pour toute la partie « données mission », en particulier pour la réception de l’imagerie. Soit on utilise une station de réception d’imagerie locale située à moins de 200 kilomètres, soit on passe par un satellite. Par exemple, à partir du Mali, on peut avoir des images à Paris dans son bureau comme si on y était en quasi temps réel.

105

Chimie, aéronautique et espace

BRLOS Mission satellite

Contrôle du trafic aérien

BRLOS Plateforme C2 TMTC Lien ATC-GCS

BRLOS Plateforme C2 TMTC

Contrôle au-delà de la ligne de vue

BRLOS C2 satellite

age

Im

StratobusTM

BRLOS Plateforme BRLOS Plateforme C2 TMTC

BRLOS Données de mission & TMTC

Charge utile RLOS TMTC

BRLOS Plateforme C2 TMTC

Segment de contrôle au sol de la plateforme

Figure 7 Le StratobusTM effectue des missions d’observation, des missions de surveillance et des missions de télécommunication. Il peut échanger des informations, images ou vidéos en temps réel grâce aux plateformes de contrôle sur Terre et à l’échange d’informations avec les satellites.

e

iqu

opt

Segment de mission au sol

Mission

Pour la mise en œuvre du StratobusTM , Thales Alenia Space n’a pas une approche unitaire (un ser vice défini rendu par un satellite à un endroit unique), mais une approche de constellation en concevant toute une flotte de StratobusTM (Figure 8). Un lien laser ou radio est intégré à

chaque dirigeable pour permettre la communication entre les StratobusTM et la mise en place de réseaux. Ces réseaux, déployés, peuvent couvrir des régions de plusieurs milliers de kilomètres et échanger des informations quasiment instantanément entre StratobusTM, des vidéos

Figure 8 106

Ensemble de StratobusTM présent dans la stratosphère. Les StratobusTM peuvent être connectés entre eux à une distance de 500 kilomètres.

3.1. Les raisons du choix de l’altitude de StratobusTM Pourquoi avoir choisi 20 kilomètres d’altitude – comme d’ailleurs tous les projets de dirigeables stratosphériques, à l’heure actuelle ? Premier avantage de cette altitude : l’adaptation aux vents. La courbe des vents (Figure 9) montre qu’il y a des vents importants qui correspondent au jet-stream4, situé entre 5 et 13 kilomètres d’altitude suivant l’hémisphère dans lequel on se trouve. Les vents diminuent ensuite pour trouver un plateau, entre 18 et 25 kilomètres, où le vent souffle en moyenne à 10 mètres par seconde. Évidemment pour positionner 4. Jet-stream : courant d’air rapide et confiné que l’on trouve dans l’atmosphère de certaines planètes telles que la Terre.

Stratobus™

ou des images. Cela servira pour des applications militaires aussi bien que civiles. Les StratobusTM étant mobiles, les mailles du réseau peuvent être optimisées en fonction de la demande des utilisateurs au sol.

un engin qui doit lutter contre les vents, on choisit un endroit où les vents sont moins importants. Autre avantage de cette altitude : elle se situe au-dessus du trafic aérien (Figure 10). C’est une zone où, aujourd’hui, il n’y a encore personne. Si on ne gêne pas le trafic aérien, il faut tout de même le traverser. Un travail de certification doit être mené pour répondre aux aspects réglementaires. Une fois que le trafic aérien est traversé, le StratobusTM peut se déplacer et aller se positionner où l’on souhaite. Il est à noter que la réglementation aéronautique n’existe pas encore dans la stratosphère et que le projet StratobusTM a initié un groupe de travail sur le sujet, aussi bien en Europe avec l ’E A SA (« European Aviation Safety Agency »), qu’au niveau mondial avec l’ICAO («  International Civil Aviation Organisation »). Troisième avantage : la densité d’air est encore suffisante. Le dirigeable étant porté par l’air, il faut une densité d’air assez impor tante. Si l’on monte à 25 kilomètres, la densité d’air diminue, il va falloir

Flottabilité-poids

Altitude km 35

Vent

Traîne

30

Vélocité Propulsion

25

Ascenseur

20 15 10

Moyenne sur 1 an

5 0 – 10

0

10

20

30

40

50

Vitesse du vent m/s

60

70

80

Figure 9 Vitesse moyenne des vents (exprimée en mètres par seconde) en fonction de l’altitude (exprimée en kilomètres). À 20 kilomètres d’altitude, les vents soufflent à moins de 10 mètres par seconde en moyenne. C’est une vitesse largement inférieure aux 60 mètres par seconde pouvant être observés à une altitude de 10 à 15 kilomètres.

107

Le StratobusTM évolue dans la seconde couche de l’atmosphère, la stratosphère, ne perturbant pas le trafic aérien qui se situe en moyenne à environ 13 kilomètres d’altitude. StratobusTM se situe à une altitude jusqu’à présent inoccupée par d’autres systèmes spatiaux (ballons sondes, navettes spatiales, satellites).

navette spatiale (orbite la plus basse  : 165 km) IONOSPHÈRE

météorite

Le StratobusTM est conçu à partir d’un grand nombre d’outils de haute technologie : enveloppe multi-films résistante et rotative, motorisation électrique, piles à combustible régénératives, panneaux solaires en silicium terrestre et système d’empennage arrière.

20 km 65 000 ft

STRATOSPHÈRE 16 km Boeing (13 km)

Pour répondre au marché, le StratobusTM doit avoir la capacité d’embarquer une charge utile puissante. Il pourra emporter entre 250 à 450 kg suivant son emplacement audessus de la Terre. Il pourra fournir une puissance importante de l’ordre de 5 à 8 kilowatts à sa charge utile. 250 kg pour 5 kilowatts, cela représente la charge utile de la constellation « Globalstar 2 » (satellite permettant d’assurer les communications téléphoniques tout autour de la Terre avec une charge utile de l’ordre de 250 kg). C’est ce qui a servi de dimensionnement au StratobusTM.

Everest

TROPOSPHÈRE

réflexion absorption réflexion absorption par le sol (50 %)

3.2. Les équipements de StratobusTM Le StratobusTM est motorisé, c’est ce qui fait sa différence avec un ballon (qui est dérivant). La motorisation lui permet de se diriger où il veut. Il dispose de quatre moteurs, en croix, qui permettent de le faire naviguer (Figure 11). Il y a également une nacelle contenant la charge utile, qui doit tout le temps rester pointée vers le sol. Cela est important et est assuré par un système astucieux de moteurs permettant le déplacement en sens inverse de la nacelle pour faire tourner l’ensemble de l’enveloppe. Le StratobusTM est également équipé de deux nacelles, contenant le système de stockage d’énergie, constitué

Queues avec gouvernails

faisant face à un vent continu avec des hélices électriques disposées Batterie de cellules solaires au silicium

Gondole de charge utile mobile

108

réflexion absorption

température en °C

Enveloppe résistante multi-films

Gaz de levage d’hélium pressurisé

MÉSOSPHÈRE 48 km

nuage nacré ballon sonde

augmenter le volume. Cela poserait des problèmes du point de vue de la réalisation industrielle.

Figure 11

THERMOSPHÈRE 80 km

rayonnement universel

altitude (km) pression (millibare)

couche d’ozone (O2)

Chimie, aéronautique et espace

Figure 10

Système de piles à combustible régénératives dans des gondoles fixes

Amarrages déployables pour l’atterrissage

Le StratobusTM dispose d’un système d’empennage arrière avec des gouvernes pour la stabilité et le pilotage. Il est entouré d’une enveloppe spécialement conçue pour résister pendant un an dans des conditions stratosphériques. Malgré toutes les précautions, les UV et l’ozone conduisent au vieillissement de l’enveloppe, qui doit être changée

au bout d’une certain nombre d’années. Elle comporte un assemblage de laies sur l’ensemble de l’enveloppe, de la qualité de leur assemblage dépend l’étanchéité au gaz porteur, et donc sa permanence dans la stratosphère ; StratobusTM devra redescendre une fois par an pour remettre du gaz porteur.

Stratobus™

de piles à combustible réversibles. La pile à combustible réversible est à ce jour le meilleur moyen d’alimenter le StratobusTM en énergie en termes de stockage d’énergie par kg. Durant la journée, l’eau embarquée du sol est électrolysée grâce à l’énergie fournie par le générateur solaire. L’électrolyse de l’eau produit deux gaz : le dihydrogène et le dioxygène, que l’on stocke dans des réservoirs de bord. Durant la nuit, le dihydrogène et le dioxygène alimentent une pile à combustible, qui fournit l’énergie électrique pour faire fonctionner les équipements de bord, produit de la chaleur réutilisable et régénère l’eau, laquelle remplira à nouveau le réservoir pour le jour suivant (Figure 12).

Figure 12 Le StratobusTM possède un système de stockage d’énergie constitué de piles à combustible réversibles.

4

Un ballon dirigeable à haute performance de stockage énergétique

Le génér ateur solaire (Figure 13) est un système évidemment essentiel. Il a une sur face d’env iron 1 700 m2 et doit générer une énergie conséquente à bord, de l’ordre de plusieurs centaines de kilowatts pendant la journée. Par ailleurs, ce générateur doit être le plus léger possible.

5

Les technologies à bord

Le Str atobusT M maî tr ise obligatoirement les quatre technologies clés suivantes (Figure 14) :

La puissance est fournie par des modules de centaines de cellules photovoltaïques planaires à l’étape 1

Figure 13 Les panneaux photovoltaïques disposés sur l’enveloppe du StratobusTM sont constamment éclairés par le Soleil (grâce à la rotation de l’enveloppe) afin d’utiliser l’énergie solaire comme vecteur d’énergie. Les dirigeables de première génération sont constitués de panneaux photovoltaïques en silicium alors que ceux de seconde génération seront équipés de générateurs solaires hybrides (en silicium et en arséniure de gallium) plus puissants permettant de convertir de façon plus importante le rayonnement solaire en énergie électrique.

Un générateur solaire hybride plus puissant sera utilisé dans l’étape 2

Par la rotation du ballon, le générateur solaire est dirigé vers le Soleil toute l’année

La nacelle reste toujours pointée vers le sol

109

Chimie, aéronautique et espace

Cellules solaires

Matériau de la coque

Besoin de cellules solaires à haut rendement avec un faible rapport en kg/m2 et un faible coût, résistant aux conditions stratosphériques et à l’hébergement conforme

Très résistant pour se conformer aux surpressions et tensions prévues et à l'environnement stratosphérique (UV), et ayant un faible rapport g/m2

Piles à combustible régénératives

Harnais léger

Nécessité d'un système de stockage de grande capacité avec un rapport Wh/kg élevé et une efficacité d’aller-retour élevée

Figure 14 Une structure légère, une enveloppe résistante, des panneaux solaires performants, des piles à combustible régénératives à haute densité de stockage constituent les quatre technologies indispensables à la réalisation du projet.

110

−− un générateur solaire possédant des qualités parfois contradictoires : il doit être de haute efficacité et avoir un rendement important, mais il ne doit pas être cher. On utilise des technologies silicium et non pas des technologies arséniure de gallium comme celles des satellites. Le générateur solaire doit également être très léger. Nous avons choisi des panneaux solaires en silicium, que nous avons allégés en enlevant le substrat. Ces panneaux deviennent donc flexibles. Ils doivent également être résistants aux environnements, aux UV et à l’ozone. Ils sont protégés par des films particuliers développés à cet effet ; −− un équipement clé est l’enveloppe, pour laquelle le développement du matériau est essentiel et complexe, car elle doit assurer de nombreuses fonctions. La première est de maintenir le gaz en surpression. La pression du gaz varie selon qu’il est éclairé par le Soleil ou froid la nuit entre 3 et 25 hectopascals. L’enveloppe doit donc respirer et se dilater sans qu’il n’y ait rupture. Par ailleurs, elle doit être strictement étanche, car l’hélium

Harnais ayant une masse très faible mais permettant de transporter une grande puissance à haute tension

s’échappe facilement. Afin d’assurer ces performances sur un an à poste, nous développons une enveloppe avec trois couches de matériaux : deux films plastiques pour assurer l’étanchéité, et un tissu à base de fils de type kevlar pour assurer la résistance mécanique aux fluctuations de la pression interne. L’enveloppe doit aussi être très légère, approximativement le poids de deux feuilles de papier blanc format A4 ; −− un autre des développements clés concerne la pile à combustible réversible : elle doit pouvoir stocker une grande quantité d’énergie – ordre de grandeur de 600 wattheures au kg. Par comparaison, les batteries actuelles stockent 250 wattheures au kg pour les meilleures. Au départ, nous nous sommes intéressés aux batteries de satellite, et, lorsque nous avons réalisé le dimensionnement, nous avons trouvé quatre tonnes de batterie : beaucoup trop ! Le poids des piles à combustible embarquées devrait rester entre 1 et 1,5 tonnes. La masse totale du StratobusTM est de 8 tonnes ; −− la dernière technologique clé est le câblage, ce qui peut

6

StratobusTM, une plateforme multi-missions StratobusTM a été conçu pour être un porteur multi-missions (Figure 15). La charge utile doit se situer entre 250 et 450 kg, et doit pouvoir être montée en « plug and play »5, 5. Plug and play : procédure permettant aux périphériques d’être reconnus rapidement et automatiquement par le système d’exploitation dès le branchement du matériel.

Stratobus™

paraître surprenant, mais il faut véhiculer beaucoup de puissance : plusieurs centaines de kilowatts. Afin de réduire l’intensité électrique de quelques dizaines d’ampères, on travaille à haut voltage. Malgré tout, le poids du câblage est important car l’engin est grand, 130 m de long et 33 m de diamètre. On a vite atteint des kilomètres de câblage qui finissent par peser. On a des actions pour développer de nouvelles technologies de câblage, en particulier à âme aluminium, qui permettront de réduire la masse.

donc rapidement. Il est en effet capital de réduire la durée de maintenance ainsi que de changer la charge utile rapidement, qu’il s’agisse d’une charge utile télécom, d’observation, de surveillance ou de navigation (renforts de GPS). Cette propriété est particulièrement importante dans l’exploitation en mode « réseau » où il faut traiter les StratobusTM les uns derrière les autres.

7

Mise en place du programme de développement Figure 15

7.1. Un projet soutenu Le projet « Stratobus » a été sélectionné par le plan d’investissement d’avenir6 ; il est cofinancé par les ministères de l’Économie et du numérique, et de l’Écologie. Le programme a été lancé en avril 2016. La phase de « preliminary design review », qui 6. Plan d’investissement d’avenir : programme d’investissement de l’État français initié en 2010 permettant notamment un soutien à la recherche et aux projets innovants.

Le StratobusTM effectue à la fois des missions d’observation et de surveillance (surveillance des frontières, détection des rejets de pétrole par les navires, détection de navires pirates), des missions météorologiques (analyse de l’érosion des côtes, analyse des données météorologiques), des missions de télécommunication (renforcement de la connexion des zones à accès réduit, renforcement Internet) et également des missions de navigation (identification et reconnaissance des navires via un numéro IAS, renforcement du signal GPS).

LEO/MEO/GEO Liens alternatifs pour les régions éloignées Liens passerelle Liens de retour

Liens utilisateur Liens maillés

Liens vers l’avant

400 km en diamètre Modèle de cellule

Terrestre Node B

RNC

111

Chimie, aéronautique et espace

Figure 16 Le StratobusTM prendra son envol dans la base aérienne 125 « Charles Monier » à Istres. Cette base aérienne, dont l’Armée de l’air française est affectataire principal, est située dans le département des Bouches-du- Rhône. C’est un site mondialement connu à la fois pour sa piste de 5 000 mètres (piste la plus longue d’Europe), mais également pour la présence sur site de différentes unités des forces aériennes stratégiques (Escadron de chasse 02.004 « La Fayette », Groupement de ravitaillement en vol 02.091 « Bretagne », Escadron de soutien technique spécialisé 15.093).

Figure 17 Les partenaires de Thales Alenia Space.

112

présente un premier concept cohérent avec des spécifications coordonnées avec nos partenaires, s’est terminée en fin d’année 2017. Le projet se trouve maintenant en phase de « critical design review », qui permet de croiser les résultats de tests sur maquettes avec les performances attendues ; cette phase doit se terminer en fin d’année 2018. L’agence européenne EASA7 accompagne le projet (Figure 16) pour les procédures de certifications qui sont très critiques puisqu’il n’existe pas d’engin aérien à cette altitude. La base réglementaire est une référence réglementaire pour des engins dirigeables stratosphériques. Une fois celle-ci 7. EASA : Agence Européenne de la Sécurité Aérienne.

créée, le dirigeable devra être conforme afin d’obtenir un certificat type qui permettra de voler en Europe, mais également dans certaines parties du monde reconnaissant la réglementation EASA. Les partenaires du projet sont indiqués sur la Figure 17 : −− Thales Alenia Space a un rôle de systémier, d’intégrateur. Nous sommes allés chercher des compétences chez des partenaires car Thales Alenia Space est une entreprise qui n’est pas spécialisée dans la fabrication de dirigeables : −− Airstar Aerospace pour l’enveloppe : cette entreprise fabrique les enveloppes pour le ballon dérivant du Centre national d’études spatiales (CNES) depuis une quarantaine d’années.

La feuille de route du développement du projet est présentée sur la Figure 18. La phase de R&D se terminera fin 2018-début 2019. À partir de fin 2018, un dossier de définition sera établi pour fabriquer le premier StratobusTM et un ballon démonstrateur à échelle réduite (40 m de long et 12 m de diamètre) sera en cours de conception. Ce sera un ballon captif qui volera à environ 300 m en tant que démonstrateur de technologie. Cela permettra de tester certaines des technologies clés de StratobusTM, sa technologie d’enveloppe, sa résistance au vent, sa résistance à la température, sa perméabilité, et également de commencer à développer les moyens d’intégration car ce sont des moyens non usuels au vu de la taille des objets. Ensuite viendra la phase de réalisation du premier d i r i g e a b l e S t r a t o b u sT M

Stratobus™

7.2. Le programme de développement du projet

(démarrage de cette phase fin 2018-début 2019). Le premier StratobusTM « proto flight model » servira à valider et qualifier le produit. Le vol de démonstration est prévu sur la base militaire d’Istres en 2021. C’est la seule base en France ayant accès à la stratosphère, ayant le droit de créer un couloir pour accéder à la stratosphère, car c’est une ancienne base de secours de la navette spatiale US. La piste mesure 5 km de long, elle est la plus longue d’Europe. Les phases ultérieures seront : −− les procédures de certification ; −− la commercialisation, qui permettra de passer en production dès 2021, la commercialisation démarrant dès 2019.

Figure 18 Le projet de réalisation du StratobusTM s’articule en trois grandes phases : 1) phase de R&D et démonstrateur de technologies à échelle réduite ; 2) fabrication du prototype échelle 1 et phase de vols et de tests ; 3) phase de production.

Le dirigeable StratobusTM servira à la fois pour des applications de télécommunication, d’observation civile et militaire, comme expliqué précédemment.

CNES expertise 2016

2017

Départ PDR Conception de la plateforme

2018

2019

2020

2021

2022

2023

CDR ∆CDR

Phase 1 : R&D, démonstrateur à échelle réduite de la technologie

Phase 1

Démonstrateur à échelle réduire

Autorisé à voler Certification EASA

Pré commercialisation

vol

1er vol Développement du premier modèle de vol

Total CTG

Certificat de type Phase 2 Total CTG

Phase 2 : vol proto à grande échelle, essais en vol

commercialisation & production industrielle

Phase 3

Phase 3 : production

113

Chimie, aéronautique et espace

Stratobus, une innovation entre drones et satellites Rendez-vous à Istres début 2021, pour le premier vol du StratobusTM (Figure 19) ! Profitons-en pour rappeler que c’est la France qui a créé le premier dirigeable. C’est d’ailleurs le dirigeable « La France », lancé à Villacoublay en 1885 (Figure 20), qui a fait dire : « Je mets des moteurs sur un ballon pour pouvoir me diriger et contrôler la direction du ballon ».

Figure 19 Le StratobusTM, dirigeable de nouvelle génération, prendra son envol à Istres début 2021 pour un vol de démonstration. Ce StratobusTM est un dirigeable dernière génération en comparaison au dirigeable « La France », lancé à Villacoublay.

Figure 20

114

Le dirigeable « La France » est un ballon dirigeable français, lancé à Villacoublay en 1885 par Charles Renard et Arthur Constantin Krebs. Ce dirigeable a effectué plusieurs vols de 1884 à 1886 dont un trajet mémorable de huit kilomètres en vingt-trois minutes. Il s’agissait, à l’époque, du premier vol en circuit fermé du monde durant lequel un engin aérien revenait à son point de départ.

Les

Olivier Delcourt

défis

matériaux procédés

et

pour les

équipements aéronautiques Olivier Delcourt est directeur du pôle Matériaux et Procédés de Safran Tech (Encart : « Safran, un équipementier aéronautique »).

SAFRAN, UN ÉQUIPEMENTIER AÉRONAUTIQUE La compagnie Safran Safran* compte aujourd’hui 70 000 personnes réparties dans plus de 50 pays. Safran développe et produit une grande variété d’équipements pour les avions, comme les moteurs, mais également des équipements électriques, des trains d’atterrissages, des systèmes de distribution de puissance, des nacelles**. L’organisation est schématisée sur la Figure 1. *

Le nom des sociétés Safran a changé récemment. Ainsi, on ne parle plus de Snecma mais de Safran Aircraft Engines, de Safran Electronics & Defense, etc. La terminologie est plus lisible, à la fois en France et à l’international. ** Nacelle : ensemble support et capots d’un moteur d’un avion multimoteurs.

Chimie, aéronautique et espace

Safran Nacelles

Safran Transmission Systems Safran Electrical & Power Safran Landing Systems

Safran Electronics & Defense Safran Aircraft Engines Safran Aero Boosters Safran Helicopter Engines

Figure 1 Organisation des différentes entités du groupe Safran.

Safran Tech, centre névralgique de l’innovation chez Safran Safran Tech est le centre de recherche de Safran inauguré en janvier 2015 (Figure 2). Il a pour vocation de travailler sur de la recherche amont mutualisée pour l’ensemble des sociétés du groupe. Il est basé sur le campus de Paris-Saclay auprès de nombreux partenaires académiques et industriels (Figure 3). Figure 2 Inauguration de Safran Tech.

Figure 3 Localisation de Safran Tech en France. 118

Les grands enjeux d’un équipementier aéronautique

La Figure 4 représente les principaux enjeux pour les « équipementiers aéronautique » comme Safran : −− premier enjeu : en ce qui concerne les motorisations, c’est la performance. Il faut moins consommer, améliorer les rendements, moins polluer. La conséquence est une augmentation des températures et des vitesses de rotation des moteurs. Par ailleurs ces moteurs devront rester suffisamment compacts pour être intégrables dans une structure d’avion … autant de défis pour les matériaux ; −− deuxième enjeu : la maintenance/réparation. Les nouveaux « business models » (ou modèles économiques d’activité ; Encart : « Un nouveau “business model” ») rendent ces objectifs extrêmement importants. Les compagnies aériennes exigent de plus en plus de contrats à l’heure de vol. La notion de durabilité prend donc tout son sens… −− troisième enjeu : provient de la réglementation pour Performance

Réglementation

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

1

les matériaux et en particulier de la Directive REACH 1 interdisant l’utilisation de chrome (VI) dans nos fournitures. Cela pose des difficultés, notamment sur les traitements de surface par voie humide2. On doit trouver des solutions de substitution, ce qui implique une forte activité de recherche et de développement ; −− une dernière préoccupation, commune à beaucoup d’industries, est la maîtrise du coût global des productions. On cherche évidemment d’abord la fiabilité et la protection du client, mais en même temps on doit proposer des solutions technico-économiquement viables. 1. Directive REACH : règlement du Parlement européen et du Conseil de l’Union Européenne qui met en place un système intégré unique d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des substances chimiques dans l’Union Européenne depuis 2007. 2. Voie humide : qualifie l’ensemble des procédés de fabrication de pièces composites dans lesquels la résine est déposée sous forme liquide sur les renforts pendant le cycle de fabrication.

Maintenance/réparations

Coûts

Figure 4 Les enjeux de Safran.

119

Chimie, aéronautique et espace

UN NOUVEAU « BUSINESS MODEL » Dans l’ancien business model, des révisions périodiques sont réalisées avec, selon les cas, des réparations ou des changements de pièces facturées à la compagnie aérienne. Aujourd’hui sont appliquées de plus en plus de formules de type « leasing* » : on fournit le moteur à bas coût à la compagnie aérienne, mais ensuite on facture de l’heure de vol. Cela concerne par exemple aujourd’hui le nouveau LEAP (« Leading Edge Aviation Propulsion »), pour lequel on vend « de l’heure de vol ». Dans ce modèle, moins on répare, meilleures seront les marges. La question de la durabilité est donc majeure sans bien évidemment compromettre la sécurité des vols. La compagnie aérienne, elle, ira évidemment vers le moteur le plus durable, celui qui ne demande (presque) pas de réparation. *

Leasing : terme anglophone pouvant être traduit par « créditbail ». Il s’agit d’un système de location-vente par lequel un client loue un bien. Il a cependant une option d’achat à l’échéance de la période convenue.

2

Des contraintes à surmonter pour les produits de l’aéronautique

2.1. Des contraintes naturelles Figure 5 A) Airbus A340-300 emmenant des vacanciers ; B) hélicoptère arrivant vers les cocotiers.

120

Pour l’usager, l’image de l’avion, c’est le départ en vacances sous le Soleil… (Figure 5).

Dans la réalité, la vraie vie d’un avion, ce n’est en fait pas cela. Il doit pouvoir surmonter des contraintes très sévères liées à l’environnement : l’eau (Figure 6A), le sable qui rentre dans les moteurs (Figure 6B), la neige (Figure 6C), la glace, les volatiles (Figure 6D), etc., qui impliquent beaucoup de souf france aux éléments mécaniques.

B

C

D

Figure 6 Les contraintes fonctionnelles : A) l’eau ; B) le sable ; C) la neige et la glace ; D) les volatiles.

2.2. De fortes exigences mécaniques

moyens de transports : la conclusion est évidente !

Pour une voiture, les vidanges et les entretiens s’effectuent tous les 20 000, 30 000 kilomètres, c’est-à-dire peut-être tous les 500 à 1 000 heures. Mais un moteur d’avion doit tenir sans révision plutôt 20 000 heures, avec des distances parcourues bien supérieures. La Figure 7 compare les niveaux d’exigences mécaniques de différents types de

Concernant la puissance des moteurs, on a aussi une différence spectaculaire entre les équipements aéronautiques et les voitures (Figure 8) : 100 kW d’un côté pour une voiture usuelle, 700 KW pour une formule 1, et cent fois plus pour un avion long courrier3 !

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

A

3. Long courrier : avion de transport destiné à voler sur de très longues distances (6 000 km au moins).

1 moteur d’avion civil vit 100 fois plus longtemps qu’un moteur automobile, avec une maintenance 100 fois moindre 21 000 000 km Maintenance 20 000 h

10 000 000 km Maintenance 3 000 h 13 000 000 km 900 000 km Maintenance 1 000 h (100 000 km) 230 000 km Maintenance 300 h (30 000 km) 1 000 km Maintenance après 5 h

Figure 7 Ordres de grandeur des distances parcourues entre deux maintenances pour différents types de moteurs.

121

Chimie, aéronautique et espace

Figure 8 73 400

Ordres de grandeur des puissances de différents types de moteurs.

53 725 32 320 1 200 700 100 (KW)

1 gros moteur d’avion = 100 moteurs de F1

Le Rafale 4 est également très puissant avec ses deux moteurs. Les conditions de fonctionnement des moteurs par ailleurs sont extrêmement exigeantes en ce qui concerne leur vitesse de rotation et leur température de fonctionnement. Figure 9 Ordres de grandeur des vitesses de rotation de différents types de moteurs.

4. Rafale : avion de combat omnirôle développé pour la Marine nationale et l’Armée de l’air française par Dassault Aviation.

Compresseur centrifuge à un étage avec un taux de compressiion élevé

Arbre de sortie de puissance 6 000 rpm

Turbine avion ≈ 20 000 tr/min

122

Équipement de réduction

La Figure 9 donne quelques ordres de grandeur de ce qui se passe dans un moteur. Une turbine d’avion tourne à environ 15 000 tr/min, un rouet de moteur d’hélicoptère à 50 000 tr/min, et un rouet de propulseur spatial à 120 000 tr/min. Cette dernière pièce sera d’ailleurs testée à 200 000 tr/min pour s’assurer qu’elle ne va pas casser quand on va lancer le propulseur Ariane 5 par exemple !

Turbine de générateur de gaz à un étage avec lames monocristallines

Chambre à combustion à flux inversé

Rouet turbine hélicoptère ≈ 50 000 tr/min

Turbine de puissance à un étage

Rouet propulseur spatial ≈ 120 000 tr/min

Ordres de grandeur des vitesses tangentielles exercées sur les différentes aubes d’une turbine d’avion. 0 km/h ≈ 90 km/h ≈ 520 km/h ≈ 1 650 km/h

Vitesses tangentielles

En regardant les vitesses tangentielles des aubes 5 dites FAN6 (Figure 10), on voit qu’elles peuvent atteindre des vitesses supérieures à la vitesse du son – avec la contrainte de résistance mécanique extrême que cela entraîne sur les matériaux.

certains cas, peuvent même dépasser la température de fusion du matériau. On assure la tenue du système grâce à un refroidissement intérieur par des gaz plus froids (mais à 800 °C tout de même) permettant de baisser suffisamment la température de peau.

Le cœur du moteur donne probablement l’exemple des plus grosses contraintes appliquées aux matériaux. Le principe implique qu’on admette un maximum d’air dans le moteur, qu’on le comprime, qu’on l’envoie dans une chambre de combustion où explose le mélange carburant-oxygène. Après cette étape, le gaz vient, se détend dans la turbine basse pression située à l’arrière du moteur. Tout cela se traduit par des températures très élevées (Figure 11), qui, dans

Sur les aubes, les exigences sont multiples (Figure 12) ; il faut gérer les compromis entre la tenue en fatigue – due aux sollicitations répétées qu’on demande à l’aube au fur et à mesure des rotations –, le risque de fluage7 – c’est-à-dire l’écoulement visqueux du matériau par la centrifugation8 s’il ne résiste pas assez –, et les problèmes d’usure de contact (le « fretting »), qui peuvent venir des petits déplacements au niveau

5. Aube : partie d’une turbine en forme de cuillère ou de pale sur laquelle s’exerce l’action du fluide moteur. 6. Aube FAN : aube ayant pour rôle d’assurer la compression initiale de l’air entrant dans le réacteur.

7. Fluage : phénomène physique qui provoque la déformation irréversible différée d’un matériau soumis à une contrainte constante. 8. Centrifugation : procédé de séparation des composés d’un mélange en fonction de leur différence de densité en les soumettant à une force centrifuge.

450 °C

650 °C

1 700 °C 1 300 °C 650 °C

Figure 11

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

Figure 10

Ordres de grandeur des températures au sein d’un moteur.

FLUAGE

FATIGUE

FRETTING

Figure 12 Les trois thématiques de contraintes auxquelles les matériaux doivent répondre.

123

Chimie, aéronautique et espace

LES CONTRAINTES QUE SUBIT LE TRAIN D’ATTERRISSAGE LISTE NON EXHAUSTIVE Un environnement agressif Atmosphère (humidité, agents corrosifs) Fluides de dégivrage et déverglaçage Fluides hydrauliques

Figure 13

Projections (ex : gravillons)

Les trains d’atterrissage présentent des contraintes insoupçonnées.

Des sollicitations sévères Contraintes statiques Fatigue Friction, fretting Température (proximité des freins)

du pied d’aube, susceptibles de dégrader le matériau. Les solutions matér iaux retenues doivent répondre à ces trois difficultés. Les recherches de solutions sont complexes et imposent de travailler sur le matériau, son traitement et son revêtement. Les trains d’atterrissage (Figure 13 et Encart : « Les contraintes que subit le train d’atterrissage ») sont également des composants très sollicités puisqu’ils voient souvent des conditions d’environnements très agressifs.

Figure 14 Les innovations matériaux appliquées au moteur LEAP.

CARTER CMO

3

INJECTEUR CARBURANT FAB. ADDITIVE AUBES TURBINE BASSE PRESSION TiAI

ARBRE NOUVEL ACIER

AUBE FAN CMO

124

Au décollage, par exemple, ils embarquent de l’eau, du sel, qui, une fois dans la carlingue, « macèrent » sans possibilité de sécher. Cet environnement accélère fortement la corrosion. N’oublions pas non plus toutes les manœuvres de parking qui sollicitent très durement, en fatigue, les matériaux et les pièces. C’est probablement ce qui constitue le premier facteur limitant dans le dimensionnement des trains d’atterrissage, même davantage que les sollicitations à l’atterrissage proprement dit.

DISQUE TURBINE

RÉDUCTION CONSOMMATION – 15 %

Les produits actuels : des solutions innovantes pour répondre aux contraintes

3.1. Le moteur LEAP : une nouvelle génération de moteur utilisant de nouveaux matériaux Le moteur LEAP (Figure 14) est une nouvelle famille qui équipe tous les petits-moyens courriers tournant sur la planète. Ce sont des moteurs à

Ces moteurs intègrent une série de solutions nouvelles en matière de matériaux dont voici quelques exemples. D’abord, ils intègrent une forte proportion de composites à matrice organique9 : plus précisément ce sont des fibres de carbone noyées dans une matrice10 de résine thermodurcissable11. On a, par ailleurs, travaillé sur un nouvel acier pour les arbres de turbine, et des nouveaux matériaux base nickel pour les disques de turbine. General 9. Matrice organique : résine polymère qui assure la cohésion du matériau composite. 10. Matrice céramique : céramique qui assure la cohésion du matériau composite. 11. Thermodurcissable : se dit d’un polymère dont les macromolécules s’unissent, sous l’action de la chaleur, par liaison chimique.

CFM56-C 71’’ Diamètre 36 lames 150 kg

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

très forte diffusion qui vont équiper Airbus, Boeing et bientôt Comac en Chine. Ils remplacent la gamme des moteurs CFM56 réalisés en partenariat avec GE.

Electric a appliqué la fabrication additive pour les injecteurs12 (voir plus loin). Sur le dernier étage de la turbine, Safran applique pour la première fois des aubes en Ti-Al , un matériau très léger composé à 50/50 de titane et d’aluminium. 3.2. Les composites « matrice organique » : l’exemple des aubes FAN Revenons aux aubes FAN composites, qui constituent une innovation for tement portée par Safran puisque les anciennes générations de moteurs utilisaient des pales en titane monobloc. Ces aubes appartiennent aux générations de composites à matrice organique. Le bord d’attaque13 rapporté reste quant à lui métallique (Figure 15). Cette 12. Injecteur : pièce permettant l’apport du carburant dans la chambre de combustion du moteur. 13. Bord d’attaque : section avant d’un profil aérodynamique qui protège le composite des chocs.

LEAP 71” Diamètre 18 lames 76 kg

Disque de ventilateur plus léger Confinement plus léger Structure plus légère Moins de bruit Entretien facile

Titane solide

Composite 3-D Woven RTM

450 kg réduction de poids par avion

Figure 15 Comparaison des aubes utilisées sur les moteurs CFM56 et les moteurs LEAP.

125

Chimie, aéronautique et espace

technologie permet de réduire le nombre d’aubes par rapport aux versions de référence parce que le composite permet un design favorable. Par ailleurs, la masse de la pièce est fortement réduite : on gagne environ 4 kg par aube FAN. Ce gain va même beaucoup plus loin, puisque le fait d’avoir des matériaux allégés dans une zone qui tourne à très haute vitesse permet d’alléger toute la partie centrale du moteur. Finalement, ce changement de technologie de matériau permet de gagner plus de 400 kg !

Figure 16 Les étapes de la production d’une aube FAN en composite matrice organique.

Le succès de cette technique de fabrication des aubes vient de la maîtrise du tissage 3D de la fibre carbone (Figure 16). Le procédé employé est analogue à celui du tissu Jacquard : il ne s’agit pas de nappes simplement empilées, mais un troisième fil passe à travers la structure et renforce considérablement le matériau. On sait

produire cela désormais en série avec de gros métiers à tisser – dans plusieurs usines à Commercy, aux États-Unis, et bientôt au Mexique. Une fois la structure faite, on vient ajouter la résine, polymériser et rapporter le bord d’attaque. Pour la vérification et le contrôle de la fabrication, une méthode tomographique (un scanner 3D des matériaux) a été mise au point avec un contrôle unitaire. Cette même technologie de tissage de matrice organique a aussi permis, sur ce moteur, de remplacer le carter14 (Figure 17) qui entoure le moteur. Les gains de masse sont également très importants par rapport à la solution métallique remplacée. 14. Carter : enveloppe protégeant un organe mécanique, souvent fermée de façon étanche, et contenant le lubrifiant nécessaire à son fonctionnement ou des organes qui doivent être isolés de l’extérieur.

Usine de Commercy

Fibre carbone tissage 3D

moulage

126

Contrôle tomographique

Illustration du carter d’un moteur LEAP.

Carter fan

3.3. La fabrication additive : une nouvelle façon de produire les pièces L’avènement des imprimantes 3D apporte à l’heure actuelle une révolution dans les procédés de fabrication des matériaux : c’est ce qu’on appelle la fabrication additive. Elle a été appliquée sur le moteur LEAP. La technologie utilisée est dénommée « procédé en lit de poudre ». On crée un lit de poudre, on vient fusionner la première couche de la pièce, on remet un lit de poudre et on recommence. On construit ainsi la pièce avec peu de limites géométriques. La Figure 18 représente un injecteur fabriqué pour le moteur LEAP. On a également des injecteurs qui fonctionnent sur des moteurs d’hélicoptères du groupe (Figure 19). Cette technologie a fait l’objet d’un développement en

plusieurs étapes (Figure 20). La première étape a consisté à réaliser une pièce existante en fabrication additive. La deuxième étape a été de reprendre des pièces existantes et d’y intégrer des fonctions. Cela a été effectué pour une pièce du moteur Ariane 5, originellement en trois parties mais qui, en fabrication additive, n’en fait plus qu’une. L’étape ultime, dans laquelle on se trouve maintenant, consiste à concevoir et fabriquer la pièce en fabrication additive. Cela permet d’optimiser les géométries, réaliser des rainures, des cavités ou autre particularités complexes. Il s’agit là d’un vrai saut technique sur la conception et la réalisation des matériaux associés. Cela demande qu’on acquière des compétences en métallurgie des poudres et sur la maîtrise

Étape 1 :

Étape 2 :

Étape 3 :

Substitution procédé à iso-définition

Redéfinition (simplication gamme et baisse coûts

Conception spécifique

Figure 18

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

Figure 17

nacelle

Illustration d’un injecteur carburant d’un moteur LEAP.

Figure 19 Illustration d’un injecteur carburant d’un moteur d’hélicoptère.

Figure 20 Les étapes de la démarche du développement de la production de pièces par fabrication additive.

127

Chimie, aéronautique et espace

de la filière d’élaboration correspondante. 3.4. Le titane : une utilisation de plus en plus importante dans les alliages Figure 21 Utilisation d’un alliage à base de Ti-Al pour le dernier étage d’une turbine basse pression du moteur LEAP.

Titane

Train A350

Figure 22 Illustration d’un piston d’amortisseur du train d’atterrissage A350.

Le Ti-Al, utilisé sur le dernier étage du moteur LEAP (Figure 21), est un matériau mixte Titane-Aluminium ; au-delà de 600 °C, le ratio caractéristique mécanique/ densité devient meilleur que celui des alliages base nickel. Un alliage base nickel a une densité de 8,9, alors que le Ti-Al est à 4,2. Il a été industrialisé pour la première fois sur le dernier étage d’une turbine du moteur LEAP. Le Ti-Al est un super matériau mais il s’usine mal, il se coule mal, ne se forge quasiment pas… il y a encore du travail d’optimisation ! Pour les nouvelles fabrications de trains d’atterrissage, on remplace certaines pièces de tailles importantes en acier par du titane. La Figure 22

représente un piston d’amortisseur du train. C’est une pièce qui pèse 1 200 t à l’état brut, et qui est forgée sur des presses impressionnantes, de 65 000 t (Figure 23). Le titane (densité 5) apporte un gros avantage de poids par apport à l’acier (densité 7,8), soit une économie de 7 % du poids. Un autre gros intérêt du titane est sa moindre susceptibilité à la corrosion, ce qui permet une extension des intervalles de révisions.

4

Quelles pistes d’innovation dans les matériaux aéronautiques ?

4.1. Des matériaux complémentaires : une saine compétition Outre les développements en cours, il y en a d’autres plus futuristes induisant d’autres r uptures technologiques en matière de matériaux et de procédés. La Figure 24

Caractéristique mécanique/densité

σ/d 300

Composite matrice organique

titane

200

nickel TiAI

100

200

Figure 23 128

Une presse de 65 000 tonnes.

400

600

800

1 000

nickel monocristal et CMC

Température °C

Figure 24 Diagramme rapport caractéristique mécanique/densité en fonction de la température de différents matériaux.

4.2. Une application concrète : les aubes Un des exemples phares d’utilisation des nouveaux

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

résume le positionnement des matériaux. Il montre le niveau de résistance ramené à la densité en fonction de la température d’utilisation du matériau. Le « matériau idéal » serait en haut à droite. Les composites à matrice organique, s’ils ont une très bonne résistance intrinsèque ramenée à la densité, sont limités aux températures élevées. À l’inverse, quand on regarde tout à droite, les composites « matrice céramique » ou les alliages monocristallins base nickel, qui ne sont pas bien positionnés en densité, le sont en températures. Les ingénieurs rencontrent un perpétuel questionnement autour de la compétition des matériaux : la vérité d’un jour n’est pas forcément celle de demain...

matériaux est illustré par les aubes de turbines les plus sollicitées thermiquement. Aujourd’hui, on utilise des matériaux « bases nickel » (Figure 25) fortement dopés, comme on le voit d’après le Tableau. Les générations récentes d’alliages base nickel en développement utilisent par exemple du rhénium et du ruthénium. Afin d’améliorer encore les caractéristiques (de fluage notamment), plusieurs procédés de fonderie sont possibles (Figure 26, à droite). On peut chercher à faire croître les grains dans une seule direction (direction de la sollicitation), voire fabriquer un monocristal sans joint de grain. Chez Safran, il existe une fonderie capable de réaliser ce genre de matériaux. Ces nouvelles technologie s per met tent des gains très impor tants not amment en tenue en fluage.

Figure 25 Aube de turbine haute pression. À droite : différents types de structures métallurgiques.

3 structures métallurgiques

Structure équiaxe

Structure colonnaire

Structure monocristalline

Tableau Exemples de compositions chimiques sur des alliages base nickel applicables aux aubes de turbines haute pression.

Cr

Co

Mo

W

AI

Ti

Ta

Hf

Re

Ru

Densité

AM1

7,8

6,5

2

5,7

5,2

1,1

7,9







8,6

CMSX4

6,5

9

0,6

6

5,6

1

6,5

0,1

3



8,7

MC-NG

4

< 0,2

1

5

6

0,5

5

0,1

4

4

8,75

129

Chimie, aéronautique et espace

Figure 26 Exemple de revêtement.

(ZrO2)0,955 (Y2O3)0,045

AI2O3 b–(Ni3Pt) AI Superalliage à base de nickel

4.3. Les revêtements : une solution pour améliorer les propriétés des matériaux

Figure 27 Fabrication de revêtements par « Electron beam physical vapor deposition » (EB-PVD), une technique de dépôt physique en phase gazeuse.

L’a j o u t d e r e v ê te m e nt s (Figure 27) à la surface des pièces permet d’accroître les performances. Notamment pour réaliser une barrière thermique, un revêtement de céramique permet de gagner encore 20-30 °C par rapport à la tenue du matériau. Ces revêtements sont réalisés par traitement sous vide, comme l’EB-PVD (Figure 27), et très prochainement, par projection thermique15 (Figure 28), qui est un procédé plus simple à mettre en œuvre. 4.4. L’émergence de nouveaux matériaux : une déclinaison d’alliages Un autre exemple de compétition entre les matériaux est la tuyère d’échappement, ou « exhausts », qui est fortement sollicitée thermiquement. Le matériau de référence est un alliage base nickel (Figure 29), mais aujourd’hui on bascule sur des solutions titane à hautes ré sis t ance s ( Figure 30 ),

Figure 28 130

La projection thermique.

15. Projection thermique : technique de traitement de surface.

50 µm

pouvant fonctionner à des températures plus élevées. On a aussi obtenu une certification sur un « exhaust » en composite à matr ice céramique (Figure 31). Cette solution a été testée sur un appareil en vol (démonstrateur) mais reste aujourd’hui trop coûteuse. Elle entrera en concurrence avec les autres après réduction de ses coûts. Que seront les matériaux de demain (Figure 32) ? Le renforcement par des nanomatériaux est une solution souvent citée. De nouvelles formulations de matériaux apparaissent, comme les matériaux dits à « haute entropie16 ». Il s’agit de matériaux qui utilisent des éléments proches dans la classification périodique des éléments, et répartis dans des proportions à peu près identiques. Il existe aussi de nouvelles céramiques, qui pourraient concurrencer les alliages base nickel. Une céramique étant stable jusqu’à 1 500 °C, on n’aurait plus besoin de 16. Entropie : nom donné par le physicien allemand Rudolf Clausius à la fonction d’état notée S, qui caractérise, en thermodynamique, l’état de « désordre » d’un système.

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

Tuyère A380

Prise arrière

Figure 29 Une tuyère en alliage base nickel. Ajustage

Prise avant

Figure 30 Une tuyère en titane alliage β.

Figure 31 Une tuyère d’un moteur CMC ayant obtenu une certification Sic/SiC.

Figure 32 Les nouvelles pistes étudiées dans le domaine des matériaux utilisés en aéronautique.

131

Chimie, aéronautique et espace

DÉVELOPPEMENT MATÉRIAU

Simulations à l'échelle atomique

Approches thermodynamiques

Exploitation banques de données

Figure 33 Méthodes numériques utilisées pour le développement de nouveaux matériaux.

refroidir les aubes… Ces matériaux sont cependant fragiles ou peu ductiles ; cet aspect reste à travailler. Les phases MAX, matériaux qui présentent des phases métalliques et des phases cér amique s , s ont intermédiaire s et pour r aient fournir des revêtements performants.

4.5. Le design numérique : une nouvelle approche pour l’innovation Pour développer tous ces matériaux, on travaille de plus en plus avec des approches numériques (modélisation) (Figure 33) : le design numérique des matériaux.

132

Les techniques récentes de modélisation permettent de tester de manière théorique un ensemble de compositions différentes pour, en sortie, fournir une évaluation de certaines propriétés comme la

limite élastique17, la conductivité18, le module d’élasticité19, etc. Elles permettent d’aller beaucoup plus vite dans le screening des matériaux (leur sélection), et d’être plus pertinent dans les voies qu’on suit. Il s’agit d’une « révolution » en marche, qui a démarré aux États-Unis, et qu’on est en train de développer. Elle utilise plusieurs outils qui vont de l’échelle atomique ou moléculaire, en passant 17. Limite élastique : contrainte à partir de laquelle un matériau arrête de se déformer d’une manière élastique, réversible, et commence donc à se déformer de manière irréversible. 18. Conductivité : caractérise la capacité des matériaux à diffuser la chaleur, conduire l’électricité ou laisser passer un fluide, sous l’effet d’un gradient de température, de potentiel ou de pression. 19. Module d’élasticité : grandeur intrinsèque d’un matériau, définie par le rapport de la contrainte à la déformation élastique provoquée par cette contrainte.

par les approches thermodynamiques 20 , voire même l’exploitation des banques de données et des réseaux de neurones (big data). C et te ap p r o che p er m et aujourd’hui de présenter rapidement des pistes de compositions chimiques de matériaux en regard des besoins. Une fois identifiées, ces quelques compositions 20. Thermodynamique : branche de la physique qui étudie les propriétés des systèmes où interviennent les notions de température et de chaleur.

A

taille de grain

déformation

peuvent être réalisées expérimentalement.

Figure 34 La modélisation dans les procédés : l’exemple de la forge.

La modélisation, qui est partout, l’est également dans les procédés ; elle est devenue un incontournable, que ce soit en fabrication additive, en forge, en soudage ou en fonderie (Figure 34). La Figure 35 montre l’exemple de la forge. La pièce brute et les étapes de forge sont optimisées pour répondre aux exigences métallurgiques. Ici la modélisation fait apparaître les zones déformées (Figure 35B) et, localement,

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

caractéristiques

Figure 35 A) Exemple de modélisation du procédé d’usinage : les efforts de coupe (formation du copeau) ; B) la déformation progressive d’une pièce après enlèvement de matière.

B

Déplacement axial (x25) – 0,6 – 0,5 – 0,4 – 0,3 – 0,2 – 0,1 0

– 0,651

0,1 0,2

0,295

133

Chimie, aéronautique et espace

les tailles de grain, et les contraintes résiduelles. La modélisation aide à concevoir les outillages et la forme du brut pour fabriquer la pièce dans les meilleures conditions.

On réalise également des modélisations en usinage qui permettent d’anticiper la manière dont la pièce va se déformer une fois usinée.

Synthèse des enjeux et des pistes d’innovation Les contraintes auxquelles sont exposés les matériaux sont de plus en plus sévères, compte tenu des exigences fonctionnelles plus complexes qui leurs sont adressées. En réponse, la conception des matériaux et de leurs procédés de fabrication s’est complexifiée (Figure 36) pour répondre aux besoins concernent les propriétés en fluage, en fatigue, en oxydation. En ce qui concerne les matériaux eux-mêmes, nous verrons de plus en plus de matériaux composites dans les équipements aéronautiques, c’est-à-dire des matériaux mixtes comme les composites matrice organique, composites matrice céramique. Par ailleurs, la métallurgie des poudres va clairement se développer pour répondre en particulier aux besoins de la fabrication additive. Performance en fluage Performance en fatigue Performance en oxydation

Plus de composites Plus de métallurgie des poudres De nouvelles solutions de traitements de surface

Figure 36 134

Chemin suivi pour augmenter les performances des matériaux.

Davantage de modélisation

21. Tribologie : science qui étudie les phénomènes susceptibles de se produire entre deux systèmes matériels en contact, immobiles ou animés de mouvements relatifs.

Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques

En ce qui concerne les procédés, on atteint aujourd’hui certaines limites sur les procédés conventionnels de coulée ou même de forgeage. Là encore, le passage à la métallurgie des poudres s’impose progressivement sur les pièces thermiquement très sollicitées. Par ailleurs, il faut beaucoup progresser sur les traitements de surface pour répondre à la réglementation REACH, mais aussi à de nouveaux besoins comme la tribologie21, la résistance aux environnements sévères. Dernier point : la modélisation. À Safran Tech, on ne développe plus de matériaux sans passer par de la modélisation, que ce soit pour identifier la meilleure composition, pour optimiser les procédés de fabrication, ou étudier le comportement mécanique. C’est devenu un outil comme un autre, indispensable pour gagner en performance et réussir les objectifs ambitieux que l’on se fixe.

135

La

électrique : de la

propulsion

classique à la micropropulsion Ane Aanesland est directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), au Laboratoire de physique des plasmas de l’École Polytechnique. Elle est cofondatrice et de la start-up ThrustMe1, qui développe des systèmes de propulsion spatiale de nouvelle génération.

Comme tous les secteurs industriels et économiques de nombreux domaines, celui du spatial est en train de vivre une révolution. Il y a une dizaine d’années au Laboratoire de Physique des Plasma de l’École Polytechnique (Figure 1) a 1. thrustme.fr

été créé une équipe de chercheurs qui a eu pour mission de ­combiner recherche fondamentale et sciences appliquées ; l’une des applications fut la propulsion dans l’espace. Comme on peut le voir dans le Chapitre de J. Louet de cet ouvrage Chimie, aéronautique et espace (EDP Sciences, 2018),

Ane Aanesland

propulsion

Chimie, aéronautique et espace

Figure 1 Le Campus de l’École Polytechnique.

la propulsion électrique2 joue un rôle important dans la révolution du secteur spatial (Figure 2). Dans le secteur spatial, la transition de recherche dans un organisme public à l’entreprenariat est une pratique encore récente mais qui se multiplie. Les métiers de demain reposent sur les Figure 2 La propulsion électrique joue un rôle important dans la révolution spatiale.

138

2. Propulsion électrique : type de propulsion à réaction dans lequel l’électricité est utilisée comme source d’énergie pour accélérer le fluide.

innovations d’aujourd’hui et celles-ci ne sont possibles qu’en s’appuyant sur de la recherche fondamentale.

1

Le défi d’un monde entièrement connecté à Internet

Tout le monde est aujourd’hui connecté à Internet (Figure 3), on ne peut plus vraiment vivre sans ce réseau, sans lequel on n’a pas accès à tous les ser vices financiers, médicaux, à l’éducation du futur et aux informations. Ainsi les

Internet est devenu indispensable pour nous aujourd’hui, cependant la moitié de la planète n’y a toujours pas accès.

Nations Unies ont déclaré il y a quelques années que l’accès à Internet constituait un droit fondamental pour l’Homme. Pourtant, la moitié de la planète, soit environ 4 milliards de personnes, ne sont pas en capacité d’avoir accès à Internet. Face à ce problème, de nombreux nouveaux acteurs du spatial ont émergé avec pour mission de fournir un accès Internet par satellite à tous. Pour réussir cela, il faudra déployer des constellations représentant des dizaines de milliers de satellites qui tourneront autour de la Terre. Ces nouveaux acteurs ont également compris que des satellites miniaturisés et dédiés à des taches d’observation spécifiques pourraient générer des données dans plusieurs domaines qui permettraient d’améliorer la qualité de vie partout dans le monde. Par exemple la surveillance des zones à risques pourrait être améliorée par une imagerie globale quasi instantanée de la Terre plusieurs fois par jour, ce qui est impossible

aujourd’hui. Cela aurait aussi des retombées importantes sur les plans environnementaux et économiques. Cela permettrait par exemple de mieux comprendre le changement climatique, d’optimiser l’utilisation de l’eau et des fertiliseurs pour l’agriculture (Figure 4), ou encore d’améliorer la précision des prévisions météorologiques, ce qui dans les transport aériens peut permettre d’économiser

La propulsion électrique : de la propulsion classique à la micro-propulsion

Figure 3

Figure 4 Les données satellites pourraient permettre l’optimisation de l’utilisation de l’eau et des fertiliseurs.

139

Chimie, aéronautique et espace

Figure 5 Plus de 10 000 satellites seront potentiellement lancés d’ici dix ans.

jusqu’à 20 % de carburant sur un vol transatlantique.

2 Figure 6 Le contrôle de la trajectoire du satellite est fondamental pour éviter les collisions et éliminer les satellites obsolètes.

La propulsion dans la révolution spatiale

Aujourd’hui, 1 400 satellites sont en opération autour de la Terre, et l’on prévoit d’en lancer plus de 10 000 dans les dix prochaines années (Figure 5). C’est une révolution car on ne lance actuellement que 40 satellites par an

en moyenne, donc en lancer 10 000 d’ici dix ans entraîne nécessairement un changement de paradigme qui impose de revoir tous les différents sous-systèmes de ce nouveau type de satellites. L’enjeu majeur de la propulsion est de pouvoir contrôler la trajectoire du satellite quand il est dans l’espace (voir le Chapitre de J. Louet) (Figure 6), non seulement pour ajuster son orbite mais également pour éviter toute collision ou encore gérer leur durée de vie. P ar exemp le, lor s qu’un satellite est en orbite basse (LEO 3 ou MEO 4), sa durée de

140

3. Orbite basse (LEO) : zone de l’orbite terrestre allant jusqu’à 2 000 kilomètres d’altitude. On y retrouve des satellites de télédétection, des satellites de télécommunication ainsi que quelques stations spatiales, dont la Station spatiale internationale (ISS). 4. MEO (orbite terrestre moyenne) : orbite autour de la Terre située entre 2 000 et 35  786 kilomètres d’altitude, soit au-dessus de l’orbite terrestre basse et en dessous de l’orbite géostationnaire.

Le principe d’action-réaction à l’origine de la propulsion chimique : « Tout corps A exerçant une force sur un corps B subit une force d’égale intensité, de même direction mais de sens opposé, exercée par le corps B ». Source : Wall-E Pixar 2008.

vie naturelle n’est que de quelques mois. En revanche si on le pousse vers des orbites plus élevées (HEO5 et GEO 6), sa durée de vie peut atteindre des centaines d’années. En lançant 10 000 satellites on risque donc de créer à terme une poubelle spatiale jonchée de débris satellitaires. Il faut donc prévoir de ramener les satellites obsolètes vers la Terre ou de les envoyer beaucoup plus loin dans l’espace afin qu’ils ne polluent pas notre entourage et ne créent pas de risques de collision. Dans l’espace, comme il n’y a pas de frottement, il faut utiliser le principe de l’action/

5. HEO (orbite terrestre haute) : orbite terrestre dont l’apogée est située à environ 35 786 kilomètres. 6. GEO (orbite géostationnaire) : orbite autour de la Terre qui se situe à une altitude de 35 860 km. Un objet placé sur une orbite géostationnaire reste en permanence au-dessus du même point de l’équateur.

réaction7 pour se déplacer, donc créer une force d’action et une force de réaction. Pour mieux comprendre, prenons le joli exemple de ces deux petits robots d’un dessin animé de Pixar (Figure 7 ). Le Robot jaune Wall-E vient de la Terre et utilise pour se déplacer les lois de la physique, c’est-à-dire le principe d’action-réaction. Il émet pour cela beaucoup de poudre et cette poudre génère une force qui est donnée par le débit de poudre sortant de son tuyau et sa vitesse de sortie. Le résultat est que Wall-E est soumis à une force de réaction qui est donnée par sa masse et son changement de vitesse. Les deux forces d’action et de réaction sont égales. 7. Action/Réaction : troisième loi de Newton aussi connue sous le nom de principe des actions réciproques. Elle s’énonce ainsi : « Tout corps A exerçant une force sur un corps B subit une force d’égale intensité, de même direction mais de sens opposé, exercée par le corps B ».

La propulsion électrique : de la propulsion classique à la micro-propulsion

Figure 7

141

Chimie, aéronautique et espace

Figure 8 A) La propulsion chimique, utilisée historiquement, présente de nombreux inconvénients dont un risque élevé d’explosion ; B) la propulsion électrique, de plus en plus utilisée, présente également des inconvénients : lenteur, besoin d’une source externe d’énergie, électronique complexe.

A

B elle est plus lente et plus ­complexe. La source d’énergie externe est complexe : d’une part l’énergie solaire, d’autre part un carburant dont nous allons parler et qui représente l’un des défis à résoudre…

Mais pour se déplacer, Wall-E éjecte de la matière, et quand il n’y a plus de matière, il ne peut plus se déplacer ! Ce type de propulsion, la propulsion chimique, a été décrit dans d’autres chapitres de cet ouvrage (voir le Chapitre de P. Crespi) (Figure 8A). Au-delà des contraintes de stockage de ce type de propulsion, il présente des risques d’explosion qui le rendent inadapté aux petits satellites.

Figure 9

142

A) Moteur électrique de la NASA ; B) principe de la propulsion électrique : un plasma génère des ions positifs (propulseur) dont la charge est compensée par celle des électrons envoyés par le neutaliseur pour garantir la neutralité du système global.

Le principe de la propulsion électrique consiste à éjecter des ions à très grande vitesse (Figure 9B) pour que la poussée (m.v) soit significative ; la vitesse d’éjection est aux alentours de 10 à 30 km/s et la poussée qui en résulte de l’ordre 100 μN à 1 N. On utilise principalement les ions du xénon (Xe) pour avoir des ions relativement lourds et faciles à manipuler au niveau de l’éjection par une cathode. La tension électrique nécessaire est quant à elle fournie par les panneaux solaires du satellite.

Heureusement, comme le petit robot blanc Eve (Figure 7), on peut utiliser un autre type de propulsion : la propulsion électrique (Figure 8B). L’utilisation de propulsion électrique se généralise actuellement (voir le Chapitre de J. Louet), pour les petits et les gros satellites. Elle a l’avantage de prendre moins de place que la propulsion chimique, cependant A

La Figure 9, extraite d’une vidéo de la NASA, est un exemple de B

UNITÉ ÉLECTRONIQUE

PROPULSEUR

Source E-power

Conversion RF

Chauffage au plasma

Stockage propulsif

Contrôle du débit de carburant

Accélération

Alimentation DC haute tension Alimentation de neutralisation

ce type de moteur (Figure 9A). Le faisceau bleu d’ions positifs éjectés par le propulseur (Figure 9B) est neutralisé par l’envoi d’électrons (en jaune) par un neutraliseur. Cet élément est nécessaire car si seules les charges positives partaient dans l’espace, le satellite se chargerait négativement et les ions reviendr aient ver s le moteur, annulant ainsi toute poussée. Ici le moteur mesure 20 cm de diamètre et pèse environ 25 kg.

3

Les satellites de demain

3.1. Les enjeux de la miniaturisation

Figure 10 Les défis soulevés par la miniaturisation : miniaturiser les différents composants du système (électronique et propulseur) pour pouvoir miniaturiser tout le système.

Neutralisateur

des moteurs électriques sont récentes, elles datent de 5 à 10 ans. 3.2. Le neutralisateur Les technologies d’accélération d’ions interviennent dans d’autres domaines que le spatial. Le couplage de la recherche fondamentale avec les différentes technologies a permis de poser d’autres types de questions. Nous avons vu que dans le spatial il faut accélérer les ions pour sortir du satellite, mais dans d’autres domaines (la micro­ électrique et les microcomposants), par exemple celui des semi-conducteurs pour les gravures (Figure 11), on

La propulsion électrique : de la propulsion classique à la micro-propulsion

BUS

Figure 11 Il est fondamental de coupler recherche fondamentale et technologies pour innover dans l’aérospatial.

Les satellites de demain pèseront entre 10 kg et 300 kg. Les moteurs électriques actuels sont trop gros, il faut les miniaturiser, ce qui représente de nombreux défis (en fond rose sur la Figure 10). Le neutralisateur de la Figure 9 ne peut pas être plus petit, il est très complexe et très cher à fabriquer. Tout le système électronique qui récupère l’énergie du panneau solaire vers le moteur est lui aussi très compliqué. Le stockage du carburant représente également un gros défi. Les recherches industrielles sur la miniaturisation

143

Chimie, aéronautique et espace

Figure 12 Miniaturisation d’un moteur classique avec un neutralisateur.

accélère les ions vers une surface afin de la bombarder et la graver. Le couplage des avancées technologiques de ces deux domaines a été fructueux et a permis d’éliminer tout le système de neutralisation externe.

Figure 13 Les quatre états de la matière : du solide vers le plasma.

144

La Figure 12 montre la miniaturisation d’un moteur classique dans lequel on voit le faisceau d’ions sortant du propulseur, et le neutralisateur qui fait approximativement la même taille que le

système propulseur des ions. Dans le nouveau système, la même source est utilisée pour accélérer et neutraliser les ions. Grâce à cela on peut se passer du neutralisateur et d’une grande partie de son électronique encombrante et difficile à miniaturiser. 3.3. Le carburant Le but ultime de la propulsion électrique dans l’espace est de créer un plasma pour accélérer les ions. Un plasma est le quatrième état de la matière : on commence avec un solide, qui, chauffé, devient un liquide, puis un gaz, et quand on chauffe encore plus, un plasma (Figure 13). Dans les systèmes classiques, on part du gaz qui est stocké et on crée le plasma via le gaz. Mais il est beaucoup plus avantageux du point de vue du rapport volume/poids de stocker un solide plutôt qu’un gaz, et de sublimer le solide. Quand on examine le tableau périodique (Figure 14) pour choisir le bon élément

Dans le passé, pour les gros satellites, les métaux comme l’iridium, le mercure et le césium ont été utilisés pour éviter le stockage sous haute pression. Mais ils ont été abandonnés car ils réagissent chimiquement et contaminent tout le système. Un autre problème pour le xénon est son prix très élevé, c’est un gaz noble, un gaz rare, et il est donc peu accessible. On cherche maintenant à le remplacer par un carburant moins cher et plus accessible,

qui peut se stocker sans être pressurisé. L’un des gaz idéaux sur lequel nous avons commencé à travailler est l’iode, mais l’iode est corrosif et délicat à utiliser (Figure 15). Les russes avaient proposé d’utiliser l’iode dans

Figure 14

La propulsion électrique : de la propulsion classique à la micro-propulsion

propulseur, les critères du choix sont les suivants : il faut que le plasma soit facile à créer, donc il faut pouvoir ioniser le gaz avec le moins d’énergie possible : c’est le cas pour tous les gaz nobles. Il faut aussi que les ions soient lourds afin de fournir le plus de poussée possible. C’est pourquoi les moteurs électriques aujourd’hui utilisent le xénon comme carburant favori.

Le tableau périodique des éléments : les gaz rares (éléments de la dernière colonne) présentent plusieurs avantages pour être utilisés comme carburants, ils sont lourds et faciles à ioniser. Ils posent cependant des problèmes de stockage et de coût.

Figure 15 L’iode, candidat idéal pour le carburant du futur.

145

Chimie, aéronautique et espace

Figure 16

A

B

A) Seules trois réactions sont possibles entre du xénon et un électron : excitation, collision inélastique ou ionisation ; B) dans le cas de l’iode, il y a plus de onze réactions possibles, il faut donc des chimistes pour comprendre ces réactions.

les années 1960, ils avaient cependant abandonné à cause des problèmes de corrosion du système. Aujourd’hui la chimie des matériaux a réalisé beaucoup de progrès et on peut éviter leur corrosion.

Figure 17 Test réalisé sur l’iode dans les laboratoires de ThrustMe : les problèmes de corrosion ne sont toujours pas résolus.

L’iode est un solide qui se sublime directement en gaz, sans passer par l’état liquide. On peut intégrer le système de stockage de l’iode en le reliant directement au moteur où l’iode se sublime, devient

gazeux, est ionisé puis accéléré. Alors que la chimie du xénon est assez simple et se limite à trois réactions dans le plasma (Figure 16A), celle de l’iode est beaucoup plus compliquée avec de nombreuses réactions (Figure 16B) non seulement dans le plasma mais également à la surface du réacteur. Il faut donc non seulement maîtriser la chimie dans le plasma, mais aussi les réactions de surface avec l’iode à l’état gazeux. Le laboratoire de ThrustMe travaille sur ce sujet (Figure 17 ) et utilise déjà l’iode dans ses moteurs. Il reste néanmoins toujours des problèmes de corrosion sur lesquels les recherches se poursuivent.

146

La propulsion électrique : de la propulsion classique à la micro-propulsion

Le futur de la propulsion électrique miniaturisée dans l’espace Malgré ces problèmes de corrosion qui restent encore à résoudre, notre moteur fonctionne et représente une grosse innovation dans le domaine de la propulsion électrique spatiale car il est 40 % plus petit que les moteurs miniaturisés classiques. On voit sur la Figure 18 un satellite miniaturisé qui est intégré dans un cube de 1 kg et de 10X10 cm, à l’intérieur duquel se trouve l’ensemble de l’électronique, la fluidique, le carburant et le moteur lui-même. La mise au point de cette innovation a nécessité dix ans de recherche financée pour la plus grande partie par l’État français dans le cadre d’une coopération entre le CNRS et le centre de recherche d’accueil pour la technique (Figure 19). Une start-up a été créée en février 2017 dans le cadre d’un cofinancement public et privé, dans le but de mettre cette technologie sur le marché industriel. L’équipe, composée actuellement de quinze personnes, est pluridisciplinaire (Figure 20), avec un mécanicien, un électronicien, un

Figure 18 Le satellite miniaturisé : il tient dans un cube de 10 par 10 cm.

147

Chimie, aéronautique et espace

Figure 19 Passer de la recherche publique à la recherche privée : un changement de statut qui amène à travailler avec de nouveaux acteurs.

Figure 20 L’équipe pluridisciplinaire a toujours besoin d’un chimiste pour être au complet.

148

physicien, des experts, des docteurs en sciences, des « business developers », mais il manque un chimiste ! Le marché industriel est en développement, de nouveaux projets sont en cours pour développer les constellations de satellites destinées à améliorer la vie sur Terre. Mais il y a aussi de nouveaux acteurs qui rêvent beaucoup plus loin et envisagent d’ouvrir l’espace au tourisme. En somme, l’espace de demain est beaucoup plus proche qu’avant : l’ISS pour le tourisme,

Figure 21 L’espace est plus proche que jamais, il sera peut-être même bientôt une destination touristique.

La propulsion électrique : de la propulsion classique à la micro-propulsion

puis peut-être une base lunaire, puis plus tard Mars, et un jour une habitation sur Mars (Figure 21) ?

149

de la

chimie au développement de

matériaux pour l’aéronautique Marie-Joëlle Menu est professeure à l’Université Paul Sabatier, membre du CIRIMAT (Centre Interuniversitaire de Recherche et d’Ingénierie des Matériaux, à Toulouse, Encart : « Le CIRIMAT »), et spécialiste des revêtements et des traitements de surface. Elle est responsable de l’une des sept équipes de recherche du CIRIMAT, l’équipe « Revêtements et Traitements de Surface ». Marie Gressier est maître de conférences et Florence Ansart professeure à l’Université Paul Sabatier. Pierre Alphonse est ingénieur de recherche au CIRIMAT.

Le chimiste apporte une contribution importante dans la fabrication de matériaux pour l’aéronautique notamment,

et cela constitue une partie des activités de l’équipe « Revêtements et Traitements de surface » du CIRIMAT.

Marie-Noëlle Menu, Marie Gressier, Pierre Alphonse et Florence Ansart

Apport

Chimie, aéronautique et espace

LE CIRIMAT Le CIRIMAT (Centre Interuniversitaire de Recherche et d’Ingénierie des Matériaux), avec un effectif d’environ 240 personnes, 100 permanents et environ 90 doctorants, développe des recherches pluridisciplinaires sur toutes les familles de matériaux, métaux, alliages, céramiques, polymères, composites1 et hybrides2, allant de leur conception à l’étude de leurs propriétés et de leur comportement en service. Les travaux de recherche concernent quatre axes scientifiques pérennes : la science des matériaux, son cœur de métier, l’élaboration de nanomatériaux3, des revêtements et des procédés de dépôts innovants, et le vieillissement et la durabilité des matériaux. Familles de matériaux

Des Recherches Pluridisciplinaires…

– Métaux et Alliages – Céramiques – Polymères – Composites – Hybrides orga. inorga. Modélisation

Conception

Élaboration Transformation

Caractérisation Propriétés

Comportement en service

4 axes scientifiques • Science des matériaux • Nanomatériaux • Revêtements et procédés de dépôt • Vieillissement et durabilité des matériaux

Figure 1 Axes de recherche au CIRIMAT.

Ces recherches, fondamentales et appliquées, s’inscrivent dans le cadre de problématiques à fort impact industriel et sociétal : Aéronautique (avions et moteurs) et Spatial pour plus de 50 %, Énergie (production et stockage), Électronique, Santé, Environnement, Bâtiment. Cela se traduit par le dépôt d’une dizaine de brevets par an et, surtout, la soutenance de près d’une trentaine de doctorats par an. Le CIRIMAT entretient des relations pérennes avec de nombreux industriels, un partenariat reconnu, puisqu’il est labellisé « Institut Carnot » depuis 2006.

152

1. Matériau composite : assemblage d’au moins deux composants non miscibles, mais ayant une forte capacité d’adhésion. Le matériau ainsi constitué, hétérogène, possède des performances supérieures à celles des composants pris séparément. Les matériaux composites sont constitués d’une matrice (qui assure la cohésion) contenant un renfort (apportant une tenue mécanique) et parfois d’autres additifs qui permettent de modifier l’aspect ou les caractéristiques. Il existe aujourd’hui un grand nombre de matériaux composites que l’on classe généralement en trois familles en fonction de la nature de la matrice : les composites à matrices organiques (CMO), les composites à matrices céramiques (CMC) et les composites à matrices métalliques (CMM). 2. Matériau hybrides : dans le domaine des matériaux, les matériaux hybrides sont des matériaux généralement amorphes constitués d’une composante organique et d’une composante inorganique, organosilicatée par exemple. 3. Nanomatériau : matériau, naturel ou synthétique, dont au moins 50 % des particules primaires, sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, dans la répartition numérique par taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm.

Figure 2 Principales thématiques du CIRIMAT. 4. ISO 9001 : norme qui établit les exigences relatives à un système de management de la qualité.

1

Revêtements et traitements de surface

Tout matériau réagit avec l’environnement par sa surface. Pour exemple, trois pièces que l’on rencontre dans un aéronef : un fuselage, donc une pièce de structure sujette à des phénomènes de corrosion5 (Figure 3), un échangeur thermique, qui est utilisé dans les systèmes de purification d’air, siège d’une 5. Corrosion : réaction chimique ou électrochimique entre un matériau, généralement un métal, et son environnement qui entraîne une dégradation du matériau et de ses propriétés.

Figure 3 Fuselage d’avion, exemple de pièce de structure sujette aux phénomènes de corrosion.

activité catalytique (Figure 4), et enfin des aubes de turbine6, qui subissent de très hautes températures et nécessitent d’être protégées par des barrières thermiques, également sujettes à l’usure (Figure 5). Ces problématiques sont toutes gouvernées par des effets de surface. Il faut donc concevoir et fabriquer des surfaces artificielles qui vont réagir avec le milieu extérieur de façon contrôlée et prédéfinie.

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

Une particularité pour un laboratoire de recherche, le CIRIMAT est certifié ISO 90014 depuis 2012, et ce, sur toutes ses activités, que ce soit la formation ou la recherche.

L’équipe « Revêtements et Traitements de Surface » du 6. Aube de turbine : partie d’une turbine en forme de cuillère ou de pale sur laquelle s’exerce l’action du fluide moteur.

Figure 4 Échangeur thermique impliqué dans le traitement de l’air cabine.

Figure 5 Disque de turbine devant résister aux très hautes températures de fonctionnement des moteurs.

153

Chimie, aéronautique et espace

CHIMIE des Surfaces, Interfaces

et Revêtements

Techniques en voie liquide Conversion chimique Oxydations anodiques, Oxydations micro-arcs Électrodéposition, Électrophorèse Revêtements Sol-Gel

MATÉRIAUX FONCTIONNELS INNOVANTS

Figure 6 Techniques de revêtements de matériaux par voie liquide.

CIRIMAT développe l’ingénierie et la chimie des surfaces, interfaces et revêtements (Figure 6). La spécificité de l’équipe est de mettre en œuvre des techniques en voie liquide telles que les procédés de conversion chimique ou électrochimique ; le dépôt d’un revêtement par électrodéposition7, par électrophorèse 8, ou par le procédé sol-gel, etc. On traitera ici des revêtements que l’on peut obtenir par le procédé sol-gel.

2

Qu’est-ce que le procédé sol-gel ?

La chimie sol-gel (ou procédé sol-gel) peut être décrite comme l’élaboration d’un verre à partir de réactions

Figure 7 J.-J. Ebelmen, chimiste qui réalisa la première synthèse d’un verre en 1845 ; F.O. Schott, chimiste qui déposa le premier brevet sol-gel et logo de l’actuelle « International Sol-Gel Society » qui perpétue les conférences sur cette thématique.

154

7. Électrodéposition : technique de recouvrement d’une pièce par un film métallique. Sous l’action du courant électrique, les ions métalliques sont réduits et se déposent sur l’objet à revêtir. 8. Électrophorèse : technique fondée sur la migration de particules chargées en suspension. Le déplacement des particules est généré par l’application d’un champ électrique, le dépôt se formant sur une des électrodes.

de polymérisation9 de précurseurs moléculaires en solution10 . C’est le chimiste fr ançais Jacques-Joseph Ebelmen qui a réalisé la première synthèse d’un verre, en 1845, et il s’est aperçu qu’un tétr aéthox y sil ane, Si(OCH 2 CH 3 ) 4 , s’hydrolysait pour donner un verre de silice (Figure 7). Il a fallu attendre presque une centaine d’années pour qu’un premier brevet sol-gel soit déposé ; c’est une firme allemande, Schott Glaswerke, qui a déposé un brevet sur l’élaboration de rétroviseurs. La curiosité scientifique a tardé encore un peu, et c’est en 1981 qu’a eu lieu la première conférence internationale « Glass and Ceramics from gels », à Padoue (Italie). Depuis, ces conférences internationales organisées par l’International Sol-Gel Society (ISGS) se réunissent tous les deux ans 9. Polymérisation : réaction chimique ou procédé par lequel des molécules dites monomères réagissent entre elles pour former, par leur enchaînement répétitif, des molécules de masses molaires plus élevées. 10. Livage J. (1997). L’Actualité Chimique, 10 : 4-10 ; Brinker C.J., Sol-Gel Science, The physics and Chemistry of Sol-Gel Processing, Academic Press 1990.

J.J. Ebelmen (1814-1852)

F.O. Schott (1814-1935)

Si (OC2H5)4 + 2 H2O → SiO2 + 4 C2H5OH

1er brevet « Sol-gel » par la firme Schott Glaswerke

1re Conférence internationale « Glasse and Ceramics from gels » à Padoue

1845

1939

1981

qu’on peut décrire comme constitué d’un réseau métaloxane emprisonné dans une phase liquide qui constitue un gel, d’où le terme sol-gel (Figure 8).

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

Les principes généraux de la chimie sol-gel qui viennent d’être présentés peuvent donner naissance à une grande variété de céramiques selon la nature chimique de l’alcoxyde et les conditions expérimentales. La taille des particules primaires peut également être contrôlée sur un domaine allant de quelques nanomètres à plusieurs microns (Figure 9A). Avec le type de séchage, conventionnel ou dans des conditions supercritiques, on obtient des solides, r e sp e c ti v em ent ap p el é s xérogels ou aérogels. Dans ce dernier cas le séchage en milieu supercritique permet de conserver la nature aérée du gel évitant l’effondrement du réseau observé dans le xérogel. Les matériaux obtenus présentent des propriétés différentes, les aerogels par exemple sont bien connus et utilisés comme isolants thermiques (Figure 10).

155

Figure 8 Définition du procédé sol-gel : passage de l’état « Sol » à l’état de « Gel » via des étapes d’hydrolyse et de condensation, le gel étant constitué d’un réseau de liaisons métal-oxane M-O-M.

avec plus d’une centaine de scientifiques académiques et industriels. Dans « sol-gel », le terme sol vient de solution, c’est une phase liquide contenant des alcoxydes métalliques dans un mélange de solvants, qui sont très souvent un alcool et de l’eau. Des réactions d’hydrolyse11 puis de condensation12 interviennent ensuite. L’alcoxyde se transforme en hydroxyde (MOH), lequel va réagir, soit avec l’alcoxyde (MOR), soit avec lui-même (MOH), pour former au final, et c’est cela qui est important, un enchaînement de liaisons M-O-M, des liaisons métal-oxane (quand M est un métal). On passe ainsi d’une solution à un réseau solide 11. Hydrolyse : réaction chimique au cours de laquelle une molécule d’eau est utilisée pour rompre une liaison covalente. 12. Réaction de condensation : réaction chimique au cours de laquelle deux molécules, ou deux parties d’une même molécule, se combinent pour former une nouvelle molécule en éliminant une molécule simple (généralement eau ou alcool).

Chimie, aéronautique et espace

A Gel

Sol Hydrolyse Condensation Précurseurs chimiques

Réseau solide M-O-M

e ag nel ch Sé ntion ve con S su écha pe rcr ge itiq ue

> 100 nm Xérogel Calcination

< 100 nm Aérogel

B Technique « Trempage Retrait » Film mince

Sol

Poudre céramique

Poudre céramique nanométrique

Film déposé Effondrement du réseau Gélification

Substrat

Agrégation Évaporation

Figure 9 A) Schéma montrant la possibilité de moduler les propriétés physiques de poudres céramiques selon le type de séchage mis en œuvre. Un séchage conventionnel donnera un xérogel, et, après calcination, une poudre céramique dont les particules sont généralement microniques. Tandis qu’un séchage supercritique donnera un aérogel, et, après calcination, une poudre céramique constituée de particules primaires nanométriques ; B) technique de trempage-retrait permettant de déposer un revêtement sur un substrat ; C) schéma illustrant les différents phénomènes produisant le film lors d’un trempage-retrait. Le solvant va d’abord s’évaporer, permettant l’agrégation des particules, ce qui va entraîner la gélification du sol. Il va ensuite y avoir un effondrement du réseau lors de la rigidification du film.

156

Figure 10 Photo d’un aérogel, matériau ayant une grande porosité, principalement utilisé comme matériau d’isolation.

De façon générale, le produit final obtenu est fonction de la durée de la « phase de maturation », qui est la durée pendant laquelle se font les réac tions d’hydrolyse et de condensation. Selon les précurseurs utilisés, cette phase peut durer quelques secondes comme quelques années ! La Figure 9B donne l’exemple d’un dépôt par trempage-retrait, mais il existe de nombreuses autres méthodes de mise en forme (pulvér isation, enduc tion

centrifuge13…) qui permettent d’obtenir un film ou revêtement. La Figure 9C décrit les différents phénomènes qui ont lieu à la surface du substrat revêtu tout de suite après l’étape de trempage : évaporation, agrégation des petites particules (les oligomères14 formés en solution), gélification, effondrement du réseau. Le revêtement est ensuite consolidé par un traitement thermique.

13. Enduction centrifuge : technique de dépôt de couche mince et uniforme sur la surface plane d’un substrat. Un matériau liquide (gel, encre, suspension) est déposé sur une plaque du substrat tournant à haute vitesse constante afin d’étaler le matériau de façon uniforme par force centrifuge. Le liquide sèche ensuite pour devenir un film. 14. Oligomère : molécule caractérisée par une chaîne constituée d’un petit nombre de motifs monomères, les degrés de polymérisation des oligomères varient de deux à quelques dizaines.

La mise en œuvre du procédé sol-gel sera illustrée au travers des trois exemples cités en introduction car ils montrent la possibilité d’obtenir des revêtements de quelques microns à plusieurs centaines de microns d’épaisseur, de nature hybride organique-inorganique ou purement céramique pour des applications allant de la température ambiante aux très hautes températures.

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

La chimie sol-gel permet, en définissant les étapes de séchage et de traitement thermique, ainsi que la formulation des sols, de contrôler la structure et la microstructure des matériaux : objets massifs, poudres ou revêtements… L’intérêt est qu’il s’agit toujours de matériaux de très haute pureté et dont la composition chimique est bien contrôlée. La flexibilité de ce procédé vient également du très grand choix de précurseurs disponibles commercialement.

protection contre la corrosion d’alliages légers (par exemple l’alliage d’aluminium AA2024T3). Le système de protection actuellement utilisé dans les industries de traitements de surface sur ces alliages est un procédé de conversion chimique ou électrochimique à base de chrome (VI) (l’ion Cr 2 O 7 2- ). L’utilisation du chrome (VI) est aujourd’hui restreinte par les règlementations REACH15 et RoHS16, on doit donc supprimer ces traitements de surface et trouver une alternative. Le procédé sol-gel amène une solution qui est en cours de développement (Figure 11). C’est ce que nous avons développé au CIRIMAT, dans le cadre des projets SOLGREEN, puis SOLGREEN 2 (Figure 13).

15. REACH (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals) : règlement du Parlement européen et du Conseil de l’Union Européenne qui met en place un système intégré unique d’enregisRevêtements trement, d’évaluation et d’autorihybrides organiques- sation des substances chimiques dans l’Union Européenne depuis inorganiques pour 2007. la protection contre 16. RoHS : Restriction of Hazardous la corrosion Substances Directive, directive Décrivons d’abord l’intérêt visant à limiter l’utilisation de de la chimie sol-gel pour six substances dangereuses, le plomb, le mercure, le cadmium, développer des revêtements le chrome hexavalent, les poly« hy b r ide s o r ganique s -­ bromobiphényles (PBB) et les inorganiques », pour l a polybromodiphényléthers (PBDE).

3

Réglementations Reach – RoHS Cr (VI) est CMR

Systèmes de protection anti-corrosion industriels actuel 30 – 150 µm 5 – 25 µm < 5 µm

Finition peinture Cr (VI) Primaire de peinture Cr (VI) Conversion Cr (VI) AA 2024-T3

Figure 11 Problématique des traitements de surface actuellement utilisés visà-vis des règlementations REACH et RoHS que l’on tend à remplacer par des systèmes de protection à base de sol-gel.

Systèmes de protection en développement 30 – 150 µm 2 – 25 µm

Finition peinture sans Chrome Sol-Gel sans Chrome AA 2024-T3

157

Chimie, aéronautique et espace

Revêtement HOI AA 2024-T3

Figure 12 Obtention d’un revêtement hybride organique-inorganique (HOI) à partir d’un sol standard dans lequel les organosilanes (en rouge) vont se lier aux alcoxydes métalliques (en noir) afin de créer deux sous-réseaux, organique (rouge) et inorganique (noir) interconnectés.

Figure 13 A) Microscopie électronique à balayage d’un revêtement sol-gel sur un substrat. Le revêtement est bien couvrant, nivelant et ne présente pas de fissures, ce qui permet une protection optimale du substrat ; B) zoom de la microscopie précédente sur le revêtement montrant la très bonne adhérence et cohérence entre le substrat et le sol-gel ; C) photographie d’une éprouvette d’aluminium AA 2024-T3 revêtue d’un sol-gel après 2 000 heures d’immersion dans un brouillard salin neutre de NaCl 5 %. L’éprouvette ne présente pas de signes apparents de corrosion.

Sol = M (OR)n + R’Si (OR)3 + solvant + H2O + Inhibiteur de corrosion

On obtient un revêtement hybride organique-­ inorganique (noté HOI sur l a Figure 12) en for mulant un sol contenant un alcoxyde métallique (M(OR)n) et un organoalcox ysilane (R’Si(OR) 3) dans un mélange eau-alcool. Les réactions d’hydrolyse et de condensation s’établissent entre les deux alcoxydes pour constituer la par tie inorganique de l’hybride, la partie organique (R’) étant apportée par l’organosilane (Figure 12), formant ainsi deux réseaux interpénétrés, l ’un organique l’autre inorganique. On réussit ainsi, avec en plus l’ajout d’un inhibiteur de corrosion, à développer un revêtement sol-gel, bien conforme, couvrant, et nivelant, qui fait entre 3 et 5 microns, qui ne présente pas de fissures et possède au final toutes les propriétés attendues (Figure 13). Cela est illustré sur la Figure 13 qui présente une microgr aphie d’un revêtement, obtenue par microscopie Résine

électronique à balayage17. L’image de droite, agrandissement de l ’inter f ace ­s u b s t r a t - r e v ê t e m e n t , indique une parfaite adhérence de revêtement en accor d avec le s b onne s propriétés anticorrosion de ce dernier. Cette propriété est évaluée par plusieurs tests, le test industriel le plus courant est le test BSN qui consiste à soumettre l’éprouvette à une attaque corrosive accélérée par une exposition continue à un brouillard salin artificiel de composition définie (NaCl 5 %) dans des conditions précises de température et de pression. À des fins de comparaison, ces tests sont encadrés par des normes, ici A STM B117. La validation se fait par contrôle 17. Microscopie électronique à balayage : technique de microscopie électronique capable de produire des images en haute résolution de la surface d’un échantillon en utilisant le principe des interactions électronsmatière.

Coupe transversale

Revêtement

158

Substrat

Éprouvette 5 x 5 cm

Figure 14 Schéma décrivant les verrous en développement actuellement : changement d’échelle, augmentation de la durée de vie du sol, passage d’un procédé de trempage-retrait pour de petites surfaces à un procédé de pulvérisation pour de plus grandes surfaces.

Changement d’échelle Durée de vie du sol Transfert à la pulvérisation

Sol = M (OR)n + R’Si (OR)3 + solvant + H2O + Inhibiteur de corrosion + Additifs divers

visuel d’éventuels défauts apparaissant sur l’éprouvette (piqûre18 , coulures…). La Figure 13C présente la photographie d’un revêtement après 2 000 heures de BSN, il reste très propre, sans piqûre ; le revêtement est transparent puisqu’on voit appar aî tre le substrat d’aluminium. D’autres techniques, comme la spectroscopie d’impédance élec tr ochimique19, permettent de caractériser plus finement les propriétés anti-corrosion. Le critère du cahier des charges des industriel s qui exige une résistance à la corrosion pendant au moins 500 heures est dans ce cas largement validé. Ce type de revêtement sol-gel est une solution alternative au traitement de surface au chrome (VI). Le projet SOLGREEN 18. Corrosion par piqûre : forme extrêmement localisée de corrosion conduisant à la création d’un ou plusieurs petits trous dans le métal. 19. Spectroscopie d’impédance électrochimique : abrégée SIE, c’est une technique de caractérisation qui permet d’étudier la fonction de transfert de systèmes électrochimiques, suite à une perturbation volontaire du système.

a ainsi permis d’en faire la preuve de concept. Les développements actuels visent à lever de nouveaux verrous (Figure 14) tels que le changement d’échelle en vue du transfert industriel, la durée de vie du sol, ou encore passer du procédé au « trempé », intéressant pour les pièces complexes, à la pulvérisation, plus adaptée aux surfaces très grandes. Ces verrous ont nécessité une adaptation de la formulation20 avec ajout de quelques additifs21.

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

Nouveaux développements

Un démonstrateur industriel, représentatif d’une pièce complexe, défini par le consortium d’industriels, a pu être convenablement revêtu (Figure 15), ici le revêtement a été coloré de façon à permettre à l’opérateur dans l’industrie d’identifier rapidement les pièces traitées ou non. Ces derniers développements, notamment 20. Formulation : ensemble des substances qui entrent dans la composition d’un sol. 21. Additif : substance chimique souvent liquide ou en poudre, qui est en général introduite avant ou pendant la mise en forme du matériau, pour apporter ou améliorer une (ou parfois plusieurs) propriété(s) spécifique(s).

Figure 15 Démonstrateur industriel : pièce complexe revêtue d’un sol-gel hybride organique-inorganique par pulvérisation.

159

Chimie, aéronautique et espace

Figure 16 Convertisseur catalytique ; pièce constituée d’une tôle ondulée enroulée sur elle-même afin d’augmenter la surface de contact avec l’air à purifier tout en limitant la perte de charge.

le dépôt par pulvérisation, constituent une avancée significative sur le transfert industriel de ce type de traitement pour atteindre le niveau de maturité de TRL6.

3

Mise au point de catalyseurs pour la purification de l’air cabine dans les avions

Le deuxième exemple est le développement d’une nouvelle génération d’équipements liés au contrôle et à la qualité de l’air dans les avions. L’idée est de détruire les polluants, c’est à dire l’ozone (O3) et les COV (Composés Organiques Volatils), à une température proche de l’ambiante. Cela exige de traiter, très rapidement, un très grand volume de gaz. La Figure 16 représente un convertisseur catalytique. Il s’agit d’un réacteur « microstructuré » en acier inoxydable. On peut décrire cette pièce comme une tôle ondulée enroulée sur elle-même, ce qui génère un faisceau

160

de canaux parallèles. Cette géométrie a pour but d’augmenter la surface de contact entre le flux gazeux et le revêtement catalytique qui est déposé sur la sur face des canaux. Ce revêtement devra avoir des propriétés « catalytiques » mais aussi une surface spécifique 22 et un volume poreux 23 les plus grands possibles. Donc, là aussi, la technologie sol-gel est intéressante puisqu’elle permet de contrôler la structure et la micro-structure, la taille des pores et le volume poreux. Les matériaux développés ici sont à base d’alumine et leur procédé de fabrication est résumé dans l’Encart : « Le procédé sol-gel appliqué à la fabrication de revêtements ». 22. Surface spécifique : rapport de la superficie de la surface réelle d’un objet et de la quantité de matière de l’objet (en général sa masse, parfois son volume apparent). On l’exprime donc généralement comme une aire massique. 23. Volume poreux : volume des vides (pores) d’un matériau solide.

A

B

D

C

E

Figure 17 A) Microscopie électronique à balayage d’un sol contenant des particules primaires de dimension moyenne 3 x 5 x 8 nm. Les conditions ont été contrôlées afin que le sol soit colloïdal ; B) formule du copolymère tribloc contenant des blocs hydrophiles (en bleu) et un bloc hydrophobe (en rouge) ; C) photo d’un sol hybride de classe I, ne contenant pas de silanes, contrairement au sol utilisé pour la protection de l’aluminium contre la corrosion. Le sol obtenu est toujours transparent ; D) schéma de l’évolution de la structure du sol-gel lors de l’étape de traitement thermique. Les parties organiques hydrophiles (en bleu) et hydrophobes (en rouge) vont être éliminées, ce qui ne laissera plus que la partie céramique, ayant gardé une forte porosité ; E) microscopie électronique à balayage du xérogel obtenu après calcination du sol de classe I. Ce revêtement possède une très grande porosité. Source : Alphonse P. et coll. (2013). Microporous and Mesoporous Materials, 181 : 23-28.

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

LE PROCÉDÉ SOL-GEL APPLIQUÉ À LA FABRICATION DE REVÊTEMENTS

On synthétise par voie sol-gel un « sol » de boehmite (oxyhydroxyde d’aluminium AlO(OH)). On est capable de contrôler les conditions pour s’arrêter à un sol colloïdal24, c’est-à-dire un sol de nanoparticules dont la dimension moyenne est 3 x 5 x 8 nanomètres (Figure 17A). On mélange le sol de boehmite à des copolymères25 triblocs, molécules organiques permettant de structurer le revêtement. Dans ces copolymères triblocs, le bloc central, représenté ici par un point rouge, est une partie hydrophobe26 ; les deux parties bleues adjacentes sont hydrophiles (Figure 17B). L’agent structurant est donc un tensioactif27, qui va s’organiser, créer des micelles28 et construire un réseau.

24. Colloïde : suspension d’une ou plusieurs substances, dispersées régulièrement dans une autre substance, formant un système à deux phases séparées. 25. Copolymère : polymère issu de la copolymérisation d’au moins deux types de monomère différents. 26. Composé hydrophobe : composé qui ne peut pas interagir physiquement avec l’eau, contrairement au composé hydrophile, qui a une affinité pour l’eau et tendance à s’y dissoudre. 27. Tensioactif : molécule qui modifie la tension superficielle entre deux surfaces. Il est généralement composé d’une partie hydrophile (tête) et d’une partie hydrophobe (queue). 28. Micelles : en solution aqueuse, à partir d’une concentration limite, les molécules de tensioactif vont s’associer pour former des agrégats appelés micelles, dont le cœur est constitué des parties hydrophobes et la surface des parties hydrophiles.

161

Chimie, aéronautique et espace

On ajoute aussi à ce type de sol des cations métalliques, qui ont un rôle catalyseur pour la décomposition des COV et de l’ozone, mais aussi un rôle sur la structuration et la surface spécifique du matériau obtenu. Le sol obtenu est un sol hybride, de classe I (interactions faibles entre le réseau inorganique et le tensioactif) puisqu’on n’a pas de liaison chimique entre les parties organique et inorganique (absence de fonction alcoxysilane qui permettrait une réaction de condensation avec formation d’enchaînement métal-oxane) (Figure 17C). Par calcination, au moment du traitement thermique, les parties bleu et rouge vont être éliminées (décomposition à haute température) (Figure 17D), pour donner une céramique poreuse (Figure 17E). Le sol obtenu, transparent, pourra être déposé sur le support adapté, ici le convertisseur. Au laboratoire, on caractérise le xérogel 29. 29. Xérogel : lors du séchage d’un gel avec effondrement partiel de la structure poreuse lors du départ du solvant, le matériau obtenu est un xérogel. Un séchage réalisé dans des conditions permettant d’éliminer le solvant sans effondrement de la structure produit un matériau de très faible densité car extrêmement poreux, appelé aérogel.

L a Figure 18 compare le revêtement obtenu en présence du tensioactif P123 et de sels métalliques (manganèse et cuivre) avec de l’alumine 30 pure, c’est-à-dire sans tensioactif ni sel métallique. La microscopie électronique à balayage met en évidence une porosité nettement plus grande dans le premier cas. Afin de quantifier ces observations, on a reporté sur la Figure 19 l’évolution de la sur face spécifique et du volume poreux en fonction de la concentration en polymère. Dès que l’on augmente cette concentration, on voit la 30. Alumine, ou oxyde d’aluminium : Al2O3.

surface spécifique augmenter jusqu’à des valeurs de 450 m2 /g, ce qui est très élevé pour une alumine. Le volume poreux augmente de la même façon jusqu’à arriver, dans les deux cas, à une valeur optimale pour une concentration comprise entre 5 et 10 % (Figure 19B). On peut expliquer cette évolution par le rôle du copolymère dans l’élaboration de ce revêtement : le tensioactif va créer des micelles qui vont forcer les particules de boehmite à s’organiser. Le traitement thermique décompose à 500 °C toute la partie organique et l’on récupère donc l’alumine poreuse. La concentration optimale en copolymère est comprise

Figure 18

162

Comparaison des revêtements obtenus à partir de sols de classe I en présence de manganèse, de cuivre et du tensioactif P123, à droite, et sans tensioactif ni sel métallique, à gauche. Les sels métalliques et le P123 permettent d’obtenir une porosité et une surface spécifique, beaucoup plus importante.



γ-AI2O3

γ-AI2O3-MnCu en présence du P123

1,5

450

400

350

300

250

Figure 19

0,5

F127 P123 0

5

10

15

1

0,25

20

Concentration en polymère (% m)

0

5

10

15

20

Concentration en polymère (% m)

A

B représente les isothermes d’adsorption31 du revêtement.

entre 5 et 10 %. Les points verts et les triangles rouges cor respondent aux deux types de tensioactifs qui ont été utilisés. On note que la structure du polymère a peu d’importance au regard de sa concentration.

31. Isothermes d’adsorption : ils sont établis en mesurant, à température constante, la quantité d’un gaz inerte (ici le diazote N2) fixé sur la surface d’un solide en fonction de la pression. La pression relative (variant entre 0 et 1) est la pression normalisée en la divisant par la pression de vapeur saturante P0 (pression à laquelle la phase gazeuse est en équilibre avec la phase liquide).

En plus d’avoir le rôle catalytique recherché, l’introduction de sels métalliques dans ce sol va encore augmenter la porosité. La Figure 20A 1 750 0,2

sans additif P123 P123 + 5 % Mn P123 + 5 % Mn + 1 % Cu P123 + 4 % AI

1 500 0,15

Δ

Volume adsorbé (cm3/g)

1 250

0,05

750

0

500

0

0

20

0

40

60

80

Largeur des pores (nm)

B

250

A

0,1

1 000

0,2

0,4

0,6

Pression relative (P/P0)

0,8

1

A) Évolution de la surface spécifique du revêtement en fonction de la concentration en polymère pour les polymères F127 en vert, et P123 en rouge. La surface spécifique va augmenter avec la concentration en polymère, jusqu’à une concentration optimale comprise entre 5 et 10 %. Cette tendance est moins liée à la nature du polymère qu’à la concentration puisque les deux polymères testés ont le même comportement ; B) évolution de la porosité du revêtement en fonction de la concentration en polymères pour les polymères F127 en vert, et P123 en rouge. Comme pour la surface spécifique, la porosité augmente avec la concentration en polymère, jusqu’à une concentration optimale comprise entre 5 et 10 %.

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

1,75

Volume poreux (m3/g)

Surface spécifique (m2/g)

500

Figure 20 A) Grand graphe : isothermes d’adsorption du revêtement montrant l’influence de l’ajout dans le sol des tensioactifs et des sels métalliques. L’alumine, préparée avec le sol sans additif, adsorbe environ 200 cm3/g. L’ajout du copolymère tensioactif produit une forte augmentation du volume adsorbé (>900 cm3/g) qui peut encore être quasiment doublé en ajoutant un sel métallique (≈ 1 700 cm3/g avec ajout de Mn+Cu) ; B) petit graphe : distribution de la taille des pores calculée à partir des isothermes d’adsorption. Sauf pour l’ajout d’un sel d’aluminium, il n’y a qu’une seule famille de pores (un seul pic) dont la taille moyenne augmente de 5 nm pour l’alumine seule à 23 nm avec ajout de P123+Mn+Cu. L’ajout du copolymère et d’un sel d’aluminium produit un fort élargissement de la distribution avec apparition de pores de plus grande taille. Ce profil a été confirmé pour différentes concentrations de sel d’aluminium.

163

Chimie, aéronautique et espace

Plus la porosité est grande, plus la quantité de gaz adsorbé est importante. Ces isothermes montrent clairement l’effet considérable de l’ajout des additifs sur la porosité : −− l’alumine seule, sans additif, possède le plus faible volume poreux (courbe noire) ; −− l’ajout du tensioactif (courbe rouge) permet d’accroître le volume poreux d’un facteur quatre ; −− l’ajout de sels métalliques permet encore d’accroître la porosité ; en particulier on observe que l’ajout de sel d’aluminium ou de sels de manganèse et de cuivre produit une augmentation d’un facteur 8 à 9 du volume poreux par rapport à l’alumine seule ;

Figure 21 Schéma de la structure du revêtement déposé sur un superalliage. C’est la couche de zircone yttriée déposée par EBPVD ayant une structure colonnaire qui va servir de barrière thermique.

Grâce à des modèles de calcul, il est possible de déterminer, à partir de ces isothermes, la distribution poreuse32. Ces distributions, reproduites sur la Figure 20B, montrent qu’il 32. La distribution poreuse correspond à la variation du volume adsorbé (∆V) en fonction de la taille des pores.

n’y a qu’une seule famille de pores (un seul pic) dont la taille moyenne augmente avec le volume adsorbé, sauf lors de l’ajout d’un sel d’aluminium qui produit un fort élargissement de la distribution avec apparition de pores de plus grande taille.

4

Barrières thermiques sur superalliage

Ce dernier exemple concerne le développement de barrières thermiques. Une aube de turbine est faite en superalliage33. Ce superalliage, de façon générale, est recouvert d’un alliage nickel, du type NiCrAlY, sur lequel croît une couche d’alumine (« Thermally Grown Oxide », ou TGO) et qui sera revêtu de la barrière thermique. Celle-ci, déposée 33. Superalliage : alliage métallique présentant une excellente résistance mécanique et une bonne résistance au fluage à haute température (typiquement 0,7 à 0,8 fois sa température de fusion), une bonne stabilité surfacique, ainsi qu’une bonne résistance à la corrosion et à l’oxydation.

Gaz chauds

ZrO2 + (6-9) % mol. YO1,5 α-AI2O3 MCrAIY ou (Ni, Pt)AI

Aube de turbine

164

Superalliage base nickel

Barrière thermique T.G.O. Couche de liaison Pièce métallique

Microscopie à balayage du revêtement sur un superalliage montrant la structure colonnaire de la couche de zircone yttriée servant de barrière thermique.

Barrière thermique EBPVD ZrO2 + (6-9) % mol. YO1,5 T.G.O. α-AI2O3 Couche de liaison (Ni, Pt)AI Pièce métallique Superalliage base nickel

par exemple par EBPVD 34 , est en général en zircone yttriée 35 , matériau présentant une bonne résistance à la température (Figure 21). La microscopie électronique à balayage permet de visualiser la totalité des couches qui composent la pièce : le superalliage, la couche de liaison, la couche d’alumine et cette croissance colonnaire36 de la barrière thermique déposée par EBPVD (Figure 22). L’intérêt de cette composition chimique est d’assurer une très bonne tenue au cyclage thermique : de 500 à 800 cycles, sachant que chaque cycle correspond à une heure à 1 100 °C. En outre, l’accommodation au niveau des contraintes latérales est également bien gérée par cette structure. Il reste toutefois une possibilité de dégradation due

à la diffusion du dioxygène O2 ainsi qu’à une réaction avec les CMAS 37. Pour limiter ces dégradations liées à la structure colonnaire, le procédé sol-gel est utilisé car il conduit à des microstructures non directionnelles mais généralement équiaxes. Il permet, en contrôlant la formulation du sol, de moduler la microstructure de la zircone yttriée et son dépôt en phase tétragonale métastable t’, intéressante sur un large domaine de compositions (Figure 23).

Figure 23 Évolution des phases de la zircone yttriée en fonction de la teneur en YO1,5, pour différents types de synthèse. On portera une attention particulière à la phase t’, tétragonale métastable, présente par voie sol-gel, dans un large domaine de compositions.

37. CMAS : oxydes et poussières d’oxydes de calcium (Ca), magnésium (Mg), aluminium (Al) et silicium (Si).

Maturation

Zr(OR)4 + x Y(OR)3 + solvant + H2O

et Traitements thermiques

Zr(2-x) Yx03

1,020 Sol-Gel Yashima (1994-1996) Fusion en four à arc/co-precipitation Scott (1975) Fusion en four à arc

1,018 1,016 1,014 t' ou t

1,012

c/a√2

34. EBPVD (« Electron beam physical vapor deposition ») : dépôt physique en phase vapeur, qui est une méthode de dépôt sous vide de films minces. 35. Zircone yttriée : structure cristalline de composition ZrO2 + (6-9) % mol. YO1,5. 36. Structure colonnaire : structure d’un cristal ramifié, on a donc des cristaux dont une direction dense est perpendiculaire à la paroi.

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

Figure 22

Gaz chauds

Gaz chauds

1,010

t' et/ou c

1,008 1,006 1,004 1,002 1,000

c : cubique m : monoclinique t : tétragonal stable t’ et t’’ : tétragonal métastable 4

6

8

10

t'' et/ou c

12

14

x mol % YO1,5

16

18

20

165

Chimie, aéronautique et espace

Surtout, le revêtement permet la génération d’une microstructure non directionnelle, avec une porosité équirépartie, qui est à l’origine de l’excellente tenue au cyclage thermique avec une barrière thermique qui tient plus de 1 000 cycles d’une heure à 1 100 °C (Figure 24). La solution sol-gel est donc une alternative au dépôt par EBPVD. Elle permet d’envisager de plus la réparation de ces barrières thermiques. Par ailleurs, ils peuvent protéger en top-coat (couche de revêtement supérieure) les systèmes conventionnels de la dégradation due aux CMAS (Figure 25). La Figure 26A montre l’effet du dépôt d’un revêtement sol-gel sur la barrière thermique synthétisée par EBPVD. D’abord on montre une très bonne affinité du revêtement sol-gel sur la barrière par EBPVD, cela signifie en fait qu’on va pouvoir réparer ou traiter les barrières conventionnelles

afin de prévenir ces dégradations (Figure 26B). À très fort grossissement, on observe le développement d’un « pont de frittage 38 » entre la barrière produite par EBPVD et la matrice sol-gel (Figure 26C), cela assure des propriétés mécaniques performantes. Enfin, sous exposition aux CMAS, on a effectivement un piégeage des CMAS dans la barrière sol-gel, sous forme apatitique39. La solution solgel est donc à la fois alternative et complémentaire au procédé EBPVD (Figure 27). 38. Pont de frittage : pont entre deux matériaux réalisé par frittage. Le frittage est un procédé de fabrication de pièces consistant à chauffer une poudre sans la mener jusqu’à la fusion. Sous l’effet de la chaleur, les grains se soudent entre eux, ce qui forme la cohésion de la pièce. 39. Forme apatitique : composés dérivés de l’apatite Ca5(PO4)3X, minéraux isostructuraux de formule générale : M5(PO4)3X2.

Figure 24

166

Microscopie électronique à balayage du revêtement de zircone yttriée montrant la structure non directionnelle du revêtement, ce qui lui permet d’être nivelant et de recouvrir parfaitement le matériau. À droite : zoom sur la structure de la zircone yttriée qui montre une très grande porosité, équirépartie, ce qui va assurer l’efficacité de la barrière thermique.

B

Avant exposition aux CMAS

Après exposition aux CMAS

Après TT 1 250 °C-1 h

EBPVD TBC

Figure 25 A) Microscopie électronique à balayage de la barrière thermique avant l’exposition aux CMAS. Le zoom sur la zircone yttriée montre que la structure colonnaire crée des failles dans le matériau ; B) après l’exposition aux CMAS à 1 250 °C pendant une heure, les CMAS vont s’insérer dans les failles et vont ronger le matériau, ce qui va dégrader la barrière thermique.

A

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

A

Revêtement sol-gel BTEBPVD

B C

Figure 26 A) Schéma de la structure des différentes couches formant le revêtement céramique protecteur ; B) microscopie électronique à balayage de la barrière thermique de zircone yttriée sur laquelle on a déposé un revêtement de type sol-gel. Le revêtement est nivelant et recouvre parfaitement le substrat ; C) zoom de la microscopie précédente sur l’interface entre la barrière thermique et le sol-gel, qui montre que l’affinité entre les deux matériaux est très grande, ce qui va permettre notamment de réparer des revêtements sol-gel. Un zoom encore plus important met en évidence un pont de frittage entre le revêtement et la barrière thermique, ce qui explique la très bonne affinité entre les deux matériaux.

167

Chimie, aéronautique et espace

Figure 27 A) Microscopie électronique à balayage du revêtement céramique protégé par le revêtement sol-gel après une exposition aux CMAS. Les CMAS sont piégées dans la couche sol-gel et la barrière thermique reste intacte ; B) schéma montrant l’arrêt des CMAS par le revêtement sol-gel, ce qui permet la protection de la barrière thermique.

A

B CMAS Revêtement sol-gel BTEBPVD

Le procédé sol-gel : un procédé d’intérêt pour l’aéronautique Les revêtements sol-gel comportent de multiples intérêts pour le développement de matériaux pour l’aéronautique (Figure 28). Ce chapitre a porté sur trois types de revêtements, mais tout un panel de propriétés peuvent être adressées et sont actuellement en développement. Le procédé sol-gel met en jeu des connaissances de chimie moléculaire, de chimie du solide, des sciences des matériaux et des procédés. Les nouveaux développements résultent d’efforts pluridisciplinaires qui ouvrent la voie à de très nombreux domaines d’application.

168

Revêtements Catalytiques Barrières Thermiques

Revêtements anti-CMAS

Barrières Environnementales

Chimie Moléculaire

Chimie de Solide

Procédés

Science des Matériaux

Revêtements Conducteurs

Colorés, non réfléchissants

Revêtements Lubrifiants Haute T°

Revêtements Hydrophobes Super-hydrophobes Revêtements Glaciophobes

Revêtements Piézochromes

Revêtements Lubrifiants Basse T°

Figure 28

Apport de la chimie au développement de matériaux pour l’aéronautique

Revêtements anti-corrosion

Schéma illustrant la flexibilité du procédé sol-gel pour le développement d’une grande diversité de revêtements fonctionnels dans le domaine de l’aéronautique.

169

avancées

alliages d’aluminium dans les

pour

applications

aéronautiques Timothy Warner est directeur et « technical expert » à C-TEC, Centre de recherche et technologie de Constellium1 à Voreppe (Isère).

1

L’aluminium pour alléger des structures

1.1. Origines de Constellium : un passé inscrit dans l’histoire de l’aluminium Constellium est un leader mondial dans le domaine du développement et de la fabrication de solutions aluminium innovantes et à forte valeur 1. www.constellium.com

ajoutée, à destination des marchés de l’aéronautique (par exemple pour le fuselage d’avions), de l’automobile (carrosseries et systèmes d’absorption de chocs, etc.) et de l’emballage métallique (notamment les canettes boissons). L’histoire de Constellium remonte presque aussi loin que la production commerciale d’aluminium, et son savoirfaire est issu de l’expertise combinée de Pechiney, Alcan et Alusuisse (Figure 1).

Timothy Warner

Dernières

Chimie, aéronautique et espace

Figure 1 L’histoire de Constellium est étroitement liée à l’histoire de l’aluminium depuis l’existence de Pechiney (1855).

La France est un marché clé pour Constellium avec cinq sites industriels de tout premier plan, et C-TEC, le Centre Technologique de Constellium, ouvert en 1967, qui est le centre mondial du Groupe dédié à la R&D sur l’aluminium et ses alliages. Plus de 35 % des effectifs de Constellium sont basés en France. 1.2. Les développements de l’aluminium et de l’aviation sont intimement liés

Figure 2 Les avions ont toujours eu de l’aluminium dans leur structure (de gauche à droite : Wright Flyer, DC3 et A350).

172

L’histoire de l’aluminium et celle de l’aviation sont intimement liées. Le premier objet volant plus lourd que l’air fabriqué par l’homme est celui des frères Wright (Figure 2). Il contenait déjà de l’aluminium même si ce n’était que dans le carter moteur2. Au 2. Carter moteur : enveloppe rigide protégeant les différents organes d’un mécanisme.

moment du DC3, développé dans les années 1930, l’appareil contenait déjà beaucoup d’aluminium, notamment les « longerons 3 », poutres cantilever qui ont permis de faire les ailes sans entretoise comme on les connaît aujourd’hui. Un avion beaucoup plus récent, l’A350, contient évidemment beaucoup d’aluminium, et notamment des alliages aluminium-lithium, au sein de la structure interne, et, dans ce cas précis, dans les nervures 4 de l’avion. L’aéronautique a considérablement fait progresser les matériaux. Pour illustrer cela, on peut considérer une propriété, la résistance 3. Longeron : élément principal de la structure d’une aile, d’un empennage ou d’un fuselage. 4. Nervure : élément d’aile situé dans le sens du déplacement de l’avion et conférant à celui-ci le profil aérodynamique choisi.

Résistance spécifique (MPa/kgcm–3)

Airware® AW226

220

7449-T79 7255-T77

200

7150-T6

180

Amélioration continue de la résistance spécifique des alliages d’aluminium depuis leur existence, avec dernièrement l’alliage Airware®.

7075-T6

160

2124-T8

140 120 100 1920

2024-T3 1940

1960

1980

2000

2020

Année d’introduction

spécifique, dont on voit les progrès sur la Figure 3. La nouvelle famille c­ ommercialisée sous le nom d’« Airware® » désigne des alliages aluminium cuivre-lithium et représente un progrès qualitatif. 1.3. La technologie Airware® : un nouveau plus pour l’aéronautique Les matériaux Airware® sont déjà très présents dans l’aéronautique, dans les nervures de l’A350 par exemple et dans de nombreuses structures internes (Figure 4) : le fuselage du Bombardier « Cseries »,

A

B

de la fusée SpaceX, dont on voit le barrel5 sur la Figure 4C, le Bombardier G7000, des appareils d’Embraer et de Boeing, pour ne pas tout citer. Cette famille d’alliage est très largement utilisée. Elle l’est d’ailleurs également dans la structure interne de l’avion. Une application pour Smar tphone en présente l’utilisation pour tout public (Encart : « Une application pour aller regarder l’intérieur de l’avion »).

Dernières avancées dans les alliages d’aluminium pour applicationsaéronautiques

Figure 3

240

D

5. Barrel : désigne la forme cylindrique du fuselage d’un avion ou d’une fusée.

C

Figure 4 Exemples d’avions dont la structure contient de l’alliage Airware® : structure interne de l’A350 (A), fuselage du Bombardier Cseries (B) et G7000 (C) et d’une fusée SpaceX (D). Sources : A) Wikimedia, CC-BY-SA-4.0, Clément Gruin ; B) Wikipédia, CC-BY-SA-3.0, Alexandre Gouger ; C) Wikipédia, CC-BY-SA-2.0, Eddie Maloney.

173

Chimie, aéronautique et espace

UNE APPLICATION POUR ALLER REGARDER L’INTÉRIEUR DE L’AVION Il existe une application pour Smartphone, disponible pour tous*, qui permet d’aller regarder à l’intérieur d’une structure aéronautique, voir à quoi cela ressemble, c­ omment c’est construit. On peut regarder la structure en détail, par exemple la peau (Figure 5), qui, même dans le cas de l’A350, est en aluminium.

Figure 5 L’application développée par Constellium permet de voir en détails la structure d’un avion dont la structure a été allégée avec des alliages d’aluminium. *www.aerospace.products.constellium.com

2 Figure 6 Pièces métalliques livrées par Constellium (panneau de fuselage) qui constituent la structure extérieure d’un avion.

L’alliage optimisé à toutes les échelles

L’un des objectifs de notre profession est d’optimiser les microstructures, c’està-dire les détails des structures des matériaux. Cela conduit à l’amélioration des propriétés.

2.1. Exemple d’un panneau de fuselage La Figure 6 représente un panneau de fuselage, d’un Bombardier CSeries en l’occurrence. Constellium livre la tôle d’aluminium qui constitue le panneau représenté en bas à droite sur la figure : il est « formé », découpé, assemblé avec des raidisseurs. Ensuite les avionneurs6 l’incorporent tel quel dans la structure de l’avion. 2.2. Structure à différentes échelles 2.2.1. Au niveau millimétrique Ce produit est formé de nombreux « grains », qui sont en

174

6. Avionneur : personne responsable de la conception des plans d’avions, en réalise la construction et en fait les essais.

Laminage de la face intérieure d’un panneau de fuselage, vu à l’échelle millimétrique, permettant de lui conférer des propriétés isotropes. Laminage

fait des cristaux, et sont alignés comme il apparaît sur la Figure 7, représentant une structure recristallisée7. On réalise cette structure à partir d’une coulée d’une structure « équiaxe8 », par un laminage induisant un alignement des cristaux d’origine. Un traitement thermique ultérieur recristallise des grains, plutôt équiaxes, qui confèrent au matériau des propriétés plus ou moins isotropes9. 2.2.2. Au niveau micronique L’examen de ces matériaux au niveau micronique (Figure 8) 7. La recristallisation correspond à une nouvelle cristallisation de métaux et d’alliages qui se développe à l’état solide, par chauffage, à partir de produits ayant subi un certain taux de déformation. 8. Équiaxe : qualifie une structure dont les axes sont égaux. 9. Isotrope : se dit d’un milieu dont les propriétés physiques sont les mêmes dans toutes les directions de l’espace.

Traitement thermique

montre que des impuretés comme le fer et le silicium forment des particules intermétalliques. Celles-ci sont nocives pour les propriétés finales du matériau et on essaie de les éliminer. En particulier, dans les alliages pour application aéronautique il est intéressant de diminuer au maximum le fer, dont une certaine concentration demeure, mais c’est une démarche coûteuse. 2.2.3. Au niveau nanométrique

Dernières avancées dans les alliages d’aluminium pour applicationsaéronautiques

Figure 7

L’examen à une échelle plus petite encore, l’échelle nanométrique, le millième de micron, fait apparaître l’organisation de toutes petites phases, qu’on appelle des phases « durcissantes ». Sur la Figure 9, on les voit en section sous forme de traits. En fait, ce sont des disques d’environ quatre ou cinq réseaux atomiques en épaisseur, qui permettent de durcir de façon très efficace les alliages de l’aluminium. Dans

Figure 8 Agrandissement des impuretés restantes à éliminer, comme le fer, sur un panneau de fuselage vu à l’échelle micronique (à droite : microscopie optique, polissage sans attaque).

175

Chimie, aéronautique et espace

Figure 9

T1 (AI2CuLi), disques sur plans (111)AI

Exemple de deux phases durcissantes dont l’une, T1 (Al2CuLi à droite), est très efficace et l’autre, δ’ (Al3Li en bas), est à éviter à cause de son instabilité thermique.

δ’ (AI3Li) sphères

L12

le cas des alliages aluminiumcuivre-lithium, on essaie de maximiser la quantité de T1, la phase Al2CuLi, qui est une phase extrêmement efficace pour durcir et pour créer les propriétés qui nous intéressent. Par ailleurs, la même technique d’observation (la microscopie en transmission) fait aussi apparaître des agrégats de phase Al3Li dont on cherche à éviter la formation pendant une exposition thermique. 2.2.4. Au niveau atomique On peut continuer l’examen de ces matériaux au niveau

Figure 10

176

Image résultant du procédé de sonde atomique, permettant d’observer des phases T1.

atomique, par exemple en réalisant des images 3D en sonde atomique10, une technique qui évapore la matière atome par atome, ce qui permet d’identifier tous les composants. Sur la Figure 10, on voit par exemple que les plaquettes contiennent, à côté de l’aluminium, du cuivre 10. Sonde atomique : microscope analytique tridimensionnel de haute résolution qui permet d’observer la distribution spatiale des atomes dans un matériau. Son principe de fonctionnement repose sur l’évaporation par effet de champ des atomes de surface d’un échantillon.

La chimie des alliages, un outil efficace

On vient de voir l’importance de maîtriser finement la composition atomique du matériau. Mais comment parvient-on à cette maîtrise ? Le procédé industriel consiste en ce qu’on appelle une mise en solution/trempe12 /revenu (Figure 12). La mise en solution du cuivre et du lithium dans le réseau d’aluminium place ces atomes dans le réseau d’aluminium de façon aléatoire. La trempe, c’est un refroidissement soudain qui permet de figer cette solution solide. Le revenu, effectué à une température intermédiaire, favorise la précipitation des phases « durcissantes » recherchées. 3.1. L’utilisation du diagramme de phase… La réussite de la fabrication de ces matériaux Al-xCu-yLi repose sur une très bonne 11. Germination : phénomène suivant lequel apparaissent les premiers germes cristallins d’une phase solide ou d’un composé. 12. Trempe : traitement thermique qui consiste à plonger dans un bain froid un métal, un alliage, porté à haute température pour conserver à température ambiante une modification de la structure moléculaire obtenue à chaud, et augmenter la dureté des matériaux par exemple.

100 90 80 AI Li Mg Cu Si Zn Ag

70 60 20 15 10 5 0

0

2

4

6

8

10 12 14 16 18 20 22

Distance (nm)

Figure 11 Graphique qui montre que les phases durcissantes sont plus facilement formées avec de l’argent et du magnésium.

3.2. … pour déterminer l’obtention d’un alliage optimisé Les diagrammes de phase permettent de choisir les conditions « concentration de Li, concentration de Cu, température » où précipiteront les phases durcissantes recherchées, la phase T1 (Figure 14A). En fait, on essaiera de se positionner dans la zone indiquée en vert sur la Figure 14B pour avoir la phase T1 durcissante, et pas la phase Al 3Li qui diminue la qualité du matériau. Afin d’affiner la compréhension du système et des mécanismes atomiques à l’œuvre, on se sert aussi de modélisations atomiques. Par la

Dernières avancées dans les alliages d’aluminium pour applicationsaéronautiques

3

connaissance du diagramme de phase13 . La Figure 13A représente une coupe cuivre lithium dans le diagramme de phase Al-Cu-Li. La partie droite du diagramme correspond à des zones de concentrations où le mélange cuivre-lithium peut donner naissance à de nombreuses phases de taille grossière, ce qui est nuisible pour notre projet ; on évitera les concentrations correspondantes. La zone optimale pour réaliser une dissolution aléatoire pouvant donner après trempe les précipités recherchés est figurée en bleu sur la Figure 13B.

Concentration (at. %)

et du lithium, du magnésium et de l’argent. On a en effet rajouté un peu de magnésium et d’argent, qui favorisent la germination11 de ces phases (Figure 11) et permettent d’augmenter leur densité numérique.

Fin de gamme d’un alliage aéronautique Température

Trempe Mise en solution Revenu

13. Diagramme de phase : représentation graphique des domaines de l’état physique d’un corps en fonction de différents paramètres possibles (pression, température, fraction molaire/massique, pourcentage d’un élément, etc.).

Temps

Figure 12 Températures atteintes par l’alliage au cours des différentes phases de traitement.

177

AI-xCu-yLi à 500 °C (–) + métastable à 155 °C (–) 3

A

2,5

(AI) T2

2

Li wt %

A) Diagramme de phase, pendant la mise en solution à 500 °C, indiquant les pourcentages de Cu et Li à avoir pour être en solution solide ; B) zone bleue préférentielle pour optimiser la solution solide sans obtenir d’autres phases. Les lignes noires correspondent au diagramme de phase à 500 °C, les vertes au diagramme métastable à 155 °C. Métastable : caractérise un système qui n’est pas stable en théorie, mais qui apparaît comme tel du fait qu’il se transforme très lentement en l’absence d’une perturbation significative.

1,5 1

(AI) AI2CuLi_T1

Solution solide (AI) AI15Cu8Li2_TB

0,5

Calculs Phosphase de C. Sigli

Pourcentage massique

Chimie, aéronautique et espace

Figure 13

(AI) (AILi)2Cu 0 1,5

2

2,5

3

3,5

4

4,5

5

Cu wt %

AI-xCu-yLi à 500 °C (–) + métastable à 155 °C (–) 3

B

2,5

(AI) T2

Li wt %

2 1,5 1

(AI) AI2CuLi_T1

Solution solide (AI) AI15Cu8Li2_TB

Pourcentage massique

0,5

(AI) (AILi)2Cu 0 1,5

méthode Monte Carlo, on peut visualiser la propension des phases à se former et la cinétique correspondante. Ces simulations sont des guides extrêmement efficaces pour la conduite du procédé et la sélection fine des conditions expérimentales optimales.

4

Co-optimisation structure-procédématériau

178

Les propriétés des alliages Airware® que nous venons de présenter sont beaucoup plus intéressantes que celles des alliages conventionnels. Cela va apparaître en regardant

2

2,5

3

3,5

4

4,5

5

Cu wt %

les conditions de leur utilisation. Une précision : la solution actuelle, c’est la solution A380 ; pour les alliages type Airware®, c’est la génération utilisée sur l’Airbus A350 et au-delà. 4.1. Des propriétés intéressantes La Figure 15 montre que sur toutes les propriétés importantes – la résistance, la fatigue, la corrosion, etc. –, on a des gains importants et du même ordre de grandeur pour toutes. À la limite on pourrait prendre une pièce donnée, simplement la remplacer

2,5

A

(AI) T2

Li wt %

2 1,5

T1 + AI3Li

(AI) AI2CuLi_T1 T1

Pourcentage massique

1

0 1,5

9’

2

2,5

3

(AI) (AILi)2Cu 3,5

4

4,5

5

Cu wt %

AI-xCu-yLi à 500 °C (–) + métastable à 155 °C (–)

3 2,5

B

(AI) AI15Cu8Li2_TB

T1 + 9’

0,5

A) Diagramme de phase pendant le revenu à 155 °C indiquant les différentes solutions solides obtenables dont celles contenant la phase (T1 + δ’) et la phase T1 seule ; B) la zone verte contenant uniquement la phase T1 est la plus optimale pour ses propriétés de résistance.

(AI) T2

Li wt %

2 T1 + AI3Li

(AI) AI2CuLi_T1 T1

1

Pourcentage massique

Zone optimale à 155 °C pour la phase durcissante T1 : maximisant résistance/ténacité en évitant la phase AI3Li, associée à une instabilité thermique

1,5

T1 + 9’

0,5 0 1,5

(AI) AI15Cu8Li2_TB

9’

2

2,5

3

(AI) (AILi)2Cu 3,5

4

4,5

5

Dernières avancées dans les alliages d’aluminium pour applicationsaéronautiques

Figure 14

AI-xCu-yLi à 500 °C (–) + métastable à 155 °C (–) 3

Cu wt %

+ 46 % RÉSISTANCE À LA CORROSION

Jusqu’à – 20 % de poids Co-optimiser structure – matériau – assemblage +7% – 7 à – 12 % de poids Réduire les sections grâce aux propriétés améliorées

+ 25 %

RIGIDITÉ

FATIGUE RÉSISTANCE

–4% – 3 à – 6 % de poids Profiter de la réduction de densité

+8%

DENSITÉ

FORCE

+6% DURETÉ AIRWARE™ 2050 SOLUTION ACTUELLE

AIRWARE™ 2050 T84 PLATE

Figure 15 Les alliages Airware® sont nettement plus performants que les anciens alliages en aluminium, permettant jusqu’à 20 % de poids en moins dans une structure aéronautique.

179

Chimie, aéronautique et espace

Figure 16 Les nouvelles technologies de soudage – ici le « Linear Friction Welding » (LFW) – permettent de fabriquer par exemple des nervures avec une efficacité mécanique et un taux d’utilisation de la matière très élevés. A) Démonstrateur de concept où les ébauches de quatre pieds de nervure ont été soudés à l’âme ; la moitié gauche de ce démonstrateur a ensuite été usinée. ; B) une nervure complète fabriquée en Aiware® avec cette technologie.

avec la même géométrie, et on obtiendrait un gain sans dépenser pour étudier une nouvelle conception, si on peut gagner ne serait-ce que 4 % en densité. Cela étant, en optimisant le matériau, la structure et les procédés par des

programmes de recherche appropriés, on peut obtenir un gain en poids de 15 à 25 %. Les calculs sous-tendant ces estimations de gain ont été réalisés de façon collaborative entre Constellium et ses clients aéronautiques, dont Airbus et Dassault.

L’aluminium et l’aéronautique : un mariage toujours plus solide Les matériaux de la famille Airware® sont le développement le plus récent de l’utilisation de l’aluminium pour l’aéronautique. La finesse des moyens d’étude physiques, théoriques et expérimentaux, et physico-chimiques accessibles aujourd’hui est indispensable pour tirer le maximum de ses propriétés, les comprendre et les reproduire, maîtriser les compositions précises des composants principaux bien sûr, mais aussi apporter de « petits ajouts » sans lesquels rien ne serait. Les avantages de l’Airware® qui ont été cités ont laissé de côté des propriétés pourtant aujourd’hui très appréciées : c’est un matériau éco-efficace,14 étant à la fois 100 % recyclable et léger. Un exemple de plus qui montre la nécessité pour les industriels de se maintenir à la pointe des propositions techniques et scientifiques mises au point par les laboratoires. 180

14. Éco-efficace : notion qui désigne des produits ou des services caractérisés par un rapport matière/usage amélioré.

dans l’

Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Michel Guélin est Astronome à l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM) et à l’Observatoire de Paris. Directeur de Recherche Émérite au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), il a beaucoup contribué à la détection de nouvelles molécules dans le milieu interstellaire.

À ce jour, les astronomes ont détecté et identifié près de 200 différentes espèces moléculaires dans les nuages gazeux peuplant l’espace inter stell aire, un milieu pour tant par ticulièrement tenu et froid, peu propice à la formation et la survie de toute molécule. Ces molécules, essentiellement composées de carbone, d’oxygène, d’azote et d’hydrogène, pour la plupart bien connues au laboratoire de chimie, sont

observées dans le Système Solaire, à travers toute notre Galaxie, dans les galaxies voisines ou distantes et, pour certaines, jusque dans des quasars situés aux confins de l’Univers. Quels types de nuages abritent ces molécules? Quand sontelles apparues et comment se forment-elles ? Comment les observe-t-on ? Ce sont les questions auxquelles nous tenterons brièvement de répondre. Le Graal, la

Michel Guélin

Molécules Univers

Chimie, aéronautique et espace

Figure 1 Le Soleil en lumière ultraviolette (UV) observé pendant le transit de Venus (qui apparaît en haut comme un disque noir). Source : NASA/SDO & the AIA, EVE, and HMI teams ; Digital Composition : Peter L. Dove.

question d’un possible lien de causalité entre les molécules interstellaires, les molécules terrestres et l’origine de la Vie (sur Terre, mais peut-être aussi sur des planètes gravitant autour d’autres étoiles, les « exo-planètes ») ne sera qu’effleurée à la fin de ce chapitre et abordée dans d’autres chapitres de cet ouvrage Chimie, aéronautique et espace (EDP Sciences, 2018).

l’orbite de Neptune), ainsi que des comètes. La Figure 2 montre la planète Saturne et ses satellites, et la Figure 3 un montage du Système Solaire sur lequel on reconnait les huit planètes (les quatre premières, à gauche, rocheuses, les autres gazeuses) et, tout à droite, trois objets transneptuniens dont les plus connus sont le couple Pluton-Charon (récemment rétrogradé par l’Union Astronomique Internationale au statut de planète naine). La ceinture d’astéroïdes (gros blocs rocheux dont le plus gros est Cérès) orbitent entre Mars et Jupiter.

Mais, avant d’aborder ces questions, commençons par une exploration de l’espace inter sidér al , explor ation partant de la Terre qui nous permettra de reconnaître les divers types d’objets peuplant l’Univers.

1

De nombreuses comètes, certaines périodiques comme la Comète de Halley (Figure 4) et la comète Chur yumovGerasimenko, traversent le Système Solaire.

L’Univers en quelques clics

1.2. Le Système Solaire

Figure 2

1.3. Les étoiles et les nébuleuses Quittons le Système Solaire pour décou v r ir d’autres étoiles ainsi que des objets étendus et diffus que l’on nomme nébuleuses. Celles-ci sont constituées de gaz très

Figure 3

184

Image de synthèse montrant les planètes du Système Solaire à la même échelle.

Ur an u Ne s pt u Pl ne ut on et

rn e Sa tu

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M

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Ch

ar on

Photo montage de Saturne et ses satellites : Dioné, Enceladus, Rhea, Titan, etc. Source : NASA - JPL image PIA01482.

Le Système Solaire se compose essentiellement du Soleil (dont la Figure 1 donne une vue dans l’ultraviolet), de ses huit planètes, des astéroïdes (rocheux) et objets transneptuniens (planètes naines orbitant au-delà de

La Figure 5 montre la constellation d’Orion, dont les trois étoiles centrales forment le Baudrier d’Orion (Figure 5B). En dessous du Baudrier, on aperçoit une tache lumineuse rosâtre, la Grande Nébuleuse d’Orion (aussi dénommée Messier 42 ou M42). M42, r el ati vement pr oche de notre Système Solaire (mais tout de même distante de 1 600 années-lumière1), est une véritable pouponnière d’étoiles actuellement en cours de formation. En haut à gauche d’Orion se trouve Bételgeuse (Figure 5A), une étoile Géante 1. Année-lumière (ou a.l.) : distance que parcours un objet en une année s’il se déplace à la vitesse de la lumière.

Rouge, c’est-à-dire une étoile en fin de vie et relativement froide, devenue si énorme qu’elle remplirait la moitié de l’orbite de Jupiter. En bas à droite, Rigel, est au contraire une étoile plutôt jeune et massive, qui apparaît bleue, parce que sa température de surface est beaucoup plus élevée que celle du Soleil (qui, lui, paraît jaune) ou que celle de Bételgeuse (qui paraît rouge). Les nébuleuses, tels des nuages, peuvent prendre des formes étranges : tout à côté de Rigel (Figure 5C) se trouve la nébuleuse dite de la Tête de Sorcière; elle est composée de gaz et de poussières éclairés par Rigel. Pour comparaison, la Figure 6 montre une nébuleuse obscure, Barnard 68, située dans la constellation Ophiucus, qui n’est proche d’aucune étoile et apparaît comme une tâche noire sur le concert des étoiles.

Figure 4 Photographie de la comète de Haley, prise à seulement 600 km de distance par la mission spatiale Giotto lors de son approche du Soleil en mars 1986. Source : Esa-Max Planck Institute for Solar System Research.

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

peu dense et de poussières qui peuvent apparaître brillantes, si éclairées par des étoiles proches, ou sombres, si elles se projettent sur un riche fond d’étoiles.

Figure 5 La constellation d’Orion : A) Zoom sur Bételgeuse, étoile géante rouge de la constellation d’Orion ; B) vue d’ensemble de la constellation avec de haut en bas Betelgeuse, le Baudrier, M42 et Rigel ; C) zoom sur la nébuleuse Tête de Sorcière, proche de l’étoile Rigel. Sources : Betelgeuse: Dupree A. (CfA), Gilliland R. (STScI), NASA ; nébuleuse : Star Shadows Remote Observatory (Steve Mazlin, Jack Harvey, Rick Gilbert, Teri Smoot, Daniel Verschatse).

A

B C

185

Chimie, aéronautique et espace

1.4. Les galaxies 1.4.1. Notre Galaxie : La Voie Lactée

Figure 6 La nébuleuse Barnard 68 de constellation d’Ophiucus apparaît comme une trouée noire sur un riche fond d’étoiles. Nous verrons plus bas que le fond d’étoiles est simplement caché par un nuage des poussières situé au premier plan. Source : FORS Team, 8.2-meter VLT Antu, ESO.

Figure 7

186

Vue du ciel nocturne étoilé depuis l’entrée d’une grotte : la partie centrale de notre galaxie, la Voie Lactée, apparaît comme un disque d’étoiles noyées dans un ensemble de nébuleuses brillantes ou obscures, semblables à des nuages. Source : Jack Fusco.

La Voie Lactée, notre galaxie (aussi appelée La Galaxie) ressemble à une immense crêpe épaissie par un œuf en son centre. Elle est constituée de quelque 200 milliards d’étoiles et de très nombreuses nébuleuses brillantes ou obscures (Figures 7 et 8) qui forment les nuages interstellaires. Le Soleil est situé dans la partie fine de la « crêpe » à égale distance de son centre et du bord. 1.4.2. Les galaxies extérieures Par-delà notre Galaxie se trouvent d’autres « universîles » comme on les appelle quelquefois, c’est-à-dire d’autres galaxies constituées elles aussi de milliards d’étoiles et de nébuleuses. On peut observer à l’œil nu depuis l’hémisphère Sud les Nuages de Magellan (Figure 9), situés à environ 100 000 a.l. du Soleil, deux « petits » compagnons de la Galaxie. Beaucoup plus massive que les Nuages de Magellan, la galaxie Messier 31, aussi appelée M31 ou Nébuleuse d’Andromède, est la grande sœur de notre Galaxie. Elle est visible dans le ciel boréal dans la constellation d’Andromède, au nord-est du Grand Carré de Pégase. Son centre apparaît à l’œil nu comme une petite tache brillante. Avec un télescope, on voit un disque plat deux fois plus grand que la Lune et fortement incliné sur le plan du ciel (Figure 10). Ce disque entoure un noyau central plus épais, constitué de milliards d’étoiles ; des

traînées de nuages interstellaires brillants ou sombres qui se profilent sur ce noyau brillant. Comme le suggère sa forme aplatie, M31 est une galaxie de type spirale en rotation sur elle-même. Elle se trouve à 2 millions d’annéeslumière du Soleil. En s’éloignant encore plus de La Voie Lactée, cette fois en direction de la constellation des Chiens de Chasse, on rencontre à 23 millions d’a.l. du Soleil la galaxie Messier 51, dite du Tourbillon, une galaxie spirale vue cette fois de face (Figure 11). En direction de la Vierge, on trouve une magnifique galaxie de type elliptique, le Sombrero (Figure 12), dont le gros noyau brillant, de forme elliptique, est traversé par une fine bande sombre : un fin disque de poussières entourant ce noyau, vu par la tranche. Beaucoup plus loin, à 430 millions d’années-lumière du Soleil, on trouve un couple de galaxies formées d’anneaux brillants qui semblent esquisser un pas de deux (Figure 13). Le nombre de gal axie s observables dans l’Univers est colossal et se chiffre en centaines de milliards. Les plus lointaines apparaissent moins lumineuses et plus rouges sur les clichés, sauf lorsqu’elles hébergent en leur centre un quasar brillant. Un moyen d’explorer les galaxies distantes dénuées de quasars consiste à se servir du phénomène de lentille gravitationnelle qui, telle la lentille optique d’une lunette astronomique, permet d’amplifier la taille et la luminosité des objets éloignés situés derrière un objet très massif.

zod iaca

Saturne

ière

Alpha Centauri

Lum

Distance du Soleil au centre de notre Galaxie : 25 000 années-lumière

Vega

Spica Jupiter

Pinacles

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

le

Galaxie Voie Lactée

Figure 8 Photographie panoramique de La Voie Lactée, un immense disque constitué d’étoiles (parmi lesquelles le Soleil) et de nuages interstellaires, dont le centre, tout en haut de l’image, se trouve à 25 000 années-lumière du Soleil (ce dernier est à 8 minutes-lumière de la Terre et la Lune à « seulement » 1 seconde-lumière, soit tout de même 300 000 km). Source : Jingyi Zhang.

Grand Nuage de Magellan 100 000 années-lumière

Figure 9 Le Grand Nuage de Magellan dans le ciel austral photographié depuis l’Observatoire de Las Campanas au Chili. Source : Yuri Beletsky (Carnegie Las Campanas Observatory, TWAN).

Figure 10 La Galaxie d’Andromède, M31, la galaxie spirale géante la plus proche de notre Galaxie. Elle est entourée de deux petits compagnons. Source : Dieter Beer & Patrick Hochleitner.

Figure 11 Image composite (rayons X, visible, infrarouge) de galaxie des Chiens de Chasse, M51, à 23 millions d’années-lumière de la Galaxie. Données d’image : rayons X : NASA/CXC/SAO ; optique : Detlef Hartmann ; Infrarouge : NASA/ JPL-Caltech.

187

Chimie, aéronautique et espace

Figure 12 La galaxie M104 dont la forme rappelle un sombrero. On voit un fin disque de gaz et de poussières entourer le noyau brillant constitué de milliards d’étoiles. Données d’image : NASA, ESO, NAOJ, Giovanni Paglioli Processing: R. Colombari.

Figure 13 Image du couple de galaxies Arp147 en lumière visible. Source : NASA, ESA, and M. Livio (STScI).

Figure 14

188

Image de l’amas de galaxies Abell 2218 prise par le télescope spatial Hubble. L’effet de lentille gravitationnelle grossit les images d’un facteur 10 ou plus et permet d’observer des objets plus lointains situés derrière le centre de l’amas. Source : NASA/ESA.

La Figure 14 montre un champ de galaxies observé par le télescope spatial Hubble, télescope NASA/ESA évoluant au-dessus de l’atmosphère terrestre et fournissant des images d’une acuité inégalée. On y distingue, en plus des nombreux disques de galaxies,

plusieurs arcs concentriques de couleur bleue ou rouge : ces arcs sont les caustiques résultant de la distorsion de l’image d’objets brillants lointains, situés derrière l’amas de galaxies Abell 2218, par le champ gravitationnel de cet amas – un effet prédit par

Enfin, la Figure 15 montre l’image d’un champ du ciel obser vé par le télescope Hubble avec une sensibilité exceptionnelle (Hubble Deep Field). L’image permet de recenser les diverses populations de galaxies (spirales/ elliptiques, géantes/naines, normales/quasars,..) à des distances variant de quelques centaines de millions à une dizaine de milliards d’a.l. (pour les plus rougis). Au-delà de 10 milliards d’a.l., les objets sont trop rougis pour être visibles sur ce cliché et ne sont observables qu’aux longueurs d’onde infrarouges et submillimétriques.

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

la Théorie de la Relativité d’Einstein dans laquelle les rayons lumineux sont déviés en passant au voisinage d’une concentration importante de masse, comme par une gigantesque lentille de verre. Ici, l’amas de galaxies est situé à 2,3 milliards d’annéeslumière, et la galaxie brillante et les objets qui l’entourent situés encore beaucoup plus loin (l’un d’eux aux confins de l’Univers, à 13 milliards d’a.l.).

2

Où trouve-t-on des molécules dans l’univers ?

On les observe principalement dans les nuages interstellaires diffus, mais aussi dans les cœurs sombres des nuages et plus particulièrement dans les régions les plus denses où se forment les étoiles, les cœurs protostellaires. On détecte aussi des molécules dans les atmosphères stellaires, comme par exemple l’atmosphère du Soleil, dans les atmosphères planétaires, comme celles de la Terre, de Mars ou de Vénus, et dans les atmosphères cométaires. Enfin, de nombreuses espèces moléculaires sont obser vées dans les enveloppes gazeuses éjectées par les étoiles évoluées, c’est-àdire les étoiles ayant brûlé l’essentiel de l’hydrogène qui leur sert de combustible pour rayonner, ou dans les disques circumstellaires dits protoplanétaires où se forment les planètes.

Figure 15 Image du Hubble Ultra Deep Field, un champ situé dans la constellation de la Grande Ourse, où des milliers de galaxies sont visibles, certaines jusqu’à 10 milliards d’a.l. Source : NASA, ESA, Teplitz H. et Rafelski M., (IPAC/Caltech), Koekemoer A. (STScI), Windhorst R. (ASU), Levay Z. (STScI).

189

Chimie, aéronautique et espace

2.1. Les molécules des nuages interstellaires diffus

Figure 16 Distribution des espèces moléculaires au cœur et en périphérie de la nébuleuse obscure B68 située dans la constellation d’Ophiucus. L’image de gauche (A) a été prise en lumière visible et l’image de droite (B) dans l’infrarouge. On distingue dans l’infrarouge quelques-unes des étoiles situées derrière le cœur du nuage. La densité la température du gaz et l’opacité visuelle sont : n=10-103 cm-3, T=20-100 K et Av100 000 oC) et rayonne beaucoup d’UV. Ce dernier est la cause d’une chimie particulière au cours de laquelle apparaissent des cycles d’atomes de carbone pentagonaux ou hexagonaux (benzéniques), isolés ou agencés, parfois formant des complexes lourds comme le Buckminster Fullerene, C 60 , une molécule de forme sphérique semblable à un ballon de football qui consiste en un agencement de 60 atomes de carbone. L’identification de certains ensembles de raies infrarouges (dites bandes diffuses) couramment observées dans les Nébuleuses Planétaires, avec des transitions de vibration d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP (qui sont un agencement de cycles benzéniques courant dans les résidus de combustion incomplète de matières organiques), fait débat dans la communauté astrochimique. 2.5. Les molécules dans les galaxies extérieures

Figure 26

196

La distribution du gaz moléculaire tracé par le monoxyde de carbone CO (en orange) sur l’image optique de la Figure 28. Source : IRAM/M. Guélin.

Revenons à l’image optique de la Galaxie d’Andromède M31 en lumière visible (Figure 25). La Figure 26, sur laquelle on a tracé en orange les régions où l’on détecte l’émission millimétrique du monoxyde de carbone CO, montre que le gaz moléculaire suit fidèlement

les trainées noires, visibles sur l’image optique, causées par des nuages interstellaires gazeux riches en poussières. Comme dans le cas des nuages sombres de la Voie Lactée, CO n’est pas la seule molécule observée : on y détecte CS, HCN, HC 3N, H2CO, HCO+, etc. Nous reviendrons là-dessus plus loin. La présence de molécules dans les nuages interstellaires denses n’est pas restreinte à notre Galaxie et à M31. Elle est observée dans toutes les galaxies extérieures, qu’elles soient de type spirale, elliptique ou simplement irrégulière. Ces nuages suivent le tracé des bras spiraux, qui apparaissent souvent comme des chapelets de perles brillantes (les étoiles jeunes) sur des trainées obscures. C’est le cas en particulier dans M51, une galaxie aux bras spiraux particulièrement bien marqués, où l’émission mm de CO suit fidèlement le tracé des bras (Figure 27). Nombre de molécules interstellaires sont obser vées dans les galaxies très distantes, certaines jusqu’aux confins mêmes de l’Univers. La Figure 28 montre les spectres millimétriques observés dans la direction d’un quasar 5 situé à quelque 10 milliards d’années-lumière du Soleil. La ligne de visée vers ce quasar est interceptée par une galaxie spirale, distante de 6 milliards d’a.l. 5. Quasar : galaxie particulière où le trou noir central est dit « actif » émettant ainsi deux jets opposés de matière. Ce sont les objets les plus brillants de l’Univers.

La galaxie M51. A) Image composite mettant en évidence les bras spiraux de la galaxie ; B) la partie centrale de l’image, vue dans la raie du monoxyde de carbone CO à 2,6 mm de longueur d’onde par l’interféromètre NOEMA. Source : IRAM/J.Pety.

A

B

Parkes 1830-211 Quasar à z = 2,5

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Figure 27

Galaxie spirale à z = 0,89

1,01 1,005 1 0,995 0,99

47

47,2

Fréquence en GigaHertz

47,4

Figure 28 A) Image du quasar lointain PKS1830-218, distordue par un effet de lentille gravitationnelle causé par une galaxie spirale interceptant la ligne de visée. La galaxie, de redshift z=0,89, est distante de quelque 6 milliards d’a.l. de la Voie Lactée. Le gaz de ses bras spiraux absorbe le rayonnement millimétrique provenant du quasar, donnant naissance à des raies d’absorption correspondant aux transitions de rotation des molécules HCO+, HCN, CS et H2S (observations faites avec l’interféromètre NOEMA du Plateau de Bure) ; B) spectre submillimétrique de la même source observé par ALMA, montrant des profils de raie complexes qui révèlent la présence de plusieurs nuages moléculaires dans les bras de la galaxie. Source : A&A/S. Muller.

Cette dernière, très massive, distord l’image ponctuelle du quasar comme le ferait une gigantesque loupe (nous avons déjà vu sur la Figure 14

les effets d’une lentille gravitationnelle) et la transforme en deux virgules brillantes, disposées symétriquement par rapport au quasar. Par

197

Chimie, aéronautique et espace

chance, ces deux images appar aissent exactement derrière des bras spiraux de la galaxie qui sont riches en gaz moléculaire. Le gaz des bras absorbe le rayonnement du quasar, si bien que l’on observe un spectre millimétrique riche en raies d’absorption, tout comme le spectre d’Orion de la Figure 21 l’était en raies d’émission. Chacune des raies d’absorption peut alors être identifiée avec des transitions rotationnelles de molécules connues, comme nous l’avons fait pour la Figure 21. Il est à noter que cette fois les fréquences des raies obser vées sont très différentes de celles mesurées au laboratoire, car la galaxie spirale, très éloignée, s’éloigne de nous à grande vitesse du fait de l’expansion de l’Univers (v=cz, où c est la vitesse de la lumière et z=0,89 le redshift 6 de la galaxie). À cause de l’effet Doppler, la fréquence apparente des transitions est divisée par 1+z=1,89 et les raies sont décalées d’autant vers le rouge. On distingue ainsi sur les spectres de la Figure 28 les raies des molécules HCN, HNC, HCO + et HOC + . Le monoxyde de carbone CO, l’eau H2 O et le formaldéhyde H2CO sont également observés mais ne sont pas visibles sur cette portion du spectre. Au total une trentaine d’espèces moléculaires différentes sont détectées

198

6. Redshift : décalage de fréquence entre un signal reçu et ce même signal émis dû à l’expansion de l’Univers. En effet, la fréquence d’un signal est modifiée à grande distance car celui-ci se propage dans l’espace en expansion.

dans la galaxie distante de 6 milliards d’années-lumière ! Les molécules CO et H2O sont détectées dans des quasars encore bien plus lointains. Beaucoup d’autres espèces (H2 , CO 2 , CS, etc.) sont certainement présentes, mais leur émission, plus faible, est plus difficile à observer. De fait, nous observons la lumière que ces quasars ont émise il y a plus de dix milliards d’années : la formation de molécules dans l’espace interstellaire ne date pas d’hier!

3

Quand ? L’origine des molécules de l’espace

3.1 Apparition des premières molécules La Figure 29 illustre de façon schématique l’évolution de l’Univers depuis le Big Bang7 (à gauche sur la figure) il y a 13,7 milliards d’années, jusqu’à nos jours (à droite). Les fuseaux blancs représentent l’évolution de la taille de l’Univers : tout d’abord une phase d’expansion très rapide de 0 à 300 000 ans, suivie d’une longue phase d’expansion lente, enfin une phase de ré-accélération. L’image à l’extrême gauche montre la structure du fond diffus cosmologique, le rayonnement fossile du Big Bang il y a 380 000 ans, tel qu’il apparaît aujourd’hui sur les images radio observées 7. Big Bang : début supposé de l’Univers ; à ce moment, l’Univers qui est contenu dans un volume infiniment petit et infiniment dense et chaud, explose. Il entame ainsi son expansion qui mènera, 13,7 milliards d’années plus tard, à l’Univers tel qu’il est aujourd’hui.

Développement de galaxies, planètes, etc.

Inflation WWAP

Fluctuations de quantums

1res étoiles environ 400 millions d’années Expansion du Big Bang 13,3 milliards d’années.

par les satellites WMAP de la NASA et PLANCK de l’ESA. Elle montre ce que l’on peut observer au plus près du Big Bang : un mur opaque remarquablement uniforme, rayonnant comme un corps noir à une température de 2,7 K. Elle est suivie d’une courte phase, l’Âge Obscur, où l’espace est peuplé seulement de matière noire et de gaz neutre. Puis apparaissent les premières étoiles et la matière se ré-ionise sous l’effet de leur rayonnement. Quelques centaines de milliers d’années plus tard, les premières galaxies se forment à partir des étoiles, du gaz et de la matière noire. Suit enfin une longue phase d’évolution au cours de laquelle les galaxies grandissent par cannibalisme, phase qui se prolonge jusqu’à l’époque actuelle. Comme nous venons de le voir, des molécules comme H2, CO, H2O, présentes dans

quelques-unes des galaxies ou quasars les plus distants connus, ont dû se former au début de la ré-ionisation de l’Univers, il y a 10 ou 12 milliards d’années. Des molécules beaucoup plus complexes se sont certainement formées dès cette époque dans les atmosphères stellaires et les nuages interstellaires.

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Motif de lumière d’Afterglow 380 000 ans

Expansion accélérée de l’énergie noire

Temps sombres

Figure 29 Représentation schématique de l’expansion de l’Univers du Big Bang à nos jours, marquant les différentes étapes de cette évolution. Source : NASA/WMAP Science Team.

3.2. Le bestiaire moléculaire Une liste (non exhaustive) des molécules interstellaires identifiées à ce jour est présentée dans sur la Figure 30. Elle contient environ 200 espèces moléculaires, qui vont depuis l’espèce la plus légère, l’hydrogène moléculaire H2 (de très loin la plus abondante), aux espèces les plus massives, les fullerènes C60 et C70, qui sont des agencements de cycles pentagonaux et hexagonaux d’atomes de carbone formant une sphère. C 60, dont la structure 3D est

199

Chimie, aéronautique et espace

Figure 30 Molécules interstellaires et circumstellaires identifiées à ce jour. Les espèces à ossature carbonée linéaire sont soulignées. Les ions positifs sont en jaune, les ions négatifs en bleu. Les cycles sont en rouge. La figure à droite représente la structure 3D du fullerène C60.

représentée à la droite de la table. C60 est parfois dénommé footballène du fait de sa forme caractéristique. Les HAP, que nous avons évoqués plus haut, et la glycine, C2H5NO2, le plus simple des acides aminés, ne sont pas mentionnés dans cette liste, leur identification en dehors du Système Solaire étant controversée. On notera la présence dans la liste d’un grand nombre d’espèces organiques constituées d’une chaîne linéaire d’atomes de carbone (dont la plus courte est C2, la plus longue HC11N) et très peu de cycles organiques (comme c-C 3H2 ou le benzène C 6H6 – les molécules cycliques sont marquées en rouge).

Dans les conditions prévalant dans l’atmosphère terrestre, les chaînes linéaires, très instables, sont au contraire rares et les cycles organiques prédominants. Bien que la plupart des molécules interstellaires organiques soient couramment étudiées dans les laboratoires de chimie, une vingtaine d’entre elles, surtout des radicaux libres, étaient inconnues jusqu’à leur observation dans l’espace ; leur spectre a été caractérisé pour la première fois à partir de spectres astronomiques. C’est le cas de CH et CN (les toutes premières molécules découvertes dans l’espace interstellaire), ainsi que celui des radicaux acétyléniques C2H, C4H et C6H. La liste comporte une vingtaine de cations (marqués en jaune – comme HCO + et HCNH+, le monoxyde de carbone et l’acide cyanhydrique protonés) et six anions (en violet – comme C 4H- et C6H-). Elle comporte des composés tautomères, comme HCN et HNC, CH3CN et CH3NC, MgCN et MgNC, ainsi que des composés réfractaires ou métalliques, comme SiO, TiO et FeO. La Figure 31 liste les espèces moléculaires identifiées dans A

Figure 31

200

A) Molécules détectées dans les disques protoplanétaires ; B-C) images de quelques disques protoplanétaires entourant des étoiles jeunes dans les constellations du Taureau et d’Ophiucus ; D) vue partielle de l’interféromètre submillimétrique ALMA (Chili) qui a détecté du fréon dans un tel disque. Source : Saxton B. (NRAO/AUI/ NSF) ; NASA/JPL-Caltech/UCLA ; ALMA ; IRAM.

B

C D

Une soixantaine d’espèces moléculaires ont été détectées à ce jour dans l’espace extragalactique (Figure 32). Comme dans la Galaxie ou dans M31, les nuages moléculaires n’occupent qu’une faible fraction du disque galactique et les signaux détectés sont très affaiblis par leur dilution dans le lobe (la PSF) des radiotélescopes. Nous avons vu que les raies intenses des molécules les plus abondantes, H2, CO et H2O, étaient observées dans tous les nuages interstellaires de toutes les galaxies, jusqu’aux plus distantes. Nul doute que les

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

des disques protoplanétaires, ces disques gazeux entourant des étoiles jeunes, à partir desquels se formeront des systèmes planétaires semblables au Système Solaire. La liste ne comporte que 19 espèces, car les disques sont peu étendus et leurs signaux sont faibles et difficiles à détecter. Notons que CO, H 2 O et nombre de molécules organiques sont présentes dans ces disques gazeux qui, comme les nuages interstellaires sombres, sont composés essentiellement d’hydrogène moléculaire.

200 molécules de la Figure 33, et bien d’autres connues ou pas des labor atoires de chimie, sont présentes dans bien des galaxies et que leur détection n’est qu’une affaire de temps. Les progrès en sensibilité réalisés aux longueurs d’onde (sub-)mm par les instruments ALMA et NOEMA, et bientôt dans l’infrarouge par le futur télescope spatial JWST et le télescope géant l’ELT, étendront certainement les listes des Figures 30, 31, et 32. 3.3. Comment les molécules se forment-elles dans l’espace ? Longtemps, les astronomes ont pensé que les conditions physiques dans l ’espace interstellaire (très faible densité gazeuse, températures très basses, rayonnement UV) entravaient la formation et la survie de toute molécule. Pourtant, nous y trouvons quelque 200 espèces moléculaires ! Quelles sont donc les raisons d’un tel prodige ? La première clé est la présence de poussières éjectées par les étoiles évoluées. Ces poussières, concentrées dans Figure 32 Tableau des molécules détectées dans les galaxies extérieures, classées en fonction de leur nombre d’atomes. Images optiques ou radio de galaxies dans ou devant lesquelles de nombreuses molécules ont été observées : M82, NGC4526 et sa supernova sn1994d, PKS1830-218, dont la ligne de visée est interceptée par une galaxie spirale de redshift z=0,89. Source : High-Z Supernova Search Team, HST, NASA; MERLIN/ATNF.

201

Chimie, aéronautique et espace

Figure 33 A) Images de la galaxie M51 dans différents domaines de longueur d’onde. Le domaine visible est représenté par un arc-en-ciel ; B) représentation d’une molécule d’alcool éthylique illustrant les deux configurations (trans et gauche) de cet alcool. La molécule peut tourner sur elle-même autour de son petit axe (b). Les changements de moment angulaire donnent naissance à des raies rotationnelles millimétriques.

≥ 10 cm

∼ 1 mm

∼ 10 µm

∼ 500 nm

Ondes radio

mm

Infrarouge

Lumière visible

≤ 1 nm

Ultra-violet

Rayons X

A

H H C

H

H C

O

H H

H

B des nuages, absorbent efficacement l’UV émis par les étoiles lointaines et protègent les molécules déjà formées d’une rapide destruction par photodissociation. Mieux, elles jouent un rôle de catalyseur en fournissant une surface sur lesquelles des atomes et/ou des molécules peuvent s’attacher, se rencontrer et réagir. C’est sur les grains de poussière que se forme l’hydrogène moléculaire et nombre de molécules plus complexes comme le formaldéhyde H2CO ou le méthanol CH3OH.

202

∼ 10 nm

La seconde clé est le temps. La durée de vie de la plupart des objets astronomiques, en par ticulier les nuages interstellaires, se chiffre en centaines de milliers, voire en millions d’années. Elle est plus que suffisante pour que des atomes et des molécules, même rares, puissent se rencontrer dans un milieu de très faible densité, et pour qu’ils aient le temps de réagir

H

trans

gauche

chimiquement, pourvu que la réaction soit exothermique et n’ait pas de barrière d’énergie d’activation. L a troisième, par adoxalement, est la très faible densité. Celle-ci ne fait pas qu’allonger les temps de formation, elle prolonge aussi considérablement la durée de vie des molécules formées. Aussi, comme le montre la Figure 33, trouve-t-on dans les nuages interstellaires nombre d’ions et de radicaux libres qui ne sur vivraient pas dans des conditions terrestres. Ces ions et radicaux réagissent plus rapidement avec d’autres molécules que ne le font les espèces stables neutres, car leurs réactions présentent rarement une barrière d’énergie d’activation – un handicap majeur dans un milieu aussi froid que le milieu interstellaire. Notons, enfin, que les atmosphères d’étoiles comme le Soleil, Betelgeuse ou CW Leo sont suffisamment

Il reste que même pour les réactions intrinsèquement rapides, qui se produisent au 8. Réaction ternaire : réaction chimique mettant en jeu trois espèces ou molécules. 9. Réaction binaire : réaction chimique mettant en jeu deux espèces ou molécules. 10. Association radiative : type de réaction chimique par laquelle deux espèces ou molécules se lient en rayonnant de l’énergie.

taux « maximum » de Langevin (2 10 -9 cm 3s-1), les temps de réaction sont très longs, car la densité gazeuse dans les nuages interstellaires est très faible et la température du gaz très basse. Les réactifs sont très peu abondants, puisque la concentration de CO, la molécule la plus abondante après H2 , est environ 104 fois plus faible que celle de H2 et n’est que d’une particule par cm3 dans les nuages dits « denses ». Le temps caractéristique de transformation d’un ion H3+ en HCO+ par collision avec une molécule de CO, un cas très favorable, est alors de l’ordre de 400 ans.

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

denses et chaudes pour que des réactions ternaires 8 s’y produisent très rapidement et forment, directement à partir d’atomes, une palette de molécules physiquement stables dans les proportions définies par l’équilibre thermodynamique : CO, CS, C2H2, HCN, SiC, SiO, SiS, etc. Les molécules ainsi formées sont éjectées dans le milieu interstellaire froid. Une bonne partie se condense sous forme de grains de poussière. Les autres vont constituer les germes de la formation de molécules plus complexes, soit en migrant sur la surface des grains, soit libres dans le gaz, au moyen de réactions binaires9, comme dans le cas des réactions ion-molécule, neutre-neutre, ou d’association radiative10 mentionnées dans le Tableau.

3.4. Comment les observet-on? L’identification des molécules interstellaires se fait par l’analyse de spectres observés dans la direction de sources astronomiques. Si les sources sont très brillantes, comme des étoiles ou des quasars, on observera des spectres de raies en absorption, a) dans le domaine visible pour les transitions électroniques (du même type que celles produisant les raies D de l’atome de sodium évoquées plus haut), b) dans

Tableau Réactions de formation de molécules de les nuages interstellaires.

203

Chimie, aéronautique et espace

Figure 34 Le Télescope VLT situé au Chili à 2 600 m d’altitude permet d’observer dans les domaines du visible et de l’infrarouge proche ou moyen. Source : ESO.

l’infrarouge pour des transitions vibrationnelles (correspondant à des changements d’amplitude de vibration de deux atomes de la molécule), enfin c) aux longueurs d’onde sub-millimétriques (sub-mm) ou millimétriques (mm) pour les transitions rotationnelles (correspondant à des changements de moment angulaire) d’une molécule à l’état gazeux. Si les sources sont peu brillantes, on observera seulement des spectres submm ou mm en émission.

Figure 35

204

Radiotélescope de l’IRAM de 30 m de diamètre, situé à 2 900 m d’altitude au sud de l’Espagne, et permettant des observations dans le domaine des longueurs d’onde millimétriques et submillimétriques. Source : IRAM.

Suivant le domaine de longueur d’onde étudié, on fait appel à différents types de télescopes. Dans le domaine visible et l’infrarouge, on utilisera des télescopes optiques à miroirs argentés, opérant seuls ou groupés, comme pour le Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, un ensemble de quatre télescopes équipés de miroirs de 8 m de diamètre, situé dans le désert

d’Atacama à 2 600 m d’altitude au Chili (Figure 34). Dans les domaines mm et sub-mm, on utilise des radiotélescopes dont la surface réflectrice principale est constituée de panneaux d’aluminium ou de fibre de carbone recouverts d’un conducteur. La longueur d’onde étant bien plus grande que pour le domaine visible, pour obtenir une résolution angulaire comparable les miroirs réflecteurs doivent être beaucoup plus grands (mais peuvent être moins précis) que ceux des télescopes optiques. C’est pourquoi on en fait souvent travailler plusieurs de concert dans un mode dit interférométrique. La Figure 35 montre le télescope de 30 m de diamètre de l’IRAM, situé en Espagne dans la Sierra Nevada à 2 900 m d’altitude. La surface de son miroir suit la forme d’un paraboloïde avec une précision de

L’IRAM est un institut de recherche franco-germanoespagnol spécialisé dans la construction et l’opération de radiotélescopes. Il a construit et opère un second observatoire, NOEMA (Figure 36), et a participé à la construction d’ALMA. NOEMA est situé dans les Alpes, près de Gap, à 2 550 m d’altitude sur un plateau. Il est constitué de neuf antennes (deux autres sont en construction) dont les miroirs de 15 m de diamètre d’une précision de 40 microns. Ces antennes abritent des détecteurs cryogéniques de haute sensibilité reliés en phase pour des observations en mode interférométrique. Dans ce mode, les neuf antennes permettent de simuler une antenne unique d’un diamètre de 760 m et de résoudre deux sources ponctuelles

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

55 microns, soit l’épaisseur d’un cheveu.

séparées de 0,4 secondes d’arc (ce qui revient à distinguer deux pièces d’un centime placées côte à côte à 5 km de distance). La précision des surfaces des réflecteurs permet d’observer jusqu’à des longueurs d’onde aussi courtes que 0,8 mm. La transparence de l’atmosphère terrestre se dégradant fortement en dessous de 1 mm (à cause de l’absorption des ondes par la vapeur d’eau), les observatoires sont situés en altitude. Si l’IRAM regroupe les efforts de trois pays, il a fallu faire travailler ensemble les instituts de trois continents, Europe, Amérique et Asie, pour construire et opérer un instrument encore plus ambitieux : ALMA. ALMA opère un réseau de radiotélescopes capables d’observer à des longueurs d’onde aussi cour tes que 0,3 mm. Pour ce faire, il a été

Figure 36 L’interféromètre mm/ sub-mm de l’IRAM situé à 2550 m d’altitude dans les Hautes-Alpes. Source : DiVertiCimes.

205

Chimie, aéronautique et espace

Figure 37 Interféromètre sub-mm ALMA situé à 5 000 m d’altitude dans le désert de l’Atacama au Chili. Source : ESO/NRAO.

Figure 38 Miroir primaire de 3,5 m de diamètre du télescope Herschel, qui a observé sans discontinuer dans l’infrarouge lointain de 2009 à 2013. Son instrumentation ultrasensible était refroidie à 4 K, ce qui explique sa durée de vie limitée. Source : ESA.

érigé à 5 000 m d’altitude sur un vaste plateau dans le désert de l’Atacama, tout au nord du Chili. L’instrument principal, un interféromètre (Figure 37), est composé de 50 antennes de 12 m de diamètre. Sa sensibilité est inégalée dans le domaine sub-mm. En dessous de 0,3 mm de longueur d’onde et tant que

l’on n’atteint pas le domaine visible entre 0,7 et 0,4 microns, l’atmosphère terrestre devient si opaque qu’il devient impossible d’observer depuis le sol, même sur les plus hautes montagnes. Il faut avoir recours à des télescopes embarqués sur des avions, ou mieux sur des satellites. Citons les télescopes spatiaux Planck (miroir de 1,5 m de diamètre) et Herschel (3,5 m de diamètre, Figure 38) de l’ESA (avec une participation mineure de la NASA), opérant dans l’infrarouge lointain, et Hubble (2,4 m de diamètre, Figure 39) de la NASA (participation ESA) opérant dans l’infrarouge proche, le visible et l’UV proche. Citons enfin le JWST de la NASA (participation ESA), qui doit être placé sur orbite en 2020. Son miroir primaire hexagonal de 6,5 m de diamètre permettra d’observer dans l’infrarouge proche et moyen avec une sensibilité inégalée l’atmosphère des exo-planètes. 3.5. Comment les identifiet-on ?

206

Nous avons vu que les raies observées dans les spectres

Image de synthèse représentant le télescope spatial Hubble, en orbite depuis 1990, observant dans le visible, l’ultra-violet et l’infrarouge proche. Source : NASA.

astronomiques étaient identifiées en comparant ces spectres avec ceux de molécules obtenus au laboratoire. Prenons comme exemple le spectre mm de la source Sgr B2 présenté sur la Figure 22, spectre dans lequel la raie de fréquence 231,79 GHz est identifiée avec la transition de rotation Jk-1,k+1  → J′k′-1,k′+1= 225,18 → 224,19 de l’éthanol (ou alcool éthylique CH 3 CH 2 OH) sous forme gazeuse. Les nombres J, k-1 et k+1 définissent les niveaux d’énergie de rotation de la molécule. Cette énergie est quantifiée et ne peut prendre que des valeurs discrètes, tout comme le fait l’énergie électronique des atomes. Ces niveaux d’énergie, pour une molécule diatomique comme CO, qui tourne sur elle-même autour d’un axe perpendiculaire

à l’axe C=O, peuvent être décrits par un seul nombre quantique, J, dont la valeur est 0 pour le niveau le plus bas (pas de rotation), 1 pour le niveau situé juste en dessus, puis 2, etc. Pour une molécule non linéaire comme CH3CN, dite toupie symétrique (parce qu’elle possède un axe linéaire C-C≡N et trois atomes d’hydrogène symétriquement disposés autour de cet axe), il faut ajouter à J, qui décrit le moment angulaire de rotation autour d’un axe perpendiculaire à la droite CCN, un deuxième nombre quantique, k, qui décrit le moment angulaire de rotation autour de CCN (ce moment n’est plus nul, du fait de la présence de trois atomes H en dehors de l’axe). Enfin, pour une molécule dite toupie asymétrique comme l’éthanol (sa structure 3D est présentée

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Figure 39

207

Diagramme des niveaux d’énergie rotationnelle en fonction du nombre quantique rotationnel pour la molécule d’éthanol CH3CH2OH (ultrason). Source : ApJ. Énergie (cm–1)

Chimie, aéronautique et espace

Figure 40

Nombre quantique de rotation (J)

SGR B2 414 – 303

C2H5OH

0,1 °K

606 – 515 0,1 °K

300 250 200 150 100 50

0 - 50

Vélocité radiale (km s–1)

Figure 41

208

Première détection de l’éthanol dans l’espace. L’abscisse représente la vitesse de la source relative au (LSR du) Soleil, mesurée par effet Doppler ; l’ordonnée l’intensité du rayonnement. Les deux raies visibles sur ces spectres à la vitesse +50 km/s correspondent à deux transitions rotationnelles marquées en gras sur le diagramme de la Figure 40. Source : ApJ.

au centre de la Figure 40), il faut trois nombres quantiques J, k-1 et k+1 pour décrire les états d’énergie. Le diagramme de la Figure 40 montre les niveaux d’énergie de rotation permis pour l’éthanol pour les différentes valeurs de J, k-1 et k+1 (J en abscisse, l’énergie de rotation divisée par hc et exprimée en cm-1, en ordonnée). Seuls les niveaux d’énergie les plus bas, qui peuvent être peuplés par collision dans des nuages très froids, sont représentés. Les transitions rotationnelles permises sont indiquées par des traits obliques. Elles correspondent à l’émission d’un photon dans le domaine millimétrique. Notons la transition 414 → 3 03 (à 3 mm de longueur d’onde) dont la fréquence mesurée au laboratoire est 90117,601±0,003 MHz ; la raie correspondante, détectée dans la source Sgr B2 (voir les spectres de la Figure 41), a permis la

première identification de l’éthanol dans l’espace. À partir de l’intensité de plusieurs raies, on peut calculer la quantité de gaz éthanol présent dans la source Sgr B2 (1028 litres d’alcool pur !) et la température du nuage (environ 40 K, soit -233 °C). Puisqu’on observe aussi des raies de la vapeur d’eau dans cette source, on peut s’amuser à calculer le degré alcoolique (le rapport alcool sur eau) de cette source du Centre Galactique : 0,1 %. Parmi les nombreuses molécules identifiées dans la source Sgr B2, (Figure 30), certaines contiennent la fonction amide, C(=O)-NH- (tel le formamide, l’acétamide et l’urée, voir la Figure 42), et sont susceptibles de se polymériser pour former des polyamides. La même fonction -C(=O)-NH- est appelée liaison peptide lorsqu’elle relie entre elles deux molécules d’acides aminés. Elle joue un

Formamide

Glycine (le premier acide aminé pas encore détecté) Acétamide

Mais l’Urée si !

rôle capital car elle permet la formation des protéines par polymérisation. Aucun acide aminé n’a pour l’instant été détecté au-delà du Système Solaire, malgré une recherche poussée de la glycine, le plus simple des acides aminés, dans Sgr B2 et Orion KL. Sans doute les raies sont-elles simplement trop faibles, car on a détecté dans ces sources des molécules d’une complexité similaire. La détection de l’urée est un signe encourageant.

4

La Terre a réuni les conditions favorables à l’apparition de la Vie. Pourquoi? En est-il de même sur d’autres planètes ou exoplanètes ?

La vie sur Terre est basée sur la chimie du carbone, un des rares éléments à pouvoir former 4 liaisons covalentes, et sur l’eau, une molécule pol aire qui, sous for me liquide, devient un solvant incomparable permettant de dissoudre et transporter de nombreux composés organiques. Le cycle de réactions entre l’eau et le carbone, via la photosynthèse et la combustion, permet de stocker, puis

Quelques molécules d’intérêt biologique détectées dans les nuages interstellaires. Parmi elles, des amides et l’urée. Aucun acide aminé n’a encore été détecté.

de restituer l’énergie rayonnée par le Soleil. La vie est apparue sur la surface de la Terre parce que l’eau liquide, le carbone et les molécules organiques y sont abondants. Mais qu’en est-il dans les autres corps gravitant dans le Système Solaire et dans les exo-planètes ? 4.1. Les autres corps du Système Solaire L’eau e s t omnipr é s ente dans le système solaire : sur Mars, dans les comètes, les astéroïdes, à la surface d’Europe (Figures 43-46), sur Ganymède, où le satellite Hubble a détecté un vaste océan sous une croûte de glace. Depuis longtemps, les radioastronomes ont détecté de la vapeur d’eau dégagée par les comètes lorsqu’elles se rapprochent du Soleil. À partir de mesures du degré de deutération de l’eau (le rapport D/H où D, le deutérium, est une variante isotopique de l’hydrogène H), ils ont spéculé que l’eau des océans terrestres pourrait avoir été apportée sur Terre, lorsque celle-ci était jeune, par des chutes de comètes. Des mesures infrarouges plus précises, par exemple par la

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Figure 42

Vers une liaison Peptide

Figure 43 Photographie de Mars, avec sa calotte de glace au pôle Nord.

Figure 44 La comète Churyumov– Gerasimenko (Tchouri) vue par la mission spatiale Rosetta de l’ESA. Source : ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team ; MPS/UPD/LAM/ IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA.

209

Chimie, aéronautique et espace

Figure 45 Image de synthèse représentant une montagne de glace sur Cérès, le plus gros astéroïde gravitant entre Mars et Jupiter. Source : Dawn Mission, NASA, JPL-Caltech, UCLA, MPS/DLR/IDA

sonde Rosetta sur la comète Chur y umov- Ger asimenko ( Figure 46), ont depuis infirmé cette hypothèse : elles montrent que le rapport D/H dans les comètes est trois fois plus grand que dans les océans terrestres et qu’il se rapprochait de celui mesuré sur les astéroïdes orbitant entre Mars et Jupiter. L’eau terrestre a donc probablement la même origine que celle présente sur les autres planètes rocheuses et les astéroïdes, et ne provient pas, comme on a pu le penser, d’un nuage très froid extérieur au Système Solaire. Titan, le plus gros satellite de Saturne (Figure 47A), suscite un grand intérêt dans la communauté scientifique à cause de son épaisse atmosphère semblable, pense-t-on, à l’atmosphère qui régnait sur Terre avant que les premiers êtres vivants ne libèrent l’oxygène. Avec celle de la Terre primordiale, elle est la seule du Système Solaire à contenir beaucoup d’azote et de méthane, mais aussi des

Figure 46

210

Image de la surface glacée d’Europe, satellite de Jupiter, prise par le satellite Galileo. Le télescope Hubble y a observé des geysers qui montrent qu’il y a de l’eau liquide sous la glace. Source : NASA/JPL/University of Arizona.

traces d’éthane, de propane et de plusieurs autres hydrocarbures. Le méthane y est observé sous forme gazeuse dans des nuages, mais aussi sous forme liquide, formant des lacs. La sonde Cassini/ Huygens qui a exploré l’atmosphère et la surface de Titan a détecté HCN et HC 3N dans la haute atmosphère, ainsi qu’un halo bleu-vert induit par des ions négatifs (Figure 47B-C). 4.2 Les exo-planètes Nous avons vu que le carbone et l’eau étaient présents il y a quelque 12 milliards d’années dans les toutes premières galaxies. De fait, ce sont les premières étoiles massives, formées durant la période de Ré-ionisation, qui ont synthétisé à partir de l’hydrogène, puis éjecté dans le milieu interstellaire, le carbone, l’oxygène et tous les éléments primaires lourds. Les éléments dits secondaires, comme l’azote, apparaissent plus tard, après que

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

A B

C les étoiles de faible masse (comme CW Leo), qui évoluent plus lentement, ont commencé elles aussi à éjecter la matière synthétisée en leur sein. La composition élémentaire du gaz interstellaire évolue donc lentement avec le temps, au fur et à mesure que de nouvelles étoiles naissent et disparaissent. Elle reste cependant remarquablement similaire sur de vastes échelles, et reste très proche de celle du Soleil dans les milliards d’étoiles de même type présentes dans le disque galactique. Distante de seulement 25 années-lumière du Soleil, Fomalhaut (La Bouche du Poisson) est un premier exemple d’étoile de masse comparable au Soleil, qui montre les signes évidents d’un système planétaire en cours de formation. L´étoile apparaît entourée d’un anneau de poussières au bord duquel on observe une planète géante

(Figure 48). Sa composition chimique est identique à celle du Soleil. Bien que seulement deux fois plus massive que ce dernier, Fomalhaut est cependant bien plus chaude et rayonne plus d’UV, ce qui, malheureusement (?) rend son environnement peu propice à l’apparition de toute sorte de vie. Y-a-t-il d’autres exo-planètes, orbitant autour d’étoiles de même température (ou moins chaudes) que le Soleil, qui réuniraient des conditions plus favorables à la vie? La réponse est oui. Plus de 3 000 exo-planètes ont été repérées à ce jour, soit à partir d’observations depuis le sol, soit à l’aide du télescope spatial Kuiper de la NASA. Beaucoup plus le seront dans les années qui viennent. Certaines de ces planètes ont des masses comparables à celle de la Terre et orbitent dans la zone dite « habitable », ni trop près, ni trop loin de l’étoile, là où

Figure 47 A) Représentation de synthèse de Saturne derrière son satellite naturel Titan, qui abrite une mer de méthane ; B) photographie de Titan montrant un halo bleu qui révèle la présence d’anions dans la haute atmosphère ; C) l’atmosphère de Titan vue dans des raies de HCN et en HC3N. Source : NASA.

211

Chimie, aéronautique et espace

Figure 48 Photographie de l’étoile Fomalhaut à 25 a.l. du Soleil (ici au centre de l’image, cachée par un masque donnant naissance à une irisation bleue), entourée d’un disque jaunerosé de poussières, probablement un résidu de la formation d’un système planétaire (une exoplanète géante a été détectée près du bord intérieur de l’anneau). Source : ALMA (ESO/NAOJ/ NRAO), MacGregor M. ; NASA/ ESA Hubble, Kalas P. ; Saxton B. (NRAO/AUI/NSF).

212

l’on s’attend à trouver de l’eau sous forme liquide. Cela serait le cas pour deux ou trois des sept planètes gravitant autour de l’étoile 2MASS_J23062928-0502285, distante de 40 a.l. du Soleil (cette étoile est aussi dénommée Trappist-1). Trappist-1 est onze fois moins massive que le Soleil, mais, parce qu’elle est plus petite, sa température de surface est la même que celle de celui-ci. Son spectre visible et UV serait elle aussi similaire. On connait les orbites des sept planètes, ainsi que leur période de rotation (voir Figures 49 et 50). Les planètes dénommées e et f sont rocheuses comme la Terre (donc ont probablement une composition chimique similaire), ont une taille proche de celle de la Terre, et orbiteraient dans la zone habitable

(de fait, bien plus près de leur étoile que la Terre, car Trappist-1 rayonne beaucoup moins fort). Il pourrait bien y avoir un océan d’eau liquide sur l’une de ces planètes. Le télescope spatial JWST, particulièrement bien adapté à ce type d’étude, devrait nous le dire d’ici quelques années. Que les conditions nécessaires à l’apparition de la vie sur Trappist-1 d ou e soient réunies, rien n’est moins sûr, d’autant plus que leur proximité de l’étoile expose les atmosphères de ces planètes à des tempêtes stellaires qui pourraient bien les avoir dispersées. Il reste que nous savons que le Système Solaire n’est pas une exception et qu’une large fraction des étoiles de type solaire, un type très commun, possèdent des planètes, souvent plusieurs planètes. Il doit donc y avoir dans la Galaxie des

5x

2 ssi

gro

Système Solaire interne

Mercure

milliards de systèmes planétaires semblables à notre Système Solaire et des milliards de planètes rocheuses dans la zone habitable. Nous savons aussi que l’eau, le carbone et des molécules organiques sont omniprésents dans notre Galaxie, ainsi que dans les milliards de galaxies extérieures. Que les conditions nécessaires à l’apparition vie, évoquées cidessus, soient réunies de très

Vénus

Terre

nombreuses fois dans notre Galaxie, comme dans des galaxies extérieures, paraît évident. Trouver où elles le sont est une autre question. Dans le cadre du programme SETI, des astronomes ont bien tenté de capter des signaux radio caractéristiques d’une vie intelligente (comme des émissions de télévision !) en provenance d’une centaine d’étoiles proches du Soleil, mais pour l’instant, sans succès.

Mars

Molécules dans l’Univers Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Système TRAPPIST-1

Figure 49 Le système stellaire Trappist-1 (vue d’artiste) comparé au Système Solaire interne. Les zones habitables sont marquées en vert. Celle du Soleil s’étend vingt-cinq fois plus loin pour Trappist-1, car le Soleil est plus massif et rayonne beaucoup plus d’énergie. Source : NASA/JPL-Caltech.

Figure 50 Vue d’artiste représentant Trappist-1 et les orbites de ses sept planètes rocheuses. Source : NASA/JPL-Caltech/ Hurt R.

213

extraterrestre : si

près ! Si loin !

Michel Viso est responsable de l’Exobiologie au Centre National d’Études Spatiales (CNES).

L’exobiologie est la science qui recherche des formes de vie extraterrestre. La Figure 1 est l’illustration de la « feuille de route » européenne de l’exobiologie, qui schématise l’évolution des molécules depuis la nucléosynthèse1 au sein des nébuleuses jusqu’à la forme moléculaire la plus élaborée

dans la vie terrestre que sont les acides nucléiques2. Comprendre l’enchainement les différentes étapes qui ont conduit sur Terre à l’émergence de la vie est nécessaire pour déterminer si ce cheminement a pu ou peut se produire ailleurs que notre Terre, sur d’autres planètes ou corps célestes.

1. Nucléosynthèse : synthèse de noyaux atomiques par différentes réactions nucléaires (capture de neutrons ou de protons, fusion, fission, spallation), éventuellement suivie de désintégrations radioactives ou de fission spontanée.

2. Acides nucléiques : biomolécules polymères dont les unités de base sont les nucléotides, reliés par des liaisons phosphodiester. Il existe deux types d’acides nucléiques : l’acide désoxyribonucléique (ADN) et l’acide ribonucléique (ARN).

Michel Viso

Traces chimiques d’une forme de vie

Chimie, aéronautique et espace

Figure 1 Représentation des différentes étapes d’évolution des molécules depuis la nucléosynthèse au sein des nébuleuses jusqu’aux acides nucléiques.

1

La recherche des manifestations d’une forme de vie

Des dizaines de philosophes se sont attaqués à la définition de la vie, et Jacques Reisse, chimiste, membre de l’Académie royale des Science de Belgique avec Hugues Bersini, dans un livre publié en 20073, en recensent au moins soixante définitions. La manifestation d’une forme de vie (Figure 2), c’est d’abord faire plus de soi-même par

216

3. Comment définir la vie ? Les réponses de la biologie, de l’intelligence artificielle et de la philosophie des sciences. (2007). Hugues Bersini, Jacques Reisse, Vuibert, pp 124.

soi-même : par exemple, quand on est petit on grandit. La deuxième caractéristique est la notion d’individu, c’està-dire la compartimentation (Figure 2B), qui n’est pas toujours prise en compte et qui aux yeux de la plupart des exobiologistes est un point essentiel pour arriver à la seconde forme de manifestation de la vie, qui est la capacité à se multiplier, à se diviser et à former des populations. Actuellement, il est difficile de concevoir, peut-être à tort, une forme de vie qui n’aurait fait que croître sans cesse, sans la formation d’individus, qui par division deviennent deux puis forment une population. C’est à ce moment-là, lors du

D

processus de division, qu’il y a la transmission de l’information. Nous connaissons cela sous le terme de génétique. Mais cette transmission de l’information s’effectue de façon imparfaite, cela introduit la notion de mutation4. Prenons l’exemple simple d’un ensemble de vaches clonées (Figure 2E). C’est la première vache qui a donné, à partir de ses cellules somatiques, 38 animaux qui sont théoriquement strictement identiques. Ces vaches, des Holsteins, sont blanches et noires car c’est un critère sur lequel elles sont sélectionnées. Cependant, on voit bien que les taches noires de ces vaches ne sont pas identiques. Donc, même en partant de la même cellule, et de cellules qui sont supposées identiques, les animaux obtenus sont différents. Cela signifie que la mutation est vraiment 4. Mutation : modification irréversible de la séquence d’un génome (ADN ou ARN).

B

C

E

congénique5, constitutive de la vie au proprement parler. C’est à partir de cette possibilité et de cette abondance de mutations que se manifeste l’évolution, souvent dénommée, à tort, « adaptation ». Ce que nous dénommons « adaptation » provient de la présence au sein d’une population de caractéristiques portées par certains individus. À un moment donné, cette particularité donne aux individus qui la possèdent un avantage significatif par rapport aux autres. Un groupe se développe mieux et plus vite, et supplante la population qui ne porte pas cette caractéristique avantageuse. Le groupe apparait s’être mieux adapté aux variations de l’environnement mais en fait c’est l’environnement qui a sélectionné, très progressivement, un groupe d’individus. Quand 5. Congénique : qualifie des espèces proches ou très voisines, qui diffèrent l’une de l’autre par une très petite partie du génome.

Figure 2 Illustrations des manifestations de formes de vie aux niveaux cellulaire, animal et fossile.

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

A

217

Chimie, aéronautique et espace

l’environnement change avec une ampleur impor tante ou que dans la population il n’existe pas d’individu possédant une caractéristique particulière favorable, l’espèce disparait comme ce pauvre hadrosaure qui a disparu et qui n’est connu que par les fossiles retrouvés par exemple au Mexique (Figure 2D).

pourrait se faire de façon purement aléatoire dans des conditions « naturelles ». Nous rechercherons aussi les biosignatures. Les biosignatures sont des manifestations indirectes de la vie. Prenons l’exemple d’une clé de douze (Figure 4A), si effectivement nous trouvons sur Mars une clé de douze, bien qu’il n’y ait pas de carbone ni d’azote dans le métal, c’est bien une biosignature, c’est bien un être vivant qui l’a fabriquée. La trouver ne préjuge pas qu’il y a une forme de vie sur Mars mais plutôt qu’elle a été oubliée par la personne qui a fabriqué l’engin. Mais il y a des équivalents de « clés de douze » d’origine microbiennes comme par exemple les stromatolithes (Figure 4B), qui sont des accumulations de lames de carbonate de calcium les unes derrières les autres, et qui sont caractéristiques, dans leur composition chimique mais aussi par leur morphologie, de l’existence d’une forme de vie.

Pour attester la manifestation d’une forme de vie nous rechercherons deux choses. D’une part des biomarqueurs6 : du méthane, de l’oxygène, des hopanes, des stéranes, du cholestérol, des acides nucléiques (Figure 3). Avec les connaissances actuelles, pour les chimistes, ces molécules ne peuvent être fabriquées que par un processus métabolique : du vivant. Leur niveau de complexité requiert une succession d’étapes dont on ne voit pas comment cela 6. Biomarqueur : caractéristique biologique mesurable liée à un processus normal ou non.

O C

O

OH N

C

O C

O

OH OH

C

C C

O

C

O

Absorption des rayons X

Microfossile de Gunflint (~200 °C + carbonates) Microfossile de Gunflint (~200 °C) Microfossile de Gunflint (~150 °C) Micro-organisme moderne (micro-algues)

285

290

Énergie (électron-volts)

Figure 3 218

Utilisation de biomarqueurs pour comparer la chimie de microfossiles et celle de micro-organismes.

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

A

B

Figure 4 La « clé de douze », manifestation de la vie sur Mars ? Les stromatolithes sont des « clés de douze » microbiennes, caractéristiques de l’existence d’une forme de vie.

2

Où chercher les manifestations de la vie ?

Les formes de vie sont essentiellement cherchées dans le Système Solaire, là où nous pouvons explorer, avec des sondes, en orbite ou qui les survolent, ou bien des engins se déplaçant à leur surface. Mais depuis 1995, on va aussi chercher sur des planètes extrasolaires, et bien sûr on s’intéresse aussi à ce qui se passe sur Terre (Figure 5).

Le Système Solaire

Le Système Solaire contient quatre planètes telluriques7 et des planètes géantes gazeuses (Figure 6). Pour les géantes gazeuses, ce sont leurs satellites qui nous intéressent ; ils ressemblent parfois à des petites planètes et sont de grosses lunes. 7. Planètes telluriques : en opposition aux planètes gazeuses, une planète tellurique est composée essentiellement de roches et de métal et possède en général trois enveloppes concentriques (noyau, manteau et croûte).

Les planètes extrasolaires

Vélocité (m/s)

100

La Terre

P = 4,233 jours K = 56,83 m/s e = 0,01

Masse – 0,45 MJUP/sin i

50

0

–50

–100 5

10

15

20

25

30

Temps (Jours Juliens – 2450000)

A

B

C

Figure 5 Zones de recherche de formes de vie : le Système Solaire, les planètes extrasolaires, la Terre.

219

Chimie, aéronautique et espace

Pluton

Neptune Soleil Terre

Mercure

Vénus Mars Uranus

Jupiter Saturne

Figure 6 Représentation des planètes du Système Solaire.

220

Les programmes de recherche actuellement en développement s’orientent vers Mars, parce que c’est une planète rocheuse dont la température oscille entre -100 °C et 0 °C, qui a une atmosphère très ténue et des traces d’eau ayant coulé à sa surface. On pourrait s’intéresser à une autre planète voisine de la Terre mais qui a mal évolué, Vénus, dont la température est actuellement de 400 °C au sol, avec une atmosphère extrêmement épaisse contenant de l’acide sulfurique. Donc même si Vénus a vécu peut-être une jeunesse aussi claire et « brillante » que la Terre avec le développement d’une forme de vie – ce qui n’est pas impossible mais on n’en sait rien actuellement –, ce n’est pas là que l’on va en chercher les traces car on ne sait pas y aller, et elles ont disparu sous l’effet de la chaleur, de l’activité volcanique et de la chimie de l’atmosphère. Mercure est aussi exclu, donc notre principale cible demeure la planète Mars.

3

La recherche des manifestations d’une forme de vie sur Mars

3.1. L’origine du méthane de l’atmosphère de mars Il y a quelques années, à partir d’une observation terrestre, on a trouvé du méthane dans l’atmosphère martienne, d’où les grands titres des journaux de l’époque : « Mars n’est pas une planète morte ». En effet, dans les conditions martiennes, et d’après un certain nombre de modèles photochimiques, on sait que le méthane émis à un moment donné se détruit en trois cents ans (peut-être moins selon certains modèles). Si on détecte du méthane sur Mars aujourd’hui c’est qu’il a été produit récemment (en termes géologique). Les volcans sont des sources de production de méthane, mais on ne connaît pas de traces de volcans actifs actuellement sur Mars car on sait qu’il n’y a pas de point chaud. Il existe aussi des sources qu’on

3.2. L’observation de l’atmosphère de Mars Le satellite Trace Gas Orbiter de la mission ExoMars de 2016 vient d’arriver autour de la planète. Il empor te deux instruments que l’on voit en jaune sur la Figure 8, d’une part NOMAD («  Nadir and Occultation for Mars Discovery »), un instrument belge, et ACS (« Atmospheric Chemistry Suite »), qui est un instrument russe avec des contributions françaises, pour rechercher les gaz très peu concentrés dans l’atmosphère martienne. Celle-ci est majoritairement composée de trois gaz : 96 % de gaz carbonique (CO2), 2 % de diazote (N2), 2 % d’argon ; d’autres gaz intéressants pour les exobiologistes ne sont présents qu’à très faible concentration. Tous ces gaz, qui sont à l’état de traces et qu’on n’a pas été capable de détecter jusqu’à présent, vont être recherchés. 8. Archées : anciennement appelées archéobactéries, ce sont des micro-organismes unicellulaires procaryotes, c’est-à-dire des êtres vivants constitués d’une cellule unique qui ne comprend ni noyau ni organite, comme des bactéries.

Libération de méthane : été nordique

Concentration de méthane parties par milliard (ppb)

Figure 7 L’évaluation des concentrations en méthane à la surface de Mars montrent que la planète n’est pas morte.

Actuellement, le satellite TGO, lancé en septembre 2017, termine sa phase d’aéro-freinage pour être mis sur son orbite de travail en avril 2018. Il fonctionnera au moins pendant quatre ans.

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

pourrait dire astronomiques de méthane puisqu’on en trouve par exemple beaucoup dans l’atmosphère de Titan, mais ce méthane devrait avoir disparu. Les vaches produisent du méthane (mais il n’y en a pas sur Mars !), ainsi que certaines bactéries méthanogènes ou les archées8. Au final on ne comprend pas encore pourquoi il y a du méthane sur Mars (Figure 7).

Les observations de l’atmosphère martienne (en bleu sur la Figure 9) seront faites dans les deux directions : d’une part au Nadir (flèche rouge), d’autre part au Limbe (flèche bleue), et aussi par occultation stellaire. Les spectromètres extrêmement sensibles utilisés seront capables de détecter des concentrations de quelques parties par milliard (ppb), ou même peut-être quelques dizaines de parties par trilliard (ppt). Il y a actuellement au moins quatre autres satellites déjà en fonction autour de Mars. Mars Express, avec l’instrument Omega (Figure 10B), est fabriqué à l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) en France. Cet instrument pèse environ 30 kg, consomme peu d’énergie (une trentaine

221

Chimie, aéronautique et espace

Figure 8 Satellite TGO emportant les instruments NOMAD et ACS vers Mars pour analyser son atmosphère.

Nadir

Figure 9

Limbe

Directions d’observation de l’atmosphère martienne par les instruments embarqués du satellite TGO.

222

à une quarantaine de Watts en fonctionnement). Ce spectromètre-imageur travaillant dans le visible et l’infrarouge a étudié la surface de Mars. Quand on parle de la surface de Mars, on a exploré sur une épaisseur maximum d’un micron. Ce spectromètreimageur est capable de produire des images successives dans 352 longueurs d’onde, les unes à côté des autres. Pour chaque pixel on peut obtenir ainsi un spectre. On a ainsi détecté des argiles (phyllosilicates) à la surface de Mars (Figure 10A). Les argiles de ce type se forment par altération des roches en présence

Source : ESA.

d’eau liquide pendant de longues durées. Enfin, beaucoup de chimistes estiment que les argiles pourraient jouer un rôle « catalytique » essentiel dans les premières réactions en chaîne menant au métabolisme. Ces évènements primordiaux auraient pu se dérouler dans quelques endroits comme des sources hy dr oth er m ale s ou de s flaques d’eau avec un peu d’argile. Des liaisons faibles entre différentes molécules auraient favorisé à un moment donné leur polymérisation. Mars est donc devenue un objet exobiologique. S’il y a eu de l’eau liquide durant quelques milliers, dizaines, centaines de milliers ou millions d’années, il est tout à fait possible qu’une forme de vie ou au moins une chimie intéressante, « prébiotique », ait pu commencer à s’y développer. Le véhicule Curiosity (Figure 11), lancé par la

Figure 10

A

A) Images réalisées par Omega détectant des argiles (phyllosilicates) à la surface de Mars ; B) spectroscope-imageur Omega.

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

B

Figure 11 Le véhicule Curiosity est actuellement sur Mars pour analyser son environnement grâce à des instruments embarqués comme ChemCam et SAM.

NASA en 2012, est actuellement en opération à la surface de Mars. Il héberge deux instruments pour analyser l’environnement qui ont été fabriqués en coopération par la France et les États-Unis. L’un se dénomme ChemCam, et l’autre SAM (« Sample Analysis at Mars »). ChemCam fonctionne selon le principe du LIBS («  Laser Induced Beakdown Spectroscopy »). Un laser

provoque un plasma 9 par échauffement intense sur une surface. Lorsque les électrons retrouvent leur niveau électronique, ils émettent un rayonnement dans l’ultra-­ violet qui est caractéristique 9. Plasma : état de matière où les atomes et les molécules sont si chauds qu’ils deviennent ionisés en ions et électrons. Les électrons retrouvent leur niveau initial et émettent un rayonnement caractéristique de l’élément.

223

Cet instrument a détecté de la matière organique sur Mars. (Figure 14). On a déjà pu identifier quelques molécules comme le chlorométhane, le dichlorométhane, le trichlorométhane et le chlorobenzène.

On vient de fêter le 500 000 e tir du laser, donc 500 000 spectres ont déjà été obtenus. Ils sont étudiés notamment à Toulouse pour déterminer une des caractéristiques de la surface de Mars et raconter l’histoire minérale de la région explorée.

Sur l a mission E xoMar s 2020 de l’Agence spatiale Européenne, un nouvel instr ument, MOMA («  Mars Organic Matter Analysis ») élargira la gamme de molécules identifiables (Figure 15). Cet instr ument nou veau est fabriqué en partenariat entre l’Allemagne (les parties rouges), les États-Unis (les parties bleues) et la France

SAM est un système de chromatographie gazeuse10 couplé à 10. Chromatographie gazeuse : technique qui sépare des molécules d’un mélange éventuellement complexe. Cette technique s’applique principalement aux composés gazeux ou susceptibles d’être vaporisés par chauffage sans décomposition. Une colonne contient une substance active solide ou liquide appelée phase stationnaire. L’échantillon est transporté à travers celle-ci à l’aide d’un gaz porteur (ou gaz vecteur), qui est la phase mobile. Les composés sont séparés en fonction de leur encombrement stérique ou de leurs propriétés électriques.

Magnésium

11. Spectrométrie de masse : technique d’analyse détectant et identifiant des molécules d’intérêt par mesure de leur masse, et caractérisant leur structure chimique. Son principe réside dans la séparation en phase gazeuse de molécules chargées (ions) en fonction de leur rapport masse/charge (m/z).

Sol-Point # 45-1

Titane

Fer

Calcium

48-10

48-14 240

Sodium

Silicium

Aluminium

45-2

260

280

300

Longueur d’ondes (nm)

320

340 590 770

Figure 12 224

Potassium

Chimie, aéronautique et espace

un spectromtre de masse11 (GCMS, Figure 13). L’instrument pèse environ 40 kg, mesure 80x40x40 cm. C’est un instrument massif pour des missions d’exploration et délicat à utiliser sur Mars.

de chaque élément. On obtient des spectres comme celui de la Figure 12, dans lesquels on reconnaît un certain nombre d’éléments, à partir desquels des scientifiques sont capables de remonter à la composition du minéral de la surface.

Les spectres d’absorption réalisés grâce à l’instrument ChemCam permettent de connaître des compositions minérales de la surface de Mars.

L’instrument SAM pour analyser les composés organiques sur Mars par spectrométrie de masse couplée à la chromatographie en phase gazeuse (GC-MC).

1,5

blank Rocknest #2 m/z 50 m/z 52 m/z 49 m/z 51 m/z 84 m/z 86 m/z 83 m/z 85 m/z 55 m/z 90

CH2Cl2 NIST standard Rocknest #2

Signal relatif

Intensité spectrométrie de masse quadripolaire (nombre de coups par seconde)

2,0 · 105

40

50

60

70

m/z

90

Pic 16 tr = 382 s

Pic 5

1,0

80

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

Figure 13

Pic 7 Pic 11

0,5

Pic 10

0,0

A

180

190

200

210

220

230

240

250

Temps de rétention

20

30

Pic 10 tr = 235 s

Signal relatif

Signal relatif

Pic 5 tr = 194 s

40

50

40

60

m/z

ou

40

50

60

70

80

90

40

m/z

B

100

120

Pic 16 tr = 382 s

Signal relatif

Signal relatif

Pic 11 tr = 244 s

30

80

m/z

60

80

m/z NIST standards Rocknest #2 est. contribution de SO2 au pic 1

100

120

Figure 14 Les chromatogrammes et spectres de masse d’échantillons réalisés par SAM ont identifié sur Mars différentes molécules organiques.

225

Principale boîte électronique

Chimie, aéronautique et espace

Unité de pompe à laser

colonne

colonne

Réservoir d’hélium

TCD

Piège

Tête laser

Électronique RF

Boîte électronique secondaire

Pompe à vide montée sur spectromètre de masse

SC

Récipient d’échantillons rechargeable

Chromatographe gazeux avec réservoir d’hélium, 4 colonnes et détecteur de conductivité thermique

Station de frappe Carousel d’échantillons avec 32 fours (pyrolyse, dérivatisation), récipient d'échantillon rechargeable et cibles d'étalonnage

zoom sur les fours

Figure 15 L’instrument MOMA permet d’identifier par GC-MS une plus grande gamme de molécules que SAM avec une résolution améliorée.

(les parties vertes). On utilise à la fois la chromatographie gazeuse, le laser pour faire du LIBS sur les échantillons, et le spectromètre de masse pour identifier davantage de molécules et avec une meilleure résolution, que ce qui se fait avec SAM. MOMA est actuellement en construction et sera lancé sur le véhicule de la mission ExMars 2020 (Figure 16) pour

Figure 16 226

Instrumentation de l’appareil MOMA qui sera lancé en 2020.

donner des résultats en 2021 et 2022. Encelade, Europe, Titan sont des satellites des planètes géantes de notre Système Solaire qui ont déjà été visités, mais actuellement les missions exobiologiques à destination de ces corps sont encore au niveau de la discussion de l’élaboration de concepts audacieux. En jargon spatial, nous appelons cela la phase 0.

Il y a actuellement 3 703 planètes connues et certifiées hors du Système Solaire. Elles sont certifiées pour l’instant car de temps en temps il y en a qui sont déclarées ne pas être des planètes (erreurs de mesure, fausses détections…). Sont identifiés 2 773 systèmes planétaires et 621 systèmes multi-planétaires. Pour les systèmes qui ne sont pas reconnus comme multiplanétaires, cela ne veut pas forcément dire qu’ils ne le sont pas, mais que pour l’instant on n’a pas mis en évidence d’autres planètes que la plus massive orbitant souvent à très faible distance de l’étoile. 4.1. Détection des planètes extrasolaires par la méthode des vitesses radiales C’est par l’observation par la méthode des vitesses radiales que l’astrophysicien Michel Mayor et l’astronome Didier Queloz ont détecté la première planète extrasolaire (Figure 17). Sur la Figure 18, on voit une étoile et sa planète.

Avec un télescope, seule l’étoile est visible et la lumière qu’elle émet peut être analysée par spectroscopie. En langage commun, on dit que les planètes tournent autour des étoiles. En fait la planète et l’étoile tournent autour de leur barycentre. De ce fait, si la planète est massive, l’étoile s’éloigne et se rapproche de nous créant un effet Doppler12. L’analyse du spectre de l’étoile montre que les raies d’absorption liées aux éléments qui la composent oscillent autour de la longueur d’onde caractéristique de ces différents éléments. Ayant calculé la période orbitale à partir de la mesure de ces déplacements, avec des modélisations, les astronomes sont capables de remonter à la vitesse à laquelle se déplace l’étoile et, connaissant sa masse, en déduire la masse de sa planète.

100

Masse – 0,45 MJUP/sin i

P = 4,233 jours K = 56,83 m/s e = 0,01

50 0 –50

–100

5

10

15

20

25

30

Temps (Jours Juliens – 2450000)

Figure 17 Les vitesses des planètes extrasolaires peuvent être mesurées expérimentalement.

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

L’exploration de planètes extrasolaires

Vélocité (m/s)

4

12. Effet Doppler : décalage de fréquence d’une onde (mécanique, acoustique, électromagnétique ou d’une autre nature) observé entre les mesures à l’émission et à la réception, lorsque la distance entre l’émetteur et le récepteur varie au cours du temps.

Figure 18 A

B

Méthode des vitesses radiales. A) Rotation d’une planète et de son étoile autour de leur barycentre ; B) spectre d’absorption de l’étoile : capture d’écran du film montrant le déplacement des raies d’absorption (effet doppler) dû au mouvement de l’étoile.

227

Chimie, aéronautique et espace

par l’étoile. C’est le phénomène de l’ombre chinoise.

4.2. La découverte de nouvelles planètes par la méthode des transits La seconde méthode, celle qui a détecté maintenant le plus grand nombre de planètes depuis le lancement par les américains du satellite Kepler, est la méthode des transits. Cette technique repose sur le fait que lorsqu’une planète passe devant son étoile, elle diminue la lumière transmise

1

La Figure 19A montre le premier satellite dédié à ce type de mesure, CoRoT. Ce satellite du CNES a été lancé en 2006 et a fonctionné pendant six ans. La Figure 19B montre le schéma de principe de la méthode et la Figure 19C un résultat expérimental obtenu avec le satellite Spitzer de la NASA.

2

3

2

3

Étoile

Planète Luminosité

1

B

Courbe de la lumière

Temps

2015-12-11

Luminosité relative

1,00

0,99

0,98

0,97

A

C

0,54 0,56 0,58 0,60 0,62 Jour Julien barycentrique – 2 457 367 (jour)

Figure 19 228

A) Le satellite CoRoT est le premier qui a mesuré la diminution de la lumière transmise lorsqu’une planète passe devant son étoile ; B) principe de la méthode des transits ; C) résultat expérimental.

Sur l’exemple de la Figure 19C, trois planètes gravitent autour de l’étoile, le passage simultané de deux d’entre elles (les planètes 2 et 3) entraîne une chute importante de l’intensité. La troisième (la planète 1) débute son transit quand l’une des deux premières achève le sien (planète 3), etc. L’analyse de s b ais s e s d ’ inten si té (Figure 19B) fournit le rayon de ces planètes ainsi que leur période orbitale (Figure 21B). Les fluctuations au cours du temps des périodes orbitales liées aux interactions

A

gravitationnelles entre les planètes donnent une indication de leurs masses respectives (Figure 21A), avec, cependant, des incertitudes très importantes. Le programme belge d’observation Trappist est constitué d’un réseau de deux télescopes robotisés de 60 cm mis en place par l’Université de Liège au Chili et au Maroc. Spitzer, un satellite de la NASA qui était en fin de vie pour son objectif premier, a été reprogrammé à partir du sol pour détecter des exoplanètes par Transit. Ce satellite a pu faire des observations complémentaires du système planétaire découvert par le réseau Trappist avec une précision qui ne peut être atteinte au sol. C’est ainsi qu’ont été décrites en détail les « 7 merveilles », les sept planètes qui orbitent autour de l’étoile dénommée maintenant Trappist 1 (Figure 20B).



0,0674

Période a (Unité (jour) astronomique) 20 0,063

0,00422

0,1005

12,35294

0,0451

0

89,71



2017 2017-09-01

0,0021 0,09323

9,20669

0,0371

0

89,68



2017 2017-09-01

Planète

Masse

Rayon

e –

i (deg) 89,8

Ang. dist. (arcsec) –

Découverte

Mise à jour 2017 2017-09-01



0,002

0,0819

6,099615

0,02817

0

89,86



2017 2017-09-01



0,0013

0,0689

4,04961

0,02144

0

89,75



2016 2017-09-01

0,00434 0,09421

B

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

Les observations sont aussi possibles à partir d’observatoires au sol. La complémentarité des données recueillies dans l’espace et au sol est illustrée par la découverte et la compréhension du système Trappist-1 (voir le Chapitre de M. Guélin dans cet ouvrage Chimie, aér onauti que et espace, EDP Sciences, 2018) (Figure 20).

0,0027 0,09689

2,4218233

0,01521

0

89,61



2016 2017-09-01

1,51087081

0,01111

0

89,75



2016 2017-09-01

Système TRAPPIST-1

Figure 20 Les planètes du système Trappist 1 ont été découvertes à partir de la méthode des transits.

229

1f

1,0

1e

Terre Vénus

H 2O 25 % SiO 3 Mg 0% 10Kep-78d Gd-1132b iO 3 1g MgS 75 % % Fe e+ 0 F 5 % 25 1c Fe 100 %

0,8

1,2

1b

Système TRAPPIST-1 1e 1d 1g

1c

1h

1,1

1,0

0,9

Terre

1b

H 2O

Vénus

1,2

% 50

Rayon de la planète (RTerre)

O H2

Kep-138d Rayon de la planète (RTerre)

Chimie, aéronautique et espace

0% 10

1,4

0,8

0,5

A

1,0

1,5

Masse planétaire (MTerre)

Figure 21 Les résultats expérimentaux de la méthode des transits pour le système Trappist 1.

5

B

Cette représentation (Figure 20B) est cependant totalement imaginaire. On aurait pu représenter les planètes par des boules blanches ou des boules noires. On ne connaît en fait que très peu de choses sur ces planètes. On ne connaît que grossièrement leur masse et leur diamètre. La seule chose connue de façon précise (avec cinq ou six décimales) est leur période orbitale, c’est-à-dire la durée de leur année, ou combien de temps elles mettent pour faire le tour de leur étoile. Ces périodes orbitales sont très brèves et le système très compact autour d’une étoile naine brune. Si l’on veut observer plusieurs transits, pour des orbites de quelques heures à vingt jours, cela est facile, mais pour une orbite de vingt ans, il faut attendre quarante ans pour en voir deux et soixante ans pour en voir trois, donc on n’est pas encore tout à fait prêts à les observer.

230

Ceres

Mars

Mars

0,7 0,6

Mercure

1d

Quoi qu’il en soit, avec les informations recueillies, les

2

1,0

0,5

0,2

0,1

Flux incident (STerre)

astronomes arrivent à déduire la composition chimique très grossière des planètes observées. Pour simplifier, une planète c’est soit du fer, soit du silicate de magnésium, soit de l’eau. Avec la masse et le diamètre on déduit la densité moyenne de la planète et on évalue la composition avec des proportions de ces trois composés (Figure 21A). Par opposition aux planètes géantes gazeuses, les planètes telluriques sont essentiellement composées de roches (silicates) et de métal (fer). La Terre est une planète tellurique sèche, alors que nous avons l’impression qu’il y a beaucoup d’eau. Elle se trouve essentiellement en surface. La quantité d’eau identifiable sur Terre ne représente que 0,06 % de sa masse, ce qui est vraiment infinitésimal et ne serait pas détectable par les méthodes que nous utilisons. On s’aperçoit qu’il y a dans le système Trappist 1 des planètes qui sont à peu près sur la

4.3. La détection d’une exoforme de vie sur une planète extrasolaire Beaucoup de caractéristiques doivent être réunies pour pouvoir détecter une exo-forme de vie sur une planète. La

seule chose observable d’une planète extrasolaire est la lumière filtrée par son atmosphère, soit par occultation soit par réflexion. Pour détecter une forme de vie sur une planète, il faut donc que la planète transite régulièrement devant son étoile. Si la planète tourne dans un plan perpendiculaire à l’axe de visée de l’observateur, elle ne sera jamais détectée. Ainsi, pour être détectée par nos moyens actuels, il faut que la forme de vie se soit développée et ait modifié l’atmosphère de la planète. Par exemple, dans le cas de la Terre primitive, pendant deux milliards d’années, il y avait de la vie qui produisait du gaz carbonique déjà naturellement présent dans l’atmosphère. Ces premiers micro-organismes ne produisaient pas d’oxygène ou très peu. Notre Terre était donc déjà habitée mais cette forme de vie était absolument indétectable avec les moyens dont on dispose actuellement. Il faut donc, pour être détectée, que la modification apportée par la vie soit massive et univoque. L’exemple du méthane est lui aussi typique de la prudence à garder dans les interprétations. Trouver du méthane avec un peu de vapeur d’eau n’est pas une preuve suffisante. En effet, il y a du méthane sur Titan, mais on est certain qu’il n’est pas d’origine biologique. Certes, du méthane a été détecté sur Mars mais ce résultat pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses quant à l’existence d’une forme de vie martienne.

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

même courbe que la Terre sur le graphe des rayons planétaires en fonction de la masse (Figure 21A) : pour les planètes 1f, 1b, 1g, 1c, il y a d’énormes incertitudes sur leur masse. Certaines planètes (comme 1f et 1b) pourraient être des « planètes-océans », avec des pourcentages d’eau extrêmement importants : 25 % d’eau. C’est la première fois, avec Trappist, qu’on est capable d’établir, de façon aussi complète, ce genre de détection et de présenter ce genre de calculs fondés sur des modèles mathématiques. La réalité nous dira peut-être un jour où est la vérité, mais pour l’instant ce système est déjà très intéressant puisqu’il existerait, de façon assez évidente, des planètes-océans et peut-être des planètes « intermédiaires » qui seraient susceptibles d’héberger une forme de vie. Revenons au schéma de la Figure 20B : la zone représentée en vert est ce qu’on appelle la zone d’habitabilité, c’est-à-dire, pour résumer, la zone autour d’une étoile où le rayonnement lumineux est suffisant pour assurer à la surface d’une planète semblable à la Terre la présence d’eau liquide à sa surface. On voit que le système Trappist-1 possède trois planètes dans cette zone. La possibilité de la présence d’eau liquide ne garantit pas que ce soit le cas.

231

Chimie, aéronautique et espace

4.4. Les moyens d’exploration des exoplanètes

de vie développée qui y serait associée.

Les compositions atmosphériques de Mars, Vénus et la Terre ont été analysées par spectrométrie. Le spectre de Mars (en rouge) est caractéristique avec son CO 2 ; celui de Vénus est en jaune et celui de la Terre en bleu (Figure 22). On dispose d’instruments capables d’effectuer ce type d’analyse sur des objets éloignés jusqu’à 35 années-lumière environ. On a ainsi trouvé une vingtaine d’exoplanètes (planète extrasolaire) et il y en a peut-être une qui pourrait ressembler à la Terre.

Il faut cependant rester prudent car il a été très récemment montré que sur les planètes gravitant autour de naines brunes, la décomposition du monoxyde de carbone provoquait sous l’effet des rayonnements un excès d’ox ygène atmosphérique. Les spectres de la Figure 22 montrent que le flux de photons13 reçu (en ordonnée), 100 à 1 000 photons, est faible et il faut intégrer longtemps pour obtenir un spectre. La Figure 22 rassemble des spectres synthétiques, idéaux. Ce n’est pas ce que l’on peut obtenir en réalité. Il faut donc travailler sérieusement à l’amélioration du traitement de données et de la sensibilité des instruments.

La seule chose qui serait vraiment excitante serait de détecter de l’ozone, puisqu’on pense actuellement que si on trouve une production massive de dioxygène sur un corps céleste, il y aurait une forme

Plusieurs satellites seront utilisés pour détecter, étudier et éventuellement analyser la lumière provenant des exoplanètes. Cheops mesurera précisément le diamètre des planètes qui transitent. Le lancement par l’ESA est prévu en 2019. Le James Webb Space Telescope (JWST) sera lancé en 2021 par une fusée Ariane 5 (Figure 23). TESS est un satellite de la NASA qui sera lancé en 2018 pour détecter des exoplanètes de type terrestre. PL ATO e s t une mis sion de l’ESA pour détecter de

Figure 22 232

Identification par spectrométrie des compositions atmosphériques de Mars, de Vénus et de la Terre.

13. Photon : quantum d’énergie associé aux ondes électromagnétiques (allant des ondes radio aux rayons gamma en passant par la lumière visible), qui présente certaines caractéristiques de particule élémentaire. Le photon n’a pas de charge électrique et une masse nulle.

Différents satellites vont être lancés dans les prochaines années pour détecter des exoplanètes.

nouvelles exoplanètes. Elle doit être lancée en 2026. ARIEL déterminera la composition chimique des planètes gazeuses et devrait être lancé dans les années 2026-2028. La radioastronomie (voir le Chapitre de M. Guélin) a montré aussi la grande richesse moléculaire du milieu interstellaire (Figure 24). Toutes ces molécules formées dans le milieu interstellaire et interplanétaire finissent par arriver quelque

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

Figure 23

part, et notamment sur les corps célestes. On étudie au laboratoire la synthèse de ces molécules dans les grains et dans les glaces interstellaires. Dans ces expériences, on irradie soit avec une lampe dite solaire, soit au synchrotron14, 14. Synchrotron : instrument pulsé permettant l’accélération à haute énergie de particules stables chargées.

Figure 24 Tableau d’identification de molécules dans le milieu interstellaire.

233

Chimie, aéronautique et espace

les glaces de monoxyde de carbone, d’eau et d’ammoniac. On obtient une multitude d’acides aminés15 ainsi que de nombreux autres composés organiques. Par chromatogr aphie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-GC et MS, Figure 25), on a identifié jusqu’à vingt aminoacides, six di-aminoacides plus dix espèces non caractérisées. Les acides aminés du monde vivant sont α-aminés, mais dans cette expérience il y en a aussi qui sont des β ou δ aminés. Des travaux très récents dont l’un des auteurs, Louis d’Hendecourt, est un peu le père de ces expériences, ont montré qu’un rayonnement UV polarisé pouvait favoriser la formation de la forme chirale « gauche » des acides 15. Acides aminés ou amino­ acides : éléments de base constituant les protéines. Ce sont des acides organiques contenant au moins un radical amine (NH2) et un radical carboxyle (CO2H).

aminés. Cette chiralité est caractéristique du vivant sur Terre. Il se forme aussi un nombre i m p o r t a n t d ’a l d é h y d e s (Figure 26) et notamment du glycéraldéhyde, toutes molécules que l’on retrouve dans le monde vivant. D’autres scientifiques, notamment à Strasbourg (avec Joseph Moran), font fonctionner le cycle de Krebs16 à l’envers. Mais au lieu d’utiliser des enzymes pour assurer cette synthèse cyclique, ils utilisent des complexes métalliques Fe(0), Fe2+, Mn2+ et Cr3+ (Figure 27). Cette synthèse à l’envers pourrait être une voie de synthèse ayant contribué à l’émergence de la vie à un moment ou à un autre. 16. Cycle de Krebs : ensemble de réactions chimiques au sein de la cellule qui a pour but de fabriquer de l’énergie à partir des glucides et accessoirement à partir des lipides et des protides. Le cycle de Krebs est appelé aussi cycle de l’acide citrique ou métabolisme intermédiaire.

20 aminoacides (jusqu’à 6 atomes de C) + 6 di-aminoacides + ~ 10 espèces inconnues

A

B

Figure 25 234

A) Instrumentation utilisée pour irradier et analyser les composants de glaces au CO et NH3 ; B) spectre GC-MS en 2D permettant d’identifier de nombreuses molécules.

Traces chimiques d’une forme de vie extraterrestre : si près ! Si loin !

Figure 26 Tableau listant les aldéhydes identifiés sur des corps célestes.

Figure 27 Modification du cycle de Krebs en utilisant des complexes métalliques.

Le futur de la recherche d’une forme de vie extraterrestre En conclusion, depuis l’expérience fondatrice de Stanley Miller, l’exobiologie et la recherche de la vie sur Terre ont une base chimique solide. La recherche de formes de vie extraterrestres se fonde sur la recherche de biomarqueurs

235

Chimie, aéronautique et espace 236

chimiques et de biosignatures, qui sont parfois plus parlantes même si elles sont moins faciles à décrire. La chimie du milieu interstellaire et des corps célestes nous montre des synthèses originelles à grande échelle, mais il ne faut pas oublier les synthèses qui sont possibles in situ, sur place, aussi bien dans l’atmosphère que dans des sites hydrothermaux par exemple. Mars est actuellement la cible raisonnablement idéale pour rechercher des traces de l’émergence d’une forme de vie ailleurs que sur Terre. D’autres cibles plus lointaines sont intéressantes pour détecter des formes de chimie prébiotique. Des missions spatiales dédiées se décideront dans la prochaine décennie et se feront dans les vingt à trente prochaines années. Enfin, les exoplanètes, elles sont des milliards dans notre galaxie, font rêver tout le monde. Leur nombre nous autorise à penser qu’effectivement il peut y avoir des formes de vie ailleurs. Avec 200 milliards d’étoiles, même si on admet qu’il n’y a qu’une planète par étoile, cela fait déjà 200 milliards de planètes, et en admettant qu’il n’y en ait que 1 % d’habitables, cela fait quand même 2 milliards de possibilités ; c’est absolument gigantesque. On ne les observera pas toutes et on ne saura pas les observer toutes car elles ne seront pas toutes observables pour de multiples raisons, mais en tous cas, elles sont, avec Mars, des cibles existantes pour l’exobiologie.

de la du

vie,

minéral aux

biomolécules Thomas Georgelin est Maître de Conférences à SorbonneUniversité et au Centre de Biophysique moléculaire d’Orléans1.

Afin d’identifier les éléments et les conditions pour l’apparition de la vie, il est nécessaire de contextualiser l’émergence de la vie dans un environnement géochimique particulier, relatif à le Terre primitive par exemple. Connaître les mécanismes chimiques ayant permis l’émergence de la vie sur Terre (Figure 1) permettra d’adapter les expériences prospectives pour la recherche de vie ailleurs.

1

Les conditions pour l’émergence de la vie

1.1. Qu’est-ce que la vie pour un chimiste ? Pour les chimistes et les exobiologistes (voir le Chapitre 1. cbm.cnrs-orleans.fr/

Michel Viso dans cet ouvrage Chimie, aéronautique et espace, EDP Sciences, 2018), la vie peut être définie en première approximation comme étant un système autonome capable de « faire plus de lui-même par lui-même ». Afin d’être chimiquement plus précis, il est nécessaire de placer ce système hors équilibre, donc de le compar timentaliser, afin de dissiper un maximum d’énergie, s’accumulant lors de l’auto-organisation des molécules. Il faut en outre que le système soit capable de coder et de transférer une partie de l’information. Cette définition correspond parfaitement à la description d’un système cellulaire, tel qu’on le connait aujourd’hui, comme par exemple une

D’après la conférence de Thomas Georgelin

origines

Les

Chimie, aéronautique et espace

Figure 1 La Terre primitive, contexte géochimique d’apparition de la vie.

bactérie (Figure 2), constituée d’un ensemble de molécules, structurées, parfois autoorganisées, à l’intérieur d’une membrane. Dans un contexte de monde d’ARN, les systèmes cellulaires primitifs présentaient fort probablement une molécule d’ARN, capable d’autocatalyser sa formation. 1.2. L’apparition du premier organisme vivant sur Terre

Paroi cellulaire Ribosomes Cytoplasme Flagelle Capsule Mésosome Nucléoïde Membrane plasmique

Figure 2

238

Une bactérie, le plus simple modèle de système vivant connu actuellement.

L’acronyme LUCA (ou Luca, «  Last Universal Common Ancestor ») est souvent utilisé pour désigner l’ancêtre commun à toutes les formes de vie connues actuellement. Il aurait vécu il y a environ 3,5 à 3,8 milliards d’années. Le système le plus primitif est un système basé sur de petites unités ribosomales d’ARN, qui sont vraisemblablement des bactéries primitives. La branche la plus ancienne des bactéries

connues est celle des hyperthermophiles2 (Figure 3). On peut se demander si notre plus vieil ancêtre commun était une bactérie hyperthermophile ou si les tous premiers organismes étaient eux aussi hyperthermophiles ou mésophiles, puis qu’ils auraient ensuite migré vers des sources chaudes. On ne connait aucune trace fossile de cette vie bactérienne primitive, ni de LUCA, ni des prédécesseurs. Avant même la formation d’une cellule primitive, intéressons-nous à la chimie prébiotique pour comprendre comment, à partir des briques moléculaires produites dans le milieu interstellaire ou sur la Terre primitive, les molécules d’intérêt biologique ont pu se former. 2. Hyperthermophile : famille de bactéries les plus anciennes connues et pouvant survivre à des températures élevées (au-delà de 80 °C).

arthropoda

nematoda

animals

alveolates

chordata (homo) invertebrata

stramenopiles rhodophytes

fungi

mycetozoa euglenozoa

chlorophytes amoebas

diplomonads

amoeboflagellates

Bacteria

high G+C gram positive clostridia spirochaetes green desulfotomaculum non-sulphur cyanobacteria bacteria deinococci green sulphur bacteria dictyoglomus chlamydia thermotoga

β

δ

fibrobacter γ

a

low GC gram positives (Bacillus, Mycoplasma, Lactobacillus

microsporidia

sulfolobus Crenarchaeota ignicoccus

pyrodictium pyrolobus

flexistipes Proteobacteria ε

trichomonads

metallosphaera thermofilium Archaea thermoproteus pyrococcus thermococcus methanobacterium methanothermus methanopyrus archaeoglobus/ferroglobus

Figure 3 Les hyperthermophiles, branche la plus ancienne des bactéries que l’on connait.

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

Eukarya

thermoanaerobium aquifex thermo- N. eq. halobacteriales Nanothermocrinis vibrio methanoplanus desulfuro- archaeota bacterium methanomicrobium methanomethanosarcina coccales thermoplasma Euryarchaeota

La Figure 4 donne quelques exemples de ces molécules essentielles au vivant, tel que nous le connaissons. On y trouve des acides aminés 3 (par exemple la glycine), des sucres comme le glucose, intervenant dans le métabolisme, ou le ribose (le sucre contenu dans les ADN ou ARN, des aldéhydes, dont beaucoup peuvent se former dans le milieu interstellaire (voir le Chapitre de M. Guélin dans Chimie, aéronautique et espace), et des molécules phosphor ylées plus complexes comme l’adénosine triphosphate. Il faut noter que l’adénosine triphosphate est l’une des molécules clés du métabolisme, grâce aux liaisons phosphore-oxygène-­ 3. Acide aminé : acide carboxylique comportant une fonction amine, unité de base des protéines.

methanococcales

phosphore, qui stockent une grande quantité d’énergie libre. Dans la recherche des origines de la vie, l’homochiralité4 pour les acides aminés, mais aussi pour les sucres, est une caractéristique extrêmement importante de la chimie prébiotique (Figure 4). La brisure de symétrie observée pour les sucres ou les acides aminés n’a pas encore été totalement élucidée. Structurellement, les molécules biologiques se basent sur les éléments suivants : carbone, hydrogène, azote, 4. Homochiralité : la chiralité représente l’asymétrie d’une molécule. Elle signifie l’existence d’une seule forme d’une molécule et pas son symétrique. Une molécule est dite homochirale quand elle n’existe que sous une forme dans la nature.

239

Chimie, aéronautique et espace

Uracile Glycine

Glucose

Homo Chiralité

Adénosine triphosphate

Aldéhyde

Figure 4 Quelques molécules d’intérêt biologique. Les molécules du vivant n’existent que sous une seule forme de symétrie.

oxygène, phosphore, soufre, mais aussi sur la présence de métaux de transition : le manganèse, le fer, le cuivre, le cobalt, le zinc. La Figure 5 indique l’abondance des éléments chimiques, dont ceux servant pour la biologie actuelle. Nous constatons que l’hydrogène, l’hélium, l’oxygène et le carbone font partie des éléments les plus abondants.

carbone principalement. La nature des molécules carbonées est particulièrement variée, allant de 1 carbone (CH 4) à des molécules très complexes comme le fullerène avec soixante atomes de carbone (Figure 6, en bas à droite).

1.3. La chimie du carbone est favorable à l’émergence de la vie

En termes de liaison chimique, le carbone permet aussi la formation de molécules oxygénées (C-O, C=O, etc.) ou phosphorylées (liaison C-O-P comme dans les nucléotides). En raison de l’énergie libre de ces molécules, ces liaisons sont une bonne opportunité pour l’émergence de la vie.

La chimie et la biochimie sont donc basés sur la chimie du

La très grande variabilité de structures entraîne une

Figure 5

240

Abondance des éléments du tableau périodique dans l’Univers. Les éléments utiles à la vie (entourés en rouge) tels que l’oxygène, le carbone et l’hydrogène sont très abondants.

Log10 (Abondance)

L’abondance de Si est normalisée à 106

Z, Numéro atomique

Quelques molécules organiques d’intérêt biologique.

énorme variabilité en termes de fonctionnalités chimiques et biochimiques. En effet, la structuration des molécules biologiques induit une fonction particulière pour l’organisme, pour la cellule, pour le métabolisme. Comprendre la structuration des molécules organiques est donc un enjeu majeur pour comprendre nos origines biologiques. Il faut aussi pouvoir former des molécules chirales et orienter cette chiralité ; le carbone le permet, et c’est aussi une opportunité pour avoir des gains énergétiques. 1.4. L’eau est un solvant idéal pour l’apparition de la vie La vie est donc basée sur la chimie du carbone, une chimie réalisée dans l’eau. L’eau, abondamment présente sur la Terre primitive (Figure 7), est un bon vecteur et un bon solvant. Elle forme en effet des liaisons hydrogène, et peut solvater toutes les molécules polaires.

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

Figure 6

En raison de la nécessité de dissiper de l’énergie sous forme thermique, l’eau est là encore un bon vecteur. Elle présente une bonne capacité calorifique et permet à une structure dissipative d’extraire de l’énergie5. L’eau est aussi un bon solvant dissociant. Cela est important car un océan primitif contient des sels qui seront dissociés dans l’eau comme par exemple le chlorure de sodium (NaCl), qui sera dissocié en cation Na + et en anion Cl-. Ces ions serviront à structurer les biomolécules, les molécules organiques ou macromolécules 6, ainsi que les biopolymères. Cette structuration permettra à une partie des molécules d’acquérir une fonctionnalité. 5. Capacité calorifique : capacité d’un produit à absorber et restituer de l’énergie. 6. Macromolécule : molécule de très grande taille (protéine, ARN, ADN, etc.).

Figure 7 L’eau, composé essentiel en biologie grâce à ses différentes propriétés physico-chimiques.

241

Chimie, aéronautique et espace

Eau libre Eau liée Eau piégée Extérieur hydrophile Intérieur hydrophobe

Figure 8 Une cellule primitive potentielle, issue de micelles.

Figure 9 Deux origines possible de la vie, une origine endogène où la vie est apparue sur Terre (images du haut), et une autre où la vie est venue d’un autre corps céleste (images du bas).

242

Les propr iétés physico chimiques de l’eau permettent aussi d’expliquer la formation de micelles ou de vésicules, c’est-à-dire des structures permettant de compartimentaliser les molécules organiques. La Figure 8 montre un exemple d’une cellule primitive qui pourrait être basée sur la formation de micelles.

faibles quantités de formamide disponible sur la Terre primitive, l’eau est probablement le solvant ayant permis l’émergence du vivant.

Si pour toutes ces raisons l’eau est un très bon vecteur, on peut aussi en imaginer d’autres, comme par exemple le formamide. Le formamide a des propriétés similaires à celles de l’eau, et l’on pourrait imaginer une chimie basée sur ce solvant, mais au vu des

2.1. L’hypothèse endogène de l’origine de la vie

2

Sur les traces de l’origine de la vie sur Terre

Les molécules organiques et les macromolécules primitives ont pu être formées sur la Terre (origine endogène) ou sur des corps célestes (origine exogène) (Figure 9).

Arc électrique (éclairs)

H2O, CH4, NH3, H2, CO Gaz (atmosphère primitive) Réfrigérant Eau froide

Échantillonnage Eau refroidie (contenant des composés organiques)

L’expérience de Miller (1953), cherchant à reproduire l’atmosphère d’une Terre primitive. Source : wikipédia, licence GFDL, cc-by-sa-3.0.

Vers la pompe à vide

Échantillonnage

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

+ Électrodes –

Sens du déplacement de la vapeur d'eau

Figure 10

Eau (océan)

Chauffe-ballon

Col

L’une des expériences piliers de l’origine endogène de la vie est l’expérience de Miller (1953) (Figure 10), qui a tenté de reproduire ce qui pouvait se passer dans la haute atmosphère d’une Terre primitive (Figure 11). L’expérience fait inter venir entre autres de l’eau (H2O), du méthane (CH4), de l’ammoniac (NH 3) et du dihydrogène (H2). Les substances sont enfermées dans un groupe de tubes de verre stériles connectés ensemble en boucle, avec un flacon à moitié plein d’eau liquide et un autre contenant des électrodes. L’eau liquide est ensuite chauffée pour provoquer l’évaporation, puis des étincelles sont déclenchées entre les électrodes pour simuler des éclairs à travers l’atmosphère de la Terre et la vapeur d’eau. Enfin, l’atmosphère est rafraîchie pour que l’eau se condense et retourne dans le premier flacon. Et le cycle redémarre.

À la fin de la première s emaine de fonc tionne ment continu, Miller et Urey obser vèrent qu’entre 10 et 15 % du carbone à l’intérieur du système était alors sous la forme de composés organiques. 2 % du carbone avait formé des acides aminés, dont treize des vingtdeux qui sont utilisés pour fabriquer des protéines dans les cellules des organismes, avec une abondance de glycine. Des sucres, des lipides et quelques composants des acides nucléiques se formèrent également, mais pas d’acides nucléiques entiers (ADN ou ARN). Comme il a été observé dans les expériences qui ont suivi, des énantiomères gauches dextrogyre et lévogyre se sont formés dans un mélange racémique. Malgré leur toxicité, ces composés, dont le méthane et le cyanure, sont des composants nécessaires pour les composés biochimiques

Figure 11 Atmosphère d’une Terre primitive, contexte d’apparition de la vie sur Terre.

243

Chimie, aéronautique et espace

importants, ils vont être à la base d’une chimie plus complexe amenant à la formation des nucléotides, des peptides, voire des protéines. Même si à l’heure actuelle, à travers cette expérience, aucun biopolymère7 n’a été mis en évidence, c’est une bonne base de travail puisque des monomères, eux, ont été mis en évidence. Une autre hypothèse pour l’origine endogène des biomolécules est celle de leur formation dans les sources hydrothermales8. La Figure 12 présente un exemple de source hydrothermale sousmarine que l’on retrouve au niveau des dorsales océaniques. Ces environnements sont intéressants puisqu’ils sont riches en H2, CO2 et en composés variés. La chimie y est basée sur celle du gaz carbonique CO2 ; c’est plutôt Figure 12 Les sources hydrothermales au niveau des dorsales océaniques, riches en composés variés, sont un environnement possible pour une origine endogène de la vie.

7. Biopolymère : chaîne carbonée macromoléculaire composant un organisme vivant. 8. Voir aussi La chimie et la mer, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, EDP Sciences, 2009.

CH3COOH CH3COOH + H2O

HPO42– H+

Fe3+

CO2

CO2

Ni2+

Précurseurs organiques retenus

Fe

2+

FeS NiS FeS NiS

H2

Gradient de température, redox et pH

Océan CN– H2CO

244

HS–

NH3

CH3SH

H2

Croûte

une chimie d’oxydo-réduction qui conduit à une formation relativement abondante de sucre, et à la présence de composés de type CN - ou HCN. Il peut aussi se former des bases azotées et potentiellement des peptides. Grâce à la présence d’ions métalliques, principalement le fer, le zinc et le nickel, sous forme de sulfures, c’est la formation de sucres à travers les réductions successives du CO2 qui a été surtout mise en évidence. Néanmoins, ni sur place, ni à travers des études réalisées en laboratoire mimant ces systèmes, des biopolymères n’ont été mis en évidence (Figure 13). 2.2. L’hypothèse exogène de l’origine de la vie sur corps céleste entrant en collision avec la Terre Sur des cor ps célestes tel s que les météor ites (Figure 14) et dans le milieu interstellaire, les techniques

Il n’y a pas encore de mise en évidence de biopolymères dans les sources hydrothermales sousmarines.

Figure 14 Les météorites Murchinson et Tchouri, comportant des molécules organiques plus anciennes que les premières connues sur Terre. A) Wikipédia, licence cc-by-2.0, James St. John ; B) ESA/Rosetta/ NAVCAM, CC BY-SA IGO 3.0.

spectroscopiques9 ont montré la présence d’un nombre très important de molécules organiques (voir les Chapitres de M. Viso et de M. Guélin dans Chimie, aéronautique et espace). Quelques-unes de ces molécules d’intérêt biologique pour former les peptides et les acides nucléiques sont rappelées sur la Figure 15 : il s’agit d’acides aminés, de sucres, de nucléobases, d’urée, des molécules essentielles au vivant. Dans l’expérience des comètes artificielles, présentée dans le 9. Spectroscopie : méthode d’analyse d’un spectre émis par une espèce (spectre lumineux, résonance magnétique, etc.), permettant de déterminer la structure de molécule.

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

Figure 13

Chapitre de M. Viso, l’irradiation de glace cométaire conduit à la formation d’acides aminés, et une publication plus récente10 reporte la formation de sucres d’intérêt biologique, notamment le sucre à cinq carbones, le ribose, qui est le seul sucre présent dans les acides nucléiques actuels. 2.3. Les défis de la chimie prébiotique Actuellement on ne sait toujours pas expliquer le passage du non-vivant au vivant, et même expliquer le passage des monomères aux biopolymères, et encore moins celui 10. Meierenrich U.J. (2015). PNAS, 112 : 965-970.

Figure 15 Quelques molécules organiques d’intérêt biologique d’origine exogène dont le composant principal est le carbone.

245

Chimie, aéronautique et espace

Figure 16 À partir des éléments les plus abondants et d’eau dans des conditions primitives, on peut aboutir à des molécules biochimiques.

aux biopolymères actifs. Cette chimie prébiotique complexe s’inscrit clairement dans l’exobiologie. Partons des éléments primordiaux qu’on retrouve dans l ’Univers, dans un contexte de géochimie particulier. Prenons le cas simple d’un océan primitif où il n’y a que l’eau et pas encore des sels (Figure 16), et essayons de comprendre comment peuvent se former des molécules organiques dans ces conditions primitives, puis ensuite des polymères, des biopolymères, des cellules, et enfin des bactéries. Dans toutes ces étapes, l’eau est un facteur essentiel, et son contrôle passe par une bonne connaissance de la géochimie des environnements primitifs. Dans cette chimie prébiotique, et plus spécifiquement dans un contexte de monde d’ARN, les premier s poly mères intéressants sont les acides nucléiques comme les molécules d’ARN et d’ADN, pour

Figure 17

246

Formation de l’adénosine monophosphate, à partir de ribose, sucre à cinq carbones, et d’adénine.

lesquelles il faut passer par des étapes de condensation. La Figure 17 montre comment peut se former l’adénosine monophosphate (AMP – l’une des briques des ARN) à partir de la condensation du ribose, le sucre à cinq carbones, avec une base azotée (ici l’adénine) et du phosphate ; deux molécules d’eau sont éliminées au cours de la réaction, ce qui est thermodynamiquement défavorable. Pour lever ce problème, il existe deux voies possibles. L’utilisation d’un activateur chimique est une solution cohérente dans cer tains cas, comme l’ont montré des études spatiales menées sur la présence par exemple d’acide cyanhydrique HCN ou d’imidazole. Mais on peut aussi utiliser les surfaces minérales pour gérer la quantité d’eau à la proximité des molécules organiques. L a Figure 18 résume un très bel exemple de chimie

Synthèses dirigées forte pression du milieu

Adénosine diphosphate

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

Chimie dans l'eau :

50 étapes

belle, mais elle souffre encore de quelques problèmes qu’il faut travailler.

biotique dans l’eau, une synthèse dirigée qui conduit à la formation de nucléotides. C’est une chimie dite orientée, chacune des étapes prise indépendamment pouvant être caractérisée comme une étape primitive prise dans des conditions primitives avec des intermédiaires réactionnels plus ou moins stables. C’est le cas du cyanoacétylène, qui est fortement instable. Tous les réactifs utilisés ici sont des produits que l’on retrouve potentiellement dans un environnement primitif.

Un autre exemple est celui d’une chimie initiée par Orgel et Ferris, qui a été reprise par le groupe de Sutherland et Szostak depuis quelques années. Elle est centrée sur la formation d’oligonucléotides à travers l’utilisation d’activateurs tels que le 2-aminooxazole et le 5-aminoimidazole. Ces activateurs chimiques per met tent la for mation d’esters activés, facilitant la condensation des sucres avec les bases azotées (Figure 19). Cette proposition est aussi une voie très intéressante car elle peut servir à expliquer la réplication non-enzymatique de l’ARN.

Ce schéma est totalement cohérent mais il nécessite d’être dans un environnement concentré et d’avoir des agents stabilisants ; cette chimie dans l’eau est très

Figure 18 Un exemple de chimie biotique : synthèse dirigée dans l’eau, en cinquante étapes, de l’adénosine diphosphate.

NH2 N N

O N

P –

O

Na+

O

N

N

Figure 19

N

O pH 8, 25 °C, 3 jours HO

OH

(pA)2 – (pA)n

Réaction de Sutherland et Szostak consistant en une formation de nucléotides, expliquant la réplication non-enzymatique de l’ARN.

247

Chimie, aéronautique et espace

Il existe aus si d’autres voies qui, sans activateurs chimiques (Figure 20A), à partir des éléments essentiels à la vie (le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, le soufre, le phosphore), acceptent la présence de l’eau pour former les monomères de l’étape 1 : de la glycine, du sucre, des acides aminés, des bases azotées. L’étape 2, qui ne peut se faire en présence d’eau, se fait en présence de surface minérale, ici de la silice poreuse (Figure 20B), dont la taille des pores est d’environ 2 µm ; mais des surfaces minérales non poreuses peuvent aussi être utilisées.

Figure 20 A) À partir des éléments les plus abondants dans l’univers, d’eau et de silice, on peut former des biomolécules ; B) les surfaces minérales jouent le rôle de catalyseur. Dans le cas de la silice poreuse, les pores jouent le rôle de microréacteurs qui accélèrent les réactions.

Ingrédients

Les sur faces minér ales, poreuses ou non, par interaction avec les molécules organiques, stabilisent les molécules ; par exemple un sucre instable en milieu acide ou basique, mis sur une surface minérale dans les mêmes conditions, sera stabilisé en raison des interactions par liaisons hydrogène avec la surface minérale. En plus de la stabilisation par la surface,

Étape 1 de la chimie prébiotique

H2O

A

248

B

Les surfaces minérales ou les pores de ces matériaux peuvent en outre structurer les molécules et les organiser. Ces matériaux conduisent la chaleur et, selon la température, ils peuvent aussi apporter de l’énergie ou mettre en place des gradients de température, mais aussi des gradients de matière. Cela place le système réactionnel hors équilibre et permet de dissiper une grande partie de l’énergie perdue sous forme entropique. Dans les pores ou à la surface de minéraux, il y a nettement moins d’eau que dans un océan, dans un lac ou dans une mare quelconque. La limitation de la quantité d’eau lève l’écueil énergétique limitant la condensation des monomères pour former les polymères.

Étape 2 de la chimie prébiotique

C, H, O, N, S, P Catalyseurs Énergie

la présence de pores permet de confiner la matière organique, ce qui conduit à des interactions chimiques, à des effets catalytiques qui vont accélérer les vitesses des réactions chimiques.

H2O

10 µm

Cellules

Une molécule trois fois phosphorylée appelée phosphor ibos y le diphosphate (PRPP) a été obtenue. Il s’avère que cette molécule est extrêmement importante dans le métabolisme actuel puisqu’elle est à la base de la voie des pentophosphates. C’est la première fois qu’a été mise en évidence par une voie totalement abiotique la formation d’une molécule métabolique en gérant la proportion d’eau, grâce à l’utilisation d’une surface minérale.

Notre objectif étant de synthétiser un adénosine mono, di ou triphosphate, la deuxième étape part de la molécule précédente de PRPP, que l’on fait réagir avec une base azotée, l’adénine, mais cette fois en présence d’eau (Figure 22). On obtient de l’adénosine monophosphate (AMP). La molécule de PRPP présente tellement d’énergie qu’elle va vouloir la libérer, et cette réaction peut se faire dans l’eau d’autant mieux qu’il y a une bonne diffusion et une bonne dissipation énergétique. Afin de former maintenant des polymères à partir de cette première molécule activée qu’est l’adénosine monophosphate, toujours en présence d’une surface de silice légèrement séchée, nous ajoutons un autre nucléotide, l’UMP (Figure 23). On obtient dans une première étape des dimères11, et si on répète la 11. Dimère : polymère ne comportant que deux unités monomères.

Figure 21 Première étape de la synthèse d’une molécule métabolique grâce à l’utilisation d’une surface minérale : en dehors de l’eau, le sucre réagit avec le phosphore en présence de silice poreuse pour donner le phosphoribosyle diphosphate.

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

Un autre exemple du rôle des minéraux est l’étude conduite dans notre laboratoire avec de la silice non poreuse pour la réaction d’un sucre et d’un phosphate dans l’objectif de former une molécule phosphorylée, c’est-à-dire avec un peu plus d’énergie que les monomères (Figure 21). La réaction a été réalisée dans très peu d’eau, sur un milieu réactionnel à peine séché, à 70 °C.

Figure 22 Le phosphoribosyle diphosphate réagit avec l’adénine en présence d’eau, de silice et d’adénine pour former de l’adénosine monophosphate.

249

Chimie, aéronautique et espace

Figure 23 Troisième étape de la synthèse de polymères par activation minérale : la molécule obtenue précédemment réagit avec l’UMP en contact avec la silice pour former des polymères.

Figure 24 Une source hydrothermale sous-marine, lieu propice à l’apparition de biochimie.

séquence plusieurs fois, on se retrouve avec des polymères sans utiliser d’activateur chimique mais en utilisant une source minérale qu’on retrouve dans un environnement primitif.

Allongement des molécules

Ces expériences montrent bien que l’activation minérale est une autre voie intéressante de la chimie prébiotique. 2.4. L’émergence possible de la vie dans les sources hydrothermales

Légende Froid Eau liquide avec gradient thermique Chaud Circulation de l’eau Minéraux réactifs Molécules Micelles

Cellule vivante

250

Lorsque l’on recherche des systèmes minéraux pouvant avoir un potentiel ou un intérêt pour former des molécules biologiques, on pense tout de suite aux sources hydrothermales sous-marines. Notre équipe a proposé un schéma expliquant comment une source hydrothermale sousmarine peut être un lieu propice à l’émergence de la vie (Figure 24). On y trouve des pores dans lesquels peuvent se faire les réactions précédentes avec une matière

Faible précipitation

Météorites ∼ 2-20 cm

IDPs 100 µm

UV 0,4 Wm–2

Lourdes précipitation

Météorites ∼ 2-20 cm ÉVAPORATION

PHOTODISSOCIATION

HYDROLYSE

SUINTEMENT SEC

Les sources hydrothermales de surface, combinant les avantages des sources hydrothermales sous-marines et de l’apport de matériaux exogènes de surface. Source : Pearce et coll. (2017). PNAS, 14 : 11327-11332.

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

Figure 25 IDPs 100 µm

HUMIDE

CYCL E SAISONNIER

organique confinée, une quantité d’eau limitée et de la catalyse. D’autres systèmes ont récemment été proposés, à savoir des sources hydrothermales de surface, comme il peut y en avoir en Islande par exemple. L’intérêt de ce modèle, avec le même type de chimie, est d’avoir toujours les mêmes molécules, toujours la même énergie, la possibilité de sécher, avec toujours la présence des minéraux poreux. La chimie prébiotique dans une source hydrothermale de surface est aussi intéressante parce qu’il peut y avoir un apport exogène de la matière organique : le bombardement météoritique de micrométéorites peut alimenter la source hydrothermale en matière organique primitive, que ce soit avec des acides aminés, de l’urée ou de l’acide cyanhydrique (Figure 25). Ce milieu est très intéressant du point

de vue de la chimie prébiotique, à la fois pour l’influence des minéraux et pour la présence d’activateurs chimiques importés par les météorites. Le seul problème de ce système est que sur la Terre primitive, il devait être soumis à une forte dose d’irradiation pouvant dégrader plus rapidement les molécules formées que dans un environnement hydrothermal sous-marin, où les températures et le pH en haut de la colonne hydrothermale sont raisonnables. 2.5. Les plages volcaniques, un autre lieu possible pour l’émergence de la vie Les plages volcaniques sont une autre possibilité intéressante (Figure 26). La Terre primitive était une planète océan où il y avait très peu de terres émergées, mais avec une forte activité volcanique, et on y trouvait des flancs de

251

Chimie, aéronautique et espace

Figure 26

SOLEIL

L’importance de la Lune sur l’apparition de la vie : les marées permettent des cycles de séchage.

Légendes Eau liquide Circulation de l’eau Minéraux réactifs Molécules Micelles Cellule vivante

volcans contenant une très forte quantité de phosphates rejetée par les volcans, mais aussi de polyphosphates, des molécules polyphosphorylées, le pyrophosphate, le borophosphate et d’autres molécules. La chimie prébiotique dans cet environnement riche en phosphate a aussi été influencée par les minéraux. Dans ces systèmes de surfaces, les systèmes chimiques ont subi l’influence des marées, de la Lune, qui induisent des cycles de séchage, humectationséchage-humectation, qui font varier la quantité d’eau à la surface des minéraux. 2.6. Et les geysers ?

Figure 27 252

Les geysers, une hypothèse peu probable de l’origine de la vie.

Les geysers (Figure 27) sont des systèmes peut-être un peu trop rudes en termes de conditions physicochimiques, et le temps de vie

des molécules serait à l’heure actuelle assez limité pour envisager une chimie prébiotique dans ces systèmes. Des études sont menées sur place depuis plusieurs années au niveau des geysers, mais très peu de molécules organiques complexes d’intérêt biologique y ont été observées.

3

L’habitabilité sur Terre et sur les autres corps célestes

3.1. L’habitabilité en termes chimique de la Terre primitive Ces notions de chimie prébiotique nous conduisent à la notion d’habitabilité. En termes de chimie, il faut : −− de l’eau liquide, mais dont la quantité doit être modulée ; −− les éléments chimiques : carbone, phosphore, azote,

−− de l’énergie, des catalyseurs, des stabilisateurs, que l’on peut trouver avec la présence des minéraux (Figure 28). Le monde minéral est donc important pour réaliser cette chimie et pour appréhender la biochimie qui sera formée par la suite. Les minéraux, par l’existence d’interfaces, peuvent aussi gérer la quantité d’eau. Il faut noter que la notion d’habitabilité est une notion locale. Un petit environnement (un petit lac, une source hydrothermale) peut suffire pour engendrer une quantité importante de molécules organiques. Il n’est pas nécessaire de recouvrir toute une planète pour faire émerger du vivant ou des molécules d’intérêt biologique. La Terre primitive, avant 4,3 milliards d’années, était une Terre non habitable, avec un océan magmatique. Il y a 3,4 milliards d’années, la Terre a évolué et pouvait être comparée à une Terre-océan, avec très peu de terres émergées. Les éléments essentiels au vivant y étaient présents, avec du carbone, du phosphore, de l’hydrogène, de l’azote, des nutriments, de l’énergie, des roches, toutes les conditions propices à l’émergence de la vie, donc habitable. La Terre primitive était donc une Terre-océan, avec très peu de terre émergée et une for te activité volcanique, mais rappelons qu’il n’est pas essentiel de faire émerger la vie partout sur la Terre, et l’émergence de la vie était probablement locale. L’environnement était chaud,

il n’y avait pas de dioxygène, et la terre recevait un flux de matière extraterrestre important qui était la source de carbone. La vie a pu apparaître soit dans les sources hydrothermales sous-marines, soit à flancs de volcans, sur le peu de terres émergées existantes.

10 µm

Figure 28 3.2. L’habitabilité de Mars La planète Mars (Figure 29) était un système planétaire semblable à celui de la Terre. Si on compare la physicochimie et la géochimie d’une Terre primitive et de Mars primitive, elles sont comparables. Il semblerait que la température moyenne des océans était globalement similaire, aux alentours de 50 °C. Il y avait beaucoup de gaz carbonique, l’océan était légèrement acide voire neutre. L’irradiation,

La silice agit en tant que catalyseur et est essentielle à la formation de la vie.

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

soufre, oxygène, hydrogène, métaux de transition ;

Figure 29 La Planète Mars, système proche de la Terre pouvant aussi voir l’apparition de vie.

253

Chimie, aéronautique et espace

l’hydrothermalisme, le volcanisme, étaient extrêmement actifs, et les impacts étaient fréquents, il y avait donc beaucoup de sources de carbone. Sur Terre et sur Mars, la présence d’eau liquide, de car bone, de nutr iments, d’énergie, la présence similaire de minéraux, étaient dans les deux cas propices à l’apparition de la vie (Tableau).

À priori on peut estimer que Mars était habitable, ce qui ne veut pas dire qu’elle a été habitée. À noter que si la Terre primitive était une Terre-océan, Mars primitif avait très peu d’environnements aqueux (Figure 30), mais là-encore la vie a pu émerger de manière très locale au niveau de ses sources, ce point n’est donc pas rédhibitoire.

Tableau Les conditions sur la Terre primitive et sur Mars primitive.

Température Océans Atmosphère pH

Mars Primitive

∼ 50 °C

∼ 0 – > 50 °C

CO2 < 0,2 % O2

CO2 < 0,2 % O2

Légèrement acide

Légèrement acide – Neutre

∼ 50 W/m

∼ 50 W/m2

Hydrothermalisme

Extrêmement actif

Extrêmement actif

Volcanisme

Extrêmement actif

Extrêmement actif

Fréquent

Fréquent

Radiation

Impacts

Figure 30 La Terre et Mars, deux systèmes similaires et habitables.

254

Terre Primitive

2

Cela est une source d’énergie potentielle pour les étapes de chimie prébiotique.

Europe (Figure 31), le satellite de Jupiter, est constitué d’un cœur solide, un manteau rocheux, d’un océan et d’une croûte de glace. Dans ce système, on y retrouve donc toujours les minéraux, la possibilité d’avoir de la catalyse et de la stabilisation moléculaire. Par une voie exogène, voire de manière endogène, de la matière organique est potentiellement présente. Ce corps pourrait donc être potentiellement habitable, d’autant plus que du cryovolcanisme a pu y être détecté.

Encelade (Figure 32), le satellite de Saturne, est un système presque identique qui possède un océan liquide, une couche de glace, et où une chimie va être aussi possible grâce à la présence de minéraux et du cryovolcanisme. Dans les deux cas, une chimie peut potentiellement être détectée à travers l’analyse des geysers, qui vont éjecter certaines molécules caractéristiques. Europe et Encelade sont à priori habitables, au sens chimique du terme !

Figure 31 Europe, satellite naturel de Jupiter constitué d’un manteau rocheux, d’un océan et d’une croûte de glace, est considérée comme habitable.

Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules

3.3. L’habitabilité d’autres corps célestes, Europe et Encelade

Le futur de la chimie prébiotique L’émergence de la vie, telle qu’on la connaît sur Terre, est basée sur une chimie du carbone, ainsi que sur une chimie du phosphore (dont le cycle est important et qu’il ne faut pas négliger), sur l’azote, le soufre et l’hydrogène. Le contexte géochimique joue un rôle très important. Les différents facteurs à prendre en compte sont la présence des minéraux, des températures élevées, les conditions hydrothermales et les conditions anaérobiques. Une bonne connaissance de ces conditions géochimiques est indispensable pour que les chimistes, puissent mieux conduire les expériences en laboratoire. Le but étant d’être de plus en plus réalistes et de modéliser le mieux possible une Terre primitive ou un autre environnement primitif. À l’heure actuelle, la synthèse en laboratoire de biopolymères a été réalisée, mais pas encore

Figure 32 Encelade, satellite naturel de Saturne, possède des caractéristiques semblables à Mars, et Europe est considérée comme habitable.

255

Chimie, aéronautique et espace 256

celle de biopolymères actifs, c’est-à-dire structurés. Aucun biopolymère réalisé en laboratoire n’a encore eu d’activité catalytique ou biocatalytique, pas plus qu’une capacité de s’autoreproduire. La synthèse d’ARN auto-catalytique n’a encore jamais été réalisée et semble être un enjeu important. Les recherches se poursuivent et les résultats viendront peut-être d’une meilleure connaissance de la géochimie sur d’autres systèmes, tels que Mars, Europe, Encelade, ou sur d’autres exoplanètes. La comparaison avec des processus que l’on peut observer sur Terre permettra d’affiner les modèles terrestres en vue de réaliser des expériences en laboratoire, et permettra aussi d’affiner les expériences qu’on pourra mener dans le cadre des futures missions spatiales.

quelles

perspectives et quelle place pour l’Europe ? Ingénieur Émérite au Centre national d’étude spatiales (CNES1), Richard Bonneville est président du Conseil Scientifique du COSPAR («  Committee on Space Research  ») et expert au ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

1

Qu’est-ce que l’exploration spatiale ?

L’exploration spatiale a pour objectif d’acquérir de la connaissance sur le Système Solaire et sur l’Univers lointain afin d’étendre notre connaissance et d’inspirer de futures 1. https://cnes.fr

générations. Comment découvrir les exoplanètes et les systèmes planétaires dont on parle dans de nombreux chapitre de cet ouvrage Chimie, aéronautique et espace (EDP Sciences, 2018) ? Comme l’indique un rapport de l’Agence Spatiale Européenne (ESA, Encart : « L’exploration spatiale »), l’exploration spatiale

Richard Bonneville

exploration spatiale :

L’

Chimie, aéronautique et espace

L’EXPLORATION SPATIALE “[Space exploration is] an open-ended project relying on both human and robotic activities to extend access to unknown terrains and environments, by means of direct (humans) and/or indirect (automated missions and robots) presence through a systematic approach, including preparatory activities, to open new frontiers for the progress and acquisition of new knowledge, and to present options to extend the range of human actions and inspire future generations” (Advisory Group to the ESA DG on Exploration).

est un projet qui n’a pas de fin, dans lequel on trouve à la fois des activités humaines et des activités robotiques. Une telle définition est très large dans la mesure où les instruments scientifiques qui prolongent nos sens et permettent par exemple d’étudier une exoplanète à l’aide d’un télescope est aussi de l’exploration spatiale. Deux articles2, parus ou à paraître prochainement permettent de faire le point. En fait l’exploration spatiale telle qu’on l’entend généralement se limite aux objets où l’on peut mener des investigations in situ, c’est-à-dire au Système Solaire, et plus précisément aux objets où l’homme pourrait se poser dans un avenir pas trop lointain (dans les prochaines décennies, avant la fin du siècle). Dans cette optique, les cibles sont donc la Lune, Mars ou les astéroïdes géocroiseurs, c’est-à-dire ceux dont l’orbite passe près de la Terre. Par ailleurs, il y aurait des missions purement robotiques vers les planètes géantes et leurs satellites,

258

2. What role for Europe within a future global space exploration approach? (2014). Acta Astronautica, 104, issue 2 ; A truly international lunar base as the next logical step for human spaceflight, à paraître dans Advances in Space Research.

vers Mercure, Venus et vers les petits corps (astéroïdes et comètes). Pourquoi l’homme veut-il explorer l’espace ? Sans parler des motivations irrationnelles, si la science est l’une des motivations importantes de l’exploration, ce n’est ni la seule ni même la principale ; les motivations rationnelles peuvent être de type économique, politique, stratégique, sociétale, scientifique… (Encart : « Les motivations rationnelles pour explorer l’espace »).

2

La planète Mars : une destination privilégiée

Il existe différents forums où l’on parle d’exploration, en particulier un groupe de travail entre agences spatiales appelé l’ISECG (« International Space Exploration Coordination Group »), qui publie un document mis à jour régulièrement (le « Global Exploration Road Map ») pour constituer une feuille de route de ce qui pourrait être un programme d’exploration recueillant l’adhésion la plus large possible. Dans les versions actuelles, une mission « Habitée vers Mars » (Figure 1) est présentée comme l’objectif majeur,

Motivations scientifiques Formation et évolution des systèmes planétaires, émergence de la vie et sa co-évolution avec les environnements planétaires (ESF workshop, Athens, May 2008 : “Science-Driven Scenario for Space Exploration“). Motivations technologiques Stimuler l’innovation, allers-retours entre R&D sol et R&D espace. Motivations politiques Coopération internationale sur des projets ambitieux, moyen de démontrer ses capacités, souveraineté (accès à l’espace). Motivations sociétales Attirer l’intérêt du public et contribuer à son éducation scientifique.

Figure 1 Une mission « Habitée vers Mars », un objectif à long terme de l’exploration spatiale : photo de synthèse d’un homme en combinaison spatiale sur la planète rouge. Source : Bande annonce du film Seul sur Mars (Scott Free Productions, 2015).

avec des étapes intermédiaires vers la Lune et vers les astéroïdes. Dans la déclinaison pratique de cette stratégie, il n’y a pas de chemin unique car les acteurs possibles (les grandes puissances spatiales) poursuivent des objectifs propres qui sont assez divers. 2.1. Les raisons scientifiques Contrairement à la Terre, où l’érosion et la tectonique des plaques ont gommé tous

les terrains anciens, Mars a gardé toutes les traces de son évolution, de sa naissance il y a environ 4,5 milliards d’années, où elle ressemblait beaucoup à la Terre, jusqu’à la planète froide et sèche d’aujourd’hui (Figure 2). C’est aussi la seule planète du Système Solaire avec la Terre où la vie a pu apparaître. Enfin, c’est la seule planète où il semble possible d’envoyer des hommes dans un futur pas trop éloigné, c’est-à-dire avant la fin du siècle.

L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ?

LES MOTIVATIONS RATIONNELLES POUR EXPLORER L’ESPACE

259

Chimie, aéronautique et espace

Figure 2 Simulation de ce à quoi Mars aurait pu ressembler il y 4 milliards d’années comparée à une vue satellite : Mars aurait pu abriter de la vie dans un passé lointain. Source : J.-P. Bibring, IAS (CNRS et Université Paris Sud).

2.2. Un vol habité sur Mars est encore un projet à long terme Cependant, un vol habité sur Mars ne semble pas possible avant longtemps pour de nombreuses raisons : −− une mission martienne est une mission de longue durée (minimum deux à trois ans). De plus, on ne peut pas aller sur Mars ou en revenir n’importe quand, il n’y a des fenêtres d’accès qu’environ tous les deux ans. On peut prévoir soit des missions courtes vers Mars (deux ans) avec un séjour limité à quelques jours, soit des missions longues (trois ans) avec un séjour d’une année environ sur place ; −− une mission de cette durée pose de nombreux problèmes logistiques car pendant ces deux ou trois ans, il faut assurer à l’équipage de l’air, de l’eau, de la nourriture. De plus, pendant ce voyage et pendant le séjour sur Mars, les membres de l’équipage vont être soumis à des doses de radiation extrêmement importantes car ils ne sont pas protégés par l’atmosphère et la magnétosphère terrestres ;

260

−− cela pose aussi des problèmes d’ingénierie car contrairement à la Lune, la gravité martienne est plus

importante, environ deux fois la gravité lunaire. Il faut pouvoir poser un gros véhicule et savoir le faire redécoller. Toutes ces difficultés ne sont aujourd’hui pas résolues et ne le seront sans doute pas avant un certain temps. 2.3. Les missions robotiques : état des lieux et projets en cours En attendant ce futur hypothétique, un certain nombre de missions robotiques sont prévues. A près le robot Curiosity en 2012, une mission est prévue 2020 avec ExoMars 3 (Figure 3). Ces missions robotiques apporteront pour un coût modéré de nombreuses informations scientifiques sur l’histoire de la planète – son histoire climatique, géologique, et peut-être 3. Mission ExoMars : le programme ExoMars regroupe deux missions spatiales à destination de la planète Mars développées par l’Agence spatiale européenne (ESA) avec une participation importante de l’agence spatiale russe Roscosmos. L’objectif de ce programme est l’étude de l’atmosphère de Mars, en particulier la détermination de l’origine du méthane trouvé à l’état de trace ainsi que la recherche d’indices d’une vie passée ou présente sur la planète.

B

biologique –, puis également sur son environnement actuel, voire son habitabilité.

2

L’exploration spatiale habitée

2.1. La Station spatiale internationale (ISS) Dans le domaine des vols habités, la principale réalisation majeure actuellement

opérationnelle est la Station spatiale internationale (ISS) qui tourne au-dessus de nos têtes à 400 km d’altitude (Figure 4). Son assemblage, qui avait commencé en 1998, est en train de s’achever. Il a donc fallu vingt ans pour sa construction, et dans dix ans, il faudra organiser son démantèlement. C’est une entreprise colossale, fort coûteuse, dont on peut essayer

Figure 3 Images de synthèses de robots sur Mars : A) Mars Ascent Vehicle, vue d’artiste ; B) MSL-Curiosity. Sources : A) NASA Science Mission Directorate/Planetary Science Division ; B) NASA-JPL.

L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ?

A

Figure 4 Photo datant de 2001 de la Station spatiale internationale (ISS) avec en arrière-plan la Terre. L’ISS est pour l’instant la seule réalisation majeure en termes de vol habité. Source : ESA/NASA.

261

Chimie, aéronautique et espace

maintenant d’établir un premier bilan. On présente sou vent l a Station spatiale internationale comme un grand labor atoire de recherche en micropesanteur. Il y a une vingtaine d’années, beaucoup d’espérances apparaissaient ici et là, en particulier dans la presse, sur les retombées économiques faramineuses qu’on pouvait attendre des « usines de l’espace » pour fabriquer des produits et des matériaux nouveaux. En fait, ces espoirs ont été déçus : il n’y a pas de matériaux de l’espace d’intérêt économique, et les seuls industriels qui en ont retiré un bénéfice sont ceux du secteur spatial, comme à l’époque de la ruée vers l’or, ou les seuls qui tiraient vraiment leur épingle du jeu étaient ceux qui vendaient les pelles ! Cela ne veut pas dire que la recherche en microgravité 4 n’a pas de valeur : d’excellentes recherches scientifiques sont réalisées à bord de la station spatiale, par exemple sur les fluides critiques 5 ou sur les sciences de la vie, mais il faut reconnaitre qu’aucune percée majeure n’est apparue. On peut dire

262

4. Microgravité : état d’un corps tel que l’ensemble des forces gravitationnelles et inertielles auxquelles il est soumis possède une résultante très faible par rapport à la pesanteur à la surface de la Terre. 5. Fluide supercritique : fluide dans un état de la matière particulier, ayant des propriétés intermédiaires entre celles de l’état gazeux et celles de l’état liquide. Un fluide devient supercritique lorsqu’il est soumis à une température ou pression élevée (au-delà du point critique de la transition liquide-gaz).

que du point de vue des retombées des applications de la recherche en micropesanteur, c’est surtout le secteur spatial lui-même qui en a profité. Par exemple les études sur le comportement des fluides en apesanteur ont profité aux entreprises qui conçoivent des systèmes spatiaux, des réservoirs, de la propulsion, etc. Au sujet des recherches sur la science de la vie, cela permet de mieux suivre médicalement les équipages des missions habitées et de les prémunir contre les effets délétères de l’environnement spatial, de l’apesanteur, des radiations, etc. En fait, le principal résultat de la construction de cette station spatiale internationale est politique : elle a permis à ses partenaires, c’est-à-dire les Américains, les Russes, les Européens, les Japonais, les Canadiens, de travailler ensemble sur un très grand projet international. 2.2. Les projets chinois Il ne faut pas oublier les Chinois dans les grandes puissances spatiales. Les Américains avaient refusé aux Chinois l’accès à la Station spatiale internationale ; les Chinois ont donc décidé de développer leur propre système de vol habité, avec les capsules ShenZhou, et ils ont des stations spatiales visitables qui s’appellent TianGong 1 et 2. Ils ont un nouveau projet pour la prochaine décennie de station spatiale qui ressemblera beaucoup à l’ancienne station soviétique Mir (Figure 5).

Il est important de souligner à travers l’exemple de la Station spatiale internationale l’importance de la coopération multilatérale dans le domaine spatial, non seulement à cause des coûts très élevés des grands projets spatiaux, en particulier ceux concernant les vols habités, mais aussi parce ce que les projets coopératifs internationaux sont plus robustes en cas de fluctuation politique ou budgétaire de l’un des pays partenaires. Un équipage de six personnes tourne actuellement à 400 km au-dessus de nos têtes dans la Station spatiale internationale, et cela fait depuis bientôt un demi-siècle qu’il y a des vols habités en orbite basse. Il faut maintenant concevoir dans le domaine de l’exploration habitée un programme au-delà de l’orbite basse et qui soit bâti dans une

perspective à très long terme. En attendant, l’utilisation de la Station spatiale devra être optimisée de façon à préparer ces étapes ultérieures. Il f au dr ai t e s s a y e r d e construire une coopération entre les grands pays spatiaux en vue de définir un tel programme d’exploration, qui fasse intervenir aussi bien des missions robotiques que des missions habitées. C’est un mega-programme, un programme de programmes à très long terme dans lequel tous les partenaires potentiels, toutes les grandes nations spatiales, ne participeront pas à toutes les étapes, mais devront avoir une stratégie commune.

Figure 5 TianGong 3, le nouveau projet spatial chinois : un vaisseau spatial de 60 tonnes, 28 mètres de large, dont la construction commence en 2018. Source : CNSA et China Daily.

L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ?

2.3. L’intérêt de la coopération internationale

2.4. Le projet d’une base lunaire : un objectif ambitieux à moyen terme Parce que l’homme est déjà allé sur la Lune et que nous connaissons sensiblement le coût pour y retourner, le

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Chimie, aéronautique et espace

seul objectif ambitieux de vol habité réalisable à moyen terme, c’est-à-dire dans les vingt ans, serait une base lunaire (Figure 6).

il est nécessaire que la communauté scientifique y trouve son intérêt et soutienne le projet, ce qui n’était pas le cas du programme de l’ISS.

Cette base lunaire devrait être un programme international comme l’ISS mais beaucoup plus large : avec les Américains, les Russes, les Européens, les Japonais, les Canadiens mais avec aussi avec d’autres partenaires tels que les Indiens ou les Chinois. Le coût élevé d’un tel programme de base habité sur la Lune n’est pas hors de portée si tous ces pays y participent.

L’hypothèse d’une base lunaire peut recevoir un soutien scientifique important car on peut mener de très bonnes activités scientifiques sur la Lune. Il y a les « sciences de la Lune », pour étudier par exemple la formation du Système Solaire et l’origine du système TerreLune, et les « sciences sur la Lune », celle-ci pouvant être un excellent observatoire ; par exemple, on peut y implanter sur la face cachée un observatoire de radioastronomie, alors qu’il devient de plus en plus difficile d’implanter sur Terre ce genre d’observatoire à cause des perturbations radioélectriques.

2.4.1. L’intérêt politique

Figure 6 Simulation futuriste de l’aspect que pourrait avoir une base lunaire. Le projet de base lunaire est le seul objectif réalisable à moyen terme. Source : ESA.

264

La science, on l’a dit, n’est ni la seule ni la principale motivation de l’exploration spatiale et c’est surtout la politique qui en est le principal moteur, le principal résultat de l’ISS étant d’avoir permis de faire travailler ensemble les grandes puissances mondiales. Cependant, pour faire accepter un énorme effort budgétaire à très long terme,

2.4.2. Quelques rappels historiques des programmes lunaires Pendant l’époque de la Guerre Froide, il y avait la course à la Lune entre les Américains, qui

Ensuite, après l’arrêt du programme Apollo, il y a eu un désintérêt assez général pour notre satellite, d’où des dizaines de kilos d’échantillons avaient déjà été rapportés tant par les missions Apollo que par les missions Lunakhod.

fragment d’astéroïde géocroiseur7, à le rapporter au voisinage de la Lune pour le mettre en orbite lunaire puis envoyer un équipage pour faire des prélèvements et l’étudier. Le rationnel scientifique d’une telle démarche est douteux, et finalement la mission a été annulée. Maintenant, le spatial, ne semble pas être la priorité de la nouvelle administration Trump, qui parle d’une station en orbite lunaire, peut-être d’un retour sur la Lune, mais rien n’est encore décidé. 2.4.3. L’organisation d’une base lunaire internationale

Depuis les années 1990, on assiste à un regain d’intérêt, un certain nombre de pays ont lancé des missions robotiques vers la Lune : les États-Unis eux-mêmes, l’Inde, la Chine et le Japon. Depuis le lancement de la Station spatiale internationale, les Américains ont initié pendant la présidence Bush un programme lunaire appelé « Constellation », qui a été annulé pendant la présidence Obama. Celui-ci a initié un programme de remplacement qui incluait le développement d’un lanceur lourd et d’un véhicule habité Orion. Dans un premier temps, on ne savait pas trop ce qu’on allait en faire, ensuite Mars a été désignée comme la cible privilégiée. Puis on a imaginé des étapes intermédiaires comme une mission ARM6 (« Asteroid Redirect Mission »), qui consistait à envoyer un robot chercher un astéroïde ou un

De même que la coopération internationale mise en place pour l’ISS a eu comme retombée une relation apaisée entre ses partenaires, on peut imaginer à travers la construction de cette base lunaire internationale l’établissement d’une relation apaisée entre ces mêmes partenaires et les nouveaux venus en particulier la Chine. Rappelons-nous que la mission Apollo-Soyouz dans les années 1970 a été le début d’une détente entre le bloc américain et le bloc soviétique (Figure 7). Dans la mesure où les économies des différents partenaires sont fortement interdépendantes, cela devrait rendre cette coopération beaucoup plus facile.

6. Mission ARM (« Asteroid Redirect Mission ») : mission qui consiste à capturer un astéroïde.

7. Astéroïde géocroiseur : astéroïde dont l’orbite est à proximité de la Terre.

L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ?

ont développé le programme Apollo, et les Russes, qui avaient développé un certain nombre de missions robotiques, en par ticulier les missions Lunakhod, qui ont rappor té des échantillons lunaires. Les Russes avait eux aussi un programme de vol habité, qui, malheureusement pour eux, a échoué.

La base lunaire internationale pourrait être organisée comme dans les Bases Antarctiques où les équipes internationales coopèrent entres elles : elles mènent des

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Chimie, aéronautique et espace

Figure 7 Un satellite russe et un satellite américain se touchent dans l’espace : la mission Apollo-Soyouz est le symbole des retombées politiques apaisées de la coopération spatiale internationale (vue d’artiste). Source : NASA & AFP.

activités scientifiques, elles sont relevées périodiquement, et il existe un traité de l’Antarctique qui énonce ce qu’il est possible de faire ou ne pas faire. Il existe déjà un traité sur l’activité spatiale signé en 19678 sous l’égide d’un service international dépendant des Nations Unies, le COPUOS9, qui encadre les activités dans le domaine de l’espace. Divers modèles d’organisation peuvent être envisagés, soit une seule base internationale, soit plusieurs bases qui coopèrent et pour lesquelles les différents partenaires pourraient mettre en commun un certain nombre de choses : des servitudes, des moyens de télécommunication, des

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8. Treaty on Principles Governing the Activities of States in the Exploration and Use of Outer Space, including the Moon and Other Celestial Bodies. 9. COPUOS : Comité des Nations Unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique.

protocoles de télécommunication, du transport de fret. Une étape préliminaire pourrait être ce qu’on appelle le « village robotique », projet qui a été développé par un groupe de travail appelé l’« International Lunar Exploration Working Group ». Ce projet est actuellement repris par la direction de l’Agence spatiale européenne (ESA) (Figure 8). Il a pour objectif de faire coopérer des missions robotiques lunaires de différents pays pour leur apprendre à travailler ensemble et aller vers ce qui serait une ou des bases lunaires habitées. 2.4.4. La gouvernance d’un programme lunaire international Un tel programme d’exploration, dans la mesure où il est international, nécessite une gouvernance adaptée sachant que dans un programme d’exploration, il y a des aspects politiques et des aspects programmatiques et techniques.

Si on développe un programme d’exploration, il faudra mettre en place une gouvernance. La Station spatiale internationale a son propre mode de gouvernance : il y a un « International Gouvernemental Agreement », qui est un traité entre les par ties prenantes, et un nombre de « Memorandum of Understanding » entre agences spatiales, qui précisent qui fait quoi.

Au niveau politique, il existe un forum international, l’International Space Exploration Forum (ISEF), qui réunit en principe les ministres chargés de l’espace afin qu’ils échangent et définissent une politique commune. Cette plateforme s’est déjà réunie à deux reprises : une première fois à Lucques en Italie en 2012, une deuxième fois à Washington en 2014, puis en Mars 2018 à

Mais un tel schéma ne serait pas directement applicable pour le projet d’une base lunaire dans la mesure où la station spatiale est un objet unique avec une durée de vie limitée, alors que le projet lunaire est un projet à très long terme, peut-être même sans fin, avec de nombreux partenaires. Il faudra donc mettre en place quelque chose de nouveau, et il semble que

L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ?

Au niveau programmatique et technique, un certain nombre de groupes de travail existent déjà : l’ILEWG qu’on a évoqué plus haut, l’IMEWG, qui est son homologue pour les affaires martiennes, l’International Space Exploration Coordination Group mentionné précédemment pour s a « Global E xplor ation Roadmap ». Ces groupes de travail sont des forums d’échanges, d’informations, les participants peuvent se mettre d’accord sur des standards de télécommunication communs, ce qui permet par exemple aux missions européennes de pouvoir utiliser les moyens de réception de la NASA par exemple pour leur mission dans l’espace lointain.

Tokyo. Cette réunion a été précédée par deux réunions préparatoires co-organisées par l’Agence spatiale européenne et la Commission Européenne à Prague et à Bruxelles. Au niveau politique, il existe aussi le COPUOS, qui veille à réfléchir et à légiférer sur tous les aspects légaux du domaine spatial.

Figure 8 Des robots fonctionnent sur le sol lunaire avec la Terre en arrièreplan. La création d’un village robotique lunaire serait le premier pas vers un travail international commun. Source : ESA.

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Chimie, aéronautique et espace

ce soient les Nations Unies et le COPUOS qui pourraient être les garants des aspects légaux de cette entreprise.

sur les satellites et sur les moyens de communication terrestres. Il doit aussi garantir un accès à l’espace pour les pays européens.

3

En ce qui concerne l’exploration, il y a peu de choses dans le programme actuel « Horizon 2020 », qui se termine en 2021, et il est vraisemblable qu’il en sera de même dans le futur programme cadre de l’Union Européenne en cours de préparation.

L’Europe et l’exploration spatiale

En Europe, le spatial est depuis le traité de Lisbonne une compétence partagée entre l’Union Européenne et ses États membres. L’Europe Spatiale repose sur trois piliers : l’Union Européenne, l’Agence spatiale européenne et leurs États membres (Encart : « L’Europe spatiale »). Le « Space Council », qui rassemble les ministres de l’Union Européenne chargés de l’espace, émet un certain nombre de recommandations. Les programmes spatiaux phares de l’Union Européenne sont Galileo pour la navigation et Copernicus pour le suivi de la planète et notamment du suivi du changement climatique. Le progr amme « Space Situation Awareness » concer ne les problèmes liés aux débris, aux orages magnétiques, aux per turbations de l’activité solaire

Le budget de l’Agence spatiale européenne pour le programme d’exploration est de l’ordre de 500 millions à 1 milliard par an pour toute l’Europe : avec environ 300 millions pour l’ISS, auxquels il faut ajouter les missions scientifiques robotiques et les contributions des États membres en matière d’instrumentation. Quelques chiffres sont donnés dans l’Encart : « Évaluation prévisionnelle d’une participation européenne en matière de vols habités ». Un atterrisseur robotique lunaire coûterait environ 500 millions d’euros. La

L’EUROPE SPATIALE « Space exploration is a political and global endeavour and Europe should undertake its action within a worldwide programme, without any monopoly or appropriation by one country, the different actors taking part with their own capacities and priorities » (5th Space Council, September 2008). « the need to assess the possibilities offered by the EU policies to embed space exploration in a wider political perspective and, recognizing that space exploration has the potential to provide a major impact on innovation, looks forward to the Commission proposed High-Level Political Conference on Space Exploration, on the basis previously agreed in the Space Council, as a first step towards the elaboration in due time of a fully-fledged political vision on “Europe and Exploration” encompassing a long-term strategy/roadmap and an international cooperation scheme » (6th Space Council, September 2009). 268

−− Opération et utilisation de l’ISS : environ 285 M€/an pour l’Europe (2008-2021) et 8 % des droits ; −− Lunar Lander Mission (projet d’atterrisseur Européen robotique sur la surface lunaire) : 500-600 M€ (estimation DLR) ; −− ExoMars (deux missions coopératives ESA-Roscosmos en 2016 and 2020) : environ 1 200 M€ pour l’Europe ; −− développement d’une capacité Européenne autonome de vol habité vers l’orbite basse (LEO) : 8 à 12 G€ sur une période de dix ans (estimation CNES) ; −− 1re mission robotique Mars Sample Return : 4 à 6 G€ partagés entre l’Europe et les ÉtatsUnis ; −− réalisation d’une 1re mission habitée à la surface de la Lune : 60 à 80 G€ (estimation CNES) ; −− réalisation d’une 1re mission habitée à la surface de Mars : 600 à 800 G€ (estimation CNES).

mission robotique européenne sur la surface de Mars, ExoMars, est évaluée à 1,2 milliards. Les estimations établies par le CNES il y a quelques années du coût pour une capacité autonome européenne en matière de vol habité sont de l’ordre de 10 milliards d’euros sur une période de dix ans, soit 1 milliard par an. Une mission robotique de retour d’échantillons mar tiens coûterait quelques milliards d’euros à partager entre les différents partenaires (Europe et ÉtatsUnis). Pour une mission habitée à la surface de la Lune, il faudrait quelques dizaines de milliards d’euros. Dans la mesure où elle serait possible techniquement, pour une mission habitée à la surface de Mars, il faut prévoir un ordre de grandeur supplémentaire, soit environ 500 milliards d’euros. Ce sont donc des chiffres qui peuvent faire peur sachant qu’on n’est plus dans une pér iode où les robinet s

budgétaires coulent sans limites et que l’exploration spatiale n’est pas une priorité des politiques publiques. Pour intéresser les Européens à un programme d’exploration internationale, il faudrait se focaliser sur des éléments critiques et ne pas être simplement les soutiers d’autres grands acteurs comme les États-Unis. C’est ce que font par exemple les Canadiens pour la station spatiale : ils ont une spécialité unique, le bras robotique. Il faudrait que les Européens trouvent leur créneau en se basant sur leurs compétences (Encart « Le savoir-faire européen »), leurs priorités et la complémentarité avec les autres acteurs afin d’éviter les redondances.

L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ?

ÉVALUATION PRÉVISIONNELLE D’UNE PARTICIPATION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE VOLS HABITÉS

L’Europe pour r ait aus si par ticiper à la R&D dans de nombreux domaines de l’exploration spatiale (Encart « Les technologies pour l’exploration spatiale ») : −− la propulsion et toutes les technologies pour l’entrée,

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Chimie, aéronautique et espace

LE SAVOIR-FAIRE EUROPÉEN −− Lanceurs : Ariane 5 puis Ariane 6 ; −− Rendez-vous et amarrage automatique : ATV (« Automated Transfer Vehicle ») ; −− Rentrée terrestre : ARD (« Automated Re-entry Demonstrator ») ; −− Missions robotiques pour l’exploration scientifique : Giotto, Huygens, Mars Express, Venus Express, Rosetta, Bepi Colombo, ExoMars ; −− Vol habité : Spacelab, Columbus, astronautes européens sur MIR et sur l’ISS.

la descente, l’atterrissage, la remontée, ainsi que tout ce qui concerne les rendez-vous en orbite, que ce soit un rendez-vous entre véhicule habité pour les missions Apollo ou un rendez-vous automatique en orbite martienne pour une mission de retour d’échantillons martiens par des robots ; −− la rentrée dans l’atmosphère terrestre à grande vitesse ; −− comment produire de l’énergie, comment la stocker ; −− tout ce qui concerne le support vie. Pour les équipages, le support vie c’est la santé mais c’est aussi tout ce qui a trait au

recyclage de l’air et de l’eau, la gestion des déchets ; −− la robotique, l’automatisme et aussi l’intelligence artificielle. Ce point est important : aujourd’hui, l’exploration associe l’homme et le robot avec un poids relatif de chacun qui sans doute évoluera. On peut penser qu’avec les progrès croissants de l’intelligence artificielle, la place de l’homme va peut-être diminuer. On ne l’utilisera que s’il est vraiment indispensable. Sur Terre, dans les environnements particulièrement dangereux comme le fond des océans ou les cen-

LES TECHNOLOGIES POUR L’EXPLORATION SPATIALE −− propulsion interplanétaire −− technologies EDL (« Entry, Descent, Landing ») −− technologies Planetary Ascent Vehicle −− rendez-vous automatique et amarrage en orbite/capture −− rentrée atmosphérique à grande vitesse −− production et stockage d’énergie −− support vie : air/eau/recyclage des déchets, nourriture, santé −− automatique & robotique : pour les missions robotiques et en support à l’équipage pour les missions habitées −− intelligence artificielle 270

−− Éléments de support vie −− Robotique pour des missions inhabitées et pour assister l’équipage des missions habitées −− Systèmes automatiques de rendez-vous et d’amarrage en orbite −− Véhicule automatique de transport de fret −− Deep Space Habitat, module d’habitation dans l’espace lointain −− Landers et rovers automatiques, navigation autonome −− Desserte d’une base lunaire (véhicule de surface, module d’habitation, production et stockage d’énergie).

trales nucléaires, on essaie déjà de limiter au maximum la présence humaine. Or l’espace est un lieu particulièrement dangereux ou il ne faut envoyer les hommes qu’à bon escient. La participation de l’Europe à l’exploration spatiale représente un gros investissement pour lequel les États Européens ne semblent actuellement pas prêts. On peut imaginer en revanche que les Européens participent à un programme international où ils se spécialiseraient dans les aspects logistiques et technologiques, alors que le transport d’équipage serait assuré par d’autres, par exemple les Chinois, les Russes ou les Américains (Encart « Les aspects logistiques et

technologiques possibles pour l’Europe »). Dans cer tains documents, on voit apparaître le mot « exploitation » de l ’espace Aujourd’hui, certains pensent sér ieusement à exploiter les astéroïdes en envoyant des robots pour y faire de la prospection et de l’exploitation minière. Il faut cependant noter qu’aujourd’hui ce projet est peu compatible avec les traités existant s, et c’est pourquoi certains pays songent à modifier ceux-ci. Il est nécessaire que ces aspects légaux soient traités de façon sérieuse, et il semble que l’ONU et le COPUOS sont le meilleur théâtre pour discuter de ces aspects.

L’exploration spatiale : quelles perspectives et quelle place pour l’Europe ?

LES ASPECTS LOGISTIQUES ET TECHNOLOGIQUES POSSIBLES POUR L’EUROPE DANS UN PROGRAMME INTERNATIONAL D’EXPLORATION SPATIALE

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