La bibliothèque de Pétrarque: Livres et auteurs autour d'un humaniste 9782503516523, 2503516521

La bibliothèque de Pétrarque ne se réduit pas aux manuscrits - pourtant nombreux - qui ont appartenu au grand poète et h

227 52 2MB

French Pages 348

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

La bibliothèque de Pétrarque: Livres et auteurs autour d'un humaniste
 9782503516523, 2503516521

Citation preview

La bibliothèque de Pétrarque Livres et auteurs autour d’un humaniste

CENTRE D'ÉTUDES SUPÉRIEURES DE LA RENAISSANCE Université François-Rabelais de Tours - Centre National de la Recherche Scientięque

Collection « Études Renaissantes » Dirigée par Philippe Vendrix

Dans la même collection Frédérique Lemerle La Renaissance et les antiquités de la Gaule, ŬŪŪů Jean-Pierre Bordier & André Lascombes (éds) Dieu et les dieux dans le théâtre de la Renaissance, ŬŪŪŰ Pierre Aquilon & Thierry Claerr (éds) Le berceau du livre impriméȹ: autour des incunables, ŬŪūŪ Sabine Rommevaux, Philippe Vendrix & Vasco Zara (éds) Proportions. Science, musique, peinture & architecture, ŬŪūū Maurice Brock, Marion Boudon-Machuel & Pascale Charron (éds) Aux limites de la couleur. Monochromie & polychromie dans les arts (ūŭŪŪ-ūŰŪŪ), ŬŪūū

њюѢџіѐђ яџќѐјȳtȳѓџюћѐђѠѐќ ѓѢџљюћȳtȳѓџюћј љю яџюѠѐю

La bibliothèque de Pétrarque Livres et auteurs autour d’un humaniste

Actes du IIĽ Congrès international sciences et arts, philologie et politique à la Renaissance 27 -29 novembre 2003

F 2011

Couvertureȹ: La naissance de Dionysosȹ: détail d’un bas-relief, martelé par des iconoclastes, de la parodos du théâtre de Pergé (Asie Mineure)ȹ; cliché J.-P. Bordier

Conception graphique et mise en page Nora Helweg, Yohann Gominet

© 2011, Brepols Publishers, Turnhout, Belgium. ISBN 978-2-503-51652-3 D/2011/0095/126 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

Printed in the E.U. on acid-free paper

Avant-propos

Le volume que voici réunit la quasi totalité des communications présentées lors du IIĽ Congrès international sciences et arts, philologie et politique à la Renaissance qui s’est tenu à Tours du Ŭű au Ŭų novembre ŬŪŪŭ. Placé sous le patronnage de l’Istituto Italiano per gli Studi Filosoęci (Naples), ce congrès, organisé par le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (Tours), le Centre d’Histoire de la Philosophie Moderne (Villejuif), la Société Internationale Leon BaĴista Alberti et la Maison des Sciences de l’Homme (Paris), ainsi que par le Centre National de la Recherche Scientięque, ouvrait en quelque sorte la longue série des initiatives célébrant le septième centenaire de la naissance de l’initiateur de l’Humanisme. Cependant, la visée était moins celle d’une célébration traditionnelle que d’un approfondissement d’un aspect particulier. D’où le thème que nous avons retenu, en accord avec le comité scientięqueȹ: La bibliothèque de Pétrarqueȹ: Livres et auteurs autour d’un humaniste. Par conséquent, les études ici rassemblées, tout en ménageant quelques perspectives plus amples, s’aĴachent prioritairement aux sources explicites et implicites, païennes et chrétiennes (Horace, Pomponius Mela, saint Jérôme, Claudien, Jean de Salisbury, saint Bernard, etc.), ainsi qu’aux manuscrits consultés, possédés et annotés par Pétrarque. La circulation de l’œuvre et des thèmes pétrarquisants et, partant, la réception de certains ouvrages du grand humaniste trouvent également place dans ce recueil.

7

Le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance nous a paru constituer le cadre le plus approprié pour le déroulement des travauxȹ: il a pour vocation explicite d’envisager une Renaissance européenne allant « de Pétrarque à Descartes », et le thème du livre — et de la bibliothèque — constitue l’un des axes forts de ses activités d’enseignement et de recherche. Son hospitalité à la fois conviviale et studieuse a permis aux travaux de se dérouler dans une atmosphère dont les congressistes garderont sans doute le meilleur souvenir. Que sa direction et son personnel trouvent ici l’expression de notre reconnaissance amicale.

Maurice BROCK, Francesco Furlan, Frank La Brasca

8

Alain Michel

Lectures de Pétrarque

Nous parlons ici de La bibliothèque de Pétrarque. Mais ce titre ne va pas sans ambiguïté. Il peut nous évoquer les auteurs que Pétrarque a lus ou ceux qui l’ont lu. Je ne m’en plains pas, car auprès d’un auteur si riche de pensée et si fécond auprès de ses lecteurs, il est permis d’admirer à la fois une double approche du tempsȹ: il a un passé, il eut un avenir et le garde assurément. Cela nous permet sans doute de dépasser le temps après lui et de réĚéchir peut-être sur ce qu’on pourrait appeler l’éternité, ou simplement la mémoire et l’espoir des poètes. Un aspect tout à fait dominant de l’œuvre de Pétrarque réside dans le fait qu’il apparaît comme le premier maître de la renaissance poétique au xivĽ siècle. Il a donc juste derrière lui tous les créateurs qui l’ont précédé. Je parle évidemment des écrivains médiévaux avec lesquels il a gardé des aĜnités profondes, mais aussi des auteurs antiques, puisqu’il manifeste à leur propos des aĜnités tout à fait nouvelles, et que son inĚuence ultérieure sera grande à cet égard. Qu’il nous suĜse ici d’une brève énumération, dont il sera aisé d’apprécier la portée. Pétrarque a beaucoup lu les deux plus grands écrivains de Rome, Cicéron, maître d’humanitas, et Virgile, relayé de très près par Horace. Dans l’œuvre du premier, il a su retrouver une très grande partie de la correspondance et, ce qui est peut-être le plus important à ses yeux, le Pro Archia poeta, dans lequel était exposée la théorie pythagoricienne de la poésie. Virgile s’inspirait, de manière géniale, de ceĴe théorie et de ses aspects platoniciens, tandis qu’Horace, qui la connaissait aussi, y ajoutait des tendances aristotéliciennes, stoïciennes et surtout épicuriennes. En même temps, Pétrarque s’intéressait à d’autres sources qu’il trouvait notamment chez les historiens. Cela était déjà vrai chez Virgile, qui se montrait avant tout aĴentif au genre épique, et cédait dans l’Énéide aux désirs d’Auguste, comme il

9

юљюіћ њіѐѕђљ

le faisait aussi dans les Bucoliques. Pétrarque, vers le temps de ses débuts, avait aussi pratiqué ce dernier genre. Sans doute devons-nous souligner ici comme dans tous les cas l’originalité de sa création. Certes le genre épique constitue pour lui un langage dont l’œuvre d’Homère constitue la première et la plus belle illustration. Mais le sujet même l’oblige à être original dans l’application de ce style et de l’esthétique qu’il semble impliquer. Le choix même de son sujet et des modèles qu’il applique est caractéristique. Il parle de l’Africa et des chefs qui se sont alors manifestés dans les plus grands moments de la conquête romaine. Il réunit, dans sa ęction épique, les plus grands héros de Rome jusqu’à l’apogée de l’Empire et il médite ainsi, avec l’aide de Cicéron et des poètes, sur les valeurs universelles qui sont nées de Rome ou qui ont fait sa grandeur. L’œuvre poétique qui nous est ainsi proposée est donc complexe comme le génie même de l’Vrbs. Elle réunit tout ce qu’il y a de créateur dans l’esthétique aristotélicienne et dans la Poétique du Stagirite. Elle utilise en même temps les valeurs sur lesquelles insistait la liĴérature romaine depuis la ęn de la République et elle combine Académie, stoïcisme et épicurisme, en même temps qu’elle établit et lie à un idéal poétique la réĚexion politique dont ces diěérentes écoles ont montré les divers aspects. Ainsi se produisent des mélanges et un éclectisme qui permeĴent d’établir un lien original entre les écoles et les genres. Aux noms de Virgile et de Cicéron, il convient d’ajouter ici celui de Tite-Live. La poésie romaine, telle que la conçoit notre auteur, s’appuie aussi de manière essentielle sur une philosophie de l’histoire. Celle-ci existait déjà depuis Cicéron et surtout VirgileȺȺȹ: elle décrivait donc l’évolution des valeurs romaines, d’abord républicaines et liées à l’idée de liberté, mais ensuite modięées d’une manière fondamentale par l’avènement de l’Empire. Or, le jeune Pétrarque resta toute sa vie aĴaché à l’idée de liberté, en même temps qu’il critiquera ardemment le recours à la guerre. Toute son œuvre est donc dominée par ceĴe confrontation peut-être contradictoire entre la paix, la conquête et l’Empire. En eěet, la poésie accordée aux philosophies permet à Pétrarque de transmeĴre à son temps une théorie originale des valeurs. Paradoxalement, la diversité de ses inspirations l’autorise à déęnir en politique comme en poésie une doctrine de l’idéal qui le conduit vers une unité supérieure. Tel est le sens véritable de son humanisme qui lui permet d’accorder dans l’humanitas de Cicéron la vision de l’idéal platonicien et le réalisme du droit romain.

10

љђѐѡѢџђѠ ёђ ѝѼѡџюџўѢђ

L’histoire peut ainsi jouer le rôle essentiel que les historiens depuis Salluste jusqu’à Tacite lui ont proposéȹ: ceĴe synthèse a été principalement proposée par Tite-Live qui reprenait sous sa forme la plus haute l’analyse des valeurs de Rome. L’histoire cherche en toutes occasions la connaissance du réel associée à celle de l’idéalȺȹ; Tite-Live réalise ainsi un accord entre l’idéal sublime de l’action et les valeurs terrestres du réalisme. Le machiavélisme répond, sans vouloir le nier, à l’idéalisme et leur rencontre constitue la plus lucide et la plus haute image de la praxis. Le poète et l’historien sont les deux maîtres d’une éducation humaine où se rencontrent Cicéron, Virgile et Auguste. Depuis le temps des guerres puniques, comme l’a montré dans sa thèse monsieur Ferrary, Rome n’a cessé de se trouver confrontée à deux questions contradictoires qui lui sont posées à la fois par sa grandeur et par ses pouvoirsȹ: a-t-elle écrasé la Grèce dans une tyrannie ou a-t-elle cherché l’équilibre moral qui lui permeĴait seul de préserver à travers les siècles l’idéal de la paix romaineȺȹ? Pétrarque, fasciné par la liberté mais aussi par la paix, par la justice mais aussi par l’équité, n’a cessé de combiner ces deux types de valeurs, comme l’avaient fait Auguste et Tibère après Cicéron et Caton. De même, Virgile, proche de Platon et des Stoïciens, est toujours resté l’ami fervent des épicuriens Lucrèce et Horace. Tout cela n’allait pas de soi. Rome n’avait cessé de souligner aussi dans son histoire les exigences contradictoires. Il fallait accorder tout ce que la justice a de rigoureux et tout ce que l’action impliquait apparemment de contradictoire. Les principaux maîtres à cet égard et les plus stricts étaient les stoïciens, qui préféraient soutenir les paradoxes de la sagesse plutôt que de céder à l’esprit de conciliation. Là encore Pétrarque a su choisir tout en respectant dans une certaine mesure les principales options de la philosophie. Son maître principal est ici Sénèque, qu’il reprend quant aux paradoxes, mais en écartant ce qu’il y a de trop systématique ou d’abstraction polémique dans le langage du Portique. C’est pourquoi il peut se tourner vers les aspects les plus concrets de la poésie, et vers la véhémence satirique qui caractérise en son temps la satire romaine. Une nouvelle carrière d’une grande importance s’ouvre ainsi pour l’éloquence stoïcienneȹ: la passion du vrai apparaît seule capable de maîtriser par l’enthousiasme et par le courage les passions du faux. CeĴe manière d’écrire, si fréquente chez Juvénal, se montre d’une façon très marquée dans la correspondance de Pétrarque et dans les jugements très sévères qu’il formule contre tempora et mores (notons que la formule apparaissait déjà chez Cicéron).

11

юљюіћ њіѐѕђљ

Nous avons ainsi dégagé les principaux aspects de l’inĚuence qu’exercent sur Pétrarque les diěérentes tendances des artes antiques, et principalement de la rhétorique et de la philosophie. Nous voyons clairement combien importantes sont les inspirations que le poète a trouvées dans ses lectures, c’est-à-dire dans sa bibliothèque et sa mémoire. Nous allons nous demander, dans la dernière partie de notre exposé, comment le souvenir de Pétrarque est arrivé jusqu’aux auteurs qui l’ont suivi et à déterminer à son tour leurs créations, non sans se nuancer et se modięer à son tour. On ne comprendrait pas l’œuvre du poète et on ne la jugerait pas lucidement si on ne la faisait entrer dans la pleine durée du temps, peut-être dans l’éternité. Pétrarque avait réĚéchi sur Platonȹ: il savait que le apparences sont transitoires et que les idées sont éternelles. Comment concilier ces deux points de vueȹ? Nous ne nous plaçons plus désormais dans le passé du poète. Mais, avant d’en venir là, il faut parler du présent. Nous marquerons d’abord que Pétrarque, malgré son aěection profonde pour Horace, n’adhère point au carpe diemȹ: il goûte certes l’instant présent, mais comme le faisaient les épicuriens, il le contemple surtout dans la beauté du souvenir. C’est parce qu’il a trouvé l’extase ou simplement le plaisir dans certaines expériences transitoires qu’il conserve toute sa vie le pouvoir des émerveillements. Ainsi la conciliation entre deux aspects essentiels de la temporalité se trouve réalisée dans la mémoire ou dans la durée. Mais l’expérience de l’avenir est ouverte elle aussi. À côté d’Horace, l’ami le plus profond reste présentȹ: c’est Virgile qui, comme nous l’avons vu, joint l’espérance platonicienne à la tendresse épicurienne. Pétrarque est assez lucide et pieux pour découvrir en cela l’idéal platonicien. Il annonce avec précision et dans un esprit augustinien l’idéal chrétien que Marsile Ficin exaltera plus d’un siècle après dans son livre De l’amour. Nous touchons ici à une autre aĜrmation essentielle qui découle du christianisme en épousant, comme le fera toute la Renaissance, la tradition platonicienne. Du même coup, Pétrarque retrouve le Phèdre et Le Banquet à travers l’Académie qui lui est connue par Cicéron et qui lui permet d’aborder la connaissance poétique par les voies de l’amour humain expérimentées dans la théorie épicurienne du calme spirituel et de la connaissance philosophique. Sous ceĴe inĚuence Pétrarque accomplit un autre rapprochement essentiel entre la foi et le doute. Il écrit dans cet esprit son traité de vieillesse De ignorantia. Il aĜrme d’une part la vérité de la foi et de l’autre l’insuĜsance de tout dogmatisme purement philosophique. Mais il refuse dès lors de manière radicale le scepticisme proprement dit. Comme ses

12

љђѐѡѢџђѠ ёђ ѝѼѡџюџўѢђ

maîtres, il aĜrme qu’il connaît la vérité ou du moins qu’il est capable de l’approcher sans cesser jusqu’à l’inęni. Pour y parvenir, il recourt au dialogue spirituel et il refuse le doute radical. Il pense, comme Augustin, dans son De beata vita, qu’il peut trouver le bonheur parfait même dans l’ignorance qui n’est pas refus ou négation du savoir et de la vérité, mais qu’il pose la vérité par le fait même qu’il aĜrme sa sublimité plus grande que la mesure de notre esprit. Ainsi, d’une certaine manière, Dieu peut entrer dans nos âmes et y faire tenir l’inęni tout entier en les dilatant par sa grâce. Mais ceĴe expansion admirable vient de Dieu, non de nos facultés naturellesȹ: nous avons besoin de Dieu pour croire que la connaissance parfaite peut nous être donnée et nous comprenons dès lors que nous ne le chercherions pas si nous ne l’avions déjà trouvé. On sait que ceĴe formule, inspirée de saint Augustin, et reprise plus tard par Pascal, se trouve au début du traité De diligendo Deo de Bernard de Clairvaux. Nous constatons ici qu’il ne s’agit plus seulement de la tradition antique et païenne telle qu’on la trouvait chez Platon, mais que Pétrarque dialogue directement avec la pensée médiévale. Certes, à son époque, celle-ci était dominée par l’abstraction et le doute presque radical d’Ockham et de ses amis. Pétrarque s’oppose au plus profond de lui-même à une telle abstraction et aux eěets qu’elle produit dans le langage. C’est aussi pourquoi il se tourne vers les aspects sensibles au cœur de la religion chrétienneȹ: il rejoint ainsi saint Bernard, saint François d’Assise et, du même coup, la scolastique dans les formes qu’elle prend chez saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin. C’est aussi ce qu’il nous dit dans le De ignorantia et il devient capable dans ces conditions de marquer de manière fondamentale son admiration pour Dante. Certes, pendant toute sa vie, il a montré ses réticences envers le poète de la Divine comédie, mais dans le De ignorantia il insiste sur la conciliation qu’on peut réaliser entre l’aristotélisme et le platonisme. Sans doute, il ne place Aristote qu’au second rangȹ: il croit pourtant que le Stagirite est utile par l’ampleur compréhensive de sa doctrine qui lui permet notamment de s’aĴacher aux sciences de la nature et donc d’exalter la vie et, avec elle, la totalité de la création. Aristote, comme l’ont dit les modernes, représentait le savoir humain dans sa totalité, ce qui l’autorisait à accueillir, fût-ce dans le dialogue et dans l’art de la discussion, tous les aspects de la science. Il étudiait ainsi l’être dans sa totalité et sa globalité. Mais Augustin, ainsi que le pseudo-Denys l’Aréopagite, le visait dans sa transcendance. Pétrarque comprend qu’on ne peut séparer le point de vue de l’idéal et celui de la totalité, l’être et les essences.

13

юљюіћ њіѐѕђљ

C’est dans le même esprit qu’il déęnit ce qu’on pourrait appeler une morale de la connaissance. Il le fait en particulier dans son traité De remediis utriusque fortunæ/Des remèdes contre les deux fortunes. Il veut à la fois et en raisonnant in utramque partem critiquer le fatalisme et le hasard. Il parvient ainsi à une conception de la liberté. Il ne s’agit pas seulement pour lui de douter du déterminisme ou du destin, mais il veut aussi éviter le doute contraire qui serait le pur scepticisme. Il croit pouvoir trouver une réponse à la question qu’il pose tout en reconnaissant qu’il est entraîné à la fois vers deux directions opposées. Il désire reconnaître leur existence tout en la dépassant d’une certaine manière dans une transcendance. L’idée platonicienne est indépendante de l’être aristotélicien mais elle le comprend en lui donnant un sens. Cela est vrai dans de nombreuses circonstances, mais procède d’un usage original du temps. Par exemple, dans l’ouvrage que je viens d’évoquer, Pétrarque traite le sujet suivantȹ: De l’espoir de la vie éternelle/De Spe vitæ æternæ (I ūŬŬ). Nous assistons à un dialogue entre Spes et Ratio. Au premier abord, Pétrarque savait très bien que toute la philosophie antique (sauf peut-être le platonisme) était opposée à l’espoir qui laissait apparaître une insuĜsance de la raison. Pétrarque répond par la bouche de l’espoir, reprenant inlassablement la même formuleȹ: Spero æternam uitam. Il modięe parfois la formuleȹ: Spero uitam æternam. À ce moment-là, il souligne avec Ratio que la vie éternelle est le meilleur des biens, mais elle veut préciserȹ: Non seulement les maîtres du ciel, mais ceux de la terre aiment que l’espoir soit mis en euxȹ: mais par quiȹ? Par ceux assurément auxquels ils se savent chers, dont ils connaissant l’amour ou qui, peut-être, se sont montrés odieux et rebelles mais ont souhaité rentrer en grâce et se sont réfugiés dans la miséricorde./ Spes ditȹ: c’est dans la vie éternelle que j’espère./ Ratioȹ: Corrige et dis vie temporelleȹ: c’est par ceĴe dernière qu’on va jusqu’à l’autre./ Spesȹ: j’espère la vie éternelle./ Ratioȹ: il n’y a pour tous qu’une espérance, c’est elle, si tu la conçois selon la règle, qui te donnera le bonheur et qui te l’a déjà donné./ Spesȹ: c’est la vie éternelle que j’espère [æternam uitam spero]./ Ratioȹ: Le premier point est d’espérer la miséricorde, ensuite la vie et toutes deux selon la sobriété et la mesure./ Spesȹ: Spero æternam uitam.

On s’aperçoit que Pétrarque modięe simplement l’ordre des termesȹ: l’espoir commence au-delà de la vie. En elle il faut apprendre le détachement et le pardon. Nous retrouvons une aĴitude de sérénité volontaire et équilibrée qui ne peut exister que devant les malheurs de notre vie présente, dans

14

љђѐѡѢџђѠ ёђ ѝѼѡџюџўѢђ

l’inquiétude et la douleur qui sont le propre de la condition humaine. Mais, dans ceĴe condition même qui est temporelle, le renoncement demeure, ainsi que la conscience de la faiblesse et l’angoisse qui la suit. Pétrarque veut donc apparaître comme un maître d’inquiétude en même temps qu’un prophète de l’amour. C’est ainsi que les deux faces de sa pensée se conjuguent dans le temps. Toute la vie humaine est un passage de l’espoir à l’éternité par la connaissance du temps. Nous pouvons maintenant aborder une dernière remarque. Qu’en est-il de l’avenir dans la pensée de Pétrarqueȹ? Jusqu’ici nous sommes resté dans sa conscience passée et présente. Maintenant il la dépasseȹ: il ne s’agit plus seulement des auteurs qu’il a lus, si l’on excepte la Bible et les Évangiles, mais de ceux qui vont le lire et qui transmeĴent sa pensée en lui donnant une inĚexion nouvelle. Un poète dépend toujours de ses lecteurs. Nous le montrerons par quelques exemples. En premier lieu, la doctrine poétique que nous venons d’analyser implique une réĚexion de l’auteur à la fois sur son innocence et sur le sentiment qu’il a de ses fautes. L’aĴitude ainsi déęnie va dominer très fortement les lecteurs de l’avenir. Le poète essaie de joindre ensemble et dans le même moment la bonne conscience et la perception qu’il a de son péché. De là certaines formules essentielles qu’il emploie dans le Secretumȹ: « Je ne fais pas le bien que j’aime et je fais le mal que je hais »ȹ; notons que nous observons ici une expression à la fois chrétienne (saint Paul) et païenneȹ: Ovide employait les mêmes termes. En réalité, Pétrarque se réfère à une doctrine qui apparaît notamment dans la Patristique et dans la Scolastiqueȹ: les humains font souvent le mal dont ils ont conscience au lieu de suivre le bien quand même ils le perçoivent aussi. De là naît une angoisse particulièrement profonde et qui paraît invincible. CeĴe expérience spirituelle a un nom que lui avaient donné les Pères grecsȹ: l’acedia, qui consiste à faire la mal en connaissant le bien. Nous disions à l’instant que Pétrarque a une conscience aiguë de sa faiblesse. Elle pourrait le pousser jusqu’au désespoir. Il ne peut lui répondre que par son espérance. La sérénité et le courage qui s’opposent à l’acedia dépendent de la grâce divine. La véritable expérience poétique implique donc la connaissance et la grâce. CeĴe manière de penser a fasciné les penseurs dans la postérité. On sent bien que la question posée est celle de l’amour de Dieuȹ: il est seul capable de surmonter en nous ceĴe tentation du désespoir, mais il est bien vrai que l’inspiration poétique, si profondément liée à la connaissance du

15

юљюіћ њіѐѕђљ

beau et du bien, peut seule dominer un tel conĚit. De la même façon, l’expérience de la douleur et celle de la joie se trouvent tout ensemble rapprochées et distinguées. Il ne faut pas confondre le bien et le mal, il ne faut pas non plus établir entre eux une rupture infranchissable. De là apparaîtront, particulièrement au xviiĽ siècle, chez saint François de Sales, deux intuitions qui peuvent se rapprocher sans se confondre. D’une part, la joie amoureuse, qu’on connaissait au moins depuis l’augustinisme, qui était gaudium et uita beata et, d’autre part, une perception nouvelle de la tristesse religieuse inspirée par la conscience du péchéȹ: il s’agissait ceĴe fois de la mélancolie. Ce terme prend toute son importance à la ęn de la Renaissance et domine les débuts de l’époque baroque, car il peut exister une beauté qui est douceurȹ: c’est celle de la mélancolie, qui appartient donc aux poètes. Ce sentiment a pris toute sa force un peu plus tard, à l’époque romantique, lorsqu’on s’est interrogé sur le jansénisme et sur le quiétisme et qu’on a voulu repousser l’un et l’autre. CeĴe inquiétude s’est notamment exprimée dans le roman de Sainte-Beuve, Volupté. L’auteur y dévoilait sa faiblesse irrémédiable, dont l’évidence lui apparaissait quand il doutait des secours divins. Il pensait, comme François de Sales, que Dieu pouvait le sauver et, dans sa lucidité, il reconnaissait avec angoisse que sa faiblesse devant les fautes se trouvait accentuée et non pas adoucie par une telle conscience. Les problèmes liés à l’ambiguïté de la conscience humaine se posent aussi d’une autre manière qui est assurément fondamentale aux yeux de Pétrarqueȹ: il s’agit de l’amour. Sa pensée paraît pourtant très assurée en l’occurrenceȹ: il suit avec rigueur l’idéal de Platon tel qu’il avait été exprimé dans Le Banquetȹ; il lui donne même une présentation beaucoup plus marquée puisqu’il recherche la femme idéale qu’est Laure et qui se confond à ses yeux avec la gloire et avec la perfection. En fait, ceĴe conception remonte également au Moyen Âgeȹ: il en a trouvé la formulation chez les troubadours, qui aĜrmaient la supériorité de l’amour courtois sur le simple désir. Ils préféraient l’esprit à la passion, sans la condamner cependantȹ: de là leurs angoisses et leurs contradictions sentimentales. C’est dans le même esprit que Pétrarque dit son amour pour Laure qui incarne, comme son nom l’indique, à la fois la célébration héroïque et les valeurs chevaleresques. Toutefois, dans le Secretum, où il donne la parole à saint Augustin intervenant au plus profond de sa conscience, il déclare qu’une telle doctrine laisse trop de chances au péché et qu’elle est donc trop ambiguë. Ce genre de question a été souvent repris dans l’histoire de la morale et de la liĴérature. Je n’entrerai pas ici dans le détail des discussions mora-

16

љђѐѡѢџђѠ ёђ ѝѼѡџюџўѢђ

les qui se sont alors présentées, mais j’insisterai plutôt sur les problèmes de l’amour courtois. Il semble que Pétrarque ait trouvé à la fois des garants dans la poétique des Anciens païens et même dans des idéologies d’inspiration chrétienne. Deux aĴitudes sont en eěet concevables, qui s’expriment l’une et l’autre dans le De remediis utriusque fortunæ et dans le Secretum. Pétrarque a neĴement condamné l’amour de Laure dans ce dernier ouvrage, mais il a aussi essayé de le défendre au nom de l’exigence spirituelle qui existait chez Platon. Dans le De remediis il insiste au contraire sur la misogynie qui s’était exprimée dans la deuxième partie du Roman de la rose et qui s’était pourtant manifestée dans la première partie de ceĴe œuvre et dans son allégorisme. Pétrarque, comme il le fait si souvent, adopte sur ce sujet essentiel deux positions opposées. La solution à laquelle il se rallie est celle du platonisme tempéré par l’augustinismeȹ: il faut aimer, mais cet amour peut et doit être pur. Sinon, il risque de menacer la réputation de Laure et jusqu’à son honneur et il peut aussi entraîner une certaine cruauté à son égard. Aussi Pétrarque ęnira, tout à fait à la ęn du Canzoniere, par évoquer la Vierge Marie à la place de Laure. La question qui se pose au sujet de ses successeurs est de savoir quelle aĴitude ils adopteront eux-mêmes. À la Renaissance, on distingue à la fois le naturalisme de Ronsard qui revient à l’élégie antique et le platonisme de Maurice Scève qui écrit la Délie en choisissant pour son style le langage et la diĜculté du mythe platonicien. Du Bellay combinait les deux aĴitudesȹ: Là où mon âme, au plus haut ciel guidée, Tu y pourras reconnaître l’idée De la beauté qu’en ce monde j’adore.

Le xviĽ et le xviiĽ siècles verront plutôt dans l’amour la trace de la passion la plus héroïque telle que peuvent l’exprimer le pathétique des épopées galantes ou héroïques et l’expérience classique des passions. On voit ici que Pétrarque débouche à la fois sur la mélancolie, sur l’inquiétude et ses ambiguïtés, et enęn sur le regret tragique de la pureté telle qu’on la trouve dans le Phèdre de Racine. Mais c’est surtout au xixĽ siècle que ces angoisses prennent toute leur portée avec le Romantisme. Sans entrer dans l’extrême richesse du détail, il nous suĜra d’évoquer les images dominantes qui s’aĜrment alors dans la conception de la femmeȹ: elle est à la fois l’idéal meurtri, comme dans la Nouvelle Héloïse, la Sylphide, comme chez Chateaubriand, la Ěeur

17

юљюіћ њіѐѕђљ

bleue comme chez Novalis et l’incarnation douloureuse de Diotama chez Hölderlin. L’obsession invincible du péché subsistait depuis le xviiiĽ siècle, depuis Richardson et Clarisse Harlowe, et elle survivait chez Laclos ou dans le roman noirȹ: la femme la plus pure semblait la plus agréable à violer. La période romantique et même pré-romantique paraissait donc aussi nier l’idéal féminin et s’aĴacher à le détruire. C’est ici que nous retrouvons en quelque manière une sublimité du désespoir. Elle tend à surmonter le conĚit que nous venons d’indiquerȹ: le Romantisme proprement dit continue à exalter l’héroïsme et la pureté des femmes, mais il le fait dans un monde où elles sont menacées et persécutées. Je pense surtout à Marion Delorme ou aux héroïnes que décrit Vigny, ou encore aux personnages du roman balzacien Splendeur et misère des courtisanes. Ainsi se dessine dans la douleur une sorte de salut par le désespoir. Un autre type de réĚexion s’aĴachait directement au problème de l’idéal féminin. Elle était suggérée par Théophile Gautier dans l’extraordinaire ouvrage intitulé Mademoiselle de Maupin. À la manière des platoniciens et dans le souvenir de Diotima, il essayait de décrire une femme parfaite en concentrant sur elle toutes les vertus des femmes et aussi des hommes. Il aboutissait ainsi à une image supérieure à la réalité et très angoissante puisqu’il représentait en ęn de compte un androgyne qui unissait la violence des hommes au charme sensuel des femmes et qui réunissait ainsi les deux aspects dans une sorte de rêve ambigu où miroitaient aussi les formes diverses de l’érotisme. Nous ne nous arrêterons pas iciȹ: à côté de Gautier nous trouvons Baudelaire et peut-être comprenons-nous alors les raisons profondes qui l’ont conduit vers le sonnet. Il a voulu que la beauté à laquelle il vouait ses rêves, ses hommages, son adoration, retrouvât la grâce et la pureté d’expression qu’elle avait à l’origine chez Pétrarque et il désirait en même temps, comme l’avait fait peut-être l’auteur du Secretum, y faire entrer la douleur à côté de la joie, en réunissant ainsi dans son voyage vers l’absolu et vers la mort l’ordre, le calme et la volupté. Il allait les unir dans la mort et les transęgurer dans sa vision de l’amourȹ: Et plus tard un ange entrouvrant les portes Viendra ranimer ędèle et joyeux Les miroirs ternis et les Ěammes mortes.

Ainsi, dans ceĴe rencontre de la mort et de l’espoir, s’accomplit l’idéal de la poésie moderne. Pétrarque l’avait pressenti sans renoncer au passé

18

љђѐѡѢџђѠ ёђ ѝѼѡџюџўѢђ

et ses lointains disciples le retrouvent aujourd’hui près de la fontaine de Vaucluseȹ: René Char écrit au bord de la Sorgue Soleil des eaux. Il retrouve ainsi notre idéal qui se confond avec ce que nous appelons Surréalisme ou, plus profondément, supernaturalisme.

19

Michelangelo Picone

Dentro la biblioteca di Petrarca

Un « classico » della leĴeratura moderna Petrarca è considerato, nelle storie leĴerarie, il padre della lirica moderna, l’ispiratore di grandi poeti come Ronsard, Shakespeare o Leopardi. Da lui prende il nome un movimento poetico che ha dominato la scena culturale europea, almeno ęno al Romanticismoȹ: il « petrarchismo » appunto. Già Pietro Bembo, all’inizio del Cinquecento, sosteneva la necessità, per la poesia del suo tempo, di imitare il modello del Canzoniere petrarchesco, se si volevano raggiungere dei risultati validi dal punto di vista retorico e stilistico. Cosí facendo egli meĴeva chiaramente Petrarca nel novero degli autori classiciȹ: lo considerava un « classico » moderno. Una tale dimensione classica non sono solo i continuatori di Petrarca a riconoscergliela, ma è lo stesso Petrarca a forgiarsela. Possiamo anzi aěermare che Petrarca abbia lavorato, nell’intero arco della sua vita e della sua opera, a costruire la sua propria auctoritas, a proieĴare di sé un’immagine comparabile a quella dei suoi amati auctores classici. RispeĴo a Dante che nella Commedia propone un canone ristreĴo degli auctores (comprendente, oltre a Virgilio, Omero, Orazio, Ovidio, Lucano e Stazio)¹, Petrarca dal canto suo si confronta con un numero molto piú alto di scriĴori, non solo pagani ma anche cristiani, non solo poeti ma anche prosatori, non solo leĴerati ma anche ęlosoę, etc. Se componendo l’Africa vuole essere il Virgilio moderno, scrivendo il De viris illustribus vuole meĴersi accanto a Tito Livio. Allo stesso

1. Cfr. Michelangelo Picone, « Dante e il canone degli auctores », in Rassegna europea di LeĴeratura italiana, I, ūųųŭ, p. ų-ŬŰȹ; Id., « Dante and the classics », in Danteȹ: Contemporary perspectives, edited by A.A. Iannucci, Toronto, University of Toronto Press, ūųųű, p. ůū-űŭ. Si vedano anche gli studi raccolti nel recente volume Studi sul canone leĴerario del Trecentoȹ: Per Michelangelo Picone, a cura di J. Bartuschat e L. Rossi, Ravenna, Longo, ŬŪŪŭ.

21

њіѐѕђљюћєђљќ ѝіѐќћђ

modo, organizzando le sue nutrite collezioni di leĴere (dalle Familiares alle Seniles) egli vuole diventare l’emulo di Cicerone e Senecaȹ; cosí come, raccogliendo nei Rerum vulgarium fragmenta le sue poesie in volgare, ambisce al titolo di rappresentante eponimo della lirica moderna. Anche se si aspeĴava la gloria dalle opere latine (proprio in quanto autore dell’Africa e del De viris illustribus riceverà in Campidoglio la corona poetica), pure lavora assiduamente, ęno alla sua morte, alla sua piú limitata produzione in lingua italiana, comprendente oltre al Canzoniere anche i Triumphi (un tentativo di poema allegorico, che vorrebbe prendere il posto della Commedia di Dante). Petrarca gestisce questa sua doppia dimensione autoriale — di poeta e prosatore in lingua latina, e di poeta in lingua italiana — con identica cura e con pari entusiasmo. Esiste anzi una naturale osmosi fra i due campi, per cui carte e libri appartenenti all’un tavolo di lavoro passano continuamente sull’altro. L’insegnamento che il Petrarca latino elargisce a quello volgare riguarda precisamente il fondamento classico che deve avere ogni impresa leĴeraria. Se Petrarca vuole aěermarsi come l’auctor della poesia d’amore in lingua volgare deve appoggiarsi, piú di quanto non avessero faĴo i suoi predecessori (dai trovatori a Dante), sui poeti classici che avevano traĴato la stessa materia. Fra questi non troviamo solo i poeti elegiaci (Catullo, Tibullo, Properzio, l’Ovidio degli Amores) e l’Orazio dei Carmina, ma anche i poeti epiciȹ: il Virgilio del quarto libro dell’Eneide, e sopraĴuĴo l’Ovidio delle Metamorfosi. Se dovessimo additare il poeta classico col quale l’autore dei Rerum vulgarium fragmenta dialoga di piú, non avremmo alcuna esitazione a riconoscerlo in Ovidio, con neĴa preferenza accordata all’Ovidius maior su quello erotico ed elegiaco². La grande novità del Canzoniere petrarchesco consiste precisamente in questa imitatio del repertorio mitologico contenuto nelle Metamorfosi. Petrarca applica alla sua vicenda personale, alla sua storia d’amore per Laura, i miti aěabulati da Ovidio, ad esempio il mito di Apollo e Dafne. È proieĴando la sua vita amorosa sullo sfondo paradigmatico del mito che Petrarca non solo conosce, e può descrivere, la sua passione, ma riesce sopraĴuĴo a darle perennitàȹ: la perennità simbo2. Si rinvia, per un primo orientamento quantitativo, all’Indice dei nomi contenuto nel commento approntato da Marco Santagata (Milano, Mondadori, ūųųŰ), ad voces. In particolare, per la presenza di Ovidio, e dei miti ovidiani, nei Rerum vulgarium fragmenta [d’ora in poiȹ: RVF], si può ora ricorrere all’aĴento studio di Luca Marcozzi, La biblioteca di Feboȹ: Mitologia e allegoria in Petrarca, Firenze, Cesati, ŬŪŪŬ (alle p. ŬŮų sq. si troverà un’accurata bibliograęa)ȹ; si veda anche la recensione di Ilaria Tufano, in Rassegna europea di LeĴeratura italiana, XXII, ŬŪŪŭ, p. ūŬŮ-ūŬű.

22

ёђћѡџќ љю яіяљіќѡђѐю ёі ѝђѡџюџѐю

lizzata dal nome di Laura, allusivo alla pianta sempre verde dell’alloro, e quindi alla corona destinata ai poeti d’amore.

La biblioteca classico-cristiana di Petrarca La ricostruzione della biblioteca di Petrarca è stata portata avanti, nel secolo scorso, da studiosi che rispondono al nome di Pierre de Nolhac, Remigio Sabbadini e Giuseppe Billanovich³. Lo scavo operato da questi illustri maestri nelle biblioteche di mezza Europa ci ha faĴo conoscere una grande quantità di libri posseduti da Petrarcaȹ; ma ci ha anche permesso di vedere lo scriĴore all’opera nel suo studio, di capire cioè il tipo di lavoro ęlologico e esegetico eseguito sopra quei libri. Dai primi volumi di Cicerone, ricevuti in regalo dal padre, alle LeĴere di san Paolo, la prima opera acquistata con i propri mezzi, per arrivare ai due pezzi unici della sua biblioteca, il cosiddeĴo Virgilio Ambrosiano impreziosito da una miniatura di mano di Simone Martini, e il Tito Livio Harleiano, l’edizione piú completa delle Historiæ messa insieme dai tempi antichiȹ: è grazie alla ricerca ęlologica novecentesca che noi siamo in grado di comprendere il ruolo fondamentale svolto da Petrarca nella storia ricezionale di questi autori e di queste opere. Quella di Petrarca costituisce in realtà la prima biblioteca personale moderna sulla quale abbiamo informazioni deĴagliate e sicureŸ. Dante, per contrasto, non ha mai avuto a disposizione una sua biblioteca, sopraĴuĴo dopo che l’esilio lo ha costreĴo a vagare di corte in corte. Entriamo allora 3. Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’Humanisme, Paris, Champion, ūųŪű [= Turino, BoĴega d’Erasmo-Paris, Champion, ūųŰůȹ; ed. riv.]ȹ; Remigio Sabbadini, La scoperta dei codici latini e greci ne’ secoli XIV e XV, Firenze, Sansoni, ūųūŮ [= Firenze, Le LeĴere, ūųųŰ]ȹ; Giuseppe Billanovich, Petrarca leĴeratoȹ: Lo scriĴoio del Petrarca, Roma, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųŮű e ūųųů²ȹ; Id., La tradizione del testo di Livio e le origini dell’Umanesimo, Padova, Antenore, ūųŲūȹ; Id., Petrarca e il primo Umanesimo, Padova, Antenore, ūųųŰ. 4. Fra l’ingente bibliograęa che si è accumulata sull’idea di biblioteca fra Antichità e Medioevo basta qui indicare le voci piú signięcativeȹ: Armando Petrucci, « Le biblioteche antiche », in LeĴeratura italiana [direĴa da Alberto Asor Rosa], vol. IIȹ: Produzione e consumo, Torino, Einaudi, ūųŲŭ, p. ůŬű-ůůŮȹ; e l’oĴimo reader curato da Guglielmo Cavallo, Le biblioteche nel mondo antico e medievale, Roma-Bari, Laterza, ūųŲŲ. Si vedano inoltre Pierre Riché, Écoles et enseignement dans le Haut Moyen Âge, Paris, Aubier, ūųűų (alle p. ŮŭŪ sq. viene raccolta una concisa bibliograęa)ȹ; Paul Oskar Kristeller, Medieval aspects of Renaissance learning, Durham (N.C.), Duke University Press, ūųűŮ. Per la biblioteca di Petrarca, oltre agli studi di Billanovich elencati supra, n. Ŭ, è ora fondamentale il capitolo dedicato a « Petrarchs studium » nel volume di Karlheinz Stierle, Francesco Petrarcaȹ: Ein Intellektueller im Europa des ūŮ. Jahrhunderts, München, Hauser, ŬŪŪŭ, p. ųŭ-ŬŭŮ.

23

њіѐѕђљюћєђљќ ѝіѐќћђ

con discrezione in questo luogo di cui Petrarca ci parla innumerevoli volte nelle sue leĴere, e che piĴori dell’epoca (ad esempio Altichiero nella sala dei Giganti di Padova) ci hanno cosí suggestivamente rappresentato. Si traĴa anzituĴo di una biblioteca nella quale vengono accolti solo libri scriĴi in latino, mentre quelli in volgare sembrano essere esclusi. Ci può apparire strano che un uomo vissuto cosí a lungo ad Avignone — dove certo si respirava la cultura occitanica e oitanica, con la quale lui stesso mostra di avere grande familiarità — non menzioni mai le sue fonti bibliograęche per quanto concerne la lirica dei trovatori o la leĴeratura arturiana. Risulta parimenti incomprensibile che l’erede uĜciale della lirica toscana del Duecento non si preoccupi mai di informarci su quale canzoniere abbia avuto fra mano, o su quali codici abbia consultato. E non parliamo del suo problematico rapporto con Dante, della sua anxiety of inĚuence nei confronti della Commedia. L’amico e allievo di Petrarca, Giovanni Boccaccio, cercherà di temperare tale avversione, neppure tanto latente, facendosi umile copista del poema sacro a beneęcio del venerato maestroŹ. Pure con queste limitazioni riguardanti la leĴeratura recente — evidentemente volute e quasi ostentate —, quella di Petrarca rimane una delle biblioteche piú ricche del Medioevo. È una biblioteca pressoché completa per quelli che verrano poi chiamati gli studia humanitatis, dei quali lui stesso può essere considerato l’iniziatoreź. Vi troviamo infaĴi le opere che mettono al centro della loro aĴenzione l’uomo, con tuĴi i suoi interessi morali, religiosi, ęlosoęci, storici e leĴerari. Ciò comporta che accanto agli auctores classici (inseriti in un canone molto piú esteso che in passato) egli riservi un posto essenziale agli scriĴori dell’epoca cristianaȹ: alla Bibbia, agli esegeti biblici, ai padri della Chiesa, e sopraĴuĴo a sant’Agostino. Petrarca ha cercato per tuĴa la sua vita di unięcare questi due scaěali della sua biblioteca, ma non ci è mai riuscito. Egli ha voluto armonizzare le conoscenze mondane che ricavava dalla leĴura degli auctores, con quelle religiose che estraeva dalla frequentazione assidua degli scriĴori cristiani, ha tentato 5. Anche su questo aspeĴo, soĴoposto ad un vaglio continuo dalla critica specialistica, basterà ricordare una sola voce bibliograęcaȹ: quella di Marco Santagata nel suo volume Per moderne carteȹ: La biblioteca volgare di Petrarca, Bologna, il Mulino, ūųųŪ, p. Ŭů-ųū. 6. Ovvio il rinvio allo studio, veramente seminale, di Paul Oskar Kristeller, « Humanism and Scholasticism in Italian Renaissance » (ūųŮů), in Renaissance thoughtȹ: The classic, scholastic and humanistic strains, New York, Harper Torchbooks, ūųŰū, p. ųŬ-ūūųȹ; dello stesso studioso si veda anche « Il Petrarca, l’Umanesimo e la Scolastica », in LeĴere Italiane, VII, ūųůů, p. ŭŰű-ŭŲŲ.

24

ёђћѡџќ љю яіяљіќѡђѐю ёі ѝђѡџюџѐю

di conciliare la perfezione formale classica con la pregnanza dei contenuti cristianiȹ: invece della conciliazione ha però oĴenuto una convivenza armata. Trova origine in questa disposizione conĚiĴuale delle due ali della sua biblioteca la Ěuctuatio animi tante volte descriĴa nelle sue opere latine, che è poi la molla che agisce al fondo di quelle volgariȹ: l’oscillazione cioè fra terra e cielo, fra gloria mondana e salvezza eternaŻ. Sebbene si possa individuare nella prima parte della sua carriera una predominanza degli studi ęlologici, e nella seconda parte una maggiore concentrazione sui pensieri religiosi, pure sarebbe errato credere che i secondi arrivino a cancellare i primiż. In realtà, gli uni e gli altri convivono bellicosamente nel suo animo, senza che si arrivi ad una loro sconęĴa o viĴoria deęnitiva. Oltre ad essere una biblioteca reale, quella di Petrarca è anche una biblioteca aĴiva e dinamica. Essa si viene formando nel corso degli anni, e la sua incidenza non solo sull’opera ma sulla stessa vita dello scriĴore è chiaramente dimostrabile. Petrarca registra, in modo quasi maniacale, la data nella quale è entrato in possesso di un certo libro, e anche le circostanze del suo acquistoŽ. Ad esempio sulla prima pagina del ms. contenente il De civitate Dei di sant’Agostino (oggi conservato a Padova) troviamo la seguente nota di possessoȹ: « Anno Domini m. iii c, xxv. mense februario in Avinione, emi istum librum de civitate Dei ab exequutoribus domini Cinthii cantoris Turonensis, pro pretio Ěorenorum xii ». Petrarca ci informa non solo dove ha comprato il libro (ad Avignone) e da chi (dagli esecutori testamentari di un cantore della chiesa di Tours), ma anche quanto lo ha pagato (ūŬ ęorini). Su un altro ms. (il Lat. ūųŲų della Bibliothèque Nationale di Parigi), contenente le Enarrationes in Psalmos sempre di sant’Agostino, egli segnala invece di averlo ricevuto in regalo da Boccaccioȹ: « Hoc immensum opus donavit mihi vir egregius dominus Iohannes Boccaccii de Certaldo poeta nostri temporis, quod de Florentia Mediolanum ad me pervenit ūŭůů, aprilis ūŪ ». 7. Il luogo dove Petrarca descrive piú completamente questo suo stato d’animo è nella Præfatio al secondo libro del De remediis utriusque fortunæ. Sull’argomento si veda Antonio D’Andrea, « Petrarca, le due versioni della malaĴia di “Franciscus” e l’interpretazione del Secretum », in Il nome della storiaȹ: Studi e ricerche di storia e leĴeratura, Napoli, Liguori, ūųŲŬ, p. ůų-Ųůȹ; e Michelangelo Picone, « Petrarca e il libro non ęnito », in Italianistica, in c.s. 8. Una simile tesi, sostenuta con vigore da Francisco Rico (in particolare nell’articolo « Philology and philosophy in Petrarch », in Intellectuals and writers in the xiv Ōŀ Century Europe, edited by P. Boitani e A. Torti, Tübingen, Gunter Narr, ūųŲŰ, p. Ůů-ŰŰ), è largamente condivisa della maggior parte degli studiosi moderni, sopraĴuĴo italiani. 9. Basta, per rendersene conto, scorrere lo studio di Nolhac cit. supra, n. ŭ (da qui sono ricavate le successive citazioni).

25

њіѐѕђљюћєђљќ ѝіѐќћђ

Ma il libro che possiamo considerare veramente come lo specchio della vita e dell’opera di Petrarca è il Virgilio Ambrosiano. Già il suo contenuto — le tre opere canoniche dell’auctor classico — allude al processo formativo dell’autore-leĴore moderno. Egli si trova infaĴi davanti il modello piú alto per ognuno dei tre stili teorizzati dalle poetrie medievaliȹ: lo stylus humilis delle Bucoliche, quello mediocris delle Georgiche, e quello inęne altus dell’Eneide. Il libro diventa cosí la personale Rota Vergilii di Petrarca, grazie alla quale egli potrà compiere il suo iter ad Parnassum, ascendere verso le piú alte veĴe della poesia. È questo, fra l’altro, il senso che anche le ęgure allegoriche dipinte da Simone Martini (ma ispirate da Petrarca stesso) vogliono comunicareȹ: se il guerriero, il contadino e il pastore emblematizzano le tre opere virgiliane, il personaggio centrale, colui che solleva la cortina dietro la quale si nasconde Virgilio, è l’interprete moderno (nella faĴispecie Servio) che scopre soĴo le ęnzioni poetiche dell’auctor classico la verità cristiana¹Ŵ. Sui fogli di guardia del codice Ambrosiano troviamo però altre informazioni che concernono tanto la vita del codice quanto quella del suo possessore. In una nota egli ci dice che il codice gli è stato rubato, e lo ha potuto recuperare solo ūŬ anni dopoȹ: « Liber hic furto mihi subreptus fuerat anno Domini mº iiic xxviº, in kalendis Novembris ac deinde restitutus anno mº iiic xxxviiiº die xvii Aprilis, apud Avinionem »ȹ; trafugato agli inizi di novembre del ūŭŬŰ, il codice gli è stato restituito il ūű aprile del ūŭŭŲ. Tanta aĴenzione alle date esaĴe della perdita e del recupero del codice fa da pendant alla precisione con la quale Petrarca registra i momenti capitali della sua storia amorosa nel Canzoniereȹ: dall’incontro fatale avvenuto nel « mille trecento ventiseĴe, a punto/ su l’ora prima, il dí sesto d’aprile » (RVF, Ŭūū ūŬ-ūŭ), alla tragica morte di Laura « ’n mille trecento quarantoĴo,/ il dí sesto d’aprile, in l’ora prima » (RVF, ŭŭŰ ūŬ-ūŭ). Non sarà quindi un caso che la famosissima nota obituaria con la quale Petrarca commemora l’evento della morte dell’amata durante la peste del ūŭŮŲ venga consegnata proprio alle pagine di questo ms.ȹ: « Laurea, propriis virtutibus illustris et meis longum celebrata carminibus, primum oculis meis apparuit sub primum adolescentie mee tempus, anno Domini mº iiic xxvii die viº mensis Aprilis in ecclesia Sancte Clare Avin. hora matutinaȹ; et in eadem civitate eodem mense Aprili eodem die sexto eadem ora prima, anno autem mº iiic xlviiiº ab hac luce lux illa subtracta est ». Lo scrupolo ęlologico che si accompagna alla leĴura del testo virgiliano, e la 10. Per l’interpretazione di questa celebre miniatura si rinvia alla voce « Petrarca, Francesco » di Michele Feo nell’Enciclopedia virgiliana, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana, vol. IV, ūųŲŲ, p. ůŭ-űŲ [p. ůů].

26

ёђћѡџќ љю яіяљіќѡђѐю ёі ѝђѡџюџѐю

creazione poetica ispirata dall’amore per Laura, sono per Petrarca delle aĴività non solo connesse ma anche inestricabili. Un altro aspeĴo non trascurabile della biblioteca di Petrarca è la mobilità. Si traĴa infaĴi di una biblioteca formata da libri che Petrarca ha acquistato nel corso dei suoi viaggi in Europa, e che egli porta con sé quando la sua esistenza errabonda lo spinge a cambiare residenza. Costituitasi inizialmente ad Avignone, dove trova accoglienza nella casa che aveva acquistato in Valchiusa, essa viene trasportata in Italia quando il suo proprietario decide, fra il ūŭůŬ e il ūŭůŭ, di trasferirsi deęnitivamente nella sua terra d’origine, prima a Milano, poi a Venezia, e ęnalmente a Padova-Arquà. Petrarca si preoccupa addiriĴura per la sorte che capiterà ai suoi libri dopo la sua morteȹ; sappiamo di traĴative, mai andate in porto, con la Repubblica di Venezia per trovare una sede permanente per la sua biblioteca¹¹. La piú grande paura dello scriĴore era che i suoi libri andassero dispersiȹ; eventualità che si è puntualmente verięcata. E c’è voluta tuĴa la costanza e l’acribia delle migliori scuole ęlologiche del secolo scorso per ricostruirla.

Il contesto culturale Il nucleo originario della biblioteca petrarchesca si compone, come abbiamo deĴo, ad Avignone, grazie anche alle donazioni paterne, e grazie soprattuĴo alle possibilità oěerte da una ciĴà che era rapidamente diventata la capitale culturale dell’Europa¹². Il primo libro che il giovanissimo Petrarca ha posseduto è stata la Retorica di Ciceroneȹ: uno strumento didaĴico indispensabile per la formazione di un giurista del tempo. Se ser Petracco, regalando al ęglio quest’opera, intendeva suscitare in lui la passione per gli studi di diriĴo, in realtà ha oĴenuto l’eěeĴo oppostoȹ: quello di favorire la sua naturale propensione per gli studi di leĴeratura. Cicerone diventerà infaĴi il perno della formazione umanistica di Petrarca. Assieme a Cicerone, l’altro auctor latino che entra ben presto a far parte della biblioteca classica petrarchesca è Virgilioȹ: il Virgilio Ambrosiano, già menzionato,

11. Si veda a questo proposito l’accurata ricostruzione storica fornita da Manlio Pastore Stocchi, « La biblioteca di Petrarca », in Storia della cultura veneta, vol. IIȹ: Il Trecento, a cura di G. Arnaldi, Vicenza, Neri Pozza, ūųűŰ, p. ůŭŰ-ůŰů. 12. Su Avignone, « capitale del XIV secolo », si veda ora K. Stierle, Francesco Petrarca…, op. cit., p. ůū-ųŪ.

27

њіѐѕђљюћєђљќ ѝіѐќћђ

messo su a Avignone a partire da un codice anch’esso di proprietà del padre (il cui nome si trova registrato all’interno del codice stesso come « Petrus Parentis Ěorentinus »)¹³. Le addizioni bibliograęche successive avvengono nella direzione sia della cultura classica con la sua eredità medievale, sia della cultura cristiana, biblica e patristica. Fra i primi acquisti in questo ambito troviamo, oltre al De civitate Dei, una edizione delle LeĴere di san Paolo, oggi custodita alla Biblioteca Nazionale di Napoli. Sono queste delle scelte culturali faĴe dal padre, ma totalmente assecondate dal ęglio, il quale le orienta in una prospeĴiva non piú utilitaristica e professionale bensí umanistica e leĴeraria. Come già i primi poeti della Scuola siciliana, e poi gli stessi rappresentanti dello Stilnuovo, da Guinizzelli a Cino da Pistoia¹Ÿ, anche Petrarca esce dunque da un ambiente notarile, viene maturando a streĴo contaĴo con una cultura giuridica che aĴribuiva un’importanza grandissima alle humanæ liĴeræ nel processo formativo dei suoi adepti. Dallo studio degli auctores classici si ricavavano cioè quegli insegnamenti retorici e stilistici che erano ritenuti essenziali per comporre un’orazione elegante e eĜcace. Un’aspirazione questa che l’uomo di legge aveva in comune con il leĴerato e il poeta. Un precedente illustre di un simile connubio dell’aĴività notarile con la sensibilità umanistica si era avuto nella ciĴà di Padova a cavallo fra il XIII e il XIV secoloȹ: qui giuristi come Lovato Lovati e Albertino Mussato avevano operato le prime scoperte ęlologiche di autori e opere classiche ęno ad allora sconosciute (dal Liber di Catullo alle Tragedie di Seneca, per ęnire con il ritrovamento di una gloria locale, delle prime decadi degli Ab urbe condita di Tito Livio)¹Ź. Ma il loro contributo non si era fermato a quest’opera di scavoȹ: essi avevano anche cercato di far rivivere nel mondo contemporaneo generi leĴerari classici che erano passati in completo disusoȹ: come la tragedia (Mussato con l’Ecerinis creerà la prima tragedia moderna) e le storie (lo stesso Mussato con la Historia Augusta anticiperà il revival del genere storico proposto da Petrarca e Boccaccio). 13. Sulle vicende relative a questo codice informa lo studio di Giuseppe Billanovich, « Il Virgilio Ambrosiano » (ūųŲů), ora raccolto in Id., Petrarca e il primo Umanesimo, op. cit., p. ŭ-ŮŪȹ; si veda anche M. Feo, « Petrarca, Francesco », op. cit., p. ůŭ-ŰŪ. 14. Si rinvia al succoso paragrafo che Francesco Bruni dedica al ruolo del notaio nella tradizione poetica italiana duecentescaȹ: Storia della civiltà leĴeraria italiana, vol. Iȹ: Dalle Origini al Trecento, Torino, UTET, ūųųŪ, p. ūűŮ-ūűű. 15. Cfr. Guido Billanovich, « Il preumanesimo padovano », in Storia della cultura veneta, vol. IIȹ: Il Trecento, op. cit., p. ūų-ūūŪ.

28

ёђћѡџќ љю яіяљіќѡђѐю ёі ѝђѡџюџѐю

L’altro elemento decisivo per la costituzione della biblioteca di Petrarca, e per la sua formazione intelleĴuale, è stato il suo soggiorno avignonese, durato all’incirca un trentennio. Benché vilipeso per la sua corruzione morale (basti pensare ai soneĴi antiavignonesi o alle leĴere Sine nomine)¹ź, l’ambiente della curia pontięcia ha esercitato una profonda inĚuenza sul giovane Petrarca. Avignone era infaĴi diventata un carrefour di uomini e di ideeȹ: vi si potevano incontrare le personalità piú interessanti e stimolanti del momento, e le novità culturali vi avevano libera circolazione. Basterà menzionare solo due di questi incontri avignonesi, che risulteranno di fondamentale importanza per la carriera leĴeraria del ęglio di ser Petracco. Il primo è stato quello con Dionigi da Borgo San Sepolcro, un monaco agostiniano conosciuto nel ūŭŭŭ, e subito diventato l’interlocutore privilegiato del Nostro. Il solido rapporto di amicizia fra i due era fondato sia sui comuni interessi ęlologici (anche Dionigi era un cultore degli studi classici, e aveva dedicato un importante commento ai Facta et dicta memorabilia di Valerio Massimo), sia sulle aspirazioni del giovane Petrarca ad una vita religiosa piú piena e intensa (aspirazioni che Dionigi cercava di raěorzare)¹Ż. Fu, in eěeĴi, il monaco agostiniano che regalò a Petrarca l’opera destinata a diventare l’asse portante della sua meditazione spiritualeȹ: quella piccola copia tascabile delle Confessiones di sant’Agostino che lo scriĴore porterà sempre con sé, anche in occasione della sua famosa ascensione del Monte Ventoso. Ecco come nel De otio religiosorum Petrarca ricorderà questo preziosissimo donoȹ: « Quiescat in secula sine ęne felix, cuius manu ille mihi primum liber oblatus est, qui vago animo frenum dedit ». Se c’è una speranza che « i pensier’ vaghi » (come verranno deęniti in RVF, ŰŬ ūŭ) possano essere ricondoĴi sulla via che porta alla verità eterna, questa si origina nella lettura dell’autobiograęa spirituale del santo vescovo di Ippona. Un’altra amicizia iniziata ad Avignone, e carica di conseguenze per la vita futura di Petrarca, è stata quella stabilita con la potente famiglia dei Colonna¹ż. Di un membro di questa famiglia di alti prelati, del cardinale Giovanni Colonna, Petrarca diventerà cappellano e segretario privato, ricevendo in cambio protezione sociale e beneęci economici. Anche

16. Si rinvia a Michelangelo Picone, « Avignone come tema leĴerarioȹ: Dante e Petrarca », in L’Alighieri, n.s., XX, ŬŪŪŬ, p. ů-ŬŬ. 17. Importanti ora gli AĴi del Convegno di Sansepolcro su Dionigi da Borgo Sansepolcro tra Petrarca e Boccaccio, a cura di F. Suitner, CiĴà di Castello, Peruzzi, ŬŪŪū. 18. Cfr. Marco Santagata, Petrarca e i Colonna, Lucca, Pacini Fazzi, ūųŲŲ.

29

њіѐѕђљюћєђљќ ѝіѐќћђ

i Colonna, orgogliosi delle loro radici romane, erano imbevuti di cultura classica, e potevano quindi apprezzare la straordinaria competenza del loro proteĴo in questa materia. Sarà proprio da un altro membro della famiglia Colonna, Giacomo, che Petrarca riceverà in dono la terza decade degli Ab urbe condita di Tito Livio, punto di partenza di un ambiziosissimo progeĴo di ricostruzione ęlologica che lo porterà ad approntare l’edizione piú completa del capolavoro latino, concludendo cosí la ricerca che era stata iniziata da Albertino Mussato¹Ž. Ora, una impresa del genere poteva essere portata avanti solo ad Avignone, dove Petrarca disponeva dei fondi manoscriĴi necessari, ma dove sopraĴuĴo esisteva un fortissimo interesse per lo storico romano, in funzione proprio anti-avignonese. La Roma virtuosa di Livio rappresentava la negazione dell’Avignone viziosa dei papi. Nel nome di Livio si coagulavano pertanto le aspirazioni di coloro (tra i quali troviamo gli stessi Colonna) che sognavano una rapida ęne della caĴività avignonese, e il ritorno del soglio pontięcio nella CiĴà eterna. Anche in questo caso la ęlologia petrarchesca veniva a toccare un nervo sensibilissimo della cultura del tempo.

I libri peculiares di Petrarca Cade nel bel mezzo del soggiorno avignonese una nota vergata da Petrarca sul foglio di guardia di un ms. contenente due opere religiose (il Liber de anima di Cassiodoro e il De vera religione di sant’Agostino). Questa nota, apposta sul foglio di guardia ęnale del Par. Lat. ŬŬŪū, ha faĴo l’oggeĴo di numerosi studi, da quello di Léopold Delisle (che l’ha scoperta nel ūŲųű), alle pagine che vi dedica Pierre de Nolhac nel suo fondamentale Pétrarque et l’humanisme, al decisivo articolo di Berthold Louis Ullmann che ne ha risolto quasi tuĴe le questioni interpretative²Ŵ. Io parlerò brevemente di questo documento, analizzandolo nell’oĴica che mi sono proposta, che è quella dell’idea che un leĴore moderno si può fare della biblioteca di Petrarca.

19. Cfr. G. Billanovich, La tradizione del testo di Livio…, op. cit. 20. Berthold Lewis Ullmann, « Petrarch’s favorite books » (ūųŬŭ), poi raccolto in Id., Studies in the Italian Renaissance, Roma, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųűŭ², p. ūūŭ-ūŭŭ (ibid. si troverà indicata e discussa la bibliograęa pregressa). Da segnalare una svista contenuta nella pur aĴentissima trascrizione del foglio (alle p. ūūŲ sq.)ȹ: l’autore che chiude l’elenco dei poeti nella colonna di destra della prima lista non è Ovidio ma Giovenaleȹ; va quindi invertito l’ordine (prima « Ovidius presertim in maiori » e poi « Iuvenalis »).

30

ёђћѡџќ љю яіяљіќѡђѐю ёі ѝђѡџюџѐю

La nota presenta una sua autonoma intitolazione, che è molto signięcativaȹ: « Libri mei/ peculiares ». La nota riguarda quindi i libri che Petrarca considera « suoi »ȹ: non tanto perché li possiede materialmente (anche se ciò è vero per molti di essi), quanto perché se n’è impossessato spiritualmente. Sono libri costitutivi del suo sviluppo intelleĴuale, che fanno parte essenziale della sua personalità. Non si traĴa pertanto di una semplice lista di libri rinvenibili sugli scaěali della sua biblioteca, bensí di testi coi quali lui si identięca culturalmente. La biblioteca, in altre parole, diventa il correlativo oggeĴivo dello scriĴore. Lo scriĴore è il risultato di ciò che ha leĴo e assimilato. È questo il senso dell’aggeĴivo peculiaresȹ: questi libri sono tipici della personalità di Petrarca, e di nessun altro. Se volete sapere chi sono — sembra dire Petrarca — dovete leggere i libri contenuti in questa lista (in realtà le liste sono tre, ma in questa sede ci soěermeremo sopraĴuĴo sulla prima). Il titolo è seguito da una frase che, leĴa e interpretata in modo errato all’inizio, ha potuto essere decifrata pienamente dopo che se ne è scoperta la fonte classica. Dice Petrarca che « ad reliquos [libros] non transfuga sed explorator transire soleo ». Si traĴa, in eěeĴi, di una citazione ricavata dalla seconda leĴera del primo libro delle Epistulæ ad Lucilium di Seneca (uno dei libri peculiares indicati subito soĴo)ȹ: « soleo enim et in aliena castra transire, non tamquam transfuga, sed tamquam explorator ». Io sono solito — scrive Seneca a Lucilio — passare nell’accampamento nemico non come disertore ma come esploratore. Il senso di queste parole viene spiegato nel seguito della leĴera, che gli studiosi di Petrarca non hanno purtroppo tenuto presente. Anche Seneca parla di libri, e della necessità di leggerli per assimilarne il contenuto morale. Il suo parere è che Lucilio si debba dedicare alle leĴure che siano importanti per la sua formazione, evitando le leĴure dispersiveȹ: « Probatos itaque semper lege, et si quando ad alios deverti libuerit, ad priores redi ». Seneca ammeĴe la possibilità di incursioni in campo avverso, la leĴura di opere che nulla contribuiscono per il nostro arricchimento interiore, a condizione però che si ritorni subito al proprio campo, a leggere gli autori dai quali possiamo ricavare un sicuro alimento per la nostra vita spirituale. Anch’io — aggiunge Seneca —, che sono un ęlosofo stoico, ho leĴo Epicuro, sono quindi penetrato nel territorio dei miei avversari, ma l’ho faĴo non come transfuga che passa nelle ęle del nemico, bensí come explorator che cerca di capire le mosse del nemico per controbaĴerle. È dentro questo contesto ideologico che va spiegata la lista dei libri peculiares di Petrarca, e la distinzione ivi proposta fra i peculiares e i reliquos. Ai primi appartengono le opere indicate nella lista soĴostante, ai

31

њіѐѕђљюћєђљќ ѝіѐќћђ

secondi le opere che possono anche far parte della sua biblioteca reale ma non di quella ideale. La biblioteca si divide pertanto in due latiȹ: un lato di essa viene frequentato assiduamente, mentre dall’altro lato egli si avventura di tanto in tanto. Delisle aveva erroneamente leĴo, al posto di ad reliquos, ad religionemȹ: ciò che aveva dato alla frase, e all’intera lista, un senso del tuĴo fuorviante. Petrarca non intende aěaĴo stabilire un’opposizione fra gli auctores classici e gli auctores cristianiȹ: i primi frequentati sopraĴuĴo in gioventú (all’epoca di questa lista), e i secondi nella maturità. Una simile categorica contrapposizione è da ritenere come profondamente anti-petrarchesca. Per Petrarca non esiste una fraĴura fra le due culture, classica e cristiana, ma (come abbiamo già deĴo) un’oscillazione. Purtroppo però la nozione che Petrarca giovane sia stato inĚuenzato dalla ęlologia e dagli studi classici, mentre quello maturo si sarebbe convertito alla ęlosoęa e agli interessi religiosi, è dura a morire, ed ha pesantemente condizionato anche il modo nel quale il Petrarca volgare (sopraĴuĴo quello del Canzoniere) è stato leĴo e interpretato. Petrarca non fa dunque nessuna distinzione fra mondo classico e mondo cristiano anche perché la lista riguarda i libri che appartengono alla cultura classica o mediolatinaȹ; alla cultura cristiana si riferisce la terza lista (comprendente quaĴro opere di sant’Agostino), che rappresenta forse l’abbozzo di un elenco analogo che Petrarca voleva stilare per gli autori cristiani. La distinzione viene invece operata all’interno della cultura classica, fra i libri che Petrarca legge continuamente, e quelli che legge di tanto in tanto²¹. Mentre dei primi ci fornisce un canone deĴagliato, i secondi vanno inferiti per esclusione. Invece di analizzare le singole opere e i singoli autori presenti in questa lista (lavoro che è già stato svolto oĴimamente da B.L. Ullmann), sarà opportuno evidenziare il modo in cui la lista stessa è organizzata. Due sono i criteri ai quali Petrarca si aĴieneȹ: il criterio gerarchico e quello cronologico. Ad esempio, i libri che si trovano nella parte alta della lista sono chiaramente piú importanti di quelli posti nella parte bassa. In alto abbiamo le opere fondamentali per la formazione spirituale dell’indivi-

21. Si traĴa di un rilievo ricorrente nell’Epistolarioȹ; ad es. nella Fam. XXII Ŭ ūū-ūŭ, dove Petrarca dichiara di aver leĴo una sola volta, e in freĴa, autori come Ennio, Plauto o Apuleioȹ; mentre ha leĴo mille volte e meditato i « suoi » autori, cioè Virgilio, Orazio, Boezio e Cicerone (« Legi apud Virgilium apud Flaccum apud Severinum apud Tulliumȹ; nec semel legi sed milies, nec cucurri sed incubui, et totis ingenii nisibus immoratus sum »).

32

ёђћѡџќ љю яіяљіќѡђѐю ёі ѝђѡџюџѐю

duoȹ: opere sopraĴuĴo di caraĴere « morale ». È questa infaĴi la sigla che Petrarca meĴe immediatamente soĴo il titolo dei libri peculiaresȹ: « moralia ». In basso troviamo invece le opere e le discipline che ci permeĴono di accedere ai libri ęlosoęci e moraliȹ: opere di « recthorica » teorica e pratica a sinistra (tuĴe di Cicerone o a lui aĴribuite) e opere di « grammatica » a destra (accanto ai soliti Prisciano e Donato troviamo dei repertori lessicali come quello di Papia o il Catholicon di Giovanni Balbi). Sempre nella colonna di destra, soĴo a « dyalectica » (un traĴato di logica) e « astronomia » (il traĴato astronomico della Spera di Sacrobosco) rinveniamo un’intera sezione interamente occupata dai « commentatores », a cominciare da Macrobio, che Petrarca doveva considerare come il commentator principe. Macrobio, già citato come autore dei Saturnalia (in fondo alla colonna centrale), viene qui menzionato per il suo « accessorius », per il suo commento al Somnium Scipionis di Cicerone, l’opera alla quale Petrarca concede il privilegio di capeggiare la lista delle opere morali (il Somnium fa infaĴi parte del « sextus Rei publicæ »)²². Due osservazioni pare necessario fare a proposito del rilievo e del ruolo che Petrarca aĴribuisce al commento. La prima è che la sigla ex con una leĴera soprascriĴa (di non facile leĴuraȹ: a o esȹ?), sigla che precede opere come i Saturnalia di Macrobio e le Noctes Acticæ di « Agellius » (cioè Aulo Gellio), non va forse interpretata come abbreviazione di exempla (Ullmann) o peggio di excerpta (Delisle), ma va riportata all’area del commento, dell’esegesi applicata ai testi autoriali (mi permeĴo di suggerire « expositiones », che è il termine tecnico col quale nel Medioevo si designa questa disciplina)²³. L’altra osservazione riguarda il pronome iste riferito a Macrobio (« Macrobius sed iste intelligitur accessorius tractatui sui »)ȹ; lo stesso pronome iste si ritrova in testa alla seconda lista, ed è stato comu22. Evidentemente il Petrarca che redige questa lista non pensa solo alla sua Africa, ma ha già in mente i Triumphi, opera con la quale intende « correggere » la visio dantesca alla luce del somnium ciceroniano interpretato da Macrobio. La lista è stata redaĴa aĴorno al ūŭŭŭȹ: ciò che ci induce ad anticipare di molto la prima larvale ideazione del poema allegorico in volgare (la cui composizione risale — secondo l’ipotesi, oggi contestata, di Carlo Calcaterra — agli inizi degli anni ’ŮŪ). 23. Cfr. la discussione proposta da B.L. Ullmann, Petrarch’s favorite books, op. cit., p. ūūű. Il termine expositio compare ripetutamente nelle postille che Petrarca appone ai margini dei due testi contenuti nel codiceȹ; si veda la trascrizione fornita da Léopold Delisle, « Notice sur un livre annoté par Pétrarque », in Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, XXXV, ūŲųű, p. ŭųŭ-ŮŪŲȹ; e cfr. anche Francisco Rico, « Petrarca y el De vera religione », in Italia medioevale e umanistica, XVII, ūųűŮ, p. ŭūŭ-ŭŰŮ.

33

њіѐѕђљюћєђљќ ѝіѐќћђ

nemente inteso come « iste [liber] », il libro cioè nel quale la nostra lista è trascriĴa. Secondo me si vuole invece operare un collegamento fra la ęne della prima lista e l’inizio della seconda, per cui iste è il Macrobio commentatore del Somnium Scipionis. Fra la parte alta della lista (che include i testi capitali per lo studio della morale) e la parte bassa (che registra le opere aěerenti alle discipline ausiliarie), troviamo elencati nella parte centrale gli autori di « ystorica » (che vanno dai grandi storici come Valerio Massimo e Tito Livio, agli epitomatori come Giustino e Floro, ęno ad arrivare agli storici minori come Festo e Eutropio) e di « poetica » (Petrarca inserisce i grandi poeti classici in un canone che ricorda quello dantesco della Commediaȹ: abbiamo prima i poeti epici, Virgilio Lucano e Stazio, poi Orazio « presertim in odis », cioè lirico, e Giovenale che rappresenta la poesia satirica, e inęne troviamo « Ovidius presertim in maiori », l’Ovidio delle Metamorfosi). Emerge da una siěaĴa disposizione gerarchica degli auctores che Petrarca, nel momento di redigere questa lista, prediligesse in assoluto Cicerone e Seneca (del primo vengono menzionate ben nove opere ęlosoęche e morali, del secondo cinque). Egli vuole quindi proieĴare di sé l’immagine non tanto dello storico, e nemmeno del poeta, quanto quella del ęlosofo morale. Petrarca aspira a diventare il nuovo Cicerone cristiano, o il nuovo Seneca (è precisamente in questa dimensione che si inseriscono le leĴere Familiares). Nell’ordinamento dei libri peculiares col criterio gerarchico si combina quello cronologico. Già all’interno del raggruppamento degli storici constatiamo la presenza di una chiara progressione che va dagli scriĴori dell’età augustea (Valerio Massimo e Tito Livio) a quelli della decadenza (Festo e Eutropio). Ma è sopratuĴo sull’asse orizzontale, quando ci spostiamo dal lato sinistro al lato destro della lista, che ci rendiamo conto della predominanza accordata al faĴore cronologico. InfaĴi, dal ęlosofo-moralista dell’età repubblicana (Cicerone) passiamo a quello dell’epoca imperiale (Seneca) ęno ad arrivare all’auctor della tarda latinità, e annunciatore dell’era cristiana, Boezio. La ęgura che si pone sul prolungamento di questa linea — che da Cicerone ci porta a Boezio — è naturalmente Petrarca stesso. È lui l’erede accreditato nel mondo cristiano della grande tradizione moralistica classica e tardo-antica. La lista dei libri peculiares ci vuole proprio dimostrare questo faĴo. Nella biblioteca di Petrarca troviamo indicato il suo destino di scriĴore.

34

Francisco Rico

Philologie et philosophie chez Pétrarque*

Pour quelques intellectuels et écrivains du xivĽ siècle, François Pétrarque représentait le « poeta, vir illustris ac vita moribusque et scientia clarus »¹ qui avait sauvé de l’oubli une partie substantielle de la liĴérature latine et leur avait appris à étudier les leĴres classiques en tant qu’elles constituaient l’un des piliers essentiels d’une civilisation nouvelle, d’un brave new world. D’autres aussi, probablement plus nombreux, tenaient Pétrarque en haute estime et se servaient des textes qu’il avait redécouverts, amendés et publiés. Cependant, ils n’essayaient pas de suivre son exemple pour édięer une culture nouvelle, mais plutôt de l’utiliser pour renforcer l’ancienne. Il ne manquait pas de personnages pour considérer que le but que se ęxait Pétrarque, de réconcilier l’héritage de l’Antiquité avec celui du Christianisme, témoignait d’un sécularisme outrancier et inacceptable. D’autre part, les moderni aristotéliciens, que beaucoup considéraient comme la colonne vertébrale de l’orthodoxie, étaient tout simplement accusés par Pétrarque d’être une bande d’incroyants ennemis du Christ. Les accusés répliquaient en le décrivant comme un incurable « ignorant ». Essayons à présent d’examiner comment le temps a mis en perspective les traits essentiels d’une ęgure dont la richesse même a provoqué des réactions aussi diverses. Parmi les manuscrits de Pétrarque parvenus jusqu’à nous, ceux dont on sait qu’ils ont fait partie da sa bibliothèque depuis les dates les plus reculées fournissent un témoignage évident des racines culturelles de notre humaniste et de son évolution. Nous savons en particulier que dans les premiers mois de ūŭŬů, pendant sa période avignonaise qui fut momentanément

* Texte traduit de l’anglais par les éditeurs de ces actes. 1. Giovanni Boccaccio, « De vita et moribus Francisci Petracchi de Florentia », in Id., Opere latine minori, a cura di A.F. Massèra, Bari, Laterza, ūųŬŲ, p. ŬŭŲ.

35

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

interrompue par ses années d’études à l’université de Bologne, Pétrarque avait déjà fait ou désirait faire l’acquisition de quatre livres d’importance considérableȹ: les Étymologies d’Isidore de Séville, les poèmes de Virgile, la Cité de Dieu de saint Augustin et les Épîtres de saint Paul. Sans aucun doute en eut-il entre les mains et en posséda-t-il beaucoup d’autres mais, en dépit de la dispersion fortuite de ces quatre manuscrits entre Paris, Milan, Padoue et Naples, force est de les considérer comme un échantillon représentatif. La simple liste de ces titres est donc la preuve que, dès le tout début, la lecture que ęt Pétrarque des auteurs anciens était liée à la Bible et aux Pères de l’Église. Nous pouvons à bon droit nous extasier devant le splendide et précieux Virgile qui est l’un des trésors de la Biblioteca Ambrosiana de Milan. Ce volume in-folio, contenant en outre l’Achilléide, quelques odes d’Horace et deux commentaires de Donat, est une œuvre de commande qui suppose non seulement une dépense ęnancière considérable, mais aussi un savoir et un talent technique remarquables. Or, nous savons que le père de François, ser Petracco de Parenzo (ce « Petrus Parentis Florentinus » qui, comme nous l’apprend une glose, était responsable de l’insertion « in suis locis » des hexamètres tirés de l’Énéide qui nous sont parvenus par l’intermédiaire de Servius)², avait fourni les fonds et collaboré au projet. Tout indique en outre qu’à la même époque, Pétrarque cherchait à se procurer le manuscrit du De civitate Dei qui ęnit par appartenir à l’évêque de Padoue, Ildebrandino Conti, son grand protecteur, et que l’humaniste lui-même enrichit quelques années plus tard en y inscrivant de sa main un de ces distiques qu’il s’amusait à composer dans son enfanceȹ: « Urbs eterna Dei, solidis subnixa columpnis,/ hunc fore signiferum de tot sibi cernit alumpnis ». Inscrits dans la marge supérieure du fº Ivº, les vers de Pétrarque en viennent ainsi à constituer matériellement la continuation de la note qu’Ildebrandino avait insérée dans la marge inférieure du fº Irº à titre d’introduction au chef-d’œuvre de l’évêque d’Hippone pour faire ressortir, par une citation, qu’il ne savait ce qui méritait davantage d’admirationȹ: « sacerdotii perfectionem, phylosophie dogmata, istorie plenam notitian an facundie iocunditatem »³. Il est extrêmement probable qu’à

2. Francisci Petrarcæ Vergilianus codex…, Præf. I. Galbiati, Milan, Hoepli, ūųŭŪ, fº ůŬ. 3. Cit. par Giuseppe Billanovich, « Dalle prime alle ultime leĴure del Petrarca », in Il Petrarca ad Arquàȹ: AĴi del Convegno di studio nel VI Centenario (ūŭűŮ-ūųűŮ), s.c., Padoue, Antenore, ūųűů, p. ŭų. CeĴe note est constituée par une citation d’une leĴre de Macedonius à saint Augustin (Épîtres, CLIV Ŭ).

36

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

vingt ans, Pétrarque ne cherchait rien d’autre dans La cité de Dieuȹ: piété chrétienne, profondeur de pensée, matière classique et élégance de style. La majorité de ces volumes étaient, bien entendu, des présents de ser Petracco, qui gagnait l’argent qu’il dépensait pour son ęls aîné comme procureur au service du groupe de dignitaires ecclésiastiques et de marchands italiens qui s’étaient établis en Avignon. Son père, « venerator ingens » de Cicéron, « facile in altum evasurus »Ÿ, désirait que François étudiât le droit, mais il lui laissa d’autres pistes ouvertes. Ce point est compréhensibleȹ: en tant que notaire issu d’une famille de notaires, ser Petracco appartenait à une classe qui n’était pas coupée des passions de jeunesse de Pétrarque ni indiěérente à elles. Dans la période de prospérité qui avait suivi les croisades, les communes indépendantes organisèrent la vie sociale et politique des territoires placés sous leur juridiction en aĴirant les propriétaires et les paysans, en donnant à l’agriculture et au commerce des objectifs communs et des facilitations, en procurant aux classes économiquement actives des possibilités sans cesse plus importantes d’accéder au pouvoir. À l’intérieur des enceintes urbaines se développa une bureaucratie de magistrats, juristes et secrétaires indispensables à la stabilité du gouvernement, de l’administration et de la diplomatie. Ces bureaucrates et juristes, en particulier au nord des Apennins, découvrirent bientôt que les auteurs classiques fournissaient d’excellents modèles pour qui faisait profession du langage écrit et parlé et détenait des positions de prestige public dans la cité. Ser Petracco appartenait au milieu de ces précurseurs de l’Humanisme et y jouait un rôle identique, bien que plus modeste. Il ne faut pas oublier non plus que François et son père développèrent leur activité en Avignon, qui était le siège de la papauté depuis ūŭŪų et le lieu de rencontre, sous les auspices des papes, d’hommes, de livres et d’idées. Ser Petracco s’était installé en Avignon en ūŭūŬ, en se prévalant de l’appui du cardinal Niccolò da Pratoȹ; plus tard, il s’aĴacha au cardinal Napoleone Orsini, qui était lui aussi, comme Niccolò da Prato, un allié des Colonna — la famille de prélats sous la protection de laquelle François resta de longues années durant. Ser Petracco se trouvait dans son élément au sein de ceĴe compagnie de juristes, de clercs et d’enseignants venus de Vénétie, de Rome et de Toscane, et dont beaucoup avait étudié en France ou dans les Flandres

4. Seniles, XVI ū — in Francisci Petrarchæ […] Opera quæ extant omnia, Basile, in æd. Henrici Petri, MDLIV, p. ūŪŮŰ.

37

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

et ramené sur les bords du Rhône une passion nouvelle pour les leĴres classiques et patristiques. C’est pourquoi, entre ūŭŬŰ et ūŭŬų, Pétrarque fut en mesure de continuer et de perfectionner en Avignon le travail commencé dans la Padoue d’Albertino Mussato et de Lovato Lovatiȹ: la première édition critique de Tite-Live. C’est un Pétrarque clairvoyant (et précoce) qui réalisa ce tour de force philologique. Mais le point à retenir est qu’il ne l’accomplit pas n’importe où, mais bien en Avignon, dans la ville où Niccolò da Prato, le protecteur de ser Petracco, avait incité dès ūŭūŰ Jean XXII à commander un commentaire de Tite-Live au dominicain anglais Nicolas Trevet, professeur de théologie à Oxford et à Londres. C’est là aussi que Simone d’Arezzo, le chanoine véronais membre de la suite du cardinal Niccolò qui avait fait la connaissance d’Albertino Mussato et joui de l’avantage d’un séjour romain éclairant, remit entre les mains de Pétrarque un remarquable manuscrit de Vérone. Avignon était également la ville où Landolfo Colonna, « protonobilissimus romanus » de ceĴe famille que Pétrarque allait servir à partir de ūŭŭŪ, chanoine de Chartres, lui ouvrit l’accès à un trésor des bibliothèques de France. Et c’est encore là que Raimondo Subirani, procureur du roi d’Angleterre, discutait de Tite-Live, « quo mirum in modum delectabatur »Ź, avec le ęls de son collègue ser Petracco. Chacun des noms et des faits mentionnés ici exigeraient une longue note. Néanmoins, leur seule évocation permet de se faire une idée de la manière dont, en Avignon, se trouvaient rassemblés les hommes et les éléments destinés à avoir une inĚuence décisive sur le développement intellectuel de Pétrarque. Elle permet aussi de se faire une idée de la manière dont François, pro pane lucrando, combina — pourrait-on dire — les capacités de ses prédécesseurs et entra dans la maison Colonna avec une fonction analogue à celle de secrétaire, tuteur et chapelain à la fois, en cumulant de riches bénéęces ecclésiastiques. Les postes qu’il occupa et les bénéęces qu’il en retira changèrent très peu lorsque Pétrarque, après s’être installé en Italie, alla vivre sous la protection de magnats laïques. Il y a une route toute droite qui mène des pages du Ab urbe condita aux premières grandes entreprises de Pétrarque comme écrivain, entreprises qu’il mit en chantier vers ūŭŭŲ. L’étude de Tite-Live débouchait sur l’investigation historique et sur la création liĴéraire. Le travail qu’il eěectua

5. Seniles, XVI ū — in Francisci Petrarchæ […] Opera quæ extant omnia, Basile, in æd. Henrici Petri, MDLIV, p. ūŪŮų.

38

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

sur la troisième décade donna naissance au portrait de Scipion, le noyau autour duquel il allait composer le De viris illustribus. Tandis que de « ęrmissima veri fundamenta » étaient posés dans ces écrits, ce même héros était transformé par un processus de stylisation artistique, « amena et varia sub nube »ź, dans le protagoniste de l’Africa. Le poème épique de Pétrarque ne peut pas être considéré comme quelque chose de distinct de son travail de jeunesse sur le manuscrit ambrosien, mais la composition de l’Africa est encore plus étroitement associée à la lecture minutieuse et au commentaire de Virgile précisément en ūŭŭŲ. Quelques années plus tard, l’Africa fut augmentée et recentrée sur les amours de Massinissa et Sophonisbe — et dans cet épisode les faits tirés des livres Ab urbe condita non seulement se teintaient de traits provenant du quatrième livre de l’Énéide (« ardet amans Dido ») mais se mêlait aussi à l’expérience poétique vernaculaire de Pétrarque, aux images de François et de Laure émanant du Canzoniere. L’érudition se voit ainsi transformée en liĴérature — ici et dans de nombreuses autres occasions. Il serait cependant erroné de penser que, chez Pétrarque, la liĴérature l’emporte toujours sur l’érudition. L’Africa n’est pas esthétiquement négligeable, mais il est plus important pour le progrès de la Renaissance que Pétrarque ait commencé à travaillé sur les livres Ab urbe condita en inaugurant des aĴitudes et en posant des questions qui seront aussi, bien qu’avec des thèmes divers et des réponses diěérentes, celles du Lorenzo Valla des Emendationes in Livium et du Machiavel des Discours sur la Première Décade de Tite-Live. Les réalisations de Pétrarque en matière d’érudition constituent, en fait, les fondations d’une ère nouvelle. Tous les manuels citent la redécouverte de l’Oratio pro Archia de Cicéron (à Liège en ūŭŭŭ) et des Epistulæ ad AĴicum (à Vérone en ūŭŮů), et c’est en eěet de ces trouvailles que jaillirent d’innombrables débats sur la gloire et de véritables torrents de leĴres humanistes. Mais ce que le savoir courant ignore, c’est que Pétrarque corrigea, annota et mit en circulation Vitruve, ouvrant la voie aux théories de Leon BaĴista Alberti et aux développements les plus raĜnés de l’architecture de la Renaissance. De même, on ne sait pas suĜsamment qu’en agissant de manière semblable vis-à-vis de la Chorographia de Mela et d’une série de géographes latins mineurs, Pétrarque contribua à consolider une culture qui se révéla décisive pour la grande aventure de Christophe Colomb.

6.

Africa, IX ųŬ-ųŮ.

39

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

La philologie classique — la compréhension d’un texte dans toute la complexité de son environnement culturel, la compréhension de ceĴe culture à partir de la lecture du texte — constituait pour Pétrarque une règle de vie, d’art et de pensée. L’eěort scrupuleux de collation et de conjecture lui permit d’acquérir une sensibilité stylistique peu commune, et la recherche des sources, des analogies et des antécédents des œuvres d’autrui ęt naître en lui une habitude qui allait avoir d’énormes répercussions sur ses propres ouvrages. Les problèmes d’AltertumswissenschaĞ qu’il avait coutume de prendre en considération, et qu’il résolvait souvent avec une habileté remarquable, se présentaient à lui avec de multiples aspects signięcatifs. « Primus, imo solus hac etate et his locis »ȹ: c’est sa voix qui fut la seule à s’élever, par exemple, pour proclamer que Didon avait été une « femina casta », Ch’amor pio del suo sposo a morte spinse Non quel d’Enea, com’è ‘l pubblico grido.Ż

Et ce, tout simplement parce que Jérôme et Augustin, Macrobe et Justin lui avaient enseigné qu’Énée était mort trois siècle avant l’aventure qu’on lui prêtait avec Didon… Néanmoins, il admirait grandement le « decus » et la « venustas », la « dulcedo » et l’« ars » dont avait fait preuve Virgile pour dépeindre la passion de la reine de Carthageȹ; et il insistait tout particulièrement sur le fait que l’auteur était parvenu à imaginer ceĴe « fabulosa narratio » proche de la vérité naturelle, « ad nature ordinem »ż. La critique historique l’amenait donc à croiser le fer à plusieurs reprises en défense de Didon, tandis que la critique liĴéraire se développait conformément à la conviction que l’invention de Virgile respectait les aspects essentiels de la nature humaine. De tout cela, Pétrarque tira une foule de conséquences pour l’Africa, le Secretum et les Rerum vulgarium fragmenta. Je me bornerai ici à remarquer que critique historique et critique liĴéraire se rejoignent dans l’aĴention qu’elles accordent à la personne vue à la fois dans sa subjectivité distinctive et dans ses aspects relevant de constantes de l’espèce humaine en général.

7. Sen., IV ů ŭű (trad. fr. de Frédérique Castelli et alii, dans Pétrarque, LeĴres de la vieillesseȹ: IV-VII/Rerum senilium IV-VII, édition critique d’E. Nota, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŭ, p. ųŪ-ųŭȹ: « qui fut poussée à la mort par le pieux amour de son époux/ Et non par celui d’Énée comme le veut la renommée »)ȹ; Triumphus Pudicitie, ūū-ūŬ. 8. Sen., IV ūȹ; Secretum, dans Francesco Petrarca, Prose, sous la direction de G. MartelloĴi et alii, Milan-Naples, Ricciardi, ūųůů, p. ūůŬ.

40

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

Il ne fait aucun doute que la relation de Pétrarque avec l’Antiquité était profondément personnelle. Sa lecture lui apparaissait comme une conversation « cum sanctis, cum philosophis, cum poetis, cum oratoribus, cum historicis » que, franchissant les limites du temps, il traitait comme des amis et avec lesquels il s’entretenait « avec davantage de passion qu’avec ceux qui pensent qu’ils sont vivants »Ž. Le dernier livre des Familiares regroupe donc une série de leĴres « ad quosdam ex antiquis illustrioribus » qui, adressées à Cicéron, Sénèque, Varron, Tite-Live et Virgile, comme s’il s’agissait de contemporains, « quasi coetanei sui essent »¹Ŵ, pour les louer ou polémiquer avec eux, tirent leur substance du désir ardent d’être entendu par les maîtres qu’il écoutait quotidiennement. CeĴe aĴitude trouve sa pleine expression dans le Secretum où François, contrairement à l’habitude dans ce genre liĴéraire, ne converse pas avec une allégorie mais avec saint Augustin lui-même. Et un désir tout aussi fort pour l’union « cum omnibus qui fuerunt gloriosi viri »¹¹ émerge des innombrables gloses qui remplissent les marges des manuscrits de Pétrarque. Apulée aimait-il vivre près de la merȹ? Pétrarque note aussitôt « et michi »¹². Quand Mela fait allusion aux peuples dont le plus grand plaisir est de rire et de s’amuser, Pétrarque avoue « audi gentem nichil habentem comune mecum »¹³. Pline fait allusion à la « comitas » d’Apelle, et Pétrarque note qu’il s’est lui-même engagé dans une « iocundissima » amitié avec Simone Martini — qui, ne l’oublions pas, illustra le Virgile de la Biblioteca Ambrosiana et exécuta un portrait de Laure pour lui. La Naturalis historia rappelle des épisodes où se déploie une force extraordinaire, et un voisin d’Arquà capable de tirer un char avec tous ses bœufs, « non senex tantum sed decrepitus » vient à l’esprit du poète¹Ÿ, et ainsi de suite. L’usage que Pétrarque fait des sources classiques, le constant examen de ses propres sentiments ęltrés à travers les écrivains classiques,

9. Familiares, XVI Ű Ŭů et XV ŭ ūŮ (in Francesco Petrarca, Le familiari, edizione critica per cura di V. Rossi, en Ů vol. dont le dernier « per cura di Umberto Bosco », Florence, Sansoni, ūųŭŭ-ūųŮŬ [= Florence, Le LeĴere, ūųųű]). 10. ViĴtorio Rossi, « Introduzione » à F. Petrarca, Le familiari, éd. cit., I, p. XC. 11. De vita solitaria, dans F. Petrarca, Prose, éd. cit., p. ŭůŰ. 12. Caterina Tristano, « Le postille del Petrarca nel Vaticano Lat. Ŭūųŭ (Apuleio, Frontino, Vegezio, Palladio) », in Italia medioevale e umanistica, XVII, ūųűŮ, p. ŭŰů-ŮŰŲ [p. ŮŬű], nº ŲŪů. 13. Giuseppe Billanovich, « Dalla antica Ravenna alle biblioteche umanistiche », in Università del Sacro Cuoreȹ: Annuario, a.a. ūųůů-ūųůű, ūųůŲ, p. ųŲ. 14. Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, ūųŪű [= ibid. & Turin, Bottega d’Erasmo, ūųŰů], vol. II, p. űŲ et p. Ųŭ.

41

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

ne sont pas un Literarisierung des Lebens videȹ: ils impliquent une pratique de l’introspection et un jugement moral sur le présent. Qu’est-ce qui explique ceĴe confrontation de soi et de toute chose avec des faits d’un passé si ancienȹ? La réponse de Pétrarque était que les auteurs anciens nous fournissent l’occasion de nous meĴre à l’épreuveȹ: « animum experiri an quicquam solidi habeat, […] an sibi de se ipse mentitus est ». « Je parle beaucoup, j’écris même beaucoup », expliquait-il, « non pas tant pour être utile à mon époque, dont la misère est désormais sans espoir, que pour me décharger de mes pensées et me consoler par mes écrits. […] j’écris pour moi-même, et tandis que j’écris c’est pour moi la seule façon possible de vivre avec nos ancêtres et d’oublier bien volontiers ceux avec qui ma mauvaise étoile m’a forcé à vivreȹ; et je fais tout mon possible pour fuir les uns et suivre les autres. De même en eěet que la vue des uns me blesse profondément, de même le souvenir des autres, leurs actions admirables et leurs noms illustres me remplissent d’une joie incroyable et inestimable »¹Ź. Son aĜrmation dans la leĴre Posteritati a un style épigraphiqueȹ: « Incubui unice, inter multa, ad notitiam vetustatis, quoniam michi semper etas displacuit »¹ź. Mais Pétrarque prenait la « vetustas » des écrivains classiques et des Pères de l’Église comme un modèle social et intellectuel, car il était à la recherche de vraies certitudes. Sa relation individuelle, personnelle avec les écrivains anciens constitue en elle-même une indication que ce qu’il recherchait, c’était des traits humains durables permeĴant de déęnir les qualités de la condition humaine. Ces traits étaient permanents, mais ne sortaient pas pour autant des limites de l’histoireȹ; ils étaient humains mais inséparables de la vérité divine. La manière de dater certaines des Familiares adressées aux écrivains classiques est à cet égard signięcative. Une leĴre à Cicéron est datée de la façon suivanteȹ: « anno ab ortu Dei illius quem tu non noveras, MCCCXLV ». Une autre leĴre à Varron porte ceĴe indicationȹ: « anno ab ortu Eius quem utinam novisses, MCCCL »¹Ż. La question inhérente à ce genre de subscriptiones se présente sous une autre forme en plus d’une occasion. Par exemple, dans le De vita

15. Fam., VI Ů Ŭ-ů (trad. fr. de André Longpré, dans Pétrarque, LeĴres familières/Rerum familiarium, t. IIȹ: Livres IV-VII/Libri IV-VII, notices et notes de Ugo DoĴi mises en français par Christophe Carraud et Frank La Brasca, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ŬųŪ). 16. Posteritati, dans F. Petrarca, Prose, éd. cit., p. Ű. 17. Fam., XXIV ŭ ű (« en l’année ūŭŮů après la naissance de ce Dieu que tu n’as pas connu ») et Ű ūū (« en l’année ūŭůŪ après la naissance de Celui que plût au Ciel que tu aies connu »).

42

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

solitariaȹ: « […] si aujourd’hui Jules César remontait des enfers » — évidemment pour vivre à Rome — et « y reconnaissait le nom du Christ », n’embrasserait-il pas notre foi et ne ferait-il pas retour à Jérusalem abandonnée par les princes chrétiens, pour retrouver le Christȹ? Auguste, les Scipions et Pompée n’agissaient-ils pas de mêmeȹ? « Si enim pro terrena patria, vere ędei luce carentes, tanta sunt ausi, quid non ausuros Christo duce feliciter crediderim pro eternamȹ? »¹ż. En ce qui concerne Platon et Cicéron, il ne pose même pas ceĴe question rhétoriqueȹ: « nulla dubitatio », s’ils avaient connu la doctrine de Jésus, ils se seraient convertis¹Ž. Et quel prêcheur, quel hymnographe Cicéron n’aurait-il pas été²Ŵȹ? Une anecdote que Pétrarque aimait beaucoup rapportait que saint Paul pleura devant le tombeau de Virgile en pensant à tous les bénéęces qu’il aurait tirés de ce poèteȹ: Ad Maronis mausoleum ductus fudit super eum pie rorem lacrimeȹ: « Quem te », inquit, « reddidissem, si te virum invenissem, poetarum maxime ».²¹

Mais le véritable saint Paul prêchait qu’« omnia vestra sunt »²², et ceĴe formule était souvent prise comme une invitation à considérer comme chrétien tout ce qui était valable et bon. En outre, étant donné que le Saint Esprit souĝe là où il veut, Pétrarque ne s’étonnait pas de ce que les philosophes païens aient approché les frontières de la théologie véritablement salvatrice, ni qu’Orphée et les philosophes antiques aient entrevu le seul et unique Dieuȹ: « prime cause et unius Dei qualemcumque notitiam sortirentur »²³. Saint Augustin assurait que les grands penseurs païens, s’ils revenaient à

18. De vita solitaria, II ų ūŮ-ūů — éd. cit., p. ŮųŬ-ŮųŮ (trad. fr. de Christophe Carraud, dans Pétrarque, La vie solitaire, introduction, traduction et notes de Ch. C., Grenoble, J. Millon, ūųųų, p. Ŭűų-ŬŲū). 19. Cf. De suis ipsius et multorum aliorum ignorantia, dans F. Petrarca, Prose, éd. cit., p. űŰŪȹ; et dans Opere latine, a cura di A. Bufano, Turin, UTET, ūųűů, p. ūūŬŮ. 20. Cf. Fam., XXI ūŪ ūŭȹ; De […] ignorantia, éd. cit., p. űŬŲȹ; et dans F. Petrarca, Opere latine, éd. cit., p. ūŪŲŬ. 21. Francisci Petrarcæ Vergilianus codex, feuille de gardeȹ; Fam., XXI ūŪ ūŭ. 22. I Cor., ŭ ŬŬ. 23. Invective contra medicum, a cura di P.G. Ricci, Rome, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųůŪ, p. űŬ.

43

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

la vie, se convertiraient « comme l’avaient fait de nombreux platoniciens modernes ainsi que des platoniciens de notre temps »²Ÿ. En lisant ce passage en ūŭŭů, Pétrarque loua l’auteur dans une note marginaleȹ: « Et tu de illis es »²Ź. Ce n’était pas un médiocre sujet de satisfaction que de considérer qu’il avait fallu peu de choses à Augustin pour devenir, de platonicien qu’il était, chrétien « paucis mutatis verbis atque sententiis »²ź. Il y avait une base solide, fermement augustinienne, dont découlait ceĴe conviction enthousiasteȹ: « si quid verum est, veritate utique verum est »²Ż. « Qui sera capable d’objecter que Cicéron constitue un obstacle à la vraie foiȹ? », demandait Pétrarque en ūŭůų. « Le Christ est notre Dieu, Cicéron le prince de notre éloquenceȹ: il s’agit là à coup sûr de deux choses diěérentes, mais je nie qu’elles soient antagonistes. Le Christ est le verbe, le pouvoir et la sagesse de Dieu le Pèreȹ; Cicéron parlait longuement de l’art des mots, des vertus et de la sagesse des hommes, toutes choses qui sont toujours vraies et qui, en tant que telles, plaisent au Dieu de vérité ». Car si Dieu est la vérité vivante — si, comme le dit notre père Augustin, « toute chose vraie est vraie parce qu’elle dérive de la vérité » —, alors il n’y a aucun doute que toute chose vraie proférée par qui que ce soit vient de Dieu.²ż

Ainsi Pétrarque trouve dans la « verborum ars », dans les « virtutes », dans la « sapientia » de l’Antiquité, une vérité éternelle que les hommes peuvent percevoir et enseignerȹ: l’Antiquité procure un modèle universellement valable de la nature humaine. Ce modèle qu’il recherchait dans ses lectures se reĚète dans ses écrits. L’un des très rares fragments de l’Africa que Pétrarque consentit à rendre publics (en ūŭŮŭ, pour être précis), en fournit une preuve précieuse et indiscutable. Ce fragment relate l’agonie du carthaginois Magon²Ž, et à ceĴe époque il y avait des gens qui soutenaient que la lamentation de cet homme mourant ne semblait pas appropriée pour un inędèle, mais

24. De vera religione, V ű. 25. Cit. dans Francisco Rico, « Petrarca y el De vera religione », in Italia medioevale e umanistica, XVII, ūųűŮ, p. ŭŬų, nº ūŬū. 26. De vera religione, V ű. 27. Saint Augustin, Soliloquia, I ūů Ŭű. 28. Fam., XXI ūŪ ūū-ūŬ. 29. Africa, VI ŲŲů-ųūŲ.

44

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

plutôt pour un chrétienȹ: « sed quasi christiani hominis ». La réponse que Pétrarque ęt en ūŭŰŭ à ceĴe accusation blessante est très clairement une déclaration d’intentions. « Quid christianum ibi, et non potius humanum omniumque gentium comuneȹ? ». Qu’y a-t-il, sinon la douleur, les plaintes et le repentir à l’article de la mortȹ? […] Nulle part le nom du Christ ne ęgure dans ce poèmeȹ; tout saint et redoutable qu’il est dans les cieux comme aux enfers, il n’y avait pas sa place eu égard à la chronologie. Il ne s’y trouve aucun article de foi, aucun sacrement de l’Église, bref, rien d’évangélique — rien du tout qui ne puisse, par la voie de l’intelligence naturelle et de la raison innée, venir à l’esprit d’un homme d’une grande expérience, et qui déjà se hâte vers le terme de ceĴe expérience. En fait de raison et d’intelligence, je serais bien aise que nous ne fussions pas si souvent dépassés par de tels hommes ou par d’autresȹ! Un non-chrétien aussi peut reconnaître son erreur et sa faute, en éprouver tout autant de honte et de regret — non pas, certes, pour un égal bénéęce, mais par une égale repentance.

Cicéron et Térence, Ovide et Sénèque, Salomon et David nous contraignent à aboutir à la conclusion suivanteȹ: « bien que personne, à moins d’être chrétien, ne sache ni à qui ni comment se confesser, néanmoins la connaissance de la faute et l’aiguillon de la conscience, le repentir et la confession sont communs à toutes les créatures douées de raison »³Ŵ. La recherche de ce « quid humanum omniumque gentium comune » dans l’Antiquité n’eěace donc pas la perception de la diversité historique et n’entre pas en contradiction avec la « temporum ratio »ȹ; et la matière classique est « diversa », et non « adversa » vis-à-vis de la Révélationȹ: au contraire, elle la soutient d’un point de vue particulier. Pétrarque n’a jamais pensé diěéremment, mais il n’a pas toujours pris la peine de faire connaître son opinion sur ce point. Dans l’Africa, le De viris illustribus et les Rerum memorandarum libri, dans ces livres composés, en gros, quand il avait la trentaine, ce qui domine est l’étude passionnée du monde antique qui satisfait une curiosité très étendue, et un degré extrêmement élevé de précision dans le domaine des études classiques. Les aspects les plus transcendantaux de ce travail demeurent implicites ou ne prennent jamais une grande

30.

Sen., II ū Ůů-ŮŰ et Ůų — éd. cit., p. ūŭŪ-ūŭŭ.

45

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

importance. Les eěorts de Pétrarque sont dirigés vers l’achèvement d’un travail qui a une saveur irréprochable d’antiquité. Il prend plaisir à la « verborum dulcedo […] et sonoritas »³¹ des modèles romains, au pédantisme innocent de s’autoproclamer « magister »³², savant sans rivaux en AltertumswissenschaĞ, et à faire étalage de l’« oĜcium atque professio »³³ du poète, tout en souhaitant se distinguer de ceux qui passent pour « sapientes » dans l’opinion publique³Ÿȹ; enęn à la rêverie érudite de vivre à l’époque décrite par les historiens qui faisaient ses délices (« nisus animo aliis [ætatibus] semper inserere. Historicis itaque delectatus sum […] »)³Ź. Et toutes ces aĴitudes qu’il adopte comme artiste et philologue le cantonnent à un répertoire limité de sujets, et l’empêchent même de traiter des problèmes qui n’avaient pas été abordés par les auteurs classiques. CeĴe situation est évidente dans les Rerum memorandarum libri, qui étaient conçus comme une compilation d’exemples de vertus, précisément de ces « virtutes » déęnies par Cicéron dans le De inventione lorsqu’il parle « de verborum arte » — « virtutes » que Pétrarque, à partir de citations appropriées tirées des Soliloques de saint Augustin³ź, considérait comme « toujours vraies » et « très plaisantes au Dieu de vérité » encore en ūŭůų. Toutefois, en ūŭŮŭ ou ūŭŮŮ, il déclare, en parlant de ces « virtutes » dans les Rerum memorandarum libri, qu’il se limitera à des exemples pris dans des écrits profanesȹ: « ex secularibus liĴeris ». La raison qu’il donne est qu’il se sent ignorant dans les choses sacrées, « ignorantie [sacrarum rerum] michi conscius », et qu’il ne veut pas créer une confusion entre deux domaines qui sont « distantissimi » l’un de l’autre³Ż. Aux environs de ūŭŮŭ, il était donc en train d’essayer de délimiter les sphères qu’en ūŭůų il essaiera de réunirȹ; et il évite une explication semblable à celle suscitée par la citation d’Augustin en ūŭůų — néanmoins, même en ūŭŮŭ, il était capable, malgré sa déclaration d’« ignorantia », de faire usage du concept selon lequel « omne verum a veritate », étant donné que, dès ūŭŭů, il inclut dans une note privée les Soliloques parmi ses livres préférés, les « libri » qu’il appelle « peculiares » pour les distinguer d’autres 31. Sen., XVI ū, in Francisci Petrarchæ […] Opera quæ extant omnia, éd. cit., p. ūŪŮŰ. 32. Secretum, éd. cit., p. ūŰŬ. 33. « Collatio laureationis », a cura di C. Godi, in Italia medioevale e umanistica, XIII, ūųűŪ, p. ŬŪ. 34. Cf. Fam., I Ŭ ūŰ. 35. Posteritati, éd. cit., p. Ű. 36. Cf. supra, n. ŬŲ. 37. Rerum memorandarum libri, I Ŭů ūŰ.

46

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

vers lesquels ses recherches ne le menaient qu’occasionnellementȹ: « ad reliquos non tranfuga, sed explorator transire soleo », écrivait-il³ż. Ou bien, toujours dans les Rerum memorandarum libri, il prend prétexte de son intention initiale de ne pas sortir de la sphère des « seculares liĴere » pour déclarer qu’il ne parlera que « de comuni hominum sapientia »³Ž. Il s’abstient délibérément ici de préciser — comme il le fait en ūŭůų — que l’« humana sapientia » vient de Dieu, « a Deo est », ou d’insister — comme en ūŭŰŭ, en référence à Magon — sur le fait qu’un trait qui est « humanum omniumque gentium comune » coïncide nécessairement avec la dogmatique chrétienne. D’innombrables preuves viennent conęrmer que le Pétrarque qui entreprit d’écrire l’Africa, le De viris illustribus et les Rerum memorandarum libri, s’en tenait aux critères de ūŭůų ou de ūŭŰŭȹ: s’il avait été obligé de les rendre publics en ūŭŭŲ ou en ūŭŮŭ, il aurait adopté des principes identiques. Cependant, à l’époque, il les passa sous silence à cause de son intention exceptionnellement ferme d’être un « classique », d’imiter les classiques, et de sa fausse modestie de savant prétendant, en une expression de « zèle professionnel », n’être compétent que sur un seul sujet. De l’épilogue du De vita solitaria il ressort très clairement que le caractère scrupuleusement profane du travail de Pétrarque avant ūŭŮŰ est le résultat de règles d’imitation de nature stylistique et presque formelleȹ: « dulce autem michi fuit, preter morem veterum quos in multis sequi soleo, iis qualibuscunque liĴerulis meis sepe sacrum et gloriosum Christi nomen inserere […] »ŸŴ. À coup sûr, supprimer le nom du Christ et éviter les problèmes qui auraient exigé de se référer à la Bible ou à quelque « ędei articulus » ou « Ecclesie sacramentum » (cf. n. ŭŪ), signięait s’en tenir au « mos veterum »ȹ: et écrire d’une autre manière aurait signięé, en premier lieu, commeĴre un crime contre la Latinité, contre la « grammaire » elle-même. Pétrarque abandonne les Rerum memorandarum libri en février ūŭŮůȹ: ūŭŮŰ est la date du De vita solitaria. Dans cet ouvrage, comme dans le De otio religioso qui le suit de près, les références aux Écritures et aux préceptes de l’Église sont légion. Le ton subjectif et les réĚexions éthiques prédominent, et le choix des auteurs cités, les thèmes et leur développement vont au-delà des limites classiques, s’appuyant sur des sources patristiques et 38. Berthold Lewis Ullman, « Petrarch’s favorite books », in Id., Studies in the Italian Renaissance, Rome, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųűŭ, p. ūūŲ. 39. Rerum memorandarum, III ŭū ū. 40. De vita solitaria, éd. cit., p. ůŲŲ-ůųŪ.

47

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

même médiévales à un degré que Pétrarque n’aĴeindra jamais par la suite et qui révèle la ferveur d’une décision récemment prise. Qu’arriva-t-il ensuite dans le passage des Rerum memorandarum libri au De vita solitariaȹ? La conclusion du De vita solitaria, avec celle du prologue de l’Africa, nous fournit d’excellents indices en suggérant que Pétrarque avait satisfait à un désirȹ: il était « doux », à la ęn, de mentionner le nom de Jésus, tandis que dans le prohème du poèmes épique — quelle que soit sa datation — il n’avait pas osé mentionner le Christ et lui avait promis une compensation « revertens vertice Parnasi », pour avoir écrit à la louange de Scipion et non du Seigneur, avec « pia carmina »Ÿ¹. Ceci n’est pas surprenantȹ: la sévérité linguistique et historique adoptée pour rivaliser avec la liĴérature des auteurs classiques épurée de toute autre préoccupation ou expérience, donnant ainsi naissance au sentiment d’un manque, d’un vide de contenu. En dépit de ses faiblesses et de ses défaillances, Pétrarque demeurait un chrétien non seulement absolument orthodoxe, mais même extrêmement dévot. Son but n’était certainement pas d’être un expert en théologieȹ: ce qu’il désirait, c’était être un spécialiste en philologie de l’Antiquité. Cependant, en tant que chrétien et intellectuel à la fois, il avait une bonne connaissance de la Bible, des Pères de l’Église et de la doctrina communis, même avant d’avoir pris les ordres et d’avoir assuré les fonctions de chapelain ou de chanoine. Chaque jour il faisait ceĴe prièreȹ: « Tibi, Deus meus, commendo cogitationes et actus meos, tibi silentium et sermones »Ÿ². Mais, en conęant tous ses mots à Dieu (« Tibi […] sermones »), et en l’excluant du « sermo » leĴré, il suscitait vraisemblablement en lui-même un sentiment de malaiseȹ: il ne s’agissait pas d’une tension dramatique, mais du désir — diĜcile à satisfaire — d’intégrer les aspects disparates d’une même personnalité. Le De vita solitaria et le De otio religioso poursuivent ceĴe nostalgie en exprimant de façon liĴéraire des données qui, depuis son adolescence, appartenaient à son moi intérieur — en montrant l’accord entre classicisme et Christianisme. Il n’y a pas moyen de vérięer si cet accord était dû à certains éléments catalyseurs, car il est diĜcile de déceler la présence de causes agissantes dans une situation où les éléments de base existaient déjà et pouvaient se déve41. Africa, I ūŮ-ūŰ. 42. Oratio quotidiana, dans Léopold Deslile, « Notice sur un livre annoté par Pétrarque », dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, XXXV II, ūŲųŰ, p. ŭųŭ-ŮŪŲ [p. ŭųű].

48

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

lopper à tout moment. Mais, entre les Rerum memorandarum libri et le De vita solitaria, un important épisode ne doit pas être négligé. En mai ūŭŮů, Pétrarque enlève la poussière qui recouvrait les leĴres de Cicéron Ad AĴicum, Ad Brutum et Ad Quintum fratrem dans la Biblioteca Capitolare de Vérone. CeĴe découverte le fascina. C’est de ceĴe correspondance qu’il apprit quelle sorte d’homme Cicéron était véritablement devant sa propre conscienceȹ: « quis tu tibi esses agnovi », s’exclame-t-il en eěet. C’est avec déplaisir qu’il constate que celui-ci se comporte diěéremment des grands enseignements dont il était si prodigue, « immemor et tuorum tot salubrium præceptorum ». Il s’aĝige de le voir engagé dans des situations d’où la sagesse qui convenait à un vieil homme et à un philosophe tel que lui était totalement absente, tandis qu’une soif de gloire indigne de quelqu’un qui répond à ces deux déęnitions saute aux yeux. Il déplore, dans la leĴre qu’il adresse immédiatement à Cicéron « en réponse » à la sienneȹ: « Ah quanto satius fuerat philosopho presertim in tranquillo rure senuisse, “de perpetua illa”, ut ipse quodam scribis, “non de hac iam exigua vita cogitantem” »Ÿ³. Face à une révélation aussi douloureuse, il trouve un soulagement à rappeler, dans le traité de ūŭŮŰ, comment la vita solitaria avait transformé l’orateur suprême en un grand philosopheȹ: « fecit enim magnum de summo oratore philosophum »ŸŸ. Il se peut donc que les leĴres Ad AĴicum aient amené Pétrarque à se juger lui-même selon les mêmes critères dont il avait été contraint d’user en jugeant Cicéron. Ou peut-être est-ce le contraire qui se produisit. Quoi qu’il en soit, le parallèle entre les deux perspectives est clair. Après la découverte des leĴres de Cicéron, Pétrarque ne cessait de se demander « quis sibi esset ». Le moi devient le sujet principal de ses écrits, la source autobiographique surgit avec force, et on y trouve une plus grande conscience que « qualis sermo fuerit, talis vita censebitur »ŸŹ. Il éprouve une désillusion causée par sa découverte d’un Cicéron « multa varians »Ÿź, et il décide d’unięer « mores et verba »ŸŻ dans une identięcation sans ambiguïté entre la vie et les œuvres. Pétrarque aussi voudrait vieillir dans la fertile solitude de la campagne, « rure […] statui que restant tempora vite/ degere »Ÿż. Et par-dessus tout, comme 43. Fam., XXIV ŭ. 44. De vita solitaria, éd. cit., p. ůŭŰ. 45. Ibid., p. ŬųŪ. 46. Fam., XXIV ŭ ū. 47. Fam., I ų ŭ. 48. Exul ab Italia/Francisci Petrarchæ poemata minora, edidit D. RoseĴi, II, Milan, Tip. Imperial Regia, ūŲŭū, p. ŰŪ.

49

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

le meilleur Cicéron, il désire devenir un « philosophus », c’est-à-dire qu’il veut consacrer son temps à se connaître lui-même et à instruire moralement son prochain, en méprisant la gloire et sa vanit韎, et en demeurant ędèle aux préceptes de Platon tels qu’ils sont exprimés dans les Tusculanesȹ: pro eterna vita […] brevem hanc miseramque vitam alto animo pacisci, ea demum vera philosophia est, quam quidam nichil aliud nisi cogitationem mortis esse dixerunt. Que philosophie descriptio, quamvis a paganis inventa, cristianorum tamen est propria, quibus et huius vite contemptus et spes eterne et dissolutionis desiderium esse debet […].ŹŴ

Néanmoins, toute gloire ne lui semblait pas « inanis ». Couronné de laurier sur le Capitole « coram omni populo »Ź¹, célébré pour ses « rime sparse », protégé et considéré par les puissants, Pétrarque s’aĴira l’aĴention d’un cercle beaucoup plus étendu (« tantus de te loquentium populus […] »Ź²) que celui des quelques personnalités capables d’apprécier à leur juste valeur ses travaux de philologue ou de poeta philologus. On comprend qu’il ait désiré exercer une inĚuence plus directe sur ces admirateurs lointains et justięer à leurs yeux ceĴe réputation de savant qui lui était souvent accordée en quelque sorte par ouï-dire. Il fallait qu’il leur fournisse des textes qu’ils soient en mesure d’évaluer en les replaçant dans le cadre des idées et des convictions (religieuses ou politiques) qu’ils partageaient avec lui — des textes dans lesquels le savoir quasi mythique de l’auteur fût cristallisé en une forme qui soit à la fois identięable et assimilable pour ceux qui n’avaient pas la culture nécessaire pour apprécier une correction des livres Ab urbe condita ou les ęnes allusions contenues dans un hexamètre. C’était là un objectif bien adapté à la plénitude d’un intellectuel chrétien et à ceĴe foi que Pétrarque

49. Cf. De vita solitaria, éd. cit., p. ůŮŪȹ: « [Philosophorum] labor, ni falsa professio est, circa notitiam sui reĚectendumque ad se animum et circa contemptum inanis glorie versatur ». 50. Invective contra medicum, éd. cit., p. ůŭ sq. — avec allusions au Phédon, Űűd (d’après Tusculanes, I XXX űŮ) et à saint Paul, Phil., ū Ŭŭȹ: « Supporter avec un esprit élevé ceĴe vie brève et malheureuse en échange de la vie éternelle, telle est la seule vraie philosophie, à propos de laquelle certains ont pu dire qu’elle n’est rien d’autre qu’une méditation sur la mort. Même si elle a été forgée par les païens, ceĴe déęnition de la philosophie convient également aux chrétiens, qui doivent concevoir du mépris pour ceĴe vie, de l’espoir en la vie éternelle et du désir pour la mort ». 51. G. Boccaccio, Opere latine minori, éd. cit., p. ŭŰŰ. 52. Secretum, éd. cit., p. ūŲŮ.

50

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

eut toujours en la validité de ses études favorites. Mais c’était aussi une occasion séduisante d’élargir le cercle de ses lecteurs et de consolider son image publique. Car le laurier du Couronnement était à la fois une auréole et un fardeau. L’Africa et le De viris illustribus, ces ouvrages composés si longuement et si amoureusement par Pétrarque et aĴendus avec tant d’impatience par le monde leĴré, ne répondirent pas, dans l’ensemble, à leur ambitieux dessein originel. Le poème épique, en particulier, semble avoir été une tâche plus accablante encoreȹ; au lieu d’être une œuvre créative porteuse de joie, il constitua un compromis diĜcile à réaliser et son issue devint de plus en plus incertaine. Pétrarque ne pouvait pas prévoir quand il serait en mesure de l’éditer et, après avoir divulgué l’épisode de Magon, il n’osa montrer aucun autre fragment, pas même à ses amis les plus proches. La « philosophia » était capable de le réconcilier avec lui-même et lui ouvrait un nouveau publicȹ; mais elle constituait dans le même temps une bonne raison et une bonne excuse pour retarder l’écriture des livres que ses lecteurs les plus cultivés aĴendaient impatiemment, et les réalisations à la diĜculté desquelles l’auteur craignait de ne pouvoir faire face avec une force suĜsante. La philologie, au sens strict du terme, ne parvenait pas à combler tous ses intérêts et ses préoccupationsȹ; son âge et son expérience à la fois — sa propre expérience et celle des autres, par exemple celle de Cicéron — l’amenaient à reconsidérer le cours de sa vie, ses entreprises et les opinions que les autres avaient émises sur sa personne et ses activitésȹ; l’Africa et le De viris illustribus — destinés au mieux à connaître une résonance limitée — tendaient à devenir une source de frustration. Dès lors, sa « conversion » à la « philosophia » ouvrait non seulement de nouveaux horizons, mais eěaçait aussi d’un trait de plume plus d’un de ses vieux problèmes. Si on était obligé de condenser en une seule ligne le programme de Pétrarque autour de l’année ūŭŮŰ, il serait peut-être approprié de parler d’une évolution de la philologie vers la philosophie. Sénèque condamnait les maîtres « qui nos docent disputare, non vivere », dans les classes desquels « quæ philosophia fuit, facta philologia est »Ź³. Chez le Pétrarque de la maturité et de la vieillesse, « quæ philologia fuit, facta philosophia est », et il est également hostile à ceux « qui enseignent à discuter et non pas à vivre ». La position de Pétrarque oěre une alternative consciente à la tendance de certaines « sectes », possédées par le « dispu-

53.

Sénèque, Ad Luc., ūŪŲ Ŭŭ.

51

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

tandi ardor […] non veri querendi »ŹŸ, par « la passion du débat » plutôt que par « le désir de vérité » — la tendance de la Scolastique tardive, en particulier de la « secta » célèbre des logiciens moderni, la postérité d’Ockham qui s’était développée à Oxford et à Paris et avait commencé à s’enraciner en Italie au milieu du xivĽ siècle. La Scolastique tardive était fondée sur la méthode du syllogisme, de la disputatio et de la quæstio — c’est-à-dire sur la réduction des problèmes à des propositions minimales qui devenaient ensuite des sujets d’ample débat. En somme, elle était fondée sur la méthode du raisonnement logique appliqué à toutes les disciplines, de la physique à la métaphysique, avec Aristote comme autorité suprême. CeĴe approche technique ne pouvait satisfaire les pères de l’Humanisme, qui étaient des clercs et des maîtres dont les activités étaient imbriquées dans la texture de la vie citadine et qui avaient besoin d’une culture ouverte à de plus larges expériences individuelles et sociales. Ce n’est pas un hasard si, au tournant du xiiiĽ siècle, ils exigeaient un élargissement des études classiques en mesure de résister à la pression de la Scolastique avec des modèles de savoir moins « logiques » et plus « éthiques ». Il faut également noter qu’une propension à considérer les études classiques comme un ferment intellectuel impliquait nécessairement une prise de position sur des questions philosophiques et théologiques brûlantes. Un seul exemple clair suĜra à illustrer ce point. Contre le « positivisme » qui avait exercé une inĚuence aussi étendue de Duns Scot à Guillaume d’Ockham, contre son argumentation visant à démontrer qu’il n’existe pas d’autres raisons derrière l’ordre moral que la volonté de Dieu, le choix des auteurs classiques aboutissait à meĴre l’accent sur l’importance de la loi naturelle au sein du système harmonieux de tout ce qui existe, de Dieu, du monde et de l’homme. Il n’est pas surprenant que Pétrarque se sente donc poussé lui-même à reprendre la position proto-humaniste et à réexaminer la sienne au moment précis où la Scolastique était à son apogée. On peut en trouver une illustration dans le fait que, dans le Secretum, il adresse dans les mêmes termes ce reproche aux moderni et à Franciscus, alors au tournant de la quarantaineȹ: « obliti rerum, inter verba senescitis », lance-t-il aux ergoteurs, tandis que Franciscus est accusé de perdre son temps, absorbé qu’il est par les mots et aveugle à ce qui se passe autour

54.

52

De otio religioso, a cura di G. Rotondi, Cité du Vatican, Tip. Apostolica, ūųůŲ, p. ųŲ.

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

de luiȹ: « Quid enim, queso, puerilius […] quam in tanta rerum omnium incuria […] verborum studio tempus impendereȹ? »ŹŹ. Le fait que ceĴe récrimination contre le verbalisme puéril soit identique dans les deux cas indique que la critique de Pétrarque contre les scolastiques était en partie une autocritique. Il pouvait bien s’accuser lui-même d’avoir fait ostentation de ses lectures antiques plutôt que d’en avoir tiré proęt — « ad ventosum vulgi plausum et inanem iactantiam » plutôt que « ad vite […] regulam »Źź .Toutefois il fut toujours clair pour lui que l’érudition, la « notitia liĴerarum », doit porter ses fruits « in actum », viser « ad vitam »ŹŻ, et c’est cet idéal qui est clairement à l’œuvre dans la plupart de ses écrits à partir de ūŭŮů. La « philosophie » de Pétrarque vise donc à être non pas « verborum ars […] sed vite »Źż, sans renoncer à une conception qui inclut équitablement la « philologie ». Si l’esthétique est absente, il n’y a pas d’éthique eěective. C’était ce but qui se cachait derrière sa censure d’Aristote et celle, beaucoup plus sévère, des scolastiques qui adoraient ce dernier sur les autels de Bologne et de la Sorbonneȹ: Audiant aristotelici, inquam, omnes, et quoniam Grecia nostris sermonibus surda est, audiant quos Italia omnis, et Gallia et contentiosa Pariseos ac strepidulus Straminum vicus habet. Omnes morales, nisi fallor, Aristotilis libros legi, quosdam etiam audivi, et antequam hec tanta detegeretur ignorantia, intelligere aliquid visus eram, doctiorque his forsitan nonnumquam, sed non — qua decuit — melior factus ad me redii, et sepe mecum et quandoque cum aliis questus sum illud rebus non impleri, quod in primo Eticorum philosophus idem ipse prefatus est, eam scilicet philosophie partem disci, non ut sciamus, sed ut boni ęamus. Video nempe virtutem ab illo egregie diĜniri et distingui tractarique acriter, et que cuique sunt propria, seu vitio, seu virtuti. Que cum didici, scio plusculum quam sciebamȹ; idem tamen est animus qui fuerat, voluntasque eadem, idem ego. Aliud est enim scire atque aliud amare, aliud intelligere atque aliud velle. Docet ille, non inętior, quid est virtusȹ; at stimulos ac verborum faces, quibus ad amorem

55. Secretum, éd. cit., p. ůŬ et p. űŬ. 56. Ibid., p. ŭŬ. 57. De remediis utriusque fortune, I ŮŮ — éd. par G. Contini dans Mostra di codici petrarcheschi Laurenziani, Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, ūųűŮ, p. Ųŭ. 58. Fam., XVIII ū ūŪ.

53

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

virtutis vitiique odium mens urgetur atque incenditur, lectio illa vel non habet, vel paucissimos habet. Quos qui querit, apud nostros, precipue Ciceronem atque Anneum, inveniet, et, quod quis mirabitur, apud Flaccum.

Cicéron, Sénèque, Horace même sont plus authentiquement philosophes que l’Aristote des scolastiques, car la moralité a besoin de la liĴérature, de l’« eloquentia ». Les buts de la philosophie sont aĴeints grâce à l’« eloquentia ». Grâce à l’« eloquentia », l’esprit qui a été éduqué dans la solitude et « in silentio » commence à converser avec les autres, qu’ils soient proches ou lointains, présents ou futurs, pour leur transmeĴre des leçons utiles, comme celles que l’on puise chez les écrivains de l’Antiquitéȹ: [ceterorum] animos nostris collocutionibus plurimum adiuvari posse non ambigitur […]. Iam vero quantum posteri collaturi simus, optime metiemur, si quantum nobis contulerint maiorum nostrorum inventa, meminerimus.ŹŽ

C’est pour ceĴe raison que Pétrarque, quand il est confronté au nominalisme stérile des scolastiques, opte pour l’« eloquentia » des auteurs classiques et des Pèresȹ: un art de la persuasion (docere, delectare, movere disait QuintilienźŴ, un de ses auteurs favoris, qu’il utilisait en opposition aux « scolastici de nichilo tumescentes »ź¹), qui introduit des vérités permanentes dans l’histoire, une culture qui procure une réponse pour quiconque, car elle est ouverte aux besoins et aux problèmes de l’individu et peut être convertie en action concrète. On comprend donc qu’à l’intérieur de coordonnées de ce type, le travail le plus constant de Pétrarque après la découverte de la correspondance de Cicéron ait consisté dans la rédaction des Familiares et des Seniles. La leĴre, le genre de communication par excellenceź², permet à Pétrarque de traiter des sujets aussi divers que les personnes auxquelles il s’adresse et que les occasions dans lesquelles elles sont écrites, pour éprouver l’impact des modèles antiques sur le présent, et pour espérer des répercussions tant publiques que privées. On peut ainsi facilement comprendre pourquoi le livre le plus long et le plus élaboré dans sa facture de sa vieillesse est le 59. 60. 61. 62.

54

Fam., I ų ŭ-Ů et Ų. Institutio oratoria, XII X ůų. P. De Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, op. cit., II, p. Ųų. En français dans le texte.

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

De remediis utriusque fortune. Cet ouvrage est une reconstruction véridique d’une multitude de situations humaines où Pétrarque met de côté les subtilités logiques et métaphysiques et montre qu’il ne craint pas de prendre en compte, non seulement les grandes questions morales et religieuses, mais aussi les modestes realia et les petits problèmes de la vie quotidienne. En ce qui concerne ses études érudites plus spécialisées (qu’il n’abandonna jamais totalement, mais cultiva d’une manière plutôt discontinue), leur direction est tout aussi claireȹ: il suĜt de rappeler son intention d’inclure les patriarches de la Bible et des ęgures « ex omnibus seculis »ź³ dans son De viris illustribus, ou, dans les dernières années de sa vie, le diĜcile exercice de comprendre de l’intérieur — de l’intérieur du protagoniste, des sources et de l’auteur lui-même — qui est représenté par le De gestis Cesaris. Jusqu’en ūŭŮů, les œuvres de Pétrarque se présentent en grande partie sous forme narrativeȹ; à partir du De vita solitaria, elles consistent principalement en réĚexions. L’exposition gagne en aisance, et ceĴe agilité formelle s’adapte à la variété des sujets traitésȹ; mais les principes de base de la « philosophia » de Pétrarque sont eux aussi plus fermes. Il est clair, par exemple, qu’il ne brandit pas seulement l’étendard de Platon contre les aristotéliciens antiques et moderni, mais qu’il se saisit aussi du drapeau du Stoïcisme. Platon constituait un point de référence idéalȹ: même si, plus que lu, il avait été reconstitué à partir d’extraits de mauvaises traductions, il était la garantie — à travers saint Augustin — que les philosophes païens étaient capables d’accéder à une approximation de la théologie révélée. Platon était aussi une arme splendide pour polémiquer et pour conférer de l’autorité à un jugement dans le De ignorantia. Il était ce manuscrit grec précieux et indéchiěrable auquel ce texte fait allusionźŸ. Toutefois, lorsqu’il était question de trouver des modèles de conduite et de comportement, dans le De remediis ou dans les leĴres, les doctrines éthiques du Stoïcisme que Cicéron avait vérięées dans la pratique et Sénèque corrigées de la sévérité originelle du Portique pour les accommoder à ses propres vues, se révélaient beaucoup plus eĜcaces. Pétrarque se rapprochait donc toujours davantage des stoïciens de façon à remplir le rôle de guide dans les questions de conscience qu’il se confère dans sa maturité en tant que « philosophus ». « Animi cura philosophorum querit », proclame-t-ilźŹ. Cela s’applique aussi à lui-même et 63. 64. 65.

Invective contra medicum, éd. cit., p. ŰŬ. De […] ignorantia, éd. cit., p. űůŰȹ; et dans F. Petrarca, Opere latine, éd. cit., p. ūūūŲ. Fam., I ų ū.

55

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

à ceux qui le suivent. C’est la tâche du philosophe que de se connaître luimême (« circa notitiam sui reĚectendumque ad se animum »ȹ; cf. n. Ůų) et, en se perfectionnant, de rendre les autres bonsȹ: « Hi sunt ergo veri philosophi morales et virtutem utiles magistri, quorum prima et ultima intentio est bonorum facere auditorem ac lectorem »źź. Platon et les stoïciens sont en accord dans la mesure où ils satisfont à ceĴe exigence et il n’est pas nécessaire de les amalgamer dans un quelconque « système ». En fait, la « philosophia » de Pétrarque n’est pas un systèmeȹ; elle ne constitue même pas une série de solutions à des problèmes diěérents. Il s’agit plutôt d’une méthode et d’une conviction subordonnées à un dessein (et nées à l’évidence d’une expérience personnelle de grande intensité, conditionnée par un itinéraire biographique particulier) — conviction que les vérités de la foi, bien qu’elles ne soient accessibles que par la grâce, s’accordent avec la liĴérature antique mieux qu’avec tout autre type de savoir humainȹ; et méthode consistant à indiquer, tant implicitement qu’explicitement, les points sur lesquels les traditions chrétienne et classique coïncident dans la certitude qu’elles forment le terrain d’entente le plus noble pour les hommes « ex omnibus sæculis ». Pétrarque prend ainsi plaisir à montrer que, quand le Phédon et les Tusculanes considèrent la « philosophia » comme l’équivalent d’une « cogitatio mortis », ils sont en accord avec saint Paul (cf. n. ůŪ), avec l’Ecclésiastique (« Memorare novissima tua »)źŻ, avec saint Ambroise (« Sit quidem quotidianus in nobis usus aěectusque moriendi »)źż, avec Bernard de Clairvaux (dont l’invitation à entrer en religion s’adressait à la seule âme, le corps devant rester en-dehors de la porte du monastère)źŽ. Pétrarque utilise ceĴe providentielle concordance entre Platon, Cicéron et la Bible, les Pères de l’Église et une grande partie de la spiritualité médiévale pour démontrer, en des termes explicites, l’imposture des logiciens nominalistes, la « dyalecticarum garrulitas ». Formée sur des manuels d’une désolante médiocrité, fruit de l’arrogance et de l’ignorance, elle était incapable d’aller au-delà de lieux communs grossiers. Les scolastiques ne savent même pas ce qu’ils disent quand ils répètent que l’homme est un « animal rationale mortale ». Car assimiler vraiment ceĴe célèbre « diĜnitio hominis » signięe l’accepter comme une norme éthiqueȹ: on doit se laisser guider par la raison aęn de se distin-

66. 67. 68. 69.

56

De […] ignorantia, éd. cit., p. űŮŰȹ; et dans F. Petrarca, Opere latine, éd. cit., p. ūūŪŲ. De otio rel., éd. cit.ȹ; et Ec., ű ŮŪ. Sen., I ů (et saint Ambroise, De excessus Satyri, II ŮŪ). De otio rel., éd. cit., p. Űů.

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

guer des créatures sauvages et ne jamais oublier que l’on est voué à mourir, « peritura despiciens »ŻŴ. Les conclusions sont évidentesȹ: la Scolastique semble moins « philosophique » à Pétrarque que la longue tradition qui s’étend de Platon à saint Bernard. Pour Pétrarque, la « diĜnitio » aristotélicienne, dans son apparente rigueur, n’a aucun sens si l’on ne donne pas à l’adjectif « mortel » l’acception d’un appel à la « cogitatio mortis », d’un impératif qui mène à l’apaisement des passions, à un retrait de la chair et des choses visibles, d’une élévation « ad pervidenda divinitatis archana »Ż¹. Elle n’a aucun sens si, dans l’adjectif « rationnel », on n’insiste pas sur le fait que la raison (« quod singulare ac precipuum habet hominis natura »)Ż², aęn de nous distinguer des bêtes sauvages, « a brutorum animantium feritate »Ż³, doit être assistée par une lecture serrée des auteurs dont l’éloquence prépare l’esprit au travailŻŸ. Ceci doit être l’exact opposé de la façon de lire propre aux moutons du « studiorum monstrum » scolastiqueȹ: ces derniers bêlent du haut de leurs chaires académiques en discourant « de arte vivendi » sans jamais rien traduire « in actum »ŻŹ. Ce fut quand il était engagé dans une aĴaque contre ceux qui se donnaient de grands airs « Aristotelem ventilantes » que Pétrarque forgea, dans une formule particulièrement heureuse, l’un des concepts centraux du programme de l’Humanisme de la Renaissanceȹ: « humanitatem induere feritatemque deponere »Żź. Il insiste d’ailleurs à chaque page sur l’idée que ce n’est pas par la raison et la lecture, dans une « sapientia » s’identięant à la « pietas » et à une « literata devotio », que l’homme peut aĴeindre le suprême degré de l’« humanitas ». Comme je l’ai dit plus haut, point n’est besoin de proclamer que ce sont des causes accidentelles qui sont à l’origine de la maturation de Pétrarque de la « philologia » à une « philosophia » aux solides racines liĴéraires. Il paraîtra assurément tout aussi évident que, lorsqu’il revient, avec une force croissante avec l’âge, « ad moralem precipue philosophiam » (au détriment de la « poetica », reléguée « ad ornatum »)ŻŻ, Pétrarque suit les mêmes lignes de déve-

70. Secretum, éd. cit. 71. Ibid. 72. Fam., I ŭ ų. 73. Secretum, éd. cit., p. ůŬ. 74. Cf. Secretum, éd. cit., où Pétrarque reprend tacitement le De remediisȹ: « Quotiens legenti salutares se se oěerunt sententias, quibus vel excitari sentis animum vel frenari », etc. 75. Secretum, éd. cit., p. ůŬ et ūŬŬ. 76. De vita solitaria, éd. cit., p. ŬųŬ-ŬųŮ. 77. Posteritati, éd. cit., p. ŬųŬ-ųŮ.

57

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

loppement que Cicéron et saint AugustinŻż — ou même Virgile. Le poète mantouan avait décidé de conclure son Énéide et de se dédier à la philosophie (« impositurus Æneidi summam manum […] ut reliqua vita tantum philosophiæ caveret »)ŻŽȹ; notre humaniste parle dans les mêmes termes en évoquant l’achèvement de l’Africa (« summam manum imponere »)żŴ et son intention de se consacrer « ad maiora », à devenir « doctior ac melior »ż¹ dans sa « vita reliqua » et sa « senectus reliqua ». Pétrarque imite ainsi les écrivains classiques et les plus illustres des Pères, et il justięe sa propre évolution comme ils le ęrent. Mais, à cet égard, il ne se limite pas à suivre les modèles qui lui avaient été transmis par l’Antiquité, il se présente lui-même comme un modèle. Quelques pages plus haut, j’ai rappelé qu’à partir de ūŭŮŰ, les écrits de Pétrarque étaient imprégnés d’aĴitudes subjectives et de thèmes autobiographiques et que le moi y prenait une position de prééminence. L’explication de ce phénomène est simple. Pétrarque était trop profondément plongé dans la liĴérature pour ne pas terminer comme un personnage littéraire. La « philosophia » qu’il avait embrassée était une invitation au moi transcendantȹ: elle consistait à rechercher la vérité en soi-même comme saint Augustin et les stoïciens l’avaient fait (« noli foras ire, in te ipsum rediȹ; in interiore homine habitat veritas », propose le De vera religione, tandis que Pétrarque note « Seneca » en marge)ż². Le but consistait à « vivre pour soimême » d’une façon qui équivalait à « vivre pour Dieu » (« ita tibi vivere […] ut […] Domino vivas »)ż³, à se servir de ses réĚexions sur la mort pour reprendre possession de soi-même, à eěacer la perte de soi à laquelle on avait pu consentir (l’Augustin du Secretum avait lancé cet avertissementȹ: « te tandem tibi restitue atque […] incipe tecum de morte cogitare »ȹ; et François avait approuvé dans les termes suivantsȹ: « Adero michi ipse quantum potero, et sparse anime fragmenta recolligam, moraborque mecum sedulo »)żŸ. Pétrarque savait qu’il était l’objet de la curiosité de nombreuses personnes (cf.

78. Cf. Sen., VIII Ű ou Fam., XVII ūŪ ūŮ (où la conversion d’Augustin « in archano conĚictu dissidentium curarum », est représentée en termes identiques à ceux employés pour décrire la « mutatio » de Pétrarque dans le Secretum, dont le sous-titre est précisément « de secreto conĚictu curarum mearum »). 79. Donatus, Vita Vergilii, ŭů. 80. Secretum, éd. cit.ȹ; Fam., XI ūŬ Ű. 81. Ibid.ȹ; Fam., XII ű Ű. 82. Cf. F. Rico, Petrarca y el De vera religione, cit., p. ŭŭŬ, n. ūůū (à propos de XXXIX űŬ). 83. De vita solitaria, éd. cit., p. ŭůŰ. 84. Secretum, éd. cit., p. ŬŪŰ et p. ŬūŮ.

58

ѝѕіљќљќєіђ ђѡ ѝѕіљќѠќѝѕіђ ѐѕђѧ ѝѼѡџюџўѢђ

n. ůŬ) et il considérait qu’il était important de cultiver une image publique aĴractive, même si cela impliquait de changer. Autrefois, il avait aimé le paradoxe selon lequel le refus des honneurs terrestres ęnirait par faire de lui un reclus célèbre, et la gloire obtenue par l’exercice d’une authentique « virtus » n’était en aucun cas une cause de tracasżŹ. Il y a en eěet diverses raisons qui clarięent l’importance accordée au moi dans les livres qui suivirent les Rerum memorandarum. Je ne veux envisager ici qu’un seul pointȹ: s’engager dans l’autobiographie signięait donner corps à un enseignement, démontrer de façon tangible comment pouvait s’eěectuer le passage de la « philologia » à la « philosophia ». Pétrarque écrit beaucoup (mais reste aussi très silencieux) sur luimêmeȹ: il écrit poussé par un désir d’expression, un Lust zu fabulieren, une aspiration au prestige et à la prospérité. Cependant, une grande partie de ce qu’il dit a en réalité le sens d’un manifeste culturel et vise à la construction d’une trajectoire paradigmatique où le portrait aĴractif d’un individu constitue dans le même temps une proposition éthique et une déclaration d’intentions théorique. Aussi le Secretum — rédigé en ūŭŮű et remanié en ūŭůŭ — dramatise une « mutatio animi » hypothétique à l’approche de la quarantaine. Par exemple, Pétrarque imagine qu’à partir de ūŭŮŬ, « ad quadragesimum etatis annum appropinquans »żź, il cesse de courir le jupon aęn d’éviter la honte d’être désigné comme un vieillard libidineux (« pudeat […] senem amatorem dici »), mais ce changement s’accompagne d’une mise à l’écart des « puerilia […] studia ». L’aspect négatif consiste à être désormais assimilé aux vieux scolastiques qui, en discutant « de rebus vilissimis », persévèrent dans des occupations puériles, tandis que l’aspect positif consiste à aller au devant de tâches plus nobles, « ut philosophum decet »żŻ. Les Familiares et les Seniles abondent en images de ce genreȹ: l’exemple personnel est donné en même temps que l’exemple intellectuel, et le cas d’espèce envisagé à la lumière de l’ensemble de l’histoire de Pétrarque, en particulier dans le cours de son évolution de la « philologia » à la « philosophia ». De ceĴe façon, dans le De vita solitaria, dans sa correspondance, dans le Secretum, dans les invectives, un ordre idéal est assigné à la biographie de l’auteur, qui la couple de façon indissoluble avec la défense d’une sorte de sagesse et de savoir tendant « ad beatam vitam », et qui vise à appliquer 85. 86. 87.

De vita solitaria, éd. cit., p. ŮůŰȹ; Secretum, éd. cit., p. ŬŪŮ-ŬŪŰ. Posteritati, éd. cit., p. Ů. Secretum, éd. cit., p. ŲŬ et p. ŬūŪ.

59

ѓџюћѐіѠѐќ џіѐќ

dans les grandes questions de la condition humaine — « natura hominum, ad quid nati sumus, unde et quo pergimus »żż. C’est dans sa correspondance que la « philosophia » de Pétrarque apparaît peut-être le plus pleinementȹ: en tant qu’« ars vite », « in actum » (cf. n. ůű), les leĴres ne font pas qu’exposer ceĴe philosophie, elles se ęxent pour but d’aĴirer et d’instruire des disciples, et d’illustrer ceĴe philosophie à la fois chez leur auteur et chez ses destinataires, de la meĴre en pratique. Avec ses leĴres, Pétrarque procura assurément une impulsion qui se révéla décisive pour la création d’une aristocratie de l’esprit, une aristocratie unie par sa foi commune dans les possibilités diverses et variées de l’« eloquentia » classique. C’est au dévouement passionné de ceĴe aristocratie que les plus belles réalisations de la Renaissance peuvent être aĴribuées. Pétrarque a été à juste titre célébré pendant des siècles, comme il avait toujours souhaité l’être, comme « il primo il quale ebbe tanta grazia d’ingegno, che riconobbe e rivocò in luce l’antica leggiadria dello stilo perduto e spento » (« le premier qui eut assez de grâce d’esprit pour reconnaître et exhumer l’élégance antique du style qui avait été perdu et oublié »)żŽ. Il était vu à juste titre comme l’homme incarnant à lui seul les contributions complexes qui préparaient l’éclosion de la liĴérature et des studia humanitatis — à juste titre, dis-je, parce qu’il ęt incontestablement davantage que quiconque pour indiquer la voie à suivre. Mais, au-delà même de cela, parce qu’en se jetant corps et âme dans ceĴe tâche, il conçut la fondation d’une nouvelle culture comme devant être la tâche non seulement d’un écrivain, mais aussi d’un homme.

88. De […] ignorantia, éd. cit., p. űūŮȹ; et dans F. Petrarca, Opere latine, p. ūŪŮŪ. 89. Leonardo Bruni, Vita di messer Francesco Petrarca, in L’umanesimo italiano, a cura di E. Garin, Bari, Laterza, ūųŰů, p. Ŭů.

60

Nathalie Bouloux

Pétrarque et les marges des manuscrits géographiques

Si Pétrarque n’a pas composé de description du monde sur le modèle des Anciens, ses écrits témoignent d’un intérêt constant pour la géographie¹ȹ: on pense à l’Itinerarium, écrit en ūŭůŲ — son seul ouvrage à dominante géographique —, à sa célèbre leĴre sur l’ascension du mont Ventoux, à celle où il tente de localiser l’ultime Thulé des Anciens, ou à la description de la Gaule dans la Vie de César. Il cite fréquemment les géographes latins et use souvent — parfois d’une manière étonnante — d’images géographiques, à des endroits où on ne les aĴend pas. Ainsi, dans une leĴre à Thomas de Messine intitulée Contre les vieillards dialecticiens, il établit un rapprochement entre la Bretagne et la Sicile, toutes deux de forme triangulaire, l’une siège de la dialectique et l’autre en passe d’être contaminée par la fausse science des scolastiques d’Oxford². Sans doute ceĴe image 1. Cet article exploite la base de données recueillies dans ma thèse, Culture et savoirs géographiques en Italie au XIV Ľ siècle, Turnhout, Brepols, ŬŪŪŬ (Terrarum orbis, Ŭ), dans laquelle je n’avais pas consacré de chapitre à Pétrarque. Mes recherches doivent beaucoup aux travaux de Pierre de Nolhac et de Giuseppe Billanovich, qui ont de longue date aĴiré l’aĴention sur la culture géographique de Pétrarqueȹ: Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, ūųŪű [= ibid. & Turin, BoĴega d’Erasmo, ūųŰů]ȹ; Giuseppe Billanovich, « Dall’antica Ravenna alle biblioteche umanistiche », dans Ævum, XXX, ūųůŰ, p. ŭūų-ŭůŭ, revu et augmenté dans Annuario dell’Università caĴolica del Sacro Cuore, ūųůů-ūųůű, p. űŭ-ūŪű, puis dans Italia medioevale e umanistica, XXXVI, ūųųŭ, p. ūŪű-ūűŮ. 2. Fam., I ű ůȹ: « Sed quonam fugiemus a facie insanorum, si ne insule quidem tute suntȹ? Ergo nec Scylla nec Caribdis obstiterit, quominus hec pestis in Trinacriam transnataretȹ? Imo vero iam insularum peculiare malum est, si dyaleticorum agmini britannico ethnea nunc novorum Cyclopum acies accesserit. Hoccine est quod in Cosmographia Pomponii legeram, Sicilie maxime similem essse Britanniamȹ? Ego quidem putabam similitudinem hanc in terrarum situ ac prope triangulari utriusque specie et fortasse etiam in circumfusi maris perpetua collisione consistereȹ; nichil de dyaleticis cogitabam ». Je cite les Familiares et les Seniles dans la nouvelle édition française (François Pétrarque, LeĴres familières, t. I, Livres I-III, traduction d’André Longpré, notices et notes d’Ugo DoĴi, mises en français par Christophe Carraud et Frank La Brasca, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ).

61

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

plaisante n’a-t-elle d’autre fonction que de renforcer l’ironie polémique de la leĴre mais, à sa manière, elle témoigne de la constance avec laquelle les images géographiques irriguent la production liĴéraire de Pétrarque. Il possédait également des cartes, qui, selon une leĴre du recueil des Seniles, lui permeĴaient de voyager par l’esprit³. En matière de géographie, Pétrarque avait constitué un savoir remarquable tant par son contenu que par ses conceptions méthodologiques. Le point de départ de son intérêt pour la géographie est incontestablement sa passion pour l’Antiquité et son souci d’en connaître l’espace, d’identięer et de localiser les toponymes anciens qui rendent ardue la compréhension des textes latins, sans négliger pour autant l’espace de son époque. Or, le fondement même de la géographie médiévale se trouve dans la lecture des textes. C’est donc au contact des géographes antiques et de quelques auteurs médiévaux que Pétrarque apprend à connaître l’espace de l’Antiquité. Je tenterai de rendre compte de l’évolution intellectuelle de Pétrarque dans ce domaine en étudiant les annotations de ses manuscrits géographiques. Je proposerai quelques réĚexions sur les rapports qu’il entretenait avec ces textes et sur le rôle de la marge comme lieu de transmission de son activité savante.

Le parcours intellectuel de Pétrarque géographeȹ: la lecture des textes Deux moments marquent l’évolution intellectuelle de Pétrarque face à la géographie. Le premier date de la lecture du De chorographia de Pomponius Mela, dont il acquiert un exemplaire, probablement à Avignon vers ūŭŭů. De ce manuscrit aujourd’hui perdu, on garde une copie, conservée à la Biblioteca Ambrosiana (H ūŮ inf.), qui porte la transcription des annotations que Pétrarque avait apposées dans les marges de son exemplaire, comme Giuseppe Billanovich l’a démontré dans un article importantŸ. Parmi ces notes, certaines ne laissent aucun doute sur leur aĴribution à l’humaniste. Ainsi, en face du vocable Avinio, le scribe a porté « ubi nunc sumus, ūŭŭů ». A un autre endroit, l’annotateur fait référence à l’Africa et dit avoir 3. 4.

62

Sen., IX Ŭ. G. Billanovich, « Dall’antica Ravenna… », op. cit.

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ љђѠ њюџєђѠ ёђѠ њюћѢѠѐџіѡѠ єѼќєџюѝѕіўѢђѠ

suivi Pomponius Mela pour la reconstruction de l’itinéraire emprunté par HannibalŹȹ: l’auteur de ces notes ne peut être que Pétrarque. L’intérêt de la découverte de l’humaniste est double. Le De chorographia est jusque là très peu diěusé en Occident. Le témoin le plus ancien de la tradition est un manuscrit du ixĽ siècleź, produit dans l’entourage de Loup de Ferrières (Vaticanus Latinus ŮųŬų). Il témoigne de l’intense activité géographique des intellectuels carolingiens. Au xiiĽ siècle, ce manuscrit se trouve dans la région d’Orléans, où il est lu et annoté. Quelques copies partielles — parfois de simples extraits — en ont été faites, dont on trouve des traces à Limoges et à l’abbaye du Bec. Malgré ces rares témoins, Pomponius Mela n’est quasiment plus lu ni cité. Il faut aĴendre le début du xivĽ siècle pour le voir à nouveau mentionnéȹ: l’historien Jean de SaintVictor le cite à plusieurs reprises dans son Memoriale historiarum, aĴestant ainsi de la présence d’un exemplaire soit à la bibliothèque de l’abbaye, soit dans une autre bibliothèque parisienneŻ. Mais la fortune de Pomponius Mela reste marginale — Jean n’a pas conscience d’utiliser un traité quasiment inconnu — jusqu’à la découverte de Pétrarqueż. Ce texte rare lui est apparu comme une voie d’entrée privilégiée dans l’espace de l’Antiquitéȹ: plus court que Pline, écrit dans un style concis et eĜcace qui plaît fort à Pétrarque, le De chorographia — que l’humaniste connaît sous le nom de Cosmographia — décrit le monde romain du іĽŊ siècle en insistant sur les souvenirs historiques et mythologiques qui se raĴachent aux lieux, sur les ancêtres éponymes et il porte une aĴention soutenue aux peuples lointains comme supports de l’altérité. Le De chorographia était accompagné, entre autres, du lexique géographique de Vibius Sequester, le De Ěuminibus, sans doute composé entre le ivĽ et le vĽ siècle, et lui aussi fort peu diěusé, ainsi que de trois textes géographiques mineurs (De nominibus Gallicis, Nomina provinciarum, Notitia Galliarum). Pétrarque lit Pomponius Mela et Vibius Sequester avec beaucoup d’intérêt, comme l’aĴestent ses annotations de lecture transcrites par le 5. Vincenzo Fera, La revisione petrarchescha dell’Africa, Messine, CISU, ūųŲŮ, p. ŭűū-ŭűŮ. 6. Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. ŮųŬų. Voir Claude W. Barlow, « Codex Vaticanus Latinus ŮųŬų », in Memoirs of the American Academy in Rome, XV, ūųŭŲ, p. Ųű-ūŬŮ. 7. Il est également cité par Paulin de Venise dans son De mapa mundi, mais ce dernier s’est très largement inspiré de Jean de Saint-Victor. 8. Sur l’histoire de la tradition manuscrite de Pomponius Mela, voir Catherine M. Gormley, Mary A. Rouse et Richard H. Rouse, « The medieval circulation of the De chorographia of Pomponius Mela », in Medieval Studies, XLVI, ūųŲŮ, p. ŬŰŲ-ŭūų.

63

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

copiste du manuscrit de l’AmbrosianaŽ. Arrêtons-nous un moment sur l’authenticité de ces notes. La démonstration de Giuseppe Billanovich n’est pas contestableȹ: Pétrarque est bien l’auteur principal des scholies. Cependant, certaines se trouvent également dans le Vat. Lat. ŮųŬų¹Ŵ. Le manuscrit de Pétrarque, copie directe ou indirecte, devait donc conserver certaines annotations du lecteur du ixĽ siècle (peut-être Heiric d’Auxerre), que le copiste du H ūŮ inf. de l’Ambrosiana a transcrites en même temps que celles de Pétrarque. Se pourrait-il alors que d’autres notes ne soient pas de sa mainȹ? C’est possible, mais sans doute dans un nombre très limité. On observe en eěet une correspondance étroite entre la production liĴéraire de Pétrarque et ces annotations¹¹ȹ; aucun des rares exemplaires de Pomponius Mela antérieurs au xivĽ siècle ne les porte, tandis qu’une part non négligeable des manuscrits postérieurs, copiés en Italie au xivĽ et au xvĽ siècles, les conserve en partie. Enęn, il faut tenir compte de la cohérence entre ces gloses et la méthode d’annotation de Pétrarque dont témoignent ses autres manuscrits. Si on peut considérer ces annotations comme authentiques dans leur grande majorité, il est en revanche diĜcile d’en proposer une datation certaine — contrairement à celles portées sur son Pline. Il est vraisemblable qu’elles ont été réalisées pour l’essentiel autour de ūŭŭů, peu après l’achat, si bien que l’on peut dire qu’elles sont l’œuvre d’un Pétrarque encore jeune, à un moment où sa passion pour la géographie est guidée par la nécessité de comprendre au mieux les auteurs classiques. Quelques-unes montrent aussi que Pétrarque continue la lecture de Pomponius Mela au temps de sa maturité. On y retrouve en eěet le style habituel de ses notesȹ: des appréciations stylistiques, des remarques sur les diěérences entre les peuples et sur la diversité des coutumes qui relèvent d’une forme de lecture morale de 9. D’après G. Billanovich, ce manuscrit (Ambr. H ūŮ inf.) a appartenu à Giovanni Corvini d’Arezzo, chancelier de Filippo Mario Visconti († ūŮŭŲ), puis à Francesco Cicerio de Milan (XVIĽ siècle). D’après Élisabeth Pellegrin (notice de l’IRHT, non publiée), il a plutôt été fait pour Pasquino Capelli, secrétaire de Jean Galéas Visconti († ūŭųŲ). 10. Dans le livre I, on trouve deux notes exactement identiquesȹ: « aliquotiens dicit cursus suos sidera mutasse et solem illis occidisse unde nunc oritur » (De chor., I ūŮ, Vat. Lat. Ůųŭų, op. cit., par C.W. Barlow, « Codex Vaticanus Latinus ŮųŬų », op. cit., p. ųů, et Ambr. H ūŮ inf., fº ű), et « syriam comprobat eandem mesopotamiam et aliis multis nominibus dici » (De chor., I ūů, Vat Lat. Ůųŭų, op. cit., ibid., et Ambr. H ūŮ inf., fº ű). 11. Voir par exemple les liens établis par Carla Maria Monti (« Mirabilia e geograęa nel Canzoniereȹ: Pomponius Mela e Vibio Sequestre [RVF cxxxv e cxlviiii] », in Studi petrarcheschi, VI, ūųŲų, p. ųū-ūŬŭ) entre une annotation sur le Phénix et deux sonnets du Canzoniere.

64

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ љђѠ њюџєђѠ ёђѠ њюћѢѠѐџіѡѠ єѼќєџюѝѕіўѢђѠ

l’œuvre. Surtout, Pétrarque établit des renvois référencés à d’autres auteurs latins. Il s’agit là d’une technique de la note qui lui est propre. Dans le cas des textes de Pomponius Mela et de Vibius Sequester, elle est poussée vers une recherche systématique des occurrences toponymiques dans la liĴérature latineȹ: Lucain et Virgile, mais aussi Ovide, Horace, Juvénal, Lactance pour les poètesȹ; Cicéron (essentiellement les Tusculanes), Justin, Valère-Maxime, Salluste, Apulée, Boèce, Pline, Platon (le Timée) pour les prosateurs. A l’exception de Pline, de Platon et d’Apulée, connus plus tardivement, ces auteurs sont lus précocement par Pétrarque, ce qui renforce le sentiment qu’il s’agit là d’une lecture de jeunesse, mais une lecture active et assidue, qui représente de longues heures de travail et qui s’accorde avec une conception de la géographie comme une sorte de science auxiliaire de la liĴérature, essentiellement utile à la compréhension du monde antique. Pourtant, au contact de ces textes, Pétrarque montre aussi son intérêt pour des questions que nous qualięerions de proprement géographiquesȹ: la division du globe en cinq zones, la question des sources du Nil et de ses crues, à propos desquelles il annoteȹ: « sur le Nil, rien d’aussi circonstancié ni de meilleur que dans Lucain, ūŪ »¹². Le renvoi à Lucain comme géographe ne doit pas étonnerȹ: les œuvres poétiques sont considérées comme source d’un savoir géographique qui n’est nullement allégorique¹³. Si Pomponius Mela a constitué sa première prise de contact avec la géographie des Anciens, la seconde, plus profonde, fut avec Pline. Pétrarque le consulte bien avant d’en posséder un exemplaire, sans doute dès ūŭŮū, à la bibliothèque pontięcale¹Ÿ. En Italie, au xivĽ siècle, Pline n’est pas un texte facile d’accès, du moins jusqu’à la ęn du siècle. Lorsque Pétrarque entre en possession de l’Histoire naturelle, qu’il achète à Mantoue en ūŭůŪ, c’est tout un monde qui s’oěre à lui — ainsi qu’au chercheur, qui a ceĴe fois sous les yeux des annotations de la main de l’humaniste. Grâce au livre d’Armando Petrucci¹Ź, il est possible de dater l’écriture de Pétrarque et donc de déterminer deux moments dans l’annotation. La période ūŭůŪ-ūŭůů cor12. « De Nilo nusquam latius et melius quam ūŪ Luc » (Ambr. H ūŮ inf., fº Űrº). 13. En ce qui concerne Lucain, sa qualięcation comme poète ou comme historien ęt l’objet de débats passionnés au Moyen Âge. D’autres poètes forment la base d’un savoir géographique commun, comme Virgile lorsqu’il décrit le partage de la sphère terrestre en cinq zones. 14. Voir Giuseppe Velli, « Plinio nel proemio dell’Africa », in Giornale storico della LeĴeratura italiana, CVI, ūųŲų, p. ŭŪ. 15. Armando Petrucci, La scriĴura di Francesco Petrarca, Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, ūųŰű.

65

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

respond à une écriture à l’encre noire et de petit module. Pétrarque s’intéresse alors aux personnages cités dans le texte, porte des appréciations stylistiques et se soucie de la description du monde habité comme d’une île au milieu de l’océan¹ź. Il s’agit là d’un thème déjà traité dans l’Africa et repris, précisément à ceĴe période, dans le Secretum (composé entre ūŭůŪ et ūŭůŭ). L’île-monde est contemplée d’en haut par le poète, en situation de vision cosmiqueȹ: il peut ainsi méditer concrètement sur la vanité et sur la petitesse de l’existence terrestre. Les notes d’une écriture à gros module indiquent un deuxième moment de lecture, dans les années ūŭůŰ-ūŭŰů. Ce sont alors essentiellement les livres géographiques (III à VI) et ceux consacrés aux peuples et aux animaux qui retiennent l’aĴention de Pétrarque. Or, c’est en ūŭůŲ que Pétrarque compose l’Itinerarium. La lecture qu’il fait de Pline présente des similitudes de méthode avec celle qu’il a faite de Pomponius Melaȹ: appréciations stylistiques, remarques sur l’altérité, corrections philologiques aussi. Fait remarquable et qui forme la principale originalité de ceĴe lecture de Plineȹ: il a adapté sa technique de la note à son sujet, en lui donnant un tour graphique. Les toponymes rencontrés dans le texte, qui, sans doute, l’intéressent particulièrement, sont recopiés en marge et entourés d’un trait de plume qui rappelle les vigneĴes cartographiques et dont la forme indique la nature de l’objet géographiqueȹ: les montagnes sont entourées d’une ligne ondulante dans la partie supérieure, les Ěeuves soulignés d’un trait remontant à gauche, les régions surmontées d’un trait descendant à gauche, les villes indiquées d’un trait à gauche. On regreĴe d’autant plus que la rognure du manuscrit ait en partie eěacé le travail de l’humaniste. Il établit, comme dans son Pomponius Mela, des renvois, à des géographes, des historiens, des prosateurs. On peut donc mesurer l’évolution de Pétrarque dans sa lecture géographiqueȹ: beaucoup moins systématiques que dans le Pomponius Mela, les renvois ont pour fonction de confronter les deux géographes, pour chercher leurs accords ou au contraire meĴre en évidence leurs contradictions. Ainsi, Pomponius Mela a écrit que le Pô et le Danube se jeĴent dans l’Adriatique tandis que Pline dénonce ceĴe erreur. Dans son exemplaire

16. « Totam terram mari cingi experimento cognitum. Unde illud Ciceronis omnis enim terra que incolitur a vobis angustata verticibus lateribus latior quedam parva insula est, circumfusa illo mari quod Atlanticum, quod magnum quem occeanum appellatis in terris qui tamen tanto nomine quam sit parvus vides et rel » (Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Lat. ŰŲŪŬ, fº ŬŪrºȹ; Pline, II ūŰŮ).

66

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ љђѠ њюџєђѠ ёђѠ њюћѢѠѐџіѡѠ єѼќєџюѝѕіўѢђѠ

de l’Histoire naturelle, Pétrarque annoteȹ: « Il faut condamner ceĴe erreur et avant tout chez Pomponius Mela, au livre Ŭ de la Cosmographie »¹Ż. Mais il y a plus. Ce dialogue que Pétrarque instaure dans les marges de ses livres avec les géographes latins se poursuit dans ses autres manuscrits. Dans son Virgile, des annotations traduisent ses interrogations géographiques. A propos du vers űŪŲ du livre X de l’Éneide, il noteȹ: « Le Vésule en Ligurie, où le Pô prend sa source. Chercher dans l’Histoire naturelle (livre ŭ chapitre ūű) et cela est vrai, non ce que dit Vibius de la montagne ou Pomponius de la source »¹ż. Dans un de ses manuscrits de Tite-Live, des toponymes sont identięés selon le principe adopté dans son Pline. Ce travail géographique s’appuie également sur des auteurs médiévaux. Outre un exemplaire des Étymologies d’Isidore de Séville, sur lequel quelques notes de sa main montrent une lecture distante, il possédait un exemplaire de la Topographia Hibernica de Giraud le Cambrien, à qui il rend un bel hommage dans la Familière, III ū en avouant avec lui une ressemblance de la pensée (« similitudo ingenii »)¹Ž. Son manuscrit de la Topographia porte quelques remarques de sa main, des repères marginaux, une référence à Thulé et une note sur le tonnerre en Irlande, dont on trouve un écho dans son Pline. Bien d’autres de ses manuscrits, sans contenu géographique, témoignent d’un intérêt toujours en éveil pour ceĴe matière. On peut donc distinguer deux moments dans la vie de Pétrarque géographe. Dans sa jeunesse, son intérêt pour l’espace de l’Antiquité guide son regard et le conduit à établir des liens entre ses lectures favorites et les toponymes rencontrés dans Pomponius Mela et Vibius Sequester. Le contact toujours plus étroit avec les textes antiques, leurs diĜcultés de lecture et leurs obscurités, la nécessité d’une méthode philologique pour établir et le texte et le sens l’amènent peu à peu à une lecture plus savante qui trouve son point ultime dans ses notes sur le Pline et sa formulation méthodologi-

17. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Lat. ŰŲŪŬ, fº Ŭųrºȹ; Pline, III ūŲ (ūŬű-ūŬŲ). 18. Milan, Venerabile Biblioteca Ambrosiana, S.P. ūŪ/Ŭű [= Francisci Petrarcæ Vergilianus Codex, a cura di G. Galbiati, Milan, Hoepli, ūųŭŪ, fº ŬŪūrº]. Sur ce manuscrit, voir Giuseppe Billanovich, « L’alba del Petrarca ęlologoȹ: Il Virgilio Ambrosiano », in Petrarca e il primo umanesimo, Padoue, Antenore, ūųųŰ, p. ŭ-ŮŪ. 19. Fam., III ūȹ: « Post annos vero venit in manus meas libellus De mirabilibus Hybernie, a Giraldo quodam, aulico Henrici secundi regis Anglorum, licet tenui rerum ęlo, non rudi tamen verborum arte contextus quem ne totum bibliothece nostre foribus excluderem, brevis quedam ipsius particula promeruit, ubi de hac eadem insula nostre similis et operosa dubitatio inserta eratȹ; itaque similitudo una ingenii michi totius operis commendavit auctorem ».

67

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

que dans une note du Virgile où il tente de localiser le temple de Minerve, premier lieu qu’Enée aperçoit lorsqu’il passe de Grèce en Italieȹ: Beaucoup de choses engendrent des erreurs concernant la connaissance des lieux, parmi lesquellesȹ: l’éloignement de régions inaccessibles aux hommes de notre époque, le changement des noms, la rareté et le manque de clarté des auteurs, parfois même leur désaccord, mais par-dessus tout, l’absence de curiosité intellectuelle et la paresse de ceux qui ne prennent soin de rien, si ce n’est de ce qui est sous leurs yeux. Non seulement le simple lecteur mais souvent les commentateurs négligent de s’arrêter sur ces questions. […] Quant à nous, aussi souvent que nous l’avons pu, par une enquête scrupuleuse tant chez les auteurs et en particulier les cosmographes, que dans les descriptions de la terre et dans certaines cartes très anciennes qui sont venues entre nos mains, nous avons découvert […].²Ŵ

Chercher des informations géographiques exactes, confronter les cosmographes et, plus généralement, tous les auteurs approchant la géographie pour en extraire concordances et discordances, telle est désormais l’exigence de Pétrarque.

Pétrarque, le texte et le regard géographique L’identięcation par Pétrarque des causes des erreurs géographiques — éloignement géographique, changement des noms depuis l’Antiquité et contradictions des auteurs —, comme l’exposé de sa méthode d’enquête — confrontation des textes et utilisation des cartes — sont issus de son expérience de lectureȹ: lecteur qui s’interroge sur l’orthographe des toponymes, sur les contradictions des auteurs, lecteur qui dit chercher le vrai par une enquête directe, par ce que nous appellerions aujourd’hui l’expérience. Tant dans

20. « Errorem sane circa locorum notitiam multa pariunt, atque hec inter ceteraȹ: regionum inaccessarum nostris hominibus longinquitas, nominum mutatio, scriptorum raritas obscuritasque eorumdemque nonnumquam dissensio, sed super omnia incuriositas ingeniorum ac segnities nichil omnino nisi quod ante oculos estȹ: hinc non communes modo lectores, sed sepe ipsi etiam glosatores suspenso gressu ista pretereunt. […] Nos autem hoc quam potuimus scrupulosius inquirentes, tam apud scriptores presertim cosmographos quam in descriptionibus terrarum et quibusdam cartis vetustissimis que ad manus nostras venerunt, deprehendimus […] » (Milan, Venerabile Biblioteca Ambrosiana, S.P. ūŪ/Ŭűȹ; cf. Francisci Petrarcæ Vergilianus Codex…, op. cit., ūųŭŪ, fº ųųrº). Pour une analyse détaillée de la note, voir N. Bouloux, Cultures…, op. cit., p. ūųů-ūųű.

68

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ љђѠ њюџєђѠ ёђѠ њюћѢѠѐџіѡѠ єѼќєџюѝѕіўѢђѠ

ses annotations que dans certaines de ses remarques, il peut nous sembler que Pétrarque oppose la vérité géographique, le réel, les res, au livresque, comme nous le faisons nous-mêmes, en « homme moderne ». Ainsi, en face du passage où Pomponius Mela explique le désert de pierre de la Crau, Pétrarque annote « Nota fabulam nam locum nosti »²¹. Dans sa leĴre sur l’ascension du mont Ventoux, à propos de la possibilité d’apercevoir deux mers du haut de l’Hémus, il regreĴe de ne pas pouvoir vérięer par lui-même en raison de l’éloignement géographique²². Ecrivant à Boccace, il l’invite à venir chercher avec lui la source du Timave²³. Dans la leĴre à Thomas de Messine dans laquelle il tente de localiser Thulé, il s’étonne que son voyage sur les rivages de la mer du Nord ne l’ait pas aidé dans sa quête de l’île²Ÿ. Tout cela pourrait nous engager à voir chez Pétrarque un géographe moderne, cherchant à établir la vérité géographique contre les erreurs des Anciens et, plus encore, contre celles des auteurs médiévaux, par une connaissance directe, une sorte d’autopsie du monde. Mais ce serait là projeter une conception de la réalité et des rapports entre livresque et réel qui nous est propre. Dans la confrontation au réel que semble souhaiter Pétrarque, le livresque prime toujours, non pas qu’il soit plus vrai que les res, non pas qu’il fasse autorité, mais parce que le texte est le point de départ du questionnement géographique. Dans son récit de l’ascension du Ventoux, le désir de l’escalade naît de la lecture de Tite-Live et de la volonté d’imiter Philippe de Macédoine²Ź. Dans la glose du Virgile de l’Ambrosienne, il entend démêler une question géographique posée par la compréhension du texte de Virgile à partir des textes des cosmographes. Dans la leĴre où il localise Thulé, il travaille sur les textes et, par rapprochements successifs entre les dires des auteurs et les données d’un même auteur, il renvoie 21. Ambr. H ūŮ inf., fº ūųvº. Pomponius Mela se fait l’écho d’une légende étiologiqueȹ: le désert de pierre de la Crau serait le résultat de la pluie de pierres que Jupiter ęt tomber pour venir en aide à Hercule en luĴe contre deux ęls de Neptune (De chor., II űŲ). 22. Fam., IV ū. 23. Sen., III ū. 24. Fam., III ū ūȹ: « Et hec tibi quidem, ex ipsis britannici occeani litoribus, propinquior — ut fama est — ipsi quam vestigiamus insule, scriboȹ; profecto unde, vel antiquo literarum studio vel nova ac solicita locorum indagine, certius aliquid scribere posse debueram ». 25. Sur les rapports entre perception de l’espace et culture livresque, voir N. Bouloux, Culture…, op. cit., p. Ŭűů-ŬŲŮ. Sur la tonalité augustinienne de la leĴre, voir Maurice Brock, « Pétrarque et le Mont Ventouxȹ: Peut-on jouir de la montagneȹ? », dans Voyages en détailsȹ: Chemin, regards et autres traces dans la montagne, numéro hors-série de Revue de Géographie alpine publié sous la direction de D. Buyssens et C. Reichler, Grenoble, ūųųų, p. ūů-ŬŬ.

69

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

Thulé vers l’imaginaire²ź. Le regard géographique trouve donc dans les textes sa source comme son point d’arrivée. N’est-ce pas ce qu’il veut dire lorsqu’il écrit dans l’Itinéraireȹ: « Il est vrai que nous connaissons bien des choses sans les avoir vues, et en ignorons beaucoup que pourtant nous avons vues »²Żȹ? Entre Pétrarque et le réel se déploie le texte, qui seul permet de questionner le réel. L’importance de la découverte de Pomponius Mela et de la lecture de Pline prend alors tout son sens.

Les marges, la mémoire et la transmission du savoir L’annotation n’est pas une invention humanisteȹ: beaucoup de textes importants de la culture médiévale circulent avec commentaires et notes²ż, dont il est souvent impossible d’identięer avec certitude les auteurs. Ces commentaires peuvent avoir des statuts diěérents en fonction du texte glosé. Depuis le xiiĽ siècle, la Glose est le garant indispensable de la lecture et de l’exégèse des textes bibliques²Ž. Dans le domaine juridique, les manuscrits abondent en commentaires et en annotations³Ŵ. Les manuscrits d’auteurs antiques circulent aussi avec commentaires et notes, sans que le scribe ou le lecteur qui annote se soucie d’en respecter ni la forme ni l’exhaustivitéȹ: il est souvent illusoire de vouloir aĴribuer ces commentaires³¹. On peut donc s’interroger sur le statut de ces annotations sans véritable auteur et sans forme avérée. Elles constituent en fait des paratextes qui servent à la compréhension, à la mémorisation et à l’interprétation du texte, souvent sans qu’il soit question d’originalité — bien au contraire, elles montrent plutôt une lecture moyenne des textes.

26. Cf. N. Bouloux, Cultures…, op. cit., p. ŬŰŰ-ŬűŬ. 27. Pétrarque, Itinéraire de Gênes à Jérusalem, traduction de Christophe Carraud et Rebecca Lenoir, Grenoble, J. Millon, p. Ŭų. 28. Louis Holz, « Glosse e commenti », in Lo spazio leĴerario del Medioevo, a cura di G. Cavallo, C. Leonardi e E. Menestro, ūȹ: Il Medioevo latino, vol. IIIȹ: La ricezione del testo, Rome, Salerno Editrice, ūųųů, p. ůų-ūŪů. 29. Beryl Smalley, The study of the Bible in the Middle Ages, Oxford, University of Notre Dame Press, ūųŲŮ²ȹ; Guy Lobrichon, « Une nouveautéȹ: les gloses de la Bible », dans Le Moyen Âge et la Bible, sous la direction de P. Riché et G. Lobrichon, Paris, Beauchesne, ūųŲŮ, p. ųů-ūūŮȹ; Gilbert Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval (xiiĽ-xivĽ siècles), Paris, s.t., ūųųų. 30. L. Holz, « Glosse e commenti », op. cit., p. Ųŭ-ŲŰ. 31. Voir Anne Grondeux, « Auctoritas et glose. Quelle place pour un auteur dans une gloseȹ? », dans Auctor et auctoritasȹ: Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, sous la direction de M. Zimmermann, Paris, École des Chartes, ŬŪŪū, p. ŬŮů-ŬůŮ.

70

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ љђѠ њюџєђѠ ёђѠ њюћѢѠѐџіѡѠ єѼќєџюѝѕіўѢђѠ

Le travail de Pétrarque sur ses manuscrits, géographiques ou non, s’inscrit donc dans une longue tradition. Dans un article déjà ancien, Charles Samaran suggérait que c’est à Bologne — où Pétrarque suit l’enseignement du droit et où il ouvre bien quelques manuscrits juridiques, même si leur étude ne le passionne pas — qu’il aurait contracté l’habitude d’appliquer aux ouvrages de sa bibliothèque le système de la glose Ěanquant le texte et des commentaires interlinéaires. De fait, à regarder le Virgile de l’Ambrosienne, on ne peut qu’être frappé par la similitude de la disposition du texte, du commentaire de Servius et des annotations de Pétrarque avec la mise en page des manuscrits juridiques produits à Bologne³². D’autres modèles ont sans doute joué, notamment les manuscrits conservant les textes antiques. À cet égard, celui de Pomponius Mela, qui gardait des annotations d’anciens lecteurs, est exemplaire, d’autant qu’il nous montre aussi comment Pétrarque innove lorsqu’il s’approprie une méthode de travail pluriséculaire. Dans ses deux manuscrits de Pline et de Mela, la grande majorité des notes est constituée de toponymes, qui fonctionnent comme repères marginaux des données du texte. Ils permeĴent sans aucun doute de retrouver facilement des passages dans le texte — et constituent ainsi une sorte de pré-index. Mais ils relèvent aussi d’une technique de mémorisation, que Pétrarque a lui-même décrite dans le Secretum. Il s’agit là d’un passage complexe, où l’humaniste conduit une réĚexion sur l’art de lire comme art de vivre (c’est-à-dire sur les bienfaits de la lecture comme aěermissement et accomplissement de l’homme) à l’intérieur d’un discours sur les inquiétudes de l’âme. Pour se défendre contre celles-ci, et tout particulièrement contre la colère, Augustin donne des indications sur la manière de lire et sur l’art de la noteȹ: ѓџюћѷќіѠȹ: Tu sais que j’ai lu tous ces livres avec soin. юѢєѢѠѡіћȹ: Mais cela ne t’a servi de rienȹ! ѓџюћѷќіѠȹ: Mais si, tant que j’ai lu, cela m’a beaucoup servi, mais à peine refermais-je le livre que je cessais d’y adhérer. юѢєѢѠѡіћȹ: Comme toujours avec les lecteursȹ! Voilà comment s’est répandue l’horrible engeance des pédants. Dans 32. Voir Charles Samaran, « Les écritures de Pétrarque », dans Journal des Savants, avriljuin ūųŰų, p. űŭ. On peut comparer le Virgile de Pétrarque avec un manuscrit du code de Justinien produit à Bologne dans le troisième quart du xiiiĽ siècle (Angers, Bibliothèque Municipale, ms. ŭųų)ȹ: la mise en page place au centre le texte, entouré d’un commentaire, doublé d’annotations de lecture dans les marges.

71

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

les écoles, on parle beaucoup de l’art de vivre mais bien peu le meĴent en pratique. Marque bien les passages importants de ces livres et tu tireras fruit de ta lecture. ѓџюћѷќіѠȹ: Comment les marquerȹ? юѢєѢѠѡіћȹ: Chaque fois qu’en lisant il t’arrive de rencontrer des maximes qui excitent ton âme, ou la retiennent, ne te ęe pas seulement à ton esprit, mais grave-les bien au fond de ta mémoire, et tente de te les rendre familières à force de les méditer […].

Et plus loinȹ: юѢєѢѠѡіћȹ: […] pour te prémunir contre la colère et les autres mouvements de l’âme dont nous avons parlé, songe-toujours à quelque maxime que tu auras recueillie lors d’une lecture aĴentive. Marque, comme je te l’ai dit en commençant, certaines pages aux passages utiles, ces marques te serviront de crochets pour les retenir si elles tendaient à s’échapper de ta mémoire.³³

Dans ce passage, le conseil de saint Augustin vise à prévenir chez Pétrarque les eěets de la colère en l’engageant à se souvenir des maximes apaisantes tirées de ses lectures. Pour cela, il lui faut les retrouver dans sa mémoire en s’aidant du procédé technique de l’annotation. Les notes sont donc comparées à des crochetsȹ: elles servent à établir ce que Mary Carruthers 33. « F. — Singula hec haud negligenter legisse me noveris./ A. — Quid ergoȹ? nichil ne profueruntȹ?/ F. — Imo vero inter legendo plurimumȹ; libro autem e manibus elapso assensio simul omnis intercidit./ A. — Comunis legentium mos est, ex quo monstrum illud execrabile, literatorum passim Ěagitiosissimos errare greges et de arte vivendi, multa licet in scolis disputentur, in actum pauca converti. Tu vero, si suis locis notas certas impresseris, fructum ex lectione percipies./ F. — Quas notasȹ?/ A. — Quotiens legenti salutares sese oěerunt sententie, quibus vel excitari sentis animum vel frenari, noli viribus ingenii ędere, sed illas in memorie penetralibus absconde multoque studio tibi familiares eĜce. […]/ A. — […] ut unde discesseram revertar, et adversus iram et adversus reliquos motus precipue adversus hanc, de qua multa iam diu loquimur, pestem, aliquid semper excogitaȹ; quod cum intenta tibi ex lectione contigerit, imprime sententiis utilibus (ut incipiens dixeram) certas notas, quibus velut uncis memoria volentes abire contineas. » (Secretum, in Opere latine di Francesco Petrarca, a cura di A. Bufano, vol. I, Torino, Ѣѡђѡ, ūųűů, p. ūůŲ-ūŰŬ — trad. fr. par François Dupuigrenet Desroussillesȹ: Pétrarque, Mon secret, Paris, Rivages, ūųųū, p. ūūŮ sq.). Pour un commentaire de ce passage en relation avec la mémoire et le rôle de la lecture dans l’appropriation des textes et la création liĴéraire, cf. Mary Carruthers, The book of memoryȹ: A study of memory in Medieval culture, Cambridge, Cambridge University Press, ūųųŪ — trad. fr. par Diane Meurȹ: Le livre de la mémoireȹ: Une étude de la mémoire dans la culture médiévale, Paris, Macula, ŬŪŪŬ, p. Ŭŭų sq.

72

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ љђѠ њюџєђѠ ёђѠ њюћѢѠѐџіѡѠ єѼќєџюѝѕіўѢђѠ

appelle des « concordances mentales de textes »³Ÿ. Il s’agit d’un procédé de mémorisation, que l’on pourrait comparer à un processus d’ingestion, qui conduit « à les rendre familières à force de les méditer ». C’est ainsi que les notes indiquent souvent les données à partir desquelles Pétrarque crée ses propres textes. Rares sont celles qui ne trouvent pas d’écho dans sa production liĴéraire. Carla Maria Monti a ainsi établi le lien entre une glose du Pomponius Mela sur le phénix et deux sonnets du Canzoniere³Ź. Mémorisation et imprégnation des textes certes, mais aussi travail savant qui préside à la création liĴéraire, toujours inachevée et sans cesse reformulée au contact de nouveaux textes ou par l’approfondissement de lectures déjà connues. Les annotations que Pétrarque porte sur ses propres textes en témoignent. Dans son étude sur les révisions de l’Africa,Vincenzo Fera a notamment montré l’importance des questions géographiques dans la création liĴéraire et retracé les interrogations de Pétrarque sur les itinéraires maritimes empruntés par Hannibal, aĴestées à la fois dans les notes à l’Africa et dans celles en marge de son Virgile, de son Pomponius Mela et de son exemplaire des Étymologies d’Isidore de Séville. Les Anciens se contredisent, notamment sur l’épisode au cours duquel Hannibal met à mort son pilote Pélore — fait important, puisqu’il donne son nom à un cap sicilien très célèbre, le Pélore. Prenant acte des contradictions des auteurs, Pétrarque choisit ęnalement de suivre Pomponius Mela. Dans sa révision de l’Africa, il justięe son choix par l’argument de la vraisemblance (similius vero)³ź. Les manuscrits géographiques montrent également d’autres aspects du travail savant. Les notes, sous leur forme graphique comme dans le Pline, servent à identięer la nature du toponyme. Elles ont aussi pour fonction de relier les textes entre eux par un système de renvois, et participent ainsi à la problématisation des données, aspect le plus novateur du travail géographique de Pétrarque. Elles seules garantissent une lecture explicative et contradictoire, condition nécessaire pour accéder à la vérité du texte ou, à défaut, à « la similitude du vrai ». Dans la glose au Virgile de l’Ambrosiana, Pétrarque évoque et oppose ces diěérentes lectures du texte, celle des « communes lectores » et celle des « glossatores », plus coupa34. M. Carruthers, Le livre…, op. cit., p. Ŭŭų. 35. Cf. C.M. Monti, « Mirabilia… », op. cit., p. ųŮ. 36. Cf. V. Fera, La revisione…, op. cit., p. ŭűū-ŭűŮ. Voir également N. Bouloux, Cultures…, op. cit., p. ūųū sq.

73

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

bles encore de se laisser aller à la facilité³Ż. Ces techniques de lecture des textes ne concernent évidemment pas seulement la géographieȹ: l’humaniste procède d’une manière similaire en histoire. On retrouve dans ses manuscrits historiques les relations entre notes, mémorisation et méditation du texte, les problèmes savants posés par les questions d’identięcation des personnages et par l’établissement de la vérité historique, ainsi que les maximes morales que lui inspirent ses lectures. Pétrarque systématise et renouvelle des méthodes largement éprouvées par les savants médiévaux. Il innove aussi, en transformant l’art de la note marginale en instrument volontaire de transmission du savoir. Il a fait connaître le De chorographia en Italieȹ: ses amis italiens — Guillaume de Pastrengo, Boccace et d’autres sans doute — copient, lisent et transmettent le texte de Pomponius Mela accompagné des notes de Pétrarque. Ces annotations ęnissent par faire partie intégrante de la tradition manuscriteȹ: de copie en copie, le texte conserve parfois quelques-unes des notes de Pétrarque, sans qu’elles lui soient jamais aĴribuées. Il est probable qu’il ne les considérait pas comme un travail destiné à lui seulȹ: celui qui écrit en marge d’un texte sait qu’il sera lu. Les gloses de l’humaniste, clefs de lecture du texte, étaient aussi destinées à être lues par ses amis et par la postérité. Parmi ces lecteurs, Boccace est celui qui a le plus bénéęcié du savoir géographique de Pétrarque. Lors de la composition du De montibus, Pétrarque lui a prêté plusieurs de ses livres, parmi lesquels sans doute le Pline et peut-être le Tite-Live³ż. Par les livres de Pétrarque, peut-être aussi par les discussions qu’ils ont eues à ce propos, Boccace acquiert le point de vue de son ami. Il expose dans sa postface la méthode géographique qu’il a apprise au contact de Pétrarque et utilise ses annotations dans le corps de l’ouvrage (ainsi les remarques sur la source et l’embouchure du Pô)³Ž. Dans le cas du Pomponius Mela, le jeu de la transmission manuscrite et le choix des copistes rendent à l’anonymat les notes de Pétrarque. Il en va tout autrement de son Virgile, témoin éclatant de ce processus d’annotation, manuscrit qui joue un rôle fondamental dans la construction d’une auto37. Cf. supra, n. ŬŪ. On retrouve la même opposition dans le passage du Secretum cit. ci-dessus. 38. Cf. Marie-Hélène Tesnière, « Pétrarque lecteur de Tite-Liveȹ: les annotations du manuscrit Latin ůŰųŪ de la Bibliothèque nationale de France », dans Revue de la Bibliothèque nationale de France, Ŭȹ: Le livre annoté, p. ŭű-Ůū. L’auteur établit les relations entre les toponymes placés en marge du manuscrit et le De montibus. 39. Sur tout ceci, voir N. Bouloux, Cultures…, op. cit., p. ŬŪŰ-ŬŪű.

74

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ љђѠ њюџєђѠ ёђѠ њюћѢѠѐџіѡѠ єѼќєџюѝѕіўѢђѠ

biographie idéale et dans la revendication d’un rapport nouveau entre le lecteur et le livre. Et c’est justement dans le Virgile qu’est écrite la glose exposant la méthode géographique de Pétrarque. Elle est là pour être lue parce que la marge est pleinement un lieu de transmission de l’activité intellectuelle de l’humaniste. C’est aussi l’espace d’un dialogue entre les érudits, comme le suggère le ton direct de certaines annotationsŸŴ. Cet échange se perpétue de lecteur à lecteur. Ainsi, dans un passage où Pomponius Mela fait allusion à Claude, conquérant de la Bretagne, Pétrarque annoteȹ: « De quo intelligat dubitari potest »Ÿ¹. Quelques décennies plus tard, dans un autre manuscrit de Pomponius Mela, un lecteur anonyme écritȹ: « Dicunt aliqui ambiguum de quo intelligatur. Ego de Julio Cesare intelligo »Ÿ². Cet érudit ignore l’origine de l’annotation. En portant à son tour dans l’espace marginal son opinion — dont il importe peu ici qu’elle soit fausse —, il apporte sa pierre à l’interprétation du texte. Dans une histoire du regard géographique, Pétrarque occuperait incontestablement une place particulière. On se gardera cependant d’interpréter son activité géographique en termes d’émergence d’une science nouvelle. Pétrarque n’est pas seulement le chantre d’une géographie historique ou liĴéraire, tournée exclusivement vers le passé, mais il n’est pas non plus l’acteur privilégié de l’émergence d’une géographie moderne qui chercherait par l’expérience directe à éprouver la réalité. Il est entre les deuxȹ: le questionnement sur le réel part du texte pour revenir au texte — en faisant souvent l’économie d’une confrontation au réel — mais en faisant surgir, par la lecture des textes, des problèmes géographiques, comme ses prédécesseurs médiévaux, trop souvent méprisés, le faisaient avant lui. L’étude des annotations de Pétrarque nous permet d’entrer dans le processus intellectuel qui présidait chez lui à la lecture, à la mémorisation et à la création. Elle nous rappelle aussi combien l’examen des manuscrits est déterminant pour comprendre la culture et les modalités de perception et de représentation du monde des médiévaux. À une époque où les textes façonnent et fécondent la pensée, où création liĴéraire et pensée savante

40. Par exemple, dans Vibius Sequester, à propos du Tage, Pétrarque annoteȹ: « de hoc Ěumine non agit Vibius Sequester sed tu require apud poetas scilicet Iuuenalem l. ū et Ouidium Meth. Ŭº », sans que l’on sache s’il s’adresse à lui-même ou/et à un autre lecteur. 41. Ambr. H ūŮ inf., fº ŬŲ (à propos de De chor., III Ůų). 42. Vat. Lat. ŭŮŪų, fº ŭŪvº.

75

ћюѡѕюљіђ яќѢљќѢѥ

procèdent souvent d’une même activité intellectuelle, étudier un manuscrit avec les outils du codicologue — c’est-à-dire le considérer comme objet — et avec celui de l’historien des textes — quels textes, quel état du texte — doit nous amener à reconsidérer aussi l’espace marginal qui constitue un lieu d’expression et de transmission de la pensée. En somme, le livre médiéval est un tout et la bibliothèque de Pétrarque, qui montre le réseau de relations tissées entre les textes, en est une des plus belles preuves.

76

Giuliana Crevatin

« Reliquiarum servator »ȹ: il Livio Parigino Lat. ůŰųŪ I. LeĴure di Tito Livio fra Petrarca e i Colonna

Il commento petrarchesco al momento piú ricco e accreditato, quello di Marco Santagata, oěre buonissimi argomenti per convincere del faĴo che « le ęla benedeĴe/ ch’avanzaro a quel mio dileĴo padre » necessarie a completare l’ordito della « tela novella », prelodata con squillante impudenza nel quarantesimo componimento dei Rerum vulgarium fragmenta, risalente al ūŭŭŲ-ūŭŭų, stiano ad indicare il volume di storia appartenuto al defunto Landolfo Colonna e comprendente DiĴi Cretese, Floro, Livio, e qui cortesemente richiesto¹. Sub iudice rimangono il destinatario e l’opera a cui il Petrarca aĴende. Per quest’ultima, la proposta è di scegliere fra De viris illustribus e Africa. Elementi interni al soneĴo mi conducono verso l’Africa. Ad essa, al poema epico cioè, perfeĴamente si confà l’operazione di accoppiare l’un vero con l’altro (v. Ůȹ: « mentre che l’un coll’altro vero accoppio »), operazione solo con diĜcoltà immaginabile in relazione al concepimento e alla stesura dell’opera storica. La concezione storiograęca del Petrarca infaĴi, antienciclopedica e antiseriale, si colloca soĴo il segno dell’imitazione, che è criterio insieme metodologico e stilistico, signięcativo dell’importanza della storia nel sistema culturale petrarchesco. Non posso che rimandare allo straordinario « proemio ampio » o « prefazione B » del De viris², dove si fa giustizia del metodo storiograęco allora dominante, metodo che esemplięcherò, per restare in ambito « colonnese », con 1. Francesco Petrarca, Canzoniere, edizione commentata a cura di M. Santagata, Milano, Mondadori, ūųųŰ, p. Ŭūų-ŬŬŭ. 2. Si legge in Francesco Petrarca, Prose, a cura di G. MartelloĴi et alii, Milano-Napoli, Ricciardi, ūųůů, p. ŬūŲ-ŬŬű.

77

єіѢљіюћю ѐџђѣюѡіћ

traĴi della dedica a Giovanni XXII con cui Landolfo Colonna apriva il suo Breviarium historiarum (titolo scelto in base al faĴo che « in presenti opuscolo series rerum gestarum describitur »)ȹ: Landolfo ha ricavato, dalle sue lunghe leĴure, la consapevolezza che « vix tempus vite communis suĜcit ad legendos auctores eorumque varietates contrarietatesque sedandas »ȹ; il rischio per chi si sobbarcasse simile impresa sarebbe di perdersi nel « mare » degli scriĴi di storia, senza mai arrivare al porto di qualche certezza, perciò — spiega l’autore — « hystorias a creatione primi hominis usque ad moderna tempora abreviare curavi, et pauca de multis brevissimaque de amplissimis a tot preclaris digesta scriptoribus iocundum satis compendium recollegi, rerumque notabilium seriem […] sub breviloquio ad notitiam vestre Sanctitatis deducere procuravi »³. Mentre l’imitazione a cui, nel proemio ampio, il Petrarca fa appello come al principio-guida della propria scriĴura storica, è criterio connaturato alla produzione artistica, che applicato al campo della storiograęa introduce, con rivoluzionaria consapevolezza, alla possibilità della critica storicaŸȹ: Qua in re temerariam et inutilem diligentiam eorum fugiendam putavi, qui omnium historicorum verba relegentes, nequid omnino pretermisisse videantur, dum unus alteri adversatur, omnem historie sue textum nubilosis ambagibus et inenodabilibus laqueis involverunt. Ego neque pacięcator historicorum neque collector omnium, sed eorum imitator sum, quibus vel similitudo, vel autoritas maior ut eis potissimum stetur impetrat.

Il vero a cui lo scriĴore di storia ambisce è uno solo, e non a caso un aĴeggiamento di malcelata diĜdenza si insinua nella presentazione degli storici i cui resoconti appaiono poco convincenti, come Darete Frigio e DiĴi Creteseȹ: […] e Dare e Dite fra lor discordi e non è ch’il ver cribriȹ; cosí rimansi ancor l’antica lite di questi e d’altri e gli argomenti interi, ché le certe notizie son fallite.Ź 3. Cito dall’edizione procurata da Giuseppe Billanovich, La tradizione del testo di Livio e le origini dell’Umanesimo, Iȹ: Tradizione e fortuna di Livio tra Medioevo e Umanesimo, Padova, Antenore, ūųŲū, p. ūůŲ sq. 4. Saggio fondamentale della critica storica petrarchesca è il cap. XX del De gestis Cesaris, già pubblicato e tradoĴo da G. MartelloĴi in F. Petrarca, Prose, ed. cit., p. ūūŲŲ-ūŬŪů — ora in Id., De gestis Cesaris, a cura di G. Crevatin, Pisa, Scuola Normale Superiore, ŬŪŪŭ, p. ūųŲ-ŬŬů. 5. Triumphus Fame IIa, v. ūŪű-ūūū.

78

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

Operazione preliminare alla composizione dell’epica è, come è noto, la ricerca dei « fermissima veri/ fundamenta » (Africa, IX ųŬ-ųŭ)źȹ; la poesia epica imporrà a sua volta al leĴore un supplemento di indagine al ęne di aĴingere alla verità profonda, spirituale, in essa custodita, come prescrive la celeberrima illustrazione del cosiddeĴo Virgilio AmbrosianoŻ, dove Servio solleva il velo sull’immagine del poeta divinamente ispirato, e come argomenta il Petrarca stesso, ancora nel libro IX dell’Africa, dove è in discussione la cecità di Omero. La scoperta che Omero era cieco aveva sconcertato il poeta autoptico per eccellenza, Ennio, il quale aveva creduto che « lincea quin acies animo occursabat amanti/ visque oculis immensa tuis » (v. ūŲŲ-ūŲų), e che qui riceve la lezione che si meritaȹ: « Quin michi corporeos Deus abstulit, ille nequibat/ restituisse alios quibus hec archana videremȹ? »ȹ; la cecità di Omero, a sua volta, costituisce autorizzazione per il nuovo poeta Francesco a riprendere gli avvenimenti traĴati da Ennio, e di cui Ennio era stato testimone, e che Francesco invece può conoscere solo aĴraverso lo studio, raggiungendoli con uno sguardo che supera il buio dei secoli, per poi traĴarli alla luce di una verità superioreż. Non osta, d’altro canto, alla candidatura dell’Africa la rivendicata modernità (v. Ű « tra lo stil de’ moderni e’l sermon prisco »), perché un’epica 6. Ma già in Africa, II ŮůŬ è deĴo che a stimolare il poeta epico Francesco Petrarca, « Ennius alter » (ibid., ŮŮū) è, insieme all’« admiratio rerum », il « solus amor veri ». Su questo passo dell’Africa, che Enrico Fenzi ha deęnito « la vecchia presentazione dei cantori » (Omero, Ennio, Petrarca), si veda appunto lo stesso Enrico Fenzi, « Dall’Africa al Secretum », in Id., Saggi petrarcheschi, Genova, Cadmo, ŬŪŪŭ, p. ŭůų-ŭŰŮ. 7. Sulla celebre miniatura del codice virgiliano del Petrarca si veda ora Maria Monica Donato, « Veteres e novi, externi e nostriȹ: Gli artisti di Petrarcaȹ: Per una rileĴura », in Medioevoȹ: Immagine e racconto, AĴi del Convegno internazionale di studi (Parma, Ŭű-ŭŪ seĴembre ŬŪŪŪ), a cura di A.C. Quintavalle, Milano, Electa, ŬŪŪŮ, p. ŮŮų-Ůűū. La questione dell’interpretazione allegorica dell’Eneide è aĜdata alla leĴera Senile IV ů, su cui ora E. Fenzi, « L’ermeneutica petrarchesca tra libertà e verità (a proposito di Sen. IV ů) », in Id., Saggi petrarcheschi, op. cit., p. ůůŭ-ůŲŲ, a cui si rimanda anche per il conceĴo petrarchesco del « verum ». 8. Ho traĴato tale argomento in « Il poeta dell’Africaȹ: Omero in Petrarca », in Immaginare l’autoreȹ: Il ritraĴo del leĴerato nella cultura umanistica, AĴi del convegno di studi, a cura di G. Lazzi e di P. Viti, Firenze, Biblioteca Riccardiana, ŬŪŪŪ, p. ūŭů-ūŮŲ (per la concezione medievale di Omero come fonte di sapienza è utile il volume Posthomerica, Iȹ: Tradizioni omeriche dall’Antichità al Rinascimento, a cura di F. Montanari e di S. PiĴaluga, Genova, ёюџѓіѐљђѡ, ūųųű, in partic. il saggio di Arianna Punzi, « Omero sireȹ? », ibid., p. Ųů-ųŲ. Ricordo la discussione della Senile II ū, contro i detraĴori dell’Africa, dove è rivendicata la libertà poetica di utilizzare il dato storico per esprimere sovrasensi spirituali. Sul consapevole lavorio petrarchesco sull’Africa allo scopo di costruirne e renderne esplicito il messaggio ideologico si veda E. Fenzi, « Scipione e la Collatio ducumȹ: Dal confronto di Annibale a quello con Alessandro Magno », in Id., Saggi petrarcheschi, op. cit., p. ŭŰů-ŮūŰ.

79

єіѢљіюћю ѐџђѣюѡіћ

moderna aveva già dato prove di sé, non tanto nell’odiato ma onnipresente Gautier de Châtillon, quanto nelle costruzioni allegoriche di Alain de Lille, a cui riconduce, nell’Africa, in particolare il concepimento originario del palazzo di Siface come palazzo della Veritàȹ: come a suo tempo ha sostenuto, nell’interpretazione del verso Ű appena citato, Marco Santagata, sulla base di uno studio fondante di Enrico FenziŽ. Se la « tela novella » è dunque quella dell’Africa, il destinatario del soneĴo è forse allora meglio individuabile in Giacomo Colonna vescovo di Lombez, per ordine papale in missione diplomatica a Roma dal ūŭŭŭ al ūŭŮŪ con l’incarico di tentar di comporre il conĚiĴo tra gli Orsini e i Colonna. L’allusione alla novità del lavoro in ęeri non è solo del Petrarca, ma anche di Giacomo Colonna stesso, nel soneĴo in cui si rallegra per l’incoronazione romana dell’amico poeta¹Ŵ. Dopo un’allusione doverosa all’epica, evocata grazie ai nomi di EĴore e di Achille (v. Ű « che piú che spada de Hector et d’Achille »)¹¹, Giacomo si congratula col « novo e degno ęorentin poeta »¹². Fortemente signięcativa mi appare la fantasticheria conędata a Lelio ToseĴi nella Familiare IV ūŭ, scriĴa in occasione (ma ben due anni dopoȹ!) della morte di Giacomo. « Quante volte ho immaginato — scrive il Petrarca — di partire per Lombez e di apparirgli davanti inaĴeso e di oěrirgli, venerabundus, la mia corona di alloro insieme ai nova Africe mee fundamenta »ȹ: è qui disegnata una scena di omaggio che lascia individuare in Giacomo, tal quale una miniatura incipitaria, un potenziale (originarioȹ?) destinatario dell’opera. Tanto piú allora la scelta della sede romana per l’incoronazione, presentata come questione ancora aperta nella Familiare IV Ů al cardinale Colonna¹³, 9. « Di alcuni palazzi, cupole e planetari nella leĴeratura classica e medievale e nell’Africa del Petrarca », ora rinnovato e leggibile in E. Fenzi, Saggi petrarcheschi, op. cit., p. ŬŬű-ŭŪŮȹ; Marco Santagata, Petrarca e i Colonna, Lucca, Pacini Fazzi, ūųŲŲ. Cfr. Vincenzo Fera, La revisione petrarchesca dell’Africa, Messina, ѐіѠѢ, ūųŲŮ, p. ŭů. 10. « Se le parti del corpo mio distruĴe », utilmente riprodoĴo da Santagata in calce al commento a RVF cccxxii (p. ūŬŬŭ), che è la risposta per le rime al Colonna. 11. Si noti che l’allusione meĴe in campo Omero e non Virgilioȹ: Giacomo sembra ben addentro alla poetica dell’Africa. 12. E si veda l’Epystola III Ů al cardinale Giovanni Colonna in cui il Petrarca allude a se stesso in termini analoghiȹ: « Qua se mea carmine fama/ extendit nomenque novi tulit aura poete » (v. ů-Ű). Giacomo, menzionando il nuovo poeta ęorentino incoronato, sembra ben addentro anche a certi ingenerosi umori petrarcheschiȹ: si ricordi che Dante aveva auspicato la propria incoronazione (ęorentina, e perciò, a diěerenza di quella del Petrarca, municipale) in Paradiso, XXV ū-ų. 13. Incipitȹ: « Ancipiti in bivio sum, nec quo potissimum vertar scio ». Cfr. anche la leĴera Posteritati, ŬŲȹ: « Super quo consilium Iohannis de Columna cardinalis supra nominati per literas experii ».

80

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

si conęgura come doverosa, e dovuta alla famiglia dei proteĴori. Vorrei anche segnalare, in particolare, come sulla ęgura di Giacomo si addensino traĴi scipionici. Lo denuncia, rileggendo la Familiare IV ūŬ dove è delineata una breve biograęa del vescovo, la precocità della carrieraȹ: « sola virtutis admiratione facillime dispensante ante annos ad epyscopatum est provectus », che rimanda in specięco all’edilità curule di Scipione¹Ÿȹ; e vale appena la pena di ricordare che Scipione è icona di giovanile virtú, splendidamente provata nel salvataggio « cum primum pubesceret » del padre e dello zio al Ticino¹Ź, nonché ęgura tipica di « puer-senex »¹ź, aĴributo che qualięca Giacomo nella Senile XVI Ůȹ: « […] qui etate tunc iuvenis, sed morum gravitate et mortis vicinitate iam senex »¹Ż. Lo denuncia il riconoscimento della « generosissimi adolescentis eximiam indolem » (Fam., V ű ūū) vicinissima alla « fortissimi adolescentis raram indolem » che importuna a vecchiaia di Quinto Fabio Massimo¹ż, a cui ancora si può accostare la nota in margine a Livio XXII ůŭ Ű del codice Par. Lat. ůŰųŪ, c. ūŲųrºȹ: « Scipionis in rebus desperatis ingens et supra etatem generosa ęducia »¹Ž. Lo denuncia sopraĴuĴo l’epiteto fortissimo di « reliquiarum servator » della succitata Fam. IV ūŬ ūůȹ: « septennio in patria exacto ea pietate eaque animi constantia ut reliquiarum suarum illum unicum servatorem Roma recognoscat ». Sia il « servator » che le « reliquie » meritano ora un minimo d’aĴenzione. Rivolgiamoci al De viris illustribus, alla Vita di Scipioneȹ: « etate tam tenera unus idem et ducis servator esset et patrie »ȹ: cosí (I ūŪ, anticipato da I Ų « Scipio id etatis servati ducis et civis et patris, publice scilicet ac private pietatis, triplicem meruit coronam ») la giovanile aristía di Scipione. Il quale trionfante in Africa, IX ŭűů sarà ancora « servator »ȹ: « nequeuntque oculos satiare videndo/ servatore suo ».

14. Cfr. De viris illustribus, XXI (Scipio) I ūū, con Tito Livio, XXV Ŭ Ű-ű. Cfr. anche il passo della bolla papale di dispensa, riprodoĴo da Ugo Balzani, « Landolfo e Giovanni Colonna secondo un codice Bodleiano », in Archivio della R. Società Romana di Storia Patria, VIII, ūŲŲů, p. ŬŬŭ-ŬŮŮ, in nota a p. ŬŭŲȹ: « ad te quamvis patiaris in ætate defectum […] direximus oculos nostræ mentis ». 15. Basti Scipio, I Ų e Africa, IV ūűů-ūűŰ (con V. Fera, La revisione…, op. cit., p. ūŭŰ). 16. Giovanni Cipriani, « Scipione enfant prodige », in Preveggenze umanistiche di Petrarca, AĴi delle giornate petrarchesche di Tor Vergata (Roma/Cortona ū-Ŭ giugno ūųųŬ), Pisa, ђѡѠ, ūųųŭ, p. ūŮū-ūűŪ. 17. Cito da G. Billanovich, La tradizione…, op. cit., p. ŬŪŰ. 18. De viris, XVII (Q. Fabius Maximus) űŮ. 19. Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, ūųŪű [= ibid. & Torino, BoĴega d’Erasmo, ūųŰů], p. ŬŮŪ sq., n. ŭ.

81

єіѢљіюћю ѐџђѣюѡіћ

Sul valore sacrale e giuridico delle reliquie non occorre intraĴenerci²Ŵ. E non sarà fuor di luogo ricordare che la consolatoria scriĴa qualche tempo dopo la morte di Giacomo, la Fam. IV Ŭ al cardinale Colonna già citata, contiene un accenno alla prevista sepoltura romana in questi terminiȹ: « audio enim te de transferendis Romam reliquiis cogitare »ȹ; il progeĴo sarà poi realizzato nel ūŭŮŮ, quando « reliquie eius, quod nec sciebam, nec suspicabar quidem, Romam, anno demum tertio, reportate sunt » (Fam., V ű ūů). Basti qui osservare che « reliquie » è la parola che indica con piú frequenza, e pregnanza, i resti di Romaȹ: « Vere maior fuit Roma, maioresque sunt reliquie quam rebar » (Fam. II ūŮ al cardinal Colonna, rapido estasiato biglieĴo vergato subito dopo l’arrivo nell’Urbe)ȹ; « Crebris confusa ruinis/ menia reliquias immense et Ěebilis urbis/ ostentant lacrimasque movent spectantibus » (Epyst., II ů Ŭŭű-Ŭŭų)ȹ; « quanta integre fuit olim gloria Rome/ reliquie testantur adhuc » (Epyst., II ūŬ Ůŭ-ŮŮ). Cosí come la stessa parola si presta ad indicare quanto rimane dell’opera di Tito Livioȹ: si rammentino la leĴera a Livio stesso, Fam. XXIV Ų ŭ (« in his parvis tuis reliquiis exerceor »)ȹ; la Fam. XXIV Ű Ųȹ; la Fam. III ūŲ, dove si loda la « brevitas » di Floro che eccitò il leĴore « ad inquirendas Titi Livii reliquias ». Se si acceĴa l’ipotesi che traĴi scipionici si riverberino su Giacomo Colonna, piú forte signięcato acquistano due passi della Fam. II ų (databile al ūŭŭŰ) a Giacomo stesso, dove si riprende e si amplia il tema di Fam. I Ű ūū, tuĴa intessuta di recriminazioni verso l’amico che è partito per Roma (ūŭŭŭ) senza concedergli di accompagnarlo (« Sola vivendi dulcedo per ignotam barbariem circumducitȹ; per Italiam — credo — pulcra necessitas non duxissetȹ? »). Nella II ų, il Petrarca difende l’autenticità dei propri sentimenti dalle accuse rivoltegli da Giacomo, in particolare contestando quella, inammissibile, di non desiderare davvero di raggiungerlo a Roma (« Credi non posset quantum urbem illam, desertam quamvis et veteris eĜgiem Rome, spectare cupiam, quam nunquam vidi. »). La serie degli argomenti a sostegno dell’autenticità di tale desiderio si apre nel nome di Scipioneȹ: Roma, ubi Scipio natus est, ubi educatus, ubi victor idem et reus pari gloria triumphavitȹ; ubi non unus ille, sed innumerabiles vixerunt viri, quos nunquam fama tacitura est.

20. Mario Quinto LupineĴi, Francesco Petrarca e il diriĴo, Alessandria, Edd. dell’Orso, ūųųų, p. ŲŰ-Ųų. Ne ho parlato in « L’idea di Roma », in Motivi e forme delle Familiari di Francesco Petrarca, AĴi del Convegno di Gargnano del Garda (Ŭ-ů oĴobre ŬŪŪŬ), a cura di C. Berra, Milano, Cisalpino, ŬŪŪŭ, p. ŬŬų-Ŭůų.

82

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

È diĜcile rięutare l’impressione che questo passo contenga un’allusione al proprio lavoro, ai progeĴi relativi all’Africa e al De viris illustribus, tanto piú che al § Ŭű Ut intelligeres non parvipendere me regine urbis aspectum, de qua inęnita perlegi et ipse multa iam scripsi, plura forte scripturus nisi primordia mea precipitata dies mortis abrumpat,

è leggibile sia una promessa (promessa raěorzata da un scongiuro che, come osserva Ugo DoĴi nel suo commento²¹, denuncia « une certaine similitude avec l’exorde du sonnet des RVF ŮŪ ») sia un’allusione alla cellula di studi romani organizzata ad Avignone intorno ai Colonna, dove si volgeva aĴenzione, anche e sopraĴuĴo, al recupero di Livio. Allora l’espressione « reliquiarum servator » si carica di molteplici risonanze, e bene si collega alla richiesta di riavere quel libro su cui il giovane cliente dei Colonna tanto si era aěaticato, con Landolfo e Giovanni, e che Giacomo poteva avere ereditato e comunque frequentato, negli anni del soggiorno romano. È tuĴavia imperativo riconoscere che, come dedicatario del soneĴo, anche Giovanni Colonna, predicatore domenicano, è candidato fortissimo, per i motivi noti, e per quelli addoĴi da Marcello Ciccuto nel saggio che segue. Se ammeĴo le pari opportunità di tale ipotesi concorrente, è per soĴolineare che anche se essa apparisse meglio fondata, e anche se si riconoscesse che l’opera in ęeri non è l’Africa bensí il De viris illustribus, non ne verrebbe rivoluzionato il dato di fondo, ossia la passione petrarchesca per « quel » libro, per quella « enciclopedia rilucente di fasto barbarico », secondo la deęnizione di Giuseppe Billanovich, convinto che il Petrarca ne sorvolasse con disdegno l’apparato ęgurativo, giudicandolo inutile, superĚuo, forse addiriĴura peccaminoso orpello. La « concupiscentia oculorum » è sicuramente peccato da cui guardarsi (e non posso per questo tema che rinviare una volta di piú alle pagine illuminanti di Enrico Fenzi²²), come il Petrarca ben sa. Per esempio, la giovanile cupidigia di visitare Parigi, ciĴà di cui si raccontano meraviglie (il riferimento è alla Fam. I Ů al cardinale Giovanni, leĴera che è un resoconto di viaggio sulle tracce della romanità), oltre che ad andare delusa, si tradisce come un aĴeggiamento 21. Pétrarque, LeĴres familières/Rerum familiarium, t. Iȹ: Livres I-III/Libri I-III, introduction et notes de Ugo DoĴi mises en français par Christophe Carraud et Frank La Brasca, traduction de André Longpré, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ŮūŰ. 22. « Di alcuni palazzi… », op. cit., p. Ŭűů-Ŭűű.

83

єіѢљіюћю ѐџђѣюѡіћ

da provinciali (si ricordi la Fam. IX ūŭ a Philippe de Vitry), tipico della superęcialità gallica. A Roma si va da pellegrini, e pellegrini non solo — e non sopraĴuĴo — delle memorie cristiane (dal culto delle quali la « curiositas poetica » provocata dalla vista della ciĴà magari potrebbe distrarre, come insinua la Fam. XII ű), quanto di quelle della grandezza di Roma. A Roma si va « trahente hinc inexplebili oculorum, hinc animi voluptate » (Fam., XX ů Ů). Roma è un luogo di memorie, una serie inesauribile di stimoli alla rievocazioneȹ; Roma è un grande libro, che racconta le origini della civilizzazione europea, e in cui si leggono le pagine piú gloriose della storia dell’umanità. Tanto che vien faĴo di chiedersi se, quando il Petrarca scrive la Familiare VI Ŭ a Giovanni Colonna, nel ūŭŮū secondo il Foresti, nel ūŭŭű secondo il Billanovich²³, rievocando le loro passeggiate romane, stia ripescando nella propria memoria visiva o non abbia davanti a sé proprio il volume con Tito Livio appena ritrovato in casa Colonnaȹ: « Ruinarum fragmenta sub oculis erant », stimoli per la rievocazione di faĴi storici dell’antica Roma. « Fragmenta » è parola che si adaĴa bene sia alle rovine materiali degli antichi edięci, che all’opera di Livio, riconquistata in porzioni minime rispeĴo all’antica grandezza, e di cui i libri superstiti sono segno di quello che era, cosí come le rovine lo sono di Roma. Importante è il brano che segue (§ ūŮ)ȹ: Sed quo pergoȹ? Possum ne tibi in hac parva papiro Romam designareȹ? Profecto, si possim, non oportetȹ; nosti omnia, non quia romanus civis, sed quia talium in primis rerum curiosissimus ab adolescentia fuisti. Qui enim hodie magis ignari rerum romanarum sunt, quam romani civesȹ? Invitus dicoȹ: nusquam minus Roma cognoscitur quam Rome. Qua in re non ignorantiam solam Ěeo — quanquam quid ignorantie peius estȹ? — sed virtutum fugam exiliumque multarum. Quis enim dubitare potest quin illico surrectura sit, si ceperit se Roma cognoscereȹ? Sed hec alterius temporis est querela.

Roma e i romani devono riconoscersi, conoscere la propria storia, e va da sé che lo strumento di tale riscaĴo culturale non è l’organizzazione di gite turistiche.

23. Arnaldo Foresti, Aneddoti della vita di Francesco Petrarca, Padova, Antenore, ūųűű, p. ųŮ-ųű (cap. XIIȹ: « Peregrinando tra le rovine di Roma con fra’ Giovanni Colonna nell’aprile ūŭŮū »)ȹ; G. Billanovich, La tradizione…, op. cit., p. ūŬų.

84

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

Conclusione obbligata è che le reliquie romane depositate nel libro dei Colonna sono altreĴanto sacre, se non di piú, di quelle materiali, degli antichi edięci. Per estensione, il conceĴo di « reliquie », nell’accezione piú ideologicamente forzata, sacrale, si estende ai primordi della storia romana, alla lontana migrazione da Troia²Ÿ. Si ricordi che il codice dei Colonna si apre con la storia della caduta di Troia nella versione di DiĴi Cretese. Ma perché proprio « quel » Livio era cosí importante per il Petrarcaȹ? Cosa signięcava per luiȹ? Piú di un indizio ci viene, come è noto, dal codice stesso, sui cui margini si spande una ęĴa rete di postille colonnesi e petrarchesche, alcune di queste, ma pochissime, anche molto tarde. Rivolgiamoci alla importante Familiare XI ūŰ del novembre ūŭůū, indirizzata ai quaĴro cardinali incaricati della riforma dello stato romano, e stesa dopo (subito dopo) l’avvenuto acquisto deęnitivo, testimoniato dalla nota di possesso di c. ŭŰűȹ: « Emptus Avinione ūŭůū, diu tamen ante possessus »²Ź. I cardinali sono chiamati, nella visione del Petrarca, a difendere la libertà della plebe contro la prepotenza dei « tiranni domestici, ma stranieri », Orsini e Colonna, il cui potere è fondato sulla violenza e sul denaro, e che esibiscono una superbia ben piú esasperata di quella degli antichi patrizi. La storia dunque si ripete, « lis antiqua repetitur » constata il Petrarca iniziando la rievocazione delle loĴe fra patrizi e plebei, all’interno della questione politica in discussione, che si concentra nella domandaȹ: « Va restituito alla plebe parte del suo potereȹ? Il popolo può accedere alle magistratureȹ? ». Stesse al Petrarca la decisione, egli, seguendo il proprio sentimento e le proprie convinzioni piú radicate, escluderebbe dal Senato non il popolo, ma gli Orsini e i Colonna, perché non romani, con intransigenza pari a quella del console Aulo Manlio Torquato, il quale, come narra Livio nel libro oĴavo della prima decade, minacciò di presentarsi in Curia armato di spada per uccidere qualunque Latino avesse osato aěacciarvisi e pretendere di prender parte all’aĴività politica. Ma sia pure. Stiano Orsini e Colonna in Senatoȹ; ma con pari diriĴo vi siedano i rappresentanti della plebe, poiché quello che conta è essere « civis romanus », valore che trascende qualsiasi distinzione di classe. Dietro l’entusiasmo petrarchesco per le conquiste istituzionali della plebe non dobbiamo limi24. Cosí nell’inveĴiva Contra eum qui maledixit Italie, citando Seneca, Ad Helviam de consolatione, VII ű. 25. La nota riprodoĴa già da P. de Nolhac, Pétrarque…, op. cit., p. ŬŭŪ. Le argomentazioni della Fam. XI ūŰ sono riproposte in stringato riassunto nella successiva XI ūű.

85

єіѢљіюћю ѐџђѣюѡіћ

tarci a vedere l’ardente spirito repubblicano e magari persino democratico lí dichiarato, ma dobbiamo anche riconoscervi una spinta nazionalistica, e persino nostalgicamente imperialistica, il vagheggiamento di quell’impero di Roma che solo una sorta di unità nazionale ha reso possibile, e il cui raggiungimento è stato piú volte messo in pericolo dalla superbia dei nobiliȹ: come Petrarca legge sí in Livio, ma ha appreso principalmente da Sallustio. Le lente conquiste delle magistrature da parte dei plebei sono segnalate e annotate sui margini del Livio parigino, come ha già mostrato Marie-Hélène Tesnière²ź. E costituiscono, nella loro successione, una sorta di schema di storia sociale romana, in seguito, nella parte conclusiva della Familiare XI ūŰ, ricomposta e proposta come exemplum alla meditazione dei cardinali secondo le medesime, fondamentali tappe. Le stesse che sono elencate nel riassunto a margine dell’illustrazione del quarto libro della prima decade (c. ŲŰrº)ȹ: Capitulum primum, in quo continetur discordia de novis legibus, oratio consulis contra tribunos et tribunorum contra consules, lex de conubiis nobilium cum plebeis, lex qua crearentur tribuni militum consulari protestate.

Ma c’è di piú. SoĴo questo riassunto una nota di mano non del Petrarca, e nemmeno di Landolfo²Ż, ma di un altro possessore del codice, una mano sicuramente « colonnese » almeno nell’ispirazione, ha scriĴoȹ: Hic incipit nova seditio novaque discordia inter patres et plebem. Plebs enim autore Canuleio tribuno ita insolita et nova petebat, primo ut matrimonia licerent inter patres et plebem, secundo ut alterum ex plebe consulem ęeri liceret, tertio ut populo potestas daretur de plebe vel patribus prout vellet consules faciendi. Contra hec ita patres magno furore merito accensi summopere resistunt.

« Merito accensi »ȹ: il punto di vista di chi ha steso questa postilla è chiaro. È lo stesso punto di vista di Landolfo, che loda, a c. ůŬvº, l’istituzione della nobiltà da parte di Servio Tullioȹ: « Ante hoc enim omnes equalis nobili26. « Pétrarque lecteur de Tite-Liveȹ: Les annotations du manuscrit Latin ůŰųŪ de la Bibliothèque nationale de France », in Revue de la Bibliothèque nationale de France, II, ūųųŬ, p. ŭű-ŮŬ. 27. Imprescindibile Armando Petrucci, La scriĴura di Francesco Petrarca, CiĴà del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, ūųŰű, p. ŭű sq. (per Landolfo).

86

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

tatis se reputabant, sicut adhuc est in nationibus barbaris scilicet Gallensibus et Hybernicis »²ż. Come è chiaro il punto di vista di chi — e questa volta è il Petrarca — ha completato la nota di Landolfo che segnalava, a c. ŲŰvº, la « concio Canulei adversus consules » con un entusiastico « valde notabilis »²Ž, e ha commentato, nella medesima pagina, l’argomentare di Canuleio con « Probat exemplis pluribus rationabile fore consulem posse creari plebeium si dignus sit ». Nell’illustrazione di c. ŲŰrº è raĜgurato il tribuno Gaio Canuleio che perora con grande dignità le sue richieste a favore della plebe. Proprio come immagina di fare ora il Petrarca davanti ai cardinali, ricordando loro che i nobili romani Orsini e Colonna non hanno alcun diriĴo di opporsi ferocemente alle richieste di parte popolare, poiché essi (e cito ora dalla Familiare) anziché porsi a tutela dei destini di Roma, stuzzicano la fame della loro avidità, mai sazia, con le disperse reliquie dell’Urbeȹ: « meditantur ut […] de reliquiis sparse urbis insatiabilem avaritie sue famem non tam mitigent quam accendant ».

28. La postilla pubblicata da G. Billanovich, La tradizione…, op. cit., p. ūŰŮ, e prima da P. de Nolhac, Pétrarque…, op. cit., p. ŬŭŰ, in n. 29. Dello stesso tenore le postille rilevate da P. de Nolhac (Pétrarque…, op. cit., p. Ŭŭű) a c. ūůůvº e a c. ūůŲrº. Di ispirazione revanscistica, come seĴori importanti della produzione petrarchesca, la nota di c. Ŭůůȹ: « Saguntini Italiam spectatum eunt, non spernentes eam ut nostri hodierni Pontięces et Pharisei » (ibid., p. Ŭŭų).

87

Marcello Ciccuto

« Reliquiarum servator »Ⱥ: il Livio Parigino Lat. ůŰųŪ II. Vicenda colonnese del Livio di Petrarca, fra Napoli, Avignone e Roma

In merito alla interpretazione e alla deęnizione culturale di un codice della biblioteca petrarchesca, importante e complesso quale è il Lat. ůŰųŪ della Bibliothèque nationale de France, va deĴo in via preliminare che da tempo si sono schierati due partiti in seno all’accademia della ricerca ęlologica e storico-artistica, ognuno disposto a vantare viĴorie in varie stagioni, ognuno invero con le sue brave sconęĴe. L’impressione generale che si riceve, nell’aěrontare la spinosa questione sul versante appunto delle dispute accademiche, coincide con l’immagine di due contendenti che nel tempo sono riusciti a totalizzare punti senza tuĴavia poter contare a tuĴ’oggi sulla certezza di una viĴoria. Giuseppe Billanovich piú di ogni altro e piú volte si è pronunciato in argomento, peraltro in prevalenza disinteressandosi al decisivo corredo illustrato¹. Dopo lungo e meritevolissimo studio il suo punto di vista ha ęnito per coincidere con la constatazione circa l’esser stato realizzato quel codice « con un unico metodo, scriĴo da un solo copista e subito postillato dal proprietario Landolfo Colonna press’a poco in ogni pagina »². 1. Citeremo dunque in specięco Giuseppe Billanovich, « Petrarch and the textual tradition of Livy », in Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, XIV, ūųůū, p. ūůū-ūűūȹ; Id., « Gli umanisti e le cronache medievali », in Italia medioevale e umanistica, I, ūųůŲ, p. ūŬů-ūŭűȹ; Id., La tradizione del testo di Livio e le origini dell’Umanesimo, Iȹ: Tradizione e fortuna di Livio tra Medioevo e Umanesimo, Padova, Antenore, ūųŲū, p. ūŰū-ūŰŮ e ūųŪ sq. Lo studioso è tornato a ribadire le sue posizioni anche nel saggio recensivo « Disegni italiani del Trecento », in Italia medioevale e umanistica, XXV, ūųŲŬ, p. ŭŰů-ŭűŮ [p. ŭűŭ sq.]. 2. G. Billanovich, La tradizione del testo di Livio…, op. cit., p. ūŰŭ.

89

њюџѐђљљќ ѐіѐѐѢѡќ

Vedremo che questa prospeĴiva, alla luce di rinnovati scandagli, non ha una solida ragion d’essere. Ferdinando Bologna a sua volta ha delineato una situazione diversamente articolata, raěorzata, questa sí, da uno studio ravvicinato della componente illustrata dell’insiemeȹ: dal guardar anche quella sola ricaviamo la sicurezza circa l’avere avuto il codice, come dire, due distinti momenti di concepimento, poi fusi in quell’esito cosí controverso che abbiamo oggi di fronte³. Subito però, e rapidamente, alcuni antefaĴiȹ; assieme alla notizia della pressione esercitata piú di recente da un terzo schieramento (lo chiameremo in via di celia il partito transalpino), guidato da François Avril e sostenuto da suoi collaboratori, pure dotato di buoni e per piú aspeĴi nuovi argomenti interpretativiŸ. Sino a c. ūŰųrº è operante quello che si usa deęnire convenzionalmente il Maestro della Prima Deca, la cui stilematica è faĴa ascendere a un contesto di cultura ęgurativa collocabile grosso modo fra i miniatori della cosiddeĴa Bibbia di CorradinoŹ, il Maestro o i Maestri della Bibbia di 3. Ferdinando Bologna, « Il Tito Livio ms. ůŰųŪ della Bibliothèque Nationale di Parigiȹ: Miniature e ricerche proto-umanistiche tra Napoli e Avignone alle soglie del Trecentoȹ: costatazioni ed ipotesi, con un’appendice iconograęca », in Colloquio italo-ungherese sul temaȹ: Gli Angioini di Napoli e di Ungheria, organizzato d’intesa con la Accademia delle Scienze di Ungheria (Roma, Ŭŭ-ŬŮ maggio ūųűŬ), Roma, Accademia Nazionale dei Lincei, ūųűŮ, p. Ůū-ūūų. Piú di recente lo studioso è tornato a confermare la sua tesi nella voce « Angioiniȹ: PiĴura e miniatura », in Enciclopedia dell’arte medievale, Roma, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, vol. I, ūųųū, p. Űűů-ŰųŪ [p. Űűű], nonché nel saggio « Momenti della cultura ęgurativa nella Campania medievale », in Storia e civiltà della Campaniaȹ: Il Medioevo, a cura di G. Pugliese Carratelli, Napoli, Electa Napoli, ūųųŬ, p. ūűū-Ŭűů [p. ŬűŮ sq.]. 4. Cfr. dunque Bibliothèque Nationaleȹ: Manuscrits enluminés d’origine italienne, t. Ŭȹ: xiiiĽ siècle, par François Avril, Marie-Thérèse Gousset et Claudia Rabel, Paris, Bibliothèque nationale, ūųŲŮ, p. ūūŭų-ūūŮŬȹ; e il catalogo Dix siècles d’enluminure italienne (viĽ-xviĽ siècles), Paris, Bibliothèque Nationale, ūųŲŮ, p. ůŪ. Ampiamente riassuntiva di questo « schieramento » la scheda nº Ůų del catalogo Vedere i classiciȹ: L’illustrazione libraria dei testi antichi dall’età romana al tardo medioevo, a cura di M. Buonocore, Roma, Palombi-Rose, ūųųŰ, p. ŬŰŬ sq. Si anticipa qui d’altronde che la tesi circa l’origine romana del codice è sostenuta anche da Cristina De Benedictis e Enrica Neri Lusanna, « Miniatura umbra del Duecentoȹ: Diěusione e inĚuenze a Roma e nell’Italia meridionale », in Studi di Storia dell’Arte, I, ūųųŪ, p. ų-ūűȹ; e che della convinzione riguardo al lavoro di un unico copista per lo stesso codice liviano ha faĴo oramai giustizia Armando Petrucci, « ”L’antiche e le moderne carte”ȹ: imitatio e renovatio nella riforma graęca umanistica », in Renaissance- und HumanistenhandschriĞen, herausgegeben von Johannes Autenrieth unter Mitarbeit von Ulrich Eigler, München, R. Oldenbourg Verlag, ūųŲŲ, p. ū-ūŬ [p. Ů sq.]. 5. La questione è traĴata ampiamente in Marcello Ciccuto, Figure di Petrarca (GioĴo, Simone Martini, Franco bolognese), Napoli, Federico & Ardia, ūųųū, p. ūūū-ūůŬ. Le coerenze di linguaggio ęgurativo risultano altresí evidenti alla luce delle ricerche recenti di Rebecca Corrie, « The

90

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

Geronaź, il principale illustratore della Bibbia dell’antipapa Clemente VII (o franco-bolognese che questi dir si voglia)Ż. Un secondo gruppo di illustrazioni interessa la parte restante del codiceż, e si traĴa di un gruppo caraĴerizzato da una generale tendenza imitativa nei confronti della prima sezione miniata e dei suoi esiti ęgurati. Gruppo deĴo « aĜne » a cose avignonesi degli anni Venti del Trecento da F. BolognaŽ, giusta però una ricostruzione ipotetica assai poco persuasiva, specie se obbligatoriamente vincolata all’idea di una esecuzione avignonese di quel segmento del codice, anni ūŭŬŲ-ūŭŬų, che F. Bologna desume come certa dalle risultanze ęlologiche dello stesso Billanovich¹Ŵ. Vediamo dunque quanta verità e quanta approssimazione riusciamo a ricavare dalle ipotesi schierateȹ: è vero intanto che Landolfo riutilizza un manoscriĴo piú vecchio di una trentina d’anni per la prima sezione del codice, come sarebbe probabile (ma solo probabile) che lo reperisca ad Avignoneȹ: là dove operarono in eěeĴi una o piú boĴeghe di miniatori — umbri, bolognesi, centro-italici… — specializzate eventualmente (senza azzardarsi a dire di piú per il momento) in testi di storia profana, vista ad esempio la raĜnata produzione avignonese di un altro Tito Livio, oggi Escorial R.I. ūŮ, che ęgura raro trovato in mezzo a un proĚuvio di esecuzioni ad uso liturgico e comunque di pontięcia speĴanza¹¹. antiphonaries of the Conradin Bible atelier and the history of the Franciscan and Augustinian liturgies », in The Journal of the Walters Art Gallery, LI, ūųųŭ, p. Űů-ŲŲȹ; Ead., « The Conradin Bible and the problem of court ateliers in southern Italy in the thirteenth century », in Studies in the History of Art, XLIV, ūųųŮ, p. ūű-ŭųȹ; e specialmente di Antonio Russo, « Su alcune novità per la Bibbia di Corradino », in Rivista di Storia della Miniatura, V, ŬŪŪŪ, p. ůū-ŰŮ, che discute tuĴa la bibliograęa pregressa. Il contesto va d’altronde confrontato con quello, in tuĴo aĜne, evocato per la Bibbia Vat. lat. ŬŪ, per cui si veda Renata Semizzi, « La centralità dell’uomo nell’iconograęa biblica bolognese del Duecento maturoȹ: l’inĚuenza degli Ordini mendicanti », in Rivista di Storia della Miniatura, VI-VII, ŬŪŪū-ŬŪŪŬ, p. űů-ŲŮȹ: se il « secondo maestro » del Livio parigino facesse eěeĴivamente convergere il proprio linguaggio con quello del maestro salernitano avvisato da Bologna e con uno degli operatori della Bibbia Vat. lat. ŬŪ, il quadro delle inĚuenze centro-italiche sulla miniatura d’area campana mostrerebbe ricchezze impensate e soltanto di recente saggiate dalla critica. Di questo comunque si dirà anche piú avanti. 6. Su questo codice si veda ora Marcello Ciccuto, « Dall’eterno nel tempoȹ: Fra la Bibbia di Gerona e il Livio di Petrarca », in Rivista di Storia della Miniatura, VI-VII, ŬŪŪū-ŬŪŪŬ, p. Ųů-ųŪ. 7. Cfr. Cathleen A. Fleck, « Biblical politics and the Neapolitan Bible of anti-pope Clement VII », in Arte medievale, I, ŬŪŪŬ, p. űū-ųŪ. 8. Cfr. F. Bologna, « Il Tito Livio ms. ůŰųŪ… », op. cit., p. Űů sq. 9. Ibid., p. Űű. 10. Ibid., p. űů sq. 11. Per l’ampia circolazione di artisti e di manoscriĴi entro il crocevia mediterraneo e angioino — specie tra i due estremi napoletano e avignonese — si leggano con la dovuta

91

њюџѐђљљќ ѐіѐѐѢѡќ

Uno dei problemi piú urgenti da risolversi è capire quando Landolfo Colonna entra in possesso di questo primo e piú vecchio insieme testuale (se già illustrato o no è altro dilemma da sciogliere piú avanti), a fronte di una certezza come quella che vede lo stesso Landolfo ritrovare a Chartres, fra ūŭŪŭ e ūŭŪŲ, il famigerato testo di terza e quarta Deca¹². Dicono che Landolfo sarebbe entrato in possesso della prima parte del Tito Livio parigino — beninteso comprensiva del testo di DiĴi e Floro — intorno al ūŭŬŲ a Avignone, poco prima cioè di partire deęnitivamente per Roma dove morirà tre anni piú tardi, forse complicando, enormemente quanto inutilmente, le faccende. Pare, quella, una data eccezionalmente tarda per la libera circolazione di quella parte tanto arcaizzante del Tito Livio, visto ad esempio che potrebbe avere identico peso l’ipotesi che deĴa parte del codice sia diventata proprietà di Landolfo assai prima, ad Avignone certo, ma perché no allora nel corso di una delle sue puntate proprio a Roma agli inizi del secolo entrante¹³, periodo nel quale il prelato ha un bel daěare coi libri e almeno ęno al ūŭūŲ¹Ÿ. Si riĚeĴa d’altronde sul faĴo che intorno al ūŭŬŲ Landolfo è quasi oĴantenne, e come procacciatore di antiche rarità sul mercato librario risulterebbe almeno poco credibileȹ; ciò che ci porterebbe a sostenere con maggior convinzione rispeĴo al passato l’acquisto di fogli (illustrati e non) almeno intorno agli anni ’ųŪ del secolo precedente, e che con non poca aĴenzione i saggi di Alessandra Perriccioli Saggese, « Miniature umbro-assisiati nella Napoli angioinaȹ: il Breviario I B ŬŪ della Biblioteca nazionale di Napoli », in ProspeĴiva, LIII-LVI, ūųŲŲ-ūųŲų, p. ūūŮ-ūūųȹ; « Un messale umbro-senese della Biblioteca nazionale di Napoli », in Napoli, l’Europaȹ: Ricerche di storia dell’arte in onore di Ferdinando Bologna, Roma, ūųųů, p. Ůū-ŮŮȹ; e « Viaggi di codici, viaggi di artistiȹ: alcuni casi verięcatisi a Napoli fra Duecento e Trecento », in Le vie del Medioevo, AĴi del Convegno internazionale di studi, Parma, ŬŲ seĴembre-ū oĴobre ūųųŲ, a cura di A.C. Quintavalle, Milano, Electa, ŬŪŪŪ, p. ŭŲŲ-ŭųŰ. La situazione avignonese è quindi rapidamente tracciata da Francesca Manzari, « La miniatura ad Avignone nel XIV secolo », in Roma, Napoli, Avignoneȹ: Arte di curia, arte di corte ūŭŪŪ-ūŭűű, a cura di A. Tomei, Torino, Ѡђюѡ, ūųųŰ, p. ŬŪŭ-ŬŬŭ. Mentre per la produzione di Livio in Francia e le caraĴeristiche specięche di quella tradizione si veda ora MarieHélène Tesnière, « À propos de la traduction de Tite-Live par Pierre Bersuireȹ: Le manuscrit Oxford, Bibliothèque Bodleienne, Rawlinson C ŮŮű », in Romania, CCCCLXXI-CCCCLXXII, ŬŪŪŪ, p. ŮŮų-ŮųŲ, nonché Christiane Raynaud, « Entre texte antique et image médiévale », in Médiévales, X, ūųŲŰ, p. ūŪŭ-ūūŮ. 12. Cfr. l’eĜcace sunto della vicenda in Marie-Hélène Tesnière, « Pétrarque lecteur de Tite-Liveȹ: les annotations du manuscrit Latin ůŰųŪ de la Bibliothèque nationale de France », in Revue de la Bibliothèque nationale de France, II, ūųųų, p. ŭű. 13. Vedine il prospeĴo s.v. « Colonna, Landolfo », in Dizionario biograęco degli italiani, Roma, Istituto dell’Enciclopedia italiana, vol. XXVII, ūųŲŬ, p. ŭŮų-ŭůŬ. 14. Ibid., p. ŭůŪ.

92

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

diĜcoltà si potevano dire circolanti sul mercato librario una trentina d’anni piú tardi, quando nuovi deĴati ęgurativi sono all’orizzonte¹Ź. Resterà allora in piedi soltanto l’ipotesi che questa prima parte del codice, ancora autonoma, sia stata procurata da frate Giovanni Colonna per Landolfo medesimo poco prima del loro lavoro comune di commento sul testo¹źȹ: diciamo allora di nuovo aĴorno all’anno ūŭŬŲ e di nuovo ad Avignone, per quanto qui si sia costreĴi ad ammeĴere che Giovanni abbia frequentato lo zio in Provenza durante il periodo dei suoi studi (che lo condussero anche a Chartres e a Parigi), ciò di cui non esiste a mia conoscenza la minima prova documentale¹Ż. Oppure una seconda e diversa ipotesi, vale a dire che la sezione sia diventata disponibile per Landolfo ad Avignone sí, ma in una data assai piú precoce dell’appena indicato ūŭŬŲȹ: intendo, secondo quanto è emerso dallo studio ravvicinato del codice e dalla ricerca circa l’identità del suo possibile commiĴente, nel giro d’anni in cui Jacques Duèse — in grande carriera presso gli Anjou e soggiornante a Napoli in varie circostanze, non ultima quella immediatamente successiva alla morte di Luigi di Tolosa, ęglio di Carlo II¹ż — viene trasferito da papa Clemente V proprio ad Avignoneȹ: insomma subito dopo il ūŭūŪ¹Ž, ciò che 15. A meno che, beninteso, deĴa prima sezione miniata di Floro-DiĴi-Livio non fosse stata detenuta in casa Colonna per vario e presumibilmente lungo tempo, prima di essere materialmente unita alla sezione seconda. Ma ben si intende che questa, forse piú di tuĴe le altre, per via del vuoto ermeneutico che crea, è materia speculativa, inabile a condurre a certezze degne del nome. 16. Cfr. Marco Santagata, Petrarca e i Colonnaȹ: Sui destinatari di RVF, ű, ūŪ, ŬŲ e ŮŪ, Lucca, Pacini Fazzi, ūųŲŲ, p. űū sq. Alla determinazione di questo periodo di comune impegno su un libro (o su piú di uno) qualięcante il coinvolgimento « storico » della famiglia, gioverà senz’altro il ricordo della leĴera inviata dallo stesso Landolfo a Giovanni, poco dopo il ūŭŬŮ e comunque non prima di quell’anno, registrata nel celebre codice oxoniense di LaĴanzio, Canon. ūŭū, f. ŭ, di cui scrisse convenientemente a suo tempo Ugo Balzani, « Landolfo e Giovanni Colonna secondo un codice bodleiano », in Archivio della R. Società romana di Storia patria, VIII, ūŲŲů, p. ŬŬŭ-ŬŮŮ. Ringrazio Giuliana Crevatin per questa segnalazione. 17. S.v. « Colonna, Giovanni », in Dizionario biograęco degli italiani, vol. XXVII, op. cit., p. ŭŭű sq. 18. Si veda almeno la ricostruzione a ęrma di John E. Weakland, « John XXII before his pontięcate, ūŬŮŮ-ūŭūŰȹ: Jacques Duèze and his family », in Archivum Historiæ pontięciæ, X, ūųűŬ, p. ūŰū-ūűŭ [p. ūŰů]ȹ; e le notizie ricavabili sia dallo studio di Nicolas Valois, « Jacques Duèze, pape sous le nom de Jean XXII », in Histoire liĴéraire de la France, Paris, Imprimeries Nationales, t. XXXIV, ūųūŮ, p. ŭųū-ŰŭŪ, sia dal Dizionario storico del papato, a cura di P. Levillain, Milano, Vallardi, ūųųŰ, p. ŰůŮ-Űůű. 19. È in Avignone appunto che Duèze impianta uno scriptorium assai aĴivo nella scrittura e nella miniatura (F. Manzari, La miniatura ad Avignone…, op. cit., passim). Penso d’altronde di poter dimostrare che questa famigerata prima parte del Livio parigino, ese-

93

њюџѐђљљќ ѐіѐѐѢѡќ

fa restar ferma appunto e per altro verso la nostra convinzione circa una commissione « napoletana » da parte del Duèse di quel testo illustrato negli anni-limite del secolo XIII, e quindi il successivo viaggio verso Avignone della sezione DiĴi-Floro-Livio (realizzata nel regno angioino napoletano), nel corso di una trasferta del Duèse e dell’instaurazione di rapporti non esigui del medesimo con i rappresentanti della famiglia Colonna là stanziati. Minoritaria, specie perché legata obbligatoriamente alla notizia di Labande relativa alla presenza di pochi miniatori avignonesi e pochi miniatori italiani presso lo scriĴoio pontięcio di Avignone del primo Trecento (che indebolirebbe almeno un poco l’idea di una realizzazione della sezione prima del codice, con quel suo linguaggio ęgurativo tendenzialmente eppur fortemente « centro-italico », proprio in Provenza), l’ipotesi che deĴa sezione del codice — eseguita eventualmente in area centro-italica — sia diventata possesso colonnese dunque a Roma, circa il ūŭŬŮ, magari quando Giovanni Colonna viene nominato Predicatore generale²Ŵ. Non pare invero necessario sostenere come determinante tale possibilità, una volta riconosciuto che l’acquisto da parte di uno dei Colonna di un libro realizzato nell’Italia del Sud e poi trasferito ad Avignone può essere avvenuto proprio lontano da Roma in tempi precoci (per esempio esaĴamente sulla scia dell’entusiasmo per le scoperte liviane nella biblioteca di Chartres, del primo decennio del secol nuovo), e che solo piú tardi e per vario intervallo deĴo libro sia stato conservato presso la famiglia romana in aĴesa di essere saldato dal punto di vista della continuità ęgurata alla sezione seconda, nuova come si sa tanto dal punto di vista testuale come da quello iconico²¹. Si tralascia a questo punto guita a Napoli al tempo del soggiorno in quella ciĴà da parte del dignitario Duèze (meno probabilmente a Roma o ad Avignone), trasferita quindi in Provenza dallo stesso Duèse o da altro temporaneo possessore, sia il prodoĴo di una cultura ęgurativa angioina e centro-italica forse promosso dallo stesso dignitario caorsino, e arrivato poi col medesimo personaggio (o aĜne) in quel di Avignone dopo il ūŭūŪȹ: dove dunque Landolfo ne entra in possesso meditando di unirlo alle deche nuovamente scoperte e trascriĴe. Tanto piú che i rapporti streĴi della famiglia Colonna proprio col Duèze diventato papa Giovanni XXII (parlo ovviamente del cardinale Giovanni, sia a Roma che ad Avignone, e di Giacomo Colonna specialmente dopo l’elezione del ūŭūŰȹ; ma anche di Landolfo produĴore nel ūŭŬŲ del ęlo-pontięcio Tractatus de statu et mutatione imperii) dicono — a tacere di molto altro, per adesso — che dietro alcuni individuati episodi sta senz’altro una precedente frequentazione tra il prelato (e prima ancora dignitario d’area angioina e viaggiatore a Roma) e la famiglia romana. 20. S.v. « Colonna, Giovanni », op. cit., p. ŭŭű sq. 21. Di una lunga dimora del Livio presso una delle sedi romane della famiglia Colonna scrive del resto ancora Giuseppe Billanovich, « Giovanni XXII, Ludovico il Bavaro e i testi

94

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

di insistere sull’invenzione di chi ha deĴo che all’apparizione di questa prima parte del Livio parigino avrebbe presieduto l’azione nientemeno che di Francesco Petrarca nel momento in cui, nel ūŭŬŰ, da Bologna si reca in Provenzaȹ: manca nel caso specięco qualsivoglia ombra di prova. Facciamo allora un po’ di chiaro qui, in forza di qualche confronto piú o meno lascoȹ: è risaputo che Landolfo, quando si trovava ancora in Francia, ha faĴo allestire in tempi diversi e decorare da miniatori francesi (forse meglio parigini) due sue miscellanee di testi sacri, oggi codici Lat. ūŰūű e ŬůŮŪ della Bibliothèque nationale de France, oltre all’Agostino pure parigino Lat. ūųųŮ, tuĴi acquisiti da Petrarca nel corso di quell’anno ūŭŭű che sta per diventare data fatidica — ma lo vedremo piú avanti — per la nostra dimostrazione (almeno quanto quell’anno ūŭŬŲ per l’eventuale arrivo a Roma, nelle mani di Landolfo, della prima sezione dell’aĴuale Livio parigino²². Non escludo che quelle abbiano potuto rappresentare occasioni buone per reperire sul mercato avignonese anche un testo (illustrato) delle prime due decadi (piú naturalmente DiĴi e Floro), da unire soltanto in seguito al testo delle decadi III e IV scoperte, come già accertato, fra ūŭŪŭ e ūŭŪŲȹ: date di inizio secolo, dunque, che quadrerebbero persino col deĴato stilistico leggermente arcaizzante della prima sezione del nostro Tito Livio parigino, appunto, oltreché beninteso con la commissione Duèse cui abbiamo accennato poco sopra. La prospeĴiva quaglierebbe d’altronde — oltreché con l’idea di un dono del Duèse a un importante suo sostenitore in terra di Francia — anche col gusto un po’ retro di Landolfo in materia di immagini, se andiamo a vedere quel che lui stesso ha apposto sui fogli di un codice di Giustino oggi Vossiano, da lui guarda caso prelevato a Chartres assieme alle nuove decadi liviane²³ e testimone dunque di una passione per il « ęgurabile » che percorre come un ęlo rosso l’intera storia della biblioęlia colonnese. classici », in Medioevo, V, ūųűŬ, p. ūů-ūŲ, il quale pure sospeĴa che sia stato Landolfo a recare con sé a Roma, poco prima di morire, il Tito Livio già completo nelle sue due parti (ibid., p. ūű). Ciò che comporta — alla luce del faĴo che il codice era stato subito e interamente postillato da Landolfo medesimo — la constatazione circa l’essere stato l’insieme formato prima della morte di Landolfo (ūŭŭū), e non aĴorno alla data eccessivamente tarda del ūŭŭű, quando Petrarca ri-scopre Roma in compagnia del vescovo Giacomo e di fra Giovanni Colonna e si sposta quindi in Provenza, donde richiede proprio a Giacomo l’enciclopedia storica rimasta a Roma, nelle case colonnesi. 22. Giuseppe Billanovich, « Nella biblioteca del Petrarca, Iȹ: Il Petrarca, il Boccaccio e le Enarrationes in Psalmos di s. Agostino », in Italia medioevale e umanistica, III, ūųŰŪ, p. Ű-ūŰ. 23. Élisabeth Pellegrin, « Un manuscrit de Justin annoté par Landolfo Colonna », ibid., p. ŬŮū-ŬŮų.

95

њюџѐђљљќ ѐіѐѐѢѡќ

Se per il momento accantoniamo la questione di luoghi e tempi del reperimento della prima sezione del Livio per passare a dire qualcosa di quella seconda parte, come è noto, testualmente avanzatissima e davvero decisiva per intuire almeno che cosa si è svolto nei faĴi, ci ritroviamo a mio avviso dentro una storia tuĴa romana, o romana almeno quanto lo sono parti della biograęa e delle opere dei Colonna nonché il redivivo insieme liviano, che fu specialmente loro merito far ri-fruĴare nell’antica patria repubblicana. E allora dovremmo aěrontare — ma mi rendo conto che posso solo qui dare qualche accenno — le passioni comuni a Landolfo e a frate Giovanni per i codici illustrati, o per quanto toccati da piú e meno eěusi interventi disegnativi, personali e non²Ÿ. Si potrà badare allora — ma non piú del necessario — al rilevante brano da Seneca, Ep. ŰŮ ű e ų, apposto da Giovanni Colonna su un suo codice di LaĴanzio, ora Oxoniense, dove si aěerma in chiaro che la leĴera di un testo deve essere costantemente arricchita conservandola (sebbene il senso primario della citazione sia, come ovvio, quello legato al lavoro di continuo incremento della materia storico-biograęca)²Ź. In realtà tali occasioni di leĴura risultano ancora piú eĜcaci se leĴe a specchio della quantità non esigua di materiale illustrato presente ai codici personali di frate Giovanni, del De viris naturalmente²ź, e specialmente del Mare historiarum le cui copie, se escludiamo l’Ædili ūűŭ, hanno a deĴa di tuĴi i commentatori imposing decorations²Żȹ; al punto da farci scaĴare piú di un sospeĴo riguardo all’origine di quel codice borgognone tardo, dei primi del QuaĴrocento, Bibliothèque nationale de France 24. Si dovrebbe nell’occasione tentare di portare in campo anche la questione relativa alla stesura della commedia Philologia Philostrati (per cui si veda la nota in Pétrarque, LeĴres familières, t. Iȹ: Livres I-III/Rerum familiarium libri I-III, Introduction et notes de Ugo DoĴi mises en français par Frank La Brasca, Traduction de André Longpré, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ŮŪŰ), ma non è questo il luogo. Per gli interventi « riĚessivi » di Giovanni, cfr. William Braxton Ross, Jr., « Giovanni Colonna, historian at Avignon », in Speculum, XLV, ūųűŪ, p. ůŮū. Mentre sullo sfondo dovrà raggiare e dare sostegno a queste argomentazioni la notizia degli iterati impegni di restauro presso la basilica di Santa Maria Maggiore da parte di Giacomo Colonna, che diventa cosí un altro « intendente d’arte » vissuto a margine dell’impresa somma del Tito Livioȹ: cfr. almeno s.v. « Colonna, Giacomo », in Dizionario biograęco degli italiani, vol. XXVII, op. cit., p. ŭūū e ŭūŭ, assieme all’importante contributo di John Gardner, « Pope Nicholas IV and the decoration of S. Maria Maggiore », in ZeitschriĞ für Kunstgeschichte, XXXVI, ūųűŭ, p. ū-ůŪ [p. ŭū-ŭŮ]. 25. Cfr. William Braxton Ross, « New autographs of fra Giovanni Colonna », in Studi petrarcheschi, n.s., II, ūųŲů, p. Ŭūŭ, n. ūū e p. ŬŬů. 26. Ibid., p. Ŭūų. 27. Stephen L. Forte, « John Colonna O.P.ȹ: Life and writings (ūŬųŲ-ca. ūŭŮŪ) », in Archivum Fratrum prædicatorum, XX, ūųůŪ, p. ŭųű-ŭųų.

96

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

Lat. Ůųūů, del biblioęlo Guillaume Jouvenel des Ursins, per il quale era stata prevista una dotazione di quasi oĴocento miniature (sicȹ!), idea e ciclo che da qualche modello saranno pure spuntati²ż. Tendenza come ho accennato a una cultura dell’illustrabile, pronta eventualmente a scaĴare di nuovo, e questa volta in Petrarca, all’aĴo dell’acquisto nel ūŭůŪ — siamo a ridosso cioè della conquista alla propria biblioteca del Tito Livio — di altri celebri codici come l’Historia naturalis pliniana del codice Parigino Lat. ŰŲŪŬ, o il Quintiliano oggi Parigino Lat. űűŬŪ²Ž, recanti lo stesso gusto di intervento disegnativo, forse radicalizzato in Petrarca medesimo da una passioncella condivisa con Landolfo e/o Giovanni³Ŵ. Da porsi senz’altro a questo punto è la domanda sull’origine degli artisti/dell’artista della seconda parte del nostro codice. Una risposta si troverebbe intanto tenendo per fermo il faĴo che anche l’altro accennato Tito Livio decorato a Avignone, dell’Escorial, ha una stilematica « bolognese », centroitalica, sostanzialmente convergente sui modi della prima sezione del Livio pariginoȹ: arcaizzante anch’essa insomma, e comunque non iscriĴa al capitolo delle novità stilistiche evidenziabili a colpo d’occhio sulle carte illustrate dal Maestro delle decadi III e IV. Del resto ad Avignone, nel corso degli anni Venti e Trenta del secolo XIV, domina pressoché incontrastata la moda del cosiddeĴo Maestro del Codice di san Giorgio, in nulla aggregabile agli esiti dell’artista liviano³¹. Come dire che il Maestro/i Maestri della seconda parte del Livio parigino non sembrano aver potuto godere di ciĴadinanza provenzaleȹ: o perché troppo avanzati rispeĴo alle scuole tardo-dugentesche di cui è eco vistosa nella prima sezione del codice, o perché inaggregabili a una tuĴa diěerente moda vigente in locis gallicis, a

28. Ibid., p. ŭųų. Sul codice la piú recente messa a punto è quella del catalogo Jean Fouquetȹ: Peintre et enlumineur du xvĽ siècle, sous la direction de François Avril, Paris, Bibliothèque nationale de France & Hazan, ŬŪŪŭ, p. ŮūŮ-Ůūű. 29. Cfr. M.-H. Tesnière, « Pétrarque lecteur de Tite-Live… », op. cit., p. ŭŲ. 30. In argomento, ho tuĴavia ipotizzato da tempo che gli interventi disegnativi sul codice parigino di Plinio appartengano alla mano di Giovanni Boccaccio e non a quella di Petrarcaȹ: cfr. M. Ciccuto, Figure di Petrarca…, op. cit., passimȹ; Id., « Immagini per i testi di Boccaccioȹ: percorsi e aĜnità dagli Zibaldoni al Decameron », in Gli Zibaldoni di Boccaccioȹ: Memoria, scrittura, riscriĴura, AĴi del Seminario internazionale di Firenze-Certaldo (ŬŰ-ŬŲ aprile ūųųŰ), a cura di M. Picone e C. Cazalé-Bérard, Firenze, Cesati, ūųųŲ, p. ūŮū-ūŰŪ. 31. Oltre ai cenni direzionati di F. Bologna, « Il Tito Livio ms. ůŰųŪ… », op. cit., p. ŲŮ sq., si veda adesso l’ampio e ricco proęlo di quell’artista (con discussione della bibliograęa pregressa) nel catalogo Painting and illumination in early Renaissance Florenceȹ: ūŭŪŪ-ūŮůŪ, New York, The Metropolitan Museum of Art, ūųųŮ, p. ŲŮ-ūŪů.

97

њюџѐђљљќ ѐіѐѐѢѡќ

un lessico ęgurativo di successo che costringe a pensare per loro a fortune foreste e altrove aggiornate, per artisti intendo che risultano già ben avvisati sulle novità della piĴura romana degli anni Venti e che mostrano di essere presenti e vivaci, a deĴa di François Avril, anche e concretamente sui fogli del codice Parigino Lat. ŰŭŰŰ, che ora sarà il momento di studiare con grande aĴenzione³². Dunque aĴorno al ūŭŬŲ Landolfo, prima di partire per Roma e prima anche che Giovanni inizi a intervenire con commenti, postille e quant’altro sul versante testuale del codice, ha l’idea di unire le due parti, facendo conoscere (in ritardo certo rispeĴo alla scoperta entro il primo decennio del secolo) le deche di ritrovamento chartriano. Poco prima di questa data Petrarca ha allestito il codice Harleian ŬŮųŭ con prima e terza decade³³ȹ: siamo nel ūŭŬŰ-Ŭű (e anche ęno al ’Ŭų)³Ÿ, e in ogni caso dopo l’arrivo del poeta ad Avignone da Bologna. Nell’arco di quei due anni non risulta che Landolfo abbia ancora reso disponibile la IV decade (anche se riesce difęcile immaginare che Petrarca non ne sia al corrente)ȹ: essa lo diventa soltanto dopo il ūŭŬų e in sede romana, quando immagino che Landolfo porti la sua trascrizione (forse già saldata al primo, arcaico « pezzo » dell’aĴuale Tito Livio parigino) proprio a Roma, e intorno al ūŭŭŪ Petrarca comincia a far lezioni agli amici sulla storia liviana, come ha ben dimostrato appunto il citato saggio postumo di Billanovich³Źȹ; riservando tuĴavia per sé ancora la conoscenza della IV decade, visto che non la concede a Lello quando questi si fa la sua brava compilazione di decadi liviane (ancora prima e terza) nel Parigino Lat. ůűŭű³ź. Eccoȹ: a Roma i Colonna intesero dare il segnale forte di una renovatio studiorum accreditata dalla scoperta della IV decade sul banco del padre del pensiero storiograęco antico e del testo degli Ab urbe condita, facendo illustrare per loro decisione e a loro spese, esaĴamente nella sede romana della famiglia, quella parte del codice che per di piú recuperava le memorie illustrate romane della prima parte, emigrate precocemente 32. Cfr. ancora Vedere i classici…, op. cit., p. ŬŰŭ. 33. Si veda Giuseppe Billanovich, « Nel ūŭŭŪ il Petrarca dà lezioni di poesia italiana a Giacomo Colonna e a Lello ToseĴi e Lello ToseĴi trascrive e annota I e III decade », in Studi petrarcheschi, XIV, ŬŪŪū, p. ūųų-ŬŬū [p. ŬŪŬ sq.]. Ma si veda ancora Id., Giovanni XXII, Ludovico il Bavaro…, op. cit., p. ūŬ-ūŮ, per il lavorío petrarchesco aĴorno al codice harleiano. 34. G. Billanovich, « Nel ūŭŭŪ il Petrarca… », op. cit., p. ŬŪů. 35. Cit. per primo alla n. ŭŭ. 36. Ibid., p. ŬŪų sq.

98

« џђљіўѢіюџѢњ Ѡђџѣюѡќџ »Ⱥ: іљ љіѣіќ ѝюџієіћќ љюѡ. ůŰųŪ

ad Avignone o là da subito radicate dopo il trasferimento da Napoli o dal Centro-Italiaȹ: riportando allora su Roma il fuoco del pensiero storiograęco antico facendo sí che vi fosse persino convergenza e sintonia col momento in cui Petrarca, ancora a Roma, torna a meditare sulla storia dell’Urbe — siamo nel ūŭŭű — e si squaderna davanti un ricco insieme di testi liviani, come ci conferma la Familiare VI Ŭ). A questo punto interverrebbero proprio le referenze cavalliniane accreditate dal « partito transalpino » di Avril per quel che riguarda la seconda sezione illustrata del nostro codice³Ż. A corroborare del resto l’idea di una stanzialità romana per il codice nel cruciale intervallo che va dalla morte di Landolfo Colonna (ūŭŭū) al segnalato arrivo del medesimo insieme ad Avignone nel ūŭŭŲ³żȹ: nel linguaggio della storia dell’arte, fra l’onda d’effeĴo dei codici miniati a Roma per il cardinale Jacopo Stefaneschi e l’attività matura di Pietro Cavallini³Ž, tuĴi elementi condivisi dal linguaggio ęgurativo del miniatore della seconda sezione liviana. Chi poi sia il responsabile eěeĴivo dell’impresa di commissione ęgurativa, se Petrarca in persona o uno dei Colonna o alcuni di loro di concerto, nei confronti del Maestro della Seconda Parte o Maestro della Bibbia di Clemente VII o altri ancora, beh, questo sarà un interrogativo da sciogliere in un futuro mi auguro non troppo lontano.

37. Di esse F. Avril scrive piú specięcamente che altrove sia nel catalogo Dix siècles d’enluminure italienne (viĽ-xviĽ siècles), op. cit., sia nella scheda nº Ůų del catalogo Vedere i classici…, op. cit. Un importante e ben realizzato proęlo della questione è nella parte della voce « Roma » curata da Alessandro Tomei nell’Enciclopedia dell’arte medievale, op. cit., vol. IX, p. ūŮŬ sq. 38. M. Santagata, Petrarca e i Colonna…, op. cit., p. ŰŬ. 39. Il primo termine è rilevato specialmente dallo studio di Giovanna Ragionieri, « Ipotesi per uno scriptoriumȹ: Codici miniati a Roma per il cardinale Jacopo Stefaneschi », in Roma anno ūŭŪŪ, a cura di A. M. Romanini, Roma, L’Erma di Bretschneider, ūųŲŭ, p. ŭųŭ-ŭųű, mentre la cronologia del Cavallini maturo emerge anche dalle pagine di C.A. Fleck, « Biblical politics… », op. cit., p. űŬ-űŮ e n.

99

Jean-Louis Charlet

Pétrarque lecteur de Claudien

Je ne prétends pas écrire ici un chapitre de la bibliothèque de Pétrarque, le Pluteus Claudii Claudiani (ce serait prétentieux et prématuré), mais seulement apporter quelques pierres — ou plutôt quelques planches, pour ęler la métaphore — à l’un des rayons de la bibliothèque de Pétrarque et tenter d’entrer dans sa lecture de Claudien, le dernier grand poète épique latin profane de l’Antiquité, le dernier chantre avant la catastrophe de ŮūŪ d’une Roma æterna traditionnelle. À ce double titre, Claudien pouvait être cher à Pétrarque. Pourtant, dans le proème de l’Africa, quand il évoque ses modèles épiques latins, il ne fait allusion, dans cet ordre, qu’à Virgile, Stace et Lucain¹. Dans le catalogue des poètes du Bucolicum carmen, c’est bien à Claudien, en tant que poète Ěorentin et donc son compatriote, qu’il reproche, tout en le reconnaissant « expertus », de « retourner du sable stérile »². Avec M. François et P. Bachmann, qui se fondent sur ma présentation de la religion de Claudien dans l’introduction du premier tome de mon édition dans la

1. Afr., Pr., ůŪ-ůŬȹ: « Troiamque adeo canit ille [Virgile] ruentem,/ Ille [Stace] refert Thebas iuuenemque occultat Achillem,/ Ille [Lucain] autem Emathiam Romanis ossibus implet ». 2. Buc. carm., X ŭŬų-ŭŭŪȹ: « patrieque in menibus alter/ lenior, at sterilem uersando expertus arenam ». Une tradition médiévale erronée (à partir d’un contresens sur le vocatif « Florentine » en pr. Rapt., II ůŪ), que Francesco da Fiano aĜrme avec force dans une invective probablement déclamée devant Cosimo de’ Migliorati entre ūŭŲų et ūŮŪŮ, fait de Claudien un Florentin (cf. Giorgio Brugnoli, « Claudiano ęorentino », in Fabio Stok et Giorgio Brugnoli, « Questioni biograęche », in Giornale italiano di Filologia, XLVIII, ūųųŰ, p. ųų-ūŬŮ [p. ūŬŭ sq.]). Pétrarque suit explicitement ceĴe tradition dans son invective Contra eum qui maledixit Italie (dans Pétrarque, Invectives, texte traduit, présenté et annoté par Rebecca Lenoir, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŭ, p. ŬůŪ-ŭűű [p. ŭŮŬ]), en Rem., II ūŬů (où il qualięe Claudien de « Florentinus »), en Sen., VII ū ūŭŲ (« conterraneus meus », associé à l’adverbe élogieux « eleganter ») et en Sen., XI ū Ů (« conciuis quidam meus »). Voir Marcel François et Paul Bachmann, Bucolicum carmen, texte latin, traduction et commentaire, Paris, Champion, ŬŪŪū, n. ūŭŬ, p. ŭűŮ sq.

101

їђюћ-љќѢіѠ ѐѕюџљђѡ

CUF, je pense que Pétrarque juge stérile la poésie de Claudien en raison de son paganisme « invétéré », comme l’avait écrit Orose de façon exagérée (Hist., ű ŭůȹ: « paganus peruicacissimus »). Si l’on met à part Virgile considéré comme préchrétien au Moyen Âge, Lucain et Stace pouvaient encourir le même reprocheȹ; mais pour Claudien existait la circonstance aggravante qu’il vivait dans une cour chrétienne et à une époque où l’empire romain était déjà très largement christianisé. Malgré ce reproche, trois faits sont indéniablesȹ: ū) Pétrarque possédait au moins un manuscrit de Claudien et l’a annotéȹ; Ŭ) à plusieurs reprises, et parfois de façon laudative, Pétrarque cite des vers de Claudien dans son œuvre latine en proseȹ; ŭ) les traces de la poésie de Claudien dans le Bucolicum carmen et l’Africa sont plus nombreuses que ne le pensaient Pierre de Nolhac et Theodor Birt ou que ne l’indiquent les éditions modernes, et elles ne se limitent pas toujours à de petits emprunts verbaux. Dès la ęn du xixĽ siècle, P. de Nolhac relevait que Pétrarque avait noté des références à Claudien sur son fameux Virgile, aujourd’hui conservé à l’Ambrosiana, et sur son Quintilien, le Parisinus Latinus űűŬŪ³, et il aĴirait l’aĴention sur le Parisinus Latinus ŲŪŲŬ (Nj pour Birt, PŬ pour Hall et moi-même), manuscrit du xiiiĽ siècle d’origine française possédé et annoté par PétrarqueŸ. Nolhac mentionne de nombreux sommaires et des rapprochements, surtout dans l’épopée mythologique De raptu Proserpinæ. À la même époque, Birt, éditeur de Claudien dans la collection des Monumenta Germaniæ Historica (ūŲųŬ), faisait la même découverte. M. Feo est revenu sur ce point en ūųűů, en annonçant son intention d’examiner de façon systématique les annotations de Pétrarque sur ce manuscritŹ. L’hypothèse d’un second manuscrit de Claudien possédé par Pétrarque a été avancée par A. Pertusi en ūųŰŮźȹ: dans le De uita solitaria, II ūŬ Ű, Pétrarque qualięe Homère de « poetarum patrem ». En se fondant sur l’idée qu’en l’absence d’une tradition qui présenterait Homère comme le père des poètes comme Hérodote est qualięé de « père de l’histoire », l’expres3. Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, ūųŪű [= ibid. & Turin, BoĴega d’Erasmo, ūųŰů], respectivement t. I, p. ūůŰ et t. II, p. ųū (référence à l’In Ruf. au fº Ųŭvº). 4. Pétrarque…, op. cit., p. ŬŪŬ-ŬŪŮ. 5. Michele Feo, « Il sogno di Cerere e la morte del lauro petrarchesco », in Il Petrarca ad Arquà, AĴi del convegno di studi nel VI centenario (ūŭűŪ-ūŭűŮ)ȹ: Arquà Petrarca, Ű-Ų nov. ūųűŪ, a cura di G. Billanovich e G. Frasso, Padoue, Antenore, ūųűů, p. ūūű-ūŮŲ [p. ūŬŪ sq., n. ū]. 6. Agostino Pertusi, Leonzio Pilato fra Petrarca e Boccaccioȹ: Le sue versioni omeriche negli autograę di Venezia e la cultura greca del primo Umanesimo, Florence, Olschki, ūųŰŮ, p. ū sq., n. Ŭ.

102

ѝѼѡџюџўѢђ љђѐѡђѢџ ёђ ѐљюѢёіђћ

sion de Claudien « ipse parens uatum […] Homerus » (Carm. min., XXIII ūŭ) doit être la source directe de Pétrarque, Pertusi considère comme probable que Pétrarque possédait un second manuscrit de Claudien, puisque PŬ ne contient pas les Carmina minora, mais seulement les Maiora et le De raptu. Feo reprend ceĴe hypothèse en écrivantȹ: « la supposizione mi pare corroborabile con altri argomenti desunti dallo studio di Nj »Ż. Le rapprochement établi par Pertusi a eěectivement besoin d’être conęrmé car Pétrarque a très bien pu, indépendamment de Claudien, présenter Homère comme le père des poètes. Faut-il, avec P.L. Schmidt qui s’appuie sur Pertusiż, ajouter foi à un témoignage incertain de Lilio Gregorio Giraldi (De latinis poetis dialogus, ūůŮůȹ: « […] codice qui Francisci Petrarchæ fuisse creditur ») et identięer l’éventuel second manuscrit de Pétrarque avec la seconde partie ou, comme le veut Schmidt contre Birt et Hall, le second manuscrit collationné par Giraldi (Gyraldinus) sur un exemplaire de l’édition aldine (Venise, ūůŬŭ) actuellement conservé à Leyde (Bibl. univ., űůű G Ŭ)Žȹ? En l’aĴente d’éléments complémentaires, en particulier ceux qu’annonce Feo à partir de l’examen de PŬ, la question ne me semble pas encore tranchée. Mais il est certain que Pétrarque a possédé et annoté au moins un manuscrit de Claudien et que les traces du poète, qu’il croyait Florentin, dans son œuvre sont plus nombreuses et plus importantes qu’on ne l’a longtemps cru. Dans sa manière d’introduire des citations (ou paraphrases) explicites de Claudien¹Ŵ, Pétrarque observe une prudente neutralité puisqu’il se contente de le nommer (« Claudianus ») sans le qualięerȹ: — En Fam., III ū Ų, « Poterat et Claudianum, ubi yperboreo damnatam sidere Thilen ait » est une citation exacte, aux orthographica près, de Ruf.,

7. Il sogno…, op. cit., p. ūŬū, n. Ŭ, sans préciser quels sont ces arguments. Dans le t. ūū des Quaderni Petrarcheschi ŬŪŪū, imprimé en novembre ŬŪŪŮ et donc auquel je n’ai pu avoir accès ni au moment où j’ai élaboré ceĴe communication (ŬŪŪŭ) ni au moment où je l’ai remise pour impression (février ŬŪŪŮ), L. Chines publie une étude fondée sur l’examen du Par. Lat. ŲŪŲŬ, étude que je n’avais pu faire (« Per Petrarca e Claudiano », p. Ůŭ-űū). Cet article est donc complémentaire du mien, auquel je n’ai apporté aucune modięcation. 8. Peter Lebrecht SchmiĴ, « Die Überlieferungsgeschichte von Claudians Carmina maiora », in International classical Studies, XIV, ūųŲų, p. ŭųū-Ůūů [p. ŮŪŪ-ŮŪŬ] et « Zur niederen und höheren Kritik von Claudians Carmina minora », dans De Tertullien aux Mozarabesȹ: Mélanges oěerts à Jacques Fontaine, édités par Louis Holtz, Jean-Claude Fredouille et Marie-Hélène Jullien, Iȹ: Antiquité tardive et christianisme ancien (iiiĽ-viĽ siècles), Paris, Institut d’Études Augustiniennes, ūųųŬ, p. ŰŮŭ-ŰŰŪ [p. ŰůŮ et n. ŰŬ]. 9. Voir mon édition de Claudien, Œuvres, t. II, ūȹ: Poèmes politiques (ŭųů-ŭųŲ), Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŪ, p. LVI (n. Űű), LXV-LXVI (exc. Gyr.) et LXXV-LXXVI (Flor.). 10. Pas plus que la liste fournie par P. de Nolhac (Pétrarque…, op. cit., t. I, p. ŬŪŬ, n. ŭ), la mienne ne peut prétendre à l’exhaustivité.

103

їђюћ-љќѢіѠ ѐѕюџљђѡ

II ŬŮŪ, avec la désinence d’accusatif grec que PŬ est seul à donner avec les excerpta Florentina. — En Fam., III ŭ ů, « quodque ait Claudianusȹ: tibi miĴet ab astris Eolus armatas hiemes, tibi militabit ether et coniurati uenient ad classica uenti […] » est une citation modięée de ŭ cons., ųŰ-ųŲ (« cui fundit ab antris/ Æolus armatas hiemes, cui militat æther/ et coniurati ueniunt ad classica uenti »), mais avec le « tibi » caractéristique d’une tradition médiévale qui remonte à Orose¹¹ȹ: ici, Pétrarque s’appuie sur une source médiévale intermédiaire, modięée pour adapter la citation à sa propre phrase. — On note une allusion cachée aux v. ųű-ųŲ de ŭ cons. en Fam., XXIII ū ų (par l’intermédiaire d’Augustin, Ciu., V ŬŰ) et surtout en Sen., VII ū ūŭŲ une longue citation, parfaitement exacte celle-là, des v. ųŭ-ųŲ, manifestement à partir de son texte (avec un éloge et une périphrase qui suggère au lecteur le nom de Claudien), même si le contexte d’introduction (§ ūŭű) montre que la réĚexion de Pétrarque part de l’éloge de Théodose qui clôt le livre V de la Cité de Dieu (Aug., Ciu., V ŬŰ)ȹ: « cum paucis [Théodose a combaĴu] contra immensos exercitus barbarorum » (Aug.ȹ: « contra cuius robustissimum exercitum […] »). (§ ūŭŲ) (Aug.ȹ: « quamuis a Christi nomine alienus »), « Deo tamen ueroque testimonium perhibuit his uersibus […] » L’application morale de cet épisode au cas particulier de Pétrarque (§ ūŭų) en fait une paraphrase libre (« Et nobis ab antris Cristus, non Eolus, armatas hiemes funderet nobis ether, ut auxiliares ad classica uenientes militarent uenti »). — En Fam., VI ŭ ŭů, « quod Stiliconi suo Claudianus aĴribuitȹ: uultus factura uerendos,/ Canities festina uenit » est une citation légèrement modięée de Nupt., ŭŬŮ-ŭŬů (« uultusque auctura uerendos/ canities festina uenit »). Si « factura » est une modięcation de Pétrarque, l’absence de « -que » correspond au texte de PŬ. Ce passage est également cité en Sen., VIII ū ů. — En Fam., VII ūů ūŪ, « omninoque uerum est illud Claudianiȹ: Gaudet enim uirtus sibi testes iungere Musasȹ;/ Carmen amat quisquis carmine

11. Voir Claudien, Œuvres, éd. cit., t. II, ū, p. ŮŪ, pour le texte avec apparat critique, et p. ūűŲ, n. compl. ū, pour la leçon « tibi » au lieu de « cui »ȹ: Oros., Hist., VII ŭů ūŲȹ; Paul. Diacr., Hist. misc., XIII ŭŪŭ ŬŮ sq.ȹ; Sed. Scot., Rect. Christ., ūůȹ; Engelbert d’Admont, Spect. uirt., XII Ű et quelques témoignages de la tradition indirecte (Corippe et Venance Fortunat). On notera que Pétrarque ne dépend pas directement d’Orose car ce dernier, comme saint Augustin (Ciu., V ŬŰ qui, lui, conserve « cui »), a supprimé le membre de phrase « cui fundit […] hiemes » pour éliminer la référence mythologique au dieu des vents. En revanche, en Rem., II ūūŮ, Pétrarque dépend des sources chrétiennes (Ruf., Hist. eccl., II ŭŭȹ; Oros., Hist., VII ŭů ūū-ūŬ, etc.) plutôt que de ŭ cons., ųŭ sq.

104

ѝѼѡџюџўѢђ љђѐѡђѢџ ёђ ѐљюѢёіђћ

digna facit » est une citation exacte de Pr. Stil., III ů-Ű — texte très important, sur lequel nous reviendrons plus loin —, mais avec les deux variantes caractéristiques de PŬȹ: « sibi testes » et « facit » à la place de « gerit » (cité aussi en Coll. laur., X ūŭ). — En Rem., I ųŬ, « Notissimum Claudiani dictumȹ: Minuit presentia famam » est une citation exacte de Gild., ŭŲů (mais avec la variante aĴestée par plusieurs manuscrits, dont PŬ après correction, « minuit »). La même citation, mais présentée anonymement, se lit en Rem., I ůū, avec une adaptation du mode (« non uerendum erit ne, quod ait quidam, minuat presentia famam »). Pétrarque fait plusieurs allusions non explicites à ceĴe maxime (Fam., I Ŭ ů et Ŭū, II ūŮ Ŭ-ŭ, IX ūŭ ŮŬ et XXII Ű Ůȹ; Sen., VI ŭ Ŭȹ; Epyst., II ų ŮŲ-ůŪȹ; Afr., IV űŮ). On la retrouve, avec un changement dans l’ordre des mots, comme citation explicite, mais où Claudien n’est désigné que comme « conciuis quidam meus », en Sen., XI ū Ů-ů (« […] ne illa scilicet quæ, ut conciuis quidam meus ait, famam minuit præsentia, animum tuum a concepta de me opinione retraheret »). En revanche, dans les citations présentées de façon anonyme, comme pour la référence à son « compatriote » Ěorentin (Sen., VII ū ūŭŲ, « eleganter »), il arrive que Pétrarque soit très élogieux pour le poète qu’il ne daigne pas nommer. En Ot. rel., II ū ūū, « nam, ut eleganter disertissimus quidam uir ait, componitur orbis Regis ad exemplum » est une citation parfaitement exacte de Ů cons. Ŭųų-ŭŪŪ (allusion cachée en Fam., XII Ŭ ŭŪ). Toutefois l’anonymat est le plus complet, sans la moindre appréciation, pour la citation — parfaitement exacte mais devenue proverbiale — de RVF., I ŬŬ-Ŭŭ en Rem., ū ūŪűȹ: « ne in illo grege reperiaris de quo dictum estȹ: Tolluntur in altum ut lapsu grauiore ruant »¹².

12. Comme le note P. de Nolhac (Pétrarque…, op. cit., t. I, p. ŬŪŬ, n. ŭ), il y a peut-être un écho de ce vers de Claudien dans Hist. Iulii Cæs. (éd. Schneider, p. Ŭůů)ȹ: « quo maior est altitudo, co grauior ruina. ». Mais la pensée, banale en soi, est fréquemment exprimée et Pétrarque s’écarte ici assez sensiblement de la formulation de Claudien, devenue proverbiale, comme le note Christophe Carraud, à la suite de Robert E. Lewis (Pétrarque, Les remèdes aux deux fortunes, Iȹ: Texte et traduction, texte établi et traduit par Ch.C., et IIȹ: Notes et commentaires, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŬ, II, p. ŭűŰ, n. ūŰ)ȹ: ces vers sont cités de façon proverbiale et liés à deux passages de Lucain (ū Ųū et űŪ-űū) par Lothaire de Segni (Misère de la condition humaine, II Ŭųȹ; dans l’éd. de R.E. Lewisȹ: de contemptu mundi, Athens [Georgia], ūųűŲ, p. ūŲŭ). Par ailleurs, il y a en Sen., VII ū ūůū une très probable allusion cachée au passage de Ů cons., ŭűŮ-ŭűű où Claudien présente le jeune Alexandre qui se plaint que son père ne lui laisse plus d’occasion de remporter des victoires (cf. Plutarque, Alex., V ŭ).

105

їђюћ-љќѢіѠ ѐѕюџљђѡ

Au total, on peut dire qu’à l’exception d’une citation manifestement de seconde main (Fam., III ŭ ů) et peut-être d’une autre de caractère proverbial (Rem., I ūŪű), les citations — explicites ou non et parfois plus ou moins inędèles — semblent bien être directes et reproduisent les leçons parfois particulières de PŬ, ce qui conęrme que c’est essentiellement à partir de ce manuscrit que Pétrarque a eu accès à la poésie de Claudien. Dans le cas exemplaire de Sen., VII ū ūŭű-ūŭų, même si la pensée de Pétrarque se développe à partir de saint Augustin, le poète ne s’est pas contenté des deux vers tronqués cités par son modèle, il a consulté son manuscrit pour élargir la citation (citation rigoureusement exacte de six vers) et se l’est moralement appliquée à lui-même. Certains passages l’ont particulièrement intéressé (peut-être même les avait-il notés), puisqu’il les cite ou y fait allusion à plusieurs endroits d’une même œuvre ou dans des œuvres diěérentes. Si l’on en vient aux traces de Claudien que l’on peut repérer dans les vers latins de Pétrarque, et plus particulièrement dans l’Africa et le Bucolicum carmen¹³, Feo a montré l’inĚuence du De raptu Proserpinæ sur le Bucolicum carmen (et sur certaines pièces des Rerum uulgarium fragmenta)¹Ÿ. C’est le mythe de Proserpine tel que le rapporte Claudien, et en particulier l’épisode du songe de Cérès, avec le symbolisme du laurier abaĴu (III űŮ-űųȹ: « Il se dressait aussi, plus cher que tout le bois sacré,/ Un laurier qui jadis ombrageait d’un chaste feuillage/ La couche de la jeune ęlle. Cérès le vit coupé au ras de l’herbe,/ Ses rameaux en désordre souillés dans la poussière./ Elle s’informa du méfaitȹ; en gémissant, les Dryades lui dirent/ Que les Furies l’avaient anéanti avec leur hache du Tartare. »)¹Ź, qui ont donné l’impulsion première à la dixième églogue (Laurea occidens, La mort du laurier). À travers de très ęnes analyses presque toutes incontestables, Feo a montré que 13. Ici non plus, je ne prétends pas à l’exhaustivitéȹ: le repérage des allusions poétiques est une tâche très complexe qui, si elle est faite comme il convient, prend beaucoup de temps et donc se fait diĜcilement à grande échelle. Je me limiterai aux deux œuvres poétiques de Pétrarque qui me sont les plus familières, sans prétendre avoir tout repéré, même dans ces deux seules œuvres. 14. « Il sogno… », op. cit. 15. « Stabat præterea luco dilectior omni/ laurus, uirgineos quæ quondam fronde pudico [ȹ!]/ umbrabat thalamos. Hanc imo c[a]espite cæsam/ uidit et incomptos fœdari puluere ramosȹ;/ quæsiuitque nefasȹ; Dryades dixere gementes/ Tartarea Furias debellauisse securi. » Dans le texte de mon édition (Claudien, Œuvres, éd. cit., t. Iȹ: Le Rapt de Proserpine, Paris, Les Belles LeĴres, ūųųū, p. ŰŬ), j’ai introduit ici les variantes de PŬ qui, à l’exception de la leçon aberrante « pudico », se rapprochent de mon manuscrit JŮ (xivĽ siècle, écrit près de Milan par Martinus de Vicomercato). Pour la traduction, je n’ai eu à la modięer que pour la variante « cespite »/« stipite ».

106

ѝѼѡџюџўѢђ љђѐѡђѢџ ёђ ѐљюѢёіђћ

Pétrarque avait interprété jusque dans le détail son histoire (vécue ou construite) à travers le mythe de Cérès et de Proserpineȹ: il s’est vu par rapport à Laure dans la situation de Cérès par rapport à Proserpine chez Claudien¹ź. Feo a mis en évidence une autre trace importante du De raptu Proserpinæ dans la troisième églogue (Amor pastorius, L’amour du berger)¹Ż. Le chant de Stuěeo pour Daphné rappelle les lamentations de Cérès pour sa ęlle perdue. Comparer Buc., III űŮ-ŲŬȹ: űů

ŲŪ

Dane, nostra quies, noster labor atque uoluptas, unam ego te dominam, teque hostem aěusus adoro. Tu decus es nemorum, tu spes pastoribus ingensȹ; te uates magnique duces, te Iupiter altus diligit ac iaculo refugit uiolare trisulco quo ferit omne nemus. Te, quam pharetratus Apollo, quam celebres arsere dei, nunc Stupeus ardet, pastor inops lentusque gregis contemptor opimiȹ; diues erit si pulcra uoces sua carmina, Dane.

avec Rapt., III ŮūŬ-ŮūŲ¹żȹ:

Ůūů

Quam nuper sublimis eram quantisque procorum cingebar studiisȹ! Quæ non mihi pignus ob unum cedebat numerosa parensȹ? Tu prima uoluptas, tu postrema mihiȹ: per te secunda uidebar. O decus, o requies, o grata superbia matris, qua gessi Ěorente deam, qua sospite numquam inferior Iunone fui ȹ! Nunc squalida, uilisȹ!

La lecture du De raptu Proserpinæ par Pétrarque a donc été beaucoup plus profonde qu’on ne le pensait avant Feo. Elle a aussi laissé des traces dans l’œuvre vernaculaire¹Ž. On ajoutera qu’en ūųűű, Nicholas Mann a aĴiré l’aĴention sur un cas intéressant de correction apportée par Pétrarque à sa dernière églogue²Ŵ. 16. Il sogno…, op. cit., p. ūūű-ūŭŪ. 17. Il sogno…, op. cit., p. ūŭū-ūŭŭ. 18. Pour ce passage, PŬ n’oěre aucune variante par rapport à mon texte (éd. cit., p. űų sq.). 19. M. Feo a relevé quelques traces du De raptu Proserpinæ dans les Rerum uulgarium fragmenta, notamment à propos de la thématique du laurier mort (« Il sogno… », op. cit., p. ūŭŭ-ūŮŲ). 20. Nicholas Mann, « The making of Petrarch’s Bucolicum carmenȹ: A contribution to the history of the text », in Italia medioevale e umanistica, XX, ūųűű, p. ūŬű-ūŲŬ [p. ūŰŭ].

107

їђюћ-љќѢіѠ ѐѕюџљђѡ

Alors que les manuscrits L (Florence, Laur. Acquisti e doni ŬŲŪ) et N (Naples, Bibl. Naz., VIII G ű), qui représentent un état ancien du texte, donnent en Buc., XII ūŭŪ « Somnus et assiduo labentes murmure riui », le manuscrit autographe A (Vat. Lat. ŭŭůŲ) porte un texte corrigé qui fait disparaître la version précédente²¹ȹ: « Et sopor et rauci per Ěorea gramina fontes ». Le second hémistiche de la première version était presque décalqué sur un vers de Claudien (Ruf., I ŬūŮȹ: « hic auium cantus, labentis murmura riui »)²², avec vraisemblablement une contamination d’Ovide (Rem., ūűűȹ: « labentes iucundo murmure riuos »). Pour Mann, Pétrarque a voulu faire disparaître une reprise trop appuyée (quasi emprunt métrique) et un emploi d’« assiduus » qu’on lit, en dehors de ce passage, huit fois dans le Bucolicum carmen. Même si un remords du poète a supprimé une référence marquée, le premier état de son texte prouve sa bonne connaissance de Claudien. En ce qui concerne l’Africa, on a relevé depuis longtemps la deĴe de Pétrarque à l’égard de Claudien dans la fameuse scène qui ouvre le livre IX, quand Scipion l’Africain, sur le navire qui le ramène en Italie, engage avec son ami Ennius un dialogue sur le laurier et la poésie qui assure la renommée des grands capitaines (Afr., IX ūŪ sq.)²³. La dépendance de Pétrarque à l’égard de Claudien est ici indubitable, puisque le Panégyrique pour le consulat de Stilicon est le seul témoin antique conserv鲟 qui aĴeste que Scipion, ami des Muses, avait à ses côtés le poète Ennius pendant les combats, après les batailles et dans son triomphe sur Carthage (pr. Stil., III ū-Ű, ūū-ūŬ, ūů-ŬŪ)ȹ: Maior Scipides, Italis qui solus ab [h]oris in proprium uertit Punica bella caput, non sine Pieriis exercuit artibus armaȹ: semper erat uatum maxima cura duci.

21. Domenico De Venuto (Il Bucolicum Carmen di F. Petrarcaȹ: Edizione diplomatica dell’autografo Vat. lat. ŭŭůŲ, Pise, ETS, ūųųŪ, p. ūůů, apparat ad loc.) aĴeste que le texte primitif de A (= a) est illisible sous la correction. 22. Texte donné aussi par PŬ, mais avec une correction dans les désinences de « labentis […] riui » (voir l’apparat de mon édition, Claudien, Œuvres, op. cit., p. Űų). 23. Par exemple, Guido MartelloĴi, dans Rime, Trionę e poesie latine, a cura di E. Bianchi et alii, Milan-Naples, Ricciardi, ūųůū, p. ŰųŪ-Űųů (notes)ȹ; Werner Suerbaum, « Poeta laureatus et triumphansȹ: Die Dichterkrönung Petrarcas und sein Ennius-Bild », in Poetica, V, ūųűŬ, p. Ŭųŭ-ŭŬŲ. 24. Cicéron (Arch., ŬŬ) dit seulement qu’Ennius était cher à Scipionȹ: « carus fuit Africano Superiori noster Ennius ». Cf. Oѣ., Ars, III ŮŪų-ŮūŪ. Horace (Carm., IV Ů ūų-ŬŬȹ; cf. IV Ų ūŭ-ŬŪ) aĴribue à Ennius la gloire de Scipion.

108

ѝѼѡџюџўѢђ љђѐѡђѢџ ёђ ѐљюѢёіђћ

ů

ūů

ŬŪ

Gaudet enim uirtus sibi testes iungere Musasȹ; carmen amat quisquis carmine digna facit. […] hærebat doctus lateri castrisque solebat omnibus in medias Ennius ire tubas. […] Cumque triumpharet gemina Cartagine uicta (hanc uindex patri uicerat, hanc patriæ), cum longi Libyam tandem post funera belli ante suas mæstam cogeret ire rotas, aduexit reduces secum Victoria Musas et sertum uati Martia laurus erat.²Ź

C’est probablement l’expression « aduexit reduces […] Musas » — qui, pour moi, renvoie au triomphe de Scipion après sa victoire sur Hannibal (cf. v. ūů-ūŲ) — qui a suggéré à Pétrarque l’idée que Scipion avait ramené le poète Ennius d’Afrique en Italie sur son propre bateau (comme Caton l’Ancien l’avait ramené de Sardaigne à Rome)²ź, ce qui lui a permis de supposer une conversation sur la poésie et le laurier. On rapprochera en particulierȹ: — pr. Stil., ŭ-Ů et Afr., IX űŰ-űű (« et continuis hoc pectus ab armis/ dulcia concussum placide capit otia lingue »)ȹ; — pr. Stil., ů-Ű et Afr., IX Ųű-ŲŲ (« Quisquis enim se magna uidet gessisse, necesse est/ diligat eternos uates et carmina sacra »)ȹ; — pr. Stil., ūū-ūŬ et Afr., IX ūū (« Ennius, assiduus rerum testisque comesque »)ȹ; — pr. Stil., ŬŪ et Afr., IX űŬ-űŭ (« quid laurea signet/ tam ducibus claris quam uatibus addita sacris »ȹ; cf. IX ūŪŲ-ūūū).

25. Trad.ȹ: « L’aîné des Scipions, qui, seul, des rives italiennes/ Ramena la guerre punique à son départ,/ Ne s’adonna pas aux combats sans l’art des Piéridesȹ:/ Toujours ce chef avait grand souci des poètes./ Le mérite se plaît à prendre pour témoins les Musesȹ;/ Aime les vers qui en est digne par ses actes/ […] Le savant Ennius avait coutume à ses côtés/ D’aller dans tous ses camps au milieu des trompeĴes/ […] Et comme il triomphait vainqueur de la double Carthage,/ Vainqueur qui vengeait et son père et sa patrie,/ Qu’enęn après les morts d’une longue guerre il forçait/ La Libye à marcher, triste, devant ses roues,/ La Victoire avec soi ęt revenir les Muses/ Et le laurier de Mars couronna le poète ». Dans le texte de mon édition (t. III, en ęn de préparation), j’ai introduit les variantes de PŬȹ: v. ū « scipides […] horis »ȹ; v. ů « sibi testes » (je lis « testes sibi » avec presque tous les autres manuscrits)ȹ; v. Ű « facit », à la place de « gerit » des autres manuscritsȹ; v. ūű « libiam » (seul R donne l’orthographe correcte « libyam »). 26. Corn. Nep., Cat., ūȹ; Vir. ill., Ůű. Cicéron fait aussi d’Ennius l’ami de Catonȹ: « familiaris noster Ennius » (Cato, ūŪ).

109

їђюћ-љќѢіѠ ѐѕюџљђѡ

Une lecture cursive de l’Africa m’a permis de relever quelques autres traces de Claudien. Certaines sont seulement possibles, comme la réminiscence métrique entre Afr., III űŰŪ (« Ira dabat stimulos », premier hémistiche d’hexamètre) et pr. Eutr., II ŭŬ (« Ira dabit [PŬ, mais « dabat » dans les autres manuscrits] pretium », premier hémistiche de pentamètre), ou entre les deux premiers hémistiches Afr., VII ŰŰŮ (« Conticuere poli ») et Rapt., I ŬūŪ (« Conticuere chori »). Dans ce dernier cas, l’hémistiche de Claudien est emprunté à Stace (Theb., V ūųů), mais l’examen des contextes rapproche Pétrarque de Claudien plutôt que de Stace (qu’il connaît pourtant très bien lui aussi). Dans la Thébaïde, l’expression marque la ęn du banquet et la tombée de la nuit qui verra les femmes de Lemnos commeĴre leur forfait, alors que, chez Claudien comme chez Pétrarque, il s’agit d’une réaction à l’intervention d’une divinitéȹ: le silence se fait à la vue de Cérès chez Claudien, quand Jupiter prend la parole chez Pétrarque. La référence à Claudien est donc probable et nous verrons plus loin qu’elle joue un rôle particulier. Il y a aussi peut-être une allusion²Ż, avec une disposition métrique analogue, en Afr., I ŭŪŰ-ŭŪű (« Sciat horrida ueros/ barbaries cecidisse uiros […] »)ȹ: comparer Claud., Theod., XVII ŬŮų-ŬůŪ (« […] cadatȹ? Quæ dissona ritu/ barbaries […] »). Le mouvement des deux phrases est analogue, avec la même disjonction entre « barbaries » en tête de vers et son épithète au cinquième pied du vers précédent, avec la présence dans les deux contextes du verbe « cadere ». L’expression « rerum caput » pour qualięer Rome (Afr., VI ŮųŬȹ: « rerum caput aspera Roma ») peut venir de Gild., Ůůų-ŮŰŪ (« caput insuperabile rerum/ […] Roma »), où Claudien associe une expression qui qualięait Achille chez Ovide (Met., XII Űūŭȹ: « caput insuperabile ») et un passage de Lucain à propos de la suprématie de Rome (II ūŭŰȹ: « caput mundi rerumque potestas »), mais on ne saurait exclure que Pétrarque ait usé de ceĴe iunctura sans se référer explicitement à Claudien. En revanche, la clausule d’hexamètre descriptive et euphonique « Corsica saxis » (Afr., II ŬūŰ) est empruntée à un poème de Claudien que décidément Pétrarque connaît bienȹ: Gild., ůŪŰ (« Corsica saxis »). Et l’on relève au moins deux reprises de iuncturæ caractéristiques. Comparer, en même position métriqueȹ: Afr., III Ůűū (« Protinus infesto coeuntes remige classes ») et Stil., II ŬůŬ (« Et infesto 27. Pour une autre allusion — thématique ceĴe fois, et non métrique —, voir supra la maxime de Gild., ŭŲů que Pétrarque cite ou à laquelle il se réfère plusieurs fois, en particulier en Afr., IV űŮ. Nous étudierons à la ęn de ceĴe contribution une autre réminiscence métrique possible sans être certaine.

110

ѝѼѡџюџўѢђ љђѐѡђѢџ ёђ ѐљюѢёіђћ

spumauit remige T[h]etys [Thetis dans PŬ] »). Surtout, Afr., VII ŰŰū-ŰŰŬ (« Subrisit uultu tacito stellantis Olimpi/ rector ») rappelle invinciblement une œuvre de Claudien dont Pétrarque cite explicitement d’autres versȹ: ŭ cons., ŭŭ, à propos du même Jupiter (« rex o stellantis Olimpi » [comme PŬ, aucun des manuscrits anciens ne donne l’orthographe correcte Olympi])²ż. Souligné par sa position métrique, cet emprunt joue un rôle particulier dans une référence beaucoup plus vaste à Claudien. En eěet, comme pour le Bucolicum carmen, une grande scène de l’Africa trouve son point de départ chez Claudien. L’intervention auprès de Jupiter d’une jeune et d’une moins jeune matrone, c’est-à-dire de Rome et de Carthage, au livre VII (v. ůŪŰ-ŰŰŪ) me paraît avoir pour modèle l’intervention de Rome et de l’Afrique dans le De bello Gildonico (v. ūű-ŬŪŪ). Chacun de ces deux poèmes a assurément sa thématique propre. Claudien parle de la famine engendrée à Rome par la retention de la ĚoĴe annonaire et des cruautés du comte d’Afrique Gildonȹ; chez lui, bien loin d’être adversaires, Rome et l’Afrique parlent dans le même sens. Pétrarque, lui, décrit par la bouche de Rome les massacres perpétrés en Italie par les Carthaginois et, par la bouche de Carthage, les dévastations de la guerre portée par Scipion sur le sol africain. En dépit de ces profondes diěérences²Ž, on est frappé à la fois par la ressemblance des situations — Rome et l’Afrique d’un côté, Rome et Carthage de l’autre, viennent en suppliantes se plaindre à Jupiter sur son trône (Gild., ŬŪū-ŬŪŬȹ: « alto […] solio »ȹ; Afr., VII ůŬŭȹ: « summo solio ») dans sa demeure céleste — et par des analogies de structure et parfois même de détail, mais sans emprunt caractérisé. Chez Claudien, devant l’assemblée des dieux, une Rome amaigrie et aěaiblie (décrite aux v. Ŭū-Ŭů) vient se jeter aux pieds ou, liĴéralement, aux genoux de Jupiter (v. ŬŰ-Ŭűȹ: « genibusque Tonantis/ procubuit ») pour exprimer sa plainte (v. ŬŲ-ūŬű, soit cent vers). CeĴe plainte commence par

28. En revanche, c’est à Virgile (Æn., V Ŭůůȹ: « Iouis armiger uncis ») plutôt qu’à Claudien (Gild., ŮŰű-ŮŰŲȹ: « Tonantis/ armiger ») que se réfère la présentation de l’aigle en Afr., IV ŬŲŲ-ŬŲųȹ: « Iouis […]/ armigero », même si l’adjectif composé s’y trouve en tête de vers comme chez Claudien. De même, la clausule « aurea Roma » (Afr., VI ŲŲŭ), qu’on trouve chez Juvénal, Ausone et Prudence, ne vient pas de Claud., Fesc., II ūŰ [= ūų-ŬŪ]ȹ: voir ma note complémentaire ad loc. (Claudien, Œuvres, éd. cit., t. II, Ŭ, p. ūŲŮ, n. Ů) et L’inĚuence d’Ausone sur la poésie de Prudence, Aix-en-Provence, ūųŲŪ, Publications de l’université de Provence, p. ŭŮ sq. et p. ŬūŪ. 29. Une autre diěérence de détail, mais profonde, est la référence à la conversion de Rome au christianisme (Afr., VII ŰůŲ)ȹ: Pétrarque repense la Rome de Claudien à travers celle de Prudence (Contra Symmachum).

111

їђюћ-љќѢіѠ ѐѕюџљђѡ

une proposition hypothétique et une apostrophe (v. ŬŲ-Ŭųȹ: « Si […]/ Juppiter ») et continue par une description de ses malheurs, en particulier des cadavres qui s’accumulent (v. ŭų-ŮŪȹ: « Quid referam morbiue luem tumulosue [« -que » dans d’autres mss] repletos/ stragibus et crebras corrupto sidere mortes »), avec un rappel des guerres contre Carthage (v. űű-Ųŭ et ųŮ-ųů). À la ęn de son discours, Rome éclate en sanglots (v. ūŬű-ūŬŲȹ: « Sic fata refusis obticuit lacrimis »). Survient alors l’Afrique (décrite aux v. ūŭŮ-ūŭŲ) qui, à grand fracas, force la porte de l’Olympe (v. ūŭųȹ: « Inrupit clamore fores ») et s’adresse à Jupiter (v. ūŭų-ŬŪŪ, soit soixante-deux vers) en exposant les sévices que lui inĚige Gildon et que les destins devraient écarter (v. ūŮŮȹ: « Si mihi Gildonem nequeunt abducere fata »), alors que la nature l’avait heureusement dotée d’un climat favorable (v. ūŮů-ūůŭ). Jupiter l’interrompt et prononce son arrêt (v. ŬŪū-ŬŪű). Chez Pétrarque, les deux matrones, Rome (décrite aux v. ůūŪ-ůūŬ) et Carthage (décrite aux v. ůūŬ-ůūű)³Ŵ, franchissent les portes de la demeure céleste de Jupiter (v. ůŬūȹ: « introgressa fores »ȹ; cf. Gild., ūŭų) pour plaider leur cause. Carthage prend la parole la première (v. ůŬŮ-ůŲŲ, soit soixantecinq vers). Elle insiste sur sa position géographique favorable qui lui vaut un climat tempéré (v. ůŭů-ůŮŪȹ; cf. Gild., ūŮů-ūůŭ)ȹ; mais il faudrait, pour son bonheur, écarter Scipion (v. ůŲűȹ; cf. Gild., ūŮŮ, à propos de Gildon). Rome alors jeĴe sa couronne et son sceptre pour se précipiter aux pieds du Tonnant (v. ůŲų-ůųūȹ: « […] pedibusque aěusa Tonantis »), comme Claudien le lui avait fait faire (Gild., ŬŰ-Ŭű). Dans son discours (v. ůųŬ-ŰůŲ, soit soixante-sept vers), qui s’ouvre, comme celui que lui prête Claudien, par une apostrophe et une conditionnelle (ordre inversé, mais même mouvement généralȹ: Afr., VII ůųŬ-ůųŭ « O magni suprema potentia mundi,/ si […] »ȹ; cf. Gild., ŬŲ-Ŭų), elle décrit les ravages que lui ont apportés les Carthaginois en des termes qui rappellent parfois ceux de l’Afrique se plaignant de Gildon chez Claudienȹ: Afr., VII ŰŪū-ŰŪŬȹ: candentes ossibus agros Italie terrisque ducum dispersa sepulcra Gild., ŭų-ŮŪȹ: Quid referam […] tumulosue repletos stragibus et crebras corrupto sidere mortes³¹ 30. Les descriptions des deux personnages féminins, globalement diěérentes d’un poète à l’autre, ne présentent qu’un point communȹ: chez Pétrarque, Rome est « sparsa capillos » (Afr., VII ůūū) alors que, chez Claudien, l’Afrique est « lacero […] uertice » (Gild., ūŭű). 31. J’ai intégré à mon texte la variante « tumulosue » que PŬ partage avec plusieurs mss, alors que j’ai choisi dans mon édition l’autre leçon « tumulosque ».

112

ѝѼѡџюџўѢђ љђѐѡђѢџ ёђ ѐљюѢёіђћ

Afr., VII ŰŪŬȹ: ducum […] sepulcra Afr., VII, Űūųȹ: Sic tales cecidisse duces [et déjà Afr., VII ůűŭ (dans la bouche de Carthage)ȹ: busta ducum] Gild., ŲŬȹ: totque duces cæsi Afr., VII ŰūŰ-Űūűȹ: multa […] funera Gild., ųŭȹ: funera tanta.

Que les destins éloignent Hannibal et épargnent Scipion ou qu’au moins le combat soit loyal. À la ęn du discours, Rome étreint les pieds de Jupiter en les couvrant de pleurs et de baisers (v. Űůų-ŰŰŪȹ: « Finierat, stringensque pedes atque oscula rursus/ ingeminans lacrimis herebat et ore madenti »ȹ; cf. v. ůųū [pour Carthage] et Gild., v. ŬŰ-Ŭű et surtout ūŬű-ūŬŲ [à la ęn du discours de Rome]ȹ: « refusis/ obticuit lacrimis »). Malgré des diěérences qui sautent aux yeux, la structure d’ensemble et de nombreux détails rappellent invinciblement Claudien. Toutefois, en dehors d’une possible, mais non certaine, réminiscence métrique d’autres œuvres de Claudien (Afr., VII ůŬū-ůŬŬȹ: « mirantur euntes/ Celicole »ȹ; cf. Rapt., II ůů-ůŰ « comitantur euntem/ Naides »ȹ; Ű cons., ŭŬū-ŭŬŬȹ: « comitatur euntem/ Pallor et atra Fames »)³², je n’ai relevé dans ceĴe scène de l’Africa aucun emprunt évident ou reprise certaine de Claudien, comme si Pétrarque avait voulu masquer sa source. Nous avons vu plus haut que Pétrarque avait supprimé de la version déęnitive du Bucolicum carmen un emprunt métrique à Claudien trop manifeste. Pourtant, le poète sait bien qu’il convient de laisser quelques indices discrets pour aĴirer l’aĴention du lecteur négligent ou trop peu aĴentif sur le texte auquel il veut faire référence. C’est pourquoi, dans la réaction de Jupiter qui suit immédiatement les deux discours opposés de Carthage et de Rome, avant que le roi des dieux prenne lui-même la parole (v. ŰŰů-űŬŮ, soit soixante vers), on trouve, concentrés sur quatre vers (v. ŰŰū-ŰŰŮ), un emprunt indubitable (Afr., VII ŰŰū et ŭ cons., ŭŭ) et un emprunt probable (Afr., VII ŰŰŮ et Rapt., I ŬūŪȹ; voir supra). Comme le suggère le modèle antique, Pétrarque pense 32. La réminiscence métrique et phonique n’est pas certaine, d’abord en raison de la petite variation « mirantur/ comita[n]tur » et surtout parce que la ęn de vers de Claudien vient de Virgile (Æn., VI ŲŰŭȹ: « comitatur euntem ») et avait déjà été reprise par Ovide (Met., IV ŮŲŮ-ŮŲůȹ: « Luctus comitatur euntem/ et Pauor et Terror »ȹ; cf. Pont., II Ŭ Ųūȹ: « comitauit euntem »). Le passage de Ű cons., ŭŬū-ŭŬŬ évoque précisément Met., IV ŮŲŮ, mais le mouvement de la phrase de Pétrarque, avec le rejet du sujet en tête du vers suivant, rappelle les deux passages de Claudien plutôt que Virgile ou Ovide. La référence est donc bien possible sans être certaine.

113

їђюћ-љќѢіѠ ѐѕюџљђѡ

que l’opposition entre Rome et Carthage durant les guerres puniques sera à terme surmontéeȹ: la victoire de Rome sur Carthage fera le bonheur de l’Afrique, ce que l’Afrique elle-même reconnaîtra quand Gildon cherchera à la séparer de Rome. Même si l’ensemble des parallèles — déjà connus ou nouveaux — que je viens de présenter ne constitue pas un tableau exhaustif des références ou allusions de Pétrarque à Claudien, il en ressort que l’humaniste avait une connaissance assez large de celui qu’il considérait comme son compatriote. Il se réfère souvent au Rapt de Proserpine, aux Panégyriques pour le troisième consulat d’Honorius et pour le consulat de Stilicon, à l’In Ruęnum et au De bello Gildonico, plus rarement au Panégyrique pour le quatrième consulat d’Honorius et à l’Épithalame pour les noces d’Honorius et de Marie, et peutêtre aussi aux Panégyriques pour le consulat de Manlius Theodorus et pour le sixième consulat d’Honorius et à l’In Eutropium — soit à l’épopée mythologique et à la quasi totalité des grands poèmes politiques de Claudien (à l’exclusion du Panégyrique pour le consulat d’Olybrius et Probinus, absent du manuscrit PŬ)³³. Pour les Carmina minora, nous l’avons vu, la question demeure ouverte. Jaloux de son originalité, l’humaniste évite les emprunts trop liĴéraux et trop voyants, mais il n’hésite pas — parfois — à citer dans son œuvre en prose des maximes ou même de longs passages du poète tardif de façon suĜsamment précise pour qu’on y décèle certaines leçons propres à son manuscrit, et des traces de Claudien percent çà et là dans son œuvre poétique latine, mais aussi, comme l’a montré Feo, volgare. Certaines de ces allusions ou de ces références sont discrètes et limitées, mais, au moins à quatre reprises — deux fois dans le Bucolicum carmen et deux fois dans l’Africa —, la poésie de Claudien a fourni à Pétrarque le point de départ de toute une scène ou de tout un développement. Bien entendu, on ne saurait meĴre sur le même plan, chez Pétrarque, la lecture de Virgile et celle de Claudien. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer dans son œuvre la présence de son pseudo-compatriote.

33. Manquent aussi, en l’état actuel de ma documentation, le De bello Getico et probablement les brefs Fescennins (voir n. ŬŲ).

114

Pierre Laurens

La leĴre à Horace (Familiares, XXIV, ūŪ)Ⱥ: un modèle de la silve politianesque*

Dans l’immense corpus des Rerum familiarium libri, en cours d’édition aujourd’hui aux Belles LeĴres, les leĴres ŭ à ūŬ du livre XXIV occupent, on le sait, une place à part, préfacées par XXIV Ŭ à Enrico Pulice, qui en souligne la radicale originalité, propre, écrivait Pétrarque, à « jeter dans la stupeur le lecteur non prévenu », puisqu’elles s’adressent toutes non à des vivants, mais à de grands écrivains disparus. Parmi ces leĴres qui constituent ainsi un « recueil dans le recueil », au point d’avoir fait l’objet très tôt d’au moins une édition séparée¹, deux se distinguent par leur formeȹ: la leĴre à Virgile et la leĴre à Horace. En eěet à chacun de ces deux poètes Pétrarque s’adresse dans sa propre langueȹ: l’hexamètre pour Virgile et pour Horace l’asclépiade mineur, tentative unique, soulignons-le, dans toute l’œuvre de Pétrarque pour acclimater un vers lyrique. Notre intérêt va donc à ceĴe épître à Horace, que l’on peut considérer à bon droit comme un unicum. Et voici notre hypothèse de travailȹ: en ceĴe longue leĴre de cent trente-neuf vers, qui contient un éloge fervent et une analyse variée du génie horatien, nous voyons au moins une anticipation et peut-être un premier modèle des futures Silves politianesques. C’est dire qu’en jetant un pont entre Pétrarque et Politien, nous avons l’ambition d’apporter un nouvel élément de réponse à la question irritante de

* Comme convenu de longue date, nous reproduisons ici sans modięcations, avec l’accord d’Henri Lamarque et de Jean-Yves Boriaud, responsables du volume Pétrarque épistolier, l’article paru dans les Cahiers de l’Humanisme, nº ŭ, ŬŪŪŮ, p. ūūų-ūŭŭ. 1. Voir Codici latini del Petrarca nelle biblioteche ęorentine, [Catalogo della Mostraȹ: Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, ūų maggio-ŭŪ giugno ūųųū] a cura di M. Feo, Florence, Le LeĴere, ūųųū, p. ūŭū-ūŭŭ.

115

ѝіђџџђ љюѢџђћѠ

l’origine de la « silve », origine que ne réussissent à expliquer totalement ni la référence obvie à la pratique académique (les annuelles prælectiones ou prolusiones introduisant à l’étude des auteurs anciens), ni la référence poétique, le modèle stacien n’ayant, mis à part le « mélange » et le subitus calor de l’inspiration, que peu de chose à voir, au fond, avec l’œuvre si originale du poète poéticien. Certes, ce n’est pas la première fois qu’à propos des Silves de Politien on prononce le nom de Pétrarque. Mais il s’agit toujours soit du Triumphus Famæ, soit de la Laurea occidens, ceci depuis les pénétrantes suggestions de Guido MartelloĴi² dans son édition de la bucolique pétrarquesque. Voilà en eěet deux beaux exemples de poésie culta, deux parcours érudits où la culture liĴéraire, transmuée, devient elle-même matière à poésie. Toutefois, la Laurea, par son caractère énigmatique, porte encore la forte marque médiévaleȹ; quant aux pages du Triumphus, la compulsion énumérative y laisse fort peu de place aux jeux de l’intertextualité. Il en va autrement, j’espère le montrer, de la leĴre à Horace, bien qu’à ma connaissance aucun des spécialistes de Politien ne s’en soit avisé, ni Francesco Bausi, ni AĴilio BeĴinzoli, ni Perrine Galand Hallyn, pour ne citer que les critiques les plus savants et les plus récents. De son côté, dans la Rivista di studi classici de ūųŰű, Raěaele Argenio³ proposait bien un parallèle entre la leĴre de Pétrarque et l’Ode que Politien avait composée en prélude à l’édition d’Horace par Cristoforo LandinoŸ en ūŮŲŬ — je relève que les deux pièces ęgurent déjà dans l’édition des Liriche di Orazio commentate de Vincenzo UssaniŹ. Mais si l’ode de Politien cueille bien au passage la grâce du poète des Odes, elle ne célèbre pas tant le poète

2. Guido MartelloĴi, in Francesco Petrarca, Laurea occidensȹ: Bucolicum carmen X, a cura di G.M., Rome, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųŰŲ, p. Ųȹ: « È qualche cosa di estraneo alla tradizione bucolicaȹ: un tentativo di sintesi delle proprie conoscenze ęlologiche, nel campo della poesia, paragonabile a quello che farà poi il Poliziano in una delle sue prelezioni, i Nutricia ». 3. « Orazio cantato dal Petrarca e dal Poliziano », in Rivista di Studi classici, XV, ūųŰű, p. ŭŭū-ŭŮŮȹ: « Insomma […] non è riuscito [Petrarca] a fondere le varie voci del lirico romano e a trovare la nota che su tuĴe le altre risuonasse con timbro più gaio e genuino ». On rapprochera le jugement, tout aussi injustement sévère, d’Enrico Carrara, « Le Antiquis illustrioribus » [ūųŮŲ], in Id., Studi petrarcheschi e altri scriĴi, a cura di amici e discepoli, Turin, BoĴega d’Erasmo ūųůų, p. ūůűȹ: « Petrarca sente il pregio dell’arte oraziana […], ma non ne accoglie in sé l’anima, la quale in realtà nella epicurea ed equilibrata visione della vita fu dalla sua così dissimile ». 4. Prose volgari inedite, poesie latine e greche edite e inedite di Angelo Ambrogini Poliziano, a cura di I. del Lungo, Florence, Barbèra, ūŲŰű, p. ŬŰū. 5. Turin, Loescher, ūųŬŬ², vol. I, ad loc.

116

љю љђѡѡџђ ѩ ѕќџюѐђ

que le philologue qui le rend au jourȹ; et naturellement, dans ceĴe courte étude d’ambition limitée et de surcroît fort injuste pour Pétrarque, aucune ouverture n’est esquissée en direction des Silves. Ouvrons donc hardiment notre propre syncrisis par une lecture de la leĴre XXIV ūŪ. Ô toi que l’Italie vante comme le prince Du poème lyrique, qui reçus de la Muse Lesbienne et le plectre et les cordes sonnantes, Toi qui viens de l’Algide Vénète et Apulien Et que le Tibre tusque a fait sien et romain, Sans mépris pour ton humble et obscure origine, Il m’est doux de te suivre dans les gorges sauvages, De voir les sources vives à l’ombre des vallées, Les collines dorées, les prairies verdissantes, Les lacs aux eaux glacées, les groĴes rosoyantes, Soit que tu pries Faunus pour tes troupeaux épars, Ou coures à la rencontre de Bromios l’ardent, Soit que tu sacrięes en des rites muets À la déesse blonde amie du dieu du pampre, Que tu chantes Vénus aux Amours aĴachée, Ou les nymphes plaintives et les Faunes légers, Et la Grâce sans voiles au corps couleur de rose, La gloire et les exploits d’Hercule le bâtard Et autres descendants de Jupin l’adultère, Mars coiěé de son casque et de Pallas l’égide Aux cheveux de Gorgone, abominable à voir, Les enfants de Léda, ces astres bienveillants, Protection des vaisseaux, recouverts par les Ěots, Et Mercure, subtil inventeur de la lyre, Soit qu’en tes vers tu peignes Phébus aux cheveux d’or, Et laves dans le Xanthe sa crinière brillante, Que tu chantes sa sœur au beau carquois, terreur Des fauves, ou les chœurs sacrés des Piéridesȹ: Vers qui sculptent plus dur que marbre les héros D’hier — et d’aujourd’hui, supposé qu’il y en eûtȹ! C’est la marque éternelle couronnant le mérite, À la plume conęée pour résister au Temps. Tant il est vrai que grâce aux travaux des poètes La Vertu seule laisse une image durable, Image par laquelle les chefs, ces demi-dieux, Les Drusus, les Scipions, vivent devant nos yeuxȹ; Et les autres aussi par qui l’illustre Rome

117

ѝіђџџђ љюѢџђћѠ

Aux nations domptées a imposé son joug. Parmi lesquels se dresse, rayonnant de lumière À l’instar du Soleil, la race de César. Tu vas, chantant cela, je te suis, enthousiaste, Conduis-moi si tu veux là où volent les rames, Si tu veux au sommet vertigineux des monts, Conduis-moi par le lit du Tibre translucide où l’Anio bat ses rives et divise les champs Aimés de toi jadis, quand tu priais les dieux, Où moi-même aujourd’hui j’ai tissé cet hommage Pour toi, Flaccus, ma gloireȹ; conduis-moi par les rudes CacheĴes des forêts, par l’Algide gelé, Par les eaux aĴiédies de la baie de Baies, Les campagnes Ěeuries de la plaine sabine Et par le mont Soracte de neige tout raidi. Fais-moi faire un détour jusques au port de Brindesȹ: Point ne fatiguerai en croisant les poètes, Témoin heureux de leurs amicales rencontres. À ma résolution ne saurait m’arracher Ni saison ni climatȹ: j’irai d’un même élan, Soit que la Terre-mère se gonĚe de semences, Soit que le romarin sèche sous le soleil, Ou que geigne la poutre sous le fardeau des fruits, Ou que la glèbe inerte de givre se hérisse, J’irai, j’aěronterai les rives des Cyclades, J’aěronterai le bruit du Bosphore de Thrace, De la Lybie torride j’aěronterai les sables, Et les frimas lointains du nuageux Caucase. Oui, quel que soit ton but ou ton projet, j’exulte Soit que tes compagnons ędèles tu exhortes, oěrant à la Vertu son tribut de louanges, Ou le vice pourfendes d’une dent vengeresse, Ou mordes la folie d’une ironie subtile, Que tes vers caressants tu peuples de la bande Des délicieux Amours, ou du poinçon du style Reproches sa luxure à la vieille lubrique Ou accuses la Ville et le peuple coupable Et dénonces le glaive et la rage cruelle, Quand tu chantes le los de ton ami Mécène, En ton œuvre présent du début à la ęn, Quand tu nargues les vieux poètes et que tu vantes La poésie nouvelle auprès du grand César Quand, parlant à Florus, tu soumets à la lime

118

љю љђѡѡџђ ѩ ѕќџюѐђ

L’excès d’aspérité et l’excès d’abondance, Quand tu contes à Fuscus les biens de la campagne Et les maux de la Ville et pourquoi le cheval Rebelle se soumet au caprice de l’homme, Quand à Crispus tu montres la couleur des richesses, Quand Virgile tu sèvres d’un deuil intarissable, L’exhortant doucement, quand le printemps s’éploie, À retrouver la joie, voire une folie brèveȹ; Quand du temps qui s’enfuit Hirpinus tu avises, Et dans le même chant Torquate et Postumus, Quand la course des nuits et la fuite des jours, Et l’âge qui d’un pas silencieux se glisse Reviennent sous ta plume, et ceĴe vie si brève, Et la mort qui accourt à grandes enjambées. Quel homme au demeurant ne t’entendrait charmé Quand au sommet des cieux Auguste tu installes De son vivant ȹ; ou bien quand tu couds la tunique De Mars, et non content de la tisser de fer, La fais de diamantȹ; quand les nuques des chefs Emprisonnées de chaînes devant les chars dorés Tu pousses sur la Voie et la montée sacrées, Pompe si redoutée par la femme indomptable Que les serpents aěreux ne la font plus tremblerȹ; Quand tu contes les droits de l’hôte bafoués, La ruse du berger phrygien et les menaces De Nérée annonçant d’épouvantables guerresȹ; Danaé abusée par une pluie dorée Et la vierge royale, de larmes inondée, Emportée sur le dos du taureau adultèreȹ; Joyeux ou tourmenté ou encore aĴristé, Irrité, tu me plais, ainsi quand tu accables Quelque vague rival sous un tas de soupçonsȹ; Ou bien quand tu maudis les vieilles vipérines Porteuses de poison, et le vulgaire ignare, Ou chantes Lalagè et sans arme et tout seul Sans un mot mets en fuite un loup au poil dressé Ou échappes de peu à un arbre maudit Ou aux Ěots déchaînés par les souĝes d’Éole. Du jour où je t’ai vu, couché sur l’herbe verte, Captant le bruit des sources et le chant des oiseaux, Ou cueillant des bouquets dans la prairie humide, Ou nouant des couronnes avec l’osier ductile, Ou d’un pouce léger faisant vibrer les cordes,

119

ѝіђџџђ љюѢџђћѠ

Et d’un plectre brillant entremêlant les rythmes, Et d’un chant varié les astres enchantant, De ce jour mon esprit a aussitôt conçu Une Envie généreuse, qui n’a produit ses fruits Que je ne t’aie suivi sur la plaine houleuse, À travers les écueils et les monstres des mers Et des terres, voyant aux rivages de l’Inde Les chevaux du Soleil se lever, éclatants Et le soir se plonger au fond de l’Océan. Par delà le Notus et par delà Borée, Soit que tu me conduises aux Îles fortunées, Soit qu’à Antium baĴue des vents tu me ramènes, Ou bien m’entraînes sur les hauteurs romuléennes, À grand pas je te suis de mon mieux en esprit, Tant m’aĴirent les chants suaves de ta lyre, Tant me charme la douce âpreté de ton style.

En vérité, je pourrais m’arrêter après ceĴe lecture où tout bon lecteur de Politien se retrouve en terrain connu, identięe spontanément les schèmes, la méthode et jusqu’à l’esprit qui par avance déęnissent l’esthétique de ce qui se nommera la « Silve ». Mais essayons ensemble de reprendre plus précisément ces trois points, en commençant par le catalogue. Portée par un mouvement enthousiaste, la leĴre XXIV ūŪ dresse un catalogue extrêmement fouillé de l’œuvre poétique horatienne, commençant par les dieux (v. ūŬ sq.), enchaînant (v. ŭŪ sq.) sur les éloges des héros et des chefs, prétexte à un excursus, repris d’Horace (Odæ, IV Ų) sur le pouvoir immortalisateur de la poésie. Les vers ŮŬ sq. passent en revue les lieux-cultes de la géographie horatienne, sites de l’Italie, puis divers mondes aux conęns de la conquête romaineȹ; les vers Űű sq. caractérisent avec une grande justesse les diěérents aspects de l’inspirationȹ: odes romaines, satires, odes légères, épodes, amitié, engagement moderniste. Viennent ensuite les dédicataires (César, Florus, Fuscus, Crispus, Virgile, Hirpinus, Torquatus, Postumus (v. ŲŪ à ųŪ). À nouveau et en vrac sont passés en revue les principaux thèmes d’inspirationȹ: fuite du temps, divinité d’Auguste, Mars en armure, triomphes romains avec la mention de Cléopâtre, Pâris et la prédication de Némée, Danaé et la pluie d’or, Europe, les jalousies amoureuses… Les vers ūūų sq. évoquent Horace lui-même en diěérentes situations, ūŬŰ sq. diversięent le thème, sur lequel on reviendra, de la noble invidia de Pétrarque, enęn ūŭŲ-ūŭų concluent en déęnissant la double inspiration, les deux versants de la poésie horatienne.

120

љю љђѡѡџђ ѩ ѕќџюѐђ

Soulignons d’emblée l’exceptionnelle richesse de cet inventaire poétique. Richesse nourrie, comme le souligne à son tour Peter Lebrecht Schmidtź, d’une longue et profonde intimité avec l’œuvre horatienneȹ: on se rappelle la fameuse déclaration de Familiaris XXII ūŬ-ūŭȹ: « Legi apud Virgilium, apud Flaccum, apud Seuerinum, nec semel legi, sed millies »ȹ; on sait, depuis la découverte par Léopold Delisle du Parisinus Latinus ŬŬŪū, qu’Horace, et d’abord le poète des Odes, « præsertim in odis », ęgure au quatrième rang dans la liste, établie en ūŭŭŲ, des « favorite books » (libri peculiares) du poèteŻȹ; enęn, sans parler des quatre Odes anépigraphes reportées avec le commentaire du Pseudo-Acron sur le Virgile ambrosien, des deux manuscrits d’Horace sûrement identięés comme ayant appartenu à Pétrarque qui les a annotés de sa main, l’un, le Laurentianus XXXIV ū (un joyau du xĽ siècle), connu de Pierre de Nolhac, fut acquis, comme le rappelle Michele Feoż et comme l’indique la note autographe, à Gênes le ŬŲ novembre ūŭŮű, sur le chemin qui le portait vers Cola di Rienzoȹ; l’autre, l’Horace de la Pierpont Morgan Library (M. ŮŪŮ, ęn xiĽ-xiiiĽ siècle), découvert par Giuseppe BillanovichŽ, avait été acquis par Pétrarque en Avignon ou à Rome dès ūŭŬů. Et il est raisonnable de supposer qu’avant ceĴe date au moins un autre manuscrit avait déjà approché le jeune Pétrarque de la poésie horatienne. Nourrie de ceĴe longue familiarité, notre leĴre à Horace, datée par Billanovich¹Ŵ et par Feo¹¹ des années proches de la systématisation ultime des

6. « Petrarca und Horaz », in Quaderni petrarcheschi, IX-Xȹ: Il Petrarca latino e le origini dell’umanesimo, AĴi del Convegno internazionale (Firenze, ūų-ŬŬ maggio ūųųū), ūųųŬ-ūųųŭ, t. II, p. ŮŮŭ-Ůůű. 7. Ibid., p. ŮŮŰ. 8. En dernier lieu, « L’Orazio Laurenziano con annotazioni autografe del Petrarcaȹ: Biblioteca Laurenziana, XXXIV ū », renvoyant aux travaux d’Émile Chatelain, Pierre de Nolhac, Enrico Rostagno et Massimo Lenchantin de Gubernatis, dans Codici latini del Petrarca nelle biblioteche ęorentine, op. cit., p. ŭ-ų. 9. Giuseppe Billanovich, « Da Dante a Petrarcaȹ: il Virgilio ambrosiano e l’Orazio Morgan », in Accademia nazionale dei Linceiȹ: Adunanze per il conferimento dei premi della Fondazione A. Feltrinelli, I, ūųŰŰ, p. Űū-Űűȹ; Id., « L’Orazio Morgan e gli studi del giovane Petrarca », in Tradizione classica e leĴeratura umanisticaȹ: Per Alessandro Perosa, a cura di R. Cardini et alii, Rome, Bulzoni, ūųŲů, I, p. ūŬū-ūŭŲ. 10. Giuseppe Billanovich, Petrarca leĴerato, Iȹ: Lo scriĴoio del Petrarca, Rome, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųŮű, p. Ůū sq. 11. Codici latini del Petrarca nelle biblioteche ęorentine, op. cit., p. Ųȹ: « La lunga epistola (ūŭŲ v.), scriĴa in età matura (probabilmente in anni vicini all’ultima sistemazione delle Familiari […]) ».

121

ѝіђџџђ љюѢџђћѠ

Familiares (ūŭŰů-ūŭŰŰ), présente en tous cas un déploiement sans équivalent dans l’œuvre même de Pétrarque, mais sans précédent non plus dans ceux des modèles de l’Antiquité qu’on pourrait lui comparer. Chez Horace (Odæ, IV Ŭ) trois strophes suĜsent à enfermer une typologie et une caractérisation des thèmes du lyrisme pindarique (hymnes et péans, épinicies, thrènes ou chants de deuilsȹ: canit, dicit, ploratȹ; Stace dans son Genethliacon Lucani, esquisse un rapide survol de l’œuvre de Lucain en commençant par les essais de jeunesseȹ; la fameuse élégie d’Ovide, Am., III ų inspirée par la mort de Tibulle, évoque en passant la tendresse de ses deux amantes et inspiratricesȹ; Properce en II ŭŮ, deuxième partie, exprimant l’espoir d’être compté parmi les poètes de renom, fait d’abord un éloge vibrant de Virgile dont il détaille la triple source d’inspiration, avant de proposer un canon de la poésie érotique romaine, de Varron de l’Atax à Gallus. Rien, on le voit, qui approche en ampleur, en profusion, l’amoureuse remémoration, la contemplation rêveuse qui fait le prix de ce répertoire, dominé par la référence à la veine lyrique (se rappeler le « præsertim in Odis »), mais où l’inspiration satirique est néanmoins présente et qualięée à deux reprises avec une remarquable justesseȹ: aux vers űŪ sq., « Seu dignis uitium morsibus impetis,/ Ridens stultitiam dente uafer leui », et au dernier vers, contrebalançant l’éloge décerné à la lyreȹ: « Sic mulcet calami dulcis acerbitas où la callida iunctura » exprime très bien, avec le verbe mulcere, repris à Horace lui-même mais déplacé des carmina à la satire, le caractère adouci de la satire horatienne. Mais peut-être autant que le fond devrait nous retenir un procédé de distribution de la matière poétique. À plusieurs reprises, en tous cas assez pour qu’on y décèle un procédé essentiel de structuration de l’énoncé, revient la série polyptotique seu […] seu, commandant le schéma énumératifȹ: première série aux vers ūŬ et suivantsȹ: « seu Faunum […] », ūŭȹ: « seu Bromium […] », ūŮȹ: « siue deam […] », ūŰȹ: « Venerem seu canis », ūűȹ: « seu nymphas », ūųȹ: « seu famam […] ». On y revient après une variante aux vers ůŲ sq. (uel dum répété quatre fois) dans une nouvelle longue série commençant au vers ŰŲ (« seu ędos comites […] seu dignis […] seu tu […] siue urbem […] seu tumidi carmine […] »ȹ: un rythme qui a ęni à ce point à s’imposer qu’il revient encore une fois, rythmant une dernière énumération dans la récapitulation ęnale, au seuil de la conclusion aux vers ūŭŮ-ūŭŰȹ: « Iam seu fortuitas […] », etc. On reconnaît ici en eěet l’élargissement d’un procédé typiquement horatien. Par une heureuse application du principe de mimesis, Pétrarque a

122

љю љђѡѡџђ ѩ ѕќџюѐђ

recours, pour exprimer dans sa variété la quintessence de l’œuvre horatienne, à un schéma récurrent dans les Odesȹ: schéma dont le plus bel exemple est peut-être oěert par l’Ode des Muses, III Ů Ŭū sq., où il rythme (comme ici par deux fois) un développement géographiqueȹ: « Vester, Camœnæ, uester in arduos/ Tollor Sabinos, seu mihi frigidum/ Præneste seu Tibur supinum/ Seu liquidæ placuere Baiæ […] »ȹ; mais que l’on retrouve en bien d’autres endroits, comme I ŬŬ ůȹ: « Integer uitæ [l’homme irréprochable en sa vie est invulnérable] siue per Syrtis iter æstuosas/ Siue facturus per inhospitalem/ Caucasum uel quæ loca fabulosus/ Lambit Hydaspes […] », et qui sert notamment à présenter les divers aspects du lyrisme de Pindare dans l’ode du quatrième livre déjà citéeȹ: Pindareȹ! quiconque, Julius, entreprend d’être son rival, il s’enlève sur des ailes de cire […]. Comme descend de la montagne la course d’un Ěeuve que les pluies ont gonĚé […] ainsi bouillonne et se précipite, immense, Pindare à la bouche profonde […] soit qu’à travers ses dithyrambes audacieux il roule des mots nouveaux et s’emporte en des rythmes aěranchis des lois, soit qu’il chante les dieux et les rois, […] soit qu’il dise ceux que la palme d’Élide […] ou bien qu’il pleure le jeune homme ravi à une ęancée en larmes […].

À présent, pour ramener étroitement ce point à ma thèse, d’une inĚuence possible de Pétrarque sur la Silve de Politien, il m’est facile de rappeler, parmi maint exemple dont je vous ferai grâce, le magnięque passage où le poète-poéticien, après avoir dressé à son tour dans son Ambra un immense catalogue des thèmes d’inspiration d’Homère, distingue et caractérise les trois styles où le père de la poésie excelle également (v. ŮŲų sq.)ȹ: Soit qu’il se plaise à étirer son vers en un ęl ténu, ou qu’il s’en tienne à un style intermédiaire ou que, plus hardi, il s’élève de toute sa puissanceȹ; qu’il se laisse porter, plus aride, par une veine poétique moins riche, qu’il s’élance avec brièveté en un cours rapide, ou bien qu’il ondoie, plus abondant, en un gouěre qu’il emplit et en denses tourbillons ou encore qu’artistement il parsème de fruits variés les rives que baigne sa fécondité opulente, jamais l’éloquence puissante ne se souvient s’être exprimée avec une plus grande majesté.

Mais voici un deuxième trait essentiel par lequel la pratique de Pétrarque, nourrie encore des modèles classiques, anticipe neĴement celle de Politien. C’est, jusque dans le détail de l’expression, la technique allusive. C’est, imposée par la condensation et par le caractère sélectif, la quête d’une expres-

123

ѝіђџџђ љюѢџђћѠ

sion à la fois fortement elliptique et programmatiquement évocatrice, la recherche de formules denses et allusives qui sans s’asservir au modèle synthétisent emblématiquement l’objet représenté. Reprises de mots, nexus, clausules et fragments lexicaux chargés d’une capacité de condensation et d’évocation, répercutent des notes de fond de l’opus de référence, en restituent la couleur dans une synthèse miméticointerprétativeȹ: ŲŲȹ: « stultitiam breuem », fait écho à Odæ, IV ūŬ Ŭűȹ: « misce stultitiam consiliis breuem »ȹ; ůŪȹ: « gelidum Algidum » = Odæ, I Ŭū Űȹ: « gelido prominet Algido »ȹ; Odæ, III Ů ůűȹ: « Palladis ægida » sonne à la clausule de notre vers Ŭū, etc. Toutefois, aux antipodes d’une aĴitude centoniste, de subtils changements ou déplacements préservent la liberté de l’interprèteȹ: « uulgus et inscium » (ūūŮ) renvoie sans le plagier au « profanum uulgus » de Odæ, II ū ūȹ; « pampineo deo » est tiré de IV Ų ŭŭȹ: « Ornatus uiridi tempora pampino/ Liber »ȹ; l’« infestam arborem » de ūūű réaménage doublement mais sans le trahir le « Ille et nefasto te posuit die, […] arbos » de II ūŭ ūȹ; les « monstra Ěuctuum » de ūŬų répercute à la fois les « monstra natantia » de Odæ I ŭ ūŲ et le « scatentem belua pontum » de III Ŭűȹ; au dernier vers (ūŭų) le verbe mulcere si typiquement horatien, est audacieusement transposé de la lyre aux sermones, etc. Un procédé de transposition particulièrement elliptique consiste à prêter au poète lui-même l’action qu’il décritȹ: vers ŬŰ « uerbis auricomum pectis Apolllinem/ et Xantho nitidam cæsariem lauis », renvoyant à la fois à Odæ IV Ű Ŭů « Phœbe qui Xantho lauis amne crines » et III Ů Űū « et qui puro Castaliæ lauit crines solutos », cependant que l’adjectif nitidam reporte sur la chevelure l’éclat dont Odæ, I Ŭ ŭŬ « candentis humeros » revêt les épaules d’Apollon. Les vers Ŭŭ sq. portent à la limite les réaménagements possiblesȹ: là, sur les traces d’Odæ IV Ų ŭū-ŭŬ « Clarum Tyndaridum sidus ab inęmis quassas eripiunt æquoribus rates » (et I ūŬ Ŭű-ŭŬ « Quorum simul alba nautis/ Stella refulsit »), est évoquée l’apparition salvatrice des Dioscures, mais par un renversement remarquable de la perspective visuelle, au lieu des vaisseaux ce sont les étoiles qui sont Ěuctibus obrutos. De ces rappels comme de ces inędélités calculées la liĴérature classique a fourni plus d’un modèle. Sur le vers fameux de Properce, « la source de mon génie, c’est ma maîtresse »/ « Ingenium nobis ipsa puella facit », Martial compose ce distiqueȹ: « Cynthia te uatem fecit, lasciue Properti,/ Ingenium Galli pulchra Lycoris erat », où l’idée pure est retenue à propos de Properce, tandis que le mot-clé ingenium est déplacé de Properce à

124

љю љђѡѡџђ ѩ ѕќџюѐђ

Gallus. De même, actualisant le souhait tibullien, « Me teneat moriens deęciente manu », Ovide (III ų ůŲ) reporte sur Némésis ce qui était dit à propos de Délieȹ: « Me tenuit moriens deęciente manu », unissant ainsi dans la même piété les deux amours du poète. De même encore, Properce II ŭŮ, évoquant l’œuvre virgilienne et désirant souligner la contiguïté entre Bucoliques et Géorgiques, mêle intentionnellement à l’inspiration de l’une la géographie de l’autre et écritȹ: « Tu canis umbrosi subter pineta Galæsi/ Thyrsin et aĴritis Daphnin harundinibus ». J’ai retenu à dessein ce dernier exemple parce qu’il nous ramène directement à Politien et très précisément à la silve dédiée à Virgile, Mantua, vers ūūŪ sq. « Iamque Phalantei resonent pineta Galæsi/ Tityre te uacuo meditantem murmur in antro, iamque tuam dociles recinent Amaryllida siluæ »ȹ: bel exemple d’intertextualité multiple, puisque, si le dernier vers est une réfection libre du vers de Virgile, le premier est un écho ędèle de l’interprétation biaisée que Properce a donnée de ces vers. Ainsi, et par la forme du catalogue, forme qui n’est pas sans exemple dans la poésie latine classique, mais qui reçoit ici une ampleur inaccoutumée, et par la technique d’écriture, qui fait miroiter tous les jeux de l’intertextualité, la leĴre de Pétrarque ouvre-t-elle déjà deux des voies qui, nous semble-t-il, conduisent à la liĴérature des Silves. Or, voici qu’elles partagent encore avec elle un troisième caractère qu’il nous reste à meĴre en lumière pour ęnirȹ: je veux parler de l’enthousiasmos, ardeur d’émulation qui entraîne le disciple sur les pas du maître, promu au rang de mystagogue. On reconnaîtrait ici un thème lucrétien s’il était avéré que Pétrarque, à l’instar de Novato, eût pu connaître Lucrèceȹ: les paroles de l’Hymne à Épicure qui ouvrent le cinquième livre du De rerum naturaȹ: « Te sequor, Graiæ gentis decus […] » ne semblent-elles pas retentir dans notre leĴre en échos multiples depuis le vers Ųȹ: « Te nunc dulce sequi » jusqu’au vers ūŭűȹ: « totis ingenii gressibus insequor », commandant le mouvement emporté de tout le poème — ŮŬȹ: « hæc dum tu modulans cupidum preis », Ůŭȹ: « duc aut remiuolo », Ůůȹ: « duc et […] », ůŪȹ: « duc per inhospites […] », ůŮȹ: « Duc me Brindisium […] ». Mais ce thème, lucrétien certes, est autant et plus encore un thème horatienȹ: comme le rappelle, placée en abîme dans notre poème au vers ūŭ, l’allusion à l’ode III Ŭů, l’Hymne à Bacchusȹ: « Quo me, Bacche, rapis, tui plenum », tout entier emporté par le délire dionysiaque, jusqu’à la protestation ęnale, partiellement modèle de notre vers Ųȹ: « Dulce periculum est/ o Leneæ, sequi deum cingentem uiridi tempora pampino ». Un mouvement

125

ѝіђџџђ љюѢџђћѠ

amorcé déjà dans l’ode III Ů, l’Ode des Muses déjà citée, avec le mouvement lyrique qui commence aux vers Ŭū sq.ȹ: Vester, Camœnæ, uester in arduos Tollor Sabinos, seu Tibur supinum Seu liquidæ placuere Baiæ […] Vtcumque mecum uos eritis, libens Insanientem nauita Bosphorum Temptabo et urentes harenas Litori Assyrii uiator… Visam Britannos […] Visam pharetratos Gelonos […].

Ce dernier passage est particulièrement « relevant » pour nous, puisque, avec la mise en évidence de la conjonction utcumque et de l’adjectif libens et l’anaphore de uisam, il donne lieu à des développements géographiques analogues à ceux qui structurent en partie la leĴre de Pétrarque. Comme en ces strophes inspirés du poète de Venouse, le langage de nos vers lyriques se fait tout naturellement et quasi techniquement liturgique, nous plaçant immédiatement dans l’ambiance des sacra uatum, nous rappelant que l’art de poésie est fondé sur une initiation, que l’initiateur, comme chez Horace, soit le dieu lui-même, ou comme chez Pétrarque, le poète antique. Or, reprenons la quatrième et la plus belle des Silves de Politien, la Nutricia. Il s’agit, on le sait, d’un ardent témoignage de gratitude à l’égard de la Poésie, sœur des Piérides, « qui entraîne avec elle les esprits humains jusqu’aux plus secrètes profondeurs du ciel étoilé ». Le poète commence par une déclaration d’humilitéȹ: Par quelles récompenses, je le demande, puis-je m’acquiĴer de ma deĴe envers une nourrice si illustre, n’étant point le dieu qui possède le thyrseȹ?

Pourtant, et en des termes très proches de l’ode horatienne à Bacchus, mais aussi des vers de Pétrarque, il cède au furor qui soudain l’emplitȹ: Mais toi qui es si avide, mon impudent esprit, où me conduis-tu si impatientȹ? [quonam improba ducis/ mens auidumȹ?], toi, piété téméraire, où me contrains-tu d’aller, foudroyéȹ? quel est donc ce trouble dans mon âme tremblanteȹ? Suis-je abuséȹ? ou bien mon cœur lui-même engendre-t-il spontanément une œuvre destinée à ma maîtresse, conçoit-il peu à

126

љю љђѡѡџђ ѩ ѕќџюѐђ

peu en un rythme harmonieux une mélodie et des paroles et déploie-t-il un chant pur sur lequel le ęl des Parques n’aura jamais d’empriseȹ? Qu’il en soit ainsiȹ: eh, bienȹ! allons du côté où mon ardent délire s’élance, du côté où mon esprit, où ma piété, où mes vœux me conduisent, suivons-les [En agedum qua se furor incitat ardens,/ Qua mens, qua pietas, qua ducunt uota sequamur].

CeĴe fureur sacrée qui de son aiguillon entraîne dès ces premiers vers le néophyte devient plus loin (v. ūŰŭ sq.) le thème central du poèmeȹ: « is rapit euantem feruor » — ceĴe ardeur emporte le myste criant « Evohé » — « Ěuctuque furoris […] inæstuat alto corde deus […] » — sous la vague déferlante du délire sacré le dieu enfermé dans sa poitrine bouillonne, aiguillonnant ses sens qu’il égare. Mais ceĴe fois s’ajoute, inspirée par l’image platonicienne de la pierre de Magnésie, l’idée que les poèmes eux-mêmes transmeĴent le souĝe du délire divin, que la foule, lisant ces œuvres sacrées, en recueille la contagion, qu’issus de certains poètes les germes de la même ardeur vont ensemencer les autres, mus par l’inspiration de leur cœurȹ: « Deque aliis alios idem proseminat/ Ardor pectoris instinctu uates, ceu ferreus olim/ Anulus arcanaque ui magnesia cautes/ Sustulerit […] ». Ainsi les derniers vers du poème, évoquant les débuts poétiques du jeune Laurent, le font-ils voir s’avançant hardiment sur les traces de son maîtreȹ: Il me suit à travers les raccourcis de la forêt aonienne, gravissant avec acharnement la montagne et déjà il me serre de près, moi qui suis hors d’haleine, déjà il est presque devant moi. Qu’ainsi ô qu’ainsi il continue sa routeȹ! qu’il me dépasse moi-même d’une marche plus rapide et bientôt après me laisse loin derrière luiȹ! […].

Nous touchons de toute évidence un thème central de la poétique de Politien, et qui va beaucoup plus loin que les banales exhortations à la jeunesse, motif obligé de la prælectio humaniste. À la source du geste créateur est l’œstrus poétique, mais l’instrument de cet œstrus divin, c’est, par contagion, la lecture des grands poètes inspirés. On rejoint ici par une autre voie ceĴe autre image, commune à Pétrarque et à Politien, de la source inépuisable (Homère, Cicéron) où, comme à l’Océan, s’abreuvent les bouches des nouveaux écrivains et poètes. C’est l’idée inspiratrice des Nutricia, liĴéralementȹ: « tribut d’hommages » accordés à la nourrice par

127

ѝіђџџђ љюѢџђћѠ

celui qu’elle a élevé, ici hommage de Politien à la mère Poésie. On sait que le premier titre de l’œuvre était simplement Nutrix. « Comment m’acquiĴer de ma deĴe envers une nourrice si généreuse, n’étant pas celui qui possède le thyrseȹ? »ȹ: ceĴe protestation de modestie fait de loin écho au prologue de la première silve, Manto, adressée à Virgile, et où le poète compare sa composition aux maladroits balbutiements du jeune Achille sur la lyre d’Orphée. Il convient alors de rappeler que ceĴe relation, de reconnaissance et d’humilité, de l’enfant à l’égard de la nourrice ou des parents nourriciers, inspire déjà une des images les plus remarquables de la leĴre de Pétrarque à Homère. Pétrarque vient de dire à Homère qu’il va s’entretenir avec lui comme avec Virgile, mais dans le langage de tous les jours, et il ajouteȹ: Quanquam quid me utrique uestrum loqui dixerimȹ? Strepere est quicquid ab ullo uobis diciturȹ: nimis excellitis supraque hominem estis et toto uertice itis in nubila.¹²

On retrouve la même image dans l’Ambra de Politien pour dire la supériorité absolue d’Homère. Et voici, probable écho de l’hommage de Stace à Virgile au chant XXI du Purgatoire¹³, les mots importantsȹ: « Sed dulce mihi uelut infanti est cum disertissimis nutritoribus balbutire » (« Mais il m’est doux de balbutier tel un enfant avec ces maîtres de l’éloquence, nos pères nourriciers »). Alorsȹ? plutôt que d’une simple anticipation de la « silve » politianesque, parlerons-nous d’une inĚuence directe de Pétrarque sur la poésie et la poétique de Politienȹ? Il n’est pas inutile, pour rendre ceĴe hypothèse tout à fait plausible, de rappeler l’admiration que l’humaniste nourrit pour son ancêtre Ěorentin, uni à Dante et à Boccace dans les vers de la Nutricia. Sans doute ceĴe admiration s’adresse-t-elle en priorité au poète de langue toscane. Mais il n’y a pas de raison de douter qu’elle s’étende à l’œuvre

12. « Mais comment osé-je direȹ: parler, avec vous deuxȹ: croasser (strepere) est le mot qui convient à tout ce qu’on peut vous dire, car insurpassables vous êtes et plus qu’humains et de toute la tête aĴeignez les nuages ». 13. The Divine comedy of Dante Alighieri, IIȹ: Purgatorio, edited and translated by R. M. Durling, Introduction and Notes by Ronald L. Martinez and Robert M. Durling, New YorkOxford, Oxford University Press, ŬŪŪŭ, p. ŭůŪȹ: « Al mio ardor fuor seme le faville,/ Che mi scaldar, de la divina ęamma/ Onde sono allumati più di milleȹ:/ De l’Eneida dico, la qual mamma/ Fummi e fummi nutrice poetando » (XXI ųŮ-ųŲ). Je dois cet important rapprochement à l’amitié de R. Durling.

128

љю љђѡѡџђ ѩ ѕќџюѐђ

latine. Pour la vraisemblance que Politien ait eu notre leĴre entre les mains, elle est indiscutable. Feo rappelle, dans son catalogue des manuscrits de Pétrarque possédés par les bibliothèques de Florence,¹Ÿ que la fameuse leĴre XXIV ŭ, où Pétrarque morigène Cicéron, est reproduite à la suite des leĴres de l’Arpinate dans l’édition de Venise de ūŮűŪ (aujourd’hui Paris, Bibliothèque nationale de France, Rés. Z ūŬū) avec une précieuse note marginale, où Politien se pose en défenseur de Cicéronȹ: « Et tu uale, optime uir ac poeta maxime, omnium ethruscorum disertissime ». Par ailleurs, le même catalogue¹Ź non seulement conęrme la circulation en milieu Ěorentin de manuscrits du Trecento et QuaĴrocento contenant un vaste ensemble de leĴres (en fait l’ensemble des livres XII Ŭ à XXIV), mais révèle aussi l’existence d’une très précieuse syllogè contenant exclusivement les douze leĴres adressées aux Anciens, soit une édition autonome, jusque dans le titreȹ: Epistolarum ad uiros illustres liber unus, cum præfatione ad Publionem Vincentinum (= Pulicem Vincentium)ȹ: un manuscrit, je souligne, ayant appartenu, comme l’aĴeste la marque autographeȹ: Petri Criniti et amicorum, à Pietro Crinito, qui est, on le sait, le disciple et l’ami de Politien.

14. Codici latini del Petrarca nelle biblioteche ęorentine, op. cit., p. ūŭůȹ; voir déjà Vladimir Júren, « Les notes de Politien sur les leĴres de Cicéron à Brutus, Quintus et AĴicus », dans Rinascimento, s. II, XXVIII, ūųŲŲ, p. Ŭŭů-ŬůŰ. 15. Codici latini del Petrarca nelle biblioteche ęorentine, op. cit., p. ūŭū-ūŭŭ.

129

Ugo DoĴi

Le due « biblioteche » di Francesco Petrarca

Ų aprile ūŭŮūȹ: a Roma, sul Campidoglio, con una cerimonia fastosamente solenne, Francesco Petrarca viene incoronato poeta. L’evento, anche in virtú delle notevoli capacità del premiato di valorizzare la propria immagine, fu sicuramente speĴacolare, tanto piú che, a patrocinarlo, concorsero le piú alte autorità politiche del tempoȹ: la curia di Avignone e la corte napoletana di Roberto d’Angiò. Ebbeneȹ: da questo punto di vista si dovrebbe dire che l’Umanesimo, che qui sembra segnare il suo aĴo di nascita uĜciale, si faccia strada nell’orbita e soĴo la protezione della cultura « caĴolica » — la cultura ancora egemone e ancora indiscussa. E tuĴavia, di lí a non molto, questa impressione risulterà sbagliata. Quando nel ūŭŮű il tribuno Cola di Rienzo darà vita alla sua « rivoluzione » (ineĜcace sul piano dei risultati ma molto signięcativa nelle intenzioni) ed opporrà la tradizione repubblicana di Roma — i suoi Bruti e i suoi Scipioni — alla baronia feudale proteĴa da Avignone, Petrarca sarà tuĴo dalla sua parte. Non solo. Le pesanti conseguenze di questi faĴi, che destarono sicuramente un grande interesse in Italia e in Europa, lo porteranno alla roĴura con i mecenati della sua giovinezza, al suo deęnitivo abbandono della Provenza e della ciĴà papale, e alla sua stabile residenza in Italia soĴo la munięca protezione dei nuovi signori e principi laici, da Milano a Venezia a Padova. Non solo ancoraȹ: la cultura umanistica da lui proposta tenderà sempre piú a divenire, da questo momento, una cultura laica e politicamente impegnata verso la costruzione di uno Stato laico. Se, due secoli piú tardi, Machiavelli potrà plasmare i suoi ideali politici prendendo a modello la repubblica romana, occorre dire che tale modello, anche se in forme piú idealizzate e leĴerarie, era già stato posto da Francesco Petrarca. Quali del resto i meriti poetici del non ancora trentaseĴenne Francesco quando, per la mano del conto Orso dell’Anguillara, riceveĴe sul capo la corona capitolina, se non appunto due opere che sin

131

Ѣєќ ёќѡѡі

da principio furono pensate e progeĴate come la glorięcazione storica dell’antica Roma con il De viris, e la sua glorięcazione poetica con l’Africa da poco iniziataȹ? Il messaggio dell’Umanesimo, come si vede, si fondava essenzialmente non piú sul trionfo della « ciĴà di Dio », ma su quello, piuĴosto, della ciĴà dell’uomo e della sua civiltà. E Agostino, nelle pagine intime del Secretum, glielo rimprovererà. TuĴo questo, naturalmente, si sarebbe rivelato un fenomeno quasi esclusivamente retorico se non fosse stato accompagnato, e molto in profondità, da due caraĴeri essenziali e davvero decisiviȹ: la riscoperta della latinità per quanto essa aveva autenticamente signięcato (al di là dunque delle interpretazioni e incrostazioni che la tradizione cristiano-medievale le aveva sovrapposto), e, come di conseguenza, il riallacciarsi a una cultura che, dell’uomo e della sua storia, aveva faĴo il momento di fondo della sua ricerca e il faĴore esclusivo della sua analisi critica. Va pertanto da sé che, nonostante tuĴe le possibili cautele e riserve, la strada maestra che i nuovi studia humanitatis avevano preso a percorrere si dirigeva contro la cultura egemone della tradizione caĴolica, orientandosi in modo specięco verso traguardi di laicità. Il distacco di Petrarca dagli ambienti di curia era pertanto deĴato da motivazioni molto serie, inerenti soprattuĴo alla nuova concezione del mondo che egli, con instancabile tenacia, veniva proponendo giorno dopo giorno, tanto che, ęssate schematicamente queste coordinate, non dovremo stupirci se anche un Giovanni Boccaccio — ad esempio — accolse con ardore e entusiasmo i nuovi punti di vistaȹ: lo stesso sacrięcio del volgare per il latino doveĴe apparirgli un prezzo da pagare per il recupero di un orizzonte umano che non poteva che manifestarsi esaltante. La nuova cultura umanistica, in ogni caso, può ben essere leĴa in due modi, intensivo ed estensivoȹ: intensive comme cultura dell’animo umano che ne pone in dibaĴito i problemi, gli orientamenti, i turbamenti, le incertezze, e che pertanto, in quanto tale, si conęgura come una cultura « morale » oltre che storicaȹ; extensive come cultura che, grazie alla connessa scienza della ęlologia e alle scoperte che ne conseguirono, fece fare un prodigioso balzo in avanti nell’ambito delle conoscenze direĴe dei grandi e meno grandi scriĴori dell’Antichità, cosí producendo una quantità anche di sole informazioni — spesse volte soĴo forma di aneddoti con rilevante allusività morale — del tuĴo incomparabile con il mondo leĴerario precedente. Opere di Petrarca come il De remediis o i Rerum memorandarum libri (o come le Genealogie di Boccaccio) sono infaĴi cosí ricche di riferimenti

132

љђ ёѢђ « яіяљіќѡђѐѕђ » ёі ѓџюћѐђѠѐќ ѝђѡџюџѐю

doĴi aĴinti dal generale patrimonio classico ora riscoperto e riportato sugli scriĴoi, da assumere, pur nella loro trama narrativa, aspeĴo e forma di vere e proprie enciclopedie del sapere, sempre comunque ravvivate dalla riĚessione o dalla polemica. Non a caso, quando si leggono le pagine degli umanisti dei secoli posteriori — italiani o europei — da Leon BaĴista Alberti ad Erasmo, si ha come l’impressione di rileggere il già leĴo e di ritrovarsi come in un circuito comune ancorché teso al maggior arricchimento e perfezionamento. La biblioteca di Dante, in questo senso, assume un colore veramente « medievale ». La biblioteca di Petrarca, dunque, come decisamente innovativa. Ma quale era la sua composizioneȹ? Non intendiamo naturalmente qui, né lo potremmo, darne un quadro anche ristreĴo. Dagli ancor oggi imprescindibili studi di Pierre de Nolhac o di Remigio Sabbadini, poi eccellentemente proseguiti da un maestro come Giuseppe Billanovich o da uno studioso come Umberto Bosco, noi siamo suĜcientemente informati che accanto ai volumi dei grandi dell’Antichità allora conosciuti convivevano i testi dei Padri della Chiesa, in particolare quelli di sant’Agostino e di san Gerolamo, anche se la preferenza di Petrarca fra i due — come lo scriĴore confessa esplicitamente nella Fam. IV ūů ŭ — andava al vescovo d’Ippona. Non sarà del resto un caso che il primo acquisto librario di Francesco, risalente al febbraio del ūŭŬů — ad Avignone — sia stato proprio un De civitate Dei agostiniano, quello cioè che oggi è il codice ūŮųŪ della Biblioteca Universitaria di Padova. Ma sappiamo anche che proprio in questo ristreĴo periodo avignonese il padre di Francesco, Petracco, procurò al ęglio, a Parigi, le Etymologiæ di Isidoroȹ; che il ęglio oĴenne da Roma, per procura, un San Paolo napoletanoȹ; ma anche che, esaĴamente in questi mesi, padre e ęglio costruivano insieme il famoso Virgilio Ambrosiano. Senza dire che, fra il ūŭŬŲ e il ūŭŬų — come aĴestato dall’aĴuale Harleiano ŬŮųŭ che oggi si trova alla British Library — lavorò al recupero e al restauro delle Decadi liviane. Sino dunque dagli inizi della sua carriera di umanista, per le notizie che sono in nostro possesso, classici gentili e classici cristiani convivevano nella biblioteca di Petrarcaȹ; ma dava luogo — questa convivenza — a dei turbamenti « ideologici » in chi quotidianamente li frequentavaȹ? Avvertiva o non avvertiva — il loro appassionato leĴore — che le due « schiere » esprimevano, pur nell’apparente diversità degli argomenti traĴati, delle visioni del mondo, se non oppposte, tra loro molto diverseȹ? E per quale delle due prende partitoȹ? Quale rischio si poteva correre tras-

133

Ѣєќ ёќѡѡі

gredendo certe ferree normative cristiane o indulgendo troppo, poniamo, nell’ammirazione per l’eloquenza ciceronianaȹ? È a questi interrogativi che, sia pure molto sommariamente, vorrebbero dare qualche risposta le riĚessioni che porremo su questo preciso argomento. Che il problema esistesse, in ogni caso, è indubitabile. Non mi riferisco soltanto — a parte il Canzoniere dove la questione viene trasferita in termini esclusivamente psicologici e artistici — al Secretum, ossia al libro per eccellenza nel quale questo dramma — ed uso consapevolmente questo termine — viene aĴentamente e quanto mai analiticamente posto in discussioneȹ; dramma tra l’altro che, non essendo stato risolto o risolto secondo il preciso indirizzo cristiano, colui che lo visse e che lo espose su una pagina quanto mai meditata e distaccata, non volle poi che questa testimonianza, come ho cercato di recente di sostenere, ęnisse per compromeĴere anche la persona di chi l’aveva prodoĴa. Mi riferisco in particolare a parecchie confessioni che, in quel vasto monumento di ideale autobiograęa che Petrarca ci ha consegnato con le sue Familiari e le sue Senili, ci ripropongono il problema in termini indubitabilmente chiari e precisi, dalla celebre leĴera che in chiave tuĴa metaforica descrive la famosa ascensione del poeta al monte Ventoso, ad altre, forse meno note, che tuĴavia, e con costante preoccupazione, baĴono sempre sullo stesso tasto. Ecco per esempio come Petrarca, indirizzando una sua epistola al caro Francesco Nelli, priore in Firenze della chiesa dei Santi Apostoli, si esprimeva nel ūŭŰŪ. È la decima del ventiduesimo libro delle Familiariȹ: Ho amato Cicerone, lo confesso, e ho amato Virgilio al punto da credere, tanto mi piaceva il loro stile e il loro ingegno, che niente e nessuno poteva esservi sopra di loro […]. Allo stesso modo ho amato fra i Greci Platone ed Omero, e spesso sono anzi rimasto in dubbio nel giudicare del loro valore raěrontandoli con i nostri. Ma ormai [ed ecco riaĜorare quel sentimento drammatico che dicevo] è venuto per me il tempo di cose piú serie, il tempo di dovermi occupare piuĴosto della salvezza che dell’eloquenza. Un giorno [precisa o ęnge di precisare] leggevo coloro che mi davano dileĴoȹ; oggi leggo coloro che mi danno giovamento. Questa è ora la mia disposizione, e lo è anzi da parecchio. Non è infaĴi da oggi che comincio e, del resto, i capelli che si fanno bianchi dimostrano che non comincio prima del tempo. Ormai i miei oratori sono Ambrogio e Agostino, Gerolamo e Gregorioȹ; il mio ęlosofo è Paolo e il mio poeta è Davide, colui che, come sai, nella prima delle mie

134

љђ ёѢђ « яіяљіќѡђѐѕђ » ёі ѓџюћѐђѠѐќ ѝђѡџюџѐю

Egloghe, ebbi a porre tanti anni fa a confronto con Omero e Virgilio senza però decidere a chi assegnare la palma.¹

Ed eccolo ęnalmente concludereȹ: Se ne avrò bisogno, per il mio dire mi servirò naturalmente di Cicerone e di Virgilio, e non mi vergognerò neppure di prendere in prestito qualcosa dalla Grecia se non dovessi trovare nel Lazio quanto mi occorreȹ; ma per quel che riguarda la norma del vivere, anche sapendo che molte cose utili si trovano presso di loro, pure seguirò la scorta e il consiglio di coloro nei quali non può esserci alcun sospeĴo di errore nella fede e nella doĴrina. E il piú grande tra costoro sarà per me, e meritatamente, Davide, tanto piú bello quanto piú sobrio, tanto piú profondo ed eloquente quanto piú puro.²

Ed inęneȹ: Voglio che i suoi salmi mi siano di giorno sempre tra le mani e di noĴe e nell’ora della mia morte soĴo il capo. Ciò non sarà per me di minor gloria di quanto lo furono i mimi di Sofrone per il maggiore dei ęlosoę.³

Orbeneȹ: cosa ricaviamo da questo passo che, ripeto, non è che uno tra i molti che si incontrano nella leĴura dell’epistolario petrarchesco e che, naturalmente, divengono sempre piú frequenti nelle Senili, via via che con

1. Cfr. Francesco Petrarca, Le familiari, Edizione critica per cura di ViĴorio Rossi, vol. IVȹ: Libri XX-XXIV, per cura di U. Bosco, Firenze, Sansoni, ūųŮŬ [= Firenze, Le LeĴere, ūųųű], p. ūŬŰ-ūŬŲ [p. ūŬű], § ů-űȹ: « Amavi ego Ciceronem, fateor, et Virgilium amavi, usque adeo quidem stilo delectatus et ingenio ut nichil supra […]. Amavi similiter Platonem ex Grecis atque Homerum, quorum ingenia nostris admota sepe iudicii dubium me fecere. Sed iam michi maius agitur negotium, maiorque salutis quam eloquentie cura estȹ; legi que delectabant, lego que prosintȹ; is michi nunc animus est, imo vero iampridem fuit, neque enim nunc incipio, neque vero me id ante tempus agere coma probat albescens. Iamque oratores mei fuerint Ambrosius Augustinus Ieronimus Gregorius, philosophus meus Paulus, meus poeta David, quem ut nosti multos ante annos prima egloga Bucolici carminis ita cum Homero Virgilioque composui, ut ibi quidem victoria anceps sit ». 2. Ibid., p. ūŬŲ, § ūŪ-ūūȹ: « ad orationem, si res poscat, utar Marone vel Tullio, nec pudebit a Grecia mutuari siquid Latio deesse videbiturȹ; ad vitam vero, etsi multa apud illos utilia noverim, utar tamen his consultoribus atque his ducibus ad salutem, quorum ędei ac doctrine nulla suspitio sit erroris. Quos inter merito michi maximus David semper fuerit, eo formosior quo incomptior, eo doctior disertiorque quo purior ». 3. Ibid., § ūūȹ: « Huius ego Psalterium et vigilanti semper in manibus semperque sub oculis, et dormienti simul ac morienti sub capite situm velimȹ; haud sane minus id michi gloriosum putans, quam philosophorum maximo Sophronis mimos ».

135

Ѣєќ ёќѡѡі

il trascorrere degli anni l’ombra della morte si viene facendo sempre piú incombenteȹ? Una cosa, mi sembraȹ: la distinzione che l’umanista cerca di tracciare tra leĴeratura e vita, tra mondo della cultura e destino personale, tra una biblioteca, per cosí dire, da utilizzarsi sul piano delle idee e delle riĚessioni piú generali ed una — quella autenticamente cristiana — da tener ben presente per non incorrerere nell’eterno castigo. Anche se nei grandi dell’Antichità — scrive infaĴi con molta neĴezza — si apprendono cose molto utili, « pure seguirò la scorta e il consiglio di coloro nei quali non può esserci alcun sospeĴo di errore nella fede e nella doĴrina ». E opponendo inęne i salmi di Davide ai mimi di Sofrone, fa altresí risaltare l’eccellenza e la superiorità della morte del cristiano rispeĴo a quella, pur memorabile, del greco Platone. Dunque, tra le due culture, il conĚiĴo esisteva e Petrarca, come tuĴi gli umanisti della sua epoca, lo avvertí con acutezzaȹ; e se il tentativo di rimediarvi ricorrendo alla separazione, per cosí dire, tra pubblico e privato poteva sembrare una via d’uscita, si traĴava pur sempre di una soluzione non solo molto provvisoria ma decisamente insoddisfacente. Tale soluzione — come del resto nelle pagine del Secretum — non era che una forma per rimandare il problemaȹ; per sospendere, per il momento, il giudizio ultimo e decisivo. E tanto piú pressante risultava la questione quanto piú, alla sensibilità e all’intelleĴo di Petrarca, era ben presente lo sferzante rimprovero che Dio, dopo aver traĴo Gerolamo davanti al suo tribunale, gli rivolse con durezzaȹ: « Tu non sei cristiano, sei ciceronianoȹ; e là dove è il tuo tesoro lí è anche il tuo cuore » (Gerolamo, Epyst., XXII ŭŪ). Ma anche il cuore di Petrarca baĴeva là dove era il suo tesoro — quella grande biblioteca di classici che egli, non diversamente dal dalmata, era riuscito a meĴere insieme con grande fatica. Per evitare quindi che anch’egli fosse dolorosamente condannato, occorreva dimostrare che la voce dei classici del paganesimo non era qualcosa di pregiudizialmente opposto alla sicura voce di Dio, e che, anche in quella, spirava o poteva spesso spirare l’umanissima voce di Cristo. Occorreva, in altre parole, meĴersi sulla strada di certe « trasgressioni » al ęne ultimo di oĴenere — tra le due « biblioteche » — una sorta di conciliazione che segnasse, già di per se stessa, un’importante fora di avanzamento sulla strada della laicità e, insieme, di primo superamento dell’imponente egemonia storica del trascendente. Che su questa strada Petrarca si meĴesse con impegno e con risolutezza mi sembra che sia ormai, nonostante qualche polemica di retroguardia,

136

љђ ёѢђ « яіяљіќѡђѐѕђ » ёі ѓџюћѐђѠѐќ ѝђѡџюџѐю

un dato acquisito. E ciò che piú importa è che ne fosse anche, per quanto drammaticamente, sinceramente consapevole. Come altrimenti giustięcare la composizione di un dialogo come il Secretum in cui l’« inquisitore » Agostino non perde una baĴuta per mostrare — i sacri testi alla mano — quanto Francesco stia deviando, con suo vero rischio e pericolo, dalla strada della salvezzaȹ? O come spiegare, nella grande poesia dei Rerum vulgarium fragmenta, quella forte rivalutazione delle « passioni » dell’uomo che qualche componimento, come si suol dire di « pentimento », anziché aĴutire non fa che rinvigorire aureolandole con il pathos della nostalgia e del rimpiantoȹ? Ma ci sono, sia nel suo epistolario sia in quel suo scriĴo polemico che va soĴo il titolo di De ignorantia, delle pagine che non ammeĴono piú dubbi sulla volontà trasgressiva del nostro umanista. C’è per esempio una leĴera di Francesco a Boccaccio — la prima del secondo libro delle Senili — nella quale lo scrivente, rispondendo alle polemiche che avevano suscitato alcuni versi dell’Africa inopportunamente divulgati (quelli celeberrimi del sesto libro relativi al « compianto » di Magone morente), conęda al caro amico — forse l’unico che avrebbe potuto realmente comprenderlo — le ragioni per le quali era stato spinto a meĴere in bocca a un « pagano », il cartaginese Magone, espressioni che non potevano invece che essere tipiche di un personaggio cristiano — secondo almeno i suoi rigidi censori. Ebbeneȹ; cosa risponde Petrarcaȹ? Dopo aver ricordato un passo di Cicerone (De div., I ŭŪ Űŭ) in cui l’Arpinate sostiene che non c’è uomo che, in punto di morte, non si volga dolorosamente al pentimento dei propri peccati, e avere anzi precisato che basterebbe questa riĚessione di un pagano a confutare la calunnia dei censori, eccolo sostenere con decisione che il dolore, il pianto e il supremo pentimento non sono aěaĴo l’esclusivo privilegio di un animo cristiano, ma che appartengono, ben piú veracemente, all’uomo in quanto uomo. E in proposito eccolo addurre testimonianze non solo dallo stesso Cicerone, ma da Seneca e da Terenzio e, inęne, quasi a provocazione, persino da Ovidio e da Epicuroȹ; e ciò inęne per concludere — e questo è davvero l’importante — che le pagine dei classici pagani su Dio, sull’anima e sulle sventure o sugli errori dell’uomo potrebbero venire soĴoscriĴe peręno da un Ambrogio o da un Agostino — in ciò appunto anticipando posizioni che di nuovo torneranno nel già ricordato De ignorantia. Eppure, a ben guardare e considerando i tempi, i critici di Petrarca, per quanto malevoli potessero essere, non avevano torto nelle loro consi-

137

Ѣєќ ёќѡѡі

derazioni, almeno da un punto di vista di rigida ortodossia. Solo Cristo aveva redento l’umanità con la sua doĴrina — l’unica vera —, e solo Cristo, con il proprio sacrięcio, aveva cancellato il peccato originario. Quale signięcato, diversamente, aĴribuire alla sua incarnazioneȹ? Ciò nonostante, tuĴo questo scompare nelle prospeĴive petrarchesche e umanistiche per le quali ormai, a porsi in primo piano, è proprio quell’humanitas che, a giudizio del poeta, esisteva ancor prima della discesa di Cristo sulla terra. Ma meĴendo in disparte questa « biblioteca cristiana », si meĴeva anche in disparte, superandola, la tipica posizione agostiniana per la quale solo la grazia divina si fa necessaria per la salvezza dell’uomo e si ęniva inevitabilmente per sostenere che, al ęne della redenzione suprema dell’uomo, erano suĜcienti le doti di commozione e di pentimento insite ab æterno nell’anima umana. È molto probabile che, scrivendo questa sua senile a Boccaccio, Petrarca non pensasse alle conseguenze che potevano derivare dalla sua posizione « estetica »ȹ; ciò comunque non toglie che il pensiero petrarchesco, per certi aspeĴi, si ponesse decisamente fuori del sentire dogmaticamente « cristiano ». All’inizio della famosa opera di Boezio, La consolazione della ęlosoęa, la rappresentazione della vera consolazione, la Filosoęa appunto, facendo visita al prigioniero e trovandolo immerso in occupazioni artistiche, si rivolge alle Muse che ne aĴorniano il leĴo con dure parole, le scaccia, e biasima l’uomo per il faĴo che egli andasse cercando conforto non già in chi poteva darlo veramente — la Filosoęa che qui si identięca con la Religione — ma in quelle lusinghe dell’Arte che, anziché liberare l’anima umana dalla malaĴia, ne provocano l’assuefazione. Qui, indubitabilmente, si tocca un momento importante della controversia tra le « due biblioteche », tra immanenza e trascendenza, e si allude esplicitamente agli intangibili e supremi valori religiosi. L’oggeĴo dell’arte, vi si sostiene infaĴi, è mondano, e gli eěeĴi che l’arte provoca non possono che essere ambigui e indireĴi. Solo la religione, e in parte la morale, possono rivolgersi all’uomo con imperativi direĴi, sicché, in confronto a questi, gli eěeĴi dell’arte, anche i piú sconvolgenti, rimangono sempre discutibili. Persino la catarsi potrebbe avere risultati negativi, e in ogni caso essa non impone, in chi la patisce, quella necessità di redimersi che, invece, comandò la direĴa voce divina. Ebbeneȹ: questa valutazione dell’arte come menzogna e impotente seduzione oltre che come fomentatrice di velenose perturbazioni, si spezza per la prima volta, sul piano della grande arte europea, con Dante e la sua Commedia. In essa infaĴi il poeta, nonostante l’immutabile e inalterabile

138

љђ ёѢђ « яіяљіќѡђѐѕђ » ёі ѓџюћѐђѠѐќ ѝђѡџюџѐю

cornice ultraterrena in cui lo immeĴe, prendre partito per il mondo del fare e del patire terreno e, piú precisamente, per quello delle azioni e dei destini individuali. Non solo, ma ne rappresenta le passioni — tragiche ed elegiache, groĴesche e sublimi, nobili e ripugnanti — con una decisione e un vigore davvero stupefacentiȹ; cosí come, in modo altreĴanto stupefacente, scolpisce gli eventi storici e personali degli uomini, sia di quelli che ancora sono, sia di quelli che sono già stati, cosí aĴribuendo all’alta fantasia dell’artista il compito di secolarizzare le concezioni della trascendenza e di ricondurle nell’ambito proprio dell’immanenza dal quale erano state indebitamente strappate. E questa fu appunto l’eredità culturale che Francesco Petrarca si trovò a sostenere e a dover continuare. Non possiamo qui, neppure a grandi traĴi, delineare il processo di svolgimento umanistico, con l’inevitabile sopravvento dell’immanente sul trascendente, messo in moto dal poeta di Laura — processo del resto assai noto e tuĴo teso a far sí che l’uomo riconquistasse pienamente il proprio spazio storico. Sol che di nuovo si pensi a quella sua ideale autobiograęa consegnataci dall’insieme delle Familiari e delle Senili, si ha chiara la percezione di uno scriĴore che, pur non soĴovalutando il richiamo della voce di Dio, sente imperiosa l’esigenza di aěrancare lo spirito dell’uomo dalle troppo cogenti costrizioni del trascendenteȹ; di riconsegnarlo alle sue umane dimensioni aĴraverso la riconquista e la nobilitazione della storia, dell’arte e della saggezza morale, e, traguardo ultimo e invidiabile, di operare, non già un compromesso, ma come una conciliazione tra lo spirito cristiano e il nuovo spirito umanistico. Ma tale conciliazione, come già dicevamo, comporta un arretramento della dogmatica cristiana e costituisce una prima forma di riconoscimento della legiĴimità della civitas terrena. Ed è in realtà proprio a questo che punta Francesco Petrarca. Volgiamo un istante il pensiero — qui in ęne — alla poesia del Canzoniere. Non c’è dubbio che la lacerazione dello spirito e il problema di un nuovo orientamento dell’« io » che dominano le rime petrarchesche abbiano la loro radice nell’antropologia agostiniana, e questo elemento, unitamente alla scoperta della coscienza moderna e della poesia della memoria, rappresenta il faĴo nuovo rispeĴo all’esperienza lirica precedente. Ma ora le parti sono come invertite. Quelle stesse passioni che Agostino e il cristianesimo avevano giudicato fallaci ed erronee, menzognere e seduĴrici, meri phantasmata, cominciano ad apparire, quanto meno, degne d’essere cantate e vagheggiate, degne di porsi a fondamento di una nuova arte poetica. Se Dante aveva raĜgurato tali esperienze su di un grandioso scenario epico,

139

Ѣєќ ёќѡѡі

Petrarca, mutando l’epica in elegia, pone in questione il senso stesso, e il valore, di tali passioni — sentimenti di cui il cuore umano non sembra piú di poter fare a meno. Se Boezio aveva inteso svalutare, nel nome della Filosoęa e della Religione, siěaĴi sentimenti, il nuovo poeta del Trecento li rivaluta. È vero che tanto dalla ęlosoęa classica (ad esempio dallo stoicismo) quanto sopraĴuĴo dalla doĴrina cristiana, Petrarca aveva appreso che ogni passione, come si è appena deĴo, altro non era che un’ombra vana, liberarsi dalla quale era sicuramente opportuno, e tuĴavia, nel processo ideologico che cominciava a logorare la saldezza delle gerarchie teologiche, il margine di libertà che si veniva via via conquistando costituiva un faĴore, se non di decisa contestazione, di vigorosa problematizzazione dei principie religiosi tradizionali. Nel Secretum il conĚiĴo, razionalizzato e schematizzato, si era venuto dispiegando nelle contrapposte baĴute di Agostino e di Francescoȹ; nelle Rime esso viene raĜgurato nell’interiorità stessa della coscienza, quasi nel preciso momento in cui insorgeva tanto nella riĚessione quanto nella memoria. Ma c’è di piú. La crescente penetrazione della tematica antica nei soggeĴi dell’arte e della cultura comportava infaĴi, quasi di necessità, un superamento della concezione cristiana della storia, ossia di una concezione che, di faĴo, subordinava ogni cosa al riscaĴo dell’anima di ciascuna personalità individuale. Nelle nuove dimensioni umanistiche lo studio dell’uomo si veniva piuĴosto sempre piú conęgurando come lo studio non già di una creatura peccatrice, ma come quello di una personalità capace di presentarsi quale signore della terra e dotato di virtualità psicologiche molto piú libere rispeĴo al passato. Le risultanze di questa complessa trasformazione ideologica si venivano quindi, lentamente ma solidamente, trasformando in risultati estetici, donde una progressiva liquidazione dell’allegorismo medievale, una progressiva conquista del realismo ęgurativo e una sempre maggiore consapevolezza che l’arte e la poesia potevano ben essere intese come alternativa (immanente) alla catarsi religiosa. Petrarca — quasi eccezionalmente — visse in sé questo momento di passaggio e di conĚiĴo giacché egli era, né poteva essere diversamente, Francesco e Agostino insieme. Egli avvertiva in sé, parimenti e con pari urgenza, la necessità di non staccarsi troppo dall’ideologia religiosa dominante, ma, al contempo, si rięutava di rinunciare all’effeĴo dell’arte come strumento di rappresentazione di quel sensibile terreno e di quell’immanente storico che egli avvertiva — grazie proprio alla sua « biblioteca classica » — come il contenuto propio e tipico dell’animo

140

љђ ёѢђ « яіяљіќѡђѐѕђ » ёі ѓџюћѐђѠѐќ ѝђѡџюџѐю

umano. Le passioni, in altri termini, vennero da lui rivalutate e alla catarsi religiosa, che fu in certa guisa la soluzione adoĴata dal fratello Gherardo, oppose la catarsi dell’arte e la consolazione della poesia. Nella complessa dialeĴica di tale conĚiĴo, in ogni caso, proprio perché cercò di trasformare il dilemma in chiarięcazione o in conciliazione e di mutare insieme l’indeęnito di questo dramma della psicologia nel deęnito dell’arte e della ragione, non poteva che avanzare in una direzione opposta a quella delle doĴrine teologiche e, pertanto, nelle circostanze storiche date, verso un preciso orientamento trasgressivo. Ritenere infaĴi che il viaggio della vita fosse anche un viaggio tra passioni tuĴ’altro che disprezzabili ma persino nobili e degne — l’amore e la gloria — era sicuramente, da un punto di vista cristiano, una convinzione fortemente trasgressiva. E tanto piú lo era in quanto, nell’esprimere siěaĴi contenuti cosí caraĴerizzati dai moti dell’inquietudine, dell’incertezza e della provvisorietà, Petrarca scelse, volutamente mutandolo secondo criteri di un’alta nobiltà artistica, un genere leĴerario in certo senso quasi nuovo — quello cioè dello « sparso fragmento » organizzato piú tardi in una solenne architeĴura unitaria. In esso, inoltre, la base mitologica del mondo cristiano, anziché erigersi nelle sue suggestioni dogmatiche e teologiche, ęnisce per dissolversi nella storia umanissima fondata sull’incarnazione di Cristo e diviene cosí capace di dare ai sentimenti e alle passioni la loro necessaria urgenza e incisività e, ai contenuti dell’anima, la loro propria ricchezza e alternanza. Chiusi inęne tra due date fortemente simboliche che, già di per sé, valgono a organizzare architeĴonicamente l’insieme — il dí sesto d’aprile (ūŭŬű) dell’innamoramento e il dí sesto d’aprile (ūŭŮŲ) della morte di Laura — i Rerum vulgarium fragmenta svolgono la storia del destino dell’uomo su questa terra e in questa civitas terrena. E a sostenere questa poesia, a darle il genio dei classici e a farla penetrare nei recessi ancora in gran parte inesplorati del cuore umano era anche, di nuovo trasgressivamente, la ęducia nell’arte come privilegio dell’uomo. In proposito viene in mente ciò che Dostoevskħ fa dire, con profonda commozione, al principe Myskin di fronte al Cristo morto dell’Holbeinȹ: « Ma davanti a questo dipinto si può perdere del tuĴo la fedeȹ! ». Con Petrarca in realtà, e con la cultura e la poesia che da lui presero l’avvio, comincia il lungo processo di confutazione di ogni passaggio nel trascendente, di ogni resurrezione.

141

François Fabre

Pétrarque et saint Jérôme

En ūųŮŰ, Valéry Larbaud intitulait une série de textes consacrés aux problèmes, théoriques aussi bien que pratiques, de la traductionȹ: Sous l’invocation de saint Jérôme¹ȹ; la première partie, entièrement dévolue au « patron des traducteurs », évoquait avec une ferveur non dissimulée la ęgure exemplaire du saintȹ: « le père de la Bible latine, l’auteur d’une grande partie de la Vulgate, et pour cela considéré comme le patron (au plein sens du mot) des traducteursȹ: ici-bas leur modèleȹ; du ciel leur protecteur »². Ainsi Larbaud se représentait-il Jérômeȹ; ailleurs, il ne manquait pas d’insister sur l’énergie et la vie qui émanent constamment d’une œuvre trop souvent conęnée, selon lui, aux recoins les plus obscurs de l’éruditionȹ: car, écrit-il, « ses ouvrages ne sont pas des curiosités historiques, morales ou esthétiquesȹ; mais, dès que nous les abordons, nous les sentons vivants et chauds d’une chaleur humaine »ȹ; c’est à cela, concluait Larbaud, que nous pouvons reconnaître en lui « un maître de la pensée et du langage, un artiste »³. Un peu plus loin, nous découvrons, derrière le leĴré, un homme aĴentif à sa gloire — et déjà la silhoueĴe de Pétrarque semble se proęlerȹ: de fait, Jérôme « a désiré […] l’immortalité liĴéraire, et il se l’est promise, conscient de sa propre valeur, en termes précis et magnięques, à la ęn de l’Épitaphe de sainte Paule (LeĴre CVIII, à Julia Eustochium) et encore à la ęn de l’Épitaphe de Blæsilla (LeĴre XXXIX, à sainte Paule) »Ÿ. 1. Paris, Gallimard. Nous utilisons la réimpression de cet ouvrage paru chez le même éditeur en ūųųű. Il est regreĴable que ce livre ne ęgure pas dans les Œuvres de Valéry Labaud, préface de Marcel Arland, notes de Georges Jean-Aubry et Robert Mallet, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », ūųůŲ. 2. Sous l’invocation de saint Jérôme, éd. cit., p. ūŪ. 3. Ibid., p. ūŬ. 4. Ibid., p. ūŭ.

143

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

Est-ce un hasard si Pétrarque, vantant le style inimitable de Jérôme, se souvient avec émotion de l’épitaphe de Paule, dans lequel l’ermite de Bethléem « peignit sa noble vie et sa mort bienheureuse de couleurs si éclatantes, qu’après lui il vaudrait mieux que je me taise »Źȹ? En outre, ces épitaphes étaient pour Jérôme l’occasion d’exprimer sa foi inébranlable dans la pérennité des « monuments de la langue latine » (sermonis nostri monumenta)ȹ; Cassiodore, au viĽ siècle, ne s’y est pas trompé, qui, dans son De institutione divinarum liĴerarum, désigne Jérôme en ces termesȹ: « propagateur insigne de la langue latine »ź. Artiste pareillement soucieux de sa gloire et de son éternité liĴéraire, Pétrarque verra dans ce latin réinventé, dont il s’est fait l’artisan, l’instrument assuré de sa seconde vieȹ; les occurrences de ce thème sont d’ailleurs innombrables sous sa plume — songeons aux Triomphes, qui font se succéder les motifs de la mort, de la renommée, du temps et de l’éternité, dans un entrelacement de références où il se peut que des souvenirs de Jérôme aĝeurent ici ou làŻȹ; songeons aussi, et surtout, aux dernières notes sur lesquelles s’achève l’Africa, et à l’étrange noblesse qui s’en dégageż. Tous deux historiens, tous deux auteurs d’un De viris illustribusŽ, Pétrarque et Jérôme se montrent aĴentifs à bâtir une œuvre de mémoire. Ce n’est peut-être pas un hasard si Jérôme mentionne à deux reprises dans ses écrits la

5. La vie solitaire, préface de Nicholas Mann, introduction, traduction et notes de Christophe Carraud, Grenoble, J. Millon, ūųųų, p. Ŭūų. 6. Patrologia Latina, t. LXX, col. ūūŭů — référence donnée par Jérôme Labourt in saint Jérôme, Correspondance, t. Iȹ: LeĴres I-XXII, Paris, Les Belles LeĴres, ūųŮų et ŬŪŪŬ³, p. XLIX. 7. Il n’y a aucune référence explicite à saint Jérôme dans les Triomphes, mais le Triumphus Fame renvoie indirectement, en maints endroits, à la Chronique de Jérôme. 8. Cf. chant IX, ŮūŪ sq., en particulier Ůůŭ-ŮŰůȹ: « Mais en ce qui te concerne peut-être [Pétrarque s’adresse à son poème] — et c’est ce que j’espère et que j’appelle de mes vœux — tu vivras longtemps après moi, des siècles meilleurs viendrontȹ: ce sommeil ingrat ne recouvrira pas toutes les annéesȹ! Peut-être, les ténèbres de l’Oubli s’étant dissipées, nos petits-enfants pourront-ils revenir à la pure lumière d’autrefois et le soleil briller à nouveau pour eux. Alors sur l’Hélicon tu verras apparaître un nouvel arbre et les lauriers sacrés se couvrir de feuillesȹ; alors surgiront des esprits éveillés et des âmes dociles pour qui la passion du bien redoublera l’ancien amour des Muses. Applique-toi avec zèle à faire revivre mon nom, et du moins, autant que tu le peux, que l’on rende au défunt la renommée qui lui revient, et les derniers honneurs à ses cendres. Grâce à lui, la vie me sera plus douce au milieu de ce peuple ainsi que la gloire méprisant le tombeau [contemptrix gloria busti] » (L’Afrique, préface d’Henri Lamarque, introduction, traduction et notes de Rebecca Lenoir, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŬ, p. ŮŮů). 9. L’ouvrage de Jérôme qui porte ce titre, emprunté à Suétone, est consacré à cent trentecinq auteurs chrétiens, de Pierre à Jérôme lui-même.

144

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

Rhétorique à Hérennius¹Ŵ et si Pétrarque est compté par plusieurs auteurs comme un maître en ars memoriæ — une réputation qu’il doit sans doute à ses Rerum memorandarum libri¹¹. Bâtisseurs de monuments éternels, Jérôme et Pétrarque sont donc incontestablement latins, mais aussi, chacun à sa manière, romains. Pour l’un comme pour l’autre, en eěet, Rome, centre de la chrétienté, s’impose, par-delà les époques, comme la seule patrie. Et malgré les reproches qu’il lui adresse en la quiĴant, Jérôme demeure indéfectiblement romainȹ: Rome, écrit encore Larbaud, « n’en est pas moins restée pour lui le centre vital, le chef du monde » et surtout « la source très pure de la foi », la ville prédestinée de toute éternité pour être l’« éternelle […]. À Rome le moine sans famille, sans patrie, sans liens terrestres, a trouvé son foyer »¹² — une Rome qu’il appelle pourtant « Babylone » et dont il décrit l’état de corruption morale dans des termes cinglants, tout comme Pétrarque le fera au sujet d’Avignon, nouvelle Babylone elle aussi. Polémiste averti, Pétrarque saura retrouver, dans maints passages de ses LeĴres sans nom, les accents hiéronymiens d’une juste indignation devant le délabrement du clergé avignonnais. Larbaud mentionne, à propos de Jérôme, les noms de Molière et de Voltaireȹ; pour certains, la veine anti-avignonnaise de Pétrarque préęgure même la virulence d’un Luther¹³. Et que dire de ceĴe similitude de caractère entre ces deux « routiers de la polémique »¹Ÿ que sont, à des titres divers, Jérôme et Pétrarqueȹ? On admet diĜcilement, aujourd’hui, ce registre de l’invective et de l’insulte, si présent chez Jérôme, à la faveur surtout de la longue querelle origéniste qui, rappelle Larbaud, « se termine par les cris de joie de Jérôme apprenant la mort de Ruęn »¹Ź. On pardonne encore moins à Pétrarque ses empor10. Cf. Frances A. Yates, The art of memory, Chicago, Chicago University Press, ūųŰŰ — trad. fr. par Daniel Arasseȹ: L’art de la mémoire, Paris, Gallimard, ūųűů, p. ŰŬ. 11. Tout cet aspect de l’œuvre de Pétrarque a été mis en lumière par F.A. Yates, ibid., p. ūūů sq. À propos des Rerum memorandarum libri, elle écrivaitȹ: « L’ouvrage a une saveur humaniste et il utilise, sur la mémoire artięcielle, le De oratore au lieu de n’avoir recours qu’au seul Ad Herennium ». 12. Sous l’invocation de saint Jérôme, éd. cit., p. ūŲ. 13. À propos du Liber sine nomine, Rebecca Lenoir écritȹ: « Pétrarque prend place dans une tradition liĴéraire déjà vivace avant lui […] et qui Ěeurira longtemps après luiȹ: on pense à Chaucer, Boccace, Savonarole, Valla, Machiavel, Luther, Jean Hus, Érasme […] » (Pétrarque, Sans titre, texte traduit, présenté et annoté par R.L., Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŭ, p. ūŭ). 14. Sous l’invocation de saint Jérôme, op. cit., p. ūŲ. 15. Ibid., p. ŮŬ.

145

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

tements et ses sarcasmes, trahissant une prétention bien mondaine chez qui s’est fait le chantre de l’otium religiosumȹ; lui-même d’ailleurs se savait enclin à ce penchant, et ne s’en cachait pasȹ: dédiant ses Invectives contre un médecin à Boccace, Pétrarque lui écritȹ: « En les lisant tu riras et tu te dirasȹ: “Mon Pétrarque possède aussi ce talent et plus vigoureusement que je ne pensaisȹ: il sait manier l’insulteȹ!” »¹ź. Mais n’est-ce pas méconnaître, dans un cas comme dans l’autre, que ceĴe veine critique et polémique révèle un souci constant de s’impliquer dans les luĴes intellectuelles du moment, dont les conséquences, sur le plan moral ou théologique, politique ou artistique, ne pouvaient manquer d’apparaître aux deux hommesȹ? L’alternative, que chacun a résolue à sa façon, entre engagement et retraite, vie active et vie contemplative, trouve chez eux à s’incarner singulièrement, et ce que Larbaud écrit, à l’occasion d’une analyse très ęne de la personnalité de Jérôme, pourrait fort bien s’appliquer au Pétrarque des Invectivesȹ: « Il est […] facile, en lisant Jérôme lui-même, de comprendre que son caractère opiniâtre et contentieux, son très chatouilleux amour-propre d’homme de leĴres, et son tempérament fougueux, ont dû jouer un rôle dans ses “tribulations”, et qu’il a souvent récolté ce qu’il avait semé. Il donnait prise à ses envieux, il les provoquait par ses propos violents, ses paroles outrageuses et ses railleries »ȹ; et plutôt que de se taire, ajoute Larbaud, « il a, au contraire, crié plus fort, et mieux, et plus longtemps »¹Ż que tous ses ennemis. L’éditeur de la correspondance de Jérôme dans la Collection des Universités de France, le Père Labourt, parle du « style fort acide, mais vivant et alerte » dans lequel sont « burinés » divers de ses leĴres et libelles¹ż. On pense ici à l’ouverture, particulièrement incisive, d’une des leĴres « de la vieillesse » (Seniles, II ū, à Boccace)ȹ: Il faudrait ou me taire ou me cacher, ou mieux n’être point né, pour échapper à ces aboiements de Scylla [scilleos latratus]. Paraître en public n’est pas un jeuȹ: les chiens vous aĴaquent — les robustes de la dent, et de la voix les faiblesȹ; péril d’un côté, lassitude de l’autre. J’avais résolu d’éviter l’un et 16. Cf. Epistole varie, ŮŪ ū-Űȹ; citation donnée par Rebecca Lenoir, en introduction à sa traduction partielle des Invective contra medicum, dans Conférence, nº ūŰ, ŬŪŪŭ, p. ŬűŲ. On lira l’intégralité du texte dans Pétrarque, Invectives, texte traduit, présenté et annoté par Rebecca Lenoir, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŭ, p. ŮŮ-ŬŮųȹ; la référence à la varia ŮŪ est reprise dans la présentation du volume, p. ūŭ. 17. Sous l’invocation de saint Jérôme, op. cit., p. Ůŭ. 18. Saint Jérôme, Correspondance, éd. cit., t. I, p. XXVI.

146

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

l’autre par le silence et la retraiteȹ; le cours des événements m’a emporté là où je ne voulais pas aller.¹Ž

Comment ne pas y voir l’écho des polémiques et des « tribulations » hiéronymiennesȹ? Jérôme lui-même, dans sa Vita Hilarionis, avait appelé ses détracteurs « Scyllæos canes »²Ŵȹ; de surcroît, Pétrarque cite explicitement Jérôme, quelques lignes plus loinȹ: lui aussi se plaignait de ceĴe « race nouvelle » de critiques-aboyeurs et priait ses amis de ne pas exposer son livre « aux critiques vétilleuses de ces gens qui ne sont bons qu’à juger autrui, et demeurent incapables de rien faire eux-mêmes »²¹. Dans la même veine, on peut citer l’ouverture de la première invective Contre un médecin, où Pétrarque s’en prend à l’individu qui a « réveillé [s]a plume endormie et tiré le lion du sommeil […] par [s]es fâcheux aboiements »²². Le recours au registre animalier, du reste, est une constante de l’éloquence polémique de nos deux auteurs, la faune requise variant quelque peuȹ: chez Jérôme, « scorpio », « hydra », « crassa sus », « grunnius »²³ȹ; « chèvres fébriles et malodorantes », « rosores » et « carptores » chez Pétrarque, pour désigner les critiques « ronge-livres » ou « rogne-livres » qui s’en prennent à ses écrits²Ÿ. Revenons à l’hésitation, éprouvée par Jérôme puis par Pétrarque, et diversement résolue par chacun d’eux, entre l’otium religiosum et l’otium liĴeratum. Sur ce plan, le rôle archétypal que joue le songe relaté par Jérôme

19. Cf. Pétrarque, LeĴres de la vieillesse, t. Iȹ: Livres I-III, édition critique d’E. Nota, traduction de Frédérique Castelli, François Fabre et Antoine de Rosny, présentation, notices et notes d’Ugo DoĴi mises en français par Frank La Brasca, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ūŪŲ, § ūȹ: « Aut tacere oportuit aut latere, seu verius non nasci, ut scilleos evaderem latratus. Non est ludus in publicum prodireȹ: validi canes dente, voce seviunt invalidiȹ; illinc discrimem, hinc tedium. Utrunque silentio ac latebris vitare consilium eratȹ; tulit me rerum estus quo nolebam ». 20. Par allusion aux monstres entourant Scylla — cf. Virgile, Bucoliques, VI űůȹ: « Latrantibus […] monstris ». 21. LeĴres de la vieillesse, éd. cit., t. I, p. ūūŪ — citation empruntée à la préface du Commentarius in Ezram. 22. Invectives, éd. cit., p. Ůů. 23. « On devine de quel quadrupède ce surnom évoque le mélodieux ramage », écrit le Père Labourt (Saint Jérôme, Correspondance, éd. cit., t. I, p. XXV). 24. Cf. LeĴres de la vieillesse, éd. cit., t. I, p. ūŬŪȹ: « Or, maintenant que tous les pâturages sont foulés en priorité par ces troupeaux et que les plantes d’une espèce plus noble subissent les assauts si voraces de l’envie, comment faut-il considérer les cicatrices qu’inĚigent des dents de ceĴe sorte, sinon comme les marques de la gloireȹ? Mais que ferais-je à ces rongelivres, à ces chèvres fébriles et malodorantes qui frappent de la corneȹ? Ennemis du vrai, qui méprisent la patience, me taisé-je, ils me harcèlent, si je réponds, ils deviennent fous ».

147

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

dans la leĴre XXII²Ź ne saurait être surestiméȹ; rappelons-en les termesȹ: « Tout d’un coup, j’ai un ravissement spirituel. Voici le tribunal du Jugeȹ; on m’y traîneȹ! […] On me demande ma conditionȹ: “Je suis chrétien”, ai-je répondu. Mais celui qui siégeaitȹ: “Tu mens”, dit-ilȹ; “c’est cicéronien que tu es, non pas chrétien”ȹ; “où est ton trésor, là est ton cœur” »²ź. On pourrait tout aussi bien renvoyer au De ignorantia de Pétrarque, où se trouve sans doute le premier commentaire que la Renaissance ait donné de ce passageȹ: « Si d’aventure je m’entendais objecter le reproche que Jérôme eut à subir […], je répondrais que mon trésor incorruptible, que la partie la plus noble de mon cœur sont dans le Christ »²Ż. La vision de Jérôme exprime bien l’ambivalence d’une vocation tout à la fois religieuse et liĴéraire, l’une se confondant un temps avant l’autre. Sous le coup de son « grandiose cauchemar », Jérôme prendra le parti de renoncer à la liĴérature païenne, mais par la suite, après des années d’études scripturales, Jérôme réhabilitera les auteurs profanes qui avaient nourri sa première éducation. « La LeĴre (LXX) à Magnus, remarque Larbaud, montre bien quel est son point de vue, et qu’il ne pouvait, avec raison, concevoir une liĴérature indépendante de toute traditionȹ; autant la concevoir indépendante de toute langue »²ż. Nous aurons à revenir sur ce point, fondamental quant à la déęnition de ce que nous pensons être l’humanisme de Pétrarqueȹ: quel rapport s’établit entre la tradition et la Révélation, et quelle voie se dessine d’un terme à l’autre, qui ne soit pas d’incompatibilité ou de stricte équivalenceȹ? Pour résoudre la ten25. LeĴre à Eustochium. Le songe se lit au § ŭŪ. 26. Trad. de J. Labourt dans Saint Jérôme, Correspondance, éd. cit., t. I, p. ūŮů. 27. Mon ignorance et celle de tant d’autres, préface d’Olivier Boulnois, traduction de JulieĴe Bertrand (ūųŬų) revue par Christophe Carraud, notes de Christophe Carraud, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŪ, p. ūűŭ. Pétrarque évoque également le songe de Jérôme dans une leĴre familière (II ų, à Giacomo Colonna), où il utilise cet épisode pour faire ressortir, en négatif, la culture antique d’Augustinȹ: « Assurémentȹ! jamais en eěet il n’est arrivé à mon Augustin d’être traîné durant son sommeil devant le tribunal du Juge éternel, comme ton Jérôme, jamais il ne s’est entendu reproché d’être cicéronien. Lorsque Jérôme eut entendu ce reproche et qu’il eut donné sa parole que jamais plus il ne toucherait aux livres des Gentils, tu sais avec quel soin il s’est tenu éloigné de tous, et de Cicéron en particulier. Augustin, quant à lui, qui n’avait reçu aucune interdiction durant son sommeil, […] n’a pas rougi d’en faire un usage régulier » (LeĴres familières, t. Iȹ: Livres I-III, introduction et notes d’Ugo DoĴi mises en français par Frank La Brasca, traduction d’André Longpré, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ŬŪŲ). L’interprétation que Pétrarque donne de l’épisode du songe — ou plutôt l’usage auquel il le fait servir — diffère quelque peu selon les circonstances et la visée argumentative de son propos. 28. Sous l’invocation de saint Jérôme, op. cit., p. ŬŮ.

148

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

sion instituée par ce double héritage, le précédent hiéronymien sera pour Pétrarque d’un grand secours. Reste la question de la traduction, qui est à l’origine de la réĚexion de Larbaud et qui mérite que l’on s’y arrête un instantȹ; Jérôme lui a consacré une leĴre, qui constitue un petit traité à elle seuleȹ: la leĴre LVII, De optimo genere interpretandi. CeĴe question est loin d’être étrangère à la pensée de Pétrarque, par ailleurs traducteur lui-même de la Griselda de Boccace²Ž et désireux de posséder la traduction d’Homère en latin à laquelle travaillait Léonce Pilate³Ŵ. C’est un fait que le génie philologique de Pétrarque s’accompagne d’une grande aĴention portée aux problèmes des langues et de leurs vertus respectives, ainsi que de la transmission des textes. Dans une des Seniles (II Ů, à Angelo ToseĴi, dit Lélius), Pétrarque discute, avec toute l’autorité philologique qui est la sienne, des fausses aĴributions dont ont été victimes Aristote, Sénèque, Augustin et plusieurs autres, se voyant octroyer la paternité d’ouvrages qu’ils n’ont jamais écrits. « Quel besoin avons-nous des mensonges des ĚaĴeursȹ? », s’interroge Pétrarque au commencement de ceĴe leĴre. « Ils ne sauraient faire briller les talents obscursȹ; quant à ceux qui brillent déjà, ils n’ont que faire de leur aide, qui leur cause plus de tort qu’elle ne les seconde »³¹. Lui-même se voit aĴribuer des écrits, y compris en langue vulgaire, dont il n’est en rien l’auteurȹ: son érudition garantit en quelque sorte son intégrité liĴéraire. « On pourrait croire, écrit Ugo DoĴi, que ce ne sont là que de brèves et occasionnelles remarques de culture et d’érudition philologiqueȹ; toutefois elles sont très signięcatives pour brosser ce “portrait d’humaniste” que Pétrarque était en train d’achever »³². Comparons ceĴe let29. Griselda (De insigni obedientia et ęde uxoria [= Seniles, XVII Ů]). 30. Cf. LeĴres de la vieillesse, III Űȹ: « Enęn, pour que l’évocation, si prolixe, de cet ami frivole ne soit pas vaine, il me revient à l’esprit, au milieu de tout cela, de t’adresser une prièreȹ: ceĴe partie du poème homérique de l’Odyssée où Ulysse descend aux Enfers, avec la description que fait Homère des lieux qui composent le vestibule de l’Érèbe — le tout dans la traduction latine qu’en a donnée, à ton instigation, celui dont nous parlons —, essaie d’en faire une copie de ta main, et envoie-la moi dès que possible, car j’en ai grand besoin. C’est tout pour le momentȹ; mais par la suite, si tu m’aimes, examine, je t’en prie, dans quelle mesure il peut se faire, par tes soins et à mes frais, qu’un Homère latin bien complet pénètre enęn dans ceĴe bibliothèque, quand l’Homère grec y habite déjà depuis longtemps » (LeĴres de la vieillesse, t. IIȹ: Livres IV-VII, édition critique d’E. Nota, traduction de Frédérique Castelli et alii, présentation, notices et notes d’Ugo DoĴi mises en français par Frank La Brasca, Paris, Les Belles LeĴres, p. ŬůŲ). Sur Léonce Pilate et ses traductions d’Homère, voir les n. ū, ūů et ūŰ à ceĴe leĴre, p. ŮŬū-ŮŬŭ. 31. LeĴres de la vieillesse, éd. cit., t. I, p. ūűŪ et ūűŬ. 32. Dans Pétrarque, LeĴres de la vieillesse, éd. cit., t. I, p. ūŪű.

149

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

tre avec ce que dit Jérôme dans sa préface à la traduction du traité Du SaintEsprit de Didyme l’Aveugle, auteur pour lequel il professait une vive admirationȹ: « J’ai mieux aimé paraître comme le traducteur de l’ouvrage d’autrui que de me parer, laide petite corneille, de brillantes couleurs empruntées ». Voici maintenant le commentaire que Larbaud livre de ceĴe phraseȹ: C’est l’aveu, à la fois de son admiration pour le De Spiritu Sancto et de la tentation qu’il a eue de se l’approprier, peutêtre en le démarquant, ou en l’imitant de tout près. Et c’est, aussi, l’indication précise du besoin, de l’instinct profond auquel répond la traduction et qui fait, selon la valeur morale des individus, ou peut-être selon leur degré de puissance intellectuelle, les plagiaires ou les traducteurs.³³

Avec ce magnięque hommage au travail des traducteurs, prenons congé de Valéry Larbaud, non sans avoir observé que la notice qu’il consacre à saint Jérôme contient, à elle seule, bien des éléments qui suĜsent à autoriser un premier rapprochement avec Pétrarque. Quelle est donc réellement la place occupée par l’auteur de la Vulgate dans l’œuvre et la pensée de Pétrarque, c’est ce qu’il conviendrait d’étudier d’un peu plus près — « conviendrait », disons-nous, au conditionnel, car pour l’heure, notre enquête ne portera que sur un échantillon restreint du corpus pétrarquien. Une analyse systématique de tous les passages où il est question de Jérôme, explicitement ou par allusion, dépasserait le cadre qui nous est imparti et ne sera de toute façon rendue possible que lorsque l’intégralité de la correspondance de Pétrarque, en particulier, aura fait l’objet d’une édition moderneȹ; notre but est plutôt d’esquisser un parallèle entre les deux auteurs, autour de la question — essentielle — du rapport entre leĴres sacrées et liĴérature profaneȹ: comment ces deux héritages sont-ils articulés dans la pensée de Pétrarque, en vue de quelle synthèse et au risque de quelles contradictions, telles sont les questions auxquelles nous tenterons maintenant de répondreȹ; nous verrons, chemin faisant, que la ęgure de Jérôme, loin de faire double-emploi avec celle, beaucoup plus manifeste, d’Augustin, s’impose à Pétrarque comme un autre modèle, tout aussi décisif pour la constitution de son identité liĴéraire.

33.

150

Sous l’invocation de saint Jérôme, op. cit., p. Ůů.

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

Nous examinerons donc un choix de textes, pris dans le corpus latin de Pétrarqueȹ: le De otio religioso, le De vita solitaria, auxquels on joindra quelques leĴres extraites des Familiares et des Seniles. Nous renoncerons, non sans regret, aux autres œuvres, où pourtant Jérôme est également présentȹ; ainsi, de tel passage des Remèdes aux deux fortunes, où Pétrarque fait l’éloge de Jérôme traducteur unique de la Bible latine, quand la version grecque des Septante en avait nécessité soixante-dix³Ÿȹ; ainsi, de l’Itinerarium, « petit itinéraire de Gênes à la Terre Sainte », où Pétrarque paraphrase, sur deux paragraphes, la Vita Hilarionis composée par Jérôme³Ź. Mais, pour l’heure, concentrons-nous sur les passages où ressort clairement la question, dont nous avons déjà souligné l’importance cruciale, du rapport entre leĴres païennes et révélation chrétienne — question qui fait l’objet d’analyses diverses, voire contradictoires, de la part des exégètes pétrarquiens. Partons de ce que dit Pétrarque dans les dernières pages du De otio. Dans ce texte, Pétrarque aĜrme placer désormais plus haut que tout le reste les saintes Écritures, dont les beautés lui sont trop longtemps demeurées cachées. C’est bien d’une conversion du regard qu’il s’agitȹ: « Ce que je dis là, je l’aurais sans doute refusé il y a encore quelques années, même sans le reconnaître. J’en rends grâce à Celui qui m’a ouvert les yeux pour que je voie enęn ce que je ne parvenais pas à voir, pour mon plus grand péril » — et Pétrarque de s’en prendre à sa propre étroitesse d’espritȹ: « J’espère aussi qu’il purięera mes yeux obscurcis, aęn que m’apparaisse tout ce que

34. Cf. Les remèdes aux deux fortunes, I Ůŭ ŬŬ (texte établi et traduit par Christophe Carraud, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŬ, vol. I, p. ŬŬŭȹ: « L’ouvrage de tant d’esprits [i.e. la « fameuse traduction » des Écritures commanditée par Ptolémée Philadelphe] paraîtrait sans doute admirable, si depuis on n’avait vu plus admirable encore dans celui d’un seul ») — l’allusion à la Vulgate est claire. L’exploit insurpassable de Jérôme sert d’argument à Ratio pour dissuader Gaudium de rechercher « la gloire par les livres ». 35. Les § ŰŬ et Űŭ de l’Itinerarium empruntent en eěet à la leĴre CVIII de Jérôme, § ūŪȹ; cf. Pétrarque, Itinéraire de Gênes à Jérusalem [la page de titre porteȹ: Itinéraire de Gênes à la Terre sainte], traduction de Christophe Carraud et Rebecca Lenoir, notes de Rebecca Lenoir, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŬ, p. ŲŲ-ųūȹ: « Tu contempleras la Vierge mère dans l’étable, et son enfant divin vagissant au berceau, les anges concertant du haut du ciel, les bergers épouvantés et les rois étrangers, frappés de stupeur, apportant leurs présents, la terre baignée du sang innocent des enfants bienheureux et des larmes de malheur que versent les mères, et le ciel tout entier résonnant de sinistres gémissements. Cependant à l’avertissement des anges, avec la mère immaculée et le céleste enfançon, le saint homme nourricier quiĴe secrètement la patrie qui les rejeĴe, et se rend en Égypte […] » — à comparer avec saint Jérôme, Correspondance, t. Vȹ: LeĴres XCVI-CIX, texte établi et traduit par Jérôme Labourt, Paris, Les Belles LeĴres, ūųůů et ŬŪŪŭ², p. ūŰŲ.

151

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

ma dommageable lenteur [damnosa tarditas] m’empêche encore de voir »³ź. Certes, il ne s’étonne pas de déceler en lui une telle inęrmité quand, ajoutet-il, saint Jérôme lui-même déclare qu’il trouvait « horrible », à l’époque où il était plongé dans les leĴres païennes, le « langage grossier » des Écritures. On reconnaît le vocabulaire employé par Jérôme dans sa vingt-deuxième épîtreȹ; ce sont précisément les mots qui précèdent le récit du songeȹ: « Si […] je me meĴais à lire un prophète, ce langage inculte me faisait horreur [sermo incultus horrebat]. Mes yeux aveuglés m’empêchaient de voir la lumière. Or, ce n’étaient pas mes yeux que j’incriminais, mais le soleilȹ! »³Ż. CeĴe comparaison permet à Pétrarque d’excuser, à ses yeux du moins, son propre penchant pour la liĴérature profaneȹ: « Si ce fut le sentiment d’un homme de ceĴe trempe, versé depuis l’adolescence dans les livres saints, pourquoi ne serait-ce pas aussi le mienȹ? »³ż. On ne peut nier le statut de modèle accordé ici à Jérôme. Aussi Pétrarque déplore-t-il de n’avoir pas été à l’école de maîtres tels que Grégoire de Nazianze ou Jérôme lui-même, qui eussent façonné son âme de manière à lui permeĴre de sentir toute la beauté et toute la richesse des textes sacrésȹ; au contraire, durant ses années d’apprentissage, comme il le rappelle, il entendait ses maîtres mépriser la Bible comme autant de fables ou d’« histoires de bonnes femmes » (aniles fabulæ). C’est alors qu’intervient Augustinȹ: « dans l’incertitude où j’étais, et dont la seule description supposerait que je rédige moi aussi un fort volume de confessions, je tombai sur celles d’Augustin »³Ž. Ce furent ensuite, s’il faut en croire la liste que dresse Pétrarque, Ambroise, Jérôme, Grégoire, Jean Chrysostome et Lactanceȹ; dès lors, « en ceĴe noble compagnie », Pétrarque était prêt à entrer « dans le pays des sainte Écritures ». Il faut replacer ce passage dans le contexte rhétorique du De otio, de caractère exhortatif. Le récit de ces souvenirs s’insère en eěet entre deux exhortations, adressées, comme l’ensemble du traité, aux frères de la chartreuse de Montrieuxȹ: « Exercez votre esprit dans ces Saintes LeĴresȹ; tenezy occupés vos yeux, vos oreilles, votre langueȹ; que ce soit le but de votre action et de votre pensée »ŸŴ — formulation à laquelle fait écho la suivanteȹ:

36. Pétrarque, Le repos religieux, préface de Jean-Luc Marion, introduction, traduction et notes de Christophe Carraud, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŪ, p. ŭűų. 37. Saint Jérôme, Correspondance, éd. cit., t. I, p. ūŮŮ. 38. Le repos religieux, trad. cit., p. ŭűų. 39. Ibid., p. ŭŲū. 40. Ibid., p. ŭűű.

152

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

« Ces Écritures, donc, […] aimez-les, cultivez-les, vénérez-les, fréquentezlesȹ; qu’elles ne quiĴent jamais vos mains, ou, à défaut, votre esprit »Ÿ¹. La digression autobiographique à laquelle se livre Pétrarque doit donc s’entendre comme une confession, au sens religieux du terme, dont l’exemplarité est redoublée par la référence à saint Jérôme. La parole de Pétrarque, si personnelle, est ici l’écho de voix très anciennes. Comme l’écrit Ugo DoĴi, « L’écrivain s’écarte du contenu des pages précédentes […] parce qu’il considère non seulement comme utile, mais aussi comme opportun et nécessaire, de faire acte de contrition et de confesser que l’étude de la liĴérature sacrée prime celle de la liĴérature païenne »Ÿ². Certes, mais ceĴe confession n’est pas tant celle d’un cas individuel que d’une posture intellectuelleȹ: comment un esprit leĴré, comment un écrivain (car c’est de cela qu’il s’agit) peut-il réagir devant la contradiction posée par l’existence d’un double héritage, païen et chrétienȹ? Jérôme et Pétrarque se sont trouvés confrontés à ceĴe diĜculté, et partagent un même goût pour les livres et les belles-leĴresȹ: Virgile, Cicéron, les historiens… composèrent, au moins un temps, leur nourriture à tous deux, et le style de chacun s’en ressent. Le De otio résout ceĴe diĜculté dans une perspective ascétique et monacale, et Pétrarque passe en revue les avantages des leĴres sacrées. Elles ont pour elles, en eěet, l’autorité et l’anciennetéȹ; elles sont source de vertu et prodiguent du fruit à qui les pratiqueȹ: « Alors que les autres ne vous oěrent pour tout proęt qu’un bénéęce éphémère, un souĝe aussitôt disparu, un faux prestige, elles ont pour ęn la vie éternelle et la félicité véritable »Ÿ³. Reste la question de l’agrément liĴéraire, l’ornatus, autrement dit l’« élégance ». Pour la résoudre, Pétrarque reprend l’opposition traditionnelle entre l’épouse et la prostituée, avec des « accents proches de Tertullien et de Jérôme »ŸŸȹ: « Imaginez donc une belle femme [matrona formosa], réservée, pudique, vêtue avec simplicitéȹ; et puis, de l’autre côté, une courtisane somptueusement parée, au maquillage outrancierȹ: qui serait assez sot pour se demander laquelle épouserȹ? »ŸŹ. Argumentation qui se justięe dans un contexte monacal, sans aucun douteȹ; mais l’espace liĴéraire est-il superpo-

41. Ibid., p. ŭŲů. 42. Vita di Petrarca, Roma-Bari, Laterza, ūųŲű — trad. fr. Jérôme Nicolasȹ: Pétrarque, Paris, Fayard, ūųųū, p. ŭů. 43. Le repos religieux, op. cit., p. ŭŲů. 44. Note de C. Carraud dans Pétrarque, Le repos religieux, op. cit., p. Ůůū. 45. Le repos religieux, éd. cit., p. ŭŲů.

153

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

sable au désert où se goûte l’otium religiosumȹ? Pour qui Pétrarque écrit-il, au justeȹ? Il est vrai que les moines de Montrieux n’avaient guère besoin du traité de Pétrarque. En revanche, assumant seul et, ęnalement, pour son propre compte une parole destinée à la méditation et au silence de ceux qui ont choisi la voie étroite comme règle de vie, il expérimente une situation de parole inédite, où cessent d’exister un moment les contradictions fécondes qui nourrissent par ailleurs son entreprise liĴéraire. La prolixité même du De otio est une énigme, sinon une impasse. Le théologien peut bien cesser un moment d’être poète, « mais que la visée change », écrit Christophe Carraud, « que l’écriture s’érige en vocation grondante, […] et l’édięce qui la rendait légitime lui refuse son soutien »Ÿź. Chez Pétrarque, le désert est une utopie, l’espace d’un rêve, pour ainsi dire. C’est ce qu’expriment en ęligrane les pages si éloquentes du De vita solitaria. Mais les moines de la Chartreuse, eux, savent quels modèles suivre, et Pétrarque le leur rappelle après avoir longuement cité la leĴre LVIII de saint Jérôme, dans laquelle celui-ci désigne les Apôtres et les « hommes apostoliques » [apostolici viri] comme exemples de vie chrétienneȹ: « Oui, mes frères, écrit Pétrarque, voilà vos guides, comme ils le furent pour Jérôme. Et puis voyez Jérôme encore, Augustin et Grégoire […]ȹ: ils sont vos guides, vos compagnons, vos conseillers, votre secours, et vous oěrent l’exemple de leur vie »ŸŻ. En somme, Pétrarque désigne Jérôme, qui lui-même désigne d’autres modèles, sur lesquels s’étend abondamment le traité de La vie solitaire. La question de l’otium, à l’évidence, est intimement liée dans la réĚexion de Pétrarque à celle du désert, et là encore Jérôme sert implicitement de référence. Au deuxième livre du De vita solitaria — ceĴe véritable galerie des saints —, Pétrarque fait suivre la notice consacrée à Augustin de ce portrait de Jérôme, dont voici les grandes lignesȹ: Il quiĴa Rome sans un regard pour les richesses de la ville, et, aĴiré par l’espoir et le désir de la patrie éternelle […], il alla d’abord s’enfouir dans ceĴe immense solitude qui oěrait aux moines une eěrayante demeure […]. Quoiqu’il fût vainqueur, il ne quiĴa pas le champ de bataille [comprenonsȹ: le désert, où il livrait « d’épuisants combats contre les assauts de la chair rebelle »] pour revenir à Rome y célébrer son triom-

46. Nous reprenons ici les derniers mots de l’introduction dont C. Carraud fait précéder son édition du Repos religieux, éd. cit., p. ŬŰ. 47. Le repos religieux, éd. cit., p. ūųŭ.

154

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

phe, comme s’il était désormais hors de danger, mais pour se réfugier en hâte dans le secret de Bethléem.Ÿż

Au portrait de Jérôme en solitaire s’ajoute, en médaillon pour ainsi dire, celui de l’écrivain, auteur de plusieurs Vies de Pères du désert, dont celles d’Hilarion et de Paul l’Ermite — la Vie de Jean l’Égyptien, également citée par Pétrarque, étant vraisemblablement de Ruęn, mais « le manuscrit de Jérôme que possédait Pétrarque groupait sans doute ces trois vies »ŸŽ. L’on sait le goût de Pétrarque pour ceĴe liĴératureȹ: « ce sont de petits livres où l’on ne sait qu’admirer le plus, de la dévotion ou de l’éloquence »ŹŴ, écrit-il en ūŭŰű au grammairien Donato degli Albanzani, auquel il conseille justement la lecture des Vies écrites par Jérôme et par d’autres, parallèlement aux Confessions d’Augustin. Vingt ans ont passé depuis le De otio, mais les éléments de la biographie mentale échafaudée par Pétrarque demeurent inchangés et le rôle déterminant aĴribué à la lecture des Confessions n’est pas démentiȹ: « sache que ce livre m’a ouvert l’accès à toutes les leĴres sacrées. Je leur trouvais un style bas, négligé, et les jugeais inférieures aux profanes, que j’aimais d’un amour démesuréȹ; le mépris que j’avais conçu pour les saintes leĴres en a longtemps tenu à l’écart le jeune homme orgueilleux que j’étais alors »Ź¹. La « lenteur » intellectuelle, jadis incriminée par Pétrarque, cède la place à l’orgueil, à l’« arrogance de la jeunesse » et même, ajoute-t-il, aux « suggestions diaboliques qui l’alimentaient ». Pétrarque ne se cherche plus d’excusesȹ; il n’est plus question désormais de déplorer l’inĚuence de mauvais maîtres, mais d’accuser encore les contours d’une biographie moralisée et, dans sa ęnalité exhortative, idéalisée. L’intention de Pétrarque ne fait aucun doute, dans une leĴre destinée à encourager, chez son destinataire, la pratique de la pénitence. Dans une autre leĴre, de sept ans antérieure (Familiares, XXII ūŪ) et traitant du « mélange […] des leĴres sacrées et profanes », Pétrarque dresse en quelque sorte son programme de lecturesȹ: « J’ai aimé Cicéron, je l’avoue, et j’ai aimé Virgileȹ; je me suis enivré sans mesure de leur langue et de leur 48. La vie solitaire, trad. cit., p. Ŭūű et Ŭūų. Cf. ibid., éd. cit., p. ŬūŰ et p. ŬūŲȹ: « Ieronimus urbe Roma dimissa romanisque opibus contemptis eterne patrie spe ac illectus […] in illam primo vastam solitudinem, “horridum monachis habitaculum” […] quamvis victor, non ex acie Romam quasi iam securus ad triumphum rediit, sed in Bethleemiticas latebras festinabundus aufugit ». 49. Note de C. Carraud à sa traduction de la leĴre à Donato degli Albanzani (Seniles, VIII Ű) dans Conférence, nº ű, ūųųŲ, p. Ŭůū. 50. Ibid. 51. Ibid., p. ŬŮŲ.

155

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

génie. […] J’ai aimé semblablement Platon pour les Grecs, et Homère. […] Dorénavant, Ambroise, Augustin, Jérôme, Grégoire sont mes orateurs, Paul mon philosophe, David mon poète »Ź². Paroles fermes et résolues, en apparence, mais qui ne dissipent pas toute ambiguïtéȹ: Pétrarque précise en eěet qu’il n’a pas l’intention d’abandonner les auteurs païens et se réclame en cela de l’autorité de Jérôme, car ce dernier, s’il décida de ne plus les fréquenter, de toute évidence ne se tint pas à ceĴe résolution. Pétrarque poursuit ainsi, faisant mine de résoudre le problème quand il ne fait que l’esquiverȹ: « je crois pouvoir aimer à la fois les uns et les autres, pourvu que je n’ignore pas qui préférer dans le choix des mots, et qui dans celui des choses »Ź³. Le raisonnement est trop simple pour être convaincant, et Pétrarque aěecte ne pas s’en apercevoirȹ; car il est bien question ici, au rebours de l’extrait du De otio précédemment cité, d’une supériorité liĴéraire — « Pour la parole, j’aurais recours, au besoin, à Virgile et à Cicéron »ŹŸ — et le parallèle, autrefois tracé par Pétrarque, entre le brillant des leĴres païennes et les fards de la prostituée cède ici la place à une autre comparaison, neĴement plus amèneȹ: rien n’interdit, écrit Pétrarque, « de consacrer une partie du ménage aux nécessités, l’autre à l’ornement de la maison », ou « d’être riche à la fois d’argent et d’or »ŹŹ. La diĜculté est comme dissipée dans la généralité de la comparaison, et l’on oublie vite que Pétrarque a ouvertement déclaré où allait sa préférence, dans l’ordre esthétique. Certes, le Psautier se recommande par sa beauté sans ornementȹ: il est, dit Pétrarque, « d’autant plus beau qu’il est simple »Źźȹ; mais la parole requiert d’autres splendeurs, d’autres prestiges — vains peut-être, mais non point factices. Pétrarque fait état d’une erreur de perspective, non d’une erreur de jugement. Quant à ceĴe union du sacré et du profane, elle demeure problématiqueȹ: à quelle ęn la vouer, si ce n’est exclusivement liĴéraireȹ? « Une leĴre de toi, écrit Pétrarque à son correspondant, m’a montré que tu aimais me voir mêler sacré et profane, et tu as pensé que Jérôme s’y plairait aussi »ŹŻ. Il semble que Pétrarque désormais ne se contente plus de placer liĴérature

52. 53. 54. 55. 56. 57.

156

Traduction de C. Carraud dans Conférence, nº ů, ūųųű, p. ŮūŲ sq. Ibid., p. Ůūų. Ibid., p. Ůūų sq. Ibid., p. Ůūų. Ibid., p. ŮŬŪ. Ibid., p. Ůūű.

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

païenne et liĴérature chrétienne sur des degrés distincts, propices à les mesurer ou à meĴre l’une au service de l’autre. Mais quel dispositif inventer, pour permeĴre un libre usage des leĴres sans risque de confusionȹ? Comment faire pour qu’un choix ne soit pas un renoncementȹ? Ugo DoĴi voit dans ceĴe leĴre « une aĜrmation répétée de l’orthodoxie personnelle de l’écrivain malgré son amour - non renié - pour la culture classique et païenne renouvelée dans le message humaniste »Źż. Reste à savoir quel est ce message, à supposer que Pétrarque en ait fourni une formulation. Ce qui est sûr, c’est que l’incertitude où se place Pétrarque se transforme en épreuve moraleȹ: car ce qui est en cause, ce n’est pas tant la beauté ou la valeur — notions trop ondoyantes — de l’Antiquité, que la fascination qu’elle exerceȹ; d’où ce travail de mise à distance, plus ou moins théâtrale, avec la part de mauvaise foi qui l’accompagne. Commentant ceĴe leĴre, Christophe Carraud y décèle le sentiment d’un « malaise »ȹ: « On aime la liĴérature antique parce qu’on ne risque plus d’être happé par elle. Étrange séduction que celle-làȹ; on aĴire à soi des mondes révolus, qui serviront à se protéger du présent plus qu’à le comprendre ». Il faut consentir moins à un avènement qu’à une disparitionȹ; dans l’intervalle, se dessine « la ęgure moderne de l’œuvre, son impasse et son écartèlement »ŹŽ. C’est précisément en raison de son versant conĚictuel que ceĴe incertitude mérite d’être préservée, ne serait-ce que pour alimenter tant et plus, dans l’ordre intellectuel, le « secret conĚit » dont Pétrarque fournit l’analyse, au plan moral, dans le Secretum. Ce qui compte, dans l’un et l’autre cas, n’est pas tant la possibilité où il se trouve d’opérer en lui un changement ou de prendre une décision, mais la chance qui lui est oěerte d’investir un nouvel espace de parole et de pensée, et d’éprouver, de façon inédite, le sentiment que le fonds constitué par ce qu’il faut bien appeler la culture n’oěre plus pour longtemps les garanties d’un soutien indéfectible. L’analyse qu’Ugo DoĴi donne du Secretum peut sans peine être transposée à l’horizon des leĴresȹ: l’« auto-analyse » à laquelle se livre Pétrarque « ne débouche sur aucune résolution concrète, ce qui est en ęn de compte le résultat le plus important, celui qui révèle non pas tant l’incapacité de l’écrivain à choisir entre deux voies également vraies, que sa résolution de ne pas vouloir

58. Pétrarque, op. cit., p. ūŭŬ. 59. Citations extraites du commentaire qui suit la traduction de la leĴre de Pétrarque, dans Conférence, nº ů, ūųųű, p. ŮŬū.

157

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

décider »ȹ; Pétrarque, en eěet, « se rend compte que c’est ceĴe incertitude, ou ceĴe ambiguïté, ou ce tourment intellectuel, qui donnera naissance à la forme et à l’essence de la nouvelle culture »źŴ. Est-ce donc là ce « message humaniste », ou du moins ce que la tradition a retenu comme telȹ? N’est-ce pas plutôt l’aveu, mal dissimulé, de la mauvaise conscience qui, sourdement, s’empare de l’écrivain, confronté une nouvelle fois au dilemme qu’il s’est lui-même ardemment employé à rendre insolubleȹ? Dans cet « entre deux mondes »ź¹ qu’habite Pétrarque, où derrière l’eěritement de la scolastique ne se dessine pas encore l’avènement de l’humanisme adulte, on sent poindre une étrange mélancolieȹ: quelle place réserver à la transcendanceȹ? Chez le poète de l’Africa, le problème qui se pose est celui d’un christianisme sans apologétiqueȹ; ceĴe ambiguïté, notons-le en passant, a été bien sentie par Jean Gerson, qui, avec sa Josephina, épopée chrétienne, répondra à Pétrarque, avec moins d’éloquence sans doute, mais avec la conscience aiguë des paradoxes posés par les nouvelles pratiques intellectuelles qui seront celles de l’humanismeȹ: Gerson pressent en eěet que la curiositas et la singularitas, ces deux formes du péché d’orgueil, sont en train de devenir deux vertus par excellenceź² — glissement auquel Pétrarque, justement, n’est pas étranger. Dans une leĴre à Boccace (Seniles, I ů), probablement de ūŭŰŬź³, Pétrarque pose le problème sans détourȹ: les études font-elles obstacle au salut de l’âmeȹ? S’abritant une nouvelle fois derrière l’autorité de Jérôme, qui, « s’il s’était abstenu de pratiquer les leĴres philosophiques, oratoires et poétiques », n’eût jamais « réduit à néant avec pareille force de conviction les calomnies de Jovinien et des autres hérétiques »źŸ, Pétrarque, au terme de sa démonstration, en vient à ceciȹ: « Les leĴres n’entravent point, […] mais 60. Pétrarque, op. cit., p. ūŭŭ. 61. C’est le titre que donne Christophe Carraud à son étude de la leĴre familière dont il a été question (Conférence, nº ů, ūųųű, p. ŮŬū-ŮŬů). 62. Lire à ce sujet l’article de Gilbert Ouy, « Le thème du “tœdium scriptorum gentilium” chez les humanistes, particulièrement en France au début du xvĽ siècle », dans Cahiers de l’Association internationale d’Études françaises, XXIII, ūųűū, p. ų-ŬŰȹ; cf. Pétrarque, Le repos religieux, éd. cit., n. Ųůū, p. ŮůŪ sq. Les deux auteurs ont par ailleurs fait l’objet d’une étude comparative, largement redevable aux travaux de G. Ouyȹ: Yelena Mazour-Matusevich, « Gerson et Pétrarqueȹ: humanisme et idée nationale », dans Renaissance and Reformation/ Renaissance et Réforme, XXV, ŬŪŪū, p. Ůů-ŲŪ. 63. Pour la datation de ceĴe leĴre, voir la notice d’Ugo DoĴi, in Pétrarque, LeĴres de la vieillesse, éd. cit., t. I, p. ŭŰŪ. 64. Ibid., p. ŰŰ.

158

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ їѼџҥњђ

secondent l’homme de bonne moralité qui les cultive, et, loin de le retarder, le font avancer sur la route de la vie »źŹ. Plus tard, dans une leĴre de poetis adressée à Benvenuto da Imola (Seniles, XV ūū)źź, Pétrarque reprend la défense de la poésie, à la fois contre saint Jérôme et avec saint Jérômeȹ: « la langue poétique [sermo poeticus] est la nourriture des démons », écrivait ce dernierȹ; pourtant, il est le premier à s’en être repu (multum hoc cibo pastus est ipse Hieronymus), et il a répandu un « style poétique » sur tous ses écrits. En fait, conclut Pétrarque, « la poésie, cultivée par un esprit bon et pieux, peut servir à la louange du Christ et à l’ornement de la vraie religion ». C’est ce que dit aussi, en des termes plus généraux, l’invective Contra medicumȹ: « on ne construit aucune œuvre durable sans le ciment des poètes »źŻ. C’est l’horizon de l’histoire qui oěre à Pétrarque la perspective la plus sereineȹ: la gloire, l’éternité liĴéraire, ne s’entendent pas sans aĜrmation du moi et message délivré à la « Postérité »ȹ; le seul projet de livrer un portrait de soimême, si concerté, si inventé soit-il, requiert les instruments d’une pérennité patiemment conquise. À ce stade, le choix n’est plus possibleȹ: renoncer aux prestiges de la langue, ce serait renoncer à toute ambition et à toute existence, ce serait renoncer à ce statut à la fois si immédiat et si insaisissableȹ: celui de l’auteurȹ; corollairement, c’est l’idée d’œuvre qui disparaîtrait, au moment où elle est peut-être en train de se préciser, et quelle que soit la profusion de livres par ailleurs. L’auteur, on le voit, est lui-même l’artisan de sa bonne ou mauvaise fortune. Pietro Paolo Gerosa, dans son étude sur l’humanisme chrétien de Pétrarqueźż, estimait que l’inĚuence de Jérôme ne pouvait se comparer à celle

65. Ibid., p. ŰŲ. 66. XIV ūū dans l’édition bâloise de ūůůŮ, d’après laquelle nous citons ce passage (p. ūŪŮū sq.). 67. « Nullum pene mansurum opus sine poetarum calce construitur »ȹ; nous traduisons librement. Voici la traduction par Rebecca Lenoir du passage dans lequel ęgure ceĴe citation, au livre III de l’Invective contre un médecinȹ: « Ma première question est la suivanteȹ: puisque ta langue imprudente, pâteuse, gluante, imprégnée de médicaments, a éructé tant d’injures contre les poètes, comme s’ils étaient les adversaires de la vraie foi, que les ędèles devaient les fuir et l’Église les meĴre à l’index, que penses-tu d’Ambroise, d’Augustin, de Jérôme, des martyrs Cyprien et Victorin, de Lactance et des autres écrivains catholiquesȹ? Presque toutes leurs œuvres immortelles sont bâties avec les matériaux des poètes, par contre les ouvrages des hérétiques n’oěrent pratiquement pas trace de poésie, que ce soit par ignorance ou parce que leurs erreurs n’y ont pas trouvé d’écho » (Pétrarque, Invectives, éd. cit., p. ūŭű). 68. Umanesimo cristiano del Petrarcaȹ: InĚuenza agostiniana aĴinenze medievali, Turin, BoĴega d’Erasmo, ūųŰŰ, p. ūŰū.

159

ѓџюћѷќіѠ ѓюяџђ

d’Augustinȹ; tout au plus, Jérôme, Ambroise et les autres Pères furent-ils « absorbés » par Augustin, comme autant de rivières qui se jeĴent dans un Ěeuve. Il est évident — nous ne le contestons pas — que l’omniprésence d’Augustin n’autorise aucun parallèle avec Jérômeȹ; mais l’essentiel n’est pas de mesurer leurs poids respectifs dans l’œuvre et la conscience de Pétrarque. Ce qui compte, nous semble-t-il, c’est d’identięer en Jérôme un modèle unique et singulier, moins écrasant, certes, et moins nécessaire qu’Augustin, mais néanmoins décisif. Comme Pétrarque lui-même l’indique au destinataire d’une leĴre familière (IV ūů), un famosus virźŽ qui meĴait Jérôme « au premier rang des docteurs sacrés », il avoue une préférence pour Augustin, quand son ami Giacomo Colonna, l’évêque de Lombez, « préférait toujours Jérôme entre tous les écrivains chrétiens »ŻŴ. Pour Pétrarque, l’image qui s’impose, pour décrire la prépondérance d’Augustin, n’est pas celle des cours d’eau, mais des astresȹ: Augustin est le « Soleil de l’Église », les autres docteurs pouvant ęgurer Jupiter, Arcturus ou Lucifer. Le fait que ce soit Jérôme qui, en l’occurrence, dispute à Augustin la première place est signięcatif, d’autant que Pétrarque prend la peine de répondre sur ce point à son correspondantȹ: dans la constellation mentale et culturelle de Pétrarque, ceĴe étoile brille d’un éclat entre tous reconnaissable, et il vaut la peine de chercher à en discerner le reĚet.

69. Pour l’identięcation de ce famosus vir avec Giovanni d’Andrea, cf. la notice d’Ugo DoĴi dans Pétrarque, LeĴres familières, t. IIȹ: Livres IV-VII, notices et notes d’Ugo DoĴi mises en français par Christophe Carraud et Frank La Brasca, traduction d’André Longpré, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ŮŮŪ sq. 70. LeĴres familières, éd. cit., t. II, p. ųŮ. Dans la leĴre suivante, Pétrarque revient sur les motifs pour lesquels son correspondant place Jérôme, qu’il juge « plus utile » à l’Église, au-dessus d’Augustin (cf. ibid., p. ūŪŮ).

160

Antoine de Rosny

Pétrarque et saint Bernard

Saint Bernard n’est, de loin, pas le docteur de l’Église auquel Pétrarque se réfère le plus souvent dans son œuvre. À côté des quatre grands docteurs latins qu’il cite à l’envi¹ — surtout saint Augustin² —, le fondateur de Clairvaux apparaît même étonnamment absent de ses écrits, et les quelques références directes que Pétrarque fait à son œuvre se comptent sur les doigts de la main. Ne déclare-t-il pas à Nelli, dans la célèbre Fam. XXII ūŪ, qu’ayant décidé de nourrir toutes ses lectures du souci de Dieu — nous sommes en ūŭŰŪ —, ses « orateurs seraient dorénavant saint Ambroise, saint Augustin, saint Jérôme et saint Grégoireȹ; son philosophe saint Paul, et son poète David »ȹ? Pourtant, il serait faux de penser que saint Bernard constitue à ses yeux un auteur secondaire³. Seulement, pour s’en rendre compte, il convient de ne pas en rester à la simple apparition, sous sa plume, du nom de Bernard. Il faut déjà apprendre à lire, derrière l’aspect anecdotique d’une référence, le trait déterminant révélant l’importance d’une ęliation intellectuelle, sinon spirituelle. Il faut ensuite chercher davantage la présence du docteur de l’Église là où l’écrivain ne l’évoque pas explicitement, et peutêtre aussi comprendre le sens d’une occultation intentionnelle et, partant, révélatrice. Le parcours que nous proposons ici consiste donc à remonter

ū. C’est-à-dire saint Ambroise (ŭŭų-ŭųű), saint Augustin (ŭůŮ-ŮŭŪ), saint Grégoire (ůŮŪ-ŰŪŮ) et saint Jérôme (ŭŮŪ-ŮŬŪ). Ŭ. L’immense bibliographie consacrée à l’inĚuence de saint Augustin dans l’œuvre de Pétrarque le prouve. Voir par exemple Évelyne Luciani, Les Confessions de saint Augustin dans les leĴres de Pétrarque, Paris, Études Augustiniennes, ūųŲŬ. ŭ. Pétrarque, de toute façon, ne saurait meĴre sur le même plan saint Bernard, qu’on appelle parfois, de façon abusive, « le dernier des Pères latins », et ceux que l’Église a, à son époque, reconnus oĜciellement comme « Pères », et qui appartiennent à une époque déterminée de son histoire. Précisons en outre que saint Bernard, canonisé dès ūūűŮ, ne devint docteur de l’Église qu’en ūŲŭŪ, sous le pontięcat de Pie VIII.

161

юћѡќіћђ ёђ џќѠћѦ

aux sources d’un héritage inaĴendu, à pratiquer, en somme, une archéologie de la pensée, pour mieux meĴre en valeur un des aspects fondamentaux de l’écriture pétrarquienneȹ: sa capacité à s’approprier la pensée d’autrui en la déformant autant qu’en la taisant, fût-ce au prix de trahisons.

Les sources de Pétrarque Aucune preuve ne nous permet d’aĜrmer à ce jour que Pétrarque ait eu en sa possession une œuvre de saint Bernard. De fait, il ne paraît pas s’être beaucoup intéressé aux intellectuels français du xiiĽ siècle, et — nous dit Nolhac —, « s’il a loué une fois assez vivement les scolastiques italiens, pour les besoins de la cause qu’il défendait, il ne semble pas qu’il les ait lus davantage »Ÿ. On sait en revanche qu’il possédait un manuscrit bien connu des œuvres d’AbélardŹ, acquis vers ūŭŭű, et dont l’abondance des annotations marginales prouve l’intérêt que Pétrarque a porté à l’histoire amoureuse du grand théologienź. Peut-être ne faut-il d’ailleurs pas voir un simple hasard dans le fait que Pétrarque se soit senti, face aux deux grands théologiens ennemis du xiiĽ siècle, une aěection plus naturelle et plus grande pour l’intellectuel amoureux et pénitent, en qui il reconnaît des éléments de sa propre vieŻ, que pour le moine austère et rigide de Clairvaux. Quand il évoque, dans le Contra eum, l’auteur du De consideratione, c’est d’abord le sévère juge d’Abélard (salué, pour sa part, comme « homme cultivé »), qui apparaît, et c’est à Béranger de Poitiers et à son Apologie contre le bienheureux Bernard Ů. Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, ūųŪű [= ibid. & Turin, BoĴega d’Erasmo, ūųŰů], II, p. ŬŬů. ů. Il s’agit du Par. Lat. Ŭūųŭ, conservé à la Bibliothèque nationale de France. Sa description exhaustive se trouve chez P. de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, op. cit., II, p. Ŭūű-ŬŬŮ et ŬŲű-ŬųŬ. Voir aussi l’Introduction de Jacques Monfrin à Abélard, Historia calamitatum, texte critique avec une introduction, publié par J.M., Paris, J. Vrin, ūųűŲ, p. ūų. Ű. Abélard a même sa place parmi les heureux solitaires. Cf. De vita solitaria, II ūŬ ů (Pétrarque, La vie solitaire, introduction, traduction et notes de Christophe Carraud, Grenoble, J. Millon, ūųųųȹ: « Certains [entendez, entre autres, saint Bernard lui-même], à tort ou à raison, je l’ignore, meĴent en cause la droiture de sa foi […] »). ű. Après avoir relevé les annotations marginales les plus révélatrices, P. de Nolhac (Pétrarque et l’humanisme, op. cit., II, p. ŬŬŬ sq.) conclutȹ: « Il est aisé de voir quels rapprochements s’établissent, dans l’esprit de Pétrarque, entre l’histoire amoureuse d’Abailard et la sienne. Les ardeurs dont avaient brûlé les amants parisiens, leur foi généreuse et leur piété émouvaient profondément son cœur religieux et combaĴu. Il n’est pas surprenant qu’il ait choisi, pour y jeter les conędences les plus secrètes de son âme, le manuscrit qui contient ceĴe belle histoire d’amour et de pénitence ».

162

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ яђџћюџё

qu’il se réfère pour nuancer l’état de sainteté de saint Bernardż — démarche qu’on ne l’imagine pas mener avec un Père « italien ». À défaut d’établir avec certitude le fait que Pétrarque ait possédé des œuvres de saint Bernard, les références directes à la vie et à l’œuvre du théologien permeĴent néanmoins de déterminer les sources principales auxquelles l’écrivain s’est référé. Pour les questions biographiques, Pétrarque s’inspire du premier livre de la vie du saint, écrit par Guillaume de Saint-ThierryŽȹ: c’est le cas de la courte allusion qui ęgure dans le De otio religioso¹Ŵ et, bien entendu, du portrait que l’écrivain dresse au deuxième livre du De vita solitaria¹¹. Pétrarque se réfère aussi très ponctuellement au livre V de ceĴe même vie¹² quand, dans la longue leĴre où il évoque la longévité des hommes illustres, il précise l’âge auquel mourut saint Bernard¹³. S’agissant des œuvres de ce dernier, Pétrarque, suivant d’ailleurs en cela l’exemple de Dante¹Ÿ, ne mentionne explicitement que le De consideratione — il s’agit d’un passage du Contra eum —, ce qui fait dire à Pierre de Nolhac que cet ouvrage a pu faire partie de sa bibliothèque¹Ź. Nous avons des raisons d’en douter, pour la simple et bonne raison que Pétrarque, comme nous le verrons plus loin, reprend dans sa réponse à Jean de Hesdin exactement les mêmes citations que celles utilisées par son ennemi, avec les mêmes entorses (minimes, certes, mais signięcatives) à la tradition manuscrite qui nous est parvenue¹ź. Nolhac s’appuie en outre sur des citations du De consideratione¹Ż se trouvant dans le De vera sapientia, dialogue que reproduisent les premières éditions des Opera omnia de Ų. Pétrarque, Invectives, texte traduit, présenté et annoté par Rebecca Lenoir, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŭ, p. ŬųŮ-ŬųŰ. ų. Sancti Bernardi abbatis Claræ-vallensis Vita et res gestæ libris septem comprehensæȹ: Liber I, Auctore Guillelmo olim sancti Theoderici prope Remos abbate, tunc monacho Signiacensi, in PL, t. ūŲů, col. ŬŬů-ŬŰŲ. ūŪ. De otio religioso, II III Ŭ-ŭ. ūū. De vita solitaria, II VII Ű-ų. ūŬ. Sancti Bernardi abbatis Claræ-vallensis Vita et res gestæ libris septem comprehensæȹ: Liber quintus, Auctore Gaufrido monacho Claræ-Vallensis, in PL, t. ūŲů, col. ŭŰŪ. ūŭ. Fam., VI ŭ Ŭŭȹ: « tertium et sexagesimum Bernardus implevit », dit Pétrarque. Geoěroi de Clairvaux avait écritȹ: « […] annis circiter sexaginta tribus expletis ». ūŮ. Ep., XIII ŲŪ. Sur l’inĚuence de saint Bernard sur Dante, voir Alexandre Masseron, Dante et saint Bernard, Paris, Albin Michel, ūųůŭ. ūů. P. de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, op. cit., II, p. ŬŬů. ūŰ. S[ancti] Bernardi Opera, vol. III, ad ędem codicum recensuerunt J[ean] Leclercq et H[enri] M[arie] Rochais, Romæ, Editiones Cistercienses, ūųŰŭ, p. ŭŲū-ŭųū. ūű. De consideratione, II III Ű et IV ű principalement.

163

юћѡќіћђ ёђ џќѠћѦ

Pétrarque¹ż, et qui a même donné lieu à des éditions séparées¹Ž, mais on sait aujourd’hui que ceĴe œuvre a été faussement aĴribuée à Pétrarque et que, sans correspondre exactement au De sapientia de Nicolas de Cues dont on l’avait d’abord rapproché, elle constitue un curieux mélange de Pétrarque et du Cusain²Ŵ. Les citations issues du De consideratione présentes dans ce texte amalgamé — citations elles-mêmes soumises à un étrange montage²¹ — ne sont donc pas la preuve que Pétrarque ait eu sous les yeux le traité de saint Bernard puisque l’œuvre n’est pas de lui. Elles ne viennent pas non plus du traité de Nicolas de Cues (qui pourtant connaissait bien la théorie de la contemplation de l’abbé de Clairvaux et possédait un exemplaire du De consideratione dans sa bibliothèque²²), puisque qu’aucune allusion, même indirecte, ne se trouve dans l’œuvre du cardinal. Les citations relevées par Nolhac, appartenant à ceĴe mosaïque textuelle décidément surprenante, sont donc nées sous la plume du compilateur qui suscita la fausse aĴribution des deux dialogues à Pétrarque. Pour le reste, tout au plus peut-on déceler, ici ou là, des échos à l’œuvre de saint Bernard, comme certains s’y sont essayé, notamment dans le domaine de la spiritualité. Dans l’article qu’il consacre à Pétrarque dans le Dictionnaire de spiritualité²³, Antonio Niero évoque ainsi à plusieurs reprises des échos possibles, dans l’œuvre de Pétrarque, à certaines pages de saint Bernardȹ; mais ces échos ne dépassent jamais le stade d’une ressemūŲ. Pour l’édition que nous avons consultée, voir Francisci Petrarchæ […] Opera omnia quæ extant […], Basileæ, per Henricum Petri, ūůůŮ [= Ridgewood (N.J.), Gregg Press, ūųŰů], p. ŭŰŮ-ŭűŬ. ūų. Daniel Willard Fiske, Bibliographical notices, IIIȹ: Francis Petrarch’s De remediis utriusque fortunæȹ: Text and versions, Florence, Le Monnier, ūŲŲŲ, nº ŭų-Ůū. Cet ouvrage est reproduit dans Pétrarque, Les remèdes aux deux fortunesȹ: ūŭůŮ-ūŭŰŰ, vol. Iȹ: Texte et traduction, vol. IIȹ: Commentaires, notes et index, préface de Giuseppe Tognon, texte établi et traduit par Christophe Carraud, introduction, notes et index par Christophe Carraud, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŬ. ŬŪ. Cf. les explications fournies par Raymond Klibansky dans son introduction au vol. Vȹ: Idiota/De sapientia-De mente des Opera omnia de Nicolas de Cues, hrsg. von Ludwig Baur und Renate Steiger, Hambourg, ūųŲŭ), p. LXV-LXXII (« De dialogis De vera sapientia Francisco Petrarcæ addictis »). Ŭū. Francisci Petrarchæ […] Opera omnia, éd. cit., p. ŭŰŰ. ŬŬ. C’est le ms. ŰŬ de sa bibliothèque. Cf. Edmond Vansteenberghe, Le cardinal Nicolas de Cues (ūŮŪū-ūŮŰŮ)ȹ: L’action - La pensée, Paris, Champion, ūųŬŪ [= Franfurt-am-Main, Minerva, ūųŰŭ-Genève, Slatkine Reprints, ūųűŮ], p. ŮŬů. Ŭŭ. « Pétrarque », dans Dictionnaire de spiritualité, t. XII, IŊĽ partie, Paris, Beauchesne, ūųŲŮ, col. ūŬŪŲ-ūŬūű. Voir aussi, pour des renvois aussi nombreux que possible à l’œuvre de saint Bernard, des sermons aux leĴres en passant par divers traités, Pétrarque, Les remèdes aux deux fortunes, éd. cit.

164

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ яђџћюџё

blance due à une parenté ponctuelle tout à fait fortuite²Ÿ, qui ne saurait traduire une inĚuence précise²Ź. Sur des questions précises de spiritualité, la référence est presque toujours saint Augustin. Saint Bernard, lui, tel un Romuald ou un Pierre Damien, ne constitue qu’une ęgure d’ascète supplémentaire, idéale pour illustrer la beauté de la vie solitaire dans le traité que Pétrarque lui consacre.

Un aspect biographiqueȹ: le De vita solitaria Comme on le voit, les références directes à l’homme et à l’œuvre sont peu nombreuses, et minces les allusions possibles à la pensée du docteur de l’Église. C’est qu’au fond, l’univers théologique de saint Bernard touche peu Pétrarque, en tout cas moins que le substrat biographique dans lequel il trouve des éléments susceptibles de nourrir sa propre pensée. Saint Bernard constitue donc moins à ses yeux le brillant théologien des synodes de Soissons et de Sens et l’habile pourfendeur des hérésies d’Abélard et de Gilbert de la Porée qu’un illustre moine amoureux de solitude et rempli de « zèle céleste »²ź. En ce sens, la déformation qu’il fait subir à la ęgure du moine de Cîteaux, le raccourci par lequel ne demeure de ce personnage que la silhoueĴe liĴéraire du solitaire, rappellent le traitement réservé à saint François d’Assise — son saint patron — dont il ignore ou feint d’ignorer la nouveauté du message²Ż. Sa volonté de peindre la vie solitaire conformément à un idéal personnel vide les modèles invoqués dans la seconde partie de leur substance réelle, pour ne plus en exprimer qu’un suc où se retrouve l’otium quietis qui lui tient tant à cœur. L’analyse de l’évocation de saint Bernard enrichit ainsi notre manière de comprendre l’art avec lequel Pétrarque entreprend ceĴe subtile réélaboration de matériau. La démarche a d’ailleurs été eĜcacement menée par Étienne Gilson²ż, qui s’est employé à démontrer la déformation que Pétrarque fait subir aux propos de Guillaume de Saint-Thierry dans le passage ęnal où, après avoir ŬŮ. Même si la proximité de pensée est telle, parfois, qu’elle a abouti, dans des mélanges ascétiques du xvĽ siècle, à réunir le Secretum à des exposés de saint Augustin et de saint Bernard. Cf. Agostino SoĴili, « I codici del Petrarca nella Germania occidentale », in Italia medioevale e umanistica, X, ūųŰű, p. Ůūů — indiqué par A. Niero, « Pétrarque », op. cit., col. ūŬūů. Ŭů. Même dans la canzone à Marie (nº CCCLXVI), aucun vers n’oěre la preuve d’une inĚuence précise, même si l’atmosphère est à n’en pas douter bernardienne. ŬŰ. De vita solitaria, II VII Űȹ: « celesti zelo concitus » (éd. cit., p. ŬŮŪ). Ŭű. Ibid., II VI ų-ūŬ. ŬŲ. É. Gilson, « Sur deux textes de Pétrarque », dans Studi petrarcheschi, VII, ūųŰū, p. ŭŰ-ŮŬ.

165

юћѡќіћђ ёђ џќѠћѦ

évoqué assez ędèlement la façon dont Bernard enrôla ses frères Gérard et Nivard²Ž, et remarqué l’importance du rôle de sa mère Aleth dans la naissance de sa vocation religieuse³Ŵ, il rappelle le goût de saint Bernard pour la solitude au milieu des forêts et des champs³¹ȹ: « il avait coutume de dire, en eěet, que sa connaissance des leĴres […], il l’avait entièrement acquise dans les forêts et dans les champsȹ; ce n’est pas dans les écoles des hommes qu’il l’avait trouvée, mais dans la méditation et la prièreȹ; et jamais il n’eut d’autres maîtres que les chênes et les hêtres »³². Gilson montre que, là où Guillaume de Saint-Thierry, se fondant sans doute d’ailleurs sur une leĴre du fondateur de Clairvaux à Aelred, opposait « ce que l’on apprend dans une école de grammaire à ce que l’on ressent, grâce au SaintEsprit, dans la solitude », Pétrarque parle quant à lui « comme si Bernard s’était ĚaĴé de devoir sa culture liĴéraire aux bois et aux champs plutôt qu’à l’école de grammaire »³³. Ce faisant, Gilson souligne les raisons d’une telle déformation et conclut qu’« en rapportant à la culture liĴéraire ce que Bernard dit des Saintes LeĴres seules »³Ÿ, Pétrarque prouvait plus son souci de défendre la cause de son traité que de rapporter avec exactitude un fait biographiqueȹ: il n’hésitait pas à confondre une argumentation de nature théologique avec une argumentation de nature liĴéraire. Ce que prouve le portrait de saint Bernard contenu dans le De vita solitaria, c’est donc que Pétrarque, non content de modięer très ponctuellement le texte de la vie de Guillaume de Saint-Thierry qu’il a utilisé³Ź, s’emploie aussi à en altérer le sens. Si le fait de toucher à la leĴre peut correspondre chez lui à des coqueĴeries d’écrivain, la déformation qu’il fait subir à l’autorité à laquelle il se réfère relève d’une adaptation nécessaire Ŭų. De vita solitaria, II VII Ű-ű — à comparer avec PL, t. ūŲů, col. Ŭŭŭ et ŬŭŰ. ŭŪ. De vita solitaria, II VII Ų — à comparer avec PL, t. ūŲů, col. ŬŬű. ŭū. De vita solitaria, II VI ų. Remarquons au passage qu’une citation analogue se trouve dans le De remediis, en II ŮŪ Ű. P. de Nolhac, qui a remarqué ceĴe citation, avoue ne pas en avoir identięé la sourceȹ: « [Pétrarque] tenait sans doute [la référence de ceĴe allusion] d’une tradition orale ». É. Gilson, quant à lui, omet de signaler ce parallèle à la citation du De vita solitaria qui sert de support à son analyse. Voir enęn, dans la correspondance de saint Bernard, la LeĴre ūŪŬȹ: « on apprend beaucoup plus de choses dans les bois que dans les livresȹ; les arbres et les rochers enseigneront des choses que vous ne sauriez entendre ailleurs ». ŭŬ. Pétrarque, La vie solitaire, éd. cit., p. ŬŮŭ — et p. ŬŮŬ pour le texte latinȹ: « Solebat enim dicereȹ: omnes se quas sciret literas […] in silvis et in agris didicisse non hominum disciplinis, se meditando, et orando nec se ullos unquam magistros habuisse preter quercus et fagos ». ŭŭ. É. Gilson, « Sur deux textes de Pétrarque », op. cit., p. ŭŲ. ŭŮ. Ibid., p. ŭų. ŭů. Ibid., p. ŭŲ.

166

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ яђџћюџё

au succès de la cause qu’il défend, et non pas d’une erreur de lecture ou d’une malhonnêteté intellectuelle. C’est l’écrivain qui parle — l’écrivain soucieux de concilier les matériaux classiques et chrétiens qu’il connaît, de Quintilien³ź à saint Bernard — et non ce moine et ce mystique qu’il n’est pas et qu’il a délibérément choisi de ne pas être, comme il le précise dans certains passages de sa correspondance avec son frère Gérard, chartreux à Montrieux. Aussi bien la vie solitaire dont il est question dans le De vita solitaria est-elle bien éloignée de la solitude monastique et de sa signięcation humaineȹ: « Chez Pétrarque, il [s’agit] du loisir de l’humaniste qui peut s’adonner en paix aux travaux intellectuels. [C’est] bien autre chose que le service de Dieu, l’ascèse, la contemplation qu’incarnaient les grands moines […]. Le mépris du monde de Sénèque n’est nullement celui que prêche saint Bernard […], beaucoup plus optimiste »³Ż.

La controverse des Romainsȹ: le Contra eum Si Pétrarque s’approprie de la sorte les éléments de la Vita de saint Bernard en leur donnant l’inĚéchissement que nous avons rappelé, on devine que le traitement qu’il réserve aux écrits mêmes du docteur de l’Église n’échappe pas à ce phénomène de distorsion. Or, dans toute la production de Pétrarque, le seul passage qui évoque explicitement une œuvre de saint Bernard est, nous l’avons dit, le passage du Contra eum dans lequel il s’emploie à répondre à l’invective de Jean de Hesdin. Rappelons donc brièvement les faits. En ūŭűŬ, Pétrarque rencontra à Padoue le nonce apostolique Uguccione di Thiene, qui lui remit en mains propres l’invective que le moine Jean de Hesdin avait rédigée, à la ęn de ūŭŰų ou au début de ūŭűŪ, en réponse à la seconde leĴre qu’il avait écrite à Urbain V³ż pour le féliciter de son retour à Rome, et dans laquelle il avait à nouveau abondamment critiqué la gallicana pars. La leĴre de l’humaniste au pontife était elle-même une riposte au discours de l’ambassadeur Ansel Choquart³Ž, qui était venu implorer auprès d’Urbain V le maintien du Saint-Siège à Avignon, et qui avait du coup réveillé la ębre nationaliste de Pétrarque. Donc, après avoir ŭŰ. Par exemple De vita solitaria, I IV Ű. ŭű. Jean-Pierre Massaut, Josse Clichtoveȹ: L’humanisme et la réforme du clergé, Paris, Les Belles LeĴres, ūųŰŲ, p. ūŭű. ŭŲ. C’est-à-dire la Sen. IX ū. ŭų. Le discours se lit dans Cesar Egasse du Boulay, Historia universitatis Parisiensis, Paris, F. Noel & P. de Bresche, t. IV, ūŰŰů, p. ŭųŰ-ŮūŬ.

167

юћѡќіћђ ёђ џќѠћѦ

pris connaissance de la réaction française (que Francesco Bruni et Coluccio Salutati lui avaient d’ailleurs annoncée dès ūŭŰų)ŸŴ, Pétrarque décida de laisser éclater sa colère et rédigea la dernière invective de sa vie. Nous allons voir comment saint Bernard a pu jouer un rôle important dans la motivation de ce texte véhément. Dans son invective, Jean de Hesdin entreprend de répondre à l’incipit de la Sen. IX ū de Pétrarque — le premier verset du Psaume ūūŭ — et de retourner contre lui l’argument de la barbarie présent dans le deuxième verset du même psaumeŸ¹. Après avoir recouru au livre V de la Guerre des Gaules de César pour meĴre en valeur l’humanité et la noblesse du peuple gaulois, Jean de Hesdin démontre la barbarie du peuple romain en s’appuyant ceĴe fois sur un passage du De Consideratione de saint Bernardȹ: Le bienheureux Bernard relate ceĴe barbarie des Romains quand il écrit au pape Eugèneȹ: « Y a-t-il rien d’aussi connu dans le passé que l’arrogance et que le faste des Romains, ceĴe nation pour qui la paix est aussi peu familière que le désordre est coutumier, ceĴe nation dure et intraitable, qui n’a jamais su se plier que sous l’empire de la contrainte »ȹ?Ÿ² Et, plus loinȹ: « Je sais où tu habites. Les Romains qui t’entourent sont incrédules et fomenteurs, impies envers Dieu, pleins de témérité envers les choses saintes et les saints, enclins à la discorde entre eux, jaloux de leurs voisins, désagréables envers les étrangers, n’aimant personne, aimés de personne, inędèles à leurs supérieurs, insupportables à leurs inférieurs, impudents solliciteurs, hautains dans leurs refus, ingrats quand ils ont obtenu, grandiloquents en paroles mais mesquins dans les faits, pleins de douceur pour ĚaĴer, de cruauté pour dénigrer et de science pour trahir ».Ÿ³ N’y a-t-il pas là les mœurs et les traits de barbaresȹ?ŸŸ ŮŪ. Ugo DoĴi, Vita di Petrarca, Rome-Bari, Laterza, ūųŲű — trad. fr. par Jérôme Nicolasȹ: Pétrarque, Paris, Fayard, ūųųū, p. ŭŬů. Ůū. Voici les deux premiers versetsȹ: « In exitu Israel de Ægypto,/ Domus Iacob de populo barbaro ». ŮŬ. De consideratione, IV II Ŭ. Jean de Hesdin fait l’économie de quelques mots (« protervia “et cervicisitas” Romanorum »ȹ; « intractabilis “usque adhuc”, subdi nescia »). Ůŭ. Ibid., IV II Ů. Jean de Hesdin procède à plusieurs coupes (passim), modięe certains termes (« implacabiles » pour « importabiles », par exemple), et ajoute certains mots (« doctissimi » après « proditores »). ŮŮ. Magistri Iohannis de Hisdinio contra Franciscum Petrarcham Epistola, dans Pétrarque, Invectives, éd. cit., p. ůŪųȹ: « Sed certe Romanorum realem barbariem narrat beatus Bernardus, ad

168

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ яђџћюџё

On comprend que l’aĴaque ait irrité Pétrarque, et que l’auteur invoqué, plus encore que l’argument défendu, l’ait dérangé. Il est intéressant de constater que ceĴe aĴaque de Jean de Hesdin, dans laquelle Pétrarque voit « la plus grave blessure inĚigée à la gloire de Rome »ŸŹ, s’appuie sur l’autorité de saint Bernard. De fait, le docteur de l’Église va constituer une des références les plus fameuses du premier humanisme français — courant auquel les écrits de Pétrarque, comme on le sait, ont donné naissance — moins d’ailleurs par contamination que par réactionŸź. Saint Bernard, c’est la ęgure de l’intellectuel médiéval autour duquel commence à se cristalliser, avec l’Invective de Jean de Hesdin, l’orgueil national du tout premier humanisme français. On comprend mieux alors l’embarras que montre Pétrarque à justięer les malheureux propos de saint Bernard et l’allégresse avec laquelle il s’empresse plutôt de les contrecarrer. Si la réponse de l’écrivain italien à son détracteur français révèle ce mélange si curieux entre la nécessité apologétique et le désir polémique, c’est que la personne même de saint Bernard constitue, aux yeux de Pétrarque, une ęgure contradictoire. En tant que ęgure de proue de l’Église, ennemi de la scolastique et intellectuel chrétien plein d’indulgence à l’égard de la culture classique, il mérite d’être défendu avec la plus grande fermeté mais, en tant que Français plein de déęance et de mépris pour le peuple romain, il se montre coupable d’une faute diĜcile à excuser. La question avait déjà été soulevée dans la Sen. IX ū, dans laquelle Pétrarque avait rappelé que, sur les quatre docteurs de l’Église, deux étaient Italiens et Romains, et que les deux autres avaient vécu ou étudié en Italie — avant de conclure, sans appelȹ: « Nullus est Gallicus, nullus doctus in Gallia »ŸŻ. À côté d’Ambroise, de Jérôme et d’Augustin, Bernard est également une personnalité aĴachante sur le plan intellectuel et spirituel — il a même l’avantage sur Jérôme, par exemple, de ne pas avoir ęni par renier les Anciens — mais il reste Français, Eugenium Pape ita scribensȹ: “quid tam notum sæculis quam protervia Romanorum, gens insueta paci, tumultui assueta, gens immitis et intractabilis, subdi nescia, nisi cum valet resistereȹ?” Et sequiturȹ: “scio ubi habitas. Increduli et subversores sunt tecum Romani, impii in Deum, temerarii in sancta vel Sanctos, seditiosi invicem, æmuli in vicinos, inhumani in extraneos, quos neminem amantes amat nemo, superioribus inędeles, inferioribus implacabiles, inverecundi ad petendum, ad negandum frontuosi, ingrati cum acceperint, grandia loquuntur cum operantur exigua, blandissimi adulatores, mordacissimi detractores et doctissimi proditores”. Suntne igitur ista mores et ingenia barbarorumȹ? ». Ůů. Pétrarque, Invectives, éd. cit., p. ŬųŮȹ: « Quod gravissimum romane glorie vulnus est ». ŮŰ. Yelena Mazour-Matusevich, « Gerson et Pétrarqueȹ: Humanisme et idée nationale », in Renaissance et Réforme, XXV, ŬŪŪū, p. Ůů-ŲŪ. Ůű. Francisci Petrarchæ […] Opera omnia, éd. cit., p. ųŭű.

169

юћѡќіћђ ёђ џќѠћѦ

donc non-Italien et, à ce titre, irrémédiablement rangé dans le camp des Barbares. Car, pour Pétrarque, le monde est divisé entre les Italiens, dont la capitale, « sommet de l’univers », est aussi « le centre de toute la terre », et les Barbares, dont on peut toujours dire, pour les consoler, que les Français constituent les représentants les plus apprivoisésŸż. Aussi bien l’indignation manifestée par Jean de Hesdin n’obtient-elle comme réponse que ceĴe vérité universellement admise selon laquelle, qu’on le veuille ou non, les non-Italiens sont des barbaresŸŽ. Pourtant, les termes du Contra eum n’accusent pas Bernard sur ce plan quelque peu trivial. Ou plutôt, l’aĴaque s’y trouve, mais indirecte. En recourant en eěet à l’autorité respective de saint Ambroise et de saint Jérôme pour démontrer l’excellence du peuple romainŹŴ, Pétrarque rappelle subtilement à ses lecteurs que toute l’estime qu’il porte à Bernard ne saurait jamais eěacer son origine française. Soucieux de concilier l’aĴaque anti-romaine du docteur de l’Église avec sa qualité de saint, Pétrarque, qui commence par s’embrouiller dans les méandres de justięcations d’ordre spirituel puis psychologique, ęnit par s’engager résolument sur le terrain où il se sent le plus à l’aiseȹ: celui de la liĴérature. Ce faisant, il feint d’ignorer l’explication que l’historien peut légitimement retenir pour justięer la dureté du jugement que saint Bernard porte à l’égard des Romains, à savoir que, dans son réquisitoire, il s’est moins aĴaqué aux Romains dans leur ensemble qu’aux Romains schismatiques ou rebelles, partisans d’Anaclet ou d’Arnaud de Brescia, contre lesquels il s’est inlassablement baĴu au cours de ses séjours à RomeŹ¹. De fait, les préoccupations de Pétrarque correspondent rarement à une volonté d’analyser objectivement la situation, alors même qu’il avait une bonne connaissance des faits historiques (il possédait en eěet un exemplaire de chroniques latines contenant des vies de papes, notamment une série allant d’Étienne V [† Ųųū] à Alexandre III [† ūūŲū]Ź². Ce qu’il constate, ŮŲ. Pétrarque, Invectives, éd. cit., p. ŬŰŪȹ: « Barbarum omnium mitiores ». Ůų. Sur ceĴe question, voir Étienne Gilson, La philosophie au Moyen Âge, des origines patristiques à la ęn du xivĽ siècle, deuxième édition revue et augmentée, Paris, Payot, ūųŰŬ, p. űŬŰ-űŭŪ. ůŪ. Pétrarque, Invectives, éd. cit., p. ŬųŲ-ŭŪŪ. ůū. Saint Bernard, La considération, traduit du latin par Pierre Dalloz, Grenoble, Didier et Richard, ūųŮů, p. Ŭųű-ŭŪū. Cf. aussi Bernard Jacqueline, Épiscopat et papauté chez saint Bernard, thèse soutenue devant l’Université de Paris-Sorbonne sous la direction de Michel Mollat, ūųűū, p. ŭŰŪ-ŭŰŮ, n. űū. ůŬ. P. de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, op. cit., II, p. ŬūŮ. Pétrarque reçut le manuscrit de Florence le ů juin ūŭŰū. Cf. Ernest Hatch Wilkins, Petrarch’s later years, Cambridge (Mass.), The Mediaeval Academy of America, ūųůų, p. ű.

170

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ яђџћюџё

c’est qu’un saint ose s’en prendre aux Romains et, à travers eux, à Rome, capitale prédestinée de la chrétienté. Comment résoudre ce paradoxeȹ? Toute la réponse à Jean de Hesdin, qui est aussi, à travers les siècles, une réponse à Bernard et à tous les détracteurs de Rome — la question est, en ūŭűŪ, d’une grande actualité, avec le retour décevant d’Urbain V à Rome et la ęn d’un rêve qui aura duré trois ans —, consiste en ceĴe défense sans nuance de Rome depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, et qui culmine avec ceĴe interrogationȹ: « Qu’est-ce donc en eěet que l’histoire, sinon une glorięcation de Romeȹ? »Ź³. En somme, Pétrarque passe, à dessein ou non, à côté de la justięcation du passage incriminé dans l’économie d’ensemble du traité pour n’en saisir que le substrat polémique et pour lui opposer, après en avoir maladroitement excusé les termes, l’attirail liĴéraire qui constitue sa défense favorite. Toujours soucieux d’un accord entre les auteurs de l’Antiquité et le christianisme, il se voit contraint, après avoir échoué dans sa défense de saint Bernard, à lui donner tort sur ce point et à l’expulser, pour ceĴe raison du moins, de son orthodoxie intellectuelle. Telle me semble être la posture curieuse et unique de saint Bernard dans l’œuvre de Pétrarqueȹ: un homme réunissant, par sa culture et son statut de chrétien, tous les éléments du modèle idéal auquel l’écrivain cherche à se conformer, mais présentant une tare irrémédiable qui, dans le contexte frémissant de la naissance des idées nationales à la ęn du xivĽ siècle, se révèle impardonnable.

La leĴre au papeȹ: la Sen., VII ū Aussi bien Pétrarque se montre-t-il prudent, au ęl des pages qu’il rédige dans sa vieillesse, dans le recours qu’il fait à saint Bernard. La présence très modeste de cet auteur dans toute son œuvre indique à mon sens, non pas une méconnaissance des écrits du docteur, mais une méęance dans l’utilisation de ses textes, eu égard à la ęgure contradictoire qu’il représente. Même s’il nous sera toujours impossible de dire dans quelle mesure Pétrarque a pu lire et méditer le traité de La considération, il reste que de nombreux indices nous poussent à supposer qu’il en a eu une connaissance certaine, sans doute non réduite aux seules citations de Jean de Hesdin. La longue Senilis VII ū (de six ans antérieure au Contra eum) apparaît ůŭ. Pétrarque, Invectives, éd. cit., § ūů, p. ŭŪųȹ: « Quid enim est aliud omnis historia, quam romana lausȹ? ».

171

юћѡќіћђ ёђ џќѠћѦ

ainsi fortement ancrée dans ceĴe tradition des leĴres adressées aux papes, et dont le traité de saint Bernard est devenu le prototype le plus célèbre. Si aucune citation, ni même aucune allusion au De consideratione ne ęgure dans ceĴe leĴre, il reste que celle-ci en hérite l’esprit, invitant implicitement Urbain V à ceĴe démarche que saint Bernard — humaniste avant l’heure — nomme considérationŹŸ. L’absence de toute référence explicite peut s’expliquer par l’impossibilité pour Pétrarque de consulter le texte du traitéȹ: nous avons vu que le Contra eum, dans lequel les citations du traité reprennent à la leĴre celles, légèrement diěérentes de la tradition manuscrite, faites par Jean de Hesdin, pouvait nous conforter dans ceĴe idée. CeĴe absence peut aussi s’expliquer par le refus d’inviter le lecteur à une comparaison entre les deux écrits, comparaison que plusieurs raisons rendent inutile et peu pertinente. Deux siècles séparent en eěet Pétrarque de saint Bernard. Les conditions historiques ont considérablement évolué entre l’âge d’or du pouvoir théocratique et l’avènement, avec la Papauté d’Avignon, d’un pouvoir plus bureaucratique. Pétrarque, simple clerc italien, s’adresse à un pape français, et dans un but précisȹ: le convaincre de revenir à Rome. Saint Bernard, moine français, écrit à un pape italien, avec le souci de déęnir de façon synthétique la nature et le rôle du pape. Les situations croisées, la diěérence des intentions font des deux œuvres des textes peu comparables. Enęn, la condamnation des Romains par saint Bernard au début du livre IV a sans doute poussé Pétrarque — à condition, bien sûr, qu’il ait eu connaissance de ce passage qu’il lira plus tard sous la plume de Hesdin — à ignorer sciemment le traité de saint Bernard, lui dont le projet, en écrivant à Urbain V, était précisément de faire l’éloge de Rome, de l’Italie et de leurs habitants. Toutefois, au delà de ces diěérences de contexte, les parentés de fond se révèlent plus nombreuses qu’on ne le croit, et une lecture comparée aĴentive des deux textes permet de meĴre en valeur ce que la leĴre de Pétrarque à Urbain V doit aux cinq leĴres que saint Bernard a adressées à Eugène III sous le nom de Tractatus de consideratione. Tout comme saint Bernard, Pétrarque invite d’abord son destinataire à considérer qui il est, et lui rappelle tour à tour le caractère providentiel de son électionŹŹ et la nature particulière de son apostolatȹ: le pape est seul pasteur, et Dieu lui a ůŮ. Par exemple De consideratione, II II ů-IV ű. ůů. Sen., VII ū ůŭȹ: « Servas memoriter quibus viis ad hoc culmen ascenderis » — et De cons., II V Ųȹ: « Non es oblitus primæ professionis ».

172

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ яђџћюџё

conęé toutes ses brebisŹź. Mais là où saint Bernard manifestait un souci exigeant de déęnition doctrinale, Pétrarque développe les aspects sur lesquels le retiennent ses préférences intellectuellesȹ: ambition, aĴachement terrestre, espoir d’une longue vie, etcŹŻ. Tout comme saint Bernard également, Pétrarque invite ensuite son destinataire à considérer ce qu’il doit faire, sans pour autant reprendre aucune des expressions dont saint Bernard s’était servi pour examiner tour à tour ce qui était au-dessous, autour et au-dessus du papeȹ: moins soucieux de déęnir la nature de la mission papale que de critiquer l’entourage du pontife, Pétrarque se montre aussi talentueux dans la polémique exubérante que saint Bernard dans l’exposé synthétique. Ce faisant, Pétrarque développe à l’envi tout ce qui, dans le De consideratione, se présentait, au milieu du traité méthodique, comme les traits où s’exprimait ponctuellement la fougue de l’auteur. Ainsi, s’agissant de l’appel à une réforme de l’Église, l’évocation des vêtements et coiěures fantaisistes ou indécentsŹż ou des abus dans l’utilisation des dignités ecclésiastiquesŹŽ. S’agissant de l’appel à la croisade, l’évocation des Grecs schismatiques et de leur obstination, en même temps que la nécessité de les sauver de la menace des InędèlesźŴ. S’agissant encore de l’entourage du pape, l’évocation des cardinaux ambitieux, des conseillers fourbes et calculateursź¹. On trouverait aussi, dans le dialogue des Remèdes que Pétrarque consacre au pontięcat, toute une série de réminiscences de cet ordre, qu’il s’agisse, par exemple, de l’opposition entre la liberté de la vie monastique et la servitude d’une charge accablanteź², ou de la critique de l’esprit de brigue chez les cardinauxź³. En somme, tout se passe comme si Pétrarque, ayant humé le parfum polémique et goûté à la saveur combative du texte de saint Bernard, laissait

ůŰ. Sen., VII ū ūŮŬȹ: « Tu es pastor, tue sunt oves que Domini tui suntȹ; omnia tibi commisit, omnem tibi gregis curam, omne ius contulit » — et De cons., II VIII ūůȹ: « Tu […] cui oves creditæ sunt […]. Nec modum ovium, sed et pastorum tu unus omnium pastor ». ůű. Sen., VII ū ūŰŪȹ: « nec vero tibi fortuna blandiatur tua nec te longe vite spes decipiat » — et De cons., II X ūųȹ: « nunc autem longum dico, cum sibi homo longiorem promiĴit vitam ». Le thème est davantage développé dans De remedis, I ūŪű ūŮȹ: « Brevis est hominum vita, regum brevior, pontięcum brevissima […] ». ůŲ. Sen., VII ū ūŮ — et De cons., III V ūų. ůų. Sen., VII ū ūŭ — et De cons., III V ūų. ŰŪ. Sen., VII ū ūŭůȹ: « obstinate pervicacia » — et De cons., III I Ůȹ: « pertinacia Græcorum ». Űū. Sen, VII ū ůŰ-ůŲ — et De cons., IV IV ų. ŰŬ. De remedis, I ūŪű Űȹ: « ex libero servum scito » — et De cons., I III Ůȹ: « Non bona patientia, cum possis esse liber, servum te permiĴere ęeri. Nolo dissimules servitutem […] ». Űŭ. De remedis, I ūŪű ūŲ — et De cons., IV IV ų.

173

юћѡќіћђ ёђ џќѠћѦ

à son tour libre cours à la verve de sa plume, combinant l’exhortation à l’invective, l’éloge au blâme. En même temps, s’il laisse échapper des accents et des thèmes indiscutablement bernardiens, il ne reproduit que l’écume liĴéraire du traité à Eugène III. La diěérence des contextes, l’éloignement historique des deux situations rendent inopérants, nous l’avons vu, des rapprochements plus serrés. Surtout, la nature des textes et l’esprit qui les anime sont tout autresȹ: de même qu’il déformait la nature de la solitude mystique décrite par saint Bernard dans sa leĴre à Aelred, de même Pétrarque dépouille ici les conseils qu’il prodigue de l’arrière-plan théologique sur lequel se dessinaient ceux de Bernard. C’est que les principes servant de support à la réĚexion s’opposent pour ainsi direȹ: Pétrarque défend de bout en bout le caractère romain de la papauté, voyant dans cet aspect une nécessité de tout premier ordre, alors que, chez saint Bernard, l’appel à l’universalisme de l’Église s’opère parfois aux dépens même de la romanité. Là où Pétrarque voit en Rome le siège traditionnel et indéfectible de l’Épouse du Christ, la Ville consacrée de tout temps par le Christ pour devenir le centre de la Chrétienté, saint Bernard voit une ville comme une autre, à laquelle le Pontife doit préférer l’univers à évangéliser. « Je ne doute ni ne conteste que ton siège se trouve partout où l’on honore comme il convient le nom du Christ — déclare Pétrarque à Urbain V — mais qu’on ne me conteste pas qu’entre toutes les villes, celle de Rome entretient avec toi un lien privilégié et même unique […]. Rome n’a personne d’autre que toi, et c’est pourquoi […] à Rome tu es seul Pontife, seul époux »źŸ. De son côté, Bernard écrit à Eugène IIIȹ: « Sors de Hur de Chaldée et disȹ: il me faut évangéliser aussi d’autres villes. Je pense que tu ne te repentiras pas d’avoir échangé la ville contre l’univers »źŹȹ: « Urbe pro orbe commutato »źź. Ces divergences, loin de contredire l’hypothèse d’une inĚuence de l’un sur l’autre, la renforcent, rendant éloquente, par leur nature, la remarquable absence, dans l’œuvre de Pétrarque, de celui des grands personnages de l’histoire de l’Église qui lui était le plus proche chronologiquement, et, comme lui-même l’avoue dans le passage du Contra eum cité plus haut, non le moins cher. Ce n’est pas là l’une des moindres curiosités dues à la partialité implacable de l’humaniste.

ŰŮ. Sen., VII ū Ůūȹ: « illud michi non negetur quod inter omnes alias singulare tecum aliquid, imo quam plurimum, habet urbs Roma […] illa vero nullum habet nisi te […] in romana urbe solus es pontifex ». Űů. De cons., IV III Ų. ŰŰ. Bernard Jacqueline, « L’universalisme de l’Église selon saint Bernard de Clairvaux », dans Collectanea Cisterciensia, ūųűů, nº Ů, p. ŬŲū. Nous lui empruntons sa traduction.

174

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ Ѡюіћѡ яђџћюџё

Peu importe aujourd’hui de savoir avec précision quelle connaissance Pétrarque avait de l’œuvre de saint Bernard. L’évocation parcimonieuse du saint de Clairvaux parle plus à nos yeux qu’un Ěot ininterrompu de citations. Sa vie, sans doute, lui était mieux connue que ses écrits. Si nous pouvons toujours invoquer le hasard des rencontres livresques pour expliquer ce constat, il reste peu probable que Pétrarque ait cherché à connaître les œuvres de saint Bernardȹ: des traces précises auraient aĝeuré sous sa plume, témoins ędèles de ses lectures. Pétrarque s’est penché sur ceĴe ęgure d’un trop proche xiiĽ siècle, en a retenu les traits biographiques chers à son idéal de sagesse mûrie par les ans, avant de rejeter ce que son orthodoxie intellectuelle n’en pouvait accepter. Ici se fait jour l’univers culturel de Pétrarqueȹ: ses principes très classiques ne peuvent s’accommoder de la dimension mystique si importante dans l’œuvre de saint Bernard. L’estime qu’il porte à l’homme religieux aboutit donc à une impasseȹ: ses exigences culturelles, pétries de prédestination historique, ne peuvent accepter ceĴe pensée monastique, dépouillée et sévère, qui sait s’abstraire du temps et de l’espace pour être avec son Dieu. Du coup, la ęgure de saint Bernard, alors que pèse la vieillesse et que vient le temps d’un retour sur soi, révèle à la fois le succès et l’échec de toute une vie. Le succès, c’est la naissance d’une pensée humaniste qui fait renaître l’Antiquité en l’intégrant à l’histoire de la Révélation. L’échec, c’est, sur le terrain sans cesse polémique où Pétrarque n’a cessé de construire ses principes, l’élaboration simultanée d’une culture nationaliste qui révèle ses failles à l’humanisme italien naissant. À la charnière du xivĽ et du xvĽ siècle, saint Bernard devient le fer de lance d’un Gerson, d’un Clamanges, qui ont compris l’enjeu idéologique d’une ęgure non seulement médiévale, mais française, et l’humanisme français, tout en trouvant dans les traités Du repos religieux et de La vie solitaire ou dans les dialogues des Remèdes un vivier de références nouvelles, aura de quoi répondre au détracteur des Français, au grand contempteur de la culture universitaire médiévale.

175

Laure Hermand-Schebat

Pétrarque et Jean de Salisburyȹ: miroir du prince et conceptions politiques*

Les lectures médiévales de Pétrarque, si elles ont été particulièrement étudiées ces dernières années¹, avaient déjà été mises en lumière à la ęn du xixĽ siècle par un érudit tel que Pierre de Nolhac, auteur d’une étude intitulée De Patrum et Medii Ævi scriptorum codicibus in bibliotheca Petrarcæ olim collectis². Et, parmi les écrivains médiévaux, personne ne ressemble peut-être autant à l’humaniste Ěorentin que Jean de Salisbury, comme Pietro Paolo Gerosa l’a souligné dans son ouvrage Umanesimo cristiano del Petrarca paru en ūųŰŰ³. Ces similitudes sont parfois si frappantes que l’on

* La présente étude se limite au genre liĴéraire du miroir du prince et à la comparaison de deux textesȹ: la Senilis XIV ū de Pétrarque et le Policraticus de Jean de Salisbury. Pour les autres aspects de la comparaison entre les deux auteurs, voir Laure Schebat, « Jean de Salisbury et Pétrarqueȹ: Aspects et enjeux de leurs jugements sur Cicéron », Cahiers de l’Humanisme, III-IV, ŬŪŪŬ-ŬŪŪŭ, p. ųŭ-ūūŭ. Les traductions, sauf indication contraire, sont de l’auteur. ū. Voir Daniela Goldin Folena, « Petrarca e il Medioevo latino », in Quaderni petrarcheschi », IX-X [= Il Petrarca latino e le origini dell’umanesimo, AĴi del Convegno internazionale (Florence ūų-ŬŬ mai ūųųū)], ūųųŬ-ūųųŭ, p. Ůůų-ŮŲű. Voir aussi les notes de Christophe Carraud aux diěérents textes de Pétrarque qu’il a publiés chez Millonȹ: Pétrarque, La vie solitaire, introduction, traduction et notes de Ch.C., Grenoble, J. Millon, ūųųųȹ; Id., Mon ignorance et celle de tant d’autres, traduction de JulieĴe Bertrand, révision et notes de Ch.C., Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŪȹ; Id., Le repos religieux, introduction, traduction et notes de Ch.C., Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŪȹ; Id., Les remèdes aux deux fortunesȹ: ūŭůŮ-ūŭŰŰ, vol. Iȹ: Texte et traduction, vol. IIȹ: Commentaires, notes et index, préface de Giuseppe Tognon, texte établi et traduit par Ch.C., introduction, notes et index par Ch.C., Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŬ. Ŭ. Pierre de Nolhac, De Patrum et Medii Ævi scriptorum codicibus in bibliotheca Petrarcæ olim collectis, Paris, É. Bouillon, ūŲųŬ. Voir aussi Id., Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, ūųŪű [= ibid. & Turin, BoĴega d’Erasmo, ūųŰů], vol. II, ch. IXȹ: « Les Pères de l’Église et les auteurs modernes chez Pétrarque », p. ūŲų-Ŭŭű. ŭ. Pietro Paolo Gerosa, Umanesimo cristiano del Petrarcaȹ: InĚuenza agostiniana aĴinenze medievali, Turin, BoĴega d’Erasmo, ūųŰŰ, p. ŬŪŮȹ: « Forse nessun altro scriĴore del Medioevo gli rassomiglia tanto, e con nessun altro forse il confronto torna così opportuno ed interes-

177

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

peut se demander si Pétrarque n’a pas lu les œuvres de Jean de Salisbury. Le critique italien va dans ce sensȹ: Ebbe il Petrarca conoscenza di Giovanni di Salisburyȹ? Le sue opere principali ebbero grande diěusione all’epoca del Nostro e forse si trovavano fra i suoi libriȹ; ma v’è di piúȹ: codesto prelato inglese è uno dei pochi scriĴori medievali di cui si osservino tracce sicure nelle pagine petrarchescheȹ; vi è citato in modo evidente, pur senza essere esplicitamente nominato, nelle Epistolæ familiares.Ÿ

Nous centrerons d’abord le parallèle sur deux œuvres particulièresȹ: la Senilis XIV ūŹ, adressée à Francesco da Carrara, seigneur de Padoue, et le Policraticusź, dédié au chancelier Thomas Becket. Nous l’élargirons ensuite à l’ensemble de l’œuvre pétrarquienne pour meĴre en évidence la parenté d’esprit qui unit les deux auteurs. La comparaison de leurs textes respectifs trouve sa légitimité dans les citations textuelles du Policraticus que Pétrarque insère dans sa correspondance. Se pose donc la question de l’exemplaire dans lequel Pétrarque a lu Jean de Salisbury. À ce jour, aucun manuscrit de Jean de Salisbury n’a été identięé comme ayant appartenu à Pétrarque. Nous nous intéresserons toutefois à l’histoire d’un exemplaire du Policraticus copié à la ęn du xivĽ siècle à partir d’un volume de la bibliosante ». Voir aussi Francesco Petrarca, De ignorantia [Della mia ignoranza e di quella di molti altri], édition bilingue commentée sous la dir. de E. Fenzi, Milan, Mursia, ūųųų, p. űų (n. Ŭ), ųŲ et ŭŬŭ (n. ű)ȹ; Id., In difesa dell’Italia [Contra eum qui maledixit Italie], a cura di G. Crevatin, con testo a fronte, Venise, Marsilio, ūųųů, p. ŭŭ (n. ŬŬ) et ŬůŲ (n. Ů)ȹ; Gian Carlo Garfagnini, « Petrarca e i ęlosoęȹ: Le Senili e i loro auctores », in Rinascimento, s. II, XXXIII, ūųųŭ, p. ūŮů-ūůŰ [p. ūůŮ]. Ů. Ibid., p. ŬŪů (« Pétrarque connaissait-il Jean de Salisburyȹ? Ses œuvres principales eurent une grande diěusion à l’époque de notre auteur et peut-être se trouvaient-elles parmi ses livresȹ; mais il y a plusȹ: ce prélat anglais est un des rares écrivains médiévaux dont les pages pétrarquiennes portent des traces certainesȹ; il est cité de manière évidente, sans toutefois être explicitement nommé, dans les LeĴres familières »). Pour plus de détails, voir ibid., p. ŬŪů, n. Űų. ů. Sur la Senilis XIV ū, voir Giovanni Ponte, « I consigli politici del Petrarca a Francesco da Carrara (Sen., XIV ū) », in Petrarca e la cultura europea, a cura di L. Rotondi Secchi Tarugi, Milan, Nuovi Orizzonti, ūųųű, p. ūŬū-ūŬŲȹ; Istvàn Bejczy, « The State as a work of artȹ: Petrarch and his speculum principis (Sen., XIV ū) », in History of political Thought, XV, ūųųŮ, p. ŭūŭ-ŭŬū. Sur la notion de prince chrétien chez Pétrarque, voir aussi Évelyne Luciani, « Théodose, idéal du prince chrétien dans la Correspondance de Pétrarque », dans Revue des Études augustiniennes, XXXI, ūųŲů, p. ŬŮŬ-Ŭůű. Ű. Sur les conceptions politiques de Jean de Salisbury, voir notamment Cary J. Nederman & Catherine Campbell, « Priests, kings and tyrantsȹ: Spiritual and temporal power in John of Salisbury’s Policraticus », in Speculum, LXVI, ūųųū, p. ůűŬ-ůųŪ.

178

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

thèque des Visconti ou des Carrare, le Par. Lat. ŰŮūűŻ. Il s’agit en eěet d’un manuscrit qui entretient des liens étroits avec le cercle pétrarquien et qui appartient à un groupe de livres liés à l’humaniste. On pourrait objecter que les deux écrivains puisent aux mêmes sources, ce qui suĜrait à expliquer le parallèle. Il nous semble cependant qu’ils font le même usage de ces sources et que leurs méthodes et leurs conceptions se rejoignent, comme le souligne Pietro Paolo Gerosaȹ: Giovanni di Salisbury non era contrario alla logica […] ma il modo di ragionare preferito da lui era piuĴosto simile a quello proprio del Petrarca, ossia ad un discorso inteso a persuadere con criteri essenzialmente morali, per un ęne pratico, con mezzi anche oratori, alla maniera di Cicerone, del quale condivideva pure, nel campo della conoscenza, il probabilismo academico.ż

Nous nous eěorcerons donc de meĴre en lumière l’inĚuence d’un auteur médiéval sur Pétrarque, inĚuence que ce dernier n’a jamais avouée, contrairement à ce qu’il a fait pour les auteurs antiques, mais qui révèle combien il est imprégné par les idées, débats et textes du Moyen Âge. La Senilis XIV ū, adressée d’Arquà en novembre ūŭűŭ à Francesco da CarraraŽ, appartient pleinement au genre du speculum principisȹ: Pétrarque y énumère les diěérentes qualités que doit posséder un prince, si bien que ceĴe leĴre forme un véritable petit traité sur le gouvernement. Il emploie d’ailleurs dans les premières pages le terme de speculum, qui était apparu pour la première fois dans un contexte analogue chez Sénèque lorsqu’il ű. Pour l’histoire de ce manuscrit, voir Giuseppe Billanovich, Petrarca leĴerato, Iȹ: Lo scriĴoio del Petrarca, Rome, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųŮű, p. ŭŬŭ-ŭŬŮ, p. ŭŬŲ-ŭŭŪ et p. Ůūŭȹ; et Élisabeth Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan, au xvĽ siècle, Paris, éd. du CNRS, ūųůů, p. ūūŪ-ūūŬ. G. Billanovich a commencé par supposer que le ms. avait été copié à Padoue à partir d’un exemplaire de la bibliothèque des Carrara (d’où il serait ensuite passé aux mains des Visconti) avant de se ranger à l’avis d’É. Pellegrin. Quelle que soit sa provenance, son ancêtre a pu passer entre les mains de Pétrarque. Ų. P.P. Gerosa, Umanesimo cristiano del Petrarca…, op. cit., p. ŬŪů (« Jean de Salisbury n’était pas opposé à la logique [il en prit même la défense dans une œuvre en quatre livres intitulée Metalogicus]. Mais son mode favori de raisonnement était plutôt semblable à celui de Pétrarque, c’est-à-dire un discours visant à persuader avec des critères essentiellement moraux, ayant une ęn pratique et utilisant aussi des moyens oratoires, à la manière de Cicéron dont il partageait d’ailleurs, dans le domaine de la connaissance, le probabilisme académique »). ų. Les citations du texte latin proviennent de Francesco Petrarca, Epistole, a cura di U. DoĴi, Turin, UTET, ūųűŲ, p. űŰŪ-Ųŭű.

179

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

s’adressait à Néron dans le De clementia¹Ŵ. Le prince de Padoue pourra donc se regarder dans ce texte comme dans un miroir, voir combien il ressemble au modèle tout en se sentant exhorté à approfondir ses qualités et vertusȹ: Nunc peragam quod promisiȹ: et qualis esse debeat patrie rector, expediam, ut hoc velut in speculo tete intuens, ubi te talem videris, qualem dico, quod persepe facias, gaudeas et virtutum bonorumque omnium largitori devotior ęas atque in dies obsequentior.¹¹

L’appellation de speculum principis semble toutefois quelque peu problématique pour le Policraticus¹², qui a une portée beaucoup plus vasteȹ: le terme s’applique surtout aux livres IV à VI, qui s’intéressent aux notions de princeps et de tirannus et qui s’interrogent sur l’essence et l’organisation de la res publica. De notre point de vue, le terme demeure cependant valable pour l’ensemble de l’œuvre puisque c’est comme miroir du prince que le Policraticus a été abondamment lu au Moyen Âge et à la Renaissance et qu’il a servi de modèles à d’autres traités du même genre¹³. ūŪ. Sénèque, De clementia, I ūȹ: « Scribere de clementia, Nero Cæsar, institui ut quodam modo speculi uice fungerer » (« J’ai entrepris ce traité sur la clémence, Néron César, pour faire en quelque sorte oĜce de miroir »). Cf. Id., De la clémence, texte établi et traduit par François Préchac, Paris, Les Belles LeĴres, ūųŪŮ, p. Ŭ. ūū. Ibid., éd. cit., p. űűŪ (« J’accomplirai maintenant ce que j’ai promis, et j’exposerai les qualités que doit posséder celui qui gouverne la patrie pour que, t’y regardant comme dans un miroir, après t’être vu dans ceĴe description, tu te réjouisses comme tu le fais très souvent »). ūŬ. Voir Max Kerner, Johannes von Salisbury und die logische Struktur seines Policraticus, Wiesbaden, Franz Steiner, ūųűű. Le texte cité est celui de l’édition suivanteȹ: Ioannes Saresberiensis Policratici siue de nugis curialium et uestigiis philosophorum libri VIII, edidit C. C.I. Webb, Oxford-Londres, Clarendon Press, ūųŪų — désormais cité comme « Webb », suivi de l’indication du volume et de la page, respectivement en chiěres romains et arabesȹ; la référence à l’édition « Migne » dans le vol. ūųų de la Patrologia latina sera donnée à sa suite. ūŭ. Sur l’histoire du genre liĴéraire du speculum principis dans l’Antiquité, voir Lester K. Born, « The perfect prince according to the Latin panegyrists », in The American Journal of Philology, LV, ūųŭŮ, p. ŬŪ-ŭů, ainsi que Theodor Klauser et alii, Reallexikon für Antike und Christentum, StuĴgart, A. Hiersemann, Bd. Ų, ūųűŬ, ad v. « Fürstenspiegel », p. Űūű-ŰŬŮ. Pour le Moyen Âge, voir Wilhelm Berges, Die Fürstenspiegel des hohen und späten MiĴelaltersȹ: SchriĞen der Monumenta Germaniæ historica Ŭ, Leipzig, K.W. Hiersemann, ūųŭŲȹ; Wilhelm Kleineke, Englische Fürstenspiegel vom Policraticus Johanns von Salisbury bis zum Basilikon Doron König Jakobs I, Halle (Saale), Max Niemeyer, ūųŭűȹ; Lester K. Born, « The specula principis of the Carolingian Renaissance », dans Revue belge de Philologie et d’Histoire, XII, ūųŭŭ, p. ůŲŭ-ŰūŬȹ; Id., « The perfect princeȹ: A study in thirteenth and fourteenth century ideals », in Speculum, III, ūųŬŲ, p. ŮűŪ-ůŪŮ. Pour la Renaissance, voir Felix Gilbert, « The humanist concept of Prince and The Prince of Machiavelli », in Journal of Modern History, XI, ūųŭų, p. ŮŮų-ŮŲŭ [p. Ůůŭ, n. ů].

180

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

Selon Pétrarque, le prince doit d’abord obtenir de ses sujets l’amour et non la crainteȹ: « Amari expedit non timeri »¹Ÿ. Et il y parviendra en leur prodiguant, « par sa douceur et sa clémence » (« mansuetudine atque clementia »), son amourȹ: « Amandi tibi sunt igitur cives »¹Ź. De même, dans le Policraticus, Jean de Salisbury recommande aux princes cet amour nourri par la clémence et la justice¹ź. On pourrait n’y voir qu’un topos repris à la tradition de la philosophie politique et exprimé déjà par Cicéron¹Ż mais, dans les deux textes, un lien est établi avec l’amour chrétien, reliant ainsi fortement le pouvoir du prince à celui de Dieu. Pétrarque met en rapport cet amour avec le commandement de Jésus « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »¹ż et il le développe par des expressions qui insistent sur la gratuité de ce sentiment porté à autruiȹ: « hoc est pure, sine ęctione, sine utilitatis aut premii respectu, nuda ac gratuita caritate »¹Ž. Ce même amour, qui émane de l’amour divin, apparaît à Jean de Salisbury comme le meilleur moyen de gouvernerȹ: « Vtique gratia et amor subiectorum, quam diuina producit gratia, optimum instrumentum est omnium gerendorum »²Ŵ. Pétrarque enrichit ensuite ceĴe notion de l’amour paternel du prince pour ses sujets en introduisant la métaphore du corps humainȹ: Amandi tibi sunt igitur cives tui ut ęlii, imo, ut sic dixerim, tanquam corporis tui membra sive anime tue partesȹ: unum enim corpus est res publica cuius tu caput est.²¹

L’image de l’État comme corps humain remonte au Timée de Platon. Elle a été développée dans l’Antiquité par la fable de Menenius Agrippa rapportée par Florus et a été amplement diěusée au Moyen Âge, notamment par Guillaume de Conches dans ses gloses sur le Timée et par Bernard Silvestre dans son commentaire de Virgile²². C’est toutefois Jean de Salisbury qui, s’apūŮ. Epistole, éd. cit., p. űűŬ. ūů. Ibid., p. űűŮ. ūŰ. Policraticus, IV Ųȹ: « caritatis » (Webb, I ŬŰŬ et ŬŰŮȹ; Migne, ůŬųa et ůŭŪb), « diligit » (Webb, I ŬŰŬȹ; Migne, ůŬųa), « amor » (Webb, I ŬŰŮȹ; Migne, ůŭŪd). ūű. Voir Cicéron, De oĜciis, II ű Ŭŭ et Philippicæ orationes, I ūŮ ŭŭ. ūŲ. Mt., ŬŬ ŭųȹ: « Diliges proximum tuum sicut te ipsum ». ūų. Epistole, éd. cit., p. űűŲ. ŬŪ. Policraticus, IV Ų (Webb, I ŬŰŮȹ; Migne, ůŭŪdȹ; « La grâce et l’amour des sujets, produits par la grâce divine, sont, plus que tout, le meilleur instrument de tout gouvernement »). Ŭū. Epistole, éd. cit., p. űűŲ (« Tu dois aimer tes concitoyens comme des ęls et même, pour ainsi dire, comme des membres de ton corps ou des parties de ton âmeȹ: l’État est en eěet un corps dont toi tu es la tête ».). ŬŬ. Voir M. Kerner, Johannes von Salisbury…, op. cit., p. ūűŰ-ūŲū.

181

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

puyant sur un texte du pseudo-Plutarque, l’Institutio Traiani, ne cesse de ęler ceĴe métaphore et la commente le plus abondamment dans le Policraticusȹ: Est autem res publica, sicut Plutarco placet, corpus quoddam quod diuini muneris beneęcio animatur et summæ æquitatis agitur nutu et regitur quodam moderamine rationis. […] Princeps uero capitis in re publica optinet locum.²³

La seconde qualité du prince sur laquelle insistent les deux traités est l’humilité. Au livre IV du Policraticus, le philosophe anglais parcourt l’Ancien et le Nouveau Testaments pour montrer que l’humilité y est sans cesse recommandée aux princes et que la royauté ne peut subsister sans ceĴe vertuȹ: […] eo quod humilitas numquam satis uidetur commendata principibus, et diĜcillimum est ut gradus honoris tumorem non pariat in animo imprudentis. […] Non itaque superbiat super fratresȹ; sed, cum fratrum meminerit, fraternum subiectis omnibus impendat aěectum. Et quidem prudenter humilitatem cum discretione et caritate indicit principibus, quia sine istis omnino subsistere non potest principatus.²Ÿ

De même, selon Pétrarque, le prince doit se garder de l’orgueil (« nusquam […] superbum ») et cultiver l’humilité (« humilem », « humilitas »)ȹ: Scio quidem non humilitatem in principe, sed magnanimitatem solere laudari. […] Ego utramque laudabilem iudico nec sibi invicem adversas, ut stulti putant. […] Volo ego principem inter suos et in prosperitate humilem, contra hostes et in adversitate magnanimum, nusquam timidum aut superbum. Est quidem, quantum michi videtur, ad omnem virtutem primus gradus humilitas.²Ź Ŭŭ. Policraticus, V Ŭ (Webb, I ŬŲŬ sq.ȹ; Migne, ůŭųbȹ; « L’État est, selon Plutarque, un corps animé par le bienfait de la faveur divine, poussé par la recherche de l’équité la plus parfaite et guidé par la conduite de la raison. […] Quant au prince, il occupe dans l’État la place de la tête »). ŬŮ. Policraticus, IV ű (Webb, I ŬŰŪȹ; Migne, ůŬűdȹ; « […] d’autant plus que l’humilité ne lui semble jamais assez conseillée aux princes, et il est très diĜcile que l’échelle des honneurs ne gonĚe pas d’orgueil l’âme de l’homme non avisé. […] Par conséquent, qu’il ne se sente pas supérieur à ses frères, mais, en se souvenant de ses frères, qu’il dispense à tous ses sujets une aěection fraternelle. Et du moins, l’auteur prescrit aux princes l’humilité ainsi que le discernement et la charité parce que, sans ces qualités, le pouvoir princier ne peut absolument pas se maintenir »). Ŭů. Epistole, éd. cit., p. ŲūŲ (« Je sais bien qu’on a coutume de louer chez un prince non pas l’humilité mais la grandeur d’âme. […] Pour ma part, je juge louable l’une et l’autre, et elles ne sont pas contradictoires comme le pensent les sots. […] Je veux un prince qui soit humble

182

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

Se dessine ainsi l’image d’un prince chrétien²ź, prenant pour modèle de conduite et pour base de l’exercice de ses autres vertus l’humilité, et plus particulièrement l’humilité du Christ, dont la royauté se révèle justement dans l’humiliation qu’est la Passion. Dans la Familiaris VI ū²Ż qui critique la cupidité des membres de l’Église, Pétrarque insiste d’ailleurs sur ceĴe humilité du Christ qui a refusé les richesses dont il se trouve maintenant accablé par la faute de ces pontifes avides d’or. L’humaniste dénonce cet étalage de richesses qui a envahi les églises et rappelle que le Christ n’a besoin que de volontés humbles (« appetens […] humilium voluntatum »)²ż. Le défaut principal contre lequel les princes doivent donc se prémunir est l’avaritia, ceĴe soif de l’or qui semble gagner tous les hommes et qui les pousse à accumuler les richesses. Les deux auteurs jugent ce vice condamnable chez tous les hommes, mais plus particulièrement chez ceux qui ont le pouvoir. Après avoir blâmé le faste somptueux et les dépenses excessives des princes, Jean de Salisbury ajouteȹ: Nec tamen, etsi prodigalitas uideatur in culpa, locum arbitror auaritiæ relinquendum. Nullum enim uitium deterius est, nullum detestabilius, præsertim in his qui principatum aut magistratum aliquem in re publica gerunt.²Ž

Pétrarque souligne lui aussi que ce vice est plus condamnable chez les princes que chez les simples particuliers. CeĴe aĜrmation apparaît non seulement dans la leĴre adressée à Francesco da Carrara³Ŵ, mais aussi dans une autre Senilis, consacrée à l’avariceȹ: parmi les siens et quand la fortune lui est favorable, qui ait de la grandeur d’âme contre ses ennemis et quand la fortune lui est contraire et qui ne soit jamais peureux ou orgueilleux. Le premier pas vers toute vertu est, me semble-t-il, l’humilité »). ŬŰ. Sur la déęnition de ce prince chrétien et sur ses qualités, voir saint Augustin, De civitate Dei, V ŬŮ. Ŭű. Pour les Rerum familiarium libri ou Familiares, voir Francesco Petrarca, Le familiari, Edizione critica per cura di V. Rossi, Florence, Sansoni, ūųŭŭ-ūųŮŬ [= Florence, Le LeĴere, ūųųű], en Ů vol. dont le dernier « per cura di U. Bosco » — désormais cité comme « Rossi », suivi de l’indication du volume et de la page respectivement en chiěres romains et arabes. ŬŲ. Voir en particulier Fam., VI ū Ŭū et Ŭű-Ŭų (Rossi, II ůŬ-ůŮ). Ŭų. Policraticus, VIII Ů (Webb, II ŬŮūȹ; Migne, űūųaȹ; « Non, même si la prodigalité peut apparaître comme coupable, il ne faut pas, à mon avis, laisser de place à l’avarice. En eěet, il n’est vice plus vil ni plus détestable, surtout chez ceux qui, princes ou magistrats, exercent un pouvoir au sein de l’État »). ŭŪ. Epistole, éd. cit., p. ŲŪŲȹ: « Est enim avaritia privatorum mala, principum vero longe pessima. […] Hoc igitur malum fugiant oderintque qui virtutem amant, famam bonam cupiant, sed in primis principes ».

183

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

Restat de avaritia regum loqui aliquid, que omnium indignissima est […]. Nomen avaritie dedecet multum regem et disconvenit multum regie maiestati, iam quasi versum in naturam regiam.³¹

Jean de Salisbury et Pétrarque reprennent donc la réĚexion de la philosophie antique sur l’auaritia en appuyant leur démonstration sur Cicéron et Sénèque et empruntent leurs exemples aux poètes latins comme Horace ou Juvénal, mais leur méditation prend une coloration chrétienne puisque viennent s’y ajouter les exemples bibliques et les citations néo-testamentaires³². Le dernier élément que les deux textes meĴent en valeur est la nécessaire culture liĴéraire du princeȹ: pour bien gouverner, il devra être un princeps liĴeratus. Pour cela, il lui faudra s’entourer de leĴrés. Pétrarque incite Francesco da Carrara à faire venir auprès de lui savants et intellectuels de toutes les disciplines (jurisconsultes, écrivains, théologiens, médecins) et l’engage vivement à rénover et réorganiser le Studio de Padoueȹ: Tu, vir inclite, […] hoc tantum prestabis, ut doctos honesti[s]que studiis claros viros loco civium tuorum habeas, et civili urbanitate prosequaris sic ut urbem tuam virorum illustrium incolatu Studiumque iam vetustum renoves et exornes. Nichil enim eque eruditos homines allicit ac principum familiaritas atque dignatio.³³

Le chapitre Ű du livre IV du Policraticus porte le titreȹ: « Quod debet […] peritus esse in liĴeris et liĴeratorum agi consiliis ». Jean de Salisbury y insiste

ŭū. Sen., VI ű ŬŪ-Ŭŭ (« Il reste à parler de l’avarice des rois qui de toutes est la plus indigne […]. Le nom d’avare ne convient absolument pas à un roi et ne s’accorde pas du tout avec la majesté royale, bien qu’il soit désormais presque intégré à la nature des rois »). Cf. Pétrarque, LeĴres de la vieillesse/Rerum senilium, édition critique d’Elvira Nota, t. IIȹ: Livres IV-VII/Libri IV-VII, traduction de Frédérique Castelli et alii, présentation, notices et notes de Ugo DoĴi mises en français par Frank La Brasca, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŭ, p. ŬŮŮ-ŬŮű. ŭŬ. Comparer par exemple l’usage de l’expression paulinienne « radix omnium malorum » (I Tim., Ű ūŪ) dans Policraticus, III ŭ (Webb, I ūűůȹ; Migne, ŮŲŪc) et Sen., VI Ų ůŲ (cf. Pétrarque, LeĴres de la vieillesse, éd. cit., t. II, op. cit., p. ŬűŲ sq.). ŭŭ. Epistole, éd. cit., p. ŲŭŪ (« Ô toi, noble seigneur, […] tu feras au moins en sorte d’avoir comme concitoyens des hommes renommés et savants dans les études libérales et de les entourer d’égards bienveillants de façon à, par la présence d’hommes illustres, renouveler et rehausser l’éclat de la ville et de l’université déjà si anciennes. En eěet, rien n’aĴire autant les érudits que l’amitié et la considération des princes »).

184

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

sur l’éducation du prince qui doit beaucoup lire et, à défaut, suivre les conseils des leĴrésȹ: Princeps uero cotidie leg[a]t, et [cunctis] diebus uitæȹ; quia qua die non legerit legem, ei non dies uitæ sed mortis est. Hoc utique sine diĜcultate illiteratus non faciet. Vnde et in liĴeris, quas regem Romanorum ad Francorum regem transmisisse recolo, quibus hortabatur ut liberos suos liberalibus disciplinis instituti procuraret, hoc inter cetera eleganter adiecit, quia rex illiteratus est quasi asinus coronatus. Si tamen ex dispensatione ob egregiæ virtutis meritum, principem contingat esse illiteratum, eundem agi liĴeratorum consiliis, ut ei res recte procedat, necesse est.³Ÿ

Dans une autre leĴre traitant également des qualités du prince, la Familiaris XII Ŭ, adressée à Niccolò Acciaioli, Pétrarque intègre la lecture aux occupations de ceux qui gouvernent quand il exhorte son destinataire à prendre en charge la formation du jeune roi Louis de Tarenteȹ: Itaque rerum se bonarum docilem prebeat, cupide legat et audiat maiorum gesta nostrorum et exemplorum illustrium sit scrutator solicitus et fervidus imitator.³Ź

L’écrivain est par ailleurs le seul à pouvoir assurer la renommée post mortem du prince. Dans la Senilis XIV ū, Pétrarque cite l’exemple d’Auguste, qu’il commente ainsiȹ: Nam quid tantum sibi conferre potuerant vel triginta quinque tribus populi romani vel quadraginta quatuor legiones bellatorum […] quantum Virgilius solus contulit ad eternam famamȹ? Vivit illa utique. Cetera periere. […] Armati enim tibi ad horam utiles esse possunt et temporale obsequium prestare, literati autem et temporale consilium et mansurum nomen, insuper ŭŮ. Policraticus, IV Ű (Webb, I ŬůŮȹ; Migne, ůŬŮdȹ; « Que le prince lise chaque jour, tous les jours de sa vieȹ: le jour où il n’aura pas lu la loi ne sera pas un jour de sa vie mais le jour de sa mort. Un illeĴré ne pourra pas le faire sans grande diĜculté. C’est pourquoi dans la leĴre que, comme je le rapporte, le roi des Romains avait adressée au roi des Francs […], il ajouta à d’autres ceĴe phrase éléganteȹ: un roi illeĴré est comme un âne couronné. S’il arrive toutefois, par le fait d’une exception due au mérite de sa vertu remarquable, qu’un prince soit illeĴré, il faut qu’il agisse sur le conseil des leĴrés pour que ses aěaires réussissent »). ŭů. Fam., XII Ŭ ŭŬ (Rossi, III ūůȹ; « Qu’il apprenne donc sagement les leçons sur le bien, qu’il lise avec avidité, qu’il écoute les hauts faits de nos ancêtres, qu’il étudie avec soin et imite avec ferveur les exemples illustres »).

185

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

ascendendi ad superos rectum iter ostendere atque ascendentem lingue ulnis aĴollere aberrantemque retrahere.³ź

Dans le prologue du livre I du Policraticus, Jean de Salisbury met déjà l’accent sur la promesse d’éternité que les écrivains assurent aux princesȹ: Nullus enim umquam constanti gloria claruit, nisi ex suo uel scripto alieno. Eadem est asini et cuiusuis imperatoris post modicum tempus gloria, nisi quatenus memoria alterutrius scriptorum beneęcio prorogatur. Quot et quantos arbitraris fuisse reges, de quibus nusquam sermo est aut cogitatioȹ?³Ż

Le leĴré, « mémoire » des vertus du prince, devient ainsi son nécessaire complément, la liĴérature venant achever pour l’éternité l’action politique. Si on élargit le champ de la comparaison, de nouveaux thèmes communs apparaissent. Les deux écrivains expriment en eěet leur dégoût de la curie papale. Ainsi, dans le prologue du livre I du Policraticus, Jean de Salisbury se décrit comme retenu malgré lui par les occupations futiles de la curie qui le détournent de la philosophieȹ: Ego enim contempno quæ illi aulici ambiunt, et quæ ego ambio illi contempnunt. Mirare magis quare non præcido, aut rumpo funem, si alias solui non potest, qui me in curialibus nugis tamdiu iam tenuit et tenet adhuc tantæ obnoxium seruituti. Iam enim annis fere duodecim nugatum esse tædet et penitet me longe aliter institutumȹ; et quasi sacratioris philosophiæ lactatum uberibus.³ż ŭŰ. Epistole, éd. cit., p. ŲŭŬ (« Car comment pourrait-on comparer les trente-cinq tribus du peuple romain ou les quarante-quatre légions de guerriers […] avec Virgile, qui à lui seul a oěert [à Auguste] une renommée éternelleȹ? CeĴe renommé vit encore, tout le reste a péri. […] En eěet, les hommes en armes peuvent t’être utiles pour une circonstance, mais les lettrés peuvent te donner à la fois un conseil pour une circonstance et un renom qui perdureraȹ; ils peuvent en outre te montrer la voie pour monter jusqu’aux cieux, puis, quand tu montes, te prêter l’appui de leur langue et enęn te remeĴre sur la voie quand tu erres »). ŭű. Policraticus, I Prol. (Webb, I ūŭȹ; Migne, ŭŲůcȹ; « Personne n’a jamais fait rayonner constamment l’éclat de sa gloire sauf par ses écrits ou ceux des autres. En peu de temps, il n’y a plus de diěérence entre la gloire d’un âne et celle de n’importe quel empereur si le souvenir de l’un des deux n’est prolongé jusqu’au moment présent par la bienveillance des écrivains. Combien, à ton avis, y a-t-il eu de rois puissants pour lesquels on n’a plus ni une parole, ni une penséeȹ? »). ŭŲ. Policraticus, I Prol. (Webb, I ūŮȹ; Migne, ŭŲŰb-cȹ; « Moi, je méprise ce que ces courtisans recherchent, et ce que je recherche, eux le méprisent. Demande-toi plutôt pourquoi je ne

186

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

De même, dans plusieurs LeĴres familières, Pétrarque se plaint des soucis de la curie qui ęnissent par avoir raison de lui et qui le poussent régulièrement à s’éloigner d’Avignon. Dans la Familiaris XIII ű, vaincu par son aversion pour la curie (« curie tediis victus »), il décide de partir se reposer (« me curialibus malis recreare »)³Ž. Dans la Familiaris XIV ű, il déclare pareillementȹ: Me tristis Avinio et violentus Rodanus egre hactenus tenuere. Fessus tandem plenusque rerum curialium et expectare amplius non valens, hoc ipso die iter arripui.ŸŴ

Dans la Familiaris XV ŭ, Pétrarque fuit les tempêtes de la curie (« me procellas curie fugientem »)Ÿ¹. Il reprend donc à son compte l’opposition entre le curialis et le philosophus que développe Jean de Salisbury mais il la déplace quelque peu en lui préférant l’antithèse curia/otium, qui se reĚète dans l’opposition entre deux lieux, Avignon et Fontaine de Vaucluse, si proches géographiquement mais si contraires dans leur essence. Chez les deux auteurs, l’expérience pénible de la cour papale donne lieu à de violentes critiques des mœurs dépravées et des occupations futiles de ses membres. Le livre III du Policraticus fustige la ĚaĴerie et l’hypocrisie des courtisans, hypocrisie dont a justement été victime Pétrarque, comme il le raconte dans la Familiaris IX ů en citant des propos du pape Adrien IV rapportés par Jean de Salisbury au livre VIII du PolicraticusŸ². Le faste de la curie est aussi aĴaqué par les deux auteursŸ³, ainsi que l’invidia

coupe ou ne romps pas encore, si je n’ai pas d’autre solution, la corde qui si longtemps m’a retenu jusqu’à maintenant dans les frivolités de la curie et qui me retient encore prisonnier d’une si grande servitude. Je suis écœuré et je regreĴe d’avoir passé déjà presque douze ans au milieu de ces frivolités, moi qui ai été formé d’une manière tout à fait diěérente et qui ai été, pour ainsi dire, nourri par le sein d’une philosophie plus sacrée »). ŭų. Fam., XIII ű ŬŪ (Rossi, III Ųŭ sq.). ŮŪ. Fam., XIV ű ů (Rossi, III ūŬű sq.ȹ; « La triste Avignon et le Rhône impétueux m’ont retenu à contrecœur jusqu’à présent. Enęn, las et rassasié des choses de la curie, et ne pouvant aĴendre plus longtemps, je me suis mis en route ce jour même »). Ůū. Fam., XV ŭ Ŭ (Rossi, III ūŭŰ). ŮŬ. Voir Fam., IX ů ŬŰ-ŬŲ, qui reprend Policraticus, VIII Ŭŭ. Ůŭ. Comparer Fam., XIV Ů ūŰȹ: « voraginem curialium impensarum » (Rossi, III ūūŮ) avec Policraticus, VII ūŰȹ: « Equos, uestes, aues armatas, uenaticos canes, numerosos greges armentorum et pecorum, et uariam mundi suppellectilem (quoniam per singula currere uires humanas excedit) plerique pecuniæ præferunt et totius hominis uires exhauriunt in adquirendis his aut tenendis. Nam in his duobus articulis furor totius auaritiæ constat quod immoderatius appetit aliena aut sua tenacius seruatȹ; et quidem immoderatius appetit quisquis quod deest, legem necessitatis excedens et usus, exposcit » (Webb, II ūůŲ sq.ȹ; Migne, ŰűŮa).

187

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

et l’avaritia qui y règnent en maîtresŸŸ. La critique de l’astrologie et des astrologues s’intègre à ces invectivesŸŹ. Le chapitre ūų du livre II du Policraticus s’en prend à ces maîtres de fausseté qui prétendent lire l’avenir dans les astresȹ: « Verum mathematici uel planetarii, dum professionis suæ potentiam dilatare nituntur, in erroris et impietatis mendacia perniciosissime corruunt »Ÿź. Pétrarque aĜrme à leur propos dans la Senilis, III ūȹ: « Et hoc enim et quidvis ineptie dicturi sunt potius quam ignorantiam confessuri »ŸŻ. Les astrologues ne profèrent que des mensonges inutiles qui détournent les hommes de l’eěort vers la vertu, seul remède pour aěronter l’imprévisibilité de la mort et accueillir sa venue avec sérénitéŸż. Se tisse ainsi chez les deux écrivains un lien étroit entre philosophie politique et philosophie morale. La dégénérescence du pouvoir naît d’une corruption morale. Selon Jean de Salisbury, le tyran est un ambitieux cupide qui a obtenu le pouvoirŸŽ. De même, analysant les deux vices que sont la cupidité (avaritia) et la cruauté (crudelitas), Pétrarque juge qu’ils ont causé la perte de bon nombre de princes qui se sont déshonorés et rendus odieux, même aux yeux de la postéritéȹ: « Hec duo vitia innumerabiles tyrannorum ac principum perdiderunt odiososque et infames omnibus seculis reddiderunt »ŹŴ. Il s’agit alors de fonder l’organisation politique sur un système de valeurs morales et d’ériger les vertus chrétiennes d’humilité, de justice et de mansuétude en valeurs princièresȹ: la vertu du prince devient le garant de la légitimité politique. CeĴe parenté d’esprit n’est ni purement fortuite, ni seulement due à l’imitation des mêmes auteurs antiquesȹ: il est certain que Pétrarque a lu le ŮŮ. Pour l’invidia, comparer Fam., IV ūŬ ūŪȹ: « invidia que mentes curialium possidet » (Rossi, I ūŲŪ) avec Policraticus, VII ŬŮ. Pour l’avaritia, comparer Fam., VI ū et Sen., VI ű-Ų avec Policraticus, III ŭ et VII ūŰ. Ůů. Pour les source antiques, voir Cicéron, De divinationeȹ; Sénèque, LeĴres à Lucilius, ųųȹ; saint Augustin, Les confessions, VII Ű Ų-ūŪ. ŮŰ. Policraticus, II ūų (Webb, I ūūūȹ; Migne, ŮŮŬbȹ; « Mais les devins et les astrologues, en essayant d’étendre le pouvoir de leur profession, sombrent de manière très néfaste dans les mensonges de l’erreur et de l’impiété »). Ůű. Sen., III ū ŭŭ (« C’est cela, en eěet, et ce genre d’ineptie qu’ils avanceront plutôt que de reconnaître leur ignorance »). Cf. Pétrarque, LeĴres de la vieillesse/Rerum senilium, édition critique d’Elvira Nota, t. Iȹ: Livres I-III/Libri I-III, traduction de Frédérique Castelli, François Fabre, Antoine de Rosny, présentation, notices et notes de Ugo DoĴi mises en français par Frank La Brasca, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ŬūŲ sq.). Voir aussi Fam., III Ų et Sen., I ű. ŮŲ. Comparer Policraticus, II Ŭű avec Sen., I ű. Ůų. Voir Policraticus, VII ūŰ. ůŪ. Sen., XIV ū (= Epistole, éd. cit., p. ŲŪŬ).

188

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

PolicraticusŹ¹. La première preuve est d’ordre textuel. Dans sa correspondance, Pétrarque évoque ou cite à plusieurs reprises l’Institutio Traiani. Or, ce texte, qui consiste en considérations et conseils politiques faussement aĴribués à Plutarque, ne nous est connu que par le premier chapitre du livre V du célèbre ouvrage médiéval (« Epistola Plutarchi instruentis Trajanum »)Ź². Dans la Familiaris XI ů, Pétrarque cite au § Ů ce texte rapporté par Jean de SalisburyŹ³. De plus, des réminiscences d’autres passages du Policraticus se trouvent dans sa correspondance. Ainsi, la Familiaris V ū, adressée à Barbato da Sulmona à propos de la mort de Robert roi de Sicile, évoque au § ŭ la mort de Platonȹ: Itaque si « quo die Plato rebus humanis excessit, sol cecidisse visus est », quid illo moriente videatur, qui et Plato alter ingenio fuit et regum nulli aut sapientia secundus aut gloria, cuius preterea mors tam multis hinc inde periculis viam fecitȹ?ŹŸ

Or, ceĴe comparaison se trouve chez Jean de Salisburyȹ: dans Policraticus, VII Ű, il compare la mort de Platon au soleil qui tombe du cielŹŹ. Ces allusions rapides prouvent déjà que Pétrarque connaissait le traité de Jean de Salisbury. Une dernière citation, plus longue, conęrme qu’il a bien eu le Policraticus sous les yeux, soit dans son ensemble, soit sous forme d’extraits conséquents. Dans la Familiaris IX ů, Pétrarque reprend en eěet un assez long passage du Policraticus qui rapporte des propos du pape Adrien IVȹ: ůū. Voir à ce propos Umberto Bosco, « Il Petrarca e l’umanesimo ęlologicoȹ: Postille al Nolhac e al Sabbadini », in Giornale storico della LeĴeratura italiana, CXX, ūųŮŬ, p. Űů-ūūų [p. ūŪŪ sq.]. ůŬ. Webb, I ŬŲū sq.ȹ; Migne, ůŭųb-d. ůŭ. De même, la Familiaris XVIII ūŰ (adressée au doge de Venise Andrea Dandolo) évoque l’Institutio Trajani au § ŭŪ, et la Familiaris XXIV ű (adressée à Quintilien) comporte une citation de ce même texte au § ūŪ. ůŮ. Fam., V ū ŭ (Rossi, II ŭȹ; « C’est pourquoi, si “le jour où Platon est parti de ce monde, le soleil a semblé être tombé du ciel”, que pourra-t-il arriver après la mort du roi Robert, qui fut par son talent un autre Platon et qui ne l’a cédé à aucun autre roi en sagesse et en gloire, et dont la mort a en outre ouvert la voie à de si nombreux dangersȹ? »). Cf. Pétrarque, LeĴres familières/Rerum familiarium, t. IIȹ: Livres IV-VII/Libri IV-VII, notices et notes de Ugo DoĴi mises en français par Christophe Carraud et Frank La Brasca, traduction de André Longpré, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŬ, p. ūŭŪ sq. Voir aussi Fam., XV ű ūŪ (Rossi, III ūůŪ)ȹ: « Habuit equidem orbis ille suum solem, Robertum summum illum et virum et regem, qui “quo die rebus humanis excessit”, quod de Platone dicitur, “sol celo cecidisse visus est” ». ůů. Policraticus, VII Ű (Webb, II ūūūȹ; Migne, ŰŮűc)ȹ: « Sol e celo uisus est cecidisse qua die philosophorum princeps Plato rebus excessit humanis ».

189

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

Sed hoc Hadriani quarti dictum minus vulgatum est, quod inter philosophicas nugasŹź legi. Is ergo dicere solebat quod [suit une longue citation du texte de Jean de Salisbury].ŹŻ Hec eisdem pene verbis ad contextum retuli, quibus ab illo scripta sunt qui ex ore loquentis audierat.Źż

Dans les Rerum Memorandarum, III ųů, Pétrarque se sert du même passageŹŽ, en confondant d’ailleurs Adrien IV et Adrien V. La correspondance de Pétrarque fait donc apparaître une lecture et une connaissance précise du Policraticus. Le second élément qui peut être apporté à titre d’hypothèse et qui n’a aucunement valeur de preuve est le manuscrit Par. Lat. ŰŮūű de la Bibliothèque Nationale de France. Dans le Catalogus codicum manuscriptorum bibliothecæ regiæ (ŭĽ partie, t. Ů, Paris, ūűŮŮ), il est décrit ainsiȹ: « Latinus ŰŮūű. Codex membranaceus, quo continetur Joannis Sarisberiensis policraticus, octo librisȹ: præmiĴitur ejusdem entheticus versibus elegiacis. Is codex decimo quarto sæculo exaratus videtur ». Giuseppe Billanovich s’est intéressé à ce manuscrit, qu’il a mis en relation avec d’autres manuscrits de même origine, ces diěérents manuscrits formant selon lui un groupe homogène, lié à Pétrarqueȹ: Francesco da Carrara ęt copier, dans les années ūŭŲŪ, les textes les plus courants de la culture de l’époque — que Pétrarque feint d’ignorer ou de dédaigner —, dont le PolicraticusźŴ. Les volumes passè-

ůŰ. Le titre complet du Policraticus est justement De nugis curialium et vestigiis philosophorum. ůű. Policraticus, VIII Ŭŭ (Webb, II ŮūŪ sq.ȹ; Migne, ŲūŮb-d). Le chapitre est intitulé « Consilio Bruti utendum esse aduersus eos qui pro summo pontięcatu non modo certant, sed scismatice dimicantȹ; et quod tyrannis nihil quietum ». ůŲ. Fam., IX ů ŬŰ-ŬŲ (Rossi, II ŬŬųȹ; « Mais on connaît moins ces mots d’Adrien IV que j’ai lus au milieu de badinages philosophiques. Il avait donc l’habitude de dire que [suit une longue citation du texte de Jean de Salisbury]. Je les ai cités quasiment mot pour mot, et ils ont été écrits par quelqu’un qui les avait entendus de la bouche même de celui qui les a prononcés »). ůų. Voir l’Introduction de Giuseppe Billanovich à Francesco Petrarca, Rerum memorandarum libri, a cura di G.B., Florence, Sansoni, ūųŮŭ, p. LXXXVIII. ŰŪ. G. Billanovich, Petrarca leĴerato…, op. cit., p. ŭŬŭ sq.ȹ: « negli anni prossimi al ūŭŲŲ, lavorava par la biblioteca dei principi padovani un loro stipendiato tedesco, Ermanno del fu Corrado. Naturalmente Francesco il Vecchio e i suoi familiari commisero a Ermanno di copiare i testi piú manuali della cultura del secolo, che invece il Petrarca aveva spregiato o ęnto di non curareȹ: l’Historia iudaica di Egesippo, cioè la divulgata riduzione del De bello iudaico di Giuseppe Flavio, l’Entheticus e il Policraticus di Giovanni di Salisbury, il commento di Pietro d’Abano ai Problemata del pseudo Aristotele, naturalmente domestico entro le mura padovane, l’Almagesto di Tolomeo. Ma Ermanno lavorò anche a fare avanzare il corpo degli scriĴi del Petrarca che si preparava per la biblioteca carrarese ».

190

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

rent ensuite dans la bibliothèque des Visconti — ils apparaissent en eěet dans l’inventaire le plus ancien que nous possédions — où ils côtoient une collection d’écrits de Pétrarque rassemblés après sa mort par ses disciplesź¹. De plus, comme le souligne Giuseppe Billanovichź², le portrait de Jean de Salisbury qui orne la première page du texte du Policraticus dans le Par. Lat. ŰŮūű rappelle, dans le costume et l’aĴitude, des portraits de Pétrarque lui-même. Le savant Italien décrit ensuite le chemin de ces manuscrits jusqu’à la Bibliothèque Nationale de France et donne les références actuelles des manuscritsź³. Le premier groupe rassemble des œuvres de Pétrarqueȹ: De gestis Cesaris, Epithoma, Compendium, De viris illustribus, Rerum memorandarum, De remediis, Epistole metriche (Par. Lat. ůűŲŮ, ŰŪŰųF, ŰŪŰųG, ŰŪŰųI, ŰŪŰųT, ŰŮųŰ, ŲūŬŭ). Le deuxième groupe réunit des œuvres médiévalesȹ: Égésippe, Jean de Salisbury, Aristote commenté par Pietro d’Abano et Claude Ptolémée (Par. Lat. ůŪŰű, ŰŮūű, ŰůŮū, űŬůŲ). Giuseppe Billanovich conclut ainsi sa démonstrationȹ: E infaĴi egli riuscí a superare il magro canone puristico anche mantenendo larghi i conęni della sua libreriaȹ: dove la collezione di Cicerone, che, mentre egli era vivo e per decenni dopo la sua morte, stupí i discepoli con l’ampia estensione e con l’oěerta di testi che erano stati dimenticati da molte generazioni, ha il contrappeso di quella enorme e amatissima di

Űū. Ibid., p. ŭŬű sq.ȹ: « Appare ora emissario aĴivo del conquistatore un piccolo astro che sorge, il giovane leĴerato vicentino Antonio Loschi, che, allontanatone un favorito dei Carraresi, è faĴo promovuere da Gian Galeazzo successore del Petrarca nel canonicato padovano di San Iacopo e che subito inizia quella familiarità con i volumi passati dalla canonica padovana alla biblioteca carrarese che perfezionerà in Lombardia, faĴo capoęla dei ricercatori delle reliquie della libreria del Petrarca. Ci è grato di ritrovare nell’inventario piú antico della biblioteca dei Visconti quella collezione di scriĴi del Petrarca che col cuoio con cui fu fasciato ciascuno di quei dorsi aveva steso una striscia rossa già suĜcientemente lunga in uno scaěale della libreria di Francesco il Vecchio, e assieme gli altri volumi soĴoscriĴi da Ermannoȹ; e di potere immaginare sulla traccia di queste descrizioni l’aspeĴo originario di codici allestiti dai copisti dai miniatori dai rilegatori dei Carraresi ». ŰŬ. Giuseppe Billanovich ajoute ceĴe note de bas de pageȹ: « Quella striscia viene a confermare la autentica omogeneità del gruppo che ora ricostituiamo. Ma pure dopo che hanno svestito la loro antica legatura quei codici possono ancora mostrare per molti segni la loro streĴa aĜnità. Così la bella immagine che a rappresentare Giovanni di Salisbury è incorniciata entro l’iniziale della prima pagina del volume col Policratico che fu trascriĴo da Ermanno ricorda subito i ritraĴi analoghi del Petrarca (naturalmente di ben diversa fedeltà) con cui si aprono i codici dell’Epithoma e dei Rerum memorandarum ». Űŭ. G. Billanovich, Petrarca leĴerato…, op. cit., p. ŭŬų sq.

191

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

sant’Agostinoȹ; dove anzi siamo giunti a vedere stendersi in un angolo vasto gli scriĴi dei migliori moderni, di Giovanni di Salisbury e di Albertino Mussato, di Dante e del Boccaccio.źŸ

Pour le philologue italien, le Par. Lat. ŰŮūű est très certainement la copie d’un manuscrit que Pétrarque a pu avoir entre les mains à un moment de sa vie. CeĴe copie aurait été réalisée à Padoue peu de temps après la mort de Pétrarque, pour la famille des Carrare, et serait ensuite parvenue à Milan, aux mains des ViscontiźŹ. Ce même manuscrit est étudié par Élisabeth Pellegrin, qui le décrit ainsiȹ: Paris, Bibl. Nat. Lat. ŰŮūű. xivĽ s. I + ūűū fol. Contient le Policraticus de Jean de Salisbury († ūūŲŪ), orné au fº ū d’une bordure et d’une initiale et des armes des Visconti qui paraissent repeintes sur d’autres armes dont le fond rouge transparaît (celles de Pasquino de’ Capelliȹ?), il a été écrit par le copiste Armannus de Alemania dont on lit la souscription au fº ūűūvȹ: « […] explicit per Armannum de Almania. Deo gratias. Laus tibi sit Christe quia liber explicit iste ».źź

Elle s’appuie sur d’autres manuscrits pour conclure qu’Armannus de Alemania était un copiste au service de Pasquino de’ Capelli, secrétaire de Gian Galeazzo Visconti, dont les biens furent conęsqués par le duc de Milan après son injuste condamnation, et non au service de Galeazzo ou Gian Galeazzo Visconti ou des Carrare de Padoue. Elle ajoute qu’un autre manuscrit, le Par. Lat. ŰŲŭŪ, comprend en marge, au fº ūŭū, une annotation du copisteȹ: « Armannus scripsit mandato D. Pasquini ». D’autres manuscrits de la même collection sont d’ailleurs des œuvres de Pétrarque ou des livres lui ayant appartenuȹ: le Par. Lat. ŰŪŰų reproduit le De viris illustribus de Pétrarque copié ŰŮ. Ibid., p. Ůūŭ (« Il réussit en fait à dépasser le mince canon puriste en maintenant l’ampleur des frontières de sa bibliothèqueȹ: outre la collection de Cicéron, qui, de son vivant et des décennies après sa mort, frappa d’admiration ses disciples par son étendue exceptionnelle et par le fait qu’elle oěrait des textes oubliés par des générations entières, nous trouvons comme contrepoids la collection énorme de saint Augustin qu’il chérissait tant. Dans ceĴe bibliothèque nous somme aussi amenés à voir s’étendre sur un espace considérable les écrits des meilleurs modernes, de Jean de Salisbury et d’Albertino Mussato, de Dante et de Boccace »). Űů. Giuseppe Billanovich s’est ensuite rétracté et rangé à l’avis d’Élisabeth Pellegrin (cf. supra, n. ű) en supposant que ce manuscrit avait été copié par Armannus pour Pasquino de’ Capelli, secrétaire de Gian Galeazzo Visconti, seigneur de Milan. ŰŰ. É. Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza…, op. cit., p. ūūŪ.

192

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

par Lombardo della Seta en ūŭűų et dédié à Francesco da Carrara, passé dans la bibliothèque des Visconti après la victoire de Gian Galeazzo en ūŭŲŲȹ; le Par. Lat. ůŲŪŬ contient des œuvres de Suétone, Florus, Eutrope, Frontin et Cicéron et a appartenu à Pétrarque. Le Par. Lat. ŰŮūű s’intègre donc à un groupe de manuscrits liés à Pétrarque. Que son origine soit padouane ou milanaise, c’est-à-dire que son commanditaire ait été la famille des Carrare ou le secrétaire des Visconti, il est permis de penser qu’il a été copié à partir d’un livre que Pétrarque a pu avoir sous les yeux, puisque l’humaniste a été en relation avec les deux familles seigneuriales de Padoue et de Milan. La dernière édition critique du Policraticus, qui ne concerne que les livres I à IVźŻ, mentionne ce manuscrit dans son introduction et souligne qu’il est, avec deux autres manuscrits, le témoin d’une édition du Policraticus issue des milieux juridiques italiens au milieu du xivĽ siècle mais ne faisant pas autorité (« non authorical »). Il aurait été produit à Padoue ou à Bologne (ou plus vraisemblablement à Milan, faudrait-il ajouter) et est largement annoté par un humaniste qui, selon le Professeur de la Mare, serait un membre du cercle pétrarquienźż. Ces remarques sont à meĴre en relation avec celles de Walter Ullmann qui souligne la diěusion du Policraticus dans le milieu des juristes italiens au milieu du TrecentoźŽ. À Bologne exerçait un juriste d’un grand savoir, d’origine véronaise, Guglielmo da Pastrengo, ami et conędent de Pétrarqueȹ: l’humaniste l’avait rencontré dans les années Trente à Avignon et avait noué avec lui une amitié très viveŻŴ. Dans un chapitre intitulé « Philosophi, historici, poetæ gentilium illustres » de son De originibus rerum en sept parties, le juriste énumère Homère, Hérodote, Virgile et Aulu-Gelle et ajouteȹ: « Item de re militari, Policratico teste »Ż¹. À ceĴe époque, l’œuvre de Jean de Salisbury connaissait Űű. Ioannes Saresberiensis Policraticus I-IV, edidit Katharine S.B. Keats-Rohan, Turnhout, Brepols, ūųųŭ. ŰŲ. Ibid., p. XXXIIIȹ: « In fact, the evidence of Bibl. Nat. ms. Lat. ŰŮūű suggests that a nonauthorical “third edition” of Policraticus originated in Italian jurist circles in the mid-fourteenth century and soon aěected the copying of the work in its authorical second edition state. BN Lat. ŰŮūű is a fourteenth-century manuscript that could have been produced in Padua or in Bologna. It has been extensively annotated, indeed, glossed, by a humanist whose hand, according to Professor de la Mare, identięes him as a member of the Petrarchan circle ». Űų. Walter Ullmann, « John of Salisbury’s Policraticus in the later Middle Ages », in Jurisprudence in the Middle Agesȹ: Collected studies, Londres, Variorum Reprints, ūųŲŪ, p. ůūų-ůŮů. űŪ. Ugo DoĴi, Vita di Petrarca, Rome-Bari, Laterza, ūųŲű — trad. fr. par Jérôme Nicolasȹ: Pétrarque, Paris, Fayard, ūųųū, p. ůŲ. űū. W. Ullmann, « John of Salisbury’s Policraticus… », op. cit., p. ůŬű.

193

љюѢџђ ѕђџњюћё-Ѡѐѕђяюѡ

donc une importante diěusion dans les milieux juridiques, favorisée aussi par la circulation d’un index. Un juriste bolognais de la première moitié du Trecento, Giovanni Calderini, avait en eěet établi une table alphabétique du Policraticus. Un autre juriste, Luca de PennaŻ², connaissait parfaitement le texte du prélat anglais, comme le souligne Walter Ullmannȹ: « Luca had clearly absorbed the book in its entirety and in a manner which few had done before him »Ż³. Et c’est au cours de l’un de ses séjours en Avignon qu’il avait écrit en ūŭűŮ à Pétrarque pour lui demander des livres rares de Cicéron, leĴre à laquelle l’humaniste avait répondu par la fameuse Senilis XVI ū, saisissant l’occasion de ceĴe demande pour évoquer ses souvenirs d’enfance et son amour juvénile pour l’orateur romain. CeĴe diěusion du Policraticus dans les milieux juridiques italiens proches de Pétrarque vient donc s’ajouter au faisceau de preuves présentées ici. L’étude du Par. Lat. ŰŮūű de la Bibliothèque Nationale, même s’il n’appartient pas à proprement parler à la bibliothèque de Pétrarque, aura permis, je l’espère, de meĴre en lumière une partie des lectures médiévales non avouées de l’humaniste et de montrer l’importance de la réĚexion politique dans son œuvre. Dans ce domaine, même s’il annonce par certains aspects marginaux la pensée politique de la RenaissanceŻŸ, il s’ancre profondément dans la tradition du Moyen Âge en reprenant les topoi inhérents au genre du speculum principisȹ: il s’inscrit dans la lignée des miroirs médiévaux. Le parallèle entre l’humaniste Ěorentin et le prélat anglais développé ici semble plus éclairant à partir des similitudes de pensée que sur la base űŬ. Au xivĽ siècle, Avignon constitue un foyer culturel fondamental dont font partie les augustiniens Dionigi Roberti di Borgo S. Sepolcro et Luca de Penna, qui tous deux connurent Pétrarque. Luca de Penna, originaire de Penne dans les Abruzzes, avait suivi une formation de legum doctor et été secretarius du pape Grégoire XI, le dernier avant le schisme qui allait déchirer l’Église pendant presque trente ans. Il fut, entre autres, chargé de la correspondance secrète du souverain pontife. Il composa un commentaire aux trois livres du Code qui marquèrent l’histoire du droit. Il a aussi participé au commentaire des Factorum ac dictorum memorabilium de Valère Maxime. Pour plus d’informations sur Luca de Penna, voir la note bibliographique de Giuseppe Di Stefano, « Ricerche sulla cultura avignonese del secolo XIV », in Studi francesi, VII, ūųŰŭ, p. ū-ūŰ [p. Ŭ, n. ŭ], et les ouvrages auxquels renvoie ceĴe note. űŭ. W. Ullmann, « John of Salisbury’s Policraticus… », op. cit., p. ůŬű (« Il est clair que Luca a lu ce livre en entier et d’une manière dont peu l’avaient fait avant lui »). Voir aussi Id., The medieval idea of law as represented by Lucas de Pennaȹ: A study in fourteenth-century legal scholarship, Londres, Methuen, ūųŮŰ, p. ŭū sq., Ůŭ (n. Ű), ůŮ (n. ū-ů), ųŮ, ūūů (n. ŭ), ūŮŪ (n. ű), ūŰů, ūŰų sq., ūŲŲ et ūųŰ (n. ű). űŮ. Voir I. Bejczy, « The State as a work of art… », op. cit., p. ŭūŮ.

194

ѝѼѡџюџўѢђ ђѡ їђюћ ёђ ѠюљіѠяѢџѦ

des preuves textuelles. On pourrait multiplier à l’envi les rapprochements de textes, la mise en regard de méthodes et d’idées semblablesȹ: il y a bien, entre Pétrarque et Jean de Salisbury, une parenté d’esprit. Toutefois, pour la décrire, c’est à Pétrarque qu’il faut revenir. Plusieurs de ses leĴres évoquent en eěet ceĴe ressemblance des esprits (« similitudo ingeniorum ») qui unit les grands hommes. Après avoir trouvé, exprimée chez Cicéron, une idée qu’il croyait n’appartenir qu’à lui, il écritȹ: Ibi excusationem similem legi et delectatus sum, nescio qua vel ingenii, quod ut optare sic sperare utinam liceret, vel ipsarum rerum sola similitudine, me dixisse quod tanto ante magnus ille vir dixerat.ŻŹ

C’est ceĴe communauté d’esprit qui permet l’instauration d’une communication, d’un échange avec les auteurs de l’Antiquité, puisque c’est sa parenté d’esprit avec Cicéron que Pétrarque évoque dans ceĴe leĴre. L’humaniste Ěorentin reste bien plus discret, voire muet, quand il s’agit des auteurs du Moyen Âge, non seulement Jean de Salisbury, mais aussi Bernard de ClairvauxŻź ou Albertino Mussato. Reste que ceĴe parenté cachée avec le philosophe anglais est sans doute venue, comme nous avons tenté de le faire apparaître, nourrir sa pensée politique.

űů. Fam., XVIII Ų ūŮ (Rossi, III Ŭųūȹ; « J’y ai lu une justięcation semblable et j’ai été ravi d’avoir dit, je ne sais s’il s’agit d’une parenté d’esprit — ce que je souhaite mais n’ose espérer — ou d’une parenté de sujet, ce que ce grand homme avait déjà dit tant de temps auparavant »). Voir aussi Fam., XXI ūů ūŬ et XXII Ŭ ūů. űŰ. Voir, dans ce même volume, la contribution d’Antoine de Rosny sur le sujet.

195

Enrico Fenzi

Petrarca, Dante, Ulisse Note per una interpretazione della Fam. XXI ūů a Giovanni Boccaccio

Non avea le qualità della forza, la virtú dell’indignazione, la profondità dell’odio, la magnanimità del disprezzo, la santa ira di Dante, le buone e le caĴive qualità delle nature energiche. Gentile, temperato, elegante, facile a sdegnarsi ed a placarsi, inchinevole alla tenerezza, alla malinconia, natura impressionabile e delicata. Ebbe anche le caĴive qualità de’ caraĴeri deboli. L’orgoglio è la forza, la vanità è la debolezza. L’ambizione è la forza, la cupidigia è la debolezza. L’emulazione è la forza, l’invidia è la debolezza. Il Petrarca fu vano, cupido, invidioso. Fu vano, si compiaceva delle lodi, e a provocarle era il primo a lodareȹ; faceva la corte a’ principi, e i principi facevano la corte a luiȹ; gli amici lo incensavano, i popoli lo festeggiavanoȹ; con un’aria di modestia si lagna spesso di tanti onori che lo perseguono ęno nella sua solitudine, compiacendosi però di dirlo e di farlo sapereȹ; l’elogio era la via piú diriĴa al suo cuore, e sapevanselo i principi, che per questa via mai non ricorrevano invano al Petrarcaȹ: serviva d’istrumento, e non se ne avvedeva, e credeva di regolare lui il mondo. Fu cupido di denaro e di onori, difeĴo di cui s’accusa e si scusa ne’ suoi colloqui con santo Agostino. Salito al pontięcato Urbano V, si lamenta con Bruni suo amico di non aver niente ancora ricevuto da lui. E fu satisfaĴoȹ: piovvero su di lui canonicati, priorati, ambascerieȹ; conędente di principi, beniamino di popoli. Fu invidioso. Ebbe la rara felicità di non avere eguali durante la vita, di essere superiore all’invidia, e di poter fare il proteĴore degli uomini di leĴere con la stessa ostentazione con la quale i principi proteggevano lui. Ma l’ombra di Dante si drizzava innanzi alla sua immagi-

197

ђћџіѐќ ѓђћѧі

nazione, come uno speĴro nero. Assicura di non averlo mai leĴoȹ; e, quando il Boccaccio lo prega di voler pur dire alcuna parola in favore di Dante, e rimuovere da sé il sospeĴo di portargli invidia, egli vi si rięuta, protestando di non poter essere tacciato d’invidia verso di un uomo, il quale non trovava ammiratori che presso il volgo. Che amarezzaȹ! e come scoppia d’invidia, nel punto stesso che vuol nasconderlaȹ!

Sono, queste, le inconfondibili parole di De Sanctis, nel suo Saggio critico sul Petrarca¹, che hanno avuto assai piú duraturo successo di tante altre nel deęnire l’immagine dell’uomo Petrarca, quale risulta da un cosí impietoso confronto con Dante². Non penso infaĴi si possa sbagliare dicendo che proprio esse abbiano dato origine alla « vulgata » responsabile per tanta parte di quella certa aria di antipatia che la ęgura di Petrarca ancora trascina con sé. Non è tuĴavia di questo che voglio parlare (tra l’altro, sarebbe allora da andare indietro, sino agli Essays di Foscolo), ma solo prendere di qui l’avvio per osservare che un ingrediente per nulla secondario di un simile ritraĴo ęnisce inevitabilmente per essere l’altreĴanto famosa leĴera di Petrarca a Boccaccio, Fam. XXI ūů, che senza dubbio ha molto contribuito a sollevare varie perplessità sulla labirintica e talvolta sconcertante personalità del suo autore. Sulla leĴera, si sa, è stato scriĴo molto, ora con toni di forte critica, come appunto ha faĴo De Sanctisȹ; ora con l’aperto scopo di « difendere » Petrarca, come ha faĴo Giovanni Melodiaȹ; ora con la volontà di arrivare a un’interpretazione equilibrata e acceĴabile di un testo in ogni caso importante, come ha faĴo il Carducci, ū. Francesco De Sanctis, Saggio critico sul Petrarca [ūŲŰų], a cura di N. Gallo con introduzione di Natalino Sapegno, Torino, Einaudi, ūųŰŮ, p. ŭų sq. Ŭ. La citazione è lunga, ma non esaurisce il lungo confronto direĴo che si dovrebbe rileggere tuĴo intero, o almeno sino alla bella mossaȹ: « Disdegnoso e vendicativo, volle dei nemici, e li ebbe degni di sé, grandi e implacabiliȹ; ma il Petrarca aveva un po’ il desiderio femminile di piacere a tuĴi, e piacque a tuĴi. E, se volete veder la diěerenza che corre tra questi due uomini, guardateli in faccia. Quel viso bruno e asciuĴo, con quelle guance incavate, con quella fronte scura, con quegli occhi infossati e divorati da un fuoco interiore, è Dante. E quella faccia bianca da canonico, quelle guance pienoĴe, con quella fronte serena, con quegli occhi dolcemente pensosi, è Petrarca » (ibid., p. Ůū). Cita ancora queste parole Vinicio Pacca (Petrarca, Bari, Laterza, ūųųŲ, p. ūŲů) aggiungendo che si traĴa di una querelle ormai superata — il che io non credo. Del resto, essa si riapre súbito dopo, seppur in altra forma, quando il medesimo studioso scrive che, a parte le indubbie diěerenze caraĴeriali, era in gioco tra i due un insanabile contrasto tra diverse concezioni della leĴeratura e concludeȹ: « Forse Petrarca ammirava Dante e riconosceva d’istinto la sua grandezza, ma certo non era in grado di comprenderlo né di amarlo ».

198

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

e dopo di lui lo Zingarelli³. Molto ma evidentemente mai abbastanza, com’è destino di certi specialissimi nodi della nostra storia culturale, se è vero che in tempi piú recenti, dopo la messa a punto di Michele Feo, si sono aggiunti gli importanti contributi di Carlo Paolazzi, di Gennaro Sasso e, recentissimo, quello di Emilio PasquiniŸ. E non basta, ché alcune altre cose possono essere ulteriormente precisate, per andare piú a fondo nella comprensione di questa leĴera che sęda e probabilmente continuerà a sędare la piena comprensione dei leĴori, imbarazzati dalle sue calcolate ambiguità e reticenze e inęne vere e proprie bugie. ŭ. Di Foscolo si vedano i suoi Essays on Petrarch (ūŲŬŪ-ūŲŬū), ora in Opereȹ: Edizione nazionale, Xȹ: Saggi e discorsi critici, Edizione critica a cura di C. Foligno, Firenze, Le Monnier, ūųůŭ, p. ŭ-ŬūŪ (e p. Ŭūŭ-Ŭųű per la traduzione di Camillo Ugoni). Nel t. II delle Opere, a cura di F. Gavazzeni, Milano-Napoli, Ricciardi, ūųŲū, p. ūűůŭ-ūŲŪű, sono riprodoĴi testo e traduzione del quarto degli Essays, il Parallel between Dante and Petrarch. Giovanni Melodia, Difesa del Petrarca (ūŲųŰ), Firenze, Le Monnier, ūųŪŬȹ; Giosuè Carducci, Della varia fortuna di Dante (ūŲŰű), in Opereȹ: Edizione nazionale, Bologna, Zanichelli, ūųŭŰ, X, p. Ŭůŭ-ŮŬŪ, in particolare p. ŭűŪ-ŮŪŲȹ; Le rime di Francesco Petrarca, con saggio introduĴivo e commento di Nicola Zingarelli, Bologna, Zanichelli, ūųŰŭ [edizione postuma, sul ms. lasciato dallo Zingarelli alla sua morte, nel ūųŭů], in part. il cap. XXIX dell’« Introduzione »ȹ: « L’invidia per Dante », p. ŬŬŮ-ŬŮū. A inquadrare la sostanziale « difesa » di Petrarca ch’è in Carducci, occorre ricordare come a partire dagli anni ‘ŰŪ egli appaia sempre piú orientato ad esaltarlo anche a parziale danno di Dante. Si legga al proposito quanto scriveva al Pelosini nel maggio del ūųŰŬȹ: « All’Università do ad intendere […] chi era il Petrarca, e perché scriveva cosí, e come qualmente e’ non fosse un canonico che faceva all’amore […] ma sí veramente fosse un gran pensatore e un gran ciĴadino, superiore a Dante pel conceĴo politico, il solo degli italiani che imponesse al suo secolo la venerazione per l’arte e l’ingegno, il solo avanti la Francia del sec. XVIII che della leĴeratura si servisse come istrumento di civiltà su tuĴa l’Europa » (LeĴereȹ: Edizione nazionale, III, p. ūůŪ sq.ȹ; ricavo la citazione da Stefania Martini, Dante e Petrarcaȹ: Mutamento di primati all’inizio degli anni sessanta, cap. V del volume Dante e la Commedia nell’opera di Carducci giovane (ūŲŮŰ-ūŲŰů), Genova, Accademia Ligure di Scienze e LeĴere, ūųųų, p. ŬŮů-ŬŲű [p. Ŭűŭ], al quale rimando). Ů. Michele Feo, « Petrarca », in Enciclopedia dantesca, Roma, Istituto dell’Enciclopedia italiana, IV, ūųűŭ, p. ŮůŪ-ŮůŲ [p. Ůůū sq.]ȹ; Carlo Paolazzi, « Petrarca, Boccaccio e il TraĴatello in laude di Dante », in Studi danteschi, LV, ūųŲŭ, p. ūŰů-ŬŮųȹ; Gennaro Sasso, « A proposito di Inferno XXVI ųŮ-ųŲȹ: Variazioni biograęche per l’interpretazione », in La Cultura, III, ŬŪŪŬ, p. ŭűű-ŭųŰȹ; Emilio Pasquini, « Dantismo petrarchescoȹ: Ancora su Fam. XXI ūů e dintorni », in Motivi e forme delle Familiari di Francesco Petrarca, Gargnano del Garda (Ŭ-ů oĴobre ŬŪŪŬ), a cura di C. Berra, Milano, Cisalpino, ŬŪŪŭ, p. Ŭū-ŭŲ. Bastino per ora questi essenziali rinvii entro una bibliograęa amplissima, come si è accennato, anche perché una piú o meno veloce considerazione della leĴera fa parte, in genere, degli studi che considerano gli echi danteschi entro l’opera di Petrarca (si vedano per esempio le brevi ma dense osservazioni di Paolo Trovato, Dante in Petrarcaȹ: Per un inventario dei dantismi nei Rerum vulgarium fragmenta, Firenze, Olschki, ūųűų, p. ūŲ sq., e di Marco Santagata, Per moderne carteȹ: La biblioteca volgare di Petrarca, Bologna, il Mulino, ūųųŪ, p. ŬŰ-ŬŲ).

199

ђћџіѐќ ѓђћѧі

Ma ecco ancora una volta, prima di proseguire, i dati di faĴoȹ: tra il ūŭůū e il ūŭůŭ Boccaccio manda a Petrarca un’esemplare della Commedia, che entra dunque uĜcialmente a far parte della sua biblioteca. Il codice, l’aĴuale Vat. ŭūųų, si apriva, sul verso del foglio di guardia iniziale, con un carme dello stesso Boccaccio, Ytalie iam certus honos, che invitava l’amico, con qualche cautela, a pronunciarsi su tanto capolavoro. Ma Petrarca tace, sí che Boccaccio, durante e dopo il periodo trascorso con lui a Milano, nel marzo del ūŭůų, torna a sollecitarlo mandandogli il carme in una veste lievemente ritoccata e il TraĴatello in laude di Dante, nella sua prima versione, insieme a una leĴera ch’è andata perdutaȹ: a questo punto Petrarca risponde, nell’estate, con la Fam. XXI ūů, che ancora nel ūŭŰű Boccaccio dichiara di non aver mai ricevutaȹ: in modo tale, però, da lasciar aperta la piú che ragionevole possibilità ch’egli avesse avuto in ogni caso modo di leggerlaŹ. Le leĴera di Petrarca, ripeto, ha suscitato vari imbarazzi, e debbo premeĴere, per onestà, che li suscita anche a me, che non riesco a passare sopra a tanta arroganza e improntitudine petrarchesca. Di piú, immagino il povero Boccaccio costreĴo a non vedere, prima, quanti e quali materiali Petrarca avesse estraĴo dalla miniera dantesca (non basterebbero, da sole, le sestineȹ?), e ad accontentarsi poi delle concessioni, tanto piú altezzose quanto piú larghe, dell’amico-padrone. Quegli imbarazzi tuĴavia si ridurrebbero di molto se solo fosse colmata la piú sbandierata e probabilmente la piú criticata delle sue reticenze, quella che ci nega il nome di Dante, l’Innominato designato dalla continua declinazione del pronome ille, e da una serie di perifrasiȹ: « conterranei nostri » (§ ū)ȹ; « ille dux et prima fax » (§ Ŭ)ȹ; « ingenii tui facem » (§ ŭ)ȹ; « laudatum vatem » (§ Ů)ȹ; « viri illius » (§ Ű)ȹ; « hominem michi semel monstratum » (§ ű)ȹ; « in hoc nostro » (§ ūů)ȹ; « huius de quo loquiů. Per la data della leĴera di Petrarca, sollecitata dai nuovi invii di Boccaccio, si veda Giuseppe Billanovich, Petrarca leĴerato, Iȹ: Lo scriĴoio del Petrarca, Roma, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųŮű [= ibid., ūųųů, con indici a cura di P. Garbini], p. ŬŭŮ, n. ū, e p. ŬŰų sq. Il carme del Boccaccio in Carmina, a cura di G. Velli, in TuĴe le opere di Giovanni Boccaccio, a cura di V. Branca, Milano, Mondadori, ūųųŬ, V/ū, p. ŮŭŪ-Ůŭŭ (e, per le note, p. ŮűŰ-ŮŲŪȹ; ma si veda anche l’importante « Introduzione » di Velli, in particolare p. ŭŲŰ-ŭųū). Boccaccio scrive a Petrarca di non aver mai ricevuto la sua leĴera su Dante e varie altre il ūº luglio ūŭŰű, nell’Epist. XVȹ: Ut te viderem, § ūų, in Epistole, a cura di G. Auzzas, in TuĴe le opere di G. Boccaccio, V/ū, op. cit., p. ŰŭŮ-ŰŮū [p. ŰŮŪȹ: ma ch’egli ne conoscesse il testo (leĴo forse a Venezia nel ūŭŰŭ, quando fu per tre mesi ospite di Petrarcaȹ?) è piú che convincente tesi di C. Paolazzi, « Petrarca, Boccaccio… », op. cit., [p. ŬŭŬ sq.]. Questo lungo saggio è in gran parte dedicato a documentare come la leĴera di Petrarca costituisca una risposta sostanzialmente positiva al TraĴatello, leĴo nella sua prima redazione, e come Boccaccio l’abbia poi utilizzata per correggerlo nelle due successive versioni.

200

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

mur » (§ ūű). La rimozione del nomeź costituisce in eěeĴi la prima diĜcoltà che la leĴera ci provoca, sia per sé, sia perché il ripetuto meccanismo di una perifrasi che rimuove e però insieme rimanda in maniera univoca e costante al proprio oggeĴo crea una sorta di tensione innaturale, e artięciosamente immerge l’intero testo in una atmosfera di inutile mistero. Di piú, l’incerta natura di questa trasparente convenzione allusiva è aggravata da almeno due circostanze. La prima è costituita dalla spiegazione che Petrarca medesimo dà della rimozione del nomeȹ: di lui non faccio intenzionalmente (scienter) il nome, « ne illud infamari clamitans cunta audiens nichil intelligens vulgus obstreperet » (§ ūų), che a tuĴa prima si lascia intendere solo come ammissione che il testo, a una superęciale e « volgare » leĴura, possa eěettivamente parere malintenzionato verso Dante. La seconda sta nel faĴo che non riusciamo a dimenticare che la censura del nome, in Petrarca, è segno pressoché costante di aggressione o quanto meno di intenzione polemica, come egli stesso si premura di spiegare in piú occasioniȹ: nella pagina di congedo del Contra medicum, per esempio, egli chiarisce bene che s’inganna il vecchio medico, se spera di veder faĴo il suo nome e dunque di diventare famoso litigando con luiȹ; nella Sen. V Ŭ, di nuovo, tace il nome di alcuni avversari per non aĴribuire loro una fama che non hanno e che non meritanoȹ; nella Sen. XV ūŮ, ancora contro un famoso medico, scriveȹ: « Et de hoc quidem hactenus, cuius sciens nomen occuluiȹ: soleo enim eorum contra quos loquar nominibus abstinere, ne vel fame vel infamie illis sim », etcŻ. Il caso nostro appare

Ű. Sulla quale ben insiste E. Pasquini, « Dantismo petrarchesco… », op. cit., p. ŭů sq., rilevando che « peręno la Commedia è innominata e innominabile ». Al proposito, Foscolo scrive nel citato Parallel, ed. Foligno, op. cit., p. ūūūȹ: « This leĴer lengthened out by contradictions, ambiguities, and indirect apologies, points out the individual by circumlocutions, as if the name was withheld through caution or through awe ». ű. Invective contra medicum, IV, in Opere latine, a cura di A. Bufano, con la collaborazione di Basile Aracri e Clara Kraus Reggiani, introduzione di Manlio Pastore Stocchi, Torino, UTET, ūųűů, vol. II, p. ųűŲ-ųŲŪ. Le due Seniles rispeĴivamente in F.P., Opera quæ extant omnia, Basileæ, excudebat Henrichus Petri, ūůůŮ [= Ridgewood (N.J.), The Gregg Press Inc., ūųŰů], p. ŲŲŪ e p. ūŪŮŭ. Ma quelli che ho faĴo non sono che alcuni esempi di una pratica conclamata piú volte sin dai titoliȹ: Invectiva contra quemdam magni status hominem, Contra eum qui maledixit Italie, Ad convitiatorem quemdam innominatum e Ad invidum rursus innominatum (Epyst., II ūŪ e ūű, in Poesie minori del Petrarca […], [a cura di] D. RosseĴi, Milano, Società Tip. de’ Classici Italiani, ūŲŭū, vol. II, p. ŬūŮ-ŬŮŪ e p. ŬŮŬ-ŬŮŰ). Si veda anche il caso dei quaĴro aristotelici presi di mira nel De ignorantia, ove la rimozione del nome ha una ragione piú soĴile e per qualche verso forse piú vicina al nostro casoȹ: ȹ: « quorum nominibus nec tu eges, gnarus omnium, nec in amicos quamvis unum aliquid non amice agentes nominatim dici lex inviolabilis sinit amicitie » (ed. a cura di E. Fenzi, Milano, Mursia, ūųųų, § ūū, e n. ŬŲ, p. ŭŭū sq.).

201

ђћџіѐќ ѓђћѧі

diverso, è vero, ma pure è contaminato da una siěaĴa ampia casistica. Con le parole di Feo, « In tuĴa l’epistola il nome di D. non è faĴo maiȹ; solo una volta è chiamato poeta, nessuna sua opera è direĴamente menzionataȹ: questi particolari sono stati meticolosamente curati e non sono facilmente conciliabili con le proteste di ammirazione e di amore per Dante »ż. Né le cose cambiano quando si ricordi che altrove egli nomina Dante senza particolari problemi. Lo fa — com’è ben noto — tre volte. Nelle Res memorande, per cominciare, II Ųŭ, ove Petrarca racconta due aneddoti che ne confermano il caraĴere spigoloso e mordaceȹ; poi in RVF CCLXXXVII ų-ūŪ, il soneĴo scriĴo nel ūŭŮų per la morte di Sennuccioȹ: « Ma ben ti prego che ’n la terza spera/ GuiĴon saluti, et messer Cino, et Dante »ȹ; e inęne nel Tr. Cupidinis IV ŭŪ sq.ȹ: « ecco Dante e Beatrice, ecco Selvaggia,/ ecco Cin da Pistoia, GuiĴon d’Arezzo/ […] ». Ma s’aggiunga che nel « codice degli abbozzi », il Vat. Lat. ŭūųŰ, in Tr. Cupidinis III ųų a tuĴa prima si leggevaȹ: « ecco qui Dante co la sua Beatrice », invece del deęnitivoȹ: « ché tuĴi siam macchiati d’una pece », ove la primitiva lezione è importante perché a mio parere potrebbe conservare la traccia di un progeĴo presto abbandonato che prevedeva l’incontro entro il corteo del dio d’Amore di tre coppieȹ: Cino e Selvaggia, Dante e Beatrice, Petrarca e LauraŽ. Ma sia come siaȹ: perché dunque ne tace il nome proprio nella leĴera che lo riguarda — la nostra Ų. M. Feo, « Petrarca », op. cit., p. ŮůŬ. ų. Il testo dell’abbozzo Vaticano in F.P., Il codice degli abbozziȹ: Edizione e storia del manoscriĴo Vaticano latino ŭūųŰ, a cura di L. Paolino, Milano-Napoli, Ricciardi, ŬŪŪŪ, p. Ŭűů-Ŭűų — ma anche, con ampio commento, in Angelo Romanò, Il codice degli abbozzi (Vat. Lat. ŭūųŰ) di Francesco Petrarca, Roma, Bardi, ūųůů, p. ŬůŪ-ŬűŬ. La questione delle tre coppie meriterebbe un discorso a sé, che cercherò di fare altroveȹ: M. Feo, « Petrarca », op. cit., p. ŮůŪ, immagina piú semplicemente che la correzione volesse eliminare il doppione con Tr. Cupidinis IV ŭū, mentre Marco Ariani, nel suo commento (F.P., Triumphi, a cura di M.A., Milano, Mursia, ūųŲŲ, p. ūŮų) sospeĴa « un diverso progeĴo narrativo rimasto senza seguito […]. P. voleva inserire una presenza, o simbolica o diegetica, che in un secondo momento gli è risultata ingombrante o imbarazzante ». TuĴo sommato vicino ad Ariani appare anche Dennis Dutschke, « Triumphus Cupidinis III », in Lectura Petrarce, XII, ūųųŬ, p. Ŭůű-ŬųŲ [p. ŬŲŰ]. Va poi aggiunto che Giuseppe Billanovich (« Tra Dante e Petrarca », in Italia medioevale e umanistica, VIII, ūųŰů, p. ū-ŮŮ) ha scoperto una solitaria traccia di Dante entro le postille petrarchesche al De chorographia di Pomponio Melaȹ: là dove (I ūŭ űŰ) il geografo parla di uno speco nominato Tifone, situato in Cilicia, Petrarca scriveȹ: « Nota contra Dantem », avendo in mente la collocazione di Tifeo in Sicilia, in Par. VIII Űű-űŪ. La postilla non è autografa, ma trascriĴa nel codice Ambrosiano H ūŮ inf., al fº Ųvº, apografo fedele di una raccolta postillata da Petrarca. Per questo e per altri particolari che non è qui il caso di ripetere, si veda anche la messa a punto di Luca Carlo Rossi, « Petrarca dantista involontario », in Studi petrarcheschi, n.s., V, ūųŲŲ, p. ŭŪū-ŭūŰ, in particolare nella prima parte.

202

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

Familiareȹ? E perché ricorre di nuovo a una perifrasi, per altro perfeĴamente elogiativa, chiamando Dante, nella Sen. V Ŭ ūů al Boccaccio, del ūŭŰů-ūŭŰŰȹ: « ille nostri eloquii dux vulgaris », chiaro prolungamento di quanto già aveva scriĴo nella Familiare, § ūŭȹ: « ut facile sibi vulgaris eloquentie palman dem »¹Ŵȹ? Sono due le osservazioni, piú che le risposte, che sembra di poter fare súbito. La prima, che Petrarca non ha problemi a nominare Dante come personaggio, si traĴi del titolare di una serie di aneddoti sul suo caĴivo caraĴere o si traĴi del lirico innamorato di Beatriceȹ; ne ha, invece, quando aěronta il problema della sua complessiva grandezza e scende sul terreno del giudizio. La seconda, che in qualche modo è un aspeĴo della primaȹ: Petrarca è disposto a restituire il nome al Dante lirico d’amore, ma non lo è altrettanto quando è di Dante tuĴo intero, e dunque sopraĴuĴo del Dante della Commedia, che deve parlare. Sono osservazioni, come ho deĴo, che da sole non valgono molto, per quanto paiano implicare un principio di limitazione che non sapremmo tuĴavia collocare in un contesto adeguato. Perciò, preso aĴo che la rimozione del nome si è immediatamente presentata come un elemento perturbante e contraddiĴorio agli occhi di ogni leĴore, cerchiamo di prendere la diversa via di una considerazione della leĴera nel suo insieme, e in particolare di aggiungere qualcosa di nuovo e, si spera, di utile alle molte cose che già sono state deĴe. Sin qui, a quanto ne so, non è stato dato rilievo al faĴo che il giudizio (il mancato, il reticente giudizio…) che Petrarca dà di Dante poggia le sue fondamenta nell’altro, anch’esso famoso, che Quintiliano dà di Seneca, in Inst. orat. X ū ūŬů-ūŭū¹¹. Né la cosa è dissimulataȹ: al contrario, Petrarca la dichiara a tuĴe leĴere introducendo il suo discorso proprio con le parole ūŪ. Della Senile V Ŭ abbiamo l’edizione critica a cura di M. Berté, Firenze, Le LeĴere, ūųųŲ (qui, § ŭŪ, r. ūŬū, per le parole citate), ma ora la si può leggere anche in Pétrarque, LeĴres de la vieillesse/Rerum senilium, édition critique d’Elvira Nota, traduction de Frédérique Castelli et alii, présentation, notices et notes de Ugo DoĴi mises en français par Frank La Brasca, Paris, Les Belles LeĴres, ŬŪŪŭ, t. IIȹ: Livres IV-VII/Libri IV-VII, p. ūŬŰ-ūŮű. ūū. Il passo di Quintiliano è ricordato anche in Sen. XVI ū, a Luca della Penna (Opera…, ed. cit., p. ūŪŮŲ), dopo averne citato un giudizio su Ciceroneȹ: « hoc in eo libro dicit in quo de eloquentia deque oratoribus agens libero iuditio, summi viri Annei Senecæ, tunc placentem omnibus, stylum damnat ». Anche le postille apposte da Petrarca sul suo codice delle Institutiones, il Par. Lat. űűŬŪ, mostrano che il passo ha fermato la sua aĴenzioneȹ: cfr. Maria Accame LanzilloĴa, « Le postille del Petrarca a Quintiliano (Cod. Parigino Lat. űűŬŪ) », in Quaderni petrarcheschi, V, ūųŲŲ, p. ųŪ sq., n. űŰŪ-űűŰ. Ma si veda anche Fam. XXIV ű e De ignorantia Ŭūů, ed. cit., p. ŭūŬ, e n. ŰŰŬ, p. ůŭŬ sq.ȹ; nonché il saggio molto bello di Carla Maria Monti, « Seneca preceptor morum incomparabilisȹ? La posizione di Petrarca (Fam. XXIV ů) », in Motivi e forme delle Familiari…, op. cit., p. ūŲų-ŬŬŲ [p. ūųů sq.].

203

ђћџіѐќ ѓђћѧі

di Quintilianoȹ: « […] libet insistere, ut non tantum falso, sicut de se ipso et Seneca Quintilianus ait, sed insidiose etiam penitusque malivole apud multos de me vulgatam opinionem de iudicio viri illius apud te unum et per te apud alios expurgem » (Fam., XXI ūů Ű), che sono evidente calco di Inst. orat. X ū ūŬůȹ: « Ex industria Senecam in omni genere eloquentiæ distuli propter vulgatam falso de me opinionem, qua damnare eum et invisum quoque habere sum creditus ». Ed è di nuovo evidente, in modo particolare, in quella frase-chiave ove si concede che l’ingegno di Dante gli avrebbe consentito di fare qualsiasi cosa, ma che quello che ha faĴo è però soĴo gli occhi di tuĴiȹ: « Nam quod inter laudes dixisti, potuisse illum si voluisset alio stilo uti, credo edepol — magna enim michi de ingenio eius opinio est — potuisse eum omnia quibus intendissetȹ; nunc quibus intenderit, palam est » (Fam., XXI ūů ŬŬ). La sfumatura negativa implicita in simile giudizio, infaĴi, è chiaramente espressa, senza reticenze, in Quintiliano, che cosí conclude il passo dedicato a Senecaȹ: « digna enim fuit illa natura, quæ meliora velletȹ: quod voluit eěecit » (Inst. orat., X ū ūŭū). È vero che, nel considerare la corrispondenza tra i due giudizi, occorre tener conto della soĴile ambiguità di cui è colorato l’altro stile cui Petrarca allude. Quale avrebbe dovuto essere tale stile è immediatamente deęnibile per opposizione a quello popolare che Dante ha preferito (§ ūȹ: « popularis quidem quod ad stilum aĴinet, quod ad rem hauddubie nobilis poete »), e che pure si concede sia « in suo genere optimus » (§ ų)ȹ: si traĴerà dunque, a norma di Fam. XIII ů ūŰ, e di Sen. II ū ŲŪ-Ųū, dello stile medium, se non proprio del grandiloquum, contrapposto all’humile o populare, e in tale direzione staranno appunto i « meliora » che Dante non ha voluto. Ma la questione dello stile, per quanto ne vada tenuta distinta, è indubbiamente implicata nell’altra relativa alla scelta del volgare (con le parole del carme del Boccaccio, il sermo patrius e il metrum vulgare modernum), sí che livello stilistico e sermo si sommano nel deęnire un limite che ęnisce per avere una portata assoluta, quella che Petrarca esprime benissimo quando aěerma che, stante la palese inferiorità delle opere latine rispeĴo alle volgari, Dante non fu « pari a se stesso » (Fam., XXI ūů ŬŮȹ: « fuisse illum sibi imparem »), e quando da ciò deriva la conseguenza perfeĴamente simmetrica dell’inferiorità del tipo di successo che Dante s’è meritato, di nuovo con ripresa delle linee di fondo del giudizio di Quintiliano, per il quale la « moda » di Seneca, specie tra i giovani, è l’esaĴa controprova dei suoi difeĴi. Sullo stile e sul sermo dovrò tornare poco avantiȹ: ora, mi preme concludere che l’aggancio a Quintiliano non è qualcosa di limitato e occasionale, ma investe l’intera struĴura del discorso critico, ęnendo addirit-

204

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

tura per suggerire che il non-deĴo di Petrarca debba essere completato e illuminato mediante il ritorno alla fonte. Uguale è il punto di partenzaȹ: « debbo parlare per smentire un’opinione errata e calunniosa, secondo la quale sarei viĴima di un pregiudizio personale », e uguale è il punto di arrivoȹ: « nessun pregiudizio, dunque, perché in eěeĴi le cose sono quelle che sono, soĴo gli occhi di tuĴi […] ». Un punto d’arrivo, insomma, ch’è riuscito a confermare il pregiudizio trasformandolo in giudizio. E che impone qualche revisione al tradizionale approccio secondo il quale, in nome della sua supposta « ęoca potenza speculativa », Petrarca sarebbe stato sempre e comunque sulla difensiva, in diĜcoltà se non propriamente in soggezione rispeĴo al grande predecessore. La solidità struĴurale del rapporto con i giudizi di Quintiliano, di là dall’indubbia intelligenza della manovra, potrebbe persino far sospeĴare il contrarioȹ: un Petrarca non già sulla difensiva, ma dotato di suĜciente lucidità da passare all’oěensiva, positivamente, motivatamente critico rispeĴo a Dante, e semmai da altre ragioni impedito ad esprimersi in termini piú radicali¹². Ma si osservi in ogni caso la soĴigliezza e la pregnanza di quel « non fu pari a se stesso » ch’è forse il nucleo decisivo del modello critico oěerto da Quintilianoȹ: un nucleo che permeĴe di criticare mentre si elogia, e di elogiare mentre si critica, impostando un rapporto inęnitamente ambiguo e ricco di sfumature tra le qualità della persona e quelle dell’auctor, secondo un gioco assai ęne, e che però non può non approdare alla necessaria e faĴuale autonomia dell’opera (« nunc quibus intenderit, palam est ») come già, nel modello antico (« quod voluit eěecit ») e all’altreĴanto necessaria e faĴuale autonomia di chi giudica l’opera, appunto, per quello che essa è. A ben vedere, questo ripetuto movimento dalla persona all’opera anima con un ęĴo gioco di specchi la nostra leĴera, e ne deęnisce l’arcatura principale, che comprende l’iniziale lasciapassare nei confronti dell’aĴeggiamento devoto di Boccaccio, autorizzato a proseguire nell’esaltazione della sua « guida e lume » che già ha preso corpo nella prima stesura del TraĴatello, oltre che nel carme Ytalie iam certus honosȹ; che prosegue con la protesta di ūŬ. Mi sembra che quanto vado dicendo suoni come una conferma di quanto Marco Santagata (« Introduzione » a F.P., Canzoniere, Edizione commentata a cura di M.S., Milano, Mondadori, ūųųŰ, p. LXVI) ha scriĴo, quando osserva che a partire dai primi anni cinquanta « con l’ideazione del Canzoniere e dei Triumphi, Petrarca abbandona in eěeĴi l’aĴeggiamento difensivo che sembrava aver tenuto sino ad allora nei confronti dell’illustre concittadino e si meĴe, per cosí dire, in aĴo di sęda. Si sente pronto a gareggiare con Dante sul terreno in cui egli è dux ».

205

ђћџіѐќ ѓђћѧі

Petrarca circa il suo aĴeggiamento scevro da ogni traccia d’invidia, e arriva inęne alla rievocazione, assolutamente centrale nell’economia della leĴera, della persona di Dante, prima nei rapporti che ha avuto con il compagno d’esilio ser Petracco, padre di lui, Petrarca, e poi a quelle che sono le costanti fondamentali, etiche e psicologiche, del suo animo, dal quale discendono i suoi comportamenti. Impossibile soĴovalutare il passo (§ ű-Ų)ȹ: In primis quidem odii causa prorsus nulla est erga hominem nunquam michi nisi semel, idque prima pueritie mee parte, monstratum. Cum avo patreque meo vixit, avo minor, patre autem natu maior, cum quo simul uno die atque uno civili turbine patriis ęnibus pulsus fuit. Quo tempore inter participes erumnarum magne sepe contrahuntur amicitie, idque vel maxime inter illos accidit, ut quibus esset preter similem fortunam, studiorum et ingenii multa similitudo, nisi quod exilio, cui pater in alias curas versus et familie solicitus cessit, ille obstitit, et tum vehementius cepto incubuit, omnium negligens soliusque fame cupidus. In quo illum satis mirari et laudare vix valeam, quem non civium iniuria, non exilium, non paupertas, non simultatum aculei, non amor coniugis, non natorum pietas ab arrepto semel calle distraheret […],

che richiede una sosta, magari non lunga quanto si vorrebbe, per meĴerne a fuoco le interne tensioni e i valori. Súbito, la prima frase ha tono e intenzione fortemente limitativiȹ: « non ho motivi d’odio con uno che ho visto una volta sola, e per di più nella mia prima infanzia ». Poi, con uno di quei passaggi soĴilmente e volutamente contraddiĴori che caraĴerizzano tuĴa la leĴera, Petrarca recupera quanto ha appena negato, e rivendica la grande amicizia che ha streĴo Dante a suo nonno, ser Parenzo, e a suo padre, ser Petracco, cementata dal comune destino dell’esilio¹³. Lo scopo è chiaro. Egli vuole cose diverseȹ: tenersi le mani libere e garantirsi indipendenza e autonomia di

ūŭ. Nel passo citato, Petrarca parla dell’incontro con Dante, avvenuto probabilmente a Pisa (secondo Foresti a Genova) o nel luglio ūŭūū, mentre la famiglia era sulla via dell’esilio avignonese, oppure nel marzo-aprile dell’anno seguente. Cfr. Arnaldo Foresti, « Peregrinazioni di Francesco Petrarca fanciulloȹ: ove gli fu faĴo conoscere Dante », in Id., Aneddoti della vita di Francesco Petrarca (ūųŬŲ), Nuova edizione correĴa e ampliata dall’autore, a cura di A. Tissoni Benvenuti, con una premessa di Giuseppe Billanovich, Padova, Antenore, ūųűű, p. ū-ű (ma si veda pure, ibid., il capitolo successivoȹ: « L’età di Dante e di ser Petracco », p. Ų-ūŬ)ȹ; Giorgio Petrocchi, Vita di Dante (ūųŲŭ), Bari, Laterza, ūųŲŰ, p. ūůŬȹ; Paolo Viti, « Ser Petracco, padre del Petrarca, notaio dell’età di Dante », in Studi petrarcheschi, II, ūųŲů, p. ū-ūŮ.

206

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

giudizio, e insieme stabilire un legame privilegiato con Dante — una sorta di appartenenza comune — ben piú profondo di quello che potrà mai avere il volgo che tanto lo ammira. E infaĴi, in questo senso la rivendicazione di quel legame corrisponde perfeĴamente, sul piano biograęco, all’altra successiva aěermazione, relativa al faĴo che egli, Petrarca, è il solo che davvero capisca la grandezza di Dante, che tanti altri esaltano senza comprenderne aěaĴo le qualità. Le vie dei vecchi amici si sono però presto divaricate proprio dinanzi al discrimine costituito dall’esilioȹ: ser Petracco all’esilio si è adaĴato, dedicandosi al lavoro e alla famiglia, mentre Dante non gli ha mai ceduto, non si è piegato, ed ha continuato con ostinazione, sino all’ultimo, la sua baĴaglia. Il primo « exilio […] cessit, ille obstitit »ȹ: e nell’immediata frizione dei verbi pare proprio di cogliere almeno un’eco dell’ideale autoritraĴo dantesco di Par. XVII Ŭŭ-ŬŮȹ: « avvegna ch’io mi senta/ ben tetragono ai colpi di ventura ». In tuĴo ciò, direi che si possa súbito escludere l’ipotesi che pure in passato è stata faĴa, che Petrarca in nome della saggia scelta del padre condanni quella dura e radicale di Dante. Semmai, a stare al testo, tra Petracco e Dante è quest’ultimo che viene esaltato, mentre un soĴile ęlo di rimpianto — non di rimprovero — investe l’altro, come assicura la Sen. XVI ū a Luca della Penna, là dove Petrarca rievoca la sua giovanile passione per Cicerone, e insieme quella del padre, « qui auctoris illius venerator ingens fuit, facile in altum evasurus nisi occupatio rei familiaris nobile distraxisset ingenium, et virum patria pulsum onustumque familia curis aliis intendere coegisset »¹Ÿ. Dante invece è andato per tuĴ’altra viaȹ: non ha voluto che la ferita dell’esilio si chiudesse, e dunque l’ha tenuta aperta e ne ha faĴo la sua bandiera, ed è rimasto, in questo caso, « pari a se stesso », all’altezza del suo impegno e delle sue ambizioni. E in ciò, dice Petrarca, « illum satis mirari et laudare vix valeam », e non vedo come, sul punto, non gli si possa credere, anche alla luce di quel che segueȹ: « quem non civium iniuria, non exilium, non paupertas, non simultatum aculei, non amor coniugis, non natorum pietas ab arrepto semel calle distraheret ». Petrarca abbozza qui un proęlo di Dante che chiaramente deriva da quello del TraĴatello boccaccescoȹ: « Non poterono gli amorosi disiri, né le dolenti lagrime, né la sollecitudine casalinga, né la lusinghevole gloria de’ publici oęci, né il miserabile esilio, né la intollerabile povertà giammai ūŮ. Opera…, ed. cit., p. ūŪŮŰ. Rimanda opportunamente a questo testo, entro un discorso in gran parte ancora condivisibile e sempre utile, N. Zingarelli, « Introduzione » a Le rime di Francesco Petrarca, op. cit., p. ŬŬų sq.

207

ђћџіѐќ ѓђћѧі

con le lor forze rimuovere il nostro Dante dal principale intento, cioè da’ sacri studi » (I red., § ŲŬȹ; vedi anche II red., § ŰŪ), ma che pure rinvia direttamente a Dante stesso, o meglio, come ognuno vede, alla sua piú discussa e controversa creatura, Ulisseȹ: né dolcezza di ęglio, né la pieta del vecchio padre, né ‘l debito amore lo qual dovea Penelopè far lieta, vincer poter dentro da me l’ardore ch’i’ ebbi a divenir del mondo esperto, e delli vizi umani e del valore [Inf., XXVI ųŮ sq.],

come giustamente prima Bosco e poi Feo hanno osservato¹Ź. Con straordinario colpo di genio, dunque, proprio qui, nella discussa e criticatissima leĴera che ęnalmente mal si concede a parlare di Dante, Petrarca coglie al volo lo spunto che Boccaccio gli oěre e ne delinea un ritraĴo che anticipa quanto poi confermeranno tanti moderni leĴori, tuĴi convinti, con le parole di Fubini, che « Ulisse è, come tuĴi sanno, anĖe un ritraĴo del poeta, una di quelle ęgure nelle quali Dante si è compiaciuto di riconoscere se medesimo e Ėe hanno perciò tra gli altri personaggi della Commedia un singolare rilievo »¹ź.

ūů. Cfr. Umberto Bosco, « Né dolcezza di ęglio… », in Id., Dante vicino, CaltanisseĴa-Roma, Sciascia, ūųŰŰ, p. ūűŭ-ūŲůȹ; Michele Feo, « Un Ulisse in Terrasanta », in Rivista di Cultura classica e medioevale, XIX, ūųűűȹ: Miscellanea di studi in memoria di Marino Barchiesi, p. ŭŲŭ-ŭŲŲ [p. ŭŲŰȹ: « Il recupero allusivo entro il proprio discorso di aěermazioni dell’interlocutore è eleganza tipicamente petrarchesca, e, non fosse altro che per questa ragione, non si può escludere nella familiare l’omaggio della citazione del TraĴatello. Ma la pietas e l’amor, parole che il Boccaccio non usa, rinviano direĴamente a Dante »]. ūŰ. Mario Fubini, « Infernoȹ: Canto XXVI », in LeĴure dantesche, a cura di G. GeĴo, Firenze, Sansoni, ūųůů, p. ůūŭ (ma, dello stesso Fubini, si veda « Il peccato di Ulisse », in Id., Due studi danteschi, Firenze, Sansoni, ūųůū, p. ů-ůŭ, e la voce « Ulisse », nell’Enciclopedia dantesca, op. cit., V, ūųűŰ, p. ŲŪŭ-ŲŪų). Nel merito, ricco di rimandi e suggerimenti è il commento della Chiavacci Leonardi, che scrive, nell’« Introduzione » al cantoȹ: « Nella voce di Ulisse risuona — tuĴi lo hanno osservato — la voce stessa di Dante ». Che il rapporto Ulisse/ Dante costituisca un nodo interpretativo impossibile da eludere è un dato del tuĴo acquisitoȹ: è però aperto a soluzioni diverse, come emerge dagli studi sin qui citati, e da molti altri tra i quali segnalo, anche per integrare aĴraverso di essi queste scarse indicazioni bibliograęche, Peter S. Hawkins, Dante’s testamentsȹ: Essays in scriptural imagination, Stanford (Ca.), Stanford University Press, ūųųų, in particolare p. ŬűŪ sq., che ripropone l’immagine di Ulisse come l’anti-tipo di Dante (p. ŬűŮȹ: « There can be no doubt that the Comedia intends the reader to see Dante’s voyage as an explicit correction of the wanderer, as the triumph of pilgrimage over sheer exploration », etc.)ȹ; Patrick Boyde, Human vices and human worth in Dante’s Comedy, Cambridge, Cambridge University Press, ŬŪŪŪ, per l’ultimo importante capitolo,

208

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

Ma al proposito, e in via preliminare, vanno precisate alcune cose. La primaȹ: Petrarca davvero oltrepassa Boccaccio e torna intenzionalmente ad aĴingere alla fonte, cioè a Danteȹ? O non si limiterà piuĴosto a variare, in ossequio alle regole dello scambio epistolare, quanto l’amico stesso gli proponevaȹ? Il dubbio va sciolto perché esiste appunto la tesi secondo la quale Petrarca si sarebbe limitato a riecheggiare la frase di Boccaccio senza avvedersi che, cosí facendo, ęniva per citare Dante medesimo… Di questo parere era per esempio Carducci, il quale scrive che le parole della leĴera « certamente a caso, ricordano i versi di colorito omerico posti dall’Allighieri in bocca a Ulisse », e lo è, con particolare forza, Pasquini, che scrive a sua voltaȹ: « Che egli [sc. Petrarca] fosse del tuĴo inconsapevole di reiterare nella sua missiva a Boccaccio l’inconfondibile mossa stilistica di un canto dantesco, è acquisito agli aĴi della storiaȹ: non si potrebbe immaginare un Petrarca che si prende gioco dell’amico. Inconsapevole e tuĴa d’istinto, anche la conquista critica di una sovrapposizione fra Dante e il personaggio di Ulisseȹ: ben diverso e ben altrimenti consapevole il proprio identięcarsi autobiograęco con Ulisse, in nome della categoria dell’inquietudine o del non trovar pace in uno stesso luogo »¹Ż.

« The worth and vices of Ulyssesȹ: A case-study », p. Ŭŭū-ŬűŬ (signięcativamente, anche qui il primo paragrafo s’intitola « Ulysses the voyager and Dante the pilgrim », mentre in ęne Boyde parla di un Dante/Ulisse come di un Dr. Jekyll/Mr. Hyde). Ma si veda anche la n. che segue. Non traĴa della questione, ma oěre ora un eccellente quadro di riferimento Zygmunt G. BaraÚski, « L’iter ideologico di Dante », primo capitolo del suo vol. Dante e i segniȹ: Saggi per una storia intelleĴuale di Dante Alighieri, Napoli, Liguori, ŬŪŪŪ, p. ų-ŭų. ūű. G. Carducci, Della varia fortuna…, op. cit., p. ŭűűȹ; E. Pasquini, « Dantismo petrarchesco… », op. cit., p. ŭŰ. Ma si veda ibid. l’argomentazione svolta a p. Ŭů, dalla quale mi pare si ricavi che l’ipotesi preferita da Pasquini sarebbe quella di una doppia derivazione da Dante, involontaria e autonoma sia in Boccaccio e, con maggior risolutezza, in Petrarca (« quella inequivocabile derivazione dal XXVI dell’Inferno esclude una frequentazione tardiva o saltuariaȹ; rientra, in altre parole, nell’àmbito degli echi ritmico-timbrici propri di una memoria involontaria »). Ma non troppo involontaria e autonoma, se è vero, come ha ęnito di dimostrare Paolazzi, che Petrarca aveva soĴo gli occhi il TraĴatello… Sul punto, con rinvio a Paolazzi, si veda anche L.C. Rossi, « Petrarca dantista involontario », op. cit., p. ŭŪūȹ: « Le recenti acquisizioni ęlologiche sull’epistola […] indicano il vero oggeĴo della missiva, il TraĴatello di Boccaccio », etc. (ma anche G. Velli, « Introduzione » ai Carmina, op. cit., p. ŭųūȹ: « Carlo Paolazzi […] molto opportunamente ha faĴo vedere che nella Familiare si discute proprio del TraĴatello »). Né vedo dove si nasconda il « prendersi gioco », dal momento che (cito di nuovo Feo) « il recupero allusivo entro il proprio discorso di aěermazioni dell’interlocutore è eleganza tipicamente petrarchesca ». È invece vero che Petrarca stesso mostra di riconoscersi nella ęgura di Ulisse, come argomenta ora con ęnezza Stefano Carrai, « Il mito di Ulisse nelle Familiari », in Motivi e forme delle Familiari…, op. cit., p. ūŰű-ūűŭ.

209

ђћџіѐќ ѓђћѧі

Ora, queste aěermazioni mi creano qualche imbarazzo, perché soĴolineano che in quel che dirò è implicito il rischio di una grossa forzatura interpretativaȹ: ma in tuĴa sincerità debbo dire che a parer mio è inamissibile, nel caso, qualsiasi anche minimo sospeĴo di « inconsapevolezza », e che, per contro, Petrarca ha perfeĴamente colto il punto ed ha restituito a Boccaccio la versione perfezionata del suo spunto dantesco (come ha osservato una volta per tuĴe Feo, « la pietas e l’amor, parole che il Boccaccio non usa, rinviano direĴamente a Dante »), avendola inserita con piena coscienza critica entro il proprio soĴile ed equilibristico discorso su Dante. Rięuto insomma l’idea che solo il caso, o la « memoria involontaria », abbiano faĴo sí che Petrarca rispondesse a Boccaccio restaurandone con mano da virtuoso il calco dantesco, e mi raěorza in questa convinzione il suo rapporto con la ęgura di Ulisse. E su questo rapporto credo infaĴi sia opportuno fermarsi, perché è di lí che possiamo ricavare lo sfondo adaĴo per cogliere la portata di quell’importante deęnizione. Sul modo di porsi di Petrarca nei confronti di Ulisse, qualcosa resta ancora da dire, anche se sembra di sapere che in ogni caso l’Ulisse di Petrarca sarebbe essenzialmente l’Ulisse di Dante, o almeno, visto aĴraverso Dante¹ż. ma visto anche aĴraverso la personale rileĴura delle fonti di Dante, naturalmente. Proviamo dunque a partire di qui, ed entriamo immediatamente in argomento osservando che Petrarca, nel Virgilio Ambrosiano, non dedica alcuna postilla ai luoghi del poema che contengono apprezzamenti negativi nei confronti di Ulisse, verso il quale Enea non è certamente tenero, e appena ne ha l’occasione, invece, ne pronuncia un impegnativo elogio aĴraverso la testimonianza di Apuleio, nel capitolo ęnale, XXIV, del De deo Socratis (che cita a sua volta il FiloĴete di Accioȹ: ma in lode di Ulisse Petrarca da Apuleio citerà ancora — vedremo — Met., IX ūŭ). Ciò avviene in due riprese. Prima, c. ųŭvº, a proposito dei laertia regna di Æn. III ŬűŬ, Petrarca trascrive nel margine superiore quasi tuĴa la prima metà del capitolo (tra parentesi quadre, le varianti notevoli del testo critico)ȹ: Nichil alienum in laudibus tuis audias, sed ut qui te volet nobilitare eque laudet ut Accius Ulixem laudavit in Phylotete ūŲ. Cfr. M. Feo, « Un Ulisse in Terrasanta », op. cit., passim. Aggiungo che per questa parte, dedicata all’Ulisse petrarchesco, mi rifaccio sopraĴuĴo a quanto ne ho scriĴo nel vol. Saggi petrarcheschi, Firenze, Cadmo, ŬŪŪŭ, cap. XIVȹ: « Tra Dante e Petrarcaȹ: il fantasma di Ulisse », p. Ůųŭ-ůūű [p. ůŪŰ sq.].

210

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

suo, in eius tragedie principioȹ: — Inclite — inquit — parva [prodite om.] patria,/ nomine celebri claroque potens/ pectore, achivis classibus auctor,/ gravis dardaniis gentibus ultor Laertiade-. Novissime patrem memorat. Ceterum omnes laudes eius viri audisti, nichil inde nec Laertes sibi nec Anticlia nec Narcissus [Arcisius] vendicat. Tota, ut vides, laudis huius propria Ulixi possessio est. Apuleius de deo Socratis ad ęnem.

Poi, a c. ūŪŪrº, a proposito di Æn. III ŰŬŲ-ŰŬų, trascrive nel margine inferiore la parte restante del capitolo, ch’è tuĴa ad esaltazione di Ulisseȹ: Homerus Ulixi suo semper [Nec aliud te in eodem Ulixe Homerus docet qui semper ei] comitem voluit esse prudentiam, quam poetico ritu Minervam nuncupavit. Igitur hac eadem comitante [comite] omnia horrenda subiit, omnia adversa superavit. Quippe ea adiutrice Cyclopis specus introiit sed egressus estȹ; Solis boves vidit sed abstinuitȹ; ad inferos demeavit et ascendit. Eadem sapientia comite Scylla preternavigavit nec ereptus estȹ; Carybdi conseptus est nec retentus estȹ; Cyrce poculum bibit nec mutatus estȹ; ad Lotofagos accessit nec remansitȹ; Syrenas audiit nec accessit. Apuleio de deo Socratis in ęne.

Petrarca, dunque, non solo condivide il giudizio di Apuleio¹Ž, ma si serve delle sue parole per correggere l’eěeĴo negativo dei ricorrenti giudizi negativi del testo virgiliano²Ŵ. Ma già i Rerum memorandarum libri testimoniano questa aperta simpatia per la ęgura di Ulisse. In III Ŭū Petrarca ricorda Cicerone, De oě. III ųű (vedi anche Servio, a Æn. II Ųū, c. űůrº) secondo il quale Ulisse si sarebbe in un primo tempo ęnto pazzo per non partecipare alla guerra di Troia e vivere in Itaca « otiose cum parentibus cum uxore cum ęlio », ma al proposito cita anche la precisazione dello stesso Cicerone, che correĴamente avverte come « apud Homerum optimum auctorum, talis

ūų. Nel suo codice di Apuleio (e Frontino, Vegezio, Palladio), il Vaticano Lat. Ŭūųŭ, a c. Ůrº, Petrarca nota prima il giudizio di Accio (« Actius de Ulixe »), poi quello di Omero (« Homerus de eodem ») all’altezza di « Nec aliud te […] nuncupavit », e approva inęne l’ultima parteȹ: « Pulcer ęnis ». Cfr. Carmela Tristano, « Le postille del Petrarca nel Vat. Lat. Ŭūųŭ (Apuleio, Frontino, Vegezio, Palladio) », in Italia medioevale e umanistica, XVII, ūųűŮ, p. ŭűų, n. ųų-ūŪū. ŬŪ. Ancora una soĴigliezza. A proposito di Ulisse « infelice », deĴo da Enea in III Űųū (c. ūŪūrº), Servio, piú realista del re, si preoccupa di osservareȹ: « epitheton ad implendum versum, positum more greco sine respectu negocii ». E Petrarca, in margineȹ: « AĴende », perché — mi piace pensare — non è del tuĴo convinto della funzione meramente formulare dell’aggeĴivo, e ha colto una sfumatura nuova nell’aĴeggiamento di Enea.

211

ђћџіѐќ ѓђћѧі

de Ulixe suspitio nulla sit »²¹. Ma Ulisse è esaltato sopraĴuĴo nel cap. Ųű dei Rerum memorandarum, insieme ad Enea, per aver faĴo del « viaggio » l’indispensabile condizione che apre all’esperienza, si noti, del sapereȹ: Homerus Ulixem suum, sub cuius nomine virum fortem ac sapientem vult intelligi, terra marique iactatum fecit et carminibus suis toto pene orbe circumtulit. Quod imitatus vates noster Eneam quoque suum per diversa terrarum circumducit. Uterque consultoȹ: vix enim ęeri potest ut aut sapientia contingat inexperto aut experientia ei qui multa non viderit. Vidisse autem multa herenti in uno terrarum angulo vix potest evenire.

Colpisce qui un particolare. Omero ha faĴo di Ulisse un modello di forza e sapienza, e per questo l’ha mosso per mare e per terra aĴraverso peripezie di ogni genere, perché nessuno può dimostrarsi davvero forte e sapiente se non aěrontando una pluralità aěaĴo eccezionale di esperienze. Ora, nella sua apparente ovvietà, la notazione di Petrarca fornisce la perfeĴa cornice struĴurale, entro la quale egli terrà sempre il proprio giudizio, che comporta, innanzi tuĴo, il rigeĴo di tuĴa quella parte della tradizione, anche medievale, che caraĴerizzava Ulisse come maestro di frodi e inganni. Lo confermano le piú tarde parole della Fam. XV Ů, inviata nel ūŭůŬ al doge Andrea Dandolo, § ů, che ripetono sostanzialmente quelle dei Rerum memorandarumȹ: Illud quoque non me preterit, quod sepe dixi et dicere iterum delectat, grecum poetam et illius per vestigia nostrum quoque, quibus nemo philosophorum altius res hominum conspicatus est, dum perfecti viri habitum moresque describunt, toto illum orbe vagum et ubique novi aliquid addiscentem facereȹ; neque enim crediderunt qualem stilo formabant virum, ęeri posse loci unius perpetuo incolatu.

Ŭū. Servio racconta i particolari di tale ęnta pazzia (Ulisse si sarebbe messo ad arare aggiogando animali diversi e seminando sale, ma Palamede, opponendo il ęglio di Ulisse all’aratro, l’avrebbe costreĴo a fermarsi…), e da Servio deriva alla leĴera Boccaccio, Geneal., X ŰŪ ū (ma anche XI ŮŪ ŭ). Di nuovo, è notevole che Petrarca non rilevi in alcun modo la notizia, sui margini dell’Ambrosiano — ma egli ricorda questa simulata pazzia in Fam. XIII Ů ūŪ-ūū (si traĴa di un testo importante, sul quale dovrò tornare) e XXII ů ūū, contrapponendola ad altri antichi casi di simulazioni celebri.

212

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

Di nuovo, dunque, Omero e Virgilio hanno elaborato, in Ulisse ed Enea, il modello dell’uomo perfeĴo²², e a questo ęne l’hanno strappato dalla prigionia di un’unica dimora e faĴo errare per il mondo, a contaĴo con avventure sempre nuove. E l’idea-base che guida questa osservazione la ritroviamo anche in Seneca, che probabilmente suggerisce a Petrarca le parole appena citate, quando scrive che la natura ci ha dato i venti per farci navigare e allargare le nostre conoscenze, mentre saremmo solo degli animali ignoranti e inesperti se ce ne restassimo rinchiusi nei conęni della terra natiaȹ: « Dedit ventos ad ulteriora noscendaȹ: fuisset enim imperitum animal et sine magna experientia rerum homo, si circumscriberetur natali soli ęne » (Nat. quæst., V ūŲ ūŮ). Ma tuĴe queste queste aěermazioni si basano sopraĴuĴo su un testo di Orazio, l’Epistola seconda del primo libro, a Massimo Lollio. Qui Orazio, dopo aver aěermato di avere rileĴo Omero, che insegna meglio dei ęlosoę « quid sit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non » (v. ŭȹ: sopra, abbiamo appena visto come Petrarca ripeta la stessa cosa), prosegue spiegando quale sia il signięcato da aĴribuire alla ęgura di Ulisse (v. ūű sq.)ȹ: Rursus, quid virtus et quid sapientia possit, utile proposuit nobis exemplar Ulixen, qui domitor Troiæ multorum providus urbes, et mores hominum inspexit, latumque per æquor, dum sibi, dum sociis reditum parat, aspera multa pertulit, adversis rerum immersabilis undis.

Il quale Ulisse, se avesse ceduto al canto delle Sirene e agli infusi di Circe, « vixisset canis immundus vel amica luto sus », cioè proprio come viviamo noiȹ: Nos numerus sumus et fruges consumere nati, sponsi Penelopæ nebulones Alcinoique.

Non occorre allegare anche Ars poet. ūŮū-ūŮŬȹ: « Dic mihi, Musa, virum, captæ post tempora Troiæ/ qui hominum mores multorum vidit et urbes », per vedere che questo è anche l’Ulisse di Petrarca (e, per la sua parte, anche

ŬŬ. Questo ribadito parallelismo tra i due eroi eponimi autorizza ad allargare ad Ulisse buona parte di quello che Petrarca dirà di Enea, quando spiegherà tra il ūŭŰů e il ūŭŰű, al giovane Federico d’Arezzo, i signięcati allegorici dell’Eneide, nella Sen., IV ů. Su di essa, si veda in particolare il cap. « L’ermeneutica petrarchesca », nei miei Saggi petrarcheschi, op. cit., p. ůůŭ-ůŲű, con la bibliograęa allegata.

213

ђћџіѐќ ѓђћѧі

di Dante, naturalmente). Basti ancora, tra altri testi, l’Epist. II ūŪ, direĴa nel ūŭŮŭ-ūŭŮŮ a Brizio Visconti, in particolare ŬŭŲ-ŬŮŬ (II, p. ŬŭŰ ed. RosseĴi)ȹ: [Omero] mores populique ducumque pinxit, et e numero plebis secrevit Ulixen, quem mihi non vana circumtulit arte Charibdim Scilleosque canes ut sperneret atque Cyclopem Syrenumque modos et amantis pocula Circes.

Di là da questo quadro generale naturalmente non è diĜcile trovare nelle opere di Petrarca una serie di allusioni e rimandi piú o meno occasionali a Ulisseȹ: in Fam. I ū Ŭū, Petrarca paragona i viaggi di Ulisse ai suoi, meno famosi ma altreĴanto lunghi e variatiȹ; nella XXIV ūŬ ū (l’epistola a Omero), egli scrive al poeta greco di aver aspeĴato i suoi testi, nella traduzione di Leonzio, piú a lungo di quanto Penelope aspeĴò Ulisseȹ; nell’inveĴiva Contra medicum (II, r. ūųů-ūųŲ, p. ŮŮ ed. Ricci), sulla base della nota di Servio a Æn. I ŭűŲ, l’esempio di Ulisse, insieme a quello di Enea, autorizza, in certe occasioni, il parlare di séȹ; nella Sen. XII ū (in Opera…, p. ųųŲ), il Dondi è avvertito che neppure con l’astuzia di Ulisse sarebbe riuscito a convincerlo a cambiare dietaȹ; nel De remediis I ŰŬ (in Opera…, p. űŪ sq.), consiglia di tapparsi le orecchie come fece Ulisse con le Sirene, per non sentire l’orrendo strepito che fanno i pavoni, e ancora allo stesso episodio ricorre in II ųű, De auditu perdito (ibid., p. ŬūŰ sq.) — si sa che per tuĴo il medioevo l’episodio di Ulisse e le Sirene aveva goduto di speciale fortuna, perché si prestava a una facile allegorizzazione²³ —, etc. Ŭŭ. Si veda per ciò Maria Corti, « Le metafore della navigazione, del volo e della lingua di fuoco nell’episodio di Ulisse (Inferno XXVI) », in Miscellanea di studi in onore di Aurelio Roncaglia, Modena, Mucchi, ūųŲų, t. II, p. Ůűų-Ůųū [p. ŮŲŭ-ŮŲů], che si rifà a Pierre Courcelle, « Quelques symboles funéraires du néo-platonismeȹ: Le vol de Dédale, Ulysse et les Sirènes », in Revue des Études anciennes, XLVI, ūųŮŮ, p. Űů-ųŭ. Ma si veda sopraĴuĴo, dello stesso Pierre Courcelle, Conosci te stesso, da Socrate a san Bernardo (ūųűŮ-ūųűů), Presentazione di Giovanni Reale, Milano, Vita e Pensiero, ŬŪŪū, cap. ūŮȹ: « Sirene e adescamenti », p. ŭŮů sq., e Hugo Rahner, L’ecclesiologia dei padriȹ: Simboli della Chiesa, Roma, Edd. Paoline, ūųűū, in particolare i § « La tentazione delle sirene », p. Ůūů-Ůŭů, e « Il cristiano come Ulisse », p. Ůŭů-ŮŮů. Di qui, a proposito di Ulisse come ęgura del perfeĴo cristiano, traggo questa signięcativa citazione di Onorio di Autun, Speculum Ecclesiæ, in Patrologia latina, vol. ūűŬ, col. Ųůűaȹ: « Ulixes dicitur sapiens. Hic illæsus præternavigavit, quia christianus populus vere sapiens in navi Ecclesiæ mare huius sæculi superenatat. Timore Dei se ad arborem navis, id est ad crucem Christi ligat. Sociis cera, id est incarnatione Christi, auditum obsigillat, ut a vitiis et concupiscentiis cor avertant et sola cælestia appetant. Sirenes submerguntur, quia concupiscentiæ ab eis vigore spiritus præmunitur. Ipsi illæsi evadunt periculum, quia per victoriam ad Sanctorum perveniunt gaudia ».

214

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

Qualcosa si potrebbe ancora aggiungere²Ÿ, ma sono altri i passi che ci portano al cuore del complesso, intrigante aĴeggiamento di Petrarca e, aĴraverso di lui, a Dante. Poco sopra, ho citato Cicerone, De oĜciis ųű-ųŲ, ove egli riferisce come, secondo una tradizione minore, Ulisse si sarebbe ęnto pazzo per non partecipare alla guerra di Troia, e per « regnare et Ithacæ vivere otiose cum parentibus, cum uxore, cum ęlio »²Ź. Ma poi ha rinunciato alla sua ęnzione, preferendo la gloria a un ozio di tal genere, che certo non l’avrebbe reso famoso (« Quid enim auditurum putas fuisse Ulixem, si in illa simulatione perseverassetȹ? »). Ora, questo passo Petrarca l’ha leĴo con aĴenzione, e l’ha ripreso non solo nei Rerum memorandarum, ma, in seguito, anche nella Fam. XIII Ů, direĴa al napoletano Francesco Calvo nel ūŭůŬ. Qui (§ ūŪ-ūū), egli spiega appunto come Ulisse (come Achille, del resto) non fosse riuscito a protrarre l’ingannoȹ: infaĴi, « non possunt viri insignes nisi ut excelsi montes occultari ». Egli avrebbe potuto, è vero, vivere in pace, « nisi inexplebile desiderium multa noscendi cuntis illum litoribus terrisque raptaretȹ; laboriosa virtus que possessores suos quiescere non sinit, laboriosa, inquam, A queste pagine di Onorio rinvia anche Ruedi Imbach, nel paragrafo del bel cap. « Ulysse, ęgure de philosophe », del suo Dante, la philosophie et les laïcsȹ: Introduction à la philosophie médiévale ū, Fribourg (Suisse), Édd. Universitaires & Paris, Cerf, ūųųŰ, p. ŬŬŭ-ŬŬŰ. E vi rinvia, da ultimo, Lino Pertile, « Ulisse, Guido e le sirene », in Studi danteschi, LXV, ŬŪŪŪ, p. ūŪū-ūūŲ, che rifà la storia dell’Ulisse quale ęgura del « cristiano » che nel mare della vita vince le tentazioni delle sirene e torna alla patria celeste, aĴraverso una serie di testi, da Ambrogio a Massimo il Confessore, Gunther il Cisterciense, Gerhoh di Reichersberg e Onorio di Autun (e propone una propria interpretazione dell’episodio dell’Inferno, alla base del quale starebbe proprio questa tradizione allegorica che Dante avrebbe, per dir cosí, leĴeralizzato). ŬŮ. Un’osservazione a margine. In Africa, III ŭűů-ŭűű, Petrarca paragona Lelio seduto alla mensa di Siface con Ulisse alla mensa di Alcinoo, cosíȹ: « Talis apud mensas — nisi testem spernis Homerum —/ cena ęt Alcinoiȹ: sedet illic blandus Ulixes,/ Lelius hic hospes mellito aěabilis ore ». Agostino Pertusi (Leonzio Pilato fra Petrarca e Boccaccio, Venezia-Roma, Istituto per la Collaborazione Culturale, ūųŰŮ, p. ŭųŲ sq.) sospeĴa che si traĴi di un’inserzione assai tarda, faĴa dopo la leĴura dell’Odissea, quindi dopo il ūŭŰŲ, per la precisione del riferimento a Od. VII ūŰű sq., nella traduzione di Leonzio (che egli allega). Ma anche in Fam. IX ūŭ Ŭů, si può forse vedere qualcosa di simile, dal momento che la redazione ultima, alfa, tra altre cose, aggiunge rispeĴo alla primitiva, gamma, a proposito dei viaggi di Ulisseȹ: « easque diĜcultates rerum ac locorum que legentis quoque animum fatigent »ȹ: parole, queste, che insinuano l’idea di una personale e completa esperienza di leĴura dell’Odissea. Ricordo che la leĴera è stata mandata a Philippe de Vitry nel febbraio ūŭůŪ (ne parlerò piú avantiȹ: la versione originale, gamma, è nell’ed. Rossi, vol. II, p. ŬŰű-Ŭűů)ȹ: se l’ipotesi fosse giusta, avremmo allora un termine oltre il quale porre la revisione del testo. Ŭů. Poco avanti, nel § ūŪŪ, Cicerone aěerma qualcosa di simile anche a proposito di AĴilio Regolo, che rispeĴò i paĴi e tornò a Cartagine per esservi uccisoȹ: « ipse Carthaginem rediit, neque eum caritas patrie retinuit nec suorum ».

215

ђћџіѐќ ѓђћѧі

virtus, sed gloriosa, clara et que ut laborem sic amorem admirationemque conciliet »²ź. C’è qui una signięcativa novità rispeĴo all’originale di Ciceroneȹ: il dovere di Ulisse-soldato è sostituito da un dovere di tuĴ’altra qualità, quello deĴato dall’inexplebile desiderium multa noscendi, che essendo radice ed essenza della natura umana deve prevalere su qualsiasi altro aěeĴo. Per la verità, nella leĴera non si parla della famiglia di Ulisse, ma vi si allude, per esempio, nella Fam. XXIII Ŭ, direĴa nel ūŭŰū a Carlo IV di Boemia, ove, con Alessandro e Scipione c’è, in trasparenza, anche Ulisse. Ecco il passo, particolarmente interessante (§ ŭū-ŭŬ)ȹ: Si Alexander se intra ęnes Macedonie tenuisset, non tam notum Macedonum nomen esset. Quis putas magis amet uxorem, an qui omnium negligens die noctuque in illius heret amplexibus, an qui ut illam honeste ubertimque educet, nullam peregrinationem refugit nullum renuit laboremȹ? Est ubi magnus amor odium sit. Numquam Romam magis amavit Africanus quam dum illa relicta adiit Carthaginem. Molles aěectus et externi monitus coniugum natarumque ac vulgarium amicorum altis consiliis semper adversi suntȹ; obserande aures ulixeum in morem, ut in portum glorie sirenum inter scopulos evadamus.

Non si poteva essere piú chiari. Se le circostanze lo richiedono, occorre sacrięcare gli aěeĴi domestici, che con le loro seduzioni ora « molli » e ora « volgari » diventano altreĴanti ostacoli sulla diĜcile via della virtú, mentre il loro richiamo è direĴamente paragonato al canto ingannatore delle Sireneȹ: per contro, è l’amore stesso che s’esalta nel sacrięcio di sé, anche se immediatamente può addiriĴura apparire come odio. E ancora piú radicale, se possibile, Petrarca è nell’importante epistola in versi direĴa all’amico Gugliemo da Pastrengo che si rięuta di seguirlo a Roma per il Giubileo ŬŰ. Il tema della leĴera è che una grande gloria la si oĴiene solo con grandi fatiche, e a prezzo di una vita inquieta e tormentata (inquieta e turbida). Per quanto riguarda la fatica inerente alla fama, torna il discorso e insieme l’esempio di Ulisse nel De remediis, II ůŰ, De gravi negotio ac labore, in Opera…, ed. cit., p. ūűů (sulla traccia di Ciceroneȹ: Ulisse, se fosse rimasto nell’ozio, a dispeĴo di tuĴa la sua capacità di calcolo, sarebbe rimasto uno sconosciuto). Nel Secretum, a cura di E. Fenzi, Milano, Mursia, ūųųŬ, III, p. ŬůŬ, Petrarca cita dall’Africa VII ŬųŬ un suo verso, ripetuto anche in Fam. VII ű ů-Űȹ: « Non queritur gratis clarum nomen nec servatur quidemȹ: Magnus enim labor est magne custodia fame ». Ma il conceĴo torna spessoȹ; si veda per altri rimandi De ignorantia, ůŭ, ed. cit., p. ŬūŪ, e n. Ŭūŭ e ŬūŰ, p. ŭŲŰ sq. (e Giuseppe Velli, « Il proemio dell’Africa », in Id., Petrarca e Boccaccioȹ: Tradizione Memoria ScriĴura, Padova, Antenore, ūųűų e ūųųůŬ, p. Ůű-ůų [p. ůŬ], n. ūŰ).

216

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

(Epyst., III ŭŮȹ: II, p. ŬŪŮ-ŬŪų, ed. RosseĴi)ȹ; e poco importa che Ulisse non sia qui nominato. All’amico già si mostrava una via gloriosa (v. ų sq.), maȹ: […] sed frena domus studiumque tuorum et patrie stringebat amor. Nunc maior in altum cura vocatȹ: cessasȹ?

Proprio lui, Guglielmo, se ne starà inerte, quando da tuĴo il mondo i pellegrini si muovono verso Roma, aĴraĴi da ciò che è lontano e diversoȹ? E ancora (v. Ŭů-ŭŭ), con ampio sviluppo retorico, all’amico è ordinato di non cedere a una « mentita pietas » (« dolentum » è un genitivo oggeĴivo), cioè a una pietas che non sarebbe altro che una forma di falsa coscienza, che nasconde opportunismo e viltàȹ: […] Neu te mentita dolentum impediat pietas. Oěusam in limine matrem despice, nec teneri moveant te dulcia nati oscula, grandevum fugiens sine Ěere parentem, et sine ventus agat suspiria tristis amici. Non nate seu forma virens seu nubilis etas, non germanus amans, trepide non verba sororis candida, nec blando teneat te murmure coniux. Cuncta tibi calcanda simul […]

« Cuncta tibi calcanda simul »ȹ! Di nuovo, non si può certo dire che Petrarca non sia chiaro. Cosí come lo è anni dopo, nell’Itinerarium ad sepulcrum Domini, scriĴo per Giovanni Mandelli nei primi mesi del ūŭůŲ. A un certo punto (§ ŰŪ), Petrarca immagina che l’amico, giunto a Gerusalemme, senta la voglia piú che naturale di tornarsene a casa. Maȹ: Sed nullus est acrior stimulus quam virtutis. Ille nunc per omnes diĜcultates generosum animum impellit, nec consistere patitur, nec retro respicere cogitque non voluptatum modo sed honestorum pignorum atque aěectuum oblivisci, nichil aliud quam virtutum speciem optare, nichil velle, nichil denique cogitare. Hic stimulus qui Ulixem Laertis et Penelopes et Telemachi fecit immemorem, te nobis nunc vereor abstrahet diutius quam vellemus.

Qui, tanti motivi si sono ricomposti in una visione che ammeĴe i moti della comune aěeĴività — è ovvio che chi da tempo sta viaggiando senta la nostalgia di casa, e che gli amici rimasti ne sollecitino il ritorno — ma che non

217

ђћџіѐќ ѓђћѧі

deroga dai propri principi, anche a costo, come Petrarca già ha scriĴo, di pagare un alto prezzo personale, e di trasformare l’amore in odio. Ma, tornando un poco indietro, il testo piú importante è probabilmente la Fam. IX ūŭ a Philippe de Vitry, che abbiamo anche nella redazione gamma, del ūŭůŪ, mentre la deęnitiva, alfa, è forse assai piú tarda²Ż. La lettera dovrebbe essere considerata tuĴ’intera con aĴenzione, ma al nostro ęne basterà forse dire che il titolo ben ne compendia il contenuto, disposto a mo’ di traĴatoȹ: Increpatur eorum mollities qui sic uni terrarum angulo sunt astricti, ut gloriosam licet absentiam infelicem putent, e che la celebrazione del viaggio e del mutamento opposti all’immobilità comprende un bell’elogio di Ulisse, condoĴo secondo parametri di giudizio già visti. Ecco il passo che interessa (§ ŬŮ-Ŭű), che è bene riferire per intero (nel testo alfa, mettendo in corsivo le aggiunte rispeĴo a gamma)²żȹ: […] ivit et ad Troiam atque inde longius Ulixes, maria lustravit ac terras, nec ante substitit quam urbem sui nominis occidentis ultimo fundasset in litoreȹ; et erat illi domi decrepitus pater, infans ęlius, uxor iuvenis et procis obsessa, cum ipse interea circeis poculis, Sirenum cantibus, Cyclopum violentiis, pelagi monstris ac tempestatibus decertaret. Vir erroribus suis clarus, calcatis aěectibus, neglecto regni solio et tot pignoribus spretis, inter Scyllam et Caribdim, inter nigrantes Averni vertices easque diĜcultates rerum ac locorum que legentis quoque animum fatigent, senescere maluit quam domi, nullam aliam ob causam quam ut aliquando senex doctior in patriam remearet. Et revera si experientia doctos facit, si mater est artium, quid artięciosum quid ve alta laude dignum speret, qui paterne domus perpetuus custos fuitȹ? Boni villici est in proprio rure consistere […]. At nobilis inque altum nitentis animi est, multas terras et multorum mores hominum vidisse atque observasse memoriterȹ; verissimumque est quod apud Apuleium legistiȹ: — non immerito — enim, inquit — prisce poetice divinus auctor apud Graios, summe prudentie virum monstrare cupiens multarum civitatum obitu et variorum populorum cognitu summas adeptum virtutes cecinit —. Quod Ŭű. Cfr. supra, n. ūű. ŬŲ. C’è anche una serie di varianti, che per completezza riporto (in corsivo, la lezione di gamma)ȹ: maria lustravit ac terrasȹ: per omnes terras ac mariaȹ; uxor iuvenisȹ: coniux adolescensȹ; violentiisȹ: violentieȹ; doctos facitȹ: artem facitȹ; speretȹ: sperare relinquitur illiȹ; proprioȹ: avitoȹ; At […] inqueȹ: Contra […] et inȹ; animiȹ: ingeniiȹ; poeta nosterȹ: poeta quidem n.ȹ; scisȹ: nosti.

218

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

poeta noster imitatus, suum Eneam scis quot urbibus atque litoribus circumducit.

Tra altre cose che occorre notare²Ž, osserviamo che anche qui Petrarca contrappone neĴamente la vita limitata dall’ambiente e dai legami familiari e quella liberamente votata alla « errante » e sublime avventura della conoscenza. Forte è anche l’eco delle parole già sopra citate di Seneca, Nat. quæst. V ūŲ ūŮȹ: « Dedit ventos ad ulteriora noscenda […] »ȹ: Ulisse non è un « buon villico », che nasce e muore sul suo campo e solo quello conosce, ma l’eroe che, con le parole di Orazio qui appena variate, « multorum providus urbes,/ et mores hominum inspexit », e poco conta che, mentre egli andava aěrontando Circe e le Sirene e i Ciclopi e i mostri e le tempeste marine³Ŵ, l’aspeĴassero a casa « decrepitus pater, infans ęlius, uxor iuvenis ». Il triĴico degli aěeĴi è qui caraĴerizzato, dunque, sulla falsariga della prima Eroide di Ovidio, Penelope Ulixi, ove Penelope ricordava tra l’altro al maritoȹ: « Tres sumus imbelles numero, sine viribus uxor/ Laertesque senex Telemachusque puer » (v. ųű-ųŲ), ma ancora una volta Petrarca dichiara senza incertezze che tali aěeĴi non devono trasformarsi in ostacolo, quando sia in gioco Ŭų. Intanto, la ciĴà fondata da Ulisse sull’estremo lembo dell’occidente è Olisippo/Olissipona, o Ulyxippo, cioè Lisbonaȹ: si veda Solino, Coll., Ŭŭȹ; Pomponio Mela, Chor., III ū Ųȹ; Marziano Capella, De nuptiis, VI ŰŬųȹ; Isidoro, Etym., XV ū űŪ (da Solino deriva Fazio degli Uberti, DiĴamondo, IV Ŭű ŬŲ-ŭŭȹ: « Noi fummo dove anticamente ęsse/ Ercules le colonne, per un segno/ ch’alcun d’andar piû innanzi non ardisse./ Non lungi qui Ulissipon disegno,/ ch’edięcò Ulisse per mostrare/ ch’egli era stato al ęn di questo regno »). Al proposito, mi sembrano fuori luogo i dubbi di Maria Corti, « La favola di Ulisseȹ: invenzione dantescaȹ? », in Ead., Percorsi dell’invenzioneȹ: Il linguaggio poetico e Dante, Torino, Einaudi, p. ūūŭ-ūŮů [p. ūūŲ]. La ęnale citazione di Apuleio è da Metam., IX ūŭ. ŭŪ. Non sono infaĴi i rischi che si possono correre, per gravi che siano, a poter giustięcare scelte diverseȹ: meglio rischiare il naufragio, che star fermi… Contrapponendo l’esperienza del viaggio all’ozio, lo spiega Boccaccio, tornando ad accennare alle ragioni sulle quali la fama di Ulisse si fondaȹ: « Nemo quidem, nisi torpens hebesque, preeliget desidia in campestribus solvi, quam assidua etiam extuantis pelagi Ěuctuum inquietatione agitariȹ; et si non aliter detur, etiam continue scopulis allidi, quam Sardanapali plumis sonno fovere perpetuo […] Longe notior per maria agitatus Ulixes, ocioso Egysto sub celo patrio lasciviente, cuius libidinosam damnamus desidiam, ubi illius laudamus et admiramus errores » (De casibus, III ūŭ ų). Si noti quel « si non aliter detur », che rimanda alle posizioni non perfeĴamente ortodosse, dal punto di vista della doĴrina stoica, di Seneca, che giudica ovviamente sciocco chi va in cerca dei pericoli, ma d’altra parte sostiene che è in ogni caso preferibile aěrontarli e rischiare, pur di meĴere alla prova e aĜnare la virtú, piuĴosto che evitarli sistematicamente in nome di un aĴeggiamento di distacco che ha poco di ęlosoęco, ed è invece deĴato dal desiderio del quieto vivere. Il punto mi sembra ben messo in luce, con corredo di citazioni, da Giuseppe Cambiano, « Seneca e le contraddizioni del sapiens », in Incontri con Senecaȹ: AĴi […], a cura di G. Garbarino e I. Lana, Bologna, Pàtron, ŬŪŪū, p. Ůų-ŰŪ.

219

ђћџіѐќ ѓђћѧі

un destino di conoscenza vissuto con la consapevolezza e la forza di un superiore imperativo etico. Ancora una sosta, prima di tornare alla leĴera a Boccaccio. Una volta deęnite le coordinate fondamentalmente positive entro le quali Petrarca considera la ęgura di Ulisse, resta infaĴi da capire meglio se e quanto l’Ulisse di Petrarca sia stato condizionato da quello dantesco, e sopraĴuĴo quale sia la chiave ultima, il senso profondo di quel parallelo ch’egli istituisce tra alcuni traĴi rilevanti di quella ęgura e Dante medesimo. Per farlo, ripigliamo dal modo di porsi di Ulisse rispeĴo agli aěeĴi familiari, ricordando ancora che Orazio ne esalta le peregrinazioni, ma tuĴavia precisa che tuĴo ciò avvenneȹ: « dum sibi, dum sociis reditum parat » (Epist., I Ŭ Ŭū), e cioè sottolinea che il ritorno restava pur sempre l’obieĴivo ęnale rispeĴo al quale deve essere apprezzata la capacità dell’eroe di cavarsi ogni volta d’impaccio. E in Ovidioȹ? Nella sua leĴera Penelope, abbiamo visto, meĴe avanti con forza la condizione sua, « sine viribus uxor », e quella del vecchio Laerte e di Telemaco fanciulloȹ: ma l’epistola, che s’immagina scriĴa il giorno in cui Telemaco è tornato da Sparta (v. Űŭ-Űů), ricava un sapore speciale dal faĴo che il leĴore sa che è stata scriĴa poco prima che Ulisse, già rientrato nascostamente in Itaca, si riveli alla moglie e riprenda il suo posto. In altri termini, l’accento posto sui legami familiari non si contrappone ad eventuali opposte scelte di Ulisse ma prelude al ritorno, né vi si contrappone, nelle Metamorfosi, il racconto di Macareo, pur cosí importante per Danteȹ: abbandonando Circe, dopo la programmata deviazione verso il paese dei morti per interrogare Tiresia, che altro avrebbe potuto fare Ulisse per tornare in Itaca, se non aěrontare ancora una volta il mareȹ? È vero — Picone in particolare lo soĴolinea —, Macareo non parla di ritorno, ma non per questo l’escludeȹ: semplicemente, è il rimeĴersi in mare che in ogni caso egli ormai assolutamente rięuta, né davvero gli importa verso dove e aĴraverso quali avventure i suoi compagni se ne partano. Questo è ciò che Ovidio vuol dire. Ma anche Seneca, nel noto passo dell’Epist. LXXXVIII ű-Ų, spesso citato a proposito di Dante, ęnisce per porre lo stesso Ulisse che tanto ha errato come il modello positivo di un ritorno alla patria e alla famiglia particolarmente meritevole per l’ostinazione con la quale è stato perseguito in mezzo a tante avversitàȹ: Quæris Ulixes ubi erraverit potius quam eĜcias ne nos semper erremusȹ? Non vacat audire utrum inter Italiam et Siciliam

220

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

iactatus sit an extra notum nobis orbem (neque enim potuit in tam angusto error esse tam longus)ȹ: tempestates nos animi cotidie iactant et nequitia in omnia Ulixis mala impellit […]. Hoc me doce, quomodo patriam amem, quomodo uxorem, quomodo patrem, quomodo ad hæc tam honesta vel naufragus navigem […].

E questa implicita ma forte valenza delle parole di Seneca, che ben corrispondono con l’altro passo nel quale egli esalta l’amor di patria di Ulisse (Epist., LXV ŬŰ), ęnisce per rendere ben ragione del faĴo che, con le parole di Ruedi Imbachȹ: « selon une vénérable tradition, Ulysse symbolise le retour après une longue et pénible erranceȹ; du même coup il représente le désir de retrouver sa patrie, le lieu d’origineȹ; c’est pourquoi le retour chez soi après de longues tribulations symbolise un retour heureux aux origines […] », e che in questa chiave la sua ęgura è stata interpretata dal neoplatonismo³¹. Ma tuĴo ciò è, appunto, in insanabile contrasto con la versione di Dante proprio per quanto riguarda la scelta dell’eroe greco di non tornare mai piú in patriaȹ: scelta faĴa, una volta per sempre, là, nel preciso momento nel quale abbandona Circe e si rimeĴe in mare. Di fronte a questa invenzione (che tale è e rimane, a dispeĴo di tuĴi gli sparsi suggerimenti che la tradizione, anche quella a Dante piú vicina, poteva oěrire) è interessante osservare che Petrarca manifesta sino alla ęne la sua sostanziale fedeltà alla versione dantesca, come ancora mostra, per esempio, il Tr. Fame II ūű-ūŲ, ove Ulisse è caraĴerizzato come colui « che desiò del mondo veder troppo », con scoperto rinvio, di là dall’Amoŭū. R. Imbach, « Ulysse, ęgure de philosophe », op. cit., p. ŬŭŪ. Vale forse la pena di ricordare che il « vero » Ulisse « had never wished to leave home. His sole aim in the Trojan campaign was to ęnish it successfully as soon as possible. He had never wished to be a wanderer, ot traveller, or explorer. The early Greeks had no romantic illusion about the delights of voyaging to unexplored regions across the seas […] in the Odyssey the force of Odysseus’s heart and mind is essentially homeward bound, centripetal, towards Ithaca and Penelope » (William Bedell Stanford, The Ulysses themeȹ: A study in the adaptability of a traditional hero [ūųŰŭ], Ann Arbor, The University of Michigan Press, ūųŰŲ, p. ŲŰ-Ųų). Qualcosa del genere scrive ora François Hartog, Memoria di Ulisseȹ: Racconti sulla frontiera nell’antica Grecia [ūųųŰ], Torino, Einaudi, ŬŪŪŬ, p. ŮŮȹ: « Ciò che […] farà diventare emblematico Ulisse non è tanto la sua esperienza del mondo quanto la sua capacità di soĴrarvisiȹ: non il viaggio, ma la traversata e i suoi pericoli ęno alla liberazione ęnale », etc. A margine, va ancora osservato che è prova del genio di Dante l’aver collocato la « roĴura » dello schema del ritorno proprio nel momento in cui, nell’Odissea, Ulisse si allontana da Circe e salpa verso il paese dei mortiȹ: che è precisamente, durante il ritorno, l’unica meta alternativa ch’egli si propone di raggiungere, interrompendo volontariamente il viaggio verso Itaca.

221

ђћџіѐќ ѓђћѧі

rosa visione, a Dante³². Insomma, Petrarca non smentisce mai la versione di Dante, e invece ripetutamente la considera come una sorta di archetipo della « scelta virtuosa » libera da condizionamenti e debolezze. Fa anche qualcosa di piú perché, nel famoso passo che torno a citare, fa di Dante una sorta di nuovo Ulisse. Risentiamoloȹ: […] exilio, cui pater in alias curas versus et familie solicitus cessit, ille obstitit, et tum vehementius cepto incubuit, omnium negligens soliusque fame cupidus. In quo illum satis mirari et laudare vix valeam, quem non civium iniuria, non exilium, non paupertas, non simultatum aculei, non amor coniugis, non natorum pietas ab arrepto semel calle distraheret.

Cosí, Petrarca è il primo nel lungo elenco di coloro che hanno soĴolineato l’esistenza di uno streĴo rapporto tra Dante e la ęgura di Ulisse da Dante stesso creata, e che in modi diversi se non addiriĴura opposti hanno cercato di interpretarlo. Personalmente, mi sento di concordare con la Barolini (ma non, come mi sembra risulti chiaro, dall’interpretazione solo negativa data, sulle orme di Bosco, alla frase di Petrarca), la quale si dice convinta « che Ulisse riĚeĴa una consapevole preoccupazione di Dante. Anche la percezione di un profondo allineamento autobiograęco fra il poeta e la sua creazione sembra avere radici anticheȹ; Umberto Bosco ha mostrato come l’intransigenza di Dante di non acceĴare i termini proposti dai ęorentini per un suo ritorno a Firenze, nonostante la soěerenza inĚiĴa alla sua famiglia, avesse provocato le reazioni contrastanti di Boccaccio, che ne prese le difese, e di Petrarca, il cui giudizio critico l’accusa implicitamente di non essere come Ulisse. In conclusione, dunque, il Dante coinvolto nella ęgura di Ulisse non è solo il Dante del Convivio, un Dante del passato, ma anche il Dante della Commedia. Con il Dante della Commedia non mi riferisco al pellegrino che, come molti studiosi hanno dimostrato, è una sorta di doppio negativo di Ulisse. Mi riferisco piuĴosto al poeta che si è imbarcato in un viaggio di cui riconosce la componente ulissiana, la teme e non la supera mai completamente. Ulisse è il parafulmine che Dante piazza nel suo poema per aĴirare e respingere la consapevolezza ŭŬ. L’ha ribadito Pacca, in giusto disaccordo con chi ha voluto negare questo evidente rapporto. Non sarei però cosí sicuro che Petrarca « biasima il temerario che ha osato superare i limiti ęssati all’uomo ed è colpito dalla vendeĴa divina » (Petrarca, op. cit., p. ŭųų)ȹ: la sua mi sembra piú una presa d’aĴo che un giudizio.

222

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

della propria presunzione nel presentarsi come uno scriba di Dio. In altre parole, Ulisse documenta l’autoconsapevolezza di Dante […] »³³. È veroȹ: lo stesso rimando a Ulisse ha un valore diverso in Boccaccio e in Petrarca, presso il quale acquista sfumature piú ambigue, entro la trama assai delicata dei giudizi deĴi e di quelli solo allusi e insinuati che aĴraversa tuĴa la discussa epistola, nella quale Petrarca propone tra l’altro, aĴraverso Ulisse, una intrigante connessione tra se stesso e Dante³Ÿ. Ma una cosa è certa. Alla luce di quanto Petrarca pensa di Ulisse, aver faĴo di Dante un suo « doppio » suona come un elogio tuĴ’aěaĴo speciale, che consacra il poeta nell’Olimpo degli eroi di virtute e conoscenza. La cosa è importante, perché inĚuisce sull’interpretazione complessiva della leĴera, e perché immediatamente porta l’aĴenzione sulla dimensione personale dell’esperienza di Dante, e stabilisce un forte legame tra la sua vicenda umana, anche politica, e la sua vicenda intelleĴuale. E di questa vicenda coglie la linea fondamentale di crescita, e il rigore e la fedeltà alle proprie premesse. Ancora, fa della metafora del « viaggio » il campo semantico entro il quale l’equazione Dante-Ulisse sviluppa tuĴe le sue potenzialità di signięcatoȹ: ma lo fa in un senso tuĴo particolare, dal momento che, nel caso, Ulisse non è quello della tradizione, ma, appunto, quello di Dante. Cioè, essenzialmente, quello che non ritorna. Il punto è decisivo. C’è infaĴi qualcosa che qui Petrarca riconosce per sempre a Danteȹ: gli riconosce d’aver spezzato la struĴura del ritorno che caraĴeriz-

ŭŭ. Teodolinda Barolini, La Commedia senza Dioȹ: Dante e la creazione di una realtà virtuale, Milano, Feltrinelli, ŬŪŪŭ, p. ŲŪ sq. — ed. orig.ȹ: The undivine Comedyȹ: Detheologizing Dante, Princeton (N.J.), Princeton University Press, ūųųŬ, p. ůŬȹ: ma si veda tuĴo il capitolo, p. ŮŲ sq. Per il rinvio a Bosco, si veda supra, n. ūŲ. L’accenno al Convivio rimanda alla tesi di John Freccero, Danteȹ: La poetica della conversione (ūųŲŰ), Bologna, il Mulino, ūųŲų, p. ŬŪů, il quale vede nell’episodio di Ulisse la palinodia dell’aĴeggiamento ęlosoęco espresso nel Convivio, colpevole di un’eccessiva ęducia nei poteri della ragione umana. ŭŮ. Cosí, comprensibilmente, quelle parole non hanno cessato di stupire, come ancora testimonia, per esempio, Emilio Pasquini, nell’intervento sulla relazione di Piero Boitani, « Dall’ombra di Ulisse all’ombra d’Argo », in Danteȹ: Mito e poesiaȹ: AĴi […], a cura di M. Picone e T. Crivelli, Firenze, Cesati, ūųųų, p. ŬŭŬ sq. Ma lo stesso Emilio Pasquini (« Per Dante nel terzo millennio », in Id., Dante e le ęgure del veroȹ: La fabbrica della Commedia, Milano, Bruno Mondadori, ŬŪŪū, p. ŬŰŰ sq.) scriveȹ: « Petrarca è il primo intelleĴuale europeo ad aver leĴo nell’episodio dantesco la denuncia o la confessione di una paternità carente, di un venir meno — per brama di conoscenza o ambizione di gloria — ai piú irrinunciabili doveri verso gli aěeĴi familiari » (rifacendosi al volume di Luigi Zoia, Il gesto di EĴoreȹ: Preistoria, storia e aĴualità del padre, Torino, Bollati Boringhieri, ŬŪŪŪ). Ma questa spiegazione mi sembra contraddeĴa dagli altri passi di Petrarca sopra citati (per es., Fam., XXIII Ŭ).

223

ђћџіѐќ ѓђћѧі

zava la vicenda ulissiaca nella sua versione tradizionale, e dunque di aver spezzato la nozione circolare e pagana del tempo e di averla raddrizzata e inęne ordinata all’unicità e irripetibilità del tempo cristiano. Se il « viaggio » è il tempo della vita, e se tale viaggio coincide con quello della conoscenza (solo in questo senso Ulisse è l’archetipo non pagano né cristiano, ma semplicemente umano, di questa possibilitàȹ: a suo modo, agli occhi di Petrarca, è un altro Magone…), e se la meta ultima della conoscenza — la salvezza — è quella medesima verso la quale la stessa freccia del tempo si dirige, ebbene, nessun ritorno è possibile. A meno di non negare la storicità stessa del viaggio, ridoĴo all’insignięcante ed inęnitamente elastica somma del suoi accidenti. Ecco perché Petrarca, impregnato di spiritualità agostiniana e pronto di lí a poco a polemizzare, nel De ignorantia, con le doĴrine pagane circa l’eternità del mondo e la concezione ciclica del tempo (i « vuoti e stupidi cicli » dei pagani, sui quali tanto ironizza Agostino nel dodicesimo del De civitate Dei, e contro i quali, nel corso del ‘ŬŪŪ, si è scagliato addiriĴura con ferocia san Bonaventura), non può e non vuole scontrarsi con l’iniziativa di Dante. In discussione, infaĴi, non c’è solo una mera questione di fedeltà o meno a una vulgata romanzesca e alle sue fonti antiche, ma qualcosa di ben piú sostanzioso, che non è possibile revocare in dubbio. Se Ulisse è la ęgura riassuntiva, totalizzante, dell’uomo che, in quanto tale, naturalmente desidera conoscere e che per questa via ben si oěre a rappresentare un aspeĴo fondante dell’ideologia dantesca (onde il forte valore ermeneutico dell’iniziativa di Petrarca), a cosa e a chi avrebbe mai dovuto ritornareȹ? e perchéȹ? Solo un obieĴivo inęnito può corrispondere a un desiderio inęnito, e solo la trascendenza della Verità può dare senso all’immanenza di una ricerca che non si ferma mai perché non arriva mai alla meta verso la quale si muove. Petrarca, in questo, sta tuĴo dalla parte di Dante, e capisce profondamente le ragioni che l’hanno portato a inventare che, staccandosi da Circe, Ulisse abbia deciso che il destino di quell’uomo che egli era non stava piú nel tornare, ma nell’andare… Sul punto, occorre almeno ricordare che il vero scontro con il pensiero pagano si era giocato nel secolo precedente, quando i libri di Aristotele avevano invaso l’occidente e avevano costreĴo il cristianesimo a fare i conti con un universo conceĴuale e morale radicalmente diverso, che negava la creazione, presupponeva l’eternità del mondo e inevitabilmente, in una forma o nell’altra, approdava a una concezione ciclica del tempo. Fu chiaro, allora, che proprio qui passava il discrimine tra due mondi, e quello pagano con i suoi uomini e le sue opere venne, per dir cosí, geĴato

224

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

nel tempo cristianoȹ: il tempo che va in una sola direzione e nel quale ogni cosa avviene una volta sola e per sempre (« Semel enim Christus mortuus est pro peccatis nostris », già scriveva Agostino, De civ. Dei XII ūŮ, citando Paolo, ad Rom. Ű ūŪ)³Ź. Questa baĴaglia cominciava ad essere ormai alle spalle, ma restava ancora vicina e coinvolgenteȹ: e proprio Petrarca s’era impegnato con passione e intelligenza non già a cristianizzare i testi dei suoi autori, come avevano faĴo i medioevali, ma a comprenderli e a ordinarli lungo l’asse del tempo cristiano per quello che essi erano, con la loro indubitabile parte di verità. Egli non poteva dunque rinnegare un modo di essere e di pensare che era propriamente e intimamente suo, e incrinare i fondamenti stessi del suo approccio al mondo antico. Del resto, non è in qualche modo simile a Ulisse il suo Platone, « che ‘n quella schiera [dei ęlosoę] andò piú presso al segno/ al qual aggiunge cui dal cielo è dato »³źȹ? E non lo sono, in fondo, i grandi moralisti antichi, insuperabili maestri di etica, ma fermi, tuĴi, di qua dal limite che non hanno potuto oltrepassareȹ? Si leggano le pagine ęnali del De otio, per esempio, e si vedrà immediatamente che l’idea che le guida sta proprio in questo « meĴere in ęla », lungo ŭů. Per quanto qui si accenna troppo rapidamente, si veda l’ampia discussione condoĴa da Petrarca, De ignorantia, ed. cit., § ūūŮ-ūūű e § ūŬű-ūŭů, p. ŬŮŲ-ŬůŪ e p. ŬůŰ-ŬŰŬ (ma ibid. anche l’« Introduzione », p. ŬŪ-ŭŭ, e le note che accompagnano i passi citati). Per la bibliograęa in merito, amplissima, mi limito a ripetere pochissimi titoliȹ: Luca Bianchi, L’errore di Aristoteleȹ: La polemica contro l’eternità del mondo nel XIII secolo, Firenze, La Nuova Italia, ūųŲŮȹ; Richard C. Dales, Medieval discussions of the eternity of the world, Leiden, Brill, ūųųŪȹ; Id., Medieval Latin texts on the eternity of the world, Leiden, Brill, ūųųū, ai quali s’aggiunga, per un aggiornamento, Anna Rodolę, « “Ex nihilo id est post nihilum”ȹ: Alberto Magno e il dibaĴito sull’eternità del mondo », in Studi medioevali, s. III, XL, ūųųų, p. ŰŲū-űŪŮȹ; Jacob H.J. Schneider, « The eternity of the worldȹ: Thomas Aquinas and Boethius of Dacia », in Archives d’Histoire doctrinale et liĴéraire du Moyen Âge, LVI, ūųųų, p. ūŬū-ūŮū. Per la topica contrapposizione tra moto/tempo circolare dei pagani, e moto/tempo lineare cristiano, riferita al viaggio di Ulisse e alla sua versione dantesca, si vedano le suggestive indicazioni di J. Freccero, Dante…, op. cit., p. ūųů-ŬūŪ, e, in generale, il libro assai bello di Remo Bodei, Ordo amorisȹ: ConĚiĴi terreni e felicità celeste, Bologna, il Mulino, ūųųū, in part. p. ŰŲ sq. Ma si veda anche, in prospeĴiva diversa, P. Boitani, L’ombra di Ulisse…, op. cit., p. ůųȹ: « Questo modello poetico, insopportabilmente tragico, meĴe in questione passate e presenti visioni del mondo, le considera come “alterità”ȹ: rompe lo spazio circolare dell’Odissea e il “mondo chiuso” del Medioevo e li trasforma in un itinerario lineare […] ». In questa chiave, trovo anch’io assai belle le parole di Georges Seféris (Essaisȹ: Hellénisme et création, Paris, Mercure de France, ūųŲű, p. ŬŰŮȹ: devo la citazione a F. Hartog, Memoria di Ulisse…, op. cit., p. Ůų), quando scrive che il naufragio dell’Ulisse dantesco gli lasciava « una specie di profonda e incancellabile cicatrice della deęnitiva scomparsa del mondo antico ». ŭŰ. Tr. Fame, III Ů-ů. Per una analisi piú approfondita di questi versi, si veda il capitolo « Platone, Agostino, Petrarca » , in E. Fenzi, Saggi petrarcheschi, op. cit., p. ůūų-ůŬŬ [p. ůŮű sq.].

225

ђћџіѐќ ѓђћѧі

il viaggio verso la verità e la salvezza, pagani e cristiani, e nel misurare dove sono arrivati quelli, e dove questi possono arrivare. I migliori dei pagani, infaĴi, hanno fondato la felicità nella virtú, è vero e non è poco, ma oltre non sono andati, il loro viaggio lí si è fermato, come dinanzi a una barriera invalicabileȹ: « gressum ibi philosophica ęgit inquisitio et velut apprehenso termino conquiescit. At nos […] ubi illi desinunt incipimus, neque enim ad virtutem quasi ęnem, sed ad Deum per virtutes nitimur ». Come si fa, dunque, a dirsi felici, quando ci si meĴe per via ignorando quale sia la meta alla quale si deve arrivareȹ? « Quisquam ne igitur se beatum dicere audebit tot casibus expositus tamque sue sortis nescius, quia scilicet interim secundum mortalem virtutem videatur incedere, quo iter suum referat aut ubinam desinat ignarus, quasi quisquis iter amenum ingressus et de ęne quoque iam certus ideo felix sit aut omnino viatorem via non terminus compotire possit […] ». E ancora, poche pagine avanti, con l’esempio di quel Cicerone altrove deęnito quasi un apostolo (De ignorantia, űŰ)ȹ: « Deus ille, qui velocitatem ingenii dedit, veri aditum preclusit, quem nobis tardiusculis aperire dignatus est. Itaque, ubi Ciceronis et comitum velox ingenium heret, nostrum segne pedetentim prodit […] »³Ż. Come non vedere, dietro queste parole, proprio Ulisse, questo « viaggiatore » pagano che ędando nella propria intelligenza e virtú consuma la vita nell’andare « quo iter suum referat aut ubinam desinat ignarus »ȹ? Ma ecco. Non c’è dubbio che si debba muovere dal faĴo che Petrarca, facendo di Dante un nuovo Ulisse, abbia voluto esaltarlo, ęssandone il destino umano e intelleĴuale entro una formula tanto felice quanto suggestiva. L’elogio, tuĴavia, appena lo si consideri piú da vicino e lo si riporti meglio entro le coordinate di giudizio petrarchesche, rivela d’avere in sé il proprio limite. Impone, infaĴi, che ci si chiedaȹ: Dante/Ulisse, ha raggiunto la propria meta, o è naufragato prima di averla raggiuntaȹ? e poteva, poi, raggiungerlaȹ? Mi sono espresso in modo forse un po’ brutale, ma sono convinto che nel gran capitolo sull’ambiguità che ha tra i suoi eroi proprio Ulisse debba rientrare di diriĴo anche Danteȹ: il Dante di Petrarca, s’intende, e quello che emerge dalla leĴera al Boccaccio in particolare. ŭű. De otio, in Opere latine, ed. cit., rispeĴivamente p. űűŲ, űŲŪ e p. űųŮ. Nella seconda delle citazioni ho mantenuto il testo già ęssato da Giuseppe Rotondi, p. ųŭ della sua edizione, fondata sopraĴuĴo sull’Urb. Lat. ŭŭŭ, anche se, in un punto, credo si debba intervenire, correggendo quel « de ęne quoque iam certus » in « d. f. q. incertus », che corrisponde assai meglio al chiaro contenuto del passo. Per Cicerone, che solo per poco ha mancato l’appuntamento con la Rivelazione, della quale sarebbe stato preco maximus (Fam., XXI ūŪ ūŭ), si veda De ignorantia, űŬ sq., ed. cit., p. ŬŬŮ sq. e n. relative.

226

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

Petrarca ne pronuncia un altissimo elogio, ripeto, ma le parole stesse dell’elogio hanno due facce, ed entrambe le facce traggono la loro ragion d’essere dall’ambiguità originaria che Dante ha conferito a un Ulisse che ora è diventato il suo « doppio »… Non so quanto utilmente, ma certo si potrebbe discorrere a lungo dell’intelligente mossa petrarchesca che colpisce il grande rivale con le sue stesse armi, ribaltando sul creatore la sublime ambiguità della sua piú controversa creatura. TuĴavia, è meglio restare alla sostanza del discorso, e osservare che l’operazione di Petrarca trasforma ma però essenzialmente ancora s’aĜda al vecchio e però eĜcace topos che recitaȹ: « Aristotele fu un uomo e poté errare », sul quale Luca Bianchi ha scriĴo importanti pagine³ż. Topos che Petrarca usa, per esempio, non solo nei confronti di Aristotele (De ignorantia, cit., § Űŭ e ūůŮ, p. ŬūŰ e p. ŬűŬ), ma anche di Ciceroneȹ: « si homo fuit, errasse profecto potuit et erravit » (Fam., XXIV Ŭ ūŪ), e addiriĴura di san Bernardoȹ: « Nonne abbas homo estȹ? […] Homo erat et, in carne positus, passionibus subiacere poterat », e degli stessi apostoliȹ: « Nam etsi sancti sunt, homines tamen suntȹ: etsi vinci a carne non possunt, quasi iam spirituales, tamen percuti possunt, quasi adhuc carnales », citando rispeĴivamente Berengario e Giovanni Crisostomo (Contra eum…, cit., § ūŭ, p. ŲŮ). La valenza riduĴrice dell’argomento è infaĴi evidente, nel momento che invoca una comune misura umana, e libera l’oggeĴo del giudizio dalla corazza di una supposta infrangibile sacralità. Lo stesso Petrarca che si è paragonato a Ulisse, ora paragona Dante a Ulisse, nel segno di una larga deęnizione delle rispeĴive vocazioni e dei rispeĴivi meriti, e insinua un giudizio di massima al quale nessun uomo può soĴrarsi, quasi dicesseȹ: « né Ulisse né Dante né io — né alcun altro, per la verità — per quanto ci siamo avvicinati, abbiamo raggiunto la meta trascendente e però irrinunciabile del nostro viaggio ». Ma ciò comporta (questo è, se si vuole, il velen dell’argomento) una speciale pregnanza di signięcato nei confronti di Dante, che si presenta sulla scena come colui che, unico tra gli uomini sui quali si erge giudice, l’ha raggiunta… Ma no, ché neppure Dante è realmente sbarcato ai piedi di quella montagna che Ulisse ha solo intravvisto, e tanto meno è davvero salito sino all’Empireo. Dante, insomma, è un uomo, e come uomo, con i suoi meriti e le sue deęcienze e in base a ciò che concretamente ha faĴo, può e deve essere ŭŲ. Luca Bianchi, « Aristotele fu un uomo e poté errare »ȹ: sulle origini medievali della critica al “principio di autorità”, in Filosoęa e Teologia nel Trecentoȹ: Studi in ricordo di Eugenio Randi, a cura di L.B., Louvain-la-Neuve, FIDEM, ūųųŮ, p. ůŪų-ůŭŭ.

227

ђћџіѐќ ѓђћѧі

giudicato (e ciò che ha faĴo è soĴo gli occhi di tuĴi, « quibus intenderit, palam est », abbiamo visto)ȹ: con rispeĴo e reverenza, certo, ma pur sempre entro l’àmbito della comune e partecipata esperienza umana che tuĴi comprende e dalla quale non c’è chi davvero possa uscire. Per ripetere le parole del Triumphus Fame dedicate a Platone, la diěerenza non sta tra chi ha raggiunto la meta e chi no, visto che essa è in ogni caso irraggiungibile, ma tra chi, a quella meta, si è piú o meno avvicinato. Che è appunto il modo, sulla base della comune esperienza dell’umana insuĜcienza, di rimeĴere in mani umane la possibilità e la legiĴimità stesse del giudizio, con le sue luci e le sue ombre, come la lunga parte restante della leĴera al Boccaccio s’incarica di dimostrare. Da questo punto di vista, l’aver posto quella generale equivalenza tra Dante e Ulisse come una specie di cappello all’ombra del quale albergano considerazioni piú precise costituisce una fondamentale mossa strategica, che incanala il caso critico entro la dimensione del viaggio piú che della meta, e insomma del tentativo, radicale e generoso quanto si voglia, piuĴosto che del risultato. Ovvero — diciamola tuĴa — soĴolinea l’apprezzamento per l’uomo piú che per l’opera, e, dell’opera, non la qualità del risultato ma semmai la grandiosità del fallimento. Non che l’articolata trama della leĴera si limiti a questo, ma certo l’ipoteca è forte e sembra riemergere, tra tante altre cose, ogni volta che Petrarca accentua gli elementi di discontinuitàȹ: tra lo stile « popolare » e la nobiltà del contenuto (§ ūȹ: « popularis quidem quod ad stilum aĴinet, quod ad rem hauddubie nobilis poete »)ȹ; tra l’ammirazione per la sua poesia e il disprezzo verso coloro che la ammiranoȹ; tra il riconoscimento di quella nobiltà e però la sua relativizzazione all’interno di un possibile diverso percorso (§ Ŭūȹ: « Quam tandem veri faciem habet ut invideam illi qui in his etatem totam posuit, in quibus ego vix adolescentie Ěorem primitiasque posuerimȹ? »). Il discorso sullo « stile », abbinato a quello sull’opposizione volgare/latino, è un po’, lo si vede bene, il cavallo di Troia che permeĴe ogni volta di porre riserve che soĴintendono una valenza piú generale. Lo avvertiamo specialmente in quel punto delicato nel quale Petrarca aěerma che il faĴo di eccellere nel volgare a scapito del latino ha reso Dante « sibi imparem » (§ ŬŮ)ȹ: « inferiore a se stesso », quindi, e perciò incompiuto, irrealizzato. TuĴo mostra, inęne, che l’indireĴo rimando alla ęgura di Ulisse non è né casuale né irrelato, ma catalizza, invece, una serie di altre aěermazioni e le ęssa in un’immagine riassuntiva di inesauribile ambiguità. Come l’Ulisse di Dante, anche il Dante di Petrarca si è messo in gioco sino in fondo, tuĴo ha dedicato al viaggio intrapreso,

228

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

ed è forse arrivato a vedere la meta alla quale tendeva, cosí alta che riesce persino diĜcile esprimerla in parole. In ogni caso, se l’ha vista, non l’ha raggiunta, come Ulisse non ha raggiunto la sua. Ma, insinua Petrarca ai suoi leĴori, forse lo potevaȹ? È il momento di concludere, ripetendo che l’aver assomigliato Dante a Ulisse è stata una mossa geniale, ricca di valenze ermeneutiche che non risultano meno forti per essere piú suggerite che deĴe. Ma è anche signięcativo che talvolta Petrarca proieĴi se stesso sulla ęgura di Ulisse, sí che, seppur ancora in modo estremamente cauto e indireĴo, egli ęnisce per geĴare un qualche ponte tra sé e il predecessore. Le direzioni alle quali egli piega il modello sono però sensibilmente diverse, ché, come ha mostrato Carrai analizzando la dedicatoria delle Familiares³Ž. Ulisse vale nel suo caso quale archetipo dell’irrequietezza e della varietà dei luoghi e dei rapporti, mentre nel caso di Dante, non direi all’opposto ma certo con sensibile divergenza, Ulisse è semmai l’archetipo dell’ostinazione, della fermezza. Dante all’esilio non concede nulla, abbiamo visto, e tra mille diĜcoltà prosegue il cammino intrapreso con quella stessa inĚessibile determinazione che ha trascinato Ulisse « per l’alto mare aperto », sino al naufragio. Ulisse, insomma, è posto da Petrarca al centro del discorso quale possibile immagine riassuntiva di un giudizio assai complesso, ricreando, come ho già cercato di dire, un’ambiguità analoga a quella che avvolge il personaggio dantesco, nella sua insolubile mistura di ammirazione e condannaŸŴ. Il vero mistero sta probabilmente qui, in questa immagine che Petrarca rinnova e della quale conserva l’eĜcaciaȹ: e direi ancora che le considerazioni faĴe sin qui probabilmente ridimensionano la centralità del tema ŭų. S. Carrai, « Il mito di Ulisse nelle Familiari », op. cit., p. ūűŪȹ: celebrando l’eroe greco Petrarca in realtà mira « alla sua propria esperienza e alla sua propria personalità di intelleĴuale che aveva saputo superare i conęni ristreĴi di una sola regione per maturare conoscenze ampie e diverse, in realazione anche ai vari spostamenti cui il destino lo aveva costreĴo ». E ancora, p. ūűŭ, a proposito della prima leĴera delle Familiaresȹ: « In confronto al colloquio epistolare degli antichi, l’odissea ęniva per conęgurarsi […] quasi come metafora della conversazione epistolare dei moderni, di necessità obbligati ad avere destinatari plurimi e a mutare stile col mutare degli interlocutori, cosí come l’eroe antico aveva sperimentato lingue e stratagemmi diversi col mutare dei luoghi visitati e degli antagonisti ». ŮŪ. Al tema dell’ambiguità insita nella ęgura dell’Ulisse dantesco ho dedicato alcune considerazioni alle quali rimandoȹ: Enrico Fenzi, « Seneca e Danteȹ: da Alessandro Magno a Ulisse », in Studi sul canone leĴerario del Trecentoȹ: Per Michelangelo Picone, a cura di J. Bartuschat e L. Rossi, Ravenna, Longo, ŬŪŪŭ, p. Űű-űŲ.

229

ђћџіѐќ ѓђћѧі

critico relativo all’uso del volgare, in genere largamente privilegiato da chi ha considerato la leĴera. Su di esso conviene tuĴavia fermarsi, anche se brevemente. Al proposito, isoliamo, per comodità, i tre punti sui quali Petrarca insisteȹ: lo stile di Dante è « popolare », ancorché oĴimo nel suo genereȹ; nell’uso del latino egli è stato inferiore rispeĴo al volgareȹ; il Dante esplicitamente ricordato da Petrarca è il lirico, non l’autore della Commedia. Abbiamo già visto come i primi due punti siano tra loro implicati, ma occorre anche aggiungere che Petrarca li tiene distinti. In altre parole egli evita di fare oggeĴo del suo giudizio la scelta del volgare, e semmai preferisce insinuare obliquamente il limite ch’essa ha comportato aĴraverso la forma dell’elogio, precisamente là dove aěerma che il Dante migliore è stato incontestabilmente quello volgare, dopo aver però premesso che proprio per questo egli non è stato « pari a se stesso », e insomma diseguale, non perfeĴo…ȹ: « Unum est quod scrupulosius inquirentibus aliquando respondi, fuisse illum sibi imparem, quod in vulgari eloquio quam carminibus aut prosa clarior atque altior assurgit » (§ Ŭū). La critica suona dunque abbastanza indireĴa e soĴileȹ: proprio come l’altra, del resto, relativa al livello stilistico. Nel senso che Petrarca non mostra di avere nulla da eccepire circa lo « stile popolare » nel quale Dante sarebbe stato eccellente, ma di faĴo riesce a farlo responsabile del tipo di successo che questo stesso stile gli ha meritatoȹ: un successo popolare e volgare, appunto, oĴenuto presso un pubblico di tessitori, di osti e di facchiniȹ: « aut cui tandem invideat qui Virgilio non invidet, nisi forte sibi fullonum et cauponum et lanistarum ceterorum ve, qui quos volunt laudare vituperant, plausum et raucum murmur invideam, quibus cum ipso Virgilio cumque Homero carere me gratulorȹ? » (§ ŬŬ). Certo, la parola che piú volte ci viene alle labbraȹ: perędia, torna anche qui prepotente, solo che si osservi come Petrarca dichiari e insieme dissimuli il proprio gioco. Da una parte (e lasciamo pure da parte la menzione, proprio in questo contesto, di Virgilio) egli ostenta di voler salvare Dante dalla pessima qualità dei suoi estimatori, ma dall’altra assume tale pessima qualità come una sorta di verięca che illumina i limiti di Dante medesimo, e queste due diverse leĴure egli intreccia streĴamente in quella frase, peręda, appuntoȹ: « qui quos volunt laudare vituperant » (quei tali « oltraggiano coloro che vogliono lodare », ma anche « denunciano i difeĴi », « infamano »). Il discorso di Petrarca è dunque tramato di eleganti soĴigliezze polemiche, ma la statura stessa dell’oggeĴo le eccede di troppo perché possa ęlare via liscio, senza palesi contraddizioni. E infaĴi sul terzo punto s’inceppa, e mostra vistose crepe. Prendiamola un po’ alla larga. Abbiamo

230

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

parlato, all’inizio, della rimozione del nomeȹ: ora, potremmo forse dire che essa acquista una qualche pallida parvenza di legiĴimità. Nel senso che evitando di pronunciare quel nome Petrarca marca nel modo piú forte possibile il suo rięuto di entrare in polemica con chicchessia, e quindi di farsi trascinare in un dibaĴito inevitabilmente « popolare » e inquinato da sentimenti popolari, del quale non avrebbe avuto il completo controlloȹ: la spiegazione che egli fornisce, del resto, va in questo senso, perché punta il dito contro un fanatismo volgare che diĜda del ragionamento e delle sue distinzioni e cautele, e che non sopporterebbe un approccio intimamente desacralizzante come il suo. La rimozione del nome, allora, è invocata per difendere l’integrità dell’oggeĴo liberandolo dall’identità pubblica che al nome è inchiodata, e riconsegnandolo per contro (una volta liberato Dante da Dante, diremmo) in mani esperte. Che sono naturalmente le mani di lui, Petrarca, le uniche che per ragioni storiche e competenze culturali siano in grado di accoglierlo e di riconoscerne il valoreȹ: « Mentiuntur igitur me illius famam carpere, cum unus ego forte, melius quam multi ex his insulsis et immedicis laudatoribus, sciam quid id est eis ipsis incognitum quod illorum aures mulcet […] » (§ ūŮ). Ma resta un dubbio. Se è vero, infaĴi, che la rimozione del nome appare un elemento particolarmente sgradevole, dotato di un signięcato simbolico che male si concilia con le varie proteste di stima e d’aěeĴo sparse per la leĴera, è altreĴanto vero che essa copre altre e forse piú sostanziali rimozioni, che vivono nell’ombra e come proteĴe da quella, e sono perciò piú inquietanti. Ricordiamo allora una cosa già deĴaȹ: nel soneĴo ŬŲű dei RVF e nel terzo del Triumphus Cupidinis Dante è nominato come poeta d’amore, e insomma, con ogni evidenza, come l’autore delle rime e della Vita nova. Né si dimentichi che nella canzone delle « citazioni », RVF LXX ŭŪ, Petrarca chiude la terza stanza con l’incipit della petrosa (almeno, sino alla recente edizione De Robertis) Cosí nel mio parlar voglio esser aspro, che suona come ulteriore citazione e aĴo di omaggio a Dante quale grande liricoȹ: del resto, come ho velocemente accennato sopra, la stessa pratica petrarchesca della sestina è in ogni caso anche la ripetuta e aperta conferma di un tale omaggio. Ma ciò non fa che rendere ancor piú evidente il faĴo che il Dante di Petrarca, inęne, non è mai l’autore della Commedia. Né lo è qui, nella leĴera. O meglio, se ne proieĴiamo le parole su quanto sappiamo o crediamo di sapere, possiamo pure dare per scontato che il Dante di cui Petrarca parla sia in eěeĴi l’autore della Commediaȹ: ci induce a pensarlo il suo ruolo di « primus studiorum dux et

231

ђћџіѐќ ѓђћѧі

prima fax » del giovane Boccaccio (§ Ŭ sq.), e quanto si dice sulla sua dedizione agli studi (§ ű), e sopraĴuĴo quanto si dice dello stile « popolare » e del suo successo « inter ydiotas in tabernis et in foro » (§ ūů, etc.), e del modo deformato e corroĴo con il quale i suoi versi risuonavano nelle bocche del volgo (§ ūŰ sq.), che è cosa sulla quale, si sa, esiste una discreta serie di aneddoti, riferiti ovviamente tuĴi alla Commedia, e cosí via. Ma in verità non c’è nulla di esplicito, ed è semmai il linguaggio allusivo di Petrarca che ci fa credere a qualcosa che egli si guarda bene dal dire. E che addirittura contraddice. Quando spiega di aver voluto evitare nella giovinezza la leĴura di Dante per non esserne soggiogato e perdere la propria originalità, si premura infaĴi di aggiungereȹ: di Dante e di altri (§ ūūȹ: « sed verebar ne si huius aut alterius dictis imbuerer », e ancora, § ūŬȹ: « Hoc unum non dissimulo, quoniam siquid in eo sermone a me dictum illius aut alterius cuiusquam dicto simile […] », corsivi miei), e questo piccolo, in apparenza trascurabile allineamento taglia via senza parere proprio ciò che nessun altro ha in comune con Dante, la Commedia. Che non si traĴi di una interpretazione troppo soĴile e maliziosa, s’incarica di dimostrarlo un passo che sempre ha suscitato sconcerto (§ Ŭū)ȹ: Quam tandem veri faciem habet ut invideam illi qui in his etatem totam posuit, in quibus ego vix adolescentie Ěorem primitiasque posuerimȹ? ut quod illi artięcium nescio an unicum, sed profecto supremum fuit, michi iocus atque solatium fuerit et ingenii rudimentumȹ? Quis hic, precor, invidie locus, que ve suspitio estȹ?

Ora, io non voglio tornare su parole cosí antipatiche e bugiarde (almeno qui, Petrarca è indifendibile) se non per osservare che in esse è evidente la volontà intimamente contraddiĴoria rispeĴo alla premesse di limitare l’opera di Dante alle rime e alla Vita nova, cancellando sin l’esistenza della Commediaȹ: quello che, dalla parte di Petrarca, è il « gioco e il sollazzo » della giovinezza (che le cose non stiano poi cosí, qui non importa) non può che identięcare le rime amorose, i fragmenta volgari, e proprio e solo ad esse Dante avrebbe dunque dedicato tuĴa la vita… Ma è altreĴanto evidente che la lirica di Dante non può in alcun caso giustięcare tuĴo il discorso dello stile « popolare », e ancor meno quello relativo al pubblico che per le piazze e nelle taverne al poeta ha decretato tanto successo. Solo la Commedia può farloȹ: ma la Commedia è la grande innominata, proprio come innominato è il suo autore. Nella leĴera Petrarca le gira aĴorno, la

232

ѝђѡџюџѐю, ёюћѡђ, ѢљіѠѠђ

sęora, in qualche suo contorto e sfuggente modo la giudica, ma non la nomina mai, né mai ne parlerà altrove, in tuĴa la sua operaŸ¹. In questa luce risentiamo il parere di Paolo Trovato, che già ha puntato il dito su quella riduzione di Dante alla sola esperienza lirica, con la conseguente rimozione « dell’esperienza dantesca piú decisiva » (e piú decisiva, come lo studioso ben documenta, sopraĴuĴo per Petrarca), e però aggiungeȹ: « Cfr. le frasiȹ: “popularis quidem quod ad stilum aĴinet, quod ad rem hauddubie nobilis poetæ”, “stilus in suo genere optimus”. Le osservazioni petrarchesche dovevano però sembrare, a norma delle allora vigenti teorie stilistiche, freddine ma assolutamente correĴe »Ÿ². Giustissimoȹ: ma appunto, esse hanno senso e appaiono storicamente e culturalmente « correĴe » se applicate alla Commedia. Il che sta a dire che del tuĴo correĴe non sono, o almeno che non è correĴo il contesto nel quale sono collocate, che volutamente ignora proprio la Commedia. Per chiarire ulteriormente questo aspeĴo potremmo anche aggiungere, inęne, che il caso della Familiare XXI ūů sembra, ma in verità non è della stessa qualità di quello oěerto dalla Senile XVII ŭ, cioè dalla leĴera con la quale Petrarca accompagnò al Boccaccio la traduzione latina della Griselda. Del Decameron proprio all’inizio si parla con un tono e con espressioni che già ci pare di aver ascoltatoȹ: « Librum tuum quem nostro materno eloquio, ut opinor, olim iuvenis edidisti, nescio quidem, unde vel qualiter ad me delatum vidiȹ: nam si dicam “legi” mentiar, siquidem ipse magnus valde ut ad vulgus et soluta scriptus oratione et occupatio mea maior et tempus angustum erat », etc.Ÿ³, Ůū. Per la verità, farebbe eccezione una leĴera perduta, Ne te laudasse peniteat, nella quale Petrarca avrebbe dichiarato di non vedere la ragione del titolo Commedia, come riferisce Francesco da Buti nel suo commento a Inf., XXI Ŭȹ: « Sarebbe dubbio, se questo poema dell’autore si dee chiamare comedia o noȹ; ma poi che li piacque chiamarla comedia debbalisi concedere. Messer Francesco Petrarca in una sua epistola che comincia Ne te laudasse pœniteat etc., muove questa questione e diceȹ: Nec cur comœdiam vocet video » (Commento di Francesco da Buti sopra la Divina commedia di Dante Alighieri, per cura di C. Giannini, Pisa, Nistri, ūŲůŲ-ūŲŰŬ, vol. I, p. ůŮŭ). Si veda Gian Carlo Alessio, « Hec Franciscus de Buiti », in Italia medioevale e umanistica, XXIV, ūųŲū, p. ūŪŮȹ; C. Paolazzi, « Petrarca, Boccaccio… », op. cit., p. ŬŮŰ. ŮŬ. P. Trovato, Dante in Petrarca…, op. cit., p. ūŲ sq. e n. Ŭű. Per una sostanziale e importante acceĴazione delle categorie petrarchesche, Trovato rimanda a Benvenuto da Imola, che ripete alcune espressioni della leĴeraȹ: per ciò, si veda in particolare C. Paolazzi, « Petrarca, Boccaccio… », op. cit., p. ŬŮū sq. Ůŭ. Sen., XVII ŭ, in Opera…, ed. cit., p. ŰŪŪ. Qui, la leĴera e la traduzione sono stampate a sé, con il titolo De obedientia et ęde uxoriaȹ: per maggiori notizie e indicazioni bibliograęche, rimando a F.P., De insigni obedientia et ęde uxoriaȹ: Il codice Riccardiano ųųū, a cura di G. Albanese, Alessandria, Edd. dell’Orso, ūųųŲ (con eccellente riproduzione fotograęca del codice).

233

ђћџіѐќ ѓђћѧі

e questo aĴeggiamento di superiore distacco verso un’opera segnata dalla giovane età dell’autore, dallo stile « comico », dall’idioma volgare e dalla qualità del pubblico al quale si rivolge è riecheggiato anche avanti. Ma qui davvero Petrarca è incomparabilmente piú correĴo nell’uso delle sue categorie, e sa aprirsi persino a un elogio sincero giustięcando la sua traduzione proprio con l’ammirazione nei confronti di una novella che aveva apprezzato al punto d’averla imparata a memoria, e con il desiderio che fosse leĴa da tuĴi coloro — per lo piú stranieri, si immagina — che non conoscevano il volgare del Boccaccio. Se dunque alcuni prevedibili criteri retorici e linguistici possono rendere la Senile aĜne alla Familiare, del tuĴo diverso è l’aĴeggiamento di fondo, in quella privo di imbarazzanti censure e contraddizioni, ed anzi segnato da forte simpatia. Il caso di Dante e della Commedia fa dunque caso a sé, e crea problemi del tuĴo speciali. Invidiaȹ? pauraȹ? inadeguatezzaȹ? condannaȹ? La situazione è indubbiamente schizofrenica, e da una siěaĴa schizofrenia non sembra facile disincagliare la leĴera, tanto piú che la Commedia è di gran lunga il testo piú frequentato da Petrarca (anche piú delle pur amatissime Rime, le petrose in testa), come ormai si sa bene, specie dopo le indagini sistematiche di Santagata e Trovato. E su questo mi fermo. Non senza ripetere, ancora, che è probabilmente per questo che a me appare cosí importante che Petrarca appoggi il suo discorso a Quintiliano, e che collochi in posizione strategica quel suo paragone tra Dante e Ulisse. Nei due casi, infaĴi, s’aprono due diĜcili varchi che sembrano portarci al cuore della questione altrimenti elusaȹ: come se egli s’impegnasse a parlarci della Commedia pur senza nominarla, prima sul piano del linguaggio e dello stile assolutamente considerato, di là della stessa questione latino-volgareȹ; poi sul piano intelleĴuale ed etico, aĴraverso Ulisse e le implicazioni ricchissime di signięcato legate alla sua immagine. Ma inęne, si deve pur dire che il discorso resta aperto, e presumibilmente lo resterà, data la sua natura in gran parte indiziaria. Sono tuĴavia convinto che qualche lume in piú potremmo averlo (e mi scuso di concludere con un « salto » siěaĴo) se considereremo aĴentamente il faĴo che il viaggio di Dante passa per l’Inferno, il Purgatorio e il Paradiso, mentre la piú alta e chiara esperienza dantesca di Petrarca, i Triumphi, prevedono un viaggio aěaĴo diverso, dal trionfo d’Amore a quelli della Pudicizia, della Morte, della Fama, del Tempo e dell’Eternità. Sono due modelli irriducibili l’uno all’altroȹ: due immagini alternative dell’uomo e del suo destino, e si può dunque immaginare che capiremmo qualcosa di piú circa il rapporto che Petrarca instaura con la ęgura di Dante quando avremmo capito in maniera piú profonda sia quello che unisce, ma sopraĴuĴo quello che divide Commedia e Triumphi.

234

Maria Cristina Figorilli

Su Machiavelli e il De remediis di Petrarca

Mi propongo di studiare in queste pagine un aspeĴo della « cultura » di Machiavelli ęnora mai indagato, su cui mi pare utile svolgere una riĚessioneȹ: le tracce nell’opera machiavelliana di una leĴura del De remediis utriusque fortune di Petrarca. Beninteso non si hanno prove certe che Machiavelli abbia leĴo il testo petrarchesco, ma, come cercherò di dimostrare, è assai probabile che egli potesse conoscerlo. A partire da questa ipotesi, mi sono posta l’obieĴivo di meĴere in luce le modalità con cui Machiavelli ha assimilato e riusato l’opera petrarchesca, chiedendomi quale funzione una leĴura del genere possa aver esercitato sulla formazione del suo pensiero, anche in riferimento alla ricezione della cultura classica. Nello stato aĴuale degli studi machiavelliani rivolti a ricostruire il rapporto con Petrarca, sorprende come il De remediis non sia stato mai preso in considerazione dalla criticaȹ; la mancanza probabilmente è da imputare all’oblio in cui è precipitato il testo negli ultimi decenni, dopo una brevissima stagione di interesse ęorita negli anni cinquanta¹. In Italia il De remediis ancora non gode di una moderna edizione critica, e in aĴesa della sua pubblicazione all’interno dell’Edizione Nazionale delle Opere di Petrarca, possiamo disporre, oltre che di una scelta antologica², del testo oěerto dalla tras-

1. Come osservava Nicholas Mann, « The manuscripts of Petrarch’s De remediisȹ: A checklist », Italia medioevale e umanistica, XIV, ūųűū, p. ůű-ųŪ [p. ůű], all’enorme fortuna passata dell’opera fa da contraltare un quasi totale disinteresse da parte della critica novecentesca. Tra gli studi degli anni cinquanta, cfr. Pier Giorgio Ricci, « Sulla tradizione manoscriĴa del De remediis », in Rinascimento, VI, ūųůů, p. ūŰŭ-ūŰŰ (ora in Id., Miscellanea petrarchesca, a cura di M. Berté, Roma, Edd. di Storia e LeĴeratura, ūųųų, p. ūŬų-ūŭŭ)ȹ; Alberto Del Monte, « Sul testo del De remediis petrarchesco », in Filologia romanza, III, ūųůŰ, p. ŲŮ-ŲŰȹ; Klaus Heitmann, « La genesi del De remediis utriusque fortune del Petrarca », in Convivium, n.s., XXV, ūųůű, p. ų-ŭŪ. 2. Francesco Petrarca, Prose, a cura di G. MartelloĴi et alii, Milano-Napoli, Ricciardi, ūųůů, p. ŰŪů-ŰŮů (testo latino e traduzione di alcuni capitoli del I libro).

235

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

crizione informatica apparsa per la Lexis³. La lacuna italiana è stata colmata dalla meritoria edizione francese pubblicata presso Jérôme Millon nel ŬŪŪŬ per le cure di Christophe Carraud, fornita di un ricchissimo commento e di preziosi apparatiŸ. A conferma del faĴo che il testo petrarchesco ha goduto da sempre, sin dal XV secolo, di maggiore fortuna all’estero, occorre segnalare anche l’integrale traduzione inglese con commento edita nel ūųųūŹ. Come ormai è stato dimostrato a piú riprese, Petrarca è un autore machiavelliano. Sono stati indagati non solo i debiti che Machiavelli ha contraĴo con le due grandi canzoni civili Italia mia e Spirto gentile (le cui tracce si rinvengono nella chiusa del Principe e nel VI libro delle Istorie ęorentine) o con i Trionę citati in celebri leĴere al VeĴori, o con le liriche amorose del Canzoniere, richiamate aĴraverso allusioni parodiche, o quanto meno al tuĴo decontestualizzateź, ma anche i rapporti che il Segretario ha intraĴenuto 3. Si veda l’« edizione provvisoria » a cura di L. Ceccarelli (libro I) e Emanuele Lelli (libro II) nel CD-Rom Archivio Italianoȹ: Francesco Petrarca, Opera Omnia, a cura di P. Stoppelli, Roma, Lexis, ūųųű. 4. Pétrarque, Les remèdes aux deux fortunesȹ: De remediis utriusque fortuneȹ: ūŭůŮ-ūŭŰŰ, vol. Iȹ: Texte et traduction, texte établi et traduit par Christophe Carraud, vol. IIȹ: Commentaires, notes et index, préface de Giuseppe Tognon, introduction, notes et index par Christophe Carraud, Grenoble, J. Millon, ŬŪŪŬ — d’ora in avantiȹ: De remediis. 5. Petrarch’s Remedies for fortune fair and foul, A modern English translation of De remediis utriusque fortune, with a commentary, by Conrad H. Rawski, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, ūųųū. 6. Cfr. ViĴorio Cian, « Machiavelli e Petrarca », in Rivista d’Italia, XXX, ūųŬű, Űȹ: Nel IV centenario dalla morte di Niccolò Machiavelli, p. Ŭűų-ŬŲŲȹ; Mario Puppo, « Machiavelli e gli scrittori italiani », in Cultura e Scuola, IX, ūųűŪ, nº ŭŭ-ŭŮ, p. ūŮŲ-ūůų [p. ūůů sq.]ȹ; Emanuela Scarpa, « Machiavelli e la “neutralità” di Francesco Petrarca », in LeĴere italiane, XXVII, ūųűů, p. ŬŰŭ-ŬŲůȹ; Mario Martelli, « La logica provvidenzialistica e il capitolo XXVI del Principe », in Interpres, IV, ūųŲū-ūųŲŬ, p. ŬŰŬ-ŭŲŮ [p. Ŭųų sq.]ȹ; Anna Modigliani, « Aporie e profezie petrarchesche tra Stefano Porcari e Niccolò Machiavelli », in Roma nel Rinascimento, ūųųů, p. ůŭ-Űűȹ; Gennaro Sasso, « Sul ventiseiesimo del Principeȹ: L’uso del Petrarca » (ūųųů), in Id., Machiavelli e gli antichi e altri saggi, IV, Milano-Napoli, Ricciardi, ūųųű, p. ŬŬų-ŬŰűȹ; Antonio Corsaro, « Fortuna e imitazione nel Cinquecento », in I Triumphi di Francesco Petrarca, Gargnano del Garda (ū-ŭ oĴobre ūųųŲ), a cura di C. Berra, Milano, Cisalpino, ūųųų, p. ŮŬų-ŮŲů [p. ŮŬų-ŮŭŬ]ȹ; Filippo Grazzini, « Patriottismo umanistico e strumentalizzazione politicaȹ: come Machiavelli adaĴa le canzoni petrarchesche », in L’identità nazionale nella cultura leĴeraria italiana, AĴi del ŭº Congresso nazionale dell’ADI (Lecce-Otranto, ŬŪ-ŬŬ seĴembre ūųųų), a cura di G. Rizzo, Lecce, Congedo, ŬŪŪū, I, p. ūūů-ūŬŭ. Per il topos, di larga diěusione, del colloquio con gli antichi, si veda Christian Bec, « Dal Petrarca al Machiavelliȹ: il dialogo tra leĴore ed autore », in Id., Cultura e società a Firenze nell’età della Rinascenza, Roma, Salerno Editrice, ūųŲū, p. ŬŬŲ-ŬŮŮ. Per i punti di contaĴo rinvenibili tra le concezioni politiche dei due scriĴori, cfr. Michele Feo, « Politicità del Petrarca », in Il Petrarca latino e le origini dell’umanesimo, AĴi del Convegno internazionale (Firenze, ūų-ŬŬ maggio ūųųū), (= Quaderni petrarcheschi, IX-X, ūųųŬ-ūųųŭ), I, p. ūūů-ūŬŲȹ; Ugo DoĴi, Petrarca civileȹ: Alle origini dell’intelleĴuale moderno, Roma, Donzelli, ŬŪŪū, p. Ŭŭ-ŬŰ e passim.

236

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

con altri testi dell’illustre toscano — e questa volta inerenti alla produzione latina — quale la Metrica I Ű a Iacopo Colonna (da cui trarrebbe ispirazione la piú celebre leĴera di Machiavelli, quella al VeĴori del ūŪ dicembre ūůūŭ)Ż, la Familiare XII ū, vera e propria exhortatio a Carlo IV a scendere in Italia, la Familiare XII Ŭ a Niccolò Acciaiuoli (che altro non è che una Institutio regia con la quale polemizza l’autore del Principe)ż, e il De viris illustribusŽ. La curiosità per questo terreno di indagine ancora vergine è scaturita quindi da una semplice domandaȹ: perché pensare che Machiavelli, il quale aveva una grande familiarità con l’opera di Petrarca, abbia trascurato di leggerne proprio il testo latino di maggior successo, per altro intitolato a due conceĴi portanti dell’ideologia machiavellianaȹ: la fortuna e il rimedio¹Ŵȹ? Tanto piú che si può rispondere con certo agio alle due obiezioni che potrebbero inęciare l’ipotesi, vale a dire la scarsa fortuna che il Petrarca latino conobbe a Firenze in tuĴo il corso del QuaĴrocento, e il dato assai vincolante che riguarda la cultura di Machiavelli per intero radicata nella tradizione volgare e municipalistica¹¹. 7. Cfr. Emilio Pasquini, « Due concordanze petrarchesche », in Il Cannocchiale, ūųŰů, nº ŭ-Ů, p. ůų-űŭ [p. ůų-ŰŰ]. 8. Cfr. Francesco Bausi, « Petrarca, Machiavelli, il Principe », in Niccolò Machiavelli politico storico leĴerato, AĴi del Convegno di Losanna (Ŭű-ŭŪ seĴembre ūųųů), a cura di J.-J. Marchand, Roma, Salerno Editrice, ūųųŰ, p. Ůū-ůŲ. 9. Cfr. Id., « Fonti classiche e mediazioni moderne nei Discorsi machiavellianiȹ: gli episodi di Scipione, Torquato, e Valerio », in Interpres, VII, ūųŲű, p. ūůų-ūųŪ. 10. Per acute osservazioni sull’importanza che l’« antropologia del rimedio » riveste nella visione politica machiavelliana, si veda Giulio Ferroni, Machiavelli, o dell’incertezzaȹ: La politica come arte del rimedio, Roma, Donzelli, ŬŪŪŭ, in part. cap. VIȹ: « Rovina e rimedio », p. ūūŭ-ūŭū. 11. Come è noto, tra i machiavellisti è in corso un dibaĴito sulla natura della cultura machiavelliana, che ha portato alla formazione di due schieramenti contrappostiȹ: da una parte gli studiosi (come Gennaro Sasso — e penso sopraĴuĴo ai quaĴro documentatissimi tomi di Machiavelli e gli antichi e altri saggi, Milano-Napoli, Ricciardi, ūųŲű-ūųųű) che inscrivono Machiavelli nel quadro di una cultura classico-umanistica, dall’altra gli studiosi che riconducono il Segretario alla tradizione culturale municipalistico-ęorentina. Non è questa la sede per ripercorrere le diverse tappe del dibaĴito. Da parte mia sento di concordare con quanti ritengono che la cultura machiavelliana sia direĴa espressione della tradizione municipale ęorentina. A tale proposito rimando a G. Ferroni, Machiavelli, o dell’incertezza…, op. cit., p. ūŮ-ūŰ. Ma si veda anche Carlo DionisoĴi, « Machiavelli leĴerato », in Id., Machiavellerie, Torino, Einaudi, ūųŲŪ, p. ŬŬű-ŬŰŰ. Altri contributi decisivi per ricostruire la cultura prevalentemente volgare di Machiavelli si devono ai sondaggi condoĴi da Martelli e Bausiȹ: si vedano Mario Martelli, « Introduzione (Il buon geomètra di questo mondo) » a Niccolò Machiavelli, TuĴe le opere, a cura di M.M., Firenze, Sansoni, ūųűū, p. XI-XLVIIȹ; Id., « Schede sulla cultura di Machiavelli », in Interpres, VI, ūųŲů-ūųŲŰ, p. ŬŲŭ-ŭŭŪȹ; Id., « Machiavelli e i classici », in Cultura e scriĴura di Machiavelli, AĴi del Convegno di Firenze-Pisa (Ŭű-ŭŪ oĴo-

237

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

In riferimento alla prima questione, l’eěeĴiva assenza — con la sola eccezione dei Psalmi — di titoli latini del Petrarca dal catalogo dei primi stampatori non solo a Firenze, ma anche in Italia, gradualmente viene compensata, almeno in area seĴentrionale, nel corso degli anni novanta del QuaĴrocento¹²ȹ: accanto alle Familiares, pubblicate, nella redazione in oĴo libri, a Venezia nel ūŮųŬ, è appunto il De remediis, stampato a Cremona nello stesso anno, la prima opera latina a comparire sul mercato editoriale italiano. Con la pubblicazione delle due raccolte veneziane di opere latine del Petrarca rispeĴivamente nel ūůŪū e, a soli due anni di distanza, nel ūůŪŭ, per dirla con DionisoĴi « nei primi anni del Cinquecento il Petrarca latino aveva ritrovato il suo posto nella cultura italiana »¹³. E per tornare alla Firenze quaĴrocentesca, dove senza dubbio Petrarca « è il poeta volgare delle Rime sparse e dei Trionę »¹Ÿ, occorre ricordare che la circolazione del De remediis è comunque aĴestata da vari manoscriĴi, appartenuti alle famiglie piú in vista della politica ciĴadina (un esemplare era posseduto anche dai Medici)¹Ź. Ma ciò che piú importa — e qui passiamo alla seconda questione, ovvero alla cultura prevalentemente volgare di Machiavelli — è che l’opera, come risulta dai censimenti dei manoscriĴi, che si devono prima alle ricerche di Nicholas Mann e poi alle ricognizioni eěeĴuate nelle biblioteche di Firenze (i cui dati sono consultabili nel catalogo curato da Michele Feo), era assai leĴa nella veste volgarizzata¹ź. Si traĴa del volgarizzamento eěettuato dal monaco camaldolese Giovanni da San Miniato, di cui abbiamo un’edizione oĴocentesca per le cure di Casimiro Stolę, apparsa nel ūŲŰű nella « Collezione di opere inedite o rare dei primi tre secoli della lingua »,

bre ūųųű), s.c., Roma, Salerno Editrice, ūųųŲ, p. Ŭűų-ŭŪųȹ; Id., Machiavelli e gli storici antichiȹ: Osservazioni su alcuni luoghi dei Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, Roma, Salerno Editrice, ūųųŲȹ; Francesco Bausi, « Machiavelli e la tradizione culturale toscana », in Cultura e scriĴura di Machiavelli, op. cit., p. Ųū-ūūůȹ; Id., « Introduzione » (I, p. IX-XXXIII), « Nota al testo » (II, p. ŲŪů-ųŭŲ) e « Commento », in Niccolò Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, a cura di F.B., Roma, Salerno Editrice, ŬŪŪū. 12. Cfr. Carlo DionisoĴi, « Fortuna del Petrarca nel QuaĴrocento », in Italia medioevale e umanistica, XVIIȹ: Per il VI centenario della morte di Francesco Petrarca [ūŭŪŮ-ūŭűŮ]), ūųűŮ, p. Űū-ūūŭ. 13. Ibid., p. ŰŰ. 14. Ibid., p. Űū. 15. Cfr. Codici latini del Petrarca nelle biblioteche ęorentine (Mostraȹ: Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, ūų maggio-ŭŪ giugno ūųųū), Catalogo a cura di M. Feo, Firenze, Le LeĴere, ūųųū, p. ŬūŰ-Ŭŭū [p. Ŭūų-ŬŬŪ]. 16. Cfr. N. Mann, « The manuscripts of Petrarch’s De remediis… », op. cit., p. Ųų sq. e Codici latini del Petrarca…, op. cit., p. ŬŭŬ-ŬŮŮ.

238

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

presso l’editore bolognese Gaetano Romagnoli¹Ż. Il volgarizzamento è trasmesso, anche se in alcuni casi in redazioni parziali, da numerosi codiciȹ: tra gli altri, ricordo l’esemplare trascriĴo nel ūŮŰŬ da Piero Buoninsegni, ęglio del Domenico autore della Historia ęorentina, identięcata come una delle fonti per alcuni passi delle Istorie machiavelliane e la copia, rimasta interroĴa, allestita per Leone X nel secondo decennio del Cinquecento¹ż. Riguardo alla ricezione, occorre almeno ricordare che il testo si impose come modello di riĚessione morale e religiosa, con un’autorevolezza e un’esemplarità degne dei testi patristici¹Ž. La conoscenza del volgarizzamento era per altro agevolata dall’esistenza dei FioreĴi de’ rimedii contro fortuna, un Ěorilegio di massime, sentenze, exempla, estraĴi appunto dalla versione di Giovanni da San Miniato, secondo un’operazione di compendio condoĴa forse dallo stesso autore — il Ěorilegio, di cui si conosce un unico codice, il Mediceo Palatino ŮŪ, è stato edito due volte, nell’OĴocento e nel Primo Novecento²Ŵ. Il De remediis volgarizzato poteva quindi ben essere noto a Machiavelli come testo che l’operazione di Giovanni da San Miniato aveva soĴraĴo al circuito ristreĴo di eruditi e ęlosoę e destinato a un’utenza piú vasta, allargata al novero dei leĴori sprovvisti di una cultura umanistica professionale²¹. Circa la possibilità che Machiavelli abbia leĴo il De remediis, valgono indicati come fonti di luoghi machiavellianiȹ: il De viris illustribus e la 17. De’ rimedii dell’una e dell’altra fortuna di Francesco Petrarca volgarizzati nel buon secolo della lingua per D. Giovanni Dassaminiato, pubblicati da Don Casimiro Stolę, Bologna, Romagnoli, ūŲŰű — d’ora in poiȹ: De’ rimedii. L’edizione utilizza come testo base il ms. Laurenziano XC inf. ų, datato Ŭ agosto ūŮŬű, la cui autorevolezza è stata confermata dagli studi successivi, in particolare dalla decriĴazione della nota di possesso, apposta a c. ŭŭŰvº, la quale « cassata e camuěata da uno dei successivi possessori del codice » è stata decifrata da Rossella Bessi (« Note sul volgarizzamento del De remediis utriusque fortune », in Il Petrarca latino e le origini dell’umanesimo, op. cit., II, p. ŰŬų-Űŭų [p. ŰŭŪ] e Codici latini del Petrarca…, op. cit., p. ŬŭŬ sq. [p. ŬŭŬ])ȹ: « Questo libro è del monastero di Santa Maria degli Angiolj di Firençe » (si traĴa appunto del convento camaldolese in cui Giovanni da san Miniato era entrato nel ūŭųŭ). 18. Cfr. R. Bessi, « Note sul volgarizzamento del De remediis utriusque fortune », op. cit., p. ŰŭŲ. 19. Ibid., p. Űŭų. 20. FioreĴi de’ Rimedii contro fortuna di Messer Fr. Petrarca volgarizzati per D. Gio. Dassaminiato […], Bologna, Romagnoli, ūŲŰű [= Bologna, Forni, ūųŰŲ]ȹ; L’Autobiograęa, il Secreto e Dell’ignoranza sua e d’altrui di Messer Francesco Petrarca col FioreĴo de’ remedi dell’una e dell’altra fortuna, a cura di A. Solerti, Firenze, Sansoni, ūųŪŮ, p. ūűų-ŬŰŪ. Per la descrizione del codice si veda Codici latini del Petrarca…, op. cit., p. ŬŮŬ sq. 21. Con questo non si vuole escludere la possibilità che Machiavelli conoscesse il testo nella veste latina. InfaĴi, almeno in un caso, per cui si veda infra, il testo machiavelliano sembra piú vicino all’originale che non al volgarizzamento.

239

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

Familiare XII Ŭ. Anzi il De viris, a diěerenza del fortunato De remediis, era « praticamente sconosciuto nel QuaĴro-Cinquecento […]. Machiavelli, tuĴavia, poteva ben conoscere il volgarizzamento che del De viris aveva approntato, alla ęne del ’ŭŪŪ, Donato degli Albanzani da Pratovecchioȹ: volgarizzamento che ebbe nel QuaĴrocento una notevole fortuna […], e che, destinato a un largo pubblico di non specialisti, conquistò un posto di rilievo all’interno della cultura volgare e popolare […] »²². Allo stesso modo, se è diĜcilmente ipotizzabile una leĴura integrale delle Familiari da parte di Machiavelli, assai piú agevole è postulare la conoscenza dell’epistola inviata da Petrarca a Niccolò Acciaiuoli il ŬŪ febbraio ūŭůŬ, nella forma volgarizzata, ospitata in varie sillogi di orazioni ed epistole, raccolte di natura politico-civile, per lo piú confezionate in modo omogeneo per quanto concerne la scelta dei testi antologizzatiȹ: la missiva tradoĴa conobbe una diěusione talmente ampia da divenire una sorta di best seller per la formazione dei giovani destinati alla classe dirigente ęorentina²³. Una volta dimostrato che la conoscenza del De remediis da parte di Machiavelli non è un’ipotesi priva di fondamento, si traĴa di indagare l’uso che egli ha faĴo di questo voluminoso testo, recepito sin dal XIV secolo come sorta di enciclopedia morale. Questo tipo di indagine ci costringe a incrociare un problema assai delicato senza dubbio per qualunque scriĴore, ma che nel caso di Machiavelli diventa a dir poco arduo, come sperimentano di continuo anche i machiavellisti piú esperti e aĴrezzatiȹ: il problema dell’individuazione delle fonti. InfaĴi si dà il caso che nelle due grandi opere storico-politiche del Segretario, Principe e Discorsi, forse anche per la loro stessa natura di libri aperti, non ęniti, soĴoposti a continue aggiunte, integrazioni, correzioni, come hanno dimostrato sopraĴuĴo i piú recenti contributi di caraĴere ecdotico, in un unico luogo possano stratięcarsi e depositarsi echi e suggestioni di provenienza diversa²Ÿ.

22. F. Bausi, « Fonti classiche e mediazioni moderne nei Discorsi machiavelliani… », op. cit., p. ūŰŰ. 23. Id., « Petrarca, Machiavelli, il Principe », op. cit., p. Ůų sq. 24. Per la natura di work in progress di Principe e Discorsi si vedano rispeĴivamente M. Martelli, « La logica provvidenzialistica… », op. cit.ȹ; Id., Saggio sul Principe, Roma, Salerno Editrice, ūųųųȹ; Felix Gilbert, « Composizione e struĴura dei Discorsi » (ūųůŭ), in Id., Machiavelli e il suo tempo, Bologna, il Mulino, ūųųū, p. ŬŬŭ-ŬůŬȹ; Francesco Bausi, I Discorsi di Niccolò Machiavelliȹ: Genesi e struĴure, Firenze, Sansoni, ūųŲůȹ; Id., « Introduzione », « Nota al testo », « Commento », op. cit., passim.

240

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

Sappiamo grazie a recenti studi che per vari motivi, notevoli diĜcoltà creano peręno le citazioni da Tito Livio presenti nei Discorsi²Źȹ: si pensi, allora, alla complessità dell’identięcazione delle fonti qualora si esca dall’ambito liviano, tanto piú che nel caso di Machiavelli non è da escludere neanche l’assimilazione di tesi e conceĴi per via orale, aĴraverso la mediazione di colti interlocutori, come Francesco Soderini, Marcello Virgilio o gli amici degli Orti Oricellari²ź. Le modalità piuĴosto magmatiche e caotiche di assorbimento dei materiali provenienti dalla tradizione²Ż non possono non chiamare in causa la piú generale questione del rapporto di Machiavelli con i classici²ż. Anche per questo aspeĴo negli ultimi anni possiamo contare sia sulla messa a punto e sui ripetuti assestamenti di vecchie acquisizioni, sia sul rinvenimento di nuovi dati. Indubbia è la conoscenza direĴa, ma certo seleĴiva e non integrale, oltre che di Livio, di alcune opere di Cicerone, Sallustio, Tacito, Plutarco, Senofonte, Erodoto, Tucidide, Polibio, Giustino, Erodiano²Ž. Come anche è stata provata la frequentazione di alcuni poeti latini, primo fra tuĴi Ovidio, conformemente del resto al canone diěuso negli itinerari pedagogici tra QuaĴro e Cinquecento, dove appunto l’autore delle Metamorfosi occupava un posto di rilievo³Ŵ. 25. Ibid., passimȹ; cfr. anche Ronald T. Ridley, « Machiavelli and Roman history in the Discourses », in Quaderni di Storia, IX, ūųŲŭ, nº ūŲ, p. ūųű-Ŭūųȹ; Id., « Machiavelli’s edition of Livy », in Rinascimento, s. II, XXVII, ūųŲű, p. ŭŬű-ŭŮūȹ; Paul Van Heck, « La presenza di Livio nei Discorsi di Machiavelli », in Res Publica LiĴerarum, XXI, ūųųŲ, p. Ůů-űŲȹ; M. Martelli, Machiavelli e gli storici antichi…, op. cit. 26. Cfr. ad esempio la nota di commento a Discorsi III ūų (dove Machiavelli cita in maniera distorta una sentenza di Tacito) nell’edizione curata da Inglese (Niccolò Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, Introduzione di Gennaro Sasso, Premessa al testo e note di Giorgio Inglese, Milano, Rizzoli, ūųŲŮ, p. Űūű sq.). Ma cfr. anche in N. Machiavelli, Discorsi…, ed. Bausi, op. cit., n. ad loc., II, p. ŰŰŬ, e l’« Introduzione », I, p. XXIII sq. 27. Si vedano al riguardo le eĜcaci considerazioni di Luciano Canfora, « Tucidide e Machiavelli », in Rinascimento, s. II, XXXVII, ūųųű, p. Ŭų-ŮŮ [p. ŭŰ]. 28. Diverse le posizioni degli studiosi per quanto concerne il rapporto di Machiavelli con i classici. Per fare solo un esempio della profonda diěerenza di vedute basti citare Ugo DoĴi (Machiavelli rivoluzionarioȹ: Vita e opere, Roma, Carocci, ŬŪŪŭ, p. ŬŰ), che aĴribuisce a Machiavelli una « cultura classica […] piú vasta di quanto sino a ieri non si fosse creduto », e M. Martelli (« Machiavelli e i classici », op. cit.), che ritiene invece che il rapporto del Segretario con i classici, compromesso anche dalla non perfeĴa padronanza del latino, fu prevalentemente di seconda mano, caraĴerizzato dal ricorso a strumenti quali epitomi, sunti, raccolte di massime e sentenze. 29. F. Bausi, « Introduzione » a N. Machiavelli, Discorsi…, ed. cit., I, p. XXII-XXIII. 30. Cfr. Id., « Politica e poesiaȹ: Ancora sulla cultura di Machiavelli », in Intersezioni, XXII, ŬŪŪŬ, p. ŭűű-ŭųŭ. Ma per la presenza di Ovidio nelle familiari di Machiavelli, cfr. anche

241

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

D’altro canto, gran parte del pensiero classico poteva giungere a Machiavelli aĴraverso intermediari moderni, quaĴrocenteschi, rappresentati da testi, di area toscana, come ad esempio il Comento al « Trionfo della Fama » di Iacopo di Poggio Bracciolini, il TraĴato politico-morale di Giovanni Cavalcanti, la Vita civile di MaĴeo Palmieri, il Comento sopra la Comedia di Dante di Cristoforo Landino³¹. E possiamo dire che proprio un’analoga funzione di mediazione della cultura classica poteva svolgere il De remediis, sorta di summa morale in cui l’autore nel fornire una casistica minuta delle passioni umane che assalgono la ragione e dei relativi rimedi assume l’habitus di esaustivo compilatore dell’Antichità. In piú, la voluminosa opera, dove conĚuivano gli incalcolabili apporti della tradizione classica, patristica e medievale, si prestava per converso a un uso parcellizzato, smembrato, favorito dalla composizione del testo in capitoleĴi giustapposti fruibili anche autonomamente. Proprio per questa ragione è facile immaginare una leĴura seleĴiva e mirata da parte di Machiavelli, che poteva essere aĴraĴo maggiormente da quelle pagine dedicate ad argomenti a lui piú congeniali come l’acquisto o la perdita del potere politico, la guerra, le baĴaglie, le fortezze. In linea generale tuĴavia un grande motivo di interesse per Machiavelli poteva derivare dalla macroscopica oěerta di materiali aĴinti alla storia antica, disposti secondo la tecnica dell’accumulo elencatorio degli esempi selezionati. Da questo tipo di assimilazione fortemente orientata, come è naturale resta al tuĴo fuori l’impalcatura ideologica cristiana, la dimensione dell’opera di esercizio spirituale e di sermo intimus, il messaggio dell’itinerarium mentis in Deum. L’esiguità di corrispondenze testuali puntuali ci induce a scartare questo testo dalla tipologia di fonti utilizzate in modo direĴo per l’elaborazione di un determinato passo. In poche parole escluderei l’ipotesi che il De remediis fosse sullo scriĴoio di Machiavelli, davanti ai suoi occhi al momento di com-

Giovanni Bardazzi, « Introduzione » a Niccolò Machiavelli, Dieci leĴere private, a cura di G.B., Roma, Salerno Editrice, ūųųŬ, p. Ŭů sq. 31. Cfr. F. Bausi, « Introduzione » a N. Machiavelli, Discorsi, ed. cit., I, p. XXIV e XXX-XXXIII (ovviamente dei debiti di Machiavelli con questi testi si dà conto, di volta in volta, nel commento)ȹ; Id., « Machiavelli e la tradizione culturale toscana », op. cit. Quanto al Commento al Trionfo della fama di Jacopo Bracciolini, già DionisoĴi ne aveva ipotizzato la conoscenza da parte di Machiavelli in « Fortuna del Petrarca nel QuaĴrocento », op. cit., p. ųū. Sul Commento del Bracciolini e sul riuso faĴone da Machiavelli, si veda Francesco Bausi, « Politica e cultura nel Commento al Trionfo della Fama di Jacopo Bracciolini », in Interpres, IX, ūųŲų, p. ŰŮ-ūŮų.

242

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

porre un qualsivoglia testo. Nondimeno esso sembra aver esercitato una notevole inĚuenza sulla concezione machiavelliana dell’uomo e della storia. Un testo quindi importante sopraĴuĴo per la visione antropologica, da cui Machiavelli avrebbe ricavato tesi e idee portanti, ma anche spunti di riĚessione e suggestioni tematiche. Una leĴura che riaĜora alla sua memoria come patrimonio sedimentatosi e pronto ad agire di fronte a sollecitazioni autonome, in contesti altri, del tuĴo estranei al luogo di provenienza. Per il Segretario anche quello del De remediis dunque è un Petrarca politicus³², nel senso piú lato e antropologico del termine, secondo cui la politica è meditata nelle sue piú intime e viscerali relazioni con le passioni degli uomini e con le forze esterne che possono condizionare, talora senza possibilità di rimedio, il corso degli eventi. Come già accennato, alcuni studiosi hanno posto l’aĴenzione, assai opportunamente, sul forte e imprescindibile legame della scriĴura machiavelliana con la tradizione municipale ęorentina, con le istanze pratiche e quotidiane dell’aĴività istituzionale ciĴadina³³. Come è stato ribadito da Giulio Ferroni nel suo recentissimo volume machiavelliano, i famosi enunciati pessimistici sulla negatività della natura umana non sono novità teoriche introdoĴe nel pensiero occidentale dal Segretario, ma aěondano le proprie radici in un sapere « pratico », in un senso morale corrente e popolare³Ÿ. Una sorta di senso comune che per dirla con Cesare Vasoli « non richiede troppe leĴure specializzate, si aĜda a pochi testi […] per tradursi, inęne, in convinzioni ben consolidate »³Ź. E proprio tra questi grandi testi in grado di trasmeĴere idee generali e di far circolare forti motivi e suggestioni tematiche in piú generazioni di uomini, anche di coloro che si servono dei libri non in modo specialistico e pro32. Derivo l’espressione, riadaĴandola, da E. Scarpa, « Machiavelli e la “neutralità” di Francesco Petrarca », op. cit., p. ŬŲů. 33. Oltre che i contributi di Ferroni, di Martelli (e a tale proposito si veda dello studioso anche « Machiavelli e Firenze dalla repubblica al principato », in Machiavelli politico storico leĴerato, op. cit., p. ūů-ŭū) e di Bausi ęnora citati, si veda anche Rinaldo Rinaldi, « Introduzione » a Niccolò Machiavelli, Opere, a cura di R.R., I, Torino, UTET, ūųųų, t. I, p. ų-ůū. Ma già prima si veda Felix Gilbert, Machiavelli e Guicciardiniȹ: Pensiero politico e storiograęa a Firenze nel Cinquecento, Torino, Einaudi, ūųŰů e ūųűŪ². 34. G. Ferroni, Machiavelli, o dell’incertezza…, op. cit., p. ūű sq. Sul tema della malignità umana si veda Maria Cristina Figorilli, « La “tristizia” nei Discorsi di Machiavelli », in La Rassegna della LeĴeratura italiana, C, ūųųŰ, p. ŭų-ůŭ. 35. Cesare Vasoli, « Machiavelli e la ęlosoęa degli antichi », in Cultura e scriĴura di Machiavelli, op. cit., p. ŭű-ŰŬ [p. ŮŲ].

243

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

fessionale, c’è la nostra traduzione del De remediis in « un robusto volgare trecentesco, vicino, per alcuni aspeĴi […] a quello dei predicatori »³ź. Ad esempio su alcune celebri massime machiavelliane intorno alla malignità dell’uomo sembra proprio che abbia agito la memoria petrarchesca. Ecco alcune sentenze del De remediis — al tuĴo decontestualizzate, giova ripetere — di cui sembra decisamente essersi ricordato Machiavelli, che colpiscono non solo per l’aĜnità contenutistica ma anche, in taluni casi, per la vicinanza lessicaleȹ: « In verità ti dico che sanza pericolo e danno non si può essere buono fra’ rei »³Ż. Si confronti con il passo del XV capitolo del Principeȹ: « perché uno uomo che voglia fare in tuĴe le parte professione di buono, conviene che ruini in fra tanti che non sono buoni »³ż. Ancoraȹ: « di che, pognamo che tuĴi gli uomini sieno rei ed ingrati »³Ž, enunciato rievocato all’inizio del III capitolo del I libro dei Discorsiȹ: « è necessario, a chi dispone una republica e ordina leggi in quella, presupporre tuĴi gli uomini rei »ŸŴ. Come la paura sia necessaria e agisca da freno per l’inclinazione dell’uomo al male — noto preceĴo machiavelliano — è deĴo assai esplicitamente da Ragione nel capitolo Della ingiusta Signoriaȹ: ma ella [la tirannia] è utile a’ vizii, ed al popolo lascivo e aĴo a far maleȹ; ella è uno freno ed uno terrore, che gli fae stare in paura di ciò ch’eglino fanno. Necessità è, che quegli che non sanno fare bene per amore, sieno tenuti in paura o da buono o da reo signore che si sia, acciò che non facciano male […] E niuna cosa puòe essere piggiore a chi fa male che la sicurtà e libertà di poterlo fare.Ÿ¹

Il passo machiavelliano a cui si può rinviare è quello del capitolo III del I libro dei Discorsi sulla funzione dei Tarquini che riuscivano con la « paura di loro » a tenere la nobiltà a « freno »ȹ: « […] gli uomini non operono mai nulla bene se non per necessità »Ÿ².

36. R. Bessi, « Note sul volgarizzamento del De remediis utriusque fortune », op. cit., p. ŰŭŲ. 37. De’ rimedii, I ųŭ (De’ beneęcii faĴi a molti), p. ŭŭŲȹ; De remediis, p. ŮŪŮ. 38. Principe, XV ů, p. ūŪŭ. Si cita da Niccolò Machiavelli, Il Principe, Nuova edizione a cura di G. Inglese, Torino, Einaudi, ūųųů — d’ora in avantiȹ: Principe. 39. De’ rimedii, II ŬŲ (Degli ingrati), p. ūŭűȹ; De remediis, p. ŰųŮ. 40. Discorsi, I ŭ Ŭ, I, p. ŭŪ. Si cita da N. Machiavelli, Discorsi…, ed. cit. — d’ora in avantiȹ: Discorsi. 41. De’ rimedii, II ŭų, p. ūŰū sq.ȹ; De remediis, p. űŭŪ. 42. Discorsi, I ŭ ů e Ų, I, p. ŭū sq.

244

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

La dura massima del capitolo XVII del Principeȹ: « Ma [il principe deve] sopraĴuĴo astenersi da la roba di altri, perché li uomini sdimenticano piú presto la morte del padre che la perdita del patrimonio »Ÿ³ sembra riecheggiare la triste aěermazione contenuta nel De remediis, ispirata da Giovenale (Satire, XIII ūŭŮ)ŸŸȹ: « […] i frategli perduti sono pianti lentamenteȹ; i padri e le madri morti sono pianti piú lentamenteȹ; e le mogli piú lentissimamenteȹ; e spesse volte con grandissima letizia. Solo le ricchezze sono piante cordialmenteȹ; e cosí è vero quello deĴoȹ: che la pecunia perduta è pianta con vere lagrime »ŸŹ. In quest’ultimo caso si può osservare la tendenza a concentrare il deĴato petrarchesco, secondo modalità piuĴosto abituali nel riuso delle fonti da parte di Machiavelli, senz’altro piú incline alla sintesi e alla rimozione di quanto gli appare inessenziale. L’amara sentenza, espressa però in modi diversi, era stata già anticipata da Machiavelli in una leĴera, giuntaci mutila, al cardinale Giovanni de’ Medici, scriĴa tra il Ŭų seĴembre e il ű novembre ūůūŬȹ: « […] ché gli huomini si dolgono piú d’uno podere che sia loro tolto che d’uno fratello o padre che fussi loro mortoȹ: perché la morte si sdimentica qualche volta, la roba non mai »Ÿź. Accanto a queste asserzioni sulla malignità dell’uomo, si può richiamare l’aĴenzione su una serie di enunciati di caraĴere psicologico che meĴono in evidenza sempre i limiti della natura umana, costitutivamente predisposta non solo all’inganno ma anche all’autoinganno, all’errore, al giudizio fallace. A tale proposito si possono rinvenire nel De remediis alcune considerazioni, per lo piú di ispirazione senechiana, che sembrano aver oěerto lo spunto a Machiavelli per riĚessioni piú ampie ed autonome. Ad esempio, nel capitolo Del Regno e dell’Imperio oĴenuto al popolo si aĴribuiscono tali aĴeggiamentiȹ: « avere in odio le cose presenti, e disiderare le future, e lodare le cose passate »ŸŻ. Analogamente nel Proemio al II libro dei Discorsi si sostiene che la sproporzione tra gli « appetiti umani insaziabili » e la loro realizzazione determina una condizione di insoddisfazione « che fa biasimare i presenti tempi, laudare i passati e desiderare i futuri, ancora che 43. Principe, XVII ūŮ, p. ūūū sq. 44. Cfr. il commento in De remediis, II, p. Ůůū, n. ūŭű. 45. De’ rimedii, II ūŭ (Della pecunia perduta), p. ųŪ sq.ȹ; De remediis, p. ŰŬŲ. 46. Da ultimo è stato Enrico Niccolini, « Di un frammento machiavelliano quasi dimenticato », in Giornale storico della LeĴeratura italiana, CLXXIV, ūųųű, p. ŬŪŰ-ŬūŪ [p. ŬŪű] a pubblicare il frammento della missiva. 47. De’ rimedii, I ųŰ, p. ŭŮŰȹ; De remediis, p. ŮūŰ.

245

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

a fare questo non fussono mossi da alcuna ragione o cagione »Ÿż. E nel De remediis la sentenza sulla svalutazione da parte degli uomini del presente, a vantaggio del passato e del futuro, è inserita a spiegazione dell’insana abitudine dei popoli di sperare, sempre e comunque, di cambiare reȹ: « Però che rade volte è alcuno re tanto giusto, che il suo successore non sia piú caro al popolo »ŸŽ. Il che è quanto Machiavelli aěerma all’inizio del III capitolo del Principe, soĴolineando l’inclinazione degli uomini a ingannarsiȹ: « le variazioni sue [del principato nuovo] nascono in prima da una naturale diĜcultà, quale è in tuĴi e’ principati nuoviȹ: le quali sono che li uomini mutano volentieri signore, credendo migliorare […] »ŹŴ. Ma tornando al Proemio del II libro dei Discorsi vale la pena riportare il passo dedicato all’incapacità dei vecchi di valutare lucidamente il presente e il passatoȹ: La quale cosa [il giudizio « non doverrebbe corrompersi ne’ vecchi »] sarebbe vera se gli uomini per tuĴi i tempi della loro vita fossero di quel medesimo giudizio e avessono quegli medesimi appetitiȹ: ma variando quegli, ancora che i tempi non variino, non possono parere agli uomini quelli medesimi, avendo altri appetiti, altri dileĴi, altre considerazioni nella vecchiezza che nella gioventú. Perché mancando gli uomini, quando gl’invecchiono, di forze, e crescendo di giudizio e di prudenza, è necessario che quelle cose che in gioventú parevano loro sopportabili e buone, rieschino poi, invecchiando, insopportabili e caĴiveȹ; e dove quegli ne doverrebbono accusare il giudizio loro, ne accusano i tempi.Ź¹

Da ultimo è stato Ferroni a richiamare l’aĴenzione sulla sorprendente vicinanza di questo passo con l’inizio del secondo libro del Cortegiano, dove Castiglione svolge un’analoga, sebbene piú ampia, riĚessione sulla « falsa opinione nei vecchi »Ź². È possibile che a entrambi gli autori la sollecitazione provenga da una pagina del II libro del De remediis, debitamente espurgata delle tonalità evangeliche e della tematica della miseria humanae conditionis. Nel 48. Discorsi, II pr. Ŭū, I, p. ŭŪū. 49. De’ rimedii, I ųŰ, p. ŭŮŰȹ; De remediis, p. ŮūŰ. 50. Principe, III ū, p. ūŪ. Come fonte di questo passo è stato indicato un soneĴo di Antonio Cammelli, deĴo il Pistoiaȹ: cfr. Giovanni Bardazzi, « Tecniche narrative nel Machiavelli scriĴore di leĴere », in Annali della Scuola Normale Superiore di Pisaȹ: Classe di LeĴere e Filosoęa, s. III, V, ūųűů, p. ūŮŮŭ-ūŮŲų [p. ūŮŲű sq.]. 51. Discorsi, II pr. ūų-ŬŪ, I, p. ŭŪŪ. 52. Cfr. G. Ferroni, Machiavelli, o dell’incertezza…, op. cit., p. ŰŲ-Űų.

246

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

capitolo LXXXIII, Della vecchiaia, alla laconica aěermazione di Doloreȹ: « Io son invecchiato, ed i miei anni dileĴevoli sono passati », Ragione risponde con una requisitoria contro l’ingannevole e oěuscato giudizio umanoȹ: Quasi tuĴi gli anni passati sono stati fra loro molto simili e pariȹ; ma gli animi degli uomini sono stati diversi e contrariiȹ; anzi piú che una medesima persona, nell’animo suo è stato discordanteȹ; di quinci esce, che il furore della giovinezza e la impazienzia de’ vecchi generano nell’animo false oppenioni, riputando meglio quello, che è il peggio, ed oĴimo quello, che è pessimo. In verità tuĴi i tempi sono buoniȹ; però che buono è il re e faĴore di tuĴi i secoli […] Ma, riferendo questi tempi a voi et al giudicio vostro, quasi a uno modo tuĴi sono dolorosi, dubbiosi, solliciti […]. E fra questi tempi, io non so che dì tu mi chiami dileĴevoli e lietiȹ; i quali, mentre che duravano, erano dolorosi e pieni di lamentiȹ; ma acciò che ora ti paiano piacevoli, non c’è altra cagione, se non ch’eglino sono passati e non ritorneranno maiȹ; ed hánnone portato seco delle cose, che forse non sapesti usare, quando tu l’aveviȹ: e questo non potere ritornare te gli fae parere piú cari, e acrescere ti fa il disiderio. Ma lo stolto non ama perfeĴamente, se non quello, ch’egli hae perduto.Ź³

SuperĚuo ricordare che Castiglione ovviamente non aveva bisogno di avere soĴomano un volgarizzamento, avendo agio di leggere il De remediis in una delle edizioni in latino disponibili. Nel capitolo Dell’essere scacciato, un passo sul motivo del « premio » e della « pena »ȹ: « or, stimi tu, che tuĴe le cose sieno date o negate secondo che la persona meritaȹ? Volesse Idio che cosí fosseȹ! acciò che la speranza del premio facesse piú persone essere buone, e la paura della pena facesse meno uomini essere rei »ŹŸ, poteva ben costituire una suggestione per l’elaborazione di un tema ampiamente dibaĴuto da Machiavelli, come aĴesta il capitolo XXIV del I libro dei Discorsi, intitolato appunto Le republiche bene ordinate costituiscono premii e pene a’ loro ciĴadini, né compensono mai l’uno con l’altroŹŹ, o anche la pagina del VI libro dell’Arte della guerra dedicata alla seve53. De’ rimedii, II, p. ŬűŲ sq.ȹ; De remediis, p. ŲųŮ. 54. De’ rimedii, II ŭŲ, p. ūůųȹ; De remediis, p. űŬŰ. 55. « È bene necessario, volendo che sia temuta la pena per le malvagie opere, osservare i premii per le buone, come si vide che fece Roma », Discorsi, I ŬŮ ű, I, p. ūŭŭ.

247

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

rità e intransigenza con cui negli eserciti romani si osservavano i provvedimenti relativi ai « premi » e alle « punizioni »Źź. Inoltre l’amara constatazione dell’incongruenza tra premi e meriti con cui si apre il segmento petrarchesco ritorna come motivo di forte polemica anche in alcuni testi piú streĴamente leĴerari di Machiavelliȹ: si pensi ai versi ůŬ-ůŮ del capitolo Dell’Ingratitudine (« L’ultima [delle « tre crudel saeĴe »] fa che l’uom mai non ricorda/ né premia el ben, ma che, iusta suo possa, el suo benefaĴor laceri e morda »ŹŻ), o ai versi ūŪ-ūů dell’Asino (« Né cerco averne prezzo, premio o mertoȹ;/ e ancor non mi curo che mi morda/ un detraĴore, o palese o coperto […] »Źż), o, inęne, ai primi versi della sesta strofa del prologo della Mandragola (« El premio che si spera è che ciascuno/ si sta da canto e ghigna,/ dicendo mal di ciò che vede o sente »ŹŽ). Versi in cui il tema dell’assenza di premio, declinato nei diversi registri della poesia moraleggiante, della satira e del comico, e comunque sia sempre svolto con toni di sdegnoso risentimento, è streĴamente connesso al motivo della maldicenza e del biasimo maligno che si riversa sulle opere degne, condoĴe con somma faticaźŴ. E nel capitolo XXXVI del II libro del De remediis, intitolato Del dispregio, viene aěrontata la stessa tematica e quasi ad apertura Ragione consigliaȹ: « se tu nol meriti [il disprezzo], hai cosa da ridere. Però che niuna cosa è piú da riderne, nè piú spesso interviene, che essere il savio uomo beěato dagli uomini maĴi »ź¹. Accanto allo svelamento dei meccanismi psicologici della natura umana, su Machiavelli potevano esercitare un notevole interesse i numerosi esempi aĴinti alla storia romana disseminati e come dire polverizzati all’interno della mastodontica e proteiforme orazione pronunciata da Ragione. Per quanto concerne i riferimenti alla Roma antica ovviamente 56. « E perché dove sono le punizioni grandi, vi deono essere ancora i premii, a volere che gli uomini ad un traĴo temano e sperino, egli avevano proposti premii ad ogni egregio faĴo » (Arte della guerra, VI ūūŰ, p. ŬŬŲ). Si cita da Niccolò Machiavelli, L’Arte della guerraȹ: ScriĴi politici minori, a cura di J.-J. Marchand, Denis Fachard e Giorgio Masi, Roma, Salerno Editrice, ŬŪŪū — d’ora in avantiȹ: Arte della guerra. 57. Dell’ingratitudine, in Niccolò Machiavelli, Capitoli, introduzione, testo critico e Commentario di Giorgio Inglese, Roma, Bulzoni, ūųŲū, p. ūŬű-ūŮŪ [p. ūŬų]. 58. Niccolò Machiavelli, ScriĴi leĴerari, a cura di L. Blasucci con la collaborazione di A. Casadei, Torino, UTET, ūųŲų, p. ŭŰū. 59. Ibid., p. ūūů. 60. Per questo tema si veda Giulio Ferroni, « Mutazione » e « riscontro » nel teatro di Machiavelli e altri saggi sulla commedia del Cinquecento, Roma, Bulzoni, ūųűŬ, p. ŭŭ sq. e Id., « Appunti sull’Asino di Machiavelli », in LeĴeratura e criticaȹ: Studi in onore di Natalino Sapegno, s.c., Roma, Bulzoni, ūųűů, II, p. ŭūŭ-ŭŮů. 61. De’ rimedii, p. ūůŮȹ; De remediis, p. űŬŪ.

248

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

la fonte prima e direĴa è quella liviana. Eppure la leĴura del De remediis potrebbe aver funzionato anche in tali casi come sorta di segnale luminoso aĴo a indirizzare l’aĴenzione di Niccolò su episodi che ben potevano prestarsi sia a stimolare la sua riĚessione politica sia a fornire l’esemplięcazione per idee già elaborate. A tale proposito vorrei soěermarmi brevemente su un capitoleĴo del II libro del De remediis intitolato Della patria propria disfaĴa. Esso oěre un chiaro esempio della duplicità dei registri su cui si muove la prosa del trattato, rinvenibile non solo a livello macrotestuale, della divisione in due libri specularmente contrapposti, ma anche all’interno di ogni singolo capitolo. InfaĴi a un inizio in cui prevale un tono apocaliĴico e catastroęco comunicato dalla visione di un universo in disfacimento (altro motivo presente in Machiavelli) segue bruscamente, senza sfumature e gradazioni, il monologo consolatorioȹ: entrambi i piani del discorso si struĴurano aĴraverso il ricorso alla tecnica dell’elenco e all’inserzione dell’elemento paradossale secondo quel gusto per la sproporzione, per l’incongruo, per il contrasto, l’antitesi che aĴraversa l’intera opera, e di cui è esempio emblematico, per l’oltranzismo ossimorico, l’epistola proemiale al secondo libro. Verso la ęne del capitolo nel pieno dell’argomentazione consolatoria si introduce il riferimento alla vicenda del console Gaio Terenzio Varrone, che aveva preso la decisione di muovere baĴaglia contro Annibale, nonostante il parere contrario del collega Lucio Emilio Paoloȹ; vicenda qui riportata senza alcuna dovizia di particolari, in modo del tuĴo allusivo e secondo modalità marcatamente paradossaliȹ: Non hai tu udito come Terrenzio Varro, per cui colpa e pazzia quasi tuĴo era ruinato l’imperio di Roma, fu ringraziato publicamente da’ ciĴadini Romani, perché non avea però in tuĴo perduta la speranza di potersi per Roma ricoverare la signoria e lo imperioȹ; la quale speranza, dicea, non avere l’altro consolo suo compagnoȹ; il quale fu uomo gentilissimo, e il quale non avea alcuna colpa nella deĴa ruina di Roma.ź²

Le fonti di Petrarca sono qui Valerio Massimo (III Ů Ů), che annovera il caso tra gli esempi « di coloro che, nati da umile famiglia, divennero illustri », e Livio (XXII Űū) che soĴolinea come tuĴa la ciĴà accogliesse al suo

62.

De’ rimedii, II Űų, p. Ŭŭų. Per il passo latino corrispondente si veda infra a testo.

249

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

rientro il console Terenzio Varrone e lo ringraziasse « quod de re publica non desperasset »ź³. Machiavelli riporta l’episodio nel XXXI capitolo del I libro dei Discorsi, dedicato a illustrare come i Romani per non inibire le facoltà decisionali dei capitani fossero ben aĴenti non solo a evitare punizioni troppo severe in caso di errori commessi « per malizia », ma anzi addiriĴura a tributare loro onori in caso di errori commessi « per ignoranza ». E appunto la vicenda di Varrone è addoĴa come il « piú bello esemplo » del modo di procedere della repubblica romana di fronte a un errore commesso « per ignoranza »ȹ: E quanto agli errori per ignoranza, non ci è il piú bello esemplo che quello di Varroneȹ: per la temerità del quale sendo roĴi i Romani a Canne da Annibale (dove quella republica portò pericolo della sua libertà), nondimeno, perché vi fu ignoranza e non malizia, non solamente non lo gastigarono, ma lo onorarono, e gli andò incontro nella tornata sua in Roma tuĴo l’ordine senatorioȹ; e non lo potendo ringraziare della zuěa, lo ringraziarono che egli era tornato in Roma, e non si era disperato delle cose romane.źŸ

Anche nel passo machiavelliano è rinvenibile sia l’eco del testo di Valerio Massimo, sopraĴuĴo per quel riferimento al Senato che va incontro al console per ringraziarlo d’essere tornato a Roma, sia la fonte liviana quasi tradoĴa in clausola (« non si era disperato delle cose romane »). Per altro Machiavelli desumeva da Livio anche l’idea di come il comportamento della repubblica romana fosse in questo del tuĴo singolareȹ; infaĴi lo storico latino a tale proposito commenta che un generale cartaginese nella stessa situazione avrebbe subíto una severissima punizioneźŹ. Ma alle fonti antiche sembra sovrapporsi anche la memoria del passo petrarchesco, sopraĴuĴo qualora si presti aĴenzione a una spia linguistica costituita dal sostantivo « temerità » aĴribuito a Varrone. InfaĴi non mi sembra privo di signięcato che nella versione originale compaia la forma temeritate per connotare l’aĴeggiamento imprudente del consoleȹ: audisti ut Terentio Varroni, cuius culpa ac temeritate pene ruerat imperium Romanum, publice ab omnibus gratie acte 63. Cfr. il commento in De remediis, II, p. ůŮŮ sq., n. ŬŲ. 64. Discorsi, I ŭū ūů-ūŰ, I, p. ūůű. 65. Tito Livio, Storie (Libri XXI-XXV), a cura di P. RamondeĴi, Torino, UTET, ūųŲų, III, § ūů, p. ŭųŮȹ: « qui si Carthaginiensium ductor fuisset, nihil recusandum supplicii foret ».

250

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

sunt, quod de Republica non desperassetȹ;źź quod fecisse collega eius, vir clarissimus, et culpe omni illius expers, videbatur.źŻ

Inoltre nel testo petrarchesco (e questa volta in tuĴe e due le redazioni) a brevissima distanza, anche se in un altro capitolo, torna di nuovo l’allusione al console, ora citato come esempio di « compagno temerario », e accusato appunto di « temerità »ȹ: « A questo modo la temerità di Terrenzio Varrone generóe morte a Emilio Paolo »źż. Altre poi sono le possibili reminiscenze della leĴura petrarchesca rintracciabili nei testi machiavellianiȹ: la varietà degli argomenti rende difęcile tentare di accorparle in sezioni tematiche distinteȹ; ma è proprio il genere di ricezione che abbiamo postulato, caraĴerizzata da un recupero saltuario, aĜdato al riaĜorare occasionale della memoria, a obbligarci a una ricognizione ondulatoria. Un punto di contaĴo ad esempio è rinvenibile tra un passo iniziale dell’Arte della guerra e un segmento del capitolo XL del I libro del De remediis, dal titolo De tabulis pictis. Una delle primissime baĴute pronunciate da Fabrizio Colonna nell’Arte della guerra, volte a denunciare, secondo argomentazioni analoghe a quelle espresse nel Proemio al I libro dei Discorsi, l’errore di valutazione dei moderni quanto alla scelta delle cose degli antichi da imitare, cela una possibile eco petrarchesca, sebbene manchi una precisa corrispondenza testuale. La polemica esclamazione del condottieroȹ: « Quanto meglio arebbono faĴo quegli [i « principi del Regno » di Napoli] […] a cercare di somigliare gli antichi nelle cose forti e aspre, non nelle delicate e molli, e in quelle che facevano soĴo il sole, non soĴo l’ombra, e pigliare i modi della antichità vera e perfeĴa […] »źŽ, sembra trarre spunto da un’altreĴanto polemica asserzione di Ragione, poi variata e rielaborata da Niccolò per dare rilievo alla decadenza degli ordini militariȹ: « Ma or volesse Idioȹ! che voi, i quali agevolmente avanzate vostri antichi nelle cose vane, or fossi voi a loro equali alle cose utili e necessarie, e or 66. Il machiavelliano « non si era disperato delle cose romane » potrebbe quindi derivare anche da questa ripresa petrarchesca di Livio. 67. De remediis, p. ŲŭŲ. 68. De’ rimedii, II űū (Del compagno temerario in baĴaglia), p. ŬŮŬ. « Temeritas Terentii Varronis Emilio Paulo mortem peperit », De remediis, p. ŲŮŬ. Anche nella narrazione liviana — nei § ů e ű del cap. ŮŮ dello stesso libro XXII — il vocabolo è presente, ma non direĴamente riferito a Varrone. 69. Arte della guerra, I ūű, p. ŭů.

251

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

mirassi voi la virtue e la gloria insieme con loro […] »ŻŴ. Dove è da notare la struĴura antitetica utilizzata per biasimare la devianza nel modo di rapportarsi alla civiltà anticaȹ; struĴura integrata poi da Machiavelli aĴraverso la citazione ciceroniana, segnalata dai commentatori, relativa all’opposizione metaforica sole/ombraŻ¹. Va segnalato che l’eĜcace immagine, impiegata da Machiavelli anche piú avanti, sempre nel I libro dell’Arte della guerraŻ², e nel capitolo XXX del II libro dei DiscorsiŻ³, compare anche nel capitolo CVI del I libro del De remediis (su cui torneremo), all’interno di una sequenza giocata sulla variazione del contrasto guerra/paceȹ: « itaque multis lorica felicior quam toga campusque securior quam thalamus, tuba quam tibie, sol quam umbra »ŻŸ. Un altro punto di contaĴo riguarda l’unica citazione esplicita di Aristotele da parte di Machiavelli, contenuta nel XXVI capitolo del III libro dei Discorsi, « Come per cagione di femine si rovina uno Stato »ŻŹȹ; « E Aristotile, intra le prime cause che meĴe della rovina de’ tiranni, è lo avere ingiuriato altrui per conto delle donne, con stuprarle o con violarle o con rompere i matrimonii »Żź. La citazione potrebbe essere stata suggerita dal capitolo LXXXI del II libro del De remediis, Della tirannia perduta, dove si leggeȹ: Tu leggi nella Politica d’Aristotele, che molti tiranni sono stati pericolati per le ingiurie delle moglieȹ; o veramente ch’eglino abbino faĴo ingiurie alle mogli altrui o che loro mogli abbino ingiuriato altri. E l’una sentenzia o l’altra, che noi vogliam pigliare, sia veraȹ; tu hai per esemplo del primo, cioè dello

70. De’ rimedii, I ŮŪ, p. ūųŮȹ; De remediis, p. ŬŪŬ. 71. Citazione che poteva giungergli sia per il tramite dell’epistola proemiale che Filippo Beroaldo il Vecchio premise agli Stratagemata di Frontino, inclusi nella raccolta di antichi testi di argomento militare da lui allestita ed edita nel ūŮŲű, sia per il tramite dell’Epitome rei militaris di Vegezio, I ŭ (cfr. N. Machiavelli, Opere, ed. Rinaldi, op. cit., II, p. ūŬŬŲ sq., n. ŲŰ, ma anche I, p. ųŬŰ, n. ŰŰ e Arte della guerra, p. ŭů, n. ŭų). 72. Arte della guerra, I ūŮū, p. ůű. 73. Discorsi, II ŭŪ ūů, I, p. ůŪů. 74. De remediis, p. ŮŰŮ. Nel volgarizzamento umbra è tradoĴo con rezzoȹ: De’ rimedii, I, p. ŭŲŪ. 75. Cfr. Aristotele, Politica, V ūū (i.e. ūŭūŮb), ma anche, in modo piú generico, V ūŪ (i.e. ūŭūūa-b). 76. Discorsi, III ŬŰ ūŪ, II, p. ŰųŮ. Cfr. da ultimo la nota di commento (n. ūŭ) in Discorsi, II, p. ŰųŮ e M. Martelli, « Machiavelli e i classici », op. cit., p. Ŭųū sq.ȹ; Id., « I deĴagli della ęlologia », in Interpres, XX, ŬŪŪū, p. ŬūŬ-Ŭűū [p. ŬŮū-ŬŮů]. Ma Martelli già in « La logica provvidenzialistica… », op. cit., aveva parlato a tale proposito di citazione di seconda mano, p. ŭůŮ, n. ųŪ.

252

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

ingiuriare le donne altrui, non solamente il perdimento di tirannia, ma di reami […].ŻŻ

Qui per altro mi pare interessante l’uso del termine « ingiuria » e del verbo « ingiuriare » nonché di « altrui » (anche se in forma aggeĴivale e non pronominale) che potrebbero avere ispirato il sintagma machiavelliano « avere ingiuriato altrui ». Al di là di questa funzione di « testo-serbatoio » cui aĴingere innumerevoli spunti e suggestioni, aĴraverso un’assimilazione parcellizzata, il trattato poteva assumere anche il ruolo di libro decisivo per l’elaborazione di teorie piú scopertamente politiche o militari nonché di concezioni etiche o ęlosoęche in senso lato. Vi si trovano riunite molte delle idee portanti che aĴraversano gli scriĴi di Machiavelli, le quali d’altro canto, provenienti dai grandi auctores della classicità, hanno goduto di ampia circolazione. E proprio la vasta diěusione di tali tematiche rende quasi impossibile distinguere tra rapporti di ęliazione direĴa e sicura e citazioni di seconda mano, tra debiti puntuali e circoscriĴi e aĜnità invece piú generiche. Eppure anche di fronte a tale situazione piú magmatica dove la norma è l’intrecciarsi e il sovrapporsi di voci diverse, è assai probabile che il De remediis abbia contribuito notevolmente a formare l’orizzonte mentale di Machiavelli. Come già si diceva, si può tentare di disporre in una macrocategoria di caraĴere etico-politico le aĜnità piú evidenti, nonostante la diĜcoltà di distinguere in diverse aree conceĴuali gli echi petrarcheschi negli scriĴi machiavelliani. Tra le questioni piú specięcamente etico-politiche, vorrei soěermarmi su una pagina del De remediis dedicata ai « vizi » che fanno « perdere la signoria », pagina con la quale Machiavelli sembra essersi confrontato sopraĴuĴo per l’elaborazione di alcuni conceĴi dibaĴuti in particolar modo nei capitoli « preceĴistici » del Principe. E se per questa materia, come suggerisce Bausi, uno degli « eěeĴivi bersagli polemici è la familiare XII Ŭ a Niccolò Acciaiuoli, sorta di “concentrato” di quei luoghi comuni etico-politici che Machiavelli si sforza di confutare e di capovolgere, uno per uno »Żż, nondimeno non si può escludere che abbia agito anche la memoria di quest’altro testo petrarchesco. Il passo in questione, sempre traĴo dal capitolo Della tirannia perduta, è il seguenteȹ:

77. 78.

De’ rimedii, II, p. ŬŰųȹ; De remediis, p. ŲŲŪ. F. Bausi, « Petrarca, Machiavelli, il Principe », op. cit., p. ůū sq.

253

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

Onde coloro, che vogliono essere maggiori e signori de’ popoli, conviene che prima fugghino questo vizio ed ogni infamia e sospeĴo d’esso. Imperò che niuna cosa è, che facci il tiranno tanto odioso né tanto indegno della signoria e della grandigia, quanto l’avarizia. Gli altri vizii alcuna volta si ricuoprono col velame della magnanimità o della giustiziaȹ; ma l’avarizia mostra viltade e miseria d’animo […]ȹ: e però coloro, che sono soĴoposti a questo vizio, sono reputati indegnissimi d’ogni onore e d’ogni signoria.ŻŽ

Come noto, per Machiavelli il vizio che il principe deve evitare in assoluto per mantenersi al potere non è aěaĴo l’avarizia (anzi, come si legge nel capitolo XVI del Principe, « un principe prudente non potendo essere liberale sanza suo danno » deve non curarsi del « nome del misero ») ma l’« essere contennendo e odioso »żŴ. È interessante osservare come Machiavelli pur prendendo le distanze dalle argomentazioni petrarchesche sul piano conceĴuale ne assimili tuĴavia il lessico, servendosi degli stessi strumenti linguistici oěerti dal testo che intende confutareȹ: si pensi all’espressione « fuggire i vizi », al sintagma « fare odioso », al termine « infamia », che è un vocabolotema, rinviante alla dimensione della « reputazione », del capitolo XVI del Principeż¹. Anzi Machiavelli per conferire maggiore enfasi alla suggestione petrarchesca relativa all’importanza dell’apparire — al punto che bisogna prestare cura nel fuggire non solo il vizio ma anche la caĴiva fama e il sospeĴo del vizio —, rompe la struĴura coordinata optando per il sintagma « fugire la infamia di quegli vizii »ż². Che anche per Petrarca abbia rilievo il tema dell’esteriorità, di ciò che si « vede », dell’opinione della moltitudine (ricorrente è l’immagine dei mille occhi che scrutano per biasimare) risulta con evidenza da quel riferimento al « velame della magnanimità o della giustizia » che talora può nascondere i vizi. Ma egli non si spinge a riconoscere nella « simulazione » una qualità che deve possedere il reȹ; tuĴ’al piú, altrove, cioè nel capitolo XXXV del II libro, 79. De’ rimedii, II Ųū, p. ŬűŪȹ; De remediis, p. ŲŲŬ. 80. Principe, XVI ů, p. ūŪů sq. e XVI ūų, p. ūŪŲ. La coppia « odioso/contennendo » torna in Principe, XIX ūȹ: « el principe pensi […] di fuggire quelle cose che lo faccino odioso e contennendo » (p. ūŬŪ) e nella leĴera al VeĴori del ūŪ dicembre ūůūŮ. 81. Cfr. la nota di commento in N. Machiavelli, Opere, ed. Rinaldi, op. cit., I, p. Ŭűű, n. ūŪ. 82. Cfr. Principe, XV ūū, p. ūŪŮ. L’espressione è ripetuta nel § successivoȹ: « Ed etiam non si curi di incorrere nella infamia di quelli vizi […] ».

254

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

Dell’essere invidiato, indica nell’occultare la propria virtú un espediente per proteggersi dall’invidia. Qui infaĴi, tra i rimedi proposti per neutralizzare tale « pistilenzia », si fa riferimento, sebbene con una certa riserva, ai « grandi uomini » che occultarono « a tempo la industria e la virtú loro, per potere piú sicuramente vivere »ż³ȹ: dove per altro l’avverbio « a tempo », l’espressione « per potere piú sicuramente vivere », come del resto l’espediente dell’occultare la virtú non possono non far pensare al capitolo II del III libro dei Discorsi, « Come egli è cosa sapientissima simulare in tempo la pazzia », scriĴo a commento di faĴi non del tuĴo fedelmente desunti da Livio I ůŰżŸ. Riguardo invece alla simulazione in riferimento a chi detiene il potere, decisa è la negazione della sua eĜcacia come strumento di conservazione dello Stato. InfaĴi, in un altro passo del capitolo Della tirannia perduta si leggeȹ: Et, avendo il signore queste e simile virtudi in sé, a me medesimo pare, come pare ad Aristotile, che allora si possi tale signoria sopportareȹ; sí veramente ch’egli sia in verità dentro, come noi diciamo, ch’e’ bisogna si mostri di fuori. Però che la simulazione e la ipocrisia, per qualunque arte ed ingegno, non può durare lungo tempo in presenzia di tante persone, a quante questo faĴo tocca.żŹ

Il preceĴo della breve durata della simulazione, di matrice ciceronianażź, rilanciato dal Petrarca morale, continua a circolare in ambito umanistico tra QuaĴro e Cinquecento. E mi sembra interessante che esso ad esempio sia ripreso non solo nel IV libro della Vita civile di MaĴeo Palmieri (« Socrate diceva essere aĴissima via a acquistare gloria fare quello per che tu fussi tale quale tu volevi parere. Chi con ęĴa apparenza, simulate parole et obstentatione non vera stima acquistare stabile gloria è in errore, però che niuna cosa simulata o ęcta può essere durabile »żŻ) ma anche nel

83. De’ rimedii, II, p. ūůŭ. 84. Cfr. Discorsi, II, p. ůŭŰ, n. ů. 85. De’ rimedii, II, p. Ŭűūȹ; De remediis, p. ŲŲŬ. 86. Cicerone, De oĜciis, II ūŬ Ůŭ. Ma si veda anche Senofonte, Simposio, VIII Ůŭ o Seneca, LeĴere a Lucilio, ūŬŪ ūų. Lo stesso conceĴo è espresso da Petrarca all’inizio della dedica del De vita solitaria e in De remediis, II Ŭű, p. ŰŲŰ. Cfr. il commento in De remediis, II, p. ŬŪŲ, n. ŰŲ, p. Ůűŭ, n. ų e p. ůŰŰ, n. ūŪŬ. 87. MaĴeo Palmieri, Vita civile, edizione critica a cura di G. Belloni, Firenze, Sansoni, ūųŲŬ, p. ūűū.

255

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

Ricordo C ŮŮ di Francesco Guicciardiniȹ: « Fate ogni cosa per parere buoni, ché serve a inęnite coseȹ: ma, perché le opinione false non durano, diĜcilmente vi riuscirà el parere lungamente buoni, se in verità non sarete »żż. Come noto Machiavelli rovescia questa idea dell’etica classica con le celebri argomentazioni contenute nel capitolo XVIII del Principe dedicate al tema della simulazione, sviluppato ęno alle estreme conseguenze, tanto da dichiarare che per un principe può essere dannoso in talune situazioni « avere in faĴo » buone qualità, mentre gli è sempre utile « parere di averle »żŽ. Sempre restando su un piano etico-politico, alcuni passi del De remediis possono aver agito, insieme con le fonti classiche, sull’elaborazione dell’idea — centrale del resto in tuĴa la tradizione classica e poi cristiana — della povertà come rimedio contro la corruzione degli Stati, svolta in piú luoghi dei Discorsi, con sfumature e in contesti diversiŽŴ. In vari brani del testo petrarchesco compare l’idea che la repubblica romana fu virtuosa e potente ęn tanto che i suoi ciĴadini si mantennero poveriŽ¹. Ad esempio nel capitolo IX del II libro, Del danno ricevuto, l’aěermazione che il popolo di Roma « tanto tempo fu buono […] quanto tempo egli fu povero »Ž² è inserita a conclusione di un elenco dedicato a grandi personaggi della repubblica romana vissuti in povertà tra cui Cincinnato, AĴilio Regolo e Paolo Emilio, i virtuosi condoĴieri poveri annoverati nel capitolo XXV del III libro dei Discorsi, intitolato « Della povertà di Cincinnato e di molti ciĴadini romani ». 88. Francesco Guicciardini, Ricordi, a cura di G. Masi, Milano, Mursia, ūųųŮ, p. űŮ (e si vedano anche le redazioni anteriori). Cfr. N. Machiavelli, Opere, ed. Rinaldi, op. cit., I, p. Ŭųų, n. ŰŬ (dove si riporta anche l’inizio del II libro del Momus sive de principe di Leon BaĴista Alberti, incentrato invece sull’elogio della dissimulazione, con argomentazioni non dissimili da quelle machiavelliane) e p. ŭŪŪ, n. Űů. 89. Per questo celebre passo di Principe, XVIII, Mario Martelli, « Minima adnotanda (Luca Pulci, Lorenzo de’ Medici, Ugolino Verino, Luigi Pulci, Angelo Poliziano, Niccolò Machiavelli) », in Interpres, XIV, ūųųŮ, p. Ŭūų-ŬŮů [p. ŬŮŭ-ŬŮů], rimanda ad Amores, I Ų di Ovidio, e precisamente ai v. ŭů-ŭŰ pronunciati dalla mezzana Dipsas. 90. Per le diverse occorrenze cfr. Discorsi, I, p. ūűų, n. ūű. Sulla circolazione di questo tema negli ambienti dell’oligarchia antimedicea (e quindi in testi quali il Commento al Trionfo della Fama di Jacopo Bracciolini, o il TraĴato politico-morale di Giovanni Cavalcanti), si veda F. Bausi, « Politica e cultura nel Commento al Trionfo della Fama di Jacopo Bracciolini », op. cit., p. ųů sq. 91. De’ rimedii, I ůŭ (Dell’abbondanza delle ricchezze), p. ŬŮŪ e De remediis, p. ŬŰŰȹ; De’ rimedii, I ūŪŪ (Del Tesoro riposto), p. ŭŰŭ sq. e De remediis, p. ŮŮŪ. 92. De’ rimedii, II, p. űūȹ; De remediis, p. ůųŲ.

256

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

Come si diceva, il motivo del valore della povertà è topico e Machiavelli poteva desumere il materiale traĴato in questo capitolo oltre che da Livio, anche da Valerio MassimoŽ³ȹ; mentre per l’idea generale che la povertà produca « migliori fruĴi »ŽŸ rispeĴo alle ricchezze, numerosi possono essere gli autori di riferimento, come allegano i commentatoriŽŹ. Alla lunga lista di testi è quindi piú che plausibile aggiungere anche il De remediis, e presupporre che esso, come una sorta di ęltro della tradizione classica, si sia depositato sulla memoria machiavelliana intrecciandosi alle altre voci del passato, e forse in taluni casi rimpiazzando il contaĴo direĴo con le opere dell’antichità. Ovviamente anche in questo caso la sostanza ideologica è azzerataȹ: infaĴi il De remediis può essere leĴo come un’imponente esaltazione della povertà, del disagio, della fatica in conformità con il messaggio evangelico che indica nella soěerenza la via piú breve per la salvazione delle anime. Ciò che la leĴura machiavelliana traĴiene è il forte sentimento della romanità come categoria etica informata a un ideale di virtus che vede anche nella povertà e nella fatica strumenti di vigore e valore. E infaĴi Ragione, nel capitolo LVI del II libro, Delle grave faccende, consola Dolore ricordandogli che « gli autori pongono due cose, cioè la fatica e la povertà, essere fra le principali cagioni delle virtudi degli antichi e della prima etade, che fu di tanto buono esemplo a’ successori »Žź. Passando ora a questioni di ordine politico-militare (senza dimenticare che nel pensiero classico etica, politica, teoria militare, come anche l’economia, sono saperi che si intrecciano nell’univoca ricerca pragmatica di tecniche e competenze per approssimarsi alla virtus), vorrei richiamare l’aĴenzione su due spunti paradossali oěerti dal testo petrarchesco che Machiavelli sembra aver accolto e sviluppato, integrandoli perfeĴamente nella sua riĚessione. Il primo riguarda la questione dei « siti », il secondo la concezione positiva della guerra.

93. Fonte dell’episodio di Cincinnato è Tito Livio, Ab urbe condita libri, III ŬŰ-Ŭų. Per i tre esempi illustri di povertà (Cincinnato, Regolo, Paolo Emilio), il rinvio è a Valerio Massimo, Factorum ac dictorum memorabilium libri, IV Ů (De paupertate). 94. Discorsi, III Ŭů ūű, p. ŰųŬ. 95. Oltre a Livio e Valerio Massimo, per esempio Sallustio, De coniuratione Catilinæ, X sq.ȹ; Orazio, Odi, III ŬŮȹ; Lucano, Pharsalia, I ūŰŪ sq.ȹ; Plutarco, De cupiditate divitiarumȹ; Senofonte, Symposium, IV Ŭų sq.ȹ; Dante, Paradiso, XVȹ; Boccaccio, Consolatoria a Pino de’ Rossi, § ůű sq., nonché numerose occorrenze in Plinio e Senecaȹ; cfr. N. Machiavelli, Opere, ed. Rinaldi, op. cit., II, p. ūūŪů, n. űŬ e De remediis, II, p. ŭŰű, n. ūŬ. 96. De’ rimedii, II, p. ŬŪůȹ; De remediis, p. űųŪ.

257

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

Quanto all’esaltazione paradossale del « luogo sterile », nel capitolo LVIII del II libro, Della mala ricolta dell’anno, Ragione inizia il suo ultimo intervento con le seguenti paroleȹ: Spesse volte la fedita della sterilità, cioè il mancamento de’ fruĴi della terra, fae uomini piú forti, e l’abbondanza piú deboli e da menoȹ; e non che le deĴe cose l’abbino, ma elle il fannoȹ; e piú ch’elle mutan’uomini d’altri paesi che abitano ivi, e fangli da poco o d’assai, secondo l’abbondanza od il mancamento del luogo, dov’e’ cominciano ad abitare […]. Dall’altra parte, quella arida e scogliosa parte di Lombardia fece dure le membra e aguzzóe in modo di coltello gli giovani di Roma.ŽŻ

Qui l’argomentazione ha una funzione consolatoria nei confronti della lamentatio per lo scarso raccoltoȹ: Machiavelli, valutandola nelle sue implicazioni politiche, potrebbe averne traĴo una suggestione per la riĚessione sull’« elezione del sito », svolta nel capitolo I del I libro dei Discorsi dedicato ai « principii » degli StatiŽż. Come noto, di fronte alla scelta del « sito » si pone l’alternativa tra « luoghi sterili e luoghi fertilissimi ». L’esito paradossale del discorso machiavelliano, che oscilla tra una viscerale esaltazione del luogo sterile — in quanto costringe gli uomini ad « industriarsi » e in piú costituisce un « rimedio » per l’insorgere dell’« ozio » — e il riconoscimento che per una repubblica che miri all’« ampliare » è piú savio partito contare sulla « ubertà del sito », è stato messo in luce da Giulio Ferroni, che ha osservato come nonostante il « modello di Roma imponga la preminenza dei luoghi fertilissimi […], nella sua concezione generale della virtú e della sua dialeĴica storica, Machiavelli propenda in deęnitiva per la maggiore funzionalità dei luoghi inameni, che rendono la vita dura, e che, aĴraverso l’esercizio della necessità, fanno gli uomini piú virtuosi, li tengono lontani dalla minaccia distruĴiva dell’ozio »ŽŽ. In relazione alla seconda questione, cioè la concezione positiva della guerra, Machiavelli nella scriĴura paradossale del De remediis poteva scovare un inedito Petrarca « belligerante ». InfaĴi, anche in quei testi in cui Petrarca esorta alla guerra l’ideale di fondo resta sempre quello della pace e della concordia, l’obieĴivo quello di un’Italia « placata ad plenum 97. 98. 99.

258

De’ rimedii, II, p. ŬūŬȹ; De remediis, p. ŲŪŪ. Discorsi, I ū ūŮ-ŬŪ. G. Ferroni, Machiavelli, o dell’incertezza…, op. cit., p. Ůŭ.

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

ac composita »¹ŴŴ. E invece il capitolo CVI del I libro, Della pace e della triegua, si presenta come una sorta di elogio paradossale della guerra, motivato dall’idea « che rade volte è la pace sanza vizii ». Riguardo all’opzione bellica di Machiavelli, non è certo il caso in questa sede di insistere. Vari interpreti si sono soěermati sul legame che si dà in Machiavelli tra politica e guerra, e sulla sua idea che uno Stato virtuoso sia uno Stato « feroce » sempre pronto all’azione militare, capace di neutralizzare la minaccia dell’ozio¹Ŵ¹. E anche il valore che nella sua concezione mitica del potere assume l’immagine del re guerriero, antico simbolo di un’aĴività politica connotata dall’impeto, dalla forza, dall’aggressività, da contrapporre al presente in cui si è al tuĴo perso l’ideale bellico, con conseguenze nefaste per gli organismi statali irrimediabilmente corroĴi, è stato messo in evidenza dalle illuminanti pagine di Ezio Raimondi¹Ŵ². Qui mi interessa soltanto osservare come il testo petrarchesco possa aver funzionato da archetipo, sebbene come di norma al tuĴo stravolto e « straniato » dall’adaĴamento machiavelliano, anche per la materia militare. E per altro, proprio in riferimento al tema della guerra, il De remediis svolge altri due argomenti tipicamente « machiavelliani »ȹ: l’opzione per la fanteria¹Ŵ³ e la questione dei danni provocati dalle fortezze, sopraĴuĴo per l’« odio » che esse suscitano nei « sudditi »¹ŴŸ. Nel testo petrarchesco, la dichiarazione che i « grandi eserciti de’ Romani, i quali suggiugarono tuĴo il mondo, per grande parte andavano a piede »¹ŴŹ, dichiarazione che apre un inciso di caraĴere militare ricavato da Cicerone¹Ŵź, è inserita all’interno di un capitolo, Del duro viaggio (II LVII), niente aěaĴo di tematica guerresca, essendo dedicato ai pregi dell’andare a piedi anziché a cavallo. Dal punto di vista della tecnica compositiva del De remediis, il capitolo è assai indicativo del traĴamento subito dagli argomenti passati 100. Familiare, X ū. 101. Si veda da ultimo Giulio Ferroni, « Il mondo in stato di guerra », in Id., Machiavelli, o dell’incertezza…, op. cit., p. Ŭů-ŮŪ, dove la visione machiavelliana della necessità della guerra è messa in luce nelle sue relazioni con le componenti psicologiche del conĚiĴo quali l’ostinazione e il timore. 102. Si veda in particolar modo il saggio « Il politico e il centauro », ora in Ezio Raimondi, Politica e commediaȹ: Il centauro disarmato, Bologna, il Mulino, ūųųŲ, p. ūŬů-ūŮŭ. 103. Cfr. Discorsi, II ūŲȹ; ovviamente l’argomento è dibaĴuto in piú luoghi Dell’Arte della guerra, in part. nel II libro. 104. Si veda Discorsi, II ŬŮȹ; piú sfumata la condanna delle fortezze in Principe, XX. 105. De’ rimedii, II, p. ŬŪŲȹ; De remediis, p. űųŮ. 106. Tusculanae, II ūŰ ŭűȹ; cfr. De remediis, II, p. ůŬū, n. ŮŮ.

259

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

in rassegnaȹ; lo spunto evangelico, in questo caso l’umiltà del camminare a piedi, oěre l’occasione per inserire i materiali piú disparati, di provenienza diversa, patristica e classicaȹ: la microsezione dedicata agli eserciti degli antichi Romani tiene dietro infaĴi a un segmento sull’uso dei Santi Padri, degli Apostoli e di Cristo di andare a piedi, condito con l’inserzione di un aneddoto su Giovanni Evangelista traĴo dalla Storia ecclesiastica di Eusebio di Cesarea (III Ŭŭ)¹ŴŻ, secondo una pratica scriĴoria volta a incorniciare il discorso morale con esempi ricavati o dalla storia antica o dal racconto biblico, i quali se da una parte hanno il valore etico di autorevoli testimonianze, dall’altra funzionano come ingredienti, a metà strada tra la curiosità e l’erudizione, per rendere piú godibile e variegata la narrazione. Quanto al tema della fortezza come fonte di odio, in un passo del capitolo LXXXII del II libro, « Delle rocche perdute »¹Ŵż, l’aěermazione che « le rocche non ti fanno sicuro, ma sollecito e temuto e molestoso altrui »¹ŴŽ introduce un brano che allude a una questione della traĴatistica politica tradizionale, e cioè utrum principi amari an timeri opus sit, conferendo notevole enfasi, aĴraverso una concentrazione di citazioni da autori latini, al pericolo insito nell’essere temutiȹ: posizione questa che viene confutata nel capitolo XVII del Principe, dove si dichiara, capovolgendo le categorie dell’etica classica, che è « molto piú sicuro essere temuto che amato »¹¹Ŵ e, in modo piú sfumato, nel capitolo XXI del III libro dei Discorsi¹¹¹. TuĴavia, Machiavelli in altri luoghi dei suoi scriĴi si allinea su posizioni piú tradizionali. Il che è evidente in particolare nell’ultima fase del suo pensiero, connotata dall’adesione al « governo misto » e dalla connessa comparsa della distinzione ideologica tra re e tiranno¹¹². Ad esempio nel II libro delle Istorie ęorentine, a commento della deęnitiva e inevitabile cacciata da Firenze del Duca d’Atene, da imputare ai « suoi caĴivi costumi », si legge

107. Cfr. De remediis, II, p. ůŬŪ sq., n. ŭű. 108. Nel capitolo, oltre a « rocche », c’è anche un’occorrenza del termine « fortezze ». 109. De’ rimedii, II, p. Ŭűŭȹ; De remediis, p. ŲŲŰ. 110. Principe, XVII ų, p. ūūŪ. A tale proposito, Mario Martelli (Saggio sul Principe, op. cit., p. ūűū) ritiene che qualora Machiavelli avesse avuto modo di soĴoporre a revisione il trattato in vista della pubblicazione avrebbe correĴo questo enunciato innovativo, ęnendo con il dare « i medesimi preceĴi che da sempre aveva dato la tradizione e che anche lui, altrove, non dubitava di dare ». 111. Discorsi, III Ŭū Ų, II, p. ŰŰų. 112. Cfr. F. Bausi, I Discorsi di Niccolò Machiavelli…, op. cit., p. ŲŪ.

260

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

che il tiranno « voleva la servitú, non la benivolenza degli uominiȹ; e per questo piú di essere temuto che amato desiderava »¹¹³. In ogni caso, il preceĴo fondamentale mai messo in discussione da Machiavelli, neanche in quei testi ideologicamente piú estremistici e radicali, come appunto il capitolo XVII del Principe, è che bisogna « fuggire l’odio »ȹ; norma questa da osservare quindi anche in rapporto al « farsi temere », che per sortire buoni eěeĴi infaĴi non deve mai generare odio, secondo la convinzione che « può molto bene stare insieme essere temuto e non odiato »¹¹Ÿ. Quindi a proposito del timore, possiamo osservare come Machiavelli tuĴo sommato si accordi con l’etica aristotelica della misura fondata sulla negazione degli eccessiȹ; d’altra parte, tuĴavia, l’idea che il timore possa essere disgiunto dall’odio costituisce a sua volta un notevole scarto rispeĴo alla topica politica, secondo la quale le due passioni sono connesse, come è reso esplicito ad esempio dal prosieguo del capitolo del De remediis ora citato, dove con una ripresa da Ennio, mutuata dal ciceroniano De oĜciis, si dichiara che « gli uomini hanno in odio colui ch’eglino temonoȹ; e ciascuno cerca di fare perire colui ch’egli hae in odio »¹¹Ź. Il passo in questione costituisce un esempio di riciclaggio interno degli stessi materiali lievemente variati, non infrequente nell’impianto generale dell’opera, sia da un capitolo all’altro, con la ripresa di stessi schemi e formule, sia nel passaggio dal primo al secondo libro, con la reduplicazione di intere sequenze, secondo tecniche del resto peculiari al genere delle scriĴure bipartiteȹ: la stessa sentenza di Ennio, come del resto il segmento testuale in cui essa è inserita, era già inclusa, nel capitolo XCV del I libro, Della tirannia occupata¹¹ź. Inęne, vorrei brevemente soěermarmi su un ultimo motivo, che se non è ascrivibile a quei temi « paradossali » ora richiamati (elogio della guerra e del luogo sterile), rinvia nondimeno a una dimensione dominata dalla prospeĴiva del rovesciamento, della mutazione verso il contrario, che si appoggia sulla generale concezione dell’instabilità delle cose umane, simboleggiata dalla « volubile rota della fortuna »¹¹Ż. Si traĴa del motivo del « tralignare », della degenerazione di padre in ęglio, per cui 113. N. Machiavelli, TuĴe le opere, ed. Martelli, op. cit., p. ŰŲűa (Istorie ęorentine, II ŭű). Ma si veda anche Discorsi, III ūų ų, II, p. ŰŰŭ. 114. Principe, XVII ūŬ, p. ūūū. 115. De’ rimedii, II, p. ŬűŮȹ; De remediis, p. ŲŲŰ. De oĜciis, II ű Ŭŭ. Cfr. De remediis, II, p. ŭůű, n. Űŭ. 116. De’ rimedii, I, p. ŭŮŮȹ; De remediis, p. ŮūŮ. 117. De’ rimedii, I Ųů (Del buon Signore), p. ŭūųȹ; De remediis, p. ŭűŲ. Ma si veda anche il passo del cap. XC (Dello tranquillo Stato) del I libro, De’ rimedii, I, p. ŭŬŰȹ; De remediis, p. ŭŲŲ.

261

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

non è raro constatare « di grande luce e fama di padri essere uscite grande tenebre, cioè vituperosi ęgliuoli »¹¹ż. Il tema, diěusissimo nella storiograęa e leĴeratura classica, e repertoriato da Valerio Massimo¹¹Ž — come del resto l’altro motivo topico, in parte speculare, di colui che da umili origini perviene a grande fama (su cui è incentrato il capitolo V del II libro del De remediis, De originis obscuritate, che segue appunto, tra le altre innumerevoli fonti, Valerio Massimo, III Ů) — non solo si lega all’idea della negatività dell’ereditarismo (per cui si veda l’ultimo brano del capitolo LXXVIII del II libro, De rege sine ęlio¹²Ŵ) ma si intensięca ęno a coinvolgere in una sorta di ineludibile corsa al male il generale avvicendarsi delle successioni al potere, come incisivamente esprime la sentenza che chiude il capitolo LXXXV del I libroȹ: « Però che, rade volte, buono re seguita dopo il buono re. Spesse volte il piggiore seguita dopo il malo reȹ; e spesso il pessimo dopo il piggiore »¹²¹. La condanna della trasmissione ereditaria del potere secondo la convinzione che gli « eredi » cominciano a « degenerare dai loro antichi »¹²² è espressa in piú luoghi dei Discorsi¹²³ȹ: in Machiavelli il tema, come del resto in Petrarca, si lega a una piú generale visione della storia come costante declino, e alla concezione della corruzione e consunzione a cui sono soĴoposte tuĴe le cose umane, secondo un processo degenerativo connaturato al divenire stesso. Certo Machiavelli, per l’idea dell’improbabilità che la virtú si mantenga da padre a ęglio, ha in mente Dante, Purgatorio VII ūŬū-ūŬŭ, del resto da lui stesso citato nel capitolo XI del I libro dei Discorsi¹²Ÿ. Inoltre, come annotano alcuni commentatori in riferimento al passo del capitolo X del I libro dei Discorsi, dove si osserva che « tuĴi gl’imperadori che succederono allo imperio per eredità, ecceĴo Tito, furono caĴiviȹ; quegli che per adozione, furono tuĴi buoni, come furo quegli cinque da Nerva a Marcoȹ; e come lo imperio cadde negli eredi, e’ ritornò nella sua rovina »¹²Ź, è possibile il rinvio

118. De’ rimedii, II ŬŮ (Dell’infamia d’altrui), p. ūŬŮȹ; De remediis, p. ŰűŮ. 119. Factorum ac dictorum memorabilium libri, III ů (Qui a parentibus claris degeneraverunt). 120. De remediis, p. ŲŰŰ-ŲŰŲȹ; De’ rimedii, II, p. ŬŰŪ sq. Qui compare il motivo utopico dell’isola lontana e felice in cui vige il modello costituzionale perfeĴo, di un re, « vir ex omnibus optimus », eleĴo « arbitrio populi consentientis » (De remediis, p. ŲŰŰ). 121. De’ rimedii, I Ųů (Del buon signore), p. ŭūųȹ; De remediis, p. ŭűŲ. 122. Discorsi, I Ŭ ūű, I, p. ŬŬ. 123. Cfr. ad esempio Discorsi, I ūŪ ŬŪ e ūū ŬŪ-Ŭū. 124. Ibid., I ūū Ŭū, I, p. Ųū sq. 125. Ibid., I ūŪ ŬŪ, I, p. űŭ.

262

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

a Tacito (Historiae, I ūŰ). TuĴavia, sempre a proposito di questo luogo, da ultimo è stato indicato l’antecedente petrarchesco di Triumphus Fame Ia ūŪŪūŪū e ancora un testo che ha a che fare con Petrarca e cioè il Commento al « Trionfo della Fama » di Jacopo Bracciolini¹²ź. Nel De remediis manca il riferimento preciso agli imperatori romani, alla valutazione del sistema contrapposto dell’« adozione » e degli « eredi »ȹ; quindi esso non può essere certo allegato come fonte direĴa di questo luogo dei Discorsi. Ma il conceĴo vi è espresso con evidenzaȹ; e del resto come si diceva all’inizio il debito che Machiavelli stringe con questo testo non consiste nella ripresa puntuale di segmenti testuali, ma nell’assimilazione di idee e tesi di centrale importanza riconsiderate, trasformate, ęltrate secondo le linee di un pensiero che, nonostante i continui adaĴamenti alle urgenze dell’immediatezza pratica e alle mutazioni della situazione storica, presenta delle costanti, delle coordinate che possono aver traĴo il nutrimento anche da questa summa morale che ha inciso profondamente sulla riĚessione etica dei secoli successivi. E se Machiavelli sembra utilizzare il volgarizzamento del De remediis come repertorio di motivi tradizionali da rielaborare alla luce della sua riĚessione politica, non è da escludere, come abbiamo avuto modo di osservare in qualche caso, anche un’aĴenzione al testo come contenitore di moduli stilistici, soluzioni linguistiche e lessicali da imitare, reimpiegare e « riscrivere ». È noto come sull’elaborazione del linguaggio machiavelliano abbia agito notevolmente il lessico dei volgarizzamenti¹²Ż. E anche il volgare della traduzione del De remediis presenta una serie di materiali linguistici che sembrano lasciare traccia negli scriĴi di Machiavelli. Un esempio mi sembra piuĴosto signięcativo per l’eěeĴiva corrispondenza testuale, benché si traĴi di un’immagine di ascendenza ciceroniana e livianaȹ: nel capitolo XLIII del II libro del De remediis, Della durezza del padre, a proposito di Tito Manlio Torquato si legge che « egli fue pietoso verso il padre »ȹ; la stessa espressione riferita allo stesso personaggio è anche nel capitolo XXII del III libro dei Discorsi¹²ż. 126. Ibid., n. ŭŰ. 127. Per alcuni esempi al riguardo cfr. Maria Cristina Figorilli, « ”Odio” e “rovina” in Machiavelliȹ: una leĴura del II libro delle Istorie ęorentine », in La Rassegna della LeĴeratura italiana, CIV, ŬŪŪŪ, p. ŭűŭ-ŭŲű. 128. De’ rimedii, II, p. ūűŮ. Nel volgarizzamento l’aggeĴivo « pietoso » traduce il latino « perindulgens » (De remediis, p. űŮŲ). Discorsi, III ŬŬ Ų, II, p. Űűů. Per la devozione di Tito Manlio nei confronti del padre cfr. Cicerone, De oĜciis, III ŭū ūūŬ (da cui Petrarca riprende il « perindulgens in patrem », cfr. De remediis, II, p. ŮųŰ, n. Űŭ), Livio, Ab urbe condita, VII ů.

263

њюџію ѐџіѠѡіћю ѓієќџіљљі

Alla luce del materiale raccolto, si può ipotizzare un riuso del testo guidato dal recupero di alcune idee centrali, decontestualizzate e soĴoposte, come abbiamo già avuto modo di osservare, a una costante e serrata operazione di rimozione della sostanza evangelica. Accanto ai temi su cui ci siamo soěermati, altre idee che alimentano, nella prospeĴiva della vanitas mundi e della cogitatio mortis, l’impianto « ideologico » del De remediis, e che circolano ampiamente per tuĴo il QuaĴrocento e Cinquecento, sono accolte da Machiavelli in chiave laica e adaĴate a un punto di vista eminentemente politico. Si va dalla concezione della mutabilità delle cose umane e della variabilità della fortuna alla visione pessimistica di un continuo e inarrestabile decadimento che coinvolge non solo la vita degli uomini ma anche l’esistenza degli Stati e dei grandi imperi, al tema streĴamente connesso dell’oblio cui sono destinate le culture e le civiltà che si susseguono nel Ěusso ineludibile del tempoȹ: motivi, come noto, sviluppati da Machiavelli con esiti talora di straordinario valore leĴerario, per la forza delle immagini con cui la sua scriĴura li ha saputi rivitalizzare. Anche nell’ambito di queste tematiche piú « ęlosoęche » sono rinvenibili notevoli punti di contaĴo e forti analogie che pongono il De remediis come un decisivo antecedente leĴerario. E sul piano delle aĜnità, come non richiamare il capitolo XXXI del III libro dei Discorsi, intitolato Le republiche forti e gli uomini eccellenti ritengono in ogni fortuna il medesimo animo e la loro medesima dignità, che ben si presta ad essere leĴo, anche se in chiave del tuĴo evocativa, in rapporto al De remediisȹ? Il capitolo, corredato di esempi dell’antichità e della storia contemporanea, è incentrato sull’idea che gli « uomini grandi », come non diventano « insolenti » nella buona fortuna, cosí non diventano « vili e abieĴi » nella caĴiva sorte¹²Ž. Il conceĴo, che viene sviluppato da un punto di vista pubblico, aĴraverso la contrapposizione tra il modello romano e l’antimodello veneziano, richiama, nella sua matrice piú intimamente classica, ciceroniana e senechiana ma anche oraziana, la sostanza del De remediis, quale emerge con chiarezza nella dedica ad Azzo da Correggio, che insiste sull’estrema diĜcoltà di aěrontare la prosperitas, foriera di peri-

129. Discorsi, II, p. űūŭ-űŬŬ. 130. Cicerone, De oĜciis, I ŬŰ, Orazio, Ode, II ŭ, Seneca, De providentia, IV ūŪ. Da notare che Petrarca invece soĴolinea la novità della sua riĚessione rispeĴo ai preceĴi aristotelici e senechiani (Aristotele, Etica Nicomachea, III ūŬ [i.e. ūūūűa ŭŮ-ŭů], Seneca, LeĴere a Lucilio, ŰŰ Ůų. Cfr. De’ rimedii, I, p. Ůų-ůŬȹ; De remediis, p. ūŬ-ūŰ).

264

ѠѢ њюѐѕіюѣђљљі ђ іљ ёђ џђњђёііѠ ёі ѝђѡџюџѐю

coli e danni, persino piú insidiosi di quelli che arreca con sé l’adversitas¹³Ŵ. Pur senza voler stabilire un rinvio intertestuale sicuro, possiamo scegliere questo capitolo come esempio della ricezione machiavelliana del De remediisȹ: secolarizzato, spogliato dal messaggio biblico e patristico, il testo petrarchesco viene recuperato nella prospeĴiva mondana dell’etica classica, come sorta di deposito del pensiero antico, nonché come omaggio alla virtus dei Romani, aĴrezzata per reagire di fronte alle continue minacce della fortuna. Un testo magari (al pari della boccacciana Consolatoria a Pino De’ Rossi) a cui Machiavelli poteva amaramente riandare col pensiero nel tentativo vano di trarne consolazione, quando di fronte al suo personale rovescio di fortuna, nella dura condizione dell’ozio forzato a Sant’Andrea, lontano dalla sua amata aĴività politica, si trovava a sperimentare i colpi della sorte avversa soĴo la forma dell’esilio, anch’esso annoverato tra le innumerevoli sventure inventariate nel II libro del De remediis.

265

Johannes Bartuschat

L’allégorie dans les Triomphes

Les diĜcultés à ęxer la chronologie de leur composition, voire à établir avec certitude l’ordre des douze chapitres qui composent les Triumphi, ont découragé les critiques dans leurs recherches sur le dessein global du poème¹. Mais ces problèmes philologiques révèlent peut-être aussi quelque chose sur le fond de l’œuvreȹ: là où les Rerum vulgarium fragmenta se présentent comme un work in progress constant qui va vers une intégration toujours plus complexe et plus achevée de ses diěérents aspects dans une construction unitaire, les Triomphes, tout en subissant le même travail constant de révision et correction, apparaissent comme une « œuvre ouverte » aux tendances multiples, souvent contradictoires, voire inconciliables. On pourrait même observer une double contradiction quant aux deux projets et à leur réalisation. Les Rerum vulgarium fragmenta restent par déęnition une œuvre ouverte, jusqu’à exprimer la notion de fragment dans leur titre, mais possèdent une unité achevéeȹ; les Triomphes semblent en revanche obéir à une logique constructive unitaire rigoureuse, à un dessein capable de rivaliser avec la Divine comédie mais, dans ses résultats, le poème se présente comme une œuvre fragmentaire. Pour illustrer ceĴe structure ouverte, à faceĴes multiples, des Triomphes, un regard sur le motif porteur de sa construction, à savoir le motif du triomphe, peut être éclairant. Pétrarque exploite en eěet pleinement dans son poème la polysémie de la notion de triomphe et ses suggestions ęguratives

1. Notre contribution présente les premiers résultats d’une recherche plus vaste sur la forme allégorique des Triomphes. Dans les limites du présent article nous avons dû laisser de côté de nombreux problèmes pourtant centraux pour l’interprétation du poème, notamment la question du guide (nous pensons moins à son identité qu’à son rôle dans la construction du poème), et les rapports intertextuels qui lient les Triomphes à l’Amorosa visione de Boccace.

267

їќѕюћћђѠ яюџѡѢѠѐѕюѡ

et liĴéraires². En simplięant, on peut distinguer les acceptions suivantes du motif, toutes présentes dans le poèmeȹ: le triomphe militaire romain, le triomphe de l’Amour, le triomphe du poeta laureatus, le triomphe d’entités personnięées comme les Vertus, la Gloire, etc., le triomphe au sens théologique, autrement dit le triomphe au Paradis³. On sait que les sources d’inspiration de Pétrarque pour la conception du poème sont fort nombreuses. Son enthousiasme pour l’histoire romaine l’amenait naturellement à s’intéresser aux témoignages sur le triomphe militaire romain (Ovide, Tite-Live, Lactance)Ÿ, mais il y a également une multitude d’emplois liĴéraires et métaphoriques du motif qui n’ont pas manqué de l’inĚuencer. Le vaste champ métaphorique guerrier, qui accompagne la thématique amoureuse aussi bien chez les poètes latins que dans la poésie médiévale, avait en eěet déjà engendré l’idée du Triomphe d’Amour. Dans la liĴérature allégorique édięante, nous trouvons souvent, dans la lignée de la Psychomachie de Prudence, un triomphe à l’issue de batailles opposant des personnięcations, telles que les Vices et les Vertus. Mentionnons également au passage le cas très particulier de la procession triomphale du Paradis terrestre chez Dante — qui contient d’ailleurs une référence précise au triomphe militaire romain. Rappelons enęn les arts ęguratifs, notamment la peinture de GioĴo, qui avait peint à Naples une galerie d’Hommes illustres et à Milan un Triomphe de la GloireŹ. 2. Zygmunt G. Baranski, « The constraints of formȹ: Towards a provisional deęnition of Petrarch’s Triumphi », in Petrarch’s Triumphsȹ: Allegory and spectacle, edited by K. Eisenbichler and Amilcare A. Iannucci, Toronto, Dovehouse, ūųųŪ, p. Űŭ-Ųŭ, qui résume de façon concise et convaincante le problème de la polysémie du motif du triomphe. D’autres observations précieuses sur la structure du poème dans Silvia Longhi, « Vincitori e vintiȹ: La macchina dei Trionę », in La tradizione del testoȹ: Studi di leĴeratura italiana oěerti a Domenico de Robertis, a cura di F. Gavazzeni e G. Gorni, Milan-Naples, Ricciardi, ūųųŭ, p. ŭů-ŮŲ. 3. Rerum vulgarium fragmenta, CCCXIII ų-ūūȹ: « Ella ‘l se ne portò soĴerra, e ‘n Cielo,/ ove or trïumpha, ornata de l’alloro/ che meritò la sua invicta honestate ». Nous citons les Rerum vulgarium fragmenta et les Triumphi d’après Francesco Petrarca, Opere italiane, a cura di Marco Santagata, Milan, Mondadori, ūųųŰ. 4. Pour les sources antiques relatives au triomphe qui ont inspiré Pétrarque, voir Renato Serra, « Dei Trionę di F. Petrarca », in Id., ScriĴi, a cura di G. De Robertis e A. Grilli, Florence, Le Monnier, ūųŭŲ, vol. II, p. ŭū-ūŮŰ [p. Űů sq.] et Guido MartelloĴi, « Il Triumphus Cupidinis in Ovidio e nel Petrarca », in Id., ScriĴi petrarcheschi, a cura di M. Feo e S. Rizzo, Padoue, Antenore, ūųŲŭ, p. ůūű-ůŬŮ. 5. Lucia BaĴaglia Ricci, « Petrarca e la tradizione ęgurativa », in I Triumphi di Francesco Petrarcaȹ: AĴi del III Seminario di LeĴeratura italiana di Gargnano del Garda (ū-ŭ oĴobre ūųųŲ), a cura di C. Berra, Bologne, Cisalpino, ūųųų, p. Ŭůų-ŬųŲȹ; Marcello Ciccuto, « Per una storia napoletana dei Trionę », in Id., Figure di Petrarcaȹ: GioĴo, Simone Martini, Franco bolognese, Naples,

268

љ’юљљѼєќџіђ ёюћѠ љђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

À partir de ces diěérentes sources d’inspiration, Pétrarque développe le motif du triomphe en innovant profondément. Une nouveauté décisive, suggérée sans doute par la Comédie de Dante, consiste dans la présence, dans le poème allégorique, de personnages historiques. Pétrarque dépasse ainsi le caractère abstrait des cortèges ou batailles allégoriques traditionnels qui n’impliquaient que des personnięcations. Dans les cortèges des Triomphes composés d’hommes et femmes célèbres, on décèle également l’inĚuence du motif de la « galerie » d’hommes illustres, suggéré notamment par le livre VI de l’Énéide, le chant IV de l’Enfer et la culture ęgurative. Mais, à ce propos, on a remarqué que, dans le Triumphus Cupidinis, le cortège se compose des victimes de Cupidon (à l’instar des prisonniers de guerre) tandis que, dans le Triumphus Fame, il s’agit d’un cortège de « vainqueurs », à savoir d’hommes qui ont conquis la gloireź. En fait, le motif du triomphe recouvre chez Pétrarque trois motifs distincts qu’il essaie de concilier en une seule constructionȹ: le triomphe d’une force abstraite aux dépens de ses victimes, le triomphe d’hommes et de femmes qui se sont illustrés dans l’histoire, le triomphe d’entités abstraites comme le Temps et l’Éternité. Pétrarque essaie de contrer les tendances centrifuges qu’engendre ceĴe polysémie du motif porteur de son poème par une invention structurelle particulièreȹ: l’enchaînement des triomphes dans une succession ascendante en vertu de laquelle chaque triomphe est le dépassement du précédent. CeĴe structure manque notamment au projet, par ailleurs similaire sur plusieurs points, de l’Amorosa visione de Boccace. Chez Pétrarque, l’enchaînement des triomphes remplace, comme principe constructif, le procédé traditionnel du voyage allégorique dans lequel chaque étape du périple d’un personnage correspond à une étape de son éducation morale et intellectuelle. Le principe de l’enchaînement n’est donc pas de nature narrative, mais théoriqueȹ: il déęnit les ambitions philosophiques des Triomphes et confère à l’expérience du « Je » rêvant le caractère mystique d’un itinerarium mentis in Deum plutôt que celui d’un parcours didactique ou édięant. La structure du dépassement progressif semble assurer une cohérence certaine à l’ensemble du poème. Mais, en réalité, elle cache une grande disparité, aussi bien formelle que conceptuelle, entre les parties. Sur le Federico & Ardia, ūųųū, p. ů-űűȹ; et Esther Nyholm, « Triumph as a motif in the poems of Petrarch and in contemporary and later art », in Medieval iconography and narrative, edited by F. G. Andersen, Odense, Odense University Press, ūųŲŪ, p. űŪ-ųų. 6. G. MartelloĴi, « Il Triumphus Cupidinis in Ovidio e nel Petrarca », op. cit.

269

їќѕюћћђѠ яюџѡѢѠѐѕюѡ

plan formel, on peut observer que le premier Triumphus Cupidinis adopte bien le schéma du triomphe militaire, mais qu’il n’en va pas de même pour les autres. Les triomphes de la Mort et de la Renommée peuvent en eěet être considérés comme des triomphes dans la mesure où ils se présentent comme des cortèges, mais la mise en scène du triomphe est minimale, voire rudimentaireȹ: en fait, on se rapproche plutôt de la galerie d’hommes illustres que nous avons déjà évoquée. Les triomphes du Temps et de l’Éternité sont, quant à eux, des visions desquelles le triomphe, au sens d’un cortège triomphal, est complètement absent. D’autres éléments de la tradition allégorique viennent enrichir ceĴe typologieȹ: dans le Triumphus Cupidinis IV, nous trouvons une description du jardin et de la demeure de Vénus qui se raĴache à la tradition de la description de lieux et d’édięces allégoriques (entre autres, Alain de Lille). Le Triumphus Pudicitie, en revanche, s’appuie surtout sur le motif de la bataille — il se rapproche donc du genre de la psychomachie dans la lignée de Prudence. Sur le plan conceptuel, Pudicitia vainc Cupido dans un sens assez traditionnel, puisqu’une vertu triomphe d’une passion, mais, en ce qui concerne le Triumphus Mortis, on ne peut pas vraiment dire que la Mort vainque la Chasteté. Le triomphe de la Mort est en eěet lié à un événement historique (la Peste noire et la mort de Laure)ȹ; il procède donc d’une dynamique d’ordre plus narratif que conceptuelȹ: le triomphe de la Mort, c’est avant tout la mort de Laure. CeĴe dimension autobiographique des deux capitoli centraux du poème est l’aboutissement d’une ligne narrative centrée sur Laure, qui domine au moins toute la première partie du poème et qui n’est pas sans rappeler celle de la Vita nova. Après être tombé amoureux de Laure et être devenu prisonnier du dieu Amour, le protagoniste comprend, en assistant au Triumphus Pudicitie, que Laure incarne une valeur morale et spirituelle supérieure à Amourȹ; sa mort et sa transęguration en font un être céleste. Pétrarque unit dans les Triomphes un récit « autobiographique » (qui raconte comment il est tombé sous le joug de l’Amour) et une vision qui lui permet d’embrasser dans une expérience visionnaire les forces de l’existence terrestre de l’homme et d’assister ensuite à leur dépassement dans une perspective transcendante. La raison profonde de ceĴe multiplicité de perspectives du poème réside dans la dualité fondamentale de son sujetȹ: les Triomphes racontent à la fois l’histoire d’un homme, conçue comme la luĴe intestine de forces opposées dans son âme, et la luĴe de ces forces dans une perspective philosophique. C’est là une reprise de la double

270

љ’юљљѼєќџіђ ёюћѠ љђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

dimension, individuelle et collective, de la Comédie de Dante, mais sous une forme radicalement nouvelle. La construction foisonnante et parfois contradictoire des Triomphes mobilise toutes les traditions de la liĴérature allégorique (de la vision dans le sillon de la Consolation de la Philosophie de Boèce à la psychomachie, en passant par la personnięcation), parce que Pétrarque entend renouveler radicalement les formes et les ęnalités de l’écriture allégorique. Comme l’ont démontré, entre autres, C.S. Lewis et H.R. JaussŻ, l’allégorie médiévale, loin d’être un simple artięce formel ou une ęgure rhétorique, a deux fonctions et deux ęnalités fondamentalesȹ: elle est une forme d’enseignement, et elle est récit moral et psychologique dans la mesure où elle représente les forces qui agissent dans l’homme. Par le récit de leur conĚit dans l’âme, l’allégorie rend visible le drame moral de l’homme face au choix entre le bien et le mal. Dans les Triomphes, Pétrarque unit ces deux ęnalités dans une nouvelle construction qui doit lui permeĴre d’approfondir le sens de la forme allégoriqueȹ: comme récit moral et psychologique, l’allégorie est développée dans une direction pour ainsi dire subjective, vers l’autobiographieȹ; comme enseignement, elle devient l’instrument d’une méditation, voire d’une véritable spéculation philosophique. Sur la base de ces considérations, il nous semble intéressant d’aborder la question de la forme allégorique des Triomphes par un regard sur deux modèles qui, parmi tant d’autres, ont inspiré la construction complexe du poèmeȹ: le Somnium Scipionis et le Roman de la Rose. On peut identięer ces deux intertextes à deux parties et à deux ensembles thématiques du poèmeȹ: le Roman de la Rose au Triumphus Cupidinis et au thème de l’initiation amoureuseȹ; le Somnium Scipionis aux triomphes de la Renommée, du Temps et de l’Éternité, et aux thèmes de la gloire et de l’héroïsme, mais également à la méditation sur le Temps et l’Éternité, prolongement suggéré par l’intertexte puisque Cicéron y traite du destin des âmes dans l’au-delà. Comme nous l’avons vu, les Triomphes refondent dans la structure d’une suite de cortèges triomphaux les éléments traditionnels de l’écriture allégorique, en combinant notamment le genre de la vision avec un récit comprenant des personnięcations et meĴant en scène des batailles. Parmi les diěérents élé7. Clive Staple Lewis, The allegory of love, Oxford, Oxford University Press, ūųŭŲ et Hans Robert Jauss, « Entstehung und Strukturwandel der allegorischen Dichtung », in Grundriss der romanischen Literaturen des MiĴelalters, VIȹ: La liĴérature didactique, allégorique et satirique, hrsg. von H.R. Jauss, Heidelberg, Carl Winter, ūųŰŲ, vol. I, p. ūŮŰ-ŬŮŮ.

271

їќѕюћћђѠ яюџѡѢѠѐѕюѡ

ments de ceĴe construction, nous nous concentrerons sur ce qui constitue le cadre du récit, à savoir le songeż. Or, pour ce motif, le Somnium Scipionis de Cicéron (que Pétrarque lit évidemment avec le commentaire de Macrobe) et le Roman de la Rose (nous nous référons dorénavant exclusivement à la première partie due à Guillaume de Lorris, la seule qui nous intéresse ici) sont deux intertextes d’une importance fondamentale. Pour bien mesurer l’importance du Somnium Scipionis pour les Triomphes, il nous faut faire un détour par l’Africa. On y trouve déjà le récit d’un rêve-vision qui est une réécriture et une amplięcation du texte de Cicéronȹ: le songe de Scipion, qui occupe les livres I et II de l’AfricaŽ. Au début du poème, Scipion est inquietȹ: ses succès militaires n’ont aucune valeur si Carthage n’est pas déęnitivement vaincueȹ; il doit être rassuré sur son destin et sa mission. CeĴe inquiétude est à l’origine du rêve du héros romain. Dans son rêve, qui comprend aussi un entretien avec son père et son oncle, Scipion reçoit un enseignement moral et philosophique et il peut connaître l’avenir, son destin personnel et le destin de sa patrie. Comme Pierre Courcelle l’a démontré dans un article important¹Ŵ, Pétrarque se montre assez peu sensible à la dimension cosmologique du Somnium Scipionis, de même qu’il n’exploite que très peu les longs développements de Macrobe à ce sujetȹ: au centre de sa réécriture, il place l’histoire de Rome et la méditation sur le rapport entre les mérites terrestres des hommes et leur destinée éternelle. Pétrarque réinterprète notamment la demeure des valeureux dans le monde stellaire¹¹ en l’assimilant l’au-delà chrétien en s´inspirant du Cato maior dans lequel Cicéron décrit la demeure éternelle des bienheureux, récompense céleste des justes¹². 8. Nous traitons du rêve en tant qu’artięce liĴéraireȹ; pour les idées de Pétrarque au sujet des rêves, exposées notamment dans un passage des Rerum memorandarum libri, et pour les récits de rêve dans les Familiares, voir Claire Cabaillot, « De l’expérience onirique à sa mise en œuvre liĴéraireȹ: quand Pétrarque rêvait », dans Arzanàȹ: Cahiers de LiĴérature médiévale italienne, vol. IVȹ: Rêves et récits de rêve, ūųųű, p. ūŭ-Ůūȹ; et Maria Cecilia Bertolani, « Petrarca e l’onirologia medievale », in Ead., Il corpo gloriosoȹ: Studi sui Trionę del Petrarca, Rome, Carocci, ŬŪŪū, p. ūű-ůū. 9. Pour les deux premiers livres du poème, nous disposons maintenant de l’excellente analyse de Leonardus G.J. Ter Haar, Petrarca’s Africa boek I en IIȹ: En commentaar, thèse soutenue à la Katholike Universiteit Nħmegen en ūųųų. 10. « La postérité chrétienne du Songe de Scipion », dans Revue des Études latines, XXXVI, ūųůŲ, p. ŬŪů-ŬŭŮ. 11. Cic., De republica, VI ūŭȹ: « omnibus, qui patriam conservaverint, adiuverint, auxerint, certum esse in cælo deęnitum locum, ubi beati ævo sempiterno fruantur ». 12. Cf. Cato maior, XXII ŲŪȹ; cf. P. Courcelle, « La postérité chrétienne du Songe de Scipion », op. cit.

272

љ’юљљѼєќџіђ ёюћѠ љђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

Dans les vers consacrés à la question de la vraie gloire et de sa durée, l’Africa semble déjà annoncer le développement dialectique les Triomphesȹ: la renommée vainc la mort parce qu’elle est transmise dans la mémoire des hommes. Mais toute renommée, y compris la gloire véritable, méritée, est à son tour destinée à être vaincue parce qu’elle est victime du temps. On peut également rapprocher ceĴe pensée d’un passage du livre III du Secretum¹³. Les deux textes s’inspirent en eěet du deuxième livre de la Consolation de la Philosophie (prose VII) dans lequel Boèce condamne l’aspiration à la gloire. L’Africa intègre toutefois ceĴe pensée dans une réĚexion historique qui est absente du Secretumȹ; à côté de la méditation sur la relativité de la renommée face à l’éternité, le poème latin souligne une autre limite de la renomméeȹ: l’oubli. Pétrarque ne se borne pas à considérer l’oubli comme l’expression de la fragilité de toute œuvre humaine, mais se réfère à des faits historiques précisȹ: après avoir déploré la décadence de l’empire romain dans l’Antiquité tardive et au Moyen Âge (II ŬűŮ sq.), il dénonce ce dernier comme l’époque des ténèbres qui oublie Rome et sa mission (II ŮŭŮ sq.). C’est par ce biais que l’Africa développe ce que l’on pourrait qualięer de dimension autobiographiqueȹ: le songe de Scipion contient la prophétie de l’avènement du poète moderne (il s’agit bien entendu de Pétrarque), capable d’honorer sa mémoire¹Ÿ. Ce thème est prolongé dans le livre IX de l’Africa qui exploite, lui aussi, la polysémie du motif triomphal. Le triomphe de Scipion y est précédé d’un long entretien entre Scipion et Ennius, qui suggère un rapprochement signięcatif entre le triomphe du héros militaire et le triomphe du poète. Le discours d’Ennius sur la dignité de la poésie (IX űŲ sq.), qui présente de nombreux points de contacts avec la Collatio laureationis¹Ź, s’achève sur un songeȹ: Homère y apparaît à Ennius et prédit la venue de Pétrarque¹ź. C’est la préęguration d’un autre triomphe, le couronne-

13. Cf. la démonstration serrée d’Enrico Fenzi (« Dall’Africa al Secretumȹ: Il sogno di Scipione e la composizione del poema », in Id., Saggi petrarcheschi, Fiesole, Cadmo, ŬŪŪŭ, p. ŭŪů-ŭŰŮ) qui touche à des questions complexes de chronologie que nous ne pouvons, pour des raisons d’espace, résumer iciȹ; cf. également Francesco Petrarca, Il mio segretoȹ: Secretum, a cura di E. Fenzi, Milan, Mursia, ūųųŬ, p. Ŭŭ sq. 14. Cf. Africa, II ŮŮŮ-ŮůŬ. 15. Cf. Werner Suerbaum, « Poeta laureatus et triumphansȹ: Die Dichterkrönung Petrarcas und sein Ennius-Bild », in Poetica, V, ūųűŬ, p. Ŭųŭ-ŭŬŲ. 16. IX ŬūŰ sq., mais dès le début de son discours (v. Űū sq.), Ennius dit qu’il naîtra peutêtre un jour un poète capable de chanter la vertu de Scipion qui n’a pas eu son Homère.

273

їќѕюћћђѠ яюџѡѢѠѐѕюѡ

ment du poète advenu en ūŭŮū. Pétrarque, alter Ennius, sera la voix de la gloire véritable, celle qui triomphe même sur le temps dans la mesure où Pétrarque ressuscite la gloire oubliée de Scipion. C’est, après les siècles de ténèbres, la re-naissance de la renommée des Anciens. L’Africa trouve ainsi son unité idéologique dans le double triomphe de Scipion et d’Ennius, de la vertu qui opère dans l’histoire et de la poésie qui célèbre ceĴe vertu. Le questionnement sur les fondements éthiques et transcendants de l’action des hommes dans l’histoire, qui est à l’origine du Somnium Scipionis, trouve une réponse moderne dans la conception humaniste de la poésie¹Ż. C’est de ceĴe façon que le poème construit l’« autobiographie » du poèteȹ: à travers le cheminement de l’Africa, Pétrarque a déęni sa mission et trouvé son identité de poète. Avant de voir ce que Pétrarque retient de l’inspiration du Somnium Scipionis dans les Triomphes, tournons-nous d’abord vers l’autre modèle de récit onirique qui nous intéresse ici. Dans la liĴérature médiévale, le Roman de la Rose est l’un des premiers exemples d’un rêve-vision dans un récit profane. Auparavant, ce procédé était réservé aux textes édięants, aux visions dans la lignée de la Consolation de la Philosophie de Boèce, ainsi qu’aux descriptions de voyages dans l’Au-delà comme celles de Raoul de Houdenc¹ż. Quels que soient les jugements de Pétrarque sur la liĴérature allégorique médiévale en général, et sur le Roman de la Rose en particulier¹Ž, l’œuvre de Guillaume de Lorris est le modèle central pour le développement de la dimension psychologique et autobiographique de l’allégorie des Triomphes. Le Roman de la Rose est le récit codé d’une initiation à l’amour, aux rites sociaux et aux mystères de la vieȹ; autrement dit, c’est l’histoire d’une éducation. Or, Pétrarque transforme ceĴe dimension psychologique en une dimension concrètement autobiographique. Il remplace en eěet la situation initiale très générale du roman, celle d’un jeune homme qui, au printemps, ne peut pas résister à l’appel de l’amour, par sa situation individuelle. Celleci est introduite dans le texte par le biais de références concrètes, présentes

17. Aldo S. Bernardo, Petrarch, Scipio and the Africa, Baltimore, John Hopkins Press, ūųŰŬ. 18. Christiane Marchello-Nizia, « La rhétorique des songes et le songe comme rhétorique dans la liĴérature française médiévale », dans I sogni nel Medioevo, a cura di T. Gregory, Rome, Edd. dell’Ateneo, ūųŲů, p. ŬŮů-ŬůŲ. 19. Pour les jugements négatifs de Pétrarque sur le Roman de la Rose, voir Carlo Calcaterra, « La prima ispirazione dei Trionę », in Id., Nella selva del Petrarca, Bologne, Cappelli, ūųŮŬ, p. ūŮů-ŬŪŲ [p. ūůŭ sq.].

274

љ’юљљѼєќџіђ ёюћѠ љђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

aussi bien dans les tercets d’ouverture qui précèdent le rêve qu’à l’intérieur du récit de rêveȹ: les Triomphes contiennent des références à Vaucluse, à Laure, à l’anniversaire de leur rencontre, aux amis du poète. Le Roman de la Rose inspire également à Pétrarque une structure d’enchâssement temporel fort originale. Au début du roman, Guillaume de Lorris dit vouloir raconter un rêve qu’il a fait lorsqu’il avait l’âge de l’amour, vingt ans. Le roman est donc le compte-rendu rétrospectif, énoncé au moins cinq ans plus tard²Ŵ, de ce rêve, qui est qualięé de prémonitoire puisque les événements se sont ensuite avérés dans la vie du rêveur²¹. Le rêve se présente par conséquent comme une initiation aux secrets de l’amour pour un jeune homme inexpérimenté. Pétrarque reprend le schéma, mais il le modięe en profondeurȹ: le jour de l’anniversaire de sa rencontre avec Laure, en une année non précisée, il se rêve en jeune homme avant sa rencontre avec elleȹ; ce jeune homme assiste aux triomphes qui, entre autres choses, représentent les événements de sa vie future. Le rêve des Triomphes est donc également une initiation aux secrets de l’amourȹ; ce n’est toutefois plus un rêve prémonitoire, mais un récit autobiographique rétrospectifȹ: l’auteur revit son histoire dans son rêve. Cela permet à Pétrarque de motiver ce rêve de façon originaleȹ: il naît, tout comme le rêve de Scipion dans l’Africa, des tourments d’une âme inquiète, mais il naît aussi de la mémoireȹ: « Al tempo che rinova i mie’ sospiri/ per la dolce memoria di quel giorno/ che fu principio a sí lunghi martiri » (TC, I ū-ŭ). C’est l’ouverture d’un poème visionnaire fortement subjectif, dans lequel le « Je » du texte n’est pas une simple fonction textuelle, à savoir l’instance qui reçoit un enseignement et la transmet au lecteur, mais un individu avec son histoire et ses conĚits (et c’est là un autre élément par lequel Pétrarque entend se mesurer avec le Dante de la Comédie). CeĴe structure temporelle si particulière du poème engendre une dialectique entre l’auteur qui raconte le rêve et le protagoniste du rêve qui est le jeune homme de l’époque. Pétrarque fait découler du décalage temporel un jeu de distanciationȹ: l’auteur, le « Je » qui écrit, interfère dans le récit de rêve. Dès la rencontre avec le mystérieux guide, ceĴe double perspective se manifesteȹ:

20. « Il a ja bien .V. anz ou mais » (v. ŮŰ) — cit. d’après Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Le roman de la Rose, publié par F. Lecoy, Paris, Champion, ūųűŭ. 21. Cf. v. ŬŲ-ŭŪȹ; pour les besoins de notre démonstration nous pouvons faire abstraction du fait que la façon dont Jean de Meung justięe l’apparition d’un deuxième auteur (v. ūŪůŭū sq.) vient compliquer ce schéma.

275

їќѕюћћђѠ яюџѡѢѠѐѕюѡ

Cosí diss’ioȹ; ed e’, quando ebbe intesa la mia risposta, sorridendo disseȹ: « Oh, ęgliuol mio, qual per te ęamma è accesaȹ! » Io no l’intesi allorȹ; ma or sí ęsse sue parole mi trovo entro la testa che mai piú saldo in marmo non si scrisse [TC, I ůŲ-Űŭ].

Nous retrouvons ceĴe irruption du temps verbal du présent parmi les temps verbaux du passé dans le Triumphus Cupidinis III où il est dit, après l’évocation de la rencontre avec Laureȹ: Ad ogni altro piacer cieco era e sordo, seguendo lei per sí dubbiosi passi ch’i’ tremo ancor, qualor me ne ricordo. Da quel tempo ebbi gli occhi humidi e bassi e ‘l cor pensoso, e solitario albergo fonti, ęumi, montagne, boschi e sassi. Da indi in qua cotante carte aspergo di penseri, e di lagrime, e d’inchiostro, tante ne squarcio, e n’apparecchio, e vergo. Da indi in qua so che si fa nel chiostro d’Amore, e che si teme, e che si spera, e, chi sa legger, ne la fronte il mostro [v. ūŪų-ūŬū].

Ces vers ouvrent la description des innombrables souěrances causées par la passion, description qui s’achève sur une longue énumération marquée par l’anaphore d’un autre verbe au présentȹ: so (TC, III ūůū-ūŲŮ). Le « Je » qui écrit interfère donc dans un récit qui, du fait, ne se borne plus à décrire une vision, mais se réfère à toute l’histoire d’amour vécue par l’auteur — une histoire qui dure encore au moment de l’écriture. CeĴe double perspective temporelle remet en question la construction ascendante des Triomphes. L’initiation du protagoniste à l’amour se présente en eěet, à l’instar du début des Rerum vulgarium fragmenta, comme une fatalité destinée à déterminer toute son existenceȹ: il est à tout jamais prisonnier du dieu d’Amour. La passion amoureuse est à la fois l’origine et l’ultime horizon de l’écriture. La dimension autobiographique entre en conĚit avec la perspective morale et philosophique que suggère la construction ascendante du poème. Le Dante de la Comédie, qui raconte un voyage déjà achevé, peut évoquer, dans le premier chant de l’Enfer, son naufrage moral avec la certitude de son salut. Pour le Pétrarque des Triomphes, le salut reste incertain.

276

љ’юљљѼєќџіђ ёюћѠ љђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

Dans la deuxième partie du poème, le drame vécu par le protagoniste semble s’eěacer en faveur d’une méditation sur la gloire (Triumphus Fame) et sur sa relativité (Triumphus Temporis), qui est inspirée du Somnium Scipionis. Mais ce mouvement ascendant, loin d’être rectiligne, comporte des tensions conceptuelles très fortes. Le périple du Triumphus Pudicitie — du royaume de Vénus à Chypre, lieu chaotique, à Rome, lieu de l’ordre social et de la vertu opérant dans l’histoire — suggère que le triomphe de Laure renferme aussi un sens moral et historique. Sur ce chemin, les femmes chastes s’arrêtent à Linternum, le refuge de Scipion. Le Triumphus Pudicitie suggère ainsi un rapprochement entre Scipion et Laure, que nous trouvons également dans plusieurs poésies des Rerum vulgarium fragmenta²². Ce mouvement ascendant est brisé par le Triumphus Mortis, qui modięe radicalement le sens du poème. CeĴe rupture se manifeste dans le Triumphus Fame qui lui succède et dont la perspective est double et contradictoire. Il célèbre l’héroïsme et la grandeur du passé et réalise ainsi l’œuvre de mémoire qui est au cœur de la culture humaniste. En même temps, le sens éthique et historique de ceĴe grandeur est mis en questionȹ: vraie et fausse gloires se mélangent. Entre le premier Triumphus Fame, qui exalte la valeur exemplaire de l’histoire romaine, et le troisième, qui célèbre la perfection du savoir antique, s’intercale le deuxième triomphe, qui accueille des renommées dissociées de toute valeur éthique. L’aspiration à la gloire apparaît avant tout, dans une optique proche du Secretum, comme soumission de l’homme à l’une des forces qui gouvernent son existence. Par la suite, le Temps eěace déęnitivement la Renomméeȹ: la mémoire poétique ne semble plus être capable de la sauver. CeĴe construction est lourde de conséquences pour la conception de la poésie et du poète. En eěet dans l’Africa, la poésie elle-même triomphe car elle fait revivre le triomphe romain. La vision des Triomphes s’ouvre en revanche sur le constat amer que dresse le protagonisteȹ: il vit à une époque qui ne connaît plus les splendeurs des triomphesȹ: Vidi un victorïoso e sommo duce, pur com’un di color che ‘n Campidoglio triumphal carro a gran gloria conduce. I’, che gioir di tal vista non soglio per lo secol noioso in ch’i’ mi trovo, 22. Triumphus Pudicitie, ūŰŰ-ūűűȹ; cf. Aldo S. Bernardo, Petrarch, Laura and the Triumphs, Albany, State University of New York Press, ūųűŮ, p. ūūū sq.

277

їќѕюћћђѠ яюџѡѢѠѐѕюѡ

vòto d’ogni valor, pien d’ogn’orgoglio, l’abito in vista sí leggiadro e novo mirai, alzando gli occhi gravi e stanchi, ch’altro dileĴo che ‘nparar non provo [TC, I ūŭ-Ŭū].

Il ne faut pas lire ces premiers tercets de la vision comme une simple comparaison, mais plutôt comme une succession dans le temps et donc comme une désillusionȹ: le protagoniste croit d’abord qu’il s’agit d’un triomphe romain, il s’aperçoit seulement ensuite qu’il assiste au triomphe de l’Amour²³. L’amour eěace pour ainsi dire l’héroïsme. Les Triumphi Cupidinis racontent l’initiation du protagoniste à l’amour et montrent donc comment il est devenu poète. Dans le Triumphus Cupidinis IV, Pétrarque peut assister au cortège des poètes d’amour parce qu’il est devenu luimême un poète d’amour. Au début du Triumphus Fame I, Pétrarque souligne le fait que de nombreuses victimes de Cupidon se retrouvent dans le cortège de la Renommée²Ÿ. Ils se sont donc pour ainsi dire aěranchis du joug de l’amour et ont conquis la gloire. Mais ce privilège reste, dans les Triomphes, réservé aux héros de l’histoire d’un côté et aux auteurs antiques de l’autre. La tripartition de Valère Maxime, suivie par Pétrarque lui-même dans les Rerum memorandarum libri, en romains, étrangers et modernes, s’applique donc, dans les Triumphi Fame, aux hommes d’action, mais non pas au domaine liĴéraire et philosophiqueȹ: les poètes contemporains, exclus du triomphe de la Renommée, sont réunis dans le Triumphus Cupidinis IV. Or, indépendamment des jugements liĴéraires de Pétrarque sur les Anciens et les Modernes, ceĴe disposition a un sens précis quant au parcours de l’auteur lui-mêmeȹ: Pétrarque reste, comme les autres poètes modernes, un poète de l’amour. La conception de l’Africa, qui associait la gloire poétique à la gloire des héros de l’histoire, semble donc s’être eěacée. Le couronnement de Pétrarque est évoqué au Triumphus Cupidinis (IV űų-Ųū). Il est un personnage du Triumphus Cupidinis, mais il n’est qu’un spectateur du Triumphus Fame. Si le Somnium Scipionis est l’intertexte principal de toute la deuxième partie des Triomphes, il inspire aussi à Pétrarque deux épisodes particuliers 23. Pour ce début du Triumphus Cupidinis I, il faudrait s’interroger sur l’importance d’un intertexte souvent exploité par Pétrarqueȹ: les Tristia d’Ovide. Dans le livre IV, le poète évoque longuement le souvenir d’un triomphe qui devient un emblème de la patrie perdue (Tristia, IV Ŭ). 24. Triumphus Fame, I ūų-Ŭūȹ: « Scolpito per le fronti era il valore/ de l’onorata gente, dov’io scorsi/ molti di quei che legar vidi Amore ».

278

љ’юљљѼєќџіђ ёюћѠ љђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

qui marquent le début et la ęn de ceĴe deuxième partieȹ: le Triumphus Mortis II et le Triumphus Eternitatis. La rencontre avec Laure défunte et le dernier triomphe constituent par ailleurs deux violations du cadre temporel et narratif du poèmeȹ: le Triumphus Mortis II est un rêve dans le rêveȹ; le Triumphus Eternitatis est une vision, détachée des autres triomphes et située dans le futur. Ces deux épisodes portent à leur expression extrême les tensions sous-jacentes au poème. La rencontre avec l’âme d’un défunt, telle qu’elle est présentée dans le Triumphus Mortis II, est un motif fréquent dans la liĴérature visionnaire du Moyen Âgeȹ; de même, le fait que l’âme du défunt rassure le visionnaire au sujet de sa vie terrestre n’a rien d’extraordinaire²Ź. Toutefois, dans le Triumphus Mortis II, ce motif connaît un développement inaĴenduȹ: Laure s’avoue amoureuse de Pétrarque. Ce dialogue entre le poète et Laure est une réécriture, à la fois, du Somnium Scipionis²ź et des deux premiers livres de l’Africa. Dans les Triomphes, la femme aimée remplace la ęgure tutélaire du père, mais le dialogue remplit une fonction parfaitement analogueȹ: rassurer le protagoniste sur le sens de son expérience terrestre et lui révéler sa mission. Le songe de Scipion dans l’Africa s’achève sur une prophétieȹ: Scipion Émilien prédit à l’Africain son exil. Laure prédit, à la ęn du Triumphus Mortis II, à Pétrarque un autre exilȹ: sa future vie terrestre, marquée par l’absence de Laure (v. ūŲų-ūųŪȹ: « Al creder mio,/ tu starai in terra senza me gran tempo »). Dans l’Africa, la réécriture du Somnium Scipionis doit fonder et légitimer la poésie épique de Pétrarque. Dans le Triumphus Mortis II, l’entretien avec Laure rachète la poésie lyrique qui pouvait sembler discréditée par le Triumphus Cupidinis²Ż et justięe ainsi le Pétrarque poète de l’amour. On peut, à ce point, entrevoir la raison d’être de ce rêve dans le rêve qui a 25. Peter Dinzelbacher, Vision und Visionsliteratur im MiĴelalter, StuĴgart, Hiersemann, ūųŲū, et Jean-Claude SchmiĴ, Les revenants, Paris, Gallimard, ūųųŮ. 26. Notons au passage que l’entretien avec Laure s’ouvre par une sentence paradoxale (la mort est la vraie vie, la vie terrestre est en réalité la mort) qui est certes un topos, mais qui est néanmoins inspirée d’une phrase du Somnium Scipionisȹ: cf. Cic., De republica, VI ūŮȹ: « Immo vero, inquit, hi vivunt, qui e corporum vinculis tamquam e carcere evolaverunt, vestra vero quæ dicitur vita mors est »ȹ; Triumphus Mortis, II ŬŬȹ: « viva son io, e tu se’ morto ancora ». 27. Ce rachat de la poésie lyrique nous semble distinguer le Triumphus Mortis II de la chanson CCCLIX des Rerum vulgarium fragmenta. Pour une lecture parallèle des deux textes, voir Emilio Pasquini, « La canzone CCCLIX », in Lectura Petrarce, V, ūųŲů, p. ŬŬű-ŬŮű et Claude Perrus, « Le rêve dans le Canzoniere de Pétrarque », dans Arzanàȹ: Cahiers de LiĴérature médiévale italienne, vol. IVȹ: Rêves et récits de rêve, op. cit., p. Ůŭ-űū [Űŭ sq.].

279

їќѕюћћђѠ яюџѡѢѠѐѕюѡ

paru si incongru à nombre de lecteurs et de critiquesȹ: de même que Scipion ne peut accomplir sa mission qu’après avoir été rassuré par la vision, de même Pétrarque, personnage des Triomphes, ne peut pas aěronter les derniers triomphes sans la consolation de Laure. De même que la Béatrice de la Vita nova devient, dans la Comédie, la femme bienheureuse qui est à l’origine du voyage de Dante dans l’Au-delà, de même la Laure des Rerum vulgarium fragmenta est, dans les Triomphes, à l’origine de l’ascension mystique des derniers triomphes. C’est l’amour de Laure qui permet à Pétrarque d’assister, après la leçon du Triumphus Temporis sur la relativité de la gloire et de toute œuvre terrestre, à un dernier triomphe qui est détaché du cadre temporel et narratif du poème puisqu’il se situe dans un avenir non précisé. La vision du Triumphus Eternitatis n’aboutit toutefois pas à l’eěacement de tout désir terrestreȹ; elle réalise plutôt un accomplissement suprêmeȹ: la réconciliation de l’homme, face à l’absolu, avec son existence terrestre. Si le Triumphus Eternitatis est, sur le modèle du Paradis de Dante, l’ascension vers la plénitude de la vision de l’absolu, la subjectivité n’y est pas pour autant eěacéeȹ: le protagoniste retire de ce rêve une consolation, la promesse d’une conciliation entre l’éternité et le bonheur terrestre. Le poète de l’amour se réconcilie ainsi avec lui-mêmeȹ: le visionnaire du Triumphus Eternitatis est aussi le poète d’amour qui chante toujours. Dans une dernière violation du cadre temporel, on revient du futur de la vision au présent de l’écritureȹ: E quella di ch’anchor piangendo canto avrà gran meraviglia di se stessa, vedendosi fra tuĴe dar il vanto [TE, ųű-ųų].

Dans les tout derniers vers du poème, après la suprême abstraction de la vision de l’Éternité, on revient à une réalité concrète, au « ęume che nasce in Gebenna » et au « bel viso » de Laure. La vision de Pétrarque, parvenu au bout de son cheminement philosophique, retrouve ainsi la dimension autobiographique. Les Triomphes s’achèvent, comme ils ont commencé, sur le motif de la mémoireȹ: A riva un ęume che nasce in Gebenna Amor mi die’ per lei sí lunga guerra che la memoria anchora il cor accenna. Felice sasso che ’l bel viso serraȹ! Che, poi che avrà ripreso il suo bel velo,

280

љ’юљљѼєќџіђ ёюћѠ љђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

se fu beato chi la vide in terra, or che ęa dunque a rivederla in cieloȹ? [TE, ūŭų-ūŮů]

En ce sens, les Triomphes sont, comme les Rerum vulgarium fragmenta, l’histoire d’un désir qui a traversé toute une vie.

281

Gabriella Parussa & Elina Suomela-Härmä

Le triomphe des Triomphesȹ: la réception de Pétrarque en France entre Moyen Âge et Renaissance Culture italienne et culture française entretiennent tout au long des xivĽ et xvĽ siècles des rapports complexes d’aĴraction et de répulsion, rapports que Pétrarque incarne assez bien par son itinéraire d’intellectuel et par ses choix liĴéraires. Convaincu de la supériorité de la langue et de la liĴérature italiennes¹, il prit quand même le soin de lire les best-sellers en langue française, comme, par exemple, le Roman de la Rose. Tout en émeĴant des jugements sévères contre ce roman allégorique, dont il détestait la froideur et le manque d’émotion humaine², Pétrarque s’en est probablement inspiré pour composer les Trionę, au moins pour le premier des six, le Triumphus Cupidinis³. Celui-ci serait en eěet une sorte de réponse italienne au roman allégorique qui, au moyen d’une vision, raconte une aventure amoureuse. Quoi qu’il en soit, la renommée de Pétrarque traversa assez rapidement les Alpes. Mais, si le De remediis fut le premier texte à connaître une traduction en français, exécutée sur l’ordre de Charles V par Jean Daudin, 1. On cite souvent la phrase de Pétrarque qui suscita tant de commentaires de la part des intellectuels françaisȹ: « oratores et poete extra Italiam non querantur » (Senil., IX ūȹ: LeĴre de ūŭŰŲ à Urbain V). 2. Jugements qu’il exprime dans une leĴre en vers latins à Guido Gonzaga, à qui il avait prêté un manuscrit du Roman de la Rose. Cf. Epystole, III ŭŪ. 3. CeĴe hypothèse de Calcaterra, DoĴi et beaucoup d’autres, n’est pas prise en considération par Branca et Billanovich qui préfèrent souligner la deĴe de Pétrarque vis-à-vis de l’Amorosa visione de Boccace. Cf. Ugo DoĴi, Vita di Petrarca, Bari, Laterza, ūųŲű, p. űŪ sq.ȹ; mais aussi Luigi Foscolo BenedeĴo, Il Roman de la Rose e la leĴeratura italiana, Halle, M. Niemeyer, ūųūŪ, p. ūŰŮ-ūűū. Les ressemblances dans la structure d’ensemble et dans l’organisation de la matière et le choix des personnages ont été montrées par Johannes Bartuschat, dans la communication présentée à ce même colloque.

283

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

en ūŭűŲ, les Triomphes tardèrent à s’imposer ailleurs qu’en Italie. L’enquête de Franco Simone conclut à une arrivée assez tardive de ce texteȹ; d’après lui, en eěet, il a fallu aĴendre le début du xviĽ siècle pour voir apparaître la première version française des TriomphesŸ. Malgré les allusions plus ou moins explicites à ceĴe œuvre de PétrarqueŹ, F. Simone aĜrmait que, si on a connu les Triomphes au xvĽ siècle, c’est uniquement sous la forme des quatrains latins composés par un auteur anonyme, dont s’inspirèrent Robertet père et ęls et Jehan Molinet pour écrire des paraphrases et des rondeaux. Pourtant, l’existence d’une première traduction en prose française tendrait à prouver que les Triomphes devaient circuler en France, et dans leur forme originale, dès le dernier quart du xvĽ siècleź. Tant qu’on n’aura pas revu de façon systématique la datation des diěérentes traductions françaises, on pourra simplement aĜrmer que les Trionę se situent, pour ce qui est de la réception en terre française, entre le De remediis et le Canzoniere, et que la fortune des nombreuses traductions françaises des Trionę prépara celle du Canzoniere, dont le succès fut plus vaste et plus durable. Les travaux de Franco Simone que nous venons de mentionner ont permis de retracer le succès des Trionę et d’identięer et décrire toutes les versions françaises élaborées au cours du xviĽ siècle. CeĴe avancée a été complétée par l’enquête d’É. PellegrinŻ et par celle de G. Mombelloż. Grâce à ces travaux pionniers, nous connaissons aujourd’hui les manuscrits italiens et français de ceĴe œuvre conservés en France et, par conséquent, nous sommes à même d’évaluer, avec une approximation inévitable, la circulation des textes de Pétrarque en France et les modalités de diěusion des manuscrits italiens dans ce pays. Toutefois, personne ne s’est encore

4. Franco Simone, Il Rinascimento franceseȹ: Studi e ricerche, Turin, SEI, ūųŰū, p. ūűű et p. ūŲų. 5. Jean Robertet, dans sa Complainte de la mort de maistre George Chastellain (ūŮűŰ), aĜrme avoir lu les Triomphesȹ; René d’Anjou, dans son Livre du Cueur d’amour espris, fait probablement allusion à ce texte (cf. éd. et trad. de Florence Boucherȹ: Paris, Le Livre de Poche, ŬŪŪŭ, p. ŭŰŮ-ŭŰŰ). 6. Elina Suomela-Härmä, « Note sulla prima traduzione francese dei Trionę del Petrarca », in Studi francesi, CXXIX, ūųųų, p. ůŮů-ůůŭ, et Dario CeccheĴi, « Petrarca in Francia prima del petrarchismoȹ: un mito polemico », in Franco-Italica, XI, ūųųű, p. ű-ŭū [p. ŭŪ]. 7. Élisabeth Pellegrin, Manuscrits de Pétrarque dans les bibliothèques de France, Padoue, Antenore, ūųŰŰ. 8. Gianni Mombello, I manoscriĴi delle opere di Dante, Petrarca e Boccaccio nelle principali librerie francesi del secolo XV, Florence, Olschki, ūųűū — extr. de Il Boccaccio nella cultura franceseȹ: AĴi del convegno di studi « L’opera del Boccaccio nella cultura francese » (Certaldo, Ŭ-Ű seĴembre ūųŰŲ).

284

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

vraiment intéressé au contenu de ces traductions ou aux milieux dans lesquels elles ont été composées. Nous ne souhaitons pas nous arrêter longuement sur les rapports qu’entretiennent les diverses traductions en prose et en vers des Trionę. Nous rappellerons uniquement qu’il existe une première version en prose datant, à notre avis, de la ęn du xvĽ siècle, c’est-à-dire à une époque où l’on ne connaissait pas encore le commentaire de Bernardo Lapini, dit IlicinoŽȹ; et une deuxième version, bien plus longue, dont il existe des manuscrits et des imprimés. Suit une traduction partielle en prose française du texte et du commentaire d’Ilicino, préparée pour Louis XII dans un atelier rouennais. Et c’est vraisemblablement après ceĴe dernière qu’arrive notre traduction en vers, la première traduction française versięée.

Les manuscrits Ce travail d’adaptation fut d’abord aĴribué à Hugues Salel, ensuite à Simon Bourgouin, dont le nom apparaissait sur un des manuscrits qui n’avaient pas encore aĴiré l’aĴention des critiques¹Ŵ. En fait, des trois manuscrits que nous possédons aujourd’hui¹¹, un seul porte le nom du traducteur en toutes leĴres, les deux autres reproduisent simplement un monogramme du même Bourgouinȹ: l’aĴribution est toutefois assurée, vu que le texte est presque identique dans les trois témoins. Nous savons aussi qu’il y avait au moins un quatrième manuscrit, qui a appartenu à Anne de Polignac et dont on a perdu toute trace depuis la ęn du xixĽ siècle¹². 9. L’auteur de la première version en prose ne le connaissait certainement pas. Cf. E Suomela-Härmä, « Note sulla prima traduzione francese… », op. cit., p. ůůŬ. 10. Hélène HarviĴ, « Les Triomphes de Pétrarqueȹ: traduction en vers français par Simon Bougouyn, valet de chambre de Louis XII », dans Revue de LiĴérature comparée, II, ūųŬŬ, p. Ųů-Ųų. 11. Il existe un quatrième manuscrit, composé dans un atelier parisien aux alentours de ūůŪŪ dont nous ignorons la localisation actuelle. L’existence de ce manuscrit chez le libraire Tenschert a été signalée par Gabriele Bartz et Eberhard König, Boccaccio und Petrarca in Parisȹ: Der Petrarca der Anne de Polignac, RoĴhalmünster-Ramsen, H. Tenschert, ūųųű, p. Ŭűų-ŭūų. 12. F. Simone avait proposé d’identięer l’un des manuscrits conservés avec celui qui avait appartenu à Anne de Polignac et qui a été vendu en ūŲűŬ, mais ceĴe identięcation est à juste titre démentie par É. Pellegrin, Manuscrits de Pétrarque…, op. cit., p. ŮŰū, n. ū. Il y avait donc un quatrième manuscrit de ceĴe traduction qui ne nous est pas parvenu. Cf. Ernest-Quentin Bauchart, Les femmes bibliophiles de France (xviĽ, xviiĽ et xviiiĽ siècles), Paris, Morgand, ūŲŲŰ, vol. I, p. ůŪ, n° Ŭūȹ: « manuscrit du xvĽ siècle, sur vélin, composé de űŮ feuillets »ȹ; voir aussi James P. Carley-Myra D. Orth, « Plus que assezȹ: Simon Bourgouyn and his french translations from Plutarch, Petrarch and Lucian », in Viator, XXXIV, ŬŪŪŭ, p. ŭŮŪ sq.

285

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Le premier en date, et le plus complet du point de vue du contenu, semble être celui qui se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France sous la cote Fr. ūŬŮŬŭ (dimensionsȹ: ŭūů x ŬŬŪ mm.). Ce manuscrit est en parchemin, et, si codicologues et critiques liĴéraires ont proposé comme date un vague « début du xviĽ siècle »¹³, les historiens de l’art l’ont daté plus précisément d’avant ūůūŪ. On ne sait pas pour qui ce manuscrit aurait été composé, mais on lit au dos de la page de garde la mention presque entièrement eěacéeȹ: « a la duchesse de Milan ». Or, à l’époque en question, nombreuses étaient les femmes qui pouvaient se targuer de ce titre et il est diĜcile de décider s’il s’agit plutôt de Claude de France, de Bonne de Savoie¹Ÿ ou de Christine de Danemark, la belle-ęlle du duc Antoine de Lorraine, veuve de Francesco Sforza et donc duchesse douairière de Milan. Antoine de Lorraine, qui avait vécu à la cour de Louis XII jusqu’en ūůŪŲ, avait déjà été le destinataire d’un des manuscrits de Bourgouin¹Ź. Il se peut donc que notre traducteur ait voulu lui oěrir un autre ouvrage de sa composition, qui serait passé, après la mort du duc, à son ęls et à Christine. Ce manuscrit mélange diěérents styles d’écritureȹ: sur la même page apparaissent l’humanistique penchée (texte italien), l’humanistique arrondie (texte français) et la bâtarde pour les sommaires. Chaque triomphe y est précédé d’une très belle enluminure à pleine pageȹ; les enluminures elles-mêmes sont aĴribuées au Maître des Entrées de Paris et ont été retouchées par Étienne Poncher¹ź. Les encres utilisées sont de couleurs diěérentesȹ: noire pour le texteȹ; rouge et bleue pour les titres, les titres courants et les devises, c’est-à-dire pour le paratexteȹ; bleue, rouge et dorée pour les leĴrines. Le manuscrit en deux volumes Fr. ŬůŪŪ-ŬůŪū de la Bibliothèque nationale de France, en parchemin, est d’un format beaucoup plus petit et maniable (dimensionsȹ: ūůŲ x ūŪŬ mm.). Il aurait été composé vers ūůŬŪ et devait certainement contenir des enluminures, au moins une pour chaque triomphe, mais elles ont probablement été arrachées. Le premier

13. Ainsi É. Pellegrin, Manuscrits de Pétrarque…, op. cit., p. ŮůŲ — alors que F. Simone, Il Rinascimento francese…, op. cit., p. ūűŲ, propose pour sa part l’année ūůŭŪ. 14. Femme de Galéas-Marie Sforza, Bonne de Savoie meurt toutefois avant la date présumée de transcription du manuscrit. 15. Il s’agit du ms. ŬůŰů de l’Österreichische Nationalbibliothek de Vienne, qui contient les vies de Démosthène, Caton et Cicéron, et qui porte les armes du duc de Lorraine et les monogrammes de Bourgoinȹ: SB et SnB, ainsi que la devise « A Domino factum est istud ». 16. Pour ceĴe aĴribution, voir J.P. Carley-M.D. Orth, « Plus que assezȹ: Simon Bourgouyn and his french translations… », op. cit., p. ŭŬŲ-ŭŰŭ.

286

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

triomphe, le Triumphus Cupidinis, manque¹Ż, mais pour le reste, le texte italien est complet, ainsi que le texte en français de la traductionȹ; seuls les rondeaux font défaut. Dans le même atelier parisien, a été composé un peu plus tard, vers ūůŬŬ¹ż, un deuxième manuscrit, jumeau du précédent mais pourvu d’enluminures occupant chacune une double page. Elles sont l’œuvre d’un peintre assez célèbre, Godefroy le Batave. Il s’agit du manuscrit conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la cote ŰŮŲŪ, en parchemin, dont les dimensions sont de ūŬū x Ųů mm. La polychromie des manuscrits précédents est reproduite iciȹ: les titres sont en or et bleu, les initiales en or et de diěérentes couleurs¹Ž. Le nom de l’auteur de la traduction disparaît, mais la devise et les monogrammes sont conservés dans ce manuscrit qui a probablement été confectionné pour le roi François IĽŊ, au moment où Bourgouin ęgure dans ses comptes comme valet de garde-robe. CeĴe fois-ci, pourtant, le texte français a aĴeint une certaine indépendance et ęgure seul sur la page manuscrite. Est-ce le destinataire qui ne comprenait plus l’italien ou bien la volonté de proposer un poème en langue française complètement indépendant de l’original qui a poussé le traducteur à se débarrasser du texte de Pétrarqueȹ? Après avoir analysé le texte contenu dans chaque manuscrit, nous en sommes arrivées à des conclusions qui, pour une fois, semblent en accord parfait avec la datation proposée par les historiens de l’art. Le manuscrit le plus ancien, le plus complet du point de vue textuel, est le Fr. ūŬŮŬŭ de la Bibliothèque nationale de Franceȹ; suivent le manuscrit Fr. ŬůŪŪ-ŬůŪū de la même bibliothèque, acéphale qui présente un texte assez proche du précédent, et enęn le manuscrit de l’Arsenal. Dans ce dernier, le texte italien disparaît et la traduction en français a été soumise à une légère révision, probablement par le traducteur lui-même, au moment de la préparation d’un nouveau manuscrit pour un destinataire important.

17. À l’origine, le texte des Triomphes devait occuper trois volumes, dont le premier ne nous est pas parvenu. 18. Cf. J.P. Carley-M.D. Orth, « Plus que assezȹ: Simon Bourgouyn and his french translations… », op. cit., p. ŭŮŬ. D’après F. Avril, il faut le dater de ūůŬŮ-ūůŬŰ (cf. François AvrilNicole Reynaud, Les Manuscrits à peintures en Franceȹ: ūŮŮŪ-ūůŬŪ, Paris, Bibliothèque nationale de France-Flammarion, ūųųŭ, p. Ůūű). 19. Il existe une description succincte de ce manuscrit par H. Martin-Ph. Lauer, Les principaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, Paris, Société française de repr. des mss à peintures, ūųŬų, p. Űŭ sq.

287

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

L’édition se fondera donc sur le premier manuscrit, dont le texte (français et italien) est le plus complet, et reléguera à la varia lectio le travail de correction apporté par le traducteur dix ou quinze ans après la première rédaction.

Traducteur, destinataires et milieux culturels Par rapport aux autres traductions des Triomphes mentionnées plus haut, nous avons aěaire ici à quelque chose de totalement diěérent par le choix de la forme poétique et de la présence simultanée des textes italien et français, accompagnés des quelques vers latins qui avaient assuré la première diěusion des Trionę en France. C’est la première fois, en eěet, qu’un auteur prend en compte le caractère liĴéraire et poétique de ce texte, en essayant de rendre en français les qualités formelles et stylistiques de l’original. Le traducteur, tout en respectant l’organisation de la matière en six triomphes, divisés en chapitres, propose à ses lecteurs quelque chose de nouveau par rapport au texte-source, puisqu’il y ajoute ces vers latins composés au xvĽ siècle, qu’il fera suivre de rondeaux de sa composition (six au total, un pour chaque triomphe) et des sommaires en vers dans lesquels il essaiera de résumer l’essence de chaque triomphe. En fait, ce qui saute aux yeux immédiatement, quand on parcourt les témoins de ceĴe traduction, c’est son caractère composite, mais cependant bien ordonné, qui juxtapose sur les pages manuscrites langues et styles d’écriture, formes métriques et couleurs diěérents²Ŵ. La mise en page est des plus complexes, mais à chaque fois l’atelier s’est brillamment acquiĴé d’une tâche ardue. Le résultat est un texte multicolore et multiforme qui fait appel à des codes linguistiques et graphiques diěérents, ainsi qu’à la peinture, pour charmer non seulement l’intelligence du lecteur mais aussi son sens esthétique. Le soin avec lequel ces manuscrits ont été composés prouve que le copiste prêtait aĴention à l’eěet obtenu sur la page et que les manuscrits qui nous sont parvenus étaient destinés à un public sensible à la richesse de l’ornementation des livres — un public riche, ayant les moyens de payer le travail des copistes, mais aussi des enlumineurs. CeĴe 20. Voici la macrostructure de chaque Triompheȹ: ūº- Vers latins (humanistique penchée)ȹ; Ŭº- Rondeau qui paraphrase les vers latins (humanistique)ȹ; ŭº- Sommaire (un pour chaque chapitre, en bâtarde)ȹ; Ůº- Texte en français (humanistique arrondie) + texte italien dans les marges (humanistique penchée).

288

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

considération nous incite à nous interroger sur le milieu où ce projet a été conçu et sur l’identité du traducteur. Simon Bourgouin n’est pas totalement inconnu des historiens de la liĴérature et des biographesȹ: il a signé par des acrostiches deux textes de sa compositionȹ: la Moralité de l’homme juste et de l’homme mondain et l’EspineĴe du jeune prince, dont il ne nous reste que des versions imprimées²¹. Néanmoins, son nom apparaît en toutes leĴres sur la page de titre de la traduction des Vraies narrations de Lucien — autre texte imprimé²² — ainsi que dans les manuscrits de sa traduction de quelques Vies de Plutarque, faite à partir du latin²³. À propos des diěérentes versions de ces traductions, on retiendra que des manuscrits des Vies ont été oěerts à Pierre II de Bourbon, le mari d’Anne de France (sœur de Louis XI), à Antoine, duc de Lorraine, à Guy de Baudreuil²Ÿ et, probablement, aussi à Louis XII²Ź. Les renseignements que nous donnent sur Simon Bourgouin les prologues ou les pages de titre sont les suivantsȹ: on trouve dans la traduction des Vies les indications « bachelier en lois »²ź et « escripvain et valet de chambre du roi »²Ż. Les biographes de Bourgouin ne feront que répéter ces renseignements plutôt vagues à côté de la bibliographie de l’auteur, en ajoutant simplement l’identięcation du roi nommé dans l’imprimé de ūůŬų comme étant Louis XII²ż. 21. Moralité de l’homme juste et de l’homme mondain, Paris, Antoine Vérard, ūůŪŲ et Traité de l’EspineĴe du jeune prince conquerant le royaume de Bonne renommée, Paris, Michel Le Noir, ūůūŮ. 22. Des vrayes narrations, traduict du grec en latin, et nouvellement de latin en françoys par Simon Bourgouyn escripvain et valet de chambre du roy, Paris, Galliot du Pré, ūůŬų. 23. Cf. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. űŭŬ, fº ūrºȹ: « La tres celebrable et fameuse vie du tres noble, tres puissant et tres magnanime capitaine rommain Pompee le Grand, translatee de latin en françoys par Symon Bourgouyn bachelier en loye ». 24. Abbé de Saint-Martin-aux-Bois, près de Clermont (diocèse de Beauvais). 25. J.P. Carley-M.D. Orth, « Plus que assezȹ: Simon Bourgouyn and his french translations… », op. cit., p. ŭŭű sq., pensent toutefois que Louis XII n’a fait que signer le manuscrit et qu’il n’a jamais possédé un manuscrit composé par Bourgouin. 26. Le ms. Fr. űŭŬ de la Bibliothèque nationale de France n’est pas datéȹ; on trouve la mention des études eěectuées par Bourgouin aux fºs ūrº, ūŰŲrº et ŬŰŰrº. 27. Cf. la page de titre de l’édition de Galliot du Pré (ūůŬų), op. cit., supra, n. ŬŬ. 28. Il semblerait que F.G. de La Croix du Maine (Bibliothèque, Paris, L’Angelier, ūůŲŮ) ait été le premier à identięer le roi au service duquel Bourgouin aurait travaillé avec Louis XIIȹ; l’abbé C.-P. Goujet (Bibliotheque françoise, Paris, P.-J. MarieĴe- H. L. Guérin, ūűŮŪ-ūűůŰ), le Duc de la Vallière (Bibliothèque du théâtre françois, Dresde, M. Groell, ūűŰŲ) et, en dernier lieu, L. Petit de Julleville (Histoire du théâtre en Franceȹ: La Comédie et les mœurs au Moyen Âge, Paris, L. Cerf, ūŲŲŰ) ne font que répéter ce renseignement qui ne leur vient pas des œuvres de Bourgouin. L’abbé Goujet ajoute cependant une précision intéressanteȹ: pour lui, en eěet,

289

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Une enquête sérieuse dans les documents d’archives n’a pas été menée jusqu’ici. Seul un article récent sur Bourgouin et sur son activité de traducteur aĴire l’aĴention du lecteur sur le fait que le nom de Simon Bourgouin apparaît dans les comptes de François IĽŊ, en ūůŬŭ et ūůŬŮ, en qualité de valet de garde-robe. Les auteurs de cet article semblent en déduire que la fonction de valet de chambre de Louis XII a été aĴribuée abusivement à Bourgouin pour des raisons qu’on ignore. En fait, si l’on s’en tient à ce qu’il a écrit, on peut raisonnablement penser que Bourgouin est jeune quand il écrit l’EspineĴe et que le prologue a été composé pour le roi Louis XII. En eěet, dans un manuscrit de sa traduction des Vies de Plutarque portant la signature de Louis XII, il est aĜrmé qu’il n’est à l’époque qu’un simple bachelier. Est-ce grâce à ceĴe traduction qu’il a pu obtenir la charge de valet de chambreȹ? Pour l’instant nous l’ignorons, les comptes que nous avons pu consulter à la Bibliothèque nationale de France demeurant muets sur Bourgouin. Cependant, il reste certainement un nombre considérable de documents d’archives à dépouiller avant de pouvoir écarter l’hypothèse selon laquelle Bourgouin aurait travaillé pour deux rois, d’abord Louis XII, ensuite François IĽŊ. Beaucoup d’autres écrivains, historiens et peintres l’ont fait à la même époqueȹ: les Robertet, Jehan Marot, Pierre Sala, etc. Il est possible aussi qu’il ait travaillé pour un autre seigneur, comme par exemple Charles d’Angoulême²Ž, père de François IĽŊ, qui était le prol’EspineĴe aurait été composée avant le règne de Louis XII (cf. p. ūűŰ). Petit de Julleville avait trouvé une mention de la représentation de la moralité de l’Homme juste et de l’homme mondain dans les comptes du roi René d’Anjou, publiés par Lecoy de la Marche. CeĴe représentation aurait eu lieu à Tarascon (en fait, Lecoy de la Marche cite la ville d’Aix-en-Provence) et daterait de ūŮűŰ, ce qui signięerait que notre auteur aurait eu une carrière d’écrivain étonnamment longue (à moins d’admeĴre qu’il ne fut qu’un remanieur de la moralité représentée à Aix une trentaine d’années auparavant). Bref, Bourgouin aurait été d’abord au service du roi René (ūŮűŰ-ūŮŲŪ) ou de la couronne, ensuite à la recherche d’un patron (avec l’EspineĴe dédiée à un jeune prince, mais lequelȹ?). Passé au service de Louis XII (avec ses traductions de Plutarque et des Triomphes), il serait devenu ensuite valet de chambre de François IĽŊ, pour qui notre Bourgouin vieillissant n’aurait fait que reprendre sa traduction des Triomphes pour lui confectionner un très beau manuscrit illustré par Godefroy le Batave. Le dernier document qui cite Simon Bourgouin est de ūůŬű. Après ceĴe date, on perd sa trace. 29. Dans l’inventaire établi après le décès du duc (ūŮųŰ), est mentionné « le livre du Triumphe de Renommee historié, escript à la main, en parchemein, couvert de velours changeant a deus fermoers […] » — cit. par G. Mombello, I manoscriĴi delle opere di Dante, Petrarca e Boccaccio…, op. cit., p. ūŮŮ). Il est toutefois impossible d’identięer le texte en questionȹ: s’agit-il d’une traduction française ou de la version originale en italien, de la version en prose ou d’une traduction versięéeȹ? Est-ce un manuscrit acéphale ou simplement le deuxième volume d’un ensemble qui contenait le texte intégralȹ?

290

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

tecteur d’autres rhétoriqueurs ou poètes de l’époque, ou pour sa femme, Louise de Savoie³Ŵ. Mais, pour l’heure, nous ne possédons à cet égard aucun renseignement explicite. Un mécène — petit seigneur, prince ou roi — a dû assurer Bourgouin de sa protection pour qu’il ait pu continuer à traduire, remanier et composer pendant de nombreuses années. Avec ses traductions et les textes de sa composition, Bourgouin nous rappelle que l’époque de Louis XII n’a pas été un désert du point de vue intellectuel, comme on a voulu la représenter pour meĴre en relief l’époque extraordinaire du règne de François IĽŊ et de la Renaissance française³¹. Louis XII et sa femme ont su regrouper à leur cour des historiographes, des écrivains, des poètes qui n’ont pas simplement fait œuvre de propagande politique, mais qui ont aussi contribué à faire connaître la culture classique et, dans le cas des Triomphes, la culture italienne. Culture que Louis XII, comme Charles VIII avant lui, a diěusée en France grâce aux livres qu’il ęt venir de Milan et de Pavie, à ceux que le cardinal d’Amboise prit dans la bibliothèque des Aragonais à Naples, par exemple, mais aussi grâce aux gens de leĴres et diplomates qu’il appela à sa cour. Signalons, à ce propos, que l’auteur de la traduction en latin de deux Vitæ de Plutarque (ou du pseudo-Plutarque) est ce même Donato Acciaiuoli qui, en mission en France pour saluer l’avènement de Louis XI, oěrit à ce même roi une Vita Caroli. Où notre Bourgouin aurait-il pu se procurer ce texte à traduire, si ce n’est dans une grande bibliothèque princière ou royale qui pouvait eěectivement conserver les œuvres de Donato Acciaiuoli³²ȹ? N’oublions pas ce que disent les historiens et codicologues qui rappellent que Louis XII, « en ūű ans de règne, constitua dans son château royal de Blois l’une des plus belles bibliothèques d’Europe, s’entourant de conseillers mécènes, d’artistes fameux dont on n’a pas toujours su, par la suite, reconnaître le talent »³³. Comme le fait remarquer aussi Claude de Seyssel dans son introduction à la traduction française de l’Anabase de Xénophonȹ:

30. Certains pensent que l’EspineĴe a été imprimée par Vérard pour Louise de Savoie et que le jeune prince serait en fait François IĽŊ. Cf. J.P. Carley-M. Orth, « Plus que assezȹ: Simon Bourgouyn and his french translations… », op. cit., p. ŭŭŪ sq. et n. ūů. 31. Voir, à ce propos, l’introduction de Gérard Défaux et Thierry Mantovani à l’édition de Jehan Marot, Les deux recueils, Genève, Droz, ūųųų, p. XXVI-XXVIII et XLI-LII. 32. Une Vita Scipionis se trouvait dans la Bibliothèque du château de Bloisȹ; d’après Léopold Delisle, il s’agit du ms. Lat. ŰūŭŲ de la Bibliothèque nationale de France. 33. Pascale Thibault, La bibliothèque de Charles d’Orléans et de Louis XII au château de Blois, Blois, Les Amis de la Bibliothèque de Blois, ūųŲų, p. ŬŪ.

291

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Et entre aultres de nostre temps le roy de France Loys douziesme de ce nom, mon bon seigneur et maistre a prins beaucoup de peine pour avoir grand nombre de livres en toutes facultés et de tous quartiers. Si en faict ung tresnoble amas en une librairie qu’il a dressee en son chasteau de Bloys et pareillement a quis et retire de tous coustés gens excellans en toutes sciences lesquelz il entretient tant en divers lieux de son dit royaulme que en sa cité et duché de Millan et mesmement en son université de Pavie qui est aujourd’uy a ceste cause l’une des plus renommee que l’on saiche […].³Ÿ

Tout en admeĴant le caractère apologétique et volontairement ĚaĴeur de Claude de Seyssel, on peut raisonnablement penser que Simon Bourgouin aurait pu se procurer les textes à traduire dans la remarquable bibliothèque de Blois. Pourquoi donc choisir les Triomphes si Louis XII en avait déjà une traduction en prose française, dans un magnięque volume illustré que lui avait oěert le célèbre cardinal Georges d’Amboiseȹ? D’abord le choix des Triomphes n’est pas anodinȹ: ce texte a dû rappeler aux poètes français le Roman de la Rose, par le caractère allégorique de certains personnagesȹ: Amour, Mort, Chasteté, ainsi que par la métaphore qui le structureȹ: le songe fantastique qui révèle au lecteur une aventure toute humaine a toutes les qualités qui pouvaient plaire au public des lecteurs de Bourgouin et on sait que ce roman a joui d’un succès renouvelé aux xvĽ-xviĽ siècles³Ź. En outre, ce texte permeĴra de représenter par l’écrit et par la peinture qui l’accompagne ces triomphes que Bourgouin semble déjà avoir proposés comme modèles à Louis XII avec sa traduction des Vies de Pompée, de Hannibal, de Scipion, de Caton, de Cicéron et de Démosthène, dont certains épisodes sont eěectivement présentés comme des triomphes par le texte et par les illustrations qui l’accompagnent. Le thème des triomphes semble d’ailleurs très en vogue à l’époque qui nous intéresseȹ: dans les enluminures du manuscrit contenant Le voyage de Gênes de Jehan Marot³ź, on privilégie en eěet l’entrée triomphale de Louis XII dans la ville ligu-

34. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. űŪū, fº ŬŬvº. 35. Deux versions en prose virent le jour au xvĽ siècle, dont l’une est due à Jean Molinet. 36. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. ůŪųū, fº ūvºȹ: « De la magnanime victoire du roy tres crestien Loys XIIe […] contre les Genevoys ». Jehan Marot compare la victoire de Louis XII sur les habitants de Gênes à la conquête de l’Italie par Hannibal.

292

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

rienne en ūůŪű. De même, on sait aussi qu’un véritable char triomphal fut préparé pour ce roi lors de son arrivée à Milan³Ż. Symphorien Champier, écrivain et premier médecin du duc de Lorraine, ne publia-t-il pas, en ūůŪų, après la victoire d’Agnadel sur les Vénitiens, le Triumphe de Louis XII³ż, avec un but plus explicitement apologétiqueȹ? Triomphes guerriers et triomphes métaphoriques de la divinité sur l’amour et sur la mort sont oěerts par Bourgouin à un roi (Louis XII d’abord et François IĽŊ ensuite), pour le distraire, mais aussi pour louer la politique et la grandeur de la France. Grâce au caractère moral et à la portée philosophique de la vision de Pétrarque, notre traducteur accomplira le dessein poursuivi par la plupart des poètes de ceĴe générationȹ: enseigner des vérités morales aux lecteurs, exalter les vertus et combaĴre les vices³Ž. De plus, on sait que Louis XII avait des projets bien précis sur le Milanais, dont il revendiquait la possession, et que pendant les campagnes italiennes (d’abord avec Charles VIII, ensuite tout seul) il avait certainement eu des contacts avec les intellectuels et universitaires d’Italie. Il était donc naturel que la traduction en vers d’un texte italien de grand renom puisse lui plaire, d’autant plus qu’avec ceĴe traduction, Bourgouin est le premier à vouloir donner du lustre à la langue française par comparaison directe avec l’italienȹ: les deux textes sont placés côte à côte sur la page manuscrite et c’est le français qui a la place de choix, l’italien étant là comme une glose, comme un texte second qui d’ailleurs disparaîtra dans la dernière version de la traduction conservée dans le manuscrit de l’Arsenal. On constate au demeurant que, par rapport aux précédentes traductions en prose des Triomphes, les adjectifs qui qualięent le français de « notre diserte langue française »ŸŴ, de « gros et rude langage français »Ÿ¹, 37. Cf. Caterina Santoro, Gli Sforza, Milano, TEA, ūųųŮ², p. ŭŮŮ sq. 38. Symphorien Champier, Le Triumphe du tres chrestien roy de France Loys XII, texte établi, annoté et commenté par Giovanna Trisolini, Rome, Edd. dell’Ateneo, ūųűű, en particulier p. ů-ų. 39. C’est Pierre Jodogne (« Les Rhétoriqueurs et l’Humanisme », dans Humanism in France at the end of the Middle Ages and in the early Renaissance, edited by A.H.T. Levy, Manchester, Manchester Univ. Press & New York, Barnes & Nobles, ūųűŪ, p. ūůŪ-ūűů [p. ūŰŪ-ūŰŮ]) qui parle de la conscience d’une haute fonction politique et morale de l’intellectuel qu’avaient les poètes sous les règnes de Charles VIII et Louis XII. 40. Il s’agit de l’explicit de l’édition imprimée par Barthelemy Vérard en ūůūŮ. On trouve le même adjectif dans les manuscrits de ceĴe traduction en prose. 41. C’est le traducteur anonyme de la version sortie des ateliers rouennais qui s’exprime ainsi. Cf. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. ůųŮ, fº ūvº.

293

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

disparaissent au proęt d’un plus neutre « en rime et langaige gallicque »Ÿ². Il n’est plus question ici de considérer le français comme inférieur par rapport à son rival, l’italien. Bourgouin aurait probablement souscrit à l’afęrmation de Jean Lemaire de Belgesȹ: « ce langage françois que les Italiens par leur mesprisance accoutumée appellent barbare mais non est »Ÿ³.

La traduction de Simon Bourgouin La terza rima du texte italien n’était pas complètement inconnue aux poètes françaisȹ: Jean Lemaire de Belges avait adapté ceĴe structure métrique à la poésie de langue française et, dans deux de ses œuvresŸŸ, il l’avait transposée en tercets de vers décasyllabiques (ABA BCB CDC, etc.). Bourgouin ne s’essaie pas à cet exercice et préfère couler sa traduction dans des alexandrins à rimes platesŸŹ, ce qui donne une sensation d’ampleur et de continuum et eěace complètement l’eěet produit par la terzina italienne. La phrase de Pétrarque, concise et souvent elliptique, se trouve ainsi diluée dans trois, voire quatre vers, et le texte est scandé uniquement par la présence de pieds-de-mouche. Même si parfois Bourgouin parvient à imiter parfaitement la tournure italienne et à faire coïncider la proposition et le versȹ: Nel tempo che rinnova i miei sospiri. Au temps que mes soupirs en moy se renouvellent.

la plupart du temps, il ne peut éviter de délayer la phrase extrêmement concise de Pétrarque en ajoutant un, voire plusieurs vers, ce qui fait que la traduction demeure bien plus longue que l’original. Comme, par exemple, quand un vers de Pétrarque suivi d’un complément en rejet est rendu par deux décasyllabesȹ: Scaldava il sol già l’uno e l’altro corno Del Tauro […]. Desja le cler soleil prist grand advancement 42. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. ūŬŬŮŭ, fº ūrº. 43. Cf. Les Illustrations de Gaule, dans Œuvres de Jean Lemaire de Belges, publiées par J.A. Stecher, Louvain, J. Lefever, t. I, ūŲŲŬ, p. ūū. 44. Il s’agit de la Concorde des deux langages et du Temple d’honneur. 45. D’après Jean Lemaire de Belges, l’alexandrin est le vers français par excellence, puisqu’il aĜrme avoir composé son Temple de Vénus « en vers tiercets de façon italienne » et son Temple de Minerve « en rhythme françoise, qu’on dit alexandrine ». Cf. Œuvres de Jean Lemaire de Belges, éd. cit., t. III, ūŲŲů, p. ūŪū.

294

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

D’eschauěer à Thaurus et l’une et l’autre corne.

Mais il y a aussi des cas d’amplięcation beaucoup plus évidents à chaque fois que le laconisme de Pétrarque pourrait empêcher la compréhension du passage par un lecteur moyennement cultivé ou simplement insufęsamment féru d’histoire et de mythologieŸź. Il s’agit en particulier des passages où l’auteur toscan dresse une liste de personnages célèbres, en se limitant à citer leur nom propre, une ou plusieurs de leurs caractéristiques ou un détail de leur biographie. Dans ce cas, Bourgouin est obligé de donner des explications à son lecteur. Il se sert de la glose d’Ilicino, qu’il fait sienne, mais celle-ci, assimilée au texte, devient le texte en français. Et da man dextra havea quel gran Romano Che fé in Germania & Francia gran ruina. [TF, I ŭŰ-ŭű] Et ce fort grand Rommain avoit a la main dextre. C’estoit Julles Cesar, qui grand ruyne ęst En France et Germanie, ou plusieurs il deĜst. [fº ůŭrº] El primo BruĴo li sedea al lato. Poi el buon villan che fé el ęume vermeglio Del ęero sangue. [TF, I ůŬ-ůů] Puys le premier Brutus luy seoyoit coste a coste, Qui dechassa Tarquin l’orgueilleux et faulx oste, Suyvant le bon vilain Marius qui randit Le Rhosme tout vermeil de ęer sang qui espendit Des rudes Cymbriens. [fº ůŭrº] Leandro in mare et hero alla ęnestra. Quel si pensoso è Ulixe, aěabile ombra, Che la sua casta donna aspecta et priega, Ma Circe amando gliel’ ritiene engombra. [TC, III Ŭū-ŬŮ] Regarde encor aprés Leander en la mer Mort noyéȹ; et Hero, qui en grand deul amer Tient ung brandon de feu luysant a la fenestre, 46. Le plus souvent Bourgouin semble suivre le précepte de son devancier Laurent de Premierfaict qui, en proposant aux lecteur sa traduction de Boccace, rappelle qu’il a surtout essayé de rendre « le trop bref en plus long et le plus obscur en plus clair langage ». Bien qu’il pratique l’amplięcation, Bourgouin, qui ne traduit pas en prose comme Laurent, se voit dans la nécessité de maintenir une certaine complexité et obscurité au texte français. Voir, à ce propos, Enea Balmas, « Prime traduzioni dal Canzoniere nel Cinquecento francese », in Id., Saggi e studi sul Rinascimento francese, Padoue, Liviana, ūųŲŬ, p. ŭ-Ŭū.

295

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Regardant ça et là, a destre et a senestre. Celluy qui semble une umbre aěable en son estant Est le roy Ulixes, qui la pensif est tant Et le quel sa treschaste et tres loyalle espouse Long temps actend et prie, adce qu’il se dispouse A elle retournerȹ; mais Circé le retient Et avecq elle en joye et amour l’entretient. [fº ųrº]

On voit bien ici que Bourguin ajoute des détails descriptifs (aĴitude des personnages, mouvements éventuels) qui permeĴent de visualiser la scène, ainsi que des éléments narratifs facilitant l’identięcation et justięant la présence d’Ulysse, par exemple, parmi les victimes d’amour. Le texte perd donc son caractère allusif et synthétique pour devenir une galerie de personnages historiques ou mythologiques, un cortège exactement similaire à celui que représentent les enluminures accompagnant le texte. Cela ne signięe pas pour autant que la version française perde totalement la richesse poétique de l’original, tant au niveau du style que des thèmes évoqués. Bourgouin s’eěorce, en eěet, de conserver les caractéristiques formelles du texte originalȹ: rejet, anaphores, inversion dans l’ordre des mots. Par exemple, là où Pétrarque ditȹ: Era si pieno il cor di meraviglie. [TC, III ū]

Bourgouin traduit parȹ: Mon cueur estoit alors de merveille si plain. [fº Ųrº]

Ne pouvant pas commencer sa phrase par le verbe, mais voulant rester ędèle à la source — la traduction est presque un mot à mot —, il place le complément avant l’adjectif. S’il utilise, comme tous les traducteurs du Moyen Âge, l’itération synonymique, celle-ci n’est pas uniquement au service de la clarté et de la précision sémantique, mais aussi du rythme. Frate, risposi, e tu sai l’esser mio.

devient, sous la plume de notre traducteurȹ: Frere, je croy assez Que mon faict et estat tu congnoys bien et scez.

Le groupe nominal « amore amaro » est traduit par « amour amer, aigre et cruel »ȹ: à l’itération synonymique s’ajoute l’allitération.

296

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

Bourgouin, comme les poètes de son temps, se soucie particulièrement de la richesse et de la variété du vocabulaire. Il introduit des mots nouveaux, à peine créés, réutilise et réactualise des termes entrés en français par la relatinisation du vocabulaire au xivĽ siècle, et qui étaient tombés en désuétude. Une rapide enquête sur quelques chapitres des Triomphes nous a permis de glaner au moins cinq termes, dont ceĴe traduction fournirait la première aĴestationȹ: « tepide » (ūůůŬ, d’après FEW), « purpurines » (ūůŬŭ), « cares » (« visages », de l’occitan « cara », aĴesté pour la première fois chez les poètes de la Pléiade), « gaillardeté » (ūůŭŲ) et l’adjectif « estive »ŸŻ, à côté d’un grand nombre de mots rares ou créés tout récemment par les poètes contemporains de Bourgouinȹ: nous pensons à « desgorger » (J. Marot, « exprimer une passion par des mots »), « lachrymalles » (Jean Lemaire de Belges, « composé de larmes »). Un terme semble être un hapaxȹ: il s’agit du mot « occase » (« coucher du soleil », « occident »)Ÿż, utilisé deux fois par Bourgouin, et qui est dans un seul cas un calque direct du terme italien « occaso »ŸŽ. Animé par le souci de conserver la richesse des images du texte original, Bourgouin s’eěorce de peindre la naissance du sentiment amoureux et de ses manifestations (pâleur, angoisse, fougue, tristesse, joie irrépressible, etc.) avec une ędélité extrême au texte original. De nombreuses images, comparaisons, métaphores ou expressions qui seront utilisées par les poètes pétrarquistes sont déjà présentes ici, dans des formes plus ou moins heureuses (nous pensons par exemple à la comparaison entre le regard de la femme et la lumière, entre la femme et l’ange, à l’image du feu et de la Ěamme de la passion, etc.). Parfois même, Bourgouin ajoute une image absente dans le texte italien, pour préciser davantage, image qui s’insère parfaitement dans la thématique des Trionę. En voici un exemple rapide, parmi tant d’autresȹ: En froyde honnesteté estoient du tout extainctz Ses dardz dorez que vey a la plaisance tainctz Et en Ěamme allumez de beaulté amoureuse

47. L’adjectif « estif » est cité comme un néologisme créé par Vasquin Philieul en ūůůů, dans sa traduction des Triomphes de Pétrarque en français, par Giovanna Bellati (« La traduzione dei Triumphi di Vasquin Philieul », in L’analisi linguistica e leĴeraria, II, ūųųŰ, p. ŭŭů-ŭŰŮ [p. ŭŰū]), qui suit les indications du dictionnaire d’Huguet. Il serait souhaitable de comparer ces deux traductions pour vérięer si Vasquin Philieul s’est inspiré de la traduction de son prédécesseur. 48. Ce terme est absent des dictionnaires d’ancien et de moyen français, ainsi que du dictionnaire d’Huguet. 49. Dans l’autre cas, le terme « occase » est un doublet synonymique de « soir » pour traduire l’italien « sera ». Cf. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. ūŬŮŬŭ, fº ůŬvº.

297

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Pleine d’ardant desir et joye douloureuse. [fº ŭŬrº] Che già in fredda honestade extincti I dorati suoi strali accesi in ęamma D’amorosa beltade in piacer tincti. [TP, Űű-Űų] Comprendre on ne pourroit quelle en fut ma douleur Qu’a peine ose penser dont ay pale couleur. [fº Ůŭvº] Hor qual fussi il dolor qui non si stima Ch’a pena oso pensarne. [TM, I ūŮŬ-ūŮŭ]ŹŴ

Dans le premier cas, le chiasme du dernier vers oppose le plaisir et la souffrance, les deux aspects constitutifs de la passion amoureuse selon Pétrarque et les poètes qui l’ont suivi. Dans le deuxième exemple, c’est l’évocation de la pâleur, absente du texte original, qui ajoute une note visuelle à la description de la souěrance de Pétrarque après la mort de Laure. Bourgouin est cité très rapidement par Henri Guy dans son étude sur les RhétoriqueursŹ¹. Il y apparaît simplement en tant qu’auteur de l’EspineĴe, et sans aucune appréciation. Cela vaut peut-être mieux pour le pauvre Bourgouin, étant donné la féroce hostilité de ce critique par rapport à la production des poètes d’avant la Pléiadeȹ! Pourtant, H. Guy avait raison de lui faire une place dans son livre, car Bourgouin est bel et bien un poète de son temps et non uniquement un traducteur ędèle. Comme ses contemporains, il aime signer ce qu’il fait par ses nom et fonction dans les manuscrits, par un acrostiche dans les imprimés — c’est aussi le cas de Pierre Gringore et de Jean Bouchet —, il aěectionne les devises en latin et en français, comme « A Domino factum est istud », « Donec optata veniat », « Plus qu’assez » et « A tousjours mais ». Comme les poètes de son temps, il prête une aĴention toute particulière à la forme et à la langue, à ce français qui s’enrichit comme jamais pour ce qui est du lexique. La ęn du Moyen Âge et le début du xviĽ siècle correspondent à une période d’expérimentations des plus extravagantes, auxquelles les poètes de la Pléiade meĴront ęn et pour longtemps. Sans être parmi les meilleurs de ces versięcateurs à la recherche d’une parole poétique renouvelée, plus riche et plus auda-

50. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. ūŬŮŬŭ, fº Ůŭvºȹ: TC. Le « saver » de Laura se transforme en « science celicque », en parfaite cohérence avec le rôle joué par la femme dans ce texte et dans le Canzoniere en général. 51. Henry Guy, Histoire de la poésie française au xviĽ siècle, t. Iȹ: L’École des rhétoriqueurs, Paris, Champion, ūųūŪ, p. ůŭų.

298

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

cieuse, Bourgouin est néanmoins l’un de ces poètes qui empruntent des chemins diĜciles, comme celui de la traduction d’un texte aussi obscur et à la syntaxe aussi synthétique que les Trionę. La ęnesse de la mise en page si recherchée et la richesse du support plaident en faveur d’une destination curiale et aristocratique, mais le plurilinguisme de la traduction — qui oppose français et italien par l’intermédiaire d’un résumé en latin —, l’utilisation de longues séries de couplets d’alexandrins, interrompues seulement par les rondeaux de la plume de Bourgouin, montrent explicitement que ceĴe traduction est un bel exemple de fusion, de synthèse, entre deux cultures en contact au Moyen Âge. Fusion de cultures aussi sur le plan diachronique puisqu’ici la glose est absorbée par le texte lui-même. CeĴe même glose qu’aěectionnaient auteurs et public médiévaux s’estompe et se fond dans le texte pour rendre explicite un texte obscur.

Les « sources » de Simon Bourgouin Une analyse sérieuse de la traduction de Bourgouin doit évidemment prendre en compte les textes italiens et français mis à contribution par le translateur. La première question à examiner dans ce contexte concerne la provenance du texte de départ, reproduit dans deux des manuscrits contenant la traduction de Bourgouin. Quel est le manuscrit ou l’incunable à partir duquel il a été copiéȹ? La seconde question, en revanche, porte sur la nature des ouvrages érudits dont Bourgouin s’est éventuellement servi. En eěet, le poème de Pétrarque abonde en vers dont la concision est telle que leur compréhension nécessite soit une vaste culture générale (mais peu de gens pouvaient se mesurer avec le poète italien), soit le recours aux gloses, tel le commentaire d’Ilicino, dont de nombreuses copies circulaient en France à l’époque. Si Bourgouin était capable de lire les Triomphes dans le texte, le déchiěrage du commentaire d’Ilicino ne devait pas trop lui poser de problèmes. Cependant celui-ci venait d’être traduit en français et certains, sinon la totalité, des manuscrits de la traduction étaient visiblement destinés au milieu, la cour de Louis XII, où évoluait Bourgouin. Il a donc pu connaître Ilicino en italien ou en français ou dans les deux langues. Voilà donc des textes à examiner de près, bien que leur consultation simultanée, souhaitable dans ce genre de confrontation, soit exclue du fait que les documents en question se trouvent éparpillés dans diěérentes bibliothèques.

299

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Commençons par le texte à traduire, les Trionę. Dans l’Italie du xvĽ siècle, ils jouissaient d’une popularité certaine, aĴestée par le nombre élevé des manuscrits et des imprimés. Bien que les manuscrits n’aient toujours pas été recensés dans leur totalité, Gemma Guerrini en a récemment examiné de près deux cent-un. Ensuite, elle les a divisés en cinq familles selon la conęguration que présentent les chapitres à l’intérieur du Triumphus Cupidinis, du Triumphus Mortis et du Triumphus FamæŹ². Or, le texte de départ de Bourgouin fait partie de la famille la plus nombreuse, dénommée b, à laquelle appartient la majeure partie des manuscrits et des imprimés antérieurs à l’édition aldine du début du xviĽ siècle. Les caractéristiques de ceĴe famille sont les suivantesȹ: dans le Triomphe d’Amour, les quatre chapitres se succèdent dans l’ordre Nel tempo che rinuova i miei sospiri, Era si pieno il cor di maraviglia, Poscia che mia fortuna in forza altrui, Stancho già di mirar, non satio anchoraȹ; à la tête du premier chapitre du Triomphe de la Mort se trouvent les sept tercets « supplémentaires » qui commencent par Quanti già ne la età matura & acraȹ; le Triomphe de Renommée inclut les chapitres Nel cor pien d’amarissima dolceza, Da poi che morte triumphò nel volto, Pien d’inęnita et nobil maraviglia, Io non sapea da tal vista levarmi. Après ce premier pas vers l’identięcation du manuscrit ou de l’imprimé du texte de départ, il faut se meĴre à la recherche d’indications moins sommaires. Comme nous venons de le constater, deux des quatre manuscrits de la traduction française comprennent aussi le texte italien. Si, dans le ms. Fr. ūŬŮŬŭ de la Bibliothèque nationale de France, il a été ajouté dans la marge gauche, le ms. Fr. ŬůŪŪ-ŬůŪū de la même bibliothèque lui confère en revanche une place plus importante en meĴant les deux textes côte à côteȹ: la traduction au recto et le texte italien correspondant au verso du feuillet précédent. Cela permet de passer aisément de l’un à l’autre, mais aussi, le cas échéant, de ne retenir qu’un seul des témoignages. Il va de soi que la présence du texte italien est une aubaine pour le philologue, auquel il permet d’établir au cas par cas si une erreur d’interprétation est imputable au copiste italien ou au traducteur français. Nous allons illustrer ce phénomène avec le passage bien connu où Pétrarque énumère un certain nombre de poètes provençaux et italiens, pour la plupart actifs aux xiiĽ et xiiiĽ siècles. Il faut souligner dès maintenant qu’on doit se garder de juger de la qualité du texte de départ d’après ce passage qui est un des rares à cumuler les erreurs. Les vers en 52. Cf. Gemma Guerrini, « Il sistema di comunicazione di un corpus di manoscriĴi quattrocenteschiȹ: i Trionę del Petrarca », in ScriĴura e Civiltà, X, ūųŲŰ, p. ūŬū-ūųű.

300

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

question seront cités d’abord tels qu’ils se présentent dans le texte de départ de Bourgouin (a), et ensuite dans sa traduction (b)Ź³. Si l’on se borne à considérer les noms propres et les éléments pris pour tels, on constate que dans quatre cas la leçon du texte italien est déjà altérée, voire incompréhensible. L’adjectif « sezzo » et le nom « drapello » ne faisaient apparemment pas partie du vocabulaire du copiste du texte italien, qui les prend pour des noms propres. C’est encore ce dernier qui estropie le nom de Cino da Pistoia et qui aĜrme que Béatrice di Montefeltro est aimée de « l’uno et l’altro Rimbaldo ». Quant à Bourgoin, on ne peut lui reprocher qu’une seule bévue, celle consistant à ne pas avoir reconnu et conservé le nom de Jaufré Rudel. Bref, il se tire relativement bien de ce passage compliqué, mieux en tout cas que le copiste italien. Cependant, on n’arriverait guère à ceĴe conclusion si l’on n’avait pas sous les yeux le texte qu’il traduit. [a] Così hor quinci hor quindi rimirando Vidi in una ęorita et verde piaggia Gente che d’amor givan ragionando Ecco Dante & Beatrice, ecco Selvaggia, Ecco Cin ad Pistoia, Guidon da Rezzo, Che di non esser primo par che ira haggiaȹ; Ecco i due Guido che già fur in prezzo, Honesto bolognese et i Siciliani che fur gia primi et qui eran da sezzo, Sennucio & Franceschin che fur sì humani Come ogni huom vide, et poi v’era un Drapello di portamenti et di vulgari strani. Fra tuĴi il primo Arnaldo Daniello, Gran maestro d’amor che alla sua terra Anchor fa honor col suo dir pollito & bello. 53. Voici le passage d’après l’édition de Vinicio Pacca (Milan, Mondadori, ūųųŰ)ȹ: « Così, or quinci or quindi rimirando,/ vidi gente ir per una verde piaggia/ pur d’amor volgarmente ragionandoȹ:/ ecco Dante e Beatrice, ecco Selvaggia,/ ecco Cin da Pistoia, GuiĴon d’Arezzo,/ che di non esser primo par ch’ira aggiaȹ;/ ecco i duo Guidi che già fur in prezzo,/ Honesto Bolognese, e i Ciciliani,/ che fur già primi, e quivi eran da sezzoȹ;/ Sennuccio e Franceschin, che fur sì humani,/ come ogni uom videȹ; e poi v’era un drappello/ di portamenti e di volgari straniȹ:/ fra tuĴi il primo Arnaldo Danïello,/ gran maestro d’amor, ch’a la sua terra/ ancor fa honor col suo dir strano e bello./ Eranvi quei ch’Amor sì leve aěerraȹ:/ l’un Piero e l’altro, e ‘l men famoso Arnaldoȹ;/ e quei che fur conquisi con più guerraȹ:/ i’ dico l’uno e l’altro Raÿmbaldo/ che cantò pur Beatrice e Monferrato,/ e ‘l vecchio Pier d’Alvernia con Giraldoȹ;/ Folco, que’ ch’a Marsilia il nome à dato/ ed a Genova tolto, ed a l’extremo/ cangiò per miglior patria habito e statoȹ;/ Giaufrè Rudel, ch’usò la vela e ‘l remo/ a cercar la sua morte » (TC, IV ŬŲ-ůŭ).

301

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Eranvi quelli ch’amor sì leve aěerraȹ: l’un Piero et l’altroȹ; ‘l men famoso Arnaldo et quei che fur conquisi con più guerra, io dico l’uno et l’altro Rainbaldo Che cantar pur Beatrice e Monferrato E ’l vecchio Pier da Vernia con Giraldo, Folco, quel ch’a Marsilia il nome à dato Et a Genova tolto, et allo extremo Cangiò per miglior patria habito & stato Gianfre Rudel che usò la vela et il remo A cherchar la sua morte. [BnF, ms. Fr. ūŬŮŬŭ, fºs ūŰvº-ūűvº] [b] Ainsi en regardant tous ceulx qu’en appert sceuz En la verte praerie et Ěeurie apperceuz Gentz qui d’amour parloyent et de sa Ěamme ardante, Ou Selvagie estoit, Beatrix avecques Danteȹ; Cynus et Pistoye estoyent là en appert, Puys vint Guydo de Reze, astrologue homme expert Qui (dont il n’est premier) bien semble qu’il ayt ire, Et les deux Guiz auprés d’amour pris qui les tire, Lesquelz furent prisez. Et les Siciliens, Esquelz Amour desja a assis cy liens Et y sont des premiers. Le Boulongnoys honneste Les suyvoit au plus prés (qu’amour tant admonneste) Et ceulx de Sennucie, et Sezze mains a mains Là estoyent. En Fransquin qui furent tant humains, Comme tout homme veyt. Puys fut en ces repaires Drappellus qui eut portz estranges et vulgairesȹ; Entre tous les premiers vey Arnauld Daniel Trés grand maistre d’amours, cler comme estoille au ciel, Le quel fait a sa terre honneur de son langaige Beau et gentil. Et ceulx, qu’amour tient en servaige Et legierement prend, suyvoyent le char comme eulx. L’un Pierre estoit, l’autre Arnauld, le moins fameux Et ceulx qu’amour conquit a plus grande puissance, Qui sont les deux Rainbauldz, luy font obeissance, Lesquelz chanterent moult de Beatrix par beaulx vers Pieça en Montferrat. Aussy vey a travers Le vieillard renommé, dit Pierre de Vernie, Avecq Girard Folcus, suyvans la compaignie Qui a voullu donner a Marseille le nom Pour a Genes l’hoster. Et luy plein de renom

302

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

A son extremité pour son meilleur eschange Estat, habit, province et pays prend et change. Puis Gianfre rude et fort qui voyle et avirons Usa et consuma cherchant les environs De mort. [BnF, ms. Fr. ūŬŮŬŭ, fºs ūŰvº-ūűvº]

La démarche qui s’impose maintenant est de s’enquérir de la provenance du texte italien reproduit dans les mss Fr. ūŬŮŭŬ et Fr. ŬůŪŪ-ŬůŪū de la Bibliothèque nationale de France. L’examen des manuscrits et des imprimés italiens qui se trouvent en FranceŹŸ démontre qu’ils en diěèrent trop pour avoir pu servir de source à Bourgouin. En revanche, un autre type de texte s’avère bien intéressant pour notre propos. C’est, en eěet, maintenant qu’entre en scène le commentaire de Bernardo Ilicino. Cet ouvrage, dont l’editio princeps remonte à ūŮűů, inaugure une série de commentaires qui seront élaborés au cours des siècles. Il reste toutefois sans rivaux pendant une cinquantaine d’années et ne cesse d’être consulté que lorsqu’apparaît le commentaire de Vellutello (ūůŬů). Qu’Ilicino ait été maintes fois édité par de nombreux imprimeurs vénitiens, bolonais, milanais et autresŹŹ, et qu’il ait été favorablement accueilli par le public, a de quoi surprendre. Il est vrai qu’il fournit de nombreux renseignements sur les personnages cités dans le poème et aide à leur identięcation lorsque leur nom n’est pas mentionn鏟, mais en même temps il submerge le lecteur sous un Ěot de paroles dont le ęl conducteur n’est pas toujours évident. Cela n’empêche que l’ouvrage ait été bien populaire, même en France, et que les bibliothèques françaises en conservent toujours de nombreux exemplaires. À l’heure actuelle, les deux éditions numériquement le mieux représentées dans les bibliothèques françaises sont celles de l’imprimeur vénitien Bartolomeo Zani, datées respectivement de ūŮųű et de ūůŪŪ. Avant de continuer, voyons de quelle façon Ilicino s’y prend pour expliquer le poème de Pétrarque. Comme tous les commentateurs d’œuvres 54. Une liste exhaustive de ces textes se trouve dans É. Pellegrin, Manuscrits de Pétrarque…, op. cit., table p. ůūŭ. 55. Les seuls exemplaires catalogués des bibliothèques françaises représentent onze éditions diěérentes. 56. Pour désigner les personnages qui déęlent devant lui, Pétrarque recourt en eěet volontiers à des circonlocutions de toutes sortes, ce qui fait que par endroits le texte ressemble presque à des mots croisés.

303

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

liĴéraires, il découpe le texte à analyser en unités de longueur fort variable allant de quelques lexèmes à des dizaines de vers. Ensuite il prépose à chaque unité une paraphrase liĴérale, tandis que la glose à proprement parler, qui peut prendre des dimensions impressionnantes (et inquiétantes), se trouve après le passage à commenter. Voici ce que cela donneȹ: Dice [Misser Francescho] adunque che nel tempo che in lui si rinovavano li amorosi sospiri per la memoria dolce del primo giorno che si inamorò quale fu principio alli aěanni d’amoreȹ: gia il sole scaldava l’uno & l’altro corno al tauroȹ: cioe era del mese di Aprile o di Ma[r]zoȹ: dove gia era passato il soleȹ: la prima medieta de gradi del segno del tauroȹ: & intrato nella secondaȹ: laqualcosa intende per l’uno & l’altro corno. Et sugiunge non senza grande & natural ragione l’ora particulare del suo somno esser stato l’aurora dicendo che la fanciulla di Titone in quella hora procedeva gelata al suo consueto soggiornoȹ: & immutata consuetudine. Unde dice. Nel tempo che rinuova i mei sospiri Per la dolce memoria di quel giorno Che fu principio a si longhi martyri Scaldava il sol gia l’uno e l’altro corno Del Tauroȹ: & la fanciulla di Titone Correa gelata al suo antiquo soggiorno. Per piu lucida intelligentia de due precedenti terzeĴi e necessario intendere secondo le philosophice & astrologice normeȹ: che sendo la octava spera celeste distincta in cinque zone et quella di mezzo per lo discorso del sole Torrida cognominataȹ: divisa tuĴa la sua circumferentia in dodeci parte & quale dove ciascuna essendo ornata di notabile stelle sortisce per per se diversa denominatione. Onde la prima se chiama Ariesȹ: la seconda Taurus. [BnF, Rés. Yd űŰ-űű, fº ūrº]

Le résultat de l’opération est un patchwork qui permet, il est vrai, une lecture intégrale des Triomphes, mais dans des conditions peu idéales. Les quelque deux mille vers du poème « se diluent » sur plus de ŮŪŪ pages et sont noyés au milieu de gloses de toute nature. En outre, le découpage des passages ne respecte pas nécessairement la division en tercets et ne prend pas en considération le jeu des rimesȹ: quelquefois, les mots à la rime sont séparés par plusieurs pages les uns des autres. Mais il y a plus grave. Lorsque le vers à com-

304

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

menter donne lieu à de longues explications, il arrive qu’Ilicino en commente d’abord le début, quiĴe à renvoyer le reste quelques pages plus tard, ce qui est bien préjudiciable à la lecture. Le ms. Fr. ŬůŪŪ-ŬůŪū de la Bibliothèque nationale de France, celui qui présente le texte de départ en regard, reĚète ędèlement cet état des chosesŹŻ. La plupart du temps, les vers italiens s’y alignent régulièrement les uns après les autres, mais, dans une trentaine de cas, ils ont été mutilés. Ces découpages irréguliers ont été opérés aux mêmes endroits que dans le commentaire d’Ilicino, mais, comme les deux bouts de vers se succèdent immédiatement, le lecteur ne perd pas pour autant de vue l’unité du texte, comme permet de le constater le passage suivant, où le vers « Questo un ch’io dico. Et si candido cygno » a été divisé en deuxŹżȹ: Debere ai suoi, ma d’un rivo sanguigno TuĴi pocho o niente furon inverso Questo un ch’io dico Et si candido cygno Non fu giamai che non sembiasse un corvo Presso al bel viso angelico e benigno. [BnF, ms. Fr. ŬůŪū, fº ūűvº]

Nous tenons ici une preuve irréfutable du fait que les vers italiens ont été copiés à partir d’un exemplaire du commentaire d’Ilicino. Voilà un acquis important, mais qui ne résout qu’à moitié le problème de la provenance du texte de départ. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les diěérentes éditions du commentaire d’Ilicino ne reproduisent pas, en eěet, le texte de Pétrarque sous une forme invariable. Bien au contraire, quelques vérięcations rapides suĜsent à démontrer qu’ils peuvent présenter des divergences parfois considérables. Par exemple, dans l’édition de ūŮűů, le chapitre « Io non sapea da tal vista levarme » (TF, III dans l’édition Pacca) se termine de la façon suivanteȹ: E per fermare sua bella intentione La sua tela gentile pingere in carte

57. Dans le ms. Fr. ūŬŮŬŭ de la même bibliothèque, où le texte italien est dans la marge, les vers ont perdu leur conęguration originelle. 58. Ce sont les v. Ų-ūŬ du TM Ia de l’édition de Vinicio Pacca (« die’ bere a’ suoi, ma d’un rivo sanguignoȹ:/ tuĴi poco o nïente fôran verso/ quest’uno ch’io parlo. E sì candido cigno/ non fu già mai che non sembiasse un corvo/ presso al bel viso angelico benigno »).

305

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

Che tira al vero la vaga oppinione e poi revolsi gli ochi in altra parte. [BnF, Rés. Yd Űŭ, éd. Malpigli, ūŮűů, fº ŬŪűvº]

tandis que, dans les deux éditions de Bartolomeo Zani, on a, d’une partȹ: Et per fermar sua bella intentione La sua tela gentile ordì in carte Che tira al vero la vaga opinione e poi revolsi gli ochi in altre parte. [BnF, Rés. Smith-Lesoüef R ůų, éd. Zani, ūŮųű, fº ūūŪrº]

et, de l’autreȹ: Et per fermar sua bella intentione La sua tela gentile ordì Cleante Che tira al vero la vaga opinione Qui lasso & piu di lor non dico avanti. [BnF, Rés. Yd űŰ-űű, éd. B. Zani, ūůŪŪ, fº ūŪųvº]

Or, les manuscrits Fr. ŬůŪŪ et Fr. ūŬŮŬŭ de la Bibliothèque nationale de France reproduisent ici comme ailleurs le texte italien d’après l’édition Zani de ūůŪŪ. En eěet, bien que la collation n’ait pas encore été faite vers par vers, on peut aĜrmer dès maintenant que les textes coïncident toujours là où la tradition textuelle présente plusieurs leçons divergentes. Supposer que Bourgouin ait copié le texte italien dans l’édition datée de ūůŪŪ semble donc fondé, encore que l’orthographe des deux textes ne soit pas partout absolument identique, mais présente des variations, surtout dans les noms propres. Et le troisième texte à considérer, la traduction française du commentaire d’Ilicinoȹ? Quel rôle a-t-il joué dans la traduction de Bourgouin, si tant est qu’il y ait joué un rôleȹ? Une réponse, même sommaire, à ceĴe question nécessite tout d’abord qu’on se rappelle la structure du commentaire italien d’Ilicino. Dans celui-ci, le passage à commenter est précédé d’une paraphrase liĴérale et suivie d’une glose. Il en va de même dans la traduction française, si ce n’est qu’elle est bilingueȹ: l’unité à commenter y est citée en italien et non pas en français. La nouveauté, par rapport à la version italienne, est que la citation est précédée d’une paraphrase en français, ce qui gonĚe ultérieurement la masse textuelle. Tout passage commenté est donc construit comme celui que l’on a cité ci-dessous, qui d’abord paraphrase, ensuite reproduit et ęnalement glose les premiers vers du chapitre

306

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

« Era si pieno ». La paraphrase est annoncée par le titre Texte, tandis que la citation directe en italien, écrite avec de l’encre rouge, est introduite par le syntagme « Et dit l’acteur ». La glose, la raison d’être du commentaire, est placée à la ęn et commence par « Comment »ȹ: Et quant au premier chappitre, messire Francoys en icelluy descript le temps […] et l’eure esquelz il recite avoir veu ceste vision et faingt soy dormir en exprimant toutes les choses qui peuvent provocquer le dormir et dit Texte Quant en temps que en luy se renouveloient les amoureux souspirs par la doulce memoire du premier jour que il s’estoit enamouré, qui fut le commencement de l’enĚambement d’amours, le soleil montoit en l’une et en l’autre corne du thor, c’est en moys d’avril ou de may Et que le soleil avoit ja passé la moityé du degré du signe du thor et entré en la seconde, laquelle chose il entend par l’une et par l’autre corne, Et declare non sans grande et naturelle raison l’eure particuliere de son somme et dormir avoir esté a l’eure de l’aurore que nous appellons l’aube du jour et dit que ce fut a celle heure que la ęlle de Titan procedoit et alloit froide et gelee a son sejour acoustumé et dit l’acteur Nel tempo che rinnova i mei sospiri Per la dolce memoria di quel giorno Che fu principio a si longhi martiri Scaldava il sol gia l’uno e l’altro corno Del Thauro e la fanciulla di Titone Correa gelata al usato sogiorno.

Comment Pour plus lucide et clere inteligence du precedent texte neccessairement fault entendre selon la regle de philosophie et de astrologie que l’uitiesme spere celeste est distinguee et divisee en x zones ou cintures desquelles celle du milieu est nommee Thauride. [BnF, ms. Fr. ŬŬŭ, fº Űvº]

En théorie, le texte de départ de Bourgouin pourrait donc provenir aussi de l’Ilicino français. La confrontation de quelques passages problématiques démontre toutefois que ceĴe hypothèse est à exclure. Reprenons encore les vers de clôture du Triomphe de Renommée et voyons comment ils se présentent dans le ms. Fr. ŬŬŭ. Dans celui-ci, on lit en eěet, au fº ŭŪŪvºȹ: « Et per fermar sua bella intentione/ La sua tela gentile ordì in carte/ Che tira al vero la vaga opinione/ E poi rivolsi gli occhi in altra parte », ce qui

307

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

n’a rien à voir avec la leçon, citée ci-dessus, que portent les manuscrits Fr. ūŬŮŬŭ et Fr. ŬůŪŪ. Nous avons essayé de trouver d’autres indices qui prouveraient que Bourgouin ait connu la traduction française du commentaire d’Ilicino, mais pour le moment le butin reste bien maigre. Déchiěrer les ŭŮŭ folios de la traduction de l’Ilicino sur un microęlm en noir et blanc (et de qualité bien modeste) est un exploit qui demande plusieurs semaines et soumet les yeux à une dure épreuve. Nous nous sommes limitées modestement à confronter les Sommaires dont Bougouin entrecoupe sa traduction avec les paraphrases que l’Ilicino français donne des passages correspondants. Ils présentent ici et là quelques similitudes lexicales, mais on hésite cependant à en conclure quoi que ce soit. Le passage suivant, qui concerne l’histoire de Syphax, est le plus frappant parmi ceux que nous avons pu releverȹ: Texte Aprés ce que dit est, messire Francoys met ung autre exemple amoureux en quel se demonstre une tresgrande force d’amours et une merveilleuse continence d’amans et une tressinguliere et paternelle pitié et courtoisye en disant que depuis que Massinissa se partit de luy, il luy advint comme a ceulx qui chevauchent […] vit aucuns amans qui estoient hors du chemin et alloient par la voye ainsi que ceulx qui avec grant diligence cherchent aucune chose et quant ilz l’ont trouvee, ilz en ont joye et honte ensemble qui est comme de donner a autruy sa femme et espouze laquelle chose est de souveraine amour et courtoysie et qu’on ne voit advenir gueres souvent en laquelle permutacion l’espouze donnee semble estre d’une part joyeuse et et d’autre part honteuse du change. [BnF, ms. Fr. ŬŬŭ, fº Ųůvº] Sommaire Yci s’ensuyt ung amoureux exemple D’un pere au ęlz usant de grand pitié Ou monstré est Qui bien le cas contemple Une amour grande admirable et moult ample En quoy l’on veoyt paternelle amytié Pleine de joye a plus de la moytié Avecques honte a tous les deux semblable Par le desir d’entreulx inestimable En ung obgect ou leur plaisance estoit Et ou le cueur d’eulx deux lors se arrestoit. [BnF, ms. Fr. ūŬŮŬŭ, fº Ŭůrº]

308

љђ ѡџіќњѝѕђ ёђѠ ѡџіќњѝѕђѠ

Quelle importance aĴribuer aux ressemblances lexicales que présentent les deux passagesȹ? Elles ne sont pas nombreuses, mais la présence du syntagme « amoureux exemple » dans le texte de Bourgouin paraît d’autant moins anodine que l’épithète « amoureux » semble assumer ici un sens particulier. Il pourrait éventuellement signięer « qui concerne celui [ou ceux] qui aime[nt] », mais, quand bien même il n’en serait pas ainsi, la présence simultanée d’« exemple » et d’« amoureux » dans les deux passages pourrait-elle être fortuiteȹ? On peut donc constater que l’étude parallèle de tous les textes dont il vient d’être question donne du ęl à retordre au philologue. Toutefois, avoir été amené à comparer entre elles les diěérentes éditions italiennes de l’Ilicino et avoir constaté qu’elles ne reproduisent pas le texte de Pétrarque sous une forme invariable est déjà un petit acquis non dépourvu d’importance. En outre, le fait d’avoir identięé dans l’édition Zani de ūůŪŪ le texte de départ probable de Bourgouin nous sera bien utile dans le travail d’édition et permeĴra aussi de mieux comprendre le milieu intellectuel dans lequel travaillait Bourgouin. Pour conclure, nous dirons que la poésie italienne fait son entrée en France par l’intermédiaire d’un texte allégorique qui reprend en quelque sorte des modèles français pour les détourner par l’introduction d’un lyrisme plus personnel et plus humain. Bien avant la première traduction du Canzoniere, les Triomphes de Bourgouin introduisent en France les thèmes, les images et le lexique qui serviront aux poètes de la Renaissance, la « vraie », pour donner vie à une nouvelle manière de chanter l’amour. Héritier de Guillaume de Machaut, de Deschamps et des autres maîtres du lyrisme français, encore imprégné de l’allégorie médiévale et de la forme « rondeau », Simon Bourgouin fait partie de ces auteurs qui ont préparé le renouvellement des leĴres sans pour autant renoncer à la culture médiévale. Si innovation il y a chez lui, il faudra la chercher du côté de la langue et de la rhétorique, l’interprétation morale cédant progressivement devant l’importance grandissante de ceĴe parole poétique qui dit l’expérience amoureuse et qui se suĜt à elle-même. Bourgouin est aussi, de par son parcours et ses œuvres, un exemple des rapports qu’entretiennent la culture française et la culture italienne, dans les cours princières (René d’Anjou, Antoine de Lorraine, Charles d’Angoulême) et royales (Charles VIII, Louis XII et, pour ęnir, François IĽŊ), ces cours qui, comme le rappelait J. Monfrin, ont favorisé ces échanges culturels grâce aux liens familiaux, administratifs et politiques

309

єюяџіђљљю ѝюџѢѠѠю ӕ ђљіћю ѠѢќњђљю-ѕѫџњѫ

entre les ÉtatsŹŽ. Simon Bourgouin n’est qu’une ęgure mineure de ceĴe époque, mais son itinéraire (de la moralité et du poème allégorique à la poésie italienne) semble prouver qu’après les Guerres d’Italie la culture italienne pénètre en France de façon plus eĜcace. L’activité de Bourgouin nous permet donc d’ajouter une pièce à ceĴe histoire des rapports culturels entre les deux pays, avant la période dite plus proprement Renaissance.

59. Jacques Monfrin, « Étapes et formes de l’inĚuence des leĴres italiennes en France au début de la Renaissance », dans AĴi del quinto congresso internazionale dei Biblioęli (Venezia, ūųŰű), a cura di N. Vianello, Vérone, Valdonega, ūųűŪ, p. ūų-Ůŭ.

310

ColeĴe Nativel

Un Pétrarque néerlandaisȹ: l’iconographie des Triumphi dans la série d’estampes de Maerten van Heemskerck

On connaît l’immense succès des Triomphes de Pétrarque — plus de ŭŪŪ manuscrits recensés par Konrad Eisenbichler¹, en ūųųŪ — et de multiples éditions, dès le début de l’imprimerie, jointes au Canzoniere ou séparées. On sait aussi que leur iconographie, dont la tradition manuscrite témoigne dès le xvĽ siècle (le premier manuscrit connu datant de ūŮŮū), est l’une des plus abondantes et des plus riches qu’ait suscitées une œuvre liĴéraire — selon le catalogue d’Essling et Müntz, il existe au moins cinquante-cinq manuscrits enluminés dont un nombre important se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris². Ce succès peut paraître étonnant puisqu’en fait, Pétrarque ne décrit qu’un seul char, celui sur lequel est juché Cupidon triomphant, dans un premier temps, sur tous les hommes (Triumphus Cupidinis, I ŬŬ-ŭŪ) — description d’ailleurs fort brève au regard de l’évocation du cortège des amants célèbres qui suivent le char et qui occupe quatre « chapitres »³ȹ: quaĴro destrier, vie piú che neve bianchi, sovr’un carro di foco un garzon crudo con arco in man e con saeĴe a’ ęanchiȹ;

1. Petrarch’s Triumphsȹ: Allegory and spectacle, publié par K. Eisenbichler and Amilcare A. Iannucci, Toronto, Dovehouse, ūųųŪ, p. XII. 2. Cf. Prince d’Essling et Eugène Müntz, Pétrarqueȹ: Ses études d’art, son inĚuence sur les artistes, ses portraits et ceux de Laure, illustration de ses écrits, Paris, La GazeĴe de Beaux-Arts, ūųŪŬ. 3. Nous utilisons l’édition suivanteȹ: Petrarca, Trionę, Rime estravaganti, Codice degli abbozzi, a cura di V. Pacca e L. Paolino, introduzione di Marco Santagata, Milan, Mondadori, ūųųŰ.

311

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

nulla temea, però non maglia o scudo, ma sugli omeri avea sol due grand’ali di color mille, tuĴo l’altro ignudoȹ; d’intorno innumerabili mortali, parte presi in baĴaglia, e parte occisi, parte feriti di pungenti strali. Je vis quatre destriers plus blancs que neigeȹ; Sur un char de feu un garçon cruel L’arc à la main, et des Ěèches au côté, Il n’avait peur de rien, aussi ni cote de maille ni écu, Mais sur les épaules il avait seulement deux grandes ailes De mille couleurs, tout le reste nuȹ; Tout autour d’innombrables mortels, En partie prisonniers à la bataille, en partie tués, En partie blessés de traits acérés.

C’est à partir de ce « modèle » textuel, ęnalement bien Ěou, inspiré de la tradition médiévale revue au ęltre de l’antiquité classiqueŸ, que se constitua une iconographie destinée à durer. Ainsi Panofsky a pu montrer, dans ses Essais d’iconologie, que la ęgure du vieillard Temps est née des TrionęŹ. Les artistes vont inventer, en suivant plus ou moins les suggestions du texte, cinq autres images de triomphes pour « illustrer » chaque tableau de ceĴe épopée en six chants, au sujet austèreȹ: l’ascension de l’Amour profane à l’Amour sacré racontée à travers une série de visions allégoriques — le triomphe de Pudeur sur Amour, celui de Mort sur Pudeur, de Renommée sur Mort, de Temps sur Renommée, d’Éternité sur Temps. CeĴe immense fortune iconographique a souvent été étudiée. Il n’est pas question ici de reprendre les innombrables ouvrages qui, depuis le travail pionnier du prince d’Essling et d’Eugène Müntzź, Pétrarqueȹ: Ses études d’art, son inĚuence sur les artistes, ses portraits et ceux de Laure, illustration de ses écrits, en ont rassemblé les témoins et étudié fort savamment l’histoire dans l’ensemble de l’Europe et dans tous les arts — miniature, peinture,

4. V. Pacca dans l’annotation à son éd. cit. renvoie systématiquement à plusieurs passages de la liĴérature antique connus de Pétrarque. On s’y reportera. 5. Cf. Erwin Panofsky, Studies in iconology, Oxford, Oxford University Press, ūųŭų — trad. fr. par Claude HerbeĴe et Bernard Teyssèdreȹ: Essais d’iconologieȹ: Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, ūųŰű, chap. IIIȹ: « Le vieillard Temps ». 6. Cf. supra, n. Ŭ.

312

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

estampe, tapisserie et autres arts décoratifs. Si l’on ajoute à cet ouvrage, celui, plus récent, de ūųųŪ, dirigé par Konrad Eisenbichler et Amilcare A. Iannucciȹ: Petrarch’s Triumphsȹ: Allegory and spectacleŻ, nulle découverte ne me semble avoir profondément bouleversé ceĴe très ample étudeż. Nous nous limiterons à l’étude de la série d’estampes qu’inventa le peintre néerlandais Maerten van Heemskerck (ūŮųŲ-Haarlem, ūůűŮ)Ž et que grava Philippe Galle. En eěet, Essling et Müntz passent très vite sur ceĴe série et leur sévérité à son endroit n’est assurément pas dépourvue d’injustice, malgré une petite concessionȹ: « Les six estampes de Martin van Heemskerck […], toute factices, vides et glaciales qu’elles sont dans certaines parties, témoignent du moins d’un eěort loyal pour renouveler l’interprétation du poème ». Ils ajoutent ceĴe remarque déęnitivement assassineȹ: « Avec elles, la décadence est irrévocablement consommée ». Et de conclureȹ: « aussi sera-t-il sage de nous limiter à quelques notes iconographiques succinctes »¹Ŵ. L’appréciation, hautement subjective, témoigne

7. Cf. supra, n. ū. 8. Voir aussi Werner Weisbach, Triumphi, Berlin, Grote, ūųūųȹ; I Triumphi di Francesco Petrarca, AĴi del III Seminario di LeĴeratura italiana Gargnano del Garda, (ū-ŭ oĴobre ūųųŲ), a cura di C. Berra, Bologne, Cisalpino, ūųųųȹ; Giovanni Carandente, I Triumphi nel primo Rinascimento, Turin, ERI, ūųŰŭ. Sur les « cassoni », en particulier, voir Alexandra Ortner, Petrarcas Triumphi in Malerei, Dichtung und Festkulturȹ: Untersuchung zur Entstehung und Verbreitung eines Ěorentinischen Bildmotivs auf cassoni und deschi da parto des ūů. Jahrhunderts, Weimar, VDG, ūųųŲ et la ęne synthèse, concernant davantage la France, qu’on lit dans Margaret Mac Gowan, The vision of Rome in late Renaissance France, New Haven & Londres, Yale University Press, ŬŪŪŪ, en particulier p. ŭūŬ-ŭŮŬ. Pour l’histoire de l’illustration et de la réception des Triumphi, voir surtout, dans Petrarch’s Triumphsȹ: Allegory and spectacle, op. cit., les études de Gian Carlo Alessio, « The lectura of the Triumphs in the ęfteenth century » (p. ŬŰų-ŬųŪ), Sara Charney, « Artistic representations of Petrarch’s Triumphus Famæ » (p. ŬŬŭ-Ŭŭŭ), Barbara Dodge, « Petrarch and the arts » (p. ūűű-ūŲŬ), Francesco Guardiani, « The literary impact of the Triumphi in the Renaissance » (p. Ŭůų-ŬŰŲ), Thomas Martone, « Piero della Francesca’s Triumphs of the duke and duchess of Urbino » (p. Ŭūū-ŬŬŬ), Esther Nyholm, « A comparison of the Petrarchan conęguration of the Triumphi and their interpretation in Renaissance art » (p. Ŭŭů-Ŭůů). Voir enęn Mario Salmi, « I Triumphi e il De viris illustribus nell’arte del primo Rinascimento », in Convegno internazionale Francesco Petrarca (Roma/Arezzo/Padova/Arquà Petrarca, ŬŮ-Ŭű aprile ūųűŮ), s.c., Rome, Accademia Nazionale dei Lincei, ūųűŰ, p. Ŭŭ-Ůű. 9. Sur ce doctus pictor, voir en particulier Rainald Grosshans, Maarten van Heemskerckȹ: Die Gemälde, Berlin, H. DoeĴcher, ūųŲŪ et Ilja Veldman, Marten van Heemskerck and Dutch humanism in the sixteenth century, New York, Gary Schwartz, ūųűű. Sur Galle, voir Manfred Sellink, Philips Galle (ūůŭű-ūŰūŬ)ȹ: engraver and print publisher in Haarlem and Antwerp, thèse soutenue à l’université d’Amsterdam en ūųųű. 10. Prince d’Essling et E. Müntz, Pétrarqueȹ: Ses études d’art…, op. cit., p. ūųŮ-ūųŲ.

313

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

avant tout du mépris dans lequel fut longtemps tenu le maniérisme, et en particulier le maniérisme du Nord¹¹. Nous voudrions montrer comment, tout en s’inscrivant dans la tradition européenne des Triomphes¹², ces six planches apportent un certain nombre d’innovations qui, comme les deux critiques le reconnaissent — mais sans argumenter leur remarque —, « renouvellent l’interprétation du poème », le mot « renouveler » étant lui-même à préciser. Grand admirateur de l’Antiquité, Heemskerck, après un séjour assez long à Rome où il s’imprégna de l’art antique (ūůŭŬ-ŭŰ/ŭű), contribua à introduire aux Pays-Bas l’art de la Renaissance italienne et, comme nous le verrons, la série se fonde non seulement sur le texte de Pétrarque, mais aussi sur une double tradition iconographique antique et moderne. Les six estampes mesurent ūų,Ŭ cm sur ŬŰ,Ů cm. L’existence de deux dessins préparatoires permet de les dater de ūůŰů¹³. Chacune des planches, comme dans les séries antérieures, illustre un tableau des Triumphi et est accompagnée d’un quatrain en latin d’Hadrianus Junius¹Ÿ qui en dégage le sens et la portée morale. Le choix d’une disposition horizontale, moins fréquente que le format vertical¹Ź, s’explique par le fait que ceĴe série n’était pas destinée à illustrer un volume¹ź, mais aussi, et plus vraisemblablement

11. Seule d’ailleurs l’exposition « Der Welt lauf »ȹ: Allegorische Graphiskserien des Manierismus, organisée en ūųųŲ par Hans Martin Kaulbach à la Staatgalerie de StuĴgart (Graphische Sammlung ūŲ-ūŪ-ūųųű/Ŭů-ū-ūųųŲ, Museum Bochum ūű-ů/ů-ű-ūųųŲ) semble s’être intéressée à ceĴe série dans la période récente. 12. Nous mentionnerons ici pour mémoire la seule série consacrée à ce sujet de Georg Pencz [Fig. ūŬ-ūű] qui, même si elle est moins ęnement dessinée, témoigne d’une neĴe évolution et introduit une iconographie (paysages, temples, vieillard Temps, etc.) dont Heemskerck semble avoir eu connaissance. 13. Les dessins préparatoires du Triomphe de Pudeur et du Triomphe de Christ, signés et datés de ūůŰů, se trouvent dans la collection de Chatsworth House Trust, Bakewell, Chatsworth House, inv. nº ŰŰų et nº ŰŰŰ. 14. Ils sont publiés dans les Poematum Hadriani Junii […] Liber primus […], Lugduni Batavorum, ex oĜcina Ludovici Elzevirii, ūůųŲ, p. ūűŪ. 15. Sauf en ce qui concerne les nombreux cassoni qui ont adopté ceĴe iconographie. 16. Les formats, quand il s’agit de manuscrits et d’éditions, peuvent être horizontaux si l’illustration est placée au-dessus du texte. Ainsi, pour choisir une édition de date voisine de celle de notre série, dans Il Petrarca publiée à Venise par G. Giolito de Ferrari e Fratelli en ūůůŪ, encore que beaucoup soient plus proches du carré que du rectangle. Les feuilles horizontales se rencontrent plus volontiers dans les séries indépendantes. Voir, par exemple, la série de dessins de Michiel Coxie (Mechelen, ūŮųų-ūůųŬ), du Szépmüvészeti Múzeum de Budapest, ou les planches gravées de Georg Pencz (Nuremberg, ūůŪŪ - Leipzig, ūůůŪ), d’ailleurs vraisemblablement connues de Heemskerck qui s’en inspire souvent, comme nous aurons l’occasion de le montrer.

314

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

dans le cas qui nous intéresse, parce que ce format évoque les frises des bas-reliefs antiques¹Ż, faisant ainsi écho aux titres latins étrangement donnés par Pétrarque à des vers écrits en italien. Le char est toujours orienté de droite à gauche. Enęn, sauf pour le Triomphe de Mort et le Triomphe d’Éternité, les noms de certains des personnages représentés sont inscrits sous eux ou au-dessus d’eux. La première estampe, le Triomphe d’Amour [Fig. ū], représente Cupidon sur son char, précédé et suivi de la foule nombreuse de ses victimes. Sa ęgure répond à la description de Pétrarque que nous avons citée plus haut. Le front bandé, le jeune dieu se tient debout sur un piédestal, nu, son arc à la main. D’emblée, Pétrarque comparait, non sans ironie, l’enfant Cupidon sur son char enĚammé aux triomphateurs antiquesȹ: Vidi un viĴorïoso e sommo duce, pur com’ un di color, che ’n Campidoglio triumphal carro a gran gloria conduce.¹ż Je vis un très grand chef victorieux Tel un de ceux que, sur le Capitole, un char triomphal à grande gloire mène.

Et le char de Cupidon est traîné, suivant la tradition des triomphes romains, par quatre blancs destriers. Pétrarque s’en tient l๎. CeĴe première estampe comporte deux éléments récurrents dans les cinq autres. D’abord, Heemskerck, suivant un procédé que l’on trouvait déjà dans des images antérieures, orne le char de chacune des personnięcations de toute sorte de symboles souvent redondants qui ne peuvent laisser d’ambiguïté dans la lecture de l’image. Ainsi, les roues du char de Cupidon sont ornées de cœurs enĚammés et de bucranes — qui symbolisent sans doute les triomphes d’Amour —, des bucranes encore tiennent

17. Dans les compositions de format vertical, le cortège est souvent orienté de face, les ęgures étant tournées vers le spectateur — ainsi de la suite d’estampes Ěorentines du xvĽ siècle aĴribuée à Francesco Rosselli (ūŮŲů-ūŮųŪ ca.) (New York, Metropolitan Museum, Triumph of Love). 18. Triumphus Cupidinis, I ūŭ-ūů. 19. Les commentateurs vont développer à l’envi la symbolique de ceĴe description (voir en particulier le commentaire de Bernardo Lapini connu aussi sous les noms de Bernardo Illicino/i ou Ilicino/i, ou encore Licino, Glicino et Hyllicinio). Heemskerck ne s’appuyant pas sur les commentateurs, nous n’y renverrons pas.

315

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

des cœurs enĚammés et le dieu se dresse sur un piédestal qui lui aussi est orné d’un cœur enĚammé et d’un carquois. Le paysage, ensuite, est, dans toutes les estampes, particulièrement soigné. Loin de n’être qu’un cadre « réaliste », pour reprendre un mot souvent appliqué et de façon trop restrictive à l’art néerlandais, ou « piĴoresque », voire un ornement convenable, il a une fonction sémantique qui vient compléter le sens de la scène. Tout respire le bonheur dans ce paysage doucement vallonné et verdoyant — un arbre feuillu se dresse au fond dans toute sa vigueur, associant Amour à la jeunesse et au printemps, tout comme, plus loin, la mort aura pour cadre un paysage d’hiver, le rythme des saisons scandant en quelque sorte la série. C’est à travers la douceur du paysage qu’Heemskerck rappelle celle d’Amour que Pétrarque décrivait dans ses vers, insistant d’ailleurs plus sur sa faussetéȹ: Questi è colui che ’l mondo chiama Amoreȹ; amaro, come vedi, e vedrai meglio quando ęa tuo com’è nostro signore. […] Ei nacque d’ozio e di lascivia umana, nudrito di penser dolci soavi, faĴo signor e dio da gente vana.²Ŵ Voici celui que le monde nomme Amourȹ: Amer, comme tu le vois et tu le verras mieux Quand il sera ton maître, comme il est le nôtre. […] Il naquit de l’oisiveté et de la lascivité humaine, Nourri de douces pensées suaves, Fait seigneur et dieu par une race vaine.

Dans ce cadre idyllique se dresse, dominant la scène, un temple consacré à Cupidon et à Vénus, dont on devine la statue à l’intérieur, vers lequel se rendent des couples enlacés. Chez Pétrarque, l’énumération des prisonniers qui accompagnent le char de Cupidon, commence avec César, dont sont évoquées les amours avec Cléopâtreȹ: Quel che ‘n sí signorile e sí superba vista vien primo, è Cesar, che ‘n EgiĴo Cleopatra legò tra’ ęori e l’erba. 20.

316

Triumphus Cupidinis, I űŰ-Ųű.

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

Or di lui si triunfa, et è ben driĴo, s’e’ vinse ’l mondo, ed altri ha vinto lui, che del suo vincitor sia gloria il viĴo.²¹ Celui qui, dans un si noble et si superbe aspect, Vient le premier, c’est César, qu’en Égypte, Cléopâtre enchaîna entre les Ěeurs et l’herbe Or Amour a triomphé de lui, et c’est justice, S’il vainquit le monde et qu’un autre l’a vaincu, Que le vaincu soit la gloire de son vainqueur.

Le choix d’Heemskerck est diěérent. Ouvrent la marche deux des quatre poètes du corpus érotique que Pétrarque mentionne au chapitre IV seulement de ce premier tableau — à savoir Tibulle²² et Ovide²³. Pétrarque évoquait aussi Properce et Catulle²Ÿ, mais il plaçait ces poètes dans le corps du cortègeȹ: Virgilio vidi, e parmi intorno avesse Compagni d’alto ingegno e da trastulloȹ; Di quei, che volentier già il mondo lesse L’un era Ovidio, e l’altr’era Tibullo, L’altro Properzio, che l’amor cantaro Fervidamente, e l’altro era Catullo.²Ź Je vis Virgile, et il me sembla Entouré de compagnons de grand esprit et délectablesȹ; De ceux dont le monde a lu volontiers les œuvres L’un était Ovide, et l’autre était Tibulle, Le troisième Properce, qui chantèrent l’amour Avec ferveur, et le quatrième était Catulle.

La place qu’Heemskerck donne à ces poètes peut s’expliquer de deux façons, qui ne s’excluent pas, d’ailleurs. D’une part, elle souligne l’inĚuence

21. Triumphus Cupidinis, I Ųų-ųŭ. 22. Cf. Triumphus Cupidinis, IV ŬŮ. 23. Cf. Triumphus Cupidinis, IV ŬŬ. 24. Nous n’avons pas réussi à identięer avec certitude le troisième poète nommé « Marcellius » sur l’estampe (il s’agit évidemment d’un poèteȹ: il porte le même vêtement que les ęgures de Tibulle et d’Ovide, avec une capuche couronnée de laurier, ainsi qu’un livre). On peut se demander s’il ne s’agit pas du poète provençal Folco (Fouquet) de Marseille dont le nom est mentionné par Pétrarque (Triumphus Cupidinis, IV Ůų). 25. Triumphus Cupidinis, IV ūų-Ŭů.

317

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

de la poésie sur le sentiment amoureux, de l’autre, elle fait de ces poètes des exemples et des interprètes privilégiés des ravages que commet l’Amour. Sur le char, au pied de Cupidon, est assis le roi des dieux, Jupiter luimême, vaincu par Amour comme le reste de l’humanité. L’aigle à ses côtés permet de l’identięer. Pétrarque, s’inspirant sans doute de Lactance²ź, le représentait enchaîné, marchant devant le charȹ: e di lacciuoli inumerabil carco vèn catenato Giove innanzi al carro.²Ż Et chargé de liens innombrables, Jupiter enchaîné précède le char.

À gauche du char, marchent deux héros victimes de l’amour malgré leurs grandes vertus — Salomon²ż, le grand roi-bâtisseur de l’Ancien Testament, qui, selon le Livre des Rois (ŭ Reg., ūū Ŭŭ), « amavit mulieres alienigas multas » et qui, poussé par ces amours, ne tint pas la parole donnée à son dieu qui l’en punit, et Hercule²Ž (il porte sur la tête une peau de lion) qui, quoique modèle de vertu, mourut, on le sait, par la vengeance d’une femme délaissée. L’aĴribut habituel que constituent les colonnes brisées qu’il porte sous chaque bras n’est pas ici redondantȹ: symbole de mesure, ces colonnes soulignent, par contraste, la démesure et la puissance du dieu Amour. Les limites que le héros avait voulu donner au monde comme à sa vie sont outrepassées par les excès d’Amour. À droite, les deux ęgures de Pyrame et Thisbé rappellent d’une autre façon les excès auxquels peut conduire le désespoir amoureux. Le quatrain qui complète l’image souligne l’omnipotence de l’amour — les dieux comme les hommes, nul n’échappe à sa loiȹ: Eěusi rapiunt pharetrate Cupido iugales Te dominum, idaliæ matris delubra petentem Dum furis et divis altri secus ore procace Ingruis, ac fundis temulento spicula cornu. Ton aĴelage eěréné t’entraîne, Cupidon porteur de carquois, Toi, le maître qui gagnes le temple de ta mère idalienne, 26. Cf. Lactance, Divinarum institutionum, I ūūȹ: « instruxit pompam in qua Jupiter cum cæteris diis ante currum triumphantis ducitur catenis ». Référence donnée par V. Pacca dans son éd. cit., p. ųū, ad loc. 27. Cf. Triumphus Cupidinis, I ūůų-ūŰŪ. 28. Cf. Triumphus Cupidinis, III ŮŮ. 29. Cf. Triumphus Cupidinis, I ūŬů, où il était associé à Achille.

318

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

En fureur, tu aĴaques les dieux de toutes parts, l’air eěronté, Et tu répands tes traits de ton arc ivre.

Pétrarque avait imaginé le triomphe de Pudeur en lui donnant une grâce toute particulière. Personnięée comme il se doit, elle avait les charmants traits de Laure et elle s’avançait, entourée d’aimables et belles jeunes ęlles. Pétrarque la décrit ainsiȹ: Ell’avea in dosso, il dì, candida gonna, lo scudo in man che mal vide Medusa. D’un bel diaspro er’ ivi una colonna, a la qual d’una in mezzo Lete infusa catena di diamante e di topatio, che s’usò fra le donne, oggi non s’usa, legarlo vidi […].³Ŵ Elle portait, ce jour-là, une robe blanche, À la main le bouclier que Méduse vit pour son malheur. Il y avait là une colonne d’un beau jaspe, À laquelle, avec une chaîne de diamant Et de topaze trempée au milieu du Léthé Dont jadis se servaient les femmes — elles ne s’en servent plus aujourd’hui —, Je vis lier Amour […].

L’image qu’en donne Heemskerck est autrement plus austère et, disons-le, bien moins gracieuse [Fig. Ŭ]. Pudicitia est devenue, selon une iconographie déjà bien établie, une femme assez âgée, sans aĴraits, assise, pudiquement vêtue, et de surcroît en noir. CeĴe ęgure évoque étrangement la Mort telle que la décrivait Pétrarqueȹ: quando vidi un’insegna oscura e tristaȹ: et una donna involta in veste negra […].³¹ quand je vis une enseigne sombre et triste et une femme enveloppée dans un vêtement noir […].

Alors qu’il décrivait ainsi l’aimable enseigne de Pudicitiaȹ: Era la lor viĴorïosa insegna in campo verde un candido ermellino, ch’oro ęno e topazi al collo tegna.³² 30. 31. 32.

Triumphus Pudicitie, ūūű-ūŬŭ. Triumphus Mortis, III ŭū. Triumphus Mortis, I ūų-ŬŬ.

319

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

Son étendard victorieux portait sur un champ de sinople une hermine blanche avec au cou un collier d’or et de topazes.

La sombre Pudeur gravée par Heemskerck tient, de la main droite, une bannière ornée d’une licorne et, de la gauche, l’arc et les Ěèches de Cupidon dont le carquois est posé à ses pieds. Ce sont la licorne et les abeilles qui sont les aĴributs de Pudeurȹ: son char est tiré par deux licornes, les pieds d’Amour sont posés sur un repose-pied en forme de licorne et un animal, qui associe ędélité et chasteté³³ puisqu’il a un corps de chien et une tête de licorne, est assis à la gauche de Pudeur. Le char est orné d’industrieuses abeilles et ce sont des abeilles encore qui en décorent les rouesȹ; à l’arrière se trouve une ruche. Ces abeilles évoquent bien évidemment le Cupidon piqué, thème érudit tiré de Théocrite (Idylles, ūų) et popularisé par Cranach — nouvelle occasion pour dire les douleurs qu’engendre l’amour. S’écartant à nouveau de Pétrarque qui l’avait lié à une colonne, Heemskerck suit une longue tradition qui représente Cupidon, vaincu par Pudeur, assis, pieds et poings liés, à l’avant du char, les yeux couverts d’un bandeau — autre façon de présenter le Cupido cruciatus d’Ausone. Le paysage est encore signięantȹ: au temple d’Amour s’est substitué celui, circulaire, de Vesta — le temple de Pudeur, dit le quatrain — vers lequel se rendent, ceĴe fois, les foules. Heemskerck compose un cortège qui associe de nouveau la tradition païenne et la tradition biblique. Joseph³Ÿ et Scipion³Ź, le seul personnage qui n’appartient pas à la tradition biblique, ouvrent la marche, suivis à leur droite de deux héroïnes bibliques, Suzanne et Judith³ź, ceĴe dernière tenant la tête d’Holopherne. À ces ęgures supposées historiques, se joignent deux personnięcations. À gauche du char, Continentia et Temperantia — Pétrarque énumérait aussi parmi le cortège plusieurs personnięcations dont Castità et Modestia — avancent, une palme à la main, comme tous les personnages

33. Cf. Guy de Tervarent (art. « Chien », dans Id., AĴributs et symboles dans l’art profane, Genève, Droz, ūųůŲ et ūųųű²) signale un chien de ędélité comme aĴribut de « Continentia » dans la Chambre des époux du palais Zuccari à Rome. 34. Cf. Triumphus Cupidinis, ūűŭ — il était associé à Hippolyte. 35. Cf. Triumphus Pudicitie, ūųŪ. 36. Il existe deux autres représentations antérieures de Suzanne [Fig. Ů] et de Judith inventées par Heemskerck pour la série d’estampes qui représentent six femmes vertueuses de la Bible. Le dessin qui servit à graver la Judith se trouve au GeĴy Center de Los Angeles et il est daté de ūůŰŪ. Les deux ęgures sont assez voisines de celles du Triumphus Pudicitie.

320

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

du cortège, à l’exception de Scipion, qui tient une bannière. Temperantia retient fermement la bride de la licorne qui avance fort sagement au pas, contrastant vivement avec les chevaux qui tirent le char d’Amourȹ: Ecce Pudicitiæ quo se decus eěerat ore, Postque triumphatos fractosque Cupidinis arcus Templa petat, castos aris ut ponat honores, Signaque grex comitum tendat victricia palmas. Voici avec quel air la bienséance de Pudeur se montre Après avoir triomphé de l’arc de Cupidon et l’avoir brisé, Elle gagne son temple, aęn de placer sur les autels de chastes marques d’honneur. La troupe de ses compagnes déploie des palmes comme de victorieuses enseignes.

La ędélité au texte de Pétrarque est donc réelle, malgré la transformation subie par la ęgure de Pudeur. Nous assistons à une transformation comparable du texte de Pétrarque dans le Triumphus Mortis [Fig. ŭ]. Mort n’est plus « la femme vêtue de noir » à « l’étendard sombre et triste » que décrivait sobrement Pétrarque³Ż. C’est une sorte de ęgure mixte, moitié squeleĴe — les avant-bras, la tête —, moitié être vivant, décharné et osseux, presque un vilain écorché dont le crâne porte encore une chevelure hirsute. Vue de dos, la tête tournée de proęl, elle brandit sa traditionnelle faux. Son char porte un cercueil, dont les roues et la partie antérieure ont pour ornements des têtes de mort et des tibias, ainsi que des pelles qui évoquent l’enterrement. Il est traîné par deux taureaux tout aussi décharnés que Mort et bondissants. Derrière Mort, le paysage est divisé en deux zones qui ęgurent les deux sorts des mortsȹ: un paysage infernal sur la gauche et un paysage paradisiaque sur la droite. La végétation du premier est réduite à un arbre mort qui se substitue au bel arbre feuillu du Triomphe d’Amour. Les Ěammes et les fumées qui sortent de l’Enfer obscurcissent le cielȹ: sur la première estampe, elles entouraient Amour et ęguraient la passion. Ici, elles semblent gagner le temple d’Amour que l’on voit au loin sur la colline, délaissé. Les portes de l’Enfer sont ęgurées, selon une tradition déjà ancienne, par la gueule ouverte du Léviathan, dont le corps est recouvert d’une étrange fabrique. Une barque, qui évoque celle qui mène, dans la mythologie grecque, au royaume d’Hadès et qui, surtout, fait référence à

37.

Voir supra, n. ŭŪ.

321

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

l’Apocalypse (ŬŪ ūŭ), vient chercher les maudits qui aĴendent sur la rive. La foule des élus marche vers le soleil levant du Paradis, alors que d’autres, plus haut, se trouvent déjà dans la lumière céleste. Une foule de personnages anonymes — chez Pétrarque aussi ils étaient anonymesȹ: c’est une exigence de ce moĴo — est écrasée par les roues du char ou les piétinements des taureaux en fureur. C’est pour l’artiste l’occasion de rendre les mouvements désordonnés des corps, des expressions de peur ou de frayeur, des anatomies dans des postures les plus inaĴendues. Cet enchevêtrement de corps déjà morts sur la droite ou qui, sur la gauche, le seront bientôt, représente l’ensemble de l’humanité. Tous sont égaux devant la mort, quels que soient leur origine sociale, leur âge, leur sexeȹ: un médecin tente vainement de fuir, une ęole à la mainȹ; à ses côtés, un évêque avec sa mitre, un pape qui porte la tiare et prie, un père, estropié de surcroît, son enfant sur le dos, un savant tenant un livre encore ouvert, sont déjà renversésȹ; des couronnes royales, des casques gisent à terre à côté de deux généraux et d’une mère morte, qui couvre encore de son corps son enfant défunt. C’est exactement la leçon donnée par Pétrarque qui est ici rendueȹ: Ivi eran quei che fur deĴi feliciȹ: ponteęci, regnanti, imperadoriȹ; or sono ignudi, miseri e mendici. U’ sono or le ricchezzeȹ? U’ son gli honoriȹ? E le gemme, e gli sceĴri e le corone, e le mitre e i purpureï coloriȹ?³ż Là se trouvaient ceux qu’on disait heureux, Pontifes, rois, empereurs, Désormais ils sont nus, misérables, mendiants, Où sont désormais leurs richessesȹ? Où leurs honneursȹ? Et les gemmes, et les sceptres, et les couronnes, Et les mitres, et les vêtements pourpresȹ?

Néanmoins, la méditation sur la mort et sur son caractère transitoire qui occupe le second tableau du Triomphe de Mort disparaît et le quatrain latin se limite à constater l’égalité devant la mortȹ: Ferrea, cruda, rapax et ineluctabilis, unea [sc. unca] Falce meto et victrix quæcunque mihi obvia sterno.

38.

322

Triumphus Mortis, I űų-ŲŮ.

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

Pontięces, Regum sceptra et sine nomine vulgus Dissipo, proculco tauris invicta protervis. Insensible, cruelle, rapace et inéluctable, De ma faux crochue je moissonne et, victorieuse, je terrasse tout ce qui se trouve sur mon passage. Pontifes, sceptres des rois, foule anonyme Je les mets en pièces, triomphante, je les piétine avec mes taureaux impétueux.

Renommée [Fig. ů], qui, selon Pétrarque, tire l’homme du sépulcre — « che trae l’uom del sepolcro »³Ž —, est personnięée par une femme ailée qui souĝe dans une double trompeĴe. Son char est tiré par deux éléphants, animaux habituellement associés au triomphe de la Renommée. Il est orné de deux sphinges pourvues de nombreuses mamelles et portant sur la tête une coiěe en forme de coupe pleine de fruits. Sur ses roues, alternent des langues, des oreilles et des yeux qui répandent ou reçoivent les témoignages de Renommée. Sous les pieds des éléphants, Mort gît, écrasée. CeĴe fois, l’artiste revient à l’indication des nomsȹ: en tête du cortège se trouve Alexandre le Grand, puis vient César et, derrière les deux grands guerriers grec et romain, deux philosophes grec et romain à nouveau, Platon et Caton. Pourquoi ces choixȹ? Pétrarque avait choisi de faire se succéder trois tableaux qui meĴaient en scène d’abord les grands hommes de guerre (Triumphus Fame, I-II), puis ceux qui s’étaient illustrés dans la paix (Triumphus Fame, III). Cet ordre est ici respecté. Mais on constate qu’Alexandre le Grand se substitue à Scipion qui ouvrait à ses côtés le cortège des guerriers, à droite de RenomméeŸŴ. CeĴe substitution s’explique. Elle permet d’associer, à la façon des Hommes illustres de Plutarque, deux Grecs et deux Romains. L’anonymat de la mort interdisait à Pétrarque de nommer les victimesŸ¹. De la même façon, Heemskerck n’indique pas les noms des personnages piétinés par les chevaux de Mort. Cependant, si l’on revient à l’estampe précédente, il apparaît que les généraux piétinés et le « savant » au livre étaient Alexandre le Grand, César et Platon, qui triomphent ici de Mort grâce à Renommée. Les ornements des armures des deux généraux (en particulier leurs épauleĴes), le livre et le vêtement du philosophe permeĴent de les identięer. 39. Triumphus Fame, I ų. 40. Cf. Triumphus Fame, I Ŭŭȹ: « Da man destra, ove gli occhi in prima porsi,/ La bella donna avea Cesare e Scipio ». 41. C’était aussi une façon de meĴre en évidence la femme aimée.

323

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

Renommée, pourtant, n’est que vanité, comme le dit le quatrain qui commente, de façon critique, l’imageȹ: Præpetibus pennis caput inter nubila condit Fama loquax, acrique tuba late omnia complet Marmarica immani quam corpore bellua ducit Hac vivunt vates, atque inclita corpora bello. Emportée par ses ailes rapides, elle cache sa tête parmi les nuages, Renommée la bavarde, et elle emplit de sa trompeĴe stridente tout alentour. La bête africaine la conduit de son corps monstrueux. C’est par elle que vivent les poètes et ceux qui s’illustrent à la guerre.

Mais elle est destinée à l’oubli du temps. Le paysage est à nouveau signięant. CalmeŸ², après la tourmente qui avait tout détruit lors du passage de Mort, il rappelle les collines de Rome. On y aperçoit, réunis de façon volontairement imaginaire, puisque Heemskerck connaissait bien Rome, des symboles de la grandeur de l’urbs et des hommes illustresȹ: le Colisée à gauche, deux obélisques élevés pour leur gloire, un bâtiment à sommet pointu, une fabrique dont la forme rappelle le château Saint-Ange. La grandeur de Rome disparaîtra aussi avec le temps — le moĴo est déjà bien établi dans la liĴérature contemporaine. L’estampe suivante, le Triomphe de Temps [Fig. Ű], démontre, en quelque sorte, la vanité de Renomméeȹ: Tanto vince e ritoglie il Tempo avaroȹ; chiamasi Fama, ed è morir secondoȹ; né più che contra ‘l primo è alcun riparo.Ÿ³ Voilà ce que vainc et reprend le Temps avareȹ; on nomme cela Renommée, et ce n’est qu’une seconde mort, à laquelle on ne peut davantage remédier qu’à la première.

L’allégorie se compose d’un certain nombre de personnięcations. Temps est ęguré sous les traits, désormais traditionnels, d’un vieillard ailé qui s’appuie sur des béquillesŸŸ. Chez Pétrarque, il n’est pas individualiséȹ: c’est le soleil, personnięé, qui parle alors. Son char, surchargé de symboles 42. Le détail est souligné dans Triumphus Fame, I ūůȹ: « Era d’intorno il ciel tanto sereno ». 43. Triumphus Temporis, ūŮŬ-ūŮŮ. 44. Je ne reviens pas sur ce que Panofsky écrit de la ęgure du Vieillard Temps (cf. supra, n. ů).

324

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

aisément lisibles, est tiré par deux cerfs, animaux rapides. Les roues en sont ornées d’horloges, il porte un sablier, un cadran solaire et une balance (puisque la Balance marque l’exaltation de Saturne). Le cortège est constitué de personnięcations des quatre saisons. Leur nom encore est indiqué, si on n’avait pas compris ce qu’elles représentent malgré l’accumulation d’aĴributs. Ces personnięcations ęgurent, en même temps que les saisons, les âges de la vie. À gauche du char, le Printemps, un jeune chasseur nu, qui tient à la main un arc et un faucon, ęgure l’adolescenceȹ; l’Été, nu lui aussi, représente la force de l’âge (il a d’ailleurs la morphologie de l’Hercule Farnèse) — il porte la barbe, alors que l’adolescent était glabre — et tient une gerbe de blé. À droite du char, les ęgures de l’Automne et de l’Hiver sont habillées. La première, couronnée de pampre, porte une corne d’abondance — c’est l’âge mûr —, la seconde, emmitouĚée dans un capuchon, réchauěe ses mains à la chaleur d’un brasero — c’est la vieillesse. On retrouve les mêmes ęgures, mais présentées sous un autre angle et avec quelques variantes de détail, dans une autre série d’Heemskerck, légèrement antérieure — gravée par P. Galle et éditée à Anvers en ūůŰŭ — intitulée Les Quatre saisons [Fig. ű-ūŪ]ŸŹ. Autour de Temps, le paysage est à nouveau frappé de désolation. Tout n’est que ruines — maisons s’écroulant, arbres morts. Bien plus, les symboles de la gloire et de la grandeur qui ornaient le paysage du Triomphe de Renommée — l’obélisque, le Colisée — sont à terre. Renommée, elle-même, a disparuȹ: à la diěérence d’Amour, de Mort, de Pudeur, le mouvement du cosmos est évoqué par les étoiles, la mort par un tombeau visible. Sum Tempus volucre, ac rerum irreparabilis ordo. Alipedes ducunt cerviȹ: fugitivaque stipant Gens horæ. Consumo annos, et deteror illisȹ: Omnia pessundo, et vestigia nulla relinquo. Je suis le Temps rapace et l’ordre irréparable des choses Des cerfs aux pieds ailés me conduisent Et la race fugitive des heures me fait cortège. Je consume les ans et suis broyé par eux Je ruine tout et ne laisse aucun vestige.

45. À la diěérence de la nôtre, ceĴe série est datéeȹ: elle est éditée à Anvers en ūůŰŭ par P. Galle.

325

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

C’est avec le Triomphe d’Éternité [Fig. ūū] qu’Heemskerck prend le plus de liberté, transformant totalement le texte de Pétrarque pour le représenter comme le triomphe du Christ et de l’Église, et non pas, me semble-t-il, seulement comme un Jugement dernier, ainsi que l’écrivent Essling et MüntzŸź. C’est d’ailleurs bien ce triomphe du Christ que souligne le quatrainȹ: Prætereunt cuncta et fugiunt labentibus annisȹ: Christus at æternum ducit solidumque triumphum Invida quem non ulla potest abolere vetustas, Indigetum casta septus sine ęne corona. Tout passe et fuit au ęl des ans, Mais le Christ conduit un éternel et solide triomphe Que nulle vieillesse jalouse ne peut anéantir, Protégé sans ęn par le chaste cercle des indigètes.

On note, dans l’image, plusieurs variations par rapport aux illustrations antérieures. Le Christ n’est plus seulement porté sur un char tiré par les évangélistes — ce qui est le cas la plupart du temps. Il est soutenu par les quatre ęgures du tétramorphe, les trois animaux — le lion, l’aigle à sa droite et le taureau à sa gauche — et l’ange, c’est-à-dire les quatre évangélistesȹ: Marc, Jean, Luc et MaĴhieu, ce qui le met dans une relation de contact plus étroite avec ceux-ci. Les Évangiles sont, liĴéralement, le soutien de l’Église. De plus, l’ange porte la bannière de l’Église triomphante. La posture du Christ, qui apparaît dans une Gloire, les bras ouverts, permet à l’artiste de représenter la blessure dans la paume de sa main droite. L’Église est celle du Christ qui a souěert pour racheter les péchés des hommes. La guirlande de nuages qui soutient les ęgures du registre céleste le distingue aussi neĴement du registre terrestre. Dans la partie inférieure de la composition, on reconnaît des scènes de l’Apocalypse, évoquée aussi bien par les quatre anges, qui souĝent dans leurs trompeĴes pour réveiller les mortsŸŻ, que par un certain nombre d’éléments qui composaient déjà le Triomphe de Mortȹ: les deux soleils, le monstre à la gueule ouverte en bas à droite du tableau qui ęgure l’Enfer, une fabrique, la mer — autre référence à l’Apocalypse (ŬŪ ūŭ)ȹ: « La mer rendit les morts qui étaient en elle ». 46. Prince d’Essling et E. Müntz, Pétrarqueȹ: Ses études d’art…, op. cit. 47. Cf. Mt., ŭŮ ŭūȹ: « Il enverra ses anges avec la trompeĴe retentissante et ils rassembleront ses élus des quatre vents » et Ap.,ű ū.

326

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

Au premier plan, apparaissent, gisant, Temps et Mort, tous deux ęgurés en bas à gauche et identięables grâce à leurs aĴributs posés à côtés d’eux — la faux et les béquilles. Le triomphe du Christ est celui de l’Éternité. Pétrarque écrivaitȹ: « Le Temps et la Mort mourront »Ÿż. À leurs côtés, apparaissent aussi Amour — l’amour profane, ses ailes rabaĴues à côté de ses membres, dans une posture qui le fait ressembler à un étrange insecte —, mais aussi Pudeur et Renommée. Nous avons déjà identięé les quatre ęgures d’apôtres qui portent le Christ à l’instar d’un char. À la droite du Christ, on reconnaît la Vierge. Le jeu des regards est encore signięantȹ: la Vierge regarde le Christ qui regarde vers elle. Elle a les mains jointes, tournées vers la terre, en signe d’intercession. C’est une aĜrmation du rôle essentiel que les Catholiques aĴribuent à la Vierge. Celle-ci est assise aux côtés du pilier de l’Église, saint Pierre, reconnaissable aux clefs qu’il tient à la main. D’autres ęgures sont moins aisément identięables. Néanmoins, sur le côté opposé de l’estampe, on devine saint Jean-Baptiste — il porte un vêtement en peau dont les poils sont ęnement rendu — qui rappelle l’importance du BaptêmeŸŽ. Les derniers vers de Pétrarque, aux accents dantesques, évoquaient l’espoir d’être réuni au ciel avec la femme aiméeȹ: Felice sasso che ’l bel viso serraȹ! Che, poi che avrà ripreso il suo bel velo, Se fu beato chi la vide in terra, Or che ęa dunque a riverderla in cieloȹ?ŹŴ Heureuse la pierre tombale qui enferme son beau visage Et quand elle aura revêtu son beau voile, S’il fut bienheureux celui qui la vit sur terre, Que sera-t-il donc de la revoir au cielȹ?

Laure n’apparaît pas plus dans l’évocation sur laquelle se clôt la série, qu’on ne la voyait dans le Triomphe de Pudeur ou dans le Triomphe de Mort. CeĴe absence transforme évidemment le sens général de la série. 48. Triumphus Eternitatis, ūŬŭ-ūŬŰȹ: « E ‘l Tempo, a disfar tuĴo così presto,/ E Morte, in sua ragion cotanto avara,/ Morti insieme seranno e quella e questo ». 49. CeĴe composition est, dans sa partie supérieure, très proche d’une autre, inventée par Heemskerck et gravée par Cornelis Cort. On note en particulier la même position du Christ et de sa main (importance accordée à la Vierge et l’Égliseȹ: tétramorphe, présence de saint Pierre). 50. Triumphus Eternitatis, ūŮŬ-ūŮů. On notera l’homophonie avec le dernier vers de l’Enfer (XXXI ūŭų)ȹ: « E quindi uscimmo a riveder le stelle ».

327

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

Un certain nombre d’éléments sont empruntés à l’iconographie traditionnelle. Les animaux qui guident le char, en particulier, appartiennent à une iconographie qui, depuis le début de la tradition manuscrite, est employée pour les Triumphi et dont il est désormais impossible de déterminer à coup sûr la première sourceŹ¹. CeĴe iconographie comporte aussi plusieurs éléments nouveaux, tant du point de vue religieux que du choix de l’antique. Le goût d’Heemskerck pour l’antique est en eěet manifesteȹ: les chars et leurs ornements (le piédestal d’Amour), les vêtements à l’antique précisément détaillés (toges, cuirasses, sandales), voire certaines « citations » (Hercule emprunte à l’Hercule Farnèse sa têteȹ; le Printemps s’inspire de l’Apollon du Belvédère, l’Été, à nouveau, de l’Hercule Farnèse…), les éléments d’architecture réels — le Colisée, les obélisque — comme certaines parties de compositions imaginaires sont tout droit sortis des carnets de dessins qu’il a rapportés de Rome. Peut-on parler d’un « renouvellement » de la lecture des Triumphi comme le faisaient Essling et Müntzȹ? Force est de constater que ceĴe série s’éloigne, sur un point d’importance, de l’esprit des Triumphiȹ: l’absence de la femme aimée. Présente tout au long du poème de Pétrarque dont elle est l’inspiratrice, espoir ultime du poète sur lequel se clôt le Triumphus Eternitatis, même si son nom n’est pas mentionné, Laure n’apparaît sur aucune de nos estampes. Bien plus, Heemskerck lui substitue une fort austère allégorie de la Pudeur, comme nous l’avons remarqué. Le chemin vers Dieu ne passe plus par l’amour d’une femme comme c’était le cas dans les poèmes de Dante et de Pétrarqueȹ; c’est l’Église militante à l’intérieur de laquelle est souligné le rôle de la Vierge qui est la seule voie vers Dieu et vers l’Éternité. Le contexte religieux dans lequel Heemskerck a conçu ceĴe série est en eěet bien diěérent de celui qui vit Pétrarque écrire les Triumphi. C’est l’époque où les Pays-Bas connaissent de grands troubles religieux, alors que le calvinisme s’étend dans les provinces néerlandaises. Heemskerck est catholique, même si, selon ses biographes, il est proche des idées érasmiennes. Plus que de « renouvellement », il faudrait parler, à propos de ceĴe 51. Ainsi on trouve déjà les chevaux, les licornes, les buĝes ou les taureaux, les éléphants et les cerfs dans le ms. ūŬŮŬŭ de la Bibliothèque nationale de France datant du xviĽ siècle (traduction de Simon Bourgouin, l’auteur des enluminures étant inconnu) et dans l’édition de Venise de ūůůŪ — ce qui n’est pas étonnant, puisque Pétrarque les mentionne et que Filelfo leur consacre un long commentaire qui explicite leur symbolique. On note quelques variantes pour la représentation du Triomphe d’Éternitéȹ: tantôt ce sont les apôtres qui sont représentés, comme dans ce ms. ūŬŮŬŭ, tantôt c’est le tétramorphe, comme dans l’édition cit. de ūůůŪ.

328

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

série, d’« actualisation ». CeĴe série est assurément moins une illustration des Triumphi de Pétrarque qu’une lecture adaptée aux exigences morales et religieuses de la renaissance tardive d’Europe du Nord. L’allégorie, si elle est toujours présente, est explicitée à tous les niveaux de la composition — paysage, accumulation de symboles et d’aĴributs, légendes désignant les personnages —, avant d’être clarięée par l’inscription. L’image, dont la fonction didactique est clairement assumée au prix de redondances, est avant tout lisible. La ędélité aux Triumphi de Pétrarque est néanmoins réelle. Elle est sensible dans la composition et le respect de son mouvement dialectique, souligné par la continuité de lecture des paysages et le retour de certains personnages ou de certains motifs d’une estampe à l’autre. Elle apparaît encore dans le choix des ęgures. Le texte de Pétrarque, privé de son ton personnel, sert ici de support à une méditation sur la vie humaine et à une aĜrmation de la vérité de l’Église catholique — ce qui n’eût pas été pour déplaire à son auteur.

329

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

Fig. 1 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Le Triomphe d’Amour

Fig. 2 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Le Triomphe de Pudeur

Fig. 3 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Le Triomphe de Mort

330

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

Fig. 4 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Adri Achternaam, Hubertus Rol, Six Femmes de l’Ancien TestamentȺ: Suzanne

Fig. 5 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Le Triomphe de Renommée

Fig. 6 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Le Triomphe de Temps

331

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

Fig. 7 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Les quatre saisonsȺ: le Printemps

Fig. 8 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Les quatre saisonsȺ: l’Été

Fig. 9 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Les quatre saisonsȺ: l’Automne

332

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

Fig. 10 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Les quatre saisonsȺ: l’Hiver

Fig. 11 Phillipe Galle, d’après Maerten van Heemskerck, Le Triomphe d’Éternité

Fig. 12 Georg Pencz, Le Triomphe d’Amour

333

ѐќљђѡѡђ ћюѡіѣђљ

Fig. 13 Georg Pencz, Le Triomphe de Pudeur

Fig. 14 Georg Pencz, Le Triomphe de Mort

Fig. 15 Georg Pencz, Le Triomphe de Renommée

334

Ѣћ ѝѼѡџюџўѢђ ћѼђџљюћёюіѠ

Fig. 16 Georg Pencz, Le Triomphe de Temps

Fig. 17 Georg Pencz, Le Triomphe d’Éternité

335

Index

Abano, Pietro d’ȳ190, 191

Abélard, (Abailard)ȳ162, 165 Accame Lanzillota, Mariaȳ203 Acciaoli (Acciaivoli), NiccolҤ, (Acciaiuoli NiccolҤ), (correspondant de Pétrarque)ȳ185, 237, 240, 253 Acciaiuoli, Donatoȳ291 Actius, Accio, (Actius)ȳ211 Achternaam, Adriȳ331 Acron (Pseudo-)ȳ121 Adrien IV, (Breakspear), (Hadriani)ȳ187, 189, 190 Adrien VI, (Floriszoon)ȳ190 Aelred de Rielvauxȳ166, 174 Agellius, voir Aulu-Gelle Agostino, voir Augustin Alain de Lilleȳ80, 270 Albanese, Gabriellaȳ233 Albanzani da Pratovecchio, Donato degliȳ155, 240 Albert le Grand (saint), (Alberto Magno)ȳ225 Alberti, Leon BaĴistaȳ7, 39, 133, 256 Alessio, Gian Carloȳ233, 313 Alexandre III, Bandinelliȳ170 Altichieroȳ24 Ambrogio, voir Ambroise

Ambroise (saint), (Ambrogio), (Ambrogius), (339-397), 56, 134, 137, 152, 156, 160, 161, 170, 215 Anacletȳ170 Andersen, Fleming G.ȳ269 Anneusȳ54 Antonio d’Andreaȳ25 Apelleȳ41 Apulée, (Apuleio), (Apuleius)ȳ32, 41, 65, 210, 211, 219 Aracri, Basileȳ201 Arasse, Danielȳ145 Argenio, Raěaeleȳ116 Ariani, Marcoȳ202 Aristote (Aristotele), (le Stagirite), (PseudoAristotele), (Aristotile)ȳ10, 13, 52, 149, 101, 190, 224, 225, 227, 252, 255, 264 Arland, Marcelȳ143 Arnaldi, Girolamoȳ27 Arnaldo Daniello, (Arnaldo Danïello), (Arnaud Daniel)ȳ301 Arnaud de Bresciaȳ170 Asor Rosa, Albertoȳ23 Augustin (Saint), (Agostino), (Augustinus), (354-430)ȳ13, 16, 36, 40, 41, 43, 44, 55, 58, 71, 72, 104, 106, 135, 148, 149, 152, 154, 156, 160, 161, 165, 183, 188, 192 Aulu-Gelle, (Agellius), (Aulo Gellio)ȳ33, 193

337

љю яіяљіќѡѕѽўѢђ ёђ ѝѼѡџюџўѢђȺ

Ausoneȳ111, 320 Autenrieth, Johannes, (1772-1835)ȳ90 Auzzas, GineĴaȳ200 Avril, Françoisȳ90, 97, 98, 99, 287 Azzo da Corregioȳ264

Bachmann, Paulȳ101

Balbi, Giovanniȳ33 Balmas, Eneaȳ295 Balzani, Ugoȳ81, 93 Baranski, Zygmunt G.ȳ209, 268 Barbato da Sulmonaȳ189 Barchiesi, Marinoȳ208 Bardazzi, Giovanniȳ242, 246 Barlow, Claude W.ȳ63, 64 Barolini, Teodolindaȳ222, 223 Bartuschat, Johannesȳ21, 229, 267, 268, 270, 272, 274, 276, 278, 280, 282, 338 Bartz, Gabrieleȳ285 BaĴaglia Ricci, Luciaȳ268 Bauchart, Ernest-Quentinȳ285 Baudelaire, Charlesȳ18 Baur, Ludwigȳ164 Bausi, Francescoȳ116, 237, 238, 240, 241, 242, 243, 253, 256, 260 Bec, Christianȳ236 Becket, Thomasȳ178 Bejczy, Istvànȳ178, 194 Bellati, Giovannaȳ297 Belloni, Ginoȳ255 Bembo, Pietroȳ21 BenedeĴo, Luigi-Foscoloȳ283 Benvenuto da Imolaȳ159, 233 Béranger de Poitiers, (Berengario)ȳ162, 227 Berges, Wilhelmȳ180 Bernard (saint), (de Clairvaux)ȳ7, 13, 56, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 181, 195, 338 Bernard Sylvestreȳ181 Bernardo, Aldo S.ȳ214, 227, 274, 277, 285 Beroaldo il Vecchio, Filippoȳ252 Berra, Claudiaȳ82, 199, 236, 268, 313 Bersuire, Pierre, (c. 1290-1362)ȳ92 Berté, Monicaȳ203, 235 Bertolani, Maria Ceciliaȳ272 Bertrand, JulieĴe, (trad.)ȳ148, 177 Bessi, Rosellaȳ239, 244 BeĴinzoli, AĴilioȳ116 Bianchi, Enrico, (dir.)ȳ108 Bianchi, Lucaȳ225, 227 Billanovitch, Giuseppeȳ23 Birt, Theodoreȳ102, 103

338

Blasucci, L.ȳ248 Boccace, Jean, (Boccacio Giovanni)ȳ24, 74, 128, 145, 146, 158, 192, 267, 269, 283, 295 Bodei, Remoȳ225 Boèceȳ32, 121, 65, 271, 273, 274 Boitani, Pieroȳ25, 223, 225 Bologna, Ferdinandoȳ90, 91, 92, 97 Bonaventure (Saint), (Bonaventura)ȳ13, 224 Boriaud, Jean-Yvesȳ115 Born, Lester K.ȳ180 Bosco, Umbertoȳ41, 133, 135, 183, 189, 208, 222, 223 Boucher, Florence, (éd., trad.)ȳ284 Bouchet, Jeanȳ298 Boulnois, Olivier, (préf.)ȳ148 Bouloux, Nathalieȳ68, 69, 70, 73, 74, 337 Bourgoin, Simon, (Bourgouyn)ȳ285, 286, 287, 289, 291, 301 Boyde, Patrickȳ208, 209 Bracciolini, Jacopo di Poggioȳ242, 256 Branca, ViĴoreȳ200, 283 Breakspear, voir Adrien IV Brock, Mauriceȳ8, 269 Brugnoli, Giorgioȳ101 Bruni, Francescoȳ28, 168 Bruni, Leonardoȳ60, 197 Bufano, AntonieĴaȳ43, 72, 201 Buoninsegni, Domenico di Piero, (père de Piero Buoninsegni), 239 Buoninsegni, Pieroȳ239 Buonocore, Marcoȳ90 Buyssens, Danielleȳ69

C

abaillot, Claireȳ272 Calcaterra, Carloȳ33, 274, 283 Calderini, Giovanniȳ194 Caloiro, Tommasoȳ Calvo, Francescoȳ215 Cambiano, Giuseppeȳ219, 202 Cammelli, Antonio, (deĴo il Pistoia)ȳ246 Campbell, Catherineȳ178 Canfora, Lucianoȳ241 Carandente, Giovanniȳ313 Cardini, Robertoȳ121 Carducci, Giosuè, (ѥіѥe s)ȳ198, 199, 209 Carley, James P.ȳ285, 286, 287, 289, 291 Carrai, Stefanoȳ209, 229 Carraud, Christophe, (éd., trad.)ȳ42, 43, 61, 70, 83, 105, 144, 148, 151-158, 160, 162, 164, 177, 189, 236 Carruthers, Maryȳ72, 73

іћёђѥ

Casadei, A.ȳ248 Cassiodore, (Cassiodoro)ȳ30, 144 Castelli, Frédérique, (trad.)ȳ40, 147, 149, 184, 188, 203 Castiglione, Baldassareȳ246, 247 Caton, (Cato)ȳ11, 109, 272, 286, 292, 323 Catulle, (Catullo)ȳ22, 28, 317 Cavalcanti, Giovanniȳ242, 256 Cavalcanti, Guidoȳ215 Cavallini, Pietro, (peintre)ȳ99 Cavallo, Guglielmoȳ23, 70 Cazalé-Bérard, Claudeȳ97 Ceccarelli, L.ȳ236 CeccheĴi, Darioȳ284 Champier, Symphorienȳ293 Char, Renéȳ19 Charles d’Orléansȳ291 Charles IV de Bohèmeȳ216 Charlet, Jean-Louisȳ337 Charney, Saraȳ313 Chastellain, Georgesȳ284 Chateaubriand, François-René deȳ17 Chatellain, Émileȳ121 Chaucer, Georgesȳ145 Chiavacci Leonardi, Mariaȳ208 Choderlos de Laclos, Pierreȳ65 Choquart, Anselȳ167 Cian, ViĴorioȳ236 Ciccuto, Marcelloȳ83, 90, 91, 268, 337 Cicério, Francescoȳ64 Cicéron, (Cicerone), (Arpinate)ȳ9-12, 22, 23, 27, 32-34, 37, 39, 41-46, 49-51, 54-56, 58, 65, 108, 109, 127, 129, 134, 135, 137, 148, 153, 155, 156, 177, 179, 181, 184, 188, 191-195, 203, 207, 211, 215, 216 , 226, 227, 241, 255, 263, 264, 271, 272, 286, 292 Cino da Pistoia, (Cin da Pistoia), (12701336)ȳ28, 202, 301 Cipriani, Giovanniȳ81 Claudien, (Claudians)ȳ7, 101-107, 109, 110-114 Clément V de Got, (Clément V)ȳ93 Clément VII Médicis, (Clemente VII)ȳ91 Cola di rienzoȳ121, 131 Colomb, Christopheȳ39 Colonna, Giacomoȳ30 Colonna, Giovanni, (Iohannis de Colun), (John Colonna), (cardinal)ȳ29 Colonna, Iacopoȳ Conti, Ildebrandino, (Ildebrandino), (évêque de Padoue)ȳ36 Contini, Gianfranco, (éd.)ȳ53 Cornelius Nepos, (Corn. Nep.)ȳ109

Corrie, Rebeccaȳ90 Corripeȳ104 Corsaro, Antonioȳ236 Cort, Cornelisȳ327 Corti, Mariaȳ214, 219 Courcelle, Pierreȳ214, 272 Coxie, Michielȳ314 Cranach l’Ancien, Lucasȳ320 Crevatin, Giulianaȳ16, 78, 178 Crinito, Pietroȳ129 Crivelli, Tatiana, (dir.)ȳ223 Cyprien (saint)ȳ159

D

ahan, Gilbertȳ70 Dales, Richard C.ȳ225 Dalloz, Pierre, (trad.)ȳ170 Damien, Pierreȳ165 Dandolo, Andrea, (doge de Venise)ȳ189, 212 Dante, Alighieri, (Allighieri)ȳ13, 21-24, 29, 80, 121, 128, 133, 138, 139, 163, 192, 197, 198210, 214, 215, 219-234, 242, 257, 262, 268, 269, 271, 275, 280, 284, 290, 301, 302, 328 Darete Frigio, voir Darès le Phrygienȳ78 Daudin, Jeanȳ283 De Benedictis, Cristinaȳ90 De Robertis, Domenico, (De robertis Giuseppe)ȳ231, 268 De Sanctis, Francescoȳ(ѥіѥe siècle) 198 De Venuto, Domenicoȳ108 Défaux, Gérard, (Defaux)ȳ291 Delisle, Léopold, (Deslileȹ; Le CCF donne Delisle)ȳ30, 32, 33, 48, 121, 291 Del Lungo, Isidoroȳ116 Del Alberto Monteȳ235 Démosthèneȳ286, 292 Denis de Borgo San Sepolcro, voir Dionigi da Borgo San Sepolcro Denys l’Aéropagite, Pseudo-ȳ13 Descartes, Renéȳ8 Deschamps, Eustacheȳ309 Dictys de Crète, (DiĴi Cretese)ȳ77, 78, 85 Didyme l’Aveugleȳ150 Dinzelbacher, Peterȳ279 Dionigi da Borgo San Sepolcro, (Dionigi da Borgo Sansepolcro), (Dionigi Roberti di Borgo S. S)ȳ13, 29 DionisoĴi, Carloȳ237, 238, 242 Di Stefano, Giuseppeȳ194 DiĴi Cretese, voir Dictys de Crète, (Dite)

339

љю яіяљіќѡѕѽўѢђ ёђ ѝѼѡџюџўѢђȺ

Dodge, Barbaraȳ313 Donat, (Donatus)ȳ33, 36, 58 Donato, Maria Monicaȳ79 Dostoievski, Fiodor, (Dostoevskħ)ȳ141 DoĴi, Ugoȳ42, 61, 83, 96, 147-149, 153, 157, 158, 160, 168, 179, 184, 188, 189, 193, 203, 236, 241, 283 Du Bellay, Joachimȳ17 Duèze (Duèse), Jacques, voir Jean XXII Duns Scot, Jeanȳ52 Dupuigenet (Desroussilles), François, (trad.)ȳ72 Durling, Robert M., (Trad.)ȳ128 Dutschke, Dennisȳ202

Egasse du Boulay, Cesarȳ167

Egesippo, voir Flavius Josèphe Eigler, Ulrichȳ90 Eisenbichler, Konradȳ268, 311 Engelbert d’Admontȳ104 Ennius, (Ennio)ȳ32, 79, 108, 109, 261, 273, 274 Enrico, Carraraȳ116 Epicure, (Epicuro)ȳ31, 125, 137 Érasme de RoĴerdam, Didier, (Erasmo)ȳ133, 145 Erodiano, (Hérodian)ȳ241 Essling, (Prince d’)ȳ,311, 313, 326, 328 Étienne Vȳ170 Eugène III, (Eugenium)ȳ169, 172, 174 Eusèbe de Césarée, (Eusebio di Cesarea)ȳ260 Eutrope, (Eutropio)ȳ34, 193

F

abre, Françoisȳ147, 188 Fachard, Denisȳ248 Federico d’, Arezzoȳ213 Fenzi, Enricoȳ79, 80, 178, 201, 216, 225, 273 Feo, Micheleȳ26, 28, 102, 103, 106, 107, 114, 115, 129, 199, 202, 208-210, 236, 238, 268 Fera, Vincenzoȳ63, 73, 80, 81 Ferroni, Giulioȳ237, 243, 246, 248, 258, 259 Festus, (Festo)ȳ34 Fiano, Francesco daȳ101 Ficin, Marsileȳ12 Figorilli, Maria Cristinaȳ243, 263 Fiske, Daniel Willardȳ164 Flaccus, (Flaccum)ȳ32, 54, 118, 121 Flavius Josèphe, (Flavio Giuseppe)ȳ190

340

Fleck, Cathleen A.ȳ91, 99 Florus, Lucius Annaeus, (Floro)ȳ34, 77, 82, 92, 93, 94, 95, 118, 120, 181, 193 Folco, voir Folquet de Marseille Foligno, Cesareȳ199, 201 Folquet de Marseilleȳ301, 302, 317 Fontaine, Jacquesȳ103 Foresti, Arnaldoȳ84, 206 Forte, Stephen L.ȳ96 Fortunat Venanceȳ,104 Foscolo, Ugoȳ198, 199, 201 Fouquet, Jeanȳ97 Franceschino degli Albizziȳ301 Francesco da Buti, (Franciscus de Buiti)ȳ233 Francesco da Carraraȳ178, 183, 184, 190, 193 Franco Bologneseȳ90, 268 François, Marcelȳ101 François d’Assise (saint)ȳ13, 165 François de Sales (saint)ȳ16 Frasso, Giuseppe, (dir.)ȳ102 Freccero, Johnȳ223, 225 Fredouille, Jean-Claudeȳ103 Frontin, (Frontino)ȳ41, 193, 211, 252 Fubini, Marioȳ208 Furlan, Francescoȳ8

Galand Hallyn, Perrineȳ116

Galbiati, I.ȳ36, 67 Galle, Philippe de, (Philips Galle), (15371612)ȳ313, 325, 330, 331, 332, 333 Gallo, Niccoloȳ198 Gallus, (Galli)ȳ122, 124, 125 Garbarino, Giovanna, (dir.)ȳ219 Garbini, Pacloȳ200 Gardner, Johnȳ96 Garfagnini, Gian Carloȳ178 Garin, Eugenioȳ60 Gautier, Théophileȳ18 Gautier de Châtillon, (1135-1201)ȳ80 Gavazzeni, Franco, (dir.)ȳ199, 268 Geoěroi de Clairvaux, (Gaufrido)ȳ163 Gerhoh di Reichersbergȳ215 Gerolamo, voir Jérômeȳ7, 40, 133, 134, 136, 143-156, 158-161, 168-170, 193, 236 Gerosa, Pietro Paoloȳ159, 177, 179 Gerson, Jeanȳ159, 177, 179 GeĴo, Giovanniȳ208 Gherardo, (frère de Pétrarque)ȳ141 Giannini, Crescantino, (ѥіѥe s)ȳ233 Giaufrè Rudelȳ301

іћёђѥ

Gilbert, Felixȳ180, 240, 243 Gilbert de la Poréeȳ165 Guillaume de Conches, Étienneȳ181 Gilson, Étienneȳ165, 166, 170 GioĴoȳ90, 268 Giovanni d’, Andreaȳ160 Giovanni da San Miniato, (Dassaminiato Giovanni)ȳ238, 239 Giovanni Evangelista, voir Jean L’Évangeliste Giovenale, voir Juvénalȳ11, 30, 34, 65, 111, 184, 245 Giraldi, Lilio Gregorio, (Gyraldinus), (Gir.)ȳ103 Giraldo, voir Giraud Giraud le Cambrien, (Giraldo)ȳ67, 301, 302 Giraud de Bornelhȳ301 Giustinoȳ34, 301, 302 Godefroy le Bataveȳ287, 290 Godi, Cesareȳ46 Goldin Folena, Danielaȳ177, 283 Gonzaga, Guidoȳ283 Gormley, Catherine M.ȳ63 Gorni, Guglielno, (dir.)ȳ268 Goujet, C.-Pȳ289 Gousset, Marie-thérèseȳ90 Grazzini, Filippoȳ236 Grégoire 1er, (1er dit le Grand) (Saint), (540604), pape romainȳ152, 154, 156, 161 Grégoire de Nazianze (Saint), (329-390), théologienȳ134, 152 Grégoire XI de Beaufortȳ194 Gregory, Tullioȳ274 Grilli, Alfredo, (dir.)ȳ268 Gringore, Pierreȳ298 Grosshans, Rainaldȳ313 Guardiani, Francescoȳ313 Guerrini, Gemmaȳ300 Guglielmo da Pastrengoȳ193 Guicciardini, Francescoȳ215, 243, 256 Guidon da Rezzo, voir GuiĴone d’Arezzo Guillaume de Conchesȳ181 Guillaume de Lorrisȳ272, 274, 275 Guillaume de Marchautȳ309 Guillaume de Saint-Thierryȳ163, 165, 166 Guillaume de Pastrengoȳ74 Guillaume d’Ockhamȳ13, 52 Guinizelli, Guidoȳ28 GuiĴone d’, Arezzo, (Guidon da Rezzo), (Guydo de Reze)ȳ202, 301, 302 Gunter le Cistercienȳ215 Guy, Henriȳ298 Guy de Baudreuilȳ289

Hadrianus Junius, (Hadriani Junii)ȳ314

Hall, A.ȳ102, 103 Hartog, Françoisȳ221, 225 HarviĴ, Hélèneȳ285 Hawkins, Peter S.ȳ208 Heiric d’Auxerreȳ64 Heitmann, Klausȳ235 HerbeĴe, Claude, (trad.)ȳ312 Hermand-Schebat, Laureȳūűű Hérodien, voir Erodiano Hérodote, (Erodoto)ȳ102, 193, 241 Hilarion, (Hilarionis)ȳ147 Holbein le Jeune, Hans, (Omero), (Homerus)ȳ21, 79, 80, 103, 134, 135, 141, 211, 212, 213, 214 Hölderlin, Friedrichȳ18 Holtz, Louisȳ70, 103 Homèreȳ9, 102, 103, 127, 128, 149, 156, 193, 273 Honorius d’Autunȳ214, 215 Horace, (Orazio), (Horaz)ȳ7, 21, 32, 34, 116, ūŬū, 213, 219, 220, 257, 264 Huguet, Edmondȳ297 Hus, Jeanȳ145

I

annucci, Amilcare A.ȳ21, 268, 311, 313 Ildebrandino, voir Conti Ilicino, voir Lapini Imbach, Ruediȳ215, 221 Inglese, Giorgioȳ241, 244, 248 Innocent IIIȳ105 Isidore de Séville, (Isidoro)ȳ36, 133, 219 Iuvenalis, voir Juvénal

J

acqueline, Bernardȳ170, 174 Jaufre Rudel, (Giaufrè Rudel)ȳ301 Jauss, Hans Robertȳ271 Jean l’Évangéliste (Saint), (Giovanni Evangelista), Évangélisteȳ260, 326 Jean Chrysostome (Saint), (Crisostomo Giovanni)ȳ152, 227 Jean de Hesdinȳ170, 171, 172 Jean de Meungȳ275 Jean de Saint-Victor, (Jean)ȳ63 Jean de Salisbury, (Giovani di Salisbu), (John of Salisbury), (Ionnes Sares Johann von)ȳ7, 178, 179, 181, 184, 186, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 195

341

љю яіяљіќѡѕѽўѢђ ёђ ѝѼѡџюџўѢђȺ

Jean XXII Duèze, (Giovanni XXII), (John XXII), (Jacques Duèse), (Duèze)ȳ38, 78, 93-95, 98 Jean-Aubry, Georgesȳ143 Jérome (Saint), (Gerolamo), (Ieronimus), (Hieronymus), (340-420)ȳ7, 40, 133-136, 144-156, 158-161, 168-170, 193, 236 Jodogne, Pierreȳ293 Jules César, (Julles Cesar), (Julio Cesare), (Cesaris)ȳ43, 75, 78, 295 Jullien, Marie-Hélèneȳ103 Juren, Vladimirȳ129 Justin, (Giustino)ȳ34, 40, 65, 71, 95, 241 Justinienȳ71 Juvénal, (Giovenale), (Iuvenalis)ȳ11, 30, 34, 65, 111, 184, 245

Kaulbach, Hans Martinȳ314

Keats-Rohan, Katharine S.Bȳ193 Kerner, Maxȳ180, 181 Klauser, Theodorȳ180 Kleineke, Wilhelmȳ180 Klibansky, Raymondȳ164 Köning, Eberhardȳ285 Kristeller, Paul Oskarȳ23, 24

La Brasca, Frankȳ8, 42, 61 ,83, 96, 147, 148,

149, 160, 184, 188, 189, 203 La Croix du Maine, F.G.ȳ289 La Vallière (Duc de), Victorȳ289 Labande, Jérômeȳ94 Labourt, A.ȳ144, 146, 147, 148, 151 Lactance, (LaĴanzio)ȳ65, 93, 96, 152, 159, 268, 318 Lamarque, Henriȳ115, 144 Lana, Italoȳ219 Landino, Cristoforoȳ116, 242 Lapini, Bernardo, (dit Illicino), (Licino), (Glicino), (Hyllicinio)ȳ285, 299, 303, 315 Larbaud, Valeryȳ143, 145, 146, 148-150 Lauer, Philippeȳ287 Laurens, Pierreȳ115 Laurent de Premierfaictȳ295 Laurent le Magnięque (Lorenzo de’ Medici)ȳ127, 256 Lazzi, Giovannaȳ79 Leclercq, Jeanȳ163 Lecoy de la Marche, (Lecoy F.)ȳ275, 290

342

Lelliȳ236 Lemaire de Belges, Jeanȳ294, 297 Lenchantin de Gubernatis, Massimoȳ121 Lenoir, Rebecca, (trad.)ȳ70, 101, 144-146, 151, 159, 163 Léon X Médicis, (Leone X)ȳ239, 245 Leonardi, Claudioȳ70 Léonce Pilate, (Leonzio Pilato), (Leonzio)ȳ49, 102, 214, 215 Leopardi, Giacomoȳ21 Levillain, Philippeȳ93 Levy, A.H.T.ȳ293 Lewis, Clive Stapleȳ271 Lewis, Robert E.ȳ105 Livio, voir Tite-Live Lobrichon, Guyȳ70 Lombardo della Setaȳ193 Longhi, Silviaȳ268 Longpré, André, (trad.)ȳ42, 61, 83, 96, 148, 160, 189 Lorenzo de’ Mediciȳ191, 256 Loschi, Antonioȳ191 Lothaire de Segniȳ105 Louis de Toulouse (Saint), (Luigi de Tolosa)ȳ93 Loup de Ferrièresȳ63 Lovati, Lovato, (1241-1309)ȳ28, 38 Luc (saint), Évangelisteȳ326 Luca della Penna, (Lucas de Penna)ȳ194, 203, 207 Lucain, (Lucano), (Lucani)ȳ21, 34, 65, 101, 102, 105, 110, 122, 257 Luciani, Évelyneȳ161 Lucien, (Lucian)ȳ285, 289 Lucilius, (Lucilio), (Lucilis)ȳ31, 188, 255, 264 Lucrèceȳ11, 125 LupineĴi, Mario Quintoȳ82 Luther, Martinȳ145

Machiavel, Nicolas, (Machiavelli

Niccolo)ȳ39, 131, 145, 180, 235, 236, 238, 239, 240-250, 252-254, 256, 257-265 Macrobe, (Macrobio), (Macrobius)ȳ33, 34, 40, 272 Maerten van Heemskerck, (Martin van Heemskerck)ȳ311, 313, 330-333 Mallet, Robertȳ143 Mandelli, Giovanniȳ217 Mann, Nicholasȳ106, 107, 108, 144, 235, 238 Mantovani, Thierryȳ291

іћёђѥ

Manzari, Francescaȳ92, 93 Marc (saint), (Marco), Évangélisteȳ262, 326 Marchand, Jean-Jacquesȳ237, 248 Marchello-Nizia, Christianeȳ274 Marcozzi, Lucaȳ22 Marion, Jean-Luc, (préf.)ȳ152 Maro, voir Virgile Marot, Jehanȳ290-292, 297 Martelli, Marioȳ236, 237, 240, 241, 243, 252, 256, 260 MartelloĴi, Guido, (dir.)ȳ40, 77, 78, 108, 116, 235, 268, 269 Martialȳ124 Martianus Capellaȳ219 Martin, H.ȳ287 Martinez, Ronald L.ȳ128 Martini, Simoneȳ23, 26, 41, 90, 268 Martini, Stefaniaȳ199 Martone, Thomasȳ313 Masi, Giorgioȳ248, 256 Massaut, Jean-Pierreȳ167 Massèra, A.F.ȳ35 Masseron, Alexandreȳ163 Massimo il Confessore, voir Maxime le Confesseur MaĴhieu (saint), Évangélisteȳ326 Maxime le Confesseurȳ215 Mazour-Matusevitch, Yelenaȳ158, 169 Mc Gowan, Margaretȳ313 Medici, Giovanni de’ȳ245 Mela, Pomponiusȳ(1er s. ap. J.-C.)ȳ7, 39, 41, 62-67, 69-71, 73-75, 202 Melodia,Giovanni, (ѥіѥe s)ȳ198, 199 Menestro, Enricoȳ70 Meur, Dianeȳ72 Michel, Alainȳ9 Migne, Jacques Paul, (éditeur)ȳ180-190 Molière, Jean-Baptiste Poquelin, ditȳ145 Molinet, Jehanȳ284, 292 Mollat, Michelȳ170 Mombello, Gianniȳ284, 290 Monfrin, Jacquesȳ162, 309, 310 Montanari, Francoȳ79 Monti, Carla Mariaȳ64, 73, 203 Müntz, Eugèneȳ311, 313, 326, 328 Mussato, Albertino, (1261-1329)ȳ28, 30, 38, 192, 195

Nativel, ColeĴeȳ311

Nederman, Cary J.ȳ178 Nelli, Francescoȳ134, 161 Neri Lusana, Enricaȳ90 Niccolini, Enricoȳ245 NiccolҤ da Prato, cardinalȳ37, 38 Nicolas, Jérôme, (trad.)ȳ153, 168, 193 Nicolas de Clamanges, (c. 1360-1347)ȳ175 Nicolas de Cuesȳ164 Nicolas IV Masci, (Nicholas IV)ȳ96 Niero, Antonioȳ164, 165 Nolhac, Pierre deȳ23, 25, 30, 41, 54, 61, 81, 85, 87, 102, 103, 105, 121, 133, 162-164, 166, 170, 189 Nota,Elvira, (éd.)ȳ40, 147, 149, 184, 188, 203 Novalis, Friedrich von Hardenberg, ditȳ18 Novatoȳ125 Nyholm, Estherȳ269, 313

Omero, voir Homère

Onorio di Autun, voir Honorius d’Autun Orazio, voir Horace Orose, (Oros)ȳ102,104 Orsini, Napoleone, cardinalȳ37, 80, 85, 87 Orso dell’Anguillaraȳ131 Orth, Myra D.ȳ285-287, 289, 291 Ortner, Alexandraȳ313 Ouy, Gilbertȳ158 Ovide, (Ovidio), (Ovidius), (Ouidium)ȳ15, ,75, 21, 22, 30, 34, 45, 65, 110, 113, 125, 137, 219, 220, 241, 256, 268, 269, 317

Pacca, Vinicioȳ198, 222, 301, 305, 311, 312,

318 Palladiusȳ41 Palmieri, MaĴeoȳ242, 255 Panofsky, Erwinȳ312, 324 Paęasȳ33 Paolazzi, Carloȳ199, 200, 209, 233 Paolino, Laura, (dir.)ȳ202, 311 Paolo, voir Paul Parussa, GabrielaȳŬŲŭ-ŭūŪ Pascal, Blaiseȳ13 Pasquini, Emilioȳ199 Pastore Stocchi, Manlioȳ27 Paul (Saint), (Paolo), (Paulus)ȳ15, 23, 28, 36, 43, 50, 56, 133-135, 156, 161, 225

343

љю яіяљіќѡѕѽўѢђ ёђ ѝѼѡџюџўѢђȺ

Paul l’Ermiteȳ155 Paul Diacreȳ104 Paulin de Veniseȳ63 Peire d’Auvergneȳ301 Peire Vidalȳ301 Pellegrin, Elisabethȳ64, 95, 179, 192, 284, 285, 286, 303 Pencz, Georgȳ314, 333-335 Penna, voir Luca della Penna Perosa, Alessandroȳ121 Perricioli Saggese, Alessandraȳ92 Perrus, Claudeȳ279 Pertile, Linoȳ215 Pertusi, Agostinoȳ102, 103 215 Petit de Julleville, L.ȳ289, 290 Petracco de Parenzo, (Petracco), (Petrus Parentis Florentinus), (père de F. Pétrarque)ȳ28, 36, 133 Petrocchi, Giorgioȳ206 Petrucci, Armandoȳ23, 65, 86, 90 Petrus Parentis Florentinus, voir Petracco de Parenzo Philieul, Vasquinȳ297 Philippe de Vitryȳ84, 215, 218 Picone, Michelangeloȳ21, 25, 29, 97, 220, 223, 229 Pie VIII, Castliglioniȳ161 Pier da Viernaȳ301, 302 Piero della Francescaȳ313 Pierre (Saint)ȳ144, 327 Pietro d’Abano, voir Abano, Pietro d’ȳ Pindareȳ123 PiĴagula, Stefanoȳ79 Platon, (Platone)ȳ11-13, 16, 17, 43, 50, 55-57, 65, 134, 136, 156, 181, 189, 225, 228, 323 Plaute, (Plauto)ȳ32 Pline l’Ancien, (Plinio)ȳ41, 65, 97, 257 Plutarque, (Plutarch)ȳ105, 182, 189, 285, 289, 290, 291, 323 Pogge, voir Bracciolini, Jacopo di Poggio Politien, (Angelo Ambrogini Poliziano)ȳ115116, 120, 123, 125-129 Polybe, (Polibio)ȳ241 Poncher, Étienneȳ286 Ponte, Giovanniȳ178, 229 Préchac, François, (trad.)ȳ180 Priscienȳ33 Properce, (Properzio)ȳ22, 122, 124, 125, 317 Prudenceȳ111, 268, 270 Ptolémée, Claude, (Tolomeo)ȳ111, 151, 190, 191, 268, 270 Pugliese Carratelli, Giovanni, (Giovanni)ȳ90

344

Pulci, Lucaȳ256 Pulci, Luigiȳ256 Pulice, Enricoȳ115 Punzi, Arianaȳ79 Puppo, Marioȳ236

Quintavalle, Arturo Carloȳ79, 92

Quintilien, (Quintiliano)ȳ54, 97, 102, 189, 203, 204, 205, 234

Rabel, Claudiaȳ90

Racine, Jeanȳ17 Ragioneri, Giovannaȳ99 Rahner, Hugoȳ214 Raimbaut d’Orangeȳ301 Raimbaut de Vaqueirasȳ301 Raimondi, Ezioȳ259 Rambaldi da Imola, Benvenutoȳ159, 233 RamondeĴi, P.ȳ250 Raoul de Houdencȳ274 Rawski, Conrad H.ȳ236 Raynaud, Christianeȳ92 Reale, Giovanni, (prés.)ȳ214 Reggiani, Clara Krausȳ201 Reichler, Claudeȳ69 René d’anjouȳ284, 290, 309 Reynaud, Nicoleȳ287 Ricci, Pier Giorgioȳ43, 235 Richardson, Samuelȳ18 Riché, Pierreȳ23, 70 Rico, Franciscoȳ25, 33, 44, 58 Ridley, Ronald T.ȳ241 Rimbaldo, voir Raimbaut, (Raÿmbaldo)ȳ301 Rinaldi, Rinaldoȳ243, 256 Rizzo, G.ȳ236 Rizzo, S.ȳ268 Robertet, Jeanȳ284, 290 Roberto d’AngiҤȳ131 Rochais, Henri Marieȳ163 Rodolę, Annaȳ225 Rol, Hubertusȳ331 Romagnoli, Gaetanoȳ239 Romanini, Angiola Mariaȳ99 Romano, Angeloȳ202 Roncaglia, Aurelioȳ214 Ronsard, Pierre deȳ17, 21 Rosny, Antoine deȳ147, 188, 195 Ross, William Braxtonȳ96

іћёђѥ

Rosselli, Francescoȳ315 RosseĴi, Domenico,,RoseĴi,,,49, 201 Rossi, Luca Carloȳ21, 202, 209, 229 Rossi, ViĴorioȳ41, 135, 183, 17-190, 195 Rossi, Pino deȳ257 Rostagno, Enricoȳ121 Rotondi, Giuseppeȳ52,226 Rotondi Secchi Tarugi, Luisaȳ178 Rouse, Mary A.ȳ63 Rouse, Richard H.ȳ63 Rousseau, Jean-Jacquesȳ17 Ruęn, (Ruf.)ȳ104, 145, 155 Russo, Antonioȳ91

Sabbadini, Remigioȳ23, 133, 189

Sacrobosco, Joannesȳ33 Sainte-Beuve, Charles Augustinȳ16 Salel,Huguesȳ285 Sallusteȳ11 Salmi, Marioȳ313 Salutati, Coluccioȳ168 Samaran, Charlesȳ71 Santagata, Marcoȳ22, 24, 29, 77, 80, 93, 99, 199, 205, 234, 268, 311 Santoro, Caterinaȳ293 Sapegno, Natalinoȳ198, 248 Sasso, Gennaroȳ199, 236, 237, 241, 280 Savonarole, Jérômeȳ145 Scarpa, Emanuelaȳ236, 243 Scève, Mauriceȳ17 Schebat, Laure, voir HermandSchebat,Laureȳ177 Schmidt, Peter Lebrechtȳ103 Schmidt, Jean-claudeȳ279 Schneider, Jacob H.J.ȳ225 Sedulius Scotiusȳ104 Sféris, Georgesȳ225 Sellink, Manfredȳ313 Semizzi, Renataȳ91 Sénèque, Annaeus, (Seneca)ȳ11, 22, 31, 34, 41, 45, 51, 54, 55, 58, 85, 96, 137, 149, 167, 179, 180, 184, 188, 203, 204, 213, 219, 220, 221, 255, 257, 264 Senofonteȳ241, 255, 257 Senuccio del Bene, (Sennucio), (Sennuccio)ȳ202, 301 Sequester, Vibius, (Sequester Vibius), (Vibius)ȳ63, 65, 67, 75 Serra, Renatoȳ268 Servius, (servius)ȳ36, 71

Severinusȳ32, 121 Shakespeare, Williamȳ21 Simone, Francoȳ284-286 Smalley, Berylȳ70 Sofrone, voir Sophron Solerti, A.ȳ239 Solinȳ219 Sophron, (Sofrone), (Sophroni)ȳ135, 136 SoĴili, Agostinoȳ165 Stace, (Stazio)ȳ21, 34, 101, 102, 110, 122, 128 Stanford, William Bedellȳ221 Stazio, voir Stace Stecher, J.A.ȳ294 Stefaneschi, Jacopo, cardinalȳ99 Steiger, Renateȳ164 Stierle, Karlheinzȳ23, 27 Stok, Fabioȳ101 Stolę, Casimiroȳ238, 239 (ѥіѥe s) Stoppelli, Paoloȳ236 Subirani, Raimondo, procureur du roi d’Angleterreȳ38 Suerbaum, Wernerȳ108, 273 Suétoneȳ144, 193 Suitner, Francoȳ29 Suomela-Härma, Elinaȳ284, 285 Symmaque, (Symmachus)ȳ111

T

aciteȳ11 Ter Haar, Leonardus G.J.ȳ272 Térence, (Terenzio)ȳ45, 137, 249, 250 Tertullienȳ103, 153 Tervarent, Guy deȳ320 Tesnière, Marie-Hélèneȳ74, 92, 97 Teyssèdre, Bernard, (trad.)ȳ312 Théocriteȳ320 Thibault, Pascaleȳ291 Thomas d’Aquin (saint), (Thomas Aquinas)ȳ13, 225 Thomas de Messine, voir Caloiro, Tommasoȳ61, 69 Tibulle, (Tibullo)ȳ22, 317 Tissoni Benvenuti, AntoniaȳŬŪŰ Tite-Live, (Tito-Livio), (Livio), (Livy), (Titii Livii)ȳ9-11, 21, 23, ŭŪ, 38, 39, 41, 67, 69, 74, 77, 81, 82, 84, 86, 89, 90, 91, 92, 95-98, 238, 241, 250, 268 Tognon, Giuseppeȳ164, 177, 236 Tolomeo, voir Ptolémée, Claude Tomei, Alessandroȳ92, 99 Torti, Annaȳ25

345

љю яіяљіќѡѕѽўѢђ ёђ ѝѼѡџюџўѢђȺ

ToseĴi, Lelioȳ80, 98, 215 Trevet, Nicolasȳ38 Trisolini, Giovannaȳ293 Tristano, Caterinaȳ41, 211 Trovato, Paoloȳ199, 233, 234 Thucydide, (Tucidide)ȳ241 Tufano, Ilariaȳ22 Tullioȳ32, 86, 135

Uberti, Fazio degli, (c. 1309-1367)ȳ219

Ugoni, Camillo, (trad.)ȳ199 Uguccione di Thieneȳ167 Ullman, Berthold Lewis, (Ullmann, 30 : le CCF donne Ullman)ȳ30, 47 Ullman, Walterȳ193 Urbain V de Grimoard, (Urbano V)ȳ167, 172, 174, 197, 283 Ussani, Vincenzoȳ116

Valère Maxime, (Valerio Massimo)ȳ29,

34, 65, 194, 249, 250, 257, 262, 278 Valla, Lorenzoȳ39, 145 Valois, Nicolasȳ93 Van Heck, Paulȳ241 Vansteenberghe, Edmondȳ164 Varro, Gaius Terentiusȳ249 Varron de l’Ataxȳ122 Vasoli, Cesareȳ243, 296 Vegezioȳ41, 211, 252 Veldman, Iljaȳ313 Velli, Giuseppeȳ65, 200, 209, 216 Vellutello, Alessandroȳ303 Verino, Ugolinoȳ256 VeĴori, Francesco, (correspondant de Pétrarque)ȳ236, 237, 254 Vianello, N.ȳ310 Vigny, Alfred deȳ18 Virgile, (Virgilio), (Publius Vergilius Maro) (Maronis), (Marone), ѣe siècle ap. J.-C.ȳ9-12, 21-23, 26-28, 32, 34, 36, 39-41, 43, 67-69, 71, 73-75, 79, 80, 101, 102, 111, 113115, 119-122, 125, 128, 133-135, 147, 153, 155, 156, 181, 186, 193, 210, 213, 230, 241, 317 Virgilio, Marcelloȳ241 Viti, Paoloȳ79, 206 Vitruveȳ39 Voltaire, François Marie Arouet, ditȳ145

346

Weakland, John E.ȳ93

Webb, Clemens C.I, (éditeur)ȳ180-190 Weisbach, Wernerȳ313 Wilkins, Ernes Hatchȳ170

Xénophon, (Senophonte)ȳ241, 291 Yates, Frances A.ȳ145 Z

immermann, Michel, (dir.)ȳ70 Zingarelli, Nicolaȳ199, 207 Zoia, Luigiȳ223

Table des matières

Avant-proposȳȳt 7 Alain Michel (Université de Paris IV Sorbonne, membre de l’Institut) Lectures de Pétrarqueȳȳt 9 Michelangelo Picone (Zürich Universität) Dentro la biblioteca di Petrarcaȳȳt 21 Francisco Rico (Universidad Autónoma, Barcelona) Philologie et philosophie chez Pétrarqueȳȳt 35 Nathalie Bouloux (Université François Rabelais/CESR, Tours) Pétrarque et les marges des manuscrits géographiquesȳȳt 61 Giuliana Crevatin (Scuola Normale Superiore, Pisa) « Reliquiarum servator »Ⱥ: il Livio Parigino Lat. ůŰųŪ I. Letture di Tito Livio fra Petrarca e i Colonnaȳȳt 77 Marcello Ciccuto (Università degli Studi, Pisa) « Reliquiarum servator »Ⱥ: il Livio Parigino Lat. ůŰųŪ II. Vicenda colonnese del Livio di Petrarca, fra Napoli, Avignone e Roma¥ȳȳt 89 Jean-Louis Charlet (Université de Provence, Aix-en-Provence) Pétrarque lecteur de Claudienȳȳt 101

347

љю яіяљіќѡѕѽўѢђ ёђ ѝѼѡџюџўѢђȺ

Pierre Laurens (Université de Paris IV Sorbonne) La leĴre à Horace (Familiares, XXIV, ūŪ)ȹ: un modèle de la silve politianesqueȳȳt 115 Ugo DoĴi (Università degli Studi, Cosenza) Le due « biblioteche » di Francesco Petrarcaȳȳt 131 François Fabre (Paris) Pétrarque et saint Jérômeȳȳt 143 Antoine de Rosny (CESR, Tours) Pétrarque et saint Bernardȳȳt 161 Laure Hermand-Schebat (Université de Paris IV Sorbonne) Pétrarque et Jean de Salisburyȹ: miroir du prince et conceptions politiquesȳȳt 177 Enrico Fenzi (Genova) Petrarca, Dante, UlisseȺ. Note per una interpretazione della Fam. XXI ūů a Giovanni Boccaccioȳȳt 197 Maria Cristina Figorilli (Università degli Studi, Cosenza) Su Machiavelli e il De remediis di Petrarcaȳȳt 235 Johannes Bartuschat (Université Stendhal, Grenoble) L’allégorie dans les Triomphesȳȳt 267 Gabriela Parussa & Elina Suomela-Härmä (Université François Rabelais/CESR, Tours & Université d’Helsinki)

Le triomphe des Triomphesȹ: la réception de Pétrarque en France entre Moyen Âge et Renaissanceȳȳt 283 ColeĴe Nativel (Université de Paris I Panthéon-Sorbonne) Un Pétrarque néerlandaisȺ: l’iconographie des Triumphi dans la série d’estampes de Maerten van Heemskerckȳȳt 311 Indexȳȳt 337

348