Professionnaliser les praticiens d'administration de l'éducation en Afrique 2343005958, 9782343005959

Cumulant tares et dysfonctionnements, en confrontation avec les initiatives locales, l'école africaine formelle est

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Professionnaliser les praticiens d'administration de l'éducation en Afrique
 2343005958, 9782343005959

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Moustapha Diallo

Éducations et sociétés

Professionnaliser les praticiens d’administration de l’éducation en Afrique

Professionnaliser les praticiens d’administration de l’éducation en Afrique

Éducations et Sociétés Collection dirigée par Louis Marmoz La collection Éducations et Sociétés propose des ouvrages, nés de recherches ou de pratiques théorisées, qui aident à mieux comprendre le rôle de l’éducation dans la construction, le maintien et le dépassement des sociétés. Si certaines aires géographiques, riches en mise en cause et en propositions, l’Afrique subsaharienne, l’Europe du Sud et le Brésil, sont privilégiées, la collection n’est pas fermée à l’étude des autres régions, dans ce qu’elle apporte un progrès à l’analyse des relations entre l’action des différentes formes d’éducation et l’évolution des sociétés. Pour servir cet objectif de mise en commun de connaissances, les ouvrages publiés présentent des analyses de situations nationales, des travaux sur la liaison éducation-développement, des lectures politiques de l’éducation et des propositions de méthodes de recherche qui font progresser le travail critique sur l’éducation, donc, sans doute, l’éducation elle-même...

Dernières parutions Joseph BOMDA, La fonction du conseiller d’orientation scolaire au Cameroun, 2016. Françoise CHEBAUX et Daniel OLIVIER (dir.), Une école, des écoles, Du désir de transmettre au désir d’apprendre, 2016. Miriam APARICIO et Françoise CROS, Le doctorat et son avenir incertain. Trajectoires et identités : comparaison entre la France et l’Argentine (Cnam et Université Nationale de Cuyo), 2015. Innocent FOZING, L’éducation au Cameroun, entre crises et ajustements économiques, 2015. Vladislav RJÉOUTSKI et Alexandre TCHOUDINOV, Le précepteur francophone en Europe, XVIIe – XIXe siècle, 2013. Reine GOLDSTEIN, Éveilleurs d’espoirs. Makarenko, Garric, Freinet…, 2013. Gaston MIALARET, Pour la recherche et la formation, 2013. Gilles BOUDINET, Deleuze et l’anti-pédagogue, Vers une esthétique de l’éducation, 2012. Salé HAGAM, Le développement de l'éducation en Afrique subsaharienne, 2012.

Moustapha DIALLO

Professionnaliser les praticiens d’administration de l’éducation en Afrique

© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris www.harmattan.com [email protected] ISBN : 978-2-343-00595-9 EAN : 9782343005959

A Ludovic Rouillé, Hadja Oumou Nénédyo Sankarela, Alhadji Mamadou Dambi Baldé, Koin A la mémoire d’Elhadj Fodé Lamine Touré

INTRODUCTION

Dans les communautés africaines traditionnelles, le service formel d’éducation publique médiatisé par l’écriture fut d’abord assuré par les foyers coraniques dispensant dans la langue du prophète la lettre du Coran et la culture islamique. Et avec le contact de l’Occident chrétien, les missions d’évangélisation furent les premières à initier une scolarisation en langue européenne destinée aux Africains. Mais bien avant ces services d’éducation d’expression arabe puis française, anglaise et portugaise, s’était développé un service d’éducation et de formation à travers les structures traditionnelles de transmission des métiers de tisserands, de forgerons et autres fabricants. En somme des praticiens des arts et des métiers ancestraux. Comme par analogie, dans la plupart des pays d’Afrique noire contemporaine, les fonctions d’administration, de gestion et de planification de l’éducation publique formelle sont tenues par des enseignants, leur seule pratique portant affirmation de leur qualification. Ce sont des praticiens. Dans le corps de la santé, le praticien est d’ordinaire un membre du personnel, pas nécessairement un spécialiste, mais qui n’exerce pas moins. Il a fini par désigner toute personne qui prodigue des soins, du docteur en médecine à l’auxiliaire médical ou le chirurgien-dentiste.

Le terme de praticien est aussi utilisé par les hommes de lois avec la même acception : il désigne alors aussi bien l’avocat que le procureur ou le greffier pour ne citer que ceux-là. En vertu de cette propriété de s’appliquer à des personnels d’une activité professionnelle sans distinction de grade et/ou de hiérarchie, le terme de praticien a été crédité aux personnels administratifs de l’éducation, commis aux tâches, et pour le moins non spécialistes. En Afrique, les tares et les dysfonctionnements des systèmes éducatifs ont été imputés à ces praticiens des services administratifs et des efforts consentis çà et là tentent d’y remédier. Aux personnels des divers échelons de l’administration de l’éducation publique sont proposées des formations dites de perfectionnement, de qualification sinon d’adaptation aux fonctions. Et ils prennent part à ces formations en tant que représentants mandatés d’une institution ou d’une instance sinon d’un organe de l’éducation, comme ils les représenteraient à des cérémonies sociales (baptême, mariage ou autre), sans considération d’un quelconque profil. Conséquemment, peu de suivi dans les formations, pas ou peu d’obligation de rendement, la prime octroyée étant bien souvent l’argument décisif de la représentation. Les formations quant à elles se réduisent le plus souvent à des perfusions de ce qui est assuré être les bonnes méthodes, les bons procédés censés rendre les personnels aptes à l’exercice des fonctions respectives. Au constat de l’impact mitigé de ces formations sur la conduite de la gestion scolaire, il est de plus en plus envisagé de professionnaliser les personnels. Détenteur des savoirs et savoir-faire d’un domaine de l’activité humaine, le professionnel est celui instruit des principes et méthodes, des normes et techniques, des pro10

cessus et procédés d’un agir spécifique. Cette expertise, il la tient généralement d’une institution de formation laquelle lui en dévoile la logique d’algorithme et lui décerne une habilitation. Et les savoirs standardisés sanctionnés acquis sont supposés générer les compétences utiles dans l’agir, dans toutes ses diversités et dans tous les environnements. Cependant, l’agir est nécessairement personnalisé, toujours en contexte. Il ressort du réel et le réel défie tout standard pour développer sa propre logique. Il opère aussi bien sur des régularités que sur des irrégularités, alliant similitude et dissemblance, harmonie et dysharmonie. Prétendu connu, le réel reste méconnu, toujours à découvrir. Et c’est avec ce réel insaisissable, capricieux, que doit composer le professionnel pour s’affirmer sur le territoire de la professionnalité, la mise en œuvre, dimension de l’être agissant, étant en définitive seule déterminante. Schön l’a bien compris qui, en matière de professionnalisation, recommandait notamment d’« attirer l’attention sur le savoir dont les praticiens font montre dans leur agir professionnel »1. Ainsi de notre approche de fonder les investigations autour du développement professionnel des personnels administratifs de l’éducation publique en Afrique sur les situations de travail en vigueur au sein des fonctions respectives d’administration de l’éducation. En effet, plus la formation des praticiens prendrait appui sur leur agir, plus l’offre et la demande de formation seraient adéquates. Conséquemment, plus les savoirs développés seraient adaptés au type de problème à résoudre et plus ces savoirs concourraient à la définition de professionnalités spécifiques et, de ce fait même, plus ces 1

Schon, Le praticien réflexif ; A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Les Editions Logiques, Montréal, 1994

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savoirs participeraient à l’affirmation d’une identité professionnelle, tant il est vrai qu’agir c’est primer, c’est exprimer des savoirs. Mais comment appréhender les savoirs au cœur de l’agir, savoirs informels développés au cours des aléas des différentes situations de travail et intériorisés sur un plan individuel par les membres des collectifs des services éducatifs publics ? Complexe, toute situation de travail agrège des missions, des activités pratiques ainsi que des contextes de mise en œuvre. Elle implique nécessairement des relations de travail que le praticien entretient ici et là, non seulement eu égard à d’autres fonctions de la gamme des activités développées, mais aussi par rapport à la structure d’ensemble de l’organisation du travail qui la sous-tend et l’impulse. Appréhendé sous cet angle, il est possible d’envisager le développement professionnel des personnels des services administratifs de l’éducation publique dans une vision unitaire et globale du système managérial et par ce, des interactions des personnels au sein des différentes fonctions d’administration, de gestion et de planification de l’éducation. Une telle vision autoriserait à identifier en tout premier lieu le rapport entre les savoirs fondamentaux et/ou les compétences individuelles nécessaires aux agir des personnels exerçant les différentes fonctions de la chaîne administrative. Une analyse de l’agir opérée sur la base d’un retour réflexif sur ce dernier, serait-elle à même de dévoiler cette chaîne de solidarité et cette complémentarité des agir exigibles des uns et des autres pour rebondir sur les savoirs qui les animent ? A scruter les communautés de praticiens, il est loisible de poser que plus les pratiques sont prisées et font autorité 12

parmi les pairs, plus elles se parent d’un statut professionnel et plus les savoirs y exprimés sont décisifs dans la composition et le développement des professionnalités. Et dès lors, la tentation serait forte de chercher à dégager les agir notoriés des différents personnels de la chaîne administrative en vue d’explorer comment ils ont été générés, entretenus et développés. Une analyse réflexive de ces agir permettrait-elle une exploration des savoirs implicites ainsi que des processus cognitifs qui les sous-tendent afin de les réinvestir dans une activité de professionnalisation ? Mais auparavant, comment appréhender à travers les discours, les sciences des pratiques, les praticiens se révélant détenteurs de savoirs généralement indicibles ? Leurs narrations permettront-elles une construction conceptuelle apte à faire redécouvrir les actes posés, les pratiques développées par-delà les émotions suscitées? Quelles techniques et stratégies pour interroger la mobilisation de l’intelligence au travail et porter explicitation du savoir issu de « l’exercice de cette forme rusée, pratique, incorporée d’intelligence de l’action »2? Les informations développées dans cette étude sont issues des données recueillies et centralisées sur une période de plus de quinze ans. Elles ont été constamment amendées, affinées au cours des séminaires et ateliers que nous avons eu l’occasion de gérer, voire, des activités de consultation que nous avons menées, ce qui nous a permis un suivi permanent d’animateurs des systèmes éducatifs de quelques pays d’Afrique noire scolarisant en français pour nous appesantir sur la Guinée et le Togo. Ici et là, les investigations menées dans les différentes instances et institutions éducatives n’ont pas eu pour but 2

G. Jobert, L’intelligence au travail, in Ph. Carré et P. Caspar, Traité des Sciences et des Techniques de la Formation, Dunod, 1999, p. 205

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de vérifier des hypothèses posées a priori mais seulement de comprendre le fonctionnement interne des structures de gestion de l’éducation publique en Afrique pour aboutir à un corps d’hypothèses plausibles et en inférer des éléments de connaissance objective et critique. L’examen des diverses interactions des personnels des administrations des services éducatifs a conduit à une interrogation des mécanismes internes de régulation des systèmes administratifs attendu que ce sont les efforts d’adaptation aux divers environnements qui vont aiguillonner vers une structuration des compétences nécessaires et décliner les critères d’un développement professionnel des personnels assumant les diverses fonctions d’administration de l’éducation. D’où notre option pour leur professionnalisation : attiser le feu et ranimer les flammes de l’agir afin que les savoirs insus soient translucides et que les consciences, individuelles et collectives, s’en imprègnent, non pas en tant que reliques d’un passé peut-être révolu, mais en tant que plateformes d’une projection vers un professionnalisme plus efficient.

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CHAPITRE 1 Savoirs professionnels et services d’éducation en Afrique noire francophone

Une opinion confortée par les enquêtes sur l’illettrisme en Afrique porte présomption que tous ceux qui n’ont pas accédé aux écoles des anciennes métropoles (française, anglaise ou portugaise), et ils sont encore nombreux, sont réputés analphabètes, non scolarisés. Interprété comme le « tout scolarisation », le système éducatif public d’expression occidentale est loin d’être universel au sein des communautés africaines. A ne point s’appesantir sur son caractère récent dans les structures éducatives, il ne couvre encore qu’une faible proportion des populations africaines. Et c’est surtout oublier que le système public d’éducation, moyen de transmission des valeurs essentielles, s’exprime et se déploie de différentes manières, à la dimension du développement de la communauté qui l’a engendré et qu’il est appelé à revigorer, à perpétuer. Dans les communautés africaines les premières formes de formation et d’apprentissage ont été celles déployées dans les corporations artisanales. Centres informels mais non moins lieux de propagation et moyens de transmission des valeurs communautaires fondamentales, les corpora-

tions artisanales ont développé et entretenu un véritable service public d’éducation et de formation. Parallèlement aux corporations, un système éducatif porté par l’écriture s’est affirmé d’abord dans les milieux confessionnels islamiques puis chrétiens, centres de formation religieuse et d’éducation morale développés au sein des communautés locales, avant de devenir publique et laïque dans le cadre de la scolarisation sous administration coloniale. Une appréhension du service éducatif public et de sa gestion dans les pays d’Afrique noire d’expression française amène à s’interroger non seulement sur le système éducatif véhiculé par la langue française à travers les structures évangéliques et plus tard coloniales, mais également sur les pratiques éducatives encore en vigueur dans les écoles coraniques, voire, les formations aux métiers entretenues au sein des corporations artisanales. En effet et bien avant la pénétration étrangère, s’était développée en Afrique, une éducation communautaire recrutant dans des catégories de public bien déterminées et dans un contexte tantôt informel, tantôt formel, ce qui a conféré aux services éducatifs des communautés africaines un caractère plutôt hétérogène. Divisées et inégalitaires, les communautés traditionnelles ont distingué au sein de leurs populations des clans dominants et des castes dominées. Et les dissensions en leur sein ont fortement imprégné les orientations des services d’éducation, de formation et d’apprentissage. Au sein des corporations, formation, fabrication et gestion relevaient d’une autorité unique symbolisée par le maître artisan et orientée vers l’organisation d’une production d’autoconsommation au sein de communautés où la monnaie jouait un rôle marginal, le troc soutenant l’essentiel des échanges. Et autant dans les cercles d’éducation coranique. 16

Quoi qu’au sein de la scolarisation française l’activité pédagogique soit déployée dans un cadre et contexte différents de celui de l’organisation des ressources humaines matérielles et financières pour sa mise en œuvre, le personnel chargé de l’administration des structures éducatives provient pour l’essentiel de l’encadrement pédagogique. Et dès lors, comment le pédagogue a-t-il opéré sa mue pour investir les structures administratives de l’éducation ? Cette évolution qui interroge la nature des savoirs à la base de son développement professionnel interpelle tout autant les supports professionnels des pratiques administratives de l’éducation dans l’Afrique contemporaine.

1. LES PRESTATAIRES DE SERVICE COMMUNAUTAIRE D’ÉDUCATION Dans une Afrique jadis de clans et de castes, il était de l’ordre de la nature que soient distingués les dominants et les dominés et que chaque catégorie soit investie de sa mission spécifique. Et dès lors, l’éducation communautaire a porté promotion d’un système de valeurs intériorisées convergeant vers l’établissement d’un consensus sur un ordre social normal, juste et justifié, devant être ce qu’il est et pas autrement. Instrument de reproduction et de légitimation du système des croyances, le service communautaire d’éducation a été assuré par des organisations spécifiques où s’élaborent des idées, des principes et des préceptes, des techniques et des technologies. Et comme dans toute organisation, « la façon efficace dont un chef doit commander dépend dans une large mesure du conditionnement culturel de ses subordonnés, c’est-à-dire, de leur degré de subordination, de soumis-

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sion et de dépendance vis-à-vis de lui »3, le service communautaire d’éducation va se structurer conformément à la dichotomie sociale en vigueur : aux dominés, la culture profane du savoir artisan ; aux dominants, le culte du savoir sacré du Livre. Ces deux pôles de pensée et d’action vont engendrer des écoles différenciées, portées par deux figures emblématiques des mandarins des communautés africaines traditionnelles : l’artisan-professionnel des corporations et le recteur des institutions confessionnelles, coraniques ou évangéliques. Si les corporations artisanales sont restées contenues dans le cadre traditionnel, les écoles confessionnelles, coraniques ou évangéliques vont enregistrer des développements différents. Dans les communautés sous influence chrétienne, les écoles paroissiales ont été vite assimilées à celles de scolarisation française sous tutelle coloniale alors que dans les régions sous influence islamique, les foyers coraniques vont s’édifier à la faveur des idées et opinions professées par les sectes d’obédience des maîtres de Coran. Et en lieu et place d’un enseignement unifié, le foyer coranique est plus apparu comme celui portant apologie d’une secte religieuse, avec sa doctrine, ses apôtres, ses principes et ses fondements de l’adoration du Seigneur. 1.1. Les artisans-professionnels des corporations Traditionnellement, les corporations sont constituées d’artisans spécialisés dans la fabrication d’un bien matériel. Elles ont fondé le socle des arts artisans pour consacrer le concept même d’art et métier : l’art de la 3

D. Bollinger et G. Hofstede, Les différences culturelles dans le management. Comment chaque pays gère-t-il ses hommes ? 1987, p. 240

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forge, l’art du cuir, du bois, de la poterie, de la vannerie, etc. Dans les communautés fondées sur les métiers, il a été difficile d’envisager une quelconque professionnalisation d’un individu car tout art, tout métier, tout art et métier, était objet de représentations attribuant son origine et son appartenance à des essences supérieures lesquelles confèrent aux membres de castes bien définies un droit d’usage et d’exploitation. Et par-delà cette communauté des « ayant droit », chaque caste détentrice des secrets d’un art et métier avait son génie propriétaire. L’exercice de tout art et métier était placé sous tutelle de ce génie et la pratique du métier n’était que révélée par l’intermédiaire agréé entre le génie et les membres de la caste. L’habileté de l’artisan (pour ne pas dire professionnalisme) relève certes d’un mérite personnel, mais elle constitue avant tout un don du génie. Avoir la main, être un artisan renommé, réputé pour ses prouesses et la qualité des œuvres produites, relève plus des faveurs du génie propriétaire que d’une qualification professionnelle de l’agent. Et ce génie, accompagnateur omniprésent est toujours et partout invoqué. Si bien que pour les artisans d’antan l’établi était un espace sacré hanté par la présence permanente et bénéfique du génie. Service de production, il constituait avant tout un sanctuaire où se fondent et se confondent formation et adoration. 1.2. Les recteurs des foyers coraniques Suite aux mouvements islamistes des XVIIIe et XIXe siècles, les foyers coraniques essaiment une grande partie de l’Afrique au Sud du Sahara. Dans ces communautés à civilisation orale, l’instruction par le truchement de l’écriture constitue un mythe bien vivace, un privilège au19

quel aspire bien de notables. En effet, la tradition populaire atteste que c’est « le seigneur et le très noble qui a enseigné par la plume, à l’homme, ce qu’il ne savait pas »4. L’instruction coranique sera portée sur un piédestal et contrairement aux us des corporations artisanales, elle va constituer un attribut de l’instruit. D’où cette mystique du « maître de la plume », base et fondement du mythe de la suprématie de l’aristocratie du Livre dans certaines sociétés africaines de culture islamique, du moins celles au Sud du Sahara. Dans le Fouta traditionnel, le très honoré et érudit Thierno Mohammadou Samba le saint de Mombéya5, n’enseignait-il pas que « l’encre du savant est à la société plus utile que le sang du martyr » ? Et l’encre du savant traçait ses dogmes dans les foyers coraniques. Au Fouta tout comme dans les pays mandingues, l’instruction coranique est ressentie comme obligatoire et précède toute inscription dans une école française, dans le monde rural comme dans les cités urbaines. Dans ces communautés de culture islamique, nul enfant âgé de 5 à 6 ans ne saurait éviter son enrôlement dans un de ces nombreux foyers. Le terme consacré de « foyer coranique » traduit une triple acception. C’est d’abord un lieu où se reconstitue le feu sacré à la lueur des flammes duquel se transmet la culture islamique pour embraser le cœur des fidèles : les apprenants se retrouvent en cercle pour déclamer les versets du Coran sous l’éclairage et les éclairages du feu divin alimenté par des brindilles aux cendres bénies. Sous l’égide du Thierno-recteur, le « foyer coranique » est un centre de rayonnement culturel, un pôle 4 5

Sourate n° 96 du Coran Centre islamique réputé du Fouta théocratique

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d’excellence de la culture islamique au sein duquel la « lecture-écriture-mémorisation » constitue le nectar de la formation fondamentale. Après la syllabation coranique, la formation fondamentale se poursuit par la lecture de base et l’apprentissage de l’écriture à un niveau minimum obligatoire pour tous. Les activités développées à ce niveau de base sont reprises au niveau supérieur de la lecture courante. Et la moindre petite erreur est exploitée par le Thierno-recteur pour une reprise intégrale de tout le parcours. Sans motif apparent que les caprices du maître, ce qui ne manque pas d’engendrer bien de frustrations. En fait, ce système procède d’un principe pédagogique qui veut que chaque niveau essentiel soit objet d’au moins un double traitement. Cette formation fondamentale sera complétée par la traduction et la versification. La traduction est une phase essentielle de la vie culturelle de l’adepte. Elle porte témoignage d’une maîtrise des contenus, des principes et préceptes du Saint Livre. Elle accrédite dans les savoir et savoir-faire essentiels, elle autorise l’accès à des milieux distingués autant qu’elle confère la puissance et le pouvoir d’usage des pratiques non révélées. A ne pas instituer un « professionnel », elle distingue nettement du profane pour, tout comme dans les corporations artisanales, constituer un cercle d’initiés, une famille spirituelle, source et origine de confréries où des adeptes de tout âge vivent et communient sous le même toit transférable au gré des migrations saisonnières du Thiernorecteur généralement pasteur et agriculteur. Invariablement, le Coran se lit et cette lecture n’est pas silencieuse. La déclamation est hautement valorisée ; elle porte démonstration de compétences, de professionnalisme pour constituer une attestation manifeste d’érudition et de puissance. Car l’énonciation est aussi invocation. Elle peut 21

faire advenir l’acte et toutes les pratiques magiques liées au Coran procèdent de cette interprétation. Cependant et pour que l’avènement soit, il faut que le Coran soit dit dans toute la pureté qu’il réclame. Pendant tout l’apprentissage coranique et notamment au cours des séances de « lecture » sous la houlette du Thierno-recteur, toute transgression à cette règle d’or est sévèrement réprimée. « Ce jour-là, Thierno l’avait encore battu. Cependant, Samba Diallo savait son verset. Simplement sa langue lui avait fourché. Thierno avait sursauté comme s’il avait marché sur des dalles incandescentes de la géhenne promise aux mécréants. “Sois précis en répétant la parole de ton seigneur. Il t’a fait la grâce de descendre son Verbe jusqu’à toi. Ces paroles, le Maître du monde les a véritablement prononcées […]. La parole qui vient de Dieu doit être dite exactement telle qu’il lui avait plu de la façonner. Qui l’oblitère mérite la mort”»6. Déclamer tout ou partie des 114 sourates du Coran confère cette aptitude fort prisée aux prières et aux invocations de Dieu. Car il n’y a pas qu’une prière ! Chaque circonstance de la vie offre l’occasion d’une prière spécifique. Pour que cette dernière soit exhaussée, faudrait-il que la parole de Dieu soit transmise sans altération phonétique, dans toute la magnificence dévolue à la langue et au langage du saint Coran.

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Sembène Ousmane, cité par Hamady KANE, in « Etude sur les écoles communautaires de base », sous la responsabilité du Cepec International, Lyon, France, Janvier 1998 – Février 1999, p. 118

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2. ATTRIBUTS ET APANAGE DU SERVICE COMMUNAUTAIRE D’ÉDUCATION Dans les communautés africaines d’antan, l’activité d’éducation et de formation a été amalgamée à la prestation de services de proximité, les centres d’apprentissage aux divers métiers constituant avant tout des unités de production où se dispensent des savoirs professionnels. En leur sein, la prestation de service découle d’une initiative individuelle dédiée au secteur public. Elle déploie des savoirs et des habiletés professionnelles séculaires et elle est un apanage des anciens de la corporation. D’où la complexité des corporations artisanales autant que des foyers coraniques, centres ancestraux de production, de formation et d’adoration de divinités religieuses. 2.1. Une initiative individuelle, un service d’utilité publique Les promoteurs de foyers coraniques tout comme ceux des arts traditionnels sont issus de leurs communautés respectives. Intégrés à ces dernières, ils en émergent à travers des attributs reconnus par les pairs, lesquels leur donnent ce privilège de mettre en œuvre au sein de la communauté, des initiatives personnelles, dans un cadre dont on ne saurait dire qu’il est public ou privé. Les activités d’instruction coranique tout comme celles développées dans les corporations artisanales participent de systèmes éducatifs qui à proprement parler ne sont pas publics. En effet, ce n’est pas la communauté qui, à travers ses instances, les crée ou les gère. Les promoteurs ne sont ni nommés, ni élus. L’implantation d’un établi, d’un foyer coranique, relève avant tout d’une initiative individuelle. A l’instar du Thierno-recteur du foyer coranique gérant en toute autonomie et responsabilité son « université », l’artisan-professionnel, concessionnaire socialement établi 23

dans la production d’une catégorie spécifique de produits artisanaux, reste propriétaire et gestionnaire de son atelier. Dans l’un et l’autre centre d’éducation et de production, l’hégémonie du promoteur est totale : pas de salariés et encore moins d’associés. Le personnel apprenant participe aux activités ambiantes, ce par quoi il se forme et se transforme selon le principe sacro-saint du séculaire « faire et en faisant se faire ». A ne pas relever du secteur public, le service communautaire de formation ne relève pas pour autant du secteur privé. D’abord, la plus-value recherchée est plus sociale que matérielle. S’y accomplit un service d’utilité publique. Ensuite, l’entrée en vigueur des initiatives individuelles, sans faire objet de délibération collective, reste soumise au verdict de la communauté et de ses contraintes intangibles. Outre que les artisans-professionnels restent régis par la communauté traditionnelle de laquelle ils tirent leur légitimité, les usagers à travers leurs demandes de service demeurent de fait les véritables législateurs. Fruits d’initiatives individuelles, corporations artisanales et foyers coraniques engendrent des activités locales d’utilité publique sous mandat communautaire, le besoin de produits artisanaux faisant écho au devoir moral d’instruire les populations et de répandre la religion, ce qui porte nécessité de leur institution au niveau de chaque groupement de chefs de famille. Ici et là les promoteurs endossent un sacerdoce et se sentent investis d’une mission d’utilité collective : les activités des artisans-professionnels (gnegnal) tout comme celles des Thierno-recteurs des institutions coraniques (ganndal) sont à destination sociale. La houe, la hache, le canari ou le bijou des artisans sont des commodités utiles dont nul ne saurait se passer. De même, sans l’instruction 24

laborieuse des recteurs des institutions coraniques, nul ne saurait prétendre au prestigieux titre de « Thierno », voire, d’Imam, chef des croyants. Si les activités des corporations sont vitales en ce qu’elles répondent à des exigences de confort et de bienêtre, l’instruction confessionnelle est une obligation sans laquelle nul membre de la communauté ne saurait bénéficier d’une considération valorisée et valorisante. 2.2. Une sanctuarisation de savoirs séculaires Dans les communautés traditionnelles, savoirs et savoir-agir forment un seul et même faisceau. Il n’y a de savoirs que de savoirs professionnels : tout provient de la nécessité contingente et tout revient à elle. Le savoir est action, il est dans l’action. Et si les savoirs peuvent être autres dans les corporations et dans les foyers coraniques, ils partagent des identités convergentes. D’abord, corporations artisanales et foyers coraniques restent mus et agis par la même quête de notoriété. Et dès lors, ils sont également astreints à fournir des preuves de fiabilité, voire de qualification des prestataires. A se demander de quelle science les promoteurs sont-ils porteurs, ce sont les œuvres qui répondent. Au sein des corporations, les productions se dotent d’un label : la vannerie de telle localité devient reconnaissable à des marques visibles. Les sandales, les pagnes de tel ou tel maître-artisan sont prisés, réclamés par les communautés alentours. Les foyers coraniques accusent des velléités manifestes de conquête de célébrité. Ils ouvrent leurs portes à des adeptes étrangers. Ils se prêtent au mécénat. Ils recherchent une universalité à travers force partenariat avec des centres intellectuels réputés pour l’érudition des recteurs, à 25

l’instar des centres de Bouria, Koïn, Kolladhè, Koula, Madina Gonas, fort réputés dans le Fouta d’antan. Ensuite, ici et là, le savoir professionnel se réduit à des prescriptions : dogmes religieux par ci, immuables traditions des métiers par là. Enfin, dans les foyers coraniques tout comme dans les ateliers des corporations se déploient formation, adoration et production. L’apprentissage y consiste à acquérir le pouvoir nécessaire sinon la qualification pour délivrer un bien ou un service spécifique. Et ce pouvoir confère aussi le privilège de participer aux rites secrets en tant que membre incontesté de la communauté, de la confrérie culturelle unie sous la foi du serment. Centre névralgique des ultimes décisions, elle constitue l’instance suprême de communion entre les hommes et les génies. Aussi bien dans les corporations artisanales que dans les foyers coraniques, les savoirs se transmettent et s’assimilent comme tels, toute innovation constituant d’un côté ou de l’autre, une transgression. Adepte en l’occurrence, l’apprenant doit s’imbiber de ce qui est transmis sans esprit critique, sans contester ni le contenu des enseignements, ni la compétence et l’autorité de celui qui les transmet. Une adhésion totale est requise excluant toute réinterprétation et sens critique et n’autorisant qu’une reproduction à l’identique du modèle soumis, si ce n’est la récitation la plus scholastique des versets enseignés. Ici et là, le ″magister dixit″7 fait office de référence unique. Aussi bien dans les foyers coraniques que dans les ateliers corporatifs, les apprenants participent aux mêmes séances de formation. Expression achevée d’une formation multigrade, chacun gravit à son propre rythme la chaîne des connaissances. 7

Le maître a dit

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Les savoirs sont toutefois dispensés non pas de manière parcimonieuse mais graduelle car, à chaque étape correspond un type ou un degré de savoir requérant entre autres, une disposition spécifique de celui qui doit en accueillir le principe actif. Car le savoir insuffle du pouvoir. Et cette puissance intrinsèque du savoir ne peut habiter que les corps qui y sont préparés. Non seulement c’est au maître, pourvoyeur de connaissances, et au maître seulement qu’appartient le secret de déterminer quel savoir l’apprenant est en droit de détenir sans préjudice, mais aussi, dans cette acquisition graduelle, la curiosité est malsaine, le questionnement banni, la patience et la soumission absolues érigées en vertus cardinales. A celui-là qui faisait serment de patience afin d’accompagner le Saint et acquérir la science, il fut répliqué : « comment pourrais-tu être patient vis-à-vis de certaines situations qui exigent une longue expérience ou du moins la pratique, d’autant plus que tu vas être en présence de critères d’appréciation et de rapports de causalité que nul être humain ne peut comprendre car les humains ne voient que ce qui est obvie, ignorant le sens caché des choses ? Et l’être humain, comme tu le sais, est impatient »8. Faire preuve de patience c’est laisser les choses venir à soi. Le questionnement est une preuve d’impatience. Il est vécu plus comme une remise en cause des compétences et qualifications de celui-là qui assure la transmission des savoirs. Il est interprété non pas comme une démarche positive pour mieux comprendre et davantage assimiler mais comme une vilénie, une stratégie de bassesse

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Les Récits coraniques, Muhamad Ali Qutb, traduit de l’Arabe par H. Hafidi Babouche, Koweit, 2007, p. 24

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cherchant à acculer l’interlocuteur, à l’obliger à justifier de ses compétences et vocation en la matière à délibérer. En définitive et dans les communautés ouest-africaines, les savoirs professionnels se sont tissés autour de la conquête des commodités de la vie et de la quête du salut éternel, deux pôles constitutifs des fondements de la vie communautaire, deux pôles dont la complémentarité atteste de l’estime et de l’autorité dont jouissent les promoteurs respectifs. Et le mandarin communautaire participe généralement de l’une et de l’autre culture. Ce syncrétisme finira par lui conférer une érudition coranique doublée de pratiques magiques. Et malgré ce substrat syncrétique des savoirs ancestraux, science des foyers coraniques et habiletés manuelles des corporations artisanales vont finir par se distinguer, objets de représentations opposées : au-delà des produits d’utilité courante, l’art de la forge symbolise la puissance du forgeron-qui-dompte-le-feu. Son agir est agrémenté d’incantations lesquelles insufflent une âme aux biens produits. Cet animisme sera la cible des foyers coraniques vouant aux mêmes gémonies les pratiques et les praticiens. Mais encore, les agir des corporations, essentiellement manuels, vont être dévoyés et reclus en abominables pratiques de castes. Et les représentations populaires ont tôt fait d’assimiler ce particularisme professionnel au statut de dominé, voire, de la seule et vile occupation des vulgaires profanes, des analphabètes étrangers à l’interprétation des dogmes du saint Livre. Ce stigmate influence encore la demande scolaire, du moins l’absence de demande vis-à-vis des enseignements requérant des activités manuelles même liées à des techniques des plus sophistiquées. Assimilable à la pratique des arts et métiers jadis réservés à des castes à statut infé28

rieur, l’enseignement technique va connaître le même déni social en dépit des perspectives d’emploi qu’il offre. En définitive et dans les communautés ouest-africaines, le savoir professionnel est présenté comme l’usufruit d’une longue et patiente observation. Il s’acquiert par un effort soutenu de travail de mémoire. Il se concrétise à travers une fidèle imitation, expression et gage de l’excellence et de l’immensité du savoir. Au sein des corporations artisanales tout comme dans les foyers coraniques, s’il y a production, c’est bien d’une reproduction à l’identique. Corporations artisanales et foyers coraniques restent des lieux de délectation de savoirs anciens. L’auto-développement des savoirs professionnels est ici mission impossible, le savoir véritable devant constituer un secret à conserver et à transmettre comme tel. Et l’obligation de fidélité au modèle va aboutir dans le meilleur des cas à une servile imitation par-ci, un pur mimétisme par-là. 2.3. Une vocation du Doyen Exprimés à travers les corporations artisanales et les foyers coraniques, l’éducation communautaire et le savoir professionnel constituent l’œuvre et l’ouvrage des érudits. Et comme c’est au fil des ans que l’individu acquiert science et sagesse, ancienneté et érudition riment ensemble et la gestion devient une vocation du Doyen. Infaillible dans le décryptage des signes et des circonstances, apte à l’écoute de l’inaudible, le Doyen dispose d’un statut qui le confirme dans le rôle délicat de référence sans laquelle aucun savoir ne serait ni formalisé, ni préservé et aucune formation ne serait dispensée. Et si à tous les âges le savoir confère une légitime renommée, c’est la longévité et la longévité seule qui décerne le statut et le titre de Doyen. 29

En Afrique, l’âge est une valeur positive qui affirme en l’individu la plénitude du savoir et de la sagesse. Au Doyen est dévolue la responsabilité de la perpétuation de la mémoire collective et par ce, il constitue la clé de voûte de toute décision avisée de la vie courante. Face aux nombreux aléas qui jonchent les parcours individuels, le Doyen est la ressource essentielle car dans bon nombre de cas les procédures de leur contrôle ne sont pas explicites. Il faut alors les chercher, les rechercher, et seul le Doyen en détient le secret. Lorsque le dilemme devient pesant et que l’impasse s’installe, le recours au Doyen devient pressant. Il entend le vacarme du silence et voit la lumière des ténèbres. Véritable mage, aux contingences, il déniche le fil de l’adaptation. De tout fait ou phénomène, il a pouvoir d’évaluer les lignes de force sinon de les faire advenir afin d’augurer des décisions à prendre ou des activités à réaliser, des écueils à ausculter. Il a la sagesse si ce n’est le pouvoir et la qualification pour anticiper les réactions de tout dispositif, de tout fait ou phénomène. Et donc de les gérer. En Afrique, on pourrait conférer au Doyen une expertise « Es Savoirs d’Environnement », savoirs permettant, selon l’expression de Le Boterf, « d’avoir prise sur une situation particulière, d’adopter les conduites pertinentes par rapport à un contexte et non pas seulement par rapport à un métier, d’accroître la fonctionnalité des représentations qui servent à le guider »9. La sagesse populaire enseigne que le Doyen n’est pas l’égal de Dieu. Certes ! Cependant, Doyen et Dieu ont vécu suffisamment ensemble pour s’apprécier et se faire mutuelle confiance. Il n’est pas non plus un représentant de Dieu sur terre, loin de là, mais il le comprend mieux et 9

G. Le Boterf, De la compétence à la navigation professionnelle, Les Editions d’Organisation, 1997, p. 101

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lui-même est mieux compris par ce dernier. Adorateur, il est l’Estimé de Dieu d’où sa vision éclairée et ses intercessions, en toute circonstance, exhaussées. A défaut de preuves d’authentiques qualités professionnelles, le Doyen reste un leader incontesté. Doté d’un sens aigu de la consultation, il consulte tout autant et fait preuve d’une habile délégation de pouvoir. Omnipotent, son pouvoir repose sur l’autorité de son savoir se suffisant à lui-même. Faire école, c’est essentiellement être à l’écoute des Doyens, ceux-là qui osent défier même la mort. En effet et comme l’individu est en perpétuel devenir, la mort est une étape bienfaisante dans l’inexorable ascension du Doyen. Redoutable en rien, attendue avec abnégation, elle s’inscrit dans la continuité de l’être et marque l’ultime phase du passage du stade de savant vieillard adulé à celui supérieur d’ancêtre divinisé et vénéré comme tel.

3. ÉCOLES AFRICAINES D’EXPRESSION FRANÇAISE : LES REPRÉSENTATIONS INDIGÈNES

L’école française d’Afrique est restée polémique. Emanation de l’occupation étrangère, elle s’est d’abord développée à travers les missions d’évangélisation. Dans maintes contrées africaines, « isolés, presque sans communication avec le monde extérieur, pratiquement sans soins médicaux, manquant des facilités les plus élémentaires du monde européen, obligés de se nourrir de produits locaux et logés dans des conditions sommaires, les missionnaires accomplissent une œuvre scolaire exceptionnelle »10. 10

G.R. Célis, La faillite de l’enseignement blanc en Afrique noire, L’Harmattan, 1990, pp. 11-12

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Cependant, partout où elles se sont implantées, les écoles d’expression étrangère ont surtout scellé la rupture avec les habitudes et les pratiques traditionnelles confrontées aux valeurs prônées par le christianisme d’une part et l’occupation coloniale de l’autre. 3.1. L’Ecole-Evangélisation Au pays des « Rivières du Sud », la première école d’expression française est ouverte en 1876 sur les rives du Rio Pongo par la Congrégation des Pères du Saint-Esprit. Cette scolarisation aux fins d’évangélisation est poursuivie par les Sœurs de Saint Joseph de Cluny, les frères de Ploërmel. En plus du culte chrétien, il y était développé une éducation scolaire remarquable destinée à faire acquérir aux auditeurs et futurs catéchistes, les pratiques de la lecture, de l’écriture, du calcul en même temps qu’une initiation aux sciences d’observation. Cette éducation faisait également bonne place à l’aménagement pratique de l’environnement scolaire et à l’observance des règles d’hygiène et de santé publique. L’implantation de missions évangéliques chrétiennes sur la côte guinéenne n’a pas été sans inquiéter les communautés locales, notamment les Diakanké de culture islamique. Pour ces dernières, ces centres confessionnels, lieu d’exaltation d’un Dieu autre, sont des voies d’accès aux plaisirs et facilités ici-bas, des centres de sédition. S’il y a une tolérance mutuelle, c’est surtout dans une séparation nette que des aires de culture religieuse, musulmane et chrétienne, vont s’édifier autour du littoral guinéen, les séminaires chrétiens côtoyant les foyers coraniques des Diakanké autochtones.

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3.2. L’école laïque – d’ascension sociale Emboîtant le pas à l’Eglise et parfois sous l’instigation de cette dernière, l’école publique et laïque fait son entrée en Afrique soutenue par l’administration coloniale et sa mission civilisatrice. Et précise le gouverneur général William Ponty au conseil du gouvernement de l’Afrique occidentale, « en créant des écoles, en étendant notre enseignement, le but poursuivi est de répandre en même temps que notre langue nos idées de civilisation et de faire de nos anciens élèves nos collaborateurs dans la grande œuvre pacifique que nous poursuivons »11. Et dès lors, la scolarisation d’expression française va agréger toutes les opportunités en termes de pouvoir, de prestige et d’épanouissement économique et social. Au pays des Rivières du Sud, l’administration coloniale ouvre la première école publique laïque en 1906 sur les rives de l’Océan Atlantique dans la région abritant le port bananier de Guinée. Mais même sous cette férule, l’amalgame entre scolarisation française et évangélisation est déjà scellé, ce qui va engendrer une opposition opiniâtre quoique non violente des populations de la Côte Atlantique, fétichistes et musulmanes. Face à l’hostilité des autochtones au recrutement des élèves, l’administration coloniale va recourir au système des « fournitures obligatoires » très en honneur pendant les dernières guerres mondiales. De même qu’au nom de l’effort de guerre les familles devaient livrer du bétail, des produits céréaliers et de cueillette, de même, chaque famille sera sommée de fournir un élève pour ce que les populations dénonçaient comme « l’école des Blancs ». 11

Cité par E. Gérard, La tentation du savoir en Afrique – Politiques, Mythes et Stratégies d’éducation au Mali, Kartala-Orstom, 1997

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Le pouvoir coercitif du système colonial étendu au service public d’éducation va déclencher une riposte des familles à travers tout un système d’évitement. Les aristocrates peuls du Fouta Djallon trouvaient plus simple de drainer vers l’école française, école impie, les enfants de leurs captifs. Et à défaut d’en trouver un, tel père de famille auquel il est fait obligation de faire recruter son enfant, passait par tous les moyens pour que ce dernier soit reconnu inapte. Et lorsque la corruption se révélait inefficace, des scènes de dissuasion des autorités coloniales étaient imaginées et exécutées à perfection par les nouvelles recrues de l’école et leurs familles respectives. Des enfants sains de corps et d’esprit jouaient qui au sourd-muet, qui au bègue inconditionnel si ce n’était à l’idiot du village, des semaines, voire des mois durant, déterminés à entamer la perspicacité des directeurs d’école afin d’obtenir un renvoi pour « inaptitude au travail scolaire ». Alors que Maurice Delafosse se souciait de cette hostilité sinon « indifférence bien difficile à vaincre »12 des populations indigènes, l’école française n’exerçait déjà pas moins un certain attrait. Outre que les œuvres caritatives des missionnaires chrétiens furent de nature à conforter les relations avec les populations locales, l’instruction dispensée par l’école française devenait source de convoitise. Et tout comme avec l’introduction de l’Islam et du Coran, l’instruction française sera l’apanage des notabilités d’abord traditionnelles et plus tard mondaines. La scolarisation française fonctionnera alors comme un instrument privilégié de promotion sociale dans le cadre des structures coloniales, au grand damne des maîtres à penser traditionnels. 12

Maurice Delafosse, Bulletin de l’Education en Afrique Occidentale Française n° 3, juin 1917, Archives nationales

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Avec l’instruction française, c’est la science du Maître Blanc qui se dévoile. La mémorisation de ses textes fait recette et ses attestations, véritables amulettes, constituent une assurance pour le monde ici-bas. Elles ouvrent la voie à des fonctions à prestige social très marqué. Les communautés hôtes réalisent de mieux en mieux que cette instruction constitue un investissement utile pour les individus qui la reçoivent et qu’elle sera un élément décisif de leurs conditions économiques et sociales. Et avec eux, c’est aussi le clan tout entier qui gagne. Cependant, à ne pas pactiser avec le diable, une adhésion de surface ferait l’affaire : il faut aller à l’école française et y conquérir un titre ouvrant sur une fonction de l’administration coloniale, elle-même gage de pouvoir, de prestige social et de bien-être matériel. Car et dans cette Afrique francisée, sécurité des personnes, ascension sociale et bien-être matériel sont désormais cautionnés par le service public, terre promise des émules de la scolarisation française. Pour les communautés indigènes, la scolarisation française constitue avant tout un rempart contre les terribles exactions du colonisateur et cette représentation portera préjudice au principe de son universalisation. En effet et au nom des principes coutumiers de la solidarité traditionnelle, cette garantie est supposée assurée par la scolarisation de quelques membres de la communauté. Et dès que cette nécessité est supposée satisfaite, s’estompe toute tentation de savoir. Les parents renoncent alors à envoyer les autres enfants à l’école française et les scolarisés quant à eux restent les mandataires obligés de la famille au sens large – ce qui contribuera à maints égards à faire de l’intellectuel africain, le représentant d’un clan si ce n’est d’une ethnie. Même par les temps modernes où le pouvoir politique est exercé par des intellectuels, partout où ce pouvoir s’est 35

affirmé et s’est imposé avec éclat et puissance, il a été partout constaté qu’il est resté porté par une structure tribale et qu’il n’a essentiellement reposé que sur un fondement coutumier. Partout en Afrique, un même constat : des républiques bananières au sein desquelles il s’est développé et se développe encore, un pouvoir tribal dominé par un impérialisme familial et ce, au grand damne des démocraties prônées. Créée et entretenue pour les besoins des activités de l’administration des colonies, l’école française est restée le lieu d’une activité hors du processus de la vie communautaire. Le scolarisé, dorénavant « civilisé » est tenu de s’extirper de la fourbe et de s’en distinguer par des atours extérieurs. Ses quêtes de manières policées ont été sujettes à maintes railleries, manières qui se veulent opposées à celles rustres et roturières des campagnards des montagnes. L’activité économique de cet « instruit » est elle aussi distincte de celle de la paysannerie indigène et désormais fonctionnaire, il est de ceux qui doivent haïr le « vulgaire profane », celui-là qui ne fait œuvre que de ses habiletés manuelles, celui-là qui ne sait pas déchiffrer les caractères des livres, celui-là qui ne peut pas se tenir à table et manger avec une fourchette ! Adepte d’une culture autre, il se fait autre et s’achemine vers une assimilation. Il est symptomatique que les premières revendications des intellectuels africains aient été orientées vers cette assimilation, même s’ils réclamaient plutôt une égalité de traitements. Dans les colonies africaines la « scolarisation obligatoire » a été synonyme d’enrôlement, l’école s’édifiant malgré les communautés tenues à une opposition contenue dont le débat n’excède jamais le traditionnel cercle communautaire. La scolarisation française va constituer une 36

aventure, avec les mêmes périls et incertitudes, les mêmes questionnements et bouleversements, les mêmes espoirs et frustrations. Mais partout elle a plutôt représenté « un corps étranger et quasi-autonome, une île, une machinerie tournant sur elle-même, rétive aux changements […], sans lien avec le milieu social et familial. Elle ouvre sur un monde purement imaginaire »13. Les mêmes raisons pourraient peut-être expliquer la résistance acharnée à l’alphabétisation des adultes conduite par les services d’Etat après les indépendances. En effet, c’est à ce niveau que l’on entendait dire que l’alphabétisation est l’anti-Alpha, l’ « Alpha », le chef religieux trouvant sa place à la mosquée tandis que les autres préféraient s’aliéner à la « bêtisation », appellation licencieuse du centre d’alphabétisation. Et ainsi de l’assimilation de l’alphabétisation adulte et en langue française à une activité abêtissante et à bêtisiers, favorable aux retrouvailles insolites. De plus, elle ne confère aucun titre, elle ne débouche sur aucun emploi, elle ne comble aucun besoin de prestige. La quête effrénée de prestige par les communautés locales va conférer à la scolarisation française un imaginaire indigène de « fabrique à prérogatives ». En lieu et place d’une quête de savoir et de compétence, ce qui sera davantage recherché, c’est l’atteinte par tous les moyens d’un niveau décernant certains attributs : des titres, attributs des récipiendaires et gages d’un niveau d’instruction, et par-dessus tout, des titres de nature à conférer réputation, avantages matériels et prestige social. En plus, comme la scolarisation française est restée tributaire de l’Eglise chrétienne et de l’administration coloniale, les populations indigènes ont entretenu un 13

P. Erny, L’enseignement dans les pays pauvres : Modèles et propositions, L’Harmattan, 1997

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amalgame très serré d’abord entre l’éducation au sein des ordres chrétiens et le service d’éducation publique, ensuite entre scolarisation française et vocation du service public. Tant et si bien que le fonctionnariat est apparu comme la quintessence de l’occupation du lettré et la production de fonctionnaires, le but ultime, exclusif de la scolarisation. L’homme de culture, le maître de la plume, est celui-là auquel restent prédestinées les fonctions lucratives de l’administration. Pour les populations indigènes, on s’instruit pour devenir fonctionnaire et entrer dans les services de l’administration. En dehors de ce fonctionnariat, les autres occupations, libérales notamment, jouissent d’un attrait secondaire. S’y adonnent les exclus des faveurs des services de l’Etat. Encore bien ancré, cet héritage culturel pèse de tout son poids dans la représentation des rôles de l’école et de l’Etat dans l’Afrique contemporaine. A l’Etat, c’est comme s’il était fait obligation de pourvoir en emplois après la formation et ce à tous les niveaux. Les diplômés des institutions de formation, au lieu de faire face au marché du travail, attendent le plus souvent passivement de l’Etat d’être engagés dans la fonction publique. Et aujourd’hui, face au chômage et au manque d’emploi, c’est la fonction publique qui est conspuée. Certes, avec un sous-développement caractérisé et une faiblesse généralisée des investissements du secteur privé, l’Etat est resté l’employeur principal et ses emplois la voie royale pour accéder à la manne publique, dispensatrice de prestige, de pouvoir et tant de bien-être ! Cette conception des rôle et fonction et de la scolarisation et de l’Etat dans l’Afrique contemporaine n’est pas sans conséquences pour le développement économique et social des Etats africains. Et davantage encore pour la gestion administrative des services publics d’éducation. 38

CHAPITRE 2 L’agir administratif de l’éducation publique

Des prestataires de service d’éducation et de formation dans les communautés africaines aux personnels administratifs des services éducatifs de l’ère moderne, la prestation de service change de statut. Alors que dans les communautés traditionnelles, le service d’éducation était assuré sur la base d’un bénévolat reposant sur une notoriété établie portant assurance de compétence, le système français assigne à la scolarisation des agents chargés de sa mise en œuvre. Au sacerdoce jadis quasireligieux, fait place une charge administrative, une fonction conférée par une autorité. Ce statut va demeurer en Afrique, l’agir et la gestion des personnels administratifs des services éducatifs publics se révélant encore plus complexes empêtrés dans des dysfonctionnements inextricables. Sous le joug d’« un système de gestion rudimentaire basé sur des procédés désuets caractérisés par • une absence de liaison entre la politique éducative et les décisions de gestion, • une mauvaise affectation des agents sur postes budgétaires sans relation avec les besoins réels de scolarisation et sans considération des qualifications des enseignants,

• une répartition des personnels orientée vers la satisfaction des desiderata individuels au détriment des besoins réels du système »14, l’agir administratif du système éducatif se déploie aussi à travers des structures originales, animées par une hiérarchie administrative que rien n’éclaire. Et en sus, d’une infrastructure inadéquate se greffent les inévitables pesanteurs économiques, culturelles et sociales. Autant d’entraves à un agir efficace. Par-delà les missions explicites du service éducatif, la situation de travail au sein de l’éducation publique est déterminée par ses modes et moyens de mise en œuvre, ses structures opérationnelles. Comme constaté par G. R. Célis, une décennie plus tôt, le contexte ordinaire de l’agir administratif reste encore « le cloisonnement des services, la mauvaise circulation des informations, les insuffisances de délégation de pouvoir, l’application insatisfaisante des sanctions et des récompenses, ajoutés à des conditions de travail le plus souvent lamentables »15. Encore que de nos jours, la dynamique de l’agir administratif soit propulsée par des exigences socioéconomiques qui sourdent de tous côtés tant pour une contribution à l’avènement d’une école de la communauté que pour une gestion efficiente de cette dernière, laquelle va aujourd’hui du meilleur au pire, arcboutée à des perspectives qui peinent à éclore. Cette inextricable situation explique l’extrême complexité de toute tentative d’appréhension de la situation de travail des personnels administratifs des services éducatifs 14

In G. Solaux, Les politiques de gestion des personnels enseignants dans les pays d’Afrique francophone, Université de BourgogneADEA-Coopération Française, 1997 15 G.R.Célis, L’Harmattan, 1990, op. cit. p. 23

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publics d’Afrique noire. A priori, elle semble hors de portée, tant les différences sont accusées. A y regarder de plus près, que de similitudes ! Les services éducatifs publics d’Afrique se reconnaissent à des traits spécifiques et un portrait robot pourrait y révéler des constantes édifiantes notamment au niveau des structures opérationnelles. La première constante est que dans l’Afrique postindépendante, la mission du service public d’éducation implique toute une myriade de départements ministériels, avec chacun un impact plus ou moins accusé sur la conduite du système.

1. STRUCTURES OPÉRATIONNELLES DE L’AGIR ADMINISTRATIF

En Afrique noire francophone, le service public d’éducation s’exprime majoritairement à travers la scolarisation française, prépondérante dans l’appréciation du système éducatif et préoccupation essentielle sinon exclusive des services d’Etat. Les départements ministériels en charge des domaines de l’éducation sont alors distingués à travers les niveaux d’enseignement (enseignement élémentaire, enseignement secondaire, enseignement supérieur) et leur profil (enseignement général, technique, professionnel). Par-delà des cumuls possibles (Enseignements préscolaire, primaire et secondaire ; enseignement supérieur et recherche scientifique, etc.), chacun des départements ministériels en charge d’un domaine de l’éducation gère son personnel sans trop se soucier de ce qui se passe alentour. Au sein de chaque département ministériel, l’agir administratif est déployé à travers des structures 41

différenciées, animées par des personnels distingués dans des fonctions précisées. Départements indépendants les uns des autres quoique nécessairement solidaires dans le service public d’éducation, leurs relations sont rarement formalisées par des textes explicites. Comptable d’un secteur spécifique de l’éducation, de l’enseignement, de la formation ou de la recherche, chaque département évolue en vase clos. Dès lors, le personnel manque de cadre global d’appréhension. Il se gère ou plutôt s’emploie au niveau de chaque entité ministérielle. En charge de l’engagement des travailleurs civils de l’Etat, c’est la fonction publique qui assure le recrutement des personnels des services éducatifs publics ainsi que de la préparation des états de salaire et leur remontée vers les services du ministère des finances lequel pourvoie au paiement des salaires à travers ses agents placés près chacun des services de l’éducation ainsi qu’aux charges d’investissement. Aussi bien les départements ministériels prestataires des services d’éducation que le ministère de la fonction publique ou celui des finances, aucun d’eux n’entretient, dans le domaine spécifique de l’éducation, de relations explicites avec le département chargé de l’administration du territoire, gestionnaire des communautés et comptable de leur développement local, département en définitive bénéficiaire du service public d’éducation. Cet état de fait présage des difficultés d’appropriation de l’école par les communautés.

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Schéma n°1 : Départements ministériels et interfaces dans la gestion des personnels de l’éducation publique

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Au Botswana16, pays africain anglophone, si les premières écoles formelles ont été l’œuvre de missionnaires, dans la dernière moitié du XIXe siècle, ce sont les chefs de tribus qui levaient des fonds pour l’implantation des écoles primaires, attendu qu’avant 1940, ce pays ne comptait aucune école post-primaire. Après l’indépendance en 1966, la gestion de l’éducation a été placée sous la double responsabilité du ministère chargé de l’administration locale, du territoire et de l’habitat et celui de l’éducation. Le premier, à travers les autorités locales est responsable des infrastructures, des équipements et fournitures ainsi que de la cantine scolaire. Le ministère chargé de l’éducation pourvoie quant à lui en personnel enseignant et de supervision, déploie les programmes d’enseignement et assure les contrôles et évaluations. Telle que conçue dans la grande majorité des pays africains francophones, l’école est restée l’affaire de l’Etat national pour être gérée indépendamment de ses environnements physiques et sociaux. Le contexte local de l’école est généralement ignoré. • Ni l’impératif de sécurité des enfants par temps de pluies diluviennes avec orages et inondations engendrant risques et périls dans les traversées à gué des rivières en crue, • ni la torpeur de la saison sèche et son soleil de plomb dardant ses rayons sur des tôles rouillées audessous desquelles transpirent des maîtres et des enfants en quête d’une connaissance difficilement accessible, • ni une période de récoltes abondantes nécessitant la mise à contribution de tous les bras valides, ce qui

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School supervision in four african countries, Vol II, National diagnoses, Botswana, Namibia, Tanzania, Zimbabwe, Unesco, 2001

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parfois constitue un prélude aux abandons temporaires et parfois définitifs, rien, absolument rien n’altère l’inéluctable calendrier scolaire, établi par une planification centrale depuis des temps immémoriaux. Et si le personnel s’active auprès des différents départements de l’éducation, la vie professionnelle des agents s’apprécie au niveau de la fonction publique qui assure le contrôle et la gestion de ses avancements dits « automatiques » mais qui se révèlent être dans bien de cas les seuls effectifs. En Afrique, politique de décentralisation et/ou volonté manifeste de contrôle des structures et des personnels ont tôt fait de conférer au management de l’éducation une fonction stratégique. Dans la plupart des pays africains, l’éducation publique englobe plus de la moitié des personnels civils de l’Etat. Et ce sont des personnels reconnus pour leur capacité de mobilisation, leur promptitude à se fédérer en front commun transcendant les divisions ethniques pour conduire des revendications corporatives. En charge de milliers d’élèves et d’enseignants, l’éducation publique reste un secteur très sensible dont tout mouvement affecte la population nationale dans son ensemble. C’est non seulement un atout stratégique de la politique de développement, une arme et un argument idéologique au service de la propagation des idées de développement, mais aussi c’est le terreau le plus fécond des menées subversives des agitateurs politiques et syndicaux. C’est dire que l’éducation publique représente un maillon essentiel de la gouvernabilité et de la stabilité sociale. Et dirigeants et décideurs de tout bord en sont éminemment conscients : l’éducation nationale est une force politique qu’il convient de ne jamais perdre de vue.

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En Guinée, l’indépendance recouvrée, l’adaptation des structures de l’éducation aux réalités nationales fut ressentie comme la première des priorités. Les réformes entreprises aboutirent à l’avènement de la « Révolution Culturelle Socialiste » dont l’option fondamentale pour « un développement non capitaliste » a vite tourné vers un anti-occidentalisme savamment entretenu par les discours politiques des idéologues au sommet de l’Etat. Et « au nom du rejet radical des modes de pensée occidentaux, l’enseignement de la langue et de la culture françaises soupçonnées de porter les valeurs abhorrées du capitalisme et de l’impérialisme fut abandonné »17. S’est alors constituée, « une Guinée sous serre, refusant orgueilleusement le concours extérieur et pratiquant une sorte de narcissisme culturel »18. Au sein de l’école guinéenne, constituée dorénavant de centres d’éducation révolutionnaires, c’est un Conseil d’Administration qui gère les unités scolaires et qui exécute le budget pourvu par les instances de l’Etat. Le viceprésident, un élève élu, assure la fonction de gestionnaire des ressources allouées sous la présidence du chef d’établissement ou du directeur d’école. Cependant, c’est un Conseil Supérieur de l’Education, instance politique sous le haut patronage du bureau politique du parti unique qui est « chargé de concevoir et de superviser le développement de l’éducation et de la culture », symbolisant par là-même les limites du caractère participatif de la gestion des services éducatifs publics. Et malgré la politique libérale du « Redressement national » qui a succédé au pouvoir révolutionnaire et a déblayé la voie du libéralisme, le système éducatif guinéen 17

D. Delas, Le Français dans le monde, n° 81, Mars 1988, p. 9 David Diop Mendessi, Présence Africaine n° 2, in D. Delas, 1988, op. cit

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cherche sa voie, les structures administratives héritées de la révolution restant encore pérennes. 1.1. Structuration des fonctions d’administration de l’éducation publique L’animation des structures éducatives s’effectue à travers des fonctions qui définissent la nature, l’extension et la zone de compétence d’un agir prescrit. En Afrique, les structures éducatives se sont généralement fondues dans les divisions administratives nanties de la puissance publique. Ces divisions territoriales, divers maillons de la chaîne des commandements du pouvoir central restant centralisées à souhait, dans la plupart des Etats africains, les structures éducatives se sont déclinées de haut en bas, marquées par des hiérarchies différenciées à trois niveaux : central, territorial et de proximité. A chacun de ces niveaux les personnels administratifs des services éducatifs développent des activités spécifiques à travers des fonctions aux dénominations pas toujours distinguées. D’obédience nationale, les missions des services du niveau central portent sur « la conception, l’élaboration et la mise en œuvre de la politique du gouvernement, dans les domaines de l’enseignement élémentaire, secondaire, supérieur, de la recherche, et la lutte contre l’analphabétisme »19. Appelés à veiller sur l’adéquation entre les besoins de la nation et le service aux usagers, les services centraux inscrivent dans leurs activités l’élaboration de tableaux portant observatoire permanent du système et suivi de l’évolution des différents secteurs de l’éducation. Garants du bon fonctionnement, ils conçoivent l’organisation et déterminent les modalités 19

Décret n° 94/125/PRG/SGG du 3 Novembre 1994, portant attributions du Ministère de l’Education Nationale (MEN)

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d’animation du système. Officient en ce haut lieu, directeurs nationaux, inspecteurs généraux et autres responsables départementaux. Les structures en vigueur au niveau territorial sont constituées des « services déconcentrés de l’Etat accomplissant dans le cadre de leur territoire respectif, des missions confiées aux services centraux dont ils relèvent techniquement »20. Autorités déconcentrées, elles restent sous la dépendance d’un chef hiérarchique du niveau central aux ordres duquel elles doivent souscrire. Ce dernier jouit des pleins pouvoirs pour annuler toute décision du niveau territorial, ce qui contribue à faire de la déconcentration un mode plutôt pratique d’aménagement de la centralisation, les acteurs de la déconcentration restant subordonnés à l’autorité centrale de l’Etat. Les structures du niveau territorial servent de relais entre le niveau central et les services de proximité, avec pour mission, « la mise en œuvre au plan local de la politique du gouvernement dans le domaine de l’éducation scolaire »21. Gestionnaires des services éducatifs de leur territoire géopolitique, les instances territoriales coordonnent le développement de l’enseignement public et privé en même temps qu’elles servent d’interface aux interventions des associations communautaires et des partenaires techniques et financiers. Elles procèdent à une judicieuse répartition des moyens humains, matériels et financiers mis à disposition, veillent au suivi des programmes d’enseignement et au respect des normes pédagogiques, assurent la formation continue des personnels. 20

Ordonnance n° 030/PRG/SGG, Juin 1986, portant principes fondamentaux de création, d’organisation, de gestion et de contrôle des services publics. 21 Décret 064/PRG/SGG du 23 Mars 1989 portant attributions et organisations de la direction préfectorale de l’éducation

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En amont, les directions territoriales sont regroupées autour d’entités plus étendues (des académies, des inspections régionales) auxquelles elles rendent compte. En aval, elles organisent et supervisent les services de proximité à travers des activités déployées au plus près des usagers. Dans la plupart des Etats africains, la gestion de proximité distingue deux niveaux de structures de l’éducation publique : • une structure fédérative et de coordination constituée « des responsables administratifs et pédagogiques de l’éducation chargés notamment d’observer et d’apprécier l’ensemble des résultats scolaires, de donner aux enseignants et directeurs d’écoles des instructions allant dans le sens de l’amélioration des enseignements »22 et • les unités scolaires sous égide des personnels de direction des écoles élémentaires ou des établissements secondaires, voire ceux des enseignements supérieurs. Ces personnels font office d’administrateurs, de gestionnaires et d’animateurs du collectif enseignant ainsi que des divers partenaires des institutions éducatives et de formation qu’ils supervisent. Derniers maillons de la cascade administrative, les activités des personnels de proximité s’affirment dans un environnement où interviennent des élèves, des enseignants, des parents d’élèves, des organisations non gouvernementales, des associations économiques et culturelles, des autorités horizontales et verticales. C’est à leur niveau que la gestion en tant que principes d’organisation des équipes de travail, de mobilisation et d’optimisation des ressources, trouve toute son expression.

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Décret n° 064/PRG/SGG du 23 mars 1989, op. cit.

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Malgré une hiérarchisation verticale, la structuration des fonctions d’administration au triple niveau d’opérationnalisation des services de l’éducation publique présente une symétrie accusée. Le plus souvent, le dispositif mis en place amène à constater que si chacun des départements ministériels du système éducatif (Enseignement élémentaire et secondaire, Enseignement technique et professionnel, Enseignement supérieur) s’est doté d’un service central distinct, les structures déconcentrées restent quant à elles des services communs. Et fait remarquable en Guinée, aux différents paliers de l’éducation publique, les fonctions d’administration ont été conçues de manière à reproduire aux niveaux déconcentrés la structure centrale. Cette transposition est allée jusqu’aux dénominations, reflets et répliques fidèles de la nomenclature des services centraux : • à la direction nationale de l’enseignement élémentaire correspondent des sections de l’enseignement élémentaire près respectivement l’inspection régionale et la direction préfectorale de l’éducation ; • à la direction nationale de l’enseignement secondaire font écho les sections de l’enseignement secondaire des inspections régionales et des directions préfectorales ; • les sections de la planification et du développement de l’éducation des inspections régionales et des directions préfectorales s’alignent derrière la direction nationale des statistiques et de la planification de l’éducation ; • la direction nationale des ressources humaines draine dans son sillage les assistants gestionnaires des personnels aux niveaux régional et préfectoral ; • les services des affaires administratives et financières des inspections régionales et des directions 50

préfectorales de l’éducation trouvent tutorat auprès de la division des affaires administratives et financières du niveau central, etc. Et ainsi de la réédition des structures nationales aux niveaux déconcentrés, ce qui augurerait des relations de travail des plus fluides. En réalité et malgré cette symétrie, l’agir quotidien n’est pas exempt de dysfonctionnement et de déficit de communication. La ligne hiérarchique tantôt définie se trouve très souvent court-circuitée, les directions des services centraux recourant directement aux agents de terrain, c’est-à-dire aux sections des directions préfectorales. Aux niveaux des services déconcentrés, le dilemme des inspections régionales est manifeste. Il y est établi que les directions préfectorales ou communales sont placées sous le contrôle des autorités éducatives régionales, lesquelles assument des tâches d’évaluation des besoins en personnel et de gestion de leur mobilité au sein de la région, de la tenue du fichier du personnel, du suivi des avancements et des affaires disciplinaires, toutes activités reconnues aux directions préfectorales. Et dès lors, ou bien l’autorité régionale se borne à une supervision stratégique pour se constituer doublon des directions nationales ou alors elle s’implique dans la gestion opérationnelle au risque d’empiéter les attributions des autorités éducatives préfectorales qu’elle est censée coordonner. Cette superposition de relais n’est-elle pas plus liée à la nécessité d’« encadrer le personnel éducatif » ? Une carte scolaire plus équilibrée assurerait un service de proximité plus efficient en dotant l’éducation de structures propres, si nécessaire, indépendantes des découpages politiques et administratifs. Actuellement, il n’est pas rare que deux écoles voisines puissent relever de deux directions préfectorales distinctes. 51

Pis. Parfois, un directeur d’une école rurale convoqué pour raison de service est tenu de traverser une autre préfecture pour se rendre au siège de sa direction de tutelle, situation dommageable à maints égards, notamment dans l’attribution des primes de transport en cas de d’affectation à un nouveau poste, primes évaluées par rapport aux sièges des directions de tutelle. A davantage pousser la réflexion, cette symétrie des fonctions d’administration de l’éducation sciemment entretenue ne masquerait-elle pas un comportement stratégique de nature à conforter la convention tacite du caractère indifférencié et donc interchangeable des personnels aux divers échelons de la chaîne administrative de l’éducation publique ? Toutefois et en dépit de leur relative pluralité, les fonctions d’administration de l’éducation présentent une certaine unicité. Si les organigrammes révèlent des fonctions distinctes, l’agir en leur sein n’est pas pour autant exclusif. 1.2. Au crible de l’agir : les paliers de l’administration de l’éducation publique Appréhendées sous le spectre des activités essentielles, les fonctions de gestion de l’éducation relèvent de deux types, pédagogique et administratif, eux-mêmes articulés à des préoccupations de recherche appliquée. A travers le versant pédagogique, le personnel administratif fait corps avec les enseignants pour ne plus s’en distinguer. Le versant administratif est identifiable aux efforts de coordination des services internes et des activités quotidiennes d’exercice du pouvoir alors que la recherche appliquée prend corps à travers l’élaboration sinon l’adaptation de normes et de matériels de travail, les 52

quêtes de solutions opportunes pour un meilleur service à l’usager. C’est ce qui fait dire que le chargé d’administration de l’éducation apparaît bien comme « un chercheur qui ausculte les réalités de sa pratique professionnelle. Il réfléchit, non pas aux caractéristiques des choses mais aux actions qu’il pose ou qu’il a effectuées »23. La redondance manifeste de ces trois composantes amène à conclure que la multiplicité des fonctions relève moins d’une diversité des activités effectives que de leur combinatoire, variable d’une fonction à une autre. Et dès lors, cette distribution différenciée des composantes du même agir conduit aussi à poser que les différentes fonctions d’administration de l’éducation constitueraient des étapes graduelles d’une même profession d’administration de l’éducation. Tout se passe comme si ces fonctions constituaient des faisceaux d’oppositions, avec des dominantes pédagogique, administrative ou de recherche variables. Ces proximités peuvent conduire à déterminer un « agir-type », lequel traduirait d’autant, sinon la profession, du moins le cadre collectif de perception de la profession d’administration de l’éducation et conséquemment, le cadre d’élection du développement professionnel de ses personnels. A travers le mouvement observé des fonctions d’administration de l’éducation de Guinée, il a été possible de distinguer quatre paliers : • Au premier palier, l’instituteur/le professeur est sollicité pour exercer des charges de professeur principal, de chef de groupe technique, etc., charges à dominante administrative accusée ; • Au deuxième palier les fonctions d’administration et de gestion deviennent plus affirmées. Directeurs 23

Schön, Les Editions Logiques, Montréal, 1994, op cit. p. 13

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d’école, principaux et proviseurs, censeurs et directeurs des études veillent au bon déroulement des prestations du service pédagogique à travers la gestion de flux d’élèves et de personnels enseignants, la répartition des ressources allouées ; • Au troisième palier, succèdent les activités de planification et de coordination des services du système éducatif conformément aux découpages de l’administration territoriale. C’est le domaine privilégié des sections spécialisées des services centraux et déconcentrés de l’éducation assurant relais et liaisons dans la conduite opérationnelle des activités pédagogiques et administratives des services éducatifs publics et privés ; • Au niveau du quatrième palier, zone de supervision et de pilotage, se distinguent directeurs préfectoraux ou communaux, inspecteurs régionaux/généraux, directeurs nationaux et autres superviseurs sinon responsables départementaux de l’éducation. Ces quatre paliers constituent les cadres d’accueil des agir des personnels administratifs des services éducatifs. On pourrait être tenté de dire que c’est en leur sein que se déploient et s’actualisent toutes les initiatives en termes de gestion, de planification et de développement de l’éducation. Cependant, praticiens aux compétences en mal de reconnaissance, les personnels administratifs de l’éducation développent leur agir dans un environnement qui marque de son empreinte une conception de la pratique administrative de l’éducation autant qu’il détermine une disposition spécifique à la formation des compétences.

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2. PESANTEURS ET DÉRIVES DE L’AGIR ADMINISTRATIF DE L’ÉDUCATION PUBLIQUE L’agir administratif de l’éducation publique se trouve comme phagocyté par des structures qui somme toute lui imposent son fonctionnement. Elles définissent et régissent les modes et les principes aussi bien de la gestion des personnels que des activités courantes de gestion des services éducatifs publics. 2.1. La camisole de force de la fonction publique En Guinée, l’emploi, la gestion, la rémunération et le contrôle des personnels des services éducatifs publics reviennent à des départements différents desquels la fonction publique détient un statut prééminent. A l’instar de tout le personnel civil de l’Etat, les personnels de l’éducation publique sont recrutés par la fonction publique. Les dispositions générales du ministère de la fonction publique stipulent que tout recrutement de fonctionnaires est subordonné à la création ou la vacance d’emplois permanents constatés annuellement. Avalisé à l’occasion de la préparation de la loi des finances, il fait l’objet d’un arrêté conjoint du ministre chargé de la fonction publique et celui des finances. Il est alors pourvu par voie de concours. Les textes24 régissant l’organisation des concours de recrutement à la fonction publique précisent que « les sujets des épreuves sont proposés par des spécialistes dans les matières concernées », et que « une commission de choix des épreuves est constituée pour chaque concours », commission présidée par le ministre de la fonction pu24

Art 20 et 21, Décret 2002/108/PRG portant dispositions en matière de recrutement à la Fonction publique, 2002

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blique et comprenant un représentant de sa direction nationale et un représentant du département utilisateur. Après administration des épreuves et pour chaque concours, il est désigné un « jury de correction ». Présidé par le ministre de la fonction publique assisté d’un représentant du ministère utilisateur, c’est le directeur national de la fonction publique qui en est le rapporteur. Un « jury de délibération » distinct du jury de correction reste lui aussi présidé par le ministre de la fonction publique avec pour vice-présidents, le ministre chargé des finances et un représentant du département utilisateur. Système par trop centralisé et d’autant plus coûteux que chaque concours, chaque commission, chaque jury nécessite l’engagement de fonds. Et c’est sans compter les nombreux biais qui émaillent l’organisation des concours de recrutement par les fonctions publiques africaines. Bien souvent, l’enregistrement des candidatures est décrié, émaillé de favoritisme. Un peu partout, les frais d’enregistrement sont à géométrie variable et un bonus est parfois nécessaire pour « suivi exceptionnel ». De même, de la phase d’admission au concours de recrutement et d’engagement dans les fonctions publiques respectives à celle d’immatriculation pour transmission au fichier solde du ministère préposé au paiement des salaires, des substitutions de procès verbaux ont été maintes fois dénoncées. Elles offrent un spectacle désolant où un procès verbal déclaré admis est revendiqué par une pluralité de candidats, chacun assuré de porter preuve de l’authenticité de la paternité dudit procès verbal ! Sources de doublons et de triplons, ces procès verbaux mutualisés sont l’expression d’usurpations frauduleuses soutenues par des complicités internes et externes. Et cette situation se trouve favorisée sinon exacerbée par la nette séparation entretenue au sein de certaine fonc56

tion publique nationale de la gestion du dossier du recrutement de fonctionnaires de celle de leur immatriculation pour une prise en charge financière. Opérations nécessairement complémentaires, elles sont parfois gérées par des services distincts dont les relations ne sont précisées par aucun manuel de procédures. Une fois recrutés les personnels des services publics sont gérés à travers un fichier central portant répertoire de tous les personnels des services civils et paramilitaires de l’Etat. Dans maints pays de l’Afrique noire francophone, il est apparu que ce fichier réputé unique n’est le plus souvent ni exhaustif, ni évolutif. Et surtout, il est truffé d’irrégularités. A son actif, des décédés non radiés, des abandons non signalés, des doublons sciemment entretenus, des fictifs introduits à tous les niveaux de la hiérarchie, des retraités bénéficiant encore de l’intégralité des traitements, des fonctionnaires payés en dehors des postes de travail. Dans certains de ces pays, l’emploi de personnels civils en marge de la fonction publique est aussi attesté, avec notamment des contractuels dits temporaires mais qui sont là ad vitam aeternam. Et il n’est pas rare que ces personnels, rétribués par les finances en tant que contractuels, émargent également comme fonctionnaires permanents sur les lieux de travail, créant des double-emplois indécelables, faute de rapprochement entre les fichiers. Dans ces pays, il y aurait nécessité de transfert de compétences de la gestion des effectifs des « contractuels » à la fonction publique, autant bien sûr que demeure la volonté politique de maintenir cette dernière seule habilitée à assurer la gestion des personnels civils de l’Etat. Une décision s’impose. De toute évidence, un contrôle judicieux de ces effectifs assurerait des économies substantielles et à terme, le recrutement de contractuels 57

serait strictement soumis aux règles et principes de mise à jour en vigueur au niveau du fichier central, ce qui permettrait une meilleure maîtrise des effectifs globaux et de la masse salariale des personnels civils de l’Etat, compte non tenu des avantages liés à la bonne gouvernance dans la gestion des agents de l’Etat. Non contente de s’adjuger le droit de recruter et d’affecter aux divers emplois, l’omnipotente fonction publique assure également la gestion des professionnels autant que des professions sur la base d’attributs identifiant des pratiques spécifiques instituées en autant de corps professionnels. En Guinée les textes sus référencés stipulent que les candidats admis au concours de recrutement sont engagés par le ministre de la fonction publique qui les nomme par voie d’arrêté en qualité de fonctionnaires stagiaires dans « le corps correspondant à leur profil professionnel ». En général le corps professionnel est l’épicentre d’une évolution professionnelle gérée à travers un plan de carrière. Sous réserve de dispositions spécifiques à certains corps, les fonctions publiques de l’Afrique noire définissent une évolution professionnelle opérée à coups d’avancements en échelon, grade ou classe, voire, de cadre d’emploi. Mais force est de constater qu’à gravir les échelons des fonctions publiques, des grilles salariales sont franchies sans pour autant que cette progression dans les classifications ait une incidence quelconque sur l’évolution professionnelle des personnels. Ce parcours est plus déterminé par le facteur « ancienneté dans le service » édulcoré d’une « évaluation hiérarchique » pour agrémenter les « avancements automatiques ». En sus de ce constat, les concepts de corps, grades et autres ingrédients des fonctions publiques ouest-africaines

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d’expression française restent des plus flous, avec un caractère quasi-irréel. L’irréel n’est pas absence de réalité, ce serait une nonréalité. L’irréel renverrait plutôt à de l’imaginaire, à une existence presque palpable mais quasi non conceptualisable tant elle serait insaisissable dans son essence. Ainsi des notions de corps, grades et emplois, voire, des titres et diplômes dans certaines fonctions publiques ouest-africaines. A leurs caractères flexibles se greffe une exploitation fluctuante de leurs attributs. Nul principe n’est ici ni général, ni nécessaire. C’est comme si le feu brûlait ici pour mouiller un peu plus loin. De la distribution des individus dans différents corps professionnels suite à un recrutement de plus d’un millier de fonctionnaires, la porosité entre les corps a été manifeste. Le « corps des administrateurs civils » s’est révélé être un conglomérat d’économistes, de financiers, d’hommes de droit, d’hommes de lettres, d’interprètes, d’ingénieurs, de sociologues, de statisticiens, de médecins. Tout sauf un profil d’administrateur civil ! Et la situation n’est guère meilleure au niveau des autres corps : le chaudronnier est sanctionné inspecteur des affaires administratives et financières, l’électricien est contrôleur des douanes, la restauratrice secrétaire d’administration, le chimiste et le transitaire en douanes, contrôleurs des services financiers et comptables, le biochimiste médecin. Cette irréalité du corps professionnel est doublée d’une inadéquation entre les qualifications attestées par les diplômes (les grades) et la classification dans les différentes grilles des fonctions publiques.

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Des recrutements fraichement opérés, un même diplôme a donné accès à tous les grades attestés des fonctions publiques observées. Pour l’exemple, le Brevet de technicien supérieur (BTS), dédié au cadre moyen a été attesté comme base de recrutement des grades supérieur et subalterne. Brevet de technicien supérieur (BTS), Brevet d’études primaires (BEP) et Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) se sont régulièrement échangés au niveau de tous les grades. Cette valse de titres et diplômes est renforcée par un manque d’harmonisation dans les cursus et/ou les terminologies en vigueur au niveau des institutions de formation. Ici, un BTS est délivré après un an de formation, là, en deux ans et là-bas en trois ans, avec pour conséquence, une déroute dans leur classification par rapport aux grilles de référence observées dans certaines fonctions publiques. Et la situation se complique avec l’entrée en lice de nouveaux diplômes. Licence, Diplôme d’études universitaires générales, Diplôme universitaire de technicien supérieur, sont étrangers aux grilles actuelles de classification de la plupart des fonctions publiques d’Afrique de l’Ouest. Cette situation interpelle les institutions de formation autant que les instances d’évaluation des titres et diplômes pour une action concertée en vue de la nécessaire harmonisation. Qu’un même diplôme ou équivalent obéisse à un même cursus et donne accès à des emplois similaires et à des classifications identiques. Et pour qualifier les actes des fonctions publiques ouest-africaines, faudrait-il requalifier le rapport formation et corps professionnel d’une part, et d’autre part, le rapport entre qualification des personnels et classification dans les grilles respectives. Cette harmonisation permettrait une gestion transparente sinon des carrières des personnels, du moins de leurs 60

situations administratives. Les modalités d’intégration ainsi formalisées seraient plus visibles et d’autant plus exigibles. La mobilité des personnels serait plus transparente et constituerait en elle-même une source de motivation des cadres et agents civils de l’Etat, condition autant qu’expression d’une politique nationale de gestion efficiente des ressources humaines. La politique nationale de formation en cours d’emploi serait plus affirmée car non seulement l’identification des besoins en formation serait plus simplifiée, mais aussi l’élaboration et l’intégration des programmes sectoriels seraient d’autant facilitées, favorisant la définition de schémas directeurs et de plans pluri-annuels de formation répondant à des besoins ressentis. Cette harmonisation permettrait aussi une meilleure classification des emplois et un suivi plus avisé des évolutions professionnelles. Les paliers d’intégration et la structure des carrières seraient plus visibles. Les emplois des cadres organiques seraient plus transparents, favorisant une gestion plus rationnelle des ressources, gage d’équité dans les emplois et moyen de suivi des actes à incidence financière. Pour une prise de décision avisée, il est nécessaire de repréciser la notion de corps professionnel et d’entreprendre une étude exhaustive de ceux-là en vigueur au niveau des départements d’Etat. A ce listing sera associé les emplois assortis des qualifications et compétences pour les exercer. Il y va de la cohérence dans les attributions de personnels. En dehors du statut consultatif dérogeant de « l’évaluation hiérarchique », les départements de l’éducation n’interviennent pas dans la gestion des personnels qu’ils emploient. Tout projet de recrutement ou d’avancement est d’abord soumis à la fonction publique et doit bénéficier de l’approbation du ministère des finances. 61

Cette situation est à la base de nombreux ressentiments et comme le faisait remarquer si justement G. Solaux, « les domaines chargés de l’éducation sont obligés de gérer leur personnel, non pas au rythme des nécessités de leurs services respectifs mais au rythme des arbitrages, des plans de travail et de la disponibilité en ressources des ministères des finances et de la fonction publique »25. En plus de la séparation institutionnelle de la gestion des personnels, écartelée entre différents départements ministériels dont la synergie dans la décision et la mise en œuvre des stratégies et des interventions n’est pas toujours évidente, se greffe l’absence de perspectives d’évolution des personnels de l’éducation en général, des personnels administratifs en particulier, suite au manque de plan de carrière explicite au niveau des départements employeurs. 2.2. Le handicap du plan de carrière D’expérience, il est apparu que les fonctionnaires des services éducatifs publics ne peuvent envisager leur épanouissement qu’en dehors de la profession enseignante. Si bien que cette dernière est vécue comme une situation transitoire, la préoccupation majeure de ceux qui l’exercent étant de s’en émanciper et non d’y prospérer. D’ailleurs, c’est là mission des plus ardues car peu de pays africains disposent de critères formalisés pour la prise de décision en matière de gestion des ressources humaines de l’éducation (nomination aux fonctions de responsabilité, affectation, allocation de bourses de formation, etc.). C’est généralement de l’autorité du pouvoir central et de ses arrêtés-amulettes que des enseignants tirent cette autorisation légale d’exercer des activités d’administration au sein des services de l’éducation publique. 25

G. Solaux, Les politiques de gestion des personnels enseignants dans les pays d’Afrique subsaharienne francophone, op.cit. p. 59

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Dorénavant nommés dans leurs fonctions, la prime réaction des nominés est d’exprimer leur gratitude à ceux par lesquels ils ont été les heureux élus. Dès lors, ils se préoccupent davantage de plaire au prince que d’efficacité sur le terrain. Or, à fonction de faveur, fonctionnaire éjectable. Comme l’énonce Shakespeare, « combien misérable est le pauvre homme qui dépend de la faveur des princes ! Il y a entre le sourire auquel il aspire, le doux regard des princes, et sa disgrâce, […] plus d’alarmes que n’en a la guerre. Et quand il tombe, il tombe comme Lucifer, à jamais désespéré »26. Outre que les fonctions d’administration de l’éducation soient tenues par des enseignants, le signe distinctif entre ces derniers est désormais aplani, suite à un enseignement de masse érigé en politique éducative ayant conduit à une rareté entretenue des concours professionnels. Le critère de reconnaissance et de classification des enseignants par les qualifications étant noyauté, la fonction administrative conférée n’est plus légitimée que par le choix de l’autorité. Or, l’habilitation par nomination atteste par elle-même que les différences de statut qu’elle octroie sont des plus précaires. Elle n’implique surtout pas une quelconque assignation à un modèle professionnel. A la faveur des nominations, les fonctions succèdent aux fonctions sans que ne soit précisé un plan de carrière susceptible d’éclairer cette succession, sans qu’une hiérarchie administrative ne se concrétise à travers un plan explicite de cheminement des personnels, sans que la mobilité vécue ne soit assortie des rites transparents de passage d’une fonction à une autre. L’absence de plan de carrière constitue un facteur d’insatisfaction, de démotivation. Elle contribue à légitimer l’opacité des critères de sélection alors que c’est 26

Shakespeare, Henri VIII, Acte III

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couplé à un système transparent d’évaluation des performances que se trouve garantie la possibilité pour toute organisation de disposer en temps opportun d’un personnel compétent. Et c’est aussi à travers cette même disposition que le personnel peut bénéficier d’une assurance dans son perfectionnement professionnel et sa progression personnelle. Le plan de carrière constitue le premier repère pour une formation professionnelle orientée. C’est en son sein que la formation peut se décliner à travers un schéma directeur de développement professionnel assorti de plans de formation à court, moyen et long termes. Enfin, pour être capables d’exprimer leurs besoins de formation faudrait-il que les individus aient une représentation complète et réaliste de leur contexte de travail et de ses évolutions, ce qui n’est envisageable que dans le cadre d’un plan de carrière explicite. En son absence, la formation en situation de travail resterait aléatoire et le développement professionnel, un phénomène tout aussi aléatoire. 2.3. La quête de compétences : un acte gratuit Les personnels administratifs de l’éducation publique ne sont pas demandeurs de formation : les recommandations s’avèrent plus utiles que tout parchemin attestant une formation. Et s’ils y souscrivent c’est dans le cadre d’une formation interne et collective, obligatoire en fait. La formation y est perçue comme un acte gratuit, de nul effet dans les nominations aux différentes fonctions. De plus, « la formation-radiation » est monnaie courante. Dans maintes administrations, les « missions de formation » sont utilisées comme moyens des plus efficaces pour la radiation programmée d’un fonctionnaire, le plus 64

souvent juste à cause du poste qu’il occupe, poste que l’on voudrait « confier » à quelqu’un d’autre. A ce fonctionnaire en disgrâce à son insu, il est alors attribué (sans qu’il ne le sollicite) une bourse de formation, ultime faveur. Sa mise en disponibilité pour ce motif est assortie de la nomination de l’intérimaire sélectionné. Rarement cette formation a lieu, simple leurre pour libérer le poste occupé. Et au cas où elle se révélait effective, le bénéficiaire reviendra de formation pour se constituer chercheur d’emploi, le poste jadis occupé et pour lequel sa qualification a servi d’alibi ayant été définitivement attribué à son remplaçant, novice comme lui-même l’avait été à ses tout débuts. Ce peu d’intérêt pour la formation est aussi entretenu par son aspect enrôlement, les projets institutionnels ayant souvent pris le pas sur les options et choix personnels. Or ce sont bien les attentes et aspirations personnelles qui peuvent placer l’individu face à un questionnement débouchant sur un besoin de compétences nécessitant une formation. Dans cette veine administrative réglementaire et impersonnelle de la gestion éducative, les personnels sont considérés comme des agents substituables à volonté, au mépris de toute considération de leurs intérêts personnels. Or, à faire fi de ces derniers, il y a risque de déclenchement de stratégies de protection et de riposte. Souvenons-nous des étudiants des facultés guinéennes d’agronomie des années 1990 et de leur tendance accusée à ne pas exceller au moment de la soutenance des mémoires de fin d’études supérieures : si une bonne mention constitue une preuve d’excellence, elle pouvait aussi porter préjudice à son détenteur. En ces temps, elle le désignait d’autorité pour servir comme formateur dans les unités scolaires et universitaires alors que les moins nantis étaient sélectionnés et nommés dans les fonctions 65

lucratives d’administration des collectivités, voire, de gestionnaires des plus que lucratifs projets mixtes de développement à financement extérieur. Ainsi, s’il est hasardeux d’établir une relation de cause à effet entre les attentes sinon aspirations et les efforts consentis par les membres d’une collectivité soumise à des apprentissages, il est certain que ces attentes et aspirations sont à la base des revendications des acquis des apprentissages y développés et partant des compétences et qualifications présumées. En effet, attentes et aspirations passent par le crible du facteur utilitaire. « A quoi cette formation va-t-elle me servir » devient le leitmotiv, avec parfois un caractère obsessionnel. La formation exige d’être valorisée. Lorsqu’aucune valorisation de quelque nature que ce soit n’accompagne les formations aux fonctions administratives de l’éducation, les frustrations restent les effets les plus marquants. A quoi sert une formation qui ne se concrétise par aucune mise en œuvre ? L’indifférence généralisée face à la contribution que la formation reçue incite à apporter peut constituer un facteur de déqualification des bénéficiaires de formation malgré leur relative qualification. Et la formation y fait figure d’un ameublement inutile, un acte gratuit dont l’usufruit ne servirait à rien, ultime consolation du seul dépositaire. Dans ces conditions, si au fil de l’agir il y a acquisition d’une certaine habileté, « l’efficacité et le sens du service public vont du meilleur au pire sans qu’un esprit de corps ou un élan de mobilisation ne donne à ces personnels le sentiment de constituer un corps professionnel »27. 27

J. Brandolin, Réinventer l’éducation en Afrique, Editions Afrique Education / TB Conseils, 1996

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Malgré l’originalité de leurs pratiques, ils demeurent des enseignants. Non valorisées, ces pratiques relèvent du profane et ne peuvent attester d’aucune compétence reconnue. L’intériorisation de ce déni d’identité place les personnels administratifs de l’éducation et ceux du face-à-face pédagogique dans une relation empreinte d’identification mutuelle et de différentiation. Elle est souvent source de déficit d’autorité et ce, d’autant plus que le chargé d’administration peut à tout moment revenir à ses activités abhorrées de face-à-face pédagogique. D’où cette stratégie de faire « ami-ami » avec tout le monde afin de ménager les lendemains incertains. Se développent alors force compromis et compromissions, le plus souvent préjudiciables au bon fonctionnement de l’organisation scolaire. Source d’inconfort moral des personnels, cette situation peut entraîner une inhibition des compétences même effectives et impacter l’agir. Et ce d’autant plus que les personnels administratifs des services éducatifs publics d’Afrique noire évoluent au sein de communautés pour lesquelles l’acquisition de compétences reste somme toute secondaire. Le plus important c’est d’arborer un titre ou un grade confirmé, convertible en emploi source de richesse, de prestige, d’honneur, et comme bonus, une voiture immatriculée "Villa et Argent". Cette quête des usagers orientée vers ce qu’il conviendrait d’appeler les attributs extérieurs des qualifications en lieu et place de véritables connaissances et compétences, place les personnels administratifs de l’éducation dans une position où ils sont objets de sollicitation permanente. Harcelés, ils sont parfois objets d’intimidation de la part de certaines notoriétés pour des faveurs imméritées pourvu que « Néné Gallé passe ! ». Au déni d’identité et au peu de prix accordé à la quête de compétences des personnels administratifs, s’ajoute une 67

paupérisation généralisée des personnels de l’éducation. Les usagers des services éducatifs observent ahuris, les dispensateurs de savoir se dépêtrer dans une science qui ne leur apporte que misère et que désolation. Ils vivent au quotidien la traversée du désert des érudits aux prises avec les nécessités les plus élémentaires. Ils réalisent par euxmêmes que les chemins de l’avenir ne passent pas nécessairement par la science des écoles. A s’en émanciper il n’y aurait donc que du temps de gagné ! D’abord, les Etats africains ont entretenu au niveau des personnels éducatifs une politique de bas salaire préjudiciable à toute motivation. L’adage est cependant bien connu : « l’homme ne se nourrit pas que de pain ; il faut donner à ceux qu’on emploie un salaire et un idéal. Mais l’homme se nourrit d’abord de pain, il ne faut pas oublier le salaire sous le prétexte que l’on a fourni l’idéal ». Une performance minimale a pour préalable nécessaire un système de rémunération permettant une vie décente. Or et en Afrique noire subsaharienne, « les 25 dernières années du XXe siècle auront certainement été caractérisées, pour les enseignantes et les enseignants, comme celles de la dégradation la plus sensible et la plus accélérée de leur condition, au plan moral et professionnel aussi bien qu’au plan matériel »28. Hier « militant d’honneur » au ventre creux, la situation de l’enseignant de Guinée n’a guère évolué. A l’orée du millénaire et « avec une rémunération moyenne de 2,7 unités de PIB par habitant, les enseignants guinéens se situent parmi les moins payés du continent »29. En Afrique et dans le cercle de l’éducation publique d’expression française « les syndicats enseignants ont perdu de leur vigueur sous le harassement de la plupart 28 29

G. Solaux, 1997, op cit., p. 233 ADEA, vol 15 n°1, Janv – Mars 2003

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des Etats qui ont peur de leur propre école, sans compter que les préoccupations de survie ne sont pas propices à l’activisme syndical. Par ailleurs, la considération sociale qui prévalait au début des années 60 à l’égard de la fonction enseignante, profession noble par excellence et quasi sacerdotale a presque disparu. Les gains faciles d’une économie parasitaire ont généré des castes de parvenus qui polarisent l’intérêt social et relèguent dans l’ombre ceux qui capitalisent le savoir […]. La science ne nourrit pas son homme ; or la société africaine est telle que la visibilité et la crédibilité de quelqu’un se mesurent à sa surface sociale »30. 2.4. Un agir travesti Règlements et dispositions administratives peuplent les orientations et les conduites de l’agir administratif des services éducatifs. Dans bien de cas, leur traduction dans les situations réelles trahit leur esprit. Loin d’être anecdotiques, ces mises en œuvre déviantes gardent toute leur pertinence car contribuant à la définition de pratiques à la base d’un agir professionnel caractéristique. Au poste de travail, dès lors qu’un agir hors norme est ressenti comme normal (ça se passe comme ça), qu’un acte non légal est quand même toléré, il acquiert droit de cité par consensus tacite. Intégrant les pratiques, il constitue un agir intégré, source de développement d’un ensemble de pratiques professionnelles déviantes. Ainsi du travestissement de certains principes essentiels des administrations éducatives dont l’obligation de permanente disponibilité, le désintéressement dans l’exécution des devoirs citoyens, la discrétion professionnelle, le respect de la hiérarchie pour ne citer que ceux-là. 30

Ki-Zerbo, J., Eduquer ou périr, Impasses et perspectives africaines, Breda/Unicef, 1990, pp 43-44

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Au personnel administratif de l’éducation, il est fait obligation de se consacrer à la fonction dévolue, ce à quoi s’emploie superviseurs et hiérarchies supérieures. Cependant, la diversification des activités et le cumul de fonctions n’est pas sans entraver cette abnégation à la tâche dévolue. A l’interne déjà et par le bais des rituelles « vu les nécessités de service », le cumul de fonctions est une pratique courante « sous réserve de l’aval de l’autorité centrale », avec pour conséquence, de disperser les efforts, de décentrer de la fonction dévolue. A l’externe, animateurs d’organisations non gouvernementales, de structures politiques et syndicales à tous les niveaux, les personnels des services éducatifs pratiquent une navigation professionnelle forcée, en quête d’un supplément de subside compensatoire. La diversification des activités dérogeant des nécessités contingentes interpelle d’autant la fonction régalienne de l’autorité centrale pour un ordre équitable et stable assurant à ceux qui s’investissent dans un projet collectif une aisance matérielle et une sécurité morale de nature à les préserver de toute velléité de diversifier des activités aussi dérisoires les unes que les autres pour tenter de joindre les deux bouts. C’est aussi le fondement et le gage de toute probité morale dans l’exercice professionnel. De fait et la sentence est sans ambiguïté, il est interdit aux personnels administratifs de l’éducation, de solliciter à leur profit de biens et services de nature à entraver l’indépendance de leur agir quotidien. Principe mis à rude épreuve, tant la corruption est monnaie courante. Dans les institutions de formation, les faux diplômes prolifèrent, les sujets d’examen s’achètent. Dans maints pays africains, postes et promotions de la fonction publique peuvent se « négocier ».

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Encore récemment dans un des pays de l’Afrique au Sud du Sahara, un concours de recrutement de fonctionnaires tous corps confondus a été organisé par la fonction publique nationale. A la proclamation des résultats, trois ans plus tard, près de mille déclarés admis ne figuraient pas sur la liste officielle des candidats ! Obligation de désintéressement ? N’est-ce pas plutôt obligation des intéressements ? Comment réagir face à un agir aussi généralisé ? Et davantage ! Des personnels des services éducatifs, il est requis une stricte discrétion pour les faits, informations ou documents dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leur fonction. Cette maxime est rendue funeste et pernicieuse pour servir d’alibi au cloisonnement des services, à la rétention de l’information. Au nom de la « discrétion professionnelle », les archives les plus banales sont des textes sacrés qu’il ne convient pas de profaner, érigés en fonds de commerce par ses anges gardiens. Le document le plus anodin est classé « top secret » et ne peut être consulté, mis à la disposition d’un tiers, que sur instruction expresse et exclusive du supérieur hiérarchique au plus haut niveau. A défaut, le document se doit d’être « subtilisé » par le fonctionnaire qui le détient (c’est interdit mais ça pourrait s’arranger), lequel naturellement exigera compensations non pas pour service rendu mais pour risques encourus. Le cas est d’autant plus bouleversant que le principe d’obéissance et de respect de la hiérarchie vire généralement vers une béate abnégation. « Supporte et abstienstoi » et surtout, laisse faire ! L’administration est certes inséparable du respect des hiérarchies. Cependant, le personnel est soumis au respect des instructions des hiérarchies supérieures, attendu qu’elles servent l’intérêt public.

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Hélas ! Ce qui est retenu, c’est que le subordonné doit à tous les niveaux, obéissance à la hiérarchie supérieure et promptitude dans l’exécution de ses ordres. En lieu et place de collaborateurs, le supérieur hiérarchique a plutôt des marionnettes soumises à sa manipulation. Il a été observé que des directeurs d’école, voire des chefs des services déconcentrés de l’éducation, aient été commis au suivi des chantiers de quelques hauts responsables des services centraux. Les coursiers et autres manœuvres des services de l’éducation font le ménage chez les « patrons », et mieux vaut ne même pas imaginer la nature du dévouement exigé de certaines catégories de personnel. Et pourtant, le fonctionnaire, non tenu à un dévouement ancillaire, est plutôt astreint à une loyauté envers les institutions républicaines. Cependant et pour « le pauvre enseignant », qui dit le droit dans cette Afrique des droits ? Ne sied-il pas de rappeler aussi que « c’est la qualité des institutions politiques et l’authenticité des adultes qui les dirigent qui peuvent conduire à un comportement citoyen. Si les régimes qui se prévalent de la démocratie sont trompeurs et corrompus, si les élèves sont témoins des pires compromissions, exclus de la participation, si les principes officiellement honorés sont de facto offensés, ils s’en détournent quoi qu’en ait été l’effort de l’école. A l’école de faire connaître les valeurs, à la société de les faire aimer, si elle en est capable. C’est parce qu’on n’a pas distingué la part de chacune qu’on en a, à tort, remis à la première toute la charge, non sans lui imputer ensuite, à tort également, la responsabilité des échecs : il ne lui revient nullement de convaincre de ce dont il revient à la seconde d’administrer la preuve »31. 31

Mougniotte A. Ecole et Citoyenneté, Armand Collin, Paris, 2006, p. 182

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2.5. La catastrophe programmée Une étude pilote sur les conditions d’apprentissage dans les pays les moins avancés avait révélé que « dans la plupart des pays africains, un tiers ou plus des élèves étaient accueillis dans des salles de classe dépourvues de tableau noir. […] il n’y avait aucun support d’enseignement et quasiment aucun élève n’avait jamais vu de carte du monde dans sa salle de classe »32. Et cette situation perdure. A charge, ces écoles d’initiative locale, construites sur un terrain nu avec des pieux de bois enfoncés dans le sol et couvertes de feuilles mortes ou de paille, dénommées “apatam” au Togo et “tyali” en Guinée. Ici et là, assis sur des banquettes en bambou, les élèves rivent leur regard sur un tableau noir décrépit, monté sur des fourches de bois. Et dans ces zones éminemment rurales, les enfants prolifèrent. En Guinée, la population de moins de 14 ans est évaluée à plus de 40% ce qui implique davantage d’écoles et de maîtres. Mis il y a plus ! Partout en Afrique au sud du Sahara, c’est toujours une part limitée de la population active qui est acculée à produire les ressources nécessaires pour qu’une population jeune, nombreuse et en expansion accède à l’éducation. Un fardeau de plus en plus pesant ! Dans les structures traditionnelles d’apprentissage des métiers et d’éducation coranique, les frais récurrents à la charge des familles sont les cérémonies de sacrement de certains versets et le « tyardi » de la fin du cycle d’études, cette récompense reconnue au maître-artisan ou au maîtrede-Coran, mais non imposée aux familles. Celles-ci s’en acquitteront cependant, au prorata de leur fortune : du coq à la vache, le « tyardi » est honoré, exhaussé. 32

La lettre de la CAD, 2003

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Par temps de chômage généralisé, les charges de la scolarisation française deviennent des facteurs de dissuasion des ménages pour constituer un handicap à la vocation de l’école comme service public. Autant rappeler alors tout l’espoir jadis suscité par le Cadre d’Action de Dakar dans sa résolution en faveur de l’enseignement primaire universel à travers un soutien résolu de la communauté internationale. Pour les pays pauvres, ceux d’Afrique notamment, cette résolution avait signifié des interventions et des politiques sociales plus larges de nature à alléger les coûts indirects qu’entraîne la scolarisation, des fournitures aux autres commodités scolaires. Aujourd’hui et dans la plupart des pays africains, l’éducation publique bat de l’aile : échecs et abandons rythment leur quotidien. L’équité reste chimérique. A bien des égards, « notre débat sur l’éducation semble coincé entre ceux qui veulent liquider l’école publique et ceux qui veulent préserver un statu quo indéfendable, entre ceux qui disent que l’argent ne change rien en matière d’éducation et ceux qui réclament plus d’argent sans démontrer qu’il en sera fait bon usage. Mais lorsque nous soutenons en tant que société, que les enfants pauvres peuvent réaliser leur potentiel dans des écoles délabrées et sans sécurité, pourvues d’un équipement obsolète et de professeurs non formés pour les matières qu’ils enseignent, nous mentons à ces enfants et à nous-mêmes. Nous trahissons nos valeurs »33. Nous naviguons aussi à contre-courant de cette volonté communautaire orientée vers une plus grande participation dans l’œuvre d’éducation et de préparation de la jeunesse à un développement d’abord endogène. 33

Barack Obama, L’Audace d’espérer, Presses de la Cité, 2008, pp 34-35

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3. SOIF DE PARTICIPATION “Entrer à l’école”, fréquenter l’école formelle d’expression française, anglaise ou portugaise, a longtemps signifié dans le langage populaire africain, appartenir à un monde différent distingué de celui de la communauté. De là cette velléité de l’élève africain de jadis : faire la mue des valeurs communautaires pour épouser les projections culturelles prônées par l’école occidentale formelle. Aujourd’hui encore il est courant de confronter l’école africaine à deux orientations majeures : l’intégration au contexte social d’une part, les exigences d’ouverture et de modernité pour le développement d’autre part. Un faux dilemme car les concepts de développement et de modernité impliquent-ils nécessairement une rupture avec le contexte social ? Il n’y a justement de développement que d’insertion dans le contexte social et la communauté est véritablement le lieu où s’éprouve le développement, le lieu où s’élabore le lien entre l’école et le concept même de développement. Et dès lors gérer le système éducatif public africain reviendrait à apporter des réponses adaptées à la demande d’éducation en amenant des écoles aux enfants et non plus les enfants à l’école. Et cette école ne saurait dès lors être univoque. Elle serait nécessairement plurielle pour s’inscrire dans la dynamique du développement des communautés. Aux personnels administratifs des services éducatifs il revient de conduire les destinées de ces différentes écoles en apportant des solutions appropriées à leurs défis spécifiques. Pour y parvenir, les écoles doivent être comprises et acceptées non pas comme des institutions étrangères mais bien comme celles des communautés dans toute leur diversité. C’est l’attitude des communautés vis-à-vis des écoles, vis-à-vis des usages des apprentissages qu’elles 75

développent ainsi que les compétences qu’elles font acquérir qui aiguise ou émousse la volonté de scolarisation. Une participation active et effective de la communauté à la vie de l’école est nécessaire attendu que c’est par et à travers cette communauté que se concrétise et se développe la demande d’éducation. Pour en prendre pleinement conscience, faut-il que la communauté elle-même arrive à problématiser sa propre situation laquelle pourra favoriser la mise en place de projets d’intérêt général dont et entre autres la scolarisation des enfants, non pas une partie des enfants mais bien tous les enfants et en toute équité. En Afrique, accroître l’accès, améliorer la qualité, renforcer l’équité et faire en sorte que les enfants quittent l’école nantis de compétences utiles pour assumer leur rôle de producteur, restent encore des défis fondamentaux. Dans presque tous les pays d’Afrique, l’offre scolaire est aux piloris, accusée d’insuffisance et de disproportion, ce qui favoriserait par endroit le manque de continuité éducative. Alors que les efforts convergent vers l’accroissement de cette offre, des études mettent de plus en plus en lumière que dans la plupart des pays africains, les problèmes d’offre restent malgré tout minoritaires pour expliquer le manque d’attractivité et la médiocrité de la qualité de l’école. En somme, l’offre éducative s’est surtout révélée inadaptée. Et la quête de solution pour une qualification de l’école africaine s’oriente de plus en plus du côté de la demande, cherchant à davantage explorer les mesures visant à améliorer la demande sinon celles susceptibles de favoriser l’adaptation de l’offre afin qu’elle corresponde mieux à la demande. Dans cette perspective, il est alors estimé que la participation communautaire à la vie de l’école contribuerait à intensifier la demande d’éducation, ce pour quoi la com76

munauté voudrait bien se mobiliser. Et cette valorisation de la demande comme facteur d’impulsion de l’école replace la communauté au centre de toutes les préoccupations. Par contre, les velléités de participation de la communauté à la vie de l’école sont confrontées à ses propres représentations, elles-mêmes conséquence de l’analphabétisme généralisé de ses membres. Et pourtant partout où cette mobilisation communautaire en faveur de l’école a été expérimentée, elle s’est avérée prometteuse. 3.1. Les actifs de la participation communautaire A la faveur des réformes pour impulser un développement endogène, harmonieux et équilibré, des politiques de décentralisation ont été amorcées pour une participation démocratique des bénéficiaires locaux dans la résolution de leurs problèmes. Initiés depuis 1965 au Togo, les Comités Villageois de Développement ont eu pour mission d’animer et d’organiser le village pour la mobilisation sociale de la communauté en vue de sa participation au développement local. En Guinée, le Comité Rural de Développement lui fait écho. Comités ruraux et Comités villageois de développement ont pouvoir de se doter de commissions spécialisées autant que nécessaire. Et ainsi de la commission « Scolarité ». Des « associations » et autres « alliances » ont été instituées pour conforter lesdits comités et servir de cadre d’intervention des groupements économiques et socio-professionnels en faveur de l’école. Ces institutions favorisent le débat pour une mise en œuvre d’un développement en-

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dogène où l’école trouve toute sa place dans le concert d’une participation communautaire effective. A la faveur de ces institutions, la communauté est progressivement devenue l’épicentre d’une convergence d’activités orientées vers le rétablissement du lien entre l’école et la communauté, gage et moyen de développement et de l’école et de la communauté. A la dimension de leurs moyens respectifs, les communautés se sont impliquées à travers une gamme d’activités. Dans la mise en œuvre de cette participation communautaire, les évaluations précisent que les primes efforts ont surtout été orientés vers « la rénovation des locaux scolaires, l’achat et la rénovation du mobilier, l’amélioration et la protection de l’environnement de l’école, les aspects économiques de la vie des enseignants, le maintien des filles à l’école, le suivi de l’assiduité des enseignants et des élèves »34. A travers cette participation, les enseignants contractuels sont littéralement pris en charge par la communauté au sein de laquelle ils trouvent gîte, nourriture et autres avantages incitatifs. Lorsqu’ils ne sont pas des natifs de la communauté, il leur est attribué des lopins de terre mis en valeur par la communauté. L’élan communautaire pour une active participation trouve un écho favorable auprès des partenaires au développement. Ils font montre d’une ferme volonté de replacer les efforts de développement de l’école dans son contexte. Pourvoyant aux efforts d’infrastructures et d’équipements hors de portée des communautés, ils s’investissent aussi dans la mise en place d’activités locales génératrices de revenu au bénéfice des mêmes communautés. 34

Rapport d’évaluation du projet « Participation communautaire, équité et qualité de l’école, (PACEEQ) », Guinée, 2005

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Mais le clou de l’innovation a été l’implication des partenaires dans l’alphabétisation des communautés afin de les accompagner dans la mise en place des organes participatifs. En Guinée, des programmes d’alphabétisation tantôt en français, tantôt en langues nationales, ont été initiés avec l’appui de l’USAID (PACEEQ) et l’Union Européenne dans le « Programme d’Appui au Secteur de l’Education de Base » (PASEB). L’alphabétisation des communautés a été dispensée notamment en Pular à travers un alphabet arabe harmonisé pour les communautés de la Moyenne Guinée et en langue Maninka transcrite en Nko pour celles de la Haute Guinée. Au Togo, avec l’Association Française pour le Développement (AFD), des sessions d’alphabétisation en langues locales sont conduites en Lama, Nawdem, Nkam, Kabyè, Tem, Konkomba. En Guinée comme au Togo, les sessions d’alphabétisation n’ont pas juste visé l’acquisition de la lettre ; elles ont été développées avec un accent tout particulier sur la fréquentation scolaire et ses entraves spécifiques. Les alternatives en matière d’équité ont permis d’appréhender la situation locale des filles et de mettre ainsi en exergue aussi bien les contraintes socio-culturelles qui les handicapent par rapport aux garçons que l’impact que leur scolarisation pourrait induire sur le progrès général de la société. En Guinée et au Togo, les formations développées ont succédé et/ou accompagné la mise en place d’importantes infrastructures scolaires et par endroits (avec l’Union Européenne en Guinée) de logements des directeurs d’école pour leur assurer une plus grande stabilité. Faute de logement, le directeur d’école désertait les lieux en même temps que ses élèves, dès que retentissait la cloche de la fin des cours. 79

Le programme d’« Amélioration de la Scolarisation dans le Nord Togo (ASNT)» a été décliné en diverses composantes concourant toutes à la réalisation des objectifs de « réduction des poches de sous-scolarisation, de désenclavement des sites scolaires, d’une amélioration de l’offre éducative et d’un accroissement de la proportion d’enfants à compléter la scolarisation primaire dans la région de la Kara »35. Sa mise en œuvre a nécessité une animation communautaire exaltante, une implantation d’infrastructures scolaires et périscolaires et quantité de formations : sensibilisation des populations à tous les niveaux, formation de l’encadrement administratif et pédagogique des écoles, des animatrices locales des centres d’éveil de la petite enfance, formation des gestionnaires des cantines scolaires, des gestionnaires des activités génératrices de revenu à l’actif des communautés. Toujours au Togo, le désenclavement des sites scolaires a conduit à des travaux de génie pour bâtir ponts et ponceaux, pistes, dalots et buses. A travers force activités de commercialisation de céréales, d’exploitation de moulins, d’entreprises de saponification, le patrimoine communautaire s’est accru. Le programme a armé la communauté non seulement pour éroder les poches de sous-scolarisation mais encore pour améliorer les revenus des populations, accroître leur bien-être, et par ce, libérer les enfants des activités de production au bénéfice de leur scolarisation. En Guinée comme au Togo, les programmes développés ont aussi élargi le partenariat de l’école. Aux entreprises modernes de mise en œuvre ont été associées des PME locales grâce à la stratégie de la maîtrise d’ouvrage déléguée, afin de rendre la communauté plus

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Rapport d’évaluation, AFD Togo, Juillet 2007

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autonome dans les efforts d’entretien et de rénovation des infrastructures scolaires. A tout moment, en Guinée comme au Togo, les communautés ont été assistées dans la mise en place d’organisations démocratiques d’accompagnement quoi que le mode de désignation des membres ait dû se plier aux exigences communautaires. Parfois, le consensus s’est porté pour le vote à main levée. Certes, le bulletin secret est réputé plus authentiquement démocratique mais faire obstruction au choix de ces communautés disposant de leurs propres modes de sélection de leurs représentants eût été une erreur stratégique lamentable ! Par endroit, il aura fallu faire allégeance au rôle consultatif des sages (encore les anciens !) et par moment il a été accepté que ces derniers se retirent pour juste désigner les membres du bureau de l’organe considéré. Et cette attitude traduisait plus la minutie observée dans la sélection de ceux-là qui siègent au nom de la communauté et qui doivent lui rendre compte. Il ne fallait surtout pas dénier aux sages, véritables institutions des communautés, ce devoir de véto sur leurs mandants. Fondamentalement, ces sages assurent un rôle de contrepouvoir. Au nom de leur ascendance sur les membres de la communauté, ils ont autorité pour annuler toute décision des mandants pour peu que ces dernières revêtent un caractère impopulaire. En toute circonstance, ils restent garants de la cohésion sociale et du consensus de la collectivité villageoise. Et c’est pourquoi, leur seule implication dans la gestion des affaires de l’école pouvait porter caution de viabilité. Et le risque parfois allégué de leur mainmise sur l’école, loin de constituer un handicap, a représenté une ressource, un moyen de l’appropriation de l’école par la communauté et ses institutions.

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Et malgré cette limitation du pouvoir des élus, les évaluations rapportent qu’ils ont partout été des agents efficaces de la mobilisation communautaire pour une participation active et effective aux efforts monétaires et humains en faveur de l’école. Et ainsi, la participation communautaire à la vie de l’école a constitué un puissant levier dans la reconversion des mentalités tant des notabilités communautaires que des personnels des services éducatifs. Alors que les textes officiels avaient institué les « Associations des Parents et Amis de l’Ecole » dans toutes les écoles de Guinée, certains directeurs admettent avoir mal accueilli cette ingérence aussi désuète qu’inopportune. A la faveur de la participation communautaire, les animateurs des services éducatifs à tous les niveaux intègrent le contrôle des bénéficiaires locaux. Les détracteurs d’hier reconnaissent avec humilité que la participation communautaire répond davantage à des besoins ressentis des administrations. Et ce changement d’attitude découle non des commandements hiérarchiques mais du constat éprouvé de l’amélioration du fonctionnement des structures éducatives et donc des avantages substantiels de l’implication de la communauté dans leur gestion. En fait, c’est comme si l’administration moderne s’était partout trouvée renforcée par la participation de la gouvernance communautaire, les élus locaux s’avérant incontournables tant dans les médiations en direction des enseignants que dans la gestion des élèves en dehors de la cour de l’école. Mais la communauté y trouve également matière à satisfaction. Outre qu’elle note la réelle destination de ses contributions matérielles et financières, ce qui l’incite à davantage de sacrifice, elle accroit dans toute la localité son capital d’autorité et de prestige. Source de fierté et pas des moindres, la communauté constate que grâce au contrôle qu’elle exerce sur l’école, les enseignants sont plus 82

assidus, la fréquentation des élèves est mieux suivie et leur réussite aux examens nationaux (les filles notamment) plus accusée. Certes, l’assistance aux maîtres avait déjà ravivé cet esprit de solidarité et d’entraide autant qu’elle avait développé ce sentiment d’intégration et de sécurité de ces derniers, facteur essentiel dans l’Afrique des ethnies. Mais par-delà ces divers aménagements, il a aussi été noté que la participation communautaire avait parfois pris des formes moins tangibles mais qui ne contribuaient pas moins au bon fonctionnement de l’école. C’est le cas notamment de la gestion des conflits impliquant les personnels de l’école. Leur règlement amiable a eu des répercussions heureuses sur les activités pédagogiques. Et finalement la quête d’une participation communautaire effective a sous-tendu une interpellation réciproque de la communauté et des administrations en vue d’une politique éducative plus intégrative. Constat a été fait que la faiblesse généralement imputée aux organismes participatifs mis en place est qu’ils ont eu tendance à évoluer indépendamment des structures de gestion de l’éducation. L’expérience révèle alors que tant que ces organismes n’auront pas intégré ces structures, ils ne joueront qu’un rôle consultatif. Ils n’assumeront pleinement leur rôle qu’en faisant corps avec les structures d’encadrement à tous les niveaux pour transformer l’administration scolaire en un organe fédérateur d’initiatives locales. Et c’est aussi par ce biais que la politique éducative pourrait se transformer pour être appréhendée non seulement dans sa dimension nationale, globale, mais aussi dans ses interactions avec les environnements locaux – ce par quoi elle sera pleinement comptable des besoins des communautés pour encore et davantage bénéficier de leur totale adhésion. 83

Et les gestionnaires aux différents niveaux intègrent à leur tour que même si le système éducatif se pense au niveau national, au niveau local, il ne s’agit plus uniquement d’administrer, de faire fonctionner les structures selon des normes édictées et des procédures légalement définies, mais qu’il s’agit davantage de les faire fonctionner en parfaite symbiose avec la communauté. Aux personnels administratifs des services éducatifs, il revient « non seulement d’être des gestionnaires en se préoccupant de structures, de procédures et d’activités, mais aussi des leaders qui se préoccupent de valeurs, d’individus et de consensus »36. A réaliser que le développement de l’école reste tributaire de sa dynamique interne et de son appropriation par la communauté, les personnels administratifs des services éducatifs s’attèleront davantage à identifier au niveau local les facteurs d’amélioration de la qualité de l’éducation, les moyens de son développement endogène, et autant ils développeront des compétences intégratives plus étendues. 3.2. Réclame des communautés et clameurs des autorités Outre que les charges éducatives du secteur formel restent inabordables pour beaucoup de ménages, la formation y acquise n’est désormais plus une garantie pour l’emploi ; les diplômes se déprécient : le Brevet de Technicien Supérieur (BTS)37 est assimilé en langue mandingue à un parchemin de non employabilité. Avec l’expérience dissuasive des diplômés sans emploi, parents et élèves font montre d’un intérêt plus accusé pour les formations débouchant sur des activités génératrices de revenu. 36 37

Michel Saint-Germain, in G. Pelletier, 1999, op cit. p. 146 BTS=Baara Te Soro= Ne peut procurer un emploi

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Les ingéniosités ancestrales ressurgissent, auréolées d’un attrait nouveau et partout le secteur informel est sollicité au chevet de l’éducation formelle. Sous la pression de cette réclame des communautés, le secteur informel rénove ses stratégies pour s’adapter par et à travers la promotion de centres d’éducation technologique et artisanale alliant cycle de formation professionnelle et éducation de base. Commandités par les communautés et le plus souvent sous leur seule initiative, ces centres locaux de formation aspirent à favoriser la maîtrise de compétences professionnelles grâce à l’acquisition de savoir-faire susceptibles de faciliter dans l’environnement d’accueil une insertion professionnelle immédiate, voire la mise en œuvre d’initiative privée directement solvable. L’alphabétisation le plus souvent rudimentaire qui s’y greffe porte concrétisation d’une formation professionnelle véritable pour contraster avec l’apprentissage sur le tas de jadis. Cependant, cette alphabétisation reste encore plus un alibi qu’un moyen de promotion de l’activité professionnelle. En dehors de quelques rares prises de notes (mensurations, tarification, pesage) son impact est peu visible. Il le serait davantage si elle pouvait déboucher sur l’élaboration de manuels de formation fournissant ainsi matières et motifs de lecture. Toujours est-il que partout en Afrique, l’ingéniosité ancestrale redore son blason. Au Togo, l’apprentissage des techniques de tissage du pagne « kente » draine la jeunesse vers le Ghana voisin. Au Faso, les Centres Permanents d’Alphabétisation et de Formation engagent des populations villageoises dans des activités d’agriculture et d’élevage assorties d’une formation en lecture-écriture-calcul. Le calendrier des formations est aménagé de manière à concilier les apprentissages professionnels et les charges familiales. Et 85

dans cette même logique, les séances de formation sont étalées en fin des travaux champêtres. Au Sénégal, des écoles non formelles implantées en diverses zones sont gérées par les communautés villageoises, en dehors de toute implication de l’Etat. En plus d’un enseignement assez proche de celui fondamental, s’y développent des activités productives à grande échelle. Elles ont par endroit engendré des “fermes scolaires” à régime d’internat, lesquelles sont en train de provoquer un exode en sens inverse, accueillant de plus en plus de jeunes citadins en mal d’insertion dans les cités urbaines. Et paradoxe, alors que le secteur informel s’échine à faire œuvre utile, la plupart des responsables des services éducatifs d’Afrique persistent à penser qu’il s’agit là d’une solution de second ordre de sorte que rares sont les pays qui en tiennent compte dans leurs réformes du secteur de l’éducation. Et ce, bien qu’il soit de notoriété générale que les exclus du système scolaire de même que la grande majorité des diplômés tous grades confondus sont accueillis par le secteur informel. Un constat empirique amène à soutenir qu’en Guinée, plus des deux tiers des élèves du secondaire général ont pour principal débouché le secteur informel. Au Togo, une enquête de ménage organisée à Lomé entre 2000 et 2003 avait montré qu’ « environ 40% des diplômés du supérieur ayant trouvé un emploi étaient occupés dans le secteur informel »38. En Afrique le secteur informel se révèle des plus dynamiques. Il a longtemps galvanisé l’essentiel des efforts de formation, le secteur formel étant contemporain aux missions confessionnelles.

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RESEN, Togo, 2006

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Aujourd’hui encore et à l’image des corporations d’antan, les métiers impliquant les nouvelles technologies sont promus dans un cadre informel. Issus de la rue, réparateurs de radios, réparateurs de téléphones, personnels d’entretien d’appareils électroménagers, offrent un service de proximité aussi utile que rémunérateur. Des raisons évidentes de conférer à ce secteur toute l’attention méritée. Car c’est un secteur éminemment solvable, à tout moment à l’affut de la demande et prompt à y faire face avec les moyens de bord. Ceux qui s’y investissent tirent leur présomption de compétence de deux facteurs : l’inexistence d’une quelconque alternative spécialisée pour satisfaire un besoin affirmé et la calme assurance de ceux qui s’y investissent, même si la compétence n’est pas toujours prouvée - situation qui justifierait amplement un service de formation. En Guinée les dispositions réglementaires en matière de formation professionnelle continue restent rares. La loi fondamentale énonce un « droit à l’instruction et à l’information » et stipule que l’Etat se doit de « créer les conditions et les institutions permettant à chacun de se former »39. Faudrait-il alors que l’Etat s’implique réellement afin que toutes les expressions du besoin d’éducation soient prises en compte. La réclame des collectivités ne doit pas être ignorée par le service public d’éducation. Au contraire ! Et ce n’est pas tout. Le désengagement de l’Etat vis-à-vis du secteur informel peut le livrer à la merci d’instances, d’institutions et de collectivités parfois sectaires et le risque de dérive vers un fondamentalisme ravageur n’est pas absent. Il est aujourd’hui aisé de constater dans plusieurs pays d’Afrique 39

Respectivement Art 7 et 21, Titre II, 1994

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noire une prolifération de centres de formation dénommés “medersa” alliant alphabétisation dite « franco-arabe », apprentissage technique et professionnel et interprétation du Coran, terreau fertile à l’éclosion de sectes religieuses d’inspiration islamiste. Il faudrait alors que soient davantage régulées les institutions non formelles au sein desquelles est formée une partie de plus en plus importante des jeunesses des pays africains. Il faudrait que soient accomplies, dans le formel tout comme dans l’informel, les finalités d’une éducation publique socialement utile et valorisée. Dans cet objectif, il y aurait nécessité de renforcer la formation professionnelle des personnels administratifs des services éducatifs afin de leur conférer une réelle expertise pour une mutation fondamentale de l’école africaine en fin comptable des besoins de développement de l’Afrique. Et cette professionnalisation reste avant tout tributaire d’une saine appréhension des voies et moyens du développement professionnel des praticiens d’administration des services éducatifs publics d’Afrique.

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CHAPITRE 3 Les méandres du développement professionnel du praticien

Les savoirs professionnels en matière de management scolaire ont longtemps été sous-tendus par la volonté de formuler une théorie générale interprétative de la nature de l’administration de l’éducation et susceptible de fournir aux praticiens un ensemble de recettes pour l’action, attendu que rien ne saurait être plus pratique qu’une bonne théorie. La conviction d’alors est que le savoir-agir professionnel s’acquiert et ne s’acquiert que dans les institutions de formation à travers l’acquisition de connaissances standardisées axées sur des principes théoriques très généraux applicables à toute situation concrète. Cette conception repose sur la présomption d’un agir connaissable jusque dans ses moindres contours et autant prévisible. Car si chaque problème professionnel était spécifique et singulier en tous points de vue, sa résolution serait au plus accidentelle et conséquemment, l’expertise professionnelle serait une aventure contingente. Les savoir-agir des personnels administratifs des services éducatifs d’Afrique ne dérogent pas de connaissances constituées. Seule leur pratique porterait

affirmation de leur qualification et/ou expertise pour consacrer en même temps leur statut non professionnel. Et si l’expérience prouve à suffisance que les expertises issues des institutions de formation avec force maîtrise des principes et processus de leur art, ne sont pas toujours les meilleures dans l’action, critère et preuve de savoir professionnel, la voie royale de la professionnalisation est restée malgré tout la formation formelle, critère d’une qualification définie par rapport à une spécialité, c’est-à-dire un agir identifié à travers un ensemble de connaissances théoriques et pratiques à mobiliser dans et pour son exercice. La conviction partagée qu’il n’y a de véritable savoir que celui acquis dans une institution de formation fait de cette dernière le sanctuaire autant que le médium de toute formation professionnelle. Elle est prolongée par la formation continue aspirant à une adaptation des travailleurs aux changements des techniques et/ou aux conditions de travail, dispensatrice de qualification professionnelle. L’appréhension des savoirs de référence des administratifs praticiens des services éducatifs d’Afrique s’avère un exercice périlleux. D’abord l’agir managérial se ressent d’une veine culturelle. Il s’apprécie au sein de la communauté qui l’abrite et dans le cadre des activités de cette dernière. Ensuite, l’organisation administrative ne constitue pas moins un espace culturel distinct. La reconnaissance de la culture comme l’ensemble des valeurs fondamentales constituées par une communauté à travers la résolution de ses problèmes d’intégration interne et d’adaptation aux divers environnements replace l’agir au cœur des débats sur les savoirs professionnels pour dénoncer cette allégeance aux seuls principes et méthodes des formations formelles dans le processus de professionnalisation des personnels administratifs des services éducatifs. Leur impact n’a pas toujours répondu aux espoirs supputés. 90

1. FORMATION FORMELLE ET SAVOIRS PROFESSIONNELS

Aux différents niveaux des services éducatifs publics de Guinée, des actions de formation ont été conduites, censées accroître les compétences, qualifier les ressources, dynamiser l’agir, rendre les différents personnels aptes à l’exercice de leurs fonctions. A vocation de professionnalisation, ces formations ont été axées sur l’exercice immédiat des fonctions exercées, conçues pour et orientées vers un but pragmatique. Pour l’essentiel, elles ont consisté en des séminaires et ateliers dits de perfectionnement, des formations diplômantes continues et des formations de reconversion. Cette distinction vaudrait pour toutes les formations entreprises çà et là en Afrique en faveur d’une professionnalisation sinon qualification professionnelle des personnels de l’éducation publique, même si leur développement tout comme leur impact peuvent être variables d’un pays à un autre, même si leur fréquence et les ressources y engagées peuvent accuser ici et là des différences notoires. Les formations développées ont alors accusé un impact plus ou moins marqué, en fonction des groupes-cibles envisagés, des moyens mobilisés. Cette fréquence des formations ainsi que les hiérarchies administratives qu’elles ont impliquées ont été érigées en éléments discriminants pour conférer aux personnels impliqués la référence sinon essentielle, du moins utile. Et ces personnels ont été généralement sélectionnés à travers les fonctions assumées portant postulat des activités à réaliser. Dans son expression la plus élémentaire, toute fonction s’exprime à travers des activités bien distinguées pour incarner un niveau précis de la hiérarchie administrative en même temps qu’elle décline de manière implicite un degré présumé de compétences et de qualifications. Dès lors, si 91

la fonction ne génère pas nécessairement les compétences de l’agent, du moins peut-elle augurer de ces dernières. Comment les personnels administratifs des services éducatifs publics ont-ils accueilli ces différentes formations ? Une enquête conduite40 sur un demi-millier de sujets a établi qu’au cours des deux dernières décennies, séminaires et ateliers pédagogiques ont abondé pour répondre aux besoins de renouveau d’« un système éducatif jusquelà directif, magistral, livresque et théorique »41. De l’échantillon sélectionné, les formations ont couvert les deux tiers des directeurs d’école élémentaire, un tiers des censeurs, la moitié des chefs de section de l’enseignement élémentaire ainsi que des chefs de section de l’enseignement secondaire, les trois quarts des délégués pédagogiques sous-préfectoraux de l’enseignement élémentaire. Destinées aux personnels d’encadrement, elles ont été plus orientées vers le renforcement des compétences et capacités d’appui aux personnels du face-à-face pédagogique. Dans la même logique de qualification du système éducatif, les états généraux de l’éducation nationale avaient attiré l’attention sur le renforcement des capacités d’administration et de gestion afin de réduire les difficultés que rencontrent ces maillons essentiels du processus de réhabilitation du système éducatif national. Une réflexion sur la formation des chefs d’établissement et des conseillers à l’orientation a été initiée, prélude à des séminaires, des séjours d’études et des stages de perfectionnement. Les directeurs d’école élémentaire et les directeurs des 40

Moustapha D., In La formation des chefs d’établissement scolaires en Guinée, Cahiers africains de Recherche en Education n° 6, L’Harmattan, 2006, p. 109 41 Alama. Condé, Le redéploiement du personnel enseignant en Guinée, ADEA, 1995

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études des collèges n’y ont participé qu’à hauteur de 10% alors que plus de 50% des chefs des sections chargés des enseignements élémentaire et secondaire y ont été accueillis. Et pendant que s’égrènent séminaires et ateliers de courte durée, une spécialisation professionnelle a été envisagée et là également, les formations ont consisté en des recyclages et des reconversions orientés vers le personnel d’encadrement pédagogique. Le Centre de Perfectionnement Linguistique (CPL) pour le recyclage des maîtres a accueilli 90% des directeurs d’école élémentaire, 40% des instituteurs exerçant les fonctions de directeur des études dans les collèges, 24% des instituteurs nommés dans les fonctions de chefs de section de l’enseignement élémentaire près les services déconcentrés. A l’Institut Supérieur des Sciences de l’Education de Guinée des formations aux diplômes de « professeurs d’école normale », de « conseillers pédagogiques–maîtres formateurs » et d’ « animateurs pédagogiques de l’enseignement secondaire » ont été initiées. En sus des préoccupations pédagogiques, les premiers ont « vocation à être nommés directeurs, directeurs des études d’école normale d’instituteurs ou d’école normale d’enseignement technique et professionnel » et les seconds « directeur d’école d’application ou de directeur pédagogique souspréfectoral de l’enseignement élémentaire » 42. Au niveau des superviseurs, une formation a été aussi développée, couvrant plus de 80% du corps des inspecteurs. Et suite aux dispositions de la note de service sus énoncée, « sont classés dans le corps des inspecteurs de 42

Note de service n°92/324/MEPU-FC/RG portant Dispositions pour recrutement, titularisation, nomination des personnels des services administratifs de l’éducation, Ministère de l’Enseignement PréUniversitaire et de la Formation Civique, R G, 1992

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l’enseignement, les professeurs délégués dans les fonctions suivantes : directeurs préfectoraux, inspecteurs régionaux, inspecteurs disciplinaires de l’inspection générale ». Enfin, des formations-reconversion ont été conduites plus orientées vers des impératifs de reclassement dans les corps constitués de l’éducation nationale. Elles ont concerné les agronomes nommés dans les fonctions d’encadrement des établissements du second cycle pour des impératifs de production agricole alors essentielle dans les Centres d’Education de la Révolution Culturelle Socialiste. En résumé et malgré la relative diversité des formations formelles en cours d’emploi, celles orientées vers les personnels administratifs ont été plutôt rares, priorité ayant été accordée aux séminaires pédagogiques. Les personnels des structures centrales et déconcentrées ont tous bénéficié de formation : 53% ont suivi des séminaires pédagogiques contre 33% pour les séminaires administratifs internes ou à l’étranger. Et malgré tout, l’enquête rapporte que le cinquième des personnels administratifs d’alors n’avait bénéficié d’aucune forme de formation continue, sous sa forme pédagogique ou administrative. C’est avec leur formation initiale d’enseignant que ces derniers ont exercé et exercent encore des fonctions administratives au sein des structures éducatives. Le taux de participation aux formations le plus faible a été observé chez les personnels d’encadrement des établissements du second degré ce qui explique que la gestion s’y soit exercée au quotidien, son personnel naviguant à vue. Par contre le taux de participation le plus élevé s’est signalé au niveau des inspecteurs et autres responsables hiérarchiques des services centraux et déconcentrés, ce qui

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a tendance à conforter la thèse du caractère cumulatif des formations, glanées au fil des ascensions professionnelles. De ces formations formelles, quelle incidence sur l’agir quotidien et sur le développement professionnel des personnels ? Les personnels administratifs de l’éducation ne sont prolixes ni sur leurs apprentissages, ni sur les compétences effectivement développées lors des différents séminaires et ateliers de formation. Après la formation et à ne se référer qu’à l’agir ambiant, force est de constater une persistance des anciennes façons de faire, comme pour dénoncer le manque d’impact effectif sur les fonctions exercées. Le cas ne serait pas isolé et les études abondent sur les difficultés de transférer dans la vie professionnelle, les connaissances acquises par hétéro-formation institutionnelle. L. Toupin estime que « ce problème de mise en application atteindrait jusqu’à 80% des connaissances acquises lors d’activité de formation continue sous sa forme institutionnelle »43. Dans les séminaires et ateliers, les savoirs à disséminer sont considérés suffisamment éprouvés. Somme de normes et de procédures réputées infaillibles ces savoirs sont censés doter des capacités requises pour gouverner notre agir ainsi que tout agir. Portés par des prêtres d’une scientologie véritable, ils prescrivent « ce qu’il faut nécessairement faire » sans se soucier si les connaissances développées (pour ne pas dire les recettes préconisées) sont efficaces dans le contexte de l’agir. Avec tout le pouvoir de subjuguer, d’exhorter et d’endiguer, ils sont alors écoutés, acclamés, parfois sublimés mais rarement suivis.

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L. Toupin, De la formation au métier, savoir transférer ses connaissances dans l’action, ESF Edit Paris, 1995, p. 13

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Après la fascination, séminaires et ateliers aboutissent alors à des ordonnances méthodologiques, des dogmes à observer. Au mieux, ils favorisent un apprentissage par reproduction de modèles, à l’image des corporations artisanales ou de la scholastique coranique. Leur seule constante est que les règles et les prescriptions s’avèrent toujours déconcertantes au moment de l’action. C’et ce qui explique que l’impact des formations formelles dans la qualification de l’agir professionnel des personnels administratifs de l’éducation soit resté très polémique, cédant le pas, comme jadis, à l’immersion directe dans la situation de travail.

2. IMMERSION ET DÉVELOPPEMENT DE PROFESSIONNALITÉS

Le processus de mise en œuvre de toute activité requiert une mobilisation de compétences. Et comme une même activité développée en différents endroits et/ou périodes peut requérir des compétences différentes, autant dire que l’immersion dans la situation de travail est déterminante dans la nature des compétences à mobiliser. Et c’est la conscience de ce besoin de compétences spécifiques pour toute situation singulière de travail qui fonde le caractère non applicable à l’identique des compétences et qui accule à des apprentissages toujours renouvelés, ce que corroborent les interviews recueillis auprès des personnels des administrations de l’éducation. Le fait de répondre aux correspondances a amené le néophyte au service de la direction de l’école élémentaire à la recherche de modèles, à la consultation des archives scolaires. “Je répondais à toutes les correspondances qui venaient. Dès que j’étais un peu embarrassé, je fouillais dans les archives. C’est très important ! Parce que avant vous, des gens sont venus ; donc, en fouillant dans les ar96

chives, les correspondances passées, les rapports, en les lisant, en les examinant sérieusement, vous voyez comment ça se passait. J’ai appris comme ça, je copiais sur ce que j’avais sous les yeux”. Confrontée à l’orientation des élèves dans les différentes options de son lycée, la conseillère se livre à une véritable recherche sur les procédés de calcul des moyennes. Elle interroge notamment la tenue des livrets scolaires. “Il faut que les livrets scolaires soient correctement remplis pour que l’on puisse avoir des moyennes utiles”. L’élaboration des emplois de temps, le planning des salles de classe, l’organisation des stages professionnels, ont requis des compétences spécifiques pour ce directeur des études d’un collège cumulant enseignement général et enseignement professionnel. Les transactions dans la gestion des moyens matériels et financiers mis à disposition ont aiguillonné le proviseur d’un lycée urbain vers “le développement de compétences en comptabilité matière ainsi qu’à la “tenue” d’une comptabilité financière rudimentaire”. Pour ce délégué pédagogique sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire pour lequel “aucune instruction n’éclaire les missions”, “la détermination des priorités et le développement d’un programme d’activités et de son échéancier” se sont avérés incontournables. C’est dire que la situation de travail est suffisamment éloquente dans la nature des compétences à mobiliser pour réaliser les activités qu’elle requiert : elle se constitue réellement en appel à compétences. Et dès lors, tout agir peut être inducteur de savoirs spécifiques et les apprentissages peuvent s’y organiser autour de paramètres variés et à des niveaux multiples. L’influence de chacun de ces paramètres est variable selon le contexte. Les plus cités par les personnels administratifs 97

des services éducatifs publics comme vecteurs de leurs principaux apprentissages sont les règlements administratifs, les échanges socio-professionnels, en un mot, leur environnement immédiat. C’est non seulement l’environnement dans lequel se réalise l’agir mais aussi l’environnement formé par ceux avec lesquels cet agir est réalisé, ceux pour lesquels cet agir se réalise, ceux sans lesquels cet agir ne saurait se réaliser. 2.1. Instructions administratives et apprentissages implicites Pour remplir ses missions, toute organisation se dote de structures adéquates, réceptacles des activités et des acteurs qui les performent. Ces structures peuvent constituer des centres hégémoniques de décision sinon des paliers de réflexion et de participation, voire des instances de confrontation et/ou d’harmonisation de points de vue. Selon la structure, le mode et le système de gestion, les personnels sont dotés d’attributs différents et dans tous les cas leurs actions et interactions génèrent des apprentissages. Ces derniers s’expriment généralement à travers les documents cadres de l’organisation et les réseaux de relations de travail. Dans l’administration, l’environnement le plus immédiat est le règlement, ensemble de textes de référence de nature à régir l’agir : fiches de poste, missions, arrêtés d’application, ordonnances, décrets. Le règlement reste le symbole des références administratives. Il traduit les instructions et les principes de mise en œuvre autant qu’il symbolise le pouvoir de celui chargé de les faire appliquer.

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Et si les administrations conservent leur homogénéité et leur continuité par-delà le temps et les territoires d’exercice, voire, le mouvement des personnels, c’est en général parce que les mêmes principes les régissent. Ces derniers génèrent des apprentissages. Même dans le contexte d’un agir réduit à l’exécution d’un ordre, l’apprentissage est omniprésent : l’agent opérationnel est astreint à une anticipation de l’impact de la mise en œuvre requise sur le déroulement normal de ses propres activités ainsi que sur celui des autres, les partenaires dans l’agir. Et l’apprentissage continue car, l’utilisation de règles comme instruments de prise de décision ne doit pas amoindrir la quête de solutions pour une mise en œuvre plus adéquate. En toute circonstance, ce n’est jamais l’application de la règle qui est valorisée, mais bien l’efficience de sa mise en œuvre dans la résolution des problèmes posés. Dans toute administration, l’objectif ultime n’est pas tant de faire appliquer des règlements que de gérer des situations à la satisfaction des usagers. Principe souvent relégué au second plan. Au nom d’un assujettissement au règlement, certain personnel allègue des ordres reçus, se désolidarise de tout, n’assume rien. Nullement engagé par les actes qu’il pose, seul lui importe le respect des normes. Il exécute des ordres. Or ordre reçu et performance professionnelle ne s’ajustent pas toujours. Ils obéissent à des registres différents, ils sont perçus à des niveaux tout aussi différents. La sentence n’énonce pas, elle s’énonce. Son exécution engage tout autant la compétence et la responsabilité de celui commis à la mise en œuvre. Et au cours de cette dernière, « si par angoisse ou souci de bien faire, on s’interdit de sortir de la prescription, on ne s’autorisera pas à être compétent. Il en ira de même si l’environnement 99

professionnel est prêt à stigmatiser le moindre écart à la norme. Le dilemme se joue alors entre l’efficacité et le conformisme aux normes »44. Sous le couperet des règlements et dans leur expression la plus banale, le commun des personnels a plus développé des mentalités d’acceptation, de résignation, de soumission que de quêtes de solutions appropriées, de recherche d’alternatives. Cependant, « on doit considérer que les gestes professionnels qui sont régis par des règles et des normes strictes, dans les conduites d’engins dangereux ou dans l’utilisation de certains produits, ne constituent que la partie visible de l’activité, et ne rendent pas compte du travail sous-jacent de la représentation qui peut produire dans certaines occasions des conduites fort éloignées des normes. Les pilotes d’avion, les conducteurs de centrales nucléaires, les techniciens de laboratoire pharmacologique qui opèrent sur les microbes, virus et autres gentilles molécules, respectent, il est vrai, un certain nombre de normes ; mais ils s’en écartent sans ambages en cas de besoin, beaucoup d’études le montrent »45. 2.2. Collectif de travail et partage de savoirs L’agir professionnel n’est jamais un acte isolé. Il est l’expression d’un système d’organisation avec des missions, des moyens et des personnels, en interaction permanente. Le collectif de travail participe à un système de relations instituant des rapports spécifiques entre les différents intervenants. A travers les actions et interactions des uns et des autres, se déploie un système d’entraide où tout le 44

Ph. Perrenoud, 2000, op cit., p. 13 Gérard Vergnaud, in Ph. Carré et P.Caspar, Dunod, 1999, op. cit., p. 196

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monde est censé donner à chacun et chacun se dévouer à tous. C’est le premier niveau où les connaissances se mutualisent pour instituer des savoirs collectifs. Au niveau des personnels administratifs des services éducatifs publics, les échanges au cours des réunions formelles de concertation ont été évoqués comme des occasions mises à profit pour dévoiler idées et opinions, diffuser des informations. Cependant l’adresse informelle aux collègues s’est avérée tout autant sinon plus valorisée. Dans le monde du travail, les collègues partagent les mêmes préoccupations par-delà les occupations respectives. Astreints au même rythme de travail, ils en partagent les principes et les procédures. Au sein de l’organisation, le collègue de service plutôt proche, peut être le meilleur reflet des interrogations personnelles, des craintes et aspirations individuelles. A travers lui et au fil des interactions, se projettent les incohérences de nos agir, se jaugent les insuffisances des apprentissages, se jugent la légitimité des aspirations, se justifient les craintes et les espoirs. En général, les collègues de service détiennent une source importante de savoirs dans le cadre de l’agir commun, solidaire. Dans le concert des activités du monde du travail, chacun se fait une représentation des actions et réactions de l’autre, chacun cherche à tirer avantage des expériences heureuses ou malheureuses de l’autre, ce qui fait de cet autre, un élément fondamental de notre agir autant qu’un vecteur potentiel de nos apprentissages. Soumis à des activités nécessairement complémentaires, les membres d’un collectif de travail ne constituent pas pour autant un groupe homogène. Par-delà la mission qui les réunit et les unit, chacun peut être considéré comme une entité spécifique avec des dispositions spéciales, des motivations distinctes. Toute sollicitation exige une quête constante de stratégies soit pour délier les 101

langues, soit pour ouvrir la voie à des démonstrations pratiques sinon à des médiations opportunes, tous éléments vecteurs d’apprentissages. “Par le fait d’accepter de discuter avec les gens, de collaborer aux activités des autres, avec mes méthodes terre-à-terre sur le plan du contact humain, je me suis rendu compte que je suis en train d’acquérir beaucoup de connaissances”, énonce un responsable des services éducatifs publics. Généralement avenant, le collègue de service peut être aussi une source d’objections sinon d’opposition. Il peut se révéler un contradicteur acharné, peu disposé à faire des concessions, un compétiteur loyal ou déloyal. Dans tous les cas et par-delà les motivations entretenues, il réoriente nos idées et conceptions sur notre propre agir ; il incite au changement d’orientation sinon à la persévérance dans l’action. Lorsqu’une évaluation remporte le suffrage des consultations orientées vers les collaborateurs, leur verdict positif ou négatif peut tenir respectivement lieu de renforcement ou de dissuasion. Et c’est ce qui explique que même sur le terrain de la confrontation, l’apprentissage peut être effectif. Il serait même plus probable auprès des détracteurs tant la force de dissuasion peut y être manifeste. L’attention est toujours plus aiguë, les sens alertes, plus en éveil, lorsque l’on a conscience d’évoluer dans un milieu peu favorable si ce n’est hostile. La conscience lucide d’une inéluctable confrontation entraine souvent un dépassement de soi. Elle aguerrit et force à fourbir les armes. Pourvu bien sûr que cette conscience de la non tolérance des fautes et erreurs ne vire pas à la hantise et à l’obsession !

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Pourvu aussi que cette conscience de la tolérance zéro ne confine pas à des stratégies d’évitement et d’auto-défense. Dans le cercle des organisations l’opposition peut être nocive et destructrice si réduite à des confrontations manipulatrices. Cependant, elle peut aussi s’avérer utile et constituer un facteur de changement et de progrès. Acceptée et surtout bien gérée, l’opposition débouche nécessairement sur une plus-value en pertinence. A travers force critiques constructives, elle peut orienter vers des apprentissages inédits sur les fonctionnements des organisations, voire, des systèmes sociaux. C’est dire que le collaborateur, cet autre identique et différent, proche et distant, par son regard incitatif ou dissuasif, à travers son agir-référence, peut être un artisan de nos apprentissages, un vecteur de nos professionnalités. Tantôt il nous arme, tantôt il nous désarme et toutes ces actions renforcent nos apprentissages sur le lieu de travail, confortent notre professionnalisme. 2.3. Fonctions informelles et qualifications à l’emploi Les expériences ont révélé que les initiations pratiques en administration de l’éducation ont été portées en tout premier lieu par les structures constitutives du maillage de l’école. Et là, force est de se rendre compte que le chargé d’administration de l’éducation est un enfant de la balle. Immergé dans le système de manière précoce, il exerce et s’exerce à travers des activités administratives plutôt informelles confiées aux personnels du face-à-face pédagogique. C’est du staff du personnel enseignant et parallèlement à l’exercice des activités de face-à-face pédagogique que certains jouissent d’un agir administratif informel à travers 103

les charges de professeur principal, de chef de promotion, de chef de groupe technique et autres responsabilités développées et entretenues au sein des structures éducatives. Le professeur principal est celui reconnu par son ascendance sur les collègues évoluant au sein de la classe. Il est censé jouir du privilège de bénéficier d’un consensus par rapport à des qualités tant sociales que professionnelles. En lui, c’est le « primus » qui refait surface. La charge de professeur principal expose à la fonction de gestion d’une entité de l’école : la salle de classe et les activités qui s’y déroulent. Conformément aux attributions du chef de l’établissement, le professeur principal dispose de tous les volets de l’administration, de la gestion et de la planification au niveau de sa classe : il assure la tenue rigoureuse du dossier des élèves et des enseignants, relève et calcule les notes des élèves, représente le collectif de la classe auprès de la direction. Conseiller en éducation auprès des élèves, le professeur principal est actif au conseil des professeurs et gère la participation de la classe aux activités d’animation culturelle. Le professeur principal a autorité pour recourir aux groupes techniques, présider le conseil de classe, convoquer et recevoir les parents d’élèves, négocier avec les associations locales au bénéfice de la classe qu’il supervise, etc. Médiateur, le professeur principal gère les conflits internes et veille à l’instauration d’un bon climat de travail au sein de la classe. Il rend compte au chef de promotion et/ou au directeur des études. Le chef de promotion assure un rôle de coordination et d’animation des classes d’un même niveau académique. Garant de l’uniformité du service d’enseignement face à la pluralité des disciplines ainsi que des formateurs, il régle104

mente, régule et ajuste. Il représente les élèves de la promotion au conseil de l’école et rend compte au directeur des études. Le chef de groupe technique assure quant à lui un rôle de coordination pédagogique, de supervision administrative et d’animation d’un collectif de pairs. Il exerce en partie des attributions dévolues au directeur des études au niveau du collectif d’une même spécialité. Instrument de gestion des enseignants, le chef de groupe technique est à a fois le symbole et le medium des échanges professionnels. Actif dans les visites de classe aux fins de remédiation, le chef de groupe technique est mis à contribution lors des inspections régionales : il représente la direction de l’école ou de l’établissement aux sessions de contrôle et d’évaluation aux fins de notation pour soumission à l’évaluation hiérarchique. Ces activités informelles se sont révélées constitutives du cycle préparatoire aux fonctions d’administration de l’éducation. Elles se sont instituées comme des étapes décisives pour une consécration aux fonctions d’administration de l’éducation. Ainsi donc, le personnel des administrations de l’éducation trouve ses premiers repères dans des activités pédago-administratives décisives. Et c’est de là que va commencer son odyssée vers des fonctions plus spécifiquement administratives des services éducatifs. C’est au sein de ces structures informelles qu’il se fait la main. A les observer dans leur fonctionnement quotidien, les différentes structures éducatives confèrent à la gestion du système éducatif public des pays africains deux modes imbriqués de fonctionnement : un mode normatif, administratif et un mode formatif. D’abord, à tous les niveaux du processus administratif, transparaît l’affirmation des règlements et des instructions 105

hiérarchiques avec application des textes et obligation de compte-rendu. C’est l’épicentre des directives et des commandements administratifs. Cependant et au sein des mêmes structures, la socialisation n’est pas moins effective, à travers un aménagement consensuel de relations publiques et de transmissions informelles. Ces deux modes se chevauchent. Ensuite, l’administration de l’éducation a surtout consisté en des quêtes de solutions opportunes et d’usages judicieux de ressources. Présente dans les écoles et établissements, cette gestion de proximité est aussi l’apanage des chefs des sections des services déconcentrés, alliant le pédagogique et l’administratif avec une dominante pédagogique accusée. C’est à ce niveau que s’actualisent les principes aussi bien du “suivi-évaluation-remédiation” que de la “coordination-évaluation-contrôle”. Le “suivi-évaluation-remédiation” s’affirme comme une gestion pédago-administrative à vocation formative en vigueur dans les écoles et établissements. Il se distingue de la “coordination-évaluation-contrôle” par la finalité normative de cette dernière. Enfin et au niveau du pilotage, les études prospectives et les audits sont plus orientés vers le conseil et la définition de politique pour se distinguer des activités ponctuelles de contrôle et d’inspection. A chacun de ces niveaux, c’est comme s’il était entretenu un alliage entre les aspects formatif et normatif, gage d’un perfectionnement professionnel au fil de l’agir. Commissions et comités ad hoc sont érigés en autant de services internes de gestion, de planification et d’audit des services éducatifs, structures le plus souvent palliatives du vide des administrations. Elles assurent un rôle stratégique d’affectation de responsabilité au gré des nécessités de la communauté éducative. En effet, il n’est pas rare de ren106

contrer des écoles tenues par un personnel de 2 à 3 enseignants, assurant dès lors tous les services de gestion de l’école et de ses divers interfaces en sus de la fonction d’enseignement et d’évaluation des apprentissages. Plébiscitées « au vu des nécessités de service », ces structures représentent des emplois effectifs que peut-être les exigences budgétaires ne peuvent couvrir. Les maintenir en l’état permet d’assurer leur mise en œuvre sans bourse délier. A générer des professionnalités hautement valorisées, ces structures ne deviennent-elles pas un manège pour avaliser l’utilisation d’un personnel non rémunéré ? A moins que ce ne soit une stratégie pour justifier de certains choix aux critères inavoués, en surfant sur l’illusion de possibles nominations.

3. PARCOURS PROFESSIONNEL ET ÉMERGENCE DE PROFESSIONNALITÉS

En lieu et place de titres et diplômes, les personnels administratifs des services éducatifs d’Afrique revendiquent de prime abord leur agir lequel insuffle leur savoir pour constituer leur expérience. Dans le cadre de tout agir, les professionnalités de l’acteur peuvent être générées par sa trajectoire intime et là, il peut être soumis à des déterminismes qu’il ne peut juguler : il peut observer une diversification des pratiques dans le cadre d’un cosmopolitisme avéré tout comme il peut être reclus à une activité répétitive, toujours la même, pareille et identique, telle Sisyphe et sa pierre. A affirmer une relation causale entre expérience vécue et expertise acquise, le savoir-agir pourrait être appréhendé en termes de temps passé dans l’exercice de

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l’activité référée, le temps de sédentarisation en cette activité, autant qu’à travers la variation des situations vécues. Temps de pratique casanière effective et cosmopolitisme avéré au sein des différentes fonctions sont des attributs du praticien. C’est leur alliage qui détermine la somme des expériences. Celles-ci dérogent donc autant de la mobilité observable que de l’absence de cette dernière, c’est-à-dire une situation de sédentarisation prolongée. A force de pratique, tout acteur est censé atteindre un certain niveau de performance. Dans tous les secteurs d’activité, la sédentarisation est valorisée : il est estimé que le temps plus ou moins prolongé d’une même pratique peut contribuer à renforcer les acquis. Il peut accroître les possibilités de découvertes, de génération de savoirs nouveaux, de leur interprétation et intégration, tous éléments constituant un prélude à la formation des compétences et à leur transformation en autant de professionnalités. Cependant, le fait d’avoir vécu un évènement, toujours et partout le même est-il attesté comme suffisant en soi pour conférer qualification et savoirs professionnels ? Loin s’en faudrait. A beau demeurer dans l’eau, le tronc d’arbre n’en deviendrait pas caïman. Au cosmopolitisme, l’adage fait alors allégeance : qui a beaucoup voyagé a nécessairement beaucoup vu et a conséquemment beaucoup appris. D’où l’importance accordée à la diversification du vécu dans la génération des professionnalités, les considérations concédées à la navigation fonctionnelle, la consécration des migrants le long des hiérarchies professionnelles. Toutefois, à gravir les échelons hiérarchiques, à bénéficier de nouvelles promotions aussitôt que démonstration de compétences est attestée au niveau du poste occupé, placerait le navigant en position permanente d’adaptation et de réadaptation, de quête de compétences nouvelles, le 108

tout aboutissant à un état permanent d’apprentissage et de quête de savoirs. A sauter de fonction en fonction, le palmarès est certes fourni mais la professionnalité est-elle nécessairement fourbie ? Toujours est-il que la variation des parcours autant que la stagnation à une référence toujours la même restent des facteurs de développement de professionnalités spécifiques qui pourraient même déterminer des êtres professionnels, des praticiens empreints des caractéristiques issues de ces expériences singulières. En Afrique, les personnels administratifs des services éducatifs publics connaissent une mobilité atypique. Ils cumulent longévité aux fonctions en même temps qu’ils accusent une rotation fonctionnelle assez marquée. Ils restent assujettis à cette mobilité, laquelle rythme les étapes de leur évolution professionnelle. Elle fonde et féconde leurs pratiques. Entre praticien sédentarisé et navigant aux séjours éphémères, le personnel administratif des services éducatifs publics repose la question essentielle de la professionnalisation : une spécialisation pointue, une, unique et nécessairement étroite ou la maîtrise d’une gamme diversifiée d’activités engendrant un professionnel dont on dit souvent qu’il est « bon à tout mais propre à rien ». 3.1. Constance dans l’agir et renforcement des acquis Dans les communautés à civilisation orale, le caractère valorisant du temps est partout attesté. Et ce d’autant plus que c’est la permanence dans une même activité qui sert généralement de référence de l’expérience et de la qualification, voire, du développement d’habiletés et d’affirmation de compétences - ce qui fonde la profession109

nalité du casanier ainsi que la notoriété professionnelle du Doyen. Par-delà son observance traditionnelle, ce principe de longévité dans une même pratique a sans doute inspiré les dispositions observées dans la promotion du pédagogue aux fonctions d’administration de l’éducation. En effet, et en Afrique tout au moins, les fonctions d’administration de l’éducation ont d’abord échu aux anciens de la corporation enseignante. Mais ce n’était là que le dos de l’iceberg : les instituteurs africains promus administrateurs des écoles n’étaient pas que des anciens. 3.1.1. Les instituteurs africains et l’administration des écoles Initialement, les écoles africaines d’expression française ont été gérées par des européens, prêtres et missionnaires chrétiens par-ci, personnel métropolitain de l’éducation publique par là. Avec l’expansion de la scolarisation française dans les colonies, les vétérans des instituteurs africains vont investir l’administration de l’éducation publique. Mais pas simplement à cause de leur qualité de vétérans de la profession. D’abord et en cette période, les instituteurs africains « étaient formés dans des établissements spécialisés où n’accédaient sur concours que les meilleures vocations : les écoles normales d’instituteurs à l’image de la prestigieuse Ecole Normale William Ponty de Dakar, au Sénégal, célèbre vivier de la formation des élites indigènes »46. 46

Sidikou, Hamidou Arouna, Agence intergouvernementale de la francophonie, Actes du colloque européen, 18 – 19 juin 2001, pp. 171172

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Ensuite, la promotion à l’administration de l’éducation était une distinction consacrant le meilleur enseignant. On disait de lui qu’il était le premier d’entre les pairs, le « primus inter pare », et il était identifiable aux lauriers accumulés au cours des années de pratique : échelons gravis au moyen d’examens professionnels, qualité du service à l’usager manifeste à travers les résultats scolaires, notoriété des activités extra scolaires (publication, engagement syndical et plus tard politique). Il faut aussi signaler que les instituteurs africains bénéficiaient d’un encadrement soutenu de la part de professeurs métropolitains, lesquels leur assuraient une promotion culturelle et professionnelle remarquable. Sous le parrainage de ces derniers, ils publiaient dans des revues à grande diffusion, préparaient des examens professionnels et étaient soumis à une batterie de formations continues à travers stages et séminaires. Et dans ce laborieux processus de qualification permanente, la formation en administration scolaire n’était pas absente comme le témoigne les ci-devant propos rapportés par un instituteur africain ayant assumé les charges de directeur d’école dans le cadre de l’Afrique Occidentale Française (AOF).

111

Extrait des propos d’un instituteur africain investi dans les fonctions de direction des écoles dans le cadre de l’AOF (Avril 2001) “J’ai débuté ma formation par l’école coranique […]. C’était déjà l’éducation par la coercition et la contrainte, une éducation à la spartiate. Il faut dire que cette formation m’a porté loin puisque j’ai appris à lire le Coran en entier, à le maîtriser parfaitement et aller jusqu’au stade de la traduction. Cela a été pour moi une formation que j’ai gardée et dont j’ai bénéficié énormément dans ma vie adulte”. “Après une formation initiale à l’Ecole Fédérale de Gabou (République du Mali), j’entre dans la vie professionnelle sous les ordres d’un directeur français qui venait du Camp de la jeunesse de France. Il nous a initié au scoutisme”. Membre du réseau du groupe d’études communistes, fédérateur de l’élite culturelle guinéenne, je participe à la formation de l’Université Populaire Africaine de Guinée (UPAG). “En dehors des prestations de cours à travers l’UPAG, je lisais et je préparais les examens professionnels. Lecteur avide et assidu, j’étais abonné à des revues de culture, de littérature, etc. En 1949, mon frère et moi avions une bibliothèque de plus de 600 ouvrages. On lisait rageusement. J’avais comme correspondant un professeur Français à Orange. On communiquait intensément.” “J’étais très actif au point de vue culturel. A ma première année de service, j’ai publié mon premier poème, « Naguère sur la colline de Dalou » dans « Dakar Jeunes » qui diffuse dans toute l’Afrique Occidentale française (AOF). « Naguère sur la Colline de Dalou » a représenté ma première promotion littéraire. Alors, j’étais déjà une sorte de célébrité tout à fait au début de ma carrière”. “J’obtins le 6e prix du « concours de la lettre attendue » organisé par l’Agence « TAM » (Tunisie-Algérie-Maroc) siégeant avec le gouvernement provisoire français à Alger. Il s’agissait d’une lettre attendue par le soldat au front […]. “Nous avions dans nos luttes syndicales revendiqué le cadre des instituteurs européens parce que le cursus était le même. Le processus étant le même jusqu’au bout, nous avons dit qu’il n’y avait pas de raison que nous ne soyons pas dans le cadre supérieur comme eux. Nous, nous étions dans le cadre secondaire. A force de revendications, le gouverneur général finira par nous autoriser à présenter le CAP que les instituteurs français pas-

112

sent après le brevet supérieur. “Ceux qui y réussiront pourront être alignés sur les instituteurs européens”. “Et des examinateurs dépêchés de France ont pris les candidats en charge. Le premier à subir l’épreuve du CAP en Guinée fut le Dahoméen P.C. Il l’obtint. Au total, il y eut une quinzaine d’admis. Déclarés du niveau des instituteurs français, ils seront versés dans le cadre supérieur. “C’est après que j’ai présenté le certificat d’aptitude à l’inspection des écoles, cauchemar de tous les maîtres. Il était l’équivalent du 2e certificat de licence. Il y avait la législation scolaire, la morale professionnelle, la pédagogie, etc.” “En cinq sessions et pour toute la Guinée, il y eut trois admis : première session, zéro ; deuxième session, un admis : moi ; troisième session, un admis, S.B. Ce succès nous valut d’être également admissibles pour préparer l’inspectorat de l’enseignement primaire à Saint-Cloud. C’est pourquoi nous passions pour des phénomènes de l’éducation”. “Nous étions soumis à une batterie de stages : stage de recyclage à l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud ; formation en administration scolaire, en pédagogie à l’Ecole Normale d’Auteuil, entre autres. A Saint-Cloud, nous avons fait un mois dans les établissements scolaires. C’était pour voir, vivre, suivre comment l’école fonctionnait. Nous faisions une semaine dans une classe, une semaine dans une autre, une semaine à la direction. Nous suivions des causeries pédagogiques chaque semaine”.

En dernier ressort, confessionnelles ou laïques et publiques, les jadis écoles africaines d’expression française ont été gérées par des personnages exceptionnels. Admirés, un tantinet craints, considérés comme les dépositaires de savoirs pratiquement sans limite, le prêtre missionnaire, le directeur d’école sinon l’instituteur officiant comme directeur d’école, jouissaient d’une réputation rarement égalée et payaient d’exemple dans ces communautés de notables où ils jouissaient du prestigieux titre de “maître de la plume” et où ils passaient pour le modèle, pour une sorte de personnage qui plafonne et qui a fait rêver plus d’un jeune Africain. 113

A l’école publique, pareil palmarès était l’apanage des doyens de la corporation. Et ce palmarès le désignait d’autorité dans les fonctions de représentation des pairs et d’organisation de leurs activités pédagogiques et désormais aussi, administratives. Cependant, si le système de promotion, de qualification et d’habilitation professionnelle a reposé sur une reconnaissance, une consécration des compétences pédagogiques maintes fois éprouvées, elle n’en constituait pas pour autant la condition suffisante. Certaines dispositions tenaient lieu de prérequis dont les charges au sein des commissions et comités ad hoc mis en œuvre au fil des aménagements et réaménagements des services éducatifs que les évènements ne vont pas tarder à intensifier. Avec le gaullisme, les communistes des mouvements de résistance arrivent dans les colonies comme fonctionnaires de tous ordres. Avec l’élite locale, ils animent des cercles d’études, un prélude aux organisations de la société civile. Et après les guerres mondiales, plus ces organisations prenaient de la vigueur, plus les enseignants briguaient des fonctions administratives de l’éducation, comme pour se libérer des obligations de face-à-face pédagogique. Le processus s’accentuant, de nombreux instituteurs seront happés par la politique. Et ce sont les doyens des instituteurs, armés de leurs âpres années de pratiques qui vont ainsi déserter les écoles. « Leur départ créa, dans de nombreux cas, un vide abyssal que les systèmes éducatifs qui les a sécrétés euxmêmes, tentent de combler en ayant recours, à la faveur d’une plus grande démocratisation et massification de l’école, aux générations montantes qui n’ont ni la même perception des choses et ne défendent pas les mêmes valeurs, ni les mêmes objectifs et ambitions »47. 47

Sidikou, Hamidou Arouna, op cit. pp. 171-172

114

Rétrospectivement et en Afrique noire d’expression française, on peut distinguer dans le processus d’habilitation aux fonctions administratives de l’éducation deux principes majeurs : une dés-habilitation à l’activité de face-à-face pédagogique et une réhabilitation de l’ancien – le tout encensé du pouvoir discrétionnaire de l’autorité. Jadis réservée aux meilleurs instituteurs, la fonction d’administration de l’éducation sera progressivement altérée pour constituer l’occupation de ceux qui, pour une raison ou une autre, ne pouvaient plus se contraindre à l’activité pédagogique. Et le « primus » sera bouté hors du campus, la charge d’administration de l’éducation échéant désormais à tout enseignant. 3.1.2. Les premières de l’administration de l’éducation publique de Guinée A l’école africaine d’expression française, l’utilisation d’enseignants dans les fonctions d’administration des services éducatifs publics s’est trouvée d’autant plus justifiée qu’elle offrait des perspectives de développement professionnel et de promotion interne. Elle porte valorisation des compétences pédagogiques elles-mêmes gage de la reconnaissance d’une aptitude à la gestion des pairs, une manière de reconduire et de réaffirmer le côté « primus » d’entre les pairs. Dans cette même veine et partout en Afrique des indépendances, l’administration scolaire a été un moyen de reconnaissance autant qu’un acte de couronnement d’une carrière pédagogique jugée bien remplie. A une centaine de personnels administratifs des services de l’éducation publique de Guinée occupant diverses positions de la chaîne hiérarchique, il a été demandé de décliner la première fonction d’administration exercée 115

ainsi que le temps de face-à-face pédagogique antérieur à cette première distinction afin d’isoler les fonctions administratives attestées comme ayant échu aux enseignants immédiatement après le face-à-face pédagogique. Ces fonctions constitueraient alors les premières de l’administration de l’éducation. De cette enquête il ressort que du staff de l’enseignement actif et pour leur baptême de feu, les instituteurs des écoles élémentaires de même que les professeurs d’enseignement du second cycle, ont été promus pour servir d’assistant dans une des fonctions de gestion des écoles et établissements sinon de directeur d’école élémentaire. Ils ont été uniformément nommés, acte administratif à l’appui, aux fonctions de directeur adjoint (lorsque l’école justifie une telle fonction) sinon de directeur d’école, de directeur des études, de censeur. Ces fonctions s’exercent au plus près du face-à-face pédagogique et représentent souvent une responsabilité supplémentaire, cumulative à la fonction pédagogique. Tableau n°1 : Fonction initiale d’administration de l’éducation en Guinée et temps moyen de face-à-face pédagogique antérieur48 Temps de Face-à-face Pédagogique -5 ans 5 - 10 ans 10 -15 ans 15 - 20 ans

Directeur d’Ecole 1 3 1 2

FONCTIONS Directeur des Censeur Etudes 4 5 17 11 10 12 8 8

48

Ensemble 10 31 23 18

% 9 30 22 17

Moustapha D., Professionnalisation et formation des personnels administratifs des services éducatifs publics de Guinée : Recherche sur les dynamiques d’une ingénierie de formation à partir de l’agir professionnel, Thèse de doctorat de l’Université François Rabelais de Tours, 2002.

116

20 - 25 ans 25 - 30 ans 30 - 35 ans TOTAL Temps Moyen Faceà-Face Pédagogique

0 0 0 7

13 5 2 59

2 1 0 39

15 6 2 105

11

14

13

13

14 6 2

100

Cette distinction représente cependant en même temps qu’une reconnaissance de la notoriété pédagogique, le détour, l’entrée solennelle du pédagogue dans le cercle de l’administration. C’est la phase-mutation du pédagogue à l’administratif des services éducatifs. A maints égards, c’est surtout le temps d’un savant alliage du pédagogique et de l’administratif, suite à une activité de face-à-face pédagogique assez prolongée. Si 9% des personnels enquêtés ont été investis dans leur fonction administrative avec un face-à-face pédagogique inférieur à 5 ans, 30% ont embrassé leur première fonction d’administration de l’éducation entre 5 et 10 ans d’enseignement actif. 18% y ont été nommés après 15 à 20 ans de pratique de classe et 23% affirment avoir été admis dans le cercle de l’administration après plus de deux décennies de face-à-face pédagogique. Dans l’ensemble, et pour chacune des fonctions répertoriées, l’enquête a permis de déterminer un temps moyen de face-à-face pédagogique antérieur à toute charge d’administration de l’éducation. Il est de : • 11 ans pour les directeurs d’école ou directeurs adjoints, • 13 ans pour les censeurs des lycées, • 14 ans pour les directeurs des études des collèges. A généraliser les résultats de cette enquête on poserait que pour toute éligibilité à une fonction administrative, la 117

moyenne de la pratique du face-à-face pédagogique antérieur serait de l’ordre de 12 à 13 ans. 12 ans de pratique, 12 ans d’expérience et de cumul de savoir avant qu’un acte administratif ne vienne consacrer cette investiture officielle dans l’arène de l’administration de l’éducation. Quels savoirs ont été effectivement acquis au cours de ces années de pratique pédagogique ? En quoi ces savoirs peuvent-ils être réinvestis en administration scolaire ? Quelle est la nature véritable de l’administration de l’éducation et de quelle spécificité est-elle porteuse par rapport à la gestion pédagogique ? Autant de questions qui se posent avec cette pratique de porter les pédagogues au front du management de l’éducation. Et une fois investis dans les fonctions d’administration de l’éducation, les personnels amorcent un processus de mobilité plus ou moins accusé quoique pour l’essentiel ils soient restés sédentaires. 3.1.3. Le temps moyen de sédentarisation (TMS), expression de patrimoine commun de savoir Au niveau de chacune des fonctions d’administration de l’éducation l’étendue de la pratique effective est variable d’un individu à un autre. A considérer le temps de sédentarisation comme source d’expertise professionnelle, plus longtemps les personnels exercent la même fonction, plus ils s’y exercent et plus ils développent leur expertise. En d’autres termes, plus le contact avec l’activité est prolongé, plus le savoir de l’acteur s’est développé et transformé en acquis mobilisables. Variable individuelle, la sédentarisation aux différentes fonctions d’administration de l’éducation est fonction du nombre d’années de pratique effective dans l’exercice d’une fonction précise. 118

Toutefois et par-delà les expériences individuelles, une étude cumulative des différents vécus pourrait permettre de dresser une longévité moyenne des personnels dans chacune des fonctions envisagées. Cette longévité traduirait la durée moyenne prévisible en chacune d’elles : elle correspond à ce que nous avons appelé le temps moyen de sédentarisation (TMS). Durée standard de séjour dans les différentes fonctions d’administration de l’éducation, le TMS est déterminé en années de pratique. Pour chaque fonction il est obtenu par le cumul des années de pratique des différents personnels exerçant ou ayant exercé à différents moments une même fonction sur le total des personnels. TMS = ∑ des années de pratique individuelle / Total des personnels observés

Attribut des personnels exerçant une même fonction et par transfert de la fonction elle-même, le temps moyen de sédentarisation peut être sollicité moins pour témoigner d’une expérience singulière que pour attester d’un potentiel de savoir commun aux différents acteurs d’un même système, et donc d’une expertise collective. Interprété comme caractéristique du groupe, le TMS attribue à un ensemble d’acteurs d’un même système, une expertise commune, un patrimoine commun de savoir, proportionnel au temps moyen de pratique effective. Et à l’aune du TMS sont évaluées les professionnalités consacrant le professionnel. L’enquête sur les personnels administratifs des services éducatifs publics de Guinée atteste d’un temps de sédentarisation plutôt prolongé : pour l’échantillon sélectionné, il est de 10 ans. 119

Les fonctions à durée plus ou moins éphémère sont celles d’assistant gestionnaire de personnel (7 ans) et de directeur des études (7,5 ans). Par contre, le temps de sédentarisation le plus accusé a été observé au niveau des délégués pédagogiques sous-préfectoraux de l’enseignement élémentaire. Il y est de 15 ans. L’étendue des années de service confère une ancienneté d’autant plus valorisée que la qualification sur le tas est restée liée au processus de socialisation. La découverte des secrets du métier est d’abord l’apanage de ceux-là dont l’ancienneté au sein de la corporation a consacré la notoriété. Tableau n°2 : Temps moyen de sédentarisation (TMS) aux fonctions d’administration de l’éducation publique de Guinée49 TPE50 DEE DE Princ. TC Cens. Prov. TL SEE SES SAF PDE AG

1-5 1 19 14 33 5 7 12 10 7 4 3 4

5-10 1 25 65 90 18 22 40 9 13 8 7 22

10-15 15-20 20-25 25-30 1 2 2 0 10 4 1 1 34 18 4 1 44 22 5 2 10 3 3 0 15 4 2 1 25 7 5 1 5 3 2 0 10 4 2 0 6 4 3 3 17 1 0 0 4 0 0 0

49

Rps 7 60 136 196 39 51 90 29 36 28 28 30

TMS 8 7,5 10 9 9,5 9,5 9,5 8 9 13 10 7

Moustapha D., 2002, op. cit. TPE = temps de pratique effective : Princ.=Principal ; TC = total collège ; Prov. = Proviseur ; TL = total lycée ; TS = total sections, DSP= Délégué sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire : DSD = directeurs services déconcentrés (préfectoraux/nationaux, inspecteurs régionaux) ; Rps = répondants, Ens. = Ensemble.

50

120

DSP TS DSD Ens %

1 29 0 75 16

1 60 6 197 41

1 43 15 128 27

0 12 7 50 10

2 9 1 22 4

1 4 1 8 1

6 157 30 480 99

15 10 13 10

Et dans cette logique de pratique prolongée des fonctions respectives, la marque la plus visible devient l’âge du praticien. La structuration des âges dans les différents services administratifs de l’éducation publique de Guinée reste révélatrice du rapport que l’âge y entretient avec les hiérarchies fonctionnelles et par voie de conséquence, des présomptions de savoir au sein desdites hiérarchies. .

3.1.4. Séniorité, savoirs et ascension hiérarchique Recueillis sur un demi-millier de sujets, les âges des personnels aux divers échelons de la hiérarchie administrative des services éducatifs publics de Guinée s’échelonnent de 35 à plus de 60 ans. Se recrutent dans la tranche d’âge 35-40 ans, 4% du collectif observé avec notamment quelques directeurs d’école élémentaire, quelques personnels des établissements du second cycle (collèges et lycées). 42% du collectif se situent dans la tranche d’âge 45-50 ans et concernent la moitié du personnel de direction des collèges, la moitié du collectif des lycées et le tiers des personnels des sections des services centraux et déconcentrés. 35% dénotent d’un âge compris entre 50 et 60 ans. 0n y retrouve tous les directeurs pédagogiques de l’enseignement élémentaire et 29 supérieurs hiérarchiques des services centraux et régionaux sur les 30 ayant fait objet d’enquête. 121

Tableau n° 3 : Structure des âges des personnels administratifs des services éducatifs publics de Guinée Age Fonction DEE Censeur Collège. D. Etudes Lycée Chefs Sections DPSPE IG/ IR/ DPE Ensemble % Décades %

35-40

40-45

45-50

50-55

55-60

2

2

7

1

0

Plus de 60 0

10

47

100

33

10

0

200

8

18

48

7

10

0

91

0

23

50

63

17

2

155

0

0

0

6

2

0

8

0

0

1

9

18

2

30

20 4%

90 18%

206 42%

119 24%

57 11%

4 1%

496 100%

(1) 22%

(2) 66%

(3) 12%

Ens. 12

100%

En somme, 66% du collectif des personnels exerçant dans les différentes administrations des services éducatifs publics de Guinée accusent un âge compris entre 45 et 55 ans et 11% appartiennent à la tranche d’âge 55-60 ans. Cette structuration des âges amène à faire un triple constat. La première évidence qui saute aux yeux est cette absence de jeunes dans les structures administratives des services éducatifs publics. Sur un demi-millier de personnels administratifs des services éducatifs, 4% appartiennent à la tranche d’âge 3540 ans. Non seulement ce sont les plus jeunes du système, mais ils sont confinés à 100% dans les fonctions en vigueur dans les écoles élémentaires, les collèges et les lycées, fonctions pour la plupart primaires, avons-nous établi. Cette tranche d’âge ne se retrouve dans aucune autre position d’encadrement ou de supervision. Or, aver122

tissait Léon Blum, « toute classe dirigeante qui n’est capable ni de s’adapter au cours des événements ni d’employer la force fraîche des générations montantes est condamnée à disparaître de l’histoire ». Cette atrophie de la tranche d’âge 35-40 ans pourrait provoquer un déséquilibre préjudiciable à la relève par internalisation. En effet, le nombre de ceux qui se préparent sur le tas est inférieur au nombre de ceux appelés à être remplacés dans le système. Ou encore, ce qui revient au même, l’hypertrophie de la classe d’âge 45-55 ans annonce à court terme, un besoin au moins du même ordre en personnel de remplacement, soit 66% du collectif. La deuxième interpellation découle de l’observation empirique de la structure des âges des personnels. Elle porte révélation que ce sont des personnels d’un “même âge” qui se retrouvent majoritairement à exercer des fonctions similaires d’administration. Conformément aux données du tableau n°3 ci-dessus, dans les écoles élémentaires et les établissements du second cycle, le groupe d’âge dominant est celui 45-50 ans. Il s’applique au moins à la moitié de chacune des fonctions y répertoriées. Au niveau des personnels des sections des services centraux et déconcentrés, le groupe d’âge dominant est celui de 50-55 ans. Il concerne le tiers des chefs de section de l’enseignement secondaire, des chefs de section de planification et développement de l’éducation, des assistantsgestionnaires de personnel. Il renferme les deux tiers des délégués pédagogiques sous-préfectoraux, la moitié des agents des services administratifs et financiers et des chefs de section de l’enseignement élémentaire. Les 2/3 des directeurs préfectoraux et nationaux ainsi que des inspecteurs régionaux ou généraux se retrouvent dans la tranche d’âge 55-60 ans.

123

Et dès lors, quelle incidence sur le service administratif ? Si la prédominance d’un groupe d’âge peut augurer d’une certaine homogénéité, le risque est d’autant plus accru pour le personnel de remplacement : ce dernier se renouvellerait au même moment, ce qui pourrait constituer un handicap majeur pour la continuité des services. Un départ massif au sein d’une même catégorie fonctionnelle entrainerait l’émergence de nouveaux néophytes. Encore qu’au nom de la solidarité générationnelle, la prédominance d’un groupe d’âge pourrait aussi se traduire par un étouffement de tous ceux qui ne participent pas à ce groupe de référence. Et finalement, dans quelle mesure ces groupes d’âge ne constitueraient-ils pas des groupes de pression ? S’érigeant en un véritable lobby, il est aisé de constater qu’ils gèrent leur mobilité et filtrent le passage dans le cercle des administratifs de ce niveau, pour n’y tolérer que leurs semblables, malgré une gestion parfois des plus calamiteuses. Dernier constat, une analyse plus attentive de la stratification des âges au niveau des différentes fonctions ne peut manquer de hasarder une relation causale entre l’âge et l’ascension des hiérarchies professionnelles. Tout se passe comme si les tranches d’âge ponctuaient les hiérarchies fonctionnelles, rendant manifeste une corrélation entre l’âge et le niveau d’exercice des fonctions administratives de l’éducation.

124

Tableau n°4 : Corrélation âge et niveau hiérarchique dans les services éducatifs publics de Guinée51 Tranche d’âge

Ecoles / Etablissements

35-40 40-45 45-50 50-55 55-60

8% 20% 53% 7% 11%

Sections centrales / déconcentrées 0 15% 33% 40% 11%

Directions centrales / déconcentrées 0 0 3% 40% 53%

A comparer les tableaux n°3 et n°4, on remarque que de 4% en 2002, le personnel administratif des écoles et des établissements est passé à 8% en 2012, ce qui rend justice aux efforts d’accroissement de l’offre éducative au cours de la décennie, à travers notamment les programmes à financement extérieurs. Et malgré ce doublement des effectifs, les personnels s’inscrivent tous dans la tranche d’âge 35-40 ans. Comme pour concrétiser la rupture, cette tranche d’âge est absente au sein des personnels des sections des services centraux et déconcentrés. A ce niveau le territoire est marqué par la tranche immédiatement supérieure (40-45 ans). De même, la progression vers les fonctions hiérarchiques des services centraux et déconcentrés commence avec la tranche 45-50 ans, même si elle n’y représente que 3%. C’est comme si le temps assurait un rôle de catalyse dans le développement professionnel pour conférer pouvoir et responsabilité. Au sein des différentes sections des services centraux et déconcentrés, l’effectif cumulé des personnels des différentes fonctions évolue proportionnellement aux tranches d’âge : de 15% avec la tranche 40-45 ans, l’effectif passe à 51

Enquête réalisée en 2012

125

33% dans la tranche 45-50 ans puis à 40% avec celle 5055 ans. Au niveau des responsables hiérarchiques, les effectifs passent de 3% dans la tranche d’âge 45-50 ans à 40% avec la tranche 50-55 ans pour culminer à 53% dans celle 55-60 ans. Les effectifs en personnel observent la même tendance que la progression de la valeur « tranche d’âge » dans l’ascension hiérarchique. Dans la décennie 50-60 ans, le personnel administratif de l’éducation publique se recrute à 18% dans les écoles et les établissements du cycle secondaire. Il est de 51% dans les sections des administrations centrales et déconcentrées et il représente 93% des personnels assumant les fonctions hiérarchiques de directeurs et d’inspecteurs. A l’évidence, l’âge reste le signe distinctif le plus visible, ce qui laisse supposer que la constance dans l’agir trouverait l’expression de sa valorisation à travers le primat de l’ancienneté. Le nombre d’années de service assure force notoriété et s’assimile à l’expertise. Il confère des droits tacites : dans les fonctions publiques africaines, les grilles salariales s’en inspirent pour les avancements et en cas d’absence du titulaire d’un service, « l’autorité hiérarchique prendra alors la décision de nommer provisoirement le collègue le plus ancien ou le plus expérimenté pour assurer l’intérim »52. Mais en fait, l’intérim est toujours assuré par le plus ancien, comme pour le confirmer dans le rôle du plus expérimenté. Cette attitude des hiérarchies pourrait amener à s’interroger sur l’impact de cette exploitation abusive de l’âge dans la production de compétences en administration de l’éducation. Le refuge dans les “nécessités de service” 52

Note de service n°92/324/MEPU-FC/RG, 1992, op cit.

126

et l’habilitation subséquente des anciens ne masquent-elles pas un manque de volonté politique dans la formation des personnels? L’ancien ne saurait être la solution des problèmes de fonctionnement des services administratifs de l’éducation. En général, si plus on est ancien dans l’exercice d’une fonction et plus on est supposé disposer de toute l’expertise en cette position, il reste aussi vrai que plus on est ancien dans l’exercice d’une fonction, plus on peut avoir le regard tourné vers l’ancien. Au bout d’un certain nombre d’années dans une même fonction, le praticien a tendance à donner plus de place aux activités de routine qu’aux exigences de progrès. En somme, rien de nouveau sous son soleil ! Le pédagogue frappé d’ancienneté ne peut pas non plus être la solution des administrations de l’éducation. S’il reste un virtuose de la pédagogie, des pans entiers de la gestion scolaire peuvent lui échapper. Et ces derniers s’avèrent le plus souvent essentiels au développement de l’organisation éducative. 3.2. Migrations fonctionnelles et savoirs professionnels Tissus d’exemples vécus, le parcours professionnel offre une plateforme sur laquelle se sont agrégées et édifiées des connaissances. Mais pas simplement en tant que vestiges d’un passé. Les expériences cumulées peuvent éclairer les approches des défis actuels, ce qui confère aux parcours professionnels un rôle de catalyse dans le développement des professionnalités. Cependant et au lieu du casanier et de sa séculaire activité, la trajectoire professionnelle peut embrigader le fonctionnaire dans un tourbillon de rotations. Cosmopolite ouvert à tous les vents, en garde-t-il toujours les traces ? 127

Il est admis que les sources les plus immédiates d’inspiration soient le vécu dans toute sa diversité, source de sa richesse. En effet, confronté à un agir quelconque, le praticien invoque de prime abord ses souvenirs, somme et représentation de ses savoirs antérieurs. Et plus cet univers serait varié, plus les alternatives seraient diversifiées, plus étendues les aptitudes et qualifications. Au regard de leur mobilité effective, quelles fonctions ont jalonné la trajectoire professionnelle des personnels administratifs des services éducatifs publics et quelles compétences peuvent leur être imputables ? En Afrique, les fonctions d’administration de l’éducation sont attribuées à des instituteurs ou des professeurs d’enseignement du second cycle sans qu’aucune codification ne présage de ce parcours. Disséminés dans la chaîne administrative, les personnels sont issus du même sérail. C’est un instituteur qui est promu directeur d’école élémentaire. C’est un instituteur qui est nommé délégué sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire. Dans les services éducatifs déconcentrés, ce sont des instituteurs qui exercent les fonctions de chef de section de l’enseignement élémentaire, de chef de section des affaires administratives et financières, d’assistant-gestionnaire des personnels. De même, c’est à des professeurs d’enseignement du second cycle auxquels sont généralement dévolues les fonctions de directeur des études ou de censeur, de principal ou de proviseur, de chef de section de l’enseignement secondaire, de chef de section de planification et développement de l’éducation. Instituteurs et professeurs d’enseignement du second cycle se retrouvent indistinctement dans les fonctions de supervision comme directeurs préfectoraux ou nationaux, inspecteurs régionaux ou généraux.

128

A la recherche des savoirs émergents des navigants des services éducatifs publics leur mobilité a été envisagée sous deux aspects complémentaires. D’abord de manière quantitative pour statuer pour chacun des personnels le nombre de fonctions exercées ainsi que le rang de la nomination consécutive à l’exercice de chaque fonction, avec l’hypothèse que cette perspective ordinale renseignerait une tendance hiérarchique. Ensuite les parcours professionnels ont été analysés de manière qualitative pour identifier les fonctions ainsi dévoilées afin d’isoler les antécédents à chacune d’elles, ce qui permettrait de replacer chaque fonction dans un réseau de solidarité éprouvée. Parcours à l’échelle des individus, les fonctions exercées génèreraient à priori des savoirs tout aussi personnels, singuliers. Par contre, une approche globale des différents parcours pourrait bien engendrer sinon favoriser une vision des savoirs générés par les divers personnels en tant que savoirs mutualisés, standardisés et dès lors applicables à chacun d’eux. 3.2.1. Rotations fonctionnelles et hiérarchies professionnelles En l’absence de tout plan de carrière, les nominations scandent le passage d’une fonction à une autre, justifiées que par l’ineffable « vu les nécessités de service ». La succession des fonctions telle que vécue par les différents personnels serait-elle plus éloquente ? Au lieu du nombre de fonctions exercées, les investigations ont été plus orientées vers la chronologie des fonctions dans la promotion des personnels. Autrement dit, quelle fonction a été vécue lors de la première nomination, voire, la deuxième, la troisième ou la quatrième nomination consécutive. 129

Tableau n°5 : Mobilité professionnelle Nombre de fonctions assumées : Indice de Mobilité Interne (IMI) et Indice de Groupe Professionnel (IGP) FONC TIONS53 DEE DE Princ TC Cens Prov TL SEE SES SAF PDE AG DPSPE TS IR/G Ens %

RANG DE LA NOMINATION 1ère 2ème 3ème 4ème 5ème 6ème 12 0 0 0 0 0 18 13 12 3 0 0 0 62 16 9 0 0 18 75 28 12 0 0 18 13 6 2 0 0 0 20 11 5 0 0 18 33 17 7 0 0 0 11 15 1 1 0 0 17 10 6 0 0 0 10 10 2 1 0 0 14 5 6 0 0 0 11 10 4 1 1 0 7 1 0 0 0 0 70 51 19 3 1 0 8 14 6 1 1 48 186 110 44 4 2 12,18 47,20 27,91 11,16 1,01 0,5

53

∑Fx/∑R 12/12 92/46 208/87 312/133 64/39 93/36 163/75 76/28 88/33 63/23 67/25 79/27 17/8 390/144 93/30 958/394 99,51

IMI / IGP 1,00 2,0 2,39 2,34 1,64 2,58 2,17 2,71 2,66 2,73 2,68 2,92 2,12 2,70 3,10 2,43

∑Fx/∑R = Ensemble des fonctions sur ensemble des répondants ; DEE=Directeur Ecole Elémentaire ; DE= Directeur des Etudes ; Princ = Principal ; TC=Total Collège ; Cens = Censeur ; Prov=Proviseur ; TL=Total Lycée ; SEE=Section Enseignement Elémentaire ; SES=Section Enseignement Secondaire ; SAF=Service Affaires Administratives ; PDE=Section planification et Développement de l’Education ; AG=Assistant-Gestionnaire de personnel ; DPS= Directeur Pédagogique Sous-préfectoral de l’éducation ; T=Total Sections ; IR/G=inspecteur régional/Général.

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Quelles fonctions ont respectivement jalonné les nominations successives ? Quelle correspondance entre succession des nominations et fonctions exercées ? De l’examen du tableau n°5, il ressort que tous les directeurs d’école élémentaire ont été promus comme tels à leur toute première investiture. Et on pourrait bien se demander quels critères auraient prévalu à cette distinction en dehors de celle du « primus inter pare ». Au niveau des autres fonctions, les parcours se sont révélés plus différenciés. Si 39% des directeurs des études enquêtés ont été promus à leur première nomination, 28% l’ont été à la 2ème nomination et 26% seulement à la 3ème investiture. Les positions de principal et de proviseur, de même que celles détenues par les personnels des services centraux et déconcentrés, sont littéralement absentes en première investiture. Par contre, 71% des principaux de collège et 55% des proviseurs ont été investis à leur deuxième nomination de même que 46% des chefs de section des services centraux et déconcentrés. Pour une troisième nomination consécutive 36% des personnels administratifs de l’éducation se recrutent au niveau des diverses sections des services centraux et déconcentrés et 46% dans le rang des inspecteurs régionaux et généraux. Les 5ème et 6ème nominations consécutives se sont avérées être des exceptions. Avec moins de 2% des personnels observés, ils ont été identifiés au niveau des hiérarchies supérieures des services centraux. Outre qu’il soit difficile de parler de linéarité des parcours à travers les nominations en l’absence de toute hiérarchisation se référant à un plan de carrière, il a été observé que les fonctions d’administration de l’éducation étaient poreuses, transversales, chacune pouvant être cible et source. Si l’on peut passer de directeur des études à principal de collège, l’inverse est aussi attesté : de princi131

pal on peut être « appelé à d’autres fonctions » et exercer celle de directeur des études. Et le principe vaut pour toutes les fonctions d’administration de l’éducation. Et malgré la sinuosité des parcours, le rang de la nomination, envisagé de manière plus globale, présente un caractère évocateur. Des fréquences observées il ressort que la première nomination a consacré la fonction de directeur d’école élémentaire alors que la deuxième a décliné les fonctions de principal de collège et de proviseur de lycée. Dans le sillage de la troisième nomination, se sont affirmées les fonctions de chef de section de l’enseignement élémentaire et celles des chefs hiérarchiques des services déconcentrés. A la 4ème nomination, se distinguent les hiérarchies supérieures. C’est dire qu’à travers la chronologie des nominations, se profile une hiérarchie professionnelle. La succession des nominations et le caractère graduel des fonctions auxquelles elles donnent droit contribuent à conférer aux différentes fonctions d’administration de l’éducation un caractère évolutif, unitaire, fondement tacite d’une profession d’administration de l’éducation. A dépasser le cadre des palmarès individuels pour envisager une vue globale de la chronologie des nominations ayant marqué l’exercice des différentes fonctions, il a été préconisé un indice de mobilité interne. 3.2.2. Indice de mobilité interne et envergure des qualifications L’indice de mobilité interne exprime le nombre moyen de nominations ayant échu aux uns et aux autres pour culminer avec celle en vigueur, considérée comme terminale. Et comme toute nomination est assortie d’une fonction, l’indice de mobilité interne est l’expression du 132

cumul des fonctions exercées par le collectif antérieurement à cette fonction sur le nombre de personnels enquêtés. Indice de mobilité interne (IMI) = ∑ des fonctions recensées au cours des divers parcours / ∑ des répondants

Issu des migrations de personnels qui se sont retrouvés à exercer diverses fonctions à des moments différents de leurs parcours pour aboutir à la fonction considérée comme repère, l’indice de mobilité interne serait davantage un attribut de cette fonction. En guise d’illustration et en référence au tableau n°5, constatons qu’au niveau des écoles élémentaires, les 12 directeurs d’école ont tous embrassé cette fonction dans leur première nomination. C’est dire qu’ils ont ensemble décliné 12 fonctions d’administration de l’éducation, ce qui attribue à cette fonction un indice de mobilité égal à 1 (12/12). Par contre, des 60 personnels ayant assumé la fonction de directeur des études, 46 ont porté réponse au questionnaire. De ceux-ci, 18 l’ont exercée à leur première nomination, déclinant ainsi 18 fonctions. 13 en ont joui à leur deuxième nomination, ce qui atteste à ce niveau d’un développement de 26 fonctions (soit 13x2) attestées. 12 l’ont pratiquée à leur troisième nomination pour porter référence à 36 fonctions (12x3) et 3 ne l’ont exercée qu’à leur quatrième investiture illustrant une pratique cumulative effective de 12 fonctions d’administration de l’éducation (3x4). Pour cette fonction de directeur des études, l’indice de mobilité interne sera tributaire de la somme des fonctions 133

effectives développées au cours des pérégrinations de l’ensemble des personnels, à savoir (18+26+36+12)/46 ; soit 2,0). Ce résultat aurait pu être pondéré par le rapport entre le public enquêté et celui ayant effectivement porté réponse au questionnaire (soit 46/60). A appliquer ce coefficient de pondération, l’indice de mobilité interne serait de l’ordre de 1,52. La valeur informative des deux indices reste évidemment la même, l’une et l’autre attestant que chacun des directeurs des études aurait en moyenne exercé plus d’une fonction, soit au minimum deux fonctions consécutives. Expression du nombre de nominations consécutives pour l’ensemble des personnels sous observation, l’indice de mobilité renseigne sur l’envergure de la rotation fonctionnelle pour porter caution d’une acquisition de compétences et de qualifications, d’un développement de professionnalités, d’un brassage d’expériences, voire d’une certaine polyvalence dans l’action. Il présente entre autres trois attributs essentiels. a. A chaque fonction, à chaque groupe de fonctions correspond un indice spécifique de mobilité interne Si les écoles élémentaires ont dégagé un indice de mobilité interne de l’ordre de l’unité, au niveau des collèges de Guinée, un indice global de mobilité interne de 2,34 a été développé. Il est l’émanation de tous les mouvements de personnels au niveau des collèges. A l’interne, chacune des fonctions dispose d’un indice de mobilité spécifique. Il est de 2,0 pour la fonction de directeur des études et de 2,39 pour la fonction de principal. Si le lycée accuse un indice global de 2,17, la fonction de censeur s’exprime par 1,64, celle de proviseur 2,58.

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Au niveau des sections centrales et déconcentrées, la mobilité interne globale est de 2,70. Cependant, l’indice de mobilité est de 2,71 pour la fonction de chef de section de l’enseignement élémentaire et de 2,92 pour celle d’assistant-gestionnaire du personnel. Pour la section de l’enseignement secondaire, l’indice de mobilité est de 2,66. Il est de 2,68 pour la section planification et développement de l’éducation. Avec 2,12, la fonction de délégué pédagogique souspréfectoral accuse l’indice de mobilité le plus faible des services déconcentrés, corroborant le caractère casanier des personnels de ce niveau. L’indice de mobilité interne le plus marqué a été observé au niveau des inspecteurs des services centraux et déconcentrés. Il y est de 3,1. b. L’indice de mobilité interne assure une fonction taxonomique L’indice de mobilité interne autorise à regrouper toutes les fonctions qui partagent un même indice ou des indices plus ou proches dans une même catégorie de la hiérarchie professionnelle. Il permet de constater dans la pratique, quelles fonctions peuvent être agrégées pour appartenir à un même groupe professionnel. Evoquant une hiérarchie fonctionnelle, il constituerait un indice du groupe professionnel (IGP) et à défaut de dispositions statutaires, il porterait présomption d’une hiérarchisation des emplois administratifs de l’éducation publique ne serait-ce que telle que vécue par les différents personnels. A ne point les légitimer, l’indice de mobilité interne dégagé justifierait les distinctions traditionnelles des fonctions développées tant dans les écoles que dans les services centraux et déconcentrés.

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Du public enquêté, les valeurs déclinées confortent la hiérarchie fondée sur les niveaux d’exercice des activités d’administration de l’éducation, en parfaite harmonie avec les paliers de la chaîne administrative de l’éducation distinguée à l’échelle nationale, régionale et locale. Sa valeur numérique a notamment décrit un mouvement progressif depuis les positions en vigueur dans les écoles élémentaires jusqu’à celles des hiérarchies supérieures des services centraux. • l’indice de mobilité strictement égal à 1 a correspondu à la gestion des écoles à travers les fonctions de directeur d’école élémentaire ; • l’indice de mobilité supérieur à 1 et inférieur ou égal à 2 a renvoyé à la position d’assistant dans les établissements de second cycle : il a consacré les fonctions de directeur des études et de censeur ; • l’indice de mobilité supérieur à 2 et inférieur à 3 a été caractéristique tant des fonctions de gestion des établissements du second cycle que celles de coordination au niveau des sections des services centraux et déconcentrés ; • l’indice de mobilité de l’ordre de 3 et plus est observable au niveau des chefs des services centraux et déconcentrés, ceux en charge de la supervision et du pilotage des services éducatifs. Une taxonomie plus affinée pourrait être envisagée sans préjudice pour les valeurs enregistrées, à juste préciser le degré souhaité de spécification. c. L’indice de mobilité interne porte postulat de l’envergure des qualifications et de développement de professionnalités Attendu que le titulaire d’une fonction est censé détenir des savoirs dont l’immensité serait au moins à la dimen136

sion des exigences d’autorité, de compétences et de qualifications nécessaires à la mise en œuvre des activités que requiert ladite fonction, l’indice de mobilité interne présage des savoirs sinon effectifs du moins désirés, voire, exigibles. Indice d’un groupe professionnel, il symbolise en même temps un niveau de savoir susceptible d’être partagé par les membres de ce groupe. Il est alors supposé que l’étendue des savoirs accumulés serait directement proportionnelle à l’envergure de la mobilité vécue. Renseignant la hiérarchie de fait des fonctions sous observation, l’indice de mobilité interne peut s’avérer utile dans l’évaluation des savoirs réputés partagés : plus il est élevé, plus les expériences sont supposées diversifiées, plus étendus sont les apprentissages exigibles et plus la polyvalence serait probable, de par la variation même des situations vécues. Au niveau des personnels administratifs de l’éducation de Guinée et comme tantôt exprimé, l’indice de mobilité équivalant à l’unité a correspondu aux activités de gestion des écoles élémentaires. Cet indice reste supérieur à l’unité dès lors que l’on aborde les activités de gestion des établissements du second cycle, les collèges et les lycées, requérant manifestement plus de compétences et de qualifications. Pour aborder les activités de coordination des services éducatifs, l’indice du groupe professionnel s’est révélé supérieur à 2 comme pour marquer le saut et aussi exprimer l’étendue des compétences y requises. Enfin, le groupe professionnel à indice 3 a désigné les occupations de supervision et de pilotage en vigueur dans les services centraux et déconcentrés, sinon plus complexes, du moins plus valorisées. L’indice de mobilité interne est relatif. Sa valeur absolue est susceptible de varier selon le public observé. Seuls sont pertinents les rapports entre les valeurs enregistrées. 137

Arrimé à la rotation fonctionnelle, l’indice de mobilité interne atteste d’une hiérarchisation des activités professionnelles requises, justifiant à chaque niveau, la complexité des savoirs développés, sinon exigibles. A concéder que le pouvoir et l’autorité s’accroissent au rythme des promotions, qu’en est-il du savoir et des compétences ? A gravir les hiérarchies fonctionnelles, les savoirs à glaner çà et là n’auraient-ils pas pour effet immédiat de placer le navigant en situation de perpétuelle adaptation ? Et dès lors, quelles connaissances se développent dans cette perspective d’instabilité fonctionnelle et de permanente remise en question ?

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CHAPITRE 4 Du praticien au professionnel : la médiation de l’agir réflexif

Les professionnalités des praticiens d’administration de l’éducation dérogent essentiellement de leur double identité sédentaire et cosmopolite dans et au fil de l’agir. Cependant, elles se ressentent aussi des structures effectives au sein des services éducatifs, structures incitatives au développement de compétences pour et dans la mise en œuvre efficace de missions spécifiées. Bien souvent, ces structures ont généré les fonctions essentielles exigées par la variation des situations de travail, la diversité des activités à développer, les partenariats à entretenir. Axées sur l’agir, ces structures transcendent les fonctions officielles pour se décliner en commissions, comités et autres aménagements de nature à conforter la fluidité d’une gestion aléatoire et au cas par cas. Et malgré cette prégnance des pratiques en contexte, ce sont les séminaires et ateliers qui marquent la trame de la progression des qualifications des personnels administratifs des services éducatifs. Une évaluation de l’impact de ces efforts reste à faire. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il tarde à se manifester dans la conduite des activités quotidiennes

d’administration de l’éducation. Les expériences se multiplient, les résultats toujours mitigés. Alain Bernardou54 rappelle alors que la plupart de ce que savent les hommes ne leur vient pas de l’école mais de la vie et Schön rapporte que « 85% des cas rencontrés (dans la pratique) par le médecin ne sont pas dans les livres »55. Comme l’écrit G. Jobert, « dans l’affrontement à la résistance du réel, les travailleurs ne font pas qu’appliquer les savoirs qui leur ont été transmis, mais ils produisent eux-mêmes des savoirs propres, parfois appelés savoirs pratiques, empiriques, informels »56, d’où l’importance de l’agir dans la genèse des savoirs professionnels. Mais l’agir se vit et le vécu est personnel, généralement indicible. « La plus grande partie de l’action humaine intelligente est accomplie sans avoir à être formulée mentalement ou discursivement »57. Et lorsque l’agir est sujet à une volonté délibérée de communication, il reste le plus souvent sélectif et dès lors partiel. En somme, le processus de la qualification professionnelle a davantage fonctionné par une élaboration de savoirs à partir des dysfonctionnements survenus, des questionnements surgis, des contradictions non résolues, des perspectives apparues, autant dire des défis de l’agir. Et en Afrique, comme les savoirs générés au sein des communautés s’auto-formant dans et à travers les pratiques développées ont plus fait leurs preuves que ceux des écoles formelles qui distillent des connaissances aux usages incertains, autant concéder que le savoir-agir pro54

In J.M. Barbier, Savoirs théoriques et savoirs d’action, PUF, 2000, p. 31 55 Schön, Les Editions Logiques, Montréal, 1994, op cit. p. 36 56 G. Jobert, in Ph. Carré et P. Caspar, Dunod, 1999, op cit. p. 211 57 J. M. Barbier, PUF, 2000, op. cit. p. 48

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fessionnel y apparait plus attelé aux situations ambiantes de travail. Et ce d’autant plus que c’est du savoir rendu pratique que l’on deviendrait professionnel, la finalité de la professionnalisation étant de créer un praticien confirmé. Mais comment professionnaliser celui-là déjà imbu de sa pratique ?

1. DIRE L’AGIR Après une formation initiale préparatoire à l’enseignement, ce sont les savoir-faire opérationnels intégrés à travers les sollicitations avérées des fonctions jusque-là occupées qui ont constitué l’essentiel du développement professionnel des personnels administratifs des services éducatifs publics d’Afrique. Or et au fil des temps les objectifs évoluent, entrainant les agir à se dépasser, les uns devenant obsolètes et les autres acquérant un essor insoupçonné. D’où un mouvement incessant de remise en question, de construction de nouvelles professionnalités, d’édification de nouvelles méthodes d’apprentissage, voire, de nouvelles stratégies de gestion de l’agir quotidien afin de le rendre apte à relever les nouveaux défis. Intimement liée aux conditions concrètes de mise en œuvre, la pratique professionnelle efficace résulterait moins d’une application de savoirs enseignés et appris que d’une production de savoirs réalisée par les travailleurs dans leurs rapports singuliers à la situation de travail. Pour les professionnaliser, c’est à cet agir qu’il faudrait les ramener moins pour s’en souvenir que pour en découvrir les principes sous-jacents.

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1.1. Libérer les expressions A dépasser la mise en œuvre quasi-mécanique pour interroger l’essence de l’agir, il se révèle plus réflexe que réfléchi. Fruit d’un savoir intériorisé, il comporte une grande dimension de principes et de procédés qui ne s’imposent qu’après avoir été posés. Et s’il fallait le raconter, surgit la nécessaire introspection : Qu’avais-je donc fait après tout ? Outre qu’on ne réalise pas toujours les actes posés, « en général, quiconque asserte, exprime son point de vue, court le risque immanent de ne jamais réaliser les conditions de satisfaction de son acte : ‘dire la vérité’ »58. L’application réflexive à l’agir engage un groupe de praticiens en quête d’une intelligibilité de leurs pratiques. Elle traduit leur volonté délibérée d’accroître leur professionnalisme autant qu’elle est l’expression de leur participation consciente à des interactions orientées vers une évaluation de leur agir pour sonder ses mécanismes et ses dynamiques internes en vue de les exploiter dans une œuvre de qualification de l’agir et de professionnalisation des personnels qui l’assument. Le recours à l’agir comme moyen d’auto-formation est d’autant plus complexe que le praticien, obnubilé par le concret de l’agir, n’a surtout pas délibéré sur les actes qu’il a posés. Il a juste agi. Rétrospectivement ces actes ne peuvent qu’être reconstitués - si seulement ils pouvaient l’être ! D’abord à conter l’agir, combien de personnes ne racontent que ce qu’elles considèrent comme autant de prouesses ! La tendance naturelle à la valorisation personnelle à travers le discours peut se traduire par une odyssée ne cherchant qu’à faire vibrer le public auditeur à travers 58

Alain Blanchet, Dire et Faire dire, l’Entretien, Armand Colin, 2ème édition, p. 16

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des hauts faits et des triomphes de tous les périls, ce qui dénature la quête de savoir. Au niveau des services éducatifs publics l’agir se réclamerait plus d’activités prescrites, et il n’y est jamais que triomphe et succès. Bien au contraire. Que de tâtonnements, de frustrations, de découragements, d’inclination à l’abandon. Conséquemment, l’agir réflexif requiert une maîtrise permanente des émotions alors qu’au vif de la mise en œuvre, ces parties intégrantes de tout être ne cessent de le solliciter : la gestion des interfaces, la rage de l’efficacité, les angoisses des conséquences d’un échec probable, sont des éléments qui tiraillent et tyrannisent pour handicaper toute quête sereine de savoir. Ensuite l’humilité partout érigée en vertu cardinale, le discours sur l’agir sien est plutôt malaisé. Autant l’agir peut être valorisé, encensé, autant sa médiation par le langage sied à autrui et non à l’acteur. « Bien faire et laisser dire ! ». En Afrique, la médiation de l’agir par le verbe revient au griot, maître de la parole par droit divin. Par l’acteur, relater l’agir est de mauvais aloi et procède de l’exhibitionnisme, un vice incompatible avec la recherche de savoir. L’analyse réflexive annonce un débat franc et ouvert. Or et dans maintes structures sociales africaines, le débat est biaisé, toute contradiction bannie. Sous l’arbre à palabres, les notoriétés traditionnelles seules avaient pouvoir de prise de parole. L’auditoire opinait de la tête, sans piper mot, toute contradiction déclarée irrecevable. Tolérée entre individus isolés, en public elle est ressentie comme un défi, vécue comme un affront appelé à être vengé. Et le respect religieux de l’aîné, la déférence aveugle à l’autorité, passent encore par le principe sacro-saint de non contradiction. 143

Dans les administrations, toute contradiction est facilement assimilable à une contestation de l’autorité, un défi. Respecter l’autorité y exige à bien des égards, l’acceptation ou l’ignorance si ce n’est la couverture des errements des plus évidents des hiérarchies supérieures. L’analyse réflexive de l’agir implique divers partenaires et les représentations sur les attributs et attributions des uns et des autres peuvent à bien des égards constituer de véritables nuisances dans l’émergence de savoirs au cours des sessions d’analyse des pratiques. Même réunis en session d’analyse réflexive, les personnels administratifs des services éducatifs n’exercent pas moins des responsabilités hiérarchisées. Et dès lors, échanger à propos de l’agir peut être sujet à interprétations diverses selon les positions occupées. Dans la sphère des hiérarchies supérieures des services éducatifs publics et à se référer à l’agir, c’est à qui ferait le meilleur usage de son statut et forger sa personnalité de dirigeant inflexible, d’administrateur avisé, de leader magnétique, de chef magnanime et avenant. De même et entre agents des services opérationnels soumis à l’autorité des hiérarchies supérieures, les confidences vont bon train sur les stratégies d’évitement des sanctions méritées, les leçons de modestie infligées aux superviseurs, les peaux de banane truffées dans les sanctuaires de l’autorité. Certes, dans les organisations, l’analyse réflexive de l’agir s’est révélée un puissant levier dans le changement des représentations autant des hiérarchies supérieures que des agents opérationnels. Le plus souvent, témoignent Falzon et Teiger « les opérateurs sont fascinés par la vision de leurs propres activités et les hiérarchies sont souvent déstabilisées par la découverte du travail réel, de sa complexité, des stratégies développées par les opérateurs à la tâche. Ils passent eux-mêmes du normatif au compréhen144

sif, comprendre la logique des pratiques et l’intelligence qui s’y déploie »59. Cependant, à réunir agents opérationnels et hiérarchies supérieures, ce sont les stratégies d’acteurs qui se disputent pour s’ériger en moyens d’attaque et/ou de protection. Pour les hiérarchies supérieures et en présence des subordonnés, le partage des réflexions sur l’agir présente le risque d’une divulgation des secrets du pouvoir discrétionnaire de l’autorité. Les représentations populaires posent que pour être effective, l’autorité doit être imprévisible. C’est alors et seulement alors qu’il lui est loisible de manier inflexibilité et magnanimité, rigueur et tolérance. Dès que le chef se laisse deviner dans ses réactions, il perd l’effet de surprise dont se pare l’autorité. Pour les administrés, il se meut en terrain connu et comme tel, il reste familier et d’autant vulnérable. Au niveau des agents opérationnels, la préoccupation est bien autre : faire état de leur agir en présence des superviseurs ne ressemblerait-il pas à un contrôle, une malicieuse investigation sur leurs activités effectives ? Cette situation est entretenue par le caractère normatif des instructions et la réprobation sinon répression de toute déviation. S’opère alors un jeu de cache-cache au cours duquel, hiérarchies supérieures et agents opérationnels évitent de livrer les « trucs » et « astuces » des pratiques. Et nous savons que c’est là où gisent les savoirs recherchés, savoirs jusque-là non révélés. A refréner les épanchements sur l’agir sien, il se dénature et ne répond plus aux objectifs d’une analyse réflexive de cet agir. Il reste hermétique à l’éclosion d’un quelconque savoir.

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P. Falzon et C.Teiger, Ergonomie et formation, in Ph.Carré et P. Caspar, Dunod, 1999, p. 155

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Bien plus, la transposition des statuts hiérarchiques dans le débat réflexif et l’obligation tacite de ménager les hiérarchies supérieures pourraient induire des facteurs de blocage du processus de génération de savoirs en privilégiant notamment une régulation relationnelle du processus cognitif : au cours des différentes interactions, toute modification subséquente aux avis des uns et des autres, au lieu de traduire cette conviction née de la force des arguments, découlerait des arguments de la force, expression des rapports hiérarchiques et autres relations de subordination entretenues par les partenaires. L’inclination à ménager l’autorité aboutit le plus souvent à épouser ses points de vue, au mépris de toute objectivité. Assentiment et dénégation, ralliement et opposition ne visent qu’à maintenir un rapport non conflictuel. Et s’égrènent les mêmes litanies. « Comme l’a dit Mr le Directeur, je pense aussi que […] ». Eternelle langue de bois ! Sempiternelles prosternations des vassaux ! Seuls sont en lice les arguments fondant la force de l’autorité. En lieu et place d’un apprentissage serait développé un mimétisme, gage d’assurances personnelles. Cette stratégie bien en honneur chez le caméléon, est un camouflage qui cherche à ressembler jusqu’à faire corps avec les êtres de l’environnement immédiat pour ne plus s’en distinguer. Procédé qui amène à simuler sans intérioriser, il ne débouche sur aucun apprentissage véritable et est surtout impropre à un processus de formation dont la finalité est l’autonomie de l’apprenant. Les personnels des administrations de l’éducation sont des adultes avec des fonctions à prestige. A narrer leurs rôles et fonctions, eux-mêmes se présentent comme “chefs”, “décideurs”, “responsables” et exigent d’être considérés comme tels. Imbus de leurs personnalités et auréolés de l’illusion des certitudes, leurs actes et activités relèveraient de la perfection. 146

Une telle estime de soi est peu appropriée au débat qui s’engage dans une analyse réflexive de l’agir, avec sa logique d’évaluation, de sélection et où l’exploitation des notions de méprise, d’erreur ou de faute est érigée en principe didactique. Traditionnellement l’erreur est imputable aux lacunes et insuffisances de l’acteur. Pas toujours réprimée, elle est partout proscrite et peut exposer à la risée publique. Et dès lors, comment exciter la curiosité chez des êtres tourmentés par l’angoisse de l’erreur, la hantise des sanctions ? Comment faciliter l’expression chez ceux préoccupés par la peur du ridicule ? Et pourtant, enseigne le proverbe, « le bon sens, c’est comme la chasse au lièvre : jeunes et vieux peuvent le dépister ». A vaincre l’illusion des certitudes, la vérité devient accessible à tous. Si les représentations attribuent pleins savoirs aux managers, aux leaders, il leur est aussi fait obligation de la plus grande humilité. Le manque d’humilité est synonyme d’orgueil et l’orgueil est un péché que l’homme est tenu d’expier pour s’aventurer sur le chemin du savoir. Cette victoire sur les illusions des certitudes favorise à la longue un processus de génération de savoirs par essais et erreurs, processus vécu comme des moments ultimes de l’affirmation d’une intelligence collective – disposition pouvant seule favoriser toutes les prises de parole au cours des débats. Toutefois, promouvoir le paradigme de l’incertitude ne renvoie nullement à une attitude conciliante source d’incapacité à trancher face à une pluralité de points de vue. Ce n’est pas non plus cultiver un scepticisme sclérosant qui doute de tout et pour toujours pour porter apologie du silence et de la résignation. Il s’agit d’un doute méthodique invitant à relativiser et à démystifier l’erreur, principe d’autant plus exigible au niveau des praticiens 147

que le savoir homologué n’existant pas encore, la session de réflexion en constituerait une étape essentielle. Fruit des réflexions collectives, le savoir sera pétri par et à travers les “erreurs” de chacun et de tous. Si à priori tout défi revêt un mystère, pour être élucidé, il doit plus inciter à des efforts internes, autonomes. Il ne doit pas être envisagé comme hors de portée des compétences et ressources directement accessibles. C’est dire que l’analyse réflexive des pratiques ne doit pas offrir motifs ou prétextes à des projets à financement extérieur. Le lien entre le défi diagnostiqué et un potentiel interne de sa résolution reste à privilégier. C’est assurément pourquoi une volonté déterminée et une ferme conviction en leur pouvoir de résoudre le dilemme habitent tous les praticiens réunis en session d’analyse réflexive des pratiques. De nos jours et face au défi, il y a en Afrique une tendance de plus en plus accusée à invoquer des causalités externes. Karamoko, féticheur, bailleur de fonds, exploiteur, contre-révolutionnaire, ethnie rivale, collègue malveillant, sont proclamés pour justifier tares et dysfonctionnements, échecs et succès, ce qui ôte à la session d’analyse réflexive, toute possibilité d’être d’une quelconque contribution dans les remises en cause et leurs corollaires, la résolution des défis. D’ailleurs, c’est généralement par temps de dysfonctionnement préjudiciable qu’un collectif d’acteurs est amené à débattre non pas de l’agir mais de ses conséquences. Et naturellement, les efforts de réflexion sont plus orientés vers celui ou ceux soupçonnés d’être à la base des résultats enregistrés. Et en lieu et place d’une analyse réflexive, sont mises en œuvre des séances d’exorcisme au cours desquelles des joutes oratoires sont échangées entre virtuoses pour pourfendre l’échec et encenser le succès. Erreur, échec et succès s’éclipsent devant

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l’acteur, celui par lequel le drame est arrivé sinon celui auquel le succès est crédité. De telles sessions avaient jadis été prolifiques en parias, en héros et sauveurs sinon autres timoniers et responsables suprêmes. Toute absence d’intériorisation des liens de causalité peut être source d’énormes conséquences sur les défis de la vie en société en sus de sa nuisance en termes d’apprentissages professionnels en situation d’analyse réflexive de l’agir. Et encore beaucoup plus dans une professionnalisation de praticiens, au sein de laquelle l’intégration des apprentissages est essentielle, celle-ci ne pouvant être sans cette référence à des pratiques effectives débarrassées de toute insinuation tendancieuse. C’est à ce prix et à ce prix seulement que les praticiens peuvent échanger leurs pratiques et devenir des artisans du processus de leur développement professionnel à travers cet échange d’expérience. 1.2. Théoriser les pratiques : mutualisation et globalisation de savoirs Les personnels administratifs des services éducatifs ont donné force preuves de l’intensité des réflexions sur leur agir. Celles-ci tournent autour des voies et moyens des mises en œuvre. Praticiens rivés à l’agir, sont-ils à la recherche d’un savoir ? Leur quotidien a consisté en des activités singulières élaborées dans le vif de la quête de solutions à des problèmes spécifiques pour constituer un ensemble de réponses en actes en matière de stratégies de service à l’usager, voire, d’une optimisation de celui-ci. Mise en œuvre contextualisée, l’agir a représenté une réponse à un problème singulier pour être spécifique à chaque individu car même avec des normes et des procé149

dures explicites jugées générales, il y a toujours plus d’une façon de résoudre efficacement un problème. Conséquemment, l’apprentissage des pratiques administratives s’est structuré à travers un cycle de mises en œuvre individuelles requérant la performance de l’activité concrète du moment. A travers les récits de leur agir, il est aisé de réaliser que ce sont les expériences directes de chacun qui ont conditionné l’interprétation de la réalité vécue. Support de la remémoration des situations qui se sont imposées, l’expérience est restée le socle des adaptations et réadaptations des pratiques. Déductible de ce qui a été vu, vécu, senti et ressenti, elle aboutit à un développement professionnel tributaire d’une découverte par immersion, induisant un savoir empreint des contraintes et des caractéristiques locales, des positions et dispositions individuelles. Expérientielle, la connaissance devient propre à chaque individu, à la dimension du mode d’adaptation de chacun. De là, toute la difficulté d’un savoir généralisable. Si une certaine habileté s’est forgée au fil des mises en œuvre dans des situations précises de travail, l’interprétation est restée égocentrée. Un processus cognitif s’est bien exprimé à travers le déploiement du vécu, mais sans cette conscience réfléchie des actes de soi, et cela par-delà et malgré cette attitude de constante délibération avec soi. Une application réflexive à l’agir a justement l’ambition de dépasser ce caractère singulier des expériences vécues pour briser les carcans et les assujettissements des savoirs individuels. Dépassant la simple réminiscence, elle aspire à une prise de conscience non plus individuelle et intuitive mais collective, lucide et raisonnée de la façon dont les objectifs ont été déterminés, réalisés. Elle invite à mieux se représenter les actes posés pour en faire des facteurs de perfectionnement de l’agir et 150

de valorisation professionnelle, bref, des facteurs d’éclosion d’une science des agir. Car ce sont les agir qui fondent et fécondent les habitudes pour leur conférer cette forte appétence à l’enracinement et à la résistance aux remises en question. C’est seulement à les expliciter qu’ils pourront constituer des facteurs de qualification et cela d’autant plus que « dans les métiers de l’humain, c’est douloureux et ascétique de transformer des schèmes de pensée et d’action bien installés, d’ébranler les représentations naïves mais confortables, de mettre en crise des savoirs qu’on pensait assurés »60. Au sein du groupe d’analyse réflexive et à force de relater le concret de l’agir, s’opère une mutualisation des vécus. Pour chacun, il s’en suit un besoin vital d’envisager l’expérience à travers toutes ses facettes, de l’interpréter non plus pour soi mais pour les autres et par là-même de tenter une formulation du savoir non révélé développé au cours de l’agir. Il est bien connu que « c’est seulement au moment où l’on est confronté à la difficulté d’expliquer un sujet à quelqu’un qu’on le pénètre – ou le domine – vraiment »61. L’apport collectif qui découle de cette mutualisation des vécus entraîne pour chacun un retour sur soi dépassant la simple introspection pour une quelconque autojustification pour pénétrer la sphère non sondée des savoirs jusque-là non sus. Un questionnement collectif se tisse autour des recettes particulières, des réalisations singulières. Et par ce biais, les connaissances s’accumulent, se diversifient, se renforcent. Et progressivement, s’élabore un savoir général, émanation des différents vécus quelle que soit par ailleurs la nature et l’intensité de ces vécus. 60 61

Ph. Perrenoud, Recherche et Formation n° 36, p. 150 Saussez et al, Recherche et Formation n° 36, p. 82

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Issus d’interactions plurielles, comment vitaliser les processus servant à étayer les savoirs dérivés des vécus ? Des apprentissages individuels par immersion directe, de cette collecte de savoirs dérivés des situations de travail, comment rendre transférables les apprentissages qu’ils augurent et comment en inférer des principes cognitifs généralisables ? 1.3. Théoriser les pratiques : l’appui institutionnel Théoriser les pratiques, ce n’est pas seulement narrer les faits et les gestes des différentes mises en œuvre. C’est les conceptualiser. Et « qu’est-ce donc en définitive le concept ? C’est la chose même, la nature intelligible reçue des sens grâce à l’abstraction et portée par l’esprit au-dedans de lui au suprême degré d’immatérialité »62. Le concept est abstraction, ce n’est pas une chimère. Expression de la réalité, il cherche à la rendre intelligible à l’entendement humain. Sa grande spécificité c’est son aptitude à la manipulation théorique. Il désigne non pas seulement les faits ou les phénomènes spécifiques signifiés, mais tout fait ou phénomène auquel pourraient s’appliquer les mêmes caractéristiques. Détaché de la matérialité contingente, multiple et contextualisée, le concept consacre l’unicité des faits observés pour incarner leur généralité. Il est appréhensible à travers les seules facultés de raisonnement. Evidemment tout processus, tout procédé, est nécessairement l’expression d’un principe immanent décelable à travers le raisonnement. Il dénote de l’essence des choses ainsi que des rapports nécessaires qu’elles entretiennent. 62

Grand Larousse de la Langue Française, Librairie Larousse, 1976, tome 2, p. 848

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Les principes, les faits ou les phénomènes ne deviennent parfaitement intelligibles que lorsqu’ils font objet de représentation théorique. Sans la théorie, on ne saurait dire qu’il n’y aurait point de loi car celle-ci demeure indépendamment de la conscience humaine. Découlant du rapport nécessaire entre les choses, elle est celle sans laquelle le principe ou le processus ne serait pas dévoilé. C’est de la théorie que la loi s’affirme et prend corps. Et le praticien est rarement avide de théorie. « Dans tous les genres, ceux qui se livrent à la pratique ont pour la théorie une aversion qu’il ne faut pas attribuer à leur ignorance et moins encore à l’inutilité de la théorie »63. A toute pratique intelligente, la théorie est essentielle, nécessaire. Une application réflexive à l’agir a l’ambition d’amener le praticien à accepter, voire, désirer la théorie en tant que moyen de conscientisation des processus immanents de son agir. En effet, sans une théorie générale explicative de la pratique, il n’y aurait que des recettes et ces dernières resteraient éminemment personnelles. Théoriser l’agir, c’est en dévoiler les phases successives à travers des concepts et non plus à travers des faits et des gestes. Ceux-ci reprendront vie à travers les concepts. De l’énonciation des faits et gestes, premier niveau d’échange d’expériences, il faut s’acheminer vers une conceptualisation des principes explicatifs de l’agir visé par ces faits et gestes. La volonté collective de comprendre l’agir, de l’expliquer, sera sous-tendue par cette conceptualisation transcendant les pratiques individuelles. C’est avec l’échelle de la conceptualisation que le groupe d’analyse réflexive gravira progressivement les 63

Condorcet in Grand Larousse de la Langue Française, Article « Pratique », Librairie Larousse, 1976

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étapes d’une formulation de l’explicitation des principes immanents à un agir globalisé, standardisé et non moins comptable de toutes les expériences spécifiques. Rendu intelligible à tous, visible à tous et pour tous et pourtant dépourvu de toute matérialité, indépendant de tout environnement et de ses aléas, le concept devient porteur de tout un savoir et ce savoir devient à son tour transférable. La théorisation de cet agir professionnel commence par le débat sur la professionnalisation des personnels des services administratifs de l’éducation car et pour le moins, les résultats attendus ne doivent pas s’énoncer seulement en termes de qualifications individuelles. Ils doivent englober la mise en place d’une architecture de compétences collectives étrangères à un clonage de profil comportemental. Une application réflexive à cet agir doit reposer sur l’identification et l’exploitation des savoirs effectivement mobilisés sur le terrain afin d’en déduire aussi des principes et des processus cognitifs. Elle implique une démarche méthodologique qui ne s’acquiert que par un entraînement délibéré. Les praticiens ne sont pas nécessairement armés pour faire face à ces exigences. Un appui institutionnel s’impose. De par ses exigences manifestes, une application réflexive à l’agir est plus probable dans une institution de formation qu’à travers les mailles d’une fonction à assumer. Au sein de l’institution de formation, l’accompagnement des praticiens a de meilleures chances de se transformer en « une stratégie de recherche-formation professionnelle individuelle et collective renvoyant à un retour réflexif sur des tranches de vie, non pas seulement pour s’en souvenir, mais pour advenir à un devenir professionnel spécifique »64. 64

G. Pineau, Education Permanente n° 217/218, 1990

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Développer les techniques et les stratégies de l’analyse réflexive, éclairer ses mécanismes et ses principes, en dévoiler les écueils, les vices et les vertus constituent la mission première de l’institution de formation, centre de facilitation autant que source d’impulsion des réflexions. Des échanges, surgissent nécessairement des questionnements sur les raisonnements affichés, les contenus véhiculés, et ces derniers mal gérés, peuvent constituer autant d’obstacles à la génération et au partage des savoirs. De même et au cours des échanges sur les vécus, la valeur informative de toute intervention fortuite est susceptible d’amener le narrateur à réajuster son discours, et par ce, à biaiser les énonciations, à étouffer les représentations, à refreiner les savoirs subjectifs tout comme les autres opinions personnelles et porter un handicap à l’éclosion des savoirs. Attentive à toute manœuvre de nature à déstabiliser la cohérence discursive des narrations, l’institution de formation pourra restaurer les conditions d’une théorisation favorable à l’émergence de savoirs. Libérale par nature, l’institution de formation prône la reconnaissance et l’usage d’un droit de critique sans accusation de discrédit. Garantie utile dans cette Afrique démocratique ! Non soumise aux pressions des contraintes des différentes situations de travail même si ces dernières ne lui échappent pas, l’institution de formation est de nature à rassurer : on peut y tâtonner sans dommages irréversibles. En ce lieu, les praticiens peuvent surtout dépasser le cadre incantatoire des missions et des obligations pour débattre de leurs activités sans être accusés de dénigrement ou de fuite devant leurs responsabilités. L’institution de formation offre une tribune spécialisée pour une judicieuse exploitation des interactions d’une part entre les

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acteurs et d’autre part entre les acteurs et leurs environnements de travail. Capable d’un regard extérieur sur la situation de travail, elle est d’autant plus apte pour accompagner une analyse responsable des pratiques et en inférer une anticipation raisonnée des évolutions. Et cette théorisation préalable à la base de l’élaboration de référentiels appropriés de professionnalisation va aussi orienter la dynamique des formations et porter révolution du système d’évaluation à travers une appréciation globale des savoirs mobilisés au fil de l’agir. Autant dire que l’institution de formation ne sera plus ce sanctuaire de savoirs anciens mais davantage un tremplin à l’éclosion de nouveaux savoirs empreints des dynamiques des situations de travail autant que des évolutions techniques et technologiques. Le but de toute professionnalisation étant en dernière analyse de doter les personnels de compétences nécessaires à des pratiques plus efficaces, tout développement professionnel reste assujetti à un profil professionnel. C’est le profil professionnel qui balise l’agir et qui prescrit à l’acteur des compétences et des qualifications conséquentes. En Afrique, l’agir des personnels administratifs des services éducatifs publics s’est inscrit dans un cadre plutôt informel. Ce sont les trajectoires affirmées qui portent témoignage des spécificités d’un agir distingué pour dessiner en filigrane un profil professionnel dont la face visible n’est révélée que par le hasard des nominations aux différentes fonctions. Hormis le cadre individuel des occurrences des différentes fonctions d’administration de l’éducation, comment rendre visibles des espaces professionnels d’un concert

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d’occupations que le système qui les a secrétées n’a eu cure de définir ? Comme tout agir déroge d’un profil professionnel, alors et nécessairement « les mondes centrés sur une activité professionnelle constituent des espaces au sein desquels les agents peuvent circuler au cours de leur carrière professionnelle »65. A défaut de carrière professionnelle explicite, les pérégrinations ayant jalonné les parcours individuels ont été invoqués.

2. RECOMPOSER LES PROFILS PROFESSIONNELS ET DE FORMATION

La professionnalisation des praticiens des services administratifs de l’éducation réintroduit le débat sur les profils professionnels. A vouloir les ré-instituer, faudrait-il d’abord les reconstituer et pour ce la réhabilitation des plans de carrière est un passage obligé. Immergés dans les administrations de l’éducation publique, les personnels ont-ils développé des plans de carrière ? Comment les appréhender ? Du processus promotionnel seront déclinés des espaces de mobilité concourant à l’institutionnalisation des schémas de carrière d’une part et de l’autre, des profils professionnels et de formation. 2.1. Des promotions avérées aux schémas de carrière En l’absence d’un plan de carrière explicite l’observation des parcours professionnels des personnels d’un même groupe socio-professionnel pourrait permettre d’envisager la logique interne de l’évolution des person65

D Bertaux, Edition Nathan, 1997, op. cit., p. 14

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nels de ce champ professionnel. Ainsi, des cheminements observés au sein de la chaîne administrative, serait progressivement dévoilé un plan de carrière des personnels sur la base de la récurrence des similarités et/ou des dissimilarités vécues. C’est dire qu’une étude comparative des parcours professionnels des personnels d’un même système d’activités pourrait faire apparaître les logiques sur la base desquelles s’articulent les mécanismes et les processus qui les instituent avant qu’ils ne s’imposent. Le mouvement des personnels offre donc une lecture utile à l’appréciation des espaces professionnels, voire des catégories fonctionnelles ainsi que la hiérarchisation des activités développées en leur sein. Il permet surtout de postuler sur les principes implicites qui les portent et le légitiment. Dans cette tentative de restructuration des espaces de mobilité, il est difficilement envisageable que tous les membres d’une même catégorie fonctionnelle aient fait les mêmes expériences et encore moins dans le même ordre. Cependant, il est acquis pour certain que chaque membre d’une même catégorie aurait des chances plus grandes que n’importe quel autre d’avoir été confronté aux situations les plus saillantes de cette catégorie. Dans la reconstitution des systèmes internes de migrations des personnels des administrations de l’éducation, l’objectif poursuivi est de dévoiler la logique autour de laquelle se sont articulées d’une part la structuration des espaces de mobilité à partir des promotions observées et d’autre part, celle du passage d’un espace professionnel à un autre. Le plan de carrière des administratifs de l’éducation étant peu explicite, la dynamique des rotations fonctionnelles garde toute sa pertinence. Et là, la chronologie des fonctions exercées peut contribuer sinon à identifier, du moins à éclairer les notions d’espace de mobilité. Sur la base de cette hypothèse, une enquête a été conduite en 158

Guinée auprès d’un demi-millier de personnels des administrations des services éducatifs publics. Dans le traitement des données, les migrations géographiques constituant un prolongement en durée d’une même fonction, ont été occultées, pour ne retenir que celles ayant porté sur un changement effectif de fonction, le but étant justement celui de pénétrer l’intelligibilité de cette chronologie, et, sur la base des successions repérées, de postuler sur la logique inhérente aux fonctions visées. Les parcours individuels étant appréhendés, une exploitation du mouvement des personnels dans les différentes fonctions a conduit au constat de l’émergence pour chacune d’elles d’un espace de mobilité interne, espace délimité par ses affinités avec les autres fonctions. Chaque fonction a été définie comme le noyau d’un système permettant d’intégrer toutes les fonctions dans la dynamique des antécédents vécus et des fonctions postérieures les plus probables. Les régularités mises à jour à travers les fonctions antécédentes et postérieures ont décliné des espaces de mobilité où se profile une hiérarchisation des différentes fonctions sur la base de l’hypothèse selon laquelle toute fonction actuelle, sur le parcours promotionnel, est nécessairement subordonnée à une fonction source antérieure et orientée vers des fonctions cibles postérieures. C’est dire que la succession des fonctions, loin d’être anecdotique, arbitraire, est nécessairement motivée. Elle institue de facto une trilogie déterminante dans la hiérarchisation des fonctions sus visées. C’est la théorie du présent conditionné par un vécu plus ou moins récent et orienté vers un futur proche plus ou moins prévisible. Elle circonscrit l’espace de mobilité, lequel va orienter l’identification des schémas de carrière à travers les parcours les plus fréquents et par conséquent les plus susceptibles d’être partagés par les divers personnels. 159

En Guinée, le processus promotionnel des personnels administratifs des services éducatifs publics a permis de dresser le schéma ci-après. Schéma n°2 : Processus promotionnel et espaces de mobilité des personnels administratifs des services éducatifs publics de Guinée66

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IGE = Inspecteur Général de l’Education ; DN = Directeur National ; DPE/DCE = Directeur Préfectoral / Communal de l’Education ; SES = Section Enseignement Secondaire ; PDE = Planification et Développement de l’Education ; CO = Conseiller à l’Orientation ; SAAF = Section Affaires Administratives et Financières ; SEE = Section Enseignement Elémentaire ; AG = Assistant Gestionnaire de personnel ; DSEE = Délégué SousPréfectoral de l’Enseignement Elémentaire.

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Comme la professionnalisation doit s’inscrire dans des stratégies de qualification de l’agir autant que de développement professionnel, le diagramme a été assorti d’une analyse de l’agir au niveau de chaque espace défini permettant de l’inscrire dans son contexte organisationnel. C’est du reste pourquoi la professionnalisation d’un corps de métier par l’agir, pour être pertinente, doit être envisagée plus dans ses spécificités essentielles que dans des généralités conventionnelles. Elle commande une parfaite compréhension de la situation de travail dans ses structures opérationnelles ainsi que les déterminismes auxquels elle est soumise car, faire apprendre par et à travers l’agir, engage prioritairement de faire place aux problématiques vécues par le milieu professionnel. La succession révélée des fonctions d’administration de l’éducation dévoile des proximités et/ou des différenciations plus ou moins accusées au niveau des agir, traduisant de ce fait même des affinités inter-fonctionnelles. Sous l’éclairage de cette double perspective, l’analyse des fonctions administratives de l’éducation publique de Guinée a permis de dresser configuration de trois espaces de mobilité. Ils tiendront lieu de schémas de carrière. Un premier espace de mobilité s’est structuré autour des trois fonctions qui s’inter-changent selon le schéma Directeur d’école → Délégué sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire → Chef de section de l’enseignement élémentaire.

La fonction de directeur d’école élémentaire n’a pas autre antécédent que celui d’un face-à-face pédagogique plutôt soutenu. Elle se prolonge par la fonction de délégué sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire ou celle de chef de section de l’enseignement élémentaire des services centraux ou déconcentrés. 161

La fonction de délégué sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire a enregistré comme antécédent celle de directeur d’école élémentaire. Son succédant le plus probable se traduit par la fonction de chef de section de l’enseignement élémentaire aux niveaux préfectoral, régional ou national. En effet, les chefs de section de l’enseignement élémentaire se sont révélés être soit d’anciens directeurs d’école élémentaire, soit d’anciens délégués pédagogiques sous-préfectoraux de l’enseignement élémentaire. Au niveau de ces trois fonctions, l’agir est orienté vers les services éducatifs de l’enseignement élémentaire aux niveaux local, régional et national. C’est l’espace de mobilité de l’enseignement élémentaire. Tableau n° 7 : Schéma de carrière n° 1 (Espace de Mobilité Enseignement Elémentaire) Antécédents plus Fonction actuelle fréquents Face-à-face pédagogique Délégué pédagogique sousDirecteur d’école préfectoral de élémentaire l’enseignement élémentaire Délégué pédago- Chef Section de gique sousl’enseignement préfectoral de élémentaire ; Asl’enseignement sistantélémentaire Gestionnaire

Fonctions postérieures plus probables Directeur adjoint Directeur d’école élémentaire Chef de section de l’enseignement élémentaire ; Assistant – Gestionnaire de personnel

Staff Direction nationale de l’enseignement élémentaire

Un deuxième espace de mobilité susceptible de délimiter un schéma de carrière est porté par le mouvement des fonctions de directeur des études, de censeur, de prin162

cipal, de proviseur, de chef de section de l’enseignement secondaire, de chef de section de planification et développement de l’éducation, de conseiller à l’orientation, ainsi que les fonctions de directeurs préfectoraux, régionaux ou nationaux, d’inspecteurs généraux et de chefs de division des services centraux. Les fonctions de directeur des études et de censeur sont des fonctions initiales. L’antécédent attesté est le face-àface pédagogique. La base de recrutement de ceux assumant la fonction de principal s’est précisée avec trois fonctions antérieures : directeurs des études, conseiller à l’orientation, censeur. Celles-ci l’emportent amplement sur toutes les autres qui y ont été déclinées. La fonction de proviseur définit un espace de mobilité à trois fonctions antécédentes majoritaires (directeur des études, censeur, principal) alors que les chefs de section de l’enseignement secondaire comptent des proviseurs et des directeurs des études. Dans la section planification et développement de l’éducation, il a été dénombré trois fonctions antérieures prépondérantes : proviseur, chef de section examen et contrôle scolaires, directeur des études. Enfin, les responsables hiérarchiques des services centraux et déconcentrés affichent quatre fonctions antérieures vedettes : proviseur, conseiller à l’orientation, chef de section de l’enseignement secondaire et chef de section planification et développement de l’éducation. C’est l’espace de mobilité de l’enseignement secondaire.

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Tableau n° 8 : Schéma de carrière n°2 (Espace de mobilité Enseignement Secondaire) Antécédents plus fréquents

Fonction actuelle

Face-à-face péda- Directeur gogique des études Directeur des études Censeur, Conseiller à l’Orientation

Fonctions postérieures plus probables Censeur ; Délégué sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire

Censeur

Principal

Principal

Proviseur

Principal, Censeur Directeur Proviseur des études

Chef de section de l’enseignement secondaire ; Chef de la section Planification et développement de l’éducation, Conseiller à l’orientation

Proviseur, Conseiller à l’Orientation Proviseur, Conseiller à l’orientation, Chef du service examen et contrôle scolaires

Directeur préfectoral / Directeur communal de l’éducation ; Chef division / section des services centraux, Inspecteur régional / Inspecteur général, Directeur national

Chef de section de l’enseignement secondaire Chef de section Planification et développement de l’éducation

Au sein de cet espace, l’agir est majoritairement consacré aux services éducatifs de l’enseignement secondaire, voire, aux activités de supervision, de pilotage et de recherche-développement en éducation. Un troisième espace de mobilité fondant un schéma de carrière est dévoilé par les fonctions d’assistant-gestionnaire de personnel et de chef de service des affaires administratives et financières. 164

Tableau n° 9 : Schéma de carrière n°3 (Espace de mobilité Gestion des ressources de l’éducation) Succédants plus probables Chef service des afAssistant Gestion- faires administratives naire de personnel et financières (SAAF) (AG) des structures centrales et déconcentrées Services financiers Assistant Gestionnaire Chef service des aux niveaux régional / de personnel, Chef affaires administra- central, Section Examen et tives et financières Services financiers Contrôle Scolaires (SAAF) des missions diplomatiques

Antécédents plus fréquents Délégué sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire, Secrétaire de direction, Surveillant général

Fonction actuelle

Les assistants-gestionnaires de personnel ont été majoritairement des directeurs d’école élémentaire. Cependant, des conseillers à l’orientation, des surveillants, des délégués pédagogiques sous-préfectoraux de l’enseignement élémentaire, des instituteurs officiant comme secrétaires de direction y ont été également identifiés. Au niveau des services des affaires administratives et financières, la mobilité est encore plus accentuée : directeurs d’école élémentaire, assistants-gestionnaires de personnel, chefs de section de l’enseignement élémentaire, secrétaires de direction, agents du service examen et contrôle scolaires, proviseurs y ont été promus. L’agir s’y spécialise dans la gestion des ressources (humaines, matérielles, financières) de l’éducation. Il constitue l’espace de mobilité de la gestion des ressources de l’éducation. Cette évolution professionnelle est caractéristique des structures administratives de l’éducation publique de Guinée. La démarche pourrait cependant servir à rétablir les espaces de mobilité de structures différentes et d’en inférer 165

des schémas de carrière décisifs dans une perspective de professionnalisation. En Guinée, le système promotionnel des personnels administratifs révèle une nette tendance à la réduction des antécédents. C’est comme si au départ, la sélection était moins ciblée et qu’au fur et à mesure de l’évolution, elle se soit davantage structurée pour ne retenir que quelques fonctions essentielles – ce qui facilite encore davantage la systématisation du processus. Les espaces de mobilité ainsi délimités traduisent les parcours professionnels les plus fréquents et par conséquent les plus probables en termes de prévision professionnelle et donc de plan de carrière. Ils servent d’autant comme éléments d’appréciation des profils professionnels et de formation des personnels. La récurrence de cette évolution permet de conclure à l’existence de fonctions plus ou moins « tremplin » sinon « rampe de lancement » dans la hiérarchie administrative, et des fonctions « réclusion » représentant pour ainsi dire le sommet de leur propre évolution. Dans la nomenclature guinéenne, les fonctions de proviseurs, de chef de section de l’enseignement secondaire, de chef de section planification et développement de l’éducation, apparaissent propices pour assurer plus tard des fonctions de supervision et de pilotage alors que les fonctions de directeur d’école élémentaire, de délégué pédagogique sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire semblent bien répondre à la catégorie « réclusion ». A travers les antécédents et les succédants dérivés des espaces de mobilité se profile une logique de carrière beaucoup plus pertinente que des rattachements hiérarchiques déclinés par des organigrammes. Et ce d’autant plus que les critères des rattachements hiérarchiques restent la plupart du temps occultes sinon immotivés.

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Et même lorsque les antécédents et les succédants ne définissent pas nécessairement des profils professionnels, ils demeurent plus à même d’induire des filières de formation soucieuses d’efficacité sur le terrain. Ils constituent les premiers repères pour la planification des formations des divers groupes professionnels. Le processus promotionnel, en dévoilant le parcours professionnel, peut être révélateur des professionnalités induites. A personnel à parcours identique, il est alors possible d’attribuer un savoir uniforme et pour une qualification future, ce substrat de savoir partagé est essentiel. Il autorise une définition plus adéquate du complément nécessaire. En son absence, la nature du complément reste aléatoire. 2.2. Des schémas de carrière aux profils professionnels et de formation Du profil professionnel à la filière de formation, il y a une correspondance nécessaire, même implicite : le profil professionnel institue les professionnalités inhérentes à un agir, professionnalités que la filière de formation est appelée à pourvoir. Chaque profession promeut et prend appui sur un ensemble de compétences par lesquelles elle s’affirme et se distingue des autres. Celles-ci sont explicitées et rendues objets d’apprentissages à travers la filière de formation. La filière de formation explicite et porte institutionnalisation des professionnalités autant que des critères d’évaluation des apprentissages et de l’habilitation professionnelle. Dans un programme de formation-professionnalisation, il est toujours possible de s’entourer d’un nombre plus ou moins explicite de prérequis mais rien ne certifie qu’ils seront honorés par tous les membres du groupe-cible envisagé. 167

Dans l’affirmative, les redites inutiles – génératrices de sentiment de n’apprendre rien de nouveau - peuvent être évitées. A l’opposé, la formation peut revêtir une allure divinatoire juste parce que certaines notions de base échapperaient à l’entendement de quelques auditeurs. Si la professionnalisation s’édifie sur le terreau d’un profil professionnel, l’identification de la plateforme commune de savoirs de base des praticiens admis en session de professionnalisation reste un préalable indispensable. Au sein des emplois administratifs des services éducatifs publics de Guinée, les trois espaces de mobilité tantôt délimités portent affirmation d’une évolution professionnelle qui va des fonctions d’administration des écoles élémentaires et des établissements du second cycle vers les activités de coordination et/ou de supervision des services centraux et déconcentrés de l’éducation. Ils définissent le cadre des différentes carrières d’administration des services éducatifs publics. De cette évolution professionnelle délimitant des schémas de carrière seront inférées des filières professionnelles et de formation. La filière professionnelle regroupe les fonctionsnoyaux qui peuvent s’agréger autour d’un même agir sinon des agir plus ou moins proches. Le nombre de filières dépend du degré de spécialisation ambitionnée, une spécialisation aiguë requérant des distinctions plus affirmées avec les autres fonctions. Pour une prime tentative et à l’intérieur des trois espaces de mobilité circonscrits, peuvent être développées quatre filières professionnelles et de formation dans l’orientation des efforts de professionnalisation des personnels administratifs des services éducatifs publics de

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Guinée, quitte à porter plus tard des spécialisations plus pointues à l’intérieur de chacune des filières. La démarche n’est pas anodine : elle est attestée par l’évolution même des connaissances humaines. D’abord agrégées, elles ont fini au cours de leur évolution par se distinguer et affirmer progressivement leur autonomie les unes par rapport aux autres. A l’intérieur du premier espace de mobilité décliné (Espace de Mobilité de l’Enseignement Elémentaire), directeurs d’école élémentaire et délégués pédagogiques sous-préfectoraux de l’enseignement élémentaire ont pour succédant immédiat attesté celui de chef de section de l’enseignement élémentaire. De plus, ces trois fonctions développent des activités similaires de gestion des écoles et/ou d’évaluation des formations et des personnels de l’enseignement élémentaire des services déconcentrés. Elles peuvent donc s’ériger en une filière professionnelle laquelle peut à son tour s’organiser en filière de formation autour des compétences à la gestion des écoles et à l’évaluation des formations au cycle élémentaire.

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Tableau n° 10 : Profils professionnels et de formation déduits des schémas reconstitués de carrière Catégorie de personnel

Filière correspondante

Chef section des affaires administratives et financières (SAAF)

Filière 4 Gestion des ressources des services éducatifs Assistant gestionnaires de personnels publics (AG) Chef section Planification et développement de l’éducation (PDE) Conseiller à l’orientation (CO)

Filière 3 Planification stratégique, audit et développement de l’éducation

Chef section Enseignement secondaire (SES) Proviseur /Principal Censeur / Directeur des Etudes

Filière 2 Management des établissements et évaluation des enseignements au cycle secondaire

Activités essentielles Gestion matérielle et financière (finances scolaires) Gestion des carrières, Gestion prévisionnelle des emplois et des ressources Carte scolaire, Développement d’indicateurs, Statistiques sectorielle Audit du système éducatif, Appui à la communauté (formation) Conseil/audit en formation au second cycle Evaluation des apprentissages au second cycle Gestion des établissements, Evaluation des formations et des programmes d’enseignement du second cycle

Chef Section Enseignement élémentaire

Evaluation des formations et des personnels, Développement des statistiques sectorielles

Délégué Pédagogique souspréfectoral de l’enseignement élémentaire (DSEE)

Coordination des écoles EvaluaFilière 1 : tion des formations et des Conduite et gestion personnels, de l’enseignement Analyse et exploitation des élémentaire statistiques scolaires Administration des écoles, Gestion des personnels, des formations et des interfaces

Directeur Ecole Elémentaire

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Au niveau du deuxième espace de mobilité (Espace de Mobilité Enseignement Secondaire), beaucoup plus étendu, la mobilité avérée et le cadre naturel des activités amène à distinguer deux sous-groupes professionnels. D’abord, les directeurs des études, les principaux, les censeurs et les proviseurs constituent un sous-espace caractéristique. Sa compétence s’exerce au niveau de l’établissement d’enseignement du second cycle. Il délimite de ce fait une filière professionnelle, un cadre d’emploi spécifique susceptible de s’organiser en filière de formation autour de la compétence à la gestion des établissements du second cycle et à l’évaluation des formations y effectives. Ensuite, les fonctions de chef de section de planification et développement de l’éducation, de conseiller à l’orientation scolaire, de chef de section de l’enseignement secondaire, apparaissent comme des évolutions de la fonction de proviseur. Les activités y essentielles gravitent autour de la coordination sinon de l’évaluation des formations et des apprentissages, du développement d’indicateurs du système scolaire, voire, du système éducatif national. Ces trois fonctions peuvent délimiter une même filière professionnelle et de formation autour des activités de la planification, de l’audit et du développement de l’éducation. Elaboration de carte scolaire, définition de politique, déploiement de plans et programmes de développement institutionnel y demeurent essentiels. Cette filière pourrait également développer des compétences appropriées pour un rôle de soutien aux communautés dans les activités combien cruciales d’appropriation de l’école par la communauté. Enfin, les assistants-gestionnaires de personnels et les chefs de services des affaires administratives et financières peuvent se retrouver dans une même filière, articulée au171

tour des compétences à la gestion prévisionnelle des ressources des services éducatifs publics. Elle échoie aussi bien aux managers des institutions de formation qu’aux gestionnaires des ressources dans les sections des services centraux et déconcentrés de l’éducation. Domaine de la gestion des ressources humaine, matérielle et financière, elle comporte une dimension essentielle de mobilisation de ces ressources et de développement de partenariats. Au sein de ces différentes filières, professionnaliser les praticiens d’administration des services éducatifs d’Afrique noire, revient avant tout à les impliquer dans des activités d’échange sur les professionnalités qu’ils sont appelés à assumer. Ce débat seul pourrait favoriser une mise en œuvre sinon une ré-institution adéquate des filières professionnelles, base et fondement des référents professionnels et de formation. En effet, dans une formation par application réflexive aux pratiques, l’agir est disséqué, ses composantes pressurées, à la recherche de ses savoirs secrets. Les ressources des apprentissages sont collectives, émanations des contributions de chacun et de tous. Il n’y a pas de savoir à transmettre, il n’y a que des savoirs à partager. Prenant corps à partir d’une analyse des vécus, une double contrainte s’impose à l’analyse réflexive : des réflexions développées dans un climat de coopération mutuelle et non d’affrontements et d’antagonismes conflictuels, d’une part et d’autre part, une reconnaissance professionnelle assurée à travers un système d’habilitation aux rites transparents.

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3. ENTRETENIR UNE MAÏEUTIQUE D’APPRENTISSAGES COOPÉRATIFS

Dans les institutions de formation, la tradition confère à la transmission des connaissances une activité prépondérante relayée par un système d’évaluation qui lui est propre. De fait, contrôles et évaluations reposent sur des présupposés tacites : ils attestent pour l’essentiel de ce que le système valorise le plus. Dans les institutions traditionnelles de formation, l’évaluation des apprentissages est dominée par la logique de la sélection. Cette évaluation s’actualise à travers un classement des apprenants les uns par rapport aux autres, sans trop de soucis des acquis mobilisables et/ou de la nature des apprentissages. Et en dernière analyse, le système d’évaluation aspire à sonder l’insondable, l’étendue du savoir en chacun des apprenants. Outre que le classement place les apprenants en situation de compétition, la quête de record, la rage de se classer le mieux possible, y constituent une obsession permanente. En lieu et place d’une saine émulation s’instaure une sourde compétition. Et ainsi des apprentissages. Tests et contrôles renforcent le caractère individualisé de ces derniers. Il y est de bonne facture que chacun se constitue des connaissances sanctionnées du niveau des « aptitudes personnelles ». A l’école traditionnelle, à chacun ses savoirs et le secret de ses derniers. Dans l’apprentissage par analyse réflexive des pratiques, il n’est point dénié cette quête de savoirs mais ces derniers ressortent de l’analyse du vécu, englobant aussi bien les situations de travail que les acteurs impliqués. L’apprentissage y est prospectif et coopératif. La professionnalisation par application réflexive à l’agir tire ses contenus de la confrontation des narrations 173

sur les conduites des agir spécifiques et de leur mise en perspective en vue d’un principe général. Pour que les interactions puissent combler les exigences d’apprentissage et de qualification professionnelle, un échange autour des indicateurs de professionnalisation peut être source de plus-value. Aussi, les thèmes à débattre induisant le plus souvent des compléments notionnels peuvent être déterminés avec la participation des groupes en formation : une expérience fortuite accouche des conclusions décisives. 3.1. Une élaboration participative des référents de professionnalisation Sur financement de la Banque Africaine de Développement (BAD), une session de formation est organisée à l’intention des personnels administratifs des services éducatifs publics et privés d’un pays africain francophone de l’Ouest. Les séminaristes, un échantillon de plus de 150 personnels opérationnels provenant d’environ un tiers des structures éducatives déconcentrées sont répartis en deux sections conformément aux fonctions exercées. Pour les deux sections le thème central est respectivement « Amélioration des compétences des enseignants à travers la formation continue et l’accompagnement » et « Comment induire le changement d’une organisation éducative ? ». Outre que les thèmes répondent à des préoccupations réelles, les personnels en session de formation sont des praticiens éprouvés. Le moins ancien compte 14 ans de pratique. 30% y accusent une longévité de 2 à 3 décennies et 62% se prévalent de 3 à 4 décennies dans les administrations des services éducatifs publics. Comme pour confirmer le caractère senior des personnels en charge du management de l’éducation tantôt mis en exergue. Et ce 174

avec toute la diatribe relative aux expertises issues des pratiques répétées, mais aussi aux crispations et aux routines inhérentes à ces mêmes répétitions. Les facilitateurs se gardant de toute présentation d’un quelconque contenu de la formation, ont laissé entendre qu’il émanerait des séminaristes, n’excédant toutefois pas les centres d’intérêt sus énoncés. Dans les deux sections, la méthodologie adoptée a été la même à savoir (i) appel à l’agir des séminaristes au sein de groupes restreints suite à des consignes bien ciblées, (ii) séances de mutualisation des expériences en plénière, (iii) élaboration d’un schéma des compléments notionnels requis et (iv) distribution des thèmes notionnels entre facilitateurs et séminaristes, praticiens chevronnés de certains domaines de l’administration de l’éducation. Dans la section en charge du thème « Amélioration des compétences des enseignants à travers la formation continue et l’accompagnement », une représentation sur les difficultés pédagogiques des enseignants a établi que les plus courantes restent l’insuffisance de la formation académique et professionnelle, l’inaptitude à l’exploitation des programmes d’enseignement, les carences dans la mise en œuvre de techniques appropriées d’évaluation des apprentissages et leur exploitation à des fins de remédiation. Une investigation sur les procédures d’accompagnement des personnels du face-à-face pédagogique a mis en exergue une divergence de points de vue ayant amené les séminaristes à se distinguer en trois catégories : les adeptes de la pédagogie de l’intégration, les partisans de la pédagogie par objectifs et les tenants de la pédagogie transversale. Suite à cette distinction, le débat s’est poursuivi autour du type de pédagogie à privilégier pour culminer avec les

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dimensions et les contraintes de la pédagogie de l’intégration. Des échanges qui se sont instaurés ont émergé des choix stratégiques locaux aux termes desquels les séminaristes ont débattu des thèmes à approfondir et des groupes mixtes (facilitateurs et séminaristes) ont été constitués pour les prendre en charge. Dans la deuxième section investiguant sur les voies et moyens du changement dans une organisation éducative, un brainstorming a été engagé. Après recensement exhaustif des énonciations, il a été demandé aux séminaristes de traduire chacun des changements envisagés en termes d’objectifs, de résultats et de stratégies. La confrontation des points de vue a engagé les uns et les autres dans une réflexion ardue sur les types de comportement possibles à l’égard de tout changement, voire, les possibles résistances, attendu qu’elles seront à la base des stratégies à promouvoir pour les endiguer. De là, une occasion opportune pour distinguer les changements individuels de ceux organisationnels, et en même temps localiser et typifier les résistances au changement, de toute évidence d’ordre socio-culturel. Ensuite, la problématique du changement organisationnel a fait débat : des énoncés du type « Induire le changement d’une organisation éducative, c’est d’abord assainir les programmes d’enseignement et mieux orienter les évaluations » ont permis d’aboutir à un listing consensuel de paramètres locaux susceptibles d’impulser le changement des institutions éducatives respectives. La dynamique des questionnements a remis en selle les programmes d’enseignement. Et là, constat a été fait que si leur contenu s’inspirait de l’approche par les compétences, leur vision restait basée sur les savoirs et les savoir-faire et que les illustrations n’étaient identifiables qu’au niveau de l’élémentaire. 176

Une inquisition sur les sujets d’examen a révélé qu’ils faisaient plus appel à un travail de mémoire que d’analyse et de synthèse. Un exercice portant simulation d’une recommandation s’est appesanti sur les avantages que la pédagogie de l’intégration pouvait induire sur les programmes d’enseignement et le développement des sujets d’examen. Au niveau des deux sections, l’implication des praticiens à l’élaboration et à la mise en œuvre des activités d’apprentissage a permis d’étayer ces dernières, facilitant d’autant leur appropriation en vue d’une intégration au processus de développement des activités. Novatrice, cette intégration a elle aussi débouché sur des scenarii prospectifs d’organisation permettant aux différents responsables des services éducatifs ainsi regroupés d’envisager au-delà de leur apport, une réflexion sur leur position respective dans les dispositifs suite à l’évolution prévisible des activités qui en découleraient. Situation transitoire oblige ! Maintes dispositions peuvent rester lettre morte juste parce que des acteurs dans la sphère des prises de décision se sentiraient insécurisés. Dans l’une et l’autre section, la mobilisation de représentations rétrospectives a drainé l’attention sur la communication, offrant aux séminaristes une occasion de vivre la dynamique du questionnement à la base de l’analyse réflexive. Au fil des débats, se sont engagées des interrogations autour du conflit et de la coopération, du style de gestion, du leadership, etc. L’effet démultiplicateur du travail d’équipe a été éprouvé, son caractère polyvalent mis en évidence à travers ses compétences à se saisir de tous les problèmes et à leur trouver à tous une solution convenable. Finalement, la formation s’est transformée en une session de recherche collective confortant la stratégie d’une professionnalisation effective par l’agir. En effet, profes177

sionnaliser par l’agir n’est pas autre chose que de faire de la réflexion sur l’agir une activité intégrée de la compétence du professionnel car « c’est par une posture et pratique réflexive assidue qu’on développe un habitus de réflexion sur la pratique et qu’on se développe professionnellement »67. Agir et formation académique ont été érigés en deux pôles d’activités qui s’interpellent, s’attirent et se rejettent. Le monde du travail a été distingué de celui de la préparation au travail, et l’institution de formation s’est constituée le lieu d’élection de l’agir expert. Cependant de même que le simple agir, limité à luimême, est peu qualifiant, une réflexion sur l’agir en dehors de toute confrontation avec la réalité multiforme des situations de travail est pure gymnastique dont on ne saurait dire quelle est intellectuelle. D’où la nécessité d’instaurer un système d’alternance susceptible d’inspirer une constante réflexion sur l’agir. 3.2. Une pédagogie d’alternances utiles L’alternance a été érigée en une stratégie privilégiée d’apprentissage et de développement professionnel. Elle s’actualise à travers un nécessaire va-et-vient entre l’instance de formation sur l’agir et le concret de la situation de travail. Pour qu’elle soit efficace, faudrait-il que les deux rénovent leurs méthodes. Dans les institutions, « les programmes de formation se présentent comme un empilement de contenus théoriques et méthodologiques, tous jugés indispensables, confiés à des formateurs pointus et spécialisés. Chacun organise son curriculum comme le déroulement d’un “texte de savoirs”, ce qui l’éloigne de la référence aux pratiques professionnelles »68. 67 68

L. Paquay, Recherche et Formation n°36 Ph. Perrenoud, Recherche et Formation n° 35, p. 15

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A ces approches disciplinaires, il est généralement opposé des méthodologies de réflexion sur les pratiques. Mais ces dernières deviennent tellement intégrées aux pratiques locales qu’elles en restent tout asservies. Dans l’un et l’autre cas, le résultat reste biaisé car « d’une part, un acte de transmission de savoir-faire a un caractère formatif à partir du moment où il intègre une réflexion sur ce qui est transmis, et d’autre part, une telle réflexion sur le réel suppose une distance par rapport à celui-ci. »69. Face à cet affrontement méthodologique, l’alternance s’est trouvée accomplie à travers des visites guidées d’entreprise sans impact réel ni sur la formation institutionnelle, ni sur la production en entreprise alors que sa destination et sa finalité seraient de permettre d’apprendre ce qui ne s’enseigne pas dans les institutions de formation, les compétences qui se forgent au contact du réel, les stratégies développées au fil des aléas des situations de travail pour imposer la nécessaire flexibilité comme une caractéristique fondamentale du professionnel. Avec les personnels administratifs des services éducatifs d’Afrique, la situation est inversée. C’est du terrain qu’ils entrent en institution de formation, armés de leurs pratiques, pour mutualiser leurs réflexions sur les savoirs développés çà et là au gré des aléas des fonctions exercées. C’est pourquoi les modalités traditionnelles de l’alternance à savoir, immersion directe et retour en institution de formation se doivent d’être revisitées. D’autres types peutêtre complémentaires peuvent être envisagés, alternances de nature à mieux stimuler le partage et davantage maximiser la coopération au moment des interactions. La première forme d’alternance consisterait en une rotation de proximité au cours de laquelle les terrains d’exercice pourraient s’échanger. Stagiaires dans les ter69

G. Jobert, Comprendre le travail, Education Permanente n° 116/117

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rains hôtes, les alternants seraient tuteurs dans leur propre environnement. Et même en tant que stagiaires, possibilité leur serait offerte d’exercer en toute responsabilité afin de donner aux hôtes la possibilité de se confronter à des problèmes peu ou moins familiers susceptibles d’éprouver les savoirs conférés en plénière. Ils seraient à l’affut de toutes les occasions pour tester leurs nouvelles aptitudes à innover, à agir dans un environnement moins familier, à réagir face à l’imprévu. Tour à tour tuteur et stagiaire, chaque alternant produirait des rapports à soumettre en plénière, rapports portant réflexion critique des agir observés en tant que tuteur et ceux développés en tant que stagiaire. La deuxième forme d’alternance pourrait s’organiser sur les plans vertical et horizontal. Sur le plan horizontal serait promu un système de coformation : le collectif d’un même niveau hiérarchique serait utilisé comme source de points de vue pouvant être analysés de façon critique et synthétisés. Personnel d’exécution et personnel d’encadrement et de supervision seraient alors distingués en autant de groupes que nécessaire. L’agir sera décrit et analysé par ceux-là mêmes qui le pétrissent. A terme, une large compréhension des représentations des acteurs aux divers emplois. Sur le plan vertical, associant tous les personnels d’une unité fonctionnelle (directeurs préfectoraux de l’éducation, chefs des sections, etc.), les réflexions prendraient en compte la nécessité de former ensemble tous ceux dont les occupations commandent et recommandent un langage commun. Les chaines de communication seraient mises en évidence et avec elles, le caractère solidaire du travail au niveau des fonctions d’administration de l’éducation. Leur interdépendance serait établie et rendue explicite à tous, dévoilant notamment la solidarité positive des buts pour180

suivis par chacun des membres de l’organisation administrative, attendu qu’imbriqués dans cette nécessaire collégialité, chacun ne pourrait atteindre son but que si les autres atteignent les leurs. Et comme pratiquer c’est déjà mettre en œuvre un certain savoir, professionnaliser le praticien amène à s’interroger sur les principes de l’évaluation de son agir afin d’y déceler les compétences effectivement générées et exploitées dans cette mise en œuvre, ainsi que la manière dont elles ont été générées. Ce qui ne manquera pas d’éclairer d’un jour nouveau et la pratique et le praticien.

4. COURONNER LE PRATICIEN Le propre de toute formation et la finalité de toute évaluation, c’est d’habiliter à une pratique. Une formation qui ne déboucherait sur aucune habilitation perdrait de sa saveur. L’habilitation confère la reconnaissance sociale sans laquelle le praticien, même instruit des tours de force de son art, resterait non professionnel. Subséquente à un apprentissage, quelle que soit le mode de celui-ci, elle affirme en l’individu l’autorité des qualifications et compétences présumées. Elle lui confère le pouvoir légal et le nécessaire crédit social. L’habilitation intègre le nomine dans une collectivité professionnelle car « c’est à travers les actes d’habilitation que les individus sociaux se cooptent et construisent des solidarités sociales éprouvées comme justes et légitimes »70. Les évaluations à vocation de professionnalisation doivent se démarquer de celles traditionnelles portant sur le contrôle de l’acquisition des connaissances théoriques. A 70

Nicole Roelens, in M F Freynet et ali, Les transactions aux frontières du social, Chroniques sociales, 1998

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vocation de professionnalisation, « elles devraient s’appuyer sur des épreuves valorisant l’expérience professionnelle et mettant en évidence les potentialités des apprenants »71. Dans les communautés traditionnelles d’Afrique noire, l’habilitation était subséquente à une maîtrise attestée d’une pratique spécifique. Et comme toute pratique revenait de droit à une secte, une caste, un clan, toute habilitation était et n’était recevable que dans le cadre de ces groupes de référence. Confinés au niveau d’un cercle d’initiés, les technologies des arts et métiers ainsi que les secrets du Livre Saint étaient transmis sous forme initiatique. Issus du sérail, des prêtres-régulateurs des professions ainsi que des professionnels s’en arrogent l’exclusivité pour fonder des « familles spirituelles » détentrices des secrets présumés. Aujourd’hui, une habilitation professionnelle des praticiens d’administration des services éducatifs n’est pas sans poser quelques problèmes tant au niveau des communautés de référence qu’à celui de l’accréditation des savoirs développés au cours de l’agir. 4.1. L’exigence de communautés de référence L’habilitation professionnelle suppose une double communauté de référence, celle des habilités et celle des habilitateurs. Au nom de quelle communauté de référence seront habilités les personnels administratifs des services éducatifs publics d’autant plus que ces derniers ne constituent pas

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S.Vallermont, Moderniser l’administration – Gestion stratégique et valorisation des ressources humaines, Ed Nathan Entreprises, Malesherbes, 1991, p. 18

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une communauté professionnelle reconnue : ils sont et demeurent des enseignants. Praticiens chevronnés de l’administration scolaire, cette dernière ne reste pas moins une fonction appendiculaire greffée à celle essentielle de l’enseignement. Or, « l’acte d’habilitation n’a de pouvoir instituant que s’il se fait au nom d’une communauté de référence »72. De même, quelle communauté de référence va être habilitée à porter habilitation des praticiens d’administration de l’éducation dans la mesure où ce sont les habilitateurs, porteurs d’un consensus qui « valident inter-subjectivement l’idée contributive des postulants et maintiennent ainsi la cohérence du groupe social à travers l’affirmation des compétences communes ». En Afrique noire les services d’habilitation professionnelle sont l’apanage des institutions de formation. Et dans ces dernières, elle est décernée aux termes d’une acquisition de savoirs réputés être l’usufruit de recherches dont la finalité est de répondre non pas à des problèmes pratiques référant à des agir ciblés, mais à des questions générales dérogeant de l’évolution technique, technologique, dans des environnements économiques et sociaux en développement constant. En perpétuelle construction, ces savoirs s’organisent et s’apprécient en termes de théories, débouchant au meilleur des cas en modèles et/ou perspectives à explorer. De ces savoirs, sont institués des « savoirs de référence » traduits en programmes d’enseignement décontextualisés, réputés universels, mais non moins essentiels dans les évaluations aux fins d’habilitation à des pratiques nécessairement en contexte. Il est estimé qu’une 72

Nicole Roelens, in Les transactions aux frontières du social : formation, travail social, développement local, M F Freynet et ali, Chronique Sociale, 1998, p. 130

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science bien sue reste la garantie d’une mise en œuvre sans faille. Et là justement est la pierre d’achoppement : comment appliquer aux habiletés pratiques les critères de reconnaissance en vigueur dans les institutions de formation ? Sinon comment rendre lisibles les savoirs d’action pour les traduire dans les termes des institutions de formation ? 4.2. La polémique accréditation des savoirs d’action Pour la plupart des institutions académiques, la science ne peut éclore de l’atelier. En cours d’exercice d’un métier, s’acquièrent des habiletés sinon de la dextérité mais non des savoirs scientifiques. Issues des activités des champs professionnels, les habiletés se pensent certainement mais s’énoncent rarement même s’il est reconnu à leurs promoteurs ce pouvoir de créer leur propre jargon et par ce, cette velléité de conceptualisation et de revendication d’une autonomie spécifique souvent taxée d’ésotérisme. La finalité des habiletés développées ne va jamais audelà des recettes pratiques à appliquer à un certain nombre de problèmes et/ou de circonstances. Elles obéissent à une logique de mise en œuvre quasi instantanée, elles sont d’essence et à destination utilitaire, d’où le questionnement sur leur validité, leur scientificité. A davantage pousser les réflexions, ce questionnement découle-t-il d’une obstination des institutions de formation à dénier toute expression de savoir aux œuvres et ouvrages des praticiens ou bien de leur incapacité inavouée à conférer aux savoirs issus des pratiques un statut crédible, objectif, scientifique ? Et pourtant, la professionnalisation des personnels administratifs des services éducatifs publics reste suspensive à une habilitation académique. Et dès lors, comment ré184

concilier les savoirs scientifiques des institutions et ceux générés et acquis dans le vif de l’action ? Pour que les savoirs acquis hors système institutionnel de formation soient scientifiquement reconnus, une légitimation institutionnelle est nécessaire. Cette reconnaissance porterait gage d’une production de savoirs à travers l’activité de travail, attestant du coup que ces savoirs peuvent faire objet de reconnaissance institutionnelle. Mais ce processus reste lui aussi suspensif au développement d’une fonction « validation des acquis expérientiels » au sein de l’institution de formation. C’est à travers une telle expertise que pourrait être envisagée une accréditation des savoirs d’action. Et c’est en ce moment et en ce moment seulement que pourraient être établies les passerelles nécessaires entre les savoirs issus des vécus professionnels et les cursus universitaires de formation et de recherche. Et pour questionner les savoirs professionnels, savoirs pratiqués sans être appris dans une institution formelle, le mémoire professionnel reste sinon un passage obligé, du moins débouche-t-il sur un credo de scientificité. 4.3. Le mémoire professionnel, la transition nécessaire La professionnalisation par l’agir est un processus qui part du vécu pour aboutir à un agir globalisé, transférable à des contextes et situations autres. C’est un processus théorisé. A vouloir professionnaliser des personnels exerçant des activités à travers des fonctions plutôt informelles, le mémoire professionnel est un passage obligé. Jumelant activité de recherche et formation par appropriation des principes sous-jacents à l’agir, il débouche sur une recon185

naissance scientifique en sus de constituer un moyen inégalé dans la recomposition des professionnalités. Au-delà de son utilité immédiate dans la résolution du problème du moment, le vécu professionnel n’a de sens qu’intégré dans un système qui l’explicite et qui rende ses évènements autant que l’avènement de ces derniers non plus aléatoires mais prédictibles, prescriptibles. Une habilitation professionnelle à partir de l’agir commande une évaluation portant institution d’un mémoire professionnel en tant que celui-ci est avant tout un effort de traduction et d’interprétation du vécu, un essorage des agir afin de recueillir les savoirs y exprimés. Il consacre les efforts d’une mise en théorie du vécu dans toute sa complexité. Il « oblige à travailler par l’écriture aux points où se croisent et se mettent en action, les différentes dynamiques de professionnalisation : le sens du terrain, le rapport aux normes et l’investissement théorique »73. Il engage dans des activités de recherche, d’analyse et d’interprétation de résultats, de rédaction et de présentation. En sus d’un perfectionnement professionnel du praticien par le biais de l’écriture, le mémoire professionnel constituerait en Afrique noire, un moyen de promotion de la recherche en matière d’administration, de gestion et de planification de l’éducation. En effet, la recherche en administration de l’éducation a jusqu’ici constitué un apanage d’institutions spécialisées et a été pour l’essentiel commanditée par des organismes internationaux pour des outils de travail bien ciblés. Et en Afrique, beaucoup reste à faire dans le cadre d’une recherche plus pertinente pour le type de problèmes à résoudre, ce qui justifierait amplement la nécessité d’une implication des praticiens. A travers le mémoire profes73

M. Favre et al. Recherche et Formation n° 35, p. 53

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sionnel, se serait progressivement instituée une habitude de la recherche, une aptitude à raisonner, à planifier et surtout à collecter diverses données et à les exploiter. A affirmer avec G. Pelletier qu’un système éducatif ne peut s’engager dans un développement durable si la seule sollicitation de son imaginaire est de copier ce qui existe ailleurs, priorité serait davantage reconnue aux mécanismes internes d’adaptation et de régulation des systèmes éducatifs, à leurs capacités et aptitudes propres à offrir des réponses diversifiées à leurs environnements, tous faits et phénomènes pouvant être dévoilés à travers les mémoires professionnels. Et aujourd’hui en Afrique les défis restent nombreux. Des institutions d’éducation préscolaire se substituent aux familles. Les centres d’éducation s’édifient, âpres au gain, en dehors tout cadre national de régulation pour déterminer les standards en matière de management, d’infrastructures de base et d’apprentissages préscolaire. Des recherches autonomes s’imposent. Partout en Afrique les agents des services éducatifs publics relèvent des statistiques sans trop savoir à quoi elles vont servir. Au niveau des écoles, aucune exploitation de ces statistiques n’est envisagée, faute de compétences à l’analyse des données et à l’exploitation des résultats. Actuellement et partout en Afrique noire, quels critères locaux sont pris en charge dans l’élaboration des budgets de l’éducation ? Dans le management des écoles africaines, l’absence de moyens est portée aux nues. Cependant, plusieurs expériences révèlent qu’il existe des ressources latentes dans les systèmes éducatifs et dans la société. « Il est possible de motiver et d’impliquer les élèves et les parents dans la gestion et les processus éducatifs, de faire appel aux communautés, aux organisations non gouvernementales,

187

au secteur privé, aux confréries religieuses et aux autres acteurs de la société »74. Plus que leur absence, c’est la gestion des ressources qui ferait défaut. Des études dénoncent qu’en Afrique au Sud du Sahara, l’éducation consacre près d’un cinquième des budgets aux abandons et aux redoublements dans les quatre premières années de scolarisation. En Guinée notait l’ADEA, environ un tiers des ressources mobilisées sont utilisées pour des années redoublées lorsqu’elles ne sont pas consacrées à des élèves qui n’atteignent pas la fin du cycle primaire. Au Burkina Faso, « 25% du budget de l’Etat sont dépensés pour scolariser moins de 30% de la population en âge d’aller à l’école »75. Il y a nécessité de s’interroger sur les stratégies d’une gestion scolaire, expression d’une transformation efficace des moyens en résultats. Conduites dans le cadre de mémoires professionnels par les praticiens en quête de solutions urgentes, ces réflexions peuvent augurer de perspectives inédites. Alors que l’on insiste sur la créativité africaine, émanation de sa diversité culturelle, qu’on exalte son potentiel de savoirs endogènes disséminés au sein des communautés, combien de recherches interrogent les relations de l’enseignement avec les préoccupations quotidiennes des populations ? Comme préconisé par l’Agence intergouvernementale de la francophonie, il est essentiel de conduire une réflexion générale sur les relations entre sciences, technologie et société, sur les rapports entre savoirs scientifiques et possibilités technologiques, afin de promouvoir 74

Mamadou Ndoye, Lettre d’Information de l’ADEA, n° 14, 2002, op cit. 75 Amadé Badini, in Etudes sur les Ecoles Communautaires de Base, op. cit. p. 9

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la science et la technologie au service d’un développement endogène. Autant de préoccupations qui instituent la nécessité de recherches mieux ciblées pouvant conforter le concept d’éducation pour le développement. Dans son projet de protocole sur l’éducation et la formation, le Nepad encourage la coopération et l’assistance mutuelle dans la gestion scolaire, l’harmonisation des systèmes nationaux d’organisation des examens et des accréditations pour orienter les systèmes éducatifs vers l’homologation et/ou l’uniformisation des diplômes76. Autant de dispositions qui restent encore des vœux pieux, faute de recherche sur les conditions de mise en application au niveau des systèmes et structures scolaires d’Afrique. Bref, si le management de l’éducation s’est partout avéré une exigence de la pratique, en Afrique noire, il s’est développé et se développe encore dans un contexte spécifique avec des personnels non moins spécifiques dont le trait déterminant reste l’ancienneté. En Guinée et en 2012, seuls 8% du collectif des personnels administratifs de l’éducation publique accusaient un âge compris entre 35 et 40 ans. 42% étaient âgés de 45 à 50 ans et 33% se prévalaient de 50 à plus de 60 ans (cf. intra, tableau n°4). Anciens par leur âge, ils le sont aussi par le temps de service effectif dans les administrations de l’éducation publique. 66% jouissent de deux décades de service et 12% affichent plus de 30 ans de « bons et loyaux services », pour reprendre leurs termes favoris. Beaucoup d’entre eux ont été les témoins oculaires de toutes les réformes du système éducatif : de la révolution culturelle socialiste des années 1960 à nos jours, en pas76

CEDEAO, Projet de Protocole sur l’Education et la Formation, Art 5, Coopération dans l’Education de Base : Niveaux primaire et secondaire, p. 7

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sant par les « réformes libérales » du Redressement national des années 90. De ce fait, ils ont accumulé une expérience largement inconnue, voire méconnue, laquelle définit et structure leurs compétences pour instituer leur savoir collectif à défaut d’une identité professionnelle. Ces créativités, fruits des errements des pratiques, sont enfouies dans des mémoires individuelles, oublieuses. Comme dirait G. Pineau, il y a nécessité d’encourager ces acteurs de terrain à expliciter leurs pratiques de sage afin de les rendre pratiques d’usage. Et c’est bien là le terrain d’élection du mémoire professionnel dans sa vocation à exhumer et à capitaliser les acquisitions issues de l’agir, à amener à débattre de la dimension cognitive de la qualification sur le tas. Explicitant les savoirs inhérents à un agir spécifique, le mémoire professionnel répond aux exigences de transparence et de vulgarisation des habiletés et des savoirs individuels autant que de la qualification du patrimoine scientifique des institutions de formation à travers l’éclosion d’une littérature de terroir. Et aujourd’hui, il y a urgence car malgré cette séniorité accusée, les praticiens des services administratifs ont eu peu sinon pas d’occasion de débattre des problèmes d’administration, les états généraux de l’éducation se constituant plus en une plaidoirie sur les fonctionnements du système. Un mémoire professionnel offrirait cette occasion rêvée de dévoiler les réflexions sur le système qu’ils ont servi et qu’ils connaissent si peu. Pénétrant au cœur du savoir qui s’acquiert à travers la résolution des problèmes, il constituerait le gage d’une contribution personnelle à l’œuvre collective de recomposition des professionnalités, consacrant l’administratif de l’éducation dans sa vocation de chercheur à partir d’une préoccupation liée à l’action. 190

En effet, « à observer les services administratifs opérationnels, ceux qui sont en contact avec les réalités quotidiennes, on ne peut manquer de découvrir cette capacité d’innovation pour s’adapter aux exigences de l’environnement et mieux répondre aux attentes des situations. Que d’innovations souvent dissimulées dans les profondeurs des services de proximité au contact des usagers au profit desquels ces initiatives originales ont été envisagées, développées ! »77. Faute d’être connu des autres, ce jaillissement spontané de créativité reste cet événement d’un moment, avec la même facticité. Si savoir il y eut, il fut vite évanescent, faute de réflexion sur le processus l’ayant engendré. A travers le mémoire professionnel, les personnels administratifs des services éducatifs, personnels chargés de l’ultime mise en œuvre dans les services éducatifs publics, se seraient enfin affirmés les véritables législateurs des normes et des procédures de la vie scolaire. Et mieux que les services centraux, ils pourraient plus avantageusement envisager les voies et moyens d’une optimisation des résultats, et autant que nécessaire, aiguillonner vers une gestion locale en lieu et place de la séculaire planification centrale.

77

S. Vallermont, 1991, op. cit. p. 18

191

CONCLUSION

Cadre de l’agir, le terrain forme en informant sur ses propres réalités. Il accule à l’adaptation et c’est en son sein que s’apprécie la conformité des normes et des procédures. Il fonde la pertinence en imposant ses critères de faisabilité. Il confère l’expérience. La formation par l’agir portant « exigence de confrontation permanente entre les acquis de l’expérience et les savoirs constitués »78 repose la question fondamentale du passage du savoir-pour-agir normé au savoir-agir autonome, le plus souvent implicite et fécond, le savoir professionnel. Comprise comme une institutionnalisation du développement professionnel à travers un processus endogène adossé à la situation de travail, la professionnalisation par l’agir passe par une conceptualisation des compétences développées par la communauté de cet agir. Et ainsi seraient dévoilés les savoirs collectifs advenus au sein des acteurs sans que ces derniers en aient pu prendre pleinement conscience, savoirs en définitive porteurs d’une identité collective même tacite. Ces savoirs constituent le socle, les fondements nécessaires à toute professionnalisation. C’est d’eux que seront 78

La Formation professionnelle – Diagnostics, Défis et Enjeux – Contribution du Secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes et à la Formation Professionnelle – Mars 1999, p. 24.

hissées les dynamiques des nouveaux savoirs, les savoirs experts. Le savoir-agir des personnels administratifs des services éducatifs d’Afrique noire a reposé sur une prescience, une expression de leur intime conviction. Au fil d’activités ponctuelles et singulières, les personnels ont développé un ensemble de théories implicites érigées en références. De ce code interprétatif, ont été érigées des stratégies et des règles d’action à la dimension de l’être singulier et de ses cogitations. Les personnels administratifs des services éducatifs font montre d’âpres réflexions sur leurs agir. Le fondement de cette réflexion est avant tout le challenge personnel, le défi à relever dans l’acte à assumer. “Vous savez moi, confesse une directrice préfectorale de l’éducation, si vous me donnez quelque chose à faire, je tiens tellement à la réussite ! Alors, je m’assois et je me dis tiens, si je fais ça […]. Je parle avec moi-même”. C’est l’intrigue de la situation, du fait ou du phénomène en cours qui accule à une problématisation pour aboutir à une sorte de mode intuitif d’approche sous les éclairages des cas déjà rencontrés. A travers ce processus continu de perspicace délibération interne s’édifie un savoir pour un agir toujours plus efficace, un savoir dans l’action, un savoir pour l’action, un savoir d’action issu des impératifs des mises en œuvre. Car ce sont bien les injonctions de la mise en œuvre autant que les contextes d’application qui déclenchent des processus mentaux de mises en relation au cours desquelles chaque fait ou phénomène se trouve mis en rapport de similitude ou de contraste avec d’autres faits ou phénomènes antérieurs. La régularité des causalités, la constance dans les occurrences vont aboutir à une systématisation des références et à leur conceptualisation. L’action développée fait objet de réinterprétation, articulée 194

à ce qui est perçu comme essentiel quand bien même cette représentation serait fort éloignée des caractéristiques intrinsèques du fait ou phénomène sous observation. Seule compte la perception du moment et celle-ci est à l’échelle de l’individu. « Viser un cahier de textes, c’est voir si le programme est respecté » énonce un directeur des études. Développés par essai et erreur les modes individuels d’approche vont s’accumuler et constituer l’expérience de chacun érigée en modèle d’action par chacun. Et les régularités factuelles acquièrent droit de cité pour se constituer en normes à l’instar des us et des coutumes. A scruter l’expérience développée en administration de l’éducation, on ne peut s’empêcher d’énoncer qu’elle émerge d’un système de co-éco-formation où interagissent les contraintes de mise en œuvre des normes et des commandements administratifs, les échanges avec les pairs, la mise à contribution des situations vécues par l’ego au fil de la mobilité. Tous ces facteurs impriment un système de savoir assorti de son code interprétatif singulier. Ces expériences individuelles se sont parfois révélées très riches. Mais le plus souvent elles se sont avérées sclérosantes, de nombreux praticiens considérant que ce qu’ils font relève du génie et ne nécessite aucune sorte d’amélioration. Enlisés dans les mises en œuvre réussies, ils cultivent leurs répétitions et se ferment désormais à toute alternative autre. Ils entretiennent des dogmes et scellent la porte à toute évolution. Pour les amener aux nécessaires amendements, point n’est besoin de les soumettre à de nouveaux dogmes à travers des formations sur les prétendues bonnes méthodes de gouvernance scolaire. Pour les professionnaliser faudrait-il et davantage les impliquer dans une activité réflexive de leur agir. Car l’expérience concède que le changement de soi résulte moins d’un exercice intensif que d’un retour réflexif

195

sur les façons de faire avec la ferme volonté de les comprendre pour mieux les infléchir. En Afrique si la professionnalisation est placée au cœur du processus du développement des ressources humaines, les procédés mis en œuvre par les expertises des institutions de formation ont davantage consisté en des séances de perfusion de recettes érigées en compétences censées répondre aux impératifs de perfectionnement des administrations. Dans cette œuvre de qualification, l’institution de formation s’est illustrée par la négation obstinée de tout savoir acquis sur le tas, la finalité de l’agir étant la production et non la formation. A l’évidence la situation de travail est formatrice : stages, immersion et autres procédés de qualification l’attestent à suffisance. Mais elle le serait encore davantage si elle constituait un objet de réflexion de la part de ceux qui l’assument, moins en tant qu’acteurs rivés à leur poste respectif qu’en tant que collectif ouvert aux défis d’un agir solidaire et désireux de les relever. Une gageure car autant le savoir-agir s’éprouve sur le lieu de travail, autant en Afrique noire, il ne saurait être objet de théorisation qu’en institution de formation. C’est là que se dépasse le cadre utilitaire pour que puissent être envisagées les conceptualisations d’un agir spécifique. Et si l’institution de formation ne saurait assurer la professionnalisation d’un agir quelconque, elle en affecterait le processus : elle en serait le levain ou le frein. C’est adossée à une institution de formation que l’expertise issue du terrain pourrait se développer à travers une acquisition de savoirs non plus réflexes mais réfléchis s’inscrivant dans un processus de construction de professionnalités identitaires. L’analyse de la mobilité des personnels administratifs de l’éducation de Guinée a débouché sur une appréhension de la sphère occulte du processus promotionnel aux fonc196

tions d’administration. Les identités promotionnelles déclinées ont inspiré des filières professionnelles et de formation. Le hasard des nominations peut-il justifier un schéma de carrière ? Un tel schéma peut-il se prêter à une élaboration de référents professionnels et de formation ? La régularité des occurrences des migrations fonctionnelles a eu pour conséquence première la marginalisation de l’effet du hasard. Aux différents niveaux de la hiérarchie administrative, les personnels administratifs des services éducatifs ont observé des parcours plutôt identiques. Leur cheminement, même non prescrit, s’est avéré incontournable, d’une étonnante régularité. C’est comme si les antécédents aux différentes fonctions s’étaient institutionnalisés pour systématiser les différentes progressions le long de la chaîne administrative. Et les similitudes observées dans les parcours des personnels ont permis une classification des fonctions d’administration de l’éducation en groupes plus ou moins appariés. Ils seront à la base de l’identification des filières professionnelles et de formation. Outre que l’exploitation des trajets professionnels aux fins de formation assurerait une meilleure adéquation entre les besoins en compétences et l’offre de formation, c’est le moyen le plus efficace aussi bien de rentabiliser les formations que de professionnaliser les praticiens. Et c’est sans compter qu’avec une explicitation des plans de carrière, les personnels sont désormais plus à même de désirer la formation par rapport à des projets personnels et professionnels plus transparents. Professionnaliser par l’agir accule au développement d’un processus pédagogique viable, d’impliquer les praticiens dans l’élaboration et la mise en œuvre d’activités 197

génératrices de savoirs collectifs, de fédérer la collectivité de praticiens afin de les engager dans un apprentissage coopératif, de promouvoir une évaluation conférant habilitation et identité professionnelles, toutes exigences pour lesquelles l’institution de formation reste éminemment compétente. Prenant appui sur le vécu des personnels, l’institution de formation doit cependant dépasser ce dernier pour envisager un développement professionnel à travers une constante adaptation à la dynamique des pratiques et des environnements. Veillant à la structuration des apprentissages issus de l’action, elle jouera un rôle essentiel tant dans la gestion du processus cognitif que dans un accompagnement des praticiens étranger aux subordinations de la division du travail.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ..............................................................................9 CHAPITRE 1 Savoirs professionnels et services d’éducation en Afrique noire francophone .........................................................15 1. Les prestataires de service communautaire d’éducation .............17 1.1. Les artisans-professionnels des corporations .......................18 1.2. Les recteurs des foyers coraniques ......................................19 2. Attributs et apanage du service communautaire d’éducation .....23 2.1. Une initiative individuelle, un service d’utilité publique .....23 2.2. Une sanctuarisation de savoirs séculaires ............................25 2.3. Une vocation du Doyen .......................................................29 3. Écoles africaines d’expression française : les représentations indigènes ..........................................................31 3.1. L’Ecole-Evangélisation .......................................................32 3.2. L’école laïque – d’ascension sociale ...................................33 CHAPITRE 2 L’agir administratif de l’éducation publique .................................39 1. Structures opérationnelles de l’agir administratif .......................41 1.1. Structuration des fonctions d’administration de l’éducation publique ..............................................................47 1.2. Au crible de l’agir : les paliers de l’administration de l’éducation publique ..............................................................52

2. Pesanteurs et dérives de l’agir administratif de l’éducation publique ..................................................................55 2.1. La camisole de force de la fonction publique ......................55 2.2. Le handicap du plan de carrière ...........................................62 2.3. La quête de compétences : un acte gratuit ...........................64 2.4. Un agir travesti ....................................................................69 2.5. La catastrophe programmée .................................................73 3. Soif de participation ...................................................................75 3.1. Les actifs de la participation communautaire ......................77 3.2. Réclame des communautés et clameurs des autorités ..........84 CHAPITRE 3 Les méandres du développement professionnel du praticien .......89 1. Formation formelle et savoirs professionnels .............................91 2. Immersion et développement de professionnalités .....................96 2.1. Instructions administratives et apprentissages implicites ....98 2.2. Collectif de travail et partage de savoirs ............................100 2.3. Fonctions informelles et qualifications à l’emploi.............103 3. Parcours professionnel et émergence de professionnalités .......107 3.1. Constance dans l’agir et renforcement des acquis .............109 3.1.1. Les instituteurs africains et l’administration des écoles ..............................................................................110 3.1.2. Les premières de l’administration de l’éducation publique de Guinée ...............................................................115 3.1.3. Le temps moyen de sédentarisation (TMS), expression de patrimoine commun de savoir ........................118 3.1.4. Séniorité, savoirs et ascension hiérarchique ...............121 3.2. Migrations fonctionnelles et savoirs professionnels ..........127 3.2.1. Rotations fonctionnelles et hiérarchies professionnelles ....................................................................129 3.2.2. Indice de mobilité interne et envergure des qualifications ..................................................................132 CHAPITRE 4 Du praticien au professionnel : la médiation de l’agir réflexif ...139 1. Dire l’agir .................................................................................141 1.1. Libérer les expressions ......................................................142

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1.2. Théoriser les pratiques : mutualisation et globalisation de savoirs ..................................................................................149 1.3. Théoriser les pratiques : l’appui institutionnel...................152 2. Recomposer les profils professionnels et de formation ............157 2.1. Des promotions avérées aux schémas de carrière ..............157 2.2. Des schémas de carrière aux profils professionnels et de formation ..........................................................................167 3. Entretenir une maïeutique d’apprentissages coopératifs...........173 3.1. Une élaboration participative des référents de professionnalisation .............................................................174 3.2. Une pédagogie d’alternances utiles ...................................178 4. Couronner le praticien ..............................................................181 4.1. L’exigence de communautés de référence .........................182 4.2. La polémique accréditation des savoirs d’action ...............184 4.3. Le mémoire professionnel, la transition nécessaire ...........185 CONCLUSION ...............................................................................193

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éducation et Formation aux éditions L’Harmattan

Dernières parutions

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Ce livre a pour objectif de diffuser les usages diversifiés de la psychophénoménologie et de la méthode d’entretien d’explication, dans les recherches et les formations qui s’intéressent à l’expérience subjective. C’est l’occasion de répondre à des interrogations de nature scientifique à propos de la dimension implicite, sensible, intuitive, de l’expérience vécue en situation. (Coll. Action et savoir, 34.00 euros, 302 p.) ISBN : 978-2-343-03993-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-36299-1 échec (L’) scolaire des enfants de migrants Pour une éducation interculturelle

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La société actuelle interroge de manière vive les qualités économiques et professionnelles de l’ensemble des diplômes accordés par l’Université. Dans cette perspective, cet ouvrage questionne les forces et les faiblesses du doctorat en sciences sociales et humaines face au monde économique, à travers une triple orientation : historique, de comparaison internationale avec des pays comme la Finlande ou le Canada et épistémologique. (Coll. Action et savoir, série Rencontres, 15.50 euros, 156 p.) ISBN : 978-2-343-03997-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-35974-8

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L’HARMATTAN CAMEROUN BP 11486 Face à la SNI, immeuble Don Bosco Yaoundé (00237) 99 76 61 66 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 [email protected] L’HARMATTAN BURKINA Penou Achille Some Ouagadougou (+226) 70 26 88 27

L’HARMATTAN ARMATTAN SÉNÉGAL SÉNÉGAL L’H 10 VDN en face Mermoz, après le pont de Fann « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar Fann 45034 33BP825 98 58Dakar / 33 FANN 860 9858 (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected] / [email protected] www.harmattansenegal.com L’HARMATTAN BÉNIN ISOR-BENIN 01 BP 359 COTONOU-RP Quartier Gbèdjromèdé, Rue Agbélenco, Lot 1247 I Tél : 00 229 21 32 53 79 [email protected]

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Professionnaliser les praticiens d’administration de l’éducation en Afrique

Cumulant tares et dysfonctionnements, en confrontation avec les initiatives locales, l’école africaine formelle est condamnée à opérer sa mue. Impliqués dans une administration de services éducatifs sans préparation préalable, des enseignants y ont développé des pratiques singulières avec des résultats allant du meilleur au pire. Cette évolution, qui confère à l’administration de l’éducation un statut appendiculaire de la profession enseignante, interroge les supports des pratiques administratives autant que les savoirs à la base du développement professionnel des personnels. En l’absence d’un schéma explicite de carrière, comment, à partir des promotions avérées, inférer des filières professionnelles et de formation ? Et au sein de ces dernières, comment ranimer les flammes du savoir des praticiens afin qu’il serve de promontoire à leur professionnalisation ? Comment rendre leurs pratiques de sages des pratiques d’usage ?

Moustapha Diallo est né en 1949 à Porédaka, Mamou, en République de Guinée. Après des études à l’université de Conakry, au West Sussex Institute of Higher Education – Bognor Regis College (post-graduate Diploma in Teaching Studies, 1988), à l’université de Rennes-2 (DESS Stratégie et ingénierie de formation d’adultes et de ressources humaines, 1998) et un doctorat en sciences de l’éducation de l’université de Tours (2002), il a travaillé comme enseignantchercheur à l’Institut supérieur des sciences de l’éducation de Guinée (ISSEG) et comme consultant.

Photographie de couverture de nforngwa (CC), en référence aux écoles « apatam » au Togo et « tyali » en Guinée.

ISBN : 978-2-343-00595-9 21,50 €