Valentin Serov 9781780427539, 1780427530

Les artistes moscovites qui commencèrent à se diriger vers l'Impressionnisme aux environs de 1880 admiraient les oe

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Valentin Serov
 9781780427539, 1780427530

Table of contents :
Title Page......Page 4
Sommaire......Page 6
INTRODUCTION À LA PEINTURE RUSSE......Page 7
LE PREMIER MAÎTRE DE LA PEINTURE RUSSE......Page 17
OEUVRES GRAPHIQUES......Page 149
BIOGRAPHIE......Page 187
Liste des illustrations......Page 197
Back Cover......Page 201

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Valentin

SEROV

Auteur : Dmitri V. Sarabianov Mise en page : Baseline Co. Ltd 61A-63A Vo Van Tan Street 4e étage District 3, Hô-Chi-Minh-Ville Vietnam © Confidential Concepts, worldwide, USA © Parkstone Press International, New York, USA Image-Bar www.image-bar.com Tous droits d’adaptation et de reproduction, réservés pour tous pays. Sauf mentions contraires, le copyright des œuvres reproduites appartient aux photographes, aux artistes qui en sont les auteurs ou à leurs ayants droit. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition. ISBN : 978-1-78042-753-9

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Dmitri V. Sarabianov

Valentin Serov

Sommaire

Introduction à la peinture russe Le Premier Maître de la peinture russe

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Œuvres graphiques

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Biographie

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Liste des illustrations

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INTRODUCTION À LA PEINTURE RUSSE

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L’

intensité spirituelle des icônes, la diversité des portraits des

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et

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XIX

siècles, la

puissance d’évocation des paysages, scènes de la vie paysanne et peintures historiques des Ambulants, le raffinement des artistes du monde de l’art, l’audace expérimentale

du

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siècle… Pour qui n’est pas familier de la peinture russe, sa richesse se révélera une

surprise, mieux, une découverte fascinante. La décision de Pierre le Grand de construire une capitale qui fût « une fenêtre sur l’Europe » eut une portée considérable sur le destin de la peinture russe. Tout d’abord, le tsar lui-même attira en Russie des architectes, artisans et artistes venus des quatre coins d’Europe, tant pour dessiner et décorer les édifices de Saint-Pétersbourg que pour apporter aux Russes le savoir-faire nécessaire à la vaste entreprise de modernisation du pays. Dans la même ligne, il finança les études à l’étranger d’artistes russes et conçut le projet d’intégrer une section artistique à l’Académie des sciences nouvellement créée. Ce projet ne trouva son aboutissement qu’après sa mort, dans la fondation, en 1757, de l’Académie impériale des beaux-arts, qui ouvrit ses portes six ans plus tard. Pendant plus d’un siècle, l’Académie exerça une influence majeure sur l’art russe. On lui adjoignit ensuite une école préparatoire, où les artistes en herbe étaient envoyés entre six et dix ans. Les études pouvaient durer quinze ans. Très hiérarchisée, l’Académie comportait une échelle de titres allant de l’ « artiste sans grade » à l’académicien, au professeur et au membre du Conseil. Et, jusqu’au dernier quart du

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XIX

siècle, la doctrine classique y régna sans partage. Pour contraignant, voire frustrant que son enseignement fût parfois pour ses élèves, l’Académie avait en tout cas pour mérite d’offrir une formation solide et complète aux jeunes qui faisaient montre de quelque talent. À l’origine, l’Académie comptait une majorité de professeurs étrangers, principalement français et italiens. C’est la raison pour laquelle, du milieu du

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siècle au milieu du

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siècle, la peinture russe doit beaucoup aux courants qui, d’abord en vogue dans d’autres régions d’Europe, atteignaient ensuite, avec un léger retard, la Russie. Étant donné la distance entre Saint-Pétersbourg et les capitales d’Europe occidentale, ce décalage n’est pas surprenant. Pourtant, les peintres russes disposaient de nombreuses occasions de se familiariser avec l’art russe et étranger, à la fois grâce à la circulation de reproductions (la plupart du temps sous la forme de gravures et de lithographies) et aux achats d’œuvres d’art par la classe dirigeante. Catherine la Grande, elle-même, ne se contenta pas de fonder l’Académie (ce qui impliquait l’offre de bourses de voyage aux diplômés), elle acheta également des chefs-d’œuvre de l’art français, italien et hollandais pour l’Ermitage. À la Révolution française, ses agents en

Ilya Répine, Valentin Serov, 1901. (p. 6) Fenêtre ouverte. Lilas (étude), 1886. Huile sur toile, 49,4 x 39,7 cm. Musée des Beaux-Arts de Biélorussie, Minsk.

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particulier – et les visiteurs russes à Paris en général – réalisèrent d’excellentes affaires lorsque les châteaux furent pillés et leur contenu mis en vente. En 1863 – l’année du premier Salon des Refusés à Paris – quatorze étudiants de premier plan (treize peintres et un sculpteur) quittèrent l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg pour protester contre ses positions conservatrices et la rigidité de son règlement. Leur premier geste fut de monter une coopérative d’artistes, mais le besoin se fit vite sentir d’une association plus large et mieux structurée : ce sera, quelques années plus tard, la Société des expositions artistiques ambulantes. L’association fut officiellement créée en novembre 1870 et la première exposition eut lieu en novembre 1871 (la dernière date de 1923). Les fers de lance du mouvement étaient Ivan Kramskoï – (1837-1887) portraitiste, peintre d’histoire et de genre, ce dernier enseigne à l’école de dessin de la Société d’encouragement des artistes de Saint-Pétersbourg avant de recevoir le grade d’académicien en 1869 –, Vassili Perov – (1834-1882) peintre de portrait, d’histoire et de genre, de 1871 à 1873, il enseigne la peinture à l’École de peinture de sculpture et d’architecture de Moscou –, Grigori Miassoïedov – (1834-1911) peintre de portrait, d’histoire et de genre, il séjourne en Allemagne, en Italie, en Espagne et en France après avoir fait ses études à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et compte parmi les membres de la direction de la Société des expositions artistiques ambulantes – ; enfin Nicolas Gay – (1831-1894) peintre de sujets religieux, de tableaux d’histoire, de portraits et de paysages, sculpteur et graveur – écrit également des articles sur l’art. D’abord étudiant à la faculté de physique et de mathématiques de Saint-Pétersbourg, il rejoint l’Académie des beaux-arts où il enseigne à partir de 1863. À la base de leur initiative, se trouve la volonté de rendre l’art accessible à un plus vaste public. D’où l’idée – peut-être inspirée par les narodniki, les populistes qui parcouraient alors la Russie pour propager leurs idées de réforme sociale et politique – d’organiser de ville en ville des expositions itinérantes. Le nom de la société vient de là. Comme les impressionnistes en France (qui tinrent leur première exposition en 1874), les À la Fenêtre. Portrait d’Olga Troubnikova (inachevé), 1886. Huile sur toile collée sur carton, 74,5 x 56,3 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

peredvizhniki – « ambulants » ou « itinérants » en russe – accueillirent, avec le temps, une quantité d’artistes aux styles et aux préoccupations de plus en plus divers. Mais à l’origine, au moins, la Société présentait une certaine homogénéité dans ses objectifs idéologiques. Contemporains des écrits sociaux de Herzen, Tchernychevski, Tourgueniev, Dostoïevski et

Paysanne dans une charrette, 1896. Huile sur toile, 48 x 70 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. (p. 12-13)

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Tolstoï, la majorité des Ambulants s’intéressèrent à la condition du peuple et stigmatisèrent les inégalités, criantes à l’époque, de la société russe. Les plus radicaux d’entre eux développèrent ensuite ce qui fut connu sous le nom de « Réalisme critique ».

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Village, 1898. Gouache et aquarelle sur papier collé sur carton, 25,5 x 37,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Dans le premier quart du

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siècle, les peintres du modernisme russe désirent conférer à l’art

une résonance sociale plus large. Leur reste à concilier l’attachement profond qu’éprouvent les Russes face à la tradition et l’envie de renouveau. Celui-ci s’exprime alors à travers les courants les plus divers. L’avant-garde russe offre de multiples facettes, puisant son inspiration aussi bien dans les sources propres à son pays qu’étrangères, de sorte qu’au début du

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siècle, l’art russe se

trouve à la pointe du processus artistique mondial. La Russie se dota de remarquables collections qui s’agrandirent encore, quelque cent ans plus tard, quand Serge Chtchoukine et les frères Mikhaïl et Ivan Morozov achetèrent une série de toiles impressionnistes françaises. En 1892, le négociant, et industriel, Pavel Tretiakov, offrit à la ville de Moscou sa gigantesque collection de peintures (dont plus d’un millier d’œuvres d’artistes russes), qui sont exposées et entreposées à la galerie qui porte désormais son nom. Enfin, six ans plus tard, le Musée russe ouvrit ses portes à SaintPétersbourg, au palais Mikhaïlovski : il abrite de nos jours plus de 300 000 pièces, dont 14 000 peintures. Les expositions jouèrent également un rôle important dans le développement de l’art russe, tel le retour de l’icône au début du

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siècle. Pendant deux cents ans en effet, même si elles

n’avaient cessé de faire l’objet de vénération religieuse, les icônes, en tant qu’œuvres d’art, avaient connu une réelle éclipse. Beaucoup d’entre elles avaient d’ailleurs été endommagées, s’étaient ternies sous la saleté ou avaient été repeintes mal à propos. En 1904, une restauration de La Trinité de Roublev lui rendit toute sa splendeur et, en 1913, une exposition remarquable d’icônes restaurées ou simplement nettoyées se tint à Moscou pour célébrer le millénaire de la dynastie Romanov. On vit alors plusieurs peintres, et non des moindres, redécouvrir l’icône, ses tons et sa facture spécifiques. De même, la grande exposition de portraits du

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siècle organisée par Diaghilev au palais Tauride à Saint-

Pétersbourg en 1905 fut à l’origine d’un net regain d’intérêt pour le portrait et, plus largement, pour le patrimoine artistique russe en général. Enfin, les expositions internationales (comme celles organisées par la revue de La Toison d’Or en 1908 et 1909), ainsi que les voyages d’artistes à l’étranger ou, à l’inverse, les visites d’artistes étrangers en Russie, permirent aux peintres russes de mieux connaître des mouvements tels que l’Impressionnisme, le Symbolisme, le Futurisme et le Cubisme. Et il est fascinant, aujourd’hui, de constater comment des artistes aussi différents que Grabar, Vroubel, Chagall ou encore Larionov ou Goncharova intégrèrent ces influences à leur art personnel, en y mêlant des éléments purement russes.

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LE PREMIER MAÎTRE DE LA PEINTURE RUSSE

Terrasse avec balustrade, 1903. Huile sur toile, 49,5 x 63 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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orsqu’on analyse les créations d’un grand artiste et que l’on se pose ces questions : sa grandeur, en quoi consiste-t-elle ? Où est son mérite principal ? Les réponses peuvent être des plus différentes. Il y a des peintres qui découvrent de nouveaux aspects de la vie,

restés jusque-là inaccessibles à l’art ; il y en a qui revisitent les différents systèmes de la peinture pour trouver une voie vers de nouveaux procédés picturaux ; il y en a enfin qui, par l’importance de leur œuvre, semblent mettre le dernier jalon à tout un courant dans l’histoire de l’art. Pour ce qui est de Serov – qui occupe une place toute particulière dans la peinture russe de la fin du

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et du début du

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siècle – il a accompli à lui seul de grandes réformes,

tracé de nouvelles voies et rattaché l’une à l’autre deux périodes de la peinture russe. Ainsi, quand dans les années 1880, Serov en était à ses débuts, l’activité créatrice des peintres réalistes membres de la Société des Expositions Ambulantes (les « Ambulants » ; en russe Pérédvijniki), était à son apogée. Or, les premiers tableaux exposés par Serov qui eurent du succès, la Jeune Fille aux pêches et la Jeune Fille éclairée par le soleil, datent de 1887-1888. Quelques années auparavant, son maître, Ilia Répine, membre actif de la Société des Expositions Ambulantes, avait exposé la Procession religieuse dans le gouvernement

de Koursk, On ne l’attendait pas et Ivan le Terrible et son fils le tsarévitch Ivan. Vassili Sourikov, le plus grand peintre du genre historique, achève la Boyarine Morozova, son oeuvre maîtresse, la même année où Serov crée sa Jeune Fille aux pêches. Mais lorsque Serov en était à ses derniers chefs-d’œuvre tels que l’Enlèvement d’Europe ou bien Ulysse et Nausicaa, les artistes russes ne cherchaient plus à reproduire des scènes de la vie réelle, mais bien à interpréter la vie à leur façon pour donner à l’image une certaine réalité artistique indépendante, une valeur en soi. À cette époque, ils étaient moins soucieux d’analyser les rapports complexes qui existent entre l’individu et la société, que de rechercher des symboles du temps présent, d’une nouvelle mythologie, d’une nouvelle poésie. C’est à la limite des deux siècles que s’accomplit cette réforme et qu’on vit triompher de nouveaux principes artistiques, ceux-là mêmes qui devinrent ensuite la base de l’art du

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siècle. Et c’est à Serov qu’incomba la tâche de réaliser dans son œuvre ce revirement dans la peinture russe. On peut dire sans exagération que la voie que celle-ci parcourut depuis les années 1880 jusqu’aux années 1910 n’est nulle autre que celle qui va de la Jeune Fille aux

pêches au Portrait d’Ida Rubinstein. Sans rompre avec les traditions de ses maîtres, le jeune Serov instaura une nouvelle méthode qui dut ensuite être reprise par la plupart des peintres de sa génération et se développer dans leur œuvre. Sur cette voie, il y en avait qui allaient du même pas que lui, mais d’aucuns le dépassaient. Ces derniers faisaient l’objet de l’attention soutenue de Serov, ainsi que de sa critique, toujours impartiale, parfois sceptique. Mais le scepticisme passé, restait un sentiment

Jeune Fille aux pêches. Portrait de Vera Mamontova, 1887. Huile sur toile, 91 x 85 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 16) Hiver à Abramtsevo. Église (étude), 1886. Huile sur toile, 20 x 15,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 20)

impérieux d’aller toujours de l’avant, de ne pas se laisser distancer par le temps. Serov ne voulait contrecarrer personne ; il se faisait une haute idée du devoir envers la peinture russe, envers son école, ses maîtres et ses élèves. Il ne voulait pas de ces privilèges que l’on accorde à un « maître ». Il n’était pas un « maître », mais un travailleur, mieux que ça : dans

Étang à Abramtsevo (étude), 1886. Huile sur panneau, 34,5 x 24,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 21)

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une certaine mesure, un élève. Et c’est au prix de grands efforts qu’il arrivait à assumer le rôle de chef de file. Son grand talent, il sut le multiplier par une assiduité sans exemple. Dans son élan en avant, Serov n’était pas seul. Durant sa vie d’artiste, il porta une amitié désintéressée et élevée à Mikhaïl Vroubel, à Constantin Korovine, à Alexandre Benois et à d’autres peintres du cercle de l’association Mir Iskousstva (Monde de l’Art). Beaucoup d’entre eux étaient proches de Serov par leurs intérêts artistiques ; cela se rapporte surtout à Vroubel, ami de Serov dans ses années de jeunesse. Ils avaient fait leurs études ensemble ; ensemble ils rêvaient aux nouvelles voies de l’art. Pourtant, ils suivirent des chemins différents : Vroubel rompit avec les traditions des Ambulants et alla résolument dans une direction opposée, vers le Symbolisme, vers un nouveau style pictural, se vouant pour un temps à la solitude. Son évolution fut rapide, il changea d’une façon décisive, comme seuls les grands génies le font, les vrais révolutionnaires dans l’art. Quant à Serov, il ne joignait le nouveau au vieux qu’après avoir mesuré chaque pas fait dans la voie pénible. Constantin Korovine, qui était très proche de Serov dans les années 1880-1890, devint dès le début du XXe siècle son collègue permanent à l’École de peinture, sculpture et architecture de Moscou. Mais jusqu’à la fin de ses jours, Korovine resta dans le cadre du courant dont il avait été avec Serov le promoteur. Serov le dépassa et alla plus loin, vers de futures découvertes. La seule confrontation de ces trois noms – Vroubel, Serov et Korovine – peintres si différents, quoique liés par des liens d’amitié, témoigne de la complexité de l’évolution artistique en Russie à la limite des deux siècles. Mais les variantes des activités créatrices que ces trois artistes ont données par leur exemple sont loin d’épuiser toute la diversité des courants et des individualités. Répine, maître de Serov, ne s’arrête pas à ses acquisitions artistiques des années 1880. Ainsi, entre 1890 et 1900, il effectue la Séance du Conseil d’État, énorme portrait de groupe, avec une série de brillantes études. Dans les années 1890, le paysage des « Pérédvijniki » arrive à son apogée. C’est Isaac Lévitan qui, pour ainsi dire, en dressa à lui seul le bilan et ouvrit en même temps la barrière à l’évolution ultérieure de la peinture russe. Dans les mêmes années, apparurent de nouveaux courants et groupements qui se succédaient ou bien coexistaient : après le Monde de l’Art vint la Rose Bleue, puis le Valet de Carreau. Presque toutes les recherches des peintres russes eurent les mêmes limites chronologiques que celles où se déroula l’activité créatrice de Serov. Soir d’automne à Domotkanovo, 1886. Huile sur toile, 54 x 71 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 22-23)

Son œuvre avait plus d’un aspect et se présentait aux différents courants par ses divers côtés. Ainsi, les peintres moscovites qui avaient fait leurs premiers pas vers l’Impressionnisme dans les années 1880, l’appréciaient surtout pour ses toiles de jeunesse pleines de soleil, pour ses

Vieille Maison de bain à Domotkanovo, 1888. Huile sur toile, 76,5 x 60,8 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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paysages champêtres des années 1890 ; il leur était proche par sa manière de découvrir la poésie dans le moindre événement de la vie, par la beauté des choses de la vie quotidienne qu’il peignait.

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Place Saint Marc à Venise (étude), 1887. Huile sur toile, 22 x 31. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Quai des Schiavoni à Venise (étude), 1887. Huile sur toile, 22,5 x 31,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Parfois Serov s’approchait tout près de ce groupe des peintres moscovites que l’on désigne sons le nom de « Jeunes Pérédvijniki ». Tout en maintenant les traditions de la peinture réaliste des années 1870-1880, ces artistes, chacun à sa manière, introduisaient dans leurs créations des éléments nouveaux : tantôt, comme Nikolaï Kassatkine et Sergueï Korovine, en empruntant leurs sujets et leurs héros à la vie contemporaine, tantôt en perfectionnant leurs moyens picturaux. Sergueï Ivanov, lui, arrivait à une grande expressivité de ses travaux par un rigoureux laconisme de la composition, par la sûreté du dessin, par de subtiles graduations chromatiques. Quant à Abram Arkhipov, il savait fondre dans une seule image poétique et pour ainsi dire, contemplative, la peinture de genre avec le paysage ; l’anecdote, le conflit ou même tout élément dramatique sont absents de ses scènes champêtres ; elles sont pleines de la discrète beauté des choses communes de la vie de tous les jours, entrevue par l’artiste, là où personne avant lui ne s’était avisé de la chercher. Cette dernière qualité plaisait à Serov d’une façon particulière. Les liens qui attachaient Serov à d’autres courants de la peinture russe de ces années étaient de nature différente. Les élèves de Répine à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, et parmi eux Boris Koustodiev et Filipp Maliavine en premier lieu, ont, vers 1900, pratiqué à l’instar de leur maître, une manière de peindre librement, une touche large et énergique, anticipant par là des tendances décoratives dans la peinture du début du XXe siècle. Le Serov des années 1890-1900 adhère à ce courant et en propose sa propre variante qui peut servir d’étalon. À partir de la fin des années 1890, lorsque se forma à Saint-Pétersbourg le groupe du Mir

Iskousstva, il noua des liens d’amitié avec ses représentants et, sous peu, commença à jouir auprès d’eux d’une autorité incontestable. Ce qui les réunissait tous, c’étaient le désir de créer un style, l’amour des grandes formes, une maestria impeccable, la volonté d’assimiler les plus importantes conquêtes de la culture artistique. Dans l’art de Serov, la fusion du traditionnel et du nouveau est exceptionnellement organique. C’est pourquoi Serov était cher aux gardiens des traditions de la peinture russe encore toute récente et aux novateurs : les premiers l’appréciaient surtout pour ses portraits dont le profond réalisme rappelait ceux de Répine, les seconds pour ses recherches ininterrompues de l’inexploré. Pour opposés que soient les côtés de son œuvre, on ne peut parler d’éclectisme. Ce qui rendait le talent et l’art de Serov multiples, c’est qu’il se trouvait au point où se croisaient des courants différents, et que, dans une période complexe de transition, il ne voulait rien oublier et cherchait à utiliser tout l’héritage laissé par ses aînés, à le ranimer en lui donnant une nouvelle interprétation.

Étang envahi par les herbes à Domotkanovo, 1888. Huile sur toile, 70,5 x 89,2 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 28-29)

Le fait que l’art de Serov était « adressé à tous », le fit chef d’une école, le gardien fidèle des intérêts du vrai art, un artiste qui sans rompre définitivement avec le passé découvrait le nouveau, et, par là même, facilitait la besogne aux autres. C’est là qu’il faut chercher le secret du rôle joué par Serov en tant que chef de l’école moscovite.

Jeune Fille éclairée par le soleil. Portrait de Maria Simonovitch, 1888. Huile sur toile, 89,5 x 71 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Portrait de la grande duchesse Olga Alexandrovna, 1893. Huile sur toile, 60 x 49 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. Autoportrait, 1901. Aquarelle et gouache sur papier, 49 x 35 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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De son atelier à l’école de Moscou sont sortis des artistes aussi différents que Kouzma Petrov-Vodkine, Nikolaï Oulianov, Pavel Kouznetsov, Martiros Sarian, Ilia Machkov, Mikhaïl Larionov, Konstantin Youon. Chacun pouvait profiter de ses sages préceptes, de son expérience, de son exemple et surtout du cas qu’il faisait de la haute destination de l’artiste. Valentin Alexandrovitch Serov naquit en 1865 dans la famille d’un célèbre compositeur et critique d’art russe. Sa mère, elle aussi, était compositeur et pianiste, et Serov vécut, dès son bas âge, dans un climat d’art. Partageant les idéaux démocratiques et les préceptes des écrivains révolutionnaires des années 1860, Nikolaï Tchernychevski et Nikolaï Dobrolioubov, la mère du futur peintre avait, sans ménager ses forces, largement propagé dans le peuple la culture musicale. Jusqu’à la mort de son père, c’est-à-dire à une époque où le futur artiste était encore enfant, le salon des Serov était fréquenté par de célèbres peintres et sculpteurs tels que Nikolaï Gay, Mark Antokolski, Ilia Répine. On maintenait ces relations même lorsqu’on allait à l’étranger. Serov commença à dessiner de bonne heure. Et c’est presque en même temps qu’il commença ses études, d’abord à Munich, où il se trouva après la mort de son père, puis à Paris où, à l’âge de neuf ans, il fut remis, sur le conseil d’Antokolski, « entre les mains » de Répine qui devint non seulement son maître, mais aussi son ami. À cette époque, Répine, qui venait de terminer ses études à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, faisait un stage en France, et c’est là que Serov commença à fréquenter son atelier ; Répine lui faisait dessiner des moulages et peindre d’après nature. Les études avec Répine prirent fin en 1875, lorsque les Serov revinrent en Russie ; elles ne recommencèrent qu’en 1878, époque où Repine s’établit à Moscou. Maintenant, les leçons devinrent sérieuses et systématiques. Il reste de ce temps quelques études d’après lesquelles on peut imaginer à quel point le maître cherchait à développer chez son élève la spontanéité de la sensation artistique de la nature en entraînant son œil et sa main à reproduire des objets différents de forme, de facture et de couleur. Répine, de peur de contraindre le talent de Serov, ne voulait imposer aucun système pédagogique à ce garçon étonnamment doué. Serov vivait tout bonnement à ses côtés, ils travaillaient coude à coude, et l’élève, assis à côté du maître, suivait d’un œil vigilant tout ce que faisait l’autre. Il arrivait souvent que le maître et l’élève aient un seul et même modèle. À l’époque, Répine travaillait à de grandes compositions et Serov, en quelque sorte, l’assistait dans ce travail. Ainsi, ce fut lui qui dessina la grange qui sert de fond au Départ

Portrait d’Angelo Masini, 1890. Huile sur toile, 89 x 70 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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de la recrue de Répine ; c’est encore lui qui peignit le portrait du célèbre bossu qui servit de modèle à Repine plus d’une fois et qui est un des principaux personnages de sa Procession religieuse dans le gouvernement de Koursk. Enfin, en 1880, Serov se rendit avec son maître à Zaporojie (la région des rapides du Dniepr) pour recueillir des matériaux pour Les Zaporogues, tableau de Répine ; là ils peignirent ensemble des scènes de la vie des cosaques.

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Mais bientôt le travail en commun prit fin : Répine comprit que tout ce qu’il pouvait donner au jeune Valentin Serov, il le lui avait donné, et il décida de l’envoyer à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg chez Pavel Tchistiakov. La même année 1880, Serov commençait ses études à l’Académie des beaux-arts. Alors, débutait pour lui une vie riche en événements : ses cours à l’Académie, le travail en commun dans un atelier loué avec Vroubel et Derviz, ses amis de la classe de Tchistiakov ; le soir, d’interminables discussions sur l’art menées dans la famille de sa tante Adelaïda Simonovitch, avec les filles de laquelle l’artiste maintint une longue amitié. Tchistiakov était un intelligent systématicien, un excellent maître qui savait très bien interpréter les lois de la forme tant dans la peinture que dans le dessin. Il cherchait à communiquer à ses élèves la science des lois de la transformation d’un monde à trois dimensions en un phénomène artistique transposé sur une surface plane. C’est Tchistiakov qui apprit à Serov à être d’une sévère exigence – sévère et pleine d’amour à la fois – quant à la maîtrise professionnelle, quant aux questions de la forme et de la perfection artistique. Serov ne faisait que travailler, toujours travailler. Il peignait et dessinait des modèles nus, ses connaissances, la nature, tout ce qui l’entourait. Il n’épargnait pas ses forces pour perfectionner son dessin, joignant le rigoureux système constructif de Tchistiakov au caractère pictural du dessin de Répine. Son Autoportrait de 1885 est une tentative de créer une image en utilisant tout ce qu’on peut tirer d’expressif de la ligne et du trait. Le contour à peine marqué de la figure, le vide du fond blanc et de profondes hachures autour de la tête font concentrer tout l’intérêt sur le visage du portraituré. Le monde intérieur du jeune Serov et aussi l’idée qu’il se fait d’un artiste, de ce qu’est l’œuvre d’art, nous sont révélés par son regard, un regard qu’il serait difficile de définir et où l’on lit une grande sévérité à l’égard de lui-même, un profond recueillement, une réserve et un isolement, et avant tout une force intellectuelle peu commune et une maturité morale quelque peu précoce. L’Académie, avec son esprit officiel et bureaucratique, restait foncièrement étrangère à Serov : seule sa foi en Tchistiakov l’y retenait. Serov se comportait d’une façon parfaitement indépendante à l’égard du système de l’enseignement établi. En 1885 il écrivait dans une lettre à sa fiancée : « Suis-je heureux de pouvoir faire fi des médailles ! Tu ne peux pas t’imaginer à quel point sont pernicieux tous ces subterfuges, toute cette chasse aux médailles. Je peux travailler comme moi je l’entends, et ne me confie qu’à Répine ou à Tchistiakov ». Son œuvre atteint sa maturité au début des années 1880. Son succès si précoce est presque sans précédent dans l’histoire de l’art. Les tableaux Jeune Fille aux pêches et Jeune Fille

éclairée par le soleil, qui le rendirent célèbre, furent peints alors qu’il était à peine âgé d’une vingtaine d’années. Il se remémorait toujours ces tableaux avec une affection particulière, et disait, d’après ce qu’en dit Igor Grabar, que dans toutes ses œuvres, ces travaux de jeunesse demeuraient inégalés. Cette évaluation personnelle peut être considérée comme exagérée, mais il faut bien reconnaître que les jeunes filles peintes par Serov ont en elles quelque chose

Portrait de Constantin Korovine, 1891. Huile sur toile, 111,2 x 89 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 36) Portrait de Ivan Zabeline, 1892. Huile sur toile, 80 x 67 cm. Musée historique d’État, Moscou. (p. 37) Portrait de Nikolaï Semionovitch Leskov, 1894. Huile sur toile, 64 x 53 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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de particulier, qui plus tard aura disparu dans les œuvres du peintre. Pendant cette courte période insouciante et gaie, il travailla principalement sur des sujets positifs. Plus tard, il continua à rechercher cette allégresse et s’efforça de la peindre. Ces paroles de l’artiste sont devenues, ces derniers temps, une formule dont on se sert pour désigner tout un courant dans la peinture russe – et tout spécialement moscovite, – des années 1880-1890. On peut y classer avant tout le jeune Korovine ; la sensation optimiste et joyeuse de la nature est caractéristique pour les œuvres de Lévitan des années 1880 ; les premières toiles d’Arkhipov et d’Alexeï Stepanov, représentants typiques de l’école de Moscou, portent l’empreinte d’un doux lyrisme. Ces artistes écartaient de propos délibéré tout ce qui était préconçu, toute idée élaborée d’avance, toute façon analytique d’aborder la vie. Le poétique devenait la tendance principale de la peinture moscovite. Quant à Serov, son programme du « réjouissant » exprimait cette tendance de la façon la plus suivie. Il va de soi qu’on ne saurait jamais expliquer l’apparition des remarquables toiles du jeune Serov uniquement par les tâches générales que s’imposaient les peintres de la nouvelle génération. Pour que ces œuvres parussent, il fallait des conditions absolument particulières. Or, Serov avait quitté l’Académie ; il se sentit libre de toutes entraves, règles et canons. Vivant à l’étranger, il avait connu la beauté impérissable de la peinture des vieux maîtres. Leur ascendant fut passionnant et impérieux. À force d’étudier la peinture des grands Hollandais, Espagnols, Italiens, Serov eut le goût de créer des œuvres glorifiant la beauté humaine, œuvres toutes imbues d’un blême « savoir faire », de cette haute maîtrise que les « vieux » possédaient à la perfection, prenaient aux yeux du jeune peintre une importance toujours plus grande. Venise avec sa magnifique architecture et ses canaux féeriques, l’enivra ; il se sentait plein de forces, il était entouré de ses amis et de ceux qui l’aimaient. Et puis, à Odessa en 1885, lorsqu’il avait travaillé à ses

Bœufs, une étude en apparence insignifiante, il avait compris à quoi doit aspirer un artiste qui a éprouvé la satisfaction due à l’harmonie obtenue par la corrélation des couleurs.

Portrait de Maria Lvova, 1895. Huile sur toile, 87 x 58 cm. Collection privée. (p. 40) Portrait d’Alexandre Sergueïevitch Pouchkine, 1899. Mine de plomb, aquarelle, et chaux sur papier, 35 x 29,3 cm. Musée Pouchkine, Saint-Pétersbourg. (p. 41) Les Pomors, 1894. Huile sur bois, 33 x 23,3 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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L’humeur joyeuse de Serov venait en grande partie de son entourage, des contacts avec des amis, de l’ambiance artistique qui régnait à Abramtsevo, propriété du mécène Savva Mamontov. La magnifique maison, assise dans un endroit des plus pittoresques des environs de Moscou, et qui à la fin du XIXe siècle était un vrai centre de toutes les entreprises et innovations artistiques, était pour Serov comme une maison paternelle. Faisant depuis son enfance de longs séjours chez les Mamontov, c’est là qu’il avait trouvé le lieu où il sut manifester ses dons multiples et peu ordinaires. Ainsi, dans les spectacles d’amateurs, un des divertissements préférés à Abramtsevo, Serov avait magistralement joué des rôles très différents. Son talent de peintre s’y était épanoui, d’une part, sous la surveillance soutenue de ses aînés – Répine, Victor Vasnetsov, Vassili Polenov – et dans de vives discussions avec ceux de son âge – Vroubel, Korovine, Mikhaïl Nesterov – de l’autre. C’est encore là que naquit et s’affermit l’amour du peintre pour la nature de la Russie centrale, pour sa campagne et ses villages.

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Catherine II à la chasse au faucon, 1902. Détrempe et gouache sur carton, 23 x 40 cm. Musée russe, Saint-Péterbourg.

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Le Serviteur d’Abraham trouve une femme pour Isaac, Rebecca, 1894. Huile sur panneau, 23,5 x 33 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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L’autre asile du peintre depuis ses jeunes années, était Domotkanovo (gouvernement de Tver), propriété de Vladimir Derviz, ami de Serov du temps de ses études à l’Académie, marié à une de ses cousines, Nadejda Simonovitch. Serov y passa des jours heureux, goûtant la paisible vie de campagne, humant, les âpres odeurs de l’automne et admirant sa grisaille monotone. Les impressions de joie emportées par Valentin Serov d’Abramtsevo et de Domotkanovo furent pour beaucoup à la source de ses plus importantes œuvres de jeunesse. Un seul et même sentiment pénètre presque toutes les œuvres de Serov à partir de ses études peintes dans les années 1880 et en finissant par ses trois chefs-d’œuvre que sont la Jeune Fille

aux pêches, la Jeune Fille éclairée par le soleil et l’Étang envahi par les herbes, toiles peintes à Domotkanovo à la même époque. On dirait que Serov plonge dans la beauté réelle du monde, et alors ses couleurs se pénètrent d’air et de lumière, s’éclairent par le soleil, resplendissent et respirent la joie. Serov contemple cette beauté avec tranquillité, s’en délecte. Il met beaucoup de temps à peindre chaque tableau. Ses modèles posent durant de longues heures, ce qui ne l’empêche pourtant pas de porter jusqu’au spectateur la toute première impression. Pour la Jeune Fille aux pêches, toile peinte à Abramtsevo, a posé Vera Mamontova, la fille du mécène, et pour la Jeune Fille éclairée par le soleil, toile peinte à Domotkanovo, une cousine du peintre, Maria Simonovitch. Les deux modèles se ressemblent, mais cela plutôt à cause de Serov lui-même qui a voulu voir dans chacune, la beauté de la jeunesse. En peignant ces deux tableaux, l’artiste ne se posait pour but qu’une douce expressivité « contemplative » ; il ne cherche pas à faire venir à celui qui regarde ses portraits l’idée des contradictions et des difficultés de la vie. « Rien que du réjouissant ». Et c’est justement ce qui distingue Serov de ses récents prédécesseurs, de ses maîtres. En effet, si l’on prend le portrait de Modeste Moussorgski par Répine peint six ans avant la Jeune Fille aux pêches, il est aussi plein de lumière, mais la peinture n’y est qu’un moyen pour reproduire avec le maximum de véracité l’image et l’état du compositeur tel qu’il était dans les derniers jours de sa maladie mortelle. On dirait que, derrière un seul instant de la vie d’un être humain saisi par le peintre il se dresse tout un second plan : c’est le monde des problèmes insolubles, un monde qui ne promet à l’homme que souffrances et mort. Alors que chez Serov, la lumière, l’air, la joie, la jeunesse sont des choses belles en soi, dans lesquelles se trouve le but final de tout acte créateur. C’est là qu’il faut chercher avant tout ce qu’il y avait de nouveau dans l’attitude prise par Serov. Un tout autre motif est choisi pour la Jeune Fille éclairee par le soleil. Le modèle s’y trouve dans l’état d’un complet repos et ne semble pas avoir l’intention de le rompre. Là tout est silence, inaction, une parfaite fusion du personnage et du soleil, de l’air, de la nature environnante. Si dans la Jeune Fille aux pêches le peintre met le mouvement en équilibre par différents procédés de composition, dans l’autre tableau on voit juste l’inverse : l’artiste trouve la solution du thème dans l’harmonieux contraste du premier plan où se trouve le personnage figé et du second plan qui fait l’effet d’une « trouée » en profondeur. Ce procédé inverse amène au même fini du tableau et contribue à son intégrité.

Portrait du grand-duc Paul Alexandrovitch, 1897. Huile sur toile, 166,7 x 149,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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En Été. Portrait d’Olga Serova, 1895. Huile sur toile, 73,5 x 93,8 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Sasha Serov, 1897. Aquarelle et blanc de céruse sur papier, 42 x 58 cm. Collection Serov, Moscou.

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Portrait de Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov, 1898. Huile sur toile, 94 x 111 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Dans les deux cas l’artiste, pour ainsi dire, a raison de l’ « étude » et, quoiqu’il peigne d’après nature, il a toujours devant ses yeux l’image finale du tableau. C’est en cela qu’il diffère de Korovine, son indéfectible ami de tout temps. C’est là aussi que se trouvent les capacités en puissance de ses futurs changements. C’est bien dans ces deux tableaux que se font voir tous les signes de l’engouement pour l’Impressionnisme. Serov ne traite pas l’entourage uniquement comme fond, comme quelque chose servant d’accessoire au thème principal. Chaque morceau de la matière entré dans la sphère de son attention, chaque parcelle de la toile couverte d’une couche de couleur l’intéressent. Chaque surface d’un objet reçoit les reflets des objets se trouvant dans son voisinage, absorbe les rayons du soleil. Tout est bâti sur de savantes graduations : les nuances des couleurs se mesurent par des variations à peine perceptibles, les contours des personnages et des objets commencent à se déplacer. En même temps, Serov découvre la beauté des couleurs comme telles : magnifique est le rose tendre de la blouse de la fillette dans son contraste avec le nœud noir, profond est le bleu de la jupe de la Jeune

Fille éclairée par le soleil, gardant toute sa pureté comme si le soleil ne pouvait exercer sur lui aucune influence ou bien le décomposer. Mais chaque couleur pure se trouve comme « confirmée » par des mélanges de couleurs, « trouve des échos » dans différentes parties du tableau, ce qui contribue à l’unité picturale de l’œuvre. En parlant de l’ « Impressionnisme » de Serov, il ne faut pas oublier les particularités qui le distinguent de l’Impressionnisme français. Chose curieuse, mais à l’époque Serov connaissait mal les impressionnistes français. Celui des peintres français qu’il appréciait le plus, c’était Jules Bastien-Lepage dont le système pictural était loin d’être strictement impressionniste. Mais toute la logique du développement de l’art russe, l’intérêt des peintres pour le plein air, l’expérience tirée de l’étude de la nature, tout cela concourait à amener Serov à la peinture impressionniste. Les succès de Répine, de Polenov, de Sourikov, remportés en peignant la nature, entrouvraient devant les jeunes maîtres de vastes horizons. Cependant Serov, dans sa Jeune Fille aux

Portrait de Isaac Ilitch Levitan, 1893. Huile sur toile, 82 x 86 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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pêches et sa Jeune Fille éclairée par le soleil, ne fait pas que de se contenter des conquêtes de ses aînés ; il fait un pas décisif vers un nouveau système, s’avérant par là un des fondateurs de l’Impressionnisme russe de la première période. Cet Impressionnisme qui avait un caractère modeste, réservé, comportait un certain manque de méthode. Ainsi, dans les tableaux de Serov de cette époque, on peut voir une différence essentielle entre la peinture des visages et celle du paysage et de l’intérieur. La Jeune Fille aux pêches peut y servir d’exemple : la tête de Vera Mamontova est peinte avec des touches de couleur fines et délicates et les limites des taches de couleur y sont celles de la forme de l’objet, alors que dans la peinture de la blouse et du nœud elles ne coïncident pas. Ensuite, Serov utilise souvent des surfaces de couleur pure et, en particulier, le noir qui, comme on le sait, était banni de la palette des impressionnistes français. Mais c’est l’intérêt pour la vie intérieure du modèle qui reste peut-être le trait principal, cet intérêt qui, malgré les nouvelles tâches qui s’imposent devant les artistes, continue à être vivant et maintenu en tant que haute tradition du réalisme russe des années 1870-1880.

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Une Cour finlandaise, 1902. Huile sur carton, 75 x 99,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Bœufs (étude), 1885. Huile sur toile, 47,5 x 59,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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La Jeune Fille aux pêches, la Jeune Fille éclairée par le soleil, les études de paysages de la première période, Étang envahi par les herbes, ainsi que toute une série de portraits de la fin des années 1880, tous ces travaux du jeune Serov sont pénétrés d’un seul sentiment : la joyeuse contemplation du monde ; tous sont marqués par une insouciance juvénile. Pourtant, ce caractère d’homogénéité et d’intégrité, cette richesse de couleurs éclatantes ont vite pris fin. Parfois, dans les années ultérieures, l’artiste s’en souviendra, et ce « revenez-y » donnera alors naissance à des œuvres telles que En été ou bien le Portrait de Maria Lvova (c’est la même Maria Simonovitch qui avait été représentée sous les traits de la Jeune Fille éclairée par le

soleil), tableaux datés de 1895. L’écho de la richesse chromatique d’autrefois se fait également sentir dans le Portrait de Constantin Korovine (1891). Mais d’une façon générale la palette de Serov commence à tendre de plus en plus vers une monochromie où les tons gris prédominent ; l’Impressionnisme, d’abord, reçoit une interprétation plus modérée, ensuite disparaît définitivement pour céder la place à des recherches stylistiques tout autres. À partir des années 1890, Serov débute en tant que portraitiste ; il y apparaît comme un fin observateur de caractères, maître de grand style, parfait analyste, et connaisseur de types humains. « Serov peignait ses portraits longtemps, parfois avec douleur », témoigne P. Neradovski. « Faire un portrait me vaut autant que subir une maladie », disait Serov. Et en effet, presque chaque portrait peint par l’artiste est le témoignage d’énormes dépenses psychiques ; quant à son œuvre de portraitiste des années 1890-1900 prise dans son ensemble, on y voit à la fois et ses recherches stylistiques, et sa philosophie, et ces enchevêtrements de courants dans lesquels se trouvait parfois l’artiste. Le nouveau Serov commence avec les portraits d’artistes et de peintres faits au début des années 1890. Rien que dans la manière d’aborder le but qu’il s’impose, Serov s’en tient à de nouveaux principes. Plus de fusion de l’artiste et de la réalité, plus de sensation spontanée de la nature ; Serov évite soigneusement tout élément fortuit dans la façon de voir son modèle, dans ce qui constituera le coloris et la composition du tableau. Il découvre sa propre voie pour « calculer », construire, organiser savamment son œuvre. Cette idée d’un « art rationnel » accompagnera Serov jusqu’à la fin ; d’ailleurs « accompagner » serait peu dire, elle l’absorbera toujours de plus en plus. Le sentiment même de liberté, de facilité que produisent les œuvres de l’artiste, n’est obtenu que par suite d’un calcul. À partir des années 1890 le rationnel primant tout, l’œil ne joue qu’un rôle secondaire, sa fonction est déterminée : le peintre fixe de son regard seulement les choses qu’il choisit. C’est sur ces principes que se base l’œuvre de Serov à l’époque de son épanouissement ainsi (pie dans sa dernière période. L’autre trait important, perceptible dès le début des années 1890 et qui s’est toujours maintenu dans l’œuvre de l’artiste, se rattache au caractère de son idéal, de son héros préféré. Serov prend ses modèles parmi les représentants de différents états, groupes sociaux et professions. Chez lui les portraits d’apparat alternent avec des portraits intimes ; parfois ces deux genres

Portrait de Sophia DragomirovaLoukomskaïa, 1900. Aquarelle et chaux sur papier collé sur carton, 43 x 41 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Dans un Village. Paysanne avec un cheval, 1898. Pastel sur papier, collé sur carton, 53 x 70 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Rinçage du linge. Sur la rivière (étude), 1901. Huile sur carton, 47,5 x 66 cm. Lieu de conservation inconnu.

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En Hiver, 1898. Gouache et pastel sur carton, 51 x 68 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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entrent pour ainsi dire en alliance, ce qui donne lieu à un certain genre intermédiaire. Selon le modèle, est réalisé tel ou tel type de portrait, cela dépend des cas. En fin de compte, on peut en déduire une régularité des plus importantes : le principe véritablement humain, Serov le recherche le plus souvent dans l’artiste qui crée ; d’après son idée, seul celui qui crée jouit d’une liberté intérieure, c’est en créant qu’il lui est permis d’exprimer sa volonté et sa beauté. Serov faisait toujours grand cas du sens artistique de la nature humaine ; il tâchait toujours de relever cette qualité dans son modèle, de la renforcer par son propre sens artistique et de la communiquer ainsi à l’œuvre. Ainsi, les efforts créateurs du peintre et le thème du portrait coïncidaient organiquement. Cette unité se trouvait renforcée par le calcul, par toute l’orientation de l’acte créateur vers un seul but précis, facteur si typique de la méthode de Serov. Dans l’héritage laissé par les portraitistes, contemporains ou compagnons cadets de Serov, tels que Vroubel et Petrov-Vodkine, ou bien ceux de l’association Mir Iskousstva : Constantin Somov et Léon Bakst, Boris Koustodiev et Zinaïda Serebriakova, le thème de la personnalité de l’artiste créateur était le thème principal. Serov aimait à peindre les acteurs, chanteurs d’opéra et comédiens, gens sur lesquels sont fixés les regards des spectateurs. C’est pour cela que dans les modèles de Serov il y a toujours comme un reflet des regards du public. Les personnes peintes par Serov sont comme extériorisées : il y a toujours implicitement un public qui les regarde. Se sentant être l’objet de l’attention des autres, elles sont toujours et infailliblement menées par leur rôle, par les habitudes de conduite toutes prises, par une déférence réciproque à l’égard du spectateur, déférence marquée par l’expression du visage, l’attitude, la pose, le geste. Tous ces facteurs coutumiers constituent dans leur ensemble ce qu’on appelait dans le théâtre d’autrefois le « masque ». Serov possédait l’art d’unir le « masque » (il s’entend que lorsqu’on parle des personnages de Serov, ce terme ne saurait être employé que d’une façon conventionnelle) à la réalité, chaque fois unique dans son genre, de son modèle. Ce que nous venons de dire, on peut parfaitement le voir dans le Portrait d’Angelo Masini (1890), chanteur italien qui faisait à cette époque ses tournées triomphales en Russie. Ce qui attire Serov en Masini, c’est sa grande allure d’artiste, sa contenance aisée devant les gens. Quand on regarde ce portrait, on voit l’image même d’un Italien gâté par la gloire, jaloux de succès. Mettre en valeur le caractère du personnage, prendre la nature sur le vif, voilà le but principal visé par Serov, et tous les moyens de l’expressivité picturale y concourent : le peintre réduit à dessein la gamme des couleurs aux tons noirs et gris, se sert de louches plus larges et libres qu’il ne l’a fait jusque-là. C’est aussi au début des années 1890 qu’a été peint le portrait de Francesco Tamagno, Portrait de Sophia Botkine, 1899. Huile sur toile, 189 x 139,5 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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chanteur italien dont la voix ravissait le public moscovite. Tamagno avait attiré Serov par l’expressivité de sa nature. Dans le portrait il n’est ni maquillé, ni ne chante, mais son rôle est toujours avec lui, en lui, et Serov cherche à le révéler non pas dans des aspects fortuits du

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modèle, mais bien dans toute sa manifestation synthétique. Le sens artistique de Tamagno éclate dans tout : sa tête altièrement levée exprime à la fois un élan impétueux et ce recueillement (que l’on voit chez ceux qui créent ; la large échancrure de sa chemise laisse voir un cou robuste. Dans tous les procédés de Serov, il y a du spectaculaire, tout comme il y en a dans son modèle. Dans le portrait de Tamagno, au côté spectaculaire du modèle vient s’ajouter encore le caractère spectaculaire du comportement de ce favori du public, de cet enfant chéri de la fortune au physique superbe. Dans les portraits peints par Serov, les qualités caractéristiques des modelés sont, semble-t-il, aiguisées, mises à nu, hypertrophiées. L’artiste sait tirer un thème qu’il projette ensuite, pour ainsi dire rétrospectivement, sur le modèle. Le même principe est utilisé dans le Portrait de Constantin Korovine. La toile frappe par sa peinture exécutée avec un tempérament fougueux, ainsi que par la façon franche dont est caractérisé le personnage. Quand on regarde ce portrait, on devine aussitôt qu’on a devant soi un peintre, et cela non pas uniquement parce qu’il y a derrière le modèle des études accrochées au mur et sur la table une boîte à couleurs entrouverte. Toute la conception picturale nous en convainc : la pose de Korovine, celle d’un homme habitué à peindre et non pas à poser ; le regard scrutateur, professionnel des yeux qui savent « saisir » ; le négligé de la tenue ; enfin la peinture elle-même qui, imbue d’un tempérament « à la Korovine », marie hardiment le fond gris du mur à la tache bleue du vêtement, au tissu rouge du divan et aux raies rouges et blanches du coussin. Tout nous y parle d’un peintre heureux de vivre et vivant dans une atmosphère d’activité créatrice. Tel en effet était Constantin Korovine, homme de grand talent, qui s’avançait dans la vie sans souci, avec aisance. Les portraits de Korovine et de Tamagno présentent deux caractères saillants, chacun unique dans son genre, dans lesquels, malgré toute leur différence, on devine le même type : celui d’un artiste créateur, d’un homme brillant, largement doué, de grand tempérament, et qui dépense sans compter, presque avec prodigalité, ses forces inépuisables. Dans leurs caractères, il y a ce charme qui est propre aux personnes fortes physiquement et saines mentalement. Dans ces portraits, se fait voir un des traits les plus caractéristiques de la méthode de Serov : savoir soumettre tous les moyens d’expression picturale dont dispose un peintre, à un seul but : exprimer l’idée principale de la façon la plus spectaculaire. Serov ne peint jamais un caractère « en général ». Ce qui l’intéresse, c’est un certain aspect d’un caractère concret, l’aspect principal, celui qui révèle d’une manière pleine et éclatante au possible la valeur esthétique de la personne en question. Tous les éléments plastiques d’un portrait – pose, geste, composition, coloris, la technique picturale elle-même – Serov les considère et les utilise comme moyens de révéler au maximum cette valeur esthétique. Dans ce sacrifice de tout à un seul but – rendre spectaculaire la valeur humaine et esthétique du modèle – se manifeste la maîtrise de Serov d’introduire dans ses portraits une acuité picturale, (qualité qui, à la fin des années 1890 et au début des années 1900, atteint son plus haut degré. L’acuité, cette pierre angulaire de la méthode de Serov en tant que portraitiste, vient du fait que ses portraits recèlent toujours une importante idée, ont un thème et une tâche artistique qui définissent la manière dont sera traitée l’image humaine et le choix de moyens de la réaliser.

Portrait de la princesse Zinaida Yusupova, 1900-1902. Huile sur toile, 181,5 x 133 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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La Meule de foin, 1901. Huile sur toile, 50 x 61 cm. Galerie nationale d’Arménie, Erevan.

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Un Moulin en Finlande, 1902. Huile sur carton, 43,5 x 64,9 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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La valeur de deux autres portraits de la première moitié des années 1890, celui du peintre Lévitan (1893) et celui de l’écrivain Leskov (1894) se trouve moins dans l’acuité des caractéristiques que dans le psychologisme, c’est-à-dire dans la révélation de la vie intérieure des modèles. De prime abord, ce genre de portrait semble être plus traditionnel ; il se rallie au psychologisme de Répine. Mais le principe de l’acuité de Serov y est réalisé, là aussi. Ce n’est pas le caractère qui intéresse Serov, mais l’état où se trouve son modèle. Dans le portrait de Lévitan, c’est un recueillement, une profonde méditation. On dirait que Lévitan regarde le spectateur, mais il n’en est rien en réalité, car son regard passe outre. En l’occurrence, c’est le modèle qui impose au portraitiste le thème d’une concentration profonde, et ce dernier ne fait que le mettre en relief par des moyens chromatiques, des effets de lumière et à l’aide d’accessoires. Dans le portrait de Leskov, c’est le regard de l’écrivain qui attire l’attention du spectateur, un regard inquiet, aux aguets, le regard tragique d’un homme qui est au bout de la vie. En supprimant les détails, en couvrant toute la toile d’une peinture neutre, Serov concentre tout son intérêt sur le regard du personnage, il le met pour ainsi dire à nu ; dans ce portrait, seuls les yeux ont toute la liberté de s’exprimer. Ce même principe, Serov l’utilisera plus tard dans le portrait de Loukomskaïa fait à l’aquarelle. Vers le milieu des années 1890, Serov devient un portraitiste connu, voire « à la mode ». Il a maintenant à faire des tableaux de commande, il peint les représentants de la haute société, les membres de la famille impériale. Mais les nouveaux personnages de Serov ne font pas son affaire, il ne trouve pas en eux de hautes qualités humaines ; ce qui l’intéresse maintenant c’est le côté pictural de la tâche et il élabore son propre style de portrait d’apparat. Parmi les meilleurs portraits de cette époque, doit être classé, sans aucun doute, celui du Grand-Duc Pavel Alexandrovitch (1897) qui obtint la médaille d’honneur à l’Exposition Universelle de Paris en 1900. C’est ainsi que Serov, après avoir souvent présenté des œuvres à des expositions étrangères et y avoir joui d’un grand succès, eut la consécration internationale de son talent. Dans les années 1890-1900, ses tableaux figurent aux expositions de Munich (Serov était membre de la Sécession de Munich), de Berlin, de Vienne, de Venise. Selon le mot du célèbre critique d’art Yakov Tugendhold, « confronté, à l’Exposition de Rome en 1911, avec les maîtres d’Occident contemporains, Serov a brillamment subi son examen ». Le Portrait du grand-duc Pavel Alexandrovitch est un tableau à effet. La lumière du soleil qui éclaire le grand-duc se tenant près d’un cheval, devient un élément principal de cette toile, le visage princier n’exprimant pas de pensées profondes. Par contre, c’est le cheval qui est peint superbement, et combien la figure de l’homme et celle de la monture présentent, sur le plan de la composition, une solution magnifique, et leurs silhouettes un ensemble parlait. Les Pierre II et la tsarevna Élisabeth se rendant à la chasse à courre, 1900. Détrempe et gouache sur papier sur carton, 41 x 39 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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taches de couleur et les lignes forment un système décoratif et rythmique très savant. Et cependant il n’y a pas dans ce portrait d’abstraction formelle. Le talent de décorateur de Serov se fait voir d’une manière encore plus évidente dans les portraits de Sophia Botkina (1899) et de Zinaïda Youssoupova (1902). Ce sont de véritables portraits-tableaux. Ces

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Pierre I er à la chasse à courre, 1902. Détrempe sur papier collé sur carton, 29 x 50 cm. Musée russe, Saint-Péterbourg. Catherine II sortant, 1906. Pastel et tempera sur papier collé sur carton, 47 x 76 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. (p.72-73)

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dames du monde en tenue de gala se trouvent dans leurs salons. À côté de chacune, un petit chien, témoin d’une vie aussi lassante que monotone. Les silhouettes des tailles sanglées, les lignes courbes des canapés, les taches bigarrées des draperies et des robes, tout sert à estomper les modèles eux-mêmes qui n’intéressent presque pas l’artiste. Il est vrai que Serov ne cherche pas encore à « peindre des caractères », ou à faire des figures grotesques à souhait, ainsi qu’il en sera dans la dernière période de sa vie. L’artiste a, à l’égard de Botkine, une certaine compassion et pour Youssoupova une légère ironie. Mais, au fond, le sort de ces dames le laisse froid. Il n’y a pas que des portraits d’apparat dans l’héritage de Serov à la limite des deux siècles. Les vrais intérêts du maître se trouvaient, à l’époque, ailleurs ; ses recherches étaient multiples et variées. Dans le Portrait de Mara Oliv (1895), œuvre non commandée et ayant pour Serov la valeur d’une expérience, il a voulu résoudre un nouveau problème. C’est le côté fugitif, inconstant et changeant de la nature et de l’état d’esprit de la jeune femme qui devient le principal. Serov, à l’aide des accessoires et de l’éclairage, obtient l’effet de l’insaisissable. Renonçant entièrement à tout effet de plein air, le peintre n’en sait pas moins rendre lumineux le visage, les mains, le vêtement et surtout le collier qui se trouve être la partie la plus claire de la toile. À cette époque, le portrait intime devient de plus en plus souvent le genre préféré de Serov ; l’interprétation du personnage y est lyrique et cordiale. Ce qui intéresse Serov maintenant, c’est surtout la manifestation de la beauté spirituelle. Le cercle des modèles se borne : ce sont femmes, enfants, proches amis. Changeant aussi les procédés techniques, pour la plupart il s’agit maintenant de portraits graphiques, mais on ne saurait pas pour autant les considérer comme des esquisses préparatoires : ils ont tous une grande valeur esthétique. Dans l’entourage de Serov, le problème de la beauté spirituelle de l’homme était très actuel et se dressait d’une façon aiguë. Dans les années 1870-1880, Répine, maître de Serov, voyait son idéal dans les personnes réelles. Quant à Serov, il cherche à discerner la vraie beauté, celle qui reste invisible à ceux qui n’ont pas le don de la « vision d’artiste », il veut connaître les émotions humaines, déceler le secret du drame humain. De là, le caractère particulier du talent de Serov et, avant tout, l’acuité de son regard qui sait révéler beaucoup dans les détails et les nuances et, surtout, éviter la plate « vraisemblance » qui selon lui, détruit l’art. Les nouveaux traits dans la manière d’interpréter le modèle commencent à apparaître chez Serov dans ses portraits graphiques faits à la limite des deux siècles. Le plus souvent ce sont des œuvres qui ne sont pas faites sur commande, mais « pour soi », ce qui leur contribue un caractère plus libre. On peut y citer à titre d’exemple un dessin à l’aquarelle représentant

Sacha Serov (1897) dans lequel l’artiste a su rendre d’une façon parfaitement libre et aisée l’état du garçon, sa nature rêveuse. Le psychologisme de Serov atteint son vrai sommet dans le portrait à l’aquarelle de Loukomskaïa (1900). C’est un portrait en buste, d’apparence très modeste. Loukomskaïa fixe

Portrait de Vladimir Golitsyn, 1906. Huile sur toile, 115 x 92 cm. Musée historique d’État, Moscou.

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Portrait de Ievdokiya Loseva, 1903. Huile sur toile, 97 x 112 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Portrait de Serge Diaghilev (inachevé), 1904. Huile sur toile, 97 x 83 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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son regard sur le spectateur, un regard où le peintre a su exprimer l’essence même de l’image : le drame secret de la femme qui se révèle malgré sa volonté dans ses yeux, tristes et pleins de souffrance. Serov traite ce principal thème du portrait avec beaucoup de tact à l’égard du modèle ; (punit à la solution plastique de cette aquarelle, elle réside presque uniquement dans l’accord des couleurs qui forment une gamme de nuances du brun passant délicatement les unes dans les autres. C’est sur le visage de Loukomskaïa que la couleur « sonne » le plus fort et semble ainsi concentrer toute son énergie au cœur de la composition pour attirer l’attention sur les yeux de la femme. À la limite des deux siècles, Serov fait deux portraits peints dont les héros sont des enfants, deux œuvres qui appartiennent, elles aussi, au nombre des grandes réussites de l’artiste. La première, les Enfants (1899), représente les deux fils de Serov sur la véranda d’une maison de campagne située au bord du golfe de Finlande. On dirait qu’il s’agit là de quelque scène de la vie réelle entrevue par l’artiste. Serov « surprend » ses enfants à un moment où ils ne pensent pas au portrait que fait d’eux leur père. L’un, s’appuyant des coudes sur une haute rampe, est plongé dans la contemplation de l’immensité de la mer ; l’autre se retourne et regarde le spectateur. Serov est attiré par la psychologie enfantine, la spontanéité des émotions, la naïveté, la chasteté. La manière picturale de Serov devient vers cette époque plus large et plus libre qu’auparavant, elle aide le peintre à rendre l’expressivité psychologique de l’image plus aiguë. Serov unit dans une seule gamme le blanc et le bleu des vêtements, le bleu sombre de la mer, le bleu gris du ciel ; la surface peinte devient de plus en plus vivante, la touche magistrale et expressive. L’évolution de la manière picturale qu’on peut constater en comparant les premières œuvres de l’artiste avec ses toiles de la fin des années 1890 et du début des années 1900 n’est pas seulement typique de Serov ; c’était là une tendance générale dans la peinture russe qui a passé du subtil système de la peinture de plein air des années 1880 à la large et hardie manière d’un Arkhipov de la dernière période, de Constantin Korovine, de Maliavine, à celle des dernières toiles de Lévitan. Or, on trouvera naturel le fait que le peintre suédois Anders Zorn, dont le nom retentissait alors dans l’Europe toute entière, ait trouvé à Moscou lors de sa visite en 1897, beaucoup de partisans de ses idées. Quant aux peintres russes, cette manière picturale les aidait à résoudre le problème de l’unité de la toile, à faire sciemment Portrait du comte Félix Félixovitch Soumarokoff-Elston avec son chien, 1903. Huile sur toile, 89 x 71,5 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. Poulains à un point d’eau. Domotkanovo, 1904. Pastel sur papier collé sur carton, 40 x 63,8 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 80-81)

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un pas important pour créer des œuvres savamment agencées. Mais tout en s’en tenant à ces principes, on gardait la spontanéité dans la façon de rendre la nature, et Serov cultivait en lui l’acuité et la fraîcheur de la sensation. Dans le Portrait de Mika Morozov (1901), le monde des émotions du petit héros se découvre amplement. Le garçon, avide de connaître ce qui se passe, se lève et reste en arrêt ; cette image devient en quelque sorte l’incarnation même de la curiosité enfantine. La sobriété des moyens picturaux est maintenant l’une des premières qualités de Serov. Ses mérites, il faut les chercher non pas dans des effets extérieurs ou dans des couleurs irisées,

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mais bien dans ce quelque chose d’insaisissable qui n’est propre qu’à de vrais grands talents, qu’à une vue dont la netteté touche au raffinement. C’est dans cette finesse que se trouve le charme des portraits d’enfants, dessinés dans les mêmes années ; il en est ainsi, par exemple, du Portrait des enfants Botkine (1900). Tout comme un an auparavant, lorsqu’il peignait ses enfants, Serov s’impose une tâche ardue : faire un portrait de deux personnes tout en s’en tenant au même schéma – l’une des héroïnes regarde le spectateur, et l’autre est représentée de profil. Dans les deux cas, à côté de la caractéristique de chacune des individualités, se dresse le problème de l’unité intérieure des modèles, unité de l’état psychologique et du recueillement enfantin. Cette unité est rendue non seulement par la ressemblance des visages, des vêtements et des coiffures, mais aussi par le rythme des lignes, la fine manière artistique du dessin, par sa légèreté vaporeuse. Vers cette époque, l’art graphique commence à jouer dans les œuvres de Serov un plus grand rôle qu’autrefois. L’artiste a connu à fond le caractère spécifique des techniques graphiques, et maintenant il lui vient de différents projets. En 1899 et 1900, Serov exécute une série de portraits lithographiés de personnalités éminentes du monde artistique. Dans cette série, parue en une édition spéciale, se font voir les nouveaux principes de traitement du portrait. Les meilleurs de la série sont les portraits du compositeur Alexandre Glazounov et du critique musical Alfred Nourok (tous les deux de 1899). Le peintre fait tout pour y souligner le caractère spontané de l’interprétation. Il y a comme un contact direct entre le modèle et le peintre ; le sujet même y contribue : on dirait que Glazounov laisse pour un moment son travail et, encore tout absorbé par ses pensées, tourne son regard vers le peintre ; quant à Nourok, il est représenté prenant part à une conversation où le peintre est son interlocuteur. Ce choix du moment permet de voir le modèle dans le temps, en mouvement, ce qui découvre ses émotions intérieures, rend évidents certains traits du caractère. La manière graphique, la spontanéité de la composition concourent à présenter le caractère comme condensé. La ligne chez Serov devient de plus en plus expressive, acquiert flexibilité et précision ; tout en marquant les limites des objets, elle est en même temps un élément constructif du volume, fait sentir la masse. À cette époque, l’art graphique de Serov atteint une véritable maîtrise artistique. Et cela est juste, non seulement pour le dessin fait au crayon ou la lithographie, mais aussi bien pour l’aquarelle. Le portrait de Loukomskaïa peut servir d’exemple ; on peut en citer un autre représentant, Pouchkine sur un banc de jardin (1899). Si l’on veut, Serov y a trouvé la plus difficile, mais en même temps la plus avantageuse solution pour créer l’image de Pouchkine. Le poète est représenté dans un parc par un jour d’automne. On dirait qu’il prête l’oreille à des mélodies poétiques qui n’ont pas encore pris forme pour devenir images. Dans son âme vibre un écho à la « musique » de la nature. Avec une noblesse véritablement pouchkinienne et une suprême simplicité, Serov a su représenter sous une forme plastique l’état de l’inspiration créatrice. Le paysage, qu’on dirait s’enfuyant, peint avec un pinceau libre, tout en légers mouvements de lignes, est pareil à celui qu’on voit sur une photo quelque peu floue. Quant au poète, son attention est ailleurs. Il est au-dessus de la vie quotidienne, il se replie sur

Portrait du prince Félix Youssoupoff, comte Soumakoroff-Elston (père), 1903. Huile sur toile, 89 x 71,5 cm. Musée russe, Saint-Péterbourg.

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lui-même, ses yeux fixés au loin regardent sans voir. Serov rend avec perfection l’état de l’inspiration du poète, inspiration sereine et naturelle comme la nature elle-même. Cette aquarelle nous introduit dans l’univers des paysages de Serov. Ceux des années 1880 ne sont que le début des recherches dans ce domaine. Les années 1890 voient le paysage de Serov s’enrichir d’éléments de genre ; maintenant, les motifs de la vie campagnarde intéressent le peintre. Le principal biographe de l’artiste, Igor Grabar, a appelé ce Serov-là, le « Serov paysan ». Plusieurs peintres moscovites de la génération de Serov s’étaient faits, déjà à la fin des années quatre-vingts, « peintres paysans ». Arkhipov, Nesterov, Ivanov, Riabouchkine, Stepanov, tous ont commencé par le genre « campagnard », et chez tous ces artistes la peinture de genre a reçu, en les comparant avec leurs prédécesseurs, de nouveaux traits. Ainsi, ils ne faisaient que de petits tableaux, et ne cherchaient pas à représenter sur leurs toiles de grandes foules, évitaient les sujets développés et compliqués, de même que les sujets à conflit. C’est vers ce genre-là que Serov tourne son attention. À la campagne, il trouvait les plus modestes côtés de la vie, mais il savait leur donner une interprétation très profonde. Le plus souvent l’artiste représentait la campagne en automne, parfois en hiver ; il avait une prédilection pour la nature russe dans sa plus simple variante : il aimait la grisaille du temps, un ciel couvert, les tons gris des champs et des petits bois, de tristes arbres rabougris, des isbas et des granges à foin penchées, des meules ébouriffées par le vent, des animaux hirsutes, de tristes gens repliés sur eux-mêmes. On ne saurait même pas appeler les thèmes de Serov des motifs ; au fond, il n’y en a pas. Pour modeste que fût Lévitan dans ses paysages, ce contemporain et ami de Serov ne dédaignait pas les beaux motifs, voire les motifs à effet : un automne doré, un clair de lune, des fleuves en crue. Serov, lui, n’a jamais peint de pareils motifs. Le thème « paysan » chez Serov est celui d’Octobre à Domotkanovo (1895), de la Paysanne « Soldats, soldats, héros chacun d’eux…», 1905. Détrempe et fusain sur carton, 47,5 x 71,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 86-87) Modèle féminin, 1905. Détrempe sur carton, 68 x 63 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 88) Portrait de Maria Nikolaïevna Iermolova, 1905. Huile sur toile, 224 x 120 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 89)

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dans une charrette (1896), la Paysanne au cheval (1898), du Rinçage du linge. Sur le fleuve (1901). Dans Octobre à Domotkanovo tout rappelle une étude faite d’après nature. Il est vrai que, d’autre part, cette étude peut être considérée dans une certaine mesure, comme un tableau : il y a des lignes diagonales se croisant dans la partie centrale de la composition qui se referme, à gauche et à droite par les figures des vaches et des moutons ; au cœur de la composition, se trouve la figure assise d’un petit berger – autant d’éléments d’un tableau. Mais ces procédés d’équilibre sont à peine perceptibles : on ne les découvre pas du premier coup. Ce qu’on y voit avant tout, c’est un fragment de la vie réelle qu’on ne saurait ni composer ni inventer. Tout y porte l’empreinte d’une observation directe, de la contemplation de la nature sans idées préconçues. Chaque personnage, ou plutôt élément de la scène, vit sa propre vie et cela indépendamment des autres ; aucun d’entre eux ne « pose » devant un peintre, qu’on le peigne ou qu’on le dessine. Chacun vaque à ses affaires : le garçon taille une baguette ou bien répare son fouet ; les chevaux broutent les herbes jaunes d’automne s’avançant doucement sur le chaume. Au loin, quelques arbres mus par le vent, les toits de chaume des

Grange, 1904. Huile sur carton, 49,5 x 64 cm. I.I. Brodsky Apartment-Museum, Saint-Pétersbourg.

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granges ébouriffés, au-dessus des toits une envolée de corneilles, et puis des lointains gris, immenses, infinis, dans lesquels se fond la Russie monotone. Pourtant, les sentiments complexes que fait naître chez le spectateur le tableau de Serov ne sont pas que tristesse et mélancolie, car il se dégage de cette œuvre quelque chose de beau, d’élevé et de profondément intime à la fois, ce quelque chose qui est cher et inhérent au cœur russe. Serov ne mettait pas dans cette image d’idées sociales ou accusatrices ; il n’entrait pas dans ses desseins de représenter un village pauvre afin de compatir aux misères des paysans. En effet, son petit berger n’a pas besoin de compassion, il est bien dans son élément et n’éprouve nulle gêne. D’autre part, Serov n’est pas tout à fait étranger aux traditions du paysage tel qu’il s’est formé tant dans la peinture que dans la littérature russes déjà à l’époque de Pouchkine et qui visait à critiquer. Tout au long du

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siècle, il existait une notion assez stable du paysage campagnard

typiquement russe, notion qu’on peut interpréter de façons différentes, soit comme prétexte de compatir, soit comme une chose de charme ineffable. Serov s’en tient justement à cette deuxième interprétation. La Paysanne dans une charrette a les mêmes traits qu’Octobre à

Domotkanovo. Il est difficile de se figurer quelque chose de plus laconique que cette scène : un cheval, une charrette avec une paysanne ; au deuxième plan, un étroit cours d’eau et le début d’un bois sur l’autre rive. Un charme sûr se dégage du calme de la situation et de l’uniformité du mouvement. Toute la peinture est dominée par un silence tout-puissant, dans lequel le temps disparaît. Dans le tableau Rinçage du linge. Sur la rivière, nous observons de nouveau un cheval au côté duquel se trouvent des femmes courbées au-dessus d’un ruisseau se frayant un chemin à travers la neige dégelée. Serov n’élève pas ce motif à un quelconque « niveau esthétique », il n’accentue pas la variété des couleurs ou l’animation des vêtements, au contraire, tout est dépeint dans des tons gris, empreints de calme et de tranquillité. Cependant ses paysages d’hiver ont parfois l’air frais et vivant. Un petit cheval gris attaché devant un traîneau surgit de derrière l’angle d’une maison. Ou encore, à travers une fenêtre à l’étage d’un manoir s’ouvre un panorama rempli d’arbres, de clôtures ou de charrettes roulant. Sur le dessin au pastel Dans un Village. Paysanne avec un cheval, on aperçoit une belle femme portant une écharpe rouge. Avec son large visage russe et ses dents blanches, elle rit en se tenant à coté d’un cheval villeux et non étrillé. Des taches rousses apparaissent de manière lumineuse peu commune sur la neige. Le coloris des pastels dans Poulains à un

point d’eau (1904) est encore plus poétique. Serov dépeint un moment d’un de ces soirs de printemps dans lequel, après une journée ensoleillée, le froid glacial interrompt de son crépuscule la marche victorieuse du printemps. Sur la neige granuleuse et immobile, des ombres bleu lilas apparaissent. Le ciel est encore éclairé de la lueur jaune orangée du soleil couchant. Serov parvient à appréhender le contraste si typique des débuts de printemps entre la chaude lumière du soleil et le bleu froid des soirs qui arrivent.

Enfants (Sasha et Youra Serov), 1889. Huile sur toile, 71 x 54 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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Troupeau, années 1890. Fusain, gouache et craie sur papier, 56,5 x 79,5 cm. Collection Serov, Moscou.

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Chevaux sur un rivage, 1905. Huile sur toile, 48,5 x 64 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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Dans ce crépuscule croissant se dressent les granges, sur les toits desquelles la neige n’est pas tout à fait partie. Et quand l’obscurité vient, ne sont plus visibles que les silhouettes des poulains buvant aux ruisseaux. L’un d’eux, comme envoûté par l’appel impérieux du printemps, s’est détourné de l’eau et dresse sa tête vers le soleil couchant. Cette peinture de paysage est imprégnée d’émotions, ce qui distingue Poulains à un point d’eau des autres œuvres dites « paysannes » de Serov. Dans ce travail, les nouvelles nuances de la peinture menèrent à l’éclosion de nouveaux moyens d’expressions artistiques. Le peintre donne à la silhouette et aux taches de couleur une nouvelle signification en utilisant le contraste de l’opposition des couleurs. La fine et délicate technique de pastels cadre parfaitement avec le sentiment de printemps qui confère un ton romantique au paysage entier. Serov affirma la beauté de la vie avec une intonation si forte, que l’on ne peut qu’admettre qu’il confronta sciemment son solennel et profond respect de la beauté de la vie aux copies naturalistes et fades de la nature. Dans le milieu des années 1900, Serov revient de moins en moins souvent au paysage ; et cela se comprend. La campagne russe, naguère si chère à l’artiste, perdait de son actualité dans les années de l’explosion révolutionnaire et ne pouvait plus trouver écho auprès du public. Les nouvelles intonations qu’on peut relever déjà dans les Poulains sont encore plus accentuées dans la Baignade du cheval (1905), œuvre faite non pas dans la région de la Russie centrale, dont la nature répondait si bien aux tendances lyriques des paysages de Serov, mais au bord du golfe de Finlande, lieu où l’artiste passait souvent l’été. Horizon uni, mer immense, lignes parallèles des ondes déferlant sur la plage, rayons dardants du soleil éclairant le ciel, l’eau et les figures du garçon et du cheval qui se détachent nettement en silhouettes brunes sur le fond de la mer, tout concourt à produire une sensation d’énergie et de vigueur. Ce paysage tout imbu de vent frais est bâti sur de nouveaux principes du rythme qui tiennent plutôt à « rompre » l’espace qu’à le renfermer dans un cadre selon les lois de la composition. Dans la seconde moitié des années 1900, le paysage, en tant que genre indépendant, occupe une place infime dans l’œuvre de Serov ; mais la façon de sentir la nature qui se Portrait de Maxime Gorki, 1905. Huile sur toile, 124 x 80 cm. Musée Maxime Gorki, Moscou. Portrait de Margarita Morozova, 1910. Huile sur toile, 143 x 84 cm. Musée d’art, Dnepropetrovsk, Ukraine. (p. 96) Portrait de Nadezhda Derviz et son enfant, 1888-1889. Huile sur plaque de métal, 142 x 71 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 97)

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dégage de la Baignade du cheval, on la retrouvera dans le paysage de fond de ses tableaux sur des sujets historiques ou antiques. À cette époque les portraits de Serov acquièrent de nouveaux traits et prennent un caractère de plus en plus monumental. Sous ce rapport, il est intéressant de comparer les portraits dont il a déjà été question. Si dans les Enfants, le prompt regard du peintre se heurte contre la lente « déconcentration » des enfants, il en est autrement dans le Portrait de Mika Morozov ou dans les portraits lithographiés ; là, les portraiturés sont très actifs, ce qui exige un entourage et de l’espace, facteurs permettant au personnage représenté de produire l’impression de continuer l’action commencée, et quant au spectateur de la réaliser dans son imagination. Ainsi, le champ du tableau commence à comprendre un espace toujours plus grand. Maintenant le mouvement se fixe, s’arrête, là où il devient possible d’élever un phénomène particulier au

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niveau d’une formule générale, d’embrasser un événement tout entier et de lui contribuer un caractère monumental. La façon dont Serov traite le temps et le mouvement est particulièrement spectaculaire dans les portraits de Mikhaïl Morozov (1902), d’Ilia Ostroukhov (1902), de Maxime Gorki (1905), ainsi que dans d’autres. Dans ces portraits, Serov ne cherche pas à fixer l’éphémère. L’instant s’arrête, les figures se figent dans des poses inattendues. Ainsi, le portrait de Morozov représente un homme fort et trapu, debout, planté comme un piquet sur ses jambes écartées, et fixant ses yeux durs et aigus droit sur le spectateur. Il s’est arrêté, mais on a l’impression que tout se meut autour de lui. Ici comme ailleurs, le champ du tableau se borne encore à un fragment de l’espace environnant. Dans le portrait de Morozov, les dernières manifestations de la peinture impressionniste sont perceptibles : aspiration vers le naturel, le fortuit, le désir de connaître la réalité. Quant au personnage représenté, on dirait qu’il veut être traité autrement que selon la tradition. Peint en pied, dans une attitude frontale, pris d’en bas, il apparaît dans toute son importance. Le Portrait de Maxime Gorki se trouve, lui aussi, sur la voie vers un nouveau système pictural. Gorki était pour Serov l’un de ceux qui faisaient la révolution, soulevaient le peuple et le conduisaient. Ce nouveau héros différait des modèles que l’artiste avait peints jusque-là : Gorki est plus simple, ses gestes sont plus décisifs ; chez lui le physique d’un ouvrier s’allie à une intellectualité et à une culture hors ligne. L’expressivité plastique du portrait de Gorki est bâtie sur le contraste entre la silhouette sombre et le fond clair qui est tout en espace, pénétré de reflets de lumière. Ce contraste confère à l’image netteté linéaire et acuité, nécessaires à Serov pour révéler le caractère de l’écrivain. Gorki est assis sur un banc, les jambes croisées ; son visage est tourné vers un interlocuteur invisible ; le geste de la main droite souligne les paroles qu’il vient de prononcer. Le geste dans les portraits de Serov en dit toujours long : ainsi dans le portrait de Gorki il exprime et la sincérité d’un homme franc, et une ferme conviction, et la sociabilité d’une personne habituée à être constamment en contact avec les gens. L’attitude du modèle n’est pas simple : la tête est tournée d’un côté, le corps de l’autre, les épaules présentent un brusque raccourci. Et néanmoins, elle produit l’impression d’une noble simplicité, de force et d’assurance ; tous ces mouvements présentent un tout harmonieux, une composition fermée, et communiquent à l’image une énergie pleine de réserve et un caractère à peine pathétique. Le portrait au fusain de Fédor Chaliapine (1905) est proche de celui de Gorki. La nature créatrice de l’artiste s’y révèle dans toute son ampleur et sa puissance. Le chanteur se tient debout, les jambes légèrement écartées, le torse tourné dans un brusque mouvement, sa belle tête altièrement levée, la main gauche sur le revers de la redingote, la droite dans la poche du pantalon. En soulignant à dessein les proportions de la grande taille, quelque peu lourde, du chanteur, le peintre révèle l’expressivité plastique de la pose de Chaliapine, l’aisance de ses mouvements. Sur le visage inspiré du chanteur on lit cette joie de créer qui n’est propre qu’aux grands artistes.

Portrait de Leonid Andreïev, 1907. Aquarelle et tempera sur carton, 73,3 x 56,4 cm. Musée d’État de la littérature, Moscou.

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Mika Morozov (Portrait de Mikhaïl Morozov), 1901. Huile sur toile, 62,3 x 70,6 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Portrait d’Ilya Semionovitch Ostroukhov, 1902. Huile sur toile, 82 x 76 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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On peut également citer parmi les meilleures œuvres de Serov le Portrait de Maria Iermolova (1905). La figure de la célèbre tragédienne russe, à la tête fière et noble se dresse en une silhouette majestueuse. Le modelé de son visage où brûle un feu créateur discret, mais inextinguible, est rendu par le peintre avec un soin minutieux. Ses profonds yeux bruns regardent au loin, les narines sont dilatées. Une ombre tragique à peine perceptible vient ajouter une note inspirée à son visage expressif. Dans ce portrait, comme ailleurs, Serov a su montrer l’essence de l’individualité de la grande artiste et donner en même temps une sorte de formule exprimant les normes de la beauté éthique et spirituelle. Toute la tonalité picturale du portrait est déterminée par le désir de représenter une grande personnalité de la scène russe dont l’activité créatrice prenait aux yeux de ses contemporains l’importance d’un grand fait social. D’après ses problèmes de composition, ses dimensions et son envergure, le Portrait de Maria Iermolova est proche de celui de Morozov dont nous avons déjà parlé. Les deux tableaux peuvent être comparés : tous les deux sont étroits, plutôt hauts que larges, presque de la même hauteur, presque avec la même corrélation d’échelle entre la figure et la surface peinte de la toile, tous les deux d’un coloris sobre, peints principalement dans des demi-tons gris. Et cependant, il y a entre ces deux œuvres comme une ligne de démarcation définitive : le portrait d’Iermolova appartient à un autre style. Au lieu du volume, c’est la tache de couleur qui y domine. Tout élément fortuit en est éliminé ; les contours de la figure sont appuyés, ce qui la sépare du fond ; la silhouette aux lignes tantôt brisées, tantôt comme fluides, s’inscrit dans un réseau de lignes droites qui lui servent d’une sorte de monture. Les principes de style servant de base au portrait d’Iermolova et à d’autres portraits qui lui sont contemporains, deviennent vers cette époque pour Serov, universels, et se retrouvent dans les différentes formes des activités artistiques. Ces principes qui ont fini par s’appeler « style modeme », il n’y avait pas que Serov qui en subit l’emprise, mais aussi beaucoup d’autres artistes russes. Apparu à la limite des deux siècles dans différentes écoles nationales, différemment nommé – Art nouveau en France et en Belgique, Secessionstil en Autriche, Jugendstil en Allemagne –, ce style, que nous appellerons par la suite à la russe « moderne » tout court, a trouvé dans l’architecture son expression la plus conséquente. Les traits caractéristiques de l’architecture du Portrait de Ielena Oliv, 1909. Gouache, aquarelle et pastel sur carton, 94 x 66,2 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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« moderne » sont en premier lieu : une nouvelle conception de la surface du mur dont on cherche à tirer le maximum de possibilités décoratives, un intérêt pour une tache de couleur sur cette surface, des lignes tourmentées, des ornements entrelacés constitués de différents éléments du monde végétal, et une tendance à rendre esthétiques les constructions architecturales. Ces

Portrait de Glikeria Fedotova, 1905. Huile sur toile, 123 x 95 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 104)

mêmes traits, transformés selon le cas, pénètrent dans la peinture, l’art graphique et la

Portrait d’Henriette Hirshman, 1907. Huile sur toile, 140 x 140 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. (p. 105)

Mais, c’est sans doute dans ses peintures de chevalet que l’on trouve les plus évidentes

sculpture. Le « moderne » a posé le problème de la synthèse des arts. Serov s’essaya dans la peinture murale, le théâtre l’a également attiré.

manifestations du « moderne ». Tache de couleur contournée d’une ligne tourmentée et inégale, surface de la toile comprise en tant que valeur en soi, absence de problèmes de

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Pierre I er, tiré des Séries sur l’histoire illustrée de la Russie, 1907. Gouache sur carton, 68,5 x 88 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Concept de décor pour l’opéra « Judith ». Acte III : La Tente d’Holopherne, 1907. Tempera sur papier, collé sur carton, 55 x 71,5 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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plein air, absence de toute interprétation réelle de l’espace dans lequel se trouve l’objet représenté, voisinage de lignes énergiques et de lignes veules entrelacées dans un rythme savant – sont autant de signes du « moderne » présents dans plusieurs œuvres. Le style exige une acuité de l’esprit, une conception artistique définie ; mais, par contre, il pourvoit l’artiste d’un étalon, d’une norme à suivre. L’idée même du style fait naître une tendance vers une image généralisée, ce qui est typique des recherches de Serov dans les années 1900 et cela coïncide avec le but principal du « moderne », car dans sa peinture, la réalité apparaît transformée, voire déformée. C’est une réalité « contrefaite ». Et le désir de Serov de voir dans la nature avant tout de la matière à faire une image sans chercher à la représenter sous sa forme adéquate, correspond parfaitement à la tendance générale du « moderne » en tant que style. Plusieurs portraits de Serov de sa dernière période rentrent dans les cadres du nouveau style ; par ailleurs, il y a dans ces portraits, à la suite de celui d’Iermolova, quelque chose d’élevé, parfois d’héroïque. On peut rapporter à leur nombre le pastel représentant Constantin Stanislavski (1911), le Portrait de Polina Chtcherbatova (1911) resté inachevé, à l’état d’un dessin au fusain sur toile, et celui de Maria Akimova (1908). Ce dernier rappelle par certains de ses traits formels ceux de Botkine et de Youssoupova. L’artiste le construit sur un principe décoratif et situe le modèle dans un entourage identique à celui que les peintres utilisaient largement dans les portraits d’apparat à la limite des deux siècles. Cependant, dans l’image même d’Akimova, il y a beaucoup plus de fond humain ; une vraie noblesse se fait voir dans sa tête magistralement modelée, dans toute sa figure, son port, dans le geste de ses mains. Il serait non sans intérêt de suivre la façon dont Serov a travaillé sur un autre portrait, celui d’Henriette Hirschmann (1907), où le principe d’apparat occupe une place importante. La première variante du portrait a été d’abord faite à la gouache et ensuite au fusain. Au début, le portrait a été conçu presque dans les traditions des portraits d’apparat de Serov. Mais l’artiste ne se laisse pas entraîner par des effets picturaux. Avec des lignes laconiques, il trace les contours et néglige la richesse des accessoires. Le peintre veut trouver dans le nouveau modèle des traits de réserve, de confiance, de gravité, déjà représentés par lui dans une série d’images féminines de cette période. Mais bientôt Serov change toute la composition : il représente Hirschmann dans un boudoir où cette beauté mondaine est entourée d’une multitude d’objets de luxe. Avec une maestria brillante, Serov peint un intérieur raffiné plongé dans une tiède pénombre où se dégage en taches lumineuses le jaune des meubles en bouleau de Carélie, la surface miroitante de la glace, le scintillement des bibelots en verre et en métal. Cet « entourage » était typique pour Hirschmann et avantageux pour le peintre, car il lui permettait de donner une caractéristique précise du modèle, de souligner son individualité. Et cependant, Serov n’a pas réussi à ne montrer dans le portrait de Hirschmann qu’une seule idée. Le monde intérieur du modèle dont le peintre s’est fait témoin et qui est reflété dans la glace, recèle une dualité, a un 109

Concept de décor pour l’opéra « Judith ». Actes I et V : Place dans Béthel assiégée, une antique ville de Judée, 1907. Tempera sur papier, collé sur carton, 55,5 x 71,2 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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Portrait de Maria Akimova, 1908. Huile sur toile, 77 x 62 cm. Galerie nationale d’Arménie, Erevan. Portrait de Nikolaï Pozniakov, 1908. Huile sur toile, 83 x 100 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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caractère implicite. C’est là que se trouvaient en puissance les deux chemins à prendre : soit celui de la création d’images idéales, soit celui de portraits de caractère, presque grotesques, dont les magnifiques échantillons apparaissent durant la dernière période du maître. Peu de temps avant sa mort, Serov est revenu au même modèle et en a fait un portrait au pastel (1911) qui est resté inachevé. On y voit une tendance vers le sobre classicisme, vers le fini de l’image pourvue de traits idéaux. « Chaque visage humain, disait Serov, est si complexe et original qu’il est possible d’y trouver des traits parfois positifs, parfois négatifs, dignes d’être peints par un artiste. Quant à moi, tout au moins, en examinant un homme, je suis toujours entraîné, peut-être même inspiré, moins par le visage de l’individu, qui est souvent banal, que par la caractéristique que l’on peut en faire sur la toile. C’est bien pour cela qu’on m’accuse parfois de faire des portraits qui ressemblent à des caricatures. » Serov ne craignait pas dans ses recherches du caractéristique d’accuser certains traits, de les exagérer, de les rendre hyperboliques. Souvent, cela amenait à la déformation d’un visage, d’un corps, d’un objet, mais cela était toujours lié à l’essence même de l’image que présentait le modèle, à ses particularités que l’artiste voulait révéler et rendre nettes et évidentes. Dans le célèbre Portrait d’Ida Rubinstein (1910), il n’y a nulle trace de tendances « accusatrices » ; mais l’acuité de la caractéristique atteint dans ce portrait une force extraordinaire. Rubinstein, a frappé Serov. Quand il l’a vue dans un spectacle de danse, il s’est aussitôt figuré l’image qu’il en pourrait créer sur toile. Une danseuse stylisée, raffinée, mais pleine de tempérament, tel a été le nouveau modèle de Serov, et il a su en faire une image adéquate en rendant encore plus soulignés les traits originaux et accusés de la portraiturée. Voilà comment Nina Simonovitch-Efimova décrit Ida Rubinstein qu’elle a vu poser dans l’atelier de Serov : « Un ovale du visage qu’on dirait dessiné d’un trait ; un nez d’une forme noble. Et un visage gentil, mat, pâle, avec des cheveux noirs tombant en une torsade de boucles. Une silhouette moderne avec un visage venant d’une époque antique, des Indes légendaires. Cette authenticité attirait Serov parce qu’elle excluait toute idée éventuelle de superficiel, de factice. Serov disait que sa bouche rappelait « la gueule d’une lionne blessée ». Il se peut que le portrait d’Ida Rubinstein réponde en tout aux exigences du nouveau style. La célèbre ballerine posait nue, et cela seul obligeait le peintre d’écarter toutes les associations permettant d’identifier l’image à la réalité. Serov ne cherchait pas à « représenter » Ida Anna Pavlova dans le ballet « Sylphyde », 1909. Détrempe sur toile. Musée russe, Saint-Pétersbourg. Portrait d’Ida Lvovna Rubinstein, 1910. Détrempe et fusain sur toile, 147 x 233 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. (p. 116-117)

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Rubinstein : il créait une image en utilisant le très riche matériel que lui donnait le modèle. En même temps il voulait joindre le conventionnel au réel, ce qui était typique du « moderne » en général et de presque tous les portraits de Serov en particulier. Trois couleurs seulement et à leur état pur, sans nuances, ni mélanges – bleu, vert et brun, – viennent « enluminer » l’œuvre. Chaque couleur est isolée et localisée. Rien ne marque l’espace où se trouve la figure : ni la couleur, ni la composition, ni la perspective. Le modèle ne semble pas être assis, mais plutôt étalé, appliqué à la toile, ce qui lui donne, et cela malgré toute son extravagance et tout son raffinement, une teinte de faiblesse et de vulnérabilité.

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Si dans le portrait d’Ida Rubinstein, Serov, tout en soulignant ce qu’il y avait en elle de caractéristique et non point d’idéal, avait beaucoup d’admiration pour son modèle, il n’en est pas de même avec une série d’autres portraits où il traite l’image d’une manière presque grotesque. Cette tendance atteint son apogée dans les toutes dernières années de la vie de l’artiste et, avant tout, dans le Portrait de la princesse Olga Orlova (1911). Ici, la composition et le coloris présentent une unité idéale d’ensemble et d’harmonie, ils sont parfaits du point de vue classique. La chaude profondeur du luxueux manteau d’une fourrure soyeuse qui descend des épaules d’Orlova, contraste avec sa robe aigue-marine aux reflets nacrés et met en relief la peau mate et veloutée de son cou et de ses mains soignées qui tordent machinalement un collier de perles. Serov, et cela sans jamais donner dans la reproduction naturaliste du monde des choses réelles, rend avec finesse les objets qui entourent Orlova : vase de Sèvres sur une console dorée, tableaux anciens. La solution de composition – sous le rapport de l’espace et du rythme – est trouvée par le peintre avec brio : la femme est assise dans un coin d’un grand salon, donc ce n’est pas un mur plat qui lui sert de fond mais bien un coin formant – tel le décor d’une pièce de théâtre – l’espace « scénique ». Tous les objets sont donnés d’une façon fragmentaire, ce qui permet de juger des dimensions et de la magnificence de la demeure princière. Mais cette fragmentation n’a rien à voir avec le caractère intentionnellement fortuit de la composition. Chacun des objets représentés fait partie inhérente des lois rythmiques de la composition et « vit » d’une vie pleine. Serov admire l’unité harmonieuse de la nature et du caractère d’Orlova, si parfaits et entiers dans leur genre. Son extérieur raffiné et soigné, sa « race », sa superbe négligence dans le port de choses qui coûtent cher, son caractère « stylisé », donnent une riche matière à Serov à exercer sa maestria. Mais il ne s’agit pas là – comme c’est souvent le cas avec les portraits d’apparat – simplement d’une belle dame du monde. La forte individualité du modèle a permis à l’artiste de créer tout un type social. L’œil implacable d’un réaliste et une main sûre, lui font trouver une formule artistique ; mais, pour apparaître, cette formule a besoin d’une silhouette nette de la figure, d’une pose typique et fixée, même dans ce qu’il y a en elle de fortuit ; en quelque sorte, on a un nouveau standard, pareil à celui qui était typique du portrait du

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siècle et qui impliquait la présence de formes traditionnelles établies. Serov a, pour

ainsi dire, élaboré les bases du genre, son iconographie. Sous ce rapport le portrait d’Orlova est excessivement « iconographique » : la pose, trouvée après de longues comparaisons et d’innombrables changements, l’entourage, la composition bâtie sur l’harmonie des fragments constituants, la noblesse de la peinture, cela présente dans son ensemble tout un jeu de qualités indispensables pour un portrait d’apparat. Dans les portraits de Serov de sa période tardive, le « style moderne », dans sa variante russe, se trouve à son apogée. On peut même dire qu’il s’est épuisé dans la perfection de Serov, ce qui, forcément, pose devant la peinture russe le problème de nouvelles voies et recherches. Pour ce qui est des portraits de Serov, leur évolution s’est produite d’une façon naturelle et suivie. Il en est autrement de ses œuvres à thèmes, dont il a été question lorsque nous avons parlé de sa période « paysanne ». Il ne s’agit pas seulement des changements se produisant à l’intérieur de chaque genre. Les tableaux de genre traitant des sujets tirés de la vie

Portrait d’Anna Staal, 1910. Tempera. Collection privée.

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Portrait d’Ivan Morozov, 1910. Tempera sur carton, 63,5 x 77 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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contemporaine se trouvent, à partir de 1900, peu à peu évincés par le genre historique vers lequel tournent bientôt tous les intérêts de Serov. Ce processus était favorisé par le fait que l’artiste s’était lié avec le groupe de Mir Iskousstva dont les membres cultivaient le genre historique, qui a pris chez eux un caractère particulier et nouveau. Ce passage, dans les tableaux de genre, des sujets contemporains aux sujets historiques, on peut en discerner certains indices chez Serov encore au début des années 1900. Ce sont ces mêmes « exigences de style » dont nous avons déjà parlé qui y ont joué un rôle important. Un phénomène concret pris du monde habituel qui nous environne, ne présentant rien d’essentiel, et qui n’est intéressant que comme source de sensation directe, ce phénomène ne pouvait présenter aucune valeur esthétique pour le « moderne », ne lui « convenait » pas. Les sujets historiques renfermaient en eux de plus grandes possibilités pour faire oublier la réalité, pour s’arracher à son emprise. Serov a débuté dans le genre historique comme illustrateur. Ses illustrations pour La Chasse des

tsars et des empereurs en Russie ne comportaient pas d’éléments tant soit peu importants, propres aux tableaux de genre traitant des sujets contemporains, donc ordinaires et prosaïques. C’était justement la variante du genre historique la plus attrayante pour les maîtres de Mir Iskousstva. Plongés dans un monde de rêve romantique, ils savouraient les styles des époques révolues tout en restant légèrement ironiques. Fins stylistes, maîtres parfaits, appréciant la beauté d’une composition juste, du rythme raffiné des lignes, d’une tache de couleur décorative et discrète à la fois, ces artistes ont élaboré leurs propres principes picturaux. Ils cherchaient à joindre une nouvelle vision des choses aux éléments de la stylisation. Mais par leur prédilection pour le décoratif et le plat, ils avaient presque renoncé à la peinture à l’huile et se servaient par excellence de l’aquarelle, de la gouache, de la détrempe ou du pastel, soit des couleurs qui n’engagent ni à modeler la forme ni à obtenir l’effet des trois dimensions. Dans les illustrations de Serov faites à la détrempe dans les années 1900-1902 : Pierre I er à la Portrait d’Alexeï Vikulovitch Morozov, 1909. Aquarelle noire, chaux, sanguine et crayon sur papier collé sur carton, 93,4 x 59,8 cm. Musée national des Beaux-Arts de Biélorussie, Minsk. Portrait de Ielena Balina, 1911. Huile sur toile, 106 x 77 cm. Musée d’art de Nijni Novgorod. (p. 124) Portrait de la princesse Olga Orlova, 1911. Huile sur toile, 275,5 x 160 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. (p. 125)

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chasse à courre, Catherine II à la chasse au faucon, Pierre II et la tsarevna Élisabeth se rendant à la chasse à courre, les principes du groupe Mir Iskousstva se trouvent réalisés avec une magnifique perfection. Serov ne s’intéresse point aux grands événements historiques. Ce qui importe à l’artiste, c’est l’esprit, le style de l’époque et non pas ses conflits ; par cela-même les œuvres historiques de Serov sont proches de la conception du genre historique des membres de Mir Iskousstva. Dans ses tableaux, il ne se passe rien d’important. Ainsi, on y voit la vieillissante impératrice Catherine II se retourner pour regarder avec un sourire bienveillant son nouveau favori qui l’accompagne à cheval ; ou bien Pierre Ier rire en voyant un vieux boyard tombé de son cheval ; ou bien encore Élisabeth et Pierre regarder des paysans qui se trouvent sur leur passage. Tout cela n’a qu’une importance secondaire et ne détermine pas le caractère même des tableaux dont le sens réside dans une restitution vivante de l’esprit de l’époque. Dans Pierre II et la tsarevna Élisabeth se rendant à la chasse à courre, on sent la course impétueuse des chevaux et des lévriers frôlant presque les paysans ; on a l’impression que la

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terre vole sous les sabots des chevaux. Au second plan, près de l’église, là où sont les arrières de la cavalcade, on voit des oiseaux effrayés s’élever dans une brusque envolée. Dans cette détrempe, Serov ne « réserve » à toute cette « prose » que le second plan. Mais c’est justement là, au second plan qu’il introduit dans le genre historique des éléments prosaïques de la vie de tous les jours : de pauvres haridelles qui paissent, si familières aux tableaux de Serov, des isbas et, au-dessus, un ciel chargé de nuages gris. L’historicité de Serov est pourtant authentique. La Russie du

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siècle restituée par l’artiste,

on la reconnaît d’après les signes trouvés avec une vive intuition. Souvent le caractère convaincant des œuvres de Serov est le fruit de sa maîtrise pareille à celle d’un joaillier. Dans ces petites œuvres, la surface peinte est précieuse : une tache de couleur mise sur la toile constitue un élément très précieux en soi, mais cela ne rompt nullement l’harmonie picturale générale, maintenue par le peintre d’une façon suivie et rigoureuse. Les lignes se tordent, s’enlacent, cela forme, d’un côté, la base linéaire et rythmique du tableau – indice typique du « moderne » – et souligne le mouvement dicté par le sujet, de l’autre. Les illustrations pour la chasse du tsar ne sont, au fond, qu’un épisode dans l’œuvre de Serov. Dans le domaine de la peinture historique, l’artiste n’acquiert son originalité et une vraie profondeur qu’après 1905, lorsque, avec système et méthode qui lui sont propres, il se plonge pour de bon dans l’époque de Pierre Ier, époque des grandes réformes en Russie, époque grandiose, mais contradictoire, et qui est, sous certains rapports, chère à l’artiste. Cette époque a aidé Serov à analyser ses impressions des événements dont il venait d’être témoin, à exprimer dans l’art ses pensées sur la destinée de sa patrie qui a vécu en 1905 une sanglante épopée révolutionnaire. Selon Serov, Pierre Ier est l’incarnation même de la nécessité historique de transformer la Russie, incarnation du principe créateur et révolutionnaire de la vie russe. Implacablement cruel, despotique, mais beau et grand dans son ardent enthousiasme de réformateur, Pierre a engagé la Russie dans l’unique voie qui soit juste, quoique épineuse. Dans l’œuvre de Serov cette pensée trouve une réalisation concrète dans le personnage de Pierre Ier, personnalité complexe, contradictoire qui ravit et épouvante en même temps. La nouvelle conception de Serov s’est exprimée de la manière la plus évidente et exhaustive dans son tableau Pierre I er (1907) fait sur une commande de Knebel, qui avait l’intention d’entreprendre une édition scolaire de tableaux illustrant l’histoire russe. L’éditeur a proposé à Serov de représenter Pierre à une époque où Saint-Pétersbourg était en construction, sujet qui intéressait vivement l’artiste. Dans l’image faite par Serov, pleine d’authenticité et de vie, on ne voit pas qu’un grand homme d’État, on y voit également l’essence même de toute une époque de l’histoire russe. Le voilà qui marche le long de la Neva, impétueux, majestueux et terrible, tel qu’il était en réalité : démesurément long, avec ses jambes « en échalas » et sa petite tête orgueilleusement rejetée en arrière. Le peintre condense dans l’image de Pierre, ceux de ses traits qui le caractérisent comme le fanatique et génial transformateur de la Russie.

Portrait de Francesco Tamagno, 1891-1893. Huile sur toile, 78,3 x 69,2 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Portrait de Savva Mamontov, 1887. Huile sur toile, 89 x 71,5 cm. Musée des Beaux-Arts, Odessa. (p. 128) Portrait de Yekaterina Chokolova, 1887. Huile sur toile, 91 x 73 cm. Collection privée. (p. 129)

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Cette image grandiose de Pierre Ier trouve sa réalisation organique dans le tableau dont l’ordonnance vise principalement à rendre le caractère monumental du personnage. Pierre domine la nature et les gens, et cela est souligné par toute la composition : sa figure se dessine nettement sur un ciel sombre et gris. Autour de lui s’étendent les rives plates de la Néva, triste et nu pays du Nord, soumis à la volonté de cet homme génial. Le tableau n’est pas de grandes dimensions, néanmoins la procession solennelle qui y est représentée produit l’impression de quelque chose de monumental. L’œuvre est bâtie sur un rythme bien net et sur un mouvement impétueux. Dans le tableau, se fait sentir cette tendance vers le « grand style » propre à plusieurs portraits de Serov des années 1900. Or, l’une et l’autre qualité éloignent cette toile de Serov des tableaux historiques Mir

Iskousstva : Serov avançait d’autres problèmes. Ses images sont à une autre échelle. Le principe de la corrélation de l’histoire et des faits du temps présent qui est déterminé par toute la conception philosophique de l’artiste, joue un rôle important dans cet éloignement. Serov n’éprouve pas de sentiments élégiaques à l’égard des époques révolues comme le font les membres de Mir Iskousstva. Selon lui, l’histoire se prolonge dans les temps présents, et il veut trouver les fils d’attache. Et Serov s’intéresse sérieusement à la personne de Pierre le Grand. Dans les dernières années de sa vie, il a essayé plusieurs sujets ayant trait à Pierre Ier : La Coupe du Grand Aigle, Pierre

I er à Monplaisir, Pierre I er sur le chantier. Aucun de ces tableaux n’a été achevé, mais l’intérêt pour la personnalité de Pierre est significatif. L’image synthétisée de l’empereur de toutes les Russies, si heureusement trouvée par Serov dans sa détrempe de 1907, il a voulu pour ainsi dire la « décomposer » en ses parties constituantes, en montrant Pierre Ier au cours de ses différentes activités. L’échec qu’il a essuyé est très significatif sur le plan de l’évolution de l’artiste : le temps exigeait des solutions toujours plus généralisées, alors que Serov a voulu concrétiser au possible l’image et le phénomène. Dans les toutes dernières années de sa vie, Serov prend de plus en plus intérêt pour la mythologie antique et délaisse complètement l’histoire. Le genre imaginé par Serov pour donner une vie nouvelle aux sujets mythologiques ne saurait être défini comme historique dans le sens propre du mot. Historiques ont été les sujets antiques dans le classicisme du XVIIIe et du début du

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siècle : à l’époque, la mythologie était interprétée comme de l’histoire réelle.

Quant à Serov, un sujet mythologique présentait pour lui deux caractères, conventionnels tous les deux : celui du mythe et celui de l’époque historique. Il est vrai que Serov cherchait en même temps à faire voir à travers ce caractère doublement conventionnel la vie réelle. L’Antiquité fut la dernière passion de l’artiste, et cela s’explique. C’est ce même caractère « doublement conventionnel » dont nous venons de parler qui a concouru à ses recherches Portrait d’Olga Fiodorovna Troubnikova, 1885. Huile sur toile, 88 x 71 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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stylistiques les plus systématiques et conséquentes. Il faut y ajouter encore la vive impression que Serov a remportée lors de son voyage en Grèce en 1907, fait en compagnie de Léon Bakst, son ami de l’association Mir Iskousstva.

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La Grèce a frappé Serov par son harmonie, unique en son genre, de l’élevé, même du monumental, d’une part, avec le simple, avec ce qui vient de la vie ordinaire, de l’autre. Serov examinait attentivement le paysage grec, antique et contemporain à la fois, reconnaissait en telles jeunes filles les caryatides de l’Érechthéion, devinait en toute chose l’Antiquité ranimée. Il n’y a pas que l’ancien amour de Serov pour l’art grec qui l’a amené à la Grèce antique, mais aussi tout le développement logique de sa propre œuvre. Or, on sait que dans les années 1900, toutes les recherches de Serov menaient vers de grandes images généralisantes, chantant la beauté de la nature et de l’homme, elles tendaient à résoudre les tâches d’un art monumental, à créer un « classicisme » du

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siècle. Il y avait trois sujets qui

passionnaient Serov : Ulysse et Nausicaa, L’Enlèvement d’Europe et Les Métamorphoses

d’Ovide. Il existe beaucoup d’esquisses et de variantes pour ces sujets qui ont occupé Serov les deux dernières années de sa vie. Dans Ulysse et Nausicaa, les changements concernent avant tout le paysage, sa tonalité générale, les corrélations d’échelle du ciel, de la mer et de la terre. La partie centrale de la composition a été vite trouvée par l’artiste : sur le char, la figure élancée de Nausicaa ; devant, les mules attelées au char et secouant la tête d’un mouvement caractéristique ; derrière la princesse, sa suite s’avançant avec peine sur la plage sablonneuse ; et un peu plus loin, à l’écart, Ulysse. Les critiques d’art ont remarqué de bonne heure que le motif d’une pareille procession et sa solution picturale apparaissent dans l’œuvre de Serov au milieu des années 1900 et, par l’intermédiaire de Pierre I er (1907), viennent trouver leur dernière réalisation dans

Ulysse et Nausicaa. La parenté de ces œuvres est incontestable, bien que l’interprétation de la procession d’abord dans l’esquisse pour les Funérailles de Nikolaï Baumann (1905), puis dans un sujet tiré de l’histoire russe et ensuite dans un sujet emprunté à l’Odyssée, soit bien différente. Dans Ulysse, tout est pénétré d’un sentiment de sérénité et d’ensemble harmonieux. La nature et les personnages s’y trouvent dans une admirable fusion. Il se dégage de cette procession une sensation de joie et de solennité en même temps. La procession se déploie en longueur. La différence entre les variantes ne consiste que dans les intervalles séparant les figures. Ce qui y change considérablement, ce sont la gamme des couleurs, le format, l’échelle des proportions. Dans une des variantes, le ciel est haut, sa nuance argentée détermine toute l’ordonnance chromatique du tableau ; la mer est couverte de crêtes de lames blanches reluisantes au soleil ; les figures des gens et des animaux semblent renvoyer des reflets de soleil à travers la couleur grise des vêtements ; la svelte silhouette de Nausicaa rappelant par quelque chose d’insaisissable les korês archaïques, est pleine d’une véritable vie et d’une grâce virginale. Une autre variante tend, par sa forme, vers un panneau décoratif et semble être moins l’image réelle d’un paysage avec des figures qu’une esquisse de décor de théâtre. Ce qui est parfaitement naturel, vu les travaux de Serov dans le domaine du décor théâtral, parmi lesquels le rideau pour Schéhérazade dans les Ballets russes de Serge de Diaghilev lors de leur tournée à Paris est le plus remarquable.

Portrait de Vladimir Osipovitch Girshman, 1911. Huile sur toile, 96 x 77,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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L’Enlèvement d’Europe, 1910. Huile sur toile, 71 x 98 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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L’Enlèvement d’Europe (esquisse), 1910. Aquarelle, 25,3 x 31,5 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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Version d’un dessin de rideau pour le ballet Schéhérazade (musique par Nikolaï Rimski-Korsakov), 1910. Tempera sur carton, 56 x 72 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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Dans chacune des variantes de Serov est posé le problème de la corrélation du réel et du conventionnel. C’est le dernier qui prend le dessus dans les esquisses des fresques pour l’hôtel particulier des Nossov où l’image fait partie de la composition architecturale, où tout est soumis à une symétrie rigoureuse et où le peintre recourt souvent au principe héraldique de l’ordonnance de la scène. Le problème d’unir le réel et le conventionnel est résolu de la façon la plus suivie dans L’Enlèvement d’Europe, œuvre qui en plus des variantes peintes et graphiques, en a encore une qui est sculpturale. Dans cette composition de Serov, chacun des deux principes est « aiguisé » au possible. Le taureau-Zeus regarde la belle Europe avec convoitise, la pose de la jeune fille est extraordinairement réelle, et pour cause : Serov l’a longtemps cherchée dans la nature vivante, fait plus d’un dessin avant d’arriver finalement à une variante qui permît d’assimiler le vivant à l’historique, d’unir le réel avec les traits d’une Antiquité archaïsante. Le mouvement du taureau nageant est dynamique et en même temps comme arrêté, d’abord par sa tête retournée, puis par l’équilibre des deux vagues entre lesquelles se trouvent la tête d’Europe et la sienne, et finalement par la planéité de la tache orangée qui se pose avec un calme parfait sur la surface bleue de la mer. On a l’impression qu’un vrai taureau nage dans une mer de pure convention, tout à fait irréelle. Il est vrai que là aussi le caractère irréel est relatif. Les vagues, toutes conventionnelles qu’elles soient, n’en produisent pas moins l’impression de se mouvoir ; et en effet, on finit par croire que ces vagues portent le taureau et la jeune fille. Le problème d’unir le fictif et le conventionnel avec le vivant et le réel, se posait toujours devant Serov, tant dans ses portraits que dans ses illustrations pour les fables de Krylov ou dans ses illustrations sur des sujets historiques. Et peu s’en fallait que dans ses dernières œuvres sur des motifs antiques, ce problème ne devînt central. Le fait même que l’artiste s’inspirât de la mythologie y concourait : un mythe porte toujours en soi du conventionnel et du réel. On ne saurait jamais attribuer à l’effet du hasard que dans l’art de la fin du du début du

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siècle, était si fort le goût du mythologique. Plus que cela : à cette époque

s’est posé le problème de la possibilité de créer de nouveaux mythes. Il va de soi que dans ses oeuvres Serov n’utilise que des mythes antiques déjà existants et n’en crée pas de nouveaux ; il fait renaître les vieux mythes sous une forme picturale nouvelle. Vroubel, autre grand peintre russe de la même époque que Serov, faisait de même. Pan, divinité des bois, ou la Tsarine-Cygne, le Démon, héros d’un poème du même nom de Lermontov, ou Faust, tels sont les personnages familiers de ses œuvres. L’union du fantastique et du réel dans les images mythologiques est chez Vroubel encore plus aiguisée et surprenante. Vroubel invente beaucoup plus qu’il n’illustre. Serov est plus raisonnable et calme. Et cependant, les deux maîtres sont assez proches l’un de l’autre dans leurs sujets mythologiques. Les œuvres graphiques de Serov tiennent, quant à leur qualité « la même hauteur » que ses Portrait d’Adelaida Simonovitch, 1889. Huile sur toile, 87 x 69 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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œuvres peintes à la fin de sa carrière. À partir du milieu des années 1900, elles acquièrent une exceptionnelle pureté de style. Les remarquables résultats obtenus durant toute l’activité créatrice de Serov se font sentir dans le Portrait d’Alexeï Vikulovitch Morozov (1909), dans

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Portrait d’Alexandre Turchaninov, 1906. Huile sur toile, 87,5 x 97,5 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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Portrait de l’empereur Nicolas II, 1900. Huile sur toile, 70 x 58 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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celui de la danseuse Tamara Karsavina (1909), dans ses nombreuses illustrations pour les fables de Krylov, une passion des dernières années de la vie du peintre. Naturellement, là comme ailleurs, l’artiste aspire à connaître la vérité dernière, la vérité définitive, à trouver le sens secret de l’être, de tout ce qu’il y a de vivant dans le monde. Mais en plus de cela, c’est dans les travaux graphiques de Serov que sont les plus manifestes sa maîtrise et la valeur artistique de son dessin. La ligne dans ses œuvres graphiques devient de plus en plus « saturée » : elle exprime les différents aspects et qualités de la réalité. Les lignes sont tracées sur le papier non seulement pour représenter quelque objet réel, mais aussi en vertu du rythme linéaire lui-même, en vertu de la beauté absolue. Le style, c’est le type de l’art, et dans le cadre d’un seul type de l’art on trouve souvent réunis non seulement des tempéraments différents, mais aussi des intérêts humains différents qui ne peuvent pas être soumis aux exigences des styles. Des peintres très différents se tendent parfois la main les uns aux autres à travers des siècles. Rouault, ce martyr du

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siècle, peut

rappeler par quelque chose le grand Rembrandt. Le magnifique Ingres voulait se voir sous l’aspect de Raphaël. Certains s’unissent par leur bonté, d’autres par leur âme extatique. Serov, parmi ses contemporains, est l’un des rares qui puisse être considéré en dehors du style. Il réunit en lui la bonté et la haine. Il peut être extraordinairement bon et partager les pensées amères et les sentiments pénibles de son modèle. Il peut comprendre un enfant dans son immédiat mouvement de l’âme. Il peut admirer ce qu’il y a de théâtral dans un acteur brûlant du feu sacré. Et en même temps, il pénètre de son froid regard d’analyste dans le fin fond d’un modèle. Mais Serov peut être d’une méchanceté implacable lorsqu’il s’agit de la trivialité humaine, de prétentions injustifiées, d’esprits obtus, de richesses parasitiques et inutiles, de fainéants. Mais quels que soient ses sentiments, l’artiste les traduit toujours par des catégories esthétiques. Jamais il ne fait une caricature d’un portrait. Il cherche des formules artistiques. C’est dans la même mesure qu’il métamorphose, qu’il refait les traits du caractère d’une Iermolova ou d’une Orlova en supprimant tout ce qui est fortuit et en renforçant le trait caractéristique foncier du modèle. Les sentiments s’en trouvent comme refondus ; le principal, c’est de savoir « élever à une puissance », si l’on s’exprime en termes de mathématiques. Cette perspicacité est, peutêtre, la qualité « artistico-humaine » de Serov qui, justement, le rend dissemblable d’un Vroubel et d’un Korovine, d’un Benois et d’un Doboujinski, et fait évoquer des artistes si différents que sont Holbein et Goya. Il va de soi que les comparaisons que nous venons de nous permettre ne sont pas de celles qui veuillent établir la qualité absolue ou le rôle joué dans l’histoire universelle des arts. On ne saurait jamais comparer les grands maîtres du passé avec les artistes de ce siècle. Mais tant qu’il s’agit de l’évolution artistique réelle qui a eu lieu en Russie à la limite du

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et du

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par son expérience a déblayé le chemin aux autres. Il est celui qui a joué le rôle qui lui avait e

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Pierre I er à Monplaisir, 1910-1911. Détrempe et mine de plomb sur papier collé sur carton, 62,5 x 47,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

siècle, on ne

saurait remplacer Serov par personne. Il est un grand maître qui par ses activités créatrices et été prédestiné par l’Histoire elle-même : faire entrer la peinture russe dans le

La Coupe du Grand Aigle, 1910. Tempera sur carton, 90,5 x 65 cm. Galerie nationale d’Arménie, Erevan.

siècle.

Portrait de Praskovïa Mamontova, 1889. Huile sur toile, 65 x 45 cm. Collection M.N. Sokolov, Moscou.

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Octobre à Domotkanovo, 1895. Huile sur toile, 48,5 x 70,7 cm. Galerie Trétiakov, Moscou.

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Portrait de Constantin Pétrovitch Pobiedonostsev, 1902. Fusain, crayon et sanguine, 56 x 43 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg.

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ŒUVRES GRAPHIQUES

Nu, 1900. Fusain et craie sur papier brun, 69,8 x 45,4 cm. Musée russe (depuis 1928), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13445. Signé et daté en bas à droite : VS, 1900.

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Nu, 1900. Crayon, craie et sanguine, 69,5 x 46 cm. I.I. Brodsky Apartment-Museum, Saint-Pétersbourg. Inv. n° 6r-291. Signé et daté en bas à droite : VS, 1900.

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Portrait de la princesse Olga Constantinovna Orlova, 1911. Crayons de couleur et fusain sur papier, 65,3 x 49,2 cm. Musée russe (depuis 1926), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13436. Signé et daté à droite : VS 1911. Olga Constantinovna Orlova, née Beloselskaya-Belozerskaya (1872-1923), princesse.

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Portrait de Maria Pavlovna Botkine, 1905. Craie noire et blanche et sanguine sur papier gris, 97 x 71,5 cm. Musée russe (depuis 1926), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13433. Signé et daté en bas à droite : VS 1905. Maria Pavlovna Botkine, née Tretiakova (1875-1952), fille de Pavel Tretiakov, fondateur de la Galerie Trétiakov.

153

Portrait de Piotr Petrovitch Semionov-Tien-Shanski, 1905. Fusain, crayon et craie blanche sur papier jaunâtre, 67 x 51 cm. Musée russe (depuis 1918), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13431. Signé et daté en bas à gauche : VS 1905. Piotr Petrovitch Semionov-Tien-Shanski (1827-1914), géographe, statisticien, botaniste et entomologiste, homme d’État, membre honoraire de l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg (depuis 1873), collectionneur de peinture hollandaise.

154

Portrait de Constantin Dmitriyevitch Balmont, 1905. Pastel sur papier gris, collé sur carton, 72,5 x 41,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Inv. n° 9133. Signé et daté en bas à droite : V. Serov, 1905. Constantin Dmitriyevitch Balmont (1867-1942), poète et traducteur russe.

155

Autoportrait, 1885. Crayon et fusain sur papier, 34 x 25,5 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg, Inv. n° 3616. Impression de la signature de l’artiste en bas à droite : VS.

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Autoportrait (dessiné avec Ilia Répine), 1883. Craie noire, 33 x 23 cm. Musée russe (depuis 1912), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13405.

157

Portrait de Pavel Petrovitch Tchistiakov, 1881. Craie noire sur papier, 34 x 25,3 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1924), Moscou. Inv. n° 7634. Signé et daté en bas à droite : BC 31. MapTa. 1881 r. (V.S., 31 mars, 1881). Pavel Tchistiakov (1832-1919), peintre d’histoire et de portraits, professeur à l’Académie des arts de Saint-Pétersbourg.

158

Portrait de Mikhail Mikhailovitch Fokine, 1909. Sanguine. Lieu de conservation inconnu, auparavant dans la collection Fokine. Signé à droite : VS. Mikhail Mikhailovitch Fokine (1880-1942), danseur et maître de ballet russe, personnage important du monde de la danse, chorégraphe dans la compagnie de Diaghilev.

159

Portrait d’Alfred Pavlovitch Nurok, 1899. Lithographie sur papier, 31 x 21 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. Inv. n° Ãp-20363. Signé et daté en bas à gauche : VS, 1899. Alfred Pavlovitch Nurok (1860-1919), critique musical, travaillait au sein de l’équipe éditoriale du magasine Mir Iskusstva.

160

Portrait d’Alexandre Constantinovitch Glazounov, 1899. Lithographie, 29,4 x 22 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. Inv. n° Ãp-20392. Signé en bas à droite : V. Serov, et en bas à gauche : A. Glazunov. Alexander Constantinovitch Glazounov (1865-1936), compositeur, chef d’orchestre, professeur et directeur du Conservatoire de Saint-Pétesbourg.

161

Portrait de Vladimir Vladimirovitch von Meck, 1901. Fusain, 53,5 x 36 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1962), Moscou. Inv. n° Ï-33710. Signé et daté en bas à droite : V. Serov, 1901. Vladimir Vladimirovitch von Meck (1877-1932), collectionneur.

162

Portrait d’Ilia Iefimovitch Répine, 1901. Aquarelle et craie blanche, 34,6 x 35 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Inv. n° P-13443. Signé et daté en bas à gauche : Serov, 1901. lIia Iefimovitch Répine (1844-1930), célèbre artiste russe.

163

Portrait de Vera Pavlovna Ziloti, 1902. Fusain et craie sur papier jaune, 76 x 94 cm. Musée russe (depuis 1926), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13444. Signé et daté en bas à gauche : V. Serov, 1902. Vera Pavlovna Ziloti (1866-1939), fille aînée de Pavel Mikhailovitch Tretiakov, épouse du pianiste et chef d’orchestre A. Ziloti.

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Portrait de Wanda Landowska, 1907. Craie noire et blanche, aquarelle et pastel sur papier pré-grisé, collé sur carton, 55,5 x 37,5 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1929), Moscou. Inv. n° 11306. Wanda Landowska (1877-1959), harpiste polonaise.

165

Portrait de Nikolaï Andreievitch Rimski-Korsakov, 1908. Fusain sur papier, collé sur carton, 64 x 45 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1920), Moscou. Inv. n° 5777. Signé et daté en bas à droite : VS, 1908. Nikolaï Andreievitch Rimski-Korsakov (1844-1908), célèbre compositeur et chef d’orchestre russe.

166

Portrait de Constantin Sergeievitch Stanislavski, 1908. Mine de plomb, 31 x 24 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1917), Moscou. Inv. n° 5419. Signé et daté en bas à droite : 1908, VS. Constantin Sergeievitch Stanislavski (Alexeiev) (1863-1938), acteur, metteur en scène, théoricien et fondateur du théâtre d’art de Moscou, artiste du peuple de l’Union soviétique à partir de 1936.

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Portrait de Fiodor Ivanovitch Chaliapine, 1905. Fusain et craie sur toile, 235 x 133 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Inv. n° 27807. Signé et daté en bas à droite : V.S., 1905. Fiodor Ivanovitch Chaliapine (1873-1938), chanteur d’opéra russe.

168

Portrait de Vaslav Nijinsky, 1910. Crayon sur papier collé sur carton, 15,5 x 9,5 cm. Musée du théâtre (depuis 1921), Saint-Pétersbourg. Inv. n° KÏ-2477/3. Signé en bas à droite : VS. Vaslav Nijinsky (1890-1950), danseur étoile russe dans la compagnie de Diaghilev. A relancé l’art de la danse masculine et fut novateur en matière de chorégraphie.

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Portrait de Vasili Ivanovitch Kachalov, 1908. Mine de plomb sur papier, 31,8 x 23,7 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1917), Moscou. Inv. n° 5417. Signé et daté en bas à droite : VS, 1908. Vasili Ivanovitch Kachalov (Shverubovitch) (1875-1948), acteur du théâtre d’art de Moscou, artiste du peuple de l’URSS à partir de 1936.

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Portrait d’Ivan Mikhailovitch Moskvin, 1908. Mine de plomb sur papier, collé sur carton, 31,2 x 23,7 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1917), Moscou. Inv. n° 5418. Signé et daté en bas à droite : VS, 1908. Ivan Mikhailovitch Moskvin (1874-1946), acteur du théâtre d’art de Moscou, artiste du peuple de l’URSS à partir de 1936.

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Portrait d’Anna Pavlovna Pavlova, 1909. Mine de plomb, 34,3 x 21,3 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1929), Moscou. Inv. n° 11312. Signé en bas à droite : VS. Anna Pavlovna (Matveyevna) Pavlova (1881-1931), danseuse russe de renommée mondiale.

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Portrait de Tamara Platonovna Karsavina, 1909. Mine de plomb, 42,8 x 26,7 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1929), Moscou. Inv. n° 11311. Tamara Platonovna Karsavina (1885-1977), danseuse russe dont les plus grands succès ont été au sein des Ballets russes de Diaghilev.

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Portrait de N.Z. Rappoport, 1908. Tempera sur carton, 98,6 x 62 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. Signé et daté en bas à gauche : VS, 1908.

174

Portrait d’Isabella Yulievna Grünberg, 1910. Crayon, aquarelle et craie blanche, 66 x 42,5 cm. Lieu de conservation inconnu. Signé et daté en bas à droite : VS, 1910. Isabella Yulievna Grünberg, épouse Kamenetskaya, fille de Yuly Osipovitch (directeur du magasine Niva) et Maria Grigorievna Grünberg.

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Portrait d’Élisabeth Karzinkina, 1905. Fusain et rehauts blancs, 89 x 58 cm. Musée d’art Nestorov (depuis 1940), Oufa, Russie. Inv. n° r-589. Élisabeth Sergeievna Karzinkina, née Yachmeniova (1886-1921), danseuse.

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Portrait de Nadezhda Petrovna Lamanova, 1911. Fusain, craie et sanguine sur carton, 102 x 75,5 cm. Collection V. Zamkov, Saint-Pétersbourg. Nadezhda Petrovna Lamanova, épouse Kayutova (1861-1941), costumière au théâtre d’art de Moscou de 1932 à 1941.

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Portrait d’Olga Fiodorovna Troubnikova, 1885. Crayon, 14,5 x 8,5 cm. Collection de la famille Serov, Moscou. Annoté par l’artiste en bas à droit : Odessa. Olga Fiodorovna Troubnikova (1865-1927), épousa Serov le 29 janvier 1889.

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Maria Fiodorovna Mamontova à cheval, 1884. Crayon noir sur papier collé sur carton, 32,6 x 24,2 cm. Collection M.V. Kuprianov, Moscou. Signé et daté en bas à gauche : VS, 1884. Inscription en haut à droite : « À Masha, de la part d’Anton », alias V. Serov. Maria Fiodorovna Mamontova, épouse Yakunchikova (1864-1952), nièce de Savva Mamontov, joua un rôle important pour le développement de l’artisanat russe.

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Le Quartette. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911. Mine de plomb et crayon noir, 26,7 x 42,5 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Inv. n° 3623. Signé en bas à droite : VS.

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Le Loup et la grue. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911. Mine de plomb, stylo et encre sur papier, 21,8 x 33 cm. Galerie Trétiakov, Moscou. Inv. n° 8731.

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Le Renard et les raisins. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911. Mine de plomb sur papier, 22,2 x 35,5 cm. Galerie Trétiakov (depuis 1914), Moscou. Inv. n° 3644.

182

La Corneille en plumes de paon. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911. Mine de plomb sur papier jauni, 26,6 x 42,3 cm. Musée russe (depuis 1914), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13409.

183

Le Loup et les bergers. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911. Eau-forte, 16,1 x 23,9 cm. Musée russe, Saint-Pétersbourg. Inv. n° p-28213. Impression en bas à gauche : Serov. Supplément du magasine Mir Iskusstva, n° 1/2, 1900.

184

Le Sommet. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911. Crayon, 26 x 42,4 cm. Musée russe (depuis 1936), Saint-Pétersbourg. Inv. n° P-13417. Auparavant dans la collection de la famille Serov.

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BIOGRAPHIE 1865 Naissance le 7 janvier à Saint-Pétersbourg. Il est le fils du compositeur et critique musical Alexander Serov.

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1873 Il passe l’été à Mühltal, près de Munich, avec sa mère. Il se lie d’amitié avec le graveur allemand Karl Köpping et l’accompagne dans ses tournées d’esquisses.

1871 Son père décède le 20 janvier à Saint-Pétersbourg. Sa mère, Valentina Serova, née Bergman, est une pianiste, compositeur défendant l’accès à la musique pour les paysans. Elle part à Munich afin de poursuivre sa formation. Serov va alors vivre à Nikolskoye, le domaine de la famille Drutsky-Sokolinsky, dans la province de Smolensk. Une communauté vivant selon les idéaux populistes y est établie. Son talent pour le dessin et la peinture se développe.

1874 En octobre, Serov et sa mère quittent Munich et s’installent à Paris, boulevard de Clichy. Il fréquente l’atelier d’Ilya Répine, rue Véron, dessinant d’après des modèles en plâtre et peignant des natures mortes. Chez lui, il peint seul, suivant son imagination et sa mémoire. Il prend part de temps en temps aux activités de la communauté d’artistes russes de Paris.

1872 Sa mère l’emmène à Munich suite à la disparition de la communauté de Nikolskoye.

1875 À l’été, il rentre en Russie avec sa mère. Ils s’installent à Abramtsevo, le domaine de Savva Mamontov près de

Valentina Serova, mère de l’artiste.

Alexander Serov, père de l’artiste.

Valentin Serov enfant.

Moscou. Proches de la famille Mamontov, ce lien durera toute sa vie. À l’automne, ils partent pour Saint-Pétersbourg. 1876 Au printemps, il part à Kiev avec sa mère. Il passe l’été dans le village d’Akhtyrka, dans la province de Kharkov, sur le domaine du docteur V. Nemchinov, le compagnon de sa mère. 1878 Il passe l’été à Akhtyrka et déménage à Moscou à l’automne où il reprend des cours avec Répine. Il intègre la troisième classe du premier Progymnasium de Moscou. 1879 Au printemps, il quitte le Progymnasium et s’installe chez Répine. Il se prépare pour entrer à l’Académie des beaux-arts et travaille tout l’été à Abramtsevo avec Répine. À l’automne, il l’accompagne à Saint-Pétersbourg. 1880 Le jour de l’an, il exécute un dessin, Après un Feu, d’une des

Maria et Nadezhda Simonovitch, cousines de l’artiste, et Olga Troubnikova (à droite).

fenêtres de l’appartement de Répine à Khamovniki. Il poursuit sa préparation pour entrer à l’Académie des beaux-arts et réalise ses premiers dessins à partir de nus, peint et dessine des natures mortes. De mai à juillet, il accompagne Répine en Crimée qui collecte du matériel pour sa peinture : Les Cosaques de Zaporozhye. Ils visitent Odessa, Chernigov et Zaporozhye. Serov peint des études, des dessins et des compositions indépendantes sur la vie des cosaques de Zaporozhye. Rentré à Moscou par Kiev, il peint une étude d’homme bossu, sa dernière production dans l’atelier de Répine à Khamovniki. En août, il va à Saint-Pétersbourg et passe l’examen d’entrée de l’Académie des beaux-arts. Il est admis en tant qu’auditeur libre, rencontre Mikhail Vrubel et rejoint l’atelier privé du professeur Christiakov. 1882 Serov change de statut à l’Académie : d’auditeur libre, il devient élève. Il poursuit son travail dans l’atelier de Christiakov. Il se lie d’amitié avec Vrubel et suit les cours d’aquarelle de Répine dans son atelier de l’avenue Ekaterinhof.

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cours de l’Académie, qu’il quitte à la fin du mois. Novembre : visite Odessa. Peint l’étude Boeufs sur le domaine de l’artiste Nikolai Kuznetsov. Décembre : peint le portrait d’Olga Trubnikova, sa fiancée, à Odessa. 1886 2 janvier : la 5ème Exposition temporaire de la Société des amateurs d’art de Moscou, la première à laquelle Serov participe, ouvre ses portes. Fin de l’hiver – début du printemps : il vit à Moscou et suit les cours de l’école de peinture, sculpture et architecture de Moscou. Début de l’été : il habite dans le village de Yedimonovo, dans la province de Tver. Été – automne : réside à Domotkanovo, le domaine de Derviz dans la province de Tver. Septembre : à Saint-Pétersbourg, il confirme sa démission de Valentin Serov (à droite) et ses compagnons d’étude, Mikhail Vrubel et Vladimir Derviz, 1883-1884. Valentin Serov jeune homme.

1883 Serov poursuit les cours de l’Académie. Au début de l’été, il passe des examens de science et occupe son été en Crimée à faire des croquis. Mi-juin, il va dans le Caucase avec son camarade Vladimir Derviz. À l’automne, il reprend les cours de l’Académie et de l’atelier de Christiakov. Il emménage dans le studio de Vrubel avec Derviz. Il peint une aquarelle d’après modèle dans un décor Renaissance. 1884 Il passe l’été à Siabrintsy puis Abramtsevo. En même temps que Victor Vasnetsov, il fait le portrait du sculpteur Mark Antokolsky, et estime que son travail est « meilleur et plus proche de la réalité ». 1885 Durant le printemps, il travaille à Siabrintsy puis part à l’étranger tout l’été avec sa mère. À la Pinakothek de Munich, il copie un portrait de Velasquez. En Belgique et aux PaysBas, il étudie les toiles des maîtres flamands et hollandais. Début septembre : rentre à Saint-Pétersbourg et reprend les

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Valentin Serov (debout à gauche) avec les membres du cercle d’artistes d’Abamtsevo, 1886.

l’Académie puis retourne à Domotkanovo. Fin octobre : repart à Moscou où il se lie d’amitié avec de jeunes artistes – Ilya Ostroukhov, Mikhail Mamontov et Nikolai Tretyakov. Il travaille dans l’atelier qu’ils louent dans la rue Lenivka. 1887 Hiver et printemps : vit à Moscou. Fait une visite à Domotkanovo avant la mi-mars. Mai : il voyage en Italie avec Ostroukhov et les frères Mikhail et Yury Mamontov, en passant par Vienne. Ils visitent Venise, Florence et Milan. Octobre : travaille en Crimée et fait un court séjour à Domotkanovo.

Novembre – début décembre : travaille à Yaroslavl sur des commandes de portraits en faisant de courtes visites à Abramtsevo. 1888 Hiver : vit à Moscou. Printemps – mi septembre : travaille à Domotkanovo. Durant l’été, il fait le portrait de Maria Simonovitch (Jeune Fille éclairée par le soleil), et le paysage Étang envahi par les herbes à Domotkanovo. 17 septembre – 7 octobre : vit à Moscou. Il rassemble des éléments (photographies, gravures, etc) pour faire le portrait de son père qu’il souhaite terminer à l’occasion du jubilé de son opéra Judith. Décembre : il remporte le premier prix du concours organisé

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performance de théâtre amateur ayant lieu dans la maison de Mamontov. Serov y a un petit rôle. 1890 Février : naissance de sa fille Olga. 31 mars – 22 avril : à Moscou. 18ème Exposition des Itinérants, la première de ce groupe exposant le travail de Serov. Printemps : avec Korovin, il peint Le Christ marchant sur l’eau, pour l’église protestante de l’usine Tretyakov à Kostroma et y peint des portraits commandés. Automne : il déménage à Moscou avec sa famille de manière permanente. Probablement la même année : Il remporte le premier prix du concours de la Société des amateurs d’art de Moscou pour son portrait d’Angelo Masini qu’il présente lors de leur 10ème Exposition. 1891 Mars : prépare les illustrations pour le travail de Lermontov. Printemps : peint des études dans la province de Vladimir avec Korovin. Été : travaille à Domotkanovo.

Valentin Serov, fin des années 1880.

par la Société des amateurs d’art de Moscou, pour Jeune Fille aux pêches. Sa Jeune Fille aux pêches, Jeune Fille éclairée par le soleil, Étang envahi par les herbes à Domotkanovo, ainsi qu’un portrait du compositeur Pavel Blaramberg sont exposés à la 8ème Exposition temporaire de la Société des amateurs d’art de Moscou. Pavel Tretyakov achète Jeune Fille éclairée par le soleil pour sa galerie. 1889 29 janvier : épouse Olga Trubnikova à Saint-Pétersbourg. Il travaille sur le portrait de son père. Fin avril – début mai : peint le portrait du pasteur réformiste Dalton, d’après commande. Septembre : va à Paris avec sa femme, via Berlin, Dresde, Nuremberg et Munich, pour voir l’Exposition universelle. Fin de l’année : ayant laissé sa femme à Domotkanovo, il habite chez les Mamontov rue Sadovo-Spasskaya à Moscou. Il aide Vrubel à peindre des décors de théâtre pour une 190

1892 Mai : fait un portrait de Sofia Tolstaya, femme de l’écrivain qu’il rencontre. Il reçoit une commande de la noblesse de Kharkov pour peindre Alexandre III et sa famille. Il voyage tout l’été. Début juin : peint un portrait de Répine à Saint-Pétersbourg et La Diligence de Moscou à Kuzminki. Automne : travaille à Domotkanovo. Participe à la 12ème Exposition de la Société des amateurs d’art de Moscou. Fin de l’année : l’artiste Isaac Levitan pose pour lui dans son atelier. Naissance de son fils Alexander. 1893 29 mars – 9 mai : Moscou. Il expose son travail à la 21ème Exposition de la Société des Itinérants. Il va à SaintPétersbourg pour répondre à une commande. Été : réside à Kokoz en Crimée avec sa famille. Il y peint les études d’Un village Tatar en Crimée (Cour intérieure en Crimée), Femmes tatars à la rivière. La Crimée et un portrait de Rosalia Lvova. À son retour, il travaille à Moscou et SaintPétersbourg. Il envoie trois toiles à la 13ème Exposition de la Société des amateurs d’art de Moscou. 1894 18 avril – 15 mai : Moscou. Il expose des œuvres à la 22ème

Valentin Serov (à l’extrême droite) lors d’une fête donnée par Savva Mamontov (à l’extrême gauche) à Abramtsevo, 1888.

Exposition de la Société des Itinérants et en est élu membre. Juin : il va à Khakov et Borki pour terminer la commande de l’Assemblée de la noblesse de Kharkov. Milieu de l’été – fin septembre : voyage dans le nord avec Korovin pour une commande de la compagnie de train Yaroslavl- Arkhangelsk. Naissance de son fils George.

Printemps : prend part pour la première fois à la Sécession de Munich. Été : travaille sur la peinture La Nymphe de la rivière, peint des études et des dessins pour les fables de Krylov à Domotkanovo. Automne : Paysanne dans une charrette. Participe à la 16ème Exposition de la Société des amateurs d’art de Moscou.

1895 3 avril – 7 mai : Moscou. Il participe à la 23ème Exposition de la Société des Itinérants. Il passe l’été à Domotkanovo avec sa famille, peint des portraits de sa femme (En Été. Portrait d’Olga Serova) et de Maria Lvova. Automne : peint Octobre à Domotkanovo.

1897 Première moitié de l’année : travaille à Moscou et SaintPétersbourg. Pendant l’été, il visite Munich, Berlin et Hambourg, peignant des esquisses dans les jardins botaniques. Serov devient professeur à l’École de peinture, sculpture et architecture de Moscou. Il participe à la 17ème Exposition de la Société des amateurs d’art de Moscou.

1896 Janvier – mai : travaille à Moscou. Naissance de son fils Mikhail. 25 mars – 21 mai : participe à la 24ème Exposition de la Société des Itinérants.

1898 Janvier : prend part à l’exposition des peintres russes et finnois

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Valentin Serov (gauche), Ilya Ostroukhov (au piano) et Sergei, Mikhail et Youri Mamontov à Abramtsevo, 1888.

organisée par Diaghilev à Saint-Pétersbourg. Hiver : pastels Dans un village. Paysanne avec un cheval en hiver et Vue depuis la fenêtre du manoir. Il accède au statut d’académicien à l’Académie. Mai – juin : il participe à l’exposition des peintres russes et finnois se tenant à Munich puis Cologne, Düsseldorf et Berlin, avec le Portrait du grand duc Pavel Alexandrovitch, Jeune Fille aux pêches et Étang envahi par les herbes à Domotkanovo. Été : portrait à l’aquarelle de Varvara Musina-Pusklina, grave son illustration du Loup et les bergers, et réalise son autoportrait. Il est élu membre de la Sécession munichoise. 1899 Janvier – février : présente son travail à la première exposition internationale de peintures organisée par le magazine Mir Iskusstva à Saint-Pétersbourg.

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Mars : présente son Portrait de Mara Oliv et Dans un village. Paysanne avec un cheval en hiver lors de l’exposition de la Sécession de Munich. 9 mai : à Moscou, il participe à la 27ème Exposition de la Société des Itinérants, la dernière qui présentera son travail. Juin : il est élu pour trois ans membre du conseil de la galerie Tretiakov, créée après le décès de Pavel Tretiakov. Toujours réélu, il le restera toute sa vie. Juillet : voyage au Danemark afin de rassembler des informations pour le portrait d’Alexandre III. 1900 Une nouvelle société d’art est créée, le Monde de l’Art, avec le comité organisateur de la prochaine exposition du magasine Mir Iskusstva, et Benois, Diaghilev et Serov. Août : il prend part à l’Exposition internationale de Paris et

reçoit la distinction la plus haute (la grande médaille d’honneur) pour son Portrait du grand duc Pavel Alexandrovitch. 1901 Mai : travaille à Saint-Pétersbourg. Passe l’été dans sa datcha d’Ino en Finlande. Décembre : refuse de peindre le portrait du tsar. 28 décembre – 3 février 1902 : participe à la 1ère exposition de la Société des 36 peintres à Moscou. 1902 Février : participe à la 4ème exposition de peintures organisée par le magazine Mir Iskusstva à Saint-Pétersbourg. Alexander Benois publie Une Histoire de la peinture russe au XIX e siècle, quelques pages étant consacrées à Serov. Été : voyage à Bayreuth en Bavière avec sa mère et Alexander Khessin pour assister à un opéra de Wagner. Sur

le chemin, ils passent par Berlin et Leipzig. Automne : vit à Ino, peint la toile Une Cour et l’esquisse Un Moulin en Finlande. Il termine ses illustrations pour le livre Chasse royale en Russie. Exposition du magazine Mir Iskusstva à Moscou. 1903 Travaille à Moscou et va de temps en temps à SaintPétersbourg. 13 février – 23 mars : participe à la 5ème exposition de peintures organisée par le magazine Mir Iskusstva à Saint-Pétersbourg. 21 avril : il est élu professeur et dirige un atelier à l’École d’art de l’Académie des beaux-arts, mais décline l’offre dans une lettre adressée au conseil de l’Académie. Été : travaille à Ino. Août – début septembre : Portrait de Zinaida Yusupove et Cour de ferme sont exposés à l’exposition internationale de la Sécession berlinoise.

Valentin Serov peignant le portrait d’Isaac Levitan, 1893.

193

Début octobre : il tombe malade. 27 octobre : il est élu membre à part entière de l’Académie impériale des arts lors de la session générale. 25 novembre : il est opéré par le Docteur Chegodayev. 1904 15 janvier : quitte l’hôpital. Il commence le portrait d’Henrietta Girshman (première version). Février – mars : visite Domotkanovo où il travaille sur les pastels Route à Domotkanovo et Étable à Domotkanovo. Avril – mai : fait le tour de l’Italie avec sa femme, visite Rome, Venise, Naples, Padoue et Ravenne. Début juin : il est à Ino. Automne : travaille à Belkino près de Moscou. Novembre : travaille sur le portrait de Girshman. Participe à la 2ème exposition de l’Union des artistes russes. 1905 Portrait de Maria Yermolova suite à la commande du Cercle moscovite de littérature et d’art. 9 janvier : il est témoin du massacre d’une manifestation pacifiste d’ouvriers par les troupes du tsar à Saint-Pétersbourg. 18 février : avec Vassili Polenov, il envoie une lettre au Conseil de l’Académie des beaux-arts, dans laquelle ils accusent le grand duc Vladimir, président de l’Académie, d’être l’un des instigateurs du massacre. 10 mars : en signe de protestation, il dépose sa démission à l’Académie impériale des arts. Mars – avril : participe à l’exposition des portraits russes organisée par Diaghilev au palais Tauride de Saint-Pétersbourg. Juillet : dessine des caricatures politiques pour le nouveau magazine satirique Zhupel. Fin août, il vit à Moscou où il fait le portrait de l’actrice Glikeria Fedotova, suite à la commande du Cercle moscovite de littérature et d’art. 4 décembre : commence le portrait de Vladimir Golitsyn. Il prend part à une réunion de l’équipe du magazine satirique Zhalo dans l’appartement de Maxime Gorky. Ses dessins Soldats, soldats, héros de tous… sont publiés dans le premier exemplaire de Zhupel. 1906 24 février – 26 mars : participe à l’exposition du monde de l’art organisée par Diaghilev à Saint-Pétersbourg. Il passe l’été à Ino. Novembre : il participe à l’exposition de l’art russe lors du Salon d’Automne de Paris et à l’exposition de l’art russe à Berlin. Igor Grabar débute une monographie consacrée à 194

Serov. Son travail est exposé lors de la 3ème exposition de l’Union des artistes russes à Moscou. 1907 Hiver et printemps : termine le portrait de Girshman à Moscou. Participe à la 4ème exposition de l’Union des artistes russes à Moscou. Mai – juin : il voyage en Grèce avec Léon Bakst, dans le but (selon Bakst) de « trouver la manière moderne de la représentation ». Il produit un grand nombre d’aquarelles et esquisses, dont la première version de L’Enlèvement d’Europe. Fin de l’été : travaille à Ino sur un double portrait de deux acteurs célèbres, Alexander Lensky et Alexander Yuzhin, commandé par le Cercle moscovite de littérature et d’art. Travaille sur la toile Pierre le Grand. Octobre – décembre : travaille sur les décors de l’opéra Judith, par Alexander Serov. Ses toiles sont exposées l’exposition internationale artistique de Venise et à la 5ème exposition de l’Union des artistes russes de Moscou. 1908 Juillet : déménage dans la maison de Kliukin, rue Vagankovsky Valentin Serov et Piotr Spiro, membre du cercle artistique de Mamontov.

à Moscou, sa dernière demeure. Été : vit à Ino. Automne : son travail est exposé lors de la 5ème exposition de l’Union des artistes russes de Saint-Pétersbourg et à la 6ème de Moscou. Naissance de sa fille Natalia. 1909 6 janvier : l’exposition des artistes russes ouvre ses portes lors de la Sécession viennoise, incluant des toiles de Serov. 26 janvier : il quitte son travail de professeur à l’école de peinture de Moscou. Février : participe à l’exposition de peinture, architecture, sculpture et dessins (le « Salon ») de Saint-Pétersbourg. Eté : vit à Ino et travaille probablement sur des esquisses de sa composition Ulysse et Nausicaa. Fin de l’année : dessine à l’école Colarossi de Paris. Son travail est exposé lors de la 6ème exposition de l’Union des artistes russes de Saint-Pétersbourg et à la 7ème de Moscou, ainsi qu’à la 10ème exposition internationale de la Sécession munichoise. 1910 17 janvier – 7 février : son travail est exposé lors de l’exposition des portraits féminins russes contemporains, organisée par le magazine Apollon à Saint-Pétersbourg. Il produit des versions de La Coupe du grand aigle, Pierre le Grand sur un site de construction et L’Enlèvement d’Europe à Moscou. Début mai : voyage en Italie, visite Rome, Sienne, Orvieto et Gênes. Fin juillet – août : vit à Ino. Versions d’Ulysse et Nausicaa. 31 juillet : le ministre italien de l’éducation populaire le charge de peindre son autoportrait pour la Galleria degli Uffizi de Florence. 22 septembre : publie une lettre dans le journal Rech à propos des activités théâtrales de Diaghilev, qu’il admire. Seconde moitié d’octobre : vit à Paris. Fin octobre – novembre : voyage à Madrid, rend visite à son fils Anton dans un sanatorium à Berck-sur-Mer. Début décembre : travaille à Paris. Participe à la 7ème exposition de l’Union des artistes russes de Saint-Pétersbourg. 1911 Début janvier : visite à Domotkanovo. Prend part à la première exposition de la Société du monde des arts renaissante à Saint-Pétersbourg. Début février : travaille sur un motif de rideau pour le ballet Schéhérazade.

Atelier de Valentin Serov à Paris.

7 avril – 4 mai : il va à Rome avec sa femme afin d’assister à l’exposition internationale des arts, dans laquelle une salle lui est consacrée. Rentre à Paris. 11 juin : termine le rideau pour Schéhérazade dont la première se fait au théâtre du Châtelet à Paris (entre le 11 et 17 juin) et à Covent Garden à Londres le 7 juillet. Fin juin : va à Londres pour assister à la saison russe. Rentre en Russie par Hambourg, Lübeck, Copenhague et Abo. Le musée Alexandre III de Saint-Pétersbourg achète son Portrait d’Ida Rubinstein. À partir de la mi-juillet, il vit à Ino, allant de temps en temps à Saint-Pétersbourg. Travaille sur des illustrations pour les fables de Krylov. Fin août : travaille sur les toiles Pierre le Grand à Monplaisir, Pierre le Grand sur un site de construction, et sur des dessins muraux pour la maison de Nosov à Moscou. 13 novembre : la 12ème exposition de la galerie Lemercier ouvre ses portes à Saint-Pétersbourg, avec des toiles de Serov. 20 novembre : l’exposition de la Société du monde des arts débute à Moscou, incluant des œuvres de Serov. 5 décembre : Serov meurt à Moscou. 195

Liste des illustrations A À la Fenêtre. Portrait d’Olga Troubnikova (inachevé), 1886 Alexander Serov, père de l’artiste, photographie Anna Pavlova dans le ballet « Sylphyde », 1909 Atelier de Valentin Serov à Paris, photographie Autoportrait (dessiné avec Ilia Répine), 1883 Autoportrait, 1885 Autoportrait, 1901 B/C Bœufs (étude), 1885 Catherine II à la chasse au faucon, 1902 Catherine II sortant, 1906 Chevaux sur un rivage, 1905 Concept de décor pour l’opéra « Judith ». Actes I et V : Place dans Béthel assiégée, une antique ville de Judée, 1907 Concept de décor pour l’opéra « Judith ». Acte III : La Tente d’Holopherne, 1907 La Corneille en plumes de paon. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911 La Coupe du Grand Aigle, 1910 Une Cour finlandaise, 1902 D/E Dans un Village. Paysanne avec un cheval, 1898 En Été. Portrait d’Olga Serova, 1895 En Hiver, 1898 Enfants (Sasha et Youra Serov), 1889 L’Enlèvement d’Europe (esquisse), 1910 L’Enlèvement d’Europe, 1910 Étang à Abramtsevo (étude), 1886 Étang envahi par les herbes à Domotkanovo, 1888 F/G/H Fenêtre ouverte. Lilas (étude), 1886 Grange, 1904 Hiver à Abramtsevo. Église (étude), 1886 J/L Jeune Fille Jeune Fille Le Loup et Le Loup et 196

aux pêches. Portrait de Vera Mamontova, 1887 éclairée par le soleil. Portrait de Maria Simonovitch, 1888 la grue. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911 les bergers. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911

11 186 115 195 157 156 33

55 44 72-73 93 110-111 108 183 142 54

58-59 48-49 61 90 136 134-135 21 28-29

8 85 20

16 30 181 184

M/N Maria et Nadezhda Simonovitch, cousines de l’artiste, et Olga Troubnikova (à droite), photographie Maria Fiodorovna Mamontova à cheval, 1884 La Meule de foin, 1901 Mika Morozov (Portrait de Mikhaïl Morozov), 1901 Modèle féminin, 1905 Un Moulin en Finlande, 1902 Nu, 1900 O/P Octobre à Domotkanovo, 1895 Paysanne dans une charrette, 1896 Pierre I er à la chasse à courre, 1902 Pierre I er à Monplaisir, 1910-1911 Pierre I er, tiré des Séries sur l’histoire illustrée de la Russie, 1907 Pierre II et la tsarevna Élisabeth se rendant à la chasse à courre, 1900 Place Saint Marc à Venise (étude), 1887 Les Pomors, 1894 Portrait d’Adelaida Simonovitch, 1889 Portrait d’Alexandre Constantinovitch Glazounov, 1899 Portrait d’Alexandre Sergueïevitch Pouchkine, 1899 Portrait d’Alexandre Turchaninov, 1906 Portrait d’Alexeï Vikulovitch Morozov, 1909 Portrait d’Alfred Pavlovitch Nurok, 1899 Portrait d’Angelo Masini, 1890 Portrait d’Anna Pavlovna Pavlova, 1909 Portrait d’Anna Staal, 1910 Portrait de Constantin Dmitriyevitch Balmont, 1905 Portrait de Constantin Korovine, 1891 Portrait de Constantin Pétrovitch Pobiedonostsev, 1902 Portrait de Constantin Sergeievitch Stanislavski, 1908 Portrait de Fiodor Ivanovitch Chaliapine, 1905 Portrait de Francesco Tamagno, 1891-1893 Portrait de Glikeria Fedotova, 1905 Portrait de Ielena Balina, 1911 Portrait de Ielena Oliv, 1909 Portrait de Ievdokiya Loseva, 1903 Portrait de Isaac Ilitch Levitan, 1893 Portrait de Ivan Zabeline, 1892 Portrait de la grande duchesse Olga Alexandrovna, 1893 Portrait de la princesse Olga Constantinovna Orlova, 1911 Portrait de la princesse Olga Orlova, 1911

187 179 66 100 88 67 150, 151

146-147 12-13 70-71 143 106-107 69 26 43 139 161 41 140 123 160 35 172 118 155 36 148 167 168 126 104 124 103 76 53 37 32 152 125 197

Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait Portrait 198

de la princesse Zinaida Yusupova, 1900-1902 de l’empereur Nicolas II, 1900 de Leonid Andreïev, 1907 de Margarita Morozova, 1910 de Maria Akimova, 1908 de Maria Lvova, 1895 de Maria Nikolaïevna Iermolova, 1905 de Maria Pavlovna Botkine, 1905 de Maxime Gorki, 1905 de Mikhail Mikhailovitch Fokine, 1909 de N.Z. Rappoport, 1908 de Nadezhda Derviz et son enfant, 1888-1889 de Nadezhda Petrovna Lamanova, 1911 de Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov, 1898 de Nikolaï Andreievitch Rimski-Korsakov, 1908 de Nikolaï Pozniakov, 1908 de Nikolaï Semionovitch Leskov, 1894 de Pavel Petrovitch Tchistiakov, 1881 de Piotr Petrovitch Semionov-Tien-Shanski, 1905 de Praskovïa Mamontova, 1889 de Savva Mamontov, 1887 de Serge Diaghilev (inachevé), 1904 de Sophia Botkine, 1899 de Sophia Dragomirova-Loukomskaïa, 1900 de Tamara Platonovna Karsavina, 1909 de Vasili Ivanovitch Kachalov, 1908 de Vaslav Nijinsky, 1910 de Vera Pavlovna Ziloti, 1902 de Vladimir Golitsyn, 1906 de Vladimir Osipovitch Girshman, 1911 de Vladimir Vladimirovitch von Meck, 1901 de Wanda Landowska, 1907 de Yekaterina Chokolova, 1887 d’Élisabeth Karzinkina, 1905 d’Henriette Hirshman, 1907 d’Ida Lvovna Rubinstein, 1910 d’Ilia Iefimovitch Répine, 1901 d’Ilya Semionovitch Ostroukhov, 1902 d’Isabella Yulievna Grünberg, 1910 d’Ivan Mikhailovitch Moskvin, 1908 d’Ivan Morozov, 1910 d’Olga Fiodorovna Troubnikova, 1885 du comte Félix Félixovitch Soumarokoff-Elston avec son chien, 1903

64 141 98 96 112 40 89 153 95 159 174 97 177 51 166 113 38 158 154 144 128 77 63 56 173 170 169 164 74 132 162 165 129 176 105 116-117 163 101 175 171 120-121 131, 178 79

Portrait du grand-duc Paul Alexandrovitch, 1897 Portrait du prince Félix Youssoupoff, comte Soumakoroff-Elston (père), 1903 Poulains à un point d’eau. Domotkanovo, 1904 Q/R Quai des Schiavoni à Venise (étude), 1887 Le Quartette. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911 Le Renard et les raisins. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911 Rinçage du linge. Sur la rivière (étude), 1901 S Sasha Serov, 1897 Le Serviteur d’Abraham trouve une femme pour Isaac, Rebecca, 1894 Soir d’automne à Domotkanovo, 1886 « Soldats, soldats, héros chacun d’eux…», 1905 Le Sommet. Dessin pour les Fables de Krylov, 1895-1911 T Terrasse avec balustrade, 1903 Troupeau, années 1890 V Valentin Serov, 1901, Ilya Répine Valentin Serov (à droite) et ses compagnons d’étude, Mikhail Vrubel et Vladimir Derviz, 1883-1884, photographie Valentin Serov (à l’extrême droite) lors d’une fête donnée par Savva Mamontov (à l’extrême gauche) à Abramtsevo, 1888, photographie Valentin Serov (debout à gauche) avec les membres du cercle d’artistes d’Abamtsevo, 1886, photographie Valentin Serov (gauche), Ilya Ostroukhov (au piano) et Sergei, Mikhail et Youri Mamontov à Abramtsevo, 1888, photographie Valentin Serov enfant, photographie Valentin Serov et Piotr Spiro, membre du cercle artistique de Mamontov, photographie Valentin Serov jeune homme, photographie Valentin Serov peignant le portrait d’Isaac Levitan, 1893, photographie Valentin Serov, fin des années 1880, photographie Valentina Serova, mère de l’artiste, photographie Version d’un dessin de rideau pour le ballet Schéhérazade (musique par Nikolaï Rimski-Korsakov), 1910 Vieille Maison de bain à Domotkanovo, 1888 Village, 1898

46 82 80-81

27 180 182 60

50 45 22-23 86-87 185

18 92

6 188 191 189 192 187 194 188 193 190 186 137 25 14 199