Les langues africaines pour l'éducation des masses en Afrique 9781919799780, 1919799788

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Les langues africaines pour l'éducation des masses en Afrique
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Langues Africaines r L'éducation des Masses en Afrique KWESI KWAA PRAH

CASAS BOOK SERIES NO 29

Kwesi Kwaa Prah

LES LANGUES AFRICAINES POUR L’ÉDUCATION DES MASSES EN AFRIQUE S)

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Traduit de l’anglais

ÿoo 7

par Brigitte Angays

Publié avec le soutien de la Fondation Ford

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Pour mon père Kwame Darbah qui aurait été d'accord avec mon propos

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Table des matières Remerciements Préface Chapitre 1:

Rappel du Contexte

Chapitre 2:

Langage et Société

Chapitre 3 :

Culture, Langue, Sagesse et Connaissance

Chapitre 4:

Langue et Education de Masse de L’Epoque Coloniale à L’ete Post-Coloniale

Chapitre 5 :

Vers un Développment des Langues et des Cultures de L’Afrique

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Remerciements Ce texte a pu voir le jour grâce aux encouragements et à l’appui de la Fondation allemande pour le développement international, et en particulier de M. Wolfgang Gmelin. Dans un certain sens, il s’agit d'une suite du texte Mother Tongue for Scientific and Technological Development o f Africa. La version publiée ici a bénéficié des discussions qui ont eu lieu au cours de l’atelier sur le rôle de l’université dans l’éducation de base en Afrique du groupe de travail des donateurs travaillant sur le thème de l’éducation supérieure, lequel s’est tenu à Maseru, au Lesotho, les 24 et 25 janvier 1995. Merci à Dorothy Van Kerwel, Melinda Ross et Joseph Mulenga pour leur travail de secrétariat et de recherche. L’auteur

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PREFACE Au cours des aimées à venir, il est probable que la place et le rôle de la langue dans l’éducation et le développement social vont intéresser de plus en plus près les universitaires, les dirigeants sociaux, les décideurs et les planificateurs de tous horizons qui s'occupent et se préoccupent des problèmes de développement en Afrique. Dans l'Afrique post­ coloniale, Péducation est l’un des domaines du développement dont on peut dans l’ensemble dire que les progrès ont été les plus marqués. Partout en Afrique, les écoles sont plus nombreuses qu’elles ne l’ont jamais été. Le développement de l’éducation s’est fait à pas de géant du point de vue des équipements scolaires et du nombre d’élèves. Toutefois, nous ne pouvons dire que cette expansion est suffisante, ni que la qualité de l’éducation ou son contenu permettront de faire face d’une manière durable et créative aux problèmes du développement. De plus, on peut avancer que la structure et l’objet de l’éducation n’ont pas sensiblement évolué depuis l’ère coloniale. Les clivages sociaux qu’entraînent les méthodes éducatives du passé, en créant une élite séparée culturellement des masses, continuent de s’approfondir. Les masses restent marginalisées et l’existence dans les faits d’une culture de masse en pleine stagnation persiste. Si l’on veut que l’Afrique progresse sur les voies de l’éducation et du développement, la culture de masse ne doit pas être laissée pour compte. L’éducation doit être dispensée aux millions d’habitants des zones rurales et urbaines d’une manière qui, culturellement, leur parle et sous une forme qui ne fasse pas fi de leur patrimoine historique et culturel. Si l’on admet cette thèse, on fondera l’enseignement et le savoir sur ce que les gens savent déjà. Si nous attendons le jour où les masses rurales pourront apprendre assez d’anglais, de français ou de portugais pour être en mesure de ‘créer* leur culture dans ces langues, nous risquons de voir ce jour ne rester qu’un mirage s’éloignant constamment au fur et à mesure de nos progrès. Si par contre nous parvenons à apporter les connaissances et la

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science modernes aux masses dans leurs propres langues, il est alors tout à fait probable que la transformation de l’Afrique sera à portée de main. Des obstacles en tous genres empêchent d’utiliser les langues autochtones dans l’éducation des masses en Afrique. D’une part, les langues africaines ne sont dans l’ensemble devenues des langues d’apprentissage à proprement parler que relativement récemment. En conséquence, les documents écrits en ces langues sont plutôt rares et limités du point de vue des thèmes abordés. La plupart ont été rédigés par des missionnaires aux fins de leur œuvre évangélisatrice. 11 n'existe pas grand chose d'autre. Les journaux et bulletins d'information sont une autre forme de publication en langues autochtones mais sont bien moins nombreux aujourd’hui qu'ils ne l'étaient à la fin de l’ère coloniale. L'élite africaine est un élément peu compatissant de cette équation puisqu’elle est elle-même fort éloignée de la culture des masses. Dans l'Afrique post-coloniale, on parle beaucoup de l'égalité entre langues autochtones et langues introduites par les colons mais dans la pratique, on ne fait pas grand chose pour en faire une réalité. Le présent texte tente de présenter des arguments en faveur de l’utilisation des langues africaines pour l'éducation des masses africaines. Il en explique les raisons économiques et sociales. Il fait également valoir qu’en Afrique, du cycle primaire aux études supérieures, il devrait en fait être possible d’étudier dans sa propre langue. Ainsi seulement l’Africain pourra-t-il donner le meilleur de luimême. Toutefois, cela ne peut être possible en englobant la totalité des dialectes locaux existants. Les anthropologues, les linguistes et les sociologues doivent œuvrer dans le sens de l'unification des dialectes mutuellement intelligibles pour instituer de vastes zones linguistiques qui justifient des économies d’échelle pour la production de livres et autres manuels pédagogiques. Une telle démarche limitera en outre la

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portée des problèmes ethniques sur le continent et sera le point de départ d’une coopération entre les pays africains. Aux fins de l’argumentation, la plupart des exemples proposés concernent l’Afrique australe - mais pas tous. J'ose espérer que ce modeste texte stimulera le débat futur. Kwcsi Kwaa Prah Le Cap 24 avril 1995

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CHAPITRE 1 RAPPEL DU CONTEXTE Introduction L’une des caractéristiques principales de la communauté humaine est d’être matériellement capable de transformer continuellement son environnement et de modifier les hypothèses idéologiques qui régissent les relations entre personnes et entre groupes. La question de savoir si les humains ‘progressent* ou non est à l’origine d'un débat philosophique de longue date mais il est indéniable qu’on accepte plus aisément aujourd’hui la notion de la valeur de la vie humaine et des conditions d’existence nécessaires à son maintien. Dans la pratique, l’acceptation de la notion de droits de l’homme n’a pas nécessairement signifié que les êtres humains ont réellement appris à se traiter les uns les autres en respectant davantage leurs droits respectifs. Mais on est néanmoins de plus en plus conscients de la nécessité de respecter les droits humains, tant individuels que civiques, ainsi que les droits collectifs ou droits des peuples. Progressivement, les divers éléments de notre définition des droits humains se précisent, se structurent et s’étoffent. Au cours des cinquante dernières années, l’un des domaines qui a préoccupé les théoriciens des droits humains est que l’éducation devrait être une caractéristique universelle de la civilisation moderne - un droit que tout être humain peut revendiquer. Dans les années 40 et 50, déjà, l’Unesco lançait le slogan *¡’alphabétisation est un droit de l’homme’. L’idéal de Téducation pour tous’ au sens le plus large repose sur l’hypothèse que tous les membres d’une société donnée doivent savoir lire et écrire. C’est là l’élément de référence de cet idéal. Mais cet idéal n’est pas une fin en soi. Les êtres humains doivent pouvoir lire et écrire parce que la plupart des sociétés considèrent à juste titre de nos jours que c’est là un droit. La notion de société civilisée moderne repose sur celle de l’alphabétisation des citoyens. Mais, chose plus importante 8

encore, c’est là une qualité qui permet d’acquérir un rôle et un statut sur le plan social et sans laquelle on se heurte à des obstacles sociostructurels. Savoir lire, écrire et compter facilite la mobilité sociale. Cela permet à ceux qui entendent échapper aux échelons inférieurs de l’échelle sociale d’être plus compétitifs. C’est une condition qui rend plus démocratique la société et permet à ses membres d’obtenir voix au chapitre et de mieux comprendre l’organisation sociale en fonction d’une communauté de vues et d’opinions. L’éducation de base libère les êtres humains de l’emprisonnement culturel qu’est l’analphabétisme et leur permet d’accéder au processus de production sociale en déployant plus créativement leurs talents. Si l’éducation de base améliore les possibilités individuelles en développant l’utilisation de la créativité aux fins de la production sociale, son incidence sur le potentiel collectif est tout aussi remarquable. L’expansion de l'éducation de base se traduit par l’apparition et le développement d’une culture du savoir, plus à même de réaliser les objectifs du développement de la société. L’expérience de nombreux pays des quatre continents corrobore ce fait. Dans une publication récente qui cite des études révélatrices de Bouya, Alexander, Etta, Kinyanjui, Quist, Coulibaly et Amoussou-Yeye, Tapsoba fait, dans son introduction, une remarque qui confirme notre argument. En Afrique, l’un des aspects majeurs de la réflexion des autorités sur l’éducation est d’accepter le sage principe de l’existence d’un lien entre développement et éducation. ...des études ont régulièrement montré que l’éducation de base et l’alphabétisation des adultes sont des facteurs qui contribuent au développement économique de façons diverses : productivité accrue des nouveaux alphabétisés ; productivité accrue de ceux qui travaillent avec ces derniers ; connaissances améliorées des nouveaux alphabétisés dans les domaines de la santé infantile et de la nutrition ; baisse du coût de la transmission de l’information ; et demande accrue de formation professionnelle1. Sibiy Tapsoba, Introduction au numéro spécial sur 'Education and Development in Sub-Saharan Africa’, Africa Development Vol. XIX n°4, 1994. Voir également 9

Tapsoba ajoute que les partisans de la théorie du capital humain ont

tenté d’établir un lien entre le relèvement du niveau d'instruction de la main-d’œuvre et le développement2. S’il existe bien un lien entre les deux, il ne s’agit pas d’un lien de causalité direct Le travail d’alphabétisation qui conçoit l’alphabétisation comme un investissement direct dans le développement a dans le passé été associé aux théories désormais largement discréditées de la modernisation. Comme l’indiquent clairement les termes, ‘éducation de base’ signifie fournir le savoir-faire essentiel qui permet de résoudre les problèmes immédiats de la vie quotidienne. En ce sens, cette notion va plus loin que l’idée de l’alphabétisation simple ou ‘brute’. Elfe propose un fondement, une structure au développement créatif de compétences en vue d’une meilleure intervention dans le processus de production sociale. Il s’agit d’une éducation pertinente, sans fioritures. Elle n’est pas ‘livresque’ au sens où elle serait essentiellement cérébrale ou sans emprise sur les problèmes concrets du quotidien. Ce n’est certes pas là son objet mais, dans le même temps, lire et écrire sont essentiels pour un développement soutenu d’une éducation de base qui ait un sens. À partir de documents officiels, Hawes a élaboré un catalogue de l’usage des termes ‘éducation de base’. En Jamaïque, cette expression est synonyme d’éducation préscolaire. En Zambie, elle recouvre la totalité du cycle scolaire obligatoire. En Éthiopie et en Sierra Leone,

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A.B. Fafunwa, Discours de bienvenue prononcée à l'occasion du lancement de l’Année internationale de l’alphabétisation (1990) et du Livre blanc pour l’alphabétisation de niasse, 1990. S. Tapsoba, ibid. Voir également Mamane Nxumalo, ‘The Sociological Effects of Illiteracy on National development An Overview’, in Y.D.J. Rodda et C.L. Mareka (directeurs de publication), États de la Conférence sur l'alphabétisation et l ’éducation de base des adultes en Afrique australe, 1990. M. Prinsloo considère que les théories du capital humain et les idées qui y sont étroitement associées «1 ce qui concerne les méthodes d'alphabétisation lesquelles ne voient dans l’alphabétisation qu’un facteur de modernisation (la voie de l’évolution que toutes les sociétés en développement suivront pour se modernisa1, l’exemple en étant la société occidentale) Voir M. Prinsloo, ‘The Limits of the Modernizing and Conscientizing Agendas in Adult Literacy Work : Steps Towards an Integrated Approach to Adult Literacy Teaching,* in Y.D.J. Rodda et C.L. Marka (directeurs de publication), ibid, p.256-257. 10

elle a été utilisée pour signifier la première partie du premier cycle de scolarisation et n’englobe pas tout le primaire. Au Brésil, elle s’entend d’une structure parallèle à l’enseignement primaire conventionnel. En Inde, où ces termes remontent à l’époque du Mahatma Gandhi, ils signifiaient une forme d’enseignement parallèle destinée aux communautés paysannes en milieu rural, axée sur le développement rural. Le Gouvernement tanzanien a insisté sur l’acquisition de savoirs, de comportements et de compétences fondamentaux par tous les citoyens, à l’école ou en dehors. Au Burkina Faso, l’expression a servi dans le passé à exclure les adultes3. Compte tenu de ces divergences dans la conceptualisation et la mise en pratique, nous voilà sur un terrain social contesté. Hawes a tenté de définir les caractéristiques communes à ces diverses conceptions. D’après lui, au lieu de formuler la notion d’éducation de base en fonction du nombre d’années, il faudrait l’envisager en tant qu’un ensemble de compétences, de comportements et de savoir-faire essentiels qui servent à équiper les apprenants à des fins existentielles, ouvrant ta voie à l’acquisition d’autres connaissances. L’éducation de base offrirait une gamme variée de moyens d’acquérir des connaissances et des compétences, en associant des méthodes pédagogiques à la fois scolaires et extra-scolaires. Les connaissances proposées sont extrêmement ‘basiques’, concernent essentiellement ‘les besoins minimaux de survie’, et se rapportent à ‘la réalisation individuelle d’objectifs plutôt qu’à la durée ou aux sujets abordés’. C’est une méthodologie qui ouvre constamment et de plus en plus le champ de l’éducation aux apprenants. Elle est le plus fructueuse lorsqu’elle est conçue comme une activité faisant intervenir toute une gamme d’organismes, y compris souvent la famille, l’école, les organismes et institutions de formation autres que scolaires ainsi que la communauté tout entière4. Ce que cela veut dire, bien entendu, c’est que pour être efficace, les programmes d’éducation de base doivent être très précisément orientés 3 4

Voir Hugh Hawes, Curriculum and Reality in African Primary Schools, Londres, 1979, p.163. Ibid, p. 164. 11

et avoir des objectifs sociaux bien définis. Dans un pays donné, en fonction de facteurs tels que le mode de vie et les conditions culturelles et environnementales, l’optique pédagogique pourra varier considérablement Le programme d’éducation de base ne sera pas le même pour une communauté côtière de pêcheurs et pour une société pastorale de 1*intérieur du pays. Des agriculteurs sédentaires produisant des cultures de rente auront besoin d’un programme très différent de celui qui pourra être légitimement offert à une société vivant essentiellement de la cueillette et de la chasse. Toutefois, il s’agira essentiellement d’une différence de contenu et non pas de forme. La logique du système sera plus ou moins la même, mais les caractéristiques contextuelles devront être adaptées pour répondre aux conditions particulières de la situation donnée. L’alphabétisation est le point de départ de l’acquisition de toutes les compétences modernes ; elle est cruciale pour la différenciation sociale, la structuration de la production sociale et la division du travail au sein de la société. Aujourd’hui en effet, l’un des indicateurs importants du développement est le nombre de membres d’une société qui ont bénéficié d’une éducation de base. Toutes les sociétés développées du monde contemporain sont des sociétés dans lesquelles on trouve des taux élevés d’alphabétisation et d’acquisition du calcul. Enoch Mulira, dans son document intitulé Helping Eyes that See, to See souligne le point suivant : Prenez une carte de l’alphabétisation dans le monde et une autre carte des revenus économiques par habitant et comparez les deux, vous verrez qu'il existe une relation très claire entre richesse et alphabétisation. Si nous prenons une troisième carte représentant le taux de mortalité par millier d’habitants, nous verrons que les taux de mortalité les plus élevés se trouvent dans les pays les plus illettrés. Ce qui montre clairement que l’analphabétisme, la pauvreté et la maladie vont de pair.

Il convient néanmoins de bien préciser que l’analphabétisme en soi n’est pas pour autant source de pauvreté et de sous-développement. Il s’agit d’une relation plus dialectique, d’interpénétration, l’un des

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paramètres de l’équation renforçant l'autre. Dans les sociétés alphabétisées, les compétences modernes peuvent être facilement acquises sur une vaste échelle, en réponse aux besoins économiques et sociaux, dans des délais relativement brefs. De nouveaux savoirs peuvent facilement être adaptés et adoptés sans que des apports importants de capitaux soient nécessaires pour étoffer les ressources humaines. L’éducation de base s’adresse à trois groupes cibles, à savoir les adultes illettrés, les enfants d’âge scolaire et les jeunes illettrés5. Il s’agit là en fait de groupes qui, étant donné la nature de la dynamique de la société moderne, sont marginalisés. Si l’on ne s’intéresse pas à eux, ils dérivent peu à peu vers la désocialisation. La structure et le contenu des approches pédagogiques qui s’adressent à ces groupes cibles sont déterminés par les conditions qu’imposent les différences d’âge et les besoins découlant des fonctions sociales de ces groupes une fois instruits. Pour les adultes et les jeunes, l’acquisition de compétences est particulièrement cruciale en tant que composante et objectif tant du programme d’éducation de base que du programme post-instruction. Compte tenu des réalités du monde d’aujourd’hui, si l’on est analphabète, cela signifie que l’on est mal préparé, voire pas du tout, pour fonctionner dans une société en voie d’industrialisation. Quels que soient les talents et le potentiel de ces personnes par ailleurs, l’analphabétisme reste pour elles un facteur contraignant, qui freine leur progrès social. L’analphabète est un handicapé, un être non compétitif dans une société démocratique moderne qui fonctionne sur la base d’une méritocratie. Il faut également se souvenir qu’aujourd’hui, analphabétisme ne signifie pas uniquement retard culturel et inadéquation intellectuelle, mais qu’il contribue directement à désunir, séparer et isoler les peuples. On a tendance à trouver dans les populations illettrées beaucoup de préjugés et de difficultés à inter-agir avec d’autres populations parlant d’autres langues.

s

N. Ndimurukundo, ‘Illiterate Youth : Lost Youth’, in Unesco-Africa, n°8,1994. 13

Historique d'on programme Au cours des cinquante dernières années, on peut recenser quatre grandes périodes qui représentent les diverses étapes de révolution des concepts d’éducation de masse et d'alphabétisation au sein des principaux organismes internationaux qui se penchent sur cet aspect de ¡’éducation. L’Unesco est un organisme phare en la matière. En fait, depuis sa fondation en 1946, l’Unesco est à l’avant-garde de la recherche internationale de solutions aux problèmes de l'analphabétisme à l'échelle du monde. Les résultats ne sont toutefois pas à la hauteur des efforts mis en œuvre. Au cours de la période allant de 1945 à 1964, le concept ‘d’éducation fondamentale' était en vigueur. Ces termes recouvraient toute une gamme d’activités de développement, y compris ta notion de ‘développement communautaire', et englobaient essentiellement les programmes d’alphabétisation extra-scolaires destinés à la fois aux adultes et aux enfants. Le concept d’alphabétisation fonctionnelle excluait à ce stade le calcul mais insistait sur la nécessité d’inculquer un savoir-faire pratique. Il a été dit que, dans une large mesure, les succès enregistrés au cours de cette période ont été maigres. En 1961, la première Conférence panafricaine des ministres de l'Éducation s’intéressait de très près aux voies et moyens qui permettraient de résoudre le problème de l’analphabétisme sur le continent. De 1965 à 1974, le concept de ‘l'alphabétisation fonctionnelle’ est devenu central. Il était associé à un objectif de croissance économique qui avait été conçu dans le cadre du projet conjoint Unesco/Pnud, le Programme expérimental de littérature mondiale. Les avantages de l’alphabétisation devaient être calculés au regard de la croissance économique ‘lorsqu’ils étaient liés à des zones ou à des groupes cibles particuliers de l’industrie ou de l’agriculture en cours de développement rapide’. Le Programme expérimental de littérature mondiale était lancé par l’Unesco et entériné par la Conférence mondiale de Téhéran en 1965. Il s’agissait d’une approche par projet que l’on entendait voir se propager par un effet multiplicateur. Ses résultats ont été assez limités, et sur le plan conceptuel, a ouvert la voie à la Déclaration de Persépolis de 1975, dont le slogan était : ‘Un tournant pour l’alphabétisation’.

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Au cours de cette nouvelle période (1975-1980), l’accent était désormais mis sur la ‘conscientisation’. Cette nouvelle orientation résultait de la synthèse des enseignements qui avaient été tirés du Programme expérimental de littérature mondiale» et s’inspirait des enseignements de Paulo Freire. Au cours de cette période, l’alphabétisation a été considérée comme l’un seulement des nombreux aspects différents dont i! fallait tenir compte pour améliorer le sort des plus démunis du monde contemporain. À cet égard, la Déclaration de Persépolis définissait l’alphabétisation comme étant : ...non pas simplement le processus qui consiste à apprendre à lire, à écrire et à compter, mais une contribution à la libération de l’homme et à son plein développement Ainsi conçue, l’alphabétisation crée les conditions qui permettent réquisition d’une conscience critique de la société dans laquelle vit l’être humain, et de ses objectifs ; elle stimule également l’initiative et la participation à la création de projets capables d’agir sur le monde, de le transformer, et de définir les objectifs d’un développement humain authentique. Elle doit ouvrir la voie à la maîtrise des techniques et des actions humaines.

Depuis 1981, le concept ‘d’éducation pour tous’ est devenu central dans le langage de la mobilisation en faveur de l’alphabétisation. Une idée qui était devenue populaire à la fin des années 1970 dans le cadre du programme visant à ‘éradiquer l’analphabétisme d’ici à l’an 2000’, par le biais de campagnes massives d’alphabétisation, s’est vue gravement mise en échec par la récession économique qui a frappé la plupart des pays du tiers-monde, et notamment l’Afrique. 1990 a été déclarée par l’Organisation des Nations Unies comme étant l’année internationale de l’alphabétisation. Ce devait être le début de la décennie de l’alphabétisation et l’occasion de réaffirmer l’attachement de l’organisation internationale à éliminer l’analphabétisme dans le monde. Alors que nous arrivons au milieu de la décennie, nous sommes 6

A Lind et A Johnston, Adult Literacy in tlw Third World, Stockholm, 1990, p.8-9. Voir également E.E.K. Mulira, ‘Helping Eyes that See, to See’, in R.T. Parsons (directeur de publication), Windows on Africa, Leyde, 1971, p.82. 15

en droit de nous demander si les réalisations ont été suffisantes pour dire que la Déclaration de 1990 a abouti &un succès. Malheureusement, les résultats ne sont guère mirobolants. 11 semblerait que, comme cela a été le cas pour la plupart des pléthores de déclarations qui ont précédé celle de 1990, le problème est toujours là et dans des proportions énormes.

Tableau 1. L'analphabétisme dans le monde, chiffres annuels (Conférence mondiale sur l’Éducation pour tous, Document ¿’information, 1990, Jomtein, Thaïlande, Mars 1990, New York, Unicef)7

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