Villages en developpement: Contribution á une sociologie villageoise. Actes de premier et deuxième colloques d’Albiez-le-vieux 1969 et 1970 9783111560489, 9783111189864

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Villages en developpement: Contribution á une sociologie villageoise. Actes de premier et deuxième colloques d’Albiez-le-vieux 1969 et 1970
 9783111560489, 9783111189864

Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES AUTEURS
AVANT-PROPOS
SOCIOLOGIE DU VILLAGE
PREMIÈRE PARTIE: VILLAGES DE FRANCE
Le Village Dans Le Système Social
Société Villageoise Et Coopération Agricole. Vérification De Quelques Hypothèses Concernant Les Différentes Étapes De La Coopération Agricole
Le Développement D'un Canton Des Mauges
Le Role Des Coopératives Et L'évolution Des Exploitations. Dans Un Village Du Bas-Vivarais
Problèmes D'urbanisme Villageois
DEUXIÈME PARTIE: VILLAGES D'AFRIQUE E T D E MADAGASCAR
Villages En Développement Congo-Kinshasa
Une Expérience D'animation Coopérative Au Niger
Le Développement Des Communautés Rurales Gbeya (République Centrafricaine)
Une Expérience D'animation Rurale (Haute-Volta)
Animation Et Restructuration Villageoise Sur Les Hauts Plateaux Malgaches
TROISIÈME PARTIE: VILLAGES D'EUROPE ET DU MOYEN-ORIENT
Essor ou déclin d'un village coopératif en Yougoslavie
Le village russe va-t-il disparaître ? Le nouveau statut des kolkhozes
Monographies sur le village soviétique. Esquisse d'une nomenclature
Les institutions villageoises et inter-villageoises dans les villages coopératifs israéliens (mochavim)
Les villages d'Israël. Éléments de bibliographie
QUATRIÈME PARTIE: VILLAGES D'ASIE
Populations rurales et développement en Iran
La communauté villageoise en Inde
CINQUIÈME PARTIE: VILLAGES D'AMÉRIQUE LATINE
Note sur les unités sociales brésiliennes de peuplement

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VILLAGES EN DÉVELOPPEMENT Contribution

à une sociologie villageoise

ÉCOLE

PRATIQUE

SIXIÈME

SECTION:

DES HAUTES SCIENCES

ÉTUDES



ÉCONOMIQUES

SORBONNE

ET

RECHERCHES COOPÉRATIVES /V

P A R I S

MOUTON & CO MCMLXXI

LA HAYE

SOCIALES

VILLAGES EN DÉVELOPPEMENT Contribution à une sociologie villageoise

ACTES DES PREMIER ET DEUXIÈME COLLOQUES D'ALBIEZ-LE-VIEUX 1969 et 1970 publiés sous la direction de

Henri

D E s ROCHE

PARIS

et Placide

MOUTON

&

MCMLXXI

RAMBAUD

CO

LA HAYE

Library of Congress Catalog Card Number : 70-157842 © 1971, Ecole Pratique des Hautes Etudes, VI e Section, and Mouton & Co. Imprimé

en

Trance

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS Placide

RAMBAUD,

PREMIÈRE

11 Sociologie du village

13

PARTIE : VILLAGES DE FRANCE.

Placide RAMBAUD, Le village dans le système social. Éléments de bibliographie Gaston LANNEAU, Alain BAUBION-BROYE et Jean-Michel CASSAGNE, Société villageoise et coopération agricole. Vérification de quelques hypothèses concernant les différentes étapes de la coopération agricole Yves OGER, Le développement d'un canton des Mauges. Renée C E L L I E R , Le rôle des coopératives et l'évolution des exploitations dans un village du Bas-Vivarais Denys PRADELLE, Problèmes d'urbanisme villageois . . DEUXIÈME PARTIE: MADAGASCAR.

37

85 119

133 153

VILLAGES D'AFRIQUE ET DE

Paul RAYMAEKERS, Villages en développement. CongoKinshasa (zone occidentale) Guy BELLONCLE, Une expérience d'animation coopérative au Niger Gérard GOSSELIN, Le développement des communautés rurales gbeya (République Centrafricaine) Lédéa Bernard OUEDRAOGO, Une expérience d'animation rurale (.Haute-Volta) Anne BERGERET et André COMBAZ-FAUQUEL, Animation et restructuration villageoise sur les Hauts Plateaux malgaches

165 201 229 259 271

Villages en

8

TROISIÈME

PARTIE:

développement

VILLAGES D'EUROPE E T DU

MOYEN-ORIENT.

Henri DESROCHE, Essor ou déclin d'un village coopératif en Yougoslavie Basile KERBLAY, Le village russe va-t-ïl disparaître ? Le nouveau statut des kolkhozes Basile KERBLAY, Monographies sur le village soviétique. Esquisse d'une nomenclature Henri DESROCHE et Zvi GAT, Les institutions villageoises et intervillageoises dans les villages coopératifs israéliens (mochavim) Doris BENSIMON-DONATH, Les villages d'Israël. Éléments de bibliographie QUATRIÈME PARTIE :

VILLAGES

VILLAGES

323 333 339 359

D'ASIE.

Simone CRAPUCHET, Populations rurales et développement en Iran Saminini Baliah NAIDU, La communauté villageoise en Inde CINQUIÈME PARTIE :

309

373 389

D'AMÉRIQUE

LATINE.

Odette ROSA DA SILVA et Darcy DA SILVA, Note sur les unités sociales brésiliennes de peuplement

407

Nous remercions la rédaction des Archives internationales de Sociologie de la Coopération et du Développement qui a publié certains de ces textes dans ses fascicules 21 (1967), 26 (1969) et 27 (1970) et qui a bien voulu nous autoriser à les reproduire dans le présent ouvrage.

LISTE DES AUTEURS Alain Guy

BAUBION-BROYE BELLONCLE

Doris

BENSIMON-DONATH

Anne

BERGERET

Jean-Michel Renée

CASSAGNE

CELLIER

André COMBAZ FAUQUEL Simone C R A P U C H E T Darcy

DA SILVA

Henri

DESROCHE

ZVI G A T

Gérard Basile Gaston

GOSSELIN KERBLAY LANNEAU

Saminini Baiiah Yves GER Lédéa OBernard

NAIDU

OUEDRAOGO

Denys P R A D E L L E Placide RAMBAUD Paul R A Y M A E K E R S Odette ROSA DA S I L V A

Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Toulouse. LR.A.M., Niger. Centre National de la Recherche Scientifique, Paris. École Pratique des Hautes Études, VI' Section, Paris. Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Toulouse. École Pratique des Hautes Études, VI' Section, Paris. I.R.F.E.D., Paris. École Pratique des Hautes Études, VI' Section, Paris. Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Sao Paulo. École Pratique des Hautes Études, VI' Section, Paris. Jewish Colonization Association, Rehovot. Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Lille. Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Paris. Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Toulouse. École Pratique des Hautes Études, VI' Section, Paris. C.R.E.D.A.R., Nantes. École Pratique des Hautes Études, VI' Section, Paris. Atelier d'Urbanisme en Montagne, Chambêry. École Pratique des Hautes Études, VI' Section, Paris. B.O.P.R., Université Lovanium, Kinshasa. Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Sao Paulo.

AVANT-PROPOS Ce n'est pas simple hasard si le village connaît un regain d'intérêt dans la réflexion sociologique, à côté de la ville, de la politique urbaine , de l'urbanisation, elles aussi redevenues centrales dans la recherche contemporaine. Au-delà d'une dichotomie scientifiquement stérile, il s'agit de deux types de rapports des sociétés avec leur espace, rapports tantôt concurrents, tantôt complémentaires. Ces deux manières de maîtriser et d'occuper l'espace, ces deux formes spatiales des groupes sont à la fois des appropriations techniques différentes et des dominations sociales particulières, riches chacune de leurs originalités propres tant pour le passé que pour l'avenir. Par elle-même, la ville déclenche l'urbanisation que des politiques encadrent ou accompagnent. L'urbanisation, c'est d'abord une certaine densité de concentration humaine dans des limites déterminées ; c'est ensuite des systèmes de conduites, d'attitudes, de valeurs, facilement nommés culture urbaine et qui se diffusent d'euxmêmes, porteurs, semble-t-il, de leurs propres pouvoirs de conquête. Ces deux réalités sont parfois indûment confondues. Quand elles ne le sont pas, les liens entre elles résistent à l'analyse. Comment s'organisent et sous l'impulsion de quelles forces sociales, une concentration de peuplement, une culture, une forme d'organisation spatiale ? En face de la ville, figure parfois utopique de l'avenir, le village apparaît comme un témoin irénique du passé. Pour beaucoup le couple urbain-rural évoque une étrangeté réciproque et recouvre l'opposition moderne-traditionnel, notions jamais définies avec précision. En toute hypothèse, l'évolution ne peut être qu'unilinéaire : le rural englobé dans l'urbain, le traditionnel se muant en moderne, le village devenant ville. De cette subtile démarche témoigne l'absence d'un mot équivalant à urbanisation, pour identifier le pouvoir du village. Aujourd'hui, comme dans le passé, parler d'une politique villageoise apparaît comme une idéologie conservatrice. Et le terme « villagisation », que l'on trouvera employé ici, n'a pas encore fait son entrée dans le vocabulaire sociologique ; il ne pourra prendre place, semble-t-il, que bien plus tardivement encore dans

12

Villages en

développement

le dictionnaire. C'est pourquoi, villages en développement est une appellation en laquelle il faut lire un accroissement différencié du technique et de l'économique, une transformation complexe des structures sociales, une interdépendance nouvelle entre fonctions et groupes au-delà du village lui-même. Dès lors, le village requiert une analyse moins en termes de dichotomie ou de continuité par rapport à la ville qu'en termes de forces sociales, endogènes ou extérieures, intentionnelles ou inconscientes, à l'œuvre pour le créer, le maintenir ou le transformer. De ce point de vue, les textes présentés ici constituent un important matériau sociologique. Les uns relatent des expériences de développement de villages, d'autres sont presque des carnets de route, d'autres essaient de préciser les caractères distinctifs du village ou l'interrogent sur sa pérennité. Pour l'essentiel, ils ont été communiqués et discutés au cours de deux colloques tenus à Albiez-le-Vieux (Savoie) en 1969 et en 1970, ou ont été écrits à cette occasion. Certaines conférences ont préféré garder leur statut oral et ne pas se soumettre aux risques de la publication écrite. Pourtant, leur intérêt est grand, car elles portaient sur les groupes de plus en plus nombreux et puissants qui étendent leur emprise sociale sur l'espace villageois. J.-P. SIRONNEAU a analysé le « Développement sauvage des villages : le cas des stations de sports d'hiver » ; M. IMBERT a tenté de mesurer les chances d'avenir des « Villages primaires et des villages tertiaires ». La pénétration du travail industriel impose d'autres modes de développement. J . FISERA a étudié les effets des migrations des paysans-ouvriers sur les villages tchèques et yougoslaves. P . PATEAU a montré comment l'organisation économique du village agricole était modifiée par les techniques de déshydratation de la luzerne en usine qui accroissent considérablement les investissements de transformation, réduisent ceux du stockage et supposent une nouvelle solidarité entre travailleurs. Dans les villages en développement, les acteurs sociaux en présence sont divers ; leurs objectifs, leurs moyens, leur culture ne sont pas identiques. Les types villageois présentés ici ne recouvrent pas la totalité des formes historiques. La recherche n'est pas achevée ; d'autres colloques sont prévus qui associeront étroitement la réflexion théorique et les expériences. Une bibliographie internationale est en cours d'élaboration. Des concours sont attendus pour construire une sociologie villageoise et en elle une typologie des villages en développement. H.D. et P.R.

Placide RAMBAUD

SOCIOLOGIE DU

VILLAGE

Périodiquement, en France, le village est l'objet d'étude scientifique ou occasion d'exprimer des idéologies à significations diverses. Un rapide coup d'œil sur la littérature montre que le thème émerge principalement dans les moments de crise et de mutations rapides. La fin du XIX" siècle est un de ces temps. En 1899, Pierre L'ERMITE décrit les effets de l'implantation d'une usine dans un village (La grande amie..., Paris, Maison de la Bonne Presse, 387 p.) ; R. BAZIN sensibilise ses lecteurs à la conquête d'un paysan par la ville {La terre qui meurt, Paris, Calmann-Lévy, 336 p.). En 1905, J. MELINE propose le retour à la terre comme solution à la surproduction industrielle {Le retour à la terre et la surproduction industrielle, Paris, Hachette, 320 p.), « la terre nourricière de l'humanité, féconde et éternelle, mère de toutes les industries,... la terre qui a des consolations pour toutes les misères et qui ne laisse jamais mourir de faim ceux qui l'aiment et se confient à elle » (p. 97). Dans les années 1940-1950, tout au long de la seconde guerre mondiale, non seulement on célèbre les valeurs attachées à la terre, mais le village, témoin du passé, est regardé comme une possibilité solide pour l'avenir. A. DAUZAT résume expériences et espoirs dans Le village et le paysan de France (Paris, Gallimard, 1941, 219 p.) ; H. POURRAT magnifie « l'homme à la bêche » {L'homme à la bêche, histoire du paysan, Paris, Flammarion, 1940, 285 p.) ; R. MASPETIOL voit dans le village une sorte d ' « ordre éternel » face à « la ville abstraite et logicienne » {L'ordre éternel des champs - Essai sur l'histoire, l'économie et les valeurs de la paysannerie, Paris, Librairie de Médicis, 1946, 589 p.). G . THIBON prône l'intérêt des « communautés organiques ». Entre 1941 et 1952, H. LEFEBVRE étudie la « communauté de village » de la vallée de Campan, cette « république pastorale quasi autonome » adossée au Pic du Midi et disparue en 1793. Aujourd'hui l'expansion des villes et la mobilité instaurée par la technique incitent à redécouvrir « le village », sa stabilité

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Villages en

développement

passée, sa signification pour le présent, sa valeur d'éventuel modèle pour le futur. Dans d'autres contextes sociaux, celui d'Israël par exemple, certains affirment même que « toute l'humanité bénéficierait d'un renforcement du village en tant que catégorie nationale, sociale et économique » ( 1 ). Ces quelques exemples suffisent à montrer que beaucoup d'études concernant le village ne peuvent pas être dissociées de la conjoncture historique dans laquelle elles ont été écrites, conjoncture où à peu près toujours sont mis en cause un type de société et un type d'homme. Nous analyserons ailleurs cette production littéraire et sa signification sociale. Notre propos est seulement de tenter de préciser et de hiérarchiser, d'un point de vue théorique, les caractéristiques abstraites qui définissent le village. Si, dans le concret, celui-ci se réalise en des formes historiques et changeantes, un fonds commun existe qu'il faut analyser pour comprendre sa fonction dans le système social. Les exemples utilisés seront intentionnellement empruntés au seul cas français, doté par lui-même d'une riche variété sans qu'il recouvre pourtant tous les types de village. I. L E VILLAGE EST UNE DES FORMES D'ORGANISATION SPATIALE DES GROUPES.

Qu'est-ce que le village ? Pour répondre à cette question, il est d'une faible utilité d'extraire les points communs aux nombreuses monographies dont les villages ont fait l'objet. Beaucoup n'ont pas été établies en vue de permettre une comparaison méthodique. La plupart se contentent de descriptions fort précieuses mais entrant difficilement dans une théorie capable d'expliquer rationnellement l'ensemble des éléments constituant le village. Lors du XIV e Congrès international de Sociologie, tenu à Bucarest en 1939, G. DYKMANS, après avoir critiqué toutes les définitions de la ville et du village, concluait avec un certain scepticisme : « Fort probablement... le problème de définir la ville sociologique séparée du village sociologique n'est qu'un pseudo-problème » ; et il proposait un unique concept : « Est considéré comme objet de science tout agglomérat de demeures fixées à un endroit quelconque du globe pendant un laps de temps variable » ( 2 ). En (1) H . HALPERIN, Agrindus, Intégration de l'Agriculture et de l'Industrie, Paris, P.U.F., 1966, p. 198. (2) G . DYKMANS, « Les concepts de ville et de village en sociologie », Travaux du XIVe Congrès international de Sociologie, Bucuresti, Institut des Sciences sociales de Roumanie, Série D, 1" Vol., 1939, p. 63. Sur les différentes définitions du village, cf. I . CHIVA, Les communautés rurales, Problèmes, méthodes et exemples de recherches, Paris, UNESCO, 1 9 5 8 4 8 p.

Sociologie du village

15

fait, il ne faisait que soulever indirectement la question de savoir si ie village est une unité sociale spécifique et donc comme telle objet d'étude sociologique. Le village est une unité sociale spécifique. Ces trois mots résument le vrai problème théorique qu'il pose au sociologue. Son originalité comme groupe est tout entière dans ses formes de sociabilité en relation singulière avec un espace. Elle est dans l'identité entre unité sociale et unité spatiale. Cette coïncidence entraîne un type de solidarité à l'intérieur du groupe villageois et entre celui-ci et les groupes homologues. Elle détermine l'ensemble des sous-systèmes : parental, économique, politique, éducatif, religieux. Toutefois, l'espace villageois n'est pas d'abord un « cadre » géographique « dans » lequel le groupe édifie son système économique, organise sa vie sociale ou déploie ses réactions psychologiques. Il entre comme un élément indispensable dans le système social. Comme tel il a ainsi une dimension sociale et il est un des facteurs constituants du village. Quand des modifications interviennent dans cet espace, nous en avons donné des exemples ( 3 ), c'est toute la structure villageoise qui se trouve mise en changement. Les relations du groupe à l'espace sont sous l'influence directe de modèles culturels qui expliquent la diversité des villages. Dès lors l'espace n'est pas une construction purement sociale ; de même le groupe villageois n'est pas déterminé comme de l'extérieur par l'espace qu'il occupe. Le village est ainsi le produit historique de l'interaction entre une organisation sociale et une écologie à travers une médiation technique. Structuration réciproque d'un groupe et d'un espace, le village est un ensemble intégré d'éléments matériels et d'éléments humains ou construits. Cependant le quartier urbain ( 4 ) et la ville ( 5 ) ont aussi cette caractéristique fondamentale. Dans ces rapports entre éléments spatiaux et éléments culturels quelle est l'originalité du village ? Est-elle dans un système de relations sociales et une sous-culture liés à la stabilité de la population, à l'homogénéité de son travail, à l'identité entre espace de travail et espace de résidence ou de loisir ? Autrement dit, le problème est de savoir comment le groupe villageois constitue son espace et comment il est constitué par lui, à la différence de la ville par exemple. Au cours du XIV e Congrès international de Sociologie consacré à la définition de la ville et du village, N. A G A N S K Y retenait seu(3) P. RAMBAUD, Société rurale et urbanisation, Paris, Ed. du Seuil, 1969, 317 p. : Chap. VI, La réorganisation sociale de l'espace, pp. 181-219. (4) H. COING, Rénovation urbaine et changement social, Paris, Ed. ouvrières, 1966, 292 p. ( 5 ) M . CASTELLS, « Y a-t-il une sociologie urbaine ? », Sociologie du Travail, 1, 1968, pp. 72-90.

16

Villages en développement

Iement deux traits distinctifs. A l'opposé de la ville, le village n'est pas le centre d'une région géographique, économique ou culturelle et « tous les villages d'une même région représentent une partie d'un tout ». En second lieu, le genre de vie villageois est caractérisé surtout par la production de biens agricoles ( 6 ) . Ces deux aspects, l'un négatif et l'autre restrictif, nous mettent sur la voie sans constituer pour autant les caractéristiques véritables du village. Pour faciliter l'inventaire de celles-ci et leur hiérarchisation, nous exposerons d'abord un cas de coïncidence pour ainsi dire parfaite entre unité de vie sociale et unité spatiale, celui de la « communauté rurale » en France, forme d'existence désintégrée par la Révolution de 1789 et les multiples mutations du X I X " siècle ( 7 ) . Cependant, il faut se garder d'identifier avec le village cette réalisation historique. Dans un espace géographiquement bien délimité, clos et relativement restreint, toutes les relations sociales avaient d'abord une structure spatiale. Les modes de sociabilité familiaux ou économiques, par exemple, étaient contenus dans cet espace. Bref, tous les sous-systèmes qui contribuaient à l'existence du groupe coïncidaient strictement avec l'espace villageois dans une étroite interdépendance. La « communauté rurale » était constituée par la propriété et l'exploitation collectives des biens communaux, combinées d'ailleurs avec la propriété individuelle, par des disciplines collectives qui réglaient l'exploitation de l'espace (vaine pâture, calendrier commun des travaux, etc.), par des contraintes imposées à la propriété privée au bénéfice du groupe (interdiction de clore, assolement, etc.). Ces disciplines étaient un des aspects essentiels de la coutume, fondement objectif de la communauté, transmise avec la vie, jamais formulée conceptuellement sauf lorsqu'elle était menacée ( 8 ) . Cette unité économique se doublait d'une administration directe par les membres de la communauté ou bien par des délégués toujours soumis à son contrôle et disposant de la quasi-totalité des pouvoirs politique, administratif, fiscal, judi(6) N. AGANSKY, « Ville et Village, Définition », Travaux du XIV' Congrès..., pp. 1-6. (7) Cf. A. SOBOUL, « La communauté rurale ( X V I I I E - X I X * siècles). Pro-

blèmes de base », Revue de Synthèse, LXXVIII, juillet-septembre 1957, pp. 283-307 ; P. de SAINT-JACOB, Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime, Paris, Les Belles Lettres, 1960, 643 p. : Chap. IV, La communauté villageoise, pp. 75-92 ; Documents relatifs à la communauté villageoise en Bourgogne du milieu du XVII' siècle à la Révolution, Paris, Les Belles Lettres, 1962, 157 p. ; P. RAMBAUD, Economie et sociologie de la montagne, Albiez-le-Vieux en Maurienne, Paris, A. Colin, 1962, pp. 59-91.

(8) H. LEFEBVRE, La vallée de Campan, Etude de Sociologie rurale, Paris, P. U. F , 1963, p. 136.

Sociologie du village

17

ciaire. En définitive, une sorte de république autonome ou presque. C'est pourquoi, et c'est le troisième trait, la communauté et la paroisse, l'espace économique et l'espace religieux étaient généralement confondus ; certains intérêts étaient identiques. L'église était le lieu du culte et celui des assemblées communales ; elle pouvait servir de réserve pour les grains et de dépôt pour les archives. Cette intégration du système économique et du système religieux appelait aussi celle du système éducatif. L'école était créée et financée par la communauté qui choisissait son enseignant, lequel travaillait souvent sur les livres religieux utilisés à l'église. La « communauté rurale », c'était sa quatrième dimension, était un agrégat de « feux ». Le groupe familial, et non pas l'individu, était la cellule première : c'était l'unité qui travaillait, consommait, possédait l'espace. Il était rare qu'elle fût uniquement conjugale. Parfois elle s'associait à d'autres pour constituer des « communautés familiales agricoles », comme dans le centre de la France par exemple ( 9 ). Ici le chef élu était le maître absolu pour tout ce qui concernait le travail agricole ; il organisait la vente des récoltes et le paiement de l'impôt y compris. Il décidait des mariages, en conformité avec les intérêts économiques de la communauté. La maîtresse, elle aussi choisie, s'occupait de l'intérieur (habillement, nourriture, soin des enfants de toute la communauté quand les femmes travaillaient aux champs). Ce système économique avait pour règle fondamentale de ne rien acheter au dehors, sauf peut-être le sel et le fer. Dans la « communauté rurale », les réseaux de mariages se confondaient avec l'espace villageois et ce repliement favorisait l'endogamie. Cette relation espace-mariage expliquait aussi la quantité restreinte de patronymes que connaissait chaque village. L'imbrication était étroite entre relations économiques et relations matrimoniales ou parentales. Un autre trait de la « communauté rurale », conséquence de la forte intégration entre économie et parenté, était que pour en devenir membre, il fallait y être né ou, exceptionnellement, passer avec les hommes du lieu un contrat écrit qui, après paiement d'un « droit de communage », autorisait à jouir des biens communaux. Ces multiples relations entre un groupe et son espace créaient une conscience de groupe. Un parler commun et propre à chaque unité, le patois, formait le système de signes grâce auquel chacun communiquait avec ses semblables et se différenciait des autres groupes. Souvent le costume, l'urbanisme, l'architecture, la technique des outils constituaient d'autres signes distinctifs. (9) H . Dussourd, AU même pot et au même feu... Etude sur les communautés familiales agricoles du centre de la France, Moulins, A. Pottier, 1962, 157 p.

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Villages en

développement

La « communauté rurale » n'est pas le village, mais dans sa perfection, elle facilite la compréhension de ses caractéristiques théoriques et permet de saisir les lois de leur interdépendance et de leur évolution. Les éléments fondamentaux du village peuvent être analysés de la façon suivante : tout d'abord un type de relation économique entre un groupe et un espace géographique délimité et clos. La rigidité relative et la stabilité, le plus souvent très anciennes, de ce rapport lui imposent sa limitation, sa rareté, d'où la petitesse du groupe constitué. Une quatrième caractéristique en découle : le village a un pouvoir d'investissement sur le groupe et sur chacun de ses sujets qui se qualifient ainsi par leur appartenance locale originelle. Enfin, le village a une dernière dimension : la singularité à travers laquelle il manifeste son intention profonde et les lois de sa créativité. I I . L E S CARACTÉRISTIQUES DU VILLAGE.

1. U« espace délimité et clos. Le groupe villageois — et ceci dès son origine — se définit par l'espace qu'il occupe. Entre eux trois formes de rapports existent. Le groupe a un territoire qu'il travaille pour vivre, sur lequel il réside, sur lequel il exerce un droit de propriété collectif ou individuel, portant sur le sol ou sur le produit du sol. Sa conception du travail et de la propriété est d'abord spatiale. L'identité entre espace résidentiel et espace de travail fait que dans les villages agricoles à une localisation des familles dans le village correspond souvent avec exactitude une localisation des champs dans le terroir, résultat d'une véritable politique familiale. Ce lien entre habitat et exploitation d'un espace est déterminant. A cause de lui, mais pas de lui seul, le village diffère de la ville ( 10 ). D'ailleurs, même à la campagne, à des formes d'habitat diffé(10) Si les géographes ont fixé depuis longtemps la terminologie de l'habitat en trois types (habitat dispersé, village, ville), le vocabulaire des sociologues concernant le village est beaucoup plus imprécis. Par exemple, dans son étude sur Chanzeaux, L. W Y L I E distingue le « bourg », les « hameaux », les « fermes isolées », les « villages » d'élevage ou de viticulture ; il parle de « commune », de « communauté rurale », de « ville » (L. WYLIE (éd.), Chanzeaux. A village in Anjou, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1966, 383 p.). On trouve la même imprécision chez E. M O R I N à propos de Plodémet (E. M O R I N , Commune en France, La Métamorphose de Plodémet, Paris, Fayard, 1967, 287 p.). Pour un courant important de la science géographique française, « l'existence apparaît d'abord comme une présence localisée dans l'espace », « l'homme, objet d'étude géographique, est l'homme-habitant, voulant montrer par là que l'être s'affirmait par la présence avant de s'affirmer par l'action » (P. G E O R G E , Sociologie et géographie, Paris, P.U.F., 1966, p. 140).

Sociologie

du

village

19

rentes correspondent des rapports sociaux dissemblables. P. VIDAL DE LA BLACHE distinguait à juste titre les « villageois » de Lorraine ou de Picardie et les « paysans » de l'Ouest vivant en habitat dispersé ; ici l'attraction s'exerce entre la maison et les champs, là entre les maisons elles-mêmes. R. DION, dans son Essai sur la formation du paysage rural français (Tours, Arrault, 1934, 162 p.), a remarquablement analysé la réciprocité existant entre espace aménagé et groupe villageois. Cet espace est délimité avec précision. En France, les espaces communaux qui recouvrent sans doute les anciens espaces paroissiaux ont le cadastre comme fiche d'identité et symbole de leur organisation sociale. Dans les 38.000 communes, celui-ci désigne nominativement les quelques six millions de propriétaires, avec leur profession et leur lieu de résidence, qui possèdent en moyenne chacun 12 des 70 millions de parcelles en lesquelles est découpé l'espace. En cet espace clos ( 1 1 ) qui tend à enfermer en lui toutes les inventions de la sociabilité, l'identité des lieux de travail et de résidence contribue à former une unité de voisinage particulière. Elle fait du village, de la commune rurale — on ne peut pas toujours les confondre ni facilement les distinguer — « le groupe humain élémentaire » ou « la communauté de base » ( 1 2 ). Les sociologues n'ont prêté qu'une insuffisante attention à l'habitat villageois comme élément d'un système social original. Or l'habitat, urbanisme et architecture, est sans doute une des œuvres les plus soumises à des modèles culturels dont la signification est historique ( 1 3 ). Chaque objet y a sa dénomination et sa fonction propre ( 1 4 ). Il peut être pris comme un indicateur privilégié pour étudier les lois d'évolution du village. La maison notamment revêt une grande importance sociologique. Dans les villages agricoles, son inclusion dans l'aire de travail manifeste un des aspects de l'espace clos. Toujours la maison individuelle est une manière de (11) Ce caractère d'« espace fermé» est aussi un deS traits appliqués à ce groupement de loisir que constituent les « villages de vacances », cf. H. RAYMOND, « L'utopie concrète : Recherches sur un village de vacances », Revue française de Sociologie, I, 1960, 3, pp. 323-333. (12) Cf. «Pour une renaissance de la communauté de base», Paysans, 51, décembre 1964-janvier 1965, pp. 5-28. (13) Les géographes fournissent un abondant matériau en ce domaine; on pourra utiliser aussi les 1 634 monographies inédites réalisées par le Musée des Arts et Traditions Populaires lors de l'enquête sur la maison rurale (19411948), cf. H. RAULIN, « L'architecture rurale française. Une enquête nationale (1941-1948)», Etudes rurales, 13-14, 1964, pp. 96-119. (14) Sur ces phénomènes on peut se reporter aux Atlas linguistiques de la France par régions ; par exemple, P. NAUTON, Atlas linguistique et ethnographique du Massif Central, II, Le paysan, Paris, Ed. du C.N.R.S., 1957, 620 cartes, n.p. ; P. GARDETTE, Atlas linguistique et ethnographique du Lyonnais, III, La Maison, La vie humaine, Morphologie, Paris, Ed. du CJM.R.S., 1963, 608 cartes.

20

Villages en

développement

s'approprier l'espace pour séparer la vie privée de la vie publique, pour protéger l'intérieur contre l'extérieur, pour mieux identifier le soi en face ou contre l'autre, bref pour assurer l'autonomie de la famille et, au-dedans, de chacun de ses membres. Cet espace habité est un des carrefours où s'opèrent les contacts entre le village et la société globale. Les villages français par exemple connaissent, depuis les années 1950 pour la plupart, une véritable révolution domestique. Celle-ci porte sur la transformation architecturale et urbanistique de la maison, qui se différencie de plus en plus en bâtiments d'exploitation et en logement conjugal sous l'effet des modifications des relations familiales et des rapports sociaux. Elle s'accompagne d'une consommation d'équipements d'intérieur et d'extérieur (télévision, voiture) à travers lesquels la femme affirme sa nouvelle souveraineté et la société industrielle sa puissance de transformation, l'une et l'autre soutenues par une éthique de la vie meilleure. E . MORIN en fait une analyse passionnée dans le moderne Plodémet et il souligne combien ce renforcement domestique tend à protéger contre une nouvelle mobilité tout en la facilitant. 2. Un système économique fondé sur une activité monovalente. L'originalité du village est en second lieu dans son système économique. Mais en quel sens peut-on parler de système économique et comment diffère-t-il de celui de la ville par exemple ? Le village comme groupe est-il un agent analogue à une entreprise qui produit, consomme, épargne, a des projets, dont on comptabilise recettes et dépenses ? Certes on peut chiffrer le revenu villageois et S. WICKHAM propose un modèle de compte à partir de trois villages de la Côte-d'Or et du Haut-Rhin ( 1 5 ). Prenant comme unité de base le « groupe synoïque », le ménage où la consommation, les revenus et la production sont communs, le Groupe de Recherches en Anthropologie de Lausanne ( , 6 ) a élaboré un autre modèle qui traite à la fois les comptes économiques et les comptes du patrimoine, c'est-à-dire l'ensemble des biens, droits et charges des entreprises. Dès lors, c'est la totalité du comportement des villageois que l'on connaît et dont on peut interpréter le sens ; mais pour saisir le système économique il faut faire appel à d'autres notions. Car, comme le remarque J. CUISENIER, le comportement économique du village ne peut (15) S. WICKHAM, « Les comptes de villages », Revue économique, 1954, 5, pp.

703-724. (16) GROUPE DE RECHERCHES EN ANTHROPOLOGIE, Essai

de

monographie

comparée de deux villages du canton de Vaud, Oppens et Orzens, Montreux, Imprimerie Gauguin et Laubscher, 1965, 517 p.

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pas lui être imputé comme à un agent qui produit et consomme ; c'est « le comportement d'un système, la loi d'un fonctionnement » et non pas la conduite de ses habitants ( 1 7 ). L'espace en est bien un élément fondamental. Le village est une concentration spatiale de population et d'entreprises, entreprises qui dans les modèles historiques sont le plus souvent agricoles, mais sans que l'agriculture soit la seule forme possible d'utilisation de l'espace. Un second trait est la monovalence ou tout au moins la forte dominance d'un type de travail ; cet aspect est décisif en face de la diversité des entreprises urbaines. Avec son espace le groupe villageois entretient surtout des relations d'utilisation technique et les relations sociales en sont une conséquence. Par contre la ville est d'abord un ensemble de rapports sociaux, le rapport direct et technique à l'espace étant second. Parce qu'elle est constituée par la proximité spatiale d'entreprises diversifiées et interdépendantes, la ville produit des biens collectifs comme par exemple un marché du travail abondant et organisé, une « ambiance » sociale, un milieu favorable à l'innovation ou à la circulation des connaissances, etc. Tous ces biens élaborés collectivement sont en fait incorporés aux biens qu'utilisent individuellement producteurs et consommateurs. Ils ne peuvent cependant être partagés ; ils sont « spatialement indivisibles » ( 1 8 ). Pour ses entreprises, le village connaît une proximité spatiale de simple juxtaposition et le terme d'unité de voisinage est de ce point de vue très adéquat. Dans le cas d'exploitations agricoles par exemple, celles-ci sont seulement contiguës et une force centrifuge liée au mode d'occupation de l'espace tend continuellement à faire éclater le regroupement. De plus, du point de vue économique, le village ne produit aucun bien collectif au sens précédemment cité ; ce sont pourtant de tels biens que les ruraux envient le plus à la ville. Quand il existe des « biens communaux » — ils représentent parfois jusqu'à 95 % du territoire — ils n'ont pour fonction que de soutenir l'individualité de chaque entreprise. Cette juxtaposition des entreprises inclut une très faible dépendance entre elles et par rapport au village, d'où la tendance vers la dispersion de l'habitat. C'est pourquoi le village n'est pas au sens strict une unité économique distincte et autonome. A la différence de la ville, il ne remplit pas de fonctions qui ne sont pas directement voulues par les unités micro-économiques dont il est composé. Il est un agrégat inorganique de centres de décision (17) J. CUISENIER, « L; système économique villageois », Etudes rurales, 13-14, 1964, pp. 162-164. (18) Cet aspect de la ville est bien analysé par J. REMY, in La Ville : phénomène économique, Btuxelles, Les Editions Vie Ouvrière, 1966, 297 p.

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qui cherchent leur unification hors d'eux-mêmes. Monovalence de l'activité et rareté des biens collectifs produits font que le village n'est pas un multiplicateur du pouvoir de choix. Dès lors, il ne crée pas les conditions favorables à l'échange, ni ne permet la mobilité sociale. Enfin à cause de l'ensemble de ces dimensions, le village n'a pas de fonction organisationnelle, ne joue pas de rôle de structuration par rapport à son environnement. La ville au contraire contribue à organiser les activités de la vie sociale extérieures à elle-même, qu'elles soient économiques, politiques ou informatives par exemple. La ville a pour fonction de structurer l'ensemble du système social tout en en étant un élément ; le village en est un élément sans fonction structurante. 3. Rigidité et stabilité de la relation groupe-espace. Les relations techniques qui unissent le groupe à son espace, la rigidité que celui-ci leur impose expliquent, semble-t-il, la stabilité du village. On parle volontiers de villes nouvelles, il n'est jamais question de créer des villages nouveaux, en France tout au moins. Par hypothèse le village est ancien, c'est qu'il se définit aussi par sa stabilité. Celle-ci tient à la permanence du site occupé, à l'ancienneté du noyau de peuplement, à l'identité maintenue des rapports sociaux quand la société extérieure n'est pas trop contraignante. Elle est surtout dans une loi du changement selon laquelle le village de lui-même tend à évoluer à l'intérieur de son ordre propre sans modifier son système social. En dressant l'inventaire des « villages désertés », en esquissant des explications, en ordonnant des cycles de disparition et de renaissance,

J.-M.

PESEZ

et

E.

LE

ROY

LADURÏE

confirment

avec précision cette originalité à propos du « cas français » ( 1 9 ) . En effet, depuis le X I V 8 siècle, une grande stabilité de l'habitat rural est manifeste ; de 5 à 10 % seulement des villages ont disparu, le taux pouvant atteindre 30 % pour les hameaux. Car « il est bien difficile de tuer un village ; il y faut souvent diverses séries causales qui convergent sur un même lieu » (p. 139), catastrophe naturelle ou guerrière, crise agricole, émigration rurale, volonté seigneuriale ou royale de rassembler des terres. Une première vague de désertions couvre les X I V ° et X V e siècles, mais bientôt un village se reconstruit sur l'ancien terroir. De 1560 à 1720, les guerres sont fréquentes, la production agricole souvent mauvaise, les prix sont bas ; des villages disparaissent. Cependant ceux qui ont un peuplement suffisant ne cèdent pas ; le blé à

(19) Villages désertés et histoire économique, XI-XVIII' siècle, Paris,

S.E.V.P.E.N., 1965, 6 1 9 p. : J.-M. PESEZ et français : vue d'ensemble, pp. 127-252.

E.

LE

ROY LADURÏE, Le

cas

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lui seul peut leur servir de support et il existe partout. A partir du milieu du XVIII' siècle, les villages connaissent un étonnant essor lié à la croissance démographique, à la démocratisation de la propriété, au soutien politique des prix. Et c'est une sorte d'excès de vitalité qui, à la fin du XIX° siècle, ouvre la troisième vague des désertions dominée par le départ des ruraux vers les villes. Aujourd'hui, le flux n'est pas achevé, mais l'enrichissement généralisé permet à de nombreux anciens ruraux de transformer leurs villages, un temps abandonnés, en « résidences secondaires » pour les citadins qu'ils sont devenus. En effet, dans la France contemporaine, plus d'un Français sur deux (55 %) préfère passer ses vacances dans « u n village avec sa vie tranquille » et d'ailleurs 39 % de ces vacanciers logent chez des parents. Il existe environ 1.300.000 résidences secondaires, dont 2/3 sont dans des commîmes rurales et dont 4/5 sont des maisons libérées par le départ d'anciens agriculteurs. Dans un proche avenir, avant vingt ans en tout cas, l'espace rural français comprendra plus de résidences secondaires que d'exploitations agricoles. Résidences secondaires, la dénomination est inexacte. Elle indique un refus implicite de reconnaître le loisir comme une activité, dont un certain espace est un élément. Elle ne traduit qu'une première étape d'un processus social, relativement nouveau, qui tend à compléter et à compenser par une existence villageoise le mode de vie citadin. A côté du travail agricole, la résidence de loisir exprime un nouveau type de relation à l'espace. Elle est aussi un objet social dans lequel on peut étudier les conditions de la stabilité villageoise. Ancienneté du site, permanence d'un noyau de familles, rigidité des rapports sociaux — avec l'espace y compris — à l'intérieur du groupe et entre celui-ci et l'extérieur manifestent que le village change continuellement mais dans son ordre propre économique et social, et ceci tant que des forces extérieures ne viennent pas modifier radicalement certains éléments qui entraîneront le bouleversement de l'ensemble du système. Les relations groupe-espace, fondamentales dans la définition du village, présentent des possibilités de choix relativement restreintes et la mutation se fait par addition de données à peu près identiques à ce qui existe ou par suppression. Par exemple, l'augmentation ou la diminution du nombre des exploitations agricoles ne modifie pas le système social étant donné le principe de juxtaposition spatiale qui détermine leur groupement. Par contre l'interdépendance rigide des éléments de la structure villageoise explique son aptitude à résister aux influences extérieures ou à s'y adapter. Cette stabilité provoque, chez les Français tout au moins, une forte résistance à la réduction du nombre des communes rurales

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Villages

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pourtant voulue par le pouvoir politique C20) et rendue utile par les impératifs économiques de la modernisation. Leur opposition — elle est le fait de 42 % des agriculteurs et de 25 % des ouvriers — se fonde sur l'originalité reconnue à chaque village, sur les méfaits éventuels occasionnés par l'éloignement du centre communal (mairie, église, etc.), sur les rivalités villageoises. Le refus diminue en fréquence quand la localité de résidence devient plus peuplée, quand on passe de la campagne à la ville, quand le niveau d'instruction s'élève. Les ruraux partisans d'agrandir la commune lui souhaitent une dimension moyenne de 3.000 habitants ( 2 I ). Du village, la société urbaine marquée en profondeur par la mobilité attend une fonction de stabilisation pour elle-même. C'est sans doute pourquoi dans les périodes de crise, qu'elle soit de pénurie ou de croissance, des forces sociales cherchent à le mettre en valeur, car il apparaît comme une forme d'existence stable dans l'organisation de la société. L'intérêt porté au village tient aussi à la signification que l'espace, notamment l'espace clos, prend dans la société contemporaine, dans sa pensée comme dans l'ensemble de ses activités ( 22 ). La civilisation du déplacement et de la mobilité, l'univers du discontinu obligent les hommes et les groupes à déterminer la place qu'occupent les objets pour leur donner un sens, d'ailleurs le plus souvent utilitaire ; par là ils cherchent à se situer euxmêmes. Leur perception n'est plus celle de phénomènes isolés ; chaque chose est un élément d'un système où tout est en continuelle interaction. C'est dans un espace aménagé, objet de compétition et chargé d'affectivité, que les hommes tissent leur lien de solidarité ou d'opposition, projettent leur personnalité, trouvent un point d'ancrage. La manière dont les citadins en vacances vivent l'espace des stations de sports d'hiver en est un remarquable exemple. L'investissement intellectuel et affectif dont la maison est l'objet ou mieux le sujet, en ville comme à la campagne, en est un second. Tout se passe comme si les rapports sociaux largement déterminés par la technique et la mobilité cherchaient un enracinement et des médiations spatiales qui ne savent pas toujours se garder d'une allure mythique. De ce point de vue, n'est-ce pas à (20) Cet effort, décrété en 1956, n'avait en 1964 produit la fusion que de 127 communes, dont beaucoup étaient urbaines. (21) A. GIRARD, H. BASTIDE et G. POURCHER, « Mobilité géographique et concentration urbaine en France », Population, 1964, 2, pp. 260-262. ( 2 2 ) On en trouvera de multiples exemples dans G . MATORÉ, L'espace humain. L'expression de l'espace dans la vie, la pensée et l'art contemporains, Paris, Ed. du Vieux Colombier, 1962, 299 p. En voulant « transcrire les relations sensibles et insensibles que nous avons avec notre entourage », J. CAYROL, dans son ouvrage De l'espace humain, Paris, Ed. du Seuil, 1968, 194 p., en témoigne aussi.

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cause d'une autre de ses caractéristiques que le village retient l'attention ? 4. La rareté des relations possibles entre groupe et espace. Espace clos avec lequel un groupe entretient des rapports marqués par une vigoureuse stabilité dans leur ordre propre, le village inclut une autre dimension : la limitation des relations possibles, en nombre et en diversité, entre ses deux éléments. Et ce trait a tendance à imposer la petitesse du groupe villageois pour assurer sa viabilité. Celui-ci est d'ailleurs spontanément revendiqué et interprété comme étant « à taille humaine ». La petitesse n'est pas uniquement un faible volume de population. Si statistiquement la commune rurale française compte moins de 2.000 habitants agglomérés au chef-lieu, le seuil qui la distingue de la ville est à 5.000 habitants en Belgique, à 20.000 aux Pays-Bas, à 30.000 au Japon. La petitesse n'est pas non plus d'abord une étendue géographiquement restreinte, encore que la notion de densité permette de cerner certains aspects typiques des relations groupe-espace villageois. La petitesse du village est surtout dans un espace qui agit comme un contenant pour les activités et les relations du groupe. Travail et habitat sont enclos dans l'espace communal, qui fixe aussi la morphologie des réseaux d'échanges, matrimoniaux ou politiques par exemple. On comprendra mieux cette caractéristique en la comparant avec celles de la ville. Celle-ci déborde en tous sens son espace géographique ; elle est un centre qui contribue à structurer son environnement ; elle est un carrefour de relations avec quantité de groupes extérieurs à elle ; elle est l'ensemble de ces relations. L'espace villageois est celui où groupes et choses sont contenues comme dans un contenant ; l'espace urbain est l'ensemble des relations indéfiniment extensibles pour lesquelles la localisation géographique n'est qu'un support. Cette caractéristique du village prend historiquement des formes différentes. Le cas français en montre une réalisation exemplaire. La commune, qu'elle soit rurale ou urbaine, a une superficie moyenne de 14,5 km2 (Espagne, 54 ; Italie, 42 ; Pays-Bas, 32 ; Belgique, 11,5) avec une population moyenne de 1.100 habitants (Pays-Bas, 11.030, Italie, 6.860, Belgique, 3.464, Suisse, 1.921). Les communes rurales représentent 92 % des communes (34.881 sur 37.962), groupant 32,7 % de la population totale; 63,1 % (23.963) ont moins de 500 habitants avec 11,8 % de la population française; 9 % (3.423) comptent moins ,de 100 habitants et représentent 0,5 % de la population ; 500 habitants, ce sont une centaine de familles et 100 habitants environ.

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Dans les Hautes-Pyrénées, 78,8 % des communes ont moins de 300 habitants. Il y a d'ailleurs une corrélation positive entre la faible étendue de la commune et l'habitat groupé, de même avec la fertilité du terroir. L'espace communal est à la mesure du groupe qui le travaille. C'est pourquoi la France des petites communes est au nord d'une ligne allant du Mont-Saint-Michel à la Bourgogne et la petite commune, c'est souvent un seul village. La carte y fait apparaître un véritable « tissu cellulaire » où chaque commune est un élément indivisible i23). Dans la France des grandes communes, hameaux et écarts constituent tout un maillage villageois autour du chef-lieu. Le village est ainsi un ensemble de déterminations liées aux relations d'un groupe avec l'espace ; de ce fait il constitue d'une certaine manière ses sujets avant qu'ils ne puissent exercer leur libre choix. 5. Le pouvoir d'investissement du village. Sur ses habitants le village a un pouvoir d'investissement qui se traduit pour le groupe en un sentiment d'appartenance originelle et locale confondues. P . GAXOTTE résume bien ce fait social : « Je ne vois pas pourquoi je cesserais d'être de mon village. Ï1 a changé. Je l'ai quitté. J'ai vieilli. Mais je le porte en moi et je serais bien sot de me dire d'ailleurs pour en tirer vanité » ( 24 ). Le village, unité fortement intégrée, a une capacité de définir les individus et le groupe par leur origine locale. Il fait que quelqu'un « est d'ici » ou qu' « il n'est pas d'ici ». Le groupe se pense en rapport à « un pays » et sa dénomination est celle du nom de lieu. Chacun a conscience d'une appartenance génétique où se confondent l'identité familiale et l'identité spatiale. Cette conscience s'élargit quand le rural regarde sa famille par rapport à son village et celui-ci par rapport aux autres communes de « sa région », mais elle perd en profondeur et en prégnance. C'est pourquoi à Peyrane dans le Vaucluse comme à Plodémet, la Toussaint est la fête du rassemblement de tous les dispersés vivants et morts. C'est pourquoi dans le village chaque famille, au nom d'un devoir commun fondé sur une même origine, délègue au moins un des siens pour participer à l'enterrement d'un membre du groupe. Un tel investissement des individus explique les retours fréquents au pays natal, la revalorisation de celui-ci par la résidence secondaire. Les justifications données le (23) E. JUILLARD, « La carte, instrument de recherche », Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, juillet-septembre 1958, p. 457. ( 2 4 ) P . GAXOTTE, Mon village et moi, Paris, Flammarion, 1968, p. 7.

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confirment. Quand les Français analysent leur sentiment d'appartenance à une « région », ils proposent les thèmes suivants : c'est le pays natal où l'on a des parents (56 % ) , c'est le lieu où les gens ont le même tempérament que soi (46 % ) , c'est la communauté qui a mêmes histoire et habitudes que soi (25 % ) i 2 5 ). Mieux que tout commentaire, cette opinion d'un animateur du monde rural traduit excellemment le pouvoir d'investissement du village tel qu'il est vécu. « Le cadre dans lequel le rural vit est celui de ses aïeux et de tous ses ancêtres. C'est la commune, signe distinctif du citoyen moderne qui le suit dans tous les actes importants de son existence. Du contrôle! de police au mariage, du service militaire au remboursement de la Sécurité Sociale, chaque citoyen est distingué — outre ses nom, prénom et âge — par ces deux élémentsclés : né à..., demeurant à... Le village, la commune, c'est quelque chose dont on a besoin pour vivre. Un peu comme la famille. Même si on ne s'en rend pas compte, parce qu'on y est plongé dedans tous les jours... c'est la conscience de former une communauté... Les communautés de base d'hier, d'aujourd'hui et de demain, sont un ensemble de citoyens qui ont une destinée commune, des soucis communs à assumer, qui doivent s'organiser pour cela, se gouverner. Il existe de multiples cadres, d). L'idéal égalitaire se trouve fréquemment en rapport conflictuel avec les stratégies utilisées par les possédants pour maintenir ou accroître leurs privilèges économiques ou leur statut social, aussi bien que par celles utilisées par les moins favorisés désireux d'ascension sociale. Il est certain qu'une politique de laisser-faire permettrait l'instauration d'un processus cumulatif d'accroissement des inégalités sociales entre la masse paysanne et une bourgeoisie souvent bureaucratisée. Mais un tableau d'ensemble de la stratification sociale exigerait d'infinies nuances, suivant les villages, et toute généralisation apparaît prématurée. Peut-on penser avec Paul Ottino que le fokonolona s'identifie très souvent avec la strate dominante ? Nous ne le croyons pas, car une telle strate dominante ne se rencontre pas dans tous les villages. Des villages existent encore sur les Hauts Plateaux mêmes, où les différenciations socio-économiques sont très peu accentuées, ce qui n'empêche pas l'existence de prééminence et de statut social privilégié. Il semble que ce soit essentiellement la participation au pouvoir qui confère une emprise sur l'économie. C'est surtout la position par rapport à l'administration qui fonde le statut social et la puissance économique.

(38) L'analyse des sociétés traditionnelles en termes de classes sociales reste d'une efficacité limitée jusqu'à présent. La validité du concept de « classe sociale », appliqué à des aires socio-culturelles non occidentales, reste posée. Les rapports de production (même les plus modernes) n'y ont pas encore acquis le rôle déterminant qu'ils ont eu dans les sociétés occidentales. (39) Les cadres de domination peuvent être soit le réseau commercial lié à l'économie de traite, les collecteurs — commerçants — usuriers constituant la ramification villageoise des puissantes sociétés d'import-export (« Les trois caïmans de l'Ile » : Cie Lyonnaise, Cie Marseillaise de Madagascar et Sté Industrielle et Commerciale de l'Emyrne), soit se confondre avec les stratifications sociales naissantes. Au sujet de l'économie de traite mise en place par la puissance coloniale, cf. CONDOMINAS « La situation coloniale à Madagascar », op. cit., pp. 219-296. Pour des données plus récentes (1962), cf. Paul OTTINO « Paysannerie malgache et développement », op. cit., pp. 84-101, ou l'étude de la C.I.N.A.M., Etude des conditions socio-économiques du développement régional, Tananarive, 1962, 3 vol.

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3. Les paroisses ou fiangonana. L'implantation de deux formes rivales du christianisme (catholicisme et protestantisme) frappe tout observateur étranger qui visite les Hauts Plateaux. La plupart des villages y sont dominés par l'Eglise et le Temple. « Les missionnaires protestants travaillèrent surtout les milieux influents, ou tout ou moins aisés... Ils remportèrent un succès foudroyant quand la reine se convertit, suivie bientôt de son entourage. Andriana et hova se mirent à suivre l'exemple de la cour... » (40)

Le catholicisme s'est donc essentiellement adressé à la grande masse des plus déshérités. Dans les villages, le curé (ou à défaut son remplaçant, le catéchiste) jouit, le plus souvent, d'une autorité considérable sur ses ouailles, tandis que le pasteur ne peut que proposer une décision qui sera soumise à la libre discussion de la communauté protestante. La rivalité entre les deux formes du christianisme crée fréquemment des tensions souvent voilées, mais non profondes, entre fidèles relevant des deux confessions. Ce clivage va parfois jusqu'à compromettre la cohésion villageoise et à entraver la constitution d'une association. 4. Les représentants de l'administration et des partis. Les villages, régis par les ray-a-mandreny ( 4 1 ) qui peuvent être des « notables » auréolés du prestige d'une richesse relative, souvent tiraillés entre le curé et le pasteur, subissent aussi l'impact du fanjakana (le chef de village, théoriquement élu par l'ensemble des villageois, tend à être en fait plus ou moins désigné par l'administration). Le mpiadidy de la monarchie Merina, appelé ensuite « chef de quartier », veille à l'exécution des directives administratives dans un groupe de villages. Au niveau territorial supérieur, le chef de canton détient une autorité considérable sur tout son territoire. Par contre, le prestige moral est souvent l'apanage de l'instituteur d'une part, et du curé et du pasteur de l'autre. Enfin, l'adhésion au parti majoritaire (P.S.D.) est souvent recherchée comme moyen efficace de promotion sociale et économique, c'est-à-dire comme moyen de « passer la rivière » ( 4 2 ). ( 4 0 ) CONDOMINAS, op. cit., p . 131 et 132.

(41) Sur le déroulement de la réunion de fokonolona et le processus et les

règles de prise d e décision, cf. PERRIN, op. cit., p p . 135-147 et 155-156.

(42) Sur les Hauts Plateaux une personne qui a obtenu un emploi stable, administratif de préférence, est dite « tafita », c'est-à-dire, étymologiquement. passée sur l'autre rive.

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Villages

5. Les types d'organisations

en

développement

paysannes.

L'intervention extérieure du fanjakana s'est manifestée, en outre, par une succession accélérée de tentatives de structuration des villageois. Jacques Dez ( 4 3 ) dresse un tableau très complet de ces structures souvent éphémères, que le fanjakana s'efforça de mettre en place à partir de 1950. Ainsi les C.A.R. (Collectivités Autochtones Rurales) et leur avatar économique les C.R.A.M. (Collectivités Rurales Autochtones Modernisées) visèrent à organiser dans un cadre territorial la participation paysanne et à réaliser par ces canaux « une certaine forme d'emprise sur le développement rural, surtout économique, de Madagascar ». Par cette double structure, on espérait susciter « la formation des élites locales, dans le but de les conduire à gérer elles-mêmes leurs propres intérêts ». En fait, les C.A.R. comme les C.R.A.M. déçurent les espoirs placés en elles. Les S.P. (Secteurs de Paysannats) à partir de 1953, puis les G.C. (Groupements de Collectivités) et enfin les S.A.P. (Secteurs Autonomes des Paysannats) prirent la relève sous des modalités diverses. Toutes ces organisations disparurent, connurent l'échec (sauf le Groupement de Collectivités du Lac Alaotra) car ces créations de « l'extérieur » demeurèrent toujours étrangères aux communautés villageoises réelles et à leur dynamisme propre. Elles furent ressenties comme « imposées » et ne parvinrent pas à susciter l'adhésion villageoise. Les coopératives agricoles connurent elles aussi un échec quasigénéralisé, dont les paysans gardent un souvenir vivace : « Le mot de coopérative nous blesse les oreilles », disent-ils encore aujourd'hui. Depuis l'Indépendance, d'autres formules d'intervention furent élaborées. Outre l'Animation, dont nous parlerons plus loin, des A.I.R. (Associations d'Intérêt Rural) furent créées à partir de 1963, des Syndicats de Communes, des Fermes d'Etat, des Secteurs et des Unités Régionales d'Expansion Rurale en 1966... En outre, les différents services techniques (vulgarisation agricole, génie rural, santé, etc.) continuent à intervenir également dans les villages comme par le passé.

(43) J. DEZ, « Les structures de base du développement agricole d'hier à aujourd'hui », Colloque de Mantasoa, 23-25 février 1967, Centre d'Etudes Rurales, Fac. de Droit et des Sciences Economiques de Madagascar, Tananarive, 192 p., ronéogr.

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et de Madagascar

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I I I . L'ANIMATION RURALE ET SES RÉPERCUSSIONS VILLAGEOISES.

1. Les principes de base de l'Animation malgache. Le changement qui s'opère dans un village à la suite d'une action d'animation est déterminé à la fois en fonction des hypothèses méthodologiques qui la guident et de l'accueil qu'elle suscite. Ces hypothèses sont elles-mêmes élaborées et constamment réajustées dans une confrontation permanente entre les principes fondamentaux de l'Animation, telle qu'elle est mise en œuvre à Madagascar, et les enseignements tirés de son application. Il convient donc de rappeler tout d'abord brièvement ces principes, qui sont fondés sur une certaine conception du développement en tant qu'objectif, et une certaine conception de l'intervention censée contribuer à la réalisation de cet objectif. Conception du développement. Cette conception du développement repose, à l'analyse, sur les trois considérations suivantes : a. Le développement apparaît comme un phénomène global excède largement le processus de croissance économique. Pas dernière — et contrairement à l'hypothèse libérale — le considéré comme la maîtrise du changement social par ceux-là n'est spontané ou « naturel ».

qui inclut mais plus que cette développement, qu'il concerne,

b. Le développement apparaît avant tout comme u n processus de libération destiné à surmonter les aliénations et dominations que subissent les hommes et les sociétés du fait de la nature et des mécanismes socio-économiques, engendrés notamment par la colonisation. c. Le développement n'exige pas nécessairement la destruction systématique et accélérée de la « société traditionnelle », dont la «sclérose et l'archaïsme », si souvent évoqués et invoqués, déguisent le plus souvent l'incapacité — voire le refus — d'appréhender des cultures et des rationalités différentes.

Conception de l'intervention. Depuis une dizaine d'années, différents chantiers d'Animation ont été ouverts dans les pays en voie de développement. Une approche typologique de ces actions en Afrique Noire et à Madagascar a déjà fait l'objet d'études particulières ( 44 ). (44) R. COLIN, « L'Animation et le développement rural en Afrique Noire francophone », Archives internationales de Sociologie de la Coopération, 26, juillet-décembre 1966 ; Y. GOUSSAULT, « L'animation et la participation aux institutions rurales en Afrique Noire d'expression française », Revue internationale du Travail, 97, juin 1968, 6.

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développement

A Madagascar, l'Animation se range dans le cadre des interventions recherchant par la participation une transformation structurelle globale. ! Il serait en effet erroné de limiter l'animation à une action éducative exclusivement destinée au niveau rural de base. Les répercussions villageoises de l'animation n'apparaissent que comme une étape essentielle et une condition préalable à la mise en œuvre de changements structurels pouvant affecter la totalité nationale et l'ensemble des secteurs d'activité concernés. Vérifiant l'analyse socio-anthropologique moderne qui tend de plus en plus à rejeter une approche parcellaire du changement social, l'animation libère des potentialités multisectorielles et multidimensionnelles, confrontant parfois les responsables de sa mise en œuvre à une sensation de « vertige horizontal et vertical » ! L'animation suppose la mise en place et le développement à la fois d'appareils destinés à promouvoir la participation et de réseaux participatifs destinés à mobiliser les énergies suscitées Í 4 5 ), les premiers ne trouvant leur justification que dans l'émergence des seconds. Considérant le milieu concerné par son action, l'Animation suscite à la fois des interventions exogènes et des réactions endogènes, la finalité étant d'enclencher entre celles-ci un processus dialectique permanent en vue d'aboutir, par une remontée progressive, aux changements fondamentaux, culturels, économiques et politiques, indispensables à tous les niveaux de développement. L'Animation se distingue ainsi : — Des actions de « Développement communautaire » mises en œuvre antérieurement dans bon nombre de pays anglophones, avec lesquels, à côté de certaines similitudes, subsistent de profondes différences, notamment quant à la conception même du pouvoir et aux niveaux de participation recherchés (46). — De la vulgarisation, agricole et technique, dont la complémentarité et la collaboration souvent bénéfiques ne doivent pas dissimuler pour autant l'originalité propre à chacune des démarches.

(45) Suivant la distinction terminologique proposée par H. DESROCHE. Quelques chiffres refléteront la dimension quantitative des uns et des autres. L'appareil d'Animation, essentiellement mis en œuvre par le secteur public malgache et organisé au sein d'un Commissariat à l'Animation lui-même intégré au Secrétariat d'Etat au Développement, dispose aujourd'hui approximativement de 350 agents malgaches et de 80 centres d'Animation couvrant la presque totalité du territoire national. Le réseau animé par près de 30.000 animateurs et animatrices touche à ce jour, avec des résultats variables, 40 % des 14.000 villages malgaches. (46) Voir notamment : Y. GOUSSAULT, « De l'éducation des masses à l'Animation participation », Archives internationales de Sociologie de la Coopération 23, janvier-juin 1968, p. 79 et suiv.

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La vulgarisation consiste en effet essentiellement à directement imprimer le changement au départ d'un thème technique, parfois ressenti, proposé par un agent extérieur (vulgarisateur, moniteur...) ou devenu extérieur (paysan pilote) au milieu paysan, bien que destiné à s'en rapprocher au maximum.

L'animation consiste, par contre, à faire exprimer le changement au sein de la dynamique propre de la collectivité, pour ensuite répondre à des besoins divers (notamment techniques) issus de prises de conscience et de responsabilités collectives. 2. Méthodologie au niveau villageois. Dans les modes de transformation des sociétés traditionnelles, dont relèvent la quasi-totalité des villages malgaches, les champs d'expérience, les vecteurs du changement recherché, les optiques et les méthodes continuent à varier ( 47 ). Certains, de moins en moins nombreux il est vrai, persistent à considérer l'individu-paysan comme susceptible, non seulement d'expérimenter, mais de propager l'innovation, notamment technique. C'est ignorer, ce qui nous semble particulièrement grave à Madagascar, l'essentiel des mécanismes sociaux qui gouvernent l'univers traditionnel, en particulier la primauté du groupe et l'impossibilité pour un de ses membres, quels que soient son dynamisme, ses aptitudes ou le système utilisé pour le choisir, de se promouvoir individuellement en défi à son groupe et, plus encore, de propager sa réussite au sein de ce dernier ( 48 ). C'est donc bien en plaçant l'accent principal sur la collectivité, qu'il convient de rechercher les voies et moyens d'une transformation, progressive mais réelle, de l'univers villageois. La détermination de la collectivité de base, retenue pour une action d'Animation — on s'en sera rendu compte, à la lecture des deux premières parties de cette étude — est loin d'être immédiate et aisée. L'étude du milieu villageois, dont est prioritairement chargée l'équipe du Centre d'Animation, recrutée à cet effet le plus souvent dans la région ( 49 ) où elle est appelée à travailler, a donc (47) M. PETIT-PONT, Structures traditionnelles et développement, Paris, Eyrolles, 1968, p. 13 et suiv. (48) Voir à ce sujet les travaux de G. ALTHABE et notamment « Progrès économique et communautés villageoises », in : Travaux et documents du Centre d'Etudes Rurales, 1, Université de Madagascar, 1966. (49) Dans la région mais non dans le village même, auquel cas la pratique a montré que les inconvénients résultant, pour ces agents, de l'étroitesse de leurs possibilités d'action, limitées par une trop forte insertion sociale ou familiale, excédaient largement le bénéfice d'une connaissance approfondie du milieu.

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pour objet principal d'en appréhender progressivement les contours, les mécanismes et la problématique. Cette étude préalable accomplie, la mise en œuvre de la participation villageoise par l'Animation s'effectue successivement en créant préalablement, par l'autoréflexion collective, la prise de conscience nécessaire, puis en suscitant au sein du groupe « conscientisé » la recherche et l'expérimentation de formes d'autoorganisation, amenant progressivement celui-ci à l'exercice de responsabilités concrètes. Autoréflexion et prise de conscience Pour la communauté villageoise, rendre intelligible le développement, au-delà d'un terme dont on l'abreuve depuis plusieurs années, c'est avant tout se re-découvrir par une réflexion collective, menée dans la rationalité et les formes qui lui sont propres ( 50 ). Mais le regard promené dans un milieu familier ne peut en déceler des aspects ignorés jusqu'ici et l'intelligence ou la sensibilité en tirer de nouvelles significations, par la seule magie de la persuasion ou du verbe. En d'autres termes, l'autoréflexion doit, pour aboutir à la prise de conscience, tour à tour trouver son occasion, s'alimenter et se référer dans et hors du milieu villageois, et finalement se poursuivre et se développer dans un courant réunissant ces deux pôles. L'Animation alternera donc ses activités, ses stages, au village et au Centre d'Animation, situés, pour des raisons de disponibilité pratiques (communications, encadrement technique...) à proximité de la sous-préfecture. Il n'est pas nécessaire de revenir sur l'analyse méthodologique et pédagogique des stages qui a fait l'objet de plusieurs recherches ( 51 ). (50) A cet égard, la première libération est probablement celle des modes authentiques d'expression. Elle est favorisée — encore très insuffisamment — dans les stages où tendent à se substituer aux relations dualistes de type scolaire des échanges fondés sur l'expression « théâtrale » vécue (saynètes - sociodrames) et suscités par une pédagogie audio-visuelle active (cinéma discussion). Le recrutement très fréquent par l'Animation de ses cadres parmi d'anciens instituteurs n'est sans doute pas étranger à une certaine sclérose pédagogique et n'est pas forcément la meilleure solution. (51) Voir notamment : — G. B e l l o n c l e , « Le développement des collectivités rurales par la formation d'animateurs : essai sur les méthodes de l'I.R.A.M. », Archives internationales de Sociologie de la Coopération, 10, juillet-décembre 1961. — H. Panhuys, « Préparation et Intégration des collectivités rurales au Développement. Essai sur une méthodologie et une pédagogie du Développement

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Remarquons seulement que ceux-ci, à l'exception du stage préliminaire d'éveil (dit de premier degré) qui amorce, avec 30 ou 40 futurs animateurs, le programme local d'animation, s'adressent de plus en plus à tous les délégués de la collectivité (qu'ils soient ou non animateurs), celle-ci demeurant tout au long du programme l'unité de référence et d'action. Par contre, il importe de dissiper au maximum les incertitudes et les conceptions erronées relatives à l'animateur, son statut et son rôle. Tout d'abord, l'animateur, paysan bénévole, doit être soigneusement distingué de l'agent d'Animation, fonctionnaire ou contractuel rémunéré par le Commissariat. Assurant simultanément représentativité, responsabilité et engagement, l'animateur « idéal » est un paysan adulte parmi les paysans qui le choisissent selon les règles qui leur sont propres. Considéré par certains comme une condition de participation, le volontariat, qui suppose une affirmation essentiellement individuelle, ne nous semble guère, par contre, avoir une réelle signification dans le milieu villageois. Contrairement à une idée répandue et malheureusement, dans certains cas, à certaines pratiques erronées, l'objectif essentiel de l'animation ne consiste pas à former des animateurs, qui apparaîtraient dès lors comme des interlocuteurs privilégiés permanents. En définitive, il s'agit moins de rechercher la participation de l'animateur pour le groupe, mais plutôt la participation du groupe par l'animateur. En ce sens, l'animateur apparaît donc comme un moyen de promotion du réseau et non moyen d'intervention de Xappareil. Il n'a pas à remplir une nouvelle fonction — ce qui impliquerait une insertion institutionnelle — mais un rôle toujours temporaire et redéfinissable ( 52 ).

Communautaire », Revue de l'Institut — COLIN, op. cit. — GOUSSAULT, op.

de Sociologie, 2, 1962.

cit.

— A. MOLLET, « L'Animation Rurale à Madagascar », Développement et Civilisations, 21, I.R.F.E.D., mars 1965. — G. BELLONCLE, « Pédagogie de l'implantation du mouvement coopératif au Niger », Archives internationales de Sociologie de la Coopération, 23, janvier-juin 1968. — A. MOLLET, « La pédagogie des stages d'animateurs ruraux à Madagascar », Community Development Review, 1967. (52) Ainsi, dans la majeure partie des cas, les animateurs n'occupent pas de fonctions précises — président, secrétaire, trésorier, etc. — dans les Associations paysannes suscitées par l'Animation, pas plus qu'ils ne cumulent leur rôle avec des responsabilités publiques (chef de village, maire). Toutefois, dans un 2' terme, l'exercice personnel, par l'Animateur, de responsabilités fonctionnelles, loin d'être exclu, peut être utile dans la mesure où elles sont suggérées et acceptées par la coÛectivité concernée.

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Dans le même sens, comme le dit Y . Goussault, et contrairement à l'opinion partagée par beaucoup de services techniques, 1' « animateur n'est pas un intermédiaire au sens instrumental et mécanique du terme, il est, avec les autres, l'occasion de provoquer le début d'un processus évolutif qui ne peut s'interpréter qu'en termes sociologiques et socio-politiques » ( 5 3 ). Il convient de créer entre la collectivité et l'animateur un lien de délégation, condition préalable et sine qua non pour « enclencher » un processus durable de participation collective. Les difficultés rencontrées dans le recrutement ou l'action de l'animateur résultent le plus souvent d'une perception déformée de son rôle soit par la collectivité villageoise, soit par le

fanjankana

(54).

Dans le premier cas, l'Animation n'étant perçue par le milieu villageois que sous son seul caractère d'intervention exogène, « la réponse » du milieu consiste parfois à désigner pour le stage des « animateurs » non insérés dans le milieu (étrangers, hommes de paille), statutairement dépendants (jeunes), isolés ou en voie d'isolement. Dans le deuxième cas, les déformations sont souvent imputables aux interférences de certaines autorités ou services qui tendent parfois à imposer leurs propres conditions et critères de recrutement (appartenance politique, capacité technique déterminée, etc.). Enfin, l'exercice supposé d'une fonction nouvelle, résultant d'une interprétation erronée de la part de la collectivité (souvent requise de fournir des services et de désigner des responsables) ou du fanjakana (tenté de disposer à « son » profit d'un réseau d'interlocuteurs bénévoles) amène l'Animateur à réclamer une rémunération en contrepartie de ses « prestations ». Dans tous ces cas résultent un isolement de l'animateur et l'altération sinon la suppression du lien de délégation, des messages échangés, de l'authenticité des réflexions et prises de conscience collectives recherchées ( 5 5 ).

(53) GOUSSAULT, « De l'éducation des masses à l'animation participation », op. cit., p. 87. (54) Fanjakana désigne à Madagascar l'ensemble des personnes et des institutions disposant de pouvoirs divers en milieu traditionnel sans toutefois en être issu, et plus particulièrement l'administration et les services techniques. Il est intéressant de noter qu'en certains endroits, l'Animation, faisant partie d'un Service Public, est considérée comme appartenant à une sorte de fanjakana parallèle, illustrant ainsi sa problématique. (55) En ce qui concerne le statut de l'animateur, son recrutement et leurs déformations voir notamment MOLLET, op. cit.

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Auto-organisation et prise de responsabilités. Une étude sur les associationnismes ruraux i 5 6 ) aboutit au clas sement suivant qui nous semble très généralement valable. Les auteurs distinguent à l'analyse : — les associations de création libre et spontanée. — les associations de création et de participation suscitées. — les associations plus ou moins imposées ou institutionnalisées.

Les nombreuses expériences d'organisation paysanne décrites ci-devant et amorcées à Madagascar depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale nous semblent, presque sans exception, appartenir à la troisième catégorie. Plusieurs études en ont fait le point ( 57 ). Constatons seulement à la suite de R. Gendarme ( 5 8 ) que ces expériences n'ont jamais clairement tranché entre les trois dilemmes suivants : — centralisation ou décentralisation envisagées dans les limites d'une réflexion administrative bien éloignée des motivations paysannes ; — direction confiée à un administrateur ou à des techniciens sans qu'il apparaisse nécessaire de la faire partager par ceux-là mêmes qu'elle concerne ; — action diffuse ou concentrée, envisagée dans la seule logique de l'intervention technique et non de celle des bénéficiaires.

Comme ces expériences, les tentatives plus récentes que constituent les Communes Rurales, les Coopératives, les Syndicats de Communes, les Associations d'Intérêt Rural n'échappent guère à ces hésitations. Toutes, enfin, nous semblent avoir négligé de respecter l'approche et les préalables sociologiques nécessaires à une implantation durable, et apparaissent en discontinuité avec la rationalité paysanne. Elles demeurent par là le plus souvent étrangères à l'univers paysan, qu'elles concernent pourtant directement. Ainsi, nous pensons qu'une des causes importantes d'échec des coopératives à Madagascar résulte moins de l'ignorance délibérée d'un mécanisme de type coopératif que du refus du paysan de le « reconnaître » dans le cadre d'une structure restée extérieure au milieu et incompréhensible pour lui.

( 5 6 ) Y . GOUSSAULT, P . MARTHELOT, A . MEISTER, « A s s o c i a t i o n n i s m e s

ruraux

et participation des masses rurales aux programmes de développement dans les pays méditerranéens », International Review of Community Development, 15 et 1 6 , 1 9 6 6 . (57 Notamment : DEZ, « Les structures de base... », op. cit. (58) R. GENDARME, L'Economie de Madagascar, Paris, Ed. Cujas, 1963.

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A côté de ces « groupements institutionnalisés » subsistent à Madagascar — nous l'avons vu — un certain nombre d'associationnismes traditionnels. Ceux-ci, actuellement, semblent se diviser en deux grandes catégories établies en fonction de l'origine et de la nature de la solidarité humaine qui les sous-tend. Il existe des « associations » impliquant, sans devoir de réciprocité, une obligation de la part de certains vis-à-vis d'autres. Le travail est effectué généralement par l'ensemble de l'imité concernée (famille, village), selon un rythme occasionnel, souvent dans un temps court (parfois une journée), et possède un caractère prestataire évident. Rejoignent indirectement cette catégorie, en y accentuant leur caractère prestataire, les diverses formes de travail effectué à la demande ou au profit d'un pouvoir « extérieur », quels que soient la nature ou le niveau de ce dernier (pouvoir royal, colonial, national ou local, etc.). A côté de cette première catégorie dont le caractère de corvée réel ou déguisé, plus ou moins supporté, interdit toute participation durable au développement, existent d'autres formes d'associations essentiellement fondées sur l'entraide existant entre habitants de même condition et de voisinage et au sein desquelles les efforts consentis sur une base paritaire relèvent d'un accord mutuel préalable. A Madagascar, plusieurs auteurs, notamment J. Dez, ont démontré que les groupements de ce deuxième type pouvaient, moyennant le respect de certaines modalités concrètes, devenir la base d'associationnismes paysans répondant aux objectifs actuels du développement rural ( 59 ). Deux hypothèses sont à la base de l'action associative de l'Animation : a) La première hypothèse consiste à articuler le mouvement associatif dans un prolongement compréhensible pour l'univers traditionnel. Il convient de réduire la complexité que suppose l'introduction de toute innovation en inscrivant celle-ci en correspondance avec (59) J. DEZ, « Le fokonolona malgache : institution désuète ou cellule de développement ? », Cahiers de l'ISE.A., 160, avril 1965. Voir également C . MEILLASSOUX, Anthropologie économique des Gouro de Côte-d Ivoire, ParisLa Haye, Mouton, 1964. A propos du Klala, cet auteur estime qu'il favorise les participants eux-mêmes, qu'il s'oppose au principe d'une organisation hiérarchisée, polarisée autour d'un Aîné ou d'un Notable, et qu'il devient de ce fait une base possible pour un socialisme coopératif, en se greffant sur une association villageoise.

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certains éléments traditionnels et dans une continuité perceptible pour l'univers paysan. P. de Comarmond évoque ainsi trois modalités d'articulation entre la coopération moderne et traditionnelle (®°) : — La récupération de l'esprit coopératif traditionnel dans une coopérative moderne. Cette solution lui paraît utopique car les manifestations de cet esprit apparaissent inséparables du tout social, de l'organisation familiale et sociale qui en sont la base. Un transfert mécanique de cet esprit dans des organisations différentes équivaut à considérer les systèmes sociaux comme une somme d'éléments juxtaposés alors que toute société constitue une totalité dont les éléments sont étroitement imbriqués. — L'articulation du mouvement coopératif sur des unités sociales pré-existantes et traditionnelles, mais dont il ne constitue pas le réel prolongement. Ainsi la famille étendue pourrait constituer l'unité de base des coopératives. Bien que de Comarmond ne rejette pas cette solution, nous pensons que le caractère souvent prestataire des efforts consentis dans le cadre familial lui ôte tout caractère durable. Nous pensons, par contre, comme l'auteur précité, qu'il est possible d'articuler progressivement un mouvement associatif moderne sur des unités sociales traditionnelles dont il peut constituer le prolongement perceptible, telles certaines formes spontanées d'entraide à base paritaire ou contractuelle et reposant sur des solidarités de voisinage. Dans ce domaine et dans un premier temps, l'action éducative de l'Animation consistera à mobiliser le réseau participatif qu'elle suscite pour recenser, analyser et dynamiser ces formes d'entraide. b) La deuxième hypothèse retenue par l'Animation pour le développement de son mouvement associatif consiste à franchir les étapes nécessaires dans le temps, l'espace et au niveau des solidarités, dans une progressivité continue mais toujours cohérente pour le groupe concerné. — Dans le temps. D'occasionnelles, les activités associatives tendront, sous l'impulsion de l'Animation, à devenir périodiques, puis permanentes et programmées. —• Dans l'espace. Il conviendra, dans chaque cas, de faire passer l'espace associatif essentiellement réduit au départ à l'unité sociologiquement ressentie

(60) P. DE COMARMOND, « Structures sociales traditionnelles et coopération agricole moderne », Archives internationales de Sociologie de la Coopération, 23, janvier-juin 1968.

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par le groupe vers la zone homogène plus large, économiquement nécessaire au groupe en constitution. Il s'agit, en d'autres termes, de trouver chaque fois un juste équilibre entre les forces centripètes, qui tendent à ramener le groupe aux limites de sa viabilité humaine, et centrifuges qui tendent à élargir le groupe pour lui assurer les moyens humains et matériels nécessaires à son développement. —• Dans les solidarités. L'action menée tendra à faire passer celles-ci du niveau familial ou clanique à celui de voisinage et, de là, vers des solidarités inter-villageoises plus abstraites reposant sur une prise de conscience graduelle des similitudes ou des complémentarités de conditions ou de besoins, puis, à mesure de l'ouverture extérieure, des contradictions socio-économiques fondamentales.

3. Les effets villageois de VAnimation. La mesure des répercussions de l'action de l'Animation en milieu villageois est extrêmement malaisée, en raison de la difficulté, très générale dans les sciences humaines, de disposer d'outils et de critères d'évaluation valables et de celle, plus particulière, d'ordonner ces outils et ces critères à tous les niveaux de l'animation, dont on a vu les répercussions multisectorielles et pluridimensionnelles. Dans les limites de cet article, il nous paraîtrait acceptable d'une manière générale d'adopter comme critère du développement villageois le degré assumé de pénétration du monde extérieur dans la communauté traditionnelle et la capacité dialectique d'interpréter cet apport pour promouvoir le changement social. La mesure de ce degré et de cette capacité varie selon que l'on considère les résultats de l'Animation sectoriellement ou d'une manière globale.

Les effets sectoriels. R. Colin et Y. Goussault notamment ont déjà analysé ces effets d'une manière générale ( 6 I ) . A Madagascar, l'Animation n'a jusqu'ici effectué l'évaluation technico-économique de ses actions que par sondage et d'une manière occasionnelle. Au niveau régional, local, à celui de l'association et même de l'exploitation paysanne, il devient indispensable de mettre en place des systèmes concertés et des instruments simples d'évaluation, permettant de mesurer à la fois les résultats des interventions et des projets réalisés mais aussi la valeur — souvent négligée — que leur accordent les paysans eux-mêmes, car l'évaluation ne peut se limiter — sous peine de défigurer la réalité — aux seules mesures de la croissance économique. ( 6 1 ) GOUSSAULT, op.

cit.,

p p . 8 8 - 9 6 ; COLIN, L ' A n i m a t i o n e t l e d é v e l o p p e -

ment rural en Afrique francophone, op. cit., p. 37 et suiv.

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Indissociable de la programmation contractuelle recherchée, l'auto-évaluation peut ainsi devenir une garantie d'authenticité et de durée, et un moyen d'impulsion irremplaçables. L'évaluation quantifiable des effets technico-économiques — augmentation de la production, degré de diffusion des thèmes vulgarisés... — est importante mais délicate. En raison de l'étroitesse de son association, dans ce secteur, aux actions agricoles de vulgarisation — portant notamment sur les Hauts Plateaux sur la diffusion des méthodes améliorées de riziculture — la part spécifique de l'Animation dans les résultats obtenus est compliquée à discerner. Une enquête effectuée en 1966 et portant sur une trentaine de stages techniques organisés par l'Animation en collaboration avec les services concernés apporte néanmoins quelques précisions intéressantes. — Tout d'abord au niveau de l'effet multiplicateur. Il est en efïet apparu que 40 % des participants aux stages (62) appliquaient la technique enseignée auxquels s'ajoutaient 25 % des paysans localement concernés par ces techniques et ces stages, sans pourtant avoir participé à ces derniers. — Ensuite au niveau de la valeur et de l'importance de l'application. Entre 62 et 68 % des enquêtés ayant appliqué la technique vulgarisée obtenaient un coefficient maximum en ce qui concerne la mesure de la pérennité et l'irréversibilité de l'application. Par contre, la mesure du champ d'application (surface ou unités traitées) aboutissait à un coefficient très moyen (0,56) et montrait que seulement 25 % des mêmes enquêtés généralisaient la technique à la totalité de leurs biens.

Ces résultats illustrent à la fois la compréhension technique du thème vulgarisé et la compréhension économique de leur situation par les paysans. A la capacité évidente d'assimiler techniquement l'enseignement, correspond une lucidité — non moins évidente — à l'égard de l'insécurité de la condition paysanne traditionnelle et, par là, le souci de répartir les risques, de faire la part entre les certitudes de l'acquis et du passé et les potentialités de l'innovation et du futur. Si des efforts d' « investissement humain » ont été et sont consentis un peu partout dans les régions animées, les petits travaux réalisés — routes, aménagements hydro-agricoles, constructions diverses, etc. — n'apparaissent pas toujours atteindre leur seuil optimum d'utilisation ou de valorisation. Il faut en trouver la raison dans la survivance obstinée de certaines méthodes et mentalités propres aux services administratifs et techniques héritées de (62) En majorité des animateurs-paysans.

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la colonisation, révélant un faisceau d'interventions multiples et mal coordonnées et l'incapacité pour la plupart de ces services, comme le signale Goussault ( 63 ), de repenser leur action en fonction de l'association des collectivités qu'elles concernent. A cet égard, les structures de concertation, mises en place au niveau régional ( M ) à l'occasion du premier plan quinquennal, apparaissent insuffisantes et mal armées pour pallier ces difficultés. Un pas important avait été tenté dès 1965 ( 65 ) en créant, au niveau communal, un Conseil Rural de Développement, notamment chargé d'être la structure d'accueil du réseau précoopératif suscité par l'animation et permettant d'associer les délégués de ce réseau aux délibérations touchant le développement de la commune ( 66 ). La tutelle politico-administrative étroite exercée, selon des règles encore très inspirées du système français, sur la commune, l'incapacité sinon juridique du moins mentale de cette dernière d'excéder ses attributions classiques (maintien de l'ordre, état civil, perception des impôts), enfin le refus de procéder à une mise en place progressive des C.R.D., précédée chaque fois par une action d'information et de formation de cadres, n'ont pas encore permis à la commune de constituer le relais et le cadre de rencontre nécessaires aux actions de développement participées. Les effets globaux. En raison même de leur profondeur, ce sont les changements structurels affectant les mentalités et l'organisation sociale qui revêtent le plus de signification pour l'Animation. a) Changement des

comportements.

L'action d'animation entraîne, à des degrés d'importance et de rapidité variables, des changements de comportement individuel et collectif, tant à l'égard de l'univers traditionnel que de l'univers extérieur et notamment du fanjakana.

(63)

GOUSSAULT, op.

cit.,

p.

89.

(64) Le Comité technique régional du Plan et du Développement institué dans chaque préfecture. (65) Le C.R.D., prévu par la Loi programme sur le Premier Plan en 1964, a reçu son statut dans le cadre du Décret 65.753 du 3 octobre 1965. (66) A . COMBAZ FAUQUEL, « Comment créer des structures d'intervention et de participation du développement : les enseignements de la commune rurale malgache », Revue internationale des Sciences administratives, 4, 1964.

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Comportement à l'égard de l'univers traditionnel. Deux exemples relatifs aux dépenses ostentatoires et aux interdits nous apparaissent caractéristiques.

— Les dépenses ostentatoires : Dans la plupart des sociétés rurales africaines ou asiatiques, tout comme à Madagascar, l'entraide et d'une manière générale toute activité communautaire donnent lieu à des cérémonies à l'occasion desquelles sont effectuées un certain nombre de dépenses dites « ostentatoires ( 6 7 ) . Sans tomber dans la condamnation — sans signification pour l'univers villageois — de ces pratiques, l'animation dans un certain nombre de cas semble avoir contribué à modifier le système de dépenses dans un sens plus « économique ». Ainsi, au système obligeant le bénéficiaire de l'entraide à fournir à l'ensemble des participants aux travaux collectifs de grosses quantités de nourriture et de boisson (abattage de bœufs, distribution de boissons fermentées ou alcoolisées) s'est progressivement substituée l'auto-alimentation de chaque participant, chacun apportant au travail sa ration alimentaire. Ce nouvel usage semble s'étendre aux stages d'animation de courte durée effectués au village (reprise 2 e degré technique, etc.) amenant progressivement une prise en charge collective, également répartie, de ces activités.

— Les « fady » (interdits) : L'action d'animation semble également avoir permis et entraîné la réinterprétation de certains interdits propres aux collectivités villageoises concernées. Ces réinterprétations se sont effectuées, selon les cas : — Par redécouverte. L'autoréflexion, menée par les paysans, s'alimentant dans la mémoire collective conservée par les anciens, a permis de découvrir que les abattages de bœufs, qui accompagnaient certains travaux d'entraide communautaire, trouvaient leur origine dans la « surenchère » de quelquesuns qui, pour attirer chez eux un maximum de participants, s'étaient décidés à substituer des bœufs aux poulets habituellement sacrifiés jusque là. — Par transformation. L'interdiction de cultiver du riz sur une superficie importante entourant un tombeau familial s'est vue ramenée à des dimensions plus restreintes à la suite d'un processus de réflexion semblable. L'ensemble de la communauté, partagé entre la nécessité d'accroître sa production et le souci de respecter le « fady », a considéré que la mise en valeur des terres avoisinant le tombeau rapprochait en quelque sorte encore davantage la population active des ancêtres. Ce nouvel accord fut, il est intéressant de le noter, sanctionné par une cérémonie collective. (67) Une analyse récente de l'économie ostentatoire dans différents pays a été effectuée dans les Cahiers de l'I.S.E.A., Economies et Sociétés, T. I I , n° 4, avril 1968. En ce qui concerne Madagascar, on se référera plus particulièrement à l'article publié dans ce numéro par René POTIER sur les « Phénomènes ostentatoires dans le sud de Madagascar », p. 847 et suiv.

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— Par disparition. Les interdictions de cultiver à des jours déterminés ont parfois été levées en considérant que le travail collectif de l'association, portant généralement sur des cultures sèches de montagne, réalisait en fait le but de ces fady, justement édictés, selon certains observateurs, pour diversifier les productions trop axées sur la seule riziculture.

Il est intéressant de constater que l'ensemble de ces changements a été acquis au cours de processus similaires faisant succéder, sans rupture pour la compréhension villageoise, les interventions puis les réflexions et la décision collective, évitant ainsi de présenter celle-ci comme un défi au système traditionnel de valeurs. Comportement

à l'égard de l'univers extérieur et du fanjakana.

Moins « dictées » par hypothèse dans les régions dans les autres, les « réponses » apportées aux diverses du fanjakana semblent témoigner de l'existence ments progressifs des comportements villageois à son

animées que sollicitations de change égard.

Ces changements sont-ils fondamentaux et irréversibles ? Quels en sont le sens et les finalités ? Concernent-ils l'ensemble du fanjakana, la totalité de 1'« autre univers » ? Il est malaisé de le dire, imprudent d'affirmer ! Au-delà des interrogations muettes, d'un certain attentisme qui ont accompagné les premiers temps de l'Animation, apparaissent cependant les signes et les effets d'une prise de conscience se traduisant, dans ces régions et à des degrés variables, par des manifestations simultanées ou successives, d'affirmation et de revendication, de confiance et de défiance. De l'aveu même des cadres administratifs locaux, la première « libération » constatée touche la parole : on ne fuit plus l'autorité, on l'écoute, puis on lui répond. Dans certains cas, la prise de conscience peut entraîner la revendication — refus de payer des taxes indues — mais aussi un accroissement du taux de perception de l'impôt. La contradiction n'est qu'apparente. Si aujourd'hui, à l'égard de l'Animation, des représentants de son appareil comme de son réseau, la confiance paysanne est quasi générale, il n'en résulte pas pour autant et nécessairement une ouverture définitive de l'univers villageois aux autres services chargés d'intervenir en milieu rural. L'Animation a été l'occasion d'une première ouverture toujours fragile. Son élargissement et sa consolidation sont à rechercher,

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comme le dit Althabe, « dans le destin du rapport entre le pouvoir et la population villageoise » ( 6 8 ). b) Changements

structurels.

Au niveau villageois, l'action associative de l'Animation contribue progressivement à la mise en place et au développement d'institutions et d'une hiérarchisation nouvelles. Les associations apparaissent nées d'une occasion de prise de conscience, dans un cadre ressenti, pour répondre à des besoins ou des pressions ressentis. 1. Une occasion de prise de conscience. Cette occasion semble avoir été principalement trouvée dans les actions convergentes à la fois de l'Animation rurale et de l'alphabétisation qui, par la mise en place d'équipes villageoises, ont permis de donner un caractère de permanence à des rencontres qui n'étaient qu'épisodiques ou occasionnelles. 2. Dans un cadre ressenti. C'est le plus généralement dans le cadre du fokonolona-village que se sont constituées ces associations et plus rarement — contrairement à certaines hypothèses initiales — dans celui du valintanana (69). Les Associations actuelles ont donc un caractère villageois et réunissent, sinon l'ensemble, du moins une importante partie des habitants du village. Le choix de ce cadre n'est pas étranger, il faut le préciser, au fait que c'est au niveau du village que s'opèrent la désignation de l'animateur et la constitution de l'équipe d'alphabétisation. c) Pour répondre à des besoins ou à des pressions ressentis. Ces besoins et ces pressions, sans qu'il soit toujours possible de les distinguer, diffèrent évidemment selon les cas et les régions. Ainsi pouvons-nous citer : — Les besoins de faire face à la soudure inter-saisonnière qui a entraîné la constitution d'un grand nombre de greniers collectifs et, partant, d'associations paysannes dont certaines évoluent vers des formes coopératives. — Les besoins monétaires qui, conjugués avec la nécessité de payer l'impôt et les obligations légales de reboiser, ont amené des groupements à se constituer autour d'opérations collectives de reboisement.

(68) Voir conclusions de ALTHABE, op. cit. (69) M. MALEK, sociologue de la F.A.O., confirme ce processus en observant que dans la région de I'ITASY les Associations ne semblent pas issues du valintana qui subsiste indépendamment d'elles, mais des centres de décisions traditionnels au niveau du fokonolona, en tenant compte des conventions déjà passées par ce dernier.

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— Les besoins en terre qui, combinés avec les interdictions administratives de pratiquer la culture du riz sur brûlis (Tavy), ont amené des collectivités nombreuses à s'organiser pour récupérer et aménager des bas fonds rizicoles non exploités. — Des besoins de commercialisation qui, à la suite des interventions de certains organismes de vulgarisation agricole, ont abouti à la constitution de centres de groupage se transformant progressivement en associations.

Mais d'une manière très générale, il faut le souligner, la motivation directe du phénomène associatif demeure l'entraide communautaire. Traditionnellement, cette entraide se concrétise par une assistance mutuelle, toujours vivante dans les associations suscitées par l'Animation, et portant sur des événements ayant un retentissement social. Du point de vue économique, cette entraide est caractérisée par le travail effectué en commun. Le moyen de production privilégié dans les rapports sociaux demeure le travail, plus encore que la terre ou l'argent. Ainsi, dans la région surpeuplée du Vakinankaratra, se sont constituées plusieurs associations qui, en raison du manque de terres disponibles, sont orientées sur des opérations non foncières (commercialisation, approvisionnement, pisciculture, etc.) nécessitant cependant toutes un travail collectif. Par opposition aux coopérateurs dont le statut s'acquiert par le versement d'une part sociale, la qualité d'associé sera déterminée par la participation « physique » effective à un travail en commun. Enfin, du point de vue sociologique, l'entraide, c'est avant tout un moyen d'assurer la cohésion et la promotion du groupe. Nous avons constaté par exemple que la motivation profonde qui poussait une association à vendre du riz en période de soudure à deux tarifs différents, élevés pour les non-associés, moins élevés pour les associés, n'était pas tant de réaliser un bénéfice, mais de faire, par ce biais, entrer les sceptiques et les récalcitrants dans l'association.

Les activités déployées par les associations varient en fonction des besoins et pressions ressentis. Observons que l'association n'est jamais orientée vers une seule activité. Prolongeant le fokonolona, destiné lui-même à pallier sous diverses formes l'insécurité, l'association déploie le plus généralement une gamme d'activités, à la fois économiques ou sociales, sans que les différences entre celles-ci apparaissent toujours clairement.

Villages d'Afrique

et de Madagascar

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A côté de réalisations de portée économique (aménagement, production, commercialisation) ou sociale (centres scolaires ou de « nivaquinisation »), sont inscrites ou sous-entendues dans la Convention d'Association des activités ayant un caractère essentiellement traditionnel (entraide entre les membres à certaines occasions...)L'obligation d'assister, notamment par une contribution financière, un membre nécessiteux s'impose non seulement à chaque autre membre individuellement, mais aussi à l'Association ellemême qui acquiert ainsi de facto la qualité de personne morale. L'organisation fréquente de greniers et de champs collectifs répond au double objectif rapidement interchangeable selon les nécessités de procurer aux associés un surplus monétaire, mais aussi de les aider à franchir une période de soudure difficile. La polyvalence constitue donc une garantie de survie et de continuité pour l'Association qui se présente dès lors comme potentiellement génératrice de l'ensemble des réponses nécessaires pour faire face, selon les circonstances, à l'insécurité rurale. Proposer comme motivation fondamentale de départ une activité trop spécialisée, notamment la production ou la commercialisation d'un unique produit agricole, comme le font encore certains organismes techniques, semble insuffisant pour constituer la base acceptable et durable d'une association paysanne. *

*

*

L'action associative de l'animation paraît pouvoir apporter aux organismes chargés de la diffusion du progrès technique en milieu rural un support dont l'authenticité et la souplesse constituent un gage de durée et de solidité. Cette action nous semble, en particulier, susceptible : a) De permettre une interprétation et une prise en charge compréhensibles et autopropulsives du message technique : — compréhensible, car l'action technique n'est guère proposée de but en blanc, mais réinterprétée après une action d'éveil et de conscientisation, dans un cadre global d'accueil familier pour les paysans ; — autopropulsive, car l'effet multiplicateur sanctionne plus facilement l'innovation technique, proposée collectivement aux paysans et considérée, dès lors, comme un acquis affermissant leur cohésion. b) De permettre une répartition des risques que suppose l'application de toute innovation. Ainsi, les champs collectifs mis en valeur par les associations peuvent-ils servir à expérimenter l'innovation

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sans en reporter les risques sur les cultures personnelles et sans toutefois laisser assumer ceux-ci dans l'indifférence relative manifestée pour les champs d'essais ou de démonstration créés par les services officiels. c) De permettre de découvrir et de bâtir, selon les cas et les régions, une série de projets mobilisateurs capables d'assurer les fondements d'un réseau précoopératif et d'une planification régionale participée, à la fois authentiques et dynamiques.

TROISIÈME PARTIE VILLAGES ET DU

D'EUROPE

MOYEN-ORIENT

Henri

DESROCHE

ESSOR OU DÉCLIN D'UN VILLAGE COOPÉRATIF EN YOUGOSLAVIE Au cours de ces deux dernières années, à la suite de la publication de l'ouvrage majeur de Bernard Rosier C1) et des questions qu'il pose, j'ai eu l'occasion d'observer en trois voyages successifs quelques aspects de l'évolution villageoise en Yougoslavie. Je connaissais naturellement, comme tout un chacun, les étapes de la coopératisation agricole en ce pays (jusqu'en 1945), puis de sa collectivisation agraire plus ou moins kolkhozienne (de 1945 à 1953), puis le passage d'une collectivisation accélérée à une décollectivisation (de 1950 à 1953) et enfin la phase (de 1953 à 1960) d'une certaine recollectivisation lente, programmée par Kardelj. Je connaissais également le jeu typique qui s'était établi entre la coopérative « de type général » et le paysan sociétaire, c'est-à-dire entre la Zadrouga et les Zadrougari par l'entremise de la Kooperacja, contrat de production pouvant aller d'un contrat de service jusqu'à des contrats de location ou même d'achat de terres « privées » pour arrondir le périmètre collectif de ladite Zadrouga, périmètre auquel on réserve le nom à'economye... Mais l'enquête Rosier braquait son projecteur sur un tiers intervenant, et celui-là de taille, en l'occurence les Kombinats ouvriers autogestionnaires en voie d'intégrer non seulement la paysannerie qui devenait leur main-d'œuvre ou leur clientèle, mais aussi et surtout les Zadrouga elles-mêmes, en commençant par concurrencer ou même coiffer leurs transactions commerciales par leurs services de grossistes et en finissant par avaler éventuellement leurs economye dans leurs propres périmètres. C'est du moins ce qui semblait se passer dans le Kombinat Belje, objet de l'enquête dont on m'assurait à Belgrade que le cas était exceptionnel et dont une récente note du Monde nous avertit que son destin ne va pas sans difficultés. Quoi qu'il en soit, j'étais intéressé par ce nouvel échange trian( 1 ) B . ROSIER, Agriculture moderne et socialisme: une expérience yougo slave, Paris, P.U.F., 1968, 316 p.

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gulaire. Mes trop rapides observations m'ont prouvé toutefois qu'il était susceptible de maintes variables. J'en ai étudié quelques-unes dans le mémoire d'où sont extraites les pages qui suivent. Ma principale conclusion tendait à admettre qu'il y a désormais en ce pays — comme partout — un conflit entre la société industrielle et la société villageoise, la première étant représentée paradoxalement par l'autogestion ouvrière inscrite dans le Kombinat, et la seconde par la coopérative agricole susnommée Zadrouga. « Ces brigands du Kombinat », me disait un jour un coopérateur pour désigner la firme intégratrice dont il entendait stigmatiser les comportements... J'ai cependant retenu pour la reproduire ici une analyse où ce conflit — s'il est latent dans la commercialisation du poisson et des produits agricoles — n'est pas encore véritablement ouvert puisque, de par sa situation d'isolat, le village observé était encore à l'abri des autogestions hôtelières qui n'ont pas manqué d'envahir et d'occuper les positions dans les îles voisines. Par contre, cette analyse pourra manifester une certaine bonhommie sereine avec laquelle sont vécues, au ras de la vie quotidienne, les péripéties révolutionnaires qui s'enfièvrent sur les tréteaux ou dans les empyrées journalistiques. Elle manifeste aussi, du moins je le suppose, le coincement d'une économie coopérative entre une économie privée encore émergente et une économie « autogestionnaire » déjà imminente. Cette quinzaine passée avec les paysans et les pêcheurs de L., auprès de ce lac qu'était l'Adriatique ( 2 ), demeure pour moi une quinzaine d'amitié plutôt et davantage qu'une quin2aine de recherches. Déjà et encore un village. Sur la côte Adriatique il est déjà ou encore quelques petits villages originaux. Déjà, car ils sont de fondation récente et ils en sont à émerger de leur solitude et de leur maquis sur leur île ou leur presqu'île ; difficilement accessibles puisque hors de portée des voitures, ils ont été pendant longtemps des hameaux, des haltes, des points de cabotage ; puis ils se sont peuplés, les bateaux à moteurs ont charrié des matériaux et des équipements, des terres ont été conquises sur les pentes et livrées à la vigne ou à quelques vergers, une agglomération s'est cristallisée, des services élémentaires, commerciaux et touristiques, se mettent en place ; ce sont déjà des villages. Et ce sont encore des villages. De l'autre côté de la montagne, là où la route sur le littoral où les grands bacs sur îles ou pres(2) Je remercie tout particulièrement mon ami Zakic qui, infatigablement, m'a traduit questions et réponses de ces longues heures d'entretien.

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qu'îles ont rompu l'isolement, les grands hôtels ont proliféré, les cargaisons de touristes amènent leurs requêtes, leurs voitures ; leurs devises ; les équipements modernes se multiplient ; l'activité tertiaire l'emporte. Là-bas ce ne sont plus des villages, ce sont des stations. Ici ce n'est pas encore une station, c'est encore un village. L. est déjà et encore un village. Un jeune village puisque sa tête de pont date tout juste d'un demi siècle. Des pionniers venaient d'une île voisine, l'île de Hvar, devenue aujourd'hui un haut-lieu climatique, celui dont on assure « s'il neige à Hvar, les hôtels sont gratuits ; s'il pleut à Hvar, les hôtels nous offriront une réduction de 50 %... », ce qui n'arrive jamais. On est ici assez au Sud pour éviter la pluviométrie de l'Adriatique nord ; assez au Nord pour s'épargner les canicules du Monténégro et leurs réverbérations sur ses montagnes rares. Dans les dentelures du littoral, la mer devient un grand lac plissé par une brise perpétuelle, tiédi par un soleil quotidien. Les hommes de Hvar en ce début du siècle n'en n'étaient pas moins à l'étroit sur leur île enchantée. Terres maigres et rares, démographie galopante : un certain nombre avait émigré qui aux États-Unis, qui en Australie ou en Nouvelle Zélande. Au retour, ils disposaient d'un pécule. Où l'investir ? Faute de possibilité à Hvar, ils montèrent sur leur bateau de pêche et l'exploration les conduisit à L. dont le site ne pouvait pas ne pas les enchanter. On y jeta l'ancre. Quelques premières fermettes y furent dressées. Les anciennes terres à H. étaient à portée de bateau. De nouvelles terres à L. se prêtaient aux vignobles, à des figuiers, des oliviers. La lavande de la montagne ne demandait qu'à être moissonnée. On pouvait vivre. Vicissitudes coopératives. C'est dans ces conditions que, dès avant 1945, pendant plusieurs décennies de cette économie primaire, on contracte ici, assure-t-on, des habitudes communautaires. C'est en effet une coutume dûment établie que si les parcelles de terre sont appropriées, le travail sur ces parcelles ne se fait pas en solitaire. On travaille ensemble par petits groupes, tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Selon les anciens, cette pratique de l'entraide spontanée aurait été déterminante dans la préhistoire de la coopérative qui, à partir de 1945, prend son départ. D'abord, coopérative spécialisée dans la viticulture, puis, en 1947, coopérative « générale », enfin, en 1949, coopérative de travail : remembrement des terres sur la base d'une exploitation collective. Elle durera, sous cette forme quasi kolkhosienne, jusqu'en 1965 : ce qui est une singularité dans l'histoire coopérative yougoslave puisque, pour l'ensemble du pays, la « dé-

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collectivisation » date des années 1954 ( 3 ). On ne signale pour l'ensemble de la Croatie que deux exceptions : celle précisément de L. et une autre à Split sous la forme très spéciale d'une coopérative de floriculture. En 1965 enfin, de guerre lasse, ou sur nouveaux programmes, la copérative de L. cesse d'être une coopérative agricole de travail et entre en décollectivisation pour devenir ou redevenir une coopérative générale. Mais comme on le verra, en devenant moins intensive, elle devient du même coup et dans le même mouvement plus extensive. Cette histoire même appelle commentaire. Comment, dans quelles conditions et pour quels motifs se prit en 1949 la décision de passer à l'exploitation collective ? Il y eut certes des motivations idéologiques : ce n'est pas par hasard que la coopérative s'est baptisée d'un nom qui évoque la lutte des partisans. Il y eut aussi des raisons économiques : seuls les adhérents à cette forme de coopérative obtenaient alors des cartes de ravitaillement et bénéficiaient du régime des assurances sociales. Cette considération ne doit pas être sous-estimée. Elle ne doit pas être non plus surestimée : dès l'année suivante, en 1950, et de sa propre autorité, la coopérative de L. étendait l'attribution des cartes de ravitaillement à tous, membres et non-membres. En 1954, le régime de l'assurance sociale était également étendu à tous. Et pourtant, la coopérative a survécu, sous la forme collective, pendant une bonne décennie après la disparition de ces motivations initiales. Il y avait donc un autre fondement. Une collectivisation sereine. Les commentateurs qui ont vécu cette période insistent sur le fait que tout s'est passé à l'amiable dans l'enclos de cette communauté insulaire. Sur 40 familles concernées, 28 s'étaient décidées au collectif, 12 avaient préféré demeurer en secteur privé. Cependant, ce clivage ne s'établissait pas entre familles riches et familles pauvres : dans les 28 familles candidates au nouveau sociétariat, on compte des sans-propriétés mais on compte aussi des propriétaires de 15 ha, mieux pourvus, au demeurant, que la moyenne des 12 réfractaires, moyenne qui s'établissait entre 10 et 12 ha. Ces réfractaires, d'ailleurs, ne l'étaient qu'à demi puisqu'ils maintenaient un demi-sociétariat en s'adressant aux services commerciaux de la Zadrouga pour assurer l'aval ou l'amont de leurs productions familiales. D'autre part, ces services, la Zadrouga se fit un point d'honneur de les assurer. Quant aux 28, leur tâche n'était pas aisée. Si les raisons subjectives de leur regroupement étaient ferventes, (3) C f . supra.

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les raisons objectives n'étaient ni péremptoires, ni même impérieuses. Il semble que l'exploitation collective fut surtout une extension et une généralisation de l'entraide pratiquée spontanément pendant les décennies antérieures. Pour ce faire, chacun, tout d'abord, fit apport à la coopérative de ses terres, de son cheptel (ânes et mules), de ses instruments de travail et cela, d'un commun accord, sans indemnisations : il s'agissait, à vrai dire, non d'une auto-expropriation, mais d'une concession à la coopérative sous forme de location gratuite. D'un commun accord également, on décida que la distribution du revenu se ferait au troudoden, c'est-à-dire, selon la quantité et la qualification des journées de travail fournies par chaque famille pendant l'année : distribution anticipée par des acomptes mensuels prenant la forme de quasi-salaires. D'un commun accord enfin, c'est là un point particulièrement original, on décida que si aucune rente foncière n'était attribuée, quelle que soit la superficie mise à la disposition de la coopérative, par contre, au régime du troudoden, qui rémunérerait chacun selon son travail, s'ajouterait un régime des prestations sociales qui rémunérerait chaque famille selon ses besoins. Une commission ad hoc procédait à l'évaluation desdits besoins selon la taille de la famille, l'âge des enfants, l'état de validité ou d'invalidité de ses différents membres : ce qui était à peu près rejoindre le régime interne du mochav chitoufi israélien. Quant à l'organisation du travail, elle se moulait sur un système de brigade et de groupes, le nombre et la nature de ces groupes variant d'une part, selon l'alternance des activités entre l'agriculture et la pêche (cette dernière mobilisant tout le monde pendant les nuits sans lune), d'autre part, selon la dispersion des périmètres regroupant les anciens domaines familiaux. Aucune spécialisation par conséquent ; chacun, au contraire, était invité à une activité pluri-dimensionnelle telle qu'il la connaissait dans la phase antérieure. Le tout, sans crédits nouveaux et spéciaux, assure-t-on, mais en bénéficiant de services techniques de la commune ou de la région. De ce fait, une certaine promotion et assimilation technique. Un agronome — enfant de L., d'ailleurs — après études spécialisées à Zagreb, assure alors, par une tournée hebdomadaire, les communications avec les stations de recherches ou les instituts spécialisés comme l'Institut des Cultures Méditerranéennes à Split. On apprend des techniques de lutte antiparasitaire qui sauvent les oliviers. On monte une petite station viticole pour améliorer la qualité des vins. Chaque année, chaque famille reçoit un calendrier donnant au jour le jour, tant pour la viticulture que pour l'arboriculture, des conseils de modernisation techniques conjugués au rappel de certaines traditions culturales. Parallèlement, et grâce aux entreprises de la coopérative, L. se donne l'électrification, les quais as-

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phaltés, des chaussées convenables découpées dans le maquis du littoral. Dans ce nouvel espace social, un programme annuel inspire un calendrier prescrivant temps et phase pour l'optimum d'un plein emploi. La coopérative devient même assez dynamique et assez puissante pour représenter, peu à peu, un pôle de développement entre sept ou huit antennes dans sa propre presqu'île ou dans le littoral des îles voisines. Enfin, quelques installations techniques sont amorcées : une station viticole avec ses pressoirs, ses cuves et ses caves ; un pressoir d'huile pour les olives, un atelier de dessication pour les caroubes... un décollage se met en route.

Et pourtant

: une

décollectivisation...

En 1965, cependant, intervient, à retardement, une décollectivisation. Les terres sont reprises en exploitations familiales. La vinification regagne ses pénates dans les installations de chaque ferme. Les équipements de la station coopérative sont liquidés. Chaque famille réintègre, en son exploitation, ânes et mules, placés au collectif, instruments de travail, opérations de conditionnement ou d'emballage... La coopérative de travail se reconvertit en coopérative générale sans même conserver le périmètre collectif, Yêconomye, que le plus grand nombre des Zadrougas yougoslaves a maintenue en son sein comme un périmètre pilote. Pourquoi ce coup d'arrêt, ou, du moins, cette bifurcation ? Plusieurs réponses. D'abord, les jeunes quittent le village soit définitivement, soit partiellement : déjà une vingtaine vont travailler chaque jour au centre urbain le plus proche, prenant le bateau chaque matin à 4 heures et revenant par ce même bateau chaque jour en fin d'après-midi ; le potentiel agricole se trouve diminué d'autant et la mise en valeur devient aléatoire. Elle le devient d'autant plus que les familles dispersées, hétérogènes, les vignobles implantés par le travail en culture attelées, les vergers non irrigués ne se prêtent ni les uns, ni les autres à une mécanisation qui rendrait le collectif nécessaire en même temps que ce collectif rendrait cette mécanisation possible. Enfin, les secteurs secondaires et surtout tertiaires ont fait leur entrée au village. Les pêcheurs de L. ont beau passer pour les meilleurs pêcheurs de la côte, l'arôme du vin de L. a beau passer pour nécessaire à certains coupages, ces avantages demeurent mineurs auprès de la chance offerte à cette baie par le secteur touristique où tout, certes, est à faire, mais où presque tout pourrait être fait. Les hommes de L. ont donc fait à peu près les mêmes raisonnements que ceux d'un lagon de Polynésie auxquels la situation imposait une

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situation semblable ( 4 ). Le travail agricole tenu désormais pour une branche mineure a été abandonné au secteur privé nonobstant son encadrement par des services coopératifs ; et l'effort coopératif a été reporté sur le lancement d'une station climatique et touristique à laquelle on se proposerait de garder, malgré tout, les caractères de silence, de douceur, de sérénité, de calme, de simplicité qui sont ceux du paysage, de l'eau et des collines... La décision a été prise à l'unanimité malgré des réticences, celles-ci étant, dit-on, plutôt le fait des hommes « sans soucis », accoutumés, en tout cas, à se décharger des soucis sur la Zadrouga tandis que, au contraire, les hommes actifs, entreprenants, opinaient pour la voie nouvelle. La transition s'accomplit, du reste, sans discontinuité. Le même directeur, cheville ouvrière de toutes ces péripéties, demeure en place, élu et réélu depuis les origines. Aucune défection parmi les membres. Au contraire, cette formule nouvelle rallie ceux qui demeuraient marginaux à la formule antérieure. La coopérative fait le plein de ses membres. Toutes les familles et plusieurs individus par famille y adhèrent. Elle coïncide avec le village. Elle est le « Boss », le patron du village si l'on veut ; le village tout entier s'autogère à travers sa coopérative. Ultime résultat enfin : consolidation des liens avec les différentes antennes. Les effectifs des sociétaires sont portés à 700 membres dont 660 coopérants, c'est-à-dire liés par des contrats avec les Zadrougas, et environ 40 permanents, c'est-à-dire vivant d'une rémunération pour leur travail à temps plein dans les services de celle-ci. Du coup on a changé le nom. L'ancien était flambant comme un défi : « le lien des partisans ». Le nouveau se veut modeste mais réaliste : « la coopérative agricole de L. » tout simplement. Autogestion

versus coopération.

Dans l'organisation interne de ce réseau coopératif on retrouve les normes déjà commentées pour l'ensemble de la Yougoslavie et en particulier la primauté donnée aux voix des permanents sur celles des contractants ; infraction ou dépassement délibérés de la règle coopérative classique : « one man, one vote ». Dans les coopératives classiques qui pratiquaient cette règle, on l'a suffisamment répété, ce sont les agriculteurs contractants qui étaient les seuls sociétaires, les employés ou ouvriers de leurs services, installations, usines étant simplement considérés comme des salariés du patro(4) Il s'agit de l'expérience de Puéu dans l'île de Tahiti, où tout le village s'est improvisé maître d'œuvre pour l'aménagement de son territoire en stations de repos, de sport et de vacances. Mais dans la coopérative du Puéu, les bénéfices du secteur tertiaire sont réinvestis dans le secteur primaire.

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nat collectif représenté par les agriculteurs associés. Ici, non seulement les employés ouvriers ont une voix comme les autres, mais leur voix pèse plus lourd que celle des autres. Cette disproportion se retrouve ici à L. dans les quota des sièges réservés aux différentes catégories, soit au conseil coopératif, soit au conseil de gestion, où 660 agriculteurs contractants élisent au conseil coopératif 10 membres, soit 1 pour 66 membres, et 40 ouvriers permanents élisent au conseil coopératif 11 membres, soit 1 pour 4 membres, tandis que, au conseil de gestion, pour 7 membres, 4 représentent les permanents et 3 seulement les contractants. Quant au Directeur, il est élu ou réélu, selon une procédure indirecte où intervient en outre l'autorité de la commune. Le poste étant mis au concours, son attributaire est désigné par une commission de 5 membres dont 3 seulement représentent la coopérative, tandis que 2 autres représentent la commune dont relève la coopérative de L. Le Directeur, une fois élu, n'est pas membre du conseil coopératif, mais 11 dispose d'un droit de veto car il représente aussi une autorité supérieure à celle de la Zadrouga. De ce fait, il est le véritable animateur-entrepreneur. Et il l'est d'autant plus que la dispersion des implantations ne permet pas ici l'Assemblée Générale. Les décisions importantes relèvent d'un referendum par correspondance ( 5 ). Chaque antenne dispose d'un quota de délégués au conseil et pratique son élection dans le cadre de ce quota. Mais seul le conseil coopératif se réunit et la périodicité de ces réunions est seulement trimestrielle. Ici comme partout la configuration du titulaire a dessiné et dessine la configuration des postes. C'est sur cette base que fonctionne maintenant l'éventail tivités coopératives à L. où peuvent être distingués trois secteurs d'activités : 1. Agriculture-viticulture-arboriculture représentant 30 à du revenu, 2. Pisciculture représentant 15 à 12 % du revenu, Transports maritimes représentant 25 % du revenu, 3. Tourisme et équipement touristique représentant 29 revenu.

des acgrands 40 %

% du

Le secteur agricole. Étant donné sa minceur et son isolement ce secteur se caractérise par sa subordination aux firmes intégratrices d'amont ou d'aval, en l'occurence entreprises commerciales ou industrielles en auto(5) Celle, par exemple, de l'intégration d'une nouvelle antenne prise récemment à 93 % de oui contre 7 % de non.

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gestion ouvrière qui contractent, en gros, avec la Zadrouga, ce que celle-ci recontracte au détail avec ses propres membres. La production la plus importante et la plus ancienne est le vignoble : 2.000 hl dont la moitié seulement est commercialisée, la seconde moitié étant consommée au village. D'aucuns assurent que le produit était meilleur, mieux contrôlé dans l'ancienne formule où la vendange passait tout entière dans la station du collectif. Celle-ci ayant été liquidée, chaque ferme opère sa propre vinification et livre au service commercial de la Zadrouga le vin en tonneaux. La Zadrouga n'est donc plus qu'un transitaire, organisme de groupage et d'acheminement, organe de transmission, d'autre part, des requêtes et des propositions de la firme intégratrice située en aval, en Pocurrence la D V entreprise commerciale autogérée qui occupe une position à peu près monopoliste sur la côte dalmate à Split. C'est le représentant de cette firme qui se rend à L. pour expertiser la récolte et proposer son prix, car le prix, n'étant pas de ceux qui sont planifiés ( 6 ), est un prix de marché. Ce sont également les experts de la firme productrice qui exercent un contrôle sur la production elle-même, l'orientent techniquement en conseillant les viticulteurs et en vulgarisant auprès d'eux requêtes ou prescriptions. C'est enfin le bateau-citerne de la firme qui vient prendre livraison du tonnage agréé... « Autrefois nous avions nous-mêmes notre bateau-citerne, mais nous l'avons aussi vendu en même temps que les pressoirs et les cuves de notre station ». Donc, chaque famille, désormais, non seulement travaille ses vignes, mais fait son vin comme elle l'entend, sous réserve des contraintes imposées par la firme. « Le vin est moins bon maintenant », soupire le Directeur. Et aussi, malgré son effort de groupage, la Zadrouga n'est pas de taille à négocier en force avec la firme autogérée... : « Les discussions sont-elles serrées ? — Plus que serrées, violentes... » Mais elles sont sans recours. Théoriquement, on pourrait vendre le vin ailleurs ; pratiquement, c'est impossible. La firme a déjà absorbé plusieurs autres agences de la côte ou de l'intérieur. Il y a bien sur l'île voisine une coopérative paysanne spécialisée plus puissante qui, accomplissant elle-même sa vinification et sa commercialisation, représente un certain pouvoir de contrepoids, mais elle fait le plein avec la production de ses propres membres. « Si nous pouvions, ou si nous avions pu arriver à une production suffisante, nous ferions comme elle et ce serait l'idéal. » C'est à cet idéal qu'a ten(6) Les seuls prix contrôlés sont ceux du blé, prix planchers du blé selon les catégories (prix planchers du pain), du maïs, de la betterave à sucre. Le lait bénéficie parfois d'un prix de soutien (pour le lait directement livré au consommateur urbain). Les prix de la viande sont des prix garantis, mais d'un montant variable d'une commune à l'autre. Aucune de ces productions ne concerne la Zadrouga de L.

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du la phase intérimaire du collectif, mais maintenant, il est trop tôt ou trop tard. Trop tard plutôt que trop tôt. L'effort est démantelé, désaffecté. C'est une viticulture qui vivote et qui se trouve acculée à cette position de repli aussi longtemps qu'un plan global de mise en valeur n'intervient pas et ce plan dépasse les possibilités de la seule Zadrouga. L'arboriculture, elle, évite partiellement cette intégration. Les qualités des figues et des caroubes ont valu aux producteurs de L. deux médailles d'or. Et la présence à Belgrade d'un seul représentant permet la prospection commerciale et l'accès direct, sans intermédiaires, aux divers marchés, en particulier à ceux du Nord du pays (Voïvodine, Novy Sad) friands de ces genres de fruits. Pour les figues, chaque paysan assure collecte et séchage. La Zadrouga assure lavage et emballage. Il y a de bonnes et de mauvaises années : 4 wagons en 1965, mais 17 en 1968. Quinze wagons de caroubes suivent les mêmes circuits. Cueillette et séchage par les paysans, emballage par la Zadrouga : ce qui pose d'ailleurs un problème difficile : les emballages ne sont pas assez protecteurs et les clients ne veulent pas de caroubes cassées, considérées comme des déchets. On a passé un contrat avec une firme allemande qui fournit maintenant des filets de plastique de meilleur usage. Il y a tout de même des déchets. On les passe au moulin, mais pour le moment, son moteur est cassé. Il est d'ailleurs trop bruyant et nuirait à la tranquillité des touristes. Le jeu n'en vaut plus la chandelle. Pour les olives, la coopérative dispose elle-même d'un pressoir qui, en saison, emploie six ouvriers. Une grande partie est autoconsommée au village. Le reste fait l'objet d'un contrat avec la raffinerie de Doubrovnik — autre entreprise autogérée — qui vient prendre livraison dans des fûts de 180 kg. Mais la production est aussi en baisse ; pour une année de bonne récolte, il y a plusieurs années de récolte mauvaise ou nulle... « C'est une loterie. » Le secteur des transports. Bien que les productions précédentes représentent encore la majeure partie des revenus du village, leurs résultats, qu'on aura notés, ne sont pas assez producteurs et ils sont même assez décevants pour que la Zadrouga porte ailleurs son effort. Le second secteur — pêche et transport — tend à égaler en importance celui de l'agriculture. Pour la pêche, il y a eu aussi une évolution. Autrefois, la Zadrouga avait un atelier de salaison. Il a disparu puisque, désormais, ou bien on vend le poisson frais sur les marchés locaux, ou bien on livre aux conserveries. La Zadrouga dispose pour la pêche de

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cinq bateaux d'inégale grandeur (de sept pêcheurs à deux pêcheurs par bateau) mais de taille suffisante pour exploiter des fonds relativement proches et excessivement poissonneux — non sans querelle avec des pêcheurs italiens tentés par l'intrusion. Avec ces vingt à vingt-cinq pêcheurs, l'atelier est autonome. Il fonctionne surtout pendant le printemps et l'été, la morte-saison étant occupée plutôt à des travaux agricoles, soit chacun sur ses propres lopins, soit auprès d'autres fermes. Les bateaux sont propriété collective et indivise de la Zadrouga qui, à ce titre, perçoit la part du bateau, soit 50 % du produit ( 7 ). L'autre moitié rémunère les pêcheurs, bateau par bateau, sur les bases suivantes : un S.M.I.G., quelles que soient les prises, d'environ 400 dinars à quoi s'ajoute — si les prises sont bonnes — une part égalitaire ( 8 ) proportionnelle au résultat. Cette part qui varie bateau par bateau et mois par mois peut doubler, tripler ou même quintupler la rémunération du pêcheur. En juin, celle-ci avait été de 1.800 n.d. Mais de 900 n.d. en juillet. C'est seulement sur le bateau même qu'est prise la décision de vendre à l'usine ou de vendre aux marchés. Dans le second cas, on s'achemine vers les places de marchés comme Korcula, Doubrovnik, Split où des marayeurs attendent avec leurs camions. Dans le premier cas, les conserveries — autres entreprises autogérées — disposent de bateaux spéciaux qui patrouillent en mer et y rencontrent les pêcheurs aussitôt leur pêche achevée. Pour les transports, la Zadrouga possède, dans les mêmes conditions, cinq autres bateaux qui donnent aussi du travail à vingt-cinq employés lorsqu'ils travaillent. L'un d'entre eux assure les services réguliers une fois par jour en hiver, deux fois par jour en été pour la liaison avec Korcula, centre de la commune. Ce bateau fait la liaison postale et, d'autre part, emmène et ramène la vingtaine d'ouvriers migrants quotidiens. Il transporte aussi des marchandises diverses, frêt habituel de cet autobus de la mer. L'absence de route unissant la presqu'île au continent fait la fortune de cette petite flotte. C'est par elle, en effet, que sont convoyés non seulement les produits agricoles exportés, mais tous les matériaux agricoles importés, en particulier les matériaux de bâtiment ou de travaux publics. Des transports sont, en outre, effectués sur contrat pour le compte de chantiers divers. Dans cet atelier, le plein emploi est assuré toute l'année, sauf les mois régulièrement requis pour la révision des bateaux. La rémunération des ouvriers transporteurs obéit aux mêmes règles que celle de l'atelier des pêcheurs : une part réservée pour et par la Zadrouga ; un S.M.I.G. ; une part éga(7) La part de la Zadrouga sert également à accumuler des réserves pour payer, le cas échéant, les SM.I.G. en cas de mauvaise campagne. (8) Sauf un supplément (150 n. d.) pour le capitaine et le mécanicien.

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litaire à chacun et proportionnellement au travail accompli par chaque unité. Comme la part attribuée à chaque unité est globale, « moins on est, plus on gagne ». Le secteur

touristique.

Le troisième secteur est le secteur touristique. La Zadrouga l'a inauguré en lançant dès 1960 un restaurant coopératif ouvert toute l'année ( 9 ) et en jumelant l'opération restaurant avec une opération « gîtes-ruraux » à laquelle participent toutes les familles du village. Chaque famille offre une ou deux chambres de 1™, 2e ou 3e catégorie Les touristes logent chez l'habitant et prennent leurs repas au restaurant coopératif. La Zadrouga prospecte le marché en liaison avec les offices de tourisme yougoslave et tchèque. Elle s'assure, par son carnet de commandes, le plein emploi du personnel et des locaux, pendant toutes les saisons. Les contrats avec la Tchécoslovaquie sont particulièrement fournis : on a commencé avec cinq touristes tchèques, on en est à cent cinquante. Les prix du lit, selon les catégories, varient de 10 à 7 dinars par jour ; la pension représente environ 21 dinars, soit 30 n.d. par jour pour la meilleure catégorie ( 10 ). Cet afflux de population touristique a pu justifier l'implantation du petit magasin de consommation. Ce n'est pas une coopérative de consommation proprement dite, plutôt un magasin communal. Il est, comme la flotille de pêche et de transports, propriété collective et indivise de la Zadrouga ; il est confié à un jeune gérant — le mari de l'institutrice, car il y a à L. une école des quatre premières classes — frais émoulu d'une école commerciale. Celuici est rémunéré comme les autres employés de la coopérative : un salaire minimum garanti auquel s'ajoute une commission selon le chiffre d'affaires. Cette rémunération s'ajoute aux autres coûts d'achat en gros, de transport, de manutention et, dès lors, la Zadrouga se comporte comme un service public : elle vend au prix coûtant, sans bénéfice. D'autres restaurants ou pension dus à l'initiative privée sont également apparus à L.. En dépit ou en raison de la difficulté d'accès, ils offrent leurs équipements à une clientèle de Yougoslaves de diverses républiques, de Tchèques, d'Allemands, de Français, etc. Ces initiatives privées ne sont pas sans concurrencer l'initiative de la Zadrouga, mais l'ensemble présente cependant un jeu commun qu'on s'efforce de défendre auprès du Conseil des producteurs de la commune de Korcula et, à travers la commune, auprès de la (9) Mais pendant la morte-saison, les soirs et le dimanche seulement. (10) C'est-à-dire environ 12 NF avant dévaluation.

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république. C'est seulement, en effet, à l'échelle de la république que pourrait être entrepris et mené à bien le grand projet qui hante toutes les familles : le percement d'une route de onze kilomètres se raccordant à une route déjà presque terminée et qui représenterait le cordon ombilical entre ce promontoire et le continent. Mais de cette réalisation, la Zadrouga doit-elle escompter son rebondissement ou son dépérissement ? Son second souffle ou le second pallier de son déclin ? La question est en tout cas ouverte pour ce village de plage comme elle l'a été ou l'est pour tant de villages de hautes montagnes. Ici comme en maints autres villages yougoslaves, la Zadrouga ne sera-t-elle pas coincée entre, d'une part, un système postcoopératif représenté par les entreprises autogestionnaires et un système précoopératif que représente, sur le plan privé, une certaine reconstitution de familles étendues ? Sans pouvoir le chiffrer, on signale l'existence de ce second phénomène : il permet de tourner le plafonnement de la superficie fixé par la réforme agraire et donne naissance à une agriculture de groupe qui peut, étant donné la liberté de manœuvre accordée depuis 1965, devenir micro-zadrouga dans la Zadrouga, micro-coopération affinitaire dans la macrocoopération instituée. C'est le cas à L. avec la famille J. Son chef est venu à L. en 1925 : il avait alors seulement quatorze ans. Quelques temps après, il aurait bénéficié d'une première réforme agraire — dit-il — (dans les années 1930) qui, moyennant indemnisation, aurait exproprié le propriétaire quasi féodal de cette région pour donner la terre aux paysans. « Le mien, c'est le mien ; le tien, c'est le tien. » En 1949, il a participé aux discussions de la fondation de la Zadrouga. Selon lui, elles ont été assez rudes. Et l'opposition n'avait guère désarmé. Lui-même a fait partie de ceux qui ont fait apport de leurs biens à la Zadrouga : « on espérait une vie plus belle ; il y avait aussi une grande amitié, dont la Zadrouga permettait l'exercice. Je le ferais encore si c'était à refaire. » Mais sont venues les difficultés. L'agriculture s'avérait une mauvaise carte. Surtout, les jeunes ne veulent plus ni de l'agriculture, ni de la Zadrouga. Le démantèlement de 1965 a enregistré une situation de fait : l'élan était cassé. Chacun reprenait ses mises : « le mien, c'est le mien ; le tien, c'est le tien. » Trop tard pour une Zadrouga agricole. Trop tôt pour une Zadrouga touristique. J. a quitté la Zadrouga pour jouer, précisément, la grande famille. Un fils avait émigré en Australie d'où il ramenait un pécule. L'autre avait, un temps, servi dans le magasin communal. Les trois

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couples rassemblés ont d'abord mis sur pied une pension, puis un restaurant, puis un hôtel, et cela au moment même où la Zadrouga, quittée par eux, se lançait dans une opération parallèle. De même la grande famille J. disposait d'un bateau de transport et d'un bateau de pêche parallèlement aux deux flotilles de la Zadrouga. Une ou deux autres familles marchant sur ces traces, le secteur tertiaire, qui semble l'avenir, se compose donc d'ores et déjà d'un secteur coopératif et de petits secteurs privés y compris les secteurs privés montés par d'ex-sociétaires de la Zadrouga. En attendans le secteur « autogestionnaire industriel ou commercial » qui viendra coiffer les deux autres. A la socialisation coopérative intégrale idyllisée par le projet 1945 succède ainsi une économie de secteurs où le secteur coopératif est tiraillé entre le rôle d'un organe témoin et l'aspiration à devenir ou redevenir une expérience pilote. Pour tous tout dépend de la route et, ici, on attend cette route comme dans une île polynésienne on attend le cargo.

Tous attendent : le secteur coopératif pour rebondir, le secteur privé pour s'élargir, le secteur autogestionnaire pour s'implanter. Un plan a déjà prévu des découpages de la baie entre ces différents secteurs : « Il y a de l'eau, des plages, du soleil assez pour tout le monde. » S'agissant de la Zadrouga, rien ne permet encore de savoir si cette route lui apportera une réanimation ou une euthanasie.

Basile

KERBLAY

LE VILLAGE RUSSE VA-T-IL DISPARAITRE ?* LE N O U V E A U S T A T U T D E S

KOLKHOZES

U n nouveau statut des coopératives agricoles de production ou kolkhozes (') a été soumis à l'approbation du 3 e Congrès des kolkhoziens le 28 novembre 1969. Il doit se substituer à celui qui avait été en vigueur depuis le 17 février 1935. Depuis cette date les structures kolkhoziennes ont enregistré une évolution dont la nouvelle rédaction tient compte. Ces changements tiennent au fait que le kolkhoze n'a plus à s'imposer à la paysannerie. Cette forme d'entreprise agricole est solidement installée depuis quarante ans. Elle obtient maintenant certaines prérogatives qui tendent à la mettre à égalité avec les entreprises de l'Etat : ainsi les impositions s'effectuent désormais sur les revenus nets, c'est-à-dire après déduction des charges salariales (alors qu'autrefois la rémunération de la main-d'œuvre était (*) Le titre de cet article est emprunté au titre d'un article antérieur dont il peut être considéré comme la suite. Cf. B. KERBLAY, « Le village russe vat-il disparaître ? Réflexions sur l'avenir de l'habitat rural », Cahiers du monde russe et soviétique, janvier-mars 1969, pp. 5-20. (1) Terme russe qui désigne les entreprises collectives. Autrefois cette catégorie comprenait : les communes (partage égalitaire et absence de biens de production en propre), les associations pour le travail en commun du sol (absence de biens de production collectifs) ou toz, et les artels (coopératives) agricoles). A partir de 1935, Yartel est considéré comme la seule forme légale d'entreprise agricole collective et se confond donc avec le kolkhoze. Dans la nouvelle rédaction des statuts l'appellation artel disparaît. Il existe en outre des fermes d'Etat ou sovkhozes. Début 1968, on a dénombré 15,3 millions de foyers kolkhoziens représentant une main-d'œuvre active de 18,4 millions d'agriculteurs répartis en 36.800 coopératives de production (contre 12.783 sovkhoses et 8,7 millions de travailleurs agricoles). Les terres des kolkhozes s'étendent sur 220,2 millions d'hectares de surface agricole utile (terres à labour, prairies et pâturages) ; les superficies occupées par les sovkhozes représentent 316,3 millions ha de S.A.U. et les terrains en jouissance privé : 4,7 millions ha de lopins kolkhoziens et 3,6 millions ha de parcelles cultivées par les ouvriers et employés.

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résiduelle, le fisc passant avant les kolkhoziens lors des affectations des recettes brutes). Sous le rapport des rémunérations, le kolkhozien est donc passé du statut de coopérateur à celui de salarié ; il bénéficie d'un salaire minimum garanti et de pensions de vieillesse, mais l'entrée dans les syndicats n'est accordée qu'aux spécialistes. Ceux-ci sont beaucoup plus nombreux aujourd'hui — 265.000 fin 1966 contre 29.000 en 1940 — ce qui permet de leur confier la direction des kolkhozes en leur laissant davantage d'initiative pour décider des plans de production et du partage des revenus. Par ailleurs la coopérative agricole s'est agrandie considérablement et s'est équipée : de 400 ha d'emblavures en moyenne en 1934 elle est passée à 2.800 ha en 1968 avec 45 tracteurs par exploitation. Ces dimensions modifient les formes de la cogestion. L'assemblée générale des membres de la coopérative n'est plus l'unique organe de la communauté ; celle-ci compte désormais un système de représentation à plusieurs degrés : à la base l'équipe ou zvetto (d'une dizaine de personnes), l'assemblée de brigade à l'échelle d'un village ou division de kolkhoze, l'assemblée des délégués de brigades auprès de la direction. La cogestion garde toute sa vitalité au niveau du zveno — véritable cellule coopérative de base — alors que l'assemblée des délégués tend à jouer le rôle d'un organe technique. Enfin les kolkhozes ont tendance à s'associer pour former des unions locales dans le but de construire et de faire fonctionner des entreprises conjointes (usines de transformation des produits agricoles, briquetteries, etc.). Les activités kolkhoziennes ne se limitent plus à l'agriculture stricto sensu. En définitive la réforme du statut des kolkhozes doit être envisagée non pas comme un tournant radical ouvrant des perspectives nouvelles à la paysannerie soviétique, mais comme l'avalisation de ce qui est devenu la pratique courante de la vie kolkhozienne au cours de la dernière décennie. Elle tend en quelque sorte à mettre la législation en accord avec la réalité de 1969. Voici présentées sous irne forme synoptique les dispositions essentielles du texte publié par la presse soviétique du 30 novembre 1969. NOUVEAU STATUT ANCIEN STATUT OBJET (ch.

I).

Le kolkhoze doit assurer : 1. la victoire sur les kulaks, 2. un niveau de vie meilleur aux kolkhoziens (art. 1).

(Chap.

I)

Le kolkhoze doit développer en premier lieu l'économie collective, augmenter la productivité du travail et accroître les ventes à l'Etat ; il doit éduquer le kolkhozien dans l'esprit du communisme, satisfaire ses besoins matériels et culturels (art. 2).

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d'Europe

MEMBRES (ch.

et du

Moyen-Orient

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L E S MEMBRES DU KOLKHOZE ; LEURS DROITS ET OBLIGATIONS (chap. II).

V.)

Le nouveau membre verse un droit d'entrée de 20 à 40 R par foyer (art. 9). Les fils de kulaks ne sont admis que sous certaines conditions (art. 7).

(L'exigence d'un droit d'entrée et l'allusion aux fils de kulaks disparaissent du statut).

On est membre du kolkhoze à l'âge de seize ans (art. 3). Chaque membre reçoit un livret de travail (art. 3) ; en contrepartie de son travail il a droit à un salaire minimum garanti, à utiliser les pâturages pour son propre bétail ainsi que les moyens de transport du kolkhoze pour ses besoins personnels conformément aux règles du kolkhoze (art. 4). L'exclusion d'un membre du kolkhoze est décidée par l'assemblée réunie avec un minimum de 2/3 des membres (art. 8).

L'assemblée du kolkhoze confirme les exclusions décidées par la direction (art. 7).

LA TERRE (ch.

LA TERRE ET SON UTILISATION (ch. I I I )

II).

La terre est concédée en jouissance perpétuelle et gratuite au kolkhoze par l'Etat (art. 8). Les terres paysannes (nadely), en propriété privée, disparaissent ; elles sont remembrées (art. 2). Les terres kolkhoziennes ne peuvent être diminuées en aucun cas ; elles ne peuvent que s'accroître (art. 2).

Ceux qui quittent le kolkhoze reçoivent des terres prélevées sur les réserves foncières de l'Etat (art. 3). L E S BIENS DE L'ARTEL

(chap. VI).

Le patrimoine du kolkhoze est constitué, pour le quart ou la moitié de sa valeur, par une réserve impartageable (en cas de dissolution du kolkhoze) ; le reste est considéré comme un apport personnel des membres du kolkhoze (art. 10).

Les kolkhozes ont l'obligation de procéder à des amendements et à la conservation des sols, notamment en luttant contre l'érosion éolienne (art. 9). La cession des terres kolkhoziennes est décidée, sous le contrôle de l'assemblée générale, par les autorités locales ; le kolkhoze est alors indemnisé des pertes qu'il subit du fait de cette expropriation (art. 10). (Celui qui quitte le kolkhoze ne peut pas se réinstaller à son compte.) L E S BIENS COLLECTIFS (ch. IV) ; L'ACTIVITÉ PRODUCTIVE ET FINANCIÈRE DU KOLKHOZE (ch. V ) .

(La distinction entre réserve impartageable et apports personnels disparaît ; il n'est plus question que de propriété collective.)

326

Le plan d'activité du kolkho2e est élaboré par les autorités locales (art. 6).

La paysanne doit être engagée dans le travail collectif ; on doit lui confier des postes de responsabilité le cas échéant (art. 6).

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Le plan est élaboré par le kolkhoze (art. 14). Le kolkhoze peut s'adjoindre des activités propres de type industriel ; il peut passer des contrats avec des industries (art. 17). Le kolkhoze peut se fédérer avec d'autres kolkhozes pour des entreprises communes (art. 18). (La main d'œuvre féminine constitue actuellement l'essentiel des effectifs des kolkhozes, il n'est plus utile de prévoir un paragraphe à ce sujet.) Le kolkhoze n'est pas responsable des dettes de ses membres et inversement ces derniers ne répondent pas sur leurs biens propres des dettes du kolkhoze (art. 23) (l'ancienne solidarité de la communauté, notamment en matière fiscale, disparaît).

ORGANISATION ET DISCIPLINE DU TRAVAIL (ch. VII).

L'ORGANISATION, LA DISCIPLINE ET LA

Le kolkhoze est organisé en brigades auxquelles sont confiées des superficies correspondant à un cycle d'assolement (art. 14). Le kolkhozien est rémunéré en fonction des normes réalisées et comptabilisées pour chaque travail en unités de jour-travail (trudoden) (art. 15). Le kolkhozien peut obtenir avant la fin de l'année une « avance » en monnaie à concurrence de 50 % des gains enregistrés à son compte ainsi que des avances en nature (art. 16).

Le travail est organisé en brigade ou en petites équipes (zveno) en fonction des circonstances locales (art. 26). Les salaires ne sont plus comptabilisés en jour-travail ; un salaire mensuel minimum est payé en fonction de la quantité et de la qualité du travail ; en outre des primes sont versées pour favoriser la productivité (art. 27 à 30). Le kolkhozien a droit à des jours de congé réguliers et à un congé annuel payés par le kolkhoze (art. 25). Une réserve en nature permet aux kolkhoziens d'acheter ou de recevoir du kolkhoze des céréales, des fourrages au prorata du travail fourni à des prix fixés par l'assemblée (art. 29) (la monétarisation de la rémunération n'est donc pas encore complètement achevée). Le fonds de salaire vient en déduction des frais généraux, le revenu obtenu après cette déduction est un revenu net (art. 36).

RÉMUNÉRATION DU TRAVAIL (ch. V I ) ; LA RÉPARTITION DE LA PRODUCTION BRUTE ET DES REVENUS DU KOLKHOZE

(ch.

La rémunération est fonction de la répartition de la recette brute du kolkhoze (art. 12).

VII).

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Une part représentant 12 à 15 % du chiffre d'affaires (recette brute) doit être statutairement allouée à la formation du capital, tandis que le solde est partagé entre les membres (art. 12).

La part destinée à l'investissement est fonction des besoins du kolkhoze, elle ne fait pas l'objet d'une affectation statutaire (art. 36). Comme par le passé le kolkhoze peut vendre ses surplus au marché kolkhozien (art. 37). L A SÉCURITÉ SOCIALE DES KOLKHOZIENS (ch. VIII). L E NIVEAU DE VIE, LA CULTURE ET L'AMÉNAGEMENT RURAL

(ch. IX) (chapitres nouveaux). Conformément à la législation en vigueur, le kolkhozien bénéficie de pensions de vieillesse (art. 39) ; en outre le kolkhoze peut accorder, sur décision de l'assemblée, des pensions d'incapacité temporaire, notamment sous forme de prise en charge de soins dans un sana (art. 40). Le kolkhoze a l'obligation de construire des équipements sociaux et culturels (clubs, bibliothèques, stades...), de promouvoir la formation professionnelle de ses membres, de favoriser la modernisation de l'habitat Electrification, aide à la construction), de faciliter le travail « éducatif » des organisations du Parti auprès des kolkhoziens (art. 41). (Les dispositions concernant l'exploitation individuelle figurent au chapitre des moyens de production : chap. Ill, et au chap. II sur la terre).

L'EXPLOITATION AUXILIAIRE FAMILLE KOLKHOZIENNE (dvor)

(chapitre séparé).

DE

LA

(ch. X)

La famille kolkhozienne reste propriétaire de sa maison, de sa ferme, d'un lopin de terre et d'un cheptel dans les limites suivantes : (Art. 42) (Art. 4) La superficie allouée (y compris la La superfie du terrain (non compris surface bâtie) ne doit pas excéder la suface occupée par les bâtiments) 0,50 ha; varie entre 0,25 et 0,50 ha ; dans dans certaines localités le plan d'urcertaines régions elle peut atteindre banisme peut prescrire qu'une partie jusqu'à 1 ha (art. 2). des terrains individuels soit transférée en dehors de l'agglomération (art. 42). Le cheptel privé ne doit pas excéder : Le cheptel privé est accepté dans les limites suivantes : 1 vache et 1 veau, a. régions céréalières et de culture : 1 vache plus 2 veaux, 1-2 truies, 1-2 truies, 10 ovins, 10 ovins, ruches et volaille en nombre non 20 ruches, limité.

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le nombre des volailles n'est pas limité. b. régions d'élevage : 2-3 vaches plus veaux, 2-3 truies, 20-25 ovins,

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Ces normes peuvent être modifiées compte tenu des particularités nationales par les Conseils des Ministres des Républiques (art. 43).

c. régions pastorales (ex-nomades) : 8-10 vaches plus veaux, 10 chevaux, 100-150 ovins, 5-8 dromadaires, chameaux. (Art. 5)

L A DIRECTION DE L'ARTEL (ch.

(Disposition nouvelle et essentielle) : les dimensions du lopin individuel et le nombre de têtes de bétail sont fixés par l'assemblée générale du kolkhoze en fonction du nombre de personnes au foyer dans chaque famille et de leur participation au travail collectif ; (le dépassement des normes légales n'est pas autorisé, les décisions de l'assemblée ne peuvent jouer que dans un sens restrictif) (art. 43). VIII).

L E S ORGANES DE DIRECTION DU KOLKHOZE ET LA COMMISSION DE CONTROLE

(ch. X I ) .

L'assemblée du kolkhoze nomme le Président, le Conseil de direction de contrôle du kolkhoze et la Commission (art. 45) : Pour une durée de 2 ans (art. 19).

— Pour une durée de 3 ans (art. 49)

- L e Conseil de direction comprend 5-9 membres (art. 21).

— (Le nombre de membres du Conseil n'est pas précisé).

(Le mode de scrutin n'est pas précisé)

— Les élections ont lieu à mains levées ou au scrutin secret (art. 56).

• Le président ne réunit l'assemblée pas plus souvent que deux fois par mois (art. 22).

— Le président convoque l'assemblée au moins quatre fois par an ; dans les grands kolkhozes où l'assemblée plénière est difficile à réunir on convoquera des assemblées de délégués (art. 46).

Les brigadiers sont nommés le président pour deux ans.

par

— Les brigadiers sont élus par l'assemblée des kolkhoziens composant la brigade (art. 53).

L e statut juridique d u kolkhoze n'est ni le seul ni m ê m e le principal élément qui détermine l'activité d e l'entreprise puisqu'en f a i t l a p r a t i q u e d e ces d e r n i è r e s a n n é e s d i f f é r a i t d é j à s e n s i b l e m e n t d u t e x t e p r i m i t i f . S a s i t u a t i o n réelle d o i t s ' a n a l y s e r d a n s u n contexte plus vaste.

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1.

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Le kolkhoze dans ses rapports avec la macro-économie et l'administration.

Le fonctionnement d'un kolkhoze dépend tout d'abord du type de relations qui s'établissent entre lui et l'administration de tutelle dont il relève : direction régionale de l'agriculture, comité du Parti au niveau du « rajon ». Ces administrations exercent un rôle essentiel de contrôle de l'exécution des directives générales, d'animation et de sélection du personnel d'encadrement : le Parti propose les candidats à l'assemblée du kolkhoze pour les postes de direction. L'activité économique du kolkhoze s'insère dans une économie socialiste caractérisée par la planification centralisée. L'entreprise agricole est tenue d'effectuer les livraisons prévues par le plan au titre de la collecte de l'Etat ; elle n'est ni libre de s'y soustraire ni libre de fixer les prix. Seuls certains surplus disponibles après la collecte peuvent être vendus sur les marchés. De même les produits nécessaires à l'agriculture ne peuvent être acquis par le kolkhoze auprès des organismes de répartition de l'Etat (« Sel'hozthenika ») que dans les limites prévues par le plan central. Le kolkhoze n'a pas de contacts directs avec ses fournisseurs. Ce sont les autorités de planification qui passent les commandes à l'industrie. En d'autres termes, l'autonomie administrative et économique dont disposent les kolkhozes est limitée, d'une part en raison des ingérences des autorités locales du Parti, d'autre part du fait des exigences prioritaires de la collecte de l'Etat et de l'absence de marché pour les approvisionnements et la commercialisation des produits. A l'occasion du dernier Congrès des Kolkhoziens il a été décidé de créer un Conseil des Kolkhozes aux échelons fédéral, républicain et provincial, ce qui constitue l'amorce d'une représentation professionnelle de la paysannerie kolkhozienne. 2.

Le kolkhoze par rapport au sovkhoze.

Sous le gouvernement de Staline, puis de Khrouchtchev, il était admis que le kolkhoze représentait une forme transitoire d'entreprise socialiste destinée à disparaître pour ne laisser la place qu'aux fermes d'Etat ou sovkhozes. Un très grand nombre de kolkhozes — environ 20.000 — ont été transformés en sovkhozes au cours des deux dernières décennies. La tendance actuelle est moins dogmatique. On s'achemine vers une unification des deux formes d'entreprises agricoles par un double mouvement : l'institution du salariat dans les kolkhozes selon des barèmes et des formes d'organisation du travail calqués

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sur ceux des sovkhozes, parallèlement, l'octroi de l'autonomie financière des sovkhozes dans des termes comparables à celle des kolkhozes. D'ici fin 1970, en principe, les prix agricoles à la production et les prix industriels pour les produits nécessaires à l'agriculture seront les mêmes pour les deux secteurs coopératif et étatique. Désormais les sovkhozes seront tenus de financer leurs investissements à partir de leurs recettes dans les mêmes conditions que les kolkhozes alors que jusqu'ici ils recevaient leurs allocations d'investissements du budget de l'Etat. Ils vont également bénéficier des mêmes libertés que les kolkhozes pour commercialiser certains surplus. Les différences entre kolkhoze et sovkhoze sont donc appelées à s'atténuer d'un point de vue juridique ( 2 ). Elles resteront encore sensibles sur le plan de l'emploi. Le sovkhoze comme toute entreprise d'Etat est lié par des normes précises en matière de fonds, de salaires et d'effectifs à employer. Au contraire le kolkhoze a la responsabilité d'employer toute la population agricole des villages qui relèvent de son administration ; il a donc à faire face suivant les régions à des problèmes de surpopulation (sous-emploi) ou à des insuffisances de main-d'œuvre. Il n'a pas la même marge de manœuvre pour déterminer l'évolution de la productivité du travail qu'un sovkhoze. 3.

Le kolkhoze paysanne.

dans ses rapports avec l'économie

familiale

La formule du kolkhoze avait été instituée après quelques tâtonnements, en 1935, pour réaliser un compromis entre les exigences d'une agriculture mécanisée et collectiviste de grande dimension d'un type nouveau et les habitudes de la petite économie familiale paysanne traditionnelle. Ceci explique la survivance au sein de l'économie kolkhozienne : a) de petites exploitations individuelles se rattachant à l'économie de subsistance (le secteur « privé » représente 17 % de la production agricole brute de PU.R.S.S. dont 80 % des produits sont « autoconsommés » et 20 % vendus sur les marchés), b) des anciens villages qui ont été maintenus comme centres d'habitat de la population rurale ; on compte en moyenne une dizaine de localités par kolkhoze. Les impératifs de la mécanisation de l'agriculture, de la modernisation de l'infrastructure et surtout l'exode rural rendent ce (2) Rappelons que les travailleurs des sovkhozes peuvent également disposer d'une petite ferme personnelle, ses dimensions sont toutefois plus réduites que celle des kolkhoziens : environ 0,15 ha contre 0,35 ha en moyenne pour ces derniers.

Villages d'Europe et du Moyen-Orient

331

compromis fragile. De nouvelles formes d'organisation du travail et de l'habitat sont envisagées et font l'objet de discussions. Si le nouveau statut reste encore assez peu explicite à leur égard, il ne fait pas de doute que son avenir sera déterminé en grande partie par les solutions qui seront adoptées sur deux points : 1°) les formes de l'intéressement. Il est question de remplacer les bases de la rémunération qui étaient jusqu'ici calculées en fonction du temps de travail (nombre de journées effectuées et nature des travaux) par un salaire proportionnel à la récolte obtenue sur les terres affectées en permanence à la même équipe (zveno). Cette formule est d'ores et déjà expérimentée dans certains kolkhozes et même sovkhozes. L'équipe de 8 à 12 personnes reçoit le matériel nécessaire pour cultiver un cycle complet d'assolement de façon à être directement responsable des résultats obtenus et intéressée à l'augmentation des rendements. Elle est libre de s'organiser comme bon lui semble ; de sorte que l'artel se reconstitue ici comme un petit groupe d'autogestion dans le cadre d'un système plus vaste d'approvisionnement et de commercialisation. On pourrait le comparer au métayage si le zveno était libre de commercialiser ses surplus. 2°) les formes de l'habitat. La dispersion de l'habitat et l'insuffisance du réseau routier créent des obstacles considérables à la modernisation des communautés rurales. On préconise le regroupement des anciens villages : au lieu des 700.000 localités actuelles il n'en resterait que 100.000 à 120.000 qui seraient équipées avec tout le confort souhaitable ; certaines formeraient de véritables « agrovilles ». Mais cette transplantation déjà amorcée pose une série de problèmes économiques (état d'avancement des plans de spécialisation agricole des kolkhozes et pénurie de matériaux), financiers (coût de l'opération), humains (réticences des paysans). Le paysan reste attaché à sa maison individuelle et à son jardin ; ii ne veut pas vivre dans des immeubles à la campagne. Le report des potagers en dehors des quartiers habités, auquel fait allusion le nouveau statut, n'est pas dans ses habitudes. C'est pourquoi ce schéma n'est pas accepté sans discussions. Les sociologues font remarquer que l'agroville n'est viable qu'au prix d'une forte concentration de la population agricole, ce qui est contraire à la tendance observée dans toute agriculture moderne où la maind'œuvre agricole diminue. Il faudrait alors envisager une agriculture de type « absentee-farming » (c'est-à-dire une coupure entre les centres d'habitat et les lieux de travail ; les agriculteurs, transportés sur de grandes distances, ne séjourneraient que temporairement sur les lieux de travail). Ne serait-il pas plus rationnel, se demandent certains, de maintenir l'habitat à proximité des lieux

332

Villages en

développement

de travail et de développer le réseau routier pour permettre un accès facile à la ville en toutes saisons ? Pour conclure, l'assimilation du paysan à l'ouvrier, plus exactement du travailleur des champs à celui de l'industrie — qui demeure l'un des objectifs fondamentaux du projet communiste — s'avère une entreprise délicate compte tenu des spécificités du travail agricole et du poids des traditions paysannes. Il n'en reste pas moins que le nouveau statut des kolkhozes manifeste le chemin déjà considérable accompli sur cette voie en l'espace d'une génération.

Basile

KERBLAY

MONOGRAPHIES SUR LE VILLAGE SOVIÉTIQUE ESQUISSE D ' U N E

NOMENCLATURE

Le qualificatif « soviétique » n'implique nullement une coupure radicale avec le village russe d'avant la Révolution. Pour le passé on se reportera : a) à quelques monographies classiques comme celles de : SINGAREV A. I., Vymirajuscaja derevnja (Le village qui se meurt), 2e éd., Saint-Pétersbourg, 1907 (monographie sur les villages de Novozivotnoe et Mohovatka, prov. de Voronez) ; ENGEL'GARDT A. N., Iz derevni, 1872-1887 (Lettres de la campagne, 18721887), rééd. Moscou, 1956, 490 p. (village de Batiscevo, prov. de Smolensk) ; larges extraits traduits dans l'article de KERBLAY B., in : PORTAL R. (éd.). Le statut des paysans libérés du servage, Paris-La Haye, Mouton, 1963, pp. 267-310 ; GURVIC I., The economics of the Russian Village, New York, 1892 ; SEMENOVA TJAN-SANSKAJA O . , « Zizn Ivana. Ocerki byta krest'jan odnoj iz cernozemnyh gubernij » (La vie d'Ivan. Essais sur le genre de vie des paysans d'une province des terres noires), Zap. Russ. Geograf. Obsc. Otdelenija Btnografii, 34, 1914, 136 p. ; b) aux recueils bibliographiques donnant l'inventaire des études rurales avant 1917 et notamment : BAGROV L. S., Spisok bibliograficeskih ukazatelej po obscej geografii i etnografii (Liste des répertoires bibliographiques de géographie générale et d'ethnographie), Saint-Pétersbourg, 1913 ; GRIGOR'EV V.N., Predmetnyi ukazatel' materialov v zemsko-statisticeskih trudah, 1860-1917) (Index matière des travaux statistiques publiés par les Zemstva de 1860 à 1917) Moscou, 1926-1927, 2 vol., 334 et 375 p. ; ZELENIN D.K., « Bibliograficeskij ukazatel' russkoj etnograficeskoj literatury, 1700-1910 » (Guide bibliographique de la littérature ethnographique russe, 1700-1910), Zap. Russ. Geograf. Obsc., 40, 1913, 733 p. 1. Ouvrages

et études

en langues

occidentales.

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BALLARD

BUXTON

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Villages en

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LAPTEV J . ,

développement

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MIGLIOTI G . , 1 9 1 p.

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PASCAL P . ,

2. Ouvrages et études en langue russe. « V kirgizskih kolkhozah Tjan'Sana » (Dans les kolkhozes kirghiz du Tjan'San), Sovetskaja Etnografica, 1949, 4, pp. 55-75 (villages formés par la sédentarisation de pasteurs kirghiz).

ABRAMZON S . M . ,

ABRAMZON S . M . , ANTIPINA K . I . , VASIL'EVA G . P . , SULAJMANOV D . , Byt kolhoznikov kirgizskih

MAHOVA

E.I.,

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Villages d'Europe et du Moyen-Orient

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BEREZOVSKIJ F . A . ,

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DOLGIC B . O . ,

DOROS

M.J., Sovremennaja derevnja (Le village d'aujourd'hui). Leningrad, 1925, 212 p. (monographie du village de Gadyc, prov. de Novgorod ; l'une des meilleures études pour les années de la NEP).

FENOMENOV

GOLUBYS M . , SIROKOVSKIJ P . , Hozjastvo,

trud i byt sel'skohoz

ar-

teli « Novyj put' » (L'activité économique et le genre de vie de l'artel agricole « La voie nouvelle », dans l'Oural). Sverdlovsk, 1930, 317 p. IL'EV

L., PETROV V . , « Novaja zizn sovetskogo sela » (La vie nouvelle du village soviétique), Vestnik Statistiki, 1967, 10, pp. 71-76 (monographie du village de Stadnica, prov. de Voronez).

JAKOVLEV J., Derevnja kak ona est', Ocerki Nikol'skoj volosti (Le village tel qu'il est. Essai sur la commune de Nikol'sk). Moscou, 1923. Kolhoz skola kommunizma dlja krest'janstva (Le kolkoze, école du communisme pour la paysannerie). Moscou, Mysl', 1965 (étude monographique du kolkhoze « Rossija », région de Stavropol').

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Kopanka

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développement

25 let spustja (Le village de Kopanka 25 ans après). Moscou, 1965 (étude d'un village moldave qui avait fait l'objet d'une enquête par D. Gusti avant la Deuxième Guerre mondiale).

KORBE O.A., « Kul'tura i byt kazahskogo aula » (La culture et le genre de vie d'un kolkhoze-aul kazakh), Sovelskaja Etnografija, 1950, 4, pp. 67-92. Kubanskie stanicy (Les villages cosaques du Kuban). Moscou, Nauka, 1967, 356 p. (enquête effectuée par l'Institut d'Ethnographie de 1958 à 1964 dans 28 localités, principalement les stanicy Platnirov, Mihailovo, Nova-Ukraina, Staro-Mvsastovo, soit au total 3.549 familles). Kul'tura i byt kolhoznogo krest'janstva Adygejskoj avtonomnoj oblasti (La culture et le genre de vie de la paysannerie kolkhozienne de la province autonome d'Adygej). Moscou, 1964. « Kul'tura i byt kolhozov L'vovskoj oblasti » (La culture et le genre de vie des kolkhozes de la province de L'vov), Sovetskaja Etnografija, 1950, 4, pp. 132-149. Selo Marfino (Le village de Marfino). Moscou, Moskovskij Rabocij, 1940, 80 p.

LYNSKIJ V . ,

MASLOVA G.S., « Kul'tura i byt odnogo kolhoza Podmoskov'ja » (La culture et le genre de vie d'un kolkhoze de la province de Moscou), Sovetskaja Etnografija, 1951, 1 (village de Dedino, district de Kolomna). NIKOLAEV N.F., « Rost socialisticeskoj kul'tury Moldavan sela Zury, Rybnitskij rajon, Moldavskoj S.S.R. » (L'évolution de la culture socialiste des Moldaves du village de Zury, district de Rybnitsa, R.S.S. de Moldavie), Sovetskaja Etnografija, 1951, 2, pp. 73-85. NIKOL'SKAJA Z.A., « Etnograficeskoe opisanie Darginskogo kolhoza 'Krasnyj partizan' » (Description ethnographique du kolkhoze « Partisan rouge » de Dargin), Sovetskaja Etnografija, 1950, 2, pp. 93-107 (village du Daghestan). Ob istoriceskih peremenah na sele Bugaevka (Les changements historiques du village de Bugaevka). Poltava, Poltavsk. Sel'skohoz Institut, 1959, Travaux 6 (monographies de trois localités, Bugaevka, Tutskovo, Sljuzivka, de la province de Poltava). PROZOROV P.A., Vcera i segodnja Vjatskoj derevni (Le passé et le présent d'un village de ia province de Vjatka). Sovetskaja Rossija, 1958, 72 p.

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E.S., Selo Bugarovo (Le village de Bugarovo). Moscou, Trudy Obsc. izucenija Moskovskoj oblasti, 3, 1929 (village du district de Vozkresenskoe, prov. de Moscou).

RADCENKO

Rjazanskoe selo Korablino (Le village de Korablino, prov. de Rjazan'). Rjazan', Rjazanskij Gosud. Pedag. Institut, 1957, Ucenye zapiski 18, 450 p. (enquête effectuée en 1955 auprès de 336 familles). A.M., Kul'tura byt russkogo naselenija Priangarija (La culture et le genre de vie de la population russe de la région de l'Angara supérieur). Moscou, Nauka, 1957, 280 p. (étude de 17 villages autour de Bratsk et du district de Kezma, en Sibérie).

SABUROVA

Selo Virjatino w proslom i nastojascem (Le village de Virjatino hier et aujourd'hui). Moscou, Institut Etnografij, 1958, travaux 41, 278 p. (une des meilleures monographies d'après-guerre sur un village de la province de Tambov dans les années 1954-1956 ; une traduction anglaise de cet ouvrage est en préparation aux États-Unis). V., Kaplja rosy (La goutte de rosée). Moscou, 1959, 125 p. (carnet de notes sur 36 familles composant le village d'Olepino, prov. de Vladimir ; traduit en français chez Stock sous le même titre).

SOLOUHIN

Sovremennoe Abhazskoe selo. Etnograficeskie ocerki (Le village abhaze aujourd'hui. Étude ethnographique). Tbilisi, 1967, 230 p. SUVAEV K.M., Staraja i novaja derevnja (Le village ancien et nouveau). Moscou, 1937, 346 p. (étude des changements des villages de Novozivotnoe et Mohovatka, région de Birjuzovo, prov. de Voronez). L.N., Kolhoznoe krest'janstvo Latvii (La paysannerie kolkhozienne de Lettonie). Moscou, Institut Etnografij, 1960, Travaux 59, 370 p. (étude de trois kolkhozes de la région d'Ekabpils en 1958-1959).

TERENT'EVA

A., ARBATOV J., « Bol'soe v malom » (L'important dans ce qui paraît petit), Kommunist, 1960, 4, pp. 27-37 et 1960, 5, pp. 45-59 (étude sur la paysannerie du district de Ves' egonsk, prov. de Kalinin, spécialisé dans la culture du lin).

TODORSKIJ

Trud i byt v kolhozah (Le travail et la vie dans les kolkhozes). Moscou, 1931 (recueil d'études, dont les monographies de Duisbur sur le kolkhoze « Octobre » en Biélorussie et de Togen sur la commune finnoise « Trud »).

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développement

VAJNSTEJN S.I., « Kul'tura i byt ketskogo kolhoza imeni Stalina » (La culture et le genre de vie d'un kolkhoze ket), Kratkie soobscenija lnstituta Etnografij, 1950, 11, pp. 60-70 (monographie d'un kolkhoze de chasseurs et éleveurs-paysans ostjaks de l'Ienisseï). St. B., Selo i derevnja severo-vostocnoj Rossii (Le village de la Russie du Nord-Est). Moscou, 1936, 165 p.

VESELOVSKIJ

VISNJAUSKAJTE A., « Byt i kul'tura kolhoznikov Sjaulajskoj oblasti Litovskoj S.S.R. (Le genre de vie et la culture des kolkhoziens de la province de Sjaulaj, Lithuanie), Sovetskaja Etnografija, 1952, 4, pp. 170-174. Voronezskaja derevnja (Le village de la province de Voronez). Voronez, 1926, 2 vol., 175 et 40 p. (monographie de la sloboda de Roven'ki et de la volost' de Bolseverej). ZDANKO T.A., « Byt karakalpakskogo-kolhoznogo aula » (Genre de vie d'un village-aul de kolkhoziens karakalpaks), Sovetskaja Etnografija, 1949, 2, pp. 35-59 (Sibérie orientale).

Henri DESROCHE Zvi GAT

LES INSTITUTIONS VILLAGEOISES ET INTER-VILLAGEOISES DANS LES VILLAGES COOPÉRATIFS ISRAÉLIENS (MOCHAVIM) (*) Ce village coopératif qu'est le rnochav présente, en gros, deux caractéristiques. La première c'est que, une fois mis en route, il se présente à la fois comme une commune villageoise coopératisée et comme une coopérative agricole villagisée ou, si l'on veut, commercialisée. La seconde est que sa période d'autonomie est précédée par une période sous tutelle, la planification de la tutelle ayant précisément pour objectif la mise en route de l'autonomie. Dans le changement de statut qui s'accomplit entre la période de fondation sous tutelle et la période d'autonomie, les institutions de fondation s'engrènent ainsi sur des institutions de fonctionnement. Il est difficile cependant de discerner nettement ces dernières des quatre institutions précédentes déjà analysées ('). L'une, le S.F.N., demeure propriétaire de la terre défrichée, viabilisée, concédée, et, à ce titre, continue de percevoir ses droits au bail. L'autre, la T.N.O.U.V.A., si elle retire ses madrihim, n'entretient pas moins des relations accrues avec les villages. Seul, le Département de Développement de l'Agence Juive (D.D.A.J.) passe la main et se retire soit au profit des institutions inter-mochaviques, son hétérogestion s'échangeant contre leur cogestion, soit en échangeant sa tutelle contre des conventionnements entre villages et Ministère de l'Agriculture (M.A.) ( 2 ). D'au* Extrait de l'ouvrage intitulé Opération rnochav : d'un développement des villages à une villagisation du développement, Paris, Ed. Cujas, sous presse. (1) Ces quatre institutions, analysées par ailleurs, sont respectivement le Service Foncier National (S.F.N.), la Fédération des Mochavim (T.N.O.U.V.A.), le Département de Développement de l'Agence Juive (D.D.J.A.) et le Ministère de l'Agriculture (MA.). (2) Le dépérissement du personnel du D.D.A.J. signale l'ampleur de cette rétrocession (personnel diminuant de 1.482 à 778 pour une population de villages diminuant de 480 à 300).

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tre part, ce que nous classerons maintenant comme institutions de fonctionnement aura fonctionné déjà dans la période de fondation si nous comprenons cette période comme étant la période sous tutelle, qui peut durer une dizaine d'années ou même davantage. Ainsi, si certaines institutions « de fondation » se survivent après la période de fondation, d'autres institutions de fonctionnement « fonctionnent » déjà avant la période d'« autonomie »... C'est dire que ces deux types d'institutions s'enchevêtrent et qu'à aucun moment ni les premières — qui sont plutôt de télégestion — ni les secondes — qui sont plutôt d'autogestion — ne cessent de s'arcbouter les unes sur les autres. C'est pourquoi il est temps d'en venir à la présentation d'un organigramme général. Celui qu'on a conçu (cf. infra, p. 357, tableau I I I ) se réfère aux distinctions maintenant classiques ( 3 ) des trois secteurs de l'intégration : le secteur d'amont, le secteur central, le secteur d'aval. En appliquant cette grille au cas israélien on constate qu'elle permet à peu près de « placer » les si nombreuses agences d'intervention — dans les fondations ou/et dans le fonctionnement — et de suivre les méandres de leurs filières ou les emboîtements de leurs points d'impact. De même que chaque ferme n'est qu'un atelier familial relativement autonome de l'unité mochavique et de ses institutions villageoises, chaque village n'est lui-même qu'un atelier collectif lui aussi relativement autonome dans le corsetage complexe des institutions inter-mochaviques, para-mochaviques ou méta-mochaviques. Ce sont ces institutions que nous devons maintenant examiner ; les sinuosités d'un tel examen demandent à être suivies à l'aide du fil d'Ariane que, espérons-le, constitue l'organigramme ci-après. I.

INSTITUTIONS VILLAGEOISES AU MOCHAV.

Du point de vue administratif, le mochav s'identifie à une société coopérative enregistrée par le Ministère du Travail moyennant des statuts reconnus par ce Ministère et conformes à la législation coopérative, moyennant également contrôle exercé par une société de contrôle relevant de l'Histadrout, selon que le mochav se rattache ou non à cette centrale syndicale. Pour la gestion de ses affaires il dispose d'institutions internes (cf. tableau I ) : l'Assemblée Générale annuelle (Azeifa Klalit) qui élit un Conseil d'Administration (la Moatza) de quinze à dix-sept membres, lequel élit lui-même ( 4 ) un (3) Cf. B. ROSIER, Structures agricoles et développement

économique, Paris-

La Haye, Mouton, 1969, 412 p. (4) A moins que cette élection ne soit assumée directement par l'Assemblée Nationale.

Villages d'Europe et du Moyen-Orient

TABLEAU I.

Organisation du village.

341

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Comité de Direction (Vaad) de sept membres environ. Ce Comité de Direction désigne ( 5 ) un secrétariat de deux à trois membres — ce triumvirat qu'est le Mazkirout se chargeant de relater les élections dans les journaux d'annonces légales. Le président du Vaad fait souvent partie du Mazkirout, mais ce dernier, pour le poste comptable, peut aussi faire appel à un ou des technicien(s) salarié(s), étrangers) au mochav ( 6 ). Permanents : au moins le comptable et au moins un des deux autres secrétaires faisant fonction de trésorier. Ces deux secrétaires sont spécialisés : l'un dans les affaires extérieures — relations entre le mochav et les autres institutions inter-, para- ou métamochaviques, selon l'écheveau déjà présenté —, l'autre dans les affaires intérieures — organisation du travail, contrôle des opérations collectives et familiales, etc. Ces effectifs sont un minimum. Dans les mochavim plus importants ou mieux gérés, le secrétariat implique toute une petite équipe nécessaire, au demeurant, s'il s'agit de suivre une comptabilité analytique, non seulement ferme par ferme, mais branche par branche et même parcelle par parcelle. Les rythmes des réunions sont naturellement variables : cinq à sept fois par an pour le Conseil (Moatza), deux fois par an pour le Vaad, une fois par semaine obligatoirement pour le Mazkirout sous la direction du président du Vaad. Vient ensuite toute une gamme de commissions dont la nomenclature peut être consultée sur l'organigramme (cf. tableau I). Ces commissions sont préparées à l'instigation du Vaad, mais la participation des Haverim y est purement volontaire, ce qui ne les empêche pas, une fois formées, d'avoir valeur institutionnelle et même force de décision. Dans certains cas même, et en particulier celui des affaires municipales, elles gèrent elles-mêmes un budget propre qui leur est attribué dans la programmation annuelle. La vitalité et le nombre de ces commissions sont variables. Tout dépend souvent du dynamisme et de l'initiative de leur président. Certaines sont très actives et font preuve d'esprit d'invention. D'autres sont mornes ou déliquescentes. Ces institutions ne se mettent que progressivement en place au cours des premières années. Dans cette période d'initiation, les premiers rôles sont joués par le ou les moniteurs (madrihim), y compris le rôle qui leur échoit d'avoir à susciter et à accélérer cette institutionnalisation démocratique interne. Au débouché de cette initiation, le premier rôle est assumé par le secrétariat. C'est à lui qu'on s'adresse (5) A moins que le Conseil (Moatza) ne le fasse lui-même dans le cas, en particulier, où Vaad et Mazkirout se trouvent confondus du fait de la petite taille du mochav. (6) On a vu que dans un mochav (M 10) les membres préféraient un secrétariat formé entièrement de non-mochavniks. Cette embauche extérieure n'est pas inhabituelle.

Villages d'Europe et du Moyen-Orient

343

pour lui présenter doléances, revendications, suggestions, voeux et recommandations, etc. A lui, soit de provoquer des commissions internes ad hoc, ou bien de présenter les dossiers auprès des instances extérieures spécialisées ou/et compétentes. Le financement de ces services d'autogestion économique et municipale, de même que le financement des services économiques internes d'approvisionnement, de ravitaillement ou d'écoulement, est assuré par la fiscalité intérieure au mochav. Le nombre et l'importance de ces impôts mochaviques varient de village à village. A ces institutions autogestionnaires du mochav revient en particulier la charge d'élaborer une micro-planification soit à l'aller, en rassemblant et en nouant les besoins exprimés ( 7 ), soit au retour en projetant sur l'éventail des fermes les prescriptions globales adressées au village. La question est particulièrement délicate lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre dans le détail les quotas obtenus (quotas d'eau, de poulets, etc.). Au reçu de ces prescriptions, de ces offres ou de ces attributions, celles-ci sont affichées dans le mochav et il appartient au secrétariat d'arbitrer les discussions qui ne manquent pas d'être serrées ( 8 ), l'exercice annuel dépendant largement du système d'ouverture ou du système de contrainte proposé ou imposé à chaque ferme. En général, nous le verrons, il y a dépassement des quotas alloués mais ce n'est pas une surprise, on s'y attend de part et d'autre et tacitement on sait jusqu'à quel point il ne faut pas aller — une marge de 5 à 10 % n'est pas pénalisée ( 9 ) ; c'est ce qu'on appelle « le blanchissage des surplus ». De même le mochav joue le rôle d'intermédiaire obligé avec le service technique d'approvisionnement de semences ou de matériel lourd : par exemple, les commandes sont groupées, à moins qu'il ne s'agisse de matériel déjà stocké prévisionnellement dans les entrepôts du village. De même pour la collecte dans laquelle le service (ou la commission) contrôle le rythme de livraisons familiales d'après les quotas qui ont été alloués à cette famille. De même pour le contrôle comptable de chaque gestion fermière. Des gestions approximatives ou médiocres menaçant certaines fermes de stagnation ou d'enlisement, le D.D.A.J. a pris, depuis plusieurs années, l'initiative d'un service spécial de contrôle et de dépannage, prenant sous sa coupe toute la politique fermière d'emprunts, de productions, de livraisons, (7) Qui « montent » du niveau sous-régional au niveau régional, puis national, où le centre de planification les traite sur ordinateur. (8) Certaines branches sont plus avantageuses ou plus avantagées (subven tion) que d'autres : des planchers s'imposent pour assurer le plein emploi de tels ou tels équipements ; les « combinaisons » sont mieux venues avec tels quotas ou tels autres, etc. (9) Car la pénalité risquée est que les livraisons hors quota soient payées en dessous du prix garanti.

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et l'a enserré dans quelque chose comme un recyclage gestionnaire. Toute une série de mochavim entrèrent ainsi dans ce qu'on nomme « le club des mochavim contrôlés » ; les résultats, semble-t-il, furent d'ailleurs si bénéfiques que même des mochavim à gestion plus saine demandèrent à s'intégrer au « club ». Entraînés par cette initiative, des mochavim jouent ainsi de plus en plus, vis-à-vis de leurs fermes, un rôle de centrale de gestion ( 1 0 ). Le mochav n'est pas seulement le sujet d'un contrôle économique. Il est aussi le siège d'un contrôle social spontané et pas seulement par le biais des différentes commissions ou celui de l'entraide mutuelle. Une censure explicite ou implicite s'exerce à l'encontre du villageois jugé en faute ou du moins en inadaptation. Une commission locale d'arbitrage peut l'inciter à s'amender. A la suite, le moniteur ou le secrétaire peut en appeler à une commission de la fédération pour trancher le litige, y compris par l'éviction du de cujus. Il y a eu quelques cas qui sont allés jusqu'à l'intervention des tribunaux. Parfois il s'agit moins de dissidence individuelle que de dissensions collectives ; celles-ci ont pu être nourries par les antagonismes traditionnels de classes ou de lignages importés avec les groupes en présence et envenimés par l'entassement dans une microsociété qui, faute de communications extérieures, et dans l'usure d'un ingrat attachement à la glèbe, incubait tous les maléfices d'une société. Le contrôle éminent du mochav s'exerce à la fois sur le plan économique et sur le plan social dans le cas de transfert d'une ferme d'un tenancier à un autre. En cas de départ, en effet, le partant ne négocie le transfert de sa ferme avec son successeur que si ce successeur est agréé par le mochav. Une commission d'évaluation formée par le mochav ou, le cas échéant, nommée par la fédération, discerne les plus-values incorporées au fonds par le travail du Haver, mesure dans cet actif brut ce qui est, déduction faite des dettes flottantes, l'actif net, enquête sur le nouveau candidat, sa solvabilité et, si l'on peut dire, sa « mochavité », et contresigne la transaction. En général, si les départs ont pu être nombreux, les candidats n'ont pas été moins nombreux : ils se trouvent parmi les nouveaux venus d'un autre mochav, du kibboutz, du chitoufi ou de la ville ou de l'émigration ; ils se trouvent aussi parfois parmi des membres techniciens jusque-là résidents et souvent parmi des amis ou des parents des familles déjà installées, à commencer par leur deuxième ou troisième génération. L'accession à une ferme n'est pas la seule voie d'intégration au mochav. Il y a la voie du membership comme membre résident au (10) Comme on le voit, les contrôles ne manquent pas au mochav : contrôle comptable du Vaad et Bikoret sur-contrôlé par l'Union Comptable de l'Histadrout, contrôle technique de la Maskirout avec sur-contrôle éventuel. Il y a même un autre service de contrôle créé au Ministère de l'Agriculture.

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titre d'une fonction non agricole exercée dans un service ou dans un autre ( " ) . La plus grande souplesse d'interprétation semble prévaloir ou, du moins, avoir prévalu. Résidents sans ferme ; résidents avec mini-ferme ; fermiers cumulant les travaux de la ferme avec un métier hors ferme dans le mochav ou hors mochav ; double appartenance, un membre de la famille cultivant la ferme et un autre membre exerçant une fonction qui amène au foyer un second salaire, etc. La question des droits des membres résidents semble elle aussi fluctuante : tantôt droits égaux à ceux des membres fermiers ; tantôt égalité de droits (dans les affaires municipales) conjuguée à une inégalité de droits dans la gestion de la coopérative agricole ( , 2 ) ; tantôt droits aussi divers que ceux d'employeurs face à des employés. Ce qui introduit la question des devoirs respectifs dans un ensemble dont on discute toujours s'il s'agit d'une coopérative à base d'adhésions volontaires ou d'une commune à base d'enregistrement administratif. Tout ce système institutionnel est plutôt un thème général sur lequel chaque mochav brode ses variations. Voici deux exemples. M. X a été fondé au début des années 1930 et en 1950 il s'est élargi pour accueillir et parrainer un mochav B. De 48 familles il est ainsi passé à presque 100 fermes. Cette existence en partie double lui posait des problèmes d'unité et de différenciation résolus par lui de la manière suivante. L'assemblée générale annuelle élit un conseil de 12 membres, 6 du mochav A, c'est-à-dire du mochav parrain, 6 du mochav B, c'est-à-dire du mochav filleul. Parmi eux, le conseil choisit alors un secrétariat de 4 membres qui sont également répartis : 2 de M.A. et 2 de M.B. A ce secrétariat se trouvent adjoints des techniciens salariés dont l'un est membre de M.A. M. Y. est un mochav de deuxième génération issu de mochavim vétérans. Comme les élections en assemblée générale, sous leur forme classique, n'étaient pas sans rencontrer une certaine indifférence, cette assemblée générale nomme un comité électoral — 3 personnes ad hoc — qui préparent les listes, proposant par poste — moyennant démarches préalables auprès des intéressés — trois fois autant de noms qu'il y a de postes à pourvoir pour les comités ou les commissions. Dans ce mochav, le secrétariat demande un poste et demi (11) Encore qu'il faille distinguer les fonctions internes au mochav et les fonctions externes, même si elles impliquent résidence dans le mochav : l'instituteur, par exemple, est un fonctionnaire de l'Éducation Nationale, l'infir mière fonctionnaire de la Kupat Holim (caisse des malades), le moniteur fait partie, administrativement, du D.D.A.J. ; même les gardiens sont en partie rémunérés par le Ministère de la Défense. Plusieurs autres postes sont en outre portés au compte du Conseil Régional. (12) D'après les réponses reçues, ce serait là la solution la plus généralement pratiquée, les résidents étant inclus à part entière dans la cogestion municipale, mais exclus, sauf exception, de la cogestion coopérative agricole.

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de permanents salariés. Planifié pour 80 unités fermières, il en a obtenu 60 seulement qui sont achevées et, sur ce nombre, 52 sont occupées. Ce mochav nous livre aussi un échantillon de la fiscalité mochavique. Il y a d'abord les impôts municipaux : de l'ordre de 110 L . I . par mois et par membre fermier. Ce qui est énorme ( 1 3 ) ; il est réduit à 55 L . I . pour les membres résidents non fermiers. Viennent ensuite les impôts au conseil régional calculés d'après la superficie totale du mochav : ils équivalent ici à 100 livres par famille et par an. C'est peu : ceci tient au fait que ce mochav relève d'un conseil régional « religieux », c'est-à-dire formé de mochavim appartenant aux fédérations religieuses. M. Y., étant laïc, voudrait bien passer au conseil régional voisin qui est de sa couleur, mais s'il le fait, sa cotisation doublera. La vie sécularisée coûte plus cher que la vie religieuse ! M. Y . paie également une cotisation à la T.N.O.U.V.A. de l'ordre de 30 L . I . par membre et par an. Ce n'est guère ; c'était du moins l'avis de l'appareil de la T.N.O.U.V.A. qui a tenté de mettre en vigueur la perception d'un impôt à la source en prélevant 1 %o du chiffre d'affaires des Irgounei Kniot (cf. infra). Mais la contestation de la base a fait renoncer à cette initiative. Par contre, on paie aussi au N.I.R. (Le Sillon), organe de l'Histadrout pour les coopératives agricoles. Peu, il est vrai, 10 L . I . par membre et par an. Les impôts enfin ne dispensent ni ne préjugent des différentes taxes à la production ; celles-ci vont aux offices de production et d'écoulement via la T.N.O.U.V.A., les Irgounei Kniot ou les grossistes ou, éventuellement, aux organisations techniques de producteurs relevant de la section agricole de l'Histadrout. Ainsi, 10 agorot par kg sur la viande de dinde, 42 L . I . par tonne sur les pêches, 37 L.I. par tonne sur les poires, 0,75 % sur le lait ( , 4 ) , etc. Comme on le voit, les institutions ou procédures ci-dessus décrites ne sont qu'un schéma assez formel, soumis à de nombreuses et complexes variations selon les traditions ou les initiatives de (13) Pratiquement plus élevé que le montant des remboursements au D.D.A.J. pour ses investissements. Le fait s'explique par les nombreux postes sociaux et culturels qui pèsent sur un nombre finalement restreint de contribuables (55 fermes). Ce sont des faits de ce genre qui militent pour le transfert des services soit au regroupement de villages, soit au Conseil Régional. A remarquer que ces impôts égaux pour tous — sauf la différenciation entre fermiers et résidents — représentent une certaine péréquation avec une socialisation des services. Pour certains cependant (vg. spectacles), l'usager acquitte un droit modique (ticket d'entrée) mais l'essentiel de la charge est supporté par la collectivité sur les fonds de ces prélèvements égalitaires. Pour d'autres services (vg. crèche) l'usage est au contraire gratuit, ce qui conduit les familles sans enfant à payer pour les enfants des autres. (14) Dont une partie bloquée sert à constituer les parts sociales à la T.N.O.U.V.A.

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chaque village. Seul épuiserait cette société un nombre de monographies égal à celui des mochavim. Et jusqu'à maintenant, personne ni même aucune institution ne s'est adonné à cet exercice encyclopédique. Une seule monographie, celle d'un mochav marocain, a demandé à A. Weingrod ( , 5 ) un an et demi d'observation participante. Le titre même de l'ouvrage « pionniers bon gré, mal gré », « pionniers à leur corps défendant », laisse déjà supposer que les schémas du D.D.A.J. ne se sont pas imprimés sur les mentalités de ces colons comme fer chaud dans la cire molle : « les émigrants n'avaient jamais rêvé « de conquérir le désert » et ils n'avaient pas le moindre désir de devenir partie intégrante d'une nouvelle génération de fermiers juifs. Mal préparés à leurs nouveaux rôles, ils ne comprenaient guère les plans et les idéaux qu'on échaffaudait sur leurs vies. Eux pas plus que d'autres n'entendaient devenir pionniers. Et pourtant, en fait, c'est là le rôle qu'ils assumèrent. » ( 16 ) Cette analyse vaut sans doute pour mainte autre immigration et maint autre village ; nous avons déjà souligné à quel point les planifiés peuvent être réfractaires aux planifiants, à commencer par les moniteurs chargés de la mise en œuvre de cette planification. Et pourtant, sauf exception et moyennant un contingent d'abandons qu'on ne doit pas sous-estimer, planifiants et planifiés parviennent non pas à s'adopter mais à se réinterpréter les uns les autres jusqu'au point où chacun finit par jouer les rôles que leur attribuera cette réinterprétation mutuelle. Le principe anthropologique de la réinterprétation ( , 7 ) pourrait, en effet, se résumer dans l'axiome « on ne s'adopte qu'en s'adaptant ». Dans le cas décrit, on le voit bien, les planifiés n'adoptent les planifiants qu'en les adaptant et les planifiants ne s'adaptent aux planifiés qu'en les adoptant. Ainsi les divers schémas institutionnels du mochav sont-ils, selon les expériences, soumis à cette réinterprétation permanente, celle qui fait déclarer — à peu près — à Weingrod : « les moniteurs cherchaient à sublimer les idéaux des fermiers dans la morale du système mochavique. C'est le processus à peu près inverse qui se produisit : ce furent les fermiers qui changèrent le système mochavique pour le mouler sur leurs propres idéaux. » ( 18 ) Mais y eut-il jamais un développement, et surtout un développement villageois, selon une autre logique, cette logique fut-elle paradoxale ? (15) A. WEINGROD, Reluctant pioneers : village development in Israël, Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 1966, 213 p. (16) Ibid., p. viii. (17) Ibid., chap. VII : « Reciprocal change...», p. 143 et suiv., et la définition reprise de M.J. HERSKOVITZ, Cultural anthropology (p. 263) : « the process by which old meanings are ascribed to new elements or by which new values change the cultural significance of the old forms », définition qui demanderait sans doute à être mise en perspective réciproque. (18) Ibid., p. 156.

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II.

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INSTITUTIONS INTER-VILLAGEOISES DES MOCHAVIM.

Dans les institutions villageoises du mochav on aura remarqué la grande parenté avec les institutions des sociétés coopératives classiques. Assemblée Générale, Conseil d'Administration, Comité de Direction, équipe conjointe de gestionnaires embauchés... Seules l'identification ou la semi-identification — dans un seul et même mochav — d'une coopérative économique et d'une municipalité géographique d'une part, et, d'autre part, le jeu organique et décentralisé des commissions introduisent des écarts, d'ailleurs notables. Cette parenté avec le coopératisme classique se poursuit dans ce que celui-ci nomme ses processus du deuxième degré : processus au cours desquels le système des rapports institués entre une société locale et ses sociétaires se promeut en un système de rapports entre ces sociétés locales et des organismes fédératifs ; les mêmes règles de sociétariat se transfèrent des personnes physiques que sont les sociétaires aux personnes morales que sont leurs sociétés. C'est bien le jeu, en effet, qu'on peut retenir dans la promotion des institutions inter-mochaviques. Trois peuvent être retenues : 1. Les fédérations mochaviques, et la plus importante d'entre elles, la T.N.O.U.V.A. Hamocavim. C'est aussi la plus ancienne des institutions inter-mochaviques puisque son histoire — mouvementée — remonte aux années 1930 et que sa préhistoire — non moins mouvementée — coïncide avec l'essor des premiers mochavim et des « organisations » qui gravitent autour d'eux. 2. Les ïrgounei Kniot, de fondation récente mais, semble-t-il, voués à devenir les pôles régionaux de complexes coopératifs agricoles, soit sur la base des réseaux kibboutziques, soit sur la base des réseaux mochaviques, soit sur une base mixte. 3. Les Conseils Régionaux, pôles de développement écologique, qui représentent quelque chose comme une commune des communes, si on veut bien attribuer au mochav cette qualité communaliste, soit en tout cas une unité de micro-aménagement du territoire. Ils ne sont pas spécifiquement inter-mochaviques, encore que, dans certains d'entre eux, les mochavim occupent une position dominante. Nous ne traiterons ici que de cette troisième institution. 1. Le quadrillage des Conseils Régionaux. C'est une institution récente puisqu'elle date de la dernière décennie. Elle quadrille maintenant l'ensemble de l'écologie villageoise puisqu'elle regroupe dans ses 47 périmètres l'ensemble des mochavim, la totalité des kibboutzim et quelque 180 « aggloméra-

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rations » qui représentent d'autres formes de villages, d'entreprises ou d'institutions. Ce n'est donc une institution inter-mochavique qu'au sens large car, si la grande majorité des mochavim s'y retrouve, elle s'y retrouve la plupart du temps avec d'autres villages d'un autre type (sauf une exception, Hayarkon, où les 7 villages composant le conseil sont également 7 mochavim). Cependant les mochavim ovdim sont en majorité, et parfois assez large, dans 23 conseils sur 47, à égalité avec les kibboutzim dans deux conseils ( " ) , tandis que, pour les autres, les majorités sont détenues par les kibboutzim dans 17 conseils et par les autres agglomérations dans 5 conseils (cf. page suivante, tableau II). L'analyse du tableau montre que, s'il y a des « empires » kibboutziques (Emek Hayarden, Shaar Haneguev, Hagalil, Hael'Yon...), il y a aussi des empires mochaviques : Mate-Yeouda avec 37 mochavim, Emek Hefer avec 28 mochavim, Beer-Touvia avec 17 mochavim... Dans cinq cas seulement un mochav est esseulé dans son conseil... Du reste la diversité typologique des membres n'obère pas sa cohésion, au contraire, besoins communs et entreprises communes font du conseil un melting pot de cette diversité typologique à la manière dont le mochav lui-même ou le regroupement des villages ont été un melting pot de la diversité culturelle et ethnique. Si les Irgounei Kniot sont en passe de devenir un complexe coopératif économique, les Conseils Régionaux sont déjà devenus un complexe coopératif géographique, une unité autogérée de microplanification et de micro-aménagement du territoire. Leurs rôles primordialement sociaux et écologiques ne les empêchent d'ailleurs pas de se lancer dans des rôles économiques pour lesquels ils instaurent cette partie de l'économie collective qu'est une économie communaliste. Communaliste ! Il s'agit en effet d'une commune regroupée, une « commune de développement » en laquelle les tâches ou les équipements municipaux des collectivités mochaviques — ou kibboutziques — se trouvent, à l'instigation des mochavim eux-mêmes, transférés, situés, intégrés à un niveau inter-villageois sans que pour autant la constitution d'un tel niveau implique l'institution sur lui d'une tutelle étatique supplémentaire, et d'autre part sans que cette absence de tutelle supplémentaire implique pour autant absence de soutien complémentaire singulièrement bienvenu pour le budget. Quelque chose comme l'instauration d'une participation régionaliste ou micro-régionaliste. Mais plutôt que de gloser de l'extérieur, une présentation et un commentaire d'un Conseil Régional particulier feront entrer dans le vif de cette institution. (19) Et dans ces deux cas l'adjonction des mochavim chitoufiyim faisant pencher la balance du côté mochavique.

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TABLEAU

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II

Liste des Conseils Régionaux et types de leurs villages-membres on S O

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i 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47

ONO ALONA BEER-TOUVIA BNEI-SHIMON BIK'AT BEIT-SHEAN .. BRENNER GEDEROT GUEZER GAN-RAVE GAATON HAGILBOA HAGALIL-HAEL' YON . HAGALIL-HATAHTON . HADAR-HASHARON . . . HAYARKON HASHARON-HATZFONY HASHARON-HATIHON ZEVOULUN HEVEL-EYLOT HEVEL-YAVNE HEVEL-MAON HOFF-ASHKELON HOFF-HACARMEL HOFF-HASHARON YOAV IZRAÊL LACHISH MEGUIDO MODIYIM MATE-YE HOUDA MENASHE MAALE HAGALIL MIF'ALOT AFEK MEROM HAGALIL MERHAVIM NAHAL SHOREK NAAMAN SOULAM-TZOUR AZATA EMEK HÁYÁRDÉN ".!!'. EMEK HEFER EMEK LOD KISHON RAMAT NEGUEV SHAAR HANEGUEN . . . SHAFIR TAMAR

17 4 5 4 6 14 6 4

1 6 13 2

8 7 7 7 7 6

23

12

2

2 3 8

8 6 3 5 2 15 37 5 13 5 11 14 2 1 12

1 27

1 10 1

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2

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12

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2. Entretiens dans un Conseil Régional. Il s'agit de celui où d'autres entretiens dans un mochav de son obédience ont relevé une tendance individualiste au niveau local. L'analyse de ce Conseil fait apparaître au contraire, à son niveau, une tendance à la socialisation des services, des équipements, voire des entreprises. Tout se passe comme si cette tendance socialisante n'avait pu trouver son lieu et son espace sociologiques qu'à cet échelon et dans ce cadre. L'entretien ( 20 ) se déroule avec le président de ce Conseil Régional qui est en même temps le président de l'individualiste mochav analysé par ailleurs. Population: 18 mochavim ( 21 ), 1 mochav chitoufi, 1 kibboutz, soit 20 villages, s'y ajoutent deux centres ruraux, deux centres industriels, un centre culturel. C'est cet ensemble qui forme le Conseil Régional « Municipal », quelque chose comme un Conseil Cantonal, espèce de commune polycentrique à 20 + 2 + 2 + 1 = 25 antennes. Chaque village élit un délégué au Conseil Régional. L'assemblée des délégués choisit un président et son adjoint ainsi qu'une direction. Ils forment, en outre, des comités ; comité d'Instruction, comité de l'Aide Sociale... En général, chaque membre de l'assemblée fait partie d'au moins une commission. Les élections se font tous les quatre ans. Sauf exceptions, chacun continue à assumer son travail agricole habituel. Après avoir esquissé sur un papier la carte de sa circonscription, le président de ce Conseil Régional nous commente son « métier ». — Par exemple, moi, je suis président... je travaille à plein temps. — Mais votre ferme, pendant ce temps ? — Eh bien ! elle souffre. Je réduis au minimum... Je fais l'élevage des génisses. Je rentre chaque soir. J'ai une voiture. — Etes-vous payé pour votre travail de président ? — Naturellement. — Pourriez-vous prendre quelqu'un pour travailler dans votre ferme à votre place ? — Naturellement. Mais je ne veux pas. Le matin, avant de partir, je travaille. Le soir, quand je reviens, je travaille. Avant d'être président je faisais la production du lait, j'ai arrêté. Obligé ! Je dois entreprendre ce qui demande le moins de travail. — Y a-t-il longtemps que vous êtes président ? — Douze ans. On peut être réélu tous les quatre ans. — Aimez-vous ce travail ? — C'est agréable. Il faut s'occuper de problèmes différents. — Quelle est la population totale ? (20) Enregistré sur bande magnétique. (21) Dont un oscille entre le statut de mochav et celui d'une « autre agglomération ».

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— 10.000 habitants. — Comment s'organise le travail du Conseil ? — Nous avons décidé de prendre sur nous certaines fonctions : l'instruction publique, depuis le jardin d'enfants jusqu'au lycée. Tout ça est au compte du Conseil Régional et à ses frais. — A ses frais ? Non ! C'est l'Etat qui paye, tout de même ? — Pensez-vous ! l'Etat paye les instituteurs dans les écoles primaires. Les secrétaires, les concierges sont payés par le Conseil Régional et non par l'Etat. Ensuite, tous les professeurs (35 rien qu'au lycée) sont payés par le Conseil Régional. Il faut un gros budget. Celui du Conseil Régional est de 3.700.000 livres. Ainsi nous avons pris sur nous toute l'instruction. Nous avons pris aussi l'entretien des routes — routes intérieures et extérieures. Puis l'allumage... comment dites-vous, en français ?... l'éclairage des routes, l'aide sociale... quoi encore ? l'équipement sanitaire. — L'infirmerie ? — L'infirmerie c'est Kupat Holim mais on est en train de faire des infirmeries collectives ; il y aura dans les mochavim une infirmerie pour quatre villages. Les frais de ces infirmeries sont payés par Kupat Holim. Et nous, nous construisons. Il y a encore des travaux de démoustication, de dératisation, de lutte contre les puces des vaches... on vaporise les vaches deux fois par mois... Quoi encore ?... Oui ! toutes les activités culturelles et sportives sont à notre charge. Dans le centre culturel — là, sur la carte — nous transportons, trois ou quatre fois par semaine, tous les habitants des mochavim, les jeunes qui le désirent. — Le Conseil Régional a-t-il des entreprises économiques proprement dites en dehors des entreprises sociales et culturelles ? — Oui. Nous avons monté une société économique à côté du Conseil. 50 % des actions sont entre les mains du Conseil et 50 % entre les mains des mochavim de façon à ce que chaque mochav sente qu'il est associé. — C'est une société coopérative ? — Non, non, c'est une société par actions. Cette société a pris en charge les deux centres industriels. Elle s'occupe de leur développement... Nous avons aussi monté une coopérative avec d'autres Conseils Régionaux et des Irgounei Kniot, un abattoir coopératif inter-régional. C'est un abattoir spécial. On ne paie pas, on n'achète pas les bêtes, comme c'est l'habitude avec les chevillards. Chaque membre de mochav inscrit sa bête à l'abattoir, on vient prendre sa vache, on la tue, on la dépèce et le fermier reçoit son argent d'après le nombre de kilos de viande qu'il avait dans la bête. Il reçoit exactement le prix que l'on reçoit des bouchers, sauf, bien entendu, les frais de dépeçage... ici chaque éleveur a une action dans cet abattoir. Nous avons un moment monté une usine de glace pour conserver le lait, ici dans le centre industriel, au Nord. Puis il est arrivé que nous n'avions plus de surplus de lait. Alors nous avons revendu l'usine. Nous avons aussi acheté une usine à huile. Pas dans notre région, d'ailleurs. C'est pour traiter les grumeaux et en faire des aliments concentrés pour les vaches. Dans le centre industriel du Nord, en haut, nous avons l'usine qui prépare les concentrés pour le bétail et qui utilise pour cela les grumeaux traités par l'usine précédente. A part ça, nous avons monté un petit abattoir pour les poules. Le restece sont des garages, etc., mais c'est privé. — Combien d'employés, de techniciens travaillent dans ces deux installations industrielles ? — Environ 1.000 personnes. — Ils font partie des mochavim ? — Une partie seulement. Une autre partie vient d'un village de 10.000 habi-

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tants encastré dans le territoire du Conseil. Au début, il appartenait au Conseil. Maintenant il est devenu indépendant, parce que nos intérêts sont différents. Ça n'est pas un village agricole, c'est une petite ville. Ensuite, dans le centre industriel, en haut, nous avons une usine d'empaquetage d'oranges, parce qu'il y a beaucoup d'oranges dans notre région. Et maintenant il est question de monter là-bas un centre d'insémination artificielle et d'élevage de taureaux. — Qui a l'idée de toutes ces fondations ? — Nous. Nous discutons entre nous. Nous sommes indépendants. Nous faisons ce que nous voulons. Nous faisons aussi des bêtises. Quand ça arrive, alors on vient à la T.N.O.U.V.A. pour se faire dépanner... Dans une première phase le mochav représente la commune, mais dans la loi qui a suscité les Conseils Régionaux, le Conseil Régional est une sorte de fédération de communes. Chaque commune, je veux dire chaque mochav, est indépendant et a le droit d'entreprendre ce qu'il décide. Dans une deuxième phase, les Conseils Régionaux sont susceptibles d'assumer toutes affaires municipales, sauf l'éducation, à moins que le mochav ne décide lui-même de transférer ses entreprises éducatives au Conseil Régional : ceci afin d'éviter des frictions religieuses ou politiques car, chez nous, en général, les mochavim sont à base ou religieuse ou politique. Dans le cas où la majorité dans un Conseil Régional ne serait pas religieuse, un mochav qui, lui, serait religieux risquerait de souffrir si le transfert des tâches éducatives était automatique ou inversement. Notre Conseil Régional a assumé tous les services — y compris l'éducation. Naturellement j'ai été obligé de faire une ronde parmi tous les mochavim et de discuter avec la direction de chacun pour obtenir ce transfert de l'éducation à l'échelon régional. J'ai fait cela il y a six ou sept ans, et tous les mochavim ont accepté. Depuis ce jour, nous avons augmenté les taxes municipales. Les taxes sont prélevées sur chaque mochav selon le nombre d'habitants et de fermes. Grâce à cette augmentation de taxe et moyennant une augmentation de l'aide gouvernementale, nous avons pu faire face à nos obligations. Cet impôt municipal représente pour une famille environ 120 livres par an. Autrement dit, pour 120 livres par an, chaque famille a droit à l'éducation gratuite jusqu'à dix-huit ans et à tous les services municipaux : voierie, équipements (sanitaires, sportifs, culturels, etc.). Ce n'est pas cher ! C'est le secrétariat de chaque mochav qui encaisse les redevances de chaque famille au Conseil Municipal en percevant les redevances des mêmes familles à leur propre mochav. Ça simplifie les opérations bureaucratiques. Cette taxe nous ouvre un budget annuel de 3.700.000 L . I . Mais làdessus, les perceptions auprès des mochavim représentent seulement 1.000.000 L.I. Le reste est une aide gouvernementale calculée pour être proportionnelle à la fois au nombre d'habitants et aussi à l'état de développement de la région. Une région moins développée reçoit une aide plus grande qu'une région plus développée. Chez nous, nous recevons environ 70 L.I. par personne, tandis qu'ailleurs, à Tel Aviv peut-être, on recevrait quelque chose comme une livre. L'Etat, naturellement, contrôle tous les travaux des Conseils Régionaux. Nous présentons des budgets prévisionnels qui doivent obtenir l'accord du Ministère de l'Intérieur à travers le Préfet départemental. Il y a six départements. C'est le Préfet qui reçoit du Ministre le pouvoir d'entériner nos budgets. C'est un contrôle qui n'est pas trop lourd mais qui s'étend même aux prêts que nous pouvons contracter. Il y a six préfectures qui coiffent donc l'ensemble des Conseils Régionaux mais aussi les communes diverses qui sont en dehors des Conseils Régionaux. Le Conseil Régional a les mêmes droits et les mêmes pouvoirs envers les

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mochavim que ceux du Préfet à l'égard du Conseil Régional. Autrement dit, c'est nous qui entérinons les budgets des mochavim et les impôts que les mochavim fixent à leurs propres habitants. Mais ce que nous, nous imposons aux mochavim, c'est le Préfet qui doit l'entériner. Ce transfert des fonctions municipales, depuis les mochavim au Conseil Régional, date de six ans. Le but était de décharger les villages et de les libérer pour leurs tâches économiques. Pour l'accélérer, le Ministère de l'Intérieur l'a, en quelque sorte, subventionné : offrant 20 % d'apport gouvernemental pour toute fonction transférée des villages au Conseil Régional. Ainsi, si on transfère des fonctions de voirie qui coûtaient 10.000 L.I., le Ministère est prêt à donner 2.000 L.I. C'est pour encourager mochavim aussi bien que Conseils Régionaux à accélérer ces opérations. Maintenant, dans tout le pays, les Conseils Régionaux fonctionnent. Dans un an ou deux tous les services municipaux seront entre leurs mains et nous aurons déchargé une fois pour toutes mochavim et kibboutzim des affaires municipales. Il s'est avéré que c'était trop onéreux.

Ces Conseils Régionaux, on le voit, représentent non seulement un pool inter-coopératif et inter-villageois de services publics mais aussi un centre de création et de développement d'entreprises économiques. Dans le transfert envisagé, si la coopérative mochavique (ou kibboutzique) cesse d'être une commune au sens municipal du terme, le Conseil Régional, lui, une fois devenu municipal ne s'en affirme pas moins comme un centre coopératif, foyer d'entreprises inter-villageoises. Ainsi, dans le Conseil étudié ici, le Conseil a-t-il fomenté les deux secteurs industriels « du haut » et « du bas » de la carte. J e dois vous dire que ce n'est pas tellement une nouveauté chez nous. Lorsque les Conseils Régionaux ne s'occupaient pas des fonctions municipales, il y avait des équipes d'employés qui n'avaient pas beaucoup à faire ; aussi chacune de ces équipes s'était occupée de se trouver un terrain d'action et ce terrain a été spécialement la mise en commun des services agricoles, puis des services économiques. Par exemple, chaque mochav ou chaque kibboutz entretenait par lui-même ses tracteurs. Le Conseil Régional est venu et a monté une société de tracteurs qui a fait des travaux de labour dans les mochavim et les kibboutzim. Et vous savez, une chose entraîne l'autre ; si on a commencé par les travaux agricoles on continue par la transformation des produits.

Ce communalisme économique constitue ainsi un secteur d'économie collective. Ce secteur entre-t-il en compétition, en conflit, avec le secteur de l'entreprise privée ? On estime que le premier secteur aura toujours « la main haut levée » du fait qu'il ne recherche pas le profit. Cela n'empêche pas qu'une meilleure organisation ne puisse faire préférer le second : cas de la firme privée préférée par tel mochav à la T.N.O.U.V.A. pour écouler son lait car celle-ci exige une souscription d'actions et celle-là en dispense. Cela n'empêche pas non plus des conflits comme dans le cas de l'abattoir non seulement inter-villageois mais inter-régional.

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Nous avons même été en concurrence avec tous les chevillards. Ils ont même menacé de nous saboter. Nous avons persisté. Ça a marché dans le sud et le centre du pays. Par contre, dans le nord ça n'a pas marché. D'ailleurs le gros embêtement que nous avons eu c'est beaucoup plus avec le rabbinat qu'avec les chevillards. Ça a créé des ennuis pour les rabbins. Si tout est fait « en gros », au lieu de 20 rabbins (22), un seul est suffisant. Mais on s'est arrangé, y compris avec les 19 rabbins que l'opération pouvait mettre en chômage. C'est ce qui se passe aussi pour l'abattage des poulets. Dans chaque village il y a un rabbin qui tue la volaille. Mais là aussi on s'est arrangé... L e Conseil participe à ses entreprises par l'intermédiaire d e la Société Economique Régionale d o n t il détient 5 0 % des actions. Celle-ci p r e n d à son t o u r des participations dans les diverses entreprises ainsi fondées. L e s dividendes, si dividendes il y a, f o n t r e t o u r au Conseil p o u r accroître son accumulation dans ses investissements, dans les services municipaux o u dans de nouvelles entreprises. D e ces services c o m m e de ces entreprises, c o m m e des centres r u r a u x , on e s c o m p t e en particulier la création d e n o u v e a u x postes d e travail de manière à absorber les jeunes m o c h a v n i k revenant d e l'arm é e , qui ne pourraient s'intégrer dans les fermes. L e s enfants assumeraient ainsi les services à rendre a u x fermes encore gérées par leurs pères. Ainsi, au lieu de faire venir un médecin de la ville qui aurait le soin des habitants du mochav, on veille à ce qu'il habite la région et que ce soit de préférence un des enfants d'agriculteurs. La même chose pour les cadres des usines, les gérants d'épicerie, les instituteurs, éducateurs, etc. On essaie de transmettre toutes les fonctions qui ne sont pas agricoles entre les mains des enfants d'agriculteurs. On les forme spécialement pour qu'ils puissent s'intégrer. C'est en cours. Et, en général, les enfants qui ne s'intègrent pas dans les fermes désirent se voir confier ces nouveaux postes. Etant donné que nous donnons l'instruction gratuite, le nombre des enfants qui obtiennent des certificats et des diplômes augmente. Mais, une fois qu'un jeune est diplômé, il ne veut plus accepter de faire n'importe quel travail. Ce n'est pas qu'il refuse de revenir à la ferme. Non, pas ça... revenir à la ferme est toujours bien. Même les diplômés reviennent à la ferme. Pour eux c'est une affaire de... comment dirais-je ?... c'est un but dans la vie. Mais s'il n'y a pas de possibilité de revenir à la ferme ils doivent alors entrer à l'usine et ils veulent autre chose que ce travail de manœuvre. Ils veulent un poste plus intéressant... et il est impossible d'avoir des usines où tous soient directeurs. Ça devient un petit problème. Heureusement, l'industrie devient de plus en plus compliquée, exige des spécialisations, des qualifications plus poussées qu'avant. J'espère, grâce à ça, qu'on arrivera à employer tous les jeunes. Nos industries ne sont pas encore dans ce cas. Peut-être bientôt, avec notre projet d'une industrie de pièces électroniques... nous pourrons employer beaucoup plus de jeunes...

(22) Il s'agit des rabbins chargés de l'abattage rituel et du contrôle des règles prescrites par la religion pour assurer la qualité « kasher » du produit final livré au consommateur.

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3. Vue

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synoptique.

On aimerait disposer de quarante-sept entretiens du même genre pour commenter quarante-sept organigrammes topiques et bâtir làdessus un nouvel ouvrage : La commune de développement en Israël ! On aperçoit, en tout cas, l'allure de l'institution : institution publique reconnue par le Ministère de l'Intérieur ( 23 ) et pourtant basée sur l'adhésion volontaire de villages, eux-mêmes basés sur des adhésions volontaires. En principe, du moins, car l'institutionnalisation ne va pas sans corseter étroitement ces volontariats. En recoupant d'autres entretiens, sur d'autres communes, les fonctions du Conseil Régional se laissent facilement distinguer : a) Travaux publics. Ouverture ou entretien des routes, des ponts, des adductions d'eau, drainages locaux, régionaux ou inter-régionaux ; éclairage des routes. b) Enseignement. Frais de scolarité en sus des frais assumés par le Ministère de l'Education Nationale. Culture, sport ; maintien ou création de terrains de sports et de jeux. Cantines scolaires. Ramassage scolaire ( 24 ). Financement de l'enseignement secondaire, au moins dans ses premières classes. Equipements culturels et sportifs des organisations, des manifestations ad hoc, spectacles, matches, dans ces équipements. c) Activités agricoles ou agro-industrielles. Traitements des mauvaises herbes sur les voies de communication, traitements des vergers et plantations, plantations. Initiatives pour des entreprises industrielles en amont ou en aval de l'agriculture coopérative ( 25 ). d) Assistance sociale. Aide sociale aux familles nombreuses, aux veuves, aux « cas sociaux » ( 26 ). e) Cultes religieux. Entretien des synagogues et de leurs rabbins proportionnellement aux demandes exprimées par la partie religieuse de la population. Quant à l'organisation de ces activités, elle est claire et d'ailleurs elle répète une fois de plus le schéma mochavique local : Assemblée Générale dont les membres sont les délégués élus par chacun (23) Les Conseils sont responsables, en particulier, des opérations électorales dans leur circonscription. (24) Couvert conjointement à 70 % par l'Éducation Nationale. (25) Par le biais de sociétés économiques spécialisées, suscitées soit sur une initiative du C.R., soit une initiative conjointe (en particulier avec Irgoun Kniot). (26) Assistance distincte des assurances sociales gérées par la Kupat Holim, mais conjointe aux activités du Ministère de l'Assistance Sociale.

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des villages ou agglomérations de base ( 27 ). Conseil élu par cette Assemblée Générale et composé d'un représentant au moins de chaque village. Président élu par ce Conseil. Commissions techniques à l'image des commissions mochaviques classiques. Aucune intervention étatique dans cette pyramide, mais contrôle de cette pyramide par le Ministère de l'Intérieur (en particulier contrôle budgétaire transmis par ce Ministère à la Knesset pour approbation) ( 28 ). CONCLUSION.

Institution originale. C'est elle qui, en somme, assume l'intégration écologique et socio-culturelle du périmètre où sont implantés les villages membres. Une autre intégration est assurée par une autre institution : l'Irgoun Kniot (au pluriel îrgounei Kniot) qui assume, elle, l'intégration économique et commerciale. Ces deux fonctions se complètent même si parfois elles ne sont pas sans se concurrencer. Enfin ces deux institutions elles-mêmes — institutions inter-mochaviques — prennent rang parmi l'écheveau des institutions extra-mochaviques dont on trouve un aperçu en consultant le diagramme de la page précédente (cf. tableau III). La complexité n'est qu'apparente : le village en devient seulement quelque chose comme une cabine spatiale appuyée et soutenue par ses dispositifs de téléguidage, autogestion et télégestion s'arc-boutant l'une sur l'autre. L'ensemble de l'opération a couvert environ 350 villages dont le premier, Nahalal, fête en 1971 son cinquantenaire.

(27) La même Assemblée Générale élit également ime Commission de Contrôle. (28) On a constaté que, si un quart du budget repose sur les impositions villageoises, les trois quarts sont représentés soit par un apport per capita versé par l'Etat, soit par des quotas de frais assumés par tel ou tel Ministère.

Doris

BENSIMON-DONATH

LES VILLAGES D'ISRAËL ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE Le développement agricole dans le secteur juif d'Israël se caractérise par la fondation de villages collectifs (kibboutz, plur. kibboutzim) et coopératifs (mochav, plur. mochavim). La littérature concernant le développement rural en Israël est très abondante, mais les publications sont d'une valeur inégale. La présente bibliographie est sélective : seuls les ouvrages et articles récents présentant un certain intérêt scientifique ainsi que les témoignages y figurent. De plus, n'ont été retenues que des publications françaises, anglaises et allemandes, italiennes et espagnoles. Pour la commodité du lecteur, les titres ont été regroupés de la façon suivante : I. Généralités (articles et ouvrages consacrés au développement rural, coopératif et collectif en Israël, ou comportant des chapitres importants sur ce sujet). II. Le kibboutz (ouvrages et articles). III. Le mochav (ouvrages et articles). IV. Statistiques, rapports, annuaires et bibliographies. Les ouvrages comportant une bibliographie importante sont marqués d'un astérisque. I.

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QUATRIÈME PARTIE VILLAGES

D'ASIE

Simone CRAPUCHET

POPULATIONS RURALES ET DÉVELOPPEMENT

EN IRAN

Pour se rendre en Iran, on peut, si l'on vient de n'importe quelle partie du monde, emprunter l'avion. Si l'on vient de l'Est ou du Sud, sans difficulté on aborde le pays par le Golfe Persique et si l'on vient de l'Ouest ou d'Europe, la route carossable vous y conduit à travers l'U.R.S.S. ou la Turquie. A la limite du Proche-Orient, déjà oriental mais combien proche de l'Europe, l'Iran est beaucoup plus que le pays des « Mille et Une Nuits », beaucoup plus que celui des « Lettres Persanes », on le constate : c'est ime nation nouvelle en pleine évolution que l'on croit pouvoir appréhender facilement mais qui exigera beaucoup de temps, un long apprentissage avant que de commencer à la connaître. Il est nécessaire, pour essayer de déchiffrer la Perse, de s'adresser aux géographes, aux ethnographes, aux archéologues ainsi qu'aux spécialistes de l'histoire de ces anciennes civilisations, qui paraissent encore si près des nôtres, quoique nous ramenant à quelques millénaires avant l'ère chrétienne, nécessaire aussi de s'intéresser aux grands courants religieux qui marquèrent si profondément ces populations qu'il s'agisse, au moins pour les plus récents et les plus importants, du Zoroastrisme et de l'Islam. « Cependant l'histoire de l'Iran est relativement bien connue, sa structure politique, sociale paraît relever à plusieurs titres de ce fameux « despotisme oriental » à propos duquel les théories s'affrontent... La structure agraire faisant du village l'unité de base dont l'existence légale n'existe qu'à travers son propriétaire est typique de l'Orient européen et asiatique... où le petit paysan propriétaire voisine avec le villageois proche d'une condition servile et îe grand seigneur du désert ». ( ' ) ( 1 ) H . MENDRAS, Extrait d'un rapport de mission adressé à IVnesco, Téhéran, Bibliothèque de l'O.N.U., 1966, p. 3.

374

Villages en

développement

Quelques données statistiques et une analyse des récents textes et dispositions désignés sous le nom de « Révolution Blanche » permettent de fournir une image de cette réalité villageoise en cours de transformation. Les données statistiques ici utilisées sont extraites des analyses faites à partir des recensements de 1956 et de celui de 1966-1967 ( 2 ). L'Iran couvre une superficie de 1.605.000 km 2 : 20 % sont désertiques, 30 % sont cultivables si on y comprend les pâturages, forêts et buissons auxquelles viennent s'ajouter les terres en friches et en jachères. La population était de 18 à 19 millions d'habitants au recensement de 1956, elle était estimée à environ 22 millions après le premier dépouillement du census de 1966, mais avant analyse et corrections ( 3 ) . On pense que la population a doublé durant ces trente dernières années. Le pays est administrativement divisé en 15 provinces (Ostan). Les provinces sont divisées en départements ou districts (Sharestan), lesquels sont divisés en cantons (Deshistan). La répartition des populations, extrêmement variable suivant les possibilités agricoles et le développement industriel, va de 14,2 % du total de la population dans la province centrale à 2,3 % de ce même total au Beluchistan ; le chiffre médian est de 7,3 % . Les provinces les plus peuplées et les plus riches sont situées au Nord et Nord-Ouest du pays jouxtant l'U.R.S.S. et la Turquie, et longeant la mer Caspienne. Elles totalisent 50 % de la population totale. La population rurale représente 68 à 69 % du total général, mais elle peut atteindre 91,3 % dans certaines provinces, la médiane se situant autour de 77 % . La densité de population est de 12 habitants au km 2 avec des variations importantes d'une province à une autre. La province centrale (Téhéran) comptant 44,7 habitants au km 2 , celle du Beluchistan compte seulement 2,4 habitants. Le désert représente plus du tiers des surfaces des provinces du Sud-Est avec des populations tribales et nomades pour lesquelles les densités de populations atteignent 2,4 - 3,5 et 6,4 habitants au km 2 . La densité à l'hectare irrigué (population de sexe masculin âgée de 10 ans et plus) est de 1,61 à 0,39 (avec une variation de 0,32), la moyenne étant de 0,64 à l'hectare. « L'Iran présente les caractéristiques démographiques des pays du Moyen ou Proche-Orient mais s'éloigne sensiblement de celles des Pays d'Asie. » ( 4 ) (2)

J. C.

CHASTELAND,

en

collaboration

avec

M.

AMANI

et

O.

PUECH,

La

population de l'Iran : perspectives d'évolution de 1956 à 1986, Téhéran, Bibliothèque de PO.N.U., 1966.

(3) Ibid. (4) Ibid.

Villages d'Asie

375

La ville de Téhéran compte 8 % de la population totale et 25,4 % de la population urbanisée. Celle-ci varie suivant les provinces : de 31,4 % à 8,7 % , la moyenne (excepté la capitale) s'établit à 25,5 % . On compte 40 centres urbains dont 9 de plus de 100.000 habitants, 9 de 50.000 à 100.000, 22 de 25.000 à 5.000 habitants et 49.054 agglomérations de 5.000 et moins de 5.000 habitants. La taille moyenne des villages est de 260 habitants pour l'ensemble de l'Iran, soit un minimum de 134 habitants et un maximum de 425 âmes, en moyenne, dans la province du Gilan (Nord-Ouest).

Population, structures et migrations. La pyramide des âges présente de nombreuses anomalies, spécialement en ce qui concerne les tranches de population de moins d'un an, celles de 10 à 14 ans chez les filles et une diminution sensible des effectifs masculins entre 20 et 24 ans lesquels ne sont pas dénombrés pour raisons diverses, tant pratiques que psychologiques, alors que les groupes de plus de 65 ans sont surestimés largement. Malgré les difficultés de recensement, le taux d'accroissement naturel est estimé à 2,5 % . Le rapport de masculinité à la naissance est de 105 (pour une population de E O = 45 ans). Il augmente très sensiblement en milieu urbain par migration mais là aussi les indications demeurent encore très incertaines. Enfin, on comptait, en 1956, deux millions de personnes recensées en dehors de leurs lieux de naissance, ce qui laisse supposer des mouvements de population assez importants. A Téhéran, à titre indicatif, on dénombrait un tiers de la population née hors de cette ville. Le taux d'émigration varie d'une province à l'autre, c'est dans l'Ouest (Azerbaïdjan) que le taux est le plus élevé (15,4 % ) . Les migrations entre provinces sont importantes, certaines provinces perdant leurs populations au profit d'autres, l'abaissement des populations pouvant atteindre 12 à 13 % de la population totale. Les villes de 10.000 à 25.000 habitants sont les principales bénéficiaires de ces migrations, avec un accroissement de population allant jusqu'à 15 % tandis que les plus gros centres ne reçoivent que 7 % de migrants seulement. Pour les villes de plus de 100.000 habitants, flux et reflux s'équilibrent ; Téhéran compte 40 % de population migrante mais le taux le plus haut est atteint par la ville d'Abadan (raffinerie de pétrole) au sud du confluent du Tigre, de l'Euphrate et du Karkeh, proche du Golfe Persique, où l'on compte 51,7 % de migrants. L'espérance de vie brute en Iran est en moyenne de 51,6 ans. La population totale active masculine est estimée à 5,5 millions dont 1.705.683 urbains et 3.785.329 ruraux.

376

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Les activités féminines et le nombre de femmes effectivement au travail restent encore mal analysés. Il ressort des statistiques que peu nombreuses sont les femmes déclarées travaillant en milieu rural. Cela tient essentiellement à ce que les activités féminines ne sont pas admises comme activités proprement économiques. Ces données de base permettent de se faire une image rapide de la situation des populations en Iran. La famille : unité sociale. « L'unité sociale dans la Perse antique n'était pas l'individu mais bien la famille. Ce mot de « famille » ne doit pas être pourtant entendu dans son sens moderne ni dans celui de la « gens » romaine ou du « Yenos » grec. En effet, la «Nmana » (que les orientalistes traduisent par maison ou famille) est, d'après l'Avesta, une unité sociale liée au sol, comprenant au minimum sept couples ou sept ménages (avec enfants et serviteurs ). L'ensemble des « Nmana » est la « Dahyu » représentant ainsi le pays et la nation, au point de vue du sol et de ses habitants » ( 5 ). La femme dans l'Iran antique pouvait être chef de famille et jouer le rôle important de « pater familias », ce qui différencie essentiellement les deux systèmes familiaux grécoromain et perse ( 6 ). L'Islam a marqué profondément ces populations et, si les groupes juifs et zoroastriens existent encore, ils ne forment que des minorités vivant surtout dans les centres urbains. La famille villageoise est patriarcale et polygamique, islamique et agricole. Patriarcale, car malgré le nouveau code civil proclamant l'égalité entre hommes et femmes, elle reste telle dans son esprit. Polygamique la famille devrait cesser de l'être puisque la monogamie est la seule formule autorisée pour les nouveaux mariages. Un polygame ne peut pas non plus accroître le nombre des unions jusque-là contractées. La répudiation est remplacée par le divorce ; ceci constitue un progrès très sensible pour les femmes qui, d'une part, ne pouvant plus être renvoyées par simple décision du mari, ont le droit de demander séparation ou divorce, chose jusque-là impensable, spécialement si le mari a dérogé à la loi et a épousé une autre femme. Enfin, officiellement toutes les formes diverses

(5) Avesta,

traduit par D A M E S T E T E R et ZAND, in : Zafar-Dokht

ARDALAN,

Pour une sociologie domestique en Iran, Téhéran, Université de Téhéran, 1962, p. 44. (6) A R D A L A N , op.

cit.

Villages d'Asie

377

de mariage, le mariage temporaire, le mariage de la femme adoptée, le levirat, le mariage de la fille unique (remise du premier enfant mâle à la famille de son père), etc. et tous les liens, obligations et surtout le rang social et familial conséquences de tels mariages sont abolis par la loi. Si les traditions demeurent encore en vigueur pour les anciennes unions, pour le moins la loi ne permet plus l'établissement de tels liens et engagements. L'agriculture et les classes sociales. « Pilier de la civilisation iranienne durant l'antiquité, l'agriculture l'est encore de nos jours. » C'est en Iran que le système d'irrigation souterraine (kharez) fut inventé. Les rois achéménides encouragèrent activement la construction de réseaux et ce procédé subsista jusqu'à nos jours. Il est actuellement de plus en plus délaissé. « Les activités d'agriculture et d'élevage recommandées par les préceptes religieux sont preuve de respect et d'attachement à Ahura-Mazda »... et déjà « l'Avesta divise la société en trois ordres : le clergé, l'armée et le paysannat... ce dernier se subdivisant très vite en deux groupes distincts du point de vue de la propriété, les agriculteurs et les paysans, les premiers étant les propriétaires et les seconds les travailleurs, selon une expression souvent employée il y a peu de temps encore, « les sujets » (les serfs) » ( 7 ). Au cours des différentes périodes de l'histoire de l'Iran, les civilisations et dynasties se succédèrent, stimulées, modifiées ou anéanties par les invasions successives des Perses, des Sassanides, des Arabes ou des Mongols. Mais ces bouleversements laissèrent en place le système social, attribuant plus de la moitié des terres cultivables aux grands propriétaires terriens et chefs de tribus, lesquels pouvaient posséder de ce fait des dizaines et des dizaines de villages. Ceci fut maintenu jusqu'à nos jours, vrai système féodal en principe aboli par la Révolution Blanche, où les maîtres vivaient généralement en ville et confiaient souvent à des régisseurs peu scrupuleux l'exploitation d'immenses domaines. « Les droits seigneuriaux, leur principe et le mode de perception traduisent bien souvent le genre de relations et d'attitude réciproque du bénéficiaire et du paysan. » ( 8 )

(7) PAHLAVI, ARYAMEHR Mohammad REZA S.A.I., La révolution

sociale

de

l'Iran. Traduit par Dr FEREYDOUN Hoveyda, Bibliothèque impériale Pahlavi, première édition, mai 1967, p. 26. (8) H. MENDRAS, Sociologie de la campagne française, Paris, P.U.F., 1965, p. 31.

378

Villages en

développement

La Réforme du 6 Bahman 1341 (27 janvier 1963), plus connue sous le nom de « Révolution Blanche ». Telle était la situation de dépendances sociale, civique et morale de l'ensemble des populations villageoises, en 1941, au moment où l'actuel Roi d'Iran monta sur le trône (son père ayant eu à guerroyer contre les féodaux pendant presque vingt ans) ( ' ) et telle était-elle encore au moment de l'adoption par le Parlement des textes préparés par la Couronne. Il fallut attendre les années 1963 et 1965 pour voir l'application des textes primitivement préparés, spécialement de ceux concernant la réforme agraire. Elle s'accomplit chaque jour, n'ayant à peine que quatre ans d'âge. Si cette réforme mit des années pour être élaborée et si elle a subi des péripéties diverses avant d'être votée par le Parlement, il lui faudra encore beaucoup d'années pour devenir une réalité passée dans les faits et surtout dans les mentalités. L'ensemble des textes qui constitue cette réforme renferme des modalités diverses applicables suivant le régime foncier antérieur, suivant le système de petite ou de grande propriété, ou de terres dites de la Couronne, suivant le type d'exploitation de la terre, qu'il s'agisse de propriétaires, de locataires, de fermiers ou de paysans (serfs), ou qu'il s'agisse de main-d'œuvre agricole n'ayant aucune possession d'aucune sorte. Remembrement dans certains cas, démembrement, partages entre familiaux pour éviter d'être atteint par la loi. Ventes, achats, attributions, création de sociétés agricoles et d'irrigation (en particulier la très connue « Khuziztan Valley Authority ») ou de sociétés d'exploitation. La réforme a pris des formes très diverses s'adaptant aux régions géographiques, à la nature des sols, aux possibilités d'exploitation, à la densité des populations. Les surfaces libérées et mises à la disposition des nouveaux propriétaires (vente) peuvent varier considérablement suivant qu'il est question de plantations de thé, de cultures de riz (Caspienne), d'herbages dans le Sud-Est ou de terres à coton dans la zone centrale. Par ailleurs la réforme agraire s'est accompagnée de deux très importantes dispositions : la nationalisation des pâturages et des forêts, puis celle de l'eau (l'Iran possède un Ministère de l'Eau et de l'Electricité). L'ensemble de cette réforme vise à élever le niveau de vie de la masse paysanne par la création de coopératives, le développe(9) Aux environs de 1925-1930, un étudiant iranien se rendant en France pour y faire ses études (Ecole Centrale) est allé du Nord-Ouest du pays à Téhéran, accompagné de gens d'armes, de seigneurs et féodaux de sa propre famille (expédition haute en couleurs racontée par lui-même).

Villages

d'Asie

379

ment du crédit agricole, l'introduction des méthodes modernes d'exploitation (mécanisation, engrais, rotation des cultures, irrigation, etc.). Il est certain que l'établissement et l'exécution de tels programmes, pour aussi spectaculaires qu'ils soient, pour aussi généreux qu'ils désirent être, pour aussi précis qu'ils se proposent d'être et pour aussi bien préparés et planifiés qu'ils soient, demandent du temps, du personnel formé, entraîné, des élites dévouées et foncièrement honnêtes, des spécialistes de toute nature et une transformation profonde de la mentalité autant des anciens féodaux, des grands propriétaires terriens, et des anciens régisseurs et intendants que de celle des paysans eux-mêmes. Si la réforme mit fin à certaines pratiques féodales, les mentalités ont encore du mal à se transformer soit que les paysans ou villageois ne comprennent pas les nouvelles valeurs, soit qu'ils n'aient que difficilement accepté les transformations imposées. Le nouveau système de propriété imposé dans le cas de terres irriguées, par exemple, dévoile un problème psychologique profond qui oppose quelquefois paysans et ingénieurs des sociétés d'exploitation. En effet une terre représentant X hectares est « figurée » par des actions d'une société agricole ; son propriétaire-paysan, devenu un manœuvre de cette société, ne peut être psychologiquement satisfait. Réaction inévitable de tous les paysans du monde à ce mode « de représentation » qui semble lui enlever sa terre, sans rien lui donner à la place qu'un papier. « Dans l'ancien droit mésopotamien... l'intimité avec la terre crée entre elle et l'homme qui la cultive comme un lien de parenté qu'il ne dépend de personne de rompre »... « Le symbolisme du geste du laboureur... a été l'objet depuis la plus haute antiquité d'interprétations multiples qui doivent retenir l'attention des psychologues car elles éclairent utilement les attitudes et les conduites « irrationnelles » des agriculteurs, scandalisent les économistes et les administrateurs »... « Ces derniers définissent le système de culture, le travail et l'entreprise agricole en fonction des progrès de l'agronomie, de la mécanisation et de la motorisation et surtout des exigences nouvelles du marché économique, tandis que les agriculteurs réagissent souvent encore comme le faisaient leurs pères à une époque d'empirisme agricole, de travail non mécanisé et d'autarcie familiale. » ( 1 0 ) Telles sont exactement la situation de fait et les attitudes psychologiques des deux partis en présence dans certaines zones irriguées par des sociétés d'agriculture où des expériences pilotes se poursuivent depuis de nombreuses années, où les techniciens iraniens (10) Mend ras, op. cit., p. 40.

380

Villages en

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(ingénieurs des facultés ou des écoles d'agriculture américaines) ne comprenant pas, s'opposent aux paysans qui résistent aux changements par la force d'inertie en désespoir de n'avoir pas les mêmes échelles de valeur psychologiques, les mêmes comportements, les mêmes sentiments en face non seulement de la propriété mais de la terre elle-même. Pour cette propriété où « sont interdites toutes transactions concernant les terres distribuées qui aboutiraient à leur morcellement au-dessous du minimum fixé par le Ministère de l'Agriculture pour chaque district », deux voies restent ouvertes aux héritiers : ou ils exploitent de concert la propriété en lui gardant ses limites précédentes, ou bien ils la vendent à un autre cultivateur du même district, ou pour éviter le morcellement excessif de la propriété qui nuirait au rendement et diminuerait le revenu nécessaire à la subsistance de la famille paysanne, il a été prévu des sociétés agricoles par actions. En cas de vente ou de partage pour cause de décès, la terre (dans ce dernier cas) demeure au sein de la société agricole, seules les actions changent de mains ( " ) . Si « le triomphe de l'individualisme agraire pouvait faire figure, pour le paysan, d'une libération des contraintes féodales » ( , 2 ) , la Révolution Blanche sur ce point ne lui a pas apporté de satisfaction dans le cas au moins des formes de propriété utilisées par les sociétés agricoles d'irrigation et d'exploitation. D'autre part ne point pouvoir disposer de sa terre à sa guise, ne point pouvoir cultiver librement ce que bon lui semble ou suivant les besoins de la famille et du marché, enfin recevoir dans certains cas un lot de terre tiré au sort chaque année, ne correspond pas du tout au sentiment et à l'image que l'homme paysan ou villageois se fait de sa terre. La propriété d'actions dans de nombreux cas ne peut correspondre et à plus forte raison se substituer à une relation ancienne entre l'homme et la terre. Les sociétés coopératives. Les sociétés coopératives furent créées en 1962-1963. Le Ministère de l'Agriculture et la banque de crédit et de reconstruction agricole ont créé un organisme central des coopératives agricoles doté d'un capital d'un montant équivalant à 1 milliard de riais à la fondation (5 millions de FF) ( 1 3 ). C'est à cet organisme qu'il incomba « de former des cadres, d'enseigner les méthodes de gestion de coopératives, de favoriser le développement agricole, de créer des marchés intérieurs, d'écou(11) PAHLAVI, op. cit., p. 3 9 et 40. (12) MENDRAS, op. cit., p. 68. (13) PAHLAVI, op. cit., p. 36.

Villages d'Asie

381

1er les produits sur les marchés nationaux et internationaux. L'objectif final vise à remettre entièrement la gestion des coopératives aux paysans et à revendre graduellement les actions de l'organisation centrale aux associations de coopératives afin que le capital et l'administration soient concentrés entre les mains des seuls intéressés » ( 1 4 ). Tel en est le principe. Depuis lors, organismes, structures diverses et lois sont venus amender, corriger, encourager de telles décisions et dispositions. Il est certain, là comme ailleurs, que les petits propriétaires offrent moins de garanties que les mieux pourvus pour obtenir du crédit et qu'il leur est relativement plus difficile d'en avoir. Il faut savoir raisonner en termes économiques nouveaux, pour progresser suivant des normes nouvelles, en somme être un coopérateur moderne. Pour obtenir ces transformations d'attitudes il faut du temps, vaincre des habitudes, des traditions, des coutumes, dont on avait éprouvé depuis des générations l'efficacité et, finalement, se dévêtir d'habitudes mentales anciennes fort différentes de celles aujourd'hui réclamées. Les sociétés coopératives se développent. Il y a beaucoup de panneaux-indicateurs qui quelquefois sont l'unique manifestation réelle de coopérative. Les coopératives devraient être jugées non point selon l'enthousiasme ou la résistance manifestée dès les premières années, mais avec quelques années de recul, selon des critères qui ne devraient pas être tous énoncés en termes économiques, mais bien plutôt suivant des indices ou indicateurs sociaux de santé, de scolarisation, de formation professionnelle, de modification des habitudes et des attitudes mentales, d'intérêt porté par les populations à leur propre développement. La réforme agraire doit avoir pour effet corollaire une transformation de la société rurale elle-même.

Nationalisation des pâturages, des forêts et de l'eau. Il ne manque pas de relations de voyages, des périodes précédant Marco Polo (1272) aux plus récents récits des globe-trotteurs des siècles passés ou des chroniqueurs persans, pour chanter ou seulement mentionner la présence et l'étendue des belles forêts du Nord, celles d'amandiers ou de pistachiers plus au Sud aux bords du désert central. Or, une grande partie de cette forêt a totalement disparu. La réforme a pour but de sauvegarder ce qui reste et de « reforester » les parties dévastées. Et pour ce faire les forêts ont été nationalisées. « Il convient de souligner que dans (14) Ibid., p. 36 et 37.

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l'histoire de l'Iran on ne trouve pas trace de document établissant la propriété privée sur les forêts. » ( 15 ) « Les principes de l'Islam eux non plus ne font pas état d'une telle propriété, mais le contraire ressort clairement de l'étude historique et de la jurisprudence islamique » ( , 6 ) , ce qui a facilité une telle décision et la proposition de textes permettant la nationalisation. Le recensement des forêts, leur identification (cartes), puis le reboisement furent entrepris par les soins de la Couronne dès 1920. La première loi concernant la protection des forêts et la création d'un corps spécialisé date de 1942, loi suivie d'autres textes dont l'application resta longtemps difficile. C'est en 1963 au moment de la réforme agraire que la nationalisation des forêts fut soumise au Parlement. L'organisation des forêts de l'Iran naissait enfin. La même décision s'appliquait aux termes de cette loi « aux personnes possédant des pâturages boisés... ou détenant sur de tels pâturages un titre spécial de propriété » ( 1 7 ). Enfin dans un pays où de nombreuses régions sont ou sont devenues désertiques, la mise en exploitation de nombreuses terres nécessitait la mise en place d'un système d'irrigation. L'eau devenait ainsi propriété de l'Etat : « la nationalisation des eaux correspond non seulement aux intérêts supérieurs du pays mais également à l'esprit et à la lettre des préceptes islamiques... Cependant la législation ne suffit pas à assurer complètement l'intérêt national dans ce domaine. » ( , 8 ) De nombreux barrages de grande et de moyenne importance, véritables ouvrages d'art, ont été construits avec l'aide de l'assistance technique bilatérale ou multilatérale aux fins de produire de l'énergie et de créer d'immenses réserves pour irriguer des milliers d'hectares dont l'une des plus importantes zones se situe dans la basse vallée du Dez, non loin de Suse, à l'Est du Tigre et de PEuphrate et sur le revers oriental de cette vaste et ancienne plaine de Mésopotamie chargée d'histoire. « Le Gouvernement a pour mission, en instituant le nouvel ordonnancement de l'irrigation et de l'agriculture, en développant l'enseignement agricole dans tous les villages, en utilisant les techniques nouvelles, d'élaborer et d'exécuter les plans de développement de l'eau et du sol, de manière que les anciennes méthodes disparaissent au profit de nouvelles. » ( , 9 )

(15) (16) (17) (18) (19)

Ibid., Ibid. Ibid., Ibid., Ibid.,

p. 47. p. 51 et 52. p. 42. p. 44.

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La planification et le développement intègre une politique sociale rurale. L'Organisation du Plan (ce n'est pas un Ministère mais plutôt un Haut Commissariat) est déjà ancienne en Iran. Le 4 e Plan de cinq ans fut en vigueur en mars 1968. Du point de vue économique et social ( 20 ) « le Plan » a trois objectifs : 1. Réaliser une croissance économique. 2. Elever le niveau de vie. 3. Introduire des changements socio-politiques des structures. Ces objectifs dépassent de beaucoup l'économie et visent à la protection sociale, le devoir de l'Etat étant d'assurer un minimum social humanitaire — « Transformation of charity to services well organized under government supervision as a public responsability on the bases of scientific criteria ( 21 ). Services should be coordinated with those provided by public social and private agences ». « Educating the villagers to accept social transformation is one of the main function of the dayhars » (travailleurs de villages) ( 22 ). Le 4" Plan se caractérise par des prévisions budgétaires importantes (1 % du budget) et l'étude de propositions préparées par les services de l'Organisation du Plan lui-même, en ce qui concerne la formation du personnel de protection sociale répondant à des besoins tant urbains que ruraux. En mars 1968, suivant les négociations de l'Organisation du Plan, un Ministère, chargé du développement et de la construction, était formé à partir d'activités antérieurement confiées à l'Agriculture. Ce Ministère a la charge de créer neuf centres régionaux de développement rural couvrant, à titre expérimental d'abord, quelques dizaines de villages dans chaque zone, la sélection des zones d'implantation devant se faire suivant des critères de développement économique et agricole. Le personnel de gestion, d'administration, d'animation, devrait être recruté parmi les diplômés de l'Université de Shiraz, section du développement (sept ans de formation ou deux ans de spécialisation pour un licencié ou ayant quelque degré universitaire) et les élèves du Centre National de Formation Rurale Féminine. Ce dernier établissement est en cours d'édification, pour recevoir des bachelières formées et entraînées à un travail social d'éducation rurale. (20) Extrait d'un exposé fait par RASSEKH SHAPOUR, durant le séminaire inter-régional O.N.U., Genève, 11 au 22 août 1969. (21) 4' plan national Iranien. 1968-1971. Objectif du Plan, point n° 6, version anglaise, p. 34.

(22) Ibid., p. 326.

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Le rôle et les responsabilités de ces agents de développement est décrit dans les textes qui introduisent et commentent le 4" Plan ( 2 3 ). Mais tout cela n'est point encore en place en zones rurales au moins du point de vue féminin. L'enseignement dispensé doit être basé sur la connaissance du milieu du point de vue psychologique et sociologique : l'équipe d'enseignants devait être essentiellement formée de chercheurs sur le terrain, de pédagogues et de praticiens des questions féminines et sociales. La lutte contre

l'analphabétisme.

Malgré des lois ou des instructions royales datées de la première décennie du XXe siècle qui proclament l'instruction primaire obligatoire à partir de l'âge de sept ans, il existe encore une énorme masse analphabète avec 80,2 % d'hommes et 94,6 % de femmes (soit ensemble hommes et femmes 87,2 %) durant les années 1960. Ce taux était encore nettement supérieur à ceux de la Tunisie, de la Syrie ou de la Turquie en cette même période qui étaient respectivement de 73,7, 64,6 et 61,4 %. Deux textes de loi du 26 octobre et du 3 décembre 1962, ratifiés par le Parlement en 1963, créent une nouvelle organisation dite « Armée du savoir ». L'efïort fut énorme. Un certain nombre « de conscrits diplômés appelés à accomplir leur période de service militaire se consacrent à l'instruction des analphabètes dans les villages du pays qui n'avaient pas d'école » ( 24 ). Actuellement et malgré tous ces efforts, l'éradication de l'analphabétisme nécessite pour le moins encore dix années de travail (prévision du 4° Plan). On notera l'effort considérable effectué en milieu rural pour scolariser les enfants. Dans l'ensemble la progression a été bonne quoique dans certaines régions ou zones on ait remarqué quelques fléchissements en ce qui concerne la scolarisation des filles (les classes étant mixtes et les enseignants de sexe masculin). D'autre part cette progression est bien entendu inégale d'une province à l'autre puisque la scolarisation peut varier pour les hommes de 42,6 % à 9,6 % et pour les filles de 23,3 % à 1,5 % de l'ensemble des scolarisables. L'enseignement primaire des filles en milieu villageois progresse plus rapidement qu'à Téhéran (qui a un taux beaucoup plus élevé), mais 0,1 % seulement des enfants de ruraux accèdent à l'enseignement supérieur ( 25 ).

(23)

Ibid.

( 2 4 ) PAHLAVI, op.

cit.,

( 2 5 ) CHASTELAND, op.

p. 97. cit.

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Les services médicaux et de protection sociale (Armée de l'hygiène) en milieu rural. Complément indispensable aux six premiers points de la charte de la Révolution Iranienne, ils furent créés en 1964, en même temps que les services du développement (Armée du développement), de la reconstruction, et les services de justice villageoise (maison d'équité). Cette « Armée de l'hygiène » se compose de médecins, dentistes, pharmaciens, aides-médecins, licenciés, diplômés d'études supérieures et bacheliers qui accomplissent leur service militaire, dans les divers villages, après un cours de formation de quatre mois. Leurs fonctions consistent, dans les campagnes, à traiter les malades, à prévenir les épidémies, à promouvoir de bonnes conditions d'hygiène et à prodiguer leurs services ( 26 ). Durant les années 1964-1966, 1.700 jeunes gens participèrent à ces services, les années suivantes ces chiffres ont été sensiblement les mêmes, mais jamais dépassés. L'effort important ainsi accompli sur les principes de développement des communautés a largement contribué aux expériences pilotes des districts et zones rurales. « Il convient de rappeler à cet égard que les paysans, il n'y a pas longtemps encore, soit par ignorance, soit par manque de confiance dans les entreprises officielles, fuyaient les médecins et faisaient appel pour se soigner aux devins et guérisseurs » ( 2 7 ). Ceci n'est pas propre aux Iraniens, mais peut être observé dans grand nombre des divers pays du monde en cours de développement. Ces attitudes sont bien encore rencontrées chez les villageois qui font usage des services médicaux officiels en même temps qu'ils recourent aux sorciers, marabouts et autres spécialistes renommés pour leur expérience en la matière. L'« Armée du développement social » fut créée de la même manière, à la même période et sur les mêmes principes que celle précitée. « Les activités courantes des organismes administratifs ne suffisent pas à assurer les objectifs (de la Révolution sociale), la tâche qui leur fut confiée fut celle de la reconstruction des villages (ou de leur extension), de l'enseignement des méthodes agricoles et la nouvelle manière de penser. » ( 28 ) Associés ou non aux études faites et poursuivies par l'Institut des Sciences Sociales (section rurale), les jeunes recrues ont rempli des cartes d'identité des villages, sorte de monographies, ultérieurement regroupées par le Ministère de l'Agriculture. En mai 1968 une loi établissant le service civique jéminin fut approuvée par le gouvernement. Plus de 3.000 bachelières furent ( 2 6 ) PAHLAVI, op. cit., p . 113.

(27) Ibid., p. 115. (28) Ibid., p. 118.

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recrutées (plus de 7.000 s'étaient spontanément présentées et manifestement pour être recrutées). Elles sont venues grossir les rangs de l'Armée du savoir, de celle de l'hygiène et du développement dans les villages des zones les plus proches de leur lieu de recrutement (résidence). L'expérience est en cours. L'Iran ayant à faire face à un sous-emploi des diplômés (bacheliers, licenciés, docteurs, etc.), les jeunes filles espèrent ainsi pouvoir trouver ultérieurement une situation dans l'administration (emplois réservés). Peu de jeunes filles des villages sont capables de profiter de cette situation, par contre l'emploi de jeunes filles et de femmes dans les villages (même si elles sont insuffisamment préparées à leurs tâches) leur permettra de prendre contact avec des réalités villageoises et nationales qui ne seront pas sans conséquence sur les attitudes réciproques des couches sociales ainsi mises en contact (meilleure connaissance du milieu et des possibilités offertes, estime réciproque peut-être, etc.).

Etudes et recherches en milieu rural (Institut d'Études et de Recherches Sociales de l'Université de Téhéran). A la lecture de ces notes on peut mesurer combien peu souvent on se réfère aux statistiques, aux études, aux recherches faites sur le terrain, combien on manque encore d'études sérieuses pour illustrer la situation et analyser faits ou résultats publiés dans une langue occidentale. En réalité la révolution est encore très jeune et, avant elle, assez peu de travaux furent publiés, du moins dans une langue autre que la langue nationale. Cependant des équipes de chercheurs sont au travail, experts des organisations internationales ou des coopérations bilatérales et Iraniens travaillent ensemble à l'Institut qui compte parmi ses activités une section de recherches rurales depuis 1964. La plupart des chercheurs viennent y travailler après leurs occupations habituelles (de 16 à 20 heures). Un guide d'enquête de village y fut préparé par B. Sternberg de l'Unesco. Quatre missions Unesco se sont succédées en vue de faire des études rurales et tribales (actuellement la section est dénommée « Section Rurale »), en vue de former du personnel. Quelques rapports fort intéressants peuvent être consultés soit à l'Unesco (Paris), soit très facilement à la Bibliothèque de l'O.N.U. à Téhéran. Enfin parmi les groupes ou organisations de chercheurs, on doit citer le British Institute of Persian Studies qui s'intéresse spécialement à l'ethnographie, l'histoire, l'archéologie et comprend également une section de recherches économiques.

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Conclusion. La révolution sociale vient de naître et les institutions créées par elle ont à peine commencé, il y a tout au plus cinq ans maintenant. Nées essentiellement de la volonté royale, volonté politique, ces institutions s'appuyent sur l'histoire, sur le passé de ces peuples aux civilisations très anciennes et sur les religions anciennes ou nouvelles qui furent ou sont dominantes, y faisant référence en permanence pour en expliquer la légitimité, l'orthodoxie et provoquer un réveil de ces peuples. En somme, cinq années d'efforts après des siècles de silence ou de sommeil, des siècles de féodalité, d'anarchie, de luttes intestines et d'insécurité sociale ! « L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée et quand ils se lèvent sur leurs pieds ils montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines ; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. » Ainsi s'exprimait La Bruyère, il y a trois siècles, parlant des paysans de son temps et de son pays. On peut, en modérant quelque peu le texte, le considérer comme une image de la condition de bien des cultivateurs iraniens d'avant la récente réforme agraire, ainsi s'exprime le Roi d'Iran dans ce livre souvent cité : La révolution sociale de l'Iran ( 29 ). H. Mendras ajoute à cela : « la réforme agraire vient « s'abattre » sur ces structures parfois millénaires. La libération des femmes est à l'ordre du jour... Décupler le produit agricole est techniquement aisé. Il y a sans doute peu de pays pour qui les problèmes agraires soient si vitaux et si divers, dont les possibilités soient aussi grandes et qui aient fait l'objet d'études aussi nombreuses. » ( 30 ) A quoi j'ajouterai encore qu'une révolution donnée n'est pas une révolution faite car si le Parlement a voté ou approuvé des textes, la révolution n'est pas née du peuple, de l'expression de ses besoins, de son mécontentement ou de ses désirs ; elle n'est pas le fruit d'une longue maturation, de pressions diverses, ou du développement d'une idéologie philosophique ou politique partagée (29) Ibid., p. 24.

et H . MENDRAS, Recherches auprès de l'Institut d'Etudes et de Recherches Sociales de l'Université de Téhéran : rapport de Mission Unesco, Téhéran, Bibliothèque de l'O.N.U., 1966, p. 3. ( 3 0 ) B . STERNBERG

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par le peuple. C'est certainement une des raisons pour lesquelles il est fait référence aux textes religieux afin qu'ils avalisent cette révolution, lui donnent un caractère sinon sacré tout au moins particulier, afin d'en soutenir l'idéologie et d'en favoriser la réalisation.

Saminini Baiiah NAIDU

LA COMMUNAUTÉ VILLAGEOISE EN INDE *

La communauté de village en Inde est une institution sociologique particulière. Certains lui ont prêté un esprit de clocher et une certaine rigidité. Or, le village a fait preuve d'une souplesse et d'une faculté d'adaptation remarquables. Norman Brown affirme que l'histoire indienne a montré à certaines périodes que la société indienne possédait une qualité unique de tolérance, tolérance de ce qui est nouveau, inhabituel et différent, la capacité de se remodeler au gré des changements de conditions, une rapidité de compréhension et un désir de trouver de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes ( ' ) . Les communautés de village ( 2 ) en Inde ont pendant longtemps maintenu l'ordre et la paix et arbitré les litiges dans les villages même quand il y avait de l'anarchie dans le pays. L'expert ou le sociologue étranger a tendance à regarder le village indien de ( * ) ABRÉVIATIONS : Die. S.S. : Dictionary of Social Sciences, Unesco. Ec. W. : Economic and Political Weekly, Bombay. In. As. C : Indo-Asian Culture, New Delhi. J.S.R. : Journal of Social Research, Bihar, India. (1) N. BROWN, «Class and Cultural Tradition in India», in : M. SINGER (ed.), Traditional India : Structure and Change, Philadelphia, American Folklore Society, 1959. (2) Voir Fifth Report, Parliamentary Select Committee, 1812, Londres, p. 85 : « Les habitants du pays (Province de Madras) sont soumis depuis des temps immémoriaux à une forme simple de Gouvernement municipal... la fragmentation et les divisions des royaumes ne troublent pas les habitants ; pourvu que le village reste entier, ça ne les intéresse pas de savoir à quelle autorité il est cédé ou à quel souverain il échoit... » ; voir aussi Elphinston's Report on the Territories conquered from the Peshwa, 1819 : « Ces communautés (Province de Bombay) possèdent en elles-mêmes tous les éléments en miniature d'un Etat et sont pour ainsi dire capables de protéger leurs membres en cas de retrait de tous les autres gouvernements. » ; voir aussi Sir Charles Metcalfe's Minute, 7 novembre 1830 : « Les communautés de village en Inde du Nord contribuèrent plus qu'autre chose à préserver le peuple de l'Inde à travers toutes les révolutions et les changements qu'il a subis et elles l'ont prédisposé dans une large mesure au bonheur et à la jouissance d'une grande part de liberté et d'indépendance. »

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son propre point de vue, ce qui ne lui permet pas de comprendre l'esprit du système de village qui forme un tout, de telle sorte que le réduire à un système purement économique est le dénaturer ; on ne réalise pas généralement que cette société de village n'a survécu que parce qu'elle était essentiellement fondée sur une tradition à la fois économique, sociale, morale, politique, légale, esthétique et morphologique ( 3 ). On ne dispose pas à proprement parler de données suffisantes pour avoir une idée de la situation indienne dans son ensemble. Au cours des quinze dernières années, on a procédé à un certain nombre d'enquêtes à l'échelon local, régional et national, lesquelles ont révélé des différences phénoménales dans les conditions de chaque région à l'intérieur du pays et des différences énormes dans l'impact des forces économiques sur la prospérité des différentes couches socio-économiques à l'intérieur de chaque région. Elle ont révélé également que la distribution des inégalités et des différences résultant de l'influence des forces économiques différait d'une façon importante d'une région à l'autre. Ainsi que l'écrit le Professeur Gadgil : « dans la conjoncture indienne actuelle, elles (les statistiques) doivent être considérées comme une gymnastique abstraite revêtant sans aucun doute une importance latente considérable mais ayant une portée immédiate très limitée. » ( 4 ) Le point de vue du fermier ( 5 ) est que la révolution est en marche et que le mouvement est en train de s'accélérer... Les fermiers exigent déjà une qualité d'aide technique que le personnel et l'administration au service des ruraux ne sont pas en mesure de fournir. C'est un fait que la pénurie qui affecte de la façon la plus cruciale l'agriculture indienne est celle d'une main-d'œuvre spécialisée pour remplir les fonctions publiques et privées au fur et (3) Cf. K. ISHWARAN, Tradition and Economy in Village India, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1966, pp. 1-2 ; M.N. SRINIVAS, Social Change in Modem India, Berkeley-Los Angeles, California University Press, 1966, pp. 147-163 ; M.N. SRINIVAS (ed.), India's Villages, Bombay, Asia, 1963, pp. 3-14 ; S.C. DUBE, Indian Village, New York, Harper and Row, 1967 ; S.C. DUBE, India's Changing Villages, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1963, chap. VII ; A.B. SHAH et C.R. RAO (eds.), Tradition and Modernity in India, Bombay, Manaktalas, 1965, pp. 70-100 ; V. MISHRA, Hinduism and Economic Growth, Bombay, Oxford University Press, 1962, pp. 148-157 ; K. NAIR, Blossoms in the Dust, New York, Praeger, 1965, pp. 189-197; N.V. SOVANI et V.M. DANDEKAR (eds.), Changing India, Bombay, Asia, 1961, pp. 145-155 ; W.C. NEALE, Economic Change in Rural India, New Haven, Yale University Press, 1962.

(4) J.R. GADGIL, Planning and Economic Policy in India, Bombay, Asia, 1965, pp. 113-114 ; T.P. EPSTEIN, Economic Development and Social Change in South India, Manchester, Manchester University Press, 1962. (5) D. HOPPER, « Way Out of Hungry Years », The Times, Suppl., 26 janvier 1968, p. vii.

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à mesure que les choses se transforment. Enfin, et ce n'est pas l'aspect le moins important, il faut que le Gouvernement prenne des mesures pour assurer les fermiers que, s'ils recourent aux investissements qu'exige un système moderne d'agriculture, ces investissements ne se révéleront pas stériles par des baisses de prix consécutives à une production accrue. Il est urgent que le Gouvernement s'efforce de donner aux fermiers toutes les assurances d'une stabilité des prix à un niveau encourageant la permanence du recours aux investissements. Des pas importants ont été faits dans cette direction mais la question est de savoir si les intentions du Gouvernement pourront se concrétiser et faire face à l'accumulation des surplus. D'une façon générale, le fermier indien est perspicace, intelligent et travailleur et il ne fait aucun doute qu'il s'adaptera à une culture plus intensive. Il a besoin d'être mis au courant de méthodes plus modernes et d'être assuré que tous ses efforts et dépenses supplémentaires seront bien payés de retour ( 6 ). L'analyse de l'évolution de la production indique que les fermiers ne sont pas opposés aux changements. Pendant le Premier Plan Quinquennal, l'indice de la production agricole globale s'est accru de 16,8 points presque exclusivement en raison d'une augmentation de la superficie consacrée à une culture extensive. Pendant le Second Plan, par contre, la progression de la production agricole globale fut due en grande partie à l'amélioration du rendement par suite d'une culture intensive. Cette tendance à appliquer la culture intensive, qui implique des changements, sera poursuivie même pendant le Troisième Plan. Par exemple, l'augmentation de 10 % de la production entre 1963-1964 et 1964-1965 fut réalisée par une augmentation d'à peine 1,5 % de la superficie cultivée, le reste de l'augmentation étant imputable à un changement dans la productivité ( 7 ). On prétend que le paysan en Inde n'a pas de grandes aspirations sur le plan économique et qu'il est réfractaire aux changements ; qu'il se contente d'un maigre revenu et qu'il réduit sa production ou la quantité de production qu'il vend sur le marché lorsque le prix de son produit s'élève. Il se peut que cela soit vrai pour certains fermiers mais ce n'est pas général. Les études récentes auxquelles on a procédé pour vérifier si la qualité des grains alimentaires sur le marché, par exemple, diminuait lorsque le prix de ces (6) Ibid., p. vii, et O. LEWIS, Village Life in North India, New York, Random House, Vintage Books, 1965. (7) Le fait que les changements qui sont survenus dans notre agriculture puissent être imputables à une minorité de fermiers ne rend pas moins importante notre conclusion selon laquelle notre agriculture montre peu de signes de saisir les chances qui permettent aux fermiers d'améliorer leur sort.

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grains s'élevait, ont prouvé à l'évidence que les fermiers avaient, en fait, des ambitions sur le plan économique ( 8 ). L'approvisionnement sur le marché augmente généralement lorsque les prix s'élèvent, ce qui oppose un démenti à la vieille hypothèse selon laquelle les fermiers ne s'intéresseraient pas à augmenter leurs revenus. Il est suffisamment prouvé maintenant que le problème qui consiste à changer les attitudes du paysan est devenu beaucoup moins important que celui qui consiste à leur fournir les facilités nécessaires au moyen de l'irrigation, des engrais et de semences testées — juste combinaison des contributions qu'il faut apporter au paysan, au bon endroit et au moment opportun. Ce n'est évidemment pas une tâche aisée mais c'est au moins une tâche relativement précise d'ordre administratif beaucoup plus facilement réalisable que la transformation psycho-sociale sur laquelle l'ancien programme de développement communautaire avait indûment mis l'accent ( 9 ). Si, comme on nous le laisse croire, les fermiers indiens répugnaient à changer leurs méthodes aratoires, il n'y aurait pas eu de changements importants dans le type d'instruments aratoires utilisés au cours des années. Mais le tableau ci-dessous donne une interprétation différente. Instruments

aratoires

N"

Instrument ou Machine

1

Charrues de bois Desi (en '000) Charrues de fer (en '000) Roues à sabots Pompes électriques . . . Moteurs à huile . . . . Tracteurs Chars à bœufs (en '000).

2 3 4 5

6 7

en usage en Inde

D'après les Centres de Cheptel 1956 1961 1945 1951 27.306

31.796

36.615

38.324

481

931

1.367

8.661 12.062 4.524 8.483

26.174 82.477 8.535 9.862

46.930 122.230 20.980 10.991

2.299 600.106 160.154 299.944 31.005 12.071

_

SOURCES : Census Reports and Economic Survey of Asia and the Far East, 1964.

(8) G. ETIENNE, L'agriculture indienne ou l'art du possible, Paris, P.U.F., 1966, et Les chances de l'Inde, Paris, Éd. du Seuil, 1969. (9) Voir Raj KRISHNA, « Farm Supply Response in India-Pakistan ; A case of the Punjab Region », Economic Journal, sept. 1963 ; aussi C.P. SHASTRI, « Inter-Relationship between Production, Prices and Marketable Surplus of Bihar », Agricultural Situation in India, avril 1963 ; C.T. KURIEN, « Our Five Year Plans », Christian Institute, Bangalore, 1966, pp. 78-79.

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393

Il est certain que ce sont les grands centres urbains qui en premier se prêtent aux changements ( 1 0 ). Pour la première fois dans l'histoire de l'Inde, un grand nombre de travailleurs incapables de se fixer vont et viennent entre la ville et le village à la recherche d'un travail dans des villes mais poussés malgré eux à rentrer au village en raison des puissants liens familiaux et culturels qui les y attachent. Comme l'ont résumé certains : dans les villes, le villageois est libre de vivre comme il l'entend, la ville représentant un centre d'idées nouvelles et d'expériences nouvelles, de libération, également, du joug des contraintes et des croyances habituelles. De retour au village, le paysan ramène les éléments d'un ferment intellectuel « urbain » et dissémine ce ferment parmi ceux qui sont restés liés à la terre ( 11 ). Humayun Kabir écrit : « la marche en avant vers le changement et le progrès s'est accélérée... pas seulement dans la circulation des marchandises mais également dans celle des idées. Les villes se sont rapprochées des villages... L'impact des villes sur les villages a ébranlé les modes de vie traditionnels complaisamment acceptés. » ( 12 ) L'ancienne autorité du village a peu à peu perdu sa place et son influence sans qu'aucune autorité nouvelle semble l'avoir remplacée ( , 3 ). La pratique des castes a une moindre incidence sociale mais il se pourrait bien que leur incidence économique, elle, s'accentue. Dans ces conditions, les conflits d'intérêts au sein de la communauté de village se sont aiguisés et le processus se poursuit. Il y a maintenant peu de valeurs qui peuvent être considérées comme étant communes à la communauté toute entière et il est certain qu'aucun idéal commun n'inspire de la même façon toutes les sections de la communauté. « Tout indique que dans certains villages un sentiment de confiance en soi est en train de s'installer. Peut-être ce sentiment frappe-t-il encore davantage celui qui revient après une longue absence que ceux qui sont mêlés étroitement aux événements. Aujourd'hui, les femmes indiennes prennent part aux affaires du village et ceci dans une mesure inimaginable il y a seulement une quinzaine d'années. Les enfants des « intouchables », (10) Voir M.S.A. RAO, Social Change in Malabar. Bombay, pp. 201-206. Voir aussi ME Kim MARRIOTT, « Some Comments on William L. Kolb's The Structure and Functions of Cities in the Light of Isdia's Urbanization », Economic Development and Cultural Changes, 3, 1954, octobre, pp. 50-52. (11) Voir R.O. TILMAN, «The Influence of Caste on Economic Development », in : R . BRAIBANTI et J.-J. SPENGLER (eds.), Administration and Economic Development in India, Durham (N.C.), Duke University Press, 1963, p. 221. (12) Voir Humayun KABIR, The Indian Heritage, 3' éd., New York, 1955, : p. 142. < ! I (13) M. ZINKIN, Growth, Change and Planning: Economics of Developing Countries, New York, Asia, 1965 ; R. KHAN, « A Society in Change », Seminar 100, décembre 1967, pp. 70-80.

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sinon leurs parents, bénéficient plus équitablement d'occasions avantageuses ; ils sont acceptés dans les écoles villageoises sans être pénalisés ; ainsi ils seront mieux armés dans l'avenir pour parvenir à cette égalité à laquelle ils ont légalement droit... Le visiteur détecte un nouveau sens de confiance en soi, une prise de conscience du fait que des changements peuvent être apportés là où se trouve la détermination d'y parvenir. » ( 14 ) « Les écrivains occidentaux », écrit le professeur Dube, « ont tendance à considérer les sociétés rurales de l'Orient, et en particulier celles de l'Inde, comme des sociétés presque statiques et immuables. Pendant plus d'un siècle, « le village indien éternel et immuable » a constitué l'idéal du romantique. Toutefois, l'étude micro-sociologique d'un village tel que Shamirpet, qui était isolé en plein milieu féodal et qui était, par conséquent, resté à l'écart des vagues de changements sociaux, économiques et politiques qui avaient inondé les campagnes en Inde britannique, indique un mouvement très net vers un changement culturel et institutionnel; » ( , 5 ) Certaines études récentes confirment qu'un village indien est « une chose vivante », « un système » et « une entité séparée bien définie ». La plupart des Indiens sont assujettis à toute une série de liens communautaires solidaires mais le seul point d'attache qui soit réellement obligatoire est le village. Le village reste le port d'attache de l'homme, l'idée qu'il se fait de sa place, de son foyer dans le monde. Cela devient nettement apparent chez ceux qui semblent s'être détachés de leur village. L'homme qui exerce une carrière libérale, qui est cosmopolite et cultivé, reste attaché à son morceau de terre villageoise ancestrale, qui d'ailleurs ne lui rapporte rien sinon des ennuis et lui occasionne des frais, car c'est ce qui le lie à son chez lui. L'ouvrier d'usine dans une ville éloignée se considère toujours comme un membre d'un village particulier ( 16 ). Comme le professeur Dube le fait observer à la suite des recherches qu'il a effectuées dans le village de Shamirpet, dans l'Etat d'Andhra Pradesh, la robe paysanne ancien style fait place naintenant à des vêtements nouveau style. Les chemises avec col de style occidental ont en grande partie remplacé les vêtements indigènes. Les femmes se jettent sur les bracelets fabriqués en série qui ont accaparé presque entièrement la vente. Parmi d'autres articles d'usage courant, les chaussures munies de lacets de (14) H. TINKER, «The Village in the Framework of Development», in:

BRAIBANTI et SPENGLER (eds.), op. tit., p. 129. ( 1 5 ) Voir DUBE, Indian Village, op. cit., p. 2 1 2 . (16) Voir MC K. MARRIOTT (ed.), Village India:

Studies in the Little Community, Chicago, 1955, p. 176, et aussi M.E. OPLER, « The Extensions of an Indian Village », Journal of Asian Studies, 16, 1956, 1, p. 5.

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style occidental sont maintenant portées en même temps que les chaussures et sandales artisanales. Les ustensiles en aluminium et en argent ont eu du succès auprès des sections pauvres de la population en raison de la modicité de leur prix. On peut voir des verres ainsi que des tasses et des soucoupes en porcelaine dans certains foyers. En dehors des bâtiments publics, cinq domiciles privés possèdent maintenant des pendules murales ou des réveille-matins. L'ouverture d'un petit dispensaire dans le village et la possibilité de bénéficier, en ville, de soins médicaux modernes ont été pour beaucoup dans le changement d'attitudes des gens envers la maladie et son traitement. La vieille peur de la vaccination et de l'innoculation a maintenant quasiment disparu. Les gens ne fuient plus le village dès qu'ils voient apparaître le vaccinateur ; ils ne lui offrent plus non plus de payements illicites ni ne le menacent pour échapper à la cruauté de la vaccination ( 17 ). Les découvertes du professeur Ishwaran dans un autre village, Shivapur, dans l'Etat de Mysore, sont également très édifiantes. Il fait observer que de nouveaux ornements en or fabriqués en série dans les zones urbaines inondent maintenant le marché local. Des ustensiles en argent, en aluminium et en acier inoxydable remplacent maintenant de plus en plus les vieilles marmites. Les valeurs qui gouvernent l'ordre social dans les villages sont toujours : la sécurité économique, qui est destinée à créer le maximum de sécurité dans le cadre d'autres valeurs ; le travail, dont il est fait grand cas. Aucun individu ou groupe d'individus ne peut subsister sans apporter une contribution adéquate à l'existence sociale sous tous ses aspects ; une des valeurs intangibles et non mesurables gouvernant les relations sociales est très personnelle. Un mode de vie déterminé se maintient car il entretient les rapports purement personnels des participants ( , 8 ). Des institutions de service social telles que les banques et les sociétés coopératives de crédit, qui sont impersonnelles et qui, par conséquent, ne s'adaptent pas à l'éthos local, ne parviennent généralement pas à enthousiasmer les gens et à susciter leur participation ; la valeur fondamentale de tous les rapports sociaux est la coopération et non la rivalité. Cela est visible dans presque toutes les circonstances de la vie. Le système tend à encourager les compromis. L'esprit qui prévaut est tout à fait autre que celui de la société économique moderne où s'exerce la libre concurrence ( " ) .

(17) Dube, op. cit.-, A. Rudra, «The Cultural Crisis», Seminar 100, décembre 1967, pp. 65-69. (18) A.B. Mukerji, «Cultural Landscape of a Telengana Village : A Morphogenic Study ». Geographia, 3, été 1964, pp. 11-34. (19) Ishiwaran, op. cit., pp. 122-124.

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« Les effets de cette transplantation de ferment social », écrit Morris E. Opler « ont été ressentis jusqu'à un certain point dans presque tous les domaines de la vie villageoise. » Dans sa description d'un village, il constata que des changements importants s'étaient opérés depuis 1947 dans les modes de transport, l'emploi de l'outillage agricole, les méthodes d'exploitation agricole, le régime alimentaire, les ménages, les communications et l'éducation. « Dès l'indépendance, deux tendances se firent jour : la première fut l'organisation des castes inférieures en opposition aux Brahmanes, aux Thakurs et aux Kayasthas ; la seconde fut l'alignement sur une base politique sans tenir compte de la caste. Ces deux sortes d'associations sont toujours présentes mais Je groupement se basant sur la caste est en train de perdre de sa force alors que l'alignement sur une base politique plus large est en train de se renforcer. » ( 2 0 ) Chaque changement administratif ou politique dans le village fut suivi par plusieurs changements d'organisation. Le tableau ciaprès indique les changements importants survenus dans l'organisation sociale particulièrement en ce qui concerne la famille, la caste et le conseil villageois ( 2 I ) : Avant

Maintenant FAMILLE

(1) Importance de la solidarité et de la cohésion familiales. (2) Attachement plus grand au sol et à un lieu fixe.

( 1) Développement de l'individualisme.

(3) Relations intra-familiales gouvernées par les égards dus à l'âge et au statut de parenté.

(3) Une importance moins grande attachée à ces principes traditionnels.

(2) Migrations plus fréquentes.

CASTE (1) Spécialisation professionnelle fondée sur la caste. (2) Interdiction des repas en commun avec des castes de même niveau ou inférieures. (3) Distance hiérarchique et permanente entre les différentes castes.

(1) La caste n'est plus le facteur déterminant unique et décisif de la profession. (2) Réglementation moins rigide en ce qui concerne les repas en commun. (3) Protestation tiède contre la hiérarchie sociale : quelques modifications apportées en fait dans la pratique.

(20) Voir Morris E. OPLER et Rudra DATT SINGH, « Economic, Political and Social Change in a Village of North Central India », Human Organization, 11, été 1 9 5 2 , pp. 5 - 1 2 . ( 2 1 ) Voir DUBE, op.

cit.,

p. 2 2 2 .

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CONSEIL VILLAGEOIS (1) Constitué en vertu des principes héréditaires. (2) Peu d'intervention extérieure.

(1) Admet également les gens qui ont fait preuve de valeur. (2) Pression considérable de l'extérieur.

(3) Décisions généralement acceptées.

(3) Refus d'obéir ou évasion possible.

Le système social indien promet la sécurité pour tous. Les grandes familles et parentés ont contribué à la solidité et à la stabilité du système social car chacun y a l'impression d'être utile et indispensable. Les services que les enfants rendent à leur propre famille ne sont pas rétribués et ils sont personnels ; les services des membres âgés de la famille sont rendus sous forme de conseils, ce qui est un phénomène très réconfortant dans une famille. Les personnes âgées — et cela est plus important qu'un simple soutien matériel — ont l'impression jusqu'à la fin de leur vie qu'elles sont utiles et que leur présence est souhaitée. Ainsi, cette interdépendance mutuelle crée un climat affectif qui donne à tous un sentiment de sécurité. Chacun, celui qui possède des terres comme celui qui n'en a pas, tire avantage de la famille indivise. C'est une coutume qui a été ébranlée au cours des dernières années ( 22 ). Il y a un nouvel esprit d'individualisme qui s'infiltre dans le village, surtout dans le secteur économique. A Dalena la rupture des relations économiques traditionnelles entre les maîtres des paysans et leurs clients intouchables entraîna la rupture des relations personnelles entre les ménages en cause. Dès que le maître des paysans refusa de donner à son client intouchable sa récompense annuelle habituelle, ce dernier refusa de rendre les services qu'il avait l'habitude de rendre au premier. Dans une société telle que celle de Dalena qui exige que chaque service obtienne récompense, on ne pouvait décemment pas s'attendre à ce que les intouchables continuent à rendre ces services rituels à leur maître après que ce dernier eût rompu toutes relations économiques avec eux. A Dalena, bien que le rituel joue toujours un rôle important dans la

(22) Voir D . G . MANDELBAUM, « Social Organisation and Planning Culture Change in India », in : SRINIVAS (éd.), op. cit., p. 16 : « Une conséquence imprévue, bien qu'en aucune façon inévitable, de la réforme agraire pourrait bien être l'accélération du mouvement en faveur d'une réduction du nombre des enfants dans les familles qui entraînerait une baisse de rendement dans l'agriculture. Cela pourrait bien n'être qu'un effet à court terme, les familles plus réduites devenant des unités productives plus efficaces à long terme, mais le problème mérite d'être examiné à fond à partir de renseignements statistiques valables. »

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vie de chaque paysan, son importance dans la vie économique est en déclin. On ne procède à aucun rite lorsqu'un ouvrier d'usine reçoit son salaire ou un entrepreneur ses honoraires. « Je suis convaincu », dit l'écrivain T.S. Epstein, « qu'à Wangale et Dalena, la conversion d'une économie de subsistance en une économie basée sur le payement en espèces entraîna la dissolution de la famille indivise parmi les cultivateurs » ( 23 ). Dans l'organisation de la famille, la transformation des conditions et l'évolution des attitudes des gens ont entraîné certains changements notables ( 24 ). Il est difficile de les évaluer statistiquement mais on peut généralement dire qu'au cours des dernières années la cohésion de la famille a souffert des effets d'un esprit d'individualisme de plus en plus prononcé, ce qui a eu une influence défavorable sur la solidarité familiale ( 25 ). Les gens n'ont plus le même attachement au sol et, par conséquent, la mobilité s'est accrue. Parmi les jeunes ( 26 ), surtout, et ceux qui ont bénéficié d'une certaine éducation ou de contacts urbains, l'attrait des villes se manifeste de plus en plus. Les jeunes semblent idéaliser la ville et ses nombreuses attractions et ne déguisent même pas le dédain qu'ils ont des manières rustiques des villageois. Ce changement dans les attitudes et les préférences a, d'une part, encouragé les migrations des jeunes vers les villes où ils occupent de petits emplois et, d'autre part, engendré la mésentente et les dissensions au sein de la famille en bouleversant les principes établis suivant lesquels les priorités et les concessions allaient de pair avec l'âge et le statut de parenté ( 27 ).

(23) EPSTEIN, op. cit, pp. 320-322.

(24) Ibid. « ... Le développement économique qu'il apporte au nom des changements économiques aura presque invariablement pour résultat de relâcher les liens de la famille indivise. La femme occupe une place nouvelle dans la vie économique, les relations familiales ont été également modifiées et la femme est beaucoup moins soumise à son mari. De nos jours, les jeunes gens veulent voir la jeune fille du moins pendant la cérémonie des fiançailles. L'aspect ritualiste a perdu de son importance également. En ce qui concerne la famille, la situation a changé également. Maintenant les liens de parenté et la loyauté à l'égard des parents s'étendent au-delà des limites du village et le soutien politique est imbriqué dans un ensemble territorial plus étendu. » (25) P.C. JOSHI et M.R. RAO, « Social and Economic Factors in Literacy and Education in Rural India », Ec. W., 16, 1964, pp. 21-27 ; B.K. NAHM, « Education for Progress », In. As. C., 16, 1967, 2, pp. 73-76. (26) T.K. OOMMEN, « Students and Social Change », In. As. C., 16, 1967, 2, pp. 104-109 ; SACHIDANANDA, « Education and Changes in Social Values », Man in India, 48, janvier-mars 1968, 1, pp. 71-85. (27) S.P. BOSE, « Social Interaction in an Indian Village », J.S.R., 7, 1967, 2, pp. 156-175.

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L'unité et la solidarité de caste ( 2 8 ) sont des facteurs qui tendent à stabiliser les rapports sociaux. Chaque caste est soutenue par une mystique de groupe dont les racines sont cosmologiques et métaphysiques. Les idées égalitaires du nouveau gouvernement depuis l'indépendance sont en train de créer des antagonismes croissants avec les valeurs villageoises traditionnelles et elles ont affaibli des institutions traditionnelles comme le conseil des castes. Toutefois, il y a conciliation entre les vieilles et les nouvelles traditions qui se sont fondues harmonieusement en signe de synthèse. A Shivapur, par exemple, il y a trente ans, il eut été inconcevable de boire de l'eau touchée par un membre d'une caste inférieure. Maintenant, les règles de la commensalité ont été assouplies et les repas en commun sont permis entre membres de castes différentes. Il y a une tendance très nette également à ignorer ou à laisser de côté les détails accessoires du rituel. Les règles en ce qui concerne la pollution et la pureté des aliments ont été assouplies. Les vieux fermiers ont admis qu'ils avaient été les témoins d'un grand nombre de changements dans leur vie en ce qui concerne la famille, la religion, l'économie, la politique et la loi ( 2 9 ). Les

mariages

entre

castes

( 3 0 ),

les

institutions

mixtes,

les

(28) Sous la domination britannique, un grand nombre de facteurs semblent avoir affaibli le système de castes en même temps qu'ils l'ont consolidé mais, quand on fait le bilan, la consolidation du système paraît l'avoir emporté sur son affaiblissement. Les Anglais, contrairement à leurs prédécesseurs, se refusèrent progressivement à s'acquitter de certaines fonctions particulières, dont les plus importantes étaient peut-être celles qui avaient trait à la réglementation d'une société de castes liée au fonctionnement et aux statuts relatifs des castes. En s'acquittant de ces fonctions, les dirigeants d'avant l'ère britannique, y compris les Musulmans, contribuèrent à maintenir, même dans une société de castes, une certaine intégration sociale. De ce fait, le processus d'adaptation continuelle et d'intégration de plus en plus grande fut toujours à l'œuvre. Ce processus de réglementation et d'intégration sociales d'ensemble ne pouvait plus être maintenu dès l'instant où les Britanniques se refusèrent à s'acquitter de ces fonctions et il en résulta que la structure sociale perdit son adaptabilité et sa cohésion. Avant l'ère britannique, la fidélité à la caste était tempérée par le sentiment de fidélité à l'égard de la société hindoue dans son ensemble, laquelle était maintenue par mandat séculier. La fidélité à sa propre caste s'accrût sous la domination britannique étant donné que les occasions et les chances de faire valoir et de manifester le sentiment général des fidélités hindoues diminuèrent. C'est ainsi que le principe établi de la caste devint plus rigide pendant la domination britannique. ( 2 9 ) ISHWARAN, Op. cit.,

pp. 111-116.

(30) Il y a seulement vingt-cinq ans, les exemples de mariages entre les castes étaient très rares et ceux qui olsaient se marier en dehors de leur caste devaient en pâtir. De nos jours, la situation est complètement différente. Les mariages entre les castes ne sont pas seulement devenus plus fréquents mais les difficultés auxquelles ont à faire face les couples mariés de castes différentes sont maintenant relativement anodines. L'enseignement supérieur se généralisant pour les garçons et les filles également, les mariages entre castes différentes et entre religions différentes trouvent une plus grande faveur parmi

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auberges de jeunesse et les réceptions, l'abolition légale de l'intouchabilité et de toutes les formes de discrimination fondées sur la naissance, le rang ou le sexe, les programmes d'éducation des masses et le développement communautaire ont chacun leur rôle à jouer dans la formation des citoyens de demain, pour que ces derniers aient des rapports sociaux sains et normaux, et dans la fusion des différents groupes et sections de notre peuple en une société moderne qui permettra à chacun de ses membres de mener une vie plus emplie et à chaque Indien d'aspirer, pour emprunter une phrase à Julian Huxley, « aux idéaux élevés d'hommes depuis longtemps disparus, à la connaissance organisée de la science, à la sagesse vénérable des anciens, aux chimères créatives des poètes et des artistes du monde ». Dans la structure économique traditionnelle de la communauté, l'occupation était déterminée par la caste de l'individu ; la mobilité était limitée et les gens étaient très attachés à leur village ; différentes castes étaient intégrées dans le système d'ensemble de l'économie villageoise d'après leur spécialisation professionnelle et leur travail coopératif était rétribué en nature au moment de la moisson et, enfin, il y avait échange de services professionnels entre les différentes castes artisanales et professionnelles. Mais maintenant, le caractère professionnel du système de castes a subi des changements. Les villageois se sont adonnés à de nouvelles occupations. Un orfèvre a ouvert un salon de thé ; des blanchisseurs et d'autres castes similaires acceptent maintenant en ville des emplois qui sont étrangers à leurs occupations traditionnelles. En outre, des Musulmans et certains Hindous non Komtis (marchands) ont établi des magasins d'alimentation générale dans le village alors que sous le régime traditionnel les Komtis étaient les seuls à pouvoir le faire. Ainsi, les gens abandonnent leur occupation traditionnelle ou se mettent à une occupation qui, par tradition, était réservée à d'autres castes (31)N.K. Sharma ( 32 ), fondant ses conclusions sur l'étude d'un la nouvelle génération. En vérité, on pourrait affirmer sans risques que la courbe des mariages entre les castes s'élève régulièrement sans jamais s'arrêter à un palier et encore moins redescendre. Il ne serait, par conséquent, pas erroné d'en conclure que les obstacles dus à la caste sont de plus en plus tenus pour nuls dans les mariages hindous célébrés de nos jours et que la caste n'aura pas un rôle important à jouer dans le mariage hindou de demain. (Cf. S.A.H. HAQQRA, « Inevitable Developments, (Caste and the Future : A Symposium on the Changes Taking Place at the Base of our Social Structure) », S. 70, Jun. 1965, pp. 30-33. (31) B . K . R . BURMAN, «Conflict and Tension in Rural India», J.S.E., 9, septembre 1966, 2, pp. 46-57 ; K.C. ROSSER, « Caste », in : Die. S.S., 1966, pp. 75-76. (32) N.K. SHARMA, « Occupation Mobility of Castes in a North India Village », Southern Journal of Anthropology, 17, été 1961, pp. 146-149.

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village, distant de Kânpur d'environ dix-sept kilomètres, indique à l'aide de statistiques qu'une large proportion des membres de chaque caste a renoncé à son occupation traditionnelle ( 3 3 ). Certains observateurs politiques occidentaux en sont arrivés récemment à des conclusions similaires : les associations de castes apportent la démocratie politique aux villages indiens par le canal de la pratique des castes familière et acceptée. Elles changent par la même occasion le sens du mot caste. En créant les conditions dans lesquelles l'importance et le pouvoir d'une caste dépendent du nombre de ses membres plutôt que de ses statuts sociaux et de son rituel et en encourageant ses membres à avoir des aspirations égalitaires, l'association de castes exerce une influence libérale. Il y a progression du « caste-isme », c'est vrai, mais il ne semble pas qu'il faille en conclure que cela peut faire sérieusement obstacle au développement économique dans la mesure où l'immobilité sociale ne figurera pas parmi les nouvelles idées associées au « caste-isme » ( 3 4 ). En fait, il semble de plus en plus évident que la caste pourrait être réinterprétée de façon à s'adapter aux besoins de l'industrialisme. Dans une brillante étude faite sur les lieux de la sucrerie SeetaaRaam située dans un village de près de 1.000 habitants dans l'Uttar Pradesh, J.W. Elder a démontré que l'hindouisme était suffisamment souple pour embrasser la technologie occidentale. « La facilité avec laquelle les Hindous du village se sont adaptés au travail de la sucrerie... n'est pas seulement un signe d'adaptation et de compartimentation et n'est pas motivée uniquement par la pression de la nécessité financière de subvenir aux besoins de leur famille. Il semble qu'ils aient pu concilier leur participation au travail de la sucrerie et leur manière de voir le monde en général. En d'autres termes, en tant qu'Hindous ils ont pu d'une certaine façon se livrer à leur emploi dans la sucrerie. Leur engagement ne fut pas total... mais, vu que ces travailleurs étaient employés par la sucrerie, il semble qu'ils aient pu adapter

(33) K. DAVIS, « Social and Democratic Aspects of Economic Development in India », in : S. KUZNETS, W.E. MOORE et J.-J. SPENGLER (eds.), Economic Growth : Brazil, India, Japan, Durham (N.C.), Duke University Press, 1955, p. 293 ; K. BOSE, « Some Aspects of Caste in Bengal », Journal of American Folklore, 71, juillet-septembre 1958, pp. 405-406 ; L.I. et S. RODOLPH, « The Political Role of India's Caste Associations», Pacific Affairs, 33, mars 1960, pp. 5-22. (34) Commentant une élection villageoise récente où un brahmane et un thakur furent battus par un ahir, il fit observer que c'était une révolution pour le village — révolution qui atteste de la façon la plus éloquente le déclin de la hiérarchie de castes et l'essor du « caste-isme ». L'écrivain en conclut que « ce qui est en train de mourir est la hiérarchie de castes, c'est-à-dire l'acceptation de statuts supérieurs et inférieurs avec toutes les obligations et restrictions sociales qui les accompagnent ».

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leur emploi dans la sucrerie à une forme religieuse moins restrictive... » ( 3 5 ). C'est peut-être faire preuve d'un optimisme exagéré que de prédire que, si l'industrialisation se poursuit à un rythme rapide, le système de castes aura pour ainsi dire disparu à la fin du siècle, mais il est manifeste que son ascendant religio-ritualiste est rapidement en train de se relâcher dans l'esprit des hommes ( 3 6 ). Une plus grande mobilité économique résultant de la diversification économique de Dalena a, de la même façon, sapé à la base les principes traditionnels de l'organisation politique. Les prétentions héréditaires au pouvoir politique cèdent devant la pression exercée par les magnats nouvellement établis. De plus, le principe de la mobilité de groupe dans le domaine politique a disparu au profit de la mobilité des ménages. L'enquête de A.H. Somjee indique que dans ce village du Gujrât ni la caste ( 3 7 ) ni la religion n'avaient une influence prépondérante sur le choix des électeurs. Chaque caste dans le village était divisée quant à leur fidélité à une politique et une seule caste essaya d'influencer ses membres dans leur vote pour un candidat particulier. Le facteur majeur guidant le choix des électeurs était l'intérêt économique : les plus gros propriétaires terriens votèrent dans leur majeure partie contre le Parti du Congrès alors que les employés du Gouvernement et les petits propriétaires terriens votèrent pour ( 3 8 ). Il y a maintenant un nouveau guide qui est le Panchayat ( 3 9 ) légalement constitué et basé sur les élections. Les élections ont (35) J.W. ELDER, Industrialism in Hindu Society : A Case Study in Social Change, Cambridge (Mass.), Harvard University, Ph. D. Thesis (non publiée), p. 151. (36) M.N. SRINIVAS, « Castes : Can They Exist in India Tomorrow ? », Economie Weekly, octobre 1955, pp. 1230-1232 ; W.N. BROWN, « Classe and Cultural Tradition in India », ]ournal of American Folklore, 71, juillet-septembre 1958, p. 245. (37) T.B. BOTTOMORE, Sociology, Londres, Unwin University Books, 1967, p. 158. « Une étude de l'élection de 1951-1952 traite de la question de l'influence de la caste dans différentes régions. A Delhi, ni la caste, ni la classe, ni l'appartenance à une religion ne semblent avoir eu une influence importante sur 'es électeurs qui votèrent en grand nombre pour le Parti du Congrès. » (38) A.H. SOMJEE, Voting Bebaviour in an Indian Village, Baroda, 1959. EPSTEIN, op.

cit.

« ... Il s'est produit à Dalena des changements politiques fondamentaux. Les membres des panchayats ne sont plus nécessairement les aînés ; les paysans ne sont plus les arbitres des conflits entre intouchables... Les villageois à Dalena ont déjà commencé à accepter l'idée que la fonction politique n'était pas héréditaire et que les élections légalisaient par conséquent la déviation déjà bien établie d'un système politique strictement héréditaire. » (39) Il est important de constater qu'aux yeux du village, le Panchayat est identifié à l'Etat. Une telle attitude a détourné les villageois des institutions politiques modernes et les a conduits à chercher un guide dans le conseil des castes traditionnel.

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introduit une nouvelle échelle de valeurs : celle de la concurrence et de la controverse ainsi que du consentement populaire en opposition à cette vieille valeur attachée au privilège de la naissance. Les nouvelles institutions politiques ont changé l'ordre des valeurs et introduit l'égalité des castes et des sexes. Depuis la réorganisation des Etats en 1956, les gouvernements des Etats ont à leur tête des gens qui parlent la même langue que celle des villageois dans leur région respective, ce qui a permis au gouvernement de s'identifier davantage avec le peuple moralement parlant. « Cela dit, la structure bureaucratique lui reste autant étrangère que par le passé. » L'instauration du développement communautaire a introduit de nouvelles valeurs et de nouveaux idéaux. En dehors de ce programme, les villages ont acquis des réservoirs communs, des écoles communes, etc. Ces forces et ces idées égalitaires sont en contradiction avec le système « d'inégalité » maintenu par une distance sociale réglementée. Les anciennes façons de procéder sont, de ce fait, profondément bousculées et l'adaptation à de nouvelles méthodes exige du courage, de la volonté et un esprit prêt au compromis et au changement. La structure économique dans le village était pour l'essentiel incompatible avec le nouvel environnement économique dans lequel œuvrent maintenant les hommes et, par conséquent, la plupart des rapports économiques ont changé. L'emploi des hommes en dehors de leur propre village était donc incompatible avec la structure de l'emploi indigène et, de ce fait, les relations héréditaires en matière d'emploi cédèrent la place à des relations impersonnelles ( 40 ). Les fermiers se sont mis à cultiver leurs terres en échange d'un paiement en espèces et cela constitue un changement d'une importance considérable. La production s'est accrue en raison de l'emploi d'engrais et cela a stimulé l'économie en général. Toutefois, il faut noter que la plupart de ces changements ne sont pas nouveaux et qu'il y a longtemps qu'ils se produisent. Les changements surviennent maintenant à un rythme sensiblement plus accéléré et c'est cela qui est nouveau. Le cultivateur sans terres avait très peu (40) Voir EPSTEIN, op. cit., pp. 135, 318-319 : « La valeur que l'on at-

tachait à la propriété foncière en Grande-Bretagne conduisit les nouveaux industriels de la Révolution Industrielle à investir dans de grands domaines. Il fallut attendre de nombreuses années avant que les vieilles valeurs économiques ne soient remplacées par de nouvelles. Il semble qu'un certain laps de temps s'écoule entre un changement dans l'environnement économique et un changement dans la conception des valeurs économiques qu'ont les membres d'une société. Nous pouvons, par conséquent, nous attendre à ce que la valeur que les villageois de Dalena attachent encore à l'agriculture soit remplacée dans l'avenir par une préférence pour un emploi dans les villes. »

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de chance de trouver de l'emploi en dehors du village. Dans le village même, il était sujet au chômage saisonnier. Maintenant, il y a une production accrue dans le village, qui a besoin de lui ; et, à l'extérieur, ses services sont requis pour un nombre illimité de travaux de construction ( 41 ). La nature changeante de la caste a eu un effet sur l'organisation sociale du village ( 42 ) et sur la production agricole. Un grand nombre de cultivateurs, qui pouvaient faire appel à de l'aide aussitôt qu'ils en avaient besoin parmi leurs associés traditionnels d'autres castes, ne peuvent maintenant louer de la main-d'œuvre que s'ils peuvent payer en espèces. C'est un procédé familier qui s'applique en Inde depuis un siècle ou davantage. Mais, l'effet du changement n'a été ressenti pleinement qu'au cours des dernières années. Ainsi, la société en Inde n'a pas été aussi statique qu'on l'a souvent supposé. On a beaucoup parlé de l'aide immédiate et du « village indien éternel et immuable ». Que ce livre ( 43 ) dissipe au moins cette notion naïve s'il n'achève rien d'autre. La plupart des fermiers et des paysans dans le monde n'ont pas pour but d'atteindre des résultats abstraits ou théoriques car ils « ne croient que ce qu'ils voient ». D'après le professeur Lewis, il serait difficile de trouver quelque part dans le monde un laïc qui répugne à saisir l'occasion qui se présente à lui d'élever son niveau de vie simplement parce qu'il croit que cela serait mauvais pour son âme d'élever ce niveau de vie. Avancer la suggestion selon laquelle le développement socio-économique serait mis en échec par l'attitude des paysans envers les valeurs matérielles est en grande partie un mythe étant donné que les fermiers forment presque partout une classe âpre au gain, que les paysans sont partout soucieux d'élever leur condition matérielle et qu'ils accueillent avec sympathie toutes les innovations qui peuvent y contribuer. Ils adoptent sans hésitation de nouvelles semences ou de nouveaux engrais, utilisent l'eau que leur fournissent de nouveaux moyens d'irrigation ou se tournent vers des cultures plus rémunératrices.

( 4 1 ) P . K . MUKHERJEE et S . C . GUPTA, A Pilot Survey of Fourteen Villages m Uttar Pradesh and Punjab, Bombay, Asia, 1959. (42) W. WYATT, « India Moves On », In. As. C., 11, 3, janvier 1963, p. 216. (43) Ce texte est extrait de ma thèse de doctorat d'Etat présentée en décembre 1969 sous le titre Hindouité et développement socio-économique depuis 1947.

CINQUIÈME PARTIE VILLAGES D'AMÉRIQUE

LATINE

Odette ROSA DA SILVA Darcy DA SILVA

NOTE SUR LES UNITÉS SOCIALES BRÉSILIENNES

DE

PEUPLEMENT

En participant à ce Colloque, notre intention est de présenter les agglomérations rurales brésiliennes en vue de contribuer aux futures études comparatives de sociologie villageoise. Il est bien difficile, nous semble-t-il, de tracer une limite stricte entre village et ville, entre ville et campagne. Cette contre-position n'est pas suffisante pour une conceptualisation sociologique. Par exemple, Georges Davy ( 1 ) remarque : « Songez à la grande majorité de nos chefs-lieux de canton de France. Ce ne sont, après tout, que de petits villages, qui sont donc, en un sens, campagne ; mais, d'autre part, à cause de leur titre de chef-lieu de canton, ils attirent et fixent en eux des éléments citadins : le curé, le notaire, le receveur d'enregistrement, l'instituteur, l'huissier et bien d'autres, sans parler d'un certain nombre d'artisans de la ville qui sont venus s'y établir. »

D'un autre côté, Jean Brunhes et Pierre Deffontaines, du point de vue de la géographie humaine, déclarent : « qu'il y a ville toutes les fois que la majorité des habitants emploie la majorité de son temps à l'intérieur de l'agglomération ; il y a village toutes les fois que la majorité des habitants emploie la majorité de son temps à l'extérieur de l'agglomération » (2).

Et si l'on prend le village comme l'agglomération dont les habitants vivent principalement du travail de la terre, ne peut-on classer tous les groupements ruraux comme villages ? ( 1 ) G . DAVY, in: G . FRIEDMANN (éd.), Villes et campagne: civilisation urbaine et civilisation rurale en France, Paris, A. Colin, 1953, p. 4. (2) Cité par G . CHABOT, Les villes, 2e éd., Paris, A. Colin, 1952, p. 15.

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Selon Henri Mendras ( 3 ) : « Un village ou un groupe de villages constituaient autrefois un monde suffisamment nombreux et diversifié pour se suffire à lui-même et vivre en relative autarcie économique, démographique, sociale et culturelle. Chaque famille paysanne produisait un peu de tout et satisfaisait à ses principaux besoins ; les artisans fournissaient les compléments dont la fabrication réclamait une certaine spécialisation. On n'allait pas, normalement, chercher femme en dehors du voisinage immédiat. Par voie de conséquence, toute la vie sociale se trouvait confinée au cadre du village ou du « pays ». Chacun développait sa propre civilisation, légèrement différente de celle de ses voisins. » (p. 318). Mais l'auteur souligne que : « Le village-centre, le bourg ou la petite ville voient se construire des silos coopératifs, des foyers ruraux, des écoles, etc. Déjà, souvent l'église de village est vide et l'on parle de plus en plus de fermer l'école et de ramasser les enfants en autobus pour les réunir au groupe scolaire du chef-lieu de canton. » (p. 319). Ainsi on peut bien voir que les définitions du village se trouvent en changement. Aussi bien, notre contribution au présent Colloque demeure-t-elle limitée à une présentation succincte de quelques agglomérations rurales brésiliennes. Cependant, il n'est pas facile de caractériser ces agglomérations, tant sont grandes les différences qui se présentent, selon les régions ou les facteurs qui leur ont donné origine. Ces différences sont telles qu'elles peuvent se produire dans le m ê m e Etat, voire dans la même Province. Aroldo de Azevedo ( 4 ) dit que : « Au Brésil, les agglomérations les plus élémentaires se désignent par deux mots de signification identique — povoado et povoaçao — ; cependant il existe d'autres mots de caractère restreint et régional, qui sont employés pour identifier quelques-unes de ces modalités. ... Le povoado ou la povoaçao, tels que les Brésiliens les entendent, ne se confondent avec aucune des petites agglomérations de l'Europe Occidentale, surtout pour les faibles liens qui les attachent au milieu rural. Ils différent du « Hamlet » anglais comme du hameau français et même du « casai » portugais. Le type dont ils sont plus proches, peut-être, serait le « pueblo de l'Amérique Espagnole » (p. 31). Le même auteur, dans une tentative de classement des différents types de povoado, a essayé de les grouper selon les facteurs fonctionnels qui leur ont donné naissance. Les povoados apparaissent autour des lieux fortifiés, aldeias des Indiens, corrutelas, installations canevières, fazendas, patrimònio, gares de chemin de fer, etc. (3) H. MENDRAS, « Sociologie du milieu rural », in G. GURVITCH (éd.), Traité de sociologie, Paris, P.U.F., 1962. (4) A. DE AZEVEDO, « Embrioes de Cidades Brasileiras », Separata Boletin Paulista de Geografia, 25, mars 1957, pp. 31-69.

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Au Nord-Est du Brésil et dans l'Etat de Bahia, par exemple, les povoados portent des noms de commerce et de rue, de façon à signaler la différence existant entre eux et les habitants ruraux. Dans les actuelles régions diamantifères du Brésil Central, les povoados sont connus sous le nom de corrutela — la corrutela se distingue des autres agglomérations du Brésil par l'hétérogénéité et la grande mobilité de sa population, laquelle est constituée, généralement, par des aventuriers et des gens corrompus ou/et corrupteurs ; c'est la raison pour laquelle ces unités sociales sont nommées corrutelas. Dans les Etats de Minas Gérais et Sao Paulo, quelquefois les povoados se rencontrent dans les bairros rurais (quartiers ruraux). Bien que les povoados aient reçu des dénominations régionales ou locales, on peut trouver des traits communs entre eux. La population est formée de quelques dizaines d'habitants ; les habitations sont modestes et rustiques, groupées de part et d'autre d'une seule rue qui fait fonction de petite route ; souvent il n'y a qu'une petite place où se trouve une chapelle ou une petite église. La fonction du povoado n'est pas bien définie, cependant il est fréquent qu'il exerce une fonction commerciale, représentée par de petites maisons de commerce — la venda — , ou même de petits magasins. Il a aussi une fonction religieuse, quelquefois importante, jouée par la chapelle ou la petite église, fonction qui se manifeste les dimanches et jours de fêtes. Parmi les povoados déjà mentionnés, il nous semble que les plus étudiés jusqu'à ce jour furent les bairros rurais paulista, en tant qu'unités sociales. Certains auteurs, comme de Mello e Sou2a ( 5 ) ont bien senti leur importance. Dans son ouvrage Parceiros do Rio Bonito, où il se livre à une étude approfondie de cette unité sociale, il définit le bairro rural comme un groupe de voisinage, d'habitat dispersé, mais suffisamment délimité et qui donne aux habitants la conscience d'appartenance au bairro. Le « sentiment de localité » constituait un élément de base pour délimiter la configuration d'un bairro rural tant dans l'espace géographique que dans l'espace social. Traditionnellement, la chapelle marque le noyau central et la fête du saint patron constitue une des plus importantes occasions de réunion pour les habitants dispersés dans les alentours ; en ces moments s'affirme la conscience d'appartenir au bairro en relation avec les bairros voisins. Chaque bairro se compose de familles conjugales autonomes vivant en relative autarcie, travaillant ses roças, en toute indépendance, quand et comme elles le veulent. Mais l'entraide est indispensable pour les travaux ruraux à cause des techniques rudimentaires de la population ; elle constitue, à côté de la fête reli(5) A.C. DE MELLO E SOUZA, Parceiros do Rio Bonito. Estudo s6bre o caipira paulista e a transformafao dos seus meios de vida. Rio de Ja-

neiro, Éd. José Olympio, 1964 (Colegao Documentos Brasileiras, vol. 118).

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gieuse, une autre façon d'intégrer les habitants du même bairro rural. Comme nous l'avons décrit, on peut voir que le bairro rural est la plus petite unité de peuplement dans les régions rurales de l'Etat de Sao Paulo ; elle a un niveau économique assez précaire et tombe pour ainsi dire en décadence très facilement, compte tenu de l'impact de l'industrialisation. Plusieurs autres études ont été inspirées de l'étude de De Mello e Souza. Maria Isaura Pereira de Queiroz, notamment, a orienté plusieurs recherches sociologiques sur ces unités, envisageant une caractérisation des bairros rurais traditionnels et modernes. Il faut noter que dans ces recherches d'unités de peuplement, quelquefois, les chercheurs ( 6 ) ont constaté que ces agglomérations d'apparence externe rurale exercent des fonctions de ville, comme c'est le cas de plusieurs sièges de municipes ruraux brésiliens ( 7 ). En conclusion, on peut dire que le problème de caractériser des agglomérations humaines se pose aussi en milieu rural brésilien, comme il s'est posé dans les études de ville et de village en France. Il faut ajouter, encore, que le problème pour nous devient plus complexe à cause de la diversification territoriale et de l'existence de plusieurs régions écologiques et culturelles. De Mello e Souza ( 8 ) a déjà souligné le besoin d'approfondir la connaissance de ces régions culturelles, pour bien comprendre l'ensemble de la société rurale brésilienne.

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(6) Nous nous référons ici aux chercheurs du Centro de Estudos Rurais e Urbanos, dirigé par Maria Isaura PEREIRA DE QUEIROZ. (7) Il faut ajouter que le Brésil est divisé en 22 Etats, qui sont à leur tour divisés en plusieurs municipes. Le municipe est une unité politico-administrative ayant une certaine autonomie économique. ( 8 ) A . C . D E M E L L O E SOUZA, « L'Etat actuel et les problèmes les plus importants des études sur les sociétés rurales du Brésil ». Sao Paulo, 1955 (in Separata dos Anais do XXXI Congresso Internacioned de Americanistas, pp. 321-332).

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