Prospective technologique: Un guide axé sur des cas concrets 9782759818167

Comment imaginer et construire le monde de demain ? La technologie y aura sa place à condition qu’elle puisse s’insérer

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Prospective technologique: Un guide axé sur des cas concrets
 9782759818167

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Prospective technologique Un guide axé sur des cas concrets

Nathalie Popiolek

Dans la même collection : Comprendre les facteurs humains et organisationnels : Sûreté nucléaire et organisations à risques – Benoît Bernard 2014, ISBN : 978-2-7598-1185-4 Introduction à l’ingénierie des installations nucléaires – Georges Sapy 2012, ISBN : 978-2-7598-0714-7

Retrouvez tous nos ouvrages et nos collections sur http://laboutique.edpsciences.fr

Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-1727-6 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2015

À leur avenir.

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Remerciements

L’auteure tient à remercier très sincèrement Lionel Montoliu, responsable à l’INSTN du master management de la technologie et de l’innovation (MTI), pour sa confiance dans l’enseignement d’une méthodologie originale de prospective technologique. Durant plusieurs années consécutives, il a cherché, auprès de professionnels travaillant au sein du CEA ou d’autres centres de recherche, d’organismes de santé, d’entreprises industrielles privées ou encore de cabinets de conseils, des sujets de prospective technologique propre à leur domaine d’investigation. C’est grâce à l’application de la méthodologie sur des cas concrets et réels que celle-ci s’est améliorée et a pu faire l’objet de ce guide. Que tous les professionnels impliqués soient remerciés ainsi pour leur contribution : Ademe, Altran, ANR, CEA, CIRAD, CNES, Deloitte Consulting, IFREMER, Ifsttar, INES, La Poste, Réunica, TASDA, TECHNIP, Tech2Market…, la liste n’est pas exhaustive. And last but not least, les étudiants, qu’ils aient une formation technique ou de sciences humaines et sociales, ont par leurs questionnements, leurs difficultés et in fine leurs réalisations sous forme de rapports, fortement contribué à la concrétisation de ce manuel. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés et encouragés à continuer leur réflexion prospective en tant que professionnels de l’innovation.

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Sommaire

Remerciements...............................................................................................

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Préface ............................................................................................................ 11 Introduction .................................................................................................. 15 Plan du guide ........................................................................................ 17 Chapitre 1 s 1UEST CEQUELAPROSPECTIVE$OÂVIENT ELLE........................ I. Composantes de la prospective .............................................................. II. Origines................................................................................................. III. Prospective contemporaine .................................................................... Conclusion ......................................................................................................

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Chapitre 2 s 0ROSPECTIVEETINNOVATIONTECHNOLOGIQUEGRANDES£TAPES d’une méthodologie ................................................................ I. Définitions et concepts utiles pour la prospective technologique ............ II. Étapes d’une prospective technologique ................................................. III. Croyances du décideur...........................................................................

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Prospective technologique

En guise de conclusion, nous résumons les étapes de la méthodologie prospective ........................................................................ 48 Chapitre 3 s "ONNESQUESTIONSÜSEPOSERPOURAPPR£HENDER la technologie et son contexte .................................................. I. Analyse systémique : le propre de la prospective ..................................... II. Questions pour réaliser l’état de l’art technologique : cas du captage, stockage du carbone............................................................................... III. Enjeux socio-économiques de l’innovation ............................................ En guise de conclusion ....................................................................................

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Chapitre 4 s 6ARIABLESASSOCI£ESAUSYSTáMETECHNOLOGIQUEETÜSES enjeux : le mapping .................................................................. ) 6ARIABLEAUC“URDUSUJETPROSPECTIF ...................................................... )) 6ARIABLESQUICONDITIONNENTLAVARIABLEC“URETSON£VOLUTION ................ III. Classement des variables en sous-systèmes « disciplinaires » ................... )6 2ISQUES RUPTURESENVISAGEABLESET&0! .................................................. 6 &ICHESVARIABLESUNERECHERCHEDEDONN£ES ........................................... Conclusion ......................................................................................................

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Chapitre 5 s !CTEURSDUSYSTáMEAVECANALYSEAPPROFONDIEDESOBJECTIFS du décideur et de ses moyens d’action ..................................... I. Panorama des acteurs du système ........................................................... )) )LLUSTRATIONSAVECLEC“URARTIFICIELETLESFILIáRESPHOTOVOLTAÉQUES............. III. Attention particulière portée à un acteur clé : le décideur....................... Conclusion ......................................................................................................

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Chapitre 6 s 0ROJECTIONDUSYSTáMEQUELLED£MARCHEQUELSOUTILS .......... I. Projection du système technologique ..................................................... II. Erreurs dans la prévision technologique : essai d’explication .................. III. Place à la prospective technologique ...................................................... Conclusion ......................................................................................................

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Chapitre 7 s #ONSTRUCTIONDESSC£NARIOS ...................................................... ) #OMMENTSYPREND ON ....................................................................... II. Application sur un premier cas d’école : la fixation biologique de l’azote de l’air par le blé ..................................................................... ))) !PPLICATIONSURUNSECONDCASD£COLELEC“URARTIFICIEL ........................ Conclusion ......................................................................................................

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Sommaire

Chapitre 8 s 0ROSPECTIVETECHNOLOGIQUEETANALYSEMULTICRITáRE .................... I. Étude de cas : mobilité solaire, technologies et enjeux associés ............... II. Actions à mener en faveur de la mobilité solaire ..................................... III. Critères pour évaluer les actions de l’État ............................................... )6 3C£NARIOSDECONTEXTEETSTRAT£GIES .......................................................... Conclusion ......................................................................................................

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Conclusion générale ...................................................................................... I. Définition du sujet de prospective technologique .................................. II. Mapping de variables.............................................................................. III. Tableau d’acteurs et objectifs du décideur .............................................. )6 0ROJECTIONDUSYSTáMEPARSC£NARIOSLER¹LEDELIMAGINATION ................. 6 !IDEÜLAD£FINITIONDELASTRAT£GIEDUD£CIDEUR .......................................

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Bibliographie ................................................................................................. 177

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Préface

Un retour aux sources En acceptant de préfacer le livre sur la prospective technologique de Nathalie Popiolek, j’ai pris un bain de jouvence car son ouvrage m’a ramené quarante-cinq ans en arrière. %NEFFET EN JESORTAISDIPL¹M£DEL).34.AVECUN$%!TRáSINNOVANTD£CONOMIE DE LA 2$ OÂ SE MäLAIENT £CONOMISTES ET SCIENTIFIQUES1. C’était presque la fin des trente glorieuses et de la croyance partagée dans le progrès technique comme moteur de la croissance. C’était aussi le début de la crise de la prévision technologique et économique et de l’essor de la prospective. Ce que j’ai appris à l’INSTN des méthodes d’analyse de systèmes et de recherche opérationnelle m’a permis de mieux comprendre les limites des approches économéTRIQUESOÂLONRAISONNETOUTESCHOSES£GALESPARAILLEURS-AISAUSSI CELAAR£V£L£LIMpuissance des réflexions collectives pour aborder la complexité sauf à avoir recours aux outils d’analyse de systèmes aussi rigoureux que possible. Dans le domaine de l’énergie et la prospective du nucléaire, je dois au département des programmes 1. Il existe toujours sous l’appellation « Master Management de la technologie et de l’innovation » et il en est largement question dans cet ouvrage…

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Prospective technologique

du CEA de m’avoir permis, sous prétexte de service militaire (bien pacifique), de développer de nouvelles méthodes de prospective pour identifier les variables clés par la méthode MICMAC puis de probabiliser les scénarios par la méthode SMIC Prob-Expert. Quarante ans après, les résultats de ces méthodes appliquées au cas étudié à l’époque (celui du développement de l’énergie nucléaire) restent pertinents et d’une étonnante actualité comme je n’ai cessé de le rappeler dans mes manuels de prospective stratégique. Passant de la recherche au développement, en devenant CONSULTANT JAIMäMEFAITDECETTEBO¦TEÜOUTILSUNDESFACTEURSDEDIFF£RENTIATION de l’École française de prospective, puisqu’aux États-Unis, la fin de la guerre du 6IETNAM SONNAITPROVISOIREMENT LEGLASDESAPPROCHESRATIONNELLESETDE LACONFIANCENAÉVE DANSLAPROSPECTIVETECHNOLOGIQUE Cette boîte à outils s’est enrichie à la fin des années 1980 de la méthode Mactor (pour l’analyse du jeu des acteurs). Je dois aux enseignements de cette époque assurés par les professeurs Raymond Saint-Paul et Pierre Frédéric Ténière-Buchot, de MäTRE SOUVENU EN  DANS UNE £TUDE SUR LES ARMEMENTS FUTURS DE LANALYSE morphologique dont parlait Erich Jantsch dans son fameux ouvrage « La prévision technologique », maintenant disponible en ligne. Depuis, l’analyse est utilisée de façon quasi systématique et parfois abusive pour construire des scénarios. Le succès international de ces méthodes accessibles en ligne sur Internet grâce au financement du Cercle des Entrepreneurs du Futur (www.laprospective.fr) ne se dément pas puisque depuis 2003 nous avons enregistré plus de 70 000 téléchargements dont un tiers en espagnol. En lisant l’ouvrage de Nathalie Popiolek, on pourra vérifier que le CEA reste une pépinière de prospective et un champ unique d’expérimentation de méthodes sur des questions liées au changement technique. L’approche est technology push : on part d’un changement ou d’une rupture technique et on explore les scénarios d’impact et de rétroaction économique et sociale. C’est bien utile pour les centres de recherche. Cependant Nathalie s’attache à montrer qu’il ne faut surtout pas oublier le social pull c’est-à-dire la réponse technique, économique et sociale aux besoins économiques, sociaux et environnementaux de la société. Un des axes de recherche majeur au CEA est bel et bien la mise au point de technologies énergétiques décarbonées pour lutter contre le réchauffement climatique, ce qui constitue un enjeu sociétal fort. Mais n’oublions pas que l’appropriation des techniques est nécessaire pour éviter les rejets. Et, rappelons aussi que l’innovation n’est qu’à 20 % technique et à 80 % sociale, commerciale, organisationnelle et financière et que c’est faute de l’avoir oublié que la France est réputée pour ses succès techniques et ses échecs commerciaux2. L’écosystème que constitue le CEA avec les centres de recherches publics est bien vivant. Je n’ai rien fait pour chercher à garder le contact avec cette matrice d’origine à qui je dois tant. J’étais trop absorbé par les enjeux économiques et sociaux de notre monde en mutation. D’une façon générale, les centres de recherche publics restent marqués par le biais naturel de la prévision technologique qui ne s’est que 2. Michel Godet (sous la direction), Créativité et innovation dans les territoires, Rapport du CAE N° 92, 2010.

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Préface

partiellement imprégnée des apports philosophiques à la prospective de Maurice Blondel et de Gaston Berger. Un écosystème pour rester vivant doit demeurer ouvert et se méfier de l’autarcie. La synergie entre les sciences humaines et sociales (SHS) et les sciences de l’ingénieur est une voie d’ouverture très bénéfique qui sera renforcée grâce à la nouvelle Université Paris-Saclay fédératrice de recherches complémentaires, dans laquelle le CEA est membre fondateur. J’aurais aimé taquiner Nathalie sur le concept de « variables motrices ». J’ai mis vingt ans à l’occasion de la traduction en anglais de l’un de mes ouvrages pour me rendre compte qu’il s’agit de variables influentes/dépendantes et que moteur s’oppose à frein. Depuis lors j’ai parlé de variables influentes et dépendantes… Mais ces détails sont secondaires. Nous aurions pu débattre aussi des cinq conditions pour la rigueur : pertinence, cohérence, vraisemblance, importance, transparence. Ou encore sur la manière de croiser scénarios et stratégies, notamment avec une approche multicritère comme cela est proposé au dernier chapitre, car cela reste difficile à mettre en pratique. Sur les nouvelles méthodes participatives comme les ateliers de prospective stratégique et notamment la chasse aux idées reçues pour sortir de la boîte des idées conventionnelles. Saluons l’artiste. Il y a beaucoup d’études et d’exercices de prospective mais peu d’auteurs se lancent dans une rédaction, toujours pénible (il est difficile et fastidieux de faire simple et clair). Par expérience personnelle, je sais combien écrire un manuel est un effort de l’auteur POURAIDERLESAUTRESxBEAUCOUPPLUSINGRATQUILNYPARA¦T)LFAUTÜLAFOISäTRE pédagogue, académique mais pas trop, savoir s’adresser à des publics aussi variés que les étudiants en Master et en Écoles doctorales, le personnel des ministères, des organismes publics tels l’ADEME, l’ANR ou encore des entreprises publiques et privées. Les besoins sont en effet bien différents entre l’étudiant qui voudra des fondations théoriques solides et le cadre d’entreprise qui cherchera des exemples proches de son secteur. L’ouvrage, écrit par Nathalie Popiolek, Expert Senior en économie au CEA et Professeur à l’Université Paris-Saclay, relève ce défi. Les nombreux exemples montrent que la prospective peut s’appliquer à des domaines technologiques aussi variés que les sciences du vivant, la recherche en médecine, les nouvelles technologies de l’énergie, les technologies de l’information et de la communication (TIC) ou encore l’industrie spatiale… La publication de ce manuel favorise la diffusion des méthodes de l’École française de prospective qui sont singulières dans le monde en ce sens qu’elles sont à la fois rationnelles et véritablement orientées vers l’aide à la décision, en explicitant au décideur les éléments qui lui permettent de façonner son destin. Michel Godet Membre de l’Académie des Technologies Président du Cercle des Entrepreneurs du Futur

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Introduction

« Qui ne se préoccupe pas de l’avenir lointain se condamne aux soucis immédiats. » ,ES%NTRETIENSDE#ONFUCIUS 86 

L’objectif de ce manuel est de donner une trame méthodologique ainsi qu’une boîte à outils pour réaliser des analyses de prospective technologique. Étant donné un PROJETDINNOVATIONENLIENAVECUNSYSTáMETECHNOLOGIQUE ONDOITäTRECAPABLEDE répondre à la question suivante : quelles sont les chances de succès de ce nouveau concept technologique et dans le cas où ses effets seraient bénéfiques, qu’est-ce que le décideur (créateur, financeur, utilisateur potentiel ou puissance publique) doit actionner pour permettre sa diffusion dans de bonnes conditions ? Pour ce faire, on a choisi de se situer à la frontière de plusieurs champs disciplinaires en empruntant à chacun d’eux leur philosophie, leurs méthodes, leurs outils afin de créer un cadre d’analyse cohérent et approprié à la problématique soulevée. Comme on le verra, un des premiers champs disciplinaires mobilisés est la prospective. On s’inspire largement de sa philosophie et on reprend (ou on cite) grands

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Prospective technologique

nombres de méthodes mises au point par d’éminents prospectivistes, notamment ceux de l’école française, qui s’appuient sur une analyse systémique considérant un large panel de variables économiques, sociétales, organisationnelles ou politiques. Cependant, à notre connaissance, ces méthodes n’ont pas été conçues pour analyser, comme le ferait un chercheur en physique, chimie, biologie ou médecine, les variables du système technologique associées à l’innovation étudiée. Et c’est justement par la compréhension des variables qui ont trait à la technologie, à son fonctionnement, à ses mécanismes, à ses lois et ses verrous que l’on peut espérer évaluer si l’innovation a des chances de percer ou pas. On s’appuie alors sur la prévision technologique qui met à notre disposition une boîte à outils conséquente pour étudier et projeter l’objet technologique. Mais attention, la prévision, qu’elle soit technologique ou pas, n’est pas en honneur de sainteté parmi les décideurs. Les modèles de prévision se sont trompés car on ne « prévoit » pas l’avenir avec un nombre restreint de variables comme ils le proposent. Notre idée est alors d’utiliser les modèles de prévision technologique en les plongeant dans un système socioéconomique beaucoup plus vaste afin d’étudier les interactions entre les différents types de variables (technologiques, économiques, sociologiques…), d’analyser le jeu des acteurs présents et potentiels, puis de construire plusieurs avenirs en suivant un éventail d’hypothèses sur la valeur future des variables ; ce sont les scénarios. Une autre question se pose alors : parmi tous ces futurs possibles, y en a-t-il qui SOIENTPLUSROSESQUEDAUTRESROSESPOURQUIROSESCOMMENT On ne peut y répondre sans avoir identifié, premièrement quel est le décideur à l’origine de l’analyse prospective technologique et, deuxièmement, quels sont ses OBJECTIFS,IDENTIFICATIONDESOBJECTIFSPR£CáDELAD£FINITIONDESCRITáRESUNCRITáRE par objectif ) et l’estimation de leur pondération afin de pouvoir comparer ensuite les différents scénarios entre eux. Compte tenu de ses leviers d’action, ses forces, ses faiblesses par rapport aux autres acteurs et des tendances lourdes mais aussi des germes de changements radicaux (ruptures), la finalité de la prospective technologique est de donner au décideur la marche à suivre pour qu’à ses yeux, ce soit l’avenir rose qui se réalise. Une telle analyse repose sur la troisième discipline mobilisée dans ce guide : la théorie de l’aide à la décision multicritère. Nous ne l’utiliserons pas nécessairement dans toute sa richesse pour en simplifier la modélisation mathématique. Mais les grands principes sont sous-jacents à la méthodologie proposée dans le but de construire une argumentation qui éclaire le décideur dans ses choix, étant donnée sa situation actuelle dans l’échiquier des acteurs et aussi, compte tenu des ruptures envisageables. L’introduction de ruptures est sans doute un point original que nous apportons dans la méthodologie de l’aide à la décision multicritère en nous inspirant de l’analyse SWOTTR, Strengths Weaknesses Opportunities Threats, Trends, Ruptures, chère aux prospectivistes. À la fin de la prospective technologique, aura alors été réalisé un travail de consultants qui s’adresse selon les cas, aussi bien à un décideur privé cherchant à imposer sur le marché son innovation en limitant la concurrence, qu’à un décideur public GARANT DE LINT£RäT G£N£RAL VOIRE DANS CERTAINS CAS SOUCIEUX DE SON SCORE AUX

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Introduction

prochaines élections). Et pour que cette prospective technologique soit efficace, il faut la mener bien en amont de la mise sur le marché de l’innovation (on ne fait PASUNESIMPLE£TUDEMARKETING AFINDäTREÜMäMEDEPROPOSERAUD£CIDEURDES stratégies de positionnement à long terme, incluant par exemple, le renforcement d’un projet de recherche en laboratoire ou encore la conception de technologies génériques pouvant répondre à plusieurs marchés non identifiés a priori. En effet, comme le dit Talleyrand « quand c’est urgent, c’est déjà trop tard ». Que cette phrase incite les décideurs à commanditer des études de prospective technologique surtout lorsqu’il est question de trouver des solutions innovantes pour aider à résoudre les grands problèmes contemporains, aux premiers rangs desquels se situent sans doute le réchauffement climatique, la pollution de l’eau et l’épuisement des ressources naturelles.

Plan du guide Afin de présenter la méthodologie à suivre pour mener des analyses de prospective technologique, cet ouvrage, qui se veut avant tout didactique avec des illustrations par des cas non forcément représentatifs des avancées réelles de la recherche, des données de terrains ou de l’avis des experts (parfois en raison du caractère confidentiel des études ayant été menées), est structuré en huit chapitres. Le premier revient sur l’histoire de la prospective tant pour comprendre sa philosophie et ses objectifs que pour rappeler les outils qu’elle a façonnés pour mener à bien sa mission. Le second donne au lecteur les spécificités de la prospective technologique qui est associée à une innovation pressentie ainsi que les concepts indispensables sur lesquels s’entend toute la communauté de prospectivistes : tendances, faits porteurs d’avenir, scénarios… Des exemples de sujet sont présentés avant de décrire les grandes étapes de la méthodologie. !UCHAPITRE ONINSISTESURLER¹LECENTRALDELANALYSESYST£MIQUEDANSLAD£MARCHE prospective en général et technologique en particulier, puis on liste les bonnes questions à se poser pour commencer l’état de l’art technologique et appréhender le contexte socio-économique. On montre, dans ses grandes lignes, comment répondre à ces questionnements avec l’exemple de la filière innovante du captage, stockage du carbone (CSC) promue par la Commission européenne. Après avoir bien pris connaissance de la technologie et de ses enjeux économiques, politiques et sociétaux, il est question au chapitre 4, de construire une représentation de la réalité, certes simplifiée, mais fort utile pour avancer : le fameux mapping DEVARIABLESAVECENSONC“UR LOBJETD£TUDETELQUONAPULEXTRAIREDUSUJETAVEC le commanditaire. On classe les variables selon leur nature : technologiques, économiques, sociologiques, législatives… et on indique les questions à se poser pour identifier les risques qui pèsent dessus.

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Prospective technologique

Les deux premières parties du chapitre 5 sont consacrées à l’analyse des acteurs, promoteurs, opposants à la technologie étudiée ou bien utilisateurs potentiels, régulateurs du secteur impacté… dans l’optique de comprendre comment ils ont interagi dans le passé sur le mapping et comment ils se comportent aujourd’hui. Deux EXEMPLES LUNEMPRUNT£AUSECTEURM£DICALAVENIRDUC“URARTIFICIEL LAUTREAU DOMAINEDUSOLAIREPHOTOVOLTAÉQUE ILLUSTRENTLEPROPOS,ATROISIáMEPARTIEDECE chapitre met l’accent sur le décideur pour identifier ses objectifs, les leviers qu’il peut actionner pour les atteindre ainsi que les critères permettant de juger son action. Comme les conséquences de ses décisions sont tributaires du contexte (environnements économique, démographique, technologique, législatif…) sur lequel il ne peut pas jouer, l’appréhension des incertitudes et des ruptures envisageables, y compris dans le jeu des autres acteurs, prend toute son importance. Le chapitre 6 donne les outils de prévision technologique et rappelle comment les intégrer dans la démarche prospective. Le septième montre comment, riche de toutes les études précédentes, on peut, avec les outils dont on dispose, projeter le système dans le futur selon différents scénarios, pour donner in fine des recommandations au décideur sur la stratégie qu’il devrait mettre en place pour réaliser ses objectifs. L’exemple central de ce chapitre est issu du cas simplifié de la fixation de l’azote de l’air par le blé comme si l’on voulait aider l’Institut national de recherche agronomique (INRA) dans sa stratégie. Il est COMPL£T£ PAR LEXEMPLE DU C“UR ARTIFICIEL LE D£CIDEUR PR£SUM£ £TANT LENTREPRISE CARMAT, qui souhaite le promouvoir. Enfin, le dernier chapitre montre comment croiser la méthodologie de prospective avec celle de l’aide à la décision multicritère en s’appuyant sur le cas de la mobilité SOLAIREV£HICULE£LECTRIQUERECHARG£PARDESPANNEAUXSOLAIRESPHOTOVOLTAÉQUESINT£grés au bâtiment), le décideur étant cette fois-ci, la puissance publique française GARANTDELINT£RäTG£N£RAL

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Qu’est-ce que la prospective ? D’où vient-elle ?

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« Il faut être réaliste dans le court terme et utopiste dans le long terme. » Jean Jaurès

Nous faisons un bref historique de la prospective et de ses fondements avec au préalable un rappel sur la terminologie. Le mot « prospective » est issu du verbe latin « prospicere » qui signifiait regarder AULOIN DISCERNERQUELQUECHOSEDEVANTSOI!U86)e siècle, on l’employait pour désigner l’optique et c’est au milieu du XXe siècle seulement qu’il prend la signification qu’on lui connaît actuellement, Gaston Berger l’ayant utilisé à la place du terme « prévision » dans un article publié en 1957 dans la Revue des Deux Mondes. L’auteur aurait relancé le terme prospective parce que le mot prévision reflétait une vision quantitative et déterministe des choses, orientée vers le passé alors que la prospective se voulait plus qualitative, non déterministe et davantage tournée vers l’extrapolation des futurs possibles selon l’idée que le futur restait à faire. Cette démarche s’institutionnalise avec la création du Centre international de la prospective en mai 1957 auquel participeront notamment François Bloch-Lainé et Pierre Massé.

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Prospective technologique

Composantes de la prospective

I.

Comme il est vrai que les querelles terminologiques sur la prospective et la prévision ont été fréquentes, il est important pour commencer, de nous entendre sur les composantes de la prospective afin de montrer en quoi elle diffère de la prévision. La prospective a été décrite par Yves Barel (1971) comme un dosage variable de prophétie, d’utopie et de prévision conduisant à un ensemble d’hypothèses, fondées de manière relativement scientifique, sur les choix et les problèmes de l’avenir. Il FAUDRAGARDERCETTEDESCRIPTIONENTäTELORSDELAR£ALISATIONDESANALYSESDEPROSPECtive technologique.

1.

Prophétie : apparentée à la magie

La prophétie est une anticipation de l’avenir qui assoit son autorité sur des sources non scientifiques, qu’elles soient d’origines religieuse, magique, artistique ou mystique, ou bien liées à une individualité charismatique.

2.

Utopie : création intellectuelle d’autres mondes

Quant à l’utopie, c’est l’utilisation d’un procédé particulier de création intellectuelle d’autres mondes qui fonde son autorité sur l’utilisation de la raison (ce qui l’oppose à la prophétie), mais d’une raison encore au stade pré ou para scientifique. Le procédé utopique est le point de rencontre entre le raisonnement scientifique et LERäVE UNESORTEDEJEUS£RIEUX-AISSELON2AYMOND2UYER LADIFF£RENCE essentielle entre la science et l’utopie est que celle-ci ne s’interdit pas de tricher : le SAVANTNIMAGINEQUEPOURV£RIFIER LUTOPISTESARRäTEAVANTLAV£RIFICATION Nous verrons qu’il existe un profond cousinage entre l’utopie et la prospective, y COMPRISDANSLAMANIáREDONTLAPROSPECTIVEFAITAPPELAUJEU AURäVE ÜLEXERCICE intellectuel pour imaginer des ruptures et construire des scénarios contrastés. À retenir. L’utopiste et le prospectiviste se rapprochent dans la manière d’imaginer des autres mondes pour l’un, et des futurs possibles, pour l’autre.

3.

Uchronie : utopie chronologique

L’uchronie, dont le terme a été inventé par le philosophe français Charles Renouvier en 1876, est une utopie dans l’histoire qui permet d’imaginer ce que serait le monde si le train de l’histoire avait pris une autre direction que celle qu’on lui connaît, et que l’on se demande si cette inflexion a des conséquences importantes. La contre-utopie est, en quelque sorte, une utopie malheureuse, non souhaitable pour l’homme. Citons par exemple, Le Maître du Haut Château (The Man in the High

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1. Qu’est-ce que la prospective ? D’où vient-elle ?

Castle) écrit en 1962 par Philip K. Dick. C’est l’histoire d’un monde alternatif au N¹TREDANSLEQUELL!LLEMAGNE L)TALIEETLE*APONONTGAGN£LA3ECONDE'UERREMONdiale. L’auteur imagine les conséquences qu’aurait eues cette victoire liée à la mort précoce du président Roosevelt. Que l’on garde en mémoire, pour la construction de scénarios, qu’il peut y avoir des points de changement décisifs pour le cours de l’histoire. Le système a un passé qui conditionne ses trajectoires futures possibles mais aussi une part de liberté dans les zones de bifurcations : des actions dues au hasard ou à la volonté de certains acteurs peuvent entraîner des bouleversements. On verra qu’il faut savoir détecter ces faits porteurs d’avenir et amplifier les plus vertueux d’entre eux.

4.

Prévision : exercice de déduction

La prévision lato sensu « pré-vision », « voir avant », consiste à remplir certains « vides » de la connaissance sans possibilité immédiate de vérification et d’expérimentation. C’est une opération intellectuelle qui vaut certes pour l’avenir, mais également pour le passé et le présent. Par calculs, l’astronome et mathématicien français 5RBAIN,E6ERRIERAipré-vu » l’existence de la planète Neptune dont la présence pouvait expliquer les anomalies des mouvements d’Uranus. Cette prévision dans l’espace (et non dans le temps) l’a rendu célèbre plus tard, alors que la planète fut effectivement observée en 1846 à Berlin, par l’astronome allemand Johann Galle. On peut citer un autre exemple de prévision, cette fois-ci dans le passé et dans LEDOMAINELITT£RAIRE ENSEPENCHANTSURL“UVRED!LEXANDRE$UMAS3URLABASE d’indices (allusions dans le roman Les Blancs et les Bleus, reconstitution de l’emploi du temps de l’écrivain…), Claude Schoop a « pré-vu » l’existence d’un roman jamais publié, écrit en 1869-1870 et dont la trame historique est située entre Les Compagnons de Jehu et Le Comte de Monte-Cristo, complétant ainsi la trilogie consacrée à Bonaparte. C’est finalement dans les années 2000 qu’il retrouvera le roman intitulé Le chevalier de Sainte-Hermine, sous forme de feuilleton, dans des archives inexploitées de journaux de l’époque. Il le fit publier en 20053. À retenir. La prévision, c’est l’extrapolation de l’inconnu à partir de ce qui est connu. C’est comme cela que « M. Le Verrier vit le nouvel astre au bout de sa plume », selon la célèbre phrase de François Arago.

5.

Prospective : prévision temporelle par scénarios

La prospective s’apparente à la prévision dans le futur mais elle est davantage que cela. Si la prévision temporelle est l’appréciation de l’évolution d’un phénomène dans une seule direction dont le choix est le plus souvent basé sur la trajectoire suivie par le 3. cf. site officiel des amis de Dumas : www.dumaspere.com/index.html

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Prospective technologique

passé (absence de rupture), la prospective, au contraire, se projette dans le futur dans plusieurs directions, i.e., selon différents scénarios tenant compte des interdépendances entre les éléments. La figure 1 ci-dessous montre simplement la différence entre la prévision (une projection unidimensionnelle) et la prospective (des projections dans plusieurs directions). Quant à la figure 2, elle illustre avec un exemple emprunté au champ pétrolier, comment l’analyse prospective se démarque de la prévision en mettant l’accent sur les interdépendances entre les facteurs multiples qui vont conditionner les différentes projections possibles du fameux pic de Hubbert. 1 passé

1 futur

1 passé

des futurs

Figure 1 Projection unidimensionnelle de la prévision versus projection multidimensionnelle de la prospective.

‡ PREVISION : ApplicaƟon mécanique de la théorie dite du pic de Hubbert

PROSPECTIVE : Vision de Shell Ressources géologiques Politiques règlementaires et fiscales

Investissements

Ressources géologiques Date du pic Demande à satisfaire

‡

Progrès techniques Contraintes climatiques

Dates du pic Jeu des acteurs

Producteurs Demande à satisfaire

Figure 2 Prévision versus prospective, cas du pic de Hubbert.

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Etats

Consommateurs

1. Qu’est-ce que la prospective ? D’où vient-elle ?

Le géophysicien Marion Hubbert suggéra, dans les années 1940, que la courbe de production d’une matière première donnée, et en particulier du pétrole, suivait une courbe en cloche, passant par un maximum et indiquant que la production allait décliner forcément par la suite. Sur cette base, il prédit en 1956 que la production pétrolière des États-Unis atteindrait un pic puis déclinerait à partir de la décennie 1970. Il suivait le raisonnement d’un pur géologue qui suppose que l’on puisse réduire la problématique à celle d’une demande et d’une offre s’exprimant à conditions inchangées et que la nature de la ressource reste elle aussi, inchangée C¹T£GAUCHEDELAFIGURE #ELAACONDUITÜUNEERREURDEPR£VISIONTANTONSAIT que l’évolution de l’offre et la nature de la demande dépendent des investissements consentis ainsi que des contextes politique, réglementaire, fiscal et géopolitique. Les scénarios globaux de Shell ont permis de poursuivre le débat amorcé par Hubbert en enrichissant son analyse par la prise en compte de toutes ces interdépendances C¹T£DROITDELAFIGURE #ENESTPASUNESEULEDATEDEPICQUECETTECOMPAGNIE pétrolière considère dans ses scénarios de prospective énergétique, mais plusieurs dates selon les hypothèses qu’elle formule sur les aspects techniques, économiques, géopolitiques… (cf. A. Bressand, 2006). À noter que la multinationale, Royal Dutch Shell est souvent citée pour la richesse des travaux de prospective qu’elle a menés dès la fin des années 1960, notamment grâce au français Pierre Wack (1985) qui avait connaissance de la méthode des scénarios exposée par l’Américain Herman Kahn. Pour ce type de projection dans le futur, il ne faut pas omettre les scénarios de rupture. Que l’on pense à l’impact considérable sur le paysage énergétique provoqué par la découverte et l’exploitation récentes, aux États-Unis, des gaz et pétroles non conventionnels ! À retenir. En prospective, il est nécessaire d’adopter une vision interdisciplinaire. Le « globalisme » fait la différence entre prévision et prospective.

II.

Origines

-äMESISONAPPELLATIONDATEDU88e siècle, la prospective existait déjà, sous forme primitive, à la préhistoire. Le pouvoir prospectif, chez l’homme, est associé à la faculté de symbolisation qui n’existe pas à un tel niveau chez l’animal et qui lui permet d’acquérir un comportement susceptible de s’adapter à plusieurs types de perturbations. Fabriquer un outil en silex sans en avoir l’utilité immédiate et le conserver pour les usages futurs est un acte symbolique qui a nécessité au préalable la conception intellectuelle de l’outil, c’est dire sa prévision. Ensuite, pendant une très longue période que nous ne développons pas ici, la vision DUFUTURCOÉNCIDEAVECLEPROPH£TISME

23

Prospective technologique

Puis vient la Renaissance. La prospective s’apparente alors à l’utopie (Saint Thomas More publie Utopia en 1516), composante qu’elle gardera jusqu’à nos jours comme nous l’avons déjà souligné. La Renaissance, c’est l’âge de la prise de risque : devenir riche n’est plus synonyme d’exploitation par le servage, mais rime désormais avec innovation, aventure et jeu avec son destin. Les grands voyages de Christophe #OLOMBQUISESTENGAG£ÜTRAVERSLOC£ANETAD£COUVERTL!M£RIQUEÜLAFINDU86e siècle en sont le témoignage4. !U86)))e LAPHILOSOPHIEDESLUMIáRESAJOU£UNR¹LETRáSIMPORTANTENDONNANT à l’Homme la Liberté, en l’occurrence celle de construire l’avenir. Cette idée sera largement reprise par le courant de prospective qui va prospérer en France comme cela est expliqué à la partie suivante. Ensuite après la dernière guerre mondiale, l’histoire de la prospective a pris un tournant. Elle doit remplir une fonction de prévision au sens temporel du terme. À la lumière du passé et du présent, elle éclaire l’avenir selon différents scénarios pour aider à prendre de bonnes décisions. C’est l’histoire de cette prospective contemporaine que nous résumons à présent.

À retenir.$ANSLHISTOIRE LESMOMENTSOÂLONALEPLUSEURECOURSÜLANALYSE PROSPECTIVEONTSOUVENTCOÉNCID£AVECDESP£RIODESDECRISEAIGÓEDANSLEDOMAINE spirituel, économique, social ou politique. En simplifiant, on peut distinguer deux grandes phases : la phase qui se situe des origines à la Renaissance et celle qui commence avec la Renaissance et se poursuit encore aujourd’hui avec une INFLEXIONENOÂSONR¹LEESTD£CLAIRERLAVENIRPOURD£CIDERMIEUX

4. cf.,OÉC0ETITGIRARD CH OUVRAGECOLLECTIFSOUSLADIRECTIONDE0HILIPPE$URANCE 

24

1. Qu’est-ce que la prospective ? D’où vient-elle ?

III. Prospective contemporaine Nous voyons que les fondements théoriques de la prospective contemporaine de l’école française reposent à la fois sur des méthodes militaires américaines et sur des concepts humanistes et sociétaux portés par des philosophes français. Il en résulte DES SIMILITUDES ET DES DIFF£RENCES ENTRE LES DEUX C¹T£S DE L!TLANTIQUE QUANT Ü LA manière d’appréhender le futur, et d’une façon générale, une spécificité méthodologique qui démarque les travaux prospectifs menés en France de ceux qui sont faits à travers le monde (voir en particulier, Hugues de Jouvenel, 2004).

1.

Méthodes formalisées venant du terreau militaire américain

Il est intéressant de noter que, comme un grand nombre de méthodes de planification et d’aide à la décision regroupées sous l’appellation recherche opérationnelle (théorie des graphes, programmation linéaire, théorie des jeux…), la prospective « moderne » a pris naissance dans le terreau militaire américain au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est en effet, sous l’influence de l’armée de l’air qu’est née aux États-Unis, en 1948, la Rand Corporation5 UNLABORATOIREDID£ES OÂ seront développées ultérieurement, sous l’impulsion d’Olaf Helmer, de Theodore J. Gordon et d’Herman Kahn, la plupart des méthodes « formalisées » de prospective, notamment la méthode Delphi et celle des scénarios. Ces trois personnalités créeront après l’Institute for the Future, le Future Groupe et le Hudson Institute.

2.

Forte influence en France d’un courant philosophique

Le courant de prospective va prospérer en France dès la fin des années 1950, grâce à de fortes personnalités comme Gaston Berger et Bertrand de Jouvenel6, animés l’un et l’autre par des préoccupations humanistes et sociétales. En 1958, par opposition à l’exercice de pré-vision (voir avant) qui consiste à déduire, G. Berger définit en cinq points l’attitude prospective : voir loin, voir large avec une approche systémique et interdisciplinaire, analyser en profondeur, prendre des risques, penser à l’Homme,EDERNIERPOINTRENVOIEAUR¹LENORMATIFDELA prospective conduisant à imaginer des futurs souhaitables et à élaborer des stratégies pour les atteindre.

5. Du nom du projet de R&D « Rand » portant sur les aspects non terrestres des conflits internationaux. 6. B. de Jouvenel a appartenu à la Rand Corporation.

25

Prospective technologique

"DE*OUVENELAEULUIAUSSIUNR¹LEIMPORTANTDANSCETTEAVENTURE#ESTLUIQUIA forgé le concept de « futuribles »7, comme futurs possibles (et non futurs terribles !) pour désigner le groupe qu’il crée en 1960 et qui rassemble des intellectuels, des enseignants, des industriels et de hauts fonctionnaires parmi lesquels Pierre Massé lorsqu’il devient commissaire au Plan. Dans ce réseau, figurent aussi des personnalités étrangères européennes comme Ossip Kurt Flechtheim (1949) qui a fait couler beaucoup d’encre en prétendant que la prospective était une science, la « science du futur » qui, grâce à nos instruments modernes d’investigation, nous permettrait de prédire l’avenir avec certitude. Or cela est totalement en contradiction avec la philosophie prospective pour laquelle l’avenir est à construire. Enfin, n’oublions pas de citer Y. Barel qui a su transposer aux sciences sociales, les PRINCIPESDELANALYSESYST£MIQUEALORSPLUT¹TR£SERV£SAUXSCIENCESDUVIVANTBIOlogie) et a beaucoup insisté sur la nécessité de prendre en compte, dans une analyse prospective, les interdépendances techniques, institutionnelles et sociétales dans lesquelles s’inscrivent forcément le secteur étudié. À retenir. Le courant de prospective français fait une large place à la liberté humaine et aux réflexions sur les finalités de l’action en adoptant une vision systémique.

3.

Liens et différences entre les deux côtés de l’Atlantique

Dès les années 1960, les deux courants de prospective, américain et français, ont créé des synergies pour donner lieu, dans les années 1970, à la création de nombreuses structures comme le Club de Rome (ayant commandité le célèbre Rapport Meadows8) et à l’organisation de conférences internationales. Cela a permis aussi l’établissement de programmes gouvernementaux (le Swedish Secretariat for Futures Studies, le groupe Sésame9 mis en place en 1968 sous la responsabilité conjointe de la Datar10 et du Commissariat général au Plan…) et internationaux (Interfuturs à l’OCDE) ainsi que la naissance de bureaux d’études comme la Société d’économie et de mathématiques appliquées (SEMA) fondée en 1958. Jacques Lesourne a été l’un des fondateurs de la SEMA à laquelle ont appartenu Bernard Roy, père de l’école française de l’aide à la décision multicritère et Michel Godet, auteur d’un 7. B. de Jouvenel (1964) emprunte le terme « futuribles » au théologien espagnol Molina pour désigner « les différents avenirs possibles selon les différentes manières d’agir ». Finalement, c’est le terme « prospective » introduit par G. Berger, qui restera. 8. « The Limits To Growth » (1972) (traduit en Français par Halte à la croissance, 1973) constitue une tentative très intéressante de modélisation de l’avenir de notre société, fondée sur la dynamique des systèmes de J.W. Forrester (1971). Le Rapport Meadows a fait l’objet, à deux reprises, d’une mise à jour par trois de ses auteurs : 1992 et 2004, traduite en français en 2012. 9. Système d’études du schéma d’aménagement. 10. Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale.

26

1. Qu’est-ce que la prospective ? D’où vient-elle ?

certain nombre d’outils de prospective (Smic, Micmac, Mactor11…) très utiles car structurants. Il existe donc un lien original entre les méthodes de prospective et les méthodes d’aide à la décision multicritère, toutes deux assises sur un socle relativement formalisé, ce qui, à l’époque, n’effrayait ni les gestionnaires, ni les décideurs, formés en majorité dans les grandes écoles d’ingénieurs. Il n’en reste pas moins, que malgré leurs synergies, les deux principaux foyers de M£THODES DANTICIPATION DAPRáS GUERRE VONT £VOLUER DIFF£REMMENT $UN C¹T£ DE L!TLANTIQUE L£COLE FRANÀAISE UNIQUE AU MONDE LES !NGLO 3AXONS EUX MäMES parlent de « French School La Prospective »), va garder vivant cet héritage de méthodes cartésiennes d’analyse de systèmes développées à la Rand Corporation et ÜLA3%-!ÜL£POQUEDESTRENTEGLORIEUSESETDELACONQUäTEDELESPACE)NFLUENC£E par les philosophes Maurice Blondel (1893), G. Gerger et B. de Jouvenel, elle va laisser aussi une grande place à la liberté humaine et à la réflexion sur les finalités de l’action. De l’autre, aux États-Unis, comme l’explique M. Godet (2011), la guerre DU6IETNAMAEUPOURCONS£QUENCE UNEPROFONDEM£FIANCEVIS Ü VISDESM£THODES rationnelles d’analyse de systèmes. Les américains ont cessé de croire aux méthodes scientifiques pour privilégier l’intuition (foresight), voire l’irrationnel et, toujours selon M. Godet, « La dérive du monde anglo-saxon réduit la prospective à n’être que du scenario entertainment ». À retenir. Dans le style français, la prospective est considérée comme désignant à la fois un processus et le résultat de ce processus en termes d’action (cf. Philippe Durance, ch. 7, 2014). C’est sur cette idée forte que se fonde la méthodologie proposée dans ce guide.

4.

Fondement des travaux internationaux

Au niveau mondial, si l’on se réfère aux grands modèles de prospective énergétique sur lesquelles s’appuie l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ce n’est pas l’apPROCHEFRANÀAISEDEPROSPECTIVEQUIDOMINEMAISPLUT¹TUNEM£THODOLOGIERELATIVEment technologique (technological forecasting)12 selon laquelle sont effectués, pour imaginer le mix énergétique du futur, des prolongements de filières technologiques suivant des scénarios de politique de réduction des émissions de CO2 plus ou moins contraignants. On pourrait reprocher à ces exercices de privilégier les résultats au détriment du processus qui a conduit à les publier. En effet, dans les rapports de l’AIE (World Energy Outlook PAREXEMPLE MäMESILESHYPOTHáSESDECONTEXTEPOPULAtion, croissance économique, prix de l’énergie, prix du CO2, performances technologiques) sont explicitement données, il n’est pas aisé de comprendre l’articulation 11. Smic = systèmes et matrices d’impacts croisés ; Micmac = matrice d’impacts croisés ; Mactor = méthode pour analyser la stratégie d’acteurs, cf. www.laprospective.fr/methodes-de-prospective. html pour la description des méthodes et le téléchargement des outils. 12. On pourra se référer à Ian Miles (2010) pour une revue des méthodes.

27

Prospective technologique

des hypothèses qui fondent l’élaboration des scénarios à long terme, or « the reward is the journey » ; nous insisterons beaucoup sur ce point. Quant à la Commission européenne, elle a aussi un passé marqué par la prospective technologique comme en témoignent les programmes de la DG XII, FAST (Forecasting and Assessment in Science and Technology)13 ou BRITE (Basic Research in Industrial Technologies for Europe)14. Ses activités prospectives ont pris de l’ampleur au début des années 1990 avec la création, au sein de son centre de recherche JRC (European Commission’s Joint Research Centre), de l’IPTS (Institute for Prospective Technological Studies) basé à Séville depuis 1994. Dans le cadre du SET Plan (European Strategic Energy Technology Plan) adopté en 2008, la Commission utilise les outils de prévision technologique (ateliers, réunions multilatérales, consultations d’experts…) pour établir des Roadmaps technologiques concernant les filières énergétiques bas carbone. L’objectif est de hiérarchiser les priorités et de planifier les moyens de financement pour la R&D et les démonstrateurs15, ce qui s’inscrit parfaitement dans la stratégie de Lisbonne fixant, en 2000, un cap pour une Europe de la recherche et de l’innovation16. ÃC¹T£DECESEXERCICESDEPROSPECTIVETECHNOLOGIQUERELATIVEMENTFR£QUENTS SONT réalisées aussi des études prospectives globales dressant des scénarios pour des secteurs entiers de l’économie européenne (Roadmap Énergie 205017, Roadmap pour une économie décarbonée18, Roadmap pour un espace européen unique des transports considérant tous les modes de transports, fluviaux, aériens19, etc.). Des interactions ENTRETECHNOLOGIESDOIVENTAINSIäTREANALYS£ESSOUVENTÜLAIDEDEMODáLESQUANTIfiés) et des recommandations politiques, formulées. ,AFIGURECI DESSOUS INSPIR£EDE$OMINIQUE2OSSETTIDI6ALDALBERO20, dresse une typologie intéressante des différents travaux prospectifs réalisés en Europe. Il distingue : – la prospective participative et la prospective d’experts ; – celle qui concerne une technologie précise et celle qui est globale, i.e. sociale ;

13. Lancé en 1979 par Riccardo Petrella et Michel Godet. 14. Lancé en 1985. 15. Citons aussi les exercices de prévision technologique menés dans les Programmes cadres de recherche et développement qui se sont succédés (les 5e, 6e et 7e). Avec le 8e PCRD, nommé programme Horizon 2020, le changement majeur pour la prospective, est qu’elle n’apparaît plus comme une thématique bien délimitée donnant lieu à des projets spécifiques, mais comme une dimension souhaitable des projets de recherche, notamment sur le troisième pilier concernant les grands défis de société. 16. cf. Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 (encadré 7, chapitre 8). 17. La feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050 a été publiée en février 2012. 18. Communication de la Commission, COM (2011) 112, 8 mars 2011. 19. Livre Blanc, COM (2011) 114, 28 mars 2011. 20. Administrateur principal à la direction générale de la recherche de la Commission européenne, en charge de la prospective.

28

1. Qu’est-ce que la prospective ? D’où vient-elle ?

– celle qui s’appuie sur des modèles quantitatifs et celle qui fait exclusivement appel à des analyses qualitatives. Axée sur les ƉĂƌƟĞƐ prenantes ;ƉĂƌƟĐŝƉĂƟǀĞͿ

&ŽƌĞƐŝŐŚƚΘ sŝƐŝŽŶ

Large portée sociopoliƟque

ĞůƉŚŝ^ƵƌǀĞLJ

dĞĐŚŶŽůŽŐLJ Roadmap RésoluƟon de problèmes technicoéconomiques

&ŽƌĞĐĂƐƟŶŐΘ DŽĚĞůůŝŶŐ

Basée sur les experts (nonƉĂƌƟĐŝƉĂƟǀĞͿ

Approche quanƟtaƟve

Approche qualitaƟve

Figure 3 Positionnement des différentes études prospectives réalisées en Europe.

À retenir. Au niveau mondial et tout particulièrement en Europe, la prospective technologique se rapproche le plus souvent de la prévision technologique.

Conclusion Après ce tour d’horizon de la prospective contemporaine, nous pouvons faire deux constats. D’une part, les moyens anciens de prédiction n’ont pas disparu et sont toujours utilisés (intuition, dires d’experts) et d’autre part, la prospective répond au besoin permanent pour l’humanité d’anticiper pour agir (voir loin). L’accélération du changement technique, économique et social a comme conséquence que « plus on roule vite, plus les phares doivent porter loin » selon la célèbre métaphore de G. Berger. La prospective correspond à ces phares. %TMäMESILESMOYENSDOBSERVERLAVENIRONTGARD£ AUCOURSDELHISTOIRE DENOMbreuses similitudes, la prospective aurait, selon Bernard Cazes (1986, 1991), pris un virage à partir de 1945 avec : 1. un recentrage de la prospective sur les décisions ; 2. l’institutionnalisation des « récepteurs » d’images du futur : commande d’études prospectives par des administrations publiques (ex. : Datar, Commissariat

29

Prospective technologique

général au Plan), des grandes entreprises ou des organisations internationales (OCDE, ONU) ; 3. et la professionnalisation concomitante des « émetteurs » (ex. : Centre national de la prospective et SEMA en France, Rand Corporation aux États-Unis). Ce virage s’est bien confirmé depuis, comme nous l’avons vu avec la multiplication des études prospectives commandités ou bien réalisées par l’ADEME, France Stratégie (nouvelle appellation du Commissariat général au Plan21), la Commission européenne, l’AIE22… Ne serait-ce que dans le domaine de l’énergie en France, il y a eu ces dernières années, pléthore d’analyses prospectives réalisées pour les gouvernements successifs afin de préparer la transition énergétique indispensable à la diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES) et à la lutte contre le changement climatique : en France en 2010, 71 % de ces émissions proviennent de la production ou l’utilisation de l’énergie dont 36 % (des émissions tous secteurs confondus) sont liés aux transports et 25 % au résidentiel tertiaire23. On pourra se référer à l’encadré 1. 24 25 Encadré 1. Gouvernements français, récepteurs de prospective dans le domaine de l’énergie. Ces dernières années, en France, compte tenu des enjeux climatiques et du questionnement de la société sur l’énergie nucléaire, un grand nombre d’études ont été commanditées par les gouvernements successifs dans le domaine de l’énergie. On peut citer en 2011, les travaux gouvernementaux du Comité « Trajectoires 20202050, vers une économie sobre en carbone » lancés à la demande de Nathalie KosciuskoMorizet24 et ceux du Comité « Énergie 2050 » lancés par Éric Besson pour préparer les travaux de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI)25.

21. L’État a remplacé en 2006 le Commissariat général du Plan (CGP), créé après-guerre, par le Centre d’analyse stratégique (CAS) puis, en 2013, par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), en lui donnant pour mission d’éclairer le gouvernement dans la définition ET LA MISE EN “UVRE DE SES ORIENTATIONS STRAT£GIQUES %N  LE CENTRE A £T£ REBAPTIS£ &RANCE Stratégie. En juin de cette année-là, il a remis au président de la République et au Premier ministre un rapport prospectif intitulé « Quelle France dans dix ans ? ». Une telle réflexion vise à aider le gouvernement dans la définition de sa stratégie pour le pays à cet horizon.  #ERTAINSR£CEPTEURSPEUVENTäTREAMEN£SÜFAIREEUX MäMESLES£TUDESPROSPECTIVESCASDE l’ADEME, de France Stratégie… qui sont parfois aussi « émetteurs ». 23. Source : Citepa, juin 2012. 24. Comité présidé par Christian de Perthuis, 2011, Trajectoires 2020-2050, vers une économie sobre en carbone, octobre. 25. Comité présidé par Jacque Percebois, 2012, Énergies 2050, février.

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1. Qu’est-ce que la prospective ? D’où vient-elle ?

En 2013, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique (DNTE), l’un des six groupes de travail du Conseil national, le GT2, s’est proposé d’éclairer les grandes trajectoires énergétiques possibles pour le futur en se basant sur des scénarios prospectifs déjà existant et en définissant des critères pour les comparer. Le groupe s’est intéressé plus particulièrement à 11 exercices de scénarios énergétiques réalisés spécifiquement pour la France (par ordre alphabétique des émetteurs) : ADEME, ANCRE, CIRED, Encilowcarb, Enerdata-CITEPA-DGEC, Global Chance, GrDF, Greenpeace, NégaWatt, RTE, Sauvons le climat, Negatep, UFE26. Parmi ces travaux, ceux de l’ANCRE27 présentent trois scénarios possibles d’évolution du système énergétique français à horizon 2050, visant à atteindre le facteur 4 (notion définie encadré 2) dans le secteur énergétique. Ces scénarios, qui reposent sur une approche volontariste en termes d’innovation scientifique et technologique, décrivent des trajectoires contrastées de la demande et du mix énergétique. Leurs impacts socioéconomiques et environnementaux ont été évalués par le groupe de travail dans l’objectif d’apporter des éléments d’éclairage pour la préparation du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (le projet a été voté en première LECTURELEOCTOBREÜL!SSEMBL£ENATIONALEETLALOIDEVRAITäTREADOPT£ED£FInitivement par le Parlement avant le Sommet mondial sur le climat fin 2015, à Paris). L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) publie aussi des rapports prospectifs dans le domaine des technologies énergétiques comme celui concernant l’avenir de la filière nucléaire en France28. Encadré 2. Définition du facteur 4. Le facteur 4 désigne l’objectif, pour la France, de division par quatre des émissions de GES à l’horizon 2050 par rapport à 1990 (objectif figurant dans la loi Pope de juillet 2005 et repris dans les lois du Grenelle de l’environnement de 2009 ainsi que dans le projet de loi sur la transition énergétique) (cf. encadré 8, chapitre 8).

Les thèmes principaux abordés en ce début de siècle sont, il est vrai, associés au changement climatique, mais aussi à la croissance économique mondiale, à la population, aux valeurs, à l’emploi, au travail... et au changement technologique. C’est sur celui-ci que nous allons nous focaliser maintenant, étant entendu que la technologie s’insère dans un système socio-économique et politique plus global avec lequel elle interagit. Comme nous le verrons, la prospective technologique se doit de considérer l’ensemble de ces éléments en interaction et avec d’autant plus de force que l’on souhaite promouvoir un développement durable.26 27 28

26. Rapport du GT2 du DNTE, 2013, « Quelle trajectoire pour atteindre le mix énergétique en 1UELSTYPESDESC£NARIOSPOSSIBLESAUXHORIZONSET DANSLERESPECTDESENGAGEMENTSCLIMATIQUESDELA&RANCEw 27. Rapport final publié en janvier 2014 : WWWALLIANCEENERGIEFRIMAGE0ROVIDERASPPRIVATE?RES OURCEFN$OC COMPLET !.#2% VERSION FINALE  *ANV?PDF 28. Rapport final, décembre 2011 : WWWASSEMBLEE NATIONALEFRDOSSIERSAVENIR?FILIERE?NUCLEAIRE?&RANCEASP

31

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2

Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

« La prospective n’est pas une discipline autonome, ne serait-ce que parce que, sauf à se livrer à la prédiction, ce n’est jamais le futur qui est objet d’étude mais le passé et le présent. » Lucien Nizard

L’objet de ce chapitre est de donner les grandes étapes qui permettent d’analyser les chances de succès d’une technologie innovante quelle qu’elle soit (voiture solaire, C“URARTIFICIEL CAPTUREETSTOCKAGEDUCARBONEx ENLASITUANTDANSUNSYSTáME socio-économique étendu comprenant entres autres des ingrédients favorables aux technologies concurrentes. Comment s’y prendre pour mener la prospective technologique en ayant suffisamment de hauteur pour avoir une vision globale du problème tout en comprenant quels sont les verrous technologiques et comment LESD£PASSER Avant de décrire la démarche dans ses grandes étapes, nous revenons sur les spécificités de l’innovation technologique et donnons les notions indispensables au prospectiviste. À la fin du chapitre, nous évoquerons les croyances qui sous-tendent l’analyse prospective et orientent, sinon les conclusions, mais très certainement les

33

Prospective technologique

recommandations données au décideur. Une analyse bien faite doit se conformer aux croyances et aux valeurs de celui-ci.

I.

Définitions et concepts utiles pour la prospective technologique

La prospective technologique, qui s’attache à évaluer les chances de succès d’un concept technologique non encore mature, consiste à analyser les ingrédients nécessaires à faire de ce concept une innovation, que l’on qualifie de technologique. Nous commençons donc par décrire les spécificités de cette innovation particulière (il existe en effet d’autres types d’innovation qui n’impliquent pas de R&D technologique : innovation organisationnelle, de marketing…), puis donnons les notions indispensables sur lesquelles est bâti l’arsenal méthodologique du prospectiviste.

1.

Spécificité de l’innovation technologique

Au sens large, « l’innovation représente la mise sur le marché et/ou l’intégration dans un milieu social d’inventions » (Norbet Alter, 2010). Or, il y a de nombreux obstacles à surmonter pour diffuser une invention qui a pour but de traiter une question de manière abstraire, alors que l’innovation représente un processus par lequel un corps social s’empare, ou ne s’empare pas, de l’invention en question. Ces obstacles sont de natures juridiques, symboliques, stratégiques, économiques, financières ou culturelles. L’innovation technologique, quant à elle, est une innovation dans laquelle un concept technologique entre en jeu. L’invention considérée comporte un volet technologique qui nécessite que soit mené un programme de R&D : objet technologique EXC“URARTIFICIEL SEMENCEENRICHIE OBJETNOMADE£NERG£TIQUEMENTAUTONOME mode de production ou de transformation avec défi technologique (ex. : recyclage des panneaux solaires, captage du carbone) ou encore couplage innovant de plusieurs technologies pour de nouveaux usages (ex. : mobilité solaire). Ainsi, pour réaliser la prospective, il est indispensable de s’appuyer à la fois sur une TRáSBONNECONNAISSANCEDELINVENTION QUIMETEN“UVRELECONCEPTTECHNOLOGIQUE en question, et sur une analyse détaillée du marché et/ou du système social, dans le(s) quel(s) elle va s’insérer, ou pas, selon les scénarios imaginés, souhaités ou redoutés (que l’on cherchera à éviter). À notre connaissance, il n’existe pas d’école de prospective technologique. Nous allons donc proposer une méthodologie originale en nous appuyant d’une part sur l’attitude prospective chère à G. Berger et sur les grandes lignes de la méthodologie générale de prospective de l’école française et d’autre part, sur les méthodes de prévision technologique qui viennent pour la majorité, du terreau militaire américain. Nous réalisons le mariage de ces deux approches complémentaires.

34

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

2.

Notions utiles pour la prospective technologique

Les notions les plus importantes pour comprendre la méthodologie prospective sont les tendances et en particulier les tendances lourdes, la rupture de tendance, les faits porteurs d’avenir et les scénarios. La définition du système est, elle aussi, primordiale ; nous y consacrons une partie entière au chapitre suivant.

2.1

Tendance et rupture

La tendance correspond à l’orientation constatée pour une série de données sur une certaine période. Elle est qualifiée de lourde si le phénomène s’étale sur une longue période (cf. Fig. 4). ¾ Exemples

Augmentation de la puissance des ordinateurs, urbanisation, vieillissement de la population en Europe, allongement de la vie en France, augmentation de la température observée sur la terre… Nombre d’automobiles en Europe

1900

2015

temps

Figure 4 Représentation fictive (pour illustration) de la tendance d’évolution du nombre d’automobiles en Europe.

À retenir. La tendance lourde est une évolution en marche, qui par sa force d’inertie dure plusieurs années. Elle représente le futur le plus probable… si rien ne vient la contrarier. L’inflexion est une modification de tendance comme le montre la figure 5. ¾ Exemple

Le nombre d’automobiles intramuros à Paris commence à diminuer après une tendance à la hausse depuis des décennies.

35

Prospective technologique

Nombre d’ automobiles en Europe

1900

2015

temps

Figure 5 Représentation fictive d’une inflexion de tendance dans l’évolution du nombre d’automobiles en Europe.

La rupture est un changement radical de situation dans l’évolution d’une variable (cf. Fig. 6) ou bien de plusieurs variables, voire d’un système. ¾ Exemples

L’exploitation du gaz naturel non conventionnel aux États-Unis a conduit en 2008 à une rupture dans la tendance haussière du prix du gaz sur ce continent. C’est la découverte du gaz de schiste qui est à l’origine de la rupture. Un autre évènement a modifié le prix du gaz, en Asie cette fois. Il s’est envolé principalement suite à la catastrophe de Fukushima de 2011. Nombre d’ automobiles en Europe

1900

2015

temps

Figure 6 Représentation fictive d’une rupture de tendance dans l’évolution du nombre d’automobiles en Europe.

Pour le futur, il faut imaginer qu’il puisse y avoir des ruptures de tendance avec une probabilité d’occurrence plus ou moins forte : rupture probable, improbable mais ayant de fortes conséquences sur l’objet que l’on étudie, rupture non souhaitable qu’il faut éviter...

2.2

Fait porteur d’avenir ou germe de changement

Le fait porteur d’avenir (FPA) représente en quelque sorte l’élément de base qui entre potentiellement dans la composition d’une tendance (à venir). On peut le définir comme un facteur de changement, politique, économique, technologique

36

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

ou culturel, à peine perceptible dans le présent, mais qui peut constituer une tendance lourde de demain. Comme le disait P. Massé (1962), c’est « un signe infime par ses dimensions présentes, mais immense par ses conséquences virtuelles, qui annonce une mutation technique, économique ou sociale ». ¾ Exemples

6ERS ONAPUVOIRCOEXISTERUNETENDANCELOURDEÜLAUGMENTATIONDUPARCDE véhicules hippomobiles et un authentique fait porteur d’avenir : l’apparition des PREMIáRESAUTOMOBILESÜP£TROLE$EMäME LANAISSANCEDESPREMIERSORDINATEURS A£T£UN&0!QUISESTR£V£L£EXTRäMEMENTIMPORTANTPOURL£VOLUTIONDELASOCI£T£ Cependant, certains FPA sont de faux signaux, à l’image du Zeppelin. Le risque d’explosion du réservoir d’hydrogène, qui était associé à la technologie embarquée, NAPASPUäTREJUGUL£ETACAUS£LADISPARITIONDECEV£HICULEVOLANTxPOURDENOMbreuses années en tous cas. On comprend que voir dans un fait isolé un indice du futur s’avère beaucoup plus délicat que s’il s’agit de tendances. Dire cela, c’est souligner le caractère très subjectif de l’identification des faits porteurs d’avenir. C’est souligner aussi QUE LA D£MARCHE PROSPECTIVE QUI NE PEUT LAISSER DE C¹T£ CES FACTEURS VIRTUELS DE changement, fait une place importante à l’intuition, comme nous l’avons déjà souligné. Elle repose aussi, bien entendu, sur la veille et tout particulièrement la veille technologique. À retenir. Un fait porteur d’avenir (ou germe de changement) est un phénomène à l’état naissant, dont le poids statistique est faible, et dans lequel un observateur perspicace décèlera l’amorce d’une tendance nouvelle et le déclin concomitant d’une tendance lourde existence.

2.3

Scénario

Le mot scénario fut inventé aux États-Unis par H. Kahn (1965) et Anthony J. Wiener (1967). L’histoire raconte que H. Kahn cherchait un terme qui lui permette de désigner les fictions qu’il avait préparées. Après une conversation avec un scénariste d’Hollywood, il choisit le terme de « scénario » (qui aurait été abandonné par le milieu du cinéma au profit de « screenplay ») pour désigner « un récit fictif de ce qui aurait pu se passer ou de ce qui pourrait se passer » (Ph. Durance, ch. 11, 2014). En France, c’est l’équipe de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) QUI SOUSLEPATRONAGEDELA$ATAR AMISEN“UVREPOURLAPREMIáREFOISEN une méthode des scénarios (cf. Datar, 1975). Puisque la prospective postule que LAVENIR NEST PAS £CRIT MAIS RESTE Ü FAIRE IL SEST AV£R£ EN EFFET EXTRäMEMENT PR£cieux de pouvoir disposer d’études d’éclairage de la décision, qui tentent de préciser, en fonction d’hypothèses explicites sur les conditions générales d’évolution, quels POURRAIENT äTRE LES MOYENS DATTEINDRE CERTAINS OBJECTIFS PR£CIS 0OUR CE FAIRE IL A

37

Prospective technologique

fallu développer une méthode qui offre toute la souplesse requise pour manipuler un ensemble d’hypothèses interdépendantes : l’élaboration des scénarios. Un scénario proprement dit est une façon synthétique de montrer, étape par étape, et de manière plausible, une suite d’évènements qui conduisent un système à une situation précise d’une part, et de présenter une image de la dite situation d’autre part (Guy Poquet, 1987). Ainsi comme le montre le tableau 1, il existe deux grands types de scénarios : – les scénarios exploratoires qui partent des tendances passées et présentes et conduisent à un futur logique ; – et les scénarios d’anticipation qui commencent par définir différentes images souhaitables du futur pour montrer ensuite comment y arriver à partir du présent (cf. Fig. 7). Tableau 1. Quatre types de scénarios.

Scénarios d’anticipation

Scénarios exploratoires

Types de scénarios

But(s) du scénario

Prémisse(s) du scénario

Tendanciel

- Cherche à déterminer un futur possible.

- Suppose la permanence et la prédominance des tendances lourdes.

- Examine la poursuite dans l’avenir, de ces tendances et des mécanismes qui les expliquent.

D’encadrement

6EUTD£LIMITER l’espace des futurs possibles.

- Idem qu’au-dessus.

- Fait varier de FAÀONEXTRäME les hypothèses concernant l’évolution de ces tendances.

Normatif

- Cherche à produire une image d’un futur possible et souhaitable. - Établit un cheminement reliant ce futur au présent.

- Suppose que l’on peut déterminer tout d’abord un ensemble possible d’objectifs à réaliser.

- Fait la synthèse de ces objectifs et relie cette image du futur au présent.

Contrasté

- Esquisse un futur souhaitable situé à la frontière des possibles.

- Idem qu’au-dessus mais en s’écartant des objectifs de référence.

- Idem qu’au-dessus.

(Source : Julien Latouche, 1975).

38

Cheminement utilisé

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

Ensemble d’objectifs fixés Scénario normatif

2015

2030

temps

Figure 7 Représentation simplifiée d’un scénario d’anticipation normatif.

L’objectif fixé en 2009 en France lors du Grenelle de l’environnement, d’atteindre le facteur 4 en 2050, conduit à élaborer des scénarios pour parvenir à cette image. Il s’agit de scénarios d’anticipation, sans doute contrastés, tant on sait que cet objectif, grandement souhaitable, sera difficile à réaliser. À noter que si, au niveau mondial, on ne mène aucune action supplémentaire pour diminuer les émissions de GES, i.e. si l’on choisit le scénario Business as usual (BAU), la tendance lourde à l’augmentation de la température de la planète se poursuivra. À retenir. Un scénario d’anticipation part de l’image d’un futur souhaitable décrite à partir d’un ensemble d’objectifs à réaliser, puis précise un cheminement reliant ce futur au présent. Le scénario de référence (ou Business as usual), est celui qui se produirait si l’on ne changeait rien dans les décisions en cours. Il s’agit souvent du scénario tendanciel.

II.

Étapes d’une prospective technologique

Chaque étape est listée afin de fournir la trame de la méthodologie avec une indication sur le temps relatif à y consacrer. Au cours des chapitres suivants, nous détaillerons chacune d’elles en nous appuyant sur des études de cas dont on présente ici les sujets. La première est essentielle. C’est celle de la formulation de la question prospective avec le commanditaire. Il serait en effet très préjudiciable de consacrer beaucoup de temps à réaliser une analyse prospective hors sujet sans que l’objet de l’étude ait été, au préalable, clarifié précisément. C’est le syndrome Woody Allen ou « La réponse est excellente, mais quelle était la questionw

39

Prospective technologique

1.

Première étape : formulation de la question de prospective technologique

1.1

Questions à se poser

Avant de commencer tout travail prospectif, il est essentiel de savoir pour qui L£TUDE EST R£ALIS£E  LINVENTEUR DU CONCEPT INNOVANT  LA BANQUE SUSCEPTIBLE DE FINANCERSOND£VELOPPEMENTLAPUISSANCEPUBLIQUEL%UROPEUNE/RGANISATION NONGOUVERNEMENTALE/.' x.OUSLAPPELLERONSLEdécideur car fidèle à la philosophie française de la prospective, nous supposons qu’il a commandité cette étude pour infléchir le futur afin que celui-ci réponde mieux à ses objectifs. En général, le décideur cherche à promouvoir l’innovation technologique mais ceci n’est pas SYST£MATIQUEPAREXEMPLE UNREPR£SENTANTDELINT£RäTG£N£RALPEUTAVOIRBESOINDE mesurer, selon différents scénarios, ses impacts sur la société (croissance, emplois, BIEN äTREx POURLENCOURAGEROUBIENAUCONTRAIRELINTERDIRELOI£THIQUEx  Pour orienter le travail, il est essentiel alors de bien comprendre quels sont les objectifs visés et de définir précisément sur quel objet précis doit porter la prospective. On doit s’entendre également sur l’espace géographique qui est sous-jacent à ces objectifs. Enfin, il faut se mettre d’accord sur l’horizon visé (ex. : 2050), ou les horizons lorsqu’on souhaite faire un bilan des cheminements futurs à une date intermédiaire (ex. : 2030 et 2050). Signalons que l’horizon dépend souvent du secteur étudié. Il n’est pas réaliste de se projeter à plus de dix ans si la technologie est issue de l’industrie numérique. Dans le secteur de l’énergie, au contraire, les inerties sont longues, si bien que pour le déploiement des réacteurs nucléaires du futur (4e génération) dont la maturité technique est attendue vers 2040, les études prospectives peuvent porter à plus de 100 ans afin de tenir compte du renouvellement des parcs, de la gestion des déchets et de la disponibilité de la matière première (le plutonium, en l’occurrence, issu des réacteurs des générations antérieures). Pourtant, dans le MäMETEMPS LESECTEURDEL£NERGIE£VOLUETRáSVITEDUFAITDELAMULTIPLICATIONDES synergies, notamment dans les usages, avec les technologies de l’information et de la communication (TIC). Cela oblige le prospectiviste à raccourcir l’horizon pour préparer les innovations technologiques dans ce secteur en transition. !INSI LESUJETDOITäTREFORMUL£VOIREREFORMUL£ AVECLED£CIDEUROUSONREPR£SENtant pour faire figurer explicitement : – qui est le décideur ayant les leviers ou « manettes » pour infléchir l’évolution du système et le faire converger dans le sens des scénarios avantageux pour lui (i.e. R£PONDANTÜSESOBJECTIFS  – QUELESTLOBJETMäMEDEL£TUDEPROSPECTIVE – QUELESTLECHAMPG£OGRAPHIQUEÜCONSID£RER – QUELHORIZONTEMPORELESTVIS£ OUBIENQUELSHORIZONS La méthodologie proposée s’adapte à de nombreuses problématiques prospectives, pourvu que l’on pose bien la question en identifiant le décideur et ses principaux

40

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

objectifs le conduisant à vouloir éclairer le futur. Nous donnons, ci-après, des EXEMPLESDEQUESTIONSQUELAM£THODOLOGIEPROPOS£EESTÜMäMEDETRAITERETAUXquels nous ferons référence dans la suite. À retenir. Cinq éléments clés sont à identifier avec la personne qui pose la question : le décideur, ses objectifs, l’objet de l’étude, le champ géographique, (les) ou l’horizon(s) prospectif(s).

1.2

Exemples de question de prospective technologique

Certaines questions proviennent d’études de cas réalisées dans le cadre de la mission de prospective technologique du master management de l’innovation (MTI29). Ces missions ont été commanditées par des instituts de recherche, des entreprises ou encore des cabinets de conseil devant éclairer un décideur sur son avenir. D’autres sont des extraits d’analyses de prospective technologique traitées par l’auteure, soit pour répondre à une demande d’une des directions du CEA ou bien à celle d’un client extérieur, soit pour illustrer le cours dispensé à l’université sur le sujet. Dans ce guide, les études ne sont pas reprises en intégralité pour préserver leur confidentialité mais aussi pour éviter d’alourdir le propos en ciblant à chaque fois un nouveau point clé de la méthodologie. Question

Décideur (réel ou présumé)

1. ,INVENTEURDUC“URARTIFICIELA T IL Inventeur du mis le doigt sur un marché porteur en C“URARTIFICIEL Europe aux horizons 2030 et 2050. CARMAT. 2. La recherche sur la fixation biologique de l’azote de l’air par les C£R£ALESDOIT ELLEäTREFINANC£EPARLA direction générale de l’INRA pour une diffusion mondiale à l’horizon 

Direction générale de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

3. Quelle sera la part de chaque technologie dans le marché mondial DUPHOTOVOLTAÉQUEÜLHORIZON Industriel. (sujet adapté, la question posée aux étudiants était légèrement différente).

Commanditaire

Sources

Tech2Market.

Florian Denis & Joachim Eeckhout (2014).

INRA.

Cours N. Popiolek.

CEA, Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN).

Bastien &OURNI£ !NAÉS Kodochristos )GOR6UJIC (2014).

29. Le master MTI est co-habilité par l’INSTN, l’université Paris-Dauphine, l’École des mines de Paris et l’ENS Cachan. Il partage également de nombreux cours avec le master projet-innovation-conception (PIC) de l’École polytechnique et d’HEC.

41

Prospective technologique

Question

Décideur (réel ou présumé)

Commanditaire

4. Quelle sera l’utilisation de l’énergie PHOTOVOLTAÉQUE ORGANIQUE POUR LES objets autonomes d’ici dix ans dans LEMONDE

Direction générale de l’Institut national de l’énergie solaire (INES) du CEA.

CEA, INES.

Sources Faiza Arib & Maud Huché (2013).

La question peut parfois se montrer plus précise quant à la nature des instruments à activer pour atteindre les objectifs du décideur : Question

Décideur (réel ou présumé)

5. La séquestration du carbone estelle plausible à l’horizon 2030 : Commission qu’est-ce que l’Europe pourrait européenne. mettre en place pour inciter ses INDUSTRIELSÜLADOPTER 6. Pour des raisons environnementales, Gouvernement la puissance publique française français. cherche à promouvoir, sur son territoire, la voiture électrique solaire à l’horizon 2030 : quelles politiques peut-elle déployer pour optimiser les B£N£FICESPOURLACOLLECTIVIT£

Commanditaire

Direction générale du CEA. Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

Sources Nathalie TaverdetPopiolek & Françoise Thais (2009). POLINOTEN (2014).

,ESINTERACTIONSAVECLECONTEXTEPEUVENTäTREIMPORTANTESQUANDLECONCEPTINNOvant a un impact fort sur l’organisation du système dans lequel il va potentiellement s’insérer : Question 7. La télésurveillance en cardiologie est un concept technique qui, s’il est généralisé, peut modifier l’organisation des soins. Quelle stratégie un fabricant de dispositifs peut-il mettre en place pour favoriser la diffusion de cette innovation aux HORIZONSETEN%UROPE

42

Décideur (réel ou présumé) Promoteur de l’innovation : un industriel, fabricant de dispositifs de télésurveillance.

Commanditaire

Tech2Market.

Sources

Arya Karabulut & Jennifer Sengenès (2014).

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

Question

Décideur (réel ou présumé)

8. Qu’en est-il de l’impact des Professeurs technologies numériques dans la d’université. transmission du savoir à l’université à l’horizon 2050 au niveau MONDIAL  1UELLES ORIENTATIONS LES professeurs doivent-ils donner à leur enseignement pour suivre l’évolution impulsée par la révolution numérique DENOTRESOCI£T£

Commanditaire CEA, Minatec IDEAs.

Sources Alexandre Hogommat, Batia Pachter (2014).

Parfois, la technologie ou les technologies se situe(nt) au niveau du débouché de l’objet considéré pour la prospective : Question 9. Évaluation à l’horizon 2030 au niveau mondial de la demande de deux éléments rares : l’indium et le néodyme.

Décideur (réel ou présumé)

Commanditaire

Représentant d’une Organisation non gouvernementale.

CEA, Institut de technicoéconomie des systèmes énergétiques (I-tésé).

Sources Arthur Orts & Martin Salomon (2014).

Le néodyme (appartenant à la famille des lanthanides représentant environ 16 % de la production mondiale de terres rares en 201430) rentre principalement dans la fabrication des super-aimants (80 % de sa production en 201331), qui sont utilisés pour fabriquer les éoliennes, les véhicules électriques et les disques durs. Le marché des super-aimants a une croissance annuelle de l’ordre de 16 %32. Quant à l’indium, ses débouchés les plus importants sont les écrans Liquid Crystal Display (90 % du marché), les lampes Light-Emitting Diode (5 %) et certains panNEAUXSOLAIRESPHOTOVOLTAÉQUESiCOUCHESMINCESwENTRáSFORTECROISSANCE 33. Il s’agit bien là d’une prospective technologique en ce sens que toute l’analyse de la demande repose sur une vision à long terme des technologies qui intègrent ces éléments rares. Étant particulièrement globale, elle ne nécessitera pas une analyse très fine de chacune des technologies mais une compréhension de leur diffusion relative suivant différents scénarios d’évolution des marchés. L’analyse doit intégrer aussi la problématique de l’offre puisque les tensions entre la production et la demande

30. Source : Industrial Minerals Company of Australia. 31. Steve Constantinides (2011), “Rare Earth Materials Update » May, SMMA conference. 32. Source : Canadian Imperial Bank of Commerce, mars 2011. 33. Année 2009, source projet européen Polinares, mars 2012 : WWWPOLINARESEUDOCSD POLINARES?WP?ANNEX?FACTSHEETPDF

43

Prospective technologique

conditionnent les prix et par conséquent les éventuelles substitutions à long terme de ces éléments par d’autres matières premières. Enfin, plus rarement, la problématique peut concerner, non pas l’évolution d’un concept technologique, mais celle d’un secteur de haute technologie tout entier : Question

Décideur

10. Quel avenir pour le financement de la recherche spatiale en France à LHORIZON#OMMENTLE#.%3 doit-il se positionner pour trouver DESFINANCEMENTS

Direction stratégique du Centre national des études spatiales (CNES).

Commanditaire CNES.

Sources Kévin Herlem (2013).

Ces deux derniers sujets s’inscrivent plus difficilement dans la méthodologie proPOS£E )LS ONT £T£ N£ANMOINS TRAIT£S DANS LE CADRE DU MASTER -4) AVEC LA MäME approche que les questions davantage ciblées sur un objet ou un système technologique innovant. Les résultats obtenus ont satisfait chacun des commanditaires, ce qui montre que la méthodologie est générique.

2.

Seconde étape : réflexion historique sur le système étudié et détection des faits porteurs d’avenir (80 % du temps de travail)

Le décideur, ses objectifs, l’objet de l’étude, le champ géographique et l’horizon étant caractérisés, il faut aider ce premier à appréhender le marché dans lequel le nouveau concept technologique peut se diffuser. Et, sauf cas particulier de prospective très globale conduisant à étudier l’évolution des équilibres de marchés comme dans le cas des éléments rares évoqué ci-dessus (exception à la règle34), la prospective ne peut pas se faire sans rentrer dans le détail de la technologie. Ainsi, cette seconde étape essentielle pour l’analyse prospective comprend : – d’une part, un état de l’art poussé de la technologieDOÂVIENT ELLECOMMENTFONCTIONNE T ELLEQUELSINSTITUTSDERECHERCHETRAVAILLENTÜLAD£VELOPPER QUELSSONTLESVERROUSTECHNOLOGIQUESÜFRANCHIRQUELSSONTLESARTICLESPUBLI£SET LESBREVETSD£POS£SÜSONSUJETQUELLESNORMESYSONTRATTACH£ES – d’autre part, une analyse de son contexte et des interactions entre la technologie et celui-ci. On verra plus précisément au chapitre suivant, qu’il s’agit de définir le système technologique ainsi que le système socio-économique composé de tous les  "IENQUILFAILLETOUTDEMäMECOMPRENDRELESTECHNOLOGIESNESERAIT CEQUEPOURENVISAGERDE possibles substitutions de matières premières.

44

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

éléments qui de près ou de loin sont en interaction avec la technologie, qu’il s’agisse d’éléments économiques, sociologiques, institutionnels, environnementaux, voire technologiques de la sphère concurrente. La compréhension du système global (technologie et milieu socio-économique au sens large) repose essentiellement sur l’analyse de son histoire car l’on ne peut imaginer des projections du système dans le futur, sans en connaître les comportements passé et présent. Un bon prospectiviste est avant tout un bon historien qui a compris comment les évènements se sont succédés pour aboutir à la situation présente : tendances lourdes qui reproduisent des situations sans surprise mais aussi bifurcation subite ou rupture liée par exemple à une découverte ou bien à la volonté d’un individu (ou groupe) de changer le cours de l’histoire. Comme ce sont les hommes qui font l’Histoire, le travail d’historien repose sur une analyse poussée du jeu des acteurs qui ont influencé le système : leurs objectifs, leurs comportements, leurs alliances, leurs confrontations. #ETRAVAILDOITäTRECOMPL£T£PARUNEANALYSEDERISQUESEXRISQUEDEFORTRENchérissement de telle matière première, risque d’emballement climatique, risque d’apparition de technologie concurrente, risque d’échec du programme de recherche) et par la détection des faits porteurs d’avenir susceptibles de conduire à des ruptures. Il s’appuie sur de la veille et tout particulièrement de la veille technologique. À retenir. Un mauvais historien ne peut pas faire un bon prospectiviste. Et, puisque la rupture a lieu dans l’avenir, celui-ci doit établir ce qui, à partir du présent, pourrait y conduire. Fort de cette réflexion historique qui mobilise 80 % du temps de l’étude, on peut aborder à présent la projection du système selon plusieurs scénarios.

3.

Troisième étape : projection du système selon plusieurs scénarios (15 % du temps de travail)

ÃLINSTARDELUTOPISTE ONDOITäTRECAPABLEDIMAGINERDAUTRESMONDESPOSSIBLES de manière rationnelle, c’est-à-dire en s’appuyant sur des facteurs déjà détectables aujourd’hui. On peut reproduire les tendances lourdes, ou bien anticiper des inflexions de tendance voire des ruptures potentielles. Il s’agit de déterminer l’évolution de chaque sous-système (sous-systèmes technologique et socio-économique) puis du système global dans un cadre d’hypothèses qui portent, en général, sur les variables motrices et non dépendantes situées sur la frontière du système comme on le verra au chapitre 4. Ces hypothèses peuvent concerner des faits prospectifs du présent (prolongement ou rupture de tendances, conflits entre acteurs). À chaque jeu d’hypothèses correspond un scénario dont la réalisation est plus ou moins probable.

45

Prospective technologique

,HORIZONDELAPROJECTIONDOITäTREBIEND£FINIAVEC COMMEONLAVU LAPOSSIBILIT£ d’ajouter des dates intermédiaires utiles pour la construction des cheminements. Ces dates intermédiaires sont souhaitables mais non indispensables, surtout lorsque le temps disponible pour réaliser l’étude prospective est relativement court. Dans le cas d’un scénario qui part du présent, la marche vers le futur consiste à décrire de façon cohérente le cheminement entre la situation actuelle et l’horizon choisi en suivant l’évolution des principales variables et en respectant les contraintes fixées par les hypothèses. Si l’on a prévu des coupes dans le temps, alors, le cheminement doit considérer aussi les images intermédiaires du système étudié. Pour un scénario normatif, on procède de façon analogue en partant cette fois-ci d’une image finale et en décrivant le cheminement rétrospectif conduisant au présent. À retenir. Un jeu d’hypothèses est une contrainte qui s’impose à l’histoire du scénario comme les berges à l’eau d’un fleuve et, l’on peut voir l’avenir en noir comme M. Pécuchet ou bien en rose comme M. Bouvard… (Gustave Flaubert, 1880). On doit ainsi chercher à atteindre cet avenir rose.

4.

Dernière étape : recommandations pour le décideur (5 %)

Pour conclure l’analyse, le prospectiviste doit donner des recommandations au directeur du programme de recherche, à la puissance publique, au dirigeant de la start-up… pour l’aider à définir une stratégie, une politique, favorisant la diffusion de la technologie (ou au contraire la freinant si elle ne permet pas de répondre aux objectifs fixés). Comme nous l’expliquons ci-après, les recommandations doivent se référer aux croyances du décideur ainsi qu’à son système de valeurs.

III. Croyances du décideur Dans une démarche prospective, le choix des éléments à considérer dépend du décideurONN£CLAIREPASUNPROBLáMEDELAMäMEFAÀONSELONQUELONCHERCHE des solutions pour la puissance publique, pour un chef d’entreprise privée ou une agence de financement. Au moment de la définition du système et a fortiori lors de sa projection, il est indispensable de se référer aux croyances du décideur, c’est-àdire, à sa façon d’appréhender l’avenir, de le souhaiter ou de le craindre. Les croyances, qui transparaissent dans les objectifs du décideur, font référence à quelque chose de plus profond qu’il faut identifier pour imaginer les scénarios souhaitables à ses yeux : quels sont ses rapports au progrès technologique, à l’écologie, ÜL£QUIT£ENTRELESPEUPLESx

46

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

En s’inspirant des travaux de B. Cazes (déjà cités), montrant que dans l’histoire les fabricants d’images sur l’avenir puisent dans un répertoire de base composé de quatre schémas élémentaires s’articulant autour de deux thèmes, la civilisation et le progrès, nous proposons de formuler les questions suivantes : – le décideur croit-il que la civilisation moderne (avec ses nombreux attributs SCIENCESETTECHNIQUES INDUSTRIE URBANISATION D£MOCRATIEETLAÉCIT£ ETC.) pourSUIVRASONESSOROUBIENPERDRADUTERRAIN – cette extension (ou ce recul) de la civilisation va-t-elle de pair avec le progrès, ou YA T ILAUCONTRAIRER£GRESSIONPARRAPPORTÜLASITUATIONACTUELLE La combinaison de ces deux paires d’interrogation revient à situer les croyances du décideur vis-à-vis des formes de changement envisageables, dans l’une des quatre situations types reproduites sur la figure 8.

Oui

Non

Civilisation moderne croissante ?

A - Davantage de civilisation et progrès Exemples : – avènement d’une société sans classe souhaitée par Karl Marx ; – émergence d’une société postindustrielle ou d’une société de l’information ; – la « troisième révolution industrielle » popularisée par Jeremy Rifkin (2012)…

C - Davantage de civilisation et régression, anti-progrès Contre-utopie, décadence « moderne » Exemples : – Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932) ; – La déclaration de Gemma Malley (2007).

Civilisation moderne décroissante ?

Y aura-t-il progrès ?

B - Moins de civilisation et progrès, retro-progrès : refus plus ou moins radical de la civilisation moderne Exemples : – « Halte à la croissance », Rapport Meadows déjà cité ; – courant néo-malthusien.

D - Moins de civilisation et régression Décadence « classique » – La chute de Rome.

Figure 8 Typologie des visions du futur, d’après B. Cazes.

47

Prospective technologique

À retenir. En toile de fond d’une démarche prospective, se trouvent les croyances du décideur quant aux formes de changement qu’il espère ou bien redoute. Ces croyances vont influencer les stratégies déployées mais aussi la construction des scénarios de contexte.

En guise de conclusion, nous résumons les étapes de la méthodologie prospective Une fois le sujet défini précisément, la prospective technologique comprend trois étapes (cf. Fig. 9). 1. Construction de la « base » (80 % du temps) : il faut traiter le fait, l’amont du fait, sa source, son origine Cela consiste à bien comprendre la technologie en question, son contexte et les interactions potentielles. Elle repose sur une analyse poussée du passé afin de repérer les tendances lourdes et de comprendre le jeu des acteurs. Elle est complétée par une analyse des risques et la détection des germes de changement. 2. Élaboration des scénarios (15 % du temps) : il faut traiter l’aval du fait, ses impacts, le déploiement dans le temps, ses conséquences C’est la projection de la « base » qui est faite en se focalisant sur les tendances lourdes et sur les paramètres de bifurcation tout en réfléchissant au positionnement des acteurs. 3. Énoncé des recommandations pour aider le décideur à agir (5 % du temps)

48

2. Prospective et innovation technologique : grandes étapes d’une méthodologie

ĠĮŶŝƟŽŶĚƵƐƵũĞƚ

ĞƐĐƌŝƉƟŽŶ ĚƵƐLJƐƚğŵĞĂĐƚƵĞů͗ ƚĞĐŚŶŽůŽŐŝĞнŵŝůŝĞƵƐŽĐŝŽͲĠĐŽŶŽŵŝƋƵĞ 80%

ŽŵƉƌĠŚĞŶƐŝŽŶĚĞƐŽŶŚŝƐƚŽŝƌĞ ĚĞƐĞƐůŽŝƐĞƚƌĞƉĠƌĂŐĞ ĚĞƐŝŶĐĞƌƟƚƵĚĞƐ

ŶĂůLJƐĞĚĞůĂ ͨďĂƐĞͩс sĞŝůůĞ ƉƌŽƐƉĞĐƟǀĞ

WƌŽũĞĐƟŽŶƐŽƵƐŚLJƉŽƚŚğƐĞƐ͗ůĞƐfuturibles

15%

5%

^ŝdž͙͘͘ĂůŽƌƐLJ ŽƵďŝĞŶbackĐĂƐƟŶŐ͗ ƐĐĠŶĂƌŝŽƐ ŶŽƌŵĂƟĨƐ

RecŽŵŵĂŶdĂƟŽŶsĂudĠcideur

Figure 9 Grandes étapes de la prospective technologique.

49

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

3

Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte « La société façonne la technologie qui en retour façonne la société. »

Pierre Gonod

On montre d’abord qu’il est indispensable de raisonner en système pour réaliser une analyse prospective, qu’elle soit technologique ou non. Cependant, la particularité de la prospective technologique est qu’elle doit considérer avec autant d’attention le système constitué par les variables technologiques que celui dans lequel celles-ci s’insèrent et interagissent. On détaille ensuite, à partir d’un cas d’application, les bonnes questions à se poser pour appréhender et délimiter le système global considéré : questions pour l’état de l’art technologique et questions pour les enjeux socio-économiques associés.

I.

Analyse systémique : le propre de la prospective

Après avoir défini ce qu’est un système, nous décrivons les grandes composantes de celui qui est associé à une prospective technologique en insistant sur les interrelations qui existent entre la technologie et l’environnement socio-économique

51

Prospective technologique

dans lequel elle doit prendre place. Nous évoquons le principe de la dynamique des systèmes qui pourrait servir pour la prospective technologique mais que nous ne retiendrons pas dans la boîte à outils car cela nécessite une modélisation assez poussée avec l’utilisation d’un logiciel de programmation dynamique.

1.

Quelles sont les caractéristiques d’un système ?

Dans son ouvrage, Le macroscope, du nom de l’instrument qu’il imagine, face au microscope et au télescope, pour l’observation de l’infiniment complexe, Joël de Rosnay (1975) définit le système relativement à un but : « ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but ». La construction dépend du but recherché mais aussi, comme on l’a vu, des croyances du décideur. Il y a une forte part de subjectivité dans le choix des éléments (appelés variables) du système comme dans celui des interactions. Le système est un outil que l’on se donne pour REGARDERETCOMPRENDRELAR£ALIT£,ECORPSHUMAIN PAREXEMPLE PEUTäTREVUDE façon très différente selon que l’on sera biologiste, médecin ou… poète. Dans le domaine social, tout particulièrement, la définition du système conduit à considérer des méta-systèmes qui ne sauraient servir de cadre à une étude prospective : la rencontre de nouveaux feedbacks ferait sans cesse reculer les limites du système. Ainsi, le prospectiviste doit considérer uniquement les rétroactions décisives avant de dresser la liste de toutes les variables à prendre en considération. À l’intérieur du système, ce sont les variables internes qui sont liées les unes aux autres par des relations et des feedbacks : il faut étudier chacune d’elles de manière approfondie. À l’extérieur, ce sont les variables de contexte qui jouent sur le système sans qu’il y ait de feedback du système sur elles. La figure 10 schématise un système plongé dans son environnement. Où est la fronƟère?

Contexte : variables externes

Système : variables internes

Figure 10 Le système étudié plongé dans son contexte.

Le temps octroyé pour réaliser la prospective, compte tenu du nombre de personnes impliquées dans le travail, doit rentrer en ligne de compte pour dimensionner le

52

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

système et repérer sa frontière sachant que plus le système est vaste, plus le temps de l’étude prospective sera important, à moins de regarder chacune des variables à un niveau plus macroscopique. La limite du système dépend aussi du type de technologie considéré. Si la diffusion de l’innovation a potentiellement un impact fort sur la société en remettant en cause son organisation, le système prospectif sera plus vaste que si elle n’a d’effets que sur UNNOMBRERESTREINTDAGENTS$EMäME a priori, plus l’horizon de la prospective est LOINTAIN PLUSLESYSTáMEÜANALYSERDOITäTRELARGE SURTOUTSILINNOVATIONCONCERNE aussi les générations futures. Enfin, la taille du système dépend aussi des objectifs du décideur. Comme l’écrivent Pierre Chapuy et Jean-Marc Petat (cf. Ph. Durance, ch. 12, 2014), si celui-ci vise à obtenir un équilibre entre les trois piliers du développement durable, la réflexion prospective intègrera une multiplicité de paramètres influencés par de nombreux stakeholders. À retenir. « Un système est un construit intellectuel, dans un certain but, constitué d’éléments choisis, en interaction dynamique », Michel Grenon (1992). La vision SYST£MIQUE CESTUNARTM£THODOLOGIQUEDEMISEEN“UVREDELINTERDISCIPLINARIT£

2.

Système d’une prospective technologique

Les méthodes de prévision technologique, que l’on détaillera au chapitre 6, ont le principal défaut de considérer la technologie comme une entité isolée qui n’évolue que par ses propres composantes. Cette vision a conduit dans le passé à des erreurs de pronostics sur la diffusion des innovations sur le marché : super optimisme technologique assorti d’échecs commerciaux. L’exemple du Concorde est ancien mais assez caractéristique. Comme le dit Michel Callon (1981) « […] pour réussir, les réalisateurs du Concorde eussent dû contrôler non seulement des aciers, des gaz d’échappement et des turbulences, mais aussi le prix du kérosène, les mouvements des riverains et la démocratisation des transports aériens ». Contrairement à la prévision, la prospective considère que le concept technologique, formant un sous-système organisé par ses lois, est plongé dans un contexte socio-économique comme l’est une cellule échangeant avec son milieu. Cette représentation systémique implique, d’une part de repérer les composantes caractérisant la technologie étudiée et, d’autre part de comprendre ce qu’elle est susceptible DAPPORTERÜSONENVIRONNEMENTSOCIO £CONOMIQUE$ANSLEMäMETEMPS ILFAUT analyser comment cet environnement peut la modifier, la faire évoluer, comme une cellule grandissant, vieillissant en puisant des nutriments dans son milieu. Ainsi, pour projeter le système global, l’analyse des interactions entre ces deux systèmes est AUC“URDESPR£OCCUPATIONScf. Fig. 11).

53

Prospective technologique

Lois physiques de la technologie

Théories économiques et sociales

Figure 11 Lien entre système technique et société.

#ETTER£CIPROCIT£AVAIT£T£OUBLI£EPAR*ULES6ERNEQUIIMAGINAITDIMMENSESAVANcées technologiques sans faire évoluer la société et les rapports humains (vision datée de la femme ou des relations entre générations). Ce que l’on pardonne volontiers ÜUNPOáTE NEPEUTPASäTREACCEPT£POURLEPRESTATAIREDUNEPROSPECTIVETECHNOlogique : prise isolément, une prévision technologique n’a pas de valeur et, pour construire les scénarios, il est nécessaire de prendre en compte les prolongements économiques et sociaux de l’innovation. Il ne faut pas non plus négliger l’analyse technologique afin d’éviter de tomber dans un travers tout aussi préjudiciable qui serait de ne pas considérer les lois qui régissent la technologie. Dans le cas du CSC par exemple (voir paragraphe suivant), les lois de la physique mettent un seuil au progrès que l’on peut réaliser pour limiter la baisse de rendement de la centrale électrique couplée à une unité de captage. -OINSAUDACIEUXQUE*ULES6ERNEDANSSESINVENTIONSTECHNOLOGIQUES !LBERT2OBIDA (1883, 1890) lui, a su faire évoluer de concert la technologie et la société. À la fin du XIXe siècle, il avait prévu grands nombres d’innovations du XXe, comme le téléphonoscope35, sans oublier d’imaginer les développements sociaux qui découlent de ses inventions, souvent avec justesse. En particulier, il a modifié la place des femmes dans la société ; elles travaillent comme médecins, notaires ou avocates et il invente UNEMACHINEÜFABRIQUERDESPLATSCUISIN£STOUTPRäTSPOURALL£GERLEUREMPLOIDU temps. Ainsi, pour former l’équipe qui va réaliser l’étude prospective, il est indispensable de faire appel à des personnes maîtrisant le domaine de la technologie (ingénieur, biologiste, médecin…) ainsi qu’à des chercheurs (ou consultants) en sciences humaines et sociales (économiste, sociologue...).

35. Écran plat mural qui diffuse, à toute heure du jour et de la nuit, les dernières informations, des pièces de théâtre, des cours et des téléconférences.

54

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

À retenir. La méthodologie à adopter pour étudier l’émergence sur le MARCH£ DUNE TECHNOLOGIE DONN£E DOIT äTRE BAS£E SUR LANALYSE DUN SYSTáME global constitué de deux sous-systèmes en interaction : le système associé à la technologie d’une part, et le système socio-économique dans lequel elle doit s’insérer d’autre part.

3.

Un petit détour par la dynamique des systèmes

Nous ne pouvons pas parler de prospective et d’analyse systémique sans évoquer la « dynamique des systèmes » héritière de la cybernétique, créée au milieu des années 1950 au Massachusetts Institute of Technology pour décrire les systèmes et effectuer les calculs sur leur évolution (Jay Forrester, 1971). À noter que les travaux de Meadows et al. (déjà cités) se fondent sur cette théorie pour modéliser l’avenir de notre société et (dé)montrer les effets néfastes à long terme du prolongement des tendances de croissances économique et démographique. La dynamique des systèmes permet d’élaborer des scénarios prospectifs pour des objets a priori très différents. À titre d’exemple, dans le domaine de l’électronucléaire, elle est utilisée pour réaliser des études prospectives sur le parc mondial et les consommations en ressources fissiles. Les travaux réalisés au CEA par Sophie Gabriel et al. (2013) montrent que, pour la plupart des scénarios qui prévoient un développement du nucléaire dans le monde, les ressources conventionnelles d’uranium (dont 7,6 Gt récupérables à un coût inférieur à 260 $/kg)36 seront

36. Source : Red Book 2014 (OECD/NEA, IAEA, 2014).

55

Prospective technologique

engagées avant la fin du siècle. Il faut savoir que les réacteurs actuels, y compris ceux de 3e génération, n’utilisent pas de manière optimale la ressource « uranium » puisque seul 0,5 à 1 % de l’uranium utilisé pour fabriquer le combustible, sert réellement à produire de l’énergie par fission37. Dans un objectif de durabilité, il faudrait alors avoir recours aux réacteurs de 4e génération à spectre rapide de neutrons qui, en permettant l’iso-génération de la matière fissile, voire la surgénération, assureraient une durabilité de plusieurs millénaires à l’énergie de fission. Cette option nécessite de continuer la R&D sur les réacteurs du futur. Le CEA y travaille, dans LECADREDU&ORUMINTERNATIONALG£N£RATION)6 AVECLEPROGRAMME!342)$QUIA pour objectif de relancer la filière à neutrons rapides en construisant un prototype de taille moyenne (600 MW). Comme dans beaucoup d’études prospectives ayant recours à la dynamique des systèmes, c’est le logiciel Stella© qui a permis aux auteurs de quantifier les scénarios sur l’avenir des ressources fissiles (cf. encadré 3). Encadré 3. Le logiciel Stella. Ce logiciel permet d’une façon simple de modéliser des systèmes complexes, de regarder leur évolution, d’agir sur certains paramètres pour tester différents scénarios. Concrètement, Stella © permet de construire des diagrammes « stocks et flux ». Les stocks sont des sortes de réservoirs, d’accumulateurs qui se remplissent et se vident. Les flux sont des robinets, des connections qui laissent entrer ou sortir les éléments des stocks. On peut y ajouter des connecteurs qui indiquent de quoi dépendent les flux.

Malgré son utilité, nous ne faisons pas appel à la programmation dynamique dans la méthodologie présentée dans cet ouvrage. En effet, nous privilégions la participation du décideur et des parties prenantes à la démarche prospective afin qu’ils s’approprient les résultats et aient une meilleure connaissance des enjeux. Ainsi, le MODáLEPERMETTANTDER£ALISERLAPROSPECTIVETECHNOLOGIQUENEDOITPASäTRETROP sophistiqué pour rester un véritable accompagnement à la stratégie. À retenir. Accompagner le décideur dans l’élaboration de sa stratégie implique d’avoir recours à une approche prospective relativement simple et explicite sans faire appel à la programmation dynamique.

37. Du fait de leurs caractéristiques, ces réacteurs font appel à des combustibles enrichis en uranium 235, isotope naturellement peu abondant.

56

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

II.

Questions pour réaliser l’état de l’art technologique : cas du captage, stockage du carbone

On répond à une liste de questions relatives à la technologie étudiée en lisant la littérature scientifique, en consultant les portefeuilles de brevets associés, les textes relatifs à la normalisation dans le domaine et en interviewant des chercheurs concernés.  1UELLESSONTLESFONCTIONSDUCONCEPTTECHNOLOGIQUEÃQUOISERT IL  1UELSSONTLES£L£MENTSQUILECONSTITUENT  #OMMENTÀAPEUTMARCHER  1UELLESSONTLESNORMESTECHNIQUESEXISTANTESETPOTENTIELLES  1UELSSONTLESCONTRAINTESÜRESPECTERETLESVERROUSTECHNOLOGIQUESÜD£BLOQUER 6. Quels sont les risques et les incertitudes associés à ces verrous pour l’horizon de L£TUDE 7. Quelles sont les technologies complémentaires pour viser éventuellement un CHAMPDAPPLICATIONSPLUSVASTE  1UELLESSONTLESTECHNOLOGIESCONCURRENTESQUIR£PONDENTAUXMäMESFONCTIONS À titre d’exemple, nous nous intéressons à l’état de l’art du concept technologique, captage, stockage du carbone (CSC). Cette analyse est relative à la question prospective 5 : « La séquestration du carbone est-elle plausible à l’horizon 2030 : qu’est-ce que l’Europe pourrait mettre en place pour inciter les industriels à l’adopter ? ». Nous ne présentons pas un état de l’art complet avec analyse bibliographique, étude des brevets et des normes, interviews d’experts, mais donnons, dans les grandes lignes, les réponses aux principales questions que l’on se pose pour débuter la prospective. Les indications sont issues principalement des travaux de N. TaverdetPopiolek, F. Thais (2009) et de J.-M. Martin-Amouroux (2008). Elles sont données DANSUNEOPTIQUEPUREMENTDIDACTIQUEETDEVRAIENTäTREACTUALIS£ES Au préalable, il nous a semblé nécessaire de rappeler les enjeux du CSC pour l’Europe étant donné le contexte mondial de changement climatique.

1.

Enjeux du sujet

Le cinquième rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dont la synthèse est parue fin octobre 2014, est sans équivoque. Il CONFIRME ACCENTUEMäME LESCONCLUSIONSDESRAPPORTSPR£C£DENTS0ARMICELLESQUI ont retenu notre attention, figurent : – l’augmentation de la concentration des GES pourrait entraîner des changements majeurs au niveau des températures, du niveau des mers ou de la fonte des glaces ;

57

Prospective technologique

– LARESPONSABILIT£HUMAINEDANSCESBOULEVERSEMENTSESTESTIM£ECOMMEEXTRäMEment probable (probabilité de 95 %) ; – pour maintenir la hausse des températures sous le seuil de deux degrés, nous devrions réduire nos émissions de GES de 10 % par décennie (conduisant à un niveau proche de 0 en 2100). Dès le protocole de Kyoto en 1997, l’Europe (puisque que c’est d’elle dont il est question dans le sujet de prospective) s’est montrée très active dans la lutte contre le changement climatique et a mis en place un certain nombre de moyens pour limiter ses émissions de GES. La combustion d’énergie étant sa principale source d’émission de GES (près de 80 % en 201238), elle a, en particulier, préconisé quatre grandes mesures en lien avec sa politique énergétique39 : – parvenir à 20 % d’amélioration de l’efficacité énergétique dans l’Union d’ici 2020 par rapport à un scénario tendanciel ; – augmenter la part des énergies renouvelables pour atteindre une part de 20 % dans la consommation énergétique totale d’ici 2020 ; – passer à des énergies moins carbonées en limitant les émissions de GES de 20 % par rapport à 1990 d’ici 2020 avec d’une part, des objectifs nationaux pour les émissions diffuses et d’autre part un objectif communautaire pour les autres émisSIONS DEVANTäTREFACILIT£PARLAmise en place d’un marché de quotas de CO2 ; – développer une politique de stockage géologique du carbone préservant l’environnement avec en particulier, la création d’un cadre législatif pour cette technologie.

2.

Quelles sont les fonctions du concept technologique ? À quoi sert-il ?

C’est dans ce contexte que l’on étudie l’avenir du CSC en Europe pour les centrales électriques fonctionnant à base de charbon car, comme le montre le tableau 2, elles contribuent fortement au réchauffement climatique en émettant deux fois plus de CO2DANSLATMOSPHáREQUELESCENTRALESÜGAZETCELA POURLAMäMEQUANTIT£D£LECtricité produite.

38. Source : Agence européenne pour l’environnement, 2014 pour EU28. 39. Communication de la Commission du 10 janvier 2007, intitulée : « Limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés Celsius – Route à suivre à l’horizon 2020 et au-delà », COM(2007) 2 final.

58

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

Tableau 2 Comparaison des émissions de CO2 entre des centrales au charbon et au gaz40. Centrale

Rendement

CO2 émis g/kWh

Moderne à charbon pulvérisé

43 %

775

Cycle combiné gaz

56 %

360

Une des voies possibles pour limiter les émissions de CO2 des centrales électriques, est l’augmentation de leur rendement. Les industriels y travaillent mais ce type d’innovation incrémentale ne parviendra pas à rendre la combustion du charbon inoffensive vis-à-vis du réchauffement climatique. Pour éviter le rejet de CO2 dans l’atmosphère, la voie du CSC, plus récente et plus radicale est menée conjointement par les États et les industriels depuis une quinzaine d’années. Greffée à une centrale à charbon, la fonction principale de cette innovation est de permettre à celle-ci de produire de l’électricité en limitant drastiquement ses émissions de CO2, par captage et stockage, dans l’objectif de lutter contre le réchauffement global de la planète.

3.

Quels sont les éléments du concept technologique ?

Nous sommes ici en présence d’un système complexe avec plusieurs technologies envisagées pour le captage du CO2, pour son transport et pour son stockage. À noter, que si le sujet de l’étude prospective était concentré sur une seule technologie (ex. : avenir du captage du CO2 par oxy-combustion, voir ci-dessous), alors l’analyse fonctionnelle serait plus pointue techniquement puisque le système considéré serait plus resserré.

4.

Comment ça peut marcher ?

Le concept technologie du CSC n’étant qu’au stade de recherche et d’expérimentation, il convient en particulier, d’asseoir l’analyse sur une bonne connaissance des caractéristiques des sites pilotes en fonctionnement dans le monde.

4.1

Captage

Pour capter le gaz carbonique émis par une centrale électrique, trois grands types de technologies sont envisagés : la post-combustion, la pré-combustion et l’oxycombustion. Le tableau 3 en résume les caractéristiques et montre tous les champs 40. Communication Chaire développement durable École polytechnique EDF « Studies about CO2 capture and storage », Philippe Jaud et René Gros-Bonnivard EDF – R&D, janvier 2008.

59

Prospective technologique

à investiguer pour réaliser l’état de l’art complet sur lequel se basera la prospective. Pour la réalisation d’une étude réelle, il faut analyser plus finement les composantes de la technologie afin d’identifier précisément les voies de R&D nécessaires à l’ouverture des verrous technologiques. Tableau 3 Filières de captage du CO2. Technologies

Principes

Implantation sur centrale existante (retrofit)

Post-combustion Captage en aval de la combustion

Extraction du CO2 dilué dans les fumées de combustion. Technologies en compétition : – dissolution du CO2 dans des amines ou par ammoniac ; – séparation par membranes filtrantes, par réfrigération…

Oui si place suffisante et si rendement suffisamment élevé (Capture ready).

Pré-combustion Captage par pré-gazéification du charbon

Extraction du CO2 à la source en transformant avant usage, le combustible fossile en un gaz de synthèse.

Non. Diffusion subordonnée à celle de l’Integrate Gasification Combined Cycle (IGCC ).

Oxy-combustion Captage pendant la combustion

Enrichissement du taux de CO2 des fumées en remplaçant l’oxygène de l’air par de l’oxygène concentré ou pur, permettant un captage beaucoup plus aisé du CO2. Oxygène préparé dans un générateur cryogénique ou à membranes.

Oui.

Oxy-combustion par chemical looping

Contact du charbon avec un oxyde métallique permettant l’apport d’oxygène pur.

Non6ISEPLUT¹TLESCENTRALES à gaz naturel. Développement très préliminaire.

4.2

Transport

Le transport peut se faire par « carboduc » (réseau de pipelines sous terre) à condition de comprimer le gaz capté avant de le transporter (gaz sous forme dense à pression et température respectivement supérieures à 74 bars et à 31 °C). Sur longues distances, le transport par bateau (« carbonier ») peut s’avérer mieux adapté lorsque

60

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

les sites de stockage sont situés en mer. Le CO2 serait alors acheminé sous forme liquide à pression modérée et à basse température (entre - 50 et - 30 °C et entre 7 et 15 bars).

4.3

Stockage

Une fois que le CO2 a été capté et transporté, il faut le stocker pendant des centaines d’années, le temps nécessaire pour sortir de l’ère des combustibles fossiles. À cette fin, trois types de réservoirs souterrains sont à l’étude : les réservoirs naturels vidés des hydrocarbures ou de gaz, les aquifères salins profonds impropres à la consommation et les veines de charbon des gisements non encore exploités. Les risques qu’un excès de CO2 ferait courir à la flore et à la faune marine ont conduit à abandonner l’hypothèse d’une séquestration dans les océans. ÃCHAQUETYPEDESTOCKAGE DONTLESCAPACIT£SETDISPONIBILIT£SDOIVENTäTRER£PERTOriées, correspondent des technologies spécifiques dont il convient d’étudier le fonctionnement.

5.

Quels sont les contraintes à respecter et les verrous à lever ?

Dans cet exemple, on étudie les contraintes et les verrous du système sans difféRENCIERLESTECHNOLOGIES0OURUNEPROSPECTIVER£ELLE ONPEUTäTREAMEN£ÜREGARDER chacune des technologies en détail.

5.1

Captage

Le principal verrou technologique est la perte de rendement de la centrale en raison de l’énergie consommée pour le captage. Ce phénomène lié aux lois de la physique rend nécessaire la recherche d’un haut rendement au départ pour la centrale à équiper. Comme nous allons le voir au paragraphe sur l’insertion de la technologie dans la sphère économique, cela a une incidence sur le coût de l’utilisation de la technologie donc sur son adoption par les industriels.

5.2

Transport

Le transport par « carboduc » ou par navire ne pose pas de problème technique à part la maîtrise des impuretés produites par les différents procédés de captage : corrosion, formation d’hydrates (en fonction de la teneur en eau), mélanges diphasiques (présence de gaz incondensables comme l’azote ou l’oxygène), etc. Il faudra trouver des matériaux résistants pour les pipelines et la coque des bateaux.

61

Prospective technologique

5.3

Stockage

Il faut garantir que le CO2 ne s’enfuit pas et reste confiné dans son site de stockage pendant des centaines d’années. Cela constitue un élément clé de la R&D sur le sujet menée, en ce qui concerne la France, essentiellement au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et à l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN).

6.

Quels sont les risques intrinsèques à cette technologie ?

Les risques les plus importants concernent le stockage sur de longues années. En effet, malgré les programmes de recherche, de nombreuses incertitudes subsistent toujours quant aux effets du CO2 enfoui sur son environnement : réactions des impuretés présentes dans le CO2, résistance du ciment utilisé pour boucher les forages abandonnés, comportement du gaz au niveau du puits d’injection…

7.

Quelles sont les technologies concurrentes qui répondent aux mêmes fonctions ?

Puisque la prospective concerne l’ensemble de la filière CSC, les technologies CONCURRENTESSONTCELLESQUIR£PONDENTÜLAMäMEFONCTIONGLOBALE i.e. la limitation des émissions de CO2 dans l’atmosphère lors de la production d’électricité. Elles sont donc nombreuses et il faut se référer en particulier à toutes les autres technologies visées par les mesures de politique énergétique de l’Europe que l’on a rappelées plus haut, à savoir, celles qui permettent d’améliorer l’efficacité énergétique des centrales et celles qui sont liées aux énergies renouvelables. Cependant, étant données les puissances électriques en jeu, on peut considérer que, dans le mix électrique européen, la véritable technologie qui entre en concurrence directe avec la centrale à charbon munie d’unité de captage est la centrale électronucléaire du futur. Ici, futur signifie « à l’horizon de l’étude prospective » et comme les technologies n’ont pas a prioriLAMäME£VOLUTION ILFAUTSER£F£RERAUXroadmaps des filières respectives pour les comparer correctement dans le temps. À retenir. Il est fréquent que les verrous technologiques soient intimement liés à des verrous économiques, concrétisés le plus souvent par des coûts non compétitifs par rapport aux technologies concurrentes. La R&D s’attèle alors à diminuer les coûts et/ou augmenter l’efficacité de la technologie innovante.

62

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

III. Enjeux socio-économiques de l’innovation #OMMENTLESYSTáMETECHNOLOGIQUESINSáRE T ILDANSSONMILIEU,ESQUESTIONSÜ traiter sont les suivantes.  ÃQUILECONCEPTTECHNOLOGIQUESERT IL 2. Quelle est son utilité économique vs.SESINCONV£NIENTS 3. Quelles sont ses qualités environnementales vs.SESINCONV£NIENTS  1UELSSONTLESRISQUESSOCI£TAUX  1UELESTLECONTEXTEJURIDIQUEGARDE FOUDESIMPACTSSOCI£TAUX 6. Quel est le positionnement socio-économique de la technologie par rapport aux PRINCIPALESTECHNOLOGIESCONCURRENTESMATURESETÜVENIR  On voit bien que ces questions sont à rapprocher des objectifs fixés par le promoteur de la technologie, mais pas seulement puisque les impacts de sa diffusion sur les autres acteurs concernés vont jouer sur son succès. On continue l’exemple simplifié du système CSC.

1.

À qui le concept technologique sert-il ?

Les technologies du CSC sont destinées aux industriels pour faire face à la législation qui leur est imposée par la Commission européenne : respects des quotas d’émissions de CO2 notamment. Mais ces technologies servent en fait à la puissance publique, ici l’Europe QUI GARANTDELINT£RäTG£N£RAL CHERCHEÜMA¦TRISER l’augmentation des GES en faisant la promotion de la filière CSC.

2.

Quelle est son utilité économique vs. ses inconvénients ?

Pour les industriels qui les utilisent, on peut dire que les technologies du CSC ne sont pas encore économiquement viables car elles présentent deux inconvénients majeurs : – elles détériorent le rendement en raison de l’énergie consommée pour le captage, ce qui rend encore plus nécessaire la recherche d’un haut rendement de départ ; – elles grèvent le coût du kWh produit par la complexité des équipements mis en “UVRE Si le prix du CO2 sur le marché de quotas est faible et incertain, il n’y a pas d’utilité économique pour l’industriel d’investir dans ce type de technologie puisque la vente de permis à polluer sur la durée de vie de la centrale ne pourra pas compenser l’investissement de départ et les pertes de recettes annuelles. À ce stade, l’analyse

63

Prospective technologique

oblige à rassembler tous les éléments de coûts (en se référant aux sites pilotes déjà en fonctionnement) pour faire une évaluation du prix plancher du CO2 conduisant à rendre le CSC rentable pour les industriels. Dans la phase de projection du système, il conviendra de faire évoluer, selon différents scénarios, ces coûts, en tenant compte des effets d’apprentissage, ainsi que du niveau du prix du CO2 sur le marché de quotas. La figure 12 illustre le travail à réaliser lors de la phase de projection du système avec la justification du choix de chaque hypothèse (technologie de captage concernée, type de transport, de stockage…). Coût du CSC 100 90

90

Fourchette haute

80

€/tonne

70 60

60

50

45

40 30

Prix actuel du CO2

55

30

35

Fourchette basse

20 10 0 2015

2020

2030

Effet d’apprentissage

Figure 12 Anticipation de la phase de projection (sous hypothèses) du coût du CSC (en €/tonne de CO2 enfoui) et positionnement relatif par rapport au prix du CO2 sur le marché de quotas.

En rassemblant la littérature et en interrogeant des experts, le coût du transport DOIT äTRE £VALU£ POUR LE CALCUL DU COœT DU #3# ,ESTIMATION EST D£LICATE CAR LE transport par bateau n’étant pas possible lorsque les sites d’émission sont situés loin des principales routes maritimes, il faudrait déployer un réseau « carboduc » très conséquent estimé, selon des experts de l’AIE, entre 30 000 et 150 000 km de long pour l’Europe ! Pour financer de tels investissements, il faut imaginer un système obligeant les utilisateurs à payer l’acheminement du gaz. D’autre part, il faudrait aussi évoquer les effets plus indirects sur l’économie comme la création d’emplois générée par la R&D et l’innovation. Mais, cet aspect est toujours très difficile à quantifier. Au mieux, il faut le signaler et, dans la phase de projection et de recommandations, identifier les dispositifs à mettre en place pour que les emplois se créent sur le territoire étudié…

64

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

3.

Quelles sont ses qualités environnementales vs. ses inconvénients ?

La fonction du CSC est associée à la préservation de l’environnement via la lutte contre l’effet de serre. Cependant, il faut lister également les autres effets sur l’environnement : emprise au sol pour les installations et les « carboducs », impacts géologiques au niveau des zones de stockage…

4.

Quels sont les risques sociétaux induits ?

On fait la distinction avec les risques purement technologiques, que l’on a listés en faisant l’état de l’art technologique et qui concerne d’avantage les chercheurs. Ici, on s’intéresse aux risques d’acceptabilité du CSC par la population compte tenu de la multiplication des réseaux de transports et des risques de fuite de gaz près de la zone de stockage. Le public sera d’autant plus réticent au stockage du gaz carbonique que le risque d’accident n’est pas nul : les catastrophes naturelles dues au dégazage de CO2 qui se sont produites en 1984 puis en 1986 dans la région volcanique du Mont Oku au Cameroun ont fait respectivement 37 et 1 700 morts41. Il faut analyser les réactions de la population au moment de la création des sites pilotes. Total a d’ailleurs fait état d’une difficulté d’acceptation pour le pilote CSC de Lacq, difficulté nettement plus importante que pour le stockage de l’hydrogène sulfuré, qui lui, n’est pas considéré comme un déchet.

5.

Quels sont les problèmes juridiques posés ?

La réglementation qui n’en est qu’à ses premiers balbutiements, s’avère pourtant indispensable pour fournir les conditions d’un stockage du CO2 qui soit permanent et sûr (garde-fou des impacts sociétaux). Si elle est établie sur des bases rigoureuses et précises, cette garantie contribuera à l’accélération du déploiement de cette technologie en traitant des points fondamentaux comme la sélection du site de stockage, le permis d’exploitation, la surveillance du site, la responsabilité de l’exploitant…

6.

Quel est le positionnement sociétal de la technologie par rapport aux principales technologies concurrentes ?

Il est question, ici, de repérer les variables de nature sociétale qui pourraient dans l’avenir favoriser ou au contraire défavoriser la filière CSC par rapport aux 41. Christan Bataille et Claude Birraux (2006).

65

Prospective technologique

TECHNOLOGIESR£PONDANTAUXMäMESFONCTIONSPRINCIPALES#OMMENOUSLAVONSVU plus haut, il peut s’agir d’une réflexion sur le positionnement de cette filière, par rapport à la filière électronucléaire du futur. Et on remarque d’ailleurs que la filière à charbon avec CSC et la filière nucléaire présentent toutes deux une contrainte de stockage en sous-sol : CO2POURLUNEETD£CHETSRADIOACTIFSPOURLAUTRE MäME si les difficultés techniques, économiques et d’acceptabilité sociale, ne sont pas du TOUTDEMäMENATURE#OMMEONLOBSERVEEN%UROPEPAREXEMPLEAVECL!LLEMAGNE QUIAFAITLECHOIXDARRäTERLAFILIáRENUCL£AIREETLE2OYAUME 5NIDELARENFORCER avec des investissements privés, chaque État répond différemment aux contraintes climatiques et c’est, la considération de l’opinion publique qui, semble-t-il, prime dans les choix technologiques. Que les variables de natures sociétale et politique ne soient pas omises pour l’élaboration des scénarios prospectifs sur la place du CSC dans le mix électrique européen ! À retenir. Pour réaliser une prospective technologique, il est indispensable de repérer toutes les variables qui constituent le sous-système technologique. Celles-ci ont trait aux fonctions à remplir par la technologie étudiée, aux normes associées, à ses qualités et performances relativement aux technologies CONCURRENTES R£PONDANT AUX MäMES FONCTIONS -äME SI LE SOUS SYSTáME technologique est auto-organisé par ses lois (physiques, physiologiques…) qu’il convient de comprendre, il va évoluer aussi par ses interactions avec le sous-système socio-économique et politique dans lequel il est plongé. Ainsi, le prospectiviste doit également mettre en lumière de telles interactions.

En guise de conclusion On résume par un schéma (cf. Fig. 13), l’imbrication des sphères économique, technique, juridique et sociale liées à la diffusion du CSC. Fiabilité technologique, compétitivité économique et acceptabilité sociale sont bien entendu à considérer par rapport aux autres solutions disponibles à l’horizon étudié pour répondre aux fonctions principales de la technologie, à savoir, permettre de produire de l’électricité à grande puissance sans émettre de CO2 dans l’atmosphère.

66

3. Bonnes questions à se poser pour appréhender la technologie et son contexte

Sphère économique

Maîtrise coûts ͻŝŶǀĞƐƟƐƐĞŵĞŶƚ ͻ captage ͻ stockage

Contexte économique favorable (marché CO2…)

ŽŵƉĠƟƟǀŝƚĠĚƵŬtŚ

Sphère technique

ͻŝŵŝŶƵƟŽŶ taille unités de captage ͻŵĠůŝŽƌĂƟŽŶ rendement…

ͻ&ŝĂďŝůŝƚĠ procédés de captage ĠĐŚĞůůĞ ŝŶĚƵƐƚƌŝĞůůĞ

ͻ&ŝĂďŝůŝƚĠ et sécurité du transport

Sphère juridique et sociale Cadre juridique adapté : propriété du site de stockage, surveillance, responsabilités…

ĐĐĞƉƚĂďŝůŝƚĠ ƐŽĐŝĂůĞ

ͻ&ŝĂďŝůŝƚĠĞƚ sécurité du stockage à ůŽŶŐƚĞƌŵĞ

Figure 13 Principaux facteurs de succès du CSC.

La figure permet d’identifier les leviers que peut actionner l’Europe pour promouvoir le CSC auprès des industriels. Outre la mise en place d’un contexte favorable aux énergies bas carbone (ex. : marché de quotas de CO2 incitatif), il s’agit principalement de subventionner la R&D (en particulier pour les démonstrateurs) afin d’améliorer les paramètres techniques et économiques et de progresser sur les aspects liés à la sécurité. La définition d’un cadre juridique adapté s’avère aussi primordiale. Enfin, il est sans doute nécessaire qu’elle s’attèle à des campagnes de sensibilisaTIONDESCITOYENSSIELLESOUHAITELESCONVAINCREDELINT£RäTDECETTETECHNOLOGIE$E toutes les façons, pour ce type de projet de grande ampleur ayant des impacts enviRONNEMENTAUX ILESTN£CESSAIRE EN%UROPE DEMETTREEN“UVREUNEPROC£DUREDE consultation du public42. En France, c’est la Commission nationale de débat public #.$0 QUIDOITäTRESAISIEPOURORGANISER ENTOUTENEUTRALIT£ LACONCERTATIONAVEC les citoyens43. L’exemple du CSC nous a permis de positionner les grandes questions que l’on se pose pour caractériser le système technologique et son contexte. Le chapitre qui suit 42. cf. Convention d’Aarhus : prise en application de l’article 10 de la Déclaration de Rio de 1992, la Convention d’Aarhus a été signée par 39 États le 25 juin 1998, dont la France et la Commission européenne. Elle repose sur trois piliers : le droit d’accès à l’information, la participation du public au processus de décision et le droit d’accès à la justice en matière d’environnement. 43. cf. site de la CNDP : www.debatpublic.fr/

67

Prospective technologique

va montrer, avec d’autres exemples, comment on pousse plus loin la modélisation pour aboutir à un ensemble de variables très précises dont on se propose d’identifier les liens. Nous ne reviendrons plus, dans la suite du guide, sur la description détaillée du système technologique bien qu’elle reste indispensable à toute prospective technologique.

68

4

Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

« Les systèmes ne sont pas dans la nature mais dans l’esprit des hommes. » Claude Bernard

Le chapitre précédent sert de socle au travail qui consiste à faire la liste de toutes les variables associées au concept technologique étudié et à son contexte. Pour éditer cette liste puis construire ce que l’on appelle le mapping de variables, il est indispensable de définir la variable cœur du système global étudié.

I.

Variable au cœur du sujet prospectif

À partir de la question prospective posée, on doit identifier, comme on l’a vu, le décideur (en général le promoteur de la technologie), ses objectifs, le champ géographique, l’horizon de l’étude (ou les horizons si l’on souhaite des images intermédiaires dans les CHEMINEMENTS ETDEMANIáREEXTRäMEMENTPR£CISE LOBJETDEL£TUDE#ELUI CIESTLA variable que l’on cherche à expliquer à partir de toutes les autres variables du système,

69

Prospective technologique

puis à projeter dans le temps. À titre d’illustration, nous donnons au tableau 4, la VARIABLEC“URASSOCI£EÜCHACUNEDESQUESTIONSPROSPECTIVES£TUDI£ES Tableau 4 Variable cœur associée à chacune des questions prospectives posées. Numéro du sujet

Variable cœur avec son unité

1

NombreDEC“URSARTIFICIELSGREFF£SEN%UROPEENETEN

2

6ENTE ENDANSLEMONDEENtonnes), de semences de blé modifiées pour permettre à la plante de fixer l’azote de l’air.

3

% DECHAQUETECHNOLOGIEPHOTOVOLTAÉQUEDANSLEMARCH£MONDIALÜ l’horizon 2030.

4

Chiffre d’affaires (en M€) dans le monde en 2020 généré par les OBJETSAUTONOMESCONTENANTDUPHOTOVOLTAÉQUEORGANIQUEOrganic Photovoltaic /06 

5

Capacité installée de centrales électriques à charbon munies d’une unité de captage du CO2, en Europe en 2030 (en MW).

6

Nombre de véhicules électriques solaires en circulation en France en 2030.

7

Nombre de patients suivis par télésurveillance en cardiologie en 2030 et en 2050 en Europe.

8

Nombre moyen au niveau mondial d’heures passées par enseignant ou étudiant à utiliser les technologies numériques dans une année universitaire en 2050.

9

Consommation (en tonnes) de néodyme et d’indium dans le monde en 2030.

10

Budget du CNES en 2030 (en M€).

0ARFOIS ENCORE ON PEUT EXPRIMER LA VARIABLE C“UR EN UNIT£S PRODUITES K7H PAR exemple) ou bien en note sur une échelle de valeurs. Préciser les unités oblige à être rigoureux dans la construction du système rattaché à cette variable centrale. À retenir.,ACARACT£RISATIONDELAVARIABLEC“URESTESSENTIELLEPOURASSEOIRLA prospective. Cela peut prendre du temps d’autant qu’il faut s’assurer que le commanditaire de l’étude est en phase avec le choix retenu.

II.

Variables qui conditionnent la variable cœur et son évolution

Nous définissions le mapping de variables puis montrons, avec des illustrations, comment le concevoir en donnant des indications méthodologiques.

70

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

1.

Définition préliminaire

On appelle mapping de variables UNE CARTE O FIGURENT LOBJET DE L£TUDE PROSPECTIVE AUCENTRE ÜSAVOIRLAVARIABLEC“URETTOUTESLESVARIABLESQUILINFLUENCENT jusqu’à la limite du système que l’on s’est fixée. Les liens entre les variables sont représentés par une flèche.

2.

Conception du mapping

!PRáSSäTREBIENAPPROPRI£LESUJET£TATDELARTETENJEUXSOCIO £CONOMIQUES cf. chapitre 3), on réalise une étape qui s’apparente aux premières phases d’une analyse structurelle (voir encadré 4). Elle consiste à faire la liste de toutes les variables qui INFLUENTDEPRáSETDELOINLAVARIABLEC“UR PUISÜIDENTIFIERLESLIENSDIRECTSENTRE chacune d’elles. Encadré 4. Analyse structurelle. La méthode de l’analyse structurelle a semble-t-il été introduite en France par le Professeur Wanty qui enseigna à l’université Paris-Dauphine dans les années 19691970. Elle a été ensuite diffusée notamment par R. Saint-Paul et P.F. Ténière-Buchot (1974) puis perfectionnée par M. Godet pour donner naissance à la méthode Micmac (déjà citée). Dans la matrice d’analyse structurelle, sont positionnées en ligne et en colonne, toutes les variables et à chaque croisement ligne par colonne, une valeur : 0 s’il n’y a aucun lien direct, 1 s’il y a un lien direct. Si le lien direct est fort, on peut éventuellement mettre 2, s’il est potentiel, P. Partant de cette description, la finalité de l’analyse structurelle consiste à faire apparaitre (en élevant la matrice en puissance) les principales variables motrices et dépendantes et par là, les variables essentielles à l’évolution du système. Avec la méthodologie proposée dans ce guide, le mapping remplace la matrice d’analyse structurelle. Il est plus visuel et comme on le verra au paragraphe 3, les liens, qui y sont représentés par des flèches (et non des chiffres), ne sont qu’unidimensionnels.

Il convient alors de faire figurer sur le mapping, en premier cercle, les variables QUIINFLUENCENTDIRECTEMENTLAVARIABLEC“UR PUISENSECOND CELLESQUIINFLUENCENT chaque variable du premier cercle et ainsi de suite jusqu’à que l’on ait atteint la frontière du système (cf. Fig. 14). Cette frontière est « décrétée » de manière à fixer une limite au système investigué. Les variables de la frontière ne sont influencées par aucune variable retenue dans l’analyse prospective (pas de feedback). Elles sont dites motrices et non dépendantes. On verra plus loin comment choisir leur valeur, SELONDIFF£RENTESHYPOTHáSES#OMMELEC“URDUmapping, chaque variable doit comporter une unité (€, $, kg CO2, litre par km…) ou bien un % s’il s’agit d’un TAUX VOIREUNSCOREOUUNENOTEPOURLESVARIABLESQUALITATIVESDEVANTäTREESTIM£ES sur une échelle (maturité d’une technologie44, satisfaction de la population…). 44. Par exemple, Technology Readiness Level, cf. figure 20.

71

Prospective technologique

Variable 15 Variable 23 Variable 8

Variable 7 Variable 22

Variable 14 V

Variable 1

Variable 16

Variable 2 Variable 9

Variable 6 V

Variable cœur

Variable 3

Variable 13 Variable 5 V

Variable 4 Variable 17

Variable 21

Variable 12

Variable 10 Variable 11

Variable 18

Variable 20 Variable 19

Figure 14 Les cercles concentriques autour de la variable cœur.

,A VARIABLE C“UR EST dépendante et non motrice. Les variables sur la frontière (figurant en pointillés) sont motrices et non dépendantes.

3.

Mais où sont les feedbacks ?

Par convention, avec la méthodologie proposée dans ce guide, les flèches convergent toutes vers le centre : pas de flèche à double sens et le moins possible de feedbacks du centre vers la périphérie du système. Cela peut sembler en contradiction avec la définition du système que l’on a vu au chapitre 3, mais c’est pour faciliter le travail à venir sachant que l’on n’utilise pas de logiciel de programmation dynamique. Pour réaliser la prospective, en se posant les bonnes questions, on ne peut pas intégrer toute la complexité du système dans cette représentation graphique et on doit faire l’effort de TROUVERDABORDLESVARIABLESQUIINFLUENCENTDIRECTEMENTLEC“URPUISCELLESQUIJOUENT indirectement sur lui, en allant du centre vers la périphérie du système, jusqu’à atteindre sa frontière, c’est-à-dire les variables uniquement motrices et non dépendantes.

4.

Exemple

La figure 15 est inspirée du mapping réalisé dans le cadre du sujet 3 par Bastien &OURNI£ !NAÉS +ODOCHRISTOS ET )GOR 6UJIC  POUR IDENTIFIER LES LIENS DE

72

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

causalité entre les variables agissant sur la part de chaque technologie dans le marché MONDIALDUPHOTOVOLTAÉQUE06 ÜLHORIZON,ESUNIT£SOU£CHELLEDEÜ SONTINDIQU£ESDANSDESRECTANGLESÜC¹T£DESVARIABLES

Prix matières premières

k€

Budget privé é de R&D Budget rech. publique

Prix équipements de fabrication k€/u

Coût de production €/Wc

k€ 0-10

Coût d’intégration

Verrous technologiques %

Part de la technologie PV dans le marché

Rendement

€/Wc

Coût d’installation Coût de démantèlement

%

Durée de vie

€/t

ans 0-10

0-10

Normes Réglementations Instruments 0-10 économiques

Effet d’échelle Usages 0-10

Effet d’apprentissage pp p p 0-10

Figure 15 Mapping des variables déterminant la part d’une technologie photovoltaïque dans le marché mondial à l’horizon 2030 (d’après B. Fournié et al., 2014).

Ce mapping, qui a été épuré pour faire ressortir les grandes variables clés, est à renseiGNERPOURCHACUNEDESTECHNOLOGIES06QUELONINDIQUEDANSLETABLEAU$ONN£ uniquement à titre d’exemple, ce tableau contient une ébauche (très incomplète) des variables à renseigner à différentes dates, passées, présente et futures. Les scénarios de projections dépendent d’hypothèses sur les progrès technologiques attendus, les coûts, les normes (en particulier vis-à-vis de la toxicité de certains éléments), des usages… $ANS CE TABLEAU TOUTES LES TECHNOLOGIES 06 Ü L£TUDE NE SONT PAS REPR£SENT£ES45. Pourtant, la prospective réelle se doit d’en n’écarter aucune du champ étudié et le groupe d’étudiants avait d’ailleurs pris en considération des cellules situées très en amont du marché comme les cellules Grätzel à pigment photosensible (dye-sensitized solar cell) dont le rendement en laboratoire est proche de 12 % ou bien les cellules intégrant des nanotechnologies (quantum dot-sensitized solar cells) dont le rendement est 8,6 %.  0OURUNPANORAMACOMPLETDESTECHNOLOGIES06AVECLEURHISTORIQUE ONPOURRASER£F£RERÜ la cartographie Best research cell efficiency éditée par NREL en 2014 : www.nrel.gov/ncpv/images/ EFFICIENCY?CHARTJPG ainsi qu’à l’étude « Technology Roadmap, Solar Photovoltaic Energy » publiée la MäMEANN£EPARL!)%www.iea.org/media/freepublications/technologyroadmaps/solar/Technol OGY2OADMAP3OLAR0HOTOVOLTAIC%NERGY?EDITIONPDF.

73

Histoire

Silicium cristallin

Monocristallin & polycristallin

Matériaux « composés »

Filière des couches minces appelées inorganiques

Silicium amorphe

Tellurure de cadmium (CdTe)

Diséléniure de cuivre indium (CIGS ou CIS) à base de cuivre, d’indium, de gallium et de sélénium

Connu et mis en “UVREDEPUISLES années 1960.

Parts de marché mondiales 85 %

Également connu 3 % et utilisé de longue date (années 1970). Ancien (connu 6% depuis la fin des années 1970).

Connu depuis la fin des années 1970 mais récemment mis sur le marché.

1%

Coût de production du module 0,6 à 0,7 €/Wc

Rendement de production

Avenir selon le directeur de l’INES

Entre 13 et 20 %

0,5 €/Wc

Entre 6 et 12 %

Restera vraisemblablement prisé, en PARTICULIERDANSLESAPPLICATIONSOÂ le coût du foncier ou bien celui de l’installation est le plus élevé (ex. : intégration au bâtiment). Parts de marché en baisse.

Coût modéré (0,4 à 0,5 €/Wc) ∼10 % 0,6 à 0,7 €/Wc

2EPR£SENTERABIENT¹TDUMARCH£ s!PPLIQU£AUXFERMESSOLAIRES NON intégré au bâtiment du fait de la toxicité du cadmium. s!PPROVISIONNEMENTENTELLURERISQU£ Plus de 20 % en Fort potentiel malgré : laboratoire sur sDIFFICULT£POURPASSERAUSTADE de toutes petites industriel de fort volume ; sAPPROVISIONNEMENTENINDIUM cellules. risqué. 13 %

46. L’auteure remercie très sincèrement Jean-Pierre Joly, directeur général de l’INES, pour son aide précieuse dans l’alimentation en données up to date de ce TABLEAUSYNTH£TIQUE-AISATTENTION DANSLEDOMAINEDUSOLAIRE LES£VOLUTIONSENTERMESDEPARTSDEMARCH£ DERENDEMENTxSONTEXTRäMEMENTRAPIDESTANT 46. le secteur est dynamique, innovant avec un foisonnement d’acteurs en perpétuel repositionnement.

Prospective technologique

74 Tableau 5 Principales technologies photovoltaïques46.46

Tableau 5 Suite.

Photovoltaïque organique (OPV)

Concentration (CPV)

Connu depuis le début des années 2000, encore peu commercialisé. Toute première technologie connue depuis les années 1980.

Parts de marché mondiales

0,4 %

Coût de production du module Potentiellement très peu cher car fabrication simple. 1 €/Wc

Rendement de production

Avenir selon le directeur de l’INES

Environ 11 %

Secteurs visés : ceux de l’alimentation de l’électronique portable. Durée de vie faible.

Élevé (près de 40 % en cellule et 33 % en modules).

Requiert un fort taux d’ensoleillement direct.

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

Principales filières émergentes

Histoire

75

Prospective technologique

Les couches minces observeront une progression se traduisant par un relatif accroissement de leurs parts de marché dans les quelques années à venir par rapport au silicium cristallin qui restera majoritaire. À noter que les innovations actuelles portent davantage sur les procédés de fabrication de plus en plus pointus que sur le choix des technologies.

5.

Précautions méthodologiques

Lors de l’élaboration du mapping, il ne faut pas confondre variable et acteur. L’analyse des acteurs qui influencent les variables se fait dans un second temps. Il est possible de représenter les acteurs sur un mapping simplifié comme on le verra au chapitre 5, mais en différenciant bien les variables des acteurs. Par ailleurs, il ne faut pas nommer une variable « évolution de … » car la projection du système est faite ensuite. Le mapping est une photographie à une date t, la prospective ayant comme objectif de le projeter dans le futur en donnant à chaque variable une nouvelle valeur, par scénario en explicitant bien le cheminement. Dans la conception du mapping, il ne faut pas rester prisonnier du présent, CEST Ü DIREQUILFAUTäTRECAPABLEDIMAGINERDESVARIABLESOUDESRELATIONSTRáSPEU présentes aujourd’hui mais potentiellement importantes dans un temps t lointain. Prenons l’exemple du sujet 8 sur la transmission du savoir à l’université dans une économie numérique. Si aujourd’hui, la situation financière de l’étudiant SEMBLEäTREUNEVARIABLECONDITIONNANTLACHATDEMAT£RIELINFORMATIQUEETLACCáS au réseau numérique, il est fort possible que dans le futur, l’aspect financier joue en sens tout à fait inverse sur le nombre d’heures moyen passées à étudier devant l’ordinateur. En effet, l’apprentissage par MOOCs (MOOC = Massive Open Online Course47) va vraisemblablement rentrer de plus en plus en ligne de compte dans le business model de l’étudiant. S’il devient courant, ce type d’enseignement à distance dispensera celui-ci de se loger près de l’université, ce qui représentera pour lui une économie substantielle, surtout si les universités sont situées dans DESZONESPRIS£ESAFFICHANTDESPRIXIMMOBILIERS£LEV£SN“UDSDACTIVIT£SINTELLECtuelles, économiques, industrielles, culturelles…

47. Formation ouverte et à distance en télé-enseignement.

76

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

Sur la figure 16, est représenté un mapping « erroné » enfermé dans une vision présente voire passée du business model de l’étudiant. La figure 17 montre quant à elle, un mapping ciblant davantage les variables économiques véritablement importantes pour l’évolution du système. Les variables budget de l’étudiant alloué à l’achat d’outils numériques et nombre d’outils numériques possédés par l’université ou encore prix moyen des outils numériques sont en retrait alors que l’on met en avant une variable considérée comme FPA ; nombre d’inscriptions en MOOCs. Son ampleur pour 2050 va dépendre des scénarios envisagés mais elle a plus de poids dans l’analyse prospective que le budget disponible pour l’achat de matériel informatique. Les ordres de grandeur financiers entre le logement et le matériel informatique sont d’ailleurs très différents, d’autant que le prix des équipements est sans doute amené à diminuer encore dans le temps si l’on se réfère à la tendance passée (tendance lourde). De plus, avec l’arrivée du Cloud et la baisse déjà régulière des coûts pour les opérateurs (applications en open source, virtualisation de plus en plus efficace, coûts de stockage évoluant à la baisse), l’accès aux applications dans le Cloud en mode SaaS (Software as a Service) va se banaliser. Le coût d’accès aux MOOCs pour un étudiant devrait ainsi structurellement baisser, son ordinateur ne devenant à terme qu’une simple interface de visualisation… On voit que l’analyse de l’évolution des technologies (Cloud, interface…) doit s’appuyer sur un sous-système technologique à développer et à relier au sous-système économique.

77

Prospective technologique

BudŐet de ů’étudiant aůůoué à ů’aĐhat d’ouƟůs numériques

Taux d’embauĐhe des étudiants

SituaƟon ĮnanĐière des étudiants Nombre d’ouƟůs numériques possédés par ů’université

EndeƩement des étudiants Nombre d’heures passées par étudiant à ƵƟůŝƐĞƌůĞƐƚĞĐŚŶŽůŽŐŝĞƐ numériques dans une année universitaire

Frais de sĐoůarité

BudŐet ůoŐement/transport

Prix moyen des ouƟůs numériques

Figure 16 Vision simplifiée du sous-système économique pour l’étudiant polarisée sur une analyse présente, même passée.

Taux d’embauĐhe des étudiants

SituaƟon ĮnanĐière des étudia étudiant étudiants

BudŐet de ů’étudiant aůůoué à ů’aĐhat d’ouƟůs numériques Nombre d’inscripƟons en MOOCs

Prix d’abonnement au Cloud

EndeƩement des étudiants

Frais de sĐoůarité

Nombre d’heures passées par étudiant à ƵƟůŝƐĞƌůĞƐƚĞĐŚŶŽůŽŐŝĞƐ Ɛ numériques dans une année universitaire

Nombre d’ouƟůs numériques possédés par ů’université Prix moyen des ouƟůs numériques

BudŐet ůoŐement/transport

Figure 17 Vision simplifiée du sous-système économique pour l’étudiant intégrant mieux deux FPA clés dans le paysage universitaire, le développement des MOOCs et l’arrivée du Cloud.

78

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

III. Classement des variables en sous-systèmes

« disciplinaires » Pour organiser le mapping, on peut, au-delà des cercles concentriques autour du C“UR CLASSERLESVARIABLESINFLUENTESENSOUS SYSTáMESDONTLESCARACT£RISTIQUESETLE nombre dépendent de la question traitée. Par exemple, il est possible de distinguer des sous-systèmes technologique, économique, sociétal, institutionnel et juridique.

1.

Sous-système technologique

Il est composé des caractéristiques techniques clés qui permettent de traduire les verrous éventuels et les ruptures envisageables. Une caractéristique technique clé pour le CSC est le rendement de captage qui dépend de l’énergie nécessaire pour capter le CO2 QUIELLE MäMED£PENDDELOISPHYSIQUESOUCHIMIQUESxDONTLES composantes seraient à distinguer). Nous donnons pour illustration au tableau 6, la liste des variables technologiques mises en évidence par Faiza Arib et Maud Huché (2013) pour répondre à la question prospective 4 posée par l’INES : « Quelle sera l’utilisation de l’énergie photovoltaïque organique pour les objets autonomes dans le monde, d’ici dix ans ? ».

Tableau 6 Extrait de la liste des variables dressée par F. Arib et M. Huché (2013) pour la question prospective 4, sous-système technologique. Variables de la technologie OPV (offre) Maturité de la technologie/échelle Technology Readiness Level (TRL) (cf. Fig. 20) Rendement de conversion d’un module = puissance électrique de sortie/ (surface × éclairement) Durée de vie d’un module

Échelle 1 à 9 % Ans

3UBVENTIONRECHERCHEPUBLIQUEPOURL/06



3UBVENTIONRECHERCHEPRIV£EPOURL/06



&ACILIT£DEL/06ÜSINT£GRERDANSLESOBJETSD£JÜEXISTANTS

Échelle 0 à 5

6ERROUSTECHNOLOGIQUES

Échelle 0 à 5

Diminution de la transmittance après cinq ans d’utilisation par rapport à la valeur initiale (impact des impuretés sur le rendement de conversion)

%

Rendement avec un faible taux d’irradiation

%

Dégradation du rendement en fonction du temps

% par an

79

Prospective technologique

Variables de la technologie OPV (offre) Puissance électrique de sortie par cm² .OMBREDELABORATOIRESDERECHERCHESURL/06DANSLEMONDE

W/cm² n nombre

Légèreté du module

W/g

Flexibilité (rayon de courbure du module)

cm

Temps de retour énergétique

Mois

Émission de CO2

kg/m²

Recyclabilité du module

Échelle 0 à 5

Dans une étude plus poussée, la variable verrous technologiquesDEVRAITäTRED£COMposée en sous-variables explicatives avec l’expression de leurs lois. À retenir. Le sous-système technologique est auto-organisé. Il faut en repérer les composantes et connaître ses lois. À noter que dans leur rapport, les étudiantes avaient complété cette liste par les variables des technologies concurrentes. Elles ne sont pas reportées ici bien qu’elles aient toute leur importance.

2.

Sous-système économique

Ce sont les variables entrant dans l’évaluation des coûts et des bénéfices économiques associés à la mise en place de la technologie : coûts d’investissement, recettes et charges d’exploitation... Dans l’exemple du CSC, il s’agit du coût d’une unité de captage, de la perte de cash-flows (pour la vente de kWh) résultant de la baisse de rendement, du prix de la tonne du CO2 sur le marché de quotas… La figure 18 ci-dessous fait un zoom sur le sous-système économique associé à la RENTABILIT£DUNEUNIT£DEPRODUCTION£LECTRONUCL£AIRE,AVARIABLEC“URESTLARENtabilité de cette tranche.

80

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

/Äò›Ýã®ÝݛÛÄã

Coût raccordement et renforcement réseau

Coût + Délais construcƟon

Taux d ’intérêt

Rentabilité exigée

Coût ĮŶancement

Coût invesƟssement ŝŶŝƟal

EXPLOITATION

Taux actualisaƟon

Coût invesƟssement renouvellement

Rentabilité d’une unité

ReceƩes expl. annuelles

Durée de vie iinvesƟssement Prix vente kWh

Dépenses épen expl. annuelles Coût maintenance Coût opéraƟonnel Exigence sûreté

Pénalités

Coût combusƟďůe

Coûts amont et aval du cycle

Coût personnel

TariĮcaƟon

Salaire moyen

FIN DE VIE

Nb. kWh vendus/an

Disponibilité annuelle de l’unité

Coût démantèlement

Figure 18 Sous-système économique associé à une tranche de centrale nucléaire – source : N. Taverdet-Popiolek (2006).

Les variables en pointillées sont les variables motrices imposées au décideur, i.e. celles sur lesquelles il ne peut pas jouer car ce sont d’autres acteurs qui les influencent.

3.

Sous-système sociétal

Les attentes de la société et leurs facteurs d’évolution sont à analyser et à traduire AVECDESVARIABLESSOCIOLOGIQUES5NEVARIABLEPOURRAITäTREPAREXEMPLE DANSUN sondage d’opinion, le pourcentage de personnes hostiles au stockage du CO2 sous la terre.

4.

Sous-système institutionnel et juridique

Le plus souvent, un système de législation et/ou de régulation est mis en place par une autorité publique pour tenir compte des externalités, c’est-à-dire des effets sur LASANT£ SURLENVIRONNEMENTOUENCORESURLEBIEN äTRESOCIAL QUINONTDECONTREpartie monétaire adaptée sur aucun marché. Ainsi, il convient de décrire les variables qui traduisent la réglementation s’appliquant au secteur étudié et le cas échéant, la façon dont les marchés sont régulés (nombre de quotas attribués aux industriels en Europe pour le cas du CSC par exemple).

81

Prospective technologique

5.

Illustration

Il nous a semblé intéressant de montrer les sous-systèmes mis en évidence par Florian Denis et Joachim Eeckhout (2014) pour traiter, à la demande de Tech2Market, la question prospective 1 : « L’inventeur du cœur artificiel a-t-il mis le doigt sur un marché porteur en Europe à l’horizon 2030, à l’horizon 2050 ? ». La figure 19 synthétise les sous-systèmes avec un mapping simplifié (variables les plus importantes), sans les liens. Dans l’étude réalisée, ceux-ci ont été introduits au fur et à mesure, d’une manière pédagogique sur des diapositives animées, non reproduites sur cette version statique.

dĂƵdžĚ͛ĂĚŚĠƐŝŽŶĚƵĐƈƵƌ ĂƌƟĮĐŝĞůĂƵƐĞŝŶĚĞ ů͛ŽƉŝŶŝŽŶƉƵďůŝƋƵĞ (%)

/ŶǀĞƐƟƐƐĞŵĞŶƚƐƉƌŝǀĠƐ ĞŶZΘĞƚƐƵďǀĞŶƟŽŶƐ ƉƵďůŝƋƵĞƐ;ΦͿ

Social

Maturité technologique du cœur arƟĮciel (%)

Avancée de la R&D et ĚĞƐĞƐƐĂŝƐĐůŝŶŝƋƵĞƐ;йͿ AƉƉariƟon Ɛur le marché deƐ technologieƐ concurrenteƐ (%)

R&D et Technologie

dĂƵdžĚ͛ĞdžŝŐĞŶĐĞĚĞůĂ ƌĠŐůĞŵĞŶƚĂƟŽŶĞƵƌŽƉĠĞŶŶĞ dĞŵƉƐĚ͛ŽďƚĞŶƟŽŶĚĞ ů͛ĂƵƚŽƌŝƐĂƟŽŶ;ĂŶŶĠĞƐͿ

Nombre de cœurs arƟĮĐŝels greīés en Europe aux horizons 2030 et 2050

dĂƵdžĚĞƌĞŵďŽƵƌƐĞŵĞŶƚ ĚƵĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞů;йͿ Nombre de ŐƌĞīŽŶƐ ƚƌĂŶƐƉůĂŶƚĠƐͬĂŶ

LégislaƟon Coût global de ů͛ŝŵƉůĂŶƚĂƟŽŶĚ͛ƵŶ ĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞů;ΦͿ ŽƸƚŐůŽďĂůĚ͛ƵŶĞ ƚĞĐŚŶŽůŽŐŝĞĐŽŶĐƵƌƌĞŶƚĞ;ΦͿ

ŽƸƚŐůŽďĂůĚ͛ƵŶĞ ƚƌĂŶƐƉůĂŶƚĂƟŽŶ ĐĂƌĚŝĂƋƵĞ;ΦͿ

Économie

EŽŵďƌĞĚĞƉĂƟĞŶƚƐ ĞŶĂƩĞŶƚĞĚ͛ƵŶĞ ŐƌĞīĞͬĂŶ

Nombre de ƉĂƟĞŶƚƐ ĠůŝŐŝďůĞƐĂƵĐƈƵƌ ĂƌƟĮĐŝĞůͬĂŶ

Démographie

Figure 19 Mapping de variables influençant le succès du cœur artificiel.

6.

Distinction offre/demande

Parfois il est commode de séparer, comme le font les économistes, les variables qui se rapportent à l’offre du produit que l’on étudie et celles qui se rapportent à la demande. Par exemple, les sous-systèmes offre et demande de terres rares permettent de structurer le système associé à l’évolution de cette ressources à long terme. Au niveau mondial, on constate que la Chine représente en 2011, 48 % des réserves mondiales de terres rares, 94 % de la production (activité très polluante) et 60 % de la consommation. La

82

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

prospective consiste à analyser ces valeurs dans l’histoire et à les projeter dans le temps selon différents scénarios d’évaluation des réserves mondiales, de la demande (suivant les types de débouchés technologiques) et du jeu des acteurs (ex. : la Chine a restreint ses exportations dès 2010 créant l’envolé des prix)48. L’analyse des débouchés devra se faire en considérant des variables technologiques. Il ENESTDEMäMEPOURL£VALUATIONDESR£SERVESDANSLAMESUREOÂLEPROGRáSTECHNOLOgique les fait en général augmenter notamment en réduisant les coûts d’exploration et d’extraction.

IV.

Risques, ruptures envisageables et FPA

Une fois le mapping réalisé, il convient d’identifier tous les risques qui pèsent sur ses principales variables. On parle de risque quand le futur d’une variable ne peut pas faire l’objet d’une pré-vision grâce à une loi déterministe pré-identifiée : – soit que la loi déterministe n’existe pas ou n’est pas connue ; – soit que la loi est aléatoire ; – soit que l’on souhaite imaginer des futurs avec rupture de cette loi : rupture d’une tendance par exemple ; – … On parle d’incertitude au lieu de risque lorsque l’on a très peu d’éléments pour caractériser l’évolution de la variable. En effet, on dit que la variable est risquée si l’on peut attribuer des probabilités objectives à ses différentes évolutions possibles et qu’elle est incertaine dans le cas contraire. Si l’on ne sait dessiner aucune évolution (rupture par exemple), on parle de situation inconnue. Pour aider à identifier ces risques ou incertitudes et à imaginer les ruptures possibles, il est commode de se poser les questions suivantes.

1.

Quels sont les risques technologiques ? les ruptures possibles ?

1UELLEESTLAPROBABILIT£QUELESVERROUSIDENTIFI£SLORSDEL£TATDELARTSOIENTLEV£S #ETTEPROBABILIT£EST ELLECONDITIONN£EPARLEBUDGETALLOU£ÜLARECHERCHE0EUT ON METTREEN£VIDENCEUNELOIENTRELEBUDGETDE2$ETLAMATURIT£SCIENTIFIQUE Imaginer les ruptures dans le domaine technologique est indispensable. En effet, lorsque Lord Kelvin, président de la Royal Society, écrivait en 1895, « La réalisation d’une machine volante plus lourde que l’air est impossible. », il n’avait pas, dans ses 48. cf. Analyse de l’offre et de la demande de terres rares, IAMGOLD Corporation, 2012 : WWWIAMGOLDCOMFILESPRESENTATIONS2%%?!PRIL &2PDF

83

Prospective technologique

calculs, intégré la rupture qui consistait à changer de mode de carburant pour passer du charbon au fioul. Il est vrai qu’aucune machine volante n’aurait pu emporter avec elle toutes les réserves d’eau et de charbon nécessaires au fonctionnement d’une turbine à vapeur. À noter qu’une rupture technologique est parfois la conséquence d’une innovation survenue dans un secteur autre que celui que l’on étudie : il faut voir large, faire de la veille, interroger des experts, faire appel à son imagination… Pierre Papon a beaucoup travaillé à l’identification précoce des ruptures et l’on pourra se référer notamment à son article « L’anticipation des ruptures » (2010).

2.

Quels sont les risques de débouchés, d’usage ?

2.1

Risques de marché (innovation accueillie par des consommateurs ou non)

Ici encore, il faut, avec l’aide de sociologues, anticiper les ruptures dans les habitudes des consommateurs. Sans doute, Darryl Zanuck, directeur de la Twentieth Century Fox n’avait-t-il pas vu venir l’évolution des habitudes de ses concitoyens lorsqu’il annonçait en 1946, « (Television) won’t be able to hold on to any market it captures after the first six months. People will soon get tired of staring at a playwood box every night ». Les opérateurs de téléphonie ont, quant à eux, bien eu raison de tabler sur un bouleversement complet des modes de communications lorsqu’ils ont développé dans le MONDELESR£SEAUXSANSFIL' 'PUIS' BIENT¹T' PERMETTANTDEFAIRETRANSIter, de plus en plus vite, des volumes de données croissants. Ils ont pris d’importants risques d’investissement en faisant le pari qu’il existait un besoin inassouvi d’appliCATIONSENMOBILIT£R£PONDANTÜLAFOISÜUNESOIFDELIBERT£POUVOIRäTRECONNECT£ au monde et au savoir) et une demande de services multiples apportés sur place par INTERNET-ICHEL3ERRESAVAITFAITLAMäMEANALYSELORSQUILSEXPRIMAAUMOMENTDE LAR£PONSEDE6IVENDIPOURLESLICENCES'AUD£BUTDESANN£ESAVECLESLOGAN « Maintenant, tenant en main le monde ». Pour valoriser leurs réseaux, les opérateurs ont profité de l’émergence des objets nomades, (terme proposé dès 1985 par Jacques Attali, repris en 1990 puis défini précisément en 200649) regroupant smartphones, tablettes, objets connectés… Ces mobiles connectés se sont multipliés dans le domaine de la santé, de la logistique, des transports, de la domotique, de la consommation d’énergie… et finalement à tous les domaines de l’activité humaine assurant ainsi un immense marché aux opérateurs comme aux fabricants.

 3ELON*!TTALI LECONCEPTDOBJETNOMADEREGROUPEDANSLAMäMECAT£GORIESILEX ARC COUTEAU suisse, baladeur, ordinateur de poche, téléphone mobile, assistant personnel, robot compagnon…

84

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

Enfin, notons que dans certains cas, il est nécessaire de se pencher plus particulièrement sur l’acceptabilité sociale de la technologie étudiée. Cela est surtout vrai LORSQUILESTQUESTIOND£THIQUECOMMEPOURLEC“URARTIFICIEL VOIREDERISQUESPERçus vis-à-vis de l’environnement ou de la santé ; technologies nucléaires, nanotechnologies, organismes génétiquement modifiés (OGM), stockage du CO2…

2.2

Débouchés inattendus

Il est important aussi de s’interroger sur des débouchés inattendus des technologies bien qu’ils ne soient pas aisés à anticiper comme on le verra au chapitre 6 à propos des erreurs de la prévision technologique. Prenons l’exemple de la technologie des fluides supercritiques et plus particulièrement du CO2 supercritique utilisé à l’origine pour décontaminer les sites nucléaires50 et qui par la suite a fait l’objet d’applications diverses, totalement imprévisibles, sur une multitude de marchés allant de la cosmétique, la nutraceutique… au secteur du bouchon de vin51 (cf. Sophie Hooge et al., 2014).

50. Dissolution des déchets contaminés dans le cadre de la construction engagée de l’usine EURODIF. 51. Brevet CEA-OENEO.

85

Prospective technologique

3.

Quels sont les risques d’approvisionnement ?

Pour traiter certains sujets, la question de l’approvisionnement en matières premières, en énergie… est essentielle et se pose en termes de risque. L’exemple de LA PROSPECTIVE SUR LES PARTS DE MARCH£ DU PHOTOVOLTAÉQUE SOULáVE LA QUESTION DU risque d’approvisionnement en éléments rares pour les cellules couches minces de TYPE#D4EN£CESSITANTDUCADMIUMETDUTELLURE£L£MENTEXTRäMEMENTRAREUNE à cinq parties par milliard de la croûte terrestre) ou de type CIGS élaborées à partir de l’indium. La diffusion de ces technologies est tributaire des possibilités d’approvisionnement à long terme ainsi que des investissements dédiés à leur recyclage.

4.

Quels sont les risques institutionnels ?

Prenons l’exemple des technologies pour les énergies renouvelables. Ces dernières années, leur croissance remarquable, qui a permis de progresser dans la réalisation des objectifs de protection de l’environnement de la Commission européenne, a en grande partie été induite par les aides publiques. Cela a provoqué des distorsions de marché et une hausse des coûts pour les consommateurs. Ainsi, la Commission a adopté de nouvelles lignes directrices52 concernant les aides publiques en faveur des projets dans le domaine de l’environnement et de l’énergie, qui s’appliqueront du 1er juillet 2014 à la fin de 2020. Elles aideront les États membres à atteindre leurs 52. Les lignes directrices sont disponibles sur : www.ec.europa.eu/competition/sectors/energy/ LEGISLATION?ENHTML

86

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

objectifs liés au climat à l’horizon 2020, tout en remédiant aux distorsions de marché qui peuvent résulter des subventions accordées aux sources d’énergie renouvelables. #ETYPEDECHANGEMENTDECAPCETTERUPTURE DANSLAPOLITIQUEEUROP£ENNEFAIT partie des risques à évaluer lors d’une réflexion sur l’avenir des énergies renouvelables en Europe. Le prospectiviste doit, en sus, réfléchir à différents scénarios envisageables de transposition en législation nationale de ces lignes directives, dans chaque pays membre. La liste des questions à se poser pour analyser les risques n’est pas exhaustive et dépend du sujet traité. Il faut aussi s’interroger sur les risques environnementaux, les risques financiers, le risque pays… Bien souvent, c’est l’analyse de la stratégie des acteurs qui permet de faire des hypothèses sur l’évolution des variables risquées. Cela fait l’objet du chapitre 5.

5.

Repérer les faits porteurs d’avenir : exemple du spatial

Dans son travail pour le Centre national d’études spatiales, Kévin Herlem (2013) a appréhendé l’avenir du secteur spatial à horizon 2030 en analysant les éléments structurants (les tendances lourdes) ainsi que les FPA. Il a repéré une dizaine de germes de changement qui, s’ils se développaient, seraient susceptibles de faciliter LACONQUäTEDELESPACE.OUSENCITONSQUATREPOURDONNERDESEXEMPLESDANSUN secteur particulièrement tourné vers le futur.

5.1

Miniaturisation des technologies de l’espace

En 2012, la société américaine Nanosatisfy (maintenant SPIRE) a lancé le prototypage d’un nano-satellite nommé ArduSat conçu à partir du standard CubeSat avec la technologie électronique miniaturisée open source « Arduino ». L’objectif d’un tel projet est la réduction du coût d’accès à l’espace pour des applications à des fins scientifiques ou de grand public. L’investissement du prototype provient d’une plate-forme de financement participatif de la société Kickstarter Inc et le développement de la technologie a été sponsorisé par la NASA, dans le cadre de l’International Space Apps Challenge. Réussir à envoyer de tels objets dans l’espace et à les utiliser comme des satellites est une révolution qui permettrait d’avoir une flotte de satellites moins encombrante et MOINSCOœTEUSE#ESTPEUT äTRELAVOIEDUNED£MOCRATISATIONDELACCáSÜLESPACE

5.2

Imprimantes 3D dans l’espace

Les imprimantes 3D qui sont des équipements permettant de réaliser des objets en VOLUME ONT£T£UTILIS£ESAFINDECONSTRUIRED£VENTUELSABRISPOURLACONQUäTESPAtiale. Le concept a été récemment approuvé par l’Agence spatiale européenne (ESA), qui collabore avec des architectes renommés comme Foster + Partners, pour évaluer

87

Prospective technologique

la faisabilité de l’impression 3D en utilisant le sol lunaire. « La technologie d’impression 3D terrestre sait produire des structures entières qui pourraient être utilisées comme habitat lunaire », signale Laurent Pambaguian, en charge du projet pour l’ESA53.

5.3

Tourisme et transport spatiaux

Le tourisme spatial vise à emmener des civils dans l’espace à des fins touristiques. 6IRGIN'ALACTICETSONFONDATEUR2ICHARD"RANSONSESONTFAITLESCHANTRESDECETTE activité54. Concernant le transport spatial en général, on peut citer la société Space X dirigée par Elon Musk, qui a développé avec des composants « in-house » une technologie de lanceurs spatiaux à bas coûts, permettant de gérer la logistique de la Station spatiale internationale (ISS)55.

5.4

Recherche de matière première

La recherche de matière première dans l’espace est un projet qui semble se concrétiser. Fondée en 2009, la société Planetary Resources a pour objectif d’exploiter les ressources du système solaire. L’entreprise, qui dispose d’une cinquantaine d’ingénieurs 53. cf. Construire une base lunaire en impression 3D, article du 06/02/2013 publié sur le site : www.esa.int 54. cf.SITEOFFICIELDE6IRGIN'ALACTICwww.virgingalactic.com 55. cf. site officiel de Space X : www.spacex.com

88

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

dont Chris Lewicki, ancien responsable du programme d’exploration de Mars, veut mener une exploration de l’espace à coût réduit en utilisant des robots56. À retenir. L’identification des risques et des FPA est une étape clé de la prospective technologique car c’est sur elle que l’on s’appuie pour choisir les jeux d’hypothèses futures des variables risquées et élaborer les scénarios. En se rapportant aux variables du mapping LES RISQUES PEUVENT REVäTIR différentes formes : risques technologiques, d’approvisionnement, de marché environnementaux, financiers, institutionnels, juridiques, politiques…

V.

Fiches variables : une recherche de données

)DENTIFICATIONDELAVARIABLEC“UR £LABORATIONDUmapping des variables la conditionnant de manière directe ou indirecte et analyse des risques, des ruptures envisageables, des FPA, voici une bonne vision de la problématique prospective posée ; vision que l’on doit partager, confronter voire modifier, avec les parties prenantes puisqu’un gros effort pédagogique de représentation graphique du système global et des sous-systèmes disciplinaires a été fait. Mais l’investigation sur les variables n’est pas finie ! Un travail de fourmi nous attend pour réaliser les fiches variables…

1.

Fiches variables : cartes d’identité détaillées

Il s’agit de faire une étude historique de chaque variable en suivant dans le passé ses corrélations, soit avec le temps, soit avec des indicateurs explicatifs (qui figurent parfois dans le mapping en fonction de son degré de détail). La construction de la fiche d’identité d’une variable nécessite de faire des recherches sur les séries statistiques passées et de comprendre comment les acteurs ont pu conditionner son évolution.

2.

Exemple commenté de fiche variable

À titre d’illustration, nous reportons une fiche variable synthétique réalisée par F. Arib et M. Huché (2013) dont les travaux ont déjà été cités.

56. cf. site officiel : www.planetaryresources.com

89

Prospective technologique

Intitulé

Maturité technologique

Catégorie de variable

/FFRETECHNOLOGIE/06 VARIABLEMOTRICE

Unité

Échelle TRL de 1 à 9 (cf. Fig. 20).

Définition

En général, quand une nouvelle technologie est tout d’abord inventée ou conçue, elle n’est pas immédiatement applicable au marché. Les nouvelles technologies sont généralement soumises à l’expérimentation, à l’optimisation et à des tests de plus en plus réalistes. Une fois la TECHNOLOGIESUFFISAMMENT£PROUV£E ELLEPEUTäTREINT£GR£EÜUNSYSTáME

Acteurs concernées par la variable

)NDUSTRIELSDEL/06 - Laboratoires de recherche. - Producteurs des objets autonomes.

Rétrospective de la variable

!CTUELLEMENT LATECHNOLOGIE/06SESITUEAUNIVEAUSUR l’échelle TRL.

Limites et incertitudes

On peut penser que les technologies peu matures (TRL faible) comportent un risque de non aboutissement technique ou industriel. Inversement, une technologie avec un TRL important (> 5) est susceptible d’intéresser un industriel et de se développer jusqu’à la production de masse.

Prospective de la variable

En 2023, des valeurs de 6 ou 7 sur l’échelle de TRL sont attendues.

1 Principes de base observés

Recherche fondamentale

2 Concept de la technologie formulé

3 Preuve expérimentale du concept

4 6ALIDATION du concept en laboratoire

Pilier 1 : recherche technologique

5

6

6ALIDATION de la technologie dans un environnement significatif

Démonstration en environnement significatif

7

8

Démonstration Système en environcomplet nement qualifié opérationnel

Pilier 2 : démonstration de produits

9 Opération/ missions réussies

Pilier 3 : manufacture compétitive

Figure 20 Échelle des niveaux de maturité technologique (Technology Readiness Level) utilisée par la Commission européenne dans son programme de recherche et d’innovation « Horizon 2020 ».

#ETTE FICHE EST UN R£SUM£ ET DEVRAIT DANS LA PRATIQUE äTRE PLUS D£TAILL£E )L EST indispensable de citer les sources ayant conduit à retenir les valeurs chiffrées (bases de données, littérature, interviews d’experts…). La ligne prospective de la variable n’est pas indispensable à cette étape car la projection de chaque variable par scénario fait l’objet d’une étape ultérieure dans la méthodologie (cf. ch.7). Il est intéressant de lister les acteurs concernés par chaque variable. Ils sont analysés de manière approfondie à l’étape suivante (cf. ch. 5) et chacun d’eux fera aussi l’objet d’une fiche, la fiche acteur qui comprend une rubrique Variables susceptibles d’être modifiées par cet acteur…

90

4. Variables associées au système technologique et à ses enjeux : le mapping

Conclusion Le mapping de variables donnant une représentation simplifiée du système étudié pour répondre à la question prospective posée, constitue, avec le tableau d’acteurs que l’on présente au chapitre suivant, le point d’orgue de la méthodologie proposée. Le choix a été fait de ne considérer que les liens unilatéraux de cause à effet pour que TOUTESLESRELATIONSCONVERGENTVERSLAVARIABLEC“URSANSR£TROACTIONS,ESfeedbacks étant effacés, la grille d’analyse est simplifiée mais elle permet malgré tout de se poser les bonnes questions et d’adopter un langage relativement simple pour dialoguer avec les experts et les parties prenantes au premier rang desquelles se situe le décideur. Comme la finalité de l’étude est d’accompagner celui-ci dans l’élaboration de sa stratégie, il est préférable en effet, pour communiquer, de ne pas avoir recours à un modèle trop sophistiqué de programmation dynamique ou de macroéconomie qui pourrait ressembler à une « boîte noire ». Cette phase de représentation simpliFI£EDUSYSTáMEMOD£LISATIONiMOLLEw NEMPäCHEPAS DANSUNE£TAPEULT£RIEURE d’utiliser localement de petits modèles formalisés de prévision technologique et/ou économique afin d’assurer la cohérence des projections. C’est ce que nous verrons lors de la projection du système au chapitre 6.

À retenir. Pas de système complexe de programmation dynamique ou de relations macroéconomiques pour construire la base de l’analyse prospective mais une « modélisation molle » via un mapping de variables permettant avant tout de se poser les bonnes questions et de dialoguer avec le décideur, les parties prenantes, les experts... Analyser les risques, les FPA et imaginer des ruptures comme le ferait l’utopiste, sont plus importants que formaliser de manière poussée les relations du système.

91

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

5

Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur et de ses moyens d’action

« L’avenir n’est pas écrit, il met en jeu les acteurs mais aussi le hasard et la nécessité. » Jacques Lesourne

La construction du mapping avec ses sous-systèmes permet de dégager les acteurs qui influencent ou vont influencer la plupart des variables identifiées. L’objectif de cette étape importante de la méthodologie prospective est de lister ces acteurs ETDENCOMPRENDRELER¹LEDANSLESYSTáME£TUDI£5NEATTENTIONPARTICULIáREEST portée sur le décideur pour lequel on identifie les objectifs ainsi que les leviers d’action sur le système. Une analyse SWOTTR, Strengths Weaknesses Opportunities Threats, Trends, Ruptures, est souhaitée pour aider à identifier de tels leviers. Il FAUTCONSACRERÜCETTE£TAPE LEMäMEEFFORTQUEPOURLANALYSESTRUCTURELLE

I.

Panorama des acteurs du système

)L CONVIENT DE LISTER LES ACTEURS QUI ONT UN R¹LE Ü JOUER DANS LA DYNAMIQUE DE LA technologie étudiée. Ils sont souvent désignés par le terme général de stakeholders (parties prenantes) avec qui le décideur doit entretenir une coopération active. La

93

Prospective technologique

liste étant faite, il est question de dresser un tableau d’acteurs et de rédiger une fiche pour les plus influents d’entre eux.

1.

Bonnes questions à se poser pour identifier les acteurs

On peut suivre le canevas suivant :  1UELSSONTLESACTEURSFAVORABLESÜLATECHNOLOGIE  #EUXQUISONTSUSCEPTIBLESDEFINANCERSA2$ SADIFFUSION  1UELSSONTLESUTILISATEURSPOTENTIELS 4. Ceux qui la combattent ; par exemple ceux qui promeuvent une technologie CONCURRENTE  #EUXQUISONTÜCONVAINCRE 6. Ceux qui régulent le secteur, ceux qui légifèrent et/ou ceux qui sont garants de LINT£RäTG£N£RAL #ECANEVAS QUISERAPPORTEÜUNSYSTáMETECHNOLOGIQUEBIENCIRCONSCRITEXLEC“UR ARTIFICIEL PEUTBIENSœRäTREADAPT£ÜDESQUESTIONSPROSPECTIVESQUICONCERNENTUN champ technologique plus étendu comme par exemple : – UN PORTEFEUILLE DE TECHNOLOGIES  LENSEMBLE DES TECHNOLOGIES PHOTOVOLTAÉQUES (silicium cristallin, couches minces, technologies émergentes) ; – un concept technologique qui met en jeu plusieurs technologies à analyser conjointement comme réponse à des fonctions clairement identifiées : s LA MOBILIT£ SOLAIRE IMPLIQUANT DES PANNEAUX PHOTOVOLTAÉQUES UN V£HICULE électrique muni de sa batterie (vraisemblablement batterie au lithium), des bornes de recharge et un smart-grid, s la télésurveillance en cardiologie (différents dispositifs de suivi médical, boîtiers de transmission des données), s le système technologique associé à la transmission du savoir via le numérique à l’université ; – parfois un secteur technologique tout entier, comme pour l’analyse de l’évolution des paradigmes organisationnels du spatial : ce secteur comprend de nombreuses technologies associées aux activités de production (lanceurs, fusées, satellites) ou d’exploitation (infrastructure spatiale, opérateurs de lancement). Quelle que soit l’ampleur du système technologique étudié, il est important de nommer précisément les acteurs qui jouent sur sa dynamique : noms des entreprises, institutions, organisations concernées.

94

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

2.

Tableau d’acteurs ou mapping variables/acteurs

La liste des acteurs étant constituée, il est recommandé de dresser un tableau donnant une vision synthétique des acteurs et de leurs liens. Comme le suggère l’outil Mactor (déjà cité) mis au point par M. Godet, tous les acteurs figurent en ligne et en colonne avec : – sur la diagonale, les objectifs principaux suivis par l’acteur correspondant ; – dans chaque autre case, l’action que l’acteur en ligne joue (ou peut jouer) sur l’acteur en colonne. 0OURREMPLIRLETABLEAU ONGARDEENTäTEQUEl’on s’intéresse avant tout à l’évolution de la variable cœur du mapping. Les liens et les objectifs sont donc relatifs à cette question. En pratique, on retiendra en diagonale, l’objectif principal de LACTEURVIS Ü VISDECETTEVARIABLEC“UR Nous proposons une variante à ce tableau croisé d’acteurs. Elle consiste simplement à colorier les cases d’une teinte qui est fonction du degré d’influence de l’acteur en LIGNESURLACTEURENCOLONNE INFLUENCEEU£GARDÜL£VOLUTIONDELAVARIABLEC“UR .OTONSQUELETABLEAUDACTEURSPEUTäTREASSORTIDUNSCH£MASURLEQUELCEUX CISONT POSITIONN£SÜC¹T£DESVARIABLESQUILSINFLUENCENTLEPLUS Nous allons, au paragraphe suivant, appliquer la grille d’analyse proposée à différentes études prospectives simplifiées.

3.

Fiches acteurs

Il est recommandé de rédiger une fiche pour chaque catégorie d’acteurs clés comme cela a été fait pour les variables. Le tableau 7 donne un canevas à suivre pour les acteurs principaux. Tableau 7 Fiche acteur à renseigner pour chaque catégorie d’acteurs pesant fortement sur le système étudié. Catégorie d’acteurs. Noms précis des acteurs qui en font partie. /BJECTIFPRINCIPALPARRAPPORTÜLAVARIABLEC“URDUmapping (ou plus largement vis-à-vis de la technologie étudiée). 6ARIABLESQUISONTINFLUENC£ESDIRECTEMENTPARCESACTEURSAVECUNEINDICATIONPOURSIGNALER le degré d’influence (très fort, fort, moyen). $ESCRIPTIONDESSTRAT£GIESPASS£ESETACTUELLESDECESACTEURSVIS Ü VISDELAVARIABLEC“UR (financeurs, opposants…) et/ou des autres acteurs (partenariat, fusion…). Réflexion sur les incertitudes qui pèsent sur l’influence de ces acteurs et sur leur stratégie.

95

Prospective technologique

À retenir. Il convient de lister les catégories d’acteurs qui jouent sur les variables clés du système et de faire une fiche pour chacune d’elles avec sa définition, les objectifs qu’elle poursuit par rapport à la technologie étudiée et l’influence qu’elle exerce sur le système (variables, acteurs). Une représentation synthétique est vivement souhaitée : tableau d’acteurs complété éventuellement par un mapping de variables et d’acteurs.

II.

Illustrations avec le cœur artificiel et les filières photovoltaïques

Nous avons choisi d’illustrer la méthodologie avec des cas différents, de manière à montrer qu’elle est facilement transposable d’une question prospective à l’autre, pourvu que l’on n’oublie pas d’acteurs clés et que l’on sache repérer leurs actions sur le système aujourd’hui et demain. On tâche, à chaque fois, de donner un éclairage sur au moins un point particulier de la méthodologie.

1.

Cas simplifié du cœur artificiel

0OUR £TUDIER LAVENIR DU C“UR ARTIFICIEL COMME PRODUIT DE POINTE ISSU NOTAMMENT des industries électronique et micromécanique, reprenons le questionnaire proposé et APPORTONSDESR£PONSESSANSCHERCHER DANSCETEXERCICEILLUSTRATIF ÜäTREEXHAUSTIFS57).

1.1

Quels sont les acteurs favorables à la technologie ?

On peut lister en premier lieu, les patients atteints d’insuffisance cardiaque grave puis le corps médical soucieux de les soigner et enfin les industriels impliqués dans LAMISEAUPOINT LAFABRICATIONOULEXPLOITATIONDUC“URARTIFICIEL,ESINDUSTRIELS sont désireux de diffuser leurs innovations (et également les équipements complémentaires) pour gagner des marchés tout en restant conformes à la réglementation en matière de santé. Enfin, dans l’opinion publique, il existe des personnes particulièrement favorables à cette innovation. Nous les nommons : leaders d’opinion pro.

1.2

Ceux qui sont susceptibles de financer sa R&D, sa diffusion ?

)LFAUTREGARDEREND£TAIL LEMONTAGEFINANCIERQUIAPERMISAUPREMIERC“URARTIFIciel de voir le jour. Une analyse de la presse spécialisée permet de repérer comment la société CARMAT, née en 2008, de la rencontre, dans les années 1990, des 57. L’auteure tient à remercier très sincèrement les experts, Jean-Pierre Boutrand, vice-président Global Sales chez Namsa ainsi que François Brochard pour la vérification des informations apporT£ESETPOURLEURSSUGGESTIONSCONCERNANTLANALYSEDUJEUDESACTEURSDUC“URARTIFICIEL

96

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

initiateurs du projet, le professeur Alain Carpentier et Jean-Luc Lagardère (alors président de la société Matra Défense), a mobilisé des fonds pour financer son développement : investisseurs privés, conseil général et introduction en bourse en 2010. Puisqu’une analyse prospective doit voir plus large que la situation présente, nous considérons deux grands types d’investisseur : les investisseurs privés (aujourd’hui majoritaires) cherchant une rentabilité à leurs investissements industriels ou à leurs placements financiers et les investisseurs publics qui s’inscrivent dans des programmes gouvernementaux, régionaux ou européens de financement de la RECHERCHEPOURPROMOUVOIRLINNOVATIONETPARLAMäMELACROISSANCEINDUSTRIELLE et économique. À ces deux catégories d’investisseurs dans la recherche, il convient d’ajouter les donateurs privés tout en se renseignant sur l’évolution temporelle de leur poids relatif dans l’optique, à terme, de faire des projections. Concernant la diffusion de l’innovation, deux acteurs clés rentrent en jeu : les organismes de remboursement des frais médicaux (solidarité publique) et les assureurs privés (ex. : mutuelles complémentaires).

1.3

Quels sont les utilisateurs potentiels ?

Ce sont les patients qui seront atteints d’insuffisance cardiaque aux horizons prosPECTIFSRETENUS ICI ETETSERONT£LIGIBLESAUC“URARTIFICIELDEGR£DINSUFfisance cardiaque élevé, compatibilité anatomique liée à la taille du thorax…). Leur TH£RAPIEPARLIMPLANTATIONDUNC“URARTIFICIEL D£PENDAUSSIDEVARIABLESTECHNOLOgiques, économiques, d’acceptabilité sociale…

1.4

Quels sont ceux qui la combattent ; par exemple ceux qui promeuvent une technologie concurrente ?

Il convient de se renseigner, notamment en interrogeant des experts, sur la rétiCENCEQUONTPUMANIFESTEROUPAS ÜL£GARDDUC“URARTIFICIEL LESPRATICIENSQUI réalisent des greffes conventionnelles. À plus long terme, il faut envisager peutäTRE AUSSI COMME OPPOSANTS LES PROMOTEURS DE TH£RAPIE CELLULAIRE UTILISANT DES cellules souches. Enfin, dans l’opinion publique, il existe des personnes opposées à la diffusion du C“UR ARTIFICIEL SUSCEPTIBLE DAUGMENTER LESP£RANCE DE VIE SOIT POUR DES RAISONS éthiques, soit pour des raisons économiques. Nous nommons cette catégorie : leaders d’opinion anti.

1.5

Ceux qui sont à convaincre ?

Dans la phase de R&D, ce sont principalement les nouveaux entrants potentiels : nouveaux investisseurs à convaincre mais aussi communauté de chercheurs (médecins, biologistes, technologues…) devant se mobiliser pour lever les verrous

97

Prospective technologique

technologiques (biocompatibilité, miniaturisation, adaptabilité au rythme cardiaque, diminution du risque d’infection, augmentation de la durée de vie du dispositif…). 0OURSADIFFUSIONÜGRANDE£CHELLE LESORGANISMESDEREMBOURSEMENTDEVRONTäTRE CONVAINCUSDELINT£RäT£CONOMIQUEDECETTETECHNOLOGIEPARRAPPORTAUXSOLUTIONS concurrentes. Figurent aussi dans cette catégorie, avec un poids de plus en plus important, les associations de patients. Par leur forte influence, vis-à-vis de l’opinion publique, les médias et les réseaux sociaux, sont des acteurs qui comptent également dans le paysage étudié.

1.6

Les régulateurs et les législateurs ?

Si cela est vrai pour grand nombre d’activités, en matière de santé, les innovations doivent avoir l’agrément d’organismes que l’on appelle, ici pour simplifier, les organismes régulateurs. En premier lieu, en France, il s’agit de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) créée par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire des médiCAMENTSETDESPRODUITSDESANT£%LLEJOUEUNR¹LEIMPORTANTDANSLEDISPOSITIF R¹LEQUIESTDICT£PARL£VOLUTIONDELAR£GLEMENTATIONETQUILCONVIENTDESUIVRE attentivement pour cette prospective. Il est à considérer aussi le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, souvent abrégé en Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui est un organisme à statut d’autorité administrative indépendante. Sa mission est de « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé » (cf. Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique). La réglementation européenne joue aussi fortement sur les fabricants et les chercheurs. Aujourd’hui, un facteur clé de changement inquiète les entreprises de DISPOSITIFSM£DICAUXETPARCONS£QUENTCELLESQUIPROMEUVENTLEC“URARTIFICIEL  le projet de révision du cadre réglementaire applicable à ces dispositifs en remplaçant les directives actuelles58. Il devrait fortement alourdir la panoplie des essais de sécurité et nécessiter davantage de R&D, ce qui a un coût pour le matériel. Il s’agit ici d’un risque majeur.

58. cf. WWWECEUROPAEUHEALTHMEDICAL DEVICESDOCUMENTSREVISIONINDEX?ENHTM La proposition de la Commission date de 2012 mais elle a été amendée par le Parlement en 2013 ETLANOUVELLER£GLEMENTATIONQUIVAEND£COULERDEVRAITäTREPUBLI£EEN

98

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

Nous avons choisi d’illustrer cette analyse par une matrice synthétique (tableau) croisant les acteurs et indiquant leur degré d’influence mutuelle par un code couleur : des nuances de gris, du plus clair (peu d’influence) au plus foncé (forte influence). On s’efforce de repérer uniquement les influences directes d’un ACTEURENLIGNESURUNACTEURENCOLONNE)LPEUTäTREINT£RESSANTDINDIQUERSUCcinctement dans le tableau sur quelle variable clé porte chaque influence directe. #ELLE CIPEUTäTREDEDEUXNATURES – elle a été repérée dans le passé et le présent ; – ou bien, elle est potentielle (influence plausible dans le futur). Sur la diagonale, figure l’objectif principal de chaque acteur (objectif réel ou plausible pour le futur) en lien avec la technologie étudiée : l’acteur souhaite-t-il sa DIFFUSIONOUBIENEST ILR£FRACTAIREÜSOND£VELOPPEMENTxcf. questionnaire I.1). Par souci de lisibilité, les acteurs sont regroupés sur le schéma en grandes catégories. Une réflexion complémentaire avec une composante historique précisant le nom des acteurs passés et actuels est nécessaire pour réaliser une véritable analyse prospective. Cette information figure sous une forme synthétique dans les fiches acteurs dont on a parlé plus haut. Le tableau 8 est donné à titre indicatif (il s’agit d’une toute première analyse) pour LECASDUC“URARTIFICIELAFINDEMONTRERCEQUILCONVIENTDEFAIRE,ER¹LEDESM£DIAS et des réseaux sociaux, comme celui des groupes leaders d’opinion, serait à analyser de manière plus approfondie par une réflexion de nature sociologique ou grâce à des interviews de spécialistes.

99

Influence directe sur

Investisseurs privés

Investisseurs publics

OrgaOrganismes de Fabricants, Associanismes rembourse- Industriels Chercheurs tions de régulateurs ment patients public

Investisseurs privés

Avoir un retour sur l’investissement

Effet d’entrainement

Financement de la R&D

Financement de la R&D

« Lobbying »

Communication

Investisseurs publics

Effet d’entrainement

Augmenter la connaissance, la croissance économique

Financement de la R&D

Financement de la R&D

Communication

Communication

Veiller à la qualité des dispositifs

Organismes régulateurs Organismes de remboursement public

Fabricants, Industriels

Chercheurs

Signaux pour investir

Signaux pour investir

Aide à la Aide à la diffusion, croissance au retour/ éconoinvestissemique ment

Leaders Leaders Corps Assurances, d’opinion d’opinion médical mutuelles de santé pro anti

Médias, réseaux sociaux

Demande Incitation conformité recherche qualité conformité Optimiser dépenses de santé / efficacité

forte

FinanFinan- Partage de cement cement la prise en traitement traitement charge

Augmenter leur part de marché Aide mise au point innovation

Publier, Breveter

Influence

modérée

Offre matériel performent

« Lobbying »

« Lobbying »

faible

Offre matériel performent

Communication

Communication

aucune

Prospective technologique

100 Tableau 8 Ébauche (pour illustration uniquement) d’un tableau d’acteurs avec influence repérée par un code couleur pour le cas du cœur artificiel.

Tableau 8 Suite. Investisseurs privés

Investisseurs publics

Organismes de Fabricants, AssociaOrganismes rembourse- Industriels Chercheurs tions de patients ment régulateurs public

Leaders Leaders Corps Assurances, d’opinion d’opinion médical mutuelles anti pro de santé

Choix Etre soignés thérapeutique

Associations de patients

Soigner au Utilisation Retour sur Utilisation mieux les innovation innovation innovation patients

Recherche Corps médical Recherche alliances alliances Assurances, mutuelles de santé

Impact sur business model

Influence Orienta- Influence choix choix tion de la thérapeuthérapeuR&D tique tique

Signaux Signaux Influence Leaders d’opi- pour ne pas pour ne loi nion anti éthique investir pas investir

Influence Orienta- Influence choix choix tion de la thérapeuthérapeuR&D tique tique

Médias, réseaux sociaux

Signaux pour investir

Envoi signaux

Signaux pour investir

Envoi signaux

Envoi signaux

Commu- Commu- Communication nication nication expérience expérience expérience Communication

Communication

Aide au Aide au Equilibrer cotisations finanfinan/ services cement cement traitement traitement rendus

Influence loi éthique

Leaders d’opinion pro

Médias, réseaux sociaux

Influence choix thérapeutique

Influence

forte

Favoriser la difusion du cœur artificiel Défavoriser la diffusion du cœur artificiel Information

« Lobbying »

modérée

« Lobbying »

faible

Informer, Informa- augmenter nb. réception teurs info.

aucune

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

Influence directe sur

101

Prospective technologique

2.

Cas simplifié des filières photovoltaïques

Nous donnons sur la figure 21, un exemple de mapping variables/acteurs dans le cas DELAPROSPECTIVESURL£VOLUTIONDESTECHNOLOGIESPHOTOVOLTAÉQUES Gouvernements Agences gouvernementales

hŶŝǀĞƌƐŝƚĠƐΘ Industrie du PV KƌŐĂŶŝƐŵĞƐZΘ ͻWƌŽĚƵĐƟŽŶ ͻ/ŶƐƚĂůůĂƟŽŶ ͻZĞĐLJĐůĂŐĞ Budget R&D

Organismes de ŶŽƌŵĂůŝƐĂƟŽŶΘ sécurité

Coût de ƉƌŽĚƵĐƟŽŶ

Fournisseurs de mat. premières

Opérateurs électriques

Fournisseurs équipements ĚĞĨĂďƌŝĐĂƟŽŶ

'ĞƐƟŽŶŶĂŝƌĞƐ de réseaux électriques

Intégrateurs dans les objets

ONG

Normes

Coût Ě͛ŝŶƐƚĂůůĂƟŽŶ

WƌŝdžĚĞƐŵĂƟğƌĞƐ ƉƌĞŵŝğƌĞƐ

RéglementaƟons

Coût de ĚĠŵĂŶƚğůĞŵĞŶƚ

Prix des équipements de ĨĂďƌŝĐĂƟŽŶ

Budget recherche publique

Verrous technologiques

Instruments économiques (ĨĞĞĚͲŝŶƚĂƌŝī͙)

Rendement Durée de vie

Coût Ě͛ŝŶƚĠŐƌĂƟŽŶ

Acteur

Consommateurs

Usages īĞƚƐĚ͛ĠĐŚĞůůĞ īĞƚƐ Ě͛ĂƉƉƌĞŶƟƐƐĂŐĞ Variable

Figure 21 Positionnement des acteurs par rapport aux principales variables clés conditionnant la part d’une technologie photovoltaïque dans le marché mondial à l’horizon 2030 (d’après B. Fournié et al., 2014).

Chaque gouvernement, par la définition de sa politique, joue sur le budget public DE 2$ POLITIQUE DITE DOFFRE CONSACR£ AU SOLAIRE PHOTOVOLTAÉQUE ENVELOPPE globale) et sur la répartition de cette enveloppe sur les filières de maturité différente. Une politique de demande favorisant l’installation de panneaux solaires par l’application d’instruments économiques de type feed-in-tariff va aider davantage les filières plus matures comme le silicium cristallin et par conséquent soutenir les entreprises les plus compétitives (en l’occurrence, les industriels chinois, pour ce qui concerne l’amont, i.e. la production de panneaux) (cf. Hyun Jin Julie Yu et al., 2014). Grâce aux subventions à la recherche, les universités et les organismes de R&D vont se mobiliser pour lever les verrous technologiques, améliorer le rendeMENT LESCOœTSETLADUR£EDEVIEDESSYSTáMESPHOTOVOLTAÉQUES SIBIENQUÜTERME il ne sera plus nécessaire de subventionner la demande. L’industrie du PV, grâce à son investissement dans la R&D, contribue elle aussi à la baisse des coûts en injectant de l’innovation tout au long de la chaîne de fabrication. Son investissement dans la production participe également à cette évolution du fait

102

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

des économies d’échelles et des effets d’apprentissage. On estime que les progrès conjugués de la R&D et de l’industrialisation vont permettre d’arriver à des coûts moyens pour les modules vendus sur le marché mondial, aux alentours de 40 cts €/ Wc à l’horizon 2020. Il est situé aujourd’hui autour de 60 cts (cf. Tab. 5). Mais attention, ce qui nous importe pour répondre à la question prospective posée est bien l’évolution relative des coûts suivant les différentes technologies, l’évolution moyenne ne nous donnant que la tendance globale dans le secteur. Les intégrateurs dans les objets (supports artificiels dans les bâtiments mais aussi objets nomades…), quant à eux, font faciliter les installations (réduction des coûts, FIABILIT£x ETOUVRIRLAVOIEÜDENOUVEAUXUSAGESPOUVANTPEUT äTREFAIRED£COLLERLE MARCH£DESTECHNOLOGIESCOUCHESMINCESOU/06PAREXEMPLE5NB£MOLTOUTDE MäMELESCEPTICISMEDUNEXPERTINTERROG£* 0*OLY QUANTAUD£COLLAGESPECTACULAIREDUMARCH£POURLESOBJETSNOMADESALIMENT£SEN£NERGIEGR½CEÜDU06 Nous ne dressons pas ici un panorama complet de l’influence des acteurs sur les variables clés et in fineSURLAR£PARTITIONDESTECHNOLOGIESPHOTOVOLTAÉQUESDANSLE marché mondial à l’horizon 2030. Le tableau d’acteurs avec leurs objectifs et leurs liens n’est pas non plus représenté puisque cette étape de la méthodologie a été ILLUSTR£EDANSLECASDUC“URARTIFICIEL%NREVANCHE NOUSMONTRONSSURCETEXEMPLE ce que l’on entend par repérage précis des acteurs du système, hors recyclage, en France (cf. Tab. 9). Ce tableau devrait normalement concerner toutes les catégories DACTEURSETBIENSœRäTREOUVERTÜLINTERNATIONAL Tableau 9 Exemple de nomination précise des principaux acteurs français du photovoltaïque59. Catégorie d’acteurs

Nom précis des principaux acteurs

Laboratoires publics de R&D

#%! ).%3 02/-%3 #.23 )06& #34" %$& %.2 06 Alliance, IRDEP.

Fabrication et R&D privée

– Matériaux solaires : Air liquide, Arkema, Saint-Gobain Solar… – Machines-outils : Komax, Semco, Stäubli… – Cellules : Photowatt, Tenesol/Sunpower, MPO Energy, Armor n-ODULES3ILLIA»NERGIE 6OLTEC3OLAR 3OLAREZO "OSCH Solar Energy… – Matériel électrique : Alstom Grid, Schneider Electric, Silec Cable… – Composants de structures : Heliowatt, Imerys TC, Tryba Énergies… – Moyens de stockage : Helion, Saft, Prollion…

Aval

Bureaux d’études, maître d’ouvrage, distributeurs, intégrateurs, ensembliers (nombreux et difficiles à nommer précisément).

59. cf. www.enr.fr/recherche-annuaire.phpÜLARUBRIQUEPHOTOVOLTAÉQUE

103

Prospective technologique

III. Attention particulière portée à un acteur clé :

le décideur Le décideur a été identifié avec la définition de la question prospective comme on l’a vu au chapitre 2. Il est question ici de bien cibler les objectifs qu’il poursuit ainsi que les leviersQUILESTÜMäMEDACTIONNERPOURLESATTEINDRE.OUSVERRONSAU chapitre 7, lors de la projection du système, comment les leviers agissent en effet sur la (ou les) cible (s) visée (s) par le décideur, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur les variables qui s’imposent à lui.

1.

Interroger le décideur

Pour cerner les attentes du décideur et ses moyens d’actions, nous proposons une liste de questions à poser. Si l’on connaît le décideur et s’il est aisé de l’interviewer, il faut bien entendu s’adresser directement à lui. Si ce n’est pas le cas, par exemple lorsque le décideur se nomme État ou Commission européenne, il convient de réfléchir au nom de l’intérêt général.OTONSCEPENDANTQUECETTEAPPROCHEPEUTäTRE discutée en regard de la théorie des choix publics (James M. Buchanan60 et Gordon Tullock, 1962) selon laquelle, dans une logique de réélection, les choix de l’État SONT GUID£S PAR L£LECTORAT ET NE COÉNCIDENT PAS FORC£MENT AVEC LINT£RäT G£N£RAL #ETASPECTINT£RäTG£N£RALversusINT£RäTPOLITIQUE ESTÜCONSID£RERAUMOMENTDE la définition du sujet de prospective. À titre d’exemple, mentionnons que, dans sa réflexion sur l’évolution des financements du secteur spatial, K. Herlem (2013) a considéré que l’action de l’exécutif était avant tout guidée par l’acceptation sociale des projets spatiaux et des dépenses qui leur étaient vouées.

2.

Grille de questions à lui poser

2.1

Quels sont ses objectifs ?

¾ Augmenter la performance de la variable cœur ?

,ORSQUEQUILCOÉNCIDEAVECCELUIDUPROMOTEURDELATECHNOLOGIE LOBJECTIFPRINCIPAL DU D£CIDEUR EST TRáS SOUVENT TRADUIT PAR LA VARIABLE C“UR DU mapping. Par EXEMPLE CELUI CIPEUTCHERCHERÜAUGMENTERLENOMBREDEC“URSARTIFICIELSGREFF£S en Europe en 2030 et en 2050 ou bien le nombre de patients suivis par télésurveilLANCEENCARDIOLOGIEEN%UROPEÜCESMäMESHORIZONSx$EMäME PARCEQUECEST inscrit dans sa Roadmap technologique, l’Europe cherche à promouvoir le CSC et son objectif est donc d’augmenter la capacité installée de centrales à charbon munies d’une unité de captage du CO2EN%UROPEENVARIABLEC“UR 

60. Prix Nobel d’économie 1986.

104

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

¾ Ou bien répondre à des objectifs multiples ?

#EPENDANT LAPROBL£MATIQUE EST PARFOIS PLUS COMPLIQU£E ,A VARIABLEC“UR NEST alors qu’un indicateur permettant au décideur d’orienter sa stratégie selon les scénarios d’évolution. Par exemple, l’INRA financera la recherche sur la fixation biologique de l’azote de l’air si elle pressent que les parts de marché de cette innovation seront importantes à l’horizon 2040… L’augmentation de la performance DELAVARIABLEC“URPEUTAUSSIäTREUNOBJECTIFSICERTAINESCONDITIONSSONTR£UNIES augmenter le nombre de véhicules électriques rechargés au solaire seulement si le couplage innovant améliore effectivement le bilan CO2 des secteurs de l’habitat et du transport sans grever trop lourdement le budget de l’État. Pour ces questions stratégiques plus délicates, il faut faire la liste des principaux objectifs du décideur et mettre en évidence ses différents points de vue.  /ÂVEUT ILALLER  1UELLESCONTRAINTESDOIT ILRESPECTER 3. A-t-il en sus des objectifs de performances économiques, des objectifs de préserVATIONDELENVIRONNEMENT DECR£ATIONDEMPLOIS On traduit ensuite les objectifs du décideur en critères d’évaluation pour les conséquences de la diffusion de la technologie. On hiérarchisera ces critères en leur attribuant des poids en fonction de son système de valeur et de ses croyances. À retenir. Selon que le décideur est un acteur privé, un organisme de recherche, une instance publique…, les objectifs varient et ne se résument pas N£CESSAIREMENTÜAUGMENTERLAPERFORMANCEDELAVARIABLEC“UR

2.2

Quels sont ses critères pour décider ?

Les critères découlent des objectifs du décideur. Si l’on se réfère à la définition du Robert, un critère est « ce qui sert de base à un jugement ». Si l’on adopte un discours plus formalisé, utilisé en théorie de la décision, un critère est une fonction de A (ensemble des décisions, des actions) dans R (ensemble des nombres réels) qui permet, relativement à un point de vue donné et pour un décideur identifié, de comparer deux actions entre elles (B. Roy, 1985), (cf. encadré 5). Encadré 5. Définition d’un critère. Si A est l’ensemble des décisions à prendre (ou actions), un critère est une fonction g : A → R qui permet, relativement à un point de vue donné et pour un acteur identifié de comparer deux actions a et b : g (a) ≥ g (b) ⇒ a S b a Surclasse b, i.e. a est au moins aussi bon que b relativement à ce point de vue.

105

Prospective technologique

Pour notre analyse prospective (et stratégique), A est l’ensemble des décisions que le décideur peut prendre. À chacun de ses points de vue (objectifs visés), il faut associer une fonction critère g. Si le seul objectif mis en avant par le décideur est celui d’augmenter la performance de la variable cœur, l’analyse sera monocritère0AREXEMPLE GPEUTäTRELENOMBRE de patients suivis par télésurveillance en cardiologie en 2050. L’analyse monocritère est le cas le plus fréquent des analyses de prospective technologique. Elle sera multicritère si plusieurs objectifs sont poursuivis simultanément par le décideur. Rappelons le sujet 6 de la mobilité solaire : « Pour des raisons environnementales, la puissance publique française cherche à promouvoir sur son territoire, la voiture électrique solaire à l’horizon 2030 : quelles politiques peut-elle déployer pour optimiser les bénéfices pour la collectivité ?w$ANSCETEXEMPLE LAVARIABLEC“URnombre de véhicules électriques solaires en circulation en France en 2030 n’est pas un objectif en soi. Il faut définir un déploiement de véhicules électriques solaires qui réalise un bon compromis entre l’ensemble des objectifs suivis par la puissance publique. Les critères qui traduisent les objectifs sont alimentés par certaines variables du mapping.

2.3

Quels sont les leviers d’action du décideur ?

Tout le travail réalisé sur la construction du mapping est très utile à cette étape car il aide à repérer les variables que le décideur peut actionner comme leviers. La R£FLEXIONSURLESACTEURSLESTTOUTAUTANTDANSLAMESUREOÂELLEPERMETAUD£CIDEUR de se situer dans son environnement concurrentiel. Ainsi, grâce à la compréhension DUPASS£ETDUPR£SENT ONESTÜMäMEDEREP£RER – les points forts du décideur ; – ses points faibles ; – les menaces qui pèsent sur la technologie qu’il souhaite développer (ou plus largement sur ses objectifs) ; – les opportunités de développement de cette technologie. Il s’agit en fait d’adapter, à la problématique de l’innovation technologique, l’analyse « classique » SWOT (Strengths Weaknesses Opportunities Threats) qu’Igor Ansoff (1989) (ayant aussi appartenu à la Rand Corporation), appliquait à une entreprise tout entière. L’objectif est de mettre au point une stratégie, par exemple, pour augmenter les chances de succès de la technologie sur le marché. Comme nous l’avons mentionné à maintes reprises, dans ce domaine, il est important de s’appuyer sur les tendances lourdes mais aussi d’imaginer les ruptures, pouvant äTREVUESCOMMEDENOUVELLESOPPORTUNIT£SDED£VELOPPEMENTSAUTTECHNOLOGIQUE ou bien usages radicalement nouveaux. On parlera alors d’analyse SWOTTR61, incluant l’analyse des Tendances et des Ruptures chère aux prospectivistes.

61. cf. formations « Introduction à la veille et à la démarche prospective » animées par Hugues de Jouvenel, Futuribles international.

106

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

À retenir. Dans le mapping, on marque les variables sur lesquelles le décideur peut jouer et les variables de contexte qui sont pour lui sources d’incertitude. C’est par une analyse SWOTTRQUEPOURRONTäTREPROPOS£ESDESSTRAT£GIESPOUR le décideur, stratégies qui seront évaluées ensuite à l’aune de ses objectifs et des scénarios de contexte.

2.4

Quels sont les meilleurs leviers à actionner ?

Pour répondre à cette question, il faut évaluer les conséquences d’une modification DESVARIABLESLEVIERSSURLESCRITáRESMISEN£VIDENCE#ETEXERCICEPEUTäTREDIFFICILE car le lien entre leviers et critères dépend des variables du contexte, c’est-à-dire des variables risquées sur lequel le décideur ne peut pas jouer : elles dépendent du contexte économique mondial, de l’état de la science et des techniques… et pour certaines, du jeu des autres acteurs (cf. Fig. 22). Lors de la projection du système au chapitre 6, il conviendra alors de construire des scénarios de contexte en utilisant toute l’information recueillie sur les variables comme sur les acteurs.

Contexte (incerƟtude)

Leviers d’acƟon

Conséquences

Jugement/critères

Stratégie (choix d’acƟons) Figure 22 Articulation leviers, contexte et conséquences sur le système.

À retenir. À cette étape, on se contente de repérer les variables de contexte subies par le décideur et conditionnant les résultats, les variables leviers d’action dont des combinaisons judicieuses créent les stratégies du décideur et les variables résultats alimentant les critères.

107

Prospective technologique

2.5

Comment actionner ces leviers ?

La puissance publique légifère, ajuste ses instruments de politiques d’innovation… 1UANTAUD£CIDEURPRIV£ PLUSIEURSPOSSIBILIT£SPOUVANTäTRECOMBIN£ESSOFFRENTÜ lui : – augmentation du niveau des variables de type investissement (R&D, production, marketing…) en allouant des moyens ; – alliance avec d’autres acteurs : partenariat avec définition de clauses sur le partage de la propriété intellectuelle, sous-traitance… – « lobbying » auprès des pouvoirs publics ; – communication auprès des médias, des réseaux sociaux… – gestion des conflits avec les opposants ; – …

Sans reprendre l’intégralité du questionnaire, nous donnons une illustration de la M£THODOLOGIE OÂ LON REPáRE LES VARIABLES LEVIERS DE CONTEXTE ET DE R£SULTATS EN SAPPUYANTSURUNCASOÂLOBJECTIFPOURSUIVIPARLED£CIDEURESTUNIQUE

3.

Illustration : un cas monocritère

La télésurveillance en cardiologie est un concept technique qui, s’il est généralisé, peut modifier l’organisation des soins. L’analyse des interactions entre technologie et contexte doit prendre une place importante pour élaborer la stratégie des promoteurs de cette innovation voulant se projeter en 2030 et en 2050. Dans cette étude, le décideur est un industriel, fabricant de dispositifs qui cherche à promouvoir l’innovation. Un seul critère est donc à considérer ; c’est l’augmentation DELAPERFORMANCEDELAVARIABLEC“URnombre de patients suivis par télécardiologie en Europe en 2030 et 2050. Dans la figure 23, nous indiquons les variables de contexte, les leviers d’action du D£CIDEURAINSIQUELESVARIABLESR£SULTATSCONDITIONNANTLEC“URDELAPROSPECTIVEQUI constitue, ici, le critère unique pour dicter la stratégie au décideur.

108

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

TĞĐŚŶoůoŐŝĞ

DĠŵoŐraphŝĞ ÉpŝdĠŵŝoůoŐŝĞ WĞƌƐŽŶŶĞƐĂƩĞŝŶƚĞƐ de pathologies cardiaque

C

Personnes âgées

C

Espérance de ǀie

C

WĞƌƐŽŶŶĞƐĂƩĞŝŶƚĞƐ de pathologies cardiaques et qui auraient besoin Ě͛ġƚƌĞƐƵŝǀŝĞƐ

C

ǀĂŶĐĠĞƐƚĞĐŚŶŽůŽŐŝƋƵĞƐ dans secteurs liés /ŶǀĞƐƟƐƐemeŶƚ R&D Degré de perĨorŵance de la technologie

ĂƌĚŝŽůŽŐƵĞƐͬŵŝůůŝŽŶĚ͛ŚĂď͘

Légende Variable de contexte C

R

Coût de la thérapie classique

L

C

/ŶǀĞƐƟƐƐemeŶƚƐ proĚƵĐƟoŶ, marŬĞƟŶŐ ĞŐƌĠĚĞƉĠŶĠƚƌĂƟŽŶƐƵƌůĞŵĂƌĐŚĠ ĠĚ Ġ Ġ Ɵ ů Ś >ŝƐƉŽƐŝƟĨƐŝŵƉůĂŶƚĠƐ Entreprises posiƟonnées dans le secteur

ƚŚŝƋƵĞƐŽĐŝĂůĞ

Acceptabilité Accessibilité aux soins classiques sĂƌŝĂƟŽŶĚƵƚĞŵƉƐ de prise en charge

L

ĐoŶoŵŝĞ/MarĐhĠ

Crŝƚğre EŽŵďƌĞĚĞƉĂƟĞŶƚƐ ƐƵŝǀŝƐƉĂƌ ƚĠůĠĐĂƌĚŝŽůŽŐŝĞ ĞŶƵƌŽƉĞ ĞŶϮϬϯϬĞƚϮϬϱϬ

ƵĚŐĞƚĐŽŵŵƵŶŝĐĂƟŽŶĞƚ ƌĞŶĨŽƌĐĞŵĞŶƚƐĠĐƵƌŝƚĠĚŽŶŶĠĞƐ

C

L

R R

'ĂŝŶĠĐŽŶŽŵŝƋƵĞĚĞ R la télécardiologie/ thérapie classiquee

R C

C C

WŽůŝƟƋƵĞƐ ƉƵďůŝƋƵĞƐ

^ŽůǀĂďŝůŝƚĠĚƵĚŽŵĂŝŶĞ

C

ZĞŵďŽƵƌƐĞŵĞŶƚ ď

C

ŵĠůŝŽƌĂƟŽŶƐĂŶƚĠ

C

:ŽƵƌƐĚ͛ĂƌƌġƚĚĞƚƌĂǀĂŝů ͛

Variable sur laquelle le décideur L peut jouer (levier)

C

Variable conséquence R (résultat)

Figure 23 Exemple simplifié de typologie de variables (contexte, leviers d’action et résultats) pour une aide à la décision monocritère (d’après A. Karabulut et J. Sengenès, 2014).

Il faudrait approfondir encore l’analyse pour identifier plus précisément les leviers. Par exemple, l’industriel joue sur l’acceptabilité de la télésurveillance EN CARDIOLOGIE -AIS DE QUELLE MANIáRE  1UELLES SONT LES VARIABLES QUI POURRAIENTCARACT£RISERSONACTION$EMäME COMMENTPEUT ILAUGMENTERLEDEGR£ DEPERFORMANCEDELATECHNOLOGIE.OUSINDIQUONSQUELQUESVARIABLESLEVIERS investissements en R&D, en capacité de production, en marketing, en campagne de communicationx QUIL CONVIENDRAIT DE COMPL£TER POUR äTRE Ü MäME DAIDER LE D£CIDEUR Ü D£FINIR SA STRAT£GIE DE CONQUäTE DU MARCH£ 1UELLES ALLIANCES POUR actionner plus aisément ces leviers et faire en sorte que leurs conséquences soient ÜLAHAUTEURDESESP£RANCES

109

Prospective technologique

Conclusion À cette étape de la prospective technologique, la « base » est construite. La figure 24 fait le bilan de la répartition des efforts afin que celle-ci soit à la fois globale et détaillée avec une analyse historique approfondie des variables comme des acteurs concernés. Il reste à présent à projeter le système selon différents scénarios et à aider le décideur à définir sa stratégie pour appréhender l’avenir sereinement. Analyse structurelle (variables technologiques, socio-économiques…, liens, tendances, risques, FPA)

40 %

+ ZĠƚƌŽƐƉĞĐƟǀĞĞƚƐƚƌĂƚĠŐŝĞƐĚĞƐĂĐƚĞƵƌƐĨĂĐĞ à la technologie

40 %

KďũĞĐƟĨƐ͕ĐƌŝƚğƌĞƐ͕^tKdTR pour le décideur

= 80 % Compréhension de la base

Figure 24 Bilan d’étape indiquant le temps à consacrer à la construction de la « base ».

,ORSDELAPROJECTIONDUSYSTáMEPROSPECTIF NOUSALLONSäTRECONFRONT£SÜLincertitude qui pèse sur les variables de contexte et par conséquent sur les résultats DESACTIONSQUELED£CIDEURPEUTäTREAMEN£ÜD£PLOYER#EPENDANT ÜPARTIRDU MOMENTOÂLONABIENIDENTIFI£LESFACTEURSETLESACTEURS QUIRISQUENTDEMPächer la technologie étudiée de se développer (ou plus largement les objectifs du D£CIDEUR DESER£ALISER ON ESTPLUSÜMäME DAGIR POUR EN DIMINUER LES EFFETS voire pour les éradiquer. Si cela ne semble pas possible, on conseille au décideur de se retirer. En revanche, si l’on a détecté des facteurs ou des FPA qui au contraire réserveraient un futur en or pour l’innovation en question, il faut mettre en place une stratégie renforçant les leviers permettant à ces éléments positifs de prendre le dessus sur le système.

110

5. Acteurs du système avec analyse approfondie des objectifs du décideur…

Il ne faut pas considérer l’incertitude comme une menace mais bel et bien comme une opportunité. Avec l’analyse approfondie de la « base », on acquière une information stratégique qui indique la marche à suivre : « go or no go » mais « if go », l’incertitude accompagnée d’une stratégie adaptée basée sur la connaissance fine du système, ouvre des opportunités de gain fort importantes ! À retenir. L’incertitude donne de la liberté au décideur… pourvu que l’on ait avec lui (ou en son nom) consacré un temps important à la compréhension du système et du jeu des acteurs vis-à-vis de l’innovation technologique étudiée.

111

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

6

Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

« Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? » Diderot (Jacques le fataliste)

Comme nous l’avons vu, une des fonctions de la prospective est la prévision. Puisque le système que l’on analyse est entaché d’incertitude, il s’agit de faire des prévisions PARSC£NARIOS LER¹LEDUPROSPECTIVISTE£TANT COMMEL£CRIT-'ODET DEDESSINER la toile de fond, c’est-à-dire les jeux d’hypothèses qui assureront aux modèles de prévision leur validité dans l’avenir. Ainsi, dans ce chapitre consacré à la projection du système, nous commençons par donner des méthodes pour projeter le système technologique en respectant les lois qui le régissent (ex. : lois physiques, chimiques, physiologiques, biologiques, ou encore historiques, selon les cas). Nous soulignerons ensuite les limites de la prévision technologique et comme la prospective ne se réduit pas à la prévision, nous montrerons enfin comment concilier modèles de prévision et philosophie prospective.

113

Prospective technologique

I.

Projection du système technologique

Nous donnons un panorama, non exhaustif, des méthodes de prévision technologique. Il s’agit d’une boîte à outils dans laquelle le prospectiviste peut venir piocher pour projeter, sous hypothèses, les variables (et les sous-systèmes) technologiques.

1.

Méthodes de prévision technologique

1.1

D’où viennent-elles ?

La plupart des méthodes de prévision technologique ont été recueillies dans un ouvrage clé écrit en français et qui s’intitule Innovation et évaluation technologique. Il a été réalisé par R. Saint-Paul et P.F. Tenière-Buchot (1974) à partir du célèbre rapport de l’OCDE « Technological forecasting in perspective », rédigé par l’astrophysicien autrichien Erich Jantsch (1967). Pour compléter ce panorama, nous citerons aussi une méthode issue de la théorie de la conception, la méthode C-K (ConceptKnowledge) mise au point récemment à l’École des mines de Paris car elle nous semble constituer un prolongement fort intéressant des outils de prévision technologique notamment pour aider le prospectiviste à imaginer les ruptures.

1.2

À quoi servent-elles ? Un essai de typologie

Les méthodes de projection dites théoriques (fondées sur une loi), probabilistes (fondées sur une loi de probabilité) ou empiriques (basées sur l’observation de séries chronologiques par exemple) sont en quelque sorte des garde-fous, évitant toute projection dénuée de sens « technologique ». En effet, comme on l’a dit plus haut, le système technologique est auto-organisé et renferme des contraintes (physiques,

114

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

physiologiques…) qu’il est indispensable de respecter pour sa projection dans le temps : l’heure du lever du soleil le 11 janvier 2074 est déjà déterminée, la production d’électricité d’un panneau solaire dépend mathématiquement de l’ensoleillement et DESONRENDEMENTINTRINSáQUE LUI MäMELIMIT£PARL£NERGIECONTENUEDANSLESPHOtons et par celle nécessaire à leur conversion en électrons... La vitesse d’un avion est bornée par la puissance du moteur… La puissance maximale d’une éolienne dépend de la vitesse du vent, de la surface balayée par les pales et d’un coefficient de puissance maximale récupérable. Repérer les lois grâce à la théorie ou bien de manière empirique donne de la cohérence aux hypothèses faites lors de la projection du système technologique. Et ceci est très important car les scénarios de H. Kahn ont été critiqués justement pour leur manque de fondement « scientifique ». Pour réaliser les analyses de prospective technologique, ne manquons pas de nous référer à ces méthodes de PR£VISIONRIGOUREUSESQUIONTFAITLEURPREUVEDANSLEPASS£ MäMESI COMMEONLE VERRADANSLASECONDEPARTIEDECECHAPITRE ELLESPR£SENTENTDESLACUNESETDOIVENTäTRE mises en perspective dans une démarche plus large et plus ouverte. Si l’on ne sait pas identifier de lois ou bien si l’on ne dispose pas de séries chronologiques, on peut très bien se tourner vers les experts pour formuler des hypothèses sur le futur des variables technologiques. On a recours alors aux méthodes de prévision technologique dites intuitives, la plus célèbre d’entre elles étant la méthode Delphi. Les méthodes intuitives ont l’avantage d’aider aussi à imaginer les ruptures susceptibles de se produire dans le domaine étudié (voire dans un domaine connexe pouvant avoir des répercussions sur l’innovation étudiée). C’est un atout très important étant donné LER¹LECENTRALQUELONACCORDEAUXRUPTURESDANSLAD£MARCHEPROSPECTIVE D’autres méthodes permettent également d’imaginer les ruptures par exemple au niveau du fonctionnement de la technologie ou encore de ses usages. Ce sont les méthodes exploratoires comme l’analyse morphologique. C’est dans cette rubrique que nous classons aussi la méthode C-K. Nous présentons maintenant des méthodes de prévision technologique en suivant la typologie indiquée dans le tableau 10. Tableau 10 Typologie des principales méthodes de prévision technologique. Type

Fonctions principales

Théorique

s'ARDE FOUASSURELACOH£RENCEDESHYPOTHáSESTECHNOLOGIQUESGR½CEÜ des lois établies.

Empirique

s'ARDE FOU  ASSURE LA COH£RENCE DES HYPOTHáSES TECHNOLOGIQUES PAR l’observation du passé.

Intuitive

s'ARDE FOU  ASSURE LA COH£RENCE DES HYPOTHáSES TECHNOLOGIQUES PAR des expertises. s!IDE Ü IMAGINER DES RUPTURES PLAUSIBLES EN FAISANT R£F£RENCE Ü LA connaissance des experts.

Exploratoires

s!IDEÜIMAGINERDESRUPTURESPLAUSIBLESENEXPLORANTLESPACEDESCONCEPTS (C) tout en regardant dans l’espace des connaissances (K), ce qu’il est possible de faire.

115

Prospective technologique

À retenir. Qu’elles soient anciennes ou récentes, les méthodes de prévision TECHNOLOGIQUEONTLEM£RITEDAIDERLEPROSPECTIVISTEÜäTRERIGOUREUXDANSSA démarche consistant à mettre en cohérence les hypothèses sur les valeurs futures des variables technologiques auto-organisées par des lois. Certaines d’entre elles apportent en outre un appui précieux pour imaginer des ruptures : nouvelle technologie, usages radicalement nouveaux, nouvelles organisations…

2.

Méthodes théoriques

2.1

Courbes enveloppes

L’extrapolation concerne un composant et une fonction. L’avenir des procédés est borné supérieurement par les possibilités de la technique. La fonction est limitée par des lois physiques ou physiologiques contraignantes (vitesse de la lumière, vide absolu, ratios physiques...). La courbe enveloppe exprime la tendance d’évolution à long terme. ¾ Exemple

La figure 25 montre que la fonction puissance des moteurs, qui évolue avec l’accroissement des connaissances et l’accès aux ressources, est bornée supérieurement PARUNECOURBEENVELOPPEENRAISONDELOISPHYSIQUESNEPOUVANTäTRETRANSGRESS£ES Propulsion nucléaire ? MégawaƩs Courbe enveloppe

TTurboréacteur supersonique

TTurbopropulseur subsonique

Moteur à pistons 1900

temps

Figure 25 Courbe enveloppe caractérisant la fonction puissance.

Cette méthode de prévision a été appliquée dans les années soixante pour calculer la vitesse probable des avions de l’an 2000.

116

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

2.2

Courbe en S

Comme le montre la figure 26, le comportement d’un produit innovant sur le marCH£PEUTäTREREPR£SENT£PARUNECOURBEEN3QUI ÜLIMAGEDUNäTREVIVANT PR£SENTE trois parties distinctes : 1. l’expansion : après sa naissance, le produit est en plein développement (adolescence) et du fait de l’apparition de nombreux nouveaux concurrents, des investissements massifs sont nécessaires chez son promoteur pour conserver le marché ; 2. la zone de transition (point d’inflexion) : le produit ayant atteint l’âge mur, il est devenu très rentable et comme il existe peu de concurrents nouveaux, il demande peu d’investissement ; 3. la saturation : le produit est vieillissant, le marché est en saturation avant son déclin. Plusieurs équations mathématiques, rarement aisées à déterminer, peuvent décrire cette évolution.

Performance/Perf. Max

Volume de la demande

saturaƟon

InŇexion Expansion

Temps

Figure 26 Modèle analogique caractérisant la diffusion d’une innovation.

,AXEDESORDONN£ESCORRESPONDAUVOLUMEDELADEMANDEQUICOÉNCIDEG£N£RALEment avec la performance « technologique » du produit.

3.

Méthodes empiriques

3.1

Extrapolation de tendance

Des statistiques sont rassemblées sur une assez longue période, une loi est déduite de leur observation, les prévisions sont effectuées à partir de cette loi. On utilise souvent un ajustement linéaire, mais les prévisions étant valables sous l’hypothèse

117

Prospective technologique

ceteris paribus, il faut faire attention aux changements dans les conditions extérieures. ¾ Exemples

On peut citer la célèbre loi de Gordon Moore : « Le nombre de transistors par circuit de même taille va doubler tous les dix-huit mois », disait-il en 1965. Dans le secteur des transports routiers, compte tenu des efforts que les constructeurs consentent depuis les années 1970, on observe une amélioration continue de l’efficacité des moteurs (voitures particulières et industrielles, poids lourds) en Europe mais aussi aux États-Unis. Cette efficacité se mesure en consommation moyenne PARKILOMáTREDECARBURANTPOURLESV£HICULESNEUFSOUBIEN CEQUIREVIENTAUMäME en émission de grammes de CO2. La prévision technologique consiste à extrapoler la tendance observée, à savoir, pour les voitures particulières neuves immatriculées en France, une diminution d’environ 1 % par an des émissions moyennes de CO2 par kilomètre (tendance observée en France, au moins depuis 200362).

3.2

Analyse des événements précurseurs

Cette méthode permet de passer de l’observation d’un phénomène à la prévision d’un autre phénomène induit : X(t) = kY(t-T)OÂY(t) représente l’événement précurseur et X(t), l’événement à prévoir. ¾ Exemple

La vitesse maximale des avions civils peut se déduire de l’observation de la vitesse maximale des avions militaires. Ainsi, pour connaître la vitesse des avions civils en t = 2030, on considère celle des avions militaires en t-T = 2030 - 20 ans, i.e. en 2010, avec un coefficient d’ajustement, k défini empiriquement.

3.3

Courbe d’apprentissage ou d’expérience

La théorie de l’apprentissage appliquée à la fabrication ou l’installation d’une technologie, signifie qu’avec la répétition de tâches identiques, le personnel devient de plus en plus expérimenté et permet de développer des gains de productivité. Dans LESECTEURDUSOLAIREPHOTOVOLTAÉQUEPAREXEMPLE DAPRáSLE3YNDICATDES£NERGIES renouvelables (2009), des analyses ont montré que le doublement de l’activité dans le domaine photovoltaïque permet de réduire les coûts de 20 %. Si cette relation se poursuivait, elle pourrait permettre de faire des prévisions quant à l’évoLUTIONDESCOœTSDUSOLAIREPHOTOVOLTAÉQUEDANSLEFUTUR

62. Source : Service de l’observation et des statistiques (SOeS) du MEEDAT, 2013.

118

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

Il faut noter que la baisse des coûts unitaires de production est souvent l’effet combiné du phénomène d’apprentissage et des économies d’échelle qui traduisent le fait que le coût unitaire d’un produit est une fonction décroissante de sa quantité produite (ou vendue).

4.

Méthodes intuitives

4.1

Delphi

La plus utilisée des méthodes de prévision technologique est sans doute la méthode Delphi dont le nom vient de Delphes, ville célèbre pour les oracles de la Sibylle et de LA0YTHIE$£RIV£EDELAM£THODE6ATICAN ELLEA£T£CR££EAUMILIEUDESANN£ES pour les besoins de l’armée américaine par Olaf Helmer et Norman Crolee Dalkey (cf. publication commune en 1963). ¾ Son principe

,AMISEEN“UVREPRATIQUEDUN$ELPHICOMPORTETROIS£TAPES 1. constitution d’un groupe d’experts ; 2. élaboration du questionnaire ; 3. déroulement de la consultation et son dépouillement avec : a. envoi du questionnaire, b. dépouillement des réponses et calcul de la médiane M et de l’espace interquartile (Q1, Q3) en suivant les règles de la statistique descriptive, c. envoi d’un second questionnaire indiquant les résultats du premier et demandant aux experts dont la réponse se situe en dehors de l’espace interquartile de revoir leur première réponse ou bien de se justifier, d. envoi d’un troisième questionnaire et ainsi de suite, jusqu’à « cristallisation » des diverses positions des experts. On voit ainsi que le but des itérations successives est la réduction de l’espace interquartile afin de dégager un certain consensus de la part des experts vis-à-vis de la question posée. Cette méthode est fondée sur le postulat que l’expertise collective a plus de poids que l’expertise isolée. ¾ Exemples de questions posées par les initiateurs de la méthode

La méthode Delphi a été appliquée par O. Helmer et T.J. Gordon (1968) à une importante étude de prévision à long terme effectuée avec la Rand Corporation pour évaluer la date probable d’apparition d’une centaine d’innovations scientifiques dans les domaines tels que l’automation, l’espace, les techniques militaires, la médecine... Parmi les questions posées, il y avait : « En quelle année pourra-t-on organiser des croisières d’un mois sur la lune ? En quelle année pourra-t-on brancher directement un ordinateur sur le cerveau humain ? ». Il s’avère que 40 % environ des prévisions

119

Prospective technologique

se sont révélées exactes comme le développement des matériaux synthétiques, des constructions ultralégères ou des centres de stockage de l’information. ¾ Exemple d’application du Delphi : la fixation de l’azote de l’air par les céréales

Bien que les enjeux du sujet prospectif soient expliqués au chapitre suivant, nous AVONSCHOISIDILLUSTRERICILEM£CANISMEDU$ELPHIAVECUNEENQUäTER£ELLER£ALIS£EÜ l’INRA (N. Taverdet, 1994) à propos d’une biotechnologie qui, si elle voyait le jour, permettrait aux céréales de fixer l’azote de l’air. .OUSEXTRAYONSUNEDESQUESTIONSDELENQUäTER£ALIS£EENINTERVIEWANTPARVOIEPOStale une cinquantaine d’experts. Sur les figures 27 et 28 est indiqué l’espace interquartile des réponses pour chacune des deux itérations. Comme on le voit, celui-ci est réduit à la seconde itération car les experts préfèrent, généralement, rentrer dans LERANGPLUT¹TQUEDEMAINTENIRETJUSTIFIERUNEPOSITIONEXTRäME Question : À votre avis, si la plante non légumineuse parvient à fixer l’azote de l’air par introduction du gène nif dans ses cellules, de combien le rendement sera-t-il diminué par rapport aux pratiques culturales françaises actuelles où des engrais azotés sont ajoutés en quantité importante ? 35%

M, Q3

WƌŽƉŽƌƟŽŶĚ͛ĞdžƉĞƌƚƐ

30% 25%

Q1

20% 15% 10% 5% 0% moins de 5% de 5% à 10% de 10% à 20% de 20% à 30% de 30% à 40% plus de 40% ZĠĚƵĐƟŽŶĚƵƌĞŶĚĞŵĞŶƚ

Figure 27 Résultats du Delphi, première itération.

120

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

Q1, M, Q3

70% 60% WƌŽƉŽƌƟŽŶĚ͛ĞdžƉĞƌƚƐ

50% 40% 30% 20% 10% 0% moins de 5% de 5% à 10% de 10% à 20% de 20% à 30% de 30% à 40% plus de 40% ZĠĚƵĐƟŽŶĚƵƌĞŶĚĞŵĞŶƚ

Figure 28 Résultats du Delphi, seconde itération.

On constate que la convergence des opinions est atteinte dès la seconde itération. Le consensus des experts indique donc une diminution du rendement des plantes de 10 à 20 %. C’est cette hypothèse qui avait été retenue à l’époque, comme étant la plus probable dans l’exercice prospectif réalisé à l’INRA. D’autres hypothèses, BAS£ESQUANTÜELLESSURDESR£PONSESEXTRäMESAPPORT£ESAUQUESTIONNAIRE$ELPHI par les experts qui n’étaient pas « rentrés dans le rang », avaient permis de construire des scénarios plus contrastés.

4.2

Variations du Delphi

Différentes adaptations ont été apportées à cette méthode pour la rendre moins lourde : – mini-Delphi : à la différence du Delphi, les experts sont rassemblés dans un MäMELIEU CEQUIR£DUITLADUR£EDELENQUäTE – machines à voter : les experts votent en utilisant par exemple un code de couleur (Abaque de Régnier inventé en 1973 par un médecin français, François Régnier) ou bien une échelle graduée (Consensor conçu dans les années 1970).

5.

Méthodes exploratoires

5.1

Analyse morphologique

L’analyse morphologique, formalisée au cours de la seconde guerre mondiale par l’astronome américain Fritz Zwicky (1947) (découvreur des trous noirs de l’univers) vise à explorer, de manière systématique, les futurs possibles à partir de l’étude de toutes les combinaisons issues de la décomposition d’un système. L’objectif de cette

121

Prospective technologique

analyse est la mise en évidence de procédés ou de produits nouveaux en prévision technologique. Elle est utilisée également pour la construction de scénarios. Elle comporte deux phases : 1. la construction de l’espace morphologique. Le système ou la fonction qui nous intéresse est décomposé en sous-systèmes ou composantes aussi indépendantes que possible et devant rendre compte de la totalité du système étudié. Chaque composante peut naturellement prendre plusieurs configurations. L’ensemble de ces combinaisons représente le champ des possibles, encore appelé espace morphologique ; 2. la réduction de l’espace morphologique. Certaines combinaisons étant irréalisables (ex. : incompatibilités entre configurations), la deuxième phase du travail consiste à réduire l’espace morphologique initial en un sous-espace utile à partir duquel les combinaisons pertinentes POURRONT äTRE EXAMIN£ES #ELA SE FAIT PAR LINTRODUCTION DE CONTRAINTES DEXclusion et de critères de sélection (en l’occurrence techniques mais aussi économiques lorsque la méthode est appliquée au-delà de la prévision purement technologique). ¾ Exemple La recherche d’innovations concerne la fonction « rasage ». L’espace morphologique est représenté par le tableau 11. Tableau 11 Espace morphologique associé à la fonction « rasage ». Source d’énergie

Électrique

Chimique

Manuelle

Mécanique

Agent raseur

Chaleur

Électricité

Lame

Produit chimique

Type de déplacement

Circulaire

Linéaire

Statique

Bactéries

L’espace morphologique contient 4 × 5 × 3 = 60 possibilités comprenant les solutions classiques : manuelle, lame, linéaire ou bien électrique, lame, circulaire. Une solution originale et plausible est associée à la combinaison : manuelle, bactéries, statique, i.e. la digestion bactérienne de la barbe par application statique d’une crème.

122

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

5.2

Théorie C-K63

Beaucoup plus récente que l’analyse morphologique, la théorie C-K mise au point au Centre de gestion scientifique de l’École des mines de Paris par Arnaud Hatchuel et Benoît Weil (2009), montre que tout raisonnement innovant se construit simultanément sur deux espaces de pensée qui obéissent à des logiques différentes : un espace de concepts (C) qui contient des propositions provisoirement indécidables et un espace de connaissances (K) qui contient des propositions établies (vraies ou fausses). C’est l’expansion conjointe de ces deux espaces qui force la génération d’objets inconnus à partir de faits connus. De plus, les relations entre ces deux espaces mettent en évidence des types d’opérations cognitives, qui sont distinctes des raisonnements classiques de déduction ou d’induction et qui sont indispensables au travail de conception créative.

II.

Erreurs dans la prévision technologique : essai d’explication

Après avoir constaté dans le passé des erreurs dans les prévisions technologiques R£ALIS£ES NOUST½CHONSDECOMPRENDREDOÂELLESVIENNENTAFINDYREM£DIERLORSDE la projection du système étudié.

1.

Constat

Les erreurs des prévisions technologiques se révèlent par la comparaison entre ce que l’on a dit et ce qui s’est passé. Un américain Stephen Schaars (1989) a réalisé ce travail et a montré que, dans les prévisions technologiques pour l’an 2000 faites par le Hudson Institute (H. Kahn., A. J. Wiener, 1967), 15 % sont correctes, 10 % sont partiellement vraies, 20 % sont inestimables et 50 % radicalement fausses.

2.

Essai d’explication

Pierre Gonod (1995) attribue cet échec (et plus généralement les Megamistakes de la prévision technologique) principalement à trois facteurs : – l’absence de l’évaluation critique du travail de prévision ; – l’air du temps, le « spirit of time », i.e. l’influence sur les prévisions futures, des phénomènes qui marquent l’époque présente et tout particulièrement le

63. L’auteure remercie chaleureusement Pascal Le Masson pour la relecture attentive des parties mentionnant la théorie C-K et ses apports à la méthodologie de prospective technologique.

123

Prospective technologique

comportement HOT (hyper optimisme technologique) qui fait de la technologie la variable exclusive du changement social ; – et enfin, la quasi-imprévisibilité des usages ultimes des innovations dont certains peuvent résulter de la combinaison ultérieure de technologies complémentaires. Sur ce dernier point, rappelons en effet, qu’au moment de son invention, on n’avait pas prévu toutes les applications futures du laser : découpe et usinage des pièces industrielles, lecture des codes-barres, transmission de données par fibre optique grâce à la modulation de l’onde lumineuse du laser et à sa démodulation par une photodiode… Sur le second, nous sommes tentés de rapprocher le comportement HOT de celui qui consiste à mettre en avant une technologie sans avoir analysé a priori les attentes du marché. Cette vision dite « technologie push » conduit inévitablement à des erreurs de pronostics tant on sait que l’innovation technologique naît de la rencontre entre UNETECHNOLOGIEETUNMARCH£#ELUI CIDOITäTREPRäT ILESTPARFOISPLUSLENTQUELA technologie et une des questions clés pour le prospectiviste est bien celle de l’évaluation des délais de diffusion des innovations. Et cela ne peut se faire qu’avec une vision globale et systémique de la question posée tenant compte des interactions entre la technologie et son contexte sociétal (au sens large) pour mieux évaluer la consistance et la direction du changement. À retenir.6ISION« technologie push », hyper optimisme technologique, difficultés à prévoir les usages ultimes de l’innovation et sous-estimation du contexte socio-économique dans l’évaluation de la vitesse de diffusion de l’innovation technologique, constituent les principales limites de la prévision technologique qui peuvent expliquer ses erreurs passées.

III. Place à la prospective technologique "IENQUELLEPR£SENTEDESLIMITES LAPR£VISIONTECHNOLOGIQUEPEUTäTRETRáSUTILEAU prospectiviste, ne serait-ce que pour tenir compte des lois inhérentes à la technologie ou encore pour l’aider à imaginer des ruptures. Donc, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain et montrons comment se servir de ses outils pour réaliser une prospective concernant la diffusion d’une innovation technologique. Nous proposons une recette en cinq points : 1. ne pas se laisser influencer par les effets de mode ou les consensus collectifs ; 2. penser aux inflexions de tendance dans l’évolution des performances de la technologie ; 3. projeter les sous-systèmes technologique et socio-économique conjointement et non séparément ;

124

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

4. imaginer des ruptures dans les technologies, les usages, le contexte politique, économique et l’organisation de la société ; 5. laisser de la place à la flexibilité pour faire face à l’inconnu.

1.

Ne pas se laisser influencer par les effets de mode ou les consensus collectifs

Pour construire un scénario, il ne faut pas se faire aveugler par les effets conjoncturels qui risquent de fausser les projections dans le futur ni d’ailleurs par les opinions MAJORITAIRES QUIPEUVENTJUSTEMENTäTREINFLUENC£ESPARCESEFFETSDUMOMENT,A critique majeure qui est faite à la méthode Delphi porte précisément sur la manière dont les questionnaires sont constitués, incitant les experts à rentrer dans le rang PLUT¹TQUEDEMAINTENIRUNEPOSITIONEXTRäME-AISCONVERGENCENESIGNIFIANTPAS cohérence, un consensus ne donne pas nécessairement une bonne prévision. Alors, il est possible d’utiliser le Delphi en modifiant légèrement son esprit pour tirer parti de l’opinion des experts « récalcitrants » qui, après plusieurs itérations, maintiennent TOUJOURSUNEPOSITIONEXTRäMEDANSLEURR£PONSE,AJUSTIFICATIONQUILSEXPRIMENT pour justifier leur position est particulièrement intéressante pour l’élaboration des scénarios contrastés ou bien de rupture.

2.

Penser aux inflexions de tendance dans l’évolution des performances de la technologie

Reprenons l’exemple de la tendance à l’amélioration de l’efficacité des moteurs dans le secteur de l’automobile. La méthode empirique d’extrapolation de tendance conduit à prévoir une diminution de 1 % par an des émissions de CO2. Or cette tendance, qui est valable ceteris paribus, est susceptible de s’infléchir si les conditions extérieures évoluent et seule une analyse prospective, intégrant les variables de CONTEXTEDELATECHNOLOGIE ESTÜMäMEDIMAGINERa priori. On a en effet constaté, a posteriori, une inflexion de tendance : les progrès réalisés dans la filière automobile, couplés à une politique très volontariste (dispositif de bonus malus) mise en place fin 2007, ont permis de réduire significativement la moyenne des émissions de CO2 des véhicules neufs en France (de 149 g de CO2/km en moyenne en 2007 à 124,2 g en 2012). Les émissions moyennes de CO2 des voitures particulières neuves ont chuté de 6 g instantanément à la mise en place du bonus malus et la tendance depuis est une baisse annuelle de l’ordre de 4,1 g (i.e. plus de 3 %), contre 1,6 g auparavant (i.e. près de 1 %)64.

64. Source : fiche « Le véhicule décarbonné et son écosystème », 2013, site du MEEDAT.

125

Prospective technologique

3.

Projeter les sous-systèmes technologique et socio-économique conjointement et non séparément

3.1

Combien coûtera la technologie projetée ?

Il convient d’évaluer le coût des composants que l’on a identifiés dans le sous-système technologique et représentés sur le mapping. C’est sur les composants futurs que doit porter l’évaluation économique à l’horizon de la prospective. On parle d’ailleurs d’évaluation technico-économique pour bien signifier que l’on considère simultanément les sous-systèmes technologique et économique pour projeter les coûts. Par exemple, dans une voiture électrique, c’est la batterie qui constitue le poste financier le plus lourd. Son architecture, ses caractéristiques techniques… et la PROPORTIONDESMAT£RIAUXQUILACOMPOSENT DOIVENTäTREANTICIP£ESENFONCTIONDES lois de la chimie, des contraintes techniques… mais aussi de l’évolution présumée du prix des matières premières afin de prendre en compte les substitutions appelées par le renchérissement de certains matériaux ou composants… Les hypothèses sur le jeu des acteurs (fournisseurs, normalisateurs) doivent intervenir aussi dans cette évaluation des coûts.

3.2

Quelles seront les nouvelles parts de marché ?

Nous l’avons souligné à maintes reprises, la diffusion de la technologie ne peut se faire que si elle correspond à une attente sociétale. Le prospectiviste doit se tourner vers les méthodes de marketing pour analyser le marché. Si l’innovation est plus en amont du marché (TRL faible comme cela est généralement le cas dans les études qui nous préoccupent) alors, il doit s’entourer de sociologues (a minima en les interviewant) pour projeter les usages, imaginer de nouveaux modes de consommation et proposer au décideur des orientations dans son programme de recherche qui maximisent les chances d’adéquation de son produit aux besoins futurs.

3.3

Quelle sera la rentabilité pour le promoteur de la technologie ?

Il s’agit de mettre en cohérence les variables économiques du système analysé en faisant appel à des modèles simples reflétant les lois économiques. Par exemple, pour l’évaluation à long terme de la rentabilité d’une unité de production d’électricité nucléaire, toutes les variables du mapping représenté figure 18 (chapitre 4) PEUVENTäTREMISESEN£QUATIONPARLAFONCTIONValeur actuelle nette qui est égale à la somme actualisée des cash-flows des périodes d’investissement, d’exploitation et de liquidation. Dans cette formule, le taux d’actualisation représente le coût du finanCEMENTDELINVESTISSEMENTDONTLESCOMPOSANTESTAUXDINT£RäT RENTABILIT£EXIG£E par les investisseurs) figurent aussi dans le sous-système économique. Comme nous l’avons déjà indiqué, l’estimation des flux financiers futurs dépend de l’évolution de LATECHNOLOGIExELLE MäMECONDITIONN£EPARCELLEDELAR£GLEMENTATION ENMATIáRE de sûreté notamment.

126

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

À retenir. Les lois classiques de la théorie économique (évaluation de la rentabilité, formation des prix…) servent de garde-fous pour éviter les projections aberrantes sur le plan de la faisabilité économique. La figure 29 montre comment doivent s’articuler tous les éléments du système global pour sa projection dans le temps avec l’utilisation de modèles partiels reflétant les lois de la technologie, de l’économie, de la sociologie de la demande, afin d’assurer la cohérence des variables du système lors de sa projection.

WƌŽũĞĐƟŽŶ ĚĞƐĐŽƸƚƐ ĞƚĚĞ ůĂƌĞŶƚĂďŝůŝƚĠ

ͻ ŶĂůLJƐĞ ŵĂƌŬĞƟŶŐ ͻ ŶĂůLJƐĞ ƐŽĐŝŽůŽŐŝƋƵĞ

ͻdĞĐŚŶŝĐŽͲ ĠĐŽŶŽŵŝĞ ͻĂůĐƵů ĠĐŽŶŽŵŝƋƵĞ

WƌŽũĞĐƟŽŶ ĚĞůĂ ĚĞŵĂŶĚĞ

WƌŽũĞĐƟŽŶĚĞůĂ ƟŽŶĚĞůĂ ƚĞĐŚŶŽůŽŐŝĞ ŶŽůŽŐŝĞ ͻ DĠƚŚŽĚĞƐ ĚĞƉƌĠǀŝƐŝŽŶ ƚĞĐŚŶŽůŽŐŝƋƵĞ

Figure 29 Projection conjointe de la technologie (composants, structure), de ses coûts, de la rentabilité pour le promoteur et de la demande sur le marché.

L’identification des lois liant les variables auto-organisées de chaque sous-système est un élément clé de la prospective technologique (pourvu que l’exercice reste explicite et ne tombe pas du syndrome de la « boîte noire »). Cependant, cette analyse DOITäTRECOMPL£T£EPARUNER£FLEXIONSURLESRUPTURESQUIPOURRAIENTAFFECTERLESLOIS établies et remettre en cause, pour certains scénarios en tous cas, les projections basées sur les modèles partiels.

127

Prospective technologique

4.

Imaginer les ruptures dans les technologies, les usages, le contexte politique, économique et l’organisation de la société

Dans la construction des scénarios, il ne faut pas brider son esprit imaginatif pour, à LINSTARDELUTOPISTE äTRECAPABLEDECR£ERDESCHEMINEMENTSNOUVEAUX ORIGINAUXx voire de « penser l’impensable », comme le disait H. Kahn. Ainsi, il est important de savoir repérer les FPA et d’imaginer des ruptures dans les tendances lourdes comme DANSLORGANISATIONMäMEDUSOUS SYSTáMETECHNOLOGIQUEEXCHANGERDETYPEDE carburant pour répondre à la fonction voler pourvu que cela respecte les contraintes de la physique). Les méthodes de prévision technologique exploratoire (analyse MORPHOLOGIQUEETM£THODE# +ENPARTICULIER PEUVENTäTREUNAPPUITRáSPR£CIEUX pour cela, car elles laissent une part importante à l’imagination et à la créativité, tout ENOBLIGEANTÜäTRERIGOUREUXDANSLANALYSEDELAG£N£RATIONDESPOSSIBILIT£SALTERNAtives en mobilisant les connaissances les plus vastes, notamment sur la technologie, ses usages, les business models qui lui sont associés…

5.

Laisser de la place à la flexibilité pour faire face à l’inconnu

0UISQUEL£VOLUTIONDELUSAGEDESTECHNOLOGIESESTDIFFICILEÜPR£VOIR ILPEUTäTRE judicieux dans sa stratégie de donner de l’importance aux technologies génériques (cf. encadré 6). Comme l’écrit Pierre-Frédéric Gonod (1995) déjà cité, la faillite dans l’anticipation de la trajectoire des technologies tient au fait que celles-ci apparaissent d’abord sous une forme primitive et qu’il est difficile de prévoir leurs futures améliorations et leurs usages originaux. L’analyse a posteriori des innovations montre aussi que bien souvent c’est par la combinaison de technologies complémentaires existantes ou à venir que sont nées des applications insoupçonnées. Cela renvoie aux travaux qui sont menés par le Centre de gestion scientifique de l’École des mines, pour accompagner le management des programmes de R&D en favorisant l’interdépendance entre technologies de manière à créer des systèmes technologiques à multiples fonctions, ce qui leur ouvre de nombreuses applications potentielles. C’est toute la question de la mise au point des technologies génériques conduisant à des recompositions majeures de l’espace des techniques et permettant de faire face à des marchés incertains, voire inconnus. La méthode C-K dont on a parlé ci-dessus est une méthode de « prévision technologique » utile pour y parvenir. En l’appliquant à la conception de nouvelles structures techniques, on met ainsi en évidence des stratégies de conception de techniques à impacts systémiques, que la notion de « combinaison » ne permettait pas d’analyser auparavant (cf. Pascal Le Masson et al., 2014).

128

6. Projection du système : quelle démarche ? quels outils ?

Encadré 6. Définition d’une technologie générique (General Purpose Technology). Plusieurs définitions du concept de « technologie générique » issues du domaine de l’économie existent. Nous nous limiterons à le définir à travers sa caractéristique clé qui fait consensus : une technologie générique est une technologie qui s’adapte, moyennant des ajustements mineurs et peu coûteux, à une multitude de marchés. Autrement dit, est générique une technologie qui a de nombreuses applications, i.e. si l’on utilise le langage fonctionnel, qui répond à plusieurs fonctions. Dans l’histoire, on peut citer COMMEEXEMPLEÜLAFINDU86)))e siècle, la machine à vapeur de Watt & Bouton qui, PARCEQUESONAXE£TAITHORIZONTALETNONPLUSVERTICAL POUVAITäTREUTILIS£EINDIFF£remment dans les mines à charbon, les usines textiles ou les fonderies.

À retenir. Si les leviers d’action correspondent à des choix de R&D pour la mise AUPOINTDUNEINNOVATION ILPEUTäTREJUDICIEUXDECONSEILLERAUD£CIDEURDEVISER la mise au point de General Purpose Technologies qui s’adaptent à une multitude de marchés encore inconnus au moment du lancement des programmes.

Conclusion L’objet de ce chapitre était de donner une boîte à outils et des recommandations pour réaliser l’exercice difficile qui consiste à projeter la « base » de la prospective technologique selon différents scénarios. Comme la logique « littéraire » utilisée par H. Kahn pour construire et décrire les scénarios a été critiquée (voir en particulier M. Godet, 1977), il nous a semblé judicieux de nous baser sur des modèles pour apporter davantage de rigueur à cet exercice. L’utilisation de modèles est en effet justifié pour la projection de certaines parties du système : celles qui sont auto-organisées par des lois, que celles-ci découlent de la nature ou de la technologie, de la théorie économique ou bien encore de l’analyse marketing pour l’étude des parts de marché. Ainsi, la méthode que nous proposons consiste à combiner les deux approches prospective et prévision en intégrant, lorsque cela est possible, des modèles de prévision formalisés dans l’élaboration des scénarios65. On peut ainsi faire des simulations en faisant varier certains paramètres externes dont l’estimation provient par exemple de dires d’experts (ex. : méthode Delphi). Seulement, tout ne s’enchaîne pas comme les maillons d’une gourmette, contrairement à ce que dit Jacques à son maître dans le célèbre dialogue imaginé par Denis Diderot (1796). L’avenir de la technologie étudiée n’est pas déterminé comme l’est l’heure du lever du Soleil le 11 janvier 2074 qui est dictée par les lois pérennes de la gravitation. L’incertitude, présente dans le système global étudié, peut en changer les lois, créer des bifurcations, amener des ruptures et heureusement, car cela laisse une part de liberté au décideur, liberté qu’il doit savoir saisir pour élaborer sa stratégie. 65. cf. en particulier à N. Taverdet-Popiolek (2009) pour une réflexion sur la place des modèles énergétiques quantitatifs dans la démarche prospective.

129

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

7 Construction des scénarios

« L’objet de la prospective est l’étude des relations dynamiques qui s’établissent entre différentes directions prospectives. » Yves Barel

On parle de prospective car l’on va projeter le système étudié (le mapping synthétisé) selon différents scénarios. On rappelle qu’un scénario est une combinaison cohérente d’hypothèses faites principalement sur les variables motrices du système qui sont sur sa frontière. Cette construction du futur pourrait s’appeler utopie car il s’agit d’une construction intellectuelle de futurs possibles (futuribles) en adoptant un raisonnement tout à fait rationnel mais en ne prétendant aucunement faire de la prévision (pré-vision voir avant  /N £CLAIRE LE FUTUR ET ON MESURE QUELLES POURRAIENT äTRE SUIVANT DES hypothèses judicieusement choisies sur le contexte, les conséquences de telle ou telle décision. Nous nous plaçons ainsi à l’intersection des scénarios exploratoires (quant aux variables de contexte) et des scénarios normatifs (quant aux leviers d’action).

131

Prospective technologique

I.

Comment s’y prend-on ?

Avant de construire les scénarios, on prend du recul par rapport à toute l’information recueillie, durant la phase d’analyse de la « base », phase qui a mobilisé, rappelons-le, 80 % du temps de la prospective.

1.

Synthétiser toute l’information

On ne retient que les variables les plus significatives (toutes les variables doivent avoir un degré de détail similaire) ainsi que les acteurs les plus influents et on résume l’histoire du système puis son fonctionnement actuel. On synthétise aussi les risques les plus importants qui pèsent sur son évolution et on décrit les FPA pouvant apporter ruptures ou nouvelles tendances.

2.

Faire des hypothèses sur le contexte et envisager des stratégies

Listons les tâches à entreprendre pour cette étape : – reprendre toutes les variables risquées du mapping synthétisé ; – sélectionner celles qui sont uniquement motrices (et non dépendantes) ; – trier celles sur lesquelles le décideur peut agir (leviers d’action) et celles qui relèvent uniquement du contexte ; – en se basant sur la synthèse de la « base », imaginer plusieurs jeux d’hypothèses cohérents sur les variables de contexte pour créer des scénarios de contexte ; – en se basant sur les objectifs du décideur et son analyse SWOTTR, imaginer pour lui, plusieurs stratégies en faisant varier ses leviers d’action.

132

7. Construction des scénarios

Pour les scénarios de contexte comme pour les stratégies, ce qui importe aussi c’est le cheminement qui amène les variables du temps présent à l’horizon prospectif. Il faut le décrire comme si on racontait une histoire.

3.

Évaluer dans le futur les variables dépendantes et la variable cœur

On combine les scénarios de contexte avec les stratégies et on mesure les conséquences de chaque combinaison sur : a. les critères traduisant les objectifs ; B LAVALEURDELAVARIABLEC“UR L’évaluation des conséquences se fait en utilisant les modèles de prévision technologique et de calcul économique projetant sous hypothèses les variables dépendantes qui sont à l’intérieur du mapping. Parfois, il est difficile de faire appel à des modèles en bonne et due forme. Il convient alors de suivre de façon « qualitative » mais rigoureuse, les chemins du mapping constitués par l’ensemble des liens (flèches) pour traduire in fine l’effet du cadre DHYPOTHáSESSURLAVARIABLEC“URETLECAS£CH£ANTSURLESCRITáRESDECHOIXDUD£CIdeur traduisant ses objectifs). La difficulté est que certaines variables dépendantes PEUVENTäTRERISQU£ES MäMEDANSLECADREDUNSC£NARIOCLAIREMENTIDENTIFI£LALOI qui les unie aux variables motrices n’est pas déterministe mais aléatoire. Comme on le verra par la suite, on peut avoir recours soit à un modèle probabiliste (ce qui s’avère souvent complexe), soit à la construction de scénarios permettant de choisir encore plusieurs hypothèses pour des variables internes du système.

4.

Proposer des stratégies pour le décideur

Fort de cette réflexion, on propose au promoteur de la technologie, à la puissance publique… la (ou les) meilleure(s) stratégie(s) à déployer dès aujourd’hui pour atteindre les objectifs fixés. À présent, un exemple emprunté au secteur agricole, illustre la plupart des étapes concernant l’élaboration des scénarios.

133

Prospective technologique

II.

Application sur un premier cas d’école : la fixation biologique de l’azote de l’air par le blé

Nous rappelons le sujet et suivons les étapes clés aboutissant aux scénarios.

1.

Sujet 2

Nous allons montrer comment se construisent les scénarios avec le sujet sur la fixation de l’azote de l’air par les plantes. Rappelons la question posée : « La recherche sur la fixation biologique de l’azote de l’air par les céréales doit-elle être financée par la direction générale de l’INRA pour une diffusion mondiale à l’horizon 2040 ? ». Nous souhaitons insister sur le fait qu’il s’agit de la présentation d’un cas d’école non réaliste ,ANALYSE AURAIT BESOIN DäTRE BEAUCOUP PLUS APPROFONDIE EN IMPLIQUANT des experts qui vérifieraient la pertinence des variables identifiées et la cohérence des relations exprimées. Il faut considérer cet exercice uniquement comme un canevas à suivre pour construire les scénarios.

2.

Principes de la technologie

La fixation biologique de l’azote est l’étape qui permet de passer de l’azote gazeux (N2) à l’azote minéral (NH3) assimilable. Certaines plantes, comme les légumineuses, sont capables de fixer l’azote de l’air grâce à une association symbiotique avec des bactéries fixatrices. Les recherches entreprises à l’INRA, notamment par Jean Denarié66, montrent l’existence de relation particulière (via les facteurs NOD) entre les légumineuses et des bactéries du genre Rhizobium. Il y a d’ailleurs maintenant, une production industrielle d’inoculants à base de Rhizobium enrichis en FACTEURS./$-äL£SAUXSEMENCES CESINOCULANTSPERMETTENTUNECAPTATIONOPTImisée de l’azote dans les cultures de légumineuses67. Les céréales, quant à elles, n’ont pas la propriété de fixer l’azote de l’air et ne peuvent atteindre de hauts rendements qu’avec un apport d’azote minéral sous forme chimique (engrais). Ainsi, la finalité des recherches, menées à travers le monde, est de conférer aux végétaux naturellement non fixateurs (blé, riz, canne à sucre…), la 66. cf. son discours de réception à l’académie des sciences : WWWACADEMIE SCIENCESFRACADEMIEMEMBRES?DENARIEPDF 67. Il faut savoir en effet que les légumineuses dirigent près de la moitié des sucres produits par la photosynthèse vers leurs racines pour fournir au Rhizobium l’énergie nécessaire à la fixation de l’azote de l’air. Il en résulte que la productivité des légumineuses à graines sans ajout de facteur NOD est de 40 à 50 % inférieure à celle des céréales. En revanche, leur teneur en protéine est deux fois plus élevée. La découverte des facteurs NOD a permis d’augmenter fortement cette productivité.

134

7. Construction des scénarios

capacité de fixer l’azote de l’air. Pour cela, plusieurs approches sont envisagées. Nous en citons les principales68 : – permettre la formation de nodules avec des microorganismes fixateurs d’azote (par exemple via les facteurs MYC) ; – introduire directement dans les cellules des végétaux, les gènes responsables de la fixation de l’azote : gènes nif (nitrogen fixation). Ces deux approches nécessitent une connaissance parfaite de tous les processus bioLOGIQUESPERMETTANTLAFIXATIONDAZOTE AUSSIBIENCHEZLAPLANTEH¹TEQUECHEZLES microorganismes.

3.

Enjeux du sujet

,).2! AIMERAIT SAVOIR SI ELLE A INT£RäT Ü ORIENTER LES SUBVENTIONS PUBLIQUES69 de recherche dont elle dispose pour susciter la rupture technologique qui permettrait, si elle aboutissait, aux plantes non légumineuses comme le blé, de fixer l’azote de LAIR ,INT£RäT SE MESURE EN TERMES DE CONSOMMATION DENGRAIS CHIMIQUES £VIT£E de préservation des nappes phréatiques, de diminution des importations d’énergies fossiles étant donné que l’azote chimique est synthétisé à partir du gaz naturel (ou d’importation d’engrais si la production est externe), de diminution des émissions de gaz à effet de serre à l’usine et au champ (puisque l’utilisation d’engrais azotés est émettrice de N2O)… Cependant, la mise au point de cette biotechnologie présente aussi des inconvénients : la recherche est coûteuse et risquée car il existe des verrous technologiques à lever comme celui de la baisse du rendement des plantes modifiées, mettant un frein à l’appropriation de l’innovation par les agriculteurs. Par ailleurs, s’il devait y avoir des plantes ou des bactéries génétiquement modifiées, SERONT ELLESAUTORIS£ESEN%UROPEÜLHORIZONDELAPROSPECTIVE

4.

Mapping synthétisé et mise en évidence des variables uniquement motrices (frontière du système)

La figure 30 indique le mapping synthétisé qui reprend les variables clés influençant LAVENIRDELAVARIABLEC“URÜLHORIZON/NSINT£RESSEAUCASDUBL£

68. cf. Bertrand Hirel et André Gallais (2013) et R. Barbault (2008). 69. Pour simplifier, on ne tient pas compte des contrats privés que l’INRA est susceptible d’avoir avec les industriels cherchant aussi à améliorer la performance des semences.

135

Prospective technologique

BIOTECHNOLOGIE Subv. R&D publique sem. modifiées

Coût revient semences modifiées

INDUSTRIALISATION COMMERCIALISATION

Investissement privé sem. modifiées

CULTURE Maturité scientifique sem. modifiées

Collaboration scientifique internationale sem. modifiées

DE BLÉ

Rendement du blé modifié

Rendement blé traditionnel

Amélioration semences classiques

Prix du gaz naturel

DEMANDE SEMENCES ǻ3UL[ sem. classiques/ /modifiées

Consom. engrais azotés/ha blé % fertilisation raisonnée

Coût production engrais azotés chimiques

OFFRE ENGRAIS

ǻ3URILWDJULFXOWHXU sem. classiques/ sem. modifiées

Prix engrais azotés chimiques

AZOTÉS CHIMIQUES

Demande blé

Demande totale semences blé

Prix du blé Part marché semences modifiées

Vente semences modifiées

Mesures Comportement législatives org. social / modifiés org. modifiés Seuil teneur nitrate dans eau Comport. social Incitation PAC /risque indu. culture raisonnée Mesures Taxe GES législatives usine chimique

SPHÈRE ENVIRONNEMENTALE ET SOCIÉTALE

Figure 30 Mapping synthétisé associé à l’évolution de la technologie fertilisation par l’azote de l’air.

Semences modifiées directement ou bien par l’adjonction de bactéries modifiées /NRAPPELLEQUELAVARIABLEC“URESTLAvente de semences de blé modifiées (en tonnes) sur un marché que l’on considère comme mondial, sans différenciation par pays. C’est une variable uniquement dépendante (non motrice) car dans un premier temps, nous ne considérons pas, pour simplifier, la rétroaction (dessinée en pointillées) que cette variable exerce sur le coût de revient des semences modifiées (effets d’échelle et d’apprentissage). Nous ne cherchons pas en effet à construire un modèle macro-économique tenant compte des feedbacks exercés par certains paramètres sur le modèle. %NGRIS FIGURENTLESVARIABLESQUIVONTINFLUENCERCEC“UREN£TANTELLES MäMESD£PENdantes d’autres variables. Elles sont motrices et dépendantes. Par exemple, la maturité scientifique exprimée en indice TRL (maturité qu’il conviendrait dans une analyse réelle de décomposer en sous-variables plus précises après un état de l’art technologique approfondi) va jouer sur la variable rendement des semences de blé modifiées, qui ELLE MäMEVACONDITIONNER AVECLEprix des engrais azotés chimiques…, le profit relatif de l’agriculteur qui aurait adopté les semences modifiées à la place des semences classiques cultivées avec un apport en engrais. À noter que le rendement (moyen) du blé traditionnel est lié aussi au mode de production, représenté par la part des exploitations ayant recours à la fertilisation raisonnée, i.e. utilisant peu d’engrais chimiques.

136

7. Construction des scénarios

La plupart des variables de la sphère Environnementale et sociétale sont uniquement motrices et influencent le mode de production des agriculteurs (diffusion de la fertilisation raisonnée), la consommation d’engrais chimiques par hectare, le profit relatif des agriculteurs… et in fineLAVARIABLEC“UR)LYABIENSœRUNER£TROACTIONDECETTE sphère sur le monde de la recherche mais nous l’indiquons uniquement en pointillé. Nous n’avons pas retenu comme variable clé, le prix des semences classiques de blé car nous nous intéressons davantage au surcoût des semences modifiées et par conséquent au différentiel de prix des semences classiques par rapport à celui des semences modifiées. Il est vrai que la recherche sur les semences classiques pourrait jouer sur LEURPRIX MAISNOUSPENSONSQUELEPH£NOMáNENESTPASASSEZIMPORTANTPOURäTRE retenu dans le mapping synthétisé. En blanc, ce sont les variables de la frontière du système tel que nous l’avons délimité. Elles sont uniquement motrices (non dépendantes) et c’est sur elles que va s’asseoir la construction de scénarios. On les classe en deux catégories : les variables de contexte et les variables leviers (cercle doublé plus épais). La figure 31 représente les variables sur lesquelles reposent les scénarios. &ÙÊÄ㮜ٛ

—çÝùÝãœÃ››

>›ò®›ÙÝ

. R&D Subv. publique sem. modifiées

Amélioration semences classiques

Investissement privé sem. modifiées

Demande blé

Comportement social/org. modifiés

^ùÝãœÃ› ®Äã›Ùě Vente semences ŵŽĚŝĮĠĞƐ

Seuil teneur nitrate dans eau

Collaboration scientifique internationale sem. modifiés

Comport. social /risque indu.

Prix du gaz naturel Taxe GES

Incitation PAC culture raisonnée

Figure 31 La frontière du système avec ses deux variables leviers.

5.

Variables de contexte

Elles dépendent uniquement du contexte et s’imposent à la Direction générale de l’INRA.

137

Prospective technologique

¾ Sous-système biotechnologie :

– l’investissement privé sur les semences modifiées en Europe ; – la collaboration scientifique au niveau international supposée indépendante de la subvention française à la recherche sur les biotechnologies. ¾ Sous-système offre engrais azotés chimiques :

– le prix du gaz naturel jouant sur le prix de l’ammoniac et sur le prix des engrais chimiques (dans ce cas simplifié on ne considère pas que l’ammoniac pourrait äTRESYNTH£TIS£PAR£LECTROLYSEDELEAU  ¾ Sous-système demande semences :

– la demande de bléMONDIALE ELLE MäMELI£EÜL£VOLUTIOND£MOGRAPHIQUEONA limité le système au niveau de la demande de blé sur laquelle on fera des hypothèses). ¾ Sphère environnementale et sociétale :

– le comportement social (en France et en Europe) vis-à-vis des organismes modifiés (opinion publique) pouvant mettre un frein, voire une interdiction en Europe, à la production et la vente de semences de blé fixatrices de l’azote de l’air ; – le comportement social vis-à-vis des usines chimiques (peur de l’explosion, aversion à la pollution) et en particulier vis-à-vis de la filière engrais azotés. Cela peut jouer, via la législation sur leur coût de production, i.e. leur prix… Il faudrait regarder dans quels pays ces engrais sont produits afin d’affiner la répercussion de la législation sur les prix ; – l’incitation impulsée par la Politique agricole commune (PAC), d’adopter une culture raisonnée, avec moins d’intrants chimiques. Il reste à étudier plus précisément comment cette incitation se concrétise (instruments économiques, communication…) afin de lui appliquer une unité ; – le niveau de la taxe sur les GES qui va affecter principalement le prix des engrais azotés chimiques ; – la norme du seuil autorisé de nitrate dans l’eau propre à la consommation (actuellement 50 mg/l en Europe).

6.

Variables leviers

Ce sont les leviers permettant à la direction de l’INRA d’orienter les programmes de recherche au sein de son institut. Dans cet exemple, ils sont au nombre de deux : – la subvention à la recherche dans le domaine de la fixation biologique de l’azote de l’air ; – l’incitation à la recherche pour l’amélioration des semences de blé traditionnelles.

138

7. Construction des scénarios

7.

Lois à déterminer

Dans le cadre des scénarios, nous cherchons à concrétiser les liens entre les variables motrices et les variables dépendantesNOUSACHEMINANTJUSQUÜLAVARIABLEC“UR Nous ne formalisons pas toutes les relations car cela nous conduirait inévitablement vers un modèle « boîte noire », alors qu’il faut rester didactique dans la construction des scénarios afin que le décideur (ou le commanditaire) puisse adhérer à la démarche. On fait appel aux outils décrits au chapitre 6 : – prévisions technologiques pour les relations entre les variables du sous-système technologique ; par exemple trends de rendement pour les semences traditionnelles compte tenu d’une subvention régulière de la R&D dans ce domaine ; – théorie économique pour mettre en cohérence les variables du sous-système économique ; par exemple : s fonction profit différentiel de l’agriculteur mettant en relation les rendements du blé classique et du blé modifié, la consommation d’engrais azotés, le prix des intrants et celui du blé vendu (calcul économique classique), s relation entre le degré de maturité (échelle TRL) et le rendement du blé modifié. En effet, la maturité scientifique de l’innovation implique mathématiquement un niveau de rendement pour le blé modifié car en deçà d’un certain seuil, la technologie ne serait pas utilisable sur le marché et aurait un TRL faible… – analyse des séries statistiques ; par exemple, corrélation dans le passé entre le prix du gaz naturel et le coût de production de l’engrais azoté. Enfin, une consultation de sociologues pourrait aider à lier la variable politique concernant l’incitation à la culture raisonnée et la part des agriculteurs français qui adopteraient effectivement cette pratique pour exploiter leurs terres. Rappelons que pour la projection du système, nous disposons de toutes les données nécessaires à l’alimentation des modèles puisque leur recueil a été fait lors de l’analyse de la « base », via la littérature spécialisée, la consultation de séries statistiques OUBIENGR½CEÜDESENQUäTES

8.

Objectifs du décideur

/NSUPPOSEQUELADIRECTIONDEL).2!ACOMMER¹LEDORIENTERLESPROGRAMMESDE manière à ce que les fruits de sa recherche répondent au mieux aux besoins futurs des marchés et de la société. Son objectif est ainsi de réaliser la meilleure adéquation entre l’investissement et les attentes.

139

Prospective technologique

9.

Hypothèses sur les variables motrices et non dépendantes

¾ Le contexte En se basant sur les fiches variables et l’analyse du jeu des acteurs les plus influents, on imagine plusieurs jeux d’hypothèses cohérents sur les variables de contexte pour créer des scénarios de contexte. On peut aussi avoir recours à des experts.

Dans le tableau 12, nous montrons comment sont créés des scénarios de contexte contrastés. En général, nous en proposons au moins trois. Un troisième scénario resterait ainsi à définir pour compléter l’étude de cas. Tableau 12 Chemins reliant les hypothèses faites en 2040 sur les variables motrices de contexte afin de créer des scénarios. 70 71 Principaux acteurs jouant sur la variable Semenciers Investissement privé sur semences modifiées en Europe

Valeur de référence actuelle70

Chercheurs, organismes de financement de la R&D

score

Incitation à la culture raisonnée

Commission européenne (PAC), État (lois)

score

Évolution constante

Décroissance faible /référence

€/Tep71 tonnes/an score sondage

score sondage

Taxe sur les GES

Commission européenne, État

€/tonne GES

Seuil nitrate dans l’eau

Commission européenne, État

50 mg/l

Scénario de contexte

70. À compléter en consultant la littérature. 71. Tonne équivalent pétrole.

140

Croissance faible / référence

M€/an

Collaboration scientifique au niveau international

Prix du gaz naturel Gaziers Demande monIndustries diale de blé agro-alimentaires Associations Comportement social vis-à-vis des d’écologistes intrants modifiés (aversion) Associations Comportement social vis-à-vis des d’écologistes usines chimiques (aversion)

Croissance forte / référence

(> 50mg/l)

Défavorable Déf éf bl aux semences modifiées

(< 50mg/l) 50m mg/l)

SScénario é i mitigé à construire

Favorable F bl aux semences modifiées

Décroissance forte / référence

7. Construction des scénarios

On cherche à donner des valeurs chiffrées à toutes ces hypothèses pour 2040 en justifiant chaque évolution choisie. Les chiffres n’ont pas de sens en absolu mais sont intéressants à regarder en relatif, les uns par rapport aux autres. À retenir. Un scénario de contexte, c’est une image quantifiée du système à l’horizon de la prospective, accompagnée d’un texte expliquant le cheminement cohérent des variables motrices évoluant chacune de leur valeur actuelle vers celle choisie pour demain. C’est un scénario exploratoire. ¾ Leviers

$ELAMäMEFAÀON MAISSEBASANTCETTEFOIS CISURLANALYSE37/4TR de la direction de l’INRA, on élabore plusieurs stratégies en combinant les leviers d’action (cf. Tab. 13). Dans le cas d’école présenté, ils sont au nombre de deux. Tableau 13 Chemins reliant les leviers à actionner dès aujourd’hui pour définir les stratégies de l’INRA.72 Valeur de référence actuelle72 Subvention R&D pour la fixation biologique de l’azote de l’air par les céréales

M€/an

Incitation à la R&D sur l’amélioration des semences de blé traditionnelles

M€/an

Stratégie de l’INRA

10.

Croissance forte / référence

Axée sur le blé traditionnel

Croissance faible / référence

Évolution constante

Continuité C i ié (Business as usual)

Décroissance faible / référence

Décroissance forte / référence

Axée A é sur la fixation biologique de l’azote

Répercussion sur les autres variables

On croise les stratégies et les scénarios de contexte puis on tâche d’évaluer, pour CHACUNEDESCOMBINAISONS LAVALEURDELAVARIABLEC“URDELANALYSEPROSPECTIVE)CI encore, ce qui est intéressant, c’est la valeur relative et non absolue. Il s’agit de répercuter les hypothèses faites sur les variables motrices, sur l’ensemble des variables dépendantes du système en énonçant le principe : si… alors. Certaines relations sont déterministes (modèles technologiques ou économiques mis en évidence à l’étape d’identification des lois, paragraphe 7), d’autres probabilistes 72. À compléter en consultant les comptes publics de l’INRA.

141

Prospective technologique

(incertitude sur les variables dépendantes). Pour celles-ci, on ne rentrera pas dans le formaliste mathématique des probabilités conditionnelles car nous ne souhaitons pas construire un modèle de projection du système (sous hypothèses) qui soit trop FORMALIS£/ND£CRIERAPLUT¹TLARELATIONDEMANIáREiQUALITATIVEw ENJUSTIFIANTLE plus rigoureusement possible, la valeur (relative) donnée à la variable dépendante. Prenons l’exemple de la maturité scientifique : – la maturité scientifique des semences modifiées est liée de façon probabiliste aux subventions privées et publiques à la recherche puisque, plus la subvention est grande, plus la maturité scientifique a la chance DäTRE£LEV£E/NPEUTAVOIR recours à des dires d’experts (ex. : Delphi) pour justifier l’hypothèse choisie sur la maturité scientifique en fonction d’un niveau donné de subvention à la R&D et d’un degré de collaboration scientifique ; – il est aussi possible, dans le cadre des scénarios, de conserver une part de risque pour la variable maturité scientifique ; ex. : scénario 1 = R&D forte et maturité forte ; scénario 2 = R&D forte et maturité moyenne.

11.

Évaluation de la variable cœur et recommandations pour l’INRA

,E TABLEAU  MONTRE LA CONS£QUENCE SUR LA VARIABLE C“UR DU CROISEMENT ENTRE chaque stratégie envisageable de l’INRA et chaque scénario de contexte. L’idéal SERAITDEQUANTIFIERDEMANIáRERELATIVELAVARIABLEC“URAFINDE mettre dans chaque case une valeur chiffrée. Le chiffre n’est pas important dans l’absolu mais cette démarche oblige à suivre de façon rigoureuse toutes les relations dessinées sur le mapping en s’interrogeant sur les évolutions de chaque variable pour y apporter une réponse précise. ,APR£SENTATIONDUTABLEAUDOITäTREACCOMPAGN£EDUNTEXTEEXPLIQUANTTOUTELHIStoire ayant fait évoluer le système de sa situation présente aux situations projetées.

142

7. Construction des scénarios

Tableau 14 Conséquences des stratégies envisageables de l’INRA sur la variable cœur suivant les scénarios de contexte (vision simplifiée). Scénarios de contexte Stratégies

Favorable aux semences modifiées

Défavorable aux semences modifiées

A - Stratégie axée sur blé traditionnel

R&D faite hors de l’INRA, maturité scientifique du blé modifié mauvaise (rendement bas…) => Vente semences modifiées faible.

Pas de développement de blé modifié => Vente semences modifiées nulle.

B - Continuité stratégie actuelle

Maturité scientifique du blé modifié insuffisante (rendement bas…) => Vente semences modifiées faible.

Maturité scientifique du blé modifié mauvaise (rendement bas…) Vente semences modifiées très faible voire nulle.

C - Stratégie axée sur la fixation biologique de l’azote

Maturité scientifique du blé modifié bonne (rendement bon…) => Vente semences modifiées très forte.

Maturité scientifique du blé modifié moyenne (rendement moyen…) => Vente semence modifiée moyenne hors de l’Europe seulement.

5NEENQUäTEDEXPERTPOURRAITPERMETTREDASSOCIERUNEPROBABILIT£AUXDEUXSC£narios de contexte afin d’aider la direction de l’INRA à orienter ses programmes de R&D. Si la probabilité du scénario favorable était supérieure à 50 %, elle aurait INT£RäTÜADOPTERLASTRAT£GIE# À retenir. La prospective dresse la table de toutes les situations futures envisageables et fait l’inventaire des moyens d’actions selon les situations.

III. Application sur un second cas d’école :

le cœur artificiel L’exemple précédent a surtout mis l’accent sur deux points : – la typologie entre variables de contexte et variables leviers afin de montrer comment on croise stratégies et contexte ; – l’élaboration des relations de causes à effets pour aboutir à une évaluation de la VARIABLEC“URPOURCHAQUESTRAT£GIEETDANSCHACUNDESSC£NARIOSDECONTEXTE !VECLILLUSTRATIONSURLEC“URARTIFICIEL ONVEUTMONTRERCOMMENTONCONSTRUITDES scénarios de contexte en introduisant entre aujourd’hui et l’horizon de la prospective, une date intermédiaire (une coupe dans le temps). La construction des scénarios présentés ici a été faite par F. Denis et J. Eeckhout (2014) en utilisant le cadre

143

Prospective technologique

méthodologique décrit dans cet ouvrage. Qu’ils soient chaleureusement remerciés pour la confiance qu’ils ont accordé à ce cadre et félicités pour leur travail remarquable ayant mobilisé des experts au plus haut niveau. Tous les résultats ne sont pas donnés ici73 mais les étapes importantes de la méthodologie sont décrites.

1.

Jeu d’hypothèses sur les variables motrices

Dans cette illustration, on suppose que le décideur ne joue pas de façon décisive sur les variables motrice du système74 et on choisit judicieusement une combinaison d’hypothèses sur les variables motrices et non dépendantes (cf. Tab. 15) afin d’obtenir cinq scénarios : – scénario 1  LE C“UR ARTIFICIEL A £CHOU£ AUX ESSAIS CLINIQUES TROP DE D£CáS EN phase clinique), la recherche et les investissements doivent reprendre ; – scénario 2LEPRIXDUC“URARTIFICIELESTTROP£LEV£PARRAPPORTÜCELUIDELAGREFFE CONVENTIONNELLE /N A UN IMPACT M£DICO £CONOMIQUE N£GATIF DONC LE C“UR artificiel n’est pas pris en charge ; – scénario 3 : une autre technologie concurrente ayant un coût moins élevé supPLANTELEC“URARTIFICIEL/NAUNIMPACTM£DICO £CONOMIQUEN£GATIFETLEC“UR artificiel n’est pas pris en charge ; – scénario 4 : une prise de conscience générale ou une loi juridique permet des DONSMASSIFSDEC“URSHUMAINS/NAUNIMPACTM£DICO £CONOMIQUEN£GATIFET LEC“URARTIFICIELNESTPASPRISENCHARGE – scénario 5LEC“URARTIFICIELESTINT£GR£DANSLARSENALTH£RAPEUTIQUE AVECUNE prise en charge totale.

73. En particulier, dans un souci de confidentialité par rapport à l’étude qui a été réalisée pour Tech2Market.  #ENESTPASVRAIDANSLAR£ALIT£ MAISNOUSFAISONSCETTEHYPOTHáSEPOURäTREMIEUXÜMäME d’illustrer la construction de futuribles exploratoires, sans intervention du décideur. De plus, pour la démonstration, le mapping vu au chapitre 4 (fig. 19) a été simplifié.

144

7. Construction des scénarios

Tableau 15 Les scénarios exploratoires pour l’avenir du cœur artificiel en Europe en 2030 et 2050 (scénarios de contexte sans intervention décisive du décideur). Variables motrices

Scénario 1

Scénario 2

Scénario 3

Scénario 4

Scénario 5

Concen- Sans concenSans concenConcentrés Concentrés Investissements pritrés sur les tration partitration partiSURLEC“UR SURLEC“UR vés en R&D et subtechnologies culière /non culière /non artificiel artificiel ventions publiques concurrentes déterminant déterminant

Avancées dans les essais cliniques

Échec des essais cliniques SURLEC“UR artificiel

Réussite des Réussite essais clides essais cliniques niques d’une SURLEC“UR technologie concurrente artificiel

Réussite des essais cliniques SURLEC“UR artificiel

Réussite des essais cliniques SURLEC“UR artificiel

Supérieur/ Inférieur à la Nombre de greffons Inférieur à la Inférieur à la Inférieur à la équivalent à demande humains demande demande demande la demande

#OœTGLOBALDUC“UR Non déterartificiel miné

Supérieur à la greffe conventionnelle

Coût d’une technologie concurrente

Non déterminé

Non déterminé

Non déterminé

Supérieur à la greffe conventionnelle

Équivalent/ inférieur à la greffe conventionnelle

Équivalent/ Inférieur AUC“UR artificiel

Non déterminé

Non déterminé

Taux de rembourSEMENTDUC“UR artificiel

,EC“UR Prise en Prise en Prise en Prise en artificiel n’a charge totale pas passé les charge nulle charge nulle charge nulle /partielle DUC“UR DUC“UR DUC“UR organismes DUC“UR artificiel artificiel artificiel de régulaartificiel tion

Non du scénario

Technologie concurrente perce

2.

Échec essais cliniques

Prix trop élevé

Dons massifs de cœurs humains

Intégration dans l’arsenal thérapeutique

Regroupement des scénarios

!PRáSLANALYSEDESCONS£QUENCESDESSC£NARIOSSURLAVARIABLEC“UR ONAPUREGROUPER ceux qui avaient des effets identiques, pour in fine, n’en retenir que trois (cf. Fig. 32)

145

Prospective technologique

Scénario 1͗ůĞĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞůĂĠĐŚŽƵĠĂƵdžĞƐƐĂŝƐĐůŝŶŝƋƵĞƐ͙ ĐŚĞĐĐůŝŶŝƋƵĞ Scénario 2͗ůĞƉƌŝdžĚƵĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞůĞƐƚƚƌŽƉĠůĞǀĠ ƉĂƌƌĂƉƉŽƌƚăĐĞůƵŝĚĞůĂŐƌĞīĞĐŽŶǀĞŶƟŽŶŶĞůůĞ͙ Scénario 3 ͗ƵŶĞĂƵƚƌĞƚĞĐŚŶŽůŽŐŝĞĐŽŶĐƵƌƌĞŶƚĞƐƵƉƉůĂŶƚĞ ůĞĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞůĞƚăƵŶĐŽƸƚŵŽŝŶƐĠůĞǀĠ͙

WƌŝƐĞĞŶĐŚĂƌŐĞ ŶƵůůĞĚƵĐƈƵƌ ĂƌƟĮĐŝĞů

Scénario 4 ͗ƵŶĞƉƌŝƐĞĚĞĐŽŶƐĐŝĞŶĐĞŐĠŶĠƌĂůĞŽƵƵŶĞůŽŝ ƉĞƌŵĞƚĚĞƐĚŽŶƐŵĂƐƐŝĨƐĚĞĐƈƵƌƐŚƵŵĂŝŶƐ͙ Scénario 5͗ŝŶƚĠŐƌĂƟŽŶĚĂŶƐů͛ĂƌƐĞŶĂůƚŚĠƌĂƉĞƵƟƋƵĞ ĚƵĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞů͕ĂǀĞĐƉƌŝƐĞĞŶĐŚĂƌŐĞƚŽƚĂůĞ͘

/ŶƚĠŐƌĂƟŽŶ ĚĂŶƐů͛ĂƌƐĞŶĂů ƚŚĠƌĂƉĞƵƟƋƵĞ

Figure 32 Regroupement des scénarios qui ont le même effet sur la variable cœur.

Le regroupement des scénarios 2, 3 et 4 s’explique par le fait que ces scénarios INTáGRENTUNREMBOURSEMENTNULDUC“URARTIFICIEL,EFFETSERADONCLEMäMESUR LAVARIABLEC“URPUISQUESEULSLESPATIENTSLESPLUSFORTUN£SPOURRONTB£N£FICIERDE cette innovation.

3.

Représentation des différents chemins d’hypothèses sur le contexte

Les hypothèses faites pour 2030 et 2050 étant semblables, on a pu dessiner une arborescence en reproduisant à ces deux horizons les trois scénarios : échec clinique, prise en charge nulle du cœur artificiel ou intégration dans l’arsenal thérapeutique. Comme le montre la figure 33, sept futuribles numérotés de 1 à 7, ont été établis en veillant à la cohérence des hypothèses dans les cheminements.

146

7. Construction des scénarios

2030

2015

2050

1 2 3 ^ŝƚƵĂƟŽŶ ŝŶŝƟĂůĞ

4 5

2

3 WƌŝƐĞĞŶĐŚĂƌŐĞŶƵůůĞ W ĚƵĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞů

ĐŚĞĐĐůŝŶŝƋƵĞ

1

ĐŚĞĐĐůŝŶŝƋƵĞ

WƌŝƐĞĞŶĐŚĂƌŐĞŶƵůůĞ ĚƵĐƈƵƌĂƌƟĮĐŝĞů

4 5

6 7

6 /ŶƚĠŐƌĂƟŽŶĚĂŶƐ ů͛ů͛ĂƌƐĞŶĂůƚŚĠƌĂƉĞƵƟƋƵĞ

7

/ŶƚĠŐƌĂƟŽŶĚĂŶƐ ů͛ĂƌƐĞŶĂůƚŚĠƌĂƉĞƵƟƋƵĞ ů͛ů͛

Figure 33 Arbre des futuribles.

4.

Résultats chiffrés sur la variable cœur

Le modèle de prospective non explicité ici, a permis d’évaluer de manière quantitativeLAVARIABLEC“URSELONLESDIFF£RENTSSC£NARIOSDECONTEXTEETENFAISANTLHYPOthèse que la stratégie du porteur de projet n’était pas offensive. Un seul exemple d’évaluation est représenté sur la figure 34 pour le scénario le plus favorable à l’innovation : intégration du cœur artificiel dans l’arsenal thérapeutique en 2030 et 2050 (futurible 7). Dans le cadre du futurible 1 par exemple (échec clinique en 2030 et  LENOMBREDEC“URSGREFF£SENCUMUL£EN%UROPESURLAP£RIODE  représenterait 44 unités pour l’hypothèse haute et 16 pour la basse. La considération d’une fourchette sur les valeurs du résultatDANSLECADREDUNMäMESC£NARIOEST liée au fait que les variables internes contiennent encore une part de risque.

147

Prospective technologique

3 500 3 000

IntégraƟon dans l'arsenal thérapeƵƟque

61 500 cœurs ŐƌĞīĠƐĞŶ cumulé en 2050

IntégraƟon dans l'arsenal thérapeƵƟque

2 500 2 000 1 500

13 500 cœurs ŐƌĞīĠƐĞŶ cumulé en 2030 7

1 000

1 800 cœurs ŐƌĞīĠƐĞŶ cumulé en 2030

500 0 2015

2020

2025 2030 hypohtèse haute

8 500 cœurs ŐƌĞīĠƐĞŶ cumulé en 2050 2035 2040 2045 hypothèse basse

2050

Figure 34 Nombre cumulé de cœurs artificiels greffés en Europe dans le cadre du futurible 7.

-äME SI LE D£TAIL DES CALCULS NEST PAS REPRIS ICI CETTE ILLUSTRATION MONTRE QUE LA M£THODOLOGIEPROPOS£EABOUTITÜUNE£VALUATIONCHIFFR£EDELAVARIABLEC“URSELON les différents scénarios. Nous attirons l’attention sur le fait qu’il serait faux sur le plan méthodologique de vouloir être trop précis dans cette évaluation chiffrée. Ce qui importe, ce sont les ordres de grandeurs relatifs entre les différents scénarios et au-delà, la conduite jusqu’au bout d’une réflexion rigoureuse portant sur un choix réfléchi de jeux d’hypothèses sur les variables motrices puis sur l’évaluation des conséquences qu’ils peuvent avoir sur l’objet de l’étude prospective. À retenir..EPASFOCALISERSURLAVALEURPR£CISEPRISEPARLAVARIABLEC“URAUX horizons retenus mais sur le processus rigoureux qui a conduit à son évaluation dans le cadre de scénarios cohérents (contexte et stratégie) influençant le système interne étudié.

Conclusion L’étape consistant à construire les scénarios et à élaborer des recommandations pour le décideur mobilise toute les informations recueillies lors de la construction de la « base » de la prospective technologique. Plus cette construction aura été méticuleuse et rigoureuse, meilleures seront les recommandations faites au décideur. Cependant, cela ne suffit pas. Il faut faire aussi preuve d’imagination afin de construire, en se basant sur les FPA, des scénarios utopistes voire de rupture, tant pour l’évolution du contexte que pour l’élaboration des stratégies envisageables.

148

7. Construction des scénarios

Il est important aussi que la projection du système, suivant plusieurs directions, PUISSEäTREFAITEDEmanière très pédagogique en explicitant au décideur ses leviers d’action ainsi que les jeux d’hypothèses choisis pour le contexte. Comme on le verra au chapitre suivant avec un exemple, on peut s’aider pour cela des micro-scénarios : au lieu d’élaborer en une seule fois les scénarios globaux considérant toutes les variables fortement motrices du système, on travaille sous-système par sous-système pour élaborer les micro-scénarios qui seront ensuite combinés pour créer les scénarios globaux. À noter que la technique des micro-scénarios est largement utilisée par H. de Jouvenel (2011). Une difficulté perdure : choisir la meilleure stratégie sachant que l’incertitude sur LE CONTEXTE NEST PAS £RADIQU£E MäME SI EN FAISANT DU lobbying et en nouant des alliances avec des acteurs judicieusement choisis, le décideur peut en partie « domestiquer » son environnement. À retenir. Il faut élaborer plusieurs scénarios car l’avenir est pluriel et non unique mais il en faut un nombre restreint afin qu’ils demeurent humainement assimilables et qu’ils puissent réellement aider le décideur à définir sa stratégie.

149

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

8 Prospective technologique et analyse multicritère « Serons-nous capables de choisir les éléments de la technologie qui améliorent la qualité de vie et d’éviter ceux qui la détériorent ? » David Baltimore

Ce chapitre décrit une phase avancée de la méthodologie de prospective technoloGIQUEPROPOS£EDANSCEGUIDEQUISERAMISEEN“UVRESEULEMENTSILED£CIDEURPOURSUITDESOBJECTIFSMULTIPLESCLAIREMENTEXPLICIT£S#ELAPEUTäTRELECASLORSQUILSAGIT de la puissance publique ayant à justifier le choix d’une stratégie dont les effets sont globaux et impactent plusieurs champs de l’économie. Le niveau de formalisation des critères est variable d’une étude à l’autre mais le plus important est de se référer ÜLAGRILLEDANALYSEMULTICRITáREMäMESIL£VALUATIONDESCRITáRESJUSQUÜLHORIZON prospectif est en partie qualitative. Nous illustrons cette grille avec un cas emprunté aux secteurs de l’énergie et des transports individuels. Du fait de la période de transition énergétique que nous vivons actuellement75, ces secteurs offrent un vaste domaine d’investigation : celui 75. Le lecteur intéressé par la problématique de la transition énergétique, pourra se référer à * -#HEVALIER -#RUCIANI 0'EOFFRON 6OIRAUSSILEPROJETDELOISURLATRANSITION£NERgétique évoqué encadrés 1 (chapitre 1) et 8.

151

Prospective technologique

des modalités de la gouvernance qui peuvent présider au développement des options énergétiques allant dans le sens d’une décarbonisation des systèmes (i.e. diminution des émissions de CO2). L’analyse prospective y trouve toute sa place puisque les scénarios d’organisation de l’offre comme de la demande sont ouverts et que les possibilités technologiques (nouveaux matériaux, synergie avec les TIC dans la gestion des flux énergétiques…) sont foisonnantes. Quant à l’aide à la décision multicritère, ELLE EST TOUT Ü FAIT APPROPRI£E Ü LHEURE OÂ LON VISE SIMULTAN£MENT DE NOMBREUX objectifs parfois antagonistes (compétitivité économique, création d’emplois, lutte CONTRELER£CHAUFFEMENTCLIMATIQUEx ETOÂLONABESOINDUNOUTILDEDIALOGUE entre les acteurs concernés pour comparer les différentes stratégies envisageables.

I.

Étude de cas : mobilité solaire, technologies et enjeux associés

Dans cette première partie, nous présentons successivement le sujet prospectif traité, les technologies concernées et les enjeux de leur diffusion à moyen terme du point de vue de la puissance publique dont nous rappelons les objectifs. Nous montrons enfin en quoi le concept étudié serait un moyen pour elle de concilier grands nombres d’entre eux.

1.

Sujet 6

« Pour des raisons environnementales, la puissance publique française cherche à promouvoir sur son territoire, la voiture électrique solaire à l’horizon 2030 : quelles politiques peut-elle déployer pour optimiser les bénéfices pour la collectivité ? ». Cette question a été posée par l’ADEME à une équipe constituée de chercheurs appartenant au CEA (I-tésé, INES), au CSTB, à l’IFPEN ou bien à l’IMRI76. Nous adaptons la réponse faite au commanditaire co-financeur du projet POLINOTEN (2014)77, en la simplifiant de façon significative78. ,A VARIABLE C“UR RETENUE nombre de véhicules électriques solaires en circulation en France en 2030, ne constitue pas le seul objectif de la puissance publique qui souHAITEUND£PLOIEMENTDEV£HICULESRESPECTANTLINT£RäTG£N£RAL.OUSEXPLICITERONS au paragraphe 4, les types d’objectifs qu’elle vise, compte tenu des enjeux associés à cette innovation technologique.

76. CSTB = Centre scientifique et technique du bâtiment, IMRI = Initiative pour le management de la recherche et de l’innovation dont les activités sont placées sous l’égide de la Fondation partenariale Paris-Dauphine. 77. POLINOTEN pour Politiques de développement des nouvelles technologies de l’énergie. 78. cf. aussi N. Taverdet-Popiolek et al. (2013).

152

8. Prospective technologique et analyse multicritère

2.

Technologies concernées et principe de fonctionnement

Autour du concept de la mobilité solaire, s’articulent cinq composantes technologiques : 1. un bâtiment à basse consommation, voire à « énergie positive » qui sera la norme pour les bâtiments neufs en 2020 (cf. encadré 7) ;  DESPANNEAUXSOLAIRESPHOTOVOLTAÉQUES06 INT£GR£SAUB½TIMENTDEVENANTALORS un site de production d’énergie) ou sur le toit d’une place de parking ;  UNV£HICULE£LECTRIQUE6% V£HICULEL£GERDANSLECAS£TUDI£  4. une borne pour charger la batterie du véhicule (plug in) et pour restituer l’énergie stockée (plug out) ; 5. le réseau électrique muni de dispositifs intelligents (smart-grids) permettant de mieux ajuster l’offre et la demande. La mobilité solaire consiste à charger, avec l’électricité produite par des panneaux PHOTOVOLTAÉQUES LESBATTERIESDESV£HICULES£LECTRIQUESÜLARRäTDANSLEURGARAGER£SIdentiel) ou sur une place de parking (tertiaire et voie publique). L’idée semble judicieuse puisque, dans le modèle d’usage actuel, les véhicules sont en moyenne 95 % DUTEMPSÜLARRäTETQUELETEMPSDERECHARGEESTLONG!VECLINNOVATIONPROPOS£E ONPRIVIL£GIELAUTOCONSOMMATIONLAPRODUCTIONPHOTOVOLTAÉQUEDELAMAISONVAEN priorité à ses équipements (électroménager, multimédia…) puis à la recharge de la batterie du véhicule et enfin à la réinjection sur le réseau79 (cf. Fig. 35).

79. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas car, les feed-in tariffs étant plus élevés que le prix de l’électricité DUR£SEAU LESFAMILLESONTINT£RäTÜVENDREL£LECTRICIT£PRODUITEPARLE06ETÜACHETERL£LECTRICIT£ du réseau pour leurs besoins. Dans l’étude menée, on fait tomber cette hypothèse. En effet, à l’horizon 2030, l’écart entre le feed-in-tariff (s’il perdurait) et le prix de l’électricité sur le réseau sera fortement réduite (baisse des coûts de fabrication et d’installation des panneaux d’une part et augmentation du prix de l’électricité réseau, d’autre part) et l’autoconsommation favorisée.

153

Prospective technologique

Électricitéphotovoltaïque prioritaire

s«®‘ç½›: chargement ĚĞůĂďĂƩĞƌŝĞ͕ mobilité, stockage ĞƚƌĞƐƟƚƵƟŽŶ à la maison

e-

WƒÄěƒçøÝʽƒ®Ù›Ý sur une maison ŝŶĚŝǀŝĚƵĞůůĞăĠŶĞƌŐŝĞƉŽƐŝƟǀĞ ;ĂƵƚŽĐŽŶƐŽŵŵĂƟŽŶ͗ TV, électroménager…) et sur un parking au travail

e-

e-

ZÝ›ƒç ÝÃÙãͲ¦Ù®—Ý͗ ŝŶĨŽƌŵĂƟŽŶƐƵƌůĂ charge du réseau et les besoins

Figure 35 Concept de mobilité solaire.

3.

Enjeux

Si la mobilité solaire se développe en 2030, alors les bâtiments seront des sites de proDUCTIOND£NERGIEGR½CEAUPHOTOVOLTAÉQUEETDEVIENDRONTAUSSILELIEUDERECHARGEDES véhicules électriques. Cette convergence bâtiment-transport permettrait d’utiliser les batteries des véhicules comme moyen de stockage et de restitution d’électricité pour répondre aux fluctuations de production et de consommation. Comme l’écrit Joël de Rosnay (2012), avec ce concept, « la voiture électrique [deviendrait] une batterie sociétale mobile », ce qui constituerait un avantage nouveau pour la gestion du réseau électrique (en particulier, lissage de la pointe)80. 80. Le concept de mobilité solaire est d’ailleurs de plus en plus regardé au niveau international. Il a fait l’objet de divers travaux récents : – Patrick Hummel et al., “Global Utilities, Autos & Chemicals : Will solar, batteries and electric CARSRE SHAPETHEELECTRICITYSYSTEMv !UGUSTANDh4HEUNSUBSIDISEDSOLARREVOLUTIONv JANUARYwww.ubs.com/investmentresearch ; – Torsten Schwan, René Unger, Bernard Bäker, “Modelling and optimization of renewable energy SUPPLY FOR ELECTRIFIED VEHICLE FLEETv %! 3YSTEMS $RESDEN 'MB( )NSTITUTE OF !UTOMOTIVE Technologies Dresden - IAD, Dresden University of Technology, 2013 : www.dubrovnik2013. sdewes.org/presentations/SDEWES-2013-1120.pdf ; – www.ea-energie.de/index.php/projects/residence-and-mobility.html.

154

8. Prospective technologique et analyse multicritère

En outre, le développement de la mobilité solaire permettrait de répondre aux objectifs européens (cf. encadré 7) déclinés au niveau national, de promouvoir les énergies renouvelables et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre (pourvu que le bilan global en termes de CO2 soit positif ). Cependant, réussir à instaurer un système VERTUEUXQUICONDUISEÜUNCOUPLAGEOPTIMALENTRELAPRODUCTIONPHOTOVOLTAÉQUEET l’usage du véhicule électrique suppose un changement de nos rapports au bâtiment, au transport et à l’énergie. Cela repose aussi fortement sur des progrès technologiques (baisse des coûts et allègement des contraintes dans l’usage du véhicule électrique), sur l’apparition d’une offre industrielle performante (pour privilégier les emplois nationaux) et sur des actions publiques appropriées. Comme on le voit ci-après, ces actions relèvent à la fois des politiques d’innovation, énergétique et climatique.

À retenir. La mobilité solaire constituera sans doute une composante essentielle de la transition énergétique car elle comporte de nombreux atouts pour une optimisation décentralisée des ressources et des usages.

4.

Pourquoi l’État s’intéresse-t-il à la mobilité solaire ?

4.1

Objectifs globaux : où veut-il aller ?

L’État a des objectifs en matière de politiques énergétique (loi Pope 2005, projet de loi sur la transition 2014) et climatique (lois Grenelle I et II) qui s’inscrivent DANSUNCADREEUROP£EN)LENESTDEMäMEPOURCEUXQUIRELáVENTDESAPOLITIQUE d’innovation, la stratégie de Lisbonne étant toujours d’actualité (cf. encadrés 7 et 8).

155

Prospective technologique

Encadré 7. Principaux objectifs européens en matière d’énergie, de climat et d’innovation. Paquet Énergie-Climat (23/01/2008), (PEC) extraits 3 × 20 en 2020 : 20 % d’énergies renouvelables, 20 % de diminution des émissions de GES et 20 % d’efficacité énergétique. Directive européenne 2010/31/EU sur la performance énergétique des bâtiments (18/06/2010) %NTOUSLESB½TIMENTSNEUFSDEVRONTäTREiZ£RO£NERGIEwPOURLESB½TIments publics). Stratégie de Lisbonne (03/2000) L’objectif de cette stratégie fixé par le Conseil européen de Lisbonne est de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Les résultats n’ayant pas été à la hauteur des espérances, le cap est maintenu au-delà de 2010 dans le cadre de la stratégie Europe 2020. Encadré 8. Principaux objectifs nationaux en matière d’énergie et de climat. Loi du 13 juillet 2005 (loi Pope) de programme fixant les orientations de la politique énergétique – Contribuer à l’indépendance énergétique française et garantir la sécurité d’approvisionnement. – Assurer un prix compétitif de l’énergie. – Préserver la santé humaine et l’environnement. – Garantir la cohésion sociale et territoriale. Lois Grenelle I (24/06/2009) – Facteur 4. – 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale, dans le cadre du PEC « 3 × 20 en 2020 » européen. – Intégralité du Plan Bâtiment, avec notamment la confirmation de la norme Bâtiment basse consommation (BBC) de 50 kWh EP/m2/an exprimée en énergie primaire (EP). Lois Grenelle II (2010, extraits) – Engager une rupture technologique dans le bâtiment neuf. – Favoriser un urbanisme économe en ressources foncières et énergétiques. – Développer les véhicules électriques et hybrides rechargeables. – Favoriser le développement des énergies renouvelables. Plan Bâtiment du Grenelle (2009, extrait) – Tous les nouveaux bâtiments seront en 2012 à la norme BBC et en 2020 « à énergie positive » (BEPOS).

156

8. Prospective technologique et analyse multicritère

Projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (octobre 2014, extraits) – Réduction des émissions de GES par rapport à 1990 de 40 % en 2030 et de 75 % (facteur 4) en 2050. – Part des énergies renouvelables portée à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et 32 % en 2030. – Baisse de consommation primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à 2012. – Développement des véhicules électriques, avec prime à la conversion dans certains cas. – Travaux de rénovation énergétique obligatoires en cas de travaux de ravalement, de toiture et d’aménagement de nouvelles pièces.

4.2

Carte à jouer de la mobilité solaire : quelles contraintes l’État doit-il respecter ?

3IELLEESTMISEEN“UVREDANSDEBONNESCONDITIONS LAMOBILIT£SOLAIREPEUTäTREUNE contribution efficace à l’atteinte des multiples objectifs énergétiques, climatiques et industriels visés par l’État. La figure 36 montre comment les actions en faveur de son déploiement doivent s’inscrire dans une politique d’innovation associant ces objectifs dans le respect des contraintes budgétaires et de la cohésion sociale et territoriale. KďũĞĐƟĨƐĠŶĞƌŐĠƟƋƵĞƐ /ŶĚĠƉĞŶĚĂŶĐĞ ^ĠĐƵƌŝƚĠ ĂƉƉƌŽǀŝƐŝŽŶŶĞŵĞŶƚ WƌŝdžĐŽŵƉĠƟƟĨĚĞů͛ĠŶĞƌŐŝĞ KďũĞĐƟĨƐĠĐŽŶŽŵŝƋƵĞƐ ƌŽŝƐƐĂŶĐĞ ŵƉůŽŝ ĂůĂŶĐĞ ĐŽŵŵĞƌĐŝĂůĞ

ŽŶƚƌĂŝŶƚĞďƵĚŐĠƚĂŝƌĞ DŝŶŝŵŝƐĂƟŽŶ ĚĞƐĐŽƸƚƐ ƉŽƵƌůĞƐ ĮŶĂŶĐĞƐ ƉƵďůŝƋƵĞƐ

ϮϯйŶZĞŶϮϬϮϬ

ĞƐĂĐƟŽŶƐ ĐŽŵŵƵŶĞƐĂƵ ƐĞŝŶĚ͛ƵŶĞ ƉŽůŝƟƋƵĞ Ě͛ŝŶŶŽǀĂƟŽŶ

ObjecƟĨclimaƟƋƵe

sĞƌƐůĞ facteur 4 ĞŶ ϮϬϱϬ

KďũĞĐƟĨ ĂŵĠŶĂŐĞŵĞŶƚĚƵƚĞƌƌŝƚŽŝƌĞ

ŽŚĠƐŝŽŶ ƐŽĐŝĂůĞĞƚ ƚĞƌƌŝƚŽƌŝĂůĞ

Figure 36 Objectifs et contraintes de la puissance publique.

157

Prospective technologique

II.

Actions à mener en faveur de la mobilité solaire

Les actions de l’État pour favoriser la mobilité solaire s’appuient sur les instruments économiques couramment utilisés pour stimuler l’innovation (via l’offre ou la demande) ainsi que sur des instruments relevant des politiques environnementale, fiscale ou encore d’aménagement du territoire.

1.

Politique d’offre

D’une façon générale, une politique d’offre consiste à soutenir les entreprises BAISSE DES TAXES ET IMP¹TS PESANT SUR ELLESx ET Ü subventionner la recherche. Étant donné que nous nous intéressons à un concept technologique non encore mature, nous ne retenons ici que la subvention à la R&D comme instrument principal. Appliquer ce levier signifie que l’État subventionne davantage la recherche que ce qui a été fait jusqu’à lors : les aides annuelles sur la période (2015-2030) peuvent atteindre un niveau deux fois plus élevé que celui du scénario BAU. La 2$CONCERNELESOLAIREPHOTOVOLTAÉQUE06 LESBATTERIESDESV£HICULES£LECTRIQUES 6% ETOULESsmart-grids qui favorisent un couplage intelligent entre le bâtiment et le véhicule, pour un lissage optimal de la courbe de consommation (adéquation sur un pas de temps plus fin de l’offre et de la demande électrique).

2.

Politique de demande

Elle consiste à stimuler la demande d’innovation par les consommateurs. Les actions vont permettre de promouvoir la mobilité solaire dès 2015 alors qu’elle n’est pas encore compétitive, en subventionnant les familles via le budget de l’État : aide à l’investissement ou bien renforcement des tarifs d’achat (feed-in-tariffs – FIT) EXISTANTSPOURLE0681.

3.

Politique environnementale et fiscale

L’État introduit une taxe carbone ne portant que sur les équipements fabriqués en France (et non sur l’électricité et le carburant), dont le montant est proportionnel au contenu carbone. Il a aussi la possibilité de renforcer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) de manière à pénaliser les véhicules qui roulent à l’essence. Taxe CO2 appliquée aux produits français et TICPE nourrissent, toutes deux, le budget de l’État.

81. Bien que cet instrument ne soit pas dédié à la mobilité solaire puisqu’il n’apporte pas d’incitation particulière à utiliser un véhicule électrique.

158

8. Prospective technologique et analyse multicritère

4.

Politique d’aménagement du territoire

0LUSIEURSLEVIERSDACTIONPEUVENTäTREACTIV£SPARL»TATPOURJOUERSURLAM£NAGEment du territoire. Par exemple, pour dynamiser l’économie du Nord de la France, la puissance publique peut accentuer les subventions pour les familles résidant DANS CETTE R£GION AFIN DE STIMULER LA MOBILIT£ SOLAIRE LÜ OÂ ELLE EST NATURELLEMENT moins compétitive en raison du faible niveau d’ensoleillement. Elle peut aussi limiter l’étalement urbain de manière à ce que la distance domicile-travail parcourue en moyenne chaque jour par les français soit diminuée. Ce choix vertueux pour de nombreuses raisons (gain de temps, meilleure utilisation des sols, économie d’énergie…) est moins favorable à la mobilité solaire car, par rapport à un véhicule essence, le véhicule électrique rechargé au solaire est d’autant plus rentable qu’il roule plus. Ainsi, la subvention à allouer à chaque famille pour qu’elle délaisse sa VOITUREESSENCEETINVESTISSEDANSL£QUIPEMENTi06ET6%w ESTPLUSGRANDELORSQUE les villes sont moins étalées. Le tableau 16 récapitule les leviers que la puissance publique française peut déployer dès aujourd’hui pour favoriser la mobilité solaire tout en poursuivant ses objectifs énergétiques, économiques, climatiques et d’aménagement du territoire à l’horizon 2030. Tableau 16 Instruments des politiques publiques. Politique d’offre – Subvention renforcée à la 2$06 6% (batterie) et/ou smart-grids.

Politique de demande – Subvention aux familles ou feed-intariffs06RENFORC£S pour atteindre un OBJECTIFDE6% solaires déployés en 2015, 2020, 2025 et 2030.

Politique fiscale et environnementale – Taxe carbone. – Taxe sur l’essence (TIPCE) accentuée.

Politique d’aménagement du territoire – Répartition pilotée de la diffusion de la mobilité solaire sur le territoire. – Lutte contre l’étalement urbain.

Les politiques publiques à évaluer, face à la contrainte budgétaire, sont une combinaison compatible de ces instruments. À retenir. On a distingué quatre types de politiques : politiques d’offre, de demande, environnementale et fiscale, d’aménagement du territoire, déclinées CHACUNEENUNCERTAINNOMBREDELEVIERSPOUVANTäTRESUPERPOS£SETONVISEÜ définir la ou les politiques à déployer dès 2015 pour réaliser, à l’horizon 2030, le meilleur compromis entre tous les objectifs de l’État.

159

Prospective technologique

III. Critères pour évaluer les actions de l’État Pour chaque catégorie d’objectifs, on définit un critère d’évaluation des politiques publiques. Sa valeur est calculée en différentiel par rapport à celle qu’il aurait avec une politique Business as usual. ,ESPOLITIQUES£TANTD£PLOY£ESDáS LEURSCONS£QUENCESDOIVENTäTREREGARD£ES à l’aune de ces critères sur la période (2015-2030) puis sur la durée de vie des équiPEMENTS#OMMEONSUPPOSEQUELADUR£EDEVIEDU6%ETDESPANNEAUXSOLAIRES est respectivement de 10 et 20 ans, l’horizon le plus lointain à considérer est 2050 (pour les équipements mis en service en 2030). La valeur des critères est tributaire de variables appartenant au contexte sur lequel l’État ne peut jouer. On est donc amené à construire des scénarios de contexte COMMEONLEVERRAÜLAPARTIE)6

1.

Critère budget de l’État

Exprimé en millions d’euros, ce critère est la somme actualisée en 2015 des conséquences économiques pour le budget public sur toute la période d’étude (2015-2050). La figure 37 indique les variables qui conditionnent cette somme. Dans l’entonnoir, ce sont les leviers d’action de l’État et dans le rectangle, les variables de contexte. WƌŝdžƉĠƚƌŽůĞ͕ĠůĞĐƚƌŝĐŝƚĠ͕ƚĂƵdžĚ͛ĂĐƚƵĂůŝƐĂƟŽŶͲŵŽĚğůĞĚ͛ƵƐĂŐĞ͕ĂƵƚŽͲƉĂƌƚĂŐĞ͕ ĐŽŵƉĠƟƟǀŝƚĠŝŶĚƵƐƚƌŝĞƐWs͕sĨƌĂŶĕĂŝƐĞƐ ;ĐŽŶƚĞŶƵĐĂƌďŽŶĞĚĞƐĠƋƵŝƉĞŵĞŶƚƐͿ

^ƵďǀĞŶƟŽŶƐ ĂƵdžĨĂŵŝůůĞƐ͕ ĨĞĞĚͲŝŶͲƚĂƌŝīƐ ƌĞŶĨŽƌĐĠƐ

^ƵďǀĞŶƟŽŶ R&D (VE, PV, smartgrids)

ŽƸƚĚŝƌĞĐƚ ZĞĐĞƩĞ aménagement ĚƵƚĞƌƌŝƚŽŝƌĞ TIPCE, ƌĞĐĞƩĞƚĂdžĞ sur le CO2

Budget de l’État ;ŵŝůůŝŽŶƐĚ͛ΦĂĐƚƵĂůŝƐĠƐĞŶϮϬϭϱͿ Figure 37 Évaluation du budget de l’État en différentiel par rapport à une politique Business as usual.

160

8. Prospective technologique et analyse multicritère

À noter que des coûts induits de renforcement d’infrastructures (réseau, smart-grids, BORNESDERECHARGEx DOIVENTäTREAUSSICOMPTABILIS£SDANSLEBUDGETDEL»TATÜ moins qu’ils ne soient pris en charge par d’autres opérateurs tirant avantage aussi de la mobilité solaire. Le jeu des acteurs82 autour de ce concept innovant serait à analyser finement en considérant différents modèles d’affaires plausibles à l’horizon retenu : l’innovation technologique draine avec elle des innovations organisationnelles dans les secteurs économiques concernés que la prospective a comme mission d’investiguer. Cette recherche n’a pas encore été menée dans l’étude de cas présentée mais constitue un prolongement envisagé.

2.

Critère bilan CO2

Il s’agit des émissions évitées, exprimées en millions de tonnes de CO2, par la moindre consommation d’essence. Sont comptabilisés aussi le bilan des émissions POURLAFABRICATIONDES£QUIPEMENTS06 6%ETBATTERIE SELONLEURORIGINEAINSIQUE CELUILI£ÜLAPRODUCTIOND£LECTRICIT£AVEC06SUPPL£MENTAIRENETTEDESCONSOMMATIONSPOURLE6% 

3.

Critère santé et pollution

Ce critère, exprimé en millions d’euros actualisés en 2015, est traduit par le coût évité de la pollution dans les villes sur la période (2015-2050).

4.

Critère emplois créés

C’est la somme des emplois temps plein supplémentaires créés en France du fait de la recherche (emplois de chercheurs) et de la diffusion de l’innovation (emplois d’industriels, d’installateurs, d’opérateurs…) sur la période (2015-2050). Pour cette analyse, on est amené à distinguer : – les emplois « nomades », délocalisables ; – ETLESEMPLOISiS£DENTAIRESw NOND£LOCALISABLES COMMELAMAIN D“UVREPOUR LINSTALLATIONDESPANNEAUX06OULAMAINTENANCEDES£QUIPEMENTS

 #ONSTRUCTEURS AUTOMOBILES OP£RATEURS DE MOBILIT£ OP£RATEURS DE GESTION DE FLOTTE DE6% électriques, opérateurs de gestion énergétique des bâtiments, opérateurs de gestion de big data…

161

Prospective technologique

5.

Critère acceptabilité

L’acceptabilité est évaluée par une note moyenne traduisant : – la satisfaction des familles d’avoir la possibilité d’utiliser la mobilité solaire : plus LINNOVATIONSEDIFFUSET¹TETFORT PLUSLANOTEESTBONNE – la satisfaction des familles face à une meilleure cohésion territoriale, à un meilleur aménagement des villes pour une réduction de la distance quotidienne à parcourir pour se rendre au travail ; – l’insatisfaction des familles de devoir payer une taxe sur l’essence ou sur le carbone.

6.

Critère balance commerciale

Exprimé en millions d’euros actualisés en 2015, ce critère intègre les importations évitées en pétrole brut sur la période (2015-2050), en raison : – DUREMPLACEMENTDESV£HICULESESSENCEPARDES6% – du lissage de la pointe de la production électrique française (moins de centrales fossiles mobilisées en France pour assurer les pics d’appel de puissance). )LTIENTCOMPTEAUSSIDESIMPORTATIONSD£QUIPEMENTS06 ET6% LORSQUECEUX CI ne sont pas fabriqués en France.

7.

Critère diffusion au Nord exprimé en %.

C’est le pourcentage de familles utilisant la mobilité solaire situées au Nord de la France.

8.

Critère lissage de la pointe

Il s’agit de la réduction, liée à l’adoption de la mobilité solaire à grande échelle, du nombre d’heures durant lesquelles le réseau fait appel aux énergies de pointe (essentiellement le fuel).

9.

Pondération des critères

En interrogeant un représentant de la puissance publique, les critères sont pondérés afin de mettre en avant ceux qu’elle considère comme prioritaires pour départager les différentes politiques publiques envisagées. Les raisons environnementales étant mises en avant dans la définition du sujet prospective, il est logique de retrouver en première position le critère bilan CO2, suivi de près par la dépense publique à

162

8. Prospective technologique et analyse multicritère

minimiser (budget de l’État LESSIXAUTRESCRITáRES£TANTSURUNMäMEPIEDD£GALIT£ en troisième position (cf. Fig. 38). 35% 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0%

Figure 38 Représentation des critères avec leur poids donnés en % en ordonnées.

À retenir. Huit critères ont été définis afin d’évaluer les différentes politiques publiques envisageables pour favoriser la mobilité solaire en France en 2030. Ils reflètent les objectifs de l’État en matière de lutte contre le changement climatique, de politiques économique et énergétique, d’aménagement du territoire, d’acceptabilité sociale… et de respect de la contrainte budgétaire.

IV.

Scénarios de contexte et stratégies

Comme nous l’avons mentionné, l’effet des politiques publiques est conditionné par un contexte économique, énergétique, international et sociétal réduisant les MARGESDEMAN“UVREDEL»TAT

1.

Variables de contexte : prise en compte de l’incertitude

On liste ici les variables sur lesquelles la puissance publique n’a pas (ou peu) de moyens d’action.

163

Prospective technologique

1.1

Contexte énergétique et économique

Il s’agit principalement des prix du pétrole et de l’électricité, ainsi que du taux d’actualisation reflétant le coût des capitaux nécessaires aux investissements dans les équipements. Dans la partie projection, suivant les combinaisons d’hypothèses que l’on fait sur la valeur de ces trois paramètres économiques, on obtient des scénarios plus ou moins favorables à la mobilité solaire pour une famille française. Par exemple, le Total Cost of Ownership (TCO) des équipements est plus intéressant pour les particuliers lorsque le taux d’actualisation est faible et les prix du pétrole et de l’électricité, hauts.

1.2

Contexte sociétal

,£CONOMIECIRCULAIREEST ELLEANCR£EDANSLESHABITUDES,OUE T ONFACILEMENTSES £QUIPEMENTSEN&RANCE,AR£PONSEÜCESQUESTIONSCARACT£RISELECONTEXTESOCI£TAL que l’on suppose indépendant de l’application de politiques publiques. C’est une hypothèse simplificatrice, sans doute contestable, mais qui reflète le fait que les leviers politiques ont peu d’influence sur l’évolution des mentalités, des us et coutumes des citoyens.

1.3

Contexte industriel face à la concurrence internationale

L’industrie française est-elle puissante ou non dans le secteur automobile et dans le SECTEURPHOTOVOLTAÉQUE)CIENCORE LHYPOTHáSESELONLAQUELLELACOMP£TITIVIT£DE ces secteurs industriels français est indépendante de la politique de l’État en relevant exclusivement du contexte, est abusive. Cependant, la concurrence extérieure est telle, notamment de la part des pays émergents comme la Chine, que l’on peut, dans une première approximation, considérer que les leviers ciblés sur la mobilité solaire ne sont pas de nature à contrecarrer les rapports de force entre pays sur la scène internationale.

2.

Scénarios de contexte

Pour construire les scénarios de contexte, nous nous référons à une notion juste énoncée au chapitre 7 : celle de micro-scénarios. L’idée est d’utiliser le découpage en sous-systèmes du mapping prospectif global pour construire, par palier, chacun des scénarios. Dans le cas qui nous préoccupe, il est question de considérer successivement les sous-systèmes Contexte énergétique et économique, Contexte sociétal puis Contexte industriel de manière à élaborer pour chacun d’eux des micro-scénarios. Ceux-ci seront ensuite combinés pour former les différents scénarios globaux.

164

8. Prospective technologique et analyse multicritère

2.1

Micro-scénarios du contexte économique et énergétique

Les variables considérées sont le prix du pétrole, le prix de l’électricité et le taux d’actualisation. Deux micro-scénarios contrastés sont obtenus : l’un favorable à la mobiLIT£SOLAIRE LAUTREPLUT¹TD£FAVORABLEcf. Fig. 39).

Taux de croissance annuel du prix du pétrole

Haut 2015-2030 : 2,8 % 2030-2050 : 1,8 %

Bas 2015-2030 : 1 % 2030-2050 : – 0,5 %

Taux de croissance annuel du prix de l’électricité

Haut 2015-2030 : 1,9 % 2030-2050 : 0,5 %

Bas 2015-2030 : 0,4 % 2030-2050 : – 0,2 %

Taux d’actualisation

5%

7%

Micro-scénario économique et énergétique

Rose

Noir

Figure 39 Combinaison d’hypothèses sur le contexte économique et énergétique.

2.2

Micro-scénarios du contexte sociétal

Les variables considérées sont le type de modèle d’usage qui est ancré dans les habitudes des français ainsi que le degré de familiarité qu’ils ont vis-à-vis de l’auto-partage. En combinant des hypothèses sur ces deux variables, quatre micro-scénarios sont élaborés (cf. Fig. 40). Modèle d’usage

Propriété

Intermédiaire

Location

Location

Auto-partage

Non

Non

Non

Oui

Micro-scénario sociétal

Tendanciel

Location batterie

Location totale

Rupture

Figure 40 Combinaison d’hypothèses sur le contexte sociétal.

0ARINTERM£DIAIRE ONENTENDQUESEULELABATTERIEDU6%ESTENLOCATION TOUSLES autres équipements étant la propriété de l’usager.

165

Prospective technologique

2.3

Micro-scénarios du contexte industriel

%NCOMBINANTLESHYPOTHáSESQUANTAULIEUDIMPLANTATIONDESINDUSTRIES06ET6% avant et après 2030, on obtient quatre micro-scénarios. Ces scénarios impactent directement le nombre d’emplois « nomades » créés en France avec le développement de la mobilité solaire (cf. Fig. 41). Place future de LINDUSTRIE6%

France avant 2030 France après 2030

France avant 2030 Allemagne après 2030

France avant 2030 France après 2030

France avant 2030 Allemagne après 2030

Place future de LINDUSTRIE06

Chine avant 2030 France après 2030

Chine avant 2030 Chine après 2030

Chine avant 2030 Chine après 2030

Chine avant 2030 France après 2030

Micro-scénario Place industrie française

Rose

Noir

Gris, avantage VE

Gris, avantage PV

Figure 41 Combinaison d’hypothèses sur le contexte industriel.

2.4

Scénarios globaux de contexte

Quatre scénarios de contexte sont construits en assemblant les micro-scénarios (cf. Fig. 42). Micro-scénario économique et énergétique

Rose

Noir

Micro-scénario sociétal

Tendanciel

Location batterie

Location totale

Rupture

Micro-scénario Place industrie française

Rose

Noir

'RIS6%

'RIS06

Scénario global

SG1

SG2

SG3

SG4

Figure 42 Combinaison des micro-scénarios pour la construction des scénarios de contexte.

3.

Élaboration des stratégies

Elle se fait en combinant les différents instruments de politiques publiques comme l’illustre le tableau 17 avec des exemples.

166

8. Prospective technologique et analyse multicritère

Tableau 17

Exemples de politiques publiques mises en œuvre par l’État.

Politique d’offre Stratégies de l’État

R&D 06

R&D 6%

R&D smartgrids

Politique de demande

Politique environnementale et fiscale

Feed-inTICPE Subven- tariffs Taxe renforrenfor- carbone tion cée cés

Politique d’aménagement du territoire

Urbain Sud Nord intelli- privilé- privilégent gié gié

P1 P2 P3 P4 P5 P6 P7 P8

Le choix d’une stratégie se concrétise par l’attribution d’une valeur aux variables leviers correspondantes. Par exemple : – pour la stratégie P1, doublement par rapport à la situation actuelle, dès 2015 (et JUSQUÜ DELASUBVENTIONANNUELLEACCORD£EÜLA2$SURLE06 COUPL£E avec l’application d’une taxe progressant de 50 à 200 € la tonne de CO2 sur la période (2015-2050) ; – pour la stratégie P3, subvention dès 2015 (et jusqu’à 2030) des familles françaises du Nord, pour compenser les coûts de la mobilité solaire par rapport à la mobilité essence afin qu’elles adoptent ce concept. !UTOTAL STRAT£GIESONTPUäTRECOMPAR£ES

4.

Matrice Leviers x Contexte et recommandations

4.1

Matrice pour l’évaluation des stratégies

Pour aider la puissance publique à choisir la (ou les) politique(s) publique(s) la (les) meilleure(s), compte tenu du poids qu’elle accorde aux critères, on croise les politiques avec les scénarios de contexte dans l’objectif d’estimer tous les critères par politique et par scénario de contexte (cf. Fig. 43).

167

Prospective technologique

ÊÄã›ø㛝ě٦ã®Øç› ›ã‘ÊÄÊîØç› Prix pétrole

>›ò®›ÙÝ Öʽ®ã®Øç›Ý

Prix électricité

KīƌĞ

Budget de R&D, PV, VE, smart-grids

ĞŵĂŶĚĞ

^ƵďǀĞŶƟŽŶƐ aux familles

ŵĠŶĂͲ ŐĞŵĞŶƚ ƚĞƌƌŝƚŽŝƌĞ

^ƵďǀĞŶƟŽŶƐ ciblées

ŶǀŝƌŽŶͲ ŶĞŵĞŶƚ &ŝƐĐĂůŝƚĠ

Taxe CO2 TIPCE renforcée

Taux TTa ux actualisaƟon

ÊÄã›øã› Ýʑ®ãƒ½ Modèle usage

ÊÄã›øã› ®Ä—çÝãÙ®›½ Places industries françaises automobile et photovoltaïque

Autopartage

ZÝç½ãƒãÝͬÙ®ãœÙ›Ý Bilan CO2

Lissage pointe

Budget de l’État

Balance commerciale

Santé ĞƚƉŽůůƵƟŽŶ

Acceptabilité sociale

ƌĠĂƟŽŶ d’emplois

ŝīƵƐŝŽŶEŽƌĚ

Figure 43 Matrice Leviers x Contexte.

Au cours de la période d’évaluation des stratégies, le contexte peut changer. Dans le cas traité, cela se produit en 2030 en ce qui concerne la compétitivité des industries françaises sur la scène internationale. Ainsi, pour le critère création d’emplois, évalué comme la somme des créations annuelles, on doit considérer deux périodes pour attribuer, vis-à-vis de ce point de vue, une note aux politiques de demande aboutissant à une diffusion de la mobilité solaire en France dès 2015.

4.2

Élaboration des recommandations dans le cadre du projet POLINOTEN

L’évaluation chiffrée des critères a necessité la construction d’un modèle sous Excel relativement sophistiqué : calcul du niveau des subventions pour inciter les familles à adopter la mobilité solaire, calcul du bilan CO2 tenant compte de l’empreinte CARBONEDES£QUIPEMENTSETDELAPRODUCTIOND£LECTRICIT£PHOTOVOLTAÉQUESELONLA M£THODEDELANALYSEDUCYCLEDEVIE!#6 x Ensuite, la comparaison multicritère des politiques a été réalisée grâce à la méthode ELECTRE (ÉLimination Et Choix Traduisant la RÉalité)83 et son logiciel, en pondérant les critères. Un seul scénario de contexte (SG1), relativement favorable à la 83. Les méthodes de la famille ELECTRE sont basées sur la théorie de l’aide à la décision multicritère élaborée par B. Roy. Elle repose sur le principe de sur-classement de synthèse : cf. B. Roy (1985, 1991) et B. Roy, D. Bouyssou (1993).

168

8. Prospective technologique et analyse multicritère

mobilité solaire et jugé comme étant le plus probable, a été considéré (contrainte de TEMPSOBLIGE ETDESRECOMMANDATIONSONTPUäTREFAITESÜLAPUISSANCEPUBLIQUE celle de mener une politique de soutien à la R&D avec l’instauration d’une taxe carbonne assez élevée. Pour finaliser l’analyse prospective, il faudrait mesurer la robustesse de cette stratégie à un changement de scénario de contexte ou bien faire confirmer par une expertise, que le scénario retenu correspond bien au plus probable. À retenir. Le travail d’aide à la décision consiste à définir un ensemble de stratégies en combinant les leviers d’action puis à les évaluer suivant les critères pour les différents scénarios d’évolution de contexte identifiés. La comparaison multicritère des stratégies permet de mettre en évidence celles qui réalisent le meilleur compromis entre les objectifs du décideur, compte tenu du poids que celui-ci leur accorde. Ce compromis est valable dans le cadre d’un scénario de contexte. Comme le décideur n’a pas la main sur le contexte, qui est incertain, la difficulté est de définir une stratégie « caméléon » qui puisse s’adapter aux différents futurs envisagés ou bien une stratégie qui se cale sur le scénario le plus probable.

Conclusion Pour conclure sur l’étude de cas POLINOTEN présentée dans ce chapitre, nous aimerions faire le point sur les avantages et limites de la méthodologie utilisée afin d’en tirer des leçons utiles pour d’autres applications associant à la fois construction de scénarios prospectifs et comparaison multicritère de stratégies, et tout particulièrement dans le domaine public.

Une grille utile même pour une modélisation prospective moins quantitative L’ampleur du travail de quantification des critères n’a pas permis, dans le temps imparti au projet, de valoriser l’analyse prospective qui a été menée sur le contexte DESD£CISIONSPUISQUEDESRECOMMANDATIONSNONTPUäTREFAITESQUEDANSLHYPOTHáSEOÂLESC£NARIOLEPLUSPROBABLESER£ALISAIT-AISquid des recommandations pour des scénarios de rupture PAREXEMPLESURLEPLANSOCI£TALOÂLAVOITUREPARTICULIáRENESERAITQUENAUTO PARTAGE La grille d’analyse proposée permet de se poser toutes les bonnes questions du prospectiviste. Seulement, pour avoir le temps de considérer un plus grand nombre de SC£NARIOS PEUT äTRE FAUT IL R£DUIRE LE NOMBRE DE CRITáRES ET NE PAS CHERCHER Ü LES évaluer de façon aussi précise car la récolte des données passées et leur projection sont longues et fastidieuses.

169

Prospective technologique

La difficulté de recommander une stratégie face aux incertitudes sur le contexte et aux éventuelles ruptures Que le modèle soit quantifié ou plus qualitatif, énoncer une stratégie pour le décideur alors qu’il y a des éléments sur lesquels il ne peut agir reste une question délicate. Face à cette difficulté, on peut : – comme on l’a fait pour POLINOTEN, recommander la stratégie qui ressort dans le scénario le plus probable ; – choisir la stratégie qui limite les risques encourus par le décideur, quel que soit le scénario ; – définir une stratégie flexible (caméléon), i.e. que le décideur peut adapter au cours du temps au fur et à mesure qu’il reçoit de l’information sur le contexte. Sur ce dernier point qui nous semble très important, on reprochera à POLINOTEN de ne pas avoir énoncé des stratégies en dynamique : la combinaison d’instruments est faite en 2015 puis évaluée avec les différents critères sur la période (2015-2050) sans que l’État ait la possibilité d’adapter sa politique en fonction de l’évolution du contexte. Et cette rigidité se manifeste tant dans l’ensemble des stratégies que dans leur environnement car, hormis pour les micro-scénarios de compétitivité industrielle, il y a peu de bifurcations dans les évolutions des variables de contexte sur la période considérée. Face à cet écueil, il conviendrait de faire dans le système prospectif des coupes dans le temps avec la possibilité de réviser les politiques à ces dates intermédiaires. On mesure la difficulté de mettre cela en pratique avec autant de critères à évaluer. Si l’on veut associer méthodologie d’aide à la décision multicritère et prospective, avec la vision dynamique qui la caractérise, alors il faut accepter de simplifier le système pour prendre le temps de suivre, dans leur cheminement, les variables de contexte, les instruments politiques et les évaluations multicritères associées.

Enfin, une considération plus importante du public dans l’élaboration des politiques Le public est bel et bien intégré à la prospective menée puisque nous avons considéré un critère acceptabilité évalué par une note. Seulement, il faudrait aller sans doute plus loin et impliquer le public dans l’élaboration des politiques afin d’augmenter leurs impacts positifs sur les objectifs fixés par l’État. Cela renvoie à la notion de démocratie participative qui est fondée sur le renforcement de la participation des citoyens à la prise de décision politique par consultation, concertation voire co-élaboration. #ETTEOBSERVATIONCOÉNCIDEDAILLEURSAVECLECOURANTDELAprospective participative (par opposition à la prospective d’experts, comme cela est montré au premier

170

8. Prospective technologique et analyse multicritère

chapitre, à la figure 3) qui implique l’ensemble des stakeholders dans la réflexion pour une meilleure appropriation du projet et une plus grande assurance de sa réussite. L’appropriation fait d’ailleurs partie des trois caractéristiques que M. Godet (2007) a ajoutées aux cinq éléments définissant, selon G. Berger, l’attitude prospective, à savoir : – voir autrement (se méfier des idées reçues) ; – voir ensemble (l’appropriation) ; – et utiliser des méthodes aussi rigoureuses et participatives que possible pour réduire les inévitables incohérences collectives.

171

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

Conclusion générale

« Pour tous, il faudra faire de la création une ambition, de l’invention une exigence, du nouveau une nécessité ! » Jacques Attali

En réalité hier et demain sont hétérogènes. C’est un regard que l’on jette sur le PASS£ PUISQUEDECEC¹T£ LÜ ILNYAPLUSRIENÜFAIRE#ESTUNPROJETQUELONFORME pour l’avenir, car là, des possibilités sont ouvertes. Dans cet ouvrage, on a proposé une méthodologie qui convient à un large éventail de problématiques mettant en jeu un concept technologique (ex. : fixation biologique de l’azote de l’air par les céréales), une technologie relativement bien IDENTIFI£EEXC“URARTIFICIEL UNSYSTáMEOUUNEFILIáREINT£GRANTDESTECHNOlogies complémentaires (ex. : CSC), un secteur technologique tout entier (ex. : spatial), voire des matériaux entrant dans la fabrication de technologies, etc. On se propose, en conclusion, de récapituler toutes les étapes à suivre pour réaliser ce travail.

173

Prospective technologique

I.

Définition du sujet de prospective technologique

1. Bien poser le sujet.

1UIESTLED£CIDEUR1UELESTLHORIZONDEL£TUDEOULESHORIZONS 1UELLEEST PR£CIS£MENTLAQUESTIONDUCOMMANDITAIRE1UELESTLECHAMPG£OGRAPHIQUE PERTINENT

2. Rencontrer le décideur et les autres parties prenantes de l’étude qui peuvent JOUERUNR¹LEDANSLADYNAMIQUE Cibler les enjeux associés au sujet et faire une synthèse des interviews menées. 3. Définir la variable cœur du sujet prospectif et en valider le choix avec le commanditaire.

II.

Mapping de variables

 &AIRELALISTEDETOUTESLESVARIABLESQUICONDITIONNENTLAVENIRDELAVARIABLEC“UR 2. Dégager, en interrogeant les parties prenantes et des experts, les variables clés. 3. Faire le mapping des variables : graphique pédagogique présentant les variables clés et leurs liens (système) en distinguant les sous-systèmes en présence : soussystèmes technologique, économique, législatif, sociologique… 4. Grâce à une veille relativement poussée, analyser les risques et les incertitudes qui pèsent sur le système. Repérer les faits porteurs d’avenir (FPA). 5. Pour chaque variable clé, faire une fiche variable : définition, unité, histoire, indicateurs qui l’expliquent, acteurs qui l’influencent, risques et incertitudes qui pèsent sur elle.

III. Tableau d’acteurs et objectifs du décideur 1. Faire la liste de tous les acteurs (stakeholders) qui ont joué, jouent ou risquent de JOUERSURL£VOLUTIONDELAVARIABLEC“UR 2. Analyser la stratégie des acteurs principaux et dresser un tableau d’acteurs avec, SUR LA DIAGONALE LEURS OBJECTIFS VIS Ü VIS DE LA VARIABLE C“UR ET EN CROISEMENT ligne par colonne, les liens des uns avec les autres. 3. Faire une fiche pour chaque catégorie d’acteurs clés : définition, noms propres DESACTEURSDELACAT£GORIE OBJECTIFPRINCIPALVIS Ü VISDELAVARIABLEC“UR VARIABLES qu’elle conditionne, stratégie passée, actuelle, incertitude sur la stratégie future.

174

Conclusion générale

4. Expliciter, si possible en l’interviewant, les objectifs du décideur et son (ou ses) CRITáRES D£VALUATIONPOURLESD£CISIONSQUILPEUTäTREAMEN£ÜPRENDRE 5. Analyser ses forces, ses faiblesses, ses menaces, ses opportunités avec en toile de fond, la réflexion menée sur les tendances et les ruptures possibles du système (analyse SWOTTR).  0ARMILESVARIABLESFORTEMENTMOTRICES D£TERMINERCELLESQUIPEUVENTäTREleviers d’action pour le décideur et celles qu’il ne peut pas modifier et qui font partie du contexte.

IV.

Projection du système par scénarios : le rôle de l’imagination

1. Faire, avec l’aide des experts ou grâce à des modèles de prévision, des jeux d’hypothèses sur les variables de contexte pour l’horizon (ou les horizons) du sujet. On obtient les scénarios de contexte. Ne pas oublier d’imaginer des scénarios de rupture compte tenu des risques, des incertitudes et des FPA repérés. 2. Faire des choix de valeurs pour les variables leviers conformément à l’analyse SWOTTR. On obtient les stratégies (ou politiques). 3. Énoncer les scénarios en croisant les jeux d’hypothèses sur le contexte et les leviers d’action tout en explicitant bien les cheminements qui conduisent le système actuel aux différents systèmes projetés.

V.

Aide à la définition de la stratégie du décideur

1. Dans le cadre des scénarios (contexte x stratégies), évaluer avec des modèles partiels de prévision LA PERFORMANCE DE LA VARIABLE C“UR Ü LHORIZON RETENU (ou aux horizons retenus). On attend une évaluation chiffrée (en relatif ) de la VARIABLEC“URSELONLESDIFF£RENTSSC£NARIOS 2. Le cas échéant, évaluer, dans le cadre de ces scénarios, la valeur prise par les critères de choix du décideur. 3. Pour chaque scénario de contexte, en déduire la meilleure stratégie. 4. Définir in fine et compte tenu de l’aversion au risque du décideur, la meilleure stratégie à mettre en place dès aujourd’hui, soit : a. en tablant sur le scénario de contexte le plus probable ; b. en minimisant les risques ; c. en choisissant la stratégie la plus flexible, c’est-à-dire, qui s’adapte le mieux à l’évolution du contexte.

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Prospective technologique

,ES£TAPES)Ü)))PRENNENTDUTEMPSDETRAVAILETLES£TAPES)6ET6  Après le rappel des étapes de la méthodologie de prospective technologique, nous souhaitons terminer en insistant sur son rôle normatif. Elle ne sert pas uniquement à décrire les futuribles mais aide le décideur à bien se positionner dans le système qui met en jeu la technologie qu’il cherche, dans la majorité des cas, à promouvoir. Il ne s’agit pas de réaliser un « bon » rapport, mais de permettre au décideur de changer l’idée qu’il a d’une réalité en mouvement. Il faut lui donner les moyens nécessaires pour reconstruire, dans la limite de ses moyens, le monde qu’il souhaite. Ainsi, on ne peut pas réaliser une prospective technologique, sans avoir identifié le décideur, ses croyances et ses objectifs, objectifs que l’on déclinera en critères pour classer, grâce à une analyse multicritère, les futuribles et retenir le (ou les) meilleur(s) à ses yeux. Avec un autre décideur, on change son regard sur le système et on change les recommandations à lui faire pour préparer l’avenir. La prospective contient ainsi une grande part de subjectivité. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on ne tient pas compte de l’avis des tiers. Bien au contraire, la méthode doit aider à travailler collectivement en faisant appel au triangle grec « anticipation-appropriation-action ». Il est fortement souhaitable que le décideur partage ses objectifs avec les acteurs concernés, afin de se donner davantage de chance pour réussir. Et si le décideur, c’était vous …

176

Bibliographie

Alter N., 2010, L’innovation ordinaire, Paris, Presses universitaires de France Ansoff I., 1989, Stratégie du développement de l’entreprise : une approche méthodologique du management stratégique, Paris, Éditions d’organisation, 1re édition 1965 Arib F., Huché M., 2013, Le photovoltaïque organique pour les objets autonomes dans 20 ans, Rapport de prospective technologie, Master MTI Attali J., 1990, Lignes d’horizon, Fayard Attali J., 2006, Une brève histoire de l’avenir, Fayard Barbault R., 2008, Écologie générale, Structure et fonctionnement de la biosphère, Collection : Sciences Sup, 6e édition, Dunod Barel Y., 1971, Prospective et analyse de systèmes, Datar, La Documentation française (collection Travaux et recherches de prospective, n° 14) Bataille Ch., Birraux C., 2006, Les nouvelles technologies de l’énergie et la séquestration du dioxyde de carbone : aspects scientifiques et techniques, Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques Berger B., 1957, Sciences humaines et prévision, Revue des Deux Mondes, n° 3

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Prospective technologique

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