La lyre, la plume et le temps: Figures de musiciens dans le >Bildungsroman< [Reprint 2010 ed.] 9783110932447, 9783484630192

This comparison of 10 Bildungsromane (novels of formation) in German and French from the mid 19th century to the present

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French Pages 343 [344] Year 1998

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La lyre, la plume et le temps: Figures de musiciens dans le >Bildungsroman< [Reprint 2010 ed.]
 9783110932447, 9783484630192

Table of contents :
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: LA FIGURE DU MUSICIEN DANS LE BILDUNGSROMAN
Chapitre 1: Définition et évolution du Bildungsroman
Chapitre 2: Surdétermination de la dimension temporelle dans le roman de la formation musicale
Chapitre 3: Itinéraires
DEUXIEME PARTIE: ROMAN DE LA FORMATION MUSICALE ET ROMAN MUSICAL DE LA FORMATION
Chapitre 1: L’apprentissage de la musique
Chapitre 2: Culture musicale et transposition littéraire
TROISIEME PARTIE: DE L’ESTHETIQUE A L’ETHIQUE. MISSIONS ET DEMISSIONS
Chapitre 1: De la transcendance de la vocation au roman des origines
Chapitre 2: Signes de l’amour et signes de l’art
Chapitre 3: Du mythe romantique de l’artiste au »roman du raté«
CONCLUSION
ANNEXE: SYNOPSIS DES ŒUVRES
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES NOMS DE PERSONNES

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COMMUNICATI( )

Ba„d 19

Studien zur europäischen Literatur- und Kulturgeschichte Herausgegeben von Fritz Nies und Wilhelm Voßkamp unter Mitwirkung von Yves Chevrel und Reinhart Koselleck

Aude Locatelli

La lyre, la plume et le temps Figures de musiciens dans le >Bildungsroman
Bildungsroman< / Aude Locatelli. - Tübingen : Niemeyer, 1998 (Communicatio ; Bd. 19) ISBN 3-484-63019-1

ISSN 0941-1704

© Max Niemeyer Verlag GmbH, Tübingen 1998 Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany. Gedruckt auf alterungsbeständigem Papier. Druck: Weihert-Druck GmbH, Darmstadt Einband: Buchbinderei Geiger, Ammerbuch

Table des Matieres

INTRODUCTION L'etude du »roman de la formation musicale« Choix des oeuvres et criteres de selection Perspectives d'etude

l 2 9 21

PREMERE PARTE: LA FIGURE Du MUSICEN DANS LE BILDUNGSROMAN Chapitre 1.1. 1.2. 1.3.

1: Definition et evolution du Bildungsroman La notion de Bildung Le Bildungsroman, theories et evolution du genre Le »roman de la formation musicale«

27 27 32 38

Chapitre 2: Surdetermination de la dimension temporelle dans le roman de la formation musicale 2.1. Temporalite de l'existence et de la formation 2.2. Reflexions concernant revolution et le temps 2.3. Representations du reve d'eternite

49 49 55 61

Chapitre 3: Itineraires 3.1. Typologie des litres 3.2. Itineraires spatiaux 3.3. Voyages spirituels

69 70 75 82

DEUXEME PARTE: ROMAN DE LA FORMATION MUSICALE ET ROMAN MUSICAL DE LA FORMATION Chapitre 1.1. 1.2. 1.3.

1: L'apprentissage de la musique Exigences Institutions et figures tutelaires Du dressage ä l'apprentissage

95 95 113 122

VI

Table des Matteres

Chapitre 2: Culture musicale et transposition litteraire 2.1. Elements de biographic musicale 2.2. Musique et langage 2.3. La question de Γ »influence« formelle

135 135 153 168

TROISIEME PARTIE:

DE L'ESTHETIQUE A L'ETHIQUE. MISSIONS ET DEMISSIONS Chapitre 1.1. 1.2. 1.3.

l: De la transcendance de la vocation au roman des origines . . . . L'artiste missionnaire Le processus de lai'cisation La constitution de l'»identite artiste«

189 190 202 211

Chapitre 2. l. 2.2. 2.3.

2: Signes de l'amour et signes de l'art Musique et vceu de chastete Musique et libido Sublimation et pulsions resistantes

223 224 231 239

Chapitre 3.1. 3.2. 3.3.

3: Du mythe romantique de l'artiste au »roman du rate« Le topos de la vertu consolatrice de la musique Le malheur de l'ideal Representation de l'echec et modernite

249 250 260 269

CONCLUSION

285

Le »roman de la formation musicale« L'approche musico-litteraire Bouleversements ethiques et divergences esthetiques au sein de la modernite Crise ou renouveau du roman du musicien?

285 288

ANNEXE: SYNOPSIS DES (EUVRES

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BIBLIOGRAPHIE

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A. Sources Primaires

309

l .a. CEuvres de langue allemande l.b.Traductions francaises 2. (Euvres de langue fra^aise

309 309 309

294 296

Table des Matieres

VII

B. Sources Secondaires

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1. References bibliographiques generates 1.1. Concernant le roman, l'apprentissage et le »roman de formation« . 1.2. Concernant Γ art et Γ artiste 1.3. Concernant la musique et les rapports musique-litterature 1.4. (Euvres littoraires; romans de formation, romans et nouvelles de I'artiste en particulier

310 310 312 313 316

2. Inferences bibliographiques par auteur 2.1. Franz Grillparzer 2.2. Hermann Hesse 2.3. Thomas Mann 2.4. Thomas Bernhard 2.5. Elfriede Jelinek 2.6. George Sand 2.7. Romain Rolland 2.8. Guy de Pourtales 2.9. Dominique Fernandez 2.10. Pascal Quignard

318 318 319 321 323 324 325 327 328 329 329

INDEX DES MOMS DEPERSONNES

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Introduction

Le cheminement de tout lecteur est scande par des rencontres livresques particulieres, qui precedent autant de la loi des »affmites electives« que de celle des »affmites instinctives«1. Ainsi 1'imaginaire d'un lecteur musicien ou melomane est doublement dispose aux seductions offertes par certaines oeuvres dans lesquelles est saisie, ä travers un prisme litteraire, la figure du musicien. C'est lä du moins notre conviction, fondee sur une experience personnelle de lecture puisque notre interet s'est peu ä peu cristallise, au fil de nos »annees de formation« litteraire, sur le cas particulier d'intervention de la musique dans le champ de la litterature que constitue l'»hero'isation« romanesque du musicien. Un egal attrait pour le domaine musical et pour les Lettres nous a par consequent amen6e ä regrouper progressivement un ensemble de romans centres sur la formation du musicien et ä nous interroger sur leur specificito.

Remarque: Les citations des ceuvres de langue allemande traduites dans les notes renvoient aux versions fran9aises de Jacques Lajarrige pour Le Pauvre Musicien, de Edwige Friedlander pour Gertrude, de Louise Servicen pour Le Docteur Faustus, de Bernard Kreiss pour Le Naufrage, de Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize pour La Pianiste. Nous indiquons en note, pour les autres oeuvres ou ouvrages critiques de langue otrangere, les traductions auxquelles nous nous sommes 6(6 &. Enfin les passages pour lesquels nous proposons nous-meme une traduction sont suivis de la mention »nous traduisons« (n.tr.). Cf. S.-A. L'HOPITAL, La formation d'un esprit europeen au debut du XX*™ siede: Guy de Pourtales (1881-1941). These, Paris IV, 1974, p. 102: »Les Affinitos instinctives« est le titre d'un essai de Guy de Pourtales qui fait roforence selon 1'auteur ä une forme de »Sympathie oü le hasard et les circonstances ont plus de place que le choix, que 1'election, mais qui se revele non moins agissante, dans 1'invisible gravitation de nos destins«.

Introduction

L'etude du »roman de la formation musicale« La recherche musico-litteraire Notre perspective d'etude s'inscrit par consequent dans le cadre de la recherche comparatiste consacree ä la confrontation des arts - que Jean-Louis Cupers aime ä nommer »comparatisme interartiel« - et plus precisement au rapprochement de la musique et de la litterature, vaste champ d'investigation qui comprend ä lui seul, si se refere ä la contribution de Jean-Jacques Chartin dans La recherche en litterature generate et comparee en France? diverses orientations parmi lesquelles la monographic musicale illustree par exemple par l'ouvrage de Pierre Brunei consacre ä Vincenzo Bellini,3 la confrontation d'un compositeur et d'un ecrivain, l'hero'isation du compositeur dans la fiction litteraire, 1'etude plus generale de la question musicale chez un auteur ou dans une epoque, teile qu'ont pu la mener Beatrice Didier pour le siecle des Lumieres4 ou Francis Claudon pour l'epoque romantique,5 l'etude des rapports poesie-musique ou encore 1'etude des genres »doubles« comme opera. Notre perspective se rapproche ä evidence de une de ces lignes de force, celle de »l'hero'isation du compositeur dans la fiction litteraire«, tout en s'en distinguant ä deux niveaux: nous avons d'une part prefere au terme de compositeur celui de musicien, dans la mesure ou les ceuvres que nous avons retenues ont pour protagonistes aussi bien des interpretes que des createurs et oü ces derniers de surcroit, lorsqu'on s'interesse ä leur »itineraire de formation«, s'averent tous avoir ete initialement, ä des degres divers, des interpretes;6 il nous a semble d'autre part judicieux - et nous tenterons de nous justifier de ce point

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3 4 5 6

J.-J. CHARTIN, »Litterature et musique«, in La recherche en litterature generale et comparee en France. Aspects etproblemes, Paris, S.F.L.G.C., 1983. P. BRUNEL, Vincenzo Bellini, Paris, Fayard, 1981. B. DIDIER, La musique des Lumieres, Paris, PUF. »Ecriture«, 1985. Fr. CLAUDON, La musique des romantiques, Paris, PUF, »Ecriture«, 1992. La fiction reflete en ceci la realite; la pratique instrumentale sert le plus souvent de propedeutique ä la composition, meme si par ailleurs eile a pu etre presentee par Berlioz, dans ses Memoires, comme une tyrannic pour 1'esprit: »Mon pere n'avait pas voulu me laisser entreprendre 1'etude du piano (...) la pratique de cet instrument m'a manque souvent; eile me serait utile en maintes circonstances; mais si je considere 1'effrayante quantite de platitudes dont eile facilite journellement 1'emission, platitudes honteuses et que la plupart de leurs auteurs ne pourraient pourtant pas 6crire si, prives de leur kaleidoscope musical, ils n'avaient pour cela que leur plume et leur papier, je ne puis m'empecher de rendre grace au hasard qui m'a mis dans la necessity de parvenir ä composer silencieusement et librement«, Memoires, vol. 1, chap. IV, Paris, Gallimard, Garnier-Flammarion, 1969, p. 54, in Daniele Pistone, Musique en pensees. Citations surl'art sonore, Paris, Honore Champion, 1989, p. 47.

Introduction

de vue - d'envisager non la »fiction litteraire« dans son ensemble mais le domaine plus circonscrit du roman de formation de 1'artiste. La formulation de notre sujet, qui tend mettre en valeur Γ articulation de notre travail autour du theme de la musique et de l'itineraire de formation ne doit pas laisser croire une volonte d'etablir une quelconque preseance de la musique sur la litterature. Francis Claudon, dans un numero special de la Revue de litterature comparee intitule »Litterature et musique« souligne, apres avoir precise que la legitimite d'un rapprochement de ces deux formes artistiques etait depuis longtemps admise, la necessaire litterarite des textes etudies: »Le texte est litteraire et musical, adjonction ou enjambement de deux langages Tun sur 1'autre, mais il demeure un texte«1 et Isabelle Piette, qui au premier chapitre de son ouvrage effectue un tour d'horizon des principaux representants de la recherche interdisciplinaire afm de determiner si Γόη peut ou non dire des etudes musico-litteraires qu'elles sont une activite comparatiste, rappelle que Steven P. Scher rut le premier souligner explicitement qu'une des conditions sine qua non etait, dans cette perspective, l'accentuation de la composante littiraire et que pour C.S. Brown et U. Weisstein »la confrontation des arts ressorti[ssait] la litterature comparee si Γ element de comparaison majeur [etait] la litterature«8. D'une facon analogue, nous tenons insister d'emblee sur le fait que notre sujet, qui s'inscrit dans ce que Γόη peut nommer le »comparatisme interdisciplinaire«, releve non de la musicologie mais de la critique litteraire et de la litterature comparee sans qu'il soit d'ailleurs utile de repousser les limites de celle-ci en substituant la necessite d'une diversite linguistique celle d'une diversite de moyens d'expression etant donne le caractere bipartite, d'un point de vue linguistique, des textes que nous avons retenus. Sans doute est-il necessaire de preciser egalement que Γ elaboration de ce projet n'a pas ete sous-tendue par une ambition d'exhaustivite; parmi les oeuvres qui auraient pu faire l'objet d'une etude orientee dans la perspective d'une problematique musico-litteraire, notre choix s'est porte sur les dix romans de formation suivants, qui nous ont semble pouvoir permettre, en depit de leur nombre volontairement limite, une saisie des specificites de ce que nous appellerons le »roman de la formation musicale«:

Revue de lilterature comparee, 1987, n°3, p. 262. I. PIETTE, Litterature et musique. Contribution a une orientation theorique (19701985), Presses universitaires de Namur, 1987, p. 16-17.

Introduction CEUVRES

(EUVRES

DE LANGUE ALLEMANDE

DE LANGUE ALLEMANDE

Der arme Spielmann [ 1848] de Franz Grillparzer (Vienne, 1791-id. 1872)9

Cwuiieto[1842-1844] de George Sand (Paris, 1804-Nohant, 1876)14

Gertrud de Hermann Hesse (Calw, 1877-Montagnola, 1962)10

Jean-Christophe [1903-1912] de Romain Rolland (Clamecy, 1866-Vezelay, 1944)15

Doktor Faustus [ 1947] de Thomas Mann (Lübeck, 1875-Kilchberg, 1955)11

La Peche miraculeuse [1937] de Guy de Pourtales (Berlin, 1881-Lausanne, 194l)16

Der Untergeher [1983] de Thomas Bernhard (Heerlen, 1931-Ohlsdorf, 1989)12

Porporino [1974] de Dominique Fernandez (Neuilly-sur-Seine, 1929-)17

Die Klavierspielerin [1983] de Elfriede Jelinek (Mürzzuschlag, 1946- )13

Tous les matins du monde Pascal Quignard [ 1991] (Verneuil-sur-Avre, 1948-)18

Constitution du corpus Le »roman de la formation musicale« fait reference au concept de Künstlerbildungsroman, ne du croisement de ce que la critique a designe, en se fondant ä l'origine sur des ceuvres litteraires du domaine germanique, par la notion de Künstlerroman (roman de l'artiste) d'une part, et par celle de 9

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Op.cit., Stuttgart, Philipp Reclam jun., 1979: Le Pauvre Musicien, tr. J. Lajarrige, NImes, Jacqueline Chambon, 1991. Op.cit., Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1955: Gertrude, tr. E. Friedlander, Paris, Calmann-Levy, 1962, reed. Gallimard, »Folio«, 1994. Op.cit., Frankfurt am Main, Fischer Verlag, 1990: Le Docteur Faustus, tr. Louise Servicen, Paris, Albin Michel, 1950. Op.cit., Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1983: Le Naufrage, tr. B. Kreiss, Paris, Gallimard, 1986. Op.cit., Reinbek bei Hamburg, Rowohlt Verlag, 1983: La Pianiste, tr. Y. Hoffmann et M. Litaize, Mimes, J. Chambon, 1988. Op.cit. suivi de La Comtesse de Rudolstadt [1842-1844], Meyland, Ed. de l'Aurore, 1983 (3 vol.). Op.cit., Paris, Albin Michel, 1931 (3vol.). Op.cit., Paris, Gallimard, 1937 (2 vol.). Op.cit, Paris, Bernard Grasset, 1974. Op.cit., Paris, Gallimard, 1991.

Introduction

Bildungsroman (roman de formation) de l'autre. Consciente des problemes que pose 1'etablissement d'une taxinomie generique et de la complexite de ce Statut categoriel, nous prendrons soin de detailler les raisons qui ont preside ä la constitution de notre groupement d'auvres. La premiere d'entre elles est sans aucun doute, si excepte la motivation que rut I'intoret que nous avons trouve ä la lecture de ces oeuvres, le fait qu'il n'existe ä notre connaissance que tres peu d'ouvrages de synthese concernant le roman du musicien, qui demeure le plus souvent, comme celui du peintre, du poete, de l'acteur de theatre..., indistinctement rattache au roman de l'artiste. Parmi les rares etudes afferentes au roman et ä la musique figurent de fait l'ouvrage de George C. Schoolfield, The Figure of the musician in german literature19 et celui plus gen£ral de A. Aronson intitule Music and the novel.2(} Les etudes portant sur la litterature fran9aise, auxquelles est venu recemment s'adjoindre La musique oubliee de J.-L. Pautrot, consacree ä quatre romans frangais du " siecle,21 comptaient surtout precedemment l'etude de J.M. Bailbe,22 qui est circonscrite ä la periode de la Monarchie de Juillet et dans laquelle 1'auteur, prenant en compte non seulement les romans specifiquement musicaux mais toute ceuvre romanesque qui a trait peu ou prou ä l'art musical, accorde une importance particuliere ä l'»infralitterature«, aux ecrivains mineurs de cette periode tels Hippolyte Lucas, Andre Delrieu, Jules Janin, Albert de Calvimont... Dans les ouvrages critiques fondamentaux parus recemment sur les rapports musique-litterature, 1'interet d'une etude des romans musicaux est pourtant souvent soulignee et presented comme un champ d'investigation qui demanderait ä etre exploite plus encore qu'il ne a etc jusqu'ä present. II n'est qu'ä songer ä la derniere partie de La musique des romantiques de Francis Claudon, intitulee »Ecrire par la musique. Musique et roman«, qui traite notamment de Balzac, de George Sand et de Stendhal, ou ä la structuration contrapuntique adoptee par Franchise Escal qui met en regard »La musique comme imaginaire de la litterature« et »La litterature comme imaginaire de la musique«23, pour s'apercevoir que ces ouvrages accordent une place ä notre perspective, sans que celle-ci soit cependant au centre des preoccupations de leurs auteurs, dont ambition - depassant de loin la nötre - est de donner un panorama beaucoup 19

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George C. SCHOOLFIELD, The Figure of the musician in german literature. Chapel Hill, University of North Cardina Press, 1956. A. ARONSON, Music and the novel, Totowa, Rowman and Littlefield, 1980. J.-L. PAUTROT, La musique oubliee. La Nausee, L'Ecume des jours, A la recherche du temps perdu eiModerato Cantabile, Geneve, Droz, 1994. J.-M. BAILBE, Le roman et la musique en France sous la Monarchie de Juillet, These, Paris Sorbonne, 1968. Fr. ESCAL, Contrepoints. Musique et litterature, Paris, Meridians Klincksieck, 1990.

Introduction

plus vaste des rapports entre la musique et la litterature, comme en temoigne tres clairement encore le litre du livre de Jean-Louis Backes Musique et litterature. Essai de poetique comparee.2* Beatrice Didier, dans un ouvrage qui presente la musique des Lumieres par le biais d'une reflexion ä la fois esthetique, historique et scientifique, comme l'atteste etude des progres de l'acoustique au XVIIÄme siecle et au XVIHÄme siecle, evoque quant ä eile, dans une partie intitulee »Musique et oeuvres litteraires« consacree ä Diderot et ä Rousseau, un »autre livre« qu'il resterait ä ecrire pour montrer par exemple »comment la musique, en devenant le theme de certains textes, a pu inspirer des ceuvres litteraires, leur donner forme et comment sa presence confere ä ces ceuvres un Statut different«25. Sans avoir la prevention de combler cette lacune par l'etude qui va suivre, il nous a paru stimulant de trouver chez les principaux chercheurs musico-litteraires la caution manifeste de la voie de recherche dans laquelle nous voulions nous engager.

La problematique de la formation La constitution de notre corpus a tenu en second lieu ä l'interet que nous avions pour la problematique de la formation, qui nous semblait pouvoir servir d'epine dorsale ä une reflexion sur le roman du musicien. II s'est avere, de ce point de vue, que des articles, des etudes ponctuelles, des numeros speciaux de revues avaient etc respectivement consacres au »roman de formation«, ä » artiste«, au »musicien«, sans que pour autant articulation de ces differentes notions ait jamais ete choisie comme ligne unificatrice d'un travail d'ensemble. Or le Bildungsroman pose, ä nos yeux, le probleme de la formation d'une maniere particulierement aigue, pour deux raisons majeures. Tout d'abord, la notion de Bildung semble encore gagner en complexite lorsqu'elle s'accompagne de 1'epithete »musicale«. Beatrice Didier ecrit ainsi, dans un chapitre consacre aux »aspects de la pedagogic musicale« oil eile se refere ä Diderot - qui porte un interet singulier aux limites de la notion de formation en musique et au caractere apparemment irreductible du don - que »le domaine musical met en echec un certain optimisme des Lumieres sur la possibilite de transformer 1'homme par education«26. Faut-il en conclure que la Bildung en musique n'est peut-etre en definitive qu'un mythe, qui tendrait ä compenser absence, selon une tres belle metaphore musicale employee par Chopin, du »luthier« de notre vie?

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J.-L. BACKES, Musique et litterature. Essai de poetique comparee, Paris, PUF, 1994. La musique des Lumieres, p. 328. Ibid.,p. 324.

Introduction Le seul malheur consiste en ceci: que nous sortons de l'atelier d'un maitre cdebre, quelque stradivarius sui genens, qui n'est pas la pour nous raccommoder. Des mains malhabiles ne savent pas tirer de nous des sons nouveaux et nous refoulons au fond de nous-meme ce que personne n'en sait tirer, faute d'un luthier.27

En second lieu, le questionnement concernant 1'avenir, 1'evolution, le temps, qui constitue une des invariances essentielles du roman de formation, se trouve pour ainsi dire redouble dans les Bildungsromane musicaux, etant donne que la musique »parce qu'elle est essentiellement deroulement, comme 1'ecrit encore Beatrice Didier, se trouve chargee d'exprimer ce qui est notre condition meme et notre etre: le temps et la duree«28. L'appartenance commune, que souligne par exemple Roland Bourneuf,29 du roman et de la musique aux arts dits »temporeis« par opposition aux arts »spatiaux«, que sont la peinture ou la sculpture, explique le regne au sein de la formation musicale d'une surdetermination temporelle tres signifiante: la musique ne fait-elle pas miroiter la possibilite d'une echappee au cours irreversible du temps, d'un domptage de ce dernier par 1'usage qu'elle fait d'un precede comme la repetition? N'eveille-t-elle pas enfm un fantasme de maftrise du temps qui pourrait bien etre un des principaux ressorts de la formation musicale?

Le choix de la periode S'il fallait donner un autre motif au regroupement d'oeuvres que nous avons effectue, notons que celui-ci rend loisible une etude diachronique du Bildungsroman musical, ä partir d'oeuvres qui s'echelonnent du milieu du siecle dernier ä nos jours et qui nous ont paru etre, tant d'un point de vue esthetique que generique, les plus representatives de cette categoric romanesque. Le fait que le XIXtme siecle ait vu emergence de la notion d'artiste, lorsque s'est etablie une distinction entre l'artiste et l'artisan, entre l'art et les techniques, comme en temoignent les articles de Jose-Luis Diaz30 d'Alain Rey31 ou encore Le sacre de

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cite par G. de POURTALES, Chopin ou le poete, Paris, Gallimard, 1943, p. 251. La musique des Lumieres, p. 170. R. BOURNEUF et R. QUELLET, L'univers du roman, Paris, PUF, 1972: »Par opposition aux arts spatiaux que sont la peinture ou la sculpture, le roman est avant tout considoro comme un art temporal, au meme litre que la musique. II est discours, c'est-adire, comme le laisse entendre I'otymologie, qu'il implique succession et mouvement«, p. 128. J.-L. DIAZ, »L'artiste romantique en perspective«, Romantisme, Etre artiste, n°54, 1986-4"™ trim. A. REY, »Le nom d'artiste«, Romantisme. L'artiste, I'ecrivain, le poete, n°55, 1987-1* trim.

8

Introduction

l'ecrivain de Paul Benichou,32 que plus precisement, ainsi que le souligne JeanLouis Backes, c'est ä 1'epoque romantique que le roman »commence ä peindre largement le monde musical ou les manifestations de la musique dans la vie sociale«33 et qu'enfin, d'un point de vue structural, la musique soit devenue ä cette meme epoque le modele artistique de reference, justifie d'une part le choix d'une periode delimitee en amont par des ceuvres d'inspiration romantique. II nous a paru d'autre part interessant de choisir en aval des ceuvres qui nous etaient tout ä fait contemporaines, parce que peut constater, tout en saluant 1'interet dont fait preuve par exemple Jean-Louis Cupers pour la litterature musicale contemporaine,34 que la modernite musico-litteraire n'a pas encore suscite d'etude analogue ä celles qui ont mis ä l'honneur le siecle des Lumieres,35 1'age romantique,36 ou encore l'epoque marquee par l'influence de Richard Wagner.37 Et ceci sans doute parce que sa diversite 1'empeche d'etre commodement placee sous eminente autorite d'un seul artiste, englobee dans un seul et meme mouvement artistique - fut-il aussi complexe que le romantisme - ou aussi simplement denommee que peut 1'etre aujourd'hui le siecle des Lumieres. Nous nous heurterons nous-meme aux multiples problemes poses par la periodisation litteraire et il nous semble prudent de preciser que la vaste periode dans laquelle s'inscrivent les auvres que nous avons retenues correspond moins, de ce point de vue, ä une »periodisation stride« qu'ä ce que Madelenat decrit, ä propos de la biographie, comme:

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Cf. P. BENICHOU, Le sacre de l'ecrivain, Paris, Jose Corti, 1973, p. 421-423:1'auteur rappelle que le mot ft artiste designe, au milieu du XVIII61™ siecle, »un ouvrier habile dans une technique delicate« puis qu'»ä partir de ce d6but modeste, le sens du mot croft en dignito au point de designer ceux qui pratiquent les beaux-arts«, expression qui timoigne elle-meme de revolution parallele du mot art: »Designant ä l'origine toute technique, ce mot n'evoquait les techniques du beau qu'en se procisant en beaux-arts, puis des la fin du XVIII*1"' siecle, on conserva ce sens au pluriel en se passant de 1'adjectif«. Musique et litterature, p. 16. Cf. Euterpe et Harpocrate ou le defi litteraire de la musique, 2ibme partie, »Presence de la musique dans la litterature: deux illustrations contemporaines«, constituee d'un premier chapitre consacre au roman cyclique (»Affmites esthetiques et repetitions dans le roman cyclique«, p. 109-127) et d'un second concernant les »figures de musiciens romantiques dans le roman d'aujourd'hui«, pl29-144). B. DIDIER, La musique des Lumieres. L. GUICHARD, La musique el les Lettres au temps du Romantisme, Paris, PUF, 1955; Fr. CLAUDON, La musique des romantiques. L. GUICHARD, La musique et les Lettres au temps du Wagnerisme, Paris, PUF, 1963.

Introduction une succession de cadres dominants et valorisos, les paradigmes dopasses [pouvant] se survivre en formes consacrees, sclerosees, revenir avec des connotations d'ironie et de derision qui s'attachent ä leur obsolescence.38

Aussi serons-nous sans doute amenee ä constater par exemple les survivances, sinon la permanence, du romantisme dans certaines oeuvres modernes. En outre la symetrie Offerte par les dates biographiques de nos auteurs et les annoes de parution de leurs oeuvres - qui est interessante dans la perspective d'une etude diachronique parce qu'elle offre la possibilite d'une confrontation de differentes contemporaneites - nous invite ä nous demander si des oeuvres de langues allemande et fran9aise parues au meme moment refletent systematiquement le meme stade de 1'evolution d'un genre, si elles peuvent au contraire ne pas avoir le meme »degre« de modernite et s'il peut exister en somme des evolutions non seulement differentes selon le contexte mais aussi differees. Nous aurons enfin ä examiner le voisinage d'options divergentes au sein de la modernite, le fait par exemple que les auteurs francais contemporains que nous allons etudier, en choisissant le roman historique, replacent ostensiblement la musique sur un piedestal ä 1'heure ou certains romanciers autrichiens, par volonte d'experimentation contestataire, font mine de Ten deloger.

Choix des oeuvres et criteres de selection Apres avoir explicite les differentes raisons qui ont ete ä l'origine de l'etablissement de notre corpus, il convient desormais de presenter ce dernier plus precisement et d'enoncer les criteres qui nous ont fait elire teile oeuvre plutöt que teile autre. Force est de souligner cependant, pour commencer, que notre choix s'est en realite impose au fil des lectures, d'une maniere empirique. Mais si songe aux oeuvres qui, apres une reflexion plus ou moins longue, se sont trouvees soit indues soit exclues, nous pouvons constater a posteriori 1'emergence d'un certain nombre de criteres. Orientation vers le domaine litteraire germanique et vers le Bildungsroman Precisons de prime abord que nous n'avons pas envisage d'inclure des oeuvres dramatiques, non seulement parce que nous voulions eviter de rendre notre groupement de textes trop heteroclite par le melange des genres mais egalement parce que la notion d'»itineraire de formation« sur laquelle est centre notre sujet prend essentiellement forme dans le cadre d'oeuvres romanesques, sans doute 38

D. MADELENAT, La biographic, Paris, PUF, 1984, p. 34.

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Introduction

parce qu'elle implique un deroulement temporel propre au roman plus qu'au theatre. Meme s'il existe des pieces de thoätre dont les protagonistes sont des musiciens comme Der Kammersänger39 de Wedekind, Die Macht der Gewohnheit™ de Bernhard, Clara S.41 de Jelinek ou encore Der Kontrabaß42 de Süskind, celles-ci ne sont pas equivalentes en nombre et en importance aux Bildungsromane, et pourraient difficilement justifier l'existence d'une denomination gonerique teile que le Bildungstheater. Cela etant, la musique est evidemment pre"sente dans de tres nombreux romans et dans de tres nombreuses nouvelles, sans qu'elle soit nocessairement un element dominant. Or dans notre perspective ne pouvaient etre retenues les ceuvres qui ne presentaient qu'un arriere-plan musical, qu'un equivalent en quelque sorte de la »musique d'ameublement« qu'Erik Satie demandait de »ne pas ecouter de meme que ne regarde pas les tableaux qui decorent une 43 piece«. Nous nous devions d'ecarter egalement les romans dans lesquels n'otait devolu ä l'art des sons qu'un role episodique, evocation d'un concert, d'une de piano (pour mentionner deux des lieux communs de la representation litteraire et picturale de la musique), ou encore d'un instrument, que songe 44 au colebre »orgue en bouche« dans A rebours de Joris-Karl Huysmans et au »pianocktail«, qui lui fait 6cho dans L'Ecume desjours de Boris Vian.45 En outre certaines oeuvres qui, comme le dirait avec scepticisme Francoise Escal* »brandissent, tels des etendards, des litres musicaux parfois trompeurs«46 devaient subir le meme sort. On peut estimer que la musique est un 616ment important dans La Sonate a Kreutzer41 et La Symphonie pastorale,4* deux oeuvres qui empruntent respectivement leurs litres ä une senate pour violon el piano el ä la sixieme Symphonie de Beelhoven, dans la mesure oü exaltation musicale

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