Le cinéma de Sokourov: Figures d'enfermement 274759484X, 9782747594844

Alexandre Sokourov, dont les films nous sont enfin parvenus à la faveur de la perestroïka après dix ans de censure, n�

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French Pages 200 [196] Year 2005

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Le cinéma de Sokourov: Figures d'enfermement
 274759484X, 9782747594844

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Le cinéma de Sokourov Figures d'enfermement

Esthétiques Collection dirigée par Jean-Louis

Déotte

Comité de lecture: Pierre Durieu, Véronique Fabbri, Pierre-Damien H'!Jghe, Jean Lauxerois, Daniel Pqyot, André Rouillé, Peter Szen ,Martine Déotte-Lefeuvre, Jean-Louis Flecniakoska, Carsten Juhl, Germain Roesz; Georges Tryssot, Michel Porchet, Jacques Boulet, Sylvie Rollet

L'ambition de la collection Esthétiques est d'abord de prendre part aux initiatives qui aujourd'hui tendent à redonner vie et sens aussi bien aux pratiques qu'aux débats artistiques. Dans cette collection consacrée indifféremment à l'esthétique, à l'histoire de l'art et à la théorie de la culture, loin des querelles faussement disciplinaires destinées à cacher les vrais conflits idéologiques, l'idée est de présenter un ensemble de textes (documents, essais, études, français ou étrangers, actuels ou historiques) qui soient aussi bien un ensemble de prises de position susceptibles d'éclairer quant aux enjeux réels critiques et politiques de toute réflexion sur la culture.

Déjà parus Jean-Hugues BARTHÉLÉNrY, Penser la connaissanceet la technique après Simondon, 2005. Philip SEGURA, La marionnette-matériau,2005. Jean-Hugues BARTHÉLÉNrY, Penserl'individuation,2005. Joselita CIARAVINO, Un artparadoxal, 2004. Ivanka STOIANOV A, Entre déterminationet aventure,2004. Roger SO 11É, Le muséeà l'èrede la mondialisation,2004. Marie-Pascale HUGLO, Sarah ROCHEVILLE, Raconter? Les e,!jeux de la voix narrativedans le récitcontemporain,2004. Claude AMEY, Mémoire archaïque de l'Art contemporain: Littéralité et rituel, 2003 Sandrine MORSILLO, Habiter la peinture. Expositions, fiction avecJean Le Gac,2003. J.-F. ROBIC, G. ROEZ, D. PAYOT, DEMANGE, Sculptures trouvées, 2003. Robert HARVEY, Témoins d'artifice,2003. Jacques BOULET, Le cultemodernedesmonuments,2003. Paola BERENSTEIN JACQUES, Esthétique desfavelas, 2003.

Diane

ARNAUD

Le cinéma de Sokourov Figures d'enfermement

L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; France L'Hanl1attan Hongrie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest

Espace L'Hamlattan Kinshasa Fac..des Sc. Sociales, Pol. et Adm. ; BP243, KIN XI Université de Kinshasa - RDC

75005 Paris

L'Hanl1attan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino

L'Harmattan Burkina Faso 1200 logements villa 96 12B2260

ITALIE

Ouagadougou 12

REMERCIEMENTS A toutes les personnes qui ont facilité l'accès à l'œuvre bien cachée d'Alexandre Sokourov, tout particulièrement PierreOlivier Bardet (Idéale Audience), Martine Godet (EHESS), Alexei Jankowski, Vincent Ostria, Georges Nivat et Maurice Tinchant (pierre Grise). A ma directrice de thèse, Murielle Gagnebin, ainsi qu'aux professeurs de mon jury, Guy Chapouillé, Jean-Louis Déotte et J ean- Louis Leutrat, pour leurs remarques et leurs conseils. A Guy Astic et Michel Estève, pour leur collaboration. Ce livre intègre certains passages remaniés des articles publiés dans les revues Simulacres, Etudes cinématographiqueset dans les ouvrages collectifs Le cinémaà l'essaiet L'ombre de l'image(Champ Vallon, 2002 et 2004).

A Doan-Thuy Bui, Jérôme van Wijland et Carole Wrona, pour leur lecture attentive et amicale. A Pierre, Eric et Fabien, pour leur aide logicielle et visionnaire. A Sylvie Rollet et Jean-Louis Déotte, un merci définitif, pour leur confiance, leur encouragement et leur exigence.

www.librairieharmattan.com harmattan [email protected] diffusion. harma ttan@wanadoo. fr (Ç)L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-9484-X EAN : 9782747594844

A mes parents, présents de tout temps

INTRODUCTION La création en chaîne Depuis les premiers f11ms de Sokourov découverts dans des salles obscures et souterraines, il y a maintenant dix ans, ce cinéma m'a bel et bien enchaînée. Un tel intérêt, vif et lancinant, est lié à l'intimité que ces œuvres tissent avec une sensation vague, frémissante et changeante d'enfermement. Mais l'enfermement, qui s'est ainsi rendu figurable, ne saurait être assimilé à une ambiance ftlmique oppressante ni à un prolongement du dispositif cinématographique. C'est avant tout une histoire de passages inédits et d'emplacements variables au sein des limites de l'œuvre: « On reconnaîtqu'une œuvre a du sryle à ceciprès qu'elle donne lieu à la sensation du fermé,. on reconnaît qu'elle est située au petit chocqu'on reçoit ou

encoreà la margequi l'entoure1.» L' enfermemen t, loin d'être une idée fixe ou un critère thématique, ne peut être compris que dans un mouvement, une tension, quitte à tomber dans l'ouvert au passage. Une figure d'enfermement désignerait la place du spectateur construite par les choix poïétiques de représentation et d' enchaînemen t. A partir de cette étreinte étouffée, de cet étau resserré entre le f11met son destinataire, nous allons poursuivre les mystères du cinéma de Sokourov en les précisant et en les situant dans la pensée contemporaine des « appareillages» de l'esthétique. Faisons plus ample connaissance avant d'indiquer les points de méthode et les chemins de traverse.

L'ATTENTION

AUX ŒUVRES

Le cinéas te russe, né en 1951, dans un petit village de Sibérie aujourd'hui recouvert par les eaux d'un barrage, a enchaîné f11m sur f11m depuis plus de vingt-cinq ans2. Censuré dès 1978, 1 Max Jacob, préface au Cornet à dé (1916). 2 Voir la « FILMOGRAPHIE» du cinéaste, p. 199.

Alexandre Sokourov a réalisé ses films dans «l'ombre» pendant dix ans. Le cinéaste n'a cessé de tourner, selon la légende, sur des fins de bobines récupérées dans des laboratoires, pendant ces années de purgatoire, sachant que ses œuvres ne pourraient être vues. Il explique dans son interview à Paul Schrader que c'est le caractère a-narratif de sa création, son ambition esthétique et artistique, qui a provoqué la méfiance des censeurs3. Mais laissons les convictions de l'homme à leur place pour privilégier la visibilité de sa création. Ce n'est qu'à partir de 1987 à la faveur de la perestroïka, que la plupart de ses films sortent de l'ombre, projetés au compte goutte à. l'occasion des festivals de Locarno, La Rochelle, Berlin, Venise, Cannes, et par vagues lors des rétrospectives (Festival d'Automne, Jeu de Paume, etc). A ce jour, sa filmographie comporte une quinzaine de longs-métrages: adaptations d'un genre étrange d'œuvres littéraires (platonov, Shaw, Flaubert, Dostoïevski, Strougatski); fictions intimistes sur les rapports familiaux entre père, mère et flis; trilogie historique sur les tyrans politiques du XXe siècle (Hitler, Lénine, Hirohito). Parallèlement cet admirateur d'Eisenstein et de Flaherty a signé une trentaine de courtsmétrages: documentaires sur des parcours célèbres (Hubert Robert, Soljenitsyne, Eltsine) ou anonymes (matelots, soldats, vieilles japonaises) et rycledes élégiessur la disparition des artistes (Chaliapine, Chostakovitch, Tarkovski), sur l'essoufflement des régimes politiques de la Russie de tous les temps et sur l'éclipse d'un rêve aux abords de la réalité, entre l'Europe et le Japon.

3 Interview

d'Alexandre Sokourov avec Paul Schrader, « The history of an artist's soul que is a very sad story», Film Comment, n06, Nov/Dec 1997, p, 21: «Lesproblèmes rencontraient les autorités de censure cinématographique avec mes films n'étaient pas d'ordre politique. Parce que je ne remettais pas en question le régime soviétique, Je n'avais à vrai dire peu ou pas d'intérêt à ce s'!}'et. C'est pourquoije ne prenais pas la peine de le critiquer. Ma création a to'!}ours été motivée par des recherches d'esthétique visuelle en étroite relation avec l'élévation spirituelle et morale de l'homme. Mon implication exclusive dans l'aspect visuel de l'art a rendu le gouvernement suspicieux. [...] Bien sûr, cela m'a rendu les chosesplus pénibles, mais aussi plus faciles. Avec le recul, je me rends compte du paradoxe de la situation. D'un côté, mes films étaient interdits au public,. de l'autre côté, mes idées nouvelles étaient entendues. Pour moi, c'est tout le paradoxe du totalitarisme. Parce que les régimes totalitaires sont intéressés par le processus créatif. » C'est nous qui traduisons du texte anglais,

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Le difficile accès à sa création, au-delà des considérations contextuelles, provient également des contradictions apparentes de son œuvre monumentale et protéiforme: fiction / documen taire, parcours individuel/propos collectif, idéologie conservatrice de l'auteur / inspiration humaniste et recherches avant-gardistes de la forme ftlmique. Cependant, la création de Sokourov échappe à l'arbitraire de telles lignes de séparation. Il nous importe justement de relever l'unité qui traverse sa filmographie. Ses œuvres du temps qui passe, entre le voyage et le retour, ne cessent de brouiller les frontières entre la fiction et le documentaire, avec toujours en toile de fond les souffrances du peuple russe. Dire que son cinéma travaille sur la durée coule de source, mais les blocsde durée-mouvementsqu'il agence dans une construction constamment renouvelée deviennent des pages cachées surimpressionnées dans la brume et l'obscurité du champ, des documents d'archives ralentis et écrasés par le format-vitesse du cinémascope, des photographies historiques destinées à durer dans le devenir de la ruine... A travers ses différentes « captures d'images» et épreuves du temps qui exaltent et liquéfient les données visuelles, ce cinéma maîtrise la représentation des lieux pour l'étirer vers le temps de la ruine, ce champ immense du disparaître.

LES MODES D'ENCHAINEMENT Notre premier souci a donc été de passer du temps à analyser les passages ftlmiques qui ont retenu notre attention pour percer les mystères de l'enchaînement. La méthode suivie consiste à décrire les chosesvues et entenduesà l'écran, captées dans les marges du déf.tlement, nichées dans les écarts du cadrage et du montage. Nous ne considérons pas la description comme la première étape d'un système d'interprétation et de déduction iconologique. Cette écriture du regard, qui a d'ailleurs provoqué de nombreux coups de foudre pour la représentation picturale4, est notre seul mode 4 Louis

Marin,

«Mimesis

Le Seuil, coll. « Hautes

et description Etudes

», in De la représentation, Paris,

», 1994.

9

Gallimard,

d'accès à l'œuvre. Elle revêt une dimension supplémentaire liée à la mobilité insaisissable de l'enchaînement cinématographique en images-sons. La description d'un film est amenée à être « cassée », scandée, motivée par les irruptions, arrêts; reprises qui peuvent à tout moment agiter le défilement. La poursuite infinie, irréaliste, irréalisable du discours descriptif est orientée et limitée par un sens de développement à même de différencier les procédés en jeu et d'indiquer les voies d'approfondissement. Il s'agit ainsi de caractériser le systèmeformels tout en s'attachant à la saisie de détails et de figures 6 qui s'arracheraient aux différents mouvements du film pour mieux les accuser. Les propositions théoriques de Jean-Louis Déotte, à la suite du Différend de Lyotard, sur l'enchaînementdes phrases-images permettent d'envisager conjointement les deux approches: d'étudier à la fois « le cours(de laforme)filmique» et le surgissement d'événements improbables, d'éclairer rétroactivement le jeu de cache-cache entre le visible et l'invisible au sein du montage, de saisir les marques de continuité et de discontinuité, de préciser les coordonnées spatio-temporelles de l'esthétique ftlmique tout au long de l'œuvre. Le terme de phrase-image, qui se réfère à la proposition de Jacques Rancière, pose néanmoins problème? Le Voir les recherches anglo-saxonnes sur le néo- formalisme de David Bordwell qui tisse des liens entre les éléments stylistiques remarquables et la conduite narrative. Les systèmes de représentation proposés, en référence à la norme du classicisme hollywoodien, caractérisent des modes d'enchaînement prévisibles. 6 Nous nous référons ici aux analyses de Jean-Louis Leutrat sur le fantastique du cinéma et aux développements de Nicole Brenez sur la figuration. Ces deux types d'analyse relèvent les écarts du cinéma «à sa limite », que le cinéma déjoue la prévisibilité du montage ou qu'il propose des équivalences figurales à l'enchaînement des plans. Voir « BIBLIOGRAPHIE», p. 196. 7 Jacques Rancière, Le destin des images, Paris, La Fabrique, 2003, pp. 54-61. La syntaxe de la phrase-image, commune mesure au régimeesthétiquedes arts, comprend une puissance de montage, au sens large, disciplinant le chaos, organisant sans la hiérarchiser la «grande parataxe ». Elle correspond ainsi à l'échelle de l' œuvre artistique à un double fonctionnement, entre rupture (jonctionimage) et continuité de l'enchaînement (jonctionphrase). L'extension variable de la phrase-image dans les exemples convoqués par Rancière (d'une part, le jeu de mots à l'image du dérèglement burlesque dans Une nuit à Casablanca et, d'autre part, le rapport de glissement intertextuel propre à l'essai fùmique godardien Histoire(s) du cinéma) laisse libre cours, au-delà de la puissance de la notion, à un arbitraire analytique laissant de côté les caractéristiques cinématographiques. 5

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discours de l'analyse, en partant d'un modèle littéraire, est bien obligé de prélever ce qui relève les signes de contrariété pour la fable cinématographique. La phrase-imageconçue par Déotte dans « La temporalité du f11m» implique en revanche une limite intrinsèque à l'organisation de l'œuvre. Certes la limite n'est pas imposée par la logique d'improbabilité de l'enchaînement mais elle est imposable par la dimension nécessaire d'un flux ftlmique: « C'est parce que la phrase-image of?jet tout délimité qu'il faut

tombe comme une question et non comme un

nécessairement

enchaîner sur elle selon l'une ou

plusieurs de ses différences8.» Les exemples ftlmiques signalent objectivement l'enchaînement en tant que montage de plans. Cependant, selon les critères du philosophe, il est clair que tout plan, dans sa coupe et sa durée, n'établit pas forcément l'univers d'une phrase-image qui comprend la part d'incomplétude, le travail de la différence, la césure latente à l'intérieur du plan précédent. Notre essai, qui prend source dans cette pensée de l'enchaînement, précisera en chemin certains suivis possibles. L'analyse d'extraits reposera en premier lieu sur le passage d'un plan à un autre car les f11ms de Sokourov jouent ainsi de la prévisibilité et de l'imprévisibilité du montage en utilisant à la fois des plans-séquences interminables et des faux-raccords surprenants. Il n'y a qu'à voir le premier épisode de son épopée du visible, Voix spirituelles(1995), qui avec Confession(1998), également en cinq chapitres, a réveillé les espoirs d'un cinéma contemporain hypnotique. Le premier épisode (40 mn) commence et se termine par le cadrage fixe sur un paysage de forêt enneigé. L'attention à la durée du plan n'est pas sans rapport avec les variations plastiques de «l'image », l'animation sonore et la survenue de coupes inopinées - des inserts sur le gros plan d'un soldat qui rêve. Ce cinéma privilégie à première vue l'improbabilité de l'enchaînement par des préférences stylistiques: longueur intermin"able et apparente autonomie des plans, feu-follet du lien causal entre les événements, faux-raccords selon des attentes formelles préétablies, pauses et respirations de coupes noires 8 Jean-Louis p.313.

Déotte,

L'époque des appareils, Paris, Lignes et Manifestes,

11

2004,

récurrentes,

effets de glissement, grisaille et colorisation, etc. Le passage f1lmique,qui multiplie les critères d'enchaînement - d'une image à une autre, d'un lieu à un autre -, suscite parfois un fantasme de dématérialisation du visible et de perte de vue du récit, menace des premiers temps qui se dissipe peu à peu. De fait, l'analyse de ces œuvres sera amenée à repérer des modes d'engendrement qui réduisent le caractère aléatoire et précaire du défllement sans pour autant pré-programmer la fID. Les caractéristiques de l'enchaînement ne correspondent ni à la prévisibilité pleine des «mauvais films» ni à la fatalité toute moderne d'une suspension dans le vide ou d'une disjonction à vie. Les figures d'enchaînement se distinguent donc des genres d'enchaînementqui sont déterminés par une logique d'immanence d'un appareil ou par une convention stylistique d'ordre historique. Ces figures réduisent l'indétermination de l'univers des phrases-images sans pour autant l'éclipser. Nous allons donc déterminer les traits de ces figures, entre-deux entre l'improbabilité infinie et la probabilité appareillée. Selon Jean-Louis Déotte, le cinéma de Sokourov est celui de la contrariétédes appareils.La prise en compte des logiques d'enchaînement et de la pensée des appareils donnera sens aux figures d'enfermement.

LES SENS DE L'ENFERMEMENT L' enfermemen t, ainsi figuré, décrira les différents espacestemps convoqués et créés par le défllement f1lmique. Les concepts de figure et de figura~ consacrés par Jean-François Lyotard, ne feront pas l'objet d'un approfondissement conceptuel mais d'une approche analytique. L'idée, encore vague, avant la confrontation f1lmique, d'une «différence, différente de l'opposition9», apparaîtra à travers les recompositions du monde fictionnel au fll des plans. 9 Jean-Louis Déotte, «Une esthétique du disparaître. La notion de surface d'inscription» in Jean-FrançoisLyotard, L'exercice du différend(sous la dir. de Dolorès Lyotard), P.U.F.jLibrairie du Collège international de philosophie, 2001, p. 213.

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L'écart d'une figure d'enfermement serait signifié dans la réception esthétique à partir des déplacements orientés et des détours impliqués par la poïétique ftlmique. Le sens poursuivi ne peut être que labile et fuyant quand l'œuvre, de par ses choix d'enchaînement, nous ouvre à ce qui l'enferme. Car les structures d'enfermement se déplacent, se creusent, risquent à tout instant de s'effondrer par des défondements des lieux ftlmiques et par des ouvertures du dedans. L'enfermement correspond à une figure spatio-temporelle, à un emplacement mouvant du destinataire de l'œuvre. « Chaque régime dephrase-image ou t'haque univers introduit sa propre temporalité et sa propre spatialité: une t'ertaine manière de spatialiser ou de temporaliser les instances

de la phrase-imagesles unespar rapport aux autres10.» La spatialité telle qu'elle est construite par le cinéma de Sokourov détermine une temporalité puisque la semi-probabilité de l'enchaînement est à même de créer des possibilités de remémoration. Dans l'idée de mieux saisir au passage ces figures, nous cheminerons à travers les œuvres en privilégiant la représentation et le raccordement des lieux dans «1. L'ENFERMEMENT EN PERSPECTIVE», puis en questionnant le temps des images et des mises en scène dans « II. LA MEMOIREA L'ESSAI». C'est donc tout d'abord la relation directe entre l'enchaînement des plans et l'exploration du monde fictionnel qui va nous intéresser, même si notre essai ne saurait se confondre avec une étude représentative de l'enfermement. Bien entendu cette mise en avant d'un enfermement esthétique, auquel participe le des tina taire de l'œuvre appareillé par les logiques d'enchaînement du f11m, vient aussi d'une certaine «ambiance ». Les f11ms de Sokourov imposent à leur personnage principal, souvent masculinll, un mode d'occupation malaisée à l'intérieur. L'atmosphère met en scène des cas «d'inhumation volontaire et tOJean-Louis Déotte, L'époque des appareils, op. cit., p. 314. 11 A l'exception d'Emma Bovary dans Sauve et protège (1989) enterrée vivante chez elle lors de sa déchéance, et d'Eva Braun dans Moloch (1999) claquemurée dans la résidence de son dictateur.

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conscientesous le poids du malheur 12 », tels qu'ils ont en outre été contés par le narrateur souterrain des Carnets du sous-sol. Les dimensions variables des lieux de réclusion - chambre-refuge dans Pages cachées,Journées d'éclipse,maison forteresse dans Mère et jils, « trou» de détention dans La voix solitairede l'homme - accueillent des situations d'enfermement qui ne seront que le point de départ de notre étude peu soucieuse de sonder la psychologie de personnages fictifs. La prédilection pour les univers clos dans le repérage du monde diégétique chez Sokourov ne sera pas non plus élucidée par rapport aux tombes et aux chambres piégées chez Dreyer, Murnau, Lang, Hitchcock, Bergman, Syberberg. . .13. Il convient de découvrir comment l'agencement des formes sonores et visuelles crée une perméabilité insidieuse entre l'extérieur et l'intérieur plutôt qu'il ne marque un écartèlement irréversible garant du suspense linéaire (