L'œuvre de fiction de Guillaume Apollinaire, la poétique d'un hérésiarque 3

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L'œuvre de fiction de Guillaume Apollinaire, la poétique d'un hérésiarque 3

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UNIVERSITÉ DE LA SORBONNE NOUVELLE PARIS Ill

L'ŒUVRE DE FICTION DE GUILLAUME APOLLINAIRE (Contes et romans)

La poétique d'un hérésiarque

TOME III

Thèse pour le doctorat d'État ès lettres Présentée par Daniel DELBREIL

Sous la direction de Monsieur le Professeur Michel DÉCAUDIN 1995

CHAPITRE V

LE PORTRAIT

[... ] il faudra que je fasse ton portrait[... ]. (Pr I, 192)

I TECHNIQUES DU PORTRAIT

Mais ne faut-il pas la décrire ? (Pr I, 500)

A. ISAAC LAQUEDEM : UN PORTRAIT EMBLÉMATIQUE

La présentation du personnage d'Isaac l:..aquedem, dans "Le Passant de Prague", est particulièrement révélatrice de la constitution de "l'étiquette"1

d'un personnage apollinarien. Le héros du premier conte du premier recueil

publié participe d'un protocole global d'ouverture, inaugure les types de

procédés de dénomination et se révèle exemplaire de la technique du por­ trait. Il est d'abord le modèle du personnage emprunté à la tradition cultu­

relle, auquel le conteur va faire subir son gauchissement personnel. Héros lit­ téraire, le Juif Errant apollinarien célèbre in texto, en "abyme", et par lui­

même, sa "carrière" dans les livres - et sa permanence dans l'histoire cultu­

relle est, en premier lieu, celle de son nom. En cela l'ouverture de L 'Hérésiarque et de annonce directement celle du Poète assassiné, et la

gloire d'Isaac Laquedem, celle de Croniamantal : "Quelle gloire ! Quelle

joie !" (Pr I, 89).

Ce conte, sur un "personnage prolongé"2 et éternel, est marqué, nous

l'avons dit, par un usage hyperbolique de l'onomastique - et jamais le déca­

lage entre le nombre de protagonistes nommés ("narrés") et d'individus nommés mais seulement cités ne sera aussi grand. Comme acteur de

l'histoire, seul Isaac Laquedem bénéficie de la dénomination (multiple, il est

vrai). Le narrateur élide son propre nom tout en soulignant qu'il le commu­

nique à son interlocuteur (dans une communication d'où le lecteur est ex­

clu) : "Je lui donnai ma carte [ ... ]." (Pr I, 87). Au-delà des deux protago­

nistes, les nombreux personnages secondaires de l'histoire (des premiers

passants aux Juifs de Prague, en passant par les buveurs de l'auberge) res­

tent dans l'anonymat. La multiplication des anthroponymes (à laquelle fait

écho l'éclatement toponymique) concerne avant tout les noms de person­ nages historiques ou littéraires (une soixantaine). Un système de va-et-vient se met donc en place entre les noms de l'univers de l'action et de l'extérieur de la diégèse : le personnage central de l'histoire cite tous les noms de

ceux qui, hors de l'histoire (mais dans !'Histoire) l'ont cité, lui, protagoniste� 1 . Terme de Philippe Hamon dans Le Personnel du roman, op. cit., p. 107. 2. Rappelons que cette expression est d'André Fonteyne (Apollinaire prosateur, op. cit.).

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sous ses noms divers. Isaac Laquedem, ainsi, existe à la fois dans I' ici d'une narration individualisée et dans l'ailleurs de tous ces récits qui ont constitué

ce que le narrateur appelle sa "légende" (Pr I, 88) 1 .

Dès 1902, ce conte illustre et exhibe le phénomène du re-nom qui ne

cessera d'être au cœur de l'onomastique apollinarienne. Le nom d'Isaac

Laquedem est à la fois un nom attribué et un nom choisi. Ce n'est pas un

nom inventé comme celui de Croniamantal, et donc forgé de toutes pièces

par le "père" du héros (François ou le conteur), mais une sélection au sein

d'une série, et par-là, une autre forme de l'autodénomination : "Je préfère le nom d'Isaac Laquedem [ ... ]." dit le Juif Errant, écartant - après les avoir

donnés - les noms d'Ahasver, Ahasvérus, Ahasvère, Buttadio, Buttadeus,

Boudedeo, Juan Espéra-en-Dios ou Karthaphilos (Pr I, 87) .Tous ces noms opèrent l'éclatement spatio-temporel qui sied à toute gloire, en particulier du XIIIe au :xxe siècle, et surtout "à travers l'Europe" (Hollande, Flandres, Espagne, Italie, Bretagne et France notamment) .

Si la problématique du nom domine le conte, si elle est centrale, c'est

justement aussi parce qu'elle n'est pas évoquée dès l'incipit du récit. "Le

Passant de Prague" illustre le procédé de la dénomination différée et amorce un jeu de devinette qui pourtant ne sera pas dominant dans l'œuvre d'Apol­

linaire. "Mais je ne dirai rien sur mon identité [ ...]." confesse Isaac Laquedem

(Pr I, 87) qui a soigneusement retardé l'apparition de son nom, préférant

d'abord livrer quelques bribes de son histoire. La présentation du person­

nage se fait donc d'abord par le portrait - et selon deux voix, celle du narra­

teur puis celle du Juif Errant lui-même. La rencontre d'Isaac Laquedem s'ins­

crit diégétiquement dans une série de passants interpellés. À cette phase de préparation, qui est aussi une structure de retardement, s'ajoutent celles de

la présentation physique puis de la notice biographique (Pr I, 84-6) qui

créent l'impatience de la dénomination : "Je suis le Juif Errant. Vous l'aviez

sans doute déjà deviné. Je suis l'Éternel Juif - c'est ainsi que m'appellent les

Allemands. Je suis Isaac Laquedem." (Pr I, 86-7).

C'est bien le héros lui-même qui souligne le jeu de dissimulation qu'est

toujours la dénomination différée. Le "vous l'aviez sans doute deviné" prend

une valeur métanarrative puisque le lecteur se trouve lui aussi interpellé ; il l'avait été même avant le je-acteur, par le portrait physique donné par le

narrateur. Toutes les qualifications apportées réduisent l'incertitude sur cet

"étranger" (premier signe d'identification spatiale) qui a parcouru le monde à 1 . Voir supra (chapitre IV), la section sur les noms des personnages "cités".

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travers les siècles (notice biographique à valeur d'identification temporelle).

L'anonymat provisoire accentue l'étrange qui, cependant, n'est pas sensible

a priori dans la description physique. Le récit de vie qui constitue la méta­

diégèse, en revanche, accrédite d'emblée l'irréalisme du personnage avec la date de 1721. La réaction intradiégétique du je-acteur ("Je l'écoutais, ef­

frayé, et pensant avoir affaire à un fou.", Pr I, 85) confirme la rupture du contrat réaliste souscrit pourtant très fermement à l'incipit du récit.

La construction narrative du personnage d'Isaac Laquedem se fait donc

selon un ordre qui se révélera être le contraire de celui de l'étiquette habi­ tuelle du personnage apollinarien (nom, histoire, portrait et comportements

caractéristiques). Le transfert d'informations qu'implique toute constitution d'un personnage se trouve ici "vraisemblabilisé" par le schéma de la ren­ contre fortuite de l'inconnu (portrait par les yeux et la voix du je-narrateur)

et "invraisemblabilisé" par l'autobiographie du protagoniste. Le portrait

s'inscrit dans un processus ludique où la fonction mathésique se voit mise en abyme et où le nom devient l'enjeu d'une compétition inégale entre les

maîtres (extra- ou intratextuels) du savoir et leurs élèves. L'auteur et Isaac

Laquedem deviennent des guides malicieux dans le labyrinthe des noms

comme dans celui des rues : "[ ... ] je connais assez Prague et ses beautés

pour vous inviter à m'accompagner à travers la ville.", avoue le Juif Errant

(Pr I, 84) qui, effectivement, ne cessera de nommer les lieux. Ce person­

nage est lui-même un labyrinthe onomastique ; très symboliquement, le dernier auteur qu'il se reconnaît, après l'épisode de "la fête crapuleuse",

n'est autre qu'un certain Chrysostome Daedalus ( Pr I, 92) : une "bouche

d'or" pour un "dédale" de noms.

À la multiplication des noms correspond inévitablement la multiplication

des personnalités pour un même personnage. Tel est bien, on l'a vu pour Croniamantal, le destin de ceux qui entrent dans la Fable. Isaac Laquedem ne

fait que mentionner rapidement certains des contenus de sa légende à tra­ vers les dérives de son nom : "Des auteurs prétendent que j'étais portier

chez Ponce-Pilate, et que mon nom était Karthaphilos. D'autres ne voient en

moi qu'un savetier, et la ville de Berne s'honore de conserver une paire de

bottes qu'on prétend faites par moi [ ... ]." (Pr I, 87). Le Juif Errant a laissé

quelques "reliques" ; des villes "s'honorent" en le célébrant (comme s'hono­ rent les pseudo-villes natales de Croniamantal). Au-delà de ses avatars lo­

caux et historiques, des réécritures infinies de son mythe comme des super­

stitions populaires qu'il a engendrées, il met l'accent sur ce qui le définit pour l'éternité dans la mémoire des hommes : " [ ... ] Jésus m'ordonna de

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marcher jusqu'à son retour." (Pr I, 87). Tel sera, d'une façon très générale,

le principe de fonctionnement d'un personnage apollinarien : malgré la mul­

tiplication éventuelle des qualifications, la dispersion des notations phy­

siques, morales ou des actions, il gardera une valeur première assez nette et

simple - ce qui contribuera à une certaine impression de pauvreté psycholo­

gique notamment.

Dans l'espace du récit, le personnage se constitue lentement et pro­

gressivement, selon une dynamique de dramatisation qui va du plus exté­ rieur (le portrait physique) au plus caché pour un narrateur-acteur (l'histoire

de l'autre) et au plus essentiel (le Marcheur, l'Errant qui est le trait identifi­

cateur dominant dans le mythe comme dans ce conte). La technique des­

criptive de la première séquence de présentation est remarquablement

conventionnelle. Justifié diégétiquement, le portrait suit immédiatement la rencontre, se développe selon la logique visuelle ("Je regardai l'homme.",

Pr I, 84) et forme narrativement un bloc très compact et autonome. Cette

description physique, cependant, n'épuise pas toutes les informations sur le

personnage. Elles sont complétées tout au long d'un texte ambulatoire qui

opère la découverte simultanée d'une ville et d'un acteur, et qui réduit es­

sentiellement son intrigue à cette double "visite". Les rares actions du conte

(figurant en seconde partie) n'apparaissent que comme des déploiements

obligés, des confirmations-illustrations littérales de ce qui est appris dans la présentation du personnage et dès la reconnaissance du héros mythique.

L'originalité apollinarienne de ce Juif Errant réside moins dans ses compor­

tements caractéristiques liés à la marche (même si la scène, élidée en fait,

de la coucherie "ambulante" peut surprendre), moins dans les actes diégé­

tiques donc, que dans les significations multiples qu'Apollinaire attribue à

Isaac Laquedem - significations qui sont subtilement préparées dès le por­ trait physique et la notice biographique.

Assumée par le narrateur premier, la description d'Isaac Laquedem est

fortement focalisée et modalisée. Jugements "sur le fait" du je-narré et ap­

préciations "après-coup" du je-narrant alternent ou se confondent, mais,

comme toujours, la perspective de l'acteur (son centre d'orientation ou son pôle de focalisation) reste prédominante. D'emblée ce portrait se présente sous le signe du paraître ("me parut", "son vêtement apparent") mais cette

évocation du personnage par son extérieur reste dans la logique et dans la vraisemblance d'une première perception par un je-acteur. Le discours quali­

ficatif du narrateur, pour être marqué, n'en est pas moins attendu et aisé­ ment admissible, ce qui le rend d'abord assez neutre (par exemple, "large

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chapeau" ou "lèvres épaisses") ; il fait ressortir la nomenclature de la des­ cription. À partir d'une idée-thème de personnage (triplement qualifié par "un passant", un "étranger" et "l'homme", Pr I, 84 - mais encore anonyme),

se développe une liste de sous-thèmes dans une séquence en deux temps, rythmés par la marche des personnages : d'abord l'âge ("Il me parut sexa­

génaire [ ... ].", Pr I, 84), puis le costume, pour lequel, focalisation interne oblige, les notations visuelles l'emportent, et enfin, après une remarque di­ dascalique ("Nous allions sans parler"), un gros plan sur le profil et le visage de ce compagnon d'un jour. La séquénce se clôt, après une nouvelle et très courte interruption, sur un détail du pantalon, qui renvoie, en amont, vers les vêtements du personnage. "L'effet de liste", sans tomber dans le catalogue, reste assez sensible avec des enchaînements par contiguïté et inclusion que nous avons déjà étudiés dans le cadre de la description spatiale. "Son vêtement" gouverne tout naturellement le motif du manteau (et celui du col), du pantalon (et celui du drap et du mollet), du chapeau (et du feutre) ou des chaussures (sans talons) ; de même, le visage entraîne la barbe, les moustaches, les cheveux, les lèvres et le nez. L'usage des grilles de dépli de cette nomencla­ ture manque sans doute de rigueur. Le regard du narrateur va d'abord, tra­ ditionnellement, de haut en bas mais remonte aussitôt vers le chapeau et le front qui fait transition néanmoins avec la seconde microséquence. Les pré­ dicats qualificatifs, que nous venons de dire "neutres", apparaissent pourtant très vite comme des jalons méticuleusement distribués. "Le nez proéminait, poilu et courbe." n'est que le dernier indice, le plus "typique" et le plus manifeste, d'une série assumée non seulement par le je-acteur mais aussi par le je-narrateur. Le discours modalisé, en effet, ne doit pas abuser. Seul un individu déjà informé de l'identité du protagoniste peut penser à noter "un pantalon [ ... ] assez étroit pour mouler un mollet qu'on devinait très musclé." ; a fortiori, le bruit de "pas égaux et lents comme ceux de

quelqu'un qui, ayant un long chemin à parcourir, ne veut pas être fatigué en

arrivant au but.". De plus, le je-narrant ne recule pas devant quelques notations ludiques avec ce vieillard "encore vert" qui porte manteau marron ( on pense au jeu avec le noir et les "vers" au chapitre XIV du "Poète

assassiné", Pr I, 278) ainsi qu'avec l'euphonique "mollet moulé" et

"musclé" : remarques cocasses qu'il est difficile d'attribuer à un je-acteur qui, à ce moment de l'histoire, est censé surtout être intrigué. Ce portrait met en place plusieurs isotopies concomitantes dans l'uni­ vers apollinarien : à partir du costume et du visage, se proposent des vête-

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ments, des couleurs et un blason du corps humain dont nous verrons plus loin toute la richesse. Isaac Laquedem est un homme des couleurs : vert et

marron, mais aussi noir par son chapeau et la bandelette qui entoure son

front, blanc par ses cheveux ("[...] d'une blancheur d'hermine."), violet par ses lèvres épaisses bien avant que ne se révèle, par le "débraillé", son sexe circoncis, "poteau de couleurs des Peaux-Rouges, bariolé de terre de Sienne,

d'écarlate et du violet sombre des ciels d'orage." (Pr I, 91 ). À ce que nous

ne considérons ici que comme une "grille" de la description, viennent s'ajou­

ter les séries des pièces de vêtement et des différentes composantes cor­

porelles qui ne resteront pas sans échos dans les récits à venir, ainsi qu'avec

la loutre et l'hermine, l'amorce d'un bestiaire symbolique. Dès le premier

portrait du premier conte, la description exhibe et dénonce, par les discours du narrateur aussi bien que par les notations les plus concrètes, les conven­ tions d'un réalisme étroit. La séquence accrédite, certes, le personnage,

mais, avant tout, le désigne en tant que signe à décrypter sous "son

vêtement apparent".

Le costume, et plus généralement, cette enveloppe visible de l'acteur

enferment et dissimulent, cachent mais également trahissent ce qui est en­

clos. Tel est l'effet du pantalon moulant qui, seconde peau sociale, révèle le

détail emblématique du personnage. Ce détail 1 est bien ce qui "fait marcher"

le portrait apollinarien, même quand il ne s'accompagne pas d'un commen­

taire qui explicite. Toutes les notations physiques ou matérielles ponctuelles participent ici d'une thématique de l'occultation et du mystère. Un "long

manteau" couvre le corps, un large chapeau et une bandelette, le visage et

le front. De même pour le profil du Juif Errant que le narrateur, explicite­

ment, s'efforce de "détailler" : "le visage disparaissait presque dans la

masse de la barbe, des moustaches et des cheveux démesurément longs

mais soigneusement peignés [ ...]." (Pr I, 85). Sans engager ici une étude de la symbolique apollinarienne du vêtement par exemple qui marque bien des

dualités, duplicités, déguisements ou des cheveux longs, coiffés et/ ou re­

pliés 2 , nous remarquerons surtout que cette nomenclature et ces prédicats

qualificatifs ne prennent tout leur sens que dans un au-delà de la séquence,

en tissant un réseau sémantique complexe avec le reste du texte - et l'en­ semble de l'œuvre .

1. Voir Philippe Hamon, Introduction à J'analyse du descriptif, op. cit., p. 64, et supra, le rôle du détail dans la description spatiale. 2. Voir infra, les sections «Apollinaire costumier>> ou «Les visages du corps».

710

Dans "Le Passant de Prague", nous l'avons dit à propos de la topogra­

phie et de la toponymie, tout est signe et d'abord signe de dédoublement et de frontière. Les dédoublements de personnes commencent avec la réfé­

rence, exacte historiquement, au "centenaire de Victor Hugo" . Il est peu utile d'insister sur le fait que le récit va commémorer un autre centenaire

puisque le Juif Errant, de son aveu même, est frappé, "tous les quatre-vingt­

dix ou cent ans" par "un mal terrible" (Pr I, 92) et qu'il meurt à la fin du

conte. De plus, quand il parle de la francophilie des habitants de Prague, le narrateur utilise l'expression de "sympathies bohémiennes" (Pr I, 84) , ce

qui prépare le motif de l'errance. À propos des Sokols, la remarque fausse­

ment naïve sur la gymnastique peut prendre une valeur d'indice si l'on

considère les qualités physiques d'Isaac Laquedem et surtout sa prouesse

sexuelle avec "la Hongroise tétonnière et fessue" : "Il a marché tout le temps, il marché tout le temps !" (Pr I, 91). Nous noterons enfin que toute

fête de centenaire est destinée à chanter la gloire d'un individu et donc celle

de son nom : "Sur les murs, de belles affiches annonçaient les traductions en tchèque des romans de Victor Hugo. Les devantures des librairies sem­

blaient de véritables musées bibliographiques du poète." (Pr I, 84). Le Juif Errant lui-même n'est pas peu fier de son propre "musée bibliographique"

(Pr I, 87-8) , l'inversion ironique consistant à mettre en scène une "créature" se réjouissant de ses succès de librairie1 : la gloire du person­

nage a simplement remplacé celle de l'auteur. Par une gymnastique cocasse, la valeur de la commémoration de Hugo est retournée.

Les souvenirs d'Isaac Laquedem, évoqués dans sa propre notice bio­

graphique, sont également marqués du signe du double. Il reprend deux vi­ sites munichoises, alors qu'il était "Plus jeune de près de deux siècles" pour

l'une, et même de près de trois fois deux siècles pour l'autre (Pr I, 86). La plus ancienne des visites est marquée par "deux cortèges" : le premier,

d'une ribaude aux "deux longues tresses de paille [ qui] descendaient jus­

qu'au jarrets de la belle fille." (on pense inévitablement aux "cheveux déme­

surément longs" et aux mollets du Juif Errant) ; le second, "d'un juif qu'on menait pendre", à "la tête prise dans un masque de fer" qui "simulait une fi­

gure diabolique". Le cortège grotesque et carnavalesque souligne "en abyme" les amusements sacrilèges d'Isaac Laquedem qui joue avec son

mythe ("[ ... ] je ne parcours pas un chemin de croix, mes routes sont heu-

1 . Nous sommes près alors de ces protagonistes du roman moderne qui échappent à leur statut de personnage et prennent leurs distances par rapport à leurs "créateurs" (le Christ ou les écrivains pour Isaac Laquedem).

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reuses.", Pr I , 88-9) ainsi qu'avec le type du Juif malheureux ou martyrisé

("Le nez s'allongeait en pointe, et, pesant, forçait le malheureux à marcher courbé. Une langue immense, plate, étroite et roulée complétait ce jouet in­

commode.", Pr I, 86). La figure de son double vaincu est, pour le Juif Errant d'Apollinaire, une image de sa revanche sur le Christ et sa malédiction. Il

constate un "double sacrilège" dans cette pendaison d'un Juif entouré de

deux chiens 1, "au point de vue de la religion de ces gens-là" et "au point de vue de l'humanité, car je déteste les animaux, monsieur, et ne supporte pas

qu'on les traite en hommes !" (Pr I, 86) . Par un nouveau renversement, le blasphémateur "surhumain" se fait le défenseur moral d'une race qu'il mé­ prise et d'un Christ dont il s'est libéré.

Les dates de ces séjours munichois (et, au-delà, certains chiffres qui

figurent dans ce conte) ne sont probablement pas indifférentes ; l'on ne

s'étonnera pas de retrouver des compositions de nombres symboliques. On

sait que la tradition kabbalistique permet des réductions qui ramènent à des

nombres premiers. Nous ne voulons surtout pas faire d'Apollinaire un arith­ momaniaque mais, dans cet univers juif de signes que gouverne Isaac

Laquedem, une date comme le 21 juin 1721 peut retenir l'attention 2 • 1721 donne, par réduction élémentaire, 1+7+2+1=11=2 ; de même, 1334, date de l'autre séjour munichois (1 +3+3+4= 11=2). Nous venons de voir l'impor­ tance du deux et du double. Le conte se déroule en mars 1902 ( Pr I, 83)

deux fois, par le mois (le troisième) et par la réduction de l'année (=12=3),

le nombre trois. Un souvenir amoureux à Hambourg est, à la fin du texte,

daté de 1542 (=12=3). Celui de Forli, en revanche, daté de 1267 (=16=7) ,

renverrait à un autre grand nombre sacré et totalisant, celui qui correspond

au nombre de passants, et donc au Juif Errant, le sept (de même, la date de

l'impression du livre "ultime" de Chrysostome Daedalus, 1564, c'est-à-dire

16 ou 7) . Trois et sept combinés forment un vingt-et-un que l'on retrouve

deux fois dans le jour et l'année du premier souvenir munichois. Faut-il aller plus loin ? Ce 21 est associé au 17, ce qui pourrait être sans conséquence

(ou sans plus - ou moins - d'importance que les 12, 13, 15 ou 19 qui mar­

quent les siècles des autres dates) si ce nombre n'était presque immédiate­

ment repris par une notation topographique à propos d'une maison sacrali­

sée. Après l'évocation de "ces anciennes maisons" à la Vierge, à I'Aigle, au

1. Voir à ce sujet l'interprétation de Madeleine Boisson, Apollinaire et les

mythologies antiques, op. cit.,

p. 73.

2. On pense notamment aux jeux arithmosophiques de Raymond Queneau avec les dates, dans Les Fleurs bleues par exemple.

712

Chevalier qui "conservent les signes qui les distinguaient avant qu'on ne les

eût numérotées", Isaac Laquedem fait remarquer, "au-dessus du portail de

cette dernière" demeure, la date de 172 1 (d'où l'analepse munichoise et la

mention de "la maison qui porte actuellement le numéro 1 7 de la

Marienplatz", Pr I, 85). Nous ne voulons pas nous engager dans une inter­

prétation ésotérique de tous ces nombres qui ont nourri l'imagination hu­ maine ; nous nous contenterons de remarquer que leur déambulation conduit les deux promeneurs au quartier juif, "qu'il était trois heures" quand Laquedem regarde "l'horloge de l'H-ôtel de Ville juif" ( Pr I, 88) et que,

lorsque le Juif Errant y retourne pour y mourir, il est assisté par "un vieux

juif aux yeux de prophète" qui "déchir[e] sa chemise, diagonalement" (Pr I,

93). La déchirure est signe religieux, signe de deuil, signe de mort et de fin

de texte. Ce geste sacré, cohérent dans l'univers magique du conte, réitère

celui, initial, de l'employé de la consigne de la gare. Le personnage d'Isaac Laquedem existe dans l'espace déterminé par ces deux déchirures,

constamment double et déchiré lui-même entre la tradition juive et la tradi­ tion chrétienne, entre les données de son mythe (fussent-elles variables) et

sa réécriture apollinarienne, entre le statut d'un personnage autonome et

celui d'un double glorieux et hérésiarque que le conteur se propose en un

autoportrait fantasmatique.

La notice biographique particulièrement développée, et qui vient com­

pléter le portrait physique, contient encore d'autres "signes" qui, enrichis­

sant le personnage, accentuent la cohérence de sa présentation. Dans un registre chrétien cette fois, le Juif Errant note, à propos du 17 de la

Marienplatz à Munich, la croyance liée à saint Onuphre peint sur cette mai­

son ("[ ... ] cette image a la propriété d'accorder un jour de vie à qui la re­

garde. Il est vrai que, pour moi, cette vue n'avait que peu d'utilité [... ].",

Pr I, 85). Cette remarque qui, diégétiquement, ne fait qu'accentuer la per­

plexité du narrateur toujours dans l'ignorance de l'identité de son interlocu­

teur, est, en fait, déjà un rappel d'une des notations du portrait physique. La

légende de saint Onuphre, en effet, mentionne que cet ermite du désert de Thèbes au rve siècle ne s'était coupé ni la barbe ni les cheveux pendant

soixante ans et que ceux-ci lui descendaient jusqu'aux genoux (ce qui pro­ voqua la frayeur de l'abbé Paphnuce venu lui rendre visite le jour de sa

mort). Isaac, barbu et chevelu, serait donc un Onuphre qui vit son dernier

jour (avant de renaître), qui intrigue plus qu'il n'effraie un "je"-Paphnuce, avant de le guider dans la grotte du mystère que se trouve être Prague.

713

Dans la ville sacrée, chrétienne et juive à la fois ( les deux horloges des hôtels de ville se font écho comme "à rebours"), les deux personnages pas­ sent "la Moldau sur la Carlsbrücke, pont d'où saint Jean Népomucène, martyr du secret de la Confession, fut jeté dans la rivière." ( Pr

I, 88). Le pont,

traditionnellement sacré dans les traditions merveilleuses, est ici explicite­ ment sacralisé par les "statues pieuses" qui l'ornent. Rappelons que ce saint

de Bohème (1338-1383) fut le confesseur de la cour et dut s'opposer, jus­ qu'à la mort, à !'Empereur débauché qui voulait connaître les secrets que ! 'Impératrice ( pourtant vertueuse assurent les hagiographes) avait pu confier au religieux. Pour les histoires saintes, saint Jean Népomucène est un Jean-Baptiste (son éloquence était réputée) devant un nouvel Hérode 1 . Retenons surtout, pour notre conte, deux éléments. Le premier renvoie à un

autre détail du portrait, ajouté in extremis et comme négligemment : "Je le suivis. Je vis que son pantalon était à pont."

(Pr I, 85). Il est possible d'in­

terpréter cette notation dans une perspective très symbolique ( I saac Laquedem, qui traverse les époques, franchit les temps et donc les fleuves, est une image de pont ) , possible également de mettre en rapport la parole

du Juif Errant , celle du saint Jean de Bohème et le lieu de son martyre (rappelons que Jean Népomucène, dans les croyances populaires, est invo­ qué pour protéger les ponts) . Le saint reste surtout le "martyr de la Confession", second élément i mportant. C'est à une sorte de confession, mais à une confession à rebours également, que se livre Isaac Laquedem. Sa confession est blasphématoire mais elle se fait devant un confesseur (le je­ acteur) qui ne gardera sans doute pas longtemps le silence. Le pont du martyr conduit au Hradschin où repose "la châsse d'argent de saint Népomucène" et à la chapelle "où le saint roi Wenceslas subit le martyre."

(Pr I, 89). Un même prénom, Wenceslas, relie le saint patron des

Tchèques et le persécuteur du Confesseur, ce qui implique une structure de dédoublement ( par inversion) que nous avons déjà notée dans beaucoup d'autres prénoms. De plus, l ' hagiographie retient de l ' histoire du saint du début du xe siècle, une tragique rivalité familiale avec, d'un côté les bons chrétiens, Wenceslas et Ludmilla sa grand-mère, de l'autre les idolâtres, Boleslas le frère et Drahomira la mère. Wenceslas, qui régnait, fut assassiné par son frère qui convoitait le trône et voulait rétablir en Bohème l 'ordre

1 . Fêté le 1 6 mai ; voir la Vie des Saints [... ], op. cit., p. 1 48.

71 4

païen : une lutte de double s et un fratricide sont au cœur de la chapelle sa­ crée 1 • "Le Passant de Prague" propose un "e nchâsse ment" de dédoublements

qui s'ouvre par la figure du je-narrateur qui appelle celle d'Isaac Laquedem et

qui se referme sur le je-premier. Le Juif Errant, en tant que guide et initia­

teur, conduit le "je" e n un espace de révélation où ce dernier se regarde

comme dans un miroir. Il découvre un masque de lui- même, comme Isaac

avait vu, à Munich, un Juif masqué : "[ ... ] une face aux yeux flamboyants et fous. On préte nd que c'est le masque de Napoléon." (Pr I, 89) . Ce masque,

persona tragique, est égale ment un faux visage ou un visage d'imposteur.

Dans la chapelle du vrai saint, figure, en tant qu'icône fantasmatique, un faux saint, Napoléon. On sait que ! 'Empereur, voulant s'inve nter un faux

Patron, récupéra, dans le Martyrologe romain, un obscur saint Néopolus dont

il transforma le nom en Napoléon pour une célébration le 15 août, jour de la

Vierge. Sans doute peut-on établir un réseau complexe qui relierait ! 'Empe ­

reur ( et sa thématique solaire rappelée par le pont d'Austerlitz dans

"Histoire d'une famille vertueuse [ .. . ]" ou par la "gloire" au début de "La

Chasse à l'aigle" ) , son double sombre et lunaire ( "le fils de I'Aiglon" ou le

"Roi-Vierge", "le Roi-Fou", "le Roi-Lune"), un vrai souverain et un faux saint

qui réécrit l'histoire d'un vrai saint nommé Néopolus. Le nom du martyr ro­

main ne peut que rappeler les différe ntes nea-polis qui se prétende nt villes

natales de Croniamantal ( Pr I, 242). Pour le narrateur aussi, découvrant un nouveau visage et une nouvelle vie, Prague est une Ville Nouvelle, une Rome

de l'illusion.

Le "je" est face à son "portrait douloureux" (Pr I, 89) dessiné par les

pierres de malheur. En fait, il est confronté à un double portrait : celui, fixe

et entr'aperçu dans la chape lle, et celui, mobile et constamment présent à côté de lui, d'Isaac Laquedem. Nul doute en effet que le Juif Errant ne soit

une image hyperbolisée de lui-même , une autre persona, mais qui n'est pas avouée e xplicitement comme te lle . Le narrate ur, confe sseur, est un

Népomucène qui par sa narration va trahir le secret tout en semblant le pro­ téger par un système d'e nchâ sse ments narratifs. Comme dans "Sainte

Adorata" , la vérité est dans "la châsse d'argent", et cette dernière est proche, topographique me nt e t symboliquement, du lieu du meurtre du

"frère".

1. Saint Wenceslas est fêté le 28 septembre. Voir la Vie des Saints [... ], op. cit., p. 2 84.

71 5

Le patronage de saint Jean Népomucène permet donc de considérer le récit comme une confession, à la fois authentique et sacrilège, du narrateur.

D'autres textes inaugurant des recueils ont pu être lus ainsi : on pense no­ tamment à "Zone" et à cette confession, non faite dans l'église, mais livrée

dans le poème (Po, 39). Dans les contes, c'est Isaac Laquedem qui raconte

ses voyages à travers les lieux et les siècles, mais cet éclatement spatio­

temporel est, en fait, assumé par la parole du narrateur. La double énoncia­

tion permet une mise en scène de la narration et, par le dédoublement des

je-narrés et narrants, une oscillation co.nstante entre les confesseurs et les confessés, une réversibilité des fonctions de locuteur et de destinataire, ce qui contribue à l'adéquation des personnalités.

C'est surtout en tant que double fantasmatique que la critique a inter­

prété le personnage d'Isaac Laquedem. Par le détail de son pantalon, il est

"pontife", c'est-à-dire, à sa façon "pape" et père dans une nouvelle Rome. Françoise Dininman a précisément montré son rôle de père initiatique et de

guide dans une remontée vers des temps originels 1 ainsi que la sacralisation

de son phallus2 • De même, Madeleine Boisson voit dans le Juif Errant une fi­ gure de "père puissant et protecteur"3 et de "Verge errante"4. Notons une

fois de plus que cette valeur était impliquée dès le premier portrait. La fin de

ce portrait suggérait le sexe de l'inconnu, mais de façon métonymique et el­

liptique (un "nez proémin[ent] poilu et courbe") ; ensuite (selon un passage­ éclair du haut vers le bas que nous retrouverons dans le premier portrait de

Macarée, Pr I, 2 2 8), le regard, "près d'un urinoir", fixe le pantalon à pont.

Ce sexe sera détaillé plus tard mais cette première mention annonce la

valeur phallique du personnage. Apollinaire lui-même, dans certains poèmes

amoureux, a suggéré la portée érotique du pont. L'âge (sexagénaire), par un calembour éculé, et la "verdeur" évidente du personnage confirment cette

dimension. C'est néanmoins par sa valeur philosophique et religieuse que le

Juif Errant s'autodésigne avant tout. Il est d'abord, comme le note Michel

Décaudin, "l'homme qui ne connaît pas la mort" (Pr I, 11 1 3), celui qui peut se moquer des miracles de saint Onuphre, un "témoin immortel" et "depuis

dix-neuf siècles le spectateur de l'Humanité [ ... ].". Il se flatte de se compter

dans ce cortège des I mmortels (qui traverse a ussi L 'Enchanteur

pourrissant), auquel il ajoute Napoléon et le "malheureux roi de Bavière". 1. Françoise Dininman, Du Merveilleux au mythe personnel, op. cit., pp. 1 45-9.

2 . Ibid., p. 1 80.

3 . Madeleine Boisson, Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., p. 73.

4. Ibid., p. 2 3 8-9.

716

Apollinaire, à travers le discours de Laquedem, pratique déjà et annonce le procédé de l'autocitation. Il constitue explicitement le Juif Errant comme

une image du destin du je-narrateur ("Vous-même, vous ne mourrez peut­ être pas.", Pr I, 90). Ce "je" qui raconte par sacrilège cette histoire

exemplaire d'un homme défiant la condition humaine et la loi divine, la vie

d'un premier hérésiarque d'une longue série, fait mourir son frère en hérésie. Apollinaire, hérétique héritier de la tradition littéraire du Juif Errant, joue à

être un Boleslas mais surtout un double Wenceslas, tour à tour assassin et

sainte victime : "La Vérité est que l'hérésiarque était pareil à tous les

hommes, car tous sont à la fois pécheurs et saints, quand ils ne sont pas criminels et martyrs." (Pr I, 11 8).

B. L ' I N SCRIPTION NARRATIVE DU PORT RAIT

Un personnage inaugural comme Isaac Laquedem ne peut prendre

qu'une valeur d'exemplarité tant thématique que structurale. C'est ce se­

cond plan qui nous intéresse avant tout ici, celui de la constitution de "l'effet personnage" dans l'œuvre d'Apollinaire par les "marques instables à transformations possibles (qualifications, actions)." 1 . Si le nom propre est

un point fixe d'identification et même, quand il est répété une sorte

"d'anaphore, jouant à chaque apparition le rôle d'une synthèse sémantique de tout ce qui a été dit sur et par le personnage." 2 , cette "condensation" se

trouve fréquemment complétée, confrontée à, c'est-à-dire confirmée ou

ironisée par, cette "expansion" qualificative qu'est le portrait. S'il existe une

tradition littéraire fort ancienne du portrait (portrait médiéval, classique, na­ turaliste), il importerait - avant même d'étudier son inscription narrative, son

fonctionnement comme séquence descriptive démarquée et organisée, ou

bien ses valeurs thématiques - d'envisager le phénomène même de sa pré­

sence. Décrire ou ne pas décrire un personnage est un choix analogue à celui

de nommer ou de ne pas nommer. Il est clair que l'absence de ces deux premières composantes de "l'étiquette" de l'acteur devra être compensée, sous peine de marginalisation complète, par une qualification "en action".

1 . Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op. cit., p. 1 07. 2 . Ibid., p. 1 5 1 .

717

Selon la tradition du récit de fiction, le "héros" serait celui qui bénéficierait d'une distribution cumulative de ces trois modes d'accréditation 1 .

• Apol l i n a i re portraitiste? Pas plus qu'il n'a pu être considéré comme un "descripteur" d'espaces,

Apollinaire ne peut être, globalement, qualifié de grand portraitiste. Si le portrait inaugural du Juif Errant a pu laisser croire à un usage systématique

du procédé, les contes suivants de L 'Hérésiarque et Cie infirment souvent ce

pressentiment, en tout cas pour ce qui concerne le portrait physique. Pour

une llse de Hildesheim aussi longuement décrite que sa ville natale, que de

protagonistes qui, nommés, ne sont qualifiés, corporellement et concrète­

ment, que par de très brèves notations. Il en serait de même pour le tradi ­

tionnel portrait moral qui ne se révèle fréquemment que par une (médiocre)

"psychologie en action". Le Poète assassiné ainsi que les contes écartés ou ret rouvés confirmeraient cette tendance, les protagonistes étant fréquem­

ment dépourvus de ces marques dont, paradoxalement, peuvent bénéficier certains personnages secondaires. Ainsi, dans le premier recueil, G abriel

Fernisoun n'est pas décrit alors que les charmes corporels de "la grande Nella" sont complaisamment détaillés (Pr I, 106). Comme pour la descri p­

tion des espaces ou des objets, le genre littéraire influe très naturellement

sur ce fait de présence. Même si l'on écarte comme non personnels et non

pertinents Les Trois Don Juan, l'on doit constater un plus grand nombre de

portraits "étoffés" dans des romans comme La Femme assise , La Femme

blanche des Hohenzollern ainsi que des indications programmatiques, comme on l'a vu, dans le synopsis de L 'Abbé Maricotte. Fort logiquement, ce sont les romans érotiques qui comporteront le plus grand nombre de ces sé­

quences et, que ce soit dans une fantaisie historique et sensuelle comme La

Fin de Babylone ou dans Les Onze mille verges et les Exploits, ce sont les femmes qui auront le droit aux plus grandes faveurs du narrateur descrip­

teur.

Pour qu'un "effet port rait" se produise, il convient que les informations

données sur le personnage se trouvent concent rées en un espace text uel

autonome et démarqué de l'ensemble narratif, mais également que la sé­

quence soit suffisamment détaillée pour que l'acteur ainsi désigné acquière 1 . Ibid. , p. 1 57.

71 8

une densité et une consistance humaines, au-delà d'une simple appellation.

Une large diffusion de qualifications dans un vaste espace, si elle peut pro­

duire un "effet personnage" global n'implique pas un "effet portrait" stricto sensu. Apollinaire, nous allons en voir de multiples exemples, pratique,

comme la plupart des conteurs ou romanciers, le portrait, mais celui-ci est très variable tant en "quantité" qu'en "qualité" : pour le premier aspect, il

s'agit à la fois de l'espace textuel occupé (prosaïquement, la longueur de la

séquence) et du nombre de notations (dans le même récit, dans l'ensemble

de l'œuvre narrative) ; pour le second aspect, de la densité informationnelle et qualificative ou de la richesse thématique aussi bien que stylistique.

Apollinaire peut se contenter de présentations fort sommaires (pour ne pas

dire bâclées) de ses personnages, soit en se limitant à quelques notations

physiques rapides ou en faisant référence à un vague état civil, soit en re­

courant, à propos de ces indications, à des prédicats anodins, banals et

conventionnels. Certaines "étiquettes" paraissent quasiment caricaturales

dans leur condensation informative extrême.

Le portrait élidé On ne peut manquer d'être frappé par le nombre et l'importance des

acteurs qui ne bénéficient d'aucun portrait véritable. Le genre concis du

conte ou de la nouvelle n'explique pas tout puisque certains récits courts

comportent des portraits que l'on pourrait considérer comme des modèles.

Au premier rang des personnages transparents figurerait le je-narrateur. Ce

narrateur ne juge pas nécessaire de s'autoqualifier précisément : une situa­

tion spatio-temporelle et une vague approche psychologique de ses états d'âme suffisent en général. Il est rare qu'un récit homodiégétique s'ouvre

sur une description autocentrée. Le désordre physique, matériel, psycholo­

gique défini au début du "Juif latin" est assez exceptionnel (Pr I , 100). Le

"je" ne prend consistance, ne "s'éveille" (emblématiquement) en tant que personnage que lorsqu'il entre en contact avec "l'autre". Cet "autre" est

très diversement qualifié dans les récits à narrateur-acteur comme dans

ceux à narrateur extérieur. Que ce soit dans L 'Hérésiarque et (je ou dans Le

Poète assassiné, il serait instructif (mais fastidieux) de relever tous ces per­

sonnages qui n'existent que par leur nom et leur action ou par des éléments de qualification d'une très grande sobriété. Un récit comme "L'Otmika", par

exemple, ne fait apparaître aucun portrait individualisé véritable. Au sein de

719

la troupe des danseurs, des otmikari, des Tziganes et, très généralement,

des villageois, certaines figures se dégagent, qui seront les protagonistes de

l'action mais qui n'ont pas droit à une présentation développée. Il en serait de même, dans le recueil, pour Louis Gian, pour Gaétan Gorène dont on ne

connaît que la profession et le désir d'enfant, pour l'abbé Delhonneau qui n'est présenté que par son origine géographique. Les "qualifications pres­

sées" se retrouveraient inévitablement dans l'évocation de personnages plus secondaires comme le Sénateur X... et son fils dans "Histoire d'une famille

vertueuse [ ... ]", les trois acteurs du crime dans "Un beau film", le couple

exotique dans " Un cigare romanesque" ou l'abbé Folengo et sa gouvernante

dans "La Lèpre". D'Ormesan lui-même n'est guère décrit lorsque le narrateur le rencontre : devenu à son tour narrateur de sa propre "geste", il est

contraint à la même discrétion que le "je" premier. La rapidité est davantage

sensible dans les contes qui font alterner vrais portraits et présentations

allusives. Ainsi "Que vlo-ve ?" où, après la longue séquence sur le musicien,

la qualification de Guyame Wirin et surtout celle de trois des quatre compagnons (Henri de Vieslam, Prosper le journalier et Gaspar Tassin le

chasseur) semblent bien elliptiques. L'effet est le même pour Egon après la double séquence descriptive qui ouvre "La Rose de Hildesheim [ ... ]".

Le second grand recueil et les autres contes permettraient des re­

marques analogues. Dans le conte-titre, aucune séquence autonome et dé­ veloppée de présentation ne concerne Viersélin Tigoboth, Janssen, Paponat

ou le vieux juif (nous écartons des personnages secondaires comme Mme

Dehan, Mlle Baba, le cardinal Ricottino). Pour eux, une notation profession­

nelle, physique ou un objet emblème peuvent suffire. S'ils existent d'emblée, c'est souvent par leur passé que le narrateur rappelle complaisamment 1 . Même dans les romans qui, pourtant, ont le temps et l'espace, le refus du

portrait (et d'abord du portrait physique) est sensible. Dans La Fin de

Babylone, par exemple, le mode de présentation du héros surprend ; il n'est

pas défini physiquement (pas plus que Pythagore, Dhi-Sor, Poladamastor,

Mat-Shan, Nephtali, etc.) alors que, parallèlement, le récit propose bien des

portraits féminins particulièrement charnels. Sans entrer dans un décompte

1. Faut-il continuer, et remarquer la même lacune pour David Bakar, le jeune Russe et M. Muscade, la jeune femme " adorée" par le vieillard, les femmes interpellées par Chislam Borrow ou encore le roi Arthur, le comte et la comtesse d ' Eisenberg, !'Albanais et la jeune fille ravie, Jean-Louis Mordant et sa fille, les cuisiniers Joachim Gravant et Louis Pignat, Ludovic Pandevin et Évariste Roudiol, le " c her Ludovic " , la jeune femme de " La Promenade de l'ombre" , les " artistes médicales" Miss Oie et Mlle Verinada, le soldat Sérignan, l'ami Minittique, etc. ?

720

obligatoirement di scutable, nous constaterons globalement, pour les récits

courts en tout cas, un équi libre quantitatif assez surprenant entre les deux

formes possibles - et, même quand il y a portrai t, celui-ci serait assez réduit.

L'accréditati on d'un personnage prend fréquemment la forme d'une

synthè se, en une ou deux phrases, des i nformati ons essenti elles :

I' "étiquette" qualificative y est déclinée mais l'expansion prédi cative, très

contrôlée. Différents "portraits express" de ce type peuvent être regroupés à l'ouverture d'un conte, notamment dans "La Servi ette des poètes" qui,

tour à tour, ne définit pas moins de six personnages en une même séquence

de présentati on (di sti nguée par la typographie) : le motif de l'ateli er de peintre entraîne une véritable "galerie de portraits".

Les vrais portraits · places et formes

[...] venons-en maintenant au portrait [...] (DEC, IV, 491)

À cette élisi on qualifi cati ve ou à cette condensati on des i nformations

s'opposent de nombreuses séquences descriptives authentiques : le portrait

peut être un moment privi légi é du récit apolli nari en. "En tant que des­ cri ption, le portrait subit le même «cahier des charges»" 1 que la description d'espace. Il foncti onne de la même façon mai s ne présente pas obli gatoire­

ment le même équilibre entre la nomenclature et les prédicats. Apolli naire

nous semble souvent aller plus loin dans la valeur cry pti que du détail (nous

venons d'en voir un exemple avec le pantalon "à pont" d'Isaac Laquedem) .

L'origi nalité de ces séquences (formes d'actuali sation du descri ptif) passe

par la nature du référent (l'homme ou les objets humains ou humanisés) .

Dans le récit apollinari en, elles se distinguent moi ns par l'importance, tradi ­

tionnelle, qu'elles accordent au physique des personnages que par l'ampleur

des défi niti ons temporelles, des rappels bi ographiques. De plus, le conteur­

romancier s'attache fréquemment à la descri pti on de groupes humains

(foules, cortèges) : le portrait collectif révèle exemplairement qu'un portrait

repose sur la définition d'une uni té et la suggesti on de la multi plicité. Ces

séquences descri pti ves de personnages tiendront à la fois de "la prosopo1. Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op. cit., p. 1 5 1 .

721

graphie (descript i o n extéri e u re d ' u n perso n n a ge ) ,

[de]

l'éthopée

(description du moral d ' un personnage) , [voire de ] l a prosopopée

(description d ' un être imaginaire allégorique) " 1 pour les visions de certains

acteurs. Elles tendront néanmoins, par des expansions spécifiques, à s'écar­ ter des genres canoniques, fussent-ils de tradition littéraire récente. "L'effet portrait" est part iculièrement ressenti lorsque les définitions d'un personnage, formant séquence autonome, en viennent à "se placer aux lieux stratégiques du texte" 2 que sont notamment les incipit ( du récit global

ou des chapitres) ou les explicit. Une étude des ouvertures montrerait que la

technique de l 'authentique portrait liminaire est relativement peu utilisée.

Ces séquences introductives et descriptives traduiraient exemplai rement le phénomène du "blocage", du regroupement en un seul lieu textuel valorisé, de tous les éléments de l'étiquette du personnage. C'est ainsi qu'avec le

(Pr I, 9 4- 5 ) , llse de Hildeshei m (Pr I , 1 5 8 ) , Van der Vissen (Pr I, 3 6 2 ) , Elvire Goulot (Pr I, 4 1 1 - 2) ou Vietrix (Pr I, 5 6 5- 6 ) , nous

Père Séraphin

avons, dès les premières lignes ou les premières pages, le nom, les caracté­ ristiques physiques et morales essentielles ainsi que les principaux éléments de la vie passée du héros. C'est également une longue description du cor­ tège montant vers Laghet qui ouvre "Les Pèlerins piémontais". Dans les textes composés, le procédé se retrouverait parfois au début des cha­ pitres : ainsi, avec la présentation de Tigoboth ( II ) , de Janssen (IX) et surtout avec le portrait déjà analysé de Croniamantal (X) dans "Le Poète assassiné", ou bien avec Dinosor et la chaste Suzanne au chapitre XIX de La

Fin de Babylone . Apollinaire, qui peut recourir à la description spatiale de clô­

ture d 'un récit ou d 'une séquence, ne retient guère le portrait pour boucler ses textes. Il est vrai qu'un certain nombre de ses personnages disparaissent à l'épilogue. L'absence de portrait final est aussi une conséquence de ces "évanouissements". Le portrait, quand il est proposé, correspond essentiellement à la pre­

mière apparition du personnage, même quand celle-ci ne fait pas stricto

sensu l'ouverture ; il s'inscrit donc avant tout dans une logique diégétique.

Nous venons de parler du personnage de Nella dans "Le Juif latin" : son por­ t rait callipygique est donné dès que la jeune femme entre au café la

Lorraine ; de même, chez Pertinax Restif, l es portraits de N i colas et de

Geneviève sont brossés dès que le narrateur les aperçoit. Ce qui est valable

pour les pe rsonnages seconda i res le sera i t encore p l us pour les 1 . Philippe Hamon, Introduction à l'analyse du descriptif, op. cit., p. 1 O. 2. Philippe Hamon, Le Personnel du roman [... ], op. cit., pp. 1 5 6-7.

722

protagon istes. Sur le modèle d' Isaac Laquedem, décrit dès qu'il est

rencontré par le narrateur, ou sur celui de Vibescu, qualifié dès que

commence l'action proprement dite, se proposerait toute une "galerie" : par exemple, dans Le Poète assassiné, les portraits de Mia Cecchi, Mariette,

Horace Tograth, le Roi-Lun e, la Cichin a ou Mme Muscade. Tel serait

égalemen t le cas, dan s les roman s, de la bonn e dizain e de portraits

individualisés tracés dans La Fin de Babylone, sans même parler de toutes les conquêtes féminines du jeune Don Juan ou de Vibescu, "aussitôt vues,

aussitôt prises" , et "croquées" par le portraitiste.

L'immédiateté du portrait fait écho à l' immédiateté du nom dans un

ensemble "pressé" de qualifications. Tout retard, ou tout décalage entre le

nom et le portrait, tend à un effet de valorisation. Nous avons souligné, à

propos de la dénomination, le jeu de devinette onomastique qui s'engage parfois, par exemple entre le narrateur et le chiffonnier dans "Histoire d'une

famille vertueuse [ ... ] ". Un premier effet de différé (un personnage en action

est longuement décrit avant que ne soit livré son n om, Pr I, 1 80-1 ) est ac­

centué par le fait que deux acteurs plus marginaux (les enfants) soient

nommés avant que n e se déchire l' anonymat du père puis, à propos de la

mère, par un procédé assez rare de disjonction. Le narrateur fait un rapide tour d' horizon de la bicoque et de ses habitan ts : "C' était d'abord sa femme enceinte, dont le ventre soulevait la jupe presque jusqu'aux genoux."

(Pr I, 1 82) . Malgré un éloge rapide du mari, le portrait, fort succin ct,

semble devoir en rester là. La mère est délaissée au profit de Nicolas, de

Geneviève et de Pertinax qui, racontant son histoire, révèle enfin son iden ­ tité (Pr I, 182-3) . C'est l'inceste fièrement proclamé qui donne au portrait

de "la Thamar" de Pertinax Restif (Pr I, 1 84) la dimension qu'il n'aurait pu

prendre avant ces explications. Ce qui s'était engagé comme un jeu, la quête

d'identité autant que le "jeu des portraits", se transforme en vertige moral

(qui dissimule d' autres angoisses) . À une première vision n eutre, rapide et conventionnelle de la femme enceinte, se substitue celle d'un monstre. Une

fois de plus, le masque (ici, de la grossesse) révèle une persona, la vérité

cachée du personnage, le secret de sa nature animale ("abrutissemen t",

"vertu de chienne").

La femme de Pertinax restera anonyme mais un décalage, diégétique

autant que n arratif, entre le nom annoncé et le portrait peut provoquer le même effet de dramatisation. Apollinaire, dans ses textes "composés", uti­ lise parfois le procédé romanesque facile qui consiste, à la fin d'un chapitre,

à faire arriver un nouveau personnage qui ne sera décrit qu'après l' interrup-

72 3

tion, au début du chapitre suivant. L'arrivée du voyageur hollandais, au mo­ ment du suicide de François des Ygrées, assure une transition en souplesse

entre les chapitres VIII et IX du "Poète assassiné" et tend même à dédra­ matiser le geste du "père putatif". Le portrait (le nom et la notice biogra­

phique plutôt) qui ouvre le chapitre "Pédagogie" n'est pas vraiment valorisé par ce léger retard.

Il n'en est pas de même pour l a disj onction du nom, de l 'apparition du

personnage et du portrait pour Tristouse Ballerinette. Son "Annonciation" se

fait dans l'espace sacré que constitue l'atelier de l'oiseau du Bénin. Le pre­

mier portrait, plus moral que physique et fortement contrasté 1 , est com­ plété par un second qui vient après la suggestion par Croniamantal des jeux

poétiques ou des j eux dramatiques et dans lequel l'oiseau du Bénin livre le

nom : ''Tu la trouveras au bois de Meudon jeudi prochain [ ... ]. Tu la recon­

naîtras à l a corde à jouer qu'elle tiendra à la main, elle se nomme T ristouse

Ballerinette." (Pr I, 25 8) . Tristouse est, très exactement selon les mots du

peintre, "[l]a femme à venir" dans le récit. Cet effet exceptionnel d'annonce est accentué non seulement par la longue interruption que constitue le

chapitre "Dramaturgie" (XI) mais encore par l'invisibilité du personnage de Tristouse au chapitre XII qui est, d'abord, une simple "voix de femme [qui]

chantait au loin." (Pr I, 266). Enfin, et pour un troisième portrait (physique surtout) , "Dans la clairière parut une j eune fille, svelte et brune. " (Pr I, 268) .

La dissociation entre le nom et le portrait annonce la dissociation du

portrait lui-même et son éclatement en multiples séquences. Si le portrait a le plus souvent tendance à "faire bloc" (bloc associé parfois à la description

du locus amoenus du personnage) , il se prête plus facilement, Philippe

Hamon notamment l'a montré2 , à une certaine dilution. Ses démarcations sont souvent moins nettes que pour la description spatiale. Par les notices

biographiques, il s'ouvre davantage sur le temps et donc l'action ; il peut

constamment être complété, affiné, nuancé, précisé au fil de l'intrigue. Le portrait apollinarien, s'il peut être un système clos, donné tout de suite et

une fois pour toutes, est aussi un système en expansion, instable et accep­

tant, surtout dans les récits impliquant une certaine durée diégétique, un

devenir du personnage : "l'effet portrait" est alors le fruit d'une série de microséquences.

1 . Voir i n fra, la section sur «le système oxymorique».

2 . Philippe Hamon, Introduction à l'analyse du descriptif, op. cit., p. 1 1 1.

724

L'exemple de Croniamantal serait révélateur. Après les années de for­

mation qui ne le qualifient qu'en tant qu'élève de Janssen, les notations

physiques - rares - laissent intacte l'image donnée dès le chapitre IX

"Croniamantal était, à cette époque, un bel adolescent mince et droit."

(Pr I, 251 ). Le "mal délicieux" d'un premier amour (Mariette) apporte une note psychologique conventionnelle (Pr I, 253-4). Si le portrait énigmatique

du jeune homme montant la rue Houdon donne la dimension mythique du

personnage (Pr I, 254-5), aucune séquence descriptive autonome ne vient

préciser les qualifications. Croniamantal peut se définir lui-même, mais il

proclame avant tout son statut symbolique et philosophique, soit négative­ ment dans la clairière sacrée (Pr I, 269), soit positivement et orgueilleuse­

ment devant Horace Tograth ( Pr I, 298). Une seule fois dans le récit, le

poète est décrit par un autre personnage, par Tristouse en proie à un ''désamour" rapide, qui accentue le contraste entre son amant et Paponat,

l'homme "très élégant" : "Croniamantal est laid, en peu de temps il a mangé

son avoir, il est pauvre et sans élégance, il est sans gaieté, le moindre de

ses gestes lui vaut cent ennemis." ( Pr I, 277).

Tout déroulement narratif complète inévitablement les informations

constitutives du personnage, apporte des qualifications directes ou indi­

rectes. Cependant, surtout dans les contes, quand un premier portrait a été

donné à l'ouverture, il est rare qu'un second, un troisième, comparables en

longueur ou en richesse thématique, viennent faire écho à la présentation

liminaire. Apollinaire semble donc privilégier deux techniques : l'une, qui refuse le portrait comme bloc, et qui constitue le personnage par une série de phrases (ou de groupements de phrases) disséminées tout au long du

texte (effet personnage "pointilliste" qui provient d'une synthèse a

posteriori), l'autre, plus conventionnelle, du portrait "bloqué" qui, s'il peut se

trouver ensuite confirmé par des phrases de rappel ponctuel, n'implique pas

d'autres séquences du même type. Un personnage, quand il est constitué, a tendance à rester le même ; il ne ménage donc plus de vraie surprise. Ce

que l'on peut apprendre de nouveau n'est que l'explication des données

d'une qualification de base.

La technique du portrait à l' œuvre dans les romans nous obligerait à

nuancer cette appréciation globale. Si le récit court implique une mise en

place rapide du personnel diégétique, le roman peut plus commodément

varier le rythme des entrées en scène, distiller avec plus de rete nue les apparitions d'acteurs et donc espacer davantage les portraits. De plus, pour

un personnage récurrent ( un protagoniste dont la présence est

72 5

régulièrement distribuée) , chaque action peut donner l'occasion d'un por­ trait. Certains héros, contrairement à la démarche qualificative des contes, prennent corps très progressivement. Ils ne sont, dans un premier temps, qu'un nom, une silhouette (comme Tristouse) ou une vision : le (ou les ) portrait(s) viennent plus tard. Pensons à la jeune esclave aimée par Vietrix qui n 'est d'abord q u 'une jeune fille distinguée dans un groupe et dont le corps (et les signes qu'il porte) ne sera décrit, dans des séquences auto­ nomes, que lors d'examens ultérieurs par le jeune Gaulois. Le personnage de Paméla Monsenergues, dans La Femme assise, est encore plus révélateur de cette technique et de l'amplification progressive des portraits. Pour le Frère John Taylor, étourdi par un choc violent à la tête, elle n'est d'abord (double synecdoque) qu' "un remuement de soie" et, plus précisément, une vision angélique ( "Je crus d'abord que c'était l 'ange Moroni qui se manifestait sur le champ de bataille [ . . . ].",

Pr I, 439 ) . Le missionnaire

mormon définit lui-même le caractère vague de cette apparition : " [ . . . ] je distinguai confusément les uniformes des militaires et la sil houette angélique

(Pr I, 440) . Les vraies qualifications de Paméla commencent par une notice sociologique et biographique ( Pr I, de la femme qui m 'avait secouru [ . . . ] . "

442 ) puis sont complétées lors de la description des cortèges de Salt Lake City. Parmi toutes les émigrantes, elle est "cette Française, vêtue en mate­ lot" et "capricieuse". Le portrait le plus complet (moral et social surtout) est donné dans cette démarche analeptique : "[ ... ] Paris [ ... ] où trois ans auparavant, elle avait débuté en bonnet [ . . . ]. Lointains regrets ! Elle était une grisette parmi les soldats en bordée, quelques étudiants bohèmes et les rapins. Lointains regrets ! au quartier Bréda, elle était devenue Lorette. Elle chantonnait [ . . . ] ."

(Pr I, 453-4).

Apollinaire romancier utilise aussi bien le portrait ( liminaire parfois) blo­ qué que les portraits a utonomes distribués en série (Elvire Goulot notam­ ment) ou le portrait retardé après annonce. Les Exploits d'un jeune Don

Juan s'ouvre sur une véritable "distribution des personnages " , presque comme dans un texte écrit pour le théâtre. Le personnel romanesque est pratiq uement au complet ( les acteurs secondaires à venir sont a ppelés par la définition sociale de la famille et le cadre campagnard), tous ces person­ nages bénéficiant u ltérieurement de portraits ( "statiques" ou "en action"). Certains ne seront précisément qualifiés qu'en une seule séquence, d'autres ( la mère Anna, la tante Marguerite ou même la servante Ursule ) auront droit à plusieurs blocs descriptifs complémentaires.

726

• La j ustification des portraits La valorisa tion de l'acte du portraitiste Si nommer est un acte sacré, par la naissance qu'i l entraîne et par l'ap­

propriation qu'il provoque, décrire un personnage peut être du même ordre.

Le portrait fait accéder à l'existence (a fortiori quand l'acteur n'est pas nommé) tout en s'efforçant de cerner au plus près une "essence". L'acte,

aussi banal soi t-il dans la tradition romanesque, retrouve parfois cette valeur quasi reli gieuse, en particulier lorsque le narrateur souligne l'i mportance du

moment. Le portrait, et nous retrouvons le narrateur de "Que vlo-ve ? " , est toujours un "i nstant difficile" qui impli que qu'on " pren[ ne] son courage à

deux mai ns" (Pr I, 1 51 ) . " Il s'agit [ parfois] de la gloire et [ souvent] de la beauté", mai s toujours de l'existence d'un personnage. La valori sation ou même la sacralisation de ce moment narrati f fondateur passe fréquemment

par l'ouverture même du récit (deux créati ons si multanées) . Elles peuvent également être marquées métanarrativement. 1

Le chapi tre Il de La Femme assise en donne un bel exemple. Après la

longue descri pti on de Montparnasse et de ses habi tants, i l présente en quelques lignes quatre personnages et quatre techniques de portrai t à

I' œuvre dans les récits apollinariens. Anatole de Saintari ste et sa compagne

Corail illustreraient plutôt la constitution d'un "effet personnage" global. Le

" poète et officier, blessé au bras" (Pr I , 423) ne bénéfi ci e pas d'un " portrait bloqué" dans une séquence autonome ; sa personnalité sera défi­

nie progressivement et sera synthéti sée dans le long développement sur la

"religion de l'honneur" (Pr I , 472) . Son ami e, " la joli e Corai l, rousse aux yeux noi sette", n'est pas décrite préci sément mai s sa qualificati on revient dans le texte sous forme de lei tmotiv2 • Le personnage d'Egon d'Almanfeiner

i llustre le procédé du portrait ébauché et explicitement écourté : pas de no­ tations physiques, mais une lourde hérédité suggérée dans une brève noti ce

bi ographique ("[ ... ] fils d'un fameux romanci er autrichien qui i nventa le vi ce singuli er de se sentir toujours sous le coup de poursuites judici aires.", Pr I, 422). L'intervention explicite du narrateur prépare la transition " en bascule"

1 . " Faut-il décrire" se demande en substance le narrateur de " La Promenade de l' ombre", sentant bien que tout portrait restera en deçà du mystère (P r I, 5 0 1 ) . 2 . Rappelons : " [elle] don nait dans son ensemble l'aspect d'une goutte de sang sur une épée." (P r l, 423, et, avec une légère variante, 487).

727

vers le portrait du personnage central de la séquence. Décrire ou ne pas dé­ crire, tel est ostensiblement le choix : pour Sacher-Masoch, l'élision et la

prétérition ("Son histoire ressortit à la psychopathie sexuelle et je ne m'é­

tendrai pas davantage sur son cas, ni sur celui de son fils qui doit, paraît-il,

son permis de séjour aux bontés que sa mère eut, il y a quelque vingt ans,

pour le chef d'un des partis d'opposition."), pour le protagoniste, un portrait

autocélébré ("J'aime mieux faire le portrait de Moïse Deléchelle qui, en com­

pagnie de Pablo Canouris, le peintre aux mains bleu céleste, tirait les cartes

à deux jeunes Roumaines, élèves d'une académie de croquis du quartier."

(Pr I, 422).

La valorisation de ce portrait de Canouris est marquée à un double ni­

veau. Au plan du contenu d'abord, la description tend à estomper la nomen­

clature (le corps, le ventre) au profit des couleurs ("de cendre") et surtout

des notations musicales ("[. ..] le corps, en toutes ses parties, est musical.") qui déshumanisent le personnage pour en faire, non pas analogiquement,

mais très physiquement, un violoncelle, une crécelle, un cymbalon, des

grandes orgues : très précisément, un "homme-orchestre". Ce portrait,

d'autre part, est "mis en abyme", et même doublement. L'artiste musical

est accompagné d'un peintre et s'occupe de deux jeunes femmes qui ap­

prennent le "croquis" - et donc le portrait. Tout comme la description d'es­

paces avait pu être renforcée par la présence diégétique d 'un personnel

spécialisé (les guides, par exemple) ou par la mention de lieux d'exposition (les tableaux du cloître de Laghet), le portrait appelle des peintres et des ré­

férences explicites à l'art pictural. Nous avons vu que celui de Croniamantal

au chapitre X s'ouvrait sur la description de l'atelier de l'oiseau du Bénin

"vêtu de toile bleue" (la couleur des mains de Canouris) et que son tableau était le portrait de deux femmes. Tout comme un espace devient paysage pictural, une présentation de personnage prend parfois une valeur plastique

explicitement soulignée. Cette "image" d 'un acteur va à la rencontre

d'autres images de la tradition culturelle (les boutons du gilet du Roi-Lune

qui portent "sous verre douze miniatures, portraits des douze Césars.", Pr I, 3 13 ) et surtout de la tradition artistique. Un portrait d'acteur ne peut être

que valorisé lorsqu'il est donné dans le cadre d'un musée par exemple. Tel

est le cas du masque de la chapelle du Hradschin notamment, dont la valeur

est affirmée dans "Zone" : "C'est un tableau pendu dans un sombre mu­ sée/Et quelquefois tu vas le regarder de près" (Po, 41).

Le portrait, comme toute description, tend à immobiliser l'histoire. Le

personnage se fige ; devant un regard, il devient spectacle et d'abord ta-

728

bleau. Le modèle de la référence picturale, une fois de plus, est donné par la

présentation d'llse de Hildesheim, mais dans une courte séquence légère­

ment dissociée : "Les jeunes gens [ ...] s'aimèrent. Ils se le dirent devant le

tableau de Raphaël, l'adorable Madone Sixtine, dont llse avait un peu les traits d'angélique douceur." (Pr I, 160). Des références, non textualisées

mais transparentes, à des tableaux, sont perceptibles dans plusieurs por­ traits. On sait que Salomé est, au x:rxe siècle, un motif pictural autant que

littéraire ; nous avons dit que la description de la Thamar, de Nicolas et de Geneviève formait un "tableau de famille" dans la tradition de la peinture mélodramatique et édifiante du XVIIIe siècle. Pour la famille parallèle et in­

verse des Muscade, "l'angélisme raphaélique" est une référence obligée. M.

Muscade note cependant, ce qui est un hommage in absentia à la peinture

dans le cadre d'une idéalisation de sa famille : "[ ... ] ses cheveux en tor­

sades dont on ne trouverait la teinte dans aucun tableau !" ( Pr I, 3 4 2).

C'est clairement la peinture religieuse qui est le modèle de la scène de la té­

tée du "bébé angélique" et des baisers confondus : "Ah ! quel charmant

tableau [... ]." se doit de remarquer le père. Il peut même se produire que

des portraits de personnages, non donnés dans l' incipit ou dans le

déroulement du récit, se forment miraculeusement à la fin de l'histoire.

Ainsi, à l'image du récit lui-même, le peintre Justin Prérogue est-il frappé de procrastination : il rejette à "plus tard" la description des personnages ("­

Léonard, il faudra que je fasse ton portrait [ ... ]", Pr I, 192). Le manque se

trouve miraculeusement comblé par le miracle de la serviette qui, "grâce à la saleté coagulée", présente "les traits" des quatre poètes défunts, "Sainte­

Véronique" au quadruple visage ( Pr I, 193-4 ).

Le portrait justifié par l'histoire Les allusions picturales ou iconiques, par la fixation des visages ou des

corps qu'elles impliquent, engagent la question de l'inscription des por­

traits : non seulement de la place de ces séquences dans l'espace textuel

(début, "intérieur", fin) mais de la façon dont ils sont amenés (ou non) par

l'histoire elle-même. Les trois démarches introductrices du descriptif que nous avons évoquées pour le domaine spatial seraient à nouveau valables,

mais le portrait apollinarien peut nous conduire à les préciser. Le portrait

inaugural, par exemple, atténue les exigences "vraisemblabilisantes". Si cer­ taines descriptions spatiales liminaires postulaient un regard humanisé pour

729

embrasser le spectacle ( ce "regardeur" restant très vague) , il n'en est pas de même pour les personnages présentés d 'emblée. Nul besoin de détermi­ ner qui voit le Père Séraphin ou Van der Vissen par exemple. Même s'il y a portrait physique, notation de formes ou de couleurs, la vraie question dans les récits assumés par un narrateur extérieur, est celle du savoir. La présen­ tation n'a pas à recourir à un quelconque médiateur intradiégétique. Le per­ sonnage est posé, imposé plutôt, dans son corps, son esprit, son histoire. Son acceptation par le lecteur fait partie du contrat. Le choix d'un narrateur­ acteur implique davantage une démarche j ustificative ( honorée parfois jus­ qu'à la caricature ) . Si le "je-narré" est un "regardeur" privilégié, il est aussi, faut-il le rappeler, un "écouteur" très attentif. La structure du "bavard descripteur" peut donc paraître première quand il est question du portrait apollinarien, non seulement parce que tout récit est effet de parole, non seulement parce que les contes homodiégé­ tiques avec "je" personnalisé sont aussi nombreux que les récits hétérodié­ gétiques, mais aussi parce que les métadiégèses multipliées exhibent et mettent en relief (ou en profondeur) les différents "je" autoportraitistes. Ces narrateurs enchâssés ont tous de bonnes raisons ( diégétiques et psy­ chologiques) de se définir précisément. Leurs récits autobiographiques combinent parfois autoportraits et "alloportraits" ( ce qui pose les mêmes problèmes de "compétence" que pour le "je" pre mier) ; beaux parleurs (Isaac Laquedem,G-abriel Fernisoun, etc.) ou bavards honteux et timides ( Le

vieillard de Szepeny, l'homme au masque d'aigle, etc.) , ils n'ont guère à jus­ tifier le regard qu'ils portent sur eux-mêmes. Le discours est la structure en ­ châssante privilégiée car, si un physique peut passer implicitement ou expli­ citement par un "voir", des pensées ou une vie préalable passent inévita­ blement par un "dire" : un trait psychologique doit être explicité verbale­ ment et un passé doit être raconté. Cela n'implique pas, évidemment, que ce discours s'abstienne de toute notation complémentaire de regard ou d'action quand ces narrateurs seconds font leur propre portrait ou celui de leurs semblables. Selon les récits, l'entrée en scène, prélude du portrait, se fait inopiné­

ment, sans dramatisation particulière ou, au contraire, à l'aide de marques valorisées et selon un protocole d'inscription comparable à celui de la des­ cription spatiale. Nous pourrions donc opposer les entrées en scène natu­ relles ou en souplesse ( comme celle de d'Ormesan dans "Le Guide") et qui peuvent entraîner un portrait succinct ( "Mâchonnant un cigare, il atten dait patiemment des clients.",

Pr

1, 1 9 5 ) , et, d'autre part, les entrées pré parées

730

(Isaac Laquedem) et/ou fortement dramatisées comme pour la description d' Amedeo ou surtout de la Cichina. Nous avons vu la valeur d'indice tragique du Carnier, du "bourreau invisible", de la civière et du lotto. Ce prologue

appelle un personnage encore caché, et symboliquement à l'intérieur de la

maison. Le topos de l'apparition d'un personnage mystérieux est en place avec les serviteurs de la mort ( les porteurs de la civière formant "scorpion"), le seuil fortement démarqué (lui-même occupé par un chantre féminin et dérisoire), les voix de chaque côté de la frontière magique, puis le

geste sacré : "Les porteurs frappèrent à la porte et à l 'unique fenêtre de la

bicoque [ ... ] ."

(Pr I, 3 3 1 ) 1 . La porte qui s'ouvre est l'un des topoï du des­

criptif, et ici du portrait : elle livre l 'objet ou I.e personnage et d'abord l 'en­ cadre, comme dans un tableau. Si un cadre contient spatialement d'autres

cadres spatiaux, l 'emboîtement, à l'image de celui du " Matelot d'Amster­ dam" 2 , peut conduire à un acteur emblématiquement prisonnier ( " [ ... ] pieds et mains liés, bâillonnée, une femme [ ... ] ." ,

Pr I , 1 78 ) . Porte et fenêtre ont

la même fonction, qui délimitent et découpent un espace valorisé où s'inscrit quelque Mme Muscade. L'acteur, objet de la description, est vu, est donné ou se donne en spectacle. Dans son cadre, magique autant que ludique, la Cichina joue et minaude ; tout aussi théâtrale est la présentation de l'Oberkellner dans la fête munichoise du "Poète assassiné". D'autres portraits s'inscrivent encore plus explicitement dans l'espace ou le cadre d'une représentation

: "le mari

mince comme un I et la dame enceinte de huit mois" toujours dans "Le Poète assassiné"

(Pr I, 2 3 3 ) , le "grand mannequin représentant une femme

assise et couronnée d'étoiles" du grand spectacle religieux des Mormons

(Pr I, 463 ), ou bien encore, dans un registre érotique, ceux du "beuglant chic" de Port-Arthur dans Les Onze mille verges ( "Une chanteuse allemande,

rousse, et de chairs débordantes [ ... ] . " , "quatre girls anglaises, des sisters quelconques", puis les "funambules obscènes",

Pr III, 9 2 2-4) . Telle est

également la valeur de spectacles prodigieux que découvrent certains ac­ teurs dans leurs visions et qui donnent lieu à des portraits retrouvant l'an­ tique prosopopée. Les "mille bêtes célestes et sombres" du lever de soleil du chapitre I de La Femme blanche [. .. ],

(Pr I , 9 1 9) ne sont q ue les der­

nières d'une longue série de "personnages" célestes décrits dans Alcools,

1. Voir Philippe Hamon, Introduction à J'analyse du descriptif, op. cit. , pp. 2 2462. 2. Voir, supra, l'étude d e l'espace ( chapitre 111) .

731

Calligrammes 1 ou dans les autres récits. Croniamanta l , dans l ' espace

magique et dramatisé du bois de Meudon et "en d'autres temps", ne voit-il

pas le spectacle des moines défilant "à la queue leu leu", un "spectacle de

spectres" comme le note La Forêt Gloride

(Pr I, 2 7 1 ).

Un portrait suppose souvent une immobilisation du regardeur : c'est immobiles que "deux jouvenceaux" g uettent des baigneuses q ue guette aussi Croniamantal avant de fixer, i mmobile toujours, la charmante Mariette (

Pr I , 2 5 1 - 2 ) . Les exemples de "postures favorables" et de " pauses"

marquées avant des portraits seraient aussi nombreuses q ue pour les descriptions d'espaces. Nyctor voit son attention attirée, une nuit, dans un corridor, par "une tache de l umière au trou de la serrure de la chambre de Mia". " M i l ie u transparent" et "cadre" sont complaisamment offerts : "Nyctor se baissa pour coller son œil contre cette serrure. Mais aussitôt il se mit à genoux afin d 'être placé convenablement.". Ainsi délimité, démarqué, dramatisé, etc ., le portrait est soigneusement valorisé. li passe par un dédoublement de la structure du regard, car si Nyctor regarde Mia, Mia se regarde elle-même dans une glace Nyctor vit une g lace et une jolie fille nue et rose. Tout à coup, g râce à la glace, il y eut deux filles, nues et roses. Chacune fixait amoureusement les seins tendus de l'autre. Et houp ! les jolies filles se retournèrent et ce furent deux croupes mobiles, fermes et pulpeuses qui d'abord affrontées exqu isement, se comparairaient [sic] i ncomparablement, puis s'éloignèrent avec des remuements drôles. Puis de nou­ veau, il n'y eut plus qu 'une seule Mia. L'autre s'était dissi ­ pée, s'était évanouie, de pudeur peut-être.

(Pr I, 1178)

On comprend aisément les raisons de la suppression de "cette vision érotique que la glace avait rendue sotadique" et qui n'avait pas sa place

dans un récit mythico-burlesque comme "Le Poète assassiné". Apol l inaire reprendra le motif du rut provoqué par un tel spectacle ou celui du "péché d'Onan" dans d'autres récits 2 ; il multipliera les scènes saphiques dans

La

Fin de Babylone et dans ses deux romans pornographiques. Retenons seule­ ment ici, dans la perspective du portrait, l'exemplarité des scènes de miroir,

du regard regardé par l ui-même et parfois sous un troisième regard. Ces re­ gards de Mia n'impliquent pas (s'ils créent le vertige de tout enchâssement

1 . Voir l'article de Madeleine Boisson sur les «Paysages célestes» dans Du paysage apollinarien, Actes du colloque de Stavelot 1 990, Archives des lettres modernes

246, Lettres modernes 1 99 1 , pp. 73-97. 2 . Comme dans La Femme blanche des Hohenzollern par exemple.

73 2

et l'ambiguïté érotique de deux femmes accouplées) une véritable interro­

gation sur la nature de l 'image, cet au-delà du miroir qui a nourri tant de poèmes ou de récits symbolistes. Mia n'est qu'une Narcisse coquette et sensuelle1 • Elle ne part pas à la recherche de son double. D'autres scènes de femmes au miroir auraient, dans l'œuvre d'Apolli­

naire, cette valeur philosophique, en particulier, au chapitre XII du "Poète assassiné" , celle de "Tristouse Ballerinette qui se mirait dans la source."

(Pr I, 269). Le portrait de la jeune femme ne cesse de se préciser depuis sa

première évocation dans l'atelier de 1•·oiseau du Bénin, par changement des

portraitistes (le peintre, puis le narrateur, puis Croniamantal lui-même en

style direct), par alternance des qualifications morales, physiques, esthé­

tiques. Le miroir est le lieu de cristallisation de tous ces regards et de

toutes ces définitions du personnage. C'est dans, par la source que

Tristouse découvre qu'elle aime Croniamantal (le miroir sépare le "je ne vous aime pas" et le "Je t'aimais sans le savoir." , Pr I, 269 et 71) . C'est dans la

source que Croniamantal découvre l'image de la jeune femme, dissociée de

son corps : "Revenu des autres temps, Croniamantal s'écria, avant

d'apercevoir Tristouse, et en revoyant la source :/ [ ... ] Divinité ! quelle es­ tu ? Où est ta forme éternelle ?" ( Pr I, 271) . Désormais, existent deux

Tristouse : celle qui affirme appartenir au poète et que celui-ci ne regarde

pas, mais aussi celle qui est restée inscrite au miroir, l'objet de la quête

philosophique et esthétique de Croniamantal et que l'héroïne ressent

immédiatement comme sa rivale. La source livre le vrai visage, l a vraie nature de la femme aimée

CRONIAMANTAL J'aime les sources, elles sont un beau symbole d'im­ mortalité, quand elles ne tarissent point. Celle-ci n'a jamais tari. Et je cherche une divinité, mais je veux qu'elle me pa­ raisse éternelle. Et ma source n'a jamais tari. Il se mit à genoux et pria devant la source, tandis que Tristouse, éplorée, se lamentait. TRISTOUSE Ô poète, adores-tu la source ? moi mon amant !

ô

mon Dieu, rendez­

(Pr I, 272)

1 . Les Exploits d'un jeune Don Juan présente plusieurs scènes érotiques devant un miroir, notamment avec Roger (P r 96 5 ), Kate (P r 9 80) et Mme Muller ( P r III, 9 8 8 ) .

m,

733

m,

Les deux portraits parallèles continueront à être illustrés dans le récit : la Tristouse apparente dont la frivolité et la sensualité seront marquées par le motif du vêtement ("Mode", XIII) et par son nouvel amant Paponat, la Tristouse qui seule importe pour le poète, qui est "la source" de son inspira­ tion et qui a été vue dans le miroir (une Tristouse intérieure, une image

condensant amour humain et poésie divine, Pr I, 29 9).

Ces valeurs de l'image de la femme se trouvent remarquablement confirmées par "Les Deux sacrifices". L'histoire de Lucien Daurème et de sa femme est un étonnant condensé du drame de Croniamantal autant qu'une variation sur le motif de l'amour partagé et de la "femme-tableau" ou "au miroir". Il est peu utile d'insister sur l' incipit en tant qu'ébauche (ou réécriture si ce court récit est ultérieur) du chapitre I du "Poète assassiné"

("Peu d'écrivains ont connu la gloire qui entoure Monsieur Lucien Daurème. Chacun de ses recueils de poèmes a été accueilli par un concert universel d'admiration [. . . ]."). Un mystère enveloppe la vie du héros (ce qui peut expliquer qu'aucun portrait physique ne soit donné) : "[ ... ] Lucien Daurème vit à l'écart. L'opinion, avide de détails sur l'existence des personnages célèbres, n'a recueilli que très peu de traits concernant son poète favori... On sait qu'il est aveugle [. .. ]." . Le récit d'un narrateur extérieur et omniscient révélant cette vie passée constitue le conte. Le secret du héros est lié à celui de sa femme : " [... ] les rares per­ sonnes qui sont admises dans sa maison ne tarissent point sur la douceur et l'extrême laideur de sa femme.". L'énigme est renforcée par la mention d'un tableau, dans un lieu d'exposition, qui engage une fois de plus le texte et le portrait sur la voie de la dualité : [ ... ] il y a au musée du Luxembourg un portrait daté de 1 880, peint par Gillequin, un artiste un peu oublié, qui repré­ sente une jeune femme très belle, si belle que le peintre afin de fixer ce visage admirable de face et de profil, l'a placée auprès d'un miroir tourné en biais. Ce tableau a figuré au salon de 1 881 et il fut médaillé. Le cartouche cloué au bas du cadre porte : Portrait de Madame L. D. et l'on s'accorde à dire que c'est celui de la femme du poète Lucien Daurème. Madame Daurème a donc été belle autrefois [ ... ]. L'existence du tableau dispense le narrateur de toute précision ; il se contente de noter, par des formules vagues, la beauté et le "visage admi­ rable" (ce qui ne peut que le rapprocher des visages-tableaux "raphaéliques" d'llse ou de Mme Muscade). Il s'agit, de plus, d'un portrait de femme au mi -

73 4

roir, mais un "miroir tourné en biais" pour mieux faire ressortir un dédouble­ ment au cœur d'une même beauté. Le récit de vie qui suit rend explicite, à

travers le drame du couple, l'histoire d'un couple beauté/laideur 1 . Retenons

pour notre propos, au-delà du motif de la jalousie (comme dans "La

Comtesse d'Eisenberg" notamment), ou de la vertu de l'épouse, le "double sacrifice" du monde des apparences (cécité, défiguration). Par son geste

volontaire, Lucien Daurème, comme Croniamantal dans la source-miroir, fixe

une image éternisée : "Il a conservé un souvenir immuable de la beauté de

sa femme que le temps n'a pas ridée:". De même, Mme Daurème a arrêté le temps à "cette époque où elle était adulée", une "gloire esthétique" qui "ne peut périr tant que vivra son Lucien". Ainsi, et paradoxalement, un texte qui

ne comporte aucun portrait au sens strict, révèle-t-il, par le biais du miroir,

du tableau et de "l'image mentale", la vraie valeur de ce type de séquence.

Il s'agit surtout de fixer les traits d'un personnage et, à travers ces traits extérieurs, de passer de l'autre côté du miroir et d'accéder au visage d'éter­

nité que seul l'art peut tenter de définir. La femme et l'amour qu'elle fait

naître chez l'artiste sont les lieux privilégiés de cet effort de libération des

apparences et du temps. Telle sera (ou était déjà) la leçon morale et esthé­

tique de la scène de l'atelier de l'oiseau du Bénin. Croniamantal, Lucien Daurème, Louis Derôme ou Apollinaire "de Rome" 2 sont des portraitistes de

l'invisible qui, par les traits qu'ils confectionnent dans leurs textes, par les

signes physiques, matériels ou psychologiques qu'ils utilisent, renvoient à

une image transcendante. L'artiste crée une "irréalité" des personnages au­ delà de l'enveloppe charnelle, une irréalité de la femme en particulier dont

les portraits éclatés, comme autant de "miroirs brisés" , doivent traduire

l'hypothétique vérité. Tableaux raphaéliques et tableaux cubistes sont les

modèles ou bien les contrepoints plastiques d'une démarche esthé tique

constante chez Apollinaire.

Cette quête de vérité anime de nombreux "portraits en mouvement"

qui n'ont pas tous, loin s'en faut, une valeur esthétique ou philosophique

particulièrement marquée (surtout s'ils impliquent principalement des réali­

tés corporelles). Si le portrait conduit le plus souvent d'un extérieur du per­

sonnage vers un intérieur, de l'univers du manifeste à celui du caché, les

scènes de "dévoilement", et très concrètement de déshabillage, deviennent

des illustrations fort concrètes de cette problématique. On devine que les 1 . Voir in fra, le portrait oxymorique. 2 . Voir M adeleine Boisson, Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit. , «La Saint-Louis», p. 1 50 notamment.

73 5

"travailleurs-portraitistes" seront fréquents dans les romans érotiques ; l'on pressent également selon quelle dynamique privilégiée sera déclinée la nomenclature des vêtements. La présentation de "la chaste Suzanne", dans

La Fin de Babylone,

im­

plique néanmoins un sens "constructeur" (et rare) , celui du recouvrement du corps féminin par différents atours. La toilette d'une femme est un motif pictural traditionnel ; elle peut être également un biais diégétique commode pour un portrait "en action". La séquence descriptive se développe en trois temps, avec d'abord une évocation anatomique qui rappelle d'autres por­ traits de femmes mûres dont on sait qu'elles sont "les plus c haudes" dans l'imaginaire sexuel apollinarien 1 :. Suit une description corporelle précise des appas, qui débouche sur le tra it distinctif : "[ . . . ] la femme du général Dinosor était Juive" ( Pr 1, 672) . Au portrait-tableau figé assez banal suc­ cède, plus originale et sous le signe du miroir des coquetteries ( ''Toi, Gomez, tends-moi le miroir."), une scène de toilette et d'habillage qui permet au narrateur de constituer très progressivement et très méthodiquement son personnage. La nomenclature du portrait à venir, à l'image des "menus ob­ jets de toilette" étalés sur une table, est complaisamment exhibée avant d'être reprise en mouvement dans les séquences du massage ( Pr 1, 672 ) , du peignage, du maquillage bijoux

(Pr I, 674- 5) .

( Pr I, 673 ) puis des vêtements et, enfin, des

Comme la reine devant son miroir, la description "s'étire", "s'allonge" ou "se tord" et marque "ses articulations puissantes"

(Pr I, 673 ) . À la len­

teur paresseuse d'une toilette s'oppose inévitablement l'urgence des dés­ habillages érotiques ( la longueur de celui d'Estelle Ronange dans

mille verges

n'étant que l'exception qui confirme la règle,

Les Onze

Pr III, 9 09 ). Les

exploits de Roger en fourniraient de multiples exemples, que la femme se dévête (partiellement ou complètement) d'elle-même (par exemple : "Ma mère était en jupon et l'avait retroussé jusqu'au-dessus du genou pour se

couper commodément les ongles." ; suit une description complète de la jambe,

Pr iII, 9 59-60) , ou bien, plus fréquemment, que le héros viril contri­

bue personnellement au dévoilement ( par exemple, avec l a régisseuse -

Pr

III, 974, avec Berthe -

Pr

III, 9 8 3 , ou encore avec Ursule -

Pr

III,

9 94 ) . Tous ces déshabillages pressés conduisent à des séquences descrip-

1 . " C 'était une splendide femme que l'approche de la cinquantaine n'avait pas encore éprouvée, grâce aux soins méticuleux dont elle avait toujours entouré sa beauté." (P r I, 67 1 ).

736

tives très développées textuellement et où la précision du vocabulaire cor­

porel le dispute aux analogies les plus concrètes ou les plus poétiques.

Le portraitiste Roger est un travailleur assidu des corps féminins dont il

essaie très organiquement de percer tous les secrets. Tout le récit tend à

accréditer sa compétence, à montrer comment un naïf qui se contente d'a­

bord du regard devient un praticien avant de se transformer en bavard inta­ rissable1 . C'est "pendant l'action" (Pr III, 994) que les infinies compo­ santes d'un corps se révèlent, pendant et par l'action que les portraits apol­

linariens s'enrichissent dans les romans pornographiques comme dans les

récits plus allusifs (même s'ils gardent une valeur sexuelle), plus pudiques ou plus sérieux, bref, ceux qui font preuve de "tact". La séance de tactilisme

justement, dans "Mon cher Ludovic", permet un portrait médiatisé de la

femme de l'artiste "d'une grande beauté et d'une honnêteté parfaite" car le

"modèle" est interdit d'attouchement ("Nul de nous n'aurait osé effleurer sa nudité, fût-ce dans le but d'une expérience touchant le lyrisme du contact.",

Pr I, 497). Dans l'action, les regardeurs sont des voyeurs ("[ ... ] on se rin-

çait l'œil [... ]." ; "[ ...] les yeux fixés sur le corps grassouillet et gracieux de

sa femme [ ... ]."), et sont manipulés par Ludovic. C'est également l'action de

l'étendage du linge par Mariette qui permet à Croniamantal de découvrir les charmes de la "ravissante paysanne" (Pr I, 252), ou bien encore l'action du kolo qui justifie le rapide portrait des danseurs ( Pr I, 13 7).

Il existe donc également une technique "homérique" du portrait apolli­

narien. Elle concerne surtout les personnages qui sont proposés dans les ou­

vertures in medias res, étant d'abord définis comme des passants ou des êtres en marche. Telle est la dynamique du portrait de Pertinax Restif qui

n'implique aucune immobilisation : "Un homme passa, tenant un crochet,

une lanterne sourde, et chargé d'une hotte. Je le suivis et le vis s'approcher

successivement de plusieurs boîtes à ordures où il fouillait avec son cro­

chet."(Pr I , 181 ) . C'est également la technique de la présentation de l'­ homme au masque d'aigle 2 ou bien encore le procédé de description des

pèlerins piémontais3 • Le mouvement peut donc soit rester assez vague, soit

1. Puisqu'il devient narrateur. 2. " [ ... ] mon attention fut attirée par un passant qui me dépassa en me bousculant légèrement. Il était petit de taille et une pèlerine d'officier flottait sur ses épaules. Je marchai plus vite et je le rattrapai." (P r I, 3 6 9 ) . 3 . " Les pèlerins débouchaient d e tous les chemins. I l e n venait d'essoufflés, qui avaient grimpé par la rude côte de la Trinité-Victor. Des paysannes arrivaient de Peille [ ... ] . Elles marchaient très droites [ . . . ] . De leurs mains restées libres, elles tricotaient. [ . . . ]. Des paysannes riches étaient assises sur leurs mules au sabot

73 7

prendre une forme plus précise comme pour Justin Couchot ("[ ... ] accou­

tumé à sautiller au lieu de marcher." ; "[ ...] cet infirme qui, en se prome­

nant, paraissait sauter à la corde [ ...] " , Pr I, 349) . Toute action peut définir un personnage ; le premier "geste" décrit tend à devenir emblématique : il

peut tout aussi bien précéder un véritable portrait que, sous forme concise et dynamique, en tenir lieu.

C . LES GRAN DS REGISTRES D'IN FORMATIONS

Les séquences, autonomes et démarquées, de qualification que nous

considérons ici apportent les trois grands types d'informations dont le lec­ teur a besoin pour admettre un personnage de fiction. La distribution de ces

trois séries est codifiée par la tradition littéraire qui implique que le port rait physique précède le portrait moral, lui-même précédant les comportements

caractéristiques ou la notice biographique. La question est, pour nous, de

savoir si, ou jusqu'à quel point, le portrait apollinarien se conforme à ces modèles 1 et si le conteur- romancier privilégie l'un de ces trois grands

constituants (l'exemple d'Isaac Laquedem nous a montré la précision du portrait physique, la richesse des renseignements biographiques d'une part,

l'extrême rapidité - du moins dans la séquence bloquée - des notations

d'ordre moral d'autre part).

• Qua lification matérielle des person nages Les exigences prosopographiques sont les plus conventionnelles et

Apollinaire y cède très volontiers. Aucun personnage ne semble pouvoir se passer de notations physiques, même minimes. Les qualifications les plus

sommaires tracent au moins une silhouette ou un corps "en creux". On re­

marquera que cet effacement corporel sied particulièrement aux acteurs si­ tués "aux frontières de la vie" . comme Cyprienne Vandar ou à ceux qui sont

associés au domaine des ombres (Louise Ancelette ou la jeune fille de "La

assuré. [ . . . ] . D'autres ma rchaient derrière leur mule qu'elles tenaient par la queue." (P r I, 1 64) . 1 . Mais d'où viennent-ils ? se demande en substance Philippe Hamon, Introduction à l'analyse du descriptif, op. cit., p. 1 76 .

73 8

Promenade de l'ombre"). D'une façon plus générale, sont souvent

"dématérialisés" ("dé-corporéisés" si l'on peut dire ), outre le "je" narrateur premier, ceux qui, par leur parole, évoquent un être absent (le "je" du

"Départ de l'ombre") ou imaginaire (la narratrice de "L'Œil bleu"), ceux qui

entrent en contact avec le fantastique. Cependant, même le vieillard de

"Sainte Adorata", même M. Muscade reçoivent quelques qualificatifs phy­

siques. Il faut aussi une disposition scénique particulière (la cloison dans

"Les Souvenirs bavards") pour que le corps soit entièrement gommé du

récit (la voix de Chislam Borrow est tout de même un signe "matériel" ; on

découvre, de plus, qu'il est un homme "du ventre"). Paradoxalement, si Miss

Oie ou Mlle Verinada existent (textuellement) par leur profession, sans

notation physique, leur mission médicale est justement de s'occuper des corps.

Le récit apollinarien est très souvent un récit anatomique. À

cet

égard, un texte emblème est proposé dans Les Exploits d'un jeune Don Juan, un "atlas anatomique" découvert par Roger dans la bibliothèque du

château (Pr III, 97 1 ). Le jeune séducteur ne lui prête qu'une attention

sélective ("[ ... ] la description illustrée des parties naturelles de l'homme et de la femme.", ibid. ) mais cet intérêt révèle plus généralement celui du

conteur-romancier. Les textes pornographiques impliquent, jusqu'à

l'hyperbole, l'exigence des portraits corporels. Des textes plus "médians" (les romans historiques) ou plus sérieux et plus nobles, en tout cas

davantage admis par la tradition littéraire, font apparaître la même fas­

cination. La Fin de Babylone, en équilibre (instable) entre l'obsession phy­ sique des Onze mille verges et la discrétion fréquente des contes, offrirait un bon champ d'étude. Plus de dix portraits de personnages féminins y sont donnés. À ces descriptions individualisées s'ajouteraient de nombreux por­

traits collectifs, des filles de Marseille (Pr I, 571 ) à la population babylo­

nienne, en passant par différents cortèges (par exemple, celui qui se rend à

Babylone, Pr I, 6 1 5-6). Les séquences descriptives - orientalisme sensuel

oblige - s'appliquent à détailler les charmes féminins que les costumes de

l'époque livrent plus qu'ils ne cachent. Les contes, globalement plus pu­ diques, ne renoncent pas, loin s'en faut, aux notations corporelles très di­

rectes ou très crues ("Que vlo-ve ?" ou "Le Poète assassiné" notamment) même si les précisions anatomiques ou la verdeur du langage sexuel sont

médiatisées (corrigées, excusées ?) par les exigences de la "couleur

localet", les stratégies langagières de dissimulation et, d'une façon générale, par l' humour.

739

Au-delà du strict dépli d'une nomenclatu re organique obligée et des

prédicats attendus ou spécifiques qui lui sont liés (et sur lesquels nous re­ viendrons inévitablement 1 ) , la prosopographie apollinarienne et la présenta­ tion externe des personnages sont marquées par l'importance d'éléments

connexes du corps qui, autant que les stricts traits physiques, permettent

de caractériser les acteurs. La voix serait u n exemple intermédiaire entre l'organique et son "au-delà". Le timbre en particulier individualise et devient signe du personnage2 •

Deux autres séries d'éléments matériels servent à la première qualifi­

cation des personnages, et parfois avant qu 'un véritable portrait physique ne soit donné. Il s'agit d'abord du procédé de l'objet-emblème dont le mo­

dèle pourrait être fourni par "la corde à j ouer" de Tristouse. Le détail, au sens

ici

d'accessoire

très concret,

résu me

cryptiqu ement

et

symboliquement l'acteur qui le porte. Benedetto Orfei est à peine présenté

par le narrateur que sont déjà notés, avec les papiers religieux étalés sur sa

table, les "vieu x flacons de vino santo" et surtout "certaines confiseries

romaines ou siciliennes" (Pr I, 1 1 1 ). "La guitare de Que vlo-ve ? " est, dès

l' incipit, l'emblème de "!'Hermès wallon" ; de même, sa pipe (Pr I, 1 49) . Crochet, lanterne et surtout hotte suffisent à définir socialement Pertinax

Restif. Le cigare de d'Ormesan attendant ses clients est la seule indication

concrète sur le baron dans "Le Guide" (Pr I , 1 94) ; ce goût tend à devenir

u n leitmotiv du personnage. Il est à l'origine même des mésaventures du

héros dans "Le Cigare romanesque" et l'emblème d'u n personnage

évanescent 3 comme le montre le dernier des six récits qu i lui sont

consacrés. L'obj et peut se confondre avec l'acteur lui-même, comme pour

Cyprienne et sa "plante".

1. Voir infra, la rhétorique du portrait physique. 2 . Nous avons noté son rôle dans la présentation d'llse de Hildesheim ; il contribue à l'adoucissement italianisant de la jeune Allemande (P r I, 1 58) ; de même, la " voix suave" de l'infirmière polonaise contribue à son aspect " angélique". Le langage oral, ses particularités syntaxiques, peuvent être mis sur le même plan que les notations corporelles. Pour Mia ("Son parler était lâche, mou, grasseyant, mais agréable cependant. C'est l'accent des Monégasques, dont Mia suivait la syntaxe. ", P r I, 243 ) comme pour le parler de Maud ( " [ ... ] un mélange d'a nglais, de français, de tournures belges et germaniques.", P r I, 3 9 1 ), le langage trahit à la fois une origine ethnique " hybride" et, à travers cette notation, un caractère de dualité et de fausseté : la Florence des Onze mille verges ne peut que le confirmer (Pr 945). Le narrateur du " Masque dans l'avenue" note la "voix douce" et "le timbre [ ... ] extrêmement agréable" de son interlocutrice (P r I, 543). 3 . Voir supra ( c ha pitre 1) et in fra (à propos des liaisons conte à conte dans

m,

L 'Hérésiarque et de) .

740

L'accessoire est "porté" : il est contigu au corps, comme les vête­

ments. Nous tenons là, avec cette seconde série connexe, l'une des grandes

marques distinctives de la prosopographie apollinarienne : les contes, les

récits de "L'histoire romanesque" ou La Femme assise ne cessent de décrire ou de suggérer costumes et habillements. La rancœur de Tristouse s'ac­

croche exemplairement à la pauvreté de la mise de Croniamantal. La plupart

des femmes sont, comme Salomé, "richement accoutrée[s]" (Pr I, 1 26) et

s'efforcent, même quand elles sont d'origine modeste, de paraître extérieu­ rement à leur avantage. Il nous faudra donc revenir plus en détail sur ces vêtements emblématiques des confusions autant que des identifications.

• Les q ual ifications psycholog iques Les portraits apollinariens ne semblent pas a priori accorder une grande

place aux aspects moraux ou psychologiques. Cette discrétion est normale

dans les récits qui privilégient la focalisation du "je-acteur" : le caractère de

"l'autre" est, par nature, caché ; il ne peut donc être livré d'emblée quand le portrait correspond à une toute première rencontre. Une focalisation in­

terne stricte permet tout au plus des supputations. Un portrait psycholo­

gique suppose un savoir qui ne peut être que celui d'un "je-narrant" (qui par

les informations qu'il apporte trahit du même coup sa position ultérieure par

rapport à l'histoire qu'il a vécue) ou bien, a fortiori, celui d'un narrateur om­ niscient. Même lorsqu'il peut légitimement (avec vraisemblance) ou statutai­

rement le faire, ce narrateur ne souligne guère les données morales de son

personnage. Elles sont le plus souvent induites des notations corporelles

selon une connexion physico-psychologique primaire qui renvoie aux plus

anciens portraits de la tradition littéraire.

Le portrait de la Cichina est, à cet égard, plus intéressant qui combine

les deux types d'informations, physiques, vestimentaires et de manières

d'une part, psychologiques d'autre part : "[... ] la Cichina [ ... ] parut, propre,

avec un tablier rose, empesé et festonné.". Suit un portrait physique précis (sur lequel nous reviendrons), et cette description débouche sur des consi­

dérations morales et philosophiques :

Les passions impétueuses de cette femme du peuple ne se traduisaient chez elle par aucune émotion. Elle le sen­ tait, et s'efforçait par la mobilité de la bouche, des yeux, par

741

des g estes dramatiques, de montrer la violence de ses sen­ timents auxquels elle n'obéissait pas naturell ement. Ses attitudes étaient nobles, mais étudiées. (Pr I, 332)

Cette séquence définit très précisément un caractère et un type psycholo­ gique féminins (et méditerranéens) dominés par la passion et une théâtralité sur laquelle le narrateur ne cessera d'insiter.

Essentiellement psychologique, bien que se révélant également par des

comportements, est le portrait de Maudi l'amie ang laise de ! 'Albanais "qui le

faisait souffrir comme peuvent pâtir d'amour ceux-là seuls qui appartiennent

à l'élite de l'humanité." (Pr I, 391 ). Une seule phrase définit physiquement

"Cette fille, dont l a beauté était insolente [ ... ]." . Son comportement est

qualifié d' "impudique" mais, plus que par la débauche (ou à travers la dé­ bauche) , elle se définit par sa cruauté, "dig ne" fille d'un "père, officier cruel,

condamné à mort dans l'Inde pour sévices contre les indigènes" : une fille qui en prend "à son aise" avec "le Mal" ("[ ... ] sa mère était Maltaise. " , Pr I, 392 ou Pr I , 425 ) .

L a Fin de Babylone s'ouvre sur u n portrait moral d u personnag e

principal. L'incipit, ce qui est exceptionnel, est sous forme négative et

traduit un état d'â me : "Ce fut sans enthousiasme que le jeune Vietrix

[ ... ].". Le héros est d'abord défini par ses goû ts ("Il aimait ce paysage dans

lequel il était né [ ... ]. Il aimait la capitale du pays des Parisiens et ses plaisirs.", Pr I, 5 65) et surtout par ses g oûts artistiques et littéraires ("[ ...]

il appréciait la rare qualité de l'art parisien." ; "[ ... ] il se plaisait surtout aux

controverses d'art, de philosophie et de littérature [ ... ]." ) . En fait, un trait

de caractère g lobalisant peut rendre compte du personnage : "[ . ..] sa tendance naturelle était à un dilettantisme général [ ...]. Il se laissait aller à

rêver de destinées étranges et fabuleuses." (Pr I, 5 66) . Le récit se déve­

loppera à partir de cette situation initiale psychologiquement établie, le père venant imposer l'action et le voyage réel, perturbant l'indolence d'un "jeune homme romantique".

Les portraits qui impliquent une certaine complexité et annonceraient

une certaine densité psychologique sont rares ; ils ne détermineraient, de

toute façon, qu'une intrig ue de surface. Ainsi, la présentation d'Elvire Goulot

sembl e-t-elle mettre en place un personnage assez mélodramatique de

jeune fille "séduite et abandonnée" dont le comportement futur s'explique par les infortunes de sa jeunesse. Son esprit et son caractère sont définis dans le portrait (émaillé de remarques malicieuses du narrateur) :

742

Dès l'enfance, Elvire eut un esprit délié et une mémoire remarquable. Elle n'a jamais été croyante, mais n'a jamais cessé d'être superstitieuse. Ses rêves ont toujours été tour­ nés vers les choses de l'amour. (Pr I, 412) D'emblée, Elvire est définie par son "goût", terme polysémique et synthé­

tique qui unit déterminations physiologiques et prédispositions morales, ses

"songes" et ses "rêves" qui renvoient aux "choses de l'amour". La réfé­ rence, exceptionnelle, à la "nouvelle école" (ibid. ) de Freud s'inscrit dans la

tradition apollinarienne de l'oniromancie, de l'onirocritique et de ce que le

narrateur appelle ici la "superstition". Le "goût" d'Elvire révèle un caractère ou plus simplement encore un "tempérament". Le portrait met en rapport la

légèreté et la rapidité des chevaux d'André Pétrovitch ("Ils allaient comme le

vent [ ... ].", Pr I, 411) avec I' "esprit délié" de la jeune femme ; il souligne

aussi la valeur directement sexuelle de ces Pégases modernes conduits par un cocher que l'on a dit apollinien et phallique 1 • Le goût est donc lié à une certaine nature organique ; il peut être

aussi éduqué, formé, affiné. Sous l'égide d'un médecin (Georges) et du

discours médical s'ébauche une de ces "physiologies du goût" qui étaient à la mode au XIXe siècle et qui tend ici à qualifier Elvire par sa sensualité et son homosexualité, traits dominants et explicatifs d'une personnalité. Son

comportement futur est déjà i nscri t dans le portrait liminaire (le

"mormonisme à rebours" qu'elle pratiquera n'étant qu'une conséquence quasi mécanique, selon les lois d'un déterminisme naturaliste, de données

organiques et sociologiques). Cette définition d'un personnage par les exigences de sa nature corporelle et par la formation qu'il a reçue dans un certain milieu, réfute une approche strictement psychologique. "L'esprit"

d'Elv i re n'ex iste

pas

en

soi,

indépendamment

des contrai ntes

physiologiques. Il ne peut donc pas être décrit de façon autonome. Sans que

le déterminisme soit toujours aussi marqué, le personnage apollinarien, d'une façon générale, ne bénéficiera pas d'une qualification morale spécifique.

Ces personnages sont, certes, cohérents psychologiquement (c'est

une des règles d'admissibilité du récit de fiction) mais la remarquable dis­

crétion des notations morales dans les portraits ou la rareté des remarques

de ce type dans le développement de l'histoire montrent qu'ils doivent être

interprétés autrement. Le héros apollinarien doit surtout être rapproché des

protagonistes soit des grands récits a-psychologiques ( mythes, contes po1 .Voir supra, au chapitre IV, l'analyse des prénoms d'André et de Charles.

743

pulaires) 1 , soit des récits où la définition psychologique reste secondaire ( le roman d'aventures, le roman historique, le roman pornographique), soit en­ core des récits où le caractère est avant tout "tempérament" 2 , lieu mysté­ rieux de croisement entre le corps et l'esprit. En cela, la présentation du

personnage apollinarien tient à la fois du discours médical médiéval, de celui, plus cl assique sur les "caractères" et enfin du d iscours moderne (anthropologique, sociologique, médical) qui a nourri la conception du héros de fiction au :xrx e siècle. Le personnage apol linarien oscille sans cesse entre le "cas" et le "type" : soit une pointe extrême (et le plus souvent pathologique) du pos­

sible, soit une i ndividualité qui ne prend , son sens que par le groupe auquel il se rattache, par les valeurs générales dont il est porteur. Sous ces deux formes, il prévient les tentations d' "identification-projection" du lecteur. S'il est crédible d'un point de vue réaliste (et ce n'est pas toujours le cas), il exhi be son a-normalité soit

par l ' excès,

la cari cature d ' u n trait

(psychologique) humain, soit par l'exemplarité didactique de son comporte­

ment. Ces deux aspects bien souvent se rejoignent, Apollinaire se plaisant à aller, avec l'un de ses héros, au plus loin, au plus particulier, à partir d'une donnée générale. Le journaliste ( comme le conteur-romancier) se régale du pittoresque humain apparemment irréductible, mais dont, paradoxalement, l'extrême individualité se révèle exemplaire d' une catégorie morale ou sociale. Un trait psychologique original peut révéler un groupe, une origine tout comme un langage ou une marque vestimentaire. Bien souvent, par l'entrecroisement des données physiques, morales et sociologiques, par le va-et-vient entre le particulier et le général, le portrait apollinarien semble s'inscrire dans la série de ce que, au :xrxe siècle, on ap­ pelait les " Physiologies" . Philippe Hamon en a rappelé quelques-unes qui

peuvent correspondre à certains héros apollinariens : "physiologie du flâ ­ neur" ( . . . des deux rives), physiologie du provincial (ou plutôt de l'étranger) à

Paris (Van der Vissen , Vibescu ) , du médeci n ( Kimberlin, Miss Oie, Mlle Verinada) , du joueur ( on pourrait ajouter, chez Apollinaire, une "physiologie du moine" . .. ). Des physiologies de "grisettes" ou, selon des catégories mises en place à l 'époque3 , de "loret�es" seraient également très apollinariennes 4 .

Pensons au discours sur les parisiennes du frère John T ayl�r dans La Femme 1 . La non-pertinence des analyses psychologiques pour rendre compte des actions dans "Que vlo-ve ? " est exemplaire à cet égard. 2 . Selon des critères hérités de la médecine ancienne.

3 . Ibid.

4 . Philippe Hamon, Introduction à l'analyse du descriptif, op. cit., p. 59.

744

assise et en particulier sur Paméla ("J'endoctrinai cette lorette ( ... ].", Pr I,

441), "lorette plébéienne", "émancipée" mais vivant encore "sous la puis­ sance [morale] de son père [ ... ]", Pr I, 442). Il est vrai qu'on ne saurait

s'étonner de trouver, pour définir la grand-mère, le type de discours utilisé

pour Elvire. Les lois de l'hérédité sont une constante de l'approche natura­

liste, ce que constate, avec un humour qui pourrait être celui d'Apollinaire, la première héroïne du récit : "Je crois qu'elle devait me ressembler." ( Pr I,

444).

Le déterminisme est particulièrement sensible dans les discours ethno­ logiques 1 que nous avons évoqués. Frère John Taylor constate que la "physiologie" des Françaises, leur caractère et leur tempérament les pré­

destinent à devenir Mormones : "[ ... ] elles sont ici excellentes comme

santé, travail, courage, grâce, goût, douceur et bonne humeur [ ... ]./Nulle

part la polygamie ne serait peut-être aussi utile qu'ici [ ... ].", Pr I, 440). Il y

aurait aussi un caractère-type des Allemands (voir La Femme blanche des

Hohenzollern) , des Anglais (début du "Robinson de la gare Saint-Lazare",

Pr l, 404) ou bien encore des Albanais "beaux hommes, nobles, courageux, mais ayant une propension au suicide [... ]." ( Pr I, 391). Un trait psycholo­ gique dominant est donc aussi un héritage.

• La notice biog raph ique et la qualification tempore lle Dans la constitution d'un personnage apollinarien, la notice biogra­

phique tient souvent une place prédominante et vient donner une consis­

tance à un acteur sommairement défini aux plans physique et moral. Elle

peut même précéder ces notations plus attendues : l'acteur s'inscrit alors

dans l 'histoire d'une famille, ou même d'une idéologie. Assez nombreuses

sont les ouvertures de récit qui racontent une sorte de "pré-histoire",

postulent un niveau pré-diégétique implicite (et explicatif) quand elles ne

constituent pas véritablement une diégèse première 2 • Nous limitant ici aux

biographies relativement démarquées, rattachées manifestement à une stricte séquence de présentation du personnage, et donc à son inscription

1 Rappelons cette réponse, déjà citée, d' Apollinaire à une interview pour La

Publicidad (24 j uillet 1 9 1 8) : "Il y a possibilité oui, d' obtenir le renouvellement

du roman au moyen du renouvellemnt de la psychologie. La psychologie peut se régénérer en se tournant du côté de la race dont les caractères, tantôt présentant des aspects exemplaires, tantôt montrant des expressions synthétiques, n'ont pas été assez explorés jusqu ' ici par les écrivains. Seuls Cervantes, Gogol, Molière, Dostoïevsky . . . " (P r II, 9 94- 5 ) 2 . Voir supra, l ' étude de la temporalité d es diégèses.

74 5

dans un portrait, nous remarquerons d'abord la récurrence des figures pa­ rentales ou familiales dans les séquences liminaires.

Le portrait d'llse de Hildesheim est, une fois de plus, exemplaire, qui

tend à rendre compte du charme de la jeune fille par le croisement des races

autant que par l'influence d'un milieu idyllique : "Son père, ayant été autre­

fois à l'Amérique, y avait épousé une Anglaise, puis, après des ans, était re­ venu au pays natal habiter la maison paternelle." (Pr 1, 158). Les contes explicitement familiaux ne peuvent qu'accentuer cet aspect. Nicolas et

Geneviève ne prennent leur sens que par I' «histoire» d'une famille (vertueuse), Giovanni Moroni commence son autoportrait par l'évocation

quasi simultanée de ses parents (Pr I, 3 20), M. Muscade rappelle que sa

femme "était la fille d'un maître de danse", alors que lui était orphelin. Le portrait de Théodorine est inséparable du "tableau de famille" ( Pr I, 342). 11

est vrai que, dès le second conte de L 'Hérésiarque et Cie , la présentation du Père Séraphin ne manquait pas de faire référence à son "illustre famille

bavaroise" même si les parents ne sont pas explicitement mentionnés (Pr I, 94).

La volonté d'inscription du héros dans une série historique plus géné­

rale se retrouve également dans la présentation de Benedetto Orfei. Il n'y

est, certes, pas question de parents biologiques mais d'une grande famille idéologique dont le révérend père serait l'un des derniers représentants. Il fait explicitement partie d'une "race" en voie de disparition, celle des

"hérésiarques véritables". Orfei est inséparable de l'histoire de la Catholicité

(Pr I, 110), ce qui, une fois de plus, réduit, sans la désavouer, l'originalité

du cas présenté. À travers ces personnages apparemment irréductibles, la démarche du portrait apollinarien serait de ramener l'inconnu vers le connu,

l'inclassable et l'atypique vers des catégories constituées, l'accidentel vers

le prévisible, l'avatar moderne vers une Tradition. Les traits moraux

suggérés, soit à travers des remarques spécifiques, soit à travers des notations "physiologistes", soit encore à travers les rappels biographiques,

tendent vers un nif novi sub sole en matière de comportements humains et

de caractères. Plus que par un milieu ponctuellement et sociologiquement défini, le héros se définirait par une très large diachronie : un individu,

comme un portrait n'est qu'un condensé et un instantané ; il ne demande qu'à déborder de ce cadre trop strict.

En effet, si le personnage réitère et synthétise, la séquence descrip­

tive, elle aussi, se doit de résumer tout un ensemble de traits qui, bien que

spécifiques, dépassent constamment l'individu. D'où une certaine incompa-

746

tibilité entre les exigences démarcatives du portrait stricto sensu et la no­

tice biographique. Apollinaire peut éviter le piège en élidant complètement

les origines du héros présenté. Sans même évoquer des personnages secon­ daires dont les portraits sont essentiellement physiques, nous noterons, par

exemple, que Tristouse Ballerinette est une femme sans passé personnel dans le cadre de l'histoire 1 • Quand elle est présentée par l'oiseau du Bénin,

quand elle apparaît dans la clairière, elle ne porte, par elle-même, aucun héri­

tage familial ou ethnique. Pour quelques rares personnages sans passé sug­ géré ou explicité (pensons aux héros de "La Serviette des poètes"

présentés dans l'instantanéité, ou plutôt dans l'a-temporalité de leur présence chez Justin Prérogue), que d'acteurs qui, ne fût-ce que par une

mention rapide, impliquent un lien avec un au-delà temporel de l'action

racontée. Souvenons-nous d'un Hendrijk Wersteeg qui, dans les brumes anglaises "pensait à son prochain retour à Amsterdam, à sa mère qu'il

n'avait pas vue depuis trois ans, à sa fiancée qui l'attendait à Monikendam."

( Pr I, 176) ou bien du comte et de la comtesse d'Eisenberg pour lesquels, avant que n'éclate le drame, sont rappelées les années de bonheur (Pr I, 3 87). Le début d'une histoire n'est jamais une ouverture absolue : même

quand un héros naît dans un récit (Croniamantal, Théodorine), il est déjà

inscrit dans l'histoire de ses parents ; même quand un héros surgit, il

s'accrédite ou est accrédité par le rappel de son propre passé ou d'un passé

interpersonnel. Les portraits eux-mêmes portent les mentions, les premières

ébauches de ces analepses dont nous avons vu l'importance dans les récits.

D'une simple notation biographique à une notice, d'une notice dans un

portrait à une biographie résumée, puis d'un sommaire à une biographie

quasi complète, les glissements sont incessants. Cet aspect contribue puis­ samment à la dynamique expansive de la présentation d'un personnagel

La notice biographique, en tant qu'histoire d'un protagoniste, apporte

inévitablement d'autres séries d'informations, en particulier sur l'âge et l'o­

rigine sociale ou ethnique, informations qui viennent compléter l'étiquette

liminaire. Toutes les classes d'âge sont représentées dans les récits, à

commencer par les enfants, individualisés (Croniamantal, Giovanni Moroni,

David Bakar, Théodorine, !es patients de "Traitement thyroïdien", les 1 . Relevons l'unique et rapide évocation de son passé et de sa mère dans son autoportrait (P r I, 2 7 7 ) . 2 .Nous avons déjà analysé l' expansion de l a dénomination (repère pourtant le plus sobre en principe) au-delà des formes simples (nom seul, prénom seul ou nom­ prénom). Le portrait moral, succi nct en lui-même, se prête à l'e x pa nsion généralisante du " moraliste", ou parfois du moralisateur de fantaisie.

747

enfants victimes d es adultes d ans Les Onze mille verges) ou non individualisés des cortèges ou des foules (dans "Les Pèlerins piémontais" ou

au chapitre VIII d u "Poète assassiné " par exemple) . Les jeunes adolescent(e) s sont assez nombreux dans les contes (Louis Gian, Nicolas et

Geneviève, les héroïnes de "L'Œil bleu") et dans les romans (en p articulier la jeune Anouké de La Fin de Babylone , les gamines souvent déjà fort averties

des Onze mille verges) . Si les acteurs masculins sont souvent sensibles aux charmes des très jeunes corps, certains le sont (et le narrateur lui-même)

aux attraits d 'une chair p lus é panouie. Plusieurs figures d e femmes

séduisantes de quarante/cinquante ans se proposent (qui sont, on l'a vu, souvent connotées maternellement) : rappelons la Cichina ("l'approche de la cinquantaine") , Mme Muscade ("[ ... ] âgé e de trente-huit à quarante ans"),

Suzanne Dinosor ("l'approche de la cinquantaine" à nouveau) , la mère de Roger (trente-six ans) ou Mme Muller (trente-cinq ans) notamment. Les

indications d irectes d 'â ge pour les hommes sont relativement moins fréquentes, ce qui trahit, dans l'univers apollinarien, une moindre pertinence

du critère (l'exemple de Van der Vissen, quarante-cinq ans, reste assez exceptionnel) .

D'une façon générale cependant, on ne peut qu'être frappé par la dis­

crétion des notations de ce type : un texte exemplaire comme "Le Poète

assassiné" n'apporte, en dehors des â ges de Croniamantal et d 'indications globales, aucun renseignement précis sur les autres personnages. Dans ce

conte, comme dans l'ensemble des récits, les hommes et les femmes jeunes

constituent l'essentiel d u personnel, mais cette classe est suffisamment

large et indéterminée pour accueillir aussi bien des acteurs "d'à peine vingt

ans" (le botcha) que d'autres plus â gés mais encore très actifs, vigoureux

ou séduisants. Nous verrons plus loin que c'est surtout par comparaison et contrastes que ces notations peuvent devenir intéressantes.

Disons simplement ici que, dans les récits, chaque â ge semble d'abord

garder ses valeurs morales ou esthétiques traditionnelles, lesquelles seront le plus souvent confirmées par le portrait physique. L'enfance est pureté,

innocence et beauté (le modèle de Théodorine ), même si, comme le rappelle

Mlle Verinada, "Cet â ge est sans p itié" (le jeune David Bakar accablant invo­

lontairement les joueurs malchanceux). L'adolescence est toute d'ambiguïté

(l'éveil des sens dans "L'Œil bleu") ; la jeunesse est ouverture au monde et à l'amour (llse ou Croniamantal) ; l'âge mûr, s'il est encore énergie, force vi­

tale est déjà urgence de jouir (Van der Vissen) et regret du temps passé (la

Cichina). Cette dernière notation concerne iné vitablement les vieilles per-

748

sonnes, gardiennes fidèles des souvenirs (la narratrice de "L'Œ.il bleu" , le

vieillard de "Sainte Adorata"), de la tradition et de la mémoire des peuples

(dans "L'Otmika"). Si esthétiquement la vieillesse peut être laideur (la "face desséchée" d'une vieille Tzigane), elle est également sérénité, sagesse1 et

savoir2 •

Valorisant les extrêmes, même s'ils sont peu représentés quantitative­

ment, Apollinaire s'attache aux commencements et aux fins de vie. Enfants

et vieillards sont en marge de la vie sociale ; à la fois protégés et exclus, ils sont "aux confins" du temps et même (encore, déjà) hors du temps.

L'enfance cependant est constamment menacée par la scansion du temps

qui passe (les différents âges de Giovanni ou de Théodorine sont rappelés

régulièrement dans les récits) même quand le temps n'est pas artificielle­ ment accéléré ("Traitement thyroïdien"). La vieillesse, au contraire, est un

stade de latence et de fixité. Les vieillards apollinariens passent et disparais­

sent discrètement (si l'on excepte la fausse mort d'Isaac Laquedem). Êtres

du crépuscule, ils sont aussi des ombres dont ils peuvent connaître les se­ crets (David Bakar) ; ils témoignent des "ombres vivaces" du passé. Sans

âge en fait (au-delà de cinquante ans, très rares sont les notations précises

données dans les récits), ils s'accordent à ces personnages a-temporels

(Cyprienne Vandar), intemporels, prolongés que nous avons déjà évoqués.

Le vieillard est anachronique : s'il n'a pas perdu la notion du temps comme

Justin Couchot, il embrasse, de son regard rétrospectif , les différentes

époques. Aux yeux des autres, il est une simultanéité vivante. Le Roi-Lune

condense toutes ces valeurs puisque, malgré ses soixante-cinq ans, il appa­ raît comme "Un homme au visage jeune", héros des XVIIIe (costume Louis

XVI), XIXe (le personnage historique) et xx:e siècles (février 191 2), maître du temps et de l'espace.

• La q ua l ification sociale et professionnelle Le portrait ne serait pas complet s'il ne donnait des renseignements

sur l'origine sociale ou la profession du personnage. La variété des milieux

sociaux est un des "charmes" du récit apollinarien auquel André Fonteyne

notamment a été particulièrement sensible3 • • Nous n'entreprendrons pas ici 1. Quelques vieillards salaces apparaissent néanmoins dans La Femme assise. 2 . Voir in fra, la section «Vouloir savoir [ ... ] », Chapitre VI. 3 . Apollinaire prosateur, op. cit.

749

une véritable étude de la société apollinarienne et de ses classes même si de

nombreux récits font apparaître des clivages entre l es riches et les pauvres

(le début des "Pèlerins piémontais") , le monde aristocratique et l e peuple ("Arthur roi passé roi futur") 1 , entre les citadins et les ruraux ("L'Otmika") .

La plupart des récits s e déroulent d'ailleurs dans un milieu socialement

homogène, faisant apparaître, si l'on écarte les comparses, des acteurs de

même origine sociale. Il est vrai cependant qu'Apollinaire, en particulier dans

ses contes parisiens, se plaît à évoquer des microsociétés composites (le

monde des l ettres par exemple) ou même le "demi-monde" avec les très nombreuses courtisanes ou cocottes. L'étiquette sociale des acteurs peut

se réduire à une notation généralisante, de richesse ("le vieux et riche

Tenso", Honoré Subrac "fort riche" , Macarée ayant "gagné beaucoup d'argent au baccarat", Van der V issen et son "assez grosse fortune", l'ami Minittique par exemple) ou bien de dénuement (la pauvreté est davantage

induite de l a description du cadre social qu'indiquée explicitement) comme

pour Pertinax Restif ou pour la Cichina. Ces qualifications vagues

montreraient que la situation sociale, si elle peut être une base de

comportement, une motivation parmi d'autres, n'est pas, en soi, la vraie

définition des personnages. Malgré la densité occasionnelle de la peinture de

certains milieux (surtout les milieux popul aires dans les contes) , l e récit

apollinarien ne développe pas une véritable problématique sociale. La guerre,

cependant, par les transformations qu'el le entraîne dans le tissu social, mar­

querait un certain infl échissement, dont témoigneraient l es différents "tableaux parisiens" de La Femme assise.

De nombreux portraits font donc l'économie de ce type de renseigne­

ments. Certains personnages sont manifestement de riches oisifs2 • Les

femmes ne travaillant pas (du moins les aristocrates et l es bourgeoises), il

est normal qu'elles soient seulement qualifiées par leur origine sociale, leur

statut de "fill e" , de mère-épouse ou de veuve (Simone et Marianne

Garadan). Plus précises que l es qualifications sociales (non pertinentes, in­ duites, indiquées mais dépassées par une autre signification) seraient les no­ tations concernant les métiers.

Le plus souvent, ces renseignements sur la profession exercée par les

personnages masculins sont donnés avec le nom et, parfois, avant les

premières remarques physiques ou psychol ogiques : "C'est Omer, le petit 1 . Voir supra, l'étude des titres ( chapitre 1) . . 2. Vibescu par exemple, qui liquide ses biens pour venir à Paris, ou Vietrix qui est un dandy antique.

750

tailleur." au début de "L'Otmika" (Pr I, 138) . Ce mode d'identification

immédiate est particulièrement important quand la profession est, par elle­ même, surprenante. Ainsi, pendant la guerre, les femmes se mettent à tra­

vailler et "Mlle Verinada, docteur en médecine" mérite une explication socio­ logique et linguistique (Pr I, 5 12). Nom et profession peuvent former un syntagme aussi soudé que les couples nom/prénom, titres et nom pour les

aristocrates ou les militaires, ou bien encore couleur/ cheveux dans les por­

traits physiques. Telle est la valeur des noms religieux que nous avons évo­

qués, mais aussi la structure de la qualification de Gaétan Gorène ( Pr I,

127), de Bandi dans "L'Otmika" (Pr I, 140), de Guyame, de Prosper, de

Gaspar Tassin dans "Que vlo-ve ?" {Pr I, 149), d'Hendrijk Wersteeg, de

Justin Prérogue, de Chislam Cox (Pr I, 209) dans le premier recueil de contes. L'association est parfois un peu plus distendue dans les autres

récits courts (Chislam Borrow, l'ami Méritarte) mais elle reste, dans l'ensemble, très étroite (M. Muscade, Jean-Louis Mordant, Pr I, 3 95 ;

Joachim Gravant et Louis Pignat, Pr I, 402 ; Ludovic Pandevin, Pr I, 405 ;

Louis Vedaldet). Lorsque le couple nom-profession est dissocié, c'est que

les personnages bénéficient d'une appellation professionnelle générale ("La

Serviette des poètes") ou que le métier sera analysé plus précisément

encore (Que vlo-ve ? , Pertinax Restif, d'Ormesan "guide", Beppo Moroni, le

botcha, Évariste Roudiol, le cher Ludovic, James Kimberlin).

La récurrence de cette structure de désignation d'un personnage ainsi

que l'importance diégétique des professions ont une double conséquence.

Premièrement, elles font ressortir, in absentia, les protagonistes masculins sans profession, en définitive assez rares dans les contes si l'on considère

comme des professions les métiers de la religion, les études (Egon) ou des

activités sexuelles (Louis Gian) et artistiques même vagues. Échappent seuls

à cette qualification, outre les Juifs Isaac Laquedem et Gabriel Fernisoun,

Honoré Subrac, I'Albanais et Justin Couchot (il est socialement normal que les vrais aristocrates, comme le comte d'Eisenberg, ne travaillent pas ; de même les vieillards dont nous avons parlé).

La seconde conséquence de cette récurrence est le lien qui s'établit

entre la nature supposée du personnage et sa profession. Si l'indication est liminaire, c'est qu'elle doit être également première dans l'interprétation. Le

lecteur peut a priori "faire parler" la profession comme il a fait parler les noms du personnage. Chaque métier a son signifié littéral, ses références

dans le monde social (il a une valeur classificatoire), mais il possède aussi ses connotations. Nous avons dit qu'Omer est tailleur dans un conte où

75 1

l'enjeu est la viri lité ; nous savons que d'Ormesan est chercheur d'or dans "Cox-City" : les valeurs symboliques sont transparentes. Il en sera sans doute de même pour les chiffonniers, guides, marchands de jouets, corsaires, cochers, comédiens ou autres artistes qui contribuent au "jeu des portraits" de la société apollinarienne. La prise en compte des romans conduirait à nuancer ces premières re­ marques sur les métiers. Moins pressés avons-nous dit, dans la qualification des personnages, ils pratiquent moins la structure soudée caractéristique des contes. L'espace-temps où se développent ce rtai nes i ntrigues ( !'Antiquité, les temps donjuanesques) réduit l 'importance des professions ; le genre également (le roman historique ou pornographique). Le Paris de la guerre, dans La Femme assise ou dans La Femme blanche des Hohenzollem, est un monde troublé, artificiel où ne figurent que des femmes, des soldats blessés ou des artistes en marge, un monde où le critère de la profession est devenu non-pertinent. Le synopsis de L 'Abbé Maricotte , cependant , permet de retrouver, au-delà des statuts - obligés - d'ecclésiastique ou de soldat, les principales catégories professionnelles du personnel des contes. Poursuivant une recherche engagée par André Fonteyne 1 et Françoise Dininman 2 , nous avons proposé, dans un précédent travail, une typologie des personnages des contes qui repose en partie sur le critère du métier, pour les personnages masculins en tout cas 3 • Il est clair, en se limitant aux protagonistes, que la première catégorie est celle des religieux, de tous âges, de tous ordres, de tous niveaux dans la hiérarchie ecclésiastique, de toutes les fidélités ou hérésies par rapport au dogme. L'important ici est moins d'en dresser la liste que de noter que leur état contraint le portrait , q u ' i l existe donc une nomenclature type : le n o m e t le grade, la coiffure ( pensons à celle d 'Amedeo) , le corps (plus varié en fait qu'on pourrait le penser) , la soutane (ou pl us g énéra le ment les habits) s uivi s des comportements attendus ou ( surtout) moins prévisibles. La seconde catégori e , beaucoup moins fou rn i e et très hétérogène, serait celle regroupant le négoce, les affaires et les métiers d'argent, que cette activité reste en arrière-plan (comme pour Ludovic Pandevin) ou qu'elle soit expo­ sée, .comme en vitrine ( David Bakar). La troisième serait celle des artisans, qu'ils travaillent à la campagne (comme dans "L'Otmika") ou surtout à la ville, que leur activité soit modeste ( Beppo Moroni) ou beaucoup plus rému1 . Apollinaire prosateur, op. cit., pp. 1 5-3 3 . 2 . Du Merveilleux au mythe personnel, op. cit. 3 . Le Jeu autobiographique [...], op. cit.

752

nératrice (Louis Vedaldet). Que l e récit reste allusif ou qu'il chante leurs mérites, ces artisans, du costume ou de la cuisine par exemple, deviennent

de véritables artistes. Même en évitant une extension trop l arge d u concept,

il apparaît que cette grande dernière catégorie est la mieux représentée. Elle concerne tous l es métiers de l'art, avec de vrais artistes ou des " artistes de

fantaisie". Ce sont les sculpteurs et les peintres, les pionniers de l'art nais­

sant du cinéma, les artistes de l a science et en particulier de l a médecine

miraculeuse. Les portraits ne manquent pas de mentionner les deux activités essentielles des artistes apollinariens : l es métiers d u spectacl e avec les

comédiens de tous ordres (et les femmes sont souvent d oublement comédiennes) ainsi que l e " métier" de poète, parfois ironisé (refuge de fausseté) mais surtout hyperbolisé comme une vocation mystique.

D . DU PORTRAIT AU RÔLE • Le "trait dominant" : l ' ethnie, l'aristocratie, le sexe Il ne saurait suffire de prendre acte de ces différents registres d'infor­

mations qui sont des passages obligés dans l a constitution d 'un personnage.

Toutes ces qualifications ne sont pas également distribuées, à l 'intérieur

d'un même récit comme d'un récit à l'autre. Chaque protagoniste est doté,

par le portrait ou par les notations descriptives rapides, d'attributs plus ou

moins nombreux mais qui, l e plus souvent, sont synthétisés par un trait

particul ièrement marquant. On pourrait, d 'une part, d istinguer les personnages à type de qualification uniforme (sinon unique) et, d'autre part,

les personnages à qualification polymorphe, ceux qui, en principe, devraient

avoir le plus de densité et de richesse. Dans la première catégorie pourraient entrer les différents acteurs, individualisés - nommés, ou non - des romans

érotiques d ont le seul intérêt est d 'avoir un corps avenant et prêt à l'emploi,

dans la seconde, ces personnages qui, accumul ant l es signes qualificatifs,

permettent au récit de développer dans l es directions les plus diverses (l es

" vrais" personnages de fiction).

Le personnage d u conte, ne serait-ce qu'en raison de l a restriction de

l 'espace textuel, fait l e plus souvent apparaître un type de qualification do­ minant. L'état d e rel igieux comme qual ification première n'excl ut pas

753

d'autres registres d'informations mais le système est hiérarchisé 1 . Il en va

de même pour les différents artistes, au sens strict comme au sens large. Quand elle n'est pas unique, cette qualification professionnelle tend à devenir le "pantonyme" d'un réseau de sous-qualifications qui contribuent,

explicitent, renforcent, nuancent la caractéristique première. La valeur du personnage est à chercher en ce sens ; les traits seconds, les autres

informations ne sont que "dépli" et conséquences. La plupart des portraits

des personnages sont unitaires en ce sens qu'ils sont construits autour d'un "noyau". Le

"point nodal" du personnage est fréquemment d'ordre

géographique et ethnique. La famille prend toute sa valeur de microcosme

dans le cadre d'une région, d'un pays, d'une race. Même lorsqu'il est le fruit

d'un "croisement", le personnage garde le plus souvent un trait ethnique essentiel 2 • Dès L 'Hérésiarque et Cie, et pas uniquement dans les contes

"folkloriques", Apollinaire se plaît à souligner la relation du personnage avec

son pays d'origine, que celle-ci soit marquée au plan physiologique, dans la façon de parler ou dans les comportements.

Cette mention de l'origine va souvent bien au-delà de la stricte néces­

sité narrative. André Fonteyne avait été sensible à la fréquence des person­ nages allogènes dans un milieu d'adoption (provisoire le plus souvent)

dans ce cas, la définition, l'explicitation de la nationalité de "l'étranger" se

comprend (pensons au début de La Femme a ssise , avec les Russes Nicolas Varinoff et sa sœur la princesse Teleschkine, l'albano-espagnol Canouris,

"I'Allemand" Waxheimer, etc.). Apollinaire se plaît à cultiver des différences

au sein d'une zone géographique ou linguistique que l'on pourrait croire ho­ mogène (!'Américain Chislam Borrow dans le boarding-house de Londres).

L'étranger est partout présent et pas simplement à Paris. La structure

même du "je" voyageur et touriste justifie l'attention prêtée à la nationalité

de ceux qu'il rencontre. À Paris aussi, le "je" fréquente beaucoup les étran­

gers - mais cette mention d'origine est également très fréquente dans les

récits hétérodiégétiques. Au cœur même du domaine français, le prosateur

est sensible aux particularismes des régions qui transparaissent dans les

1 . O n sait que cette catégorie, très fournie dans le premier recueil, perdure dans " Le Poète assassiné", mais pour disparaître progressivement dans les autres contes. Les Séraphin, Orfei, Delhonneau, Porporelli, Amedeo, Folengo ou autres Ricottino et Karel n'auront plus d' "héritiers" directs jusqu'en 1 9 18 avec l' abbé Maricotte (il ne faudrait ce pendant pas oublier le confesseur des Exploits ou bien les différents prêtres de La Fin de Babylone - mais il ne s'agit plus de personnages de premier plan). 2 . Nous ne revenons pas sur les cas d'llse, de Mia ou de Maud.

754

personnages. Il privilégie naturellement le type méditerranéen mais peut in­ sister, comme pour l'abbé Delhonneau, sur d'autres origines ( Pr I, 1 1 8) .

La qualification par la nationalité n'est souvent, pour Apollinaire, qu'une

forme, disons politisée, de la race. Les deux concepts de pays (de nation) et de race sont assez proches dans son esprit. Lorsqu'une nationalité exerce une influence sur un personnage, c'est, en fait, la race qui parle en lui.

Apollinaire dans la conférence sur "L'Esprit nouveau" , exalte l'esprit français

novateur. Dans ses récits, ce sont des forces plus physiologiques qui animent ses personnages. Dans le contexte politique des années 19001918, la définition d'un personnage par la race n'est pas indifférente.

Apollinaire, à l'évidence, croit à la spécificité des races, à leurs différences, à

leurs particularismes. Il y voit une des formes de la richesse du monde réel et humain. On ne sait trop cependant s'il croit plus en une "race française"

qu'en une "nation(alité)" française (ou allemande ou anglaise) . Dans l'adversité, dans les circonstances tragiques de 1914-1918, il se rapproche de Maurras et de l'Action française qu'il salue à plusieurs reprises 1 , mais la

guerre radicalise inévitablement les positions. Nous ne retiendrons pour notre propos que l'accentuation d'un concept qui est à l'œuvre dès les

premiers contes de L 'Hérésiarque et cje et qui n'est alors qu'un champ

positif de différences entre les communautés, une source d'émerveillement

pour le conteur2 • La pertinence de la qualification par la race unit donc, dans

les portraits, des personnages aussi dissemblables que Delhonneau, Que vlo­

ve ? et ses compagnons, les pieux pèlerins piémontais, la Cichina, le violent Albanais ou le patient Roudiol.

L'étude des titres des contes et romans nous a montré l'importance de

l'isotopie géographique au sein d'une isotopie spatiale plus générale3 • Dans

"Les Pèlerins piémontais" , l'isotopie titulaire est encore double (religion/province) ; elle devient unique dans "L'Aibanais". La race est

présente dans les titres qui réfèrent aux éternels errants ("Le Juif latin" ,

"Nabuchodonosor contre les Juifs"), sans même parler des personnages1 . P r I, 927 ou P r II, 996-1 000 par exemple. 2 . Dans sa conférence sur L 'Esprit nouveau [ . . . ] , Apol l inaire note que " Des différences ethniques et nationales naît la variété des expressions littéraires, et c'est cette variété même qu'il faut sauvegarder." (P r II, 946). 3 . Nations et races, on s'en souvient, sont parfois mis en exergue dès le signe liminaire ( " [ . . . ] de P ra g u e " , " [ . . . ] à Lyon" , " [ . . . ] de H ildesheim", " [ . . . ] d'Amsterdam") . Le personnage appartient à sa ville, entretient avec elle un rapport privilégié même s'il ne fait parfois que la traverser ( " Le Passant [ . . . ] " ) . De la simple situation spatiale de l'acteur à sa définition par la ville, puis par le pays et la race, les glissements sont incessants.

755

titres qui renvoient à l'histoire biblique ("Simon mage", "Mammon" ou "[ ... ]

la chaste Suzanne").

Nous avions retenu d'autres isotopies titulaires qui pourraient fournir,

en principe, d'autres registres dominants dans la définition des person­

nages ; ainsi les "titres par les titres" (de noblesse), forme de l'isotopie so­

ciale. Apollinaire se rattacherait alors à la tradition littéraire des personnages

aristocratiques, libres de tout souci matériel, et qui peuvent donc consacrer

toute leur énergie à d'autres aventures : à l'art avec la figure du dandy-mé­

cène (le prince Méretçar "un des plus riches seigneurs de Babylone" tenant

"le sceptre de la mode", "le protecteur, l'ami des gens de lettres et d'art",

Pr I, 6 28), avec les nombreuses figures d'aristocrates-artistes (de d'Orme­

san à Anatole de Saintariste) et surtout, tradition classique oblige, à l'a­ mour. Dans leur entreprise sentimentale, ils sont souvent aidés (autre

schéma très conventionnel) par leurs fidèles valets avec lesquels ils forment des couples (homogènes, hétérogènes, complémentaires) sur lesquels nous

reviendrons 1 • Mais quel est, par exemple, le trait dominant de la description

de Cornabœux ? Est-ce son rapport social de serviteur de Vibescu ou bien

sa stature colossale qui en fait un Hercule du sexe ? L 'ordre des événe­

ments dans Les Onze mille verges (la scène de la rue de Prony d'abord, puis

le "contrat" entre le maître et le valet) donne sans doute la réponse. En re­ vanche, dans Les Exploits d'un jeune Don Juan , l'organisation sociale de la

famille est davantage soulignée. Roger définit, dès l ' incipit, une famille de maîtres dans un "Château" qui a ses "dépendances", ses "communs", aussi

bien au plan des bâtiments que des personnages. Paysan(ne)s et servantes,

qui auront bien des atouts physiques, sont d'abord insérés dans un cadre social hiérarchisé. L'intrigue montrera que Roger domine d'abord l'espace

avant de réaliser concrètement, sexuellement, sa maîtrise sur l'univers ancil­ laire, à la soumission prédéterminée.

Les romans érotiques montrent qu'il est un autre type de qualification

dominante d'un personnage, le registre du sexe. Bien entendu, tous les per­

sonnages des récits sont "de sexe" masculin ou féminin ; les désignations du narrateur, les prénoms ou les marques grammaticales le définissent,

même si ce sexe organique est parfois mis en cause dans le développement de l'intrigue. Tous les portraits physiques accentuent, explicitent, nuancent (ou inversent) la dichotomie homme/femme. Cependant, il conviendrait de

distinguer d'une part, le sexe (implicite souvent) des personnages (un 1. Voir in fra, l'étude des duos et des couples (Chapitre VI).

756

homme, une femme, avec les variantes d'âge et les variantes lexicales pos­

sibles) et, d'autre part, en rapport avec l'intrigue ou les descriptions, le

"sexué" ou le "sexuel".

Laissons provisoirement de côté ces deux derniers aspects. Le premier

critère, disons strictement biologique, permettrait une classification globale

du personnel apollinarien, entraînant des analyses quantitatives (combien d' -

hommes, combien de femmes dans les récits ? ), qualitatives et compara­ tives : prédilection du prosateur pour telle catégorie de personnages, et

donc "suprématie" de l'une sur l'autre. Cette approche ne serait pas sans in­ térêt, qui montrerait une très forte prédominance des héros masculins dans

l'ensemble de l'œuvre de fiction. Dans L 'Hérésiarque et Cie, à part Salomé,

lise et, à un degré moindre Apollonia et lady Finngal, ceux que l'on appellera

commodément les personnages principaux (par leurs qualifications privilé­

giées ou leur définition comme sujets actantiels) sont des hommes . Le

Poète assassiné et les contes écartés du recueil rétablissent à peine l'équi­

libre (Macarée et Tristouse, la Cichina, Madame Muscade et Théodorine, les

pensionnaires de "L'Œil bleu", la comtesse d'Eisenberg). Les contes retrou­

vés, en revanche, ont davantage pour "sujets" les femmes (la jeune fille de

"La Promenade de l'ombre", miss Oie, Mlle Verinada, Cyprienne Vandar, sans

oublier, très liées à leurs maris ou compagnons, l'épouse de Ludovic, Simone dans "Les Épingles" ou Marianne Garadan, "l'aventurière" 1 ). Les titres par

les personnages impliquaient déjà ce déséquilibre (beaucoup moins de titres

par des qualifications, noms ou prénoms de femmes que dans Alcools). Dans les romans, au personnel inévitablement plus fourni, la tendance globale est

la même avec, pour ne nous en tenir qu'aux tout premiers rôles, Vietrix, les

trois Don Juan, Vibescu et Roger. La Femme assise (et le titre le laisse entendre) est le seul long récit centré sur la femme.

Le récit apollinarien est d'abord "affaire d'hommes", ces affaires

concernant souvent des femmes, considérées comme objets actantiels,

nous y reviendrons. La question pour nous est ici de savoir si la nature bio­

logique d'homme ou de femme peut fournir ce trait synthétique, globalisant,

caractéristique du personnage. Apollinaire s'interroge sur la nature de l'être

masculin mais questionne sans cesse la "nature féminine" : contes et ro­

mans illustrent à leur manière la phrase-leitmotiv de L 'Enchanteur pourris­

sant et montrent qu'il y a une "éternité" de la femme, une nature de la

1 . Nous avons dit que la guerre jouait son rôle dans cette promotion du personnel féminin.

757

femme à jamais "différente" de celle de l'homme 1 • Dans une démarche de

type assez classique, le prosateur peut tenter de définir la femme sub spe­

cie aetemetatis, la moralité finale de La Femme assise en étant la meilleure

illustration ( Pr I, 494). Ainsi Elvire, mais aussi Macarée, Tristouse et bien d'autres pourraient-elles être "femmes" avant d'être peintres, comédiennes,

etc. : une définition qui transcende et unit tous les autres registres qualifi­ catifs et qui leur donne leur véritable dimension.

Les personnages les plus riches, selon la tradition romanesque en tout

cas, seraient ceux qui ne se réduisent pas à une qualification unique ou hé­

gémonique, qui présenteraient un équilibre, quantitatif ou qualitatif, entre

les traits physiques, moraux, sociaux, ethniques... Il est vrai qu'il est difficile de réduire un Que vlo-ve ? à son seul statut de poète, de wallon ou d'amant

éventuel de la Chancesse, qu'il n'est pas suffisant de dire que Benedetto

Orfei est un hérésiarque ou, a fortiori, que Tristouse est une femme. Le

portrait emblématique du Juif Isaac Laquedem nous a montré la richesse des

lignes informatives et la polysémie qu'elles permettent. On ne sait trop s'il faut d'abord retenir la crasse ou le métier de chiffonnier pour Pertinax Restif

(l'aventure de sa hotte gouverne l'histoire), sa définition par l'hérédité (de

l'empereur Pertinax à Restif de La Bretonne) ou par sa vertu de l'inceste en

famille (c'est-à-dire une qualification dominante physique, sociale, biologique

ou morale). Apollinaire, même dans ses récits courts, peut construire des personnages relativement denses, accumulant des déterminations en

parallèle qui sont autant de points de départ pour des analyses ou des

interprétations également valables. La lecture d'un personnage comme

Horace Tograth nous le montrerait : il combine les qualifications

professionnelle, linguistique, géographico-ethnique, corporelle, sexuelle et

une dimension prophétique et mystique. Il en serait de même, dans les

romans, pour un Vietrix, défini par sa famille (fils "indigne" d'un riche indus­

triel), par son origine spatiale (l'île de Lutèce), son amour des arts, sa sen­

sualité, son goût (forcé) de la découverte, etc.

Le personnage apollinarien n'est pas aussi "plat" qu'on le dit parfois,

ou bien il ne l'est que par rapport à une esthétique de l'écriture de fiction

qui n'est pas celle du prosateur. Ses héros peuvent être considérés comme des fiat characters, selon l'expression de la critique anglo-saxonne, en ce

sens que l'auteur se contente le plus souvent d 'une accréditation

psychologique élémentaire. La psychologie ne l'intéresse que dans la mesure 1 . Tel est le thème central de la sixième section de I' Enchanteur, lors du dialogue entre Merlin et la dame du lac ( P r I, 6 6-7 2) .

758

où elle peut révéler un au-delà (de la race comme de l'esprit humain) , que lorsqu'elle est "en action" et très concrètement dynamise cette action.

• VALEUR FONCTIONNELLE DES PORTRAITS La véritable hiérarchisation des registres s'opère, en effet, selon un cri­

tère de fonctionnalité. Certains traits; qui peuvent être développés textuel­

lement, resteront décoratifs (même s'ils ont une valeur symbolique) s'ils ne débouchent sur aucune phase d'intrigue, s'ils ne sont relayés par aucun élé­

ment d'action. Peu importerait que le botcha de "La Favorite" soit un ma­

noeuvre (qualification professionnelle) si ce métier n'impliquait, avec son

âge ("à peine vingt ans") et son caractère ("orgueilleux", "jaloux") , la vio­

lence de son comportement (n'oublions pas non plus l'énergie qui, pour Apollinaire, est la marque des hommes méditerranéens) et le piétinement

tragique de l'épilogue. Un épisode des Onze mille verges précise la fonction­

nalité du trait professionnel. L'une des multiples mésaventures de Katache

est causée par un "horrible botcha, c'est-à-dire un aide-maçon piémontais"

(Pr III, 949) : même violence chez les "deux" hommes, la ceinture de cuir

remplaçant les chaussures - sans doute cloutées comme dans "Giovanni

Moroni" - de l'amant de la Cichina. Dans le roman érotique, le métier est

explicatif de la clôture de la séquence : "Je fus vengé aussi car le botcha tomba d'un échafaudage en se brisant le crâne [ ...] ." (Pr III, 950).

Chaque élément du portrait et chaque grand registre d'informations

ouvrent un "possible narratif" que le récit actualise ou non. Si l'on prend le cas des religieux dans les premiers contes de L 'Hérésiarque et

de,

la

caractéristique donnée dans les portraits est immédiatement confirmée,

"l'horizon d'attente" est bien satisfait : le Père Séraphin, Benedetto Orfei et

l'abbé Delhonneau se préoccupent effectivement de religion ; tous les

prêtres, abbés, moines, etc., des récits apollinariens exercent leur fonction

religieuse, sont dans des lieux religieux (fonctions et lieux pouvant ne pas se conformer à l'attente du lecteur, mais cela est une autre question). L'état

ecclésiastique, quelle que soit la façon dont il est assumé, est toujours une qualification pertinente fonctionnellement. Tel n'est pas toujours le cas des

métiers ou du rang dans la société. Qu'un armateur comme Jean-Louis Mordant se venge, par un combat naval, de la perte de ses bateaux et de la

mort de sa fille, quoi de plus normal diégétiquement. En revanche, que

759

Pétrovitch soit grand-duc ou comte, Breziansko, général ou non, cela n'a guère d'incidence sur l'action , et reste très marginal dans la définition des personnages. Qu 'ils soient russes et vicieux semble beaucoup plus impor­ tant.

Race,

territoire

et

action

Comme pour le statut social , les qualifications de nationalité ne sont pas systématiquement pertinentes : ainsi les deux personnages hollandais du "Matelot d'Amsterdam" et de "La Rencontre au cercle mixte". S'il i mporte q u e H endrijk Wersteeg soit matelot, peu importe pour le déroulement de l ' h istoire qu'il soit d'Amsterdam ; le piège attend un voyageur indifférencié. C'est l'âge, le tempérament de Van der Vissen, son bes o i n

de

d é pense

( phys i q u e et fi n a n c i ère)

q u i e x p l i q uent son

empressement à venir à Paris, pas un trait de sa nature de Hollandais ( i l pourrait être indifféremment Roumain, pourvu qu'il soit riche et sensuel). Il y a, certes, un "type" des prélats italiens mais leur mollesse, leur sensualité (rentrée, déviée) tient plus à leur état ecclésiastique qu'à leur "italianité". Même lorsque l 'action est située à l'étranger, le critère n'est pas toujours pertinent : faut-il obligatoirement que le vieillard de Szepeny soit Hongrois pour que "fonctionne" un conte comme "Sainte Adorata " ? Il existe donc, au plan de l ' ancrage géographique, de l 'inscription dans une race, un type "neutre " , celui des personnages sans qualification ou sans qualification fonctionnelle ( nous le répétons, cela ne veut pas dire sans i ntérêt thématique, symbolique, comme Madeleine Boisson a pu le montrer pour la figure du "voyageur hollandais" 1 , comme nous l 'avons suggéré pour les personnages américains, australiens, etc.) . Le type neutre par excellence peut être le Français, indistinct, sans "enracinement" (pour reprendre un terme de l 'époque) dans une région, une terre particulières - et le plus souvent dans ce "terrain neutre" qu'est également Paris. Le critère ethnique est cependant fonctionnel dans la plupart des cas, bien qu'il puisse l'être à des degrés divers. Certains contes développent le discours ethnologique direct et font du personnage et de son histoire une application quasi mécanique de ces théories. Le critère qualificatif de la na­ tionalité ou de la race devient particulièrement important dans les situations 1 . Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit.

760

d'opposition. "L'Aibanais" est un conflit de races puisque le héros masculin subit "l'ennui de vivre" (le mal d'amour) avec une Anglaise avant de retrou­

ver la vigueur de sa race en ravissant une jeune Allemande de Cologne.

L'intrigue de "L'infaillibilité" est entièrement fondée sur l'originalité ethnique

de l'abbé Delhonneau, Autunois, Celte de l'antique Bibracte "et dans les

veines [duquel] il ne coule point de sang latin [ ...]" (Pr I , 119) : un héros tout trouvé pour le "pur gallicanisme" 1 (Pr I, 122). La confrontation des races, et leur définition, se font parfois sous le

signe d'une simple émulation-concurrence, plus souvent sous le signe de la

violence avec la forme extrême du conflit armé. "le Robinson de la gare Saint-Lazare" illustrerait la forme la plus sereine et la plus intellectuelle de

cette mise en parallèle (forme du "concours"-devinette : qui sont les plus

"flegmatiques" des Anglais ou des Français ? La réponse opère le

renversement de l'opinion commune, Pr I, 404). Mia la méditerranéenne fait

souffrir le très parisien François des Ygrées, les très parisiennes Culculine et

Alexine épuisent le Roumain Vibescu. Les Onze mille verges, mais aussi La

Femme assise, La Fin de Babylone et l'ébauche de La Femme blanche des

Hohenzollern confrontent les races dans des guerres qui, dans les contes, ne

sont évoquées sous cet aspect que dans "la Noël des Milords". La guerre

russo-japonaise, si elle permet à Vibescu de goûter, dans les bordels de

campagne, aux charmes de toutes les nationalités, permet aussi à l'infir­ mière polonaise de venger sa race. Vietrix goûte aux mêmes plaisirs avec

des esclaves ou courtisanes de toutes races pendant son voyage et son sé­

jour à Babylone, avant que la race vigoureuse des Mèdes et des Perses ne vienne détruire les mollesses et décrépitudes babyloniennes (mais le Celte trouve le bonheur avec la petite Ibère). Dans l'un de ses derniers textes,

écrit pendant la guerre, Apollinaire se livre à l'une de ses ultimes définitions

du personnage par sa race. La figure de I'Allemand de La Femme blanche

des Hohenzollern, cette hyperbolisation du mal, doit être replacée dans son

contexte historique mais confirme, en tout cas, une structure du portrait.

1 . La nature et la valeur de la race ressortent par contrastes, comme c'est le cas dans le grand défilé des Mormôns et Mormones. Nous verrons à ce point de vue le rôle distinctif et individualisant des vêtements, ceux des hommes et surtout des femmes de toutes les nationalités et la mise, le comportement originaux de Paméla, la petite Française ( P r I, 446-7). C ' est " l'étranger" , le frère John Taylor, qui le premier avait souligné la valeur "synthétique" de la grand-mère d'Elvir e dans son développement (digression) sur " les femmes françaises" destinées à ses yeux à entrer dans le système polygame, race dont Paméla est le plus beau spécimen ( P r I, 440).

761

Les qualifications géographiques, ethniques et même, à un degré

moindre il est vrai, professionnelles ou sociales, impliquent un attribut supplémentaire commun à la plupart des personnages : ce que Philippe Hamon a appelé la "territorialité" 1 • Ce terme polysémique tend à définir le

personnage par rapport à l'espace où il se trouve, qu'il possède ou qu'il

désire. Marques qualificatives strictes, les traits territoriaux sont aussi des

indices d'action à venir, des embrayeurs diégétiques, surtout lorsqu'ils portent en germe des schèmes d'opposition. Le "territoire" du personnage est un concept synthétique qui réunit' les lieux concrets des acteurs (la "topographie du personnage"), des espaces plus vastes, moins déterminés géographiquement (l'espace d'une race, d'une civilisation) et des espaces plus abstraits (l'espace de la latinité, l'Orient/l'Occident, etc.). L'important est de savoir si, et dans quelle mesure, l'acteur est donné "avec" un territoire ( et cet "avec" n'implique pas forcément la possession matérielle). Une première bipartition permettrait de distinguer les personnages qui ont - ou qui n'ont pas - un territoire à eux. Tels peuvent être les

"propriétaires" (mais nous avons dit que le critère social n'était pas déter­ minant), en tout cas, les résidents, les habitants, les sédentaires, ou pour ceux qui ont un pays, les nationaux ou les régionaux. Ce critère ne devient pertinent fonctionnellement que dans la mesure où un personnage "sans territoire" s'introduit dans cet espace, ce qui souligne son appartenance à

"l'autre". Les récits d'Apollinaire sont constamment construits sur le schéma : A habite un lieu, B pénètre dans le lieu de A (avec, évidemment, des modulations à l'infini)2 • Rares, et donc très intéressants, seront les es­

paces qui n'appartiennent à personne.

Le territoire, pour les personnages "enracinés", est d'abord celui de la

communauté. Le concept peut rester flou dans le cas d'une nationalité ou d'une grande ville ( Paris). Un trait professionnel ou religieux commun peut avoir les mêmes conséquences. Les artistes, quelles que soient leurs natio­ nalités d'origine, se retrouvent à Paris, leur vraie patrie ; les professionnels de la religion ont surtout pour patrie l'Italie et Rome ; quant aux Mormons, ils ont choisi pour ville sainte, et territoire commun, Salt Lake City. Si le per­ sonnage est inclus dans un espace qui le dépasse, qui lui appartient sans lui

appartenir en propre (i l n'est qu'un élément d'un "tout" humain qui, lui, pos­ sède), cela ne l'empêche pas d'avoir son territoire individuel, ses lieux origi­

naux qui peuvent être matérialisés dans les récits par tous les bâtiments, les 1 . Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op. cit., pp. 2 0 5-36. 2 . Ibid., p. 25.

762

maisons, ateliers, palais, etc., que nous avons évoqués dans l'étude des lieux diégétiques. Le personnage le plus neutre, le plus indéterminé, celui qui ne bénéficie d'aucun portrait bloqué, le "je-acteur" , peut même avoir ( être défini uni ­ quement par) son territoire puisque c'est lui qui reçoit "l'étranger" dans "Le Juif latin", "Le Toucher à distance" ou "Le Gastro-astronomisme [ ... ] ". On a déjà souligné par la récurrence du schéma de l a "visite" dans le récit apollinarien, que celle-ci structure tout un conte ou bien seulement des épi ­ sodes d'un récit plus long. Les contes homodiégétiques donnent l 'exemple car, malgré les trois exceptions notables citées à l 'instant, le "je" est avant tout un visiteur. Les couples de protagonistes sont souvent définis en termes territoriaux : le premier personnage est inclus, enclos, confiné, en­ fermé ; le second est "de passage". Certai ns types de qualifications ( sexe, profession notamment) prédisposent à une inclusion dans un espace et à une territorialité stricte : la femme dans sa maison, le moine dans son cou­ vent ou le peintre dans son atelier. Celui qui est chez lui , et ce sera très important pour le développement des intrigues, est en position de force. C'est lui qui peut inviter, retenir, partager ou exclure . Il possède soit une supériorité hiérarchique (Mgr Porporelli dans son palais, l e Pape au Vatican face à Delhonneau simple prêtre ou, parallèlement, le cardinal Ricottino et le Pape recevant François des Ygrées et Macarée, simples "bons chrétiens"), soit une supériorité de savoir. Dans L 'Hérésiarque et Cie, le prêtre de "L'Otmika" donne, dans sa sacristie, une leçon de morale bosniaque à Tenso ; lord Finngal a préparé sa "maison-piège" tout comme d'Ormesan cinéaste ( qui, en tant que g uide parisien, fait visiter sa ville aux touristes) 1 • Si le personnage territorialisé est souvent l'objet de I ' "envie", du désir, de la curiosité, c'est qu'il représente l 'i nconnu, l'amour, la nouveauté, la merveille ou, au contraire, l 'adversaire, l 'ennemi, le repoussoir à détruire pour celui qui n'est pas donné dans son cadre propre. La qualification par le 1 . Les visites du je-acteur, héros vide, confirment cette supériorité globale de celu i qui détient un territoire : journaliste, il vient s' instrui re dans la villa de Benedetto Orfei ; s'il refuse les leçons de la maison de Pertinax, il s'exalte dans les demeures des artistes chez lesquels il est invité ("L'Ami Méritarte", " M on c her Ludovic" , "Chirurgie esthétique", etc.). Cette structure de la visite, conséquence de celle plus générale du voyage, est systématique dans un roman comme La Fin de Babylone : c'est toujours chez les autres que se rend Vietrix, qui a tout à apprendre d'eux. Il en est de même dans les Onze mille verges où Vibescu, "verge errante" , trouve successivement abri dans les différents hôtels particuliers , pala is o u bordels des Alexine, Culculine, Kokodryoff et consorts.

76 3

territoire, on l'a dit à propos de la topographie diégétique, est ambivalente.

L'être dans son lieu peut être heureux ou malheureux, protégé ou emprisonné - mais notons cependant la prédominance de la structure

euphorique. llse ne souffre pas d'être confinée dans Hildesheim, Benedetto

Orfei peut devenir pleinement écrivain dans sa maison de Frascati, la plupart

des religieux sont heureux dans leur couvent, Que vlo-ve ? est en plein accord avec sa forêt. Le cas de lady Finngal, très strictement territorialisée,

est exceptionnel, mais justement, elle n'est pas enfermée dans un lieu qui lui est propre (la maison est louée par son mari). Le cas du voyageur est autrement complexe, qui vient le plus souvent perturber la sérénité de celui

qui "demeure". Au type, assez fréquent tout de même, de l'invité, du

touriste dans un espace d'abord neutre (le "je" surtout) succède celui de

l'intrus, avec pour corollaire l'exclu.

Tel est l'itinéraire du héros-je du "Roi-Lune" qui a conscience de péné­

trer dans un territoire qui n'est pas le sien, territoire composite, comparti­

menté à l'image du costume de son maître. Inquiétude et/ou émerveillement

sont les deux composantes psychologiques habituelles de ces personnages

qui s'immiscent, sentiments qui se cristallisent sur celui ou celle qui règne sur ces lieux (de la terreur du matelot d'Amsterdam qui découvre le piège à

l'émerveillement de Croniamantal dans le bois de Meudon, domaine mythique

de Tristouse). Dans le territoire de l'autre, l'étranger doit subir la loi, même

si elle n'est pas toujours aussi tragique ou aussi exaltante. Les récits font

varier l'intensité dramatique, atténuant souvent l'effet direct d'intrusion

(hasard d'une découverte, simple entrée chez un commerçant), la diluant

parfois linéairement dans le passage de seuils successifs ("Le Roi-Lune") ou,

au contraire, accentuant la brutalité de l'irruption (Gabriel Fernisoun et

d'Ormesan chez le narrateur ou Vibescu dans le lit d'Hélène Verdier).

Maître de son espace, le personnage peut garder l'autre le temps qui

lui convient, en fonction de la satisfaction ou de la perturbation que

l'étranger lui apporte. Le domaine se referme sur le visiteur, que celui-ci soit

tué par le "propriétaire", qu'il ait, au double sens du terme, du mal à s'en

sortir ("Le Roi-Lune" ou les plaisantes illustrations sexuelles des Onze mille

Pr III , 910 ou 948) ou qu'il soit exclu plus ou moins brutalement (Gabriel Fernisoun par le narrateur, Pr I, 104-5). Toutes ces structures sont verges,

présentes dans "La Fiancée posthume" avec le couple Muscade très

fortement territorialisé, inséparable de son cadre de villa méditerranéenne,

76 4

qui fait connaître au jeune Russe, d'abord "invité", les plaisirs de l'inclusion avant de le rejeter pour infraction à l'ordre du lieu1 •

Dans la confrontation constante entre les personnages "à demeure" et

les personnages "en visite", le schéma inverse de la valorisation de l'étran­ ger, de l'intrus, est beaucoup plus rare - dans les contes en tout cas.

Apollinaire recourt peu au schéma, traditionnel pourtant, du protagoniste

enfermé chez lui, sclérosé dans son inappétence ou rêvant à un ailleurs

vague et qui est révélé à lui-même par l'arrivée fortuite d'un inconnu (la structure du début du Grand Meaulnes par exemple). Les "résidents" apolli­

nariens ne sont pas des "demeurés" et, dans l'ensemble, ils attendent peu de l'extérieur. Quand ils reçoivent chez eux, c'est pour une cérémonie so­

ciale (soirée mondaine ou office religieux), pour des raisons utilitaires (les

commerçants, ceux qui louent des chambres), pour avoir un public (les

"représentations" des nouveaux artistes). Leurs hôtes, conviés ou inatten ­ dus, peuvent leur réserver quelques surprises (le couple de "nègres" dans

"Le Cigare romanesque") mais, le plus souvent, les visiteurs font ce qu'on attend d'eux (les ambassadeurs à Akakia dans "La Quatrième journée"). Les

résidents attendent, en fait, confirmation de leur propre système de valeurs (à l'exemple des Théâtres face à Croniamantal).

L'issue des confrontations ou les valorisations des personnages sont

plus incertaines quand le critère de territorialisation s'estompe, quand les

différents protagonistes sont également éloignés de leur domaine d'origine

ou sont pareillement dépourvus d'enracinement. Un conte comme "Les Souvenirs bavards" est intéressant à cet égard, qui met en scène deux

voyageurs dans un hôtel londonien, dans deux situations parallèles de dé­ tresse. Chislam Barrow est malheureux sentimentalement, le je-narrateur est incapable de comprendre ce qui se passe derrière la cloison. Et, preuve de la

supériorité des résidents, c'est la logeuse qui connaît et révèle l'identité du

comédien. Dans "Que vlo-ve ?", la tenancière de l'auberge, la Chancesse,

devient elle-même l'enjeu du duel entre les deux hommes de passage chez

elle. Elle reste assise, danse sur place, "demeure" de toute façon alors que

le babo est tué et que Que vlo-ve ? doit s'enfuir.

Le voyageur, et c'est un des topoï du roman d'aventures, est en situa­

tion de faiblesse dans le monde extérieur, dangereux ou exaltant. Des lieux neutres, ne semblant appartenir à personne, peuvent se révéler des pièges

mortels tout comme les maisons appartenant à des "propriétaires". Le train 1 . Voir supra, la section sur la villa (chapitre Ill).

76 5

est un de ces lieux mobiles, instables, lieu de rencontres énigmatiques ( La

Femme blanche des Hohenzollern) ou de transports érotiques : l'Orient­

Express n'en est pas moins un lieu de mort pour les deux voyageuses. De

même, le riche voyageur de "Trains de guerre" est pris au piège de la ma­

chine infernale conçue par le savant diabolique, maître des "habitacles in­ stables" et donc des hommes. Les êtres sans territoire cherchent surtout abri et refuge. Certains de ces voyageurs sans patrie, ou à jamais déracinés,

tentent de se construire une nouvelle patrie, de devenir des bâtisseurs mais ces constructions artificielles sont marquées du sceau de la fausseté. On

pense à la fausse capitale de la procréation, Salt Lake City, mais aussi aux

constructeurs de Cox-City, et avant tout à Chislam Cox. Le mirage de l'or

comme celui de la nouvelle religion mormone ne peuvent que conduire ceux qui ont renoncé à tout ancrage naturel, national ou ethnique ([ ... ] des

Allemands et des individus de langue anglaise. Mais l'élément français dominait." ; "un grand nombre de Piémontais. Des Chinois arrivèrent aussi.",

Pr I, 210), ceux qui ne sont plus que leur illusion de puissance, à la folie et

à la mort.

Deux races seulement ont fait de leur éternelle errance la marque de

leur supériorité, sans doute parce que leur patrie est l'univers entier. Les

Tziganes, Bohémiens et autres "saltimbanques", ne font que des haltes dans

les territoires des autres qui "se résignent", les observent, les craignent, les utilisent ("L'Otmika") ou les suivent. Ils incarnent, pour tous les résidents et

les "assis", la fascination de l'espace ouvert, à jamais "dé-territorialisé",

bousculant clôtures et compartimentages. Dans l'univers des contes apolli­ nariens, ces Tziganes, race magique qui poétise l'univers, restent en marge,

à côté, en frontière. Ils frôlent de leurs ombres le monde des enracinés. S'ils

se prêtent parfois à leurs jeux, ils ne s'installent jamais ; leur Bohème origi­

nelle est à jamais perdue, à jamais mythique. Les Juifs d'Apollinaire ne sont

pas toujours ainsi : ils sont souvent présents dans des villes qui ne sont pas

forcément pour eux des étapes provisoires. "Nous sommes des poètes et

des gens d'affaires" dit Nephtali à Vietrix (Pr I, 593). L'image du commer­ çant juif "assis [ ...] au fond des boutiques" (Po, 43) est à la fois la marque

d'une magie au cœur du profa.ne ("Le Départ de l'ombre") et le signe d'un dévoiement, sinon d'une prostitution ("la puterie du quartier juif", Pr I, 92).

Le Juif d'Apollinaire est multiple car la race elle-même est multiple comme le

766

fait remarquer Gabriel Fernisoun ( Pr I, 101-3) 1 • Ce dernier est sa race et

n'est pas sa race (" [ . . . ] nous ne sommes pas maudits") ; il hait sa race

"coupable" ("Je suis catholique [ ... ] .", Pr I, 103 ), veut s'en délivrer mais échoue sans doute (le baptême non valable). Il en est de même pour Isaac Laquedem, maître et guide d'une ville qui est aussi capitale de la Bohème.

Le sexe e t l'action Le territoire comme marque qualificative, comme champ thématique

ou symbolique et surtout, dans notre perspective, comme trait différentiel,

embrayeur de confrontations, est constamment relayé, confirmé (parfois

confondu, souvent dédoublé) par l'ensemble des signes se rapportant au

sexe. Il s'agit là du trait le plus banal de la tradition littéraire du personnage,

celui qui est aussi "le plus nécessaire à la constitution d'intrigues amou­

reuses" et qui supposerait, du fait de ses profusions internes, des niveaux d'analyse extrêmement variés2 • La bipartition biologique homme/femme,

prédominante à un premier niveau, n'efface pas un autre système d'opposi­ tion, fondé fonctionnellement sur le sexe et qui permettrait de distinguer

globalement les personnages qui mènent, ou non, une aventure en rapport

avec lui. Dans L 'Hérésiarque et

de par exemple, un tiers des contes environ

ne rendent pas le critère pertinent. Le gommage du sexe est souvent lié au statut social des protagonistes, prédéterminé notamment par le choix de

héros religieux qui, dans la tradition catholique, sont censés avoir renoncé

au sexe. Une intrigue fondée sur un débat théologique ne se prête pas a priori à la mise en évidence des traits sexuels des personnages, de même

d'ailleurs les récits qui confrontent de vrais et de faux prophètes ou des

contes qui célèbrent de nouvelles formes de l'art. Dans Le Poète assassiné, la sexualisation des personnages importants est beaucoup plus

systématique, même quand il ne s'agit pas, stricto sensu, d'intrigues amoureuses (on ne voit guère que les héros de "La Chasse à l'aigle" ou du

"Cas du brigadier masqué [ ... ]" pour échapper à ce critère ; le "cas" de

Justin Couchat reste ambigu). Nous avons donc d'une part les personnages non sexués (fonctionnellement) sur le modèle de Delhonneau, des artistes

1 . " [ . . . ] ce peuple j uif dont les uns [ . . . ] parlaient avec crainte, les a utres avec haine : race privilégiée, race maudite ? On ne savait au j uste [ . . . ] . " (La Fin de

Babylone, Pr I, 5 9 1 ) .

2 . Voir Philippe Hamon, L e Personnel du roman, op. cit., p . 1 8 9 .

767

de "La Serviette des poètes", de James Kimberlin (notons que ce sont

pratiquement toujours des hommes) et, d'autre part, de loin les plus

nombreux, les protagonistes sexués. Les romans, même quand ils ne sont pas pomogra phiques, viennent enrichir la série.

Les formes de la sexualisation sont très variables et les cas limites,

nombreux. On pense notamment à différentes formes de sensualité qui peu­ vent être des compensations, des substituts, des transferts (la lascivité gourmande de Mgr Porporelli, dans son "demi-jour presque voluptueux", avec sa "figue sèche, farcie avec une noisette et de l'anis",

Pr I, 1 2 0,

confirme la figure de Benedetto Orfei "théologien et gastronome, pieux et gourmand",

Pr I, 110). Les plaisirs de la cuisine nouvelle sont des plaisirs

des sens parfois fantasmatiquement ambigus, même quand la bonne chère

ne rejoint pas explicitement la bonne chair. La précision d'un portrait phy­

sique et la "corporéisation" textuelle d'un personnage n'entraînent pas

forcément sa sexualisation ; à l'inverse, des notations corporelles élidées ou très rapides et discrètes n'impliquent pas obligatoirement la non­

sexualisation. Il n'est guère possible de dire a priori que le trait sexué ou sexuel concerne davantage l'homme ou la femme 1 . S'il est vrai que certains personnages masculins sont fonctionnellement a-sexués, que les

marques sexuées des protagonistes féminins sont plus systématiques, les

figures nombreuses de séducteurs (ou de victimes) mâles, de héros ithyphalliques sont certainement, qualitativement, plus remarquables.

L'orgueil viril, le désir de conquête, les "droits du mâle" ou, à l'inverse, ses

faiblesses face aux "personnes du sexe" sont constamment mis en exergue. La sexualité est la "chose textuelle" la mieux partagée...

Il n'est donc pas étonnant que la grande majorité des récits apollina­

riens soient des aventures amoureuses même quand ils ne content pas des

"exploits" sexuels. On remarquera toutefois le nombre important de fictions qui, fondées sur la confrontation des sexes (le "sexué"), opèrent une élision

du "sexuel". Le sexué sera entendu ici comme une structure dynamique qui

engendre l'action. Simplifions : A (d'un sexe) veut B (de l'autre sexe, par­ fois du même sexe - avec toutes les réduplications possibles d'ordre person­

nel (C veut également B), psychologique (B veut bien, ne veut pas), toutes

les possibilités de réussite ou d'échec 2 , avec toutes les implications morales ou idéologiques ( amour permis, interdit) 3 • Le sexuel sera pour nous, alors, 1 . \,s Zola. Voir Le Personnel du roman, op. cit., pp. 1 9 0- 1 . 2. Voir i n fra, l'analyse des intrigues (chapitre VI). 3. Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op. cit., p. 1 89.

76 8

une hyperbolisation textuelle du sexué, moins une force agissante que la

conséquence du descriptif. Nous placerons donc la sexualité comme moteur de l'action du côté sexué, les amplifications, lexicales ou autres, du côté du

sexuel.

Ce distinguo rend compte de deux grandes catégories de récits

construits selon une intrigue amoureuse (sexuée) : ceux qui éludent le sexuel direct et ceux qui l'exhibent dans la présentation ou l'action des per­

sonnages. La première regrouperait d'abord tous ces contes que l'on dit

pudiques, sentimentaux, romanesques, merveilleux, etc. Le modèle pourrait

en être fourni par "La Rose de Hildesheim [ ... ]", fondé sur le schéma le plus

traditionnel de la jeune fille à marier. Tel est aussi évidemment le cas de

Mme Muscade et de son mari, mais encore des amours entre le jeune hon­

grois et son "adorée" (leur relation est définie par le seul mot "maîtresse")

ou même entre Gaétan Villème et Élodie Couronne ("[ ...] celui qui avait été

longtemps son amant [...].",

Pr I, 922). La sexualité n'est pas exclue mais

euphémisée textuellement. L'écriture place la relation sous l'égide du senti­

ment : c'est aussi le cas pour Cyprienne Vandar, à peine sexuée, qui déploie

et transfère toutes ses possibilités d'amour vers sa "plante". L'élision des

corps dans une intrigue sentimentale est exemplairement mise en évidence

dans un conte comme "La Promenade de l'ombre" où la jeune femme amou­ reuse ne peut que suivre des yeux "la reptation de l'ombre bleuâtre" et s'u­

nir à une "apparence inconsistante".

Les sentiments amoureux sont le plus souvent violents dans l'univers

apollinarien, engendrant détresses, complaisances dans la douleur (les diffé­

rentes figures de mal-aimé) ou, au contraire, le besoin de réaffirmer sa force (la revanche de !'Albanais). La jalousie est un ressort psychologique et ro­

manesque qu'Apollinaire exploite assez fréquemment. Lady Finngal est, à sa

façon, une Desdémone (on sait qu'Apollinaire adore Shakespeare), le comte

d'Eisenberg se venge sur celui qu'il croit être l'amant de sa femme. Ces

drames de la passion ne sont pas des drames "sexuels" au sens où nous

l'entendons ici

(mais nous avons déjà souligné la dimension fantasmatique

de scènes de jalousie comme celle du botcha de "La Favorite" par exemple).

Les affrontements les plus vigoureux ou les plus cruels au sein de la relation

amoureuse sont souvent d'une pudeur narrative extrême. Ce sont les jeux

médiatisés de la séduction, une surenchère de ruses et d'artifices (de Macarée/François des Ygrées à Simone/Sérignan ou Marianne/ Minittique).

Le conflit des sexes, qui est fondamental dans La Femme assise, n'est-il

pas, dans l'ensemble et si l'on met de côté les toutes premières pages,

769

d'une grande discrétion ? La revanche de Paméla comme le triomphe

d'Elvire peuvent se dispenser de l'exhibition textuelle. Leur "vraie" victoire

est ailleurs 1 •

Les portraits compacts, les notations éparses avant même les actions

montrent cependant, par des glissements souvent insensibles, le passage du sexué au sexuel. Les personnages les plus romantiques ou les plus nobles

d'esprit peuvent offrir (ou porter leur regard sur) des spectacles dont on ne

peut nier la valeur érotique. Le cas de Mariette et de Croniamantal est

exemplaire à cet égard puisque la nouvelle Nausicaa vue de dos est d'une

séduction "agaçante" (Pr I, 252), ce qui vient corriger la référence my­ thique, le cliché et la mièvrerie toujours possible du couple idyllique ("[ ... ] il sortit après avoir adressé à Mariette un long regard qu'elle ne lui rendit

point, mais il eut plaisir de voir qu'elle rougissait en se détournant.", Pr I,

253 ). À l'inverse, on appréciera le travail stylistique qui euphémise la

qualification de certains professionnels du sexe, comme Macarée sans doute ("riche grâce à l'Amour"), en tout cas comme le giton-Ganymède : "[ ... ] sa

condition fructueuse le vouait, comme une mappemonde, à toutes les natio­ nalités.", Pr I, 124). Les portraits physiques, dont nous étudierons plus en

détail les composantes et les structures, nous montrent comment un per­ sonnage sexué devient un héros sexuel - et ce ne sont pas obligatoirement

les protagonistes qui font le plus de conquêtes (les trois Don Juan). Les

contes qui ne bénéficient pas pourtant de la liberté des romans érotiques

surprennent (ont surpris en tout cas) par la sexualisation parfois outrancière de leurs personnages, qui va bien au-delà de la sensualité admissible dans le

cadre d'un genre institutionnalisé.

Le désir est tout à la fois chez la femme ("La brigande est bientôt

soûle/Qui veut Hannes [ ... ].", Po, 1 18) et chez l'homme, même si, quantita­

tivement, le désir viril est plus fréquent. Apollinaire ne met guère en scène

des personnages qui, en situation sexuée, refusent le sexe (figure repère du

je-narrateur dans "Le Passant de Prague"). La chasteté, par exemple, n'ap­

paraît nulle part comme une valeur : les religieux doivent trouver des

substituts, l'abstinence n'est pas présentée comme une ascèse. Si la jeune

fille est pure, c'est qu'elle ne connaît pas encore le sexe ; la femme, d'une

façon générale, ne refuse pas le désir de l'homme (sauf dans les cas de viols dans Les Onze mille verges) ; si elle résiste, c'est provisoirement, jusqu'à

ce que son propre désir, stimulé parfois brutalement (dans Les Exploits d'un 1. Voir in fra, le rôle du sexe dans les conflits du pouvoir (chapitre VI) .

770

jeune Don Juan) , s'éveille. Elle peut se contenter d'aguicher, par des signes à la fois abstraits et concrets de séduction, sans réalisation sexuelle immédiate ( M ia, M aud) mais, le plus souvent, elle passe à l'acte

immédiatement (Macarée). Très rares sont les protagonistes féminins qui ne

soient pas un pôle sexué (si elles ne sont pas toutes des héroïnes

sexualisées). Même les artistes-femmes des Contes retrouvés, à leur façon,

procréent et engendrent (miss Oie, Mlle Verinada) et entrent directement

en compétition avec les créations viriles.

À partir des deux états biologiques du masculin et du féminin,

Apollinaire privilégie moins les évolutions chronologiques que les processus de transfert. Les passages se font moins d'un âge à l'autre dans l'état d'­

homme ou de femme que de l'état d'homme à celui de femme (ou vice

versa). Il n'est pas question de nier l'importance d'un conte d' "initiation

pubertaire" comme "L'Œil bleu" (entièrement consacré à l'avènement de la femme dans le corps des jeunes pensionnaires) , ni d'oublier la structure

même des Exploits d'un jeune Don Juan. Roger souligne régulièrement les

signes organiques de son passage à l'âge adulte (confirmés par les autres

lors de son exclusion du gynécée : "Toutes les femmes de la maison s'é­

taient aperçues des changements qui avaient eu lieu dans ma personne et je

n'étais plus traité en gamin." , Pr III, 973) et ne manque pas de relever ceux de sa sœur Berthe lorsque "la puberté [ ... ] fait son apparition". La

perte de la virginité n'est pas, si l'on excepte les Exploits, un grand moment des récits apollinariens. La virginité féminine peut être "refaite", comme

dans "L'Otmika" ("Je sais [ ... ] repuceler une nourrice.", Pr I, 141) ou dans "Le Poète assassiné" (Mia). La "fleur" de Kilyému, qui s'en va sous l'effort

de son cousin, se perd dans "les graminées et les beaux chrysanthèmes du

grand jardin désert [ ... ]." (pendant que les parents de la jeune fille jouent Le

Grand voleur... , Pr III, 927). Les personnages d'Apollinaire ne rêvent pas à

un retour à une innocence pré-sexuelle (la seule référence de ce type, dans

les Exploits, précède justement un accouplement, Pr III, 998) et lorsqu'ils

sont menacés par le vieillissement, ils se livrent aux jeux sexuels avec une frénésie accentuée.

Les passages d'un sexe à l'autre, faut-il le souligner, sont l'une des

structures les plus fondamentales de l'univers apollinarien, et qui peut être

interprétée à tous les niveaux. Dans le cadre du portrait, nous l'appréhende­ rons surtout aux plans physique (les formes corporelles) et vestimentaire 1 . 1 . Voir in fra, la section sur l'hyperbole vestimentaire comme signe d'une métamorphose.

77 1

La question peut être analysée également au plan des rôles sexualisés (dans

un couple bisexuel ou unisexuel, l'homme qui "fait" la femme, la femme qui

"fait" l'homme), au plan des rôles sociaux (avec leurs implicites idéologiques, la femme qui "prend la place" de l'homme), au plan moral (le

j ugement sur ces transferts) ou encore fantasmatique (bisexualité,

confusions, inversion, etc.). Dans ces échanges de sexes, l'imaginaire

conduit moins vers des figures du "ni-ni" (masculin, féminin) que vers celles du "mi-mi" ; au sens strict (mais l'usage des termes n'est pas toujours chez

Apollinaire très rigoureux),

moins

vers

l'androgynie

que

vers

l'hermaphroditisme. Le gommage des signes sexualisés différentiels est,

certes, une forme d'indécision et peut être troublante (la charge érotique du

"neutre" en quelque sorte), mais c'est un neutre qu'il faudrait distinguer du

non-sexué. Les héros les plus marquants de l'univers apollinarien sont ceux

qui portent fièrement les marques premières de leur sexe biologique, qui

sont, comme Macarée et Culculine, Croniamantal ou Horace Tograth, les

types mêmes de leur sexe mais qui, par leur corps, par leurs vêtements, par leur nom, par leurs actes et leurs rôles, activement ou passivement,

matériellement ou symbolique ment, arborent aussi les traits et les signes de

l'autre sexe. Ces héros du sexe, à quelque niveau qu'on les étudie, sont des êtres "mixtes", c'est-à-dire des lieux de confrontation, inscrits dans un

régime "polémique" ; non les héros de l'indifférenciation mais des figures d'hyperbolisation et surtout d'oxymoron.

772

II LA RHÉTORIQUE DES - PORTRAITS PHYSIQUES

A. LE TOUT ET LES PARTIES LE RÔLE DES SYNECDOQUES

• Le tout de la silho uette Le narrateur, lorsqu'il ne propose pas un portait compact, peut se

contenter de présenter son personnage dans sa globalité. Ce dernier serait alors une silhouette qui correspond, par exemple, à sa première vision par

un narrateur-acteur ou par le personnage focal. L'allure, la position du corps

ou encore les types d'habillement sont les premiers indices d'une

personnalité. Gabriel Fernisoun, qui ne sera pas vraiment décrit

physiquement, impose sa vigueur verticale à un "je" à demi-réveillé ;

Vibescu, dont on ignorera presque tout sur le plan physique (à part deux

éléments très précis de son anatomie), est d'abord défini par sa démarche

(une silhouette en mouvement) : "[ ... ] le prince Vibescu marchait comme

on croit à Bucarest que marchent les Parisiens, c'est-à-dire à tout petits pas pressés et en tortillant le cul." ( Pr III, 888). Tristouse, se définissant, évoque également sa démarche , "virile et saccadée". Les verbes

introducteurs de la description, quand ce ne sont pas simplement des verbes d'état, peuvent indiquer une position assise, debout, couchée, etc.,

qui dessine globalement une forme ou un contour. L'imprécision de la

qualification ne remet pas en cause, en général, la réalité corporelle de

l'acteur désigné. Les "formes", cependant peuvent être mobiles et

insaisissables. Cela est exemplairement mis en évidence par "La Promenade

de l'ombre" où le narrateur s'interroge sur l'être impalpable : faut-il "parler

de son contour ? On sait qu'une ombre varie, maigrissant ou s'allongeant démesurément, et, au contraire, se tassant parfois jusqu'à prendre

l'apparence d'un pot à tabac." ( Pr I, 500). Lorsqu'un héros apollinarien · n'est que "forme" et silhouette, il est souvent destiné à l'évanescence et à la disparition.

Une qualification physique globalisante peut se trouver renforcée par

une appréciation qualitative elle-même générale. Le procédé est fréquem­ ment à l'œuvre dans les portraits de femmes qui évoquent le charme, la

beauté ou, au contraire, la laideur. Au cœur du long portrait d'llse, il est

774

noté que "Sa grâce était incomparable" ; Apollonia, avant d'être décrite

succinctement est qualifiée de "fille d'une beauté non pareille" (Pr I , 16 6).

Les expressions comme "jolie fille", "jolie femme", "belle personne", etc.,

reviennent constamment comme substitut, prélude ou complément de qua­

lification. Roger, portraitiste exemplaire des corps féminins, adopte parfois

une attitude d'esthète et, pour Anna et Marguerite, sait faire "ressortir les

caractéristiques de leur apparence, c'est-à-dire la mine florissante de [s]a mère et la taille élancée de [s]a tante." (Pr III, 98 1 ). Tout autant qu'à

l'allure générale ou à l'appréciation stéréotypée (même si entre le "superbe"

et l'extrême laideur - pensons à Mme Daurème - toutes les nuances sont

possibles), le portrait recourt aux "caractéristiques" corporelles, aux traits saillants mais supposés synthétiques. La synecdoque joue pleinement son

rôle, dans les nombreuses "qualifications pressées" aussi bien que dans les portraits plus élaborés.

Une première approche d'un personnage implique très fréquemment

une notation générale sur sa tenue vestimentaire. Les habits, même lors­

qu'ils ne sont pas précisément décrits, contribuent à l'allure, l'apparence

d'un être et tiennent, dans l'univers apollinarien, un rôle comparable à celui du corps stricto sensu. Ils bénéficient des mêmes formules appréciatives

globalisantes qui sont censées définir la "nature" de celui qui les porte.

Brièveté des remarques corporelles et vestimentaires vont souvent de pair,

ce qui conduit à des systèmes simplistes sur le beau et le laid, le bien et le mal vêtu 1 . Lorsque l'habillement fait partie du portrait 2 , ses valeurs

viennent le plus souvent confirmer celles du corps qu'il "enferme" ou

découvre 3 • Un syntagme oxymorique comme "beaux et dépenaillés" (les

Tziganes dans "La Comtesse d'Eisenberg", Pr I , 3 88) reste exceptionnel. Presque systématiquement - et surtout pour les personnages féminins -

signes corporels et vestimentaires positifs (rarement négatifs) jouent en redondance.

Le portrait physique apollinarien, qui repose donc d'une part sur une

correspondance étroite entre les deux systèmes contigus du corps et de

I' habillement, se fonde d'autre part, et à l'intérieur du système corporel,

1 . Pensons au " monsieur bien habillé" , " bien vêtu" de " La Favorite" (P r I, · 3 3 2-3), à lord Finngal "très correctement mis" selon Hendrijk Wersteeg ( P r I, 1 7 6), au vieillard " coquettement habillé" de "Sainte Adorata" ( à la "silhouette élégante et surannée", P r I, 3 5 3 et 4). 2 . L'Enchanteur pourrissant reste, dans l'ensemble, assez discret sur ce sujet des vêtements. Le type des personnages sollicités l'explique aisément. 3 . François des Ygrées, par exemple, est " bien vêtu et beau de figure [ . . . ] . " (P r I,

233).

775

sur des glissements permanents entre les valeurs du tout et des parties.

Métonymies, synecdoques généralisantes et particularisantes alternent ré­

gulièrement. Chaque élément du portrait doit être analysé à la fois dans sa

spécificité et dans ses rapports d'homologie avec l'ensemble (et même les ensembles) au(x)quel(s) il se rattache. Le "tout" contraint la représentation des parties et les parties condensent les valeurs du tout ( ou reprennent

celles d'autres parties). Pour le corps notamment, le "descriptaire", à l'in­

verse de Macarée, doit se montrer "enclin à retenir les termes du blason

[ ... ]." (Pr

I, 234) tout en prêtant uné attention particulière aux liens qui

unissent ces termes au "grand corps" ou même à la nature. 1

• O rd re et g ril les de dépli des é lé ments d u po rtrait p h ys i q u e Apollinaire portraitiste, s'il se contente parfois d'évoquer la silhouette

globale d'un individu ou un détail particulièrement révélateur, décrit le plus

souvent le personnage "de la tête au pied", tout en insistant sur la tête, les pieds ou l'une quelconque des parties intermédiaires. Lorsque le portrait est

relativement complet, la dynamique du dépli de la nomenclature corporelle (ou vestimentaire) est, conformément à la tradition du blason, verticale et

descendante. Cette règle, qui n'est pas sans implicites moraux ou philoso­

phiques, souffre cependant, dans l'œuvre apollinarienne, de quelques insta­

bilités. Si, par exemple, Vietrix vérifie les charmes d'une jeune esclave brune

"du haut en bas" ( Pr I, 580), Roger considère ceux d'Ursule sous diffé­

rentes faces : "[ ... ] j'admirai son beau corps des pieds à la tête et de tous

les côtés, en la faisant marcher dans la pièce." ( Pr III, 995). Les acrobaties sexuelles et ferroviaires de Vibescu, Cornabœux et de leurs deux

compagnes perturbent également l'ordre attendu ou conventionnel des

détails organiques. M ême dans les portraits les plus sérieux (Isaac Laquedem) ou les plus lyriques (llse), des flottements sont perceptibles.

Cette dernière description qui, fort traditionnellement, s'ouvre sur le nom et

s'achève sur les comportements et les élargissements analogiques, évoque

d'abord les cheveux, passe à l'allure générale, revient à la tête (le visage) puis à la notation généralisante de la grâce. L'ordre de dépli manque de

rigueur même si, dans l'ensemble, l'axe descendant est préservé.

1 . Voir, pour confirmation, les "blasons" corporels dans Alcools et Calligrammes, dans Tendre comme le souvenir ou dans les poèmes ou lettres à Lou.

776

Le portraitiste apollinarien commence en général par le devant du

corps, le visage et ses composantes, les poitrines ou les ventres vus de

face, mais sa tendance particulière est de tourner autour des corps, de mul­

tiplier les points de vue : si la tête de Jaime Saint-Félix tourne sur ses

épaules (Pr I , 1 91 ), le regard-portraitiste, de même, opère des rotations

autour de l'axe que figure le corps de l'autre. Les "grilles" spatiales sollici­

tées impliquent donc une problématique de la hauteur selon l'axe vertical (le

grand/le petit, pour l'ensemble du corps, pour chacune des parties, pour les rapports des différentes parties entre elles) mais aussi des questions de lar­

geur (latéralité gauche/droite pour un corps vu de face, séries d'élargisse­ ments ou de rétrécissements pour 1.es parties du corps, rapports entre les

zones larges ou étroites, dissymétrie éventuelle gauche/droite, etc.). Cette

première perspective sur le devant du corps (qui fréquemment fait appa­

raître des décalages organiques entre le haut et le bas) est couramment re­

layée par les vues de profil et surtout vers l'arrière. Si le nez, la poitrine ou

le ventre deviennent proéminents d'un côté, les fesses rebondissent de

l'autre. Tel est le charme de Macarée. Le passage à la vue "de côté" prépare la vision, sinon interdite dans le portrait, du moins sur laquelle plane l'ombre

d'une réprobation morale, la vision "par-derrière". Inconvenante car

fortement sexualisée, elle implique la découverte d'un autre "visage" du corps : le bas arrière, selon la logique d'une description descendante en deux phases (et deux faces). Les fesses qui sont "derrière" sont également "dernières" (mais non les moindres en fin de liste).

Les grilles spatiales, à l'œuvre dans les portraits, permettraient de

classer commodément les personnages apollinariens en un nombre limité de

catégories formelles élémentaires : les grands/les petits, les larges/les

minces, ou bien, en trois dimensions, les gros et les maigres, les ronds et les plats, etc. Ces différents critères peuvent se combiner, être simultanément

pertinents à l'intérieur d'un même individu, provoquant des contrastes ac­

centués. Ils peuvent, de plus, être affectés de valeurs extrêmement va­ riables. Les corps dont les composantes sont déclinées verticalement ont

souvent tendance à s'allonger selon cet axe qui est surtout celui de la gran­

deur et de la minceur. La "belle femme" apollinarienne est grande ; tel est

le cas de personnages marginaux comme la "convertie" de Gabriel Femisoun

("la grande Nella") ou la Pandora dans le Don Juan Tenorio [ ... ] ("[ . .. ] une

magnifique créature, grande, admirablement faite [ ... ]., Pr I, 742) ou bien

de véritables protagonistes. Culculine et Alexine sont "grandes toutes deux"

(Pr III, 892), de même Hélène Verdier (ou Wanda). Des femmes "sveltes"

777

au corps "înel " ( llse, Geneviève) ou même "maigres" (Olly "manche à balai ",

Pr I, 3 58, ou "belles" comme Tristouse) sont ressenties comme "grandes" même si leur taille n'est pas explicitement mentionnée. Certaines de ces grandes femmes sont présentées comme viriles (Tristouse, Wanda), ce qui suggère que le critère est particulièrement pertinent pour les hommes et prend naturellement une valeur phallique. Horace Tograth pourrait en constituer l'archétype ( "Tograth était de ­ bout dans la chaloupe, grand et maigre.",

Pr I, 294). Le double qualificatif

se retrouve dans le portrait du Père Séraphin ( " [ . . . ] était grand et maigre",

Pr I, 94) ou dans la présentation du "joli garçon" défenseur de Mara au dé­ but de "L'Otmika " (Pr I, 1 3 8 ) . Nombreux sont les hommes "longs" et "minces", comme, par exemple, le Tatar dans Les Onze mille verges

: "Lui

était très long, le visage émacié [ ... ] ; ses membres avaient cette maigreur que l'on prête à Jean-Baptiste, après qu'il eût vécu quelque temps de saute­

(Pr III, 9 3 6 ) . On sait que, dans "La Danseuse", Hérodiade était "férue de la maigreur ragoûtante du pénitent [ . . . ] ." (Pr I, 1 2 5 ) . Le Tatar,

relles. "

de plus, a " [d] es jambes héronnières", ce qui ne peut que rappeler Justin Couchot mutilé "en largeur" (ce qui accentue sa verticalité), qui se déplace "par bonds" ( comme une sa uterelle ? ) et qui, lorsqu'il est i nterrogé, "s'arrêtait et demeurait des heures entières perché sur sa jambe comme un échassier."

(Pr I, 3 50). Un corps longiligne définit donc à la fois des héros

très sexualisés (hommes ou femmes) et des prophètes (vrais ou faux) , ce qui confirme la double valeur du physique de l 'adolescent Croniamantal, "mince et droit"

(Pr I , 2 5 1 ).

Le couple des cambrioleurs dans les Onze mille verges illustre les jeux

du long, du mince, mais aussi du large . Si Tograth arrive en chaloupe , Cornabœux, lui, arrive avec la Chaloupe (nom sexualisé selon Scott Bates). Le "pâle voyou borgne"

(Pr III, 9 0 1 ) arbore deux objets emblèmes, "un

mégot de cigarette éteinte" ( qui peut annoncer sa prochaine émasculation,

Pr III, 903) et surtout une badine, i nstrument de flagellation dur, souple et flexible, métonymie de sa "pine mince comme un petit doigt , mais très

(Pr III, 9 0 2 ) . Cornabœux est une variation "en largeur" du grand : "C'était un colosse [ . . . ] ." (Pr III, 9 0 1 ) comme le général Mounine ( "un colosse de cinquante a ns", Pr III, 9 3 3 ) , hy­ longue", qualifiée par Culculine de "cure-dent"

perbolisation en trois dimensions de la puissance virile 1 . Le fantasme du co­

losse rôde également autour de certaines figures féminines : certaines 1. Autre exemple, le géant Mirabal dans La Fin de Babylone ( P r I, 5 7 0 ) .

778

cuisses et jambes sont des "colonnes" supportant "un superbe édifice" (la

suédoise muette, Pr III, 938), ce qui renvoie au "monumental", en particu­

lier allemand, avec le "kolossal" de "I'Athènes de carton-pierre" et de ses

habitants (les "fesses kolossales" de Hannès lrlbeck, les munichoises "énormes" dans "Le Poète assassiné", Pr I, 23 8).

Colosses et géantes font ressortir, selon l'axe vertical de la

description, les images corporelles de petitesse (le nain et le Trismégiste se

trouvent associés, comme dans les poèmes). Perkeo, "le nain ivrogne du grand tonneau d'Heidelberg", est le contrepoint (autant que l'homologue)

de I' "hénaurme" Hannès lrlbeck, le "roi des buveurs" ( ibid.) . La petitesse

est, en général, liée au frêle (comme c le long), en particulier pour les figures d'enfant. Nous avons déjà noté les diminutifs dans le portrait de la "fillette adorable" qu'est Théodorine ( Pr I,

3 42). Le modèle d e ce type

physiologique serait donné par l'esclave de Vietrix, "frêle enfant" ( Pr I,

575), "petite Anouké [qui] se livrait à des menus travaux" (Pr 1 , 643 ),

"petite bête qui rôdait gentiment dans son appartement [ ... ]" (Pr I, 644).

La petitesse, plaisante et gracile lorsqu'elle est féminine, peut devenir

vigoureuse lorsqu'elle est masculine. C'est la figure, assez rare il est vrai, du

"petit trapu" face aux hommes "grands et forts" (comme Van der Vissen ou bien Egon "grand et fort"). Omer dans "L'Otmika" est, certes, de petite

taille mais "fort comme un taureau" ; il défie les plus grands, comme Bandi

(Pr I, 1 3 8). La petitesse, cependant, peut être également un signe de

discrétion, d'évanescence et de mystère. Telle serait la valeur du "petit

vieillard" de "Sainte Adorata" qui s'éloigne dès qu'il a livré son secret ( Pr I,

3 5 6) et surtout de l'homme au masque d'aigle, enveloppé dans son man­

teau de pèlerin, un autre vieillard "petit de taille" (Pr I, 3 69) et insaisis­

sable.

Le dernier type physiologique serait celui du "petit gros" ou du "petit

gras". Il est pratiquement absent chez les femmes apollinariennes, grandes

quand elles sont "fortes", minces quand elles sont petites (enfants et ado­

lescentes exclusivement). Pour les hommes, on imagine bien quelques gros

moines dans la tradition rabelaisienne, mais si de "petits abbés qui peuplent

les palais épiscopaux" vont reprendre les pains du "sacrilège" ("flûtes

longues et minces" ou "petits pains viennois"), il n'est pas dit qu'ils sont

gros (Pr I , 98-9). Si le Père Karel est tout en rondeur "avec [s]es lorgnons et [s]on gros ventre" (Pr I, 287), il n'est pas mentionné qu'il est petit. Par

sa fausseté, il se rattache néanmoins au type littéraire bien connu du per­

sonnage religieux "gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille"... Nous

779

verrons que grosseur , rondeur et empâtements divers sont davantage mar­ qués dans les parties du corps que dans la silhouette générale.

Les grilles spatiales de dépli permettent de pressentir les types ana­

tomiques privilégiés d'Apollinaire portraitiste ainsi que les forces qui animent

les descriptions : schèmes ascensionnels ou catamorphes, rétrécissements

ou élargissements, expansion ou miniaturisation, les mêmes que pour l'es­ pace. Ces schèmes seront également à I' œuvre quand le portrait se fera

plus précis, prenant comme objet ponctuel les différents organes corporels

du haut ou du bas, du devant ou de l'arrière. Les corps des personnages

sont d'abord des formes qui sont appréhendées selon différentes perspec­

tives visuelles, appréciées en elles-mêmes ou par les harmonies (et contrastes)

qu'elles permettent. Cependant,

si le

portrait est

prioritairement regard sur des formes charnelles, il prend en compte d'autres composantes visuelles, en particulier les couleurs.

Disons au préalable que les sens fournissent une seconde grande

"grille" descriptive. Les héros portraitistes sont en contact direct avec le

corps de l'autre (et pas seulement dans les romans érotiques) et ils sont sensibles à d'autres éléments qui contribuent au "charme" ou, au contraire,

au désagrément que procure le partenaire. Les quatre sens autres que la

vue sont très inégalement convoqués. Nous avons rapidement parlé de l'ouïe à propos des éléments connexes du corps : les remarques sur le

timbre ou la courbe mélodique des voix sont, dans l'ensemble, plutôt rares (rien de précis, par exemple, n'est dit sur la qualité de la voix de Tristouse

chantant dans le bois de Meudon ou au couvent de Brünn). Le goût n'est

guère sollicité non plus dans les portraits (même si Roger complète son

éducation en goûtant quelques sécrétions corporelles, Pr III, 972). Les

sensations tactiles permettent aux héros des récits érotiques de vérifier de tactu la fermeté d'une chair que promettait une rondeur visuelle, mais ces

remarques s'inscrivent moins dans la présentation d'un personnage que dans l'action elle-même. Ce sont les sensations olfactives qui seraient les

plus riches puisqu'elles sont traditionnellement liées au corps (en particulier

féminin dans l'œuvre d'Apollinaire). Elles sont inséparables des portraits de Mme Muscade ou de la famille de Pertinax et ont, de toute évidence, une

valeur aphrodisiaque pour Roger (Pr III, 991, 993 -4, notamment). Leur

importance, cependant, n'est en rien comparable aux notations

chromatiques, fondements (avec les formes) des qualifications corporelles des héros apollinariens. Le prosateur en utilisant cette grille; s'il révèle ses

780

penchants, se rattache également aux plus anciennes traditions tout en constituant son propre "système" 1 .

Les couleurs contribuent d'abord à l'unité du personnage puisqu'une

même dominante parcourt tout le corps. Dans les bordels cosmopolites de

La Fin de Babylone ou des Onze mille verges, les clients potentiels ou réels

sont d'abord frappés par la diversité des couleurs de peau. Ainsi, Vietrix à Marseille découvre-t-il "de petites Ligures au corps rose", "de brunes Étrusques" , des esclaves noires, etc. Cornabœux et Vibescu apprécient

l'exotisme des Samouraïjoyeux en choisissant l'un, une négresse-Reine de Saba, l'autre, la Japonaise Kilyému (Pr III, 925-6). D'0rmesan lui-même est

surpris dans "Le Cigare romanesque" : "[ ... ] il ne me serait jamais venu à

l'idée que le Roméo havanais et sa Juliette pussent être des nègres." (Pr I, 204 ). Les couleurs privilégiées des corps apollinariens sont très naturelle­

ment celles du "clair" , du "sombre" et à un degré moindre du roux. La peau est un élément unifiant mais qui, une fois déterminé dans sa couleur, reste un support assez neutre. Elle est néanmoins en relation directe avec les

couleurs de deux des motifs majeurs des portraits, les yeux et les cheveux (ou, d'une façon plus générale, le système pileux).

Certaines couleurs corporelles s'éloignent des conventions de repré­

sentation et donc soulignent l'originalité du personnage ; on pense particu­

lièrement au violet (point extrême du spectre lumineux) du regard d'Élodie

Couronne ou aux "cheveux lilas" d'Elvire Goulot (Pr I, 416). D'autres se rat­

tachent explicitement à des "textes" littéraires autant qu'à des mythes (la

fille aux yeux d'or qu'est Macarée, les "cheveux de soleil" , etc.). Le plus

souvent, ces couleurs sont admissibles dans un cadre réaliste (les yeux

verts de l'infirmière polonaise, Pr III, 940) même si ces couleurs se prêtent à une interprétation plus large (yeux verts -+ "fées aux cheveux verts"

l'angélique infirmière est également maléfique). Les couleurs claires s'appli­

quent très globalement à des personnages "clairs" et "positifs". Vietrix a les

yeux bleus (Pr I, 6 3 6) , de même le malheureux et "angélique" fils de

Kokodryoff. llse ou Ursule ont les yeux gris clair. Le Père Séraphin, plus am­

bigu pourtant, a les yeux bleus et les cheveux blonds (Pr I, 94). Le clair se

retrouve en effet dans les cheveux, mais sert alors à définir des person­ nages plus variés moralement. L'association couleur-cheveux est une for­

mule quasi obligée des séquences descriptives et, chez Apollinaire, encore

plus fréquente que celle des yeux et de leur(s) couleur(s). Le clair et le 1 . Voir Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op. cit., p. 1 79.

781

blond sont les couleurs d'llse et de Mme Muscade, mais aussi de "la blonde Olly", de Van der Vissen, de Sopphâ ou, dans Les Onze mille verges, de

Zulmé, d'Alexine, d'Estelle Ronange, de Mariette ou de Nadège. Si, dans les

récits de fiction, et comparativement aux brunes, "les filles blondes [sont] rares" (Pr I, 571), elles permettent de déterminer soit une figure

(conventionnelle) de "femme idéale", soit de percevoir une origine ethnique

(les femmes "du nord") et en particulier le type germanique avec le "blond

filasse" de la Kellnerine "beau spécimen d'Allemande" (Pr III, 93 6) ou "le bel Egon" dans Les Onze mille verges, soit encore de déceler une marque de

coquetterie (les cheveux blonds "décolorés à l'eau oxygénée" d'Estelle

Ronange, Pr III, 906). Le clair et le blond, enfin, permettent de préparer

toute une série de jeux de contrastes avec les autres personnages 1 .

Entre le clair et le sombre, les teintes intermédiaires sont moins fré­

quentes - mais préparent des décalages intéressants. Le fils Kokodryoff aux

yeux bleus a néanmoins les cheveux châtains - donc plus sombres. Paméla

Monsenergues, parmi les quinze femmes de Lubel Perciman, a "seule les

cheveux châtains" (Pr I, 459) 2 • Le roux, dans les portraits, même s'il est

assez rare, garde toujours une valeur particulière. Il accentue l'élément igné,

viril et violent chez le botcha ("roux et vigoureux", Pr I, 3 34) ; il s'accorde également aux mystères christiques des personnages. Lee Lewes, le futur

"agneau mystique" sacrifié de "L'Orangeade", rencontre d'abord une

"barmaid rousse" (Pr I, 504) ; le narrateur, en suivant Pertinax Restif,

croise un homme dont les "cheveux pendaient, roux comme ceux d'un Christ." (Pr I, 182)3 • L'image de "Zone" ("C'est la torche aux cheveux roux

que n'éteint pas le vent", Po, 40) reste toujours présente 4 • Tout le mystère

du roux se trouve concentré dans la phrase-emblème de la jolie Corail ( Pr I,

487).

Plus encore que le clair, le roux fait ressortir la "carnation". Une peau

blanche ou pâle n'est relevée par le narrateur que si elle e st

particulièrement remarquable par son éclat ou sa pureté (ainsi pour

Alexine : "Sa carnation claire semblait transparente.", Pr III, 893 ) ou si elle

est mise en valeur par un contraste de couleurs. Le "grain", la finesse, la

. texture de la peau sont rarement évoqués (malgré l'exemple de Suzanne

Dinosor : " [... ] une peau dorée, au grain d'une extrême finesse.", Pr I,

1. 2. 3. 4.

Voir in fra, les oxymores. C'est aussi le cas d' Hélène Verdier (P r 9 1 6). L' Apollonia des " Pèlerins piémontais" est rousse. Le visage de Georges IX dit le Sonneux est " couvert de taches de rousseur [ . .. ] . " ( P r I, 3 7 3 ) .

m,

782

671). Une peau claire ne ressort que si un grain de beauté naturel (dans les

Exploits) ou artificiel (la mouche) vient la "pimenter". Le corps de Toné,

dans Les Onze mille verges, est exemplaire à cet égard : "[ ... ] le corps tout

blanc avait aux bons endroits de jolis grains de beauté qui en rehaussaient

la blancheur ; son visage était blanc également et un grain de beauté sur la

joue gauche rendait très piquante la mine de cette gracieuse fille." (Pr III, 889). Le pigment d'une rousse peut devenir, en soi, le piment d'un corps. Nous avons déjà parlé d'Hélène dans les Exploits

: c'est d'abord le roux de

sa toison qui retient l'attention de Roger ("une forêt de poils roux", Pr III,

970 ; il en est de même pour Kate, Pr III, 966). Lorsque le jeune Don Juan s'occupe d'elle plus concrètement, il ne manque pas de noter que ses

tétons "étaient comme la fille, entièrement couverts de taches de rousseur"

- ce qui, pour Roger esthète, serait presque une faute de goût (Pr III, 992).

La carnation, au même titre que les yeux ou les cheveux, contribue à

l'aspect "sombre" de la plupart des personnages féminins : le visage

"sombre" de Tristouse en fournit le modèle. Comme la blondeur, le brun ou

le noir sont d'abord des marques de la race, et en particulier de l'origine

méditerranéenne. Emblématiquement, le premier portrait de femme dans

Les Onze mille verges est celui d'une Monténégrine, Mira. Le Monténégro ne

peut avoir donné naissance qu'à une brune, agrémentée "d'une épaisse cri­

nière toute noire" et à des "monts" corporels particulièrement rebondis

(Pr III, 888). La Méditerranée impose son type de femme qui l'emporte,

chez Mia Cecchi comme dans l'ensemble des textes apollinariens, sur les autres types : " [ ... ] Mia, dont la carnation et les cheveux noirs attestaient

surtout le sang corse." (Pr I , 243).

Que l'origine ethnique ou régionale soit indiquée ou non, les person­

nages "bruns" (il s'agit parfois d'une qualification quasi unique) forment des séries particulièrement denses, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes. I l serait fastidieux d'en faire un relevé complet, même en se limi­

tant aux protagonistes, même en ne considérant que les portraits de

quelque ampleur textuelle. Le portrait modèle de l'homme brun pourrait être

donné par celui de Simon mage qui, à bien des égards, serait l'homologue

masculin des Macarée, Mia ou Tristouse. Il est "un homme aux cheveux noirs et frisés" ( Pr I, 130) et, plus généralement, un homme des couleurs puis­

qu'il a "la face fardée" (et porte de plus des vêtements "voyants" : "tiare

couleur de safran", "anneaux et bijoux d'or"). Sa description se termine sur

"De longues paupières violettes [qui] voil[ent] l 'éclat des yeux noirs" et sur

783

sa "bouche peinte" (Pr I, 1 31). On se souvient de Mia "toujours vêtue de

couleurs voyantes" (qui font aussi partie de l'élégance de Macarée). Le brun

peut donc être également un "fond" sur lequel se détachent les autres cou­

leurs : ainsi, le visage sombre de Tristouse "s'étoil[e] d'yeux remueurs [... ]." (Pr I, 268) 1 •

Ce sont, une fois de plus, les "récits romanesques" et les romans éro­

tiques qui fourniraient le plus grand nombre d'exemples (lesquels se

conformeraient aux modèles des textes plus "nobles"), avec notamment la

brune Georgette qui console la malheu·reuse Elvire et Anouké la courtisane égyptienne, dans La Femme assise et La Fin de Babylone . Dans les Exploits,

Ursule, en tant que figure exemplaire de la ribambelle de servantes, possède

des toisons d'un noir particulièrement marqué : "[ ... ] des cheveux d'un noir de charbon et quelque chose d'espagnol dans le visage [ ... ]." ( Pr III, 968),

ce qui sera confirmé deux fois dans la suite du texte. Ces caractéristiques

(qui sont aussi celles de Mme Muller, "le teint foncé, des cheveux noirs

comme ses yeux", "Pr III, 987) se retrouvent inévitablement chez une

"vraie" espagnole (la danseuse érotique des Onze mille verges aux "yeux de

jais" qui brillent dans sa face pâle, Pr III, 923), mais aussi chez Culculine,

Toné ou Ida. Le noir, des yeux ou des cheveux, le sombre ou le brun d'un vi­

sage ou d'un teint, ne sont pas porteurs de valeurs uniformes. Si le blond est conventionnellement couleur de l'idéal, on a vu qu'il pouvait définir une

"germanité" négative. De même, si les brunes Mia ou Tristouse sont fatales aux hommes qui les aiment, d'autres brunes peuvent figurer une perfec­

tion : il en est ainsi pour Macarée, pour Mariette en son jardin avec ses

"beaux bras bruns" ou "sa peau brune [ qui] attestait le sang sarrasin qui

coulait dans ses veines." (Pr I, 253). Les différents portraits de la jeune

Anouké la définissent constamment comme une "enfant souple" et comme une jolie brune ("brunette", "petite brune", "teint brun-doré", Pr I , 580).

Le motif récurrent du brun féminin se prête, par le langage même, à des

élargissements métaphoriques, voire à des calembours. Les femmes brunes sont inévitablement des êtres de "la brune", du crépuscule et du mystère

quand elles ne sont pas délibérément nocturnes. La toponymie elle-même

joue en clin d'œil, comme l'a montré Philippe Renaud2 • De Roquebrune à Brünn, les itinéraires du "Poète assassiné" sont, eux aussi, "en boucle".

1 . Sur les valeurs mythiques ( nocturnes, solaires) du brun et du blond, se reporter aux analyses de Madeleine Boisson dans Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit. 2. «Latnamaïnorc déchiffreur de Croniamantal [ ... ] », art. cit., pp. 117-8.

784

Le système des couleurs dans l' œuvre d'Apollinaire ne saurait être ré­

duit à une simple grille descriptive. Il déborde constamment de la qualifica­

tion physique du personnage ; il échappe, autant qu' il le sert, au réalisme des portraits. 1 Ainsi, un peintre comme Pablo Canouris peut- il avoir les

"mains bleu céleste". Les couleurs permettent des séries d'analogie avec ce

qui est contigu au corps (les vêtements) mais aussi avec les é léments du

monde naturel ou animal. Facteurs d' identification et de gé néralisation, elles

brouillent constamment les cartes (Pr I, 4 22) en convoquant d' autres

grilles, d'autres systèmes de qualification.

Nous ne nous proposons pas ici d'étudier en détail les registres d'ana­

logie qui sont mis en œuvre dans les portraits à travers les formes (globales

ou partielles) et les couleurs indiquées. Toutes les notations physiques ou

matérielles se prêtent aux images et au travail de métaphorisation. Dans certaines séquences des Onze mille verges, cet effort peut même devenir

caricatural par son aspect systématique : pensons, par exemple, à cette

scène entre Vibescu et Toné dont le postérieur "semblait un beau melon qui

aurait poussé au soleil de minuit, tant il était blanc et plein" puis semble

"une pastèque dure et pulpeuse" . L'art grec peut être sollicité : si ses

"superbes tétons [ sont] durs comme du marbre, cernés de bleu, surmontés

de fraises rose tendre", "ses fesses sembl[ ent] avoir été taillée(s) dans un bloc de Carrare sans défaut et les cuisses qui descendaient en dessous

étaient rondes comme les colonnes d'un temple grec. " (Pr III, 889) . Les romans érotiques multiplient à l' envi ces comparaisons stéréotypées, atten­

dues vu la situation, ou franchement burlesques. Les blasons du corps fé­

minin nous ont habitué à ces analogies avec le minéral, le végé tal ou l'ani­

mal. Le lyrisme à I' œuvre dans les portraits peut être ostensiblement paro­

dique, comme dans le salut du narrateur à la fille de Pertinax Restif, remar­

quable condensé de ce que pourrait être un portrait analogique et poétique

à partir d' une nomenclature et de grilles de dé pli

«Ses cheveux distillent de l'huile comme l'olive, mais sa peau, au contraire de celle de la Truitonne du conte de fées n' est pas huileuse. Ses dents sont belles comme des gousses d' ail. Ses yeux sont noirs comme les fruits du mico­ coulier. Ses lèvres sont comme deux tranches de bigarade et en ont peut-être la saveur amère. Son fichu qui palpite écrase sans raison les arbouses de ses seins.» (Pr I, 182-3) 1 . Par exemple, la " couleur cendre" fait oublier le cliché du " blond cendré" d'Alexine.

78 5

Tous les portraits qui sollicitent les éléments végétaux ne se dévelop­

pent pas selon la même tonalité. L'isotopie est d'ailleurs assez peu convo­

quée dans l'ensemble, même dans le cas des "femmes-fleurs-roses" (llse) où l'analogie, une fois posée, n'a plus besoin d'être reprise textuellement.

"La Plante" est sans doute le conte qui entrecroise le plus intimement, dans l'écriture même, les isotopies de l'humain et du végétal. Ailleurs, les

analogies sont plus ponctuelles entre les parties du corps et les plantes ou les fruits (les yeux-prunelles, les seins-pommes, poires ou fraises, les

toisons-chevelures-bois ou forêts, etc.), ce qui n'empêche pas des

élargissements implicites vers des corps-jardins, bois sacrés, forêts de

mystères, qui inscrivent le corps dans un espace naturel et cosmique

symbolique.

De la même façon, un portrait peut appeler un bestiaire souvent sté­

réotypé, en rapport soit avec le tempérament de la personne, soit avec un

trait physique ou vestimentaire. Ces notations, sans être systématiques,

sont relativement nombreuses. Un modèle serait fourni par la présentation

de Tristouse dans le cadre naturel du bois de Meudon. Ses yeux-étoiles sont •:remueurs comme des oiseaux" 1 • La présence mystérieuse de celui qui "se

tait sous l'aubépine", le "fils de serpent lui-même", entraîne directement

l'image centrale du "salut lyrique" de Croniamantal : "Ô mort, ô mort poilue des vers." ( Pr I, 2 6 8). On sait qu'Apollinaire, dans ses poèmes, a

également utilisé la polysémie bilingue de "love", associant étroitement l'a­

mour, les serpents et les corps enlacés. Une image stéréotypée de ces en­

trecroisements physiques et sémantiques est donnée au début des Onze

mille verges lorsque Vibescu fait glisser ses mains sur des "corps moites et

polis qui se lovaient comme des serpents." ( Pr III, 888).

La représentation des ébats amoureux se prête à de nombreuses com­

paraisons animales2 • Pensons à la scène du "cochon de chemin de fer" dans

laquelle "Mariette gloussait comme une poule et titubait comme une grive

dans les vignes" et Vibescu "manie" les seins d'Estelle, "doux et soyeux, on

aurait cru toucher les pis d'une chèvre laitière [ .•. ] . " (Pr III, 909). Dans les

Exploits, les analogies animales du corps féminin sont souvent moins ragoû­

tantes... La langue verte qualifie félinement les zones intimes féminines (et

Roger ne s'en prive pas) ; le sexe de l'homme peut être qualifié de noms

1 . Les y eux d'llse "remu [ ent] sans cesse comme des oiseaux." (P r I, 1 5 8). 2 . Voir les articles de Samir Marzouki («Le Bestiaire de l'amour dans l'œuvre de Guillaume Apollinaire») et de Heribert Wittenberg («L ' Amour dans Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée>) dans Expérience et imagination de l'amour, G4 1 7.

786

d'oi seau ( un curé exhibitionni ste en donne un aperçu lexi cal avec son "rossignol", Pr 1, 128)

Même quand les parties du corps ne sont pas directement associées à

un ani mal, les portraits peuvent mettre en rapport un acteur avec un ou des ani maux emblèmes. Les contes en fourniraient de nombreux exemples 1 •

Ai nsi , que ce soi t par des organes animalisés et sexuali sés, par le biai s de

couleurs animales, par celui de la texture des vêtements ( la fourrure notamment) , par le recours à des totems ou à des substituts ani maux, le portrait apollinarien sollicite tout un "bestiaire symboli que", tantôt expli cite,

tantôt plus secret à l' image d es "loups" polysémi ques ou d e l' ombre­ serpent, figure d' un homme énigmatique dont il faut suivre les "reptations"

i ncertai nes (Pr I, 501) .

• L' homolo g ie d u h aut e t du bas · l e s " vi sa ges" d u corps Les différentes séri es de qualifications ( selon des perspectives spa­

tiales différentes, des formes, des couleurs ou des analogi es naturelles)

tendent à représenter le corps comme un système homogène où le tout et

les parties se réfléchissent, l' effet-miroir du corps mi crocosme pouvant s' é­

largir aux di mensions de l' univers2 • Les différentes "faces" corporelles, les

différents niveaux correspondent - mai s, selon les types de récit, certai ns aspects seront i névitablement valorisés.

Le redoub lement, dans les descri ptions corporelles, est perceptible dès

le passage de la si lhouette au visage. Dans l'ordre attendu d' un portrait,

après les remarques globalisantes sur l'âge, l'allure, l'impressi on que donne 1 . Nous avons déjà évoqué les cochons de "L'Otmika", les sangliers, les lièvres et les écureuils de " Que vlo-ve ? " , le boeuf d' Egon, le singe et le perroquet du " Matelot d'Amsterdam", le lièvre de "La Lèpre". Dans " Le Poète assassiné", Tigoboth est un "matou" et Macarée est une poule, François des Ygrées est traité de "maq ... ". "Une huître et un hareng" composent une jolie fable emblématique, les animaux vivants symbolisent les costumes "à la mode", Tigoboth devient un requin, etc. On sait d'autre part que les Tziganes apollinariens sont toujours accompagnés " d'animaux sages" (dans "Saltimbanques" ou dans " La Comtesse d'Eisenberg", P r I, 388) ; le coq sert d'emblème (et de nom) aux " Coquins" et " Coquines" de " La Quatrième journée" - et nous ne parlons pas de tous les animaux plus épisodiquement associés aux actions (notons également le cas unique de " la Suite de Cendrillon [... ] " où " Le rat" et ses six lézards deviennent les protagonistes du conte). 2. Analogies rappelées par Françoise Dininman, «Blessures et mutilations symboliques [ ... ] », art. cit., G4 1 7, pp. 73-4, mais tel n'est pas notre propos ici.

787

/

un c orps, viennent les notations sur la figure de l'acteur, habituel micro­

cosme d'une personnalité. Le rapprochement visuel qui marque le portrait d'Horace Tograth est d'ailleurs exemplaire de la démarche descriptive : "À mesure que la c haloupe approchait, on distinguait mieux les traits du héros.

Son visage était [ ... ]." (Pr I, 294-5). U ne tête se dégage donc d'un en­

semble corporel encore implicite. Tel est également le cas dans la première

présentation de "celle que veut Omer". Mara n'est d'abord, textuellement,

qu'un visage détaché, fortement démarqué dans un cadre humain : "Mara passa sa jolie tête brune et peureuse· entre ses défenseurs [ . . . ] ." (Pr I, 138) . En tant qu'unité spécifique, la tête est d'abord une forme - mais qui,

dans l'ensemble, ne retient guère l'attention du portraitiste. La rondeur d'un

visage peut être induite d'une rondeur générale du corps (ou des rondeurs incluses dans la figure) ; elle n'est pratiquement jamais explicitée. U ne re­

marque comme "sa face pâle d'un ovale parfait" à propos de la danseuse

espagnole des Onze mille verges (Pr III, 923) reste exceptionnelle. La fi­

nesse des traits (ou l eur grossièreté) , de la même façon, est une consé­ quence de la description d'autres parties du visage ; elle n'est pas "obj et"

par elle- même. Le portraitiste n'est "physiognomoniste" que très épisodi­ quement. Les "types" (selon la largeur, la hauteur, l e développement des

zones, la vigueur ou la mollesse des traits) sont beaucoup moins nets que

pour la morphologie globale des personnages.

Dans les portraits, la tête est d'abord appréhendée, de face - c e qui

n'exc lut pas des suggestions ultérieures sur l'arrière. Le lexique apollinarien

tend d'ailleurs à distinguer le visage en tant que réalité anatomique ou es­

pace plastique et "la face" qui résulterait moins d'une perspective spatiale que d'une approche plus appréciative et symbolique. Si un visage a une

fac e, c'est qu'il doit en avoir une autre : "la face fardée" de Simon mage

par exemple, emblème de sa dualité (l'usage des deux termes cependant

n'est pas absolument rigoureux) . Le visage peut donc être l'objet, comme la

silhouette, d'une qualification esthétique globale, surtout quand les critères

sont poussés à l'extrême. Le plus souvent, cependant, le lecteur est réduit

à supposer que les innombrables notations de beauté c oncernant les

personnages féminins s' appliqyent, au premier chef, au visage.

11 faut une horreur particulièrement marquée pour que le narrateur

s'applique à le définir plus précisément : ainsi celui de la femme de Pertinax

qui "s'allonge" et la fait ressembler à "une serve mal nourrie" (Pr I, 184) .

Les deux visages de Mme Daurème ne peuvent également que retenir l'at ­

tention. La description donne parfois dans l'atténuation ou la nuance : si

788

François des Ygrées est explicitement "beau de figure" (Pr I, 2 3 3 ), Diane la régisseuse a "seulement" un "assez joli visage" (Pr III, 973 ) ; les quinze

visages des femmes de Lubel Perciman sont "agréables à voir" (Pr I, 457).

Un visage laisse une impression générale que le narrateur se contente le

plus souvent de qualifier de façon succincte (un acteur peut prendre le

relais : Criquette définit le Chislam Barrow invisible par "votre bobine, votre bobine, votre bobine !. . . , Pr I, 358). Il a surtout un "air" (doux, grave,

énergique, etc.). Si tout le corps de la Cichina trahit ses "minauderies", c'est d'abord son visage qui a "l'air faux" · ; la petite Ida est d' "aspect vicieux"

(Pr III, 920) ; même les "madones" peuvent avoir une double face, comme l'infirmière polonaise (Pr III, 940- 1 ). Le visage est le lieu où se lisent les émotions (de l'horreur complète à l'extrême jubilation) et toutes les

passions humaines. Il est donc l'espace même de la variabilité des êtres. Il

est, très généralement, le lieu où se révèle le passage du temps : "Sur le cou et sur la face [de la Cichina] couraient les ombres de ses années."

(Pr I, 3 3 2). On sait que telle est l'angoisse qui sous-tend le topos de la

femme au miroir. La coquetterie est également conjuration.

Le visage enserre des séries de composantes d'une extrême richesse

dans l'univers apollinarien (et dans la littérature, les arts dans leur en­

semble). Il est évident qu' Alcools, Calligrammes et tant de poèmes d'amour ne cessent d'illustrer ce thème, d'offrir des "images" du visage et du corps.

Nous nous limiterons ici volontairement aux structures de la description,

restant délibérément en deçà des exégèses thématiques, symboliques, éso­

tériques ou fantasmatiques. Notre étude tend à cerner les choix d'Apolli­

naire dans ses récits et surtout à définir une sorte de "rhétorique" de la re­

présentation du corps à partir de celle du visage.

Ce rtains motifs relativement délaissés nous permettraient une

première approche de ces structures descriptives, le front et les oreilles par

exemple. Nous avons vu que le front d' I saac Laquedem était, prémonitoirement diront certains, "entouré d'une bandelette de soie noire."

(Pr I, 85) ; de même celui de d'Ormesan, dans "Cox-City" porte la marque de son suicide raté (Pr I, 208-9). Dans les deux cas, quelque chose est caché. Même dans les récits de fiction écrits pendant la guerre, Apollinaire n'exploite pas organiquement la polysémie du terme ou le thème de la "belle

Minerve". Les blessures ou les morts de soldats restent assez vagues

(Anatole de Saintariste, poète et officier, est blessé au bras ; Giovanni Moroni dans "Cas du brigadier masqué [ ... ]" meurt d'une balle dans le

ventre ; Hyacinthe Brionne, d'une balle dans la poitrine, etc.). Le portrait

789

d'Ho race Tograth, cependant, mentionne que "[son ] front montait

perpendiculaire, très haut et très large" après avoir noté que son visage

était "sans menton" ( Pr I, 295). Ce détail est sans doute plus intéressant

que chez llse (qui a le menton "grasset" et porte "une fossette adorable").

En effet, outre l'analogie animale et méditerranéenne qu'il permet, il

accentue, par prétérition, la verticalité du personnage. Le menton-frontière est aboli : par son visage lisse et uni, accordé à l'ensemble du corps, le héros devient une colonne phallique dressée hyperboliquement.

Les limites horizontales du visage, les oreilles, ne sont pas davantage

des motifs privilégiés. Elles ne prennent quelque consistance qu'en tant que

support, de bijoux notamment, ou bien en tant que substitut d'un autre

organe. C'est ainsi que Culculine se saisit de l'oreille de Vibescu : "[ ...] elle

mordit Mony à l'oreille si fort que le morceau lui resta dans la bouche. Elle

l'avala en criant [ ... ].", Pr III, 894). Le "vagin denté", comme le souligne

Michel Décaudin dans sa préface de l'édition J'ai lu, est déjà à l'œuvre (p.

9).

Il est clair que toutes les composantes du visage peuvent jouer dans

les romans érotiques un rôle sexuel actif ou passif (le visage a lui aussi des "portes"). Telle est l'une des valeurs du nez, centre érigé du "haut" corpo­ rel. Il est dit que celui de Tograth "se retroussait et laissait béantes les na­

rines" ( Pr I, 295 ). Un nez blessé, un saignement de nez peuvent alors être

interprétés fantasmatiquement. Estelle Ronange, digne émule de Culculine,

agresse l'appendice du valet de Vibescu : "En remuant ainsi, elle donna un

coup de pied terrible dans le nez de Cornabœux qui en fut étourdi et se mit

à saigner abondamment." ( Pr III, 910). On sait que, de son côté, un

"ermite déchau x", dans u n poème d'Alcools, obsédé de tentations,

d' "Orbites" et de "Trous/Des narines rongées", "espér[ant] en vain l'hé­

matidrose", confond les sangs, sacré ou organique ("Puis enfin j'ai compris

que je saignais du nez", Po, 100-1). Les saignements, érotiques, humoris­

tiques ou sacrilèges, sont des marques de blessures dont on connaît

l'importance dans Alcools et Calligrammes (à tout moment, dans l'étude du

corps, des poèmes pourraient être cités) 1 • Le nez, cependant, en lui-même et non en tant que substitut2 , est très peu évoqué dans les portraits. Son

élision est quasi systématique même dans ceux qui s'attachent plus particulièrement aux visages. Tristouse, parmi les personnages féminins, 1 . Tel n'est pas notre propos. 2 Vibescu se curant le nez à défaut de pouvoir se donner un plaisir plus sexuel ( P r III, 907).

790

avec son "nez de travers", serait une exception notable ; il est vrai qu'elle avoue avoir la "démarche virile". Le nez, proéminent comme celui d'Isaac Laquedem, ou plus discret, resterait un privilège textuel de l'homme.

La bouche, en revanche, est un motif mieux partagé, "bisexué" en

quelque sorte - mais qui, paradoxalement dans les contes, est peu évoqué

en lui-même (dans sa forme ou ses qualités globales). Tristouse, une fois de plus, souligne son originalité en parlant de sa "bouche trop grande" ( Pr I,

277) ; de même, la mystérieuse dame de l'avenue Mercédès laisse perce­

voir à travers son masque, outre un "nez rose", une "bouche mignonne"

(Pr I, 544). La bouche forme d'abord un système composite ; elle est un

"contenant" ; elle gouverne des sous-thèmes plus développés que le thème

lui-même. Dans les descriptions du visage, elle existe principalement par les lèvres 1 , en rapport direct avec la morphologie du personnage ( par exemple, la lippe épaisse et pendante de la Thamar, Pr I, 184, ou, au contraire, la

"bouche presque sans lèvres" d'Horace Tograth, Pr I , 295, qui s'accorde à

sa minceur générale), et surtout par ce qu'elle contient, cache autant

qu'elle découvre (par la parole, le cri, le rire, bref par l'action) : la langue et

les dents, emblèmes de toutes les dévorations positives ou négatives, matérielles ou symboliques.

Comme les autres éléments du visage, les dents peuvent être l'objet

d'un jugement esthétique qui s'applique à l'ensemble du personnage : les

"vilaines dents" de Tristouse correspondent à son premier visage de laideur.

Leur aspect plastique est toutefois très secondaire dans le portrait apolli­ narien par rapport aux images de mangeurs terrestres ou de dévorateurs

célestes (les innombrables repas où l'on mange "à belles dents" aussi bien

que les paupières-mâchoires de Croniamantal ou la bouche dentée - in ab­ sentia- du requin Tograth). Il est inutile d'insister sur le fait que les dents

sont destinées à "mordre" et de revenir sur les jeux du signifiant qui accor­ dent "mordre" , "mord" et mort 2 • De la même façon, la langue, en tant qu'organe corporel, est peu évoquée dans les portraits des contes (même

sous la forme mi-concrète, mi-métaphorique qu'elle prend dans "Palais" par

exemple). La polysémie du mot la prédestine cependant à devenir tout

1 . Le motif est très important dans L'Enchanteur pourrissant. Les chauves-souris évoquent leurs "suçons si voluptueux" ( P r I, 20) et les grives célèbrent leurs " belles lèvres" : " Nous voudrions le baiser sur nos lèvres que nous léchons pour les faire paraître plus rouges. " ( P r I, 21 ). Au chapitre XII du " Poète assassiné", Croniamantal a "des baisers plein les lèvres" qu'il dépose sur le front de Tristouse, avant d'évoquer les dents et la morsure (P r I, 26 8). 2. Voir supra, la section sur les jeux verbaux (chapitre Il).

791

autre chose que ce qu'elle est organiquement (dans les romans érotiques

notamment).

Dans le système corporel apollinarien qui fait correspondre le haut et le

bas, le devant et le derrière, la bouche est un motif qui se dédouble : une

expression figée, resémantisée à l'occasion, "la bouche en cul de poule" de

Mme Dehan (Pr I, 2 31) confirme ces glissements. Les Exploits et Les Onze

mille verges ne manquent pas de souligner les homologies lexicales entre les deux niveaux de langue, de lèvres1 et, plus généralement, de bouches qui

sont constamment confondus2 • Ces romans, qui multiplient les scènes d'ac­

couplement, illustrent tous les fantasmes des bouches féminines, tantôt positives, tantôt mordantes et agressives. Les contes (ou les poèmes d'ail­

leurs) ne sont pas en reste, qui les suggèrent de façon plus médiatisée.

Nous avons parlé de la fable transparente de l'huître et du hareng inventée

par François des Ygrées (Pr I, 245) ; il est clair que d'autres scènes de

"découpe" de tête ou de membres auraient également une valeur de cas­

tration (les "petites têtes", comme il est dit dans Les Onze mille verges, ne sont pas épargnées) 3 • Si, dans les textes pornographiques, la bouche infé­

rieure de l'arrière est constamment visitée, _elle est également active dans un récit comme "Le Poète assassiné" 4 •

La bouche du bas, comme celle du haut, a sa parole et son souffle. Elle

a ses véritables artistes (le pétomane évoqué dans "Le Poète assassiné",

Pr I, 2 61) et ses "amateurs", à tous les sens du terme, comme Vibescu,

poète à ses heures (qui lâche pets, perles ou poèmes selon les besoins), ou

bien François des Ygrées. Le souffle du bas est une jubilation du corps qui s'accompagne des rires de la bouche d'en haut ; il est également une acti­

vité génésique puisque le poète Croniamantal naît d'un vent paternel

comme on l'a vu. Le souffle complète donc les synecdoques de la bouche inférieure dans un registre burlesque certes, mais qui confirme l'analogie des

deux visages corporels. Dans l'imaginaire apollinarien, les fesses sont

"joufflues", ont leurs fossettes, leurs "traits" ou leur raie plutôt, leur bouche et leur "haleine tiède". Cette bouche, qui n'est ni "terrible" ni "muette" (Po,

97), s'accorde d'autre part aux images obsédantes de rondeur dans le

visage du bas, suggérées également par les globes que sont les yeux.

1 Par exemple avec Berthe ( P r m, 96 3-4) , Diane (P r m, 9 7 5 ) ou M me Muller ( P r m, 9 88). 2 . Pensons au moine "s'activant" dans la bouche d' Attilia Moroni (la rage de dents), P r I, 323. 3 . Voir également " Lui de Faltenin" dans Alcools. 4 . N'oublions pas non plus ce ventre/bouche de Chislam Borrow, ventriloque.

79 2

Conformément à la tradition littéraire du portrait, les yeux sont le

motif privilégié des visages apollinariens. On sait que ce topos (des yeux de

la femme surtout) est abondamment illustré dans les poèmes d'Alcools par

exemple. Les récits ne sont pas en reste. Les yeux sont d'abord une synec­ doque morale puisque, conventionnellement "miroirs de l'âme", ils concen­

trent les traits d'une personnalité. Ils sont, de plus, une synecdoque enchâs­

sée car ils sont en rapport direct avec les valeurs générales d'un visage. Les

yeux se prêtent donc à des qualifications physiques, esthétiques ou surtout

morales. S'ils forment, eux aussi, un · système complexe, le "tout" semble

rester ici prédominant par rapport aux "parties" (contrairement à ce que

nous venons de dire de la bouche).

Bien entendu, comme dans "Les Colchiques" ou dans "Cortège" par

exemple, il peut être question, dans les contes et romans, de paupières, de

"prunelles" ou d' "iris" (Macarée, Pr I , 248), de "pupille de mon œil"

(Théodorine, Pr 1, 342), écho du "Pupille Christ" - cristallin de "Zone". C'est

pourtant l'œil en tant qu'élément globalisant qui est le plus souvent quali fié et donc décrit selon les critères habituels, de forme et de couleur essen­ tiellement. Si le second critère est régulièrement sollicité, le premier reste,

dans l'ensemble, assez discret. Rares sont les remarques sur la grandeur

(les "grands yeux d'or" de Macarée, Pr I, 228) ou la petitesse (les petits

yeux du Tatar dans Les Onze mille verges, Pr III, 93 6. Madame Rosemonde,

avec "ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des huns" ( Po, 61), a peu

d'émules dans les récits. Cependant, même lorsque leur aspect physique

n'est pas indiqué, ils trahissent le caractère, ou suggèrent le mystère d'un

individu. Le trait synecdochique est surtout moral : les yeux de Georges

Ostréole sont dits "inquiets", ceux du Tatar "malicieux" ; si Sopphâ a les

"yeux doux", c'est qu'elle fait les doux yeux à sa compagne lsé au regard "sauvage" de jeune fauve. Tristouse, dans son autoportrait pourtant assez

complet, ne les évoque pas directement ; on les suppose néanmoins

"pointus" comme ses coudes, peut-être "de travers", comme pour le regard de Mia : "[ ...] un peu de strabisme donnait à ses yeux noirs un regard un

peu égaré qui ne la rendait que plus désirable." (Pr I, 243 ). Les secrets

d'un être s'y concentrent ; ils sont le premier élément de la séduction d' Anouké la jeune esclave ("Elle était vraiment charmante : de jolis yeux

mystérieux et doux [ ... ].", Pr I, 644) ou le trait spécifique de l'énigmatique Élodie-Dame blanche.

Dans les récits de fiction, comme dans les poèmes, les yeux sont de

véritables microcosmes thématiques et contribuent au système analogique

79 3

du corps. Le portrait liminaire de Que vlo-ve ? en serait un bel exemple qui, par le jeu des couleurs et du bestiaire symbolique, fait des yeux du héros ardennais un lieu carrefour ou frontière privilégié (Pr I , 1 48). Ils sont "clignotants et chassieux, à chair des paupières rouges de jambon cru [ ... ].". Ils sont donc d'abord liés au feu ; lumières intermittentes d'un ciel et d'une forêt (les Ardennes) nocturnes, ce sont donc des étoiles (on se souvient de la forêt nocturne des cheveux de Tristouse et de son visage "étoilé"). Ils sont également "chassieux" , c'est-à-dire par retournement littéral du signifiant, "yeux de chat" (ce qui sera explicité dans la scène d'ouverture du "Poète assassiné"), ou bien "yeux de chasse" et de chasseur : Que vlo­ ve ? est "le compère des sangliers, le cousin des lièvres, des écureuils [... ].". De plus, par le signifié de "chassieux" cette fois, ils sécrètent un li­ quide visqueux : "[ils] larmoyaient sans cesse et les larmes lui brûlaient les lèvres comme l 'eau des fontaines acides qui abondent dans les Ardennes.". Les yeux chassieux enchâssent donc de l'eau de feu, des larmes qui sont aussi des larmes de sang. Elles brûlent la chair des paupières rouges, ce qui rapproche Que vlo-ve ? des hommes aux yeux arrachés ( dans "Giovanni Moroni" notamment). L'analogie organique avec le jambon prépare la scène du membre coupé (le bras), comme celle, plus lointaine dans le recueil, des jambes-Uambon) coupées de Marizibill dans "Cox-City". Le motif des larmes enfin (que l'on retrouve - mais avec une autre valeur - dans la "larme d'or" des Danites de La Femme assise) conduit vers le flot de sang qui "coule jus­ qu'à la porte" (Pr I , 1 5 6), jusqu'aux eaux de l 'Amblève-Léthé et aux enfers liquides ( Pr I, 1 57). Les yeux de Que vlo-ve ? se rattachent donc à une imagerie assez traditionnelle, au feu, à la vision et à la création d'une part, à la liquidité, aux douleurs du temps qui passe et aux noyades d'autre part 1 • Parallèlement, et à travers ces topoï des yeux-flammes, des yeux miroirs et reflets,

Apollinaire accentue leur réalité anatomique soulignant leurs rapports avec l'ensemble du corps et avec la nature. Vu la source des deux textes, il n'est pas étonnant de retrouver un mouvement semblable dans la scène de la procréation de Croniamantal. Sans même revenir sur les jeux de mots qui soudent davantage encore .les analogies, nous ne retiendrons que le glissement qui conduit des yeux d'or, "jolis globes" eux aussi, aux "seins, 1. Tels sont également les yeux de la Cichina : " [ ... ] encore humides comme le velours d'une loutre nageant à la surface de l'eau, les durs frissons du regret et d'une fin d' es poir mettaient parfois les miroitements bleus et froids de l' acier. "

( P r I, 332).

79 4

pareils aux fesses des anges et dont l'aréole était de couleur tendre comme les nuages roses du couchant. "

(Pr I, 2 2 8 ) . Au-dessous des yeux se

dessinent les rondeurs d'un cou ( deux fois marqué par couleur et couchant) et surtout des seins, les deux yeux de la partie médiane du corps, aux pupilles de couleur claire et céleste. Les images associent directement les yeux, les seins et enfin les fesses à la fois très concrètes et très angéliques. Les yeux-fesses ont leurs homologues dans les fleurs et plantes de la nature et dans les cieux (nuages, "lune" dont on a déjà évoqué la polysémie) D'autres rondeurs du bas restent impficites, mais elles sont connotées par la "jupe courte de cy cliste " et par la "chemisette " qui ne peut laisser apparaître que "de beaux bras bruns et potelés"

(Pr I, 2 5 2 ) . Le premier

conte ardennais, ouvert par les yeux de Que vlo-ve ? , avait déjà sollicité les images oculaires végétales ( bruyères et airelles d' une part, prunel les, fougères, iris d'autre part) et opéré le passage vers les organes sexuels des cieux avec leurs "couilles lumineuses", "la lune [ qui] n'en est qu'une" et surtout "les boules d 'or au ciel clair de ce soir" qui renvoient tout à la fois aux emblèmes masculins de Que vlo-ve ? , Guyame ou du babo et aux différents globes dorés de la femme parfaite, Macarée. Les deux grands derniers motifs liés à la tête, tout en restant spéci­ fiques, tendent à renvoyer également au bas du corps. On sait que la chevelure est un thème privilégié de la poésie amoureuse et qu'Apollinaire, dans ses poèmes, n'a cessé de l ' évoquer. Supports de couleurs à valeur ethnique et/ou symbolique, les cheveux sont également des formes et des vol umes qu'il conviendrait d'analyser dans le cadre des morphologies apollinariennes. Ils peuvent être, à leur façon, des miroirs de l'individu, de son état psychologique, de son caractère ou de son inscription dans un univers social. Les cheveux longs ou dénoués renvoient à un "naturel " ou à un laisser­ aller ; le peigne, la coiffure sont signes d'apprêt, de culture ou de civilisa­

tion 1 • Arraché à son sommeil, la narrateur du "Juif latin" plonge la tête dans

la cuvette et ressort "les cheveux en désordre" ( Pr I, 1 00). Aux person­ nages ébouriffés ( l 'indépendante Paméla arrivant à Salt Lake City,

Pr I,

47 1 ) , s'opposent ceux qui se coiffent soigneusement ( le réveil de la chaste

Pr 1, 673 ), qui se sont préparés, mettant leurs cheveux en nattes (la jeune fille ravie de "L'Aibanais", Pr I, 3 9 3 ) , en tresses ou en chignon. La

Suzanne,

façon de se coiffer, tout autant que la couleur des c heveux ou les 1 . Méretçar et l ' art de la coiffure, P r I, 628.

79 5

costumes, peut révéler une origine : ainsi dans le très long passage sur les

coiffures des quinze femmes de Lubel Perciman dans La Femme assise qui sont groupées par nationalité 1 •

Conventions sociales, goûts et effets de mode déterminent , autant

que la nature, la forme ou la longueur (voire la couleur, repensons à Elvire ou à Estelle "décolorées") des cheveux. Un poème comme "Nuit rhénane"

joue e xplicitement sur les valeurs symboliques des chevelures "libres"

(thématique liquide, écoulement , menace) ou "repliées" (thématique solaire

du blond, contrôle par le travail sur la nature, repli rassurant). Dans les ré­ cits, peuvent s'opposer les cheveux longs du marcheur infatigable qu'est

Isaac Laquedem et les cheveux courts de Tristouse. N'oublions pas cepen­

dant les "demi-courts" comme ceux de Suzanne Dinosor ( Pr I, 6 7 3 ) , les

cheveux lisses ou, au contraire, bouclés, les cheveux "rares" et les "masses

énormes" (Geneviève "coiffée d'une énorme tignasse" huileuse et crasseuse

malgré la poétisation forcée du narrateur) qui font de la chevelure, motif es­ sentiellement visuel et plastique, une réalité palpable, lourdement matérielle.

Nous n'insisterons pas sur ces schèmes, déjà évoqués par ailleurs, d'allon­ gement ou de rétrécissement, d 'effilage ou d'épaississement, d'extension ou de réduction, puisqu'il est évident que les chevelures les illustrent, et à travers eux les différentes valeurs de la verticalité/ horizontalité/circularité.

Retenons surtout ici, comme pour les autres motifs corporels du vi­

sage, les redoublements qu'ils entraînent. Chez les personnages masculins,

le m otif est couramment confirmé par ceux de la moustache et de la barbe

comme chez Isaac Laquedem. Quand le narrateur tente d'approcher l'ombre qui se promène, il croit discerner une pointe de moustache, seul signe viril

un peu consistant ( Pr I, 500). L'élégant assassin dans "Un beau film" est

"un m onsieur à favoris blancs" (Pr 1, 1 99) qui se masque pour son crime -

ce qui renvoie à la (fausse) barbe rousse de cet autre assassin qu'est Harry

Finngal (Pr I, 1 80). Une barbe épaissit un visage, et donc le renforce hori­ zontalement et verticalement, tout autant qu'elle souligne la virilité.

1 . «Parmi les quinze épouses, on distinguait facilement les quatre Américaines à leurs chevelures énormes où se combinaient avec de faux cheveux en quantité étonnante, les leurs qu'elles avaient fort beaux [... ]. Les cinq épouses anglaises portaient royalement les diadèmes de leurs chevelures d'or rose [ ... ]. «Les deux épouses danoises, la Russe et la Hollandaise se faisaient d'épais chignons avec les lourdes nattes de leurs cheveux, tandis que les cheveux noirs de !'Irlandaise en molles torsades faisaient ressortir la blancheur animée de son visage. » (Pr I, 459)

796

Cornabœux cumule les signes (même si le registre d'appréciation est -

momentanément - négatif : "Sa barbe en broussaille le rendait encore plus

hideux.", Pr Ill, 90 1 ) . On sait que, depuis Samson (au moins), colosse et système pileux abondant vont de pair 1 • Ce dernier est, de plus, un système

en expansion ( les mains du colosse brun sont poilues, ibid.) , ce qui, discrè­ tement ou pas ( et surtout non discrètement dans les récits apoll inariens) ,

conduit , tout au long du corps, via quelques duvets fém inins ou poils drus virils, vers les chevelures et toisons. inférieures qui hantent l'imagination du

conteur-romancier. Scott Bates a relevé une cinquantaine de termes ou ex­ pressions différents pour qualifier le système pileux fém inin, tant dans les poèmes que dans les récits2 • Dans les romans érot iques, les aisselles ou sur­

tout les toisons pubiennes sont décrites beaucoup plus précisément que ne le sont les chevelures d'en haut dans les contes. La "grille chromatique" est

constam ment soll icitée (les couleurs ne reflètent pas toujours fidèlement celles du haut). Les "volumes" sont en général abondants : les toisons sont

"riches" , "épaisses" , "grasses" , etc., et peuvent être "frisées" ou simple­

ment "frisottées" (Babette dans les Exploits ou la danseuse espagnole dans

Les Onze mille verges) .

Les différentes valeurs de la coiffure, de la chevelure et du système

pileux sont réunies dans "L 'Otmika". Le rapide portrait de la Tzigane, qui "Avec un vieux peigne cassé [ ...] peignait [une] chevelure triste comme une

relique de morte [ . . • ] . " (Pr 1, 1 40), rappelle la valeur magique du peigne (lié

aux dents, l ié au temps) et suggère la portée maléfique du personnage. La

chevelure de Mara est l'enjeu d'un duel aux dimensions érotiques patentes.

Elle est coiffée en nattes (motif double, longueur et travail), signe de son

état social, mais elle affirme vouloir se coiffer seule (signe d'autonom ie).

C'est bien à l ' indépendance de la jeune fille que la Tzigan e , auxil ia ire

provisoire d'Omer, s'attaque en proposant de la coiffer (c'est-à-dire ici, de

"couper" comme en témoigne la paire de ciseaux) mais aussi de l'épiler {pour qu'elle soit à la mode et surtout pour qu'elle soit soumise et docile)

1 . Nous pourrions rappeler le dialogue entre Dalila et Médée dans L 'Enchanteur pourrissant. La première se flatte d'avoir coupé " la chevelure de [s]on amant.". La seconde lui répond qu' "un chevelu devient ridicule après avoir été tondu." (Pr 1, 30). 2. Scott Bates, Glossaire [... ], op. cit., pp. 74-5.

797

« [ ...] J'ai épilé de belles musulmanes, dans !'Herzégo­ vine, et des chrétiennes aussi. Le goût de la chair lisse se propage, ma fille, et les touffes de fenouil, aux endroits se­ crets d'un corps poli, répugnent à plus d'un homme, même parmi les chrétiens. » (Pr I, 141) C'est que les cheveux du haut comme du bas, s'ils enserrent en eux-mêmes

les mystères des êtres et du temps, recouvrent les visages et rendent, vi­ suellement et symboliquement, inaccess_ibles les "endroits secrets".

La double chevelure est voile ou obstacle pour tous ceux qui recher­

chent une identité, une vérité ou, plus concrètement, une maîtrise sexuelle. Une chevelure courte ou repliée a également pour conséquence d'offrir un

nouveau spectacle, un nouvel élément corporel ambivalent : le cou. Rappelons que les cheveux de Tristouse "épars [signe d'indépendance

mais courts [maîtrise du temps

?],

?],

lui laissaient le cou nu [ ... ]." (Pr I,

268). Croniamantal ne relève pas ce motif érotique mais Roger le séducteur,

lui, est tout heureux du joli chignon de sa tante Marguerite qui dégage "une

nuque délicieuse. Les beaux chignons et les jolies nuques m'ont toujours mis

hors de moi [ ... ]." (Pr III, 982) 1 • Le motif de la nuque opère une double transition, vers le bas avec celui du cou et vers l'arrière du corps. Elle est dans les deux cas un seuil, prélude pour Roger à d'autres griseries.

Comme partie nue d'un corps habillé, espace de chair démarqué ou

comme autre face du visage, la nuque peut entretenir les rêveries érotiques,

comme substitut de parties interdites ou cachées. L'imaginaire du poète

privilégie cependant le cou, lieu frontière et lieu fragile, lieu magique du

souffle de vie. On connaît les fantasmes de "cou coupé", de strangulation

ou d'étouffement d'Apollinaire (la mort par noyade notamment) et "la mé­ taphore obsédante du cou tranché du soleil"2 • "La cicatrice à son cou nu", qui est la marque de la prostituée dans "La Chanson du mal-aimé" (Po, 47),

se retrouve explicitement au troisième chapitre de La Femme blanche des

Hohenzollern : "Mais la voyageuse pencha la tête, le cou sortit de sa colle­

rette, de sorte qu'on aperçut une trace rouge qui me parut être l'extrémité

d'une cicatrice.". Le narrateur souligne la valeur fantasmatique de cette

blessure supposée : "Et aussitôt mon imagination d'entrer en jeu et de

battre la campagne à propos de cette cicatrice." (Pr I , 93 2). Ce qui est

1 . Phrase qui rappelle l'émoi provoqué, chez le narrateur du "Poète assassiné", par les bras nus. 2 . Françoise Dininman, «Blessures et mutilations symboliques [ . . . ] », G4 1 7,

p. S S .

79 8

marque infamante dans la "Chanson" devient ici (hypothétiquement) l'une

de ces "marques honorables laissées par cette époque dangereuse où nous vivons." 1 • Blessure de guerre ou écrouelles, qu'importe : le cou est exhibé dans son "charme", sa fascination visuelle autant que linguistique.

En dehors des romans (ou des séquences) érotiques, le cou est rare­

ment évoqué dans les récits, du moins sous sa forme directe et concrète. Il

est rappelé dans la grande fête munichoise où tous rient à gorge déployée :

"[ ... ] sur cette butte grouillante, dure et agitée comme la pomme d'Adam

de Gambrinus même [ ... ]." (Pr I, 2 3 9). Plus tragiquement, Van der Vissen,

"comme un joueur affolé", se jette sur la fausse jeune femme" et tent[e] de

la saisir au cou." (Pr I, 3 64) ; de même Croniamantal sur Horace Tograth

(Pr I, 298). Le travestissement est peut-être aussi dans le mot. Un mot qui

fait rêver également le narrateur devant la voyageuse à la cicatrice : le cou,

les coups (de canon : les autres voyageurs au même moment, parlent de "bombes"), mais aussi "les écrouelles", le gonflement maladif de la gorge

qui emprisonne (les écrous) le souffle, un mot qui déclenche la vision de la femme "fleur de lis" - ce qui peut encore renvoyer à la marque de la prosti­

tuée. Le cou blessé se gonfle ou saigne : par les images comme par les glis­

sements du signifiant, le motif du cou appelle un autre motif organique rond

et gonflé, que le malheureux cardinal Ricottino, avec sa médaille-écu, ne peut, pour le coup, embrasser (Pr I, 2 3 5).

B. L' HYPERBOLISATION DU BAS CORPOREL

Les portraits rendent donc compte en premier lieu de la tête des per­

sonnages - ce qui s'inscrit dans la tradition - mais en suggérant de façon

plus ou moins cryptée les correspondances avec le bas - ce qui est spécifi­ quement apollinarien. Ce bas, en fait, commence avec les épaules, la gorge

et tout ce que recouvrent, dans la vie sociale, les vêtements. Ceux-ci lais­

sent apparaître essentiellem�nt des formes érotisées, même quand le texte, pudiquement, ne parle que de "charme" ou de "grâce".

1. On pense aux " parties honorables de l'écu" évoquées dans " Le Poète assassiné"

( P r I, 2 3 3-4) .

799

• De l ' eu p hémisme à l' hype rbole Les ellipses et les accélérations qui marquent la description du vi sage

se retrouvent dans l'évocation de certaines parties inférieures du corps. On ne peut qu' être frappé par la discrétion des remarques sur certains

éléments corporels attendus dans un blason. Les mains, par exemple, ne

sont pas un grand motif dans les récits d'Apollinaire. Les synecdoques

obligées (les doigts, les ongles) qui sqnt évoquées dans les poèmes sont assez rares ici 1 (dès lors qu'on écarte le rôle érotique du doigt "substitut" dans les textes pornographiques) 2 . Lorsqu' elles apparaissent dans les portraits, les mains reçoivent des qualifications générales, assez banales 3 ,

en rapport direct avec la silhouette du personnage (simple prolongement des bras dont elles accentuent les formes et les valeurs) ou avec la

situation diégétique. Le gommage des mains pourrait être exprimé

exemplairement dans le portrait de la dame masquée de l' avenue

Mercédès : "[ . . . ] ses mains étaient cachées dans un grand manchon en

fourrure de singe." (Pr I, 544). Elles peuvent toutefois, comme les autres parties du corps, jouer leur rôle de synecdoque : Paméla est, pour le missionnaire mormon à moitié assommé, "l'arni [ e] aux si douces mains"

("[ . . . ] une main délicate étanchait avec un mouchoir parfumé le sang de ma blessure.", Pr I, 439 ) . Très naturellement, la main devient la synecdoque de l'artiste (pour le peintre Pablo Canouris, toujours dans La Femme assise) ;

celles du R oi-Lune courent sur le clavier ou bien · théâ tralisent la

convocati on de l'univers entier ("[ ... ] faisant un geste à la fois efféminé et théâtral, la main droite étendue, la gauche sur son cœur [ . . . ]. " , Pr I , 31 4) .

Le grand artiste "manuel" est, à l' évidence, le cher Ludovic qui, mieux qu'un sculpteur, pétrit le matériau h umain.

Pour les parties inférieures, comme pour le visage, le portrait opère des

choix, dévalorisant explicitement, ou in absentia, en n'en parlant pas, des

éléments privilégiés par d'autres "poètes" du corps. L'exemple des pieds est

intéressant, qui laisserait apparaître quelques contradictions. On se souvient

de l' intervention péremptoire du narrateur du "Poète assassiné" qui se

démarque nettement des adorateurs ou des fétichistes du pied : "Il est des gens qui attachent une grande importance à la perfection du pied." (Pr I,

1. La morra dans " La Favorite" unit la main, le jeu, l'amour et la mort. 2 . La masturbation est directement évoquée dans les récits ; plus allusivement dans les poèmes. 3 . Sauf pour Tristouse et ses " mains qui repoussent" (P r I, 2 5 6).

800

2 5 2) . S'il avoue préférer le bras, i l concède cependant (et heureusement pour la cohérence de la représentation du corps apoll inarien) que cette perfection le "touche" - esthétiquement s'entend. Les récits, en effet, mentionnent quelques pieds agréables comme ceux de la mère de Roger ( "ses jolis pieds bien en chair", petits pieds",

Pr III, 960) ou d'Élise ( "une paire de jolis

Pr III, 996) . On se doute néanmoins que le pied, dans les ro­

mans érotiques, peut ''toucher" d'une autre manière. Souvenons-nous de la

scène déjà évoquée du "petit salé" avec Hélène Verdier, dans Les Onze mille verges, qui permet la description la pÎus précise de tous les récits de fiction

(Pr III, 91 8).

Si certaines parties inférieures du corps se trouvent euphémisées ( elles n'en gardent pas moins, quand elles sont citées, leurs valeurs symboliques et sexuelles traditionnelles) 1 , le bas corporel dans son ensemble - c'est une évidence - est hyperbolisé. Nous avons montré dans un précédent travail, et dans une autre perspective, que cette hyperbolisation correspond à une vi­ sion carnavalesque du monde, héritée très directement pour Apollinaire de la t radition médiévale 2 • Nous nous attacherons ici aux structures de l'amplifi cation dans le cadre d'un portrait. Celle-ci peut être jugée à plusieurs niveaux : au plan strictement anatomique par la précision de la description { la richesse de la nomenclature) mais aussi au plan lexical (la variété des termes de désignation) et, enfin , au plan prédicatif ( les qualifications formelles, esthétiques et les élargissements métaphoriques).

• Les motifs corporels hyperbolisés Nous venons de voir à travers l 'étude du visage et de ses homologies avec le bas un certai n nombre de ces techniques. L'hyperbolisation n 'y concernait que certaines composantes anatomiques (les cheveux notam­ ment) et n'était à l' œuvre que dans le cadre de certaines "grilles" : les formes avec le rond, les couleurs avec les yeux et les cheveux. Le système homologique, par des jeux subtils de langage, par des i mages in absentia ou

des analogies explicites, établissait néanmoins la correspondance. Le "bas" était déjà présent là où il n 'est pas organiquement. Lorsqu'il est évoqué

1 . Nous évoquerons plus loin, dans la section sur les oxymores internes, le motif des jambes. 2 . Voir Le Jeu autobiographique [... ], op. cit. , pp. 7 9-88.

801

pour lui-même, toutes les structures d'amplification deviennent explicites, à

commencer par le dépli minutieux des composantes. Si le narrateur parcourt parfois jusqu'aux extrémités pédestres le syntagme corporel, il a plutôt ten­

dance, dans l'ensemble, à s'arrêter en chemin et à explorer ("visiter") les éléments inclus dans certaines parties privilégiées que sont la poitrine féminine, le ventre, les fesses et, inévitablement, le sexe lui-même.

L'hyperbolisation commence par un phénomène doublement quantitatif

par rapport à la nomenclature. D'abord la multiplication des items à l'inté­

rieur d u microsystème organique d éfini. La poitrine, par exemple

(souvenons-nous de celle de Macarée) , est un système double, homogène en général d ans les portraits apollinariens, mais qui possède ses sous-par­ ties, les veines (bleues d 'Hélène Verdier) , les grains de beauté et, dans l'in­

clusion concentrique, l'aréole (de couleur tendre pour Macarée) , l'auréole

("très large et de couleur brunâtre" pour Diane la régisseuse, Pr III, 974),

les boutons ("rouges" qui "ressortent") , les pointes ("dures" chez la brune Ursule, Pr III, 990) ou qui s'allongent (comme chez la soubrette Mariette

d es Onze mille verges ( Pr III, 896) . La d ynamique homologique ("Ces té­ tons [ ceux d e Diane] étaient aussi fermes qu'une paire de fesses.", Pr III,

974) conduit naturellement à cet autre microsystème composite d ouble­

ment postérieur (puisqu'il vient en général après l'évocation d es éléments anatomiques du haut et du bas) . Nous n'insisterons pas sur les sous-parties

longilignes ou rondes (qui sont pourtant, dans le cadre d e l'hypervision por­

nographique, abondamment d écrites) . Le ventre, système plus unitaire, a

cependant, comme son homologue de l'arrière, son centre considéré sy mbo­

liquement comme l'omphalos corporel. Roger, poursuivant son éducation, ne

manque pas de s'occuper du nombril d e Diane qui "était en relief au lieu

d 'être en creux comme chez ma sœur." ( Pr III, 973) . On sait que, dans d e

nombreuses traditions, le centre est marqué e n relief par une pierre

dressée, pouvant, comme à Delphes, indiquer le lieu de la victoire d 'Apollon

sur le serpent Python. Nous avons dit que le nom de Diane gouvernait un

univers mythologique parodique et que le "coq" Roger accomplissait d es

"travaux" comme Hercule. Les glissements s'opèrent naturellement d u nombril (dont les jeux sont célébrés dans "L'Ermite", par exemple, Po, 1 00)

à l'omphalos apollinien, et d 'Apollon à Hercule ou à ses avatars

apollinariens 1

1 . Les poèmes de Vibescu les explicitent, en particulier " Hercule et Ompha le" qui joue sur l'ambiguïté du pa trony me (P r m, 908). L'ompha los-nomb ril est creux ; Ompha le est femme ; mais Ompha le, d'après les légendes les p lus

802

La nomenclature dans les descriptions du sexe masculin est relative­

ment réduite. Dans les contes, il est surtout présenté de façon indirecte,

par le biais des prédicats chromatiques ou par des périphrases à propos du

personnage. Les romans érotiques, inévitablement, sont beaucoup plus précis dans l'évocation de la "mentule mâle" de Vibescu ( Pr III, 907), du

membre de Roger ou de leurs compagnons. Les "parties naturelles de

l'homme" sont soit définies par un terme globalisant pour la "triade" (les

couilles dans "Que vlo-ve ?"), soit par des synecdoques, quand l'attention

ne se porte pas explicitement sur les testicules ou le pénis. Les premiers

travaux pratiques de Roger sur lui-même permettent un parcours descriptif

assez complet ( Pr III, 971-3 ) . Cette scène d'onanisme, par sa précision

anatomique, renvoie à la séquence de la chute de Berthe dans l'escalier,

modèle d'un dépli de nomenclature du sexe et, d'une façon générale, du bas

de la femme présenté lui aussi comme un système composite (Pr III, 9634).

Le second effet d'hyperbolisation est lié à la réitération, tout au long

des mêmes récits ou dans l'ensemble de l'œuvre apollinarienne, du même

dépli. Le roman érotique est, par définition, malgré la variété des partenaires

ou des "cas de figure", répétition et ressassement. Les Exploits d'un jeune

Don Juan est exemplaire, avons-nous dit, de cette fausse linéarité de la découverte par accumulation de scènes apparemment singulatives. La série

d'exploits est, au plan de la description, une série obsédante des mêmes phénomènes textuels. En ce sens, le récit pornographique est ritualisation,

conjuration de la diversité, la célébration d'un même corps, arraché aux si­

tuations et aux avatars temporels. Les structures de déshabillages, manipu­ lations-dépli, de visions immobiles exacerbées, de nomenclature exhibée et

reprise sans cesse sous les mêmes formes produisent, comme certains bla­

sons, un effet litanique d'incantation.

L'écriture, cependant, combat parallèlement l'effet de redondance par

le travail lexical et la création verbale. Pour désigner ces référents orga­

niques démultipliés et réitérés, Apollinaire convoque une multitude de mots

et d'expressions différents, ce qui contribue stylistiquement à l'hyperbolisa­ tion du bas corporel. Si la description, comme l'a montré Philippe Hamon,

est un duel de compétences, une rivalité implicite descripteur/descriptaire, un défi ou une épreuve 1 , Apollinaire portraitiste impose sa maîtrise sur courantes, domine socialement Hercule. Elle est donc "omphallique" comme la pierre dressée (nous y reviendrons). 1 . Philippe Hamon, Introduction à l'analyse du descriptif, op. cit., p. 46.

803

"l'objet" et d 'abord sur le lexique de l 'objet. À l'uniformité des structures présidant à la mise au jour de la nomenclature s'oppose l'expansion des paradig mes de désignation à partir d'un hypothétique "po i nt neutre" d'appellation anatomique. Scott Bates, dans son glossaire, a effectué un très précieux travail de recension des "mots libres" d'Apollinaire 1 , c'est-à­ dire de tous ces termes qui renvoient au bas corporel et à la sexualité dans les poèmes comme dans les récits de fiction. Pour le corps de la femme, le critique a relevé une cinquantaine de comparaisons ou de métaphores différentes 2 • Les nombres, en effet, sont révélateurs en eux-mêmes. Puisque nous nous occupons ici des désignations des parties du corps, nous écarterons les quelque soixante termes et comparaisons désignant la copulation et les positions de l'amour, la trentaine concernant le "léchage", la vingtaine de termes et de verbes s'appliquant à la sodomie, la vingtaine à la masturbation, la quinzaine aux homosexuels mâles et la douzaine pour les lesbiennes, ainsi que tous les termes concernant les productions du bas organique. Pour ce bas érotisé, et en suivant l'ordre canonique descendant, nous relevons avec Scott Bates, plus de soixante-dix termes et comparaisons dif­ férents désignant la poitrine, les seins, les mamelles et mamelons 3 , une quarantaine s'appliquant à la chevelure inférieure de la femme ( une dizaine aux aisselles)4 , et plus de cent trente à son sexe5 • Les entrées d'un glos­ saire étant multiples, il conviendrait d 'ajouter la quinzaine de termes et d'expressions s'appliquant au clitoris6 • Les désignations du sexe de l'homme l ' emportent néanmoins quantitativement puisq u ' i l bénéfi cie de cent soixante-dix appellations différentes ( sans compter la cinquantaine relative à ses états et à ses activités) 7 . Le derrière ferait presque figure de parent pauvre du corps avec ses soixante formes de désignation 8 mais il ne fau­

drait pas oublier la trentaine de désignations supplémentaires qui sont le propre de l'anus9 • Ce premier constat devrait être précisé. D'abord certains

termes retenus par Scott Bates (les plus métaphoriques) ne le sont que sur le mode hypothétique (la signification sexuelle n 'est pas assurée ; elle ne se 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

Glossaire [. . . ], op. cit. Ibid., pp. 20-2 1 . Ibid., pp· 5 5 - 7 . Ibid ., pp. 74-5. Ibid., pp 87-9. Ibid., p. 1 7 . Ibid., pp. 8 9-94. Ibid., pp. 25-6. Ibid., pp. 7-8.

804

justifie que dans le cadre d'une signification globale d'un texte). Ensuite, de très nombreux termes ou expressions poétiques ne sont employés que dans

les textes versifiés (mais pas seulement dans la poésie dite "érotique") ; ils ne nous concernent pas directement ici.

Cette double réduction, toutefois, ne remet pas en cause l'évidence

d'un foisonnement du vocabulaire sexuel dans les récits de fiction.

Apollinaire puise dans l'énorme réservoir du vocabulaire "populaire" ou sa­

lace, dans les trésors de la langue verte, dans des intertextes peu connus (les Kryptadia) quand il n'invente pas les termes ou les expressions lui­

même. À ces questions d'origine et de propriété littéraire s'ajouteraient les

questions liées à la nature rhétorique de ces termes-expressions qui sont

des images ainsi que celles des niveaux de langue et de l'effet produit.

Reprenons l'exemple des fesses, motif privilégié entre tous. Le prosa­

teur peut utiliser ce terme anatomique, le plus exact et le plus neutre, ou celui, sans doute plus cru, de "cul", lequel est probablement plus "humain"

que "croupe" fort apprécié d'Apollinaire. Comment classer, et selon quels

critères, "arrière-train", "fondement" ou "postérieur" pour rester dans le domaine strictement dénotatif ? Une étude de fréquence ne serait pas in­

utile, qui montrerait certainement une prédominance des deux premiers

termes, les plus simples et les plus directs. Le cul, que nous avons étudié phoniquement, graphémiquement et morphologiquement dans "Que vlo­

ve ? " , correspond à la brutalité des mœurs ardennaises comme à celle des

étreintes amoureuses (les romans érotiques en font un grand usage). Le

mot n'est cependant pas exclu des séquences violentes de certains poèmes (le "cul de dame damascène" de la "Chanson"). Le mot "fesses", par lui­

même, est moins connoté érotiquement et, lexicalement, renvoie moins à

l'autre face du corps qu' "arrière-train" ou "postérieur". Il lui faudra donc des qualificatifs d'accompagnement (ce dont "cul" peut plus facilement se

dispenser). "Fesses", cependant, équivoque chez Apollinaire avec "fèces" et

impliquerait, davantage que "cul", une production fécale (on sait que dans

"Onirocritique", "le ciel était plein de fèces et d'oignons", ce qui renvoie doublement à l'anus selon Scott Bates) 1 . Le cul, d'autre part, est plus glo­

balisant, résumant souvent les parties basses antérieures et postérieures de

l'homme et de la femme (pour l'homme, le mot "couilles" semble parfois

prendre la même valeur synthétique). Le mot "croupe" correspondrait

plutôt à une activité ou plus particulièrement à des fesses en mouvement. 1 . Ibid., p. 6 5 .

805

On ne s'étonnera pas de voir ce mot associé surtout à la danse (le kolo), à

la démarche d'un individu ou aux agissements d'un giton, "l'encroupé" par

excellence. Il serait cependant imprudent de systématiser car les mots sont fréquemment synonymes.

Le motif anatomique peut être également désigné par des termes plus

savants, plus indirects ou plus poétiques. Nella paraît "stéatopyge" (fausse

"Vénus hottentote à l'arrière-train déformé par la graisse" ou illusoire

"Vénus [grecque] «callipyge»", Pr I, 1 121) : fesses et "qualités" sont ré­ unies par une seule expression médicale, esthétique et mythologique. La

"lune" pour désigner les fesses est à peine ressentie comme une image (même si Apollinaire, on l'a vu, la resémantise), mais le mot appartiendrait à

un registre familier, probablement moins cru que "cul". Le "fondement" se­

rait assez archaïque, ce qui pourrait correspondre à l'image du vieux Socrate pédophile (le général Kokodryoff) ; ce terme permet, de plus, des jeux de

mots très soulignés ("li lui inculque par le fondement une science qui me pa­

raît assez solide [ . • . ] . ", Pr III, 9 21 ). Les rondeurs lunaires de Macarée ont

ouvert le cercle des synecdoques et des analogies surtout végétales et frui­

tières : rien d'étonnant à ce que le mot fesses soit remplacé au besoin par "globes", "boules inférieures", melon et pastèque, poire, perle, etc. Elles

peuvent être également qualifiées par des périphrases qui rappellent, par

exemple, l'iconographie chrétienne des anges joufflus en haut et en bas, ou

bien les qualités habituelles des "fruits pulpeux" (qui, dans les romans éro­ tiques également, "tombent sans qu'on les cueille"), sans oublier un "cratère volcanique" d'une négresse renversée dans Les Onze mille verges (Pr III, 925).

Le champ lexical des fesses illustre la double tendance de la désigna­

tion hyperbolique : la réitération - martèlement des mêmes termes d'une part (sur le modèle des culs terrestres et célestes de "Que vlo-ve ? ", Pr I,

1 52 ), et l'exploitation la plus systématique du paradigme d'autre part. La

démultiplication lexicale , "verticale", s'accompagne des répétitions

"horizontales" distillées dans la "grande syntagmatique" du récit. Le lexique

des sexes en serait l'illustration extrême, avec ses termes stricts ou ses

images lexicalisées (bite, braquemart, dard, membre, mentule, noeud , phalle, phallus, pine, quéquette, queue, verge, vit ou bien motte, chat, con,

vagin, entre autres) et les mots ou expressions de stricte désignation mais qui gardent leur valeur comparante (bâton, cep, corne, couteau, manivelle,

robinet, quille ou bien abricot, figue, quetsche, grotte, moule ...). Ces

derniers termes, images in absentia, permettent l'exploration de différents

806

champs analogiques et le jeu de comparaisons ou de métaphores plus ou moins filées.

Les baguettes, braguettes, boute-joie, cure-dents, flûtes, pilons, quilles

et autres sucres d'orge et mouillettes, appellations directes dans les récits

(comme les plus cryptés Lui, Lulaf, arc-en-ciel des poèmes), les patro­

nymes-sexes de Cox, Roger, Vibescu, Culculine d'Ancône ou les innom­

brables images à valeur phallique qualifient un univers textuel et sexuel hy­

pertrophié. La richesse lexicale et stylistique de la désignation des sexes

n'est que le premier signe d'un système d'amplification qui, à un autre ni­ veau, structure la rhétorique des qualifications. Le schème d'expansion conduit du mot brut à l'expression �omposée lexicalisée, de l'expression à

l'image développée, de l 'image à son explicitation (par des jugements "techniques", esthétiques, moraux, métalinguistiques 1 ). Pour le sexe, plus encore que pour les autres composantes de la nomenclature organique, la

description s'ouvre sur des ensembles prédicatifs hyperbolisés, lesquels dé­ finissent également des schèmes d'hypertrophie. Il suffirait, pour le montrer,

de prendre deux types d'exemples, le système appréciatif et la "grille" for­

melle qui tous deux poussent à l'extrême les qualifications ou tendent à fa­

çonner le sexe (et le corps) humain(s) à la m�sure - ou à la démesure - de l'univers.

Lorsque les contes définissent la beauté ou le charme d'un individu, ils

restent en général dans le cadre de l' "agréable" et du "joli", qualificatifs

qui sont des limites implicites dans un récit qui veut garder, un ancrage

réaliste. L'excès peut être une menace générique, la marque d'une bascule

vers une autre esthétique, "grotesque", caricaturale ou, au contraire,

"sublime". Ainsi, dans L 'Hérésiarque et Cie, Bandi n'est qu'un (pourrait-on dire) "joli garçon" et Que vlo-ve ? est Li bai valet ; dans Le Poète assassiné, les deux paysannes au bain sont "deux belles filles", Attilia Moroni

est "une belle brune". Parfois, beauté et nom sont directement associés

dans l'appellation, comme pour la "Belle Locatelli" de "Souvenirs bavards".

La tension vers le sublime apparaît dans quelques portraits centrés sur le

haut du corps (les visages d'llse ou de Mme Daurème) mais elle est 1 . Le développement inattendu sur les testicules dans les Onze mille verges confirme l'équivalence du bas et du haut : "Ces petites boules [ ... ] que l'on appelle testicules , non pas, comme on le dit communément , parce qu'elles servent de témoins à la consommation de l'acte amoureux , mais plutôt parce qu'elles sont les petites têtes qui recèlent la matière cervicale qui jaillit de la mentule ou petite intelligence , de même que la tête contient la cervelle qui est le siège de toutes les fonctions mentales." (P r m, 9 1 6).

807

perceptible également dans l' ambiguë description de M ariette ("ravissante

paysanne" ) . En fait, ce sont surtout les corps et les "bras" qui bénéficient des qualificatifs d' excès. Pour quelques nudités simplement "savoureuses"

ou "gracieuses" (comme celle de la femme de Ludovic) , que de chairs

"insolentes" et de "corps admirables" (comme celui de Lydie Vernon) .

Le registre hyperbolique évaluatif est en général positif ; il ménage

d' ailleurs des progressions qui correspondent souvent, dans les récits porno­ graphiques, aux stades du rapprochement des corps et à la montée de l'exaltation. Le premier contact visuel est encore relativement neutre (dans un "régime euphorique" tout de même) ; le portrait "en action" active éga­ lement l'hyperbole. Celui d'Hélène Verdier note d'abord les "beaux cheveux"

pour célébrer ensuite les "deux superbes tétons" , "les trésors

incomparables de deux jambes sans défaut." (Pr III, 916- 7). Dans le même roman, "la belle Haïdyn", la femme circassienne de M ounine, est

"admirablement faite" avec notamment "ses seins moulés par les Grâces"

(ce qui correspond à un "état d'excitation extraordinaire", Pr III, 933) .

Florence, la femme de Katache, est "une fille si merveilleuse que mes

descriptions ne vous la montreraient pas à moitié aussi belle qu'elle l' était

en réalité. " (Pr III, 945) : la prétérition accentue l' hyperbole. Le registre

de l' exagération n' exclut pas les effets d' humour1 ou d' antiphrase,

notamment quand le narrateur célèbre certaines "beautés" allemandes de

Munich ou de Port-Arthur. Le "trop", ennemi du beau, est aussi au service de l'horrible comme nous l'avons vu dans le portrait figé de la femme de

Pertinax, dans certaines visions par Roger des chairs intimes féminines (d'où

l'euphémisme : "En vérité, le spectacle n'était pas admirable [ . . . ]. " , Pr III, 975) . Les qualifications hyperboliques concernent également les corps en

mouvement jugés dans l' excès de leur exhibition, dans la frénésie de leurs

accouplements, dans l'horreur de leur dépeçage.

Dans l'évocation des bas corporels, l'énorme est avant tout dans les

qualificatifs s'appliquant aux formes. U ne phrase des Exploits comme "[ . . . ] je pus à mon aise contempler l'énorme masse de son ventre et aussi la gros­

seur inaccoutumée de ses tétons [ • • . ] . " (Pr III, 973) pourrait être retenue comme modèle des gonflements anatomiques. L es schèmes de gigantisa­

tion, que nous avons évoqués à propos des colosses, sont surtout sensibles 1. La systématisation plaisante de l'éloge apparaît dans cette structure ternaire des Exploits : " [ ... ] Ursule, qui avait déjà montré une paire de mollets très prometteurs, laissait voir deux belles cuisses dignes de tous les honneurs et qui se terminaient en un superbe cul dont les fesses ne laissaient rien à désirer. " ( P r

m,

969).

808

dans les descriptions des parties inférieures du corps et sont concrétisés

par les différents excès de longueur, de largeur ou de grosseur. Dans La Fin

de Babylone, Suzanne Dinosor, "splendide femme" a les "seins puissants", le

"torse large", le "ventre majestueux" (Pr I , 671 ) ; les qualificatifs associent d'ailleurs souvent les aspects de beauté et la désignation d'une opulence des formes comme pour la poitrine de Gyptis, "merveilleuse". La représen­ tation du corps féminin privilégie naturellement les amplifications circulaires,

les rotondités et les globes de tous niveaux et de toutes sortes, celle du

bas masculin, l'extension en longueur, mais les deux types peuvent être

renversés sans que l'on puisse obligatoirement conclure à une inversion des

sexes ou à une bisexualité.

Pour les portraits de femmes, le fantasme mammaire est patent dans

la description, lors de la messe noire de Bucarest, d' "une nourrice à visage de madone et dont les énormes nénés étaient gonflés d'un lait généreux."

(Pr III, 91 4) : la représentation semble hésiter entre la louve ro!!maine et la vache lo ("On la fit mettre à quatre pattes et le pape se mit à la traire,

comme une vache, dans les vases sacrés.", ibid. ) . On se souvient de

"l'offertoire" de la scène de "Procréation" dans "Le Poète assassiné" où

Tigoboth veut se saisir des seins, "chair miraculeuse", présentés "comme à la messe le pain bénit." (Pr I , 22 8) 1 . Contrairement au musicien ambulant,

la plupart des héros masculins ne "se retiennent" pas 2 . L'énormité des seins

est fréquemment mise en relation avec la maternité. La Suédoise muette en

apporterait la confirmation ("Ses seins gonflés de lait - car elle était bonne

nourrice - bombaient la chemise.", Pr III, 937-8) , mais Diane la régisseuse

resterait le modèle de ces gonflements.

Les formes du ventre se prêtent particulièrement à l'hyperbole. Il peut

être simplement "rond" (Anouké la jeune esclave, Pr I , 581 ) ; s'il est

"poli", il n'est jamais explicitement "plat", ni chez les femmes ni même chez

les hommes qualifiés de "grands et maigres". La maternité le fait "devenir arrogant" (Macarée,

Pr I , 235) . Les onze femmes de Robin Farmesneare

puis "d'autres troupes de femmes" enceintes arborent fièrement leurs

ventres à Salt Lake City

1 . Le pain, bénit ou non, est de toute façon fortement sexualisé. Apollinaire écrit à Madeleine le 4 octobre 1 9 1 5 : " [ ... ] ta chair je la pétris comme le boulanger pétrit la pâte et cette comparaison a dû toujours s'imposer puisque aussi haut qu'on remonte les pains ont toujours été pétris en forme sexuelle - le pain fendu sexe féminin, le pain long sexe viril." ( Tendre comme le souvenir, OEC, IV, 5 6 0 ) . 2 . Nous avons déjà évoqué l a scène " mammaire" entre Roger e t Hélène ( P r III, 9 9 2 ) ; voir la section sur ce prénom dans le chapitre IV.

809

Toutes onze étaient enceintes et leur grossesse à toutes pa raissait avancée. Leurs ventres énormes se balançaient devant elles et leur donnaient une noble apparence. ( Pr I, 450-1) Et, peu à peu, il y eut tellement de ces femmes enceintes qu'il parut n'y avoir sur la place de l'Union que leurs ventres énormes qui remuaient comme les petites vagues d'un lac sur lequel flottaient comme .des bouchons de petites têtes aux visages enlaidis par la grossesse. ( Pr I, 451)

Si la maternité peut enlaidir les visages (repensons au "masque de la

grossesse" de la femme de Pertinax), elle embellit le plus souvent, anoblit le corps. Macarée, dans son monologue/dialogue avec son ventre personnifié,

ne dit pas autre chose. Ses réflexions contradictoires exhibent, théâtrali­

sent, hypertrophient le ventre, tantôt fardeau tantôt magie, à la fois cou­ pable d'imposer sa loi à la femme, et innocent quand l'héroïne reconnaît son "âme égoïste" :

«Que dis-je, ô mon ventre ? tu es cruel, tu sépares les en­ fants de leurs pères. Non ! je ne t'aime plus. Tu n'es qu'un sac plein, à cette heure, ô mon ventre souriant du nombril, ô mon ventre élastique, barbu, lisse, bombé, douloureux, rond, soyeux, qui anoblis. Car tu anoblis, je l'oubliais, ô mon ventre plus beau que le soleil. Tu anoblirais aussi l'enfant du chemi­ neau wallon et tu vaux bien la cuisse de Jupiter. Quel mal­ heur ! un peu plus, j'aurais détruit un enfant de race noble, mon enfant qui déjà vit dans mon ventre bien aimé. » ( Pr I, 2 30) Le lyrisme à propos du ventre est également celui d'Anatole de Saintariste

rêvant aux ruines et à la femme enceinte : "J'aperçois déjà ce qui sortira

d'elles. Et les morts, pour émouvantes qu'elles soient, évoquent pour moi le

prochain repeuplement de la France." ( Pr I, 472). Il est inutile d'insister da­

vantage sur l'expansion anatomique d'un corps féminin qui prélude à l'ex­ pansion par d'autres corps. On connaît la morale des corps gonflés des

Mamelles de Tirésias, ses schèmes de multiplication corporelle, annoncés (?)1 par l'heureux épilogue déjà "repeuplant" des "exploits" de Roger ( Pr III, 1000).

Les gonflements des corps masculins n'ont pas, en général, la même

valeur. Exceptionnellement, un bel éphèbe (Egon dans Les Onze mille

verges) se voit gratifié de "seins arrondis" ( Pr III, 929). Plusieurs acteurs 1 . On a dit q u'Apollinaire prétendait que la pièce aurait été conçue longtemps avant sa représentation.

810

mâles sont présentés ou se prétendent "enceints" (la "pièce morale", le Père Karel). L'arrondissement hyperbolique du ventre lié à l'excès de man­

geaille et de boisson (I' "énorme godaillerie munichoise" ) semble, le plus

souvent, maladif ou dysphorique, contraire à la virilité ou à une saine et

sainte ascèse quand il s'agit d'un religieux. Paradoxalement, la fréquence

des repas et la jubilation liée à l'art culinaire n'entraînent pas des grossisse­

ments rabelaisiens et euphoriques des corps. Un rapport direct et positif ne s'établit pas. Tout se passe comme si les beaux corps étaient gonflés d'eux­

mêmes, par nature ou par une "culture" raisonnée ("La Quatrième journée") et appropriée (pour les rondeurs inférieures).

Les ventres ou les bas sont comme spontanément "rebondis" (terme

fré quent pour les formes féminines) ; ils sont "pleins" (au sens strict) ou

"fermes", manifestant tension et dynamisme corporels, une santé gaillarde

(les paysannes "bien bâties" des Exploits) . Peu de mollesse, d'empâtements

légers (sinon ceux qui viennent avec l'âge mais qui sont corrigés artificielle­

ment) ; surtout de la vigueur qui se trahit par des peaux et des organes

lisses et tirés. Cette tension conduit parfois à des images surprenantes mais

très symboliques. Le ventre-tambour résonne, concrètement et fantasmatiquement, à la fin des Onze mille verges, avant de crever. Les

ventres trop gonflés, mais il en serait de même pour d'autres organes corporels, sont prêts à éclater. La tension hyperbolique des formes est un

point extrême, prélude à des naissances et/ou à des morts (nous avons vu que l'infirmière était maternelle et ange de la mort). Retenons surtout que

l'hypertrophie est également un point de passage et de rupture avant l'évanouissement et l'annulation.

On se doute que les hyperboles fessières (auxquelles il faudrait ajouter

celles des "mottes" et des cuisses directement associées dans la représen­ tation du corps féminin) achèveraient le tableau des rotondités énormes.

Les descriptions de fesses sont saturées de qualificatifs d'appréciation

(systématiquement positifs, ce qui n'est pas le cas des seins par exemple), de formes, de "texture", etc. Le "cul [y est] massif et ferme" 1 . Le travail humain peut parfois pallier les défaillances de la nature. Nous avons suggéré

l'importance des scènes de flagellation (excès de mortification dans

"L'Hérésiarque", sadisme dans Les Onze mille verges)

; La Fin de Babylone

nous donne une version plus esthétisante avec la "maîtresse" Anouké, la

vraie "Vénus callipyge" mais qui l'est devenue grâce à un exercice particu-

1 . Les Onze mille verges (P r

m,

938).

81 1

lier : " [ . . . ] deux autres femmes frappaient à coups redoublés avec des verges étoffées de soie les magnifiques fesses de leur maîtresse. Cela dura un bon moment.". Et la jeune femme avoue : "C'est par ce procédé que je possède ces larges cuisses [ ... ] . " ( Pr

I,

6 3 7 ) . Si l'hyperbole du fouet per­

met une conversation "à bâtons rompus" ment les surenchairs . . . 1

(Pr I, 6 3 3 ) , elle favorise égale­

Les longueurs extrêmes ou les organes "trismégistes" caractérisent surtout les personnages masculins. Les femmes ne peuvent être longues que des bras et surtout des jambes ( sur le modèle des "longues cuisses nerveuses" d'Estelle Ronange,

Pr III, 909) - à une exception près, la Wanda

des Onze mille verges. Ida se jetant sur son amie découvre "une forêt de poils" ( l ' hy perbole du système pileux inférieur est une constante des romans érotiques apollinariens) "d'où émergea un clitoris long comme le pe­ tit doigt [ . • . ] . "

(Pr III, 9 2 0) ; puis "le clitoris en érection de Wanda" fait

son travail "comme un homme" ( ibid.). Les fantasmes de virilité entraînent des hyperboles oblongues obligées (Comabœux, Egon et son "grand vit in­ épuisable", le torero obscène) - Croniamantal et ses "partes viriles exiguita­

tis insignis" étant un contre-exemple, hyperbolique a contrario. Dans "Que vlo-ve ?", comme dans Les Onze mille verges, les questions de nombre (les trois couilles) ou de taille impl iquent des rivalités masculines. Si, globale­ ment, le long doit l 'emporter, son triomphe n'est pas systématique. Ainsi pour le malheureux Katache qui, doté d'un membre plus avantageux que son rival Prospéro ( " [ ... ] il n'était pas plus gros que le mien. Il était même plus petit et pointu.", Pr III, 947 ) , n'en doit pas moins s'incliner. 2 L'amplification des formes du bas organique les prédestine à devenir spectacle. Si elles ressortent souvent dans les mouvements de l'amour ou dans ceux d'une danse lascive et impudique, elles se gravent aussi, immo­ biles, dans les i maginations comme sur des murs. Telle est la valeur du "couloir des g raffit i " dans "Le Roi-Lune" , " couloir étroit" des zones "obscures" de la conscience d 'Apollinaire où les inscriptions et les dessins condensent les valeurs érotiques des lettres et des formes, en les exhibant devant un promeneur-lecteur : "Un double phalle monstrueux fleuronnait l'M initiale de l ' i nscription suivante [ ... ]."

(Pr I, 3 08 ) . Ou bien encore,

"équivoques et énigmatiques" :

1 . Apollinaire avoue à Madeleine : " Sans y mettre aucun vice et aucune manie , j'ai l'âme des Grecs qui adoraient Vénus callipyge et je n'ai aucune honte d'un goût aussi helléniq ue. " ( Tendre comme le souvenir, OEC, N, 5 3 8). 2. Katache , en revanche , est vaincu "quantitativement" par le " chasseur alpin" ( P r m, 948).

812

Des cœurs percés, des cœurs enflammés, des cœurs doubles, d'autres emblèmes encore : ctéïs ailés ou non, im­ berbes ou toisonnés ; phalles orgueilleux ou humiliés, pattus ou prenant leur vol, solitaires ou accompagnés de leurs té­ moins, ornaient la paroi de tout un blason indécent et capri­ cieux. ( Pr I, 309 ) On ne peut imaginer meilleure autodésignation du blason apollinarien, qui n'exclut jamais "un éclat de rire sarcastique".

• De l ' hyperbole à la prété rition des corps Vous vous séparerez mes membres

(Po, 1 70) L 'exh ibition des parties hyperbolisées du corps conduit à les

constituer, malgré le système homologique, en des "tout" autonomes et

séparés. Les portraits, en tant que séquences descriptives, opèrent le même fractionnement que celui que nous avons analysé pour l'espace1 • Le

blason est une "découpe" et une juxtaposition des éléments, chaque

synecdoque assume un ensemble corporel. Le portrait physique du Père Séraphin, par exemple, est pauvre (et d'une "germanité" conventionnelle) ;

son zèle pourtant se traduit dans son corps (avant même d'être prouvé,

dans le texte, par son comportement sacrilège), particulièrement par son

bras dressé, accordé à un être "grand et maigre". Tout son fanatisme, toute sa vigueur impitoyable s'y concentrent ; sa main est, de plus, mutilée. Ainsi, lors de ses prêches :

S'il élevait le bras, sa main droite, où il n'y avait que le ma­ jeur et l'annulaire, car les autres doigts manquaient, on ne sait par quelle aventure, semblait la tête cornue d'un diable nain. ( Pr I, 95) L'avant-bras, comme support d'un nom épigraphié, renforce le mystère du

passé du religieux mais, surtout, accentue les séparations corporelles. Le

Père Séraphin devient, pour ceux qui l'écoutent, l'image même du Bras

vengeur de Dieu. Les différentes visions de "Simon mage" explicitent ce

"blason divin" :

1. Voir Jean Burgos, Pour une poétique de l'imaginaire, op. cit., pp. 2 5 9 -7 1 .

813

Et l'Ordre qui est la Bouche de Dieu parut au firmament où, à la parole du mage, se manifestèrent Tathmahinta, qui est le Coude gauche au Corps de Dieu, Adramat, qui est un Doigt majestueux au Pied droit du Corps de Dieu, Auhez, qui est un Doigt préhensif au Pied gauche du Corps de Dieu, au­ près d'Hatoumah, qui, !'Intégrité même, est aussi un Orteil au Pied gauche du Corps de Dieu. Et quelle i mmense Majesté emplissait le ciel , à mesure qu'apparaissaient les célestes Puissances qui sont des Membres au Corps de Dieu ! (Pr I, 1 3 5 ) La célébration des parties d u corps l e dé-compose et, en même temps, le magnifie. Jean Burgos a montré que, dans les portraits, les schèmes de séparation se traduisent très concrètement par des scènes d'ablation et

d'arrachement 1 . Nous reprendrons rapidement, mais dans notre propre

perspective, les images les plus fortes, comme cel le de la mort du babo

dans "Que vlo-ve

?",

déjà abondamment commentée par les différents cri­

tiques qui se sont attachés au conte ardennais 2 • Les deux combattants "se

tir[ent] d'abord des pintes de sang", le ventre-derrière du babo est double­ ment fendu et ensanglanté ; et surtout, "De son couteau il [Que vlo-ve ?]

(Pr I , 1 5 5 ) . On sait que ce bras de­ vient pochette et fleur ( "tige florie de cinq pétales", Pr I, 1 5 6 ) , "épée" qui

se mit à couper le bras à la jointure."

sépare les deux amants et emblème phallique évidemment. Les jambes cou­ pées de Marizibil l , on l'a vu, enserrent le cou de d'Ormesan dans "Cox-City", prêtes symboliquement à lui couper la tête. Ce fantasme de la décollation est récurrent dans l'œuvre d'Apollinaire, que ce soit pour les "petites têtes" du bas masculin ou pour la tête supérieure, comme en témoignent les deux réécritures de "Salomé" et de "La Danseuse". Le conte de L 'Hérésiarque et

de

met en place très concrètement (tragiquement et lyriquement) un

"tête-à-tête" entre le prophète et la princesse : à "la tête chevelue à face barbue", au "chef sanglant", à "la tête précieuse" de l 'un correspond très littéralement la "tête [ ... ] tranchée et posée sur un plat d'argent" de l 'autre

(Pr I, 1 25-6) 3 • Dans les deux cas, la décollation s'accompagne d'une danse rituelle, celle de la lascive Salomé ou celle de ses homologues animaux, ter­ restres ou célestes.

1 . Ibid.

2. André Fonteyne, Françoise Dininman, Claude Debon, Madeleine Boisson, Jean Burgos ( op. cit.) notamment. 3 . Jean Burgos a déjà remarqué cette symétrie exemplaire dans Pour une poétique de /'Imaginaire, op.cit., p. 262.

81 4

La séparation des parties a une double conséquence sur la rhétorique

de la description. D'une part, elle accentue l'hyperbole en permettant à I' -

élément détaché de mener une existence autonome, d'autre part, elle

amorce une dynamique de diminution-mutilation, une thématique du

manque qui conduit alors vers les formes de la prétérition .

L'hyperbolisation peut se marquer par la vie nouvelle que mènent les

parties dissociées. Exceptionnellement, un "corps sans tête", comme celui

du malheureux hareng phallique de la "Fable", flotte encore "à l'aventure,

sur l'Océan" (Pr I, 245). Apollinaire se plaît à faire survivre l'élément coupé de son "tout" organique. La tête de Jean-Baptiste est encore objet de désir pour Hérodiade ; celle de Salomé, comme le corps du hareng, dérive avec

"la débâcle" des glaces du "soleil de Pâques" qui prépare sa résurrection.

L'âme incluse dans cette tête s'en va vers d'autres pays, se réincarne dans

d'autres êtres et prend d'autres formes rondes et humaines :

Je ne suis pas éloigné de croire que celle de Salomé avait empli la fille de Jephté, et que, n'ayant jamais chômé depuis, elle survit en Espagne, en Turquie, ou peut-être aux pro­ vinces danubiennes, dans le corps d'une danseuse de Kolo [ ]. (Pr I, 127)

...

"L'œil merveilleux" du Poète assassiné est sans doute le meilleur exemple de l'organe autonome et divinisé 1 • Un œil bleu céleste, symbole de

toutes les perfections et de tous les savoirs, un œil insaisissable ("Il passait

vite, tachant l'ombre dans les couloirs de son bel azur.", Pr I , 347), cheva­ lier "effrayant" de tous les rêves des jeunes filles romanesques qui essaient de le rattacher à des hommes idéalisés ("[ ...] ce devait être l'œil d'un des

chasseurs qui avaient passé quelques soirs auparavant au milieu des fan­ fares de cors [ ... ].") et non à quelque infirme ("Nous ne songeâmes point

que l'œil unique dénotait un borgne [ ... ]."). Dans leur "berlue" merveilleuse, la narratrice et ses compagnes écartent le cyclope au profit de l'œil divin.

C'est à nouveau dans un "couloir sombre" (comme dans "Le Roi-Lune") que

se révèle l'élément corporel autonome ; l'obscurité fait ressortir l'éclat de

cet "œil qui voit tout" - et qui ne peut appartenir qu'à un homme magnifié.

Tout naturellement l'œil devient l'emblème d'une société qui se

consacre entièrement à "la puissance virile" (Pr I , 460), celle des Mormons.

Tout comme le palais érotique du Roi-Lune portait sur ses murs des images

1 . Ibid., pp. 2 6 3-4.

815

de sexes, les bâtiments de Salt Lake City exhibent le signe sacré de la toute-puissance ( un "œil peint en bleu", Pr I, 446) : Et partout sur les boutiques, sur les maisons, sur le Museum, sur le Ta bernacle, sur la maison d'Endowment, sur la maison du lion avec son portique, c'étaient, gravés ou peints, la ruche symbolique ou encore le nom révélé de Déseret et toujours I' «œil qui voit tout», entouré de rayons, emblème sacré des Saints-du-dernier-jour. ( Pr I, 460) L'organe autonome acquiert ou incarne des pouvoirs magiques. N ous l 'avons vu, dans un cadre bien différent, avec le motif de la chevelure cou­ pée qu'arbore la vieille Tzigane de "L'Otmika" avant de s'attaquer à celle de Mara 1 • L'emblème se transforme alors en trophée. Telle est également la

valeur du bras tranché du babo. Tel peut être aussi le prix à payer pour une rivalité amoureuse ou une étreinte frénétique2 • L'organe détaché sacralise à la fois la victime et le vainqueur. La séparation peut prendre les formes violentes du "perçage " , du "vidage" ou de l'arrachement des organes : Hérodiade surenchérit sur la dé­ collation du Baptiste (Pr I, 1 2 5 ) . Dans un même registre de cruautés antiques, La Fin de Babylone met en scène un combat entre deux favorites de la cour de Balthazar, un affrontement qui ne peut que rappeler le combat

singulier entre Que vlo-ve ? et le babo. Le despote efféminé "fait boire à chacune un verre de sang [ ... ] . " (Pr I, 662). Puis :

La lutte fut féroce. La Scythe, plus robuste, avait enfin ter­ rassé sa rivale qui lui avait griffé le visage de ses ongles acérés, mais la princesse noire réussit à arracher l e collier à tête de serpent [ ... ] et d'un geste rapide, tandis que l 'autre l 'étranglait , lui creva tour à tour les deux yeux. [ . . . ] deux flots de sang [ . . . ] coulaient des deux trous rouges de ses yeux [ . . . ] . ( Pr I , 6 62-3 ) La séquence centrale de "Giovanni Moroni" donne l 'illustration la plus atroce ( " [ . . . ] un cri d' horreur s'échappa de toutes les poitrines.") du fan­ tasme des yeux crevés ou arrachés : "La face d'un homme brun et beau était apparue, dont les orbites étaient tachées de sang.". Un papier donne l'explication : " Bice t'aimait pour tes yeux bleus. Je les ai vidés comme des coques de moules." ( Pr I, 3 27). Dans le conte, cette scène vient confirmer

1 . Ibid., p. 264. 2 . Dans Les Onze mille verges .

81 6

une séquence précédente (mais ultérieure dans l'écriture) qui commémore

la "première frayeur" du jeune Giovanni :

[ ...] un homme entra. Il était maigre, assez mal vêtu ; ses yeux flamboyaient étrangement et ses paupières sans cils étaient retournées. On voyait une chair vive, rouge et répu­ gnante autour des yeux. Effrayé, je saisis les jupes de ma mère [ ...] « Je le dirai à papa, je le dirai à papa.» (Pr I, 3 22) Les mystères restent entiers dans ce récit autobiographique : qui est cet

homme aux yeux de sang ? Est-ce le vrai père de Giovanni puisque l'on ap­

prendra que Beppo n'est qu'un père nourricier ? Cet homme énigmatique,

physiologiquement ou fantasmatiquement, est un "père de sang". Il a les mêmes yeux que Que vlo-ve ? le vrai père de Croniamantal. Giovanni,

double transparent d'Apollinaire, serait le fils d'un homme sans yeux, brun

et "rouge" comme l'inconnu que suit le narrateur dans "Le Musicien de Saint- Merry" :

" [ . .. ]

un

homme sans

yeux

sans

nez

et

sans

oreilles/[ ...]/Jeune l'homme était brun et ce couleur de fraise sur les joues" (Po, 188) 1 • Les yeux vides ou vidés sont, dans "Giovanni Moroni" , la marque d'une béance, remplie cependant par une chair "à vif", des yeux morts et des yeux vivants marqués par le rouge ambivalent. Ces yeux sont

exemplaires des "blessures et mutilations symboliques" dans l'univers

apollinarien2 . Dans le domaine organique, elles réduisent les pouvoirs du

corps, l'avilissent, le rendent effrayant et marginal, impliqueraient la

miniaturisation et le dysphorique ; par la mort ou la disparition d'une partie

cependant, les autres parties ou le "tout" corporel acquièrent une puissance surhumaine.

L'homme diminué dans son sang, ses sens, ses membres, devient un

être d'une autre nature. L'artiste affligé d'une tare physique est un véritable

topos qu'Apollinaire reprend à plusieurs reprises3 • La figure de l'aveugle, par

exemple, apparaît dans l'épisode mormon de La Femme assise, "conduit par deux petits enfants" 4 • Il a joué pour sa communauté le rôle de Chislam Cox,

le chercheur d'or, mais il est un Cox positif puisqu'il a assuré la prospérité

de tous. Il se prétend, lui aussi, un envoyé de Dieu ("[ ...] je fus l'instrument

1 . Voir la pantomime de 1 9 1 4 . 2 . Voir l'article de Françoise Dininman, art. cit. 3 Le " bossu" comédien dans La Femme assise ; le " bossu" Louis Vedaldet couturier notamment. 4 . Sur les sources de cet épisode, voir Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8 de Claude Debon ( op. cit., p. 634).

81 7

que les dieux avaient choisi pour que soit accomplie la prophétie de Joseph

Smith [ ... ]. C'est moi qui ai trouvé tout l'or de notre monnaie [ ...].", Pr I,

449). Une légende s'est constituée à son propos : "On disait encore qu'il

avait été aveuglé par l'éclat de l'or [ ...]." . Son infirmité est la marque de

son élection divine autant que de sa cupidité. Les récits sur sa gloire veulent

donc qu'il se soit "aveuglé" de lui-même ; n'est-ce pas également ce que

fait Lucien Daurème, l'homme de la "lumière d'or" ? Du "sacrifice" de ses

yeux et de l'automutilation ("[ ... ] il saisit avec empressement les deux

longues épingles et brusquement se creva les yeux.") est née une "oeuvre admirable". Ailleurs, un masque de brigadier est aveugle, mais il permet de

voir l'invisible (Pr I, 383).

Dans les portraits, les hommes du sacrifice et du sang deviennent, si

l'on peut dire, les êtres du "sans" et du manque. La description physique tend à définir l'individu par l'absence d'un ou de plusieurs organes ; le per­

sonnage devient parfois monstrueux, mais il est surtout énigmatique ou

merveilleux. Telle était déjà la valeur de certains acteurs "sans" nom ou

"sans" âge précis (le Roi-Lune), ou encore "sans" portrait physique

(Cyprienne Vandar). Dans "Souvenirs bavards", Chislam Borrow est sans vi­

sage ; la madone à l'enfant (la Suédoise) des Onze mille verges est sans voix. Le musicien de Saint-Merry était, dans le quartier du Marais, défini par

une triple prétérition ; dans le même lieu magique qui, selon la tradition oc­

cultiste ouvre sur le royaume des ombres et des morts, Louise Ancelette

devient une femme "sans" ombre 1 • La prétérition est, d'ailleurs, fréquem­ ment à l'œuvre dans la définition de la temporalité - "midi, l'heure sans

ombre" - ou de l'espace apollinarien : des "villages sans église" aux forêts

"sans ombre". Elle s'applique particulièrement aux êtres sans matérialité ou

aux corps de "disparus". La silhouette, que nous avons évoquée comme première ébauche d'un portrait, peut en être également le point ultime.

C'est négativement d'abord que se trouve défini le personnage central de

"La Promenade de l'ombre" : une ombre séparée, autonome ("[ ... ] elle ne

dépendait d'aucun corps et s'avançait librement, toute seule." (Pr I, 500) ;

elle est esseulée dans une ville et des rues sans noms, poursuivie par le nar­

rateur et la jeune fille anonymes : elle n'a "point de regard." ( Pr I, 501). La

promenade s'achève au cimetière où l'ombre refuse de rejoindre un corps ("[ ... ] une tombe où la place de son corps avait été marquée et où il ne re­

posera point./Elle revint ensuite à travers la ville [ ... ]. ", Pr I, 502). 1 . Voir Jean Burgos, Pour une poétique de l'imaginaire, p. 264.

81 8

Tel est également le destin des "corps glorieux", comme celui de

Croniamantal sacrifié lors de sa guerre contre le mal. Le soldat du combat

poétique, avant même celui du conte de 1 91 8, devient, après sa mort, une

ombre absente et vivante. La statue creusée par l'oiseau du Bénin est une "profonde statue en rien" ou "en vide". Le poète assassiné n 'est plus

qu' une silhouette dont le tombeau dessine les "contours". L'ami de Croniamantal "creusa un trou ayant environ un demi-mètre de largeur et

deux mètres de profondeur.". S'opère alors un portrait à l'envers où le corps inconnu du poète (nous avons dit que Croniamantal adulte n'était pas défini

physiquement) se déduit "par soustraction" arithmétique, à la suite d'un

habillage à rebours des parois de ce qui est devenu un "puits" :

Le lendemain, le sculpteur revint avec des ouvriers qui habillèrent le puits d'un mur en ciment armé large de huit centimètres, sauf le fond qui eut trente-huit centimètres, si bien que le vide avait la forme de Croniamantal, que le trou était plein de son fantôme. (Pr I, 3 01) Croniamantal mort devient alors ce qu'il n'est pas corporellement : très

concrètement dans son tombeau, ce moule externe "à [sa] semblance" dé­ termine un être "en creux", où le "vide" est "plein", mais d'un fantôme­ ombre de vide et de rien.

Certains personnages bien vivants sont également décrits par les

ombres d'une partie de corps disparue. Justin Couchot est l'exemple même

du héros coupé en deux verticalement. Le jeu implicite des initiales J. C. de

son nom, qui sont coupures par apocope, fait apparaître en lui un autre

sacrifié divin ; nous ne reviendrons pas sur le "coupé" qu'est la voiture ou

autres jeux du signifiant. Rappelons seulement qu'il est explicitement défini

par ses "absences" corporelles qui marquent plus symboliquement son

absence au monde des humains : "[ ... ] il lui manquait la jambe gauche, le bras gauche, l'œil gauche et il était devenu sourd de l'oreille gauche. (Pr I,

349). Comme l'ombre dont nous venons de parler, il refuse de se rattacher

à quelque "matérialité" : "[ ... ] il lui avait été impossible de supporter une

jambe de bois ni un bras postiche [ ... ]." (Pr I, 349). Demi-homme, il est aussi demi-dieu, héros ou héraut de la divinité que viennent consulter les

humains. La mutilation qui libère du temps est une "bizarre infirmité, qui méritait qu'on l'appelât divine !" (Pr I, 350). Il semble surtout s'être

débarrassé de la fatalité de la dualité corporelle ; il n'est plus qu'un œil

unique, comme l'œil bleu merveilleux et divin. Sur sa jambe unique, il

819

"s'élança [ it] vers le firmament, où l'on place Dieu, auquel i l ressemblait mentalement [ ... ] . ". Prophète et oracle mutilé, voué à la même dispari­ tion/résurrection que le Roi-Lune

(Pr I, 3 5 2 ) , il devient surtout, par la

récurrence de "l'unique", le "Chantre" de l'univers Le "moins" est devenu "plus" : le divi [ ... ] sé est divi [ni]sé. D'autres "hommes sans", explicitement blessés ou non, peuvent de­ venir des hommes-sexes : Horace Tograth, au visage "presque sans lèvres", "sans menton", sans chapeau, dont la bouche est une "estafilade" 1 , mais

aussi le pitoyable homme-tronc achevé; dans Les Onze mille verges, par l'in­ firmière polonaise ("[ . . . ] l'on apporta un beau jeune homme dont les bras et les jambes avaient été emportés par la mitraille. Ce tronc humain possédait

encore un beau membre [ ... ] . ",

Pr III, 941 ). La mutilation-réduction renvoie

à son tour à des schémas d'intensification (le malheureux n 'est plus que son sexe) qui peuvent aussi se manifester par la multiplication des organes arra­ chés. Jean Burgos, analysant les schèmes communs aux représentations de l'espace et du corps humain, a mis en évidence les "très fréquentes images de la m ultipli cation " des organes dans les poèmes c o m m e dans "Onirocritique"2 • Les " ho rreu rs de la g uerre " ( qui sont a ussi des

"Merveilles") ont permis une actualisation nouvelle et une "corporéisation" plus concrète encore de ces images de blessure, de mutilation, de sépara­ tion. Le Front et ses tranchées, ses boyaux et les "poul pes des profon­ deurs" deviennent, on le sait, la synecdoque d' u n un ivers l ui-même conçu comme éventré, démembré et morcelé. Des "êtres nouveaux" surgissent de ces blessures monstrueuses, ce qui se traduit très organiquement, dans certai ns contes médicaux de 1 9 1 8 , par la confection artificielle d' une nouvelle race humaine. Les différents patients de miss Oie sont, eux aussi, définis par leurs manques (M. Amblerod "qui a perdu un bras", M. Smartest au nez coupé par son épouse ) . L' "ombre" des membres ou organes arrachés n'est pas seulement compensée, "solidifiée" par des "postiches" (symboliquement, un bras de singe pour le premier ou une prothèse décou­ pée "dans le râble d'un lapin" pour le second mutilé, victime de l'amour... ) , mais encore amplifiée par ur:ie surenchère organique. À l 'image de l 'œil unique se substitue celle des yeux multipliés ; ainsi pour M. Amblerod Le jeune homme se retourna, et je vis que, juste au­ dessus de l 'oreille gauche, il avait un œil qui me regardait 1. Rappelons l'interprétation phallique de Madeleine Boisson ( op. cit.) . 2 . Jean Burgos, Pour une poétique de l'imaginaire, pp. 266-7.

820

derrière la tête, un autre œil scruta aussi mon regard ; en­ fin, un troisième, ou plutôt un cinquième œil, s'ouvrait au­ dessus de son oreille droite. J'étais stupéfait. (Pr I, 507) De même, l'homme-nouveau nez bénéficie d' "une nouvelle bouche pourvue

de tous ses organes" et M. Hitchcock, sergent de ville, est "doté de quatre

bras" (Pr I , 508). Comme l'a montré Jean Burgos, ces images impliquent

une maîtrise sur l'espace et le temps ; le merveilleux scientifique n'est

qu'une des formes du rêve de toute-puissance et de simultanéité ("Le Roi­

Lune" ou "Traitement thyroïdien" en fourniraient d'autres exemples). La

"multiplication dans l'espace [ ... ] trouve son apothéose dans le "toucher à distance" du baron d'Ormesan" 1 .

Dans notre perspective, nous soulignerons dans ce conte les deux as­

pects inséparables de prétérition corporelle et d'hyperbole. Aldavid est un

homme sans corps : il n'est jamais qu'une apparition, une silhouette fanto­ matique qui "disparaît comme par enchantement lorsqu'il lui plaît." (Pr I,

212-3 ). Il est, à sa façon, une ombre qui se promène, qui s'adapte aux

"contours" de la société humaine à laquelle il s'adresse ("[ ... ] prédication

toujours dans la langue du peuple parmi lequel il se trouvait." ,

Pr I, 215-6).

La dématérialisation se traduit par l'ubiquité et la multiplication des corps

du faux messie. Cette ombre cependant, à la différence de celle de 191 8,

est rattachée à un corps, mais par les "liens du «sans»" (sur le modèle de

"la télégraphie et de la téléphonie sans fil [ ... ].",

Pr I, 219). D'Ormesan

définit ces images de lui-même comme des "apparences" d'un corps, mais

des ombres "solides", "palpables", aux incontestables "propriétés de résis­ tance" : "[ ... ] le nouveau corps conserve la plénitude des facultés hu­ maines, dans la limite où elles sont exercées à l'appareil par le véritable

corps." ( Pr I, 219). Le baron, assassiné (?) par le narrateur, est à la fois un

"clou" unique ("[ ... ] mais tellement semblable aux autres clous [ ... ].") et

une "profusion de corps" tous marqués par les "six trous" des balles de re­

volver : 841 corps, soit par réduction, 1 3 , le nombre de la mort ( Pr I, 222).

1 . Ibid., p. 267.

821

C . L' HYPERBOLE VESTIMENTAIRE

• Le descri pteur-couturier Apollinaire s e plaît à décrire les vêtements 1 , c'est une évidence. 1 1 convient néanmoins de noter qu'un certain nombre de contes n e compor­

tent aucune précision de ce type - mais- ce sont, le plus souvent, des récits qui ne recourent pas à la technique du portrait "bloqué" et qui laissent dans

le vague les qualifications physiques ou externes ("L'lnfaillibilité", la "geste"

de d'Ormesan dans L 'Hérésiarque et Cie) . D'autres récits courts incluant des portraits ou mettant l'accent sur des composantes organiques n'évoquent

pas les vêtements : nous avons parlé de "La Rose de Hildesheim [ ... ]" et de

"La Fiancée posthume" ; ce serait également le cas de "Que vlo-ve ?", de

"L'infirme divinisé" ou des contes médicaux parus dans Excelsior en 1 91 8.

En revanche, le vêtement des personnages, l'acte ou l'art de s'habiller est

un motif important ou même un thème central de récits comme "Le Poète

assassiné", "Giovanni Moroni" ou d'un roman comme La Femme assise. Il

n'est pas étonnant qu'un certain nombre de protagonistes soient des

professionnels de l'habillement, qu'ils "jouent" avec leurs costumes (les comédiens) ou qu'ils les confectionnent (tailleurs et couturiers).

La description vestimentaire, en tant que qualification des person­

nages, se fonde sur les mêmes procédés que ceux qui s'appliquent à l'évo­

cation du nom ou du corps : l'ellipse qui gomme l'habillement, le rendant

non-pertinent dans l'interprétation, la désignation (ou la qualification) simple

qui identifie un costume ou ses composantes et permet en général une

classification dans un certain type de société, une surqualification qui, à l'i­ mage des surnoms par exemple, opère une multiplication des appellations et

des objets décrits et, enfin, par mouvement inverse, la diminution/ réduc­

tion/disparition que l'on pourrait globalement qualifier de prétérition.

Le vêtement, on le sait, est un système sémiotique complexe qui

combine le syntagmatique et le paradigmatique. Tout portraitiste combine sur l'axe des enchaînements des pièces d'habillement en nombre variable,

1 . Ou à reprendre les descriptions vestimentaires des autres, par exemple dans Les Trois Don Juan. Le portrait de la Pandora et de ses compagnes, dans le Don Juan d'Espagne, serait une belle confirmation de ce que nous venons de dire sur les traits physiques ou de ce que nous allons analyser dans cette section sur l'habillement ( P r I, 7 42, notamment).

822

et, sur l'axe des substitutions, des éléments choisis préférentiellement à

d'autres. La scène de l'habillement de Suzanne Dinosor que nous avons déjà

évoquée peut être également interprétée comme une métaphore du travail du portraitiste qui puise dans le stock (matériel, lexical) des vêtements ou

bijoux disponibles et qui, de fait, écarte certains éléments ou termes ( Pr I, 673-5). Il serait donc possible d'analyser en soi le système vestimentaire,

en commençant par l'étude des différents motifs que seraient les chapeaux,

les manteaux et costumes d'hommes, les robes de femmes, les chaussures,

ou bien, à un autre niveau {interne), les dessous (féminins surtout) et les

"dessus" (externes) que sont les multiples ornements du corps ou de l'habil­ lement. Dans la mesure où le vêtement est très concrètement lié au corps,

on devrait retrouver dans sa description le même système de valorisation,

en particulier pour les pièces inférieures ("topographiquement"). Ce sys­

tème spatial haut/bas se double d'ailleurs d'un second fondé sur la proxi­

mité : le vêtement suppose des superpositions, des strates et des zones

aux rapports plus ou moins proches avec le corps lui-même, foyer du désir amoureux ou, plus généralement, de la vérité supposée de la personne.

Nous ne nous proposons pas ici d'établir un catalogue des tenues des

personnages et encore moins de relever toutes les composantes d'habille­

ment citées dans les récits ; nous nous interrogerons surtout sur les tech­ niques, les fonctions et les valeurs de ce mode de qualification. L'analyse du

vêtement, au même titre que celle du corps, engage une réflexion sur la na­ ture réelle du personnage ; en tant que second "visage" de l'individu (mais souvent premier dans la perception par "l'autre"), le costume matérialise,

exhibe, accentue, bref, hyperbolise ce qui, étant extérieur, est pourtant

censé refléter "l'homme intérieur". Ses formes multiples, sa richesse et sa

variabilité, ses rapports ambigus avec le corps et avec l'être, le constituent

à l'évidence comme un "objet" multiple, insaisissable et symbolique de l'uni­

vers de l'auteur.

L'habillement propose au portraitiste une nomenclature encore plus

riche que celle du corps humain. Apollinaire, qui associe les deux, pourrait

avoir tendance à décliner les items vestimentaires selon la même dynamique

descendante qui conduirait cette fois-ci des chapeaux (ou d'accessoires sur une coiffure apprêtée) aux chaussures, souliers ou autres bottes et bot­

tines. L'ordre, cependant, est encore moins rigoureux, le portraitiste sem­

blant s'attacher d'abord à l'élément marquant du costume, que ce soit une

couleur ou la pièce principale du vêtement. Ainsi pour Horace Tograth : "Le costume de Tograth était blanc, très collant, ses souliers également blancs

823

avaient des talons hauts.". Le manque de chapeau n'est mentionné que pour finir (Pr I, 2 9 5 ) . Tristouse, parlant des nouvelles tenues féminines, célèbre d'abord la mode dans un discours généralisant, évoque les éléments pouvant "entrer dans la composition d'un costume de femme" dans le plus grand désordre. Le portrait de la femme mystérieuse, dans "Un masque dans l 'avenue" est relativement mieux ordonné, qui commence par l 'élément visuellement prédominant et englobant, la robe, avant de s'attarder sur les composantes, la jupe, "la passementerie ru bannée", l e corsage et ses revers, les manches et le manchon pour s'achever sur l'essentiel , l e curieux bonnet qui "descendait en visière perpendiculaire et formait un masque vert [ ... ] . " (Pr I , 544) . La description vestimentaire la plus complète, et la plus rigoureuse se­ lon la grille spatiale, est sans doute celle de Simon mage. Comme la précé­ dente, elle commence après des notations corporelles qui préparent le thème de l ' habil lement (la barbe, la face fa rdée) . Le portrait est "homérique" dans la mesure où chaque information est liée à un geste du magicien devant Philippe ou devant Simon Pierre. Il conduit tout naturelle­ ment de la tête au pied : le mage "assujett[it] sur sa tête [ ... ] la tiare [ ... ] où brillait un serpent fait d'opales [ . . . ].", puis il "saisit dans chaque main un anneau d 'or de ses oreilles." (ce qui commande le motif des bijoux, Pr I, 1 3 0). Ensuite, c'est la robe qui est évoquée : "Il ramena par-devant les plis de sa robe traînante [ ... ] . ", ce qui découvre "des sandales de cuir azuré, or­ nées au cou-de-pied d'un quadruple triangle d'or. " (Pr I , 1 3 1 ). Il est très rare de trouver dans le dépli d'une nomenclature une telle régularité, tant dans la justification diégétique de l'apparition des éléments que dans l'utili­ satio n de la gri l l e spat i a l e ou dans la distri b ution des p rédicats ( chromatiques ou formels notamment) .

• Le modèle de La Femme assise L'arrivée des nouvelles Mormones à Salt Lake City, dans le chapitre IV de La Femme assise, est certainement la séquence la plus représentative de l'hyperbole vestimentaire dans les romans apollinariens 1 • On remarquera que 1 . Claude Debon note que, dans cette séquence pourtant très " nourrie" , " Certains personnages qui paraissent a priori sans intérêt appartiennent [ ... ] à l'univers apollinarien : ainsi de la description des pipes, des vêtements des hommes et des femmes, des précisions concernant la nourriture." ( Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8, op. cit., p. 41 8).

824

la première notation sur les maisons porte sur "d'élégantes bouti ques de

modistes" (Pr I, 445), ce qui annonce une scène dominée par le thème de l'habillement.

Le foisonnement des personnages s'accompagne d'une prolifération

des descriptions de vêtements tant pour les hommes que pour les femmes.

Les protagonistes n'étant pas encore nettement individualisés, les portraits

ne s'attachent pas aux visages ni même aux corps, mais d'abord aux élé­

ments extérieurs les plus marquants pour les différentes catégories eth­

niques ou sociales. L'habillement sert, avant tout, à l'idèntification de diffé­ rentes nationalités ; la description distingue des sous-groupes à l'intérieur

de grands cortèges. Chaque race possède ses habits caractéristiques et

classificatoires. Il n'est pas question pour le narrateur, face à cette expan­

sion humaine quasi infinie, de rendre compte précisément, et de façon ex­ haustive, de tous les vêtements de chacun, ni même de chaque micro­

groupe. Il ne retient que le(s) détail(s) vestimentaire(s) à la fois unifiant(s)

pour la catégorie évoquée et différentiel(s) par rapport aux autres catégo­

ries. Les nouvelles Mormones, par exemple, n'ont droit qu'à une seule nota­

tion ( qui peut toutefois se trouver développée par quelques sous-thèmes et prédicats) :

C'étaient des Anglaises bien prises dans des pantalons mexi­ cains très larges par le bas et ornés sur la couture d'une bande de cuir frangé. C'étaient encore des Danoises, des Norvégiennes, qui, par pudeur, n'avaient pas osé mettre des vêtements d'hommes. Elles paraissaient prétentieuses et mi­ sérables avec leurs jupes tapageuses, maintenant défraîchies par le voyage, les volants s'étaient déchirés, les cerceaux de crinoline s'étaient rompus. Une jeune Suissesse était plus ri­ dicule encore, en atours démodés qui dataient d'avant 48, et sur la tête elle portait un bibi microscopique. (Pr I, 447)

Ce procédé synecdochique était à I' œuvre dès la première présentation

d'un groupe ethnique, les Utes, "vêtus de vieux pantalons, coiffés de bon­

nets en fourrure de vison et chaussés de mocassins précieux [ ... ], et un

mouchoir rouge était noué à leur cou nu." (Pr I, 446). Il est repris lors de

l'arrivée "des gens de toutes_ races" avec "des Scandinaves en culottes avec

des bas à raies blanches et bleues", - "des Russes en blouse rouge [ ... ], coif­ fés de casquettes vertes à longue visière", "des Allemands à casquette de

drap et dont beaucoup avaient des lunettes." ( Pr I, 448). Le détail vesti­

mentaire qui traduit une appartenance est confirmé par la tenue uniforme

des femmes des différents maîtres du lieu : celles de Lubel Perciman

825

"toutes vêtues de robes en faille noire avec des volants [ ... ].", celles de Brigham Young, "toutes très élégantes et port[ant] des bijoux de prix.", ou

bien encore les femmes de Walter Ruffins, aux "robes grises [ qui] traînaient dans la poussière

[ . . . ]." (Pr I, 450). Certains personnages plus

individualisés, comme Paméla, bénéficient du même type synecdochique de

qualification même si les éléments retenus soulignent thématiquement son

originalité : "[ ... ] Paméla, vêtue en matelot, le béret posé sur ses cheveux dépeignés, ne semblait pas gênée de sa mise et, les mains dans les poches,

regardait hardiment le peuple qui grouillait sur la place [ ...]." (Pr I, 447). Le discours descriptif, tout en multipliant ses objets, reste remarquablement

monocorde et homogène dans ses structures ; il tend, comme pour

l'évocation des bas corporels, vers une forme litanique de répétition. Autant de catégories d'acteurs, autant d'identifications vestimen taires. De plus, au plan de l'énoncé cette fois-ci, la relative pauvreté numérique des éléments

retenus pour chaque type humain se trouve compensée par la multiplication

sérielle des personnages. Le sentiment de prolifération vestimentaire

provient également d'un procédé cumulatif des synecdoques distribuées

linéairement. Aucune des descriptions n'a, en soi, la précision et la complexité de celle de la dame de l'avenue Mercédès mais, grâce aux ap­

paritions successives des nouveaux acteurs, un même effet hyperbolique se

produit.

Le nombre de catégories spécifiques qui composent la population

mormone permet une remarquable variété et une déclinaison fort complète

de la nomenclature potentielle de l'habillement. Évidemment, certains élé­ ments sont communs à plusieurs groupes humains, mais les prédicats vien­ nent toujours individualiser les items. Nous venons de citer à propos des

femmes scandinaves du cortège, les "jupes tapageuses", "défraîchies", aux

"volants déchirés" ; celles de certaines des épouses de Robin Farmesneare sont soit "de toile blanche empesée avec des canezous jaunes à bretelles

roses", soit "des jupes courtes, qui bleue, qui verte, avec un grand noeud écossais à rayures jaunes, noires et rouges sur le derrière [ ... ] ." (Pr I,

450). Le motif de la coiffure (nous ne revenons pas sur celui des cheveux

proprement dits) est commun à de nombreux Mormons (hommes ou

femmes) et fait apparaître les différences entre les catégories : bonnet,

bibi, béret, casquette mais aussi tiare des Danites, chapeau haut de forme

du directeur de théâtre et des "Douze", ou bien encore les "grands cha­

peaux en feutre noir sans ornement" des femmes de Walter Ruffins. Ainsi le

Mormon, être collectif, est-il "surhabillé" et, à travers de multiples avatars

826

individuels, couvert des éléments les plus divers : robes, blouses, pantalons,

houppelande, redingotes, fracs, etc. . À cette première liste de termes (aux

occurrences variables), il conviendrait d'ajouter celle des sous-thèmes que sont soit les parties des vêtements décrits (qui impliquent évidemment un système d'inclusion), soit les éléments connexes, les accessoires externes, qui viennent en très grand nombre agrémenter les costumes et contribuent, matériellement et lexicalement, à l'effet de surcharge.

Un Mormon n'est pas simplement "habillé" , il est avant tout "costumé" ,

selon sa coutume et sa race ou selon ses goûts et la mode. Pour une société qui est vouée à la procréation, les corps sont étrangement absents

dans les portraits : ils se réduisent à l'hyperbole du ventre de la femme

enceinte. Cette ellipse paradoxale laisse le champ libre à la description des vêtements qui deviennent les emblèmes d'un univers où l'individu se

confond avec son paraître, existe d'abord par le regard (I' "Œil") de

l'autre : une société apprêtée, en constante "représentation".

• L' hyperbole d u maqu i llage et des bijoux L'élégance est, avons-nous dit, une qualité largement distribuée e t cé­

lébrée souvent par des propos généralisants. Elle peut être le souci domi­ nant d'un personnage ou une règle de la société ; elle s'inscrit de toute

fa­

çon dans le cadre d'un jeu social. La coquetterie est dépassement de la né­

cessité matérielle ou sociale de l'habillement : elle se fonde sur tout ce qui s'ajoute, transforme, métamorphose. Elle se concrétise, en deçà et au-delà

du vêtement proprement dit, par le maquillage ou les accessoires par

exemple. Le portrait en action de Suzanne Dinosor le montre clairement, qui

passe des soins du corps et de la scène du peigne au travail de l'esclave sur

le visage de sa maîtresse (" [ . .. ] l'esclave ouvrit un petit coffret [ ... ]. Il était

rempli de fards. À l'aide de pinceaux, elle peignit d'abord au bleu les pau­ pières de sa maîtresse, les allongea d'un soupçon de noir.",

au choix des bijoux :

Pr I , 673), puis

Enfin d'un bassin profond, fait de jaspe, incrusté de métaux, les deux esclaves sortirent les bijoux, Gomer atta­ cha aux oreilles de la reine des boucles d'or en forme de croix de Malte, Rahama aux chevilles des bracelets d'or sur­ chargés de pierreries. Aux bras et aux poignets furent mis les larges anneaux incrustés d'émeraude et de diamants. Puis d'un coffret dont l'eunuque avait la garde fut extrait un

827

magnifique collier de perles roses que Suzanne se fit atta­ cher autour du cou. ( Pr I, 674) Nombreux sont, dans l'œuvre d'Apollinaire, les personnages maquillés

et fardés, des hommes (par exemple, le visage de Simon mage avec ses

"longues paupières violettes" ou sa "bouche peinte", Pr I, 131, ou bien le

Roi-Lune, aux cheveux "surchargés de poudre et de pommade.", Pr I, 313)

et surtout les femmes (comme, dans La Fin de Babylone, la courtisane Anouké : "Ses sourcils [ ... ] avaient été peints au noir d'antimoine ; les

lèvres et les pommettes avaient été avivées par des pâtes de garance ; les

extrémités des mains et des pieds étaient rougies au henné... ", Pr I, 6 3 2).

Telle est la marque de toutes ces coquettes (qui sont aussi des cocottes)

qui combinent apprêts du corps, cheveux décolorés et maquillage outrancier (le "visage fardé" leur donne, comme pour Estelle Ronange, "l'air piquant

d'une putain de haut luxe.", Pr III, 909), mais aussi de ces femmes qui veulent simplement plaire ou se plaire.

On sait qu'Apollinaire s'est intéressé aux techniques qui supposent un

travail très concret sur le corps afin de le fortifier, le transformer, l'embellir.

Quelques séquences érotiques nous ont donné des exemples du "bon

usage" hygiénique et esthétique de la flagellation (qui permet d'amplifier des attributs de la nature1 ). Nul doute que la pratique du cyclisme n'ait contribué au développement des rondeurs inférieures de Macarée : la

"culture physique", au sens strict d'exercice corporel, reste néanmoins un

motif très mineur dans les récits. L'expression, cependant, exprime cette

dualité qui est au cœur des problématiques du maquillage ou du vêtement : le gommage, la rectification, la métamorphose de la "nature" (organique),

l'inscription du corps dans l'univers culturel et artistique. La femme maquil­

lée apollinarienne répond aux célèbres définitions de Baudelaire dans Le

Peintre de la vie moderne : "la peinture du visage", selon son expression, ou

même la peinture d'autres parties du corps (les tatouages), impliquent un

jeu avec des matières, des couleurs, des formes, des instruments qui comme tous les arts apollinariens - est une mise à distance de la nature.

Le maquillage, dont Apollinaire fait un "éloge" plutôt nuancé, se pré­

sente dans les récits sous le double visage de l'art et de l'artifice, mais d'a­ bord sous son double aspect social et religieux. Dans la société mondaine,

exemplaire du jeu des apparences, il révèle un travail artistique "utilitaire", 1 . Voir supra, le cas de la courtisane Anouké.

828

destiné à ass urer un pouvoir sur les autres. La femme ne se contente pas,

grâce à lui, "de faire disparaître du teint toutes les taches que la nature y a

outrageusement semées [ . . . ] . " ; si el le s' applique à "créer une unité abs­

t raite dans le grain et la couleur de la peau", à se transformer en "statue, c'est-à-dire [ en] être divin et supérieur" 1 , "à paraît re magique et surnatu­ relle" 2 , elle cherche surtout à dominer et à tromper. Telle peut êt re I' "hérésie" de cet art du corps qui risque de pervertir ce goût légitime de

l'être humain de s'élever "au-dessus de tout ce que la vie naturelle y accu­ mule d e grossier, de t erres tre ·e t d' immonde [ ... ]."3 • La femme

apollinarienne est conduite à "emprunter à tous les arts les moyens de

s'élever au-dessus de la nature pour. mieux subjuguer les cœurs et frapper les esprits." 4 • Le maquillage est le premier signe corporel esthétiquement

construit, le plus étroitement lié à l' être physique puis qu'il prend comme

support la matière vivante. Il associe le sujet et l' objet puisque la femme dev ient

l' art is te de s on propre

corps ,

s on propre démiurge.

L' autodivinisation est soulignée et légitimée par Baudelaire (car la femme doit être le guide sur la route du Beau : "[ ...] il faut qu'elle étonne, qu'elle

charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée." 5 ) . Apollinaire qui, par ses récits, fait ressortir les pièges de cette beauté dans le jeu social,

suggère également que, par le maquillage, la femme accède à "une vie surnaturelle et excessive", que l'art du visage "ajoute à un beau v isage féminin la passion mystérieuse de la prêtresse." 6 • Le prosateur, célèbrant la "beauté moderne" des femmes maquillées, retrouve également cette

dimension sacrée qui est celle des peint ures et des signes sur le corps dans les sociétés primitives.

Les bijoux, qui sont un motif récurrent de l' œuvre d'Apollinaire 7 , parti­

cipent de la même façon à une thématique de l' habillement (ou de la sur­ charge vestimentaire) et à une symbolique beaucoup plus générale, liée aux

pierres et aux métaux précieux (à leurs couleurs magiques). Le portrait de

Suzanne, une nouvelle fois, permet de percevoir cette dualité et les enjeux, de coquetterie (séduction) ou de protection, qu'implique son choix

1. Baudelaire, " Éloge du maquillage", Œuvres complètes, Bibliothè q ue de la Pléiade, p. 1 1 8 5. 2 . Ibid., p. 1 1 84.

3 . Ibid. 4 . Ibid. 5 . Ibid. 6 . Ibid., p. 1 1 8 5.

7 .Et u n motif récurrent de la littérature symboliste et post-symboliste.

829

Aux doigts Suzanne se passa diverses bagues. L'aventure qu'elle allait risquer était dangereuse. Elle connaissait les vertus des pierres et tenait à se prémunir contre tout accident dans l'amoureuse entrevue du temple de Mylitta. Elle prit donc de l'améthyste qui éloigne les poi­ sons et s'oppose aux fumées du vin : elle n'eût point aimé avoir affaire à un ivrogne ; du rubis qui garantit de l'infec­ tion de l'air, chasse la tristesse du cœur et surtout invite à la continence : pas d'excès en pareil cas ; le corail qui arrête le sang et invite au sommeil : quoi de meilleur que de s'abstraire ainsi entre les bras du vilain ? L'émeraude qui évite l'apoplexie, souverainement désagréable à la minute suprême ; le diamant enfin, beaucoup de diamant, ce pur diamant qui fortifie le cœur et empêche d'être enceinte ! cela eût été une véritable catastrophe ! (Pr I, 674-5) Les bijoux, en effet, ne sont pas de simples motifs décoratifs venant accentuer la beauté physique d'un personnage. Ils sont très fréquemment

liés à des acteurs mystérieux, aux pouvoirs inquiétants et supérieurs, sans considération obligée de leur situation sociale1 . La richesse qu'ils impliquent peut être d'un autre ordre ; ils donnent une dimension quasi religieuse aux

aceturs qui les façonnent, les portent ou les recherchent. Il est symp­

tomatique, par exemple, que Vietrix, qui partira vers Babylone, cité du luxe,

de la luxure, mais aussi lieu de la révélation, soit le fils d'un orfèvre qui

fournit "aux élégantes de l'île et des environs [ ... ] les plus élégants bijoux, colliers, pendentifs ou bracelets." (Pr I, 565). C'est pour aller chercher du

"corail rouge" en Orient qu'il doit quitter Lutèce : il en ramènera un autre

"bijou", une jeune fille au corps entièrement "maquillé", tatoué, Anouké.

L'exemple du corail montre la magie des matières considérées comme

précieuses. Il "arrête le sang et invite au sommeil" : n'est-ce pas déjà une

définition des pouvoirs de la femme, des dangers et des douleurs de l'amour

qu'éprouve Anatole de Saintariste pour "la jolie Corail" ?

Nous avons parlé précédemment des valeurs de l'or ou de la perle. Le

"bijou" est un objet central dans "Histoire d'une famille vertueuse [ ... ]" : la

Thamar "perle" arbore, comme seul luxe d'une bicoque crasseuse, "une vilaine bague dont le chaton sertissait une opale : pierre de malheur,

gemme infâme, mélange immonde de pissat, de crachats, de sperme et

1. Que l'on pense au portrait de l'aveugle dans La Femme assise : " [ ... ] à ses poignets il portait des bracelets de corde que l'on avait enfilés dans des pépites d'or percées. À son cou il portait un collier de la même sorte [ . .. ] (P r I, 448 ) .

8 30

d'yeux écrasés." (Pr I, 1 84) 1 • Dans la hotte du chiffonnier, le narrateur

choisit une "bague étrange", "en or, avec une pierre blanchâtre", fausse bague précieuse, certes, mais "fatale" pour le malheureux Sénateur X ...

(Pr I, 1 90). Le bijou peut être également inquiétant par son emplacement

sur le corps (le collier autour d'un point particulièrement sensible) ou bien

magique par ses formes, notamment circulaires (les boucles d'oreilles par exemple) 2 • On ne s'étonnera pas de voir tous ces aspects réunis dans la description de Simon mage dont le corps, les vêtements et les ornements

forment un système complexe de "signes divers" ( Pr I, 1 3 1 ) et sacrés.

Maquillage, bijoux ou vêtements apprêtés sont d'abord des signes ex­

hibés qui se donnent à voir. La coq1,1etterie est un jeu de miroir ; nous ne reviendrons pas sur la structure de l'héroïne se regardant elle-même dans la glace ; la contemplation narcissique est une préparation à la rencontre du

regard de l'autre (au moins tout autant qu'une cérémonie privée d'auto-in­

terrogation ou d'autocélébration). À peine arrivées à Salt Lake City, les nou­

velles Mormones savent qu'elles vont être des objets de contemplation et

se préparent à "l'épreuve" : "[Elles] se brossaient l'une l'autre, se recoif­ faient avec coquetterie pour se montrer avec tous leurs avantages." ( Pr I,

447). De la même façon (dans La Fin de Babylone), lorsque "la coquetterie

régnait en Israël", les Juifs détournent leurs regards de Dieu et "le regard

des hommes ne se portait plus que sur les filles et le regard des filles sur

leurs parures." ( Pr I, 654). Il en est ainsi de tous les élégants et élégantes

qui ne cessent de se donner en spectacle, qui affectent minauderies ou te­ nues accrocheuses.

• Hype rbol e vesti menta i re et théâtra l isatio n La coquetterie implique un théâtre social : telle est la valeur, exem­

plaire, de la disposition topographique de Salt Lake City, "la cité bâtie en

amphithéâtre contre les monts Wasatch [ ... ] ." ( Pr I, 445). La description

spatiale, par l'accent mis sur le cadre formé par les "maisons de bois" orne­

mentées d'enseignes, ne peut que rappeler le secteur militaire "camouflé",

1 . Rappelons qu'au Hradschin "les murailles [de la chapelle] étaient de gemmes agates et améthystes" et que le narrateur s'y voit fou (P r I, 89 ). 2 . Repensons à celles des parents de Giovanni Moroni (P r I, 3 2 2 ) ou à celles du Tzigane dans "La Comtesse d'Eisenberg" (P r I, 3 88).

831

"maquillé", "truqué" du début des "Épingles" (Pr I, 509). La place centrale devient une scène strictement délimitée sur laquelle pénètrent et vers laquelle convergent les acteurs (les femmes européennes) et les spectateurs (les Mormons). L'hyperbole des costumes accentue l'effet de théâtralisation qui est confirmé "en abyme" par la présence des comédiens qui, au milieu des "Gentils", se promènent "en riant, en parlant fort, avec des mines pleines d'affectation, avec des gestes maniérés, avec de grands airs, une démarche noble et aisée [ ... ]." (Pr I, 449 ) 1 . L'allure et les costumes de l'actrice et du directeur de la troupe, le cortège que forment les "histrions" sont autant de miroirs de la société mormone : Et cette actrice si mince, si blonde, si majestueuse, qui mar­ chait en tête, avait une robe à traîne que portait derrière elle le directeur de la troupe, petit bossu en frac noir et chapeau haut de forme, souriait aux jeunes filles et à coups d'éventails écartait les hommes qui ne se rangeaient pas assez vite sur son passage. (Pr I, 450) Décors, costumes, comédiens et public contribuent à la grande fête du

29 septembre 1 85 2 qui voit aussi se confondre lieux et personnages éga­ lement parés ("[ ... ] un goût barbare pour la décoration.", Pr I, 459), ac­ teurs et spectateurs interchangeables. La procession du "grand mannequin représentant une femme assise et couronnée d'étoiles" (Pr 1, 463) et la re­ présentation théâtrale proprement dite (Pr I, 467-9) ne sont que l'aboutis­ sement et la réduplication solennisée, esthétisée, des comportements et des valeurs d'une société 2 • Tout se passe, dans l' œuvre d'Apollinaire, comme si le vêtement par lui-même, et surtout sous sa forme magnifiée de l'élégance, était lié à une faute et à un "faux". La coquetterie serait comme un péché originel de

l'être social. Elle est moins présentée en tant qu'effort autocentré légitime qu'en tant qu'artifice dans un jeu général de mensonge. Si l'homme peut s'y livrer, la femme y est maîtresse : sa venue au monde est naissance à la

tromperie. Nous voyons dans "L'Œil bleu" le récit de cette genèse :

l'adolescente "a-sexuée" y devient une femme et, sous le Regard, se 1 . Claude Debon rappelle que " [ ... ] le goût qu'avaient les Mormons pour le théâtre et pour la danse [ . . . ] . " est un lieu commun qui apparaît "dans tous les livres traitant du mormonisme." (Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8, op. cit., p. 6 3 7). 2 . Si pour Claude Debon, " Les inventions «pures» sont [ . . . ] très réduites" dans l'épisode mormon , " la plus importante [ . .. ] est sans aucun doute celle du simulacre de la «femme assise» , féminisation de l'Amérique qui symbolise la fécondité et le matriarcat , mais aussi la fausseté. " (ibid., p. 443) .

832

regarde. L'absence "textuelle" du corps de l'héroïne, au moment des premiers frissons, ne fait que renforcer la valeur d'épure de la scène du

miroir. À peine sortie du cou vent, la jeune femme, "éblouie", "étourdie" par

l'univers nouveau qu'elle découvre, devient d'ailleurs, très concrètement, une "femme assise" sur un banc ( Pr I, 345) 1 • Elle avoue avoir été en proie au "démon de la coquetterie" (Pr I, 346) . Tel est également le "péché

mignon" d'une autre "innocente" (moins "espiègle"), Suzanne Dinosor ( Pr I,

674). Dans La Fin de Babylone, la coquetterie des Juifs est associée au

culte du Veau d'or et mérite un "châtiment divin". Ainsi la colère de Dieu

s'abattra-t-elle "parce que les filles d'Israël se sont élevées, parce qu'elles

ont marché la tête haute, faisant de� gestes de leurs mains et des signes de leurs yeux, parce qu'elles ont étudié leur pas et mesuré leur démarche.".

Exemplairement, la punition portera sur les marques externes de la

séduction, les cheveux ("Le Seigneur rendra chauve la tête des filles d'Israël

[ ... ]." : on pense au miracle doublement inverse de Tograth), sur "leurs

charmes magnifiques" et surtout sur leurs vêtements litaniquement déclinés pour être "ôtés" (Pr I, 654) .

La femme parée est la femme coupable par excellence. Plus générale­

ment, l'élégance vestimentaire, forme primaire de théâtralisation, tombe

sous le coup de la condamnation morale exprimée par le Prédicateur du

chapitre "Dramaturgie" du "Poète assassiné". Les femmes sont attirées par

le théâtre comme par un lieu-miroir : "Aujourd'hui [les jeunes filles] deman­ dent : «Irons-nous au théâtre ce soir ?»" (Pr I, 261 ). C'est "en costume"

qu'elles se rendent à la fête des costumes. Baudelaire, dans une autre sec­ tion du Peintre de la vie moderne, "Les Femmes et les filles", avait déjà noté

cette démarche narcissique : " [ . . . ] resplendissantes comme des portraits

dans la loge qui leur sert de cadre [ ... ]. Elles ont l'éventail aux dents, l'œil

vague ou fixe ; elles sont théâtrales et solennelles comme le drame ou l'o­ péra qu'elles font semblant d'écouter."2 . Femmes et théâtre, pareillement, "mettent [... ] les âmes en danger" (Pr I , 261). Le vêtement apprêté est la

marque du "postiche", opposé, selon le prédicateur, au "gaulois et [au] sain", c'est-à-dire à l'organique le plus direct. En fait, en tant que signe ma­

tériel et confectionné de "s�mblance", le vêtement élégant (et à travers lui

la coquetterie) condense les ambiguïtés apollinariennes de ces artifices qui oscillent sans cesse entre vérité non naturelle, illusion solide et tromperie.

1 . Voir Le Jeu autobiographique [. .. ], op. cit., p. 303. 2 . Baudelaire, Œuvres complètes, op. cit., p. 1 1 86.

833

De toute façon, les personnages coquets, en perpétuelle représentation so­ ciale, tendent à devenir des comédiens. Certains le sont même professionnellement, comme Chislam Borrow et ses compagnes, "Olly, la petite dresseuse de chiens" qui ne veut pas renon­ cer à son art pour l'amour du ventriloque, ou bien cette chanteuse qui se joue de lui "par coquetterie", Criquette au nom paronomastique de "coquette" (tous les propos oraux rapportés par le narrateur sont proférés avec un accent de l'Ouest américain - Borrow est originaire de Californie - ce qui annonce l'univers théâtralisé de La Femme assise). La "romance" de Criquette (Pr I, 3 58) n'est pas sans rappeler la chanson de Tristouse, elle­ même coquette et "ballerine". On sait que la figure de la comédienne séduc­ trice est un véritable cliché de la littérature du XIX e siècle. Apollinaire le re­ prend explicitement avec le personnage de I' "étoile" Estelle Ronange, "la grande actrice du Français'' mais qui n'en a pas moins l'air ("piquant") d'une

putain ; à l'inverse, les putains prennent fréquemment l'air (plus noble) de

l'actrice (Culculine, Alexine, Macarée ... ) 1 • La séductrice costumée apollina­ rienne est donc une actrice-prostituée (de classe sociale variable) qui joue l'amour où qu'elle se trouve, et, exemplairement, sur une scène de théâtre.

Il n'est pas étonnant, par conséquent, que deux élégants comme Macarée et François des Ygrées se rencontrent dans ce même lieu de spectacle (Pr I, 2 3 2) pour une comédie (de l'amour) bien française. Le vêtement devenu costume contribue au charme et aux succès d'un individu comme d'une pièce de théâtre. Le "triomphe d'hier soir" (dans le chapitre "Dramaturgie"), La Poigne et le poignon, est certainement dû au talent de Messieurs Tandis,

de la Fente et Mordus (noms sexualisés dignes de figurer dans Les Onze

mille verges), de Mesdemoiselles Fontaine et des Étangs (qui annoncent

thématiquement la jeune fille à la source, Tristouse) ; il tient probablement

aussi aux "Costumes de chez Jeannette" et aux " chapeaux de chez Wilhelmine"

(Pr I, 2 6 2 ) : deux prénoms narcissiques qui permettent

malicieusement à Apollinaire de se désigner comme costumier.

1 . " Les considérations relatives à la courtisane peuvent, j usqu'à un certain point, s'appliquer à la comédienne [ ... ] .", "Les Femmes et les filles", Baudelaire, Oeuvres complètes, p. 1 1 88.

834

• L' hyperbole, signe d ' u ne métamorp hose Dans cette œuvre de fiction qui souligne sans cesse les habillements,

le vêtement contribue aussi à la transformation de l'individu et du monde. Le changement d'habit est prélude à une métamorphose1 ; l'ornementation

et le passage au "costume" (à tous les sens du terme) sont des rites qui sacralisent et permettent de devenir "autre" dans un espace magique dont

la fête serait la forme exemplaire.

À la grande célébration de Salt Lake City en 1852 correspond très lit­

téralement, dans La Femme assise, la grande fête parisienne de 1914. Du

thème carnavalesque• nous ne retiendrons ici qu'un aspect - mais sans doute le plus spectaculaire : il est d'abord la fête du déguisement.

L'hyperbole vestimentaire perd la solennité qui la marque dans les cé­

rémonies explicitement religieuses (l'aspect compassé des processions

mormones) pour prendre la forme de la "gaieté folle" (Pr I, 415). Dans La

Femme assise comme dans Casanova, la description du Carnaval est centrée

sur des comédiens (n'oublions pas qu'Elvire a débuté dans un music-hall,

Pr I, 414) mais, dans cette fête, c'est toute la société qui joue et se tra­

vestit. Les personnages qui défilent devant l'enfant Giovanni Moroni sont non seulement déguisés mais ils sont masqués 2 ("[ ... ] une troupe de masques envahit l'appartement.", Pr I, 325) ; leurs costumes de fête indi­

vidualisent et généralisent puisqu'ils sont des "types" que chacun choisit

dans un répertoire préconstitué : "Il y avait un arlequin, un paillasse, une

cuisinière française, deux polichinelles, etc." (Pr I, 325) . Il en est de même

dans le Carnaval de Gavarni avec "les Débardeurs, les Dominos, les

Pierrettes, les Postillons, les Bayadères, les Chicards, dont un poète ferait

vite des personnages comparables aux masques de la Comédie italienne

[ ...].", Pr I, 415). D'une façon très générale, Apollinaire constitue, dans ses

récits, ses personnages en tant que ''types" costumés, et surtout travestis et masqués3 .

Le Carnaval, en tant que prise d'habit à la fois ludique et sacrée, per­

met de voiler l'identité sociale, de changer de personnalité, d'échapper à la

reconnaissance de l'autre. Il est un moment privilégié de réversibilité des

1. Pensons à la "prise d'habit" dans "L'Émigrant de Landor Road" . 2 . Voir le chapitre «Jeux de l'enfance et enfance des jeux [ . . . ] » dans Le Jeu autobiographique [. . . ], op. cit., pp. 3 8-54. 3 . Se reporter également a ux analyses de C laude Debon sur les valeurs de l'habillement (Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8, op. cit., pp. 5 1 1 - 6 ).

83 5

regards. Chacun s'offre et se dérobe sous le déguisement. Il est ,

exemplairement, jeu d'incertitudes, c'est-à-dire d'un manque de sens dans la profusion des signes.

La fête du costume, dans l es récits d'Apollinaire, est d'abord celle de

l'inversion des sexes : le travestissement conduit tout naturellement au

travesti . Telle e st l ' i ntri gue même de Casanova avec l ' i ncerta ine Bellino/Bellina qui pousse le viril séducteur à "prendre le fil pour l'aiguille"

(Po, 9 8 5 ) . Le Carnaval romain de "Giovanni Moroni" n'implique pas directe­

ment cette inversion sexuelle qui règne dans la "petite vile italienne" (Po,

9 6 7), mais le travesti est bien au cœur des Carnavals pari siens de La Femme assise, avec le "Débardeur" de (;avarni, "délicieusement équivoque"

( un "singulier masculin", Pr I, 4 1 5 ) et, sourtout, Elvire, "Le type le plus ca­ ractéristique de cette époque de bals et de ballets russes [ . . . ] avec ses cheveux lilas, ses fourrures blanches et son monocle [ . . . ] . " (Pr I, 4 1 6 ) , "accoutrement"/déguisement q u i trouve dans l e narrateur l e "Gavarni" qui

lui manquait.

L'univers carnavalesque des récits propose de nombreux autres

exemples d'inversion vestimentaire (le g iton Louis Gian révèle d'ailleurs sa

vraie nature chez un "chemisier" niçois, Pr I, 1 2 3 ) ; ainsi Balthazar, dans La Fin de Babylone , qui "se met à tisser la pourpre et la laine. Il porte une

robe de femme, il se farde le visage de céruse et s'enduit tout le corps des préparations compliquées dont usent les courtisanes [ . . . ]." (Pr I, 6 6 1 - 2 ) .

Ces invertis sont le plus fréquemment des artistes comme l e s tenanciers

des Samouraïjoyeux, le "lupanar à la mode" de Port-Arthur, " [ . .. ] deux an­

ciens poètes symbolistes qui [ ... ] s'habillaient en femmes et se disaient gousses sans avoir renoncé à leurs moustaches et à leurs noms masculins."

(Pr III, 924).

S m i nt h e e t

le

Roi - L u n e

sont

deux

fi g u re s beaucoup plus

intéressantes ; leur travestissement marque explicitement leur changement

d ' état. Le " gros cocher" de Cendri l lon, viril avec ses "maît resses moustaches", et ses acolytes ( aux "habits chamarrés" lors de la fameuse

soirée de la pantoufle) , "chang[ent ] de vêtement" : "[ ... ] Sminthe, avait pris un déguise ment particulier. S'étant coupé les moustaches, il s'habilla en

femme et mit une jupe de satin vert, une robe à l 'ange et un collet." ( Pr I,

5 2 5 ). "Durant le temps où il avait vécu habillé en femme" (Pr I, 5 2 6) ,

"Lerat " a mené une double vie, d e voleur d e grand chemin d'une part ,

836

d'érudit dans les bibliothèques et de pédagogue d'autre part 1 . Son travestissement, qui n'a pas de conséquence sexuelle directe dans le conte,

lui permet d'échapper à la loi des hommes, mais surtout marque son

passage "hors la loi" naturelle, c'est-à-dire au "culturel" matérialisé par les

livres. Ses ouvrages favoris sont d'ailleurs ! 'Alphabet de l'imperfection et

malice des femmes (la thématique de la coquetterie) et des ouvrages

d'oracles comme les Centuries de Nostradamus ou les Prédictions de

l'enchanteur Merlin ( Pr I, 526). Le "merveilleux" de Sminthe change donc

de registre : il passe de la tradition populaire (où le rat était valet) à un registre plus élevé, le merveilleux prophétique (mais qui peut être teinté de

charlatanisme).

Louis Il dans "Le Roi-Lune" est un autre personnage merveilleux qui

échappe à !'Histoire. Il est découvert par le narrateur dans une salle au

décor théâtral ("grandes fenêtres postiches", "dans un coin une pile de

couronnes de théâtre"). Son costume "surchargé", perruque, gilet brodé,

boutons-portraits, etc.), est, nous l'avons dit, "hors du temps" (à nouveau,

hors du cadre naturel). La musique est pour lui l'équivalent de la littérature

pour Sminthe ( L 'Or du Rhin puis la "musique mouvante"). Son envol final (et sa sortie de l'hypogée), salué par un jeu de lumières hyperbolisé et théâtral

(Pr I, 3 18), signe de son triomphe, est accompagné d'un travestissement

énigmatique : "Il avait mis un costume mi-masculin, mi-féminin, c'est-à-dire que sur son costume XVIIIe siècle, il avait enfilé une robe à paniers, mais ouverte par-devant et ornée d'une ceinture de gymnastique comme en ont les pompiers." (Pr I , 31 8).

Le travestissement peut être également, selon le modèle du Débardeur

ou d'Elvire, le passage à un "singulier masculin". Cette inversion se produit

parfois dans le cadre social de la prostitution. La fausse jeune femme élé­ gante et minaudière de l'espace de jeu qu'est le "cercle mixte" ( Pr I, 3 6 3 ) trouve son équivalent dans ces "faux jeunes gens" que sont devenues

Culculine et Alexine dans la taverne du Cosaque endormi. Vibescu les re­

trouve après un envol ( en ballon : "Envolez-vous oiseaux de ma fai­ blesse" ? prélude "tirésien" à un changement de sexe ? ) et un survol du

"théâtre de la guerre" ( Pr HI, 93 0). Culculine, comme le travesti du tripot

du Trocadéro (et comme Macarée), est femme d'argent : "Elle a quitté

Paris pour gagner la forte somme en Extrême-Orient. Elle gagne beaucoup

d'argent ici, car les officiers font la noce [... ]." (Pr III, 931). Elle et sa corn-

1 . Voir Le Jeu autobiographique [... ], op. cit. , pp. 45 5-60 et in fra, la section sur le savoir des personnages (chapitre VI) .

83 7

pagne y son t "habillées en soldats russes et portaien t un tablier de

dentelles devant leurs larges pantalons emprisonn és dans les bottes [ ... ] . Une petite casquette posée de travers sur leur chevelure complétait [ ...]

cet accoutrement [ ...]." (ibid.) . Leur départ pour l'Asie, analogue à celui de

Pamél a pour "l'Extrême-Occident" américain , est marqué par l 'in version

sexuelle vestimentaire (rappelons que la grand- mère d'Elvire était "vêtue en

matelot" 1 à son arrivée chez les Mormon s) . Dans les deux cas, les

travestissements théâtralisent et carnavalisent l'espace du voyage (les

bohémiens sont aussi des héros du déguisement) ou celui, plus stable, de la

"représentation" (repensons à Casanova) : dans la brasserie, Culculine et Alexine "avaient l'air de petites figurantes d'opérette.".

Dan s la séquen ce du Don J uan d'An gl eterre au harem de

Constantinople, le travestissement est à nouveau lié à un voyage (puisqu'il est passage d'un sexe à l'autre), à une nouvelle prise d'habits : le jeune homme porte "un délicieux costume féminin" oriental avec "pantalon de soie

couleur chair", ceinture virginale, fine chemise, jupon et robe (Pr I, 871-2) .

Don Juan refuse "moralement" ce travestissement physique, s'engageant à

"romp[re] le charme si quelqu'un s'avisait à [ l]e prendre pour ce qu[ 'il]

para[ît] " et à ne permettre "aucune méprise" (Pr I, 872) . Ce type de refus est exceptionnel dans l'œuvre d'Apollinaire où le déguisement est choisi dé­

libérémen t par certains personn ages qui veulent mettre à profit les

"avantages de la fausseté" (Pr I, 494). Ces avantages sont, à un premier

niveau, sexuels (le travesti serait aphrodisiaque) et financiers, mais surtout ils permetten t une maîtrise plus grande sur les autres et symbolisen t un pouvoir2 • Disons simplement, pour le moment, que le travesti est l'emblème

de l'indécision des sexes ; certaines scènes érotiques en donnent un e

image très concrète (par exemple, Culculine "était vêtue en homme et le membre de Fédor semblait être à elle.", Pr III, 933) . Plus symboliquement,

il renvoie à ces flottements d'identité, à ces jeux de dualité sexuelle définis

par T ristouse quand elle se déguise pour partir avec Paponat : "[...] J' adore passer pour ce que je ne suis pas." ( P r I, 2 8 1 ) .

Le vêtement hypertrophié tend à multiplier ou à épaissir les écrans

entre l'extérieur et le corps, à accumuler les signes du paraître au détriment

de l'être : le masque devient le symbole des identités insaisissables.

Costumes (élégants, de fête ou de théâtre) et masques son t d'ailleurs 1. le cliché, ou l' image obsédante du "voyageur" pour Apollinaire (" Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés", Po, 7 9 ) ? 2. Voir i n fra, la section sur les rêves de puissance (chapitre VI) .

838

souvent simultanément présents chez les personnages mystérieux ou sur­ humains qui perpétuent le sacré ou prolongent dans le temps profane les magies du Carnaval. Les Danites1 et la dame de l'avenue Mercédès, avec

leurs loups verts, illustrent parfaitement cette redondance, cette double

surcharge vestimentaire (Pr I , 447 et 544). Dans un registre plus tragique,

il en est de même, mais sous la forme "enchaînée" des deux cortèges diffé­ rents, dans "Le Passant de Prague" 2 • L'accoutrement du malheureux suppli­ cié hyperbolise ce mal qu'est le Juif pour la société chrétienne munichoise,

hyperbolise le visage et ses composantes, tout comme la tenue corporelle

et vestimentaire de la ribaude pousse à la caricature la figure de la Vierge,

reine et mère : "Ses mains enchaînées étaient croisées sur son ventre qui

avançait vénérieusement, selon la mode d'une époque où la beauté des femmes consistait à paraître enceintes." ( Pr I, 86).

Le masque, cependant, peut être indiqué simplement, sans faire l'objet

d'une description. Sa présence suffit à créer le mystère. Celui du héros de "La Chasse à l'aigle" est, à ce point de vue, intermédiaire ("[ ... ] un bec d'aigle recourbé, solide, épouvantable et infiniment majestueux.", Pr I,

3 69) entre les masques longuement qualifiés et ceux, non définis, qui

dissimulent les visages des compagnons du Roi-Lune ("« [ ... ] je ne veux

devant moi personne sans masque.».", Pr I , 3 1 7), ou encore celui du

brigadier, dans le dernier conte du Poète assassiné, dont on sait seulement qu'il est "aveugle" et "étrange".

Sans prendre obligatoirement la forme-emblème du masque, le vête­

ment apollinarien participe de toutes ces problématiques. L'œuvre de fiction

privilégie les éléments organiques ou les pièces d'habillement qui, comme le

masque au sens strict, recouvrent le visage. Des cheveux longs ou abon­

dants, la barbe (vraie ou fausse), les moustaches peuvent jouer ce rôle ; le maquillage est également un masque partiel, comme les demi-masques de

théâtre. Coiffures et couvre-chefs divers, de même, dérobent une totalité, occultent les cheveux ou le front3 • Avoir la tête couverte n'est pas simple-

1 . Claude Debon écrit : "La description des Danites dans La Femme assise semble, jusqu'à plus a mple informé, de l'invention d 'Apollinaire. N ous n'avons jus qu'ici trouvé nulle part le «loup de soie verte» ni les «larmes d'or». Mais les légendes terrifiantes courant sur les Danites, leur lien avec la société secrète mormonne, e ntraînaient assez vite dans l' imagination populaire l'idée de les représenter masqués. " (Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8, op. cit., p. 66 1 ) . 2. Voir supra, l'analyse d es doubles d' Isaac Laquedem, la dérisoire reine de Carnaval et l e Juif au masque. Voir également, à la fin du chapitre III, la sacralisation de l'espace par le masque. 3 . Voir supra, le portrait d' Isaac Laquedem.

839

ment un signe d'élégance, de "mode" (grâce aux "modistes") ; par-delà le signe social , se détermine fréquemment une dimension religieuse où respect du sacré, humilité humaine et mystique du secret convergent. Les religieux apollinariens ont leurs capuchons, leurs voiles, comme les mondains et mon­ daines leurs hauts-de-forme, leurs "bibis", leurs voilettes ou mantilles. L'habillement/dissimulation du visage-miroir de l'être (aux motivations psy ­ c hologiq ues et socia les variées) est exemplaire de tous les voile­ ments/ occultations du corps. Dans cette perspective , le prosateur valorise les vêtements qui englobent, cachent complètement les corps, tout en mettant en évidence la fonction du personnage. Tel est le rôle des soutanes, neutres en principe, des rel igieux, des longs manteaux, des redingotes, etc. Tel est le sens éty­ mologique de cette "pèlerine" qui convient si bien aux personnages errants. Tristouse, par calembour, rappelle cette valeur première en évoquant "de délicieuses jeunes filles habil lées en pèl eri nes de Saint-Jacques de

(Pr I, 2 7 5 ) . La "pèlerine d'officier flott [ant] sur [l ]es épaules" de l 'homme au masque d'aigle (Pr I, 3 6 9 ) , tout comme la "longue houppelande" du vieux Juif du "pont qui relie Bonn à Beuel" (Pr I, 2 8 3 ) ou Compostelle [ . . . ] . "

celle des Juifs du "Passant de Prague" 1 , sont autant de formes du manteau

de l'initié des traditions mystiques. Il est censé occulter le corps premier et profane, comme peut le faire la robe liturgique. Ce motif de la robe est très révélateur des ambiguïtés vestimentaires, par sa dualité sacré/profane d'une part et par sa dualité sexuelle d'autre part. La robe contribue aux confusions que nous venons d 'évoquer. La mode de certaines époques (!'Antiquité par exemple) implique une robe "virile", la religion également (de la robe de bure des moines à celle des Danites). Elle serait en quelque sorte un motif neutre, doublement non sexué (gommage du corps, et signe non distinctif entre le masculin et le féminin). Le récit apollinarien s'ingénie à "resexualiser" le motif, soit dans le sens de l'inver­ sion sexuelle ( un homme en robe, même lorsque cette tenue est conven­ tionnelle, tend à être féminisé ) , soit, au contraire, dans le sens de l ' hyper­ bole virile quand le vêtement ( d'un religieux notamment) ne cache plus mais s'ouvre sur la "vérité " organique de l'individu. La robe condense ainsi les valeurs du vêtement apollinarien. Elle est sacrée et mondaine, bisexuée (différenciative, non différenciative et marque privilégiée des passages) , masque du corps, c'est-à-dire à l a fois dissimulation (globale o u partielle) et 1 . Ou à Salt Lake City (P r I, 448).

840

ostentation par compensation ou par défi. Il n'est pas étonnant qu'elle soit au centre des préoccupations herméneutiques ou esthétiques de certains person nages.

• Le vêtu

et le nu

[ . . . ] depuis longtemps je brûlai de savoir ce que les femmes portaient sous les jupes de si précieux, qu'elles se crussent obligées de le tenir si soigneusement caché. (Pr III, 9 6 3 ) Roger définit d e façon directe et brutale l a structure dichotomique q u i régit le système vestimentaire apollinarien. Tout habillement enserre un corps qui peut être considéré comme le terme d'une q uête, l 'objet ou le l ieu de la

"connaissance" 1 • Les descriptions réfèrent à des zones corporelles décou­

vertes, j uxtaposées à un même niveau d'extériorité ainsi qu'à des inclu ­ sions/superpositions à différents plans d'intériorité. Le système social ad ­ met certaines mises à nu de parties du corps, découvrements fort variables selon les époques ( comme le montre Apollinaire à travers la multiplicité des ancrages historiques de ses histoires) ou selon les situations et céré monies dans le cadre d'une société donnée. Le vêtement est le plus souvent une métonymie du corps dont il révèle au moins les formes dominantes. La va­ lorisation de certains organes corporels entraîne naturellement celle des vê­ tements qui les englobent, les cachent certes, mais, en même temps et indi ­ rectement, les livrent. Les scènes de déshabillage permettent de démonter et de démontrer la dualité du système vestimentaire. Elles dénudent également la structure du voilement/dévoilement et du rapprochement du centre corporel. Elles impliquent le franchissement de seuils, la traversée d'espaces i ntermédiaires intérieurs avant d'accéder à la "vérité" (ainsi le "nid de dentelle", "les jupons chastement baissés" , le corset d'Hélène Verdier,

Pr III, 9 1 6-7) qui alors est

moins située "en bas" que "dessous". Le récit apollinarien, de plus, joue constamment avec la "transparence" de ce qui est, en principe, "obstacle" . Même l e masque complet de la dame d e l'avenue Mercédès laisse deviner, par des trous, certaines parties du visage ; la matière peut être également un élément favorable lorsqu'elle est légère et laisse passer le regard. La co1. Nous analyserons cette question dans la section «Vouloir savoir [... ]» du chapitre VI.

841

quetterie vestimentaire se manifeste particulièrement par ces jeux d 'ambi­

guïté sensuelle ; ainsi pour Gyptis, dans La Fin de Babylone, ("Un léger voile flottait sur les épaules de la vierge, un de ces voiles de gaze fine [ ... ]. [ ... ]

son corps se devinai[t] sous les étoffes estivales." (Pr I, 573 ) ou pour

Suzanne avec sa longue robe qui "laissait l'épaule et le sein droits à décou­

vert. Cette tunique, quoique légèrement empesée, permettait de distinguer les formes du corps féminin." ( Pr I, 674). Les courtisanes apollinariennes

savent jouer de toutes les formes du déshabillé, à commencer par le vête­ ment qui, paradoxalement, porte ce nom : citons simplement Alexine qui

accueille Vibescu "dans son charmant déshabillé rose, aussi délicate et aussi

mutine qu'une marquise friponne de l'avant-dernier siècle." (Pr III, 893).

La description des vêtements censés dissimuler le corps conduit, en

fait, à son hyperbolisation. Le spectacle présenté au "beuglant chic de Port­

Arthur", Les Délices du Petit Père, est exemplaire à cet égard, avec d'abord

les girls anglaises qui "relevaient haut leurs jupes froufroutantes pour mon­ trer un pantalon garni de fanfreluches, mais heureusement le pantalon était

fendu [ ... ]." (Pr III, 922), puis avec le couple de danseurs espagnols, et en particulier la femme aux paillettes éblouissantes :

[ ... ] !' Espagnole releva ses jupes jusqu'au nombril et les agrafa de façon à ce qu'elle restât ainsi découverte jusqu'à l'ornière ombilicale. Ses longues jambes étaient gainées dans des bas de soie rouge qui montaient jusqu'aux trois quarts des cuisses. Là, ils étaient attachés au corset par des jarre­ telles dorées auxquelles venaient se nouer les soies qui rete­ naient un loup de velours noir plaqué sur les fesses [ ... ]. (Pr III, 923 ) Sans même être exhibés sur une véritable scène, les vêtements met­

tent en valeur les nudités partielles. Apollinaire se plaît, dans ce domaine

également, à évoquer les ouvertures et les habits qui les favorisent. Il s'agit d'une autre forme de transparence où l'obstacle n'est plus superposé mais

limitrophe, et où, lorsqu'il est levé, il se transforme en cadre ou support pour une accentuation. Comme certaines portes ou fenêtres spatiales, des

chemises ou corsages féminins (souvent très fins) sont complaisamment

échancrés ou ouverts : certaines modes ou certaines saisons (I'été dans les

Exploits ou pour Gyptis) sont particulièrement propices. De même, parfois, le

travail (et la maternité) ; ainsi pour Diane, la première maîtresse de Roger La régisseuse était pressée. Elle n'avait fermé qu'un bouton de sa blouse et il arriva qu'en se courbant pour faire

842

mon lit, ce bouton se défit et j' aperçus toute sa poitrine parce qu'elle portait une chemise très échancrée. (Pr III, 974) Si certaines poitrines orgueilleuses sont voilées (pour Geneviève, "Son fichu

qui palpite écrase sans raison les arbouses de ses seins. " , Pr I , 18 3 ) , d'autres ( notamment celles des courtisanes) combinent habillement et nu­ dité. Décolletés, manches et jupes courtes, vêtements ajourés, percés 1 , dé­

chirés découvrant le corps, sont d'autres aspects de cette confrontation des contraires et du jeu des états intermédiaires. Les récits multiplient les cir­

constances, les justifications diégétiques de ces dévoilements (volontaires,

involontaires et indirects, accidentels) qui sont, de toute façon, orientés

vers un espace secret, interdit, voire sacré. La chute de Berthe dans l'esca­ lier, au début des Exploits, avec le renversement physique qu'elle opère,

marque également le renversement de la valeur des vêtements. C'est un ri­ deau qui se soulève et qui "dramatise" la description du corps

[ ... ] elle tomba de telle sorte que sa tête était au pied de l'escalier tandis que ses jambes se trouvaient encore sur les marches. Naturellement sa robe était retournée et lui couvrait le visage, laissant ses jambes à découvert, Lorsque je m'approchai en souriant, je vis que sa che­ mise avait suivi sa robe jusqu'au-dessus du nombril. Berthe n'avait pas mis de pantalon [ ... ]. C'est ainsi qu'il arriva que je vis pour la première fois ma sœur dans une nudité impudique. (Pr III, 958-9) Les dénudations masculines conduisant à une "impudeur" sont égale­

ment un motif récurrent dans I' œuvre d'Apollinaire. Cette impudeur du dé­

voilement n'est pas obligatoirement sexuelle, même quand elle conserve une

portée scandaleuse. Le geste d' Amedeo à Laghet est sacrilège, dans la me­

sure où il révèle cette vérité humaine première, son identité sociale et eth­ nique que l'habit monastique se devait de gommer

Puis, se dressant, décidé, il souleva sa cuculle, la fit passer par-dessus la tête et la laissa tomber. Il dénoua sa cordelière, déboutonna le froc, s'en dévêtit et apparut

1. Comme confirmation sans doute " externe", retenons cette descri ption des vêtements des courtisanes dans le Don Juan Tenorio : " C 'était l'usage des courtisanes de se décolleter assez bas. Leur corsage, fendu dans le sens de la longueur, laissait voir leurs seins fermes et marbrés [ . .. ]. Les robes étaient si légères !" (P r I, 7 42).

843

comme un rude ouvrier piémontais, en tricot et pantalon de velours [ ...] . (Pr I , 169) Le déshabillage conduisant à une exhibition phallique est néanmoins le cas le plus fréquent. Il n'est qu'exceptionnellement inscrit dans le cadre d'une re­

présentation artistique (le torero, compagnon de la danseuse espagnole,

Pr III, 92 3 ) et n'est pas directement évoqué dans les soirées mondaines, fussent-elles orgiaques comme dans La Fin de Babylone (les déshabillages des héros des Onze mille verges se déroulent dans une relative intimité... ) . Les tenues masculines, même élégantes, mettent moins en évidence les

"appas potelés" (Vibescu, par exemple, est obligé de compenser par sa dé­

marche). Le motif érotique des dessous vestimentaires, récurrent pour la

femme, est, pour les hommes, non pertinent : tout se passe comme si

(quelle que soit la réalité sociale de l'habillement à une époque donnée) leur

premier niveau d'habillement donnait directement accès au corps. La femme peut, elle, mieux cultiver les fausses nudités, multiplier les degrés intermé­ diaires entre le vêtu et le nu. La "virilité" est soit cachée, soit exhib ée :

l'exhibition masculine ne peut entrer dans le jeu mondain des demi- mesures.

Quand elle se produit dans les récits apollinariens, elle s'inscrit dans un cadre

sordide ou bien dans un cadre naturel, c'est-à-dire, dans les deux cas, loin du

monde de l'artifice.

Le déshab illé masculin peut prendre la forme du négligé et du

"débraillé", illustrée par Nicolas, le fils de Pertinax Restif, "peu vêtu et dé­

braillé comme un Atys [ ... ] ./Ses vêtements ouverts montrent sa peau déli­ cate que la crasse orne d'ombres. Il est fait comme le Prince Charmant [ ... ] . "

(Pr I, 182) . L a description du moine cartomancien dans "Giovanni Moroni" ne s'embarrasse, elle, d'aucun lyrisme

Le moine était un beau garçon [ .. . ] ; sa robe était ta­ chée de vin, de graisse et marquée de petites saletés consistantes et sèches. [ ...] je n'étais occupé que du carto­ mancien dont la robe s'était ouverte et le montrait nu au­ dessous. ( Pr I, 324) Le motif du moine impudique (implicite dans le personnage du Père Karel et au couvent de Brünn) apparaissait déjà deux fois dans L 'Hérésiarque et

ae,

avec Benedetto Orfei et avec le confesseur dans "D' un monstre à Lyon

[ ...] " . Le portrait de l'hérésiarque illustre parfaitement la dialectique du vêtu

et du nu, de l'encadrement (et même du "marquage") de l' objet exposé par

844

le vêtement et les valeurs "sacrées" de l'exhibition. La vision "d'un instant",

mais de "toute [une] nudité", est mise en rapport avec une porte qui va

s'ouvrir (pour le départ du narrateur) ; elle a toute la fulgurance d'une révé­ lation

Au moment où il se leva, sa soutane, sorte de robe monacale de bure noire, s'ouvrit et je vis qu'en dessous l'hé­ résiarque était nu. Son corps velu était sillonné de marques de flagellation. Une ceinture rugueuse, hérissée de piquants de fer, qui devaient déterminer d'insupportables souffrances, entourait sa taille. Je vis encore d'autres choses, mais elles sont de telle nature que je ne peux les décrire. (Pr I, 116) La robe, cadre neutre, cadre sombre, s'ouvre sur une chair claire, "tatouée"

et sur un indicible. La scène débouche sur une prétérition qui inscrit le sexe

dans un monde d'interdit, au-delà de toute parole. Ce qui est exhibé est, en

même temps, élidé. Textuellement, le vêtement contient, livre (et se re­

ferme sur) un vide sexuel hypertrophié, un espace qui désigne métonymi­ quement l'organe tout en le dérobant.

Le narrateur de I' "histoire de châtiment divin" n'a pas ces pudeurs

quand il décrit le "pilon" ( etc.) vigoureusement exposé par le "prêtre ro­

buste". La multiplication des qualifications et dénominations du sexe a été

préparée par une autre prolifération : celle des termes s'appliquant au dé­ guisement servant de prélude à cette exhibition. Comme Amedeo, le prêtre renonce (provisoirement) à son état :

[ ... ] abandonnant la soutane, se vêtit du plus mal qu'il put, simulant un vagabond, colporteur gueux, mendiant, bé­ lître, fainéant ou chemineau, comme on en voit sur toutes les routes. (Pr I, 128) L'accoutrement du confesseur correspond à un rôle ponctuel : pour le ser­

vice de Dieu, le religieux, homme asexué (fonction dévirilisante de la robe)

devient ithyphallique. De plus, il convient de noter que le travestissement du prêtre le transforme en un Que vlo-ve ? ou un Viersélin Tigoboth,

"vagabonds" ou "colporteurs", provoquant le désir de la femme. L'hyperbole

du "bâton pastoral" conduit à l'engendrement d'un monstre sexuel (l'hermaphrodite) qui est, dans un registre organique négatif, ce que devient

plus glorieusement Croniamantal, héros viril et féminin. L'exhibition et l'am­

plification lexicale font ressortir la démarche inverse d'atténuation qui se

845

manifeste deux fois : par la prétérition (à propos d' "un acte naturel qu'il est i nutile de nommer" ) et la désignation périphrastique ou métaphorique d'une part, par l'euphémisme à propos de la femme (''eut

envie",

"son vou­

loir", "des démangeaisons", "se gratta") d'autre part. Ainsi, le récit accentue les composantes du cadre naturel ou vestimentaire, souligne la structure englobante mais tend à se dérober quand vient le moment de nommer l'or­ gane et l'acte. Le terme direct d'exhibitionnisme n'est d'ailleurs jamais employé dans les contes qui préfèrent suggérer, par l'indirect et métonymique "débraillé", un aspect involontai re qui, moralement , déculpabiliserait l ' attitude. Le "débraillé" d'Isaac Laquedem se justifie par la situation diégétique : la vi­ sion/ description de son sexe lors d'une "fête crapuleuse" combine excep­ tionnellement précision organique et métaphorisation. Les analogies, le "tronc noueux" ou surtout le "poteau de couleurs des Peaux-Rouges", ren­ voient aux valeurs totémiques des arbres sacrés ainsi qu'à la portée magique des maquillages dans les sociétés primitives. L'organe naturel devient un signe emblématique ( de judéité, "circoncis") et la marque d 'une puissance surnaturelle. La séduction qui se fonde souvent sur le jeu du vêtu et du nu peut également recourir à l'ostentation directe, volontaire de la nudité. Telle est la stratégie préférée et simpliste de Roger pour qui, dans un univers merveil­ leusement accordé à son désir, il suffit de se montrer nu pour conquérir les femmes. Le vêtement n'est, pour lui, qu'un obstacle très provisoire, un ac­ cessoire très secondaire de sa mise en scène. Son propre dévoilement cor­ respond à celui, involontaire, de sa sœur dans l'escalier : "Je déboutonnai mes bretelles, laissai tomber mon léger pantalon d'été et me remis sur le dos bien en face de ma sœur./ [ ... ] . Puis, je me relevai , me mis devant elle, soulevai ma chemise [ ... ] . ",

Pr III, 9 6 5 . De même, face à Madame Muller

"Je voulus faire une farce [ ... ]. Je soulevai ma chemise, jetai mes couver­ tures [ ... ] . " ; " [ ... ] m'apercevant les armes en avant elle eut un instant d'étonnement. Mais c'était une femme résolue sans pruderie vai ne."

(Pr III,

987).

L'exhibition, spontanée, naturelle et totalement déculpabilisée dans les

Exploits, devient plus trouble quand elle est féminine. Dans "Mon cher Ludovic", elle s'inscrit dans le cadre d 'une recherche esthétique et la "nudité savoureuse de la femme légitime" n'est qu'un biais pour une mise en condi­ tion des acteurs/spectateurs. Dans "L'Aibanais", l'ostentation de la nudité est marquée négativement du sceau de la provocation et de la cruauté

846

Impudique, d'une façon que ne peuvent manquer d'admirer ceux que la vie a assez malmenés pour qu'ils soient devenus bigles de l'âme et borgnes du cœur, Maud passait sa vie, dévêtue, dans l'appartement de mon ami. Et quand il était sorti, la débauche entrait dans sa demeure. (Pr I, 391) Ce motif de la nudité prend tout son sens lorsque cette scène est insé­

rée dans un roman comme La Femme assise où les thèmes du vêtement, du

déguisement et de la théâtralité_ sont particulièrement importants.

L'Anglaise est alors la seule héroïne dévêtue dans un univers "survêtu". Ce

ne sont plus les costumes qui suggèrent la fausseté mais la nudité même. La

femme "minaude" sans autre artifice que les jeux de son corps devant des

hommes aveuglés. L'Anglaise nue, à l'opposé pourtant des anglo-américains mormons costumés, à l'opposé de Paméla la Française déguisée en homme,

est, comme eux, en représentation, comme eux mensongère. Le nu et le

vêtu, structures contraires, se révèlent alors homologues par leur signification. Cette homologie est concrétisée par le nom même de

l'héroïne : Maud, dépourvue de tout voile, de tout obstacle se présente

dans la transparence de sa nudité corporelle et morale, dans sa vérité de

femme fausse qui

"passe" (sa vie) tout en " demeurant" (dans

l'appartement). Elle annonce, en abyme, la moralité du roman énoncée à

propos d'Elvire. La femme, variable et stable dans sa nature, est soit nue

comme Maud, soit habillée par "mode". Le nom de l'Anglaise n'est qu'appa­ remment oxymorique puisque la femme apollinarienne, quelle que soit sa "tenue", dévêtue ou costumée, est "beauté insolente" offerte en spectacle,

"objet d'art" témoignant du "goût du beau" mais également artifice, et

piège.

• L'art du vêteme nt1 Nous avons fait référence, à propos du maquillage, aux célèbres pages

de Baudelaire sur la mode, "symptôme du goût de l'idéal surnageant dans le

cerveau humain", "déformation sublime de la nature, ou plutôt [ ... ] essai

permanent et successif de réformation de la nature." "L'effort" de mode est

donc constant, lié à la nature humaine tendue vers le beau, alors que les 1. Voir Rose Fortassier, Les Écrivains et la mode. De Balzac à nos jours, PUF,

1 988.

847

modes sont variables selon les époques ("[ ...] toutes les modes sont char­

mantes, c'est-à-di re relati vement charmantes [ ... ].") et les réussi tes esthé­

tiques i négales ("[ ...] chacune étant un effort nouveau, plus ou moi ns heu­

reux, vers le beau, une approximation quelconque d'un i déal dont le désir ti­

til le s ans cesse l'espri t humain non satisfai t." ) . Baudelai re i nvite à les

"goûter" dès lors qu' elles sont portées, "vitalisées, vi vifi ées par les belles femmes" (que ces modes soient anciennes ou actuelles et "modernes" 1 ). Apollinaire, comme ce M. G. cité par Baudelaire au début de "Les

Femmes et les fi lles", a tendance à représenter la b eauté fémi ni ne

"moderne" (pensons à Estelle Ronange ou à Elvire) par "des femmes très pa­ rées et embelli es par toutes les pomp�s artifi ci elles, à quelque ordre de la

société qu'elles appartiennent." 2 • Il en est de même dans ses récits lorsqu'il

évoque, comme dans La Fin de Babylone ou "La Quatri ème journée" ,

d'autres époques et d'autres élégances. L'art du vêtement, comme tous les

autres arts, compose avec la nature mais en se refusant à I' "imiter". Il s'a­

git moi ns de la "déformer" que de la re-fo rmer. Le vêtement est par lui ­ même un élément culturel, une création humaine, et la mode l'arrache à la

sphère de l'uti litaire. Apollinaire, chantre de la mode (comme i l l'est d'autres

arts "mi neurs") , en appelle, comme Baudelaire, à ceux qui veulent "chercher

le beau jusque dans ses plus mi nuti euses manifestations [ ...]." 3 • Ses person­

nages témoignent de cette recherche qui tantôt s'inscrit dans le cadre réa­

liste d'une élégance sociale, tantôt, comme dans le chapitre "Mode" du

"Poète assassi né", se développe hors de toute mimesis (l'art culi naire b éné­

fici e d'une semblable "libération") 4 •

Si pour Baudelaire "toutes les modes sont charmantes", pour Tristouse

celle de "cette année" (1912) est "bizarre et fami li ère, elle est si mple et pleine de fantaisie." (Pr I, 275)5. En fait, la "fantaisie" (à tous les sens du

terme) se manifeste davantage que la "si mplici té" et prend la forme désor­

donnée d'une liste d'éléments attendus d'une nomenclature vestimentaire,

mais affublés d'un foisonnement de sous-thèmes i mprévisibles, qu'i l s' agisse

de la matière ou des accessoires. Les appréciations de Tristouse sont hy­

perboliques (du "charmant" baudelairien au "somptueux") , ce qui est la règle

de tout "éloge" littéraire (Baupelaire concédai t la "puérile solennité" de ses 1. Baudelaire, Oeuvres complètes, op. cit., p. 1 1 84.

2 . Ibid., p. 1 1 86. 3 . Ibid., p. 1 1 85 .

4 . Voir supra, au chapitre Il, l'exaltation de ces a rts mineurs. 5. Voir l'analyse de Claude Debon sur ce discours de Tristouse (Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8, op. cit., pp. 5 1 2-3.

848

propos sur le maquillage 1 ). La jeune femme est dans la position du critique

d'art devant rendre compte d'un chef-d'œuvre moderne, surpris et séduit

par les dissonances, les contrastes et les "trouvailles" des associations nou­ velles. Le discours de Tristouse sur la mode et les vêtements devient d'une part l'autoportrait d'une femme toute de contrastes et d'élégance, d'autre

part l'autodésignation par Apollinaire de ses techniques et de son art2 .

Pour les couturiers de 1912, "la nature est un dictionnaire" où les ar­

tistes puisent les signes de leur propre langage. Ils refusent les exclusives

qui en rendraient certains indignes d'entrer dans le monde de l'art. "Les dif­

férents règnes de la nature" sont sollicités comme autant de classes et de

types de signes potentiellement disponibles. "Toutes les matières" devien­ nent des signifiants dans un système global. Ainsi l'art vestimentaire retient­

il aussi bien des signes végétaux (par exemple, dans "La robe brodée de grains de café, de clous de girofles, de gousses d'ail, d 'oignons et de

grappes de raisins secs [ •.. ]") que minéraux (sous leurs formes directes ou

déjà transformées) ou bien animaux (le veau, les poissons, les oiseaux, les

serpents, etc.). La première originalité de cet art consiste donc à élargir son

répertoire de signes et à ne pas se limiter à ceux qui sont conventionnelle­

ment requis (les matières traditionnelles des costumes). La seconde est liée

à l'agencement de ces éléments dans le syntagme du costume : ce dernier

n'est pas original en soi puisqu'il renvoie à la succession prévisible des pièces de vêtement pour une femme (robe, chapeaux, pèlerines, ceintures,

souliers, gants, bottines). On remarquera cependant que, sur cet axe, cer­ tains éléments sont privilégiés : le discours revient plusieurs fois sur le cha­ peau, ce qui confirme sa valeur d'emblème vestimentaire que nous avons

déjà soulignée. La composition de ces éléments est, en revanche, plus sur­ prenante puisqu'elle associe, de l'intérieur (des "matières" nouvelles) ou de

l'extérieur (par des "greffes" ou des "ornements") des "réalités" habituelle­

ment "distantes" dans le vêtement social. La beauté vient, selon Tristouse,

de ce rapprochement. Peut-on aller jusqu'à dire, à propos d'un texte de

1 91 2, "Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et

justes, plus l'image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique ... "3 ? La référence explicite de Tristouse concerne, à l'évi-

1 . Baudelaire, Œuvres complètes, op. cit., p. 1 1 85. 2 . N'oublions pas que ce discours s'adresse à Paponat : l' une des " clés" de ce personnage serait, selon Michel Décaudin, le couturier Paul Poiret ( P r I, 1 240 1 ). 3 . Définition de l'image selon Pierre Reverdy, reprise par André Breton dans son Manifeste du Surréalisme, «Idées», Gal limard, p. 3 1 .

849

dence, le Romantisme, son travail sur le langage et en particulier sur le vo­

cabulaire : "La mode [ . .. ] ne méprise plus rien, elle ennoblit tout. Elle fait

pour les matières ce que les romantiques firent pour les mots. " Pr I, 276) .

Les associations de matières néanmoins provoquent "l' étincelle" dont parle­ ront les Surréalistes : plus "la différence de potentiel" entre l a pièce de vê­ tement et ses composants, entre les composants eux- mêmes, sera grande,

"plus l'image sera forte".

"Un costume de femme" devient donc un poème fondé sur des juxta­

positions et des enchaînements. Ce langage poétique sur un lexique renou­

velé est ouvert, tient compte de la nécessité naturelle et sociale. Il peut

servir dans la vie quotidienne ( la mode est "familière", "simple", "pratique" ) comme le langage verbal tient compte des exigences de la communication ;

mais aussi il "ennoblit" , transforme l'utilitaire en art. En ce sens, la mode

peut être considérée comme une "amphionie vestimentaire" : "L'instrument de cet art et sa matière sont une [ tenue de femme] dont il s'agit de par­

courir une partie [ ou des parties, ou le tout], de façon à exciter dans l'âme

[ . .. ] des sentiments ressortissant au beau et au sublime, comme le font la

musique, la poésie, etc." ( Pr I, 196). Dans cet art nouveau, les monuments

de la ville amphionique sont remplacés par ces autres repères référentiels

que sont les p ièces obligées d'un habillement. Le périple ( l'antiopée) que constitue le discours de Tristouse a ses étapes favorites ; il p ermet, dans

l'ensemble, de revisiter le domaine ( vestimentaire) apollinarien et surtout de

pénétrer dans "la fabrique" de ! 'écrivain-couturier.

Un costume en tant que poème et la mode en tant que poésie laissent

apparaître la thématique et les principes esthétiques d'Apollinaire. Une "mise

en abyme" confirme, s'il en était besoin, la nature esthétique du "langage de

la mode" et de ses réalisations : "Un grand couturier médite de lancer les

costumes tailleur en dos de vieux livres, reliés en veau. C'est charmant.

Toutes les femmes de lettres voudront en porter, et l'on pourra s'approcher

d'elles et leur parler à l'oreille sous prétexte de lire les titres." ( Pr I, 27 5) .

La mode ne réalise-t-elle pas de la "poésie galante" comme l'ami Méritarte, grâce à son art culinaire, confectionne de la poésie tragique, sentimentale,

épique ou satirique (Pr I, 378.- 80) ? L'on ne sera pas surpris de retrouver da.ns ces poèmes vestimentaires les mêmes images que dans la poésie ver­ sifiée ou dans les récits. Le bestiaire est privilégié dans ce passage ; il per­

met de développer des connotations et une symbolique familières : "coques

de moules", vêtements ( ou repas) "d'animaux vivants" notamment. Peut-on

être étonné de trouver comme emblème du lyrisme de la mode, et sur le

850

chapeau d'une dame, "vingt oiseaux : serins, chardonnerets, rouges-gorges

[qui] chantaient à tue-tête en battant des ailes." ( Pr I, 276). On sait, de plus, que couleuvres et serpents "siffleurs" parcourent poèmes et récits... 1 À travers l'hyperbole vestimentaire, cette accumulation d'objets, de

matières ou de couleurs, se dessine une nouvelle fois une opposition entre le plein et le vide. Il faudrait insister d'abord sur l'isotopie de la légèreté de ces

costumes par ailleurs surchargés. Les pièces de vêtements évoquées sont

des contenants, des "coques" dont on peut se demander si elles renferment

quelque chose. "Les coquilles de noix" - "pampilles" sont moins tragiques

que les coques de moules de "Giovanni Moroni", moins symboliques que les

"coquilles Saint-Jacques" des pèlerines, mais elles impliquent un "flottement" très apollinarien. Les "plumes" "ne pèsent ni ne posent" :

celles des souliers les transforment en "sandales ailées", celles des chapeaux

préparent à l'envol. "Pour le printemps, on portera beaucoup de vêtements

en baudruche gonflée, formes agréables, légèreté et distinction." : les

images du "Roi-Lune" sont déjà présentes (les meubles gonflables, l'envol fi­

nal du cortège ailé). La plume, l'oiseau entraînent l'apparition de "l'aviatrice" (le cortège de "Zone") . "Pour les courses [célérité "horizontale"], il y aura le

chapeau ballon d'enfant, composé d'une vingtaine de ballons, effet très

luxueux et parfois détonations bien divertissantes." : voilà qui annonce les

travestissements et les envols "mammaires" des Mamelles de Tirésias. La

légèreté, prélude aux montées verticales, est fréquemment prémisse de dis­ parition. Il en est de même pour la fragilité, impliquée par "la porcelaine, le

grès et la faïence [ ... ] brusquement apparu[s] dans l'art vestimentaire." et

surtout par le verre, matière "solide" qui associe cette fragilité à la transpa­ rence : "On fait des souliers en verre de Venise et des chapeaux en cristal

de Baccarat.".

Costume-poème, costume-tableau également ("Je ne parle pas des

robes peintes à l'huile, des lainages hauts en couleur [ ... ].") , le vêtement

féminin selon "la mode de 1912" a toutes les marques de l'objet d'art apol­ linarien (le retour au motif de l'écriture se fait d'ailleurs par "des robes bizar­ rement tachées d'encre",

Pr I , 276). Le thème de la lumière vient en

quelque sorte parachever l'ensemble, rappelé négligemment par Tristouse ("J'oubliais de vous dire que [ .. . ]") : "Au soleil, l'effet [de petits miroirs sur

un tissu] était somptueux. On eût dit une mine d'or en promenade.". Les

couturiers sont donc capables, composant avec la nature, de fabriquer de 1. «La c oiffure d'une ambassadrice était [ . . . ] composée d ' une trentaine de couleuvres. " Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur ma tête ?" [ ... ].».

8 51

l 'or et même, en cas de contretemps météorologiques ( quand il se met à pleuvoir) de "faire de l 'argent" ... Dans un registre à peine moins ludique, le couturier-poète de "L'Étoffe invisible" ne fait pas autre chose. "L'ouvrier tailleur" Louis Vedaldet, dans les prairies lyriques américaines, s'est associé à I' "épouse d'un richissime mé­ tallurgiste de Gawin où sont les plus importantes fonderies du monde.". Son invention, dans la vil le américaine qui porte, pensons-nous, le nom de Gauvain, le chevalier solaire 1 , produit un "spectacle merveilleux" : "On se

serait cru au temps de l'Àge d'or [ . . . ] �"

( Pr 1, 5 3 4- 5 ) . Ici, "Il s'agit d 'une

étoffe chaude comme la laine et transparente comme le cristal .". L'objet merveilleux, comme le verre des costumes célébrés par Tristouse, combine la présence et l'absence, la solidité et l'invisible. Apollinaire, comme souvent, se plaît à déplacer l 'intérêt de son invention en s'interrogeant, via son narra­ teur, sur l 'éventuelle utilité sociale et morale de l 'étoffe invisible ( " [ . . . ] aura[-t-el le ] sur les mœurs l 'heureux effet qu'en espère l 'inventeur. [ ? ] . " ,

Pr 1 , 5 3 5 ) . S a conclusion est dél ibérément réductrice ("[ ... ] l ' hygiène y g a ­ g nera : plus d e poitrines découvertes, partant plus de refroidissements [ ... ] ." ) alors que l'objet miraculeux comporte tout ce que le poète attend de l' œuvre d'art, à commencer par l'audace, pour ne pas dire la provocation. La nouveauté choque toujours les bons esprits ; le cas de Lydie Vernon n'est qu'un avatar des innovations esthétiques qui ont surpris le public contemporain : "C'est elle qui, avant tout le monde, osa porter en public un vêtement de cette étoffe.fla première fois qu'elle le porta, on cria au scandale. Les autorités crurent devoir intervenir [ . . . ] . "

(Pr 1, 5 3 4) . Mais

l 'essentiel n'est sans doute pas là. Sans revenir sur les références mytholo ­ giques et l ittéraires j udicieusement mises a u jour par Madeleine Boisson ( le roi de Lydie) 2 , nous soul ignerons que Louis Vedaldet est implicitement as­ similé à un alchimiste (nul doute qu'il ne fasse, de plus, des "affaires en or" ) , mais un alchimiste q u i n e transforme pas la boue e n or ( puisque le corps de son modèle est par lui-même "admirable"). Il invente une nouvelle beauté à partir d'une beauté première - une "surbeauté" pourrait-on dire - où le vê­ tement d' "une épaisseur respectable", concret pour les sens ( le toucher cher à "l 'ami" de la chair, mon cher Ludovic 3 ), recouvre "les parties les plus glorieuses" de Lydie tout en livrant l'éclat de "sa beauté nue". L'art humain compose avec la nature parfaite. Le vêtement hyperbolisé ( " [ ... ] je suis

1 . Voir Le Jeu autobiographique [... ], op. cit., pp. 3 96-8. 2 . Madeleine Boisson, Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., pp. 1 5 5-8. 3. Voir l'analyse de Madeleine Boisson, ibid.

852

couverte jusqu'au cou et jusqu'aux chevilles [ ... ].") s'annule. Le grand art

(du couturier) sait concilier les contraires, le vêtu et le nu. Le tissu et sa

texture étant une métaphore privilégiée du texte 1 , l'étoffe invisible donne

une image particulièrement précieuse d'une écriture pleine et qui recouvre,

tout en étant évanescente.

D. LE SYSTÈME OXYMORIQUE DES PORTRAITS

Je méditais sur ces contrastes [... ]. (Pr I, 116)

Les acteurs, de par leurs déterminations et qualifications, sont inclus

dans un jeu permanent qui confronte les principes d'unité et d'hétérogé­

néité, de ressemblance et de dissemblance. Chaque personnage, c'est une des règles de l'écriture de fiction, doit avoir sa spécificité et sa cohérence,

mais il se définit également par "différenciation" par. rapport aux autres 2 • Il

doit donc faire ressortir une certaine unité, physique ou psychologique mais aussi le fait qu'il "n'est pas", qu'il ne "ressemble pas" aux autres. On aura

senti à travers les pages précédentes que le "système apollinarien" ne privi­

légie pas forcément l'homogénéité et l'individualisation de l'acteur, que ce­ lui-ci "prend corps" par ses propres oppositions internes autant que par ses

similitudes ou différences avec ceux qui "ne sont pas [lui-]même".

La tentation unificatrice se manifeste d'abord par les notations globali­

santes que nous avons signalées. Le narrateur cherche à résumer d'un trait

physique, esthétique ou moral le "tout" d'un individu, passant parfois outre

aux éventuelles disparités internes du personnage. Il tend alors à exprimer une harmonie (le plus souvent dans un registre euphorique) entre un corps,

une âme, des attitudes ou bien, dans le strict domaine physique, entre les

différentes parties du corps. Cette tendance conduit à la création d'acteurs

idéalisés et uniformes, à de véritables topoï de la perfection humaine. Ces fi­ gures sont très rares, et fugitives dans les récits - ou parfois peu apollina­

riennes si l'on admet, par exemple, que la parfaite Haydée, dans son île pa-

1 . Voir Lucien Dallenbach, Le Récit spéculaire, op. cit., p. 2 5 . 2 . Voir Philippe Hamon, L e Personnel du roman, op. cit., p . 1 69.

853

radisiaque, est surtout une personnalité d' "emprunt"

(Pr I , 8 5 1 ) 1 . Les

deux portraits privilégiés (avec celui de Mariette) de "femmes idéales" sem­ blent, a priori, se conformer à ce modèle d'homogénéité entre les traits

physiques, le caractère et même le cadre environnant. Nous y remarquerons

cependant de très légères dissonances. L'évocation d 'l lse se termine pa r une opposition qui est censée "grandir" le personnage ; "adorable" et "gracieuse", elle n'en est pas moins qualifiée deux fois sous forme négative . : "Elle était fort mauvaise ménagère [ ... ] et cousait très mal."

(Pr I, 1 5 8 ) . Le premier défaut est ostensiblement

attribué à la "race" ( les femmes allemandes) 2 , le second tend à la distinguer des jeunes filles de son âge et de la vie commune. La "Rose" de la petite ville n'est pas une "fée du logis" ; à ses insuffisances domestiques s'oppo­ sent ses talents d'artiste. L'image d'llse au piano doit cependant retenir l'at­ tention : " [ ... ] et chantait qu'on eût dit d'une si rène [ ... ]. ". Dans l'univers apolli narien, la référence n'est pas i ndifférente ( surtout q uand elle est confirmée par le jeu des [s] ) 3

;

son charme/chant provoquera la perte d'E­

gon et la mort de la sirène elle-même. Cette inquiétante et prémonitoire no­ tation symbolique était déjà annoncée par les remarques purement phy ­ si q u es et par u n e ana logie su rprena nte conc e rna nt u ne b l ondeur traditionnellement solaire. Deux atténuations viennent corriger le stéréotype de la belle Allemande : "Ses cheveux d'un blond pâle , avaient des reflets un

� dorés [ . • . ] . "4 , ce qui prépare l 'association d'llse au "clair de lu ne". llse est donc à la fois une femme du jour ( le "clair" du blond) et de la nuit,

femme du "gris", la couleur de ses yeux dont la q ualification ( "sans être beaux") est à peine corrigée par l' harmonie suggérée avec sa figure.

Les portraits du couple idéal des Muscade font, eux aussi , apparaître des contrastes. La présentation du professeur, très rapide, en fait un per­ sonnage "neutre", mais... : "Il avait des mœurs simples et aurait passé par­ tout i naperçu s'i l n'eût toujours empesté l ' ai l . "

(Pr I , 3 4 0 ) . Ce trait

"pittoresque", concrètement et symboliquement, "rehausse" une personna ­

lité falote. Un autre personnage "sentant l 'ail" dans le poème "Marizibill" se proposerait comme double inquiétant ; on sait d 'autre part que l 'ai l , motif 1 . À Lord Byron. De même Inès, la mère de Don Juan (P r I, 8 2 6- 7 ) ou Julia

( P r I, 8 2 9- 3 0 ) .

2 . La satire d e la femme allemande est u n des topoï d'Apollinaire. Voir l'article de Pierre Caizergues, «De la femme allemande à la fille soldat ou la femme et l'amour dans les chroniques et les échos d' Apollinaire» , Expérience et imagination de l'amour (Stavelot 1 984), G4 1 7, 1 9 8 7. 3 . Voir supra, l'étude sur le rôle des phonèmes (chapitre II) . 4. Nous soulignons.

854

méditerranéen certes, est lié à de nombreuses superstitions : emblème de

chasteté dans la Grèce antique, lutte contre le mauvais œil, etc. Sans aller

au-delà dans l'interprétation, notons seulement ici le jeu de dissonance qui

se retrouve, plus subtil, dans la description de Mme Muscade. L'homogénéité de douceur et de blondeur est préservée, mais son corps accumule les op­

positions. L'être et le paraître en ce qui concerne l'âge : "[ ... ] âgée de

trente-huit à quarante ans, [elle] n'en accusait pas plus de trente à trente­

deux." ; ensuite, les "chairs épanouies", la poitrine et les hanches saillantes contrastant avec "la taille mince", ce qui pourrait donner une valeur sen­

suelle au personnage. Le narrateur rectifie aussitôt : "Pourtant rien en elle

n'était provocant [ ... ]". Le portrait s'achève sur une note prémonitoire "[ ...] elle paraissait triste." (Pr I, 340).

• Les oxymores inte rnes Les descriptions d'llse et de Mme Muscade révèlent les grandes ten­

dances du portrait apollinarien : au sein d'un même personnage, notamment par le jeu des correspondances physiques que nous avons étudiées, des

phénomènes constants de décalage. L'harmonie que l'on peut supposer

entre le physique et le caractère, reste toujours problématique. Le laid peut

cacher le bon, comme le beau l'ignoble. Dans La Fin de Babylone par

exemple, le capitaine Mirabal est "un géant d'aspect rébarbatif, mais à la vé­

rité doux et poli." (Pr I , 570) ; en revanche, bien des femmes "de la plus

grande beauté" ou aux allures angéliques se révéleront cruelles ou crimi­

nelles. Au plan strictement corporel, qui est le plus emblématique dans nos

récits, les portraits ne cessent de jouer avec les antagonismes aux différents plans, organique, diachronique ou esthétique. Ils deviennent des systèmes

fondés sur des traits antithétiques : la dernière grande figure de la rhétorique du portrait apollinarien devenant alors l'oxymore 1 . La description

des corps organise une confrontation systématique de ce qui est considéré

comme des contraires : le haut et le bas, le devant et le derrière, la gauche

et la droite, le passé et le présent, le présent et l'avenir d'un individu, sa

beauté et sa laideur. Chaque "grille" de dépli contient son propre système

d'opposition (les formes, les couleurs notamment). À cela s'ajouteraient les antagonismes plus cryptés et plus aléatoires liés aux différents réseaux 1 . Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op. cit. , pp. 1 70-3 ; J ean Burgos, Pour une poétique de l'imaginaire, op. cit., pp. 27 1 -82.

855

symboliques sollicités qui, s'ils sérient, disjoignent et opposent, tendent

également vers un "tout est dans tout" à la fois pertinent et spécieux.

Les portraits, lorsqu'ils sont saturés de qualifications ou d'apprécia­

tions, sont marqués de "signes positifs ou de signes négatifs", lesquels signes se retrouvent dans "les éléments contradictoires [ ...] juxtaposés" 1 . L'originalité de ces descriptions apollinariennes résiderait dans le fait que les

notations antagonistes ne sont pas, en elles-mêmes, un phénomène dévalo­ risant pour l'esthétique ou la qualité d� personnage. La distribution de ces

signes se fait de façon très nuancée, souvent équilibrée ; elle traduit un

souci permanent de rectification et de précision. Les "modalisateurs d'éva­

luations" qui sont, à un autre niveau, preuve de présence du narrateur, "dosent le positif et le négatif" 2 : la structure d'une qualité "amoindrie" par un défaut ("+ est «gâté» par -") est beaucoup plus rare dans les récits apol­

linariens que celle, inverse, d'une notation éventuellement ressentie comme négative mais immédiatement compensée ( "- est «corrigé» par + ") 3 • L'effet

le plus fréquent est donc celui d'une amplification, non d'une diminution.

Les romans érotiques fourniraient les exemples les plus clairs pour les

deux types : ainsi, pour la poitrine de deux héroïnes, l'évocation commence­

t-elle par deux appréciations positives pour se clore sur deux schèmes ré­

ducteurs. Roger apprécie Mme Muller et "la fermeté de ses tétons qui n'é­

taient pas très gros [ . . . ] ." (Pr III, 988) ; la poitrine de la petite Ida des

Onze mille verges "était charmante mais plate." (Pr III, 921). Nous avons

déjà perçu cette tendance dans les portraits de lise et de Mme Muscade ( le "-", la "tristesse" de cette dernière, pouvant être un "+ " à un autre niveau).

La structure d'une appréciation négative venant après une notation valori­

sante est surtout à I' œuvre dans les portraits qui associent un physique

avantageux et un caractère moins positif ( sur le modèle de la Cichina ou de Maud). Au strict plan corporel, une femme qui n'est pas esthétiquement par­

faite peut avoir d'autres vertus et d'autres charmes. Ainsi un manque de

beauté peut-il être compensé par une robustesse gauloise et paysanne ( les

servantes du château de Roger) ou par "l'intelligence" et l'expérience de l'amour ( Mme Muller)4 • La g rille descriptive des formes est le lieu de constantes rectifications qui . corrigent ce que le "grand" ou le "gros" 1. Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op. cit., p. 1 7 2.

2 . Ibid. 3 . Ibid.,

p. 1 7 3. 4 . Les premières "n'étaient pas d'une grande beauté mais c'étaient tout de même des paysannes bien bâties [ ... ] . " ( P r 9 68 ) ; quant à la seconde, elle n'est physiquement "ni belle ni laide [ ... ] . " (P r III, 987).

m,

856

pourraient avoir de négatif. Ainsi Culculine et Alexine sont, "grandes [ ... ]

mais sans excès." (Pr III, 892) ; à l'inverse, dans le même roman, Kilyému

est " petite mais très bien faite" ( Pr III, 926) . Pour les seins ou les fesses,

les " risques" de l'opulence des chairs ( la Kellnerine allemande " lourde de

croupe" ), les ( légers) défauts ( dus à l'âge par exemple) sont immédiatement

corrigés : ainsi pour Estelle Ronange dont les "seins tombaient un petit peu

mais cela lui allait très bien" (Pr III, 909) . Dans ces rondeurs, le "ferme" conjure ( du moins dans les portraits de femmes) le mou ou le flasque ;

l'adipeuse Thamar de Pertinax est une exception.

Ces jeux de compensation se retrouvent constamment dans la

confrontation des différents élément� corporels. Si le haut et le devant sont défaillants, le bas et/ou l'arrière rectifient positivement. Tel est le " modèle"

Mia qui "avait moins de poitrine que de croupe" ; arrière mis également en valeur par une "taille cambrée" et une "démarche balancée" ( Pr I, 243 ). La

poitrine de I' Anouké courtisane est "menue" et ses bras sont très longs

( double schème relativement dépréciatif dans un portrait féminin apollina­ rien) , " Mais le trait saillant du corps d'Anouké était l'extrême développement

de ses parties charnues." ( Pr I, 631 ). La jeune esclave qui porte le même

nom est petite et "saine" ; ses seins sont petits mais durs. Son trait carac­ téristique ( mais moins "saillant" que pour son homonyme) est donné par ses

" longues et fines jambes. Mais elle était parfaitement musclée et apte à

l' effort [ ...]." (Pr I, 580) .

Les jambes, en tant que motif organique composite, se prêtent, au

moins autant que les bras, à ces jeux de comparaison. Pour une fois ( mais

dans le cadre du bas), le haut est privilégié. Les cuisses sont naturellement

d'une rondeur sensuelle ( dans Les Onze mille verges, les " deux cuisses

grosses et rondes" de Mariette mais aussi d'Hélène Verdier, de Wanda, de la

Suédoise muette) , plus rarement fines et nerveuses ( Mira ou Estelle

Ronange) ; le bas de la jambe toutefois a son arrière galbé ( le " mollet bien fait" de l'édénique Mariette ou les "jolis mollets" d'Élise, la sœur de Roger) . Tout comme l'ensemble du corps composite, les jambes peuvent être har­

monieuses soit par le jeu des similitudes, soit par l'accord entre des formes contraires1

Les oppositions les plus fortes sont évidemment celles qui régissent les

grandes parties du corps et les différents niveaux. Les contrastes sont par1. Ainsi, celles d' Anna dans les Exploits ("Elle m'avait laissé voir ses beaux mollets nerveux et ses genoux blancs et ronds" , P r 9 5 9-60), ou bien encore dans la scène du bain de pieds des servantes (P r 9 68 ) .

m,

857

m,

fois fondés sur les couleurs (le brun d'une chevelure contre le clair de la

peau, le rouge de certains organes contre "la blancheur de lait" d'autres at­ tributs) ou sur des sensations tactiles de chaleurs différentes pour des par­

ties distinctes mais contiguës. Ainsi Vibescu, jugeant de la qualité de deux

des éléments du bas de Toné : cuisses et fesses sont harmonieusement

"grecques", "Mais quelle différence ! les cuisses étaient tièdes et les fesses

étaient froides, ce qui est un signe de bonne santé." (Pr III, 889). Le narra­ teur, en effet, peut se plaire à souligner explicitement les contrastes : ainsi

pour les cuisses "grosses et rondes" de Mariette la soubrette qu' "on ne lui

eût pas supposées car elle était grande et mince." (Pr III, 896). 11 en va de

même pour le corps parfait d'Haïdyn dont "les cuisses qui étaient grosses en

haut [ ...] s'amincissaient vers le genou". Le récit ajoute : "Il y avait une si

belle disproportion entre la grosseur de son cul et la minceur de sa taille

[ ... ]." (Pr

III, 93 3 ). Ce décalage est constant chez les femmes apollina­

riennes. La taille est naturellement une frontière organique entre le haut et

le bas (ou plutôt une frontière entre deux zones du bas corporel) ; elle sé­

pare et hiérarchise parfois (en cas de "disproportion" entre les "volumes" de

la poitrine et de la croupe ou d'opposition verticale entre "un petit buste, de

longues jambes", Pr I, 644). En cas d'unité entre les deux niveaux qu'elle

délimite, la taille fait ressortir par sa minceur les rondeurs contiguës. La po­

lysémie du terme l'associe parfois, quand elle devient "cambrée" (Mia ou la

dame masquée de "l'avenue"), aux saillances inférieures ou bien l'accorde

(comme synecdoque) à la minceur/grandeur d'un personnage.

On pressent que ces contrastes strictement corporels préfigurent

d'autres systèmes d'opposition : des portraits anatomiquement "unitaires"

laissant même percevoir des décalages plus subtils (à l'exemple du corps de

Macarée ironisé par son nom). Le plus souvent, le portrait donne un instan­ tané du personnage. Le passage du temps peut néanmoins laisser ses

traces, la description physique révélant alors un "avant" différent de l'état présent. Les vieillissements intradiégétiques sont rares : l'exemple limite

serait la comtesse d'Eisenberg, non décrite à l'ouverture du conte, et qui se

transforme, quarante ans plus tard, en une "vieille bohémienne" à la "vieille

face, enlaidie et déformée", rappelant néanmoins "quelques traits du char­

mant visage de la première comtesse d'Eisenberg." (Pr I , 3 89). Le procédé

du portrait à la fois synthèse et confrontation temporelle se retrouve dans

le double visage, antithétique à l'extrême, de Mme Daurème et surtout dans l'autoportrait de Tristouse. Passé et présent prennent, dans ces deux cas,

des valeurs exactement inverses : à l'ancienne beauté de l'épouse du poète

858

correspond l'ancienne laideur de l'amie de Croniamantal ; à l'actuelle laideur

de l'une, la nouvelle beauté de l'autre. Tristouse scande temporellement son autocélébration : "J'étais inconnue [ ... ] et voilà qu'il m'a faite illustre

[ ... ]." ; "On me tenait pour laide [ ... ] Me voilà belle [ ... ] ." , "On me trouve

maintenant si gracieuse que [ ... ]." ( Pr I, 277).

Tristouse, très symboliquement, a un "visage asymétrique", une double

face corporelle et temporelle. Les poèmes de Croniamantal ont d'abord in­

versé les canons de la beauté féminine pour un public versatile. G râce au

poète, les signes négatifs que la jeune femme décline se sont métamorpho­

sés. Le long, le pointu, le viril, le saccadé, etc., sont devenus la norme d'une

nouvelle esthétique : "[ ... ] mainten_ant le miracle est fait, je suis belle et glorieuse." . L'autoportrait de Tristouse exhibe les schèmes de correc­

tion/rectification, les disposant diachroniquement alors qu'ils sont à l'œuvre synchroniquement dans les autres descriptions. Cependant, par le jeu de

bascule temporelle, les contraires se trouvent soulignés, ce qui renvoie à la première évocation oxymorique du personnage par l'oiseau du Bénin.

[ ... ] c'est une vraie jeune fille, comme tu les aimes. Elle a le visage sombre et enfantin de celles qui sont destinées à faire souffrir. Et parmi sa grâce aux mains qui se redressent pour repousser, elle manque de cette noblesse que les poètes ne pourraient pas aimer car elle les empêcherait de pâtir. J'ai vu ta femme, te dis-je. Elle est la laideur et la beauté ; elle est comme tout ce que nous aimons aujourd' hui. (Pr I, 256) Cette définition accumule les oppositions, désignant à la fois les ar­

tistes et leur esthétique sous forme simultanément affirmative, négative ou doublement négative : le "+ " et le "-" se télescopent sans cesse dans ce

"portrait-poème" qui pourrait rappeler la "poésie libre de toute entrave" que

revendique peu de temps après Croniamantal, et dont on pourrait extraire,

symboliquement, le fragment de vers : "[ ... ] + v.s." (Pr I , 258). En effet,

dans le portrait apollinarien, le versus est un "plus", et davantage encore s'il est multiplié.

À travers cette présentation, assez conventionnelle, d'une femme née

pour faire souffrir le poète (et lui permettre de créer), à travers cette pro­

clamation théorique (plus surprenante) d'une esthétique nouvelle fondée sur les contrastes, nous remarquerons surtout la textualisation exemplaire des

procédés oxymoriques. Le portrait déplie d'abord "logiquement" des qualités

morales ou plastiques ("une vraie jeune fille, comme tu les aimes", "sa grâce

859

aux mains qui se redressent pour repousser", "elle est comme tout ce que nous aimons"). À ces schèmes positifs s'oppose le "manque" ("de no­

blesse"), lequel "manque" n'est pas un vrai manque puisque, s'il était com­

pensé, la jeune fille ne remplirait pas sa fonction négative (souffrance) et positive (l'inspiration) auprès du poète. Cette phrase remarquablement

complexe exhibe et retourne les prétéritions, juxtapose la négation ("ne

pourraient pas aimer") et la forme affirmative d'un verbe à sens privatif

("car elle les empêcherait de pâtir"). Le portrait s'était ouvert et se ferme

sur des syntagmes oxymoriques redoublés avec l'alliance de mots dans

"sombre et enfantin", la contradiction logique ("comme tu les aimes"/"celles

qui sont destinées à faire souffrir") d'une part, l'oxymore esthétique parfait {laideur et beauté) d'autre part. Le système de qualification, étonnamment

instable, est cependant enserré par le redoublement péremptoire du "J'ai vu

ta femme hier soir" et du "J'ai vu ta femme, te dis-je". Dans ce "miroir brisé", Tristouse est enclose "vivante et vraie"...

À travers ce portrait tout en contradiction, mais visant à une globalité,

Apollinaire met également en place une figure très symbolique et oxymo­ rique, celle de la femme-enfant. La "jeune fille" est encore "enfantine" par son visage, mais aussi par son objet-emblème (ludique),la corde à sauter, à

jouer, à danser. Cet aspect rendra compte, au plan psychologique, des com­

portements de Tristouse, insouciante, inconsciente, inconstante et imprévi­

sible. Les romans érotiques, qui proposent plusieurs figures de très jeunes

adolescentes, accentuent le contraste entre une certaine immaturité physio­

logique et une compétence sexuelle déjà très affirmée. Plus intéressant, car plus proche d'une image quasi mythique de la femme-enfant 1 , serait le per­

sonnage de la jeune esclave Anouké, séduisante dans son ambiguïté de

"frêle enfant", de "fillette" (Pr I , 575), troublante par ses formes nais­ santes ( Pr I, 580), provocante dans l'innocence de sa virginité. Vietrix à

Babylone "ne se soucie nullement, pour l'instant, de déflorer l'enfant" ; s'il

la trouve "charmante", il ressent "une crainte bizarre d'expérimenter la brune fillette [ ... ]. Il n'osait pas lui parler brutalement, la toucher. Par mo­

ments, il éprouvait même à son endroit une sorte de respect." (Pr I , 644).

C'est qu'avant même d'avoir pris conscience de la valeur sacrée du signe qu'elle porte, le jeune Gaulois se sent confusément confronté à un interdit 2 •

Les tabous sont violés allègrement par les héros des Onze mille verges mais 1. Voir le thème de la femme-enfant chez Baudelaire ou chez les Surréalistes. 2. Le Don Juan d'Angleterre éprouve les mêmes types de sentiments à l'égard de la petite Leilah ( P r I, 887,892, notamment).

860

des interdits du même ordre planent sur d'autres personnages féminins, oxymoriques par rapport aux héros masculins. C'est, par exemple, la figure de la "sœur épouse" (pour Pertinax Restif ou pour Roger avec Berthe et Élise), de la "tante épouse" (Marguerite pour Roger encore) ou même de "la mère épouse (Anna pour Roger toujours). Le tabou, s'il exacerbe le désir, tend surtout à dédoubler son objet, confrontant la face "claire" et sociale et la face "sombre" qui cristallise les pulsions.

Le portrait de l'infirmière polonaise des Onze mille verges est, comme

celui de Tristouse, un modèle de qualification oxymorique d'un personnage. Sa présentation est organisée selon les règles strictes d'un portrait apollina­ rien (prosopographie : la "jolie fille" ; éthopée : la violence ; notice biogra­

phique : les raisons du comportement). Le procédé de la dénomination re­

tardée (" [ • . . ] qui es-tu ? qui es-tu ? ", Pr III, 941 ) correspond bien à un

personnage "merveilleux". Le système antithétique se découvre selon un crescendo assez rare dans les portraits compacts (l'oxymore est plus fré­

quemment imposé d'emblée, comme pour Tristouse) avec d'abord les disso­ nances de la voix ("Elle donnait à Mony des ordres secs de sa voix suave."),

puis le mystère d'un regard (" [ ... ] la lueur étrange qui jaillissait parfois de

ses yeux verts."), et, enfin, la séquence la plus contrastée, révélatrice de la "vérité" du personnage : "De temps en temps, sa face séraphique devenait dure et un nuage de vices impardonnables semblait obscurcir son front. Il paraissait que l'innocence de cette femme avait des intermittences crimi­ nelles." (Pr III, 940). Les contradictions de l'héroïne se concrétisent par une alliance de mots qui reproduit le jugement de Vibescu ("cette exquise putain", Pr III, 942) et par toute une série d'oppositions temporelles, mo­ rales, symboliques et mythiques. L'histoire de l'ambulancière révèle l'origine de ce double visage et confronte un passé religieux ("J'étais pieuse autrefois comme une sainte.") et un présent de cruauté ("Je suis cruelle, vois-tu, comme Tamerlan, Attila et Ivan le Terrible. [... ]. Aujourd'hui, Messaline et Catherine ne seraient que de douces brebis auprès de moi." (Pr III, 942). Si elle est, "par intermit­ tences", douce ou sadique, si son regard "clignote" d'amour ou de haine,

c'est qu'elle est, comme Que vlo-ve ? aux yeux "clignotants", un être de la

frontière spatiale : polono-russe, elle s'efforce, par la violence, de détruire

cette dualité. Le jeu oxymorique principal réside dans la confrontation entre une apparence de madone et un comportement de goule. L'isotopie reli­ gieuse ( de la "sainte") est constamment sollicitée pour être systématique­ ment blasphémée. L'infirmière est une "dame de la Croix-Rouge", donc d'a-

8 61

bord de la croix ; elle est une femme des blessures et des "trous" de l a

"chair pantelante", des crucifiés (de la guerre). Comme l'un des compagnons

de Jésus, elle pense devoir mettre ses mains ("impures") dans une " blessure

ouverte". La croix dont elle se réclame est "rouge" du sang de ses victimes.

Némésis ou Ange Exterminateur, elle est, de toute façon, investie d'une

mission divine que célèbre Vibescu : " [ . . .] femme cruelle à qui Dieu a donné pour mission d'achever les blessés [ ... ]." (Pr III, 941). La belle Polonaise, à

sa façon et selon un fanatisme patriotique cette fois, n'en est pas moins

comme le Père Séraphin, le Bras Vengeur de Dieu : pour les deux héros sa­ crilèges, le portrait se fixe sur la "main droite" et même sur les doigts ;

ceux de la goule ne sont pas mutilés, mais "s' attard[ent] plus qu'il n'était besoin dans les plaies." (Pr III, 940) . Poussé au paroxysme de la charité et

de l'horreur, le personnage ne serait-il pas, selon la morale déj à citée de

"L'Hérésiarque", " pareil à tous les hommes", à la fois " pécheur", " saint" et "criminel" (Pr I, 118) ?

• Les oxymores externes · oppositions et " rimes" entre les personnages Les jeux d'opposition, qui apparaissent le plus souvent dans l e portrait

synthétique du personnage et qui sont parfois sensibles dans une reprise ul­

térieure de la description de l' individu (plusieurs portraits distribués linéaire­ ment), se manifestent également dans les portraits j umelés de protago­

nistes donnés (quasi) simul tanément. Les portraits dans les récits

constituent des types ou des séries de personnages réunis par des traits

communs (physiologiques, psychologiques, de comportement - pour ne pas parl er encore des éléments actantiel s) . Contes et romans c ultivent

également, au sein de l'homologie, des facteurs d'altérité (qui sont aussi des

facteurs d'individualisation) . Ressemblances et dissemblances donnent

souvent l'impression que, sel on l'expression bien c onnue de Raymond

Queneau, les protagonistes "riment" entre eux1 .

On sait que, définie très généralement, et au plan des structures, l a

rime implique la c onfrontation simultanée du même (le signifiant) et de

l'autre (le signifié) dans deux segments textuels contigus ou proches. Dans

un récit, le portrait peut jouer ce rôle. Il faut d'abord pour cela qu'au moins 1 . "Technique du roman", dans Bâtons, chiffres et lettres, coll « Idées» , Gallimard.

862

deux personnages soient décrits ( ou davantage, dans des structures plus complexes qui rédupliquent la structure de base). Ce n'est, par exemple, que

rarement le cas dans les contes de L 'Hérésiarque et Cie où les récits sont

dominés par une personnalité centrale qui ne trouve pas d'homologue dans

le cadre textuel défini. Il en est ainsi dans tous les contes avec narrateur-ac­

teur où le "je" ne fait pas son autoportrait. Même dans les récits fondés sur

une confrontation directe de personnages (Delhonneau et le cardinal dans

"L'lnfaillibilîté", les protagonistes en conflit dans "L'Otmika" , par exemple),

les héros, sur les plans physi que et psychologi que, ne sont pas

suffisamment définis, ne se redoublent pas assez pour apparaître comme des

r i mes.

C'est

surtout

en

tant

que

porteurs

de

valeurs

(tradition/modernité, religion/magie, ordre/désordre, etc.), en tant qu'ac­

tants (deux sujets recherchent un même objet, adjuvants ou opposants) qu'ils peuvent se ressembler. L'exemple le plus intéressant dans ce recueil

serait sans doute celui de "Simon mage", conte explicitement fondé sur le double, sur la vraie/fausse homologie des deux prophètes 1 • Notons que l'i­

dentité/altérité des deux Simon(s), si elle est constamment illustrée par les comportements et les miracles (dans le duel des thaumaturges devant Néron notamment), n'est pas fondée directement sur le portrait physique

des protagonistes. Alors que le corps et le costume de Simon mage sont longuement décrits, Simon-Pierre est simplement nommé avant d'être mis

en scène par ses paroles et ses actes. La (fausse) ressemblance n'est que

"citée", ce qui n'atténue pas la valeur de doubles (et de rime) des deux personnages.

Au plan physiologique qui nous retient surtout ici dans l'analyse des

structures du portrait, un conte comme "Le Poète assassiné" est extrême­

ment précieux par les successions/confrontations de personnages qu'il pro­ pose. Les qualifications rapides de Croniamantal constituent cependant des repères suffisants dans la galerie des portraits masculins, permettant des "rimes" avec François des Ygrées, Paponat et Horace Tograth.

Trois lignes d'homologies se dessinent ainsi. La ligne sentimentale et

chevaleresque d'abord, en rapport avec le "goût insurmontable pour [ ... ] les

amours périlleuses [ . . • ]." ( Pr I, 250). Dans son aventure avec Tristouse, il

est bien le digne rejeton de son "père" François, amant déçu et tué par l'in­

constante Mia. Ils ont en commun une impuissance à maîtriser la femme 1. Rappelons : " [ ... ] je ne suis nul autre que celui que tu es [ ... ] . " ; " [ . . . ] deux vieillards d'une ressemblance parfaite [ ... ] ." ; " Cet autre qui me ressemble n'est q u'un imposteur." (P r I, 1 3 3).

863

(François séducteur sans bourse avons-nous dit). Croniamantal entre ensuite en rivalité avec Paponat qui est aussi, seconde ligne d'homologie, un poète.

Paponat, notons-le, n'est qu'une figure, parmi d'autres, des créateurs dans ce conte. Croniamantal forme couple également avec l'oiseau du Bénin

" [ . . . ] ce fut dans la brusque lumière la création de deux êtres et leur ma­

riage immédiat." (Pr I, 2 55). La simplicité de la mise du peintre est un écho de l'indifférence vestimentaire du poète et la couleur de l'habit du premier

("Vêtu de toile bleue" ) connote la dimension mystique de l'épisode.

Croniamantal poète est un prophète pour les temps présents - une troisième

ligne d'homologie - comme prétend l'être aussi Horace Tograth à la fin du

conte. Cette ligne mystique reproduit, à l' évidence, l'homologie/opposition entre les deux Simon(s) de L 'Hérésiarque et Cie.

Sur chaque ligne, en effet, et avec les différents personnages sollicités,

les différences se font jour. On ne perçoit guère de véritable esprit chevale­ resque dans la première rencontre entre François et Macarée 1 (pas plus qu'entre Macarée et Viersélin Tigoboth... ). Ce couple de " parents" n'est ré­

uni que par l'amour du jeu et du spectacle. Affectation et rouerie contras­

tent avec l'innocence du comportement sentimental de Croniamantal, avec Mariette comme avec Tristouse. Paponat est un poète accordé à la femme

minaudière ; il est, de plus, l'artiste qui vient de l'autre monde ("Tu es

Paponat, qui étudias en Orient./Lui-même.

ô

poète d'Occident, je viens te

visiter.", Pr I, 2 73) . L' homologue de Croniamantal est aussi aux "antipodes"

de lui, son contraire géographique comme peut l'être Horace Tograth sur le plan littéraire (l'imposteur est journaliste - faux homme de lettres) , prophé­

tique et mystique. Le " plus grand poète vivant" n'existe donc que par ce

conflit avec ses doubles masculins (après sa mort, il est même supplanté,

auprès de Tristouse, par l'oiseau du Bénin) et avec son double féminin, celle qui est " moi en femme" .

Les portraits féminins, davantage centrés sur les corps et les vête­

ments, font mieux ressortir encore les homologies entre les héroïnes2 • Nous

ne reviendrons pas sur la chaîne patronymique qui unit les différentes

(fausses ou vraies) Marie(s) ni sur les ressemblances ou dissemblances

physiques : le brun, le sombre, les costumes, le long et le rond, etc. La

distribution régulière de ces figures féminines, dans chacune des grandes

1 . La " courtoisie" des manières est un jeu pour les deux personnages. 2. Par exemple, lors de la description de Mariette dans son jardin, très précisément préparée par la scène des jeunes filles au bain (vers presque " holorimes" grâce à la séquence reprise des " [ beaux] bras bruns et [ appas] potelés. ".

864

séquences du récit, constituerait une sorte d'homéotéleute narratif, de "rimes en prose" comme on a pu dire. Macarée, Mia, Mariette, Tristouse,

Maria se succèdent mais la structure dominante reste binaire avec Macarée et Tristouse. Mia, par exemple n'est q u ' un pâle écho, un rappel et une

annonce, une figure de transition même si elle est facteur de cohérence diégétique entre la mère de Croniamantal et sa maîtresse frivole. La

structure binaire est fondamentale également dans La Femme assise avec la petite fille et la grand-mère.

Ces ressemblances sont d'ailleurs soulignées par Elvire elle-même

(Pr I, 444, 458, 4 6 6 notamment) qui pourrait dire : "C'est moi en

femme...d'autrefois". À cette rime essentielle qui structure le récit (et q u'il

faudrait prolonger par une étude complète de l'architecture de La Femme

assise) , s'ajoutent des rimes secondaires de personnages tant féminins que

masculins : Elvire et Georgette ( Pr I, 41 3 ), Elvire et Mavise ( Pr I, 414) ou

Elvire et Corail ( Pr I, 488) d'une part, et, toujours face à Elvire, la série des

débauchés d'autre part ( Pr I, 411-2). Autour de "La Vrille" tournent à Paris

des hommes certes distincts physiquement, moralement, sociologiquement

( Nicolas Varinoff , Anatole de Saintariste, Ovide du Pont-Euxin , Pablo

Canouris, Moïse Deléchelle), mais tous unis (et donc ressemblants) par leur

soumission à Elvire. La pauvreté de leur portrait physique ou psychologique ne permet guère, à ce strict niveau, de les constituer en "doubles" ou

"rimes" les uns par rapport aux autres (seul Moïse Deléchelle a droit à un véritable portrait, Pr I , 422). Ce sont davantage les caractéristiques eth­

niques (Varinoff Russe, Pablo Canouris Espagnol, Waxheimer Allemand - trois

étrangers), professionnelles et artistiques ( Nicolas et Pablo peintres comme Elvire, Pr I, 414 ou 429, Anatole de Saintariste, poète et soldat

comme Waxheimer - Ovide du Pont-Euxin, un pseudonyme dont les reprises

sont c onnotées négativement) qui permettent de les associer. N icolas Varinoff et Pablo Canouris n'entrent pas en concurrence directe auprès d'El­

vire ; le poète s'éloigne de lui-même. Quant au peintre, son triomphe viril

d' "albanais" (Pr I, 423-4) ne fait que mieux ressortir l'échec de son entre­ prise auprès de celle qui est, au sens strict, la "maîtresse" du jeu.

Dans Les Exploits d'un jeune Don Juan, les structures d'homologies

entre les femmes séduites sont plus fortes que les structures doubles d'ho­

mologie/ opposition qui caractérisent la rime. Les servantes, par exemple, ne

"riment" pas, elles ne font que se succéder dans les bras de Roger. Deux

couples sont cependant plus intéressants : celui de la mère et de la tante

Marguerite, celui des deux sœurs Berthe et Élisabeth. Les deux premières

865

sont unies à la fois par leur âge (par rapport au jeune séducteur), leur phy­ sique de femmes mûres (elles sont elles-mêmes dédoublées par d'autres

femmes) mais l'une est une femme d'expérience, l'autre plus jeune est en­

core "vierge d'homme" (Pr III, 980). Le portrait qu'en donne Roger sou­

ligne l'unité du couple dans ses différences : "Elles étaient en vêtements

sombres [ . .. ]./Toutes deux étaient aussi désirables, l'une avec sa virginité

encore intacte d'un contact masculin et prometteuse de voluptés insoup­ çonnées, l'autre avec sa maturité excitante de femme mariée et qui s'est li­

vrée avec plaisir à toutes les fantaisies d'un mari plein d'imagination."

(Pr III, 981). Roger ne triomphera sexuellement de sa mère que par substi­

tution : deux femmes mûres, la régisseuse enceinte et Mme Muller ( deux

"belles"-sœurs au double sens du terme, Pr III, 987) puis la sœur de sa

mère. Le couple Berthe/Élisabeth est lui aussi parfaitement "en rime" (et

avec Kate en écho commun) : unité de parenté, mais avec une différence

d'âge, et égalité de traitement par le jeune Don Juan.

Les rimes de personnages, perceptibles dans les portraits, se font, de

préférence, par le biais de couples naturels, familiaux (frère/sœur, sœurs,

exceptionnellement père/fils ou fille) ou sociaux (et consacrés par la tradi­ tion littéraire comme le couple maître-maîtresse/valet�servante) 1 • L a "famille vertueuse" d e L 'Hérésiarque e t (;ie en donnerait u n bel exemple,

moins par les parents frère et sœur (car Pertinax n'est pas vraiment décrit)

que par le couple des deux enfants, également débraillés et sensuels, unis par le narrateur dans un même éloge ("Belle progéniture, mon compagnon,

que la vôtre [ ... ].", Pr I, 182). La Fin de Babylone et surtout Les Onze mille

verges multiplient également les rimes de personnages. N'oublions pas que

Vibescu est, à ses heures, poète et que les rimes de ses créations (Pr III,

907-9) sont particulièrement "riches". L'écriture elle-même, entre autres fantaisies verbales, ne recule pas devant la rime facile : avant même "le

décret de Moscou, je m'en fous" du chapitre IV (Pr III, 907), nous avons eu

droit à un triple jeu au début du chapitre Il avec "[ ... ] si j'avais bu un verre de raki./- Chez qui ? Chez qui ?", "Que [ ... ] onze mille verges me châtient

si je mens !/- Et comment !" ou "Je ne suis pas un noceur./ - Et ta sœur !"

(Pr III, 892). Comment, dès lors, ne pas penser d'abord à Culculine et à sa

sœur Hélène Verdier, moins délurée certes, mais tout aussi sensuelle (chapitre V) ?

1. Voir in fra, le "système" des personnages (chapitre VI) .

866

Ce roman érotique présente inévitablement une multitude de couples

dont certains sont d'abord unis par les prénoms. Notons la répétition du

phénomène de la rime au sens strict pour les trois couples saphiques consti­

tués par Toné et Zulmé (dès le chapitre I), Culculine et Alexine (chapitre Il ) puis Wanda et Ida (chapitre V). Cette parenté du signifiant est déjà un signe

mais l'exemple de la double Anouké dans La Fin de Babylone montre que I' hétérogénéité peut être aussi forte que les facteurs d'homogénéité 1 • Les trois couples féminins des Onze mille verges font jouer les élé­

ments les plus traditionnels de différenciation et de complémentarité. Ainsi

Toné est "une jolie brune [au] corps tout blanc" quand son amie Zulmé est "une blonde [à] l'épaisse chevelure'.', "plus petite que Toné, mais sa svel­

tesse et sa grâce ne lui cédaient en rien." (Pr III, 889-90). De même, au

chapitre V, avant d'étreindre Ida, Wanda "cingl[e] une très jolie fille blonde",

Nadèje. Wanda est grande, Ida est petite, "mince et brune" : "Les grosses

jambes de celle-ci contrastaient singulièrement avec les cuisses minces,

brunes et nerveuses de celle-là." ( Pr III, 920). On retrouverait les mêmes schémas de contrastes physiques élémentaires dans le couple

Culculine/Alexine car Culculine est une brune aux yeux gris et au teint mat

alors que, dans un second portrait directement enchaîné, son amie blonde a

la carnation claire et comme transparente (Pr III, 893 ). Le modèle du

couple saphique ne peut être, à l'évidence, donné que par le portrait de Sopphâ/Sapho et de sa tendre lsé : 2 Sopphâ était une grande fille au profil régulier, aux yeux doux, aux cheveux blond-châtain. [ . .. ]. Sa chair avait repris les aspects opulents qui lui étaient le mieux favorables, ses seins gonflés, sa croupe puissante et blonde [ ... ]./[ . . . ] Et elle caressait !'Égyptienne, dont le corps maigre et brun, souple et musclé faisait contraste avec le sien et dont les grands yeux noirs fixaient sauvagement l'étranger. (Pr I, 589)

1 . La jeune esclave et la courtisane ont physiquement en commun "de petits seins bruns et durs, le buste étroit" et la longueur des membres (P r I, 5 80 et 6 3 1 ) mais l' une est innocente et simple quand l'autre est experte en tous les arts du corps : " Il y avait au coin de sa bouche un pli qui dénotait une certaine pratique de l' amour et quelque perversité.". Ou bien : " Elle était parée avec une recherche infinie" , pour ne pas revenir sur sa callipygie "cultivée" (P r I, 6 3 1 ). 2 . Une scène d'orgie de La Fin de Babylone illustre parfaitement la recherche de la complémentarité da ns les rimes saphiques : " [ . . . ] deux par deux, elles s'accouplaient. Celle aux seins débordant, à la croupe arrondie, recherchait celle à la poitrine menue, aux jambes longues et nerveuses. Les blondes se soumettaient aux caprices des brunes." P r I, 7 1 3).

86 7

• Les rimes de l ' Orie nt-Express On se doute que ces schémas d'opposition se retrouvent également dans les portraits des couples homosexuels masculins. Les Onze mille verges offre d'ailleurs deux couples strictement parallèles de maîtres et valets

sexualisés avec d'une part Estelle Ronange et Mariette, d'autre part Vibescu

et Cornabœux. Les femmes y sont moins précisément différenciées que les

hommes. On sait, dès le chapitre III, que Mariette est blonde, grande, mince

quoique ronde d'appas (Pr III, 896). Dans l'épisode du train, Estelle se ré­ vèle fausse blonde et, en tout cas, moins opulente que sa compagne. Le

contraste physiologique entre Mony et son serviteur n'est pas aussi secret puisque le couple associe un homme élégant, "simplement bien fait" et un

colosse 1 •

Nous pourrions être tenté de voir dans les multiples accouplements des

romans érotiques une métaphore (hypersexualisée évidemment) du jeu des

rimes, avec des combinaisons classiques dans la distribution, des instabilités et des irrégularités ou, enfin, une poésie (sexuelle) "libre de toute entrave".

L'on sait que le train est pour Apollinaire un motif poétique moderne qui ne

peut qu' "exciter" la flamme des créateurs : " La trépidation excitante des

trains/ Nous glisse des désirs dans la moelle des reins" est une devise que

Vibescu reprend "allègrement" (Pr III, 905). Le début de la séquence de l'Orient-Express présente donc la rime masculine, tout aussi fortement uni­ taire que différenciée.

Comme l'art, et la poésie en particulier, peuvent être - on se souvient

de "L'Ami Méritarte", du "Gastro-astronomisme [ ... ]" ou des "Petites re­

cettes [ ...]." - une "cuisine" des mots, nous ne pouvons être surpris de re­

trouver nos héros au wagon-restaurant pour dîner. Le "poème" apollinarien va se mettre en place dans ce repas où différents motifs ("bruits de fer­

railles du train", argenterie, cristallerie, etc.) rappellent des éléments pré­

sents dans certains poèmes d' Alcools. Le poète d'ailleurs "signe" son texte

puisque le geste inaugural du dîner n'est autre que "le saut brusque d'un

bouchon d'Apollinaris" 2 ••• La rime masculine appelle la rencontre de la rime

féminine, une rime inattendue (aspect fortuit de la rencontre) mais préparée (puisque Vibescu connaît déjà Mariette). Les éléments de base du poème 1. Apollon et Héraclès selon Madeleine Boisson ( Apollinaire et les my thologies

antiques, op. cit., p. 1 6 8). 2 . Ibid., pp. 1 6 8-73.

868

sont en place, un poème qui supposera une déclamation. Le premier soin

d'Estelle est de réciter "L'invitation au voyage" de Baudelaire... L'épisode

qui s'ouvre sera davantage situé dans la "volupté" ("C'est pour assouvir/Ton moindre désir") que dans "l'ordre" ' la "beauté" ou ' a fortiori' la "douceur" et

le "calme". Le train suppose toutefois un voyage dans "le luxe", et l'Orient-

Express conduit vers "la splendeur orientale" dont parle le poète des Fleurs du mal. Le poème récité est donc parfaitement "en situation"1 , mais notons

surtout, pour le moment, que nous restons dans le cadre formel d'une

poésie traditionnelle

(avec des héroïnes toutes de "modernité"

baudelairienne) : le "sonnet improvisé", qui est la réponse de Vibescu à

Estelle, ne peut que le confirmer. Le yers, pour naître, suppose un travail sur

les syllabes ou, comme l'on dit souvent, sur les "pieds". L'inspiration érotico­ poétique de Mony monte à mesure qu'Estelle l'aide "pédestrement" ("[ ... ] Mony sentit que les petits pieds de l'actrice montaient le long de ses jambes [ ... ]." ; "[ ... ] ils commencèrent un mouvement de va-et-vient assez

curieux." ,

Pr III, 907) : un "travail qui ne cessa jusqu'au dernier vers."

(ibid. ). Vibescu, en tant que poète méticuleux, a eu soin d'organiser son sys­

tème de rimes. En tant que "maître", il se réserve Estelle Ronange. Il a tenu cependant à "doter" les deux valets et donc à unir les deux éléments de la

rime sociale : "Je veux la marier [Mariette] à mon valet de chambre [ ... ]."

(Pr III, 906 ) . La versification régulière, pas plus que le traditionnel couple des serviteurs, échos des amours de leurs maîtres ("[ ... ] Mariette et

Cornabœux se regardaient langoureusement.",

Pr III, 909), ne sont oubliés.

Après Baudelaire, c'est Corneille qui est sollicité dans "la pointe" du sonnet

"Épithalame" avec "Cette obscure clarté qui tombe des étoiles." (rappelons

que Le Cid fournit également l'épigraphe des Exploits d'un jeune Don Juan). Corneille, poète pré-classique", peut aussi être un versificateur plus "libre".

À son image, Vibescu, dans son premier sonnet, ne respecte pas par­

faitement les règles de distribution des rimes (structure ABAB, BAAB, COD,

CEE). Il distille subtilement les irrégularités. En effet, si "Épithalame" est bien

construit sur quatre rimes, le poème fait apparaître un système de rimes

croisées dans le "huitain" , r:ie respecte pas le principe de l'alternance des

rimes féminine et masculine entre le premier et le second quatrain et rejette

à la fin, après un système embrassé aux vers 9 à 1 2, le traditionnel distique

de rimes plates ("voiles/étoiles"). Nous remarquerons également que le 1 . Voir aussi le " Petit poème en prose" de Baudelaire.

869

poète se plaît à jouer avec les deux définitions du masculin et du féminin

(genre grammatical et genre des rimes), en particulier dans le second qua­

train et le premier tercet : si "sans venin" est masculin/masculin et "terre"

féminine/féminine, "petits suisses" et "sluices" sont de type mascu­

lin/féminin tout comme "mystère". Ajoutons que, fort paradoxalement et en

accentuant le décalage signifiant/signifié, le "con féminin" est mascu­

lin/masculin...

Cette confusion des "genres" se retrouve dans les noms à la rime des

deux autres sonnets ("délicats" et "mythologiques") : certes Omphale est

féminine/féminine mais avec un phalle dans son nom, lequel phalle est mas­

culin/féminin, de même que, paradoxalement, "Quel mâle", c'est-à-dire

H ercule lui-même. Quant à Pyrame et Thisbé, la mise à la rime suffit pour

suggérer le caractère interchangeable des sexes (Madame/Thisbé, fémi­ nin/masculin et Pyrame, masculin/féminin).

Ces deux sonnets sont clairement des mises en abyme mythologiques

des aventures des quatre personnages du train : à un premier niveau, c'est

Vibescu qui se compare avec sa compagne à Hercule/Omphale puis à

Pyrame/Thisbé. Cependant, c'est bien Cornabœux qui est physiquement un

colosse et donc un Hercule comme l'a remarqué Madeleine Boisson. Les sonnets ont ainsi un double référent personnel dans le roman. Mony parle

pour lui et pour son valet. L'histoire d'Hercule et d'Omphale est d'ailleurs

"filée" très subtilement tout au long des trois poèmes. On sait qu'Omphale

est reine de Lydie, pays où coule le Pactole, le fleuve de l'or ("l'or dans les

sluices"). Pour le monde grec, la Lydie est à l'orient (et la référence à la

reine, dans le sonnet en vers bisyllabiques, est "express"). Héraclès y fut

esclave et, en tout cas, serviteur d'Omphale. Elle lui imposa un certain

nombre de tâches (ce qui fait écho au défi initial de Culculine). Certaines

"versions romanesques" font même état, selon Pierre Grima1 1 , d'une inver­

sion des comportements puisque Héraclès aurait sombré dans la mollesse alors qu'Omphale aurait repris les emblèmes et le rôle masculins.

Les aventures d'Hercule se poursuivent dans le dernier sonnet, à tra­

vers les cris de Thisbé et de Pyrame. On connaît la version d'Ovide et le rôle que joue le lion dans le dénouement du drame (et Omphale, en Lydie, se re­

vêt de la peau de lion, emblème d'Héraclès). Dans l'extase (et dans le

poème de Vibescu qui semble surtout reprendre des versions plus anciennes

où les deux amants ne se parlent pas simplement à travers la fente d'un 1. Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, op. cit.,

p. 328.

870

mur) 1 , Thisbé crie "bébé". Cette réduction affectueuse de l'homme n'est

pas sans rappeler d'autres "poupons chéris" dans l' œuvre d'Apollinaire ou dans le même roman2

;

la grandeur virile n'en est pas moins minimisée et

"entamée" (le grand et le petit toujours... ). Pyrame courbé bée "Hébé !", cri à double portée puisqu'il joue sur le signifiant (un "Eh bé" comme réponse

possible au "mot doux" de Thisbé) et sur le signifié, la déesse de la

Jeunesse. On sait que cette divinité sert le nectar aux dieux de l'Olympe, ce que demande Vibescu à Estelle... à moins que ce ne soit lui qui le verse (l'offrande d' "Épithalame" est très explicite), ce qui féminiserait le héros au

moment même où sa "lame" ("Pyrame [... ] l'entame") fait son office. Hébé

est considérée également comme "la fille de la maison" des dieux ; elle joue le rôle d'une servante3 , comme Mariette auprès d'Estelle ou Cornabœux­

Héraclès auprès de Vibescu. C'est bien le mariage d'Hébé et d'Héraclès que projette Mony-Apollon qui, lui, veut s'unir avec l'étoile/Estelle.

La figure d'Héraclès permet, dans cette séquence de l'Orient-Express,

le jeu des redoublements et des rimes. Apollinaire construit la trame globale de son roman en fonction de "travaux" d'un Hercule du sexe qui est aussi un

héros solaire 4

;

la référence mythique rend compte également de certaines

séquences (Vibescu/Hélène en tant que Zeus/ Alcmène pendant l'absence

d'Amphitryon) comme de petits détails. Ainsi l'épisode bien connu du sein

d'Héra mordu par Héraclès : "Ma bouche à tes seins blancs comme des pe­ tits suisses/Fera l 'honneur abject des suçons sans venin" lit-on dans

"Épithalame". La force de l'enfant Héraclès, illustrée dans l'aventure des

serpents qui s'introduisent dans le berceau, obligerait à rectifier le schème d'euphémisation que nous avons perçu dans le "bébé". Apollinaire nous a

habitué à superposer les mythes, à les combiner, ce qui est particulièrement

le cas dans Les Onze mille verges. Vibescu est une figure mythique synthé­

tique, tantôt Apollon, tantôt Hercule : Apollon quand il est associé au co­

losse Cornabœux, Apollon/Hercule à la fois quand il est seul et assume les deux rôles.

La "partie carrée" qui s'organise dans la cabine est, à sa façon, un qua­

train qui fait jouer tous les systèmes possibles de distribution des rimes. Il

n'est cependant guère facile de savoir si les grands principes de la versifica­

tion sont respectés. On pourrait croire d'abord qu'au plan du "genre" la rime 1 . Ibid., pp. 402-3.

2. Voir supra., l'épisode d'Hélène (chapitre IV) . 3 . Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie [...], op. cit., p. 1 7 5. 4. Voir l'ensemble de la section «Le double assassinat de l'Orient-Express» dans la thèse de Madeleine Boisson ( op. cit., pp. 1 68-7 3 ) .

8 71

A

va

ê tre

masculine

et

lancer

un

sy stème

de

rimes

pla tes

(Vibescu/Cornabœux). Erreur, car la disposition spatiale définie dès le début

par Mony (" - Cornabœux, [ ... ], encule moi pendant que je fourbirai cette jo­

lie fille.") mettrait au vers 1 le premier élément de la rime féminine (Mariette), suivi de près par les deux éléments masculins enchaînés (BB ... ),

alors que le deuxième élément de la rime A (et c'est tout l'intérêt suspensif

du système embrassé) se fait attendre : "Le déshabillage d'Estelle était

plus long [ ... ]." (Pr III, 909). Selon le second critère du statut social des personnages, la distribution ( ordre d'apparition) est joliment croisée

(Mariette/Vibescu/Cornabœux/Estelle). On se doute cependant que l'ordre

va devenir instable : "Cochon de chemin de fer ! Nous n'allons pas pouvoir garder l'équilibre." (ibid.) . Dès qu'Estelle, en effet, entre physiquement dans

le jeu, la versification fait des "cabrioles" et ni les personnages ni le récit­

poème ne savent plus trop où ils en sont. Toute belle rigueur s'affale, mais surtout la rime féminine (d'où la valeur annonciatrice du premier quatrain d' -

Hercule et Omphale). Le poème est manifestement composé de deux mou­

vements. La mort de Mariette marque la frontière diégétique (mais aussi

géographique - France/Allemagne - et fantasmatique : la description qui suit échappe à tout réalisme, Pr III, 910- 1). C'est dans un tout autre registre,

atroce, "gothique", et non plus outrancièrement "gaulois", que se déploient

les rimes pour "le double assassinat de l'Orient-Express". Cornabœux suc­

cessivement viole la morte et "laboure" de son couteau (la lame) le ventre d'Estelle. Le couple masculin termine seul le poème devenu tragique (ce qui

n'empêche pas Apollinaire de faire un dernier jeu de mots avec "il faut se ti­

rer des pieds.", Pr III, 91 2).

Les Onze mille verges est certainement le roman (strictement apollina­

rien en tout cas, car la série des Don Juan offre également beaucoup

d'exemples) qui présente le mieux cette structure identité/opposition régis­

sant le portrait des personnages en couple. Les effets de confronta­

tion/dysharmonie nous y semblent cependant plus fréquents que les effets

d'harmonie/complémentarité comme, par exemple, chez le couple de dan­ seurs espagnols. L'imagination d'Apollinaire se plaît davantage à mettre en

scène des couples - naturels, sociaux, aléatoires, "unisexuels" ou bisexuels -

outrancièrement dissemblables au plan physique comme au plan psycholo­ gique. Les associations du type Cornabœux/La Chaloupe, Tatar/Kellnerine

sont les plus révélatrices. Quand un couple homogène est présenté (les deux enfants pendant la messe noire, Pr III, 91 3-14), il est immédiatement dis­

socié : "petit garçon" et "petite fille ravissante" sont vigoureusement pris

872

en main par Mony, Cornabœux ou Natacha. D'autres enfants, dans le roman,

sont violentés par les grands, les forts, les longs, les ronds, les adultes, les sensuels, les vicieux 1 •

Les aventures de Kilyému en donneraient une illustration complète. Elle

qui est "charmante", "au nom délicat", petite, gracile, etc. , est d'abord

explicitement mise en parallèle au bordel avec "la négresse [ à] la masse

tourmentée" et à la "g'osse patate" qui convient à Cornabœux ( Pr III, 9256). Fille d'artiste (d'un joueur de guitare, comme Croniamantal fils de Que

vlo-ve ? /Tigoboth) et artiste elle-même (l'art du "casse-noisettes"), elle

connaît le destin qui sera celui de la jeune Elvire Goulot, ballottée d'amants

en maîtresses, avant de trouver l'amour et la mort dans les bras du "bel

Egon", "grand et fort" mais "giton" (Pr III, 926-3 0). Le récit pitoyable de

"la petite japonaise, droite et sérieuse" (qui s'en va "comme une ombre" ,

émeut aux larmes Vibescu, le faisant "réfléchir à la fragilité des passions

humaines."), contraste avec le tableau peu ragoûtant du couple

Cornélie/Cornabœux : "[ ... ] ils étaient monstrueux tous les deux. Le gros

cul de Cornélie ressortait [ ... ]. Mony sortit son sabre du fourreau et piqua dans cette grosse pièce de viande." (Pr III, 928). Les portraits d'Apolli­

naire, dans Les Onze mille verges comme dans d'autres récits, sont ainsi, qui

combinent des "bouton[s] de fleurs d[e] néflier du Japon" (Pr, 3 , 926), des "fleurs du mal" et des "étals de boucherie" : des contrastes qui, à l'image de la lame de Vibescu, ne manquent ni de tranchant ni de piquant.2

1 . De Serge Kokodryoff à la jeune Roumaine, dernier plaisir de Vibescu ( P r m, 9 5 1 -2 ) , en passant par le petit chinois de Mounine ( P r m, 9 3 3-4) et par le nourrisson violé par Mony ( P r m, 9 3 9 ) . 2 . Voir in fra, les couples en u n sens plus large (par exemple, Balthazar/Cyrus) et les duos.

873

CHAPITRE VI

LES PE RSON NAGES E N ACTION

I LE PERSON NEL APOLLINARIEN

Tant d'êtres anciens ou actuels. (Pr I, 25)

A . L E PERSONNAGE TÉMOIN LE J E-ACT E U R

Élément constitutif d'un couple, témoin observateur d'un duo, étranger ou membre de la foule, se propose le personnage du "je" que l ' on a sans doute un peu trop tendance à marginaliser en tant qu'acteur. Il est vrai qu'il

ne constitue pas, en tant qu'intervenant dans l 'histoire, une figure particuliè­ rement marquante. Ce protagoniste peut se faire oublier - et l'expression

conventionnelle de héros-narrateur tend à désigner plus souvent la face "narrante" que la face, sinon héroïque, du moins "agissante". Le je-acteur est pourtant, nous l 'avons dit à propos des types de la narration, le person­ nage premier de la moitié des contes s'il n'est qu'une fois, dans les récits courts, le personnage principal 1 • Sa réalité diégétique est occultée par les discours que le "je-narrant" tient sur les "vrais" personnages rencontrés. Le lecteur est plus spontanément sensible à la parole

a posteriori,

proférée

dans le présent de la narration , qu'aux hypothétiques paroles, réactions, actions de celui qui a vécu l'histoire. "L'illusion actorielle" recherchée le plus souvent ne dissimule pas qu'un autre "je" met en scène et raconte. Le je-acteur mérite pourtant une attention plus soutenue, en particulier celui qui apparaît dans les contes. L'on ne peut, en effet, assimiler ce "je" à celui, plus romanesque, plus débridé, de Roger dans

Les Exploits d'un jeune

Don Juan.

Nous mettrons donc ce dernier provisoirement à l'écart. En re­

bauche de

La Femme blanche des Hohenzollern

vanche, les "je" romanesques du tout début de

La Femme assise

et de l 'é­

ont, à l 'évidence, des liens

étroits de parenté avec ceux des récits courts. Pour compliquer le système, nous rappellerons que certains "je" des contes (sans même revenir sur les narrateurs des métadiégèses) ne réfèrent pas à la "figure unique", corn-

1. Voir, supra, les remarques sur le refus de l'autodiégétique (chapitre Il).

876

mune , stéréotypé e parfois, de la grande majorité de ces texte s. Sur la tren­

taine de récits que nous avons qualifiés d'homodiégétiques, seule une ving­

tain e propos e un j e-acte ur d'un e re lativ e consistanc e . Ainsi, dans L 'Hérésiarque et Cie, ils ne se raie nt que se pt

et,

dans Le Poète assassiné,

riche en cas limite s, cinq seulement. Sept contes écartés ou retrouvés nous

intéresse ront également ainsi que les deux chapitres liminaires de L 'Arc-en­ ciel.

Le profil, la silhoue tte , le s contours, à défaut de la nature ou de la pe r­

sonnalité de ce je-acteur, ont pu déjà être définis, souve nt indirecte ment, à trav e rs les différentes études qui ont précédé. Cette figure pre mière , point

d'ancrage (et d' "encrage ") de la fiction (e t du récit) , ne bénéficie pas d'une "étique tte " complète , d'un autoportrait bloqué dans l 'un quelconque

de s conte s. Chaqu e récit homodiégétique propos e de s qualifications ponctue lles, discrète s, médiatisé e s. Le lecte ur est tenté de les réunir, de constitu e r, à trav e rs de s te xte s autonom es, un pe rsonnage constant, cohérent e t admissible au même titre que les autre s acteurs. Cependant, si

ce pe rsonnage existe par lui-même sous cette forme multiple (qui n' est pas

sans qu elque s oppositions inte rnes), il prend corps surtout au contact de s autres, soit par mimétisme , soit par répulsion. S'il réagit plus qu'il n'agit, se s

mouv e m e nts n' e n révèle nt pas moins les grands ax e s de s intrigu e s

apollinariennes.

Dans la pe rspe ctiv e réaliste d'un pe rsonnage auth entique

et

dans la

logiqu e d'un e figure d e synthèse autorisé e par les re groupe me nts des

contes en re cueils, le je-acteur se propose d'abord comme un protagoniste typé, sinon

e thnique m e nt,

ment. On a vu qu'il

étrange rs,

e st

du moins sociologiqu e me nt

français

et

parisien ; il

est

et

psychologique ­

même , fac e à tous les

le Français et le Parisien et peut être honoré à c e titre , comme

dans "Le Passant de Prague" (Pr 1 , 83-4). Il bénéficie donc du traite ment de

faveur lié à son origine , des "sympathies bohémiennes", mais aussi des pre s­ tig es de la littérature (Victor Hugo)

et

de la culture françaises lorsqu'il

e st

très loin de sa capitale. Même s'il ne sollicite pas directement l es étrang e rs,

ceux-ci, spontanément, s'adressent à lui comme à un re présentant d'un pays privilégié.

Ce je-acteur est, le plus souvent, mobile ; c' est un touriste , ou bien un

homme qui semble se déplace r pour de s raisons prof essionnelles. Il devie nt alors ce pe rsonnage typé de la littérature de la fin du xixe e t du :xxe siècle,

le "re porte r", avec ses comporte ments, ses modes de vie obligés. Voyageur,

il a ses petites habitudes, comme celles de de mander son chemin aux pas-

877

sants ("[ ... ] habitude assez inconvenante, mais très commode quand on ne connaît rien d'une ville [ ... ]." , Pr I, 83 ) et de chercher des gîtes en rapport

avec ses (faibles) moyens financiers (le "voyageur peu riche" cherche de petits hôtels aussi bien dans "Le Passant de Prague" que dans "Les

Souvenirs bavards" - le boarding house londonien). La modicité des res­

sources du je-acteur n'est cependant que très peu évoquée dans les contes qui mettent parfois l'accent sur une autre "bohème", celle, littéraire qui fré­

quente "les tavernes du quartier latin" (Pr I, 106) - la bohème artistique de Montmartre, quant à elle, est suggérée très indirectement. Le reporter-jour­

naliste se doit de se rendre chez ceux qui créent l'événement (Benedetto Orfei ou les artistes nouveaux), dans les lieux où l'on parle littérature, où se

réunissent fins lettrés et personnalités en vue (les salons mondains). Ce sta­

tut, implicite ou explicite, de chroniqueur ou d'échotier implique, sinon une érudition a priori, du moins une certaine culture. Ce "je" est obligatoirement

sensible à l'actualité, lit les journaux, les faits divers comme les rubriques

plus "nobles". La curiosité fait également partie du "cahier des charges"

d'un tel personnage. Il se doit d'être un observateur des lieux et des per­ sonnes (en ce sens, il est un des "fonctionnaires" 1 de la description et du portrait), il est professionnellement amené à se tourner vers les originaux, et

les marginaux. Il a également une statutaire "obligation de réserve" : sa

fonction d' interviewer le contraint à rester en retrait. Son rôle est de faire

parler l'autre, de le laisser exposer ses théories ou ses aventures exception­

nelles ; en bon journaliste, il doit seulement orienter la discussion et, au be­ soin, la relancer.

Le refus de l'autobiographie directe, qui passe d'abord par la neutrali­

sation du je-acteur, commence par sa réduction à ce statut conventionnel -

qui, par ailleurs, justifie toutes les narrations à venir. Notons cependant que

les rares portraits bloqués d'écrivains, ironisés ou positifs, ne sont pas cen­ sés le définir personnellement

Il y avait là, avec moi, un de ces petits journalistes qui écri­ vent de vagues chroniques en troisième page de canards mi­ morts, donnent des échos aux grands quotidiens, et qué­ mandent dans les maisons de commerce, des commandes de publicité. ("Le Juif latin", Pr I , 1 0 6) L'écrivain entouré, fêté, raconta toutes sortes d'histoires, fit la gazette de la semaine, et ce fut un mélange extraordinaire 1. Expression de Philippe Hamon dans Le Personnel du roman [... ], op. cit., p. 66.

878

de calembours, de recettes de cuisine, de conseils pour la toilette, d'aventures personnelles et d'anecdotes de toute sorte, souvent raides et salées. ("Histoire d'une famille vertueuse [ . . . ]", Pr I, 189) Même le "je" journaliste a besoin de doubles pour exister par procuration. Il

n'a ni nom ni histoire. Très rares sont les notations sur son passé : les ana­

lepses ne le concernent pas. Seules quelques remarques éparses et rapides suggèrent qu'il a pu avoir une enfance, des amis de longue date (Dormesan,

Pr I, 194) . La seule véritable profondeur temporelle dont bénéficie ce "je"

est celle qui sépare le narrateur de l'acteur. Tout se passe comme si ce je­

acteur ne commençait à vivre qu'au moment de l'histoire, comme si son

passé n'était pas pertinent (sauf dans le cas exceptionnel où un Gabriel

Fernisoun vient lui rappeler l'un de ses "anciens" écrits,

Pr I, 1 00). Le "je"

des contes est à peine inscrit dans la temporalité historique; les marques de

la guerre, par exemple, portent exclusivement sur ceux qu'il rencontre (les textes de

1918) : le je-acteur-soldat n ' est qu ' une hypothèse

(vraisemblable) dans "Les Épingles" alors que c'est une certitude dans les

romans comme La Femme assise ou La Femme blanche des Hohenzollern.

Le modèle du comportement d'un journaliste se retrouve dans les

contes où le je-acteur n'est pas qualifié professionnellement et se propose comme un simple individu sensible à tous les attraits du rée1 1 '. Deux atti­

tudes types sont alors perceptibles : le simple constat d'un phénomène ou

d'un personnage surprenants et la prise de parti. Le "je" se promène assez

souvent avec une sorte d'indifférence accueillante, indifférence feinte bien

entendu, puisque l'existence du récit atteste par elle-même le statut

"notable" de l'événement - mais la découverte de l'intérêt de l'épisode peut

être le fait du narrateur ultérieur alors que l'acteur, lui, se contente de voir

ou d'entendre (par exemple, dans "La Noël des milords"). Interpellé par

l'autre, le "je" ne réagit qu'assez faiblement, répond verbalement par poli­ tesse, comme au début de l'échange avec Isaac Laquedem qui lui parle du

21 juin 1 721 : "- Vous étiez bien jeune alors, articulai-je pour dire quelque

chose ; bien jeune !" (Pr I, 86). Il peut même ne rien dire du tout comme devant le vieillard de "Sainte Adorata" ou le malheureux fuyard de "La

Chasse à l'aigle". Ce silence, toutefois, n'exclut pas un certain nombre de

sentiments ressentis par le "je" mais ceux-ci restent parfois informulés,

c'est-à-dire perceptibles indirectement (la fin de "La Noël des milords", Pr I, 1. Claude Debon, dans sa thèse, a tenté de "cerner la psychologie du narrateur"

( Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8, op. cit., pp. 5 0 9- 10 ) .

879

400) ou sans commune mesure avec la qualité de l'événement (le "je" de "La Promenade de l'ombre" admet sans étonnement particulier, la présence du merveilleux). Le "Je suis seulement curieux et voudrais vous accompagner [ ... ] " qu'on lit au début d' "Histoire d'une famille vertueuse [... ]" ( Pr I, 1 81 ) dé­ finit globalement l'attitude psychologique et le comportement le plus fré­ quent du je-acteur des contes. Son rôle est d'être disponible aux décou­ vertes et, secondairement, de les analy_ser ou de les commenter; il doit être vide en lui-même, parfois en situation symbolique de "vacances" ("La Noël des milords"), pour ne pas faire écran aux qualifications comme aux valeurs symboliques de l'autre. Sa première fonction est d'incarner une humanité moyenne, un regard et une conscience dépersonnalisés, le "monsieur-tout-le monde" par lequel s'opère la plus commode des identifications pour le lec­ teur. Dès lors, ses sentiments devront être les plus banals, les plus attendus, quand l'événement se déclare. Ses réactions psychologiques formeront un éventail de tous les états d'âme possibles devant l'incongru, les surprises du réel ou du surnaturel. Le "je" du "Roi-Lune" est le héros-type de conte fantastique tel que l'a défini Tzvetan Todorov. L'évolution de ses sentiments couvre toute cette gamme qui va du simple constat d'une anomalie au paroxysme de l'émerveil­ lement ou de l'effroi. Seul "je", il fournit ainsi le modèle de toutes les réac­ tions des autres "je" des contes. Le prologue de la caverne condense les deux sentiments extrêmes dans le cadre d'une dynamique globale : "Quel étonnement et quelle terreur ! je voulus fuir. Puis la curiosité l'emporta et [... ] je m'acheminai dans le but d'explorer [... ]." (Pr I, 3 04 ). À l'intérieur du palais, le repas d'animaux vivants lui paraît "singulier" mais ne le rend qu' "un peu inquiet" ( Pr 1, 3 06); il est "rempli de stupéfaction" devant les inscriptions équivoques et énigmatiques (Pr 1 , 309 ), "déconcerté" par les "jeux inquiétants d'un collège de fous priapiques" ( Pr 1, 3 1 0), "plein d'in­ quiétude" à nouveau dans le couloir des graffiti sotadiques ( Pr 1, 3 1 2), "émerveillé" par le tour du monde auriculaire du Roi-Lune (Pr 1 , 3 1 6), etc. Face aux mystères des lieux, aux provocations verbales des person­ nages rencontrés ("1 721 . Où étais-je donc ?"; "sainte Adorata a été ma maîtresse"), face aux agressions même ("Un masque dans l'avenue"), il veut être un homme du bon sens et de la normalité. Ses réponses les plus spon­ tanées vont dans le sens de la réduction de l'inconnu, une fois le premier mouvement d'étonnement passé (certains personnages inquiétants sont les premiers à vouloir le rassurer). Le refus du surnaturel dans "Le Roi-Lune" est

880

explicite ( Pr I, 304, 3 1 2 notamment) ; dans "La Chasse à l'aigle", le "je"

"recule" devant l'apparition, mais "surmontant [s)on effroi", il "repr[end] sa marche en avant". Une voix chevrotante prononce alors : "Ne craignez rien,

monsieur. Je ne suis pas méchant." (Pr I, 370). Ce qui est "singulier" de­

mande explications : celles fournies directement par les hommes (ou femmes) du mystère sont en général suffisantes. Le "je" n'a pas besoin d'en

demander davantage (ou n'en a pas le temps quand l'énigme s'échappe

aussi vite qu'elle est apparue) . Il d�it admettre l'invraisemblable même si celui-ci le laisse perplexe dans l'instant 1 . Par sa seule présence, son simple témoignage, il authentifie, accrédite ce qui est hors-norme : il est le "pied

dans le réel" nécessaire à la fiction �t sa silhouette n'a guère besoin d'être précisée.

Le grand mérite de l'article de Joseph G. Lowin, "La Vision périphérique dans L 'Hérésiarque et Cie "2 , est d'avoir rompu avec cette représentation très appauvrissante du je-acteur et d'avoir montré comment ce protagoniste

était lui-même attiré par la "périphérie" et la marginalité. Le héros-je

apollinarien, en effet, n'est pas simplement une commodité technique, un

facteur de diversification narrative, une structure personnelle nécessaire à

certains types de récit. Il est un des éléments du système oxymorique des personnages, non seulement parce qu'il est, globalement, à l'opposé de ceux

qu'il rencontre, mais aussi parce que, par lui-même, il est un protagoniste

divisé et contradictoire. Nous avons dit, à propos de la territorialisation, qu'il

était donné tantôt chez lui, comme personnage sédentaire, tantôt à l'exté­

rieur, en visite ou en voyage. "Le Juif latin", "Le Toucher à distance" ou "Le

Gastro-astronomisme [ ... ]" le montrent effectivement dans ses activités les plus quotidiennes, ce qui ne manque pas parfois d'un certain pittoresque. Il

est donc celui qui peut recevoir, bon gré, mal gré, des qualifications de l'ex­ térieur. La modestie, pour ne pas dire la pauvreté, en tout cas le négligé

d'un domicile d'un homme de lettres sont alors confirmés (le poète sans le sou est un cliché,

Pr I, 637). Par le fait même qu'il soit parisien, il est terri­

torialisé au-delà de sa propre demeure. Il est à la fois chez lui et hors de

chez lui quand il se promène dans la capitale. Il est étranger dans un do­

maine qui lui appartient, a fortiori lorsqu'il est entraîné hors des strictes li­

mites de la ville, en banlieue, notamment par Pertinax Restif.

Notons à ce propos qu'à aucun moment dans les contes le je-narrateur

ne fait allusion à un statut social d'étranger. Le gommage du passé et des 1. Voir infra, la section sur le savoir des personnages.

2 . G\ 1 5, pp. 9 5- 1 1 0.

881

origines du "je" fait de lui un "parisien quintessencie!" 1 attiré par les étran­ gers (Giovanni Moroni) mais sans aucun lien avoué avec eux. À Prague , Isaac Laquedem peut l'interpeller sous cette forme : "Je suis étra nger comme

vous [ ... ] ." (Pr I, 84) ; à Paris, hors de chez lui, le "je" l'est tout autant, même s'il "connaî[t] [la ville] et ses beautés". Le narrateur, homme de la norme, est également hors-normes par sa profession implicite de journaliste­ écrivain (pour John Taylor, le poète fait partie du "peuple" de Paris, sinon du prolétariat) ; la bohème littéraire est _un autre monde en marge de la so­ ciété bourgeoise. Comme à Babylone, cette micro-société vit surtout la nuit, ou au petit matin, quand la vraie vie sociale, celle du travail, s'arrête ou n'a pas encore commencé. L'étrangeté statutaire du narrateur-acteur le prédis­ pose à s'intéresser à d'autres êtres de la frange, des "marges", des "zones" limites quand ils ne sont pas directement des hommes de l'extérieur. La pa ­ renté avec les Juifs, les brocanteurs, chiffonniers, prostituées, etc., est liée

à une similitude de situation sociale qui est confirmée, au plan psycholo­ gique, par un "goût" ou un "amour" explicitement affirmés. Le héros­ narrateur devient alors une figure hybride de protagoniste à la fois intégré à la société, porteur de ses valeurs les plus traditionnelles (la raison, le bon

sens, les bonnes moeurs) et i nséré dans le monde des exclus, participant à cet univers qui met en cause les règles sociales, politiques - ou littéraires. Le "je" est aussi celui qui entre dans le jeu de l'étranger, c'est-à-dire

dans l'étrange et dans le mystère. La première structure de sympathie est celle du dialogue qui va bien au-delà d'un contrat réaliste de civilité. À l'i­ mage des échanges quelque peu forcés avec les deux premiers Juifs de

L 'Hérésiarque et

ae, les conversations prolongent l 'intimité, accentuent la

familiarité. Le "je" est aussi peu discret avec cet autre original-margi nal qu'est Pertinax Restif ( Pr I, 1 8 2-3 ). L'affectation verbale dissimule à peine l 'ambiguïté, la tentation sexualisée que représentent ces marginaux. Da la frange, le texte glisse vers la fange. Le sexe de I' "ange" Gabriel n'est pas exhibé ; celui d'Isaac Laquedem est complaisamment offert tout comme les charmes de Nicolas et Geneviève. C'est bien par rapport au sexe que se détermine la première ligne de

fracture importante dans cette figure du narrateur. Il est, a priori, un per­

sonnage non sexualisé puisque, dans la taverne praguoise, il refuse de se mêler à la "fête crapuleuse" (Pr I, 9 1 ). Peu de temps auparavant, il avait,

malgré l'invitation pressante de l 'hôtelière, refusé de "garnir" le deuxième lit 1. Joseph G. Lowin, art. cit., p. 9 6.

882

de sa chambre (Pr I, 84). La plupart de ses aventures sont effectivement

non sexuées - mais des implicites viennent corriger cette neutralité de prin­ cipe. Les tapotements donnés ou reçus dans "Mon cher Ludovic" ne sont

pas obligatoirement dépourvus de sensualité. Le dernier repas donné par

l'ami Méritarte tend à faire comprendre que le "je" n'a pas su résister (comme face à Maud, dans "L'Aibanais" , Pr I , 3 91 ) aux séductions de la

femme de l'artiste culinaire : "[ ...] un jour, il décida de donner un grand dîner satirique auquel il n'invita que les amants de sa femme./ Nous étions là une dizaine de personnes [ ... ]." 1 (Pr 1, 3 80). La grande scène des boîtes dans

"Le Roi-Lune" est la référence obligée quand on doit évoquer la sexualité du

je-acteur. Les digressions pseudo-scientifiques et les prolongements symbo­

liques (la domination du temps et de l'espace) n'occultent pas la besogne

très charnelle à laquelle se livre le héros - et qui le remplit de satisfaction virile autant que d'orgueil mythologique (Pr I , 3 11-2).

Le détachement ludique (face à Fernisoun ou à la famille de Pertinax)

ou la réserve affichée (face à la débauche d'Isaac Laquedem) ne sont que

des voiles légers jetés sur des situations particulièrement troubles. Le lit du

narrateur dans "Le Passant de Prague" restera vide, mais son attente sera néanmoins comblée par un compagnon masculin et ithyphallique. Ce Gabriel,

qu'il "aime", s' "amuse superbement" et le fascine. Pertinax, son

"compère", se réjouit allègrement en famille avec sœur et enfants. La conni­ vence devient malsaine comme le souligne la réflexion : "Un malaise indéfi­

nissable faisait battre mes tempes [ ...]." (Pr I , 184). Le "grand dégoût pour cette famille" est la réponse commode de la conscience claire, le repli né­

cessaire quand la compromission dépasse les bornes de la décence - même

dans le cadre d'un jeu. Le rire du narrateur est, au double sens théâtral et spatial, une "fausse sortie" ("[. .. ] je souris, riotai, rigolai et m'inclinai débon­

nairement pour baiser la main de cette femme [ ... ]. "). Le narrateur, dans son trouble "opalin", se sent confronté à deux vérités : celle de la morale

sociale qui proscrit l'inceste et dont il est le porte-parole, celle de l'inceste mythique qui préserve la pureté de la race et ainsi défie le temps.

Les marginaux sont aussi des hors-la-loi en fonction desquels le narra­

teur devrait se déterminer. . Dans les cas extrêmes, la connivence devient

complicité. À la compromission morale s'ajoute la faute de la non-dénoncia­ tion. Le défi de Pertinax reste enserré dans le monde clos de sa famille. La

"marge" ne menace pas l'ordre social comme peut le faire un Gabriel 1 . Nous soulignons.

883

Fernisoun. Les propos du narrateur face au Juif latin sont révélateurs de son

ambiguïté

«Assassin ! va perpétrer ailleurs des crimes que tu crois pardonnables ! Mes principes ne me permettent point de te dénoncer, mais je souhaite que, dès ce soir, tes sauvageries trouvent un châtiment. Ta lâcheté, j'espère, limite le nombre de tes victimes, et ta loquacité te signalera à la police. Il y a des juges à Paris et, si tu reçois le Baptême, que ce soit avant de monter à l'échafaud !» (Pr I, 104) Quels sont ces "principes" qui freinent l'homme social, qui lui interdisent de

"dénoncer l'auteur de tous ces crimes", (Pr I , 105 ), sinon ceux de la solida­

rité dans la marginalité ? "L'égoïsme" ou l'appel vague à un "châtiment di­ vin" ne sont que des faux-fuyants devant la nécessité de prendre parti offi­

ciellement contre son propre monde.

Le comportement du narrateur à l'égard de d'0rmesan illustre parfai­

tement, dans le cadre d'une approche réaliste de ce personnage, les clivages moraux et sociaux qui peuvent lui donner une densité et une richesse roma­

nesques. Le premier contact avec l'imposteur du "Guide" est celui de la plai­ santerie culturelle réductrice1 • La lâcheté du "je" l'empêche d'intervenir en

faveur de son ami emprisonné ("Comme [ ... ] je n'aime pas avoir affaire avec la Justice, je ne lui répondis même pas.", Pr I, 198). Le récit du "beau

crime" filmé ne provoque chez le narrateur aucune réaction : radicalisant la

non-réponse du "je", le conte le fait même disparaître complètement. C'est

dans "Le Toucher à distance" que les attitudes du narrateur face à la faute

sont les plus intéressantes.

Les deux grands mouvements du conte, avant et après l'apparition du

thaumaturge, synthétisent les deux attitudes du je-acteur face à l'insolite :

le constat distant d'une part, l'entrée dans le jeu d'autre part. L'histoire

d'Aldavid n'est d'abord pour lui qu'un événement extérieur rapporté par les

journaux et qui ne l'intéresse que modérément. Cette relative indifférence se

traduit par son refus d'assumer directement la rédaction du texte. Il se

contente de citer in extenso ce que peut dire la presse (Pr I, 2 12- 3) puis d'en faire un compte rendu très neutre (Pr I , 2 14-7). Il garde à l'évidence

une distance critique vis-à-vis d'un hypothétique prophète qui met en émoi deux catégories dont il se sent alors peu solidaire, les Juifs et les gouver1 . Rappelons cet échange déjà cité dans l'étude de l' ironie : " [ . . . ] j e fais de l'a mphionie tous les j ours. I l n e s'agit q ue de promenade . . . / Monsieur Jourdain !.. .s'écria le baron d' Ormesan [ ... ] . " ( P r I , 1 9 7).

884

nants. Cette première séquence serait emblématique de ces contes que

nous avons appelés (avec réticence) homodiégétiques puisqu'ils proposent un premier niveau narratif avec je-acteur alors que l'événement principal est

rapporté par une autre voix (ici, celle des journaux). L'action du "je" se ré­

sume à la lecture; les appréciations livrées par le discours évaluatif sont dis­

crètes et se confondent en grande partie avec celles de la presse. Le "je"

n'est qu'un écho à peine individualisé ; une seule réflexion ramène à la

sphère personnelle : la mystérieuse association d'idées ("Cette information [ ... ] m'incita, je ne sais pourquoi, à regretter l'absence du baron d'Ormesan

[ ... ].", Pr

I , 2 1 3 ) qui relie Aldavid et "l'ami disparu". Dans toute cette pre-

mière phase, le "je" reste à la lisière de l'histoire, connaît l'événement sans y

participer, ne se distingue pas de la masse des témoins et du public (situation périphérique comme dans "Les Épingles", "Traitement thyroïdien"

ou "L'Aventurière" ; un "je" qui est aussi bien un "nous", un "on", la voix

commune ; un "je" qui reprend ce que "Tout le monde sait" , Pr I , 402). Cet éloignement du je-acteur par rapport à l'événement se traduit par la per­

ception indirecte (sonore seulement) d'Aldavid lorsque celui-ci paraît à Paris le Vendredi saint. Le "je" entend la clameur mais, se précipitant avec la

foule, il lui est impossible de voir le messie (Pr I, 2 1 5). L'insolite lui reste donc caché, comme l'étonnant Chislam Borrow dans "Les Souvenirs ba­ vards".

L'irruption de d'Ormesan à son domicile fait basculer le type narratif.

Le je-acteur devient protagoniste au même titre que le faux baron. Dans la

logique réaliste du personnage posé dans la première séquence, le "je" se confirme comme un homme d'ordre - et d'abord sur un plan politique. "Le

Toucher à distance" est le seul conte où l'actualité politique est clairement

mise en scène, notamment la question de la communauté juive en France et des réactions qu'elle suscite :

[ ... ] les propos mensongers [d'Aldavid], leur donnant [aux Juifs] une arrogance regrettable vis-à-vis du reste de la po­ pulation, pourraient bien provoquer une explosion d'antisé­ mitisme dont , en ce cas, les gens sensés ne pourraient même pas plaindre les victimes. (Pr I, 21 3) Cette opinion, très orientée, du journal n'est pas commentée par le je-acteur

qui semble même approuver les mesures de répression que les gouverne­ ments sont amenés à prendre. Lorsque l'on fait "arrêter les principaux ban­

quiers juifs de chaque nation", le "je" ( mais est-ce lui qui parle, ou encore le

885

journal ?) affirme que "Cette mesure s'imposait." (Pr I , 2 14) pour conjurer

les désordres et "éviter les désastres financiers" ( Pr I, 2 15 ). Il se range

manifestement du côté des pouvoirs, de la stabilité sociale, du côté de la

foule et de la doxa, bref du côté des persécuteurs.

Installé chez le narrateur, d'Ormesan ne lui cache pas son projet de

domination (Pr I, 220). La réaction du "je" reste parfaitement cohérente, défendant l'ordre du monde, la vérité politique contre tous les imposteurs - [... ] je vous juge sévèrement. _Je ne vous crois pas les qua lités d'un fondateur d'empire, encore moins celles d'un bon monarque, votre vie criminelle vous condamne et vos imaginations vous feront un jour mener votre peuple à la ruine. [ ... ] roi, vous n'avez pas le droit de l'être, vous ne saurez point promulguer des lois justes, et vos sujets ne seront que les jouets de vos caprices. Renoncez à ce rêve insensé d'un trône dont vous êtes indigne. De pauvres gens s'en vont à pied sur les routes, vous croyant un personnage sacré qui relèvera le temple de Jérusalem. Un grand nombre déjà sont morts en chemin pour le misérable imposteur que vous êtes. Renoncez à vous dire plus longtemps le Messie que vous n'êtes point, ou je vous dénoncerai ! (Pr I, 220-1 )

Le "je", comme Croniamantal, est le défenseur des foules contre les faux

thaumaturges et les marchands de rêve. Il mêle, dans son discours, morale

politique et religion. Il dénonce l'erreur en privé, menace de le faire en public ("[ ... ] je vous dénoncerai !"), semblant renier ses principes de non-recours à

la Justice. La dénonciation reste hypothétique car le "je", face à son ami,

est en proie à ses contradictions, déchiré entre son discours d'ordre et les séductions troubles du désordre, incarnées par le baron 1 • De façon moins

ludique que dans "Le Juif latin" ou "Histoire d'une famille vertueuse [ ... ] ", il

avoue son affection pour un homme au "caractère singulier", sans scrupules

et même criminel.

Le conflit intérieur, entre ordre et désordre, répulsion et fascination, ne

peut qu'entraîner un trouble psychique, une crise schizophrénique, une rup­

ture dans un comportement raisonnable : "La colère m'aveuglait, je ne sa­

vais plus au juste ce que je faisais." (Pr I , 221 ). En saisissant le revolver, en

tirant sur son ami, le "je" bascule dans la déraison et devient criminel à son tour. La confrontation à l'insolite, la fréquentation du merveilleux ou du fan1. " [ ... ] cet ami disparu, dont l'imagination et les habitudes ne laissaient pas d'être inquiétantes, mais pour qui j' éprouvais malgré tout un grand intérêt." (P r I, 2 1 3).

886

tastique, la complicité avec le marginal sont, comme l'a montré pertinem­ ment Joseph G. Lowin 1 , des jeux dangereux aux limites de la folie Le "je" rencontre perpétuellement des insensés, comme, par exemple, un "collège

de fous priapiques" dans le palais du "roi malheureux et fou", un vieillard

"insensé" qui se prétend l'amant d'une sainte ( Pr I, 3 54) ou, dès

L 'Hérésiarque et Cie, Isaac Laquedem ("[...] pensant avoir affaire à un fou.",

Pr I, 85) et Gabriel Fernisoun "maniaque du meurtre" ( Pr I, 1 04). Il est

vrai, comme le dit Lowin, que la folie n'est pas le propre du monde extérieur

et périphérique, qu'elle gagne la sphère du narrateur, d'une part lorsque ce­

lui-ci fait état - ou menace de faire état en public - de sa connaissance de

l'insensé (début de "La Disparition d'Honoré Subrac" : "Le juge [ ...] me pre­

Pr I, 1 71 ou, dans "Le Toucher à distance", le "On vous prendra pour un fou" de d'Ormesan, Pr I , 221 ), d'autre part quand le "je" découvre par lui-même son visage de folie ("Le Passant de Prague", Pr I,

nait pour un fou.",

89). Le je-acteur, au contact de la déraison, ne peut qu'être menacé par

elle, parfois physiquement, plus souvent moralement, psychiquement, philo­ sophiquement.

La psychologie du "je" ne doit retenir l'attention que lorsqu'elle devient

lieu d'un conflit, textualisé ou latent - et ce, quels que soient le domaine

d'actualisation, la tonalité des récits, les grilles et les niveaux de lecture. Lorsque le je-acteur prend position face à des personnages extra-ordinaires,

les attitudes tranchées de louange ou de refus sont en définitive assez

rares. Même dans les contes où il semble s'exalter devant des héros de la

marginalité, les touches de dérision ne sont pas absentes. La distance iro­

nique est une autre forme du malaise, de la difficulté à se déterminer, à

donner une réponse nette à la question de la valeur de cette mise en cause

des lois du réel. Le je-narrateur lui-même, malgré son recul, est souvent bien

en peine (ou refuse) de conclure et donc de juger. Les réactions de rejet des hors-la-loi (naturelle), lorsqu'elles s'expriment, sont trop souvent si

conventionnelles et stéréotypées qu'elles ne peuvent être prises au premier niveau : l'hyperbole peut être aussi une forme de l'antiphrase. La violence

du refus de la folie, des vices ou du crime des autres, est le signe d'une conjuration indispensable et donc d'un exorcisme de soi-même.

Le je-acteur n'existe que par son adhésion à, ou son refus de l'autre.

Par lui-même, il ne veut rien ou si peu de choses. Ses buts, lorsque s'ouvrent

les récits homodiégétiques, sont déterminés très vaguement. La visite d'une 1 . Art. cit., «La Vision périphérique [ ... ]», pp. 98-9.

887

ville est une finalité floue qui implique bien des possibilités de détours. Sa

dynamique première est celle de la déambulation, de l'errance, un mouve­ ment vide, guidé par le simple plaisir. Lorsque le "je" se rend en visite, il sait qu'il sera, sinon entièrement passif, du moins à l'écoute ou soumis à l'acti­

vité de son hôte. Il ne peut donc être qu'un suiveur selon les dispositions

exemplaires définies au début du "Passant de Prague" ou d' "Histoire d'une famille vertueuse [ ...]". Il est difficile de dire qu'il atteint, en fin de conte,

son but puisque celui-ci n'était pas to1:1jours liminairement fixé. Deux types

de récits homodiégétiques se proposeraient donc : d'une part ceux qui s'a­

chèvent au terme prévu (selon le modèle de "L'Hérésiarque" pour la visite

prévue, du "Roi-Lune" pour le voyageur à but précis - Werp), d'autre part

ceux qui se bouclent de façon aléatoire (par la fin du récit du personnage

rencontré surtout) puisque le "je" ne se proposait rien. En tant qu'acteur

premier, c'est lui qui devrait permettre de définir une macrostructure

narrative de base, orientée vers un "objet" à atteindre : "l'axe" de son

action manque pour le moins de fermeté, et peut être déterminé, parfois très confusément, dans une dizaine de récits seulement. En tant que

"sujet", il a davantage de désirs flous que d'intentions précises. La structure

psychologique de la curiosité rend compte de ces flottements : elle appelle

l'objet mais, par définition, ne saurait le qualifier a priori. "L'autre" vient

donc soit remplir une attente formulée (Benedetto Orfei, l'ami Méritarte, les

cuisiniers du "Gastro-astronomisme [ ...]", Miss Oie et Mlle Verinada, le

bibliothécaire du "Rabachis"), soit répondre à une attente vague, infléchissant de façon imprévue, brutale ou cocasse, une trajectoire assez indécise ou délibérément ouverte.

La situation du héros bien installé chez lui, dormant béatement ("Le

Juif latin") ou lisant tranquillement son journal ("Le Toucher à distance"),

propose de façon exemplaire cette absence de volonté, la situation d'équi­ libre liminaire que l'intrus vient perturber et en fonction duquel le je-acteur

devra se déterminer dynamiquement. Ce sont cette arrivée et cette rencontre qui permettent la distribution des rôles à l'intérieur de l'histoire,

sur le plan de la parole (locuteur/narrataire) comme sur celui de l'action. D'emblée s'opère le renversement entre l'acteur-je premier et son

interlocuteur. L'entrée en scène vigoureuse du second personnage

prédispose ce nouveau venu à devenir le sujet, non seulement "parlant" mais

actantiel. Quelle que soit la quête de celui-ci 1 , il transforme le je-acteur en 1 . Voir, i n fra, la section «Que veux-tu ?».

888

témoin, c'est-à-dire, pour l'action, en comparse, en double, en adjuvant. Il

est clair que l'autre a l'ini tiative, qu'il impose sa parole et sa volonté,

entraînant le "je" dans sa démarche, et parfois d'abord strictement dans sa marche (d'Isaac Laquedem à l'ombre dans le conte de 1 91 8) 1 . Très rares sont, en effet, les personnages insolites des contes homo­

diégétiques qui n'ont pas besoin de l'oreille ou de la présence complaisantes

du je-acteur 2 • En fait, ils absorbent le je-acteur dans leur monde, le font en­ trer dans leur propre jeu. Le choix du "je" comme confident peut recouvrir

les motivations les plus diverses (du plaisir autocentré du miroir au besoin

de rétablir une vérité en passant par les formes les plus variées de

l'explication et de l'autojustification). C'est à peine s'ils cherchent l'aide, au

sens strict, du je-acteur (l'homme au masque d'aigle, la poétesse masquée notamment); ils recherchent - ou trouvent par hasard - un être disponible,

falot ou ignorant qui leur permet de s'affirmer. Même quand ils développent

des thèses paradoxales, forts de leur certitude, ils ne quêtent pas

l'approbation du "je" : ils l'informent, racontent leur histoire, lui présentent

leurs œuvres. L'élève doit subir la leçon, apprendre, apprécier si possible. Il n'a guère les moyens d'intervenir par lui-même dans l'aventure du maître. Le

fait même que ces aventures ne soient le plus ,souvent que "citées" marque

bien l'impuissance du "je" à s'immiscer dans un monde qui n'est pas le sien.

Parfois, les différents niveaux diégétiques se croisent sous les yeux du je­

acteur mais il n'a pas le temps de se rendre utile : Honoré Subrac lui a

raconté l'origine de ses dons, sollicite son aide ("Accompagnez-moi, je vous en supplie, j'ai peur ! ",

Pr I, 1 74) mais le mari jaloux intervient trop

brutalement ("[...] un homme arrivait derrière nous en courant. J'essayai de l'arrêter. Mais il m'échappa.",

Pr I, 1 75). De même, vis-à-vis de "L'Aigle

traqué" : "Il cria des paroles qui m'affolèrent et me paralysèrent au point

que je n'eus même pas la pensée de me porter à son secours.",

Pr I , 3 7 1 ).

Le seul exemple d'une aide efficace du je-acteur serait celui de

"L'Aibanais". Devant la menace de suicide de son ami et, "connaiss[ant] as­ sez les mœurs albanaises pour savoir qu'il ne s'agissait pas là de vaines pa­

roles.", il fait preuve d'une fidélité secourable (dont ne bénéficie pas, on l'a dit, le malheureux d'Ormesa_n emprisonné) : "Je ne le quittai plus, et le len­

demain, grâce à ma présence, à mon amitié, I' Albanais ne se tua pas." ( Pr I,

1 . Lui imposant pa rfois le silence ( " [ . . . ] Suivez-moi sans rien dire. " , P r I, 1 8 1 , " Histoire d'une famille vertueuse [ . . . ] " ). 2 . On ne verrait guère que le Roi-Lune (qui le prend pour l'un de ses serviteurs) , Chislam Borrow et l'ombre qui se " promène".

889

392). Nous noterons cependant que lorsque l'ami a retrouvé toute sa vita­ lité virile, il emmène le "je" en Allemagne mais n'a pas besoin de ses services lorsqu'il décide d'enlever la jeune fille de Cologne. En tant que fidèle servi­ teur, le je-acteur obéit aux injonctions du maître qui s'élance ("Suivez-moi"), et se trouve pris dans le même vertige que les domestiques de la victime Je courais plein d'inquiétude sur les traces de mon ami. Je ne regardais point derrière moi, mais certainement le laquais et la gouvernante, interdits, avaient perdu la tête, car ils ne criaient même pas à la-garde ! (Pr I, 393) Il arrive que, dans les tragédies ou comédies classiques, les confidents

et les valets aient droit à une aventure propre, sentimentale notamment.

Nous avons repéré quelques petites faiblesses sexuelles du "je" à l'égard des femmes de ses amis mais, en aucun cas, il ne se présente comme un rival potentiel ; il est un émule beaucoup plus qu'un concurrent hypothétique. Sa fidélité, son "suivisme" par rapport au vrai héros, prennent parfois la forme cocasse du mimétisme le plus complet et le plus "absurde"1 , le "mimétisme du mimétisme" d'Honoré Subrac par exemple > (< Cox-City » « Le Toucher à distance »

1 086

l

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Le quatrain des aberrations de la foi

Le huitain du défi à la religion

Le tercet du châtiment

Le quatrain cc ethnique » Le huitain de la quête Le quatrain de l'insolite

Tercet du héros­ vict ime

l

Le sizain de l'enchanteur enchanté

• Du " Passant de Prague" à " Simon mage" Cinq hérésiarques Considérons d'abord le premier ensemble de textes qui se terminerait par " Simon mage". Il est traversé manifestement par le double mouvement de l ' exaltation des hérésiarques puis de la punition des coupables. En ce sens, il est bien gouverné par "Le Passant de Prague" et la figure d'Isaac Laquedem. L'orgueil y est proclamé, la déviation triomphe jusqu' à une sanc­ tion (la mort) qui reste hypothétique. Par sa "clôture ouverte", ce premier conte laisse l ' hérésie en suspens, la faute incertainement punie et donc toujours possible (et à l'autre extrémité de cet ensemble de neuf contes, l'apparent triomphe de Simon mage lui répond) . "Le Passant de Prague" commande directement la série homogène des quatre contes sur les "aberrations de la règle et de la foi" 1 : par le reniement du Christ et le blas­ phème ("Le Sacrilège") , par la judéité coupable ou innocente (Le Juif latin"), par le thème du faux et de l'erreur ("L'Hérésiarque" et "L' lnfaillibilité"). En ce sens, il y aurait "quintil", mais nous préférons isoler le conte liminaire, ce qui permet de mieux dégager un "quatrain" où les rimes, suivant les niveaux d'analyse, seraient plates, croisées ou embrassées 2 . Le premier système, le plus simple, unit d'abord linéairement " Le Sacrilège" et " Le Juif lati n " . Malgré la différence des types narratifs , certaines similitudes dans l a conduite d u récit s e proposent. Dans les deux cas, le héros central a besoin d'un confident (l'archevêque ou le "je") pour jouir pleinement de sa découverte et de son action . Dans les deux cas, l ' h istoire connaît un rebondissement avec la disparition du héros, les histoires que l'on raconte à son sujet et sa réapparition narrative finale (le constat de sa mort, en fait) . Séraphin et Femisoun sont tous deux en faute par rapport à la religion, mais c'est une faute qu' ils écartent dans un premier temps. Séraphin voit l'hérésie dans certaines pratiques chrétiennes ( " I l méprisait tous les saints [ . . . ] . Bien qu'il n e l'avouât pas, le culte d e dulie

qu'on leur rend lui paraissait presque hérétique [ ... ] . " , Pr I, 9 5 ) . Fernisoun échappe à sa race ("et à la malédiction " , Pr I, 1 0 1 ) . . . par sa "sous-race".

" [ ... ] j' ignore la religion juive [ ... ] . Je suis catholique" proclame-t-il, "sauf le 1 . Expression d e Michel Décaudin dans s a notice d e l a Pléiade (Pr I , 1 1 1 7 ) . 2. Ce concept d e " rimes" entre les contes, sans doute moins rigoureux que dans les futurs romans de Raymond Queneau, sera parfois employé de façon métaphorique. Il nous paraît pourtant rendre compte des effets structuraux d'échos, de reprises ou de parallélismes régulés.

1 087

b aptême" bien entendu (Pr 1, 103). Les deux hommes sont doubles, so ldat et moi ne pour l'un, Juif et lati n pour l' autre mais leur confrontation fai t

s urtout ressortir leurs opposi tions et leur i nversion : un théolo gi en scrupuleux et un jouisseur invé téré (so n "En attendant [ le baptême], je m' amuse. " répond exactement aux "divertissements " de Laquedem) , mais

aussi un "s aint" qui fai t le diable (" avocat du di able" , i llumi nation

" diabolique" pour Séraphin) et un "diable" (bon peti t diable amusant avant d' être terrifiant et crimi nel) qui veut - qui va ? - devenir saint. Les deux

réci ts sont explici tement cons trui ts én c hi asme puisque le motif de la canonisation ouvre le premier alors qu'i l clôt le deuxi ème. Fernisoun, comme le souligne l e je-narrateur, pourrai t bien _échapper au zèle négatif de tous les

avocats du diable. Le J uif latin triompherai t du Père Séraphin mais il n' es t pas exclu que les c hic aniers aient le dernier mot. " Enfer ou ciel, qu'i m­ porte" ?

La seconde rime plate de ce premi er quatrai n associe deux contes et

deux héros fortement s emblables puisque, dans les deux cas , il s' agi t d'une

mise en cause explici te des dogmes et de l'ins titution catholiques. Cette

parenté es t co nfirmée par un ancrage spatio-temporel analogue : Rome et

ses alentours au tournant du siècle. Le réci t de Benedetto Orfei mentionne un appel au pape : "J' ajoutai qu'il n'y avai t pas d'i nfaillibili té qui pût rendre

mensonger ce qui é tai t vrai [ . . . ]. " (Pr 1, 11S ) . La transi tion avec le conte

suivant, même si elle n' apparaît pas en clausule, est soigneus ement prépa­ rée. Tout se passe com me si "L' lnfai llibi li té" venait, par sa double entrevue,

remplir le vide laissé par l'élision relative de l' audience puis par le refus du

pape de rencontrer à nouveau Orfei, et com me si le long développement de

c e derni er s ur son hérésie co mpens ai t le manque d'explication de Delhonneau sur son i llumi nation. Dans les deux cas , les hérési arques dénon­

ç ant le pape adoptent, forts de leurs certi tudes, des attitudes pontifiantes

et se font les hérauts de la fausseté du Chris tianisme i ns titutionnalisé, les

chantres de sa des truction. Les deux contes s'achèvent de facto sur l'échec des coupables, marqué soit par la solitude, soit par le retour à l'ordre. Dans

ces réci ts de la réversibilité de la Véri té et de l'Erreur, les personnages peu­ vent même sembler interchangeables. Tenants de l'ordre religieux nouveau

et tenants de l'ordre ancien se ressemblent puisque la même gourmandis e unit l'hérésiarque Orfei et le voluptueux cardi nal Porporelli. La recherche des

plaisirs terrestres permet ainsi aux bons ou mauvais catholiques de rejoindre, de "croiser" , les bons ou les mauvais Juifs .

1088

Le second système de rimes du quatrain mettrait d'abord en corres­ pondance "Le Sacrilège" et "L' Hérésiarque" avec, pour h éros, deux "professionnels" de la religion catholique, un Franciscain " prédicateur, théo­ logien et casuiste" d'une part, un Bénédictin, " théologien" également, d'autre part. Les deux personnages sont très liés à la cour du Vatican (l'advocature du Père Séraphin, Pr 1, 9 4- 5 , "l 'ambassade" de Benedetto Orfei : "[ . . . ] à Rome, le représentant près de l 'État de son Ordre expulsé. " ,

Pr 1 , 1 10). La vie réglée des deux hommes (plus tendue cependant pour le

premier que pour le second) est pareillement bouleversée par une nuit d ' il­ lumination qui stimule ou réveille un zèle déjà très vif ou encore endormi . Dans les deux cas, l'excès de zèle conduit à l a faute, reconnue par l e premier mais niée jusqu' au bout par le second. Par leur passion religieuse, ils sont amenés tous deux à prendre "en mésestime tout ce qui est humain" ( Pr 1, 9 5 ) , l'un en refusant les canonisations, l'autre en mortifiant son corps. Une même hypothèse diabolique plane sur les deux hommes : héritage d ' u ne ancienne fonction pour Séraphin (à la main comme "la tête cornue d ' u n diable nain"), réponse commode pour le pape devant Orfei ( " le démon de I' -

hérésie" ; " [ . . . ] cet homme est possédé ! " , Pr 1, 114). Notons enfin que,

par refus du culte de dulie, le Franciscain n'invoque plus "que les personnes

de la Sainte Trinité . . . " (Pr 1, 9 5 ) , ce qui le rapproche encore de l'auteur de l 'hérésie des Trois-Vies. Par renversement, celui qui refuse que des hommes impurs soient sanctifiés et qui prie Dieu dans sa triple forme, se trouve associé à celui pour qui Dieu s'incarne trois fois ( " [ . . . ] la Trinité se fit hommes. Il y eut trois incarnations. ", dont le Père et le Saint-Esprit en lar­ rons, Pr 1, 115 ) .

La seconde rime croisée réunirait "Le Juif latin" et "L'lnfaillibilité" . Les rapports semblent d' abord moins étroits que dans les cas précédents ( hétérogénéité des types narratifs, ancrage spatial différent) . Les deux contes mettent néanmoins en scène deux personnages marqués par leur double origine et par la difficulté à concilier les deux races ou leur double "source ", culturelle et religieuse. Nous venons de dire que Fernisoun est J u if fil latin, " romain" (et catholique roma i n ) ; son aventu re est toute parisienne, et "gauloise" aux différents sens d u term e . L'originalité de Delhonneau est d 'être strictement de ces "Gaulois dans l es veines desquels

i l ne coule point de sang latin [ ... ] . " (Pr 1, 1 1 9) . Ainsi le prêtre romain n'est pas latin alors que le Juif s'en flatte. De plus, "Son aspect têtu n'allait point

sans analogie avec celui des Peaux-Rouges"

(ibid.) : notation ethnique

saugrenue ou annonce d' une analogie avec les Juifs, déjà suggérée par une

1 089

notation sur le sexe de Laquedem (Pr I, 91) et qui sera explicitée beaucoup plus tard dans La Femme assise ?

On se souvient de la " vive d iscussion" entre le Juif nommé Chéri de

Mendoza et son "frère" indien, le chef Ute Milopitz. Les explications sociolo­

giques et étymologiques laborieuses (et alé atoires) rendent compte de la parenté entre les Peaux-Rouges et les Juifs : "Il y a bien des analogies entre

les coutumes rituelles de nos deux nations. D' autre part, le nom d ' Ute, qui se prononce à peu près comme le mot qui désigne les juifs en allemand,

pourrait indiquer une origine judaïque. Cependant, avouons que nos esprits

ne se ressemblent guère [ ... ]." (Pr I, 4 64) 1 • Tout comme Chéri de Mendoza (un nom doublement latin), G ab riel Femisoun2 renie sa race première au

nom d' une nouvelle tradition d'ouverture sur le monde, au nom du plaisir, de

la jouissance et de la domination. Delhonneau, de son côté, est ressenti

comme un sauvage par le cardinal Porporelli et surtout par le pape : il serait

l'héritier de ces barbares " qui pendant le sac de Rome venaient agacer les sénateurs maj estueux [ . .. ]." (Pr I, 12 1) . Le prêtre morvandiau est un im­

portun agaçant, un "fâ ch eux" avons-nous d it, mais de la même façon,

Fernisoun s' impose chez le narrateur. Même si leurs " esprits ne se ressem­

b lent guère" , tous deux veulent la mort de l' autre, la mort physique d'un côté, la mort institutionnelle du pape de l' autre. Tous deux é chouent dans

leur première entreprise destructrice, mais tous deux persévèrent même si

Delhonneau embrasse à nouveau la religion catholique.

Le dernier système de rimes possibles relierait les contes extérieurs et

intérieurs du quatrain. "Le Sacrilège" et "L' lnfaillibilité" permettraient de re­

t rouver bon nomb re de parallélismes analysés dans les précédents cou­

plages : dans les deux cas, des héros de la conviction militante et quasi mili­

t aire, des héros doubles par leur origine ethnique et leur univers culturel d'a­ doption ; dans les deux cas, un même état ecclésiastique (moine et prêtre),

les mêmes entrevues entre inférieurs et supérieurs h ié rarchiques

(confesseur/archevêque, simple prêtre/cardinal et pape) suite à une sem­

b lable illumination. P lus que dans les autres contes l'accent est mis sur le re­

noncement à la faute et sur la thématique de la sanction. D ans le premier

cas cependant la sanction est auto-infligée et négative (le repentir ne

conduit qu' à la mort), dans le second, l'échec est marqué par une exclusion 1 . Michel Décaudin rappelle que "Selon le Livre de Mormon, les Juifs, réfugiés en Amérique, se divisaient en Néphides et Lamanites." et que " Les Indiens sont les d escendants dégénérés des Lamanites." (Pr I, 1 349-50). 2. Rappelons que les crimes de Fernisoun sont attribués, à tort, aux "Apaches" (parisiens) •..

1 090

courtoise mais ferme, et le repentir (élidé) est récompensé : moralité très

évangélique (et ironique) pour celui qui refusait "les soi-disant vérités de la religion.", Pr l, 1 2 1 ).

Les équivalences entre "Le Juif latin" et "L'Hérésiarque" pourraient

être beaucoup plus cryptées, au-delà de la simple correspondance de type

narratif (deux contes homodiégétiques alors que les deux récits précédents

étaient pareillement hétérodiégétiques), au-delà d'une double séquence

d'entrevue puis du prolongement de la vie du héros Uusqu'à sa mort) en de­

hors de la sphère propre du je-acteur (même type d'épilogue par une méta­ diégèse). Les qualifications psychologiques et les actions entreprises oppo­

sent le jouisseur et criminel Fernisoun au torturé mais exigeant Orfei. L'un

exalte le catholicisme et la Vérité de ses théophanies (Pr I, 1 03), l'autre

consacre sa vie à dénoncer ses erreurs. Si tout sépare le Juif casuiste et

machiavélique du moine illuminé, une subtile liaison pourrait s'opérer par le motif de la Trinité. Pour Madeleine Boisson, "[ ... ] Gabriel Fernisoun, image du

père puissant et redoutable, se manifeste en trinité par deux fois." : en fu­ mant (" [ . . . ] jetant triplement de la fumée par la bouche et les narines [ . . . ].",

Pr l, 1 02 ) puis, au moment de sa mort, quand "il est porté par deux agents de police [ . . . ]." 1 . Cette suggestion trinitaire rapprocherait l'aventure du Juif

latin de l'hérésie trinitaire d'Orfei. Madeleine Boisson pense que les agents

de la force publique jouent, pour l'un, "le rôle du mauvais larron, se

moqu [ant] de lui" , pour l'autre, du bon larron secourable avec une véronique

(Pr I , 1 08)2 .

Si l'on devait intégrer "Le Passant de Prague" à ce premier ensemble et

constituer une série de cinq contes, se constitueraient des rimes entre les

personnages qui renient le Christ et le Christianisme de la tradition romaine (Laquedem, Orfei, Delhonneau) et ceux qui les respectent, fût-ce en allant

au-delà, ou en les utilisant à des fins personnelles (Séraphin, Femisoun), soit un premier système ABBAA. On sait toutefois que le quintil favori d'Apollinaire (sur le modèle de celui de "La Chanson du mal-aimé") est de type ABABA, ce qui privilégierait le système croisé que nous avons évoqué,

en particulier la ligne dominante qui conduit de Laquedem à Fernisoun puis à

Delhonneau. Madeleine Boisson constate que "le parallélisme [ . . . ] entre les deux [premiers] contes est remarquable : chacun d'eux montre, d'une part,

un juif dans la situation d'un faux Christ entre deux faux larrons" (elle rappelle l'épisode du Juif qui est conduit à la pendaison entre deux chiens, 1 . Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., p. 7 2. 2. Ibid.

1 09 1

Pr I, 8 6) , " et d' autre part, un juif que la fumée où l'om bre multiplie par trois." (Pr I, 9 2 et 102) 1 . Le Gaulois, chrétien-non-chrétien-chrétien, Peau­ Rouge et "Juif" , radicalis e la négation du christianism e, boucle donc

convenablement la série thématique des déviations religieuses. Cette clôture

n' es t pas s ans am biguïté car le germ e de la faut e dem eure ( le

gallicanisme) ; la fontaine de la race fait toujours couler l' eau de l' hérésie.

Trois punitions explicites Le surtitre et la numérotation dis pensent de tout effort de justification

du regroupement des trois contes suivants. lis exhibent le m otif de la punition qui restait hypothétique, aléatoire, am biguë dans les cinq récits

précédents. L'hom ogé néité thém atique du " châtim ent divin" est confirmée

par l' homogénéité du type narratif adopté ( hétérodiégétique) même si, dans les trois cas, le narrateur extérieur module différemment ses interventions.

Le récit, central, de "La D anseuse" explicite la sphère du narrateur, les

conditions de la retranscription d' un " Évangile parallèle" selon l' expression

d'O rfei. Le responsable du récit est beaucoup plu� discret (mais non absent par ses jugements) 2 dans les deux volets externes du triptyque. Les trois contes se caractérisent par une grande simplicité des structures narratives.

Ces histoires sont essentiellement narrativisées (pas de vrais dialogues, très

peu d' interventions en style direct, aucune métadiégèse) ; le récit y est

strictement chronologique m ais la tendance prédictive (annoncée par le sur­

titre qui propose d' emblée le terme) y est insistante. Dans les trois histoires,

m algré le "sérieux" de façade, se perçoit une même ironie im plicite ( par les

situations cocasses, les effets de style, voire les calembours). "Le Giton" et

"D'un monstre à Lyon [ . . . ]" ont en commun un ancrage géographique et s o­

cial précis ( ce qui isolerait "La Danseuse") - m ais le narrateur veille à inscrire

son dernier conte dans les limites rituelles du conte populaire : un monde de la fable prolonge celui de la grande Fable de Salomé.

On remarquera que le conte-pivot de la série évoque, en fait, une triple

m ort, et donc enserre en lui".'même un triple châtiment divin3 . Hérodiade " jouant encore avec la tête précieuse [de J ean-Baptiste] succomba suivant

1 . Ibid., p. 7 3 . 2 . Voir supra, l'étude des discours d u narrateur dans notre chapitre Il. 3 . Que l'on repense à la triple structure triplée du chapitre central de L 'Enchanteur pourrissant.

1 09 2

toute vrais emblance à une rupture d' anévrisme. " (Pr I, 12 5 ) : cette pre­ mière mort annonce la troisième, celle de Salomé et de sa tête tranchée.

Hérodiade, à cause de la tête, meurt d' une maladie de cœur. On connaît l' a­

nalogie apollinarienne cœur/cul et, très littéralement, la jeune danseuse ("sans cœur" ) est l'héroïne de la croupe (le kolo) qui perd la tête. Quant à

Hérode Antipas, deuxième coupable dans l' ordre chronologique du conte, et

donc victime "structuralement" centrale, il "mourut malheureux à Lyon. "

(Pr I, 12 6). D ans ce récit central, la troisième victime, Salomé vit de sa

croupe comme Louis G ian (premier conte de la série) ; Hérode, "monstre" à

sa façon, meurt à Lyon comme l' hermaphrodite (troisième conte). Quant à

Hérodiade (première héroïne punie du second récit) , elle désire " la maigreur ragoûtante" du prophète, héros phallique pour elle. Elle connaît le même dé­

sir que la femme de Gaétan Gorène pour le sexe du confesseur (troisième conte).

Madeleine Boisson a subtilement analysé les rapprochements s ymbo­

liques possibles entre Louis Gian et Salomé. Le giton est "une mappemonde"

(hyperbolisation du cul) puis, "Empalé, il devient cul en pal, donc p erle en p al [ . . . ]. ". " [ . . . ] entouré de lucioles, Louis Gian est !'Androgyne lunaire, le dieu

Lune p armi les étoiles. " 1 . Dès lors, d it Madeleine Boisson, Louis G ian "correspond au nouveau-né hermaphrodite de la troisième [ nouvelle]" , tout en correspondant aussi à la jeune danseuse (Salomé lunaire, sa tête entou­

rée d'étoiles, Pr I, 12 6, opposée au phallus solaire de J ean-Baptiste et du

prêtre) . Le critique a donc tout à fait raison d' affirmer que " les «Trois his­

toires de châtiments divins» sont [ . . . ] reliées entre elles par un réseau de relations mutuelles extrêmement serré." 2 • Ce "réseau de relations" qui unifie le tript yque autonome l' associe également aux contes précédents. Le tercet

s' ouvre sur un défi à la religion chrétienne de la part du jeune homme (" [ . . . ]

ne manifesta jamais la moindre pitié [ . . . ].", Pr I, 12 3), écho du défi liminaire

de Laquedem. Sa vie de jouissances le rapproche de Fernisoun et sa faute (ses mœurs ) , de tous les autres coupables (théologiques ) . L' originalité (externe) de ces trois histoires est la sexualisation extrême des rapports

entre les personnages. La faute (homosexualité, désir incestueux, nécrophi­ lie, sadisme, masturbation) se déplace de la théologie à la morale chrétienne,

mais dans les deux cas les censeurs sont présents.

L'Ord re religieux ou l'Ordre moral ne sont p as directement incarnés

dans "La Danseuse" ; ils ont leurs rep résentants dans "Le Giton" et " D' un 1 . Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., p. 1 43 . 2. Ibid., p. 1 44.

109 3

monstre à Lyon [ ... ]" pour une punition à la fois immanente et transcen­

dante, brutale dans le premier cas, plus sinueuse dans le second. En ce sens,

ce conte termine parfaitement la série des sept récits. Étroitement liés aux

deux autres "Histoires" du tercet, il réunit également les motifs dominants de la première série de quatre contes. La situation initiale d'équilibre est la

piété (Gaétan Gorène " bon catholique", comme Séraphin ou Orfei, ou même

Fernisoun ou un Delhonneau "pré-hérésiarque"). Le second stade pour

Gorène est celui de "l'hérésie", la découverte de la vérité et de l'efficacité de la science (le médecin) après le constat de l'impuissance, donc de la

fausseté, de la religion. "li blasphèm[e]" (comme Laquedem), abandonne "la foi de ses pères" , ses premières croyances (comme Orfei ou Delhonneau).

De son côté, le confesseur est tout aussi casuiste que les vrais théologiens.

Son ennemi, c'est l'impiété, son but, "de chercher des moyens de remédier à

l'irréligion", comme Séraphin ( Pr I, 96) le héros de la première série des quatre ou sept contes dominés par la religion. Le prêtre, pou r combattre

Satan (Pr I, 12 8), se fait, à sa façon, l'avocat du diable, son double en tant

que tentateur. Comme dans "Le Sacrilège", le confesseur devient le pécheur,

mais par un péché inspiré paradoxalement par le Ciel ("Une nuit de prières").

La main pour la (future) mère remplace le pain du Père. Les deux religieux

fautifs s'absolvent pareillement lors d'une confession (Pr I, 9 8 et 129) ; le repentir des cou pables (auquel il faut ajouter celui de Gaétan Gorène)

s'exprime devant deux archevêques et se trouve ponctué, dans les deux cas, par un grand éclat de rire.

"D'un monstre à Lyon [... ]" opère donc un dou ble bouclage : celui des

"Trois histoires [ ... ]" et, par ses échos avec "Le Sacrilège" , celui de l'en­

semble des sept récits. "Le Giton", cependant, suggère une autre fermeture.

L'impie clame, devant le vicaire boiteux, son irréligion par un chant de "foi

mathématique" qui n'est pas sans rappeler la provocation de cet autre "rieur

de Dieu" qu'est Don Juan. La phrase répétée "Cinq et trois font huit. Cinq et trois font huit." ( Pr I , 12 3) n'a-t-elle pas aussi une valeur métanarrative ?

Ne désigne-t-elle pas globalement le cycle des huit contes (avec "Le Passant

de Prague") consacré à la mise en cause de la vérité religieuse ? D'autre

part, la clôture de la série n'.est-elle pas trop parfaite et conventionnelle

avec l'explicit du "Monstre" ? La dernière des "Trois histoires [ ... ]" a rappelé

exemplairement les imbrications et les réversibilités du Bien et du Mal, de la

Vérité et de l'Erreur. Le médecin, ennemi de la religion, était "de haute

science" (Pr I , 1 28) : un magicien, comme Simon mage. À la victoire

1094

(ironisée) de la religion au huitième conte, répond la victoire aléatoire du

faux dans le neuvième.

MSimon mage " comme conte-charnière

"Haute science" et neuvième récit : faut-il se laisser tenter par l'arith­

mosophie ? Quelles que soient les Traditions, le neuf marque l'achèvement,

une plénitude, et l'on sait qu'Apollinaire a souvent recouru à des neuf pour

suggérer une complétude et un retour à l'unité. Achèvement d'un cycle,

dernier d'une première série, le neuf est à la fois une fin et un recommen­

cement. Ces valeurs très générales, trop commodes sans doute, s'appliquent

pourtant fort bien à la place de "Simon mage" dans le recueil tout en s'harmonisant avec l'ésotérisme et la magie du conte 1 . Dans la tradition chrétienne dont le récit se réclame explicitement, le neuf est aussi bien le

nombre du Ciel que de l'Enfer. Le mage s'enorgueillit de ce que " [s]es alliés

veillent dans le Ciel et dans l'Enfer." (Pr I, 13 3). Ce nombre préside à tous

les renversements qui émaillent le texte : les équivalences palindromiques "horizontales" ("ABLANATANALBA") ou les équivalences verticales

(ascensions christique ou icarienne, chute dans l'abîme et le cloaque), les

abaissements ("Et Pierre, le front contre terre [ ... ].") et les élévations ("César ! je vais maintenant m'élever devant toi, à la face de Dieu .", Pr I,

135), les inversions (" . . . Et crucifié la tête en bas, par respect pour

l'admirable position de son maître [ ... ].", Pr I, 13 6). Pierre, à l'envers, revit

l'agonie du Christ (crucifié à la troisième heure et qui meurt à la neuvième).

Dans la perspective qui nous retient surtout ici, "Simon mage" est

avant tout un conte-pivot, écho du "Passant de Prague", reprise amplifiée

des motifs de l'hérésie, réécriture fidèle et apollinarienne des Écritures. Trois grandes figures juives se répondent, en position I, III et IX dans la numéro­

tation implicite du recueil. Madeleine Boisson n'a pas manqué de relever les rapports entre "la frontière et la judéité" . Pour elle, Isaac Laquedem meurt "certainement à minuit, heur� frontière [ ...]." 2 , Fernisoun apparaît à la fron­ tière de la nuit et du jour pour le narrateur et "Simon le magicien, autre re-

1 . L'idée d'un Apollinaire "mathémagicien" (néolog isme suggéré par Peter Read) serait assez tentante.

2. Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., p. 348.

1095

présentant de la judéité, est, lui aussi, un être de la frontière [ ... ]." 1 . Le Juif

Errant et le mage sont les héros de récits frontières, entre écriture apollina­

rienne et Écritures, entre hors-texte et texte pour le premier, entre "texte

homogène" (les neuf premiers contes ) et "autres textes" pour "Simon

mage" . L'opposition personnelle des deux hommes synthétise la lutte ly­ rique 2 ou dramatique de la "vraie science religieuse" et de l'hérésie de la

magie ( Pr I , 1 3 2 ) ; l'épilogue, une dernière fois (dans cette série),

confronte un vrai chrétien et un pécheu� obstiné. Mais ce chrétien est aussi

le bourreau de Pierre, un cédeur complaisant du corps du martyr, un casuiste

(" [ . . . ] tu emporteras le cadavre, afin que les croyants puissent

l'honorer . . . . ") et un simoniaque potentiel (" [ . . . ] jouons aux dés mon silence

[ . . . ].", Pr I , 13 6). Il s'agit bien, comme le dit Michel Décaudin, d'une

"victoire de la vérité remise en cause dans les dernières lignes [ . . . ]." (Pr I,

1128). Un autre cycle peut commencer.

• Le huitain central À l'image des deux héros de "Simon mage", on pressent que les deux

séries de récits autour de ce conte-pivot vont "se ressembler". Le neuvième texte de L 'Hérésiarque et (je sépare et unit deux ensembles de huit contes (ou bien, grâce à ce texte charnière pris en compte deux fois, deux séries de

neuf contes). Le second ensemble, malgré l'absence de surtitre se décom­

pose linéairement d'une part en récits où l'ancrage géographico-ethnique est

dominant, d'a utre part en récits où le mystère est essentiel3 • Le

déséquilibre du "cinq et trois" de la première partie est compensé par un ri­

goureux quatre/quatre. Ces huit contes, si l'on admet une structure ternaire

globale de I' Hérésiarque (avec le cycle de d'Ormesan), occupent une position

centrale. Tout en tissant entre eux des liens, ils ne peuvent procéder que par rappels de la série antérieure et annonces de la dernière série. De ce fait,

la trame du recueil nous semble beaucoup moins "lâche et ténue" que ne l'a

suggéré André Fonteyne, et il n'est pas certain que " [ . . . ] la bonne volonté la

plus appliquée ne réussi[sse} pas à déceler le moindre lien entre certains

1 . Ibid., p. 349. 2. Nous avons dit précédemment que lutte et luth n'étaient pas sans rapports phoniques. Cela confirmerait que certains calembours sont très sérieux. 3 . La structure de la quête, d'un être aimé ou d'une vérité, pourrait être l'élément unificateur de cet ensemble constituant alors un huitain.

1096

contes." 1 . Nous ne pouvons qu'accepter les divisions proposées, dès 1964,

par ce critique même s'il les juge "commode[s] [ ... ] mais au fond assez

simpliste[s]" : après les récits à unité "théologique", ceux où "Le pitto­ resque populaire [est] abondamment décrit [ . . . ].", c'est-à-dire "la partie «ethnique» du recueil" 2 . Comme dans les récits précédents, tons et procé­ dés narratifs seront très variables, confirmant une organisation par symé­ tries et par contrastes.

Le quatrain 11ethnique "

Le premier facteur interne d'unité pour ces quatre contes est la tech­

nique narrative utilisée, celle du narrateur qui raconte et commente de l'ex­ térieur les différentes aventures. En écho au type d'intervention que nous

avons relevé au début de "La Danseuse", ce "je" ne se met en scène en tant que responsable du récit que dans le seul "Que vlo-ve ?". S'il est relative­

ment discret dans "L'Otmika" et "La Rose de Hildesheim [ . .. ]", il laisse da­

vantage entendre ses opinions religieuses dans "Les Pèlerins piémontais".

C'est avec "La Rose de Hildesheim [ . .. ]" qu'il fait le plus résonner sa propre parole (peu de dialogues ou de style direct, tendance globale à la "narrativisation") alors que dans les trois autres contes, ce sont plutôt les

personnages qui jugent l'action (avec confirmation ou extrapolation par le

narrateur). Nous avons déjà parlé de cette tendance au bilingu isme qui

marque le discours et la distribution de ce langage étranger entre le narra­ teur et ses personnages. La narration hétérodiégétique accentue l'éloigne­

ment et les jeux de transcodage, l'étrangeté linguistique de ces récits.

Le système des rimes plates serait, dans un premier temps, le plus

pertinent à l'intérieur d'un quatrain solidement cimenté par une constante

quête de l'objet désiré (Mara, la Chancesse, llse, Amedeo). Dans les deux premiers contes, cet objet est explicitement une femme et les opposants,

des représentants d'un ordre viril concurrent (du père au rival). Le "réalisme outrancier" 3 , le "naturalism� exacerbé" 4, la sexualisation accentuée et l'é­

rotisation de l'univers, pourraient également rapprocher "L'Otmika" et "Que 1 . Apollinaire prosateur, op. cit., p. 1 1 .

2. Ibid., p. 1 2. 3. Ibid., p. 1 47. 4. Ibid., p. 1 56.

1097

vlo-ve ?". Les implicites mythiques relevés par Madeleine Boisson ainsi que

les suggestions psychanalytiques proposées par Françoise Dininman ou

Claude Debon iraient également dans ce sens. Il y aurait, dans les deux cas,

une lliade travestie et deux gestes " [H ]omériques" avec une commune mise en exergue de la célébration. Les voix qui chantent et les musiciens qui accompagnent ou exaltent font entrer les protagonistes dans la légende.

Les Tziganes du début de "L'Otmika", avec leurs guitares, annoncent cet

autre héros de la frontière, cet autre musicien à la guitare qu'est Que vlo­

ve ? . Dans les deux cas, les acteurs centraux sont des poètes dont les exploits virils sont repris par d'autres poètes, des chœurs (de femmes) ou

des individus (le je-narrateur ou Guyame). La force brutale qui assure le

succès d'Omer est le seul moyen de conquête que connaisse le héros

ardennais même si les résultats sont opposés. Il s'agit, de plus, de drames

fantasmatiques où s'affrontent les pulsions. Comme il est dit dans

L 'Enchanteur pourrissant à propos de Circé : " Chaque homme est aujourd'hui à la fois un troupeau de pourceaux et son gardien. Le gardien

montre le ciel aux pourceaux qui reniflent et grognent vers la terre. [ . . . ]. Il y

a une auge au ciel : ce grand soleil tout plein de perdition." (Pr I , 69). Les

pourceaux de Bandi enva hissent le ciel de Que vlo-ve ? . De plus, si

l'initiation pubertaire d ' Omer réussit explicitement, le musicien wallon

connaît, lui, la révélation de l'Amblève et du Léthé. Comme le dit justement

Françoise Dininman : " [ . . . ] la quête amoureuse échoue, mais l'initiation poétique s'accomplit, provoquant par sa réussite même la mort du poète." 1 .

Le hiatus tonal est très fort entre "Que vlo-ve ?" et " La Rose de

Hildesheim [ . . . ]", ce qui isole la seconde rime plate de la première 2 • Les liai­

sons entre les histoires d'llse et d ' Apollonia sont assez évidentes : deux

" belles histoires" d'amour, émouvantes et lyriques (contrastant avec les deux récits précédents de violence et de sexe ; le quatrain, de ce point de

vue, est explicitement construit en bascule). "La Rose de Hildesheim [ . . . ]" et " Les Pèlerins piémontais" sont centrés sur la femme amoureuse abandonnée

par l'homme : Egon et Amedeo sont tous deux partis "à cause" de la reli­

gion. L'obstacle que rencontre le héros quêteur d'amour s'est déplacé de la

terre vers le ciel. Les deux entreprises amoureuses et, de facto, antireli­

gieuses, se soldent par un semblable échec humain et par la mort ou la dis­

parition des quatre protagonistes. Madeleine Boisson a vu dans le conte al1 . Du Merveilleux au mythe personnel, op. cit., p. 1 92.

2. Ce hiatus tonal pourrait constituer une sorte de "césure strophique" au sein du quatrain ethnique.

1 098

lemand "Le M eurtre de la vierge" 1 , la mort d'une hé roïne lunaire à cause d'un homme " grand, blond, solaire. " 2 • Cette structure, malgré et à travers le

c ryptage des noms, se retrouve dans le récit pié montais. Apollonia, la rousse, recherche l' homme qui s'est réfugié auprès de "la Vierge de Laghet,

nimbée de soleil. " (Pr I, 166) . Elle se trouve parmi ceux (les pèlerins) qui

sont fascinés par les dorures du chœur et qui, comme Egon, attendent le

miracle de l' or lié à la religion. Le châtiment final des coupables unit alors

ces deux contes avec le dernier de l a rime précédente.

Le système "croisé" associerait le conte piémontais et le conte arden­

nais. Outre l'épilogue qui voit dans les deux cas l'enfermement du héros, les rebondissements de l' intrigue et les phases dramatiques rapprocheraient les

deux récits. I l y a lutte, succès provisoire (meurtre du babo, reconquête

d'Amedeo, miracle de l' amour - avant l'échec définitif). Une phrase emblème

les relie également. Souvenons-nous du premier échange entre Amedeo et

Apollonia : " Il lui demanda durement en son dialecte : «Que veux-tu ?»"

(Pr I, 168 ) , écho évident d'un autre dialectal "Que voulez-vous ?". Dans le

système croisé toujours, "La Rose de Hildesheim [ . . . ]" et " L'Otmika" sont réunis également par leur commune structure de conte populaire malgré

l' opposition des situations terminal es. Le passage par la sorcellerie est une

é tape obligée : les ruses de la vieille Tzigane sont sources de dévoiement

comme peut l' être l' or des Rois mages, "soleil plein de perdition" pour Egon.

Si le système des rimes plates nous semble plus fort que celui des

rimes c roisées, nous ne devons pas négliger non plus celui, plus c rypté,

entre les contes extérieurs et intérieurs. Tout rapprochement entre l e récit ardennais et le récit allemand pourrait paraître paradoxal ou forcé. Guyame

s'éc rie pourtant : "Je regarde ceci qui peut servir de miroir à l' amour. ", puis

" Honneur aux héros, dont le sang tombe comme la cascade de Coo. " ( Pr I,

1 5 4 ). Les eaux rouges de l' Amblève3 annoncent la ligne de sang, la

"coulure" qui condamne Que vlo-ve ? (Pr I, 1 5 6) mais aussi le sang ré­

dempteur pour le rosier millénaire. Le sang symbolique de la Rose ("Une

femme une rose morte" rappelle judicieusement M adeleine Boisson) 4 est relayé plus conc rètement par du "sang de bœuf savamment employé . "

(Pr I , 1 63) . La magie de la cure associe, peut-être imparfaitement, les deux thèmes mythiques du "sacrifice du taureau mithriaque, condition d'une nais1 . Apollinaire et les mythologies antiques, 2. Ibid., p. 1 82.

op. cit., pp. 1 8 1 -8.

3 . D'un point de vue réaliste, à cause des nombreuses tanneries.

4. Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., p. 1 8 1 .

1099

sance

végétale"

et

"l'échange

des

vies" 1

,

mais

elle

renforce

thématiquement les liens entre les différents contes . Les "contraintes

secrètes", la pression "d'un imaginaire sous-jacent, d'une culture et d'un

psychisme" nous semblent "savamment employé[es]" dans une architecture qui ne doit rien "à l'arbitraire, à la fantaisie" 2 • La confrontation des contes extérieurs de ce quatrain ethnique confir­

merait le fermeté de la construction tant au plan thématique qu'au plan

structural. Nous avons dit que "L'Otmika" et "Les Pèlerins piémontais" repo­

saient sur des duels entre des valeurs considérées parallèlement comme sa­

crées. Dans les deux cas, la religion chrétienne joue un rôle : d'oppo­

sant/adjuvant dans le premier, d'opposant plus uniforme dans le second. Les

lieux-mêmes sont en parallèle. Les deux gestes sacrilèges se déroulent

dans une église, pendant un office, au milieu de fidèles pareillement partagés entre la sympathie aux héros et l'indignation. Le rapt et le baiser se répon­

dent. Aux trois tentatives de rapt font écho les trois "Basmé ! Amedeo ! " d'Apollonia. Les deux contes proposent l'image d'un religieux qui trahit sa

foi, ses vœux au nom du passé (de la Coutume ou du passé de l'amour) ; ils

s'achèvent tous deux par un chant (avec des tonalités différentes) : si

"Dans le cloître, on chantait toujours la litanie attristante dominée par le

nom de la Vierge [ ... ]." (Pr I, 170), sur la place du village, le dernier vers de

la chanson des Tziganes, " Il faut les marier, Tenso, ou la tuer ...", est repris et significativement abrégé par le père : "// faut les marier ... ". C'est

Amedeo qui réalise tragiquement la seconde moitié du vers. De toute façon,

qu'elles soient initiales ou finales, les rondes des danseurs et des pèlerins

explicitent le bouclage du quatrain.

Au-delà de cette série homogène, on peut être également sensible aux

glissements linéaires qui s'opèrent entre les trois magies successives de " D'un monstre à Lyon [ ... ]", de "Simon mage" et de "L'Otmika", aux

"enjambements" qui relient les mutilations de " La Danseuse" à celles de

"Que vlo-ve ? " , au leitmotiv des "cures" religieuses ou médicales qui soi­

gnent ou guérissent la femme de Gaétan Gorène, Omer et le rosier, à la ré­

currence des châtiments divins qui s'exercent de part et d'autre de "Simon

mage" ainsi qu'aux mystères qui entourent tous ces héros, comme dans les

quatre récits suivants.

1 . Ibid., p. 1 87. 2. Ibid.

1100

Le quatrain de l'insolite

Les "histoires insolites" se ressemblent par leur commune thématique

de l'énigme et se distinguent par l'origine, la nature du phénomène surnatu­ rel ainsi que par les modalités de la narration. On doit d'abord relever dans

cette série le retour du je-acteur abandonné depuis le quatrième conte du

recueil, "L'Hérésiarque". Le type narratif relierait donc de façon croisée " La Disparition d' Honoré Subrac" et "Histoire d' une famille vertueuse [ . . . ]". On a

vu précédemment que la narration homodiégétique pouvait favoriser l'ins­

tauration d'un climat fantastique - ce. qui est le cas dans le récit de dispari­ tion mais n'est pas vrai pour l'histoire de Pertinax et de sa hotte. À l'inverse,

la narration hétérodiégétique pourrait conduire sur les voies d'un insolite

"merveilleux", ce qui se réalise dans " La Serviette des poètes" mais pas

dans "Le Matelot d'Amsterdam". Le héros-narrateur se trouve alternative­

ment confronté à un mystère de nature surnaturelle (les dons de son ami) et à un mystère tout humain (une famille originale). Subrac, toutefois, ex­

plique de façon humaine ses talents (œuvre de sa seule volonté) tandis que la coïncidence de la lettre et du calcul/bijou tend à défier le vraisemblable.

Par la nature de l'énigme, le premier de ces quatre contes ("La Disparition

d'Honoré Subrac") se rapprocherait plutôt du dernier de la série (le miracle

de la serviette), alors que l'intrigue, l'écriture et la tonalité les distinguent très nettement. Les liaisons qui nous semblent les plus fortes, mais selon

des critères différents, seraient celles qu'entretiennent, en rimes plates, les

premier et deuxième, puis les troisième et quatrième récits.

La dimension policière est explicite dans le conte parisien et dans le

conte anglais mais nous remarquerons que ce motif apparaît au début du

premier alors qu'il conclut le second. Paradoxalement, le je-narrateur exhibe

d'emblée son savoir et revient vers l'histoire alors que le narrateur omni­

scient feint l'ignorance et respecte la chronologie. Quoi qu'il en soit, il s'agit

d'expliquer une disparition ou des morts dans des récits dramatiquement

centrés sur des crimes. Selon une construction narrative et une tonalité fort

divergentes, les deux récits mettent en scène une structure triangulaire ca­

ractéristique aussi bien de la tragédie que du vaudeville. Le drame du mari

jaloux dans " La Disparition d'Honoré Subrac" entraîne un décalage particuliè­

rement sensible entre d' une part la sauvagerie du meurtre de la femme (rage, folie), la terreur qui envahit Subrac et lui permet sa métamorphose,

d'autre part la tonalité et la situation dramaturgiquement comiques de ce

1 10 1

flagrant délit. Le mari se transforme en une Némésis, fille de la nuit ("Une

nuit, j'étais chez ma maîtresse [ ... ]. " , Pr I, 1 73 ), incarne le "châtiment di­ vin" d'un coupable mais provoque chez ce dernier "Cette bienheureuse fa­

culté, qui ressortit au mimétisme [ ... ]. ". C' est, en quelque sorte, Némésis contre Mimésis (il est vrai que Subrac et sa belle étaient "nus comme des

divinités" ... ) . De la même façon, lord Finngal est un homme qui sort de la

nuit anglaise pour appâter le matelot et se venger. Il reste dans l'ombre,

exécuteur implacable de son dessein, pendant toute la scène du meurtre.

Hendrijk Wersteeg, de son côté est un voyageur (comme Subrac poursuivi)

accompagné des deux animaux emblèmes de l'imitation de l'homme, le singe

et le perroquet. À la fin du drame, Subrac se confond avec le mur,

"s'emmure" concrètement comme le fait Finngal, "retiré du monde" dans la

seule compagnie du perroquet. La "singerie" des comportements a été abat­

tue ; seule demeure la répétition de la parole par le perroquet (Pr I, 1 7980).

"Histoire d'une famille vertueuse [ ... ]" et "La Serviette des poètes"

sont aussi différents par leur tonalité que peuvent l'être les deux contes

précédents (l'attitude badine, humoristique, du narrateur parisien confirme,

quant à elle, la parenté des deux récits homodiégétiques). Il s'agit néan­

moins de deux textes de "visite" chez un couple "installé" (visite aléatoire et

unique dans un cas, réitérée dans l'autre) de la part d'un héros singulier ("je") ou pluriel (les poètes). Les deux récits, délaissant les personnages,

s'orientent vers un objet magique (la hotte et son contenu, la serviette) qui se révélera funeste. Ils sont, de plus, réunis par le motif de la saleté et du

passage à une certaine sainteté. À travers "Histoire d'une famille vertueuse

[ ... ]", la valeur mythique et les "vertus" de l'inceste sont dégradées en lai­

deurs, empâtements, et autres souillures organiques. La "Sainte famille à re­ bours" est une famille du rejet social ; elle exclut le monde extérieur tout en

étant exclue par lui, vit de ses restes méthodiquement collationnés. La ser­

viette, quant à elle, est maculée de reliefs et de résidus de repas, de bouches vineuses et de sang maladif. Hotte et serviette, gardées dans des

lieux magiques (la maison, l'atelier), sont parallèlement des lieux de mémoire

portant les stigmates de la vie humaine. Les deux contes s'achèvent sur une

dimension religieuse explicite : le dépôt de la bague devenue (fausse) re­

lique dans l'un (en mémoire d'une "victime de l'amour"), la métamorphose en véronique d'un objet sacré et criminel pour l'autre.

"La Serviette des poètes", en effet, est le récit d'un assassinat à la fois

humain et divin. En cela, ce conte se rapproche de l'autre récit hétérodiégé-

1 1 02

tique, de l'autre rime croisée que nous avions laissée de côté, celle formée avec " Le Matelot d'Amsterdam". La mort infligée par le lord anglais est,

certes, strictement humaine, préméditée - mais elle est agencée par un

Deus absconditus. Quelle force anime "la serviette vénéneuse" ? Nul ne le sait. Est-elle un instrument de châtiment ? Pour quelle faute ? Est-elle le

traditionnel "moyen" de la mort salvatrice des poètes ? Le narrateur reste

silencieux. Les deux contes sont marqués par son refus de tirer explicite­ ment une morale. Ce sont deux contes de la cruauté, du sang versé (cruor) , sans doute les deux plus "noirs" de L 'Hérésiarque et cie même si l'effroi n'y

est pas de même nature. L'épouvante du matelot et du singe comme celui

de Justin Prérogue et de son amie préfigurent celle du lecteur devant un miracle dont il perçoit la force, la forme, sans en percer le sens.

Pas de miracle avons-nous dit dans les contes "intérieurs" de la rime

embrassée "Matelot d'Amsterdam"/"Histoire d'une famille vertueuse [ ... ]" .

Le mystère y est a priori tout humain et se révèle au terme de deux itiné­

raires parallèles. Dans les deux cas, le premier personnage présenté en suit

un autre vers son domicile, lieu de révélation. L'accent est mis sur la déam­ bulation avant l'accès au lieu central. Ce dernier est explicitement compar­

timenté, emboîté, qu'il s'agisse de la villa-cage ou de la hotte enfermant des

objets qui sont également des contenants. Plus moralement - mais aussi

socialement, psychologiquement - la question posée est celle de la faute et

de la nécessité ou de la pertinence de la sanction. Aucun élément textuel ne permet de conclure à l'innocence ou à la culpabilité de lady Finngal. Par une

liaison interne directe d'un conte à l'autre, le cri et les larmes de la malheu­ reuse (autre Vierge étranglée

: " [ . .. ] des yeux pleins de désespoir." ; � [ . . . ]

d'une voix étranglée.", Pr I , 178 et 9) trouvent leur écho en cet autre cré­ puscule (parisien et du matin) " près de la fontaine des Innocents" (Pr I ,

1 81) . Très curieusement, l a structure du couple formé par l e narrateur et

Pertinax reproduit (à l'envers) celle d'Hendrijk Wersteeg et de son "client".

"J'ai besoin de quelqu'un qui me parle sans que j'aie à lui répondre [ ... ]." dit

lord Finngal pensant d'abord au perroquet. De facto, le matelot est contraint

à se taire ("li dépensait ses paroles en pure perte, car l'inconnu ne lui répon­

dait pas [ ... ]." (Pr I , 1 76 et .7). De son côté, Pertinax avertit : "[ . . . ] ne me

troublez pas, suivez-moi sans rien dire. " (Pr I, 1 8 1 ). Dans les deux cas, le silence obstiné cède la place à la parole de la révélation, mais, en fin de

conte, devant les cadavres des amants supposés ou du sénateur, personne ne peut (ne veut) dire le mot de l'énigme.

1 1 03

Les précédents groupements avaient tous fait apparaître des liens

privilégiés entre les récits extérieurs. Nous les voyons surtout ici, au-delà

des motifs de l'assassinat ou du surnaturel déjà évoqués, dans l'objet qui garde en mémoire le visage des êtres disparus. Souvenons-nous du mur où

avait disparu Subrac après les coups de feu : "Je tâtai la muraille, elle était encore tiède [ ... ].". Quant aux balles de revolver, si "trois avaient frappé à la

hauteur d'un cœur d'homme, [ ... ] les autres avaient éraflé le plâtre, plus

haut, là où il me sembla distinguer vaguement, vaguement, les contours d'un

visage. " (Pr I, 175). C'est le mur qui ·devient tout entier une véronique,

tout comme la serviette qui, "grâce à la saleté coagulée et de diverses cou­ leurs" fait apparaître "les traits" des "ami[s] défunts" ( Pr I , 193 -4). La "merveille" finale est la même : "[Subrac] disparut comme par enchante­

ment." ; l'homme au revolver le "stigmatise", et le "voile" du mur l'essuie et

le fige. Devant lui défilent les témoins, dispersés par la police ; seul le je-ac­ teur "voit" la merveille, comme Justin Prérogue et son amie. La serviette

carrée aux quatre visages ("soleil carré, écho de celui d' "Onirocritique" pour Madeleine Boisson : "[ . .. ] si j'arrêtais le soleil je le verrais carré en réa­

lité.", Pr I, 7 6) renvoie également aux "quatre visages" du mystère tels qu'ils ont été présentés dans le quatrain de l'insolite. Celui-ci, à la façon

dont s'était terminé le précédent quatrain folklorique, s'achève sur une

ronde ("[ ... ] comme des astres autour de leur soleil [ ... ]"), ce qui narrative­

ment permet de refermer la boucle, une première fois ouverte par· les rondes de "L'Otmika" et des " Pèlerins piémontais". Ce n'est donc pas simplement à une série de quatre mais bien à un huitain que "La Serviette des poètes"

met un terme. Comme toute strophe bien équilibrée, ce huitain possède sa

césure centrale (le changement apparent de "sujet") mais, en son "vers­ charnière" (le quatrième) et son vers terminal (le huitième), il y a écho - ce­ lui du "miracle" toujours possible et du merveilleux renouvelé.

" La Serviette des poètes" est le dix-septième conte de L 'Hérésiarque

et de. L'arithmosophie pourrait, à nouveau, être tentante. On sait que les

valeurs propres et les combinaisons du neuf et du huit ont fait du dix-sept un nombre à grande importance symbolique. L'organisation du recueil et les

différentes phases que nous avons cru pouvoir y déceler retrouvent

globalement cette structure. N ous ne prétendons pas qu'Apollinaire ait délibérément et complètement construit son ouvrage selon des exigences

1104

numérologiques rigoureuses1 , mais les nombres ont pu jouer aussi un rôle

dans la distribution des récits. Cet ensemble qui se termine sur un dix-sept, en un atelier de peintre où le plafond est piqueté de "punaises en guise

d'étoiles" (Pr I, 1 91 ), où les protagonistes se mettent à tourner comme des astres, vient confirmer le passage au cosmique et l'attente d'un

renouvellement (c'est, par exemple, la signification la plus traditionnelle qui

est accordée à l'arcane XVII du Tarot, "L'Étoile"). Une création s'achève, qui

n'est pas pleinement terminée. Le recueil, comme après "Simon mage",

rebondit avec les six aventures de d'Ormesan.

• Le cyc l e Enchanteu r

de

d ' Orm e s a n

la

g este

d'un

a u t re

Plusieurs types d'organisation de ce "sizain" se proposeraient selon

que l'on considère ce dernier ensemble dans son autonomie ou dans ses rapports avec l'ouvrage entier. Dans la première perspective, l'unité garantie par

le

surtitre

est

confirmée

par

la

stabilité

du

couple

je­

narrateur/d'Ormesan même si les rôles respectifs sont très variables. Le type narratif y est unitairement homodiégétique, avec cependant, comme

nous l'avons vu lors de l'étude des métadiégèses, changement interne de

locuteur. La structure énonciative, l'identité du narrateur premier ainsi que la construction de l'histoire rapprocheraient d'abord le premier et le dernier

conte de la série, les seuls où le je-acteur bénéficie d'une certaine

consistance. Dans les deux cas le "je" connaît, face à son ami, la double

phase de l'intérêt/amusement/émerveillement puis de la mise à distance et

du rejet. La nature des histoires racontées et les réseaux thématiques

qu'impliquent ces récits supposent, quant à eux, des liaisons plus complexes.

Les actions de d'Ormesan elles-mêmes permettent de distinguer des contes

à héros-quêteur explicite et des récits où d'Ormesan est, à l'évidence, une

vic tim e 2 • La première ligne est celle du baron artiste qui relie alors " Le

Guide", "Un beau film" et "Le Toucher à distance" ; la seconde réunirait "Le

1 . Des contraintes éditoriales peuvent expliquer la mise à l'écart de certains contes initialement prévus pour le recueil. Nos réflexions se fondent néanmoins sur L'Hérésiarque et Cie tel qu'il se présente dans sa version définitive. 2. Le sizain de d'Ormesan est, en fait, une strophe "à tiroirs" qui permettrait plusieurs types d'organisation interne. Si "Le Guide" et "Le Toucher à distance" se répondent (narrativement, thématiquement), ces deux contes enserrent de facto un quatrain (où le faux baron est le locuteur quasi unique).

1 1 05

Cigare romanesque", "La Lèpre" et "Cox-City" 1 (système AABBBA pour le

sizain). Le premier conte de la série est, de toute façon, un prologue, plus étroitement uni avec certains contes mais qui s'ingénie à disposer des motifs qui seront repris dans les autres. Dans "Le Guide" et " Un beau film", d'0rmesan propose d'abord une "Défense et illustration" des arts nouveaux,

un exposé des principes esthétiques pour une mise en pratique . La

transition, cependant, se fait en bascule, et ces deux premiers "vers" de la

rime plate sont construits en chiasme. L'antiopée, qui est tromperie de

l'autre, mise à distance du réel, vol de ses données (d'0rmesan est Hermès, dieu des voleurs pour Madeleine Boisson) 2 , conduit au vol matériel, à la

faute sociale et à l'emprisonnement3 • Le conte se termine sur le motif de la Justice, ce qui permet une liaison directe avec l ' incipit du conte suivant : "Qui n'a pas un crime sur la conscience ? [ . . . ]." (Pr I, 1 98).

L'ébauche du conte "Un vol à la cour de Prusse" proposait une liaison

diégétique plus évidente encore. Elle s'ouvre sur des retrouvailles entre le je­

acteur et le baron d'0rmesan (analogues à celles du début du "Guide") : "Il

était sorti la veille de la prison de Fresnes." (Pr III, 102 3 ). La figure d'un

d'0rmesan détective, en quête de réhabilitation sociale, vient corriger expli­ citement celle du baron délinquant. L'inachèvement, et donc l'exclusion de

ce conte, permettent un continuum (et une aggravation de la faute) entre le premier texte et "Un beau film" où l'invention artistique criminelle entraîne

richesse et ruine pour le héros.

Deux motifs, apparemment secondaires, dans "Le Guide" sont des ja­

lons pour les troisième et quatrième contes de la série. Nous avons parlé précédemment du cigare, objet-emblème de d'0rmesan ; le qualificatif de

"romanesque" enrichit l'isotopie de l'art déjà constituée par l'amphionie et le cinéma. Si ces deux inventions sont trompeuses, il en est de même pour la

parole. D '0rmesan est alors victime de la lettre contenue dans le mauvais

cigare : le " Roméo havanais et sa Juliette", en définitive, manquent de "parole". Le baron, dans " Le Guide", est un homme de la parole, qui se flatte

d'être "polyglotte" (Pr I, 197). Dans "La Lèpre" (après reprise du motif de la boîte de cigares et de sa "bague" que l'on passe "sottement" au doigt,

autre rappel du conte précédent), d'0rmesan se souvient de son temps d'i­ gnorance linguistique et de la méprise italienne. De même, dans "Cox-City"

1 . Tercet de d'Ormesan abusé par la parole des autres. 2. Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., pp. 3 3 9-41 . 3 . Sur les sources biographiques de ces épisodes, sur le personnage "clé" de Géry Piéret, voir notamment la lettre à Madeleine du 30 juillet 1 9 1 5 ( Tendre comme le souvenir, OEC, IV,49 3-4).

1106

(après rappel de la "pelade"/lèpre, Pr I, 209), il se laisse séduire par un

Chislam Cox beau parleur, "guide" à sa façon pour tous les chercheurs d'or,

d'illusions, de "fumées". Par le double motif de l'homme que l'on suit et de

l'or que l'on poursuit (une nouvelle antiopée de La Toison d'or) , "Cox-City"

se rattache au premier conte de la série. Le baron conducteur est à son tour conduit par l'aventurier psychopompe de "la nécropole boréale". Il a pris très

exactement la place de ce je-acteur qui, dans les autres récits, se laisse

émerveiller et embobiner par les mystérieux orateurs. Il est clair dès lors que

"Le Toucher à distance" remet tout en place avec son couple central de sé­

ducteur et de séduit. D'Ormesan a réintégré sa fonction initiale de guide ou

d'artiste et le "je", sa fonction de térnoin soumis.

Les six contes qui s'achèvent avec la royauté d'Aldavid (et qui s'é­

taient ouverts sur le vœu d'une antiopée qui "serait plus lyrique, aurait plus

de grandeur si on pouvait la terminer devant le palais d'un roi.", Pr I, 1 97),

culminent avec ses foules guidées par l'étoile, mais par la fausse étoile de David aux six branches 1 . Le narrateur, tout au long de ces histoires, n'a

cessé d'être fasciné, "enchanté" (comme les Juifs), par l'aventurier "aux tours de bateleur" (Pr I, 21 3 ; la première lame de la "rota" du Tarot ?).

On connaît la richesse apollinarienne et la polysémie du mot "tour" : d'Or­ mesan élève sa tour de puissance, construit la " Maison-Dieu" de son orgueil,

fait des tours de prestidigitateur et d'imposteur. Sa geste, struc;turalement,

tourne sur elle-même, sa fin renvoyant au commencement. Les six coups de

revolver, qui marquent la fin de l'aventure humaine du faux Messie, sont aussi les six contes qui dessinent sa figure à jamais mystérieuse 2 •

Le cycle de d'Ormesan est celui d'un Enchanteur tour à tour trompeur

et trompé, écho d'une autre "geste" d 'un Enchanteur et écho de tout le re­ cueil. Merlin est de la race des serpents et "ceux qui rampent entrent par­ tout. Les plus étroites fentes sont pour ceux-là comme un portail, surtout si comme nous, ils sont souples, minces et glissants.". "Les troupes biscor­

nues" répondent qu'il "n'était pas tout à fait terrestre" ; les crapauds

ajoutent : "Merlin aimait ce qui est beau et c'est un goût périlleux." . Les

deux druides rappellent : "Il portait la robe blanche comme nous, mais, à la

vérité, la nôtre est rouge du sang d'humaines victimes [ . . . ]. Il avait une

harpe harmonieuse [ ... ]." (Pr I, 1 2-3). Faut-il souligner que ces créatures 1 . " [ ... ] l'étoile qui devait sortir de Jacob [ ... ].", Pr I, 2 1 S . 2 . Dans " U n beau film", déjà, d'Ormesan était lié a u revolver et a u s i x ( Pr I , 1 9 9 ) , formant avec ses compagnons une seule arme à six (fois six) coups potentiels. Dans "Le Toucher à distance" , l'arme se retourne contre lui, pour le "clouer" à ce mur dans lequel le narrateur cherche en vain une nouvelle véronique.

1 1 07

merveilleuses définissent un artiste surhumain, passe-partout, passe-mu­ railles, innocent et criminel, poète et "camarade de collège" 1 . "Morgane,

amie de Merlin", suscite le mirage qui s'évanouit ; l'enchanteur lui demande

"d'en laisser une bonne provision près de [sa ] tombe à disposition de [s]a

voix." (Pr l, 1 6-7) et surtout : "Proclame ma renommée, car tu sais que je fus un enchanteur prophétique. De longtemps, la terre ne portera plus d'en­

chanteurs, mais les temps des enchanteurs reviendront." ( Pr l , 18). D'Ormesan marque le retour de Merlin2 .

On a dit que L 'Enchanteur pourrissant a été composé et repris pendant

la période où Apollinaire rédigeait et publiait la quasi-totalité des contes de L 'Hérésiarque et cie. Les récits de d'Ormesan sont de 1 907-1 908, contem­

porains donc d' "Onirocritique" qui achève la geste de Merlin. La parenté des thèmes et des personnages a depuis longtemps été analysée. Le mirage

des Rois mages dont est victime Egon fait écho au passage des trois faux

rois mages de I'Enchanteur ; d'une façon générale, comme le dit Merlin, "Il y trop de personnages divins et magiques", aussi bien "dans la forêt profonde

et obscure" (Pr l, 28) que dans le recueil de contes. Les "magiciennes les plus perfides" y sont pareillement convoquées. La Tzigane de " L'Otmika" ré­

pond à Dalila (Pr l, 3 0) ; on a vu également que l'Hélène "vieille et fardée"

était au centre du duel de "Que vlo-ve ?". Au chapitre V, "Six hommes arri­

vèrent dans la forêt. C'étaient ceux qui ne sont pas morts." ( Pr 1, 59) : Enoch, "l'enchanteur antédiluvien" (" Je m'étonne, moi qui ne mourus pas

mais reviendrai mourir, que tu sois mort avant de revenir."), Élie (" [ ... ] je

reviendrai mourir comme tous les hermaphrodites.", Pr 1, 6 0), Isaac

Laquedem ("Ai-je assez voyagé, depuis Jérusalem ?", Pr 1, 6 2), Simon le

magicien ("Demande-moi plutôt un miracle./Tes miracles sont inutiles.",

Pr 1 , 63). Merlin leur répond : "[ ... ] vous êtes six comme les doigts de la

main et un poignard dans la main [ ...]." (Pr 1 , 64). Six, comme dans "l'histoire de Poncin et de ses quatre frères", les cinq doigts et le poignard

de Que vlo-ve ? ( Pr 1 , 1 5 2-3), six comme les cinéastes d' " Un beau film",

relayés par le poignard de l'assassin masqué (Pr 1, 200) ? Les six Immortels de I' Enchanteur défient Merlin le trompeur. "S'il a été trompé, c'est justice.",

dit Madoine qui ajoute : " L'enchanteur est bel et bien trompé, le malheur

1 . Ce dernier terme est employé par les anciens compagnons de Merlin (Pr I, 1 3 ) . 2 . L'ensemble d e s contes réalise le "retour d e l a magie" proclamé dans «Les Collines». Les inventeurs, prophètes et autres magiciens modernes proposent des "milliards de prodiges".

1 1 08

est qu'il en soit mort.". "Est-on certain de sa mort ?" corrige aussitôt Lorie

(Pr I, 36).

Jean Burgos, dans l'introduction de son édition critique, confirme cette

analogie entre Merlin et d'Ormesan : "[ . . . ] une tradition médiévale [ ... ] voit en Merlin, à cause précisément de sa naissance, l'Antéchrist annoncé." 1

;

dans la "Semaine sainte" d'Aldavid, " [ ... ] tous les grands événements des

Écritures seront tour à tour renversés [ ...]" 2 • L 'Enchanteur pourrissant pro-

pose une confrontation directe entre Merlin et Isaac Laquedem.

L'enchanteur affirme : "Ô riche voyageur, je suis incirconcis et baptisé [ non­

juif et chrétien donc] 3 , et j'ai pourtant été à Jérusalem, mais par d'autres chemins que le chemin de la croix, et j'ai été à Rome par d'autres chemins que tous ceux qui y mènent." (Pr I, 62). Merlin affirme ainsi à la fois sa dif­

férence et sa ressemblance avec le cinquième immortel (" Je savais tout ce

qui me ressemble."). Il devient explicitement, par son dévoiement, un héré­

siarque thaumaturge, comme Simon mage ou comme d'Ormesan, ces per­ sonnages qui, avec le Juif Errant, sont les pivots structuraux de L 'Hérésiarque et de. Il est aussi le héros qui pose à l'infini la question du mystère de la ressemblance, de la vraie et la fausse ressemblances. La dame

du lac est certainement le modèle mythique de ces femmes "décevant[es]

et déloyale[s]" qui traversent tous les ·écits. "Nous nous ressemblons", dit­ il, "mais la femme et l'homme ne se ressemblent pas." [ . . . ]./Toi que j'aimais,

je sais tout ce qui me ressemble et tu me ressembles ; mais tout ce qui te

ressemble ne me ressemble pas.". Celui qui sait tout pose à jamais "une

question désespérée d'amour survivant au trépas" : "Ô toi que j'aimais [ ... ],

dis-moi la vérité ..." (Pr I, 71). L'enchanteur incarne le mystère alors qu'il

en est aussi l'inlassable quêteur. Il est l'ensorceleur et !'ensorcelé, il est, à

l'avance, Aldavid/d'Ormesan mais aussi le narrateur qui veut savoir. Viviane,

par sa révolte, le stigmatise, le cloue au mur (l'emmure) tout en assurant sa "renommée".

La geste de d'Ormesan et, en particulier, "Le Toucher à distance",

achèvent donc parfaitement le recueil avec son magicien prodigieux et falla­

cieux qui a imposé son image virtuelle et concrète, son "irréalité raisonnable" dans l'univers entier, qui a p�rcouru le monde de sa voix inouïe. L'ubiquité

et l'immortalité initiales d'Isaac Laquedem ont trouvé leur exact écho. Le je­

acteur, dans le dernier conte, peut "effacer les taches de sang", jeter par la 1. Édition critique de L 'Enchanteur pourrissant, op. cit., p. XV. 2. Ibid., p. XVI. 3. Voir "Merlin et la vieille femme" dans Alcools.

1109

fenêtre le corps du délit, il lui reste à reconstituer par son écriture le "corps

postiche" de son ami, de son double. Jean Burgos souligne à juste titre

comment, à travers Merlin Antéchrist, Apollinaire s'invente une identité my­ thiq u e 1 • Il en va de même avec d'Ormesan, l'artiste "criminel" mais

"agréable", "fantastique et charmant", celui qui s'était placé sous le patro­

nage d'un magicien musicien. Merlin possède la lyre d'Orphée, les pouvoirs

de tous les sorciers et enchanteresses ; d'Ormesan, à sa façon aussi, mais il se propose de commémorer Amphion da_ns un "péripatétisme" qui n'est plus

"sans but" comme celui de Laquedem. "Je nommai cet art : l'amphionie, en

souvenir du pouvoir étrange que possédait Amphion sur les mœllons et les

divers matériaux en quoi consistent les villes." (Pr I, 1 9 6). D'Ormesan se veut constructeur de murailles, fondateur de cité.

Dans L 'Enchanteur pourrissant, déjà, se produisait "un passage ininter­

rompu de fondateurs de cités.", les Telchins ("Voici le lieu de la nouvelle cité

déjà déserte [ . . . ]. ", Pr I, 49 ) ; puis venait Cadmus qui célèbrait I' "Étrange

cité où tant de races s'étaient réunies ! Dès les premiers morts, la ville a été abandonnée. " (Pr I , 50). Enfin arrivait "un homme maigre, aux yeux ef­

frayants", saint Siméon Stylite : "Involontairement, j'ai fondé une ville. Les

hommes s'étaient réunis autour de ma colonne ; c'est ainsi que naquit la

ville inutile. Ainsi par mon orgueil de sout

:,ir, je suis cause de tous les pé­

chés de ma ville pécheresse." (Pr I, 5 1 ). Le saint homme, "l'ermite" qui se

repent, annonce cet homme qui "parlait tout haut" , ce guide dressé et phal­

lique qu'est Chislam Cox. La ville de bois, la ville de l'or, est désertée dès

que la mort y frappe. D'Ormesan, à sa façon, cherche son Orkenise alors qu'il

n'est conduit que par l'ombre de cette cité où se côtoient demoiselles, jon­ gleurs, bourgeois et chanoines : la ville aux échoppes "des changeurs [ ... ],

des orfèvres qui cisèlent les hanaps d'argent, les coupes d'or, les bourses,

les dés [... ]. " (Pr I, 41 ). L'Héliopolis du début de !'Enchanteur n'est-elle pas

un mirage ? Une "ville ronde et lumineuse" mais ville, comme le dit le se­

cond druide, "en hachis de lumière" (Pr I, 1 8-9 )2 • La première apparition

d'Orkenise précède immédiatement la venue de "Pan jouant de la flûte q u'il a

inventée [... ], menant un troupeau de jolis sphinx.". Orkenise et ses murailles se rapprochent ainsi des murailles de Thèbes.

Le mythe d' Amphion dit que, tout enfant, ce fils de Zeus et d'Antiope

fut exposé sur une montagne et recueilli, avec son frère jumeau Zéthos, par un berger. Comme un troupeau , il sait conduire son cortège de pierres

1 . Jean Burgos, édition critique de L 'Enchanteur pourrissant, op. cit., p. XVI. 2. Voir Madeleine Boisson, Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit., p. 601 .

1110

("Partant à !'Amphion docile" et "agiles",

Po,

108). À la syrinx, la flûte aux

sept tuyaux, correspond la lyre aux sept cordes donnée par Hermès à

Amphion. Les sphinx thébains, guidés, dans L 'Enchanteur pourrissant, par le

dieu de l'activité sexuelle, posent à leur berger des questions doublement

dégradées : par leur stricte gaillardise d'une part, et par leur transparence

et facilité d'autre part (Pr I, 19). Ce sont de faux sphinx prenant logique­

ment place dans la série des faux enchanteurs. Comme les sphinx du

"Brasier", ils cherchent à avoir "le droit de mourir volontairement". Les êtres de l'énigme ("Devine, berger !" répété trois fois) réclament leur mise en échec.

Les couples proposés dans le cycle de "L'Amphion faux messie [ ...]"

réunissent tous ces personnages et tous ces motifs. D'Ormesan a inventé

son art et son instrument, comme Pan avec sa flûte. Il conduit son

"troupeau" de touristes sous le charme de sa voix. "L'instrument de cet art et sa matière sont une ville [ ...]." dont i l mobilise les pierres et les noms

une ville reconstruite, une ville d'or ("Les touristes payèrent largement le baron d'Ormesan."), de la Toison d'or comme celle de la magicienne Médée,

autre fausse enchanteresse du récit merveilleux. D'Ormesan est un criminel,

comme Amphion et Zéthos qui, pour venger leur mère, tuent Lycos et Dircé.

Il est sphinx soumis à son berger dans "Cox-City" ("Je m'enrôlai dans sa troupe [...].") et, dans la "ville cosmopolite ·, il reconstruit, par le nom du

sa­

loon, un faux Paris (Pr I, 2 10). Quand ils connaissent la vérité révélée par

Cox-Pan, les chercheurs d'or meurent "volontairement". D'Ormesan, dans "Le Toucher à distance", n'est pas explicitement un dieu Pan sexualisé

comme le sera Horace Tograth, mais, grâce à son troupeau, il construit sa

légende. Il fait miroiter le mirage d'une nouvelle ville de l'or pour les Juifs ("[ ... ] ce Messie [ ...] pouvait bien par des moyens surnaturels alimenter le

budget du nouveau royaume de Juda [ ... ].", Pr I, 2 15), le mirage d'une nouvelle et fausse Jérusalem dont il prétend pouvoir relever le temple ( Pr I,

221 ). D'Ormesan est un faux Amphion, comme il est un faux Messie. Il est

l'homme des murs de la ville et, plus précisément, de ceux de l'appartement du narrateur

(" [ ...] il était bien là, appuyé devant moi à la muraille [ ...].",

Pr 1, 2 18), l'homme de l'éni_gme des murailles auprès desquelles le "vrai"

sphinx thébain pose sa question rituelle.

Le narrateur fasciné par !'Amphion constructeur, et le prosateur à tra­

vers sa voix privilégiée (son héros-double), n'ont plus qu'à reconstruire les

murailles et à reconstruire la "cité". "Le Passant de Prague" et "Le Toucher

à distance", qui se répondent si exactement, enserrent et emmurent le re-

1111

cueil qui contient les magiciens et les enchanteurs. À son tour, Apollinaire fait le tour de l'ouvrage et propose ses tours. Nous venons de souligner l'importance des cercles et des cycles dans L 'Hérésiarque et

de,

des bou­

clages partiels, du bouclage général. Le narrateur, régisseur de ses textes,

et l'auteur, régisseur du recueil, jouent à être des enchantés/enchanteurs.

La phase passive est surtout incarnée par le je-acteur, emblème de tous

ceux qui, dans les histoires, se laissent guider ou tromper. La phase active de l'enchantement est assumée par le narrateur qui rend compte de, et

"rend conte" ce qu'il a vécu, ce qu'il sait ou croit savoir du monde énigma­ tique. À travers la fiction du narrateur, c'est l'auteur qui construit ses récits,

ses recueils et ainsi veut se construire 1.ui-même. L'architecture n'est plus un

simple cliché, l'image obligée de la construction littéraire ; ici, elle devient

une "métaphore obsédante". L'œuvre d'Apollinaire propose le "mythe per­

sonnel" du poète constructeur. Avec ou "sans instrument" matériel, par la

voix, le son, les mots, le créateur se construit des monuments à sa propre gloire, s'édifie pierre à pierre, fût-ce avec ces matériaux incertains, instables,

fragiles et fugaces que sont ses personnages.

À l'intérieur des murs bouclés du recueil, la "ville" du créateur reste un

lieu d'énigme. Le lecteur, à son tour, est invité à y entrer et à se confronter

aux mystères. Le début du "Passant de Prague", métaphoriquement, renvoie

à cette pénétration de l'univers textuel. Le: . "douanes autrichiennes" mar­ quent la frontière de "l'autre" monde, celui de la Bohème et de la magie. La

consigne initiale et la valise laissée en garde marqueraient l'abandon néces­ saire de l'ancien "bagage" pour être disponible à un nouvel univers. La

consigne cependant est également co-signe, signe double : le signe d'un

l'univers diégétique déchiré et dédoublé mais aussi le signe de cet autre ni­ veau où le lecteur est partie prenante. "[ ... ] je m'enquis de la consigne [ ... ]"

dit le narrateur à peine entré à Prague. Le lecteur lui-même est en quête de

"consigne" quand il aborde le texte par son seuil magique. Comment lire le

recueil, quel est le pacte de lecture, que faut-il comprendre ? li est soumis

aux tours des magiciens, à ceux du grand manipulateur-bonimenteur-bate­

leur qui lui impose des tours, retours et contours. Le lecteur "marche"-t-il ?

Se laisse-t-il entraîner dans la ronde des sortilèges savamment agencés ? "Il

m'a abusé [ ... ], c'était une farce. [ ...]. Il s'est moqué de moi [ ... ]" peut se

dire le lecteur comme le "je" devant d'Ormesan (Pr I, 221) . Il peut aussi

"tâter la muraille", ausculter le "corps postiche" qu'est le texte d'Apollinaire

pour le reconstruire à sa façon. Il pressent que l'auteur lui "cachait les parti-

1112

cularités essentielles des appareils" textuels ( Pr I, 22 3) " mais, "enchanté", il ne peut admettre qu'un recueil ait été écrit "pour des clous" ...

L'architecture des deux grands recueils de contes oscillerait entre deux

références : celle du monument de commémoration et celle des décors de

théâtre. L 'Hérésiarque et (je, comme Le Poète assassiné, juxtaposent leurs

"pièces", leurs "chambres" mai s en suggérant des itinéraires obligés depuis

des portiques j usqu'à une cella. Tout recueil est en ce sens un sanctuaire, un templum. Toutes les pièces communiquent entre elles, proposent des j eux

de miroir, sont peut-être régies par des nombres qui sacralisent l'ensemble.

Le recueil est commémoration qui suppose le "recueillement" au double sens du terme. Le narrarchitecte est comme "la femme de Mausole", "fidèle et dolent". Il célèbre dans ses ouvrages, de façon plus cryptée que dans ses

poèmes (si l'on excepte la transparence du "Poète assassiné" ) , les aven­

tures ou mésaventures de sa vie d'homme. En faisant sans cesse appel aux

mythes, en construisant son propre "mausolée", il édifie sa propre statue,

son propre statut. De Croniamantal au poète Lazare ressuscité ou à Vibescu

se construit cette image éternisée. Apollinaire nourrit un "rêve de pierre" , de stabilité, de fixité. Toute c ons'i. �uction arc hitecturale soigneusement élaborée est un défi au temps, la concrétisation d'un voeu de permanence.

Les villes de pierre apollinariennes donnent l'exemple de ces lieux de mémoire que l'on visite, où le passé ressuscite, où le temps est aboli.

Dans l'imaginaire apollinarien cependant, les p ierres sont mobiles. Si

elles permettent de construire, elles tombent aussi en "vagues de briques",

symboles d'une chute dans un monde de fausseté. Les constructions les

plus solides et les p lus orgueilleuses, les plus fiers monuments comme ceux de la mythique Babylone, sont appelés à être renversés, inversés, détruits

"pierre à pierre", vidés de leur substance. La pierre alors devient enveloppe

vide ou p late surface. La pierre "précieuse", élément du vitrail portant la

figure du poète ("Le Passant de Prague" ) , est p ierre de malheur ou de folie ; elle devient pierre fausse dans "Histoire d'une famille vertueuse [ . ..] ", "calcul" d'une vessie. La pierre solide se dégonfle pour ne devenir qu'un

contenant externe. Comme la sc ulpture de l'oiseau du Bénin p our

Croniamantal, elle n'enserre que du creux. Ailleurs, le monument n'est qu'un mirage, tape-à-l'oeil, un artifice, un maquillage ou un "décor en planches. "

(Pr I, 509). Les belles arc hitec tures se dégradent, se délitent, s'effritent,

ou se vident : apparences d'un monument, apparences d'une structure,

illusion d'une structure. Le recueil apollinarien est tout cela à la fois : un

miroir authentique, la chambre sacrée d'un enserrement et une mise en

1113

scène de toutes les constructions mensongères engendrées par Phantase. Il

faut toujours en revenir aux paroles d'Apollinaire dans son célèbre article sur

Jean Royère : "Quelle fausseté enchanteresse ! Rien qui nous ressemble et tout à notre image ! [ . .. ]. La fausseté est une mère féconde. [ .. . ]. Mais,

triomphe de la fausseté, de l'erreur, de l'imagination, Dieu et le poète créent à l'envi." ( Pr II, 1006).

APOLLINAIRE "HÉRÉCIA RQUE "

LES R ÉCITS D' U N J ANUS

Nous pouvons espérer que nos réflexions sur l'œuvre de fiction auront

contribué à "recomposer", ou du moins à remodeler et à refaçonner le

visage d'Apollinaire créateur. Comme celui de Tristouse, il était resté, entre poésie et prose, plutôt asymétrique. Nous avons privilégié la face sinon

"cachée", du moins le visage narratif estompé et brouillé de ce double du

"Roi-Lune" qui nous a entraîné dans son palais de sorcellerie. Apollinaire aurait-il deux visages, serait-il un Janus de la création ?

On sait que le dieu romain, par sa double face, regardait à la fois

derrière et devant lui. C'est bien ce que fait !'écrivain dans sa prose d'imagination. Il regarde le passé des genres narratifs et, se fondant sur lui,

explore les dimensions d'un récit nouveau. Lorsque, très tôt, il se met à

écrire des contes, il ne peut qu'être tenté d'épouser des formes consacrées,

de s'accoupler avec les belles images narratives de la tradition, les "modèles

d'académie" ( Pr I, 3 09). La scène des "quelques boîtes de bois" dans "Le

Roi-Lune" est, certes, particulièrement symbolique de la frénésie avec

laquelle les héros apollinariens tentent d'embrasser le passé ; I' "orgie

anachronique" pourrait être également lue comme une métaphore des

méthodes cavalières dont Apollinaire fait usage. Ses propres récits sont, à

leur manière, des appareils qui lui permettent de "palp[er] des corps souples et adorés". "Adorés", parce qu'il ne saurait renier son goût, sa fascination

même pour le narratif, "souples" car ce narratif, malgré des siècles

1114

d'inventions et de réussites éclatantes, est encore, pour le prosateur- poète,

un champ largement ouvert à l'imagination. Quand il reprend trop fidèlement

des formes et des beautés narratives anciennes et parfois sclérosées, le

conteur ou le romancier n'en trouve pas moins "la volupté dans les bras de

la mort". " [ . . . ] il faut que tout meure" répète le dramaturge de Couleur du temps (Po, 930, 932 et 962), les récits comme toutes les choses humaines,

mais, inévitablement, pour renaître.

Apollinaire a c ontribué à l'effacement des " modèles", moins

volontairement, en prenant polémiquement pour cibles les genres reconnus, qu'implicitement, en insufflant dans le récit, dès qu'il a recouru à la fiction,

un " esprit nouveau" . Ce qu'il éc rit dans une célèbre lettre à André Billy, à

propos de la poésie versifiée, pourrait être également retenu pour l'œuvre

en prose : "En ce qui concerne le reproch e d'être un destructeur, je le

repousse formellement, car je n'ai jamais détruit, mais au contraire, essayé

de construire.". Il poursuit, à la fois fier de ses innovations et fatigué par les

critiques :

Si je cesse un jour ces recherches, c'est que je serai las d'être traité en h urluberlu justement parce que les recherches paraissent absurdes à ceux qui se contentent de suivre les routes tracées. Mais Dieu m'est témoin que j' ai voulu seulement ajouter de nouveaux domaines aux arts et aux lettres en général, sans méconnaître aucunement les mérites des chefs-d'œuvre véritables du passé ou du présent. (29 juillet 1918, DEC, IV, 778) 1 Sa c orrespondance aussi bien que sa critique littéraire plus formalisée

trahissent son goû t, ou parfois simplement son respect, pour les œuvres narratives "classiques" ou modernes. De toute façon, pour Apollinaire, "La

meilleure façon d'être c lassique [ ...] est d'être de son temps en ne sacrifiant

rien de ce que les Anciens ont pu nous apprendre." (lettre à Jeanne-Yves

Blanc, 18 octobre 1915, OEC, IV, 675).

1. Il avoue à Toussaint Luca que " [s]es maîtres sont loin dans le passé" ( 1 1 mai 1 9 0 8 , OEC, IV, 697), reconnaît sa dette envers les "auteurs du cycle breton" ( ibid.) ; il dit aussi à Madeleine qu'il " aime beaucoup les contes de fées" et que " Enfant Perrault fut [ . . . ] [s] a principale lecture." (OEC, IV, 563).

1115

Janus e n romancier "Classiques", en ce sens synthétique, seraient ses contes, mais aussi -

sans doute plus paradoxalement - ses romans. Au premier double visage de !'Apollinaire poète et prosateur de fiction, il conviendrait donc d'ajouter, au

sein même de la production narrative, une seconde dualité, une seconde

asymétrie que nous avions évoquée dès notre introduction : le conteur (victime d'une certaine injustice) et le romancier, négligé ou oublié, et -

diront certains - à juste titre. Le jeu des doubles visages pourrait être

poursuivi dans le cadre romanesque. Il y aurait I'Apollinaire "admissible"

(celui de La Femme assise ou celui qui s'affirme dans le plan de L 'Abbé

Maricotte, dans l'ébauche de la Femme blanche), !'Apollinaire romancier "toléré" (presque au sens des maisons de tolérance), celui des romans

érotiques (le "biface" se retrouverait dans ce domaine, avec une œuvre

puissante et originale, Les Onze m ille verges, et une pâle parodie, les

Exploits) . Il y aurait, enfin, !'Apollinaire romancier sinon inadmissible, du

moins presque négligeable : celui de La Fin de Babylone et surtout, l'autre visage "historico-romanesque", L es Trois Don Juan.

Notre travail n'a pas écarté ces deux dernières productions. Cela

traduisait, de notre part, un parti pris délibéré. Puisqu'ils ont été signés ,

puisqu'ils n'ont pas été explicitement reniés, ces romans devaient être pris

en compte. Ni les structures du récit ni les motifs traités dans les aventures de Vietrix ou des Don Juan ne pouvaient être indifférents. Conduite de la

narration, procédés et effets stylistiques, composantes des histoires et

éléments de thématique ont révélé, il nous semble, une parenté très étroite

avec les recueils de contes ou avec certains autres romans qui, sans

discussion possible, constituaient notre champ d'études2 • Le mythe de Don

Juan a été récupéré et "revisité" par Apollinaire de la même façon qu'il a

réécrit les mythes antiques. La différence essentielle est que les hypotextes

donjuanesques sont plus facilement identifiables et donc que la copie est plus aisément repérable. Plus les "sources" intertextuelles s'éloignent dans

le passé, plus les textes pillés ou sollicités se multiplient, plus les histoires 2. Ces liens n' étaient pas de même nature dans Les Trois Don Juan et La Fin de Babylone. Pour le séducteur espagnol, le rapport avec les grandes œ uvres narratives d'Apollinaire se faisait surtout par le motif et la dynamique de la conquête amoureuse, du duel entre l'homme et la femme et, plus hypothétiquement, par le défi lancé à Dieu par celui qui, selon la tradition, se veut - via les cœurs et les corps - le conquérant de l'univers.

1116

originelles se perdent dans des traditions obscures et oub liées, plus

l'originalité de l'érudit Apollinaire, plus l'entreprise de sy nthèse et l'effet de création propre apparaissent. La qualité ressentie d'un texte est parfois

aussi liée à la compétence du lecteur. Nous ne disons pas que la valeur des

Trois Don Juan est égale à celle des autres romans ; nous voulons

simplement prévenir un mouvement de rejet a priori qui s'exerce aussi sur La

Fin de Babylone. Il s'agit peut-être d'une création facile, légère, qui n'ajoute rien à la gloire de ! 'écrivain : il ne serait, de toute façon, pas négligeable de connaître Apollinaire aussi dans ses moments de détente : pourquoi le plaisir d'écrire serait-il à renier ?

Nous admettons cependant que ces deux romans ne prennent de la

valeur que grâ ce aux autres textes narratifs. En soi, ils seraient plutôt

faibles, peu honnêtes ( pour les Don Juan) ou maladroits et frivoles, trop

dans le goût de l'époque ( La Fin de Babylone) . Le triptyque de "L'Histoire

romanesque", dans notre travail, n'a guère été étudié pour lui-même, mais sollicité principalement en tant que prolongement d'analy ses amorcées à

partir des contes ; il ne pouvait servir à fonder une poétique de l'écriture

narrative apollinarienne s'il confirmait des penchants, des démarches et des

procédés constants chez le prosateur. Le récit sur Vietrix méritait, à nos

yeux, une réflexion plus approfondie, non seulement parce que les "sources"

sont plus habilement intégrées mais aussi parce que le romancier, fidèle aux

canons du genre historique, s'exprime pourtant librement, avec une aisance

et parfois une irrévérence qui ne sont pas sans rappeler celles dont il fait

preuve dans des récits plus évidemment personnels. Et nous pensons

d'abord aux romans érotiques.

Il n'était pas question pour nous d'écarter Les Onze mille verges et les

Exploits. Ces textes ne pouvaient m ême qu'être au cœur d'une analy se de

l'œuvre romanesque car il s'agit, nous l'avons souligné, des deux premiers

vrais romans d'Apollinaire. Quelles que soient les dates réelles d'écriture et de parution de ces récits, ils traduisent une incontestable maîtrise narrative,

une aptitude certaine à conduire une intrigue et à donner consistance ( nous

n'osons dire corps) à des personnages. Tout comme la lourdeur des

emprunts ou la minceur des histoires pouvait contribuer à discréditer Les Trois Don Juan et La Fin de Babylone, l a pornographie aurait pu justifier la

mise à l'écart de ces textes scandaleux. Même un chef-d'œuvre " dans le

genre" ne saurait être placé au même niveau que les réussites esthétiques

moralement moins provocantes. N ous n'avons pas insisté sur les valeurs morales, sociales, psychanaly tiques ou autres, sur les transgressions

1117

qu'impliquait une "poétique du désir" apollinarien ; c'est la "fabrique" du

récit érotique qui nous a retenu, une fabrique romanesque aux produits

socialement douteux mais déjà fort bien charpentés, et peut-être mieux construits que d'autres romans encore à venir 3 • Nous avons davantage mis l'accent sur l es structures de représentation et les jeux d'écriture qui, sans

cesse, renvoyaient aux contes. Celui qui se disait "impudique avec une ingénuité de sauvage" ( OEC, IV, 538) se révèle en effet à la fois "sans pudeur" ou "sauvage" dans les aventures de Mony et "ingénu" dans celles

de Roger4 . Dans les récits érotiques, nous voyons bien "L'homme à l'œuvre" 5 , et d'abord aux prises avec l'œuvre romanesque.

Jan us e t l 'a venir du récit de fic tion Si nous avons accordé une grande attention à tous ces ouvrages de

"second rayon", c'est qu'ils traduisent, malgré leurs imperfections que nous

sommes tout prêt à reconnaître, une tension permanente, ou du moins

croissante, d'Apol linaire vers le roman. C'est sans doute le regard sur la

production de 1917-1918 qui fonde ce sentiment. Il ne s'agit plus alors d'un

simple souci de diversification générique mais de l'aboutissement d'une

démarche laborieuse. Michel Décaudin mentionne que, en 191 8, ! ' écrivain

"n'a jamais été aussi entreprenant dans la prose d'imagination." 6 • Apollinaire

est dorénavant capable non seulement de mener à bien "techniquement" un

roman sur un sujet autre qu'érotique, mais surtout de fondre ensemble une

exigence générique et une thématique propre. La Femme assise, sur des

motifs historiques ou sentimentaux parfois proches des Trois Don Juan ou

des Onze mille verges, serait, à quelques réserves près, la confirmation des

possibilités nouvel les d'un Apollinaire romancier ; à plus forte raison, L 'Abbé

Maricotte. Le roman qui se propose dans les derniers mois de la vie du prosateur

ne saurait être un retour vers des formes qu'il a pratiquées antérieurement.

Apollinaire exprime souvent, dans ses dernières années, le refus de revenir 3 . Sur le plan des motifs et des thèmes, Michel Décaudin, dans ses différentes préfaces, avait souligné les parentés avec les contes et notarrment montré comment les histoires de Vibescu et de Croniamantal se reflétaient. 4 . "Je poursuis mes goûts. Ils sont simples et pas toujours délicats." ( OEC, IV,

876).

5 . Titre d'un article de Michel Décaudin dans Apollinaire e n 1 9 1 8 ( op. cit.) .

6 . Ibid., p. 3 5 .

1118

vers ses anciennes techniques poétiques, le refus de se pasticher soi­

même ; il en est de même dans le domaine narratif. Le roman en 1 918 n'est pas seulement une façon de se démarquer de son i mage de conteur, il est

aussi une façon de rompre (mais de façon apollinarienne, c'est-à-dire en

c onservant) avec ses tentatives préc édentes, autobiographiques ou

érotiques. Si La Femme assise est un roman-chronique, La Femme blanche des Hohenzollern, toujours inscrit dans un cadre d' "histoire romanesque" ,

touj ours fondé sur des techniques de_ c ollage, verrait " une écriture nouvelle fai[re] son apparition" . Une écri ture qui , selon Michel Décaudin (qui prend

notamment l'exemple de la scène du "nègre merveilleux" disparaissant dans la mer) , accentuerait le "glissement du réalisme à l'imaginaire [ ... ]." 7 • Le

critique cite également le petit texte intitulé "Les Nuages" : "un roman, un

forçat se sauve, se fai t recueillir dans une fami lle par droit de génie - invente de solidifier l'air - villes aériennes [ .. . ] . " 8 • "H ors des c atégories

conventionnelles, une poétique nouvelle de la prose se fait jour" dont Michel

Décaudin pressent les germes dans des textes narratifs à peine ébauchés ou déj à "mis en plan". Tous les récits (pratiquement) terminés, en instance de

réalisati on ou si mplement imaginés en 1 918 permettraient de supposer d'une part, avec Le Flâneur des deux rives, "un genre nouveau, sur la voie qui conduira aux recherches des surréalistes à la jonction de la poésie et de

la prose, du réel et de l'imaginaire, de l'effusion et du récit : Nadja ou Le

Paysan de Paris." 9 , d'autre part d'envisager un roman nouveau apollinarien

plus ancré dans des réalités concrètes, plus "romanesque" , mais où, comme dans L 'Abbé Maricotte, les vertiges de l'illusion dénonceraient à la fois les

pièges du réalisme et les conventions d'un genre trop usé.

Ne pas c onsidérer la production romanesque d'Apolli naire, ou ne la

considérer que sélectivement, reviendrait à amputer le prosateur de l'une de ses facettes, au nom de critères souvent très subjectifs ; c ela nous

priverait, de plus, de ce visage de Janus tourné vers l'avenir des formes

narratives, même si cet avenir apollinari en du roman reste à jamais "masqué" et peuplé d'ombres insaisissables. Il ne pouvait être question pour

nous d'opposer, malgré les exigences spéci fiques, Apolli nai re conteur et

Apollinaire romancier. Une telle structure oxymorique serait non seulement appauvri ssante mai s également abusive. Des textes comme "Le Poète

assassiné" montrent à l'évidence que notre Janus du récit regardait des

7 . Ibid., p. 3 6 . 8 Guillaume Apollinaire, Journal intime, éditions d u limon, 1 99 1 , p. 1 6 1 . 9 . Ibid., p. 38.

1119

deux

cô tés,

sinon

toujours simultanément,

du

moins toujours

passionnément. Ce Janus pourrait être aussi un Argus car "ses yeux"

narratifs se tournent vers bien des micro-genres, les "surveille" comme le

fait M. Amblerod dans la "grande usine"... des productions romanesques (Pr I, 507) 1 0 ou s'en empare, les embrasse, comme M. Hitchcock se saisit des malandrins grâce à ses membres multipliés ( Pr I, 508). Le prosateur cependant n'est pas toujours, comme le dernier client de miss Oie, un

tenant de l'ordre : il aurait plus tendance à être du côté des voleurs que des

"sergents de ville"... Et l'on sait qu'Hermès a eu maille à partir avec Argus ...

APOLLI NAI R E - " H ER M ÈS LE VO LEUR " (P r I, 1 5 1 )

Écarter les romans, radicalement ou "au cas par cas", aurait eu

également pour conséquence de réduire l'importance de ce phénomène

essentiel des compositions apollinariennes, le "vol" des textes des autres. Le

prosateur est, à sa façon, un "malandrin" du récit, un Hermès qui ainsi peut ajouter quelques cordes à sa lyre 1 1 • Les innombrables délinquants des

récits, et en particulier les voleurs explicites, deviendraient des emblèmes des attitudes de !'écrivain.

"[. . . ]s 'il sait voler qu 'on l'appelle vole ur" (Po, 40) O'Ormesan et Sminthe seraient les deux figures les plus exemplaires de

la fascination pour le vol qui prend à l'évidence une dimension symbolique.

Madeleine Boisson a noté que "Le dernier méfait de I'Amphion, dans " Le 1 O. Sur Amblerod-Argus, voir Madeleine Boisson, Apollinaire et les mythologies

antiques, op. cit., pp. 3 1 8-9.

1 1. Michel Décaudin, commentant dans ses notes de la Pléiade ce comportement constant, utilise des formules analogues pour en rendre compte dans La Femme assise (vol "réussi" ) et dans Les Trois Don Juan (vol manifeste et sans doute "coupable " ) . Il affirme que, en ce qui concerne les aventures de Paméla, " [ ... ] même dans ses emprunts littéraux, [Apollinaire] se livre par ses collages et ses montages à des transpositions qui sont de véritables appropriations. " (P r 1 , 1 3 3 5 ) . L e critique ajoute que, dans les récits sur Don Juan, " [ . . . ] nous le saisissons la main à la plume dans ce double travail auquel il excelle de citation, avouée ou non, et d'assemblage. L'étonnant est qu'il réussisse à donner une unité et un ton à cet ensemble disparate, par la simple vertu de son choix et de son découpage. " (P r I, 1 427).

1 1 20

Guide", l'apparente nettement à Hermès. C' est en effet le soir d ' un

mercredi, jour de Mercure [ ... ], que le baron d'Ormesan quitte son domicile pour aller chercher la Toison d'or" 1 2 . Le vol, artistique pourtant, n'est pas récompensé comme il convient ; Apollinaire "voleur", compilateur, est plus

habile, n'ayant, en ce domaine, pas eu "affaire avec la Justice" ... Le

malandrin des grands chemins, l'ex-cocher de Cendrillon, non plus, qui peut

jouir en toute sérénité des fruits de ses méfaits, mettant à profit, comme son créateur, "un certain nombre de livres", qu'il a "ramassé[s]" (P r I,

5 26 ) . Peut-il ainsi faire oublier, par l'étude de livres "hermétiques", ses

anciens exploits dignes d'Hermès ? Même après la mort de Sminthe et de ses acolytes, leur passé les poursuit, . sous la forme de pantoufles devenues

Videpoches (P r I , 527). Le vol peut-il conduire à une réhabilitation, doit-il

même être réhabilité? Les exemples du cocher et du baron iraient dans ce

sens. Il est dit que "Le rat de bibliothèque [ ...] compila maints ouvrages qui

n'ont pas vu le jour [ ... ]." (les réécritures d'Apollinaire, elles, ne sont pas de simples "manuscrits [ ...] conservés à Oxford.", P r I, 526 ) . De toute façon,

les livres, pour Sminthe, ont engendré "les Arts" : le vol, concrètement, a

conduit à l'Art. Pour d'Ormesan, de même, l'échec de l'antiopée La Toison

d'or entraîne directement, dans des ébauches de contes, l'effort de

réhabilitation. Dans l'un, ce n'est pas l'or que [re]trouve "M. d'Ormesan"

"mais un diamant" ("Un vol à l'Élysée", P r I , 1 021 -2) ; dans l'autre, l'objet dérobé reste mystérieux, mais le voleur devenu détective était certainement appelé à travailler davantage pour lui que "pour le roi de Prusse"...

Le vol matériel comme métaphore des techniques d' "emprunt"

d'Apollinaire et le passage de ces larcins à l'art saint 1 3 ne sont qu'un aspect de la thématique de l'infraction ou d'un défi par rapport aux bons usages ou

aux normes. Madeleine Boisson a rappelé que Hermès-Mercure et Merlin

n'étaient pas, pour le poète, sans rapports 1 4 : d'Ormesan en serait

l'illustration la plus probante. La "perversité", qui est le premier trait moral

attribué à Merlin dans L 'Enchanteur pourrissant, est une caractéristique qui

se retrouve, sous des formes diverses, chez certains personnages qui se

flattent d'être en dehors des lois ou s'estiment au-dessus d'elles. La perversion que manifeste un çf Ormesan dans "Un beau film", beaucoup plus

que celle d'autres acteurs cyniques, violents ou sadiques, illustre le travail

de perversion qu'exerce le prosateur lui-même. Il utilise un matériau premier 1 2 . Ibid., p. 341 . 1 3 . Voir Daniel Delbreil, Le Jeu autobiographique [. .. ], op. cit., p. 460. 1 4. Apollinaire et les mythologies antiques, pp. 84-5 notamment.

1 1 21

qu'i l détourne à son profi t ; certes, il transforme le bie n en mal selon une

définition traditionnelle e t morale de la perversion, mais, faisant de son mal

un "bien propre", s'emparant de l'objet volé, détourné, perverti, il en fait du

Bien et du Beau : l'art ci nématographique. Ce renversement des catégories s'appli que autant aux matériaux textuels qu'aux éléments de la vie réelle que

le prosateur sollicite. Si le "réécri vain" vole aux autres leurs bie ns, i l vole

aussi aux genres reconnus leurs structures établies. Ce faisant, i l s'expose

i névitablement aux répri mande s de ceux qui sont chargés de mainteni r

l'ordre littéraire. Le désarroi que les critiques ont manifesté témoigne de l a conscience d'un déli t, un déli t qui , de pui s Prométhée, fonde l'entrepri se littéraire et arti sti que. Il serait donc tentant de li re dans cette perspective

toute s le s i nfracti ons que le s héros apolli nari e ns comme ttent, qui

révéleraient, sous des formes plus souvent burlesques, bouffonnes, mêlées

que solennelles et tragiques, une révolte métaphysique . Comme nous avons

choisi de rester en deçà des questions phi losophiques et, le plus souvent, en

deçà des études proprement thématiques, nous ne retiendrons que le duel qui , dans la fabri cati on même du texte de ficti on, oppose le créateur, les formes héritées et la supposée réali té.

Du vol à I' "hérécit " Pour rendre compte du travai l et des passi ons que suscitent la "poésie

di vi ne " ou la li ttérature consi dérée comme sacrée , le s métaphore s

religieuses ne manquent pas : à l'époque d'Apolli naire, ces expressions sont

même devenues de s clichés. Ce culte, on le sai t, possède ses lie ux

privilégiés, ses chapelle s virulentes autant que ses grandes églises, ainsi que

son personnel obli gé, se s grands prêtres, voi re ses pontifes. Tous ces

ponci fs n'en permettent pas moins de dire que les conflits qui opposent,

dans les récits, les simples chrétiens ou les si mples abbés à la hiérarchie

ecclésiastique, les originalités religieuses, les fantaisies mystiques comme les détourne ments i ntéressés de la foi , à la rigi dité des dogmes reprodui sent les

luttes permanentes de celui qui , à sa façon, veut renforcer, accréditer la fe rve ur li ttéraire authe nti que. Pour ce fai re, i l convie nt d'abord de

déboulonner les i doles, e t tous les faux prophètes ne sont pas aussi

évi de mment des i mposteurs que Simon mage ou H orace Tograth. Quand

Apollinai re devient prosateur de fi ction, règne en maître, comme une di vi nité

reconnue e t sancti fiée, une idéologie réaliste et naturaliste qu'il ne peut que

11 22

se proposer comme adversaire. Son combat sera tantôt direct, tantôt plus

médiatisé et oblique. Les grandes proclamations théoriques, mais tardives,

que sont la préface des Mamelles de Tirésias ou la conférence sur L 'Esprit

nouvea u formulent des dénonciations radicales contre "L'infaillibilité" des

esthétiques dominantes. Apollinaire sait être parfois un Orfei pourfendeur des sanctifications abusives ou un Delhonneau invitant, le jour de la Saint­ Guillaume, les plus grands dignitaires à reconnaître "les faussetés sacrées"

et les "mensonges séculaires" (Pr I, 1 2 1 ). En tant que "pauvre prêtre",

c'est-à-dire prosateur débutant ou non pleinement reconnu, il est peut-être contraint à se soumettre ou à feindre l'obéissance tout en restant digne de

la "turbulence des Français". Membre passionné de l'église littéraire, fervent adepte de la beauté par et dans les mots, il se lance totalement dans cette

aventure du Beau en prose, " [ ... ] et c'est un goût périlleux" rappellent les

crapauds de !'Enchanteur. (Pr I , 1 3 ) . Les dangers sont plus dans l'excès de zèle que dans le risque de perte de la foi. Même si ses ouvrages, parfois à sa

grande déception, ne s'arrachent pas "comme des petits pains", il ne

renonce pas à "remédier à l'irréligion universelle" (Pr I, 96) . L'adversaire, en effet, est aussi bien celui qui croit détenir la Vérité, qui se trompe ou

trompe, que celui qui vit dans l'indifférence : le pape pour Delhonneau, et

pour Orfei, la foule qui, elle, ignore ce que la beauté peut lui apporter. Son

ministère (ou sa vocation) le conduit à devenir sacrilège ou iconoclaste pour les mœurs comme pour les conventions narratives. Il peut voler, éventrer,

violer des sépultures (littéraires) pour "s'amuser superbement", commettre des "crimes sensationnels" (Pr I , 1 05) sur des "êtres faibles" (les sous­

genres sans ossature) comme sur des réalités (textuelles) beaucoup mieux

constituées. Il en est ainsi de la violence dans les récits ; souvent nous voyons en elle la marque métanarrative (dissimulée ou hypertrophiée,

"callipygique? ) du prosateur et de sa manière de faire : ni sous cape, ni sans voile, dans une audace ingénue qui est celle de ses fauteurs de troubles.

HERMÈS OU APOLLON ? La société ecclésiastique apollinarienne, première chronologiquement

dans l'univers des récits, révèle une organisation du monde placée sous le

signe de !'Ordre. Ce n'est pas un hasard si tant d'acteurs appartiennent à

des ordres : nous avons souligné la fréquence et l'importance des ordres

monastiques, de l'ordre de la noblesse (et à l'intérieur de celle-ci, de façon

1 1 23

redondante, des ordres particuliers), d'une manière plus générale des

catégories sociales individualisées dans des sociétés hiérarchisées. L'étude

des personnages a fait apparaître d'innombrables ensembles humains très

strictement régulés. Positivement ou, le plus souvent, négativement, le

personnage apollinarien se définit par rapport à ces ordres entendus

socialement. Inévitablement, il se détermine aussi par rapport aux règles morales, de comportement en commun : rien d'étonnant à ce que les

acteurs les plus intéressants soient ceux qui ne se conforment pas, qui

rusent ou qui dénoncent, ceux qui, comme Hermès, viennent perturber le repos tranquille des vaches d'Apollon. L'apologie apparente des délinquants,

des perturbateurs, de tous les avatars. d'Hermès le voleur contribuerait à

faire dominer le visage désordonné du créateur. On sait que les traditions

mythologiques ménagent quelques rencontres entre Hermès et le tout jeune

Dionysos. Madeleine Boisson, dans sa thèse, n'a pas manqué de relever les

très nombreuses occurrences du mythe dionysiaque 1 5 • Nous ne retiendrons

ici, de l'opposition devenue classique depuis Nietzsche 1 6 , que les éléments

des Fables d'Hermès et de Dionysos convergeant vers la dynamique du

désordre, de la dénonciation et de l'exaltation de ce qui est hors-normes. Il est sûr que certains acteurs affichent, nous l'avons dit, leur "volonté de

puissance" et situent résolument leur entreprise "par-delà le bien et le mal",

défient directement la divinité ou une forme plus floue de transcendance. La

face souterraine, ombreuse, tumultueuse, orgiaque ou dionysiaque du

prosateur est sans doute la plus fascinante ; elle ne doit pas rejeter

paradoxalement dans l'ombre la face claire et apollinienne. L'œuvre narrative que nous avons étudiée se place simultanément, contradictoirement,

dynamiquement, sous les patronages d'Hermès-Dionysos et d'Apollon. Les

forces de désordre ne sont réprimées que provisoirement, elles restent sous-jacentes, prêtes à tout bousculer à nouveau ; de même les ordres,

narratifs ou autres, qui n'existent et ne perdurent que dans une tension, une

1 S. Notamment en ce qui concerne les récits, dans Apollinaire et les mythologies antiques, op. cit. : p. 1 05 ( la naissance de Croniamantal et la personnalité de Macarée}, pp. 67 6-7, 684-5 et · 69 5-6 ( sur " Le Roi-Lune" ). " Lunaire, opposé à Apollon, le Roi-Lune est Dionysos.". Une confirmation serait donnée par le fait que, " Dans les mystères, Dionysos fut identifié à Hadès [ . .. ]." 1 6. L'influence éventuelle de l' œuvre ou des théories de N ietzsche sur l'œuvre d'Apollinaire est au cœur de débats entre les Apollinariens comme en témoigne une communication récente de Peter Por dans le cadre du séminaire dirigé par Michel Décaudin. Se reporter, par exemple, aux propos d'Apollinaire sur N ietzsche et Dionysos dans Méditations esthétiques (P r II, 1 2 ) .

1 1 24

exigence permanentes de rénovation que leur imposent les bouillonnements des hérésiarques.

La création ne saurait être que dans l'instauration d'un ordre différent,

libéré de ses définitions morales, politiques, sociales ou mêmes esthétiques

réductrices. La parole apollinarienne, malgré ses éclatements, ses déchirures

et ses foisonnements, est "mots d'ordre" au double sens de disposition

régulière des éléments les uns par rapport aux autres et d'injonction,

commandement ou consigne. Le souci de l'ordre, nous l'avons moins perçu à

travers les nombreux personnages qui se réclament de la paix sociale, de la

doxa, des institutions établies, bref du conservatisme (ils sont, au mieux,

dénigrés, au pire, ridiculisés), qu'à travers quelques figures d'inventeurs d'ordres esthétiques - et, en premier lieu, à travers le travail même du

prosateur-régisseur et du prosateur-constructeur. En ce sens, la production

fictionnelle d'Apollinaire ne pouvait être distinguée de la création poétique. Il

n'est donc en aucune façon abusif de lire dans les fières déclarations des

Méditations esthétiques ou de L 'Esprit nouveau et les poètes des définitions

de ce devrait être l'ordre romanesque. L'effort est le même si "La bonne

volonté ne garantit pas la victoire." ( Pr II, 5). Cet ordre doit assurer lui­

même sa "police" et ne pas laisser plus longtemps les faussaires le

dégrader • Les prosateurs nouveaux, tels que les souhaite Apollinaire - ou

tel qu'il se perçoit lui-même - "[ ... ] s'ils observent encore la nature, ne l'imitent plus [ ... ]." ; dans leurs œuvres, "La vraisemblance n'a plus aucune

importance, car tout est sacrifié par l'artiste aux vérités, aux nécessités

d'une nature supérieure qu'il suppose sans la découvrir. Le sujet ne compte plus ou s'il compte, c'est à peine." (Pr II, 9). L'esprit nouveau, dans le récit,

doit combiner "Cette liberté et cet ordre" qui "sont sa caractéristique et sa

force." (Pr II, 946). Les recherches en matière narrative "seront utiles ;

elles constitueront les bases d'un nouveau réalisme qui ne sera peut-être

pas inférieur à celui si poétique et si savant de la Grèce antique.", et, en tout cas, supérieur au réalisme étroit du xrx: e siècle. Le "mot d'ordre" d'Apollinaire est donc clair : le nouveau récit, tel qu'il le conçoit, ne peut

être, négativement, que "l'ennemi de l'esthétisme, des formules et de tout

snobisme. [ ... ] il ne veut pas être une école, mais un des grands courants de

la littérature [ ... ]." (Pr II, 953). "Les [conteurs et les romanciers] modernes

sont donc des créateurs, des inventeurs et des prophètes ; ils demandent

qu'on examine ce qu'ils disent pour le plus grand bien de la collectivité à

laquelle ils appartiennent." (Pr II, 952).

1 1 25

C'est ce que nous avons tenté de faire dans le présent travail. Nous

avons surtout voulu montrer comment le magicien ou le prophète du récit

fabriquait certains de ses tours. Les jeux de l'illusion semblaient parfois

éloigner du réel. Ils entraînent les lecteurs "tout vivants et éveillés dans le

monde nocturne et fermé des songes. Dans les univers qui palpitent

ineffablement au-dessus de nos têtes. Dans ces univers proches et plus

lointains de nous qui gravitent au même point de l'infini que celui que nous portons en nous." (Pr II, 952). Ce mo,:ide onirique est pourtant le vrai, le seul réel qui compte, que le prosateur comme le poète "aime", "rêve", "crée,

vrai et pur simple et sain." ( DEC, IV, 587). "Fabriquer du "réel" est l'entreprise essentielle de l'artiste, son pouvoir, démiurgique; et sa voix

créatrice est inévitablement "inouïe". Cette voix, comme celle de tout magicien, de tout oracle, reste mystérieuse.

Nous n'avons, tout au long de ces pages, qu'ébauché une analyse de la

prose d'imagination. Nous nous sommes astreint à lire les récits avec des

instruments mis à la disposition des chercheurs depuis quelques années et qui, mis à l'épreuve des textes d'Apollinaire, révélaient, à nos yeux, leur

pertinence. Il existe beaucoup d'autres instruments (un critique peut-il être

un "ver Zamir"? ) peut-être plus séduisants, peut-être plus opératoires sur

cette œuvre de fiction. Nous avons plus souvent constaté, précisé, analysé qu'interprété. N otre étude ne demande qu'à être prolongée, infléchie,

enrichie par d'autres lectures. Tout effort critique sur I'œuvre d'Apollinaire

transforme le lecteur en visiteur du tombeau de Merlin. Chacun peut dire "[ ... ] j'ai entendu [d]es énigmes admirables [ ... ]." (Pr I, 20), nul ne peut

affirmer : "Enfin, je sais la vérité [ ... ]." (Pr I , 50). Toutes les analyses

proposées risquent de tomber sous la condamnation de Béhémoth : "Il y a

une part de vérité dans cela, et beaucoup de vantardise." (Pr I , 43). Parfois

le lecteur peut se dire : "Voici un instant divin, je vais connaître le résultat

du jeu." (Pr I, 50); mais il ne doit pas oublier que, "dans la forêt profonde

et obscure", demeurent toujours "quelques fées ignorantes qui cherchaient

encore l'enchanteur." (Pr I , 35). Dans la forêt de sens que propose l'œuvre

de fiction apollinarienne, " [ ... ] vous y trouverez peut-être des savants

subtils qui ne négligeront rien [ ... ]." (Pr I, 45) mais, en fait, ces savants

posent tous, à leur façon, selon leurs méthodes propres, "[ ... ] une question

qui voulait tant une réponse." (Pr I, 71 ) et qu'ils ne trouvent sans doute

pas. Le critique est partagé entre un présomptueux "[ ... ] les présents sont

réels et j'en saurai faire un excellent usage." (Pr I , 28) et un trop modeste

"Je ne sais plus rien, tout est ineffable [ ... ]." (Pr I, 3 3 ). L'anti-prophète

1 1 26

Béhémoth ne dit-il pas la vérité sur Merlin comme sur Apollinaire et ses critiques quand il avance : "Pour son bonheur, il eût mieux fait de rester parmi nous, pour notre bonheur, soyons contents qu'il nous ait rassemblés

[ ... ]." (Pr I , 43).

"Au demeurant les chefs-d'œuvre ne sont pas faciles à lire." (OEC, IV,

4 74) et "Certains poètes ont le droit de rester inexplicables [ . . . ] . " ( Pr III,

77).

1 127

BIBLIOGRAPIDE

I Œuvres d'Apoll i naire - Éditions de base

- Éditions particulières

- Principales éditions de poche II Travaux sur Apollinaire - Revues ou séries entièrement consacrées à Apollinaire

- Ouvrages entièrement consacrés à Apollinaire (poésie et prose)

- Numéros spéciaux Apollinaire

- Actes des "colloques Apollinaire" ( ordre chronologique) - Ouvrages partiellement consacrés à Apollinaire

- Articles sur l'œuvre de fiction d'Apollinaire (ou pertinents pour celle-ci)

Ill Autres ouvrages et a rt icles sollicités pour l'étude d e l'œuvre de fiction d'Apolli naire

- Travaux sur le conte moderne et la nouvelle

- Ouvrages d'histoire littéraire, d'histoire des genres et de sociologie littéraire

- Ouvrages généraux de poétique (narratologie, rhétorique, stylistique)

- Ouvrages sur l'inconscient, l'imagination, l'imaginaire, les mythes - Ouvrages sur le jeu - Ouvrages divers

112 9

I ŒUVRES D'APOL L I N A I R E

=> Éditions de base



Œuvres complètes, édition établie �ous la direction de Michel Décaudin,

préface de M ax-Pol Fouchet, introduction et notes de Michel Décaudin, iconographie établie par Pierre-Marcel Adéma ; André Balland et Jacques Lecat, quatre volumes de textes et quatre coffrets de documents. - Torne I : L 'Enchanteur pourrissant, L 'Hérésiarque et

Cie,

Le Poète

assassiné , La Femme assise, Contes retrouvés, Pages d'histoire, Chronique des grands siècles de France, 1 96 5 . - Torne II : Le Flâneur des deux rives, Les Diables amoureux, Collaboration au «Mercure de France», Chroniques, Critiques, 1 966. - Torne III : Le Bestiaire,

Alcools,

Vitam impendere amori,

Calligrammes, Il y a, Poèmes à Lou, Le Guetteur mélancolique, Poèmes retrouvés, Poèmes inédits, Les Mamelles de Tirésias, Couleur du temps, Casanova, Critique littéraire, 1 9 66. - Tome IV : Les Peintres cubistes, Chroniques d'art, Tendre comme Je souvenir, Lettres à sa marraine, Correspondance, Complément, 1 966.



Œuvres poétiques d'Apollinaire, préface par André Billy, texte établi et

a nnoté par Marcel Adéma et Michel Décaudin, «Bibliothèque de la Pléiade», Gallimard, 1 9 65 ( Le Bestiaire, Alcools, Vitam impendere amori, Calligrammes, Il y a , Poèmes à Lou, Le Guetteur mélancolique, Poèmes à Madeleine, Poèmes à la marraine, Poèmes retrouvés, Poèmes épistolaires, Poèmes inédits

; théâtre

: Les Mamelles de Tirésias, Couleur du temps,

Casanova).



Œuvres en prose I, textes établis, présentés et annotés par Michel

Décaudin, « Bi bliothèque de la Pléiade», Gallimard, 1 9 7 7 ( contes et récits : L 'Enchanteur pourrissant,

L 'Hérésiarque et

de,

Le Poète

assassiné, Contes écartés du Poète assassiné, La Femme assise, Contes retrouvés

;

"L'Histoire romanesque" : La Fin de Babylone , Les Trois Don

Juan, La Femme blanche des Hohenzollern, Ébauches et fragments ; t héâtre : La Température,

Le Marchand d'anchois,

1 1 30

Jean-Jacques,

fragments et projets de G uillaume Apollinaire ; cinéma

La Bréhatine,

C'est un oiseau qui vient de France).

• Œuvres en prose complètes II , textes établis, présentés et annotés

par Pierre Caizergues et Michel Décaudi n, «Bibliothèque de la Pléiade»,

Gallimard, 1 991 (écrits sur l'art : Méditations esthétiques, Les Peintres cubistes, Fragonard et l 'Amérique, Chroniques et paroles sur l'art ;

critique littéraire : «La Phalange nouvelle», «Les Poèmes de l'année»,

« L es

poètes

d'aujourd' hui» ;

« Sur

la

littérature

féminine» ,

«L'Antitradition futuriste», «L'Esprit nouveau et les poètes», «Chroniques et articles», «Échos sur les lettres. et les arts»).

• Œuvres en prose complètes III, textes établis, présentés et annotés

par Pierre Caizergues et Michel Décaudin, «Bibliothèque de la Pléiade»,

G allimard, 1 993 (Le Flâneur des deux rives, La Vie anecdotique, Chroniques et échos,

Les Diables amoureux, appendices ; textes

érotiques : Les Onze mille verges, Les Exploits d'un jeune Don Juan

compléments : théâtre et contes ; Chroniques et échos).

� Éditio ns particu l ières À quelle heure un train partira-t-il pour Paris ? pantomime ; postface de

W . Bohn, coll. «Bibliothèque artistique et littéraire», À Fontfroide, Montpellier, 1 982 .

Alcools et Calligrammes, texte présenté par Claude Debon, illustrations

d'Antonio Ségui, Éditions de ! ' Imprimerie nationale, 1 991 .

La Bréhatine, cinéma-drame inédit, en collaboration avec André Billy,

avant-propos, établissement du texte par Claude T ournadre, étude par °

Alain Virmaux, coll. «Archives des Lettres modernes» , n 1 2 6, Lettres

modernes, Minard, 1 97 1 .

Chroniques d'art (1 902- 1 91 8) , textes réunis, avec préface et notes, par

L. C. Breunig, G allimard, 1 960.

"Les Deux sacrifices", conte inédit, retrouvé et présenté par A. Mercier, °

Artère n 8, hiver 1 982 ; repris dans une seconde édition du tome I des Œuvres en prose de la Pléiade.

L 'Enchanteur pourrissant, édition établie, présentée et annotée par Jean °

Burgos, Paralogue n S , coll. «Bibliothèque Guillaume Apollinaire», Lettres modernes, Minard, 1 97 2 .

1 1 31

Journal intime, 1 898- 1 91 8, édition présentée et annotée par Michel

Décaudin, Éditions du limon, 1 991 .

Les Exploits d'un jeune Don Juan, préface de Michel Décaudin, Pauvert, 1 969.

Lettres à Lou, préface et notes de Michel Décaudin, Gallimard, 1 969. Les Onze mille verges, préface de Michel Décaudin, Pauvert, 1 97 3 . La Rome des Borgia, Bibliothèque des Curieux, Paris, 1 91 3. Et, sous le

double nom, Guillaume Apollinaire-René Dalize, Paris-Genève, Slatkine, 1 995.

Soldes, poèmes inédits publiés par Gilbert Boudar, Pierre Caizergues et

Michel Décaudin, coll. «Bibliothèque artistique et littéraire», À Fontfroide,

Montpellier, 1 985.

=> Principa les éditions de poche Alcools suivi de Le Bestiaire et de Vitam impendere amori, coll. ° «Poésie/Gallimard», n 1 O.

°

Calligrammes, préface de Michel Butor, coll. «Poésie/Gallimard», n 4. L 'Enchanteur pourrissant suivi de Les Mamelles de Tirésias et de Couleur ° du temps, édition de Michel Décaudin, coll. «Poésie/Gallimard», n 80. °

La Femme assise, coll. «L'imaginaire», Gallimard, n 3 7. Le Guetteur mélancolique suivi de Poèmes retrouvés, édition de Michel

Décaudin, coll. «Poésie/Gallimard», n° 57.

Le Flâneur des deux rives, coll. «Idées», Gallimard, n° 3 3 8. ° ° L 'Hérésiarque et Cie , Le Livre de poche, n 3 6 1 7 ; coll. «Biblio», n 3 1 00.

Les Onze mille verges ou les amours d'un hospodar, préface de Michel °

Décaudin, Éditions "J'ai lu", n 704.

Poèmes à Lou précédé d' Il y a, coll. « Poésie/Gallimard», 1 969. Le Poète assassiné, édition établie par Michel Décaudin, coll. °

«Poésie/Gallimard», n 1 27.

1 1 32

=> Correspo nd ance Guillaume Apollinaire/André Level, lettres établi es, présentées et

annotées par Brigitte Level, «Bibliothèque G uillaume Apollinaire» n° 9,

Lettres modernes, Minard, 1 976.

Guillaume Apollinaire, correspondance avec son frère et sa mère,

présentée par Gilbert Boudar et Miçhel Décaudin, José Corti , 1 987.

Picasso/Apollinaire, correspondance, édition établie par Pierre Caizergues

et Hélène Séckel, coll. «Art et artistes», Réunion des musées nationaux,

Gallimard, 1 992.

Guillaume Apollinaire/Jean Cocteau, présentée par Pierre Caizergues et

Michel Décaudin avec le concours de G ilbert Boudar, suivie de la

correspondance de Guillaume Apollinaire avec Harrison Reeves et Lean Le

Roy et de documents, Cahors, 1 991 .

=> Cu riosité : bande dessinée Apollinaire/Pichard, Les Exploits d'un Don Juan, Albin Michel, 1 991 .

Il TRAVAUX SUR APO L L I N A I R E => R e v u e s Apo l l i n a i re

ou

séries

e n t i è re me n t

c o n s a c ré e s

à

Le Flâneur des deux rives, Bulletin d'études apollinariennes, Paris, de

mars 1 954 à septembre-décembre 1 955.

Guillaume Apollinaire, «Revue des Lettres modernes», Lettres modernes,

Minard : - n° - n° - n° - n° - n° - n° - n°

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7,

Le Cubisme et l'esprit nouveau, 1 962. Cinquantenaire d' Alcools, 1 963. Apollinaire et les Surréalistes, 1 964. Les Mamelles de Tirésias, L 'Hérésiarque et Cie, 1 965. Échos de Stavelot, 1 966. Images d'un destin, 1 967. 7 9 1 8- 1 968, 1 968.

1 1 33

-

°

n ° n ° n ° n ° n ° n ° n ° n ° n ° n ° n

8, Colloque de Varsovie, 3-6 décembre 1 9 68. 9 , Autour de l'inspiration allemande et du lied, 1 970. 1 0, Méthodes et approches critiques ( I) , 1 970. 1 1 , Méthodes et approches critiques ( II) , 1 9 72. 1 2 , Apollinaire et la guerre ( I) , 1 97 3 . 1 3 , Apollinaire et la guerre ( II ) , 1 976. 1 4, Recours aux sources (1), 1 978. 1 5, Recours aux sources (II ) , 1 9 80. 1 6, «La Chanson du mal-aimé», 1 98 3 . 1 7, Expérience e t imagination de l'amour, 1 987. 1 8 , Le «Casanova», 1 99 1 .

Que vlo-ve ? , Bulletin de l'Association des Amis de Guillaume Apollinaire, puis Bulletin international des études sur Apollinaire : - première série de janvier 1 973 à octobre 1 98 1 , numéros 1 à 2 9 . - deuxième série d e janvier-mars 1 9 8 2 à juillet-décembre 1 99 0, numéros 1 à 3 6. - troisième série depuis janvier-mars 1 99 1 . « Bibl iothèque G ui l l a u m e Apol l i n a i re», « B i b l iothèque des Lettres modernes», Lettres modernes, Minard. Treize ouvrages de 1 9 5 6 à 1 98 1 . Pour les auteurs et les titres, se reporter à la section «Ouvrages entièrement consacrés à Apollinaire».

* * *

=> Ouvrages e n tière ment consacrés à Apo l l i n a i re (poésie et prose) A D É M A, P i e rre- M a rc e l

Guillaume Apollinaire, La Table ronde, 1 968.

Album Apollinaire, iconographie réunie et commentée par P.-M. Adéma et M . Décaudin, Gallimard, 1 97 1 .

AEG ERT E R, E m manuel et L A B RA C H E R I E, Pierre

Guillaume Apollinaire, Julliard, 1 943 .

ALEXAN D R E, D i d i e r

Alcools, coll. «Études littéraires», PUF, 1 994.

1 1 34

BA TES, Scott

Petit glossaire des mots libres d'Apollinaire, exemplaire dactylographié. Guillaume Apollinaire , coll. «Twayne's World Authors Series», Twayne, New York, 1 967. Dictionnaire des mots libres d'Apollinaire , Sewanee, Tennessee, USA, 1 991 .

B I L L Y, A n d ré

Apollinaire, coll. «Poètes d'aujourd'hui", Seghers, 1 965. Apollinaire vivant, Éditions de la Sirène, 1 923. Avec Apollinaire, souvenirs inédits, La Palatine, Paris-Genève, 1 96 6.

BOISSON, Madeleine

Apollinaire et les mythologies antiques, thèse pour .le Doctorat d'État, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III , 1 985-1 986 ( 2 volumes dactylographiés). Apollinaire et les mythologies antiques, Schena-Nizet, Fasano-Paris, 1 989. B O N N EFOY, Claude

Apollinaire , coll. «Classiques du x:xe siècle», Éditions universitaires, 1 969. CADOU, René-Guy

Testament d'Apollinaire, Debresse, 1 945. CAIZE RGUES, Pierre

Apollinaire et «La Démocratie sociale», coll. «Archives des Lettres ° modernes», n 1 0 1 , Lettres modernes, Minard, 1 969. Apollinaire journaliste, thèse pour le Doctorat d'État, Université de la Sorbonne N ouvelle-Paris Ill, 1 977 ; service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1 979 ; 3 volumes. Apollinaire journaliste. Les débuts et la formation du journaliste ( 1 9001 909), tome I, 1 900- 1 906, coll. «Bibliothèque des Lettres modernes» ( 3 0) et « Bibliothèque Guillaume Apollinaire» ( 1 3 ), Lettres modernes, Minard, 1 980.

1 1 35

Catalogue de la bibliothèque de Guillaume Apollinaire

établi par Gilbert Boudar avec la collaboration de Michel Décaudin, Éditions du CNRS, 1 983.

Catalogue de la bibliothèque de Guillaume Apollinaire ll

établi par Gilbert Boudar avec la collaboration de Pierre Caizergues, Éditions du CNRS, 1 987.

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DAVIES, Margaret L 'ironie de Guillaume Apollinaire, thèse pour le Doctorat d'Université, Paris, 1 948. Apollinaire, Oliver and Boyd, Edinburgh-London, 1 964.

DEBON-TOURNADRE, Claude Les Critiques de notre temps et Apollinaire, textes réunis et présentés par Claude [Debon-]Tournadre, Garnier, 1 97 1 . Guillaume Apollinaire de 1 9 1 4 à 1 9 1 8, thèse pour le Doctorat d'État, Université de la Sorbonne-Paris IV, 1 9 78 (2 volumes dactylographiés).

Guillaume Apollinaire après Alcools, tome I, Calligrammes, le poète et la guerre, coll. «Bibliothèque des Lettres modernes» ( 3 1 ) et «Bibliothèque Guillaume Apollinaire» ( 1 2 ), Lettres modernes, Minard, 1 98 1 . Apollinaire. Glossaire des œuvres complètes, Publications de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, 1 988.

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D E L B R E I L, Daniel Le Jeu autobiographique dans les contes de Guillaume Apollinaire, thèse pour le doctorat de 3 e cycle, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, 1 983 (2 volumes dactylographiés). D I N I N M A N, Franç oi se

Du Merveilleux au mythe personnel. Merveilleux, scénario initiatique et mythe personnel dans les contes d'Apollinaire, thèse pour le Doctorat de 3e cycle, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, 1 983.

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Apollinaire, Artia, Prague, 1 967.

D U R RY, M ari e-J eanne Guillaume Apollinaire. Alcools, SEDES, 1 956- 1 964 (3 volumes). F AB UREAU, H ubert

Guillaume Apollinaire, son œuvre, Éditions de la Nouvelle revue critique, 1 932.

FAURE- F A VI E R, Louise

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F ETT W E I S, Christian

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F L E U R ET, Fernand

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Une lecture du «Larron» d'Apollinaire, col l . «Archives des Lettres ° modernes», n 1 1 2 , Lettres modernes, Minard, 1 970.

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Apollinaire et Je livre de peintre, col l . «Interférences arts lettres» ( 4) et «Bibl iothèque Guillaume Apollinaire» ( 1 0), Lettres modernes, Minard, 1 977.

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Apollinaire et Je nouveau lyrisme , Mucchi , Modena, 1 984.

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L 'Expérience idéogrammatique d'Apollinaire, J. V. Noël, Liège, 1 984.

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Guillaume Apollinaire. Souvenirs d'un ami, Éditions d u Rocher, Monaco, 1 954.

M ORHA N GE- BÉ G UÉ, Clau d e

«La Chanson du mal-aimé» d'Apollinaire, essai d'analyse structurale et stylistique, c o l l . « B i b l i ot h èq ue des Lettres modernes» ( 1 8 ) et «Bibliothèque Gui llaume Apollinaire» ( 4 ) , Lettres modernes, Minard, 1 970.

O R E CC H I O N I, P i e rre

Le Thème du Rhin dans l'inspiration de Guillaume Apollinaire, col l . «Thèmes et mythes» ( 3 ) et « Bibliothèque Guillaume Apollinaire» ( 1 ) , Lettres modernes, Minard, 1 9 5 6 .

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Apollinaire par lui-même, coll. «Écrivains d e toujours», n 2 0, Seuil, 1 95 4.

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Apollinaire et l'Ardenne, J. Antoine, Bruxel les, 1 975.

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Apollinaire et Cendrars, «Archives des Lettres mod ernes», n Lettres modernes, Minard, 1 969.

1 03,

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Lecture d'Apollinaire, L'Âge d'homme, Lausanne, 1 969.

L es Trajets du Phénix. De «La Chanson du mal-aimé» à l'ensemble ° d'Alcools , col l . «Archives des Lettres modernes», n 209, Lettres modernes, Minard, 1 983.

ROUVEYRE, André

Amour et poésie d'Apollinaire, coll. «Pierres vives», Seuil, 1 95 5 .

SACKS-GALEY, Pénélope

Calligramme ou écriture figurée. Apollinaire inventeur de formes, col l. ° «Interférences arts lettres», n 6, Lettres modernes, Minard, 1988.

ST E E G M U L L E R, F rancis

Apollinaire Poet among the Painters, Farrar, Straus and Co, New York, 1 963.

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� N u mé ros s péciaux s u r Apollinaire °

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Apollinaire, Europe, n 4 5 1 -2, novembre-décembre 1 966.

° Apollinaire I, L 'Œuvre poétique, L 'École des lettres, n 1 3, 1 er juin 1 992. °

Apollinaire H, Fictions, L 'École des lettres, n 1 2, 1 5 juin 1 9 9 2.

� Actes des colloq ues Apolli na i re (ord re chronologique)

Apollinaire e t la musique, Actes du colloque d e Stavelot, août 1 9 6 5 , textes réunis par Michel Décaudin , Éditions «Les Amis de Guillaume Apollinaire», 1 967.

Colloque Apollinaire à Varsovie, décembre 1 9 68, Études et informations ° réunies par Michel Décaudin, revue Guillaume Apollinaire, n 8 , Lettres modernes, Minard, 1 968.

Du monde européen à l'univers des mythes, Actes du colloque de Stavelot 1 9 6 8 , réunis par Michel Décaudin, coll. «Bibl iothèque Guillaume Apollinaire» ( 5 ) , Lettres modernes, Minard, 1 970. Apollinaire inventeur de langages, Actes du colloque de Stavelot 1 9 70, réunis par Michel Décaudin, coll. «Bibliothèque Guillaume Apollinaire» (7), Lettres modernes, Minard, 1 97 3 .

Regards sur Apollinaire conteur, Actes d u colloque d e Stavelot 1 9 7 3 , ° réunis par Michel Décaudin, coll. «Bibliothèque Guillaume A pollinaire», n 8 , Lettres modernes, Minard, 1 975.

Apollinaire et la peinture, Actes du colloque de Stavelot 1 97 5 , réunis par ° Michel Décaudin, Que vlo-ve ?, n 2 1 -22, juillet-octobre 1 979.

Lecture et interprétation des Calligrammes, Actes du colloq ue de ° Stavelot 1 9 77, réunis par Michel Décaudin , Que vlo-ve ?, n 2 9- 3 0, juillet-octobre 1 98 1 .

Apollinaire/Teatro, comport a nt les commu nications présentées au colloque de Stavelot 1 98 0 ( "Apollinaire et les arts du spectacle") , Berenice, Rivista quadrimestrale di letteratura francese, Lucarini Editore, Roma, 1 98 1 .

Apollinaire au tournant du siècle, Actes du c o ll oq u e de Varsovie d'octobre 1 9 8 0 , Les Cahiers de Varsovie, Pu blication du centre de ° civilisation française de l'Université de Varsovie, n 1 1 , 1 9 84.

Apollinaire, Les Actes de la «Journée Apollinaire» ( 1 9 8 1 ), Éditions universitaires, Université de Berne, Fribourg, Suisse, 1 983 .

Naissance du texte apollinarien, Actes du colloque de Stavelot 1 98 2 , éta b l i s par Michel Décau d i n et Victor M a rt in-Sc h mets avec l a collaboration d e Christine J acquet, Que vlo-ve ? , z e séri e , avril­ °

septembre 1 98 3 , n 6-7.

1 1 40

Expérience et imagination de l'amour, Act es du col l oqu e de Stave lot 1 984, te xte s réunis par Miche l Décaudin, col l . «Guillaume Apollinaire » ( 1 7 ) , Lettres mod e rnes, Minard, 1 987. Apollinaire en 1 9 1 8, Actes du colloque de Stave lot 1 9 86, «Connaissance du xx:e siècle», Méridi e ns, Klincksi e k, 1 9 8 8 .

Apollinaire en son temps, Actes d u colloqu e de Stave lot ( 3 1 août- 3 septe mbre 1 98 8 ) , textes réunis par Michel Décaudin, Publications de la Sorbonne Nouve ll e , 1 990.

Du paysage apollinarien, Acte s du quinzièm e colloque de Stavelot ( 3 0 août- 1 er se ptembre 1 99 0 ) , te xt e s réu nis par Michel Décaudin, coll . «Archive s de s Le ttre s mod e rne s» (246) et «Guillaume Apollinaire» ( 9 ) , Lettres mode rn es, Minard, 1 9 9 1 . Apollinaire et ses amis européens, Actes du colloqu e de Stave lot 1 99 3 , Publications de l a Sorbonne Nouve lle 1 99 5 .

Journé e Apollinaire de l'Association Int e rnational e de s Étude s Française s, 2 1 j u i l l e t 1 9 9 4 . Cahiers de l'Association Internationale des Études ° Françaises, n 47, mai 1 99 5 .

=> Ouvrages

partiellement consacrés à Apol linaire

B É H AR, H e n ri

Étude sur le théâtre dada et surréaliste, Gallimard, 1 967.

B E R G M A N , Par

«Modemolatria» et «Simultaneità». Recherches sur deux tendances dans l'avant-garde littéraire en Italie et en France à la veille de la première guerre mondiale, Uppsala, 1 9 6 2 .

B U R G O S, J e a n

Pour une poétique de l'imaginaire, coll. «Pierres vives», Se uil, 1 98 2 .

DÉCAU D I N, M i c h e l

La Crise des valeurs symbolistes. Vingt ans de poésie française 1 8951 9 1 4, Privat, Toulouse , 1 9 6 0 ; rée d. Slatkine , Genève-Paris, 1 9 8 1 .

L 'Esprit nouveau dans tous ses états publication 1 986.

en

hommage à Mich e l Décaudin, Lettre s mod e rne s, Minard,

1 1 41

J EA N , Raymond

La Poétique du désir, Seuil, 1 974.

R I C H E R, Jean

Aspects ésotériques de l'œuvre littéraire, Dervy-Livres, 1 980.

SALM O N , André

Souvenirs sans fin, 3 volumes, Gallimard, 1 9 5 5- 6 1 .

S C H N E I D E R, Marcel

La Littérature fantastique en France, Fayard, 1 9 64.

S O M V I L L E, Léon

Devanciers du Surréalisme. Les Groupes d'avant-garde et Je mouvement poétique 7 9 7 2- 1 925, Droz, Genève, 1 97 1 .

=> A rt i c l e s s u r l ' œ u vre pe rtinents pou r cel le-ci)

de

fict i o n

d ' A po l l i n a i re

(ou

Les articles sur l 'œuvre d'Apollinaire sont extrêmement nombreux. Nous ne retiendrons q ue les textes portant sur les récits o u ayant u n lien assez direct avec eux. La revue Guillaume Apollinaire est mentionnée sous la forme

GA.

ANGLARD, Véronique « L 'Hérésiarque et Cie d'Apollinaire : fantasmes et réalités», L 'Éco/e des ° lettres, n 1 3 , Apollinaire Il, 1 99 2 .

BATES, Scott «Notes sur "Simon mage" et Isaac Laquedem», GA 4, 1 96 5 .

B E L L E U, Maria-Luisa «Apollinaire et Proust», GA 1 8, 1 99 1 . B O I S S ON, Madeleine

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INDEX

Les trois index qui suivent ne concernent que le texte courant. Les noms ou les titres mentionnés dans les notes de bas de page n'ont pas été relevés.

Index des noms de personnes Adam (Jean-Michel) :959 Adam (Paul) : 220 Adé m a (Pierre-Marcel) : 50, 668, 680, 682 Albert-Birot (Pierre) : 44 Almansi (Guido) : 3 54 Aristote : 65, 9 1 7 Aurel : 1 02 Bakhtine (Mikha"il) : 625, 677 B a l z a c (Honoré de) : 59, 94, 9 5 , 1 0 1 , 1 02, 4 3 5, 573 Barbey d'Aurevilly : 59 , 91 Bardyli (Pyrrhus) : 1 56 B a t e s (Scott) : 587, 588, 682, 683, 778, 797, 804, 805 Batteux : 68 B a u d e l a i re (Charles) : 67, 71 , 7 5, 89, 3 1 4, 460, 597, 828, 829, 833, 847, 848, 8 69 , 944, 1 031 B a ud e l l e (Yves) : 5 54 , · 5 5 8 , 569, 570, 577, 579, 602, 607 Bernard (Jean-Marc) : 38 Bernard (Suzanne) : 70, 7 1 , 7 5 Berthier(René) : 34, 3 5 , 183 Billy (André) : 9 , 26, 32, 41 , 43, 45, 5 2 , 1 3 5 , 1 3 8, 1 8 3 , 2 5 1 , 1115 Bismarck : 1 OS B l a n c (Jeanne-Yves) : 28, 3 8 , 420, 1 1 1 5 Boccace : 1 00, 2 58, 3 1 9 , 541 B o isson ( Made l eine) : 1 3 , 1 7 , 7 5 , 9 2 , 9 9 , 1 00, 1 01 , 1 04, 298, 5 8 7 , 5 9 8 , 623, 627, 629, 6 3 2 , 6 3 3 , 6 3 4 , 6 3 9 , 649, 6 5 0, 654, 663, 667, 668, 672, 674, 675, 6 8 1 , 682, 68 9, 694, 71 6, 760, 8 52, 870, 912, 913, 9 1 4, 1 09 1 , 1 09 3 , 1 09 5, 1 098, 1 099, 1 1 04, 1 1 06 , 1 1 20, 1 1 2 1 , 1 1 24 Bourges (Elémir) : 1 OS Brémond (Claude) : 1 6 5, 969 Bréon (Louis) : 1 OS Breto n (André) : 30, 6 6 , 3 2 7 , 346 Briffaut : 9, 1 1 , 51 , 1 6 1 Broussan (Jean-Jacques) : 42, 46

B u rgos (Jean) : 1 2, 1 3 , 1 7, 18, 50, 75, 76, 77, 1 34, 1 88 , 5 1 4, 51 5, 5 1 8 , 6 9 3 , 8 1 4, 8 2 0, 8 2 1 , 1 072, 1 109, 1 1 1 0 Byron ( Lord) : 1 1 , 1 5 9 , 5 7 9 , 676 C a i zergues (Pierre) : 57, 5 8 , 1 3 9, 141, 1 82, 237 Cazotte (Jacques) : 46 Céard (Henry) : 9 5, 96 Cendrars (Blaise) : 3 5, 1 44 C e rv a nt e s (Miguel de) : 1 01 , 541 C h a m b o re d o n ( Jean-Claude) : 59 Champfleury (Jules) : 44 Charle (Christophe) : 59, 60, 62 Charles (Gaston) : 1 56 Chénier (André) : 46 Chérau (Gaston) : 1 01 , 1 OS Cheva l i er (Jean-Claude) : 3 2 8 , 341 Clancier (Anne) : 1 5 Cohn (Dorrit) : 227, 2 3 3 Colette : 9 6 C o m b e (Dominique) : 6 5 , 6 7 , 6 8 , 70, 71, 7 2 , 75, 76, 1 08, 1 1 1 Corneille ( Pierre) : 37, 869 Dalize (René) : 9 , 3 5 , 3 6 , 290 Dâl l e n b a c h (Lucien) : 21 3 , 21 5, 220 D a u z a t (Al bert) : 5 54 , 5 56 , 567, 69 5 Davies (Margaret) : 284, 342 D e b o n (Claude) : 9 , 1 5, 1 6, 1 7 , 1 3 5, 1 5 3 , 1 80, 2 2 0 , 2 2 2 , 2 5 6 , 276, 2 9 8 , 3 3 0, 3 3 5 , 341 , 3 8 1 , 5 3 1 , 545, 546, 948, 1 0 50, 1 057, 1 098 Décau d i n (Michel) : 7, 8 , 9 , 1 0, 1 2, 1 4, 1 6 , 1 8, 3 1 , 3 2 , 34, 3 6, 48, 49 , 51 , 52, 5 5 , 77, 1 2 0, 1 33 , 1 4 2, 1 4 3 , 1 5 3 , 1 6 1 , 1 8 8, 27 9 , 2 8 0 , 3 2 8 , 3 8 1 , 4 4 0 , 5 8 6 , 6 1 5, 677, 681, 6 8 5, 69 1 , 6 9 2 , 6 9 7 , 7 1 6 , 790, 1 07 2 , 1 09 6 , 1 1 1 8 , 1119 1165

D e l a ru e - M a rd rus ( Lucie) 93, 96 Derain (André) : 3 2 , 544 Derennes (Charles) : 1 5 6 Dhormoy ( Marie) : 1 05 Diderot (Denis) : 1 80 D i n i n m a n (Françoise) : 1 5 , 1 7 , 1 80, 29 8 , 34 5, 67 2, 7 1 6 , 7 52 , 9 1 2, 948, 980, 1 09 8 DivYs (Vladimir) : 432 Dostol"evski (Fédor) : 298 Duhamel (Georges) : 38 Dulait (Charles) : 1 00, 1 03 Dumur (Louis) : 34, 3 5 Dupont (André) : 3 6 Durand (Aline) : 1 3 5 , 1 39 Durand (Gilbert) : 5 1 5, 5 1 6, 5 1 8 Duranty (Louis) : 44 Eluard (Paul) : 1 3 Ëlys : 42 Ernest-Charles : 40 Esnard : 8 Fabureau (Hubert) : 1 6 Faure-Favier (Louise) : 1 3 9 Férat (Serge) : 3 6 F l a u b e rt (Gustave ) : 9 4 , 9 5 , 1 0 1 , 693 Fleuret (Fernand) : 3 1 , 3 9 Follet (Lionel) : 7 3 , 7 4 Fonteyne (André) : 1 3 , 1 6 , 1 7 , 2 5 6 , 2 7 2 , 274, 2 7 5 , 27 6 , 284, 298, 2 9 9 , 300, 308, 3 1 4 , 749, 7 52 , 7 54, 1 09 6 Frapié (Léon) : 1 04 Freud (Sigmund) : 743, 9 9 6 G e n ette (Gérard) : 3 3 , 6 5 , 68, 1 58 , 1 6 1 , 1 6 2 , 1 7 5 , 1 9 2 , 1 9 3 , 1 9 5, 1 9 7, 20 1 , 2 1 1 , 23 1 , 2 5 2 , 2 5 7 , 3 9 3 , 3 9 6 , 5 2 7 , 577, 578, 607 George (Valdemar) : 45, 46, 50 Gide (André) : 23, 1 8 1 , 2 1 9 Godenne (René) : 87, 90 Goethe (Johann) : 342, 54 1 Gogol ( Nicolaï) : 1 0 1 , 1 03

G ol d e n st e i n (Jean-Pierre) : 220, 959 Gourmont (Remy de) : 2 1 9 Grasset (Pierre) : 1 06 Greimas (A. J.) : 948 Grimal (Pierre) : 870 H a m o n (Philippe) : 20, 267, 268, 484, 5 1 0, 523, 577, 724, 744, 762, 803, 948, 1 070 Heine (Henri) : 46 Hoffmann (Ernst T.) : 42 Huysmans (J. K.) : 58, 94 J a co b (Max) : 546, SS 1 , 5 59 , 584, 6 5 1 , 6 9 5 J akobson (Roman) : 1 67, 1 72 , 2 5 2, 565, 603 Jaloux (Edmond) : 44, 45, 47 Jarry (Alfred) : 44, 3 29 Jenny (Laurent) : 1 2 1 Kahnweiler (Henry) : 32 La Fontaine (Jean de) : 44, 54 1 Lalanne (Louise) : 9 6, 1 0 1 , 1 57 Lautréamont : 46, 509 Lefebvre (Raymond) : 48 Lejeune (Philippe) : 223, 224 Lekeu (Léopold) : 1 05 Linda : 36 Lintvelt (Jaap) : 1 82, 1 9 3 , 224, 257, 2 58, 270, 463 Lombard ( Paul) : 3 5 , 47 L o n g r é e ( G eorges) : 1 0 5 1 , 1 0 52, 1 054 Lou : 3 , 1 82, 439, 1 08 1 Lewin (Joseph G.) : 8 8 1 , 8 87 Luca (Ange-Toussaint) : 26, 76 Maizeroy (René) : 1 03 Malherbe (François de) : 46 M a l l arm é (Stéphane) : 6 5 , 6 6 , 67, 97, 1 08 , 1 09 Martineau (Henri) : 2 6 M a u passant (Guy de) : 5 9 , 9 1 , 94, 1 76, 43 5 Maurras (Charles) : 7 5 5 Maury (Lucien) : 27, 4 1 Mercereau (Alexandre) : 4 6 1 1 66

Mercier (Alain) : 5 6 M é r i m é e (Prosper) : 1 1 , 59 , 8 9 , 9 1 , 1 01 Michaux (Henri) : 1 3 Mirtel (Héra) : 98 M o l i è re : 1 1 , 84, 1 0 1 , 6 5 0 , 1 01 4 M o l i n a Da S i lva ( Ferdinand) 36 Mollet (Jean) : 3 5, 546, 569 M ontfort ( Eugène) : 43 M oréas (Jean) : 46 M orice (Charles) : 42 M ort on (Harry) : 47, 48 Moussorgski (Modest ) : 1 03 M uecke (D.C.) : 342, 344 N a t a n s o n (Thadée) : 3 3 , 3 5, 4 3 , 47, 57, 1 53 Olivier (Jacques) : 47, 49 Onimus (James) : 27, 30, 442 Pagès (Madeleine) : 27, 28, 29, 30, 3 1 , 51 , 52, 82, 1 06 , 1 51 , 298 Palazzoli (Docteur) : 3 5, 36 Perceau (Louis) : 49, 5 1 , 279 Perrault (Charles) : 44 Pétrarque : 54 1 Philippe Charles-Louis : 44 Pia ( Pascal) : 3 2 P i c a ss o (Pablo) : 246 , 44 1 , 544, 584, 9 1 5 �aton : 6 5 , 1 48, 577 Poe (Edgar) : 42 Propp (Vladimir) : 1 5, 948, 9 5 7, 980

R a n d a u (Robert) : 1 0 1 , 1 0 2 , 1 04, 1 5 6 Raynal (Maurice) : 3 5 Renan (Ernest) : 1 OS Renaud (Philippe) : 3 3 0, 3 3 5 , 61 622, 6 2 3 , 624, 6 6 1 , 784, 1 074, 1 075, 1 079 R i m ba u d (Arthur) : 46, 6 6 , 76, 607 Rolmer (Lucien) : 41 , 1 03 Rouss e a u (Jean-Jacques) : 5 3 , 220, 694, 1 03 1 R o uveyre (André ) : 3 7 2 , 5 8 4 , 624

s,

Sacks-Galey (Pénélope) : 3 1 6 Sade (Donatien) : 49, 279 , 6 8 5 Saint-John Perse : 1 3 Saint-Pol Roux : 13 Salm on (André) : 46, 1 04, 1 1 3 Saussure (Ferdinand de) : 602, 604, 6 1 3 Schaeffer (Jean-Marie) : 8 1 Schwab (Marcel) : 46 Segré (Mlle) : 35 S h a k e s p e a r e (William) : 5 4 1 , 769 Souday (Paul) : 47 Swift (Jonathan) : 44 , 3 1 9 Théry (José) : 36 Tinayre (Marcelle) : 9 6, 9 7, 1 0 1 Tirso De Molina : 11 T odorov (Tzvetan) : 498, 880 Touny-Lérys : 3 0, 40 Tzara (Tristan) : 27 Valéry (Paul) : 6 6 , 971 Valmy-Baisse : 48 Verne (Jules) : 44, 9 9 Vettard (Camille) : 1 0 3 37, Vi l l i ers d e l ' I sl e-Ad a m 4 2 , 59, 9 1 , 1 76 , 29 1 , 702 Villon (François) : 54 1 Virmaux (Alain) : 1 3 5 Visan (Tancrède de) : 54 7 Voltaire : 44, 4 6 , 9 1 , 1 50 , 3 1 9 , 346

Queneau (Raymond) : 373, 425, 5 6 2 , 862 R ab e l a i s ( François) 44, 1 76 , 258, 3 1 9 , 6 9 3 Rachilde : 4 6 , 4 8 Raillon (Firmin) : 1 04 R a n d (Walter) : 1 44, 1 4 5 , 1 4 6 , 1 47

1 1 67

Wells {H. J.) : 9 9 Whitman {Walt) : 1 44, 1 45, 1 46 Wilde {Oscar) : 46 Wyzewa {Teodor de) : 4 3 Z o l a {Émile) : 9 4, 9 5, 9 7 , 1 02, 298, 43 5, 949, 9 9 9 !urowski {Maciej) : 2 37

1 1 68

Index des œuvres d' Apolli naire - Pour les poèmes et les pièces de théâtre, la page citée renvoie à l'étude d'un aspect narratif ou thématique ;

- Pour les contes et les romans, se reporter également à l'index des noms de personnages. - Les titres des récits de fiction sont en gras.

À la cloche de bois : 7

"A m p h i o n

faux

m e ss i e

ou

"À la Santé" : 126, 1 27.

h i st o i r e

8 6 , 1 8 5 , 2 54, 271 , 2 7 8 , 2 9 0 ;

1 67 , 173, 1 8 5 , 229 , 386-38 7 1 491 1 494, 646-64 7 1 703, 1 064, 1086, 1105-1113, 1114. Arc-en-ciel (L ') : 8, 172, 1 8 3 , 1 8 5 , 2 5 2 , 3 2 9 , 434, S O S , 61 3 , 877. "Art hur roi passé roi futur" :

Abbé Maricotte (L ') : S S , 8 5 ,

371 , 3 9 2 , 3 9 5 , 434, 437, 4 6 3464, 467, 560, 585, 590, 600, 61 5 , 653-654 , 71 8 , 7 5 2 , 8 9 2 , 9 52 � 965-966. .9.8.Z, 1023-102 5, 1 0 2 9 , 1 071 -1 07 2 , 1116, 111 8, 1119 . " Albanais ( L ' ) " : 5 5 , 90, 1 7 0, 1 8 5 , 1 9 0, 229, 3 6 5 , 5 2 7 - 52 8 , 742 , 7 5 5, 7 6 0 , 7 9 5 , 84 6-84 7 , 8 8 3 , 889-890. 9 59 , 982, 9 9 2 , 9 9 6 , 1019, 1075.

Alcools : 5 , 17, 26, 28, 37, 38,

40, 49, 50, 67, 81, 1 09 , 1 1 21 34, 1 3 7 , 14s, 1 s7, 285, 3 0 2 , 3 0 5 , 312 , 31 5, 320, 325, 3 2 8 , 332 , 3 8 9 , 42 5, 434, 482,

m,

48 9 , 507, 511 , 666, 682, 6 8 3 ,

7 3 1 , 7 6 7 , 7 8 9 , 7 9 0 , 7 9 3 , 868, 1 0 5 6 , 1 066, 1 074, 1 07 5, 1079,

1084, 1 08 5 . "Âme du canon (L')" : 146-147. "Ami M é rita rt e (L') " 1 6 4 , 1 6 9 , 1 7 3 , 1 8 5, 230, 2 9 2 - 293. 336,

144, 1 4 5 , : 36, 56,

203, 20 5, 338 , 3 5 0,

3 7 9 , 430, 434 , 868, 921, 970,

1076, 1 080.

et

aventures

du

baron d 'Ormesan ( L' ) " : 148,

3 5 , 56, 143, 146, 1 60, 1 64, 1 6 9 , 171 , 173, 1 8 3 , 1 8 5 , 2 5 0, 281, 31 0, 328, 344, 3 66 , 3 68 , 3 7 6 , 431, 434, 750, 9 23 , 9 57 , 9 91 . " A v e nt u r i è re ( L ' ) " : 5 6 , 9 0,

1 6 5 , 170, 1 8 5 , 1 9 0, 2 0 5 , 3 3 2 , 371, 431 , 584, 6 6 5 , 670, 7 5 7 , 885, 904, 905, 9 8 2 , 9 9 9 , 1 01 7-

Jfil.a.

" B e a u fi l m

( Un ) " : 5 5 , 1 6 0,

1 6 6 - 167, 1 6 9 , 1 8 7 , 2 04, 2 2 9 , 2 3 0 , 2 9 1 , 3 8 7 , 430 , 4 34, 446 ,

448 - 449 , 601 , 720, 7 9 6 , .9.1...6., 9 3 8 , 9 50, 9 5 2 , 9 77 , 9 80, 9 9 9 , 104 5 , 1086, 1 1 o s , 1 1 0 6 , 1108, 11 21 . "Brasier ( Le)" : 7 6 , 1 2 1 , 1 2 3 , 127, 1056. Bréhatine (La) : 9 , 82, 135-139. 493. 494.

11 69

Calligrammes : 2 6 , 4 9 , 54, 67,

8 1 1 1 09 , 1 1 6 , 1 3 1 ' 1 3 4 , 1 48 , 1 5 7, 3 1 7 , 434, 5 07, 60 1 , 7 3 1 ,

7 8 9 , 7 9 0 , 1 00 7 , 1 0 5 6 , 1 06 6 , 1 080, 1 08 1 .

C a s d u b ri g a d i e r ma s q ué [ . . . ] " : 3 6 , 5 6 , 1 60 , 1 8 5 , 2 1 9 , 304, 3 1 0, 3 1 4, 31 6-31 9 , 3 7 1 , 3 7 8 , 3 9 5 , 4 2 3 , 4 3 1 , 4 3 6, 4 3 7 ,

"Colchiques ( Les) " : 1 3 1 , 5 9 2 ,

6 1 8, 793.

"Col l ines 1 0 56.

( Le s ) " :

1 25,

1 49 ,

"Co m t e s s e d ' E i s e n b e rg (La) " : 5 5 , 1 1 7 , 1 60 , 1 69 , 1 70, 1 7 3 , 1 85, 1 9 5 , 2 28 , 24 1 , 2 6 6,

277, 3 0 5 , 3 67 , 3 7 3 , 3 7 6 , 3 84,

390, 39 1 , 405, 4 3 3 , 44 5, 448,

498, 49 9 , 5 0 1 , 5 4 9 , 6 8 4 , 767,

73 5 , 7 7 5 , 9 04 , 9 09 , 9 5 5, 9 67,

llfil..

"Cortège" : 1 29 , 1 37 , 224, 7 9 3 ,

7 8 9 , 945, 949, 9 52 , 1 07 5 , 1 080Casanova : 1 49 ,

2..19.,

3 2 1 , 3 29 ,

835-836. 838. " Chanson d u m al-ai mé ( La ) " :

969, 992, 1 0 1 7 , 1 076.

9 4 3 , 1 067, 1 07 1 .

Couleur du temps : 329, 1 1 1 S .

1 1 8, 1 2 2 , 1 23 , 1 2 6, 1 2 8, 1 2 9 ,

"Cox-City" : 5 5 , 1 46 , 1 60, 1 6 5, 1 7 0, 1 7 2 , 1 87 , 1 9 1 , 204, 2 2 9 ,

1 084, 1 09 1 .

4 3 0 , 434, 4 3 8 , 5 1 6, 534, 6 0 1 ,

1 3 3 , 7 9 8 , 8 0 5 , 1 0 6 6 , 1 07 5 ,

"Chasse à l 'aigle (La)" 1 60 , 1 6 5 , 1 7 5 , 1 8 5 , 1 8 6 , 244, 3 7 9 , 4 3 1 , 4 3 3 , 4 5 9 , 5 0 1 , 5 2 9 , 5 3 6 , 544, 7 1 5 , 8 3 9 , 8 7 9 , 880, 9 1 9 , 9 6 9 , 1 03 2 . "Ch e r Ludovi c

205,

602, 646 , 648, 6 64 , 666-667 , 7 5 1 , 7 8 9 , 794, 8 1 4, 932-933,

767,

1 1 07 , 1 1 1 1 .

: 56, 498,

979,

(Mon)" : 56,

1 6 0, 1 67 , 1 69 , 1 8 5 , 2 5 2 , 2 5 5 ,

294-295.

3 3 3 , 3 7 1 , 377, 4 1 7,

4 1 8, 430, 7 3 7 , 7 5 1 , 800, 846, 8 5 2, 883, 9 2 1 .

"Chi rurgie

esthét i q u e " : 5 6 , 1 6 0 , 1 6 6 , 1 7 1 , 1 8 5, 2 9 1 , 3 9 5, 4 1 4 , 422, 428, 434, 566, 5 8 7 , 6 2 7 ; 820-821 , 9 1 1 , 9 57, 1 1 20. " C i g are romanesque ( Le ) " : 27, S S, 1 66 , 1 67 , 1 9 1 , 204, 2 29 , 2 9 1 , 3 8 6 , 4 3 0 , 434, 5 3 8 , 7 40, 7 6 5, 78 1 , 8 9 3 , 1 086, 1 1 06.

230, 2 9 1 , 3 3 5 , 3 7 6 , 3 7 8 , 3 8 7 ,

9 5 1 , 9 8 0 , 1 04 9 , 1 08 6 , 1 1 0 6"Danseuse

( La ) " : 1 1 7 , 1 6 3 ,

1 64, 1 6 5 , 1 69 , 1 9 1 , 2 3 0, 242,

2 54, 2 64 , � 3 1 1 , 343, 3 7 4,

459, 49 6 , 5 3 8 , 540, 564, 6 5 3 ,

6 7 5 , 7 7 8 , 8 1 4 -81 5 , 8 9 5 , � 967-968 , 9 7 1 , 1 0 6 4 , 1 0 8 6 ,

1 09 2-1 09 3 , 1 09 7 , 1 1 00. "Dé part de l 'ombre (Le) " : 3 5, 5 6 , 1 60 , 1 6 5 , 1 8 5 - 1 8 6 , 2 00 ,

3 6 9 , 378 , 3 9 0 , 3 9 5 , 4 1 2 , 4 9 9 , 50 1 , 5 1 3 , 6 1 0, 7 6 6 , 8 9 3 , 1 060.

"Deux

sacrifi c e s

( Les) " : 7 ,

5 6 , 90, 434, 584, 73 4-735, 9 5 5, 978.

1 1 70

" D i sparit ion d ' H onoré Subrac

"Épingles

1 8 5 , 20 4 , 2 1 2 , 2 2 1 , 2 2 9 , 3 2 1 ,

43 1 , 4 6 2 , 5 06 , 5 1 6, 6 5 5 , 7 5 7 ,

( La ) " : 5 6 , 90, 1 60 , 1 64, 1 6 5 ,

3 8 0 , 3 9 1 , 4 3 0 , 434, 44 2 , 5 2 8 ,

( Le s ) " : 5 6 ,

1 60,

1 6 6 , 1 8 5 , 1 9 0, 2 0 5 , 3 04, 37 1 ,

5 3 8 , 887, 890, 894, 1 045, 1 047,

879 , 8 8 5 , 949, 9 59 , 1 0 1 8, 1 0 1 9 . "Ermite (L' )" : 1 24, 802, 1 1 1 O.

J..1.Q2.

39 - 40, 4 1 , 9 2 , 1 3 9 , 1 50, 1 5 2 ,

1 06 1 , 1 084, 1 08 5 , 1 086, 1 1 0 1 -

Don Juan d'Angleterre : 1 59 ;

2 6 7 , 3 0 1 , 3 2 1 , 3 3 2 , 443, 44 6,

460, 473 , 477, 5 1 6 , 528, 545,

564, 5 6 6 , 569, 572, 579, 5 9 2',

Esprit nouveau et les poètes (L ') :

1 5 3 , 1 1 2 3, 1 1 2 5.

" Ét offe

i nv i s i b l e

(L')" :

56,

1 8 5 , 2 5 2 , 2 9 3 , 4 3 4 , 598-599 , 852-853 .

1 0 1 1 , 1 0 1 2, 1 034.

Exploits d'un jeune Don Juan (L es ) : .l.Q, 1 1 , 3 7 , 49 , 5 1 , 5 2 ,

Don Juan des Flandres : 1 5 9 ,

1 8 5 , 1 8 6 , 1 9 8 , 2 0 5 , 249, 2 5 3 ,

594, 6 5 3 , 6 7 6 , 838, 9 0 1 , 9 0 9 ,

Don Juan de Maralfa ou le 2 6 7 , 3 0 1 , 4 6 5 , 6 53 , 903, 9 0 6 , 909 , 9 67, 9 69 , 9 8 3 , 9 9 2 , 1 0 1 0, 1 0 1 2, 1 034.

Don Juan Tenorio ou le Don Juan d'Espagne : 1 5 9 , 4 6 7 , 5 4 6 , 549 , 5 7 2 , 6 5 1 , 6 6 8 , 6 9 5 ,

7 7 7 , 9 0 5 , 9 67 , 1 0 1 0- 1 0 1 1 , 1 022, 1 034. "Émigrant de Landor Road ( L' ) " 1 2 1 , 1 24, .128., 1 45 , 438, 598.

Enchanteur pourrissant (L ') : 8, 1 1 -12, 32, 3 8 , 50, 5 1 , 5 5, 57, 63, 76-78, 7 9 , 80, 1 3 4 , 1 3 9 , 1 46 , 1 58 , 1 60 , 1 74 , 1 88, 2..3...3= lli, 247-249 . 3 04 , 3 1 2, 3 4 5 , 420, 4 2 3 , 4 24 , 4 3 9 , 5 0 0 , 5 3 8 , 5 7 3 , 6 3 2 , 6 34 , 6 3 5 , 6 9 3 , 7 1 6,

7 57 , 837, 8 9 6 , 898-900 , 94 2.9.4.3., 9 8 1 , 1 042-1 043, 1 0 7 2 , 1 08 1 , 1 084, 1 098, 1 107 - 1 1 1 1 , 1 1 2 1 , 1 1 23 , 1 1 26, 1 1 27.

5 3 , 8 2 , 8 3 , 8 5 , 1 5 1 , 1 58 , 1 67,

270, 2 7 8 , 3 7 7 , 383-384 3 90, 3 9 6 , 406, 40 7 -41 1 , 4 1 9 , 4 3 1 ,

442 , 447 , 448 , 4 5 0 , 485,

..5..4.Z:

�. 5 7 3 , 5 8 8 , 631 -632 , 6 3 3 , 6 3 6 , 6 60 , .6..62, 6 6 8 , 6 69 , 7 2 3 ,

7 2 6 , 7 36- 7 3 7 , 7 3 9 , 7 5 6, 770, 77 1 , 7 8 3 , 803, 8 4 1 , 842, 843, 846, 8 5 6 , 857, 860, 865-866 , 8 6 9 , 8 7 6 , 8 9 2 , 9 64, 9 8 3 , 9 9 7 ,

1 008, 1 0 1 1 , 1 0 1 3 , 1 0 1 4, 1 0 1 5,

1 03 0, 1 038, 1 039-1040, 1 04 3 ,

1 07 2 , 1 1 1 6, 1 1 1 7 , 1 1 1 8.

" Fantôme de nuées (Un)" : 1 3 1 , 1 48, 50 1 .

" Favorite ( La) " : 34, 5 6 , 1 6 9 , 1 8 5 , 2 5 6 , 277 , 3 1 4, 3 7 3 , 3 7 7 ,

3 9 5 , 4 1 4 , 4 3 1 , 4 3 3 , 4 5 1 , 49 5 ,

5 7 2 , 6 6 8 , 67 1 -672. 689-691, 7 3 1 , 74 1 -742 , 7 5 9 , 7 6 9 , 9 04 ,

9 1 0, 9 1 2 , 9 52 , 9 54 , 9 7 1 , 9 8 2 , 1 07 5 .

1 1 71

Femme assise (La)

: 5, 6, 1 1 ,

47-48 , 49, 50, 5 1 , 5 2 , 54, 8 2 , 8 5 , 1 42-1 43 , 1 4 5 , 1 4 6 , 1 49 ,

73 1 , 74 5 , 7 5 2 , 7 6 1 , 7 6 5 , 7 9 8 ,

8 7 6 , 879, 9 50, 9 52, 9 9 6 , 1 007, 1 009, 1 1 1 6, 1 1 1 9 .

1 5 1 , 1 52 , 1 58, 1 59, 1 6 2 , 1 6 3 ,

"Femmes (Les) " : 1 1 8.

i,aa, 2 1 0, 234, 2 7 0, 323, 388, 424, 443, 488, 544, 5 6 5,

2 0 1 , 2 04, 2 0 5 , 2 0 7 , 208,

"Fiançailles ( Les ) " : 1 2 1 , 1 27 ,

6 56,

1 69 , 1 70, 1 8 3 , 1 8 5 , 1 89 ,

1..9.l:

2 1 4, 21 5-21 6 , 2 1 7 , 2 1 8 , 2 3 5 , 2 4 5 , 2 5 1 , 2 64, 267, 278, 3 0 1 , 303, 3 07, 3 1 0,

3 3 8 , 3 6 5 , 371 -372 , 377, 392, 3 9 3 , 3 9 5 , 406-407 ,

432, 4 34, 4 3 6 , 4 3 7 , 4 3 8 ,

"Fiancée posthume (La ) " : 4 6 ,

4 7 , 5 6 , 90, 1 6 5 , 1 69 , 1 7 1 , 1 74,

1 8 5, 1 86 , 203 , 2 28, 277, 304,

3 0 5 , 3 1 0 , 373, 3 7 6 , 378, 3 8 7 , 388, 390, 4 1 5 , 4 3 1 , 43 3 , 445,

447, 448 , 449 , 4 5 1 , 452, 4 57 ,

566, 5 68, 572, 583, 584,

.8.5.5.,

658-659,

Fin de Babylone (La) : 9, 1 O, 48, 5 1 , 5 2 , 8 3 , 8 5, 1 4 5 , 1 58, 1 60, 1 6 1 , 1 62 , 1 64, 1 6 5 , 1 6 6, 1 6 7, 1 68 , 1 69 , 1 70, 1 7 1 , 1 8 5 , 1 8 6, 204, 208, 2 09 , 2 3 1 , 2 54 , 2 64, 2 6 5 , 2 6 6 , 2 70, 27 1 , 278, 302-303 , 324-325, 3 3 3 , 3 34 ,

549 , 5 5 1 , 5 58, 5 6 3 , 564,

6 6 8 , 6 7 5 , 7 1 8,

727-728 , 7 3 1 , 742, 7 4 4-

7 50 , 7 5 2, 7 54, 7 57 , 7 5 8 ,

7 6 1 , 7 6 9 , 784, 794, 7 9 6 , 800,

809-81 0 , 8 1 5 , 8 1 7, 8 2 2 , B.2.±: .8.2Z, 831 -832 , 834, 835-836, 847,

1 57.

457-458 , 4 6 5 , 4 6 6 , 47 5 , 5 1 7 , 5 2 7 , 5 28, 5 3 4, 540,

588, 589 , 5 94, 5 9 5 , 648, 6 5 1 ,

izn, 1.15.,

"Fenêtres (Les)" : 67, 5 1 4.

8..6.5.,

8 7 6 , 879, 8 9 1 , 9 1 8,

9 1 9 , 926-929 . 930-932 , 9 3 3 , 9 3 8, 9 4 5 , 9 5 1 , 9 5 5, 9 6 5, 9 7 2 ,

9 9 3 , 9 9 4 , 1 00 3 , 1 0 1 1 , 101 31 01 6 , 1019-1022, 1 02 3 , 104 0-

1041 , 1 047, 1 07 1 , 1 09 0 , 1 1 1 6 , 1 1 1 8, 1 1 1 9.

460, 5 2 8 , 5 2 9 , 5 5 6 , 596-597, 637, 729 , 769 , 7 64, 8 2 2 , .8..5..4:: 8 9 5 , 9 04, 9 06, 907-908 , 9 5 1 , 970, 9 7 2, 9 8 5 , 9 88, 1 077.

3 5 0, 374, 3 8 3 , 3 9 2 , 3 9 3 , 3 9 5 ,

406, 407 , 4 3 2 , 4 3 6 , 44 3 , 444,

446, 4 6 5 , 4 6 6 , 4 6 9 , 502, S O S ,

5 1 2-5 1 3 , 5 2 8 , 5 34, 540, 5 4 5 , 546-547 , 547, 560, 564, 5 6 6 ,

5 7 2 , 573, 574, 6 30, 6 5 1 , 7 1 8,

1.3.n,

de s Fe m m e b la n c h e Hohenzollern (La) : 5 1 , 8 5 ,

720, 7 2 2 , 7 2 3 , 7 3 2 ,

1 69 , 1 7 3 , 1 8 5 , 2 0 5 , 2 5 1 , 270,

8 3 6 , 842 , 844, 848, 8 5 5 , 8 6 6 ,

4 0 5 , 434, 4 3 7 , 443, 467, 47 3 ,

9 3 9 , 9 9 6 , 1 00 3 , 1 005- 1 006, 1 0 1 3, 1 0 1 6 , 1 02 3 , 1 036 , 1 038,

1 42 , 1 43 , 1 5 8 , 1 5 9 , 1 6 7, 1 6 8 ,

278, 37 1 , 372, 377, 3 9 0, 3 9 6 ,

478, 48 5 , 5 00, 529, 54 1 , 5 6 6 ,

5 8 2 , 6 7 4 , 683-689 . 6 9 7 , 7 1 8,

739,

742, 748 , 7 6 1 , 7 8 1 , 784, 808,

8 1 1 , 8 1 6 , 827, 8 30, 83 1 , 8 3 3 , 867 , 9 1 5 ,

1 1 72

923-926,

9 30, 9 38 ,

1051 -1055, 1 0 5 6 , 1 072, 1 1 1 6, 1117. " F unéra i lles de Walt Whit m a n (Les)" : 144-146.

"Gast ro-ast ro n o m i s m e [ . . . ] ( Le ) " : 56, 142, 1 58, 1 59, 166, 172, 1 7 3 , 1 8 5 , 230, 2 6 5 , �2.a.3., 294, 3 2 9 , 3 34, 3 6 5 , 370, 3 9 0, 414, 430, 600, 763, 868, 881, 888, 1 0 2 9 , 1077, 1078.;. J..QZ9.. "Giovanni Moroni" : 3 5 , 36, 47, 5 3 , 56, 143, 149 , 1 59, 1 6 3 , 1 64, 1 6 8 , 170, 1 7 3 , 1 8 5, 1 9 1 , 1 9 9 , 2 0 0 , 204, 2 0 5 , 2 0 9 , 229 , 2 5 5 , 2 6 1 , 3 01 , 3 6 5 , 3 69, 3 8 7 , 388, 3 8 9 , 41 2- 41 3 . 419 , 433, 4 5 3 , 4 5 9 , 500, 5 01 , 51 6, 51 7 , 527, 534, 543 , 5 6 5 , 603, 604, 641 , 64 3 , 6 6 2 , 6 9 2 , 746, 747, 7 5 9 , 7 8 9 , 7 9 4 , 8J 6-817 , 8 2 2 , .8..3..5: .816., 844, 8 51 , 882, 89 5 , 906, 9 0 8 , 9 1 9 , 9 50, 9 51 , 972, 9 9 3 , 1 0 3 1 , 1 0 64, 1 073, 1 075- 1 079,

1084. "Giton (Le)" : 1 6 3 , 1 6 9 , 1 9 6 , 2 2 8 , 3 3 4 , 3 4 3 , 344, 3 51 , 373,

39 3, 5 3 8 , 6 7 6 , 8 9 3 , 9 6 7 , 982, 1 0 34, 1 08 6 � J 092-J 094. Gloire de l'olive (La) : 8, 5 1 , 52, 86, 144, 610, 6 52, 677, 692. "Gui de (Le) " : 5 6 , 1 9 1 , 204 , 355-356 . 4 3 4 , 492-493 , 601 , 730, 740, 8 94, 917, 977, 104 5 , 1082, 1 08 3 , 1 08 6, 1104, 1 1

1 1 0 6, 1121.

os,

Hélorse ou Dieu méme : 278,

9 52. " H é résiarque ( L' ) " : 2 9 , 4 6 , 56, 1 4 2 , 1 8 5 , 1 8 6 , 2 0 4 , 2 2 9 , 23 1 , 2 3 9 2 6 3 , 287, 3 6 5, 3 74 , 3 7 6 , 3 9 1 , 404 , 541 , 6 2 8 , 6 3 9 , 6 4 5 -6 4 6. 6 9 3, 81 1 , 844-845, 862, 888, 892, 90 6, 9 4 5 , 1 084; 1 086, 1 087, 1089, 1 091 , 1101 . Hérésiarque e t cie ( L ') : 1 2 , 13, 1 27, 2 8 , 3 0 , 3 1 , 3 2 , 3 3 , 34, 41 , 42, 4 3 , 44, 4 5 , 5 0 , 51, SS, 56, 57, 78, 82, 90, 1 06 , 1 1 2 , 1 4 2 , 1 5 3 , 1 58, 1 5 9 , 1 60, 1 6 2 , 1 6 3 , 1 6 4 , 1 6 6 , 1 67 , 1 68, 1 6 9 , 1 7 0, 1 7 2, 1 7 3 , 1 7 6 , 1 8 1 , 1 8 4 , 1 8 7 , 1 91 , 203 , 2 0 4 , 21 9 , 2 2 8 , 241 , 286, 300 , 3 1 5 , 3 2 1 , 371 , 387, 3 9 3 , 3 9 5 , 428, 4 2 9 , 4 3 2 ,

s,

44 5, 676, 755, 8 1 4, 881 , 969,

538, 705, 7 57, 822, 882, 972,

540, 5 61 , 5 6 6 , 5 8 9 , 71 8 , 71 9 , 746, 7 5 4 , 759, 7 6 3 , 7 6 7 , 807, 844, 8 6 3 , 8 64, 8 6 6 , 887 , 9 0 3 , 9 04, 9 58 , 974, 9 7 7 , 9 80 , 1002, 1074, 1 081 , 1082-11 13. "H i s t o i r e d'une fa m i l l e vert u e u se 162, 21 1, 333, 441 ,

[ . . •] " :

56, 160,

1 67 , 1 6 9 , 2 04, 207, 209, 2 2 2 , 255, 296-297, 3 2 2 , 349 , 3 7 6 , 3 7 8 , 3 9 0, 434, 508-51 0, 511, 51 3 , .5..3.Q: .ill, 58 1 -582 , 6 37 , 641 , 648, 71 5, 7 20, I.2...3., 8 3 0, 844, 879, 880, 883, 886, 888, 8 9 3 , 9 0 5 , 9 1 9, 9 5 1 , 9 7 1 , 1 04 1 , 1 04 2 , 1 047, 1101, 1102, 1103, 111 3 .

1 1 73

" I nfa i l l i b i l i t é

( L' ) " : 2 7 , 5 5 ,

1 6 6, 1 87, 2 28, 2 57, 287, 288,

3 2 1 , 348, 3 70, 3 90, 433, 459, 528, 538, 7 6 1 , 822, 8 6 3 , 894, 9 5 2, 9 72 , 1 084, 1 08 6 , 1 087, 1 088, 1 089, 1 090, 1 1 2 3. "Infi rme d ivi n i sé (L' ) " : 3 5 , 3 6 , 5 6 , 1 6 5 , 1 7 1 , 1 74, 1 8 5, 1 86 ,

1 9 6 , 297-298 , 3 69 , 373 , .il.8= .il9., 4 3 3 , 5 1 8, 5 3 5, 649, 700, 8 1 9 -820 , 8 2 2 , 1 0 3 3 , 1 0 5 6 , 1 063, 1 077. "Juif latin ( Le) " : 46, 4 9 , S S , 1 6 3 , 1 68 , 1 74, 1 84, 1 86 , 204, 2 2 3 , 2 2 9 , 2 4 1 , 286, 3 2 2, 3 3 3 , 3 50, 3 74, 4 34, 5 1 0, 5 3 8 , 589 , 5 9 5 , 640, 6 4 1 , 7 1 9 , 722, 7 5 5 , 7 6 3 , 8 8 1 , 8 8 3 , 8 8 6 , 890, 8 9 3 , 9 1 2, 9 20 , 9 7 6 , 1 070, 1 08 4, 1 086, 1 087, 1 088, 1 089, 1 09 1 . "Larron (Le)" : 1 1 9, 1 20.

" Lèpre 1 70, 3 2 2, 4 1 4, 592,

(La) " : 4 6 , 5 6 , 1 6 6 ,

1 9 1 , 2 04, 229, 244, 29 1 , 3 3 3 , 3 38 , 3 78, 379, 387, 428, 4 30, 444, 4 5 9 , 5 3 8 ,

601 -602. 6 4 6 , 689, 720, 8 9 3 , 9 54 , 9 77 , 1 047, 1 049 , 1 0 58 , 1 086, 1 1 06, 1 1 07.

"Loreley (La)" : 1 1 8 , 1 1 9 , 1 29.

" Lui de Faltenin" : 1 29 , 5 9 8 ,

1 074.

" Maison

des

m o rt s

( La ) "

( "L'Obituaire") : 7 1 - 75, 76, 1 1 8 ,

1 24, 1 28, 1 29, 5 1 3 , 945, 1 066. Mamelles de Tirésias (Les) : 39 4 5 , 5 1 , 6 3, 9 8 , 1 52 , 1 54, 2 7 4-

lli,

3 2 1 , 3 2 9 , 340,

192.,

851 ,

1 1 23. Marchand d'anchois (Le) : 3 29 , 336, 3 3 8.

"Marizi bil l" :

1 085. "M a s q u e

1 1 4,

1 27 , 8 54 ,

dans

l ' av e n u e

( U n ) " : 8 , 1 60, 2 5 2, 288, 3 3 3 ,

434, 443 , 478 , 4 8 2 , 5 0 5 , 529, 824, 880, 892, 1 058 . "Matelot d'Amsterdam (Le)" 46, SS, 1 60, 1 64, 1 86 , 241 , 277, 373, 3 77, 3 9 5 , 430, 434, 44 1 , 448-452 , 4 5 3 , 457, 528, 534, 538, 566, 5 87, 6 50, 764, 894, 9 1 3 , 9 5 5 , 972, 975, 909-9 1

o,

976, 9 8 0 , 9 8 2 , 1 04 5 , 1 0 6 5 , 1 066, 1 084, 1 086, J 101 -1 103 .

Méditations esthétiques : 26, 69,

1 026, 1 079 , 1 1 25. Mire/y ou le petit trou cher : 8, 5 1 " M o n st re à Ly o n ( D ' u n ) " : 5 3 , 1 60 , 1 70 , 220, 2 58, 3 3 3 , 3 4 3 , 345, 390, 4 3 5 , 448, 496, 538,

pas [...] 1 87, 378, 544,

5 9 3 , 594, 697, 844, 845-846. 905, 9 0 6 , 9 59 , 9 77, 9 8 2 , 984, 994, 1 086 � 1092-1094, 1 1 00 . Mystère du plan astral (Le) : 8, 1 58, 1 6 1 , 1 72, 1 73 , 1 75, 3 3 3 , 338, 580. " Noël des mi lords (La) " : 5 5 ,

5 8 , 1 4 3 , 1 60 , 1 65 , 1 69 , 1 75 , 1 8 5, 207, 2 2 9 , 284, 300, 3 2 3 , 3 3 4, 3 8 8 , 3 8 9 , 4 3 1 , 4 3 5 , 438,

1 1 74

446, 530, 580, 582, 67 5, 76 1 , 879, 880, 9 04, 9 6 9 , 973, 9 82.

"Œil bleu (L')" : 29, 34, 36, 56,

1 06, 1 8 5, 1 9 1 , 1 9 2 , 203, 205,

2 2 9 , 2 6 1 , 309, 3 3 2, 3 6 5, 3 8 5 ,

3 8 8 , 3 8 9 , 4 0 5 , 4 1 5, 4 3 1 , 4 3 3 ,

450, 4 5 2 , 4 9 9 , 5 3 2, 534, 7 3 9 .

7 4 8 , 7 57 , 77 1 , 8 1 5 , 83 2 -833 , 906, 9 2 1 , 9 5 1 , 1 034, 1 037, 1 06 1 , 1 064, 1 077.

" O n i r o c r i t i q u e " : 75 - 7 6 , 7 7 , 1 89 , 2 3 8 , 3 1 2 , 4 2 0 , 507, 5 1 5 ,

820, 898, 9 00, 1 1 04, 1 1 08.

Onze mille verges (Les) : lQ,

3 1 , � . 5 1 , 54, 8 5 , 86, 1 58, 1 59, 1 6 6 , 1 70, 1 74 , 1 7 5, 1 8 5, 1 8 6,

204 , 209 , 249 , 264, 270, �

2.8.Q, 3 00, 301 -302 , 3 0 3 , 3 1 0, 327, 3 3 2 , 3 3 3 , 3 34, 3 7 2 , 376, 383, 3 9 2 , 39 6 , 405- 406 , 4 1 3 , 4 3 2 , 443, 444, 481 - 482 , 484,

488, 5 1 6, 540, 546, 547, 54 9 ,

"Ora n g e a d e

( L ' ) " : 56, 1 6 6 ,

1 9 0, 2 0 1 , 3 3 7 , 4 3 1 , 4 3 4 , 440,

566, 6 1 2, 6 5 1 , 7 8 2 , 9 04, 9 6 7 ,

1 03 3 , 1 04 5, 1 0 56, 1 060.

Orindicu/o : 50, 5 1 .

" Otmika (L')" : 27, 46, 5 6 , 1 84 , 1 8 6, 1 87, 2 1 4 , 2 1 7 , 242, 243 ,

266, 284, 300, 309,

3 2 1 , 33 1 ,

3 3 4, 3 7 3 , 377, 404, 428, 4 3 6 ,

444, 452- 457 , 5 0 0 , 5 0 1 , 5 0 3 , 5 1 2 , 5 3 4 , 538, 543 , 592- 593 , 6 1 1 , 6 64, 7 1 9 , 749, 7 5 0, 7 5 1 ,

7 5 2 , 7 6 3 , 7 6 6 , 7 7 1 , 778, 779 ,

797-798 , 8 1 6, 8 6 3 , 897, 9 0 5 ,

9 1 9 , 959-963 , 9 7 0 , 9 7 1 , 9 8 2 , 9 8 8 , 9 9 2 , 9 9 4 , 1 0 8 5 , 1 08 6 , 1 097, 1 09 8, 1 1 00, 1 1 04, 1 1 08.

"Palais" : 1 25, 1 29 . " Passant

de

Pra gue

(Le ) "

27, 4 6 , 50, 5 5 , 1 42, 1 60, 1 6 3 , 1 64, 1 70, 1 7 3 , 1 84, 1 8 5, 1 8 6,

200, 204, 2 1 2 , 2 27 , 2 2 9 , 2 3 2 ,

5 5 7 , 5 59 , 5 6 6 , 5 6 9 , 5 7 2 , 57 3 ,

28.2,

6 3 3 , 63 4 -637 , 649, 656-657, 6 6 2 , 6 64, 666-668 , 7 1 8, 73 1 ,

462, 499 , 5 0 1 , 5 04, 5 3 1 , 5 3 7 ,

764, 774, 770, 778, 78 1 , 782,

783, 784, 785, 786, 788, 79 2,

878, 882-883 , 8 8 7 , 888, 902, 9 1 6, 9 5 6, 9 72, 9 7 3 , 978, 1 04 1 ,

8 1 1 , 8 1 2 , 8 1 8 , 820, 834, 837,

1 087, 1 09 1 , 1 09 3 , 1 094, 1 09 5,

8 58 , 8 6 0 , 861 -862 , 866, 867, 868-873 , 9 0 9 , 9 3 0, 9 3 9 , 9 5 2, 9 6 9 , 9 9 2 , 9 9 6 , 1 008- 1 0 1 0,

" Pèlerins piémont a i s ( Les)" :

5 8 9 , 59 1 , 5 9 2 , 5 9 3 , 6 0 1 , 63 1 ,

7 3 6 , 7 3 9 , 747, 7 56, 7 5 9 , 76 1 ,

79 3 , 797, 8 0 1 , 8 02, 806, 8 1 0, 8 3 8 , 84 1 , 842, 844, 856, 857,

1 0 1 1 , 1 0 1 9 , 1036-1 037, 1 048, 1 072, 1 1 1 6, 1 1 1 7, 1 1 1 8.

3 34, 3 7 0 , 3 7 1 , 3 74 , 3 7 6 ,

3 9 4 , 4 1 4, 429, 4 3 3 , 4 4 3 , 460, 5 3 9 , 54 2, 544, 5 50, 5 9 5 , 682,

6 8 3 , 705-7 1 7 , 770, 839, 840,

1 082- 1 083. 1 084, 1 08 5 , 1 08 6 , 1 1 1 0, 1 1 1 1 , 1 1 1 2, 1 1 1 3.

56, 1 60, 1 68, 1 70, 1 7 3 , 1 84,

1 8 7, 1 94, 2 1 9 , 2 2 8 , 242, 260,

2 6 1 , 282, 284, 3 07 , 3 1 1 , 3 2 6 , 3 3 5 , 3 77 , 3 9 5, 4 1 4 , 471 - 4 7 2 ,

1 1 75

473 , 4 8 0 , 499 , 500, 538, 548, 588, 6 4 1 , .6..9..1, 722, 748 , 750, 755, a.9.Z, 9 5 3, 972, 977, 982, 1 084, 1 08 5 , 1 086, 1 097, 10981 J 00 , 1 1 04. "Pet it e s recettes de magi e m od e r n e " : 3 6, 5 6 , 57, 1 44, 1 60 , 1 67 , 1 68 , 1 74, 1 7 5, 1 8 5, 1 87, 1 9 1 , 2 1 0; 2 5 5, 289, 3 3 1 , 3 3 6 , 3 6 9 , 4 3 1 , 434, 507, 546,

868, .9.51., 1 064, 1 077, 1 078. " Plante ( La ) " : 70, 9 0 , 1 6 6 ,

1 8 5 , 1 9 6 , 230, 2 3 1 , 2 58 , 309, 3 1 3 , 3 1 5 , 367-368 , 3 7 1 , 4 1 6, 422, 429 , 4 3 1 , 434, 460, 627, 769, 78 6 , 89 1 , 892, 895, 9 5 6, 9 68, 973. " Poème lu au maria ge d ' André Salmon" : 1 1 3 . Poète assassiné (Le) : 1 2 , 29, 30, 3 3 , 44, 4 5 , 56, 82, 1 42, 1 43, 1 5 8, 1 81 , 2 1 2, 56 1 ,

1 59 , 1 85, 335, 71 8,

1 67, 1 87, 393, 71 9,

1 68 , 1 91 , 395, 723 ,

1 69 , 203, 433, 757,

1 74, 205, 534, 767, 807, 877, 905, 974, 1 046, 1071 .1.Qfil., 1 08 5, 1 1 1 3 . " Poète assassi né ( Le ) " : 5 1 , 5 2 , 5 3 , 54, 5 6 , 78, 79-80 . 89, 1 5 8 , 1 59, 1 62 , 1 64, 1 6 5, 1 6 6,

1 69, 21 3, 223, 24 6 ,

1 70 , 2 1 4, 228, 248 ,

1 75 , 2 1 5, 230, 249, 283, 287-288 , 293, 300, 301 ,

1 83 , 2 1 6, 2 3 6, 251 ,

1 9 5, 2 1 7, 24 3, 264,

208, 21 9, 245, 280,

389, 290, 29 2, 302, 303, 304,

305, 31 2-31 3 , 31 5-31 6 , 322, 3 2 6, 3 2 9 , 3 30, 3 3 1 , 332, 3 3 9 ,

340, 34 1 , 3 6 2 , 3 7 6 , �. 3 9 2 , 396-402. 4 1 9 , 4 22- 4 23 , 424, 433, 434, 44 1 , 443,

379 ,

.3..8.0:

1.Q1 4 1 5 , 4 30, 43 1 , 44 5 , 447, 459, 460, 46 1 , 4 6 2 , 473-475. 477 , 478 , 485-489 , 493-494 , 49 5, 499 , 500, 5 02 , 506, 5 1 1 ,

526, 528, 529, 5 3 4 , 536-537, 5 3 9 , 540, 542, 543 , 544, 546,

548, 5 5 1 , 552, 5 59 , 566, 572, 573, 583 , 584, 586, 59 1 , 5 9 2 , 5 9 5 , 6 0 0 , 60 3, 6 0 4 , 608-609 , 6 1 1 , 6 1 2 , 6 1 4, 6 1 5 , 6 1 8-621 , 623-625 , 628, 6 3 2 , 64 1 , fil-2:: 660-6 6 J , 663-665, 668-6 7 J , 674, 677-680, 690, 6 9 2 , 69 4 -702. 7 0 9 , 7 2 4 - 7 25 , 73 1 , 732- 734 ,

.65.3.,

666, 685,

722, 739,

748, 770, 77 1 , 779 , 784, 79 2, 79 4, 800, 809 , 8 1 9 , 820, 8 2 2 , 8 3 3 , 848-85 1 , 858-860, ail:

.Bfil, 8 9 3 , 8 9 6 , 9 29 , 934-942,

9 50, 964, 9 6 9 , 9 72 , 979, 9 80, 983-98 4 , 9 8 6 , 1 0 1 8 , 1 0 3 5 , 1 040 , 1 043-1044. 1 073-1074, 1 075, 1 078, 1 08 1 , 1 1 1 3, 1 1 1 9. " Pof (Le) " : 8, 1 8 5, 4 34, 6 1 3 . l 'om bre " P ro m e n a d e de ( La)" : 5 6 , 1 60, 1 74, 1 85 , 205,

305, 307, 3 0 9 , 3 1 3 , 3 1 5 , 3 7 1 , 385, 388, 3 9 5 , 4 1 4, 422, 430 , 44 2, 443 , 444, 499 , 5 2 9 , 6 1 0, 739, 7 57, 769, 774 , fil..B., 880, 892, 904, 1 0 5 5 , 1 05 7, 1 060. Publ icité " [ "Une h i st o i r e merveilleuse"] : 1 44, 1 4 5, 1 47.

1 1 76

"Quatri è m e j ournée ( La ) " : 8,

" Ro i - Lune ( Le ) " : 34, 4 7, 5 6 ,

394, 49 1 , 4 9 6 , 602, 6 3 0, 765,

1 8 3, 1 85, 1 86, 1 92, 200, 203,

1 8 5 , 2 8 1 , 2 9 2 , 3 3 9 , 3 7 5 , 390,

8 1 1 , 848, 9 1 7, 9 2 3 , 1 029.

Que faire ?

: 8, 5 1 , 1 6 1 , 656.

" Que vlo-ve ? " : 3 0 , 4 3 , 5 5 , 5 7 , 1 6 3 , 1 64 , 1 7 2 , 1 8 3 , 1 84 , 1 8 6, 2 1 5 , 2 1 7 , 2 4 3 , 2 5 1 ,

.2..9...8.:·

90, 1 48 , 1 59 , 1 64 , 1 69 , 1 74 , 2 0 5 , 2 3 0 , 2 3 1 , 2 3 5 , 280, 294,

300, 3 3 3 , 3 37 , 370, 376, 3 7 9 , 3 9 3 , 394, 3 9 5 , 403, 4 0 4 , 4 1 4,

4 2 3 , 428, 4 3 1 , 4 3 3 , 444, 4 5 0 ,

3 00, .l.0.6., 3 08 , 3 1 1 , 3 1 4,

4 68- 4 69 , 470, 472-473 , 474, 476, 479, 4 8 2 , 4 8 3 , 484, 49 1 ,

4 1 4, 4 1 5 , 428, 4 3 3 , 444, 44 5,

5 1 5, 5 1 6 , 5 3 1 , 5 3 5, 5 3 6 , 5 3 9 ,

.za9.,

3 2 1 , 3 2 6 , 3 27 , 3 7 3 , 3 7 9 , 3 9 5 ,

460, 4 6 1 , 5 3 9 , 540, 54 2 , 548,

5 5 0 , 5 8 9 , 604-605, 609-6 1 0, 616-61 8 , 6 1 9 , 6 2 1 , 624, 629,

6 3 2, 633, 649-650 , 668, 6 7 2.GU, 674, 6 8 3 , 6 9 2 , 720, 727, 7 3 9 , 7 5 1 , 7 6 5 , 794, 803, 805,

806, 8 1 2 , 8 1 4 , 8 1 7 , 894, 8 9 5 ,

910-91 1 , 9 1 3 , .9.li, 9 7 2 , 977, 9 9 6, 1 08 1 , 1 08 6 , 1 097, 1 098, 1 09 9 , 1 1 00, 1 1 08.

" Rabachis (Le) " : 1 4 2 , 1 66, 1 8 5, 2 0 5 , 2 06, 2 1 1 , 229, 323, 3 3 2, 3 6 6 , 3 7 6 , 3 9 3 , 434, 459, 526, 888, 9 1 9 , 9 22, 9 58. " Rencontre au cercle m i xte

( La ) " : 3 5 , 5 6 , 57, 1 63 , 1 6 5 , 1 69 , 1 8 5 , 1 86 , 1 87, 2 3 0 , 257, 266, 277, 3 26 , 373, 393, 3 9 5 , 4 1 4, 4 3 4 , 47 1 , 5 2 8 , 59 2 , 760, 892, 9 04, 949, 967, 9 69; 1 045. "Rhénane d ' automne" : 1 1 8, 678. " Robinson de la gare Saint­ Lazare (Le)" : 5 6 , 1 60, 1 7 0, 1 8 5, 228, 2 3 6 , 2 6 3 , 296, 3 6 5 ,

3 7 0 , 3 7 6 , 4 1 6 , 4 34, 44 1 , 49 8, 584, 627, 745, 7 6 1 , 9 54.

50 1 , 5 0 2 , 5 0 3 , S O S , 5 1 1 , 5 1 4, 544, 5 4 6 , 6 9 4 , 7 1

s,

764, 8 1 2,

8 1 5, 8 2 1 , 8 37 , 8 5 1 , 8 8 0 , 8 8 3 ,

888, 89 5 , 9 4 5 , 980, 1 045, 1 049 , 1 0 50, 1 06 1 , 1 07 3 , 1 074, 1 07 5 , 1 080, 1 1 1 4.

Rome des Borgia (La) : 9.=..l..Q., 39. " Ro s e de H i l d e sh e i m [ . • • ] ( La ) " : 50, 5 5 , 1 46 , 1 60, 1 6 6 , 1 7 0, 1 84, 2 28 , 242, 2 4 3 , 277,

3 0 1 , 3 1 5 , 344, 373, 376, 39 1 ,

4 1 5 , 4 3 3 , 4 79-480, 4 8 1 , 487, 5 3 9 , 605-606 , 649 , 7 20, 7 2 9 , 7 6 9 , 8 2 2 , 8 54, 9 0 1 , 9 5 1 , 9 67,

9 7 2 , 9 8 2 , 9 8 8 , 1 03 5, 1 064, 1 097, 1 098, 1 099.

"Rosemonde" : 1 24, 1 3 0.

"Sacri lège ( Le)" : 5, 7, 46, S S , 1 6 5, 1 84 , 2 0 3 , 2 27, 2 3 6 , 2 5 7 , 286-287 , 3 3 8, 348, 3 7 5, 4 3 3 , 459 , 5 3 9 , 548, 5 5 2 , 5 8 8 , .6.4.4., 653, 8 1 3, 862, 9 1 9, 969, 9 7 1 , 9 7 3 , 9 7 7 , 1 002, 1 084, 1 087 , 1 089, 1 09 0, 1 094. "Sainte Adorata" : 3 5 , 3 6 , 56, 1 5 9 , 1 69 , 1 7 1 , 1 8 5, 1 8 6, 1 8 7 ,

1 1 77

205, 206, 222, 2 2 9, 385, 388, 3 9 5 , 4 04, 431, 433, 5 27, 5 2 9 , 5 34, 641 , 71 s, 749 , 760, 779 , 879 , 8 9 2 , 9 58, 970, 9 76, 9 82, 1 076. "Salomé" : 117, 28 5, 393,

387, 499, 73 9 , 9 01 , 675,

814. " Serviette des poètes (La ) " 2 9 , 3 0, 4 3 , 4 6 , S S , 1 3 9 , 1 6 6 , 1 6 9 , 1 7 3 , 1 84, 1 8 5 , 187, 194, 281 -283 . 3 04, 314, 373, 379, 417, 430, 441 , 442, 476, 538, 600, 627, 648 , 649 , 6 51 , 658, 721 , 747, 751 , 768, 894, .9..1±

ill,

9 7 3 , 9 74 , 1 0 8 5 , 1 1 01 , 1 1 02, 1103, 11 04.

" S i m o n m a g e " : 2 9 , 46, S S , 1 5 9 , 1 64 , 1 68 , 1 73 , 184, 194, 228, 284 , 309, 314, 330, 331, 374, 3 91 , 4 3 6 , 456, 459, 538, 540, 5 61 , 6 53 , -6..5.S, 692, 756, 81 3-81 4 , 824, 8 63 , 896-897 ,

945, 9 52, 9 58, 997, 1 002, 1085,

1 086, 1 087, 1095-1096, 1100, 11 os. "Souve n i rs bavards ( Les) " : 3 5 , 49, 56, 175, 1 8 6 , 1 87, 2 05, 2 2 9 , 244, 3 78 , 405, 434, 4 5 2 , 460, 5 2 7 , 5 8 7 , 6 4 8 , 73 9 , 76 5, 8 0 7 , 818, 8 78 , 8 8 5 , 89 7 -898 , 9 52, 967, 9 70, 982, �' 1018, 1 047, 1 049. "Suite de

C e n d ri l l o n

[...]

( La}" : 88, 1 6 2 , 173, 1 8 5, 230, 281 , 3 37, 345, 375, 392 , 431, 434, 491 , 560, 583, 836-83 7 , 917, 9 20 , 9 50 , 9 6 9 , .9.IQ, ]03 7-

"Toucher à distance ( Le ) "

S S , 1 60, 1 6 6 , 1 68 , 1 6 9 , 1 8 6 , 204, 291 , 3 3 5 , 356 -358. 378,

386, 387, 434, 440, 647, 648 , .8..8.6., 887,

393, 500, 763, 888,

428, 51 5, 8 21 , 890 ,

4 3 0 , 431 , 5 3 9 , 601 , 881 , fill-4= 8 9 1 , 9-ll, 940, 9 58 , 9 67, 9 77, 980 , .9.9..9:: 1000. 1002, 1 00 3 , 1029, 1 048, 1 049, 1060, 1 08 6 , 11 os, 1107, 11 09-1 110, 1 1 11 . "Trains de g uerre" : 1 6 0 , 1 6 9 , 1 8 5 , 1 9 2 , 2 0 5 , 210, 2 5 5, 3 6 9 , 385, 431 , 4 3 7 , 4 61 , 76 6 , 9 1 6 ,

949, 993, 998-999. 1 02 9 . "Traitement thyrol'd i e n " : 5 6 ,

1 6 0, 1 6 6 , 1 6 9 , 1 71 , 1 7 3 , 1 8 5 , 2 0 5 , 294, 3 71 , 3 9 5 , 41 4, 430, 434, 437, 5 31 , 5 59 , 747, 749 , 821, 885, 912, 972. Trois Don Juan (Les) : 1 0, 1 1 , 31 , 3 7 , 49 , 51 , 5 2 , 5 3 , 5 9 , 8 5 ,

1 5 8 , 1 5 9 , 1 60 , 1 61 , 1 64, 1 6 8 , 1 6 9 , 170, 1 71 , 1 8 5, 1 8 6 , 270,

271, 278 , 373, 3 74, 3 9 0, 3 9 2 ,

3 9 3 , 43 2 , 4 3 6 , 4 4 3 , 4 5 9 , 4 6 5 , 4 6 6 , 5 3 4 , 5 5 5, 5 57, 564, 5 6 6 , 572, 573 , 6 7 5 , 6 9 5 , 71 8 , 757, 770, 872, 9 64, 9 6 9 , 9 8 3 , 1 000, 1038, 1 040, 1116 , 1117, 111 8 . de h i st oi res "T r o i s châtim ents

divi ns" : 3 3 , S S ,

57, 1 6 0, 1 6 2 , 1 6 6 , 1 8 6 , 1 9 6 ,

2 2 8 , 2 3 0 , 4 9 6 , 1 0 8 2 , 1 084, 1086, 1 09 2-1095. "Tzigane (La)" : 1 30.

J..Q3.8., 1 043 , 11 21 .

1178

Vie anecdotique (La) : 1 43- 1 48 ,

263, 529. "Voyageur (Le)" : 1 1 5, 1 1 6, 1 26,

999, 1 08 5 .

"Zone" : 67, 1 1 5, 1 1 6, 1 22, 1 2 3,

1 28 , 1 29 , 2 2 3, 2 2 4, 3 1 7, 332, 438, 4 6 1 , 494, 496, 586, 682, 6 9 3 , 7 1 6 , 728, 78 2 , 79 3, 8 5 1 , 1 075.

1 1 79

Index des noms des principaux personnages

Pour certains personnages, l'entrée choisie est celle du prénom Adorat a

(Sainte) : 3 5 , 1 64,

1 6 8, 208, 244, 5 3 0, 549, 588,

6 4 1 , 880, 1 04 6 , 1 048, 1 049 ,

babo

( Le) : 2 1 7 , 24 1 , 243 ,

299, 5 5 0, 587, 5 8 9 , 6 0 5 , 6 1 6 , 6 1 7, 633, 634, 6 50, 673

1 076 ,

Bakar ( David) : 200, 205, 209 ,

3 9 1 , 42 1 , 5 2 8 , 5 3 4, 549 , 7 42,

404, 4 1 2, 42 1 , 4 3 3 , 4 5 9 , 4 9 9 ,

981 .

648, 747, 748, 749, 7 52 , 1 076,

5 5 2 , 5 6 4 , 60 1 , 6 4 8 , 8 2 1 , 884,

Balthazar : 1 60, 1 6 1 , 1 68, 4 5 9 ,

Albanais ( L ' ) : 9 0, 2 0 5 , 3 3 2 ,

7 5 1 , 769, 889, 903, 9 5 1 , 978,

A l david : 29 1 , 3 5 6 , 3 57 , 5 1 3 ,

2 2 1 , 3 3 9 , 340, 3 8 5, 3 87, 3 9 0,

5 0 1 , 5 1 3, 5 3 2 , 564, 6 00, 6 1 0, 1 080 .

8 8 5 , 9 3 3 , 9 59 , 977, 9 9 9 , 1 000,

4 6 7 , 47 7 , 5 4 5 , 8 1 6 , 8 3 6 , 9 3 0,

Alexine ( Mangetout ) : 4 1 4, 57 3 ,

1 023, 1 025, 1 0 54 .

1 029, 1 046, 1 083, 1 1 07, 1 1 09 .

5 8 3 , 76 1 , 777, 7 8 2 , 834, 8 3 7 ,

9 3 9 , 1 00 5 , 1 00 6 , 1 0 1 6 , 1 02 2 , Bandi : 5 6 1 , 564, 5 6 5 , 592,

8 3 8, 842, 8 57, 867, 1 03Z

5 9 3 , 7 5 1 , 779, 807, 9 0 5 , 9 60,

5 6 1 , 564, 588, 6 9 1 , 73 1 , 7 5 2 ,

B e rt h e : 3 8 3 , 408, 409, 4 1 0 ,

Am e d e o : 242, 422, 534, 548,

962, 1 098 .

8 4 3 , 845, 897, 9 69 , 977, 988,

4 1 1 , 4 8 5 , 574, 6 3 2 , 6 3 5, 6 6 2 ,

Ancelette (Louise) : 2 2 1 , 3 69 ,

866, 9 5 5, 1 039, 1 04 0 .

1 097, 1 098, 1 099, 1 1 00 .

736, 77 1 , 8 0 3 , 8 4 3 , 8 6 1 , 8 6 5 ,

5 3 2, 5 5 6, 600, 604, 6 1 0, 674,

Ba rrow

Anna : 662, 669, 726, 775, 86 1 .

42 1 , 5 2 7 , 5 3 5 , 564, 5 6 6 , 587,

5 7 2 , 57 3 , 748, 7 7 9 , 784, 79 3 ,

8 3 4, 885, 897, 9 0 3 , 9 1 1 , 9 9 1 ,

738, 8 1 8, 9 5 1 .

Anouké Ueune esclave) : 5 64 , 809, 830, 8 60, 867,

( C hisl a m ) : 4 9 , 2 0 5 ,

229, 23 1 , 237, 244, 3 20, 3 7 8 ,

7 3 9 , 7 5 1 , 754, 765, 789, 8 1 8 , 1 0 1 2 , 1 047, 1 080 .

Anouké (maîtresse) : 564, 572,

Brionne

986 .

572, 589, 789 .

5 7 3 , 8 1 1 , 828, 8 57 , 867, 9 3 0,

Apollonia : 422, 486, 534, 548, 5 6 1 , 564, 6 9 1 , 6 9 2 , 757, 7 7 5 ,

(Hyacinthe) :

1 98,

204, 424, 437, 5 5 5 , 5 6 3 , 5 6 5,

C a n ouris

( Pa b l o ) : 1 8 9 , 1 97 ,

897, 9 6 9 , 977, 980, 99 1 , 1 09 8 ,

2 1 7 , 245, 246, 264, 3 24, 4 0 6 ,

Art h u r : 1 68 , 1 70 , 3 7 5 , 3 9 1 ,

9 6 5, 1 0 1 9 , 1 020, 1 02 1 , 1 024 .

1 09 9 , 1 1 00 ,

424, 4 5 9 , 543, 544, 5 5 1 , 56 1 , 6 58, 6 5 9 , 9 5 2, 9 57 , 1 004, 1 077.

544, 728, 7 54, 7 8 5 , 800, 8 6 5,

Cha ncesse

( La ) : 24 1 , 2 9 9 ,

306, 534, 604, 6 0 5 , 6 1 7, 6 1 9 ,

6 3 3 , 668, 672, 6 7 3 , 7 5 8 , 7 6 5 , 9 1 0, 9 1 1 , 977, 1 097.

1 1 81

Cichina ( La) : 311 , 421, 668,

671 , 672, 673, 6 8 9 , 690, 723, 731, 741 , 748, 750, 7 5 5 , 757, 759, 789 , 8 5 6, 910, 91 2, 9 54, 971, 982, 1004, 1076, 1 080 . c o m t e d ' E i s e n b e rg ( Le ) 548, 751, 769 . comtesse d' Eise nberg ( La )

4 2 1 , 447, 450, 5 5 5 , 747, 757, 858. Co ra i l : 2 0 4 , 3 07, 4 2 4 , 4 77,

549, 588, 687, 727, 78 2, 8 3 0, 8 6 5 , 9 6 5 , 1020, 1 021 , 1024, 1 040 . Cornabœux : 270, 3 34 , 406, 549, 616, 667, 7 5 6, 776, 778, 781, 790, 797, 812, 870, 871 , 872, 873, 1 010 . Costantzing : 314, 672, 910 . Couchat (Just in ) : 3 69, 3 7 3 , 41 8, 41 9 , 4 6 2, 51 8, 534, 5 3 6 ,

868, 869, 9 9 2, 9 9 5 ,

5 50, 5 61 , 1 9 6 , 297, 422, 447, 5 5 6 , 58 5,

590, 600, 61 6, 649, 700, 738,

749, 7 51 , 767, 778, 81 9 , 904, 9 5 5, 971 , 9 8 9 , 1 0 3 3 , 1 048 ,

1 0 51 , 1056, 1068, 1 077. Cox ( Chislam) : 446, 564, 566,

646, 647, 751, 766, 807, 817, 9 3 2, 943, 998, 1107, 1110 . Croniam antal : 5 3 , 80, 89, 90, 9 5, 1 3 7, 142, 146, 1 56, 170, 21 3, 21 8, 22 5, 2 30, 2 3 7, 243, 246, 248, 249, 2 51 , 259, 262,

264, 2 8 9 , 305, 3 08 , 3 0 9 , 31 0, 312, 31 3 , 31 5, 3 2 2, 3 2 6 , 3 27,

3 31, 3 3 5 , 3 3 6, 3 3 9 , 346, 3 6 5 ,

376, 3 9 6, 41 6, 435, 473, 49 5,

377, 39 7, 422, 441, 485, 502,

380, 399, 423, 445, 486, SOS,

381, 400, 424, 448, 488, 5 3 7,

382, 401 , 431, 462, 489, 539,

393, 415, 433, 471 , 49 3 , 541 ,

561 , 59 2, 61 8, 625, 677, 685, 70 6, 728, 741 , 772, 798, 859, 893, 940,

562, 603, 61 9 , 6 2 7, 678, 6 8 6, 707, 7 3 2, 747, 778, 799, 863, 8 9 6, 941,

569, 60 8, 620, 628, 679 , 689, 7 1 s, 733, 748, 78 6, 81 2, 864, 904, 942,

571 , 5 8 3 , 609, 611 , 621, 622, 661, 664, 680, 682, 6 9 4 -702, 722, 724, 734, 7 3 5 , 764, 76 5, 791, 79 2, 81 7, 81 9 , 865, 873, 91 2, 9 34, 944, 9 64,

586, 61 6 , 624, 669, 683, 705, 72 5, 737, 770, 794, 845, 886, 9 3 7, 970,

542, 544, 547, 5 50, 5 5 1 , 5 5 9 ,

972, 9 7 5 , 979, 9 8 2, 9 8 3 , 9 8 6 , 989, 9 90, 9 9 3 , 99 5, 1018, 1023, 1027, 103 5, 1038, 1 043, 1 046, 1 0 5 5 , 1 073 , 1074, 1 075, 1080, 1 081, 111 3 . Culculine ( d ' Ancône) :

3 34,

377, 3 9 2 , 41 4, 571 , 573, 59 3 ,

604, 6 3 3 , 6 3 5 , 772, 777, 778, 834, 8 3 7, 8 3 8 , 870, 9 81, 1037,

6 3 6 , 637, 761, 784, 790, 807, 8 57, 866, 867, 1072 .

D ' O r m e san : SS, 1 58, 1 62, 1 64, 1 6 8 , 1 6 9 , 173, 176, 1 8 5 , 1 8 7, 1 9 1 , 20 3, 204, 2 0 5 , 229 , 23 5,

244, 2 5 5, 2 61 , 2 9 1 , 294, 3 21 , 328, 3 3 3, 3 3 5, 3 3 8, 349, 3 5 5,

1182

3 5 6 , 3 5 7, 3 5 8 , 370, 379, 384,

Don

440, 459, 4 9 2 , 493, 494, 507,

Don J u a n des Flandres : voir

386, 387, 425, 430, 433, 438,

Juan

d ' E spa g n e : voir

l'index des oeuvres .

5 1 3 , 5 1 5 , 5 1 9 , 527, 5 3 4, 5 3 8 ,

l'index des oeuvres .

5 5 2 , 5 54, 5 5 5 , 5 6 9 , 57 1 , 584,

Egon ( Les Onze mille verges) :

58 5 , 592, 60 1 , 6 3 1 , 646, 647 ,

564, 59 3 , 649 , 779, 782, 8 1

648, 6 6 6, 6 6 8 , 670, 7 2 0, 730,

8 1 2, 87 3 , 9 68 .

740, 7 5 1 , 752, 7 5 6, 7 6 3 , 764;

o,

E g o n : (dans " La Rose de Hildesheim [ . . . ]") 1 6 6, 548, 5 6 1 , 564, 5 6 5 , 568, 59 3 , 6 2 2 , 649, 720, 727, 7 5 1 , 779, 782, 8 1 0, 8 1 2, 87 3 , 9 0 1 , 9 5 3 , 9 68, 978, 980, 9 8 2 , 9 9 9 , 1 0 3 5 , 1 0 9 8 , 1 099, 1 1 08 . E i s e n b e rg ( Le couple ) : 5 6 8 ,

78 1 , 789, 8 1 4, 8 2 1 , 8 2 2 , 879,

884, 8 8 5, 886, 887, 889, 890,

894, 9 1 6, 9 1 7 , 9 2 0, 9 2 2, 9 3 2 ;

9 3 3 , 9 3 9 , 940, 942, 949, 9 5 0,

9 5 1 , 9 54, 967, 9 6 9 , 9 7 1 , 9 7 7 ,

9 7 9 , 980, 997, 998, 9 9 9 , 1 000,

1 003, 1 004, 1 008, 1 02 3 , 1 02 9 , 1 045, 1 046, 1 047, 1 048, 1 049,

566, 89 5 .

1 0 50, 1 0 59, 1 066, 1 082, 1 08 3 ,

É l i sabet h : 543 , 588, 6 3 2 , 6 6 2 , 865, 866 . Élodie (Couronne) : 2 0 5 , 2 0 8 ,

1 08 5, 1 09 6 , 1 1 05 , 1 1 06, 1 1 07,

1 1 08, 1 1 09 , 1 1 1 0, 1 1 1 1 , 1 1 1 2 , 1 1 20, 1 1 2 1 .

Daurè me ( Lucien) : 584, 734,

372, 437, 582, 588, 5 9 0, 6 8 3 ,

Da u rè m e

78 1 , 79 3 . Elvire (Goulot ) : 48, 1 5 1 , 1 5 9 ,

73 5 , 9 5 0 .

684, 68 5 , 6 8 6 , 6 8 8 , 6 9 7 , 7 6 9 ,

( M me) : 7 3 4 , 7 3 5 ,

782, 858, 9 50, 9 67 , 978 .

1 8 9 , 1 9 0, 1 9 7, 1 9 8, 2 04, 2 0 5 ,

Deléchelle (Morse) : 2 04, 2 1 4, 2 1 7 , 2 1 8 , 2 5 1 , 564, 5 8 3 , 6 5 1 , 728, 865, 9 6 5, 1 02 0 . Del honneau (Abbé) : 2 2 8 ,

207, 2 0 8 , 2 1 0, 2 1 5 , 2 1 6, 2 1 7 ,

234, 23 5 , 2 5 3 , 267, 3 2 3 , 3 24 , 37 1 , 406, 407 , 440, 4 8 8 , 534, 544, 5 5 0 , 583, 589, 6 04, 657,

2 3 9 , 2 5 7 , 2 6 3 , 377, 378, 3 9 0 ,

6 5 8, 659, 660, 742, 743, 7 4 5 ,

4 5 9 , 5 5 5 , 6 0 1 , 68 1 , 720, 7 5 5 ,

758, 770, 784, 796, 835, 836,

7 5 9 , 7 6 1 , 7 6 3 , 767, 8 6 3 , 9 7 0,

8 3 7 , 8 3 8 , 847, 848, 8 6 5, 9 0 3 ,

972, 977, 9 84, 99 1 , 1 004, 1 088,

9 3 2 , 9 5 1 , 9 64, 9 6 5, 9 7 2 , 9 8 3 ,

1 089, 1 090, 1 09 1 , 1 094, 1 1 23 . D i a n e : 408, 631 -632, 7 8 9 ,

9 9 3 , 1 0 1 2 , 1 0 1 5 , 1 0 1 9 , 1 02 0 , 1 02 1 , 1 022, 1 024, 1 02 5 .

802, 809, 842, 1 040 . Don Juan d' Angleterre : voir

Est e l l e (Ronange) : 2 50, 3 0 1 , 5 5 4, 5 5 6 , 5 5 7 , 667, 7 3 6, 782,

l'index des oeuvres .

1 1 83

78 6 , 79 0, 79 6, 81 2, 828, 834, 848, 8 57, 868, 869, 871 , 872 . Fernisoun ( G a b r i e l ) : 49, 164, 201 , 204, 206, 21 2 , 240, 241 ,

287, 366, 5 53, 730, 879 , 905,

322, 425, 589, 7 51 , 883, 9 5 5,

327, 527, 640, 764, 884, 970,

349, 531, 641 , 767, 8 8 7, 976,

3 50, 534, 647, 774, 8 9 0, 978,

3 5 5, 53 5, 71 8 , 777, 894, 979,

982, 1003, 1 0 2 3 , 1 0 3 2 , 1046,

1 048, 1 087, 1088, 1089, 1090,

1091 , 1093, 1094, 1 09 5 . F i n n g a l ( Lady) : 5 3 5 , 566, 568, 757, 764, 769 , 910 , 9 67, 979 ,

1 048 , 1 062, 1103 . F i n n g al ( Lord) : 307, 421 , 451, 452, 5 3 6, 6 50, 763, 796, 9 6 9 , 975, 9 77, 1102, 1103 . F o l e n g o ( Ab bé ) : 2 2 9 , 3 2 2 , 3 7 9 , 4 5 9 , 534, 5 6 6 , 5 9 2 , 601 , 720, 1 047, 1 049 .

Garadan

( M ari a n n e ) :

190,

561, 584, 604, 6 6 3 , 6 64, 6 6 5,

750, 757, 769, 9 0 5, 9 51 , 991 , 999, 1 017, 1 01 8 . G i a n ( Louis) : 1 64, 1 9 6, 1 9 7, 2 2 8 , 3 34 , 391 , 4 3 3 , 447, 554, 5 5 5, 6 04, 611 , 6 2 7, 674, 675, 676, 720, 748 , 7 51 , 8 3 6 , 894,

920, 9 68 , 977, 980, 1 09 3 . G o rè n e (Gaét a n ) : 1 9 6 , 371 , 391 , 447, 5 54, 5 5 6, 595, 603, 697, 698, 720, 9 0 5, 9 50 , 9 5 5, 9 59 , 9 6 6 , 994, 1093, 1 094, 1100 .

333, 567, 751, 968,

G ravant ( J oach i m ) : 230, 293, 554, 555, 751 , 9 04, 1 079 . Guyame : 262, 2 9 9 , 3 21 , 41 5,

564, 605, 616, 61 9 , 720 , 751,

79 5, 910, 911, 914, 1 098, 1099. H é lè n e ( dans L ' En c h a n t e u r pourrissant) : 241 , 2 5 0 , 5 5 5 , 573 , 589 , 6 0 5 , 6 3 2 , 6 3 3 , 634, 6 3 5, 6 3 6 , 6 3 7, 648, 673, 78 3 , 871 , 899, 911 , 91 5 , 1108 , H é l è n e (Les Exploits d'un jeune Don Juan) : 573, 589, 636, 648,

783 . H é l orse ( Su rbie) : 2 7 8 , 5 5 5 , 572, 585, 588, 5 9 0 , 61 6 , 6 54, 952, 965, 984, 987, 1 024, 1025, 1046, 1 072 . H urtado y Barral : 229, 534, 565 . llse : 307, 309, 378, 391, 548,

551 , 601 , 6 0 5 , 6 0 6 , 609 , 610 , 71 8, 722, 729, 734, 74 6, 748,

757, 764, 774, 77 6, 778, 781 ,

782, 78 6, 79 0, 807, 8 54, 8 5 5 , 8 5 6 , 8 9 5 , 901 , 9 0 6 , 9 50, 9 5 3 , 978, 979, 980, 988, 1097, 1 09 8 . Janssen : 203, 21 3 , 2 8 8 , 305, 383, 3 9 9 , 403, 41 5 , 422, 447,

448, 4 50 , 4 6 2 , 534, 5 5 5 , 5 6 6 , 592, 720, 7 2 2 , 7 2 5 , 9 8 3 , 984, 103 5, 1 038, 1043, 1 044, 1 075 .

Karel ( Père) : 3 31 , 379 , 3 8 2 ,

401 , 494, 502, S O S , 53 5, 548, 561, 564, 619, 6 2 0 , 641 , 660 , 661, 779, 811, 844, 9 9 3 . 1184

Katache : 204, 209 , 21 3, 21 4,

21 6 , 302, 3 8 3 , 432, 5 6 5 , 61 6 , 6 5 6, 6 57, 759, 8 0 8 , 909, 1 008 . Kat e : 2 53 , 408 , 410, 411 , 783 , 866, 1 040 . Kilyé mu : 204, 209, 21 3, 216 , 279, 3 8 3 , 432, 649 ,

589, 81 2, 662, 21 4, 771 ,'

781 , 857, 873, 1 000 . Ki m be rl i n (James) : 190, 201 , 3 37, 440, 5 6 6, 61 2, 651, 6 5 2, 6 5 3 , 744, 751, 768, 9 5 0, 9 6 9 , 1033, 1 0 5 6 .

Laqu e d e m (Isaac) : 1 64, 200,

204, 206, 21 2, 227, 244, 286,

304, 3 3 1 , 3 34, 4 2 2 , 436, 443, 527, 5 2 9 , 534, 542, 5 50, 564, 705 -717, 721 , 73 8 , 749 , 751, 789 , 791 , 79 6 , 8 8 3 , 887, 8 8 9,

349, 498, 5 3 5, 589, 72 3 , 758, 846, 890,

3 5 5, 501 , 539, 603, 7 3 0, 767, 879, 91 6,

379, 51 9, 541 , 693, 731 , 776, 882, 966,

246, 249, 266, 288, 322, 3 2 7 , 3 3 3 , 3 3 5, 3 3 8 , 3 3 9 , 3 4 0 , 3 81 , 382, 3 9 6 , 397, 3 9 8 , 3 9 9 , 400,

431 , 4 5 9 , 488, 5 0 3 , 5 3 4 , 5 59 , 561 , 586, 592, 61 2, 614, 61 5 , 61 8, 61 9 , 620, 6 2 2 , 6 2 3 , 624, 625, 6 3 2, 635, 660, 6 61 , 6 6 3 , 6 6 9 , 670, 671 , 672, 71 6, 7 5 0 , 757, 7 5 8 , 76 3 , 769 , 770, 771 , 772 , 776, 777, 781 , 78 3 , 784 , 79 3, 79 5, 802, 806, 80 9, 8 1 828, 834, 837, 8 5 8, 8 64, 8 6 5 , 8 9 3 , 896, 9 0 3 , 9 2 2 , 9 2 9 , 9 3 1 , 9 51 , 983, 988, 997, 101 8 , 103 5 , 1067. Mara : 217, 404, 452, 4 5 3 , 454,

o,

455, 456, 534, 548, 5 6 1 , 564, 594, 663, 664, 778 , 788, 79 7, 81 6, 901 , 959, 960, 9 61 , 962, 963, 970, 976, 992, 994, 1 097. Marg u e rite : 4 0 8 , 41 1 , 5 7 4 , 622, 662, 669, 726, 775, 79 8 , 861 , 865, 983, 1 04 3 . M a r i c o t t e ( Ab b é ) : 464, 5 56 ,

9 71 , 9 7 6 , 102 3, 102 5 , 1 0 3 2 ,

588, 61 6, 622, 6 5 3 , 6 54, 6 5 5,

1 04 2, 1046, 1 0 5 9 , 1081 , 1082, 108 3 , 1087, 1088 , 1090, 1091, 1 09 3 , 1094, 109 5 , 1108, 1109,

91 3 , 9 50, 9 5 2 , 9 6 5 , 9 84, 9 8 7 , 1024, 1025, 1072 . Poè t e ( " Le Mariette assassiné " ) : 3 9 9 , 4 4 5 , 4 61 , 5 3 5, 561, 567, 572, 5 7 3 , 6 2 2 , 624, 663, 664, 723, 725,0 73 2 , 737, 770, 784, 8 54, 864, 8 6 5 , 89 3, 1043 . M a ri e t t e ( Les Onze m ille verges) : 270, 572 , 573, 6 2 2 ,

1110 .

L e w e s ( Le e ) : 3 3 7, 440, 5 6 6 ,

604, 61 2, 6 53, 782, 1 03 3 , 1 0 5 6 Ludovi c : 1 6 8 , 2 0 5 , 2 52, 294,

2 9 5 , 3 5 3 , 3 5 5, 379, 41 8, 437, 4 5 9 , 564, 627, 674, 737, 751 , 757, 800, 8 08, 8 52 , 904, 1050 .

6 6 3 , 664, 6 6 6 , 667, 6 6 8 , 78 2 ,

M a c a ré e : 79 , 80, 1 9 5 , 1 9 6 ,

786, 802, 8 5 7, 8 5 8 , 868, 8 6 9 , 871 , 872, 1 010

21 3 , 21 5 , 217, 228, 243, 245, 1185

M é retçar : 1 6 1 , 1 68, 4 5 9 , 756,

54 3, 5 6 1 , 564, 5 6 5, 584, 604,

9 2 5, 986, 1 006, 1 0 1 9

64 3, 74 6 , 747, 749 , 789 , 8 1 7,

2 6 1 , 292, 2 9 3 , 29 5, 3 3 6 , 3 5 3,

9 75 , 9 9 3 , 1 03 1 , 1 076, 1 077,

Mérit a rte (L'ami) : 1 68 , 2 3 0 ,

3 5 5, 3 69, 4 1 7, 527, 5 3 4, 59 1 ,

83 5, 8 8 2 , 89 5 , 908, 9 1 9 , 9 50, 1 078 , 1 080

600, 6 2 2 , 75 1 , 8 50, 8 8 3 , 8 8 8 ,

M u l l e r ( M m e ) : 548, 6 2 2 , 748 ,

M e rl i n : 1 2 , 77, 79 , 1 1 9 , 1 20,

M u scade (Le couple) : 42 1 , 44 5,

9 58, 970, 1 078, 1 080

784, 8 5 6, 8 6 6 , 1 040

1 34, 1 74, 1 88 , 1 89, 2 3 3 , 234,

447, 449 , 45 1 , 460, 470, 5 2 8 ,

837, 898, 899, 900, 1 042, 1 043 ,

729, 764, 8 54, 9 0 1 , 9 0 2 , 907,

1 1 08 , 1 1 09 , 1 1 1 0, 1 1 2 1 , 1 1 26 ,

988, 1 077

248, 3 5 8 , 420, 6 3 3 , 6 6 2 , 69 3, 1 072, 1 073, 1 080, 1 08 1 , 1 1 07, 1 1 27

529, 5 5 6 , 5 6 7, 5 9 6 , 5 9 7, 5 9 9 ,

908, 9 50, 9 5 1 , 9 58 , 9 8 2 , 98 5, Muscade ( M . ) : 204, 208, 228,

M i a : 2 1 4, 398, 3 9 9 , 474, 494,

378, 6 2 2 , 72 9 , 73 9 , 746 , 75 1 ,

6 2 3 , 6 6 3 , 6 64, 6 6 5, 6 7 1 , 672,

M usca d e ( M m e ) : 2 0 3 , 3 0 9 ,

5 6 1 , 567, 592, 6 1 9 , 620, 6 2 2 ,

908

690, 72 3 , 732, 73 3 , 76 1 , 77 1 ,

4 5 1 , 4 5 2 , 454, 5 2 8 , 5 3 4 , 589,

86 5, 9 8 3

734, 748, 769 , 780, 78 2 , 8 5 5,

78 3, 784, 79 3, 8 57, 8 5 8 , 8 6 3 , M inittique :

1 90,

205,

26 1 ,

343, 622, 6 6 5, 750, 76 9, 9 5 1 ,

972, 999, 1 0 1 7, 1 0 1 8

M ord a nt

(Jea n-Lo u i s ) : 2 0 8 ,

2 2 9 , 3 2 3 , 3 34, 4 2 2 , 4 3 8 , 5 3 0, 580, 582, 590, 598, 5 9 9 , 6 2 2 ,

674, 6 7 5 , 6 8 0 , 75 1 , 7 5 9 , 9 54, 996

Moroni

(Att i l i a) :

1 9 9 , 209 ,

534, 5 6 1 , 5 64, 6 5 6, 6 6 2 , 807,

903, 1 068, 1 076, 1 078 , 1 080

M oroni

( Be p po) : 2 0 9 , 5 3 4 ,

5 6 1 , 5 64, 6 6 2 , 75 1 , 752, 8 1 7,

903

M oron i

( G iova n n i ) : 3 6 , 1 64,

1 68 , 1 9 1 , 1 9 9, 200, 2 0 5 , 229,

2 5 5, 2 6 1 , 3 6 9 , 3 8 7, 3 8 8 , 41 2,

596, 597, 6 2 2 , 6 3 7, 72 3 , 73 1 ,

856, 908, 9 8 5, 1 080

Nephtali : 206, 208, 302, 3 24,

3 2 5 , 3 34, 3 8 3 , 4 3 6 , 4 6 6 , 4 6 9 , 560, 720, 766, 1 00 5

O i se a u

du

Bénin

(L') : 80,

1 8 3, 2 1 9 , 24 6, 262, 29 1 , 3 0 5 ,

3 1 5, 3 1 6 , 3 4 5 , 3 8 1 , 4 0 0 , 402,

44 1 , 459, 486, 488, 48 9 , 49 5,

499, 50 1 , 509, 549 , 5 5 2, 5 5 9 ,

594, 724, 728, 73 3 , 73 5 , 747,

8 1 9 , 8 59 , 8 64, 8 9 6 , 9 8 6, 9 8 9 ,

993, 9 9 5 , 1 080, 1 1 1 3 Oie

( M i ss) : 2 0 5 , 2 9 2 , 4 3 9 ,

440, 5 6 6 , 587, 6 27, 73 9 , 744,

4 1 3, 4 5 3 , 4 5 9 , 5 1 6 , 5 27, 534,

1 1 86

757, 77 1 , 820, 888, 9 1 2, 1 044, 1 1 20 . O m e r : 3 3 1 , 404, 4 5 3 , 4 54, 4 5 5 , 4 5 6 , 534, 548 , 5 6 1 , 564, 5 9 3 , 6 1 1 , 750, 7 5 1 , 779 , 788, 797, 9 0 1 , 905, 9 5 9, 9 6 0, 96 1 ,

9 62 , 9 63 , 970, 976, 980, 9 9 4, 1 098, 1 1 00 .

Orfei ( Benedetto) : 1 42, 202, 204, 206, 2 3 1 , 2 39, 240, 244, 2 6 6 , 287, 3 2 6 , 374, 39 1 , 433, 446, 447, 5 3 9 , 54 1 , 566, 627, 645, 646, 6 54, 694, 740, 74 6 , 7 5 8 , 7 5 9 , 764, 768, 844, 878, 888, 894, 906, 945, 9 6 9 , 970, 9 7 7 , 9 8 4 , 9 87 1 1 0 2 5 , 1 04 1 , 1 044, 1 088, 1 089 , 1 09 1 , 1 092, 1 094, 1 1 2 3 ,

508, 53 1 , 582, 740, 785,

5 1 4, 556, 72 2, 758, 81

o,

5 2 7, 56 1 , 723, 780, 844,

530, 581 , 737, 78 2 , 8 57,

24 5, 287, 348, 370, 378, 4 5 9 , 5 5 3 , 566, 68 1 , 76 3 , 768, 9 50 , 972, 1 002, 1 088, 1 090 . Pré rog u e (Justin) : 2 8 2 , 4 1 7, 4 5 9 , 50 1 , 5 5 3, 649, 6 5 1 1 729 , 747, 7 5 1 , 9 1 4, 9 1 5, 1 063, 1 1 03 , 1 1 04 . Que vlo-ve ? : 1 64, 1 84 , 2 1 7, 24 1 , 243, 24 6, 2 5 1 , 262, 29 9 , 306, 308, 309, 327, 44 1 , 547, 55 0, 6 1 8, 758, 8 1 4, 89 5,

236,

370, 5 54, 564, 627, 674, 75 1 , 752, 9 54 . Paponat : 2 1 8 , 249 , 3 1 3 , 38 1 ,

400, 403, 4 1 6 , 534, 5 5 9 , 620, 6 6 1 , 6 8 5 , 68 6, 688, 694, 720, 72 5, 734, 8 3 8 , 8 6 3 , 864, 9 9 3 , 1 080 . Perti nax ( Rest if) : 204, 209, 2 1 0, 2 2 2 , 266, 29 6, 3 0 3 , 349 , 3 54, 3 8 5, 3 9 1 ,

5 1 3, 535, 648, 751 , 808,

86 1 , 8 6 6, 88 1 , 8 8 2 , 883, 893, 902, 9 50, 982, 9 8 5 , 9 8 6 , 1 004, 1 005, 1 032, 1 046, 1 070, 1 1 0 1 , 1 1 03 . Pig nat ( Louis) : 230, 2 9 3 , 674, 75 1 , 904, 1 079 . Pont-Euxin (Ovide d u ) : 1 5 2 , 552, 594, 1 040, 1 04 1 . Porpore l l i ( C a r d i n a l ) : 2 2 8 ,

Pa m é l a ( Monsenergues) : 4 8 , 1 9 0 , 1 98 , 204, 208, 2 1 4, 2 1 6, 2 1 7, 3 2 3 , 324, 388, 406, 434, 488, 5 6 5, 567, 594, 726, 74 5, 770, 78 2, 79 5, 800, 826, 838, 847, 9 2 6, 9 2 8 , 9 64, 965, 994, 1 01 5 . Pandevin ( Lu d o v i c ) :

51 1 , 534, 63 5, 750, 788,

587, 6 1 9, 764, 8 1 6, 9 1 0,

60 5, 673, 76 5, 8 1 7, 9 1 4,

609 , 74 0 , 794, 845, 9 50 ,

6 1 6, 751 , 79 5, 86 1 , 9 53 ,

6 1 7, 755, 807, 873, 973,

994, 1 08 1 , 1 098, 1 09 9 , 1 1 08 .

R i c o t t i n o ( Cardi n a l ) : 2 2 8 , 24 6, 288, 3 3 8 , 3 9 7, 4 5 9 , 5 3 5 , 55 7, 5 6 6 , 6 0 3 , 6 1 1 , 6 1 6 , 720, 763, 79 9, 893, 9 50 . Roge r : 1 0 , 37, 5 1 , 5 3 , 8 5 , 1 5 1 , 1 6 8, 1 8 5, 1 9 8, 205, 249, 2 5 3 ,

896, 206, 297, 4 1 4,

422, 4 3 5 , 4 5 9 , 46 1 , 4 9 5 , 503,

1 1 87

271, 407, 445, 547, 633, 675, 7 5 7,

786, 808, 8 57, 912,

279, 408 , 447, 548, 634, 736, 771 ,

79 8 , 810, 861, 9 51 ,

3 77, 409 , 4 50, 588, 635, 7 37, 775, 801 , 841, 8 6 5, 9 64,

383, 410, 46 5, 589, 6 60, 73 9 , 776 ,

802 , 842, 866, 966,

384, 411 , 48 5, 631, 662, 748 , 780,

80 3, 846, 876, 978,

393, 442, 51 6, 6 32 , 6 6 9, 756, 78 3,

807, 8 56 , 90 3, 9 80,

982, 9 8 3 , 9 93, 997, 1000, 1008, 1011 , 1012 , 101 3 , 1014, 101 5, 1037, 103 9 , 1040, 1043 , 1047, 1072, 1118 Roi-Lune (Le) : 3 5 , 148, 1 68, 1 9 3 , 2 30, 304, 330, 422, 425, 439, 44 5 , 462, 468, 510, 534, 5 3 5 , 5 3 6 , 5 51 , 587, 72 3 , 728,

749 , 800, 81 5, 818 , 8 20, 828,

836, 839, 880, 9 80, 102 3, 1080 Roudiol ( Évariste) : 41 6 , 422, 461, 494, 496, 53 5 , 5 54, 556, 584, 588, 627, 751 , 755, 89 5, 9 3 5, 9 50, 975 S a i n t a ri s t e

(Anat o l e

de) :

1 9 8, 217, 3 3 8 , 372, 3 9 5 , 406,

424, 4 3 7, 5 54, 563, 568, 570, 584, 588, 589, 687, 727, 756,

789, 810, 8 30, 8 6 5 , 9 1 8 , 9 4 5, 9 6 5, 1008, 1020, 1024, 1040, 1041 , 1047 Salomé : 6, 117, 119, 1 64, 230, 285, 309 , 374, 376, 39 3 , 436, 484, 497, 543, 561, 564, 6 5 3,

675, 729, 741 , 757, 814, 81 5,

8 9 5, 907, 9 50, 9 68, 109 2, 1093

Sé ra phin ( Pè re ) : 5 , 7, 1 6 5 , 1 9 8 , 227, 2 57, 286, 371 , 375, 390, 433, 51 3 , 548, 552, 561, 588, 644, 64 5 , 6 53 , 722, 730, 74 6, 7 5 9 , 778, 781, 81 3 , 862, 91 9 , 9 50, 9 67, 969, 973, 977, 982, 984, 990, 991, 1046, 1063, l087, 1088, 1089, 1091, 1094 Sérignan : 1 90, 205, 2 6 5 , 3 21 , 343, 38 5, 4 6 2 , 5 54, 5 5 6 , 600, 631, 655, 656, 769, 972, 1018

S i m o n : 2 21 , 311 , 4 9 7 , 5 34 ,

53 5, 538, 54 3 , 574, 6 5 5, 6 58, 688, 693, 78 3 , 788, 824, 828, 831, 863, 896, 942, 9 6 6 , 967, 9 7 3 , 9 9 1 , 9 97 , 10 2 3 , 1046, 1083, 1087, 1094, 109 5 , 1108, 1109, 1122 S i m one : 385, 462, 561, 6 5 5 , 656, 750, 757, 769 , 1018 Sminthe : 2 30, 392, 5 8 3 , 836,

837, 917, 9 20, 9 50, 9 5 5, 9 59 , 9 9 9 , 1003, 1037, 1040, 1120, 1121 Sopphê : 26 5 , 302 , 547, 574, 592, 630, 782, 793, 8 67, 101 3 Subrac (Honoré ) : 1 68 , 1 71 ,

204, 288, 30 5 , 379, 3 8 5 , 443,

498, 49 9 , 527, 5 5 5, 567, 590, 750, 751, 889, 890, 909 , 979 , 9 90, 9 9 1 , 104 6 , 1049 , 1060, 1101 , 1102, 1104 Suzanne (Dinosor) : 1 61 , 1 67, 170, 209 , 21 3 , 232, 3 50, 383, 407, 4 3 6 , 564, 574, 722, 73 6,

748, 756, 782, 79 5, 79 6 , 809 ,

8 2 3 , 827, 828, 829, 830, 833, 842

1188

Tay l o r

( Frè re

J o h n ) : 204,

2 1 0 , 3 7 1 , 407, 458, 466, 469, 5 1 7, 5 5 1 , 726, 744, 74 5 , 882,

926, 9 27, 9 28, 9 50, 1 01 3 . Tenso : 452, 454, 455, 456, 750, 763, 9 6 1 , 9 62, 963, 1 1 00 . T h é o d o r i ne : 3 8 8 , 5 2 8 , 56 1 , 572, 5 8 9 , 5 9 7, 637, 74 6, 747,· 748 , 749, 757, 779 , 79 3 , 9 0 1 , 906, 907, 9 54, 9 8 5 , 988, 1 077. T i g o b o t h ( Vi e rsé l i n ) : 7 9 , 1 9 5 , 1 9 6 , 2 1 5 , 24 3, 3 8 1 , 397,

757, 758, 764, 774, 778 , 780,

78 3 , 794, 840, 858, 865, 986,

440, 609, 6 5 3, 682, 723, 790, 863, 938, 9 67,

73 6, 776, 78 1 , 784, 802, 9 8 3 .

Van d e r Vi ssen : 2 5 7, 50 3 ,

528, 534, 5 6 2 , 5 6 6 , 730, 744, 748 , 750, 78 2, 79 9, 9 5 3 , 9 7 5 , 1 0 1 8, 1 062 . Vandar ( Cyprienne) 23 1 , 2 59 , 3 1 3 , 3 1 4 , 3 7 1 , 37 5, 378, 392, 5 0 1 , 5 6 1 , 572, 738,

460, 5 1 3, 603, 604, 6 1 1 , 6 1 2, 6 2 3 , 625, 6 64, 677, 678, 679 , 684, 686, 688, 690, 72 5 , 758, 772, 778 , 79 1 , 79 9, 820, 823, 8 64, 896, 9 34 , 9 3 6 , 940, 9 4 1 , 94 3 , 944, 980, 9 9 3 , 994, 1 000,

21 6, 249, 400, 424, 5 1 7, 661 ,

5 9 2 , 722, 760, 779 , 9 7 6 , 988,

: 7 1 , 1 9 6,

3 67, 3 68, 4 1 6 , 429, 740, 749,

757, 769, 8 1 8, 892, 9 56, 975 . Varinoff (Nicolas) : 2 34, 5 57,

5 8 3 , 604, 648, 754, 8 6 5 , 9 5 1 , 1 0 1 9 , 1 02 1 . Vedaldet ( Louis) : 439 , 7 5 1 ,

753, 8 52, 939, 997. Verdier (Hélène) : 5 5 5 , 6 3 3 , 634, 6 3 5 , 6 3 6 , 764, 777, 8 0 1 ,

802, 808, 841 , 8 57, 8 66 . Verinada ( M l le) : 20 5 , 2 9 2 , 5 5 9 , 590, 73 9 , 744, 748 , 75 1 , 757, 77 1 , 888, 9 1 2 , Vernon ( Lyd i e) : 5 5 5 , 5 9 8 , 808, 8 52, 939 . Vi bescu (Mony) : 3 1 , 8 5 , 1 59, 2 1 3 , 2 1 4, 2 1 6, 264, 270 , 279,

1 023, 1 029, 1 1 1 1 , 1 1 22 . Tristouse ( Balleri nett e ) : 80, 90, 1 83, 2 1 4, 2 1 5, 2 2 8 , 2 3 6 , 2 3 7, 248, 3 2 6 , 3 4 6 , 376, 3 8 1 , 402, 403, 4 1 6, 42 3, 488, 489, 4 9 3 , 502, 5 5 9 , 5 6 1 , 594, 622,

790, 79 1 , 79 3 , 824, 834, 8 3 8 , 850, 8 5 1 , 8 5 2, 8 6 1 , 8 6 3 , 864, 964, 973, 982, 1 046, 1 1 1 4 .

U r s u l e : 64 3 , 6 57 , 6 6 9 , 726,

4 3 0, 5 0 3 , 5 34, 5 5 3 , 586, 603, 608, 6 1 1 , 6 1 2 , 6 1 8, 620, 62 1 , 6 2 3 , 6 2 5 , 72 0, 72 2, 809, 84 5, 864, 8 7 3 , 8 9 6 , 1 0 3 5 , 1 080, 1 08 1 . Tograth ( Horace) : 80, 2 1 5 , 2 1 8, 2 64, 2 8 9 , 3 0 8 , 3 2 2 , 382, 40 1 , 608, 628, 680, 69 9 , 78 8 , 833, 9 3 7, 9 64,

784, 78 6, 79 6, 79 8, 848, 8 4 9 , 8 59, 860, 896, 940, 993, 1 0 1 8,

21 8, 3 1 3, 40 1 , 48 6, 54 3, 665,

3 0 1 , 302, 3 3 2 , 334, 372, 373, 377, 3 8 3 , 3 9 2 , 3 9 3 , 406, 4 1 3,

680, 685, 6 8 6 , 698, 724, 72 5, 726, 73 3 , 734, 740, 74 1 , 747, 1 1 89

4 1 4, 434, 4 5 9 , 4 61 , 4 65, 474,

Ygré es ( François des) : 1 64,

63 6, 63 7 , 657 , 65 9, 666, 667 ,

3 04, 327, 3 3 5 , 3 3 8 , 3 3 9 , 340,

5 4 5 , 59 1 , 5 9 3 , 63 3, 634, 63 5 , 669 , 683 , 7 2 3 , 744, 7 5 6, 7 5 7 ,

203, 2 1 6, 2 1 7, 24 6, 249, 2 8 0,

3 5 0, 38 1 , 3 8 3 , 3 9 6, 4 60, 4 62,

7 61 , 7 64, 7 7 4 , 77 6, 78 1 , 7 8 5 ,

474, 494, 5 00, 5 3 4, 5 3 5 , 5 69 ,

8 4 2 , 844, 8 5 8 , 8 61 , 8 62, 8 66,

62 8 , 65 5 , 661 , 668, 669 , 67 0,

7 8 6, 7 9 0 , 792, 803, 8 0 7 , 8 3 7 ,

8 68, 8 69 , 870, 87 1 , 872, 8 7 3 ,

57 1 , 592, 61 4 , 620, 62 1 , 62 3 , 67 1 , 724, 7 61 , 7 63, 7 69 , 7 8 9 ,

9 09 , 9 1 8 , 9 3 0, 9 5 2, 9 5 5 , 9 64,

792, 8 3 4 , 8 63, 8 9 3 , 90 3 , 9 2 2 ,

9 9 5 , 9 9 9 , 1 000 , 1 008 , 1 0 09 ,

You n g

9 69 , 9 7 5 , 978, 98 1 , 9 8 3 , 9 9 2 ,

1 01 0, 1 0 1 2 , 1 0 1 8, 1 037, 1 072,

1 1 13.

9 5 1 , 983, 984 .

9 3 0, 93 1 , 9 3 2 , 9 37 , 943, 1 0 1 8 .

Vietrix : 54, 8 5 , 1 4 5 , 1 64, 2 1 3 ,

2 3 1 , 2 3 2 , 23 6, 302, 303 , 324,

3 34 , 3 5 0, 7 3 , 374, 3 7 6, 3 8 3 ,

3 9 2, 407 , 43 6, 44 6, 4 5 9 , 4 60,

4 69 , 5 1 2 , 5 1 3, 534, 5 4 5 , 5 64, 63 0, 7 2 2 , 72 6, 742, 7 57, 7 58,

7 61 , 7 66, 77 6, 779, 7 8 1 , 8 3 0,

8 60, 9 2 3 , 924, 9 2 6, 9 2 9 , 9 64,

9 8 0, 9 8 1 , 9 8 6, 1 000 , 1 0 05 ,

1 00 6, 1 0 1 3 , 1 03 3 , 1 03 6, 1 038,

1 04 6, 1 0 5 1 , 1 0 52, 1 0 5 3 , 1 054,

1 0 5 6, 1 0 65 , 1 068, 1 072, 1 1 1 6,

1 1 17.

Villème (Gaétan) : 205, 2 08 , 2 5 2, 5 5 5 , 582, 588, 68 3, 684,

68 5 , 68 6, 687 , 688 , 689 , 7 69 , 1 009 ,

Viviane : 1 88 , 234, 248 , 420,

424, 440, 898, 899, 1 042, 1 043 , 1 073 ,

We rsteeg

(Brigham) : S S 1 , 8 2 6,

( H e ndrij k) : 1 64 ,

24 1 , 4 5 1 , 528, 5 66, 587, 650,

747, 7 5 1 , 7 60, 9 1 3 , 9 7 5, 9 8 0, 1 0 62 , 1 1 02, 1 1 03 ,

1 1 90

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION. POUR UN RETOUR EN GRÂCE DE L 'HÉRÉSIARQUE

p. 4

Le châtiment de l'hérésiarque Le corps du délit Les fidèles de l'hérésiarque L'examen du «cas»

p. p. p. p.

CHAPITRE /. APOLLINAIRE FACE AU RÉCIT DE FICTION

p. 24

I. Les œuvres e n prose lors - de leur parution A. l'a utodéfinition refusée •Les i ndices de la corresponda nce p rivée et de ccl'épitexte » • I ndices péritextuels des dédicaces • Les réactions aux critiques B. L'accueil de la critique C. Conditions de la publication des récits • Aspects ch ronologiques • Aspects sociologiq ues I l . Apol l i naire entre poésie et récit A. Apolli naire au carrefour des ge nres B. Apol linaire et les genres narratifs : roman, conte, nouvelle • Généricité et flottements géné riques • Contes et/ou nouvelles ? C. Apolli naire face aux romans : l'exemple de sa critique littéraire Ill. Fiction, poésie et récit A. Fictionnalisation et narrativité de la poésie apollinarienne • Fiction et poésie • Alcools, une ««poésie de conteur» Le Je du poète et les «je» fictifs La fictionnalisatio n par les dialogues Narratif et temps grammaticaux dans Alcools La précarité du récit d'événements B. Fiction et réalité : un constant va-et-vient • U ne écriture e ntre réel et imaginaire • Prose docume ntaire et prose fictionnelle • L'univers de Phantase IV. L'entrée dans le texte de ficti on : les titres des récits • c,Travaux d'accroche » • Structures des titres • Les réfé re nts des titres • Les isotopies domi nantes dans les titres : les ««sujets» prévisibles • La séduction du titre apollinarien

p. 25 p. 26

1 1 93

5 7 12 18

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

26 33 37 40 50 50 58 64 65 81 81 87

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

92 1 07 1 08 1 08 1 12 112 117 121 1 25 1 33 1 33 1 39 1 48

p. p. p. p.

1 55 1 56 1 58 1 63

p. 1 67 p . 1 72

CHAPITRE Il. L 'ORDRE DU NARRA TEUR

p. 1 78

1. L ' o rthod oxie narrative A. Des types conventionnels de narration • L'alternance des deux types canoniques de narration Identité et nature du «je » Types hétérodiégétique et homodiégétique Le brouillage des types narratifs : les cas hybrides Le refus du type autodiégétique • Des points de vue orthodoxes B. Les dédoublements narratifs • Second narrateu r et récits ench âssés Fréquence des récits enchâssés et types narratifs des métadiégèses Fonctions des récits enchâssés • Récits enchâssés et cc mise en abyme » • Les ruses du ccje » autobiographique C. La régie de la parole • La parole exclusive du narrateu r • La transcription des pensées des acteurs • Le n arrateur et l a parole des acteu rs : style di rect et dialogues • Dialogues et écritu re théâtralisée D. Les types de discours des narrateurs • Le régisseu r du récit : les discou rs liés à la narration • Les discours d'interprétation de l'histoi re • Système de valeurs et cohérence idéologique des discou rs du narrateu r Les types d'évaluation Une voix unique du narrateur ? Il. Les d i s cours de l'ambiguïté A. Les tonalités des discou rs • La variété des tons • ccPrenant un luth accordé » ? L'instabilité du ton Décalages descendants Décalages ascendants B. Les ambiguïtés du lyrisme dans les récits C. cc(. . .]nous allons donc pouvoir nous amuser. » D. cc(...] je possède l'ironique certitude [ ... ]. »

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

1 79 1 80 1 81 1 82 1 84 1 88 1 92 1 93 202 202

p. p. p. p. p. p. p.

203 21 0 21 3 222 226 227 233

p. p. p. p. p.

238 247 250 250 256

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

267 267 270 273 274 274 278 278 284 290 300 31 9 342

CHA PITRE Ill. LES TEMPS ET LES ESPACES DU RÉCIT APOLLINARIEN

p. 361

1. Le traitement narratif de la te mporal ité A. Le système temporel • Les types temporels de la narration • Les indicateu rs temporels des histoires

p. p. p. p.

1 1 94

3 64 365 365 369

Le rôle de la datation Les références temporelles internes • Ordre chronologique et "contes à rebou rs" B. Durées et rythmes dans le récit apollinarien • Durée des histoires • Les inévitables variations de vitesse • Une rythmique alerte Les rythmes du "Poète assassiné" Rythmes et ruptures du récit La rythmique exemplaire des Exploits • Du singulier au rituel •Récit et défi au temps Il. Le récit et ses espaces A. Les espaces des histoires • Du toponyme • La géographie référentielle • Vers une géographie personnelle • Esquisse d'u ne topographie interne • Des structures spatiales d'opposition La villa "L'Otmika" ou le village emblématique Une topographie des contrastes et des seuils B. Les lieux dans le récit : le discou rs sur l'espace et la description • Présence de la description spatiale • L'insertion de la description • Fonctionnement de la description spatiale • Rôle de la description spatiale C. L'éclatement du système référentiel • Le jeu avec les toponymes • Les dédoublements spatiaux • Représentation de l'espace et structures de l'imaginaire • Des espaces aux personnages

p. 370 p. 375 p . 379 p. 389 p. 389 p. 393 p. 396 p. 396 p. 402 p. 407 p . 41 1 p . 41 9 p. 426 p . 427 p. 427 p. 433 p. 437 p. 442 p. 446 p. 446 p. 452 p. 457

CHAPITRE IV. LE NOM DES PERSONNAGES

p. 52 1

1. Formes et fon ctions de la dénomi nation apol l i na rienne A. De l'anonymat à la dénomination • L'anonymat • Le nom dans le récit B. Nom et statut narratif des person nages • Le nom des personnages "cités" • Types de noms pour les personnages "cités" • Le nom des protagon istes Les noms référentiels Noms forgés et systèmes de dénomination

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

1 1 95

p. p. p. p. p. p. p. p.

463 465 469 475 483 490 49 1 496

p. 504 p. 51 9

525 526 526 532 537 538 540 543 543 547

C. N ature des patronymes • D'une onomastique réaliste à u ne onomastique caricaturale • Types de noms français "réalistes" • L'onomastique caricatu rale D. Fonctions informationnelles des noms propres • L'identification • Valeurs de classification • Classifications spatiales • Classifications sociale et temporelle Il. La motivation l i ngu isti q ue A. La lisibilité des n oms • Les noms transparents • La transparence voilée Par "compactage" Par métaplasme Par transcodage litté ral • Combinaisons de codes et jeux phoniques de transcodage • Le signal du commentai re onomastique B. M otivation par associations C. Mimologies apollinariennes • Mimophonie • Mimographie • La leçon des lettres et des sons La leçon des Le goût des [p] "J'v'[m]" ou "Toutes ne t'[m] pas . . . " Ill. Une anthroponymie culture lle et narcissique l 'exe mple des prénoms A. La motivation culturelle des prénoms • Un double encodage culturel Le cas de Diane L'exemple d'Hélène • Le p rénom chrétien Le modèle hagiographique Valeu r oxymorique des prénoms ch rétiens B. Les p rénoms récurrents • Le même (pré)nom • Quelques p rénoms privilégiés Jacques Pierre André, Georges et Charles C. Les prénoms familiaux • Les prénoms maternels : de Macarée à Marie • François et Françoise D. Les prénoms personnels du poète • Jean, second "prénom secret"

a

1 1 96

p. 553 p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

553 554 557 560 560 562 563 568 576 579 579 583 583 584 586

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

590 593 596 603 603 61 0 614 61 5 61 9 622

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

626 629 629 631 632 639 640 644 647 648 651 651 653 656 661 663 668 674 674

• Les prénoms sociaux du poète : Guillaume, Apollinaire "Guillaume qu'es-tu devenu"? "Apollinhérésies" E. Noms et prénoms du poète assassiné • Six p rénoms • "Héros i nsigne", héros-un signe

p. p. p. p. p. p.

CHAPITRE V. LE PORTRAIT

p. 703

1. Techniques du portrait A. Isaac Laquedem : un portrait emblématique B. L'inscription narrative du portrait • Apollinaire portraitiste? Le portrait élidé Les vrais portraits : 'places et formes • La j ustification du portrait La valorisation de l'acte du portraitiste Le portrait justifié par l'histoire C. Les grands registres d'information • Qualification matérielle des personnages • Les qualifications psychologiques • La notice biographique et la qualification temporelle • La qualification sociale et professionnelle D. Du portrait aux rôles • Le trait dominant : l'ethnie, l'aristocratie, le sexe • Valeur fonctionnelle des portraits Race, te rritoi re et action Le sexe et l'action I l . La rhétorique des portraits physi ques A. Le tout et les parties : le rôle des synecdoques • Le tout de la silhouette • Ordre et grilles de dépli des éléments du portrait physique • L'homologie du haut et du bas : les "visages" du corps B. L'hyperbolisation du bas corporel • De l'euphémisme à l'hyperbole • Les motifs corporels hype rbol isés • De l'hyperbole à la prétérition du corps C. L'hyperbole vestimentaire • Le descripteu r-coutu rier • Le modèle de La Femme assise • L'hyperbole du maquillage et des bijoux • Hyberbole vestimentaire et théâtralisation • L'hyperbole, signe d'une métamorphose • Le vêtu et le nu • L'art du vêtement D. Le système oxymorique des portraits • Les oxymores internes

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

1 1 97

p.

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

p.

p. p. p. p. p. p.

p.

p. p.

680 68 1 689 694 694 699

704 705 71 7 71 8 71 9 72 1 727 727 729 738 738 741 745 749 753 753 759 760 767 773 774 774 776 787 799 800 80 1 81 3 822 822 824 827 831 835 841 847 853 855

• Les oxymo res externes : oppositions et "rimes" entre les pe rsonnages • Les rimes de l'Orient-Express

p. 862 p. 868

CHAPITRE VI. LES PERSONNAGES EN ACTION

p. 874

1. Le person n el apol li narien A. Le personnage témoin : le je-acteur B. Le dispositif des personnages : la distribution et ses dynamiques C. Les formes p re miè res de regroupement • Duos et couples • De la dyade à la triade • De la tét rade au septénai re • G roupes restreints et bandes D. Les foules apollinariennes • L'omniprésence des foules • La foule et la q uestion socia le Le modèle de la foule babylonienne Foule et système politique • La foule et le vertige • La foule et le héros L'adoration d u chef Foule et hype rbole hé roïque Les champions de la foule Le hé ros face à la foule • L'énigme de la foule Il. "Que faire ?". L'acti on et les rôles des person nages A Morphologie des histoi res Début des histoi res • La dynamique de l'action Unité d'action et microséquences dans les contes Les péri péties dans les romans • Force rééq ui li b rante et dénouement B. "Que veux-tu ?" • P rojets, p rog rammes ou refus du vouloi r • Objets et destinateurs de vouloi r ou d'objets C. "Il est temps d'être les maîtres" • Les moyens d u vouloi r Les adjuvants Trois moyens p rivilégiés • Les lieux et les formes du pouvoi r • Le pouvoi r sexuel emblématique • Le b ut ultime : la Puissance D. "Vouloi r savoi r pour q u'enfin ( ... ]" • Les personnages face au savoi r • Maîtres et élèves

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L'instruction et la formation Une structure didactique globale • La structure de l 'enquête "[ . . . ] tu ne saurais manque r d'en découvrir le sens caché." L'entreprise herméneutique Les limites de la quête • Du savoir à l'écritu re

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ÉPILOGUE

"[ ... ] comme on construit une tour" A po l l i na i re " n a rra rch itecte" L'exigence de composition dans Le Poète assassiné • "Giovanni Moroni", foyer thématique • Le bouclage du "Poète assassiné" L 'Hérésiarque et cie : une architectu re lyrique ? • Un recueil rigoureusement construit • Du "Passant de Prague" à "Simon mage" Cinq hérésiarques Trois punitions explicites "Simon mage" comme conte-charnière • Le huitain central Le quatrain "ethn ique" Le quatrain de l'insolite • Le cycle de d'Ormesan : la geste d'un autre Enchanteur Apol l i na i re "héréciarque" • Les récits d'un Janus Janus en romancier Janus et l'avenir du récit de fiction • Apollinaire - "Hermès le voleur'' "[...] s'il sait voler qu'on l'appelle voleur" Du vol à l'"hérécit" • Hermès ou Apollon?

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BIBLIOGRA PHIE

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1. Œuvres d'Apollinaire I l . Travaux sur Apollinaire I l l . Autres ouvrages et articles

p. 1 1 30 p . 1 1 33 p . 1 1 50

INDEX 1. Index des noms de personnes li. Index des œuvres d'Apollinaire I l l . Index des noms des principaux personnages

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TABLE DES MA TIÈRES

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