Fantômas sous les tropiques: Aller au cinéma en Afrique coloniale 2363581709, 9782363581709

Les séances ont commencé dans les rues, les cours ou les cafés. Puis surgirent les salles aux noms grandioses, tout droi

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French Pages 320 [292] Year 2015

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Fantômas sous les tropiques: Aller au cinéma en Afrique coloniale
 2363581709, 9782363581709

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Collection Empires dirigée par Sophie Dulucq et Jean-François Klein

En couverture Scène de rue à Djibouti en 1939. Des passants devant des affiches de cinéma.

© Akg-Images/Paul Almasy Couverture et Composition Henri-François Serres Cousiné

© Vendémiaire 2015 Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, du texte contenu dans le présent ouvrage, et qui est La propriété de l'Éditeur, est strictement interdite.

Diffusion/Distribution Harmonia Mundi ISBN 978-2-36358-170-9

Éditions Vendémiaire 155,rue de Belleville 75019 Paris www.editions-vendemiaire.com

Odile Goerg

Fantômas sous les tropiques Aller au cinéma en Afrique coloniale

Uendémiaire «Hommes de l'avenir, souvenez-vous de moi»

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En hommage à Pierre Haffner (1943-2000) trop tôt disparu, grand connaisseur du cinéma africain,

qui ma fait partager sa complicité avec les films.

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Introduction

«Partimodestement de la salle en sous-sol du Grand Café,

le cinéma a conquis le monde!. »

Cette affirmation s'applique aussi à l’Afrique où le 7° art s’est diffusé rapidement. Dans ce vaste continent comme ailleurs, les images animées attirèrent par leur nouveauté, par l'évasion qu'elles promettaient, par les messages qu'elles véhiculaient. De Zanzibar à Brazzaville, de Johannesburg à Dakar, les premiers spectacles cinématographiques furent un succès. Le cinéma

continua ensuite sur sa lancée pour devenir le loisir urbain dominant à l'aube des indépendances. C'est cette histoire que cet

ouvrage a l'ambition de conter. Partant de la rencontre chronologique fortuite entre cinéma

et colonisation, essayons de comprendre l'implantation de ce média étranger et les raisons de son succès. Lieux de projection, publics et films constituent les éléments fondamentaux de cette rencontre. À cette trilogie s'ajoutent les acteurs de la diffusion cinématographique, cinéphiles passionnés ou entrepreneurs qui misent sur le potentiel lucratif de cette activité. L'administration coloniale laisse, en effet, au secteur privé le soin de gérer ce loisir. Cependant, elle perçoit rapidement le pouvoir ambigu de ce qui est tout à la fois outil de propagande et «opium du peuple»,

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mais aussi divertissement au sens fort du terme: le cinéma offre une échappatoire au poids de la domination étrangère, une ouverture sur le monde et une alternative au discours colonial. Dans un contexte de répression politique et culturelle, les films diffusent, en effet, des images bien éloignées des stéréotypes de la «mission coloniale » ou de la vision idéalisée du Blanc. Bandits,

miséreux, gangsters, hommes adultères, femmes volages ou violentées envahissent les écrans. De fait, pour le pouvoir colonial, le cinéma est porteur de menaces de déstabilisation qu'il faut contrer. On explorera donc aussi les formes de contrôle, d’abord indirectes puis institutionnalisées, ainsi que les mécanismes

concrets de la censure. Mis en place dans les années 1930, ces derniers ne fonctionnent réellement que plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque l'essor du cinéma est tel qu'il touche désormais toutes les catégories de la population, jusqu'aux périphéries urbaines. La surveillance affirmée des écrans et des salles coïncide alors avec la montée des revendications anticoloniales et l'expression des nationalismes, qui trouvent dans les films matière à inspiration. Pour les colonisés, la dimension contestataire du cinéma n'est, toutefois, pas première : le cinéma est, avant tout, un mo-

ment d'évasion, de détente, voire d'apprentissage de nouveaux codes ou modes de vie. Le cinéma crée des lieux et des moments spéciaux d'interaction sociale. Au-delà de cette dimension ludique fondamentale, les spectateurs trouvent dans les films un formidable réservoir de modèles sociaux ou identitaires qui bousculent leurs propres représentations. Les films mettent en scène d’autres mondes, d’autres rapports amoureux, d’autres

images du couple, d’autres relations intergénérationnelles ; ils proposent aux adolescents des attitudes étrangères à leur propre univers, et tout un répertoire de signes (gestuelle, habillement,

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comportement...). Pour les garçons et les jeunes Africains, le western constitue l’archétype de ces nouveaux modèles; il participe à la construction de soi des hommes de la génération des indépendances. En tant que forme de loisir, le cinéma rompt avec les pratiques du passé. Différenciés auparavant selon le genre ou l’âge, généralement liés à des festivités collectives ou à des événements familiaux, rythmés par les étapes de la vie ou les travaux des champs, les événements sociaux et les moments de détente prennent une tonalité nouvelle dans les villes, tout en conser-

vant leur caractère collectif. Le cinéma y tient une place de choix. Il en vient même à définir la citadinité: « Une ville n'était une vraie ville que si elle avait sa salle de cinéma’. »

Or comment passe-t-on de la veillée au clair de lune à la soirée au cinéma ? Que cherche-t-on sur les écrans et dans les

salles obscures ? Pour répondre à ces questions, nous tenterons de reconstituer l'atmosphère des temps pionniers du cinéma en Afrique subsaharienne, d'analyser les publics dans leur diversité, de découvrir leurs films favoris, de scruter les formes de sociabi-

lité qui se développèrent autour de ce nouveau loisir. Analyser le cinéma comme une expérience globale implique un foisonnement de questions imbriquées, relevant aussi bien de l’histoire sociale (diversité et hiérarchie des publics) ou de l'étude urbaine (localisation des salles, trajets dans la ville, bâtiments) que de l’histoire culturelle et des loisirs, sans oublier,

bien sûr, le contexte politique qui détermine en grande partie

la marge de manœuvre des spectateurs. Nous accorderons donc une grande importance à tout ce qui entoure une séance:

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les déplacements pour se rendre au lieu de projection, l'attente

pendant que l’on change les bobines, l’animation dans les files d'attente ou à la sortie, les publicités (affiches, musiques,

hommes-sandwiches), qui affirment la présence du cinéma entre les séances, et touchent même les yeux ou les oreilles de ceux qui ne fréquentent pas les salles. Il ne s’agit donc pas -— ou pas seulement — d'offrir une histoire des films africains, bien rares au temps des colonies, ni des nom-

breux films ethnographiques ou coloniaux produits à l'époque et destinés surtout aux métropolitains*. Ces derniers nous en disent long sur les clichés qui construisent la représentation de l'Afrique et des Africains en Occident et alimentent encore les esprits“. En revanche, l'étude du cinéma comme pratique sociale inclut bien évidemment l'analyse de la programmation et de la réception des films, majoritairement occidentaux, et, plus mar-

ginalement et plus récemment, arabes ou indiens. Car si aller au cinéma n'est pas seulement voir un film, aller au cinéma, c'est

aussi voir un film. Le renouvellement épistémologique et historiographique qui met l'accent sur le contexte dans lequel s'effectue la consommation de films n’a fait qu'effleurer les empires coloniaux®. Contrairement à l’histoire des pratiques festives et récréatives qui s’est développée récemment, celle du cinéma comme pratique sociale et culturelle reste embryonnaire. Malgré quelques exceptions - Afrique australe et centrale, côte swahili, portions du Nigeria.…—, des pans entiers du continent n’ont pas été étudiés alors que, dans ces endroits-là également, le cinéma se diffuse dès son

invention à des rythmes et selon des ampleurs variablesf. Cet ouvrage vient donc combler une lacune. Il se concentre sur l'Afrique de l'Ouest, tout en faisant des incursions vers l’'AEF et le Congo belge’. Il compare les pratiques, occidentales mais surtout 10

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africaines, afin de bénéficier des acquis des recherches antérieures pour les conforter ou s’en distancier mais surtout, grâce

aux informations factuelles qu’elles ont recensées, pour mettre en évidence les formes spécifiques des pratiques. Il aborde aussi la question de la circulation des politiques et des modèles cinématographiques des métropoles vers les colonies, voire des colonies vers les métropoles, mais aussi des colonies entre elles, qu’elles se situent ou non à l’intérieur du même empire. Des études concernant l'Afrique australe et centrale ressortent - outre l’idée du succès, que l’on peut aisément généraliser au continent tout entier - certaines spécificités liées au

contexte local de l'exploitation minière et de la ségrégation raciale. L'importance des publics ouvriers, du Katanga belge au Copperbelt sud-africain, y est soulignée. Parmi ces études, certaines mènent une réflexion poussée sur la capacité de compréhension des images par ce type de spectateurs et, partant, sur la nécessité d'adapter les films par des coupes, voire de produire des films pour répondre à des besoins conçus comme particuliers. Cette vision s’insère dans le discours raciste qui marque la pensée occidentale au temps des colonies. L'élargissement de l'analyse à d’autres zones du continent met en évidence d’autres modèles, ancrés dans les sociétés locales. Le cinéma s’introduit

par les grandes villes et les zones littorales tournées vers l’extérieur. Il met en mouvement les couches les plus dynamiques et attire fonctionnaires, commerçants, petits entrepreneurs

dans des espaces restreints (cours, cafés), avant de se déployer dans des lieux plus vastes. Ainsi, dès le milieu des années 1920, l’homme d’affaires ghanéen Alfred J. Ocansey ouvre une chaîne de salles dans le sud de la colonie. Cette mutation, qui prend en général place au milieu des années 1930, entraîne des changements aussi bien pour les spectateurs que pour les investisseurs. 11

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Le cinéma se dote alors de ses propres lieux, aux règles codifiées, et diversifie la gamme des genres filmiques. À la même époque, le passage aux films parlants pousse les autorités coloniales à s’intéresser de plus près au nouveau média, attitude qui s'affirme après la guerre. Le cinéma commercial est au cœur de l’analyse maisonne peut totalement ignorer les autres modes de diffusion: patronages missionnaires, écoles, centres culturels, projections orga-

nisées sur les chantiers miniers ou les plantations. Comme le montrent les témoignages biographiques, c'est par eux que se fait bien souvent l'initiation aux images animées, expérience que l'on souhaite renouveler et qui pousse les ruraux vers les villes. À part le passage dans les campagnes de quelques entrepreneurs ambulants ou de «voitures-cinémas », le cinéma est en effet une

affaire urbaine. C'est dans ce contexte que se déploie ce nouveau loisir, qui ouvre les colonisés sur des mondes qu'ils ont parfois du mal à décoder tant ils diffèrent de leur vécu au quotidien. Le glissement qui consiste à placer le vécu de la séance et du public au centre des questionnements se heurte à des problèmes méthodologiques dès que l’on se déplace vers les colonies. Relater l’histoire de ce divertissement majeur en situation coloniale, c'est-à-dire pris dans un rapport complexe de domination et d'autonomie limitée, suppose de ne pas perdre de vue que le rapport colonial détermine l’économie politique du cinéma, aussi bien dans la mise en place des réseaux de distribution - dominés par des acteurs et des capitaux européens et marginalisant rapidement les petits entrepreneurs — que dans certains pans

de la politique du film, à commencer par la censure ; il restreint également la marge de manœuvre des individus, tout en leur offrant involontairement une arène politique de choix, favorisée

par la salle obscure ou l’imprévisibilité des réactions du public. de

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Paradoxalement, le cinéma se trouve ainsi propulsé au rang d'espace de liberté, de perturbateur social potentiel, de pourvoyeur d'idées subversives. Dans ce contexte, l'écran joue un rôle de médiateur entre divers groupes sociaux, mais aussi entre le public et les autorités, ou entre la société et le monde extérieur, en véhiculant des formes de modernité. Produites par divers services de l'administration métropolitaine ou locale, les archives peinent à rendre compte du vécu des colonisés. Leur voix est pourtant perceptible, mais il faut y prêter attention et passer outre le filtre du regard colonial, empreint, bien souvent, de préjugés et d’incompréhension. En contrepoids

d'analyses biaisées ou de citations fragmentaires, figurent les témoignages de spectateurs qui s'expriment par des écrits (romans, autobiographies, presse, entretiens anciens) ou lors d'enquêtes orales. Celles-ci donnent accès à des pans de vécu et pallient partiellement les manques documentaires. Elles sont cependant marquées par le jeu de la mémoire, qui reconstitue plus aisément une ambiance que l'impact précis d’un film ou de la censure. Le regard rétrospectif pousse parfois à embellir les jeunes années. Alors que raisonner à l'échelle du continent n'a guère de sens tant les cultures et les contextes varient, le croisement de la

documentation, écrite et orale, permet de procéder par touches, pour se faire une idée de l'impact de ce nouveau média sur les spectateurs, reconstituer l'atmosphère dans les salles ou mettre au jour les marques de la censure. Préparons-nous donc à suivre les spectateurs dans les cours ou dans les salles obscures, pour regarder avec eux un épisode de Tarzan ou du Dernier des fédérés.

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