Un commandeur ordinaire ?: Bérenger Monge et le gouvernement des hospitaliers provençaux au XIIIe siècle 9782503589787, 2503589782

Bérenger Monge fut commandeur des maisons de l'Hôpital d'Aix et de Manosque pendant toute la seconde moitié du

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Un commandeur ordinaire ?: Bérenger Monge et le gouvernement des hospitaliers provençaux au XIIIe siècle
 9782503589787, 2503589782

Table of contents :
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Introduction
Chapitre liminaire. Un nom dans la petite histoire
Chapitre I. La troublante apparition d’un homme sans passé
Chapitre II. La communauté hospitalière sous Bérenger Monge
Chapitre III. L’individu dans le champ institutionnel
Chapitre IV. Une « grande transformation » ?
Chapitre V. Gouverner les hommes
Chapitre VI. OEuvrer pour la postérité
Chapitre VII. Du local à l’universel
Chapitre VIII. Du local à l’universel
Épilogue. La fin d’un règne
Conclusion
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Un commandeur ordinaire ? Bérenger Monge et le gouvernement des hospitaliers provençaux au xiiie siècle

ECCLESIA MILITANS Histoire des hommes et des institutions de l’Église au Moyen Âge

Volume 8 Collection dirigée par Pascal Montaubin

Un commandeur ordinaire ? Bérenger Monge et le gouvernement

des hospitaliers provençaux au xiiie siècle

par Damien Carraz

F

Illustration page de titre : Le commandeur Bérenger Monge. Détail du sarcophage du comte Alphonse II de Provence (Aixen-Provence, église Saint-Jean-Malte), dessin reproduit dans A.-L. Millin, Voyage dans les départemens du Midi de la France, t. 2, Paris, 1807, Atlas, pl. 42. Les documents complémentaires (tableaux analytiques des sources, notices prosopographiques, tableaux hors-texte, carte et illustrations) sont consultables en ligne par le lien suivant : https://doi.org/10.1484/A.12925040

© 2020, Brepols Publishers n. v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2020/0095/176/ ISBN 978-2-503-58978-7 eISBN 978-2-503-58979-4 DOI 10.1484/M.EMI-EB.5.120469 ISSN 2565-8174 E-ISSN 2565-9480 Printed in the EU on acid-free paper.

Remerciements

Progressivement ébauché à partir de 2013, rédigé au cours de l’année académique 2017-2018, le présent essai a d’abord bénéficié de soutiens institutionnels. Il m’est agréable d’exprimer ma gratitude à Philippe Bourdin, directeur du CHEC, Stéphane Gomis, alors directeur de Département d’Histoire de l’Université Clermont-Auvergne, et Jean-Louis Gaulin, directeur du CIHAM. Ce livre est le fruit d’un mémoire inédit d’Habilitation à diriger les recherches soutenue le 27 novembre 2018 à l’Université Jean Monnet – Saint-Étienne. Je suis infiniment reconnaissant à ses premiers lecteurs dont les remarques avisées m’ont à la fois rassuré et permis d’apporter un certain nombre de compléments : Cécile Caby, Helen Nicholson, Karl Borchardt, Michel Hébert, Laurent Macé, et enfin Thierry Pécout, mentor d’une rigueur inestimable. Aventure personnelle s’il en est, cette recherche ne serait rien sans les échanges intellectuels et les relations humaines qui ont nourri mon parcours d’historien. Ma dette s’étend donc bien au-delà des quelques collègues et amis que j’ai plaisir à remercier ici, parce que, d’une manière ou d’une autre, ils ont croisé la présente enquête : Philippe Josserand, fidèle socius dans l’étude des ordres militaires, Sandrine Claude, indispensable guide de Manosque médiévale, Alain Venturini, Anthony Luttrell, Philippe Bernardi, Noël Coulet, Michèle Bois. Je me suis encore permis d’importuner un certain nombre de collègues qui ont amicalement répondu à mes sollicitations, en me fournissant une information ou un article : le fil des notes de bas de page témoigne de ce que je leur dois. Mes remerciements s’adressent également aux responsables et personnels des dépôts d’archives que j’ai fréquentés pour cette recherche, à Aix, Manosque, Avignon et surtout Marseille, où les agents des Archives départementales s’efforcent de répondre au mieux aux besoins de la recherche, en dépit de conditions de travail parfois difficiles. Je ne saurais cacher, en effet, les problèmes rencontrés dans l’accès aux pièces originales conservées dans ce dernier dépôt car cela a, incontestablement, influencé les choix de l’enquête. Je sais gré aux éditions Brepols d’avoir bien voulu accueillir cet ouvrage et à Pascal Montaubin, directeur de la collection Ecclesia Militans, pour sa relecture attentive et ses conseils avisés. Aux éditions Brepols, je sais gré à Madame Jirki Thibaut d’avoir assuré le suivi éditorial avec un si grand professionnalisme. Ma dernière et tendre pensée va à ma parenté la plus proche : Danièle Carraz, ma mère et fidèle relectrice, Camille, qui m’a relue et surtout accompagné dans quelques unes de mes pérégrinations dans la région de Manosque. Elle aussi a un peu vécu avec Bérenger Monge pendant quelques mois. Tout comme Lucie et Justine car on sait qu’il n’est pas toujours simple de partager la vie d’un père chercheur à ses heures…

Quelques clés de lecture

Sauf mention contraire, toutes les cotes d’archives citées se rapportent aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône. Sauf mention contraire, les dates sont indiquées en nouveau style. Pour l’espace concerné ici, le style de datation employé était le style florentin de l’Annonciation1. Sauf à partir de l’époque moderne, lorsque les dates de naissance et de mort sont en général connues, les dates données entre parenthèses ne bornent jamais l’existence complète d’un personnage mais sont des fourchettes pendant lesquelles celui-ci est attesté, ou bien correspondent à une durée attestée de carrière. La traduction de l’anthroponymie n’a pas été sans soulever des cas de conscience car aucun choix n’est pleinement satisfaisant en la matière. Pour le nomen proprium (devenu notre prénom), on a adopté les formes les plus couramment utilisées dans l’historiographie récente de la Provence médiévale2. Ce sera donc Bérenger et non Berenguer, Béatrice et non Beatrix ; mais Jaufre et non Geoffroy, Jaume et non Jacques, Uc et non Hugues, Monge plutôt que Monachus et encore moins Moine, Peire et non Pierre, Estève plutôt que Stéphane, etc. Les formes consacrées par l’historiographie ont été maintenues, même lorsqu’elles s’appliquent à des personnages culturellement de langue d’oc : les souverains d’origine catalane (Alphonse, Raimond Bérenger…), Guillaume de Villaret, Barthélemy de Grossis, etc. Afin d’éviter toute mauvaise interprétation, le cognomen a été, en général, laissé en latin. Sauf s’il s’agit d’un nomen paternum traduisible (Bérenger Gantelme, Bernard Thomas…) ou bien si l’anthroponyme est formé sur un nom de lieu identifié. Dans le cas du patronyme Monachi ou Monge, afin de distinguer entre tradition historiographique et dénomination médiévale, le cognomen a été laissé en latin (Monachi). Seul le personnage principal du récit, le commandeur d’Aix et Manosque, restera toujours Bérenger Monge par souci de distinction. C’est ainsi qu’il apparaît, en effet, dans les analyses d’époque moderne et chez la plupart des



1 La plupart des ateliers d’écriture provençaux dataient les actes du style de l’Annonciation. Il faut donc avancer d’une année toutes les dates comprises entre le 1er janvier et le 24 mars, le 25 mars étant le jour de l’année nouvelle (RACP, t. 1, p. lv ; AFP, p. xxxv-xxxvi). 2 Je me suis, par exemple, inspiré des choix adoptés par M. Aurell (AFP) et F. Mazel (F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin xe-début xive siècle. L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, 2002, p. 8).

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q u e lq u e s c l é s d e l ect u r e

érudits et historiens des xixe-xxe siècles3. Cela heurtera peut-être de voir figurer Bérenger Monge à côté de son parent Jaufre Monachi, mais j’ai entendu suivre ainsi une tradition. Pour tous les autres membres du lignage, le cognomen Monachus/ Monachi apparaissant indistinctement au nominatif ou bien au génitif, j’ai conservé la forme donnée par les documents.

Système de renvoi aux annexes en ligne La plupart des documents complémentaires (tableaux analytiques des sources, notices prosopographiques, tableaux hors-texte, cartes et illustrations) sont consultables en ligne sur le site de l’éditeur Brepols.4 Les références An., tabl., pl. et ill., suivies des numéros de parties et sous-parties, renvoient au classement suivant :



An. I

I. TABLEAUX ANALYTIQUES DES SOURCES

An. I, A, no 1 à 3 An. I, B An. I, C

A. Mentions de Bérenger Monge dans la documentation d’archives B. Analyse du Livre des privilèges de Manosque C. Lettres papales

An. II

II. PROSOPOGRAPHIES

An. II, A An. II, A-1 An. II, A-2, no 1 à 8 An. II, B-1 à 3 An. II, C-1 et 2 An. II, D An. II, D-1, no 1 à 15 An. II, D-2, no 1 à 11

A. Le lignage Monachi 1. Tableau de filiation de la famille Monachi d’Aix 2. Le groupe familial Monachi : individus les plus documentés B. Nomenclatures des officiers de l’Hôpital C. Listes des frères répertoriés à Aix et à Manosque D. Tableaux prosopographiques 1. Hospitaliers 2. Élites de Manosque

Tabl. Pl. Ill.

III. TABLEAUX HORS-TEXTE IV. CARTES ET PLANS V. ILLUSTRATIONS

ill. A, no 1 à 9 ill. B, no 1 à 15

A. Monuments B. Documents

3 J. Raybaud et F. Reynaud, parmi d’autres, l’appellent ainsi et il reste indexé sous cette forme dans le CGH, t. 4, p. 558. 4 Accédez au site web suivant pour consulter les annexes en ligne : https://doi.org/10.1484/A.12925040

q u e lq u e s clé s d e lect u re

Abréviations des références bibliographiques AFP M. Aurell, Actes de la famille Porcelet d’Arles (972-1320), Paris, 2001. CaHSG D. Le Blévec et A. Venturini, Cartulaire du prieuré de Saint-Gilles de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem (1129-1210), Turnhout-Paris, 1997. CGH J. Delaville le Roulx, Cartulaire général de l’ordre des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem (1100-1310), Paris, 1894-1906, 4 t. CoHMa K. Borchardt, D. Carraz et A. Venturini, Comptes de la commanderie de l’Hôpital de Manosque pour les années 1283 à 1290, Paris, 2015. CTAr Chartes de la maison d’Arles, in D. Carraz, Ordres militaires, croisades et sociétés méridionales. L’ordre du Temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312), thèse de doctorat, Université Lumière-Lyon 2, 2003, vol. 3, Sources, p. 61-278. CTAv Chartes de la maison d’Avignon, in D. Carraz, ibid., p. 318-407. CTGard Chartes des maisons de Montfrin et du Gard rhodanien, in D. Carraz, ibid., p. 408-476. CTSG  Chartes de la maison de Saint-Gilles, in D. Carraz, ibid., p. 477-685. DOMMA Ph. Josserand et N. Bériou (dir.), Prier et combattre. Dictionnaire européen des ordres militaires au Moyen Âge, Paris, 2009. GCN, t. 1 J.-H. Albanès et U. Chevalier, Gallia Christiana Novissima. Histoire des archevêchés, évêchés et abbayes de France, t. 1, Évêchés d’Aix, Apt, Gap, Fréjus et Sisteron, Montbéliard, 1899. LPM M.-Z. Isnard, Livre des privilèges de Manosque. Cartulaire municipal latin-provençal (1169-1315), Digne-Paris, 1894. Mazel, Catalogues d’actes F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence (xie-xive siècle). L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, vol. 4, Catalogues d’actes, thèse de doctorat, Université de Provence, 2000. RACP F. Benoit, Recueil des actes des comtes de Provence de la maison de Barcelone – Alphonse II et Raymond-Bérenger V (1196-1245), Paris, 1925, 2 t. RCA R. Filangieri (dir.), I registri ricostruiti della cancelleria Angioina, Naples, 1950-2010, 50 vol. VGPSG B. Beaucage, Visites générales des commanderies de l’ordre des hospitaliers dépendantes du grand prieuré de Saint-Gilles (1338), Aix-en-Provence, 1982.

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Introduction

L’historiographie est paradoxalement avare d’hommes “moyens” que rien ne distingue et qui n’ont laissé aucune trace dans un dictionnaire. Ce sont eux pourtant qui sont et qui font l’histoire, rouages minuscules de la grande mécanique de la reproduction sociale1.

Bérenger Monge fut commandeur de l’Hôpital de Manosque de 1249 à 1298 et d’Aix, de 1255 environ à sa mort, en 1300. Issu d’un lignage de la chevalerie aixoise, il apparaît pour la première fois comme simple frère en 1239 à Manosque. Sa remarquable longévité lui permit de porter ces deux commanderies à l’acmé de leur puissance. La constitution et la gestion du temporel, comme la consolidation des droits juridictionnels face au clergé séculier et aux agents du pouvoir royal, s’appuyèrent sur un remarquable développement administratif. À Manosque, notamment, la diversification des offices et le recours généralisé à l’écrit rendent compte du niveau de maturité atteint par la commanderie en tant qu’institution. Alors que l’Hôpital détenait la seigneurie éminente et exerçait la haute justice dans cette ville, le commandeur maintint des relations équilibrées avec la communauté d’habitants. Flanqué d’un bayle et d’autres officiers, il ne s’en comporta pas moins comme un véritable seigneur, reproduisant jusqu’au mode de vie de l’aristocratie châtelaine dans le palais-couvent qu’il avait profondément remanié. Ses talents de gestionnaire le firent remarquer des prieurs de Saint-Gilles, qui lui confièrent à plusieurs reprises la lieutenance de la province. S’il refusa, en 1269, la charge de prieur offerte par le maître pour préférer se consacrer à ses deux commanderies, Bérenger Monge assuma quelques missions temporaires pour Charles II d’Anjou. Mort de vieillesse, il fut inhumé auprès de l’église Saint-Jean d’Aix dont il avait supervisé la reconstruction sur ordre de Charles Ier. Cette notice est fictive car elle n’a jamais été publiée dans aucun dictionnaire. Pourtant, si Bérenger Monge n’avait pas été un personnage trop insignifiant pour mériter de figurer dans le Dictionnaire européen des ordres militaires, on aurait pu retenir ce texte normalisé en 1 500 signes2. Ce sont les facettes et la trajectoire de cet « homme moyen » que je me propose de retracer dans les pages qui suivent. En partant sur les traces de ce frère de l’Hôpital, je ne prétends pas nécessairement faire œuvre originale. Après la négation du singulier au profit des grands mouvements collectifs, puis les paradigmes marxistes et structuralistes, l’individu 1 J. Cornette, Un révolutionnaire ordinaire. Benoît Lacombe, négociant, 1759-1819, Paris, 1986, p. 20. 2 Ph. Josserand et N. Bériou (dir.), Prier et combattre. Dictionnaire européen des ordres militaires au Moyen Âge, Paris, 2009 [désormais abrégé : DOMMA].

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a fait un retour en force dans l’histoire depuis quelques décennies3. Il est donc déjà loin, le temps où la biographie était vilipendée par l’École des Annales et celle-ci se trouve même, aujourd’hui, au cœur des réflexions épistémologiques dans l’ensemble des sciences sociales. L’échelle individuelle est donc devenue un instrument heuristique, y compris pour penser le temps. J’ai souhaité, en effet, travailler d’abord sur le cycle court de la génération, sans négliger pour autant d’autres rythmes chronologiques, comme celui de l’héritage familial ou bien de la longue durée de la mémoire collective4. Pourtant, au-delà de quelques jalons historiographiques majeurs et connus de tous, la période médiévale me semble avoir été moins concernée par les renouvellements de l’approche biographique5. Sans doute, cela tient-il en partie aux limites du paradigme micro-historique appliqué au Moyen Âge6. Avant l’inflation et la diversification documentaires qui surgissent plutôt à partir du xve siècle, il n’est que rarement possible de plonger dans le « vécu » des acteurs du passé, d’atteindre leurs représentations et de révéler ainsi de véritables configurations sociales7. Certes, Manosque pourrait être un autre Montaillou. Mais un traitement, aussi fin soit-il, de la documentation exceptionnelle concernant cette ville ne m’aurait pas davantage permis d’atteindre l’intimité comme la complexité des relations humaines autour de Bérenger Monge et de sa communauté de frères hospitaliers. C’est bien ce qui explique, à mon sens, que les historiens des périodes anciennes, et plus spécialement ici les spécialistes des ordres militaires, se soient rabattus sur la prosopographie8. En m’appuyant sur les premières données engrangées pour l’Hôpital, je ne prétendrai pas faire autrement9. Sans envisager une analyse prosopographique systématique, il





3 Les heurs et malheurs de l’approche biographique ont été analysés par F. Dosse, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, 2011. 4 Sur les vertus de l’approche par la génération, à la fois phénomène individuel et conscience collective : D. Milo, Trahir le temps (histoire), Paris, 1991, p. 179-190 ; et J.-P. Azéma, « La clef générationnelle », Vingtième Siècle, 22 (1989), p. 3-10 (ces deux réflexions empruntent beaucoup à Marc Bloch). 5 Il suffit de renvoyer à F. Dosse qui s’arrête aux cas du Saint Louis de Jacques Le Goff, de l’Arnaud de Brescia d’Arsenio Frugoni ou bien du Robert d’Arbrissel de Jacques Dalarun (F. Dosse, Le pari biographique). 6 Sur le rôle fondamental de la microstoria dans la réhabilitation de l’échelle individuelle : J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », in J. Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, 1996, p. 15-36 ; et M.-A. Kaeser, « La science vécue. Les potentialités de la biographie en histoire des sciences », Revue d’histoire des sciences humaines, 8 (2003), p. 140-144. 7 Cela explique probablement pourquoi les médiévistes ont plutôt porté leur réflexion sur la question, plus théorique, de l’individu. Pour un tour d’horizon récent : B. Bedos-Rezak et D. Iogna-Prat (dir.), L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la modernité, Paris, 2005. 8 Pour une réflexion d’ensemble, toujours pertinente, sur la prosopographie et sur ses rapports avec la biographie : N. Bulst, « Objet et méthode de la prosopographie », in J.-P. Genet et G. Lottes (dir.), L’État moderne et les élites (xiiie-xviiie siècles). Apports et limites de la méthode prosopographique, Paris, 1996, p. 467-482. 9 Le socle fondamental pour les deux grands ordres militaires est J. Burgtorf, The Central Convent of Hospitallers and Templars. History, Organization, and Personnel (1099/1120-1310), Leyde, 2008. Notons que quelques hauts dignitaires de l’Hôpital, comme Hugues Revel ou Juan Fernández de Heredia, ont inspiré des biographies assez récentes. Mais ces ouvrages s’inscrivent dans la démarche classique et la faiblesse conceptuelle qui ont justifié les critiques portées contre ce genre d’écriture.

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m’a bien fallu, en effet, réunir quelques tranches de vies pour comprendre le monde dans lequel évoluait mon sujet principal. Travailler sur la singularité d’une ou même plusieurs vies, sur un temps relativement court, autorisait encore un recours plus assumé à la narration10. Un temps ébranlés par le relativisme introduit par la pensée postmoderne – le trop fameux linguistic turn – et les attaques contre le récit, les historiens ont désormais décidé d’accepter la dimension narrative de leur écriture. Bien sûr, j’ai intégré les mises en garde sur l’« illusion biographique » et sur la fausse cohérence de la vie restituée par le récit, présentée comme un déplacement linéaire avec un début et une fin11. La part de fiction inhérente à la narration est peut-être encore plus importante dans la biographie que dans tout autre démarche historique, puisqu’il faut, pour retracer un cheminement individuel, combler les hiatus de la documentation et viser à une certaine « représentance »12. Mais au moins, les travers du récit et même, plus généralement, les limites de l’opération historiographique sont-ils consciemment assumés. La stature et la destinée de mon sujet rendent, d’ailleurs, ces limites d’autant plus patentes, car la vie de Bérenger Monge ne nous plongera pas dans la grande histoire. C’est plutôt l’histoire d’un frère de l’Hôpital devenu commandeur, qui aurait, certes, pu aspirer à une plus haute destinée au sein de son institution, mais qui a surtout préféré conduire sa carrière à l’échelle locale. En ce sens, appréhender la figure d’un commandeur ordinaire s’inscrit bien au diapason de l’air historiographique ambiant. Cela fait quelque temps, en effet, que les sciences sociales ont délaissé les grands hommes pour s’intéresser aux hommes ordinaires ou « moyens »13. Tout récemment encore, on a pu voir des médiévistes s’attacher à un humble crieur de la fin du xve siècle, à un marchand marseillais d’envergure moyenne ou encore à un assez obscur capitaine de Charles VII14. Il ne me semble pas, cependant, qu’une institution religieuse régulière

10 Sur le lien entre biographie et narrativité : S. Loriga, Le petit x. De la biographie à l’histoire, Paris, 2010, p. 252-255. 11 P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62 (1986), p. 69-72. 12 Sur la tension entre fiction et reconstitution des faits « réels », résolue par l’idée de « représentance » proposée par Paul Ricœur : F. Dosse, Le pari biographique, p. 57-84 et 101-103. Sur le rôle de la fiction, voir encore Y. Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, 2014, p. 187-215. L’auteur rappelle que la fictio est l’une « des fabrications intellectuelles capables de s’écarter des faits précisément pour penser les faits » (p. 206). 13 F. Dosse, Le pari biographique, p. 327-337. S. Loriga reprend la notion « d’homme moyen » – voire « quelconque » – qui permet de faire ressortir la force des contraintes extérieures et de mettre au jour la trame de la vie sociale tissée anonymement par les hommes (S. Loriga, Le petit x, p. 43-44 et 248-250). 14  N. Offenstadt, En place publique. Jean de Gascogne, crieur au xve siècle, Paris, 2013 ; L.-H. Gouffran, La figure de Bertrand de Rocaforti. Expérience, identités et stratégies d’ascension sociale en Provence au début du xvesiècle, thèse de doctorat d’Histoire, Université d’Aix-Marseille, 2015 ; A. Landot, « Écrire la biographie d’un “illustre inconnu” : Robert de Baudricourt », in S. Gouguenheim (dir.), Aux sources du pouvoir. Voir, approcher, comprendre le pouvoir politique au Moyen Âge, Paris, 2017, p. 111-130. Sans faire appel, encore, à des concepts tirés des sciences sociales, certains travaux déjà oubliés furent pourtant pionniers (je pense notamment à P. Charbonnier, Guillaume de Murol. Un petit seigneur auvergnat au début du xve siècle, Clermont-Ferrand, 1973).

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ait jamais été appréhendée par le truchement de l’un de ses membres ordinaires et des relations de ce dernier avec le monde15. Pour autant, s’agit-il toujours de biographie ? Si, selon la formule de Jacques Le Goff, « une vraie biographie est d’abord la vie d’un individu », alors je ne suis pas tout à fait sûr de pouvoir revendiquer pleinement cette démarche16. Ce qui m’importe, avant tout, est de retracer un cheminement singulier, pris dans divers champs, ici plus proprement institutionnel et social, et dans un moment historique17. Aussi, faudra-t-il s’attendre, parfois, à voir s’effacer le personnage derrière la description d’une configuration socio-culturelle – les pratiques d’écriture et leurs acteurs par exemple – ou encore de mécanismes de pouvoir qui le dépassaient parfois – les enjeux liés à l’exercice de la justice ou bien le gouvernement du prieur de Saint-Gilles. D’autre part, la reconstitution des milieux et réseaux sociaux autour de Bérenger Monge – par le recours, même limité, à la prosopographie – permettra de mesurer l’exemplarité du sujet et, finalement, d’approcher en les confrontant autant d’idéal-types du commandeur, du bayle, du prieur ou d’autres figures encore. En m’efforçant ainsi d’atteindre la société à partir de l’acteur, en tentant encore d’articuler le singulier et le collectif, je m’inscris donc plutôt dans une forme de biographie modale18. Bérenger Monge n’a pas laissé d’ego-document comparable au cartulaire privé de son exact contemporain, le petit bourgeois parisien Geoffroy de Saint-Laurent19. Aucune source narrative contemporaine ne le mentionne et s’il existe un récit fondamental pour mon propos, celui-ci est très tardif : c’est l’Histoire des grands prieurs de Saint-Gilles, écrite dans la première moitié du xviiie siècle par Jean Raybaud et dont je discuterai plus loin la fiabilité. La reconstitution du personnage et de son environnement repose quasi exclusivement sur des actes de la pratique ou écriture pragmatiques : chartes, comptabilités, procédures judiciaires20. Or, ce type d’écriture

15 Jusqu’ici, l’histoire des grandes formations religieuses a plutôt été approchée par le haut, c’est-à-dire par la figure de leurs fondateurs charismatiques, ce qui, naturellement, pose d’autres questions épistémologiques. 16 J. Le Goff, « Comment écrire une biographie historique aujourd’hui ? », Le Débat, 54 (1989), p. 50. 17 J’entends champ dans le sens bourdieusien, « comme une configuration de relations objectives entre des positions occupées par des individus et des institutions » (G. Mauger, « Champ », in J.-Ph. Cazier (dir.), Abécédaire de Pierre Bourdieu, Paris, 2006, p. 25-27). 18 À la croisée de la biographie et de la prosopographie, ce que G. Levi appelle la « biographie modale » vise à restituer une forme d’idéal-type, à illustrer le collectif par le singulier (G. Levi, « Les usages de la biographie », Annales ESC, 44 (1989), p. 1329-1330). 19 A. Terroine, Un bourgeois parisien du xiiie siècle. Geoffroy de Saint-Laurent, 1245 ?-1290, éd. L. Fossier, Paris, 1992. Au xve siècle, le hobereau Guillaume de Murol et le marchand Bertrand de Rocaforti ont laissé journaux, correspondances ou registres de comptes qui permettent à leurs biographes un détour par les « mentalités » et les comportements religieux (P. Charbonnier, Guillaume de Murol ; L.-H. Gouffran, La figure de Bertrand de Rocaforti). 20 Les historiens ne donnent pas toujours le même sens à la notion de pragmatique appliquée à l’écrit. Pour une remise en perspective : H. Dewez, « Réflexions sur les écritures pragmatiques », in B. Grévin et A. Mairey (dir.), Le Moyen Âge dans le texte. Cinq ans d’histoire textuelle au Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris, Paris, 2016, p. 245-254. La notion a l’avantage de recentrer la réflexion sur la question de l’action en redonnant une marge d’incertitude à l’acteur (M. Nachi, Introduction à la sociologie pragmatique : vers un nouveau “style” sociologique, Paris, 2006, p. 11 et 22-23).

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pragmatique peut être saisi comme le « véhicule d’une dimension de l’action », pour reprendre une formule de Thierry Dutour. Ce dernier propose donc de voir les actes de la pratique comme un ensemble porteur d’un discours du sens commun, autrement dit propre à saisir une réalité de la construction sociale21. Même si cette documentation n’est naturellement pas neutre, elle ne relève pas exactement d’une construction littéraire qui rendrait nécessaire de se poser la question « Bérenger Monge a-t-il existé ? », selon la formule consacrée par Jacques Le Goff22. De fait, cette documentation portée sur l’action révèle un cadre de vie et des interactions sociales, mais elle permet difficilement d’atteindre ce que l’on appelait autrefois les mentalités ou bien même l’imaginaire23. Je me suis donc livré au dépouillement intégral des chartriers des commanderies d’Aix et de Manosque pour l’époque de Bérenger Monge et à une consultation plus ciblée des liasses concernant les xiie et xive siècles. J’ai ensuite opéré par sondages dans les fonds de quelques autres commanderies où Bérenger Monge était susceptible de s’être rendu (Puimoisson, Saint-Gilles, Trinquetaille…). De même, contraint à la fois par le temps et par les règles drastiques de communication aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, j’ai limité l’exploitation de la série des registres judiciaires de Manosque à un échantillon assez aléatoire24. Enfin, diverses perspectives ont motivé la consultation des inventaires d’archives et des procès-verbaux de visites d’époque moderne. Les analyses des archivistes de l’ordre de Malte ont, d’une part, conservé les mentions d’actes dont les originaux médiévaux ont été perdus. D’autre part, m’imprégner de ces écritures d’Ancien Régime était une manière de réfléchir à la fabrique des archives du grand prieuré de Saint-Gilles, tout en pistant les traces laissées par Bérenger Monge dans l’épaisseur du temps. Colliger ainsi les indices laissés par un individu est une quête jamais achevée, à l’image, au fond, de toute recherche historique. Pour autant, même circonscrit, le rassemblement des archives a permis de réunir quelque 250 documents faisant mention directe de Bérenger Monge25. Il faut d’emblée souligner le caractère assez exceptionnel, du moins pour le niveau social et hiérarchique d’un tel individu, du corpus ainsi réuni : près de 150 chartes originales le mettent directement en scène, des mentions subsistent de lettres qui lui furent adressées, son administration à Manosque a laissé quatre « états de la baillie » – une forme de bilan très rarement conservée –, enfin, il subsiste même les traces – indirectes mais 21 Th. Dutour, Sous l’empire du bien. “Bonnes gens” et pacte social (xiiie-xve siècle), Paris, 2016, p. 15-30 et 75-87. 22 « …il faut se poser cette question que tout historien écrivant la biographie d’un personnage historique – surtout pour les périodes anciennes – doit se poser : Saint Louis a-t-il existé ? » ( J. Le Goff, « Comment écrire une biographie », p. 52). 23 Les registres judiciaires de Manosque ont pu être étudiés dans une perspective assez proche de l’histoire des mentalités, mais les frères de l’Hôpital y apparaissent assez peu (voir en bibliographie les références aux travaux de R. Lavoie, A. Courtemanche et S. Bednarski). 24 Une dizaine de registres ont été sondés sur une trentaine de pièces conservées pour un long xiiie siècle (É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H : grand prieuré de Saint-Gilles des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Marseille, 1966, p. 34-38). 25 Cf. An. I, A.

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assez vraisemblables – d’une inscription et d’une représentation iconographique. Sans grande surprise, cette collection de sources n’en comporte pas moins disparités et lacunes, sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. L’action des hospitaliers est beaucoup mieux documentée à Manosque qu’à Aix, tandis que l’inégale distribution des traces conditionne le « tempo narratif » de la trajectoire du commandeur : un silence total affecte la première partie de son existence, alors qu’une soudaine abondance d’actes valorise d’autres tranches de sa vie26. En découle une vision fragmentée qui, peut-être, est mieux à même de faire ressortir la complexité des relations sociales et la force des structures autour du sujet. Cette vision fragmentée est celle, également, de l’histoire de l’Hôpital dans une partie de la Provence du xiiie siècle, tant Bérenger Monge a littéralement personnifié les deux commanderies dont il eut la charge pendant près de 50 ans. Les décennies 1240-1310 représentent un moment important de l’histoire de l’Hôpital. Certains aspects en sont déjà connus de manière générale, tandis que d’autres seront justement mis en évidence dans le présent essai. Bérenger Monge et ses contemporains ont vécu les dernières décennies de la présence latine en Terre sainte. Ces événements, qui encouragèrent l’ordre de Saint-Jean à réorienter ses activités en Méditerranée, impulsèrent une profonde mutation institutionnelle affectant, tant le gouvernement général que l’équilibre des relations entre le couvent central et les provinces d’Occident27. La qualité des archives du grand prieuré de Saint-Gilles permet, par ailleurs, de révéler le fonctionnement de rouages administratifs locaux fondés sur le savoir-faire d’un groupe d’officiers. Si les ordres religieux médiévaux ont pu être considérés comme le champ d’expérimentation privilégié des techniques de gouvernement et des relations de pouvoir, une telle lecture reste à appliquer au cas de la commanderie, structure de base des ordres militaires28. En même temps, on ne saurait tomber dans le travers d’une approche internaliste de l’ordre de Saint-Jean : membres à part entière de l’institution ecclésiale, les hospitaliers ont évidemment noué des relations avec la papauté et le clergé local, auxquels ils purent éventuellement emprunter des formes d’organisation ; en même temps religieux et (pour la majorité) laïcs voués à une vie active, les frères furent totalement en prise avec le siècle. Par conséquent, on ne s’étonnera pas de 26 Le tempo narratif désigne l’articulation entre la longueur du récit et la durée effective des faits racontés (É. Gaucher, La biographie chevaleresque. Typologie d’un genre (xiiie-xve siècle), Paris, 1994, p. 426). 27 A. Demurger, Les hospitaliers. De Jérusalem à Rhodes, 1050-1317, Paris, 2013, p. 376-378 et 444-481 ; J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, c.1070-1309, Houndmills-New York, 2012, p. 135-139 et 208-228. On ne peut faire mention ici de l’installation du quartier général de l’Hôpital à Rhodes et de la dévolution des biens du Temple, car ces événements majeurs pour l’Hôpital intervinrent juste après la disparition de Bérenger Monge et d’autres importants frères de sa génération. Or, aucun signe avant-coureur ne pouvait leur permettre d’anticiper la suite des événements : la conquête de Rhodes semble être intervenue de façon assez inopinée, tandis que rien ne laissait présager le sort funeste des templiers. 28 J. Dalarun, Gouverner c’est servir : essai de démocratie médiévale, Paris, 2012 ; C. Leveleux-Texeira et A. Peters-Custot, « Gouverner les hommes, gouverner les âmes. Quelques considérations en guise d’introduction », in Gouverner les hommes, gouverner les âmes, Paris, 2016, p. 34.

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les trouver liés à la fois à l’appareil gouvernemental et aux grands desseins de la monarchie angevine. Or, faire de la Provence un terrain privilégié pour observer le fonctionnement de l’Hôpital, en tant que microcosme englobé dans un faisceau de relations avec les structures ecclésiastiques et étatiques, n’a rien pour surprendre. Terre d’élection des ordres militaires, servie par des archives riches et variées, cette région bénéficie d’un solide socle de connaissances qui incitait à explorer des voies nouvelles29. Longtemps parent pauvre des études médiévales sur la Provence, le xiiie siècle a, par ailleurs, suscité un profond renouvellement de la recherche, qui doit à la fois à d’importantes thèses et aux grands chantiers collectifs développés à partir des archives angevines30. Le présent essai peut donc s’inspirer, d’une part, des récentes recherches sur les pratiques administratives et le profil « technocratique » du personnel de l’Église provençale, d’autre part sur la connaissance approfondie de l’aristocratie, sans négliger les réflexions un peu plus anciennes, toujours attentives au lien entre ecclésiologie et histoire socio-politique31. En outre, la compréhension de l’environnement local dans lesquels évoluèrent les hospitaliers n’aurait pas été possible sans les connaissances accumulées sur les cadres sociaux comme matériels des villes de Manosque et d’Aix32. Enfin, bien au-delà du contexte provençal, il faut souligner combien furent décisives les recherches conduites, selon différents paradigmes et par plusieurs écoles nationales, tant sur l’écriture que sur les processus d’archivage33. Ces réflexions n’ont pas seulement, dans une perspective d’histoire socio-culturelle ou plus anthropologique, lié les mutations de la production écrite aux mécanismes de la domination. Elles eurent encore des répercussions épistémologiques, en plaçant au centre de l’attention la question de l’historicisation des archives et de la construction historienne de la source34. En reconstituant autant d’itinéraires de vies gravitant autour d’un acteur principal, j’ai donc souhaité écrire une histoire au plus près des hommes. Le matériau réuni 29 À défaut de bilan complet et à jour sur l’historiographie des ordres militaires en Provence, je me permets de renvoyer à : D. Carraz, « Templiers et Hospitaliers en France méridionale (xiie-xiiie siècles). À propos d’un ouvrage récent », Provence historique, 50 (2000), p. 207-237 ; et Id., L’Ordre du Temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312). Ordres militaires, croisades et sociétés méridionales, Lyon, 2005, p. 23-25. 30 Je renvoie, en bibliographie, aux travaux personnels ou sous la direction de M. Hébert, Th. Pécout, F. Mazel, V. Theis et L. Verdon. 31 Toujours en bibliographie, voyez encore F. Mazel et Th. Pécout, ainsi que M. Aurell, J. Chiffoleau et M. Lauwers. 32 J’évoquerai au fil de ce travail les importants travaux d’histoire sociale conduits sur Manosque par l’école d’historiens canadiens. Pour l’heure, on retiendra essentiellement les études fondatrices de M. Hébert, ainsi que les recherches archéologiques de S. Claude. N. Coulet domine, quant à lui, l’historiographie d’Aix au Moyen Âge. 33 Au sein d’une littérature désormais immense, je renvoie seulement en bibliographie à quelques auteurs sélectionnés pour le présent essai : B. Bedos-Rezak, P. Bertrand, P. Chastang, O. Guyotjeannin et J. Morsel. 34 La nécessité d’historiciser sources et concepts est une conséquence, plus ou moins consciente chez les médiévistes, des récentes remises en cause de l’objectivisme de l’histoire et, plus largement, du tournant critique des sciences sociales (pour une réflexion qui dépasse les enjeux de l’histoire croisée : M. Werner et B. Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales HSS, 58 (2003), p. 7-36).

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autour de Bérenger Monge ouvre à une analyse du fonctionnement de l’Hôpital rarement conduite à cette échelle, celle de la commanderie, saisie dans ses complexités internes, comme dans ses interactions avec le monde. Il ne s’agit pas seulement d’approfondir la connaissance d’un ordre militaire en soi, mais, plus largement, de contribuer aux réflexions sur les pratiques sociales, les mécanismes de pouvoir et les techniques administratives au sein de la sphère dominante de la société méridionale au second Moyen Âge. On commencera par remonter le fil du temps en partant à la quête des traces laissées par Bérenger Monge, depuis les chartes où apparaît son nom jusqu’aux rares lignes que lui consacrèrent des historiens récents. Cela suppose d’envisager à la fois la production des documents et à la façon dont ceux-ci furent conservés et surtout réinterprétés par les générations successives. Cette réflexion sur la transmission et les usages documentaires n’est, au fond, que l’indispensable préliminaire à toute enquête historique35. J’ai souhaité articuler le propos en trois parties. On cherchera en premier lieu à inscrire le sujet dans les différents champs de son existence. Pour comprendre la trajectoire de Bérenger Monge comme frère puis commandeur de l’Hôpital, il est nécessaire de le situer au sein d’une parenté et d’un habitus familial36 (I). L’envergure sociale du lignage des Monachi sera moins appréciée du point de vue de la richesse matérielle – qui est mal documentée – que des réseaux de relation. Le second champ est celui de l’institution37. Qu’est-ce, au fond, qu’une commanderie ou, plus prosaïquement, une maison (domus) de l’Hôpital ? Une communauté fondée sur le respect d’une norme, une hiérarchie, des rapports d’autorité, mais aussi une identité partagée autour d’une forme de vie (II et III). Au-delà de la structure, seront dévoilés les individus qui animent cette dernière, c’est-à-dire essentiellement le groupe des officiers autour du commandeur. Dans un second temps, le récit se déroule autour de la figure du commandeur comme administrateur et seigneur. Quels furent les fondements économiques et temporels d’un ordre comme l’Hôpital qui, pour assumer ses missions, devait nécessairement exercer une domination à la fois sur la terre et sur les hommes (IV) ? Bérenger Monge s’effacera parfois derrière la mise au jour des pratiques administratives – et notamment des usages de l’écriture – qui laissera également le prieuré d’Aix un peu plus en retrait. Grâce à des sources exceptionnelles et à la connaissance assez fine que l’on a déjà du tissu social local, Manosque peut apparaître comme un véritable laboratoire à double titre : pour les hospitaliers qui, en tant que seigneurs éminents

35 O. Guyotjeannin et L. Morelle, « Tradition et réception de l’acte médiéval : jalons pour un bilan des recherches », Archiv für Diplomatik, 53 (2007), p. 398-402 (qui renvoient aux réflexions plus générales mais fondamentales d’Arnold Esch). 36 Sur le fonctionnement de la famille comme un champ : P. Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, 1994, p. 135-145. 37 Pour un aperçu sur la trajectoire de la notion d’institution dans les sciences sociales, qui aborde entre autres les questions du rôle de l’institution dans la fabrique de l’identité, de la « disciplinarisation des pouvoirs » et de la création des représentations sociales : J. Revel, « L’institution et le social », in B. Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, 1995, p. 63-84.

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de la ville, eurent en main tous les leviers de l’encadrement socio-économique ; pour l’historien également qui, en observant les interactions entre les frères et les différentes composantes de la population, peut, par là même, mesurer combien la seigneurie reposa finalement sur des équilibres en constante négociation (V). La dernière partie s’interroge sur le rayonnement de Bérenger Monge en élargissant la focale au-delà des cadres de la commanderie et de la seigneurie. Les entreprises édilitaires du commandeur, tant à Aix qu’à Manosque, autorisent ainsi un retour sur l’inurbamento de l’Hôpital et sur sa contribution à la fabrique urbaine (VI). L’examen des rapports avec l’Église et l’État princier permettent de confronter les actions locales de l’ordre à des enjeux plus généraux : le tournant pastoral et les mutations liées à la transformation des échanges au sein de l’institution ecclésiale d’un côté ; l’affirmation de l’autorité régalienne et les ambitions méditerranéennes de la dynastie angevine de l’autre (VII). Pour finir, une visée sur le prieuré de Saint-Gilles dévoile, en partie au moins, les rouages de l’Hôpital à l’échelle provinciale et éclaire sa contribution à la défense de la chrétienté dans les dernières décennies de la présence latine au Levant (VIII). Tout en suivant les actions de Bérenger Monge dans l’administration de la province, on livrera surtout une première réflexion sur la nature et les moyens du pouvoir exercé par le prieur de Saint-Gilles lui-même.

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Chapitre liminaire

Un nom dans la petite histoire Réinventions érudites et discours des archives

Le fil d’Ariane qui guide le chercheur dans le labyrinthe des archives est celui qui distingue un individu d’un autre dans toutes les sociétés connues : c’est le nom.

Dans l’un des premiers articles présentant, à l’attention des lecteurs francophones, la démarche de la microstoria, Carlo Poni et Carlo Ginzburg montraient comment la « méthode nominative » permettait, en passant d’une série documentaire à l’autre, de rassembler des « données sérielles » et puis, à partir de là, « de recomposer l’écheveau des différentes conjonctures »1. C’est un peu ce que je voudrais tenter de faire, avant de centrer l’attention sur la société provençale des années 1250-1300, par une plongée dans les siècles qui nous séparent de Bérenger Monge et de son entourage. De Manosque à Aix, cette portion de la Provence sillonnée par le personnage, nous suivrons donc le nom de Monge et ses avatars parmi les multiples traces qui, du xiiie siècle à nos jours, ont sédimenté dans l’épaisseur du temps. Ces traces, qui ont conservé le nom de Monge et des contemporains auxquels il fut lié, sont d’abord documentaires : chartes, registres, rapports, inventaires…, produits puis conservés au fil des siècles et qui, rassemblés par les soins de l’opération historiographique, sont devenus « sources »2. C’est donc la fabrication de ces archives liées aux hospitaliers qu’il s’agira de reconstituer succinctement, en montrant comment se sont perpétués et transformés, au cours de ce processus de longue durée, les indices de l’existence de Bérenger Monge. Ces indices, toutefois, ne sauraient se limiter aux actions juridiques consignées sur parchemin à la demande du commandeur lui-même, ou bien à quelques annotations d’époque moderne. L’Hôpital a laissé d’autres traces matérielles, plus ou moins lointainement rattachées au temps de Bérenger Monge et qui, tout au long de l’Ancien Régime, se transformèrent en objets ou lieux de mémoire. Passée la crise révolutionnaire, les monuments liés au passé de l’ordre de Malte, à Aix et à Manosque, furent redécouverts et réinventés en donnant naissance à autant de mémoires locales. Entre restauration catholique et affirmation d’une république associant le Moyen Âge à l’éveil du peuple, on verra comment furent 1 C. Ginzburg et C. Poni, « La micro-histoire », Le Débat, 17 (1981), p. 133-136 (p. 134 pour la citation). 2 Le matériau rassemblé par l’historien est la combinaison d’un groupe, de lieux et de pratiques (M. de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, 1975, p. 84-89). L’historicisation des archives résulte, quant à elle, d’une démarche relativement récente dans les sciences humaines et notamment chez les médiévistes (É. Anheim et O. Poncet, « Fabrique des archives, fabrique de l’histoire », Revue de Synthèse, 125/1 (2004), p. 1-14 ; J. Morsel, « Du texte aux archives : le problème de la source », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, HS no 2 (2008) [en ligne]).

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interprétés, à la fois le passé provençal des hospitaliers et la figure du commandeur. Car si ecclésiastiques, artistes et politiques se sont emparés du passé médiéval, le xixe siècle, âge d’or de l’érudition, a suscité la première exploitation systématique des archives, qui furent alors dépouillées, classées, éditées et enfin commentées dans quantité de publications savantes. Toute une masse documentaire à laquelle l’histoire désormais professionnelle du siècle suivant se chargerait d’appliquer un questionnaire profondément renouvelé. C’est par ces discours sur le Moyen Âge d’un ordre religieux singulier, produits de la IIIe République à nos jours, entre arrière-pensées politiques et enjeux scientifiques, que commencera notre quête indiciaire.

La glorification de la petite patrie avant tout (xixe-xxe siècle) Érudition locale et culte du document

Pour toute une génération de notables acquis aux idées républicaines, plutôt bien enracinées dans les Basses-Alpes, le Moyen Âge évoquait avant tout la conquête des libertés urbaines face au « joug féodal » (D. Arbaud). Ces érudits, chantres de la petite patrie, se préoccupaient essentiellement d’écrire l’histoire de leur ville3. Or, dans le genre de l’histoire urbaine, Manosque pouvait se prévaloir d’une œuvre déjà illustre et précoce avec le De Manuesca urbe Provinciae du jésuite Jean Columbi, imprimée pour la première fois à Lyon en 1638, puis plusieurs fois rééditée avant d’être traduite en français en 18084. Mais c’est à un tout autre genre qu’appartiennent les monographies municipales qui fleurirent à partir du milieu du xixe siècle et qui faisaient du Moyen Âge central un moment fondateur dans l’affirmation des aspirations populaires5. En 1847, Damase Arbaud (1814-1876), médecin, maire de Manosque et conseiller général des Basses-Alpes, publiait ses Études historiques sur la ville de Manosque au Moyen Âge6. L’année suivante, l’abbé Jean-Joseph Féraud (1810-1897), vicaire de l’église Saint-Sauveur, faisait paraître sa propre histoire de la ville7. Les traits saillants de ces récits agencés dans l’ordre chronologique des événements sont, d’une part les bienfaits octroyés par les comtes de Forcalquier à l’Hôpital, et d’autre part

3 De manière générale, sur la vogue des monographies locales liée à l’enracinement d’une « conscience municipale » et d’une identité villageoise : F. Ploux, Une mémoire de papier. Les historiens de village et le culte des petites patries rurales à l’époque contemporaine (1830-1930), Rennes, 2011. 4 J. Columbi, De Manuesca urbe Provinciae, Lyon, 1638 ; J. Columbi et H. Pellicot, Histoire de Manosque, Apt, 1808. 5 Sur la succession des histoires de Manosque, restées pour la plupart manuscrites, entre la fin de l’Ancien Régime et la Monarchie de Juillet : R. Bertrand, « Érudits et historiens de Haute-Provence depuis le xviie siècle », Provence historique, 38 (1988), p. 308-310. 6 D. Arbaud, Études historiques sur la ville de Manosque au Moyen Âge, t. I, Digne, 1847. 7 J.-J. Féraud, Histoire civile, politique, religieuse et biographique de Manosque, Digne, 1848. Dans le même esprit est son Histoire, géographie et statistique du Département des Basses-Alpes, Digne, 1861, notamment p. 558-561.

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l’opposition séculaire des habitants à la seigneurie hospitalière. Logiquement attentif à la vie religieuse, l’abbé Féraud consacre quelques passages aux hospitaliers et à la présence du « corps du Bienheureux Gérard Tenque » dans leur palais. Il donne encore une « nomenclature des précepteurs et baillis » où l’action de Bérenger Monge est résumée en une dizaine de lignes, soit un traitement équivalent à deux des plus éminents responsables de la maison de Manosque, Hélion de Villeneuve (1314-1330) et Jean Boniface (1529-1545)8. Monge apparaît une quinzaine de fois dans le récit de Damase Arbaud qui le dépeint sous les traits du seigneur magnanime, administrateur sage et soucieux des intérêts de ses sujets. Ce dernier, qui « toujours eut à cœur la prospérité de Manosque, où probablement il était né », consultait les prudhommes pour les décisions importantes et notamment pour la promulgation des statuts fondateurs de la législation municipale9. Sans trop s’appesantir sur cet aspect, l’auteur rappelle en outre combien ce préceptorat consolida la position de l’Hôpital sur la ville. Juriste de formation et homme politique, Camille Arnaud (1798-1883) fut un auteur prolifique, reconnu notamment pour son Histoire de la viguerie de Forcalquier10. Mais avec son Bertrand Chicolet, celui-ci cultiva le mélange des genres, puisqu’il proposait là un roman historique dont l’effet de réel reposait sur une habile utilisation des archives locales11. Les aventures du héros sorti « des basses classes de la société », et dont l’auteur affirme qu’il a réellement existé, sont surtout prétexte à dresser un tableau de la vie quotidienne et des événements locaux à l’époque des grandes compagnies. La féodalité renvoie toujours à la violence et à l’usurpation, cependant les hospitaliers ne sont pas présentés comme des seigneurs particulièrement indignes. Si le commandeur alors véritablement en exercice, Hugues de Villemus (1359-1360), joue un certain rôle, le nom de Bérenger Monge apparaît une fois, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’agrandissement de la place du marché12. À Aix, le passé de la ville n’était pas aussi exclusivement attaché à l’Hôpital. Mais les savants surent reconnaître l’importance de l’ordre dans l’histoire religieuse de leur ville et s’enorgueillirent des liens entretenus avec les chevaliers de Malte13. François Roux-Alphéran (1776-1858) consacre ainsi une partie de ses Rues d’Aix à la présence des hospitaliers, parmi lesquels Bérenger Monachi apparaît quelques fois14. Surtout, l’église Saint-Jean de Malte était devenue l’un des monuments emblématiques du patriotisme aixois, notamment dans les milieux catholiques et monarchistes. Il n’est donc pas étonnant que le monument suscitât, comme on le verra bientôt, l’intérêt 8 J.-J. Féraud, Histoire civile, p. 450-470. 9 D. Arbaud, Études historiques, p. 24, 27, 30-31, 50-51, 53, 55, 57. 10 C. Arnaud, Histoire de la viguerie de Forcalquier, Marseille, 1874, 2 vol. 11 C. Arnaud, Bertrand Chicholet ou Manosque en 1357, Marseille, 1861. Sur le genre du roman historique dans la quête identitaire des Provençaux : L. Verdon, « Le rôle du roman historique à sujet médiéval dans la formation d’une identité provençale au xixe siècle », Provence historique, 41 (1991), p. 151-162. 12 C. Arnaud, Bertrand Chicholet, p. 173. 13 « Aucune ville de la langue de Provence, peut-être même de la France entière, Paris excepté, n’a fourni autant de chevaliers à l’ordre de Malte que la ville d’Aix… » (F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence, vol. 2, Aix, 1846, p. 329). 14 F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, vol. 2, p. 295-336. Il donne également, p. 337-356, une « Chronologie des prieurs de l’église de Saint-Jean ».

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des savants. Personnage local, Bérenger Monge ne pouvait guère franchir le cap des monographies urbaines. Toutefois, le prestige des commanderies dont il eut la charge lui valut au moins une mention dans quelques descriptions générales de la Provence : chez Achard (1751-1809), son nom figure parmi les sept « précepteurs ou baillis » de Manosque qui avaient mérité de passer à la postérité15. Le culte voué au document caractérise bien cette démarche érudite à laquelle, de leur côté, les historiens de métier se chargeraient de conférer une véritable méthode. Appuyées sur des pièces justificatives, leurs histoires se fondent pour l’essentiel sur les archives municipales, plus rarement sur celles de l’ordre de Malte. Archivistes et historiens locaux se replongeaient alors dans les anciens papiers et parchemins conservés dans les hôtels de ville et dont on entreprenait justement le reclassement16. Par la fréquentation assidue des documents d’époque, ces érudits assouvissaient une autre préoccupation de leur temps, à savoir la quête de leurs racines linguistiques. Tandis qu’un François Raynouard (1761-1836) pensait retrouver dans la poésie des troubadours la langue parlée par les anciens Provençaux, les érudits locaux considéraient que l’authenticité de la langue populaire gisait plutôt dans les actes de la pratique17. Ainsi, en éditant le Livre des privilèges de Manosque, Marie-Zéphirin Isnard, archiviste des Basses-Alpes de 1864 à 1922, assurait pour la postérité la préservation des lois et libertés municipales, si difficilement gagnées. Mais le but avoué de son édition était « surtout de mettre en lumière le provençal et d’en faciliter l’étude par la comparaison avec le latin », jugé par ailleurs « décadent »18. Hors de toute préoccupation codicologique, qui eût été de toute manière anachronique, l’édition ne respecte pas l’organisation interne du manuscrit et préfère mettre en regard, pour chaque pièce, les textes latins et provençaux19. Le cartulaire municipal était paré de suffisamment de prestige chez les édiles et fonctionnaires manosquins pour que son éditeur s’intéresse, dans une ample introduction, non seulement aux questions linguistiques mais encore à l’aspect matériel du document-monument20. 15 C.-F. Achard, Géographie de la Provence, t. 2, Aix, 1787, p. 19-20. 16 Comme en témoignent les travaux de D. Arbaud, Rapport à M. le Préfet des Basses-Alpes sur les archives municipales de Manosque. I, Les privilèges, Digne, 1844 ; et de M.-Z. Isnard, État documentaire et féodal de la Haute-Provence, Digne, 1913. Sur la réalisation des premiers inventaires d’archives publiques et les éditions de sources dans la deuxième moitié du xixe siècle : G. de Manteyer, Les archives monastiques des Hautes-Alpes, Gap, 1941. 17 Sur la renaissance occitane dans les milieux savants : R. Merle, L’écriture du provençal de 1775 à 1840. Inventaire du texte occitan, publié ou manuscrit, dans la zone culturelle provençale et ses franges, Béziers-Lille, 1990 (p. 615-621, sur la réception de Raynouard dans les cercles érudits provençaux). 18 M.-Z. Isnard, Livre des privilèges de Manosque. Cartulaire municipal latin-provençal (1169-1315), Digne-Paris, 1894, p. vii et ix-x [désormais : LPM]. D. Arbaud s’était déjà montré précurseur en collectant sur le terrain les chants populaires de Provence, dans cette même démarche attachée à retrouver la pureté de la langue ancestrale. 19 Reconnaissons à Isnard le mérite d’avoir explicité sa démarche, p. vii-viii, ce dont ne s’embarrassaient pas forcément les éditeurs de cartulaires au xixe siècle. Sur ce cartulaire municipal et son édition : M. Hébert, « Les cartulaires municipaux de Provence à la fin du Moyen Âge. Jalons pour une enquête », L’écrit et la ville, Memini. Travaux et documents, 12 (2008), p. 45-49. 20 LPM, p. v-vii. L’étude philologique de la version provençale (p. lxx-lxxxv) fut confiée à Camille Chabaneau (1831-1908), romaniste et professeur à la Faculté des Lettres de Montpellier.

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Cette révérence face au document d’époque incitait les éditeurs à intervenir le moins possible sur les actes originaux : qu’il s’agisse du Livre des privilèges ou bien des « preuves » figurant en seconde partie des Études historiques d’Arbaud, les textes des chartes sont livrés « bruts », sans que l’on ne se préoccupe de collationner les variantes ou d’intervenir sur les graphies21. « Relique vivante », la langue des écrits médiévaux était donc un moyen de retrouver un peu du Volkgeist des ancêtres22. C’est que ces notables investis dans les affaires publiques de leur petite patrie se voyaient sans doute comme les descendants des prudhommes, « élément municipal par excellence » (M.-Z. Isnard). Les luttes de leurs « pères » pour la « commune », qu’un Arbaud s’efforçait de reconstituer pas à pas à travers les archives, annonçaient leur propre combat pour le nouvel ordre – que celui-ci fût républicain pour certains ou plutôt bonapartiste pour d’autres23. L’action favorable du commandeur Monge envers les habitants de Manosque s’inscrivait donc dans une conquête des libertés qui, malgré le sang et les larmes, ne pouvait être qu’inéluctable24. Cette histoire portée vers le futur conférait à l’action du commandeur et de quelques autres figures, comme le bon comte Guillaume, un sens propre. Un sens conforme à ce régime moderne d’historicité né de la rupture révolutionnaire25 : le bon gouvernement de Bérenger Monge constituait bien une étape décisive dans la marche vers le progrès et l’émancipation civique. Les historiens de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem

Le patriotisme civique assis sur les valeurs républicaines retrouvait à certains égards l’esprit de clocher d’une littérature cléricale désireuse d’illustrer l’ancienneté et la gloire de l’Église locale. Toute une littérature apologétique liée à l’ordre de Malte s’est notamment employée à prouver l’origine provençale de Gérard « Tenque » et l’authenticité de ses reliques conservées à Manosque26. Or, quelques-uns de ces pieux plaidoyers, forts du recours aux archives hospitalières, ne manquent pas de

21 D. Arbaud, Études historiques, preuves, p. 3-130. Sur cette première période de l’édition des textes en langue romane : B. Cerquiglini, Éloge de la variante. Histoire critique de la philologie, Paris, 1989, p. 73. 22 Sur la notion de « reliques vivantes » : G. Algazi, « Les âges moyens et les reliques vivantes : deux figures de l’imagination historique », in D. Méhu et alii (dir.), Pourquoi étudier le Moyen Âge ? Les médiévistes face aux usages sociaux du passé, Paris, 2012, p. 165-177. 23 D. Arbaud, Études historiques, p. 78. 24 Voyez la mise en parallèle entre l’abolition de la charte du consulat de Manosque, en 1211, et la charte constitutionnelle de 1814 signant la restauration de la monarchie (D. Arbaud, Études historiques, p. 33). 25 F. Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expérience du temps, Paris, 2003, notamment p. 97-133. 26 D. Arbaud, Dissertation historique sur le bienheureux Gérard Tenque, fondateur des hospitaliers, Digne, 1851 ; abbé Ollivier, Discours contenant une notice sur la vie de Gérard Tenque, Aix, 1868. L’attachement à l’origine provençale de Gérard Tenque et à l’authenticité de ses reliques à Manosque est toujours bien vivant dans la seconde moitié du xxe siècle, p. ex. : A. Donnadieu, « Le bienheureux Gérard Tenque, ses origines et l’authenticité des reliques du château de Manosque », Annales de l’ordre souverain militaire de Malte, 18 (1960), p. 6-13. Sur le légendaire provençal concernant le fondateur de l’Hôpital : D. Le Blévec, « Aux origines des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem : Gérard dit “Tenque” et l’établissement de l’ordre dans le Midi », Annales du Midi, 89 (1977), p. 141-144 et 150-151. Et en dernier lieu, sur le riche

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mentionner Bérenger Monge. Le commandeur fut en effet à l’origine, en 1283, d’une fondation destinée à élever la gloire de la chapelle du palais qui était réputée conserver les restes du fondateur de l’Hôpital27. D. Arbaud se sert même de cet acte pour battre en brèche la « tradition officielle de l’ordre de Malte » qui voulait que les reliques aient été ramenées par le bailli Jean Boniface à la suite de la perte de Rhodes28. Mais c’est encore par le genre de la monographie municipale que l’érudition fut amenée à s’intéresser de près au passé de l’ordre militaire. Pour Manosque comme pour le proche village de Puimoisson, en des lieux où le seigneur hospitalier avait régné en maître tout puissant sur la communauté, écrire l’histoire de son village, c’était aussi écrire l’histoire de l’Hôpital29. Or, ces premières recherches sur l’enracinement local de l’ordre initièrent une habitude promise à une belle postérité dans l’historiographie érudite des ordres militaires : celle des listes de dignitaires. Dans la « Liste des commandeurs et des baillis de Manosque » dressée par Isnard en introduction du Livre des privilèges, la biographie de Bérenger Monge occupe une page, lorsque deux ou trois lignes seulement sont consacrées aux autres dignitaires30. Il fallut cependant attendre un demi-siècle pour que l’ordre de Saint-Jean suscitât des monographies approfondies, cette fois-ci dans le cadre de l’École des chartes, où Ferréol de Ferry (1915-2008) et Félix Reynaud (1920-2002) soutinrent tour à tour leur thèse sur les commanderies d’Aix (1939) puis de Manosque (1945)31. Fortes de la méthodologie éprouvée par l’École des chartes, ces recherches ont posé des bases factuelles sur ces deux implantations hospitalières, dont elles retracent l’histoire dans la longue durée, des origines à la Révolution. De fait, les deux thèses se coulent largement dans le même moule d’un récit classiquement chronologique, rythmé par la succession des dignitaires. Ferry consacre donc un paragraphe à Bérenger Monge, dont il évoque rapidement l’origine « aixoise et arlésienne » et quelques parents. Non sans omettre la position qu’il occupa auprès du prieur de Saint-Gilles, Ferry souligne surtout combien son long gouvernement contribua au développement de la maison de l’Hôpital d’Aix, qui « avant lui […] était de peu d’importance32 ». Issu d’un milieu catholique, Reynaud, voit de son côté le passé médiéval de Manosque du point de

dossier des reliques et du culte du bienheureux à Manosque : A. Beltjens, « Trois questions à propos de l’hospitalier Gérard », Bulletin de la Société de l’histoire et du patrimoine de l’Ordre de Malte, 19 (2007), p. 3-59 ; et 20 (2008), p. 5-52. 27 Abbé Andrieu, « Les reliques de saint Gérard Tenque à Manosque », Annales des Basses-Alpes, 5 (1892), p. 383 ; F. Giraud, Le bienheureux Gérard, fondateur et premier grand maître des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (Ordre de Malte), Aix, 1909, p. 31n, 33, 35 et acte édité p. 73-79. 28 D. Arbaud, « Gérard Tenque », in A. Gueidon (dir.), Le Plutarque provençal. Vie des hommes illustres de la Provence ancienne et moderne, t. I, Marseille, 1855, p. 236-241. 29 M.-J. Maurel, Histoire de la commune de Puimoisson et de la commanderie des chevaliers de Malte, Paris, 1897. 30 LPM, p. l-lxiii (p. lii pour Monge). M.-J. Maurel, Histoire de la commune, p. 374-392, a également offert une telle liste pour la commanderie de Puimoisson. 31 F. de Ferry, La commanderie et le prieuré de Saint-Jean de Jérusalem à Aix-en-Provence de la fin du xiie siècle à 1792, thèse de l’École des chartes, 1939, 2 vol. ; F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte à Manosque, Gap, 1981. La chronologie et les références aux sources sont toutefois beaucoup plus approximatives chez Ferry. 32 F. de Ferry, La commanderie, p. 28-30.

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vue des hospitaliers et sa perspective est donc assez différente de celle des érudits du siècle précédent. Pour lui, la commanderie résista bravement aux empiètements des habitants qui cherchaient à s’émanciper de la tutelle seigneuriale. Il n’empêche que le jugement moral sur l’établissement de rapports harmonieux entre le seigneur ecclésiastique et ses sujets s’inscrit tout à fait dans la vision d’un Arbaud. Aussi, le « long “règne” » de Bérenger Monge, empreint de « sollicitude pour ses vassaux » et d’« esprit de conciliation », correspond à une période particulièrement heureuse de l’histoire de Manosque33. Au-delà des monographies des maisons d’Aix et de Manosque qui ne pouvaient ignorer le personnage, celui-ci n’apparaît en revanche pas dans les travaux consacrés à l’Hôpital en Provence à partir des années 1960. Il faut dire que ces recherches, désormais majoritairement réalisées dans un cadre universitaire, se sont essentiellement intéressées à l’économie de l’ordre, en portant plutôt leur attention sur le xive siècle34. L’attrait pour la démarche quantitative, prédominant jusqu’à la fin des années 1980 dans le sillage des travaux de Georges Duby, n’était certes pas de nature à mettre en exergue le rôle de quelque commandeur que ce soit35. Les individus s’effaçaient alors largement derrière la fascination pour les structures. L’ancrage local du commandeur d’Aix et de Manosque n’attira pas davantage l’attention des histoires générales de l’ordre : pour s’en tenir à deux œuvres de référence, on cherche en vain son nom dans les index de Joseph Delaville le Roulx et de Jonathan Riley-Smith36. Celui-ci apparaît seulement subrepticement dans l’enquête prosopographique très complète de Jochen Burgtorf sur le couvent central de l’Hôpital à l’époque des États latins, ce qui pose la question de la présence de ce frère en Orient, à un moment ou l’autre de sa carrière37. Certes, on trouvera quelques autres mentions incidentes chez

33 F. Reynaud, La commanderie, p. 53, 55, 57, 61. L’auteur n’était pas Manosquin d’origine, mais « Marseillais par sa famille, sa naissance, sa carrière, ses travaux » (M. Villard, « Félix Reynaud (1920-2002) », Bibliothèque de l’École des chartes, 160 (2002), p. 738-740). 34 Les différentes phases des études relatives aux ordres militaires en Provence sont évoquées dans plusieurs bilans : N. Coulet, « Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement dans le sud-est de la France au Moyen Âge », in Les Ordres militaires, la vie rurale et le peuplement en Europe occidentale (xiie-xviiie siècles), Auch, 1986, p. 37-60 ; D. Carraz, « Templiers et hospitaliers en France méridionale (xiie-xiiie siècles). À propos d’un ouvrage récent », Provence historique, 50 (2000), p. 221-224. 35 Sur l’influence de Georges Duby dans le cadre des réflexions sur l’économie hospitalière, notamment à l’Université d’Aix-en-Provence : B. Beaucage, « Les Alpes du Sud en 1338. Sur les traces de Georges Duby », Études rurales, 145-146 (1997), p. 113-132 ; et D. Carraz, « L’enquête de 1338 sur l’ordre de l’Hôpital : un “horizon indépassable” ? Réponse à Benoît Beaucage », Provence historique, 67 (2017), p. 281-289. 36 J. Delaville le Roulx, Les hospitaliers en Terre Sainte et à Chypre (1100-1310), Paris, 1904 ; J. RileySmith, The Knights of Saint John in Jerusalem and Cyprus, c. 1050-1310, Londres, 1967. L’étude régionale de Dominic Selwood, qui consacre un chapitre aux dignitaires du Temple et de l’Hôpital, mentionne certes les maisons d’Aix et de Manosque à plusieurs reprises. Mais l’historien britannique n’a pas relevé pour autant la stature du commandeur commun à ces deux établissements dans la seconde moitié du xiiie siècle (D. Selwood, Knights of the Cloister. Templars and Hospitallers in Central-Southern Occitania (1100-1300), Woodbridge, 1999). 37 Bérenger Monge est mentionné à propos de la succession au prieurat de Féraud de Barras à Guillaume de Villaret, en 1269 ( J. Burgtorf, The Central Convent of Hospitallers and Templars. History, Organization, and Personnel (1099/1120-1310), Leyde, 2008, p. 437).

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Judith Bronstein ou bien Alain Demurger38. Mais, de manière générale, ces travaux qui adoptent tous une vue surplombante n’étaient logiquement pas en mesure de révéler l’intérêt du personnage. Évanescence d’un patronyme, redécouverte du passé hospitalier

Si l’on opère de manière régressive, en remontant le temps à partir d’aujourd’hui, c’est plutôt à Manosque que le nom de Monge a laissé le plus de traces. Est-ce un hasard si le romancier manosquin Pierre Magnan (1922-2012) a attribué ce patronyme au héros de deux de ses romans, Séraphin Monge39 ? Sans doute Magnan avait-il croisé Bérenger Monge dans certaines de ces lectures ; l’un de ses derniers livres suggère en tout cas qu’il s’était renseigné sur le passé de l’Hôpital à Manosque40. Comme le rappelait Félix Reynaud dans l’édition tardive de sa thèse, en 1981, « beaucoup de Manosquins savent que les chevaliers de Malte ont joué un rôle dans l’histoire de leur cité41 ». Certes, la Révolution avait fait table rase de ce passé honnis : les reliques de Gérard Tenque avaient été dispersées et surtout, l’antique palais seigneurial, ce « monument honteux de la féodalité », selon les mots de l’abbé Féraud, avait été rasé jusqu’aux fondations peu après 179342. La damnatio memoriae s’était d’ailleurs propagée jusqu’à Puimoisson, à 40 km de là, où le « monument féodal et aristocratique (allait) disparaître du sol de la liberté » peu après 180243. Dans ces deux agglomérations, la destruction de ces imposantes bâtisses laisse, aujourd’hui encore, un espace vide et pour tout dire assez triste dans le tissu urbain. Mais on sait combien les enjeux mémoriels fluctuent évidemment au cours du temps : rescapé de la fureur révolutionnaire, l’un des deux bustes de Gérard Tenque a trouvé refuge dans le hall de la mairie de Manosque44 (ill. A, no 1). La plaque posée en grande pompe en 1932 pour rappeler l’existence du « palais des commandeurs » est, quant

38 J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land. Financing the Latin East, 1187-1274, Londres, 2005, p. 92 et 157 ; A. Demurger, Les hospitaliers. De Jérusalem à Rhodes, 1050-1317, Paris, 2013, p. 303. 39 P. Magnan, La maison assassinée, Paris, 1984 ; Le mystère de Séraphin Monge, Paris, 1990. 40 P. Magnan, Chronique d’un château hanté, Paris, 2008. 41 F. Reynaud, La commanderie, p. 11. 42 F. Reynaud, La commanderie, p. 198 ; abbé J.-J. Féraud, Histoire civile, p. 356-357. L’opinion de l’abbé Féraud reflète le caractère progressiste de toute une frange du clergé provençal, notamment dans les zones rurales. 43 L’abbé Maurel ne se priva pas, en dénonçant l’incurie qui marqua cette laborieuse démolition, de dénoncer la stupidité du « vandalisme révolutionnaire » (M.-J. Maurel, Histoire de la commune, p. 289-293). Sur la démolition des deux monuments : D. Carraz, « La redécouverte de deux châteaux de l’Hôpital en Haute-Provence : Manosque et Puimoisson exhumés par les sources écrites », in V. Shotten-Hallel et R. Weetch (dir.), Crusading and Archaelogy: Some Archaeological Approaches to the Crusades, Abingdon, 2020, p. 64-65. 44 L. de Gérin-Ricard, « Le reliquaire de Gérard Tenque à Manosque », Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, 24 (1933), p. 179-181 ; A. Beltjens, « Trois questions », 20 (2008), p. 14-15 ; M. Provence, Le souvenir de l’ordre de Malte à Manosque, Gap, 1933. Une inscription de 1537 liée à la restauration du palais est également exposée dans le hall de la mairie.

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à elle, toujours visible sur la place du Terreau45 (ill. A, no 2). Pour avoir été l’un des plus prestigieux occupants de ce palais, le nom de Bérenger Monge n’évoque sans doute plus rien aux Manosquins. Le patronyme existe toujours cependant, même si son étymologie assez commune explique qu’on le retrouve en bien d’autres endroits, sous une forme ou l’autre46. Quelques Monachi sont en tout cas attestés à Manosque au cours des xiiie-xive siècles et, au siècle suivant, certains figuraient notamment dans les rangs du personnel consulaire47. Au xixe siècle, la salle de délibérations de l’hôtel de ville était ornée d’une guirlande peinte laissant apparaître, parmi les armoiries des principales familles nobles, celles des Monge. Un seul représentant de cette famille est pourtant cité comme syndic en 1427, sur l’un des panneaux affichant les « fastes consulaires » relevés et complétés par Isnard48. Cependant, on connaît au moins Joan Monachi, consul en 1420 et député aux États de Provence en 1420 et 142749. Arbaud semble certes établir un lien entre cette famille encore vivante au xve siècle et le commandeur Monge, mais la relative fréquence tout comme la longévité du patronyme provençalisé obligent évidemment à la plus grande prudence50. Il en va un peu différemment à Aix où, on le verra, différents rameaux de la famille Monachi subsistaient bien au xive siècle. Je n’ai pu entreprendre l’enquête généalogique qui aurait permis de suivre le destin du patronyme dans les siècles ultérieurs. Mais au xive siècle, une branche se trouve possessionnée à Velaux, sur l’étang de Berre, tandis qu’un Bérenger Monge, qui est réputé être de la descendance du commandeur homonyme, est signalé en 141851. Enfin, à Arles, au milieu du xviiie siècle encore, une famille « Moine » se targuait de porter 45 La pose de cette plaque, offerte par le comité du souvenir de Malte à Manosque, donna lieu à l’évocation du « prince libéral » Guillaume et des chevaliers célèbres qui présidèrent aux destinées de la commanderie. Le but avoué était toujours d’« aimer davantage […] nos petites patries » (Le souvenir de l’Ordre de Malte à Manosque, 4 septembre 1932, Gap, 1933). 46 Un « Monges » à Manosque ; une entrée « Monge » à Aix, trois à Arles, quinze à l’échelle des Alpesde-Haute-Provence (https://www.pagesjaunes.fr ; consulté le 9 août 2017). 47 Un Guilhem Monachus est compté parmi les habitants devant taxes et corvées à l’Hôpital (LPM, no 36, p. 100 ; 31 août 1293 ; et 56 H 1040 ; début xive s). Dans les années 1360-1370, un homonyme est mentionné dans la liste des hommes en armes de la ville (56 H 604, f. 8v). 48 LPM, p. xxvi-xxxv. Ces panneaux, encore visibles il y a quelques années dans la « salle des Illustres » jouxtant celle du conseil, ont depuis été recouverts de peinture. Aucune couverture photographique ne semble avoir été préalablement effectuée (communication de Mme Anne Rega, archiviste municipale, que je remercie). 49 Député de Manosque aux États d’Arles en février 1420 et à l’assemblée d’Aix en juin 1427 (M. Hébert, Regeste des États de Provence, 1347-1480, Paris, 2007, p. 239 et 299). Un homonyme est attesté comme bayle de la cour royale le 12 mai 1424 (2 G 330, no 2087), tandis qu’un autre teste à Marseille, le 30 avril 1414 (351 E 167, f. 13, d’après L.-H. Gouffran, La figure de Bertrand de Rocaforti. Expérience, identités et stratégies d’ascension sociale en Provence au début du xve siècle, thèse de doctorat, Université d’Aix-Marseille, 2015, p. 385). 50 D. Arbaud, Études historiques, p. 24. Un rapide sondage dans l’inventaire de la série B des Archives départementales des Bouches-du-Rhône révèle des individus porteurs de ce patronyme, aux xvie et xviie siècles, à Tarascon, Aix, Moustiers ou Toulon (L. Blancard, Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790. Bouches-du-Rhônes. Archives civiles – série B, Paris, 1865-1879, 2 t.). 51 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs et du prieuré de Saint-Gilles, éd. C. Nicolas, t. 1, Nîmes, 1904, p. 219.

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des armoiries que l’on attribuait toujours à Bérenger Monge au siècle précédent52. Nous verrons que des Monachi furent attestés à Arles entre le xiie et le xve siècles, mais l’on se gardera de postuler que ces derniers avaient quelque rapport avec leurs homonymes aixois et encore moins que les Moine du xviiie siècle descendaient de l’une ou l’autre de ces familles. Il est assez significatif que le nom de Monge n’ait laissé aucun souvenir particulier dans les armoriaux d’Ancien Régime, ni dans les répertoires des héraldistes amateurs du xxe siècle53. Quelle que fût son origine, le patronyme est donc resté vivant plus ou moins longtemps, mais le souvenir du commandeur lui-même ne semble avoir guère subsisté que chez quelques érudits. Or, c’est à Aix que le personnage finit pourtant par être exhumé dans le cadre de la restauration mémorielle opérée autour de l’église Saint-Jean de Malte, cette fois-ci, par les cercles catholiques. Après les péripéties révolutionnaires, l’ancienne chapelle conventuelle de l’Hôpital avait été récupérée par une association de citoyens. Malgré les réticences du parti anticlérical, le lieu de culte fut enfin élevé au rang de paroisse en 1802, avant d’être racheté par la ville en 182554. Pôle de dévotion lié à la mémoire des comtes de Provence, l’église Saint-Jean symbolisait plus que jamais l’alliance du clergé et de la monarchie aux yeux des révolutionnaires. En mars 1794, le mausolée abritant les dépouilles des comtes Alphonse II et Raimond Bérenger V, situé dans le bras nord du transept, avait été démantelé55 (pl. 7). Le tombeau monumental de la reine Béatrice de Provence, placé en face dans le bras sud, subit le même sort56. En 1824, la découverte, dans une dépendance de l’église, d’une caisse contenant des ossements provenant du mausolée comtal fut à l’origine de l’entreprise de restauration. Le nouveau monument, dont le financement bénéficia de l’intérêt de

52 Ex libris de Jacques Moine, avocat, vers le milieu du xviiie siècle : « Iacobi Moine. Arel. causid. Armes : Échiqueté d’argent et de gueules » (É. Perrier, Les bibliophiles arlésiens des xve, xvie, xviie et xviiie siècles, Mâcon, 1900, p. 21). 53 L’index d’Artefeuil rapporte les armes de la famille mais aucune notice ne lui est consacrée (Artefeuil, Histoire héroïque de la noblesse de Provence, Avignon, 1757-1759, 3 t.). Aucune mention dans René Borricand, Nobiliaire de Provence. Armorial général de la Provence, du Comtat Venaissin, de la Principauté d’Orange, 3 t., Aix-en-Provence, 1975-1976. Aucun chevalier de Malte de ce nom n’est signalé non plus dans les listes de réception ou des preuves de noblesse (É. de Grasset, Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790. Bouches-du-Rhône, Archives ecclésiastiques. Série H, Paris, 1869, p. 53-118). 54 Le palais prieural avait également été acquis par la municipalité et finit par accueillir la collection de Fauris de Saint-Vincens, à l’origine du futur musée Granet ( J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte. Une église de l’Ordre de Malte à Aix-en-Provence, Aix-en-Provence, 1986, p. 39-42 ; C. Van Leeuwen, « Le patrimoine architectural aixois en Révolution. Destructions et réutilisations », Provence historique, 45 (1995), p. 299). F. de Ferry a retracé les tribulations des chevaliers de Malte face à la Révolution (F. de Ferry, La commanderie, p. 317-343). 55 J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 36. Au début du xviiie siècle, le tombeau de Raimond Bérenger V est bien positionné dans le croisillon nord sur un plan de l’église Saint-Jean (56 H 1171 ; pl. 6). 56 Au milieu du xviiie siècle, la dépouille de la reine avait déjà été consumée par un incendie accidentel provoqué par des ouvriers (A. de Saint-Priest, Histoire de la conquête de Naples par Charles d’Anjou, frère de Saint Louis, t. 3, Paris, 1849, p. 189n).

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Charles X, fut inauguré en grande pompe quatre ans plus tard57. Dans son œuvre de reconstruction, le sculpteur Bastiani Pesetti a pu s’inspirer de dessins réalisés en 1791 à l’initiative du collectionneur Alexandre de Fauris de Saint-Vincens (17501819) et reproduits par l’archéologue Aubin-Louis Millin (1759-1818)58. En 1807, ce dernier publiait en même temps une première description précise des tombeaux, que plusieurs amateurs d’art reprirent et complétèrent par la suite59. La réinvention, dans un style néo-gothique, des tombeaux de Saint-Jean de Malte passionna donc le public cultivé aixois, attaché à la fois à la présence de l’ordre de Malte et aux liens de la ville avec les comtes de Provence60. Tout au long du xixe siècle, on s’employa donc à redonner à l’église Saint-Jean son lustre d’antan, tandis que discours, notices apologétiques et commémorations se chargeaient de réveiller les dévotions. En 1844, on fit des fouilles – restées infructueuses – à la recherche du tombeau du prieur Dragonet de Mondragon (1300-1311), qui avait été démoli en 1693 à l’initiative du prieur Jean-Claude Viany (1667-1720)61. En 1858, on posa un nouveau vitrail à la vaste baie du chevet qui avait été condamnée lors de la transformation du chœur liturgique sous Viany62. En 1896 enfin, ou rouvrit la rose de la façade occidentale et on installa un nouvel orgue63. Or, c’est dans le cadre de cette entreprise de restauration du lieu de culte que fut exhumée la figure de Bérenger Monge. Le sarcophage d’Alphonse II, qui n’a pas changé de place depuis 1828, est orné de bas-reliefs représentant la scène d’enterrement du comte où figurent plusieurs ecclésiastiques : archevêque d’Aix, prêtres et moines (ill. A, no 4.A et 5.A). Le quatrième personnage en partant de la droite, vêtu d’une longue chape et les mains jointes en signe de prière, porte une mitre. L’abbé Maurin 57 Comte de Villeneuve, Restauration du mausolée des comtes de Provence Ildephonse II et Raymond Bérenger IV, dans l’église paroissiale de Saint-Jean, à Aix, Marseille, 1828. Sur l’érection des monuments à la gloire des grands hommes : R. Bertrand, « Les monuments commémoratifs des “hommes illustres” en Provence avant le Second Empire », in Mort et Mémoire. Provence, xviiie-xxe siècle. Une approche d’historien, Marseille, 2011, p. 329-344, ici p. 340. 58 Bibl. mun. d’Aix-en Provence, Est. A 6, Est. A 31 et Est. A 32 ; A.-L. Millin, Voyage dans les départemens du Midi de la France, t. 2, Paris, 1807, Atlas, pl. 41-43. Alexandre de Fauris, à la suite de son père Jules-François de Fauris (1717-1798), était en contact avec Millin. 59 A.-L. Millin, Voyage, t. 2, p. 286-294 ; E.-F. Maurin, « Notice archéologique et historique sur l’église Saint-Jean-de-Malte », Mémoires de l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix, 5 (1844), p. 231-238 ; G. Philippon, « Le tombeau des comtes de Provence », Revue de Marseille et de Provence, 37 (1891), p. 334-347. 60 La reconstitution ne fit cependant pas l’unanimité, à en juger les critiques de N. Coste accusant le « vandalisme clérical [de] persécuter […] l’art gothique » (N. Coste, Les tombeaux des comtes de Provence à Saint-Jean de Malte, Aix, 1902, p. 10). 61 É. Rouard, Rapport sur les fouilles d’antiquités faites à Aix en 1843 et 1844, Aix, 1844, p. 17-22. 62 Notice explicative sur la restauration de la fenêtre absidale de l’église de Saint-Jean de Malte, Aix, 1859 ; A. Reinaud de Fonvert, « Notice sur la fenêtre absidiale de l’église Saint-Jean de Malte », Mémoires de l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix, 9 (1867), p. 83-84 ; J. Guidini-Raybaud, « Les vitraux de Saint-Jean-de-Malte…quelques jalons », in N. Nin (dir.), Aix en archéologie. 25 ans de découvertes, [Heule], 2014, p. 384. 63 À cette occasion, l’évêque de Fréjus Mgr. Guillibert prononça un discours qui revint sur les grandes étapes de la renaissance de l’église (F. Guillibert, L’église Saint-Jean de Malte d’Aix. Son histoire, ses restaurations, Aix, 1896).

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y voyait « le frère Didier, premier prieur » de l’église hospitalière64. Cette lecture est assez crédible. D’une part, un prieur nommé Desderius est bien attesté entre 1255 et 1274 ; d’autre part, les prieurs de Saint-Jean avaient effectivement obtenu le privilège de célébrer avec la crosse et la mitre65. Derrière lui, le troisième personnage en partant de droite, barbu et vêtu d’un manteau, tient de la main droite un long rouleau de parchemin déplié. C’est, toujours selon Maurin, « le commandeur Bérenger Monge, tenant […] la charte des donations qu’Ildephonse et Raymond ont faites à son ordre » (ill. A, no 4.B). Le chanoine de la métropole, qui paraphrase largement Millin, s’écarte ici de la description de l’archéologue, lequel ne voyait qu’un évêque et « derrière lui […] un chevalier de Saint-Jean qui tient un rouleau déployé66 ». On aurait cependant tort de considérer un peu trop légèrement l’identification de l’abbé Maurin ; nous verrons, en effet, que c’était déjà celle de Jean Raybaud, historien du grand prieuré de Saint-Gilles dans la première moitié du xviiie siècle67. Le 15 janvier 1859, était inauguré le nouveau vitrail du chevet commandé à un célèbre peintre-verrier, Charles-Laurent Maréchal (1801-1887)68. Le programme, déterminé par une commission impliquant plusieurs érudits aixois, célébrait là encore l’union de la Provence monarchique et de l’ordre de Malte (ill. A, no 7.A). À la différence du mausolée comtal, l’iconographie ne put, en tout cas, s’inspirer d’aucun vestige préexistant car la verrière médiévale avait entièrement disparu. Les trois quatrefeuilles surmontant les trois lancettes de la baie représentent, sous Dieu le Père, Raimond Bérenger V et Béatrice de Provence. Au-dessous, le médaillon inscrit dans le quatrefeuille de la lancette centrale figure Gérard Tenque. Dans les médaillons latéraux figurent, à la droite du fondateur de l’Hôpital, le grand maître Hélion de Villeneuve (1319-1346) et, à sa gauche, Bérenger Monge. Les trois hospitaliers sont représentés selon les canons du temps : le premier recteur de l’hôpital de Jérusalem, dont la robe est frappée de la grande croix de Malte, est imaginé avec un crâne largement dégarni comme sur le buste-reliquaire de Manosque (ill. A, no 1), tandis que les deux autres chevaliers portent barbe et cheveux grisonnants. Juste au-dessous du premier registre des patriarches et prophètes figurent six armoiries, parmi lesquelles on retrouve les armes des Monachi, échiquetées d’argent et de gueules69 (ill. A, no 7.B).

64 E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 235. 65 La première attestation de ce privilège n’est pas antérieure au début du xviie siècle, sous le prieur Anne de Naberat. Il était alors présenté comme « de toute antiquité » dans la visite générale de 1613 (F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, t. 2, p. 315 ; F. de Ferry, La commanderie, p. 62). La figure du prieur de Saint-Jean de Malte, « tenant de l’abbé nullius autant que du doyen de la collégiale », avait, elle-aussi, était exhumée par l’apologétique locale (L. Chaumière, « Église Saint-Jean de Malte, Aix-en-Provence », L’Église française de piété, Marseille, 15 février 1901). 66 A.-L. Millin, Voyage, p. 289-290. Il n’est pas davantage question de Bérenger Monge, mais seulement d’« hospitaliers », sur la légende accompagnant les dessins des tombeaux de la collection Fauris de Saint-Vincens (Est. A 32). 67 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 161. 68 A. Reinaud de Fonvert, « Notice sur la fenêtre absidiale », p. 87-96 ; J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 43-45. 69 Ce sont les troisièmes armes en partant de gauche, sous la figure du prophète Isaïe.

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Dans l’esprit des savants aixois qui exaltent la qualité de ces œuvres, le mausolée comtal comme le vitrail du chœur représentent une véritable renaissance de l’art médiéval70. La description de l’abbé Maurin entretient d’ailleurs une certaine confusion : le monument, dont la restauration n’est mentionnée à aucun moment, semble être tenu pour authentique, au point de livrer des renseignements fiables sur les habits ecclésiastiques du xiiie siècle71. Saint-Jean de Malte est donc ce lieu de mémoire par excellence où fusionnent restauration monarchique et renouveau catholique à travers la réinvention de deux passés étroitement liés entre eux : celui des comtes de Provence et celui des chevaliers de l’Hôpital. Or, il importe de souligner que, dans ce contexte, l’invention de la figure de Bérenger Monge place le commandeur d’Aix au rang des personnalités majeures de l’ordre dans la région, aux côtés du fondateur, « Gérard des Martigues », et du grand maître Hélion de Villeneuve, « enfant de la Provence »72. Cette promotion n’est nullement le fait du hasard car la tradition érudite rattachait l’église Saint-Jean à ce chevalier de l’Hôpital. Non sans quelque flottement chronologique, plusieurs auteurs font de Bérenger Monge l’initiateur du chantier de l’église conventuelle, vers 1233-1234, sous l’impulsion de Raimond Bérenger V73. Avec plus de vraisemblance, d’autres lui attribuent plutôt l’achèvement de l’édifice, vers 1264, ainsi que l’érection du clocher, pour lequel d’aucuns se plurent à le voir user « avec grande profusion de ses deniers »74. François Roux-Alphéran le crédite même de la commande des tombeaux d’Alphonse II et de Raimond Bérenger V. Dans l’entre-deux-guerres, Fernand Benoit (1892-1969) estime encore « vraisemblable » l’attribution de SaintJean d’Aix à Bérenger Monge, « qui y élut sépulture en 128675 ». Or, cet ensemble de traditions, qu’il faudra naturellement livrer à la critique, puise ses sources dans l’érudition de l’âge classique.

70 A. Reinaud de Fonvert, « Notice sur la fenêtre absidiale », p. 95-96. 71 E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 236 (qui, sur ce point, paraphrase encore A.-L. Millin, Voyage, p. 291). On retrouve, chez Isnard, un amalgame semblable entre le vitrail primitif – où l’auteur place l’inscription et les armes de Monge qui, en réalité, se trouvaient sur le mur du chevet – et la verrière posée en 1859 (LPM, p. lii). 72 Notice explicative sur la restauration de la fenêtre absidale, p. 9. « La place importante qu’occupent dans la verrière les figures de ces trois chevaliers, est autant justifiée par leur origine provençale que par le rang qu’ils ont eu dans cet ordre célèbre » (A. Reinaud de Fonvert, « Notice sur la fenêtre absidiale », p. 90). 73 F. Giraud, Le bienheureux Gérard, p. 69n ; E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 211 ; P.-M. Davin, Le prieuré de Saint-Jean de Malte d’Aix. Discours prononcé le 24 avril 1903 à l’occasion du centenaire de la paroisse Saint-Jean de Malte, Aix, 1903, p. 8-9. 74 Notice explicative sur la restauration de la fenêtre absidale, p. 10 (citation) ; F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, vol. 2, p. 302 ; A. Reinaud de Fonvert, « Notice sur la fenêtre absidiale », p. 90. 75 F. Benoit, « L’église Saint-Jean de Malte », in Aix-en-Provence et Nice. Congrès archéologique de France, 1932, Paris, 1933, p. 35. Tributaire des notices du siècle précédent, J.-M. Roux est l’un des derniers auteurs du xxe siècle à faire du commandeur, « personnage considérable », le maître d’œuvre de Saint-Jean d’Aix ( J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 6 et 45).

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Mémorialistes et maîtres d’ouvrage de la Religion (xvie-xviiie siècle) L’érudition, de l’âge classique aux Lumières

Qu’ils se contentent d’accumuler les faits sans grande distance critique ou qu’ils se fondent déjà sur une certaine méthode, les savants du xixe siècle doivent beaucoup aux recherches entreprises au cours des deux siècles précédents par les pionniers de l’historiographie provençale. Le xviie apparaît à ce titre comme le grand siècle des histoires urbaines et diocésaines76. On a signalé plus haut pour Manosque le caractère précurseur de l’œuvre de Jean Columbi (1592-1679)77. Son Histoire de Manosque, essentiellement composée à partir de documents issus des archives municipales, souligne l’importance de la présence de l’Hôpital et de ses liens avec les comtes de Forcalquier. Si Bérenger Monge est mentionné comme auteur de quelques accords passés avec les habitants, celui-ci figure surtout, avec le bailli Jean Boniface et le grand maître Hélion de Villeneuve, au nombre des chevaliers de Saint-Jean dignes de mémoire78. De leur côté, les érudits aixois ont fait remonter la présence des hospitaliers dans leur ville au vivant même de Gérard Tenque, ce qui leur permettait d’affirmer, comme Pierre-Joseph de Haitze (1648 ?-1736), que la commanderie d’Aix était « la plus ancienne de l’ordre »79. Dans l’Histoire de la ville d’Aix, les frères sont des acteurs dynamiques de la vie religieuse de la cité et l’auteur se montre particulièrement attentif à la succession des prieurs de l’église Saint-Jean80. Les commandeurs s’effacent certes derrière les prieurs, mais on en relève pas moins la tradition reliant Bérenger Monge à la construction de l’église, chez Jean-Scholastique Pitton (1621-1689) comme chez de Haitze81. Ce dernier attribue même au « fameux commandeur Beranger Monachi »

76 Pour un panorama de l’historiographie provençale d’Ancien Régime : N. Coulet, « Les histoires ecclésiastiques de Provence (xviie-xviiie siècles) », in Historiens modernes et Moyen Âge méridional, Toulouse, 2014, p. 35-55. 77 La contribution de ce jésuite à l’histoire ecclésiastique de la Provence mériterait sans doute une étude approfondie. Il faut donc se contenter des notices biographiques parues au xixe siècle, p. ex. celle de l’abbé Féraud qui place Columbi en tête des douze plus grands hommes de Manosque ( J.-J. Féraud, Histoire… de Manosque, p. 561-564). 78 J. Columbi, Joannis Columbi Manuascensis, Lyon, 1662, p. 55, 102-103, 294-295, 350-354 (pour les mentions de Bérenger Monge) ; J. Columbi et H. Pellicot, Histoire de Manosque, p. xviii et 58 (devenu « Moine » ou « Demoine »). 79 J.-S. Pitton, Annales de la sainte Église d’Aix, Lyon, 1668, p. 117-119 ; P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, capitale de la Provence, t. 1, Aix, 1883, p. 191-193, 213, 252. « Les Joanites, de fondation royale, avec titre de commanderie et de prieuré, second bénéfice de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem et le premier établissement religieux que la ville d’Aix ait eu, sont de l’an 1110. » (P.-J. de Haitze, « Aix ancien et moderne, ou la topographie de la ville d’Aix » (1715), Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 856, p. 30 ; et encore Id., Histoire de la vie et du culte du bienheureux Gérard Tenque, Aix, 1730, p. 111-112). Ces prétentions à l’antériorité de la fondation aixoise seront volontiers reprises au xixe siècle (p. ex. : abbé Ollivier, Discours… sur la vie de Gérard Tenque, p. 14). 80 P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, p. 267, 283, 293, 310, 332-333, 401, etc. 81 J.-S. Pitton, Annales de la sainte Église d’Aix, p. 118.

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toute l’initiative de l’œuvre, jusqu’à sa consécration en 125182. En outre, les deux savants rappellent opportunément que Monachi était un « gentilhomme d’Aix » (Pitton), « où sa famille, qui y a encore subsisté quelques siècles après lui, estait des premières de la ville » (de Haitze). Enfin, dans l’exaltation du passé de la capitale comtale, de Haitze ne pouvait omettre de présenter le mausolée dynastique conservé en l’église Saint-Jean83. Sa description confirme, avec les dessins de la collection de Fauris de Saint-Vincens, que la reconstitution de 1828 s’est efforcée de suivre l’original au plus près. Sur le bas-relief du sarcophage d’Alphonse II, l’érudit identifie, parmi les « moines » s’affairant autour de la dépouille, des dominicains et des franciscains, auxquels il ajoute « la figure d’un religieux Joannite, de ceux qui servent l’église. Il a la tête rase et un manteau croisé, de la taille de ceux des religieux mandians ». Ami du prieur Viany et auteur d’une Histoire du bienheureux Gérard Tenque, de Haitze apporta donc sa contribution au grand récit des chevaliers de Malte. Depuis la fin du xvie siècle, l’ordre lui-même avait suscité une vaste entreprise d’auto-célébration portée par l’Istoria della Sacra Religione de Giacomo Bosio (1544-1627), qui acquit rapidement un statut de texte canonique84. La Langue de Provence ne resta pas à l’écart de cet élan historiographique qui érigeait la Religion en parangon de la chevalerie et en « image de la croisade vivante », pour reprendre Alphonse Dupront85. Anne de Naberat, prieur de Saint-Jean d’Aix de 1602 à 1630, composa entre autres une traduction augmentée de Bosio, qui parut en 1629 et fut plusieurs fois rééditée86. Au siècle suivant, les archives du grand prieuré de Saint-Gilles semblèrent assez prestigieuses pour attirer l’attention des historiens de l’ordre ou de collectionneurs étrangers87. C’est dans le cadre fécond de cette République des Lettres que s’inscrit une œuvre encore sous-estimée et sous-utilisée : la première histoire du grand prieuré de Saint-Gilles par Jean Raybaud.

82 P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, p. 233 et 252-253 ; Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 856, p. 36. 83 P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, p. 254-255 et 269-270 (pour le tombeau de la reine Béatrice). 84 G. Bosio, Dell’istoria della sacra religione e illustrissima militia di San Giovanni Gierosolomitana, Rome, 1594-1602, 3 vol. En attendant une synthèse sur l’historiographie moderne de la Religion : A. Luttrell, « The Hospitallers’historical activities : 1530-1630 », in Latin Greece, the Hospitallers, and the Crusades (1291-1440), Londres, 1982, no iii ; C. Chaplain, Commandes artistiques et mécénat des chevaliers de l’ordre de Malte de la langue de Provence, xviie-xviiie siècles, thèse de doctorat, Université de Montpellier 3, 2012, p. 232-243 ; A. Brogini, Une noblesse en Méditerranée. Le couvent des hospitaliers dans la première modernité, Aix-en-Provence, 2017, p. 124-129. 85 A. Dupront, Le mythe de croisade, t. 2, Paris, 1997, p. 681-691. 86 G. Bosio et A. de Naberat, Histoire des chevaliers de l’ordre de Saint Jean de Hierusalem… augmentée… d’une traduction des establissemens et ordonnances de la religion, Paris, [1629], 1643. 87 Le Lucquois Sebastiano Pauli (1684-1751), qui édita le premier recueil diplomatique de l’ordre, puisa largement dans ce fonds, mais l’on ignore s’il se déplaça jusqu’en Provence ou si la documentation lui fut transmise par des correspondants (S. Pauli, Codice diplomatico del sacro militare ordine Gerosolimitano oggi di Malta, Lucques, 1733-1737, 2 vol. ; cf. J. Delaville le Roulx, Inventaire des pièces de Terre sainte de l’ordre de l’Hôpital, Paris, 1895, p. 6-7). Le Viennois Franz Paul von Smitmer (1739-1796), un prêtre bibliophile de l’ordre, se procura, on ne sait comment, un registre comptable de la commanderie de Manosque tiré des archives du grand prieuré (K. Borchardt et alii, Comptes de la commanderie de l’Hôpital de Manosque pour les années 1283 à 1290, Paris, 2015, p. xxxv-xli [désormais : CoHMa]).

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Selon le chanoine Nicolas, son biographe et éditeur, l’avocat Jean Raybaud (16831752) était issu d’une famille liée à l’ordre de Malte depuis six générations88. Fils du notaire arlésien Antoine Raybaud († 1722), qui occupait la charge de secrétaire et archivaire du grand prieuré depuis 1686, Jean succéda à son père dans cette fonction à la mort de ce dernier. Son statut laïque lui attira toutefois l’inimitié de certains chevaliers de Malte, mécontents de voir l’office d’archivaire de l’ordre échoir à un non-profès89. Aussi, en 1735, Jean finit-il par être démis par le chapitre prieural au profit de son propre frère Jean-François qui, lui, était chapelain conventuel90. Bibliophile et auteur de plusieurs notes restées manuscrites sur l’histoire d’Arles, Jean Raybaud a surtout laissé à la postérité une Histoire des grands prieurs et du prieuré de Saint-Gilles, publiée seulement au début du xxe siècle91. L’édition, remplie de coquilles où se distinguent mal erreurs de lecture et fautes d’impression, nécessiterait malgré tout d’être entièrement reprise et dotée d’un sérieux apparat critique92. Pionnière à bien des égards, l’œuvre le mériterait en effet93. Non seulement, son auteur fournit une trame événementielle fiable de l’histoire de l’Hôpital en Provence des origines au milieu du xviiie siècle ; mais il livre encore, dans un second tome de « preuves », un grand nombre de documents dont les originaux ont, pour certains, été perdus depuis. Archivaire de l’ordre, Jean Raybaud avait une intime connaissance des fonds 88 C.-A. Nicolas, « Le manuscrit de Jean Raybaud à Aix », Mémoires de l’Académie de Nîmes, 26 (1903), p. 123-136. Le chanoine Nicolas a par ailleurs publié, dans les Mémoires de l’Académie de Nîmes et la Revue du Midi, quelques études et éditions de chartes relatives aux hospitaliers dans la région du Bas-Rhône. 89 En 1700, le chapitre du grand prieuré avait décidé de confier la garde des archives à un prêtre rémunéré (M. Chailan, L’ordre de Malte dans la ville d’Arles, Bergerac, 1908, p. 86). Les termes de secrétaire et d’archivaire semblent avoir été employés indistinctement. C’est, en tout cas, le titre d’« avocat et archivaire du prieuré » que Raybaud revendique sur la première page de son œuvre. 90 Je préfère ici suivre l’abbé Chailan plutôt que l’abbé Nicolas qui semble avoir confondu les deux frères (M. Chailan, L’ordre de Malte, p. 73, 105-106, 117, 135-136). Jean-François Raybaud figure bien, avec trois autres de ses parents, dans la liste des chapelains conventuels dressée par É. de Grasset, Inventaire sommaire, p. 137. 91 Le manuscrit autographe a disparu à la Révolution, mais une copie, collationnée sur l’original en 17651766 à la demande du savant arlésien Guillaume de Nicolaï, est conservée à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence sous la cote ms. 338-339 (858-859). Ce manuscrit a été travaillé : des passages d’une autre main sont raturés ou corrigés et des notes et références ont été rajoutées en marge. Sur la première page du manuscrit, le scribe a eu l’humour de placer en exergue cette citation attribuée à Pétrarque : « Vous savés si l’on peut compter sur les copistes : ils promettent beaucoup, tiennent peu, ne finissent rien, et gâtent tout ». 92 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs et du prieuré de Saint-Gilles, éd. C. Nicolas, Nîmes, 1904-1906, 3 t. L’édition délaisse en outre deux chapitres non dénués d’intérêt (ms. 338, p. 593-612 : « En quelle maniere les comanderies du grand prieuré de St Gilles estoient ancienemant gouvernées », et p. 628-631 : « Dissertation sur les diferants usages observés dans le prieuré de St Gilles au suiet des armoiries »). Le t. 3 est une continuation, par Nicolas lui-même, de l’histoire du grand prieuré entre 1751 et 1806. Centrée sur la région d’Arles-Saint-Gilles et farcie de longs extraits de visites prieurales, cette dernière partie est très loin de valoir le récit de Raybaud. 93 Le travail de Raybaud précède d’un siècle la vogue des histoires de l’ordre de Malte rédigées dans le cadre d’un grand prieuré et dont les ouvrages de Léopold Niepce et d’Antoine du Bourg, tous deux parus en 1883, fournissent des exemples (L. Niepce, Le grand prieuré d’Auvergne (Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem), Lyon, 1883 ; A. Du Bourg, Histoire du grand prieuré de Toulouse, Toulouse, 1883).

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du grand prieuré de Saint-Gilles mais aussi de celui du grand prieuré de Toulouse, c’est dire qu’il a utilisé des gisements documentaires d’une richesse inépuisable. S’il maîtrisait le latin et la paléographie – ce qui n’était plus forcément le cas de tous les « humanistes » de son temps –, sa formation de juriste lui a appris à étayer ses dires par de scrupuleuses références94. Ayant parfaitement assimilé les leçons des mauristes sur la diplomatique, il fait montre d’une vraie distance critique, tant vis-à-vis des actes médiévaux que des auteurs modernes95. Pour s’arrêter à ce seul exemple, il est prudent sur les prétendues origines provençales de Gérard, il attribue à une erreur d’Anne de Naberat reprise par Pierre-Joseph de Haitze le surnom de « Tonc » et il doute que les reliques conservées à Manosque à l’époque du bailli Jean Boniface soient bien celles de « l’instituteur de l’ordre »96. En outre, son intérêt ne s’arrête pas aux vieilles chartes ; son esprit d’antiquaire l’amène à considérer sceaux, armoiries, inscriptions et même tombeaux97. Certes, Raybaud commet des erreurs. Ainsi, l’identification des origines familiales des frères est parfois aventurée, sa tendance à « méridionaliser » les cadres de l’ordre peut entretenir certaines confusions et, comme l’a montré Pierre Santoni, sa liste des premiers prieurs de Saint-Gilles est mal assurée98. D’autre part, il ne peut s’empêcher de vieillir certaines fondations provençales de l’Hôpital en les faisant remonter à l’époque de Gérard Tenque99. Mais je n’hésiterai pas, dans le présent travail, à considérer avec une certaine confiance les éléments factuels avancés par cette Histoire des grands prieurs100.

94 Les références des actes et auteurs cités sont presque toujours données en marge (la collecte documentaire ne se limite d’ailleurs pas au fonds de Malte, mais recourt encore aux privilèges des comtes de Provence et à diverses archives communales). Sur l’idée que la jurisprudence et son utilisation du « document-preuve » ont pu servir de modèle à l’histoire à partir du xviiie siècle : L. Kuchenbuch, « Sources ou documents ? Contribution à l’histoire d’une évidence méthodologique », Hypothèses, 7 (2004), p. 287-315, notamment p. 291 ; et P. Nerbot, « Au commencement était le droit… », in J. Boutier et D. Julia (dir.), Passés recomposés. Champs et chantiers de l’histoire, Paris, 1995, p. 82-94. 95 Il cite à plusieurs reprises le De re diplomatica (1681) de Mabillon (ms. 338, p. 5, 16…) et même le t. 1 du Nouveau traité de diplomatique des doms Toustain et Tassin, seulement paru en 1750. Raybaud était bien en relation avec plusieurs religieux de la congrégation de Saint-Maur, notamment avec dom Vaissète, auxquels il avait fourni des matériaux issus des archives de l’ordre de Malte pour l’Histoire générale de Languedoc (C. Nicolas, « Le manuscrit de Jean Raybaud », p. 127-128). 96 Ms 338, p. 1-4 et 25-26. 97 Ms 338, p. 205 (dessin du tombeau de Dragonet de Mondragon à Saint-Jean d’Aix), p. 621-627 (sceaux), p. 628-631 (armoiries) ; ms. 339, p. 109 (inscription de Féraud de Barras à Saint-Jean d’Aix), p. 288 (inscription du bailli Jean Boniface au palais de Manosque), p. 310 (diverses épitaphes), etc. 98 P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré de Saint-Gilles de l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem », in Des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, de Chypre et de Rhodes hier aux chevaliers de Malte aujourd’hui, Paris, 1985, p. 121 et 124-126. 99 C’est le cas de Manosque dont il attribue à Gérard le premier établissement, auprès de l’église Saint-Pierre. Mais il dément pourtant de Haitze lorsque celui-ci place la fondation de la maison d’Aix en 1110 (ms. 338, p. 17-18). Raybaud s’est laissé abuser par l’homonymie entre le fondateur Geraldus/Gerardus et un frère diacre responsable du développement de l’Hôpital dans le Midi entre 1101 et 1123 (P. Santoni, « Les deux premiers siècles », p. 124-126). 100 Les rares historiens de l’Hôpital qui ont eu connaissance de cet ouvrage reconnaissent sa fiabilité (M. Chailan, L’ordre de Malte, p. 136 ; J. Delaville le Roulx, Les hospitaliers en Terre Sainte, p. 80 et 160).

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Selon la conception d’une histoire faite par les grands hommes, qui n’est pas sans rapport avec les « Vies d’hommes illustres » du xvie siècle, le récit est entièrement déterminé par la succession des grands prieurs de Saint-Gilles101. Mais, de même qu’il n’hésite pas à sortir du Midi pour s’intéresser à l’aventure des croisades puis à la lutte contre les Turcs en Méditerranée, ou encore pour suivre certains hauts dignitaires dans leurs déplacements, Raybaud s’arrête encore fréquemment sur les actions de commandeurs dignes d’intérêt. Bérenger Monge, qui apparaît ainsi une trentaine de fois, est l’un des rares frères à faire l’objet d’autant d’attention sans avoir accédé au rang de prieur. L’énoncé objectif de ses actes, uniquement appuyé sur les chartes, ne teinte le personnage d’aucune dimension morale, comme ce sera parfois le cas, on l’a vu, chez les écrivains du xixe siècle. On laissera donc là sa geste telle qu’elle apparaît au fil de l’histoire des grands prieurs, pour continuer plutôt à nous intéresser aux formes de mémoire, matériellement inscrites, qui pouvaient encore se trouver liées à Monge à l’époque de la seconde modernité. Comme l’atteste en filigrane le récit de Raybaud, le principal pôle de cette mémoire était toujours l’église Saint-Jean de Malte. Sa fréquentation des lieux et surtout des procès-verbaux de visite conduit ainsi l’archivaire à évoquer l’ornementation de l’église, avant que les aménagements gothiques – qui remontaient en majeure partie au xiiie siècle – ne soient bouleversés par les transformations post-tridentines, puis détruits par la Révolution102. Sous la plume de Raybaud, Bérenger Monge apparaît comme le véritable maître d’œuvre du mausolée comtal, sur lequel lui-même se trouve effectivement représenté : Frère Béranger Monge, commandeur de Manosque et d’Aix, voulut honorer la mémoire de ce prince [Raimond Bérenger V] qui avait si bien mérité de l’Ordre par ses biens faits, il lui fit dresser un beau mausolée dans la croisée de l’église qui est du côté de l’Évangile, où est représenté en bas-relief la pompe funèbre qui se fit, lorsqu’on y porta son corps. On y vit l’archevêque d’Aix et le prieur de Saint Jean, l’un et l’autre en chape et en mitre, et le commandeur Monge qui tient à la main un rouleau déployé, apparement le testament du comte. Il fit mettre dans le même tombeau le corps du comte Alphonse II, son père103. Enfin, à la date de la mort du commandeur, en 1300, au moment de dresser un bilan de « ses rares mérites », l’archivaire rappelle que : l’église de Saint Jean d’Aix lui est redevable de son entière perfection […] ainsi qu’il était marqué dans une ancienne inscription, qui était peinte sur la muraille du fonds du presbytère, qui a subsisté jusqu’en 1694, que frère Jean-Claude Viany, prieur de cette église, ayant fait placer le chœur au fonds du même presbytère,

101 Sur le « mouvement d’individualisation », qui imprègne l’écriture de l’histoire au moins depuis la Renaissance, et sur l’importance de l’exemplarité héroïque : F. Dosse, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, 2011, p. 167-175. Et sur une forme de biographie collective : P. Eichel-Lojkine, Le siècle des grands hommes. Les recueils de Vies d’hommes illustres avec portraits du xvie siècle, Louvain, 2001. 102 Ms 339, p. 109-110. 103 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 160-161.

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la fit effacer avec les armoiries de ce commandeur, qui y étaient peintes. Il était natif d’Aix, où sa famille tenait un rang honorable104. Certes, les travaux de Viany avaient conduit à effacer, dans le chœur liturgique, l’essentiel des témoignages relatifs aux actions de ses prédécesseurs. Pourtant, si les entreprises et la personnalité du prieur furent controversées de son vivant même, le gouvernement de Viany, de 1667 à 1720, donna véritablement un nouvel éclat au prieuré d’Aix. D’un « restaurator » à l’autre : le souvenir de Bérenger Monge et ses éclipses

Issu d’une famille de notables aixois, ce « personnage hors du commun et typiquement baroque » s’imposa comme un grand mécène et un promoteur inlassable, dans une ville elle-même en pleine mutation105. Viany trouva alors l’église et la maison prieurale dans un état de délabrement dont rend bien compte l’inspection ordonnée en 1670106. L’église Saint-Jean fut transformée de fond en comble et un palais remplaça la vieille maison prieurale, alors que le dégagement d’une place avec fontaine devant les façades des deux monuments achevait de sublimer la mise en valeur de l’ensemble107. En 1689, afin de corriger l’asymétrie de la façade médiévale de l’église, une tourelle identique à celle du xiiie siècle fut ajoutée à la droite du portail (pl. 7). Le balcon en encorbellement qui reliait les deux tourelles fut orné d’une balustrade ajourée de quadrilobes, entre lesquels Viany commanda de placer trois panneaux comportant de gauche à droite ses armoiries, celles du grand maître et celles de Bérenger Monge (ill. A, no 9). L’écu du commandeur accueillait l’inscription « Fundator M.CC. XXXII », tandis que Viany choisit de se présenter en « Restaurator M.D.C.XCI »108. Bérenger Monge se trouvait donc bien exalté comme maître d’œuvre, tandis qu’était établi le lien, incarné par les deux grands hommes, entre la fondation gothique et la restauration du Grand Siècle. De fait, si les décors intérieurs correspondaient au goût baroque, le choix d’un « gothique d’arrière-saison » pour le gros œuvre des chapelles

104 Ibid., t. 1, p. 219. Le texte de l’inscription et la description des armoiries sont donnés dans le ms. 339, p. 110. 105 J.-J. Gloton, Renaissance et baroque à Aix-en-Provence. Recherches sur la culture architecturale dans le Midi de la France de la fin du xve au début du xviiie siècle, t. 2, Rome-Paris, 1979, p. 241. 106 56 H 1164 (10 et 16 mai 1670). 107 Les grandes entreprises de Viany ont été décrites par de nombreux auteurs : E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 256-294 ; J. Boyer, L’architecture religieuse de l’époque classique à Aix-en-Provence. Documents inédits, Aix-en-Provence, 1972, p. 91-93 ; Y. Esquieu, « L’église des hospitaliers de Saint-Jean de Malte à Aix », in Pays d’Aix. Congrès archéologique de France, 143e cession, 1985, Paris, 1988, p. 117-118 ; J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 20-28 ; N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean de Jérusalem d’Aix-en-Provence », in Histoire et archéologie de l’ordre militaire des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Saint-Étienne, 2004, p. 225-232 ; É. Motte-Roffidal, Histoires sacrées. Mobiliers des églises marseillaises et aixoises au xviiie siècle, Aix-en-Provence, 2008, p. 33-34 ; C. Chaplain, Commandes artistiques et mécénat, p. 144-159. Sur ses projets urbanistiques : J.-J. Gloton, Renaissance et baroque, t. 2, p. 375 ; I. Castaldo, Le quartier Mazarin. Habiter noblement à Aix-en-Provence (xviie-xviiie siècles), Aix-en-Provence, 2011, p. 68-69. 108 E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 279-281. Ces armoiries furent bûchées à la Révolution.

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latérales et de la façade marquait bien la volonté de conserver l’unité stylistique du monument médiéval109. Le nom du commandeur « fundator » restait donc bien vivant autour du prieuré Saint-Jean d’Aix au xviie siècle. Le souvenir des grandes figures de l’Hôpital n’était pas seulement entretenu par les travaux historiques suscités par les chevaliers de Malte. Il était encore véhiculé par toute une « littérature grise », faite de rapports, de correspondances, de procès-verbaux, qui furent par la suite soigneusement archivés. Autant de mémoires locales qui se sont notamment trouvées fixées et formalisées à l’occasion des visites effectuées dans les différentes commanderies du grand prieuré110. Ainsi, le procès-verbal de la visite d’Aix rappelait en 1613, sous le prieur Anne de Naberat, que « ladicte église et chapelle a été édiffiée par frère Bérenger Moyne, bailli de Manosque et commandeur d’Aix111 ». En habile communicant, l’ambitieux Viany sut utiliser les visites pour faire la publicité de ses actions au sein de l’ordre. Le procès-verbal rédigé en 1696 constitue ainsi, selon l’expression de Jean Boyer, « une véritable apologie de l’activité de Viany112 ». Alors que des travaux étaient toujours en cours, les visiteurs, conduits par le prieur, détaillèrent avec fierté l’ensemble des réalisations qui avaient fait de l’église Saint-Jean l’« une des plus belles de la ville ». L’énumération, à la suite des visites précédentes, des quatre tombeaux de la maison comtale constituaient autant d’occasions de rappeler la faveur princière dont avait toujours bénéficié la fondation hospitalière113. L’ordre de Malte ne manqua jamais de glorifier ce statut de « fondation royale » – qui fit d’ailleurs l’objet d’une polémique entre le prieur et le commandeur à l’occasion de la visite des ducs de Bourgogne et de Berry, en mars 1701114. Or dans ce contexte, on se souvenait très bien du commandeur Monge : [sur la balustrade de la façade]…les armes du grand maistre régnant sont au milieu, celles du baillif de Manosque Berengarius Monachi sont au costé droit parce qu’il avoit basti l’église et clocher led. prieur ayant voulu faire honneur a sa mémoire et celles dud. prieur sont au costé gauche115.

109 Sur la persistance des formes et des techniques gothiques au xviie siècle : J.-J. Gloton, Renaissance et baroque, t. 1, p. 203-217. 110 Présentation succincte de ces visites qui, théoriquement, devaient avoir lieu tous les cinq ans : G. Gangneux, « Le fonds de Malte aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône », in Le xviie siècle et la recherche, Marseille, 1977, p. 293-296. 111 F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, vol. 2, p. 316 (édition partielle de la visite de janvier 1613, d’après 56 H 129, f. 295-337). 112 J. Boyer, L’architecture religieuse, p. 94-99 (édition partielle de la visite du 20 octobre 1696, d’après 56 H 157). 113 Outre les dépouilles des deux comtes et de la comtesse-reine, l’église conservait celle d’un fils de Raimond Bérenger V mort en bas âge (Th. Pécout, Raymond Bérenger V. L’invention de la Provence, Paris, 2004, p. 283-284). 114 Ce dossier a été copié par Raybaud (ms. 339, p. 374-393). Sur cette visite : E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 282-286. 115 J. Boyer, L’architecture religieuse, p. 98. À la même époque, un mémoire dénonçant les procédés frauduleux employés par Viany pour financer ses travaux attribuait cette « eglise fort ancienne » à « un commandeur d’Aix et bailif de Manosque », sans se préoccuper de lui donner un nom (ms. 339, p. 367 ; 16 novembre 1698).

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« lapides loquebantur… », comme le remarquait joliment le commandeur d’Aix en 1707116… Ainsi qu’on l’a relevé grâce à Raybaud, les armes de Monge et une inscription furent visibles sur le mur du chevet jusqu’en 1694 (ill. A, no 8). L’archivaire apporte des précisions dans ses « preuves » : Au coté droit de la grande vitre qui etoit au fonds du prebitere de l’eglise Saint Jean de la meme commanderie, etoient autrefois peintes les armoiries de fr. Beranger Monge, commandeur de Manosque et d’Aix, qui estoient un echiqueté d’argent et de gueules, dont l’ecu estoit surmonté d’un casque. Et au coté gauche de la même vitre etoit peinte l’inscription suivante : Frater Berengarius Monachi Praeceptor Manuascae Edificator ecclesiae Sancti Ioannis Aquensis Anno Domini M. CC.LX.IIII117. Nous ne tenterons pas de démêler ici la chronologie confuse – 1232 sur la façade, 1264 au chevet – assignée à la construction de l’église par les diverses inscriptions, de même que nous discuterons ailleurs l’origine de ce décor118. Ce qui importe, hic et nunc, c’est que ces armoiries et cette inscription rendaient Bérenger Monge toujours présent sur les murs de l’église et ce, probablement depuis des lustres. À en juger par les traces laissées par les monuments littéraires et artistiques, le xvie siècle avait pourtant vu s’effacer l’image du commandeur d’Aix et Manosque. Saint-Jean d’Aix restait certes un pôle de sacralité lié à la monarchie où étaient inhumés d’importants personnages119. Mais cette période correspond aussi, un peu partout en Provence, à des temps difficiles qui n’avaient pas épargné les maisons de l’ordre de Malte. Au risque d’une généralisation hâtive, rappelons simplement que le prieuré d’Aix et le bailliage de Manosque subirent à la fois les effets de la conjoncture régionale – épisodes militaires, troubles religieux, pestes… – et des mutations qui affectaient la gestion des commanderies elles-mêmes – détérioration matérielle imputable à l’avidité et à l’absentéisme des dignitaires120. L’atmosphère générale

116 « …cette eglise etoit de fondation royale. Les sepulchres des rois et des reines anonçoit cette verité par un langage müet, lors qu’il [le prieur] l’expliquoit par sa bouche ; lapides loquebantur » (plainte du commandeur d’Aix, Joseph de Merlès de Beauchamp, au chapitre du grand prieuré contre Viany, 1er mai 1707 ; ms. 339, p. 384). 117 Ms 339, p. 109-110. 118 N. Coste rajoute encore à la confusion en mentionnant la découverte, parmi les débris du décor remployés dans un mur voisin de l’église, « deux inscriptions incomplètes indiquant la date de construction de l’édifice, en 1220, et celle de sa restauration, en 1691 » (N. Coste, Les tombeaux des comtes, p. 11). 119 Comme Claude de Savoie, lieutenant général du roi en Provence, mort en 1548 (ms. 339, p. 310). 120 F. de Ferry, La commanderie, p. 177-231 ; N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean », p. 223. S’agissant de Manosque, à la suite de Columbi, toutes les monographies ont insisté sur l’« extinction de la conventualité » et l’abandon du palais par les baillis dès le début du xvie siècle ( J. Columbi, Joannis Columbi Manuascensis, p. 301-302 ; J. Féraud, Histoire… de Manosque, p. 249 ; M. Achard, Géographie de la Provence, t. 2, p. 19 ; F. Reynaud, La commanderie, p. 111-126 et 190-191).

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n’était donc guère favorable à l’essor des arts et des lettres et, signe des temps, même les archives semblent avoir souffert d’un certain nombre de pertes. Ceci explique peut-être que le souvenir de Bérenger Monge, parmi d’autres grands hommes de l’Hôpital, se soit quelque peu estompé. Il y eut tout de même des phases de reprise en main des commanderies et de leurs biens, caractérisées par des entreprises de restauration du patrimoine bâti. À Manosque, Jean Boniface restructura l’intérieur du palais et déplaça notamment au rez-de-chaussée l’antique chapelle dédiée à saint Géraud, en même temps que les reliques de ce saint121. Or, la fin des travaux, en 1537, fut marquée par la pose d’une inscription à la gloire du bailli « restaurator », au-dessus de l’entrée principale122. Mais nul mot ici du premier restaurateur du palais et probable instigateur du culte à saint Géraud : le souvenir du commandeur Monge se trouvait effacé par les réalisations de ses successeurs. Cependant, une autre raison de cette éclipse mémorielle est peut-être à chercher dans la profonde mutation qui affecta la noblesse entre les xve et xvie siècles. Seule une poignée de familles considérées comme de « noblesse chevaleresque » avait survécu à la disparition des plus anciens lignages123. On l’a vu, au moins une branche portant le patronyme Monachi subsistait encore au xve siècle autour d’Aix. Mais on ne sait rien du statut de cette famille et encore moins des liens – conscients ou inconscients – qui pouvaient la relier au commandeur qui avait vécu deux siècles auparavant. En tout cas, le hiatus documentaire concernant Bérenger Monge pourrait suggérer que son propre lignage n’a pas bénéficié d’une longévité suffisante pour que soit assurée la perpétuation de sa mémoire, notamment au sein de l’ordre de Malte. Certes, Nicolas Fabri de Peiresc (1580-1637), qui connaissait fort bien la noblesse provençale, place les « de Monachi » parmi les « anciennes maisons provençales illustres »124. Mais au xviie siècle, dans les armoriaux de l’ordre de Malte, les vieilles familles représentées sont surtout celles qui continuent à fournir des chevaliers à la Religion125. Si le souvenir d’Hélion de Villeneuve restait si vivant en Provence, ce n’était pas seulement parce que ce maître avait été prieur de Saint-Gilles (1317-1319), commandeur de Manosque et de Puimoisson, et qu’il

121 A. Beltjens, « Trois questions », 19, p. 36-39 ; D. Carraz, « La redécouverte de deux châteaux ». 122 La publication de cette inscription par plusieurs érudits en assura la célébrité (cf. F. Reynaud, La commanderie, p. 129, qui oublie la transcription de Raybaud, ms. 339, p. 289). 123 Au xviie siècle, dans une Provence marquée par un net renouvellement nobiliaire, la noblesse « chevaleresque » ou « immémoriale » était considérée comme remontant antérieurement à 1400 (R. Bertrand, La Provence des rois de France, 1481-1789, Aix-en-Provence, 2012, p. 94-97). 124 N.-C. Fabri de Peiresc, Histoire abrégée de Provence et autres textes, éd. J. Ferrier et M. Feuillas, Avignon, 1982, p. 270. Un siècle plus tard, en revanche, les Monachi ont totalement disparu de la nomenclature de la noblesse provençale (B. de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence, Avignon, 1719). 125 Les frères dignes de mémoire sont issus des Villeneuve, Sabran, Grasse, Comps, Baux, etc. (M. de Goussancourt, Le martyrologe des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dits de Malte, Paris, 1643, 2 t.). Sur cette œuvre : C. Latta, « Autour d’un ouvrage de la Bibliothèque de La Diana : Mathieu de Goussencourt et le Martyrologe des chevaliers de Malte (1643) », in Histoire et archéologie de l’ordre militaire des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Saint-Étienne, 2004, p. 339-354.

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avait encore augmenté le prestige du prieuré d’Aix126. C’était aussi parce qu’à l’époque moderne, la famille de Villeneuve restait la mieux représentée au sein de la Langue de Provence127.

Le fonds du grand prieuré de Saint-Gilles : la vie d’un monument du xvie au xixe siècle Le souci des archives

Les religieux de l’ordre de Malte témoignèrent sans conteste d’un véritable souci des archives. Aussi, n’insisterons-nous jamais assez sur la richesse du fonds du grand prieuré de Saint-Gilles aujourd’hui déposé aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône sous la cote 56 H128. L’exceptionnelle conservation de ces archives, qui caractérise quelques autres dépôts départementaux comme celui de la Haute-Garonne, est redevable à la bonne gestion des biens de l’ordre de Malte sous l’Ancien Régime129. La bonne gestion, toutefois, n’aurait pas suffi sans la mentalité procédurière des chevaliers de Malte, toujours extrêmement soucieux de défendre leurs droits et privilèges. Souvent issus de familles de juristes ou de la noblesse robine, ces religieux savaient pertinemment que le maintien de leurs prérogatives seigneuriales et de leur rang social reposait sur des preuves, aussi anciennes que possible130. Voilà pourquoi la Religion eut à cœur de préserver les « documents anciens », c’est-à-dire ces vieux parchemins éclairant les origines des commanderies, y compris lorsque ces dernières étaient un héritage de l’ordre du Temple131. Mais elle se soucia tout autant de conserver les « documents modernes » : ces masses de papiers dont la diversité

126 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 258-282 ; F. de Ferry, La commanderie, p. 48-59 ; F. Reynaud, La commanderie, p. 69-75. 127 A. Brogini, Une noblesse en Méditerranée, p. 49-50. 128 É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H : grand prieuré de Saint-Gilles des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Marseille, 1966. 129 J.-M. Roger, « L’ordre de Malte et la gestion de ses biens en France du milieu du xvie siècle à la Révolution », in Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement en Europe occidentale (xiie-xviiie siècles), Auch, 1986, p. 169-203, notamment p. 182-184, sur les archives et leur potentiel. Sur la politique archivistique de l’ordre de Malte à l’échelle provinciale, le grand prieuré de Toulouse a bénéficié d’une remarquable mise au point : B. Suau « Un centre d’archives régionales créé à Toulouse par l’ordre de Malte aux xviie et xviiie siècles », in B. Suau et alii (dir.), Toulouse, une métropole méridionale : vingt siècles de vie urbaine, Toulouse, 2009, p. 891-901. 130 A fortiori dans un pays de droit écrit comme la Provence, régi par l’adage « nul seigneur sans titre » (R. Bertrand, La Provence des rois de France, p. 73-74). Sur le recrutement dans « la noblesse de robe et d’administration » : G. Gangneux, « Société nobiliaire et recrutement dans les grands prieurés de Saint-Gilles et de Toulouse (Langue de Provence) de l’ordre de Malte aux temps modernes », in Recrutement, mentalités, sociétés, Montpellier, 1974, p. 74. 131 Si les archives du Temple, institution supprimée en 1312, sont parvenues jusqu’à nous, c’est seulement parce que les hospitaliers, qui avait été dépositaires des biens et droits de l’autre ordre militaire, ont jugé nécessaire de les conserver.

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typologique résume les spécificités des seigneuries maltaises qui, pour la plupart, réunissaient les trois formes de pouvoir, temporel, spirituel et judiciaire132. Alors que le soin attaché à l’entretien des archives était évalué par les visites, les lieux de conservation ont pu rester relativement dispersés ou, en tout cas, varier dans le temps133. Après 1562, les archives du grand prieuré avaient été centralisées à Arles, où le siège provincial avait été transféré à la suite des guerres de religion134. Mais au palais de Manosque en 1531, des documents se trouvaient à la fois dans le trésor et dans la chambre dite « du prieur », tandis qu’à Aix, des papiers étaient signalés dans la maison prieurale (1656), puis dans une tour située au-dessus d’une chapelle latérale sud de l’église (1703)135. D’autre part, la mobilité des hospitaliers d’une charge à l’autre, ainsi que le cumul des commanderies à partir de la fin du Moyen Âge, ont provoqué d’incessants voyages de documents entre commanderies136. Enfin, ces dernières versaient périodiquement certains de leurs papiers au dépôt provincial, préalablement parfois à une expédition à Malte137. Pour gérer ses archives, l’ordre s’efforça de s’attacher un personnel compétent, au sein duquel s’est illustrée la dynastie des Raybaud138. Si la charge d’archivaire semble être apparue en 1625, le recours aux notaires et probablement à quelques feudistes s’imposait pour l’administration courante, comme pour le rassemblement de documents qui pouvaient se trouver dispersés dans divers fonds particuliers139. Pour l’ensemble des écritures, l’usage quasi-exclusif du français au moins depuis le début du xvie siècle traduit bien l’appartenance affichée des religieux de Malte et

132 C’est l’un des traits dégagés par P. Vidal, Seigneuries et pouvoirs. Les commanderies du grand prieuré de Toulouse de l’ordre de Malte. Les pouvoirs locaux au temps de la monarchie administrative (vers 1660-vers 1790), thèse de doctorat, Université de Toulouse-II-Le Mirail, 2006 (cf. le compte-rendu de Y. Mattalia, in Annales du Midi, 119 (2007), p. 247-249). 133 P. ex., visite du prieuré de Saint-Jean d’Aix, le 26 juillet 1656 (56 H 137, f. 280r-v). 134 Entre 1586 et 1603, on bâtit une nouvelle salle des archives, au-dessus de la chapelle (M. Chailan, L’ordre de Malte, p. 14-15 ; Id., L’hôtel du grand prieuré de Saint-Gilles à Arles (1615-1791), Aix, 1904, p. 14-15 et 27). 135 56 H 68, f. 1, 78 et 172 (inventaire des archives de Manosque, 1531) ; 56 H 137, f. 280 ; 56 H 1703 (plan de Saint-Jean d’Aix, 1703). Les documents étaient rangés dans des coffres au xvie siècle (56 H 68), tandis que les mentions d’armoires, parfois numérotées, sont courantes aux xviie-xviiie siècles (56 H 59, f. 1 ; 56 H 20, f. 1 ; 56 H 44 ; etc.). 136 P. ex., 56 H 50, f. 121 (acte de 1315 concernant Manosque signalé à Aix). En vertu de la proximité des cours souveraines, le prieuré d’Aix était amené à conserver des documents intéressant d’autres commanderies. On signale ainsi, en 1686, des arrêts du parlement remontant au siècle précédent, en faveur du bailli de Manosque contre la communauté (56 H 88, f. 83v-86v). 137 En 1697, des livres et papiers furent ramenés de Manosque à Arles, puis envoyés à Malte (M. Chailan, L’ordre de Malte, p. 81). Cf. encore pour Aix : « Contestation sur la remise de titres anciens aux archives du grand prieuré » (56 H 1109 ; 1696-1706). 138 Le premier archivaire ou secrétaire connu, en 1625, paraît avoir été Jean Raybaud, à l’origine d’une dynastie d’archivistes (B. Suau, « Un centre d’archives régionales », p. 896n). Le nom de l’abbé Grossy, qui semble avoir été rival de l’autre Jean Raybaud, apparaît encore souvent dans les années 1700-1728, comme archivaire et trésorier (56 H 593, 56 H 594, 56 H 710, 56 H 734, 56 H 1226). 139 Les feudistes n’apparaissent à priori jamais en tant que tels dans les papiers de l’ordre de Malte, peut-être parce que la profession n’était pas réglementée (L. Bourquin (dir.), Dictionnaire historique de la France moderne, Paris, 2005, p. 193).

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de leur entourage à l’élite sociale et intellectuelle140. Mais il fallait encore trouver des gens capables de lire le latin des actes anciens, dont l’usage se perdait en dehors du clergé, et de déchiffrer les « anciennes escriptures »141. Plus encore, les inventaires signalent la détérioration des vieux parchemins rendant certains passages illisibles, tandis que plusieurs pièces originales portent encore aujourd’hui les traces de restaurations anciennes142. Ainsi, plusieurs pièces déchirées, dans le chartrier de la maison d’Aix notamment, ont été recousues ou rapiécées entre la fin du Moyen Âge et le xviiie siècle143 (ill. B, no 1). Tout cela montre que ces pièces authentiques étaient toujours manipulées et lues, parce qu’elles étaient regardées non seulement comme des preuves, mais comme des monuments, témoignages vivants de l’ancienneté et du prestige de l’Hôpital. Le « culte de l’authentique » n’empêchait évidemment pas que l’on s’attachât encore pendant longtemps à recopier et à rassembler les actes les plus importants dans des « livres », dans la digne tradition des cartulaires médiévaux144. La nouveauté fut surtout, à partir du xvie siècle, la systématisation des inventaires

140 Sur la réduction du latin aux usages religieux et liturgiques : R. Bertrand, « Latin et langue(s) vulgaire(s) : les langues du catholicisme provençal (xviie-xixe siècles) », in Les Français et leurs langues, Aix-en-Provence, 1991, p. 333-348. Et sur le caractère discriminant des pratiques linguistiques : Id., La Provence des rois de France, p. 127-135. Le français était utilisé dès les années 1400, de concert avec la langue d’oc, dans certains documents de gestion (p. ex., 56 H 310 : comptes généraux du grand prieur de Saint-Gilles, 1429). Si la langue du roi apparut donc dans les papiers de l’ordre de Malte bien avant l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), ce ne fut pas sans la persistance de certains méridionalismes, issus de la transcription phonétique de l’accent provençal (comme le « ung » pour « un », l’accent sur le e muet, etc.). 141 Cette dernière aptitude était notamment reconnue aux juristes, comme ici : « Maistre Pierre Arnaud de la ville de Marseille advocat en la cour ayant une intelligence particuliere pour deschiffrer les anciennes escriptures a fait une assez grande perquisition des titres et documens tant anciens que modernes dans quelques villes et villages de la province Dauphiné et mesme en quelques villes de l’Italie… » (Inventaire de titres relatifs à plusieurs commanderies effectué à la demande du grand prieur, 28 octobre 1686 ; 56 H 88). Certains experts étaient capables de distinguer les actes les plus anciens, malgré l’absence de datation (56 H 20, suppl., f. 1 ; 1704). Les compétences paléographiques étaient encore utiles aux chevaliers de Malte dans un autre contexte : la falsification des preuves de noblesse (A. Brogini, Une noblesse en Méditerranée, p. 46 et 72). 142 P. ex. pour l’inventaire de Manosque en 1531 : 56 H 68, f. 91v (« la date est mangée des rats »), 164v (« ung instrument lequel est fort gasté dedans »), 373v (« le quel privilege ne se peult lire actendu la antiquité »), etc. 143 56 H 4181 (24 février 1375) ; 56 H 4189 (12 août 1303 et 20 juin 1305) ; 56 H 4652 (22 octobre 1258, original précieux concernant Manosque au dos duquel des morceaux de parchemins ont été collés). Ces interventions sont difficiles à dater. L’acte 56 H 4189 de 1303 a été cousu avec une pièce portant au dos une écriture du xve siècle. Sur un autre acte, les cinq premières lignes effacées ont été remplacées par une transcription d’époque moderne (xviiie siècle ?) portée sur une pièce de parchemin cousue (56 H 4201 ; 28 février 1270). 144 Pour se limiter à ce seul exemple, signalons ce registre contenant les privilèges octroyés par les pouvoirs souverains et la papauté du xiiie au xve siècle et collationnés dans les archives de la cour des comptes d’Aix en 1526 (56 H 86, 137 f.). Le choix du parchemin, le soin porté à l’écriture et la qualité de la reliure de cuir – offerte par le grand prieur lui-même en 1629 – témoignent assez du prestige qui restait attaché à ce genre d’objet.

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d’archives, régulièrement levés à l’échelle du grand prieuré (1561, 1645)145, ou bien à l’initiative de chaque commandeur (pour Manosque : 1531, 1636, 1656 ; pour Aix : 1683, 1705)146. Le couronnement de cette entreprise de longue haleine fut le monumental répertoire général en 37 volumes réalisé par Antoine Raybaud, entre 1701 et 1704147. Relevons encore au passage l’« inventaire des chartes de Syrie » dressé par Jean Raybaud, préalablement à l’expédition de cet ensemble à Malte en 1741148. Ces 378 chartes des xiie-xiiie siècles provenant des archives centrales de l’ordre, et dont plusieurs sont aujourd’hui perdues, furent longtemps conservées à Manosque avant d’être transférées à Arles149. J’aurai à revenir sur les conditions de leur « rapatriement » en Provence, à la suite de la chute des États latins d’Orient. Classement et sélection

Ces inventaires, réalisés pour la plupart à l’occasion d’un récolement des archives, ont établi les grands principes de classement qui ont cours aujourd’hui : d’un côté les séries relevant de l’administration générale du grand prieuré (chapitres provinciaux, visites générales, comptes généraux…) ; de l’autre, les fonds affectés à chaque commanderie, que ceux-ci fussent conservés sur place ou bien périodiquement 145 56 H 74 (1561) ; 56 H 75 (1645). La généalogie de ces inventaires a été brièvement exposée par R. Hiestand, Papsturkunden für Templer und Johanniter. Archivberichte und Texte, Göttingen, 1972, p. 49-51. 146 Loin d’être exhaustives, les dates indiquées ici ne reflètent que les registres conservés et même dépouillés. Manosque : 56 H 68 (1531), Bibl. mun. d’Avignon, ms. 4933 (1636), 56 H 69-70 (1656) ; Aix : 56 H 49 (1683), 56 H 50 (1705). À ma connaissance, le plus ancien répertoire réalisé à l’échelle d’une commanderie concerne Avignon en 1409 (56 H 52). Avant cela, on connaît les inventaires des archives des commanderies templières réalisés dans le cadre de la confiscation des biens de l’ordre, entre 1307 et 1312 (cf. D. Carraz, « L’emprise économique d’une commanderie urbaine : l’ordre du Temple à Arles en 1308 », in A. Baudin et alii (dir.), L’économie templière en Occident. Patrimoines, commerce, finances, Langres, 2013, p. 142-175 ; et Id., « Private Charters and other Family Documents in the Templar Archives : Commanderies in Southern France », in K. Borchardt et alii (dir.), The Templars and their Sources, Londres-New York, 2017, p. 78-95). 147 56 H 2 à 38 ; Aix : 56 H 6, 106 f. ; Manosque : 56 H 20, 140 f. Ce dernier répertoire est constitué de la liste des pièces de Manosque (140 f.) et d’un supplément d’actes (63 f.), pour l’essentiel relatifs à la directe, et qui avaient été versés aux archives du grand prieuré. 148 56 H 77, 51 f. ; éd. J. Delaville le Roulx, Inventaire des pièces de Terre sainte de l’ordre de l’Hôpital, Paris, 1895. Cette liste se trouve également parmi les preuves de l’Histoire des grands prieurs de Raybaud (ms. 339, p. 439-507) et a encore été copiée par l’érudit arlésien J.-L. Jacquemin (Bibl. mun. d’Arles, ms. 164). 149 Des analyses concernant les possessions de l’ordre dans le royaume de Jérusalem et le comté de Tripoli sont dispersées en plusieurs parties de l’inventaire des archives de Manosque en 1531 (56 H 68, f. 147, 395-397, 411, 421, 439-459, 488, 510, 513-519, 543-585, 624, 656-665, 669, 685-688, 693, 700, 705). Rudolf Hiestand, qui avait transcrit ces analyses lorsqu’il travaillait sur ses Papsturkunden für Templer und Johanniter, avait prévu d’en assurer l’édition (selon J. Burgtorf, The Central Convent, p. 7, qui a amplement utilisé les notes transmises par le savant allemand). Une telle publication serait précieuse car l’inventaire de Manosque comporte non seulement des analyses de nombreuses chartes perdues, mais encore d’actes non mentionnés par le répertoire de J. Raybaud. Cette remarque va dans le sens de J. Delaville Le Roulx qui estimait que ce dernier inventaire n’avait pas été exhaustif ( J. Delaville le Roulx, Inventaire des pièces, p. 5-6). Il est probable qu’une partie seulement de ces « chartes de Syrie » ait été transférée à Arles, tandis que d’autres sont restées à Manosque. Seule permettrait d’avancer sur la question une collation des inventaires de 1531 et de 1741 qui dépassait ici mon propos.

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versés aux archives prieurales150. Au sein de chaque commanderie, la documentation fut encore organisée en fonction des dépendances, appelées « membres »151. Ces « logiques institutionnelles de conservation152 », pour reprendre l’expression de Joseph Morsel, reflétaient donc pleinement l’emboîtement des différentes échelles de l’administration maltaise : grand prieuré, commanderies, membres. Ainsi qu’il est parfois clairement précisé, ces volumineux registres devaient servir la recherche documentaire153. Aussi se dotèrent-ils progressivement d’un outillage paratextuel qui devait trouver son aboutissement au xviiie siècle : les « inventaires Raybaud » furent munis de languettes facilitant le repérage de chaque grande partie dans le registre, d’une table des documents, de deux index des personnes et des lieux154. Néanmoins, il importe de souligner que ces corpus ne cherchaient en aucun cas à donner une liste exhaustive des archives conservées155. Tout ce qui relevait de la gestion et de l’administration courante (correspondances, comptabilités, rapports divers…) était écarté156 ; seuls étaient ciblés les titres et dossiers primordiaux fondant la domination de l’ordre, au temporel, au spirituel et au juridictionnel. Le siècle des Lumières marque par conséquent l’aboutissement d’une méthode rationnelle de classement et de cotation. L’inventaire de Manosque, dressé en 1531 à l’initiative du bailli Jean Boniface, est un massif registre de 705 folios157. Le classement, tel qu’il apparaît ici, semble défier toute logique aux yeux d’un observateur du xxie siècle : on ne repère, dans la succession des milliers d’analyses, ni ordre chronologique, ni typologique en fonction des autorités émettrices ou de l’origine des actes158. La cotation est une succession alphabétique jouant sur la combinaison 150 En 1626, on décida ainsi de reclasser les archives du grand prieuré, commanderie par commanderie (M. Chailan, L’ordre de Malte, p. 34-35). 151 P. ex. : « Invantere general des tiltres & documentz de la comanderie de St Jean d’Aix & ces mambres distingues mambre par mambre… » (56 H 49 ; 8 novembre 1683). 152 J. Morsel, « Les sources sont-elles le “pain de l’historien” ? », Hypothèses, 7 (2003), p. 284. 153 « Registre […] contenant un abrégé exact des rouleaux et de tous les articles qu’ils contienent tant des actes hospitaliers que des templiers et de tous les titres et fondations du prieuré et des bulles des papes qui étoient depuis cinq cens ans dans les archifs dud. prieuré […] lequel registre servira pour trouver facilement tous les actes contenus dans trente neuf sacs et qui a été fait par Messire Jean Claude Viany prêtre docteur en théologie prieur de l’église de St Jean d’Aix en l’année 1705 » (56 H 50, f. 1). 154 P. ex., le 56 H 50 (1705) : trois languettes (« Rouleaux templiers et hospitaliers », « chartres (sic), fondations et arrets », « bulles » ; f. 2 : « Mémoire des bulles et roulleaux de parchemin » (table indiquant le nombre d’actes contenus par sac) ; en fin de volume (non folioté) : « Liste alphabétique de noms » ; « Liste des lieux ». Ce récolement général s’accompagna d’une amélioration des conditions matérielles de conservation, puisque l’on construisit de nouvelles armoires pour les archives prieurales dont le rangement fut assuré par les Raybaud, père et fils (M. Chailan, L’ordre de Malte, p. 85-86). 155 La démarche sélective de l’inventaire est encore démontrée par O. Guyotjeannin, « Les chartriers seigneuriaux au miroir de leurs inventaires (France, xve-xviiie siècle) », in Ph. Contamine et L. Vissière (dir.), Défendre ses droits, construire sa mémoire : les chartriers seigneuriaux, xiiie-xxie siècle, Paris, 2010, p. 40-44. 156 L’inventaire de Manosque de 1531, qui semble très complet, constitue à ce titre une exception (56 H 68). 157 Sa réalisation s’inscrit clairement dans un contexte de réaffirmation des droits, notamment fonciers, et de tensions avec les habitants (F. Reynaud, La commanderie, p. 126-131). 158 Pour s’en tenir à ces deux catégories, malgré quelques séries continues, les pièces relatives à la Terre sainte comme les bulles pontificales sont éparpillées au sein de la masse des titres concernant Manosque (56 H 68).

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des lettres majuscules et minuscules – sur le mode : « A, B, C…, AA, BB…, AAA…, a…, aa…, aaa… […], 12 aaaaaaaaaaaA…, 13 aaaaaaaaaaaaA », etc. – que l’on retrouve effectivement sur les pièces originales159. À partir du xviie siècle, apparait plus clairement une combinaison de cotes alphabétiques plus simples et de cotes numériques, pas forcément continues160. Le classement des titres devient à peu près chronologique et plus clairement typologique (actes comtaux, transactions foncières, juridiction, reconnaissances)161. Dans l’inventaire Raybaud enfin, les titres furent classés chronologiquement en fonction des catégories de droits ou bien de leurs lieux d’exercice162. Ainsi à Aix, la liste des transactions ou « fondations » remontait du « Premier siecle » au « Quatriesme siecle » de l’histoire de la commanderie, soit entre le xiie et le xve siècle163. Le savoir-faire des Raybaud père et fils montre donc assez bien comment les progrès de la méthode historique et des techniques archivistiques se nourrissaient mutuellement164. Mais la véritable nouveauté fut, cette fois-ci, la cotation en suite numérique correspondant au regroupement des pièces à la fois en sacs et en liasses, identifiés par des lettres pour les premiers et numérotées pour les

159 Cette succession alphabétique continue correspondait en outre à un regroupement dans des liasses (56 H 68, f. 673), mais dont la logique a complètement été défaite par les reclassements ultérieurs. Le classement chronologique n’est pas plus systématique dans l’inventaire de la maison de Saint-Gilles levé en 1561 (56 H 74). On retrouve le système de cotes avec des lettres doublées ou triplées (A, AA, AAA, B…) ou bien combinées (AB, AC, AD…) qui correspondent à la fois aux pièces et aux sacs qui les renferment. Ce système de cotation par lettres doubles et triples pourrait être beaucoup plus ancien. Il est ainsi adopté dès les années 1340 pour les archives de Montpellier (P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (xiie-xive siècle). Essai d’histoire sociale, Paris, 2013, p. 259). En revanche, il n’apparaît qu’à partir de l’inventaire de 1682-1684 pour le chartrier des comtes de Provence (Th. Pécout, « Les chartes de la Tour du Trésor : le chartrier des comtes de Provence jusqu’au début du xive siècle », in X. Hélary et alii (dir.), Les archives princières, xiie-xve siècles, Arras, 2016, p. 271-274). 160 P. ex., 56 H 69, f. 23-24 : AA, no 64 ; BB, no 65 ; CC, no 58 ; DD, no 48 ; EE, no 78 ; FF, no 72, etc. 161 « Repertoire par lequel le jour et l’an de chacun des contratz, titres, documants, privileges et plusieurs autres instruments concernant le bailliage de Manosque contenus en laddition cy apres sont ranges sur chascun siecle et chaque piece estant cottée par lettres » (56 H 69). Même cotation alphabétique répondant à un classement approximativement chronologique à Aix en 1683 (56 H 49). Très pratiquement, l’inventaire chronologique, en rupture avec le contenu des liasses, exigeait aussi un système de renvoi : « Brevetant les tiltres mantionnes en ce libvre on a trouve plusieurs liasses ou il y avoit diverses pieces de distante date que lon a brevetees tous a la suite et les ayant voulu ranger par datte. Il se trouve quelles sont confondues d’un coste et d’autre neanmoins au marge il est marque de quels cayers et liasses elles sont » (Manosque, 1656 ; 56 H 70, f. 34). 162 56 H 20 : « Chapitre du domaine de Manosque » (f. 4), « Chapitre des titres concernant la juridiction » (f. 23), « Chapitre de la directe universelle » (f. 51), les différents droits féodaux et banaux (corvées, banvin, pulverage…), les différents membres. 163 56 H 50, f. 75-94 (1705). On retrouve le même découpage du temps (pour les donations et fondations, f. 75-95) et la même cotation dans un registre composite regroupant divers inventaires, probablement de la fin du xviie siècle (Bibl. mun. d’Aix, ms. 1613, 395 f.). 164 Proposé à partir du milieu du xvie siècle par les Centuriateurs, le découpage du temps en siècles ne fut vraiment adopté que deux siècles plus tard (D. Milo, Trahir le temps (histoire), Paris, 1991, p. 27-28). Du point de vue de l’archivistique et de la diplomatique, les traités méthodologiques se développent également dans la seconde moitié du xviiie siècle (P. Delsalle, « L’archivistique sous l’Ancien Régime. Le Trésor, l’Arsenal, l’Histoire », Histoire, Économie et Société, 4 (1993), p. 458-460).

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secondes165. C’est à l’occasion de ces reclassements successifs que furent portées aux dos des actes originaux les différentes strates, souvent difficiles à démêler, de cotes et d’analyses dorsales166 (ill. B, no 2). L’inventaire Raybaud fut, du reste, déterminant puisqu’il s’accompagna, non seulement d’une nouvelle cotation et d’une réécriture des analyses dorsales, mais également d’une recomposition du contenu des liasses, étiquetées et à, leur tour, rangées dans des sacs167 (ill. B, no 3). La rigueur et le soin apportés à la gestion des archives expliquent donc, on l’a dit, la richesse du fonds parvenu jusqu’à nous. Celui-ci semble avoir relativement peu souffert des deux épisodes les plus destructeurs d’archives dans l’histoire de France. Même si le protestantisme remporta quelque succès dans la vallée de la Durance, les commanderies provençales de l’ordre de Malte furent assez peu affectées par les guerres de religion, à la différence des établissements du Bas-Languedoc168. En 1792, les commissaires chargés de trier des archives du grand prieuré et de brûler les titres relatifs à la noblesse ne s’acquittèrent que très partiellement de leur tâche169. En effet, même sans avoir fait de collation systématique entre ces répertoires et les pièces réellement conservées, j’ai l’impression que l’essentiel des deperdita est bien antérieur à la Révolution170. Ainsi, les listes du xvie siècle (notamment le 56 H 68) ont laissé les analyses de très nombreux actes perdus depuis. En revanche, dans les inventaires Raybaud (par exemple le 56 H 50), plus rares sont les mentions d’actes que l’on ne retrouve plus aujourd’hui dans le fonds 56 H. Il se pourrait donc qu’une

165 56 H 20, suppl., f. 1. ; 56 H 50 (sacs dans l’ordre alphabétique, de A à Z et de AA à MM, et liasses numérotées). 166 Ainsi, l’une des mains de l’inventaire de Manosque de 1656 (56 H 69, dernier cahier) est très semblable à celle que l’on trouve au dos de certaines chartes (p. ex. : 56 H 4632). 167 Si les sacs sont repérés par des lettres simples ou doubles, les analyses donnent un numéro à chaque pièce (56 H 50). Les numéros portés sur les pièces originales correspondent bien aux inventaires, tandis que les étiquettes attachées à chaque liasse sont encore conservées. P. ex. : 56 H 4638 (« Manosque 1ere liasse. Titres concernant le bailliage de Manosque mentionnes dans le supplement de l’inventaire anal. des titres dud. bailliage. De no 1 à 23 ») ; 56 H 4642 (3e liasse du supplément) ; 56 H 4645 (4e liasse du supplément), etc. Malheureusement, en défaisant la logique du regroupement en liasses pour conserver les pièces à plat, les pratiques de restauration actuelles ôtent tout sens à ces étiquettes, tendant même à les faire physiquement disparaître. 168 À l’exception d’Orange, c’est plutôt en Bas-Languedoc (autour de Saint-Gilles, Beaucaire et dans les Cévennes) que des maisons de l’ordre furent attaquées et des archives brûlées ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 115-123 et 137-139). Raybaud note lui-même que « la Provence fut la province du royaume qui se ressentit le moins de la fureur des hérétiques » (p. 122). Sur la difficile implantation du protestantisme en Provence : R. Bertrand, La Provence des rois de France, p. 184-189. 169 56 H 44 (Procès-verbal de séparation des titres généalogiques trouvés à Arles en 1792) ; et C. Nicolas, « Le manuscrit de Jean Raybaud », p. 125-126. Contexte : M. Villard, « L’ordre de Malte dans les Bouches-du-Rhône à l’époque révolutionnaire », Provence historique, 45 (1995), p. 211-223. Faute de temps et de moyens, les décrets ordonnant le triage et le brûlement des archives féodales ne purent être appliqués dans la plupart des départements, notamment dans les Bouches-du-Rhône (B. Galland, « Le sort des archives seigneuriales à la Révolution française : conservation, triage ou destruction ? », in Ph. Contamine et L. Vissière (dir.), Défendre ses droits, p. 282-283). 170 Selon Grasset, les archives du grand prieuré subirent « une dévastation considérable » en 1791 ou 1792 (E. de Grasset, Inventaire sommaire, p. 4). Mais ces pertes semblent essentiellement avoir affecté les preuves de noblesse.

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bonne partie des pertes soit intervenue au cours du xviie siècle, qui correspond à un temps de déclin pour certaines commanderies, notamment Manosque171. Toutefois, pour ce qui concerne plus spécialement les écritures médiévales, notamment les plus anciennes, une masse impossible à estimer de chartes et de registres dut probablement disparaître, volontairement ou par négligence, au cours des mutations du second xive et du xve siècles172. Enfin, au-delà de ces appréciations générales, on ne saurait cacher la véritable disparité qui caractérise l’état des divers fonds : ainsi, peu de commanderies peuvent soutenir la comparaison avec la masse documentaire dont bénéficie la maison de Manosque. Par contraste, celle d’Aix apparaît particulièrement défavorisée, tant par le nombre réduit de pièces conservées que par leur variété typologique limitée – ici ni registres judiciaires, ni comptabilités, ni cartulaires. Ce déséquilibre a conséquemment une incidence majeure sur l’objet de ma recherche : lorsque près de 190 documents signalent l’action de Bérenger Monge à Manosque, une trentaine de références à peine le documente à Aix173. En outre, l’état matériel médiocre du contenu des liasses – on ne compte pas les parchemins troués, rognés, effacés – en dit long sur les tribulations subies par les archives de la maison aixoise. Or, si le prieuré d’Aix fut paré d’un prestige certain et si cette implantation était assise sur un temporel non négligeable, l’ordre de Saint-Jean ne disposait ici d’aucune capacité de contrainte sur les hommes. La faiblesse des enjeux de pouvoir explique probablement la moindre attention consacrée à la préservation des archives sur le long terme, qui contraste avec la situation manosquine. Avec la naissance des dépôts publiques d’archives, le statut des documents subit finalement une mutation radicale : les parchemins et papiers qui avaient encore valeur de preuves jusqu’à la Révolution devinrent des « sources », c’est-à-dire un matériau disponible pour écrire l’histoire174. Aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, le reclassement du fonds de Malte incomba aux archivistes

171 F. Reynaud, La commanderie, p. 190-191. Il n’est pas exclu qu’une sélection importante soit intervenue précisément à l’occasion de l’inventaire général par A. Raybaud : plusieurs étiquettes réalisées alors afin de relier les liasses ont été taillées dans des parchemins des xiiie-xve siècles (p. ex. : 56 H 4632, 56 H 4680, 56 H 4682, etc.). Sur certaines pièces vouées au découpage a été portée la mention « inutile » (56 H 4642). 172 Les archives des commanderies templières ont pu, en partie, disparaître rapidement après la suppression de l’ordre (sur la difficile estimation des deperdita : D. Carraz, « L’emprise économique », p. 156-158 ; et Id., « Private Charters », p. 87-91). D’autre part, la logique d’appropriation du temporel de l’Hôpital par les commandeurs eux-mêmes amena parfois ces derniers à emporter avec eux, lorsqu’ils mutaient, des documents qui auraient dû rester conservés dans la commanderie. Voir les reproches adressés en ce sens, au début du xive siècle, par le prieur de Saint-Gilles aux commandeurs de sa province : M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre des commandeurs de Saint-Jean de Jérusalem », Bulletin de la Société de l’histoire et du patrimoine de l’ordre de Malte, 16 (2005), p. 46. 173 Cf. An. I, A, no 1 et 2. 174 La conservation des archives publiques dut d’abord répondre aux besoins de l’administration révolutionnaire et ce n’est que progressivement, sous la Restauration puis surtout sous le Second Empire, que les Archives départementales eurent véritablement vocation à servir la recherche historique (L. Bergès, « Les Archives départementales », in Ch. Amalvi (dir.), Les lieux de l’histoire, Paris, 2005, p. 98-112).

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Emmanuel de Grasset († 1914) puis Joseph Billioud (1888-1963)175. Or, cette opération n’aboutit pas seulement à une refonte totale du système de cotation – qui connut une ultime modification en 1966 –, elle bouleversa aussi les logiques de classement des archivaires du grand prieuré176. On sépara notamment les documents templiers et hospitaliers qui n’avaient, jusque-là, jamais été clairement distingués. Et on créa les séries des bulles pontificales et des privilèges princiers qui avaient déjà commencé à être regroupées, au moins depuis Antoine Raybaud, à partir des fonds des diverses commanderies pour former le « corps de l’ordre »177. Le nouveau classement, en séparant notamment de façon arbitraire chartes et registres, entérina définitivement l’invention de la notion de chartrier. Même, si dans le cas du fonds provençal de Malte, le terme de chartrier n’apparaît pas avant le xixe siècle, ce type de collection s’est bien formalisé à partir du xviie siècle178. Or, Joseph Morsel a montré comment l’usage du terme s’était généralisé dans un contexte bien précis, celui de la réaction féodale de la seconde modernité, tandis que l’acception canonique du chartrier comme collection de chartes ne s’était fixée qu’au xixe siècle179. Loin d’être une réalité immuable, le chartrier est donc une construction archivistique et idéologique assez tardive qui, dans le cas des ordres militaires, a contribué à figer une autre notion : celle de commanderie. L’idée que chaque commanderie était dotée de son propre chartrier, qui a commencé à émerger avec les inventaires du xviie siècle, a elle-même donné une vision quasi intemporelle de la commanderie, liée depuis toujours à l’organisation du Temple et de l’Hôpital180. Cette construction tardive, pourtant, continue d’orienter l’historiographie des ordres militaires. En bref, à la suite des répertoires d’Ancien Régime, les reclassements des xixe et xxe siècles 175 E. de Grasset, Inventaire sommaire. Sur J. Billioud et cette génération d’archivistes des Bouches-duRhône : M. Villard, « Archivistes à Marseille au service de l’érudition provençale », Provence historique, 38 (1988), p. 323-333. 176 Ce reclassement finit probablement de faire disparaître les témoignages matériels de l’archivage d’Ancien Régime, c’est-à-dire sacs et liasses. Aux Arch. dép. de Haute-Garonne, les liasses de toile avec leurs étiquettes ont parfois été préservées. 177 Au début du xviiie siècle, les bulles étaient bien regroupées, comme à Aix : « Cinq sacs des bulles des papes la plupart originelles tant des hospitaliers que des templiers, contient 94 bulles » (f. 2), dont l’inventaire, repéré par une languette, occupe 37 folios (56 H 50). 178 Grasset est d’ailleurs parti des derniers inventaires pré-révolutionnaires, comme l’attestent les mentions autographes portées sur certains volumes (56 H 6). On reconnaît fréquemment, portée à l’encre noire sur les chartes et registres, sa main typique des érudits du xixe siècle. Les archives des comtes de Provence livrent un autre exemple de formalisation tardive d’un chartrier dont la forme actuelle résulte des reclassements effectués à la fin du xviie siècle et dans les années 1860 (Th. Pécout, « Les chartes de la Tour du Trésor », p. 264-275). 179 J. Morsel, « En guise d’introduction : les chartriers entre “retour aux sources” et déconstruction des objets historiens », in Ph. Contamine et L. Vissière (dir.), Défendre ses droits, p. 26-34. La démonstration a surtout été faite pour les archives lignagères dont l’organisation a abouti à une « fossilisation des chartriers » ( J. Morsel, « Les sources sont-elles le “pain de l’historien” ? », p. 224 ; et J.-F. Nieus, « Introduction : pour une histoire documentaire des principautés », in X. Hélary et alii (dir.), Les archives princières, xiie-xve siècles, Arras, 2016, p. 11). 180 Il manque toujours une mise au point sur l’histoire de la notion et de ses usages, malgré Ph. Josserand, « Commanderie », in DOMMA, p. 245-246. Sur les représentations matérielles de la commanderie, voir toutefois l’intéressante mise en perspective de Y. Mattalia, « Une image floue d’un établissement

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ont contribué à donner une vision anhistorique à des notions communément et banalement employées par les historiens. Les archivistes départementaux ont donc achevé de conférer au fonds de Malte un statut de monument intemporel, auquel nous devons aujourd’hui rendre toute son historicité.

Des archives parlantes et vivantes Inventaires et récit : archives et « réaction féodale »

Les réflexions relativement récentes sur la fabrique et l’usage des archives ont rappelé aux historiens ce qui aurait dû passer pour une évidence : issues d’un processus social, les archives sont nécessairement le produit de relations de pouvoir181. Cette idée simple trouve une traduction parfaite dans le processus par lequel les archives du grand prieuré de Saint-Gilles se sont formalisées au cours de l’Ancien Régime. À un moment ou l’autre de leur histoire, toutes les commanderies eurent à affronter des contestations de la part de communautés d’habitants auxquelles elles prétendaient imposer leur domination. Ces combats procéduriers s’inscrivent dans cette longue phase de « réaction féodale », du xviie siècle à la Révolution, au cours de laquelle les seigneurs s’efforcèrent de réactiver d’anciens droits face à des communautés prêtes à lutter pied à pied182. Or, ces luttes n’obligèrent pas seulement les hospitaliers à perpétuer les preuves matérielles de leurs anciens droits ; elles suscitèrent encore une abondante production procédurale et administrative183. Les archives du grand prieuré de Saint-Gilles conservent ainsi des masses de dossiers, mais nulle part les litiges ne furent sans doute plus intenses qu’à Manosque. L’Hôpital détenait là un temporel et des droits seigneuriaux, sans équivalents ailleurs dans la Langue de Provence, auxquels les habitants n’eurent de cesse de s’opposer. Il n’est pas question de reprendre ici l’histoire des relations entre ordre de Malte et communauté tout au long de l’Ancien Régime, mais de voir rapidement comment les documents

monastique : la commanderie des ordres militaires dans l’historiographie du Rouergue », in S. Cassagnes-Brouquet et A. Dubreil-Arcin (dir.), Le ciel sur cette terre. Dévotions. Église et religion au Moyen Âge, Toulouse, 2008, p. 207-216. 181 Le postulat peut plus généralement s’inscrire dans le paradigme appliqué, depuis Claude Lévi-Strauss et Jacques Goody, à l’écriture dont la maîtrise traduit une relation de domination ( J. Goody, The Power of the Written Tradition, Washington-Londres, 2000). 182 M. Derlange, Les communautés d’habitants en Provence au dernier siècle de l’Ancien Régime, Toulouse, 1987, p. 119-126 et 148-153. Dans son bref panorama des seigneuries ecclésiastiques, p. 87-88, l’auteur sous-estime largement l’emprise préservée de l’ordre de Malte à l’échelle de la Provence, faute d’en avoir utilisé les archives. S’agissant de Manosque, après une phase de retrait aux xvie-xviie siècles, le dernier siècle de l’Ancien Régime fut marqué par une claire reprise en main. Les visites relèvent notamment le bon état global du temporel, bâti et foncier (p. ex. la visite du 14 mars 1742 ; 56 H 252). 183 Ces riches dossiers ont été très peu exploités, si ce n’est par les travaux déjà anciens de Gérard Gangneux (voir le cas d’une commanderie peu éloignée de Manosque : G. Gangneux, « Communauté rurale et seigneurie de l’ordre de Malte : Saint-Pierre-Avez aux temps modernes », Provence historique, 21 (1971), p. 351-360).

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médiévaux furent utilisés au moment où les seigneurs cherchèrent à exhumer des droits parfois tombés en désuétude184. Pour les seigneuries maltaises comme pour d’autres, le rétablissement d’une pleine domination sur les hommes passa par le dénombrement, périodiquement réitéré, des droits fonciers185. Dans les premières décennies du xviie siècle, les commandeurs d’Aix entreprirent ainsi la confection de nouveaux terriers pour les seigneuries de Vinon et de Ginasservis, mais il fallut recourir au jugement du parlement face au refus répété de plusieurs tenanciers de reconnaître leurs biens186. Ces procédures, fondées sur l’aveu des tenanciers ou parfois sur de véritables enquêtes dans les archives notariales, ont laissé une belle série de terriers187. La préservation d’un pouvoir largement assis sur la « directe universelle » explique donc pourquoi les religieux ont pris autant de soin à conserver les rouleaux de reconnaissances accumulés depuis le xive siècle188. Les opérations de quête et de classement documentaires décrites plus haut s’inscrivent clairement dans la réactivation des anciens droits. Le préambule de l’inventaire de 1656 explique que la recherche, dans plusieurs dépôts (archives d’Arles et de Manosque, notaires et « autres lieux particuliers »), des titres égarés pourra aider le bailliage à recouvrer ses droits189. Le corpus est donc organisé en quatre chapitres : juridiction, directe universelle, droits seigneuriaux, domaine. L’inventaire de 1701-1704, sous l’intitulé « Consistance du bailliage de Manosque », commence par l’énumération des droits seigneuriaux, avant de procéder à un recensement exhaustif du temporel (le palais, la métairie de Saint-Pierre, les bois, les différents membres…) fondé sur les preuves190. Du reste, ces énumérations s’inscrivent dans un ensemble de procédures réglementaires, parmi lesquelles les « dénombrements généraux » établis par les procès-verbaux de visites191. Ces listes de preuves peuvent cependant se transformer en cartulaires monumentaux, où les actes fondamentaux ne sont

184 Certains de ces épisodes critiques ressortent de l’historiographie, ainsi en 1529 ou en 1688 (F. Reynaud, La commanderie, p. 126 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 238-239). Les cotes mobilisées ici ne représentent que quelques pièces parmi les multiples dossiers de procédures opposant l’ordre de Malte à la communauté (56 H 876, 56 H 877, 56 H 878, etc.). 185 Les campagnes de reconnaissances procédaient d’injonctions provenant du chapitre général de l’ordre. Les ordonnances de 1612, dans un contexte de reprise en main des commanderies après les guerres de religion, ordonnèrent de renouveler les « cayers ou papiers terriers » tous les 25 ans (G. Bosio, A. de Naberat, Histoire des chevaliers, 1er partie, p. 296, et 2e partie, p. 197-198 : « formulaire pour faire les terriers des commanderies »). Les procédures de dénombrement étaient par ailleurs enseignées par les feudistes (p. ex. : L. Ventre de la Touloubre, Jurisprudence observée en Provence sur les matières féodales et les droits seigneuriaux, t. II, Avignon, 1756, p. 124-136 : Titre v « Des reconnoissances »). Sur le contexte juridique de la « réaction seigneuriale » : M. Grinberg, Écrire les coutumes. Les droits seigneuriaux en France, Paris, 2006. 186 F. de Ferry, La commanderie, p. 300-302. 187 Liste des terriers établis pour Manosque : É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 38-39. 188 Ce dont les répertoires témoignent amplement (56 H 69, 2e cahier non folioté, 4e cahier, f. 39-40 ; 56 H 20, Inventaire particulier concernant le membre de Volx, 83 f.). 189 56 H 70, f. 1-6. 190 56 H 20. 191 56 H 252 (visites d’améliorissement, 1701-1785).

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plus seulement analysés mais recopiés in extenso. Le volume 56 H 849bis (1043 f.), que seule la paléographie permet d’attribuer au xviiie siècle, suit le plan suivant192 : 1ere partie : « Titres du bailliage » (f. 1) [de 1149 à 1623] (avec table en début de vol. = 27 f.)

– actes des comtes de Forcalquier de 1149 à 1208 (f. 1-17) – constitution du domaine (f. 18) : donations, achats, « permutations », transactions, reconnaissances [xiiexiiie siècles] – arbitrages avec la communauté [xiiie-xive siècles] – transactions avec le pouvoir souverain – plaintes contre les officiers royaux [surtout au xive siècle] – serments, procès, hommages [plutôt xve siècle] – transactions avec la communauté [xve-début xviie siècles]

2e partie : « Droits du bailliage »

– « Traicté de la jurisdiction » (f. 913) : juges, sentences, criées… – « Traicté de la directe universelle… contre les consuls de la communauté » (f. 950) – droits banaux : fours, péages, leydes…(f. 978) – droits régaliens : contelage, cavalcade… (f. 985) – droits fiscaux : cosses, pâtures, gabelle du vin… (f. 993-1006)

Fig. 1. Plan de l’inventaire des archives de Manosque 56 H 849bis

Les 9/10e du registre regroupent la copie des titres, tandis que la seconde partie consiste en traités de légitimation et de défense des différents droits. Or, ces mémoires, en réintroduisant des extraits de « sources » en guise de preuves, font montre d’une réelle dimension narrative. En définitive, est retracée au fil des actes toute l’histoire de la commanderie et de ses rapports avec les autres acteurs – institutions ecclésiastiques du diocèse, pouvoirs princiers et surtout habitants. Cette mise en récit, fondée sur la succession chronologique des pièces, anime peu ou prou tous les inventaires. Pour s’arrêter à ce seul exemple, à travers la liste des privilèges des comtes de Forcalquier et de Provence, invariablement répétée d’un registre à l’autre, est réaffirmée l’ancienneté des liens unissant les différentes maisons comtales à l’Hôpital. Aux temps fondateurs, succède toutefois, à partir du xive siècle, un certain raidissement de l’attitude de la monarchie que dévoile la série des réclamations opposées par les hospitaliers aux empiètements des officiers royaux. Le « cartulaire » 56 H 849bis fonde encore l’origine des prérogatives juridictionnelles de l’ordre sur l’héritage des comtes de Forcalquier, sans négliger pour autant les références aux multiples traditions du droit savant, qui laissent d’ailleurs entendre l’intervention de quelque feudiste193. La preuve de la « possession immémoriale » 192 Il est malheureusement impossible de mieux situer la réalisation de ce registre non daté, notamment car les copies ne se réfèrent à aucune cote. 193 56 H 849bis, f. 913-948. Le droit romain est illustré par Bartole (1313-1356), le droit canon par Panorme, c’est-à-dire Niccolo Tedeschi (1386-1445), et le droit canon et civil par Boerius, c’est-à-dire Nicolas de Bohier (1469-1539) (f. 918). Au xviiie siècle, plusieurs feudistes étaient effectivement employés par le service d’archives du grand prieuré de Toulouse (B. Suau, « Un centre d’archives régionales », p. 906-907).

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de la haute justice nécessitait notamment de compulser les registres criminels d’où étaient extraits des sentences permettant de faire jurisprudence, ainsi que des listes d’officiers194. En témoigne toute une série de dossiers offrant une véritable prosopographie avant la lettre du personnel de justice – et notamment des greffiers – depuis le xive jusqu’au xviie siècle195. De fait, les annotations d’époque moderne portées sur les registres médiévaux attestent bien que ceux-ci firent l’objet d’investigations serrées196. C’est ce statut d’archives vivantes qui explique la présence aujourd’hui dans le fonds 56 H, d’une série exceptionnelle de plus de 150 registres judiciaires s’étendant de 1240 à 1600197. Produits pour être conservés à moyen terme, ces registres, pour certains de belle facture et timbrés de la croix de l’Hôpital, finirent par entrer dans le patrimoine de l’institution pour répondre à de véritables enjeux juridiques et mémoriels198. « Parlantes » et « vivantes », les archives ont donc élaboré un récit de l’établissement de l’Hôpital à Manosque depuis le xiie siècle et de sa domination sur la terre et les hommes. Face à cette trame narrative, périodiquement réactualisée par la succession des procédures, s’est toutefois construite une mémoire concurrente : celle des habitants organisés en consulat. Or, à Manosque comme ailleurs, la constitution d’archives municipales, au même titre que l’édification d’un hôtel de ville, a accompagné la cristallisation institutionnelle de la communauté politique199. Damase Arbaud décrit avec fierté le soin avec lequel le consulat avait traité ses archives : jusque-là gardées en des lieux dispersés, les différentes pièces du « trésor » – privilèges, registres des délibérations, comptes… – furent définitivement transportées dans l’hôtel de ville

194 « La possession immémoriale constatée par des actes, tels qu’institutions d’officiers, procédures, aveux, dénombremens, suffisent pour la maintenue dans l’exercice de la justice, même de la haute. » (L. Ventre de la Touloubre, Jurisprudence observée en Provence, t. 1, p. 3). 195 56 H 878 ; l’analyse du xixe siècle est assez claire : « Listes d’officiers du bailliage de Manosque (lieutenant de juges, greffiers, procureurs, clavaires etc.) avec notes sur leurs activités et indication des sources de renseignement. xive-xviie s. ». Ce volumineux dossier, composé d’une vingtaine de cahiers sans doute réalisés à des moments différents, visait à contrecarrer une vieille revendication des habitants sur la nomination du personnel subalterne de la justice. Il y a là, pour une prosopographie du personnel judiciaire, une base de départ exceptionnelle qui n’attend que d’être exploitée. 196 P. ex. : 56 H 905 (années 1289-1290), 56 H 953 (1289-1299) : analyses marginales en français – relevé des noms des juges notamment –, mentions « visa » et renvois à des cotes (main du xviie siècle ?) ; le 56 H 994 (1362) porte la mention « Veu ce 16 juillet 1659. Addition huictieme LLLLLLLL » au f. 1. Là encore, le soin apporté à l’entretien des reliures et la qualité exceptionnelle de certaines d’entre elles (56 H 944 : couvrure de cuir gaufré ornée de « motifs romans » pour le plus ancien registre de 1240-1243) montrent l’importance attachée à ces objets (ill. B, no 12). 197 56 H 883 à 56 H 1035 ; voir É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 34-38. 198 Ces registres judiciaires rappellent par-là les « livres d’enquête » de Montpellier, conservés depuis le xive siècle dans les archives du consulat, comme autant de pièces de la mémoire juridique et administrative de la ville (P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier, p. 317-319). 199 Rapide présentation des archives communales de Manosque : R.-H. Bautier et J. Sornay, Les sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Âge. Provence-Comtat Venaissin, Dauphiné, États de la maison de Savoie, vol. 2, Paris, 1968, p. 960-961. Le lien entre conservation des archives et autonomie politique a été récemment analysé pour une ville proche : A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge. Un atelier de la démocratie (xiiie-xive siècle), Paris, 2016, p. 99-104.

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au début du xve siècle200. Rangées dans des étuis et des coffres en fonction de leur importance, classées dès 1390, celles-ci étaient régulièrement inventoriées201. Or, la richesse des archives communales de Manosque, assez exceptionnelle à l’échelle de la Provence, s’explique en grande partie par la résistance séculaire des habitants à la seigneurie hospitalière. On pourrait encore démontrer comment les chartes émanant du consulat, de même que les privilèges arrachés au seigneur avec leurs confirmations, furent sauvegardés, copiés et commentés tout au long de l’Ancien Régime202. Moyne ou Monge ? Un commandeur au prisme de la lecture des archives

Si j’ai tenu à présenter l’histoire de ces archives et à donner un bref aperçu de leur utilisation au cours de l’Ancien Régime, c’est pour rappeler que le profil des sources ainsi conservées ne doit évidemment rien au hasard. Les lacunes chronologiques, les déséquilibres entre commanderies ou bien entre catégories documentaires sont tributaires à la fois de choix de conservation, de comportements sociaux, de mécanismes juridiques ou bien de processus intellectuels. Dans ces conditions, il est évident que les indices qu’un personnage comme Bérenger Monge a pu laisser dans l’histoire sont nécessairement passés par cette série de filtres. Très pratiquement pour ma recherche, parce qu’ils attestent d’actes du xiiie siècle dont les originaux ont été perdus, les corpus d’Ancien Régime permettent d’augmenter substantiellement le nombre d’occurrences de l’individu. Ainsi, lorsque 136 pièces originales signalent Bérenger Monge à Manosque, les copies et analyses apportent près de 81 mentions supplémentaires, non sans un déséquilibre criant entre cette commanderie et celle d’Aix203. S’agissant donc de Manosque, l’inventaire de 1531 rajoute à lui seul une quarantaine de copies d’actes contemporains du gouvernement de Bérenger Monge (56 H 68), tandis que le « cartulaire » du xviiie siècle retranscrit une vingtaine de pièces dont les originaux sont perdus (56 H 849bis). L’inventaire de 1636 donne une idée du corpus de documents jugés importants à ce moment-là et précise l’état des pertes204. En limitant toujours mon relevé au préceptorat de Bérenger Monge, soit aux années 1250-1298, ce registre analyse 71 actes, au nombre

200 La maison communale est, quant à elle, attestée à partir de 1367, au moment précis où commence également la série des registres de délibérations (C. Picot, Essai sur les institutions municipales de Manosque au xive siècle. Perspectives de recherches tirées des délibérations du conseil de ville, mémoire de DEA, Université de Provence, 1990, p. 51). 201 D. Arbaud, Études historiques, p. 127-132. Sur les comptes et délibérations de Manosque : P. Meyer, Documents linguistiques du Midi de la France. Ain, Basses-Alpes, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Paris, 1909, p. 374-398. 202 Les actes figurant dans le Livre des privilèges sont, pour beaucoup, conservés en originaux, mais également sous forme d’une ou plusieurs copies modernes ; voir notamment Arch. mun. de Manosque, boîtes Ab (privilèges et confirmation) et Bb (transactions et confirmations). Des actes des xiiie-xive siècles concernant l’usage des eaux et moulins ont été copiés dans des dossiers au xvie siècle (De 3-4, 8). Et l’on trouve encore des transcriptions réalisées au xviie siècle, de transactions du xiiie siècle impliquant la commanderie (Kb 23-24, 26-27) ou bien relatives aux « droits féodaux » (Kc 1, 7, 45, 47). 203 Cf. An. I, A, no 1 et 2. Aux fonds de ces deux commanderies, il faut rajouter 25 mentions reliées à d’autres aspects de la carrière du commandeur (An. I, A, no 3). 204 Bibl. mun. d’Avignon, ms. 4933, f. 103v-112.

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desquels 34 originaux seulement ont pu être identifiés. Sur cette même tranche chronologique cependant, subsistent quelques 52 autres chartes qui auraient pu être inventoriées et qui, pourtant, ne semblent correspondre à aucune des analyses. Cette distorsion éclaire la limite des répertoires modernes : sans même évoquer les transcriptions incertaines des noms propres et les erreurs de dates, en aucun cas ceux-ci ne donnent un état exhaustif des archives. Ils opèrent au contraire une sélection dont la logique obéit sans doute au classement des actes, mais peut répondre aussi à des circonstances spécifiques205. Ces quelques pointages à partir de trois états du fonds manosquin (1531, 1636, xviiie siècle) précisent ce qui a été suggéré plus haut : pour Manosque tout au moins, l’essentiel des pertes a pu intervenir après les années 1640 et en tout cas avant la Révolution. Rappeler ces quelques chiffres n’est pas sans importance car ceux-ci vont évidemment orienter ma reconstitution des faits et gestes du commandeur entre Manosque et Aix. Au-delà de ces statistiques sommaires, Monge est encore présent dans ce que j’appellerais la « mémoire dormante » des archives, c’est-à-dire cette littérature grise produite par l’ordre de Malte et qui renferme le souvenir des actions de ses dignitaires au fil des siècles. Le terme de « littérature » n’est pas surfait car ces procédures administratives, nous l’avons vu pour les visites et les inventaires, produisent aussi une forme de discours. Par exemple, dans l’inventaire Raybaud concernant Aix, « Berenguier Monachi » s’illustre avant tout dans la sous-section « Censes ou bien acheptés » (cotée S), ce qui met en avant son rôle de gestionnaire face aux prieurs qui, on le verra, tirèrent plutôt profit du rayonnement spirituel de l’église conventuelle206. En outre, la manipulation régulière des pièces authentiques rendait vivant le souvenir des actions passées, puisque archivaires et gestionnaires avaient sans doute régulièrement sous les yeux des analyses dorsales du type : Election de sepulture au cimetiere de st Jean du temps de frere Berengier Moyne command. Aix en l’an 1286 kalendes de may207. Or, à des fins de précision chronologique, les analyses sédimentées au dos des parchemins rajoutaient parfois, à l’époque moderne, les noms des dignitaires de l’ordre208 (tabl. 1, no 1 et 2). La référence au dignitaire en exercice n’était pas forcément systématique. Mais, même s’il arrivait que les analyses ne mentionnent pas le nom du commandeur, celui-ci personnifiait pleinement le pouvoir institutionnel de l’Hôpital à l’époque moderne209. Significative me semble être, à cet égard, l’évolution de la formulation des analyses, du Moyen Âge à l’Ancien Régime (tabl. 1, no 3 à 7) – même s’il arrivait que l’analyse médiévale fût plus précise (no 8).

205 Une rapide collation des manuscrits confirme que, si les cotes chiffrées correspondent, les corpus retenus en 1636 et en 1656 (56 H 69) ne coïncident pas tout à fait non plus. 206 56 H 50, f. 95-110. 207 56 H 4180, no 23. 208 Quelques autres exemples où l’empilement des analyses et des cotes reste lisible : 56 H 4632, no 62 ; 56 H 4642, no 58, 63 et 22 ; 56 H 4644, no 91. Parfois, l’effacement presque complet du parchemin a nécessité une analyse très développée (56 H 4632, no 73). 209 56 H 4185bis (7 avril 1264) ; 56 H 4632, no 70 et 74 ; 56 H 4633, no 99 ; 56 H 4644, no 87 ; 56 H 4666, etc.

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Enfin, les analyses adaptaient parfois le vocabulaire, quitte à verser dans l’anachronisme : comme on l’a déjà entr’aperçu à partir des visites du xviie siècle, Bérenger Monge reçut parfois le titre de « bailly de Manosque », plus conforme à la réalité moderne210. Plus intéressante est sans doute l’appropriation du patronyme par les religieux de l’ordre de Malte. Au xvie et parfois encore au siècle suivant, le commandeur fut résolument francisé : c’était « Moss. Berengaire Moyne » ou « frere Berengario Moyne precepteur »211 ; le dernier siècle de l’Ancien Régime lui rendit ses racines car il devint « Berenger/Beranger Monge »212. C’est bien sous cette graphie qu’il passa à la postérité dans l’historiographie : au même titre que Gérard Tenque et que bien d’autres éminents hospitaliers, Bérenger Monge se devait d’être provençal. Peut-être ces fluctuations linguistiques sont-elles surtout révélatrices de l’évolution des enjeux sociaux et identitaires qui purent occuper les chevaliers de Malte durant les derniers siècles de l’Ancien Régime. Elles ont au moins le mérite de rappeler que la conception du nom propre comme « attestation visible de l’identité de son porteur à travers le temps et les espaces sociaux213 » ne résiste pas à l’approche diachronique. * En m’efforçant d’inscrire mon objet dans le temps long de la mémoire, je suis parti en quête des traces laissées par Bérenger Monge au cours des sept siècles qui nous séparent de son existence. Ces traces se sont avérées, tout d’abord, localisées, puisqu’elles se sont cristallisées dans les deux seuls lieux où le commandeur avait passé l’essentiel de son temps, Aix et Manosque. Elles ont paru, ensuite, discontinues puisque des temps d’oubli, au moins au cours des xve-xvie siècles, ont fait place à des moments de redécouverte, le xixe siècle apparaissant à ce titre comme une sorte d’acmé. On a vu comment, autour du prieuré Saint-Jean à Aix, fut entretenu, entre les xviie et xixe siècles, le souvenir de plusieurs chevaliers de l’Hôpital qui faisaient au moins la fierté des érudits et des catholiques aixois. Si l’intérêt suscité par l’église Saint-Jean de Malte, symbole pour certains de la résurrection de l’Église militante, dépassa à Aix la solution de continuité révolutionnaire, tel ne fut pas le cas à Manosque. Peut-être la rancœur inspirée par le souvenir des siècles de domination ecclésiastique, éventuellement encore l’enracinement plus profond du sentiment républicain, ne suscitèrent ici aucun revival favorable aux hospitaliers. Bérenger Monge a, certes, inspiré quelques commentaires aux éruditions locales, mais ceux-ci ne furent pas suffisants pour attirer l’attention des historiens du xxe siècle. Le personnage était, alors, oublié depuis bien plus longtemps des mémoires locales. Même si le patronyme, seul et sans lien conscient avec le sujet, n’avait jamais totalement disparu, au point même 210 56 H 4633, no 86 ; 56 H 4643, no 83 ; 56 H 4644, no 94, etc. 211 56 H 68, f. 5, 464v, 473, 527, etc. De même sur les analyses dorsales contemporaines (56 H 4644, no 91 ; 56 H 4180, no 23). 212 Dans les inventaires Raybaud (56 H 20), les analyses dorsales contemporaines (56 H 4632, 56 H 4633, etc.) et bien sûr L’histoire des grands prieurs de J. Raybaud. 213 P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62 (1986), p. 70-71. Rappelons toutefois que le sociologue se place ici dans une perspective qui nie toute historicité au sujet.

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de faire un retour littéraire avec l’écrivain Pierre Magnan. Il est trop tôt, à ce stade du présent essai, pour faire de Bérenger Monge une « individualité », c’est-à-dire une personnalité qui a contribué à modifier le cours de l’histoire214. En revanche, le commandeur ne fait pas figure de grand homme mais plutôt d’oublié, si on le compare à d’autres de ses coreligionnaires, promis à de plus hautes destinées et à ce titre largement évoqués par l’érudition provençale. Certes, Guillaume et Foulques de Villaret ou bien Hélion de Villeneuve n’ont, à ma connaissance, pas encore leur biographe, mais ils ont au moins suscité un certain nombre de savants travaux215. D’autres chevaliers encore attendent leur biographe. Je pense par exemple à l’un de ces autres prieurs de Saint-Gilles que nous croiserons souvent dans les pages qui suivent : Féraud de Barras fut renommé en son temps et a pour lui l’avantage d’une mort identifiée et peu naturelle. Pourtant, il n’a pas davantage attiré l’attention que son contemporain le commandeur, ce qui peut amener à se demander à quoi doit-on, finalement, de passer à la postérité : mieux vaut-il un bel accomplissement de son vivant ou l’attention de futurs panégyristes ? Sans que sa renommée ne fût pour autant éclatante, Bérenger Monge tient pourtant une place honorable dans L’histoire des grands prieurs de Saint-Gilles : c’est donc que Raybaud avait trouvé dans ses archives suffisamment d’éléments pour qu’émerge la personnalité du commandeur. Ces va-et-vient de la mémoire sont en effet tributaires d’une conservation des archives, elle-même soumise à fluctuations. On a rappelé les enjeux, liés à la domination seigneuriale et au maintien d’une position sociale, qui ont présidé à la conservation des archives du grand prieuré de Saint-Gilles. Derrière les processus documentaires et juridiques mis en œuvre, les chevaliers de Malte affirmèrent la légitimité d’une institution pluricentenaire, en même temps qu’une identité inscrite dans la durée216. Or, c’est sans doute davantage aux xviie-xviiie plutôt qu’aux xve-xvie siècles, que les archivistes de l’ordre eurent le plus d’occasions de lire le nom de Bérenger Monge sur les papiers qu’ils classaient et annotaient. Et nous serons beaucoup mieux renseignés sur l’activité du commandeur à Manosque et beaucoup moins sur sa vie aixoise – bien qu’il fût lui-même originaire de cette ville. J’espère avoir montré que ces données absolues, qui conditionneront totalement nos représentations du personnage et de son temps, sont elles-mêmes le produit d’un processus historique conscient. Tels sont en tous les cas les indices, les sources de connaissance indirecte et toujours conjecturale pour reprendre le paradigme ginzburgien, à partir desquels je m’efforcerai de bâtir mon récit dans les chapitres qui suivent217.

214 M. Ansart-Dourcen, « Le rôle des individualités au cours des mutations historiques », Cahiers internationaux de sociologie, 94 (1993), p. 74. 215 Ils ont à ce titre, contrairement à Monge, gagné leur place dans le Dictionnaire des ordres militaires : A. Jamme, « Foulques de Villaret » et « Guillaume de Villaret », et A. Brogini, « Hélion de Villeneuve », in DOMMA, p. 364-365, 417 et 424. 216 Sur le rôle la « mémoire scripturale » dans la formation des groupes sociaux : J. Morsel, « En guise d’introduction », p. 17. 217 C. Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 6 (1980), p. 3-44.

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Première partie

Le frère dans ses champs sociaux

Chapitre i

La troublante apparition d’un homme sans passé

À certains égards, l’apparition de Bérenger Monge dans l’histoire peut apparaître troublante à celui qui cherche à retracer les fragments de cette vie. Lorsque le sujet émerge dans la documentation qui lui est contemporaine, c’est en effet sous les traits d’un homme déjà mûr et bien établi dans son milieu. En 1246, il figure comme responsable de la commanderie d’Aix, avant qu’on ne le retrouve trois années plus tard à la tête de celle de Manosque. Mais sa vie antérieure n’a laissé aucune trace. De ses parents biologiques, de sa naissance, de sa formation, de ses premières années passées comme frère de l’Hôpital, nous ne savons pratiquement rien. Que nous ignorions tout de l’enfance et de la jeunesse du sujet n’est guère surprenant à ce niveau d’ordinarité. Mais que les débuts de sa carrière comme simple frère soient attestés par une mention unique, en 1239, est plus problématique. Les traces écrites ne livrent donc de Bérenger Monge que des fragments de vie qu’il faudra pourtant bien, par effet de rétrodiction, essayer de relier les uns aux autres1. Pour cela, il faudra bien essayer d’imaginer ou, tout du moins, d’avancer des hypothèses susceptibles de nous aider à cerner le sujet dans les phases de sa vie qui n’ont laissé aucune trace2. Je m’efforcerai donc de reconstituer le milieu familial que la mémoire érudite, nous l’avons vu, situe à Aix. Nous tâcherons de comprendre ce qui a pu déterminer le destin du jeune Bérenger et surtout pourquoi, sans crier gare, les premières attestations du personnage le situent d’emblée dans la position bien établie de commandeur de deux prestigieuses maisons de l’Hôpital. Il s’agira donc d’ouvrir une fenêtre sur le champ social mais également sur les pouvoirs princiers qui, entre Aix et Manosque, ont constitué le cadre de la première vie de Bérenger Monge, dans les années 1220-1240. Ce faisant, je rappellerai ce que représentait alors l’ordre de l’Hôpital : plus d’un siècle après la première croisade, quelle était la situation des commanderies d’Aix et de Manosque, à l’échelle d’un réseau alors solidement établi dans le cadre du grand prieuré de Saint-Gilles ? Avant d’explorer le « petit x » de notre sujet, partons donc à la recherche de son « petit a », autrement





1 Rappelons que Paul Veyne appelle rétrodiction l’opération cognitive, inhérente à tout récit historique, visant à combler les lacunes de la connaissance du passé (P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, 1979, p. 98-104). Sur le processus visant à « combler les vides » et qui fait que le discours historique est « essentiellement […] imaginaire », on peut déjà renvoyer à R. Barthes, « Le discours de l’histoire » [1967], in Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, Paris, 1984, p. 163-177, ici p. 174. 2 Sur le rôle, souvent inavoué mais pourtant essentiel, de l’imagination dans le récit historique, voyez entre autres Q. Deluermoz et P. Singaravelou, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Paris, 2016, p. 103-126.

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dit attachons-nous aux circonstances externes qui contribuent à expliquer ce que fut Bérenger Monge3.

Le sujet dans le champ familial Les Monachi, un lignage chevaleresque d’Aix

On a pu observer que le nom de famille Monachi devenu Monge ne s’était jamais vraiment éteint. Il s’agit désormais de remonter, si ce n’est aux origines, du moins aux plus anciennes attestations de ce patronyme. C’est à Aix, entre le dernier tiers du xiie et la fin du xive siècle, que l’on rencontre plusieurs personnes portant le nom Monachi dans les actes de la pratique. J’ai essayé de relier entre eux un certain nombre de ces individus et de proposer une ébauche de tableau de filiation4. Mais il faut avouer le caractère aléatoire d’une reconstitution qui se heurte à plusieurs écueils. D’abord, le rang des Monachi n’eut rien de comparable à celui des Porcelet ou bien des Baux pour lesquels Martin Aurell et Florian Mazel ont pu réunir respectivement 637 et 1528 actes entre le milieu du xe siècle et 13205. Comme mon projet n’était pas d’écrire une monographie familiale, mes sondages limités à quelques fonds ont abouti à un corpus, sans nul doute provisoire, de l’ordre d’une bonne centaine d’occurrences entre le début du xiie et la fin du xive siècle6. Un telle discontinuité documentaire nous place face à des vies en pointillés attestées seulement par quelques mentions espacées, en même temps qu’elle impose de nombreux hiatus dans l’établissement des liens généalogiques. D’autre part, conforme en cela aux pratiques anthroponymiques qui ont accompagné le resserrement lignager, les Monachi ont limité leur stock onomastique à quelques nomina marqueurs : Jaufre (Gaufredus), Bérenger (Berengarius), Uc (Hugo) et Peire (Petrus)7. Le risque n’est donc pas négligeable, on le comprend bien, de confondre des individus homonymes voire les générations. Enfin, la reconstitution généalogique que j’ai essayé d’établir







3 Concept forgé par Johann Gustav Droysen (1863), le « petit x » représente la contribution personnelle, l’œuvre de la libre volonté du sujet. L’addition du x et du a forment le A correspondant au génie individuel – ce qu’un homme est, possède et fait (S. Loriga, Le petit x. De la biographie à l’histoire, Paris, 2010, p. 13). 4 Cf. An. II, A-1. 5 AFP ; Mazel, Catalogues d’actes, p. 200. 6 De manière générale, sur les limites inhérentes à la constitution de « méta-sources », telles que les recueils documentaires relatifs à une famille ou les tableaux généalogiques : F. Mazel, « Monographie familiale aristocratique et analyse historique. Réflexions à partir de l’étude de trois lignages provençaux (xe-xive siècle) », in M. Aurell (dir.), Le médiéviste et la monographie familiale : sources, méthodes et problématiques, Turnhout, 2004, p. 151-155. 7 Pour un panorama des pratiques anthroponymiques de l’aristocratie provençale : F. Mazel, « Noms propres, dévolution du nom et dévolution du pouvoir dans l’aristocratie provençale (milieu xe-fin xiie siècle) », Provence historique, 53 (2003), p. 155-156. Et sur les grandes caractéristiques du resserrement lignager : M. Aurell, « Le lignage aristocratique en Provence au xie siècle », Annales du Midi, 98 (1986), p. 149-163.

l a t ro u b l an t e ap par i t i o n d’u n ho mme sans passé

reflète assez les structures familiales : très peu de femmes apparaissent, tandis que seuls sont cités les hommes qui furent dépositaires d’un certain capital social. On ne cherchera donc pas à aborder les alliances contractées par le groupe familial des Monachi et encore moins à estimer sa fécondité. Le premier représentant cité dans la documentation concernant Aix est un chanoine de Saint-Sauveur, Guilhem Monachi, figurant comme témoin en 1165 dans une confirmation de l’archevêque à l’abbé de Saint-André de Villeneuve8. Cependant, c’est seulement au début du xiiie siècle, en relation avec la présence des comtes de Provence, que surgissent les membres les plus éminents du groupe familial9. Monge (Monachus) apparaît ainsi trois fois, entre 1200 et 1219, comme témoin dans l’entourage comtal10. À la même génération appartiennent un G[aufredus ?] Monachi, attesté deux fois seulement dont l’une auprès d’Alphonse II, et surtout Joan Monachus11. S’il s’agit bien du même personnage, ce dernier apparaît en 1219 dans le Piémont, en compagnie des procureurs de Raimond Bérenger V, et il se trouve auparavant signalé avec Alphonse II à Marseille en 120712. Dans ce dernier acte, son titre de sacriste du monastère de La Celle renforcerait la proximité que l’on devine avec la maison comtale13. La reconstitution des deux générations suivantes gagne en consistance, ce qui suggère par là même une affirmation du groupe familial. Apparaissent alors les frères Jaufre (1227-† 1267) et Monge († av. 1275), que l’on imagine descendre du premier Monge attesté. Le membre dominant est alors Jaufre qui apparaît quatre fois dans l’entourage de Raimond Bérenger V ou de son épouse Béatrice de Savoie, tandis que l’unique trace laissée par son frère Monge, décédé avant 1275, est la fondation d’un anniversaire en l’église Sainte-Madeleine14. À la même génération voire à cette même fratrie, se rattache probablement le chanoine Uc (1211-1233), sacriste du chapitre d’Aix, qui est encore attesté à quatre reprises auprès de Raimond Bérenger V15. On

8 GCN, t. 1, inst. Ecclesiae Aquensis, no 10, col. 11-12. 9 Aix se caractérise par l’absence de vieilles familles aristocratiques. Seuls émergent de la documentation, à partir du xie siècle, des milites que l’on retrouve bientôt parmi les fidèles du comte (N. Coulet, Aixen-Provence. Espace et relations d’une capitale (milieu xive s.-milieu xve s.), vol. 1, Aix-en-Provence, 1988, p. 25). 10 Deux fois sous Alphonse II, une fois aux côtés de la comtesse Garsende (cf. An. II, A-2, no 1). 11 GCN, t. 1, inst. Ecclesiae Aquensis, no 19, col. 24-25 (septembre 1200 : G. Monegue, témoin dans une reconnaissance de dette d’Alphonse II à l’archevêque Gui) ; RACP, no 42, p. 56 (4 avril 1206 : G. Monachi, témoin à la maison du Temple d’Aix). 12 RACP, no 52, p. 64 (27 juin 1207 : Johannes Monachus, sacrista domus Arcelle, témoin) ; RACP, no 36bis, p. 120 (5 juin 1219 : J. Monachus, témoin). Le monastère bénédictin de La Celle, où la comtesse Garsende († ap. 1225) avait élu sépulture, constituait l’un des pôles de dévotion de la maison comtale (Th. Pécout, Raymond Bérenger V. L’invention de la Provence, Paris, 2004, p. 140-142). 13 Alors que le sacriste apparaît souvent dans les sources relatives à ce monastère « mixte » – plutôt à partir du xive siècle, il est vrai –, ce J. Monachi n’est pas répertorié par P. L’Hermite-Leclercq, Le monachisme féminin dans la société de son temps. Le monastère de La Celle (xie-début du xvie siècle), Paris, 1989. 14 Cf. An. II, A-2, no 2 ; 2 G 28, no 172 (3 octobre 1275). L’église Sainte-Madeleine dépendait du chapitre (É. Marbot, Catalogue historial des sanctuaires et établissements religieux d’Aix, Aix, 1913, p. 19-20). 15 Cf. An. II, A-2, no 3. Bien que dépourvu de titre, le Hugo Monachus, témoin en 1220 d’un important acte concernant le comté de Forcalquier, peut être identifié au même personnage (RACP, no 42, p. 124-125 ; 29 juin 1220).

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identifie trois des fils de Jaufre : Jaufre (1259-† 1299), Bérenger et Raimond. Jaufre était jusqu’ici le personnage le mieux connu de la famille16. Ayant suivi la voie de son oncle Uc au sein du chapitre d’Aix, il fut en outre prévôt de Sainte-Marie de Barjols, au diocèse de Fréjus, une collégiale peuplée de familiers du comte. Jaufre n’occupa pas seulement une place de premier plan au sein du chapitre – un temps official, il assura encore le gouvernement du diocèse pendant deux vacances archiépiscopales en 1274 et 1283. Il fut également investi de plusieurs missions d’arbitrage ou d’expertise, notamment pour l’administration princière (1276, 1279). Ce chanoine eut au moins deux frères. Raimond apparaît seulement en 1275-1276, également dans la proximité du chapitre17. Attesté seulement à partir de 1276 et sans doute mort bien avant 1327, son autre frère Bérenger a, lui, suivi la voie du service étatique puisqu’on le retrouve comme sous-viguier à Marseille18. Mieux que cela, il donna des gages de fidélité à la dynastie angevine en envoyant son fils Peire en Catalogne en 1289, parmi les otages destinés à garantir la libération de Charles II, ce qui lui valut sans doute la qualité de familiaris du roi19. Un acte tardif donne le nom de son autre fils, Jaufre : en 1327, celui-ci confirme à l’Hôpital d’Aix une rente que sa mère Béatrice avait instituée pour un anniversaire20. D’autres mentions d’un Jaufre Monachi, entre 1289 et 1309, possessionné autour de l’étang de Berre, pourraient s’appliquer au même personnage ou, au contraire, être assimilées à un représentant de la branche arlésienne de la famille21. Les limites imposées à mes dépouillements aux archives – notamment l’exclusion des registres notariés – rendent encore plus conjecturelle l’identification des différentes composantes de la nébuleuse Monachi à partir du xive siècle. On se contentera de retenir que les hommes s’engagèrent résolument

16 Th. Pécout, Ultima ratio. Vers un État de raison. L’épiscopat, les chanoines et le pouvoir des années 1230 au début du xive siècle (provinces ecclésiastiques d’Arles, Aix et Embrun), mémoire d’HDR, Université de Paris 1, 2011, p. 432-433 ; cf. An. II, A-2, no 4. 17 Legs d’un cens pour un anniversaire (2 G 28, no 172 ; 3 octobre 1275) qui lui vaut d’être mentionné avec sa femme Rixendis et sa belle-mère Bellugue dans l’obituaire du chapitre (A. Chiama et Th. Pécout, Les obituaires du chapitre cathédral Saint-Sauveur et de l’église Sainte-Marie de la Seds d’Aix-en-Provence, Paris, 2010, p. 109, no 18 et 25). Il est encore témoin d’une vente au chapitre (2 G 30 ; 25 décembre 1276). 18 Cf. An. II, A-2, no 5. 19 « P. fils de Berenger Monachi » figure, avec deux autres Aixois, dans la liste des 76 nobles Provençaux qui s’embarquèrent de Marseille pour Barcelone (A. de Ruffi, Histoire de la ville de Marseille, t. I, Marseille, 1696, p. 151-153). Contexte : A. Kiesewetter, Die Anfänge der Regierung König Karls II. von Anjou (1278-1295). Das Königreich Neapel, die Grafschaft Provence und der Mittelmeerraum zu Ausgang des 13. Jahrhunderts, Husum, 1999, p. 191-196. 20 56 H 4190 (24 novembre 1327). D’autre part, un Gaufredus Monachus, domicellus de Aquis, procède à un échange avec le chapitre en 1320 (2 G 103, no 651). Or, je conjecture que ce dernier est le fils de Jaufre (1289-1327 ; cf. An. II, A-1). En effet ce Gaufredus Monachus déclare en 1320 un Hugo Monachi pour frère. Or, Jaufre (1289-1327) est bien le père d’un Hugo Monachus, comme l’apprend l’acte de 1327 (56 H 4190). 21 Gaufridus Monachi : témoin d’une transaction à Fos (AFP, no 571, p. 520) ; en tant que seigneur de Gignac, hommage à Robert de Calabre pour une terre à Pierrefeu c. 1308 (B 757) ; hommage au roi Robert pour la moitié du castrum de Gignac et des droits à Velaux en 1309 (AFP, no 590, p. 551). En 1333, est attesté à Velaux un Gaufridus de Vellaus qui pourrait être ce même individu ou un descendant (Th. Pécout (dir.), L’enquête générale de Leopardo da Foligno en Provence occidentale (octobre 1331 et septembre-décembre 1333), Paris, 2013, p. 563).

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dans l’administration monarchique, comme en témoignent les parcours de Bérenger (1348-1382) et de son probable fils, Uc (1350-† av. 1373)22. Il n’est guère étonnant de constater que, parallèlement, la famille investit largement les charges ecclésiastiques. Outre le placement des leurs comme chanoines, les Monachi cultivèrent des liens de proximité avec le chapitre : transactions foncières et donations23, fondations de chapellenies par les frères Monge et Jaufre, suivis par Raimond24. D’autre part, des ecclésiastiques cités sporadiquement ont quelque probabilité de se rattacher à ce groupe familial : Alasacia Monacha, abbesse du monastère de Notre-Dame de Sion à Marseille en 1287 ; Michel, franciscain à Aix en 1313 ; Jaufre, moine de Saint-Victor de Marseille en 131825. Quel rang social la famille affiche-t-elle à travers les actes qui la concernent ? C’est le titre de miles que portent les mâles dominants, Monge, Jaufre ou Bérenger, tout au long du xiiie siècle26. Le qualificatif chevaleresque se conserve certes au siècle suivant – Uc est potens miles27. Mais il le cède à domicellus dès le dernier tiers du xiiie siècle (Raimond en 1275, Jaufre en 1289)28, éventuellement relevé par le mélioratif nobilis ( Jaufre en 1327, Bérenger en 1348), dont on sait qu’il s’est alors démonétisé29. Par ailleurs, les Monachi soulignent leur appartenance à la cité d’Aix : le premier individu rencontré est Monachus Aquensis et deux générations après, Bérenger est toujours miles de Aquis30. Au xive siècle, certains de leurs descendants continuent d’afficher cette appartenance urbaine et de s’investir dans les affaires de la cité31. De fait, les mentions sporadiques de leur patrimoine confirment bien un enracinement 22 Cf. An. II, A-2, no 7 et 8. 23 Cf. Jaufre en 1259 et 1267 (An. II, A-2, no 2) et Uc en 1317 et 1327 (An. II, A-2, no 6). En 1276, un Monachus, domicellus de burgo Sancti Salvatoris, vend au chapitre un cens sur une maison rue de la Madeleine (2 G 30, no 184). Mais je ne peux rattacher de manière certaine ce personnage à la famille. 24 Fondation financée par les cens sur deux jardins que le chanoine Jaufre, neveu de Monge et fils de Jaufre, promet de verser. Raimond, frère du chanoine Jaufre, a également légué 5 s. de cens que ce dernier promet d’acquitter. En échange de ces versements au vicaire de Sainte-Madeleine, le chapitre promet d’entretenir un chapelain pour l’âme de ses parents (2 G 28, no 172 ; 3 octobre 1275). Un testament fragmentaire du xive siècle mentionne encore un legs au chapitre de la part d’une nièce anonyme d’un Bérenger Monge (2 G 158, no 1015). 25 AFP, no 481 (4 décembre 1287) ; B. Guérard, Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, t. 2, Paris, 1857, p. 42-43, no 700 (1er octobre 1318 ; agit en tant que prieur de l’église Beate Marie de Brusa de Plano) ; P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, capitale de la Provence [1665], t. 1, Aix, 1883, p. 310 (Michel Monachi, inquisiteur chargé de réprimer les Spirituels, est dit natif d’Aix). 26 Cf. An. II, A-2, no 1, 2 et 5. 27 Cf. An. II, A-2, no 8. 28 Raimond : 2 G 28, no 172 (1275) ; Jaufre : AFP, no 497 (1289) ; puis, au xive siècle, deux autres Jaufre : 2 G 103, no 651 (1320) ; 56 H 4190, no 7 (1327) ; et encore Uc : cf. An. II, A-2, no 6. 29 Jaufre : 56 H 4190, no 7 (1327) ; Bérenger, nobilis viri de civitate Aquensis (2 G 153, no 983 ; 1348). Dès le xive siècle, nobilis n’est plus un titre réservé à la seule noblesse (L. Larochelle, « Le vocabulaire social et les contours de la noblesse urbaine provençale à la fin du Moyen Âge. L’exemple aixois », Annales du Midi, 104 (1992), p. 167-168). 30 Cf. An. II, A-2, no 1 et 5. 31 Par exemple noble Uc Monachi, représentant de la ville aux États en 1348 (M. Hébert, Regeste des États de Provence, 1347-1480, Paris, 2007, p. 6).

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en plusieurs points de l’agglomération32. D’ailleurs, le nom de famille transmis est un nomen paternum plutôt qu’un cognomen renvoyant à une seigneurie castrale33. En ce sens, les Monachi ne suivraient pas le modèle du topolignage marqué par une identification forte entre pouvoir familial et patrimoine, rural en général. J’y verrais plutôt la marque d’une famille enracinée en ville, plus que dans ses domaines ruraux, à l’instar par exemple des Porcelet d’Arles34. Bien sûr, ceci n’exclut pas la possession de domaines dans la campagne, notamment autour de Puyricard35. Toutefois, la dispersion des biens qui semble poindre de la documentation est probablement symptomatique de la fragmentation du lignage en différentes branches, phénomène caractéristique des mutations aristocratiques à partir du xiiie siècle. Les Monachi attestés à Puyloubier dès le milieu xiiie siècle viennent d’Aix où certains d’entre eux continuent d’ailleurs à résider36. D’autre part, j’ai déjà mentionné un Jaufre, coseigneur de Gignac et possessionné à Velaux au début du xive siècle. D’autres Monachi se trouvent par la suite comme seigneurs de Velaux (Uc, Peire). Probablement faut-il suivre ici Jean Raybaud qui attribue cette dernière seigneurie à une branche arlésienne de la famille attestée au xve siècle37. Pour compliquer le tout, aux xive-xve siècles, plusieurs membres d’un lignage arlésien rajoutèrent à leur nomen Rostagnus le surnom Monachi, éventuellement à la suite d’une alliance avec ces Monachi de Velaux38. Cela dit, des Monachi étaient déjà présents à Arles au xiie siècle, même s’il est très probable que le cognomen familial se soit cristallisé sur le même principe que pour la famille aixoise

32 Jaufre habite apud Castellum (no 2), c’est-à-dire la ville des Tours, de même qu’un autre Jaufre, domicellus en 1289 (AFP, no 497, p. 436). Monge possède une maison rue de la Madeleine en 1276 (2 G 30, no 184). Bérenger habite près du palais comtal en 1307 (no 5). Un autre Jaufre habite également près de l’église Sainte-Marie-Madeleine (2 G 103, no 651 ; 1320), où son parent Uc élit sépulture en 1348 (3 G 153, no 983). Un autre Uc possède une maison au bourg Saint-Jean et reçoit de l’Hôpital une autre maison rue du chapitre (no 6). 33 Sur cette situation : F. Mazel, « Noms propres », p. 160. 34 M. Aurell, Une famille de la noblesse provençale au Moyen Âge : les Porcelet, Avignon, 1986, p. 66-78. 35 N. Coulet, Aix-en-Provence, p. 121. D’autres Monachi d’Aix, que je ne peux situer, entretiennent quant à eux quelques rapports économiques avec les cisterciens de Silvacane. En 1277, Monachus, frère de Bertrandus Guigoni, vend aux moines un cens sur une maison (2 G 31). En 1324 et 1328, Michel et Bertrand Monachi reconnaissent respectivement à l’abbaye des biens au terroir de Valbonnette, du côté de Lambesc (3 H 42, no 241 ; 3 H 43, no 251). 36 Dans l’enquête comtale de 1252, un Monach[us], mil[es] de Podio Lupario est également possessionné à Artigues, dans le canton de Rians (É. Baratier, Enquête sur les droits et revenus de Charles d’Anjou en Provence (1252 et 1278), Paris, 1969, p. 313, no 378). En 1288, Monachus de Podioluperio, miles civis Aquensis élit sépulture à l’Hôpital d’Aix (56 H 4180). Au xive siècle, un Petrus de Podioluperio alias Monachi ou Monachus de Podioluperio détient des biens sous la directe du chapitre d’Aix (2 G 139, no 882 ; 2 G 158 ; 2 G 153). 37 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 219 ; L.-P. d’Hozier et d’H. de Sérigy, Armorial général ou registres de la noblesse de France. Reproduction textuelle de l’édition de 1738-1768, t. VII-2, Paris, 1865-1884, col. 701. 38 Ce lignage de « Rostan-Monge » donna au moins deux dignitaires à l’Hôpital (M. Chailan, L’ordre de Malte dans la ville d’Arles, Bergerac, 1908, p. 249-250 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 345).

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et donc indépendamment de tout lien avec cette dernière39. On connaît, d’autre part, l’archevêque d’Arles Guillaume Monachi (1138/9-1141) auquel Monique Zerner a attribué le traité Contra Henricum schismaticum et hereticum. Mais cette dernière relie plutôt le nomen aux antécédents monastiques du personnage, sans vraiment creuser « la possibilité que ce surnom lui vienne de son père »40. Les Monachi d’Aix présentent donc toutes les caractéristiques de cette chevalerie possessionnée en ville, dont les familles investirent en masse les chapitres cathédraux et qui lièrent rapidement leur destin à la maison de Barcelone, avant de passer, pour la plupart, au service des Angevins41. Ainsi, la trajectoire de cette famille rappelle, toute proportion gardée, le cas devenu idéal-typique des Porcelet d’Arles, brillamment révélé par M. Aurell. Loin d’atteindre l’envergure de ces derniers, les Monachi ne représentèrent cependant qu’une famille parmi beaucoup d’autres engagées au service de l’État angevin. Et encore, même pas au point, semble-t-il, de participer à la conquête de la Sicile comme d’autres membres de la militia aixoise (Puyricard, Zavaterio)42. Pour Peiresc cependant, les « de Monachi » étaient « de noblesse immémoriale »43. Noël Coulet les compte également parmi les quelques familles nobles les plus anciennes de la cité44. Peut-on donc aller un peu plus loin sur les origines de cette lignée ? Peiresc, qui avait brassé quantité de sources concernant l’Orient latin, fournit l’unique piste en citant Geoffroi Monachi et Drogo Monachi parmi les représentants de la noblesse provençale à la première croisade45. L’allusion correspondrait le plus probablement à la victoire

39 Un rapide sondage a révélé au moins un Bernardus Monachus, consul à Arles en 1157 (CTSG, no 008) et un Poncius Monachi en 1166, dont les trois fils cités ne conservent d’ailleurs pas le nomen paternum (CTAr, no 007). 40 On ignore en effet tout du passé du personnage avant son avènement au siège d’Arles (Guillaume Monachi, Contre Henri schismatique et hérétique, suivi de Contre les hérétiques et schismatiques (anonyme), éd. M. Zerner, Paris, 2011, p. 17-20). 41 Sur la ruée dans les chapitres : M. Aurell, « La chevalerie urbaine en Occitanie (fin xe-début xiiie siècle) », in Les élites urbaines au Moyen Âge, Paris-Rome, 1997, p. 103-105. Sur l’origine sociale des chanoines d’Aix, majoritairement issus de la chevalerie d’Aix et de ses environs : A. Coste, Le chapitre métropolitain de Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence d’après son chartrier (xie siècle-1245), mémoire de maîtrise, Université de Provence, 2002, p. 139-141. 42 S. Pollastri, « La noblesse provençale dans le royaume de Sicile (1265-1282) », Annales du Midi, 100 (1988), p. 405-434. 43 Curieusement toutefois, ceux-ci ne sont plus cités parmi « les plus anciennes maisons d’Aix » (N. C. Fabri de Peiresc, Histoire abrégée de Provence et autres textes, éd. J. Ferrier et M. Feuillas, Avignon, 1982, p. 270-271). 44 N. Coulet, Aix-en-Provence, p. 281-283. 45 N. C. Fabri de Peiresc, Histoire abrégée de Provence, p. 113 : « Geoffroi Monachi qui longtemps après sous Roger d’Antioche rompist et deffit les Turcs en une battaille ». Il s’agit de Roger de Salerne, prince d’Antioche (1112-1119), qui s’illustra dans plusieurs batailles contre les Seldjukides. Ces deux Monachi n’apparaissent pas dans la prosopographie des premiers croisés établie par Jonathan Riley Smith, mais celle-ci n’est pas exhaustive, faute justement d’avoir considéré les sources de seconde main, tel Peiresc ( J. Riley-Smith, The First Crusaders, 1095-1131, Cambridge, 1997). Sur l’intérêt de Peiresc pour la noblesse provençale aux croisades et ses investigations jusque dans les fonds des ordres militaires : P. N. Miller, « Peiresc’s History of Provence. Antiquarianism and the Discovery of a Medieval Mediterranean », Transaction of the American Philosophical Society, 101-3 (2011), p. 1-104.

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de Tell-Dānīth, le 15 septembre 1115, à moins qu’elle ne se réfère à un fait d’armes de deux nobles, Gaufridus Monachus et Guido Fremellus, intervenu juste à la suite de la débâcle de l’Ager sanguinis, à l’été 111946. Entre ces hypothétiques ancêtres croisés et la brusque apparition des Monachi dans les chartes aixoises, près d’un siècle s’est écoulé sans laisser la moindre mention. Sans doute faut-il expliquer ce silence par la pénurie documentaire touchant encore le xiie siècle à Aix, qui ne bénéficie pas comme d’autres cités, de l’éclairage soudain apporté par les archives des institutions religieuses et communales. Pourtant, le fait que, pour les Monachi, le seuil archivistique ne dépasse pas les années 1160 suggère le caractère relativement récent du lignage. Au-delà des prestigieux croisés dont l’érudition classique a gardé trace, on peut présumer qu’a vécu un ancêtre Monachus qui aurait laissé son nomen paternum à un ou plusieurs de ses fils et dont le nomen lui-même fut longtemps perpétué au sein de la famille. On pourrait situer cette transition dans la deuxième moitié du xie siècle, au moment où se met progressivement en place dans l’aristocratie provençale un système anthroponymique à deux éléments. À ce compte-là, les fils en question pourraient être les croisés Drogo et/ou Jaufre. Monachus fut d’abord un sobriquet qui évoquerait la piété ou bien plutôt la fréquentation régulière d’un monastère, par dévotion ou bien par profession47. On voit bien, en effet, la manière dont un statut se transforme en nomen, comme sur cet exemple tiré du cartulaire de Saint-Victor : « Frambertus, vocitatus Monachus48 ». D’autre part, les noms statutaires sont bien connus dans la chevalerie provençale : il n’y a qu’à penser aux tiges Sacristain des Porcelet ou Decan des Uzès-Posquières49. Parallèlement au nomen Monachus devenu cognomen, la famille s’identifie par un stock limité de nomina propria. Gaufredus pourrait être assimilé à un Leitname, c’est-à-dire à un nom de lignée, singularisant plutôt le chef de famille et qui serait, en ce cas, attribué à l’aîné50. Berengarius, qui semble apparaître au début du xiiie

46 Nam acies quibus preerant viri nobiles et in armis strenui Gaufridus Monachus et Guido Fremellus, que prime fuerant ad irruendum in hostes deputate, optime et secundum rei militaris disciplinam progresse maiores hostium cuneos et densiores cohortes violenter dissolutas pene in fugam adegerant (Guillaume de Tyr, Chronique, 12,9, éd. R. B. C. Huygens, Turnhout, 1986, t. I, p. 556-557). Sur la bataille de Tell-Dānīth : R. Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, t. 1, Paris, [1934], 1999, p. 505-510. 47 J. Astor, Dictionnaire des noms de familles et noms de lieux du Midi de la France, [Millau], 2002, p. 530 (monachus> Mourgue/Monge). Marie-Thérèse Morlet confère à « Moine, Lemoine » ou « Monge » un sobriquet de dignité, « les moines du Moyen Âge étant souvent de famille noble » (M.-Th. Morlet, Dictionnaire étymologique des noms de famille, Paris, 1991, p. 700 et 703). 48 B. Guérard, Cartulaire de Saint-Victor, t. 1, no 488 (1012 ; témoin de la donation à Saint-Victor d’un alleu dans le comitatus de Fréjus). 49 J.-P. Poly, La Provence et la société féodale (879-1166). Contribution à l’étude des structures dites féodales dans le Midi, Paris, 1976, p. 253. De manière générale, sur le lien entre fonction sociale et pratiques de dénomination : C. Rolker, « Me, Myself, and My Name : Naming and Identity in the Late Middle Ages », in F.-J. Arlinghaus (dir.), Forms of Individuality and Literacy in the Medieval and Early Modern Periods, Turnhout, 2015, p. 233-257. 50 Le schéma classique de l’aristocratie serait une onomastique agnatique pour les aînés et cognatique pour les cadets (M. Aurell, Les noces du comte. Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Paris, 1995, p. 102). La transmission du même nom à l’aîné de génération en génération est fréquente, sans être exclusive, dans l’aristocratie languedocienne au xiiie siècle (M. Bourin, « Tel père, tel fils ? L’héritage

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siècle, deviendra un autre marqueur lignager. De fait, si Peire peut être considéré comme un prénom chrétien à la mode, la famille restera fidèle à Jaufre et Bérenger qui ont, au contraire, tendance à se raréfier en Provence dès le xiiie siècle51. On voit donc que la division en branches n’a sans doute pas effacé le sentiment d’appartenance à un rameau commun, qui s’est perpétué par la conservation à la fois du même cognomen et d’un stock resserré de prénoms relativement originaux. La question est désormais de savoir comment Bérenger Monge se rattache à ce groupe familial ? Émergence d’une individualité

Bérenger est, au sein du groupe familial des Monachi, le premier attesté avec ce prénom. Son origine gothique ne signifie certainement plus rien dans la Provence du xiiie siècle, alors que l’anthroponymie est profondément germanisée depuis plus de trois siècles52. En revanche, on ne peut exclure un phénomène de mimétisme avec la maison comtale de Barcelone, à laquelle le père de Bérenger aurait pu vouloir ainsi manifester son attachement53. Mais justement, qui peut bien être le père ? Nous l’avons vu au chapitre précédent, l’appartenance de Bérenger à la famille des Monachi d’Aix est pleinement reconnue par l’historiographie régionale et n’a pas à être remise en cause. Raybaud est encore l’érudit le plus prolixe car il situe plusieurs membres de la famille par rapport au commandeur de l’Hôpital54.

du nom dans la noblesse languedocienne (xie-xiiie siècles) », in M. Bourin et P. Chareille (dir.), Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne, t. 3, Enquêtes généalogiques et données prosopographiques, Tours, 1995, p. 191-209, ici p. 198-202. D’autre part, on ne saurait dire si le nomen Gaufredus traduit un lien quelconque avec la famille vicomtale de Marseille, pour laquelle Jaufre fait, là aussi, office de marqueur familial (F. Mazel, « Noms propres », p. 165-167). 51 À Aix, entre 1337 et le xve siècle, Jaufre et Bérenger passent respectivement du 10e au 23e rang et du 19e au 20e. Uc résiste à Aix dans le même temps (6e-7e rang), tandis que Peire fait une percée remarquable avec une seconde position dès 1337 (N. Coulet, « Les noms de baptême en Provence au bas Moyen Âge : complément d’enquête », Provence historique, 53 (2003), p. 178-182). Le nomen proprium Monachus reste, quant à lui, assez répandu en Provence, tout au moins au xiiie siècle (p. ex. : CTSG, no 257, 266, 424 ; CTAr, no 105 ; CaHSG, ad indicem). 52 « Ber-, Beren-, Bern- » se rattache au got « bera, bero, bern » : ours (M.-Th. Morlet, Les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule du vie au xiie siècle, t. 1, Les noms issus du germanique continental et les créations gallo-germaniques, Paris, 1968, p. 52). Dans le Midi, la signification des noms germaniques était sans doute largement ignorée depuis le ixe siècle au moins (B. Cursente, « Aspects de la révolution anthroponymique dans le Midi de la France (début xie-début xiiie siècle) », in M. Bourin et alii (dir.), L’anthroponymie, document de l’histoire sociale des mondes méditerranéens médiévaux, Rome, 1996, p. 43-46). 53 Sur l’introduction du double nom Ramon Berenguer dans la maison de Barcelone à partir du début du xie siècle : M. Aurell, Les noces du comte, p. 101-102. Un coup d’œil dans les index des cartulaires édités montre que le prénom Berengarius est, de façon générale, assez répandu dans la Provence du xiie et de la première moitié du xiiie siècle. 54 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 176 (frère du chanoine Geoffroy), p. 219 (oncle de Bérenger Monge, châtelain des Échelles), p. 297 (« Geoffroy Monge, fils de noble Hugues Monge de la ville d’Aix et petit-neveu du commandeur Béranger Monge, se rendit, le 11 août [1345] donné de l’ordre… »).

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En suivant ses indications, voici quelle serait la place de Bérenger Monge au sein du lignage : Bérenger Monge commandeur de l’Hôpital

Geoffroy Monge chanoine

3e frère Hugues Monge noble d’Aix

Bérenger Monge châtelain des Échelles

Geoffroy Monge donat de l’Hôpital en 1345

Or, non seulement Raybaud ne cite aucun titre reliant le donat Geoffroy et le châtelain Bérenger à Bérenger Monge, mais il surinterprète encore l’acte allégué pour faire de ce dernier le frère du chanoine Geoffroy55. Si l’on abandonne donc cette interprétation fondée sur une confusion entre homonymes – aisément compréhensible au demeurant –, le commandeur Monge se retrouve isolé au sein de son lignage. Je propose cependant, à titre d’hypothèse, de faire de Bérenger Monge le fils du chevalier Monge († av. 1275) et donc le cousin du chanoine Jaufre, qu’il devait côtoyer assez régulièrement56. La première occurrence assurée de Bérenger Monge intervient le 9 février 1246, dans une donation de la comtesse Béatrice de Savoie en faveur de l’Hôpital d’Aix57. Bérenger n’occupe pas le poste de commandeur qui est alors détenu par un certain Othon, attesté une seule fois au chapitre provincial de juillet 124658. C’est lui, cependant, qui est chargé de recevoir les bienfaits d’une aussi prestigieuse donatrice au nom de l’Hôpital. L’acte est passé au palais comtal, en présence d’Henri de Suse, évêque de Sisteron, et de plusieurs chevaliers aixois dont Jaufre Monachus, qui serait donc l’oncle de Bérenger. Le contexte témoigne que ce dernier a donc, à cette date, atteint un certain statut dans la société aixoise comme au sein de l’Hôpital. Comment en est-il arrivé là ? Je suis contraint de tout imaginer des premières années de son existence soit, finalement, de la tranche de sa vie qui a déterminé en grande partie sa trajectoire à venir. Combien de temps cela peut-il représenter dans une vie comme celle-ci, autrement dit quel âge Bérenger peut-il avoir en 1246 ? Pour avancer quelques hypothèses, il faut partir de sa profession dans l’ordre de Saint-Jean. Les ordres militaires refusaient théoriquement l’oblation même si, pour l’Hôpital, des statuts du début du xiiie siècle évoquent le cas de jeunes fils de chevaliers élevés

55 Actum Aquis in domo Hospitalis in camera inferiori coram testibus infrascriptis […] fratre Berengario Monacho, comendatore Manuasche et Aquis, domino Gaufrido Monacho, canonico Aquensis, fratre Arnaudo, capellano domini prioris… (56 H 4827 ; 15 août 1265 : vente par Isnard de Moustiers de ses droits à Puimoisson). 56 Cf. An. II, A-1. Le chanoine est attesté deux fois comme témoin à un acte impliquant le commandeur (cf. An. II, A-2, no 4). Notons qu’au nominatif, les scribes écrivent indifféremment Berengarius Monachus ou Monachi ; p. ex. : 56 H 4630 (20 octobre 1249) ; 56 H 4652 (4 novembre 1290). 57 …tibi Berengario Monachi, nomine ejusdem Hospitalis recipienti, tradimus… (CGH, t. 2, no 2393). Contrairement à ce que prétend F. de Ferry, Bérenger Monge n’est pas mentionné comme commandeur (F. de Ferry, La commanderie et le prieuré de Saint-Jean de Jérusalem à Aix-en-Provence de la fin du xiie siècle à 1792, thèse de l’École des chartes, 1939, p. 28). 58 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, p. 88 ; cf. An. II, B-1.

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dans l’ordre, éventuellement pour y rester59. Mais il s’agit là de cas exceptionnels et, pour présenter Bérenger à l’Hôpital, sa parentèle a certainement attendu au moins sa majorité, soit 14 ans au minimum60. Je propose même de ramener à la vingtaine d’années ce seuil, car celui-ci a l’avantage de laisser au sujet le temps d’acquérir le niveau de formation et de maturité qui, on le verra, fut le sien. D’autre part, si l’on se fie aux statistiques tirées du procès du Temple, ordre qui partageait exactement le même profil sociologique que l’Hôpital, Alan Forey a établi que la majorité des frères (44%) avaient fait leur profession autour de 20-29 ans61. Dans le dernier tiers du xive siècle, pour une phase certes bien différente de l’histoire de l’Hôpital, on ne faisait guère profession avant l’âge de 30 ans, sauf chez les chevaliers pour lesquels le recrutement pouvait être plus précoce62. À partir de l’hypothèse d’une profession vers 20-25 ans, je propose deux schémas d’évolution de carrière, dont je reconnais volontiers les limites, mais qui doivent être considérés dans une perspective heuristique (fig. 2). Ce qui figure en gras est avéré – on reviendra plus bas sur le détail du début de carrière –, tandis que ce qui est en italique est conjecturel. La première hypothèse est celle d’une ascension relativement lente, de l’ordre d’une vingtaine d’années, qui aurait laissé à Bérenger le temps de gravir les différentes étapes de la formation d’un frère avant d’arriver au préceptorat. Il aurait accédé aux responsabilités autour de la quarantaine, ce qui coïncide assez bien avec les profils de prélats étudiés par Bernard Guenée, qui attendaient « environ 40 ans pour avoir leurs premiers grands succès et entrer dans le monde des hommes d’autorité »63. L’autre schéma serait celui d’une ascension rapide qui, après 5 à 10 ans passés comme simple frère, aurait débouché sur un poste de commandeur autour de 25-30 ans. Cette trajectoire se base sur la possibilité, envisagée plus bas, que Bérenger Monge a bénéficié localement de soutiens puissants. Elle ne s’oppose pas à ce que l’on sait des pratiques en vigueur chez les hospitaliers dont les carrières ne suivaient pas de cursus honorum véritablement établi64. Elle s’accommode également d’une règle attestée à partir du début du xive siècle, mais sanctionnant probablement des 59 CGH, t. 2, no 1193, p. 40, § 12 (statuts dits de Margat, 1203-1206). Sur le refus de l’oblation : A. Forey, « Recruitment to the Military Orders (Twelfth to mid-fourteenth Centuries) », Viator. Medieval and Renaissance studies, 17 (1986), p. 148-149. 60 Même si la législation justinienne, rappelée dans les chartes par la clause de minorité, fixait la majorité à 25 ans, les notaires provençaux, plus pragmatiques, fixaient, selon les cas, la capacité d’action à 20, 18 voire 14 ans (M.-L. Carlin, La pénétration du droit romain dans les actes de la pratique provençale (xie-xiiiesiècle), Paris, 1967, p. 126-127 ; 56 H 4201 (23 mai 1278 : vente d’un majeur de 25 ans à l’Hôpital d’Aix) ; CTGard, no 54, 110-3, 113). 61 Sur trois échantillons : Paris 1307, Paris 1310-1311 et Lérida 1310. 17% de frères étaient tout de même entrés avant 20 ans (A. Forey, « Recruitment », p. 150). 62 N. Coulet, « Les effectifs des commanderies du grand-prieuré de Saint-Gilles en 1373 », Provence historique, 45 (1995), p. 115-116. 63 B. Guenée, Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle), Paris, 1987, p. 45. 64 A. Forey, « The Careers of Templar and Hospitaller Office-holders in Western Europe during the Twelfth and Thirteenth Centuries », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, Madrid, 2015, p. 201-214. Jochen Burgtorf conclut de même que, s’il n’y avait pas de carrière-type, certaines tendances peuvent toutefois être dégagées ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 424).

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événement

1206

naissance

hypothèse 1 : ascension lente

hypothèse 2 : ascension rapide

1 an

1216-1221 1226-1231

1 an profession

20-25 ans

1236-1241 1ere mention à Manosque comme frère 1246 1ere responsabilité à Aix  1249  1ere mention comme commandeur à Manosque 1255 1ere mention assurée (peut-être comme commandeur 1253 ?) d’Aix  1300 mort

15-20

1239

40 ans

ans

20-25 ans 5-10 25-30 ans ans

54

54

ans 94 ans

79-84 ans

ans

Fig. 2. L’évolution de carrière de Bérenger Monge : propositions hypothétiques

habitudes plus anciennes, selon laquelle nul frère ne pourrait recevoir une baillie (ou commanderie) avant l’âge de 25 ans et au moins trois années d’ancienneté65. Si l’estimation de la date de profession dans l’un ou l’autre cas n’a guère d’importance en soi, on retiendra la date de naissance, placée dans les années 1200 pour le premier cas, ou bien environ une décennie plus tard pour le second. En ce cas, une disparition assurée en 1300 déterminerait un âge au décès entre 79 ans (hypothèse 2) et 94 ans (hypothèse 1). Une telle estimation n’est en rien irrecevable dans le milieu qui fut celui de Bérenger Monge : nous aurons l’occasion de revenir sur la longévité des carrières des frères de son entourage et il est désormais reconnu que, pour tous ceux qui avaient la chance de franchir les épreuves de la sélection naturelle, « le cours normal d’une vie était de 70 ou 80 ans »66. Sa longue carrière comme commandeur (54 ans) n’interdit certes pas d’imaginer deux scénarios intermédiaires pour combler les trente premières années que je donne à mon sujet, en réservant d’ailleurs la

65 Un statut de 1304 impose trois ans de service dans l’ordre pour l’obtention d’une baillie – et cinq ans pour un château (CGH, t. 4, no 4672, § 14-15). En 1330, le chapitre général de Montpellier rajoute la limite des 25 ans (Ch. Tipton, « The 1330 Chapter General of the Knights Hospitallers at Montpellier », Traditio, 24 (1968), p. 305). Pour l’obtention d’une promotion, l’âge biologique aurait toutefois été moins important que le temps déjà passé au service de l’ordre ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 383-384). 66 B. Guenée, Entre l’Église et l’État, p. 40. La moyenne d’âge des templiers interrogés à Paris en 1307 était également relativement élevée – 40% au-dessus de 50 ans et 15% au-dessus de 60 ans (A. Forey, « Provision for the Aged in Templar Commanderies », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, institution des ordres militaires dans l’Occident médiéval, Paris, 2002, p. 175).

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possibilité de varier les gradients : une profession précoce (vers 14 ans) mais une progression lente (vers 30-40 ans) [hypothèse 3] ; ou bien au contraire, une profession tardive (vers 30 ans), compensée par une élévation rapide au rang de commandeur [hypothèse 4]. Si le trou noir de la première vie de Bérenger Monge laisse ouverts tous les champs des possibles, mon intuition donne toutefois la préférence aux deux premières hypothèses67. Les sources, entièrement orientées sur la vie de Bérenger Monge « en religion », laissent un vide béant sur ses relations avec sa famille. Bérenger ne fut probablement pas fils unique mais son isolement dans la généalogie des Monachi – du moins si l’on suit ma reconstitution plutôt que celle de Raybaud – empêche de le situer au sein d’une fratrie68. En supposant, comme je l’ai fait, que Monge fût effectivement le père de Bérenger, sa descendance n’a en effet laissé aucune trace. On ne peut donc que présumer que le jeune Bérenger fut promis à l’Église et, dans ce cas, lui inventer même un frère aîné du nom de Jaufre (ou de Monge)69. Mais nous ne saurons jamais rien sur son infantia et sa pueritia, soit sur les quatorze premières années de sa vie. Nonobstant les caractères équivoques qui lui étaient prêtés, l’enfance était considérée comme un moment déterminant dans la fabrication d’une expérience individuelle70. L’enfant Bérenger a-t-il reçu des rudiments de lecture et d’écriture auprès de quelque clerc de l’entourage familial où les chanoines ne manquaient pas71 ? Voire dans l’une de ces petites écoles, où étaient enseignés les bases de grammaire et qui commencent à être attestées dans les villes provençales à partir du xiiie siècle72 ? S’il est inutile d’aller plus loin dans les spéculations, il n’en demeure pas moins que les compétences qui seront requises de lui a posteriori suggèrent qu’il a reçu une formation intellectuelle pratique. Sans anticiper ici sur la démonstration

67 On peut notamment penser qu’une vie plus longue comme simple frère [hypothèse 3] ou, au contraire, comme miles laïque vivant dans la cité [hypothèse 4] aurait eu quelques chances de laisser des traces documentaires. 68 Sur la fécondité de l’aristocratie provençale : M. Aurell, Une famille de la noblesse, p. 54. 69 En ce cas, peut-être faut-il rattacher à l’un des autres fils de Monge, la branche documentée seulement à partir du noble Bérenger Monachi († av. 1348) et que mon tableau de filiation n’a pas réussi à rattacher au reste du groupe (cf. An. II, A-1) ? N’est-il pas envisageable de faire de ce dernier un petit-fils de Monge et donc un neveu du commandeur homonyme ? Auquel cas, Raybaud aurait confondu ce Bérenger Monachi mort avant 1348 avec son homonyme, le châtelain des Échelles. 70 C’est le cas notamment dans les biographies chevaleresques (É. Gaucher, La biographie chevaleresque. Typologie d’un genre (xiiie-xve siècle), Paris, 1994, p. 319-350). Sur les âges de l’enfance et l’éducation : P. Riché et D. Alexandre-Bidon, « L’enfant au Moyen Âge : état de la question », in La petite enfance dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, 1997, p. 7-29. 71 En 1215, parmi les témoins d’une charte de l’Hôpital d’Aix, se côtoient par exemple le miles Gaufredus Morgues et le grammaticus Valentinus (56 H 4199 ; 18 septembre 1215). Sur les lieux de savoir « informels » autour des chapitres provençaux : Th. Pécout, « Une technocratie au service d’une théocratie. Culture et formation intellectuelle des évêques de Provence (milieu du xiiie siècle-milieu du xive siècle) », in M.-M. de Cévins et J.-M. Matz (dir.), Formation intellectuelle et culture du clergé dans les territoires angevins (milieu du xiiie-fin du xive siècle), Paris-Rome, 2005, p. 96-97. 72 S. Bednarski et A. Courtemanche, « Learning to be a Man : Public Schooling and Apprenticeship in Late Medieval Manosque », Journal of Medieval History, 35-2 (2009), p. 117-118. Sur les réseaux scolaires à Aix et les précepteurs engagés par les élites : N. Coulet, Aix-en-Provence, p. 544-551.

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à venir, il est évident désormais que les hospitaliers amenés à assumer la gestion quotidienne des maisons de l’ordre possédaient des capacités en écriture et en comptabilité, si ce n’est en latin. On le verra, les mains intervenant au jour le jour sur les registres comptables de la commanderie de Manosque dépassent « le degré zéro de l’écriture » et semblent plutôt témoigner d’une fréquentation régulière de l’écrit73. Du reste, le niveau culturel des frères des ordres militaires commence à être réévalué par les historiens74. Tout comme ont été en général réévaluées l’instruction et la familiarité avec l’écrit des élites guerrières, le xiiie siècle marquant à ce titre un tournant75. Or, Bérenger est sans nul doute issu d’un milieu familial favorisé : son cousin, le chanoine Jaufre, possède une petite bibliothèque où se trouvent quelques œuvres de droit civil et canonique76. La carrière administrative d’un autre cousin probable, le miles Bérenger Monachus, semble confirmer ce phénomène désormais bien connu qu’est l’investissement de la chevalerie dans l’éducation et notamment dans les études juridiques77. L’autre volet de l’éducation concerne la formation physique et guerrière d’un garçon issu de la militia. Or, le statut que semble s’être donné Bérenger en tant qu’hospitalier ne laisse pas d’étonner. Alors que la majorité des chevaliers de l’Hôpital affiche sans retenue le titre de miles, celui-ci n’apparaît que très rarement et fort tardivement dans la titulature assignée au commandeur Bérenger78. Comment interpréter ce qui semble apparaître comme une originalité ? Est-ce à dire qu’il n’a pas été adoubé79 ? Cela ne représentait rien de dirimant dans l’accomplissement d’une carrière à l’Hôpital et, jusqu’à la fin du xiiie siècle tout au moins, cela n’empêchait même pas d’être promu

73 Sur les caractéristiques de cette « écriture-outil au service du pragmatisme » : P. Bertrand, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (1250-1350), Paris, 2015, p. 231-236. 74 A. Forey, « Literacy and Learning in the Military Orders during the Twelfth and Thirteenth Centuries », in H. Nicholson (dir.), The Military Orders, vol. 2, Welfare and Warfare, Londres, 1998, p. 185-206 ; D. Carraz, « Les collections de livres dans les maisons templières et hospitalières. Premiers jalons pour la France méridionale (xiiie-xve siècle) », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), Entre Deus e o rei. O mundo das ordens militares, vol. 1, Palmela, 2018, p. 153-176. 75 M. Aurell, Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux xiie et xiiie siècles, Paris, 2011 ; É. Anheim et Fr. Menant, « Mobilité sociale et instruction. Clercs et laïcs du milieu du xiiie au milieu du xive siècle », in S. Carocci (dir.), La mobilità sociale nel medioevo : rappresentazioni, canali, protagonisti, metodi d’indagine, Rome, 2010, p. 341-379. 76 Th. Pécout, Ultima ratio, p. 433. Sur la formation juridique des chanoines : Th. Pécout, « Une technocratie au service d’une théocratie », p. 101. 77 G. Giordanengo, « Qualitas illata per principatum tenentem. Droit nobiliaire en Provence angevine (xiiie-xve siècle) », in N. Coulet et J.-M. Matz (dir.), La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, Rome, 2000, p. 285-286. Reconnaissons toutefois les limites de l’investissement des Monachi dans l’apprentissage du droit : aucun d’entre eux n’apparaît dans la liste des officiers gradués de l’université établie par J.-L. Bonnaud, Un État en Provence. Les officiers locaux du comte de Provence au xive siècle (1309-1382), Rennes, 2007, CD-rom, annexe iv. 78 56 H 4180 (21 avril 1286) ; 56 H 4211 (22 juin 1299). 79 La question de l’adoubement au sein de l’aristocratie provençale me semble mal connue. On se bornera à remarquer qu’au moment où Bérenger était peut-être en âge d’être adoubé, un statut comtal, édicté entre 1234 et 1238, décidait de priver des privilèges chevaleresques les fils de chevaliers non adoubés (G. Giordanengo, « Qualitas illata per principatum tenentem », p. 272-273).

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au rang de chevalier de l’ordre80. Ce que l’on sait de son profil à venir confère plutôt à Bérenger une image de gestionnaire et nous verrons par ailleurs qu’il semble avoir mis en avant le caractère religieux de sa personne. En ce cas, peut-on même imaginer que Bérenger ait reçu les ordres mineurs avant de s’engager, avec l’Hôpital, dans une branche de l’Église plus active et militante81 ? On peut encore extrapoler et supposer que les Monachi avaient déjà largement délaissé le métier des armes – on a remarqué qu’ils ne semblent pas avoir fourni de recrues aux guerres angevines – pour embrasser les carrières cléricales et administratives ? Si elle n’a pas ma préférence, ne refermons pas trop vite l’alternative de l’adoubement, précédé d’un entraînement guerrier sur lequel on ne sait, de toute manière, pas grand-chose82. Après tout, on ne saurait oublier que l’Hôpital était un ordre militaire qui cherchait avant-tout à recruter des combattants. Frère de l’Hôpital : un destin programmé ?

Certes, rechercher a posteriori ce qui a pu conditionner la profession de Bérenger à l’Hôpital pourra apparaître comme une démarche quelque peu téléologique. Il n’est pas vain, toutefois, d’explorer un peu plus avant l’un de ces milieux laïques proches des ordres militaires. Beaucoup a déjà été écrit sur le profil sociologique des frères et sur l’attraction exercée par le monachisme militaire auprès de la petite et moyenne aristocratie83. En Provence, la petite chevalerie a massivement orienté sa dévotion vers les ordres religieux issus du renouveau spirituel du xiie siècle, dans le sillage des vieilles familles, mais peut-être plus durablement que ces dernières84. On a également souligné la convergence entre la spiritualité de l’action incarnée par les ordres militaires et certains profils socio-culturels urbains, d’où procèdent les élites chevaleresques comme les Monachi85. Ici, les aléas documentaires laissent

80 A. Demurger a clarifié le rapport entre chevalier du siècle et chevalier de l’Hôpital, deux statuts qui ne se recoupaient pas tout à fait (A. Demurger, Les hospitaliers. De Jérusalem à Rhodes, 1050-1317, Paris, 2013, p. 270-274). 81 Il est exclu que Bérenger soit devenu chapelain de l’Hôpital. D’une part, car ce que l’on verra de son mode de vie est assez peu conforme à ce schéma, et d’autre part parce qu’une carrière cléricale dans l’ordre lui aurait sans doute fait suivre une voie différente : prieur plutôt que commandeur. Il était exceptionnel, en effet, qu’un prêtre accède à la responsabilité de commandeur. En 1283, un statut rappellera d’ailleurs l’interdit pour les frères prêtres d’exercer la justice de sang (CGH, t. 3, no 3844, § 22). Or, c’était justement l’une des attributions du commandeur de Manosque ! 82 Sur les spécificités méridionales de l’éducation guerrière : L. Macé, « La culture chevaleresque méridionale au xiie siècle : une idéologie sans tournoi ? », in Ch. Desplat (dir.), L’homme du Midi. Sociabilités méridionales, Paris, 2003, p. 173-184. 83 En guise de synthèse, je me permets de renvoyer à : D. Carraz, « Le monachisme militaire, laboratoire de la sociogenèse des élites laïques dans l’Occident médiéval ? », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, p. 39-64. 84 F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin xe-début xive siècle. L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, 2002, p. 337-374 ; D. Carraz, L’ordre du Temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312). Ordres militaires, croisades et sociétés méridionales, Lyon, 2005, p. 160-185 et 395-418. 85 D. Carraz, « Expériences religieuses en contexte urbain. De l’ordo monasticus aux Religiones novæ : le jalon du monachisme militaire », in D. Carraz (dir.), Les ordres militaires dans la ville médiévale (1100-1350), Clermont-Ferrand, 2013, p. 37-56.

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apparaître les premiers membres reconnus de la famille auprès des templiers. Monge d’Aix est ainsi attesté deux fois, dont l’une en compagnie de G. Monachi, dans des actes impliquant cet ordre86. Cela ne fait pas de ces deux personnages des dévots des frères de la militia Templi mais cela confirme les convergences sociales entre les uns et les autres. Plus sérieuse est la piste de ce miles Gaufredus Morgues, compté au nombre des hospitaliers d’Aix dans un acte de 121587. D’autre part, on ne saurait négliger cet autre Monge, cette fois-ci attesté comme hospitalier à la commanderie de Manosque au début des années 123088. On a rappelé le caractère plutôt commun de ce nomen d’origine statutaire, mais il ne faut pas écarter a priori tout lien entre ce Monge et le Bérenger Monge qui s’illustrera au même endroit moins de deux décennies plus tard. Même si le fil des liens est mince, les Monachi ne furent donc pas indifférents aux premiers véritables développements, à partir des années 1180, de l’Hôpital dans cette partie de la Provence. L’adhésion de Bérenger Monge puis sa brillante carrière ne purent que renforcer les contacts entre le lignage aixois et l’ordre de Saint-Jean. Le frère hospitalier n’hésita pas à appeler ses parents comme témoins de quelques importantes transactions concernant la maison d’Aix89. Au-delà des relations de proximité, il reste quelques traces d’un attachement dévotionnel plus profond envers l’église Saint-Jean d’Aix et ses desservants. Un inventaire des archives indique ainsi une élection de sépulture, en date du 1er mars 1281, d’un Bérenger Monachi90. Comme je ne pense pas, à la différence de Roux-Alphéran, que cette mention s’applique au commandeur, il faudrait l’attribuer à un homonyme : je ne vois guère, à cette date, que le miles et officier royal91. Cette possibilité est d’autant plus crédible qu’en 1286, c’est bien l’épouse de cet autre Bérenger Monachi, Béatrice, qui lègue à la même église un cens de 5 sous coronats pour la fondation d’un anniversaire92. On relève enfin, en 1288, l’entrée en confraternité assortie d’une élection de sépulture d’un Monge de Puyloubier qui, on l’a vu, pourrait appartenir à une branche cadette de la famille93. 86 Cf. An. II, A-2, no 1. 87 Il est le dernier cité, parmi cinq frères témoins, à la confirmation du bail portant sur le tiers du moulin de Moissac (56 H 4199 ; 18 septembre 1215). « Morge, Morgue » est bien une variante de « Monge » (M.-Th. Morlet, Dictionnaire étymologique, p. 709), tandis que le nomen Gaufredus rattache encore plus sûrement cet individu au groupe familial des Monachi. Ce Gaufredus Morgues pourrait être rapproché du G. Monachi attesté en 1200 et 1206 et qui aurait donc intégré l’Hôpital par la suite (GCN, t. 1, inst. Ecclesiae Aquensis, col. 24-25, no 19 ; RACP, p. 56, no 42). 88 Frater Monachus, témoin de deux transactions : 56 H 4639 (19 mars 1231) et 56 H 4640 (2 juillet 1234). 89 Un probable oncle, Jaufre, est témoin de la donation de Béatrice de Provence en 1247 et d’un règlement sur les dîmes de Trets en 1264 (An. II, A-2, no 2). L’année suivante, c’est le chanoine Jaufre qui est cité à la suite du commandeur Monge parmi les présents à la commanderie d’Aix, pour un acte passé par le prieur de Saint-Gilles (An. II, A-2, no 4). 90 « Pouvoir et faculté de sepulture pour Berenguier Monachi a St Jean d’Aix des kalendes de mars 1280. No 22 » (56 H 50, f. 143 ; inventaire de 1705). 91 Fr. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence, vol. 2, Aix, 1846, p. 302 n. 92 Testament du 22 août 1286, rapporté dans une transaction de son fils Jaufre (56 H 4190 ; 24 novembre 1327). 93 56 H 4180 (14 décembre 1288).

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D’autres encore, sont allés plus loin dans la voie de l’intégration, comme ce Bérenger Monachi, appelé juvenis pour le distinguer de son prestigieux parent. Si cet homme demeure, en l’état de mes investigations, fort peu documenté, il n’en accomplit pas moins une belle carrière au sein de l’Hôpital, puisqu’on le trouve en 1293 comme châtelain de la commanderie des Échelles94. Anticiper quelque peu sur la trajectoire du futur commandeur, afin de montrer une certaine continuité des liens entre les Monachi et l’ordre militaire, permet de suggérer que la profession de Bérenger Monge ne fut pas un hapax. Loin d’être le fait du hasard, et par-delà la logique familiale tendant à placer les fils dans des carrières religieuses ou civiles dotées d’un certain capital symbolique, cette profession s’inscrit dans une accointance durable entre le lignage et l’Hôpital. Sans aborder encore l’image « chevaleresque » que les hospitaliers étaient susceptibles d’incarner, je pense, comme Daniel Le Blévec, que l’engagement de l’ordre sur la voie de la militarisation fut déterminant dans l’adhésion des milites provençaux95. Sans doute, chez les Monachi comme chez tant d’autres, le souvenir des ancêtres partis à la croisade a-t-il joué aussi. D’ailleurs, comme d’autres lignages provençaux, ceux-ci ont pu faire souche en Orient même si les indices sont plus qu’erratiques. En 1271, on trouve ainsi un Geoffroy Monge dans l’entourage du seigneur de Tyr96. La première apparition de Bérenger Monge parmi les hospitaliers d’Aix se place donc le 9 février 1246. Il est alors aux responsabilités sans porter encore le titre de commandeur. On a proposé plus haut des hypothèses sur sa progression de carrière avant cette date. Continuons dans notre essai d’histoire-fiction. Que l’on opte pour le scénario de l’évolution mesurée ou plutôt pour celui de l’homme pressé d’arriver, il nous faut bien essayer d’imaginer ses premières armes au sein de l’ordre militaire. Il y a, là encore, deux trajectoires possibles : un passage par le service en Orient ou bien une carrière de gestionnaire dans une ou plusieurs commanderies de l’arrière, en général jamais trop éloignées du lieu d’origine du frère. L’absence de Bérenger

94 Mention unique au chapitre du prieuré de Saint-Gilles tenu à Montpellier, le 4 octobre 1293 (LPM, no 38, p. 128-129 : fraire Berenguier Monegue, le jove, castellan de las Eisselhas). Parmi les témoins laïques de l’acte, figure encore un Berengarius Monachi, domicellus (p. 130) que je ne saurais, pour le coup, plus où situer ! Comme on l’a vu plus haut, Raybaud fait de ce juvenis le neveu de Bérenger Monge. L’homonymie rend certes tentant l’établissement d’un lien avunculaire mais, selon moi, le châtelain des Échelles pourrait être le fils du miles Bérenger Monachi, ce qui en ferait plutôt un petit-cousin du commandeur (cf. An. II, A-1). Le fonds de la commanderie des Échelles déposé aux Archives départementales du Rhône n’a conservé aucune pièce du xiiie siècle. Mes tentatives pour pister ce frère sont donc restées vaines en l’état. 95 D. Le Blévec, La part du pauvre. L’assistance dans les pays du Bas-Rhône du xiie siècle au milieu du xve siècle, vol. 1, Rome-Paris, 2000, p. 7 ; D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 178-179. 96 …o la garentie de mes homes, des quels ce sont les noms […] Joifrey Monge (CGH, t. 3, no 3409 : Jean de Montfort, seigneur de Tyr et du Toron, confirme à Hugues Revel, maître de l’Hôpital, le casal de Torciafé, 1er janvier 1273). Deux indices plaident ici pour un lien avec la famille aixoise : le Leitname Geoffroy, ici francisé, et le cognomen qui a conservé sa forme occitane dans un milieu culturel majoritairement français. On notera encore la présence d’un Stephanus Monachi dans le comté de Tripoli en 1256 (CGH, t. 2, no 2833).

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Monge dans la documentation relative à l’Hôpital dans l’Orient latin n’a rien pour surprendre. Les lacunes documentaires sont telles que l’état de service militaire de la plupart des frères restera à jamais ignoré97. Pour se limiter à un cas prestigieux, les trois premières décennies de la carrière du templier Jacques de Molay n’ont pratiquement laissé aucune trace directe, et seule une attention fine aux traces indicielles fournies par les actes du procès a permis à Alain Demurger d’imaginer sa trajectoire avant son accession à la maîtrise en 129298. Certes, au Temple comme à l’Hôpital, un candidat à la réception devait s’attendre à être envoyé au front. Jochen Burgtorf rappelle d’ailleurs que la sélection, éventuellement établie lors des chapitres généraux, tenait compte des capacités physiques, si ce n’est des compétences, de chacun99. Les actes du procès montrent qu’au début du xive siècle, beaucoup de templiers avaient commencé leur service outre-mer et pouvaient être récompensés, à leur retour en Occident, par un poste de commandeur100. Pour autant, au Temple comme à l’Hôpital, il est loin d’être évident que tous les chevaliers qui reçurent une commanderie deçà-mer aient accompli la première partie de leur parcours dans l’Orient latin. Si l’on s’en tient au cas des prieurs de Saint-Gilles, un service préalable outre-mer n’est attesté que pour huit individus sur la trentaine de dignitaires qui se sont succédé au cours des deux premiers siècles d’existence de la province101. Féraud de Barras (1244-1269) ne semble jamais avoir fait carrière en Terre sainte même si, là encore, nous échappe toute la vie qui a précédé son accession au prieuré102. Il semble donc qu’il faille en rester à l’impression jadis formulée par Pierre Santoni : il existerait deux profils de carrière assez différents, l’un plutôt confiné au Midi de la France, l’autre plutôt accompli outre-mer103. Ce qui est vrai au sommet de la hiérarchie provinciale l’était forcément 97 Raybaud, qui a eu à sa disposition une partie des archives centrales rapatriées en Provence, ne fait aucune allusion, dans son Histoire des grands prieurs de Saint-Gilles, à de possibles antécédents de Bérenger Monge dans les États latins. 98 A. Demurger, Jacques de Molay. Le crépuscule des templiers, Paris, 2002. On peut faire la même remarque pour plusieurs prieurs de l’Hôpital, sur lesquels on ne sait rien avant leur accession à la tête d’une province ( J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land. Financing the Latin East, 1187-1274, Londres, 2005, p. 134-135). 99 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 395-396. Les statuts de Margat (1204-1206) avaient décrété que pourraient être demandées au frère fraîchement entré dans l’ordre les mêmes tâches (servitium) que celles qu’il effectuait déjà dans le siècle (CGH, t. 2, no 1193, § 12). 100 A. Demurger, « Outre-mer. Le passage des templiers en Orient d’après les dépositions du procès », in D. Coulon et alii (dir.), Chemins d’outre-mer. Études d’histoire sur la Méditerranée médiévale offertes à Michel Balard, Paris, 2004, p. 220-224 ; A. Forey, « The Careers », p. 203-204. 101 P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré de Saint-Gilles de l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem », in Des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, de Chypre et de Rhodes hier aux chevaliers de Malte aujourd’hui, Paris, 1985, p. 150-152 ; cf. An. II, B-3. 102 An. II, D-1, no 5. Je considère qu’il y eut deux homonymes et non pas un seul frère dont la carrière se serait déroulée de 1180 à 1268, à la différence de J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, c.1070-1309, Houndmills-New York, 2012, p. 103-104 ; et de J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land, p. 135. 103 Je suis en revanche plus réservé sur l’idée que l’« on ne voit pas se dessiner de carrière vraiment mixte » : en se fondant largement sur les biographies établies par Raybaud, Santoni remarque quelques lignes plus bas qu’au moins onze prieurs ont poursuivi leur carrière en Orient par la suite (P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré », p. 151-152).

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pour la catégorie des commandeurs et, selon toute vraisemblance, Bérenger Monge a plutôt relevé du premier profil. On ajoutera que les années 1230 au cours desquelles celui-ci aurait pu faire son baptême du feu ne connurent pas d’engagement militaire majeur dans les États latins. Même si l’argument pourra sembler spécieux, on en déduira qu’aucune urgence ne poussa sans doute l’Hôpital à effectuer des transferts massifs de combattants dans ce laps de temps104. Il faudrait donc placer les premières années de vie de Bérenger comme hospitalier dans une commanderie provençale, en principe point trop éloignée d’Aix105. Cependant, en m’arrêtant plus haut à l’année 1246 pour la première attestation du personnage à Aix, j’ai en réalité un peu triché. Je voyais bien Bérenger faire profession à Aix, à l’incitation du père et de l’oncle que je lui avais donnés, ces milites qui connaissaient les templiers, et peut-être sous le parrainage de cet autre parent, l’hospitalier Jaufre Morgues. En réalité, deux chartes passées le même jour au palais de Manosque et rédigées par le notaire Guilhem Maurel livrent une mention plus précoce. Le 17 novembre 1239, un Berengarius Monacus est en effet témoin, parmi d’autres hospitaliers, de deux ventes de terres au commandeur Guilhem Uc. Les problèmes de lecture et l’imprécision entourant le statut des témoins m’avaient d’abord laissé perplexe106. Jusqu’à ce que je tombe sur la liste des commandeurs de Manosque figurant dans la version manuscrite de l’Histoire des grands prieurs, où Raybaud note ceci à propos de Bérenger Monge : Il etoit natif de la ville d’Aix, et fut fait commandeur en 1249 ; comme appert par un hommage à lui prêté par un habitant le 26 septembre audit an. Il fut ensuite pourvu de la commanderie d’Aix107.

104 Conséquence du traité de Jaffa négocié par l’empereur Frédéric II en février 1229, le répit fut toutefois de courte durée puisque les pertes importantes consécutives au siège de Trapesac (aujourd’hui Darbsāk), en 1237, déclenchèrent apparemment une mobilisation rapide des deux ordres militaires en Occident ( J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land, p. 20-21). Mais compte-tenu des balises que j’ai posées pour les premières années de sa vie de frère, cette date aurait laissé peu de temps à Bérenger pour effectuer son service en Orient. 105 Le recrutement local des frères des ordres militaires est bien connu. Pour les templiers, je me permets de renvoyer à D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 291-294. Pour l’Hôpital, malgré une approche quelque peu impressionniste des sources, le fait est entre autres confirmé par J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land, p. 133-134. 106 L’accès aux pièces originales m’ayant d’abord été interdit, ma première lecture n’avait pu se fonder que sur des microfilms de piètre qualité. Acta sunt hec in palatio infra cameram preceptoris coram istis testibus : B. de Regio, Ber. Honorato, B. de Navis, Andrea, Berengario Monaco, Is. Stephano, Rostano de Valle ferro, R° Fulcone, W. Chabaudo, W. de Bariols (56 H 4640 ; 17 novembre 1239). Liste des témoins mentionnés dans la seconde vente : Hoc factum fuit in camera comendatoris palatii coram istis fratribus : B. de Regio, Bernardo Honorato, B. de Navis, Bere. Monaco, Andrea, Isnardo Stephano, Rostano de Valle Ferro, W. Chabaudo, R. Fulcone, P. de Crocis, W. Arriendo (56 H 4677 ; 17 novembre 1239). Logiquement, les deux listes se recoupent en grande partie mais la qualité des témoins n’est jamais mentionnée. 107 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, f. 249/8v. En réalité – mais c’est un détail –, on peut vieillir de quelques jours la première occurrence donnée par Raybaud : dès le 4 septembre 1249, Bérenger Monge est signalé comme commandeur dans un accord avec un maître au sujet du studium de Manosque. Il est notable qu’en cette occasion, le nouveau commandeur se fit accompagner par son parent Gaufredus

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Sans aborder déjà la question de son accès au préceptorat, il faut donc reconsidérer sérieusement les deux chartes de 1239 et envisager que Bérenger Monge a débuté comme frère à la commanderie de Manosque108. Pourquoi Manosque ? Sans doute, cette maison pouvait-elle apparaître plus prestigieuse et riche de potentialités que celle d’Aix. On n’oublie pas non plus la mention de ce frère Monge au début des années 1230 : il n’est en rien exclu qu’il s’agisse d’un parent. Bérenger lui-même peut-il se cacher derrière ce nomen simple de Monachus ? On ne sait pas grandchose encore de l’onomastique des frères des ordres militaires qui semble avoir été changeante, tant au gré de leur mobilité géographique ou hiérarchique que des usages scripturaux109. Quelque part entre 1225 et 1239, Bérenger reçut donc le manteau noir des frères de l’Hôpital, devant la communauté réunie en chapitre, très probablement dans le palais de Manosque. Je ne m’arrête pas sur la cérémonie de réception elle-même ni sur la portée de cet engagement, déjà mainte fois commentées par les histoires générales de l’ordre à partir de la documentation législative110. Comme les ordres militaires ne semblent pas avoir connu de noviciat vraiment institué, on a pensé que les états de confrère ou de donné avaient pu représenter une sorte de probation111. On ne saura Monachi, qui doit correspondre au miles que j’ai assimilé à l’oncle de Bérenger (56 H 903, f. 65r, éd. J. Shatzmiller, « Une expérience universitaire méconnue : le studium de Manosque, 1247-1249 », Provence historique, 24 (1974), PJ no 8, p. 490). 108 Pour confirmer que Bérenger Monge figure bien en tant que frère dans la charte originale, il a fallu examiner la qualité des autres témoins cités : Bernardus Honoratus et Andreas apparaissent comme frères, respectivement en 1230-1235 et en 1261 (56 H 4639 ; 56 H 835, f. 19) ; Guillelmus Chabaudus, d’abord attesté sans statut en 1238 (56 H 4630), apparaît en 1241 comme frère (56 H 4640) puis entre 1249 et 1259 comme sacriste de Saint-Pierre ; B. de Navis est mentionné comme frère en 1235-1238 (56 H 4630, 56 H 4836) ; Is. Stephano pourrait correspondre à l’un des deux frères cités avec le nom unique Isnardus dans les mêmes années (cf. An. II, C-2). Seul Guillelmus de Bariols est un laïc attesté entre 1217 et 1235 dans le proche entourage de l’ordre (56 H 4638, 56 H 4629, 56 H 4640, 56 H 849bis). Ces recoupements, encore avalisés par la liste du second acte, confirment que Bérenger Monge est bien inscrit dans une liste d’hospitaliers. 109 Sur le caractère assez aléatoire de la dénomination des templiers cités dans les interrogatoires du procès : A. Demurger, « Éléments pour une prosopographie du “peuple templier”. La comparution des templiers devant la commission pontificale de Paris (février-mai 1310) », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, p. 29. Les clercs eux-mêmes pouvaient éventuellement changer de nom, « volontairement ou renommés par leur entourage » (M. Bourin, « L’anthroponymie des clercs en Bas-Languedoc : le cartulaire du chapitre d’Agde », in M. Bourin et P. Chareille (dir.), Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne, t. 2-1, Persistances du nom unique, Tours, 1992, p. 141). 110 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 167-169 ; J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller, p. 98-99. Raybaud, déjà, s’était préoccupé de décrire la procédure d’admission en l’assimilant à celle qui avait cours pour les donnés. Selon lui, l’admission des donnés était assurée par le prieur de Saint-Gilles qui délivrait ensuite un certificat scellé de son sceau (ms. 338, p. 600). L’assimilation entre donnés et frères profès d’origine aristocratique est déjà présente dans les « esgarts » de 1262 (C. de Miramon, Les “donnés” au Moyen Âge. Une forme de vie religieuse laïque. v. 1180-v. 1500, Paris, 1999, p. 326). 111 Sans trop s’y attarder, A. Forey a formulé cette hypothèse qui, depuis, a été invariablement reprise sans être véritablement discutée (A. Forey, « Novitiate and Instruction in the Military Orders during the Twelfth and Thirteenth Centuries », Speculum, 61 (1986), p. 8 ; et en dernier lieu : H. Nicholson, The Everyday Life of the Templars. The Knights Templar at home, Stroud, 2017, p. 103 et 108).

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jamais si Bérenger est, au préalable, passé par cette « forme de vie religieuse laïque », comme le feraient au siècle suivant, dans un tout autre contexte déjà, certains hommes de sa parentèle. Le jeune frère dut, en tous les cas, approfondir une instruction que j’ai imaginée déjà largement amorcée avant sa profession. Formation guerrière sans doute : la législation hospitalière ménage bien des temps pour les exercices physiques et la pratique des armes112. Du reste, cette dernière semble bien pouvoir être confirmée par la présence d’un véritable arsenal dans le palais de Manosque113. Mais surtout, formation administrative qui dut particulièrement correspondre aux aptitudes de Bérenger Monge. L’institution semble en effet avoir veillé à ne pas confier de hautes responsabilités à des frères inexpérimentés, à en juger par un statut qui, certes, concerne l’Orient mais qui dénote une rationalisation certaine de la gestion des « ressources humaines »114. Il ne fait donc guère de doute qu’avant d’obtenir la responsabilité de commandeur, le frère Bérenger dut parfaire son expérience en assumant l’un ou l’autre des offices affectés à la gestion d’une commanderie. La charge de trésorier constituait la voie royale pour accéder au poste de commandeur dans les maisons templières du Bas-Rhône115. Celles de l’Hôpital ne fonctionnaient guère différemment mais nous verrons qu’à Manosque, commanderie exceptionnelle s’il en est, existaient bien d’autres niveaux de pouvoir. La documentation n’étant pas encore suffisante pour dresser la liste des frères en poste aux différents offices secondaires dans les années 1220-1230, je ne spéculerai pas davantage sur les antécédents de carrière de Bérenger Monge.

Une consécration : la charge des commanderies de Manosque et d’Aix Aix et Manosque, deux commanderies sous protection comtale

La ville natale de Bérenger Monge dut voir apparaître les premiers frères hospitaliers autour de 1180-1190. Il n’est guère surprenant que les plus anciens témoignages de leur présence se trouvent dans les chartes émises par les comtes de Provence : la maison comtale de Barcelone avait tissé des liens avec l’Hôpital de Saint-Jean dès son arrivée en Provence au début du xiie siècle116. Alphonse Ier de Provence (1166-1168, 1181-1196) 112 E. J. King, The Rule, Statutes and Customs of the Hospitallers, 1099-1310, Londres, 1934, p. 145. La question de l’entraînement militaire a reçu moins d’attention pour l’Hôpital que pour le Temple (cf. H. Nicholson et D. Nicolle, God’s Warriors. Knight Templars, Saracens and the Battle for Jerusalem, Oxford, 2005, p. 164-168). 113 Voyez l’état de la baillie présenté par le commandeur en 1299 : 14 haubergeons, 16 bardes, 9 cuirasses de diverses catégories, 9 camails, 5 chausses de mailles et autant de jambières, 10 heaumes, 53 arbalètes, 10 épées, et j’en passe (CoHMa, p. 148). 114 Un statut de 1265 stipule que les officiers récemment transférés en Orient ne recevraient pas de responsabilité avant une année (CGH, t. 3, no 3180, § 4). 115 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 313-314. Même constat pour A. Forey, « The Careers », p. 202-203. 116 M. Aurell, « Nécropole et donats : les comtes de la maison de Barcelone et l’Hôpital », Provence historique, 45 (1995), p. 10-12 ; Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 273-275. Sur l’appui sur les ordres militaires dans le cadre de l’expansion des comtes catalans en Provence : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 422-427.

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avait hérité d’une proximité déjà ancienne lorsqu’il délivra plusieurs privilèges entre 1178 et 1189117. Aussi est-ce une charte de ce prince qui signale la présence des frères à Aix : en 1182, sous la régence de son frère Sanche, Alphonse Ier remettait aux frères un homme avec tous ses biens meubles et immeubles118. Dix années plus tard, le comte-roi, accompagné de son procureur en Provence, le vicomte de Marseille Barral, réalisait un échange de biens avec Bertrand de Millau, prieur de Saint-Gilles119. Or, la mention d’un procureur de la maison d’Aix suggère que si un établissement existait effectivement à cette date, celui-ci n’avait pas encore atteint un stade de développement suffisant pour constituer une commanderie. De fait, dans les décennies 1210-1220, la maison d’Aix apparaît gérée par un simple administrateur et rattachée à celle de Marseille, sous la direction d’un commandeur commun120. Le premier commandeur en titre semble avoir été Pons Bernard, mentionné comme preceptor Aquis en 1233121. À cette date, la ferveur des comtes de Provence envers l’Hôpital d’Aix s’était transmise à Raimond Bérenger V (1209-1245). En 1235, ce dernier octroyait une rente à l’œuvre du luminaire de l’église Saint-Jean122. Trois années plus tard, dans son testament, le comte choisissait d’élire sépulture en l’église conventuelle de l’Hôpital. Le geste s’accompagnait du legs de la seigneurie du castrum de Vinon et des albergues du castrum de Trébillanne dont les revenus serviraient à l’entretien de cinq clercs à Saint-Jean d’Aix123. En 1241, il ajoutait enfin les revenus des albergues de Nice et de Grasse pour l’entretien de deux chapelains à Aix et de trois à Vinon124.

117 Ce prince avait accordé des exemptions de péages dans l’ensemble de son comté (CGH, t. 1, no 539 ; juin 1178 et no 647 ; 9 décembre 1182, Aix). En 1189, il prendra encore sous sa protection l’ordre et ses biens en Provence (CGH, t. 1, no 866 ; 1189, Lérida). Notons que les archives de Manosque conservaient une charte d’« Ildefons, roy d’Aragon et compte de Provence », prétenduement datée du 5 décembre 1080, donnant à l’Hôpital « les droicts de pasturages par toute la province » (56 H 70, f. 42 ; inventaire de 1656). Cette référence est pour le moins intrigante : correspond-t-elle au diplôme mentionné ci-dessus de décembre 1182 qui serait mal daté ou bien s’agit-il d’un faux grossier ? Il n’est, en tout cas, pas indifférent de constater que les hospitaliers – modernes ou médiévaux ? – cherchèrent à vieillir le soutien reçu de la maison de Barcelone. 118 Arch. mun. d’Arles, GG 87, no 65 = CGH, t. 1, no 615 (13 décembre [1181-1184], Aix). La date exacte est donnée par l’inventaire de 1705, qui précise que la donation s’adresse à la maison d’Aix, alors que la charte elle-même ne cite que « les pauvres et les frères de l’hôpital de Jérusalem » (56 H 50, f. 146v-147). 119 Petrus de Naisa, procurator domus de Aquis (Arch. mun. d’Arles, GG 87, no 67 = CGH, t. 1, no 926 ; 2 juillet 1192, Aix ; ind. : 56 H 50, f. 146). 120 …frater Raimundus Aimerici, tunc temporis preceptor domorum Hospitalis Iherosolimitani Massiliensis et Aquensis, et frater Carbonellus, tenens administrationem predicte domus Aquensis… (56 H 4199 ; 19 septembre 1215) ; mention d’une donation au terroir d’Aix adressée au commandeur de Marseille (56 H 51, f. 14 ; 11 juin 1227). L’implantation de l’ordre à Marseille est très peu documentée mais celui-ci profitait déjà pleinement de l’activité du port dans les années 1170 (D. Carraz, « Causa defendende et extollende christianitatis. La vocation maritime des ordres militaires en Provence (xiie-xiiie siècle) », in M. Balard (dir.), Les ordres militaires et la mer, Paris, 2009, p. 23). 121 RACP, no 191, p. 293 (13 septembre 1233). 122 Arch. mun. d’Arles, GG 87, no 68 = RACP, no 233, p. 316 (23 mai 1235). En 1232, le comte avait déjà confirmé les possessions et exemptions de l’ordre dans le comté (RACP, no 160-161 ; 25 juin 1232 et 14 juillet 1232). 123 RACP, no 292A, p. 383 (20 juin 1238) ; A. Teulet, Layettes du trésor des chartes, t. 2, Paris, 1866, no 2719, p. 380-381. Sur le testament de Raimond Bérenger V : Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 275-279. 124 Arch. mun. d’Arles, GG 87, no 69 = RACP, no 349, p. 427 (29 août 1241).

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Sans doute la maison hospitalière avait-elle été établie dès l’origine au nord-est de la ville, à quelques 400 mètres du bourg comtal, sur l’antique voie aurélienne (pl. 3). Encore agreste à l’arrivée des frères, ce secteur fut gagné par l’urbanisation au siècle suivant avec la constitution du bourg Saint-Jean. Comme pour la majorité des commanderies urbaines, le ou les donateurs du terrain sur lequel s’établirent les frères demeurent inconnus. Mais on peut toujours conjecturer, avec l’abbé Maurin, « qu’ils le reçurent en don du comte alors régnant », c’est-à-dire Alphonse Ier125. Le petit-fils de ce dernier semble du reste avoir fréquenté la domus hospitalière, en tout cas en des occasions solennelles126. De fait, la convergence ancienne entre la politique princière et l’ordre militaire se précisait encore sous Raimond Bérenger V, alors que la résidence préférée des comtes s’affirmait comme capitale127. Le choix de ce prince de faire agrandir l’église Saint-Jean afin d’y aménager la nécropole lignagère s’inscrit dans cette logique. C’est bien là, en effet, que reposera Raimond Bérenger V et c’est là que son épouse Béatrice de Savoie continuera d’entretenir la mémoire dynastique128. Le soutien princier fut plus manifeste encore dans la fondation de la maison de Manosque. Il faut rappeler que l’établissement des hospitaliers fut particulièrement précoce dans ces hautes terres provençales relevant ici de la domination des comtes de Forcalquier. Moins d’une dizaine d’années après la prise de Jérusalem par les croisés, une domus était déjà attestée à Gap, où semblent s’être d’abord établies les relations entre les frères et les trois premières générations de la maison comtale129. Par diverses concessions, la comtesse Azalaïs (1110-1144) et son fils Guilhem Ier (1110-1129) attirèrent également les hospitaliers à Manosque. Mais c’est son petit-fils Guigues († v. 1149) qui fut véritablement à l’origine de la puissante domination que l’Hôpital allait exercer sur cette ville et son territoire. Sans doute peu de temps avant sa mort, celui-ci remit à l’ordre l’intégrité de ses droits sur le bourg et le castrum de Manosque et sur le proche castrum de Toutes-Aures qui faisaient partie de son apanage130. Bertrand II (1149-1205) devait hériter de la dévotion de son oncle Guigues à l’égard de l’Hôpital : en 1168, avant de s’embarquer pour la Terre sainte, celui-ci remettait à son tour sa part sur Manosque et Toutes-Aures131. L’un et l’autre sans postérité, les comtes Guigues et Bertrand II avaient donc cédé l’ensemble de

125 E.-F. Maurin, « Notice archéologique et historique sur l’église Saint-Jean-de-Malte », Mémoires de l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix, 5 (1844), p. 208. 126 RACP, no 146, p. 251 (26 novembre 1230 : affaire opposant Raimond Bérenger V, l’évêque de Marseille et les Arlésiens contre Raimond VII de Toulouse et la commune de Marseille), no 303, p. 393 (21 février 1239 : hommage des prélats provençaux, prêté en l’église Saint-Jean, pour les seigneuries tenues du comte). 127 N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 22-24. 128 M. Aurell, « Nécropole et donats », p. 12-17. 129 D. Carraz, « Aux origines de la commanderie de Manosque. Le dossier des comtes de Forcalquier dans les archives de l’Hôpital (début xiie-milieu xiiie siècle) », in M. Olivier et Ph. Josserand (dir.), La mémoire des origines dans les ordres religieux-militaires au Moyen Âge, Münster, 2012, p. 139-140. 130 CaHSG, no 328 (1er juin 1149). Sur les débuts de l’ordre à Manosque : G. de Tournadre, Histoire du comté de Forcalquier (xiie siècle), Paris, 1930, p. 193-202 ; et F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte à Manosque, Gap, 1981, p. 17-23. 131 Bertrand II régla ses affaires par quatre actes, tous datés de 1168 mais dont la chronologie est difficile à établir : CGH, t. 1, no 383 ; CaHSG, no 335, 336 et 330.

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leurs droits seigneuriaux sur Manosque à l’Hôpital, sur lequel ils s’étaient en outre appuyés pour garantir le reste de leur succession. La comtesse Jaucerande, veuve de Bertrand Ier (1129-1144), et surtout leur fils Guilhem II (1129-1209) contestèrent cependant ce transfert majeur au cours d’un conflit mémorable132. Cinquante années de procédures trouvèrent enfin leur épilogue lorsque Guilhem II, sans descendance mâle, finit par imiter son frère Bertrand II : en 1209, il élut à son tour sépulture dans le cimetière de l’église Saint-Pierre de Manosque et surtout confirma définitivement à l’Hôpital ses droits seigneuriaux sur la ville et ses habitants133. À la mort du comte, les hospitaliers, initialement installés auprès de l’église Saint-Pierre, transportèrent le siège de leur pouvoir dans le palais comtal que leur avait légué Guilhem II134. Bientôt transformé en château-couvent, l’ancien palais comtal allait désormais incarner la seigneurie hospitalière. Une telle domination sans partage sur une ville de cette envergure constituait alors une situation exceptionnelle pour un ordre militaire, du moins si l’on exclut les zones de frontière du monde latin. Au moment où Bérenger Monge allait en prendre les rênes, les implantations d’Aix et de Manosque apparaissaient comme des commanderies de profil assez différent. Au cœur de la Basse-Provence, proche de Marseille et de son port, mais également reliée aux terres hautes par les routes de la Durance et du Verdon, Aix était idéalement située. Cette position avait, en partie au moins, déterminé son devenir de capitale d’un comté en voie de centralisation. Peuplée de peut-être 15 000 habitants, c’était sans doute la troisième ville du comté135. La protection du prince et le dynamisme d’une ville assez populeuse étaient sans doute de nature à encourager le développement de la commanderie hospitalière136. En revanche, tant la présence d’un pouvoir politique fort que celle d’un archevêque et d’un chapitre laissaient bien peu de marge de manœuvre à une concurrence de nature seigneuriale et juridictionnelle137. La richesse foncière accumulée par les hospitaliers à Aix et dans ses environs ne fut certes pas négligeable, même si ce temporel prit surtout consistance, on le verra, à partir du milieu du xiiie siècle. Cependant, la commanderie aixoise dut surtout son prestige à l’entretien du culte princier et à son rayonnement spirituel. Assez différente était la configuration de Manosque pour l’Hôpital138. Commandant un terroir fertile dans la moyenne vallée de la Durance, la ville était l’un des lieux

132 F. Reynaud, La commanderie, p. 23-33 ; D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », p. 140-147. 133 Une première confirmation était intervenue en 1207 : CaHSG, no 339 (17 mars 1207) ; et CGH, t. 2, no 1324 (4 février 1209). 134 La donation du palais était intervenue dès 1207, en même temps que la confirmation des droits sur Manosque et Toutes-Aures (CaHSG, no 340 ; 8 février 1207). 135 N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 22, 38 et 320. 136 Rappelons la présence, au moins depuis 1176, d’une maison du Temple également favorisée par le pouvoir comtal ( J.-A. Durbec, « Les templiers en Provence. Formation des commanderies et répartition géographique des biens », Provence historique, 9 (1959), p. 34-36). 137 Preuve en est déjà la faible structuration de la communauté, même si, à la faveur de la transition entre dominations catalane et angevine, les habitants obtinrent quelques franchises, avant que ne s’affirme une véritable assemblée représentative (N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 42-45). 138 Sur la situation de la ville et l’évolution urbaine : S. Claude, « Naissance de l’habitat urbain à Manosque au Moyen Âge », Provence historique, 57 (2008), p. 115-136.

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de résidence favoris des comtes de Forcalquier et se trouvait, à ce titre, volontiers fréquentée par la bonne aristocratie provençale139. Mais c’était encore un lieu où avait pu se cristalliser la compétition entre les trois maisons comtales de Forcalquier, Barcelone et Toulouse140. Au contact entre Basse et Haute-Provence, étape sur la route de l’Italie, la ville put également constituer un point de ralliement commode pour les hospitaliers141. L’ordre héritait là d’une ville prospère mais où les pouvoirs seigneuriaux, laïques comme ecclésiastiques, étaient fractionnés et se laisseraient par conséquent absorber sans trop de difficulté. Donations et achats avaient déjà conféré à la commanderie une solide assise foncière dont on pouvait encore rationaliser la gestion. Enfin, à la différence d’Aix où une commune aurait difficilement pu prospérer à l’ombre du pouvoir central, les hospitaliers trouvèrent là un consulat constitué avec la bénédiction du comte Guilhem II. Mais dès leur prise de pouvoir, fort des droits régaliens hérités des comtes de Forcalquier, l’ordre de Saint-Jean s’empressa de supprimer les libertés qui avaient été octroyées à la communauté142. Régnant sans partage sur la ville la plus peuplée du comté de Forcalquier – soit peut-être 4 000 âmes –, l’Hôpital avait donc les cartes en main pour construire l’une des seigneuries ecclésiastiques les plus puissantes de Provence. Le rythme des fondations de Manosque et d’Aix s’inscrit dans la formalisation du réseau des commanderies à l’échelle du prieuré de Saint-Gilles. Certes, les premiers frères ont pu apparaître à Manosque du vivant même du fondateur de l’ordre, mais il faut attendre le dernier tiers du xiie siècle pour voir se structurer la commanderie et assister à une véritable accumulation foncière. À Aix, on l’a vu, l’implantation fut plus tardive et plus lente encore. Mais cette chronologie est conforme à l’expansion générale de l’ordre en Provence : à l’exception de quelques fondations précoces (outre Gap déjà citée, Saint-Gilles, Alès, Trinquetaille…), la plupart des maisons émergèrent ou s’affirmèrent à la charnière des xiie et xiiie siècles143. Ce développe-

139 En février 1207 par exemple, se retrouvèrent à la maison des hospitaliers et pour leur profit : le comte Sanche, le vicomte de Marseille Uc de Baux, son neveu Raimond de Baux et d’autres grands de leur suite (RACP, no 51, p. 63-64 ; et CGH, t. 2, no 1253 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 109). Manosque était déjà l’une des résidences favorites des comtes à l’époque des Guilhemides ( J.-P. Poly, La Provence et la société féodale, p. 48, 98-99 et 126). 140 D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », p. 144-147. Ce n’est sans doute pas un hasard si le légat Zoen Tencarari décida de réunir à Manosque, en mai 1244, un concile pour ramener la paix entre Raimond Bérenger V et Raimond VII de Toulouse (L.-H. Labande, Avignon au xiiie siècle. L’évêque Zoen Tencarari et les Avignonnais, Paris, 1908, p. 103-104, et PJ no 19, p. 328-330). 141 Par exemple, en août 1198, à l’acte par lequel le comte Guilhem II donnait des droits sur Manosque et la franchise sur les péages, figuraient entre autres Garcia de Lisa, commandeur deçà-mer, Simon de Lavata, prieur de Lombardie et de Vénétie, et Fortonus Cabessa, châtelain d’Amposte (56 H 4627 = CGH, t. 1, no 1026). En 1212, le grand commandeur Isembard était de passage à Manosque en compagnie du prieur Bermond de Luzençon (56 H 4638 ; mars 1212). 142 F. Reynaud, La commanderie, p. 31-32 et 35-37. 143 Les grandes lignes de la constitution du réseau hospitalier sont données par D. Le Blévec, La part du pauvre, vol. 1, p. 71-79. Le même auteur conclut encore sur « le caractère tardif de l’implantation hospitalière en Comtat », entre la fin du xiie et le début du siècle suivant (D. Le Blévec, « L’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem à Avignon et dans le Comtat Venaissin au xiiie siècle », in Des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, de Chypre et de Rhodes, p. 42-43).

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ment fut étroitement supervisé par le prieur de Saint-Gilles, comme le montrent justement les cas d’Aix et de Manosque : depuis les origines et jusqu’aux années 1240, ces dignitaires se réservèrent d’intervenir dans les affaires des deux maisons144. Les prieurs affectionnèrent en outre les séjours à Manosque où ils entraînaient dans leur sillage des personnages d’un certain relief, frères de l’ordre ou laïques. Les clés d’une promotion : une connexion savoyarde ?

En 1239, Bérenger Monge apparaît à la maison de Manosque. Qu’on lui donne la vingtaine ou bien la trentaine, sans doute est-ce un frère mûri par quelques années déjà passées dans une maison de l’ordre – le plus probable étant qu’il ait fait profession à Manosque et y soit resté. La rareté des premières traces laissées dans les chartes permet difficilement de cerner les étapes de sa progression145. Le 9 février 1246, le voici à Aix pour recevoir, au nom de la maison de l’Hôpital, une donation de la comtesse Béatrice146. En juillet de la même année, le poste de commandeur est encore occupé par Othon. En janvier 1252, un autre frère, Guilhem du Pont, concédait un bail au nom d’un commandeur d’Aix qui n’est malheureusement pas cité147. Il y a de fortes présomptions pour qu’il s’agisse alors de Bérenger Monge, même s’il faut attendre encore décembre 1255 pour voir ce dernier nominalement attesté à ce poste148. Le fait que le prieur passe cette fois-ci la transaction en son nom, tout comme la discontinuité des premières mentions, laissent penser que Bérenger Monge était alors peu présent à Aix. Nommé commandeur d’Aix après 1246 et au plus tard en 1252, celui-ci était en réalité davantage occupé par ce qu’il se passait à Manosque. La liste des dignitaires dans la décennie qui a précédé la prise de fonction de Bérenger est ici un peu plus claire. Cinq commandeurs se succédèrent à Manosque entre 1237 et 1249, sur un rythme de deux à trois années par mandat149. Une telle rotation est assez conforme aux pratiques des ordres militaires, même si l’on peut en effet questionner, avec 144 Cf. An. II, D-1, no 5 et 6. À Manosque, le prieur supervisa les premières acquisitions (A. Khalifa, La commanderie hospitalière de Manosque : son domaine et son exploitation d’environ 1120 à 1312, mémoire de maîtrise, Université Paris 1, 1998, p. 66-70). Il s’occupa surtout de l’héritage des comtes de Forcalquier dont les principaux privilèges furent consignés dans le cartulaire de Saint-Gilles (D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », annexe 3, p. 169-175, no 4, 7, 15, 22, 23). 145 L’érudition n’est ici d’aucun secours. F. de Ferry n’est pas clair sur l’enchaînement des faits : selon lui, Bérenger Monge « apparaît pour la première fois en 1246 comme commandeur d’Aix. Il avait été nommé peu d’années auparavant. Arnoul, son prédécesseur, était encore en place en 1241 ». Quelques lignes plus loin, il le place à la commanderie de Manosque « après 1242 » (F. de Ferry, La commanderie, p. 28-29). 146 CGH, t. 2, no 2393. 147 …ego frater Guillelmus de Ponte, frater domus Hospitalis Sancti Johannis de Aquis, nomine comendatoris dicti Hospitalis et eius mandato et aliorum fratrum comorancium in dicto Hospitali… (56 H 4199 ; 5 janvier 1252). 148 …fratri Desiderio, priori ecclesie Sancti Johannis Hospitalis Ierosolimitani, tenenti locum domini Berengarii commandatoris eiusdem Hospitalis… (56 H 4201 ; 9 décembre 1255). D’après Ferréol de Ferry, Bérenger Monge est mentionné comme commandeur dès 1253 dans un accord avec les habitants de Ginasservis, mais l’érudit ne donne pas de référence et je n’ai pas retrouvé cet acte (F. de Ferry, La commanderie, p. 87). 149 F. Reynaud, La commanderie, p. 44-45 et 200.

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Félix Reynaud, le fait que ceux-ci « n’eurent pas le temps d’entreprendre des plans de longue haleine ». On soulignera surtout le préceptorat mouvementé de Raoul de Cadarache (1246-1248), dont les agissements à l’encontre des privilèges ecclésiastiques entraînèrent jusqu’à la mise en interdit de la ville par l’archidiacre de Sisteron. L’affaire provoqua la mutation de ce dignitaire excessif et il est probable que l’appel à Géraud Amic de Sabran, qui était déjà à la tête des commanderies d’Orange et d’Avignon, ne fut qu’une solution provisoire150. Un seul acte, en mars 1249, signale ce dernier comme commandeur avant que n’apparaisse Bérenger Monge six mois plus tard151. Si l’on résume, ce dernier fut donc nommé commandeur de Manosque dans le courant de l’année 1249, puis d’Aix, sans doute très peu de temps après. Au milieu du xiiie siècle, le cumul de deux commanderies sous la férule du même dignitaire était une pratique attestée, bien que relativement exceptionnelle encore. Une vingtaine d’années plus tard, le chapitre général prendra acte d’une habitude appelée à se développer, en acceptant qu’un même commandeur dirige deux maisons, à condition que celles-ci ne soient pas trop éloignées l’une de l’autre152. L’association des maisons de Manosque et d’Aix pouvait comporter une certaine logique du point de vue de l’organisation du prieuré car les deux villes étaient assez facilement reliées entre elles par la vallée de la Durance153. Cet axe était donc animé par certains flux marchands et humains, notamment par la descente de gens de Haute-Provence venus chercher des opportunités dans le bas-pays154. En outre, les deux capitales comtales semblent pouvoir être placées parmi les lieux centraux – avec Saint-Gilles, Arles, Montpellier, Toulouse… – à partir desquels les prieurs dirigeaient leur vaste province. De fait, les déplacements incessants de ces dignitaires devaient déjà faire le lien entre Aix et Manosque et inscrire ces deux commanderies dans le réseau, déjà dense, du prieuré de Saint-Gilles (pl. 1). Avant même la prise de pouvoir de Bérenger Monge, un certain nombre de liens existaient donc déjà entre les maisons d’Aix et de Manosque155.

150 La dernière mention de Raoul de Cadarache est son appel au pape, en avril 1248, contre la sentence de l’archidiacre de Sisteron (56 H 4652). En attendant de revenir sur cette affaire : F. Reynaud, La commanderie, p. 45. 151 Il s’agit d’un paiement qui lui fut adressé par Guillaume de Sabran, fils de Guillaume de Sabran, comte de Forcalquier, le 15 mars 1249 (Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, f. 249/9). 152 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 599 (chapitre général de 1270). 153 Par sa position au débouché des routes de la Durance et du Verdon, Aix peut être considérée comme « la première ville des Alpes du sud », selon N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 22. À l’époque moderne, la liaison entre Aix et Manosque constitue un tronçon du « chemin de première catégorie » qui relie Marseille à Gap (R. Bertrand, La Provence des rois de France, 1481-1789, Aix-en-Provence, 2012, p. 43 ; et É. Baratier et alii, Atlas historique. Provence, vol. 2, Paris, 1969, no 125-126). 154 N. Coulet évoque la réussite, au milieu du xiiie siècle, du drapier Bertrand de Manosque qui apparaît également comme syndic de la communauté (N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 40 et 43). On peut imaginer que ce dernier ait fait l’apprentissage de la politique municipale dans sa ville d’origine. Même si l’attestation n’est pas antérieure au début du xve siècle, on sait d’autre part que les hospitaliers de Manosque pouvaient écouler leurs céréales jusqu’à Aix (N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 491). 155 En 1215 par exemple, c’est à Aix qu’est passé l’acte de donation, par Guilhem de Cervières et son fils Foulques de Pontevès, de leurs biens à Manosque (56 H 4638 ; 20 janvier 1215).

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À qui ce fils de la chevalerie aixoise dut-il ce cumul de responsabilités ? Dans une institution centralisée comme l’Hôpital, le choix du preceptor résultait d’une décision prise de concert par le prieur et par le chapitre provincial156. Lorsque Bérenger Monge parvint aux responsabilités, ce prieur était Féraud de Barras (1244-1269). Si l’on ignore tout des relations antérieures entre les deux hommes, ceux-ci eurent quelques occasions de se rencontrer, par exemple lors d’un passage du prieur à Aix ou à Manosque. Bérenger accédait au poste à Manosque dans un contexte tendu : il fallait solder les différends laissés par Raoul de Cadarache et faire face à des revendications ranimées par l’évêque de Sisteron, Henri de Suse (1250-1256). La commanderie avait donc besoin d’un frère bien informé du milieu local et doté d’une intelligence de la négociation : Bérenger apparut peut-être comme l’homme de la situation. Mais il n’est pas interdit d’imaginer aussi que son nom a pu être soufflé au prieur. Bien que théoriquement protégé par toutes les immunités et dépendant de la seule papauté, l’Hôpital n’était évidemment pas épargné par les pressions des autorités séculières. Il n’était donc pas rare, dans un contexte politique donné, qu’un souverain intervienne pour obtenir la promotion d’un frère à un poste sensible157. Il est donc légitime de s’interroger sur le fait du prince. On a vu que les Monachi d’Aix gravitaient dans l’orbite de la maison comtale depuis trois générations. Bérenger Monge, qui ne devait pas être encore sorti du rang, a peu de chance d’avoir été remarqué par Raimond Bérenger V lorsque celui-ci fréquentait les hospitaliers d’Aix. En revanche, la première apparition de Bérenger aux affaires, en 1246, peut nous mettre sur la piste de Béatrice de Savoie. La proximité de cette dernière avec les hospitaliers d’Aix était déjà très forte du vivant de son mari. Je reviendrai ailleurs sur la dévotion du couple comtal à l’égard de Saint-Jean d’Aix ; ce qui importe ici est la quête d’indices étayant l’idée que Bérenger Monge ait pu bénéficier d’une attention de la comtesse-mère. En 1246, sans doute cette dernière était-elle en quête de soutiens, alors que sa fille Béatrice venait tout juste d’épouser Charles Ier d’Anjou, le frère du roi de France158. Si l’entourage de Béatrice en Provence reste mal connu, il n’est pas impossible que des liens avec les Monachi se soient noués précocement. On a évoqué la présence d’un J. Monachi en Piémont, auprès des envoyés de Raimond

156 Selon J. Riley-Smith, la décision revenait au prieur et ce principe proviendrait du transfert de pouvoir progressif de cet officier provincial aux responsables locaux ( J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller, p. 188 et 191). Toutefois, un acte contemporain de la promotion de Bérenger Monge indique sans ambiguité que cette nomination avait lieu au chapitre : talis frater querendus qui sit in comitatu Provincie et qui non habeat comendatariam concessam sibi a capitulo Sancti Egidii (56 H 4372 ; 16 janvier 1249). Raybaud rappelle encore que l’élection ou la mutation des commandeurs était décidée à la fin du chapitre provincial (ms. 338, p. 596 et 599). 157 Sur ce phénomène bien connu, je me borne à renvoyer à J. Burgtorf, The Central Convent, p. 424-430. La pratique était si commune, et peut-être si abusive, qu’elle finit par être réglementée : un statut de 1301 décrète qu’en cas d’intervention d’un « grand seigneur » (magnus dominus) auprès du maître pour l’attribution d’une commanderie, le cas serait d’abord examiné au chapitre général (CGH, t. 4, no 4549, § 7). 158 Sur la succession de Raimond Bérenger V et les relations tendues entre Béatrice de Savoie et son gendre : Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 145-146 et 285-290.

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Bérenger V venus négocier la dot de Béatrice de Savoie en 1219159. Jaufre Monachi (1227-† 1267), oncle hypothétique de Bérenger Monge, connaissait également la comtesse160. Or, à partir de 1241, Béatrice de Savoie choisit de quitter Aix pour se retirer dans ses terres du comté de Forcalquier161. Au début de cette année, elle avait eu la velléité de s’installer à Manosque, dans le palais même qu’avaient habité les aïeuls de sa belle-mère. En janvier 1241, son gendre, le roi Henri III d’Angleterre garantissait en effet à l’Hôpital le paiement d’un cens annuel que la comtesse Béatrice réservait à l’ordre en échange de la jouissance viagère de la ville et du palais de Manosque162. Certes, la toponymie du palais avec sa Torre de Contessa entretenait l’ancien souvenir de la présence des comtesses de Forcalquier163. Mais on imagine facilement que le retour d’une princesse en ces murs fut peu de nature à soulever l’enthousiasme des hospitaliers. Ceux-ci durent par conséquent manœuvrer, sans doute à l’initiative de leur prieur Bertrand de Barres, pour écarter une présence qui aurait pu s’avérer par trop envahissante. De fait, la comtesse douairière finit par s’installer à Sisteron. Il n’en demeure pas moins que son autorité sur le comté de Forcalquier était pleinement reconnue à Manosque. Le Livre des privilèges conserve ainsi la copie de l’arbitrage que cette dernière avait donné en 1253 sur les péages illicites qui avaient proliféré dans le comté164. Et en 1262, lorsqu’il s’agira d’engager des négociations avec les hospitaliers, puissants seigneurs de la ville, son gendre Charles Ier se souviendra des droits sur Manosque, prétendument transmis à son épouse Béatrice de Provence par son grand-père Alphonse II165. Quoi qu’il en fût, alors que la comtesse-mère avait à se prémunir des ambitions de son gendre de la maison de France, aucun appui dans le haut pays n’était sans doute à négliger. C’est dans ces circonstances que l’on peut imaginer un rapprochement avec Bérenger Monge et les hospitaliers de Manosque. Le prieur Féraud de Barras, issu d’un lignage renommé de Haute-Provence, reçut peut-être de la cour comtale quelques suggestions en ce sens…

159 RACP, no 36bis, p. 120 (5 juin 1219). Contexte : Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 135-136. On a rapproché plus haut ce J. Monachus du Johannes Monachus sacriste de La Celle en 1207 (RACP, no 52, p. 64). 160 Cf. An. II, A-2, no 2. À la première génération bien attestée du lignage, Monge se trouve déjà auprès de Garsende, comtesse de Forcalquier et mère de Raimond Bérenger V (cf. An. II, A-2, no 1). C’est à l’époque de la comtesse Garsende de Sabran que des contacts s’étaient établis entre les maisons de Forcalquier et de Savoie (Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 132-139). 161 Dès 1232, Raimond Bérenger V lui avait assigné, à titre de douaire, des revenus dans la région de Gap, puis toutes les terres sur la rive droite de la Durance (Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 142-145 et 257). 162 CGH, t. 2, no 2265 (26 janvier 1241, lettre adressée de Marloborough au prieur de Saint-Gilles). Sur les liens entre maison de Savoie et Plantagenêt et sur les intérêts d’Henri III en Provence : Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 145-146 et 228-234. 163 …magnam turrim palatii in summitate eiusdem appellatam la torre de Contessa… (56 H 4629 ; 1226). 164 LPM, no 12-13, p. 48-54 (8 octobre 1253). 165 …petebat enim dominus comes […] palacium et castrum et villam Manuasce et castrum de Totis Auris […] asserens predictus comes […] predicta ad se pertinere et esse sui juris, occasione cujusdam donacionis, quam dominus G[uillelmus], bone memorie comes Forcalquerii, fecit domino Alfonso, quondam comitii Provincie, avo paterno quondam domine Beatrice predicte comitisse (CGH, t. 3, no 3035, p. 36 ; 28 juillet 1262).

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Cependant, on l’a dit, la proximité de Béatrice de Savoie avec l’ordre de SaintJean n’était pas seulement conjoncturelle. Elle participait d’une véritable ferveur qui trouva à s’exprimer dans la fondation de la commanderie des Échelles, sur des terres que la comtesse tenait de sa mère Marguerite de Genève166. Après avoir obtenu l’autorisation de son frère Pierre II de Savoie, en novembre 1260, Béatrice donnait à l’Hôpital, représenté par Féraud de Barras, le castrum des Échelles avec toutes les juridictions167. L’acte de fondation instituait en même temps un collège de pas moins de dix-huit clercs chargés de prier pour son âme et celle de son époux : la commanderie des Échelles deviendrait, avec Saint-Jean d’Aix, le second pôle mémoriel lié au couple princier. Si je me permets de devancer d’une dizaine années le contexte qui entoura la promotion de Bérenger Monge, c’est que cette fondation savoyarde ne fut pas sans lien avec la commanderie de Manosque. Dans la liste des hospitaliers présents aux Échelles en 1260, deux noms au moins attirent l’attention. Le premier est Raimbaud de Puimichel, un chevalier issu de la famille de Signes, en Haute-Provence, qui est attesté à Manosque entre 1257 et 1268, essentiellement avec la charge de bayle168. Le second est Gui de Chavelut, un chevalier qui apparaît à Manosque en 1256 sous le nom de Gui de Sabaudia de Chavalii169. Ce dernier accomplira une belle carrière puisqu’on le retrouve en 1270 comme commandeur en Savoie et lieutenant du prieur d’Auvergne170. Les Chavelut sont en effet une famille savoyarde que l’on trouve fréquemment dans l’entourage de Béatrice – un Pierre de Chavelut est d’ailleurs témoin de la fondation des Échelles. Or, ce lignage conserva des liens avec l’Hôpital, puisqu’un Étienne de Chavelut revint justement comme frère à Manosque, où il est fréquemment cité entre 1281 et 1292171. Rentrée dans le berceau familial à la fin des années 1250, Béatrice y passa les dernières années de sa vie. Conformément à son testament dicté en 1263, elle fut inhumée en l’église hospitalière des Échelles qui, précise l’acte, avait été édifiée à ses frais172. Le codicille du testament, publié seulement en janvier 1265, distribue des 166 Sur cette fondation : N. Le Quillec, Béatrice de Savoie et la commanderie des Échelles, mémoire de Master 1, Université de Chambéry, 2006, p. 32-34 et 45-48. Je remercie Laurent Ripart de m’avoir communiqué ce travail. 167 Le 24 juin 1259, Béatrice obtenait l’autorisation de son frère Pierre II de Savoie pour la donation du mandement des Échelles à l’Hôpital (F. Viard, Béatrice de Savoye. Propos vivants d’histoire, Lyon, 1942, PJ no 12, p. 110-111). Donation fondatrice de la commanderie : CGH, t. 2, no 2965 (6 novembre 1260). 168 Cf. An. II, D-1, no 12. 169 Il est témoin à une donation du lignerage par Peire Bermon de Beaumont adressée au prieur Féraud de Barras (56 H 849bis, f. 86v-88 ; 31 janvier 1256). 170 Toujours sous réserve d’une possible homonymie (CGH, t. 3, no 3380 : notification du don d’une église à l’ordre par l’évêque de Genève). 171 Cf. An. II, C-2. Un Étienne de Chavelut est encore signalé comme commandeur d’Orange en 1317 (Arch. mun. de Manosque, Bb 10 ; 25 août 1317). 172 F. Viard, Béatrice de Savoye, PJ no 16, p. 129-138. Le testament de 1263 est connu par un vidimus fragmentaire fait par l’official d’Avignon, le 27 mai 1401 (Arch. dép. du Rhône, 48 H 1841). Ce vidimus transcrit lui-même une copie authentifiée par les bulles de la cour de l’Hôpital de Manosque et du couvent des Échelles, le 4 janvier 1315. Cette dernière copie s’inscrit dans un dossier comportant la fondation de 1260 et la confirmation du comte de Savoie de 1259.

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legs à l’entourage de la princesse : les Savoyards y sont bien sûr nombreux, mais l’on suspecte aussi la présence de quelques Provençaux173. Dans la liste des légataires, cité juste après un Tremoletus qui pourrait être Aixois, figure en outre un Berengarius pour 25 livres de tournois : il n’est pas interdit d’imaginer qu’il s’agit du commandeur d’Aix et Manosque. L’attachement de Béatrice de Savoie à l’Hôpital a pu être partagé par certains de ses proches. Parmi les mieux connus figure le grand canoniste Henri de Suse, lui-même pleinement intégré dans les réseaux savoyards174. Nous avons vu que ce dernier, alors évêque de Sisteron, était présent en 1246 lorsque la comtesse donna un jardin à Bérenger Monge. Devenu archevêque d’Embrun (1250-1262), celui-ci s’assura, en compagnie du juge Robert de Laveno, de la validité juridique d’une importante donation que Béatrice octroya à l’Hôpital d’Aix175. Quatre années plus tard, il accompagna encore la comtesse en Savoie pour la fondation de la maison des Échelles176. Certes, comme nous le verrons, Henri de Suse affrontera sans état d’âme la commanderie de Manosque dirigée par Bérenger Monge pour la défense des droits de l’Église de Sisteron. Mais le différend, uniquement porté sur le terrain juridique, n’empêcha pas le prélat de citer, dans sa Summa aurea, le propositum vitæ des hospitaliers comme un modèle de chasteté, de renoncement à la propriété et d’obéissance177. En témoigne son testament qui dispense 40 marcs à chacune des maisons d’Aix et des Échelles afin d’entretenir un service hebdomadaire pour les défunts178. Mieux encore, le même acte évoque la sépulture à Saint-Jean d’Aix de

173 F. Viard, Béatrice de Savoye, PJ no 17, p. 146-155 (14 janvier 1265). Parmi les Savoyards, un Guillaume de Chavelut et la fille d’un feu miles P. de Chavelut. Parmi les Provençaux, peut-être ce miles Estève d’Aix avec sa femme et ce Tremoletus – un nom attesté à Aix, sous la forme Tremoleta, à la fois dans l’entourage comtal et dans celui de l’Hôpital (cf. RACP, no 232, p. 316 ; 4 avril 1235 ; et 56 H 4180 ; 18 mai 1278). 174 Sur les liens entre Béatrice de Savoie et Henri de Suse : N. Didier, « Henri de Suse, évêque de Sisteron (1244-1250) », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 31 (1953), p. 409-412 ; Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 256-258. Sur les attaches d’Henri de Suse à Aix et sa proximité avec la maison de Savoie : Th. Pécout, Ultima ratio, p. 124-129, 138-139 et 154-155. 175 Renuntians legi dicenti quod donatio facta ultra quingentos aureos non valet sine insinuatione […] venerabilis pater dominus Henricus, Dei gratia Ebredunensis archiepiscopus, et dominus Robertus, egregius juris professor et judex predicte domine comitisse […] dictam donationem justam et legatem… (56 H 4180 ; 11 janvier 1256 ; acte passé au palais comtal de Forcalquier). Pour l’identification de Robert de Laveno, alors juge nommé par la comtesse : cf. la base prosopographique « Europange » sur les officiers angevins (https:// angevine-europe.huma-num.fr/ea/fr/base-officiers-angevins). 176 CGH, t. 2, no 2965 (6 novembre 1260). 177 G. Constable, « The Military Orders », in Crusaders and Crusading in the Twelfth Century, Farnham-Burlington, 2009, p. 171 – j’avoue avoir cherché ce passage en vain dans l’édition consultée de la Summa aurea (Lyon, 1588). 178 [56] Hospitali Sancti Iohannis Aquensis, in quo iacent corpora domini R. Berengarii, quondam comitis Provincie, et matris mee, XL marc., de quibus emantur possessiones ad unum capellanum tenendum, qui ad minua bis in hebdomada celebret pro defunctis. [57] Hospitali castri Scalarum, in quo iacet corpus Beatrissis, comitisse quondam Provincie, XL marc., de quibus emantur possessiones ad I capellanum tenendum, qui ad minus bis in hebdomada celebret pro defunctis (29 octobre 1271 ; A. Paravicini Bagliani, I testamenti dei cardinali del duecento, Rome, 1980, no 6, p. 133-140).

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la propre mère d’Henri de Suse. Décidément, le fait d’abriter un pôle majeur de la religion princière amenait de prestigieuses dévotions aux hospitaliers d’Aix. Entre Provence et Savoie, de Manosque aux Échelles en passant par Aix, un véritable axe semble donc se dessiner pour l’Hôpital dont le pivot ne put être que la comtesse Béatrice. Située dans le diocèse de Grenoble, la commanderie des Échelles aurait dû dépendre du prieuré d’Auvergne. Cependant, les circonstances de la fondation – peut-être encore l’influence du prieur Féraud de Barras qu’il resterait à examiner – ont déterminé le rattachement de cette maison au prieuré de Saint-Gilles179. Fondation religieuse, la maison des Échelles comportait également une fortification susceptible de surveiller les terres limitrophes du Viennois. À ce seul titre, et bien que sa communauté abritât une majorité de frères prêtres, elle fut l’une des rares maisons de l’Hôpital à être dirigée par un dignitaire pourvu du titre de châtelain. Or, nous l’avons vu, en 1293, le châtelain des Échelles était un certain Bérenger Monachi junior. Près d’une trentaine d’années après la disparition de la princesse fondatrice, mais toujours du vivant d’un Bérenger Monge sans doute plus influent que jamais, demeuraient des liens troublants… * Tel est donc le « petit a » de Bérenger Monge ainsi qu’il a été possible de l’imaginer à partir des indices fragmentaires laissés par la documentation. Je me suis efforcé de reconstituer les pièces du puzzle sans placer d’emblée le sujet dans un champ social prédéfini et, autant que possible, sans présenter sa trajectoire comme dictée d’avance180. Celui-ci émerge donc dans les années 1240, dans un milieu familial que tout apparente au modèle de la chevalerie urbaine, si caractéristique des contrées méridionales de l’Europe. C’est une véritable nébuleuse des Monachi qui a pu être en partie reconstituée, sans doute issue d’un ancêtre commun, mais fragmentée en branches qui, toutes, conservèrent probablement la mémoire d’une origine partagée. « L’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet181 ». Il est donc inutile d’insister sur l’importance de l’héritage, avant tout familial, dans la construction de ce même sujet. Berengarius Monachi fut donc forgé comme chevalier, au sein d’un lignage qui, peut-être, conservait le souvenir d’ancêtres partis à la première croisade et qui, en tout cas, soigna ses liens à la fois avec les milieux

179 En juillet 1273, lorsque le prieur d’Auvergne Robert de Montrognon effectua un échange avec l’abbé de Saint-Chaffre afin d’accroître le domaine des Échelles, la transaction fut confirmée par les procureurs du prieur de Saint-Gilles (A. Chassaing, Cartulaire des hospitaliers du Velay, Paris, 1888, no 57, p. 64-70). En 1338, la maison des Échelles relevait toujours du prieuré de Saint-Gilles. Dans la communauté, qui comptait alors plus d’une trentaine de religieux, se trouvaient peut-être des gens de Haute-Provence – on relève au moins le nom du miles Jaufre de Barras (VGPSG, p. 100). 180 Sur la nécessité de conjurer le péril de l’appartenance (religieuse, sociale, temporelle…) qui inscrit volontiers l’individu dans des catégories sociales rigides ou qui scande son expérience selon un calendrier d’événements historiques établis a priori, voir entre autres : S. Loriga, Le petit x, p. 258. 181 C’est le paradigme central du livre de V. de Gaulejac, L’histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale, Paris, 1999, p. 11, 19 et 92.

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ecclésiastiques locaux et avec l’entourage princier. Il aurait pu devenir chanoine à Saint-Sauveur d’Aix ou bien officier de l’administration comtale dans quelque viguerie. Bérenger a fait profession dans l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. On l’aurait plutôt attendu à la commanderie d’Aix fréquentée par ses parents, ses premières traces se sont dessinées à Manosque. Derrière sa soudaine ascension, on a pu deviner l’action de réseaux proches de la comtesse Béatrice de Savoie. Sans doute Bérenger récoltait-il là le fruit d’une proximité patiemment entretenue par ses parents avec l’entourage comtal. Il ne faut pas exclure la part de chance et de contingence pour autant : peut-être fut-ce un concours de circonstances, comme la vacance du poste de commandeur, qui lui fit obtenir encore la commanderie d’Aix. Au demeurant, le choix du prieur, avalisé par le chapitre provincial, paraissait logique, puisque les affaires de l’Hôpital pourraient profiter de l’implantation locale de la famille Monachi. Un horizon, toutefois, est trop peu apparu dans cette approche des origines de Bérenger : c’est l’outre-mer. On en oublierait, en effet, que l’ordre dans lequel celui-ci fit profession fut fondé à Jérusalem dans le contexte des croisades et que sa vocation charitable fut assez rapidement supplantée par l’engagement militaire. Chevalier, le frère Bérenger aurait pu accomplir un service militaire en Orient. Si on ne peut exclure catégoriquement qu’il fit un jour le passage outre-mer, son itinéraire plaide plutôt pour un profond enracinement local. À l’exaltation mais aussi au risque de l’action armée au service de la chrétienté, le chevalier provençal préféra la rigueur de la gestion administrative et, peut-être surtout, le pouvoir. Commandeur à Aix, il régissait le pôle religieux et politique qui abritait la nécropole des comtes de Provence. Commandeur à Manosque, il se trouvait à la tête de l’un des plus riches établissements du prieuré de Saint-Gilles. Surtout, si l’on considère les compétences juridictionnelles dont était dépositaire cette seigneurie ecclésiastique, bien rares furent les commandeurs de l’Hôpital à détenir une telle autorité. À partir de 1249, en effet, sa résidence attitrée fut le palais de Manosque, une émanation du dominium que les comtes de Forcalquier avaient abandonné à l’ordre et dont Bérenger lui-même allait s’employer à rehausser la majesté. Or, au sein de ce palais, le commandeur se retrouva à la tête d’un monde : avant d’analyser le pouvoir seigneurial lui-même, exercé sur la population, c’est toute la complexité des relations sociales au sein même de la maison religieuse qu’il faut envisager. Il est donc temps de pénétrer l’intimité de ces communautés hospitalières dont le commandeur eut la charge, à Aix et à Manosque.

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Chapitre ii

La communauté hospitalière sous Bérenger Monge

Avant d’envisager les relations d’autorité liant le commandeur à ses frères, il s’agit de comprendre en quoi consistèrent les communautés d’Aix et de Manosque dont Bérenger Monge eut la charge pendant près d’une cinquantaine d’années. Peut-être plus que pour tout autre forme d’ordre religieux, l’idée de « maisonnée » apparaît adaptée à la fraternité constituée par un ordre militaire tel que l’Hôpital. Je reprends en effet à mon compte l’expression qui avait fait florès à l’époque où Georges Duby révéla l’intérêt de l’enquête conduite en 1338 sur les commanderies du prieuré de Saint-Gilles : chaque communauté hospitalière peut être comprise comme une maisonnée familiale et seigneuriale régie par une certaine discipline et par une logique économique propre1. C’est bien ainsi que peut se concevoir la domus qui, chez toutes les institutions militaro-hospitalières, recouvre le triple niveau de l’ordre religieux dans sa globalité, de la communauté régulière locale assimilable à une famille, et du lieu construit où vit cette dernière2. Mais si l’on transpose l’analyse appliquée par Pierre Bourdieu à l’État dynastique, la maison peut encore se poser comme mode de gouvernement où le pouvoir repose sur des relations personnelles et affectives socialement instituées3. C’est ainsi, en effet, que j’envisagerai les maisons hospitalières d’Aix et de Manosque sous la direction de leur commandeur Bérenger Monge. À partir du xiiie siècle, la documentation provençale relative aux ordres militaires s’enrichit des occurrences nouvelles de preceptoria/comandaria et surtout de bajulia, qui est véritablement le terme associé à l’Hôpital4. Ces substantifs, qui désignent à la fois une communauté religieuse et une unité de gestion, ont été traduits par le terme de commanderie, consacré par l’historiographie. J’ai décidé de sacrifier à l’usage et d’employer généralement cette dernière notion, si riche de sens bien que souvent

1 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne, Alpes du Sud (1338) » [1961], in Hommes et structures du Moyen Âge, 2, Seigneurs et paysans, Paris, 1988, p. 26. 2 D. Carraz, « Maison », in DOMMA, p. 572-574 ; B. Martin et alii, Premiers textes normatifs des hospitaliers, Paris, 2013, p. 26-27. Sur le glissement de sens en latin de la « maison-famille » à la « maison-édifice » : É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, t. 1, Économie, parenté, société, Paris, 1966, p. 295-301. 3 P. Bourdieu, « De la maison du roi à la raison d’État. Un modèle de la genèse du champ bureaucratique », Actes de la Recherche en sciences sociales, 118 (1997), p. 56-57. 4 Sur le glissement de domus à bajulia puis à preceptoria, prédominant à partir de la seconde moitié du xive siècle : D. Carraz, « Administration, délimitation et perception des territoires dans l’ordre de l’Hôpital : le cas du prieuré de Saint-Gilles (xiie-xive siècle) », in M.-A. Chevalier (dir.), Ordres militaires et territorialité au Moyen Âge entre Orient et Occident, Paris, 2020, p. 318-321.

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galvaudée, plutôt que d’introduire systématiquement celle de baillie qui, elle-même, peut selon le contexte se révéler ambiguë5. La commanderie regroupe donc en son sein différentes catégories de frères dont il s’agit ici d’appréhender les contours, en termes à la fois fonctionnels et sociaux. Cela reviendra à examiner les statuts donnés à chacun au sein d’une communauté plurielle, composée d’une part de laïcs et de clercs, et de l’autre de frères sélectionnés, selon les cas, pour leur valeur guerrière ou bien pour d’autres aptitudes, notamment administratives. Se posera, dès lors, la question de la correspondance entre les statuts donnés à l’intérieur du groupe hospitalier et les états sociaux reconnus dans le siècle. Sans rentrer encore dans les arcanes du gouvernement de la commanderie, on pourra poser un certain nombre de jalons sur ses modalités de fonctionnement, appréhendées notamment au travers des offices. Dans cette présentation plutôt « structurelle » de la commanderie, il ne s’agira donc pas encore d’entrer dans le détail des trajectoires personnelles. Je n’aborderai pas ici les profils de carrière pour réserver cet aspect au chapitre suivant, lorsque je tâcherai de retracer les liens qui ont pu se forger entre Bérenger Monge et une élite de frères. La maison peut être également vue comme une cellule économique où l’on produit et où l’on consomme. Raisonnant à partir de l’enquête de 1338, Georges Duby, déjà, avait rapproché la commanderie « par sa structure sociale, par ses besoins économiques d’une maison de moyenne noblesse rurale »6. Si cette catégorisation sociale peut paraître évocatrice, elle fait peu de cas de la complexe stratification qui prévalait au sein de ces communautés. Toutefois, la formule n’en incite pas moins à reprendre, cette fois-ci pour le temps de Bérenger Monge, cette question des « besoins économiques », avant même d’aborder, dans un chapitre ultérieur, les commanderies comme entreprises agricoles et commerciales. Ce n’est cependant pas tant en terme de consommation que j’envisagerai ces besoins, mais plutôt sous l’angle de la définition d’une forme de vie, pour paraphraser Giorgio Agamben7. Autrement dit, on rappellera comment les pratiques alimentaires et les usages vestimentaires, non sans marge de tolérance par rapport à la norme, ont contribué à définir l’identité du groupe8. Je terminerai sur une remarque de méthode. En évoquant déjà, à plusieurs reprises, la pensée de Georges Duby, se profile l’ombre de cette source un peu spéciale à laquelle le maître a donné une destinée toute particulière : il s’agit de l’enquête réalisée en 1338



5 C’était déjà le parti-pris adopté pour l’édition des comptes de Manosque (CoHMa, p. xi). Pour une première définition de ces termes complexes : A. Demurger, « Baillie », et Ph. Josserand, « Commanderie », in DOMMA, p. 138 et 246-247. 6 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 47 et 26-27. 7 G. Agamben, De la très haute pauvreté. Règles et forme de vie, Paris, 2011. 8 À propos de norme, la complexe stratification de la législation hospitalière et de ses traditions linguistiques exigerait une étude de fond. En attendant, sur la mise en ordre qui suivit l’évacuation de la Terre sainte : A. Luttrell, « The Hospitallers’early written Records », in J. France et W. G. Zajac (dir.), The Crusades and their Sources, Aldershot, 1998, p. 139-154 ; et sur les versions en langue d’oc dont aucune ne semble antérieure au xive siècle : M.-R. Bonnet et R. Cierbide, Les statuts de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Édition critique des manuscrits en langue d’oc (xive siècle), Bilbao, 2006, p. 49-52 et 55-65.

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dans le prieuré de Provence et dont l’exploitation a engendré une grande postérité historiographique. Après tant d’autres, je puiserai dans ce gros registre pour compléter les zones d’ombre laissées par la documentation du siècle précédent. Toutefois, à la différence de Benoît Beaucage, je ne crois pas aux permanences immuables d’« une société foncièrement conservatrice » qui permettraient de projeter sans risque, sur la seconde moitié du xiiie siècle, les données très riches disponibles pour 13389. Non seulement le contexte économique global était déjà sensiblement différent entre les deux périodes, mais surtout, une série de transformations institutionnelles, la redéfinition des missions de l’Hôpital et l’absorption des biens du Temple avaient profondément bouleversé les structures de l’ordre dans le premier tiers du xive siècle. Je concède volontiers que la baillie de Manosque, qui était déjà une seigneurie majeure à l’échelle du prieuré de Saint-Gilles et qui s’accrut seulement de l’ancienne maison templière de Limaye, fut sans doute l’une des commanderies les moins touchées par les changements du temps. Pour autant, si l’état donné en 1338 pourra nous servir, si l’on veut, de « point d’ancrage », on aura conscience qu’il n’est en rien un miroir fidèle de la situation qui prévalait à l’époque de Bérenger Monge10.

La baillie : une maisonnée seigneuriale Les frères : ouverture et distinction sociales

Entendue dans sa dimension sociale, la domus ou maisonnée pourrait s’apparenter à une série de cercles concentriques gravitant autour du maître – les textes disent « dominus » – qui, en l’espèce, est ici le commandeur. Il y a d’abord la communauté régulière des frères profès auxquels on peut agréger les donats, ces hommes et ces femmes qui ont embrassé un état de vie « semi-religieuse ». Il y a ensuite ces laïcs, parfois nommés confrères et consœurs, qui restent assez discrets dans la documentation du xiiie siècle, mais qui font partie de la communauté spirituelle de la maison hospitalière, sans pour autant avoir franchi le pas du vœu prêté par les donats. Dans une sphère relevant du service plus que du lien spirituel, on trouve le groupe important de la

9 D. Carraz, « L’enquête de 1338 sur l’ordre de l’Hôpital : un “horizon indépassable” ? Réponse à Benoît Beaucage », Provence historique, 67 (2017), p. 282-284 ; et B. Beaucage, « L’enquête de 1338 sur l’ordre de l’Hôpital : un point d’ancrage indispensable. Réponse à Damien Carraz », op. cit., p. 290-291. On peut bien concéder aux hospitaliers, avec Duby, « le sentiment que les valeurs sont stables et doivent l’être, le sentiment d’une stabilité profonde » (G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 25). Il ne fait pourtant guère de doute que le monde changeait autour d’eux : preuve en est le tableau fondamentalement différent que donnent des commanderies les enquêtes de 1338 et de 1373. 10 Sur les orientations historiographiques inspirées par ce document depuis Duby, mais aussi sur ses limites : D. Carraz, « Les enquêtes générales de la papauté sur l’ordre de l’Hôpital (1338 et 1373). Analyse comparée dans le prieuré de Provence », in Th. Pécout (dir.), Quand gouverner c’est enquêter. Les pratiques politiques de l’enquête princière (Occident, xiiie-xive siècles), Paris, 2010, p. 509-510 et 519-520 ; Id., « L’enquête de 1338 », p. 286-289 ; et surtout N. Coulet, « Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement dans le sud-est de la France au Moyen Âge », in Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement en Europe occidentale (xiie-xviiie siècles), Auch, 1986, p. 48-53.

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Avignon : 8 frères (1215)

Saint-Gilles : 11 frères (1248)

 

Puimoisson : 10 frères (1192)

Saint-Gilles : couvent 21 frères (1195)

Manosque

comparaisons Trinquetaille : couvent : 12 frères (1261)

couvent : 10 frères (1251) status bajulie : 19 frères, 1 sœur, 18 donats, 2 donates (1268)

 

2e mi-xiiie s. 11 frères (1306)

début xive s.

Trinquetaille : 12 frères (1290)

status bajulie : 19 frères,   1 sœur, 18 donats (1273) status bajulie : 18 frères, 2 sœurs et 18 donats (1279) status bajulie : 26 frères, 12 donats (1299) Saint-Gilles : 14 frères   (1270)

 

dernier tiers xiiie s.

Avignon : 12 frères : un miles, trois chapelains, 8 servientes ; 3 donats nobles et 5 non nobles et une donate Trinquetaille : 12 frères, dont le commandeur, 1 miles, 2 chapelains, 8 servientes, 5 donats nobles, 1 non noble

27 frères : 1 miles, 15 chapelains, 10 servientes, 8 donats nobles, 2 donats non nobles 29 frères : 9 milites, 5 chapelains, 15 servientes, 17 donats nobles et 4 non nobles

1338

11 Seuls ont été retenus les actes particulièrement solennels faisant intervenir un grand nombre de témoins. Sources : 56 H 4857 (1192) ; CaHSG, no 282 (1194) ; CaHAv, Ch. 25 (1215) ; 56 H 4629 (1228) ; J. Delaville Le Roulx, Les archives, la bibliothèque et le trésor de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Malte, Paris, 1883, no 69 (1235) ; 56 H 4106 (1248) ; CGH, no 2570 (1251) et 4708 (1306) ; 56 H 5022 (1261) ; Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 598 (1268) ; 56 H 4109 (1270) ; 56 H 68, f. 473 (1273) ; 56 H 5036 (1290) ; CoHMa, suppl. p. 147 (1299) ; VGPSG (1338), p. 333, 426, 451 et 588. Il faut rajouter à tous ces chiffres la présence du commandeur.

Fig. 3. Effectifs de quelques commanderies hospitalières111

12 frères (1235)

14 frères (1228)

 

 

Aix

1er mi-xiiie s.

2e mi-xiie s.

 

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domesticité qui était pleinement intégrée à la domus : demeurant dans les maisons de l’ordre au sein de la baillie ou accompagnant les religieux dans leurs diverses missions à l’extérieur, ces individus partageaient totalement la vie des hospitaliers. Le dernier cercle, numériquement le plus important, était enfin constitué des cohortes de travailleurs embauchés pour les tâches agricoles et artisanales que l’on a agrégés, à la suite de Georges Duby, à la « maison du maître », dans un niveau de relation cette fois-ci plus économique et sans doute moins personnalisé. Tout cela composait donc la maison seigneuriale ou, pour appliquer le vocabulaire hospitalier, la baillie. Commençons par la communauté régulière, autrement dit celle des maîtres. Afin d’en estimer l’importance numérique et la composition, voici quelques données récoltées pour les deux commanderies où officia Bérenger Monge (fig. 3).11 Les listes de témoins figurant au bas des actes ne fournissent que des estimations, même lorsque celles-ci font intervenir l’ensemble du couvent qui, nous le verrons, n’implique qu’une partie de la communauté. Seuls donnent un décompte précis l’enquête de 1338, ainsi que le status bajulie, c’est-à-dire le bilan établi par le commandeur à sa sortie de charge, conservé seulement pour Manosque. À son départ, en 1299, Bérenger Monge laisse à Manosque une communauté régulière de 26 frères et 12 donats pour l’ensemble de la baillie. L’effectif des frères en 1338 est comparable, ce qui permet d’extrapoler pour la commanderie d’Aix où les informations sont rares : les 27 frères cités en 1338 doivent correspondre peu ou prou à l’ordre de grandeur de la communauté à l’époque de Bérenger Monge. Lorsque seule la sanior pars du couvent est mentionnée, les données sont à peu près équivalentes pour les deux commanderies : une dizaine de frères à Manosque en 1251, autant à Aix en 1306 et encore sans compter ici le collège des chapelains conventuels12. Les données fiables des états de la baillie de Manosque témoignent d’une stabilité des effectifs tout au long de la seconde moitié du xiiie siècle, que l’on observe également à Saint-Gilles et à Trinquetaille. La brusque croissance observée à la fin du siècle et qui s’est maintenue en 1338 peut-elle, en revanche, être imputable à la bonne gestion de Bérenger Monge ? À l’échelle du prieuré de Saint-Gilles, de tels effectifs n’étaient en effet pas fixés arbitrairement mais dépendaient du niveau de revenus de chaque commanderie. Ces dernières disposaient d’autant moins de marge de manœuvre que les admissions de nouveaux frères et donats étaient également soumises à l’approbation du prieur13. De telles estimations font donc d’Aix et surtout de Manosque de très importantes commanderies à l’échelle de la partie provençale du prieuré de Saint-Gilles. Les ordres de grandeur, pour le xiiie siècle, semblent comparables aux communautés de Saint-Gilles et de Trinquetaille, qui sont parmi les plus anciennes maisons fondées, et sont bien supérieurs à l’effectif d’une maison moyenne comme Avignon14. 11

12 À moins que les onze frères cités en 1306 soient précisément des chapelains conventuels, auquel cas, rien n’indiquerait ce statut, ni dans cet acte ni ailleurs (CGH, t. 4, no 4708, p. 124). 13 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 593-594 (Raybaud fait mention en marge de décisions des chapitres généraux de 1292, 1330, 1335 et 1344). 14 À Avignon, l’effectif n’a jamais dépassé une petite dizaine de frères selon C.-F. Hollard, « Les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Avignon aux xiie et xiiie siècles », Annuaire de la société des amis du palais des papes, 80 (2003), p. 20. La comparaison n’est plus pertinente avec l’état en 1338 : Saint-Gilles ne

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Faute d’avoir pu m’appuyer sur un comptage aussi fin que possible, comme j’avais pu le faire pour les templiers du Bas-Rhône, je ne m’en tiendrai ici qu’à quelques impressions sur l’origine sociale et géographique des frères15. Limités au cas de Manosque, qui seul fournit un échantillon suffisant, les ordres de grandeur que je vais donner confirment toutefois ce qui a déjà été observé par ailleurs sur le profil du recrutement au sein des ordres militaires16. Entre le milieu du xiie et le début du siècle suivant, la législation hospitalière a progressivement précisé la distinction, parmi les frères, entre clercs, sergents et chevaliers17. Si la catégorie des frères prêtres se distingue a priori sans problème, le statut de chevalier ne semble pas systématiquement mentionné dans les actes de la pratique. Enfin, plus problématique encore est le cas des servientes qui n’apparaissent quasiment jamais dans la documentation contemporaine de Bérenger Monge18. La situation tranche donc avec celle qui prévaut au moment de l’enquête de 1338, où le nombre et les noms des frères de chaque catégorie sont scrupuleusement notés et où l’on distingue même nobles et non nobles parmi les donats. Au xiiie siècle encore, s’il ne fait guère de doute que le statut de chacun devait être connu à l’intérieur de la communauté, la distinction sociale n’avait pas obligatoirement besoin d’être figée par l’écrit. Ou alors était-ce de manière beaucoup plus subtile que le formalisme de l’écriture notariale reflétait un certain ordre de préséance. Une exploitation statistique du rang assigné à chacun dans les listes de témoins révélerait peut-être plus finement la stratification des valeurs au sein de la communauté. Faute d’avoir pu conduire un tel relevé systématique, je me limiterai à deux impressions. Esparron de Bras, un chevalier que je présume sortir d’une branche des vicomtes d’Esparron, apparaît toujours comme témoin en première position ou en second après le bayle. En revanche, Isnard, qui était sans doute d’origine modeste comme la plupart des prêtres, et tout prieur de Saint-Jean d’Aix fût-il, ne vient qu’en cinquième position derrière quatre milites – dont deux représentants de la famille Monachi – dans un acte de 126419.

figure pas dans l’enquête, tandis que l’effectif arlésien doit se partager désormais entre Saint-Thomas de Trinquetaille et l’ancienne maison du Temple. 15 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 291-302. 16 Pour un état des lieux général, je me permets de renvoyer à D. Carraz, « Le monachisme militaire, laboratoire de la sociogenèse des élites laïques dans l’Occident médiéval ? », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, Madrid, 2015, p. 41-45. Pour une comparaison provençale : C.-F. Hollard, « Les hospitaliers », p. 20-21. 17 A. Demurger, Les hospitaliers. De Jérusalem à Rhodes, 1050-1317, Paris, 2013, p. 267-274. 18 On trouve quelques rarissimes mentions antérieures dans le cartulaire de Saint-Gilles (CaHSG, no 204 (décembre 1194) ; avec un doute pour le frère Raimundus Bonus Serviens cité en 1209 : no 358, 362, 364) et une mention contemporaine pour la commanderie de Comps (56 H 4372 ; 16 janvier 1249). Dans un compte de voyage de 1251, deux frères sont encore qualifiés d’hostiarii que l’on peut poser comme équivalent de servientes (A. Venturini, « Un compte de voyage par voie de terre de Manosque à Gênes en 1251 », Provence historique, 45 (1995), p. 42). C’est donc bien que la catégorie des sergents était reconnue dans la pratique. Plus généralement, dans la documentation provençale, « serviens » désigne un soldat à pied (M. Hébert, « Les sergents-messagers de Provence aux xiiie et xive siècles », in P. Boglioni et alii (dir.), Le petit peuple dans l’Occident médiéval. Terminologies, perceptions, réalités, Paris, 2002, p. 298). 19 Cf. An. II, D-1, no 4 et 8 ; et 56 H 4185 bis (7 avril 1264).

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Entre les années 1220 et 1300, j’ai recensé les noms de quelque 250 frères attachés à la commanderie de Manosque20. Sur cette base, 26 noms apparaissent avec un office clérical, tandis que 34 frères sont identifiés comme milites21. Ce dernier chiffre, cependant, ne saurait être rapporté à la réalité du recrutement issu, dans le siècle, du groupe de l’aristocratie militaire. Dans certaines écritures moins formelles comme les comptes, les frères sont cités avec leur simple nomen sans indication de statut (quand ce n’est pas par leur seule initiale), sans que le nom unique ne renvoie nécessairement à un rang subalterne22. Et même les notaires ne précisent pas systématiquement le qualificatif de miles23. Une cinquantaine d’individus, sans porter le titre chevaleresque mais dont le cognomen renvoie à une topolignée, a donc quelque chance d’être d’ascendance chevaleresque (Aicard de Signes, B. de Roquesauve, Uc et Bertrand d’Aubenas, Bertrand et Boniface de Saint-Juers, Isnard d’Oraison, Isnard de Châteauneuf…). Il faut en effet tenir compte du fait que certains frères, manifestement issus de la petite chevalerie castrale, ont pu ne pas intégrer l’Hôpital dans le rang des chevaliers et donc se trouver apparentés aux sergents24. En combinant les frères qualifiés de milites et ceux qui proviennent probablement de lignages chevaleresques sans en porter le titre, on peut estimer à un petit tiers la proportion des frères issus de l’élite guerrière. On trouve en effet parmi les frères des cognomina toponymiques ressortissant à des lignages détenteurs de fiefs : Barras, Signes, Moustiers, Saint-Jurs (représentés à Manosque et à Aix), Lamanon, Reillanne, Puimichel, La Tour d’Aigues, Comps25… S’il s’agit là de familles relativement anciennes et prestigieuses, un certain nombre de noms renvoient sans doute à l’échelon inférieur de la petite chevalerie peuplant les castra : ce serait le cas des Mallemort (présents à Manosque et à Aix), Saint-Martin,

20 Cf. An. II, C-2. Ce chiffre ne peut être qu’approximatif car il cache sans doute de nombreux doublons, difficilement identifiables lorsque les frères sont nommés par leur seul nomen proprium. En outre, la documentation antérieure à 1240 n’a pas fait l’objet d’un récolement et d’un dépouillement systématiques. Pour la commanderie d’Aix, l’échantillon est de quelques 76 frères sur la même période (cf. An. II, C-1). 21 Aix a conservé les mentions de seulement 4 chevaliers et 16 prêtres. Ces estimations reflètent, on y reviendra, le profil très clérical de cette maison. 22 Le frère Andreas est responsable des comptes d’un voyage à Gênes en 1251 (A. Venturini, « Un compte de voyage », p. 41), Augerius est qualifié de dominus (1275), Guillotus est miles (1258-1270), Elzéar (1238, 1283) est plutôt un prénom aristocratique. 23 Par exemple, dans telle charte, les hospitaliers Bertrand Gantelme et Jaufre de Moissac sont bien qualifiés de milites, tandis que rien n’est spécifié pour le frère Bertrand Dodon, pourtant bien signalé comme chevalier par ailleurs (56 H 4642 ; 25 février 1273). 24 Rappelons qu’il n’y avait pas d’équivalence entre statut chevaleresque dans le siècle et au sein de l’ordre : un gentilhomme (non adoubé) ne rejoignait pas automatiquement l’Hôpital comme chevalier (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 270-272). 25 L’identification de ces cognomina toponymiques repose sur la carte des fiefs de Provence et du Comtat vers 1260 (É. Baratier et alii, Atlas historique, Paris, 1969, vol. 2, no 55) et sur M.-Z. Isnard, État documentaire et féodal de la Haute-Provence, Digne, 1913. Ces topolignées étaient désignées par leur lieu d’origine, mais la logique des ramifications et des alliances explique que leurs biens et droits étaient souvent dispersés entre plusieurs localités (M. Hébert, « Les mutations foncières et l’évolution sociale en Haute-Provence à la fin du xiiie siècle », Provence historique, 37 (1987), p. 430-431).

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Ginasservis, Meyrargues, Bras ou, très près de Manosque, des Rousset ou Pierrevert26. Concentrés entre Durance et Verdon, ou disséminés au sud de cette dernière rivière, entre étang de Berre et haut-Var, les lieux d’origine de ces frères n’excèdent guère un rayon d’une soixantaine de kilomètres autour de Manosque. Si la commanderie d’Aix compte quelques frères descendus de Haute-Provence – Jaufre de la Roche de Volx, Isnard de Gap –, la cité a probablement envoyé certains de ses citoyens à Manosque, comme Jaufre de Moissac ou éventuellement Guillon Tassil27. Enfin, quelques individus – de Camaret, Amic, de Pont, Baston, Gantelme, Mataron, Porcelet – peuvent venir de la basse vallée du Rhône. Reste le cas de la majorité des frères confinés à l’anonymat d’un nomen simple ou bien d’un cognomen ordinaire. Un recoupement entre la liste des hospitaliers et un terrier du début du xive siècle livrant environ 1 200 noms, soit un échantillon significatif de la population manosquine, se révèle assez instructif28. Une bonne vingtaine de frères portent en effet des noms répandus dans la population, ce qui renforce le caractère local du recrutement et tempère la visibilité plus grande de l’aristocratie29. Toutefois, si ces individus ressortissent à des milieux que l’on qualifie, faute de mieux, de « populaires », il est bien difficile de préciser le profil socio-professionnel de ces familles tentées par l’enrôlement chez les hospitaliers. On peut postuler que la plupart des individus représentés dans le terrier, parce qu’ils tiennent des terres de l’Hôpital, sont des agriculteurs30. On repère toutefois, parmi les frères, quelques noms (Blancus, Rufus, Imbertus) apparentés aux milieux de l’artisanat dans les premières décennies du xive siècle31. Enfin, on peut imaginer que certains de ces frères recrutés localement – et voués à rester sur place par la suite – firent profession sur le tard, puisque certains eurent le temps d’avoir des enfants plus ou moins légitimes32. Parmi les membres profès de l’ordre, les commanderies pouvaient encore accueillir des sœurs qui vivaient au sein de la communauté, à vrai dire on ne sait trop dans 26 On retrouve là la distinction établie entre « moyenne aristocratie », issue le plus souvent de branches cadettes des plus anciens lignages, et « petite aristocratie », détentrice de parts seigneuriales dans les castra où elle réside volontiers (F. Mazel, « Aristocratie, église et religion au village en Provence (xie-xive siècle) », in L’Église au village. Lieux, formes et enjeux des pratiques religieuses, Toulouse, 2006, p. 186-187). 27 Le cognomen Tassili est assez répandu : on le trouve à Aix mais aussi dans le comté de Forcalquier. 28 56 H 1039 (mars 1303). Rappelons que la population manosquine est alors estimée à 4 000 habitants. 29 Parmi les cognomina des hospitaliers également représentés dans le terrier : Berbegarii, Bermundi, Bona, Chabaterii (3 frères), Dalmacii, Ebrardus, Faber (3), Garnerius, Gauterius, Giraudus, Isnardi (2), Martini, Moteti, Mounerius, Pellicerii, Rostagni. 30 On peut identifier quelques exceptions : Petrus Bermundi tient plusieurs étals sur la place principale, P. Dalmacii est notaire, Raimbaudus Garnerii est miles (mais une ferrage est aussi liée au même patronyme). 31 M. Hébert, « Travail et vie urbaine : Manosque à la fin du Moyen Âge », in C. Dolan (dir.), Travail et travailleurs en Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, Toronto, 1991, p. 172, tableau iv. Les grandes familles de juristes sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir – Hospitalarii, Bisquerra… –, si elles sont entrées au service de l’Hôpital, ne lui ont pas donné de frères. 32 À moins d’envisager que ces enfants aient été conçus alors même que leurs pères étaient déjà entrés dans l’Hôpital ? J’ai rencontré deux cas. Dans une causa de 1243 entre plusieurs femmes s’accusant mutuellement d’injures, l’une d’entre elles, Sancia Faufillas, accuse une certaine Ma. d’être la fille du frère P. de Molendino (P. MacCaughan, La justice à Manosque au xiiie siècle. Évolution et représentation,

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quelles conditions. Si on trouve des sœurs isolées parmi les frères dans d’autres maisons provençales, celles-ci n’apparaissent pas dans la documentation courante concernant Aix et Manosque33. Leur existence même nous serait inconnue si les états de la baillie de Manosque ne signalaient la présence d’une ou deux sœurs dans le dernier tiers du xiiie siècle34. Mais aucun nom ne nous est resté, tandis que nous sommes réduits à imaginer leur mode de vie et leurs fonctions dans la maison à partir de cas mieux documentés35. Résumons donc. Environ les deux tiers de l’effectif des hospitaliers de Manosque n’étaient pas issus de l’aristocratie guerrière mais de la roture, ce qui ne signifie pas pour autant, loin de là, un statut social misérable. Le constat rejoint donc la tendance de l’historiographie récente à minimiser la dimension nobiliaire des ordres militaires, tout au moins avant la fin du Moyen Âge36. Si l’aristocratie guerrière se recrutait à l’échelle régionale – et pour cause, elle était très peu présente à Manosque même –, la provenance des autres catégories sociales apparaît très locale. L’Hôpital offrait un débouché de choix à cette petite aristocratie castrale menaçée de déclassement par la fragmentation lignagère et, plus largement, par le changement social37. Cet appauvrissement latent explique d’ailleurs qu’une proportion difficile à estimer de recrues issues de lignages chevaleresques dans le siècle n’accédait pas forcément au rang de chevaliers de l’ordre. Ceux-là devaient donc être apparentés à la catégorie des sergents sans, répétons-le, qu’il n’y ait eu besoin de préciser ce statut. Il n’en demeure pas moins que, pour être minoritaire, c’est bien l’élément chevaleresque qui, à mon sens, imprimait son image à l’ordre. Je reviendrai sur ce point bientôt. La familia : une communauté matérielle et spirituelle

La domus hospitalière regroupait ceux que, à la suite de Georges Duby et selon une acception assez « alto-médiévale », je continuerai à appeler la familia38. On peut classer ces familiers selon leur degré de proximité avec le mode de vie des Paris, 2005, PJ no 4, p. 316-318, d’après 56 H 944, f. 13). L’autre cas concerne le frère Guilhem Morre, dont le fils est signalé dans une vente (« W. Morre, filius fratris W. Morre, vendidit et tradidit Petro Rocherio, sacerdoti, unam domum cum curte… » ; 56 H 4641 ; 15 janvier 1258). 33 Cas de sœurs isolées dans quelques communautés provençales : D. Carraz, « Présences et dévotions féminines autour des commanderies du Bas-Rhône (xiie-xiiie siècle) », in Les ordres religieux militaires dans le Midi (xiie-xive siècle), Toulouse, 2006, p. 81-84. 34 Cf. fig. 14 : une sœur et deux donates en 1268, une sœur en 1273, deux sœurs en 1279. 35 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 278-286 ; A. Luttrell, « Les femmes hospitalières en France méridionale », in Les ordres religieux militaires dans le Midi (xiie-xive siècle), p. 101-113. 36 L. F. Oliveira, « La sociologie des ordres militaires. Une enquête à poursuivre », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires, p. 155-168. 37 Les difficultés de la petite noblesse à la fin du xiiie siècle sont bien connues. Sur la situation en Haute-Provence, marquée comme ailleurs par la détérioration des patrimoines et les difficultés d’accès à la chevalerie : M. Hébert, « Les mutations foncières », p. 430-435. 38 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 46. Jusqu’au xie siècle, la familia continue de désigner l’ensemble de la population relevant du domaine du maître, de la villa, sans sous-entendre une connotation de parenté particulière (A. Guerreau, Le féodalisme. Un horizon théorique, Paris, 1979, p. 184 et 189).

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hospitaliers. Les plus proches, au point qu’il n’est parfois pas aisé de les distinguer des frères profès, sont les donats ou donnés39. La commanderie de Manosque avait la capacité d’accueillir une forte communauté de donats puisque les trois statutes bajulie mentionnent le chiffre remarquablement stable de 18, ramené à 12 en 1299. Ainsi que le rappelait la formule de réception, reprise par les actes de la pratique et promettant le pain, l’eau et l’humble habit, ces donats partageaient la forme de vie de la communauté régulière40. Les comptes confirment tout à fait que ces derniers bénéficiaient du vestiaire et des soins au même titre que les frères41. Si leur entretien était aux frais de l’ordre, ils n’en apportaient pas moins une dotation plus ou moins importante, à l’instar de Rostan de Montaigu qui, lorsqu’il fut reçu par Bérenger Monge, donna tous ses droits seigneuriaux à Manosque, la tasque d’une vigne plus 300 sous42. Aussi présume-t-on que leur quotidien différait très peu de celui des profès. Probablement étaient-ils instruits des affaires de la maison, à en juger par la promesse de ne pas en relever les secrets, et des missions pouvaient leur être confiées43. Lui-même quelque peu ambigu, le statut juridique permettait à certains donats d’abuser de leur état, comme ce Bernard affilié à la maison de Vinon qui, en 1298, argua du for ecclésiastique pour échapper à la juridiction de la cour royale de Riez44. Sur la même amplitude chronologique que celle adoptée pour le recensement des frères, la documentation livre les noms de 26 donats pour la commanderie de Manosque. À en croire les patronymes (Villebonne, Moustiers, Rousset, Puget, Lincel, Amic…), beaucoup de ces hommes étaient de bonne famille. D’ailleurs, la récurrence de certains cognomina (Barras, Mallemort, Saint-Juers…) laisse deviner de véritables traditions familiales de dévotion envers les hospitaliers. Mais, là encore, gardons-nous de surestimer cette empreinte de l’aristocratie guerrière. Joan Pagan était par exemple issu d’une famille bien en vue à Manosque, sans pour autant appartenir à la chevalerie.

39 La thèse consacrée au phénomène de la donation de soi par Charles de Miramon intègre rapidement la question des donnés de l’Hôpital (C. de Miramon, Les “donnés” au Moyen Âge. Une forme de vie religieuse laïque. v. 1180-v. 1500, Paris, 1999, p. 324-332). L’étude des différentes voies de l’affiliation aux ordres militaires a également été renouvelée. Pour un état de la question, je me permets de renvoyer à D. Carraz, « Confraternité », in DOMMA, p. 252-256. Enfin, sur les pratiques des templiers provençaux, que rien ne distingue de celles des hospitaliers : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 332-345. 40 Selon Raybaud, ils mangeaient avec les serviteurs à une table distincte de celle des frères (Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 594). 41 Vestiaire : CoHMa, § 15, 22, 39, 41, etc. ; soins à l’infirmerie : CoHMa, § 2, 3, 51, 52, etc. 42 L’engagement du donat dépasse ici la formule de réception inscrite dans les statuts : Qui dictus frater Berengarius nomine dicte domus Hospitalis dictum Rostagnum recepit et sibi concessit panum, aquam et vestimenta humilia dicti Hospitali. Et dictus Rostagnus promisit tactis corporaliter sacro sanctis Evangeliis juravit eidem fratri Berengario recipienti ut supra quod predicte domui et fratribus et donatis dicti Hospitalis fidelis et legalis erit et obediens semper illi sub cuius baiulia erit constitutur, et utilitatem dicte domus faciet et procurabit et dampna et mala dicte domus per suis vicibus evitabit et secreta sibi predicta domo et pro utilitate commissa tenebit et nulli denotabit absque licentia sui maioris (56 H 4680 ; date disparue). 43 En novembre 1286, l’un d’eux se rend à Lardiers pour une raison que le compte n’explicite pas (CoHMa, § 174). 44 56 H 4204 (1298). Récurrentes furent également les plaintes du clergé séculier contre les ordres militaires accusés d’outrepasser les privilèges attachés à leurs affiliés (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 343-345).

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D’autres individus pourraient être de souche plus « populaire » encore, tels ces clercs séculiers, entrés dans l’ordre comme donats pour y faire carrière : Bertrand Ainardus, donat en 1271, était prêtre de l’ordre dix ans plus tard ; Géraud, donat en 1251, se trouvait comme prêtre conventuel en 1256 et chapelain du palais de 1260 à 1275. En effet, comme le suggèrent certaines formules des contrats d’autodédition, le statut de donat pouvait servir de période probatoire, plus ou moins longue, avant la profession complète45. Je renvoie par exemple aux cas de Géraud de Rousset, Rostan de Saint-Juers ou du miles Bertrand Gantelme46. Cependant, l’Hôpital n’est pas encore entré dans la logique de fermeture aristocratique qui conduira, dans l’enquête de 1338, à distinguer donats nobles et non nobles. À partir du milieu du xiiie siècle, les listes de témoins comme les comptabilités ne mentionnent plus les confrères et consœurs qui avaient représenté la première forme d’affiliation auprès des ordres militaires47. Pourtant, la catégorie existe encore au xive siècle48. Mais désormais, dans la pratique, celle-ci se réfère essentiellement aux laïcs qui ont élu sépulture dans un cimetière de l’ordre. Plusieurs élections de sépulture, entre les mains de Bérenger Monge ou de son lieutenant, ont ainsi été conservées pour la commanderie d’Aix49. Parfois en couple, les postulants se donnaient corps et âme, agenouillés et entre les mains du commandeur. Ce dernier les recevait alors comme confrère ou consœur, en leur promettant la sépulture tout en les associant aux prières et offices célébrés dans la maison de l’Hôpital50. Les confrères étaient donc bien intégrés à la communauté spirituelle des frères, même s’ils ne partageaient pas leur vie commune et si ce mode d’agrégation restait plus flexible que le vœu formulé par le donat51.

45 …reddo me et dono Deo et Beate Marie et sancto Johannis Baptiste et sancte domus Hospitalis Ierosolimitani pro donato, et cum intrare michi placuerit pro fratre prout venire de vero me recipiat Hospitale. […] Et in fine vel cum intrare meum cum armatura et quicquid vellem dare dicto Hospitali (56 H 4861 ; 9 août 1230). Probablement en allait-il de même pour les rares donates évoquées, comme dans le status bajulie de 1268. 46 Cf. An. II, C-2. 47  Sur la confraternité chez les ordres militaires : C. de Miramon, Les “donnés”, p. 87-96. 48 Ainsi qu’en témoignent les statuts encore reproduits en langue d’oc à cette époque (56 H 78 ; éd. M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre des commandeurs de Saint-Jean de Jérusalem », Bulletin de la Société de l’histoire et du patrimoine de l’ordre de Malte, 16 (2005), p. 51). 49 56 H 4180 (Tremoleta, citoyen d’Aix, 18 mai 1278 ; Raimond Rostan, domicellus, 28 février 1286 ; nom illisible, 21 avril 1286 ; Monge de Puyloubier, miles et citoyen d’Aix, 14 décembre 1288 ; Joan Cocus et son épouse Sibille, 4 mai 1293). 50 Naturellement, la démarche peut s’inscrire dans une proximité familiale avec les hospitaliers. Le domicellus Raimond Rostan élit par exemple sépulture au cimetière d’Aix parce que son frère, Peire Rostan, chevalier de l’Hôpital, y repose déjà (56 H 4180 ; 28 février 1286). 51 Comme j’ai déjà pu l’observer pour les templiers, la phase transitoire du confrère au donat se laisse assez bien cerner dans les actes de la pratique (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 335-336). En 1236 par exemple, le commandeur de Manosque reçut Guilhem Martin « in donatum, in confratrem et in participem tam temporalium bonorum quam spiritualium domus Hospitalis ». Ce dernier fit vœu de se faire ensevelir dans le cimetière de l’Hôpital et de n’entrer dans aucune autre maison religieuse. On lui garantit d’une part, qu’il disposerait de ses biens comme bon lui semblerait et d’autre part, qu’il pourrait demeurer, tant qu’il voudrait, en habit séculier sans qu’aucun prieur ou commandeur ne le force à prendre l’habit hospitalier (56 H 4640 ; 22 mars 1236).

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Au-delà de ces premiers cercles liés aux hospitaliers par une fraternité spirituelle et également sociale, la familia intégrait les équipes de serviteurs et de travailleurs essentiels à l’entretien domestique de la communauté conventuelle et à l’exploitation économique de la baillie. La documentation relative à l’Hôpital emploie d’ailleurs cette acception : quelques accords avec les syndics de Manosque citent le commandeur Bérenger Monge et sa familia, qui désigne sans doute ici plus particulièrement les individus attachés au service personnel du dignitaire52. Plusieurs règlements inscrits dans le Livre des privilèges dénoncent la familia ou bien les familiares ou famulos de l’Hôpital qui se rendent coupables d’abus contre la population : ces plaintes visent ici les officiers du ban seigneurial que nous retrouverons dans un autre chapitre53. Enfin, un peu plus tard, l’enquête de 1373, par exemple pour Aix, désigne cette fois-ci par familiares les travailleurs agricoles et les serviteurs vivant à demeure dans les membres de la baillie54. Au sein de cette familia, il me semble que l’on peut déterminer plusieurs degrés de familiarité vis-à-vis de la communauté régulière. Les plus proches sont ceux qui sont attachés au service des frères et qui vivent avec eux, dans la maison-mère ou dans les dépendances. Les comptes du xive siècle, qui associent les dépenses en viande « pro conventu et familia », reflètent bien cette communauté de vie55. Cette domesticité était effectivement nourrie, vêtue et logée aux frais de la baillie56. Dans les comptabilités du xiiie siècle, toutefois, le vocabulaire assigné à ces serviteurs proches des frères n’offre guère de variété : ceux-ci sont désignés parfois par le terme de « maynatus », que l’on traduit par serviteur, ou le plus souvent par celui de « nuncius », que l’on trouve certes en qualité d’envoyé ou de messager mais qui qualifie plus globalement un travailleur stipendié57. Ces serviteurs là, parfois encore désignés comme « troterii », sont omniprésents dans leurs fonctions de chargés de mission ou accompagnant les frères dans leurs déplacements58. Mises à part quelques mentions ponctuelles de servantes placées au service des frères, les employés aux tâches domestiques en revanche n’apparaissent pas clairement avant les enquêtes générales du xive siècle59. Noël Coulet a donné une image vivante de la participation de cette domesticité à la vie des commanderies hospitalières en 1373, mais il s’agit déjà

52 et ipse commendator per se observet banum et per suam familiam sicut voluerit ab alios observari (56 H 4652 ; 18 février 1268) ; LPM, no 36, p. 94 (31 août 1293). 53 LPM, no 36, p. 94 (31 août 1293), no 47, p. 154 (27 juillet 1300), no 52, § 23 et 38, p. 174 et 178 (4 janvier 1316). 54 ASV, Collect. 17, f. 113, 115, 157, etc. 55 56 H 836, f. 11v et 13 (comptes hebdomadaires « pro tabula hospicii », 1321-1322). 56 Ainsi que l’indiquent, dans les comptes du xiiie siècle, les dépenses en nourriture et en vestiaire (56 H 835, f. 7, 27, 34, 46, etc. ; CoHMa, § 17, 92, 148, 163, 171, 193, 222, 273, 327, 304, 348, etc.). 57 Maynatus : CoHMa, p. 173 ; nuntius : Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, t. 5, Niort, 1885, col. 625c et 626a ; et sur les différentes acceptions en Provence : M. Hébert, « Les sergents-messagers », p. 296-298. 58 Maynatis : CoHMa, § 128, 164 ; nuntii : 56 H 835, f. 27v, 31v ; CoHMa, § 36, 62, 128… ; troterii : 56 H 835, f. 5v, 9v, 12, 15v, etc. (Troterius : cursor vel pedissequus : Du Cange, Glossarium…, t. 8, 1887, col. 196a). 59 …mulieri que servierit fratri P. et Botella et Jaufredo (56 H 835, f. 3r) ; Item iii solidos cuidam mulieri, que servierit infirmis istius palatii (CoHMa, § 266).

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là d’un autre moment de l’histoire de l’Hôpital60. L’uniformité du cadre dans lequel l’enquête de 1338 a été pensée facilite à ce point le classement et la comparaison des informations, qu’il serait dommage de s’en priver61. Résumons donc la composition de la familia entretenue par les commanderies de Manosque et d’Aix à cette date (fig. 4). Considérée avec prudence, cette présentation synthétique donne une idée de ce que pouvait représenter ce personnel étoffé au service des deux baillies dans la seconde moitié du xiiie siècle. On y voit que, au sein de la domus même de l’Hôpital, l’effectif déjà évoqué des frères et donats était augmenté d’une importante domesticité. Sachant que frères et donats se répartissaient entre le chef et les membres, on peut estimer la population des deux maisons principales62. En comptant une bonne dizaine de frères, autant de donats, près d’une trentaine de domestiques – y compris ceux qui se trouvaient au service particulier des dignitaires – et un prêtre séculier, c’est une familia d’une cinquantaine de personnes qui peuplait probablement le palais de Manosque. À Aix, le prieuré était occupé par une quinzaine de frères, essentiellement des clercs, et par un groupe semble-t-il beaucoup plus réduit de serviteurs, auxquels il faudrait ajouter un collège d’une dizaine de clercs séculiers dont on ne sait s’ils partageaient la vie de la communauté. Une élite d’individus détenteurs d’un savoir pratique – médecins, apothicaires, gens de justice et de l’écrit – recevaient également des rétributions en nature et en numéraire. Ceux-ci pouvaient fréquenter régulièrement les maisons des frères sans partager pour autant l’intimité de leur propositum vitae. Enfin, hors de ces cercles rapprochés, la familia entendue au sens large intégrait une foule d’ouvriers salariés, hommes et femmes, employés aux travaux agraires. La comptabilité des années 1283-1290 met par exemple en scène ces équipes de sarcleuses – qui suggère au passage l’importance du travail féminin –, de moissonneurs et de vanneurs et vanneuses qui recevaient des salaires échelonnés, selon les travaux, d’avril à octobre63. La ponction que représentait l’entretien de tout ce personnel, ainsi que son impact sur la « rentabilité » des productions agricoles, ont été analysés à partir des chiffres fournis par l’enquête de 133864. Outre les versements en nature – céréales, companage, vin – et les frais de vestiaire, le coût de cette main d’œuvre a également 65 66

60 N. Coulet, « La vie quotidienne dans les commanderies du prieuré de Saint-Gilles de l’ordre de l’Hôpital d’après l’enquête pontificale de 1373 », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, institution des ordres militaires dans l’Occident médiéval, Paris, 2002, p. 151-152. 61 Sur le caractère stéréotypé de la procédure et des informations rassemblées : D. Carraz, « Les enquêtes générales », p. 512-518. 62 L’enquête de 1338 montre clairement la répartition des lieux de vie pour Aix : treize chapelains réguliers et deux sergents habitent la maison d’Aix, tandis que le commandeur, douze autres frères et dix donats habitent les membres de la baillie (VGPSG, p. 462-463). 63 CoHMa, ad indicem : cerclatrix, seitor, vannator/vannatrix. L’importance des tâches plutôt confiées à une main d’œuvre féminine a déjà été soulignée à partir de l’enquête de 1338 (O. Biondi, Un seigneur provençal, p. 59-62). 64 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 46-54 ; B. Beaucage, « Une énigme des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le déficit chronique de leurs commanderies du Moyen Rhône au prieuré de Provence en 1338 », Provence historique, 30 (1980), p. 152-155 ; Id., « L’organisation du travail dans les commanderies du prieuré de Provence en 1338 », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, institution des ordres militaires, p. 110-119.

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commandeur : 5 serviteurs sous-commandeur : 1 serviteur

34 hommes et 6 femmes pour les vignes

personnel domestique attaché à la personne des dignitaires

ouvriers agricoles saisonniers651

boulanger

prieur : 2 serviteurs commandeur : 5 serviteurs sous-commandeur : 1 serviteur castrum : 6 hommes pour les vignes 40 hommes pour les Montaigu : 31 hommes pour les blés, 109 hommes et 40 vignes femmes pour les vignes, Volx : 98 hommes et 30 femmes pour 38 hommes et 20 femmes les vignes, les prés et les blés pour les prés grange : 6 hommes pour le foin

castrum : serviteur du châtelain

castrum (Toutes Aures) : gardien Volx : gardien et serviteur Saint-Michel : bayle, 2 bouviers, gardien, cuisinier La Rouvière : 2 bouviers, serviteur La Tour d’Aigues : 2 bouviers, gardien, cuisinier

Trets/Saint-Maximin : 169 femmes et 133 hommes pour les blés, 171 hommes et 10 femmes pour les vignes, 17 hommes et 10 femmes pour les prés Ginasservis : 12 hommes pour les blés, 77 hommes et 8 femmes pour les vignes

Moissac : 3 bouviers, pradier, 3 fourniers, serviteur Trets : 3 bouviers, serviteur ; régisseur et serviteur à SaintMaximin Ginasservis : serviteur Vinon : 7 bouviers, pradier, 4 serviteurs, boulanger et aigadier  

membres

65 Les chiffres indiqués sont probablement gonflés car j’ai additionné le nombre de salariés que les comptes distinguent pour chaque tâche, alors que les mêmes individus pouvaient probablement être rémunérés plusieurs fois pour des tâches différentes. D’autre part, on ne saurait se fier trop précisément aux effectifs de travailleurs donnés par l’enquête, puisqu’il s’agit, rappelons-le, d’estimations. Ainsi que F. de Ferry l’avait déjà remarqué, « la correspondance parfois trop mathématique » entre les superficies des terres et les ouvriers qui y étaient affectés peut provenir « aussi bien d’un calcul que de la réalité » (F. de Ferry, La commanderie et le prieuré de Saint-Jean de Jérusalem à Aix-en-Provence, p. 72).

– gardien, cuisinier, « souillard », lavandier, serviteur pour les frères et donats infirmes – 8 bouviers, 6 fourniers, pradier/aigadier, forestier, charretier

chef

chef

membres

Aix

Manosque

personnel domestique attaché à la baillie

 

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prêtre à la chapelle du palais Saint-Pierre : prêtre Saint-Étienne : chapelain La Rouvière : chapelain

offices cléricaux séculiers

Ginasservis : notaire, juge ordinaire et juge des appels Vinon : juge ordinaire et juge des appels 5 chapelains, diacre, sous- St-Martin de Trets : diacre, 4 clercs chapelain et clerc Ginasservis : chapelain et clerc

 

 

Vinon : 80 hommes et 100 femmes pour les blés, 140 femmes pour les prés, 198 hommes et 12 femmes pour les vignes

membres

66 VGPSG, p. 350-379 (Manosque) et p. 462-470, 474-478 et 480-489 (Aix). Seuls ont été retenus les membres existant avant la dévolution des temporels templiers. Les domestiques, artisans et brassiers de la commanderie de Manosque ont déjà été évoqués à partir de l’enquête de 1338 : O. Biondi, Un seigneur provençal au xive siècle. L’ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem dans les diocèses de Riez et de Sisteron à travers les enquêtes de 1338 et 1373, mémoire de maîtrise, Université d’Aix-en-Provence, 1982, p. 52-64.

Fig. 4. La familia employée dans les commanderies de Manosque et d’Aix en 1338662

 

forgeron, barbier, médecin pour les frères et donats malades, chirurgien juge, son écuyer et son serviteur ; deux notaires de la cour ; bourreau

Saint-Michel : aigadier, pradier, 52 hommes et 6 femmes pour les vignes, tonnelier, 11 faucheurs et 12 femmes La Rouvière : 108 hommes et 43 femmes pour les blés, 122 hommes et 10 femmes pour les vignes, 9 hommes et 6 femmes pour les prés La Tour d’Aigues : 99 hommes et 35 femmes pour les blés, 61 hommes et 12 femmes pour les vignes, 26 hommes pour les prés castrum : barbier apothicaire pour les frères La Rouvière : forgeron infirmes, barbier, médecin

chef

chef

membres

Aix

Manosque

autre personnel « technique » employé à la tâche personnel lié à la juridiction

 

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été envisagé, par Georges Duby, en termes de « masse salariale ». Si j’évoquerai ailleurs le faux problème du déficit des commanderies, il n’est pas dans mon intention de me livrer à une étude des salaires dans le dernier tiers du xiiie siècle, qu’il serait pourtant possible d’entreprendre à partir des comptabilités manosquines. Je rappellerai simplement les conclusions de Duby récemment confirmées par Henri Bresc : les salaires, notamment pour les travaux agricoles, étaient élevés, en 1338 comme déjà dans les années 1280-130067. Enfin, outre les travaux agraires, une seigneurie comme Manosque nécessitait l’entretien des outils de production et du patrimoine bâti. De la masse anonyme de ces travailleurs, quelques noms d’ouvriers plus qualifiés ont ainsi pu émerger des comptes. Le registre conservé pour les années 1283 à 1290 a, par exemple, gardé trace des paiements hebdomadaires adressés à plusieurs équipes de maçons venues travailler au palais. Uc Cerverie et son frère, Uc Bruni, décédé après juin 1286 et remplacé par ses fils, le maître Joan d’Alès, Perrellus, Joan Niger : tous ont participé à l’entretien courant (curage du fossé) et surtout aux importants remaniements dont l’imposante bâtisse des comtes de Forcalquier a fait l’objet sous le préceptorat de Bérenger Monge68. Aussi, peut-on considérer que la seigneurie ecclésiastique faisait directement vivre un certain nombre de familles qui se trouvaient ainsi liées économiquement à l’Hôpital. Toutefois, la documentation ne permet pas d’esquisser les contours sociologiques de la masse des travailleurs agricoles, ni même de la domesticité, pourtant plus proche des frères. Dans les comptes, ces groupes anonymes n’apparaissent qu’à travers leurs fonctions et le coût que leur entretien représente dans le budget de la baillie. Finalement, c’est plutôt à l’aune de la diversité que l’on peut voir ces communautés hospitalières, composées de frères des trois ordres fonctionnels et d’un monde de familiers attachés à la maison à des degrés divers. Pour faire cohabiter ces différences, il ne suffisait pas que s’imposent les hiérarchies des statuts et des fonctions. Il fallait encore un ferment identitaire fondé sur un véritable propositum vitae. La pratique alimentaire et l’habit constituèrent, à ce titre, chez les ordres religieux deux critères fondamentaux qu’il s’agit à présent d’éprouver dans le cadre de nos deux commanderies provençales. « Le pain, l’eau et les humbles vêtements »

C’est ce que promettait le formulaire d’admission à l’aspirant désireux de faire profession à l’Hôpital69. Mais, en fait de pain et d’eau, le responsable de chaque communauté hospitalière devait surtout veiller à ce que ses frères soient pourvus en nourriture en quantité et qualité suffisantes70. Or, plusieurs travaux récemment

67 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 52-54 ; H. Bresc, compte-rendu des CoHMa, Revue Mabillon, 27 (2016), p. 384-387, ici p. 385-386. 68 CoHMa, ad indicem : Hugo Bruni, Hugo Cerverie, Johannes, magister, Johannes de Alesto, Johannes Niger et Perrellus. 69 CGH, t. 1, no 70, § 2 (règle), et t. 2, no 2213, § 121 (usances). Dans la tradition monastique primitive, inspirée ici par Mat., 6, 25-33, ces biens matériels revêtent une sacralité particulière car ils sont prodigués par Dieu (A. de Vogüé, La communauté et l’abbé dans la Règle de saint Benoît, Paris, 1961, p. 313). 70 CGH, t. 2, no 2213, § 76.

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consacrés au régime alimentaire des hospitaliers ont montré que ceux-ci, tout en respectant des prescriptions inspirées de la règle de saint Benoît, étaient plutôt bien nourris71. La documentation manosquine peut apporter une illustration concrète à ces observations fondées seulement à partir des prescriptions normatives qui, de surcroît, avaient été pensées pour le couvent central et non forcément pour les communautés plus restreintes d’Occident. Il est de nouveau commode de partir de l’enquête de 1338 qui a inspiré tant de fécondes observations sur le budget de la seigneurie provençale. Le premier poste de dépenses était constitué par les céréales dont la quantité était allouée à l’ensemble de la communauté, à raison d’une part égale de 16 setiers de froment (soit 767 kg) par an pour chaque frère et donat72. Ce froment était produit par la seigneurie, comme le confirment les comptes des années 1283-1290 qui ne mentionnent jamais d’achat de céréales73. Les frères recevaient également une ration annuelle et égale pour tous de 25 coupes de vin, soit 396,5 litres74. À côté de cette base alimentaire, tout le complément relevait du companage75. Les comptes illustrent bien la variété des produits agricoles vendus par la commanderie mais qui pouvaient tout aussi bien se retrouver à la table des frères : fruits secs ou frais, légumineuses, huile d’olive, condiments divers76. Les protéines étaient apportées par diverses sortes de viandes et les œufs. Ainsi, sur un total de 357 semaines d’exercice, les comptes des années 1283-1290 font apparaître 206 occurrences d’achat de viande et 84 d’achat d’œufs77. Ce rapide comptage confirme le constat, déjà fait par ailleurs, d’une consommation de viande bien supérieure à celle des autres religieux réguliers78. Le rythme des achats en viande et en œufs est conforme au calendrier des fêtes et du sanctoral suivi dans l’ordre de l’Hôpital

71 R. Cierbide, « Le régime alimentaire dans l’ordre de Saint-Jean, d’après les manuscrits de l’ordre (xive et xve siècles) », Bulletin de la Société de l’histoire et du patrimoine de l’ordre de Malte, 16 (2005), p. 52-58 ; A. Demurger, Les hospitaliers, p. 329-330 ; J. Bronstein, « Food and the Military Orders : Attitudes of the Hospital and the Temple between the Twelfth and Fourteenth Centuries », Crusades, 12 (2013), p. 133-152. 72 VGPSG, p. 350. 73 Les mentions de céréales s’appliquent au transport, à la transformation ou aux revenus rapportés par leur vente (cf. CoHMa, ad indicem : annona, bladum, panis). L’enquête de 1338 a permis l’étude, pour chaque catégorie de grains, des surfaces ensemencées sur les réserves hospitalières et des rendements (L. Stouff, Ravitaillement et alimentation en Provence aux xive et xve siècles, Paris, 1970, p. 41-46 ; O. Biondi, Un seigneur provençal, p. 28-33). 74 VGPSG, p. 353. Soit un volume d’un litre de vin par jour et par personne qui rentre dans la moyenne calculée pour d’autres maisonnées (L. Stouff, Ravitaillement et alimentation, p. 229-230). 75 L. Stouff, Ravitaillement et alimentation, p. 231 ; B. Beaucage, « Une énigme des hospitaliers », p. 153 ; O. Biondi, Un seigneur provençal, p. 77. 76 CoHMa, p. xlix-l. 77 À ces occurrences « in carnibus », il faut rajouter quelques achats de viande salée (CaHMa, § 40, 50, 250, 253, 254, 268) et de porcs que la commanderie engraissait pour la salaison (§ 40, 79, 82, 93, 121, etc.). 78 Comme il arrive souvent, le constat tiré des textes peut être contredit par les données archéologiques dont il faut, en ce cas, interroger les limites. Par exemple, la rareté des restes fauniques retirés du comblement de 32 silos de la commanderie de Bajoles a conduit à la conclusion « que l’alimentation était essentiellement à caractère végétarien » (P. Alessandri, « Perpignan : la commanderie hospitalière de Bajoles. Premiers éléments de la recherche », Archéologie du Midi médiéval, 11 (1993), p. 237).

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(tabl. 2). Les comptes, qui confirment ici les données tirées des écrits normatifs, montrent que la pitance usuelle était améliorée aux jours de fête par de la viande ou des œufs. À Noël, parfois pour l’Ascension, les frères se régalaient de mortairol, un haché de viande – ici de mouton – qui était un classique de la cuisine méridionale79. Le registre couvrant les années 1259-1263 apporte un autre éclairage parce qu’il détaille les dépenses journalières80. Outre les jours de fête concernant l’ensemble du couvent, des dépenses hebdomadaires en viande, œufs et vin étaient allouées à deux ou trois hospitaliers ordinaires81. Toutefois, on ne voit pas bien quels critères justifiaient ces allocations à ces individus en particulier : s’agissait-il parfois de frères extérieurs à la communauté manosquine qui étaient accueillis pour un temps ? Plus clairement, plusieurs hôtes, en général illustres, étaient également nourris sur le budget de la commanderie82. Le commandeur lui-même occasionnait des frais d’achat de viande et d’œufs dont les montants, souvent plus élevés, laissent penser qu’il entretenait des serviteurs ou des hôtes sur ces dotations83. Les frères malades recevaient également une ration en viande, comme cela était d’ailleurs recommandé par les statuts84. La viande était achetée quotidiennement, à l’exception du vendredi, pour une somme moyenne de 2 deniers par frère, sauf pour le commandeur qui pouvait dépasser les 20 deniers85. Les poules, mentionnées seulement comme pondeuses dans le registre de 1283-1290, sont ici consommées86. Quelques distorsions difficiles à interpréter apparaissent entre les comptes de 1259-1263 et ceux de 1283-1290. La première est celle de l’approvisionnement en poisson dont il est inutile de rappeler l’importance en milieu régulier87. Le premier registre signale un certain nombre d’achats de poisson, pour divers frères et pour

79 W. Pfeffer, Le festin du troubadour. Nourriture, société et littérature en Occitanie (1100-1500), Cahors, 2016, p. 235 et 283 (il existait aussi du mortairol de poisson pour les jours maigres). 80 56 H 835. Les données tirées de ce registre ne sauraient être exhaustives car son état de conservation, ainsi que le temps que je pouvais y consacrer, m’ont dissuadé de le transcrire intégralement. 81 Les fêtes citées sont, bien sûr, les mêmes que celles du tabl. 2 : viande pour l’Apparition (f. 5), œufs pour le couvent le 4e dimanche de février (f. 16) et aux Saints-Pierre-et-Paul (f. 19v), viande et œufs à la Saint-Jean-Baptiste (f. 10), œufs à la Nativité de la Vierge (f. 5v, 43v) et à la Toussaint (f. 34), viande à Noël (f. 34v). 82 Hospitaliers : prieur de Lombardie (f. 20v), commandeur de Trinquetaille (f. 35), commandeur de La Croix (f. 39v), Féraud de Barras, qualifié indifféremment de prieur ou de grand commandeur (f. 20, 45, 46…), son neveu (f. 19v, 31), son scribe (f. 21) et son écuyer (f. 42v). Laïcs de l’entourage : maître Bartomieu (f. 4r-v), qui est alors juge de la cour ; dame Raimonde, alors malade, reçoit des poules (f. 33v-34v), etc. 83 Viande : f. 19, 22, 22v, 23, etc. ; œufs : f. 27v, etc. La dotation supérieure en céréales que le commandeur recevait en 1338 a été interprétée dans le même sens (B. Beaucage, « Une énigme des hospitaliers », p. 153). 84 56 H 835, f. 2v, 5, 10r, 11v, 20v, 22, etc. 85 Dépenses de viande : 12 d. pour toute la semaine pour un prêtre (f. 21v), 10 d. pour le frère Uc de Vacheriis pour toute la semaine et 21 d. pour le commandeur (f. 22v), 4 d. pour un homme à l’infirmerie pour 4 jours (f. 45v), etc. 86 56 H 835, f. 1v, 3, 20v, 32, 41v, 42v, etc. 87 Les principales prescriptions en matière de calendrier se trouvent dans la règle de Raimond du Puy (CGH, t. 1, no 70, § 8 : jeûnes), les Esgarts (CGH, t. 2, no 2213, § 83 : jeûne pendant la Septuagésime), les statuts de 1300 (CGH, t. 3, no 4515, § 23 : jeûne le jeudi de la Saint-Michel à Pâques).

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le prieur, alors de passage à Manosque88. Les dépenses en poisson apparaissent en revanche beaucoup plus rares dans le second registre89. Lorsque l’on considère les efforts consacrés par les hospitaliers au contrôle des pêcheries, spécialement dans les étangs du delta rhodanien, on en déduit volontiers que cette comptabilité-ci escamote probablement l’approvisionnement en poisson90. Peut-être est-ce justement parce que celui-ci était fourni par les commanderies qui en maîtrisaient la production, spécialement celles de Saint-Gilles et de Trinquetaille91 ? Cela dit, il ne faut pas négliger les ressources offertes par le territoire de Manosque, traversé par la Durance et alimenté par de nombreux étangs dont certains purent être transformés en pêcheries92. Les achats de vin sont également très rares dans le second registre. Cela est sans doute expliqué par le fait que sa production relevait de la seigneurie qui dégageait même des excédents commercialisés, en général entre mai et juillet93. Pourtant, le premier registre, recense quant à lui des achats de vin réguliers94. L’alimentation était un marqueur hiérarchique au sein de la communauté, pas seulement entre les religieux et leur domesticité, mais entre les frères eux-mêmes. En effet, contrairement à ce qui a été répété à partir des prescriptions normatives, les rations et la qualité n’étaient pas vraiment les mêmes pour tous95. Georges Duby avait déjà souligné, sur la base de l’enquête de 1338, que « la hiérarchie des dignités se marquait en premier lieu au raffinement de la table ». En effet, l’allocation en companage variait de 60 sous pour le commandeur, à 35 sous pour le simple frère, et jusqu’à 25 sous pour le donat96. Le total des dépenses alimentaires annuelles, calculées par Louis Stouff, confirme pleinement cette « alimentation de classe »97. Certes, on pourra toujours justifier cet écart entre la norme et la pratique en pensant 88 Poisson pour le prieur : f. 17v, 36r-v (4e mardi-mercredi-jeudi de mars 1263), 42v, 45r-v (vendredi), 48 (vendredi), etc. Autres frères : f. 4, 6v, 7 (vendredi), 15v, 18v, 20v (sèche), 37v, 43v (vendredi-samedi), 48r-v (deux vendredis pour un frère malade), 49r (mercredi à vendredi pour un frère malade), etc. 89 CoHMa, § 175, 293, 294, 339. 90 D. Le Blévec et A. Venturini, « Le pouvoir, la terre et l’eau en Camargue, d’après l’“Authentique” de l’Hôpital de Saint-Gilles », in La terre et les pouvoirs en Languedoc et en Roussillon du Moyen Âge à nos jours, Montpellier, 1992, p. 84-85 ; C. H. Berman, « Reeling in the Eels at La Trinquetaille near Arles », in S. G. Bruce (dir.), Ecologies and Economies in Medieval and Early Modern Europe, Leyde-Boston, 2010, p. 149-163. Même constat pour les templiers : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 239-240. 91 Le sel produit par les commanderies possessionnées en Camargue alimentait toutes les autres maisons provençales de l’ordre, parmi lesquelles Aix et Manosque, comme le montre l’exemption de la gabelle octroyée par Charles Ier (CGH, t. 3, no 3035, p. 37-38 ; 28 juillet 1262). Le poisson empruntait probablement les mêmes circuits. 92 Un vivier (pesquerium) apparaît d’ailleurs au détour du registre (CoHMa, § 12). 93 CoHMa, § 70, 146, 150, 250, 314 (« de presa vini »). On note cependant une série d’achats entre novembre 1288 et mars 1289, peut-être une mauvaise année à Manosque (§ 277, 278, 281, 282, 283, 284, 286, 294). 94 56 H 835, f. 1v, 2, 2v, 4, 6v, 32v, 45r-v, etc. 95 Sur l’égalité entre les frères à la table : R. Cierbide, « Le régime alimentaire », p. 55 ; J. Bronstein, « Food and the Military Orders », p. 138-139 ; A. Demurger, Les hospitaliers, p. 329. Les prescriptions sur la distribution égalitaire de la nourriture se trouvent dans les statuts de 1204-1206 (CGH, t. 2, no 1193, § 8) et dans les Esgarts (CGH, t. 2, no 2213, § 27). 96 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 27-28. 97 Voici les chiffres livrés pour Manosque en 1338 : frères : 104 s. 14 d., donats : 95 s., juges, notaires : 80 s. 8 d., domestiques : 80 s. 8 d., bouviers : 56 s. (L. Stouff, Ravitaillement et alimentation, p. 220-222).

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que les hospitaliers ont, peu a peu, pris un certain nombre de libertés par rapport à la coutume. Mais dès le temps de Bérenger Monge, les hospitaliers ne s’interdisaient pas quelques plaisirs de table. Tandis que le vin du terroir pouvait être amélioré avec du miel, en mars 1289, on faisait venir de Marseille un Anglais qui devait maîtriser la fabrication de la cervoise98. On agrémentait également les plats avec force épices, mais cela était peut-être encore affaire de distinction puisque le gingembre et le safran étaient plutôt destinés à la table du prieur99. S’agissant de distinction, on insistera sur le régime fortement carné que s’autorisaient les frères, dans la mesure où celui-ci contraste fortement avec les prescriptions alimentaires du monachisme traditionnel100. Ce rapide tour de table permet finalement de confirmer que les hospitaliers provençaux ne manquaient de rien. Cette situation enviable n’échappa sans doute pas aux contemporains de Raimond Malnourri, commandeur de la maison de Saint-Pierre de Campublic (1180-1207), qui finit par se laisser appeler Raimond Bienourri101 ! Elle fait encore écho à l’intuition du romancier qui imagine qu’un commandeur de Manosque du milieu du xive siècle, « noble sans terre jeté dans la moinerie par l’extrême misère », avait pu devenir « gros, robuste et carré102 ». À son entrée dans l’ordre, le frère recevait également d’« humbles vêtements ». La législation de l’Hôpital, qui a multiplié les prescriptions sur chaque élément de l’habit, a notamment insisté sur l’humilité et fermement condamné tout effet de luxe103. Les comptes, qui font état d’achat d’« humble tissu » pour fabriquer les manteaux des frères ou bien de vêtements de lin, vont en ce sens104. En effet, si les statuts encouragent le frère qui en a les moyens à fournir lui-même ses vêtements, la documentation pratique montre bien que la communauté dans son ensemble était vêtue aux frais de l’institution105. Là encore, on a sans doute exagéré, à la lecture des

98 CoHMa, § 354 et 297. 99 Les dépenses en « species », associées à d’autres achats alimentaires ou de condiments, s’appliquent plus probablement aux épices qu’à la pharmacopée (56 H 835, f. 4, 6v, 15v, 23, 30v, 39, 45v, etc.). Gingembre : f. 45r-v (prieur), 47v ; safran : f. 45 (prieur). 100 C. Caby, « Abstinence, jeûnes et “pitances” dans le monachisme médiéval », in J. Leclant et alii (dir.), Pratiques et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, 2008, p. 271-288. Rappelons que la condamnation du régime carné dans le discours monastique s’est posée en opposition au régime laïque et notamment aristocratique. 101 CaHSG, ad indicem : Raimundus Malenutritus et Raimundus Benenutritus. Le changement se produisit à partir de 1196, mais les scribes continuèrent à hésiter entre les deux sobriquets pendant trois ou quatre ans. En 1373, malgré les difficultés du temps, les hospitaliers provençaux semblaient encore ne souffrir d’aucune pénurie (N. Coulet, « La vie quotidienne », p. 152). 102 P. Magnan, Chronique d’un château hanté, Paris, 2008, p. 29. 103 CGH, t. 1, no 70, § 2 et 8 (règle) ; t. 3, no 3317, § 5 (statuts de 1268) ; no 3396, § 1, 15 et 16 (statuts de 1270) ; no 3844, § 23 (statuts de 1283) ; no 4022, § 6-7 (statuts de 1288). Les mesures contre le luxe ou les tentations de distinction apparaissent plus particulièrement à partir de la fin du xiiie siècle : t. 2, no 2213, § 137 (Usances) ; t. 3, no 3844, § 3 ; no 4194, § 1 (statuts de 1292) ; t. 4, no 4515, § 21 (statuts de 1300) ; no 4734, § 1 (statuts de 1306). 104 CoHMa, § 20 ; plus largement, sur l’achat ou le rapiéçage de vêtements : CoHMa, ad indicem : pannum, vestimentum. Les frais de vestiaire pour les frères, donats et serviteurs sont également signalés dans les comptes de 1259-1263 (56 H 835, f. 27, 37r-v, 39, 46, etc.). 105 CGH, t. 3, no 3075, § 3 (statuts d’Hugues Revel, 30 septembre 1263).

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écrits normatifs, l’égalité vestimentaire entre frères106. Cela avait pourtant été noté par Georges Duby : dans les années 1330 en tout cas, les sommes allouées pour le vestiaire variaient autant en fonction du statut à l’intérieur de l’ordre que de la hiérarchie sociale à l’extérieur107. En autorisant une marge de distinction sur la qualité de l’habit, l’institution espérait peut-être limiter l’affichage, par les frères nobles, de signes de reconnaissance sociale plus voyants. Les mesures contre le luxe de l’armement ou de l’équipement chevaleresque furent ainsi récurrentes108. Pourtant, à Manosque comme sans doute ailleurs, ce sont tous les frères et leurs familiers qui semblent avoir tiré parti de leur position pour porter les armes dans l’espace public, certes au grand dam des habitants, mais avec l’assentiment du pouvoir royal109. Un certain nombre de critères socio-économiques établissaient donc une hiérarchie assez stricte au sein de la maisonnée hospitalière incluant les frères et leurs familiers. Au-delà de l’idéal égalitariste qui fut au fondement de toute vie régulière, la communauté des frères elle-même était régie par des signes et des pratiques de différenciation110. C’est cette hiérarchie des fonctions que je me propose d’aborder à présent.

Hiérarchie, éminence sociale et spécialisation des fonctions administratives Le couvent, les chevaliers et le commandeur

J’ai distingué plus haut l’effectif général de la maison donné par le status bajulie, du couvent qui constitue la sanior pars de la communauté régulière111. Conventus est encore un terme éminemment polysémique chez les ordres militaires, dont on retiendra qu’il désigne plutôt, chez les hospitaliers, le groupe des dignitaires chargés

106 Le manteau noir était le même pour tous, nobles et non-nobles (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 172). 107 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 28 ; VGPSG, p. 355 (Manosque) et 465 (Aix) : 100 s. pour le commandeur, 60 s. pour le chevalier, 50 s. pour le chapelain et le donat noble, 40 s. pour le sergent et pour le donat non-noble. 108 CGH, t. 2, no 1193, § 12 (statuts de 1203-1206) ; t. 3, no 3180, § 9 (statuts de 1265) ; no 3396, § 23 (statuts de 1270) ; no 4022, § 15 (statuts de 1288), no 4194, § 1 (statuts de 1292) ; t. 4, no 4549, § 32 (statuts de 1301). 109 En 1316, les syndics de la communauté obtinrent que les frères, les donats et leurs serviteurs ne portent plus d’armes (LPM, no 52, § 38, p. 172 : privilèges d’Hélion de Villeneuve, 4 janvier 1316). En 1292-1293, à la demande du prieur Guillaume de Villaret, Charles II avait pourtant autorisé, pour leur défense, les frères, donats et serviteurs à porter les armes dans le comté (RCA, vol. 45, p. 195, no 107 ; 16 août 1292-1293). 110 La tension entre idéal évangélique de l’égalité et nécessaire distinction au sein de la communauté est au cœur de l’ouvrage de J. Dalarun, Gouverner c’est servir : essai de démocratie médiévale, Paris, 2012. 111 Le terme de sanior pars ne provient pas de la documentation locale de l’Hôpital mais on le rencontre parfois, à la fin du xiiie siècle, chez les templiers pour désigner les frères qui ont voix au chapitre de la maison (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 312-313). Dans les processus électoraux au sein de l’Église, le principe de la saniorité qualifiant les meilleurs a fini par s’appuyer sur celui de la majorité (L. Moulin, « Les origines religieuses des techniques électorales et délibératives modernes », Politix, 11 (1998), p. 136-141).

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du gouvernement central de l’institution autour du maître112. À l’échelle de la maison, le couvent est convoqué pour approuver d’importantes transactions effectuées par le commandeur. À Manosque, où il est précisé qu’il s’agit du couvent du palais, sa composition est indiquée par quelques actes solennels contemporains de Bérenger Monge113 (fig. 5). Le couvent, qui correspond au chapitre de la maison (acte de 1300), regroupe une dizaine de frères autour du commandeur. La composition semble en avoir été relativement souple et peu stable : à moins de deux années d’intervalle (décembre 1281 et juillet 1283), seuls cinq frères apparaissent à la fois dans les deux conseils. La portée de l’acte à approuver déterminait sans doute l’importance de l’assistance : le 11 juillet 1283, dix-sept frères sont ainsi nommés à la fondation de Bérenger Monge en l’honneur des saints Blaise et Géraud dans la chapelle palatiale. Fait rare, l’acte fait intervenir cinq officiers, dont le châtelain du castrum du Mont d’Or et les commandeurs de La Rouvière et de La Tour d’Aigues, comme pour signifier l’implication de toute la baillie. Toutefois, à l’exception du bayle, les différents officiers ne disposaient a priori d’aucune voix permanente au chapitre. La composition du couvent, dont on voit qu’elle était même ouverte aux donats (acte de 1281), apparaît donc très variable et assez peu formelle. On pourrait penser qu’elle dépendait des affaires à discuter – on expliquerait ainsi, par exemple, la présence du frère Guilhem, titulaire de l’office subalterne de gardien des ovins, dans un arbitrage portant sur un défens en limite des terroirs de Manosque et de Volx (1271). Pourtant, les transactions de 1251 et de 1300, respectivement avec l’évêque de Sisteron et le chapitre de Forcalquier, n’impliquent pas spécialement les prêtres de l’ordre, censés être concernés au premier chef par les questions de juridiction ecclésiastique. Aussi souple fût-il dans ses contours, le couvent n’en était pas moins conçu comme une communauté de vie et l’on peut penser que les frères qui le composaient résidaient véritablement au palais114. Le groupe convoqué pour approuver les décisions du commandeur apparaît plutôt ouvert socialement. En 1251, autour du bayle Jaufre de Moissac, chevalier, et de Rostan de Reillanne, issu d’une prestigieuse famille, les autres frères ne se démarquaient pas particulièrement. À cette date et encore en 1271, les noms uniques assignés à plusieurs frères comme la rareté de leurs apparitions dans les listes de témoins iraient dans le même sens. Toutefois, le profil du couvent peut avoir changé par la suite, même si l’on peut toujours expliquer cette impression par un accroissement documentaire, sensible dans le dernier tiers du xiiie siècle. D’abord, beaucoup de frères cités dans les listes de 1281 et 1283 apparaissent beaucoup plus souvent par ailleurs, signe à la fois d’une certaine éminence sociale et de leur fonction

112 Le gouvernement collégial du maître et du couvent central transparaît dans la formulation d’actes impliquant le niveau local : cum ut dicitur dominus magister Hospitalis sancto Johannis Jerosolimitani de Acon et conventus dicti Hospitalis fecerint statutum… (56 H 4644 ; 2 octobre 1283). Sur le couvent dans l’historiographie : J. Burgtorf, The Central Convent, p. 14-16 ; Ph. Josserand, « Couvent », in DOMMA, p. 266-267. 113 Des actes faisaient intervenir l’accord du couvent bien avant ce préceptorat, mais sans préciser le nombre et la composition du groupe (56 H 4638, mars 1212 ; 56 H 4640, 18 mai 1231 et 2 juillet 1234, etc.). 114 Les dépenses en nourriture étaient comptabilisées « pro convento » (56 H 835, f. 16, 17, 19v, etc.).

l a co m m u n au t é h o s p i tal i è re so u s b é re nge r mo nge frater Gofridus, baiulus curie dicte palatii, fr. Guiraudus Romeus, fr. Engrallionus, fr. Rostagnus de Relania, fr. Nermengau, fr. Artaldus, fr. W. Reolerius, fr. W. Vincencius, fr. Petrus Codochia, fr. W. de Orto, fr. Isnardus de Castro novo et fr. W.de Bargiolo… frater autem W. de Pratellis, procurator Hospitalis ad dictus causas, similiter laudavit…  = > 13 frères dont le bayle 29 novembre fratris Ugonis de Corri, baiuli Manuasce, et fr. Petri Arnali et fr. 1271 Stephani de Sistarico et fr. Stephani, sacriste sancti Petri, et fr. Bertrandi et fr. Sysmundi et fr. Rostagni et fr. Raimundi de Laya et fr. Petri Segnoreti et fr. Pontii et fr. Bernardi, senescalci, et fr. Bernardi Chabaterii et fr. Guillelmi, custodis ovium.  = > 13 frères dont le bayle, 2 officiers nommés et 1 prêtre 27 décembre consensu fratrum conventus palatii Manuasce videlicet fratris Bonifacii de Sancto Georgio, fr. Ugonis de Camareto, fr. Bertrandi de 1281 Barratio, fr. Bertrandi de Mosteriis, fr. Ugonis de Ginacerviis, fr. Petri de Sancto Martino, fr. Stephani de Chevalu, fr. Berengari de Sancto Mauricio et fr. Bertrandi Mounerii, in presencia et testimonio Rostagni de Sancto Georgio, Raimundi Isnardi de Malamorte et Audeberti de Barratio et Giraudi de Rosseto, donatorum dicti Hospitalis.  = > 9 frères et 4 donats 11 juillet 1283 Fratrum conventus palatii Manuasce et bajulie ejusdem sunt hec videlicet : frater Petrus de Sancto Martino, bajulus Manuasce, fr. Bertrando de Barratio, fr. Sperronus, fr. Ugo de Camareto, fr. Elziarius, fr. Stephanus de Chevalu, fr. Ugo de Ginacerviis, fr. Bertrandus Faber, capellanus dicti palatii, fr. Symon, seneschallus dicti palatii, fr. Bertrandus Lancea, sacrista Sancti Petri, fr. Dominicus Salbos, fr. Villelmus Faber, fr. Petrus Pellicerius, fr. Bertrandus Rufus, castellanus castri Manuasce, fr. Villelmus Pontius, preceptor de Roveria, fr. Petrus Calvetonus, preceptor de Turre de Ayguesio, et fr. Villelmus Blaccos.  = > 17 frères dont le bayle et 5 officiers nommés et 1 prêtre 4 novembre nomina vero fratrum dicti conventus ibidem presentium sunt 1290 hec : frater Hugo de Corri, fr. Rostagnus de Turre, fr. Dominicus, sacerdos, fr. Hugo de Ginaserviis, fr. Guillelmus, sacerdos, fr. Guillelmus Navas, fr. G. Bergonni, fr. Petrus de Clauso, fr. Bertrandus de Furnis et fr. Petrus de Creycel.  = > 10 frères dont 2 prêtres plus le bayle Pierre de SaintMartin 5 octobre 1300 assensu fratrum conventus domus predicte Hospitalis Manuasche ad hoc vocatorum et congregatorum ad sonum campane domus predicte Manuasce scilicet fratris Hugonis de Cors, fr. Gaufridi de Moysaco, baiuli Manuasce, fr. Rostagni de Claromonte, vice preceptoris, fr. Raymundi de Ginaserviis, fr. Gaufridi Rostagni, fr. Guigonis de Coardo, fr. Guillelmi Dalmeya, sacerdotis, fr. Symonis de Lyeyca, fr. Raymundi Nadab, fr. Raymbaudi Columbi.  = > 10 frères dont le bayle, 1 officier nommé et 1 prêtre 18 août 1251

Fig. 5. La composition du couvent de Manosque

56 H 4630

DDe 2

56 H 4643

CGH, no 3838

56 H 4652

56 H 880, f. 6

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au sein de la commanderie. Surtout, il ressort que huit à neuf hospitaliers sont très probablement issus du groupe aristocratique, même s’ils ne portent pas ici le titre de chevaliers de l’ordre115. Le couvent reste, certes, ouvert à des frères étrangers à l’univers aristocratique (Guilhem et Bertrand Mounerius, Guilhem Faber, Peire Pellicerius…), mais l’élément chevaleresque ne semble pas moins s’être imposé aux côtés du commandeur Bérenger Monge. Je ne saurais dire si c’est un idéal d’égalité qui explique que le titre de miles Hospitalis ne s’affiche pas dans les listes des membres du couvent. Lorsqu’ils figurent comme témoins en revanche ou qu’ils interviennent comme officiers, un certain nombre de frères déclarent ce statut116. Initialement fondé comme institution charitable, à la faveur d’un processus de militarisation déjà maintes fois analysé, l’Hôpital a en effet rapidement vu l’affirmation de la chevalerie, dont l’accès finit même par se fermer à partir des décennies centrales du xiiie siècle117. Les versions en langue d’oc des vies des maîtres conservent d’ailleurs le souvenir du tournant que constitua la maîtrise du Provençal Bertrand de Comps (1236-1239) qui « privilegiet los frayres cavalierz e los avanset e.la Religion, e lor donet senhoria sus los autres frayres plus que nulh autre maistre118 ». Sous couvert de mise en garde contre les faux-semblants, l’institution véhicula elle-même l’image du frère hospitalier assimilé au guerrier à cheval, comme le suggère la fameuse formule du rituel d’admission qui circulait également dans les textes en langue d’oc : « E iascia ayso que vos nos vegatz ben vestitz e gran chavals e cugas que nos aiam tost los ayses, vos es enganat119 ». Au-delà du discours, ce qu’il importe de retenir ici est la prééminence qui semble reconnue à l’aristocratie militaire à l’intérieur de la communauté, au regard d’une importance numérique somme toute limitée. La représentation du groupe chevaleresque au sein du couvent dans la dernière décennie du xiiie siècle est d’autant plus remarquable que, dans le même temps, l’Hôpital s’est justement efforcé de limiter le recrutement des chevaliers120. Pour autant, l’effet des statuts de 1292, 1293 et 1303, tendant à réduire à la fois le coût d’entretien des chevaliers et leur présence dans les maisons d’Occident, sera assez 115 On sait par ailleurs qu’au moins six d’entre eux étaient effectivement chevaliers de l’ordre (Uc de Corri, Bertrand de Barras, Uc de Ginasservis, Peire de Saint-Martin, Étienne de Chavelut, Esparron de Bras). Bertrand Ruf, en tant que châtelain, l’était aussi probablement. En 1300, c’est un minimum de six frères sur dix qui sont vraisemblablement issus de la petite aristocratie militaire. 116 Cf. An. II, C-2. 117 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 79-104. Rappelons encore que les statuts de 1262 restreignirent l’accès à la qualité de chevalier de l’ordre aux individus d’ascendance chevaleresque légitime ( J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, c. 1070-1309, Houndmills-New York, 2012, p. 101-102). 118 M.-R. Bonnet et R. Cierbide, Les statuts, p. 285 (édition du GG 76 des Arch. mun. d’Arles). En l’absence de travaux particuliers sur le maître Bertrand de Comps, on le rapprochera de l’homonyme qui, après avoir séjourné en Syrie, fut prieur de Saint-Gilles (1231-1234) puis châtelain de Margat ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 140-146). 119 « Mais quoique vous nous voyez bien habillés, montés sur de grands chevaux et croyez que nous avons toutes nos aises, vous vous trompez » (56 H 78 ; éd. M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre », p. 50). Le formulaire d’admission était inscrit dans les usances ou coutumes de l’ordre (CGH, t. 2, no 2213, § 121, p. 556). 120 On ne reviendra pas sur cette tendance justifiée par le coût d’entretien des combattants issus de l’aristocratie chevaleresque (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 272-273).

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peu perceptible dans les effectifs recensés en 1338. Certes, à Aix, l’unique miles se trouvait bien seul au milieu d’une communauté de 26 frères, mais il s’agissait-là d’une commanderie dotée d’un profil clérical particulier ; à Manosque en effet, les chevaliers représentaient encore le tiers de l’effectif (fig. 3). La tendance n’en était pas moins à une certaine fermeture de l’élite guerrière et à un phénomène corollaire d’aristocratisation, observé pour l’ensemble des ordres militaires121. Toutefois, la supériorité ne saurait se réduire à cette tendance à l’aristocratisation. À l’époque de Bérenger Monge, une élite se distinguait par l’exercice de charges spécialisées, parmi lesquelles le commandeur occupait le premier rang. En analysant les structures institutionnelles des ordres militaires, tant à l’échelle centrale que locale, les historiens n’ont pas manqué d’évoquer les différents « officiers » mais, à vrai dire, sans trop se préoccuper d’historiciser le terme122. Raybaud, dont la langue est encore empreinte du vocabulaire lu dans les documents médiévaux, mentionne également les « officiers des maisons »123. Il ressort effectivement des actes de la pratique que c’est bien en terme d’« officium » que sont décrites les fonctions spécialisées que pouvaient occuper certains frères au sein de la commanderie124. Au xiiie siècle, une telle acception n’est certes pas exceptionnelle, non seulement parce qu’elle est empruntée aux administrations séculières, mais parce qu’elle provient déjà du vocabulaire normatif de l’Hôpital125. Le premier de cet office, celui de commandeur, eut chez les ordres militaires et hospitaliers une fortune toute particulière126. Ainsi que Jochen Burgtorf l’a fait remarquer pour l’échelon du couvent central, le terme de commandeur pouvait ouvrir à une grande variété de fonctions127. Cette « flexibilité », pour reprendre l’idée de l’auteur, renvoie à l’étymologie même du terme preceptor qui, employé déjà au haut Moyen Âge dans les monastères et les cours séculières, désignait tout simplement celui qui enseignait ou bien celui qui

121 D. Carraz, « Le monachisme militaire », p. 41-51. 122 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 39 et passim (officials) ; J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller, p. 140-141 et passim (officers, officials). Fluctuation entre « office, officier » et « dignité, dignitaire » : E. Rodríguez-Picavea, Los monjes guerreros en los reinos hispánicos. Las órdenes militares en la Península Ibérica durante la Edad Media, Madrid, 2008, p. 328-337 ; S. Cerrini, « Rangs et dignités dans l’ordre du Temple au regard de la Règle », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires, p. 169-187. 123 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 594. 124  …fuit actum inter partes predictas quod dictus dominus prior […] non possit nec debeat dictum comendatorem […] de dictis officiis removere. […] fuit actum inter eos quod singula officia que in dicta baiulia pro custodiendis averibus exercentur fratres et exerceantur per fratres dicti Hospitalis et alteris ex dictis fratribus deffueris vel remotis alii substituantur eis per dictum comendatorem (56 H 4372 ; 16 janvier 1249) ; …frater Hospitalis emeret existendo in aliqua baiulia aliquid ut in aliquo officio existendo… (56 H 4644 ; 2 octobre 1283). 125 Les Usances désignent par « office » la responsabilité administrative assignée à chaque dignitaire du couvent central. Par exemple : « Premieirement se doit lever le grant comandor, et doit dire l’estat de sa baillie […] et la garnison que il aura laissée en les offices qui auront esté asson comandemant […]. Apres se doit lever le mareschal, doit dire l’estat de son office… » (CGH, t. 2, no 2213, § 109, p. 553). 126 Le commandeur, figure tutélaire des ordres militaires, a nourri une littérature abondante (Ph. Josserand, « Commandeur », in DOMMA, p. 246-247). 127 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 252-255.

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(re)commandait128. Le preceptor représente encore, par exemple dans une charte clunisienne du xe siècle citée dans le Du Cange, le détenteur d’un pouvoir de délégation de l’abbé. Et c’est bien de cette acception que procède encore, chez les hospitaliers et les templiers provençaux, l’hésitation des premiers temps entre procurator et preceptor129. À l’origine, le commandeur est donc bien le frère délégué par le prieur pour gérer une domus à laquelle on finira par donner le nom de preceptoria. À l’époque de Bérenger Monge, l’identification entre le commandeur et la maison qu’il était chargé de régir était à ce point achevée que ce dernier en vint à incarner la mémoire-même de sa commanderie. À sa prise de fonction à Manosque, afin d’apporter un dossier de preuves dans le conflit opposant la commanderie à l’évêque de Sisteron, Bérenger Monge fit consigner sur un rouleau la liste des acquisitions effectuées par ses prédécesseurs130. Or, il est remarquable que, dans cette liste d’analyses dépourvues de dates, les seuls repères chronologiques renvoient aux noms des commandeurs qui avaient conduit les transactions. Les différents dignitaires ne se succèdent certes pas chronologiquement, mais l’ordre des analyses fait bien ressortir leur action respective et met tout à fait en exergue les personnalités dont le mandat fut assez long pour accroître sensiblement le temporel de la maison : Seignoret (1218-1221), Faucon de Bonas (1228-1235), Guilhem Mataron (1244)131. Est donc illustré ici un premier aspect de la fonction de commandeur, qui est l’accroissement et la défense du temporel de la maison. Si les autres devoirs de cet officier sont depuis longtemps connus par la production normative, illustrons-les ici à partir d’un cas concret132. Le 24 février 1252, dans la camera de la maison de Saint-Pierre de Manosque, Bérenger Monge assista à un accord entre le prieur Féraud de Barras et Azalaïs de Rougon. Cette charte, qui complétait une première transaction intervenue en 1249, stipulait les obligations du frère nommé à la tête de la commanderie de Comps133. Celui-ci devrait pourvoir aux frais nécessaires à

128 Voir par exemple les différentes acceptions données par Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, t. 6, 1886, col. 451a. Rappelons que l’enseignement, la relation de maître à disciple, constitue l’essence même du pouvoir abbatial dans les premières règles monastiques (A. de Vogüé, La communauté et l’abbé, p. 134-138). Les hospitaliers, qui désignèrent leur fondateur par les titres de rector ou institutor s’inscrivent bien dans cette tradition (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 234 ; B. Martin, Le bienheureux Gérard, Raymond du Puy et les premières années de l’Hôpital, Paris, 2015, p. 40-41). 129 CaHSG, no 166 (octobre 1153) et 248 (octobre 1167) ; CaTr, no 143 (18 mai 1167) ; CaHAv, p. 14 et 235. Sur les variations du vocabulaire désignant les premiers responsables des maisons templières : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 91-92. 130 56 H 4630, no 13 gemine (s. d.). Ce mémorandum fut plus précisément compilé entre 1249 et 1251, à la demande du frère Guilhem de Pradelles, procureur du commandeur dans cette affaire. 131 Entre ces figures dominantes s’intercalent des dignitaires moins actifs (Raimbaud de Manteyer, 1222-1225 ; Guilhem Uc, 1239-1241), d’autres non répertoriés dans la liste des commandeurs connus (Aimeric, Guilhem Morre). On trouve encore de grands dignitaires extérieurs à la commanderie (Aimeric du Pont, grand commandeur, s. d. ; Girardus de Ulmis, qualifié de prieur de Saint-Gilles mais nulle part référencé). 132 J. Riley-Smith, The Knights of Saint John in Jerusalem and Cyprus, c. 1050-1310, Londres, 1967, p. 348-349. 133 56 H 4372 (16 janvier 1249 et 24 février 1252). Il s’agit d’une forme de paréage avec Azalaïs de Rougon portant sur la garde de la forteresse de Rougon et le partage des revenus de la baillie de Comps ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 158-159).

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l’entretien des frères, sœurs et donats de sa baillie134. Il devrait également comparaître chaque année au chapitre prieural, d’une part pour y apporter les responsions destinées à l’Hôpital outre-mer, d’autre part pour présenter le status bajulie, c’est-à-dire le bilan de sa gestion135. Cette forme de reddition des comptes, localement imposée à tout commandeur, est une transposition de la pratique assignée à tous les officiers du couvent central qui devaient, de la même manière, soumettre l’état de leur officium devant le chapitre général136. Une bulle magistrale de 1314, donc de peu postérieure à l’époque de Bérenger Monge, précise enfin la teneur de l’administration (administratio ou regimen) des baillies de Manosque et de Puimoisson, désormais entre les mains d’Hélion de Villeneuve137. Celui-ci devra administrer ses commanderies « in capite et in membris » et ceci, au spirituel comme au temporel. Et il se gardera d’en soustraire ou d’en démembrer aucune partie que ce soit – mais il est vrai que l’acte s’incrit déjà dans un processus de « patrimonialisation » de certains biens de l’ordre au profit des commandeurs dont il conviendra d’examiner les prémices. Garant de l’intégrité du temporel qui lui était confié, responsable de l’entretien de la communauté régulière, le commandeur devait encore pourvoir à la répartition des tâches au sein de la baillie. Il ressort en effet de l’accord de 1249 que je viens de citer que la nomination aux différents offices relevait de ses attributions138. On peut imaginer, toutefois, que les rôles affectés à chaque frère faisaient l’objet de tractations au chapitre de la maison. Les offices de la baillie

La complexité administrative atteinte par une commanderie comme Manosque dès le xiiie siècle se lit derrière la variété des offices nécessaires à son fonctionnement139. Avant d’en venir aux hommes mêmes qui administraient la commanderie et sa seigneurie dans l’entourage de Bérenger Monge, il s’agit de comprendre leurs différentes

134 …quod quicumque Hospitalariis tenuerit a capitulo in antea dictam baiuliam debeat tradere de fructibus ipsi domine Alasatie facta responsione pro ipsa domo Hospitalis de ultra mare quare facere tenetur et factis expensis fratrum, sororum et donatorum et necessarium personarum existentium in illa baiulia… (24 février 1252) ; dictus comendator […] compareat in capitulis apud Sanctum Egidium per fratres Hospitalis pro tempore celebrandis, ibidemque de responsione que pro dicta baiulia solita et fieri satisfaciat competentur statumque dicte baiulie significat in capitulo supradicto (16 janvier 1249). 135 Les responsions (responsiones) correspondent à la contribution, théoriquement du tiers des revenus, que chaque commanderie de l’Hôpital et du Temple était tenue d’expédier au quartier général de l’ordre en Orient ( J. Bronstein, « Responsions », in DOMMA, p. 785-786). 136 D’après les Usances (CGH, t. 2, no 2213, § 109, p. 552-553). 137 LPM, p. 185-186. Il s’agit de la bulle de nomination, par le maître Foulques de Villaret, à ces deux commanderies, qui relevaient de sa « chambre » à l’époque où il était prieur de Saint-Gilles. Raybaud a souligné, de manière générale, les prérogatives croissantes que le maître s’arrogea, au cours du xive siècle, dans la collation des commanderies (Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 596). 138 …singula officia que in dicta baiulia pro custodiendis averibus exercentur fratres et exerceantur per fratres dicti Hospitalis et alteris ex dictis fratribus deffueris vel remotis alii substituantur eis per dictum comendatorem (56 H 4372 ; 16 janvier 1249). 139 Les offices de la commanderie, de leur origine au xve siècle, ont fait l’objet d’une rapide présentation par F. Reynaud, « L’organisation du domaine de la commanderie de Manosque », Provence historique, 6 (1956), p. 78-82.

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fonctions. Le premier personnage, véritable auxiliaire voire double du commandeur, est le bayle. Un article de Laurent Ripart a rappelé les origines de l’institution : au xe siècle, le baiulus est d’abord un agent seigneurial, mais il peut encore être l’un des personnages responsables d’une communauté monastique140. Dans la seconde moitié du xiie siècle, la fonction s’est diffusée dans les seigneuries provençales, tandis que sont apparus les bayles au service du comte, investis à la fois de fonctions domaniales et de pouvoirs judiciaires. Au siècle suivant, au sein de l’édifice étatique, les bayles et leur cour sont devenus des éléments-clé d’une administration locale désormais territorialisée. Le terme fut également employé dès l’origine par les templiers et les hospitaliers. L’étymologie « bail, bailler », rappelée fort à propos par Jochen Burgtorf, renvoie à un bien ou à un droit confié de façon temporaire, donc à un office. Avant de désigner les membres les plus éminents du gouvernement central de l’Hôpital, les baillis conventuels, il arriva que les responsables des premières maisons fondées fussent qualifiés de baiulus141. Ce fut précisément le cas à Manosque où le premier administrateur de la maison, Uc Boson (1149-1162), avait déjà porté ce titre, avant que ne s’impose la titulature de preceptor dans les années 1170142. Les circonstances de la véritable apparition de la fonction ne sont pas bien claires dans la mesure où le premier bayle attesté, en l’état de mes dépouillements, est un certain Guilhem Morre. Signalé entre 1211 et 1222, ce personnage apparaît une fois seulement avec le titre de bayle (avant mai 1217), mais il figure constamment comme témoin et il accomplit quelques transactions au nom de l’Hôpital143. Il n’est pas totalement assuré que ce fût un hospitalier – il n’est qualifié de frater qu’une ou deux fois – car il pouvait également s’agir d’un laïc proche de l’ordre, employé selon les cas comme agent ou procureur144. Par la suite, désormais mieux fixée, la charge de bayle fut toujours dévolue à un frère, même si elle pouvait légalement être octroyée à un laïc145.

140 L. Ripart, « Les bayles de Provence : genèse d’une institution princière », in G. Castelnuovo et O. Matteoni (dir.), De part et d’autre des Alpes. Les châtelains des princes à la fin du Moyen Âge, Paris, 2006, p. 59-91. Dans la règle du Maître et la règle de saint Benoît cependant, les véritables auxiliaires de l’abbé sont le prévôt (ou doyen) et le cellérier (A. de Vogüé, La communauté et l’abbé, p. 299-322). Termes que les hospitaliers n’ont pas repris. 141 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 53-54 et 179-180 ; A. Demurger, Les hospitaliers, p. 237-242. 142 D. Carraz, « Aux origines de la commanderie de Manosque », p. 158. 143 fratris Willelmi Morre qui pro domino Bermundo de Lusansone, preceptore et castellano Manuasche, tenebat curiam et erat baiulus hospitalis (56 H 4638 ; 14 mai 1217). Son nom est lié à deux reconnaissances de transactions et à deux achats pro Hospitali (56 H 4639, mars 1218 ; 56 H 4639, février 1221 ; 56 H 4676, décembre 1222 ; 56 H 4630, s. d.). Il est une bonne dizaine de fois témoin entre 1211 et 1219 (56 H 849bis, 56 H 4628, 56 H 4629, 56 H 4638, 56 H 4639, 56 H 4676). Le personnage est d’autant plus difficile à pister qu’un homonyme est prêtre, sans doute conventuel, en 1217 (56 H 4638), et qu’un autre homonyme est attesté comme hospitalier entre 1257 et 1261 (56 H 835, 56 H 4630, 56 H 4641). 144 Le recours à des procureurs laïques est bien attesté dans la phase d’installation des commanderies, notamment en milieu urbain (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 127 ; Id., « Private Charters and other Family Documents in the Templar Archives : Commanderies in Southern France », in K. Borchardt et alii (dir.), The Templars and their Sources, Londres-New York, 2017, p. 86-90). 145 Preuve du flottement des premiers temps, l’agent seigneurial au service de l’ordre put apparaître avec le titre de viguier (Raimundus Aimericus, vicarius Hospitalis ; 56 H 4638 ; mars 1212). Une clause d’un acte de la fin du xiiie siècle prévoit que le bayle pourrait être un frère de l’Hôpital ou pas (CGH, t. 3, no 3838 ; 11 juillet 1283).

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L’activité de Jaufre de Moissac, Raimbaud de Puimichel, Uc de Corri et Peire de Saint-Martin, piliers de l’administration de la baillie aux côtés de Bérenger Monge, rend compte de l’étendue des attributions du bayle146. Celui-ci pourvoit d’abord à la gestion courante du temporel : il assiste le commandeur dans certaines transactions, il procède à l’investiture des terres acquises sous la directe de l’ordre et perçoit à ce titre la taxe de mutation. Mais il peut encore se substituer au commandeur pour accomplir des transactions parfois fort importantes. Entre septembre et décembre 1285, Peire de Saint-Martin déboursa ainsi un total de quelque 150 livres pour acquérir la propriété éminente – cens, services et dominium – sur de gros ensembles fonciers dans le territoire (plus d’une vingtaine de vignes, une bonne dizaine de jardins et autant de terres) et sur près d’une vingtaine de maisons147. Le bayle se livre également à des opérations de gestion courante : ventes des productions issues de la commanderie (viande salée, laine, vin), prêts d’argent et de céréales, contrats d’entretien du matériel auprès d’artisans148. Enfin, si je préciserai mieux ce rôle en évoquant la justice seigneuriale, il faut souligner d’emblée la place prépondérante de cet agent au sein de la cour149. La curia placitatoria apparaît d’ailleurs volontiers comme le siège de son pouvoir puisqu’il y règle fréquemment des affaires qui, pourtant, n’ont pas directement à voir avec la justice. La présence du bayle à Manosque est véritablement liée à la pleine juridiction qu’il incarne en l’absence du commandeur. Raybaud a donc raison de relier la création de la charge à l’acquisition, en 1209, de la souveraineté héritée des comtes de Forcalquier150. C’est ce qui explique d’ailleurs que la fonction soit attestée dans quelques autres commanderies, comme Puimoisson ou Orange, où l’Hôpital exerçait la haute justice151. Sa position sur le plan juridictionnel est telle que le bayle peut encore intervenir dans les transactions avec les communautés. En 1271 puis en 1289, Bérenger Monge délégua ainsi ses deux bayles respectifs, Uc de Corri puis Peire de Saint-Martin, pour transiger avec les hommes de Volx sur les limites entre leur territoire et celui de Manosque152. Malgré l’étendue de ses attributions, le bayle reste cependant soumis au commandeur. Il semble, certes, le plus souvent agir de son propre chef, mais certains actes importants stipulent qu’il exerce son mandat au nom de Bérenger Monge153. À partir du xive siècle, l’absentéisme des commandeurs accroîtra sans doute encore l’importance

146 Cf. An. II, D-1, no 9, 12, 15 et 11. 147 56 H 4644 (25 septembre 1285 et 13 décembre 1285) ; 56 H 849bis, f. 223-226v et 229v-234 (16 décembre 1285 et 18 décembre 1285). 148 56 H 2624, f. 41-72 (comptes, 1275-1289). 149 P. MacCaughan, La justice à Manosque au xiiie siècle. Évolution et représentation, Paris, 2005, p. 29-30. 150 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 114. 151 À Orange, l’Hôpital, coseigneur de la ville, partage la justice avec les princes ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 122-123). À Puimoisson : 56 H 4844 (26 janvier 1287 : le bayle est Raimond de Saint-Martin) ; 56 H 4837 (31 janvier et 15 juillet 1300) ; 56 H 4839 (15 décembre 1307 et 14 février 1308). 152 Arch. mun. de Manosque, Bb 21 (8 mars et 8 avril 1271) ; 56 H 4633 (6 octobre 1289). 153 viro fratri Petro de Sancto Martino, baiulo Manuasce et tenenti locum venerabili et religiosi viri domini fratris Berengarii Monachi preceptoris domus Hospitalis… (Arch. mun. de Manosque, Kb 25 ; 8 novembre 1283) ; dominum P. de Sancto Martino, militem, baiulum Manuasche nomine et vice Hospitalis seu preceptoris eiusdem Hospitalis… (56 H 4633 ; 6 octobre 1289).

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du bayle, même si je ne pense pas que le prestige de ce dernier ait eu une influence particulière sur l’érection de la commanderie de Manosque en bailliage capitulaire, autour de 1460154. Le bayle accomplit donc des tâches qui pourraient relever du commandeur mais dont celui-ci se décharge, parce qu’il a mieux à faire sur place ou qu’il est occupé ailleurs. Cela rend d’autant plus difficile à saisir l’office de vice- ou sous-commandeur (vicepreceptor, subpreceptor). À l’instar du bayle, celui-ci peut en effet expédier des tâches de gestion quotidienne, comme recevoir une reconnaissance de biens – Bernard de Puimoisson ou Rostan de Clermont à Manosque155 – ou bien concéder des terres en rente – Jaufre de Moissac à Aix156. Le vice-commandeur et le bayle devaient donc se répartir les affaires quotidiennes. On voit par exemple, dans un compte du bétail un peu plus tardif, que c’était tantôt l’un, tantôt l’autre – voire parfois les deux ensemble – qui recensaient les différentes catégories du cheptel157. Puisque les attestations de cet office sont relativement rares et qu’il est donc impossible d’établir une suite continue de détenteurs de la fonction, je propose de voir là un titre provisoire assigné à un frère détaché pour remplir un office, le plus souvent mais non obligatoirement en l’absence du commandeur158. On ne saurait donc conférer un trop grand formalisme aux titulatures utilisées dans la pratique. À l’exception des offices les mieux identifiés, d’autres attributions ont pu être seulement conjoncturelles, conférées pour répondre à un besoin précis et à un moment donné. La délégation du pouvoir par le commandeur fut en effet assez souple, comme on le verra, pour s’appuyer sur des frères dépourvus de titre mais probablement influents au demeurant. Le tableau est heureusement un peu plus clair pour la plupart des autres titulatures attestées à Manosque, où l’on trouve d’abord, à une échelle certes très réduite, une répartition des fonctions inspirée des cours princières.

154 F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte à Manosque, Gap, 1981, p. 106-107. Il ne me semble pas, en effet, que l’on puisse établir une continuité entre le bayle du xiiie siècle et le bailli capitulaire qui était, dans la hiérarchie de l’ordre, un commandeur pourvu d’une dignité particulière (sur cette dignité : J.-M. Roger, « Les différents types de commanderies du prieuré de Champagne au xve siècle », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, p. 38-40). 155 56 H 1088, non folioté (21 avril 1256 : Bernardus de Podimoysono, vicepreceptor) ; 56 H 1039, f. 24 (9 mars 1303 : religioso et nobili milite domino fratre Rostagno de Claromonte, vicepreceptore Manuasce). 156 dominus frater Jaufredus de Moissaco, miles, preceptor Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani Aquensis […] de consensu et voluntate fratris Petri, sacerdotis dicti Hospitalis, et fratris Johannis Laugerii et pro utilitate ipsius Hospitalis… (56 H 4199 ; 14 novembre 1286). Il apparaît bien en qualité de commandeur, mais dans la mesure où je n’ai décelé aucune rupture dans le gouvernement de Bérenger Monge, je mets cet hapax sur le compte d’un lapsus calami. L’autre doute concerne l’identification entre ce personnage, dont c’est la seule apparition à Aix, et l’homonyme qui est bayle à Manosque de 1256 à 1262. 157 56 H 833 (1334-1344). 158 Il arrive parfois qu’un sous-commandeur apparaisse comme simple témoin d’un acte passé par le commandeur : c’est le cas de Rostan de Clermont à Manosque (56 H 880 ; 5 octobre 1300). Au xive siècle, le titre de sous-commandeur pourra être cumulé avec une autre dignité (56 H 4202 ; 8 février 1336 : religiosus vir dominus Jacobus de Alerio, prior Sancti Johannis Jerosolimitani de Aquis ac vicepreceptor).

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La principale dignité à connotation militaire est celle de châtelain (castellanus). C’est encore à partir de 1209 que le commandeur ajouta à son titre celui de châtelain159. La portée symbolique se comprend aisément : il s’agissait sans doute de manifester la prise de possession du palais fortifié des comtes de Forcalquier. D’autre part, comme Raybaud l’avait déjà remarqué, le titre était prestigieux car il renvoyait aux dignitaires qui tenaient les importantes forteresses de l’ordre dans l’Orient latin160. Lorsque Bérenger Monge arriva aux affaires, toutefois, le commandeur ne portait plus le titre de châtelain depuis sans doute un quart de siècle. Ce dernier titre s’était éclipsé pour laisser place à celui de preceptor castri, parfois de castellanus castri Manuasce. Mais la portée tout autant que la fonction étaient désormais différentes : le titulaire de l’office désignait, non plus le gardien du palais urbain, mais celui de la tour que les hospitaliers tenaient au sommet de la colline du Mont d’Or161. La fonction domestique était, quant à elle, représentée par le sénéchal. Les noms de cinq titulaires de cet office sont répertoriés pour le xiiie siècle, parmi lesquels se détache un certain Simon, attesté comme frère dès 1271, puis comme senescallus palatii voire pincerna entre 1282 et 1288 au moins162. Si le sénéchal apparaît souvent comme témoin au bas des chartes, indice d’une certaine notoriété, la documentation n’éclaire pas concrètement sa fonction163. On suppose qu’il était essentiellement responsable de l’approvisionnement du palais. En 1286, une quittance est par exemple passée au nom de Simon pour l’achat de 430 coupes de vin, soit 6 820 litres164. À côté de ces organes « centraux » de l’administration hospitalière sont apparues plusieurs responsabilités relevant des divers postes de gestion composant la baillie. Des frères furent détachés pour gérer les dépendances que l’on commença sans doute à appeler « membres » dans la seconde moitié du xiiie siècle165. C’est à la même époque que

159 F. Reynaud, La commanderie, p. 36. Seignoret est probablement l’un de ceux qui associa le plus systématiquement les titres de preceptor et de castellanus entre 1215 et 1221 (56 H 4638, 56 H 4639, 56 H 4629). 160 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 114 ; J. Burgtorf, The Central Convent, p. 52-53 ; D. Pringle, « The Role of Castellans in the Latin East », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), Castelos das ordens militares, vol. 2, Lisbonne, 2013, p. 193-194. 161 Sur cette fortification : S. Claude, « De l’Antiquité au bas Moyen Âge : Manosque ou la genèse de la ville moderne », Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Alpes de Haute Provence, 343-344 (2001), p. 40-43. En 1338, la garnison du castrum de Manuasca apparaît composée seulement, autour du castellanus, de deux serviteurs (VGPSG, p. 362). 162 Cf. An. II, B-2 (nomenclature des offices) et C-2 (index). 163 Les allusions au sénéchal sont trop erratiques pour être exploitables : Item recepit senescelis in baiulo, x lib. (56 H 835, f. 27 ; décembre 1259) ; Item misi senescallo domini nostri magistri de quibus habeo appodixam (56 H 836, f. 4 ; octobre 1319). 164 Anno Domini MCCLXXXVI. Memoria sit quod frater Sismonis debet xxv. lib. et xx. d. pro cccctis et xxx cupis vini quod habuit et recepit precio xiiii d. per cupa et debet solvere anno proximo venienti festo Penthecoste (56 H 2624, f. 52v). En 1288, Bérenger Monge effectue encore un prêt de 20 setiers d’avoine au prêtre de Sainte-Tulle pour le sénéchal, d’où l’on déduit que ce dernier gérait les réserves de grains (56 H 2624, f. 6v). 165 Une occurrence épigraphique en 1239 dans le prieuré d’Auvergne suggère que le terme circulait à cette date (R. Favreau et alii, Corpus des inscriptions de la France médiévale, t. 18, Allier, Cantal, Loire, HauteLoire, Puy de Dôme, Paris-Poitiers, 1995, no 20, p. 73 : commanderie Saint-Jean-des-Prés de Montbrison, épitaphe du prêtre Arnoul, 3 mai 1239).

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la documentation laisse apparaître, avec le titre de commandeur, les régisseurs des trois domus relevant de la commanderie de Manosque : La Rouvière, Saint-Michel et La Tour d’Aigues. À l’échelle de la baillie, des frères étaient encore affectés aux autres parties du capital meuble (le bétail) ou immeuble (les fours et les moulins), voire à la perception de droits particuliers (port)166. Aucune de ces dignités domestiques ou militaires n’a pu être repérée à Aix, sauf peut-être une attestation tardive du maréchal167. On peut certes incriminer la pauvreté documentaire, mais il semble surtout que le développement, plus modéré qu’à Manosque, de la maison urbaine et de la seigneurie foncière n’encouragea pas ici une multiplication des offices. Les différentes maisons dépendantes du centre aixois étaient gérées par des frères détachés qui, par exemple pour Saint-Martin de Trets, recevaient le titre d’administrator ou de rector dans le premier tiers du xive siècle168. Certaines dignités rencontrées à Manosque sont également attestées dans d’autres commanderies importantes. Le châtelain, qui suppose une véritable fonction de garde de fortification, était en principe rare hors des frontières de la chrétienté – on rappellera toutefois le cas particulier de la châtellenie des Échelles, confiée à Bérenger Monge junior169. On trouve en revanche un sénéchal actif à Saint-Gilles dont la présence fut sans doute justifiée ici par la formalisation d’une administration propre au prieuré170. Le trésorier, absent à Manosque du fait surtout de la présence du bayle, jouait également un rôle important, à Saint-Gilles comme à Trinquetaille171. La tendance à la spécialisation des offices au cours de la seconde moitié du xiiie siècle a également caractérisé les commanderies templières, avec

166 Cf. An. II, B-2. L’inventaire complet de ces tâches n’est jamais assuré du fait de la difficulté à distinguer entre cognomen et titre statutaire. Ainsi, je n’ai pu déterminer si les seconds éléments Portanerius (pour les frères B. et Isnardus) et de Navis (Bertrandus et Guillelmus) correspondaient à de véritables noms ou se référaient à l’office de gardien des péages portuaires. 167 Un rajout du xive siècle dans l’obituaire du chapitre Saint-Sauveur mentionne un frater Raymundus de Lerida, hospitalerius et manescalus Sancti Johannis Jerosolimitani (A. Chiama et Th. Pécout, Les obituaires du chapitre cathédral Saint-Sauveur et de l’église Sainte-Marie de la Seds d’Aix-en-Provence, Paris, 2010, p. 143). Le cognomen et la fonction incitent à penser qu’il ne s’agit pas forcément d’un frère relevant de la communauté aixoise. 168 J. Drendel, « Gens d’Église et crédit dans la vallée de Trets au xive siècle », Provence historique, 44 (1994), p. 80. 169 S’il arrive de rencontrer un frater castellanus dans les listes de témoins (par exemple à Saint-Gilles en 1253 ; 56 H 4123), il ne me semble pas que cet office ait été régulièrement pourvu. 170 Le senescalus, dapifer ou parfois pincerna est souvent cité dans le cartulaire de Saint-Gilles où il peut parfois agir comme véritable substitut du commandeur – CaHSG, no 61 (septembre 1196), 142 (février 1197), 83-84 (juillet 1202), 138-139 (mai 1204), etc. ; 56 H 4123 (1235, 1239). Le sénéchal est aussi attesté à Trinquetaille (56 H 5036 ; 7 octobre 1253). Parmi les frères officiers de la maison de Toulouse, on trouve encore un coquinarius qui renvoie davantage au pincerna de Manosque qu’au dapifer de Saint-Gilles, c’est dire l’ambiguïté de la fonction attachée à ce titre (Arch. dép. de Haute-Garonne, H Malte Toulouse 393, no 9 ; 13 juillet 1258). 171 Le trésorier (thesaurarius) est mentionné à Saint-Gilles dès les années 1130 (P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré de Saint-Gilles de l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem », in Des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, de Chypre et de Rhodes hier aux chevaliers de Malte aujourd’hui, Paris, 1985, p. 146). Il est également très présent à Trinquetaille (par exemple pour le xiiie siècle : CaTr, no 210 ; 56 H 5022 ; 56 H 5036).

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quelques particularités comme la présence d’un bottelerius172. L’Hôpital de Manosque se distingue toutefois par le caractère particulièrement poussé de la division des tâches. Pour expliquer la dénomination et la répartition de ces offices, il n’est sans doute pas besoin de chercher, localement, l’imitation directe de quelque modèle laïque. La présence de ces titulatures d’origine domestique et militaire peut tout simplement s’inspirer du système développé par les couvents de l’Hôpital et du Temple dans les États latins d’Orient. Dans ce dernier cas, l’apparition précoce d’une véritable cour – avec sénéchal, connétable, maréchal… – a pertinemment été expliquée par l’influence des cours princières latines, elles-mêmes fréquentées par les dignitaires des ordres militaires173. Rappelons enfin que les offices liés à l’approvisionnement de la table existaient dans bien d’autres institutions ecclésiastiques, notamment les cours épiscopales et les chapitres, même s’ils n’étaient pas forcément confiés aux religieux eux-mêmes174. Le personnel clérical

Majoritairement laïque mais soumise à une règle religieuse, la communauté hospitalière intégrait les prêtres indispensables à l’encadrement spirituel des frères et de leur large familia175. La figure cléricale la plus connue chez les ordres militaires, en principe présente dans toute commanderie pourvue d’un minimum de frères, est le chapelain. À Manosque, celui-ci était attaché à la chapelle du palais avec le titre de capellanus ou sacerdos palatii. En 1338, cinq chapelains conventuels figuraient dans l’effectif total de la maison176. Sans doute étaient-ils moins nombreux sous Bérenger Monge : peut-être deux ou trois, comme semble l’indiquer la combinaison des mentions à plusieurs dates (1275, 1283, 1287, 1288)177. On retiendra les durées de charge relativement longues de certains d’entre eux : une quinzaine d’années pour Géraud, une dizaine d’années, mais peut-être en deux mandats, à la fois pour Dominique et Bertrand Faber. Une stabilité qui était sans doute encline à assurer l’autorité morale de ces personnages au sein de la communauté. Les maisons secondaires pourvues d’un lieu de culte étaient également desservies par un prêtre de l’ordre, comme celle de Calissanne, dans le diocèse d’Aix178. L’autre dignité ecclésiastique fréquemment

172 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 313-315. 173 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 57-65. 174 B. Martin, Le bienheureux Gérard, p. 74-75 ; A. Coste, Le chapitre métropolitain de Saint-Sauveur d’Aixen-Provence d’après son chartrier (xie siècle-1245), mémoire de maîtrise, Université de Provence, 2002, p. 119 et 194-196, doc. 12 (mi-xiiie siècle : pistor, pincerna). 175 J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller, p. 99-101 ; J. Sarnowsky, « The Priests in the Military Orders. A Comparative Approach of their Standing and Role », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires, p. 216-217. 176 VGPSG, p. 333. 177 Cf. An. II, B-2. On ne saurait dire si la distinction entre capellanus et sacerdos capelle palatii exprime une différence hiérarchique (CoHMa, p. 145 ; 4 juillet 1283). 178 56 H 4187 (24 septembre 1304).

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attestée chez les ordres militaires est celle de sacriste179. Un prêtre desservait avec ce titre l’église Saint-Pierre de Manosque, autour de laquelle s’était installée la communauté hospitalière primitive, au cours du premier tiers du xiie siècle. Il y avait également un sacriste à Saint-Jean d’Aix. Dans les deux commanderies, cette fonction ne se limitait pas à la conservation de la sacristie et du trésor. Ce frère gérait également, j’y reviendrai, à la fois les spiritualia et les temporalia attachées à son église180. Enfin, Saint-Jean d’Aix se distinguait par la présence du prieur. Sous le titre de prior ecclesie, cette importante dignité ecclésiastique existait dans les commanderies pourvues de plusieurs prêtres181. Le chartrier d’Aix, malgré ses lacunes, permet ainsi d’établir une succession de six prieurs dans la seconde moitié du xiiie siècle. S’ils sont donc, de loin, les dignitaires les plus fréquemment mentionnés, c’est que les prieurs ont tiré parti à la fois du prestige de l’église Saint-Jean et de l’absence des commandeurs à Aix. Aussi, déjà sensible sous Bérenger Monge, leur prééminence s’accroîtra encore au siècle suivant, au point d’imposer les prieurs comme les véritables chefs de la commanderie. À l’échelle de la cité d’Aix, le prieur figurait donc parmi les prélats en vue, comme l’atteste du reste le privilège déjà évoqué, lui conférant les insignes épiscopaux182. Sans doute tirait-il un prestige certain de la présence, dans son église, d’un important collège de chapelains institué pour assurer le culte de la mémoire princière183. La fondation initiale de Raimond Bérenger V et Béatrice de Savoie fut amplifiée par le développement apporté au culte dynastique par les Angevins. Mais le nombre de chapelains s’accrut encore par les fondations de plusieurs dignitaires de l’Hôpital et de quelques autres grands personnages proches de la cour. Aussi, en 1331, le maître Hélion de Villeneuve promulgua une bulle de réforme du prieuré d’Aix fixant à dix-huit le nombre de chapelains184. En 1338, quinze chapelains conventuels officiaient encore à Saint-Jean d’Aix185. Or, si la présence d’un collège de prêtres n’était pas une exception en soi dans une commanderie, celui d’Aix surpassait en nombre et

179 L’office de sacriste se retrouve dans d’autres maisons provençales de l’Hôpital : Puimoisson : 56 H 4857 (1203) ; 56 H 4836 (1254) ; Trinquetaille : CaTr, no 155 (1189), 111 (1197), 209 (1207), etc. ; 56 H 5022 (1245, 1267) ; 56 H 5036 (1290) ; Saint-Gilles : CaHSG, no 60 (1194), 98 (1197) ; 56 H 4109 (1263). Sur l’office de sacriste qui, contrairement à ce que pensait le regretté Enrique Rodríguez-Picavea, ne se trouve donc pas seulement chez les ordres militaires de filiation cistercienne : E. Rodríguez-Picavea, Los monjes guerreros, p. 335-337. 180 À Saint-Jean d’Aix, la sacristie et le trésor étaient bien deux lieux distincts (56 H 4183 : in thesauro iuxta sacristia ecclesie Sancti Johannis de Aquis). En 1338, l’entretien des ornamenta et autres fournitures nécessaires au culte relevant de la sacristie constituait un poste de dépenses propre (VGPSG, p. 465 et 467). On peut présumer que l’étain rapporté de Saint-Gilles, en mai 1263, par un prêtre non nommé accompagné du frère Uc de Vacheriis, servit à réparer quelques ustensiles liturgiques (56 H 835, f. 39v). 181 Il y en avait notamment un à Saint-Gilles, attesté depuis 1170 et dans quelques commanderies templières (P. Santoni, « Les deux premiers siècles », p. 145 ; D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 316). 182 Sur le privilège de la crosse et de la mitre : cf. supra chapitre i, p. 32. Cette tradition semble bien corroborée par la présence, dans le trésor de Saint-Jean d’Aix, d’une mitre, de deux crosses et même d’une cathèdre épiscopales (CGH, t. 4, no 4708, p. 122-123 ; inventaire du trésor, 1306). 183 Le prieur est mentionné pour la première fois en 1234, dans l’arbitrage avec le chapitre au sujet de l’oratoire des hospitaliers (2 G 8, no 45 ; A. Coste, Le chapitre métropolitain, no 187, p. 189). 184 56 H 4175 (9 mars 1331) ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 284. 185 VGPSG, p. 451.

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en dignité les autres assemblées de frères prêtres186. D’autre part, celui-ci formait une véritable communauté à laquelle le règlement de 1331 rappela les bonnes coutumes de la maison en matière de régime alimentaire, imposa le respect de la clôture et un certain nombre d’obligations, comme la visite de l’hôpital des pauvres infirmes fondé par le maître. La même bulle fixait la portion congrue allouée aux chapelains, aux diacres et aux sous-diacres, sans préciser si ces clercs étaient des réguliers ou des séculiers. Car l’enquête de 1338 distingue bien « les frères chapelains et les autres chapelains séculiers, les diacres, les sous-diacres et quatre clercs187 ». L’appel à des clercs séculiers correspond à une situation ancienne car jamais les ordres militaires ne disposèrent de suffisamment de prêtres dans leurs rangs pour desservir, non seulement leurs propres chapelles conventuelles, mais surtout les églises dont ils avaient obtenu le patronage188. Ainsi, lorsqu’en 1238, le chapitre de Forcalquier donna l’église Saint-Étienne de Tairon aux hospitaliers de Manosque, il fut bien précisé que ceux-ci y entretiendraient un chapelain pour l’administration du culte189. Dans le diocèse d’Aix cette fois-ci, la chapelle de la domus de Saint-Martin de Trets dépendante de la commanderie d’Aix était également desservie par un chapelain séculier assisté d’un clerc190. Sur le recours à ces auxiliaires, la documentation ne livre toutefois qu’un aperçu fragmentaire. On devine que les prêtres figurant dans les listes de témoins faisaient partie de l’entourage de l’ordre191. Les mentions de salaires sont trop rares et impersonnelles pour être exploitables192. Les comptabilités enregistrent encore des débours en vestiaire, nourriture et soins pour des clercs ou des prêtres dont le nom et le statut sont rarement précisés193. Pour l’époque qui nous occupe, ce petit monde clérical gravitant dans l’orbite des commanderies nous échappe donc en grande partie. À Aix, Raimond Tassil, bien attesté comme desservant de la chapelle Saint-Mitre du palais comtal, apparaît également comme chapelain de Saint-Jean en 1256194. Était-ce à titre de prêtre séculier ou bien de frère ? Il ne serait pourtant

186 Il y avait par exemple, en 1338, 14 chapelains aux Échelles et 7 à Puimoisson (VGPSG, p. 100 et 308). 187 VGPSG, p. 464. 188 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 197-201. 189 56 H 4680 (2 mai 1238). 190 56 H 4185bis (7 avril 1264) ; VGPSG, p. 474. 191 Deux clercs témoins au minimum à Manosque : 56 H 4638 (février 1217) ; 56 H 4640 (6 octobre 1231) ; 56 H 4641 (15 janvier 1257), etc. Cependant, comme on l’a remarqué plus haut s’agissant des chevaliers, il arrivait éventuellement que des clercs ne soient pas signalés par leur état et nous échappent donc totalement (M. Bourin, « L’anthroponymie des clercs en Bas-Languedoc : le cartulaire du chapitre d’Agde », in M. Bourin et P. Chareille (dir.), Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne, t. 2-1, Persistances du nom unique, Tours, 1992, p. 137-138). 192 Manosque : CoHMa, § 163 (10 s. pour le salaire d’un clerc non nommé) ; VGPSG, p. 361 (le sacriste de Saint-Pierre paie 6 d. par messe aux prêtres qui célèbrent les anniversaires), p. 364 (1 l. et 5 s. pour le chapelain séculier qui célèbre à Saint-Étienne de Tairon trois jours par semaine). 193 Vestiaire : 56 H 835, f. 37 ; CoHMa, § 23 (clerc de Saint-Pierre), 88 (clerc de la chapelle du palais), 125, 229 (clerc de la chapelle Saint-Blaise), 276, 336, 337 ; viande : 56 H 835, f. 18, 21v ; sucre rose : f. 27 ; infirmerie : 56 H 835, f. 11v ; f. 43v, 44 et 49 ( Johannet, clerc de Saint-Pierre) ; f. 42, 44 (sacriste). 194 56 H 4180 (magister Raimundus Tassilus de Aquitis, capelanus Sancti Iohannis ; 11 janvier 1256). Il s’agit de l’acte par lequel le dit chapelain vend plusieurs biens à Aix à Béatrice de Savoie, qui en fait aussitôt donation à l’Hôpital pour la fondation, à Saint-Jean d’Aix, d’une chapellenie de trois prêtres en la

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nom simple

nom double

W., capellanus (1217) Bernardus, fr., sacerdos (1228-1235) Giraudus, sacerdos et donatus (1251), sacerdos (1256-1267), sacerdos palatii (12601275) Arnaldus, clericus (1263) Johannetus, clericus (1263) Stephanus, sacrista sancti Petri (1271) Stephanus, sacerdos palacii (1275) Dominicus, fr., capellanus (1288), presbiter (1289, 1293), sacerdos (1290), capellanus palatii (1283-1293) Guillelmus, sacerdos (1290)

Willelmus Morre, fr., sacerdos (1217) Isnardus Robertus, fr., sacerdos (1228) W. Maurelli, clericus (1233) Guillelmus Chabaudus, sacrista sancti Petri (1249-1259) Guillelmus Pontii, sacrista sancti Petri (1263, 1264) Petrus Roquerius, sacrista sancti Petri (1267) Bertrandus Ainardus, clericus donatus (1271), sacerdos (1282) Bertrandus Lancea, sacrista sancti Petri (1283-1288) Bertrandus Faber, sacerdos capelle palatii (1283-1290), capellanus capelle palatii (12871288), presbiter (1289) Giraudus Martini, clericus palatii (1287) Poncius Moteti, presbiter (1293) Guillelmus Dalmeya, sacerdos (1300)

Fig. 6. Prêtres hospitaliers attestés à Manosque (classement chronologique)

pas indifférent de savoir que le chapelain personnel de Raimond Bérenger V fût un hospitalier… Le cas de Raimond Tassil illustre la difficulté à cerner les contours sociaux de ce personnel clérical, même limité aux membres conventuels. Le tableau ci-dessus recense les frères prêtres connus à Manosque (fig. 6). Comme on le voit, le nom unique paraît bien résister chez les clercs. Pour autant, on s’empressera de rappeler, une fois de plus, la labilité des dénominations présentes dans les chartes, dans la mesure où un même frère, par exemple Bertrand Faber, peut apparaître aléatoirement avec ou sans cognomen195. D’autre part, on ne déduira rien, d’un aussi maigre échantillon, de la représentation des noms « religieux » – même si on remarque en passant, l’apparition de Dominique et surtout celle de Géraud (deux fois), en un lieu où ce saint guerrier était vénéré. À première vue, l’origine du groupe semble assez peu aristocratique, à l’exception de quelques cas.

mémoire de son époux. Mentions comme chapelain du comte : RACP, no 53, p. 145-149 (24 décembre 1221), no 125, p. 234-235 (26 janvier 1229), no 139, p. 245-246 (2 août 1230), no 296, p. 390-391 (12. juillet 1238) ; Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 162. 195 Sur la persistance du nom unique chez les clercs : M. Bourin et P. Chareille, « Pour les clercs : les mêmes noms mais un système de désignation différent », in M. Bourin et P. Chareille (dir.), Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne, t. 2-1, p. 153-156. En 1338, les cinq chapelains sont désormais tous munis de noms doubles, dont au moins deux (Aycardi, Robini) très probablement locaux (VGPSG, p. 333).

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Le cognomen du sacriste Bertrand Lance, venu de la commanderie d’Aix où il a été prieur (1277-1278), dénote probablement une origine chevaleresque196. Le cas de Guilhem Chabaudus, sacriste de 1249 à 1259 mais qui apparaît aussi comme miles de l’ordre en 1256, pose la question d’une possible homonymie. Le caractère local de ce recrutement ecclésiastique semble, en revanche, mieux assuré : on a déjà rapproché les nomina paterna Faber et Motet de noms existant à Manosque, tandis que Géraud, attesté comme prêtre pendant plus de vingt ans après avoir été donat, est possessionné dans le terroir197. Comme pour les officiers laïques de la commanderie, la reconstitution des carrières se trouve très vite limitée par l’absence d’enquête prosopographique systématique. Je me bornerai simplement à remarquer les passerelles entre les fonctions de sacriste et de prieur d’Aix ou de chapelain du palais (Peire de Mallemort à Aix ; Bertrand Lance, prieur d’Aix puis sacriste de Saint-Pierre ; Estève, prêtre du palais puis sacriste, s’il s’agit bien du même). Comme pour les officiers civils, ces dignitaires ont pu effectuer plusieurs mandats entrecoupés par d’autres fonctions qui nous échappent (Dominique, Peire de Mallemort), à moins que cet effet de discontinuité des fonctions ne provienne des hiatus documentaires. On remarquera enfin que ces desservants conventuels semblent avoir été cantonnés à des fonctions purement religieuses : aucun, à ma connaissance, ne se trouve attesté à une fonction de commandement temporel198. Ce clergé attaché aux commanderies n’évoluait évidemment pas en marge du reste de l’institution ecclésiale. Tant à Aix qu’à Manosque, une série de compositions avec l’ordinaire et avec les chapitres ont fini par circonscrire les attributions spirituelles des églises hospitalières. Les phases critiques dont les arbitrages ont gardé trace font plutôt prévaloir la dimension conflictuelle et concurrentielle des relations entre l’ordre militaire et le clergé séculier. Pourtant, la documentation comptable donne une vision normalisée de ces relations. L’enquête de 1338 mentionne ainsi les coûts engendrés par la visite épiscopale dans les lieux de culte relevant des commanderies à Manosque et à Aix – à l’exclusion des chapelles conventuelles qui jouissaient de l’exemption199. S’il y a quelque risque à projeter sur la situation du xiiie siècle la vision donnée en 1338 – ne serait-ce que parce que ce bilan se fonde sur des dépenses coutumières et moyennes (« communiter ») –, les comptabilités manosquines témoignent bien de rapports réguliers avec l’évêque de Sisteron. Entre 1261 et 1263, furent par exemple notés des frais imputés à l’évêque, sans que l’on sache si ceux-ci se rapportaient à une

196 À rapprocher du chevalier Guilhem Lancemeurtrière (Lanciamortaria), souvent cité auprès des hospitaliers et des templiers de Saint-Gilles entre 1184 et 1193 (CaHSG, no 114, 115, 121 ; CTSG, no 132, 247). 197 En 1267, il échange avec Bérenger Monge une terre qu’il possède en dessous du moulin Soubeyran contre une autre aux Prés Combaux (56 H 849bis, f. 158v-159v ; 4 août 1267). 198 Comme cela a été rappelé au chapitre précédent, rares furent les prêtres de l’ordre à accéder notamment au poste de commandeur – même si on trouvera toujours des cas isolés, comme ce Guillelmus, sacerdos, magister domus Aurasice en 1199 (D. Le Blévec, « L’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem », p. 33). 199 VGPSG, p. 359 (Manosque : visite annuelle de l’évêque de Sisteron et triennale de l’archevêque d’Aix au titre de la chapelle Saint-Pierre), p. 475 (cens et visite à l’évêque de Marseille pour l’église Saint-Martin de Trets), p. 483 (visite de l’archevêque d’Aix à la chapelle de Ginasservis).

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visite effective200. Les commanderies étaient, en tous les cas, tenues d’héberger les gens envoyés par l’évêque ou le chapitre pour prendre livraison des diverses taxes, lorsque celles-ci étaient exigibles en nature201. Plus clair, en revanche, apparaît le déplacement habituel des prêtres de l’ordre au synode, qui semble bien confirmer au passage la régularité de cette assemblée202. En 1338, les commanderies étaient également en communication régulière avec la papauté203. L’appui sur Rome dans la défense des privilèges de l’ordre – y compris lorsqu’il s’agissait de s’affranchir de la fiscalité apostolique – constituait déjà une ligne de conduite sous Bérenger Monge que j’aborderai par ailleurs. * Le vocabulaire de l’Hôpital, comme de tout autre congrégation religieuse, se réfère au lexique de la domus et de la familia. Si la famille biologique est, elle-même, le produit d’un véritable travail d’institution, a fortiori en était-il de même de la famille, spirituelle et seigneuriale, qui habitait la maison de l’Hôpital204. La domus ou bajulia Hospitalis s’est donc institutionnalisée autour d’une norme, autant qu’elle fut le creuset d’une identité propre205. Ne souhaitant pas reprendre le débat, qui souvent confine à l’aporie, sur l’identité des ordres militaires en général et de l’Hôpital en particulier, je m’en tiendrai à quelques impressions inspirées par la documentation provençale206.

200 56 H 835 : in expensis domini episcopi, f. 17 (3e dimanche de mars 1261 : 4 d.) et 35 (1er dimanche de janvier 1263 : 21 s. moins 2 d.) ; collecta domini episcopi, f. 29 (4e dimanche de juin 1262). Pour le xiiie siècle encore, on n’a aucune assurance que la visite épiscopale, même triennale ainsi que le préconisa l’évêque Henri de Suse, fût véritablement régulière (F. Mazel, L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (ve-xiiie siècle), Paris, 2016, p. 319-322). 201 Ainsi qu’il appert d’un accord passé entre le prieur Féraud de Barras et l’évêque et le chapitre de Riez concernant les églises relevant de la commanderie de Puimoisson (56 H 4832 ; 25 août 1246). 202 56 H 835, f. 1v (octobre 1259), 39 (mai 1263 ; sacerdos), 45v (novembre 1263 ; Gerardus, sacerdos palatii), 40v (juin 1263 ; déplacement du clerc Arnaud à Sisteron). Sacriste de Saint-Pierre : CoHMa, § 14 (24 octobre 1283), 45 (28 mai 1284), 66 (22 octobre 1284), 150 (2 juin 1286), 252 (16 mai 1288), 275 (24 octobre 1288), 306 (29 mai 1289) ; chapelain Dominique : § 201 (25 mai 1287) et 357 (21 mai 1290). Ces mentions confirment le règlement de l’évêché de Sisteron de 1173 qui fixait les synodes à l’automne ou à la Pentecôte, mais semblent infirmer en revanche l’alternance des réunions à Sisteron et à Forcalquier (F. Mazel, L’évêque et le territoire, p. 325). Seules apparaissent en effet les convocations à Sisteron. L’unique mention pour le diocèse d’Aix est le versement de la taxe au synode de 1251 (É. Clouzot et M. Prou, Pouillés des provinces d’Aix, d’Arles et d’Embrun, Paris, 1923, p. 7). 203 VGPSG, p. 359 et 469 (dépenses des légats et autres envoyés du pape). 204 Sur la famille comme fiction sociale produite par des rites d’institution : P. Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, 1994, p. 135-145. Rappelons, grâce à Giorgio Agamben, que « habiter », c’est partager « avant-tout des habitus » (G. Agamben, De la très haute pauvreté, p. 28). 205 Une institution est regardée comme « une condensation et une concrétisation de représentations sociales qui deviennent à la fois créatrices d’identité et de contraintes au sein d’un groupe » ( J. Revel, « L’institution et le social », in B. Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, 1995, p. 65). 206 Certains arguments tiennent parfois d’un besoin de démarcation par rapport au sens commun historiographique, voire du marketing éditorial. Je me permets de renvoyer à un exemple récent : D. Carraz, compte-rendu de S. Conedera, Ecclesiastical Knights. The Military Orders in Castile, 1150-1330 (New York,

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Au xiie siècle, dans les chartes, les seuls frères qui fussent associés à une militia étaient les templiers, non les hospitaliers207. Si la dimension chevaleresque de l’Hôpital semblait encore limitée, il n’en était déjà plus ainsi au siècle suivant, même si les deux institutions conservèrent leur dénomination originelle208. On a rappelé la préséance conférée à l’élément chevaleresque par la législation de l’ordre et vérifié le poids de l’aristocratie guerrière dans les baillies gérées par Bérenger Monge. Si ce groupe social ne représentait guère plus d’un tiers des effectifs, il fournissait les principaux cadres dirigeants à la communauté, tandis que la forme de vie adoptée par les hospitaliers semblait imprégnée, en partie au moins, par l’ethos de l’élite guerrière. La présence d’une domesticité nombreuse au service des frères, des conditions matérielles plutôt enviables, une répartition des fonctions à l’image de la société dite féodale : voilà ce qui différenciait, entre autres, une commanderie d’une maison de chartreux ou même d’un monastère cistercien. Dans les années 1300, du moins dans les discours véhiculés par nos sources, le mode de vie et les valeurs chevaleresques étaient encore pleinement associés aux principaux dignitaires de l’ordre. Je me contente de renvoyer à l’image de Foulques de Villaret, ancien prieur devenu maître, chanté par le troubadour marseillais Rostan Berenghier209. À Manosque même, l’entourage du commandeur se donnait un peu des allures de cour châtelaine. Cette impression se précisera lorsque l’on abordera plus particulièrement le cadre de vie du palais ou le faste de l’église Saint-Jean d’Aix. Mais l’on peut concéder d’emblée que la vision romantique du palais de Manosque comme « bâtisse construite pour la guerre plutôt que pour la religion » (Pierre Magnan) n’est pas très éloignée de la réalité210. Pour l’heure, bornons-nous à retenir la présence de ces offices du palais, calqués sur ceux du couvent central, et qui rappellent à l’un ou l’autre échelon ceux d’une cour princière211. La comparaison s’arrête là, toutefois, car on ne saurait assimiler, pour cette époque du moins, l’entourage du commandeur de Manosque et même celui du maître, à une société de cour212. 2015), in Sehepunkte, 16-1 (2016) (http://www.sehepunkte.de/preview/27749). 207 Tenons-nous-en à quelques règlements impliquant les deux ordres : CaTr, no 182 (xiie siècle), 172 (janvier 1198), 173 (mars 1199), 175 (1197-1198) ; CaHSG, no 193 (avril 1203), 202 (février 1204), 329 (frater Jerosolimitanis militie ; 1er octobre 1152). 208 Il n’en demeure pas moins que, de manière générale, la référence à l’action charitable l’emportera toujours sur la dimension militaire dans les formules des bienfaiteurs couchées sur les chartes (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 111-114). 209 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 412-413. 210 P. Magnan, Chronique, p. 30-31. 211 Toute proportion gardée, l’Hôtel des premiers Angevins offre une comparaison proche, même si les services retenus par l’Hôpital furent, en toute logique, bien moins nombreux et étoffés en personnel (A. Venturini, « Sur le fragment de registre-journal de l’Hôtel de Charles II (7 juillet-31 août 1289) », in I. Bonnot (dir.), Marseille et ses rois de Naples. La diagonale angevine, 1265-1382, Aix-en-Provence, 1988, p. 77-90). 212 S’il existait, au palais de Manosque ou même au prieuré d’Aix, une norme qui s’imposait à tous et gouvernait sans doute les comportements, et même si on a pu observer une certaine stratification sociale, l’entourage du commandeur n’avait sûrement pas atteint la taille critique suffisante pour que l’on puisse véritablement parler de micro-société curiale. Pour un utile résumé du modèle de Norbert Elias : É. Anheim, « La Curie pontificale d’Avignon, une société de cour ? », in C. Barralis et alii

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Un autre enseignement est l’existence d’une véritable administration gérant l’échelon local de l’institution hospitalière : il ne s’agit pas là d’une vue d’historien mais d’une représentation présente dans les chartes, donc partagée au moins par les contemporains qui avaient quelques notions de droit213. La répartition des tâches s’inscrit dans une certaine hiérarchie des offices, qui n’était pas tant fondée sur le savoir comme chez les ordres mendiants, que dictée plutôt par l’origine sociale et par des compétences très pratiques. Entre les frères chevaliers et des sergents – terme dont on a vu la rareté dans la pratique avant le xive siècle –, on trouve bien un groupe de clercs, évoluant selon un cursus propre de carrières. Leur place était prééminente au prieuré d’Aix, mais le service de la nécropole comtale rendait le profil de cette maison quelque peu exceptionnel. De plus, prieurs, chapelains et sacristes restèrent soumis à l’autorité du commandeur – donc d’un laïc –, même s’ils disposèrent d’une certaine autonomie dans la gestion de leur église et de ses desservants. Bien sûr, on ne saurait cacher que ce tableau est tributaire des représentations données par des textes essentiellement administratifs ou normatifs, et que si j’avais disposé de sources liturgiques ou d’œuvres mystiques, l’image des hospitaliers provençaux aurait pu s’en trouver enrichie. Pour s’en tenir à ce seul exemple, la maison hospitalière du Grüner Wörth à Strasbourg fut un centre intellectuel d’où rayonna la devotio moderna, mais il s’agit là d’un tout autre contexte et déjà d’une autre époque214. Et même sans chercher à sous-estimer l’importance de l’élément clérical, on n’a pas l’impression que la vie de ces communautés provençales ait été vraiment ordonnée par la liturgie. Une norme existait pourtant, dont la matrice puisait aux sources des mouvements réguliers les plus influents en Orient lors de la fondation de l’Hôpital215. Resterait à savoir jusqu’à quel point cette norme a imprimé un habitus, une forme de vie, aux hospitaliers provençaux sous le commandement de Bérenger Monge ? La micro-histoire en effet, en redonnant aux acteurs une part de rationalité, ne nous a-t-elle pas montré que la norme était faite aussi pour être détournée, ou en tout cas réinterprétée pour un certain avantage216 ?

(dir.), Église et État, Église ou État ? Les clercs et la genèse de l’Etat moderne, Rome-Paris, 2014, p. 189-198. Au moins à partir du xvie siècle, s’est cependant structurée autour du grand maître de l’ordre de Malte une véritable société de cour (A. Brogini, Une noblesse en Méditerranée, p. 279-291). 213 …Hospitale seu ejusdem administratores… (56 H 4640 ; 22 mars 1236). 214 N. Buchheit, Les commanderies hospitalières. Réseaux et territoires en Basse-Alsace, xiiie-xive siècles, Paris, 2014, p. 224-234. 215 La matrice est la règle dite de Raimond du Puy, fortement imprégnée des prescriptions augustiniennes mais inspirée également, semble-t-il, des statuts clunisiens de l’époque de Pierre le Vénérable (B. Martin et alii, Premiers textes normatifs, p. 21-22 ; K. Toomaspoeg, « I cavalieri templari e i giovanniti », in C. Andenna et G. Melville (dir.), Regulae – Consuetudines – Statuta. Studi sulle fonti normative degli ordini religiosi nei secoli centrali del Medioevo, Münster, 2005, p. 397-398). 216 S. Cerutti, « Normes et pratiques, ou de la légitimité de leur opposition », in B. Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience, p. 130-131.

Chapitre iii

L’individu dans le champ institutionnel Le commandeur et ses frères

Après avoir exploré la baillie en tant qu’organisation, avec ses règles, une forme de vie instituée et les fonctions attribuées aux différents membres de la communauté, recentrons désormais le propos sur les individus. Nous allons donc retrouver Bérenger Monge et ses frères en tant que sujets pris au sein de l’organisation hospitalière. Autrement dit, il s’agira d’interroger le rapport de ces individus à l’institution de l’Hôpital1. On envisagera donc, pour ce faire, le positionnement de Bérenger Monge dans le champ de la communauté régulière. Alors que le capital symbolique déterminait la place de l’individu dans la société, le commandeur d’Aix et de Manosque avait atteint une certaine renommée, que je m’efforcerai de mesurer selon plusieurs critères2. Certains d’entre eux, comme les prédicats d’honneur ou le train de vie assuré par les bénéfices prodigués par l’ordre, constituaient des éléments objectifs de distinction. Le rayonnement social transparaît encore, dans toute son épaisseur temporelle, à travers une série d’images fabriquées du commandeur, de signes d’identification, dont on essaiera de remonter le fil. On touchera là la question fort débattue de l’individualisation, c’est-à-dire de la construction de l’individu comme sujet, avec toutes les précautions d’usage requises lorsqu’il s’agit d’appliquer un tel concept à une société de très ancien régime3. À partir du point modal représenté par Bérenger Monge, on tentera enfin de reconstituer son entourage voire le réseau qui, à l’échelle de la commanderie, s’est organisé autour de lui. J’évoquerai donc les frères qui ont contribué, avec lui, à administrer les deux maisons dont il eut la charge pendant près de deux générations. Nous verrons, en d’autres termes, quels hommes se cachent derrière les fonctions présentées dans le chapitre précédent. On entreverra donc des profils de carrières, même s’il ne sera pas question d’entreprendre une prosopographie





1 Pour une proposition visant à dépasser l’opposition entre individus et structures : F. Lordon, La société des affects. Pour un structuralisme des passions, Paris, 2013, notamment p. 7-25 et 123-128. Rappelons tout de même que, dès 1939, N. Elias rappelait que la société ou les « structures » ne recouvraient rien d’autre que les relations d’interdépendance entre les individus (N. Elias, La société des individus [1987], Paris, 1991, p. 37-56). 2 Sur le capital symbolique vu par P. Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, 1994, p. 189. Sur la renommée dans une société médiévale de l’honneur, on s’en tiendra à C. Gauvard, « La fama, une parole fondatrice », La renommée, Médiévales, 24 (1993), p. 5-13. 3 Les sociologues associent plutôt ce processus à la modernité et à ses fondements (comme la démocratie et le marché). Si les historiens ne se sont évidemment pas interdit de rechercher les origines de l’individualisation dans la société médiévale, on n’oubliera pas que dans un système holiste où l’individu ne se concevait pas en dehors du groupe, l’individualisation ne pouvait s’accomplir que par référence à un modèle (C. Bynum, « Did the Twelfth Century Discover the Individual ? » [1980], in Jesus as Mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley, 1982, p. 82-109).

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complète des hospitaliers attestés dans la seconde motié du xiiie siècle entre Aix et Manosque et encore moins de se lancer dans une incertaine sociologie des réseaux. Cela, en effet, aurait nécessité des dépouillements quasi-exhaustifs dans l’ensemble du fonds de l’Hôpital qui dépassent les ambitions de ce travail. Les parcours que je vais retracer, même restitués en pointillés, suffisent tout de même à mettre au jour quelques pratiques sur la répartition des honneurs – entendus en termes de pouvoir et de bénéfices matériels – au sein de l’institution. Enfin, examiner les relations entre le commandeur et le noyau de frères dominants reviendra à interroger les différentes dimensions de l’autorité. On ne cherchera pas à nier que cette autorité reposait alors essentiellement sur des bases personnelles et affectives – d’aucuns diraient un charisme. Mais, des relations personnelles qui lièrent Bérenger Monge à son entourage, les actes de la pratique ne dévoilent rien. En revanche, ils montrent assez bien les mécanismes de l’obéissance – pour ne pas dire du disciplinamento – imposés subrepticement par la norme. Une norme, certes, instauratrice de rapports d’autorité, mais qui n’avait rien d’immanent puisqu’elle était, elle-même, le produit conjugué de décisions collectives et négociées. Une norme, enfin que les frères semblent parfaitement avoir su appliquer à leur avantage. En somme, de l’individu à l’institution, je me hasarderai à envisager l’Hôpital comme un autre « laboratoire de la gouvernementalité »4.

Un capital symbolique Les critères objectifs de la distinction

Bérenger Monge n’aurait pas accédé à la postérité historique s’il n’avait pas, en son temps, disposé d’un capital symbolique, c’est-à-dire d’une forme de reconnaissance et de légitimité sociales qui lui permirent de devenir ce qu’il fut. On l’a vu émerger avec quelques responsabilités à la maison d’Aix en 1246, puis trois années plus tard avec le titre de commandeur de Manosque, où il avait probablement fait ses premières armes comme simple frère. Rappelons toutefois qu’au sein d’une documentation pourtant relativement dense, Bérenger n’apparaît comme simple frère qu’une seule fois à Manosque, un 17 novembre 1239. À en juger par les listes de témoins, dans ces mêmes années, d’autres frères semblaient alors plus en vue ou davantage impliqués dans les affaires de la maison. On pourrait citer Bernard Honorat, régulièrement signalé entre 1228 et 1239, ou encore Géraud Romeus et Raimbaud de Reillanne, assez présents dans ces années 12305. S’il s’agit là de simples frères du rang, des offices déjà bien institués conféraient une certaine autorité à



4 Dans un dialogue constant avec Michel Foucault, Jacques Dalarun a envisagé le monachisme médiéval comme un laboratoire de la gouvernementalité : J. Dalarun, Gouverner c’est servir : essai de démocratie médiévale, Paris, 2012. Sur le renversement de perspective induit par la notion de gouvernementalité dans l’analyse des relations de pouvoir : J. Revel, « L’institution et le social », in B. Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, 1995, p. 75-77. 5 Cf. An. II, C-2.

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leurs détenteurs, comme Isnard de Roca, bayle entre 1230 et 1235, et surtout le sénéchal Isnard qui apparaît souvent entre 1228 et 12366. Mais peut-être ce dernier n’était-il pas de naissance assez relevée ou bien éventuellement déjà âgé. Toujours est-il que c’est Bérenger Monge, qui ferait presque figure de nouvel entrant, qui accéda à la direction de la communauté et non ces frères qui, pourtant, devaient être tout aussi bien informés des affaires de la maison. Ce constat conforterait l’idée que l’homme bénéficia de soutiens puissants et l’on a déjà avancé l’hypothèse d’un lien avec la comtesse Béatrice de Savoie. Mais, outre cela, Bérenger disposait probablement, avant même sa prise de fonction, d’un capital social, d’un prestige naturel dû à son rang. L’accession au poste de commandeur de l’Hôpital ne put qu’augmenter cette « primauté d’honneur », pour reprendre une formule de Noël Coulet, dans le double champ, institutionnel et social7. Il faut souligner d’emblée, même si j’aborderai ultérieurement la question de la nature du dominium exercé par l’Hôpital, que le commandeur représentait par excellence l’incarnation du pouvoir seigneurial. Naturellement, cette position ne pouvait être la même à Manosque, où la population vivait sous la coupe de la seigneurie ecclésiastique, et à Aix où les hospitaliers ne représentaient que des élites de pouvoir parmi d’autres. Pour comprendre ce qu’un homme comme Bérenger Monge pouvait représenter dans la sphère sociale, on postulera encore que le commandeur était associé à l’image de l’institution qu’il représentait. Or, aux yeux de la population et même si la réalité était infiniment plus complexe, l’ordre militaire de l’Hôpital pouvait passer pour une confrérie, certes, régie par des valeurs chrétiennes, mais marquée par l’empreinte chevaleresque. Il s’agit à présent de mettre ces quelques postulats à l’épreuve des discours sur l’éminence sociale perceptibles dans la documentation. Les historiens soucieux de comprendre les critères de la distinction se sont, de longue date, appuyés sur les prédicats honorifiques qui qualifiaient les individus les plus en vue du corps social8. Voici les différentes formules que j’ai pu relever concernant Bérenger Monge en retenant, autant que possible, la première occurrence pour chacune (fig. 7). Pendant près d’une trentaine d’années après son accession au préceptorat, Bérenger semble avoir dû se contenter du simple qualificatif de dominus9. Il faut, en effet, attendre 1279 pour le voir accéder au rang de vir dominus et 1286 pour voir

6 Cf. An. II, B-2. 7 À propos du statut particulier du commandeur d’après l’enquête de 1373 : N. Coulet, « La vie quotidienne dans les commanderies du prieuré de Saint-Gilles de l’ordre de l’Hôpital d’après l’enquête pontificale de 1373 », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, institution des ordres militaires dans l’Occident médiéval, Paris, 2002, p. 155-156. 8 J.-L. Bonnaud, Un État en Provence. Les officiers locaux du comte de Provence au xive siècle (1309-1382), Rennes, 2007, p. 168-173 ; T. Dutour, Sous l’empire du bien. “Bonnes gens” et pacte social (xiiie-xve siècle), Paris, 2016, p. 433-438. 9 Il faut certes tenir compte de la distribution chronologique des actes conservées, dont le pic se place dans la décennie 1280-1290, qui laisse relativement dans l’ombre le début et la fin de la carrière du commandeur (cf. An. I, A, no 1). Il n’en demeure pas moins que, sur plus d’une centaine d’actes entre 1249 et 1279, jamais celui-ci ne reçut d’autres épithètes.

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date

prédicat

9 février 1246

…tibi Berengario Monachi, nomine ejusdem Hospitalis recipienti…

expéditeur

référence

Béatrice de CGH, Provence no 2393 (notaire) Bérenger Monge 56 H 4630 20 octobre …frater Berengarius Monachus, preceptor 1249 domus Hospitalis Iherosolimitani Sancti Johannis (notaire) de Manuascha… 25 octobre …a domino Berengario Monacho, preceptore évêque de 56 H 4630 1251 Hospitalis Ierosolimitane de Manuasca… Sisteron (notaire) 28 juillet …domino Berengario Monachi, comendatori particuliers 56 H 4201 1256 domus Hospitalis Sancti Johannis de Aquis… (notaire) 9 sept. …venerabili et religiosi viri domini Berengarii reconnaissance 56 H 4643 1279 Monachi, preceptoris domus hospitalis Sancti d’un particulier Johannis Jerosolimitani de Manuasca… (notaire) 21 avril …nobilis militis ac religiosi domini fratris élection de 56 H 4180 1286 Berengarii Monachi, preceptoris domus hospitalis sépulture Sancti Johannis Jerosolimitani in civitate de (notaire) Aquis… 21 août …karissimi nostri in Christo fratris Berengarii maître de LPM, 1286 Monagi, preceptoris dicti loci, probitate et l’Hôpital no 44, p. 150 industria plenam fiduciam reportantes… Fig. 7. Prédicats d’honneur appliqués à Bérenger Monge

apparaître l’épithète de nobilis. Ces prédicats, qui n’ont rien d’original, renvoient à la noblesse du personnage et confirment donc l’origine sociale de la famille Monachi telle que je l’ai déjà retracée10. Il est toutefois remarquable que, sur près de 250 documents mentionnant Bérenger Monge, celui-ci ne soit cité comme chevalier que deux fois seulement ! À une époque où les prédicats d’honneur ont tendance déjà à se multiplier, cela surprend un peu et semble confirmer le rattachement du lignage à une petite aristocratie citadine de rang modeste. À partir de 1279, ce sont invariablement les épithètes de venerabilis et de religiosus qui sont associées à la personnalité du commandeur. Les qualificatifs de « religieux » et « vénérable » sont plutôt réservés aux gens d’Église. Associé à venerabilis, vir et nobilis, religiosus est couramment employé pour les dignitaires de l’Hôpital à partir des années 126011. 10 À cette époque, le titre de nobilis ne s’est pas banalisé et s’applique encore à des individus d’une certaine naissance (L. Larochelle, « Le vocabulaire social et les contours de la noblesse urbaine provençale à la fin du Moyen Âge. L’exemple aixois », Annales du Midi, 104 (1992), p. 167-169). 11 venerabili et religioso domino fratri Feraudo de Barratio, priori domus Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani Sancti Egidii (56 H 4827 ; 15 août 1265) ; religiosum virum dominum fratrem Gaufridum Porcelletum, preceptorem domus Sancti Thome de Trencatallis (AFP, no 423 ; 4 janvier 1267) ; venerabilis et discretis ac religiosus vir dominus frater Raimundus de Grassa, gerens vices venerabili et religiosi viri domini fratris Guillelmo de Vilareto, prioris Sancti Egidi prioratus preceptorque Podiomoyssone (56 H 4022 ; 27 juin 1290) ; honestum et

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Là encore, rien de bien original donc concernant Monge, si ce n’est l’insistance sur la dimension religieuse du personnage, plutôt que sur la qualité chevaleresque. Sinon, celui-ci n’inspire que des formules stéréotypées et peu variées, sauf peut-être dans la rhétorique épistolaire où le maître Jean de Villiers peut louer son honnêteté et son investissement12. L’impression qui ressort de ce bref décompte est que le chemin vers l’éminence sociale et la meilleure réputation semble plutôt long et progressif : il fallut une trentaine d’années à Bérenger pour accéder à une respectabilité (venerabilis) que l’on peut sans doute attribuer à l’avancée de l’âge – rappelons que selon l’une de mes hypothèses, Bérenger pourrait déjà avoir autour de 70 ans en 1279. Dans le microcosme hospitalier, seule cette vénérabilité marque la prééminence du commandeur sur d’autres officiers, à qui l’on donne volontiers du religiosus vir, comme au bayle Peire de Saint-Martin13. Mais elle le place bien en dessous du prieur de Saint-Gilles qui a accédé au rang d’illustrissimus ac potens vir, il est vrai au tout début du xive siècle, alors que les prédicats commencent déjà à verser dans la surenchère honorifique14. Cette rhétorique de l’éminence sociale est objectivée par des signes extérieurs de distinction. Au-delà même des relations instituées à l’intérieur de la communauté régulière ou bien vis-à-vis de la population, Bérenger Monge disposait d’un train de vie aisément perceptible au sein de la sphère sociale. On a vu que celui-ci disposait de sa propre familia – on trouve le terme societas appliqué à l’entourage du prieur – composée d’un nombre non défini de serviteurs15. Ces personnages, qui partageaient pourtant le quotidien de leur maître, n’ont guère laissé de traces16. L’écuyer est le seul serviteur dont le nom nous soit parvenu et sans doute n’est-ce pas un hasard, puisque celui-ci devait occuper un rang particulier au sein de la suite. Il s’agit de Guilhem (ou Guilhemet) de Saint-Pierre-Avez, souvent signalé comme donat entre 1273 et 1287, et qui apparaît comme scutifer preceptoris en 128317. Ce garçon que le commandeur avait pris comme compagnon était-il issu d’une famille de la petite noblesse castrale ?

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religiosum dominum fratri Gaufridi Raimundi, militem, preceptorem domus Hospitalis Sancti Johannis ordinis Jerosolomitani prope Trencataliis (56 H 5036 ; 19 mars 1290) ; venerabilis et religiosi domini fratris Gauffridi Raimundi, preceptor Manuasce (56 H 4653 ; 28 février 1300) ; etc. LPM, no 44, p. 150 (21 août 1286). Il s’agit, là encore, de topiques puisque les vertus de probité, diligence, compétence administrative font partie du « profil » attendu de la part des dignitaires des ordres militaires ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 444-447). Arch. mun. de Manosque, Kb 25 (8 novembre 1283) ; 56 H 4644 (13 décembre 1285) ; 56 H 849bis, f. 229v (18 décembre 1285) ; etc. reverendus ac nobilis vir religiosus dominus frater Gaufridus Raymundi, miles ordinis sancte domus Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani, preceptor Arelatensis et Manuasche, tenens locum illustrissimi ac potentis viri religiosi fratris Dragoneti de Montedragono, eiusdem ordinis prior Sancti Egidii in comitatu Provincie et Forchalquerii (56 H 880, f. 7v ; 17 mars 1302). Dragonet de Mondragon bénéficie de toutes manières des épithètes associées à sa haute naissance. La coutume autorisait même l’entretien de servantes, pourvues qu’elles soient âgées (M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre des commandeurs », p. 49). Je présume qu’un certain Guilhem de Fuveau, dit le plus souvent Affuvell(o), était proche de Monge : on le trouve auprès du commandeur dans un déplacement à Puimoisson et il apparaît dans les comptes, pour toutes sortes de dépenses en sa faveur – viande, soins et autres motifs non précisés (56 H 4827 ; 29 décembre 1259 ; et 56 H 835, f. 1v, 3r-v, 4v, 5r-v, 9r-v, 10, 27, etc. ; comptes de 1259-1263). Cf. An. II, C-2.

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Son lieu d’origine était, en tous les cas, intégré aux réseaux de l’Hôpital, puisque s’était établie à Saint-Pierre-Avez, dans les Hautes-Alpes, une commanderie qui entretenait d’ailleurs des liens réguliers avec celle de Manosque. Si l’attachement d’un écuyer à la personne du commandeur n’était pas exceptionnel, la pratique semblait toutefois réservée aux responsables de commanderies importantes18. Il se justifiait par l’entretien d’une écurie propre à ce dignitaire et qui constituait, là encore, un « emblème social » autant qu’un critère hiérarchique dans le champ institutionnel : ainsi, en 1338, le commandeur de Manosque disposait de quatre chevaux lorsque le sous-commandeur n’avait droit qu’à une seule bête19. On ne sait si Bérenger Monge usa du privilège qui lui était octroyé en disposant pour lui-même d’autant de chevaux, mais la présence d’un écuyer suffit à attester qu’il se conformait bien à l’habitus de la militia dont lui-même était issu. On ne peut aller beaucoup plus loin sur les signes extérieurs du paraître dont le commandeur a pu faire montre. Rappelons toutefois que si la législation hospitalière s’est évertuée à condamner la distinction vestimentaire et bien d’autres habitudes aristocratiques – comme les jeux, la chasse ou la compagnie de chiens –, c’est bien pour essayer de discipliner cette noblesse qui formait l’encadrement essentiel de l’institution20. L’image du commandeur

La question de l’image place le propos dans le registre de l’apparence qui, au même titre que les signes extérieurs que l’on vient d’évoquer, situe le sujet dans une sphère sociale et dans un ordre du pouvoir21. Cela dit, de même que la distinction n’existe que par une relation aux autres, l’image de soi ne peut se dessiner que par rapport à un modèle de référence22. Si ce postulat est vrai dans nos sociétés contemporaines,

18 Un armiger ou scutifer est attesté dès le xiie siècle auprès du commandeur de Saint-Gilles (CaHSG, no 59, 76, 216, 257) ou de Trinquetaille (CaTr, no 246 et 299). Au début du xive siècle, le responsable de la plus modeste commanderie de Calissanne dispose également d’un écuyer qui a cette particularité d’afficher également le statut de clerc (Dando, clerico et scutiffero dicti fratris Johannis Alarici ; 56 H 4187 ; 24 septembre 1304). 19 VGPSG, p. 353. Le commandeur bénéficiait encore d’une écurie personnelle (stabuli domini preceptoris ; CoHMa, § 231 ; 21 décembre 1287). Le système de distinction à l’échelle locale était calqué sur le fonctionnement du couvent central où le nombre et la qualité des chevaux octroyés à chaque dignitaire, tout comme la consistance de sa familia, étaient déterminés par le rang ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 213-222). Et sur la valeur matérielle et symbolique du cheval dans l’aristocratie : M. Zimmermann, « Arme de guerre, emblème social ou capital mobilier ? Prolégomènes à une histoire du cheval dans la Catalogne médiévale (xe-xiie siècle) », in Miscel.lània en homenatge al P. Augustí Altisent, Tarragone, 1991, p. 119-157. 20 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 330. Les statuts de 1302 interdisent d’entretenir des chiens (CGH, t. 4, no 4574, § 2). De fait, les seuls canidés relevant de la commanderie gardaient les troupeaux (CoHMa, § 11, 72, 84). 21 M. Aurell, « La noblesse au xiiie siècle : paraître, pouvoir et savoir », in Discurso, memoria y representación. La nobleza peninsular en la Baja Edad Media, Pampelune, 2016, p. 12-18. De manière plus générale, sur l’image (de soi) dans la construction sociale de l’individu : J.-C. Kaufmann, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Paris, 2004, p. 68. 22 Alors que Norbert Elias avait déjà fondé sa réflexion sur le lien d’interdépendance de l’individu avec les autres, Pierre Bourdieu a, quant à lui, montré que la distinction n’était « que différence, écart, trait distinctif, bref, propriété relationnelle qui n’existe que dans et par la relation avec d’autres propriétés »

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que dire de l’univers mental médiéval, lorsque l’imago se trouvait au cœur de l’anthropologie de l’homme fait à l’image de Dieu23 ? J’entends donc partir en quête de l’image de Bérenger Monge au sens littéral du terme, en rappelant toutefois que la seule dimension qu’il est possible d’atteindre est l’apparence du personnage imaginée au travers de quelques supports matériels. Mais nous ne connaîtrons évidemment jamais rien de son apparence physique vraisemblable, puisque celui-ci ne fut pas assez « important » pour susciter un portrait littéraire ou même, par exemple, pour avoir laissé un gisant. Nous ne disposons donc d’aucune représentation de Bérenger Monge qui lui soit contemporaine. La moins lointaine trace, qui se trouve en l’église Saint-Jean de Malte à Aix, est constituée par le bas-relief de la cuve du sarcophage d’Alphonse II de Provence, qui se trouvait originellement à l’entrée du croisillon nord du transept, soit à droite du chœur24 (pl. 7 ; ill. A, no 4 et 5). Si je reviendrai plus en détail sur l’édification de ce mausolée, suivons pour l’instant l’hypothèse la plus commune qui attribue la mise en place du monument à la volonté de Charles Ier d’Anjou, autour de 1275. La destruction du témoin original ne saurait faire oublier l’importance de ce monument qui a pu, au même titre d’ailleurs que l’écrin qui l’abritait, se trouver à la pointe des recherches artistiques du temps. Si la cuve datait peut-être du milieu du siècle, le dais orné dans le goût français et les statues étaient des rajouts attribuables à la commande angevine25. Offrant ainsi l’un des premiers exemples de tombeau isolé sous un dais, l’édifice est également contemporain des expérimentations de la sculpture funéraire, développées notamment dans le milieu pontifical, et marquées tant par un certain réalisme que par une individualisation des sujets représentés26. Ce qui en est resté a malheureusement été fortement dénaturé par la restauration radicale inaugurée en 1828. Le sculpteur Pesetti a pu cependant être guidé par les relevés du tombeau original et par plusieurs descriptions de l’œuvre réalisées par les érudits depuis le xviie siècle. C’est dans l’une des plus anciennes observations, celle de Jean Raybaud, qu’apparaît la première identification de la présence de Bérenger Monge sur le bas-relief du tombeau d’Alphonse II. L’archivaire identifiait en effet (N. Elias, La société des individus, p. 94-95 ; P. Bourdieu, Raisons pratiques, p. 20). Cela pose évidemment la délicate question de la définition de l’identité que Jean-Claude Kaufman invite à penser, non comme une entité, mais comme un processus au cours duquel l’individu ne s’invente pas librement, puisqu’il est « le produit de son histoire, de l’échange avec les contextes dans lesquels il s’inscrit » ( J.-C. Kaufmann, L’invention de soi, p. 90-91). 23 J.-C. Schmitt, « Imago : de l’image à l’imaginaire », in J. Baschet et J.-C. Schmitt (dir.), L’image. Fonctions et usages dans l’Occident médiéval, Paris, 1996, p. 29-37 ; et encore, sur l’homme à l’image de Dieu : O. Boulnois, Au-delà de l’image. Une archéologie du visuel en Occident (ve-xvie siècle), Paris, 2008, p. 47-53. 24 Le monument fut déplacé dans le bras du transept au xviie siècle et conserva cet emplacement après sa reconstruction au xixe siècle, de même pour le tombeau de Béatrice de Provence, déplacé de l’entrée à l’intérieur du croisillon sud (C. de Mérindol, « Les monuments funéraires des deux maisons d’Anjou, Naples et Provence », in La mort et l’au-delà en France méridionale (xiie-xve siècle), Toulouse, 1998, p. 468 et n. 63). 25 J.-P. Babelon, « La tête de Béatrice de Provence au Musée Granet d’Aix-en-Provence », Bulletin monumental, t. 128-2 (1970), p. 119-125. 26 D. Olariu, « Réflexions sur l’avènement du portrait avant le xve siècle », in D. Olariu (dir.), Le portrait individuel : réflexions autour d’une forme de représentation, xiiie-xve siècles, Berne-Berlin, 2009, p. 83-101.

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le commandeur avec le personnage portant un rouleau déplié27. Si l’on accepte d’associer le prieur de Saint-Jean d’Aix au personnage mitré et en prière ou bien, plus probablement, à la gauche de ce dernier, au clerc dont le manteau est attaché par un fermoir ostentatoire, l’identification du commandeur est acceptable28. Outre le manteau, celui-ci apparaît en conformité avec les représentations contemporaines de frères hospitaliers, c’est-à-dire avec la barbe qui, chez les ordres militaires, distinguait habituellement les frères laïques des clercs29 (ill. A, no 4.B). De Haitze l’avait vu avec « la tête rase » et pourtant, sur le bas-relief reconstitué, on croit bien reconnaître la calotte que portaient justement les frères de l’Hôpital et du Temple30 (ill. A, no 5.B). Au moment de la construction du mémorial dynastique, le commandeur bénéficiait d’une éminence sociale suffisante pour se trouver représenté, parmi le haut clergé aixois, sur un tel monument. Éventuellement, qui plus est, sous les apparences d’un âge vénérable – il pouvait avoir, alors, la soixantaine31. Il existe dans la même église, sur le vitrail de la baie axiale, une autre image du commandeur d’Aix, plus conventionnelle encore et, cette fois-ci, entièrement inventée au milieu du xixe siècle. Le médaillon surmontant la lancette de droite comporte en effet le profil de Bérenger représenté la barbe courte et les cheveux gris, en symétrie avec le maître Hélion de Villeneuve placé sur le médaillon gauche (ill. A, no 7.A)32. Voilà donc pour le dossier des représentations de Bérenger. On reconnaîtra qu’il est mince, même si rares sont les commandeurs qui, pour cette époque, pourraient s’enorgueillir d’avoir laissé des traces visuelles, fût-ce par le prisme du revival moyenâgeux du xixe siècle. On peut toutefois essayer d’aller plus loin en convoquant d’autres images situées dans le même champ social et temporel que le commandeur Monge. Dans la petite chapelle de Lugaut, dans les Landes, un commandeur de l’Hôpital est représenté assis de face, sur une manière de trône sans dossier, pour recevoir l’acte de donation du lieu par le sire Amanieu d’Albret. Issue d’un riche ensemble de peintures murales dont la chronologie est encore mal assurée, cette scène semble pouvoir être attribuée aux décennies 1220-1230. Près d’un siècle plus tard, dans le livre des coutumes de Montsaunès cette fois-ci, une miniature représente un commandeur dans une position similaire : l’image commémore ici la remise des coutumes à la communauté villageoise, en transposant probablement à l’époque de l’Hôpital un événement qui

27 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 161. 28 Rappelons qu’il n’est pas inconcevable que le prieur de Saint-Jean fût représenté mitré, même s’il est plus probable d’y voir l’archevêque d’Aix, lequel apparaît déjà, néanmoins, en train de bénir le corps du comte. 29 A. Forey, « Barbe », in DOMMA, p. 140-141. Voyez, par exemple, le groupe de trois hospitaliers représentés en conversation à la cour du pape Benoît XI à Pérouse. L’enluminure du Liber indulgentiae datée de 1343, est reproduite dans H. Nicholson, The Knights Hospitallers, Woodbridge, 2003, plate iv ; et pour le contexte : F. Tommasi, « Giovanniti al servizio dei papi », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, Madrid, 2015, p. 313. 30 P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, capitale de la Provence, t. 1, Aix, 1883, p. 254. Notons que le sculpteur Pesetti n’a pas pu s’empêcher de timbrer le manteau de l’hospitalier d’une grande croix de Malte, qui n’apparaît pourtant pas sur la représentation imprimée par Millin. 31 Une attention nouvelle au corps vieillissant caractérisait justement la sculpture funéraire contemporaine (A. Paravicini Bagliani, Le corps du pape, Paris, 1997, p. 241-242). 32 Les deux personnages sont identifiés par leurs armoiries inscrites à la base du vitrail.

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avait eu lieu lorsque la seigneurie relevait des templiers33. Les deux images confirment d’abord des canons qui devaient bien refléter une certaine réalité : le commandeur, coiffé de la calotte, porte les cheveux mi-longs et la barbe courte. Mais ce que nous retiendrons surtout est le pouvoir symbolique qui se dégage de ces personnages à l’allure hiératique. Dans la posture d’un souverain en trône, vêtus d’un manteau semé de points blancs renvoyant à la majesté, ceux-ci accomplissent une gestuelle qui, dans les deux cas et en dépit de contextes différents, évoque l’hommage vassalique. On touche donc là, me semble-t-il, l’image de soi que pouvait renvoyer Bérenger Monge, en tant que commandeur et seigneur. Cependant, répétons-le, cette image, parce qu’elle envisage surtout « soi-même comme un autre », est difficilement, ou pas seulement, réductible à un processus d’individualisation34. Il s’agit donc d’examiner en quoi d’autres signes, institués pour positionner le sujet dans le champ social, ont éventuellement contribué à sa reconnaissance en tant qu’individu. Les limites de l’individualisation

À la fin de l’analyse d’une transaction passée en 1259 entre deux laïcs, un inventaire moderne des archives rajoutait : « Laquelle vigne se meult de la Religion car a icelle est attache le scel de plomb que soloyent mectre lesd. comandeurs dud. Manoasque en tout leurs contraitz atout lemoings faisans pour icelle lad. commanderie35 ». Les archivistes d’Ancien Régime n’avaient donc pas perdu la conscience de la valeur authentificatoire et contractuelle du sceau36. Cette bulle de plomb, avec croix pattée à l’avers et main bénissante au revers, est bien connue car il en subsiste encore plus d’une dizaine d’exemplaires37 (ill. B, no 14). La matrice dut être gravée dès la prise de possession de la seigneurie de Manosque, en 1209. Le choix de la bulle de métal renvoie, à l’instar

33 Ces deux images sont analysées dans D. Carraz, « Individualisation et maîtrise d’ouvrage. Autour de quelques dignitaires de l’Hôpital dans le Midi de la France (v. 1250-v. 1350) », Revue d’histoire ecclésiastique, vol. 111.1-2 (2016), p. 49-54. 34 Je me permets de détourner ici un titre de Paul Ricœur, même si le dédoublement de l’identité selon les régimes de la mêmeté (que suis-je ?) et de l’ipséité (qui suis-je ?) renvoie à un autre paradigme que celui de l’autre comme modèle – quoique le philosophe envisageât également la relation entre ipséité et altérité ( J. Étienne, « La question de l’intersubjectivité. Une lecture de Soi-même comme un autre de Paul Ricœur », Revue théologique de Louvain, 28/2 (1997), p. 189-215). 35 56 H 68, f. 186v (inventaire de 1531). 36 Accessoirement, comme on le lit ici, ils faisaient également la différence entre les actes passés pour la commanderie et les engagements que les commandeurs pouvaient également contracter en leur nom propre. 37 J’ai repéré l’empreinte de plomb appendue à des actes datés de 1217 à 1267 dans les liasses suivantes : 56 H 4628, 56 H 4629, 56 H 4630, 56 H 4638, 56 H 4640, 56 H 4668, 56 H 4676, 56 H 4677. Celle-ci est éditée par L. Blancard, Iconographie des sceaux et bulles conservés dans la partie antérieure à 1790 des archives des Bouches-du-Rhône, Marseille-Paris, 1860, vol. 1, p. 244, et vol. 2, pl. 95, no 9. Il serait tentant de voir dans le choix iconographique des hospitaliers de Manosque une inspiration puisée chez les évêques de Gap dont le sceau portait au revers le bras bénissant de saint Arnoul ( J. Roman, Sigillographie du diocèse de Gap, Paris-Grenoble, 1870, p. 34 et pl. 2, no 5, pl. 3, no 10-11, pl. 4, no 12-13, pl. 5, no 14-16). Il faut rappeler, en effet, que c’est à partir de Gap que s’est précocement diffusée au sud des Alpes la nouvelle congrégation hospitalière (P. Guillaume, « Origine des chevaliers de Malte et de la commanderie de Saint-Martin de

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de prestigieuses communes provençales, à la souveraineté héritée de l’imperium38. La commanderie, en tant que personnalité morale, disposait donc bien d’une bulle propre qui, à en juger par le nombre d’exemplaires encore conservés, a dû circuler communément à l’échelle de la seigneurie manosquine39. On connaît quelques autres empreintes de commanderies pour la Provence, dont la plus célèbre est sans doute celle d’Orange, où la seigneurie était partagée avec la famille de Baux40. Mais les témoins restent rares et si les deperdita d’empreintes furent sans doute massives, je ne suis pas convaincu pour autant que toute commanderie disposât bien de son propre sceau41. L’usage put même s’en trouver limité par la généralisation du notariat et par l’affirmation des autorités communales. Dans les cartulaires de l’Hôpital de Saint-Gilles et de Trinquetaille, on ne trouve pas la moindre mention de sceaux relatifs à l’ordre dans les eschatocoles ; l’autorité sigillaire par excellence est le consulat d’Arles, loin devant les autres pouvoirs seigneuriaux (archevêque, abbé de Saint-Gilles, comtes de Toulouse…)42. La seigneurie hospitalière de Manosque est donc, en ce domaine également, un cas à part. Les ordres militaires distinguèrent encore les sceaux institutionnels de ceux relevant en propre de tel ou tel dignitaire43. Il faut dire que la codification des pratiques de scellement fut précoce, notamment pour l’Hôpital qui, dès le milieu du xiiie siècle, édicta des statuts détaillés en la matière44. Si ces règlements concernent au premier

Gap », Bulletin d’histoire ecclésiastique et d’archéologie religieuse des diocèses de Valence, Gap, Grenoble et Viviers, 1 (1881), p. 145-159 ; et J. Roman, L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans les Hautes-Alpes, Grenoble, 1884, p. 7-11). 38 L. Macé, « Bullam meam plumbeam impono : le scellement de plomb en Provence rhodanienne (xiiexiiie  siècles) », in C. Blanc‑Riehl et alii (dir.), Apposer sa marque : le sceau et son usage (autour de l’espace anglo‑normand), Caen, à paraître. De même que les communes d’Arles et d’Avignon affichèrent leurs sympathies gibelines sur leur bulle, les hospitaliers de Manosque se souvenaient sans doute qu’ils avaient pu compter sur le soutien de Frédéric Ier dans le conflit qui les avait opposés à Guilhem II de Forcalquier (D. Carraz, « Aux origines de la commanderie de Manosque », p. 145-146). 39 Vers 1894, une bulle de la commanderie fut encore découverte lors de la démolition d’une tour (LPM, p. lxiii). 40 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 265 ; L. Blancard, Iconographie des sceaux, vol. 1, p. 245, vol. 2, pl. 96, no 1 ; É. de Smet, « Le sceau double de Bertrand des Baux, prince d’Orange et des hospitaliers de Saint-Jean d’Orange », Bulletin des amis d’Orange, 94 (1983), p. 4-7. 41 Contrairement à ce que suppose A. Baudin, « Le sceau, miroir de la spiritualité des ordres militaires », in D. Carraz et E. Dehoux (dir.), Images et ornements autour des ordres militaires au Moyen Âge : culture visuelle et culte des saints (France, Espagne du Nord, Italie), Toulouse, 2016, p. 70-71. 42 Si aucun sceau n’est attesté pour la commanderie de Saint-Gilles, on connaît en revanche celui du couvent ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 264-265). L’existence de cette empreinte est digne d’intérêt car elle confirme la personnalité juridique donnée à la sanior pars des frères aux côtés du prieur, sur le modèle du couvent central qui entourait le maître. 43 Ces distinctions sont bien établies, par exemple pour le prieuré de Hongrie-Slavonie où la juridiction gracieuse exercée par les principales commanderies stimula probablement l’usage du sceau (Z. Hunyadi, « (Self)Representation : Hospitaller Seals in the Hungarian-Slavonian Priory up to c. 1400 », in R. Czaja et J. Sarnowsky (dir.), Selbstbild und Selbstverständnis der geistlichen Ritterorden, Torun, 2005, p. 199-212). 44 Ceux-ci sont édités par J. Delaville Le Roulx, « Note sur les sceaux de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem », Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, 41 (1880), p. 54-56 (d’après une copie du premier tiers du xive siècle dans BnF, fr. 6049, f. 298-299). Sur ces statuts et sur les sceaux des baillis conventuels : J. Burgtorf, The Central Convent, p. 195-201.

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chef les officiers du couvent central et les prieurs, il semble que très tôt – à défaut de remonter au « commencement de l’institution de l’Ordre » comme le prétend Raybaud –, les commandeurs purent disposer d’une matrice personnelle45. En l’absence de tout inventaire systématique, on ne peut présumer de la proportion des commandeurs qui usèrent véritablement de ce droit et encore moins envisager une chronologie de la pratique46. Il est intéressant de relever néanmoins qu’un dynamique commandeur de Manosque, Faucon de Bonas (1228-1236), disposa bien d’un sceau personnel à ses armes47. En outre, au-delà de la validation des actes de la pratique, d’autres usages du scellement devaient nécessiter la possession d’une matrice personnelle par certains officiers. Ainsi, on ne sait encore rien de précis sur le scellement des sacs contenant de l’argent dans le cadre des transferts de responsions. Pourtant, la comptabilité du clavaire du prieuré de Toulouse suggère que les commandeurs devaient bien disposer d’une empreinte pour cacheter les dits sacs48. Au demeurant, et c’est là que je veux en venir, sur quelque 150 pièces originales témoignant des actions de Bérenger Monge, je n’ai pas retrouvé la moindre trace de l’utilisation d’une empreinte privée par ce commandeur, ni à Manosque ni encore moins à Aix. Certes, l’existence d’une bulle personnifiant la commanderie rendait moins nécessaire, pour les dignitaires qui étaient à sa tête, l’usage d’un signum propre. Mais il me semble surtout que Bérenger vivait déjà à une époque où le scellement, sans disparaître pour autant, avait commencé à s’effacer devant la capacité authentificatoire des notaires. Un repérage empirique des traces de scellement sur les actes originaux instrumentés par les notaires manosquins témoigne d’un usage courant jusqu’au milieu du xiiie siècle. Par la suite cependant, les notaires prennent plus rarement la peine de 45 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 266. Si la réglementation elle-même dut être plus tardive, il n’en demeure pas moins que, dès 1119, le couvent central disposait d’un sceau ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 195). 46 Le relevé soigné concernant la Champagne – qui dépasse en réalité le cadre de ce prieuré – ne répertorie qu’un seul sceau de commandeur ( J.-M. Roger, « Les sceaux de l’Hôpital en Champagne jusqu’à l’“oppugnation” de Rhodes (1253-1522) », in J.-L. Chassel (dir.), Les sceaux, sources de l’histoire médiévale en Champagne, Paris, 2007, p. 65-66). La Provence semble mieux lotie, à en juger par les quelques exemplaires déjà recensés pour les commandeurs hospitaliers et templiers (L. Blancard, Iconographie des sceaux, vol. 1, p. 240-243 et 246-248). Des sources jamais convoquées, tels les comptes, accroîtraient sans doute le nombre de mentions. En 1253, l’inventaire des dépouilles de Jourdain de Saint-André, commandeur de Castelsarrasin, mentionne ainsi son sceau parmi quelques effets précieux conservés dans un coffre (56 H 2624, f. 9). 47 AN, coll. sup. 4896 (moulage). Il est mentionné comme appendu aux deux chirographes comportant le règlement de 1234 avec la communauté (sigillari sigillo fratris Falconis de Bonacio, preceptoris Hospitalis vallis Manuasce tunc temporis, LPM, no 4, p. 24 ; original : Arch. mun. de Manosque, Bb 1). Au milieu du xixe siècle encore, l’acte original comportait les trois sceaux : outre celui du commandeur, ceux de la commanderie et du prévôt de Forcalquier (D. Arbaud, Rapport à M. le Préfet des Basses-Alpes sur les archives municipales de Manosque, t. 1, Les privilèges, Digne, 1844, p. 81). 48 …quod debet idem A. Johannis c.lx v. lb. minus iii s. et v d. thol. pro quibus solvit nobis in vi saccis ccc lb. turonensis que sunt suo sigillo signaci […]. Pro quibus reddidit [frater R. de Castro Sarraceni] ii saccos suo sigillo sigillatos in quibus est h. signatura et sunt ibi c.ii march. […]. De quibus reddidit [A. Johannis] die mercuri ante sanctum Johannis vi saccos suo sigillo sigillatis in quibus sunt ccc lb. (56 H 2625, f. 44v-45v et 50v : sommes reçues de diverses maisons de la partie toulousaine du prieuré de Saint-Gilles, après Pâques 1257).

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faire doubler leur propre seing par une autorité sigillaire. Ainsi, il est exceptionnel que les instruments écrits par Sitius d’Arezzo, notaire attitré au service de la commanderie entre 1251 et 1292, comportent une trace de scellement49. Il est significatif que l’un des rares cas attestés pour Sitius soit un acte un peu spécial, puisqu’il s’agit d’un échange de terres entre Bérenger Monge et Géraud, chapelain du palais, effectivement muni de la bulle de la commanderie50. Il est possible cependant, notamment entre le xive et le xvie siècles, que les individualités de l’Hôpital réservèrent l’usage d’un sceau propre aux actions qu’ils intentaient personnellement, en dehors des affaires de l’ordre51. Bérenger Monge se situerait alors dans une phase de transition entre deux types de pratique, qui verrait glisser l’usage d’un signe propre à des fins institutionnelles à une privatisation croissante des affaires52. Ce n’est donc pas à travers cette mise en signe de l’identité individuelle objectivée par le sceau que Bérenger Monge a pu prendre conscience de soi53 ! Le contraste est saisissant avec son prestigieux contemporain, le prieur Féraud de Barras, dont l’empreinte est connue. Celui-ci choisit de se faire représenter en buste, la gauche du manteau timbré d’une grande croix et les mains croisées sur la poitrine54 (ill. B, no 15). Ici, le visage imberbe et la coupe à dorelot se rapprochent davantage des prieurs d’Auvergne peints au chœur de la chapelle de Chauliac dans le premier tiers du xive siècle, que des hospitaliers barbus et couverts d’une calotte évoqués

49 À partir de la fin du xiiie siècle, dans les chartriers de l’Hôpital, on ne trouve plus guère que les bulles de plomb des maîtres, puisque la chancellerie de Rhodes resta attachée à cette marque de souveraineté : Jean de Villiers (bulle décrite dans le privilège du 31 août 1293 ; LPM, no 36, p. 122), Guillaume de Villaret (Arch. mun. de Manosque, Ab 2 = Blancard, p. 250, pl. 97, no 4), Hélion de Villeneuve (56 H 4634 = Blancard, p. 251, pl. 97, no 5), Déodat de Gozon (56 H 4199, 56 H 4635), etc. 50 56 H 4677 (4 août 1267). 51 La plupart des sceaux évoqués par Raybaud et comportant des armoiries familiales sont de la fin du Moyen Âge, alors qu’à partir du début du xive siècle, certains dignitaires se munirent d’un « sceau du secret » servant à cacheter leur correspondance privée ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 266-269). Évidemment, cela ne signifie en aucun cas que le sceau ait perdu de sa valeur juridique. Je ne citerai qu’un long procès intervenu en 1377 entre l’Hôpital et la communauté de Manosque où, parmi les nombreuses pièces produites par les parties, l’examen et la description des sceaux firent l’objet d’une attention particulière (Arch. mun. de Manosque, Ff 13). 52 Ceci dans le cadre d’une mutation des modes de gestion, au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge, qui a vu les biens de l’Hôpital passer sous le contrôle personnel d’une élite de frères (D. Carraz, « Administration, délimitation et perception des territoires dans l’ordre de l’Hôpital : le cas du prieuré de Saint-Gilles (xiie-xive siècle) », in M.-A. Chevalier (dir.), Ordres militaires et territorialité au Moyen Âge entre Orient et Occident, Paris, 2020, p. 331-339). 53 Parmi les nombreux travaux de Brigitte Bedos-Rezak qui ont renouvelé la sigillographie en s’appuyant sur la sémiotique, je m’en tiens à : « Medieval Identity : a Sign and a Concept », American Historical Review, 105/5 (2000), p. 1489-1533 ; et When Ego was Imago : Signs of Identity in the Middle Ages, Leyde-Boston, 2011, notamment p. 55-71. 54 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 266, no 12 ; L. Blancard, Iconographie des sceaux, vol. 1, p. 245. La légende développée est : +S(igillum) fr(atr)is F(eraudus) magni prec(e)pt(oris) Hospitalis cismarini. Deux exemplaires semblent attestés dont l’un scellait, encore au temps de Blancard et de Delaville le Roulx, la transaction du 28 juillet 1262 avec Charles Ier (56 H 4631 = CGH, t. 3, no 3035). Je remercie Arnaud Baudin de m’avoir fourni le cliché du moulage des AN et, de manière générale, de ses conseils sigillographiques.

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plus haut55. Certes, Barras ne fut ni le premier ni le dernier dignitaire de son rang à disposer d’un sceau – les empreintes de Bertrand de Comps et de Guillaume de Villaret ont notamment été conservées56. Mais ce qui interpelle, c’est le choix du motif iconographique, sur le mode d’une image à la ressemblance de la personne57. Fréquent pour les prélats, ce type de représentation de face et à mi-corps est très rare pour un frère d’un ordre militaire58. Toutefois, s’il s’agit bien de Féraud de Barras, ce n’est pas en tant que prieur qu’il a usé de ce sceau, mais en tant que grand commandeur deçà-mer, titre peut-être plus prestigieux que ce frère a également porté entre 1259 et 126259. À la différence de Bérenger, Féraud a donc choisi de se faire représenter par son double, une véritable imago à sa « semblance » capable d’agir en son absence même60. Véritable « icône du pouvoir », pour reprendre l’expression de Brigitte Bedos-Rezak, le sceau renvoie davantage à la puissance d’une catégorie sociale qu’à celle d’un individu particulier61. Toute la différence de dignité au sein de l’institution, mais sans doute aussi de stature sociale – car les Monachi n’égalaient pas les Barras en réputation – se trouve donc résumée dans

55 J.-B. de Vaivre, « Peintures murales disparues ou en péril d’anciennes chapelles de l’ordre des hospitaliers », Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, 150 (2006), p. 1045-1055 ; M. Charbonnel, « Mémoire christique, mémoire de l’ordre. Les peintures de la chapelle Saint-Jean de la commanderie hospitalière de Chauliac (Puy-de-Dôme) », in D. Carraz et E. Dehoux (dir.), Images et ornements, p. 104-107. Caractéristique de la mode aristocratique masculine au siècle de Saint Louis, la coupe à dorelot finit de s’épanouir au xive siècle (C. Enlart, Manuel d’archéologie française, vol. 3, Le costume, Paris, 1916, p. 133). 56 Empreintes appendues à des actes de 1232 et 1234 pour le premier (56 H 4668, 56 H 4175) et de 1283 pour le second (56 H 4675). Il s’agit à chaque fois d’une empreinte uniface de cire brune, représentant un Agnus Dei passant vers la gauche, avec la légende +Sigillum prioris sancti Egidii. Et pour d’autres exemplaires (appendus à des actes de 1255, 1271 et 1272) : L. Douët d’Arcq, Collection de sceaux des archives de l’Empire, t. 3, Paris, 1868, no 9927-9929. Il s’agit bien du sceau du prieur et non du prieuré, mais sans que figure le nom du détenteur de la charge, conformément aux statuts ( J. Delaville Le Roulx, « Note sur les sceaux », p. 55, § 11 et p. 75-77). Toutefois, la distinction entre le sceau du prieur et celui du prieuré ne fut pas toujours très claire (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 231-232). 57 Sur le lien entre débats théologiques des années 1100 et théorie de la ressemblance sigillaire : B. Bedos-Rezak, « Une image ontologique : sceau et ressemblance en France préscolastique (1000-1200) », in A. Erlande-Brandenburg et J.-M. Leniaud (dir.), Études d’histoire de l’art offertes à Jacques Thirion. Des premiers temps chrétiens au xxe siècle, Paris, 2001, p. 39-50. 58 Ce sceau peut être rapproché de celui de certains archevêques d’Arles ou de l’évêque d’Avignon (L. Blancard, Iconographie des sceaux, vol. 1, p. 122-123 et 146, vol. 2, pl. 63, no 1, 2, 3, 5, et pl. 70, no 2). Il n’est pas exclu non plus qu’il ait pu s’inspirer de l’empreinte de l’abbaye de Saint-Gilles où ne figure pas l’abbé, mais le saint patron (ibid., vol. 1, p. 229-230, et vol. 2, pl. 92, no 5 et 6). À défaut d’image en buste, la représentation en pied est attestée chez les hospitaliers, par exemple pour la commanderie hongroise de Székesfehérvár (Z. Hunyadi, « (Self)Representation », p. 204-205). 59 An. II, D-1, no 5. 60 Comme l’illustre l’exhibition d’une autre matrice du dignitaire, objectivant ici la fonction de prieur et non celle de grand commandeur : G. Scriptor, preceptor domus Montempessulanum […] fecit legi litteras procuratorias quas habebat a domini fratre F. de Barracio, priore Sancti Egidii, et ostendit sigillum ipsarum litterarum […] dicti fratres et ipse Poncius viso cognoverunt et confessi fuerunt esse sigillum eiusdem domini prioris (56 H 2625, f. 34v ; 15 août 1257). 61 B. Bedos-Rezak, When Ego was Imago, p. 58 (pour l’expression « icons of power ») et 156-158.

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l’absence ou la présence de ce petit signum de cire qui véhiculait une véritable dimension performative62. Si Bérenger Monge posséda jamais une matrice personnelle, celle-ci n’a, en tout cas, pas laissé d’indice. Pourtant, le commandeur disposa bien d’armoiries, cet autre signe identitaire placé par les historiens au cœur des mécanismes d’individuation63. Jean Raybaud, on l’a vu, a sauvé l’unique mention de ses armes qui avaient figuré, jusqu’à la fin du xviie siècle, au mur du chevet de Saint-Jean d’Aix, à la droite de la baie axiale (ill. A, no 8). Probablement imprégné par l’habitus d’une noblesse qu’il côtoyait quotidiennement, l’archivaire s’est en effet intéressé aux armoiries des hospitaliers64. Il observe que c’est au xiiie siècle qu’apparut l’usage, pour les prieurs et les commandeurs, de placer leurs armes sur les bâtiments de leurs commanderies. Il rajoute que les édifices qui portaient ces plus anciennes armoiries avaient déjà disparu à son époque, mais il évoque un certain nombre d’armes, alors encore visibles, de prieurs à partir de Guillaume de Villaret. Depuis ce dernier dignitaire au moins, les « magnats » de l’Hôpital avaient en outre pris l’habitude de faire mettre leurs armes sur les objets sacrés qu’ils offraient aux églises de leur ordre. C’est ainsi que le trésor de Saint-Jean d’Aix contenait au moins un bassin d’argent et une chasuble de laine rouge respectivement aux armes du prieur Foulques de Villaret et de son successeur Dragonet de Mondragon65. Cependant, chez les frères des ordres militaires comme pour l’aristocratie laïque, les premières armoiries ont été conservées par les sceaux66. En l’état des connaissances, le plus ancien exemplaire relatif à un frère provençal était appendu à un acte de 1210, ce qui l’inscrit pleinement dans la chronologie de la diffusion de l’héraldique au sein de l’aristocratie régionale67. Il y a donc toutes chances pour que Bérenger Monge, rejeton d’une honorable famille chevaleresque, disposât bien d’armoiries. Échiqueté d’argent et de gueules, les armes de Bérenger Monge peintes au chevet de Saint-Jean d’Aix étaient en outre surmonté d’un casque68. Toute la question est de savoir si cette mise en signe de la personne du commandeur fut bien commanditée 62 Ce n’est sans doute pas un hasard si, parmi les rares empreintes personnelles de commandeurs connues pour le xiiie siècle, a été repérée celle d’un Guilhem de Barras, commandeur de Gap. Armoriée sur les deux faces, celle-ci scellait un acte du 31 juillet 1220 ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 269). 63 Rappel sur cette question : C. Girbea, L. Hablot et R. Radulescu, « Rapport introductif : identité, héraldique et parenté », in C. Girbea et alii (dir.), Marqueurs d’identité dans la littérature médiévale : mettre en signe l’individu et la famille (xiie-xve siècles), Turnhout, 2014, p. 7-24. 64 « Dissertation sur les diferants usages observés dans le prieuré de St Gilles au suiet des armoiries » (Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 628-631). 65 CGH, t. 4, no 4708 (inventaire de 1306) ; Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 629 (d’après un inventaire de 1356). 66 M. Pastoureau, « L’héraldique en Provence médiévale », Chronique méridionale. Arts du Moyen Âge et de la Renaissance, 2 (1983), p. 59-63. 67 Il s’agit du sceau d’Arnaud de Campagnolles, commandeur de Trinquetaille (c. 1196-1210), figurant une croix à double traverse, et appendu à un acte de l’archevêque d’Arles ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 2, p. 266-267). Sur la distribution chronologique des sceaux armoriés à partir du corpus de Blancard : M. Aurell, « Autour de l’identité héraldique de la noblesse provençale au xiiie siècle », Médiévales, 19 (1990), p. 18-19. 68 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, p. 109-110.

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de son vivant. À priori, si l’on se fie aux armoriaux, l’écu surmonté d’un casque est plutôt un type iconographique représentatif du xive siècle, notamment des années 1375-1400, même si l’on peut en trouver quelques attestations avant le milieu du siècle69. Cependant, les ordres militaires ne furent pas les derniers à affectionner les décors héraldiques dont quelques vestiges peints, encore conservés dans le Midi, remontent à la charnière des xiiie et xive siècles70. Au début du xive siècle, Saint-Jean d’Aix elle-même pouvait apparaître comme un véritable « musée héraldique », à en juger par la mention de vingt-huit écus apposés aux parements de l’église, auxquels s’ajoutaient les armes inscrites sur les monuments funéraires71. Rappelons en outre que les armoiries des Monachi étaient associées à une inscription peinte, à gauche de la baie axiale, afin d’exalter le commandeur en edificator de l’église. Il y a donc tout lieu de penser que ces armes furent peintes à la suite de l’agrandissement de l’église conventuelle devenue nécropole dynastique, dans les années 1270, voire dès la première reconstruction une vingtaine d’années auparavant72. Qu’elles aient été par la suite repeintes et remises au goût du jour, notamment par l’ajout d’un casque surmontant l’écu, n’a rien d’improbable. Ces armes peuvent apparaître relativement originales dans le paysage héraldique de l’aristocratie provençale : ce sont les motifs à charge symbolique (étoile, croix), tirés du bestiaire (lion, sanglier, aigle) ou d’éléments d’architecture (tours, château) que les milites adoptèrent plutôt73. Le choix de l’échiqueté pourrait, une fois de plus, confirmer le caractère urbain et, finalement, assez peu guerrier des Monachi. Dans la symbolique héraldique, l’échiqueté renvoie volontiers à l’ambivalence ou, en tout cas, à une connotation dynamique, au passage d’un état à un autre74. Voilà qui pouvait convenir à un lignage, qui avait 69 M. Pastoureau, L’art de l’héraldique au Moyen Âge, Paris, 2009, p. 145-146 et ill. no 29, 34, 49, 53, 56, 72, 80 et 88 (le casque à cimier se retrouve dans l’iconographie liée aux teutoniques au moins depuis 1300). 70 Voir notamment les cas des templiers à Périgueux et à Cahors (fin xiiie-début xive siècle) et des hospitaliers à Pernes (1323-1331) et à Chauliac (D. Carraz et Y. Mattalia, « Images et ornements. Pour une approche de l’environnement visuel des ordres militaires dans le Midi (xiie-xve siècle) », in D. Carraz et E. Dehoux (dir.), Images et ornements, p. 49-53 ; et M. Charbonnel, « Mémoire christique », p. 104-105). 71 Item viginta octo scuta, posita in paramento ecclesie supra dicte (CGH, t. 4, no 4708 ; inventaire de 1306). Le tombeau du prieur Dragonet de Mondragon († 1310) affichait ses armes avec celles de l’ordre (ms. 338, p. 205 – dessin du tombeau – et 629), tandis que le bouclier peint aux quatre pals de gueules sur fond d’or était suspendu au-dessus du gisant d’Alphonse II de Provence (M. Aurell, « Nécropole et donats : les comtes de la Maison de Barcelone et l’Hôpital », Provence historique, 45 (1995), p. 16). L’exposition des écus dans les églises était par ailleurs une pratique fort répandue (L. Hablot, « L’héraldisation du sacré aux xiie et xiiie siècles. Une mise en scène de la religion chevaleresque ? », in M. Aurell et C. Gîrbea (dir.), Chevalerie et christianisme aux xiie et xiiie siècles, Rennes, 2011, p. 219-220). 72 Je reviendrai au chapitre vi sur la chronologie de ces reconstructions. 73 M. Aurell, « Autour de l’identité héraldique », p. 17-28. À partir d’un échantillon certes réduit, Martin Aurell n’en relève pas moins le « caractère élitiste » de l’héraldique provençale, d’abord réservée aux familles les plus anciennes (p. 19). 74 M. Pastoureau, « L’arrivée du jeu d’échecs en Occident. Histoire d’une acculturation difficile », in Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, 2004, p. 285. Relevons toutefois que les armes familiales d’un important dignitaire comme Odon de Montaigu, prieur d’Auvergne (1312-1344), adoptent encore le motif de l’échiqueté à la fasce brochant ( J.-B. de Vaivre, « Peintures murales disparues », p. 1053-1054).

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probablement compté au moins un moine dans son ascendance mais qui réussit à se hisser au niveau de la militia. Dans le quotidien de ses activités, Bérenger Monge n’utilisa donc peut-être pas de matrice susceptible de le représenter dans sa fonction. Mais il inscrivit bien le signum de sa personne aux yeux de tous, en arrière du chœur, sur les murs de l’un des principaux lieux dévotionnels de la cité aixoise. Peut-être entendait-il transmettre ici, et à perpétuité, une mémoire de lui-même. Après être restée imprimée sur les murs pendant près de quatre siècles, celle-ci ne sombra pas complètement dans l’oubli pour autant… Or, si Bérenger Monge accéda à une certaine postérité, c’est qu’il eut à la fois le temps et les moyens matériels de marquer de son empreinte les deux lieux où s’exerça son pouvoir. Son administration s’inscrit en effet dans un temps de mutation institutionnelle pour l’Hôpital, caractérisée par une affirmation des officiers de la baillie.

Un vénérable père à la tête de sa familia Une assise matérielle

Au cours des xiie et xiiie siècles, la succession des frères aux différents postes d’officiers, à l’Hôpital comme au Temple, était plutôt caractérisée par un turn over assez rapide. Malgré les aléas documentaires, plusieurs études de cas ont établi qu’un commandeur restait en place en moyenne deux ou trois années, même s’il y eut toujours, çà et là, des carrières marquées par un enracinement exceptionnel au même poste75. Selon Raybaud, toutefois, dès les années 1240 s’introduisit l’usage de confier la charge de prieur mais également de commandeur pour dix ans76. Or, l’idée d’octroyer une commanderie pour une longue durée, voire même à vie, semble avoir été progressivement admise, jusqu’à être entérinée par les statuts du début du xive siècle77. Cette pratique entrera définitivement dans les us au cours de ce siècle, à la faveur d’une forme de « patrimonialisation » du mandat de commandeur78. Qu’en

75 Ph. Josserand, « La figure du commandeur dans les prieurés castillans et léonais du Temple et de l’Hôpital : une approche prosopographique (fin xiie-milieu xive siècle) », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), Ordens militares. Guerra, religião, poder e cultura, vol. 1, Palmela, 1999, p. 158-161. J’ai essayé d’établir des moyennes assez précises sur la durée d’existence de l’ordre du Temple, qui suggèrent même une accélération du rythme des mutations à la charnière des xiiie et xive siècles (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 309-310). 76 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 155. 77 CGH, t. 4, no 4550, § 1 et 19 (statuts du 22 octobre 1301). Je nuancerais l’analyse de Philippe Josserand qui explique le rythme relativement rapide des rotations des commandeurs au cours du xiiie siècle par le contrôle croissant que les chapitres provinciaux exercèrent sur les nominations (Ph. Josserand, « La figure du commandeur », p. 159). Dans les statuts cités, le contrôle du chapitre est bien réaffirmé mais, on le voit, sans vraiment conjurer l’allongement de la durée des mandats. 78 Au xive siècle, l’allongement de la durée des mandats sera même renforcé par deux types de bénéfice. Le premier est la commanderie de grâce dont la première attestation intervient dès 1262 : il s’agissait d’une concession viagère effectuée directement par le maître et le couvent central ( J. Riley-Smith,

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est-il du cumul des charges ? Si je m’en tiens aux indications fournies par Raybaud, Bermond de Luzençon, qui fut à la fois commandeur d’Avignon (1220-1230) et de Trinquetaille (…-1227-…), constitua l’un des premiers cas attestés de cumul pour la Provence79. Une cinquantaine d’années plus tard, le chapitre général acceptait la possibilité de réunir deux commanderies, si celles-ci n’étaient pas trop éloignées l’une de l’autre, mais présentait encore la situation comme exceptionnelle80. Également perceptible pour le Temple, cette tendance a été expliquée par une volonté de rationaliser l’administration des commanderies : comme il fallait, de toute façon, assurer le train de vie des commandeurs, il aurait été plus économique de leur confier la direction de deux maisons81. De ce contexte institutionnel, il ressort que la position de Bérenger Monge fut, pour son époque encore, plutôt inhabituelle. En monopolisant ainsi pendant une cinquantaine d’années la direction de deux des plus prestigieuses commanderies du prieuré, celui-ci annonçait plutôt le type d’hospitalier « oligarque » du siècle suivant82. Ainsi, ses successeurs ajouteront tous à la direction de Manosque, le bénéfice d’une autre commanderie au moins83. Comment Bérenger partagea-t-il son temps entre ses deux maisons ? La distorsion entre les deux fonds documentaires tend logiquement à accentuer l’impression qu’il fut essentiellement actif à Manosque et très peu présent à Aix. S’il faut se garder de cette idée sommaire, on n’a guère d’autre choix, malgré tout, que de se fier aux attestations effectives de l’homme dans les deux lieux (tabl. 3). Sur les 46 années documentées, sont signalées deux années au cours desquelles il vécut à Manosque un minimum de neuf mois – dont cinq mois consécutifs d’avril à août en 1261 et six mois de janvier à juin en 126284. Sept mois au minimum de présence sont attestés pour trois années (1263, 1283, 1286) et cinq mois pour trois autres années (1271, 1287, 1293). Ce décompte, certes partiel, semble suggérer que Bérenger passait bien l’essentiel de son temps en Haute-Provence. Pondéré par les lacunes documentaires,

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The Knights of Saint John in Jerusalem and Cyprus, c. 1050-1310, Londres, 1967, p. 349-350). Le second est la chambre (camera) qui était, de même, un revenu ou le plus souvent une commanderie, attribué à un dignitaire pour ses besoins personnels ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 149-150). CaHAv, p. 235. Toutefois, le statut du personnage était un peu particulier, puisque celui-ci avait occupé la charge de prieur de Saint-Gilles, au cours de deux mandats (1211-1213 et 1218-1219), entrecoupés par un séjour en Arménie ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 115-118 et 125-127 ; M.-A. Chevalier, Les ordres-religieux militaires en Arménie cilicienne, Paris, 2009, p. 346). Il était issu d’une famille rouergate proche des ordres militaires : selon Raybaud, Bernard de Luzençon, commandeur de Trinquetaille (1207-1208) était son oncle, et l’on connaît également Bertrand de Luzençon, commandeur de Manosque (1194). Enfin, on retrouve encore un Bermond de Luzençon, commandeur de Manosque en 1217 (F. Reynaud, La commanderie, p. 206). CGH, t. 3, no 3396, § 12 (statuts du 15 juin 1270) ; cf. aussi ms. 338, p. 599. Pour un résumé des discussions là-dessus : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 311-312. Notons qu’à deux reprises, en 1257 et 1264, Bérenger agit en tant que commandeur de l’Hôpital Saint-Martin de Trets (56 H 4185 bis). Toutefois, il ne s’agit pas tant, ici, de cumul mais plutôt de manifester le rattachement de la maison de Trets à la commanderie d’Aix par le biais de son responsable. Isnard de Flayosc : Manosque (1298-1300) et Puimoisson (1292-1301) ; Raimond Jaufre : Manosque (1300-1304) et Arles ; Hélion de Villeneuve : Manosque et Puimoisson en tant que chambres prieurales (1314-1330), etc. Ces années les mieux documentées sont aussi celles qui sont couvertes par les comptes (56 H 835).

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ce constat n’exclut en rien la possibilité que les longs séjours à Manosque aient été ponctués par de fréquents allers-retours vers Aix, qui se trouvait à moins de deux journées de cheval85. En février et mars 1271 par exemple, Bérenger résidait bien à Manosque, mais le 28 février, on le trouve à Aix pour une acquisition foncière86. De toutes manières, les échanges de messagers entre Aix et Manosque étaient fréquents et Bérenger devait pouvoir, dans des délais raisonnables, gérer par correspondance les affaires de la maison d’où il était absent87. Il est encore plus aléatoire d’essayer de déterminer si l’homme avait des habitudes saisonnières, car le décompte cumulé pour chaque mois passé à Manosque ne donne rien de probant88. Qu’en dire donc, si ce n’est que Bérenger semblait affectionner le mois de mai, sans craindre pour autant d’affronter les rudes hivers alpins, abrité dans ses appartements du palais ? En revanche, on peut imaginer qu’Aix était un lieu plus propice pour rayonner, lorsque des affaires particulières exigeaient des déplacements en Basse-Provence. Ainsi, sur les sept années documentées par les comptes de 1283-1290, Bérenger Monge s’est rendu deux fois seulement au chapitre provincial à partir de Manosque, ce qui suggère qu’Aix, plus proche d’Arles ou de Saint-Gilles, a constitué le point de départ toutes les autres fois89. Ces considérations, si impressionnistes soient-elles, conduisent tout de même à un constat sur lequel je reviendrai : Bérenger préféra de loin la vie de châtelain à Manosque à celle de notable à Aix. Le risque du cumul des commanderies était, en toute logique, de favoriser l’absentéisme. Le chapitre général de 1283 en eut bien conscience, puisqu’il condamna la non-résidence et rappela qu’une commanderie n’était octroyée que pour une année, manière de faire comprendre que le « bénéfice » pourrait être retiré à tout dignitaire négligent90. Dans le cas de Bérenger Monge toutefois, le cumul ne semble avoir été préjudiciable à aucune des deux maisons. D’une part, on l’a rappelé, car les communications étaient régulières et, d’autre part, car celui-ci sut s’entourer, comme nous le verrons, de frères fiables et compétents. Dès l’époque de Monge, la longueur du mandat de commandeur, auquel s’ajouta éventuellement le contrôle concomitant de deux maisons, conféra donc à quelques dignitaires une prééminence institutionnelle. L’enjeu n’était pas seulement l’ascendant pris au sein du groupe, susceptible, on le verra, d’ouvrir à de brillantes carrières. Il était encore matériel car la législation de l’Hôpital entérina peu à peu la possibilité d’un enrichissement personnel. En pleine conformité avec l’esprit du cénobitisme 85 Au xive siècle, il fallait moins de 4 jours aux messagers de l’administration comtale pour faire l’aller-retour entre les deux villes (N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 585, fig. 6). 86 56 H 4642 (12 février 1271) ; 56 H 4201 (28 février 1271) ; Arch. mun. de Manosque, Kb 11 (12 mars 1271). 87 Messagers envoyés de Manosque à Aix : 56 H 835, f. 16v (mars 1261), 26v (avril 1262), 32v (septembre 1262), 38 (messager du maître ; avril 1263), 42v (notaire du prieur, août 1263), etc. 88 Présence cumulée de Bérenger Monge à Manosque pour chaque mois : janv. 12

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89 Ses frais de déplacements sont, ces deux années-là, pris en charge sur le budget de Manosque (CoHMa, § 308 et 356 ; 12 juin 1289 et 14 mai 1290). En mai 1263, c’est encore de Manosque que le commandeur décide de partir pour se rendre à Marseille (56 H 835, f. 39). 90 CGH, t. 3, no 3844, § 24 et 26 (statuts du 27 septembre 1283).

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traditionnel, les premières régulations avaient pourtant interdit aux frères toute forme de propriété privée. Toutefois, dès le dernier tiers du xiiie siècle, les statuts avaient atténué la rigueur primitive en autorisant les frères à posséder quelques biens en propre91. Il s’agissait, jusque-là, de biens mobiliers que ces derniers recevaient en aumône ou bien de la part de parents. De fait, à partir de cette époque, une procédure précise permettait de répartir les effets d’un frère décédé entre les officiers du couvent central92. Le classement des biens en différentes catégories – armement et harnachement, vêtements, vaisselle, livres pieux… – suggère déjà, comme le remarque Jochen Burgtorf, que les frères encasernés à Acre ne se privaient pas d’un certain confort. S’il s’agissait donc là d’une règlementation appliquée au couvent central, la comptabilité du clavaire du prieuré de Saint-Gilles dévoile la pratique à l’échelle de la commanderie. Informé du décès de Jourdain de Saint-André, commandeur de Castelsarrasin et de Cortinals, Guilhem Scriptor, commandeur de Montpellier agissant comme procureur du prieur, se présenta à Castelsarrasin le 21 novembre 125393. Il convoqua alors l’ensemble des frères pour entendre le status bajulie et s’informer sur les biens propres (proprietas et res) de Jourdain de Saint-André, notamment auprès de son remplaçant provisoire, le frère Peire Faber. On procéda alors, pour l’ensemble de la commanderie, à un décompte précis des hommes – frères, donats et domestiques –, des avoirs, charges et dettes, en nature et en numéraire. Suite à quoi, on fit l’inventaire des quelques effets personnels du commandeur décédé qui furent distribués, comme il l’avait demandé, aux pauvres, à un prêtre et à son neveu94. S’il n’était question, jusque-là, que d’effets personnels, les actes de la pratique démontrent sans ambiguïté que les commandeurs retenaient, pour leurs besoins propres, une part des avoirs de leur commanderie. Le 4 juillet 1283, trois semaines exactement avant le chapitre provincial, Bérenger Monge convoqua le couvent de Manosque pour lui présenter la liste des denrées de la baillie qu’il tenait « en sa main »95. Ce type d’acte, à ma connaissance très rare, n’a été conservé que grâce à

91 La règle de Raimond du Puy et les Esgarts promulgués vers 1239 prohibent la propriété (CGH, t. 1, no 70, § 1 et 13 ; t. 2, no 2213, § 29). Toutefois, les Usances également établis vers 1239 autorisent la possession de quelques biens personnels – vaisselle, vêtements, argent… (CGH, t. 2, no 2213, § 99). Ceci est confirmé par les statuts de 1262, qui autorisent notamment les frères à disposer d’un pécule, et par ceux de 1295 (CGH, t. 3, no 3039, § 33 et 47 ; no 4267, § 2). 92 J. Burgtorf, « The Order of the Hospital’s High Dignitaries and their Claims on the Inheritance of Deceased Brethren. Regulations and Conflicts », in M. Balard (dir.), Autour de la première croisade, Paris, 1997, p. 255-265. 93 Cortinals se trouvait sur le terroir de Castelsarrasin et il ne s’agit donc pas, ici, d’un véritable cumul de commanderies. 94 56 H 2624, f. 1v-2v et 8v-9. Un autre registre journalier tenu par le même clavaire prieural mentionne pareillement la distribution des biens – sommes d’argent, cheval avec selle, robe, vêtements… – de P. Guilhem, un autre frère défunt (56 H 2625, f. 37v ; septembre 1257). 95 …retinuimus ad manum nostram et pro nostris denariatis hec que subsecuntur… – suit une liste de céréales, précisant, pour chaque item, la valeur monétaire et le lieu de conservation (CoHMa, p. 144-146). Ce document a été préservé par une copie, malheureusement lacunaire, portée par une main du xviiie siècle à la fin du registre comptable.

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l’obligeance d’un érudit du xviiie siècle. Pourtant, il procédait d’une déclaration dont le commandeur devait s’acquitter chaque année devant la communauté dont il avait la charge, avant la remise du status bajulie et préalablement au chapitre provincial. Il ne s’agissait-là que de provisions nécessitées, je l’ai suggéré plus haut, par l’entretien de la familia et d’hôtes personnels. Mais Bérenger Monge s’autorisa encore à utiliser, pour des actions personnelles, des revenus relevant bien de l’institution. Ainsi, le 11 juillet 1283 – soit exactement une semaine après l’inventaire des réserves tenues en sa main –, celui-ci établit une importante fondation pieuse au bénéfice de ses frères et de la chapelle du palais. Or, l’acte stipule que la rente de 15,5 livres de safran servant à financer cette fondation provenait des recettes des leydes de Manosque, que le commandeur avait récemment rachetées avec les revenus de la maison d’Aix96. Or, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Bérenger n’effectua pas cette fondation en tant que commandeur, mais bien en son nom propre. En effet, il est difficile d’interpréter autrement la référence, en préambule de l’acte, à un récent statut autorisant personnellement un commandeur à percevoir, à titre viager, des revenus sur des biens qu’il avait achetés au nom de sa commanderie97. On savait que les officiers du couvent central recevaient des dotations annuelles prises sur le trésor, mais Jochen Burgtorf pensait que le système s’était mis en place seulement à partir de l’installation du quartier général à Chypre98. Les pratiques observées à l’échelle des commanderies laissent penser que le principe des rétributions personnelles remontait au moins à la seconde moitié du xiiie siècle. Dans cette même logique, le premier tiers du siècle suivant vit se multiplier les investissements matériels de la part des officiers locaux. En 1304, par exemple, Raimond Jaufre, commandeur de Manosque et d’Arles, reçut du prieur Dragonet de Mondragon des terres en acapte dans le terroir de Lançon, afin d’y planter des vignes99. Mais la grande affaire dans laquelle les dignitaires hospitaliers investirent largement, c’est surtout l’élevage ovin. Si les comptes du bétail de Manosque enregistrés entre 1334 96 Il s’agit d’ailleurs de l’un des rares actes où Monge s’intitule à la fois commandeur de Manosque et d’Aix (CGH, t. 3, no 3838 = 56 H 4675). Sur le regroupement des droits de leydes : F. Reynaud, La commanderie, p. 59-60. 97 …statutum sit per dominum magistrum et conventum sancte domus Hospitalis sancti Johannis Jerosolimitani quod quicumque preceptor emeret aliquas possessiones vel aliquod jus seu aliqua jura percipiendi et habendi aliquos fructus seu redditus, et predictas possessiones seu redditus emeret nomine domus seu bajulie de qua esset preceptor, quod ille preceptor, qui emeret fructus, redditus et obventiones et omnes gausidas possessionum seu jurium, quas et que emeret dum esset preceptor, possit percipere et habere quamdiu viveret pro suis necessitatibus sustentandis. On ne trouve pas trace de ce règlement dans les statuts de 1278, tandis que ceux de 1283 furent promulgués le 22 septembre, soit après la fondation de Monge (CGH, t. 3, no 3670 et 3844). En revanche, le § 2 des statuts de 1295 semble assez proche du règlement sur lequel s’appuie le commandeur (CGH, t. 3, no 4267). Dans le même sens, un statut de 1311 autorisera encore un frère qui a récupéré des biens de l’ordre jusque-là détenus par des laïcs, à les conserver pour lui à titre viager (A. Luttrell, « Hospitaller Life in Aragon, 1319-1370 » [1989], in The Hospitallers of Rhodes and their Mediterranean World, Aldershot, 1992, no xv, p. 110). 98 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 222. L’analyse repose essentiellement sur les sources statutaires, dont rien ne dit qu’elles ne se bornèrent pas à entériner une tendance plus ancienne. 99 La concession se fit avec l’accord du commandeur et des frères de Calissanne, probablement parce que les terres en question relevaient de cette maison (56 H 4187 ; 24 septembre 1304).

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et 1344 sont assez connus, il revient à Noël Coulet d’avoir montré qu’une large partie du cheptel dénombré par les officiers de la maison, au départ et au retour des alpages, appartenait en propre au commandeur100. Le problème des revenus et des entreprises personnels des commandeurs, quoiqu’il mériterait une attention approfondie, a donc déjà été remarqué pour les deux derniers siècles du Moyen Âge101. Mais nul n’avait vraiment, me semble-t-il, songé à en explorer les prémices, pourtant manifestes dès le milieu du xiiie siècle. Dès cette époque, les positions acquises au sein de l’Hôpital purent être le support d’un prodigieux enrichissement personnel. Pour s’en tenir à un éminent contemporain de Bérenger Monge, Bonifacio de Calamandrana se trouvait, à sa mort en 1298, en possession de 5 565 florins d’or que le pape s’empressa de confisquer102. Ce grand commandeur deçà-mer évoluait certes, par rapport au commandeur provençal, à un niveau supérieur : celui des membres du couvent central qui, à partir du xive siècle, se virent gratifiés d’importantes rentes. L’histoire ne dit pas si le haut dignitaire s’était servi de son argent plus ou moins bien acquis pour répandre les bienfaits autour de lui. C’est, en tous les cas, ce vers quoi s’efforça de tendre Bérenger pour sa part. Une charité bien ordonnée

Une comparaison rapide pourrait inscrire la figure du commandeur dans la lignée du père-abbé du monachisme traditionnel, lui-même inspiré du modèle du pater familias103. On a déjà remarqué que le commandeur était un peu comme le maître de maison qui dispensait l’argent nécessaire à l’entretien de chaque membre de la communauté104. Et à titre personnel, Bérenger Monge entretenait une familia et des hôtes de passage. Mais il conféra encore à cette figure de père nourricier une dimension spirituelle et mémorielle avec la fondation du 11 juillet 1283. La mise en forme de

100 56 H 833 (1334-1344) ; N. Coulet, « Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement dans le sud-est de la France au Moyen Âge », in Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement en Europe occidentale (xiie-xviiie siècles), Auch, 1986, p. 45-46. 101 L’un des premiers et rares historiens à avoir attiré l’attention sur ce phénomène est Anthony Luttrell, « The Finances of the Commander in the Hospital after 1306 », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, institution des ordres militaires dans l’Occident médiéval, Paris, 2002, p. 277-283. 102 J. Burgtorf, « A Mediterranean Career in the Late Thirteenth Century : The Hospitaller Grand Commander Boniface of Calamandrana », in K. Borchardt et alii (dir.), The Hospitallers, the Mediterranean and Europe. Festschrift for Anthony Luttrell, Aldershot-Brookfield, 2007, p. 84. 103 La question de la paternité de l’abbé traverse tout l’essai de Vogüé sur les règles de saint Benoît et du Maître (A. de Vogüé, La communauté et l’abbé dans la règle de saint Benoît, Paris, 1961, p. 120-127, 139-142, 147-148, etc.). 104 Cette obligation est encore rappelée par des statuts du xive siècle (56 H 78 ; éd. M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre », p. 44). Connu de Raybaud, qui le cite comme « Reglemens particuliers du prieuré de St. Gilles » (ms. 338, p. 603-606), ce manuscrit pose un problème de datation. Il est adressé à Aimeric de Tury, prieur de 1321 à 1329. Mais la mention, vers la fin du manuscrit, du « papa authentix » a conduit Marie-Rose Bonnet à voir là une évocation du Grand Schisme et donc à envisager une réécriture à la fin du xive siècle (p. 35). Considérer plutôt qu’il s’agit d’une allusion à Nicolas V, antipape désigné par l’empereur Louis de Bavière entre mai 1328 et août 1330, autorise à rendre toute la paternité du texte à Aimeric de Tury.

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l’instrumentum par le notaire Sitius d’Arezzo – un long rouleau de 55 cm × 22 cm muni des sceaux du prieur et du couvent de Saint-Gilles – témoigne déjà de la solennité de l’acte. Surtout, en obtenant que celui-ci fût confirmé deux semaines plus tard par l’ensemble du chapitre provincial réuni à Saint-Gilles, le commandeur manifesta avec éclat la solennité et la publicité de son action105. Celui-ci entreprit donc de répartir la rente de 15,5 livres de safran, chaque année et à perpétuité, de la manière suivante : – 65 sous pour l’amélioration de la pitance des frères à l’occasion de quatre fêtes marquantes pour la communauté hospitalière de Manosque : la saint Blaise (3 février), les apôtres Pierre et Paul (29 juin), l’anniversaire du comte Guilhem II de Forcalquier (7 octobre) et la saint Géraud (13 octobre), – 5 sous pour l’encens de la chapelle palatiale où reposait le corps de saint Géraud, – 10 sous pour la fourniture des cierges et des suaires à l’occasion des funérailles des frères de la communauté, – 15 sous à l’église Saint-Pierre hors-les-murs, le jour de la saint Pierre aux liens (1er août), – 40 sous partagés entre les vingt chapelains chargés de commémorer l’anniversaire du comte Guilhem, – le reliquat étant affecté à l’œuvre du palais où, nous le verrons, un chantier devait se poursuivre. Les commémorations ainsi orchestrées devaient jalonner les grands moments de la vie liturgique et de l’histoire de la communauté hospitalière de Manosque : son installation primitive dans la chapelle Saint-Pierre, le culte des saints Blaise et Géraud dans la chapelle du palais, la donation de ce même palais par le comte Guilhem II. Loin d’épuiser ici les apports de cet important texte, je me bornerai surtout à souligner le lien entre pitance et offrande funéraire. Le commandeur a, en effet, inscrit son action dans une vieille tradition monastique où l’offrande de pitances à des dates importantes du calendrier était à la fois liée à la commémoration des défunts et servait à souder la communauté religieuse autour d’un repas106. Toutefois, alors que le don était le plus souvent le fait des bienfaiteurs laïques du monastère, en agissant, rappelons-le, à titre personnel, Bérenger Monge s’imposait en bienfaiteur et patron de sa propre commanderie107. La portée d’un tel geste revêt deux dimensions. La première renvoie au lien entre don et domination : en entretenant ainsi ses frères, le commandeur fondait surtout une dette morale qui, si l’on suit Pierre Bourdieu, se trouve au principe même du pouvoir personnel108. La seconde dimension de cette fondation perpétuelle est éminemment mémorielle. Par les célébrations annuelles,

105 CGH, t. 3, no 3839 (24 juillet 1283). Fondation et confirmation sont rédigées sur le même acte (56 H 4675). 106 C. Caby, « Abstinence, jeûnes et “pitances” dans le monachisme médiéval », in J. Leclant et alii (dir.), Pratiques et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, 2008, p. 288-292. 107 Les statuts réglementeront la possibilité, pour un dignitaire, d’offrir un repas commun (convivium) à ses frères, pourvu qu’il n’y ait pas plus de deux plats de viande (CGH, t. 4, no 4774, § 12 ; 28 octobre 1302). 108 P. Bourdieu, « Les formes de domination », Actes de la recherche en sciences sociales, 2 (1976), p. 122-123.

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puis encore à travers les comptes qui, tout au long du xive siècle, conservent les traces des pitances offertes aux frères, le souvenir du commandeur bienfaiteur pouvait se perpétuer au sein de la communauté. En 1338, les enquêteurs ne manquèrent pas d’inscrire, au poste des dépenses annuelles, 2 livres pour l’anniversaire du comte de Forcalquier et puis, à la ligne en-dessous : « Pour les pitances que le commandeur de Manosque doit faire selon les dispositions du sieur frère Bérenger Monge : 4 livres, 10 sous »109. Cette générosité put s’exprimer au-delà de la communauté régulière, en s’adressant à l’ensemble des individus sur lesquels Bérenger fut susceptible d’exprimer un rapport d’autorité. L’exercice même du pouvoir offrit sans doute, on le verra, au commandeur la possibilité d’apparaître en seigneur magnanime et attentif au bien de ses administrés. Mais c’est sans compter les petits gestes du quotidien, qui n’ont laissé aucune trace dans les archives, et par lesquels l’homme donnait à voir l’expression de la caritas. À l’été 1288, apparemment sérieusement malade et craignant pour son salut, Bérenger préféra ainsi renoncer aux arriérés de cens en faveur d’un tenancier, plutôt que de mourir en état de péché110. Certes, le contexte est ici un peu particulier. Mais par de telles actions, c’est un peu la bienveillante protection de l’Hôpital qui s’étendait sur la ville, à la manière justement de la main bénissante que tout le monde pouvait voir sur la bulle de la commanderie111. Une obéissance négociée

Le franciscain Salimbene de Parme avait pu observer le mode de vie des hospitaliers, ne serait-ce que lors de son passage en Provence en 1248, lorsqu’il eut l’occasion de visiter l’église conventuelle d’Aix. Bien plus tard, la tenue d’un chapitre des frères prêcheurs à Bologne lui inspira quelques remarques comparatives sur la titulature des « prélats » dans différents ordres religieux. Évoquant les dignitaires des hospitaliers (maiores), il décrit l’autorité du preceptor comme un dominium exercé sur les autres,

109 VGPSG, p. 359. Aucune trace de la fondation de 1283 ne figure dans les comptes des années 1283-1290, ce qui n’est pas étonnant, dans la mesure où le financement des repas et des célébrations devait justement être extérieur au budget de la commanderie. Pourtant, on trouve bien mention des pitances, au hasard des comptes conservés pour le xive siècle : Item pro pitancia sancti Petri de Augusto : xv s. […] Item pro pitancia sancti Blasii : xv sol. (56 H 836, 2e cahier : comptes « Pro tabula hospicii », f. 16 et 28 ; août 1321 et février 1322) ; Die jovis pro pitancia sancti Blasii : xv s. […] Pro pitancia sancti Geraldi : xv s. (56 H 836, 3e cahier, non folioté ; février et mai 1351). 110 À la suite de la concession en acapte d’une habitation à Guilhem Mercurino de Saint-Pierre-Avès, Bérenger fait noter la stipulation suivante : Et cum dictus dominus preceptor dicet et confiteretur quod dictus Guilhermus sibi serviret per trigenta annos vel circa unde primum aliquid seu mercedem aliquam non fuerat consequitur. Et dictus dominus preceptor esset infirmitate detentus volens dicto Gilhermo renunciari de servitia sibi factis nolens decedere cum hujusmodi peccato quin renunciare eidem Guilhermo illud plus quod posset plus precepit de accapto seu pro accapto dicti albergi et etiam eidem per elemosinam et intuitus elemosine illud plus remisit (56 H 839 bis, f. 686-688 ; 29 août 1288). 111 La ville conservera ces armes parlantes (manus/Manu-asca) figurant sur la bulle de la commanderie. L’emblème municipal est attesté à partir de 1559, sous la forme d’un Écartelé d’azur et de gueules, à quatre mains appaumées d’argent (LPM, p. lxiv).

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entendant éventuellement par là un pouvoir de nature seigneuriale112. Mais, en renvoyant à la parabole de la pêche miraculeuse du Christ-précepteur (Luc, 5, 5), il ramène bien la nature de l’autorité au sein de la communauté hospitalière à l’esprit du monachisme. Au nombre des trois vœux par lesquels le frère, dès sa prise d’habit, signait l’abandon de soi à Dieu, l’obéissance revêtait une importance particulière113. Or, il est vrai qu’à l’époque de Bérenger Monge, et plus encore dans le siècle qui suivit, les références à l’obéissance abondent dans la documentation administrative de l’ordre. On les trouve d’abord dans les lettres de nomination aux offices. Ainsi, en confiant au commandeur Monge la lieutenance du prieuré, en février 1264, Féraud de Barras rappela le devoir d’« obéissance zélée » requis de l’ensemble de la communauté hospitalière : commandeurs, frères et même sœurs, donats et autres fidèles114. Une génération plus tard, la lieutenance du prieuré au bénéfice d’Hélion de Villeneuve, faite « en vertu de la sainte obéissance », rappelait la consistance de la charge comprenant « l’administration et le soin des affaires, le devoir de correction et de visite, un don d’obéissance entière et dévouée »115. Le devoir d’obéissance engageait même le serment ou les garanties que les frères devaient promettre dans certaines transactions116. Enfin, aussi loin que remontent les premières attestations écrites, c’est-à-dire aux années 1260, la rhétorique de la visite était sous-tendue par la même exigence : lorsque sa maison faisait l’objet d’une inspection conduite par un supérieur, le commandeur devait déclarer l’état de sa baillie « par vertu d’obéissance »117. On remarque parallèlement que les titulatures des prieurs, dont

112 Salimbene de Adam, Chronica, vol. 2, éd. G. Scalia, Bari, 1966, § 841 ; Salimbene de Adam de Parme, Chronique. Traduction, introduction et notes, vol. 2, dir. G. Besson et M. Brossard-Dandré, Paris, 2016, p. 1014-1015. Sur la nature du dominium entendu comme pouvoir s’exerçant indistinctement sur la terre et sur les hommes, je me réfère à l’interprétation classique de A. Guerreau, Le féodalisme. Un horizon théorique, Paris, 1979, p. 180-183. 113 Les trois vœux dans la règle primitive et l’insistance sur l’obéissance sont analysés par B. Martin et alii, Premiers textes normatifs des hospitaliers, Paris, 2013, p. 16-34. Sur l’obéissance dans les règles au fondement du monachisme bénédictin : A. de Vogüé, La communauté et l’abbé, p. 207-288 ; et encore : G. Melville, « Les fondements spirituels et juridiques de l’autorité dans la vita religiosa médiévale : approche comparative », in J.-F. Cottier et alii (dir.), Les personnes d’autorité en milieu régulier. Des origines de la vie régulière au xviiie siècle, Saint-Étienne, 2012, p. 13-15. 114 …constituimus loco nostri mandantes preceptoribus, fratribus aliis, et etiam sororibus et donatis ac aliis fidelibus hospitalis, ut eidem obedire devote debeant per omnia tantum nobis fideliter vos agetis ut […lacune] non possitis de contemptu seu de inobedientia reprehendi, sed potius de merito collaudari (Biblioth. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, p. 110 ; 5 février 1264). 115 …mandamus, in virtute sancte obedientiae, nichilominus firmiter injuengentes, quatinus… ; …constituerimus, loco nostri, curam, regimen, correctionem, visitationem, plenam, devotam et debitam obedientiam sibi in dictis partibus comittendo (LPM, p. 185-187 ; 5 et 20 novembre 1314). 116 Par exemple : échange de vignes entre Peire de Mallemort, prieur de Saint-Jean d’Aix, et Uc Granelli, chapelain d’Aix, garanti « in virtute sancte obedientie » (56 H 4189 ; 22 septembre 1305) ; serment sur la croix prêté « in virtute sanctae obedientiae » pour le respect d’un acte du 4 juin 1372 (Arch. mun. de Manosque, Ff 13 ; copié dans une procédure de 1377). 117 Frater Guillelmus Scriptor, preceptor domus Montispesulani, de mandato domini prioris Sancti Egidii, accessit apud Castrum Saracenum et convocatis omnibus fratribus earundem domorum quesivit et audivit statum earumdem precipiens ex parte ipsius domini prioris in virtute obediencie firmiter et districte dictis fratribus et specialiter fratri Petro Fabro quem dictus frater Jordanus substituerat loco sui ut, tam de proprietate et rebus

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le prestige et la richesse s’accroissaient alors, renouèrent avec la vieille référence à l’humilité, condition ontologique de l’obéissance en milieu monastique118. Sans doute, cette insistance, qui relayait en fait le discours normatif, n’est-elle pas anodine, à un moment où la montée en puissance d’une élite de dignitaires était susceptible de menacer l’intégrité de l’institution119. Au-delà du discours, on pourrait certes entreprendre d’examiner la technologie à l’œuvre, pour parler en termes foucaldiens, par laquelle s’obtenait cette discipline au sein de l’institution hospitalière120. Une étude approfondie de cette « technologie », qui impliquerait d’envisager les différents mécanismes de contrôle et de coercition – chapitres, visites, pénitences et punitions pour les fautifs… –, montrerait sans doute que l’aveu constitue, ici aussi, une clé de la soumission. Au chapitre, bien sûr, lorsque le candidat à la profession devait formuler son vœu devant l’assemblée des frères, ou bien lorsque le frère fautif devait confesser ses fautes121. Mais également lors des visites, fondées sur le mécanisme inquisitorial et donc sur l’aveu122. Comme l’avait en

dicti fratris Jordani quam de statu domorum ipsarum, certam et plenam dicerent veritatem. In veritate dixerit quod… (56 H 2624, f. 1v ; 22 novembre 1253). De même pour cette visite de la maison de Campagnolles (dépendante de Béziers) conservée sur un registre non daté, probablement des années 1330 (56 H 122, f. 1). Logiquement, les commissaires, chargés de procéder à l’enquête sur les commanderies du prieuré de Provence en 1338, agirent encore « in virtue sancte obedientiae » (VGPSG, p. 4 et 2 ; 1er et 18 août 1338). 118  prior humilis Sancti Egidii (Dragonet de Mondragon ; 56 H 4189 ; 12 août 1303) ; VGPSG, p. 2 (Guilhem de Reillanne ; 1er août 1338). La titulature du prieur se référait déjà à l’humilité dans le premier tiers du xiiie siècle en Provence (56 H 4668 ; 11 septembre 1232), comme en Angleterre ( J. Burgtorf, « Das Selbstverständnis der Templer und Johanniter im Spiegel von Briefen und Urkunden, 12. und 13. Jahrhundert », in R. Czaja et J. Sarnowsky (dir.), Selbstbild und Selbstverständnis, p. 27-28). 119 À partir des années 1300, la législation insiste également sur l’obéissance. À ma connaissance, la première occurrence de la maxime « in virtute sanctae obedientiae » apparaît dans les statuts de 1302 (CGH, t. 4, no 4574, § 17 ; 28 octobre 1302). De même au chapitre général de Montpellier du 24 octobre 1330 qui, significativement, se préoccupe du cas du « prieur, bailliz, ou comandeur [qui] sera rebelle ou inobediant de non venir a obediance et comandement du maistre et du convent » (Ch. Tipton, « The 1330 Chapter General of the Knights Hospitallers at Montpellier », Traditio, 24 (1968), p. 305-306 ; pour la version en langue d’oc : M.-R. Bonnet et R. Cierbide, Les statuts de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Édition critique des manuscrits en langue d’oc (xive siècle), Bilbao, 2006, p. 161). 120 L’approche technologique de la notion d’obéissance chez Foucault, expérimentée à partir de la forme de vie monastique, est analysée par Michel Senellart, « Le christianisme dans l’optique de la gouvernementalité : l’invention de l’obéissance », in D. Boquet et alii (dir.), Une histoire au présent. Les historiens et Michel Foucault, Paris, 2013, p. 208-224. 121 Pour un aperçu rapide sur « la justice de la maison » d’après les Esgarts : A. Demurger, Les hospitaliers, p. 332-335 ; et J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, p. 120-125. Chez les templiers, le chapitre se clôturait par l’oratio communis fidelium puis, après cette prière, le chapelain entendait les frères en confession (K. Sinclair, « La règle du Temple et la version templière de l’oratio communis fidelium », Revue Mabillon, 8 (1997), p. 181). 122 Pour une confrontation entre visite et enquête, avec un status questionis de la bibliographie : Th. Pécout, « La visite est-elle une enquête et vice-versa ? Enquête générale et visite, deux pratiques de la déambulation (xiie-xive siècle) », in Gouverner les hommes, gouverner les âmes, Paris, 2016, p. 265-280. Et sur le lien entre enquête et visite dans le cas de l’Hôpital : D. Carraz, « Les enquêtes générales de la papauté sur l’ordre de l’Hôpital (1338 et 1373). Analyse comparée dans le prieuré de Provence », in T. Pécout (dir.), Quand gouverner c’est enquêter. Les pratiques politiques de l’enquête princière (Occident, xiiie-xive siècles), Paris, 2010, p. 524-527.

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effet rappelé Adalbert de Vogüé dans son commentaire de la règle de saint Benoît, « oboedire, c’est obaudire ». Au xive siècle en tout cas, l’Hôpital semble bien avoir priviligié une forme d’obéissance verticale en affirmant ainsi l’autorité supérieure de la chaîne de commandement hiérarchique, du maître au prieur en passant par le commandeur123. Ce bref état des lieux de la notion d’obéissance chez les hospitaliers à la charnière des xiiie et xive siècles permet d’approcher un peu la forme de gouvernementalité exercée sur ses frères par un commandeur comme Bérenger Monge. Cependant, les technologies gouvernementales ne sont évidemment pas réductibles à « l’obligation de verbalisation de soi-même », pour continuer avec l’exégèse foucaldienne de Michel Sénellart124. Gouverner, et on touche là un domaine de la recherche en plein renouvellement, c’est aussi écouter la prise de parole des autres sur les affaires de la collectivité125. Cette nouvelle attention au débat et au conseil au sein des assemblées politiques et ecclésiastiques n’a pas encore touché les ordres militaires, pour lesquels les analyses sont restées limitées à une approche institutionnelle126. S’agissant de l’Hôpital, la réflexion a porté sur les rapports de pouvoir entre le maître et le couvent central, en tant qu’organe de gouvernement collégial127. Or, dans la documentation locale, on retrouve des échos de cette tension relative au partage du pouvoir entre le chef suprême de l’ordre et l’assemblée des baillis capitulaires. La municipalité de Manosque a ainsi conservé un long procès, intervenu en 1377, entre l’universitas et l’Hôpital à propos des criées et de l’annualité des offices de la cour128. Au cours de cette bataille procédurale à coup de preuves et de contre-preuves diplomatiques, les deux parties épuisèrent toutes les manœuvres dilatoires. La stratégie du juge de la cour de Manosque défendant l’Hôpital fut notamment d’invalider les privilèges produits par la communauté. Il contesta le privilège du comte Guilhem II de Forcalquier, parce que

123 D’une part, sur les deux modèles d’obéissance horizontale ou verticale dans la tradition monastique, et d’autre part sur le lien établi par Michel Foucault entre obéissance et aveu dans son analyse des « formes de la subjectivation chrétienne » : M. Sénellart, « Le christianisme dans l’optique de la gouvernementalité », p. 216-222, auquel j’emprunte également la citation d’A. de Vogüé, La règle de saint Benoît, Paris, 1977, p. 262. 124 M. Sénellart, « Le christianisme dans l’optique de la gouvernementalité », p. 216. 125 Je ne me référerai ici qu’à un volume collectif à vocation comparatiste, significatif de l’attention nouvelle accordée à la prise de parole dans les sciences humaines : M. Detienne (dir.), Qui veut prendre la parole ?, Paris, 2003 (Le Genre humain, 40-41) ; et à deux programmes de recherche en cours : « Les registres de délibérations urbains. La voix des assemblées » (coord. L. Verdon et F. Otchakovsky-Laurens, TELEMMe-Aix-en-Provence) et « Prêcher en chapitre dans les ordres religieux médiévaux » (coord. C. Caby, CIHAM-Lyon). 126 Le cadre chronologique assigné à la présente étude ne me permet guère de dépasser cette approche assez classique. Pour autant, la série des procès-verbaux des chapitres du prieuré de Saint-Gilles, à ce jour très peu exploitée, offrirait un champ d’investigation prometteur. La série de 21 registres débute en 1371 et est continue de 1466 à 1791 (É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 5). 127 Les réflexions sur l’autorité du maître et sur le contre-pouvoir opposé par le couvent sont essentiellement déterminées par la problématique du « conflit constitutionnel » (A. Forey, « Constitutional Conflict and Change in the Hospital of St. John during the Twelfth and Thirteenth Centuries », Journal of Ecclesiastical History, 33 (1982), p. 15-29 ; J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, p. 133-139). 128 Arch. mun. de Manosque, Ff 13.

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celui-ci n’avait pas le pouvoir (potestas) d’une telle concession qui, de surcroît, était formellement fausse car munie d’un « sigillum adulterinum seu bullam adulterinam »129. Il s’opposa même aux bulles de confirmation des privilèges de l’universitas octroyées par les maîtres Jean de Villiers et Foulques de Villaret130. Or, une partie du débat porta sur le rôle du chapitre général, puisque le juge de la cour contesta la portée de ces deux confirmations, arguant du fait qu’elles avaient été promulguées sans l’accord du chapitre. On ressortit même une bulle d’Alexandre III, du 20 juin 1172, envoyée à l’occasion de la crise constitutionnelle provoquée par la renonciation du maître Gilbert d’Assailly131. En se référant à une antique tradition – des statuts attribués aux premiers maîtres Gérard et Raimond du Puy –, il s’agissait de rappeler que le maître devait promettre de suivre le conseil du chapitre et de la sanior pars du couvent132. Le procureur de l’Hôpital s’évertua cependant à démontrer que, dans certains cas, le maître pouvait confirmer des privilèges sans le consentement du chapitre, alors que d’autres confirmations, relatives cette fois-ci à certaines compositions, furent bien scellées à la fois par le maître et par le chapitre133. De cette affaire complexe, bien postérieure à Bérenger Monge mais dont les enjeux traversèrent toute l’histoire de l’Hôpital, on retiendra essentiellement l’importance accordée aux instances permettant à la communauté des frères, ou au moins à sa sanior pars, de discuter et de confirmer les décisions d’un supérieur de l’ordre. Car ce qui était reconnu au couvent central devait l’être également à l’échelon du prieur et à celui de la baillie. À ce dernier niveau fondamental, on a déjà remarqué le rôle du couvent ou du chapitre, ce groupe d’une dizaine de frères autour du commandeur. Les chartes mentionnent fréquemment le consentement de cette assemblée lorsqu’intervient une transaction foncière134. Plus encore, le commandeur ou son représentant agit en

129 Il s’agit de la confirmation des libertés et privilèges des habitants (LPM, no 1, p. 1-6 ; 12 février 1207). 130 LPM, no 43, p. 149 (21 août 1286) et no 47, p. 153-155 (27 juillet 1300). 131 CGH, t. 1, no 434. Cette lettre constituerait la première référence à une obligation, pour le maître, de prendre conseil (A. Forey, « Constitutional Conflict », p. 17). Sur la crise ouverte par la résignation de Gilbert d’Assailly : J. Burgtorf, The Central Convent, p. 65-74. 132 …statuentes ut ille qui fuerit in magistrum domus vestre assumptus, antiquas et rationabiles consuetudines ejusdem domus, sequendo vestigia et statuta bone memorie Giraldi et R[aimundi], quondam magistrorum vestrorum, tenere firmiter et servare promittat, et magna negotia domus sine communi consilio capituli vestri vel majoris et sanioris partis nullatenus tractet, maxime in obedientiis ordinandis… (CGH, t. 1, no 434 ; 20 juin 1172). 133 Il s’agit de la composition entre Bérenger Monge et l’universitas du 31 août 1293, confirmée le 4 octobre 1293 par le chapitre provincial (LPM, no 36, p. 92-127 et no 38, p. 128) ; et de la composition entre Hélion de Villeneuve et l’universitas du 4 janvier 1316, confirmée le 1er août 1316 par le maître et le chapitre général, puis le 25 août 1316 par le chapitre prieural (LPM, no 52, p. 160-188 ; Arch. mun. de Manosque, Bb 9 et Bb 10). 134 Par exemple, cet échange de divers cens sur des biens à Manosque entre le commandeur et Jaume Robini fait « de voluntate et consensu fratrum conventus palatii Manuasce videlicet fratris… » (56 H 4643 ; 27 décembre 1281). Quelques autres cas sous Bérenger Monge : 56 H 4642 (28 décembre 1264) ; 56 H 4666 (27 décembre 1281). Il semblerait que le consentement du couvent pour les transactions foncières soit encore plus fréquemment évoqué dans le premier tiers du xiiie siècle : 56 H 4640 (18 mai 1231 ; 2 juillet 1234) ; 56 H 4629 (28 avril 1233), etc. Même le prieur Bermond de Luzençon agit « de consensu et voluntate […] totius conventus palacii Manuasche » (56 H 4628 ; 15 janvier 1211 ; 56 H 4638 ; mars 1212).

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général « avec l’accord et la volonté de tout le couvent », lorsqu’il s’agit de négocier une convention135. Dans telle transaction avec l’universitas de Manosque, le procureur désigné par les hospitaliers intervient ainsi pour le commandeur Bérenger Monge et pour le couvent136. Ces formules sont certes un peu convenues, mais elles dévoilent bien la part de débat qui devait animer la communauté lors des chapitres. Ces derniers, réunis chaque dimanche au son de la cloche, pouvaient éventuellement être convoqués exceptionnellement si des affaires l’exigeaient137. Des discussions qui animaient ce lieu de parole, il est logique qu’il ne filtre rien car le chapitre était, par définition et comme le rappelle le serment prêté de ne pas révéler les secrets de la baillie, un lieu clos138. Prises à la majorité – la sanior pars de la communauté composant le couvent –, les décisions étaient destinées à obtenir le consentement de l’ensemble, autant qu’à montrer l’unanimité vis-à-vis de l’extérieur139. À ces pratiques, qui étaient encore de nature à tempérer l’autorité du maître de la maison, s’ajoutait le devoir de conseil qui constituait un autre élément cardinal des relations sociales. La nécessité de prendre conseil auprès des prudhommes de la communauté sera une clé, on le verra, dans l’institutionnalisation des relations entre le seigneur-commandeur et les habitants de Manosque. Au sein de la communauté hospitalière, l’avis n’autorisait pas seulement l’expression de la sanior pars de la communauté. Il introduisait une sorte de réciprocité dans le sens où, en fonction des circonstances, tout frère doté d’une responsabilité était susceptible de recevoir ou de prodiguer un conseil140. Ce recours au conseil s’inscrit, là encore, dans la tradition monastique dont l’Hôpital était

135 56 H 4630 (12 août 1251) ; Arch. mun. de Manosque, De 2 (29 novembre 1271) ; 56 H 4652 (4 novembre 1290), etc. 136 Transaction sur le ban du vin entre les syndics de l’universitas et « Raimundus David, procurator dicti domini preceptoris domus et conventus dicti Hospitalis de Manuasca » (Arch. mun. de Manosque, Kc 7 ; 28 avril 1262). 137 …consilio et assensu fratrum conventus domus predicte Hospitalis Manuasche ad hoc vocatorum et congregatorum ad sonum campane domus predicte Manuasce scilicet… (56 H 880 ; 5 octobre 1300 : procès avec le chapitre de Forcalquier sur les dîmes et sépultures). 138 …et secreta sibi predicta domo et pro utilitate commissa tenebit et nulli denotabit absque licentia sui maioris (56 H 4680 ; s. d.). Les secreta ordinis ramènent encore, par la construction des fors, à la question de l’obéissance du sujet. Sur ces enjeux dans les monastères et notamment chez les templiers : J. Chiffoleau, « “Ecclesia de occultis non iudicat” ? L’Église, le secret, l’occulte du xiie au xve siècle », in Il Segreto, Florence, 2006, p. 440-443. 139 De grands principes que l’on retrouve dans « l’atelier de la démocratie » d’une universitas comme Sisteron où la légitimité était fondée sur l’avis de la majorité, lequel devait imposer le consentement de tous les habitants (A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge. Un atelier de la démocratie (xiiie-xive siècle), Paris, 2016, p. 228-230 et 258-262). Ces principes rappellent tout autant, cependant, les assemblées des communautés monastiques du Japon médiéval où des règles délibératives sophistiquées visaient bien à une « communion des cœurs » entre les moines (P.-F. Souyri, « Des communautés monastiques dans le Japon médiéval », in M. Detienne (dir.), Qui veut prendre la parole ?, p. 85-94). 140 Bérenger Monge reçoit le conseil du prieur d’Aix, Isnard, pour un bail à acapte (56 H 4199 ; 8 août 1264). Autres actions faites « de consilio et consensu » : conseil du commandeur au prieur (56 H 4668 ; 11 septembre 1232) ; – du prieur au commandeur (56 H 4676 ; 26 septembre 1233) ; – des frères au commandeur (56 H 4640 ; 22 mars 1236) ; – d’un commandeur à un autre (56 H 4187 ; 24 septembre 1304), etc.

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héritier141. Mais il renvoie plus généralement à la prudhommie, cette vertu accordée aux « anciens et sages freres », qui devait assurer l’harmonie du pacte social au sein du groupe142. Bérenger Monge se reposa largement sur ces valeurs, induites par la confiance et l’amitié, mais aussi sur les outils juridiques, pour parvenir à administrer les deux commanderies dont il avait la charge.

Un pouvoir partagé : rapports d’autorité et de confiance Une autorité déléguée

Le fait que le système des offices assignât à chacun des tâches bien précises au sein de la commanderie n’empêcha pas, on l’a vu, une certaine flexibilité. En fonction des compétences requises et de leur agenda personnel, les principaux dignitaires choisissaient fréquemment de se faire représenter dans leurs affaires. La première possibilité était offerte par le système de la procuration dont Bérenger Monge usa à Manosque dès sa promotion comme commandeur. Celui-ci trouva en effet un contentieux avec l’évêché de Sisteron où la position de la commanderie avait été affaiblie par l’excommunication de son prédécesseur, Raoul de Cadarache143. Peut-être était-ce encore par manque d’assurance que, le 20 octobre 1249, Bérenger préféra déléguer la résolution de l’affaire à un frère plus expérimenté en la personne de Guilhem de Pradelles ? Fait assez rare car, en général, ce type de texte se trouve recopié au fil des procédures, l’original de la lettre de procuration a été conservé dans l’ensemble du dossier relatif au litige avec l’évêché de Sisteron. Par ce petit instrument revêtu de toutes les garanties d’authenticité, le commandeur et les frères désignèrent donc un procureur avec capacité d’agir et de dire, comme si eux-mêmes agissaient de leur propre chef144. Guilhem de Pradelles conduira l’affaire jusqu’à son terme, puisqu’il représentait toujours la commanderie lors du jugement définitif en août 1251. Mais il disparut ensuite car trois mois plus tard, c’est le sacriste Guilhem Chabaudus, muni

141 A. de Vogüé, La communauté et l’abbé, p. 187-206. 142 Au couvent central de l’Hôpital (et du Temple) s’était en effet dégagé un groupe informel de prudhommes, dignitaires anciens ou en exercice, qui devaient entourer le maître de leurs conseils ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 95-96). 143 F. Reynaud, La commanderie, p. 48-49. 144 Noverint universi quod frater Berengarius Monachus, preceptor domus Hospitalis Iherosolimitani de Manuascha, et fratres dicte domus quorum nomina inferius continentur, ordinant et constituunt suum legitimum procuratorem fratrem Guillelmum de Pratellis ad agendum et syndicendum, deffendendum jurandum tam de calumpnia quam de veritate dicenda, excipiendum, replicandum, allegandum, petendorum in integre restitutionem si neccesse fuerit, et alia facienda seu proponenda quod dicti preceptor et fratres facere seu dicere possent in personis propriis in causa seu causis vel litibus quas venerabilis pater dominus Sistariensis episcopus movet vel movere intendit seu movit contra dictum Guillelmum fratrem de Pratellis, procuratorem preceptoris, et fratres dicte domus Hospitalis…(56 H 4630, no 43 ; 20 octobre 1249 ; acte muni du seing du notaire « maître B. » et jadis scellé de la bulle de la commanderie). Le procurator est un agent, à la différence du nuncius qui n’est qu’un porte-parole (D. Queller, « Thirteenth-century Diplomatic Envoys : Nuncii and Procuratores », Speculum, 35 (1960), p. 196-213).

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à son tour d’une carta procuratoris, qui recevait au nom du commandeur la quittance de l’évêque de Sisteron pour les 15 000 sous dus au titre de la quarte funéraire145. Amené à exercer des responsabilités croissantes, Bérenger Monge fit grand usage de ce système de représentation. En novembre 1290, tout juste promu à la lieutenance du prieur de Saint-Gilles, il passa ainsi un acte de procuration en faveur du bayle Peire de Saint-Martin pour se faire représenter dans tout contentieux judiciaire que la baillie aurait à affronter146. Le procureur général pouvait donc être désigné ad hoc, le temps de régler une affaire particulière, ou bien disposer d’une capacité plus large d’action en justice et pour un temps indéterminé147. L’enseignement de cet autre cas de figure est que le bayle, qui était en théorie le second officier après le commandeur, avait besoin d’un mandat officiel pour agir à la place de ce dernier. Avec la collégialité des décisions qui vient d’être évoquée, la procuration pouvait donc être utilisée comme un moyen de limiter le pouvoir personnel des dignitaires de l’ordre. D’ailleurs, en certaines circonstances, le pouvoir d’agir pouvait être confié à une personne extérieure à l’institution. Le 28 avril 1262, Bérenger Monge et le couvent se firent ainsi représenter par le juriste Raimond David dans un contentieux contre la communauté à propos du banvin148. Couramment utilisée au sein de l’Hôpital, la procuration illustre assez concrètement de quelle façon l’outillage offert par le droit romain soutenait au quotidien

145 56 H 4630 (25 octobre 1251). Le sacriste apparaît comme premier témoin de l’acte de procuration du 20 octobre 1249, ce qui montre qu’il suivait l’affaire depuis les débuts. 146 L’acte, qui relève techniquement de la procuratio ad lites, précise l’étendue des capacités comprises dans le mandat (dépôt de libelles, action en débat contradictoire, production de témoins et de preuves écrites, appel, et même représentation par un procureur) : Notum sit omnibus tam presentibus quam futuris quod venerabilis et religiosus vir dominus frater Berengarius Monachi, preceptor Manuasche pro Hospitali Sancti Johannis Jerosolimitani et tenens locum honorabilis et religiosi viri domini fratris Guillelmi de Vilareto, prioris domorum Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani sitarum in prioratu Sancti Egidii, cum voluntate et consensu fratrum conventus palacii Manuasche infrascriptorum, fecit, constituit et sollempniter ordinavit suum certum et generalem procuratorem, sindicum et actorem dominum fratrem Petrum de Sancto Martino, baiulum Manuasche, presentem et recipientem videlicet ad ejus lictes, causas et questiones motas et movendas contra ipsum per aliquam personam seu per aliquas personas et motas et movendas per eum contra quibuscumque personas, et ex quibuscumque rationibus, occasionibus seu causis moverentur et moveri possent per eum vel contra ipsum nomine Sancti Hospitalis. Dans et concedens dictus dominus constituens predicto ejus procuratori plenam et generalem et liberam potestatem nomine suo et dicti Hospitalis, agendi, defendendi, excipiendi, replicandi, proponendi, confitendi, negandi libellos et quibuslibet petitiones alias offerendi et recipiendi, lictes contestandi et de calumpniam seu de veritate dicenda in animam ipsius domini constituentis, jurandi, ponendi, positionibus respondendi titulos et interrogatoria faciendi, petendi et recipiendi, testes et instrumenta et quellibus (sic) alia generalia probationum producendi et ostendendi scententiam et scententias, mandamentum et mandamenta audiendi et ab eis appellandi et appellationes prosequendi et curiam quocumque judice ordinario delegato vel subdelegato veniendi et comparendi et omnia predicta faciendi, compromittendi, transigendi, componendi **assendi et procuratorem et procuratores substituendi insolidum quemlibet ita que ipsorum procuratoris substitutoris non sit melior condicio occupantis (56 H 4652 ; 4 novembre 1290). 147 Sur la procuratio litis et la distinction entre procureur spécial et général : D. Queller, « Thirteenth-century Diplomatic Envoys », p. 205-206. 148 Arch. mun. de Manosque, Kc 7 (28 avril 1262). C’est par deux transactions relatives à l’universitas dont Raimond David est témoin, que l’on apprend que ce dernier est jurisperitus (LPM, no 6, p. 28 ; no 9, p. 34 et 40 ; 2 janvier et 5 avril 1261).

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la pratique administrative149. Là n’était cependant pas l’unique ressort permettant aux responsables de l’institution d’agir in absentia. La procuration, en effet, était limitée aux affaires judiciaires, tandis que l’on fit plutôt appel à la lieutenance pour les transactions plus courantes. Il est significatif que les actes témoignant de ce système de représentation concernent, cette fois-ci, plutôt Aix où Bérenger Monge demeurait moins fréquemment. C’est au prieur de Saint-Jean d’Aix ou au sacriste qu’il incomba le plus souvent d’intervenir « ad vicem », « à la place de, en lieu de », à la différence du procureur qui agissait « pro cura »150. On voit donc le lieutenant du commandeur se livrer à toutes sortes de transactions foncières et s’occuper de recevoir les élections de sépulture à Saint-Jean d’Aix. Il accomplissait encore des actes plus importants, comme le règlement d’un contentieux sur les dîmes avec le chapitre dans le cas du prieur Didier (1258), ou bien la réception solennelle, par le prieur Bertrand Lance, de reliques reçues de Charles Ier d’Anjou (1278)151. Ses prérogatives étaient donc plus étendues que celles du procureur. Mais le fait de devoir agir assez fréquemment en « vices et locum tenens preceptoris », y compris dans des fonctions spirituelles qui devraient relever naturellement d’un clerc, renforçait en définitive l’autorité du commandeur152. Cela n’empêcha pas prieurs et sacristes d’acquérir une autonomie croissante dans leur sphère de compétence respective, notamment sous le prieur de Saint-Gilles Dragonet de Mondragon qui délégua habituellement au prieur d’Aix la gestion de cette commanderie qu’il avait reçue pour chambre153. La procuratio, selon l’esprit du droit, reposait sur la fides et sur l’amitié – d’où sa gratuité puisque l’amitié n’a pas de prix154. Or, au-delà des possibilités données par la procuration ou par la lieutenance, c’est bien sur des hommes de confiance et sans doute même sur des amis – même si le vocabulaire trop juridique des chartes n’emploie jamais ce terme – que Bérenger Monge se reposa encore pour le soutenir dans sa tâche. En accédant aux responsabilités, sans doute trouva-t-il des appuis auprès de frères expérimentés. Je viens de le suggérer avec Guilhem de Pradelles ou bien avec

149 À toutes les échelles de son administration, l’ordre du Temple a également fait un large usage de la procuration (C. Vogel, « Die Prokuratoren der Templer : Diplomatische und rechtliche Aspekte ihrer Einsetzung und ihrer Aufgaben », in K. Borchardt et alii (dir.), The Templars and their Sources, Londres-New York, 2017, p. 133-155). 150  frater Bertrandus Lancea, prior dicte ecclesie Hospitalis predicti, tanquam gerens vices et locum tenens dicti preceptoris, et ejus nomine et nomine ecclesie dicti Hospitalis et pro eis, et totus conventus ejusdem Hospitalis ibidem presens confessi fuerunt et recognoverunt… (CGH, t. 3, no 3657 ; 1er avril 1278). 151 Cf. prosopographies des prieurs Isnard, Didier, Bertrand Lance et Andreas Barrali et du sacriste Peire de Mallemort (An. II, D-1, no 8, 3, 2, 1 et 10). 152 Sur les 23 actes recensés concernant les cinq clercs cités, ceux-ci agissent dix fois en tant que lieutenants ou avec l’aval du commandeur. 153 Cf. prosopographie de Peire de Mallemort (An. II, D-1, no 10) ; et F. de Ferry, La commanderie et le prieuré, p. 34-36. Le commandeur Raimond Isnard agit également « de licencia et voluntate » de Dragonet de Mondragon (56 H 4189 ; 12 août 1303). 154 J.-L. Gazzaniga, « Mandat et représentation dans l’ancien droit », Droits. Revue française de théorie juridique, 6 (1987), p. 21-30.

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le sacriste Guilhem Chabaudus, qui figure souvent au nombre des témoins et qui intervint encore personnellement dans quelques transactions155. Monge fit encore venir à Manosque des frères originaires d’Aix. Le bayle Jaufre de Moissac était issu d’une famille chevaleresque aixoise qui favorisa l’implantation de l’Hôpital dans le terroir de la cité156. Régulièrement signalé dans les tâches quotidiennes de bayle à Manosque, il accomplit quelques missions de confiance pour son commandeur. En janvier 1256, c’est lui qui se présenta au fortalicium comtal de Forcalquier, pour recevoir de Béatrice de Savoie une donation considérable à Aix. Bien plus tard, à l’hiver 1286, pour une concession foncière à un particulier, on le retrouve à Aix où, étrangement, il figure avec le titre de « preceptor Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani Aquensis ». Face à cet hapax, je préfère croire à une erreur du notaire, qui n’en suggère pas moins le crédit dont bénéficiait localement Jaufre de Moissac ou, tout au moins, son lignage. Le second personnage dont Bérenger Monge encouragea probablement le transfert est Bertrand Lance, prieur d’Aix en 1277-1278, que l’on retrouve sacriste à Manosque entre 1283 et 1286157. On ne saurait dire si c’est à la faveur d’un hypothétique début de carrière à la maison d’Aix que Bérenger se lia avec ces deux frères, ou bien si cette proximité releva plus largement de logiques de bon voisinage cultivées au sein de la chevalerie aixoise. Car l’origine familiale jouait indubitablement dans les responsabilités octroyées aux frères. Sans doute n’est-ce pas un hasard si le bayle Raimbaud de Puimichel, issu de la prestigieuse famille de Signes, fut fréquemment envoyé en représentation, sans doute au nom du commandeur mais cette fois-ci moins formellement158. On le trouve ainsi en Savoie en 1260, à l’occasion de la fondation de la maison des Échelles, puis encore à Aix quatre années plus tard. Dans les années 1280, peut-être est-ce encore le même personnage, sans doute âgé mais toujours vaillant, qui sillonne les pays du nord de la Durance pour assurer le lien entre les maisons de l’ordre159. De même, le frère Esparron était sans doute d’origine assez relevée pour se voir confier, sans forcément détenir un office, différentes missions. La deuxième semaine d’août 1262, il se rendait ainsi à Sisteron pour une discussion avec les commandeurs de Gap et des Omergues et procédait, la semaine suivante, au règlement des cavalcades de la maison de Gap160. Ce déplacement intervenait immédiatement à la suite de la transaction par laquelle le prieur Féraud de Barras avait reconnu à Charles Ier, détenir, au nom du comte, toute une série de fiefs en Haute-Provence et devoir à ce titre les cavalcades à Manosque et à Gap161.

155 Vente de 100 setiers de froment (56 H 1088, non folioté ; 1er mai 1257) et investiture d’une maison sous la directe de la commanderie (56 H 4641 ; 11 février 1259). Cf. encore An. II, C-2. 156 An. II, D-1, no 9. 157 An. II, D-1, no 2. Certains frères firent le trajet inverse, comme Jaufre de la Roche de Volx que l’on retrouve à Aix en 1265 (56 H 4827 ; 15 août 1265). 158 An. II, D-1, no 12. 159 Missions à Puimoisson et à Roussillon en 1286 et 1288 (CoHMa, § 167 et 240). Toutefois, celui-ci ne porte que le titre de frater et il n’est donc pas impossible qu’il ne s’agisse plus du bayle mais d’un homonyme. 160 An. II, D-1, no 4 – où figurent d’autres traces de missions accomplies par ce frère. 161 CGH, t. 4, no 3035, p. 38 (28 juillet 1262).

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On soupçonne enfin que certains frères durent leur ascension à l’attention du commandeur Monge. Prenons le parcours de Raimond Isnard de Mallemort, que l’on trouve comme donat dans l’entourage du commandeur en 1281-1283, puis rapidement comme chevalier profès de l’ordre. Dès 1286, voilà qu’il procède à une reconnaissance de biens au nom de l’Hôpital, avant de se retrouver, quelques années plus tard, comme vice preceptoris ou bien « tenant lieu de commandeur » à la cour de justice162. Issus en général de bonnes familles et probablement recrutés jeunes, les donats étaient volontiers appelés comme témoins dans les actes passés par le commandeur. Le cas de Raimond Isnard de Mallemort et celui, cité plus haut, de Guilhem de Saint-Pierre-Avez, pourraient rappeler une forme de compagnonnage liant le seigneur aux jeunes de sa mesnie163. Retrouver ce genre de rapport au palais hospitalier de Manosque n’aurait, après-tout, rien pour surprendre, étant donné le milieu social d’où provenaient tous ces frères. À l’époque moderne, cette forme de lien, qui n’excluait pas l’homosexualité, participait de la socialisation des jeunes frères de l’Hôpital164. Derrière des relations formalisées par des statuts et un vocabulaire institutionnel se cachent sans doute des rapports de réciprocité entre individus et lignages issus du même univers social, voire de vrais liens d’amitié tissés à la faveur d’un compagnonnage qui n’était peut-être pas si éloigné, non plus, de celui des casernes des temps modernes et contemporains165. Malheureusement, sur les formes d’amitié et leur puissance affective, qui liaient nécessairement Bérenger aux plus proches de ses frères, rien ne saurait filtrer de la rhétorique juridique des notaires ou bien de la sécheresse des registres comptables. Pour clore ce chapitre, il reste à savoir si les liens tissés, tant par une discipline commune à l’intérieur de l’institution que par des valeurs partagées à l’extérieur, ont contribué à la formalisation d’un esprit de corps. Autrement dit, les frères qui, autour de Bérenger Monge, se partagèrent le pouvoir et ses bénéfices, ont-ils constitué un véritable corps d’officiers ? J’entends par corps, un groupe d’individus conscients des avantages liés à leurs fonctions et qui s’efforcèrent donc de maintenir, en leur sein, la circulation des offices offerts par l’institution.

162 An. II, D-1, no 14. 163 En péninsule Ibérique, le terme de compagnon (« compannones ») est attesté, à partir du milieu du xiiie siècle, chez les hospitaliers pour désigner les frères entourant le commandeur (Ph. Josserand, Église et pouvoir dans la Péninsule ibérique. Les ordres militaires dans le royaume de Castille (1252-1369), Madrid, 2004, p. 405). Sur les relations liant les juvenes au senior au sein de la mesnie, je m’en tiens à l’article classique de G. Duby, « Dans la France du Nord-Ouest au xiie siècle : les “jeunes” dans la société aristocratique », Annales ESC, 19/5 (1964), p. 835-846. Et pour une analyse modèle des relations affectives qui pouvaient se nouer en milieu vassalique : L. Macé, Les comtes de Toulouse et leur entourage, xiie-xiiie siècles. Rivalités, alliances et jeux de pouvoir, Toulouse, 2000, p. 251-261. 164 E. Buttigieg, Nobility, Faith and Masculinity. The Hospitaller Knights of Malta, c. 1580-c. 1700, Londres, 2011, p. 187-190. 165 Sur les liens de camaraderie et l’intégration des valeurs du groupe forgés par la vie commune à la caserne : O. Roynette, “Bon pour le service”. L’expérience de la caserne en France à la fin du xixe siècle, Paris, 2000, notamment p. 369-382.

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Les officiers de la baillie : naissance d’un corps ?

La plupart de ces officiers furent d’abord attestés comme simples frères à Manosque. Une promotion interne, donc, qui ne surprend guère dans une configuration de recrutement local déjà maintes fois observée chez les ordres militaires. À ces hommes, l’accès aux offices de l’ordre offrit très probablement un surcroît de prestige social et une amélioration du niveau de vie. Des indices, encore ténus pour cette époque, suggèrent que Bérenger Monge n’était pas seul à profiter des bénéfices de la baillie. Le 2 octobre 1283, après avoir acquis un défens au lieu-dit Amalguier, le commandeur de Manosque remettait l’usufruit de cette terre à Simon, sénéchal du palais, en vertu d’un statut magistral autorisant un frère à jouir d’un bien acheté dans la baillie, pour sa subsistance et à titre viager166. En 1284, le commandeur des moulins tenait un pré de l’ordre, simplement mentionné au détour de confronts167. En 1286, Rostan et Raimond Rossi renonçaient à leurs prétentions sur tous les biens et possessions que le frère Boniface tenait au nom de l’Hôpital168. Aussi erratiques soient-elles, ces mentions montrent bien que les officiers recevaient des rentes sur les biens de la baillie qui, sans doute, leur permettaient d’améliorer l’ordinaire, déjà convenable, assuré par l’institution. D’autre part, rien n’empêchait, semble-t-il, des frères de disposer d’un patrimoine propre. En 1267, Bérenger Monge et Géraud, prêtre du palais, procèdent ainsi à un échange de terres. L’acte ne précise pas le statut de celles-ci, mais le fait que le prêtre agisse « per se et suos » suggère que le fonds qu’il cédait avait une origine patrimoniale169. Au début du xive siècle, à Aix cette fois-ci, on voit encore le frère Guilhem Raybaud faire don à son neveu Peire Rainaud de plusieurs cens au lieu-dit Vinhals170. Enfin, d’autres mouvements d’argent, en sens inverse semble-t-il, restent difficiles à interpréter en l’état des connaissances. Que sont par exemple, dans les comptes des années 1260, ces revenus associés au frère Guilhem Morre171 ? Tout comme le commandeur, les frères qui avaient acquis des responsabilités pouvaient aspirer à une amélioration de leur condition de vie. Ces mandats, et donc 166 …cum ut dicitur dominus magister Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani de Acon et conventus dicti Hospitalis fecerint statutum quod quicumque frater Hospitalis emeret existendo in aliqua baiulia aliquid vel in aliquo officio existendo, quod fructus illius rei quam emeret posset percipere et habere quamdiu viveret pro suis necessitatibus sustentandis… (56 H 4644 ; 2 octobre 1283). 167 …confrontatur ab una parte cum prato Hospitalis quod nunc tenet frater Bertrandus, preceptor molendinorum… (56 H 849bis, f. 227-229v ; 2 juin 1284). 168 …super controversiis et querellis quas domus Hospitalis Manuasche habebat de bonis et omnis possessionis quae Boniffacius fratre Hospitalis habebat et possidebat nomine Hospitalis… (56 H 68, f. 585v-686 ; inventaire de 1531). Il doit s’agir du frère Boniface de Saint-Juers attesté en 1281-1291. 169 Géraud donne une terre sous le moulin Soubeyran et reçoit du commandeur une terre aux Prés Combaux plus un pré derrière le moulin Supérieur (56 H 4677 ; 4 août 1267). Deux années plus tôt, le même prêtre Géraud recevait un legs à titre personnel de la part de Peire Radulfus et figurait comme témoin de son testament (56 H 1090, f. 7-8 ; 1265). 170 56 H 50, f. 81 (8 février 1322). À partir du début du xive siècle, en Haute-Alsace, on voit frères et donats recevoir des rentes de leurs parents (N. Buchheit, Les commanderies hospitalières. Réseaux et territoires en Basse-Alsace, xiiie-xive siècles, Paris, 2014, p. 148-149). 171 Figurent parmi les entrées : De proprio fratri W. Morre xxvi sol.[…] De preda fratri Morre xxiii sol. (56 H 835, f. 18r-v ; avril 1261).

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durée cumulée

autres éléments de carrière connus

Jaufre de Moissac [1] 1248, 1256 ; 1260-1263 ; 12661268 ; 1275

10 ans

Bertrand d’Aubenas Raimbaud de Puimichel

1253 1257-1259 ; 1264, 1265

1 an 5 ans

7 ans

Peire de SaintMartin Bertrand Gantelme

1268 ? ; 1271, 1272, 1274-1276 ; 1294-1295 1277 ; 1282-1285 ; 1288 ; 1292, 1293 ; 1296-1297, 1299 1278 ; 1280, 1281, 1282 ; 1287

11 ans

Imbert de Salavacio Jaufre de Moissac [2]

1296 ; 1298, 1299 1300 ; 1306 ; 1313-1314

3 ans 4 ans

frater miles : 1256 ; 1274-1275 ; 1286 ; cdeur d’Embrun : 1283-1289 ; 1296 ? preceptor castri : 1256 frater : 1260 ; 1267 ; cdeur de Comps : 1272-1273 ; syndic du prieuré : 1277 ; cdeur de La Croix ou de Beaulieu : 1283 commandeur de Narbonne : 1283 ? frater (miles) : 1274 ; 1281 ; 1289 commandeur d’Embrun : 1300 donat : 1271 frater (miles) : 1273-1276 ? frater : 1299

 

Uc de Corri

années attestées

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5 ans

Fig. 8. Bayles de Manosque attestés sous le préceptorat de Bérenger Monge

les bénéfices qui pouvaient leur être liés, ont-ils circulé avec fluidité au sein de la communauté ou furent-ils, au contraire, réservés à quelques frères ? Je me concentrerai essentiellement sur les bayles de Manosque, puisque ce sont les officiers qui, après le commandeur, ont laissé le plus de traces dans la documentation (fig. 8). Il faut d’emblée rappeler deux limites importantes à ce tableau. La première a déjà été soulignée : en l’absence d’une prosopographie véritable des frères de l’Hôpital, on ne sait pas grand-chose des parcours des frères hors des charges occupées à Manosque. Le second problème, classique, réside dans l’homonymie possible de certains individus. Ainsi deux – voire peut-être trois – frères appelés Raimbaud de Puimichel ont évolué en même temps en Haute-Provence. Un individu du nom de Jaufre de Moissac est attesté au minimum entre 1248 et 1314 : en considérant un seul et même frère, cela lui vaudrait une carrière de 66 années au minimum qui n’est, certes, pas totalement inconcevable. Sept ou huit bayles différents se sont donc succédé durant le préceptorat de Bérenger Monge mais jamais – sauf peut-être Imbert de Salavacio –, ils n’ont exercé cette fonction d’un seul tenant. Malgré les lacunes documentaires, il semble que le frère restait en fonction deux ou trois ans, quitte, le plus souvent, à retrouver son poste quelques années plus tard. Le cumul des différents mandats aboutit à une moyenne de quatre ou cinq années de service, à l’exception de la longévité de Jaufre de Moissac et de Peire de Saint-Martin. Si Jaufre de Moissac a donc accompagné le préceptorat de Monge pendant une vingtaine d’années, un renouvellement de génération est ensuite intervenu. Peire de Saint-Martin, que l’on trouve comme simple frère en 1274, était nécessairement plus jeune que son commandeur.

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Ce système de rotation suggère que ces bayles avaient acquis de réelles compétences qui les distinguaient du commun des hospitaliers et qui leur permettaient d’accéder à la charge de commandeur. Risquons-nous à surinterpréter un peu en imaginant que Bertrand d’Aubenas avait un profil plus « militaire » qu’« administratif » qui lui valut de devenir preceptor castri, après être resté comme bayle seulement une année. C’est que les bayles étaient rompus à la gestion quotidienne et partageaient sans doute une même approche de l’écrit pragmatique. Outre leurs compétences particulières, cet échantillon suggère que les bayles étaient tous issus de la petite ou moyenne noblesse172. De fait, un réel fossé semble avoir séparé cette élite des autres officiers de la baillie. Le nom unique qui suffit à qualifier quatre sénéchaux sur les six connus, ainsi que les différents recteurs des moulins, des fours et des ovins, suggère l’infériorité de leur condition sociale173. Seul semble faire exception le preceptor castri, qui devait sans doute être chevalier et dont le prestige remontait peut-être au temps où le commandeur était également châtelain. On aurait donc, d’un côté, une élite de terrain mais embrassant l’ensemble de la baillie, et de l’autre, des offices subalternes, nécessitant néanmoins des aptitudes bien réelles mais concentrées sur un poste de gestion particulier – le palais, les moulins, les membres… Si les postes de commandeurs et de bayles semblent bien avoir été réservés à une élite de frères, on ne peut en revanche appréhender les modalités de la distribution des fonctions secondaires. Domaine réservé des frères du rang, assimilables aux sergents sans en porter le titre, on ne sait dans quelle mesure ces charges purent être monopolisées au profit de quelques-uns. Tout juste semble se manifester une tendance à un certain enracinement, si l’on en juge aux cas de Simon, éventuellement sénéchal pendant au moins sept années (1282-1288), et du commandeur des moulins, Bertrand, attesté au moins entre 1267 et 1285174. Hélas, la reconstitution des itinéraires des officiers subalternes est limitée par une certaine banalité anthroponymique qui, déjà, est preuve en soi d’une sous-distinction. Pour en rester au cas de Bertrand commandeur des moulins, un homonyme est attesté comme simple frère dès 1256, tandis qu’un autre est recteur des fours en 1290-1293175. S’il s’avérait que ces différentes mentions relèvent bien du même individu, ce Bertrand aurait passé au moins 37 ans de sa vie à la commanderie de Manosque, comme spécialiste des outils de production liés au ban seigneurial. Cela conduit à la question, déjà plusieurs fois entrevue, de l’apparente longévité d’un certain nombre de carrières. Voici un petit échantillon pris parmi les différentes catégories de frères (fig. 9).

172 Dans les seigneuries laïques de Basse-Provence, les bayles se recrutaient de même parmi les catégories urbaines aisées et les élites villageoises (M. Aurell, « Le roi et les Baux, la mémoire et la seigneurie (Arles, 1269-1270) », Provence historique, 49 (1999), p. 51). En revanche, on peut penser qu’ils étaient plutôt dépositaires d’un savoir fondé sur l’oralité et que tous n’étaient donc pas lisants et écrivants (L. Verdon, La voix des dominés. Communautés et seigneurie en Provence au bas Moyen Âge, Rennes, 2012, p. 146-147). 173 Cf. An. II, B-2. À l’échelle du couvent central, l’office de sénéchal aurait été déclassé, à l’Hôpital comme au Temple, à la charnière des xiie et xiiie siècles ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 62-63). 174 On ne saurait dire pour les autres postes, mais il ne semble pas que le sénéchalat ait été caractérisé, comme la baylie, par des mandats entrecoupés. 175 Cf. An. II, C-2 et An. II, B-2.

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frère

statut principal

carrière attestée

durée

Bérenger Monge Jaufre de Moissac [1] Jaufre de Moissac [2] Jaufre de Moissac [1 = 2] Peire de Saint-Martin Raimbaud de Puimichel Esparron de Bras Géraud Uc de Corri Didier Bertrand

frère + commandeur bayle, commandeur bayle bayle, commandeur bayle, commandeur bayle, commandeur frère chevalier chapelain du palais bayle, commandeur prieur d’Aix commandeur des moulins

1239-1249-1300 1248-1296 1299-1314 1248-1314 ? 1274-1300 1257-1283 1261-1286 1251-1275 1271-1295 1255-1274 1267-1285

61 ans 48 ans 15 ans 63 ans ? 26 ans 26 ans 25 ans 24 ans 24 ans 19 ans 18 ans

Fig. 9. Durée de carrière de quelques hospitaliers

Il n’est pas rare que la présence des frères à Manosque ou dans les commanderies environnantes soit attestée sur une vingtaine d’années, ce qui ne préjuge en rien des antécédents et des suites de leur carrière, puisque je me suis limité à un repérage local176. Il ne faut pas cacher le problème de l’homonymie qui caractérise la relation familiale, en général népotique, entre deux individus. Le népotisme est amplement attesté chez les ordres militaires à la fin du Moyen Âge et, s’il a été peu étudié jusqu’ici, Philippe Josserand s’est tout de même penché sur les avantages de toutes sortes que l’entrée d’un individu dans un ordre militaire procurait à son propre lignage177. Il faut dire que tenter une étude systématique à partir des actes de la pratique est pour le moins délicat : hors des indices livrés par l’anthroponymie, les relations familiales entre religieux d’un même ordre sont rarement signalées, tandis que le cas même de Berengarius Monachi juvenis évoqué dans un chapitre précédent montre que l’homonymie n’implique pas forcément une relation directe d’oncle à neveu au troisième degré178. Des indices épars suggèrent toutefois que le népotisme était fort commun, au moins dès le xiiie siècle – on en trouvera trace un peu plus loin chez un prieur comme Féraud de Barras. Dans l’entourage de Bérenger Monge, il est fort

176 Il faut, en outre, toujours rappeler les limites de l’exercice empirique consistant à reconstituer des carrières à partir d’une documentation par essence discontinue et lacunaire. Je ne prendrai que l’exemple du frère Esparron de Bras qui n’apparaît avec son cognomen toponymique qu’une seule fois. Seule la probabilité permet donc de rattacher l’ensemble des occurrences d’un frater Sparronus à un même sujet (cf. An. II, D-1, no 4). 177 Ph. Josserand, Église et pouvoir, p. 411-419. Alessandro Barbero fut l’un des premiers à soulever la question : A. Barbero, « Motivazioni religiose e motivazioni utilitarie nel reclutamento degli ordini monastico-cavallereschi », in “Militia christi” e crociata nei secoli xi-xiii, Milan, 1992, p. 721-722. 178 Un acte de 1232 concernant la commanderie de Comps offre un cas rare où la relation familiale est signalée. On y trouve le frère Raimbaud de Manteyer – à rapprocher probablement du commandeur de Manosque vers 1222-1225 – flanqué de ses deux neveux : fratre Raimbaudo de Mantejer, fratre Gantelmo, fratre Ysnardo, nepotibus dicti Raimbaudi, testes ad hoc vocati (56 H 4372 ; 13 août 1232).

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probable qu’Isnard de Mallemort, donat présent au palais de Manosque dans les années 1290, a suivi exactement la même trajectoire que son parent Raimond Isnard de Mallemort179. On peut se poser la même question pour Raimbaud de Puimichel – un premier individu bayle puis commandeur, un second, commandeur – ou pour Jaufre de Moissac – deux frères successivement bayles à Manosque. Si l’existence de deux individus homonymes était avérée dans ces cas, il faudrait envisager un système de succession népotique qui verrait deux membres de la même famille, liés par une anthroponymie identique, monopoliser les mêmes charges sur deux générations. Voilà qui illustrerait de belle manière le degré d’intégration de certains lignages à l’ordre militaire ! Aucune preuve assurée, en revanche, n’atteste que Bérenger Monge s’est lui-même entouré de parents proches. Seule l’apparition furtive, dans les comptes, d’un « petit Bérenger », donat à Manosque, laisse planer quelque doute180. Indépendamment de la question du népotisme, revenons sur celle de la longévité, dont les soixante et une années de carrière attestées de Bérenger Monge représentent l’exemple vivant et paroxystique. Sources écrites et anthropologie funéraire concordent au moins sur un point : les hospitaliers de la fin du Moyen Âge bénéficiaient d’un état sanitaire satisfaisant et d’une espérance de vie assez remarquable. Si, dans les années 1370, l’Hôpital en Provence donne l’impression d’un ordre vieillissant, c’est bien que de nombreux frères furent en mesure d’atteindre un âge vénérable181. Pour un même contexte géographique et culturel, cette impression se trouve confirmée par la fouille du cimetière dépendant de la maison de l’Hôpital de l’Argentière, dans les Hautes-Alpes. Les tombes rupestres, que seule une chronologie relative rapporte au xiie ou xiiie siècle, renfermaient essentiellement des squelettes « d’hommes d’un âge avancé »182. Sans trop nous attarder là-dessus, soulignons tout de même les excellentes conditions sanitaires dont bénéficiait, tout au moins à Manosque, la communauté hospitalière. Outre la diversité alimentaire aperçue au chapitre précédent, frères et familiers évoluaient dans des conditions de propreté décentes, permises notamment par l’entretien d’une domesticité183. Surtout, tous semblent avoir eu un accès privilégié aux soins, ce qui étonne peu pour une institution fondée sur l’assistance et, à ce titre,

179 Cf. An. II, D-1, no 14. 180 Item xiii s. et viiii d. in quodam epitogio ad opus Berengayre[n]ci donati (CoHMa, § 340 ; 22 janvier 1290). A. Venturini a proposé de traduire ce nomen par « fils ou descendant de Bérenger » (ibid., p. 150). 181 D’après l’enquête de 1373, 5% des frères avaient entre 70 et 90 ans (N. Coulet, « Les effectifs des commanderies du grand-prieuré de Saint-Gilles en 1373 », Provence historique, 45 (1995), p. 112-116). Bonne santé et longévité ont également été constatées pour les hospitaliers aragonais au xive siècle (A. Luttrell, « Hospitaller Life in Aragon », p. 111). 182 S. Tzortzis et alii, « Les fouilles archéologiques et anthropologiques des abords de la chapelle Saint-Jean (L’Argentière-la-Bessée, Hautes-Alpes). Résultats préliminaires », in G. Boestch et E. Rabino-Massa (dir.), Les écosystèmes alpins : approches anthropologiques, Gap, 2001, p. 61-81, notamment p. 78-79. Pour d’autres exemples, je me permets de renvoyer à un article de synthèse : D. Carraz, « Archéologie des commanderies de l’Hôpital et du Temple en France (1977-2007) », Cahiers de Recherches Médiévales, 15 (2008), p. 187-194. 183 Les comptes mentionnent l’achat de savon pour laver les draps et le travail de blanchisserie (56 H 835, f. 36v, 48r, etc. ; CoHMa, § 35). Pour limiter le propos, je n’envisage pas ici les enquêtes de 1338 et 1373 qui n’en livrent pas moins de multiples informations relatives à l’hygiène et aux soins.

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dépositaire d’une certaine tradition médicale184. Les hospitaliers ne semblent donc avoir éprouvé aucune difficulté à s’approvisionner en médicaments et à employer des médecins dans une ville où la profession était bien représentée185. Les comptes attestent ainsi la pratique de la saignée mais surtout la consommation de sirops et de diverses catégories de sucre186. Il ne se passait donc pas une semaine sans que les mêmes documents ne mentionnent les soins de deux ou trois frères ou donats, certains demeurant parfois à l’infirmerie plusieurs jours187. À partir des comptes des années 1283-1290, Henri Bresc a vu dans les dépenses médicales, caractérisées par une nette accélération de la courbe de répartition des soins individuels pendant la période estivale, le « reflet inquiétant » d’une dégradation climatique188. Cependant, les derniers feux du « petit optimum médiéval » n’expliquent sans doute pas seulement la fréquentation régulière de l’infirmerie. Encore faut-il faire la part de la présence d’un certain nombre de frères âgés. Manosque ne représentait assurément pas un cas particulier et, à partir des années 1270, la législation de l’ordre commença à considérer l’ancienneté comme un critère toujours plus grand d’honorabilité189. Dans les projets de réforme proposés par certains dignitaires en 1295, il fut encore question d’instituer un collège de définiteurs qui s’engageraient à démissionner à 184 Au sein d’une riche bibliographie consacrée à l’assistance exercée par l’Hôpital, je m’en tiens à la situation provençale : D. Le Blévec, La part du pauvre. L’assistance dans les pays du Bas-Rhône du xiie siècle au milieu du xve siècle, Rome-Paris, 2000, p. 85-120. 185 Le salaire du médecin (40 s. en moyenne) apparaît régulièrement dans les comptes (56 H 835, f. 29 et 39 ; CoHMa, § 93, 118, 200, 248, etc.). Praticiens dans l’entourage des frères : Tassilus medicus (56 H 4638 ; mars 1212) ; magister Hugo medicus (56 H 4640 ; 6 octobre 1231) ; à Aix : magistri Mathei fisici et Pellegrini ypotecharii (56 H 4201 ; 13 décembre 1287). Le nombre de médecins exerçant à Manosque a été estimé à huit ou neuf pour 4 000 habitants à la charnière des xiiie et xive siècles, soit un taux d’encadrement élevé ( J. Shatzmiller, Médecine et justice en Provence médiévale. Documents de Manosque, 1262-1348, Aix-en-Provence, 1989, p. 12). 186 Frères saignés (CoHMa, § 93, 156, 199, 251, etc.) ; sirop (56 H 835, f. 1v, 2r-v, 18r-v, 22v, 33, 42v, 48, etc.) ; sucre (f. 21, 23v, 35v, 43v, etc.) ; sucre rosat (f. 22r-v, 27, 33, etc.) ; sucre cande (f. 22v) ; sucre servant à fabriquer du sirop (f. 20v, 42v) ; onguents (f. 33). Le sucre a d’abord été utilisé par les apothicaires mais il pouvait servir aussi à préparer des boissons énergétiques (M. Ouerfelli, Le sucre. Production, commercialisation et usages dans la Méditerranée médiévale, Leyde-Boston, 2008, p. 553-560 ; W. Pfeffer, Le festin du troubadour. Nourriture, société et littérature en Occitanie (1100-1500), Cahors, 2016, p. 100-103). Il n’est guère étonnant de trouver en quantité, dans les comptes hospitaliers, ce produit qui arrivait dans le Midi via Narbonne et Marseille et que l’ordre produisait lui-même en Orient (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 398). 187 Les mentions de frères ou de donats « qui infimabantur » ou « infirmis/egrotantibus » sont si nombreuses, qu’il devrait être possible de calculer le poids des dépenses médicales sur le budget de la baillie (56 H 835, f. 2v, 3v, 5, 9, 10, etc. ; CoHMa, § 2, 3, 5, 6, 12, 13, 14, 15, 16, etc.). En outre, le palais disposait bien d’une domus ou camera infirmarie (CoHMa, § 188, 304). 188 L’avancée des travaux agraires par rapport au calendrier habituel suggère une phase climatique chaude et donc une aggravation de l’amplitude thermique entre hiver et été (H. Bresc, compte-rendu des CoHMa, Revue Mabillon, 27 (2016), p. 385). À l’échelle européenne, les années 1270-1280 connurent en effet une série d’étés particulièrement chauds (E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, I. Canicules et glaciers (xiiie-xviiie siècle), Paris, 2004, p. 25-26). 189 Aux deux derniers siècles du Moyen Âge, l’ancianitas désormais réglementée constituera un critère déterminant dans l’évolution des carrières (P. Bonneaud, « La règle de l’ancianitas dans l’ordre de l’Hôpital, le prieuré de Catalogne et la Castellania de Amposta aux xive et xve siècles », in K. Borchardt et alii (dir.), The Hospitallers, the Mediterranean and Europe, p. 221-232). La même prévenance à l’égard

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l’âge de 75 ans190. Autour de Bérenger Monge s’affairaient des frères qui, comme Jaufre de Moissac, le chevalier Esparron ou Bertrand, recteur des moulins, pouvaient bien avoir atteint la soixantaine dans les années 1270-1280. Cet âge vénérable, qui renvoyait l’image d’une certaine stabilité des structures, devait procurer à ces cadres respect et considération de la part des jeunes recrues191. Dans un autre contexte, le projet de croisade rédigé par le frère Roger de Stanegrave autour de 1332 montre combien comptait le conseil « des nobles vieillardes » dans la conduite de la guerre192. Sans doute serait-il aventuré d’y voir, déjà, les prémices du « patriarcat » institué au sein de l’ordre de Malte : Emanuel Buttigieg applique, en effet, cette notion à un principe d’organisation des relations entre les frères dans lequel l’âge jouait un rôle fondamental193. Sans aller jusqu’à parler de gérontocratie, selon la formule d’autres auteurs, il apparaît bien que l’accomplissement d’une vie longue et bien remplie caractérisa un certain nombre de trajectoires liées à Bérenger Monge194. Certes, les dignitaires, pour être mieux documentés que les simples frères, n’étaient probablement pas les seuls à atteindre un âge vénérable. Il n’empêche qu’on les voit bien s’accrocher à leur statut, à l’image de Bérenger Monge lui-même qui, si l’on suit mes hypothèses, pouvait avoir 90 ans passés lorsqu’il renonça enfin à ses mandats. Décidément, les avantages de la fonction étaient trop importants pour que de tels personnages se résignassent facilement à la retraite. * Avec l’avancée de l’âge, idéalement représentée sur le vitrail et peut-être sur le mausolée comtal de Saint-Jean de Malte, dût s’accroître encore l’autorité naturelle qu’inspirait Bérenger Monge. Tout au long de sa vie, celui-ci accumula ces formes de capital symbolique conférées par la naissance, des savoirs, une expérience, enfin, les différents leviers de l’autorité constituée dans le champ institutionnel195. Pour cerner un peu la nature de cette autorité attribuée par l’Hôpital, il n’est pas déplacé de revenir

« des plus anciens » existe dans la législation du Temple, où la prise en charge des frères « retraités » dans les commanderies est par ailleurs bien attestée (A. Forey, « Provision for the Aged in Templar Commanderies », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, p. 175-185). 190 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 247. 191 Sur cette idée, je me réfère à l’analyse de B. Guenée, « L’âge des personnes authentiques : ceux qui comptent dans la société médiévale sont-ils jeunes ou vieux ? », in F. Autrand (dir.), Prosopographie et genèse de l’État moderne, Paris, 1986, p. 276-277. 192 Roger de Stanegrave, Li Charboclois d’armes du conquest precious de la Terre saint de promission, éd. in J. Paviot, Projets de croisade (v. 1290-v. 1330), Paris, 2009, p. 329 (chap. xxi. De la matiere des nobles vieillardes). Notons que cet hospitalier anglais, qui rentrait de 34 ans de captivité lorsqu’il entreprit de rédiger son traité, devait lui-même être au crépuscule de sa vie. 193 E. Buttigieg, Nobility, Faith and Masculinity, p. 60-77. 194 L’origine de cette « gérontocratie » remonterait au xive siècle ( J.-M. Roger, « L’ordre de Malte et la gestion de ses biens en France du milieu du xvie siècle à la Révolution », in Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement, p. 180). 195 L’autorité constituée est celle qui découle du système de la domination légale (M. Weber, Économie et société [1922], t. I, Les catégories de la sociologie, Paris, 2003, p. 290-294).

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sur la comparaison entre le commandeur et l’abbé du monachisme traditionnel. Si l’on peut, dans les deux configurations, accepter une origine qui remonterait au pater familias, la domination du commandeur me semble différer de celle de l’abbé dans le sens où elle est, finalement, assez peu charismatique196. L’autorité qui liait les frères à leur commandeur n’était pas celle de disciples qui abandonneraient tout pouvoir à un père spirituel. D’autre part, l’abbé était responsable à vie de ses moines, alors que les ordres militaires ont préféré, comme le firent les ordres mendiants après eux, éviter de conférer un pouvoir définitif à leurs « ministres »197. Toutefois, chez les hospitaliers également, on a observé cette tendance, qui ne s’affirma résolument qu’à partir du xive siècle, à la concession de charges viagères et au cumul des mandats. Ce qui, en revanche, est sensible dès le temps de Bérenger Monge, au-delà même de la longévité assez peu commune de son pouvoir, c’est l’apparition d’un type de système bénéficial qui ne dit pas son nom. Malgré la ténuité des indices, pratiques comme normatifs, on a vu le commandeur et certains de ses frères jouir personnellement de revenus octroyés sur le temporel de la commanderie. Cet apport matériel permettait au commandeur – secondairement à quelques autres officiers de la baillie –, non seulement de « vivre mieux », mais surtout d’accroître son autorité. Sans envisager ici encore la figure du constructeur qui nous occupera ultérieurement, la fondation faite en 1283 pour le bénéfice spirituel de la communauté régulière a montré comment la redistribution des honneurs pouvait être utilisée en ce sens. Les sources, hélas, ne permettent pas d’explorer plus avant les liens d’intérêt et de fidélité affective qu’il a été possible d’observer, pour l’époque moderne, entre le grand maître de Malte et les chevaliers de sa clientèle198. Malgré tout, le rapport de réciprocité ainsi créé entre le commandeur et ses frères renvoie à la nature interdépendante d’un pouvoir qui, loin d’être un attribut immanent, ne se manifeste que dans un jeu de relations199. L’insistance normative sur l’obéissance cache mal, en effet, les palabres et les négociations qui, en chapitre ou ailleurs, devaient occuper la sanior pars de la communauté hospitalière. De même, si l’autorité est aussi une affaire d’affects, la documentation ne laisse rien transparaître des amitiés et possibles inimitiés qui purent se développer dans ce milieu presque exclusivement masculin200. Avec le système des mandats provisoires ou bien celui des offices spécialisés, Bérenger Monge a pu surtout s’appuyer sur un véritable « circuit de délégation201 ». 196 Pour ne pas aller trop loin sur cette question, on s’en tiendra à la définition de la domination charismatique donnée par M. Weber, Économie et société, p. 320-325. La dimension charismatique de l’abbé est abordée à plusieurs reprises par A. de Vogüé, La règle de saint Benoît, p. 154-156, 165-166, 537-538, etc. ; et G. Melville, « Les fondements spirituels », p. 17-19. 197 Sur le refus du mandat viager dans certains mouvements réguliers évangéliques : J. Dalarun, Gouverner c’est servir, p. 275-276. 198 A. Brogini, Une noblesse en Méditerranée. Le couvent des hospitaliers dans la première modernité, Aix-enProvence, 2017, p. 239. 199 M. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, 1977, p. 65-66. 200 Sur les affects comme forces motrices des institutions, j’en reviens à F. Lordon, La société des affects, p. 146-147. Sur la construction de la masculinité chez les chevaliers de Malte : E. Buttigieg, Nobility, Faith and Masculinity. 201 P. Bourdieu, « De la maison du roi », p. 56.

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Certes, la commanderie n’a pas encore généré un véritable pouvoir bureaucratique au sens bourdieusien, mais a tout de même donné naissance à un corps d’officiers, semble-t-il désignés pour leurs compétences particulières. On n’a pas constaté d’homogénéité sociale de ce groupe pris dans son ensemble, sauf pour les mandats supérieurs des commandeurs et des bayles qui se recrutaient dans la petite et moyenne aristocratie202. Observée essentiellement pour les bayles, la succession d’officiers de profil semblable tendait vers une dissociation de la personne et de la fonction, déjà caractéristique de la modernité administrative. Aussi, la spécialisation qui s’est dessinée a créé une autre forme d’interdépendance entre les différents offices qui a pu jouer dans la constitution d’un corps203. On ne parlera pas encore, pour autant, d’une véritable oligarchie à l’échelle de la commanderie : si oligarchie il y eut dès cette époque, ce serait plutôt à partir du rang des prieurs et des dignitaires du couvent central qu’il faudrait la chercher204. Le fait qu’il n’existât pas encore de fermeture oligarchique est accrédité par le véritable « contraste de situation » observable au sein de l’élite hospitalière205. A-t-il suffi à Bérenger Monge de cumuler deux des plus prestigieuses commanderies du prieuré de Saint-Gilles pour se hisser résolument au-dessus du statut de commandeur ordinaire ? Avant même de se prononcer sur l’exemplarité de son cas, il est temps, justement, de le voir à l’œuvre dans ce statut de commandeur, comme administrateur et seigneur.

202 Toute proportion gardée bien entendu, le constat n’est pas sans rappeler l’appareil bureaucratique de l’État provençal, fondé dès le xive siècle sur la compétence des officiers, sans que ne se dégage encore une réelle homogénéité sociale ( J.-L. Bonnaud, Un État en Provence. Les officiers locaux du comte de Provence au xive siècle (1309-1382), Rennes, 2007, p. 212-215). 203 Plus les fonctions se spécialisent au sein d’une société, plus les individus deviennent dépendants les uns des autres (N. Elias, La société des individus, p. 186-187). 204 Pour un aperçu sur le « tournant oligarchique » que connut l’ensemble des ordres militaires dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, je me permets de renvoyer à D. Carraz, « Le monachisme militaire, laboratoire de la sociogenèse des élites laïques dans l’Occident médiéval ? », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires, p. 45-51. 205 L’expression est empruntée au cas des commandeurs en Castille (Ph. Josserand, « La figure du commandeur », p. 155).

Deuxième partie

L’administrateur

Chapitre iv

Une « grande transformation » ? Une génération d’administration seigneuriale

En un sens, la longue génération du gouvernement de Bérenger Monge assura à l’administration des commanderies d’Aix et Manosque une remarquable continuité. Outre la personnalité du commandeur, on a déjà évoqué un certain nombre de figures, notamment parmi les bayles, dont la carrière fut marquée par un enracinement local. Cette impression de stabilité ne se limite pas aux cadres de la communauté régulière car on la retrouvera chez plusieurs autres individus liés d’une manière ou d’une autre à la commanderie – notaires, juristes, marchands… En bien des aspects, Bérenger Monge s’est donc inscrit dans la postérité de ses prédécesseurs. Il a parachevé le rassemblement du temporel et consolidé les bases juridiques du dominium, c’est-à-dire du pouvoir exercé sur la terre et sur les hommes. Sous son gouvernement s’est poursuivie la fabrique d’un véritable territoire seigneurial, aménagé, délimité et dominé. Les modes de production, fondés sur l’exploitation du travail paysan et sur l’élevage, semblaient marqués par des habitudes ancestrales. Fixés depuis des générations, les rapports de pouvoir sur les hommes de la seigneurie – ce sera l’objet du chapitre suivant – pourraient eux-mêmes apparaître comme immuables. Aussi, impulsée par Bérenger Monge dès son arrivée, la mise en ordre des archives s’est-elle d’abord assurée de la préservation des titres anciens : on a recopié les chartes vénérables dans des cartulaires, conservé avec soin chirographes et vieux censiers, analysé ou publié les actes éparpillés. Cette impression de stabilité enracinée dans la tradition, pourtant, n’est-elle pas illusoire ? Les années 1260-1300 furent marquées par l’efflorescence de nouveaux genres documentaires : comptabilités diverses comme livres de reconnaissances ou d’anniversaires affectaient désormais la forme de registres de papier. Produits en série, ces dénombrements variés visaient à une connaissance toujours plus précise des droits seigneuriaux comme des revenus à en attendre, des capacités de production et des charges pesant sur le budget de la commanderie. En bref, cette « révolution documentaire » traduit à elle-seule les façons nouvelles d’appréhender la gestion d’une seigneurie, désormais totalement intégrée dans les courants d’échanges et dans l’économie monétaire1. Les relations démultipliées avec les techniciens de l’écriture et du droit comme avec les milieux d’affaires vont encore dans le même sens. Car la trajectoire de Bérenger Monge s’est aussi inscrite dans ce « beau xiiie siècle »



1 L’expression vient bien sûr du compte-rendu classique de J.-Cl. Maire-Vigueur, « Révolution documentaire et révolution scripturaire : le cas de l’Italie médiévale », Bibliothèque de l’École des chartes, 153 (1995), p. 177-185.

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marqué, en ses dernières décennies, par de profondes mutations économiques et sociales. La pression démographique sur le sol se lit derrière les tensions opposant les hospitaliers aux habitants pour l’exploitation des ressources naturelles. Les déploraisons alarmistes sur l’endettement de l’Hôpital ne sont-elles pas, par ailleurs, symptomatiques d’une économie nouvelle dont le vecteur principal était désormais l’instrument monétaire ? Finalement, cette génération n’aurait-elle pas déjà connu certaines prémices de la « grande transformation » qui allait marquer l’entrée des sociétés européennes dans la première modernité2 ? Face au déséquilibre documentaire entre les commanderies de Manosque et d’Aix, il faudra, une fois de plus, se résoudre à diriger le projecteur sur la Haute-Provence et laisser dans l’ombre la capitale comtale. J’ai souhaité, encore, suivre les hommes de préférence et m’intéresser aux aspects pratiques ou pragmatiques de l’« administration de la maison » – c’est là, oserais-je le rappeler, l’un des fondements d’une œconomia nécessairement « englobée » dans les relations sociales3. L’approche quantitative, si elle n’est pas totalement absente, visera surtout à donner des ordres de grandeur – pour l’évolution de l’investissement foncier ou le déficit du budget de Manosque par exemple – plutôt qu’à proposer des valeurs absolues. De même, si je n’oublie pas que la domination hospitalière était bien enracinée dans la terre, ma réflexion s’accommodera d’un survol des terroirs et je ne me livrerai donc pas à une reconstitution méthodique des possessions de l’ordre. C’est, toutefois, l’emprise foncière des commanderies hospitalières qui m’occupera en premier lieu, avant d’en venir aux techniques administratives, envisagées à partir de leurs témoignages documentaires, et aux hommes qui les ont mises en place.

Accumulation et gestion du temporel : l’âge de la rationalisation L’emprise foncière : investissement financier, rente et exploitation directe

Les débuts de l’implantation de l’Hôpital à Aix furent, on l’a vu, assez timides : mentionnée pour la première fois en 1182 dans une donation du comte Alphonse Ier de Provence, la domus reçut un commandeur attitré dans les années 1230 seulement. Si les premiers hospitaliers étaient apparus dans le sillage des comtes catalans, le couple formé par Raimond Bérenger V et Béatrice de Savoie donna une impulsion décisive à l’enracinement de la commanderie. La comtesse avait permis l’accroissement de l’emprise foncière des hospitaliers, d’abord en 1246, dans les environs mêmes de leur maison, puis en transférant la propriété éminente sur un ensemble considérable 2 Je détourne ici librement le titre du livre de K. Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps [1944], Paris, 1983. On sait bien, en effet, que l’expression désigne, pour l’auteur, le passage à la société de marché et même à la seconde version de celle-ci, celle du marché autorégulateur, née des crises des années 1930. 3 K. Polanyi, La grande transformation, p. 83 et 74-75 (« …les relations sociales de l’homme englobent, en règle générale, son économie. »).

U n e «  g r and e t ransfo rmat i o n » ?

de biens4. En 1256, le frère Jaufre de Moissac recevait ainsi, au nom de la maison d’Aix, un groupe de six habitations dans la ville archiépiscopale, dix-sept ferrages (au clos Daniel, aux lieux-dits Triador et Saint-Laurent et surtout un ensemble de treize parcelles au lieu-dit Garriga mala), une quinzaine de vignes, une dizaine de terres (la plupart regroupées au lieu-dit Curte Bonohora), deux affars (aux lieux-dits Estrada et Puits de Rome) et deux prés. Aussi, peut-on penser qu’avant l’acquisition de ces ensembles, le temporel se réduisait encore à peu de choses. L’indigence du chartrier empêche hélas de suivre les modalités de la constitution du temporel5. On ignore notamment dans quelles circonstances les frères acquirent de la famille de Moissac, le terroir éponyme qui allait constituer leur principal ensemble foncier dans le territoire aixois6 (pl. 2). Les origines de la présence de l’ordre en d’autres sites du diocèse ne sont, de même, pas toujours aisées à éclaircir. Dans les années 1230, des biens étaient attestés dans le val Saint-Martin, sur le terroir de Trets. Les frères ne semblaient pas y avoir d’établissement encore, mais c’était chose faite une vingtaine d’années plus tard, lorsqu’apparut une domus hospitalis Sancti Martini7. Les legs de Raimond Bérenger V furent à l’origine du dominium de l’ordre à Vinon et à Ginasservis, deux castra situés à une trentaine de kilomètres d’Aix, en limite nord-est du diocèse8. Forts des droits seigneuriaux hérités du comte – justice, cavalcades, tailles et droits « banaux » –, les frères acquirent dans ces localités de nombreuses censives. Dans l’actuel canton d’Eyguières, ils rassemblèrent également des biens à Mallemort et à Alleins9. Enfin, au nord-est de l’étang de Berre, la protection de la famille des Baux explique la présence d’une maison autonome à Calissanne, dotée d’un commandeur propre dès 1210, et notamment possessionnée autour de Lançon et de Berre10. À l’exception de cette dernière implantation, plus sensible à l’influence de la commanderie de Trinquetaille, et du membre de La Tour d’Aigues dépendant de

4 CGH, t. 2, no 2393 (9 février 1246) ; et 56 H 4180 (11 janvier 1256). 5 Les hospitaliers s’étaient notamment efforcés de regrouper des terres à proximité de leur maison, selon une pratique d’ailleurs habituelle. En 1338, une partie de la réserve était ainsi constituée de 57 setiers de terre à céréales « juxta dictam domum Aquensem », mais on ignore les origines de ce domaine (VGPSG, p. 452). 6 N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 25. En 1215, la maison d’Aix y possédait un moulin qu’elle louait à des particuliers (56 H 4199 ; 18 septembre 1215). Il y a encore, sur la carte de Cassini, un lieu dit « Saint-Jean grande bastide », au sud des Milles. 7 56 H 4185bis (1er mars 1233 ; 29 mai 1257). 8 RACP, no 233, p. 316 (18 mai 1235) et no 292A, p. 383 (20 juin 1238). 9 Dès le début du xiiie siècle, un commandeur est signalé à la maison de Mallemort, qui sera ensuite rattachée à la commanderie de Marseille et enfin à celle d’Aix (F. de Ferry, La commanderie et le prieuré, p. 389-420). 10 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 109 ; F. de Ferry, La commanderie et le prieuré, p. 346-388. La donation initiale d’Uc de Baux ainsi que l’exemption de péage de Raimond de Baux furent passées à Manosque, en présence du comte Sanche (RACP, p. 63, no 51 ; CGH, t. 2, no 1253 ; février 1207). C’est encore à Manosque que l’on trouve l’une des premières mentions d’un commandeur de Calissanne en 1215 (56 H 4628). Au xive siècle, cette maison, dont dépendait le prieuré Notre-Dame, sera rattachée à la commanderie d’Aix. Plusieurs rouleaux de reconnaissances documentent notamment l’étendue des biens possédés à Berre (56 H 4187).

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Manosque, la commanderie d’Aix réussit à conserver le contrôle de l’ensemble des biens, en définitive assez éparpillés, acquis dans le diocèse. La présence de l’Hôpital à Manosque relève d’une tout autre configuration. L’action encore mal élucidée de réseaux ecclésiastiques et familiaux explique que les Alpes du Sud constituèrent l’un des premiers points de cristallisation de l’implantation hospitalière en Occident : un ensemble de donations contemporaines ou de peu postérieures à la première croisade déterminèrent en effet l’implantation des frères autour de Gap11. À partir de là, ceux-ci investirent un ensemble de sites tout au long de l’axe de circulation de la Durance, en profitant à la fois de l’appui des deux maisons comtales, de Forcalquier-Urgell et de Provence-Barcelone, et de la bienveillance des évêques de Gap, Sisteron et Riez. C’est dans cette dynamique précoce que les relations entre l’ordre et le lignage comtal de Forcalquier se focalisèrent essentiellement sur Manosque. Ces relations complexes expliquent qu’à partir de 1209, les hospitaliers eurent toute latitude pour ériger ici une véritable principauté ecclésiastique à l’échelle d’une seigneurie. Avant même d’hériter des droits régaliens, les frères avaient commencé à rassembler un certain nombre de biens fonciers. Toutefois, les premiers noyaux d’importance furent redevables à la générosité conjuguée de l’évêque de Sisteron et de la famille comtale : pendant quelques décennies en effet, la présence des frères dans le val de Manosque resta concentrée sur les bords de la Durance, autour de l’église Saint-Pierre et de la métairie du palais12 (pl. 9). Ce ne fut donc pas avant les premières décennies du xiiie siècle que fut engagée une politique résolue d’acquisitions. Intervinrent alors d’importants achats auprès de familles sans doute anciennement implantées (Pontevès, Dauphin, Moustiers, Pierrevert…) et qui consentirent à se désaisir d’importants pans, si ce n’est de la totalité, de leur patrimoine dans la ville et son terroir13. Les sommes monétaires que les hospitaliers furent alors capables de débourser pour arriver à leurs fins – quitte à en passer par la voie judiciaire comme pour Agnès de Moustiers, héritière des droits de la famille vicomtale de Marseille – témoignent de la solidité financière de l’institution14. Cela est, du reste, confirmé pour la proche commanderie de Puimoisson où la constitution du patrimoine s’effectua selon la même scansion chronologique et obéit encore au modus operandi qui visait à évincer l’aristocratie foncière locale, quitte à mobiliser de fortes sommes

11 Pour un rappel sur l’implantation hospitalière dans les Alpes méridionales, je me permets de renvoyer à D. Carraz, « Une enclave dans le domaine comtal : la seigneurie de l’Hôpital à Manosque », in Th. Pécout (dir.), L’enquête de Leopardo da Foligno dans la viguerie de Forcalquier (juin-septembre 1332), Paris, 2017, p. 164-166. 12 Sur l’origine de ces biens reçus dans le premier tiers du xiie siècle : F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital, p. 20-21. 13 Cette politique d’acquisitions, par laquelle les hospitaliers réussirent à amoindrir voire à effacer l’emprise foncière des propriétaires locaux, est détaillée par F. Reynaud, La commanderie, p. 37-40. 14 Je renvoie aux tentatives d’Aubin Khalifa pour faire une pesée globale de la part respective des donations (à mon avis surestimées) et des achats, puis des montants mobilisés en numéraire (A. Khalifa, La commanderie hospitalière de Manosque : son domaine et son exploitation d’environ 1120 à 1312, mémoire de maîtrise, Université Paris 1, 1998, p. 27-30 et 36-39).

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pour obtenir l’abandon des droits grevant la terre15. Toutefois, si les historiens de Manosque ont relevé les transactions consenties par les principaux maîtres du sol, ils ont ignoré les achats patiemment effectués par les frères auprès d’une myriade de propriétaires plus modestes. Un document suggère pourtant l’ampleur du rassemblement de ces droits : il s’agit de la liste des acquisitions dressée à la demande du procureur de Bérenger Monge, entre 1249 et 1251, dans le cadre du conflit qui opposait la commanderie à l’évêque de Sisteron à propos de la portion canonique16. Ce rouleau, ni daté ni signé, recense l’essentiel des achats conduits par la commanderie « per diversa tempora », correspondant en réalité aux années 1220-1240. Les analyses, qui procédaient d’instrumenta prouvant que les acquisitions reposaient sur des titres justes, ne sont effectivement situées que par rapport au nom des commandeurs17. Ce document fait donc état de quelque 65 achats de droits fonciers auprès de propriétaires différents pour des montants échelonnés entre 11 sous et 22 000 sous guillemins. Si les transactions auprès des gros propriétaires apparaissent bien, l’intérêt de cette liste réside surtout dans l’énumération des achats plus modestes et qui n’ont pas laissé d’autre trace documentaire. Finalement, le total s’élève à un minimum de 2971,3 livres de guillemins déboursées sur environ deux décennies18. Bérenger Monge prit donc en charge une commanderie déjà dotée d’un temporel solide. Mais il n’entendit pas en rester là. Le bon état de conservation du chartrier manosquin montre clairement que les acquisitions se poursuivirent pendant tout son préceptorat (fig. 10). Comme on le voit, si le début et la fin du mandat furent marqués par une relative atonie, jamais les achats ne s’interrompirent. Et l’on relève même des pics d’activité remarquables dans la décennie 1280-1289, au cours de laquelle 37 actes sont recensés. Par la coïncidence de la conservation documentaire, cette tranche chronologique est également couverte par un registre comptable (tabl. 4). Cependant, les informations produites par les deux types documentaires ne se recoupent pas tout 15 Th. Pécout, Une société rurale du xiie au xve siècle en Haute-Provence. Les hommes, la terre et le pouvoir dans le pays de Riez, thèse de doctorat, Université de Provence, 1998, vol. 1, t. 2, p. 577-580. J’avais fait exactement la même observation pour les templiers dans le Bas-Rhône : les sommes mobilisées par les achats montrent que l’ordre était arrivé à l’optimum de son dynamisme financier dans le premier tiers du xiiie siècle (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 198-201). 16 56 H 4630, no 13 gemine (liste dressée sur un rouleau à la demande du frère Guilhem de Pradelles). Cet inventaire est postérieur au 20 octobre 1249, date à laquelle Bérenger Monge institue Guilhem de Pradelles comme procureur, tandis que son terminus ante quem est suggéré par l’analyse dorsale du xviiie siècle : « Etat des acquisitions faictes par les hospitaliers depuis la donation du comte Guigues iusques en l’année 1251 ». 17 Hec sunt possessiones quos notavimus super illis rebus quod olim acquisite fuerunt Hospitali de Manoasca ex certas emptionum per diversa tempora de quibus omnibus existant instrumenta. […] Proponit frater Guillelmus de Pradellis, procurator preceptoris domus Hospitalis Jerosolimitani, contra procuratorem dicti domini episcopi Sistaricensis […] quod predictum Hospitale de Manuascha sive preceptor et fratres […] tenent et possident […] retro actis temporibus bona fide et iusto seu iustis titulis multa jura et multas res corporales et incorporales, mobiles et inmobiles, titulo emptionum ipsi Hospitali de Manuascha vel Hospitali Jerosolimitani quisitas seu atquisitas in territoriis et pertinenciis predictorum locorum vel in piis locis… (56 H 4630, no 13 gemine). 18 Au minimum car certains montants n’ont pu être lus, notamment parce que la dernière peau du rouleau est effacée. Le total des prix, le plus souvent indiqués en sous, a été converti en livres.

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Fig. 10. Transactions de la commanderie de Manosque sous le préceptorat de Bérenger Monge19

à fait : sur les 16 transactions enregistrées dans les comptes, 7 actes notariés seulement ont été conservés. De leur côté, 22 autres actes (originaux ou copies) subsistent pour la période 1283-1289 couverte par le registre, mais dont ce dernier n’a pas gardé trace. Au total, la commanderie a soutenu un rythme moyen de cinq à six achats fonciers par an dans cette phase qui semble avoir été particulièrement dynamique20. Le registre totalise, comme on le voit, une dépense de 7 376 sous pour l’ensemble des transactions enregistrées sur les sept années comptables, soit une moyenne de 1 054 sous par an. Cela représentait un investissement aisément supportable, si on le rapporte à la moyenne annuelle des revenus en numéraire de la commanderie sur la même période qui s’élevait à 12 715 sous21. Si la commanderie continuait donc d’arrondir son patrimoine en ce dernier tiers du xiiie siècle, le niveau d’activité peut, toutefois, être ramené approximativement au tiers de celui qui prévalait dans les années 1220-124022. Bérenger Monge s’est donc appliqué à consolider l’emprise foncière 19

19 D’après le chartrier et les inventaires 56 H 849bis, 56 H 68 et 56 H 69, qui ont permis de rajouter une vingtaine de mentions. La ligne « investitures » intègre les baux emphytéotiques et les reconnaissances de droits acquis sous la directe de l’Hôpital. 20 Abstraction faite des mentions livrées à la fois par le chartrier et par les comptes, le total attesté sur 7 années est de 38 achats, soit une moyenne de 5,5 par an. 21 CoHMa, p. xlviii : tableau des revenus et dépenses sur les 7 années comptables (la somme totale des 1 068 069 d. a été ramenée en s., puis divisée par 7). 22 Pour obtenir ce tiers, je me suis reporté à la somme des dépenses pour les années 1220-1240 obtenue à partir des achats recensés dans le rouleau 56 H 4630. Ce total, qui était de 2 971,3 l. de guillemins ou 59 426 s., a été divisé par 20 (nombre approximatif d’années couvertes), soit une moyenne de 2 971 s. par an. Le rapport moyen de 2 971 s. (années 1220-1240) à 1 054 s. (années 1280) est effectivement de 3

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de la commanderie, mais les bases essentielles du temporel étaient déjà constituées au milieu du xiiie siècle : les véritables artisans de l’accumulation furent surtout ses prédécesseurs, comme Seignoret et Faucon de Bonas dont les noms dominent parmi les acteurs des achats recensés dans le rouleau 56 H 463023. Bérenger Monge s’impliqua personnellement dans cette politique d’acquisitions. Certes, il lui arriva de se reposer sur le bayle, responsable d’une douzaine d’achats sur la soixantaine répertoriée dans les décennies 1250-129024. Mais, la plupart du temps, cet officier assumait plutôt la gestion courante et la surveillance du marché foncier : il s’agissait donc de conclure les contrats emphytéotiques et d’octroyer l’investiture de l’Hôpital pour les terres transférées sous la directe seigneuriale. Je ne m’attarde pas sur la stratégie qui consistait à rationaliser autant que possible la propriété foncière, d’une part en regroupant les terres en ensembles topographiques cohérents, d’autre part en rachetant systématiquement les droits, jusque-là souvent dispersés, qui pesaient sur une même terre25. Le commandeur s’occupa donc de consolider la mainmise de l’Hôpital là où celui-ci était déjà possessionné, par exemple autour de la métairie du palais. Entre 1266 et 1286, ce secteur des bords de la Durance fit ainsi l’objet d’une série d’achats et d’échanges26. L’utilisation du droit seigneurial de préemption constitua par ailleurs un procédé imparable pour imposer le monopole de l’Hôpital sur le marché foncier. Le 20 mars 1294, Uc de Montbrun et plusieurs membres du lignage de Reillanne avaient vendu à Peire Veyre un ensemble considérable de droits fonciers relevant de la seigneurie des Reillanne. Le 16 mai, cette transaction, d’un montant de 8 043 sous, avait été confirmée par le bayle Peire de Saint-Martin, sous réserve de l’accord définitif du commandeur. Or, celui-ci intervint justement une semaine plus tard, en tant que major dominus, pour obtenir de Peire Veyre qu’il renonce à cet achat contre la somme de 8 000 sous27. Lorsqu’il ne pouvait pas directement faire valoir

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pour 1. Il s’agit seulement d’un ordre de grandeur, notamment parce que je ne me suis pas préoccupé de l’équivalence entre le guillemin et le coronat, qui est plutôt la valeur utilisée par les comptes (CoHMa, p. xlvi). Cette chronologie est tout à fait comparable à celle de la commanderie voisine de Puimoisson dont le domaine fut constitué essentiellement dans les années 1200-1260 (Th. Pécout, Une société rurale, vol. 1, t. 1, p. 86-94). Cf. prosopographies de Jaufre de Moissac, Uc de Corri et Peire de Saint-Martin (An. II, D-1, no 9, 15 et 11). Le mode opératoire a déjà été décrit pour d’autres commanderies (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 198-201). Ces transactions sont regroupées dans la même liasse 56 H 4677 : achat d’une terre à Isnarde, épouse d’Estève Barroncelli (9 mai 1266) ; quatre échanges passés le 5 février 1270 avec Guilhem et Peire Laugerius, Guilhem Passaronus, Guilhem et Peire Macellarii, et Guilhem Discantius ; achat à Bertrand Tartarius (1er janvier 1276) ; achat à Géraud Clavellerius (14 mars 1283) ; échange avec Raimond Valentia (25 octobre 1285) ; échange avec Romieu et Guilhem de Buis (13 mars 1286). La métairie du palais finit par former un vaste domaine, articulé autour des moulins supérieurs et inférieurs alimentés par la Durance et le Largues (S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré et campagne habitée dans la première moitié du xive siècle », in Th. Pécout (dir.), L’enquête de Leopardo da Foligno, p. 148-149). Arch. mun. de Manosque, Kc 47 (copie du xviie s). L’énumération des droits d’usage (tasques, quartons et cens) dans le terroir de Manosque, qui occupe pas moins de 16 folios sur les 21 de la copie moderne, donne une idée de l’importance du patrimoine abandonné par les Reillanne, finalement au profit de

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son droit de seigneur éminent, Bérenger Monge arriva à ses fins par la négociation. En plusieurs occasions, il amena ainsi des propriétaires à abandonner leurs droits fonciers contre compensation28. Probablement, poursuivit-il la même politique pour sa commanderie d’Aix, mais la médiocrité du chartrier permet mal d’en juger. Une quinzaine de transactions seulement montrent l’accroissement du temporel sous Bérenger Monge. On peut remarquer la part estimable de donations et de legs témoignant du rayonnement spirituel de l’ordre dans la cité29. La part prise par le prieur d’Aix dans la gestion de la commanderie suggère cependant un certain effacement du commandeur qui, on l’a vu, préférait plutôt séjourner à Manosque30. D’après les quelques chartes rescapées, l’Hôpital continua en tout cas à rassembler des droits fonciers dans la ville et son terroir (bastide de Moissac), sans négliger les pôles plus éloignés, comme Trets, où Bérenger put d’ailleurs intervenir avec le titre de commandeur de Saint-Martin31. D’après les reconnaissances de la première moitié du xive siècle, les hospitaliers avaient rassemblé dans le val de Trets un patrimoine foncier non négligeable, alors même qu’un habitat, sans doute modeste, semble s’être regroupé autour du prieuré Saint-Martin32. Aborder avec un minimum de précision la localisation des biens relevant de la commanderie d’Aix exigerait une analyse serrée de la documentation postérieure au xiiie siècle33. Quant à Manosque, je ne pouvais aller plus loin que Félix Reynaud sans une cartographie fine des données topographiques contenues dans les actes qui

l’Hôpital. La différence de prix entre l’achat consenti par Peire Veyre et la somme effectivement versée par l’Hôpital vient d’un transfert de crédit vers le vendeur. Le 27 juillet 1285, Bérenger Monge avait pareillement exercé son droit de préemption sur une vente de plusieurs cens pour un montant de 112 livres. La transaction avait, de même, été approuvée une semaine auparavant par le bayle (Kc 46, copie de 1663). 28 Restitution d’un moulin à Guillhem de Villemus contre un droit de dépaissance sur le terroir de SainteTulle (56 H 4630 ; 10 octobre 1249) ; partage avec Bertrand Gaudius des tasques sur quatre pièces de terre tenues en indivision (56 H 4640 ; 11 mai 1254) ; transaction avec Guilhem de Villemus, coseigneur de Volx, sur le défens de Puyvinier et le droit de mouture (Arch. mun. de Manosque, De 2 ; 29 novembre 1271) ; renonciation par Bertranda, veuve de Bertrand Cavalier, au ius utile sur plusieurs biens dans la ville (56 H 4643 ; 20 octobre 1275). Lorsqu’il était impossible d’acquérir le dominium directum sur un bien, l’Hôpital préférait se débarrasser du droit d’usage, plutôt que de dépendre d’un autre seigneur (p. ex. : CoHMa, § 327 ; 23 octobre 1289). 29 Legs et donations : CGH, t. 2, no 2393 (9 février 1246) ; 56 H 4180 (18 mai 1278 ; 21 avril 1286 ; 14 décembre 1288 ; 4 mai 1293) ; 56 H 4211 (22 juin 1299). 30 Achats de cens dans la cité par le prieur d’Aix : 56 H 4201 (15 décembre 1255 ; 23 mai 1278 ; 13 décembre 1287) ; 56 H 4183 (1er septembre 1283) ; baux passés par le prieur : 56 H 4199 (5 janvier 1252 ; 8 août 1264). 31 Actes passés par Bérenger Monge lui-même : achats de cens dans la ville : 56 H 4201 ([mois illisible de] 1256 ; 28 juillet 1256 ; 28 février 1271) ; bastide de Moissac (56 H 4183 ; 26 août 1270) ; à Trets (56 H 4185bis ; 29 mai 1257). En 1285, la maison de Saint-Martin de Vidoles avait un commandeur propre (56 H 4185bis ; 17 décembre 1285). 32 M. Chaillan, « Saint-Martin-de-Vidoles. Prieuré des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem », Revue du Midi, 28 (1900), p. 549-553. 33 Ferréol de Ferry en a seulement tiré les grandes lignes de l’exploitation du temporel (F. de Ferry, La commanderie, p. 71-103 et 147-231).

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habitations

annexes structures commerciales et artisanales jardins (culture intensive) vergers prés terres (à céréales) vignes bâtiments ruraux

domus albergum hospicium curtis crota operatorium bancus, tabula ferrago ortus viridarium / virgultum pratum terra vinea planterium casalis, casamentum grangia stabulum Total des biens déclarés

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Fig. 11. Biens tenus de l’Hôpital à Manosque d’après le registre de reconnaissances de 1303

dépassait mes objectifs34. Je me contente donc d’une approche rapide de l’un des plus anciens registres de reconnaissances : dressé en 1303, et bien qu’incomplet, celui-ci contient un état du temporel à la sortie de charge de Bérenger Monge35 (fig. 11). Il comporte l’enregistrement des reconnaissances de quelque 200 emphytéotes qui, pour la plupart, déclarent un éventail de biens variés tenus de l’Hôpital (maison, plusieurs terres et vignes). Le document pourrait se prêter à une sociologie d’une partie de la population manosquine formant la clientèle de l’Hôpital. Je me bornerai à en tirer une typologie succincte des biens alors tenus de l’ordre. Si ces chiffres témoignent de la richesse immobilière de l’Hôpital, leur valeur est toute relative, puisque l’on ignore les modalités générales de l’occupation du sol à l’échelle de la seigneurie. Les hospitaliers se sont, certes, attachés à évincer les principaux propriétaires, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils demeuraient, au début du xive siècle, les maîtres exclusifs de la terre, à la campagne comme dans

34 Je me contente donc de renvoyer aux cartes déjà établies par cet auteur. Pour un bref tableau de la campagne manosquine, de ses traits physiques et agricoles, voir encore F. Reynaud, La commanderie, p. 151-156. 35 56 H 1039. Le registre est amputé du début et de la fin et il faut donc attendre le f. 26 pour lire la première date : Anno Incarnationis eiusdem M°.CCC°.III° mense aprilis, sit notum cunctis omnibus presentibus et futuris quod infrascripti homines Manuasce de quartone palacii fecerunt recognitionem de possessionibus que tenent pro domo Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani de Manuasca ut infra sequitur.

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la ville. Tout juste peut-on avancer une hypothèse concernant la propriété urbaine : puisque l’on sait que 700 feux de queste furent dénombrés en 1315-1316, on pourrait considérer qu’au minimum le tiers des immeubles d’habitation de la ville relevait de la directe de l’ordre36. Si l’on ajoute les locaux commerciaux et de stockage ainsi que les jardins, on peut se représenter l’importance du contrôle exercé sur une majorité de la population par le simple exercice du dominium, c’est-à-dire de la possession foncière. Le fait, d’autre part, que très peu de transactions concernent les sites castraux primitifs du Mont d’Or et de Toutes-Aures confirme l’affirmation de la ville basse dont les hospitaliers furent, on le verra, les promoteurs essentiels37. Les données du tableau ci-dessus permettent d’estimer les immeubles urbains, résidentiels ou professionnels, à 33% de l’ensemble du patrimoine de la commanderie38. La situation qui prévalait sur le plat-pays est, en revanche, plus délicate à évaluer. Non seulement parce que l’emprise foncière des autres propriétaires laïques et ecclésiastiques est mal connue39. Mais encore parce qu’il faut compter avec les terres à céréales et les vignes que les frères avaient conservées en exploitation directe, auxquelles s’ajoutent les espaces de forêt et de pâture sur lesquels ils se sont également efforcés d’étendre leur contrôle. Les revenus dégagés de ces ensembles fonciers donneraient une idée de leur emprise, si ce n’est de leur superficie, et c’est précisément ce que permettrait de faire l’enquête de 1338. Toutefois, je me garderai ici de reprendre de façon approfondie des données et des calculs qui ont occupé toute une génération de chercheurs à la suite de Georges Duby. Je voudrais simplement, à l’occasion, nuancer les arguments avancés par Benoît Beaucage sur les parts respectives de la rente et du faire-valoir direct40. Pour cela, je m’en tiendrai simplement à la liste des revenus en nature, puisque les recettes exprimées directement en monnaie proviennent, de

36 É. Baratier, La démographie provençale du xiiie au xvie siècle, Paris, 1961, p. 61 et 65. Selon Félix Reynaud, l’agglomération comptait un millier de maisons vers 1350 (F. Reynaud, La commanderie, p. 153). Pour Michel Hébert, c’est même plus des trois quarts des immeubles de Manosque qui relevaient de la seigneurie de l’Hôpital (M. Hébert, « Espaces urbains et marché immobilier en Provence à la fin du Moyen Âge », in Mercado inmobiliario y paisajes urbanos en el Occidente europeo (siglos xi-xv), Pampelune, 2007, p. 171). 37 Sur les origines et l’évolution du peuplement multipolaire organisé autour d’un bourg de plaine (villa) et des castra de Boson (Mont d’Or) et de Toutes-Aures : S. Claude, « Naissance de l’habitat urbain à Manosque au Moyen Âge », Provence historique, 57 (2008), p. 127-135. La désertion du castrum de Toutes-Aures était déjà entamée dans la première moitié du xiiie siècle (Ead., « Manosque : habitat aggloméré », p. 146-147). 38 Cela correspond exactement à la proportion déjà avancée, à partir des divers terriers, par M. Hébert, « Espaces urbains et marché immobilier », p. 141. 39 On relève notamment le domaine associé au prieuré victorin de Saint-Martin de Montlorgues, tandis que le maintien d’une propriété laïque est illustré par l’apparition de bastides, en marge du terroir, à partir du xive siècle (S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré », p. 144-145 et 149). 40 D. Carraz, « L’enquête de 1338 sur l’ordre de l’Hôpital : un “horizon indépassable” ? Réponse à Benoît Beaucage », et B. Beaucage, « L’enquête de 1338 sur l’ordre de l’Hôpital : un point d’ancrage indispensable. Réponse à Damien Carraz », Provence historique, 67 (2017), p. 281-294. Sans revenir sur les termes du débat, je rappellerai simplement que Benoît Beaucage s’inscrit pleinement dans le paradigme de Georges Duby qui avait insisté sur l’attachement des hospitaliers à l’exploitation directe de la terre et avait relevé la « faiblesse de la rente seigneuriale » (G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne, Alpes du Sud (1338) » [1961], in Hommes et structures du Moyen Âge, 2, Seigneurs et paysans, Paris, 1988, p. 31-41).

U n e «  g r and e t ransfo rmat i o n » ?

 

 

 

en setiers FVD rente (sauf*)

faire-valoir direct

terres à blé (réserve) 1 552 séterées de terre en assolement biennal prés à foin 800 séchoirées 20 séchoirées

froment méteil orge

1900 1000 730

     

     

40 et 80 mesures de foin × 2 s. 40 mesures de foin × 2 s. coupes

240 s.*

 

 

80 s.*

 

 

100*

 

 

vignes rente

froment méteil froment cens froment cosses froment méteil avoine fours froment méteil trois moulins et un froment paroir méteil corvées rachetées froment vignes à part de fruits coupes

200 200 200 285 200 200 200 280 280 300 600 54 900*

                         

                         

totaux

     

     

1900 1000 730

1469 1280 200

tasques

froment méteil orge/avoine

Fig. 12. Parts respectives du faire-valoir direct et de la rente pour la maison-mère de Manosque en 1338

toute façon, uniquement de la rente41. D’autre part, les seules données relatives à la maison-mère seront suffisantes pour donner des ordres de grandeur (fig. 12). Les hospitaliers exploitaient directement une réserve emblavée de 116 hectares environ42. Un système de rotation biennale laissait espérer les rendements en froment, 41 VGPSG. Les « recepte de blado » figurent p. 334-335 et les « recepte pecunie », p. 335-338. Les calculs des totaux pour chaque poste, déjà effectués par les enquêteurs, facilitent le travail. Cependant, on n’aura garde d’oublier qu’il ne s’agit pas de résultats objectifs, mais de revenus espérés et donc estimés « communiter ». 42 Selon l’équivalence 1 seterée = 7,49 ares (B. Brunel, « Les anciennes mesures des Alpes de Haute-Provence », in P. Charbonnier (dir.), Les anciennes mesures locales du Midi méditerranéen d’après les tables de conversion, Clermont-Ferrand, 1994, p. 13). Cela donne 11 624 ares soit 116 hectares. Je n’ai pas trouvé

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méteil et orge indiqués dans le tableau. Les deux dernières colonnes permettent de comparer le volume de ces récoltes en céréales aux prélèvements en grains issus de l’exploitation des « banalités » (fours, moulins, cosses, corvées) et de la rente en nature (tasques, cens). On voit bien que la réserve cultivée directement à l’aide d’une main d’œuvre salariée rapportait légèrement plus que les céréales prélevées par la rente. Cependant, un tel rapport est assez éloigné de l’estimation avancée par Benoît Beaucage, selon lequel la part assignée aux censives et aux tasques représenterait seulement 10% du revenu global de la commanderie en 133843. Si l’on considère les rendements en vin, la balance se place très nettement en faveur de la rente (14 274 litres contre 1 586 litres). Resteraient, d’une part, les prés qui – si j’ai bien compris le rapport exprimé en monnaie – rapporteraient quelque 16 livres sous exploitation directe, et d’autre part, les 470 livres correspondant au total, calculé par les enquêteurs, de tous les autres revenus en numéraire. Je reviendrai un peu plus loin sur les diverses sources de revenus en numéraire de la commanderie, à partir d’un sondage concentré sur trois années d’exercice comptable (fig. 13). Sur les années 1287-1290 cumulées, les apports de la rente foncière – à l’exclusion donc des tasques et autres revenus à part de fruits – représentent à eux seuls 21%, non pas uniquement des revenus de la terre, mais de l’ensemble des revenus de la baillie. Bien que partiels, ces résultats me semblent donc se compléter et aller dans le même sens : je propose donc d’estimer la rente à la moitié au moins des recettes de la seigneurie, à la fois foncière et banale, mais en aucun cas au dixième seulement. Le but de ce détour par la question de l’exploitation directe était, rappelons-le, de donner la mesure de l’emprise foncière qui échappait à la rente. Par rapport à la liste tirée du terrier de 1303, on retiendra qu’une importante réserve foncière plantée en céréales et de vastes pâturages restaient sous le contrôle direct des hospitaliers, tandis que la vigne cultivée directement se réduisait à assez peu de choses. Tout le reste du patrimoine immobilier – habitations, jardins, vignes, locaux professionnels… – était loué à la population. Ajoutons pour finir qu’au tournant du xiiie siècle, cette exploitation du temporel hospitalier s’est inscrite, de manière générale, dans une dynamique favorable : celle d’un marché de la terre stimulé par l’enrichissement d’une nouvelle « classe moyenne » constituée de laboureurs, de commerçants et de juristes44.

l’équivalence de la séchoirée adoptée pour les prés. 43 B. Beaucage, « L’enquête de 1338 », p. 293. Tout en rappelant que « les hospitaliers de Provence en 1338 restaient malgré eux exploitants d’une bonne partie de leur terre », Louis Stouff a montré la diversité des situations qui prévalait dans les différentes commanderies (L. Stouff, « Redevances à part de fruits et métayage dans la Provence médiévale : tasque et facherie », in Les revenus de la terre. Complant, champart, métayage en Europe occidentale (ixe-xviiie siècles), Auch, 1987, p. 54-59). Encore, était-il seulement question dans cet article des parts de réserves que les hospitaliers finirent par donner en facherie, et non de tout le reste des terres, traditionnellement louées en emphytéose, et dont l’enquête de 1338 – je le maintiens – donne mal la mesure. 44 Sur la montée des laboureurs : M. Hébert, « Les mutations foncières et l’évolution sociale en Haute-Provence à la fin du xiiie siècle », Provence historique, 37 (1987), p. 426-428.

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La baillie ou la territorialisation du dominium

Le profil des commanderies d’Aix et de Manosque est assez différent : dans le premier cas, le temporel était relativement dispersé dans le territoire relevant de la ville et même, hors de celui-ci, dans le diocèse45. Il s’agit pour Aix d’une situation partagée par la plupart des commanderies, alors qu’à Manosque, le caractère coexstensif de la puissance régalienne et de la seigneurie foncière constituait un cas particulier. Ici, en effet, l’emprise foncière de la commanderie a coïncidé dans ses grandes lignes avec le territoire seigneurial. Ce dernier constituait déjà une entité ancienne puisqu’il se trouvait déjà bien circonscrit en 1149, dans l’acte par lequel le comte Guigues avait abandonné tous ses droits sur la ville et son terroir46 (pl. 9). Ses limites furent encore confirmées en 1262 par la grande convention passée entre Charles Ier d’Anjou et Féraud de Barras, à propos des possessions et des privilèges de l’Hôpital en Haute-Provence47. Bérenger Monge en appela d’ailleurs à la légitimité de l’autorité étatique pour préciser mieux encore les limites territoriales de la domination seigneuriale, notamment à l’est, du côté de Volx48. À la demande du commandeur, en février 1271, Charles Ier ordonnait ainsi au sénéchal Guillaume de Gonesse de procéder à la délimitation des terroirs de Manosque et de Volx. Deux mois plus tard, les hommes des deux localités, ainsi que le bayle Uc de Corri, s’accordèrent sur la désignation d’arpenteurs49. On procéda à la pose d’une première série de bornes, cependant, l’affaire ne dut pas être si simple parce qu’il s’agissait d’une zone humide et mouvante, traversée par les méandres de la Durance. Aussi, le règlement définitif entre le bayle et la communauté de Manosque d’un côté, le coseigneur Guilhem de Villemus et la communauté de Volx de l’autre, intervint seulement en octobre 1289, lorsque le juge de Forcalquier vint procéder de visu au bornage des « iscles », ces terres marécageuses qui bordaient les deux terroirs50. Cet exemple significatif

45 Il faut rappeler le cas particulier du val de Trets – où se trouvait la domus la Sancti-Martini, dépendante de la commanderie d’Aix – qui était une enclave disputée entre l’évêque de Marseille et l’archevêque d’Aix (F. Mazel, L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (ve-xiiie siècle), Paris, 2016, p. 187-194). 46 Ces limites sont données par F. Reynaud, La commanderie, p. 22-23 ; et S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré », p. 138-139. Le finage seigneurial correspond donc, dès le milieu du xiie siècle, à l’actuel territoire communal, soit à quelque 5 600 ha. 47 CGH, t. 3, no 3035, p. 40 (28 juillet 1262). 48 Il revenait en effet à l’État princier, par mesure de paix publique, de procéder aux délimitations des territoires contestés par la désignation de « partitores territoriorum » ( J.-P. Boyer, « Représentations spatiales dans les Alpes de Provence orientale : autour d’une enquête de 1338 », Histoire des Alpes, 6 (2001), p. 100). 49 A. de Boüard, Actes et lettres de Charles Ier, roi de Sicile, concernant la France (1257-1284), Paris, 1926, p. 49-50, no 195 (25 février 1271) ; Arch. mun. de Manosque, Bb 21 (8 mars et 8 avril 1271). Dès le printemps 1263, le sénéchal de Provence s’était rendu à Manosque avec sa suite, semble-t-il déjà pour un partage territorial, mais l’affaire n’est pas bien claire (pro expensis familia senescali qui fecit in villa indivisi de [Vols ?]). Les frais d’entretien du sénéchal et de sa familia s’élevèrent cette semaine-là à 118 s. et 3 oboles (56 H 835, f. 37v ; 15 avril 1263). 50 56 H 4633 (procès-verbal de bornage qui, outre le juge Bertrand de Loubières, fit encore intervenir le sénéchal Bérenger Gantelme et l’avocat fiscal Gui de Tabia ; 6 octobre 1289) ; CoHMa, § 328 (40 s. au juge de Forcalquier ; 30 octobre 1289) et § 333 (débours de 10 s. pour la charte de délimitation ; 4 décembre

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s’inscrit dans la dynamique, particulièrement sensible en ce dernier tiers du xiiie siècle, qui poussa les différentes juridictions et les communautés à préciser les limites de leurs territoires respectifs51. L’intervention des habitants de Volx et de Manosque rappelle en effet que ce processus fut loin de relever de la seule initiative seigneuriale. Même s’ils n’avaient, en général, pas d’autre choix que de laisser leurs seigneurs les représenter, les habitants furent bien partie prenante de la définition de ces territoires qui n’étaient pas de simples cadres de vie, mais qui se trouvaient au fondement même de la conscience communautaire52. Si le bornage entre Manosque et Volx fut un processus conduit sur au moins deux décennies, c’est peut-être aussi parce qu’il interféra avec la question, pendante entre la commanderie et les coseigneurs de Volx, des droits d’usage de l’eau. En novembre 1271, dans le cadre d’une transaction plus large avec Guilhem de Villemus, Bérenger Monge se fit reconnaître la dérivation des eaux de la Durance vers les moulins de l’ordre dans le val de Manosque, en échange d’un droit de mouture et d’une exemption des cosses53. Le mois suivant, il transigea avec Peire de Saint-Maxime et Isnard Atanulphe qui se plaignaient que l’Hôpital captait l’eau de la Durance et du Largues pour alimenter le moulin qu’il avait sur le territoire de Volx. Le commandeur fit valoir que ces droits d’usage avaient été concédés il y a plus d’un siècle par Pons Guigues, alors seigneur de Volx, puis confirmés par son fils. Il versa néanmoins 4 livres, non seulement pour obtenir confirmation de cet antique usage, mais pour recevoir encore le droit d’alimenter un paroir dans le val de Manosque54. On perçoit ici l’habileté du personnage, probablement conseillé par le juriste Robin, qui réussit à retourner une contestation à son avantage. L’utilisation des cours d’eau demeura néanmoins un point de crispation avec les communautés d’habitants également. En 1293, la première petitio résolue par la composition entre Bérenger Monge et la communauté de Manosque porta sur l’usage des ruisseaux de la Drouille et des Conchettes55. Et en 1302, le bayle Jaufre de Moissac devait encore se plaindre au juge de Forcalquier 1289). Le 7 mars 1288, la commanderie déboursait déjà 3 s. pour obtenir du sénéchal un acte de division des deux terroirs (CoHMa, § 342). 51 La démarcation des terroirs constitue l’une des manifestations de l’appréhension aiguë de l’espace par les populations, à la charnière des xiiie et xive siècles ( J.-P. Boyer, « Dominer et exploiter la terre en Haute Provence entre le xiie et le xive siècle », in M.-Cl. Amouretti et G. Comet (dir.), Agriculture méditerranéenne. Variété des techniques anciennes, Aix-en-Provence, 2002, p. 49-50). En Provence rhodanienne également, les enquêtes se multiplièrent dans les années 1260 pour délimiter espaces juridictionnels et droits d’usage (L. Verdon, « Le territoire avoué. Usages et implications de l’enquête dans la définition et la délimitation du territoire seigneurial en Catalogne et en Provence au xiiie siècle », in B. Cursente et M. Mousnier (dir.), Les territoires du médiéviste, Rennes, 2005, p. 207-221). 52 J. Morsel, « Les logiques communautaires entre logiques spatiales et logiques catégorielles (xiie-xve siècles) », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, HS no 2 (2008) [en ligne]. 53 Arch. mun. de Manosque, De 2 (29 novembre 1271). 54 Arch. mun. de Manosque, De 1 (12 décembre 1271). 55 Prima petitio sindicum : de aqua rivorum (LPM, no 37, p. 94 ; 31 août 1293). En 1234 déjà, une composition entre l’Hôpital et la communauté avait interdit de perturber le cours de ces deux ruisseaux (LPM, no 4, p. 18 ; 11 novembre 1234). Sur les efforts de canalisation de la Drouille entre les xiiie et xve siècles, sur fond de concurrence entre l’Hôpital et la communauté pour l’usage des eaux : S. Bednarski, « Changing Landscapes : A Call for Renewed Approaches to Social History, Natural Environment, and Historical

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que les hommes de Volx contestaient à la commanderie la possibilité de dériver les eaux du Largues56. Outre les zones humides, les hospitaliers s’efforcèrent d’assurer leur mainmise sur deux autres milieux essentiels du saltus : les bois et les pâtures. Les archives ont gardé la trace d’une quinzaine de transactions concernant les zones boisées qualifiées, pour la plupart, de défens57 (tabl. 5). La commanderie conforta son emprise dans les secteurs boisés et vallonnés du nord du territoire, vers Montaigu (Amalguier) et Volx, ainsi qu’au bois des Payans58. Comme tout autre seigneur, l’Hôpital s’efforça donc de se réserver l’usage de ces espaces vitaux pour l’économie domaniale, même si elle ne put jamais revenir sur le droit des habitants d’y faire paître leur gros bétail59. En période de croissance agraire, une pression s’exerçait sur les forêts qui transparait, par exemple, dans un accord avec l’un des coseigneurs de Volx auquel Bérenger Monge dut concéder la possibilité de mettre en culture le défens de Puyvinier, en échange de la perception par l’Hôpital de la moitié des tasques60. Plus cruciale encore fut, pour l’Hôpital, la sauvegarde des espaces et des droits de pacage car les enjeux dépassèrent de loin le ressort de la commanderie de Manosque. Sur le territoire seigneurial même, la commanderie disposa de ressources pour nourrir son propre bétail et pour tirer des bénéfices d’autres éleveurs. On a évoqué plus haut les quelque 820 séchoirées de prés à foin mentionnées en 1338. Non seulement les surplus de foin étaient vendus mais des droits de pâture, aux prés Combaux et de Saint-Pierre, étaient régulièrement encaissés61. En un temps de pression sur la terre, les pâtures faisaient donc, tout comme les bois, l’objet de la surveillance seigneuriale. Mais les hospitaliers furent, semble-t-il, tentés d’accaparer des pâtures que les gens de

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Climate in Late Medieval Provence », in Des communautés aux États, Memini. Travaux et documents, 19-20 (2016), § 26-35 [en ligne]. Ce dernier, cependant, n’a pas consulté la liasse contenant plusieurs règlements relatifs à ce ruisseau entre 1273 et 1537 (56 H 4673). Arch. mun. de Manosque, De 8 (24 septembre 1302). Les archives municipales conservent d’autres dossiers opposant plusieurs propriétaires (l’Hôpital, les habitants, le prieuré Notre-Dame de Volx) pour l’utilisation de cet affluent de la Durance (De 3-4 : cahier, 1294-1370 ; De 13 : compromis entre l’Hôpital et Notre-Dame de Volx ; 29 septembre 1321 ; etc.). Sur les différentes acceptions du défens en Haute-Provence, réserve seigneuriale permanente ou secteur soumis à des restrictions d’usage : J.-P. Boyer, « Dominer et exploiter la terre », p. 50-52. Sur la possession de ces bois par l’Hôpital : F. Reynaud, La commanderie, p. 154. Après avoir tenté d’interdire aux habitants l’accès aux défens de la commanderie, les hospitaliers durent leur confirmer le droit de faire paître leur gros bétail et de ramasser le bois dans les iscles (LPM, no 52, p. 170 ; 4 janvier 1316). Les comptes recensent néanmoins le produit des amendes occasionnellement rapporté par les infractions commises dans les défens (CoHMa, § 62 ; 24 septembre 1284). Arch. mun. de Manosque, De 2 (29 novembre 1271). Autre signe de pression sur le sol, l’Hôpital dut, à plusieurs reprises entre 1234 et 1316, renouveler le statut interdisant de pratiquer des essarts sur les pâtis communs ( J.-P. Boyer, « Dominer et exploiter la terre », p. 55). Les dégradations écologiques issues d’une exploitation intensive de la forêt et de la surpécoration ont été mises en exergue par le travail pionnier de Th. Sclafert, Cultures en Haute-Provence. Déboisements et pâturages au Moyen Âge, Paris, 1959. CoHMa : De presa feni : § 47, 95, 145, 304, 355 ; De presa pasquerii Sancti Petri : § 110 ; De presa de pasqueriis Ortis Cunctalis : § 111, 166, 224. Le pasquerium est ici perçu en argent mais, selon la coutume, il pouvait donner droit aussi au prélèvement d’un mouton pour cinq trenteniers (LPM, p. xv).

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Manosque estimaient réservées à l’usage commun. Les habitants obtinrent donc de Bérenger Monge que la commanderie renonce à mettre certains de ces pâturages en défens62. Et en 1293, le commandeur et les syndics de la communauté s’accordèrent également sur l’interdiction de mettre ces étendues en culture63. À l’extérieur des limites de la seigneurie foncière, il fallait encore garantir les itinéraires et les espaces de transhumance64. Le droit de dépaissance avait été obtenu sur les terroirs voisins de Sainte-Tulle et Montaigu65. Mais pour dépasser ce périmètre, il fallait requérir la protection des pouvoirs supérieurs. En 1262, Charles Ier avait confirmé à l’ordre le libre passage du bétail transhumant dans tout le comté de Provence, avec exemption de tout droit de pâture exigible par le comte66. Trois années plus tard, les hospitaliers de Provence obtenaient du pape Clément IV l’exemption du droit de ban que certains seigneurs voulaient exiger d’eux pour les dommages causés par les troupeaux de l’ordre67. En 1283, c’est du juge de Forcalquier que le bayle Peire de Saint-Martin reçut la confirmation de la libre pâture des ovins ou autres animaux sur les territoires castraux d’Alson et de Saint-Étienne[-les-Orgues], sur le piémont méridional de la montagne de Lure68. Cette affaire, où les hospitaliers s’étaient plaints d’avoir été « molestés » par les habitants de ces deux villages, est, là encore, significative de la concurrence que se livraient seigneurs et communautés69. Loin de s’assurer le seul contrôle des ressources de la nature – eau, bois, prairies, gibier…–, les hospitaliers poursuivirent une anthropisation du territoire

62 Ainsi que cela fut rappelé par la grande convention du 4 janvier 1316 (LPM, no 52, art. 24, p. 174). 63 LPM, no 36, p. 108 (31 août 1293). En 1316, les habitants se plaignirent encore que des prés avaient été défrichés et mis en culture par les hospitaliers (LPM, no 52, art. 25). 64 Les historiens s’accordent à reconnaître le rôle pionnier de l’Hôpital dans l’essor de la transhumance : Th. Sclafert, Cultures en Haute-Provence, p. 19-24 ; N. Coulet, « Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement dans le sud-est de la France au Moyen Âge », in Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement en Europe occidentale (xiie-xviiie siècles), Auch, 1986, p. 42-45 ; J.-P. Boyer, « Représentations spatiales », p. 91-94. 65 Droits de dépaissance obtenus à Sainte-Tulle : 56 H 4629 (20 mai 1225 ; décembre 1228). Un accord entre les coseigneurs de Montaigu sur les pâtures a été conservé dans les archives de la commanderie à titre de munimina (56 H 4682 ; 17 septembre 1282). Cela suggère que les hospitaliers avaient également reçu des garanties sur ce territoire castral confinant celui de Manosque et où ils possédaient des terres. 66 CGH, t. 3, no 3035, p. 37 (28 juillet 1262). Ces privilèges avaient été octroyés par les princes catalans et furent encore confirmés par Charles II (CGH, t. 1, no 647 ; 9 décembre 1182 ; et t. 4, no 4207 ; 22 janvier 1294). 67 CGH, t. 3, no 3179 (8 juillet 1265). Le 28 juillet 1271, Bérenger Monge se préoccupa d’obtenir un vidimus de cette bulle auprès de l’official d’Aix (AN, L 259, no 65), tandis qu’une autre copie notariée du 28 mai 1295 est conservée dans la liasse 56 H 4021. 68 L’acte rappelle que ce droit avait été octroyé par Raimond Bérenger V et confirmé par Charles Ier (56 H 4680 ; 28 juin 1283). 69 Dans les années 1330-1340, les habitants de Roquebillière (Alpes-Maritimes) furent accusés à plusieurs reprises d’avoir dérobé nuitamment des moutons de l’Hôpital et de les avoir consommés ( J.-P. Boyer, « Communautés villageoises et État angevin. Une approche au travers de quelques exemples de haute Provence orientale (xiiie-xive siècle) », in Genèse de l’État moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations, Rome, 1993, p. 257-258). Cet exemple parmi d’autres illustre les mesures de rétorsion pratiquées par les habitants contre l’élevage à grande échelle développé par certaines seigneuries ecclésiastiques.

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déjà séculaire. La stabilisation, jamais définitivement gagnée, des zones humides passait par la dérivation des trop-pleins d’eau vers les étangs, l’aménagement et l’entretien des vallats, la consolidation des berges par la plantation de saules70. Outre ces travaux réguliers mobilisant une main d’œuvre salariée, les infrastructures de communication, notamment ponts et bacs, faisaient l’objet de réparations à la belle saison71. Enfin, les comptes mentionnent l’entretien des fours et du pressoir, auxquels il faut encore rajouter les moulins, qui constituaient autant de marqueurs de l’emprise seigneuriale sur le sol72. Le spatial turn des sciences sociales a, en effet, rappelé aux historiens qu’il n’existe pas de rapports sociaux qui ne soient, d’abord, inscrits dans l’espace73. Ce territoire de Manosque, approprié et vécu par la population, était constitutif de la fabrique même de la communauté d’habitants. Mais le fait que sa délimitation, son aménagement, sa défense même, aient été assurés sous la direction de l’Hôpital, renforçait l’emprise de la commanderie sur les hommes de la seigneurie. Ceci d’autant plus que l’appropriation et l’exploitation du territoire étaient entièrement normalisées, régies par une réglementation, qui faisait certes l’objet d’âpres négociations avec l’universitas, mais qui était bien édictée sous la férule du commandeur. À Aix, l’emprise foncière de la commanderie ne pouvait coïncider avec les limites d’un finage à la fois communautaire et seigneurial. Les pratiques concrètes d’appropriation de ces terres, ici dispersées sur le territoire aixois, ne différaient sûrement pas de celles qui viennent d’être décrites pour Manosque. Chaque ensemble foncier devait s’organiser à partir de centres d’exploitation, au nombre desquels émerge essentiellement la bastide de Moissac74. Hors du territoire urbain, la commanderie avait essaimé par la fondation de dépendances qui constituaient autant d’exploitations agricoles (pl. 2). L’enquête de 1338 offre une description des trois membres qui existaient déjà au temps de Bérenger Monge : Saint-Martin de Vidoles à Trets, Ginasservis et Vinon apparaissent avec leurs réserves foncières et les revenus tirés du « ban »75. À Vinon et à Ginasservis, la domus hospitalière était inscrite dans l’habitat castral et présentait les caractères fortifiés aptes à symboliser

70 Aménagement des étangs : CoHMa, § 194, 196, 350, 351, 353, 355 ; fossés de drainage (vallats) autour des étangs et des prés : § 12, 27, 83, 86, 87, 130, etc. ; plantation de saules, notamment en bordure des vallats : ad indicem : salix. 71 56 H 835 : It. vi lib. pro constructione navis Roseti (f. 28v, 25 mai 1265) ; ad opus pontis xi sol. et viii d. (f. 39, 20 mai 1263) ; autres travaux sur les ponts : CoHMa, § 30, 38, 39, 42, 44, 49, etc. 72 Les réparations aux fours concernent essentiellement les couvertures : CoHMa, § 2, 13, 14, 25, 66, etc. Le pressoir, quant à lui, nécessite surtout d’être bien fermé à clé : § 204, 207, 220, 283, 335, etc. 73 Désormais suremployée par les historiens, la notion d’espace a peut-être perdu de sa force suggestive. En la distinguant du territoire, j’en retiens l’idée d’étendue à parcourir, dominer et aménager, qui peut également être l’objet de représentations sociales (R. Brunet (dir.), Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, Paris, 1993, p. 193-195 et 480-481). 74 Une dizaine de travailleurs y vivaient à demeure en 1338 (VGPSG, p. 462-463). 75 L’enquête donne respectivement les recettes et les dépenses : VGPSG, p. 456-457 et 474-478 (Trets), p. 459-462 et 481-490 (Ginasservis et Vinon).

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l’exercice du merum et mixtum imperium hérité du comte76. À Trets, la maison et sa chapelle, sises à un kilomètre au nord-ouest du village sur la route d’Aix, durent se faire plus discrètes dans le paysage77. Ici en effet, les hospitaliers, qui avaient récupéré l’ancien prieuré Saint-Martin de Vidoles, s’étaient insérés dans un terroir déjà anciennement occupé, notamment par un prieuré victorin et par une communauté d’habitants bien structurée78. La présentation que Félix Reynaud a fait du réseau de la commanderie de Manosque me dispense d’entrer dans les détails79. On distinguera simplement les pôles de gestion inscrits dans l’espace même de la seigneurie, des extensions implantées à l’extérieur du territoire manosquin (pl. 9). L’église Saint-Pierre, reçue de l’évêque de Sisteron autour de 1120, avait constitué le point de départ de toutes les possessions de l’ordre dans le val de Manosque80. Aussi, ce pôle ecclésial et funéraire conserva toujours une forte charge symbolique et fut érigé au rang de sacristie, lorsque les hospitaliers transférèrent leur siège dans le palais urbain. Sur la douzaine d’églises, pour la plupart très anciennes, disséminées dans le territoire manosquin, l’Hôpital avait seulement reçu, en plus, le patronage de Saint-Étienne de Tairon81. Or, preuve du lien intrinsèque entre encadrement spirituel et pouvoir sur la terre, les deux églises de Saint-Pierre et Saint-Étienne se trouvaient associées à un domaine foncier. Une autre marque de l’autorité seigneuriale, bien visible dans le paysage, était la fortification érigée sur le sommet du Mont d’Or, à l’ombre de laquelle se trouvaient l’église Saint-Martin et le castrum, habitat hérité de la seconde phase d’incastellamento82. Sans avoir le rang de membre, d’autres bâtiments d’exploitation étaient répartis dans le terroir : la métairie du palais et plusieurs greniers ou granges,

76 Une documentation très fournie pour ces deux lieux a permis à F. de Ferry d’étudier, dans la longue durée, l’évolution de la « seigneurie temporelle » et de la « seigneurie spirituelle » (F. de Ferry, La commanderie, p. 87-90, 97-101, 164-176, 207-229, 272-306). Une source tardive mentionne toujours à Ginasservis un « château » avec une chapelle et deux bastides dans le terroir (56 H 1111, arpentement de 1740). 77 Établi sur un site remontant au moins à l’Antiquité, le lieu-dit Saint-Martin est bien identifié sur les cartes anciennes (cf. la carte du terroir médiéval de Trets établie par J. Drendel, Society and Economy in a Medieval Provençal Town : Trets, 1296-1347, Ph.D. dissertation, University of Toronto, 1991, p. 31, fig. 1). 78 F. de Ferry, La commanderie, p. 82 ; L. Verdon, « La communauté, les franchises et les seigneurs. Trets, 1283-1340 », Provence historique, 64 (2014), p. 329-347. On ne trouve rien sur les origines du prieuré ni sur son transfert à l’Hôpital dans la monographie, certes ancienne, de M. Chaillan, « Saint-Martin-de-Vidoles ». 79 F. Reynaud, La commanderie, p. 175-186 ; et A. Khalifa, La commanderie hospitalière, p. 73-83. 80 D. Carraz, « Aux origines de la commanderie de Manosque. Le dossier des comtes de Forcalquier dans les archives de l’Hôpital (début xiie-milieu xiiie siècle) », in M. Olivier et Ph. Josserand (dir.), La mémoire des origines dans les ordres religieux-militaires au Moyen Âge, Münster, 2012, p. 143 et 159. 81 Saint-Étienne de Tairon avait été donnée par le chapitre de Forcalquier (56 H 4680 ; 2 mai 1239). Sur le réseau ecclésial : S. Claude, « Naissance de l’habitat urbain à Manosque au Moyen Âge », Provence historique, 57 (2008), p. 120-127 ; Ead., « Manosque : habitat aggloméré », p. 144-147. 82 S. Claude, « Naissance de l’habitat urbain », p. 128 et 133 ; Ead., « Manosque : habitat aggloméré », p. 140-142. Des actes étaient parfois passés dans cet autre lieu symbolique de la domination hospitalière. En 1258, le preceptor castri P. Ferox confirmait ainsi le transfert d’une maison sous la directe de l’ordre « infra portam turris » (56 H 4641 ; 26 janvier 1258).

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où l’on centralisait les redevances et qui constituaient, à ce titre, autant de signes visibles du dominium ecclésiastique83. À l’extérieur du finage seigneurial de Manosque, les hospitaliers avaient fondé les domus de Saint-Michel, La Rouvière et La Tour d’Aigues84 (pl. 8). L’enquête de 1338 recense les revenus alors tirés de ces membres, à défaut de donner une idée précise de leur domaine foncier85. Au début du xive siècle, les faveurs princières permettront encore de renforcer l’ancrage territorial de l’ordre aux abords du territoire manosquin et au-delà : à Montaigu, d’abord, où Charles II concédera une bastide comprenant terres et juridiction, qui constituera le point de départ d’une nouvelle extension du domaine86 ; à Volx encore, où les hospitaliers hériteront de droits fonciers et seigneuriaux dans le cadre d’un échange important avec le prince87. Quelques années après la disparition de Bérenger Monge, les frères investissaient donc les anciennes fortifications publiques de Montaigu et Volx, à partir desquelles le commandeur de Manosque pourrait exercer la justice et recevoir l’hommage88. La remarquable mise en ordre opérée par l’enquête de 1338 révèle clairement la hiérarchie des réseaux constituant les commanderies. Les maisons dépendantes apparaissent désormais sous le titre de membres, à côté d’autres points d’ancrage de la domination territoriale (ecclesia, castrum). Le degré de rationalisation atteint par

83 56 H 835, f. 34 (iiii d. quatuor mulieribus qui reposuerunt paleas in granega Sancti Petri et duobus hominibus pro eodem facto iiii d.), 32, 42v (granege Sancti Petri), etc. ; CoHMa, § 133 (vii d. duobus hominibus, qui mutaverunt bladum foras in granatariam), 136, 160 (granatarie ante La Cumina), 192, 356 (Item viiii s. et x d. pro annona et conseigallo portandis in granateriam curie). 84 À ma connaissance, les sites qui purent accueillir ces deux membres n’ont fait l’objet d’aucune recherche. Sur le territoire de Saint-Michel-l’Observatoire, la grange fortifiée dite de Porchères, qui n’est documentée par aucune source écrite avant la fin du xvie siècle, pourrait tout à fait correspondre au type d’implantation secondaire d’un ordre militaire. Cet édifice, dont la facture de qualité remonte au xiiie siècle, a seulement fait l’objet de brèves descriptions, parmi lesquelles : H.-P. Eydoux, Les monuments méconnus. Provence, vol. 2, Paris, 1980, p. 365-374. L’ordre avait encore une maison à Reillanne (Mazel, Catalogues d’actes, p. 73, no 182 ; 23 août 1215). Très peu documentée, cette dernière implantation ne put être qu’une maison de rang secondaire. 85 VGPSG, p. 339-341 (La Tour d’Aigues), 341-432 (La Rouvière) et 348-350 (Saint-Michel). À partir du xive siècle, toutefois, des rouleaux de reconnaissances informent sur l’étendue des censives à Saint-Michel (56 H 4686 : rouleau, 1370 ; registre papier, 1552). 86 CGH, t. 4, no 4747 (23 octobre 1307) ; A. Khalifa, La commanderie hospitalière, p. 80-81. 87 Il s’agit de la cession, par l’Hôpital, de la coseigneurie d’Orange contre la juridiction sur les castra d’Orgon, Saint-Andiol, Saint-Julien Le Montagnier, Amirat, Gréoux, Rousset et Volx (CGH, t. 4, no 4756 ; 22 octobre 1307). L’État angevin semble avoir anticipé ces transferts car, dans la décennie qui précède, des inventaires des biens et droits royaux à Montaigu et à Volx donnent la mesure de l’accroissement du temporel dont bénéficia l’Hôpital (Montaigu : 56 H 4682 ; 27 novembre 1292 ; Volx : 56 H 4688 ; 27 septembre 1297). Ces deux actes s’inscrivent toutefois dans une logique plus générale de dénombrement des droits fonciers du comte (M. Hébert, « Les ordonnances de 1289-1294 et les origines de l’enquête domaniale de Charles II », Provence historique, 36 (1986), p. 45-57). 88 Le fortalicium de Montaigu est mentionné en 1292, tandis qu’en 1307, la prise de possession de Volx était symbolisée par la plantation du vexillum de l’Hôpital sur la fortification (castrum) sise dans le village (56 H 4688 ; 9 novembre 1307). L’affirmation de la nouvelle domination sur la seigneurie de Volx donna encore lieu, en janvier 1308, à une campagne systématique de reconnaissances conservées sous la forme de sept rouleaux (56 H 20 ; inventaire particulier du membre de Volx ; début xviiie s).

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cet inventaire, qui transparaît dans la mise en page elle-même, montre clairement que chaque membre disposait d’une gestion autonome. Or, cette forme d’organisation pourrait être plus ancienne que ne le pensait Félix Reynaud89. Les comptes des exercices 1283-1290 montrent en effet comment les trois domus dépendantes versaient au budget commun de la baillie de Manosque une partie de leurs recettes (presa) au titre de la responsio90. Ces versements, qui intervenaient régulièrement quelques semaines avant le chapitre provincial, impliquaient probablement une comptabilité, même rudimentaire, propre à chaque membre. Les recteurs des maisons dépendantes – parfois qualifiés de « commandeurs » – assumaient la gestion courante, mais leur autonomie était loin d’être complète puisqu’ils avaient besoin d’un mandat du commandeur pour les actions qui dépassaient leurs attributions ordinaires91. Si l’état documentaire ne nous permet pas de voir à l’œuvre l’administration de ces dépendances à l’époque de Bérenger Monge, quelques actes un peu plus suggestifs ont subsisté pour la sacristie Saint-Pierre. Le terrier de 1303 montre notamment qu’un certain nombre de cens étaient versés au sacriste92. Ce dernier gérait donc le temporel afférant à son église en se livrant à toutes sortes de transactions93. En outre, ce frère n’était, certes, pas tenu de contribuer aux responsions, mais une part de ses revenus se trouvait bien inscrite dans les comptes généraux de la baillie94. Économie monétarisée et prodromes de la « conjoncture de 1300 »

L’histoire économique des ordres militaires bénéficie, en Provence, d’une tradition particulièrement féconde95. Même si la plupart des travaux se sont avant-tout concentrés sur le xive siècle, avec l’apparition de nouvelles sources pourvoyeuses de données quantifiables, il n’est pas dans mon intention de me livrer à une analyse économique approfondie des commanderies d’Aix et de Manosque à l’époque de

89 Selon cet auteur, à l’époque de Bérenger Monge encore, la trésorerie des différents membres « n’était pas distincte de celle de la commanderie » (F. Reynaud, La commanderie, p. 175). D’autre part, malgré les reclassements intervenus entre les xviiie et xxe siècles, les liasses affectées à chaque membre pourraient suggérer que ceux-ci disposaient de leurs archives propres (p. ex. 56 H 4686 et 56 H 4688, respectivement pour Saint-Michel et Volx). 90 CoHMa, p. xxxii-xxxiii. 91 En 1262, Bérenger Monge et les autres frères donnaient ainsi mandat au commandeur de Saint-Michel pour louer en emphytéose des vignes au terroir de Forcalquier (56 H 68, f. 71v-72). 92 56 H 1039, f. 14, 19v, 20v. Des terres et vignes de Saint-Pierre ou bien environnant l’église sont encore mentionnées dans les confronts (56 H 1088, non folioté ; 3 mars 1257 ; 56 H 1039, f. 10, 23, 24, 35). 93 Vente par le sacriste G. Cha(baudus ?) de 100 setiers de froment pour 15 l. à une femme (56 H 1088, non folioté ; 1er mai 1257). Le sacriste procède encore à des investitures de terres vendues sous la directe de la sacristie (56 H 4641 ; 11 février 1259). Au milieu du xive siècle, des ventes continuent à lui à être adressées (56 H 849bis, f. 401v-412 ; 7 décembre 1347 et 4 juillet 1348). 94 36 s. moins 2 d. pour le cens (servitium) de Saint-Pierre (56 H 835, f. 35 ; 14 janvier 1263) ; CoHMa, § 111 (8 s. et 1 d. pour les œufs des poules de Saint-Pierre) et 136 (idem). 95 Il manque un bilan actualisé du chemin parcouru depuis le rapport établi par N. Coulet, « Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement ». Pour quelques considérations historiographiques, je me permets de renvoyer à : D. Carraz, « Templiers et hospitaliers en France méridionale (xiie-xiiie siècles). À propos d’un ouvrage récent », Provence historique, 50 (2000), p. 207-237 ; et Id., « L’enquête de 1338 ».

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Bérenger Monge. Plus modeste, le propos se bornera à un aperçu de la part des revenus de la seigneurie hospitalière issue de l’exploitation de la terre et de l’élevage. Comme de coutume, la diversité documentaire incite à se tourner vers Manosque. En effet, plutôt que de m’arrêter à la question de la rente foncière, comme cela a été fait à partir des cartulaires et des chartriers, je partirai des comptabilités des années 1280, un autre genre documentaire doté de sa cohérence propre96. Il importe toutefois de bien préciser que ces comptes ne concernent que les transactions en numéraire, négligeant ainsi tous les apports en nature provenant de la rente foncière ou de la fiscalité97. Aussi, m’arrêterai-je surtout à quelques considérations sur l’intégration de la commanderie aux circuits commerciaux locaux : en effet, le rayon d’action de chaque unité de gestion ne semble guère avoir dépassé l’horizon de la seigneurie ou de quelques centres de consommation voisins. Si certains produits d’importation pouvaient sortir de ce rayon local et si la commanderie acheminait des provisions outre-mer pour les besoins de sa propre logistique, ses revenus provenaient essentiellement de transactions à courte distance. Le tableau ci-dessous, limité aux trois dernières années d’exercice du registre comptable, suffit à donner une idée de la répartition des entrées98 (fig. 13 ; cf. aussi tabl. 6). En concentrant nos observations sur les revenus, directs et indirects, tirés de la terre, apparaît d’abord l’importance de la rente à travers l’encaissement des cens, des acaptes et les redevances sur les pâtures (21% de l’ensemble des recettes). Sans m’appesantir sur le débat concernant les modalités d’exploitation du sol privilégiées par les hospitaliers, on relève que la tendance semble tout de même à l’aliénation de parties de la vieille réserve seigneuriale. Comme son nom l’indique, l’Ort Comtal (Ortus Cunctalis) était issu d’un domaine des comtes de Forcalquier. Les hospitaliers en autorisaient l’accès aux troupeaux des habitants contre paiement du pasquier, mais ce terroir demeurait bien en partie livré à l’horticulture99. Or, ainsi qu’en atteste un contrat d’arrentement, les hospitaliers se dessaisirent de certaines portions pour en confier la culture à des fermiers100. Le tableau permet ensuite de mesurer la part prise par l’élevage et ses dérivés dans l’économie de la

96 Sur la question de la rente foncière au xiiie siècle, notamment à partir des ressources de l’acapte, je renvoie notamment aux travaux réalisés par Laure Verdon, dans les années 1990-2000, sur les commanderies du Bas-Rhône et du Roussillon. 97 Prélevés en nature, toutes sortes de droits d’usage et de taxes sur les transactions pourvoyaient la commanderie en pain, céréales, vin, légumes, lombes de porc et langues de bœuf (F. Reynaud, La commanderie, p. 164-167). 98 Sur l’organisation de l’exercice comptable, qui débutait le dimanche du chapitre provincial, ainsi que sur le calendrier de l’enregistrement des différentes recettes : CoHMa, p. xlii-xliv et c-ci. 99 Ainsi qu’en témoignent encore les coupes de bois et les aménagements hydrauliques (CoHMa, § 17, 18, 146, 163, 256…). 100 En 1285, Chaussadura et Joan Varage prirent ainsi l’Ors Cunctale superior et une partie de l’Ors Cunctale inferior pendant trois ans, en s’engageant à continuer à cultiver bien et fidèlement, contre un loyer de 30 s. L’engagement fut suivi par l’inventaire des outils et des semences compris dans le bail (56 H 2624, f. 59v). Il s’agit donc d’une forme de contrat de facherie mais où le seigneur préféra ici un loyer en argent, plutôt qu’une part de la récolte. Sur ce type de contrat et le lotissement des réserves seigneuriales : L. Stouff, « Redevances à part de fruits », p. 52-59.

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totaux sur trois années comptables de juin 1287 à mai 1290

  postes de revenus rente foncière vente de produits agricoles vente de produits de l’élevage paroirs fiscalité spiritualia cour de justice Total des revenus sur les trois années d’exercice

convertis en sous 5 890 s. 1 158 s. 6 d.

% du revenu total 20,9% 4,10%

3 008 s. 21 d.

10,6%

4 210 s. 4 053 s. 8 d. 30 s. 9 887 s. 28 236 s. 35 d.

14,9% 14,3% 0,10% 35% 100%

Fig. 13. Les revenus de la commanderie de Manosque sur les exercices comptables 1287-129099

seigneurie (10,6% des recettes). Si la vente d’animaux – souvent décatis – était d’un bon rapport – et si les porcs engraissés étaient transformés en salaisons, la grande affaire était surtout l’élevage ovin qui fournissait entre autres laine et peau102. Enfin, la commanderie écoulait essentiellement des céréales – principalement du froment – et du vin, même si fruits, légumes et pain pouvaient, selon les années, apporter des revenus non négligeables103. Ces productions provenaient des cultures exploitées directement par les hospitaliers, à l’aide de travailleurs salariés dont l’importance a été évoquée dans un précédent chapitre. À partir de l’enquête de 1338, Georges Duby et ses disciples avaient insisté sur la faible rentabilité de l’exploitation directe, grevée notamment par les coûts de cette main d’œuvre104. 101

101 Le versement des responsiones par chaque membre au budget général de la baillie, qui apparaît également comme « presa domus… », ne figure pas dans ce tableau puisqu’il s’agit d’une opération interne à la baillie. Une version plus détaillée du même tableau figure en annexe (tabl. 6). 102 Les revenus de la vente de laine apparaissent encore régulièrement dans les comptes des années 1260 (56 H 835, f. 34, 40, 46v, etc.). Le troupeau d’ovins de Manosque s’élevait à environ 900 têtes au début du xive siècle (N. Coulet, « Les ordres militaires, la vie rurale et le peuplement », p. 44). Je ne reviens pas sur la composition du cheptel de la commanderie, déjà abordée par plusieurs auteurs, notamment à partir du registre 56 H 833 (état du bétail pour les années, 1310-1343) : Th. Sclafert, Cultures en Haute-Provence, p. 21-22 ; F. Reynaud, La commanderie, p. 147 ; S. Stouff, Ravitaillement et alimentation en Provence aux xive et xve siècles, Paris, 1970, p. 120 ; A. Khalifa, La commanderie hospitalière, p. 92-93. 103 On trouvera dans les CoHMa, p. xlix-li, une liste plus détaillée de la variété des fruits et légumes produits dans le terroir. 104 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 36-41 ; B. Beaucage, « L’organisation du travail dans les commanderies », p. 115-119.

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Je n’ai pas cherché à vérifier si cette tendance était décelable dès le dernier tiers du siècle précédent. Il n’est pas sûr, en effet, que de savants calculs tirés des comptabilités manosquines, qui mettraient en regard le poids de la « masse salariale » et les revenus des productions agricoles, fourniraient des critères comparables aux données exploitées pour le xive siècle. Sûrement, la parfaite intégration de la seigneurie hospitalière à l’économie d’échange tira-t-elle parti de l’essor des marchés locaux au cours du xiiie siècle. Mais les indications en ce sens sont assez sporadiques et indirectes105. Ce sont plutôt les ventes directement adressées à des particuliers que documentent les quittances inscrites, au cours des années 1270-1280, dans le journal de caisse des gestionnaires de la maison106. On voit ainsi le bayle écouler auprès de divers habitants tout l’éventail des productions de la seigneurie107. Les mêmes quittances montrent que les frères se livraient encore à de petites opérations de change et de prêt, d’argent mais aussi de céréales108. D’ailleurs, Bérenger Monge lui-même, tout chevalier fût-il, ne répugnait pas à cette activité de boutiquier. En 1287 par exemple, il remettait 43 livres coronats à Joan Niger, à charge pour ce dernier de rendre 40 livres de tournois blancs (au cours de 18 d. la livre) dans les 15 jours suivant Pâques109. Il faut dire que les frères entretenaient des liens étroits avec le petit monde de la marchandise et de la finance qui, à Manosque, s’illustrait par son dynamisme110. Les occasions de rencontre étaient fréquentes, d’abord parce que la commanderie prélevait une taxe sur les opérations de prêt et de change111 (tabl. 6). Ensuite, parce qu’elle louait plus d’une cinquantaine de tables au marché et dans les rues voisines112.

105 Comme ces frais occasionnés, en septembre 1285, par le ferrage de cinq roncins destinés à être vendus aux foires de Forcalquier à la saint Jean (CoHMa, § 113). Sur la multiplication des marchés : Th. Sclafert, Cultures en Haute-Provence, p. 83-86. 106 56 H 2624, f. 41-72. 107 Céréales (f. 42v, 50, 71v), vin (f. 48v, 51v, 52), viande salée (f. 43, 44r-v, 45v-46, 47v, 51v, 55, 61v, 68v, 72), laine (f. 43r-v, 45v, 47, 51, 52v, 53v, 62v, 65v, 66v, 68, 70), chèvres et moutons (f. 48, 53), ânes (f. 53v), bœufs (f. 54v). Parmi les plus importants débiteurs de la commanderie figurent le prieur de Notre-Dame de Manosque, Guilhem de Peipin, Guilhem Jaufre, Uc Garrigue, le prêteur Simon, quelques juifs pour des prêts (Salomon de Saint-Michel, Gardet de Marseille…) et le tisserand maître Jaume, acquéreur de « cotoysis », produit vendu au poids correspondant probablement au coton (f. 51, 52r-v, 54). 108 56 H 2624, f. 42v, 44v, 46, 48, 49r-v, 61, 69v. 109 56 H 2624, f. 41 et 43v. D’autres prêts effectués par Bérenger sont signalés en 1282 et probablement en 1276 (f. 49v et 66). Quelques transactions conduites par des frères sont encore inscrites dans les comptabilités générales, comme cette commenda portant sur 11 l. (CoHMa, § 184). Les templiers d’Arles se livraient de même à toutes sortes de petites opérations financières (D. Carraz, « L’emprise économique d’une commanderie urbaine : l’ordre du Temple à Arles en 1308 », in A. Baudin et alii (dir.), L’économie templière en Occident. Patrimoines, commerce, finances, Langres, 2013, p. 166-167). 110 Sur l’importance des marchands à Manosque, dont certains furent assez aisés pour investir massivement dans le foncier : M. Hébert, « Travail et vie urbaine : Manosque à la fin du Moyen Âge », in Cl. Dolan (dir.), Travail et travailleurs en Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, Toronto, 1991, p. 151 ; et Id., « Les ordonnances de 1289-1294 », p. 49. 111 CoHMa, § 220 (presa de campsoribus), et ad indicem : presa de prestatoribus. 112 M. Hébert, « Espaces urbains et marché immobilier », p. 151. Le journal de caisse indique encore ces revenus (56 H 2624, f. 64 : 5 quittances de 1280).

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La présence de plusieurs livres de marchands dans les archives de la commanderie constitue du reste une preuve tangible de ces relations113. La plupart de ces registres, qui mériteraient une attention spéciale, remontent au xive siècle, mais on relève cependant celui d’un certain Garnier Felix, attesté de 1241 à 1314114. Si ce « cartulaire » témoigne de l’étendue des activités de ce drapier qui avait également investi dans la terre, on n’y trouve pourtant pas mention d’affaires conclues avec les hospitaliers115. Seul un inventaire moderne signale un échange foncier conclu avec Bérenger Monge, mais sûrement les liens furent-ils beaucoup plus étroits116. Garnier s’inscrit effectivement dans une parentèle qui fréquentait la commanderie depuis longtemps. Autour des années 1220, Bertrand Felix avait déjà conduit plusieurs transactions foncières avec les frères, puis s’était durement opposé à eux, avant qu’une réconciliation n’intervienne, scellée par une élection de sépulture dans le cimetière de l’Hôpital117. Son fils Jaume Felix avait pérennisé cette ferveur en donnant son corps et tous ses biens à la maison de l’Hôpital en 1235118. Dans les années 1280-1330, un autre Bertrand Felix, drapier également et qui peut avoir été le fils ou le neveu de Garnier, est fréquemment attesté dans les archives de l’Hôpital. Lui aussi fréquenta Bérenger Monge pour affaires, échangeant là une terre contre un casal, recevant ici du commandeur l’investiture d’une terre acquise sous la directe de l’ordre119. La communauté d’intérêts était donc évidente entre les hospitaliers et de tels entrepreneurs qui, au sein de la société urbaine, formaient une élite socialement proche des milieux de juristes120. En conclusion de ce bref tour d’horizon sur les transactions commerciales conduites par la commanderie de Manosque sous la supervision de Bérenger Monge, est-il besoin d’insister sur l’intense intégration de la seigneurie hospitalière aux circuits 113 56 H 1086 (registre de Bertrand Quintin, notaire et marchand, 1310-1320) ; 56 H 1087 (comptes en italien sur papier filigrané, 1328-1331) ; 56 H 1086bis (Peire et Guilhem Castellanus, 1347-1389). 114 An. II, D-2, no 5. 115 56 H 1085, 33 f. (papier épais non filigrané). Le registre comprend une liste de censives sur des vignes, l’inventaire du mobilier de maison et des réserves de farine, la liste des débiteurs pour des ventes de tissus (en occitan), des analyses d’actes notariés probablement extraits du chartrier de Garnier Felix (transactions foncières, reconnaissances de dettes et de cens). Ce dernier avait recours aux sercices des notaires Peire Bisquerra et Jaume Cusenderius, par ailleurs employés par les hospitaliers : peut-être est-ce par leur intermédiaire que son registre s’est retrouvé dans les archives de la commanderie ? 116 D’après un « titre » de 1282, le commandeur reçut de Garnier Felix une « terre vers le jardin du comte allant vers les moulins » sous la directe de l’Hôpital contre un casal dans Manosque « confrontant le barry » (Bibl. mun. d’Avignon, ms. 4933, f. 107v ; inventaire de 1636). 117 An. II, D-2, no 4. 118 J. Delaville Le Roulx, Les archives, la bibliothèque et le trésor de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Malte, Paris, 1883, no 69 (15 février 1235) ; cf. aussi 56 H 68, f. 519 (à la date du 24 mars 1235). 119 En 1282, échange entre le commandeur et Bertrand Felix « donnant ledit commandeur une terre située vers le jardin du comte » et recevant un casal dans la ville vers le portail neuf (Bibl. mun. d’Avignon, ms. 4933, f. 107). En 1293, investiture par Bérenger Monge d’une terre sise en limite du terroir de Volx achetée au miles Raimbaud Garnier (56 H 4645 ; 17 décembre 1293). 120 A. Courtemanche, La richesse des femmes. Patrimoines et gestion à Manosque au xive siècle, Paris, 1993, p. 216-217 ; M. Hébert, « Travail et vie urbaine », p. 158 et 160. Noël Coulet a également souligné ces « liens étroits entre la robe et la boutique » (N. Coulet, « Les juristes dans les villes de la Provence médiévale », in Les sociétés urbaines en France méridionale et en péninsule Ibérique au Moyen Âge, Paris, 1991, p. 320-323).

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commerciaux ? Déjà remarquée par Georges Duby pour le xive siècle, la participation des ordres militaires à l’économie monétaire a fait l’objet de suffisamment d’attention pour qu’il soit utile de s’attarder sur ce point121. En suivant donc les petites affaires des frères au « ras du sol », comme dirait Jacques Revel, l’impression est celle d’une seigneurie en pleine santé122. Les loyers de la terre rentraient régulièrement, les produits de l’agriculture et de l’élevage étaient écoulés auprès d’une clientèle sans doute fidèle, tandis que les opérations de prêt et de change inséraient pleinement la commanderie dans les circuits financiers locaux. Et encore, ai-je délibérément écarté, à ce stade de mon propos, les autres revenus tirés de la fiscalité et de la justice. Pourtant, en prenant un peu de hauteur, ce panorama tend à s’assombrir : les actes émanant du siège de l’Hôpital ou de la chancellerie pontificale suggèrent en effet l’apparition d’un certain nombre de blocages dès les dernières décennies du xiiie siècle. Les seigneuries hospitalières connaîtraient-elles déjà les prodromes de « la conjoncture de 1300 » ? C’est avec ce label qu’une série de travaux collectifs, emmenés notamment par Monique Bourin, a questionné à nouveaux frais les paradigmes malthusien et marxiste sur la dépression de la fin du Moyen Âge. Il s’agissait de dépasser la notion de crise en insistant plutôt sur les bouleversements structurels qui marquèrent l’économie et la société autour de 1300 : globalisation de la commercialisation, intensification de l’urbanisation et de la circulation monétaire123. À ce titre, de nombreux travaux ont encore prouvé le caractère généralisé du recours au crédit à partir du xiiie siècle, qui touchait absolument tous les secteurs de la société, laïque comme ecclésiastique124. C’est à la lueur de ces reconsidérations qu’il faut envisager les difficultés que les responsables de l’Hôpital commencèrent à déplorer avec insistance à partir des années 1260. Plutôt que de revenir sur la dégradation de la situation économique générale de l’ordre, analysée notamment par Judith Bronstein, partons de l’impact que ce contexte pouvait avoir sur les commanderies provençales125. 121 Il suffit de citer un ouvrage collectif de référence : A. Baudin et alii (dir.), L’économie templière en Occident. Georges Duby, quant à lui, pensait surtout à l’argent que, par leurs dépenses, les hospitaliers réinjectaient dans l’économie locale (G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 46-47). 122 J. Revel, « L’histoire au ras du sol », in G. Levi, Le pouvoir au village. L’histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, 1989, p. i-xxxiii. 123 Qu’il suffise de citer un bilan général : M. Bourin et alii, « Les campagnes de la Méditerranée occidentale autour de 1300 : tensions destructrices, tensions novatrices », Annales HSS, 66/3 (2011), p. 663-704 ; et deux réflexions sur la Provence : J. Drendel, « La monnaie dans les campagnes provençales pendant la première moitié du xive siècle », in M. Bourin et alii (dir.), Dynamiques du monde rural dans la conjoncture de 1300. Échanges, prélèvements et consommation en Méditerranée occidentale, Rome, 2013, p. 451-467 ; et Th. Pécout, « Le destin heuristique d’une histoire de la panique. La crise en Provence au Moyen Âge finissant. Jalons historiographiques pour le xive siècle », in J. Drendel (dir.), Crisis in the Later Middle Ages. Beyond the Postan–Duby Paradigm, Turnhout, 2015, p. 225-249. 124 Parce que son terrain d’expérimentation est largement centré sur Manosque, je ne mentionne ici que J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chrétiens et le prêt d’argent dans la société médiévale, Paris, 2000, notamment p. 101-143. 125 J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land. Financing the Latin East, 1187-1274, Londres, 2005, p. 81-102. Les principaux traits sont un déclin des acquisitions foncières à partir du milieu du siècle, les atteintes causées par la fiscalité pontificale, les répercussions de l’engagement de l’ordre dans les luttes

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Dans une lettre envoyée à la Pentecôte 1268 au prieur Féraud de Barras, le maître Hugues Revel dressait un tableau saisissant des difficultés matérielles rencontrées, d’abord en Syrie face aux offensives mameloukes, puis en Occident126. Du fait des guerres ou de la mauvaise volonté de certains souverains, les principaux prieurés s’avéraient désormais incapables d’envoyer subsides et provisions en Orient, tandis que l’Hôpital était accablé de dettes. Il ne s’agissait pas là d’effets rhétoriques car plusieurs témoignages attestent en effet des dettes de l’ordre et des mesures prises pour limiter les aliénations du temporel nécessitées par leur remboursement127. Or, le prieuré de Saint-Gilles s’inscrit pleinement dans ce qui pourrait, à première vue, passer pour un marasme généralisé. En février 1251, à partir de Lyon, Innocent IV interdisait la cession du temporel de plusieurs commanderies, en rappelant que les biens donnés par les fidèles ne sauraient être affectés à un autre usage que la défense de la Terre sainte128. Hormis Orange, toutes les maisons citées se situent en HauteProvence et l’on peut donc penser, avec Félix Reynaud, que cette bulle fut sollicitée par Bérenger Monge lui-même129. Onze années plus tard, d’ailleurs, celle-ci était de nouveau promulguée par Urbain IV130. Entretemps, en décembre 1257, sur plainte du commandeur de Manosque, Alexandre IV dépêchait le prévôt de Cavaillon afin de trancher un différend avec un certain Bertrand de Folquetis et d’autres laïcs. Ces derniers étaient rendus responsables des dettes de la maison et accusés, semble-t-il, d’avoir pratiqué des taux usuraires131. En 1274, peut-être encore à l’initiative de Bérenger Monge, les hospitaliers provençaux profitaient de la présence de Grégoire X à Lyon

dynastiques du temps. Encore faut-il préciser que ce bilan, centré sur les prieurés de France, Auvergne et Saint-Gilles, a pu être dressé seulement à partir d’une documentation essentiellement limitée aux cartulaires édités. 126 Cette lettre a été transmise dans les preuves de l’Histoire des grands prieurs de Raybaud (Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, f. 112-115). On la retrouve analysée dans l’« inventaire des chartes de Syrie » dressé par le même ( J. Delaville le Roulx, Inventaire des pièces de Terre Sainte de l’ordre de l’Hôpital, Paris, 1895, no 348, p. 66 ; [27 mai-10 juin] 1268). Pour un résumé contextualisé : A. Demurger, Les hospitaliers, p. 399. 127 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 405-406 ; J. Bronstein, « The Decree of 1262 : A Glimpse into the Economic Decision-Making of the Hospitallers », in V. Mallia-Milanes (dir.), The Military Orders, vol. 3, History and Heritage, Aldershot-Brookfield, 2008, p. 197-202. 128 …veritate presentium inhibemus ne de Aurasice, Manuasca, Podiomoyssono, Larderio, Salsa, Talardes, Podiolauterio […], quas terras aut villas aut eorum aliquid quisquam vestrum vendere, distrahere, locare, vel alienare, inconsulto romano pontifice, quoquo modo presumat, quod si factum fuerit contra presumptum nullius esse decernimus firmitatis cum ea quam in defencione Terre sancte pia sunt fidelium devotione concessa non sunt in usus alios transferanda (Arch. mun. de Manosque, Ff 13 ; 27 février 1251 ; copie dans une procédure de 1377). 129 F. Reynaud, La commanderie, p. 49 (d’après une autre version de la bulle aux archives municipales, cotée Kd 1). À ce moment-là, la commanderie de Manosque cherchait à s’appuyer sur le Siège apostolique face à l’évêque de Sisteron (D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », p. 161). 130 Bulle du 19 février 1262, citée sans référence par M.-J. Maurel, Histoire de la commune de Puimoisson et de la commanderie des chevaliers de Malte, Paris, 1897, p. 84-85. La même année, Urbain IV prenait d’autres dispositions pour protéger l’ordre de ses créditeurs, tandis qu’en septembre, le chapitre général promulguait des mesures pour préserver le temporel ( J. Bronstein, « The Decree of 1262 », p. 201). 131 CGH, t. 2, no 2887 (13 décembre 1257). La transcription, empruntée à une copie du xviiie siècle, est fautive car elle évoque la commanderie de Maraclée, alors que le contexte renvoie sans nul doute à Manosque.

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pour solliciter la protection du Siège apostolique132. En mars, à la suite de la visite d’une délégation de frères, le pape ordonnait ainsi au prévôt de Forcalquier d’obliger les détenteurs de biens, revenus et dîmes de l’ordre à les lui restituer133. Ce texte, qui vise probablement les créditeurs qui détenaient des gages, s’inscrit dans ce même contexte d’endettement de l’Hôpital. Il fait pleinement écho à un court mémoire rédigé en Provence par les hospitaliers, précisément dans le cadre du second concile de Lyon. Un fois encore, ces derniers y déploraient la situation difficile de l’ordre, confronté, en Europe même, aux « mauvaises années », à la diminution des revenus du fait des guerres, ainsi qu’à des taux d’emprunt usuraires qu’il peinait à rembourser134. Loin de se tarir, les actes alarmants sur l’endettement des commanderies de Haute-Provence se multiplièrent dans les années suivantes. En 1276, l’évêque de Sisteron Alain de Luzarches était prié, successivement par Innocent V puis par Jean XXI, d’abord de faire restituer aux hospitaliers les droits et legs usurpés, ensuite d’annuler toutes les aliénations de l’ordre en Provence135. La question des biens détenus par les créditeurs de l’Hôpital ne cessa de préoccuper le Siège apostolique. En janvier 1278, Nicolas III chargeait encore le chanoine Jaufre Monachi d’enquêter sur les abandons de biens des hospitaliers en Provence136. Peut-être n’est-ce pas un hasard si c’est à un parent du commandeur de Manosque, qui avait par ailleurs la confiance de la cour royale, que fut confiée cette mission. Trois années plus tard, Martin IV devait révoquer encore les aliénations de l’ordre en Provence et menacer de censure ecclésiastique ceux qui molestaient les frères137. La réception et l’archivage de plusieurs de ces bulles à Manosque suggèrent que cette dernière commanderie fut concernée au premier chef par cette question, voire que le commandeur Monge fut lui-même à l’origine de ces diverses requêtes auprès de la curie138. Ces interventions, répétons-le, s’accordaient avec la situation générale de l’Hôpital puisque, au tournant du siècle,

132 Le concile de Lyon, qui se tint du 7 mai au 17 juillet 1274, se préoccupa de l’aliénation des biens d’Église (G. Alberigo, Les conciles œcuméniques. Les décrets, t. 2-1, Nicée I à Latran V, Paris, 1994, p. 676-679, § 22). 133 CGH, t. 3, no 3532 (7 mars 1274 ; aucun exemplaire original de la bulle n’a été conservé dans les fonds provençaux) : Sua nobis dilecti filii prior et fratres Hospitalis […] in Provincia petitione monstrarunt quod… 134 56 H 5168 ; document édité et commenté par P. Amargier, « La défense de l’ordre du Temple devant le concile de Lyon en 1274 », in 1274, année charnière : mutations et continuité, Paris, 1977, p. 495-501, ici p. 499 (§ 12). À raison, comme je le confirmerai dans le chapitre viii, ce texte a été réattribué aux hospitaliers (A. Forey, « A Hospitaller Consilium (1274) and the Explanations advanced by Military Orders from Problems confronting them in Holy Land in the Later thirteenth Century », in Die Ritterorden in Umbruchs-und Krisenzeiten, Torun, 2011, p. 7-17). 135 56 H 4022 (13 avril et 5 novembre 1276) ; GCN, t. 1, inst. Ecclesiae Aquensis, col. 459, no 22 ; et Th. Pécout, Ultima ratio. Vers un État de raison. L’épiscopat, les chanoines et le pouvoir des années 1230 au début du xive siècle (provinces ecclésiastiques d’Arles, Aix et Embrun), mémoire d’HDR, Université de Paris 1, 2011, p. 283n). 136 Th. Pécout, Ultima ratio, p. 433. 137 56 H 4098 (5 octobre 1281). 138 56 H 68, f. 561 (bulle de Grégoire X du 7 mars 1274), f. 562v (bulle, envoyée un 13 août par un pontife non indiqué à l’évêque d’Orange, sur l’aliénation des biens de la commanderie de Manosque), f. 578v (bulle d’Innocent V du 13 avril 1276). Cf. An. I, C : lettres papales reçues par la commanderie.

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le chapitre général de 1301 déplorait toujours la pauvreté et l’endettement de l’ordre qui rendaient difficile l’acquittement des responsions139. Pourtant, s’il n’y a pas de raison de douter de la réalité de ces dessaisissements, ceux-ci n’ont laissé aucune trace dans la documentation locale. Ni les chartriers, ni les registres notariés ou comptables ne mentionnent le moindre emprunt ou bien des ventes concédées par la commanderie de Manosque ou par celle d’Aix. Au contraire, dans les différents états de la baillie connus pour les années 1268, 1271 et 1279, Bérenger Monge put, à chaque fois, faire valoir l’équilibre de son bilan140 (fig. 14). On a d’ailleurs vu que sa gestion s’est inscrite dans un évident dynamisme marqué par le rythme soutenu des achats fonciers. Si l’état financier réel de la commanderie de Manosque n’est donc pas bien clair, la situation générale à l’échelle du prieuré de Saint-Gilles parut, en tous les cas, suffisamment préoccupante. Par les engagements contractés auprès de prêteurs ou bien par les aliénations de terres et de droits consenties auprès d’acteurs en meilleure santé économique – mais on ne voit pas bien lesquels ? –, nous échapperait donc tout un pan de la situation financière des commanderies141. Rappelons toutefois, qu’au-delà des discours attestés à la fois par les lettres pontificales et par des rapports internes à l’Hôpital, cet endettement, dont l’ampleur réelle est donc impossible à estimer, ne constituait pas un symptôme irrémédiable d’atonie142. Les condamnations des aliénations par la papauté, en même temps que les menaces de censure contre les créditeurs de l’Hôpital, relèvent d’une méfiance classique vis-à-vis du commerce de l’argent, tout en répondant à la nécessité de donner des cadres à une pratique devenue inévitable143. Plus généralement, ces préoccupations renvoient aux mesures décrétées par les conciles généraux et provinciaux, précisément dans les mêmes années, pour protéger les biens d’Église et favoriser leur bonne gestion144.

139 CGH, t. 4, no 4549, § 23 (22 octobre 1301). 140 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 598 ; 56 H 68, f. 70v et 59v-60. 141 À la charnière des xiiie et xive siècles, les registres notariés manosquins abondent en actes relatifs aux diverses formes de prêts monétaires ou frumentaires (A. Courtemanche, « Les femmes juives et le crédit à Manosque au tournant du xive siècle », Provence historique, 37 (1987), p. 546 et 550-551). Les registres judiciaires, quant à eux, confirment la profondeur de l’endettement qui touchait une partie de la population ( J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé, p. 109-110). Or, si je n’ai pu faire que de rapides sondages dans les registres notariés couvrant le dernier tiers du xiiie siècle, je n’ai pas rencontré d’actes plaçant les hospitaliers en position de débiteurs. Les séries notariales indiquent essentiellement l’existence d’un crédit à la consommation et de subsistance, alors que les prêts beaucoup plus importants contractés par les hospitaliers passaient sans doute par d’autres réseaux. 142 Même si cela intervint dans un tout autre contexte institutionnel et économique, l’analyse de l’endettement chez les franciscains d’Avignon, à partir des comptabilités des xive-xve siècles, éclaire l’utilité de ces mécanismes financiers : le recours au crédit permettait d’assurer les activités courantes du couvent, en évitant entre autres la thésaurisation (Cl. Lenoble, L’exercice de la pauvreté. Économie et religion chez les franciscains d’Avignon (xiiie-xve siècle), Rennes, 2013, p. 255-293). 143 Cadres que les franciscains avaient commencé à se donner au même moment (Cl. Lenoble, L’exercice de la pauvreté, p. 268-271). L’encadrement du crédit à Manosque, ici par les autorités seigneuriale et royale, ressort des statuts qui lui sont consacrés dans le Livre des privilèges : LPM, no 20-21 (1264), no 45 (9 avril 1289) et no 52, § 9 et 11 (4 février 1316). 144 A. Chiama, Les cathédrales et la mort en Provence (xiie-xive siècle), thèse de doctorat, Université Jean Monnet – Saint-Étienne, 2018, vol. 1, p. 384-385 et 396-399.

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Y a-t-il davantage lieu de s’alarmer face au déficit, celui-ci tout à fait quantifiable, auquel devait faire face une commanderie comme Manosque dans le dernier tiers du xiiie siècle ? Les comptabilités de la période 1283-1290 permettent une estimation précise du déficit qui oscille, sur ces années, entre 21,5% et 52% du budget (soit une moyenne de 330 livres par an)145. On peut, certes, minimiser ce solde négatif en rappelant que ces comptes, limités aux mouvements en numéraire, négligent une part importante des produits fiscaux et surtout des rentes en nature. Il n’en demeure pas moins que le déficit était bien réel mais celui-ci était, à mon sens, tout à fait logique et probablement vécu comme normal par les hospitaliers eux-mêmes. L’objectif des commanderies, rappelons-le, n’était pas de faire des bénéfices, ni même d’atteindre l’équilibre des comptes, mais de financer les missions militaires et caritatives de l’ordre. Or, la seule évocation du poids des responsions, qui peut être estimé à plus du tiers du budget de la commanderie, suffit à démontrer que ces charges étaient considérables. À partir des données de l’enquête de 1338, Benoît Beaucage s’était étonné du « déficit chronique » des commanderies du prieuré de Provence146. Préoccupé, à la suite de Georges Duby, par la faible rentabilité d’exploitations hospitalières plutôt appréhendées comme des isolats, il avait essentiellement mis en balance les revenus et les charges de la seigneurie, sans envisager outre mesure les ponctions nécessitées par le fonctionnement même de l’Hôpital147. Par la suite, pourtant, en procédant à des « repérages » plus qu’à un bilan général de l’enquête, Claude-France Hollard avait estimé que « 37% des dépenses en argent et 25% des dépenses en grain [étaient] affectées à la vocation propre de l’ordre148 ». Dans les deux ou trois dernières décennies du gouvernement de Bérenger Monge, l’économie des commanderies hospitalières s’est probablement inscrite dans une conjoncture marquée par une intensification de la circulation monétaire comme du rythme des transferts fonciers. Ce contexte explique sans doute pourquoi les commanderies recoururent plus facilement à l’emprunt dans une économie régionale d’échange en ouverture croissante. À l’échelle du rayon d’action général de l’Hôpital, il fallut compenser en subsides et en provisions les difficultés matérielles et les déroutes militaires auxquelles durent faire face les Latins en Orient. Cette situation, qu’il faudra

145 CoHMa, p. lii et ciii-civ. 146 B. Beaucage, « Une énigme des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le déficit chronique de leurs commanderies du moyen Rhône au prieuré de Provence en 1338 », Provence historique, 30 (1980), p. 137-164. 147 Significativement, trois lignes sont dédiées à la responsion, évacuée parmi « les dépenses diverses » (B. Beaucage, « Une énigme », p. 156). Dans un article paru deux décennies plus tard, l’enjeu principal de l’économie de l’Hôpital restait la satisfaction des besoins de « la famille seigneuriale » (B. Beaucage, « L’organisation du travail », notamment p. 122). Georges Duby, déjà, avait entièrement orienté sa réflexion sur l’économie interne à la seigneurie, sans qu’à aucun moment ne soit envisagée la raison d’être de l’Hôpital. Ainsi, évoqués en passant, « les besoins de l’ordre » se résumaient à la fourniture « de marchandises lointaines » et aux dépenses « en voyages » (G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », notamment p. 30-31 et 46-47). 148 La part des responsions était située autour de 15% des dépenses en argent avec de grandes disparités entre commanderies (Cl.-F. Hollard, « Les hospitaliers du Sud-Est de la France en 1338 : la vocation de l’ordre à la mesure des comptes », Provence historique, 45 (1995), p. 77 et 86).

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naturellement envisager plus loin, explique à la fois le déficit d’une commanderie comme Manosque et les inquiétudes des responsables de l’ordre. Ces interrogations sur la portée de l’endettement d’une commanderie pourtant très bien documentée comme Manosque sont révélatrices de la vulnérabilité du médiéviste face à « ses sources ». Sans les actes émanant de la chancellerie pontificale et du gouvernement central de l’Hôpital, la situation locale de l’ordre serait apparue sous un jour bien univoque ! C’est à croire qu’à l’échelle des commanderies, les actes engendrés par des contrats de prêt ou des aliénations du temporel furent volontairement détruits, à l’issue d’une période indéterminée149. En revanche, on l’a vu, les hospitaliers prirent soin d’archiver et même de copier un certain nombre de bulles pontificales parce que celles-ci étaient garantes des privilèges de l’ordre. C’est, entre autres, cette dimension de l’écriture que je souhaiterais évoquer à présent.

Les écritures de l’administration seigneuriale Le milieu socio-culturel : « les gens de plume et de chicane150 »

Au xiiie siècle, le notariat était une profession parfaitement établie en Provence, non seulement dans les villes, mais encore dans les localités secondaires. Une enquête comtale permet ainsi d’estimer à une cinquantaine minimum le nombre de notaires officiant à l’échelle de la viguerie de Forcalquier en 1295, dont une bonne dizaine pour la seule ville de Manosque151. La pratique notariale était alors pleinement intégrée à la vie sociale et formait le cadre quasi-obligé des transactions économiques. Or, à Manosque, l’Hôpital avait hérité du comte de Forcalquier le privilège régalien d’investir les notaires, qui lui avait été encore confirmé en 1234152. Ces derniers

149 De l’Italie à la Catalogne en passant par le Midi de la France, les multiples formes du crédit ont pourtant laissé une documentation abondante. Un panorama général de ces écritures notariales est donné par F. Menant et O. Redon (dir.), Notaires et crédit dans l’Occident méditerranéen médiéval, Rome, 2004. On notera cependant que, dans les registres notariés analysés dans ce volume, les établissements religieux apparaissent bien rarement parmi les clients des créanciers. Selon Claude Denjean, à partir du milieu du xiiie siècle, « les clercs sont marginalisés par la rapide massification du recours à l’acte notarié », ce qui ne va pas dans le sens de nos observations pour les ordres militaires. Mais elle note encore, pour la Catalogne du Nord, que « moines et évêques sont moins présents dans le crédit » (C. Denjean, « Crédit et notariat en Cerdagne et Roussillon du xiiie au xve siècle », in ibid., p. 185-206, ici p. 185). D’un point de vue pratique, la réglementation attestée par le Livre des privilèges stipulait que le prêteur était tenu de rendre à l’emprunteur l’instrument de reconnaissance de dette, cancellé et déchiré, une fois celle-ci soldée (LPM, no 52, p. 168, art. 9 ; J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé, p. 27-28). Cela explique pourquoi de tels actes ont été rarement conservés. 150 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 55. 151 M. Hébert, « Les ordonnances de 1289-1294 », p. 47-48. 152 Dans un contentieux où le prieur de Notre-Dame contestait la directe universelle exercée par l’Hôpital, l’arbitre Rostan de Comps, commandeur du Temple du Ruou, confirma aux hospitaliers la nomination des notaires ainsi que la juridiction gracieuse (56 H 4629 ; 15 novembre 1234). Sur l’investiture des notaires et son origine impériale : R. Aubenas, Étude sur le notariat provençal au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, Aix-en-Provence, 1931, p. 37-58.

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instrumentaient par conséquent avec le titre de « publicus Hospitalis notarius » ou bien « publicus notarius Manuasce pro Hospitali »153. Alors que la profession faisait l’objet d’un encadrement croissant de la part de l’État angevin, ce dernier respecta ce privilège d’investiture jusqu’à un certain point154. De toute manière, la plupart des notaires requéraient de l’autorité publique l’autorisation d’exercer dans l’ensemble du comté, quitte à obtenir en sus l’investiture du commandeur pour pratiquer dans la seigneurie hospitalière155. Selon Raybaud, en 1307, Charles II octroya même au prieur de Saint-Gilles la possibilité de nommer des notaires dans l’étendue de sa province156. Pourtant, bien avant cette date, certains s’affichaient déjà comme « notaire(s) de l’Hôpital dans toutes les autres terres du prieuré de Saint-Gilles157 ». En sa seigneurie manosquine, l’Hôpital fut donc garant de l’exercice de ce service public158. Sans doute est-ce la raison qui explique que plusieurs registres notariés des xiiie-xive siècles aient échoué dans les archives de l’Hôpital. On présume notamment que le notaire Bernard de Bourges, qui a instrumenté pour la commanderie entre 1251 et 1268 au moins, est mort sans successeur et que les hospitaliers ont récupéré ses registres pour garantir la pérennité des actes publics qui y étaient consignés159. Pour la gestion de leurs affaires, les frères furent donc en mesure de puiser dans un vivier de professionnels de l’écriture. Sur les cinq décennies du préceptorat de

153 La première occurrence rencontrée remonte à 1213 (56 H 4638). 154 Sur le contrôle du notariat par l’autorité publique : L. Verdon, « Les notaires, officiers du comte de Provence aux xiiie et xive siècles », Rives méditerranéennes, 28 (2007), p. 93-99. 155 On trouve en effet les formules suivantes : Petrus Bisquerra de Manuasca, notarius publicus in comitatibus Provincie et Forchalquerii constitutus ab illustri domine Karolo, Dei gratia rege Sicilie et de predicte comitatibus comite, et notarius pro Hospitali predicto in castro et ville Manuasce et in totu prioratu Sancti Egidii, quam hanc cartam rogatus scripsi et signo meo signavi. (56 H 4644 ; 10 février 1287) ; Bertrandus Sicii de Manuasca, publicus notarius in comitatibus Provincie et Forchalquerii pro domino Karollo secundo, illustrissimo comite comitatorum predictorum et rege Yerusalem et Sicilie, et notarius in Manuasca pro dicto Hospitali Sancti Johannis Jerosolimitani, auctoritate mihi comissa per venerabilem religiosum virum suprascriptum dominum Berengarium Monachum, preceptorem Manuasce pro predicto Hospitali, hanc presentem cartam de nota quam inveni scriptam in quodam cartulario Sicii, condam notario, de verbo ad verbum nichil addito vel remoto de sustancia facti nisi punctum pro littera et ***** extraxi, transcripsi et in formam publicam redegi et me subscripsi et signo meo signavi. (56 H 4642 ; 10 mai 1260 ; on trouve la même formule pour tous les actes de ce notaire, cf. 56 H 4632, 56 H 4666 et 56 H 4677). 156 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, f. 125bis-v (privilège du 23 octobre 1307). 157 Gaufridus Sicii, publicus notarius in Manuasca et in aliis terris prioratus Sancti Aegidii pro Hospitali et in comitatibus Provinciae et Forcalquerii (10 juillet 1269 ; Livre vert de Sisteron, f. 90, regeste dans M. Varano, Espace religieux et espace politique en pays provençal au Moyen Âge (xie-xiiie siècles). L’exemple de Forcalquier et sa région, thèse de doctorat, Université de Provence, 2011, vol. 3, no 114, p. 80) ; ego Petrus Bisquerra de Manuasca, notarius publicus illustri domino Karolo, Dei gratia rege Sicilie et de predictis comitatibus comite, et notarius pro Hospitali Sancti Johannis Jeresolimitani in castro et valle Manuasce et in toto prioratu Sancti Egidii (56 H 4673 ; 127[3]). 158 Plusieurs statuts conservés dans les registres de criées du xive siècle confirment que l’ordre contrôlait effectivement l’activité des notaires (M. Hébert, « Travail et vie urbaine », p. 154). 159 Il s’agit de cinq registres datés de 1256-1257, 1256-1260, 1265 et 1267 (56 H 1088-1091 et 56 H 883) ; cf. R. Aubenas, « Documents notariés provençaux du xiiie siècle », Annales de la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, 25 (1935), p. 81-93. Le fonds des hospitaliers de Manosque conserve encore le registre de notaire Bertrand Rasor (56 H 1092 ; 1294).

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Bérenger Monge, plus d’une vingtaine de notaires sont en effet attestés au service des hospitaliers160. Si beaucoup de mentions sont ponctuelles, quelques noms se distinguent par une remarquable continuité au sein de l’appareil administratif de l’Hôpital : Sitius d’Arezzo, Bernard de Bourges, Bertrand Sitius et Peire Bisquerra ont très probablement marqué de leur empreinte les pratiques d’écriture et de gestion de la commanderie. Nous retrouverons Peire Bisquerra qui, de 1262 à 1300, non seulement instrumenta pour la commanderie, mais occupa encore régulièrement la charge de greffier de la cour161. Je voudrais surtout m’attarder un peu sur une « dynastie » qui s’est illustrée au service de l’Hôpital, bien qu’il soit particulièrement délicat de démêler les liens de parenté entre ces différents personnages. Le plus emblématique est Sitius d’Arezzo qui fut probablement à l’origine de l’installation de la famille en HauteProvence. En l’état de mes dépouillements, il apparaît pour la première fois en 1242 et s’intitule alors « notaire de la cour impériale et maintenant notaire de Manosque pour l’Hôpital162 ». L’affichage du lieu d’origine renvoie probablement à la fierté d’une formation reçue dans un studium de droit qui connaissait alors sa période la plus florissante163. Sa personnalité ressort encore des caractères particuliers donnés à ses instrumenta : un ductus formé de lettres assez angulaires et bien détachées, des pièces de parchemin taillées tout en longueur et aux réglures soigneusement préparées, enfin, un seing aisément reconnaissable, inscrit au début et à la fin de

160 Dans l’ordre chronologique, j’ai relevé : Sitius de civitate Aretina (1242-1292), Ugo Agrena (1253, 1257), Bernardus Bituricensis (1255-1268), Bertrandus Sitius de Manuasca (1256-1298), Bertrandus Pagani (1258), Gotfredus Sitii (1260-1261), Raimundus Robaudi (1261), Petrus Bisquerra (1262-1300), Poncius Aicardus (1265-1283), Petrus Dalmacius (1269 ; 1291-1314), Guillelmus Blanchi (1272, 1277), Michael Porcherius de Manuasca (1285, † 1290), Jacobus Cusenderius (1285-1306), Hugo Hospitalarius (1286), Audebertus Gaudius/ Gausius de Manuascha (1287-1300), Hugo Jaucerandus (1289), Jacobus Bannacii (1290), Raimundus Antonii de Manuasca (1293), Julius Rochosi (1294), Hugo Guillelmeti (1296), Bernardus de Villalba (1300), Petrus Mota (1300). Les fourchettes chronologiques entre parenthèses ne signifient pas un service continu auprès de la commanderie, mais seulement des dates-limites, à l’exception des noms en gras. Dans ces derniers cas en effet, le nombre d’actes instrumentés suggère un emploi régulier, quoique nullement exclusif, par les hospitaliers. 161 An. II, D-2, no 7. 162 Sitius de civitate Aretina, imperialis aule notarius et tunc notarius Manuasce pro Hospitale (56 H 4836 ; 17 juin 1242) ; An. II, D-2, no 10. Il conservera encore ce titre de « imperialis aule publicus notarius » au moins pendant deux décennies avant de se réclamer du comté de Provence (Et ego Sitius de civitate Aretina, publicus notarius in comitatibus Provincie et Forchalquerii pro domino Karolo, illustri comite nunc Sicilie rege, et notarius in Manuasca pro Hospitali… ; 56 H 4644 ; 23 juin 1282). Entretemps, il dut également se mettre au service de la comtesse Béatrice de Savoie durant la retraite de cette dernière dans le comté de Forcalquier (imperialis aulae publicus notarius et nunc notarius curie Manuasche pro Hospitalis, et notarius etiam in comitatu Forcalquarii pro domina comitissa ; 56 H 849bis, f. 88 ; janvier 1256). 163 J.-P. Delumeau, Arezzo, espace et sociétés, 715-1230. Recherches sur Arezzo et son contado du viiie au début du xiiie siècle, vol. 2, Rome, 1996, p. 980-984. L’influence des modèles italiens sur le notariat provençal a été remarquée depuis longtemps (R. Aubenas, « Documents notariés », p. 48-49). La métropole marseillaise constitua, à ce titre, une porte d’entrée. Au début du xive siècle par exemple, Jacques d’Andrea, un notaire génois – également signalé à Famagouste – apparaît comme « scribe de l’Hôpital » et « habitant de Marseille » (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 418).

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l’acte, exceptionnellement doublé d’un sceau164 (ill. B, no 4). La longévité de Sitius d’Arezzo au service de la commanderie – au moins une cinquantaine d’années entre 1242 et 1292 – nous ramène au dilemme rencontré au chapitre précédent à propos de certains hospitaliers : doit-on admirer l’étonnante endurance de ces hommes ou bien postuler une succession, exactement à la même charge, entre parents respectant une stricte homonymie165 ? L’onomastique suscite une autre enigme concernant un parent de Sitius d’Arezzo : sous le règne de Charles II, officiait un Bertrand Sitius de Manosque, qui se disait investi par l’autorité du commandeur Bérenger Monge166. Sur la vingtaine d’attestations repérées de ce notaire, celui-ci se borne surtout à mettre in forma publica des actes extraits des registres de Sitius ou bien de Gotfredus Sitii – ce ou ces derniers personnages, alors mentionnés comme disparus ou plutôt comme n’exerçant plus, furent actifs dans les années 1256-1287167. Cette situation pose, en effet, des problèmes relevant à la fois de la diplomatique et de l’identification des personnes168. On en retiendra essentiellement l’existence d’une véritable officine familiale dont la pratique est sous-tendue par une matrice commune : Bertrand Sitius se dit de Manosque, preuve d’une assimilation complète dès ce que j’estime être la deuxième génération. Mais, à l’évidence, il a appris le métier au contact de son parent venu d’Arezzo : si le seing diffère naturellement, l’écriture comporte d’incontestables

164 Plus que la longueur, qui varie selon le contenu de l’acte, la largeur des pièces de parchemin est apparue comme marqueur d’une habitude individuelle. Or, sur un échantillon d’une vingtaine de pièces, la fréquence qui l’emporte de loin chez Sitius d’Arezzo est un module de 12 cm de large (pour une longueur variant de 24 à 49 cm). L’autre module de largeur le plus représenté est de 14 – pour des valeurs extrêmes de 10 à 21 cm. 165 La question se pose encore pour le notaire Peire Bisquerra, mentionné entre 1275 et 1316, soit 41 années de carrière au minimum (An. II, D-2, no 7). Cependant, une telle longévité ne devait pas être si exceptionnelle, si l’on se fie à quelques parcours mieux documentés pour le xvie siècle : à Aix, André et Abel Hugoleni, père et fils, ont occupé leur office sur plus d’un siècle, si l’on cumule les deux carrières (Cl. Dolan, Le notaire, la famille et la ville (Aix-en-Provence à la fin du xvie siècle), Toulouse, 1998, p. 243-247). 166 Ses actes ont été conservés dans les liasses 56 H 4632, 56 H 4641, 56 H 4642, 56 H 4652 ; et en copie dans le « cartulaire » 56 H 849bis, f. 90-91, 156-157, 684v-686 et 679-680v. Le cartulaire de son confrère Bertrand Rasor consigne quelques prêts opérés par Bertrand Sitius autour de 1294 (56 H 1092, f. 30v). 167 « Feu Sitius » ou « jadis notaire » ? C’est l’ambiguïté de la formule : Actum in domo placitatoria Hospitalis Manuasce, testes […] et ego Sicius. Et ego autem Bertrandus Sicii de Manuasca, publicus notarius […] de nota quam inveni scriptam in quodam cartulario Sicii condam notario… (56 H 4642 ; 10 mai 1260) ; … in quodam cartullario Gotfridi Sicii, condam notario… (56 H 4632 ; octobre 1260). 168 La situation est complexe à plusieurs titres. Le premier problème est relatif à l’identité du feu ou ex-notaire : si l’on ne peut sans doute assimiler ce Sitius à l’homonyme d’Arezzo, il semble bien que Sitius et Gotfredus ne fassent qu’un seul et même individu. Le second problème relève de la mise en forme des actes, car si la date indiquée correspond à l’action juridique, l’instrumentation in forma publica n’est datée que du règne de Charles II (1285-1309). On ne peut donc situer plus précisément les années d’exercice de Bertrand Sitius, sauf pour les rares actes qu’il instrumente directement en 1287 et 1298 (56 H 849bis, f. 686 ; 56 H 4652). Pour ajouter à la confusion, Gotfredus Sitii aurait été, selon Raybaud, investi par le prieur Féraud de Barras le 24 mars 1261, alors qu’il est auteur d’un acte dès juillet 1260 (Livre vert de Sisteron, no 114). En outre, il aurait été le fils de Sitius d’Arezzo, ce qui me semble loin d’être assuré ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 167).

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airs de parenté, tout comme la façon d’apprêter le parchemin169 (ill. B, no 5). Cette constance dans le service et l’étonnante longueur de certaines carrières furent sans nul doute le ferment d’une véritable continuité de l’administration seigneuriale et confirment que, sous Bérenger Monge, la commanderie était entrée dans une certaine logique bureaucratique170. Si l’administration seigneuriale put s’appuyer sur un tel vivier de professionnels de l’écriture, c’est que, de manière générale, les milieux juridiques étaient particulièrement dynamiques à Manosque171. Sûrement cette présence était-elle stimulée par l’activité de la cour de justice où trouvaient à s’employer juges, avocats et autres assesseurs. À défaut de pouvoir retracer leur parcours académique, Patricia MacCaughan a relevé la correspondance de leur pratique avec les ordines judiciarii et leur aptitude à employer la nouvelle procédure inquisitoire172. L’activité d’un personnel pourvu de titres universitaires renvoie encore à la présence d’un studium qui, même si elle se révéla éphémère, n’en est pas moins remarquable à l’échelle d’une ville moyenne, comme par sa précocité au regard d’autres expériences scolaires provençales. Joseph Shatzmiller a, en effet, mis en lumière l’existence d’une structure où l’on enseigna le droit canonique et civil : attestée une première fois entre 1247 et 1249, cette universitas scolarium n’est ensuite plus documentée, avant de réapparaître provisoirement au tournant du siècle173. L’institution était née d’un accord passé entre ses recteurs d’un côté, et le commandeur de l’Hôpital – alors Guilhem Mataron – accompagné des prudhommes de Manosque, de l’autre174. On peut donc envisager que le seigneur ecclésiastique et l’élite des habitants s’étaient accordés pour doter la ville d’une institution susceptible, à la fois d’attirer une population nouvelle et de former localement des praticiens. Toutefois, en tant que seigneur, l’Hôpital n’apparut pas seulement comme garant des conditions d’accueil des

169 On relève le même type de réglures soignées et la même prédilection pour les formes longues avec des largeurs oscillant entre 12 et 17,5 cm. 170 Dans le cadre d’un gouvernement urbain tel que celui de Montpellier, la tendance à un net allongement des carrières notariales au cours des xiiie-xive siècles a été interprétée dans le sens d’une professionnalisation croissante de l’administration municipale (P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (xiie-xive siècle). Essai d’histoire sociale, Paris, 2013, p. 109-119). 171 Le développement juridique fut, de façon générale, précoce dans le comté de Forcalquier (Th. Pécout (dir.), L’enquête de Leopardo da Foligno dans la viguerie de Forcalquier, p. 16). 172 Sur ces gens de justice : P. MacCaughan, La justice à Manosque au xiiie siècle. Évolution et représentation, Paris, 2005, p. 52-56. Essentiellement porté sur l’histoire sociale et les gender studies, Steven Bednarski, quant à lui, ne s’est guère intéressé aux juristes de la cour (S. Bednarski, Curia. A Social History of a Provençal Criminal Court in the Fourteenth Century, Montpellier, 2013). 173 J. Shatzmiller, « Une expérience universitaire méconnue : le studium de Manosque, 1247-1249 », Provence historique, 24 (1974), p. 468-490 ; Id., « Une expérience universitaire renouvelée : le studium de Manosque (1299-1300) », Provence historique, 35 (1985), p. 195-203. La première vie de l’institution est connue par un ensemble de documents préservés dans les registres judiciaires de l’Hôpital : ceux-ci évoquent les conditions d’hébergement des étudiants, des prêts contractés par ces derniers, le salaire des maîtres et des disputes entre étudiants et habitants. 174 Le 24 mars 124[7], le commandeur Raoul de Cadarache et les prudhommes confirmaient aux recteurs du studium un accord sur les conditions d’accueil des étudiants qui avait été passé par le commandeur Guilhem Mataron ( J. Shatzmiller, « Une expérience universitaire méconnue », PJ no 1, p. 484-485).

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maîtres et des étudiants à Manosque, mais fut même à l’initiative du recrutement de certains enseignants. C’est dans ce rôle qu’intervint ainsi la toute première mention de Bérenger Monge comme commandeur : le 4 septembre 1249, en accord avec les recteurs de l’universitas de la ville, le frère s’accordait avec le mandataire d’un maître, archiprêtre de Tarano, afin que ce dernier vienne enseigner les Décrétales175. Le seigneur et la communauté, cependant, ne semblent pas avoir été en mesure de concrétiser leurs ambitions, puisqu’il ne fut plus question du studium jusqu’en octobre 1299, date à laquelle une affaire le concernant fut portée au jugement du commandeur, qui était désormais Isnard de Flayosc176. Il semble alors que l’Hôpital et la communauté aient souhaité réactiver la structure d’enseignement mais que le projet se heurta au refus d’une partie des habitants, emmenés par quelques meliores, de contribuer à la taxe destinée à son financement. À cette occasion, on remarque à quel point le seigneur et ses administrés pouvaient compter sur le notariat local, puisque les syndics chargés de trouver des docteurs capables d’enseigner les deux droits étaient Peire Bisquerra et Jaume Cusenderius, des figures bien connues et rencontrées régulièrement dans l’entourage des hospitaliers. Malgré tout, peut-être faute d’un soutien extérieur venu du prince ou bien de la papauté, cette nouvelle tentative fit long feu. Il n’en demeure pas moins que les praticiens du droit se rencontrent régulièrement dans toutes les actions de quelque importance dans lesquelles les hospitaliers étaient partie prenante177. De fait, les actes de la pratique témoignent à l’envi du besoin de recourir à des spécialistes, inspirés par la sagesse et donc capables de prodiguer de bons conseils178. Aussi, comme ce fut le cas pour les notaires issus de la famille Sitius, le service de l’Hôpital put-il s’inscrire dans une certaine tradition familiale179. Suivons ainsi la trajectoire de Robin : étudiant au studium de Manosque

175 Ibid., PJ no 8, p. 490. 176 Ibid., PJ no 1, p. 200-202. 177 La proximité entre juristes et ordres militaires, qui explique que ces derniers furent les vecteurs de la plupart des nouveautés du droit savant dans les actes de la pratique, a déjà été particulièrement remarquée pour le Midi : D. Carraz, « Droit », in DOMMA, p. 309-311 ; Id., L’ordre du Temple, p. 370-383 ; et Th. Krämer, « Die Beziehungen der Südfranzösischen Ritterorden zu Juristen. Aufbau, Pflege und Nutzen von Netzwerken », Ordines militares. Yearbook for the Study of the Military Orders, 19 (2014), p. 115-142. 178 Quia melius est ante tempus occurrere quam post vulnus illatum remedium postulare, et venturis casibus est, modis omnibus, de juris consilio succurrendum, ideo dominus Berengarius Monachus… (LPM, no 9, p. 34 ; 5 avril 1261) ; …Bartholomeus, judex de Manuascha, lite coram me legitime contestata auditis rationibus utriusque partis habito consilio sapientum, Deo habendo pro occulis sedendo et in scriptis presentibus predictis sacrosanctis Dei Evangeliis coram me positis, cum constat in dicto judicio quod dictum bladum… (56 H 4669 ; 29 juillet 1267) ; Item iiii libras et vi solidos et ii denarios pro messione, que facta fuit per hominem, qui judicatus fuit in consilio accipiendo et aliis faciendis pro eodem (CoHMa : § 96 ; 20 mai 1285) ; …quod hoc instrumentum possit dictari, corrigi, reffici et meliorari semel et pluries consilio sapientis seu sapientum a quibus dicto Bertrandus dictamen habere voluerit productum in indicio vel non ad profectum et utilitatem dicti Bertrandi facti sustancia non mutata… (56 H 4645 ; 17 décembre 1293). 179 J’ai déjà observé, autour de la commanderie templière de Montfrin, cette même logique qui conduisit des familles de notaires et de juges à servir les frères sur deux à trois générations, s’assurant ainsi une véritable promotion sociale (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 372).

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en 1247, on le retrouve quatre années plus tard parmi les délégués envoyés à Gênes afin d’obtenir le soutien du pape Innocent IV dans le contentieux qui opposait la commanderie à l’évêque de Sisteron180. Peut-être sa connaissance du terrain explique-t-elle sa présence comme témoin, en 1271 et 1289, de deux procédures relatives aux droits d’usage et à la délimitation des confins entre Manosque et Volx. Entretemps, il accompagnait le bayle pour une mission à Brignoles, ce qui tend à prouver une certaine constance au service de l’Hôpital. Signalé entre 1256 et 1299, son parent – fils ou neveu ? – Jaume Robini fut plus fidèle encore. Le fait qu’il figure très régulièrement au palais ou à la cour parmi les témoins semble suggérer que Bérenger Monge le consultait fréquemment sur les transactions foncières ou d’autres négociations181. Ces hommes de loi, a fortiori lorsqu’ils étaient titulaires d’un office, n’étaient pas seulement rémunérés pour leurs services. Ils recevaient également une rétribution en nourriture qui laisse supposer qu’ils partageaient, comme d’autres familiers, le quotidien des frères182. Enfin, les relations professionnelles ne sauraient sans doute être dissociées d’affinités spirituelles, étendues au cercle de la parenté mais dont les traces demeurent hélas sporadiques183. En définitive, ce milieu laisse l’impression d’un fort enracinement local : on suit, sur des décennies, plusieurs de ces jurisconsultes qui, pour certains, se disent de Manosque et ont pu, sur place, apprendre voire enseigner la pratique184. Ces « intellectuels intermédiaires » comptaient, on le sait, parmi les habitants les plus en vue de la ville185. Leurs compétences expliquent qu’ils portèrent très souvent la voix de l’universitas et nous les retrouverons donc lorsqu’il s’agira d’évoquer les relations entre cette dernière et le seigneur. Siège du gouvernement comtal, Aix était, plus encore que Manosque, « une ville de juristes186 ». Toutefois, les rapports que la commanderie put entretenir ici avec ces spécialistes furent quelque peu différents, dans le sens où les hospitaliers n’exerçaient pas de droits particuliers sur les professions de notaire ou de juge, mais n’étaient que de simples clients. La mise en forme juridique des actes passés au bénéfice de l’Hôpital

180 J. Shatzmiller, « Une expérience universitaire méconnue », PJ no 7, p. 489-490 ; A. Venturini, « Un compte de voyage par voie de terre de Manosque à Gênes en 1251 », Provence historique, 45 (1995), p. 34 et 44 ; cf. An. II, D-2, no 9. 181 An. II, D-2, no 6. En 1281, il est dit fils de Guilhem de Signes, dans un échange avec Bérenger Monge portant sur la part qu’il détenait sur les leydes. 182 Plusieurs dépenses en poisson, viande et vin sont par exemple inscrites au profit de maître Bartomieu dans les comptes de septembre 1259 (cf. An. II, D-2, no 2). En 1338, une ration alimentaire équivalente à celle d’un frère est encore assignée à un notaire (VGPSG, p. 351). 183 Ainsi, ce legs de 100 s. à l’Hôpital effectué par la fille du notaire Sitius (CoHMa, § 94 ; 6 mai 1285). 184 Robin et Jaume Robini se revendiquent tous deux « jurisperitus de Manuasca ». Si Robin fut élève au studium de la ville, maître Bartomieu, titulaire du titre de docteur en décret, y fut probablement professeur (cf. An. II, D-2, no 2). Une autre famille bien connue localement est celle des Hospitalier (Hospitalarii) dont le cognomen signale peut-être un lien très ancien avec l’ordre de Saint-Jean. Uc Hospitalier s’illustra notamment comme juge ou conseiller à la cour dans les années 1290-1300 (cf. An. II, D-2, no 11). 185 L’appartenance des légistes à l’oligarchie urbaine est bien connue (N. Coulet, « Les juristes dans les villes », p. 312). 186 N. Coulet, Aix-en-Provence, p. 53-54.

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a pu bénéficier de la présence de praticiens liés à la cour comtale187. La pauvreté du chartrier, toutefois, ne permet pas de voir si la commanderie s’attacha, comme à Manosque, des notaires publics en particulier188. Cela est d’autant plus frustrant que quelques cas emblématiques révèlent l’intérêt porté par certains juristes, par ailleurs proches du pouvoir comtal, à l’église Saint-Jean. On relève tout d’abord la figure de Raimond Scriptor, chancelier de Raimond Bérenger V, qui élut sépulture dans la chapelle de l’Hôpital, en léguant 50 sous plus 50 sous supplémentaires pour un anniversaire189. Son testament, passé le 7 janvier 1288 à l’Hôpital, dans la chambre même de Bérenger Monge, atteste sans doute le lien de confiance qui unissait les deux hommes190. Sans doute la famille disposait-elle en l’église Saint-Jean d’un tombeau monumental. Celui-ci était, en tout cas, assez bien identifié pour permettre à Raimond Scriptor de reposer auprès de sa mère et pour, qu’une génération plus tard, une certaine Isoarda souhaitât à son tour être inhumée dans le même sépulcre191. Un autre cas aurait pu être développé s’il ne sortait du cadre chronologique que je me suis assigné : il s’agit des de Grossis, une importante famille aixoise de juristes et de serviteurs de l’État tout au long du xive siècle. Le premier membre, Barthélemy de Grossis, a pu rencontrer Bérenger Monge sur la fin de sa carrière comme commandeur d’Aix192. Mais c’est surtout dans les deux premières décennies du xive siècle qu’il s’activa auprès des hospitaliers, notamment comme conseiller dans les tractations avec l’universitas de Manosque. Il inaugura surtout à Saint-Jean d’Aix le phénomène des chapelles latérales dévolues aux dévotions privées, puisqu’il fit ériger à la base

187 À la donation de Béatrice de Savoie du 11 janvier 1256, figure Philippe de Laveno, fils de Robert de Laveno (56 H 4180). Mais pour le reste, la moisson est fort maigre car je n’ai relevé, sur les décennies 1240-1290, que les mentions d’un magister Raimundus Bernardus (56 H 4185 ; 29 mai 1257) et d’un magister Matheus de Reysino (56 H 4180 ; 14 décembre 1288). 188 D’après le corpus retenu d’une trentaine d’actes, peu de notaires apparaissent plus de deux fois comme rédacteurs. Maître Nicolas, « notaire public à Aix et en Provence » rédige trois chartes en 1255-1256 (56 H 4201). 189 …ego Raimundus Scriptor de Aquis, notarius domini Raimundi Berengarii quondam comitis et marchionis Provincie, sanus mente […] eligo corpori meo cepulturam in simiterio ecclesie Sancti Johannis Ierosolimitani de Aquis et ibi volo cepeliri cum domina matre mea quando dominus a me suam voluerit facere voluntatem. Et lego eidem ecclesie pro gadio meo spirituali quinquagenta sol. provinc. cor. Item lego eidem ecclesie pro anniversario meo faciendo pro anima mea et parentum meorum quinquagenta libr. provinc. cor. pro emendis bonis possessionibus censibus seu servitiis pro dicte anniversario meo faciendo annis singulis in ecclesia supradicta (2 G 49 ; 7 janvier 1288 ; vidimus du 30 novembre 1291). Sur la carrière de Raimond Scriptor : Th. Pécout, « Les chartes de la Tour du Trésor : le chartrier des comtes de Provence jusqu’au début du xive siècle », in X. Hélary et alii (dir.), Les archives princières, xiie-xve siècles, Arras, 2016, p. 282-283. 190 Outre Berenger Monge, pas moins de six frères figurent parmi les témoins lors de la déclaration de volonté, le seul laïc étant le notaire Bertrand Aton. La publication, elle, fit intervenir des témoins différents. 191 « Donation par Isoarde veuve de Bertrand de Albavies pour estre enterrée dans le cimetiere de l’eglise St Jean dans le tombeau de Raymond Srivans et legue pour le subjet 80 lb. reforciats pour y fonder une chapellanie, du 25 octobre 1326. no 15 » (Bibl. mun. d’Aix, ms. 1613, f. 81). Béatrice, l’épouse de Raimond Scriptor, avait en revanche été inhumée en l’église Sainte-Marie-Madeleine puisque celui-ci se préoccupa, dans son testament, d’y fonder une chapellenie. 192 An. II, D-2, no 1. Sur la carrière de Barthélemy de Grossis au service de l’État angevin entre 1280 et 1310 et sur celle, beaucoup moins documentée, de son fils François, cf. la base prosopographique « Europange » (https://angevine-europe.huma-num.fr/ea/fr/base-officiers-angevins).

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du clocher, autour de 1320, une chapelle dédiée à son saint patron193. Si l’on trouve, dans le fonds de la commanderie d’Aix, trace d’au moins trois autres parents, il faut surtout retenir François de Grossis qui, en 1341, élut sépulture dans la chapelle Saint-Barthélemy et institua une chapellenie de douze prêtres194. L’omniprésence des gens de plume et de justice explique pourquoi les hospitaliers attachèrent autant d’importance, non seulement aux formalisations de l’écriture, mais encore à la préservation de leurs documents195. Ce sont ces aspects qu’il importe à présent d’envisager. Écrire pour conserver

La prise de fonction de Bérenger Monge coïncida, tout au moins à Manosque, avec une remise en ordre des archives. On connaît mal, pour cette époque, les conditions dans lesquelles celles-ci étaient conservées. Le palais comportait une salle du trésor où devaient se trouver, outre les ornements liturgiques, les chartes les plus précieuses196. À Aix, les privilèges royaux et les lettres pontificales – mises à part dans une caissette en bois – étaient abrités dans la sacristie, avec tous les ornamenta de l’église Saint-Jean197. Mais une salle du trésor était également attenante à cette sacristie dans la seconde moitié du xive siècle198. Sans doute, cette pièce du trésor était-elle déjà inscrite dans une tour bâtie contre le transept sud, selon un dispositif proche de ce que l’on trouvait alors au prieuré de Toulouse199 (pl. 6, espace R1). On voit donc que les documents pouvaient être gardés en plusieurs lieux

193 J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte. Une église de l’ordre de Malte à Aix-en-Provence, Aix-en-Provence, 1986, p. 18. 194 56 H 4179 (14 avril 1341). Il est mort en 1347 et le texte de son épitaphe est rapporté par P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix [1665], t. 1, Aix, 1883, p. 325. 195 Au cours du xiiie siècle, la culture administrative intégra la nécessité de préserver la mémoire des droits et actions publics et l’État angevin confia donc aux notaires la responsabilité des archives (L. Verdon, « Les notaires, officiers du comte », p. 98-99 ; et surtout Th. Pécout, « Mémoire de l’État, gestion de la mémoire. À propos de deux cartulaires de la Chambre des comptes de Provence (1278-c.1332) », Memini. Travaux et documents, 8 (2004), p. 29-58 – où apparaît notamment le rôle important de Raimond Scriptor qui assura la transition administrative entre les deux maisons comtales). Cette prise de conscience chemina probablement par le truchement de professionnels qui, au cours de leur carrière, trouvaient à s’employer au service de différentes administrations, étatiques ou seigneuriales. 196 56 H 4632 (21 octobre 1273) ; CoHMa, § 48, 150, 156, 157. Cette salle, qui était voûtée et éclairée par au moins une fenêtre, ne peut être localisée dans le palais. Mais elle devait logiquement se trouver à proximité de la chapelle à l’étage (D. Carraz, « La redécouverte de deux châteaux de l’Hôpital en Haute-Provence », p. 72). 197 CGH, t. 4, no 4708 (1306). 198 …in thesauro iuxta sacristia ecclesie (56 H 4183 ; 1361). 199 À Toulouse, les chartes précieuses se trouvaient, au xiiie siècle, dans une armoire placée dans le chœur de l’église Saint-Rémi. Mais l’accroissement du fonds rendit nécessaire l’aménagement d’une salle du trésor, au rez-de-chaussée de la tour carrée édifiée au début du siècle suivant contre l’abside de l’église (B. Suau, « Un centre d’archives régionales créé à Toulouse par l’ordre de Malte aux xviie et xviiie siècles », in B. Suau et alii (dir.), Toulouse, une métropole méridionale : vingt siècles de vie urbaine, Toulouse, 2009, p. 893-894).

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et qu’ils changeaient également de place au cours du temps200. En outre, comme les documents précieux et les livres furent longtemps considérés comme relevant d’un même ensemble, celui du trésor, la distinction entre archives et bibliothèque ne se fit que progressivement. Au début du xive siècle, une trentaine de livres, essentiellement liturgiques, constituaient le trésor de Saint-Jean d’Aix avec les autres objets précieux201. Faute d’inventaire conservé pour Manosque, on n’a ici aucune idée de la teneur de la collection de livres et de ses liens avec les autres types d’écritures202. Mais l’importance de cette commanderie et l’attention que lui témoignèrent notamment les prieurs de Saint-Gilles laissent imaginer qu’il devait s’y trouver un ensemble de manuscrits comparable à ceux qui sont attestés pour les prieurés d’Aix et de Toulouse. Lorsque Bérenger Monge arriva aux affaires, la commanderie était empêtrée dans un lourd procès avec les évêques de Sisteron, Henri de Suse puis Humbert Fallavel, qui revendiquaient la portion canonique sur la donation de Guilhem II de Forcalquier. Cette affaire, on l’a vu, contraignit l’Hôpital à réunir sur un rouleau les titres des propriétés acquises dans les trois décennies précédentes. Il est possible qu’à ce moment-là, les preuves de ces acquisitions n’aient pas été toutes conservées par les hospitaliers, mais plutôt par les notaires qui avaient rédigé les actes203. Le même contentieux avec l’Église de Sisteron suscita encore le regroupement d’une vingtaine d’actes parmi les plus importants dans un cartulaire-dossier204 (tabl. 7). Compilé avant le printemps 1251, celui-ci regroupe notamment les privilèges octroyés par les comtes de Forcalquier ainsi qu’un dossier d’actes relatifs à l’église Saint-Pierre, qui lui valut d’ailleurs d’être conservé, tout au moins à l’époque moderne, dans le fonds

200 À Aix, les archives avaient été déplacées avant 1703, dans une autre tour surmontant une chapelle au sud de la nef (pl. 6 : espace P2 : « chapelle qu’il estoit une tour hou estaient les archives a ete demolie »). Les deux tours flanquant le côté sud de l’église – celle du trésor au xive siècle et celle des archives sous l’Ancien Régime – furent démolies lors des réaménagements du prieur Viany (N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean de Jérusalem d’Aix-en-Provence », in Histoire et archéologie de l’ordre militaire des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Saint-Étienne, 2004, p. 222). 201 CGH, t. 4, no 4708 ; D. Carraz, « Les collections de livres dans les maisons templières et hospitalières. Premiers jalons pour la France méridionale (xiiie-xve siècle) », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), Entre Deus e o rei. O mundo das ordens militares, vol. 1, Palmela, 2018, p. 163-167. 202 Mis à part les frais de reliure d’un livre de la chapelle Saint-Blaise comptabilisés en 1284, les rares mentions d’ouvrages n’apparaissent pas avant le xve siècle et se limitent à l’équipement liturgique de base (CoHMa, § 69 ; D. Carraz, « Les collections de livres », p. 175-176). 203 56 H 4630. Le nom du notaire qui a présidé à la transaction est exceptionnellement indiqué dans les analyses. Curieusement, le nom de l’auteur de l’inventaire n’apparaît pas non plus, mais il n’est pas impossible que manque la dernière peau du rouleau. Une autre hypothèse est qu’il s’agisse d’un inventaire à usage interne, qui n’avait pas besoin d’être authentifié, et qui fut donc réalisé de façon plus ou moins informelle par quelque notaire ou juriste au service de la commanderie. 204 56 H 849, 16 f. (25,4 cm × 8,4 cm) ; D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », p. 158-162. Composé de deux quaternions en parchemin et mis en page sur deux colonnes soigneusement réglurées, ce petit codex est l’œuvre d’un professionnel. Le terminus post quem de sa réalisation se place en mai 1251, car celui-ci fut alors apporté à Gênes par les frères qui allèrent plaider leur cause devant le pape (A. Venturini, « Un compte de voyage », p. 25-30).

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de la sacristie205. Ces deux états, sous forme de rouleau ou de mince registre, constituèrent des documents de travail dans le cadre précis des procédures pendantes – les annotations marginales et autres interventions sur les textes (soulignages, ratures) en font foi. Ils offrirent en outre l’occasion d’inventorier et de reclasser les instruments en possession de la commanderie, tout en faisant un bilan des titres éventuellement dispersés dans d’autres fonds. Toutefois, une première campagne de classement, éventuellement assortie de la réalisation de copies authentiques, intervint dès le début du xiiie siècle, dans le cadre du procès que l’Hôpital dut soutenir pour défendre ses droits à l’héritage des comtes de Forcalquier. L’affaire de la succession des comtes de Forcalquier fut assez importante pour faire intervenir le prieur de Saint-Gilles et pour qu’une partie du dossier soit également transcrite dans le cartulaire de Saint-Gilles réalisé, quant à lui, entre 1206 et 1214206 (tabl. 7). La correspondance entre certaines analyses dorsales et les rubriques du cartulaire de Saint-Gilles montre deux choses : d’une part que l’on porta dès cette époque les premières analyses au dos d’un certain nombre de chartes, et d’autre part que ces dernières furent expédiées à Saint-Gilles afin d’y être copiées puis furent ensuite retournées à Manosque207. On voit également, d’après la figure 7, que les procès que l’Hôpital dut soutenir suscitèrent la réactualisation, par copie authentifiée, de plusieurs pièces jugées importantes. Sur un strict plan diplomatique toutefois, j’hésiterais à appeler vidimus ces ré-instrumentations réalisées au xiiie siècle, alors que le siècle suivant connaîtra, en effet, une véritable prolifération de ce type de remploi208. Du point de vue de la culture écrite, la Provence semble donc se distinguer de la Champagne où les templiers, puis à leur suite les hospitaliers, firent grand usage du vidimus afin de réactualiser leurs titres209.

205 Analyse sur la couverture (f. 16v) : « St Pierre. Copies conptenant les anciens actes du bailliage de Manosque et entre autres ceux de l’église de St Pierre ». 206 D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », p. 156-157. 207 Cf. sur le tabl. 7, les équivalences des notes 2/4 et 17/19. 208 Sous Bérenger Monge encore, il s’agit de copies d’actes en général peu éloignés dans le temps, réalisées sous le seing notarial, où le notaire n’atteste pas avoir vu l’action dont il témoigne, mais plutôt avoir transcrit et copié à l’identique un acte déjà authentifié. En revanche, dès le début du xive siècle, se multiplient de véritables vidimus, parfois d’actes anciens (p. ex. : 56 H 4173, 56 H 4181, 56 H 4187). Sur la prolifération du vidimus au tournant des xiiie et xive siècles : P. Bertrand, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (1250-1350), Paris, 2015, p. 81-84. Rappelons, dans ces différents cas, que la copie ne doit pas être réduite à son rapport à l’original, mais implique une réactualisation de l’acte écrit et donc de l’action juridique elle-même (B. Bedos-Rezak, « Towards an Archaeology of the Medieval Charter : Textual Production and Reproduction in Northern French Chartriers », in A. J. Kosto et A. Winroth (dir.), Charters, Cartularies and Archives. The Preservation and Transmission of Documents in the medieval West, Toronto, 2002, p. 43-60). 209 M. Peixoto, Templar Communities in Medieval Champagne : Local Perspectives on a Global Organization, PhD dissertation, New York University, 2013, p. 55-56, 95-99 et 379-388. Dans la seconde moitié du xiiie siècle, peut-être sous l’influence des pratiques françaises de chancellerie, l’Hôpital recourut également au vidimus pour faire confirmer ses droits et possessions en Terre sainte (Th. Vann, « Hospitaller Record Keeping and Archival Practices », in H. Nicholson (dir.), The Military Orders, vol. 2, Welfare and Warfare, Aldershot, 1998, p. 280-284).

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Amorcée dès le début du xiiie siècle, reprise en main à l’arrivée de Bérenger Monge, la logique de classement se poursuivit sans doute, au gré des besoins, tout au long de son préceptorat210. Comme on l’a vu plus haut à propos du notaire Bertrand Sitius, le commandeur se soucia encore de faire instrumenter des transactions à partir des registres de brèves211. Le 20 février 1257, il demandait ainsi au notaire Bernard de Bourges de mettre un acte in forma publica à partir des notes conservées dans le « cartulaire » du feu notaire Raimond Robaudus212. Enfin, le commandeur s’adressa à d’autres juridictions gracieuses, sans doute celles du viguier de Forcalquier ou du bailli de Sisteron, pour obtenir la confirmation d’actes213. Cet ensemble de démarches témoigne d’une volonté de centraliser à la commanderie-même tous les actes utiles à l’administration et à la préservation des droits. En d’autres termes, il s’agissait bien de constituer des archives. Il est inutile d’insister sur le pouvoir qu’assurait une telle maîtrise des archives, notamment dans les litiges qui opposaient les commanderies à des laïcs moins bien organisés en ce domaine. C’est ainsi, par exemple, que Bérenger Monge obtint gain de cause face à Guilhem Rostan d’Oraison dans une dispute portant sur le huitième de la leyde214. Parallèlement à cette capacité de réactualiser, à la demande, l’exercice de droits ou bien d’autres actions symboliques d’un pouvoir, la force croissante de la fides publica des notaires se traduisit par la raréfaction d’anciens types documentaires.

210 Les analyses dorsales d’époque médiévale sont en général fort effacées. Mais un certain nombre de chartes n’en comportent pas moins deux strates d’analyses, l’une peut-être du xve siècle et l’autre manifestement du xiiie siècle (c’est le cas notamment des liasses 56 H 4644 ou 56 H 4652). En revanche, il ne semble pas que des cotes aient été portées avant le xvie siècle, ce qui contraste avec d’importantes institutions comme le consulat de Montpellier dont les privilèges reçurent des cotes dans le dernier tiers du xiiie siècle, lorsque ceux-ci furent confiés à la garde de la maison de l’Hôpital (P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit, p. 234-236). 211 Il est impossible, on l’a dit, de situer dans le temps l’instrumentation de ces nombreux actes. Félix Reynaud place cette démarche « dès son entrée en fonction », mais il fait erreur lorsqu’il écrit que le notaire – qu’il appelle curieusement Antoine Sicius – avait été chargé de copier les « titres de propriété… négligés » par les prédécesseurs de Bérenger Monge (F. Reynaud, La commanderie, p. 60). En effet, les transactions ainsi authentifiées furent bien contemporaines du préceptorat de ce dernier. 212 Bérenger Monge ajoutait en outre que l’acte en question – dont la teneur n’est pas précisée – n’était pas en sa possession, alors que Raimond Robaudus aurait dû le lui remettre (56 H 1088, non folioté). Raimundus Robaudus instrumentait régulièrement pour la commanderie dans les années 1230-1240 (56 H 849bis, f. 56-58 et 83v-84v ; 56 H 4652 ; 56 H 4669 ; etc.). 213 Le prix de tels actes est inscrit dans les comptes : CoHMa, § 226 (péage de Meyrargues ; 16 novembre 1287) et § 268 (rachat de la charte du serment que le sénéchal avait prêté au commandeur ; 5 septembre 1288). 214 56 H 4666. Guilhem Rostan soutenait avoir acheté cette part au commandeur Faucon de Bonas mais ne s’était pas préoccupé d’obtenir une preuve écrite (…dicebat quod hoc probare non posset quia dicebat quod mortui erant testes qui interfuerunt laudationi et instrumentum non curavit de hoc habere). Il s’était alors retourné vers le prieur Féraud de Barras qui avait mandaté Bérenger Monge pour transiger. La transaction, intervenue le 13 avril 1255, avait confirmé à l’Hôpital la propriété de cette part des leydes, mais en avait laissé la jouissance à Guilhem Rostan contre un cens de 8 s. Le notaire Sitius d’Arezzo était présent mais déclara avoir été empêché de faire un instrument lors de l’accord. Le 29 juin 1269, la veuve et le fils de Guilhem Rostan obtenaient enfin confirmation de la transaction, cette fois-ci effectivement rédigée par Sitius.

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Il en va ainsi du chirographe qui ne dépassa guère les années 1240215. Les rares actes qui adoptèrent encore cette forme par la suite, par leur aspect volontairement vintage, cherchaient probablement à rappeler la solennité et le respect inspirés par les anciennes chartes. C’est clairement le cas pour les états de la baillie que l’on trouve toujours rédigés sur parchemin au xive siècle (ill. B, no 6). Il ne s’agissait pas d’écritures publiques – le scripteur est anonyme, même s’il ne fait guère de doute que la main est celle d’un notaire – mais leur partition répondait à une nécessité pratique, puisqu’un exemplaire devait être envoyé au chapitre provincial, tandis qu’une preuve demeurait dans les archives de la commanderie216. Cet exemple suggère que les scribes qui œuvraient au service de la commanderie trouvaient des solutions pratiques pour adapter les écritures aux besoins administratifs de l’Hôpital. Registres et écritures vernaculaires : les hospitaliers dans la révolution documentaire

C’est encore aux notaires qu’il faut attribuer l’usage généralisé du registre de papier à partir du préceptorat de Bérenger Monge. Les premiers à utiliser ce type documentaire, on le sait bien, furent les notaires qui y consignaient les contrats passés sous une forme plus ou moins développée217. Aussi, est-ce sûrement à l’initiative de ces écrivains professionnels que le registre fut adapté à d’autres usages et je pense d’abord ici aux comptabilités. Le premier témoin connu pour la commanderie de Manosque remonte aux années 1259-1263218. Comme on va le voir, il s’agit d’un outil de travail où la mise en texte manifeste encore certains tâtonnements. Toutefois, la maturité de la pratique comptable dont témoigne ce document suggère que l’enregistrement des entrées et des sorties sur des cahiers avait déjà dû être introduit depuis une ou deux décennies. On peut même penser que les progrès de la comptabilité, manifestes dès le livre des années 1283-1290, furent justement suscités par la généralisation du registre de papier. La synchronie est d’ailleurs remarquable avec l’utilisation du registre par la cour de justice : ce support papier permit l’enregistrement systématique des procédures dès les années 1240, tout en accompagnant l’évolution des pratiques judiciaires219. Autour de 1300, c’est toujours dans la même perspective qu’intervient l’apparition des registres de reconnaissances dont la série, sous la forme de terriers, couvrira les trois

215 Parmi les liasses consultées, les suivantes contiennent une vingtaine de chirographes datés entre 1211 et 1238 : 56 H 4199 ; 56 H 4628-4630 ; 56 H 4638 ; 56 H 4640 ; 56 H 4651 ; 56 H 4652 ; 56 H 4680. Les rares exemples un peu plus tardifs concernent la commanderie d’Aix : 56 H 4199 (5 janvier 1251 et 14 novembre 1286). 216 56 H 4634 (28 juin 1299 ; 28 avril 1314). 217 R. Aubenas, Étude sur le notariat, p. 75-90. Si les plus anciens registres conservés sont ceux du notaire marseillais Giraud Amalric remontant à 1248, cette forme était employée depuis la fin du xiie siècle au moins. 218 56 H 835. 219 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 40-43.

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siècles suivants220. Le recours au cahier de papier facilita d’abord l’enregistrement des déclarations emphytéotiques221. Puis rapidement, le terrier surclassa définitivement le traditionnel censier en offrant la possibilité de réactualiser périodiquement les listes de biens tenus par chaque emphytéote222. Car ces listes d’aveux sont clairement un outil de domination sur les hommes de la seigneurie223. Les livres de reconnaissances comprennent en effet la déclaration, par chaque tenancier, des corvées dues à la commanderie, avant que n’apparaissent des listes spécifiques des corvées exigibles224. Les comptabilités prouvent que bien d’autres « cartulaires », spécialement destinés à consigner tels ou tels revenus (droits d’origine comtale, collecte des cens…), n’ont pas été conservés225. Ces listes de biens ou de droits, qui par définition avaient une fonction pratique et une durée d’utilisation limitée, ont surtout été conservées dans le cadre d’opérations de réorganisation de la seigneurie. Préservées pour garder mémoire de l’étendue de la domination seigneuriale, elles furent dès lors revêtues,

220 Registres de reconnaissances : 56 H 1038 (incomplet, fin xiiie siècle) ; 56 H 1039 (1303). En guise de sondage, je me suis borné à consulter une autre liasse d’une vingtaine de cahiers comportant des terriers couvrant les xive-xve siècles (56 H 1068). Sur la série des terriers et autres lièves couvrant les xive-xvie siècles : É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 38-39 ; et sur les apports et les limites de ces registres : M. Hébert, « Espaces urbains et marché immobilier », p. 126-127. 221 Ces livres de reconnaissances manosquins sont assez comparables à ceux que l’on trouve en Savoie, pour leur part, un peu plus tardifs (N. Carrier et F. Mouthon, « ”Extentes” et “reconnaissances” de la principauté savoyarde. Une source sur les structures agraires des Alpes du Nord (fin xiiie-fin xve siècle) », in G. Brunel et alii (dir.), Terriers et plans-terriers du xiiie au xviiie siècle, Rennes-Paris, 2002, p. 217-219). Pour une note préliminaire sur les formes documentaires des reconnaissances en Provence : Th. Pécout, « Les actes de reconnaissances provençaux des xiiie-xive siècles : une source pour l’histoire du pouvoir seigneurial », in H. Taviani et C. Carozzi (dir.), Le médiéviste devant ses sources. Questions et méthodes, Aix-en-Provence, 2004, p. 273-276. 222 Sur l’articulation entre censier et terrier : M. Arnoux et G. Brunel, « Réflexions sur les sources médiévales pour l’histoire des campagnes. De l’intérêt de publier les sources et de les lire », Histoire et sociétés rurales, 1 (1994), p. 24-26. 223 La forme documentaire de la liste, appréhendée comme expression et outil de domination sur les hommes, a fait l’objet de récentes réflexions (P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit, p. 288-296). 224 Le premier état de ce genre est une énumération, pour chaque quartier de la ville, des tenanciers devant des corvées (56 H 1040). Cette liste ne comporte aucun critère de datation interne : l’analyse, suivant une mention au f. 21, lui assigne la date de 1308, mais la date de 1346 a été rajoutée au f. 22v. Michel Hébert, quant à lui, la situe plutôt vers 1315-1320 (M. Hébert, « Les étrangers à Manosque aux xiiie et xive siècles : intégration ou exclusion ? », in Forestieri e stranieri nelle città basso-medievali, Florence, 1988, p. 105). Le support en parchemin ainsi que l’écriture soignée et « gothisante » confèrent à ce registre une certaine visée mémorielle. Cette dernière, toutefois, n’exclut en rien la dimension utilitaire, puisque les folios sont couverts de rajouts interlinéaires et d’annotations marginales indiquant des commutations en numéraire. Sur la fonction mémorielle des listes et inventaires en contexte féodal : J.-Ph. Genet, « Entre mémoire, droit, culture : l’écrit de gestion », in X. Hermand et alii (dir.), Décrire, inventorier, enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge. Formes, fonctions et usages des écrits de gestion, Paris, 2010, p. 421. 225 Les comptes évoquent effectivement la fabrication de ces registres : It. xvi d. in duobus cartulariis ad rationem viii d. It. xii d. in quatuorum cartulariis ad rationem iii d. (56 H 835, f. 44v) ; Item vii denarios in papiro ad opus cunctalegii – i. e. probablement un registre servant à consigner des droits d’origine comtale (CoHMa, § 317) ; duobus caternis papiri a medium ad opus collectionis serviciorum iii s. (56 H 836, 3e cahier non folioté ; 1350).

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pour citer Ghislain Brunel, d’« une dimension historique qui les dépassait226 ». C’est effectivement le cas de ces listes manosquines, sur rouleau ou sur cahier, auxquelles on pourrait d’ailleurs rajouter les états de la baillie déjà évoqués. Comme on l’a vu dans le chapitre liminaire, c’est bien parce que la « réaction féodale » ne s’est pas posée dans les mêmes termes à Aix, que cette dernière commanderie a conservé si peu de documents de gestion. Les inventaires modernes laissent toutefois entrevoir une même rationalité administrative assise sur l’utilisation du registre. Ici encore, c’est plutôt à partir du xive siècle que les livres de reconnaissances apparaissent conservés en série, mais des mentions de « cayer(s) » en « caractere fort ancien » suggèrent que les archives aixoises recelaient peut-être des dénombrements de biens et de droits remontant à l’époque de Bérenger Monge227. Le rayonnement spirituel du prieuré a également donné une empreinte particulière aux archives aixoises puisque les échanges générés par l’économie de la mort, notamment à travers les anniversaires et les chapellenies, ont reposé sur de nouveaux instruments de gestion228. Le sacriste de Saint-Jean, que les inventaires appellent « administrateur des anniversaires », recevait les reconnaissances de biens légués pour financer les messes des morts229. Même si l’enregistrement systématique de ces rentes intervint à partir du xive siècle, il faut faire remonter aux années 1270 les mutations relatives à la gestion de cette nouvelle pastorale funéraire. Les fondations d’anniversaires, qui se multiplièrent alors, amenèrent à dissocier l’administration du prieuré de celle du temporel relevant de la commanderie elle-même. De tels dénombrements de rentes, de même que les listes des bénéficiaires des anniversaires, n’ont pas été davantage conservés à Manosque. Ils devaient pourtant exister car l’on voit mal, sinon, comment le sacriste de Saint-Pierre aurait pu gérer les 237 messes-anniversaire qu’il était chargé de faire célébrer annuellement230.

226 G. Brunel, « Listes de terres, listes de tenanciers, listes de revenus. La gestion et la mémoire entre Seine et Oise (xiie-xive siècle) », in X. Hermand et alii (dir.), Décrire, inventorier, enregistrer, p. 197-226 (citation p. 214). 227 56 H 49 (1683) ; 56 H 6 (1770), f. 75-108 (« chapitres des directes » ou « Livre des reconnoissances » pour chaque membre). L’un des rares registres conservés n’est pas un livre de reconnaissances en bonne et due forme, mais plutôt une compilation réalisée à partir de sources éparses et concernant l’ancienne maison templière de Bayles ainsi que d’autres lieux du territoire aixois. Commencé en 1312 puis complété par la suite, ce registre composite est remarquable à double titre : il est rédigé en langue d’oc et sa couvrure a été découpée dans un manuscrit théologique (1 G 426). 228 Dans les cathédrales, les nouvelles formes documentaires associées à la gestion des anniversaires – nécrologes-obituaires, cartulaires des anniversaires… – se développent au cours du xiiie siècle pour s’épanouir pleinement au siècle suivant. La charge d’administrateur des anniversaires est, quant à elle, courante dès la fin du xiiie siècle (Th. Pécout, « Aux origines d’une culture administrative. Le clergé des cathédrales et la genèse d’une comptabilité princière en Provence à la fin du xiiie siècle », in Th. Pécout (dir.), De l’autel à l’écritoire. Genèse des comptabilités princières en Occident (xiie-xive siècle), Paris, 2017, p. 60-63 ; et surtout désormais A. Chiama, Les cathédrales et la mort en Provence, vol. 1, notamment p. 241-266). 229 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 1613, f. 17-23 et 63-104 (« Trezenaire des anniversaires de la sacrée maison St Jean d’Aix commence l’an 1370 ») ; 56 H 50, f. 17-53 (anniversaires répartis dans 7 sacs cotés E à K). En 1338, les anniversaires procuraient à la commanderie un revenu de 9 l. et de 124 setiers de froment (VGPSG, p. 452-453). 230 VGPSG, p. 361.

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Dans les multiples domaines de l’administration de la commanderie, au temporel comme au spirituel, le préceptorat de Bérenger Monge aura donc connu les prémices d’une production documentaire sérielle qui allait véritablement s’épanouir au siècle suivant231. Cependant, à côté de ces ensembles documentaires destinés à être conservés, la période fut encore marquée par la prolifération d’un écrit du quotidien, ordinaire et souvent éphémère, dont la conservation fut, de ce fait même, plus aléatoire encore. Entrent tout d’abord dans cette catégorie tous les supports écrits de l’information administrative232. Les relations épistolaires entre les officiers de l’Hôpital jouèrent dans ce cadre un rôle primordial. Celles-ci, toutefois, n’ont laissé que de rares traces documentaires et ne peuvent donc être évoquées que de manière indirecte, grâce aux comptabilités faisant état d’échanges réguliers de messagers et de missives au sein de l’ordre. Aussi, aborderai-je plutôt la question des correspondances lorsqu’il s’agira d’inscrire les deux commanderies régies par Bérenger Monge dans la sphère plus large des relations, tant à l’échelle de l’institution qu’à celle de la province. Les cédules constituaient un autre type documentaire qui n’avait pas à être conservé dans la longue durée233. Ces « chartes en miniature », selon la formule de Paul Bertrand, étaient émises pour les besoins de la gestion (dans le cas des quittances notamment) ou bien de la cour de justice (citations à comparaître, quittances encore). Peu d’originaux sont parvenus jusqu’à nous, mais les inventaires modernes mentionnent parfois la présence de ces quittances dans les archives234. D’autres reçus sous formes de cédules pouvaient encore faire l’objet d’un enregistrement. Ce fut le cas, notamment, des transactions quotidiennes accomplies par le bayle ou parfois par le commandeur. Ainsi, un ensemble de quittances passées entre 1275 et 1289 pour des ventes ou pour de petits prêts octroyés par la commanderie, a été consigné sur un registre comptable abandonné à Manosque par le clavaire du prieuré, Guilhem Scriptor (tabl. 8). Si quelques quittances sont enregistrées sous une forme développée, la plupart sont

231 Pour un panorama sur les écrits de gestion, justement marqués par une production sérielle à partir du xiiie siècle, et sur les préoccupations nouvelles liées à leur archivage : H. Dewez, « Réflexions sur les écritures pragmatiques », in B. Grévin et A. Mairey (dir.), Le Moyen Âge dans le texte. Cinq ans d’histoire textuelle au Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris, Paris, 2016, p. 245-254, notamment p. 250-252. 232 La circulation de l’information administrative, à l’échelle de l’État angevin, a occupé plusieurs historiens de la Provence. Voir entre autres : J.-L. Bonnaud, « La transmission de l’information administrative en Provence au xive siècle : l’exemple de la viguerie de Forcalquier », Provence historique, 46 (1996), p. 211228 ; M. Hébert, « L’ordonnance de Brignoles, les affaires pendantes et l’information administrative en Provence sous les premiers Angevins », in Cl. Boudreau (dir.), Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, 2004, p. 41-56. 233 Il s’agit d’un type en plein essor à partir des années 1230 (P. Bertrand, Les écritures ordinaires, p. 70-75). 234 Les quittances (carta aquitationis) délivrées par la cour de justice dans le cadre de remboursements de dettes entre particuliers devaient ainsi affecter la forme de cédules de papier ( J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive de Manosque au Moyen Âge, 1241-1329, Paris-La Haye, 1973, p. 94). Mais les analyses et inventaires modernes, puis à leur suite les archivistes des xixe-xxe siècles, appellent encore « quittances » des reconnaissances de paiement qui sont des actes notariés sur parchemin (p. ex. : 56 H 4644 ; 2 octobre 1283). Malheureusement, les analyses de ces inventaires sont trop sibyllines pour être exploitables, comme cette quittance non datée entre Bérenger Monge et Guillaume de Villaret (56 H 68, f. 433).

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inscrites de façon synthétique comme de simples lignes comptables et elles furent d’ailleurs cancellées235. Sur ce document composite, plusieurs mains sont intervenues durant un laps de temps d’une quinzaine d’années. Si ces écritures plurielles ne se laissent pas clairement différencier, deux modèles se distinguent toutefois : le premier, assez proche d’une écriture notariale, est en latin (ill. B, no 7) ; le second, caractérisé par un ductus plus lent et assez anguleux, est en langue d’oc (ill. B, no 8). Rédigées à la première personne, les quittances maintiennent l’ambiguïté de l’assimilation de l’actant et du scripteur (tabl. 8, col. 4). Nous savons bien, en effet, que dans les formes d’écritures contractuelles, le « ego » de l’agent passe par le medium du notaire236. Mais il s’agit ici d’écritures informelles, consignées au jour le jour pour garder mémoire de transactions ordinaires, et je ne pense donc pas que celles-ci soient passées par l’intermédiaire d’un notaire. Je subodore plutôt qu’une partie au moins des écritures latines est le fait du bayle Peire de Saint-Martin, tandis que les mains plus hésitantes en oc pourraient bien être celles du bayle Uc de Corri et de Bérenger Monge. De même, c’est encore à l’un de ces frères que l’on peut attribuer certaines initiatives comptables, comme l’introduction d’une colonne à droite, destinée à recevoir la somme des paiements reçus237. D’ailleurs, on trouve exactement ce genre d’écriture informelle sur bien d’autres documents de la commanderie. À commencer par la comptabilité des années 1259-1263 où intervient le même type de ductus anguleux et quelque peu hésitant. Sur certains folios de ces comptes, je pourrais même être tenté de voir encore l’intervention de Bérenger Monge238. Sur le livre-terrier en parchemin du début du xive siècle, une main appliquée mais peu assurée a rajouté quelques tenanciers à la liste déjà établie par le notaire239 (ill. B, no 9). Par ailleurs, des feuilles volantes, rédigées en vulgaire mais difficilement datables, constituent autant de notes de travail ou bien de « pense-bêtes » qu’il faut sans doute mettre à

235 En ce sens, j’entends encore par « quittances » – on trouve apodixa dans les écritures angevines – des reçus, qui n’avaient pas forcément de valeur authentificatoire mais qui étaient consignés à des fins comptables. On trouve notamment de ces quittances originales, en parchemin et en papier, insérées dans les livres de marchands, soit dans la couverture, soit entre les feuillets (p. ex. : 56 H 1086 ; 1310-1320). 236 Dans le discours diplomatique, l’auteur de l’acte « ego » doit passer par la médiation du scribe qui, sémiotiquement, intègre la subjectivité de l’auteur (B. Bedos-Rezak, « Medieval Identity : a Sign and a Concept », American Historical Review, 105/5 (2000), p. 1507 ; Ead., When ego was imago : Signs of Identity in the Middle Ages, Leyde-Boston, 2011, p. 135-136). 237 p. ex. 56 H 2624, f. 70v-71 (f. 70v, colonne droite en bas : pagat xxxiii s. / e mai xx s. / e mai ii s. [cancellé]). Cette partie du registre est probablement de la main du bayle Uc de Corri. 238 56 H 835. Notamment sur les folios expérimentant la présentation en ligne, correspondant alors à la « main 1 » identifiée plus loin (ill. B, no 10). Le f. 46v est ainsi introduit : Anno Domini M.CC.LXIII, prima dominica post festum Nativitatis Domini quod fuit dominica quinta decembris. / Fecit frater Berengarius Monachus preceptor Manuasce computum / de presa recepta in palatio a capitulo citra. Et de expensis factis in eodem palatio. Hoc in. / ¶ De presa orti… Notons que, dans ces mêmes comptes, le provençal affleure parfois sous le latin (f. 30, 35r-v, 36). 239 56 H 1040, f. 21. Au bas du folio se trouve le dessin d’une figure féminine surimposée à la date de 1308, mais on ne saurait dire si l’écriture malhabile, le dessin et la date en latin inscrite d’une autre main sont intervenus sensiblement au même moment. Au f. 22v se trouvent encore des comptes sommaires de la même main maladroite.

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l’actif des frères gestionnaires240. Tout cela va donc dans le sens des remarques déjà formulées sur la banalisation de l’écriture au cours du xiiie siècle : la masse et la variété documentaires conservées par la commanderie de Manosque laissent bien l’impression que la pratique de l’écrit dépassait alors les cercles des professionnels, tandis que ces derniers, de leur côté, se mirent à écrire plus rapidement et sans doute plus abondamment241. L’existence d’un certain nombre d’écrits pratiques de gestion en langue d’oc accrédite le fait que quelques frères prenaient bien la plume par eux-mêmes, même si rien n’interdisait bien sûr aux notaires d’utiliser également la langue vernaculaire pour les actes dépourvus de valeur authentificatoire. Si les écritures occitanes se multiplièrent dès les années 1270, les archives de la commanderie de Manosque conservaient, sans doute non sans quelque déférence, un censier en provençal remontant au siècle précédent242. D’ailleurs, la précocité avec laquelle les ordres militaires du Midi adoptèrent la langue vulgaire dans les écrits de la pratique, bien davantage d’ailleurs en Languedoc qu’en Provence, a déjà été remarquée depuis longtemps243. Lorsqu’ils écrivaient pour les besoins de la gestion courante, Bérenger Monge et ses frères devaient donc le faire dans leur langue maternelle. Le scripteur du livre comptable des années 1283-1290 était probablement un notaire, mais son latin farci d’un vocabulaire vernaculaire latinisé et marqué par la diversité suggère que la mise au net a été accomplie à partir de documents intermédiaires – quittances, brouillards divers… – remis en oc par des frères originaires de différents espaces linguistiques provençaux voire méridionaux244. De ce point de vue, bien sûr, les hospitaliers de Manosque partageaient les mêmes références linguistiques et culturelles que leurs administrés, puisqu’un certain nombre de documents en ancien provençal émanèrent également de l’universitas ou bien de marchands à partir de la fin du xiiie siècle245. Cela dit, l’époque de Bérenger Monge fut encore celle du règne du 240 Dans le livre de reconnaissances de la fin du xiiie siècle a été laissée une liste de cens avec le tenancier correspondant (56 H 1038). Il s’agit, soit d’un document intermédiaire écrit par un frère et peut-être destiné à être recopié au propre et en latin sur le dit registre par un notaire, soit d’une liste complémentaire de tenanciers rajoutée par un frère. On trouve encore, dans les registres comptables, de tels billets insérés entre deux feuillets pour garder la trace de transactions (p. ex. : 56 H 2624, aux f. 30v-31). 241 Nombreuses sont les chartes qui, à partir des années 1280, portent les signes d’une accélération et d’une banalisation de l’écrit : les pièces de parchemin sont parfois de moindre qualité, tandis que l’écriture cursive se fait plus rapide et « nerveuse » (p. ex. : 56 H 4199 ; 14 novembre 1286). 242 56 H 4638, no 1. Ce document avait été repéré par Clovis Brunel qui le tenait, avec le Livre des privilèges de Manosque, pour le plus ancien texte en vulgaire du département des Basses-Alpes (C. Brunel, « Les premiers exemples de l’emploi du provençal dans les chartes », Romania, 48 (1922), p. 337-338). 243 C. Brunel, « Les premiers exemples », p. 342-345, 350-353, 357-359 et 363-364. Le rôle des villes mais aussi des ordres militaires dans la diffusion de l’occitan en Languedoc est souligné par de plus récentes synthèses (A. Lodge, Le français, histoire d’un dialecte devenu langue, Paris, 1997, p. 154-155). 244 Alain Venturini a montré que ces comptes étaient rédigés dans un latin correct mais présentant un certain nombre d’habitudes graphiques et phonétiques issues de la langue d’oc (CoHMa, p. lxviii-lxxxii). 245 Outre la traduction du Livre des privilèges effectuée en 1293, on peut signaler le livre du marchand Garnier Felix, utilisé entre 1284 et 1312, sur lequel celui-ci a notamment dressé en provençal la liste de ses débiteurs (56 H 1085, f. 5-22). La multiplication des écritures marchandes en langue vulgaire à partir du xive siècle

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latin, ne serait-ce que du fait de l’emprise du notariat et du clergé sur l’écrit246. Si je viens donc de suggérer que certains frères étaient probablement tout à fait aptes à pratiquer un latin administratif, il s’en faut de beaucoup pour qu’une telle situation soit généralisable, tant à l’ensemble des dignitaires des ordres militaires qu’au groupe de la chevalerie laïque. Pour preuve, la grande charte de composition entre Bérenger Monge et les habitants de Manosque passée en 1293 dut être lue en « langue romane » aux frères réunis au chapitre provincial247. En certains cas d’ailleurs, les hospitaliers eux-mêmes préférèrent traduire ou faire traduire des actes jugés importants, afin que leur compréhension ne permît aucune ambiguïté248. La circulation des statuts en langue vernaculaire, au cours du xive siècle au moins, s’explique du reste par le peu de familiarité que la majorité des frères devait entretenir avec le latin249. Aussi, à l’échelle du Midi, l’usage de la langue d’oc persista donc à la fin du Moyen Âge dans la pratique administrative, bientôt de concert avec l’introduction du français250. Avant

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a été relevée par M. Hébert, « Latin et occitan : quelles langues écrit-on en Provence à la fin du Moyen Âge ? », Provence historique, 47 (1997), p. 287-288. Michel Hébert a souligné la suprématie du latin au xiiie siècle, avant que le vernaculaire ne se développe vraiment aux deux siècles suivants, propulsé par les pratiques administratives des municipalités. Il a encore remarqué que les textes conservés en occitan étaient bien plus nombreux pour le xiie siècle que pour le siècle suivant (M. Hébert, « Latin et occitan », p. 285). Cette impression resterait toutefois à vérifier car elle ne me semble pas confirmée par les archives hospitalières de Manosque. Il est possible que les écritures vernaculaires, qui ont pu proliférer au xiiie siècle sous des formes plus ou moins informelles (comptes, notes et billets divers…), aient davantage pâti des destructions que des pièces du xiie siècle (chartes et censiers) conservées à titre mémoriel. Ainsi, sur la quinzaine de cartularii répertoriés dans les archives du Temple d’Arles en 1308, et dont pas un seul n’a survécu, trois au minimum étaient écrits en vernaculaire (D. Carraz, « L’emprise économique », p. 173). …transactionem et compositionem et conventionem […] lectam, romana lingua, in dicto capitulo dicto domino priori et omnibus dictis fratribus et aliis ibidem existentibus… (LPM, no 38, p. 130 ; 4 octobre 1293). Dans la même sphère socio-culturelle, Roncelin de Fos, maître du Temple en Provence, devait encore se faire expliquer en « materna linga » des actes à portée juridique (AFP, no 456, p. 393 ; 3 avril 1275). Selon Martin Aurell, les progrès de l’alphabétisation n’en permettaient pas moins, à la plupart des chevaliers, de lire et de comprendre un acte administratif en latin (M. Aurell, Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux xiie et xiiie siècles, Paris, 2011, p. 102-104). Item vi d. in uno pargameno ad opus faciendum translatum carte compositionis (56 H 835, f. 46 ; 25 novembre 1263). 56 H 78 ; éd. M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre », p. 43-51 ; M.-R. Bonnet et R. Cierbide, Les statuts de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Des témoins antérieurs ont vraisemblablement existé puisque, dès le début du xiiie siècle, le maître Alphonse de Portugal prescrivait la traduction des privilèges et des statuts en langue vulgaire ( J. Delaville le Roulx, « Les statuts de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem », Bibliothèque de l’École des chartes, 48 (1887), p. 345). Sans accorder une attention spécifique à la question linguistique, Anthony Luttrell évoque les principaux manuscrits comportant des textes normatifs en anglo-normand, français et allemand entre les années 1180 et 1300 (A. Luttrell, « The Hospitallers’ Early written Records », in J. France et W. Zajac (dir.), The Crusades and their Sources, Aldershot, 1998, p. 143-151). 56 H 309bis (comptes en occitan de plusieurs commanderies du Languedoc, xive siècle) ; 56 H 310 (comptes du prieuré de Saint-Gilles en occitan et en français, 1429) ; 56 H 311 (comptes de commanderies du Languedoc en français, 1439). Dans le fonds du prieuré, c’est déjà en français, langue officielle de l’Hôpital, que sont conservés plusieurs statuts, sur un rouleau postérieur à la fin du xiiie siècle (56 H 4055, no 1).

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que l’usage du provençal maternel ne coexiste donc avec le latin et le français comme langues officielles et élitistes, la diglossie latin-provençal fut relativement habituelle à l’écrit, au point que la langue des écritures pratiques laisse facilement affleurer les provençalismes sous le latin notarial. Un tel élargissement des pratiques scripturaires, de même que l’adoption de nouvelles formes documentaires comme le registre, ne furent-ils pas largement facilités par la diffusion du papier251 ? Le fonds de l’Hôpital de Manosque a, en effet, conservé certains des plus anciens documents de papier en Provence : le livre du clavaire du prieuré réutilisé pour l’administration courante de la commanderie fut ouvert en 1253, les « cartulaires » du notaire Bernard de Bourges commencent en 1256, tandis que les premières comptabilités conservées, dans les années 1259-1263, témoignent déjà d’une certaine pratique de ce genre d’écritures252. Livres de comptes et de reconnaissances, ainsi que registres judiciaires, se multiplient dans le dernier tiers du siècle, même si les aléas de la conservation n’ont pas permis de préserver la logique sérielle qui, probablement, était déjà à l’œuvre. S’il fut rapidement adopté pour l’administration, on suppose que le papier tarda un peu plus à s’imposer pour les ouvrages liturgiques ou littéraires, même si l’on peut relever que la commanderie du Temple d’Arles disposait, au début du xive siècle, d’un certain nombre de manuscrits en papier ou bien de composition mixte253. Le papier se diffusa donc en Provence avec quatre à cinq décennies d’avance par rapport au Nord de la France, où l’on a pu noter, ici encore, que les ordres militaires furent parmi les premiers à s’emparer de ce nouveau support254. En Provence, il est possible que cette véritable révolution documentaire reposât sur un accès facilité aux sources d’approvisionnement : depuis Manosque, les contacts avec la Ligurie, et au-delà avec les fabriques de Fabriano, étaient aisés, tandis que les ordres militaires du Midi avaient toujours maintenu des liens avec les provinces catalano-aragonaises255. Les mentions d’achats de papier livrées

251 La concomittance entre l’adoption du registre et la diffusion du papier a souvent été remarquée (H. Bresc et I. Heullant-Donat, « Pour une réévaluation de la “révolution du papier” dans l’Occident médiéval », Scriptorium, 61-2 (2007), p. 368 et 371 ; C. Bourlet et I. Bretthauer, « L’utilisation du papier comme support de l’écrit de gestion par les établissements ecclésiastiques parisiens au xive siècle. Résultats d’enquête », in C. Bourlet et M. Zerdoun (dir.), Matériaux du livre médiéval, Turnhout, 2010, p. 179). 252 56 H 2624 ; 56 H 1088 ; 56 H 835. Il s’agit, naturellement pour cette époque, de papiers non filigranés assez épais. Rappelons que les plus anciens registres notariés conservés pour Marseille et Grasse remontent à 1248 et 1250 (R. Aubenas, « Documents notariés », p. 12). Les premières comptabilités conservées sur papier pour la cour angevine remontent aux années 1249-1254 (P. Faye, Les premières utilisations du papier comme outil de gestion dans l’administration angevine provençale (1295-1350), mémoire de maîtrise, Université du Québec, 2008, p. 36). 253 D. Carraz, « Les collections de livres », p. 168. Les inventaires de 1308-1309 ne livrent, en revanche, aucune indication sur le support matériel de la quinzaine de registres de gestion conservés dans la commanderie arlésienne. 254 À Paris, le premier registre de papier connu, commencé en 1317, provient de l’Hôpital (C. Bourlet et I. Bretthauer, « L’utilisation du papier », p. 173 et 176-177). 255 Sur les premiers centres de fabrication italienne et espagnole : H. Bresc et I. Heullant-Donat, « Pour une réévaluation », p. 373-381. On suppose une origine arabo-espagnole au papier des premiers registres notariés provençaux (H. Capodano Cordonnier, « Papiers utilisés par les notaires de Grasse au Moyen Âge et conservés aux Archives départementales des Alpes-Maritimes », in C. Bourlet et

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par les comptes sont hélas trop sporadiques et imprécises pour être véritablement exploitables256. En bref, le recours au papier a donc démultiplié les possibilités d’enregistrement de toutes sortes de données relatives à la gestion courante, comme les échanges d’informations à l’échelle de la commanderie et du prieuré – il y a tout lieu de croire, en effet, que ce matériau a pu être préféré pour les documents de petit format et de valeur ponctuelle (cédules, missives, quittances…)257. Les écritures éphémères, brouillons et autres notes de travail, recoururent sans doute encore aux tablettes de cire dont il ne reste que de rares témoignages, indirects et hors du cadre des ordres militaires258. Si les frères, sous l’influence probable des notaires et des marchands qui gravitaient autour d’eux, adoptèrent donc le papier sans guère d’hésitation, il s’en faut de beaucoup pour que celui-ci provoquât l’abandon du parchemin259. Ce support noble fut naturellement conservé pour la publication des actes juridiques, comme pour certains registres auxquels on voulait sans doute conférer une dimension plus solennelle et mémorielle : ce fut le cas, par exemple, de l’inventaire des corvées évoqué plus haut260. Enfin, les listes et inventaires ne furent pas réductibles à la forme du registre puisque le rouleau de parchemin connut encore une belle postérité au xive siècle : c’est même, semble-t-il, plutôt sur ce support que l’on préférera consigner les aveux emphytéotiques. L’inventaire des archives d’Aix dressé en 1705 dénombre ainsi pas moins de 402 rouleaux de reconnaissances dont il ne reste plus grand-chose aujourd’hui261. Il n’en demeure pas moins que Peggy Faye a raison d’inscrire la diffusion du papier dans la « phase de maturation et de sédentarisation des archives locales » qui marqua l’avènement des Angevins en Provence262. J’espère avoir montré que c’est précisément dans les décennies décisives du mandat de Bérenger Monge que les stratégies d’archivage, à Manosque et probablement à Aix, se projetèrent résolument

M. Zerdoun (dir.), Matériaux du livre médiéval, p. 211-212). À la fin du xiiie siècle, le papier utilisé en Provence provient plutôt de Catalogne, avant que ne s’imposent les productions italiennes (P. Faye, Les premières utilisations, p. 48-59). 256 56 H 835, f. 19v (iii obolos in paperio), 45v (iii d. in tribus foliis paperii ad dispendium notarii domini prioris ; CoHMa, § 317 (Item vii denarios in papiro ad opus cunctalegii) ; 56 H 836 (duobus caternis papiri a medium ad opus collectionis serviciorum iii s.). 257 Il arrive de trouver dans certains registres des feuillets découpés ou arrachés pour être réutilisés sous forme de feuilles volantes (p. ex. : 56 H 944, f. 57 ; 56 H 2625, f. 55). On pourrait, certes, expliquer par une relative pénurie du matériau ces actions qui restent impossibles à dater. Je préfère au contraire les mettre sur le compte d’une banalisation de son usage. 258 J. Gnaedig et O. Thuaudet, « Deux exemples de stylets médiévaux dans le sud de la France », Archéologie du Midi médiéval, 31 (2013), p. 177-179 (stylets découverts à Saint-Gilles et à Avignon et attribués aux xiiie-première moitié xive siècles). 259 La résistance du parchemin a été soulignée par P. Guichard, « Du parchemin au papier », in P. Guichard et D. Alexandre-Bidon (dir.), Comprendre le xiiie siècle, Lyon, 1995, p. 186-190. 260 56 H 1040. 261 56 H 50, f. 2 (ceux-ci étaient conservés dans 12 sacs cotés A à L). La résistance du rouleau face au registre de papier est également significative dans le cas des comptabilités savoyardes (P. Guichard, « Du parchemin au papier », p. 187). 262 P. Faye, Les premières utilisations du papier, p. 164, reprenant Th. Pécout, « Mémoire de l’État », p. 33.

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dans la durée. Le soin porté aux archives par les chevaliers de Malte puisait donc loin ses racines. Les gens du Moyen Âge, d’ailleurs, ne s’y trompèrent pas et n’hésitèrent pas à confier à la garde des ordres militaires leurs documents les plus précieux. Ainsi, il n’est pas rare que les fonds des commanderies constituent, aujourd’hui encore, de véritables conservatoires d’actes laïques263. Les deux commanderies régies par Bérenger Monge, qui recelaient un certain nombre d’actes concernant l’État princier ou bien des particuliers, ne dérogèrent pas à cette habitude264. Aussi n’est-ce pas un hasard, j’y reviendrai, si une partie des archives centrales de l’Hôpital furent rapatriées à Manosque à la suite de la chute d’Acre. Normes comptables, mémoire administrative et contrôle institutionnel

Les statuts promulgués au chapitre général de 1262 prescrivirent à chaque commandeur de tenir un registre pour y inscrire les avoirs et possessions de sa baillie265. Il est probable qu’il s’agissait là d’entériner et de généraliser une pratique déjà expérimentée depuis quelques décennies. La direction de l’ordre entendait peut-être mieux formaliser les instruments de travail sur lesquels les responsables des commanderies gardaient mémoire de leur gestion quotidienne. Les archives de Manosque ont ainsi préservé quelques témoignages de ces écritures grises. On trouve par exemple des fragments de comptes sur quelques feuillets d’un registre de justice, comportant des affaires des années 1241-1246 et dont l’organisation est, elle-même, mal assurée266. Au moins deux mains différentes ont utilisé la place laissée vide par le greffier de la cour pour noter, sur deux colonnes, des séries de dépenses hebdomadaires et de revenus, notamment des sommes reçues de débiteurs. Outre ces écritures opportunistes effectuées sur les feuillets laissés libres de différents registres, les responsables de l’Hôpital tenaient déjà de véritables cahiers personnels. J’ai déjà évoqué l’oubli à Manosque après 1258 de deux registres qui avaient appartenu au clavaire Guilhem Scriptor267. Si l’un renferme véritablement des comptes relatifs à la partie toulousaine du prieuré (56 H 2625), l’autre tient plus d’un carnet de travail où l’on trouve à la fois des procès-verbaux de visite, des comptes et divers inventaires

263 D. Carraz, « Private Charters and other Family Documents in the Templar Archives : Commanderies in Southern France », in K. Borchardt et alii (dir.), The Templars and their Sources, Londres-New York, 2017, p. 78-95. 264 La liasse 56 H 4211 conserve essentiellement des transactions entre particuliers, semble-t-il hors de la directe de la commanderie, largement négligées par les archivaires de l’ordre à en juger leur état. Cf. encore 56 H 4199 (17 avril 1268) ; 56 H 4189 (2 juin 1269) ; 56 H 4185bis (inventaire du château comtal de Trets, 10 juin 1270) ; 56 H 4183 (23 décembre 1296). Munimina ou actes confiés à la garde des hospitaliers : l’origine de ces documents est difficile à saisir au premier abord. 265 CGH, t. 3, no 3039, § 23 (19 septembre 1262). 266 56 H 944, f. 57v, 58v, 59v. Les mentions de cognomina connus à Manosque, d’un frère Rascasius et d’un commandeur non nommé ne fournissent pas de critère de datation plus précis. 267 56 H 2624, 76 f. (1253-1258) ; et 56 H 2625, 64 f. (1255-1257). Sûrement ce dignitaire est-il passé par Manosque car je n’explique pas autrement que ses registres aient fini dans les archives de cette commanderie. Mal connu par ailleurs, Guilhem Scriptor ou Scriba est cité entre 1218 et 1258 (Th. Krämer, « Die Beziehungen der Südfranzösischen Ritterorden », p. 118).

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(56 H 2624). Or, l’intérêt de ce dernier registre pour le présent propos est que les bayles et le commandeur l’ont remployé entre 1275 et 1289 pour les besoins de la gestion de la commanderie (tabl. 8). Non seulement les feuillets laissés vierges ont été utilisés pour l’enregistrement de quittances et de contrats, mais un petit carnet de six feuillets fut relié au reste du registre à une époque indéterminée. Couvert de quittances écrites en langue vernaculaire, celui-ci fournit un autre exemple de ces cahiers de papier que les gestionnaires de la maison transportaient sans doute avec eux au gré des besoins. Il constitue donc, dans le processus comptable, l’étape par laquelle les administrateurs notaient au jour le jour les entrées et sorties de la maison. Cela était fait, toutefois, sans ordre apparent puisque quittances et contrats étaient enregistrés selon la place disponible dans le registre, hors de toute préoccupation chronologique. Il s’agit donc du type même de l’instrument personnel qui servait à garder mémoire des actions en cours et, le cas échéant, de leur extinction268. À côté de ces écritures « hors système », l’administration de Bérenger Monge a laissé deux véritables registres comptables, déjà maintes fois utilisés dans le présent essai. J’ai déjà eu l’occasion, avec Karl Borchardt, d’analyser ces documents en les resituant dans le panorama général du système comptable de la commanderie269. Aussi me permettrai-je d’être relativement bref. Le premier registre, dont trois quaternions seulement sont conservés, porte sur les années 1259 à 1263270. Les dépenses sont notées de façon journalière, avec un total (summa) établi chaque dimanche, quand les recettes (presa, preda) ne sont inscrites que le dimanche, au fil des entrées hebdomadaires. La mise en forme est encore sommaire : les dépenses sont inscrites en continu, sans alignement ordonné, et même les summae ne sont pas toujours clairement distinguées par la mise en page. Deux ou trois mains sont intervenues sur ce registre dont l’une a expérimenté, sur quelques folios (f. 29-30 et 46v), une présentation novatrice des items en lignes, parfois introduits par un pied de mouche271 (ill. B, no 10). J’ai attribué plus haut au moins une partie de ces « écritures multiples » aux frères gestionnaires. Ces cahiers comportent en effet ratures, corrections et quelques marques de vérification assez informelles : il s’agit donc d’un exemplaire de travail qui, peut-être, était déjà doublé par un registre mis au net afin d’être présenté au chapitre prieural pour vérification. Tel est bien le cas du livre, également incomplet, couvrant les années 1283-1290. Celui-ci présente plutôt les caractéristiques d’un livre mémoriel, c’est-à-dire copié au propre et destiné à être archivé. Les ratures et interventions secondaires sont plutôt rares, tandis que l’homogénéité de la paléographie suggère l’action d’un même scripteur, probablement l’un des notaires qui officiaient pour

268 Ces feuillets noircis par les gestionnaires de la commanderie s’apparentent en effet à ces « outils maîtrisés et maîtrisables seulement par leurs auteurs » décrits par P. Bertrand, Les écritures ordinaires, p. 278-284. 269 CoHMa, p. xxxv-lii et xciii-cvi ; D. Carraz et K. Borchardt, « Les pratiques comptables de l’ordre de l’Hôpital en Provence. Le cas de la commanderie de Manosque (années 1260-1350) », in Th. Pécout (dir.), De l’autel à l’écritoire, p. 131-165. 270 56 H 835. 271 J’ai cru identifier une écriture anguleuse de module moyen (main 1 ; f. 46v), une écriture assez appliquée, plus ronde et plus petite (main 2 ; f. 26v-28v), et enfin, entre les deux types précédents, un ductus un peu plus anguleux mais appliqué (main 3 ou bien main 1 avec plume différente ? ; f. 28).

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les hospitaliers. La standardisation de la mise en page dénote un système comptable arrivé à maturité : recettes et surtout dépenses, regroupées par semaine, sont alignées, même si les sommes ne sont pas encore reportées sur une colonne à droite. Chaque exercice annuel, clôturé le dimanche précédant le chapitre prieural, débute sur un nouveau folio par une croix d’authentification (ill. B, no 11). Les deux registres renferment donc les comptes généraux de la baillie mais n’intègrent, on l’a dit, que les entrées et sorties en monnaie de compte. Consignées avec soin, les dépenses portent essentiellement sur les frais d’exploitation de la seigneurie, la subsistance des frères et de la familia, ainsi que les missions de l’Hôpital (versement des responsions au prieuré, charité, déplacements des frères, etc.). Les règles de la bonne gestion et les contraintes de la discipline monastique devaient en effet transparaître derrière le caractère méthodique et tatillon de la comptabilité hospitalière272. Il n’en demeure pas moins que cette dernière est truffée d’erreurs de calcul, comme cela a été souligné à l’envi pour les comptabilités médiévales, au moins antérieures au xive siècle273. Dans les comptes de 1283-1290, 136 summae sur 412 sont ainsi fausses. En outre, ceux-ci négligent ou sous-estiment toute une série de dépenses et surtout de recettes. Ainsi, les revenus de la justice figurent bien au nombre des presae, mais sous une forme beaucoup moins détaillée que dans l’enquête de 1338 qui, elle-même, se fonde sur un bilan comptable. Les flux liés à l’« économie de la grâce », tels les messes anniversaires, les mortalages et les dîmes – eux-aussi relativement détaillés en 1338 – n’apparaissent ici pratiquement pas. Il devait donc exister, pour des « postes » spécifiques de la baillie, des bilans financiers dont les résultats n’étaient que partiellement ou pas du tout repris dans la balance générale. Il faut en effet souligner que ces deux livres de papier ne représentent que des épaves, seules rescapées d’une comptabilité générale qui devait former une série documentaire274. Il s’agit donc de la face émergée d’un véritable iceberg documentaire qui comprenait à la fois les comptes courants et les instruments mémoriels d’un côté, tandis qu’il faudrait encore imaginer tout un ensemble d’instruments spécifiques dédiés aux divers types de débours et surtout de recettes. Le xive siècle a vu apparaître, en effet, des instruments comptables plus spécialisés, dont la préservation a également été très sporadique, mais dont les prototypes remontent probablement au dernier tiers

272 Sur ces aspects, fréquemment commentés par la littérature récente, des comptabilités ecclésiastiques : Cl. Lenoble, « Comptabilité, ascèse et christianisme. Note sur la formation et la diffusion d’une culture comptable chrétienne au Moyen Âge », in Th. Pécout (dir.), De l’autel à l’écritoire, p. 21-47 ; et sur l’approche plus formelle reliant la rigueur de la présentation comptable à la bonne gestion : P. Beck, « Le vocabulaire et la rhétorique des comptabilités médiévales. Modèles, innovations, formalisation. Propos d’orientation générale », Le vocabulaire et la rhétorique des comptabilités médiévales, Comptabilités, 4 (2012) [en ligne]. 273 Sur cette question en particulier : CoHMa, p. xlvii-xlviii ; D. Carraz et K. Borchardt, « Les pratiques comptables », p. 140-142. 274 Le second registre, subtilisé par le collectionneur Franz Paul von Smitmer, sans doute dans les archives du grand prieuré de Saint-Gilles, a été transformé en livre qui finit par être versé à la bibliothèque du grand prieuré de Bohême à Prague (CoHMa, p. xxxviii-xli). C’est le fait d’avoir été ainsi « sanctuarisé » qui lui a valu de parvenir ainsi jusqu’à nous. Quant au premier registre, il a simplement dû être oublié quelque part dans le fonds, échappant ainsi aux tris successifs.

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du siècle précédent : comptes journaliers, comptes du palais, comptes des moulins et du bétail, comptes particuliers à chaque membre275. L’apparition de trésoreries séparées, notamment pour chaque membre, se déduit de la rigueur formelle avec laquelle les enquêteurs ont pu, en 1338, présenter et classer en subtiles sous-catégories les données qu’ils avaient rassemblées276. Du registre encore brouillon des années 1260 à l’enquête de 1338, en passant par le livre mémoriel des années 1280, la formalisation toujours plus soignée de la mise en texte montre bien ce besoin de légitimation et de contrôle des échanges opérés par l’institution. Ce contrôle s’établit à deux niveaux : celui des échanges entre la commanderie et l’extérieur ; celui des relations hiérarchiques entre frères eux-mêmes au sein de l’institution. En garantissant un certain équilibre budgétaire, il visait à satisfaire un idéal de bonne gestion, en même temps qu’il servait à contrôler le respect de la norme par les frères. La dimension comptable ne saurait donc être dissociée du disciplinement lui-même de la vie communautaire277. L’inscription des dépenses au jour le jour permettait ainsi une surveillance très étroite de la vie des frères dans des domaines qui, dans le monde monastique, comportaient une dimension identitaire et disciplinaire : le vêtement, l’alimentation, les déplacements qui impliquaient, plus largement, les relations avec l’extérieur278. L’inscription des dépenses en vestiaire et en nourriture, parfois mais pas toujours imputées nominalement à certains frères, a été évoquée dans un précédent chapitre. Les sommes affectées aux déplacements, cette fois-ci systématiquement adressées à un frère ou serviteur en particulier, permettaient encore un étroit contrôle des sorties. Si une périphrase était encore utilisée – « … que ivit cum… » – dans les années 1260, très vite apparut le terme spécialisé de « messio », alors que la destination n’était pas systématiquement précisée279. Obligation était encore faite aux frères missionnés de rendre compte de leur voyage à leur retour280. De telles données intermédiaires, dont il suffisait simplement de reporter le total dans le décompte général des dépenses, n’ont pu être que très exceptionnellement préservées. C’est donc seulement parce qu’ils ont été inscrits sur une page vierge du « cartulaire de Saint-Pierre », que les comptes du voyage à Gênes effectué par Bérenger Monge et sa suite en mai 1251 sont parvenus jusqu’à nous281. Ce document,

275 Les références de ces documents sont données par D. Carraz et K. Borchardt, « Les pratiques comptables », p. 146-150. 276 D. Carraz, « Les enquêtes générales de la papauté », p. 512-519. 277 Ce paradigme a été analysé avec soin dans le cas des franciscains d’Avignon : Cl. Lenoble, L’exercice de la pauvreté, p. 92-147. 278 La notion d’« extérieur » renvoie, dans le cas des commanderies comme de toute maison religieuse, aux limites juridictionnelles matérialisées par la clôture – extra/intra septa (D. Carraz, « Églises et cimetières des ordres militaires. Contrôle des lieux sacrés et dominium ecclésiastique en Provence (xiie-xiiie siècle) », in Lieux sacrés et espace ecclésial (ixe-xvesiècle), Toulouse, 2011, p. 283-284). La conduite à tenir lors des déplacements, quant à elle, fit l’objet d’attention dès la règle de Raimond du Puy et préoccupa encore les différents chapitres généraux (CGH, t. 1, no 70, p. 63 ; t. 2, no 1193, § 4 ; t. 3, no 3039, § 26 bis et § 40 ; etc.). 279 56 H 835, f. 1, 5r-v, 16v, 17r-v, 18, 19, etc. ; CoHMa, ad indicem : messio, onis. 280 L’obligation, qui apparaît tardivement dans les statuts, rappelle probablement une habitude déjà ancienne (CGH, t. 3, no 4515, § 16). 281 56 H 849, f. 14 ; A. Venturini, « Un compte de voyage ».

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commenté et édité par Alain Venturini, montre le soin avec lequel le frère Andreas, responsable de la bourse, avait consigné la moindre de ses dépenses et, cette fois-ci, sans erreur de calcul282. Ainsi que le suggère la spécialisation des postes de gestion, chaque officier – bayle, responsables des membres, des moulins… – devait également soumettre ses comptes, probablement chaque mois, à l’occasion du chapitre de la maison283. En dernier ressort, le commandeur était responsable du contrôle de tous les flux et donc, en d’autres termes, de leur conformité à la norme. Mais lui-même était redevable de sa gestion, tant auprès de la communauté qu’il dirigeait, que de sa hiérarchie. À ses frères, il devait déclarer la liste des provisions de la commanderie tenues en sa main. Cette démarche s’effectuait probablement à chaque fin d’exercice comptable, bien qu’une seule attestation, en date du 4 juillet 1283, ait été conservée pour le mandat de Bérenger Monge284. Plus solennelle encore devait être la reddition de l’état de la baillie qui intervenait la semaine précédant le chapitre provincial (fig. 14). Pour la commanderie de Manosque, deux de ces bilans nous sont effectivement parvenus dont la mise en acte, sous la forme d’un chirographe, dit assez la dimension publique et mémorielle285. Celui qui fut présenté en 1299 par Isnard de Flayosc représente sans doute l’état de la baillie, tel que l’avait laissée Bérenger Monge à sa sortie de charge. Il affecte la forme d’une liste énumérant l’effectif des membres réguliers de la communauté, l’ensemble du cheptel, les provisions (viande salée, huile, fèves…), les réserves de métaux (fer, acier, plomb…), et enfin l’armement défensif et offensif. Selon Jean Raybaud, ces bilans étaient également consignés dans un registre tenu par le commandeur286. Et c’est apparemment sous cette forme que l’archivaire put prendre connaissance de certains de ceux qui furent présentés par Bérenger Monge.

282 Je n’ai pas pu revoir ce document, mais la description de son éditeur laisse entendre que celui-ci fut, pour l’essentiel, bien rédigé par ce frère Andreas. Ce bilan final en latin, reporté sur le cartulaire à l’issue du voyage, a pu utiliser « des bouts de parchemin (ou de papier) » rédigés, pour leur part, en provençal. Alain Venturini pense en outre qu’Andreas n’a consigné que les dépenses dont il avait la charge, mais que d’autres frais intervinrent vraisemblablement (A. Venturini, « Un compte de voyage », p. 30 et 37). 283 La périodicité est mensuelle concernant les officiers du couvent central (CoHMa, p. lxxxvii). Mais au niveau de la commanderie, les témoignages de la présentation des comptes au chapitre sont rarissimes pour le xiiie siècle. Une seule mention, trouvée parmi quelques écritures comptables consignées dans un registre judiciaire, apparaît fort énigmatique : Anno Domini M°.CC°.XVI°. in die dominica prima post festum beate Marie Magdalene, tenuit dominus Bermundus primitus capitulum cum fratribus omnibus Manuasche et incepit sic scribere suos redditus. (56 H 944, f. 59v). Énigmatique d’abord par la date lue, dans la mesure où ces comptes furent consignés autour de 1241, en cohérence avec l’enregistrement des causae qui remontent aux années 1241-1243. Ensuite, car le dominus Bermundus responsable de la tenue du chapitre ne correspond à aucun dignitaire local. Une piste serait d’y voir Bermond de Luzençon, attesté comme prieur de Saint-Gilles en 1218-1219 – alors que le prieur en poste est inconnu pour les années 1216-1217. Ceci n’explique pas pourquoi cette mention d’un chapitre ancien se serait trouvée consignée ici. 284 CoHMa, p. 144-146. 285 56 H 4634 (28 juin 1299) = CoHMa, suppl., p. 147-148. L’autre état connu est celui du commandeur Bertrand d’Orange, donné le 28 avril 1314, et édité par F. Reynaud, La commanderie, p. 210-211. 286 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 338, p. 598.

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3 mai 1268

13 mai 1271

3 mai 1273

2 juillet 1279

[…] fr. Beranger Monge commandeur de Manosque déclara le 3 de may 1268 aux frères de cette maison qui y estoient assemblés, qu’il la quitoit sans qu’elle fut chargée d’aucune dete, et qu’il laissoit dix neuf freres et une sœur, 18 donnés et deux données, 43 bœufs ou vaches et plusieurs meubles dont il fit l’énumération. Item un instrument par lequel frater Berengarius Monachus preceptor Manuasce convocatis fratribus conventus palatii Manuasce computaverit cum eis statum Manuasce et facto computo dimisit dictam baiuliam sine debitis et dimisit in ea xx fratres et tres sorores et xxiii donatos et xl boves per totam baiuliam xlix bestias equinas et xxxiiii trentenarios de avere minuto avec plusieurs aultres biens meubles inmeubles et utensils de maison en icelluy instrument denement speciffiez et comme peult apparoir par la vision dicelluy non signé daté de l’an M CC LXXI tercia dominica maii ainsi cotté bbbbbbbbb B. Item ung instrument contenent … de la mayson et du palais de Manosque par lequel apert que fratre Berengarius Monachus preceptor Manuasce convocatis fratribus Manuasce cum eis computavit tam de expensis quam de redditibus pro facto computo finali dictam baiuliam Manuasce … d…s et d… in… decem et novem fratris et unam sororem et decem et octo donatos et unius vacas et vinginti duos boves et undecim bestias avenas et autre betail mentionné dedans lequel instrument faict sub millesimo duecentesimo septuagesimo tercio et tercio mensis mai cotte xlxi E. Item ung instrument de inventorization et reddition de compte faict par fre. Berenguier Monachus commandeur dud. Manosque devant les freres du couvent touchant de l’estat de / [f. 60] et biens de lad. commanderie p(ar) icelluy commandeur delaissez et icelluy a laisse sans debtes et y avoit xxviii freres et deux seurs et xviii donnes et plusieurs biens et utensils de maison ainsi que par icelluy instrument […] appert non signé […] daté prima dominica jullii M°CCLXXVIIII ainsi cotte fffffff F.

Fig. 14. États de la baillie présentés par Bérenger Monge

ms. 338, p. 598

56 H 68, f. 70v (inventaire de 1531) ; ind. : ms. 338, p. 598

56 H 68, f. 473v. en marge : « redicion de (com)tes dau bayliaye de Manoasca p. f. Berenguier Moyne »

56 H 68, f. 59v-60 ind. : ms. 338, p. 598

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Loin d’être réductible à un bilan du capital productif de la seigneurie, une telle liste représente surtout la dernière étape d’une véritable vérification des comptes, accomplie sous la surveillance de la melior pars de la communauté287. À la suite de cette procédure, le commandeur soumettait enfin le bilan annuel de sa gestion devant le chapitre provincial. Cet examen était de la plus haute importance pour la carrière du dignitaire car, de ses compétences de gestionnaire, dépendaient son maintien dans la même commanderie ou bien son affectation à un autre poste plus ou moins « rentable ». Sur la procédure elle-même de vérification, nous ne savons rien dans l’état actuel des connaissances288. Le rôle du clavaire du prieuré resterait à préciser, de même que les modalités qui présidèrent à la mise en place de « syndics et économes » à partir des années 1270289. Ainsi qu’en attestent les registres de Guilhem Scriptor, le clavaire pouvait se substituer au prieur pour effectuer la visite de commanderies290. Or ces inspections étaient également l’occasion d’examiner les comptes et d’entendre le status bajulie, autrement dit de vérifier la conformité tant morale que matérielle de l’administration du commandeur. Selon Raybaud, l’initiative de la nomination des syndics revint à Guillaume de Villaret. De ce point de vue, il serait pertinent de s’interroger sur l’inspiration que ce dernier, devenu par ailleurs recteur du Comtat Venaissin entre 1274 et 1286, a pu trouver dans les pratiques administratives de la chambre apostolique291. On rappellera également que c’est dans ces mêmes années que se structura la chambre des comptes de Provence et que se précisa toute une logique de transfert et de vérification de l’information écrite292. En ce sens, le status bajulie n’est pas sans rappeler, sous une forme certes plus sommaire, le bilan administratif que chaque sénéchal était tenu de laisser à son successeur293. En même temps qu’il permettait de distinguer les dignitaires de l’Hôpital au mérite, le status bajulie servait aussi à assurer la continuité de l’information administrative : la publicité donnée à l’acte rédigé en deux exemplaires comme son enregistrement probable au fil des ans plaident en ce sens. *

287 On a parfois réduit le status bajulie à cet enjeu lié à la production, en soulignant la valeur particulière accordée aux traits de labour (B. Beaucage, « L’organisation du travail », p. 109 ; M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre », p. 44). 288 Ce que l’on peut en percevoir s’apparente toutefois à ce qui a déjà été observé pour d’autres ordres religieux comme Cluny ou Cîteaux (D. Riche, « La vérification des comptes dans les ordres religieux : les hommes et la procédure », in Ph. Contamine et O. Mattéoni (dir.), La France des principautés. Les chambres des comptes, xive et xve siècles, Paris, 1996, p. 243-258). 289 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 186 et 193. 290 56 H 2624, f. 1-5 (visite de Castelsarrasin et Cortinals et status bajulie de Mugoro (?), 22-25 novembre 1253) ; 56 H 2625, f. 22v (Renneville, 1256) et 46v-47 (Castelsarrasin, 1258). 291 Sur le rectorat de Villaret : V. Theis, Le gouvernement pontifical, notamment p. 124-146 et 309-310. Dès 1275, l’administration centrale du Venaissin dirigée par Villaret était dotée d’un trésorier (p. 143). 292 M. Hébert, « L’ordonnance de Brignoles », p. 41-56. 293 Ibid., p. 47-48.

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Durant les cinq décennies de son mandat, Bérenger Monge fut un commandeur très actif qui, sans cesse, œuvra pour accroître et consolider les domaines de ses deux maisons. Les chartes ont gardé trace des achats et échanges de biens fonciers et de droits d’usage, en même temps qu’elles laissent transparaître l’art de la négociation dont il fit preuve pour amener les propriétaires à abandonner des parcelles entières de leur dominium. Le sens du compromis dut être utile encore pour affronter des communautés d’habitants soucieuses de s’assurer un accès aux ressources naturelles (pâtures, forêts, eaux) dans un contexte de pression accrue sur la terre. Cette dernière, désormais, n’échappait nulle part à l’emprise humaine. Le territoire de la commanderie était alors entièrement aménagé et borné, tandis que partout dans le paysage, s’élevaient les marques visibles du pouvoir seigneurial : granges, tours, moulins, églises, sans compter les maisons « membres » qui permettaient une gestion décentralisée de la mise en valeur du sol et du rassemblement des redevances. Les ordres militaires participèrent donc pleinement au processus de territorialisation des pouvoirs et des rapports sociaux caractéristique du second Moyen Âge294. Cependant, en s’en tenant à une définition stricte du territoire, vu comme espace délimité de projection d’une institution, cela n’implique pas pour autant une territorialité propre au système de la commanderie295. Seul Manosque représente, justement, une exception puisque l’aire d’influence de la maison hospitalière était coextensive, à la fois, au territoire de la seigneurie et au finage de la communauté d’habitants. Aussi, dans l’esprit des hospitaliers, Manosque et ses habitants, symboliquement dominés par le palais fortifié, constituaient-ils bien une « châtellenie », entendue comme projection territoriale d’une autorité seigneuriale296. Malgré tout, le cas de Manosque a montré que la fabrique du territoire n’était pas réductible à la seule initiative de la seigneurie ecclésiastique, puisque les habitants furent associés à la définition et à la défense des finages communautaires et cela, sous l’étroite surveillance de l’État central. Dans ces affaires, le commandeur fut assez habile encore pour recourir aux conseils de jurisconsultes, au point même d’entretenir des relations personnelles avec certains d’entre eux, comme Raimond Scriptor ou bien peut-être avec Robin qui l’accompagna jusqu’à Gênes auprès du pape Innocent IV. Dès sa prise de fonction, Bérenger Monge eut conscience que la bonne administration devait encore reposer sur une organisation rationnelle des archives. Si, à Aix, celui-ci laissa probablement plus d’initiatives au prieur du lieu, comptable des flux générés par l’économie ecclésiale, le commandeur ordonna le reclassement des archives de Manosque, à la faveur du conflit avec les évêques de Sisteron. La mise en place de processus de classement comme les différents dispositifs de copies – de « re-enactment » aurait écrit Brigitte 294 D. Carraz, « La territorialisation de la seigneurie monastique : les commanderies provençales du Temple (xiie-xiiie siècle) », in G. Castelnuovo et A. Zorzi (dir.), Les pouvoirs territoriaux en Italie centrale et dans le Sud de la France. Hiérarchies, institutions et langages (xiie-xive siècles) : études comparées, Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 123/2 (2011), p. 443-460. 295 J’explique ce point de vue dans D. Carraz, « Administration, délimitation et perception des territoires ». 296 …universis suis fidelibus et devotis burgensibus et hospitibus castri de Manuasca et in ipsius castri sive burgi castellania constitutis… (LPM, no 43 ; 21 août 1286).

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Bedos-Rezak297 – suggèrent qu’il dut y avoir un « moment Bérenger Monge » dans le processus de fabrique des archives dans la longue durée. Le commandeur et ses bayles ont dû considérer la conservation comme une nécessité d’autant plus criante qu’ils se trouvaient face à une véritable inflation du volume des écritures. Preuve que ne se manifesta ici aucune réticence à l’innovation, la banalisation du registre de papier a surtout été illustrée par le cas des comptabilités, qui se trouvaient dès lors inscrites dans de véritables séries documentaires. Malgré le caractère encore erratique de la conservation pour le xiiie siècle, il semble donc bien que ces écritures étaient conçues pour s’inscrire dans le temps long298. Ainsi envisagés pour durer, les livres comptables étaient dépositaires de la mémoire de la baillie, tout comme la série des registres de la cour, quant à elle bien mieux préservée, gardait trace de l’étendue des pouvoirs judiciaires. Au sein des livres de comptes étaient consignées les missions de l’Hôpital – responsiones, charité… –, l’étendue de ses pouvoirs sur la terre et les hommes, ainsi que l’ensemble de ses dépenses de fonctionnement au quotidien : comme on a pu le dire de l’enquête de 1338, la comptabilité se voulait sans doute garante d’une certaine stabilité dans la durée299. En revanche, lorsqu’elles intervenaient dans l’instant de la vérification des comptes, les écritures comptables prenaient là une autre dimension. Elles veillaient alors au respect de la norme à chaque échelon institutionnel : du commandeur au responsable des moulins, en passant par le frère chargé de mission à l’extérieur. La déclaration du status bajulie puis la reddition des comptes de la baillie devant le chapitre prieural constituaient une manière de rite dans le cours d’un calendrier annuel marqué par d’autres repères – encaissement des différentes redevances, rassemblement des responsions, entrée des revenus de la justice… Les quatre états de la baillie dont les traces ont été préservées pour le mandat de Bérenger Monge semblent témoigner de la rigueur de sa gestion. Ceci explique, sans nul doute, comment ce personnage fut, à chaque fois, réinvesti de ses deux commanderies par le chapitre provincial et pourquoi, selon toute apparence, il conserva toujours la confiance de ses frères. Le status bajulie et la reddition des comptes en chapitre constituaient les deux dernières étapes d’une longue procédure dont, la plupart du temps, seuls les documents définitifs, produits à fin mémorielle, eurent quelque chance d’être conservés. La disparition des documents intermédiaires et d’autres écritures grises – quittances, journaux de caisse, carnets de travail trimbalés dans la besace des gestionnaires – rappelle combien ces diverses pièces, plus ou moins éphémères, s’inscrivaient dans un véritable système pour former des chaînes d’écriture300.

297 B. Bedos-Rezak, « Towards an Archaeology », p. 59. 298 L’avancée du Midi, et plus particulièrement des ordres militaires, en termes de conservation et de variété documentaire a été soulignée par O. Guyotjeannin, « Les registres des justices seigneuriales de la France septentrionale (xiiie-début xvie siècle) », in G. Nicolaj (dir.), La diplomatica dei documenti giudiziari (dai placiti agli acte – secc. xii-xv), Rome, 2004, p. 62. 299 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 25. 300 Après bien d’autres, je reprends ce concept de Béatrice Fraenkel, employé par P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit, p. 149.

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Sûrement, ces chaînes d’écritures découlèrent-elles de l’intervention d’acteurs multiples, au nombre desquels j’ai cru identifier, non seulement un certain nombre de professionnels de l’écriture, mais encore quelques frères eux-mêmes. Il n’est jamais facile, pourtant, de démêler la part de tel ou tel agent dans le processus complexe de fabrication d’un document écrit et, si des travaux ont été développés pour les écrits de chancellerie, la question des écritures grises et plurielles s’avère encore peu balisée301. Je me suis pourtant hasardé à des hypothèses sur la maîtrise de l’écriture par les quelques frères chargés de l’administration de la commanderie de Manosque. J’ai proposé de voir la main de Bérenger Monge parmi les deux ou trois ductus plutôt informels, mais en rien malhabiles, qui noircissent certains documents de gestion. Et j’ai même envisagé que celui-ci connaissait suffisamment le latin pour se débrouiller dans l’administration courante, à l’instar d’ailleurs du bayle Uc de Corri. Après tout, cette ouverture ne devrait pas étonner s’agissant de l’élite d’un ordre religieux universel, dont les membres étaient en principe amenés à fréquenter bien d’autres langues, à commencer par la lingua franca qui avait cours autour de la Méditerranée fréquentée par les Latins. Il faut donc s’habituer à l’idée qu’un Bérenger Monge ou un Uc de Corri, que la documentation présente plutôt comme enracinés dans leur terroir, étaient dépositaires de savoirs pratiques et bénéficiaient d’une hauteur de vue bien supérieure à la moyenne de la population302. Notaires et autres juristes, quant à eux, n’ont certes pas constitué un personnel employé à plein temps qui renverrait à un véritable appareil bureaucratique. Ils n’en ont pas moins œuvré avec une continuité suffisante – marquée dans quelques cas, comme chez les Sitius ou les Robini, par une tradition familiale de service – pour que se soit formalisée une véritable culture administrative au service de l’Hôpital. Une convergence socio-culturelle a donc pu lier les frères à une élite locale de praticiens – convergence qui se manifesta encore dans cette volonté partagée avec quelques habitants de développer un studium à Manosque. Comme les notaires, les marchands ont d’ailleurs pu inspirer aux gestionnaires de la commanderie l’adoption de certaines formes de documents ou bien quelques habitudes comptables. Or, les liens avec des familles marchandes – je me suis arrêté au cas des Felix – résument assez bien le dynamisme d’une seigneurie hospitalière pleinement intégrée aux circuits commerciaux et financiers. On a même pu s’étonner de l’écart observé entre la situation économique locale, plutôt florissante à Manosque, et les appels alarmants de la papauté et du gouvernement central de l’Hôpital sur l’état financier des commanderies provençales. Certes, le déficit de la baillie de Manosque était bien réel, mais il s’inscrit dans la logique des missions mêmes de l’ordre militaire. Impossible à évaluer ni même à approcher au-delà du discours, l’endettement, quant

301 Sur la difficulté, pour l’historien, de déterminer la répartition des rôles dans la fabrication d’un acte écrit : B. Fraenkel, « L’auteur et ses signes », in M. Zimmermann (dir.), Auctor et auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Paris, 2001, p. 415-417. 302 Le fait qu’un commandeur de l’Hôpital pouvait parfaitement maîtriser les limites du comté de Provence, quand la population relevant de sa seigneurie ne reconnaissait que le finage où elle vivait, va dans le même sens ( J.-P. Boyer, « Représentations spatiales », p. 93-94).

U n e «  g r and e t ransfo rmat i o n » ?

à lui, semble s’inscrire plutôt dans cette crise de croissance analysée par les historiens dans la « conjoncture de 1300 ». Justement, on sait désormais combien est contestable l’idée de crise plus ou moins généralisée que les ordres militaires auraient connue à la suite de la perte des États latins d’Orient303. Il suffira de rappeler ici, en s’en tenant au cas de la Provence, que les années 1300-1330 restèrent encore une époque faste pour l’Hôpital. Non seulement ce dernier récupéra l’essentiel de l’héritage du Temple, mais il continua à bénéficier de la pleine confiance du prince304. Au début du siècle, les hospitaliers consolidèrent leur domination foncière et seigneuriale sur toute une série de castra, au point que l’on peut considérer que les commandeurs d’Aix et de Manosque furent sans doute plus puissants encore que ne l’avait été Bérenger Monge. Aussi, au risque de pécher par anticipation, serais-je tenté de me demander si ce dernier put avoir quelque conscience de la « grande transformation » qui allait marquer l’automne médiéval ? Autrement dit, à l’échelle de l’action humaine, des années 1240 à la fin du siècle, ce commandeur a-t-il pu ressentir une forme de changement ? Sans doute, dut-il percevoir un certain nombre de transformations technologiques – j’ai évoqué la diffusion du papier, mais peut-être y aurait-il d’autres améliorations, liées aux infrastructures de production (paroirs) ou de communication (bacs) ? Peut-être a-t-il ressenti une accélération du temps, qui n’aura guère laissé d’autres traces décelables pour l’historien que dans le rythme accru de la production documentaire et dans la rapidité sensible des écritures cursives305 ? Assurément, à la mort de Bérenger Monge, on ne fabriquait plus de cartulaires ni de chirographes comme il s’en trouvait encore au temps de sa jeunesse. Or, il me semble que ces mutations documentaires témoignent plus largement d’une transformation, somme toute relativement rapide, des rapports sociaux. La prolifération de la production administrative, observée à Manosque et qui devait bien exister à Aix, même sous une forme plus restreinte, ne traduit-elle pas de nouveaux modes d’assujettissement de la population ? Sans doute, entre 1246 et 1300, le commandeur Monge remarqua-t-il qu’avait pu se préciser sa connaissance, tant de la richesse des maisons qui lui avaient été confiées, que des hommes sur lesquels s’exerçait son autorité et qui se trouvaient plus que jamais pris « dans les rets d’un système classificatoire »306. Ce sont précisément ces rapports de pouvoir que Bérenger Monge incarna en tant que seigneur qu’il convient à présent de considérer.

303 Au-delà du contexte castillan, les termes du débat sont développés par Ph. Josserand, Église et pouvoir dans la Péninsule ibérique, p. 37-96 ; et plus récemment dans R. Czaja et J. Sarnowsky (dir.), Die Ritterorden in Umbruchs- und Krisenzeiten, Torun, 2011. 304 Ces années pourtant cruciales ont encore été peu étudiées dans les détails. Sur la dévolution des biens du Temple avec références aux travaux antérieurs : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 533-537. 305 Paul Bertrand souligne cette évolution à plusieurs reprises en la reliant, de manière générale, à l’affinement du rapport au temps (P. Bertrand, Les écritures ordinaires, p. 52-53, 236-242, 370). 306 P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit, p. 315. L’inventaire et l’identification plus précis des individus se trouvent au cœur du système bureaucratique de l’État moderne (C. Judde de la Rivière, « Du sceau au passeport : genèse des pratiques médiévales de l’identification », in G. Noiriel (dir.), L’identification : genèse d’un travail d’État, Paris, 2007, p. 57-78).

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Chapitre v

Gouverner les hommes Le laboratoire manosquin

« In dominatione Manuasche ». Telle est la légende entourant la main bénissante imprimée au revers de la bulle de la commanderie de Manosque. On ne saurait trouver de message plus clair, à l’attention de la population et des autres pouvoirs, des prétentions seigneuriales de l’Hôpital. L’ordre avait en effet hérité du majus dominium des comtes de Forcalquier et ces droits lui furent confirmés par Charles Ier d’Anjou en 1262, aux termes d’une négociation serrée. On a déjà souligné le caractère exceptionnel de cette domination : l’Hôpital, un ordre religieux, se trouvait à exercer une hégémonie sur la seconde agglomération du comté de Forcalquier et sur un territoire dont on a évoqué la formalisation. Après avoir justement envisagé la gestion de la terre et de ses ressources, il s’agit donc d’aborder le gouvernement des hommes. Le temps d’un chapitre, je délaisserai donc Aix où Bérenger Monge n’a pu exercer de véritable autorité seigneuriale au nom de l’Hôpital. Manosque peut apparaître comme un laboratoire idéal, parce que les hospitaliers disposèrent, à l’échelle d’une ville et de son territoire, de tous les leviers pour régenter l’ordre social et organiser le système économique. Loin d’agir de manière unilatérale, cependant, ils trouvèrent face à eux une population bien décidée à revendiquer une certaine autonomie dans les affaires de la collectivité. Certes, les villes de Haute-Provence n’avaient pas connu le régime communal et les luttes politiques qui avaient agité les cités du plat-pays à partir des années 11301. Le consulat expérimenté par les Manosquins au début du xiiie siècle fut éphémère. Malgré tout, une conscience civique dut gagner au moins une partie des habitants, dans une ville où le dynamisme économique profitait à une élite de marchands, d’artisans, de laboureurs et de quelques savants en droit ou en médecine. Or, si Manosque ne pouvait déjà constituer « un atelier de la démocratie », ces élites expérimentèrent bien une forme d’expression politique dans un dialogue constant avec l’autorité seigneuriale2. L’historiographie romantique a traité avec emphase cette période de l’histoire de Manosque qui vit les habitants partir à la conquête de leurs libertés contre les seigneurs3.





1 Pour une première approche sur les origines des consulats en Provence occidentale : M. Aurell, J.-P. Boyer et N. Coulet, La Provence au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 2005, p. 96-108. 2 Même si les configurations du pouvoir seigneurial furent quelque peu différentes, les expérimentations politiques observées à Manosque peuvent désormais être mises en parallèle avec l’évolution de la proche ville de Sisteron : A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge. Un atelier de la démocratie (xiiie-xive siècle), Paris, 2016. 3 L’auteur le plus représentatif de cette glorification de la lutte des ancêtres pour la liberté est D. Arbaud, Études historiques sur la ville de Manosque au Moyen Âge, t. 1, Digne, 1847. Sur la tradition historiographique qui, depuis le xviiie siècle au moins, a réduit l’histoire de la ville médiévale au temps de la commune, née

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Certes, pour des esprits du xixe siècle marqués par les luttes politiques de leur temps, une telle vision replacée dans la longue durée de l’histoire d’une communauté trouve sa pertinence. La réalité fut sans doute plus nuancée car elle n’opposa pas exactement, selon les termes de Damase Arbaud, une « classe de citoyens » incarnés par les prudhommes à de « puissants seigneurs ». Alors que les seigneurs eux-mêmes se trouvaient pleinement intégrés à la vie sociale et économique locale, les habitants ne formaient évidemment pas un ensemble monolithe. Plutôt que d’imaginer les interactions entre les uns et les autres en termes d’opposition frontale, on verra que les habitants se placèrent au centre même du jeu seigneurial, en négociant les pratiques d’une dominatio fondée sur le prélèvement et sur le ban – entendu ici dans sa capacité à dire le droit et à l’imposer. S’ils négocièrent donc sur le terrain de la fiscalité, les habitants furent encore au cœur de l’élaboration des statuts qui, loin d’émaner de la seule volonté seigneuriale, aboutirent à la constitution d’une forme de droit communautaire. Dépositaires de la « tota et plena jurisdictio » – qui leur avait été confirmée en 1211 par l’arbitrage du légat pontifical –, les hospitaliers rendaient encore à Manosque la justice civile et criminelle4. Or, l’exercice de la haute justice par un seigneur ecclésiastique n’était pas si répandu, à une époque où l’État princier avait déjà entrepris de multiplier les cas réservés et de disputer aux seigneuries la connaissance des crimes de sang5. Exceptionnelle par l’étendue de sa domination, la commanderie de Manosque l’est encore pour la conservation de ses archives judiciaires. À l’échelle d’une France marquée par une grande déperdition des archives des justices seigneuriales, se distingue en effet, dans un Midi déjà un peu mieux préservé, le fantastique conservatoire manosquin6. Cette aubaine a inspiré toute une série de travaux redevables, pour l’essentiel, à cette si féconde école d’historiens canadiens de la Provence. Si la plupart ont développé une histoire sociale inspirée par la sociologie de la criminalité ou bien par les gender studies, seule Patricia MacCaughan a réellement travaillé sur la procédure7. Toutefois, le nom qui émerge surtout tout au long de ce chapitre est celui de Michel Hébert, dont les recherches inlassables ont éclairé le cadre politique, institutionnel et social au sein duquel évoluèrent Bérenger Monge et ses frères. À ces grandes orientations, je ne prétends pas ajouter grand-chose sur le fond, mais proposer plutôt une perspective différente en me plaçant du point de vue de l’autorité seigneuriale des hospitaliers8.

de l’insurrection contre la tyrannie féodale : Th. Dutour, « La notabilité urbaine vue par les historiens médiévistes francophones aux xixe et xxe siècles », in L. Jean-Marie (dir.), La notabilité urbaine, xe-xviiie siècles, Caen, 2007, p. 8-12. 4 56 H 4652 (18 février 1212) ; D. Arbaud, Études historiques, PJ no 5, p. 16-20, ici p. 18. 5 Sur la répartition des pouvoirs juridictionnels progressivement imposée aux seigneuries ecclésiastiques par les comtes-rois angevins : Th. Pécout, « Justices d’Église en Provence (milieu du xiie-milieu du xive siècle) », in Les justices d’Église dans le Midi (xie-xve siècle), Toulouse, 2007, p. 86-94. 6 Sur l’ampleur des pertes en France puis sur « l’avancée méridionale » : O. Guyotjeannin, « Les registres des justices seigneuriales », p. 53-58 et 62-63. 7 P. MacCaughan, La justice à Manosque au xiiie siècle. Évolution et représentation, Paris, 2005. 8 L’une des limites de ce chapitre est de ne pas avoir pris le temps de dépouiller systématiquement les registres de justice contemporains de Bérenger Monge. Le gel de la série 56 H m’a en effet dissuadé de compléter les sondages que j’avais pu effectuer avant que les règles de communication aux Archives départementales de Marseille ne deviennent trop draconiennes.

go u ve rne r le s ho mme s

Car, en dernière analyse, c’est bien la personnalité d’un seigneur un peu spécial, le commandeur Bérenger Monge, que je m’attacherai encore à cerner. Comment pourrait-il, d’ailleurs, en être autrement dans un système où le pouvoir seigneurial était tout entier incarné par la personne du commandeur9 ?

L’universitas à la conquête des libertés La conscience civique d’une élite : syndics et prudhommes

Que l’on dépouille les masses de papiers laissées par les chevaliers de Malte ou que l’on se tourne vers l’érudition « municipale » du xixe siècle, la marche de l’histoire semble se résumer à la lutte séculaire des habitants contre la seigneurie de l’Hôpital. Selon cette ligne de lecture, les historiens de la petite patrie, Damase Arbaud en tête, ont présenté la « commune » comme une entité innée et éternelle que le combat des Manosquins s’était toujours efforcé de faire renaître et de consolider, par delà les affres de l’histoire. Si l’on fait naturellement abstraction de cette vision des choses, ces érudits ont posé les bases événementielles essentielles dont il suffit de rappeler brièvement la trame10. En février 1207, lorsqu’il avait transféré tous ses droits seigneuriaux aux hospitaliers, le comte Guilhem II avait souhaité donner des garanties à la population en octroyant une grande charte de privilèges11. Cependant, la création d’un véritable consulat doté d’une capacité législative aurait opposé un dangereux contre-pouvoir à l’Hôpital qui, en février 1212, réussit à obtenir l’annulation de ces libertés en s’appuyant sur la papauté12. Selon Félix Reynaud, cet abandon semble avoir été accepté relativement facilement par les habitants, ce qui tendrait à suggérer que ceux-ci n’attachaient, alors, guère d’importance à l’idée de consulat. Cette pétition de principe ignore



9 Du moins, au travers du prisme des analyses inscrites dans les inventaires modernes qui placent le « sieur commandeur » à l’origine et au centre de la plupart des actions (56 H 69). Pour ne citer qu’un passage parmi d’autres, les analyses de plusieurs procès relatifs à la juridiction au cours du premier tiers du xive siècle évoquent toujours « la jurisdiction du commandeur », « la justice du commandeur », « le baille du commandeur », « le procureur du commandeur », les « officiers du commandeur », etc. (56 H 20, f. 25v-28v). 10 D. Arbaud, Études historiques. Deux mémoires universitaires ont réactualisé l’histoire des relations entre les Manosquins et l’Hôpital, en tenant mieux compte du contexte général : Cl. Michaud, Communautés d’habitants et pouvoir seigneurial au Moyen Âge : l’exemple de Manosque aux xiiie et xive siècles, mémoire de maîtrise ès arts, Université de Laval, 1986 ; et C. Picot, Essai sur les institutions municipales de Manosque au xive siècle. Perspectives de recherches tirées des délibérations du conseil de ville, mémoire de DEA, Université de Provence, 1990. La formalisation politique des communautés d’habitants a, par ailleurs, occupé plusieurs générations d’historiens de la Provence. On trouvera un rapide état de la question sur les « consulats ruraux » chez J. Drendel, « Les élites politiques au village en Provence médiévale », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 124-2 (2012), p. 521-529. 11 LPM, no 1 (12 février 1207). Une semaine plus tôt, le 5 février, le comte avait déjà accordé un certain nombre de droits économiques et successoraux (LPM, no 2). Ces concessions s’inscrivent plus généralement dans la politique libérale du comte, manifeste dès mai-juin 1206, à l’égard d’Avignon et de Forcalquier (G. de Tournadre, Histoire du comté de Forcalquier (xiie siècle), Paris, 1930, p. 162-172). 12 F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital, p. 31-37 ; D. Arbaud, Études historiques, preuve no 5, p. 16-20 (18 février 1212).

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pourtant la capacité d’organisation dont faisaient preuve tant de communautés d’habitants des Préalpes, même si l’on conviendra que le cas de Manosque ne rentre pas forcément dans le schéma des sociétés agro-pastorales qui donnèrent naissance aux consulats ruraux des hauts pays13. Ces libertés avortées marquèrent sans doute l’esprit communautaire des habitants qui purent, dès lors, s’appuyer sur ce précédent pour limiter, chaque fois que possible, les exigences du pouvoir seigneurial. Aussi, dès 1234, une importante composition avec le commandeur Faucon de Bonas était parvenue à garantir quelques libertés fondamentales, concernant notamment le régime des successions, et avait réglementé un certain nombre d’exigences fiscales14. À cette occasion, la collectivité des habitants était réapparue en tant qu’universitas et avait pu désigner un syndic pour transiger en son nom, ce qui laisse penser que la cohésion des Manosquins en tant que groupe solidaire doté d’une personnalité morale, s’était sans doute forgée à la faveur des premières confrontations avec le nouveau seigneur15. Cette occurrence précoce – la proche communauté de Sisteron ne s’afficha pas comme universitas avant 1257 – témoignait sans doute d’un certain pragmatisme de la part du seigneur hospitalier16. Élaboré en 1235, le statut sur les peines judiciaires constitua à son tour une sérieuse garantie face à l’arbitraire seigneurial, alors que les libertés politiques restaient des plus réduites17. Tout au long du siècle, en effet, il ne fut jamais question de syndics permanents et le droit de s’assembler resta soumis à l’autorisation du seigneur. Ainsi, en 1261 puis en 1287, lorsqu’il s’agit de trouver un accord sur les dîmes qui concernait toute la communauté, c’est respectivement Bérenger Monge puis le bayle Peire de Saint-Martin qui convoquèrent la composante la plus notable de l’universitas à un parlement dans l’église

13 Les autres consulats de Haute-Provence (Sisteron, Forcalquier, Gap…) émergèrent à peu près au même moment, avant que leur disparition ne soit précipitée par le pouvoir princier dans la deuxième moitié du xiiie siècle (A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge, p. 33-41). Les consulats ruraux de l’arrière-pays niçois, qui furent un peu plus précoces, disparurent dans les mêmes circonstances sous le règne de Charles Ier ( J.-P. Boyer, « Communautés villageoises et État angevin. Une approche au travers de quelques exemples de haute Provence orientale (xiiie-xive siècle) », in Genèse de l’État moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations, Rome, 1993, p. 243-265). Dans la baillie voisine de Seyne, Charles Ier se contenta de contrôler étroitement les consulats ruraux qui étaient sans doute apparus sous son prédécesseur (É. Sauze, « L’enquête de Charles II dans la baillie de Seyne », in Th. Pécout (dir.), L’enquête générale de Charles II en Provence (1297-1299), Paris, 2018, p. 162-164). 14 LPM, no 4-5 (11 novembre 1234) ; F. Reynaud, La commanderie, p. 40-42 ; A. Courtemanche, La richesse des femmes. Patrimoines et gestion à Manosque au xive siècle, Paris, 1993, p. 73-74 (sur la transmission des héritages). 15 La charte du 12 février 1207 offre une occurrence, précoce pour la Provence, de l’idée d’universitas, même si dans les deux actes concédés ce même mois, le comte s’adressait plutôt « à tous mes hommes, ensemble et singulier, issus des dits lieux » ou bien à « mes hommes et fidèles issus du bourg de Manosque » (LPM, no 1, p. 1, 3 et 4 ; no 2, p. 6). En revanche, dans la transaction avec l’Hôpital qui avait abouti à l’abolition du consulat par le légat, maître Thédise, les habitants apparaissaient déjà comme universitas Manuasche (D. Arbaud, Études historiques, preuve no 5, p. 16-20 ; 18 février 1212). 16 La portée de la notion d’universitas a donné lieu à une riche littérature depuis Pierre Michaud-Quantin en passant par Albert Rigaudière. En dernier lieu pour la Haute-Provence : A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge, p. 217-218. 17 Instrumentum compositionis super maleficiis (LPM, no 14-15 ; 14 mars 1235).

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Saint-Étienne18. Le chemin fut donc long avant que cette idée d’universitas ne se réfère à une véritable autonomie dans l’administration de la chose publique. Toutefois, cette faculté de réunir la « major et sanior pars » de la communauté en « parlement public » afin de désigner des syndics constitua une étape importante dans la reconnaissance des libertés politiques19. Preuve en est le fait que, vers 1315, les auteurs du Livre des privilèges jugèrent utile de faire figurer, parmi les pièces maîtresses des libertés municipales, l’un de ces actes de procuration octroyés à ces syndics20. À cette date, toutefois, semblait être acquise une certaine permanence des syndics, comme le suggère la désignation, en 1293 puis 1316, du même « quadriumvirat »21 (fig. 15). Ces dernières transactions montrent bien comment les syndics étaient alors pleinement investis par la communauté pour négocier avec le seigneur et confirmer les accords obtenus. Comme cela était partout habituel, ces hommes chargés de représenter l’universitas étaient choisis parmi l’élite sociale et culturelle de la ville. Sur la foi des documents qu’ils avaient sous les yeux, les historiens positivistes ont présenté une vision ternaire de la stratigraphie sociale de la ville, en distinguant chevaliers et nobles, prudhommes et éléments populaires22. Cependant, la sanior pars de la communauté se limitait surtout aux « chevaliers, autres nobles, marchands et nombreux prudhommes de Manosque » : ce sont ces catégories que Bérenger Monge se contenta de convoquer, en 1292, lorsqu’il s’agit d’obtenir des habitants une aide en faveur de Charles II d’Anjou23. Trente ans plus tôt, lorsque la « major et sanior pars » désigna un syndic ad hoc pour transiger avec les chanoines de Forcalquier, 72 hommes importants furent nominalement cités à la fin de l’acte24. On y trouve des patronymes connus (Felicius, David, Cusenderius, Hospitalarius…), deux jurisperiti, des noms renvoyant à des métiers (Macellarius, Faber, Sartor, Ortolanus), mais en revanche, aucun miles identifié en tant que tel. À ce titre, il n’est pas impossible que les métiers, dont le statut social et l’organisation sont fort mal connus, aient constitué l’un des lieux de gestation d’une conscience politique25. Ainsi, peut-être que cette confrérie mentionnée à la 18 …universitas proborum hominum de Manuasca seu major et sanior pars in publico parlamento […] Eaque omnia facta et acta sunt de concensu et voluntate et consilio domini Berengarii Monachi, preceptoris suprascripti (LPM, no 6, p. 26 et 28 ; 2 janvier 1261) ; De mandato et licencia et auctoritate domini fratris Petri de Sancto Martino, bajuli Manuasce pro Hospitali, et tenentis locum dicti domini preceptoris, et de licencia et auctoritate domini Petri Breti, judicis Manuasce pro Hospitali (Arch. mun. de Manosque, Ba 1 ; 18 février 1287). La présence de frères ou d’officiers de la commanderie parmi les témoins de l’assemblée confirme le droit de regard que s’octroyait le seigneur. Ainsi, en 1261, figuraient les frères Faucon de Roubine et Géraud, prêtre du palais, ainsi que maître Bartomieu, connu par ailleurs comme juge de la cour (LPM, p. 26). 19 Sur l’importance du droit de délibération dans la reconnaissance d’une communauté politique : A. Gallo, « Les pratiques délibératives dans la ville médiévale », Provence historique, 64 (2014), p. 353-360. 20 LPM, no 6 (2 janvier 1261). 21 À Sisteron, les syndics avaient obtenu des mandats permanents et reconductibles à la fin du xiiie siècle (A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge, p. 51). 22 D. Arbaud, Études historiques, p. 2-9 ; LPM, p. x-xiii ; G. de Tournadre, Histoire du comté, p. 143. 23 LPM, no 30, p. 82 (31 octobre 1292). 24 LPM, no 6, p. 28 et 30 (2 janvier 1261). 25 M. Hébert voit ainsi les métiers commencer à se constituer en corps organisés dès le début du xive siècle, ce qui a pu représenter une étape déterminante dans la revendication d’un droit d’association élargi à l’échelle de l’universitas (M. Hébert, « Travail et vie urbaine : Manosque à la fin du Moyen Âge », in

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fin du xiiie siècle au détour d’un statut sur la boucherie a pu constituer une étape vers la liberté d’association26 ? Marchands, artisans, mais aussi riches laboureurs et juristes : c’est, en tout cas, dans ce vivier que se recrutaient les prudhommes. Des générations d’historiens ont en effet souligné combien ces derniers étaient au cœur de la vie civique, même s’il faut se garder d’y voir forcément les ancêtres d’une « bourgeoisie » porte-flambeau des libertés municipales27. Ces prudhommes, de même que les « burgenses » parfois mentionnés, ne constituaient pas un groupe social juridiquement constitué28. Selon une acception désormais partagée, on se bornera à définir ces prudhommes comme des individus ayant acquis une certaine notabilité et qui, forts de la confiance qu’ils inspiraient aux autres habitants, se trouvaient investis dans les affaires de la cité29. Prudhommes ou syndics, ces représentants de la communauté apparaissent dans les compromis entre les Manosquins et l’Hôpital, ainsi que dans les statuts promulgués par ce dernier (fig. 15).

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Cl. Dolan (dir.), Travail et travailleurs en Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, Toronto, 1991, p. 155-157 et 165, n. 26). Les lombes de porc destinées à l’« opus confratrie seu confratriarum » étaient exemptes de taxes (LPM, no 36, p. 118 ; 31 août 1293). Peut-on en déduire pour autant que cette confrérie était liée aux bouchers, qui furent effectivement les premiers à se doter d’une organisation corporative ? Au sein d’une bibliographie considérable sur le rôle des confréries dans le processus d’émancipation urbaine, je ne rappellerai que cette synthèse : N. Coulet, « Le mouvement confraternel en Provence et dans le Comtat Venaissin au Moyen Âge », in A. Paravicini Bagliani et A. Vauchez (dir.), Le mouvement confraternel au Moyen Âge. France, Italie, Suisse, Genève-Rome, 1987, p. 83-110. Sur le mythe de la bourgeoisie comme préfiguration des valeurs – nécessairement étrangères la noblesse – de progrès, de travail et de démocratie : Th. Dutour, « La notabilité urbaine vue par les historiens », p. 8-12. L’occurrence « burgensibus » apparaît quelquefois dans le cartulaire municipal, mais encore faudrait-il contextualiser l’utilisation du terme (LPM, p. 70, 148, 150, 152). En 1286, les habitants furent assimilés à des « bourgeois et hôtes », mais cette vision émanait du maître Jean de Villiers qui était un homme du nord de la France (LPM, no 43-44, p. 149-150 ; 21 août 1286). Sur les termes désignant les membres de la communauté (privatus, habitatores, incolae) : M. Hébert, « Les étrangers à Manosque aux xiiie et xive siècles : intégration ou exclusion ? », in Forestieri e stranieri nelle città basso-medievali, Florence, 1988, p. 98-102. Sous la commune d’Avignon, « burgenses » et « probi homines » semblaient souvent employés dans un sens identique et, si le groupe des prudhommes désignait les citoyens les plus honorables, les juristes n’étaient pas comptés dans cette catégorie (N. Leroy, Une ville et son droit. Avignon du début du xiie siècle à 1251, Paris, 2008, p. 262-268). On voit donc bien que les modalités de la sociogenèse différaient selon les contextes, puisqu’à Manosque, les juristes étaient bien prudhommes. Par ailleurs, il n’est pas sûr qu’il y ait eu une stricte coïncidence entre prudhommes et bourgeois, ces derniers désignant plutôt les habitants du bourg (ville basse), par opposition au castrum, puisque les deux parties de l’agglomération n’étaient pas unifiées. On sait aujourd’hui combien les catégories sociales sont le produit d’un discours véhiculé par les sources, autant qu’elles sont modelées par les représentations de ceux qui lisent ces mêmes sources. Un tournant historiographique dans cette prise de conscience est notamment représenté par B. Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, 1995. De savantes réflexions ont par exemple été développées autour de la notion de prudhommie qui ne se réfère pas à une catégorie sociale spécifique (Th. Dutour, Sous l’empire du bien. “Bonnes gens” et pacte social (xiiie-xve siècle), Paris, 2016, p. 279-313). On connaît, d’autre part, le caractère fluctuant des élites sociales provençales où pouvaient se mêler nobles, prudhommes et juristes (G. Giordanengo, « Qualitas illata per principatum tenentem. Droit nobiliaire en Provence angevine (xiiie-xve siècle) », in N. Coulet et J.-M. Matz (dir.), La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, Rome, 2000, p. 265-266). Dans le même sens, John Drendel conclut que la définition des élites rurales provençales ne saurait se limiter à la distinction basique entre « divitores » et « pauperes » établie par certaines sources ( J. Drendel, « Les élites politiques », p. 528).

go u ve rne r le s ho mme s LPM

date

syndics ou prudhommes

objet

arbitres

no 4

11 nov. 1234 W. Botellerius, syndicus universitatis

règlements sur les libertés concédées par le comte Guilhem (propriété, héritage, affaires rurales, droits seigneuriaux, corvées…

Rainaudus Plume, prévôt de Forcalquier, Petrus de Mota, jurisperitus, Aldebertus Ricavi, miles

no 14

14 mars 1235

no 6 no 8 no 10

2. janv. 1261 syndic : Pontius 5 avril 1261 Rainaldus 17 fév. 1262

transaction sur les dîmes

Kc 7

28 avril 1262 syndics : Raimundus Aycardi, miles, Audebertus Isoardi, miles, Ugo Maurelli, Guillelmus Atanulfi

transaction sur le banvin Robertus de Lavano legum professor, Raimundus Arditi, prepositus Forchalquerii, Raimundus Ruffus de Comis, jurisperitus

no 20

1264

no 26

7 mars 1275 22 prudhommes cités dont P. Bretus, magister Ricardus, Benedictus de Fonte, Hugo Agrena, R. Valentia, B. Felicius, Jacobus Robini, jurisperitus, etc.

statut sur le « denier de   Dieu »

no 28

21 mai 1288 syndics : Guillelmus Raynaudi, [miles], Fulco de Fontiana, miles, Raynaudus Valentia, Petrus Veirerii

accord de deux fours   supplémentaires, interdiction des jeux et des auvents, fiscalité

56 H 4668

22 nov. 1289 [syndics :] Guillelmus Rainaudi, miles de Manuascha, Raimundus Valentia, Giraudus Clavelerii, Guillelmus Gaschi, Giraudus Fromenti

accord entre   l’universitas et Guilhem Audeberti, sous l’égide de Bérenger Monge, sur la gestion des deux nouveaux fours

syndics : Johannes Petri statuts sur les peines et B. Petri

P(etrus) de Mota Berengarius Monachus, Petrus Breti, W. Marinus, prieur de Saint-Sauveur, Petrus Burgondio, chanoine

prudhommes : statut sur les créditeurs   P. Terrallo, syndic, et P. et débiteurs et G. « etc. »

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date

no 30

31 oct. 1292 18 contributeurs ou prudhommes : Raimundus Valencia, Guillelmus Fulco, Hugo David, 31 oct. 1292 Bertrandus Stephani, Hugo Hospitalarii, Bertrandus Felicii, Giraudus Clavellerii, Raimundus de Fonte, Petrus Hospitalarii, Petrus Jarjaya, Raimundus de Rupe, Bertrandus Murator, Petrus Stephani, Garnerius Felicii, Guillelmus Agrena, Raimundus Stephani, Petrus Veyrerii, Petrus Bisquerra

« aide gratuite »   accordée par l’universitas à Charles II par l’intermédiaire de Guillaume de Villaret30

no 36

31 août 1293 syndics : Petrus Bisquerra, Jacobus Cusenderii, Raymundus de Fonte, Petrus Stephani31

composition entre les   hommes de Manosque et le seigneur Bérenger Monge sur diverses questions

no 52

4 janvier 1316

composition entre l’universitas et Hélion de Villeneuve

no 34

syndics ou prudhommes

syndics : Petrus Bisquerra, Jacobus Cusenderii, Raimundus de Fonte, Petrus Stephani

objet

concession sur les questes et tailles

arbitres

 

Bertholinus de Grossis, miles, Franciscus de Grossis, juris civile professor, Jacobus Ardoyini et Jordanus de Jocis, jurisperitis

Fig. 15. Syndics et prudhommes intervenant dans les statuts et règlements de l’Hôpital (d’après le Livre des privilèges et autres actes)

Il s’agit, dans tous les cas, de noms fréquemment attestés dans les sources et dont la plupart étaient par ailleurs en affaires avec les hospitaliers : c’est, par exemple, le cas du marchand Bertrand Felix, déjà rencontré, du miles Foulques de Fontiana,

30 Le 15 décembre 1292, la quittance de Guillaume de Villaret pour le versement de l’aide est spécialement adressée aux marchands Uc David, Bertrand Felix et Guilhem Agrena (LPM, no 32, p. 88). 31 Pour être conseillés, les quatre syndics s’associèrent encore cinq personnages issus du groupe des prudhommes : Raimond Valentia, Uc David, Bertrand Felix, Géraud Clavellerii et Guilhem Agrena (LPM, no 36, p. 126).

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de Guilhem Agrena ou bien de Raimond de Fonte32. Après d’autres, on soulignera surtout le rôle d’interface joué par les notaires et les juristes33. Peire Bisquerra et Jaume Cusenderius jouissaient ainsi de la confiance des habitants, tout en travaillant régulièrement au service de la commanderie. Parfois cité parmi les prudhommes, en tous les cas omniprésent dans les listes de témoins, Jaume Robini fut, on l’a vu, très proche de Bérenger Monge et de ses frères. Or, on le retrouve systématiquement en position de médiateur et de conseiller dans les négociations entre les habitants et leur seigneur34. Mieux encore, certains des jurisconsultes signalés parmi les prudhommes, ou même intervenant comme arbitres, occupèrent en d’autres moments la fonction de juge de la cour. Peire de Mota semble avoir joué un rôle important dans la définition d’un certain nombre de libertés « civiles » et de garanties judiciaires. Or, on le retrouve quelques années plus tard comme judex Hospitalis, tout comme Peire Bretus qui figure par ailleurs au nombre des prudhommes35 (tabl. 10). Ce groupe de prudhommes, dont il ne m’appartient pas ici d’étudier la composition et l’influence, nous intéressera surtout pour le contrôle qu’il a pu exercer sur l’autorité seigneuriale. Originaire d’une ville où l’expression politique des habitants était bridée par la présence même de l’autorité comtale, Bérenger Monge n’avait pas forcément d’idée préconçue sur les velléités émancipatrices des communautés d’habitants36. Son premier contact avec ces réalités intervint peut-être en 1253 lorsque, à peine promu comme responsable de la maison d’Aix, il eut à passer un accord avec les habitants de Ginasservis portant notamment sur le ramassage du bois dans les défens37. Aussi, son gouvernement à Manosque, ponctué par une série d’accords avec les habitants, témoigna-t-il d’un certain pragmatisme et, autant le noter d’emblée, ne rencontra jamais d’opposition frontale de la part de la population. Pendant les trente premières années de son long mandat, le commandeur se contenta de réguler la vie économique et d’octroyer quelques libéralités en matière fiscale. Un seul événement, qu’il n’est 32 Foulques de Fontiana : 56 H 4633 (10 mars 1282) ; 56 H 4644 (2 octobre 1283) ; 56 H 1039, f. 30 ; 56 H 2624, f. 50) ; Guilhem Agrena tient de nombreux biens des hospitaliers (56 H 1039, f. 35), tandis que le notaire Uc Agrena est souvent mentionné dans l’entourage des frères ; Raimond de Fonte : 56 H 4643 (18 mars 1276). 33 Au xive siècle, juristes et notaires étaient omniprésents parmi les syndics et dominaient les conseils urbains ( J.-L. Bonnaud, « L’implantation des juristes dans les petites et moyennes villes de Provence au xive siècle », in J.-P. Boyer et alii (dir.), La justice temporelle dans les territoires angevins aux xiiie et xive siècles. Théories et pratiques, Rome, 2005, p. 245-247 ; A. Gallo, Sisteron au Moyen Âge, p. 248). 34 An. II, D-2, no 6. Il est parfois précisé qu’un acte pourra être amélioré ou les clauses d’un accord rectifiées sur son conseil (LPM, no 34, p. 92 et no 36, p. 124). 35 Peire de Mota apparaît très souvent comme témoin dans ces mêmes années 1230-1240 (56 H 849bis, f. 57 ; 56 H 4629 ; 56 H 4639 ; 56 H 4640). En tant que juge, il a défendu le principe de l’avis des prudhommes et a produit des sentences remarquablement élaborées (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p 177-179). Pour Peire Bretus : An. II, D-2, no 8. 36 Les franchises concédées aux Aixois furent assez limitées, même si en 1293, l’universitas reçut le droit de se doter d’un conseil, toujours surveillé par l’autorité comtale toutefois (N. Coulet, Aix-en-Provence, vol. 1, p. 42-45). 37 F. de Ferry, La commanderie et le prieuré, p. 87 et 95 (d’après une transaction de 1319 que je n’ai pas retrouvée).

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guère utile de gloser car la mention en est isolée, a pu troubler un certain consensus : en 1265, Clément IV chargea l’évêque de Sisteron, Alain de Luzarches, de trancher le différend entre les hospitaliers et les habitants de Manosque. Probablement à la suite d’une plainte de ces derniers, le pape menaçait publiquement d’excommunication ceux qui enfreindraient les privilèges de l’universitas38. Peut-être fallut-il près d’une génération pour que mûrisse la volonté d’émancipation et, sans doute aussi, pour dépasser un certain nombre de blocages inhérents au système seigneurial. Toujours est-il que ce n’est que dans les deux dernières décennies du siècle que les Manosquins obtinrent enfin des concessions significatives. Pour faire entendre leurs revendications, ces derniers profitèrent apparemment du séjour à Puimoisson du maître de l’Hôpital, Jean de Villiers, en août 1286. Le 21 de ce mois, sur le ton paternaliste seyant à la bienveillance seigneuriale, celui-ci confirmait tous les privilèges obtenus des comtes, de ses prédécesseurs, des prieurs ou bien même des commandeurs antérieurs, ainsi que tous les accords qui avaient pu être passés entre l’Hôpital et l’universitas39. En outre, pour examiner les pétitions de ses sujets, le maître reportait toute sa confiance en Bérenger Monge, qui s’était fait l’intercesseur des Manosquins40. Certes, ces derniers obtinrent bientôt quelques dispositions pratiques ainsi qu’un très relatif assouplissement de la pression fiscale41. Mais il fallut attendre l’été 1293 pour qu’une grande convention, portant sur treize pétitions de l’universitas concernant les affaires rurales et fiscales, ne fût signée entre les parties42. Cette convention devait constituer une pièce-maîtresse des libertés urbaines : elle tient une bonne place dans le Livre des privilèges – ne serait-ce que par sa longueur, puisque sa version latine occupe les f. 97 à 112 –, tandis que l’autre accord majeur, passé le 4 janvier 1316 avec le commandeur Hélion de Villeneuve, s’y réfère d’emblée43.

38 An. I, C, no 18. Les érudits, qui donnent simplement un extrait traduit de la bulle, regardent l’acte de Clément IV comme une confirmation des privilèges des Manosquins ( J.-J. Féraud, Histoire civile, politique, religieuse et biographique de Manosque, Digne, 1848, p. 208-209 ; D. Arbaud, Études historiques, p. 29-30). 39 Dignum esse conspicimus et necessarium arbitramus ut fideles ac devotos nostros et domus nostre benigno favore et speciali gracia prosequamur. Hinc est quod devocionem et affectionem quas erga nos et domum nostram habetis, necnon laudabile testimonium quod carissimus noster in Christo frater Berengarius Monachi, domorum nostrarum Manuachensis et Aquensis preceptor, et ceteri nostre religionis proceres vobis attribuunt, attendentes, nosque paci, quieti et vite concordie pro nostris juribus providere volentes, ad supplicacionem dicti Berengarii, omnes gracias, omniaque privilegia a comitibus seu comitissis vel a nostris predecessoribus sive prioribus Sancti Egidii vel preceptoribus dicti loci […], necnon compositiones, convenciones, pactiones inter nos et domum nostram, ex una parte, et vestram universitatem initas, ex alia, auctoritate presencium confirmamus (LPM, no 43 ; 21 août 1286). Sur le passage de Jean de Villiers en Provence à l’été 1286 : CoHMa, p. xxxiii. 40 LPM, no 44 (lettre de commission adressée à Bérenger Monge ; 21 août 1286). 41 LPM, no 28 (21 mai 1288). 42 LPM, no 36 (31 août 1293) ; et no 38 (confirmation par le chapitre prieural de Saint-Gilles ; 4 octobre 1293). Cet accord majeur, confirmé par le prieur Guillaume de Villaret et par le chapitre provincial, fut bien l’aboutissement de la démarche entamée sept années plus tôt auprès de Jean de Villiers : la bulle magistrale du 21 août 1286 qui avait octroyé à Bérenger Monge le pouvoir de négocier avec l’universitas est en effet insérée dans l’acte (LPM, no 36, p. 122 et 124). 43 LPM, no 52, p. 161-162 (4 janvier 1316) ; cf. An. I, B.

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L’accord arraché à l’Hôpital constitua en effet la première étape d’une émancipation, somme toute assez rapide. Après la remarquable stabilité du long « règne » de Bérenger Monge, les habitants profitèrent de l’installation bien plus éphémère de ses successeurs pour obtenir, d’abord du maître Guillaume de Villaret une série de nouvelles garanties (1300), puis derechef de son successeur Foulques de Villaret la confirmation de leurs libertés (1309)44. La seconde grande composition de 1316, qui visait à réactualiser un certain nombre d’accords tombés en désuétude, constitua un nouveau tournant. À l’été 1334, avec l’appui de l’autorité comtale trop heureuse de battre en brèche la puissance seigneuriale de l’Hôpital, les habitants du bourg et du castrum obtinrent finalement la refondation de véritables organes représentatifs incarnés par un conseil de soixante « sages » et un collège de douze consuls45. Contrairement à la vision de l’érudition traditionnelle, il ne s’agissait pas tant de rétablir un consulat à l’ancienne, tel qu’il aurait été prévu par le comte Guilhem en 120746. L’époque était plutôt propice à l’instauration d’un nouvel équilibre gouvernemental où l’autorité seigneuriale se désengageait d’un certain nombre de tâches au profit de l’administration municipale, tout cela sous la garantie et le contrôle de l’État central47. Ces développements, marqués par la soumission des pouvoirs locaux aux intérêts éminents de l’État, dépassent le cadre de cet essai. Il s’agit donc, désormais, d’approcher au plus près les mécanismes de la seigneurie dans son fonctionnement quotidien. Les ressorts du dominium : hommage, corvées et aveux

Il est bien connu que le système seigneurial affirmait son pouvoir en déterminant les statuts assignés à chacun, ce qui revenait notamment à imposer un certain

44 Instrumentum privilegii concessi hominibus Manuasce per Guillelmum de Vilareto, magistrum Hospitalis Sancti Joannis Jerosolimitani (LPM, no 47 ; 27 juillet 1300) ; Confirmacio libertatum et privilegiorum Manuasce (LPM, no 51 ; 5 septembre 1309). Après le retrait de Bérenger Monge, à l’automne 1298, pas moins de six commandeurs se succédèrent jusqu’à la prise de fonction d’Hélion de Villeneuve, à l’hiver 1314 (cf. An. II, B-2). 45 D. Arbaud, Études historiques, p. 87-88, et preuve no 17, p. 127-130 (21 août 1334) ; C. Picot, Essai sur les institutions municipales de Manosque, p. 27-29. Dans les contentieux qui se multiplièrent au cours du premier tiers du xive siècle entre l’Hôpital et la communauté, cette dernière chercha délibérément à s’appuyer sur l’autorité souveraine, trop contente de justifier ainsi son immixtion dans les affaires de l’Hôpital. En 1320, le roi Robert enleva définitivement à l’Hôpital le droit de juger en appel, court-circuitant par-là la possibilité donnée à la cour seigneuriale de se prononcer contre l’universitas (D. Carraz, « Une enclave dans le domaine comtal », p. 172-173). 46 Il est vrai que le préambule de l’acte établissant les nouvelles institutions se réfère explicitement à la charte du consulat de 1207 où apparaissait déjà le conseil des soixante « de melioribus et sapiencioribus » présidant à l’élection des douze consuls (D. Arbaud, Études historiques, preuve no 17, p. 127 ; et LPM, no 1). 47 L’immixtion du pouvoir royal dans les transactions entre seigneurs et communautés urbaines est un processus classique, que l’on retrouve aussi bien dans le Languedoc capétien (A. Rigaudière, « Réglementation urbaine et “législation d’État” dans les villes du Midi français aux xiiie et xive siècles », in N. Bulst et J.-Ph. Genet (dir.), La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’État moderne, xiie-xviiie siècles, Paris, 1988, p. 55-57).

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nombre d’obligations plus ou moins ritualisées. Bien sûr, la valeur performative de ces manifestations prenait d’autant plus de sens que celles-ci étaient largement publicisées48. Parmi ces manifestations récognitives du dominium imposé par les hospitaliers, se posent les questions de l’hommage, des corvées et enfin des reconnaissances emphytéotiques. Même si elles peuvent apparaître limitées au regard de ce que l’on connaît pour la France du Nord ou même pour le Languedoc voisin, les relations féodo-vassaliques se diffusèrent en Provence, à partir de l’usage qu’en firent d’abord les pouvoirs princiers puis les évêques49. Les ordres militaires, qui s’insérèrent dans ces mêmes structures d’autorité, n’hésitèrent pas à réclamer l’hommage de la petite noblesse gravitant autour de leurs seigneuries50. Si cela fut notamment le cas pour les hospitaliers à Puimoisson, on a curieusement conservé peu de traces de telles manifestations d’autorité auprès des nobiles et autres milites demeurant à Manosque51. Pourtant, le transfert de seigneurie des comtes de Forcalquier à l’Hôpital s’était logiquement placé sur le terrain féodal : par l’hommage et le serment de fidélité, Guilhem II avait fait jurer à ses barons et aux hommes de Manosque de respecter son testament et de prêter aide et conseil au nouveau seigneur52. Sans doute, s’agissait-il là d’un serment de fidélité collectif qu’il faut distinguer de l’hommage personnel. Or, l’usage de ce dernier rituel est peu douteux car d’importantes acquisitions auprès de bonnes familles locales mentionnent bien, parmi les droits transférés, « l’hommage des chevaliers et des hommes »53. La seconde catégorie, celle des « hommes », renvoie à la fidélité que le seigneur hospitalier réclamait bien aux autres habitants54. Il fallut notamment se faire reconnaître le statut de seigneur éminent (dominium majus et

48 Un certain nombre de réflexions ont récemment été développées sur l’émergence, au second Moyen Âge, d’un véritable espace public, vu notamment comme le lieu de manifestation de l’autorité publique (pour poser les notions, voir entre autres P. Boucheron, « Espace public et lieux publics : approches en histoire urbaine », in P. Boucheron et N. Offenstadt (dir.), L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de Jürgen Habermas, Paris, 2011, p. 99-117). 49 F. Mazel, « Seigneurie épiscopale, aristocratie laïque et structures féodo-vassaliques en Provence au xiie siècle : le sens d’une féodalisation limitée », Aspects du pouvoir seigneurial de la Catalogne à l’Italie (ixe-xive siècles), Rives nord-méditerranéennes, 7 (2001), p. 27-36. 50 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 375-376. Sur la diffusion et les formes de l’hommage en Provence, la référence reste G. Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit. L’exemple de la Provence et du Dauphiné. xiie-début xive siècle, Rome, 1988 ; à compléter, pour une réflexion sur la fidélité, par L. Verdon, « La paix du prince. Droit savant et pratiques féodales dans la construction de l’État en Provence (1250-1309) », Revue historique, 654 (2010), p. 291-336. 51 Puimoisson : Th. Pécout, Une société rurale du xiie au xve siècle en Haute-Provence. Les hommes, la terre et le pouvoir dans le pays de Riez, thèse de doctorat, Université de Provence, 1998, vol. 1, t. 2, p. 579. 52 CGH, t. 2, no 1324, p. 103 (4 février 1209). Sur la politique féodale menée par ce comte et sur la diffusion du serment de fidélité collectif : G. Giordanengo, Le droit féodal, p. 86-92 et 184. 53 …sive illud ius consisteret in homagiis militum et hominum quorumcumque feudis et rebus enfitheotecariis… (clause citée pour deux importantes ventes émanant du lignage de Moustiers ; 56 H 4630 ; [1249-1251]). En 1308, Gauthier de la Roche, seigneur de Céreste, prêtait hommage au commandeur de Manosque pour ses biens à Montaigu (56 H 4682). 54 L’hommage était même requis des étrangers séjournant pour un temps dans la ville ( J. Shatzmiller, « Une expérience universitaire méconnue », p. 487, PJ no 2 ; 13 février 124[7]).

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directum) auprès des tenanciers qui relevaient d’autres seigneurs fonciers. Un long conflit opposa ainsi l’Hôpital au prieuré victorin de Sainte-Marie (aujourd’hui Notre-Dame de Romigier) qui revendiquait la pleine juridiction sur « ses hommes ». Trois arbitrages – en 1216, 1234 et finalement 1258 – furent nécessaires pour faire admettre aux moines, accrochés aux libertés de leur Église, que les hommes établis sur les censives du prieuré étaient soumis à tous les prélèvements (exactiones) et à la justice de l’Hôpital. Or, il fut à chaque fois stipulé que ces tenanciers devraient à ce titre prêter serment de fidélité et hommage au commandeur, « comme tous les hommes de Manosque »55. Cette fidélité collective est à distinguer de l’hommage, genoux fléchi et mains jointes, que devaient les « hommes de l’Hôpital », dont les engagements n’étaient pas si éloignés de ceux formulés par les confrères et donats56. Ce statut, que l’on rencontre dans bien d’autres seigneuries méridionales des ordres militaires, était surtout lié à la jouissance de biens fonciers relevant de la directe seigneuriale57. Il était donc tout à fait indépendant du niveau social ou de richesse. Un notaire pouvait être « homme de l’Hôpital », tandis que l’un des rares actes d’hommage conservé pour Manosque émane d’Uc Ebrard, membre de l’une des familles les plus en vue58. 55 B. Guérard, Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, t. 2, Paris, 1857, no 995, p. 449-452 (20 septembre 1216) ; …de hiis possessionis et rebus quas aliquis et aliqui nomine dicte ecclesie Beate Marie de Manuascha tenent et possident in valle Manuasche sicut supra determinatum est, cum in forma compositionis predicte contineatur quod dominus ipsius ecclesie praestent fidelitatis juramentum Hospitalis Manuaschae quod sacramento secundum consuetudinem feudorum continet recognitionem maiora et directi dominii. (56 H 4629 ; 15 novembre 1234) ; …omnes homines dicte ecclesie Beate Marie de Manuasca presentes pariter et futuri teneantur facere fidelitatem et homagium preceptori domus Hospitalis qui pro tempore fuerit ut pote domino suo et habenti iuridictionem in personis suis (56 H 4652 ; 22 octobre 1258). Le prieur de Notre-Dame obtint toutefois d’être lui-même affranchi du serment que devaient prêter ses tenanciers. 56 Guilhem Mercurino de Saint-Pierre-Avez, après avoir reçu de Bérenger Monge l’investiture d’une maison, demande à devenir homme de l’Hôpital et prête hommage : dictus Guillelmus volendo esse homo dicti Hospitalis promisit per solemnem stipulationem dicto domino preceptori […] se bona et res dicti Hospitalis custodire et salvare et se dicto Hospitali fidelem existere et damna et mala dicti Hospitalis totis suis viribus disturbare et se hominem dicti Hospitali existere, et post predicta dictus Guillelmus dicto domino preceptori […] flexis genibus et junctus manibus fecit homagium et fidelitati prestiti sacramentum, jurando ad sancta Dei Evangelia corporaliter ab ipso tacta predicta omnia et singula attendere et salvare… (56 H 849bis, f. 687v ; 29 août 1288). 57 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 367-368. Sur l’origine foncière de la juridiction personnelle : N. Carrier, Les usages de la servitude. Seigneurs et paysans dans le royaume de Bourgogne (vie-xve siècle), Paris, 2012, p. 188 et 285. Les enquêtes comtales permettent de cerner plus finement les caractéristiques de la dépendance chez les homines regi et, notamment, d’appréhender les diverses catégories de dépendants en fonction du degré supposé de « liberté » (F. Michaud, « L’évolution de la condition paysanne en Provence centrale : quelques réflexions sur les homines regis à Aups aux xiiie et xive siècles », Provence historique, 58 (2008), p. 71-92). 58 …dictus Mich[ael Porcherius] homo dicti Hospitalis fuerit et a tempore sue nativitatis habitaverit in villa Manuasce usque ad diem mortis sue et notarius dicti Hospitalis fuerit. (56 H 4652 ; 30 novembre 1290) ; … Ugo Ebrardus de Manuasca constitutus in presentia venerabilis et religiosi viri domini Berengarii Monachi […] recognivit et fuit confessus […] se esse hominem dicti Hospitalis et esse debere. Et etiam promisit […] quod parebit iuri in curia dicti Hospitalis de Manuasca cuilibet conquerenti de ipso sicut alii homines Manuasce et quod nullum privilegium allegabit et nullam exceptionem opponet per quod seu per quam dicere posset vel dicere vellet se non teneri parere iuri in dicta curia cuilibet conquerenti de ipso. Et hoc iuravit in manibus dicti

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Parfaitement identifiée en tant que telle par les feudistes d’Ancien Régime, cette marque de soumission s’apparente à l’hommage lige59. Mais si cet hommage était bien d’ordre juridictionnel et si l’Hôpital s’en était fait reconnaître l’exclusivité face à la souveraineté comtale, celui-ci n’impliquait qu’un lien de dépendance assez relatif60. Aussi, bien que des travaux anciens aient pu insister sur la persistance ou bien sur le retour du servage dans certaines zones présumées reculées de Haute-Provence, je n’assimilerais pas cette forme de soumission à une quelconque servitude61. Comme le note Nicolas Carrier, le caractère « honorable » ou « servile » de l’hommage dépendait surtout du genre de vie du dépendant62. Or, les masses laborieuses de Manosque, constituées de laboureurs plutôt aisés et de marchands, avaient obtenu de Guilhem II un certain nombre de franchises, notamment la libre transmission du droit de propriété63. Avant d’aborder les « mauvaises coutumes » conservées par les hospitaliers, arrêtons-nous sur la question des corvées, traditionnellement considérées comme l’une des marques de la servitude. À l’époque de la seigneurie comtale, les corvées étaient dues par quiconque détenait un « chasement » dans la ville, ce qui confirme, non le statut servile du titulaire, mais le caractère du dominium s’exerçant indissolublement sur la terre et sur les hommes64. domini preceptoris recipientis ut supra attendere et servare et contra non venerit tactis corporaliter Evangeliis sacrosanctis (56 H 4643, no 80 ; 9 septembre 1279). Plusieurs propriétés appartenant à des membres de la famille sont citées dans les terriers et un quartier de la ville portait même le nom des « Hébrards » (56 H 1039 ; et F. Reynaud, La commanderie, p. 152). 59 La seconde publication de l’hommage d’Uc Ebrard porte l’analyse dorsale suivante : « Declaration d’Hugues Ebrard de Manosque a frere Berenger Monge comandeur par laquelle il avoit constet quil est son homme lige et justiciable de la cour de l’hôpital, du 5 des ides de septembre 1280 » (56 H 4643, no 80 gemine). Cet hommage lige réservé aux roturiers était bien attesté au xiiie siècle dans le Dauphiné voisin (G. Giordanengo, Le droit féodal, p. 200-202). 60 Dans la convention passée avec le prieur Féraud de Barras, Charles Ier renonçait à tout hommage ou fidélité qu’il pouvait réclamer aux hommes des seigneuries de l’Hôpital (CGH, t. 3, no 3035 ; 28 juillet 1262). 61 Pour un bilan historiographique, je me contente de renvoyer à M. Zerner, « Le nouveau servage en Provence aux xie-xiiie siècles, absence ou rareté », La servitude dans les pays de la Méditerranée occidentale chrétienne au xiie siècle, Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 112 (2000), p. 991-1007. 62 N. Carrier, Les usages de la servitude, p. 186 et 267. 63 LPM, no 2 (5 février 1207), notamment p. 8-9 (liberté de vendre, impignorer et léguer) ; et no 1 (12 février 1207). Le droit de propriété fut en effet au cœur de la conquête des libertés par les communautés d’habitants (M. Zerner, « Le nouveau servage », p. 1005). 64 LPM, no 4, p. 20 et 22 (11 novembre 1234). Cet accord reprend les termes d’un arbitrage porté devant la cour 22 ans plus tôt, mais rendu par trois notables à la suite d’une enquête auprès des habitants : Nos vero ego Raymundus Ripertus et ego Garnerius et ego Bertrandus Felicis auditis istis testibus diximus et iudicavimus quod omnes illi qui casati pro Hospitali et antea casati pro comite faciebant corroatas Hospitali (56 H 849bis, f. 23v-25 ; octobre 1212). Notons que ces deux textes emploient l’expression « illi qui casati erant » et non le terme de « casamentum ». Le titre porté à la copie de l’acte de 1212, par l’archivaire de l’ordre de Malte au xviiie siècle, ne s’embarrasse en revanche plus d’une périphrase : « Sentence du juge de Manosque portant que ceux qui ont leur casementz de la Religion payeront les corvées ». Les historiens débattent, en effet, pour savoir si la possession d’un chasement déterminait ou non la dépendance personnelle (F. Michaud, « L’évolution de la condition paysanne », p. 80 et 90n). Mais la notion de casamentum est en réalité très polysémique (cf. Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, t. 2, Niort, 1883, col. 199-200).

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Tout au long du xiiie siècle, les corvées restèrent liées à la jouissance immobilière, comme l’attestent les transferts de droits fonciers qui, presque systématiquement, mentionnent les corvées à effectuer par les tenanciers65. L’accord de 1234 s’appliqua à préciser la coutume : les chevaliers et les habitants relevant de l’« affar vicomtal » en étaient exemptés, tandis que le service était lié aux capacités des habitants : deux corvées de semailles pour les propriétaires d’un train de labour, deux corvées de charroi pour ceux qui n’avaient qu’un âne, deux journées de travail aux champs pour les autres66. Les corvées marquaient bien un lien de dépendance que les hospitaliers s’efforcèrent de pérenniser. En 1293, Bérenger Monge concéda la suppression d’une corvée de bois dont devaient s’acquitter seulement certains hommes67. Mais, à en juger le faible nombre de rachats de corvées attesté, le seigneur semble avoir compté sur le caractère effectif de ce service de travail68. Au xive siècle, selon Félix Reynaud, les hospitaliers préféraient toujours cette contribution en travail à un revenu fixe en argent69. Pourtant, dans l’enquête de 1338, 280 journées de service se trouvaient déjà commuées en numéraire70. Cela ne représentait toutefois qu’une partie des corvées exigibles, puisqu’au poste des recettes en grains, les services de charroi étaient estimés à 54 setiers de froment. S’agit-il, dès lors, d’une équivalence comptable permettant d’enregistrer un service dû en travail ou bien d’une réelle commutation en céréales71 ?

65 Il est significatif que les corvées soient toujours mentionnées parmi les cens et autres droits grevant la jouissance immobilière : 56 H 4629 (28 avril 1233) ; 56 H 4641 (10 mars 1255 ; 15 janvier 1258) ; 56 H 4643 (10 mai 1281) ; 56 H 849bis, f. 174v-177v (18 février 1278), f. 223-226v (16 décembre 1285), f. 229v-234 (18 décembre 1285) ; etc. 66 LPM, no 4, p. 20 et 22 (11 novembre 1234). Sans doute, dès l’arbitrage de 1212, les hospitaliers s’appliquèrent-ils à dresser la liste des corvéables car des hommes avaient pu être tentés de profiter du changement de seigneur pour s’affranchir de ce service (56 H 849bis, f. 23v-25 ; octobre 1212). C’est, semble-t-il, sur la base de cet arbitrage de 1212 que Félix Reynaud a estimé le nombre de corvéables à 300 environ (F. Reynaud, La commanderie, p. 165). 67 LPM, no 36, p. 102 et 116 (31 août 1293). En fait, ce service était surtout contesté parce que l’Hôpital interdisait désormais aux corvéables de prendre le bois mort dans son défens. 68 Dans un échange de cens entre la commanderie et Géraud Clavellerius, est mentionnée « unam coroatam de viginti denariis », mais de telles équivalences en monnaie restent très rares. Dans ce même acte, les corvées sont transférées avec les droits fonciers et Géraud Clavellerius doit s’engager à les faire : Fuit tamen actum inter dictum Giraudum et dictum dominum preceptorem quod dictus Giraudus teneatur facere predicte domui pro predictis corroatis remissis pro qualibet corroata de bobs (sic) si boves haberet vel de asinis si asinos haberet vel de bestia de basto si eam haberet quia non fuit nec est intentio predicti domini preceptoris et predicti Giraudi quod remitterentur corroate bastiarum sicut hominum tantum. (56 H 4643 ; 24 juin 1282). 69 F. Reynaud, La commanderie, p. 165-166. En 1316, les syndics dénoncèrent le fait que les hospitaliers exigeaient parfois deux corvées au lieu d’une. La composition réglementa également l’accès à l’« office des corvées » (officium corratarie), dont on ne sait exactement ce qu’il recouvrait : coordination des travaux dans les champs ou bien garantie, pour les habitants, que les hospitaliers n’abusaient pas des services requis ? (LPM, no 52, art. 34, p. 177, et art. 27, p. 127). 70 Cela rapportait 4 l., 13 s. et 4 d., à raison de 4 d. la journée (VGPSG, p. 337). 71 VGPSG, p. 334. Selon Georges Duby, les hospitaliers continuaient bien, dans l’ensemble de leurs seigneuries, d’exiger le service des propriétaires de bœufs mais les corvées étaient, dans l’ensemble, d’un apport limité (G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 37). De manière générale, la commutation des services en numéraire va dans le sens d’une évolution vers une certaine raréfaction des corvées à partir du xive siècle (F. Michaud, « L’évolution de la condition paysanne », p. 83-85).

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La liste des corvéables levée au début du xive siècle ferait plutôt pencher pour la seconde solution car celle-ci ne recense plus que des corvées de foin et, un peu moins fréquemment, dans les vignes (« coroata fenis/vineis »)72. La liste comporte tout de même 287 noms d’habitants encore soumis à ces services pour des domus ou hospicia dans la ville, mais il est difficile de se prononcer sur la contribution réelle de cette main d’œuvre gratuite à l’exploitation de la réserve seigneuriale. On se bornera simplement à confirmer que le fait de devoir des corvées était totalement indépendant du statut social, puisqu’on trouve, parmi ces tenanciers, des individus certes roturiers, mais en rien misérables73. On peut suggérer que, lorsque cette obligation s’appliquait à un notaire ou à un médecin, celui-ci salariait quelqu’un pour accomplir la tâche à sa place. Étant donnée l’importance du recours au salariat dans l’exploitation de la réserve seigneuriale, on suppose que le maintien de ces corvées modérées fut moins justifié par l’apport de la force de travail que par sa valeur symbolique. Si ce service rappelait un lien de domination, prenons garde, toutefois, de ne pas pécher par anachronisme en considérant que celui-ci fut forcément vécu comme humiliant par ceux qui y étaient soumis74. Une autre forme de domination liée à la possession foncière passait par la reconnaissance emphytéotique. Les feudistes, pour lesquels le cens « portable au château ou principal manoir » revêtait bien une dimension symbolique, avaient jadis attaché une importance particulière à la question de l’« aveu et dénombrement », autrement dit à la reconnaissance en tant qu’acte authentique75. Les récentes réflexions menées autour de l’enquête ont inspiré une nouvelle lecture de la reconnaissance emphytéotique. Cette procédure conduite en plusieurs étapes – convocation par criée, déclaration du tenancier, enregistrement notarié – constitua bien l’un des pivots de la contrainte seigneuriale sur les hommes76. On a insisté notamment sur

72 56 H 1040. 73 Figurent ainsi au f. 6 : P. Rofredi, notarius ; magister P. Aychardi, physicus ; P. Gibosi, notarius. Si l’on trouve toujours d’anciennes familles (Hospitalarii, Ebrardii, Felicii…), l’impression demeure que la population a commencé à se renouveler. Michel Hébert a, de même, noté « une importante circulation d’étrangers » dans le premier quart du xive siècle, d’après un sondage dans les registres notariés (M. Hébert, « Les étrangers à Manosque », p. 106). 74 S’il exista bien un imaginaire de l’oppression seigneuriale au Moyen Âge, c’est surtout la Révolution qui a fait de la corvée un signe de servitude et « une humiliation personnelle et sociale » (G. Brunel, « La France des corvées. Vocabulaire et pistes de recherche », in M. Bourin et P. Martinez Sopena (dir.), Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (xie-xive siècles). Réalités et représentations paysannes, Paris, 2004, p. 271 et 279-280). 75 « Le cens n’est pas seulement une redevance pécuniaire ; il renferme de plus une espèce de droit honorifique ; de là vient qu’il est portable » (L. Ventre de la Touloubre, Jurisprudence observée en Provence sur les matières féodales et les droits seigneuriaux, Avignon, 1756, p. 124-148 – à propos des reconnaissances et du cens). Sur l’aveu et sa mise à l’écrit sous l’Ancien Régime : M. Grinberg, Écrire les coutumes. Les droits seigneuriaux en France, Paris, 2006, p. 10-11 et 137-138. 76 Th. Pécout, « Les actes de reconnaissances provençaux des xiiie-xive siècles : une source pour l’histoire du pouvoir seigneurial », in H. Taviani et C. Carozzi (dir.), Le médiéviste devant ses sources. Questions et méthodes, Aix-en-Provence, 2004, p. 271-286 ; Id., « Confessus fuit et recognivit in veritate se tenere. L’aveu et ses enjeux dans les reconnaissances de tenanciers en Provence, xiiie-xive siècle », in L. Faggion et L. Verdon (dir.), Quête de soi et quête de vérité du Moyen Âge à l’époque moderne, Aix-en-Provence, 2007,

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le caractère public de l’aveu, ritualisé et périodiquement réitéré, qui visait à produire un « discours du consentement » dont les archives seigneuriales conservent encore la mémoire77. Or, les ordres militaires se préoccupèrent particulièrement d’obtenir de telles déclarations pour les biens détenus sous leur directe seigneuriale78. Les volumineux rouleaux ou bien les épais registres évoqués au chapitre précédent témoignent encore de ces campagnes régulières d’aveux conduites dans les seigneuries relevant des commanderies d’Aix et de Manosque. En dépit de la masse documentaire conservée, cette dernière commanderie offre, pour le xiiie siècle, des dossiers moins variés que ceux que j’avais pu exploiter pour les seigneuries templières du Bas-Rhône. Cependant, l’attention avec laquelle les commandeurs enregistrèrent les aveux de leurs emphytéotes est illustrée par le dénombrement dressé en 1303, avant que ne prolifèrent de véritables terriers79. Au-delà de ces campagnes d’inventaires généraux, Bérenger Monge et ses bayles surveillèrent attentivement la circulation des biens fonciers. En témoigne le nombre non négligeable d’actes d’investiture soldés par la perception de la taxe de mutation – lods et trézain80. Si l’acte ne s’accompagnait pas d’un aveu formel du tenancier, il était toujours l’occasion pour le seigneur de rappeler son dominium et de faire inscrire la teneur des droits qui lui étaient dus81. La contrainte du ban : entre coercition et négociation

Le pouvoir envisagé jusqu’à présent était lié à la seigneurie foncière. Il pouvait encore renvoyer à une obligation de nature féodale, exercée collectivement dans le cas de la fidélité exigée des habitants, ou personnellement lorsque l’hommage était requis de quelques nobles. Le dominium majus de l’Hôpital impliquait surtout une capacité de contrainte assise sur l’exercice de la justice et sur la ponction fiscale. Mais tout cela reposait d’abord sur un subtil équilibre entre coercition et négociation. Une commanderie avait, sur une seigneurie laïque, cet avantage de ne pas manquer de ressources humaines : on a vu comment le territoire était quadrillé par une armada d’officiers aux fonctions déterminées, éventuellement flanqués de frères et de donats

p. 173-205 ; L. Verdon, La voix des dominés. Communautés et seigneurie en Provence au bas Moyen Âge, Rennes, 2012, p. 163-164. En dernier lieu, sur les ressorts juridiques du lien entre emphytéose et rapport de pouvoir : L. Verdon, « La paix du prince », p. 307-310. 77 L’expression est de J.-Ph. Genet, « Entre mémoire, droit et culture : les écrits de gestion », in X. Hermand et alii (dir.), Décrire, inventorier, enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge. Formes, fonctions et usages des écrits de gestion, Paris, 2010, p. 426. 78 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 31, 231-232, 380-381 ; Id., « “Segnoria”, “memoria”, “controversia” », p. 66. 79 56 H 1039 (avril 1303). 80 56 H 1088, non folioté (20 mars 1257) ; 56 H 2624, f. 67 (juin 1276) ; 56 H 4641 (10 mars 1255 ; 15 janvier 1258 ; 21 janvier 1258 ; 11 février 1259 ; 11 janvier 1261) ; 56 H 4642 (9 août 1274 ; 28 janvier 1275) ; 56 H 4643 (18 mars 1276) ; 56 H 4644 (21 décembre 1283) ; 56 H 4645 (17 décembre 1293 ; 30 mars 1294) ; etc. 81 Ad hec venerabilis et religiosus vir dominus frater Berengarius Monachi, preceptor Manuasce pro Hospitale Sancti Johannis Jerosolimitani, sub cujus dominio et seynhoria dicta terra tenetur ad servicium sex denariorum annuatim dicto Hospitali solvendam nomine servicii seu census in festo nativitatis Domini, dictam vendicionem laudavit et confirmavit et dictum emptorem investivit salvo iure et dominio dicti Hospitalis et trezenum suum confessus fuit integre reali numeracione a dicto emptore habuisse et recepisse (56 H 4645 ; 17 décembre 1293).

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armés82. Si le pouvoir seigneurial était donc physiquement omniprésent, le système d’une contrainte de face-à-face reposait encore sur des agents de terrain : banniers et autres sergents chargés de la police rurale, crieurs et messagers… Gagés et vêtus par l’Hôpital, ces individus accomplissaient des fonctions interchangeables puisque l’on pouvait, selon les besoins, être cursor et nuncius ou bien cursor et preco. Mais les individus, justement, émergent rarement et l’on en sait donc peu sur eux, sinon qu’ils se recrutaient localement et qu’ils étaient probablement de modeste extraction83. Georges Duby, déjà, avait dénigré ce « petit groupe d’intermédiaires [qui vivait] aux dépens de la seigneurie » hospitalière84. Il est vrai que ceux-ci pouvaient cristalliser les rancœurs des habitants et les registres de la cour les montrent souvent mêlés à des rixes. Selon un fréquent lieu commun, ces petites mains de la domination seigneuriale avaient une mauvaise fama et les Manosquins se plaignaient de leurs agissements85. Patricia MacCaughan, qui évoque une « corruption […] devenue latente », note même que les poursuites contre les abus de ces officiers seigneuriaux s’intensifièrent à partir des années 128086. Sans doute cela s’explique-t-il par une surveillance accrue de ses agents de la part d’un seigneur soucieux de ne pas voir s’affaiblir sa légitimité aux yeux des justiciables. Si les banniers étaient détestés, c’est qu’ils incarnaient en premier lieu la dimension prédatrice de la seigneurie, à laquelle la population pouvait opposer une résistance passive. À l’été 1293, Bérenger Monge se plaignit ainsi auprès des syndics de la communauté que les Manosquins ne payaient pas la moitié de ce qu’ils auraient dû au titre du droit des cosses, c’est-à-dire de la taxe prélevée pour la mesure des céréales et des légumes vendus sur le marché87. Par le passé, le commandeur n’avait pas hésité à traîner les contrevenants en justice et si un seul de ces procès a été conservé comme preuve de droit, on peut imaginer que ce ne fut pas là un cas isolé88. En 1267, le juge

82 Du reste, l’omniprésence, qui a pu être jugée abusive, des frères et des affiliés ressort de plusieurs plaintes des habitants exigeant que la familia de l’Hôpital respecte le ban (56 H 4652 ; 18 février 1268 ; LPM, no 36, p. 94 ; 31 août 1293). 83 Michel Hébert, qui s’est intéressé aux fonctions de crieur et de sergent-messager, confirme qu’il est « difficile, voire impossible, [de] saisir la personne même du crieur » (M. Hébert, « Voce preconia : note sur les criées publiques en Provence à la fin du Moyen Âge », in É. Mornet et F. Morenzi (dir.), Milieux naturels, espaces sociaux, Paris, 1997, p. 694 ; et Id., « Les sergents-messagers de Provence aux xiiie et xive siècles », in P. Boglioni et alii (dir.), Le petit peuple dans l’Occident médiéval. Terminologies, perceptions, réalités, Paris, 2002, p. 293-310. 84 G. Duby, « La seigneurie et l’économie paysanne », p. 32-33. 85 LPM, no 52, p. 173 et 179 (4 février 1316) : Item conquerebantur dicti sindici, quod bannerii et nuncii viles, pauperes et male fame statuebantur in locis predictis per curiam Hospitalis (art. 22) ; Item conquerebantur dicti sindici, quod milites et donati, fratris et alii mercenarii Hospitalis predicti indistincte ab hominibus dictorum locorum et per totum territorium eorumdem banna exigebant, et ob hoc pecunias a dictis hominibus extorquebant indebite et injuste (art. 40). 86 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 73-75, 77 et 79-80. Autre exemple d’agression contre le nuncius curie : J. Shatzmiller, Médecine et justice, no 47, p. 150-151 (novembre 1321). 87 LPM, no 36, p. 104 (31 août 1293). L’assiette de ce prélèvement avait été confirmée par la transaction de 1234 (LPM, no 4, p. 20). 88 Le nombre d’exemplaires conservés suggère que le cas dut faire jurisprudence : 56 H 4669 (original ; 29 juillet 1267) ; Arch. mun. de Manosque, Kc 1 (copie du 8 août 1682) ; 56 H 849bis, f. 680-681.

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Bartomieu avait en effet condamné un certain Guilhem Marcel à s’acquitter du droit de cosse pour les 70 setiers de froment qu’il avait vendus. Mais parfois, arguant de sa « major cohercicio », le seigneur employait des méthodes plus radicales : ceux qui ne se soumettaient pas au comtalage – une forme de fouage – se voyaient ainsi confisquer la porte de leur maison89 ! Mis à part filouter sur les prélèvements fiscaux, de quelle marge de résistance les Manosquins disposaient-ils face à Bérenger Monge et à ses sbires ? Le principal ressort fut constitué par les prudhommes. Dès la composition de 1234, l’universitas avait fait accepter le principe que le commandeur devait requérir l’avis des prudhommes pour statuer sur le ban90. Les habitants obtenaient déjà là une garantie décisive que, dans les trois premières décennies de son mandat, Bérenger Monge semble avoir respectée. Entre 1261 et 1275, plusieurs statuts furent ainsi promulgués par le commandeur avec l’avis des prudhommes91 (fig. 15). On a également trace, en 1269, d’un jugement de la cour confirmant la légalité d’une criée sur les tailleurs proclamée après consultation des prudhommes92. Toutefois, pour des raisons qui nous échappent, Bérenger Monge semble avoir tenté, par la suite, de passer outre le conseil prudhommal. C’était de bonne guerre et la composition de 1293 dut rappeler que le commandeur devait s’abstenir de statuer sans l’avis des prudhommes93. Ce n’était là qu’un aspect de l’interminable rapport de force qui continua à opposer le seigneur hospitalier à la communauté94. Pour l’heure, Bérenger Monge tint bon face aux entreprises de ses administrés et c’est surtout dans les décennies qui suivirent sa disparition que les Manosquins obtinrent des garanties essentielles : les principaux officiers de la seigneurie – commandeur, châtelain, bayle et juge – devraient désormais jurer, devant dix prudhommes, de respecter la grande composition du 4 janvier 131695. Par ce même accord, les habitants obtenaient encore le droit d’élire des cominaux, qui constitueraient le ferment d’une

89 …unde cum cohercicio pertineat ad Hospitale de predictis, et major cohoercicio sit in accipiendis januis sive portis quam in aliis bonis… (LPM, no 28, p. 80 ; 21 mai 1288). 90 Si voluerit comendator super aliqua re bannum statuere, teneatur probos convocare (LPM, no 4, p. 18 ; 11 novembre 1234). 91 LPM, no 18, p. 66 (statut sur les juifs ; 14 février 1261 ; la mention « cum consilio proborum hominum de Manuasca » a été rajoutée par la suite sur le cartulaire municipal) ; no 20, p. 68 (statut sur l’endettement ; 1264) ; no 26 (statut sur le denier de Dieu ; 7 mars 1275). 92 56 H 4652 (18 février 1269). La sentence du juge Bartomieu cite textuellement la clause de la composition de 1234. 93 II petitio : de non ponendo banno in aliqua re sine consilio proborum (LPM, no 36, p. 94). 94 Le contre-pouvoir exercé par les prudhommes en matière législative empoisonna pendant longtemps les commandeurs (C. Picot, Essai sur les institutions municipales, p. 106-110). La question fut par exemple au cœur du long procès de 1377 entre le seigneur et l’universitas : parmi les nombreuses pièces avancées par les parties, figure d’ailleurs le jugement de 1269 sur les tailleurs qui rappelait que, jadis, le commandeur statuait bien en consultant les prudhommes (Arch. mun. de Manosque, Ff 13 ; 19 novembre 1377). 95 LPM, no 52, p. 182 (De pactis, art. i). La question du serment prêté par le commandeur constitua un autre point d’achoppement : dans le procès de 1377, le commandeur tenta de faire valoir que le serment qu’il devait prêter sur la croix de son habit portait sur le respect des privilèges de l’universitas en général, sans référence à des articles ou privilèges particuliers (Ff 13).

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véritable administration municipale96. L’Hôpital avait retardé autant que possible cette concession à ses administrés, lorsque l’on songe, par exemple, que les habitants de Digne avaient été autorisés à désigner leurs cominaux dès 126097. On ne saurait, toutefois, enfermer les relations de Bérenger Monge avec les Manosquins dans une opposition binaire entre le seigneur et ses sujets. Au-delà de sa potestas statuendi, le commandeur eut à cœur d’accomplir la fonction, paternelle ou souveraine, comme l’on voudra, de garant de la paix sociale. Là encore, ses interventions en faveur de la communauté se concentrent plutôt dans les décennies 1260-1270, qu’il s’agisse d’un hasard de la conservation documentaire ou que cela corresponde à une phase réelle d’osmose entre les Manosquins et leur seigneur. L’action du commandeur comme médiateur consista d’abord à clarifier les prétentions sur les paroissiens revendiquées par deux institutions ecclésiastiques bien implantées dans cet espace seigneurial, le chapitre de Forcalquier et l’abbaye de Saint-Victor de Marseille. Le chapitre de Forcalquier, qui avait le patronage sur six églises du territoire de Manosque, était en conflit avec les habitants à propos des dîmes. Dans le règlement intervenu en avril 1261 entre le prévôt Raimond Arditus et le syndic de l’universitas, Bérenger Monge figura parmi les trois arbitres, avec le prieur de SaintSauveur et un chanoine de Forcalquier98. Ceux-ci, avec l’aide des trois juristes cités parmi les témoins, parvinrent à clarifier les prélèvements sur les différents produits de l’agriculture. Mais, sans doute, le rôle-clé revint-il au seigneur-commandeur dont les chanoines attendaient qu’il garantisse de son autorité le respect de l’accord par les fidèles99. Toutefois, l’accord ne parut pas totalement satisfaisant à l’évêque Alain de Luzarches qui, quelques mois plus tard, arbitra une seconde composition, sans recourir cette fois aux bons offices du frère hospitalier100. Les questions relatives à

96 La convention du 4 janvier 1316 prévoyait les attributions des cominaux (LPM, no 52, p. 170, 173, 174 et 178). La première élection de ces quatre magistrats, par accord entre le commandeur et les dix prudhommes, intervint deux jours plus tard (LPM, no 56, p. 192 ; 6 janvier 1316). 97 Ce droit fut accordé par Charles Ier pour faire pièce au pouvoir épiscopal, mais il fallut, toutefois, attendre une trentaine d’années pour trouver trace de l’activité effective des cominaux (F. Guichard, Essai historique sur le cominalat dans la ville de Digne, institution municipale provençale des xiiie et xive siècles, t. 1, Digne, 1846, p. 62 et 144-145). 98 LPM, no 8, p. 30-40 (5 avril 1261). L’acte de nomination du syndic, soumis à la surveillance de plusieurs prêtres dont le chapelain du palais, a été recopié au no 6 (2 janvier 1261). Entre les deux dates, la liste des arbitres avait changé : de quatre, ils passaient à trois et seuls le commandeur et le prieur de Saint-Sauveur furent maintenus. Bartomieu, docteur en décret et juge de l’Hôpital, et les jurisperiti Peire Bretus et Raimond David figurent parmi les témoins de l’acte, dont le préambule en appelle par ailleurs « au secours du conseil juridique » (de juris consilio succurrendum). Maître Bartomieu, que l’on retrouve quelques mois plus tard comme official de Sisteron, semble avoir été un autre personnage-clé de ce dossier (cf. An. II, D-2, no 2). 99 LPM, no 8, p. 32. Curieusement, Bérenger Monge intervint comme « commandeur des maisons de l’Hôpital dans la baillie d’Aix et lieutenant du prieur dans le prieuré de Saint-Gilles » (p. 32 et 34), mais non comme commandeur de Manosque : est-ce pour préserver une apparence de neutralité ? 100 LPM, no 10, p. 40-48 (17 février 1262). Les hospitaliers, pour leur part, firent recopier les trois actes de ce dossier sur les dîmes, avec une belle écriture gothique livresque, dans un mini-cartulaire de 16 f. (56 H 4651).

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la juridiction spirituelle sur les fidèles étaient loin d’être totalement aplanies pour autant. En effet, sept années années plus tard, le commandeur, avec un chanoine de Forcalquier et le sacriste de Sainte-Marie, devaient départager les droits que le chapitre de Forcalquier pour une part, et l’abbé de Saint-Victor de Marseille pour l’autre, prétendaient avoir sur les paroissiens. La sentence, rendue devant la porte du palais de l’Hôpital, s’appliqua à réglementer messes, sépultures, baptêmes et revenus que devaient se répartir les différentes églises101. C’est ensuite en position d’arbitre entre les habitants que s’illustra le commandeur. L’enjeu représenté par l’accès aux cours d’eau traversant le territoire, pour l’irrigation des cultures et l’alimentation des moulins, a été évoqué au chapitre précédent. Loin d’opposer seulement l’Hôpital à la communauté, les tensions se manifestaient entre les habitants eux-mêmes, comme l’illustre un arbitrage produit en janvier 1276102. La controverse opposait les propriétaires de terres aux Prés Combaux à d’autres hommes, pour l’usage des eaux de la Drouille. Bérenger Monge répartit les propriétaires de ce terroir en quatre et octroya à chaque groupe un jour et une nuit d’utilisation dans la semaine. Même si l’acte ne le précise pas, on imagine que l’eau ainsi économisée le reste du temps permettait l’irrigation des terres qui n’étaient pas limitrophes du cours d’eau. L’accord supposait une organisation assez sophistiquée car, pour chaque propriété, il avait fallu mesurer la superficie qui conditionnait le volume d’eau octroyé103. D’autre part, on imagine que sa réalisation sur le terrain nécessita la surveillance régulière des banniers de l’Hôpital. Or, le système semble avoir été durablement respecté car, si d’autres litiges relatifs à la Drouille opposèrent par la suite l’Hôpital à des particuliers, on ne trouve plus de traces de conflits entre habitants104. D’autres types de tensions, celles-ci résolument fondées sur des clivages sociaux, traversèrent la communauté. La répartition du fardeau fiscal, dont on connaît le caractère sensible un peu partout à partir du xive siècle, commençait à susciter des débats105. Certes, les catégories privilégiées avaient toujours fait valoir leur statut personnel, à l’instar de Guilhem de Villemus, coseigneur de Volx, qui prétendit être exempté du paiement des cosses, des leydes et même du droit de mouture106. Il s’agissait là d’un règlement particulier mais la défense des intérêts de classe pouvait

101 Livre vert de Sisteron, f. 89-90, regeste dans M. Varano, Espace religieux et espace politique en pays provençal au Moyen Âge (xie-xiiie siècles). L’exemple de Forcalquier et sa région, thèse de doctorat, Université de Provence, 2011, vol. 3, no 113-114, p. 78-80. Le chapitre avait le patronage des églises Saint-Martin du castrum, Saint-Jean, Saint-Sauveur, Sainte-Marie de Toutes-Aures et Saint-Maxime, tandis que Sainte-Marie, Saint-Étienne et Saint-Martin de Montlorgues dépendaient de l’abbaye victorine (sur le réseau ecclésial : S. Claude, « Naissance de l’habitat urbain », p. 120-126). 102 56 H 849bis, f. 169-171 (27 janvier 1275) = 56 H 4673 (original très effacé). 103 Le compromis de 1234 avait déjà établi que le volume d’eau accordé à chaque utilisateur dépendrait de la surface de son pré (LPM, no 4, p. 18). 104 56 H 4673 (litiges en 1332, 1443, 1535 et 1537). 105 Sur les discordes entre citadins pour la répartition de l’impôt : M. Hébert, « Le système fiscal des villes de Provence (xiiie-xve siècles) », in D. Menjot et M. Sanchez Martinez (dir.), La fiscalité des villes au Moyen Âge (Occident méditerranéen), vol. 2, Les systèmes fiscaux, Toulouse, 1999, p. 69-71 et 74-75. 106 Arch. mun. de Manosque, De 2 (29 novembre 1271).

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prendre un tour plus « politique ». En 1293, Bérenger Monge dut s’interposer entre les prudhommes et autres « personnes du peuple » d’un côté, et les chevaliers et avocats de l’autre, qui refusaient de contribuer à la cavalcade. On ne peut s’empêcher de penser qu’une certaine solidarité de « classe » prévalut ici, puisque le commandeur, assisté de son conseiller Jaume Robini, confirma l’immunité des « milites et militares persone »107. Peut-être est-ce alors seulement, sur cette question fiscale, que l’aristocratie chevaleresque commença à se désolidariser du reste de la communauté d’habitants puisque, jusque-là, des milites figuraient bien parmi les syndics108 (fig. 15). Sans doute, cet épisode est-il révélateur de tensions plus profondes que l’affermissement de l’autorité princière saurait bientôt mettre à profit. On l’a senti, en effet, au fil des développements précédents : il est possible que les relations entre la communauté et son seigneur se soient tendues dans les années 1280, avant d’aboutir au grand compromis de 1293. Entretemps, le commandeur fit preuve de bonne volonté en intercédant auprès du maître Jean de Villiers afin que ce dernier confirmât les privilèges de l’universitas109. On peut éventuellement y voir une habile mesure de conciliation qui n’empêcha pas Bérenger Monge de laisser les basses besognes à son bayle. À l’automne 1292, les habitants devaient ainsi se plaindre que Peire de Saint-Martin avait, à plusieurs reprises et pour des raisons variées, levé questes et tailles sans en référer aux prudhommes. Le commandeur temporisa alors et donna des garanties aux habitants110. Cette nouvelle conciliation fut entièrement liée à l’importante aide que, par l’intermédiaire de Guillaume de Villaret, les habitants venaient précisément de concéder à Charles Ier pour la reconquête de la Sicile111. Dans cette concession, négociée sur place par Bérenger Monge, celui-ci avait pris la précaution de rappeler qu’il savait bien que les hommes de Manosque étaient affranchis de toutes exactions, tailles et questes. Si l’on en croit la reconnaissance de paiement délivrée six semaines plus tard à la collectivité en présence du prieur, le commandeur n’en avait pas moins obtenu une belle unanimité, puisque l’universitas, les milites et même les étrangers possessionnés dans la ville avaient accepté de contribuer112. Par ces deux actes, passés le 31 octobre 1292 dans la salle peinte du palais, l’universitas et l’Hôpital se donnaient donc des gages mutuels,

107 LPM, no 40, p. 140-141 (1er septembre 1293). Il est intéressant de remarquer que l’acte confirme au passage la définition juridique d’une noblesse de sang fondée « ex linea masculina seu ex linea transversali ». Or, on peut se demander si Bérenger Monge n’a pas inspiré ce rappel de ce principe, lui qui ne pouvait ignorer que l’Hôpital réservait désormais au chevalier de naissance l’accès au rang de chevalier de l’ordre. Sur le contexte : M. Hébert, « Autour de la cavalcade : les relations entre le comte de Provence, les hospitaliers et la communauté de Manosque (xiiie-xive siècles) », in M. Hébert (dir.), Vie privée et ordre public à la fin du Moyen Âge. Études sur Manosque, la Provence et le Piémont (1250-1450), Aix-en-Provence, 1987, p. 146-147. 108 Je nuance donc ici Michel Hébert qui a douté que les nobles étaient bien assimilés à la communauté (M. Hébert, « Les étrangers à Manosque », p. 102). Sur la place des nobles au sein des administrations municipales, en lien justement avec l’exemption fiscale : G. Giordanengo, « Qualitas illata », p. 278-280. 109 LPM, no 43, p. 149 (21 août 1286). 110 LPM, no 34, p. 90 et 92 (31 octobre 1292). 111 LPM, no 30, p. 82-86 (31 octobre 1292). 112 LPM, no 32, p. 88 (15 décembre 1292).

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tandis que planait l’ombre de l’autorité souveraine. Or, la question fiscale se trouve bien au cœur de ce fragile équilibre.

La pierre angulaire de l’édifice seigneurial : prélever l’impôt et dire la norme La question fiscale

Les inventaires des archives d’Ancien Régime énumèrent, de manière raisonnée et preuves à l’appui, les différentes catégories de droits seigneuriaux exercés par la commanderie113. Par la suite, l’érudition s’est attachée à dresser un panorama de la fiscalité seigneuriale pesant sur les habitants114. Aussi me garderai-je de reprendre ces nomenclatures, de même que je ne reviendrai pas sur l’origine comtale de ces droits qui avait déjà tant occupé archivaires et feudistes de l’ordre de Malte115. Pour faire simple, on peut distinguer cette fiscalité multiforme en fonction des activités sur lesquelles elle pesait : transactions sur les produits de consommation (cosses, brocage, leydes, lombes de porcs et langues de bœufs), usage des instruments de production (fournage, mouture), animaux de labours (bladage) ou d’élevage (pasquier), déplacements (ports). À côté de cet arsenal de taxes indirectes existait un impôt direct, les fameuses tailles ou questes sur lesquelles on ne sait, à vrai dire, pas grand-chose avant le xive siècle116. En 1293, Bérenger Monge et Jaume Robini avaient déclaré que les « milites et personas militares » seraient soumis, comme les autres habitants, aux contributions destinées à l’entretien des ouvrages d’utilité publique (fontaines, ponts, routes, enceinte et fortification)117. Cette taxe au profit de la communauté n’avait alors rien de permanent et, sans doute, l’Hôpital laissa-t-il une certaine autonomie aux habitants dans sa gestion, puisque sont attestés des « sindici yconomici » qui devaient être désignés ad hoc118. Je me demande, par ailleurs, si la présence d’une nébuleuse familiale portant le patronyme Clavellerius/Clavelli n’attesterait pas l’existence d’un office chargé d’une gestion municipale autonome, si rudimentaire fût-elle119.

113 56 H 69 (1656) ; 56 H 20 (1701-1704) ; 56 H 849bis, f. 976-998 (« Traicté des droicts seigneuriaux »). 114 LPM, p. xiii-xvii ; F. Reynaud, La commanderie, p. 164-167 ; C. Picot, Essai sur les institutions municipales de Manosque, p. 112-116. 115 Sur les prélèvements au temps des comtes de Forcalquier : G. de Tournadre, Histoire du comté, p. 145-151. 116 Sur la taille au xive siècle, classiquement liée au financement de la défense : C. Picot, Essai sur les institutions municipales de Manosque, p. 130-136. 117 LPM, no 40, p. 138 et 142 (1er septembre 1293). 118 56 H 907, f. 80-81v (avril 1296) ; cité par A. Courtemanche, « Les femmes juives et le crédit à Manosque au tournant du xive siècle », Provence historique, 37 (1987), p. 555. Encore dans la seconde moitié du xive siècle, le trésorier municipal ne semblait pas être établi comme un office fixe (C. Picot, Essai sur les institutions municipales de Manosque, p. 42 et 129). 119 Johannes Clavellerius : 56 H 4639 (1218, 1222) ; 56 H 4641 (1255) ; 56 H 1091, f. 20r (1267) ; Raimundus Clavellus : 56 H 4630 ([1228-1235]) ; P. Claveliers : 56 H 2624, f. 41 (1277) ; Guillelmus Clavelli, R. Clavelli, Michael Clavelli : 56 H 1039, f. 21v, 28, 35v (1303). Mais le personnage de loin le mieux attesté est Giraudus

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En résumé, cette fiscalité s’abattait donc essentiellement sur ceux qui vivaient du travail de la terre et du commerce. Elle touchait aussi les individus, parce qu’ils étaient sujets de la seigneurie où ils disposaient d’un foyer – lui-même imposé dans le cas du comtalage120. Soumis à la fois à la juridiction seigneuriale et à un statut spécial, les juifs étaient quant à eux redevables d’une taille spécifique121. Le système épargnait en revanche, pour la plupart des taxes, les catégories sociales traditionnellement exemptes : ecclésiastiques et nobles auxquels étaient assimilées les professions juridiques122. Bérenger Monge se préoccupa de consolider l’ensemble de ces dispositifs de prélèvement indirects. Il s’employa notamment, par plus d’une dizaine de rachats conclus entre 1262 et 1284, à récupérer les droits de leyde qui s’étaient trouvés dispersés entre plusieurs détenteurs123. On ignore quelles marchandises étaient imposées et comment la perception était pratiquement organisée. Dans les années 1240 est toutefois signalé un « lesderius Hospitalis » qui se rendait sur les lieux de vente pour exiger son dû124. Peut-être la perception fut-elle réorganisée après la récupération de l’ensemble des parts ; celle-ci semblait, en tout cas, affermée au début du xive siècle, comme le suggère la mention d’un « lesderius et incantator Hospitalis », qui était juif par ailleurs125. Félix Reynaud a estimé, sans doute d’après les montants des revenus indiqués par les différents actes d’achat, que la leyde rapportait 80 livres par an à la commanderie126. La réalité semble avoir été plus complexe puisque la comptabilité révèle l’irrégularité des entrées, qui fluctuent entre 11 et 119 livres selon les années d’exercice127 (tabl. 9). En fait, il semble que Bérenger Monge pouvait tout

Clavellerius, souvent en affaires avec les hospitaliers entre 1275 et 1303 (56 H 1039, 56 H 4633, 56 H 4643, 56 H 4644, 56 H 4666, 56 H 4668, 56 H 4677, 56 H 4678, CoHMa, § 50). 120 Le lien entre possession d’un foyer et soumission à la juridiction seigneuriale est rappelé dans certains transferts fonciers : …donavit […] quasdam domos suas cum omnibus iuribus et pertinenciis suis retento jurisdictionem Hospitalis que sunt infra burgum Manuasce pro servitio… (56 H 4640 ; 6 octobre 1231). L’assiette coutumière du comtalage était de deux panneaux d’avoine prélevés sur chaque feu (G. de Tournadre, Histoire du comté, p. 146). 121 En 1338, une livre de poivre était prélevée sur chaque foyer juif (VGPSG, p. 336). Dans les comptabilités, en revanche, la « presa judeorum » ne semble pas régulièrement levée, tandis qu’une capitation pouvait frapper des individus en particulier (CoHMa, § 232, 284, 337). 122 Exemption du bladage, du comtalage et des cosses pour les nobles, avocats et notaires (LPM, no 1, p. 4). 123 56 H 4666 (29 juin 1262 ; 23 septembre 1265 ; 8 janvier 1275 ; 11 mars 1275 ; 1er mars 1280 ; 1er juillet 1284) ; 56 H 835, f. 28v (25 juin 1262) ; CoHMa, § 50 (2 juillet 1284), 57 (20 août 1284), 62 (24 septembre 1284), 70 (19 novembre 1284). 124 Ainsi qu’il ressort d’un procès où un certain B. Petrus contestait ce droit à l’Hôpital et à six autres propriétaires de la leyde (56 H 944, f. 19-21 ; novembre 1241-juin 1242). 125 En 1309 et en 1324, deux de ces fermiers juifs déposèrent plainte à la cour pour agression ( J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 74 ; et P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 226). La rancœur contre ces fermiers de la leyde fut sans doute davantage attisée par l’impopularité de la fonction que par la qualité de juifs. 126 F. Reynaud, La commanderie, p. 60. 127 Dans les comptabilités des années 1259-1263, les entrées étaient irrégulières et moindres encore, puisque celles-ci fluctuent entre 21 s. et 8 l. à chaque « presa lesde » (56 H 835, f. 3v, 16v, 18, 19r-v, 27, 31, etc.).

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juste espérer en tirer les 15,5 livres par an, employés, comme on l’a vu, pour financer sa fondation pieuse128. Sur la Durance, l’ordre contrôlait deux points de passage pour les hommes et les marchandises : les bacs (navis) de Rousset et de Villedieu129 (pl. 9). Les revenus étaient encaissés en deux termes : fin décembre-début janvier et juste à la dernière semaine de l’exercice comptable, entre fin mai et début juillet130. Dans les années 1280, la « preda navis » fournissait un revenu irrégulier qui fluctuait entre 7 et 20 livres annuelles. En 1338, les hospitaliers en escomptaient pourtant 35 livres, alors que les péages étaient désormais arrentés131. Les échanges marchands étaient grevés par toutes sortes d’autres taxes qui durent se heurter à une résistance sourde de la population jusqu’à ce que les syndics fissent valoir leurs revendications. Aussi la grande composition de 1293 octroya-t-elle un certain nombre d’allégements. Les cosses prélevées sur les ventes de céréales et de légumineuses furent réduites de moitié132. Le brocage, une redevance sur la vente de vin perçue sur quelques habitants seulement, fut converti en argent133. En 1262 déjà, à la suite d’une transaction arbitrée par un parterre d’éminents juristes, Bérenger Monge avait accepté de supprimer le banvin, cette période de quinze jours pendant laquelle le seigneur avait le monopole de la vente du vin134. Les prélèvements en lombes de porcs et en langues de bœufs sur les bêtes vendues au marché furent considérablement allégés également, puisqu’à partir de 1293, ils ne s’appliquèrent plus qu’à la viande fraîche vendue immédiatement135. Des ponctions

128 CGH, t. 4, no 3838 (11 juillet 1283). 129 Il s’agissait de deux villages sur la rive gauche, face à Manosque. Les droits sur le port de Rousset avaient été rachetés à la veuve du miles Guilhem de Costa (56 H 4669 ; 30 mars 1248). 130 CoHMa, § 24 (2 janvier 1284 : 6 l. 69 s.), 50 (2 juillet 1284 : 4 l.), 76 (31 décembre 1284 : 7 l. 31 s.), 96 (20 mai 1285 : 4 l. 15 s. 5 d.), 113 (16 septembre 1285 : 49 s.), 128 (30 décembre 1285 : 10 l. 58 s. 13 d.), 150 (2 juin 1286 : 6 l. 70 s.), 180 (29 décembre 1286 : 7 l. 68 s. 22 d.), 204 (5 juin 1287 : 178 s.), 232 (28 décembre 1287 : 6 l. 70 s. 6 d.), 253 (23 mai 1288 : 6 l. 65 s. 6 d.), 284 (26 décembre 1288 : 12 l. 28 d.), 308 (12 juin 1289 : 10 l. 2 s. 6 d.), 331 (20 novembre 1289 : 8 l. 46 s. 16 d.), 337 (1er janvier 1290 : 12 l. 8 d.). Les revenus des ports de Rousset et de Villedieu apparaissent également dans la comptabilité des années 1260 (56 H 835, f. 11, 16v, 27, 34v, 39v, etc.). 131 VGPSG, p. 336. Dans la première moitié du xiiie siècle, la gestion semble en avoir été confiée à un frère, si l’on interprète comme des noms de fonction, les mentions de Guillelmus de Navis et Bertrandus de Navis (cf. An. II, C-2). 132 LPM, no 36, p. 120 (31 août 1293). 133 LPM, no 36, p. 100, 102 et 116. 134 Arch. mun. de Manosque, Kc 7 (28 avril 1262). L’arbitrage fut conduit par Robert de Laveno, Raimond Ruf de Comps et le prévôt de Forcalquier Raimond Arditus, trois personnages bien attestés au service de l’État angevin (cf. la base prosopographique « Europange » : https://angevine-europe.huma-num. fr/ea/fr/base-officiers-angevins). Les syndics présentèrent un acte bullé du comte Guilhem II, en date du 12 février 1207, autorisant les hommes de Manosque à vendre leur vin n’importe quand. Cette clause n’avait, toutefois, pas été reprise par les franchises générales octroyées à la même date (LPM, no 1). De toute manière, il faut croire que les hospitaliers contournèrent cette généreuse concession car en 1316, les Manosquins se plaignirent que les frères écoulaient du mauvais vin pendant le banvin (LPM, no 52, art. 48, p. 182). 135 LPM, no 36, p. 102 et 118 (taxe déjà réglementée en 1234 : LPM, no 6, p. 20). Notons qu’en d’autres contextes, le prélèvement de longes de porc était un signe de servitude (M. Zerner, « Le nouveau servage », p. 998-999 ; et F. Michaud, « L’évolution de la condition paysanne », p. 76-77).

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en céréales visant les habitants relativement aisés furent réduites : le comtalage fut aboli pour les laboureurs qui s’acquittaient déjà du bladage (ou albergue), tandis que cette dernière taxe sur les animaux de trait fut diminuée au prorata du temps de travail136. D’autres taxes, enfin, tombaient dans l’escarcelle seigneuriale, comme la gabelle du sel (qui rapportait 8 livres en 1338) ou bien la chasse aux lapins, privilège que le seigneur voulait bien vendre à ses sujets137. L’Hôpital contrôlait les instruments de production que l’historiographie a coutume de rattacher à la seigneurie banale. Fours et moulins, on le sait bien, constituaient des investissements coûteux, qu’il fallait entretenir et dont le seigneur devait donc toucher les « dividendes », à la fois financiers et en termes de pouvoir symbolique. Depuis l’origine, l’Hôpital entretenait un four dans la ville et, dès 1232, le prieur de Saint-Gilles en personne consentit à réglementer le droit de fournage exigé des utilisateurs138. Mais cette unique installation finit par se révéler insuffisante et, au printemps 1288, Bérenger Monge accéda à la demande des prudhommes en concédant la construction de deux nouveaux fours139. L’opération était avantageuse pour la commanderie qui en afferma la gestion à un véritable entrepreneur, Guilhem Audeberti, chevalier de Saint-Michel, contre la moitié des revenus du fournage140. Sous l’égide du commandeur, les prudhommes s’engagèrent à financer la construction d’un véritable complexe avec zone de cuisson, entrepôt et étable, tandis que Guilhem Audeberti promettait d’en assurer le fonctionnement (entretien du fournier et des bêtes, approvisionnement en bois…). Les hospitaliers furent cependant tentés de revenir insidieusement sur certaines coutumes. Par l’accord de 1293, le commandeur dut s’engager à ne plus rien exiger sur la grande variété de tourtes que les habitants amenaient à cuire, sauf dans le cas où celles-ci devaient être vendues. L’approvisionnement en bois que les utilisateurs devaient par ailleurs assurer de la Saint-Jean à la Saint-Laurent fut remplacé par un droit d’un denier par setier de blé cuit. Ces clauses étaient valables pour l’ancien four comme pour le nouveau complexe de cuisson et, sur la pétition des syndics, Bérenger Monge dut encore s’assurer que le fournier, alors employé par le nouveau gérant Raimond Valentia, n’exigerait pas davantage que le denier par setier141. On voit donc que si la collectivité avait accédé à l’autogestion d’un outil fondamental, celle-ci avait toujours besoin du seigneur pour en réguler l’usage. 136 LPM, no 36, p. 100 et 116 (bladage déjà réglementé en 1234 : LPM, no 6, p. 22). 137 La venatio cuniculorum rapportait autour de 22 l. certaines années (CoHMa, § 76, 187, 284) ; VGPSG, p. 336 (jure salis). 138 56 H 4668 (11 septembre 1232). Le seigneur se vit confirmer le prélèvement d’un vingtième des pains cuits dans le four mais les habitants ne devraient rien pour la cuisson des tourtes. On entreposait également, dans ce four, le produit de la leyde (infra domum clibani Hospitalis in qua ponuntur lesde, 56 H 4640 ; 9 février 1234). 139 LPM, no 28, p. 78 (21 mai 1288). 140 56 H 4668 (22 novembre 1289). Ces nouveaux fours sont cités comme confronts dans le terrier de 1303 (56 H 1039, f. 23), tandis que l’enquête de 1338 confirme l’existence de trois fours (VGPSG, p. 334). 141 LPM, no 36, p. 98, 112 et 114 (31 août 1293). Ces clauses excluaient toutefois les habitants du castrum qui devaient le vingtième pour les tourtes cuites dans le four de la ville basse (villa) et qui devaient toujours l’approvisionnement en bois pour le four qu’ils utilisaient dans le castrum.

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L’office de preceptor molendinorum, qui était confié à un frère, suggère qu’au xiiie siècle, les moulins étaient encore exploités en régie directe142. En bordure de la Durance et du Largues, les hospitaliers avaient probablement ajouté, à ceux dont ils avaient hérité par donation comtale, de nouveaux moulins, reliés entre eux par des biefs en « moulins supérieurs » et « moulins inférieurs »143. Ces deux complexes comportaient des paroirs qui, dans les années 1280, donnaient un revenu régulier de 50 livres à la fin décembre144. Il y avait également des moulins à farine, servant aux besoins propres des hospitaliers et dont l’utilisation était imposée à la population145. Le droit de mouture fut, du point de vue du seigneur, non négociable car il n’apparaît pas dans les transactions avant 1316146. Pour l’époque qui nous concerne, il n’y a, hélas, pas grand-chose à tirer des mentions de ce revenu dans quelques comptabilités fragmentaires147. Au total, il n’est pas aisé d’évaluer ce que ces ponctions rapportaient exactement à la commanderie. La simulation que j’ai proposée au chapitre précédent sur trois années comptables permet d’estimer à 15% des revenus généraux une partie de cette fiscalité (fig. 13 ; tabl. 6). Mais il s’agit de données partielles car les prélèvements en nature – civadage, comtalage, fournage, mouture, cosses – n’apparaissent pas dans les comptes des années 1280. La pression fiscale parut, en tout cas, assez intolérable pour ressurgir au fil des compositions entre le seigneur et les habitants et surtout pour se trouver au cœur de l’accord de 1293. Dans un esprit de conciliation partagé avec l’autre partie, Bérenger Monge allégea certains prélèvements et accepta de confirmer les privilèges de la communauté148. Il faut dire que les syndics s’étaient plaints que les hospitaliers ne respectaient pas les libertés, franchises et statuts qui, dans le passé, avaient été accordés149. Sans doute avaient-ils en ligne de mire la charte de franchises de Guilhem II, qui bientôt figurerait en bonne place dans le Livre des privilèges, mais

142 En revanche, cela ne semble plus le cas dès le premier tiers du siècle suivant : il est probable que le « magister Hugo Menerii de Cadeneto, magister molendinorum Hospitalis » mentionné dans un procès en 1329, soit désormais un rentier laïque (56 H 979, f. 17, cité par J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 73). 143 S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré », p. 148-149. 144 De presa paratorum : CoHMa, § 24 (2 janvier 1284 : 45 l.), 76 (31 décembre 1284 : 50 l.), 128 (30 décembre 1285 : 50 l.), 180 (29 décembre 1286 : 50 l.), 232 (28 décembre 1287 : 50 l.), 272 (3 octobre 1288 : 12 l. et 16 s.), 284 (26 décembre 1288 : 22 l. et 14 s.) et 337 (1er janvier 1290 : moulin inférieur, 18 l. ; moulin supérieur, 23 l.) ; cf. aussi 56 H 835, f. 3v, 4v, etc. On ne sait si ces paroirs étaient affermés ou bien en gestion directe. 145 Les comptes mentionnent les frais de transport des grains au moulin, puis de la farine (CoHMa, § 53, 176, 178, 181, 198, etc. ; 56 H 835, f. 11v, etc.). 146 Les syndics se plaignirent à cette date des abus des meuniers qui, contre les statuts, prélevaient une poignadière de grains au 4e setier au lieu du 6e (LPM, no 52, art. 33, p. 177 ; 4 janvier 1316). 147 En 1241, le frère Rascacius utilisa la place offerte sur deux folios d’un registre judiciaire pour faire la liste des entrées perçues en numéraire sur les moulins supérieurs et inférieurs, à différents termes entre la Toussaint et la Saint Michel (56 H 944, f. 57v et 58v). Une génération plus tard, le journal de caisse du bayle fait état de réceptions de quantités de seigle et d’avoine pour le moulin et le four (56 H 2624, f. 3 et 42 ; 1275 et 1277). 148 LPM, no 36, p. 106 (…dicte partes volentes intendere vie pacis et vitare gravamina expensarum et invicem quiete et pacifice remanere…) et p. 122 (confirmation des libertés). 149 LPM, no 36, p. 104.

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dont les hospitaliers avaient obtenu l’abrogation. On a pensé plus haut qu’en 1212, les Manosquins semblaient s’être peu battus pour défendre leurs droits. Mais en 1293, l’universitas avait sans doute gagné en maturité politique, tandis que de nouvelles exigences, émanant cette fois-ci de l’État princier, venaient compliquer le jeu. Avec la question de la cavalcade, dans le cas particulier de Manosque, les exigences princières interférèrent avec la fiscalité seigneuriale150. « L’histoire de la cavalcade, [qui] est un peu l’histoire du pouvoir à Manosque durant ces années », a fait l’objet d’une analyse approfondie de Michel Hébert qu’il me suffira de résumer ici151. La possibilité de lever la cavalcade sur les hommes était une prérogative attachée à la seigneurie majeure152. Parallèlement, la cavalcade fut au cœur de l’important accord intervenu en 1262 entre l’Hôpital et Charles Ier, qui cherchait lui-même à imposer l’effectivité de cette obligation à ses vassaux directs153. Le comte obtint l’aide militaire de l’Hôpital qui s’engagea à fournir pendant quarante jours cent piétons et dix cavaliers, entretenus par les commanderies de Manosque et de Gap, ainsi qu’à remettre, si besoin, un certain nombre de ses fortifications. Immédiatement à la suite de ces clauses militaires, le comte s’engageait à n’exiger aucun subside, queste ou fouage dans les seigneuries hospitalières, ce qui confirme que la cavalcade doit se comprendre dans le cadre général du système fiscal rattaché à la seigneurie éminente. Cette levée militaire n’avait rien de théorique et elle explique pourquoi la population était effectivement, quoique médiocrement, armée154. Or, Michel Hébert a montré comment l’Hôpital se déchargea entièrement de cette obligation sur les habitants de Manosque155. Ces derniers, qui devaient déjà la cavalcade propre à l’Hôpital, avaient donc été requis de contribuer en sus aux levées comtales. Les Manosquins s’étaient d’abord exécutés de bon gré. Mais, face à la crainte que cette aide comtale répercutée par l’Hôpital ne devienne systématique, la cavalcade avait été placée au nombre des doléances exprimées lors de l’accord de 1293156. De fait, les hospitaliers avaient, semble-t-il, tenté de transformer la cavalcade due au comte en impôt annuel. Il est d’ailleurs fort probable qu’une partie au moins des questes levées par le bayle, et contre lesquelles l’universitas s’était justement élevée l’année précédente, ait été

150 À partir des Angevins et notamment de Charles II, la ponction étatique justifiée par les guerres d’Italie s’est considérablement accrue. Michel Hébert en a rappelé les incidences sur la fiscalité municipale (M. Hébert, « Le système fiscal des villes », p. 61-63). 151 M. Hébert, « Autour de la cavalcade », p. 141-147 (p. 144 pour la citation). 152 Cette prérogative fut notamment confirmée à l’Hôpital en 1216, par l’arbitrage déjà cité relatif à la juridiction sur les hommes relevant du prieuré Sainte-Marie (B. Guérard, Cartulaire de Saint-Victor, t. 2, no 995). 153 CGH, t. 3, no 3035, p. 37-39 (28 juillet 1262). 154 M. Hébert, « Une population en armes : Manosque au xive siècle », in M. Balard (dir.), Le combattant au Moyen Âge, Nantes, 1991, p. 215-226. L’analyse repose sur un inventaire de l’armement (56 H 604) que l’auteur date des années 1359-1374, alors que Félix Reynaud situait ce registre en 1301, en l’attribuant au « sens de l’organisation de Bérenger Monge » (F. Reynaud, La commanderie, p. 163). D’autre part, M. Hébert, p. 223, s’appuie sur un statut de 1235 réglementant le port d’armes pour suggérer que, dès cette époque, circulait parmi la population une grande variété d’armes (LPM, no 14, p. 56 ; 14 mars 1235). 155 M. Hébert, « Autour de la cavalcade », p. 144-146. 156 LPM, no 36, p. 96 (vi petitio : de cavalcatis) et p. 108, 110, 112 (Definitio cavalcatarum).

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justifiée par cette aide militaire157. Non contents de conjurer, au moins provisoirement, cette logique de fiscalisation de l’aide militaire, les habitants avaient encore obtenu d’être exemptés de la cavalcade due à l’Hôpital chaque fois que serait effectivement levée l’aide comtale. Avec la haute justice, la cavalcade constitua donc bien l’un des leviers par lesquels le pouvoir souverain « grignotait » peu à peu les prérogatives des seigneuries locales158. Cette intrusion se lit d’ailleurs dans le Livre des privilèges où l’universitas, forte de ses récentes conquêtes sur la seigneurie, fit figurer un certain nombre de statuts promulgués par l’État angevin159. Le Livre des privilèges et le corpus statutaire

Le Livre des privilèges est une pièce fondamentale, non seulement pour écrire l’histoire de Manosque au Moyen Âge, mais encore pour comprendre comment une forme d’identité urbaine a pu se cristalliser et se transmettre de génération en génération160. Bien que ce cartulaire municipal ait été conçu quelques années après le gouvernement de Bérenger Monge, l’empreinte du commandeur est bien trop présente au fil des feuillets pour s’interdire d’évoquer ce monument. L’édition de Marie-Zéphirin Isnard, si elle porte bien sûr les marques de son temps, apporte les données essentielles pour cerner la genèse et l’organisation d’ensemble du manuscrit161. La rédaction principale intervint peu de temps après les statuts accordés par Hélion de Villeneuve en janvier 1316 (LPM, no 52), tandis que dans les deux ou trois décennies qui suivirent, onze actes furent rajoutés sur les feuillets laissés vierges (cf. An. I, C). La particularité est que tous les actes copiés lors de la première rédaction furent doublés

157 LPM, no 34, p. 90 et 92 (31 octobre 1292). La composition sur les catégories exemptes envisage tout à fait la levée de « talliis, quistis, collectis, factis […] pro cavalcata et cavalcatis facienda et faciendis dicto Hospitali et domino comiti Provincie et Forcalquerii » (LPM, no 40, p. 138 ; 1er septembre 1293). Relevons que l’accord de 1262 entre Charles Ier et l’Hôpital avait prévu une amende de 10 l. par cavalier et 20 s. par piéton en cas de défaillance de la levée (CGH, t. 3, no 3035, p. 38). Or, cette clause n’ouvrait-elle pas déjà la voie à une commutation du service armé en taxe monétaire ? 158 L’affaire de la cavalcade se prolongea bien au-delà du mandat de Bérenger Monge mais, dans ce jeu à trois entre le pouvoir princier, l’universitas et l’Hôpital, c’est bien la raison d’État qui s’imposa au détriment du pouvoir seigneurial. Sur les suites : M. Hébert, « Autour de la cavalcade », p. 147-153. 159 LPM, no 22 (statut du sénéchal sur la monnaie ; 21 août 1267), 45 (statut de Charles II sur les saisies ; 9 avril 1289), 49 (lettres de Charles II sur les seconds appels ; 4-27 décembre 1307). 160 Une main du xviie siècle portée sur la couverture du registre ne mentionne-t-elle pas d’emblée, au sujet de son origine, « la tradition entienne de père en fils » ? (LPM, p. v). 161 LPM, p. v-x. Il faut rappeler que l’éditeur a entièrement réorganisé l’ordre des actes compilés dans le cartulaire. Inspiré par une démarche philologique, il a cependant signalé en notes les rajouts portés sur le manuscrit après la première rédaction, ainsi que les variantes par rapport aux chartes originales – dont la liste est donnée p. 237-240. Ces renseignements ont été clarifiés et replacés dans le processus plus large de « cartularisation » des privilèges municipaux par M. Hébert, « Les cartulaires municipaux de Provence à la fin du Moyen Âge. Jalons pour une enquête », L’écrit et la ville, Memini. Travaux et documents, 12 (2008), p. 43-83 et 77-80 – annexe v : analyse du registre reproduite ici en annexe An. I, C. J’ai moi-même rapidement évoqué ce cartulaire dans la perspective d’une concurrence mémorielle entre la communauté et le seigneur hospitalier (D. Carraz, « Aux origines de la commanderie de Manosque », p. 163-164).

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de leurs versions en langue d’oc, regroupées en trois ensembles (f. 29-49, 73-92 et 125-151). Il est bien établi, en effet, qu’immédiatement après leur publication, les trois actes passés entre août et octobre 1293 (no 36, 38 et 40) furent traduits en vernaculaire par le notaire Audebert Gaudius (Gauzis), à la requête de Peire Bisquerra et de Raimond de Fonte (R. de la Font), parce que « li majers partz dels homes d’aquellas universitats entent mieills romans que latin »162. L’autre point à relever, replacé dans le contexte de ce second moment des libertés municipales, est la précocité avec laquelle l’universitas manosquine se dota d’un cartulaire municipal163. Rappelons en effet que l’Hôpital n’avait encore accordé aucune instance représentative permanente et que les habitants venaient seulement d’obtenir la possibilité, sous l’étroite surveillance seigneuriale, de choisir des cominaux. C’est probablement à ces derniers que revînt l’initiative de la confection du Livre des privilèges164. On ne saurait sous-estimer l’importance que ces élites citadines accordaient déjà à l’écrit. Damase Arbaud éclaire d’ailleurs les prémices immédiates du cartulaire municipal. Dès l’automne 1313, le syndic de l’universitas avait déjà fait enregistrer par la cour d’Aix les actes consignant les libertés fondamentales165. Sûrement se soucia-t-on, déjà, de conserver en lieu sûr les documents fondamentaux, puisque les archives municipales disposent toujours des originaux des chartes comtales, des bulles magistrales et des compositions avec l’Hôpital – sans compter les vidimus et autres copies modernes166. Point n’était besoin, donc, d’un syndicat permanent pour penser une certaine continuité administrative et juridique. Mais comment aurait-il pu en être autrement, lorsque l’on sait la place qu’occupèrent juristes et notaires parmi les prudhommes167 ? Face à l’esprit « bureaucratique » et procédurier des hospitaliers, 162 LPM, no 37, p. 127 (citation), no 39, p. 133 et no 41, p. 147 = traductions respectives des no 36, 38 et 40. Peire Bisquerra est désormais une figure familière, tandis que Raimond de Fonte, signalé comme syndic en 1293 et 1316, compta parmi les prudhommes les plus en vue (fig. 15). Clovis Brunel faisait de la traduction d’Audebert Gaudius le plus ancien texte en vulgaire du département, ce qui n’est pas tout à fait exact (C. Brunel, « Les premiers exemples de l’emploi du provençal dans les chartes », Romania, 48 (1922), p. 337). 163 Le Livre des privilèges est le plus ancien cartulaire représentatif de cette phase, parfois dite des « communes de syndicat » (M. Hébert, « Les cartulaires municipaux », p. 43). 164 Les cominaux élus le 6 janvier 1316 étaient P. de Fonte, Amisardus Mercerii, Bertrandus Robaudi et Andreas Obrerii (LPM, no 56, p. 192). 165 LPM, no 2, 4, 43, 47, 50, 51 ; D. Arbaud, Études historiques, p. 27-28. L’auteur évoque « deux sentences arbitrales de 1234 », la seconde étant sans doute l’accord entre l’Hôpital et le prieuré Notre-Dame qui ne fut pas repris dans le cartulaire (56 H 4629 ; 15 novembre 1234). Arbaud regrettait, en revanche, que la charte du consulat (no 1) ne figurât pas parmi les actes authentifiés en 1313 et qu’elle ne fût pas copiée non plus dans la première rédaction du cartulaire – « celui [= Guilhem II] qui a organisé son consulat et son conseil est seul oublié » devait-il déplorer. Ce diplôme fondateur fut, finalement, rajouté peu de temps après sur les premiers folios laissés vierges : il ouvre donc bel et bien le Livre des privilèges. 166 En limitant l’inventaire au xiiie et au début du siècle suivant : chartes des comtes de Forcalquier : LPM, no 1 et 2 = Aa 1 et 3 ; bulles magistrales : no 43, 47 et 51 = Ab 1-3 ; transactions entre l’universitas et l’Hôpital : Bb 1-7 ; confirmations des maîtres : Bb 9-10 (absentes du LPM). Notons que l’acte de Jean de Villiers a fait l’objet d’une curieuse falsification, puisque la bulle magistrale originale a été remplacée par la bulle du comte Guilhem II (Ab 1 ; 21 août 1286). 167 Comme bien d’autres cartulaires municipaux, le Livre des privilèges porte à la fois la marque de l’ars notariæ et de « pratiques d’écriture locale […] perméables à la langue vulgaire ». Le cartulaire de Manosque pourrait sûrement être soumis à une analyse stylistique et linguistique semblable à celle que Benoît

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sans doute les habitants comprirent-ils assez tôt les enjeux liés à la preuve écrite. Ainsi, la composition de janvier 1316 s’assura-t-elle que les hospitaliers conserveraient bien, à l’avenir, l’attestation des services requis des habitants, au cas où surviendrait une contestation en justice168. Comme souvent, sans doute s’agissait-il d’entériner des pratiques déjà habituelles : on a bien vu, en effet, que les hospitaliers n’avaient pas attendu l’aube du xive siècle pour multiplier listes et inventaires. En revanche, le renversement de situation mérite ici attention, car c’était aux habitants, désormais, d’exiger des preuves et des comptes au seigneur. Le principe d’une seigneurie administrative était décidément entré dans les mœurs… En cernant ainsi le contexte socio-culturel qui a vu la fabrication du Livre des privilèges, on comprend mieux à quel point celui-ci représentait une arme juridique, replacée dans une véritable perspective historique, au service de la reconquête des libertés urbaines. Il renfermait en même temps le corpus de jurisprudence de la collectivité. Ce souci de compilation et de mise en ordre ressort avec éclat de l’index capitulorum, une véritable table des matières raisonnée qu’une main du xive siècle rajouta au manuscrit169. Certes, selon une lecture classique, le Livre des privilèges peut donc être vu comme un monument d’archives qui contribua à graver dans le marbre les libertés des Manosquins170. Mais, comme en témoigne justement la table des matières servant à la recherche documentaire, sans doute s’agissait-il tout autant d’une œuvre utilitaire destinée à circuler. Cette impression est confortée par l’existence d’autres cahiers de parchemin présentant la même facture soignée et regroupant des extraits de ce corpus statutaire171. L’idée de « corpus statutaire » s’applique bien, en effet, au Livre des privilèges qui regroupe des textes normatifs de genres variés et puisant à diverses sources : des statuts proprement dits, certes, mais aussi des franchises et des privilèges172. La table

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Grévin a entreprise sur le cartulaire de Digne (B. Grévin et F. Varitille, « Mémoire municipale et culture notariale. Le cartulaire doré de Digne », Provence historique, 66 (2016), p. 228-236, et p. 228 pour la citation ci-dessus). On demanda au seigneur de tenir plusieurs registres différents : l’un consignant les cens acquittés, pour lesquels les tenanciers pourraient exiger des quittances (apodixas), et l’autre pour les corvées effectuées (LPM, no 52, p. 176-177, art. 32 et 34). Marie-Zéphirin Isnard l’a placée entre son introduction et l’édition proprement dite où elle est paginée de A à F. J’ignore quand est apparu ce titre de Livre des privilèges qui ne figure pas dans le manuscrit. Damase Arbaud – qui avait déjà édité de larges extraits du cartulaire dans les « preuves » de ses Études historiques – l’utilise déjà, avant que l’édition de Marie-Zéphirin Isnard ne lui donne son caractère « officiel ». 56 H 4673 (= LPM, no 14-15) ; Bb 3 (= LPM, no 37 et 39). Ces textes épars, que la facture – gothique textualis aux lettrines rouges sur parchemin – rattache sans doute à un même ensemble, mériteraient d’être plus complètement recensés. D’autres actes fondateurs ont été enregistrés sur cahiers de parchemin, avec une écriture plus cursive (Bb 5 = LPM, no 52). En réaction à une approche juridique qui contribua à figer les typologies documentaires, la notion englobante de corpus statutaire a paru plus opératoire aux historiens désireux de fonder d’abord leur réflexion sur la matérialité et sur la fonction des sources normatives (cf. là-dessus : Codicologie et langage de la norme dans les statuts de la Méditerranée occidentale à la fin du Moyen Âge (xiie-xve siècles), Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 126-2 (2014) ; et, plus particulièrement utile pour mon propos,

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des matières, dont la remarquable clarté trahit sûrement l’esprit d’un juriste, distingue en effet : « privilegio magno », « privilegio parvo », « compositione », « statutorum » et même « petitiones Hospitalis »173. Au sein de cette belle classification, se trouve une section intitulée « Summa statutorum factorum per dominum Berengarium Monachi », qui rappelle à tous que Bérenger Monge a effectivement laissé une œuvre normative. Tandis que le registre a conservé quatre actes comportant des statuts attribués au commandeur, l’index capitulorum recense par ailleurs une douzaine d’items174. Toutefois, le cartulaire transmet probablement un témoignage fort partiel de l’activité normative développée sous le préceptorat de Bérenger Monge. En effet, les jugements de la cour, qui fondaient justement l’action judiciaire sur un ensemble de textes législatifs – statuts, criées, ordonnances –, montrent bien que toute une part de la réglementation n’a pas été conservée par ailleurs175. N’oublions pas que ces règlements étaient, en premier lieu, publiés et diffusés à l’oral : c’était bien la proclamation ordonnée par le seigneur qui rendait concrète et opératoire la promulgation de la loi176. Il est donc possible que les statuts étaient lus devant l’assemblée des habitants, comme cela se pratiquait dans les communes de Basse-Provence177. Cependant, à ma connaissance, on n’a aucune trace de convocation de parlement général par les hospitaliers dans ce contexte. Bien mieux attestée, la criée était sans doute le principal canal de diffusion de l’information. Médiatisant la « voix des dominants », cette pratique a en effet représenté un enjeu majeur dans l’occupation de l’espace public par l’autorité seigneuriale. Il n’est donc pas étonnant qu’à partir du xive siècle, lorsque l’État monarchique entreprit de limiter les prérogatives judiciaires de l’Hôpital, les contentieux se cristallisèrent en partie sur l’exercice des criées178. La communauté n’était pas en reste qui, dès 1302, se fit confirmer l’obligation pour le bayle de consulter les prudhommes avant toute proclamation179.

dans ce même volume : É. Anheim et alii, « La notion de libri statutorum : “tribut philologique” ou réalité documentaire ? Les statuts communaux du Moyen Âge conservés pour l’actuel département de Vaucluse », p. 447-460). 173 LPM, p. A-F. 174 LPM, no 18, p. 66, 68 (Statuta contra Judeos ; 14 février 1262), no 20, p. 68, 70, 72 (Statuta super creditoribus et debitoribus ; 1264), no 26, p. 76 (Hoc est statutum de denario Dei ; 7 mars 1275), no 28, p. 78 et 80 (statuts sur les fours, les jeux, auvents, lattes, vignes franches et comtalages ; 21 mai 1288) ; et p. C-D. 175 …contra preconizationem factam, contra statuta Manuasce temere veniendo, contra statuta et jura municipalia loci Manuasce… (cité par R. Lavoie, « Justice, morale et sexualité à Manosque (1240-1430) », in M. Hébert (dir.), Vie privée et ordre public, p. 14). 176 Sur ce caractère de la parole fondatrice de la vérité du droit : M. Grinberg, Écrire les coutumes, p. 73. 177 À Avignon, les statuts étaient lus trois fois par an devant le peuple rassemblé (N. Leroy, Une ville et son droit, p. 409). 178 56 H 4653 (3 décembre 1306 : lettres de Charles II donnant raison à l’Hôpital en défendant au juge de Forcalquier de faire des criées à Manosque). Aux Arch. mun., la boîte Kc 1-27 contient encore plusieurs litiges sur les criées concentrés sur les années 1320. On observe exactement le même phénomène pour la proche seigneurie de Puimoisson : 56 H 4837 (31 janvier 1301) ; 56 H 4839 (14 février 1308). 179 Cet acte du 7 mai 1302 fut exhibé comme preuve par le procureur de l’universitas dans le procès-fleuve de 1377, justement enclenché par une plainte de l’universitas contre le bayle et le juge de l’Hôpital qui avaient fait proclamer des criées « contre les privilèges, libertés, franchises, coutumes, usages de la ville » (Ff 13). Mais, pour être tout à fait honnête, l’acte se réfère en réalité, non aux prudhommes, mais

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Au-delà de la proclamation, la question de la mise à l’écrit oblige à envisager un double problème : la relation entre oral et écrit d’une part, la relation entre langue vulgaire et latin d’autre part180. Dans cette relation impliquant le crieur et le notaire, Michel Hébert a relevé deux types de situation : soit le crieur lisait un texte déjà établi en latin par le notaire, mais sous une forme adaptée en vulgaire ; soit la rédaction du statut in forma publica intervenait à l’issue de la criée181. À ma connaissance, pour le xiiie siècle, peu de textes de criées ainsi publiés par acte notarié ont été conservés sous leur forme originale182. En revanche, dans le cas de Manosque, les témoignages se multiplient pour le siècle suivant, alors que les criées étaient désormais enregistrées dans des cahiers, selon une périodicité annuelle. Quelques-uns de ces cahiers en papier ont effectivement été conservés183. D’autre part, ces « registres des criées annuelles » sont régulièrement signalés dans les inventaires car ces pièces attestaient les droits juridictionnels de l’Hôpital dans les procès incessants que ce dernier dut affronter contre la communauté184. On l’a vu au chapitre précédent, c’est vraiment le xive siècle qui inaugura diverses séries d’enregistrement (terriers, enquêtes, comptabilités) et il est donc difficile d’affirmer que de tels registres de criées ont existé dès l’époque de Bérenger Monge. Les règlements proclamés durent plutôt être conservés sous forme d’instrumenta preconisatione, avant de se trouver reportés, pour les statuts les plus emblématiques seulement, dans le cartulaire municipal. La fabrique de la norme représente, dans ce cas, une illustration parfaite de la notion

aux « consilium et sexaginta hominum electorum dicti loci ». Or, ceci pose un problème de chronologie puisque ce conseil ne se réunit, on l’a vu, qu’à partir de 1334. S’agit-il d’une interpolation du document par les Manosquins qui se référaient au consulat concédé en 1207 ou d’une véritable zone d’ombre dans la préhistoire du conseil municipal ? 180 Sur ce second point, comme il est inconcevable que les criées aient été prononcées autrement qu’en langue vernaculaire, les versions occitanes des statuts figurant dans le Livre des privilèges sont très probablement antérieures aux premières traductions d’Audebert Gaudius, réalisées à partir de 1293 (LPM, no 19, 21, 27 et 29). 181 M. Hébert, « Voce preconia : note sur les criées publiques », p. 697-698. Cependant, il n’est pas toujours aisé de préciser ce qui relève du premier ou du second cas, comme pour cet exemple : le 3 décembre 1353, le bayle Bertrand de Sénas ordonna au crieur de proclamer plusieurs statuts relatifs aux rèves imposées sur le marché et aux mesures en usage. À son retour, le crieur déclara qu’il avait effectué les criées au notaire de la cour, lequel authentifia le texte des criées avec le seing de la cour (cachet de cire) : ego […] notarius curie Manuasce sumpsi et signo ipsius curie Manuasce signavi preconisationes messium (Ff 13 ; analyse du procès de 1377). Ces pratiques doivent être confrontées aux citations à comparaître en justice où la criée était enregistrée dans le cours de la procédure (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 89-91). 182 On en connaît, par exemple, pour la juridiction templière de Montfrin où le commandeur, en tant que seigneur, ordonnait au notaire la rédaction de la criée (56 H 5260 ; 25 novembre 1289). 183 56 H 890 (1334-1335) ; 56 H 891 (1353-1355) ; 56 H 892 (1359-1361) ; 56 H 893 (xve siècle). Ces registres de criées étaient conservés dans les archives de la cour, puisque c’est au greffier de justice que le crieur déclarait avoir accompli sa mission. 184 Dès le procès de 1377, furent exhibés « sex cartularia in papiro de scripta preconisationes continentia » (Ff 13). Mentions dans les inventaires modernes : 56 H 69 (1656) : registres pour les années 1320-1344, 1334-1340, 1359-1366 ; 56 H 878, 4e cahier (xviie siècle ?), p. 15 : registres des années 1359-1360 et 1361. Il existait toujours, néanmoins, des « instrumenta preconisatione » (56 H 68, f. 417v ; novembre 1354).

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de chaîne d’écritures185. D’abord consignée en latin sur parchemin et reportée en provençal sur un autre support à l’usage du crieur, chaque décision réglementaire était finalement enregistrée sur un cahier annuel. Quelques statuts accédèrent encore à la mémoire perpétuelle en intégrant le corpus du jus proprium consigné dans le Livre des privilèges. À ce stade, ces règlements nous sont parvenus sous une forme déjà passablement retravaillée et réécrite, puisqu’ils regroupent dans un même acte des articles sûrement édictés à différents moments et dans des circonstances variées. Par exemple, les capituli qui se trouvent sous le titre « Statuta contra judeos » ne concernent pas tous spécifiquement les juifs186. De même, le titre no 28 compile des décisions affectant diverses affaires, qui ne furent probablement pas toutes proclamées à la date du 21 mai 1288, indiquée dans le protocole initial de l’instrumentum. On a donc affaire, comme toujours dans ce type de recueil, à une véritable stratification de la norme, encore compliquée ici par les manipulations de l’éditeur au xixe siècle187. Dans les villes du Midi, les modalités du partage de la potestas statuendi entre les communautés et leurs seigneurs reflétaient le degré d’autonomie accordé aux habitants188. Or, à Manosque, ces statuts furent effectivement présentés comme le résultat de la volonté commune du commandeur et du conseil des prudhommes189. Parfois même, fut mise en scène la requête expresse des habitants, à laquelle accédait le seigneur, dans sa grande magnanimité, pour « l’utilité commune »190. Toutefois, on a vu comment derrière cette unanimité de façade, se jouait un rapport de force entre la communauté et l’Hôpital qui, sans doute, tenta à l’occasion de passer outre le contrôle des prudhommes191. Dans la première moitié du xive siècle, du reste, telle qu’elle est introduite dans les criées, l’énonciation de la norme relève clairement

185 Appliquée aux criées montpelliéraines, la notion a révélé un schéma plus complexe que n’a pu le faire mon approche un peu rapide de la situation manosquine (P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit, p. 394-402). 186 LPM, no 18. M. Hébert pense que le préambule initial, qui évoque les « statuta… contra judeos ville Manuasche et pro christianis ejusdem ville », est une interpolation du xive siècle (M. Hébert, « Les étrangers à Manosque », p. 104). 187 En effet, Marie-Zéphirin Isnard a parfois pris la liberté de rajouter un titre aux statuts, en s’inspirant sans doute de la table élaborée au xive siècle. 188 A. Rigaudière, « Réglementation urbaine », p. 35-43. En ce sens, le Livre des privilèges ne saurait être comparé aux livres des statuts des grandes communes provençales (notamment Arles, Marseille et Avignon), plus précoces et surtout beaucoup plus développés (N. Leroy, Une ville et son droit, p. 357-430). 189 LPM, no 18, p. 66 (Hec sunt statuta que facta fuerunt per dominum Berengarium Monachum […] cum consilio proborum hominum de Manuasca) ; no 26, p. 76. 190 …dominus Berengarius Monachus, preceptor […] in Manuasca, pro communi utilitate et bono statu universitatis et hominum Manuasce, convocatis ibidem pro habendo consilio ad infrascripta statuta condenda probis hominibus infrascriptis, scilicet… (LPM, no 20, p. 68 ; 1264) ; et no 28, p. 78. Sur le topos de la potestas statuendi exercée « pro communi utilitate » : A. Rigaudière, « Réglementation urbaine », p. 41-42. 191 Si l’on disposait d’un corpus plus important, peut-être que les lieux d’enregistrement de la norme révéleraient un certain état des rapports de force : en 1261, Bérenger Monge dut se déplacer dans l’église Saint-Étienne où les prudhommes se réunissaient parfois ; tandis qu’en 1275 et 1288, l’acte fut passé devant la porte de fer du palais, en l’absence de tout représentant officiel de l’universitas parmi les témoins (LPM, p. 68, 76 et 80). Mais il est difficile de tirer des conclusions d’un aussi maigre échantillon.

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de la prérogative seigneuriale192. Aussi n’est-il pas sûr que s’en tenir ici au mandat de Bérenger Monge soit des plus pertinents et ceci pour deux raisons : d’abord, on l’a dit, l’aperçu que l’on peut avoir de son activité apparaît fort tronqué ; surtout, il semble délicat de dégager une logique dans l’établissement de la norme à l’échelle d’une seigneurie comme Manosque, en se limitant à un segment chronologique relativement court. Malgré tout, il n’est pas sans intérêt de donner un aperçu des affaires quotidiennes qu’un seigneur majeur pouvait avoir à traiter à l’échelle d’une vie193. Deux préoccupations se dégagent des statuts de Bérenger Monge inscrits dans le cartulaire : les relations avec les juifs et la régulation de la vie économique, essentiellement traitée au prisme de la question fiscale. Les articles sur le comtalage, les lates, les redevances exigées des productions sur les terres « franches » étaient autant de gages concédés à la communauté194. En tant que seigneur, l’Hôpital devait garantir la régularité et la probité des transactions, quelles qu’elles fussent, accomplies dans l’espace public. C’était donc à ce titre, autant que par le prélèvement des impôts indirects, que se justifiait la surveillance de la vie économique. Le statut sur le « denier de Dieu » permettait ainsi de garantir les engagements contractuels dans les transactions immobilières, puisque toute rupture de contrat apportait une amende de 10 sous à la cour de l’Hôpital195. On a en outre évoqué, au sujet de l’encaissement des taxes de mutation et du droit de prélation, les enjeux représentés par la surveillance du marché foncier. On imagine donc que la mesure offrait une possibilité supplémentaire au seigneur pour intervenir, si besoin, dans les transactions entre particuliers. Les intérêts des hospitaliers sur les lieux de commerce vont dans le même sens : lui-même propriétaire de plus d’une cinquantaine d’étals, le seigneur prélevait encore toute une panoplie de taxes sur les produits vendus. La norme statutaire lui donnait donc les moyens, dans la visée du bien commun, d’assurer l’approvisionnement comme la qualité des produits et de contrôler les prix, tout en veillant à ses propres rentrées fiscales. Au xive siècle, la cour traquait ainsi les contrevenants aux statuts sur le versement des tasques, l’exportation de céréales ou bien les mesures sur le marché196. Il n’y a pas de raison de croire que

192 Les criées commencent invariablement ainsi : Mandamentum est domini preceptoris et sui bajuli quod… (56 H 890, f. 51v ; criée du 12 octobre 1338, citée par M. Hébert, « Travail et vie urbaine », p. 164, n. 16, et p. 155). 193 Je ne considère ici que les statuta proprement dits, c’est-à-dire la norme proclamée au quotidien. J’exclus donc à ce stade du propos les statuts relevant de la justice et surtout les grandes compositions entre le seigneur et la communauté qui furent bien productrices d’une codification, mais dont plusieurs aspects, relatifs à la fiscalité ou à la gestion du territoire, ont déjà été évoqués. 194 LPM, no 28 (21 mai 1288). Sur les deux dimensions du droit de late : M. Hébert, « La justice dans les comptes de clavaires de Provence. Bilan historiographique et perspectives de recherche », in J.-P. Boyer et alii (dir.), La justice temporelle dans les territoires angevins, p. 213-214. 195 LPM, no 26 (7 mars 1275). Il est possible, comme le supposait déjà Damase Arbaud, que cette mesure fût justifiée par un emballement des transactions foncières dans le dernier tiers du xiiie siècle (D. Arbaud, Études historiques, p. 54-55). Comme on l’a rappelé au chapitre précédent, l’Hôpital n’était pas le seul à accumuler un capital foncier, car marchands et laboureurs aisés investissaient également dans la terre. 196 C’est le cas des criées de 1335 et 1353 citées comme preuves dans le procès de 1377 (Ff 13).

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ces préoccupations aient été absentes de l’esprit de Bérenger Monge, lui qui entreprit justement de réaménager les lieux dévolus au marché197. La réorganisation du marché supposa probablement que l’on s’intéressât aussi aux marchands. Cependant, force est encore de constater que c’est seulement à partir du siècle suivant que la régulation seigneuriale, concernant notamment les métiers de l’alimentation, a laissé des traces documentaires significatives198. Plus prégnante, en revanche, apparaît l’attention accordée au crédit et à ses dérives possibles par une série de statuts promulgués dans les années 1260199. Les travaux d’Andrée Courtemanche et de Joseph Shatzmiller ont rappelé comment, dès le xiiie siècle, le crédit irriguait les échanges locaux, souvent dans un contexte de précarité des foyers les plus vulnérables200. On chercha ainsi à interdire les intérêts usuraires et à encadrer l’estimation des biens meubles pris en gage aux débiteurs en cas de défaut de remboursement201. Mais comme la surveillance du crédit se focalisa aussi sur le cas des juifs, il faut brièvement résumer ici la situation de cette communauté202. Estimée à une bonne centaine d’individus, l’universitas judeorum, qui disposait d’une relative autonomie sous la surveillance de l’Hôpital, était parfaitement intégrée à la vie sociale203. Alors que certains vivaient parmi les chrétiens hors de la jusateria – notamment dans les quartiers du palais et de la Saunerie –, les juifs ne faisaient l’objet d’aucune discrimination particulière de la part de la justice204. Si une fiscalité spécifique pesait sur leurs foyers, il semble bien que certaines formes de domination transposaient celles que le seigneur imposait à ses obligés de confession chrétienne. Le statut d’« homme de l’Hôpital » pouvait 197 En attendant de revenir sur ce point : S. Claude, « Impact et limites de la seigneurie de l’Hôpital sur l’évolution et les dispositions du paysage urbain à Manosque (xiiie-xive siècles) », in D. Carraz (dir), Les ordres militaires dans la ville médiévale (1100-1350), Clermont-Ferrand, 2013, p. 283. 198 Michel Hébert a analysé en ce sens le premier registre des criées conservé pour les années 1334-1341 : sur 210 criées, 24 réglementent le travail et les métiers, parmi lesquels courtiers, bouchers et poissonniers font l’objet d’une attention particulière (M. Hébert, « Travail et vie urbaine », p. 152-157). En 1303, la cour intentait un procès contre une dizaine de bouchers accusés de vendre de la viande au-dessus des cours autorisés (56 H 59, f. 42 et suiv. ; 4 septembre 1303 ; éd. L. Stouff, Ravitaillement et alimentation, p. 337-338, PJ no 28). 199 Encore une fois, le cartulaire municipal ne suffit en aucun cas pour donner une image complète de l’encadrement légal du crédit à Manosque. Ainsi, certains statuts relatifs au crédit sont seulement signalés par le biais des jugements qui s’y réfèrent ( J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé, p. 24 et 225n). 200 A. Courtemanche, « Les femmes juives et le crédit » ; Ead., La richesse des femmes, notamment p. 32-34 et 130-139 ; J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. 201 LPM, no 18 (14 février 1262) et no 20 (1264) ; cf. F. Reynaud, La commanderie, p. 54. 202 D. Iancu-Agou, Provincia judaica. Dictionnaire de géographie historique des Juifs en Provence médiévale, Paris-Louvain, 2010, p. 77-83. 203 La synagogue, que les historiens situent dans le quartier des Payans, occupait une simple maison aménagée à cet effet. Ce bâtiment, qui relevait de la directe de l’Hôpital, était sous-accensé à la communauté juive par le vicaire de Saint-Sauveur : Item domum in qua faciebant judei sinagogam ad servicium vi s. vi d. que confrontatur cum duabus carreriis publicis et cum domo Jacobi Laurencii quondam. (56 H 1039, f. 5v ; 1303). 204 J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, notamment p. 74, 81, 100 et 115-118. Les travaux postérieurs sur la justice rejoignent ce constat : P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 71 ; S. Bednarski, Curia. A Social History, p. 160-161.

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ainsi être appliqué à des juifs. Celui-ci engendrait, certes, quelque rapport de dépendance et était sanctionné par une capitation assez lourde. Mais il pouvait impliquer, entre l’homo Hospitalis et son seigneur, une relation privilégiée que l’on devine, par exemple, dans le cas d’Abraham de Grasse, un individu très présent dans la documentation des années 1280205. Bien sûr, les juifs étaient loin d’être les seuls à se livrer au prêt à intérêt. Ils n’en étaient pas moins très présents dans les opérations de crédit, même si les prêts qu’ils concédaient portaient généralement sur des sommes plus modiques que celui des créanciers chrétiens206. Les articles attribués à l’année 1262 et regroupés sous le titre « contra Judeos » ont alimenté des spéculations tendancieuses chez les érudits du xixe siècle207. En fait, l’ambiguïté de plusieurs tournures et les réécritures évoquées plus haut expliquent que les interprétations de ces statuts divergent aujourd’hui encore. Selon Michel Hébert, ces lois n’étaient pas dirigées contre les prêteurs juifs, mais visaient au contraire à protéger ces derniers contre leurs créanciers208. Pour Roger Klotz, et je penche plutôt pour cette lecture, ce sont bien les prêts concédés par les juifs que l’on cherchait à encadrer en donnant des garanties sur les gages et en limitant le taux d’intérêt209. Pour autant, ces statuts qui concédaient en même temps deux étals au marché pour la viande casher, n’étaient pas défavorables aux juifs. Et ils pourraient même faire écho à plusieurs plaintes, survenues précisément autour de 1260, de prêteurs juifs contre de mauvais débiteurs210. Il n’est donc pas inconcevable que Bérenger Monge ait ainsi répondu favorablement à une requête de la communauté juive, qui conservait elle-même un exemplaire de ces statuts. En tout état de cause, rien ici ne permet d’alimenter l’idée d’une pression particulière, qu’auraient exercée certains habitants, pour pousser à une norme contraignante vis-à-vis des juifs. Il faudra attendre le tournant du siècle pour observer les premières

205 CoHMa, p. xxiv. Son épouse Rosa, qui était également une femme d’affaires, est tout aussi bien attestée dans les registres judiciaires (A. Courtemanche, « Les femmes juives et le crédit », p. 555-556 ; J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 96). 206 A. Courtemanche, « Les femmes juives et le crédit », p. 550. Une liste d’endettement de 1294 montre que les débiteurs étaient en général endettés auprès de plusieurs prêteurs, parmi lesquels le prêt juif représentait entre un tiers et la moitié du total ( J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé, p. 109-110 et 128-129). Dans l’ensemble de la Provence, les juifs étaient en effet spécialisés dans le prêt de consommation à rayon court, secteur où ils avaient un quasi-monopole. 207 Les sentiments des intellectuels n’étaient pas toujours sans ambiguïté, lorsqu’il s’agissait d’évoquer la présence des juifs. Je renvoie à quelques passages que l’on peut trouver chez M.-Z. Isnard, LPM, p. xviixviii ; D. Arbaud, Études historiques, p. 51-53, 292, 298 ; C. Arnaud, Bertrand Chicholet ou Manosque en 1357, Marseille, 1861, p. 225 ; Id., Essai sur la condition des Juifs en Provence au Moyen Âge, Forcalquier, 1879 ; jusqu’à La commanderie de l’Hôpital… à Manosque de Félix Reynaud que Benoît Beaucage a suspecté de « remarques xénophobes » et à « tonalité antisémite » (cf. son compte-rendu dans Provence historique, 32 (1982), p. 453-455). 208 M. Hébert, « Les étrangers à Manosque », p. 104-105. 209 R. Klotz, « Damase Arbaud et l’histoire des juifs de Manosque », L’écho des carrières. Bulletin de l’Association culturelle des juifs du pape, 49 (2007), p. 14-16. 210 Entre avril et septembre 1260, on trouve 38 mandements de la cour exigeant un remboursement de dette à un juif ( J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 83).

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tensions entre communautés, lorsque commencèrent à apparaître les accusations de meurtre rituel et d’empoisonnement211. Même si c’est un truisme de le rappeler, à travers la loi, l’objectif du seigneur était d’assurer la paix sociale – « bono statu universitatis » lit-on parfois212. Cette priorité permet d’expliquer la flexibilité et même certains revirements dont Bérenger Monge semble avoir fait preuve. Malgré toutes les difficultés d’interprétation, on peut prendre l’exemple des jeux. En 1288, le commandeur accepta d’abroger une criée interdisant aux Manosquins de se livrer à toutes sortes de jeux sous peine d’une amende de 100 sous213. En dépit du caractère sibyllin du texte, on comprend qu’il s’agissait de jeux physiques qui permettaient aux hommes de montrer leur force et l’on pense, dès lors, à ces jeux de palets que les Manosquins semblaient particulièrement affectionner214. Cet exercice est bien attesté dans les registres judiciaires pour les nombreuses blessures, souvent collatérales, qu’il provoquait215. Aussi, les hospitaliers avaient dû décider de l’interdire pour éviter les troubles sur la voie publique216. Mais comme il s’agissait d’un important lieu de sociabilité qui autorisait les hommes à se mesurer entre eux sur un mode ritualisé, le commandeur convint qu’il était plus raisonnable d’en rétablir la pratique. Ces hésitations, peut-être dictées par des émotions dont on ne peut rien saisir, nous rappellent que les statuts étaient établis au gré des questions à résoudre. Si c’est le cas ici avec cette affaire de mœurs, il en allait de même de la réglementation des métiers dont Michel Hébert a noté qu’elle était « circonstanciel[le] et n’a[vait] rien de systématique217 ». Aussi, serait-ce se méprendre que de penser que le travail législatif était mu par une vision d’ensemble de la vie sociale et économique. Bérenger Monge et les hommes qui, à ses côtés, participaient à l’élaboration de la loi ne firent sans doute que répondre au coup par coup aux cas qui se posaient à eux. Sur la fabrique de la norme et les bricolages suscités par le jeu des marchandages et des compromis, rien ne filtre vraiment de la réglementation inscrite dans le Livre des privilèges218. Si l’on a 211 En juillet 1296, 58 juifs furent accusés de meurtre rituel contre un jeune chrétien, tandis qu’au moins deux affaires d’empoisonnement survinrent dans la première décennie du xive siècle ( J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 131-139 ; A. Courtemanche, « Les femmes juives et le crédit », p. 555-556 ; C. Arnaud, Essai sur la condition des Juifs, p. 46-47). 212 LPM, no 20, p. 68. 213 LPM, no 28, p. 78. 214 Les études d’histoire sociale conduites à partir des sources judiciaires manosquines ont montré combien, dans une société aux mœurs plutôt rudes, la force physique était un important élément de valorisation masculine (R. Gosselin, « Honneur et violence à Manosque (1240-1260) », in M. Hébert (dir.), Vie privée et ordre public, p. 55-56). 215 J. Shatzmiller, Médecine et justice, p. 26, PJ no 1, p. 57-60 (4 juin 1262) et no 12, p. 86 (26 mars 1300). 216 De manière générale, l’autorité, qu’elle fût municipale ou seigneuriale, chercha toujours à encadrer les jeux sur la voie publique, par souci d’ordre mais aussi comme moyen d’affirmer son pouvoir ( J.-M. Mehl, Des jeux et des hommes dans la société médiévale, Paris, 2010, p. 273-276). 217 M. Hébert, « Travail et vie urbaine », p. 153. 218 Sur le travail concret d’élaboration de la loi, le cas de Manosque n’a pas été étudié, à l’inverse des communes où une commission de magistrats (statutores, emendatores statutorum) était chargée d’établir les statuts ou d’amender ceux qui existaient. À Avignon, cette commission comprenait des chevaliers, des prudhommes et des juristes (N. Leroy, Une ville et son droit, p. 390-395).

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évoqué la consultation des prudhommes, on imagine encore le recours aux juristes, influents parmi les élites urbaines et omniprésents dans l’entourage des hospitaliers. Parmi eux, le juge de la cour pouvait se trouver en position de participer à la fois à la conception de la loi et à son application. C’est cet autre versant de la régulation sociale, celui de la justice du commandeur, qu’il convient à présent d’évoquer pour les années Bérenger Monge.

La justice du commandeur Curia Hospitalis. Une institution au sein de la seigneurie

Les hospitaliers exerçaient à Manosque la justice haute, moyenne et basse, c’est-à-dire qu’ils avaient connaissance des affaires civiles et criminelles avec la possibilité d’infliger des peines de sang219. Dans le ressort du territoire seigneurial, ils disposaient d’une juridiction exclusive, même si cette dernière, on le verra plus loin, fut soumise à la pression de justices concurrentes, en premier lieu celle de l’État princier220. La fenêtre chronologique ouverte par le préceptorat de Bérenger Monge donne l’occasion de faire le point sur l’organisation de la justice et sur ses implications sociales. Je m’appuierai essentiellement sur les travaux de l’école canadienne, en déplaçant quelque peu les perspectives pour envisager la question, non du point de vue des représentations de la justice dans la société, mais de l’identité du seigneur221. Je me pencherai notamment sur les agents de cette juridiction seigneuriale, un peu oubliés par les travaux d’histoire sociale ou processuelle. Mais auparavant, plantons la scène du grand théâtre judiciaire, puisque celui-ci devait d’abord se donner à voir. La « sala placitatoria Hospitalis » apparaît assez régulièrement citée à la suite de la prise de pouvoir de l’ordre. Face à l’entrée du palais, donc probablement ouverte sur la place du Terreau, la salle de justice se trouvait bien au cœur de la représentation de l’hégémonie de l’Hôpital dans le paysage urbain222.

219 Juridictions civile et criminelle étaient clairement distinguées, ainsi qu’il appert de l’organisation des registres de procédure qui se répartissent entre ces deux catégories. 220 Rappelons qu’en 1258, la juridiction de l’Hôpital sur les tenanciers du prieuré Sainte-Marie finit par être reconnue et qu’à partir du début du xive siècle, celle-ci fut étendue aux seigneuries voisines de Montaigu et de Volx, acquises par l’Hôpital. 221 Voyez ce que Patricia MacCaughan entend par représentation de la justice (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 16-17). Cette conception rejoint les travaux de Rodrigue Lavoie et de ses autres élèves qui s’attachent à décrypter la société au miroir de sa justice – et de sa criminalité. 222 …in sala placitatoria Hospitalis infra hostium ipsius sale quod aperitur versus palacium (56 H 4638 ; 14 mai 1217). Autres mentions : 56 H 4676 (avril 1218 et mars 1219) ; 56 H 4640 (domo placitatoria Manuasce, 12 février 1243 ; infra domum Hospitalis quod est ante palatium ubi ventilantur cause, 5 avril 1235) ; 56 H 4642 (10 mai 1260) ; LPM, no 47, p. 156 (in curia Manuasce ubi redditur jus, 27 juillet 1300) ; etc. Steven Bednarski commet donc un contresens en supposant qu’il n’y avait pas de bâtiment dédié à la justice parce que « la cour existait partout où ses officiers travaillaient » (S. Bednarski, Curia, p. 61).

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D’ailleurs, n’est-ce pas un hasard si, à l’heure où se poursuivaient des travaux sur le palais, la curia fit elle-même l’objet d’embellissements223. La présence d’un grenier et d’un cellier, où les hospitaliers faisaient amener les céréales et le vin issus des redevances en nature, rattachait encore la curia à la domination seigneuriale224. Comme la justice était d’abord incarnée par le commandeur, c’était donc en cet endroit que se rendait Bérenger Monge225. Il était important que les justiciables voient le seigneur à l’œuvre dans l’exercice de ce pouvoir, avec cette particularité que celui-ci était ici un religieux. Les hospitaliers, du reste, avaient pleinement conscience des limites imposées par leur statut canonique, puisqu’il était interdit de confier à un frère prêtre une commanderie dont les droits seigneuriaux impliquaient des peines de sang226. À Manosque, Bérenger Monge réservait ses interventions à quelques cas particuliers et il se prononçait, alors, à la suite de la sentence du juge. En 1285, comme un habitant pauvre condamné pour vol avait vu sa peine d’amende remplacée par l’exil, le juge rajouta que la durée pourrait en être modulée selon la volonté du commandeur227. Ce dernier représentait également un recours en appel. Bérenger Monge reçut ainsi l’appel d’une certaine Astruga Ebrarda, qui avait contesté sa condamnation à une amende de 15 sous pour injures228. Enfin, le commandeur pouvait exercer le droit de grâce, comme fut appelé à le faire l’un des successeurs immédiats de Bérenger Monge, dans une affaire de mœurs à rebondissements restituée avec talent par Rodrigue Lavoie229. Cette mise en scène de la toute-puissance seigneuriale est, certes, classique. Mais si le commandeur se réservait probablement le droit de grâce, il déléguait le plus souvent au bayle la fonction de représentation en justice. Au fil des registres, le « discretus et religiosus vir » frère Peire de Saint-Martin, que l’on voit convoquer les parties et prescrire les amendes, apparaît comme le véritable auxiliaire du juge230. Patricia MacCaughan confirme la fréquence des interventions du bayle à la cour, auquel les habitants adressaient donc leurs plaintes, tout autant qu’au juge231. Elle a surtout montré que cet officier favorisait un système para-judiciaire de régulation sociale auquel les Manosquins restaient attachés, alors que s’imposait

223 Entre avril et juillet 1289, on fit refaire le pavement – y compris dans la garde-robe – et une fenêtre (CoHMa, § 300, 305-307, 312, 313). 224 CoHMa, § 228, 248, 308, 314, 356 ; 56 H 835, f. 40v et 44v. 225 Sur la « personnification » de la justice seigneuriale dans le « protocole de domination » : L. Verdon, La voix des dominés, p. 153-157. 226 CGH, t. 3, no 3844, § 22 (statuts de 1283). 227 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 196-197. 228 Ibid., p. 201-202 et PJ no 9, p. 332-333 (21 décembre 1291). 229 R. Lavoie, « Délinquance sexuelle, justice et sanction sociale : les tribulations judiciaires de Mathilde Payen (1306-1308) », Provence historique, 46 (1996), p. 184 et 190. Le commandeur en question devait être Guilhem d’Amphoux qui cassa la décision de son bayle, lequel avait condamné Mathilde Payen, coupable d’adultère, à l’exil. 230 D’après un sondage aléatoire : 56 H 904, f. 32v (1287) ; 56 H 905, f. 2, 15, 16, 24, etc. (1289-1290) ; 56 H 953, f. 11 (1291) ; 56 H 954, f. 47 (1291) ; etc. 231 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 29-30 et 211-212.

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désormais la procédure inquisitoire232. Bien souvent, en effet, notamment à la charnière des xiiie et xive siècles, les coupables présumés obtenaient du bayle la possibilité de verser une composition à leurs victimes, un système qui avait l’avantage d’interrompre la procédure et d’éviter le déshonneur d’une condamnation publique233. Le bayle incarnerait ainsi un modèle plus « seigneurial » de justice avant tout attentive au rétablissement de la concorde, par la réparation directe du préjudice fait à la victime. Et il n’hésitait pas, pour cela, à court-circuiter le juge, à l’instar de Peire de Saint-Martin qui, en 1299, annula une partie des enquêtes lancées entre mai et août. Ce dernier, dont on a déjà évoqué les compétences administratives, fut en effet le plus actif à la cour, parmi les bayles qui œuvrèrent sous Bérenger Monge234. Plus que le commandeur, pour lequel on devine une pratique un peu plus lointaine du pouvoir, le bayle était donc au contact de la population235. Aussi était-il exposé, plus que son supérieur, aux sautes d’humeur des justiciables et contribuables236. Cette position, qui a contrario permettait sans doute de tisser de profitables familiarités, peut en partie expliquer le turn over assez régulier des bayles, peut-être sur le modèle de l’administration comtale237. Le commandeur et le bayle étaient seuls, parmi les religieux hospitaliers, à intervenir à la cour et l’exercice quotidien du maintien de l’ordre reposait plutôt sur de véritables « officiales », ainsi que les désignent les actes de la pratique238. La composition de la cour a déjà été rapidement décrite par les travaux antérieurs239. L’Hôpital entretenait d’abord un juge ordinaire, auquel était théoriquement adjoint un second magistrat pour les appels240. Les tâches administratives étaient accomplies par un greffier, tandis que le travail de terrain revenait aux sergents-messagers dont on cerne mal

232 La procédure d’enquête constituait une espèce d’intrusion dans le quotidien de la population, tandis que sa forme savante et son utilisation par des experts de la loi pouvaient la faire apparaître comme opposée à la coutume (L. Verdon, La voix des dominés, p. 121-122). 233 P. MacCaughan, « Le baile du seigneur et la résolution des conflits à la fin du Moyen Âge », in Cl. Dolan (dir.), Entre justice et justiciables. Les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au xxe siècle, Sainte-Foy (Québec), 2005, p. 601-626. 234 An. II, D-1, no 11. Jaufre de Moissac est attesté quelques fois, mais c’est surtout son homonyme qui s’illustra dans la première décennie du xive siècle (An. II, D-1, no 9 ; P. MacCaughan, « Le baile du seigneur », p. 609-610). 235 Il en allait de même dans les seigneuries laïques où les bayles, avec les banniers qu’ils avaient sous leurs ordres, étaient « les intermédiaires privilégiés entre le seigneur et ses hommes » (L. Verdon, La voix des dominés, p. 122-123). 236 Les quelques exemples d’injures ou d’agression légère contre le bayle datent toutefois du début du xive siècle (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 78 et 215 ; Ead., « Le baile du seigneur », p. 610). 237 En 1310, un statut imposait l’annualité de la charge pour les juges, les bayles et les viguiers (G. Giordanengo, « Statuts royaux et justice en Provence (1246-1309) », in J.-P. Boyer et alii (dir.), La justice temporelle dans les territoires angevins, p. 115). 238 CGH, t. 3, no 3035, p. 40 (28 juillet 1262) ; LPM, no 47, p. 153 (27 juillet 1300) ; etc. 239 F. Reynaud, La commanderie, p. 168-171 ; S. Bednarski, Curia, p. 63-66. 240 L’entretien d’un juge en appel étranger à la communauté ne fut imposé à l’Hôpital qu’en 1316 (LPM, no 52, p. 165-166, art. 3). Mais auparavant, un juge délégué « in causa appellationis » était déjà signalé, comme Richerius Mercerii appelé par Bérenger Monge en janvier 1290 (56 H 905, f. 20).

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l’effectif. Au total, l’administration de la justice reposait probablement sur moins d’une dizaine d’officiers, auxquels il faut rajouter les spécialistes occasionnels – experts juridiques et médicaux, avocats241. Même si les gens de justice peuplent les bases prosopographiques attachées aux serviteurs de l’État, les carrières et la circulation de ces spécialistes d’une juridiction à l’autre restent, en définitive, mal connues pour le xiiie siècle242. À défaut d’avoir pu me lancer dans une prosopographie des juristes repérés à Manosque, j’ai esquissé une liste provisoire des juges attestés dans les décennies 1240-1310 (tabl. 10). Malgré son caractère incomplet, cette liste montre bien que le juge devait être une figure connue des Manosquins, puisque seulement une dizaine d’individus différents exercèrent cette charge sur une soixantaine d’années. De surcroît, ainsi que cela apparaît pour les dernières décennies mieux documentées, la plupart des magistrats restèrent en poste plusieurs années consécutives. Si Richerius Mercerii (ou Moncii ?) remplit son office pendant au moins dix ans d’affilée, les habitants durent se plaindre que « certains parmi les officiers étaient restés vingt ans ou plus ». Quoique l’on ignore où ils furent formés, la plupart étaient encore originaires de Manosque – David et Hospitalier étaient des patronymes connus localement et Peire Bretus figurait parmi les prudhommes243. Nul besoin de s’appesantir sur les problèmes « déontologiques » engendrés par une telle situation et les habitants finirent par obtenir, parmi les privilèges octroyés en 1300, l’extranéité comme le renouvellement annuel du juge244. Selon un schéma courant, ces magistrats étaient employés dans les différentes cours locales, le plus souvent en alternance, mais parfois même en cumulant les postes, comme Bartomieu, signalé à la fois comme juge de Manosque et official de Sisteron autour de 1257245. Dès lors, à l’instar d’Uc Hospitalier qui fut également juge à la cour de l’Hôpital de Puimoisson, sans doute ces hommes nouaient-ils des liens clientélaires avec leur employeur. La relation personnelle, du reste, pouvait être forte avec le commandeur dont les juges tenaient leur investiture246. Ainsi qu’on l’a déjà observé 241 Le recours aux avocats et aux expertises des médecins et sages-femmes est connu par les travaux de J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 94-98 ; et Id., Médecine et justice. Sur les avocats : P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 159-165. 242 La base « Europange » a déjà été citée, tandis que les travaux de Jean-Luc Bonnaud portent sur le xive siècle. 243 Pour Peire Bretus et Uc Hospitalarius, cf. An. II, D-2, no 8 et 11. 244 LPM, no 47, p. 153 (27 juillet 1300). L’obligation d’extranéité fut élargie en 1308 à tout officier de la justice et de la baillie (LPM, no 50, p. 158-159). L’annualité de la charge avait déjà été prescrite par la charte du consulat (LMP, no 1, p. 3 ; 12 février 1207). 245 CGH, t. 2, no 2885 (8 février 1257) ; cf. aussi An. II, D-1, no 2. La date correspond plus exactement à celle d’un privilège dont Bartomieu authentifie le vidimus. Mais je présume que cette copie faite par Sitius d’Arezzo intervint peu de temps après l’acte lui-même. Mieux connaître les parcours des juges aiderait à cerner aussi la circulation des modèles procéduraux. Patricia MacCaughan note justement que l’intitulé ouvrant à une enquête large et non plus dirigée seulement contre une personne (Contra omnes et singulos…) est emprunté aux officialités (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 52-54 et 82-83). 246 La composition de 1316 rappela que le juge devait obéissance au commandeur « sub virtute juramenti » (LPM, no 52, p. 167, art. 7). La seigneurie du Temple de Lansac a conservé des actes d’investiture du juge par le commandeur d’Arles (CT.TLL, no 10 ; 13 décembre 1259 ; et 27 janvier 1263). Pour Manosque, je n’ai pas trouvé d’instrumenta équivalents qui devaient forcément exister.

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pour les juristes gravitant autour de la commanderie, le juge recevait, en plus de son salaire en argent, des rétributions en nature qui supposaient une certaine familiarité avec les frères247. Car la collaboration avec les hospitaliers dépassait le strict cadre de l’emploi à la cour dans la mesure où, comme Peire Bretus ou bien Uc Hospitalier, ces spécialistes étaient recherchés comme arbitres, conseillers ou avocats en faveur de l’ordre. Le juge s’inscrit donc pleinement dans ce monde d’experts en droit qui gravitait autour de la commanderie et que l’on retrouvait encore à la cour, à titre de conseillers plus ou moins formels248. Les agents de terrain ont déjà été évoqués plus haut dans le cadre de la seigneurie. Or, je ne suis pas sûr qu’un personnel ait été spécifiquement attaché à la cour, même si des nuntii curie et autres cursores curie sont bien mentionnés. Le crieur, notamment, pouvait être amené aussi bien à proclamer la loi sur la place publique, qu’à notifier les citations à comparaître249. Il aurait fallu entrer vraiment dans les registres judiciaires pour mieux connaître le personnel administratif. Le notariat local était suffisamment fourni pour pourvoir facilement au poste de greffier. On trouve là quelques figures déjà rencontrées, comme Bernard de Bourges, Sitius d’Arezzo qui travailla plutôt occasionnellement à la cour, et surtout Peire Bisquerra, régulièrement attesté dans les années 1289-1295250. Les attributions des notaires d’une importante cour seigneuriale étaient comparables à celles des greffiers des cours comtales étudiés par Jean-Luc Bonnaud251. Probablement en quête de revenus supplémentaires, l’Hôpital chercha à assurer à ses notaires le monopole de l’écriture des actes produits à la cour (réquisitions, conventions, appels, quittances), en plus de la conduite des enquêtes et de l’enregistrement des procédures252. Enfin, la formation des notaires leur autorisait d’autres emplois, à en juger le cas d’Uc Agrena, bien attesté dans l’entourage des hospitaliers au moins entre 1251 et 1289, et qui apparaît en 1279 avec

247 56 H 835, f. 22v (xii d. in carnibus pro judice), 46v. Dans les années 1280, le magistrat recevait un salaire qui, selon les années, variait de 8 à 15 l., en général payés en deux termes en hiver et au printemps (CoHMa, § 20, 39, 68, 93, 111, 118, 167, 170, 196, 200, 225, 232, 248, 285, 304, 322, 339, 353). Ces rétributions, en nature ou en argent, pouvaient aussi être destinées à des juges d’autres cours (56 H 835, f. 38v, 49v ; CoHMa, § 303, 328). 248 Voir le cas de Jaume Robini, très fréquemment attesté à la cour comme témoin (An. II, D-2, no 6). Dans certaines affaires délicates, le juge recourait à des expertises, comme en 1264, où l’on trouve Robert de Lauteno – sic pour Laveno ? – et Bertrand Ruffi, juge de Sisteron (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 99). 249 Patricia MacCaughan note qu’à la fin du xiiie siècle, le crieur pouvait être remplacé par un autre agent de la cour, mais que dans les décennies suivantes, la fonction était désormais exercée par le même personnage ou parfois par deux crieurs conjointement (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 89-90). Je me demande si cette tendance à la permanence de la fonction ne s’explique pas par l’affermage de la charge ? Dans les comptes des années 1320-1330, les criées figurent désormais au poste des recettes (56 H 836, f. 30 ; VGPSG, p. 337). 250 Cf. An. II, D-2, no 3, 10 et 7. La liste des greffiers pour les années 1300-1320 est donnée par P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 56. 251 J.-L. Bonnaud, « Les notaires de cour dans le comté de Provence et la justice à la fin du Moyen Âge », in Cl. Dolan (dir.), Entre justice et justiciables, p. 505-517. 252 Par la convention de 1316, les habitants obtinrent que les instrumenta rédigés par n’importe quel notaire fussent également valables devant la cour (LMP, no 52, p. 168).

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le titre de « clavaire de la cour de Manosque ». Cette mention, hélas unique, suggère qu’une comptabilité propre à la juridiction nécessitait un office spécialisé, qui exista au moins par intermittence253. L’emploi régulier de Peire Bisquerra favorisa sans doute l’enracinement d’habitudes de travail propres à ce petit milieu administratif. Ce n’est donc pas un hasard si Patricia MacCaughan a pu noter, au sujet de ce notaire, que « sa présence à la cour correspond à un premier bond en avant dans la tenue des registres254 ». À la lumière du chapitre précédent, on peut en effet penser que c’est aux notaires employés comme greffiers qu’il faut attribuer la généralisation du registre dans la pratique judiciaire. L’habitude fut prise d’enregistrer les procédures sur des cahiers de papier à partir de 1240-1243 au plus tard, date du plus ancien registre conservé255. La juridiction de Manosque a par la suite conservé une série de plus de 150 registres, relevant à la fois de causes civiles et criminelles, jusqu’à la fin du xve siècle256. À la fin des années 1250, Bernard de Bourges faisait office de greffier, tout en poursuivant son activité professionnelle propre. Aussi l’un de ses registres contient-il à la fois des contrats entre particuliers et des actes de procédure257. Mais cette confusion ne fut plus de mise par la suite et l’enregistrement des causæ constitua bien une série documentaire spécifique, au sein de laquelle on finit même par distinguer registres de sentences et d’enquêtes, tandis que les criées étaient consignées de leur côté à partir du siècle suivant258. En effet, les divers moments de la procédure donnaient lieu à la production de pièces spécifiques qui, sous leur forme originale, n’ont été qu’exceptionnellement conservées. C’est le cas, par exemple, des cédules munies du cachet de cire de la cour notifiant la citation à comparaître. Transportées par le crieur ou bien par le sergent-messager, celles-ci pouvaient, par la suite, être glissées dans les registres judiciaires, à la différence du

253 Pour jeter le trouble, cette unique mention apparaît dans un acte connu par deux originaux dont l’un indique « dominus Ugo Agrena, clavarius curie Manuasce » et l’autre seulement « clavarius Manuasce » (56 H 4643 ; 9 septembre 1279). Si Uc Agrena apparaît très souvent comme témoin et parfois en affaires avec l’Hôpital, il instrumenta très peu pour la commanderie (56 H 849bis, 56 H 2624, f. 47v et 71v, 56 H 4630, 56 H 4632, 56 H 4641, 56 H 4652 ; LPM, p. 30, 40, 76). En 1316, un homonyme était syndic de l’universitas mais je doute qu’il s’agisse toujours de notre notaire (LPM, no 52, p. 162). 254 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 56. 255 La série couvre les cotes 56 H 883 à 56 H 1035 (É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 34-38). 256 Un telle masse documentaire ne doit cependant pas cacher le fait que la série reste lacunaire et que la conservation est donc loin d’être uniforme, à la fois dans sa distribution chronologique et dans la typologie des contenus des registres. Ainsi, de 1240 à 1292, 23 années d’exercice de la justice sur 52 sont couvertes par les registres (P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 43). Cette même période a conservé 14 registres de procédures au criminel et 5 au civil (O. Guyotjeannin, « Les registres des justices seigneuriales », p. 62). 257 56 H 883 (1258-1260). 258 Les inventaires modernes illustrent cette spécialisation des enregistrements, puisqu’ils distinguent registres (ou rouleaux) de sentences, registres des appels, registres des criées annuelles (56 H 70, f. 21v-22).

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« Urtext » des statuts évoqué plus haut259. La tenue des registres s’améliora, en lien avec l’adoption progressive de la procédure inquisitoire. Patricia MacCaughan relève ainsi qu’au « fouillis parfois inextricable » des premiers registres, succède à partir des années 1280, une présentation plus soignée de l’ensemble du processus judiciaire et une technique perfectionnée d’enregistrement des témoignages260. Aussi, dès cette époque, écrivait-on clairement pour conserver261. Or, l’avance de la cour manosquine est ici patente si on la compare par exemple aux juridictions templières de Lansac et de Montfrin. Ces dernières ont, certes, laissé un certain nombre d’enquêtes, mais sous une forme de « secondary records » qui suggère que ces commanderies n’avaient probablement pas de stratégie de conservation bien déterminée pour leurs archives judiciaires262. À Manosque, le soin apporté à la couvrure des plus anciens registres illustre bien une visée mémorielle263 (ill. B, no 12). De même pour l’habitude, maintenue au xive siècle, de compiler encore des sentences sur rouleaux, une forme traditionnelle dotée d’un impact visuel264. Cette dimension mémorielle des écritures judiciaires ne concédait pas moins une large part à l’oralité puisque, lorsque les parties s’entendaient pour arriver à une composition, la procédure était interrompue et les sentences n’étaient pas publiées265. Largement favorisée par le bayle, cette latitude laissée dans le règlement des conflits témoignerait-elle d’une vision de l’ordre social propre aux hospitaliers ? Un ordre social vu par les hospitaliers ?

Dans un article pionnier, Rodrigue Lavoie se proposait, en comparant trois juridictions provençales dont celle de Manosque, de rechercher dans la criminalité

259 P. ex. : 56 H 951 (10 juillet 1284 ; 5 octobre 1295) ; 56 H 4652 (12 mars 1294). Les sentences pouvaient, quant à elles, être solennellement publiées sur parchemin (56 H 4682 : sentence rendue dans la juridiction de Montaigu mais acte passé à Manosque ; 7 avril 1316). 260 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 42, 55, 105, 146-149 et 197-198. Dans le même sens : R. Lavoie, « Justice, morale et sexualité », p. 13-14. 261 Les documents manosquins correspondent aux traits généraux dégagés par Olivier Guyotjeannin pour les registres judiciaires : reliure robuste, maîtrise rédactionnelle et graphie soignée visent « à une conservation à moyen terme au moins » (O. Guyotjeannin, « Les registres des justices seigneuriales », p. 65). 262 Soit les enquêtes criminelles ont été conservées, dans le cadre de conflits de juridiction avec les cours royales, sous la forme de copies parfois effectuées à partir de registres notariés où elles étaient initialement consignées (CTGard, no 100, 131, 139 ; CT.TLL, no 14, 18). Soit enquêtes et sentences ont été enregistrées sur des pièces de parchemin à part ou bien sur des rouleaux (CTGard, no 119, 125(3), 127, 141 ; CT.TLL, no 13, 16, 28). Sur l’activité de ces deux cours templières : D. Carraz, « La justice du commandeur (Bas-Rhône, xiiie siècle) », in Les justices d’Église dans le Midi, p. 243-268. 263 La couvrure du 56 H 944 (années 1240-1243) est ainsi en cuir gaufré avec une ornementation de médaillons présentant des animaux affrontés. 264 56 H 69, f. 16v (« Rolleau contenant plusieurs santance criminelles des années 1323 et suivantes ») et f. 90 (rouleau de sentences de 1320). 265 Comme l’avait déjà relevé R. Lavoie, « Les statistiques criminelles et le visage du justicier : justice royale et justice seigneuriale en Provence au Moyen Âge », Provence historique, 28 (1979), p. 15, n. 34 ; et l’a développé ensuite P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 165-169.

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révélée par les sources judiciaires, « les marques distinctives du justicier et […] la résultante de sa personnalité propre266 ». Si l’étude abondait en pistes suggestives, l’une de ses conclusions renvoyait davantage aux représentations que l’historien pouvait se faire des hospitaliers qu’à une réalité objective267. La question de départ, pourtant, avait toute sa pertinence et nul n’y a encore vraiment répondu, alors même que les justices locales sont désormais mieux connues268. Il est vrai que la problématique ne peut s’envisager que dans une perspective comparatiste qui ne saurait être mobilisée ici. Je m’efforcerai simplement de cerner les grands traits de la justice hospitalière en interrogeant les différentes formes d’interaction entre les seigneurs ecclésiastiques et la population. Cette dernière souhaita d’emblée être partie prenante dans le maintien de l’ordre social. Dès l’hiver 1234, la première composition avait décidé qu’une commission de quatre prudhommes – pour moitié élus par l’universitas et par l’Hôpital – travaillerait à élaborer un tarif des peines avec le juriste Peire de Mota269. Quatre mois plus tard, cette équipe avait accompli son travail et les parties publiaient un Instrumentum compositionis super maleficiis de 25 articles, envisageant pêle-mêle les délits de police rurale et de mœurs270. La nécessité d’une remise à plat du système pénal était entièrement liée à l’adoption de la procédure ex officio. Patricia MacCaughan a précisément montré le cheminement de la nouvelle procédure inquisitoire, effectivement appliquée dès les années 1240, avant de s’imposer définitivement sur le système accusatoire dans les années 1270-1280271. D’emblée, l’introduction de la nouvelle procédure s’était donc faite avec la collaboration de l’universitas et cette dernière avait même revendiqué la participation de deux prudhommes aux condamnations272. C’était là renouer avec un droit qui avait été accordé par les franchises de 1207, dans la tradition d’une justice « populaire » qui avait cours dans les consulats méridionaux273. Or, si le recours au conseil des prudhommes fut bien effectif pendant la judicature de Peire de Mota

266 R. Lavoie, « Les statistiques criminelles », p. 4. 267 La « vocation humanitaire et charitable des hospitaliers » était sensée les rendre plus sensibles aux « problèmes sociaux et humains », tandis que se devinait chez eux, derrière la répression exemplaire des délits sexuels, un certain « antiféminisme » (R. Lavoie, « Les statistiques criminelles », p. 18). 268 Il ne m’appartient pas de dresser ici un bilan sur ce point depuis le livre classique de Jacques Chiffoleau sur les Justices du pape (1984). On trouvera un aperçu de l’état de l’art dans La justice temporelle dans les territoires angevins ; et L. Verdon, La voix des dominés, p. 116-134. 269 Qualiter curia et quid debeat accipere de hiis qui coram ea preponuntur, et quid de hiis in quibus ex officio procedit. (LPM, no 4, p. 14 ; 11 novembre 1234). 270 LPM, no 14 (12 mars 1235). 271 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 66-75 ; Ead., « La procédure judiciaire à Manosque au milieu du xiiie siècle, témoin d’une transition », Revue historique de droit, 76-4 (1998), p. 583-595. 272 …quod si aliquis de villa Manuasce preoccupatus esset in aliquo delicto vel maleficio pro quo in curia appellaretur, consilio proborum hominum puniretur. (LPM, no 4, p. 14). 273 Quod dominus sive rector dictorum locorum vel bajulus vel judex, non audeat ordinare penam seu multam aliquam nec banna absque consensu hominum (LPM, no 1, p. 3 ; 12 février 1207). Sur ce concept de justice « populaire » qui permettait à la population de participer au jugement par l’intermédiaire des consuls ou des prudhommes : J.-M. Carbasse, « Justice “populaire”, justice savante. Les consulats de la France méridionale (xiie-xive siècle) », in J. Chiffoleau et alii (dir.), Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, Rome, 2007, p. 351-352.

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– artisan du tarif des peines et de l’application de la nouvelle procédure –, il n’en fut plus question par la suite. De même, si le régime des peines fut respecté dans un premier temps, les progrès de la procédure d’office laissèrent peu à peu une latitude à l’arbitraire du juge (arbitrium judicis)274. La capacité d’intervention donné par la procédure inquisitoire se traduisait sur le terrain par le fait que les agents de la cour pouvaient mettre en accusation par dénonciation et traquaient le flagrant délit275. À travers l’exercice de la justice aurait pu se jouer une autre version de la confrontation larvée entre le seigneur et ses hommes. Pourtant, force est de constater que les revendications des habitants se portèrent très peu sur le terrain judiciaire. Ainsi, dans la longue composition négociée par Bérenger Monge à l’été 1293, pas un seul article ne concerne cet aspect de la domination seigneuriale276. Il faudra attendre 1316, avec les privilèges d’Hélion de Villeneuve, pour que les habitants obtiennent toute une série de garanties sur le personnel de la justice et sur la défense, ainsi qu’un allégement des contraintes liées à l’ordre public (couvre-feu, port d’armes…)277. Peut-on, dès lors, imaginer que, sous l’ère Bérenger Monge, une sorte de consensus se soit imposé entre le seigneur et la population quant au maintien de l’ordre public ? La cour de l’Hôpital exerçait-elle, finalement, la justice que les Manosquins attendaient ? Encore en vigueur jusque dans les années 1270, la vieille procédure accusatoire aurait moins visé la satisfaction d’un intérêt public, qu’à donner d’abord satisfaction à une « clientèle », en cherchant la réparation des crimes pour ceux qui avaient été offensés278. Puis, lorsque s’imposa le système inquisitoire, le recours à une justice compromissoire, vue comme instance de médiation plutôt que comme instrument répressif, s’est finalement inscrit dans le même esprit. Le nouveau système, toutefois, suscita une évolution du caractère de l’offense qui, de privée, devint publique, tandis que s’étendait le champ d’intervention de la justice seigneuriale. Tout manquement à l’ordre portait désormais atteinte « tant à l’Hôpital qu’à l’universitas des hommes de Manosque […] contre l’utilité publique et commune de la ville »279. Davantage inspiré par une morale « civique », cet ordre devait donc encore assez peu au respect de comportements plus proprement religieux. C’est ce qu’illustre le cas, de loin le plus étudié, du contrôle de la sexualité280. Dans un monde où le mariage constituait le pivot de l’ordre social, on attendait surtout de la justice qu’elle protège l’honneur 274 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 177 et 186-195. 275 Ibid., p. 75-78. 276 LPM, no 36 (31 août 1293). 277 Parmi les revendications des habitants, une quinzaine de points sur 48 portent directement sur la justice criminelle et l’ordre public, sans compter ceux qui relèvent de la police rurale (LPM, no 52 ; 4 janvier 1316). 278 R. Lavoie, « Justice, morale et sexualité », p. 12-13. 279 Sur tout cela, toujours : P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 84-88 et 123-125. La citation, tirée d’un acte d’accusation de 1302, se trouve p. 85. 280 La trame essentielle de ce qui suit repose sur R. Lavoie, « Justice, morale et sexualité », p. 10-14 ; à compléter par A. Courtemanche, « Douceline et Raymond étaient-ils mariés ? À propos d’un document manosquin de la fin du xiiie siècle », Provence historique, 42 (1992), p. 449-556 ; et Ead., La richesse des femmes, p. 235-244.

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féminin, essentiellement en réprimant l’adultère. Dans ces perspectives, on le sait bien, la prostitution constituait un véritable service social, tant qu’elle s’exerçait dans un cadre réglementaire, c’est-à-dire public – en l’espèce, à Manosque, la carreria de pujadetis. Or, une anecdote intervenue en 1260 suggère que Bérenger Monge et son bayle veillaient particulièrement à cet ordre des choses. Alors que des voisins se plaignaient de la tenue d’un bordel privé dans leur rue, le « taulier » affirma qu’il maintiendrait son affaire « malgrat del commandaire et del baile281 ». Ces propos lui valurent finalement une amende de 40 sous, parce qu’il s’agissait de ne plaisanter ni avec l’autorité des hospitaliers, ni avec la réputation de la voie publique. Point donc, encore, de morale religieuse derrière ce genre d’affaire, à un moment où le péché n’était, de toute façon, pas encore un crime pénalisé. Pourtant, les historiens ont noté un glissement à la fin du siècle, étroitement relié à l’élargissement du contrôle social permis par la justice inquisitoire. Le discours qui apparaît dans les registres de sentences ne fait, alors, plus seulement référence à l’infraction aux « lois municipales », il fustige l’atteinte aux préceptes religieux et assimile les crimes au péché282. La crispation religieuse qui se profilait alors – avant que n’éclatent les premières affaires de sorcellerie – eut-elle des conséquences sur les rapports avec la communauté juive283 ? Entre 1264 et 1310, Joseph Shatzmiller n’a trouvé que cinq cas de juifs convertis, en général révélés par les dossiers judiciaires lorsque ceux-ci étaient suspectés de rejudaïser284. Comme il s’agissait surtout de faire respecter l’interdit de l’union entre juifs et chrétiens, l’enjeu essentiel portait, là encore, sur la protection du mariage. Même si le phénomène de conversion est sans doute minimisé, il est peu probable, malgré tout, que l’Hôpital ait cherché à favoriser un quelconque prosélytisme à l’égard des juifs de sa seigneurie. D’ailleurs, les ordres militaires ne jouèrent aucun rôle spécifique dans les conversions aux frontières de la chrétienté285. On peut même risquer l’hypothèse que Manosque constituait encore un havre de tranquillité pour les juifs ou les néoconvertis. Même s’il est délicat de raisonner sur un aussi faible nombre de cas, la plupart des convertis suspects de rejudaïser étaient des nouveaux venus dans la ville. De même pour le fameux Abraham de Grasse, qui était resté juif

281 Cité par R. Lavoie, « Délinquance sexuelle, justice et sanction sociale », p. 178, n. 42 (d’après 56 H 946, f. 45v). 282 P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 86-88 ; R. Lavoie, « Justice, morale et sexualité », p. 15-18. L’analyse de Rodrigue Lavoie se poursuit jusqu’au xve siècle, lorsque le seuil de tolérance s’est singulièrement réduit – sur l’union libre ou la prostitution – et que la justice est imprégnée par une mentalité bigote. 283 L’une des premières affaires de sorcellerie a été étudiée par S. Bednarski et A. Courtemanche, « De l’eau, du grain et une figurine à forme humaine. Quelques procès pour sortilèges à Manosque au début du xive siècle », Memini. Travaux et documents, 2 (1998), p. 75-105. 284 J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 55-60. 285 A. Forey, « The Military Orders and the Conversion of Muslims in the Twelfth and Thirteenth Centuries », Journal of medieval History, 28 (2002), p. 1-22. Un statut de l’Hôpital précisait qu’aucun esclave ne pourrait être baptisé sans l’autorisation du maître (CGH, t. 3, no 3039, art. 49 ; 19 septembre 1262).

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mais qui avait été inquiété par l’inquisition installée à Brignoles en 1284286. Celui-ci avait alors migré à Manosque où, on l’a vu, il avait peut-être cherché à se mettre sous la protection personnelle des frères de la commanderie en adoptant le statut d’« homme de l’Hôpital ». Mais, poursuivi par son passé, il fut dénoncé pour avoir fait revenir au judaïsme la fille de Rosa, son épouse d’alors, et soutenu d’autres rejudaïsants. Bérenger Monge semble avoir suivi l’affaire personnellement, puisque c’est lui qui reçut la dénonciation, le 14 septembre 1284, alors que le commandeur se montrait assez peu à la cour287. Le dernier tiers du xiiie siècle fut effectivement marqué par une pression plus insistante sur les communautés juives provençales, orchestrée par l’inquisition dévolue aux franciscains288. On ne doute pas, du reste, que le nouveau discours empreint de morale religieuse adoptée par la cour de l’Hôpital ait été marqué par l’apostolat des frères mineurs, premiers arrivés à Manosque, avant les carmes et les clarisses. Implantés dans les années 1260, les franciscains œuvrèrent certainement à l’encadrement pastoral et moral de la population, même si, en l’état, on ne sait rien de précis à ce sujet289. Leurs relations avec le seigneur hospitalier ne sont guère mieux documentées. On subodore que l’implantation du couvent franciscain dut être soumise à l’approbation du commandeur, comme cela fut le cas en 1323 pour les clarisses290. Et l’on suppose encore de saines relations de fraternité entre les deux communautés, si l’on en juge par l’aumône annuelle de 12 deniers que les hospitaliers dispensaient aux mineurs pour Noël et Pâques291. Mais, à Manosque, la nature de leurs liens spirituels et l’influence que les mendiants purent éventuellement exercer sur les hospitaliers resteront sans doute à jamais inconnues. On peut douter que Bérenger Monge et les autres dignitaires de l’Hôpital aient été mus par une vision originale de la régulation sociale et de la justice. Sans doute leur comportement fut-il d’abord adapté à la fois aux attentes des justiciables et à une mentalité seigneuriale assez conforme aux milieux chevaleresques dont eux-mêmes procédaient. On a vu comment s’imposa ensuite une conception plus contraignante et englobante de la justice, à la fois sous l’influence du droit savant – et le modèle

286 Ce dossier a été traité par J. Shatzmiller, « L’inquisition et les juifs de Provence au xiiie siècle », Provence historique, 23 (1973), p. 327-338. 287 56 H 951, f. 15v. 288 M. Kriegel, « Prémarranisme et inquisition dans la Provence des xiiie et xive siècles », Provence historique, 27 (1977), p. 314-323. 289 Probablement n’est-ce pas un hasard, si c’est d’abord à un frère mineur que s’ouvrirent des juifs pour se plaindre qu’une femme convertie au christianisme avait finalement été inhumée dans leur cimetière sans leur autorisation ( J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive, p. 55). Sur l’installation des couvents mendiants : S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré », p. 157-158. 290 Hélion de Villeneuve, commandeur devenu maître, délivra la bulle autorisant l’établissement des clarisses (56 H 4634 ; 25 septembre 1323). À la suite des dévastations commises par les routiers dans les années 1360, la réinstallation des carmes et des franciscains intra muros fut, de même, soumise à l’approbation du commandeur (56 H 20, 16v-17 ; 56 H 69, non folioté ; F. Reynaud, La commanderie, p. 86). 291 Item xii denarios fratribus minoribus amore Dei (CoHMa, § 23, 38, 76, 88, 95, 128, 143, etc. ; 56 H 835, f. 27v, 34v, 46 (Toussaint 1263), etc.

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des officialités serait une piste à considérer – et de l’apostolat mendiant292. Reste à se demander dans quelle mesure les hospitaliers purent envisager la justice comme un instrument au service de leur propre domination sur la ville. Cela revient à caractériser à grands traits le système répressif déployé, au pénal, par la cour de Manosque293. Sans rentrer dans les détails des crimes punis et des tarifications des peines, rappelons que la justice criminelle de l’Hôpital a d’abord préféré les amendes aux sanctions physiques. Ce constat rejoint l’idée, acceptée par de nombreux historiens, « d’une justice fiscalisée à l’extrême » (R. Lavoie) qui cherchait à tirer le maximum de profit des amendes294. Le constat n’apparaît guère plus original pour les peines corporelles qui, si elles étaient donc moins fréquentes, comportaient une forte valeur d’exemple, en montrant toute la force répressive de l’autorité seigneuriale. Toutefois, on a relevé un certain développement des peines afflictives à la fin du xiiie siècle, expliqué de deux façons : l’attachement plus grand à la valeur exemplaire de la marque physique, mais aussi la substitution de cette dernière à l’amende, dans un contexte où beaucoup de condamnés se révélaient désormais insolvables. Sur un registre criminel couvrant les années 1289-1300, les châtiments corporels représentent ainsi 2 à 4% du total des condamnations295. Même si c’est déjà plus que les estimations calculées pour les cours royales au même moment (0,5 à 3%), l’Hôpital préférait toutefois fustiger et exiler, plutôt qu’amputer mains et pieds ou marquer au fer rouge296. Finalement, ce schéma semble confirmer les intuitions de Rodrigue Lavoie qui caractérisait la justice de Manosque par « une sensibilité plus grande à l’égard de certains délits » – à caractère sexuel en l’occurrence –, « une attention particulière à l’égard des crimes féminins [et] une nette horreur du sang297 ». Dans quelle mesure cela est-il vraiment original et cela peut-il être lié « au caractère religieux du seigneur »298 ? Il est bien difficile de répondre, on l’a dit, sans établir de sérieuses grilles comparatives. Rodrigue Lavoie, enfin, avait soulevé une dernière question cruciale, qui n’a pas, non plus, été tranchée depuis : celle de la rentabilité des justices locales. Estimant à 15-20% du budget de l’État la part des recettes de la justice pour les années 1323-1324, il avait suggéré, à mon avis imprudemment, qu’« il en était naturellement de même pour

292 La genèse des officialités est encore mal connue en Provence mais l’on notera que la distinction entre justices temporelle et spirituelle fut très progressive (Th. Pécout, « Justices d’Église en Provence », p. 94-103). 293 Sur ce qui suit : P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 203-211. 294 Cette idée était déjà centrale chez Rodrigue Lavoie qui voyait dans la justice un « droit éminemment lucratif », en soulignant le fort attachement des hospitaliers de Manosque à cette exploitation fiscale de la justice (R. Lavoie, « Les statistiques criminelles », p. 6 et 12). 295 R. Lavoie, « Les statistiques criminelles », p. 15. 296 Le schéma général très rapidement esquissé ici se retrouve peu ou prou pour les petites juridictions templières de Lansac et Montfrin (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 391-392 ; Id., « La justice du commandeur », p. 250-253). 297 R. Lavoie, « Les statistiques criminelles », p. 18. 298 À raison, me semble-t-il, Laure Verdon doute que soit vraiment pertinente une distinction trop nette entre justice laïque et justice ecclésiastique dans le domaine des peines (L. Verdon, La voix des dominés, p. 129-130).

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les maîtres des petites seigneuries »299. En reprenant quelques données de l’enquête de 1338 sur les justices hospitalières, j’avais plutôt conclu au caractère fort variable de la situation d’une juridiction à l’autre. À Manosque, où il est possible de mettre en balance recettes et dépenses de la cour, j’avais calculé que la justice dégageait un excédent d’une dizaine de livres à peine300. Or, les comptes permettent désormais d’avoir une idée plus nette de la situation à l’époque de Bérenger Monge. Hormis le salaire du juge et quelques travaux de maintenance, ce registre ne fait apparaître aucune dépense de fonctionnement liée à la cour. Seul est inscrit le revenu de la justice (« presa curie ») qui abondait le budget global de la baillie, en général à la fin décembre et en mai-juin. Ces recettes se répartissent comme suit : Années 1283-1284   1284-1285   1285-1286   1286-1287   1287-1288   [1 semaine] 1288-1289     1289-1290   Totaux

§

l.

s.

d.

Totaux en d.

24 50 76 96 128 149 180 204 232 253 254 272 284 308 337 356  

66 32 100 32 53 49 164 89 193 42 0 88 19 43 46 59 1075

7 4 0 8 2 17 0 0 15 17 31 0 14 14 0 16 145

8 4 0 4 3 9 8 0 0 5 6 0 1 1 0 0 49

15 932 7 732 24 000 7 780 12 747 11 973 39 368 21 360 46 500 10 289 378 21 120 4 729 10 489 11 040 14 352 259 789

Fig. 16. Les revenus de la justice de Manosque pour les années 1283-1290 (d’après CoHMa, p. li)

Si la grande variabilité des recettes d’une année sur l’autre est, somme toute, normale, on retiendra surtout que celles-ci constituaient une part essentielle des revenus généraux de la baillie, soit 24,3% en moyenne sur les sept années d’exercice. Toutefois, l’enquête de 1338 invite à pondérer ce résultat car, si la justice rapportait, elle coûtait certainement très cher au seigneur. 299 R. Lavoie, « Les statistiques criminelles », p. 6-7. Ce chercheur fut l’un des premiers à recourir aux comptes des clavaires pour établir ses statistiques de la criminalité. Depuis, Michel Hébert a montré les apports et les limites de cette source mais, s’il a rappelé que la justice avait aussi un coût, il renonçait à en proposer une évaluation (M. Hébert, « La justice dans les comptes de clavaires », p. 205-220). 300 D. Carraz, « La justice du commandeur », p. 253-254.

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Faute donc de dresser un véritable bilan comptable, on se rassurera en renvoyant à la dimension symbolique de la justice, tout aussi inestimable. Et l’on peut s’interroger pour finir sur l’usage que l’Hôpital a pu faire, pour la défense de ses intérêts propres, de l’appareil judiciaire qui était sous son contrôle. Dans la seconde moitié du xive siècle, en des périodes marquées par les pénuries et les troubles militaires, les résistances au prélèvement seigneurial et notamment à la gabelle du vin étaient impitoyablement pourchassées par la curia. Il suffisait alors de la dénonciation d’un officier ou bien d’amorcer la procédure ex officio pour déclencher les poursuites301. Il est douteux qu’un siècle plus tôt, les résistances et leur répression aient pris un tour aussi systématique. Pour apparaître plus isolés, toutefois, les contentieux relatifs au paiement des taxes n’en sont pas moins attestés. Entre novembre 1241 et le printemps suivant, le commandeur Guilhem Uc porta ainsi une causa devant le juge Peire de Mota. En tant que détenteurs des diverses parts de la leyde, l’Hôpital et six laïcs, représentés par le syndic Ricau de Castro, s’opposèrent à un certain B. Peire qui prétendait prélever lui-même la leyde sur les produits qu’il vendait dans son propre ouvroir. Après convocation des parties et enquête de voisinage, le juge interdit à B. Peire de prélever la leyde à l’avenir, tandis que Ricau renonça à réclamer ce que ce dernier avait déjà perçu illicitement302. Bérenger Monge intenta de semblables actions, on l’a vu plus haut, pour l’infraction au prélèvement des cosses portée devant le juge Bartomieu en 1267303. Or, même si ce genre d’affaire était tranché selon les règles du droit savant – allégations des parties, conseil des sages –, celle-ci demeurait dans le domaine de la « questio » et il n’était pas encore question d’agir ex officio. Si la justice pouvait donc être une arme aux mains du seigneur, il semble que la force de l’encadrement seigneurial, que je définirais comme un mixte de légalité et d’arbitraire, dissuadait les oppositions frontales. Certes, les agents subalternes étaient, comme partout ailleurs, impliqués dans des rixes et il arriva également au bayle d’être pris à partie. Même Bérenger Monge, malgré l’aura de son capital symbolique, pouvait essuyer quelques injures304. En feuilletant les registres de justice, on relève encore quelques petites fraudes contre les intérêts du seigneur. Au printemps 1286 par exemple, la cour enquêta d’office sur le fait que des hommes étaient restés plusieurs jours avec les pasteurs de la commanderie, partageant leurs victuailles, pain et vin notamment, aux dépens des hospitaliers305. En 1291, ce sont deux hommes de l’Hôpital qui furent condamnés à une amende pour avoir ramassé quatre saumées de bois dans le Bois de l’Hôpital, en prétendant de surcroît que le frère Simon leur avait ordonné de les porter au palais306. Sans doute une plongée dans les registres révélerait bien d’autres affaires de ce genre, mais ces menus larcins

301 Steven Bednarski a recueilli 36 poursuites contre des contrevenants aux taxes entre 1341 et 1403, qui aboutirent à une condamnation dans presque tous les cas (S. Bednarski, Curia, p. 148-155). 302 56 H 944, f. 19-21. 303 56 H 4669 (29 juillet 1267). 304 En avril 1292, un certain Joan Blanchi se vit ainsi infliger une amende de 10 s. pour injures et diffamation à l’endroit du commandeur et du donat Uc Isnard qui l’accompagnait (56 H 954, f. 91v). 305 56 H 952, f. 40 (30 mai 1286). 306 56 H 953, f. 9v.

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au détriment de la commanderie sont finalement banals, noyés dans le quotidien de la petite délinquance que l’on retrouve dans toutes les communautés rurales. Il est difficile d’y voir une contestation caractérisée de l’ordre seigneurial et je ne pense pas que le temps soit déjà venu des empiétements tout à fait assumés et revendicatifs sur les défens ou les pâturages de la commanderie307. Il est vrai qu’à partir du dernier quart du xiiie siècle, les justiciables sauront jouer de la proximité de plus en plus insistante du pouvoir princier en transportant leurs causes en appel à la cour de Forcalquier. Il s’agit bien là d’une forme de défiance de nature, nous le verrons, à déclencher la fureur des hospitaliers. Mais nulle part je n’ai trouvé trace d’actes de résistance forts, à la différence, par exemple, de la seigneurie de Lansac où il arriva que quelques habitants profitent de la nuit pour escamoter les « fourches de la justice du Temple308 ». Sans doute est-ce parce que la curia Hospitalis avait su imposer la confiance aux Manosquins, jusqu’aux membres de la communauté juive, et qu’en définitive, un consensus régnait autour de l’ordre établi par les hospitaliers. Toutefois, on a noté que la surveillance de la population s’intensifia à partir des années 1270, sur fond de raidissement moral et religieux, tandis que le monopole de la procédure inquisitoire tendit à déposséder les habitants de l’action judiciaire309. Aussi les Manosquins profitèrent-ils d’une mutation dans l’administration de la commanderie, avec l’avènement de commandeurs éphémères ou absentéistes, pour ébranler les fondements de l’autorité seigneuriale. Sans épouser la vision romantique de certains érudits pour lesquels le gouvernement de Bérenger Monge fut marqué du sceau de la bienveillance à l’égard des Manosquins, on conviendra qu’entre les années 1230 et 1290, un certain équilibre s’était établi sous l’égide de l’ordre seigneurial. * Les hospitaliers qui administraient la commanderie et la seigneurie de Manosque partageaient, au fond, un peu l’habitus des notaires qu’ils employaient. Ils vivaient au milieu des registres et des caisses de parchemins et l’odeur de l’encre ne les rebutait sans doute pas. On les a vu établir des listes de tenanciers et de corvéables, compiler des actes de transactions, tenir toutes sortes de comptes… Il s’agissait bien, dans leur esprit, d’engranger des informations sur les personnes, les biens, le territoire pour avoir une vision aussi précise que possible de l’étendue de leur dominium. Les frères et leurs « gratte-papiers » n’étaient pas seuls, toutefois. On imagine encore les sergents-messagers comme les crieurs stipendiés par la commanderie sillonner

307 Comme on pourra l’observer, par exemple, deux siècles plus tard dans quelques seigneuries de l’Hôpital du Devès (L. Cornu, « Micro-résistances au pouvoir seigneurial en Velay au xve siècle », in G. Brunel et S. Brunet (dir.), Haro sur le seigneur ! Les luttes anti-seigneuriales dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, 2009, p. 187-198). 308 CT.TLL, no 14-2 (30 juin 1267). 309 Sur la confiance et l’impartialité reconnues à la cour, puis sur les conséquences du remplacement de la procédure accusatoire traditionnelle par l’inquisitoire : P. MacCaughan, La justice à Manosque, p. 71, 155 et 245.

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la ville et son territoire, qui pour porter des citations en justice ou aller quérir un avocat, qui pour proclamer le statut du jour ou bien le dernier mandement du commandeur. On a vu, enfin, combien l’espace public s’était trouvé investi par les rituels de reconnaissance de la domination seigneuriale : les aveux et dénombrements emphytéotiques étaient publicisés, autant que les serments de fidélité et l’hommage des « hommes de l’Hôpital » ou bien des vassaux nobles. Sans même parler de l’investissement des rues et des places par le spectacle des cérémonies judiciaires… En bref, il s’agissait également de communiquer. Par sa maîtrise de l’information et de la communication – Pierre Bourdieu aurait appelé cela la concentration du « capital informationnel » –, la seigneurie de l’Hôpital dépassait donc de loin « les formes élémentaires de la domination » et annonçait déjà des pratiques de contrôle caractéristiques de l’État moderne310. Rien n’incarne peut-être mieux ce tournant bureaucratique du pouvoir seigneurial que l’exercice de la justice. La machine judiciaire est apparue comme une institution quasi-autonome au sein de la seigneurie hospitalière, avec sa curia matérialisée dans l’espace urbain, son personnel, ses archives311. L’autonomie du champ judiciaire n’était, cependant, pas tout à fait accomplie. Il suffit d’évoquer les juges de la cour, pour la plupart bien implantés à Manosque et sans doute connus des habitants. Enracinés dans leur charge, ces magistrats fréquentaient les hospitaliers pour lesquels ils pouvaient travailler en marge de leur office. En étroite collaboration avec le commandeur et surtout avec le bayle, ces juges pratiquaient d’abord une justice de proximité, attachée à l’établissement de la paix sociale et au compromis. Puis, avec la diffusion de la procédure inquisitoire, on a observé un glissement vers un système de surveillance de la population ou, en tout cas, de certains groupes à risques. Dans leur seigneurie, les hospitaliers ont donc organisé un processus de contrôle social qui, à une autre échelle, relevait de la prérogative de l’État princier. En même temps, ils n’hésitèrent pas à recourir à la justice pour faire respecter l’ordre seigneurial, notamment contre les contrevenants aux règlements de police rurale ou au prélèvement fiscal, parfois en usant déjà de la procédure d’office312. La surveillance, toutefois, rencontrait bien vite ses limites. Par exemple, derrière les procès intentés aux mauvais payeurs, se devine une résistance larvée au prélèvement fiscal dont on ne peut mesurer l’ampleur.

310 « Les formes élémentaires de la domination » caractérisent une société où les dominants doivent sans relâche travailler « à produire et à reproduire les conditions incertaines de la domination » et où cette dernière s’exerce directement d’une personne sur une autre (P. Bourdieu, « Les formes de domination », Actes de la recherche en sciences sociales, 2 (1976), p. 126). Il y a, certes, encore de cela dans la domination seigneuriale exercée par les hospitaliers. Mais ces derniers gouvernaient aussi désormais grâce à des superstructures – l’administration, la justice, la fiscalité – capables d’instaurer des rapports de pouvoir dépersonnalisés. Sur la genèse du champ bureaucratique au service de l’État : P. Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, 1994, p. 114-115. 311 Le rattachement de la cour à la commanderie se manifeste toutefois par l’usage de la matrice à la croix pattée (c’est-à-dire l’avers de la bulle de la commanderie) pour imprimer les cachets de cire servant à sceller les cédules. 312 Il semble que la procédure ex officio apparaisse dans des enquêtes civiles concernant des préjudices subis par l’Hôpital à partir des années 1280. Or, on notera que cette procédure était, en principe, plutôt réservée au niveau pénal (G. Giordanengo, « Statuts royaux et justice », p. 120).

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Au-delà, donc, des multiples formes de micro-résistances opposées au système seigneurial par des individus, une communauté s’est également structurée dans sa longue et constante opposition à l’autorité seigneuriale. Si elle n’obtint pas de droits politiques déterminants, l’universitas entreprit de négocier pied à pied pour obtenir un allégement du fardeau fiscal. La composition concédée par Bérenger Monge en 1293 constitua à ce titre une avancée décisive. Par le biais de la question des cavalcades, celle-ci introduisit toutefois un troisième acteur : le pouvoir princier, dont la présence allait bientôt s’avérer de plus en plus insistante. De la même manière, les notables de la communauté s’efforcèrent de contrôler l’élaboration de la norme. Les documents ne montrent pas comment s’exerça pratiquement la potestas statuendi, sauf en laissant deviner que Bérenger Monge esquiva du mieux qu’il put l’intervention des prudhommes. Mais qu’importe, car l’élaboration d’une réglementation locale – les « jura municipalia loci Manuasce » – fut le fruit d’un certain consensus, sans quoi on ne comprendrait pas l’enregistrement, dans le Livre des privilèges, des statuts promulgués par le seigneur-commandeur. Compilé en 1315, ce cartulaire-monument résume à lui-seul les destins liés de l’universitas et des hospitaliers : ces derniers sont présents à chaque feuillet, par les statuts qu’ils édictèrent, les franchises qu’ils concédèrent, les privilèges qu’ils confirmèrent. La conquête des libertés s’est donc portée sur le terrain du droit et de l’écrit, preuve que les habitants eux-mêmes vivaient désormais à l’ère de la « seigneurie administrative ». En effet, même si la population était armée, face à un seigneur capable de se défendre manu militari, sans doute était-il difficile de faire un usage ouvert de la violence. Les hospitaliers n’étaient pas, par exemple, les bénédictins d’Aurillac qui, à plusieurs reprises, subirent les assauts de leurs bourgeois313 ! En définitive, la notion de « disciplined dissent » proposée par Fabrizio Titone s’applique parfaitement ici : les habitants se sont appropriés la culture politique et juridique des seigneurs pour conférer une légitimité à leurs revendications314. De fait, c’est bien par la négociation que les Manosquins arrachèrent peu à peu leurs libertés. De ce point de vue, le dialogue était facilité par la présence de plusieurs groupes placés à l’interface entre la population et le seigneur : juristes d’origine locale mais employés comme juges ou notaires par la commanderie, marchands ou laboureurs comptés parmi les prudhommes mais liés aux hospitaliers par les affaires, et même quelques petits nobles, entretenant éventuellement avec les frères une solidarité de « caste » ou familiale et encore heureux de leur vendre des terres… Bérenger Monge, Peire de Saint-Martin et les autres étaient donc bien trop insérés dans la société urbaine pour laisser la possibilité d’une confrontation ouverte. Le

313 R. Grand, Les “Paix” d’Aurillac. Étude et documents sur l’histoire des institutions municipales d’une ville à consulat (xiie-xve siècle), Paris, 1945, p. xlv-xlviii. 314 Le concept, qui s’inscrit dans le « political turn » attaché à l’étude des mouvements de contestation, vise précisément à dépasser l’opposition binaire entre consensus et résistance et à montrer comment l’opposition à la domination peut épouser des formes de légalité (F. Titone, « Introduction. The Concept of Disciplined Dissent and its Deployment : A Methodology », in F. Titone (dir.), Disciplined Dissent. Strategies of Non-Confrontational Protest in Europe from the Twelfth to the Early Sixteenth Century, Rome, 2016, p. 7-22).

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temps n’était pas encore celui des baillis absentéistes déléguant à des fermiers haïs l’administration de la seigneurie… On s’est efforcé, sur ce long xiiie siècle, de déceler des inflexions chronologiques. Il semble qu’un consensus prédomina au cours des trois premières décennies de l’administration de Bérenger Monge. Celui-ci s’efforça de répondre aux préoccupations des Manosquins et d’apaiser les contentieux au sein de la communauté, voire même de veiller à la défense des intérêts de « ses hommes » face aux revendications des églises locales. Puis, on a relevé un changement d’ambiance à partir des années 1280. Désormais, la communauté mieux organisée était capable d’arracher de sérieuses concessions fiscales et la confirmation de ses privilèges. En même temps, on soupçonne que l’évolution vers une justice moins ouverte à la coutume du compromis et plus répressive précipita la rupture de certains équilibres, à la fois au sein de la communauté et dans les relations entre cette dernière et son seigneur. De ce point de vue, les premières accusations de sorcellerie comme les rumeurs contre les juifs inaugurent une ère nouvelle qui n’est déjà plus celle de la génération de Bérenger Monge. En cette « phase pré-institutionnelle de la communauté urbaine », le commandeur est tout de même parvenu à verrouiller les possibilités d’émancipation politique des Manosquins315. C’est seulement entre 1316 et 1334, en effet, que l’universitas obtint de la part du maître Hélion de Villeneuve une série de concessions politiques déterminantes. Chevalier attaché à son statut de seigneur, Bérenger Monge parut peut-être moins « libéral » que Guillaume de Villaret, un supérieur assuré de son pouvoir. Bien avant d’agir comme recteur du Comtat Venaissin, cet homme d’administration avait acquis l’expérience de la négociation avec les communautés d’habitants, si l’on se fie aux franchises ou statuts qu’il concéda à plusieurs villages dominés par l’Hôpital, dont celui de Tallard316. Bérenger Monge, quant à lui, préféra s’imposer en médiateur et en garant de la coutume, préoccupé par l’harmonie sociale et l’intérêt de ses sujets. Il se réserva sans doute de siéger à la curia pour recevoir les appels et accorder son droit de grâce, tout en laissant son bayle arpenter le terrain, au contact des administrés. Mais j’imagine qu’il siégeait de préférence dans l’une des belles salles du palais où il traitait là les affaires de sa seigneurie. L’une des grandes affaires, précisément, fut de marquer aussi, dans le paysage, cette dominatio Manuasche. Car Bérenger Monge fut encore un grand bâtisseur…

315 L’expression est de M. Hébert, « Travail et vie urbaine », p. 157. 316 C’est là un aspect intéressant de la carrière de ce grand dignitaire qui mériterait d’être étudié (cf. An. II, D-1, no 6, aux dates de 1276, 1278, 1297 et 1299).

Troisième partie

Le rayonnement

Chapitre vi

Œuvrer pour la postérité Le commandeur-fondateur

L’ambition de Bérenger Monge ou, tout au moins, ses talents d’administrateur lui firent obtenir deux commanderies parmi les plus prestigieuses du prieuré de Saint-Gilles. Or, sans doute n’était-ce pas un hasard si ces maisons d’Aix et de Manosque se trouvaient, non à la tête de quelque seigneurie rurale mais au cœur d’une ville peuplée, car c’était là désormais que se concentraient les pouvoirs politiques, les pôles d’impulsion de l’économie et les centres de diffusion des nouveaux savoirs. De fait, c’est bien à partir de villes majeures – Saint-Gilles, Toulouse, Aix, Marseille, bientôt Avignon… – que l’Hôpital était désormais gouverné et que s’organisait l’essentiel de ses missions. Aussi, après que l’historiographie classique ait si longtemps vu les ordres militaires comme des institutions prioritairement liées au monde féodal et à des structures de production rurales, insister aujourd’hui sur le tropisme urbain des commanderies est presque devenu un autre lieu commun1. Inspirée par les fécondes réflexions relatives aux nouveaux ordres urbains ou bien à l’inurbamento de congrégations plus anciennes, la recherche récente s’est notamment préoccupée de la contribution des commanderies à la fabrique de la ville2. Cette dernière notion, qui propose d’appréhender le paysage urbain comme le résultat d’un processus social dynamique, a en effet permis de montrer de quelles façons les ordres militaires avaient soutenu l’élan d’urbanisation et modelé la topographie des quartiers dans lesquels ils s’étaient insérés3. Les particularités qui présidèrent à l’implantation des hospitaliers à Aix et à Manosque rendent donc intéressante la comparaison entre les deux cas. À Aix, la commanderie édifiée hors des anciens noyaux de peuplement, dans un secteur à l’occupation lâche, n’a pas eu d’influence déterminante sur le tissu urbain, tandis





1 Tout essai de synthèse se doit aujourd’hui de consacrer au moins quelques paragraphes au rapport à la ville : K. Toomaspoeg, « Ville », in DOMMA, p. 964-966 ; A. Demurger, Les hospitaliers, p. 292-296 ; H. Nicholson, The Everyday Life of the Templars. The Knights Templar at home, Stroud, 2017, p. 43-46. 2 Pour un retour sur le concept : H. Noizet, « Fabrique urbaine », in J. Lévy et M. Lussault (dir.), Dictionnaire de la gégraphie et de l’espace des sociétés?, Paris, 2013, p. 389-391. Et pour un riche bilan sur l’inurbamento des réguliers dont les problématiques dépassent le cadre italien : C. Caby, « Les implantations urbaines des ordres religieux dans l’Italie médiévale. Bilan et propositions de recherche », Rivista di storia e letteratura religiosa, 35 (1999), p. 151-179. 3 Pour une rapide réflexion comparative à l’échelle de l’arc méditerranéen : D. Carraz, « Les commanderies dans l’espace urbain. Templiers et hospitaliers dans les villes de l’Occident méditerranéen (xiie-xiiie siècle) », in C. Caby (dir.), Espaces monastiques et espaces urbains de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge, Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 124/1 (2012), p. 119-136.

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que la réalité matérielle de la maison demeure elle-même mal connue. À Manosque, au contraire, la puissante seigneurie hospitalière a pu, en théorie, exercer un rôle déterminant sur la construction du paysage urbain. Pourtant, son impact fut essentiellement circonscrit aux environs du palais, peut-être parce que le seigneur dut composer avec la communauté d’habitants, qui entendait bien s’imposer comme un autre agent de la fabrique du territoire. D’ailleurs, par un retour de l’Histoire, c’est cette même communauté qui, cinq siècles plus tard, imprima à son tour une marque indélébile dans la ville en éradiquant totalement le palais de l’Hôpital, vestige d’un passé honni4. Toutefois, la richesse de la documentation écrite autorise des hypothèses de restitution de cette vaste résidence seigneuriale et de l’évolution de ses espaces internes. Réfléchir ainsi, sur la base des seules traces écrites, à un type d’architecture civile adaptée à une communauté religieuse, s’est donc présenté comme une sorte de défi heuristique. Les bienfaits prodigués à l’Hôpital par les maisons comtales de Provence et Forcalquier expliquent que les chapelles conventuelles accueillirent des sépultures princières, à Aix comme à Manosque. Dans cette dernière ville, l’église Saint-Pierre qui abritait les dépouilles des derniers comtes de Forcalquier a fini par disparaître au début du siècle dernier. Or, si l’édifice demeura un lieu de dévotion partagé entre les habitants et les hospitaliers, Bérenger Monge se préoccupa surtout d’accroître l’éclat de la chapelle dédiée à saint Géraud, dans le cadre d’un ambitieux programme de réaménagement du vieux palais comtal. Tout autre fut la situation à Aix où l’église Saint-Jean de Malte est, aujourd’hui encore, l’un des fleurons du patrimoine architectural de la ville. La chronologie de la construction de cette église, réalisée sous le patronage des comtes Raimond Bérenger V puis Charles Ier d’Anjou, est encore assez confuse. Aussi faudra-t-il tenter de clarifier les étapes de ce chantier, tout en s’interrogeant sur le rôle de Bérenger Monge, qu’une longue tradition considère comme le principal maître d’ouvrage. Au-delà de l’empreinte, plus ou moins profonde, de la présence de l’Hôpital sur le paysage urbain, les initiatives édilitaires de Bérenger Monge serviront donc de fil-conducteur à ce chapitre. Présenté comme le responsable de la reconstruction de l’église Saint-Jean, si ce n’est de l’aménagement de la nécropole comtale, le commandeur attacha pour toujours son nom au rayonnement du prieuré d’Aix. Pourtant, c’est à Manosque qu’il eut le plus de latitude pour faire montre de son éminence sociale en adoptant des manières de châtelain. Riche de sens, la fondation qu’il établit en 1283 a revêtu plusieurs dimensions liées entre elles. Il s’agissait d’une œuvre pieuse au bénéfice de ses frères qui permettait au commandeur de raffermir son autorité sur la communauté hospitalière en faisant étalage de « générosités nécessaires »5. Il s’agissait encore d’instituer ou bien de renforcer plusieurs cultes liés à l’histoire

4 Aujourd’hui encore, au niveau de la place du Terreau, le vide béant laissé par la destruction du palais marque la physionomie du centre-ville, comme le montre notamment la photographie aérienne. 5 L’expression, qui a fait florès à la suite de son emploi par Georges Duby, renvoie surtout à l’économie du don qui, par le biais de la redistribution, créait des réseaux d’obligations entre dominés et dominants (E. Magnani, « Les médiévistes et le don. Avant et après la théorie maussienne », Revue du MAUSS, 31-1 (2008), p. 525-544).

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de la présence hospitalière à Manosque : l’entretien de la memoria de Guilhem II de Forcalquier, certes, mais également la dilection adressée à un autre comte, plus ancien, avec la figure de saint Géraud d’Aurillac. Enfin, cette fondation a concrétisé et accompagné l’ample projet architectural conduit au palais fortifié. Or, à l’inverse de la situation observée à Aix, il n’est pas évident que Bérenger Monge parvint à lier son nom à la résidence seigneuriale qui finit, d’ailleurs, annihilée sous les coups de la vengeance révolutionnaire. En revanche, le souvenir de sa fondation pieuse fut longtemps entretenu par les offices et commémorations ordonnés à perpetuité. En un sens, appréhender ainsi Bérenger Monge en tant que « commandeur-fondateur » permet donc de prolonger la réflexion entamée dans les chapitres précédents sur les temporalités à l’œuvre dans les phénomènes d’individuation6. En l’absence de testament ou d’autre témoignage personnel, ce sera enfin l’une des seules façons d’approcher, d’assez loin encore, un aspect de la religiosité du commandeur.

Saint-Jean d’Aix : le maître d’ouvrage de la commande royale Fondation et refondation : un chantier séquentiel

On a déjà souligné comment les comtes de Provence avaient accompagné les premiers développements de l’Hôpital à Aix et combien avait été déterminante la dévotion portée par Raimond Bérenger V et Béatrice de Savoie. Les frères devaient disposer d’un pied-à-terre dans les années 1180, éventuellement sur un terrain cédé par le comte Alphonse Ier. Mais ce n’est probablement pas avant la mention d’un commandeur permanent, au début des années 1230, que la commanderie connut un véritable développement monumental et se dota notamment d’un lieu de culte. Une tradition en ce sens circulait au sein de l’ordre de Malte et s’affirma au xviie siècle, lorsque Viany fit inscrire la date de fondation de 1232 à la façade de l’église Saint-Jean7. On peut se demander où le prieur d’Aix avait pu trouver cette date ? La seule piste que je propose est la mention, parmi les témoins d’un acte passé en 1232 à la maison d’Aix, d’un maître lapicide nommé Peire Isnard8. L’un de ces archivaires, qui fréquemment compulsaient les vieilles chartes, aura sans doute associé cette présence à la construction de la chapelle. Et il n’avait pas tort, même s’il s’agit d’une indication que des travaux se déroulaient probablement et non d’une date de fondation.



6 J’entends « individuation » comme le processus historique de prise de conscience de soi (D. Martuccelli, « Les trois voies de l’individu sociologique », EspacesTemps.net, 2005 [en ligne]). L’expression de « commandeur-fondateur » est un décalque inspiré par la figure de l’abbé fondateur et bâtisseur de « l’âge roman », mise en exergue par les chroniqueurs et hagiographes (D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006, p. 331-333). 7 Cf. supra chap. liminaire, p. 39. 8 Actum Aquis in dicto Hospitali, testibus […] Petri Isnardi, magistri lapidis… (56 H 4185bis ; 1er mars 1232, ancien style).

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Les hospitaliers étaient alors suffisamment implantés dans le paysage religieux pour que les chanoines de Saint-Sauveur s’en inquiètent. À l’été 1234, intervint en effet un arbitrage entre ces derniers et Bertrand de Comps, prieur de Saint-Gilles, au sujet de l’oratoire Saint-Jean, des revenus afférents – oblations, legs, dîmes et autres –, des élections de sépulture et de l’administration des sacrements9. De façon classique pour ce genre de composition passée entre le clergé séculier et les nouveaux établissements réguliers, le lieu de culte de l’Hôpital ne fut pas autorisé à posséder plus d’un autel et de deux cloches10. S’agissait-il d’une construction ex novo ou bien cet oratoire venait-il remplacer un édifice préexistant, comme le pensait Jean Raybaud11 ? À cette question, fréquemment posée s’agissant des lieux de culte attachés aux commanderies urbaines, il est impossible d’apporter une réponse assurée12. Je suppose, toutefois, que l’installation très progressive des hospitaliers dans la ville, ainsi que la surveillance étroite de l’archevêque et du chapitre, laissent peu de place à l’hypothèse d’une chapelle primitive13. Il est concevable, en revanche, que l’initiative de la fondation soit bien revenue au prieur Bertrand de Comps14. S’il n’est pas du tout avéré que la demande initiale vint de Raimond Bérenger V lui-même, ce dernier manifesta bien vite son intérêt pour cette fondation. Entre 1235 et 1241, le prince octroya une rente au luminaire, finança l’entretien d’un collège d’au moins cinq chapelains et surtout établit sa sépulture en l’église de l’Hôpital15. À la suite de son décès survenu à l’été 1245 à Aix, c’est bien dans le nouveau mausolée dynastique qu’il reposa, aux côtés de son père Alphonse II16. Finalement, le 3 mai

9 56 H 4175 (28 juillet 1234) ; éd. A. Coste, Le chapitre métropolitain de Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence d’après son chartrier (xie siècle-1245), mémoire de maîtrise, Université de Provence, 2002, p. 187-191 (d’après 2 G 8, no 45). 10 Pour une vue d’ensemble de ce type de compositions, particulièrement répandues pour les ordres militaires : D. Carraz, « Églises et cimetières des ordres militaires. Contrôle des lieux sacrés et dominium ecclésiastique en Provence (xiie-xiiie siècle) », in Lieux sacrés et espace ecclésial (ixe-xvesiècle), Toulouse, 2011, p. 277-312. 11 « Comps entreprit, environ le même temps, la batisse de l’église de Saint-Jean d’Aix, il n’y avait auparavant qu’une petite chapelle. » ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 145 ; ms. 338, p. 122-123). Sans s’appuyer sur Jean Raybaud, Ferréol de Ferry partageait la même opinion (F. de Ferry, La commanderie et le prieuré, p. 7 et 11). 12 La question se pose dans les mêmes termes pour les templiers d’Avignon qui reçurent très tardivement, en 1273 seulement, l’autorisation d’ériger leur chapelle. Or, si l’on imagine difficilement que la communauté soit restée sans lieu de culte conventuel pendant près d’un siècle, aucun indice n’atteste l’existence d’un oratoire primitif (D. Carraz, « Une commanderie templière et sa chapelle en Avignon : du Temple aux chevaliers de Malte », Bulletin monumental, t. 154-I (1996), p. 13-14). 13 Quelques années plus tôt, en avril 1191, le chapitre avait déjà réussi à bloquer la construction de l’oratoire des templiers dans la paroisse Saint-Sauveur (D. Carraz, « Églises et cimetières », p. 284). 14 À la suite de Raybaud, Roux-Alphéran reprit cette assertion en rajoutant que l’ordre de construction avait été donné par Raimond Bérenger V (Fr. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence, vol. 2, Aix, 1846, p. 297). 15 Cf. supra chap. i, p. 84 et fig. 17. 16 Au retour du concile de Lyon, le comte mourut le 19 août dans son palais, probablement revêtu du manteau des hospitaliers (Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 267-268). La tradition veut qu’en attendant l’achèvement de l’église hospitalière, le corps du comte fut déposé dans la cathédrale ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 160).

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1251, l’église était dédicacée en l’honneur de saint Jean-Baptiste, par le cardinal-évêque d’Albano Pietro da Collemezzo, assisté de l’évêque de Banias17. Cette cérémonie marquait probablement l’achèvement des travaux qui devaient alors se poursuivre depuis au moins deux décennies. On peut penser que le projet entamé autour de 1230 connut des modifications et fut peut-être même amplifié, à partir du moment où le comte choisit le lieu pour dernière demeure18. Il faut remarquer, dans ce contexte, le rôle du pape Innocent IV. C’est à sa demande qu’en mai 1251, l’évêque d’Albano accorda une année et quarante jours d’indulgence aux fidèles qui visiteraient l’église Saint-Jean dans la quinzaine suivant la date de dédicace19. L’intérêt du pape pour la fondation hospitalière a pu être éveillé par le comte car les deux hommes se connaissaient et partageaient un certain nombre de vues politiques20. Cependant, précisément en cette même période, Bérenger Monge était lui-même en contact avec la curie, dans l’affaire qui opposait sa commanderie de Manosque à l’évêque de Sisteron. À la fin de ce même mois de mai 1251, le commandeur rencontra probablement Innocent IV à Gênes21. Il serait donc étonnant que Bérenger Monge se soit privé de parler au pape de l’achèvement de la chapelle de sa commanderie d’Aix. Dès lors, le lieu de culte devint le centre de toutes les attentions. Béatrice de Savoie avait décidé de faire de sa nouvelle fondation des Échelles un autre pôle ecclésial dédié à la mémoire du comte. Le préambule de la charte de fondation exalte assez, en effet, la valeur salvifique du don au bénéfice de son époux, de leur progéniture et de leurs prédécesseurs, sans oublier la propre mère de la comtesse22. Or, c’est bien là, au cœur de son domaine savoyard et non à Saint-Jean d’Aix, que la comtesse reposa à partir de décembre 1264. Pour autant, elle ne cessa de prodiguer ses faveurs à cette dernière église, en développant notamment la chapellenie fondée par son mari (fig. 17). Probablement par l’action efficace de ses procureurs à la curie, Bérenger Monge continua également à retenir l’attention de la papauté. À deux reprises, en effet, en 1254 puis en 1259, Alexandre IV décréta

17 56 H 4175 = CGH, t. 2, no 2562. 18 À ce titre, la remarque de Raybaud attribuant à Raimond Bérenger V la construction du chœur n’est pas irrecevable, même si la présence des armes comtales à la clé de voûte ne constitue pas une preuve. L’archivaire ignorait en effet que l’église avait été entièrement reconstruite sous Charles Ier ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 151). 19 56 H 4175 = CGH, t. 2, no 2562 (3 mai 1251). 20 Sur l’alliance entre Innocent IV et Raimond Bérenger V : Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 156, 162-163 et 268-270. 21 A. Venturini, « Un compte de voyage par voie de terre de Manosque à Gênes en 1251 », Provence historique, 45 (1995), p. 28-29. Les deux hommes auraient pu éventuellement se rencontrer dès le passage du pontife à Aix, entre le 25 et le 29 avril 1251 (GCN, t. 1, col. 68-69). 22 Eapropter noverint universi, presentes et posteri, quod nos Beatrix, relicta inclite recordationis domini R(aimundi) Berengarii, comitis Provincie, diem extremi examinis cupientes pietatis et misericordie operibus prevenire, ac eternorum intuitu seminare in terris quod multiplicato fructu in celis, Deo propicio, recolligere valeamus, attendentes quod “qui seminat in benedictionibus, de benedictionibus et metet vitam eternam” (II Cor., 9, 6), sic in remedium et salutem anime nostre ac felicis memorie domine M(argarite), matris nostre, et domini comitis antedicti et progenitorum seu predecessorum nostrorum, ad laudem et gloriam Dei omnipotentis et gloriose virginis Marie ac beati Johannis et sanctorum omnium… (CGH, t. 2, no 2965 ; 8 novembre 1260).

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une indulgence de quarante jours pour les fidèles qui visiteraient l’église Saint-Jean, respectivement le jour de sa consécration et à la fête du saint dédicataire23. Qu’est ce qui pourrait justifier ces incitations répétées pour que les fidèles visitent l’église hospitalière et, naturellement, gratifient l’ordre de leurs aumônes par la même occasion ? C’est à se demander si, peu après la première dédicace de 1251, un chantier n’avait pas repris, cette fois-ci résolument à l’initiative de Bérenger Monge24. En effet, je ne vois pas d’autre explication à l’inscription, qui se voyait sur le mur du chevet jusqu’en 1694 et où Bérenger Monge se proclamait « edificator ecclesiae Sancti Ioannis Aquensis » en l’année 1264 (ill. A, no 8). J’ai déjà discuté, à propos des armes des Monachi qui lui étaient associées, l’authenticité de cette inscription peinte sur le mur25. Si les armoiries et le texte ont pu être repeints à plusieurs reprises, y compris dès la reconstruction de l’édifice gothique, je présume fortement que cet affichage fut commandité dès 1264 par l’intéressé, afin de s’approprier l’achèvement de la construction26. Après tout, d’autres dignitaires de l’Hôpital se soucièrent tout autant de laisser témoignage de leur action de constructeur. On peut citer le cas, tout à fait contemporain, du prieur d’Auvergne Chatard de Bulhon (1248-1261 ; † 1282) qui, sur son épitaphe, fit rappeler qu’il avait édifié l’église prieurale de Montferrand27. La chapelle d’Aix, dont la construction avait été entamée autour de 1230, n’était encore qu’une « parvula ecclesia » en 1248, selon les dires du franciscain Salimbene de Parme qui passait alors à la commanderie28. Pourquoi ne pas imaginer que Bérenger Monge

23 56 H 4175 (26 avril 1254 et [3 mars-3 décembre] 1259). Alors que les trois actes d’indulgence en faveur de Saint-Jean ont été attachés ensemble et reçurent la même cote (no 2 liasse D), une autre pièce (cotée no 3 liasse D) comporte la copie des trois bulles sur le même parchemin. 24 La concession d’indulgences constitua, à partir du xiiie siècle, une incitation caractéristique aux dons en faveur des œuvres de construction ( J.-L. Biget, « Recherches sur le financement des cathédrales du Midi au xiiie siècle », in La naissance et l’essor du gothique méridional au xiiie siècle, Toulouse, 1974, p. 131-132). Avec le soutien de la papauté, les hospitaliers firent encore un large usage des indulgences en faveur de leurs églises (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 338-339). 25 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, p. 109-110 ; cf. supra p. 41 et 150. 26 Certes, on ne peut exclure que l’inscription « a pu être peinte beaucoup plus tard, en rappel de l’œuvre du premier constructeur » (Y. Esquieu, « L’église des hospitaliers de Saint-Jean de Malte à Aix », in Pays d’Aix. Congrès archéologique de France, 143e cession, 1985, Paris, 1988, p. 111). Mais on ne voit pas bien qui aurait pu se préoccuper d’honorer ainsi le commandeur Monge tant que le souvenir de son action était encore frais : aucun parent ne lui succéda à une position élevée à l’Hôpital et les dignitaires qui eurent une influence à Saint-Jean d’Aix – par exemple Guillaume et Foulques de Villaret ou bien Dragonet de Mondragon – se soucièrent avant-tout de leur propre promotion. 27 R. Favreau et alii, Corpus des inscriptions de la France médiévale, t. 18, Allier, Cantal, Loire, Haute Loire, Puy de Dôme, Paris-Poitiers, 1995, p. 209, no 58 : …edificavit istam ecclesiam et plurima alia bona fecit in prioratu predicto… (18 mai 1282). Cf. encore : J.-B. de Vaivre, « Les six premiers prieurs d’Auvergne de l’ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem », Comptes-rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 141 (1997), p. 985-987. 28 Mortuus est etiam ibi comes et sepultus extra civitatem in quadam parvula ecclesia, ut vidi oculis meis, in nobilissimo et pulcherrimo sepulchro quod filia sua regina Francie fieri fecit. (Salimbene de Adam, Chronica, vol. 2, éd. G. Scalia, Bari, 1966, § 429 ; Salimbene de Adam de Parme, Chronique. Traduction, introduction et notes, vol. 1, dir. G. Besson et M. Brossard-Dandré, Paris, 2016, p. 568-569). Sur le séjour à Aix de Salimbene : J. Paul, « Le voyage en France de frère Salimbene (1247-1248) », in Voyage, quête, pèlerinage dans la littérature et la civilisation médiévales, Aix-en-Provence, 1976, p. 46, 48 et 56.

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trouva cet édifice un peu trop modeste pour abriter les dépouilles princières et qu’il entreprit alors de lui donner une autre ampleur ? Il serait même probable, dans cette hypothèse, que la demande émana de la comtesse Béatrice de Savoie elle-même, dont on a tenté de mettre au jour les relations avec le lignage de Monachi. Comme il est très probable que le mausolée comtal se trouvait déjà dans le chœur, c’est cette partie de l’édifice, qui accueillit justement son texte épigraphique, que le commandeur aura choisi de faire reconstruire. Ce chœur liturgique se greffait-il déjà à un transept ? Si on ne peut anticiper sur ce que l’on sait de l’aménagement de la nécropole sous Charles Ier, lorsque le mausolée fut positionné à l’entrée du bras nord du transept, une comparaison illustre incite à évoquer l’hypothèse. Dans les années 1220-1230, l’église Saint-Jean de l’Isle, dans le prieuré de France, reçut un nouveau chœur à la mode du gothique rayonnant. Or, les nécessités liturgiques liées à la fondation d’un collège de treize chapelains expliquent ici la présence d’un transept saillant, selon un dispositif rare dans les chapelles des ordres militaires29. Il n’est donc pas exclu que la « version gothique » de Saint-Jean d’Aix ait repris, à la formule précédente, le dispositif d’un transept saillant et largement décloisonné, qui constituait une nouveauté dans la région (pl. 7). Car l’église parfois attribuée à Bérenger Monge n’est pas, on le sait bien désormais, l’édifice que nous avons sous les yeux aujourd’hui30. Les circonstances de la reconstruction complète de l’église Saint-Jean en style gothique sont assez connues pour qu’il suffise de rappeler la trame chronologique31. Décédée le 23 septembre 1267 dans le royaume de Sicile, Béatrice de Provence avait émis le souhait de reposer auprès de ses aïeuls paternels, en l’église Saint-Jean d’Aix32. Charles Ier avait traîné pour exhausser ce vœu et le pape Clément IV, lui même sollicité par le prieur Féraud de Barras, avait dû intervenir pour hâter le rapatriement de la dépouille33. Il fallut toutefois attendre l’hiver 1272 pour que le prince se décidât à obtenir du chapitre cathédral l’autorisation d’agrandir la chapelle des hospitaliers et d’y aménager trois

29 M. Boccard-Billon, « Saint-Jean-en-l’Isle-les-Corbeil et l’architecture gothique du xiiie siècle », Bulletin de la société historique et archéologique de Corbeil, de l’Essonne et du Hurepoix, 106 (2000), p. 44-47. 30 Rappelons que l’érudition a longtemps cru que l’édifice actuellement visible correspondait à celui qui était attesté par les dates de 1251 et 1264 (p. ex. : É. Marbot, Catalogue historial des sanctuaires et établissements religieux d’Aix depuis l’évangélisation jusqu’à l’an 1900, Aix, 1913, p. 21-23). Ferréol de Ferry pensait, de son côté, que seul le transept fut rajouté pour accueillir le corps de Béatrice de Provence (F. de Ferry, La commanderie, p. 19). 31 Y. Esquieu, « L’église des hospitaliers », p. 101 et 110-111 ; D. Carraz, « Les ordres militaires, le comte et les débuts de l’architecture gothique en Provence », Bulletin de la Société de l’histoire et du patrimoine de l’ordre de Malte, 13 (2003), p. 50-51 et 55. 32 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 177-178. Sur le testament de la reine, qui ne précisait pas l’élection de sépulture, et son codicille : F. de Ferry, La commanderie, p. 19 ; et surtout Th. Pécout, « Celle par qui tout advint. Béatrice de Provence, comtesse de Provence, de Forcalquier et d’Anjou, reine de Sicile (1245-1267) », in M.-M. de Cevins (dir.), Les princesses angevines. Femmes, identité et patrimoines dynastiques (Anjou, Hongrie, Italie méridionale, Provence, xiiie-xve siècle), Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 129-2 (2017), p. 273-276. 33 CGH, t. 3, no 3313 (11 juillet 1268).

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autels34. Sans doute est-ce seulement à partir de cette dernière démarche que fut entreprise la reconstruction totale de l’église. Quatre années plus tard, en effet, le comte-roi demandait au commandeur d’Aix, par l’intermédiaire de son sénéchal, à être prévenu de l’achèvement du chantier35. Apparemment, Bérenger Monge ne tarda pas à envoyer le signal attendu, si bien qu’au cours du mois d’avril 1277, Charles d’Anjou se préoccupait de faire transférer la dépouille de la reine depuis Naples vers « la noble terre de Provence »36. Jean-Paul Boyer a souligné la solennité que le souverain conféra à cette translation, organisée « à la manière d’une entrée royale », jusqu’à Aix où le corps arriva à la fin du mois de juin, accompagné par son fils Charles de Salerne37. Au printemps de l’année suivante, un accord entre le chapitre et l’Hôpital était trouvé au sujet de la quarte exigée sur les revenus perçus à l’occasion de la translation des différentes dépouilles princières, depuis celle d’Alphonse II jusqu’à celle de la reine Béatrice38. Moins d’une décennie après l’achèvement du précédent édifice, il ne fallut pas cinq années, entre 1272 et 1277, pour que s’élevât un nouveau lieu de culte. La rapidité avec laquelle se succédèrent les différentes constructions ne doit pas nécessairement étonner car, comme le rappelait Yves Esquieu, « on n’hésitait pas à démolir une église pratiquement neuve si la nécessité ou l’occasion permettait d’envisager une construction plus vaste et plus belle39 ». Réalisé sous le patronage de Charles Ier, le chantier intervint très probablement sous l’étroite supervision du commandeur d’Aix. Ce dernier, d’ailleurs, ne renonça pas à faire valoir le rôle qu’il avait joué dans la précédente réalisation en faisant repeindre, sur le parement du nouveau chevet plat, l’inscription datée de 1264. On imagine que cette écriture exposée et combinée aux armoiries peintes participait de l’ornementation du chœur, mais l’on ne sait rien de son contexte40. Y avait-il, par exemple, d’autres textes épigraphiques ou bien le parement du chœur était-il orné de peintures murales ? Si le message du

34 CGH, t. 3, no 3478 (2 novembre 1272). Ces autels furent dédiés à la Vierge-Marie, à saint Jean Baptiste et saint Jean l’Évangéliste, et à sainte Catherine (CGH, t. 3, no 3946 ; 1er novembre 1286). Sur les préparatifs destinés à accueillir la dépouille de la reine, cf. aussi : L. Enderlein, Die Grablegen des Hauses Anjou in Unteritalien. Totenkult und Monumente, 1266-1343, Worms am Rhein, 1997, p. 26-30. 35 A. de Boüard, Actes et lettres de Charles Ier, roi de Sicile, concernant la France (1257-1284), Paris, 1926, p. 290, no 941 (25 mars 1276). 36 Le 1er avril, il demandait aux prélats et grands de Provence de se préparer à recevoir le corps. Le dernier jour du mois, il demandait à l’archevêque de Naples de retirer la dépouille de la cathédrale et s’occupait de son transfert par voie maritime, confié à cinq personnages, dont l’hospitalier Peire de Mota (RCA, t. 11 (1958), p. 374, no 443 et p. 375, no 444). 37 J.-P. Boyer, « La foi monarchique : royaume de Sicile et Provence (mi-xiiie-mi-xive siècle) », in Le forme della propaganda nel Due e nel Trecento, Rome, 1994, p. 99-100 ; Th. Pécout, « Celle par qui tout advint », p. 277-278. 38 Acte du 30 mars 1278, confirmé le 1er avril 1278 par le sénéchal (2 G 32, no 202 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 194 ; édition partielle : G. Philippon, « Le tombeau des comtes de Provence », Revue de Marseille et de Provence, 37 (1891), PJ no 3, p. 343). 39 Y. Esquieu, « L’église des hospitaliers », p. 111. 40 Sur la fonction ornementale de l’écriture épigraphique, replacée dans son contexte architectural et liturgique : V. Debiais, Messages de pierre. La lecture des inscriptions dans la communication médiévale (xiiie-xive siècles), Turnhout, 2009, p. 118-132.

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commandeur-édificateur était resté isolé, ainsi placé dans le chœur liturgique, son caractère signifiant et son impact mémoriel durent être d’autant plus forts. Il est donc peu étonnant que le nom de Bérenger Monge restât lié pour la postérité à la construction de Saint-Jean d’Aix. On retrouve notamment cette tradition locale, non sans quelques confusions chronologiques bien compréhensibles, au xviie siècle chez Pierre-Joseph de Haitze. Or, l’historien d’Aix avait déjà souligné la nouveauté architecturale représentée par cette église, de même qu’il avait noté, à raison, que Saint-Jean de Malte était la première église de « goût gothique » qui fût élevée en Provence41. Les historiens de l’art ont rapproché les caractéristiques de l’architecture et de son décor du style rayonnant alors expérimenté, moins d’une génération plus tôt, en Ile-de-France42. Par son plan à nef unique et transept débordant, ses amples ouvertures, la finesse de ses modénatures, le modelé naturaliste des décors sculptés, la chapelle hospitalière se distingue en effet d’autres formules adaptant l’art nouveau dans le Midi, notamment en Languedoc43. La durée du chantier limitée à cinq années seulement a fait penser à certains que seuls le chœur et le transept auraient pu être reconstruits entre 1272 et 127744. Or, l’archéologie du bâti a démontré la remarquable rationalisation du chantier, suggérée notamment par la régularité de l’appareillage des maçonneries, la standardisation des modules employés aux remplages, une gestion anticipée de l’approvisionnement en matériaux45. Autant de pratiques qui ont autorisé une rapide mise en œuvre des techniques de construction et des décors, tandis que semble pouvoir être confirmée l’homogénéité d’un chantier qui a progressé par tranches horizontales. Aussi, la maîtrise d’œuvre, qui témoigne d’un projet mûr, dénote-t-elle la connaissance des principes d’une architecture-type, « élaborés ailleurs et importés pour ainsi dire tels quels46 ».

41 « La bâtisse de l’église Saint-Jean, dont le dessin avait esté formé sous Ildefons II fut commencée en cette même année [1225] par Bérenger Monachi, commandeur d’Aix. […] La construction de cette église fut faite dans le goût gottique qui estait alors récent et nouvellement inventé ; de sorte que cet édifice est bien un des premiers et des plus anciens de cette espèce. » Suit un début de réhabilitation de l’architecture gothique, « unique production en quelque sorte louable par sa singulière hardiesse de l’ignorance du moïen temps » (P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, capitale de la Provence, t. 1, Aix, 1883, p. 233-234). 42 F. Benoit, « Saint-Jean de Malte », in Aix-en-Provence et Nice. Congrès archéologique de France, 95e session, 1932, Paris, 1933, p. 35-39 ; Y. Esquieu, « L’église des hospitaliers », p. 107-113 ; N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean de Jérusalem d’Aix-en-Provence », in Histoire et archéologie de l’ordre militaire des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Saint-Étienne, 2004, p. 216-218. 43 Pour une mise en perspective sur l’introduction du style gothique en Provence, avec une attention marquée à la transition du roman tardif : A. Hartmann-Virnich, « Das Werden der Gotik im provençalischen Sakralbau des 13. Jahrhunderts », in Form und Stil. Festschrift Günther Binding zum 65. Geburtstag, Darmstadt, 2001, p. 142-156. 44 J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte. Une église de l’ordre de Malte à Aix-en-Provence, Aix-en-Provence, 1986, p. 6-7. 45 A. Hartmann-Virnich, « Aix-en-Provence, église Saint-Jean-de-Malte : approches d’un premier chantier du gothique rayonnant en Provence », Bulletin monumental, 154 (1996), p. 345-350. 46 Y. Esquieu et A. Hartmann-Virnich, « Le chantier médiéval dans le Sud-Est de la France : regard sur les techniques de construction et l’organisation du chantier à partir de quelques exemples (xie-xive siècles) », Arqueologia de la arquitectura, 4 (2005), p. 122-124 et 129.

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Le mécénat princier, qui a dû pourvoir en grande partie au financement du projet, explique en second lieu la rapidité de la réalisation. À la suite des travaux de Caroline Bruzelius sur le royaume de Sicile, on a pu souligner la signification politique de l’adoption de l’opus francigenum dans ces terres méridionales sous domination angevine47. De fait, Saint-Jean-de-Malte s’inscrit pleinement dans une série d’édifices qui contribuèrent à acclimater en Provence les réalisations du domaine capétien, parmi lesquels on retiendra surtout la chapelle des templiers d’Avignon et la basilique de la Madeleine à Saint-Maximin. On retrouve en effet, avec de fortes présomptions pour les templiers d’Avignon et de façon certaine pour la fondation dominicaine, le patronage respectif de Charles Ier et Charles II48. Or, j’avais justement noté l’étroite parenté entre Saint-Jean de Malte et Notre-Dame de Bethléem, la chapelle templière d’Avignon érigée entre 1273 et 128149. N’était-on pas en présence d’un maître d’œuvre, familiarisé avec la manière de construire de l’espace francilien et commun aux deux édifices ? En 1274 était attesté comme témoin à la maison templière d’Avignon un maître lapicide nommé Martin, qui a des chances d’être le maître d’œuvre de la chapelle50. Si la filiation architecturale entre Saint-Jean et Notre-Dame est claire, il manque toujours la preuve documentaire qui permettrait de relier entre eux ces deux chantiers contemporains. Il était séduisant de voir en Bérenger Monge, garant des opérations à Aix, le trait d’union manquant. Le commandeur eut-il, par exemple, la possibilité de voir la chapelle du Temple en construction à l’occasion d’un déplacement à Avignon ? Un rapide sondage dans l’abondant chartrier des hospitaliers d’Avignon pour les années 1260-1290 n’a donné aucun résultat51. Même si le rôle précis de Bérenger Monge dans le chantier de Saint-Jean d’Aix n’est donc pas documenté, la tradition qui en a fait un bâtisseur est exacte en un sens. En mettant en œuvre la volonté du prince sur le terrain, le commandeur d’Aix fut l’un

47 D. Carraz, « Les ordres militaires, le comte et les débuts de l’architecture », p. 52-54, avec référence à C. Bruzelius, « Charles I, Charles II, and the Development of an Angevin Style in the Kingdom of Sicily », in L’État angevin. Pouvoir, culture et société entre xiiie et xive siècle, Rome, 1998, p. 99-114. 48 D. Carraz, « Une commanderie templière », p. 13-21 ; B. Montagnes, « La basilique de la Madeleine à Saint-Maximin », dans Pays d’Aix. Congrès archéologique de France, 143e cession, 1985, Paris, 1988, p. 240-244. On ne peut rien dire de l’église conventuelle de Notre-Dame de Nazareth à Aix, car il ne reste rien de contemporain pour cette autre fondation royale. 49 Fernand Benoit et Jean-Pierre Babelon avaient déjà remarqué les analogies entre les deux édifices, avant que la chapelle des templiers ne retombe dans l’oubli (F. Benoît, « Saint-Jean de Malte », p. 35 ; J.-P. Babelon, « La tête de Béatrice de Provence au Musée Granet d’Aix-en-Provence », Bulletin monumental, 128-2 (1970), p. 123). 50 Factum fuit hoc Avinione, in domo Templi. Testes interfuerunt […] magister Martinus, lapista… (56 H 5197 ; 12 juin 1274). À titre d’hypothèse, j’avais alors rapproché ce lapicide d’un certain maître Martin de Lonay, qui œuvra dans les années 1260 à l’abbatiale de Saint-Gilles (D. Carraz, « Les ordres militaires, le comte et les débuts de l’architecture », p. 52). 51 56 H 4269, 56 H 4273, 56 H 4278, 56 H 4301, 56 H 4302, 56 H 4307 et 56 H 4320. Ces liasses renferment essentiellement des documents de gestion courante, où de prestigieux témoins extérieurs à la maison avaient, de toute manière, peu de chance de figurer – mentionnons toutefois un Poncius de Fulcalquerio, lapista, présent à la maison de l’Hôpital un 19 août 1282 (56 H 4269). Il n’y a pas davantage de trace de Bérenger Monge dans le chartrier des templiers.

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des agents de la diffusion en Provence de formes architecturales novatrices. Si elle ne s’est peut-être pas inscrite dans un « art de cour », au sens où on a pu l’entendre pour les réalisations de l’époque de Saint Louis, cette architecture renvoyait bien à l’empreinte capétienne52. Du reste, à la première travée du chœur et à la croisée du transept, les branches d’ogives peintes d’azur semé de fleurs de lys d’argent manifestaient clairement ce rattachement à la maison de France, tandis que les clés de voûte dorées sur fond rouge cinabre rappelaient la continuité avec la maison de Barcelone53. Alors que sa dévotion se portait plutôt vers les ordres mendiants et notamment vers les prêcheurs, Charles II continua toutefois à manifester de l’intérêt pour la fondation hospitalière. À la requête de Guillaume de Villaret, qui était alors son conseiller, le prince exonérait de droits d’amortissement les biens fonciers que la commanderie pourrait acheter « ad opus hospitalis Aquensis54 ». Certes, cette mention pourrait s’appliquer aussi aux bâtiments conventuels, mais il faut plutôt la relier à la reconstruction du clocher placé à l’angle nord-ouest de l’édifice (pl. 7). En avril 1292, Charles II faisait en effet savoir aux officiers de son administration que l’archevêque et le chapitre avaient autorisé les hospitaliers à doter leur église de deux cloches, en plus des deux que celle-ci possédait déjà. Obtenue une nouvelle fois par la médiation royale, cette démarche avait répondu à une requête de Bérenger Monge, ce qui confirme que ce dernier avait poursuivi jusqu’à son terme la construction souhaitée par Charles Ier55. Deux années plus tard, l’Angevin parachevait le dispositif commémoratif initié plus de cinquante années auparavant par Raimond Bérenger V, en augmentant encore les revenus de la chapellenie destinée à desservir la nécropole comtale56. Des années 1230 à 1290, sur près de deux générations, l’église conventuelle de l’Hôpital fut donc un chantier permanent. Amplifiée, réaménagée, puis totalement reconstruite au gré des opportunités de financement et surtout de l’intérêt que lui témoignèrent les différentes figures princières, l’église des hospitaliers d’Aix correspond assez au modèle de construction séquentielle défini par Caroline Bruzelius pour les couvents des ordres mendiants57.

52 Je fais allusion à l’ouvrage classique de R. Branner, Saint Louis and the Court Style in Gothic Architecture, Londres, 1965. 53 A. Hartmann-Virnich, « Aix-en-Provence, église Saint-Jean-de-Malte », p. 348-349. Sur la revendication de l’ascendance capétienne chez Charles Ier et ses successeurs : J.-P. Boyer, « La foi monarchique », p. 90-95. 54 RCA, t. 39 (1992), p. 106-107, no 65 ([1291-1292]). 55 …archiepiscopus Aquensis ac capitulum Aquensis ecclesie, dilecti fideles nostri, concesserunt in perpetuum, ad instanciam nostram, religioso viro fratri Berengario Monachi, preceptori Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani in Aquis vel ei qui pro tempore fuerit in eidem Hospitali quod in campanili sive cloccerio eiusdem Hospitalis ultra duas campanas que sunt ad presens in eo fieri possint alie campane due que maiores sint reliquis duabus ita quod sint ibi campane quatuor omnibus computatis. (56 H 4175 ; 22 avril 1292 ; regeste : RCA, t. 38 (1991), p. 151, no 560). 56 CGH, t. 4, no 4244 (18 février 1294). 57 Caroline Bruzelius a suggéré que l’architecture des ordres mendiants s’inscrivait dans un « processus » plus que dans un « projet ». Ces derniers furent en effet tributaires des legs et des donations prodigués par les bienfaiteurs aisés qui souhaitaient se faire ériger tombeaux monumentaux et chapelles dans les

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On ne saurait négliger, pour autant, les initiatives des hospitaliers eux-mêmes. Au-delà de la figure du commandeur-bâtisseur sans doute cultivée par Monge, on a évoqué au passage les interventions de Bertrand de Comps, Féraud de Barras et Guillaume de Villaret en faveur de l’église Saint-Jean d’Aix. Les prieurs avaient déjà suivi de près l’implantation de la maison et il est probable qu’avec le renforcement de la centralité politique sous les Angevins, Féraud de Barras et ses successeurs furent amenés à se rendre à Aix plus fréquemment encore58. Aussi ne furent-ils pas indifférents au développement architectural de la commanderie, qui n’a pu que profiter de l’aménagement de la nécropole comtale dans l’église conventuelle. L’extension de la maison intervint dans une dynamique favorable par ailleurs, marquée à la fois par la croissance du temporel et par l’essor de la communauté régulière. Bien qu’implantée le long d’un axe de passage dynamique, la domus hospitalière apparaît, dans la seconde moitié du xiiie siècle, « extra civitas », c’est-à-dire à l’écart des trois autres pôles d’urbanisation qui caractérisaient l’agglomération aixoise (pl. 3). En dépit de la croissance démographique, en effet, le bourg Saint-Jean n’est guère attesté avant la fin du siècle. Aussi, l’emprise de la commanderie fut-elle probablement peu contrainte par l’urbanisation, car on imagine que l’environnement ressemblait assez au paysage représenté sur la vue de Belleforest, vers la fin du xvie siècle, après le reflux du Moyen Âge tardif59 (pl. 4). Antérieure à la restructuration complète du prieuré intervenue au xviie siècle, cette vue cavalière révèle une configuration de la commanderie qui devait encore correspondre à peu près à celle du bas Moyen Âge60. L’église Saint-Jean s’y trouve flanquée du cimetière sur son côté nord et de la maison prieurale au sud. Cette dernière apparaît composée de deux bâtiments seulement, orientés dans le même sens que l’église, tandis que la cour dégagée entre les deux ensembles ne se trouve fermée que du côté est, par un mur d’ailleurs peu élevé61. La médiocrité du chartrier n’apporte, sur les bâtiments conventuels de la période médiévale, que des informations fragmentaires qu’il est impossible de restituer sur un plan62. En outre, le vocabulaire soulève toujours les mêmes interrogations : le

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églises et les cloîtres (C. Bruzelius, « The Dead come to Town : Preaching, Burying, and Building in the Mendicant Orders », in A. Gajewski et Z. Opacic (dir.), The Year 1300 and the Creation of a New European Architecture, Turnhout, 2008, p. 203-224, notamment p. 215-216). Sur le statut de capitale, en dernier lieu : N. Coulet, « Aix capitale sous la première maison d’Anjou », in É. Malamut et M. Ouerfelli (dir.), Villes méditerranéennes au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 2014, p. 21-31. Le bourg Saint-Jean fut déserté après le siège de 1358, au cours duquel le prieuré fut également dévasté (N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean », p. 215). Preuve de l’environnement champêtre de la commanderie aux xiiie-xive siècles, celle-ci était alors entourée par les vergers (Actum Aquis in viridario dicte domus Hospitalis, 56 H 4201 ; 28 juillet 1256 ; et 56 H 4175 ; 9 mars 1331). Sur l’organisation des bâtiments à l’époque classique : N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean », p. 224-229. Cet agencement, fermé à l’est du côté de la rue et ouvert à l’ouest, se retrouve sur la vue cavalière de 1593. Sans doute s’agit-il d’un témoin du mur d’enceinte qui avait été élevé dans la seconde moitié du xive siècle (N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean », p. 222-223 ; Ead. et alii, « La commanderie Saint-Jean-de-Jérusalem », in N. Nin (dir.), Aix en archéologie. 25 ans de découvertes, [Heule], 2014, p. 381). À la différence de ce qui a pu être établi pour quelques commanderies bien documentées, comme Avignon ou Arles (D. Carraz, « Une commanderie templière », p. 8-13 ; et Id., L’ordre du Temple, p. 265-268).

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« claustrum » mentionné au début du xive siècle peut faire allusion à la clôture bien attestée par ailleurs et dont l’iconographie illustre l’état tardif63. Mais cela peut renvoyer encore à un véritable cloître, selon un dispositif réservé à quelques maisons prestigieuses, installées notamment dans des capitales comme Paris, Toulouse ou Londres, au nombre desquelles le prieuré d’Aix figure assurément64. Plusieurs mentions d’un portique, où les actes étaient volontiers passés, iraient dans ce sens, même s’il a pu s’agir d’une simple aile longeant un bâtiment et pas forcément d’un véritable cloître, sur le modèle monastique65. Contrairement à ce que suggère le plan de Belleforest, des constructions jouxtaient bien l’église, sans doute sur son flanc sud, car sont attestés une salle au moins ainsi que le trésor attenant à la sacristie66. Si on ne trouve nulle part mention de la maison dans laquelle le collège de prêtres conventuels partageait une vie commune, les camerae personnelles des dignitaires sont en revanche signalées : comme celle de Bérenger Monge et celle du prieur de Saint-Gilles, laquelle était suffisamment vaste pour recevoir au moins une douzaine de personnes67. Les fréquentes mentions de cette pièce confirment la présence régulière de ce haut dignitaire dans les murs du prieuré. Dès lors, on comprend mieux l’investissement de Féraud de Barras qui, selon une inscription gravée dans le marbre et posée à l’entrée de la domus, fit reconstruire cette dernière en 126168. Certes, on ne sait rien de ce que recouvre exactement ce terme de « domus » – la maison prieurale dans son entier ou une partie seulement ? Toutefois, cette attestation coïncide avec les observations archéologiques qui confirment la construction de bâtiments dans la seconde moitié du xiiie siècle, dont une vaste salle rectangulaire de belle facture69 (pl. 5). Ce n’était là, d’ailleurs, qu’un aspect du mécénat développé par Barras en faveur de son institution car Jean Raybaud nous apprend que celui-ci fit également bâtir une infirmerie à Saint-Gilles, tout en pourvoyant à son fonctionnement70. Sans

63 Actum Aquis in claustro dicte domus Sancti Johannis… (56 H 4189 ; 22 septembre 1305) ; nullus ipsorum fratrum in virtute sanctae obedientiae praesumat exire muros domus ejusdem et viridarii seu clausura, sine licencia prioris vel subprioris (56 H 4175 ; 9 mars 1331). 64 Y. Mattalia, « Sicut milites in prelio et quasi monachi in domo. Cloître et clôture monastique dans les établissements des ordres religieux militaires aux xiie et xiiie siècles », Le cloître roman, Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 46 (2015), p. 79-82. 65 Actum Aquis in portico dicti Hospitalis ; in domo predicta Sancti Johannis in porticu (56 H 4201 ; 9 décembre 1255 ; 4 octobre 1274) ; 56 H 4211 (22 juin 1299). 66 …in camera dicti Hospitalis juxta dictam ecclesiam (56 H 4180 ; 18 février 1287) ; …in thesauro juxta sacristia ecclesie (56 H 4183 ; 1361). 67 in domo dicti Hospitalis in camera domini Berengarii Monachi (2 G 49 ; 7 janvier 1287) ; in camera dicti domini prioris : 56 H 4199 (8 août 1264) ; 56 H 4189 (20 juin 1305) ; CGH, t. 4, no 4708 (av. 1305 ; en présence de 11 frères et du notaire) ; 56 H 4180 (17 décembre 1312). 68 Anno Domini M.CC.LXI / frater Feraudus de Barracio / magnus preceptor in partibus cis/marinis edificav(it) domum (Bibl. mun. d’Aix, ms. 339, p. 109-110). Raybaud rajoute que le texte avait été relevé avant 1641, date à laquelle la dite maison fut reconstruite. Probablement, l’archivaire de l’ordre de Malte eut-il connaissance de cette inscription par Peiresc, qui en a également relevé le texte (Bibl. mun. de Carpentras, ms. 1816, f. 686v). 69 N. Nin, « La commanderie de Saint-Jean », p. 220 ; Ead. et alii, « La commanderie Saint-Jean-de-Jérusalem », p. 379-389. 70 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 167.

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conteste, l’établissement hospitalier participait donc au dynamisme architectural qui anima la capitale provençale sous la première maison d’Anjou71. Non seulement, son église fut probablement perçue comme une réalisation de référence sur le plan architectural, mais, en tant qu’écrin de la nécropole comtale, celle-ci constitua surtout un pôle majeur de la religion princière72. Un sanctuaire dynastique : de la maison de Barcelone à la maison de France

Le choix de faire de l’église Saint-Jean le lieu de repos éternel de plusieurs membres du lignage comtal revint à Raimond Bérenger V. Alphonse II, déjà, avait exprimé son attachement à l’Hôpital en élisant sépulture en l’église de la commanderie de Marseille73. Comme il est communément admis dans l’historiographie, il est probable que la translation de sa dépouille à Saint-Jean d’Aix fut ordonnée par son fils. De fait, cette dernière chapelle abritait déjà le corps d’Alphonse II en 1238, lorsque Raimond Bérenger V exprima sa volonté de reposer à ses côtés74. C’est ce tombeau commun que vit le frère Salimbene en 1248, lequel en attribua la commande à la fille de Raimond Bérenger V et reine de France, Marguerite de Provence75. Toutefois, les hypothèses restent ouvertes sur l’identité du ou de la commanditaire : il s’agirait plutôt de Béatrice de Savoie pour certains, ou bien de Béatrice de Provence pour d’autres76. Ces deux femmes ont prodigué leurs faveurs à l’Hôpital et les deux possibilités sont donc recevables, mais l’on pourrait tout aussi bien imaginer que Raimond Bérenger V, lui-même, prît les dispositions de son vivant pour faire ériger ce sépulcre commun. Quoi qu’il en soit, l’élection de sépulture de Béatrice de Provence suscita un réaménagement complet du dispositif funéraire. Parallèlement à la reconstruction de l’église elle-même, le tombeau des comtes fut réagencé au moment de la fabrication du sépulcre de la reine de Sicile, probablement à partir

71 On retiendra principalement la reconstruction du palais épiscopal dans les années 1260, la réfection du palais comtal sous Charles II et les chantiers des couvents mendiants, dont la fondation royale de Notre-Dame de Nazareth, entre les années 1270 et 1310 (N. Coulet, « Aix capitale », p. 25-28). 72 Saint-Jean d’Aix ne tarda pas à être imité à la nouvelle nef de la cathédrale, bien avancée autour de 1316 et dotée d’un transept saillant (Y. Esquieu, « L’église des hospitaliers », p. 112-113 ; R. Guild et M. Vecchione, « La cathédrale médiévale », in Pays d’Aix, p. 35 et 52-54). 73 Imprimis, corpus suum reliquit ad sepeliendum Deo et domui Hospitalis Sancti Johannis de Massilia. (RACP, t. 2, p. 80-82, no 66 ; 11 septembre 1209). 74 Item eligimus nobis sepulturam in domo Hospitalis Jherusalem de Aquis, ubi jacet pater noster bone memorie sepultus Ildefonsus comes Provincie condam (A. Teulet, Layettes du trésor des chartes, t. 2, Paris, 1866, no 2719, p. 380 ; 20 juin 1238). 75 Salimbene de Adam, Chronica, vol. 2, éd. G. Scalia, Bari, 1966, § 429. Notons que, si elle est peu probable, cette attribution n’était pas invraisemblable. Marguerite de Provence, sœur aînée de Béatrice de Provence, s’intéressa toujours de près aux affaires provençales car elle considérait que les droits sur le comté de Provence auraient dû lui revenir (G. Sivéry, Marguerite de Provence. Une reine au temps des cathédrales, Paris, 1987, p. 25-26, 87, 204-205, 208-209 et 235). 76 Béatrice de Savoie : J.-P. Babelon, « La tête de Béatrice de Provence », p. 121 ; M. Aurell, « Nécropole et donats : les comtes de la maison de Barcelone et l’Hôpital », Provence historique, 45 (1995), p. 17 ; Béatrice de Provence : P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, p. 253-254.

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de 127277. À partir du mois de juin 1277, Béatrice pouvait donc rejoindre son père et son grand-père, dans un tombeau disposé en face du mausolée comtal, à l’entrée du croisillon sud (pl. 7). Elle avait été précédée par sa fille Blanche dont les restes, qui avaient rejoint la Provence dès l’été 1271, se trouvaient effectivement dans l’église Saint-Jean en 127878. L’église abritait encore les dépouilles de plusieurs princes prématurément disparus : si le tombeau de Raimond Bérenger, un fils de Raimond Bérenger V est bien attesté, la figure de trois enfants sculptés sur l’un des petits côtés de la cuve de la reine Béatrice, laisse penser que reposaient à ses côtés trois de ses fils morts en bas âge79. Enfin, une longue tradition encore répétée aujourd’hui voulait que Béatrice de Savoie fût également inhumée à Saint-Jean d’Aix80. Il est pourtant avéré que cette dernière reposait dans sa fondation des Échelles où son tombeau a été décrit par Samuel Guichenon au xviie siècle81. Du reste, les desservants de l’église sous l’Ancien Régime savaient pertinemment que la statue de femme couronnée placée à la droite du gisant d’Alphonse II était Béatrice de Provence82 (ill. A, no 3). Seule l’historiographie ultérieure est venue jeter le trouble en y voyant sa mère

77 À l’été 1272, Charles Ier demandait à son camérier à Rome de se procurer du marbre pour les tombeaux de la reine et de l’un de ses fils : lapides marmoreos sufficientes pro duobus tumulis construendis, uno videlicet pro quondam consorte nostra et alio pro quondam dilecto filio nostro secundum latitudinem longitudinem et sculturam… (cité par L. Enderlein, Die Grablegen des Hauses Anjou, p. 27 et n. 19). 78 L. Enderlein, Die Grablegen des Hauses Anjou, p. 27 (transfert de 1271), et PJ no 2, p. 211 : …ratione translationis bone memorie domini Raimundi Berengarii et domini Andefossi eius patris et cuiusdam filie dicte domine regine. (2 G 32, no 202 ; 30 mars 1278). 79 Parfaitement identifié sous l’Ancien Régime, le tombeau de l’enfant Raimond Bérenger s’élevait alors sur le côté droit du maître autel (cf. la visite de 1613, éditée par F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, vol. 2, p. 316). Sur la présence de trois fils de Charles Ier et Béatrice (Louis, Philippe et Robert) : A.-L. Millin, Voyage dans les départemens du Midi de la France, t. 2, Paris, 1807, p. 294 ; J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 34. 80 Cette tradition remonte à Honoré Bouche († 1671) selon G. Philippon, « Le tombeau des comtes », p. 336. On la retrouve chez M. Achard, Géographie de la Provence, t. 1, Aix, 1787, p. 173 ; E.-F. Maurin, « Notice archéologique et historique sur l’église Saint-Jean-de-Malte », Mémoires de l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix, 5 (1844), p. 237 ; et encore chez des auteurs récents : J. Dunbabin, Charles I of Anjou. Power, Kingship and State-Making in Thirteenth-Century Europe, Londres-New York, 1998, p. 182 ; F. Mazel, « Piété nobiliaire et piété princière en Provence sous la première maison d’Anjou (vers 1260-vers 1340) », in N. Coulet et J.-M. Matz (dir.), La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, Rome, 2000, p. 529. 81 « elle mourut peu de temps apres au chasteau des Eschelles, & fut inhumée en une magnifique et superbe sepulture de marbre, sur laquelle est sa statue avec ses habits royaux, les mains pliées en croix, & autour du tombeau il y avoit vingt-deux statues de marbre blanc dans des niches, representans tous ses principaux parens, ses filles, ses gendres & ses freres tous en habits de dueil, avec les escussons de leurs armes au dessus de chaque niche. Ce riche mausolée fut demoly à la guerre de Savoye l’an 1600. » (S. Guichenon, Histoire généalogique de la royale maison de Savoie, t. 1, Lyon, 1660, p. 263-264). Raybaud, qui avait consulté cette même édition, réctifie au passage une erreur sur la date de fondation des Échelles (ms. 338, p. 142-143 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 166). 82 « Et aux costés dudict sepulchre est le portraict dudict comte tout debout, de pierre de Calissanne, et de l’autre costé est l’effigie de la reine Beatrix, fille dudict comte, femme du roi Charles Ier. » (visite de janvier 1613, éd. F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix, vol. 2, p. 318, d’après 56 H 129). Rappelons que la tête retrouvée dans une maçonnerie en 1902 provient de cette statue ( J.-P. Babelon, « La tête de Béatrice de Provence »).

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Béatrice de Savoie, voire sa grand-mère Garsende de Forcalquier ou bien même sa sœur Marguerite de Provence83 ! Il y a de quoi être troublé, toutefois, quand on relit la lettre adressée par Charles d’Anjou à ses fidèles provençaux en 1277, dans laquelle il indiquait que la reine de Sicile avait élu sépulture en l’église Saint-Jean d’Aix, « où reposait le corps de son illustre mère »84. Sur la base de cette mention, Ferréol de Ferry s’était demandé si l’église n’avait pas pu recevoir les viscères de la comtesse85. Cette hypothèse mériterait d’être considérée car elle expliquerait la tradition persistante de la présence du corps de la comtesse à Aix86. Je ne reprendrai pas la description des tombeaux, que l’on trouve déjà chez plusieurs auteurs depuis le xviie siècle87 (ill. A, no 3-6). Si la facture du mausolée comtal remonte à la réfection du xixe siècle, l’iconographie et l’agencement doivent avoir suivi assez fidèlement l’œuvre médiévale88. Le tombeau de Béatrice, quant à lui, n’est plus connu que par le dessin conservé dans la collection Fauris de Saint-Vincens89. Plusieurs auteurs ont souligné la nouveauté des deux monuments : la disposition des gisants sous un baldaquin aux remplages finement ciselés, les chapiteaux offrant une flore de style rémois, les pinacles et les clochetons surmontés de fleurs de lys (mausolée comtal) ou bien de statuettes d’anges (tombeau de Béatrice)90. Si la cuve du tombeau de la reine, ornée de bas-reliefs inscrits dans des quadrilobes, évoque encore des traits septentrionaux, celle du tombeau d’Alphonse II a été rapprochée de la décoration d’un sarcophage, conservé au monastère de La Celle et que la

83 Béatrice de Savoie : A. de Fauris de Saint-Vincens (Bibl. mun. d’Aix-en Provence, Est. A 31), repris par A.-L. Millin, Voyage, p. 288 ; E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 234 ; M. Aurell, « Nécropole et donats », p. 16 ; Garsende de Forcalquier : P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, p. 254 ; Marguerite de Provence : G. Philippon, « Le tombeau des comtes », p. 337. 84 …prout clare memorie B(eatrix) Regina Sicilie […] sanctorum quampluribus corporibus purpuratis, sepulturam suam preelegit in ecclesia Hospitalis S. Iohannis Ierosolimitani de Aquis, ad quam pro eo precipue quod in ea requiescit corpus inclite matris sue devotionem habuit specialem ; reputans quod mollius ossa cubent si suorum sepulta manibus ibi cum parentibus dormiant quam si hic inter sanctorum tumulos requiescant. (RCA, t. 11 (1958), p. 374, no 443 ; 1er avril 1277). 85 F. de Ferry, La commanderie, p. 23. À l’appui de son hypothèse, cet auteur mentionne une sorte de sachet suspendu au cou de la statue féminine et qui pourrait contenir les viscères en question. Mais d’une part, il est difficile de repérer un sachet sur la statue aujourd’hui exposée, et d’autre part, on vient de confirmer que cette dernière ne représentait pas Béatrice de Savoie. Il est vrai que Charles Ier puis Charles II à sa suite nourrirent une prédilection pour la dispersion des corps royaux ( J.-P. Boyer, « La foi monarchique », p. 98-100). Cependant, le premier Angevin de Sicile a-t-il pu lui-même orchestrer la conservation à Aix des viscères de sa belle-mère, avec laquelle il entretenait de mauvais rapports ? Sur la pratique de la dilaceratio corporis qui permettait de multiplier les lieux de mémoire : A. Bande, Le cœur du roi. Les Capétiens et les sépultures multiples, Paris, 2009, notamment p. 55-71, 82 et 102 (chez les premiers Capétiens et Angevins). 86 Jean-Marie Roux pense encore que Béatrice de Savoie était inhumée dans une sépulture simple, sur le côté gauche du chœur ( J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 34). 87 On lira, entre autres, la description assez détaillée et récente de J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 31-36. 88 C’était déjà l’opinion de F. Benoît, « Saint-Jean de Malte », p. 41. 89 Bibl. mun. d’Aix-en Provence, Est. A 6 = A.-L. Millin, Voyage, Atlas, pl. 44. 90 J.-P. Babelon, « La tête de Béatrice de Provence », p. 123-124 ; C. de Mérindol, « Les monuments funéraires des deux maisons d’Anjou, Naples et Provence », in La mort et l’au-delà en France méridionale (xiie-xve siècle), Toulouse, 1998, p. 467-468 ; Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 281-283.

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tradition attribue à la comtesse Garsende († c. 1225-1232)91. Il s’agit certes d’une hypothèse, mais qui renvoie à l’idée que le mausolée comtal est probablement un réagencement élaboré à partir d’éléments issus du monument d’origine – la cuve et sans doute les deux statues. Le réaménagement serait intervenu, à la demande de Charles Ier, en même temps que la construction du sépulcre de Béatrice, alors que s’achevait la reconstruction de l’église gothique. Le parallèle a été fait avec la nécropole de Saint-Denis qui venait d’être réaménagée par Louis IX92. Comme l’a relevé Thierry Pécout, ce qui fut d’abord un monument à la mémoire de la maison catalane devint alors, par la présence de Béatrice de Provence et de ses trois jeunes fils, une exaltation de la légitimité de Charles d’Anjou à régner sur le comté provençal. Et il revenait aux hospitaliers d’assurer la célébration de cette continuité dynastique des comtes catalans à la maison capétienne. Reste à se demander quel rôle fut dévolu au responsable de la maison de l’Hôpital d’Aix dans cette prestigieuse opération ? Depuis de Pierre-Joseph de Haitze et Jean Raybaud, les érudits ont voulu reconnaître, sur le bas-relief représentant la translation du corps d’Alphonse II, des personnages locaux et parmi ceux-ci, l’archevêque, le prieur de Saint-Jean et Bérenger Monge93 (ill. A, no 4 et 5). Même si cette hypothèse s’avérait exacte, cela ne fait pas pour autant du commandeur d’Aix le commanditaire du mausolée, comme le voulait l’archivaire de l’ordre de Malte94. La gestuelle prêtée à sa représentation sur le sarcophage n’en est pas moins intéressante : qu’il s’agisse du testament de Raimond Bérenger V, selon Raybaud, ou bien de « la charte des donations qu’Alphonse et Raymond ont faites à son ordre », selon Millin, le rouleau porté par Bérenger Monge fait bien de ce dernier le dépositaire de la volonté comtale95. Entretenir la memoria : dons au trésor, chapellenies et inhumations

Dès lors, les souverains angevins, imités par les dignitaires hospitaliers, n’eurent de cesse d’augmenter par leurs munificences le prestige de l’église Saint-Jean d’Aix. Le 1er avril 1278, comme pour célébrer l’achèvement de tous les travaux, Charles Ier dotait le trésor de l’église d’un nombre considérable de reliques et d’ornements. Le procès-verbal de réception, dressé sur une large feuille de parchemin, mentionne un parterre de personnalités convoquées pour accueillir le précieux chargement : outre tout le couvent des frères de l’Hôpital, apparaissent le sénéchal Gauthier d’Alneto, le notaire Raimond Scriptor et bien d’autres administrateurs civils, l’archevêque Grimerio Vicedomini et plusieurs représentants du clergé séculier, ainsi que des frères mineurs et prêcheurs96. On ne détaillera pas la liste des vêtements sacerdotaux,

91 D’après un parallèle fait entre la scène d’ensevelissement du comte sur la cuve d’Alphonse II et la Dormition de la Vierge sur le sarcophage de La Celle qui présenteraient un traitement comparable ( J.-P. Babelon, « La tête de Béatrice de Provence », p. 122 ; Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 281 et 338n). 92 M. Aurell, « Nécropole et donats », p. 17 ; Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 281. 93 Cf. supra, p. 31-32 et 143-144. 94 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 160-161. 95 Ibid., t. 1, p. 161 ; A.-L. Millin, Voyage, p. 290, copié par E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 235. 96 56 H 4175 (42 cm × 36,7 cm) = CGH, t. 3, no 3657 (1er avril 1278).

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des objets d’orfèvrerie et l’impressionnante accumulation d’une centaine de corps saints97. Outre l’habituelle cohorte de martyrs des premiers temps ou la présence de saints légionnaires comme Demetrius ou les Quarante martyrs de Sébaste, prompts à susciter la dilection des frères hospitaliers, on retiendra les références explicites à la Terre sainte, qui prenaient tout leur sens alors que Charles Ier venait d’hériter du titre de roi de Jérusalem : reliques de l’apôtre Jacques le Mineur dont il est précisé qu’il fut évêque de Jérusalem, deux fragments de la Vraie Croix, deux pierres du Saint-Sépulcre… On note, de même, ces tissus précieux en soieries dorées parfois ornées de motifs animaliers (oiseaux, lions), que l’on retrouve dans un inventaire dressé avant 130598. Or, ces textiles font encore écho aux ornamenta conservés dans certaines commanderies du Temple99. L’origine dite « de Venise » peut aussi bien trahir une provenance orientale ou « andalusienne » qui rappelle combien les ordres militaires se trouvaient au cœur des échanges méditerranéens100. Enfin, parmi les objets saints abrités par l’Hôpital d’Aix à partir de 1278, la présence remarquable des fondateurs des ordres mendiants – scapulaire de saint Dominique, cheveux de saint François, fragment de drap funéraire, voile, et cheveux de sainte Claire – témoigne du succès de cette religion des temps nouveaux vers laquelle, du reste, les Angevins ne tardèrent pas à se tourner presqu’exclusivement. Les deux premiers représentants de la dynastie n’en continuèrent pas moins à honorer l’église Saint-Jean d’Aix de leurs dons car l’inventaire du début du xive siècle mentionne une chape d’or de la « défunte reine de Sicile », une chape de soie noire donnée par Charles II et une chape de « Louis, évêque de Toulouse », qui pouvait avoir quelque parenté avec celle que reçut la basilique royale de Saint-Maximin en 1317101. Plusieurs de ces étoffes étaient 97 Pour une première approche de ces dons dans le cadre d’une réflexion sur l’environnement visuel offert par les chapelles conventuelles : D. Carraz et Y. Mattalia, « Images et ornements. Pour une approche de l’environnement visuel des ordres militaires dans le Midi (xiie-xve siècle) », in D. Carraz et E. Dehoux (dir.), Images et ornements autour des ordres militaires au Moyen Âge : culture visuelle et culte des saints (France, Espagne du Nord, Italie), Toulouse, 2016, p. 58-66. 98 56 H 4175 (rouleau) = CGH, no 4708 (av. 1305) : chape dorée avec de petits lions couronnés, petite chape de Turquie avec trois lions, « unum vanallerium [?] operis ultra marini », etc. Cet inventaire, dont les premières lignes sont illisibles, est traditionnellement daté de 1306. Mais le fait qu’il cite Guillaume de Villaret comme s’il était toujours vivant, incite à le placer avant le printemps 1305, date de la mort du maître. 99 Ces inventaires restent de ce point de vue à exploiter, comme le suggèrent ces quelques extraits : item quedam alia cappa rubea parva cum duobus leonibus fundatis de crosseo et violeto, […] item quedam cooperta altaris de bumbice tinctam piscibus nigris et leonibus, item quedam cortina de bumbice ultramarina […] item quedam mapa vetustissima et consumpta de syndone crossea cum papagays, sublinata de tela alba… (CTAr, no 172, p. 226-227 ; 24 janvier 1308) ; item quandam capam de sirico cum leonibus de auro (CTAv, no 89, p. 395 ; 24 janvier 1308). 100 Beaucoup de tissus orientaux transitaient par l’Espagne qui produisait également des imitations orientales (G. Fellinger, « Commerce de l’art et échanges d’objets au Moyen Âge en Méditerranée : le point sur la question », in D. Coulon et alii (dir.), Espaces et réseaux en Méditerranée, vie-xvie siècle, t. 1, La configuration des réseaux, Paris, 2007, p. 247-248). Sur la présence de tissus « arabes », orientaux ou espagnols, dans les trésors des églises d’Occident : N. Bavoux, Sacralité, pouvoir, identité. Une histoire du vêtement d’autel (xiiie-xvie siècles), thèse de doctorat, Université de Grenoble, 2012, p. 164-169. 101 CGH, no 4708 (av. 1305) ; F. Sur, La chape de Saint Louis d’Anjou, trésor du xiiie siècle de l’opus anglicanum. Basilique Sainte‑Marie‑Madeleine, Saint‑Maximin‑la‑Sainte‑Baume, Paris, 2013.

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en outre marquées des armes de la dynastie : à la dalmatique de soie timbrée de fleurs de lys et au drap avec des « images royales » dorées attestés en 1278, sont venues se rajouter des nappes d’autel de diverses couleurs avec le « signum regalis ». Ce sont donc clairement des objets sacrés liés à la foi monarchique des Angevins qui sont venus alimenter le trésor depuis la dotation initiale de Charles Ier. La commanderie de Saint-Jean d’Aix ne constitue, de ce point de vue, pas un cas isolé : le trésor de l’église prieurale de Toulouse contenait également plusieurs pièces d’étoffes aux armes des Raimondins et même d’Alphonse de Poitiers102. Mais ce n’est pas tout car l’inventaire de c. 1305 mentionne encore plusieurs étoffes précieuses données par la reine de France, Marguerite de Provence103. Preuve ici que cette dernière – réputée avoir été la commanditaire du mausolée dynastique – entendait prolonger les libéralités adressées à l’église de l’Hôpital par ses deux parents, tout en veillant à cultiver ses liens avec la Provence104. Les dignitaires de l’Hôpital devaient également augmenter de leurs dons la sacralité de l’église conventuelle. Une dizaine d’années après l’achèvement du nouvel édifice, le prieur Guillaume de Villaret entendait à son tour accroître la solennité de l’office célébré en l’honneur de tous les saints de la cour céleste et de la Majesté divine105. La sécheresse de l’écriture notariale rend sans doute mal compte de la dimension rituelle de tels actes : en choisissant le jour de la Toussaint pour faire étalage de sa générosité, le frère espérait, par la médiation des objets sacrés ainsi offerts, bénéficier des suffrages quotidiennement prodigués par l’office liturgique106. Si la nature du don témoignait de l’envergure du personnage – un bassin d’argent à ses armes, une image de sainte Véronique rapportée de Rome, un missel parisien probablement enluminé –, le frère hospitalier dévoilait une dévotion soucieuse de se conformer aux tendances

102 L. Macé, « Au fil de la dévotion. Ornamenta des comtes de Toulouse dans les églises des ordres religieux‑militaires toulousains (Temple et Hôpital) », in S. Cassagnes‑Brouquet et A. Dubreil‑Arcin (dir.), Le ciel sur cette terre : dévotions, Église et religion au Moyen Âge, Toulouse, 2008, p. 265-274. 103 quas dedit domina regina Francie (cité par F. de Ferry, La commanderie, p. 25, d’après 56 H 4175). Je n’ai pas été autorisé à consulter l’original de l’inventaire dont le début, difficilement lisible, ne figure pas dans l’édition de J. Delaville le Roulx. 104 Marguerite était restée beaucoup plus proche de sa mère que sa sœur cadette Béatrice, à laquelle elle reprochait d’avoir récupéré l’intégrité de l’héritage provençal. Peut-être ses donations au trésor de SaintJean d’Aix intervinrent-elles dès l’été 1254, lorsque le couple royal, de retour de la croisade, passa par Aix ( J. Le Goff, Saint Louis, Paris, 1996, p. 130-131, 210, 214 et 729-734). La légende locale a même prétendu que Louis IX avait visité l’église Saint-Jean à cette occasion (P.-M. Davin, Le prieuré de Saint-Jean de Malte d’Aix, Aix, 1903, p. 12). Une biographie de Marguerite suppose également que cette dernière s’est recueillie à Saint-Jean d’Aix en cette occasion (G. Sivéry, Marguerite de Provence, p. 116). 105 56 H 4175 (29 cm × 8,4 cm) = CGH, t. 3, no 3946 (1er novembre 1286). Taillé en longueur et rédigé avec soin, l’acte de donation évoquerait presque les « authentiques de reliques ». Aussi, ce parchemin ne visait pas un effet visuel particulier, mais pouvait être conservé dans le trésor, au côté des objets offerts. 106 Cette forme de médiation entre ici-bas et l’au-delà, opérée par l’intermédiaire des objets liturgiques, est encore plus évidente lorsque le don est clairement lié à l’office eucharistique ; voyez le cas de la Vierge-répositoire offerte par Odon de Montaigu à la commanderie de La Sauvetat : D. Carraz, « Individualisation et maîtrise d’ouvrage. Autour de quelques dignitaires de l’Hôpital dans le Midi de la France (v. 1250-v. 1350) », Revue d’histoire ecclésiastique, vol. 111.1-2 (2016), p. 44-46.

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du temps107. Le doigt de Marie-Madeleine encastré dans un reliquaire en argent renvoyait naturellement à un culte bien enraciné en Provence et particulièrement lié à Charles II, dont le dignitaire hospitalier était proche par ailleurs. On retrouve ces objets dans l’inventaire de c. 1305, où figurent en plus une chape et un nouveau reliquaire de la Vraie croix offerts par Guillaume de Villaret, alors devenu maître, ainsi qu’un voile multicolore et apparemment historié donné par le frère Jaufre Raimond108. En revanche, on ne trouve aucune trace de Bérenger Monge. Or, s’il avait contribué à l’enrichissement du trésor d’Aix, cela n’aurait pas manqué d’être signalé quelque part. Il ne prit pas la peine, non plus, de recevoir lui-même la prestigieuse dotation princière en 1278, déléguant pour cet honneur le prieur Bertrand Lance. Le commandeur semble plutôt s’être préoccupé du rayonnement de la chapelle palatiale de Manosque, à laquelle il devait être plus personnellement lié. Les actes mêmes sur lesquels était consigné le don – qui pouvaient accompagner dans le trésor les objets offerts –, les inventaires successifs du trésor, les objets et étoffes signés aux armes du donateur : tout cela contribuait, bien sûr, à situer le bienfaiteur sur l’échelle des valeurs sociales et à entretenir sa mémoire109. Aussi, ces gestes ne peuvent être dissociés du développement du culte funéraire qui conférait à l’église hospitalière une solennité toute particulière. Le statut spécial du prieuré d’Aix tenait à la présence d’un collège de chapelains destiné à desservir la nécropole princière (fig. 17). L’origine de la chapellenie princière se trouve dans la fondation de Raimond Bérenger V, encore augmentée par son épouse Béatrice de Savoie. Rappelons que par son testament, le comte avait octroyé les revenus des seigneuries de Vinon et Trébillanne pour l’entretien de cinq prêtres et qu’en 1241, il avait accru l’effectif de deux chapelains. En 1256, à l’issue d’une donation considérable de biens et de droits à Aix, Béatrice de Savoie demandait l’entretien de trois chapelains afin de prier pour l’âme de son mari110. Puis, dans son testament, elle rajoutait encore une

107 Sur le don de manuscrits précieux : D. Carraz, « Les collections de livres dans les maisons templières et hospitalières. Premiers jalons pour la France méridionale (xiiie-xve siècle) », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), Entre Deus e o Rei. O mundo das ordens militares, vol. 1, Palmela, 2018, p. 169-171. 108 CGH, no 4708. Le « nobilis et religiosus vir dominus frater Gaufridus Raymundus » fut commandeur de Manosque entre 1300 et 1306 et il dut intervenir fréquemment à Aix en tant que lieutenant du prieur Dragonet de Mondragon. 109 Sur la place du don d’objets de luxe dans l’affichage des hiérarchies de pouvoir : F. Feller, « Évaluer les objets de luxe au Moyen Âge », Anales de Historia del Arte, 24 (2014), p. 133-136. 110 Et eodem anno et die et loco et testibus predicta comitissa et marchionissa Provinciae et comitissa Forcalquerii presente dicto magistro Raimundo donavit ad praesens et inter vivos et ex causa donationis […] omnia supradicta superius […] fratri Gaufrido de Moissaco, fratris Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani, et specialiter nomine ecclesie sancti Johannis quod dictum Hospitale habet in civitate Aquensis ubi iacet dominus Raimundis Berengarii quondam comes et marchio Provincie et comes Forcalcarii, pro anima ejusdem domini comitis et pro remissione peccatorum suorum, ad hoc ut dicta ecclesia teneat tres capellanos pro dictis possessionibus et pro centum solidis censualibus quolibet anno quos faciebat hospitium domine Laurae de Brodol ipsi domina comitissa et ipse domino comiti quondam […] ut dicti capellani debeant esse et cantare in dicta ecclesia pro anima ipsius domini comitis… (56 H 4180 ; 11 janvier 1256).

œ u vre r po u r la po st é ri t é 20 juin 1238

Raimond Bérenger V

29 août 1241 11 janvier 1256 14 janvier 1265

Raimond Bérenger V Béatrice de Savoie Béatrice de Savoie

ap. 30 juin 1266 18 février 1294

Béatrice de Provence

[c. 1300 [c. 1305 22 oct. 1307 [c. 1311 9 mars 1331

Charles II d’Anjou Bérenger Monge († 1300) Guillaume de Villaret († 1305) Charles II d’Anjou Dragonet de Mondragon († 1311) Hélion de Villeneuve

testament : revenus à Vinon et Trébillanne fondation : 20 000 s. donation à Aix codicille du testament : legs de 100 marcs élection de sépulture (codicille du testament) assignation de revenus réforme d’Hélion de Villeneuve (1331) réforme d’Hélion de Villeneuve (1331) traité entre Charles II et Foulques de Villaret réforme d’Hélion de Villeneuve (1331) ordonnance de réforme du prieuré

5 prêtres + 2 chapelains + 3 prêtres + 2 prêtres hospitaliers pour l’âme du comte + 5 chapelains pour son âme + diacre et sousdiacre un chapelain un chapelain

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Layettes, t. 2, no 2719 CGH, no 2778 56 H 4180 Viard, PJ no 17, p. 152 Raybaud, t. 1, p. 177-178 CGH, no 4244 56 H 4175] 56 H 4175]

+ 4 prêtres, 1 diacre et CGH, no 4756 1 sous-diacre un chapelain 56 H 4175] = > 18 chapelains

56 H 4175

Fig. 17. Les institutions de chapelains à Saint-Jean d’Aix

rente de 100 marcs pour l’entretien de deux prêtres conventuels supplémentaires111. Si le compte est bon, le collège chargé de veiller sur l’âme de Raimond Bérenger V était déjà constitué de douze chapelains. L’existence d’une telle communauté de prêtres dans une maison de l’Hôpital avait un caractère exceptionnel, qui élevait le prieuré d’Aix au même rang que celui de Saint-Jean-en-l’Isle, où un collège de treize prêtres, instauré en 1224 par la reine Ingeburge, assurait l’entretien de la memoria capétienne112. Or, par un codicille ajouté à son testament, Béatrice de Provence établit encore cinq prêtres destinés à prier pour son âme, lorsqu’elle élut sépulture à Saint-Jean d’Aix113. Charles Ier, s’il fut l’ordonnateur de la mise en scène monumentale, ne rajouta apparemment rien à ces effectifs. Son fils, en revanche, se soucia d’établir un revenu annuel de 60 livres pour financer les cinq chapelains réclamés par le testament de sa mère, auxquels il ajouta un diacre et un sous-diacre114. Le roi 111 F. Viard, Béatrice de Savoye. Propos vivants d’histoire, Lyon, 1942, PJ no 17, p. 152-153. 112 L’église prieurale, qui accueillit en son chœur la sépulture de la reine en 1236, assurait également les célébrations liturgiques pour son époux Philippe Auguste (M. Boccard-Billon, « Saint-Jean-enl’Isle-les-Corbeil », p. 29-32). 113 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 177-178. 114 CGH, t. 3, no 4244 = RCA, t. 49 (2006), p. 75-76, no 133 (18 février 1294). À vrai dire, il n’apparaît pas très clairement si la dotation concerne les cinq chapelains déjà institués par le testament de Béatrice ou bien cinq clercs supplémentaires. Dans le premier cas, celui d’une refondation, cela laisserait penser que la reine n’avait pas pourvu sa chapellenie d’un revenu suffisant et que Charles Ier ne s’était pas davantage préoccupé de la pérenniser.

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de Sicile se préoccupa alors du caractère perpétuel de la fondation en demandant que chaque chapelain qui décéderait ait un remplaçant idoine. Enfin, en 1307, à l’occasion d’une importante transaction avec l’Hôpital, Charles II confirma la rente assignée par Raimond Bérenger V au vestiaire des chapelains de Saint-Jean d’Aix et demanda encore au maître Foulques de Villaret, en échange d’une rente de 50 livres, d’organiser le service de quatre prêtres conventuels, aidés de deux donats avec rang de diacre et sous-diacre115. Au total, on finit par perdre le fil face à cette surenchère de demandes de prêtres, parce qu’on ne comprend pas toujours si ces fondations successives étaient vraiment nouvelles ou bien s’il s’agissait simplement de confirmer ou d’augmenter les revenus d’un dispositif préexistant. On conçoit donc qu’en 1331, Hélion de Villeneuve souhaitât remettre un peu d’ordre en promulguant une ordonnance de réforme du prieuré116. Le maître arrêta à dix-huit le nombre de chapelains dont les suffrages se répartirent de la façon suivante : douze officiants pour Raimond Bérenger V et Béatrice de Provence ; deux pour Pierre Corsini, trésorier royal ; un pour Guillaume de Villaret et Bérenger Monge ; un pour Dragonet de Mondragon ; un pour la chapelle Sainte-Catherine ; un chapelain, un diacre et un sous-diacre pour la chapelle Saint-Louis et des Onze mille Vierges. La chapellenie desservant la nécropole comtale, dont le financement reste attesté par les comptes ultérieurs, se trouvait donc ramenée au chiffre symbolique de douze prêtres117. Des chapellenies avaient également été établies en mémoire de dignitaires de l’Hôpital inhumés à Saint-Jean d’Aix, comme Bérenger Monge et Dragonet de Mondragon († 1311), dont l’enfeu est attesté118. Le cas de Guillaume de Villaret est, en revanche, problématique car nul ne sait où ce maître, décédé à Chypre au printemps 1305, a été inhumé119. Compte-tenu de ses liens avec la Provence, de la mention d’une chapellenie en son honneur et de sa générosité envers Saint-Jean d’Aix, il n’est pas improbable que sa dépouille ait été rapatriée afin de reposer en cette dernière église. S’il n’y a pas lieu d’ouvrir ce dossier, on soulignera surtout qu’avant même les premières inhumations de prestige de dignitaires hospitaliers, les élites

115 56 H 4175 = CGH, t. 4, no 4756, p. 149-150 (22 octobre 1307). 116 56 H 4175 (9 mars 1331). Rappelons qu’Hélion de Villeneuve fut le commanditaire de la chapelle SaintLouis d’Anjou, bâtie contre le croisillon nord du transept. En 1340, il souhaita s’y faire ensevelir mais, décédé à Rhodes en mai 1346, il reposa finalement en l’église conventuelle du lieu ( J. Delaville le Roulx, Les hospitaliers à Rhodes jusqu’à la mort de Philibert de Naillac (1310-1421), Paris, 1913, p. 99-100 et 388 ; J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 18-20). 117 Item habet et percipit dicta baiulia Aquensis, in et super baiulia Manuasce, pro legato facto ecclesie Aquensi per dominum comitatem Provincie, gillatos argenti mille, valent de dicta moneta libras sexaginta duas, solidos decem, dicte monete (VGPSG, p. 454). Ce montage financier a pour origine un échange entre le prieur d’Aix et le commandeur de Manosque (56 H 4636). 118 Jean Raybaud a transmis un croquis et l’épitaphe du tombeau de Dragonet de Mondragon. Selon l’archivaire, ce prieur commanda en outre un « tableau » à ses armes pour l’autel de la chapelle de Raimond Bérenger V ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 234). Cf. aussi É. Rouard, Rapport sur les fouilles d’antiquités faites à Aix en 1843 et 1844, Aix, 1844, p. 17-22. 119 Cf. An. II, D-1, no 6. Je remercie MM. Jean-Bernard de Vaivre et Anthony Luttrell de m’avoir confirmé que leurs recherches sur les tombeaux des maîtres à Chypre et à Rhodes étaient restées vaines sur ce point.

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aixoises furent désireuses de reposer dans le cimetière du prieuré et de bénéficier des suffrages de ses chapelains (tabl. 11). Limité par les lacunes du chartrier et par l’absence de registres notariés, le relevé des inhumations permet tout de même de dégager un certain nombre de tendances. C’est bien à l’imitation de Raimond Bérenger V que quelques fidèles de l’entourage comtal élirent sépulture chez les hospitaliers (tabl. 11, no 1 et 8). Pour sa part, la concentration des élections dans la décennie 1278-1288 a sans doute quelque rapport avec la réorganisation de la nécropole princière voulue par Charles d’Anjou (no 2 à 9). La dilection des Aixois, toutefois, semble s’être poursuivie pendant une bonne partie du siècle suivant (no 11 à 16)120. L’attractivité de la nécropole comtale permet de nuancer l’idée que l’adhésion de la noblesse provençale à la religion princière n’intervint guère avant le règne de Charles II. Une attention focalisée sur les couvents mendiants et plutôt sur la haute et moyenne noblesse avait fait négliger le cas de Saint-Jean d’Aix où, dès l’époque de Charles Ier voire même de Raimond Bérenger V, des élites urbaines avaient pourtant commencé à imiter la dévotion princière121. Les élections de sépulture en couple comme le souhait de reposer auprès d’un parent suggèrent que Saint-Jean d’Aix bénéficiait alors de véritables traditions familiales (no 7, 8, 10). Si quelques personnages particulièrement honorables eurent le privilège de recevoir un tombeau dans l’église-même – on a évoqué le cas de Barthélemy de Grossis († c. 1328) –, la plupart des inhumations avaient lieu dans le cimetière, sans doute à proximité des frères de l’ordre122 (pl. 4). Dans les décennies 1270-1330, les dévotions associées à l’ordre de Saint-Jean se situaient encore à la jonction entre une forme traditionnelle d’adhésion, celle de l’entrée en confraternité, et un nouveau système lié à la piété testamentaire et aux demandes de messes-anniversaires (no 3, 4, 6, 8, 11, 13)123. Les formules stéréotypées – donation de soi corps et âme, promesse des bénéfices spirituels prodigués par les frères, référence à l’outre-mer – rappellent encore, dans une certaine mesure, les contrats 120 Le rayonnement de Saint-Jean d’Aix dut s’affaiblir cependant, lorsque le sanctuaire finit par être délaissé par les Angevins et leurs fidèles. À la fin du Moyen Âge, le prieuré de l’Hôpital n’occupait plus qu’une place mineure dans le palmarès des lieux d’inhumation (N. Coulet, « Jalons pour une histoire religieuse d’Aix au Bas Moyen Âge (1350-1450) », Provence historique, 22 (1972), p. 253). 121 F. Mazel, « Piété nobiliaire et piété princière », p. 527-551. 122 Voici comment Pierre-Joseph de Haitze, au xviie siècle, décrit alors le lieu : « Le cimetière Saint-Jean etoit sur le côté septentrional extérieur de l’église qui porte ce nom, dans lequel le fameux commandeur Beranger Monachi qui commença ce grand édifice et les autres religieux qui les premiers ont servi ce saint lieu, ont été enterrés, ainsi que les vieux documents de cette maison l’attestent. Ce cimetière était encore en état dans le xvie siècle, comme on peut le voir marqué dans le plan d’Aix que Belleforest nous a donné dans sa cosmographie » (Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 856, p. 36). Les réflexions sur les pratiques funéraires des frères et sur les sépultures des fidèles ont commencé à produire des résultats. Je me permets de renvoyer pour une courte synthèse à D. Carraz, « Mort », in DOMMA, p. 635-638 ; et pour une étude de cas à L. D’Agostino, « Espaces funéraires et inhumations dans les maisons de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem : le cas du Prieuré d’Auvergne (xiie-xvie siècle) », in A. Baud (dir.), Espace ecclésial et liturgie au Moyen Âge, Lyon, 2010, p. 253-273. 123 Un corpus plus consistant rassemblé pour les commanderies templières a déjà mis en lumière cette phase transitoire, au cours de laquelle le testament s’accompagne de pratiques traditionnelles – confraternité, prise d’habit ad succurrendum ou traditio cum equis et armis (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 345-350).

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d’affiliation en confraternité (no 2, 5, 6, 9, 10, 14, 15)124. Quelques expressions plus personnelles, toutefois, montrent que les fidèles plaçaient toute leur confiance dans les suffrages délivrés par l’important effectif de prêtres installés à demeure (no 4 et 7). Aussi les demandes de messes engagèrent-elles pleinement les hospitaliers dans cette économie des échanges entre ici-bas et l’au-delà, bien connue pour la Provence depuis les travaux de Jacques Chiffoleau125. De ce point de vue, le prieuré Saint-Jean d’Aix s’apparentait tout à fait à un chapitre ou à une collégiale de chanoines, même si la comptabilité des suffrages pour les défunts n’apparaît guère dans la documentation avant le xive siècle126. Rapidement évoquée dans un précédent chapitre, l’« administration des anniversaires », confiée au sacriste et assise sur un capital de biens fonciers et de rentes, était autonome par rapport au prieuré. Il semblait en aller de même, à la fin du Moyen Âge, pour certaines chapellenies financées sur un bienfonds alimenté par les fondateurs et organisées en unités de gestion sous la responsabilité du prieur127. Fondée sur une véritable comptabilité des échanges entre ici-bas et l’au-delà, cette mutation des pratiques religieuses reçut une traduction architecturale : au xive siècle, la nef de Saint-Jean fut progressivement flanquée d’une série de chapelles latérales réservées aux chapellenies et aux anniversaires128. L’église ne cessa donc de se transformer, après avoir connu deux constructions successives au siècle précédent, alors que les bâtiments conventuels eux-mêmes avaient été refaits ou amplifiés, notamment sous l’impulsion des prieurs de Saint-Gilles qui aimaient venir à Aix. Dans cette ville, toutefois, l’impact de la présence de la commanderie dans le tissu urbain ne dépassa guère le quartier hors-les-murs où se forma le bourg Saint-Jean129. Tout autre fut le cas de Manosque où la seigneurie hospitalière entreprit de modeler l’urbanisme autour d’un certain nombre de lieux symboliques.

124 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 337-338. 125 J. Chiffoleau, « Pour une économie de l’institution ecclésiale à la fin du Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 96-1 (1984), p. 247-279 ; Id., « Les transformations de l’économie paroissiale en Provence (xiiie-xve siècles) », in A. Paravicini Bagliani et V. Pasche (dir.), La parrochia nel Medio Evo. Economia, scambi, solidarietà, Rome, 1995, p. 92-95. 126 Sur les services funéraires offerts par les chanoines provençaux, voir désormais : A. Chiama, Les cathédrales et la mort en Provence (xiie-xive siècle), thèse de doctorat, Université Jean Monnet – Saint-Étienne, 2018, vol. 1, notamment la 3e partie. 127 Cette autonomie est manifeste dans le classement même des archives : « Titres de la chapelle des Onze mille Vierges » (56 H 51, p. 42 ; inventaire E. de Grasset, 1869). 128 Y. Esquieu, « L’église des hospitaliers », p. 114 ; J.-M. Roux, Saint-Jean-de-Malte, p. 18-20. 129 Je n’oublie pas, pour le xive siècle, quelques manifestations de la présence de l’ordre, comme la fondation d’un hôpital sur la route de Saint-Maximin, non loin de la commanderie (N. Coulet, « Hôpitaux et œuvres d’assistance dans le diocèse et la ville d’Aix-en-Provence, xiiie-mi-xive siècle », in Assistance et charité, Toulouse, 1978, p. 229-230). Toutefois, l’absence d’activité particulière autour de la maison Sainte-Catherine héritée des templiers – si l’on s’en tient à l’impression laissée par l’archéologie – confirme le caractère limité des entreprises des hospitaliers (S. Claude, « Le quartier du palais, un exemple de restitution urbaine », in N. Nin (dir.), Aix en archéologie, p. 371-374).

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Manosque : lieux de pouvoir et pôles de sacralité L’empreinte hospitalière sur la fabrique urbaine

Émergeant de la documentation au xe siècle, la localité connut probablement un développement non négligeable au cours des deux siècles suivants, si l’on se fie notamment à la densité de l’équipement ecclésial alors attesté130. On a rappelé la dualité du peuplement entre une agglomération basse (villa) et un pôle de hauteur, sur la colline du Mont d’Or (pl. 9). Ce castrum resta habité durant le second Moyen Âge et les hospitaliers ne délaissèrent pas la fortification, sise au point le plus haut, qui a pu être reconstruite dans le second tiers du xiiie siècle131. Toutefois, le dynamisme démographique et économique se concentra essentiellement dans la plaine, d’abord à la faveur de la présence comtale, puis sous l’impulsion de la seigneurie hospitalière. Sans doute depuis la fin du xiie siècle, la villa était entourée d’une enceinte que la croissance urbaine finit par déborder : avant que ne s’installent les premiers couvents mendiants (mineurs et carmes) dans des zones en voie de peuplement, le faubourg de la Saunerie était déjà en plein essor (pl. 10). C’est donc l’ensemble de cette agglomération, probablement considérée comme un espace de domination privilégié, que les commandeurs entreprirent d’organiser à partir de leur installation dans le palais comtal. On ne reviendra pas sur la mainmise foncière exercée par l’Hôpital. À l’intérieur de la ville, la maîtrise du sol portait sur des secteurs à forte valeur. C’était notamment le cas de la carreria recta, correspondant à l’axe majeur qui partait de la porte de la Saunerie, où près d’une trentaine de maisons étaient louées à des individus plutôt huppés132 (pl. 10). Hors de l’enceinte, les hospitaliers jetèrent leur dévolu sur le secteur oriental, là où se développait le faubourg de la Saunerie depuis le début du xiiie siècle. D’après le premier livre de reconnaissances de la commanderie, Sandrine Claude a évalué le nombre de biens possédés dans ce secteur à 123, sur un total de 230 propriétés urbaines133. Tout au long du siècle, les acquisitions portèrent effectivement sur des terres mais surtout sur des édifices déjà bâtis. Aussi est-il difficile de dire si les frères ont suivi une stratégie opportuniste, en multipliant les acquisitions dans un secteur dynamique, ou

130 Les recherches fondamentales sont celles de S. Claude, « Naissance de l’habitat urbain » ; et Ead., « Manosque : habitat aggloméré ». 131 Il reste de cet ensemble une haute tour maîtresse qui était entourée, comme l’a montré l’archéologie, d’une enceinte quadrangulaire, elle-même cantonnée de tours circulaires saillantes (S. Claude, « De l’Antiquité au bas Moyen Âge : Manosque ou la genèse de la ville moderne », Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Alpes de Haute Provence, 343-344 (2001), p. 40-43). 132 M. Hébert, « Espaces urbains et marché immobilier en Provence à la fin du Moyen Âge », in Mercado inmobiliario y paisajes urbanos en el Occidente europeo (siglos xi-xv), Pampelune, 2007, p. 168 (d’après les terriers du xive siècle). 133 S. Claude, « Impact et limites de la seigneurie de l’Hôpital sur l’évolution et les dispositions du paysage urbain à Manosque (xiiie-xive siècles) », in D. Carraz (dir.), Les ordres militaires dans la ville médiévale (1100-1350), Clermont-Ferrand, 2013, p. 285 (d’après 56 H 1038, livre de reconnaissances de la fin du xiiie siècle) ; et Ead., « Manosque : habitat aggloméré », p. 153. Liasses contenant des achats ou autres transactions sous la directe de l’ordre à la Saunerie : 56 H 4630, 56 H 4638, 56 H 4640, 56 H 4641 et 56 H 4643.

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bien s’ils favorisèrent un véritable lotissement, comme le firent les ordres militaires en d’autres lieux134. L’impression est que Bérenger Monge et ses frères n’eurent pas d’initiative particulière dans l’urbanisation de ce secteur car la documentation, pourtant abondante, ne révèle rien d’une politique de lotissement active135. Même s’il en était le principal propriétaire, l’ordre de Saint-Jean n’exerçait cependant pas une domination sans partage sur le sol. Les églises d’implantation ancienne, notamment les dépendances de Saint-Victor de Marseille, disposaient de temporels qui, bien que très mal documentés, ne devaient pas être négligeables. Le prieuré Sainte-Marie, notamment, entendait bien profiter de l’essor démographique. En 1258, le prieur se fit ainsi reconnaître la possibilité de lotir la condamine possédée à l’une des portes de la ville, ou bien tout autre lieu dans le bourg ou son territoire, tant que seraient respectés les droits de l’Hôpital sur les nouveaux habitants136. Cependant, il fallut surtout compter avec la communauté des habitants qui escomptait bien avoir un droit de regard sur l’aménagement de son cadre de vie, comme l’indiquent quelques dispositions statutaires. En 1234, l’universitas demanda au commandeur d’interdire à l’avenir que des maisons « ou autres structures » fussent édifiées contre le rempart et dans les fossés137. Cependant, cette requête semble avoir été peu suivie d’effet car, à l’occasion de la composition négociée en 1293, les syndics se plaignirent à nouveau des constructions élevées dans le fossé, contre l’enceinte138. En prenant acte du fait accompli, on décida de laisser en l’état le tronçon situé entre le « portail Raimond vieux » et le portail neuf, mais d’interdire les constructions partout ailleurs. Sandrine Claude interprète cette injonction comme une réaction des habitants aux tentatives d’appropriation de la périphérie urbaine par les hospitaliers eux-mêmes139. Cependant, pour l’universitas, l’enjeu était surtout d’exercer un droit de regard sur la gestion de l’espace public en imposant au commandeur la consultation des prudhommes pour

134 Un des plus beaux exemples en la matière est sans doute celui des templiers à Perpignan, entrepreneurs du lotissement du quartier Saint-François (R. Tréton, « L’ordre du Temple dans une capitale méditerranéenne : Perpignan », in D. Carraz (dir), Les ordres militaires dans la ville, p. 233-235). Pour des exemples moins spectaculaires en Provence : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 276-277. 135 Le livre de reconnaissances de la fin du xiiie siècle mentionne quelques maisons neuves (domum novam sitam in Saunaria subtus portale) ou confrontant le barrium, sans indiquer qui fut à l’initiative de la construction (56 H 1038, f. 13v, 25…). 136 …prior […] ferraginem seu condaminam spectantem ad dictam ecclesiam [Beate Marie] situm juxta portale dicte ville et quecumque alium locum qui spectet […] ad dictam ecclesiam in dicta villa, burgo seu territorio ad bastiendum et edifficandum seu inhabitandum, eo salvo […] quod quicquid juris preceptor et domus de Manuasca habet […] in hominibus dicte ecclesie quos nunc habet seu habebat in villa Manuasce, burgo seu ejus territorio, et idem jus habeat et habere debeat in hominibus et personis qui seu quibus in dicta ferragine seu locis aliis edifficaverint seu bastinebint et inhabitaverint vel se transferent ad habitandum ibidem… (56 H 4652 ; 22 octobre 1258). On ignore à quelle porte se réfère la situation de la condamine en question. 137 De non hedificando in vallatis (LPM, no 4, p. 18 ; 11 novembre 1234). La protection des dispositifs de défense contre les constructions parasites fut une préoccupation constante des autorités urbaines (M. Hébert, « Espaces urbains et marché immobilier », p. 131-135). On la retrouve justement à Manosque au xive siècle, alors que la municipalité a pris en charge la défense de la ville (C. Picot, Essai sur les institutions municipales de Manosque, p. 69-70 et 92-99). 138 De vallatis (LPM, no 36, p. 96 et 108 ; 31 août 1293). 139 S. Claude, « Impact et limites », p. 284.

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certaines affaires. En 1276 par exemple, intervint une transaction entre deux particuliers, réalisée sous la directe de l’Hôpital et portant sur une maison située à la porte de la Saunerie. L’habitation devait alors être relativement récente car elle avait été bâtie contre le « barrium », c’est-à-dire l’enceinte. Or, parmi les dépendances comprises dans la vente, figurait un édifice qui avait été établi au-dessus du portail de l’enceinte avec l’autorisation conjointe de Bérenger Monge et des prudhommes140. Il est probable, toutefois, que le commandeur ait cherché à s’affranchir de la surveillance des représentants de la communauté, comme semble l’illustrer un autre statut portant sur les auvents, qui est hélas cité de façon indirecte et donc délicat à interpréter. En 1288, les syndics réclamèrent que soit respectée l’interdiction d’établir des auvents contre les maisons, afin de préserver « la salubrité, l’élégance et la beauté des lieux »141. Ce type de mesure contre l’invasion de l’espace public par les constructions parasites était alors classique142. Mais, à la demande de l’universitas, Bérenger Monge dut décréter que personne ne perçoive d’argent de ceux qui contrevenaient aux statuts. À qui s’adressait cette allusion ? Aux propriétaires de maisons qui se seraient fait payer pour octroyer l’autorisation d’ajouter de telles extensions au bâti existant ? Ou bien aux hospitaliers qui recevaient éventuellement une forme de pot-de-vin pour accepter ces empiètements sur la rue ? Peu porté sur les entreprises de constructions locatives, le commandeur entendit avant-tout remodeler l’espace environnant le palais seigneurial. Dès la prise de possession de l’ancienne résidence comtale, les frères s’étaient occupés de s’assurer la maîtrise des terrains ou des constructions dans les alentours immédiats143. Dans les années 1210-1230, ils avaient déjà acquis, par échanges ou achats, quelques emplacements confrontant les fossés et surtout des immeubles situés face au palais144 (pl. 10). Semble-t-il après un certain hiatus, cette stratégie fut reprise par Bérenger Monge qui, dans les décennies 1260-1280, multiplia les acquisitions dans le secteur du palais.

140 …unum albergum situm in villa Manuasce ad primum portale de Saunaria confrontatum ab una parte cum carreria directa et ab alia cum barrio ville et ab alia cum albergo magistri Arnaldi pictoris et ab alia cum traversa per quam intratur in albergum Petri Ebrardi, cum omnibus pertinentiis et ingressibus et egressibus suis et cum edificio quod est supra dictum portalem, secundum formam concessam de predicto edificio domino Petro de Fonte et domino Benedicto fratribus per dominum Berengarium Monachum, preceptorem Manuasce, de consilio et consensu aliquorum proborum hominum de villa Manuasce. (56 H 4643 ; 18 mars 1276 ; vente des frères Peire et Raimond de Fonte au juif Samuel avec investiture du bayle Uc de Corri). 141 Item cum postulassent quod statutum factum de anvannis servaretur propter salutem et formositatem et pulcritudinem dicti loci et hominum dicte ville, et quod ab aliquo non accipiantur denarii ut contra statutum fiat ; ideo statuimus et precipimus quod nullus accipiat denarios nec accipere debeat ex eo quod fiat contra dictum statutum. (LPM, no 28, p. 80 ; 21 mai 1288). En 1441, on se soucia toujours, par mesure de salubrité, de limiter le dépassement des auvents sur la rue et de faire détruire les constructions légères jetées entre les façades (D. Arbaud, Études historiques sur la ville de Manosque au Moyen Âge, t. 1, Digne, 1847, p. 187). 142 M. Hébert, « Espaces urbains et marché immobilier », p. 176-178. 143 Cette logique est attestée pour la plupart des maisons religieuses implantées en ville qui cherchaient à se prémunir de la promiscuité et des tumultes du voisinage par l’aménagement de « zones-tampons » (C. Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain. Les camaldules en Italie à la fin du Moyen Âge, Rome, 1999, p. 348-360). Pour le cas des commanderies templières du Bas-Rhône : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 274-275. 144 plateis que juguntur cum vallato palacii (56 H 4638 ; juin 1213) ; tenementum […] quod est ante palatium juxta valatum (56 H 4629 ; 28 avril 1233) ; S. Claude, « Impact et limites », p. 282.

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En décembre 1274, il achetait par exemple deux maisons contiguës face à l’entrée du siège de la commanderie145. De fait, si l’Hôpital disposait dans le secteur d’un parc immobilier locatif, l’édifice seigneurial demeurait bien isolé du bâti environnant, tandis qu’une zone non construite, le « viridarium ou ferragine Hospitalis », s’étendait à l’arrière, sans doute jusqu’à l’enceinte urbaine146. Cette stratégie contribua probablement à fixer voire à élargir l’espace non-bâti qui, du côté est au moins, avait reçu le nom de Terreau. Alors qu’il avait engagé une importante restructuration du palais lui-même, sans doute Bérenger Monge eut-il en même temps à l’esprit un programme d’aménagement des espaces circonvoisins. C’est dans cette optique qu’au printemps 1276, il entreprit de déplacer devant le palais, c’est-à-dire sur la place du Terreau, le marché qui se tenait alors dans les cimetières de Sainte-Marie et de Saint-Jean. Appuyant cette décision sur un statut du récent concile de Lyon interdisant la tenue des marchés dans les cimetières, il acquit l’emplacement nécessaire en achetant, après estimation, la maison des enfants de Joan Sartor au prix de 7 livres147. Les documents postérieurs montrent bien que les étals avoisinaient les fossés mêmes du palais, tandis que les autres points de vente – boucherie, poissonnerie, marchés aux herbes et aux céréales – s’étendaient dans les rues adjacentes148. Cependant, loin d’accueillir seulement ce que les textes médiévaux appellent le « forum », entendu comme marché et place publique, le Terreau avait été investi par des édifices symboliques de l’autorité seigneuriale. Rappelons en effet que la « salle de plaid » se dressait quelque part en face de l’entrée du palais et que c’est dans ses annexes qu’était engrangée une partie des cens perçus en nature. Enfin, même si son emplacement au xiiie siècle est mal assuré, la « domus furnorum Hospitalis » se situait nécessairement à proximité des 145 Le 5 décembre 1274, vente par Jacobus Sartor d’un casale sitam ante portam palacii Manuasce, confrontant d’un côté la rue et de l’autre l’albergum de Bertrand Sartor ; le 29 décembre 1274, vente par Aicelena d’une maison ante palatium dicti Hospitalis, confrontant d’un côté la rue conduisant au palais en venant de la place, d’un autre le casal de Jacobus Sartor, et d’un autre la domus que est ante dictum palatium in qua datur elemosina generalis dicti palatii (56 H 68, f. 185v et 242v-243). Autres achats du commandeur : domus […] ante palatium (56 H 4632 ; octobre 1260) ; domus […] prope palatium (56 H 68, f. 248 ; 7 octobre 1279) ; cens sur l’albergo […] Petri Salvestri de Manuasca sito in villa Manuasce et confrontato […] cum via publica qua itur versus palatium movendo de platea… (56 H 4643 ; 4 juillet 1280) ; cens sur une domus site ante palatium Manuasche (56 H 849bis, f. 223-226 ; 16 décembre 1285). 146 P. ex. : ferragine quod est retro palatium (56 H 835, f. 34). Comme l’a fait remarquer Sandrine Claude à partir des terriers, les maisons louées étaient localisées par rapport au palais (retro/ante palatium), mais ne le confrontaient pas (S. Claude, « Impact et limites », p. 282). 147 …quod cum mercatum ville Manuasce consueverit esse in cimiteriis ecclesiarum Beate Marie et Beati Iohannis dicte ville, et fuerit statutum in concilio Lugdunensis facto tempori domini Gregorii pape decimi quod mercatum de cetero non debent fieri in cimiteriis, et ob istud statutum mercatum ville Manuasce sit remotum de predictis cimiteriis, et non posset in dicta villa fieri ita bene sicut ante palatium Manuasce et domum liberorum condam Iohannis Sartoris de Manusaca sit nececeria ad opus dicti mercati que confrontatur cum domo Jacobi Panerii quadam androna in medio et ab alia cum domo Raimundi Acaloterii et ab aliis duabus partibus cum carreriis publicis ita quod dictum mercatum non posset esse commode sine dicta domo… (56 H 4632 ; 11 mars 1276). La référence au concile de Lyon est issue du canon 25 sur l’immunité des églises (G. Alberigo, Les conciles œcuméniques. Les décrets, t. 2-1, Nicée I à Latran V, Paris, 1994, p. 682-683). 148 Dans le livre de reconnaissances de 1303, plusieurs tables confrontent les fossés du palais et parfois même le verger de l’Hôpital (56 H 1039, f. 4, 28v, 32v…). Sur les autres lieux de commerce : S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré », p. 161.

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autres annexes du palais et notamment de la curia149. La concentration de ces divers équipements, liés à la vie économique comme sociale et placés à l’ombre du palais, manifestait donc au plus haut point la domination de l’Hôpital sur la ville. Enfin, même si cet aspect ne laisse par définition que des traces ténues, on n’oubliera pas tout ce qui relevait du marquage symbolique de l’espace seigneurial. On a déjà évoqué les crieurs et messagers de l’ordre sillonnant la ville, le spectacle judiciaire avec son lot de peines infamantes – comme la célèbre course des adultères – et ses lieux de supplice qui devaient plutôt être rejetés à l’extérieur de l’enceinte150. Cependant, s’il devait inspirer la terreur, le pouvoir seigneurial devait aussi faire œuvre de bonté. Les hospitaliers durent être particulièrement attentifs aux manifestations visibles de la charité qui était à l’origine même du propositum de leur institution. Les comptes mentionnent les distributions régulières d’aumônes, plutôt de façon indirecte d’ailleurs, lorsque est évoqué l’achat des paniers servant à stocker les pains151. En outre, treize pauvres recevaient un denier à chaque Jeudi saint152. Ces actions devaient bien s’ancrer dans certains lieux, peut-être l’église Saint-Pierre ou bien la porte du palais, et l’on peut même imaginer que le commandeur se prêtait à cette démonstration de générosité. Mais il existait surtout une « maison de l’aumône générale du palais », dont on ignore tout et notamment la relation topographique éventuellement entretenue avec les autres équipements seigneuriaux de la place du Terreau153. Sans doute, doit-on attribuer à ce bâtiment le mur devant lequel les frères se tenaient pour procéder aux distributions et qui constituait un autre repère mémoriel aux yeux de la population154. La pratique de la quête engendrait un autre type de marquage spatial, bien connu pour les ordres mendiants mais beaucoup moins pour les ordres militaires155. À Manosque, des mentions incidentes montrent

149 La documentation tardive situe ce complexe près de la porte de la Saunerie (S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré », p. 160 ; cf. pl. 10). Mais dans les années 1220, sa position face à la salle de justice laisse entendre que le premier four seigneurial est plutôt à chercher du côté de la place du Terreau – in curia ante furnum hospitalis (56 H 4639 ; février 1222 ; 56 H 4676 ; décembre 1222) ; peut-être au débouché de la rue principale (albergi […] que confrontatur […] cum domo furnorum Hospitalis et […] cum carreria directa… ; 56 H 4643 ; 24 juin 1282). L’ordre possédait d’autres immeubles confrontant la maison du four (56 H 4632 ; 21 octobre 1273 ; 56 H 1039, f. 23). 150 La course des adultères nus traversait la ville, d’une porte à l’autre (LPM, no 14, p. 62). À ma connaissance, les fourches et le pilori ne sont pas localisés. Le toponyme « Furchas » se rencontre dans les terriers, mais il est fort polysémique (56 H 1039, f. 24rv, 29v). 151 banastis/banastonis pro helemosina (CoHMa, § 66, 86, 114, 148, 169, etc.) ; Item ii solidos in tribus cultellis pro cindenda helemosina (§ 324). Distributions de chemises ou de froment (§ 115, 307). L’enquête de 1338 éclaire l’œuvre d’assistance des hospitaliers qui, à Manosque, accueillaient quotidiennement trois pauvres à leur table et procédaient à une distribution de pain trois fois par semaine, entre la Saint-Michel et la Saint-Jean (VGPSG, p. 351). 152 CoHMa, § 88, 143, 194, 245, 299, 350 ; 56 H 835, f. 7, 30v, 36v. 153 domus que est ante dictum palatium in qua datur elemosina generalis dicti palatii (56 H 68, f. 242v-243). 154 Actum Manuasce iuxta parietem ubi elemosina Hospitalis datur (56 H 4652 ; 18 février 1269). 155 Réflexion de synthèse sur les espaces de quête chez les mendiants : L. Viallet, « Pratiques de la quête chez les religieux mendiants (Moyen Âge-Époque moderne) », Revue Mabillon, 23 (2012), p. 267-270. À peine indiquée par les sources normatives et les arbitrages, la quête échappe presque totalement aux actes de la pratique dans le cas des ordres militaires (A. Demurger, « Quête », in DOMMA, p. 757-758).

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que les frères se plaçaient pour quêter dans les endroits passants, telles les portes, en se faisant aider par de véritables mendiants qu’ils rémunéraient156. On le voit, les déplacements et les stations dans la ville – sans s’arrêter sur le cas des processions qui sera à peine effleuré plus loin – n’ont laissé que quelques traces fugaces. Et pourtant, tout cela se trouvait encore au cœur de l’appropriation de l’espace urbain par les hospitaliers. Ces actions données à voir à la population participaient donc de l’ouverture au monde des frères. Il en allait différemment des espaces conventuels qui, s’ils n’étaient pas entièrement fermés aux fidèles, recelaient une part nécessaire de secret. En tant que lieu de vie communautaire mais aussi lieu de pouvoir, le palais s’inscrivait pleinement dans cette dimension. Or, tout au long du préceptorat de Bérenger Monge, le monument fit l’objet d’une profonde restructuration157. Des ambitions de châtelain : la restructuration du palais comtal

Dès la mort de Guilhem II, qui intervint peu après février 1209, les hospitaliers s’empressèrent d’investir la résidence comtale158. Ils héritaient alors d’un ensemble qui venait probablement d’être réaménagé à partir d’un noyau plus ancien159. Ce qui avait été le centre d’une cour princière abritait désormais la communauté d’un ordre militaire, soit peut-être une quarantaine de personnes comprenant le couvent d’une quinzaine de frères, un groupe de donats, quelques serviteurs et des hôtes de passage. Après la prise de possession par les hospitaliers, avait été conservé le qualificatif originel de « palatium » renvoyant à l’autorité souveraine et à l’exercice de la justice160. Dès 156 mendico que stetit ad portalem de Saunaria cum fratre Bernardo xv d. Item uno alio mendico que stetit cum Bertrando clerico ad portalem Superium xv d. pro xv diebus (56 H 835, f. 44v). Il est très rare que les comptes mentionnent le produit de la quête (De presa cujusdam helemosine facte x solidos ; CoHMa, § 248). On payait encore des mendiants pour se tenir à une porte de la ville pour d’autres raisons (CoHMa, § 11 et 220). Dans une autre perspective, les hospitaliers employaient des mendiants pour quantité de menus travaux (CoHMa, § 9, 10, 11, 12, etc.). 157 Le point de départ est, ici encore, constitué par les travaux de S. Claude, « La commanderie des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem à Manosque : un édifice seigneurial en Provence (fin xiie-fin xve siècle) », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), Castelos das ordens militares, vol. 2, Lisbonne, 2013, p. 275-291. Toutefois, l’apport des comptabilités et une démarche comparative étendue à d’autres châteaux de l’Hôpital m’ont permis de pousser plus loin un certain nombre d’hypothèses sur la reconstitution des espaces (D. Carraz, « La redécouverte de deux châteaux »). 158 Dès 1210-1211, le commandeur passait des actes in capella palacii ou bien in palatio, in camera subtus capella (56 H 4676 ; 56 H 4628). 159 En août 1198, le comte passait un acte in novo palatio comitis subtus capella (56 H 4627). Et en février 1209, lorsqu’il confirma l’ensemble de ses donations à l’Hôpital devant une grande assemblée convoquée dans la camera du palais, il se présenta comme le commanditaire du monument : …in camera subtus cappellam, in suo scilicet sedens lecto ante furnellum […]. Ego Willelmus […] dono […] palacium de Manuascha cum omnibus pertinenciis suis, quod meis sumptibus edificavi… (CGH, t. 2, no 1324, p. 102 ; 4 février 1209). Toutefois, sur la base d’une contestation de propriété, Sandrine Claude a fait valoir que le comte « commandita plus vraisemblablement le réaménagement d’une demeure plus ancienne » (S. Claude, « De l’Antiquité au bas Moyen Âge », p. 52). 160 Le maintien de ce terme n’est guère surprenant car il arriva que des commanderies, notamment urbaines ou bien dotées de droits seigneuriaux importants, fussent qualifiées de palais (D. Carraz et S. Aspord-Mercier, « Le programme architectural d’un pôle seigneurial : la commanderie de Montfrin

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cette époque, toutefois, devaient prévaloir aux yeux des contemporains les caractères qui, aujourd’hui, font entrer le monument dans la catégorie de l’architecture castrale161. L’étude du château, qui fut rasé de fond en comble peu après 1793, repose presque exclusivement sur un ensemble varié de sources écrites illustrant son évolution dans la longue durée162. Le dossier iconographique se limite, en effet, à un plan dressé juste avant la démolition, qui est assez sommaire mais constitue un point de départ indispensable à la réflexion163 (pl. 11). Le château apparaît comme un carré quasi-parfait avec des côtés de 40 m de long environ et une cour intérieure de 22 m de côté. En revanche, les sept tours mentionnées dans les visites de l’ordre de Malte, dont quatre tours d’angle circulaires visibles sur un plan de la ville réalisé vers 1773, n’apparaissent plus164. Les visites permettent de déduire la position approximative des trois tours dites « carrées », qui n’étaient pas forcément à l’exact milieu des courtines comme le prétendait Jean Columbi165 (pl. 12). Au début du xiiie siècle, le palais s’articulait autour du binôme camera/capella, avec une vaste salle seigneuriale au rez-de-chaussée, aménagée au-dessous de la chapelle sise à l’étage166. L’édifice était alors défendu par trois tours au moins, comme l’attestent les mentions d’une « turre veteri », d’une « torre de contessa » faisant office de donjon et enfin d’une tour-porche, percée de deux portes précédées d’une herse167. Il semble que ce cadre ne connut guère de modification avant la seconde moitié du xiiie siècle. C’est à partir de cette époque, en effet, que les sources suggèrent un

(Gard) », in Y. Mattalia (dir.), Organiser l’enclos : sacré et topographie dans les maisons hospitalières et templières du Midi de la France, Archéologie du Midi médiéval, 28 (2010), p. 312). 161 À côté de « domus » ou « palatium », c’est l’aspect fortifié qui a été retenu dans les dénominations du lieu depuis le xive siècle – « fortalicium », « chasteau », « chastel », « fourteresse » –, si bien qu’a toujours primé la référence résidentielle ou défensive au détriment de la dimension religieuse (S. Claude, « Impact et limites », p. 276-277). 162 La place du Terreau a fait l’objet d’un diagnostic archéologique à l’automne 2016 (V. Buccio (dir.), Manosque. Place du Terreau. Rapport de diagnostic, Service départemental d’archéologie des Alpes de Haute-Provence, 2017). Si celui-ci n’a révélé aucun niveau médiéval, un ensemble de structures pourrait correspondre au fond des caves du château dans son dernier état. L’archéologie confirme donc le caractère radical de la démolition intervenue à la fin du xviiie siècle. 163 Arch. dép. des Alpes de Haute-Provence, L 383. Ce plan a été dressé pour un projet d’installation du tribunal dans l’ancien palais de l’ordre de Malte. Il ne donne qu’une vision fallacieuse de l’état médiéval : les espaces intérieurs ont notamment été réaménagés, tandis que la légende accompagnant le plan reflète les projets de transformation de l’époque révolutionnaire. 164 Ces tours d’angle avaient été démolies peu avant la levée du plan. Peut-être avaient-elles déjà été fragilisées par le puissant tremblement de terre qui, à l’été 1708, avait affecté l’ensemble de l’édifice (V. Buccio (dir.), Manosque, p. 25). 165 J. Columbi et H. Pellicot, Histoire de Manosque, Apt, 1808, p. 176-178. Certaines des tours rectangulaires devaient être peu saillantes, ainsi que le suggère la mention, dès 1262, d’une bisturre qui se rapporte probablement à une tour engagée (56 H 835, f. 33v). 166 Dès 1205-1207, des actes étaient passés ante (h)ostium camere subtus capellam et in camera subtus cappellam (B 303 ; 56 H 4627 ; LPM, no 1, p. 6). 167 turre veteri et turre de porta et refectorio (56 H 4629 ; 23 février 1226) ; magnam turrim palati in summitate eiusdem, appellatam la torre de Contessa (56 H 4629 ; novembre 1226) ; portam ferream palacii Manuasche (56 H 4628 ; 30 janvier 1216) ; in palatio Manuasce in porticu scilicet infra portam ferream (56 H 4639 ; avril 1218) ; portam primam palatii (56 H 835, f. 39v).

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certain nombre d’aménagements importants. On voit notamment émerger quatre tours supplémentaires : la tour des Anglais (1261), la tour de l’Arbalète (1284), la tour de la Cordonnerie (1286) et une tour Neuve168. La comptabilité montre que la tour de l’Arbalète était encore en travaux en 1289, tandis qu’entre 1287 et 1290, furent enregistrées les différentes étapes de la construction de la tour Neuve, du creusement des fondations jusqu’à la pose des huisseries des portes et fenêtres169. Je propose l’hypothèse que ces constructions nouvelles correspondent aux quatre tours circulaires. Le monument arborait alors un indéniable caractère fortifié. Les mentions, à l’époque moderne, de merlons et de mâchicoulis aux tours renvoient en effet à une réalité ancienne, puisque la tour Vieille était déjà dotée de tels dispositifs au xiiie siècle170. Participait de cette défense ostentatoire et menaçante, la « grande arbalète » que l’on imagine tournée vers la ville, au sommet de la tour du même nom171. L’isolement par rapport au tissu urbain participait du même esprit. Éventuellement établi sur une plate-forme, selon la suggestion de Sandrine Claude, le château écrasait de sa masse l’ensemble de la ville. Il en était encore séparé par les fossés, attestés à partir de 1213 et renforcés d’un glacis maçonné à une date indéterminée172. Un pont permettait d’accéder à une « terrasse », devant la porte de fer du palais, qui offrait un cadre privilégié pour la rédaction des actes173. Ce dégagement était alors défendu par une barbacane comprenant tour et palissade174. Chartes et comptabilités donnent une certaine vision de l’organisation du cadre de vie de la communauté hospitalière au temps de Bérenger Monge. Je ne m’attarderai pas sur les espaces relevant de l’intendance, pour lesquels je me suis hasardé à proposer quelques localisations sur le plan restitué (pl. 12 ; tabl. 12). Le cœur de la vie conventuelle était la chapelle que le plan révolutionnaire présente

168 turris Angles (56 H 835, f. 17 ; 1261) ; turre Arbalistarum (56 H 849bis, f. 229v ; 1284) ; turrem Sabbatarie (CoHMa, § 154 ; 1286). La tour des Anglais pourrait être la première construite des quatre tours : des travaux y sont effectués en 1263 et elle nécessite déjà des réparations en 1287-1288 (56 H 835, f. 44 ; CoHMa, § 263 et 275). L’emplacement de ces tours sur le pl. 12 est proposé seulement comme hypothèse de travail. 169 La tour Neuve se situait derrière la cuisine, non loin de la turris Sabbatarie et comportait une poterne. Si les mentions s’appliquent bien à la même tour en construction, celle-ci comportait, outre une camera, une pièce chauffée (étuves ?), une étable et un grenier. 170 in petra ad opus adobandis enquinastria et merletos turris veteris (CoHMa, § 270 ; 19 septembre 1288). 171 En 1260, on se préoccupait de la réparation d’un trébuchet (ad aptandum puteum et trapas super palacii ; 56 H 835, f. 8v). L’entretien de la grande arbalète est régulièrement attesté dans les années 1280 (CoHMa, ad indicem : magna albarista). 172 vallato palacii (56 H 4638 ; juin 1213). Le glacis maçonné est seulement mentionné en 1662 ( J. Columbi, Histoire de Manosque, p. 224). Mais en 1283-1285, les comptes attestent d’importants travaux de fondation dans le fossé (CoHMa, § 19, 40, 53, 55, 120). 173 Cité en 1283, le pont est appelé explicitement « pont-levis » en 1483 (CoHMa, § 18 ; 56 H 841, f. 20v : lo pon levedis du palays de Manosca). On compte près d’une quarantaine d’actes passés devant la porta ferrea du palais tout au long du xiiie siècle, tandis qu’à partir de 1256 est fréquemment mentionnée la terrasse (terrassa palatii Manuasche que est ante portam ferream ; 56 H 849bis, f. 88 ; 31 janvier 1256). Notons que la tour du Mont d’Or devait être munie du même dispositif, ce qui peut prêter à confusion (infra castrum Manuasche in terrassa que est ante portam turris predicti castri ; 56 H 4669 ; 30 mars 1248). 174 in postato palatii Manuasce, ante portam ferream (56 H 4632 ; 14 novembre 1273) ; pro opere […] turris barbacane (CoHMa, § 288 ; 1289).

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au-dessus du porche de l’entrée principale (pl. 11). Dans les années 1230, la chapelle se trouvait bien au-dessus du sas d’entrée de la tour-porche, même si l’on ignore si cette position existait déjà à l’époque de Guilhem II175 (pl. 13). La salle du trésor qui pouvait aussi faire office de sacristie se trouvait forcément à proximité176. C’est à partir de ce pôle sacré que s’articulaient les espaces de représentation. Ainsi, dans les chartes, la maior camera, la grande salle de l’époque comtale, restait située par rapport à la chapelle177. Toutefois, je pense que « subtus capella » ne s’entend pas forcément dans un sens précis, mais voulait surtout signifier que ce pôle de prestige se trouvait en rez-de-chaussée, par opposition au pôle sacré qui était à l’étage. Dans la deuxième moitié du xiiie siècle, cette belle salle a déjà été investie par le prieur de Saint-Gilles qui faisait de fréquents séjours à Manosque. Mais sans doute s’effaça-t-elle comme espace de gouvernement au profit, notamment, de la chambre du commandeur où la plupart des actes étaient désormais souscrits178. À l’époque de Bérenger Monge, ce pôle majeur de la domination seigneuriale se situait à l’étage, près du trésor et surtout de la chapelle179. En effet, il semble que l’on retrouve un dispositif attesté, au moins depuis la fin du Moyen Âge, dans d’autres commanderies où les appartements du commandeur étaient reliés à la chapelle via une tribune180. Je propose de placer cette camera preceptoris sur l’aile orientale, en faisant le pari d’une certaine permanence, puisque là se situaient en partie les appartements du bailli à l’époque moderne. D’ailleurs, il ne serait pas forcément anachronique de parler d’appartements dès le xiiie siècle : Bérenger Monge avait l’habitude de passer des actes dans un parlatorium attenant à sa chambre (tabl. 13). Ce parlatorium, que l’on retrouve dans quelques autres commanderies, n’est pas exactement comparable au parloir des ordres cloîtrés : éloigné de l’entrée, il faudrait plutôt le considérer comme une pièce de réception largement ouverte sur la vie publique181. Enfin, le commandeur recevait plus exceptionnellement dans une camera dite « peinte ». C’était, en effet, une marque de pouvoir, pour le commandeur ou pour le bayle, 175 infra palatium Manuasce in porticu subtus sancti Giraudi (56 H 4640 ; 18 mai 1231). La chapelle était surmontée d’un campanile mentionné pour la première fois en 1351(56 H 836, 3e cahier, non folioté). 176 in palatio Manuasce in tesauro (56 H 4632 ; 21 octobre 1273). 177 infra palacium ante hostium maioris camere (56 H 4638 ; 3 décembre 1215 ; 56 H 4639 ; mars 1222) ; in camera maiori palacii (56 H 4677 ; 19 janvier 1245) ; camera dicti domini prioris subtus capellam (1292 ; LPM, no 32, p. 90 ; 31 octobre 1292) ; infra palacium in camera domni prioris, subtus cappellam (56 H 4682 ; 1308) infra palacium in camera magna juxta scalarium capelle (LPM, no 52, p. 187 ; 20 octobre 1314) ; etc. Espace à rapprocher de la camera domini prioris S. Egidii (CGH, t. 2, no 2570, p. 713 ; 28 juillet 1251). 178 Dans les années 1230, la situation de la chambre du commandeur « infra palatium » laisse entendre que celle-ci était de plain-pied et qu’il s’agissait peut-être toujours de l’ancienne salle comtale (infra palacium in camera preceptoris : 56 H 4639 ; 3 mars 1231 ; 56 H 4668 ; 11 septembre 1232 ; 56 H 4640 ; 2 juillet 1234). 179 Attestée au milieu du xve siècle, la position reflète sans doute un état ancien : infra palacium dicte ville, scilicet in camera ipsius magnifici domini preceptoris existenti prope cameram thesauri ipsius palacii (56 H 849bis, f. 719 ; 21 avril 1451). 180 D. Carraz, « Archéologie des commanderies », p. 183-184. 181  Premières mentions : parlatorio palatii Manuasce (56 H 4632 ; 31 octobre 1274) ; in parlatorio ante cameram dicti domini preceptoris (56 H 4643 ; 20 octobre 1275) ; parlatorio palatii Manuasce ante cameram viridi (56 H 4666 ; 1er mars 1280). Les réparations effectuées à la toiture en 1287 confirment que cette domus parlarie se trouvait à l’étage (cf. tabl. 14). Le chartrier a conservé près d’une trentaine d’actes passés

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d’obliger les interlocuteurs de l’Hôpital à se déplacer jusqu’à la résidence conventuelle. En considérant le palais comme cadre de représentation, on peut se demander si les divers lieux de souscription des actes étaient liés à la nature des affaires à traiter ou bien à la qualité des protagonistes182. Sans m’arrêter aux lieux utilisés épisodiquement – la cour, l’entrée intérieure, le trésor, diverses autres pièces… –, j’ai inventorié les mentions relatives aux quatre secteurs les plus représentés : l’entrée extérieure du palais devant la grande herse, la chambre de Bérenger Monge, le parloir et enfin la salle peinte (tabl. 13). Même si le relevé n’est pas exhaustif, les endroits privilégiés étaient incontestablement la terrasse extérieure et surtout le parloir. Bérenger Monge recevait un peu moins fréquemment dans sa chambre. Aucune différenciation claire ne se dégage entre ces espaces où l’on conduisait tout aussi bien les transactions foncières habituelles que les négociations un peu plus ardues. Les personnages invités à pénétrer dans le palais ont déjà été rencontrés au fil de ces pages : quel que fut leur statut social, ils étaient représentatifs de ces élites qui comptaient dans la société urbaine parce qu’ils avaient des biens à marchander. En outre, comme cela a été remarqué pour toutes les maisons des ordres militaires, l’enclos conventuel n’était pas interdit aux femmes qui pouvaient se présenter jusque dans la camera preceptoris183. Troisième lieu remarquable de cette « suite » dévolue au commandeur, la chambre peinte se distingue par le faible nombre de mentions. Elle était visiblement réservée aux actes solennels et l’on peut donc considérer que le commandeur faisait honneur aux prudhommes lorsqu’il les recevait dans ce cadre. Enfin, dans ce même secteur du palais, une dernière salle se démarque et dégage même un certain mystère : c’est la chambre verte. Cette salle ne semblait pas accueillir de public car aucun acte n’y était passé ; aussi son existence est-elle attestée seulement par sa position par rapport au parloir et à la chambre peinte184. La couleur renvoie sûrement à un décor peint à caractère bucolique, alors tout à fait à la mode dans les milieux courtois et seigneuriaux185. Comme les chartes dans cette pièce sous le préceptorat de Bérenger Monge. Pour d’autres mentions de parloir dans des commanderies du Midi : Y. Mattalia, « Sicut milites in prelio », p. 79. Et pour un exemple chez les moniales : C. Caby, De l’érémitisme rural, p. 328-330. 182 Il est bien attesté que le choix des lieux de souscription des actes était l’expression d’une position sociale. Un prélat comme l’évêque de Cavaillon, par exemple, ne se déplaçait jamais mais recevait chez lui, signifiant ainsi l’établissement d’un lien de clientèle (M. Ramage, « Le notariat, pratique juridique et sociale : les lieux de souscription des actes à Cavaillon au début du xve siècle », Médiévales, 59 (2010), p. 127-143). 183 Sur l’ouverture des commanderies aux femmes dans le cadre des transactions foncières : D. Carraz, « Présences et dévotions féminines autour des commanderies du Bas-Rhône (xiie-xiiie siècle) », in Les ordres religieux militaires dans le Midi (xiie-xive siècle), Toulouse, 2006, p. 73-79. 184 in camera picta ante cameram viridem (56 H 4668 ; 22 novembre 1289) ; in camera picta palacii ante cameram viridem (56 H 4652 ; 4 novembre 1290) ; in parlatorio ante cameram dicti domine preceptoris que vocatur camera viridi (56 H 4643 ; 9 septembre 1279) ; in parlatorio palatii Manuasce ante cameram viridem dicti domini preceptoris (56 H 4643 ; 9 septembre 1279) ; in parlatorio ante cameram viridi/viridem (56 H 4666 ; 1er mars 1280 ; 56 H 4644 ; 30 septembre 1283 ; 24 janvier 1287 ; 56 H 4633 ; 10 mars 1282). 185 M. Pastoureau, Vert : histoire d’une couleur, Paris, 2013, p. 76. Au xiiie siècle à Marseille, une salle verte est également attestée dans pas moins de trois lieux de pouvoir – la domus episcopalis, le palais communal et la canonica du prévôt (Th. Pécout, « De Saint-Cannat à Saint-Cannat : les résidences de l’évêque de Marseille, xiie-xive siècle », Provence historique, 66 (2016), p. 353).

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l’indiquent, il s’agit d’une autre chambre dévolue au commandeur, qui relève cette fois-ci de la sphère privée186. Il se dégage par conséquent de ce programme complexe une attention portée à la majesté d’un cadre où les décors peints ont donné leur dénomination à deux pièces. Du reste, cet agencement n’est pas sans évoquer ce que Paul Deschamps, à propos des châteaux d’Orient, appelait le « logis du maître ». Au Crac des Chevaliers, cet « appartement du châtelain », qui se trouvait inscrit dans l’une des tours du front sud, reçut justement un traitement décoratif particulier dans les années 1230-1240187. Des mentions plus sporadiques attestent que des chambres privatives étaient nécessairement affectées aux autres dignitaires du couvent, comme le chapelain et le bayle188. Celles-ci ne se situaient pas toutes sur les ailes car, si le rez-de-chaussée des tours servait au stockage, la présence de cheminées témoigne que leurs étages étaient habités189. De manière générale, plusieurs autres pièces apparaissent dans la documentation, dites « vieilles » ou « neuves » selon les cas, mais auxquelles il est impossible d’attribuer une fonction190. Le dortoir, en revanche, n’est mentionné nulle part, ce qui ne fait que confirmer les observations faites pour la plupart des commanderies où cette pièce commune n’est plus guère attestée après le xiie siècle. Autre symbole de la vie monastique, le réfectoire résiste mieux puisque, si la salle à manger remontant peut-être au palais comtal a été démantelée, un refectorium est de nouveau mentionné en 1299191. Enfin, l’investissement du château par les religieux a rendu nécessaire l’aménagement d’une salle du chapitre et d’une infirmerie où, comme les comptes le montrent, les frères aimaient se ressourcer192. Ce que l’on perçoit alors de la façon d’habiter dans le palais de Manosque confirme les observations formulées pour d’autres commanderies, à savoir une tendance à la privatisation des espaces et au relâchement de la vie commune193. Perceptible depuis le milieu du xiiie siècle au moins, cette évolution n’a alors rien de spécifique aux ordres militaires : d’autres ordres urbains avaient commencé à diviser les dortoirs de leurs couvents pour y aménager des cellules individuelles194.

186 La mention, dans un statut, d’un segrete/secreta où les dignitaires devaient conserver leurs registres suggère en effet l’existence de lieux de travail plus secrets (CGH, t. 3, no 3039, § 23, p. 48 ; statuts de 1262). 187 P. Deschamps, Les châteaux croisés en Terre sainte, t. 1, Le Crac des Chevaliers. Étude historique et archéologique, Paris, 1934, p. 93 et 289-290. 188 camera sacerdotis (CoHMa, § 55 ; 1286) ; camera dicti baiuli (56 H 849bis, f. 406v ; 1348). 189 CoHMa, § 308. Les différents niveaux des tours devaient être voûtés plutôt que charpentés, comme le suggère la pose d’un pavement à la tour Neuve et à la tour de l’Arbalète (CoHMa, § 222 et 337). 190 56 H 835, f. 35v (camera viella) ; 56 H 4632 (ante cameram veterem ; 1270) ; 56 H 4641 (camera nova ; 1258) ; CoHMa, § 94 et 175 (camera nova/veteri). 191 refectorio (56 H 4629 ; 1226) ; infra palacium, in camera juxta refectorium (56 H 4633 ; 1299). 192 Sur l’infirmerie : cf. supra, chap. iii ; et le chapitre : in camera ubi fratri congregantur ad capitulum faciendum (LPM, no 53, p. 189 ; 1316). Notons toutefois qu’il n’est pas nécessaire de rechercher toujours une salle capitulaire fixe car n’importe quelle pièce suffisamment vaste pouvait faire l’affaire. En 1251, les 10 frères du couvent furent ainsi réunis autour de Bérenger Monge et de Féraud de Barras dans la camera domini prioris (CGH, t. 2, no 2570 ; 28 juillet 1251). 193 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 265-266. 194 C. Caby, De l’érémitisme rural, p. 326-327.

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Même s’il faut tenir compte de l’effet de source induit par l’apparition des comptabilités, le palais fut donc profondément remanié tout au long du préceptorat de Bérenger Monge (tabl. 14). Outre l’adjonction de quatre tours évoquée plus haut, se trouve confirmé le remodelage de l’aile résidentielle – travaux à la chambre du commandeur et au parloir – en lien avec des interventions à la chapelle sur lesquelles je reviendrai. Mais ce n’est pas tout, car on relève encore l’aménagement de nouveaux espaces – plusieurs pièces et une infirmerie –, tandis que des remaniements touchèrent également les niveaux supérieurs des bâtiments déjà existants – pose de corbeaux de pierre. Les compartimentations internes furent modifiées également : la division de l’ancien réfectoire en trois pièces, en 1285, confirme la tendance à la spécialisation des espaces. Le palais fut donc en état de chantier permanent et encore, était-ce sans compter les travaux courants d’entretien ou d’aménagement intérieur, également bien attestés par les comptes : construction ou entretien du chauffoir, menues œuvres à l’entrée principale du palais, curage des fossés, etc.195 Ainsi, ce sont pas moins de cinq maîtres maçons ou fustiers avec leurs équipes que les hospitaliers firent travailler au palais dans la seule décennie documentée par les comptes196. Bérenger Monge fut donc le maître d’ouvrage de ces intenses travaux qui, dans les décennies 1260-1290, conférèrent au château hospitalier la physionomie extérieure qui fut sans doute la sienne jusqu’à la Révolution. La formule du château quadrangulaire sur cour, connue depuis deux générations dans le domaine capétien, avait fait des émules jusque dans le Bas-Rhône sous influence française197. Les éléments nouveaux toutefois – comme les bâtiments adossés aux courtines, la tour circulaire ou le châtelet d’entrée – n’avaient cheminé en Provence intérieure que progressivement198. Tel qu’on l’a imaginé, le programme conduit par Bérenger Monge à Manosque semblerait donc d’une maturité assez étonnante pour la région. Il ne devait pourtant pas être si isolé puisque, à peu de distance, les hospitaliers avaient élevé une résidence fortifiée comparable, quoique de taille plus modeste. À Puimoisson, l’enceinte rectangulaire était en effet flanquée de hautes tours circulaires sur trois de ses angles et de quatre tours carrées199. J’ai proposé de situer la principale phase de construction de ce palatium dans les décennies centrales du xiiie siècle. La seigneurie hospitalière était alors au sommet de sa puissance et son chef était nul autre que Féraud de Barras, qui cumula les charges de prieur et de commandeur de Puimoisson entre 1246 et 1264200.

195 CoHMa, ad indicem : scauma et vallatus ; travaux à l’entrée du palais : § 24, 30, 32, 39, 42… 196 CoHMa, ad indicem : Hugo Cerverie, Hugo Bruni, Johannes de Alesto, Johannes Niger, Perrellus. En 1255, Johannes, operarius et Johannes, magister étaient témoins à la cour (56 H 4641 ; 10 mars 1255). 197 D. Dieltiens, Châteaux et forteresses du Midi, Portet-sur-Garonne, 2011, p. 82-102. 198 Rapide état de la question : S. Claude, Le château de Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence). Une résidence seigneuriale du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, 2000, p. 124-128 ; Ch. Corvisier, « Le château d’Hyères et la fortification capétienne sous le règne de Charles d’Anjou à Hyères et à Brégançon », in Var. Congrès archéologique de France, 160e session, 2002, Paris, 2005, p. 161-174. 199 Également totalement rasé au début du xixe siècle, cet édifice n’a jamais été étudié. J’en ai proposé une première approche dans D. Carraz, « La redécouverte de deux châteaux » p. 76-79. 200 An. II, D-1, no 5.

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Au-delà du modèle castral, l’apparence de ces deux châteaux hospitaliers ne devait pas être bien éloignée de certaines importantes commanderies implantées en ville ou dans de gros bourgs. La maison templière de Montfrin, par exemple, comportait des attributs du palais urbain, tout en intégrant encore des éléments de l’architecture militaire – murs massifs aux percements parcimonieux, tours carrées crénelées aux angles du quadrilatère201. Pour les deux palais de l’Hôpital, la position de la chapelle – qui était inscrite dans une tour carrée à Puimoisson – en surplomb de l’entrée retient cependant l’attention. À ma connaissance, ce parti ne se rencontre dans aucun autre château ou palais provençal, du moins sous une forme aussi aboutie202. On peut par conséquent se demander s’il ne s’agit pas là d’une marque propre à l’Hôpital, pourquoi pas empruntée à quelques exemples prestigieux de Terre sainte203. Or, à Manosque, ce lieu sacré qui protégeait l’entrée de la fortification, fit encore l’objet des attentions de Bérenger Monge. Deux pôles de sacralité : entre Saint-Pierre et Saint-Géraud

Le commandeur et ses frères se souvenaient bien que la chapelle Saint-Pierre était, pour ainsi dire, à l’origine de la puissance de l’ordre à Manosque204. Cette église ancienne, qui avait été cédée aux hospitaliers par l’évêque de Sisteron autour de 1120, avait effectivement constitué le noyau initial de l’implantation de l’ordre dans la vallée205 (pl. 9). Légèrement à l’écart du bourg, le site n’avait pas été délaissé lorsque le palais devint la maison-chef de la baillie. Les bâtiments qui avaient formé la commanderie primitive accueillaient toujours une modeste communauté autour du sacriste. Et le cadre monumental, composé notamment d’un réfectoire et d’une grande salle, continuait à être activement entretenu206. Dans les décennies 1260-1280, on procédait régulièrement à des aménagements ou à des réparations à la chapelle

201 D. Carraz et S. Aspord-Mercier, « Le programme architectural d’un pôle seigneurial ». 202 Certaines chapelles castrales protégaient une entrée, comme à Rougiers, où l’espace ecclésial était inscrit dans une forte tour à éperon défendant l’accès au château (G. Démians d’Archimbaud, Rougiers. Village médiéval déserté, Paris, 1987, p. 36-37 et 46-47). Mais cette formule diffère de la tour d’entrée fortifiée avec chapelle à étage. 203 Le château hospitalier de Belvoir présente sans doute cette solution sous sa forme la plus achevée, mais les templiers l’employèrent peut-être plus fréquemment, comme au Toron ou à Sidon (D. Pringle, « Castle chapels in the Frankish East », in N. Faucherre et alii (dir.), La fortification au temps des croisades, Rennes, 2004, p. 29-32). 204 Le commandeur devait déclarer dans l’acte de sa fondation pieuse en 1283 : cum ecclesia Sancti Petri de valle Manuasce, que est dicti Hospitalis, fuerit fundata ad honorem Dei et sancti Petri, et sit et fuerit principium omnium que dictum Hospitale habet in valle Manuasce (CGH, t. 3, no 3838 ; 13 juillet 1283). 205 La donation est connue par la confirmation de l’évêque Pierre de Sabran en 1155, transcrite dans le « cartulaire de Saint-Pierre » (56 H 849, f. 13a-b ; 1155 ; cf. tabl. 7). La même année, une bulle d’Adrien IV confirmait au chapitre Saint-Mary de Forcalquier la juridiction de cette église tenue par les hospitaliers (N. Didier, Les églises de Sisteron et de Forcalquier du xie siècle à la Révolution. Le problème de la “concathédralité”, Paris, 1954, PJ no 3, p. 187 ; 7 novembre 1155). 206 Actum apud Sanctum Petrum juxta Manuascam, in camera que est juxta refectorium (56 H 4372 ; 24 février 1252) ; sala Sancti Petri (CoHMa, § 42-46, 48, 59).

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et à la domus207. En cette même période, la chapelle et ses annexes avaient polarisé un bourg modeste qui se révéla, d’ailleurs, assez éphémère208. Surtout, la chapelle Saint-Pierre conservait encore tout son prestige, parce que c’est là que reposaient les derniers comtes de Forcalquier dont on a, maintes fois, rappelé les liens avec l’Hôpital. Bertrand II et son frère Guilhem II, en effet, avaient souhaité confier leurs corps et âmes aux hospitaliers209. Sans doute avaient-ils rejoint leur oncle Guigues qui, après s’être lui-même donné à l’Hôpital, avait dû être inhumé en l’église Saint-Pierre210. Enfin, à la fin du Moyen Âge, on se souvenait que reposait au même endroit une comtesse, qui devait être Marguerite de Bourbon, épouse de Guilhem II211. Dès lors, Saint-Pierre de Manosque semble avoir catalysé l’essentiel du culte funéraire rendu à la maison d’Urgell-Forcalquier à l’échelle du comté de Forcalquier, où le souvenir des anciens comtes s’effaça au profit de la maison de Barcelone-Provence212. L’Hôpital fut donc le principal dépositaire de l’entretien de la memoria des comtes de Forcalquier. Sans doute, ses chapelains se chargèrent-ils, dès les décès respectifs des comtes, du service funéraire indispensable à leur salut. Toutefois, on n’a aucune trace de ce culte avant 1283, lorsque Bérenger Monge organisa officiellement la commémoraison. Par sa fondation du 11 juillet 1283, le commandeur établit un anniversaire en l’honneur de Guilhem II : une rente de 20 sous était assignée pour rémunérer pas moins de vingt chapelains qui célébreraient l’office en mémoire du comte. Soulignons, cependant,

207 Menues réparations attestées dans les années 1260 : serrureries (56 H 835, f. 16v et 17), à la salle et à la grange (f. 38v), couverture de l’église (f. 39v et 40v) ; dans les années 1280 : couverture de la salle (CoHMa, § 42-48) ; murs, portes et couverture de la maison ou bien de l’église (§ 192-193, 260, 269). 208 Sandrine Claude décrit quelques maisons séparées par des jardins et regroupées autour des bâtiments liés à l’église (S. Claude, « Naissance de l’habitat urbain », p. 135 ; Ead., « Manosque : habitat aggloméré », p. 145). À la fin du xiiie siècle, le bourg Saint-Pierre était compté, avec la villa et le castrum, au nombre des entités représentatives de la communauté manosquine (LPM, no 40, p. 132 ; 1er septembre 1293). 209 En 1168, les deux frères avaient souhaité être inhumés « nulle part ailleurs que dans le cimetière de l’Hôpital » (CaHSG, no 335, p. 281). La même année, peut-être à la même occasion, Bertrand II avait remis toutes ses possessions à Manosque et Toutes-Aures « sur l’autel de saint Pierre, dans l’église de la maison de l’Hôpital » (CaHSG, no 336, p. 282). Guilhem II confirma encore cette élection de sépulture dans son testament (CGH, t. 2, no 1324, p. 103 ; 4 février 1209). Au début du xxe siècle, alors que l’église Saint-Pierre devait encore être en élévation, y furent découverts une épée et des éperons, datés par leur style de la fin xiie-début xiiie siècle et supposés provenir de la tombe de l’un des comtes (G. de Tournadre, Histoire du comté de Forcalquier, p. v). 210 D’après l’enquête sur la donation de Guigues, ce dernier avait pris l’habit de l’Hôpital ad succurrendum (56 H 849, f. 1vb-3b ; 1150-1151). 211 « Plus hors de la ville dudict Manoasque y a une aultre chapelle en l’honneur de monseigneur sainct Pierre en laquelle sont ensevellis ung conte et une contesse de Prouvence fundateurs d’icelle lesquels ont donné plusieurs biens à la Religion » (F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital, PJ no 4, p. 213-214 ; 24 juillet 1495). 212 Dans leur capitale, Guilhem II et Bertrand II furent bien commémorés par les chanoines de Saint-Mary, mais l’obituaire du chapitre montre que les deux frères ne bénéficièrent pas des égards réservés au comte Raimond Bérenger V. Alors que, sur l’obituaire, les premiers ont droit à un simple « obiit », le souvenir du second est développé sur plusieurs lignes et une procession pour son salut avait lieu chaque lundi ( J. Roman, Obituaire du chapitre de Saint-Mary de Forcalquier (1074-1593), Digne, 1887, p. 30 (Bertrand II, au 13 mai), p. 57 (Guilhem II, au 7 octobre), p. 47 (Raimond Bérenger V, au 19 août) ; cf. D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », p. 154).

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que cette célébration, qui était étroitement associée au souvenir de la donation du palais, devait s’accomplir dans la chapelle du dit palais et non à Saint-Pierre213. Il y eut donc bien, de la part de Bérenger Monge, la volonté d’augmenter l’éclat de la chapelle palatiale, en déplaçant le culte dû au comte de Forcalquier. D’autre part, ce transfert peut éventuellement être interprété comme une tentative d’appropriation par les hospitaliers de la figure tutélaire de Guilhem II, qui était également revendiquée par la communauté d’habitants. Pour autant, il n’était pas question d’abandonner Saint-Pierre, qui demeura bien l’un des pôles de sacralité du territoire manosquin. La fondation de Bérenger Monge octroyait également une rente de 15 sous pour un office dans cette église, le jour de la fête du saint dédicataire. Mieux encore, la disposition suscita un embellissement de l’ornementation : le grand reliquaire de saint Pierre, dont on imagine qu’il pouvait servir aux processions, fut repeint et doté d’un nouveau couvercle en 1283-1284214. D’autre part, loin d’être réservé aux frères et à la familia de l’Hôpital, le cimetière de Saint-Pierre semblait plutôt prisé des Manosquins. Au xiiie siècle, les testateurs se pressèrent probablement pour commander des messes-anniversaires dites par les chapelains de la commanderie. Si les testaments conservés sont peu nombreux, il existe des preuves indirectes de l’attraction des lieux215. Les contentieux répétés avec l’évêque de Sisteron et le chapitre Saint-Mary sur les droits funéraires témoignent ainsi des enjeux liés aux inhumations dans ce cimetière. Dans le cadre d’un long procès sur la portion canonique du legs de Guilhem II, l’évêque Henri de Suse réclama notamment, en août 1251, la quarte funéraire sur les legs des paroissiens inhumés à Saint-Pierre216. Le libelle comporte une liste de vingt défunts avec le montant de leurs legs, en numéraire ou en nature. Cet échantillon, qui comptabilise probablement les élections de sépulture intervenues seulement depuis 1209, semble confirmer l’ouverture sociale des fidèles proches de l’Hôpital : outre des patronymes attestés à Manosque (Ebrardus, Chabatius, Richavus…), se trouvent quelques noms associés à des habitats proches (Pierrevert, Sainte-Tulle). On note enfin la mention d’une dame 213 Item in dicto palatio, in die obitus domini Villelmi, quondam comitis Forchalquerii, qui dictum palatium donavit Hospitali et omnia alia jura que habebat in valle Manuasche, viginti solidi pro viginti capellanis qui dicta die annuatim celebrent missas pro anima predicti domini comitis et quilibet capellanus qui dicta die celebrabit missam, debeat habere duodecim denarios, et eadem die viginti solidos mense dicti palatii pro pitancia fratrum (CGH, t. 3, no 3838 ; 13 juillet 1283). En 1338, 2 l. annuelles étaient toujours destinées à l’anniversaire du comte (VGPSG, p. 359). 214 Item xii denarios in quadam sera ad opus manueti Sancti Petri (CoHMa, § 7 ; 5 septembre 1283) ; Item iiii solidos pro pingi lecta sancti Petri (§ 8 ; 12 septembre 1283) ; Item iiii solidos pro faciendo cubercello de magna archa sancti Petri (§ 51 ; 9 juillet 1284). 215 Les élections de sépulture répertoriées se résument à celles-ci : Raimond Cosander et sa femme Esmengarde (56 H 4676 ; janvier 1210) ; Bertrand Felicii avec une donation de 2000 s. royaux pour clore une controverse (56 H 4629 ; novembre 1226) ; Dulciana Chabassia avec donation de tous ses biens (56 H 4641 ; 20 février 1258) ; Peire Radulfus (56 H 1090, f. 7-8 ; 1265) ; Guilhem Ricardi de Marranicis avec legs pour un anniversaire annuel par 4 prêtres (56 H 4632 ; 1er mai 1272) ; Matheuda Ponteria de Sancto Petro, pour l’âme de Peire Laugerius et la sienne, donne une terre pour une messe chantée par 4 prêtres (56 H 4676 ; 3 février 1288). 216 56 H 4630 (12 août 1251). En attendant de revenir sur cette affaire : N. Didier, « Henri de Suse, évêque de Sisteron (1244-1250) », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 31 (1953), p. 262-270.

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Azalaïs de Volx qui devait relever d’une branche des coseigneurs du lieu et surtout, celle de Bertrand, un petit-neveu du comte Guilhem II, inhumé à la commanderie du Temple de Limaye mais qui avait légué 200 livres aux hospitaliers217. Le second indice indirect est apporté par l’enquête de 1338, où l’on trouve que le prêtre attaché à Saint-Pierre était tenu de célébrer 237 anniversaires, probablement fondés au siècle précédent pour la plupart218. Or, les Manosquins ont pu nourrir quelque nostalgie pour l’époque du comte Guilhem II qui leur avait concédé d’importantes libertés avant de les abandonner au pouvoir de l’Hôpital. Il est donc fort probable que le rayonnement de Saint-Pierre fut motivé par le souvenir de la dynastie comtale, tout autant que par la confiance dans les suffrages prodigués par les frères hospitaliers. À la fin du xve siècle, le lien entre Saint-Pierre et les comtes de Forcalquier n’était pas oublié, mais l’entretien du bâtiment comme le service liturgique étaient alors complètement négligés par les hospitaliers, à la grande indignation du « commung peuple »219. La situation n’avait guère changé un siècle et demi plus tard mais, si l’église se trouvait toujours en piteux état, les consuls se chargeaient désormais de faire dire la messe pour le comte, au lendemain de Pâques220. La cérémonie donnait alors l’occasion d’une procession rassemblant le peuple autour du clergé séculier et régulier. Tout cela s’était perpétué jusqu’à la veille de la Révolution, alors que la procession relevait toujours de l’initiative des consuls. Dans un climat tendu sur fond de réaction seigneuriale, le comte, présenté à la fois comme bienfaiteur de l’ordre et de la communauté, pouvait alors apparaître comme une figure conciliatrice221.

217 Bertrandus, filius comitis Willelmi, cujus Willelmi comitis corpus nuper defunctum in domo militie Templi apud Limasiam sepultum est, a quo Bertrando cc. lib. vian. et plus. Ce Bertrand était le fils de Guilhem de Sabran, neveu de Guilhem II, qui avait revendiqué le comté de Forcalquier à la mort de son oncle (N. Didier, « Henri de Suse », p. 268 ; en rectifiant « Limaye », com. La Bastide-des-Jourdans, Vaucl., au lieu de « Limans »). 218  Primo, pro elemoyna sacerdotum quibus dictus sacrista facit celebrare ducentas et triginta septem missas, quas celebrari facere debet sacrista tempore pro dictis anniversariis relictis dicte ecclesie Sancti Petri de Manuasca… (VGPSG, p. 361) ; Item pro anniversariis que fiunt in ipsa ecclesia (Sancti Petri), communiter omni anno, sextaria annone viginti tres. (VGPSG, p. 344). Ce chiffre est assez peu significatif en lui-même car il ne correspond pas forcément au nombre d’élections de sépultures. 219 « et ladicte chapelle s’en va en totalle destruction et ne se dict messe ne matines […] ; tellement que si en brief ne se donne provision en ladicte chapelle, n’en fault plus fere nulle extime et le commung peuple en murmure fort. » (F. Reynaud, La commanderie, PJ no 4, p. 214 ; 24 juillet 1495). Lors de la visite de 1411, la chapelle était encore déclarée en bon état et l’office y était célébré deux fois par semaine (56 H 124, f. 26 ; 15 août 1411). À ce moment-là, pourtant, la communauté avait repris à son compte la commémoration de Guilhem II, non à Saint-Pierre mais dans la « paroisse principale » de la ville ( J. Féraud, Histoire civile, politique, religieuse et biographique de Manosque, Digne, 1848, p. 230). 220 D’après le procès-verbal de la visite effectuée en 1629, après que les consuls s’étaient plaints que les visiteurs de l’ordre de Malte n’aient pas daigné se rendre jusqu’à la chapelle Saint-Pierre (56 H 4675, non folioté ; 10 avril-1er mai 1629). 221 « …les consuls sont tenus toutes les années le jour de la fete de Paque de faire une procession solennelle à la ditte chapelle, ou assistent le juge, les dits consuls et le peuple et que l’on y fait des prieres pour le repos de l’ame de Guilhaume, comte de Forcalquier, bienfaicteur de notre ordre et de ladite communauté de Manosque, qui est enterré dans le cimetiere de ladite chapelle, laquelle procession ayant été discontinuée pendant très longtemps est rétablie depuis plusieurs années… » (visite du 30 novembre 1776 ; 56 H 252, f. 71-78). Même si elle est modestement équipée, la chapelle apparaît, alors, en meilleur état.

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À partir de ces témoignages, il est toujours délicat – comme le montre d’ailleurs le procès-verbal de 1776 – de présumer la continuité de ces pratiques pieuses tout au long d’un « très Ancien régime ». La participation éventuelle des hospitaliers à cette liturgie processionnelle reste, notamment, impossible à appréhender222. Il est encore plus hasardeux de tirer des conclusions sur l’usage que l’on fit de la figure du comte : fut-elle disputée entre les habitants et les hospitaliers ou permit-elle, au contraire, d’entretenir un consensus autour d’une mémoire partagée ? S’il exista, dès l’époque de Bérenger Monge, une mémoire « populaire » liée au comte de Forcalquier, le commandeur souhaita, néanmoins, promouvoir un culte réservé aux habitants du palais. En 1283, le commandeur établissait une fondation pieuse au bénéfice de ses frères et de la chapelle du palais. La célébration liait à perpétuité le service funéraire dû aux hospitaliers, l’anniversaire du comte reposant à Saint-Pierre et les cultes qui fondaient l’identité même de la communauté hospitalière de Manosque : outre Guilhem II, bien sûr, saint Pierre, saint Blaise et saint Géraud. Cette fondation, enfin, s’inscrivait pleinement dans les travaux alors conduits par le commandeur car le reliquat de la rente affectée aux divers services liturgiques – soit une demi-livre de safran – devait être versé à l’œuvre du palais223. Dans ce cadre, le cœur sacré de la résidence palatiale suscita une attention particulière : à la fête de saint Blaise, pour l’amélioration [de la pitance] des frères dudit palais, 15 sous, parce que, à ce qu’on dit, il est notoire que Dieu a fait de nombreux miracles dans cette chapelle en l’honneur de saint Blaise ; de même, dans le même palais, 15 autres sous pour l’amélioration des frères qui résident là et qui résideront à l’avenir, au jour de la fête du bienheureux Géraud, dont le corps, à ce qu’on dit notoirement, repose dans cette chapelle, dans une très précieuse châsse d’argent doré avec foison de pierres précieuses224. La chapelle était donc dédiée à saint Blaise, comme le confirment du reste quelques mentions comptables relatives à l’entretien des ornamenta et au vestiaire du desser-

222 On sait par ailleurs que les hospitaliers avaient développé ce type de pratiques, auxquelles ils pouvaient associer les fidèles, tandis que dans d’autres cas, ils participaient eux-mêmes aux processions relevant de la « religion civique » (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 296 et 342-343 ; et pour une étude de cas reprenant aussi les prescriptions normatives : V. Shotten-Hallel, « Ritual and Conflict in the Hospitaller Church of St John in Acre : The Architectural Evidence », in J. Schenk et M. Carr (dir.), The Military Orders, vol. 6.1 , Culture and Conflicts, Aldershot-Brookfield, 2017, p. 70-80). 223 Residuum vero dictarum quindecim librarum et dimidie libre zafarani sit operis dicti palatii, et ad opus dicti operis sit specialiter deputatum ; sed dicta dimidia libra zafarani sit semper perpetuo de mensa dicti palatii vel pretium dicti zafarani (CGH, t. 3, no 3838, p. 447). 224 Videlicet in festo beati Blasii, pro melioratione fratrum dicti palatii, quindecim solidi, cum, secundum quod dicitur, manifeste dominus Deus in capella dicti palatii ob honorem beati Blasii multa miracula fecerit ; item in eodem palatio alios quindecim solidi pro melioratione fratrum ibi residentium et qui pro temporibus residebunt, die festi beati Giraudi, cujus corpus, ut manifestissime dicitur, est in dicta capella in quadam pretiosissima arca argentea deaurata cum multis lapidibus pretiosis… (CGH, t. 3, no 3838, p. 446-447).

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vant225. Cette dédicace étonne assez peu ici : le culte de ce saint oriental était répandu chez les templiers et plus encore chez les hospitaliers226. On ne reviendra pas sur l’identification du « sanctus/beatus G(u)iraudus/Gerardus/Geraldus » honoré dans la même chapelle : Alain Beltjens a montré, de manière convaincante, que les reliques attestées dans cette chapelle entre 1283 et la Révolution, ont été attribuées à Gérard « Tenque » seulement à partir du xviie siècle227. Les reliques vénérées au xiiie siècle étaient en effet celles de saint Géraud d’Aurillac, noble auvergnat, mort en 909 et devenu un modèle de sainteté aristocratique, grâce à la Vita écrite par l’abbé Odon de Cluny228. Si l’acte de 1283 fournit la première attestation assurée de la présence des reliques à Manosque, la plus ancienne mention du vocable de la chapelle remonte à 1231229. On ignore tout du cheminement du culte jusqu’en Haute-Provence et a fortiori de son origine à Manosque230. Il serait évidemment important de savoir si la dévotion au « bon comte » auvergnat précéda l’arrivée des hospitaliers ou bien si ces derniers jouèrent un rôle dans la diffusion du culte. Deux indices ténus plaident,

225 CoHMa, § 69, 183, 229, 336. 226 Ph. Josserand, « Blaise, saint », in DOMMA, p. 159-160. 227 L’identification, au fondateur de l’Hôpital, de l’un des corps saints abrités dans la chapelle du palais apparaît pour la première fois dans les visites de 1613 et de 1629. L’auteur a démontré que, jusqu’à cette époque, tous les indices liés au culte de « saint Gérard » à Manosque ramenaient bien au saint d’Aurillac (A. Beltjens, « Trois questions à propos de l’hospitalier Gérard », Bulletin de la Société de l’histoire et du patrimoine de l’ordre de Malte, 19 (2007), p. 3-59, notamment p. 23-25 et 56). La seconde partie de l’article traite plus précisément de l’identification des différentes reliques et des reliquaires attestés à l’époque moderne (ibid., 20 (2008), p. 5-52). Le lien entre Gérard Tenque et Manosque repose sur une tradition purement provençale. En effet, l’érudition attachée à la diffusion du culte de saint Géraud d’Aurillac reconnaissait bien la présence de ses reliques à Manosque (G.-M.-F. Bouange, Histoire de l’abbaye d’Aurillac, Paris, 1899, t. 2, p. 199-200 ; É. Joubert, Saint Géraud d’Aurillac, Aurillac, 1968, p. 94). 228 Cette Vita n’a pas manqué d’alimenter d’abondantes réflexions sur l’aristocratie post-carolingienne et sur la fabrication d’une sainteté guerrière. Je me permets de renvoyer en dernier lieu à D. Carraz (dir.), Géraud d’Aurillac, l’aristocrate et le saint dans l’Auvergne post-carolingienne, Revue de la Haute-Auvergne, 72 (2010) ; avec références à la bibliographie et notamment à M. Lauwers (dir.), Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratique dans l’Occident médiéval, Antibes, 2002 – où quatre articles sont consacrés au dossier de la Vita Geraldi. Un ouvrage plus récent synthétise des données sur la diffusion du culte dans la longue durée, mais avance des théories douteuses sur le dossier hagiographique lui-même : M. Kuefler, The Making and Unmaking of a Saint. Hagiography and Memory in the Cult of Gerald of Aurillac, Philadelphie, 2014. 229 infra palatium Manuasce in porticu subtus sancti Giraudi (56 H 4640 ; 18 mai 1231) ; autres mentions antérieures à 1283 : Item viii d. pro corduris ***is pali de sancto Guiraudo (56 H 835, f. 37 ; 8 avril 1263 ; il pourrait être question d’un voile d’autel ou bien d’une bannière liturgique) ; …in palacio subtus Sanctum Giraudum (56 H 4642 ; 9 août 1274). 230 Logiquement liée au réseau de l’abbaye Saint-Géraud, la diffusion du culte aux xe-xiie siècles en Aquitaine et en Languedoc est mieux connue. À la fin du Moyen Âge, plusieurs mentions liturgiques sont cependant attestées en Provence (A.-M. Bultot-Verleysen, « Saint Géraud d’Aurillac : de la Vita au culte. Jalons d’une recherche » in D. Carraz (dir.), Géraud d’Aurillac, p. 71-89). La Haute-Provence et le Dauphiné ne furent pas un espace de développement privilégié pour l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac. La dépendance la plus proche de Manosque est le prieuré d’Aspres, au diocèse de Gap, où des reliques du saint patron sont attestées au moins depuis le début du xive siècle ( J. Roman, Sigillographie du diocèse de Gap, Paris-Grenoble, 1870, p. 109 ; G.-M.-F. Bouange, Histoire de l’abbaye d’Aurillac, t. 2, p. 122).

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toutefois, pour cette dernière possibilité : d’une part, les reliques purent difficilement arriver à Manosque avant le premier tiers du xiiie siècle, lorsque les moines d’Aurillac commencèrent vraiment à démembrer et à disperser les restes du corps conservé dans l’abbatiale Saint-Géraud231 ; d’autre part, la circulation des frères entre Haute-Auvergne et Haute-Provence a pu être facilitée par le rattachement de l’Auvergne au prieuré de Saint-Gilles232. En l’état des connaissances, en tout cas, il est vain de s’interroger sur l’origine du précieux reliquaire de vermeil orné de pierreries décrit par Bérenger Monge en 1283233. Si ce dernier n’en fut probablement pas le commanditaire – sinon, il n’aurait pas manqué de s’en vanter dans son acte de fondation –, il œuvra toutefois pour magnifier le cadre dans lequel la châsse devait être présentée234. La chapelle située à l’étage était accessible par un escalier, mentionné simplement comme « scalerium capellae » en 1267 et qui devint le « scalerium sancti Geraldi » dans la dernière décennie du xiiie siècle235. Or, comme le montrent les mentions extraites des comptabilités, l’apparition de cet hagionyme fut liée à un aménagement intérieur de la chapelle (tabl. 15). On voit que l’escalier saint Géraud reçut une couverture charpentée et qu’il était surtout lié à une structure de bois que j’interprète comme une tribune. La tribune était, dans les chapelles des ordres militaires, un dispositif bien attesté qui se trouvait souvent relié à la chambre du commandeur236. À Manosque, les visites d’époque moderne mentionnent bien cette tribune, même si celle-ci ne

231 G.-M.-F. Bouange, Histoire de l’abbaye d’Aurillac, t. 2, p. 40-53 ; à corriger par S. Fray, « Pour une histoire du corps saint de Géraud (xe-xiiie siècles) », in S. Cassagnes-Brouquet (dir.), Reliques, reliquaires et culte des saints dans la France du sud-ouest, Toulouse, à paraître. Une tradition rapportée par l’historien de l’abbaye Saint-Géraud au xviie siècle, Dominique de Jésus, fait arriver les reliques à « Castelmauresche » après 1415, par l’intermédiaire de l’évêque de Sisteron (M. Kuefler, The Making and Unmaking, p. 178-179). 232 Le prieuré d’Auvergne fut détaché de la circonscription de Saint-Gilles autour de 1242-1243 et le premier prieur de la nouvelle entité, Bertrand de Barres, dirigeait justement le prieuré de Saint-Gilles jusque-là ( J.-M. Allard, « Complément sur les origines du prieuré d’Auvergne de l’ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem », Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, 130 (2002), p. 91-97). Il existait au moins quatre maisons de l’Hôpital dans un rayon d’une quarantaine de kilomètres autour d’Aurillac mais, à ma connaissance, on ne sait rien des rapports éventuels entre les frères et les moines de Saint-Géraud. 233 Mgr. Bouange, qui connaissait l’acte de fondation de 1283, s’était demandé si le reliquaire cité ne correspondait pas à la châsse que l’abbé Géraud de Cardaillac avait aliénée au début du xiiie siècle pour surmonter les difficultés financières de son abbaye (G. M. F. Bouange, Histoire de l’abbaye d’Aurillac, p. 199-200). Sébastien Fray a montré que l’aliénation de cette châsse était une invention de l’érudit (S. Fray, « Pour une histoire »). 234 Tout juste peut-on se demander si les réparations de serrurerie liées à la chapelle ne concernèrent pas le reliquaire (cf. tabl. 15 : § 8, 200, 208, 221). La précieuse châsse était toujours attestée entre 1338 et 1411 (A. Beltjens, « Trois questions », 20, p. 25-26). 235 Arch. mun. de Manosque, Kb 23 (25 mai 1267). 236 La chapelle des templiers d’Avignon offre encore un exemple de ce dispositif dont la construction se place au xive siècle mais qui a pu être précédée, avant 1308, par une structure de bois (D. Carraz, « Une commanderie templière », p. 15-16). L’accès direct de la tribune à la chambre du commandeur est surtout attesté dans les textes d’époque moderne, comme à Puimoisson (Id., « La redécouverte de deux châteaux »).

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se réfère pas forcément à la structure signalée au xiiie siècle237. Pour cette dernière époque, il ne faut pas voir seulement un dispositif de circulation, éventuellement à la convenance du commandeur, mais encore un espace que l’on a pris soin d’embellir par des peintures (tabl. 15 : § 350, 354). En outre, l’installation requit la participation financière de plusieurs frères, puisqu’entre avril et mai 1290, les comptes enregistrent des versements individuels en soutien à l’entreprise (§ 350, 356). Les frères impliqués étaient des piliers de la communauté car l’on trouve, autour du bayle Peire de SaintMartin, le frère Uc de Corri, deux chapelains (Dominique et Bertrand Faber), le sacriste qui devait être alors Bertrand Lance, et un Barras qui correspond probablement au donat Audebert de Barras238. Apparaît donc concrètement la façon dont une œuvre pouvait être financée, certainement sur le pécule personnel de chaque frère. Or, il est difficile d’imaginer que Bérenger Monge ne fût pas le principal mécène de ce projet qui s’intègre, plus largement, dans la transformation du niveau supérieur du château. En tous les cas, l’opération de promotion fut un succès car Saint-Géraud supplanta définitivement Saint-Blaise comme vocable de la chapelle palatiale239. Même si la dimension proprement martiale de la sainteté de Géraud d’Aurillac a pu être nuancée, son appartenance à la militia et à l’univers seigneurial peuvent difficilement être remis en cause. Dans ce contexte, la dévotion entretenue envers cette figure de saint par un ordre militaire est à souligner240. Si Bérenger Monge décida de valoriser ce culte et de lui donner un cadre liturgique approprié dans le pôle ecclésial du palais, c’est qu’il entendait sans doute conférer à ce haut-lieu du pouvoir seigneurial une aura de sacralité. Après-tout, le palais était aussi le centre d’une commanderie ; il abritait donc un couvent à l’image, par exemple, du quartier général de l’ordre à Acre241. Or, que le commandeur ait choisi de valoriser le culte de saint Géraud plutôt que celui de saint Blaise peut sembler significatif242. Lui-même chevalier et seigneur, Bérenger se sentait probablement proche de Géraud d’Aurillac, « domnus » exerçant un pouvoir implacable sur ses terres et ses hommes, tout en se comportant comme un moine élevé, selon son hagiographe, au rang d’« athlète de

237 « une belle tribune de boys ouvragé a laquelle on monte par une petite vys de plastre » (56 H 30, f. 547v ; 29 juillet 1613). 238 Cf. An. II, C-2. Sur l’édition des CoHMa, § 350, il faut probablement rectifier la lecture « Hugo de Cervi » que nous avions faite pas « Hugo de Corri ». 239 À partir du xve siècle, la chapelle fut toujours dédiée à saint Géraud, tandis que les reliques mêmes de saint Blaise finirent par tomber dans l’oubli (A. Beltjens, « Trois questions », 19, p. 34-39 ; et 20, p. 10-12, 33 et 37). 240 Les saints guerriers eurent, certes, leur place dans les sanctoraux des ordres militaires mais, contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, ces derniers n’ont pas cultivé de liens particuliers avec ces figures spécifiques de la sainteté. C’est, tout du moins, la conclusion à laquelle nous sommes parvenus à l’issue d’un travail collectif sur l’image des saints guerriers (D. Carraz et E. Dehoux (dir.), Images et ornements). 241 Sur la chapelle conventuelle d’Acre et les mesures des hospitaliers pour en limiter l’accès aux fidèles : V. Shotten-Hallel, « Ritual and Conflict ». 242 Sur l’intérêt que put susciter la Vita Geraldi au xiie siècle, dans des réseaux monastiques soucieux de promouvoir le modèle de la militia Christi auprès de la chevalerie laïque : D. Carraz, « Saint Géraud et le culte des saints guerriers en France méridionale (xe-xiie siècle) », in D. Carraz (dir.), Géraud d’Aurillac, p. 112-113.

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la milice céleste243 ». Peut-être cette figure aristocratique lui était-elle, en définitive, plus familière que celle du bienheureux Gérard, fondateur de l’hôpital de Jérusalem mais qui ne réussit jamais à devenir le prototype des hospitaliers militarisés244. Bien sûr, on ne peut préjuger de ce que Bérenger Monge connaissait de la Vita de ce saint qui avait vécu en Auvergne près de quatre siècles avant lui. Tout comme reste inconnue la perception que l’on pouvait avoir alors, dans les milieux de l’Hôpital, de ce modèle de sainteté. D’autant plus que le sens du culte ne fut en rien immuable. À l’époque de Bérenger Monge, alors que la chapelle Saint-Pierre était largement ouverte à la dévotion des fidèles, la chapelle palatiale Saint-Géraud était très probablement réservée aux frères et à leur familia. Cela peut signifier que le culte dédié aux deux saints tutélaires était confiné à l’enceinte de la commanderie. Pourtant, il en allait tout autrement deux siècles plus tard. Les habitants de Manosque s’étaient alors emparés du culte et la châsse de saint Géraud était sortie du palais, pour être transportée en procession dans la ville à l’instigation des consuls245. La pratique perdura jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, alors que le saint était invoqué notamment pour provoquer la pluie246. Comme d’autres « saints légionnaires » vénérés dans les Alpes méridionales, saint Géraud se trouvait désormais lié à des cultes agraires qui relevaient d’une piété plus « populaire »247. On était loin, alors, de la figure du miles Christi qu’avait peut-être cherché à promouvoir Bérenger Monge. * Au cours des cinq décennies qui virent Bérenger Monge présider au destin des commanderies d’Aix et de Manosque, le cadre monumental abritant ces communautés hospitalières connut de profondes transformations. Cependant, ces dernières n’ont

243 Odon de Cluny, Vita sancti Geraldi Auriliacensis, éd. A.-M. Bultot-Verleysen, Bruxelles, 2009 : domnus Geraldus (liber primus, § 18, 31, etc.) ; Christus […] gloriosus militem (lib. primus, § 36) ; Atleta celestis militie (lib. secundus, § 1). 244 Sur la figure du fondateur comme prototype chez les ordres religieux : C. Bynum, « Did the Twelfth Century Discover the Individual ? » [1980], in Jesus as Mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley, 1982, p. 102-106. 245 A. Beltjens, « Trois questions », p. 34. 246 « …en consideration de la grande devotion que le peuple de Manoasque et des environs a envers led. sainct Gerard et particulierement en temps de secheresse ayant este a**si**e de plusieurs gens de bien adsistans que en tel cas ils tiennent pour assure que faizant porter les reliques dud. corps en procession generalle ils ont obtenu et obtiendront le bénéfice de la pluie cy ayant resanti les effaictz. » (56 H 4675, non folioté ; 10 avril-1er mai 1629). 247 C. Isnart, Saints légionnaires des Alpes du sud. Essai d’ethnologie d’une sainteté locale, Paris, 2008, notamment p. 97-115 – le cas de saint Géraud à Manosque ne semble pas connu de l’auteur, mais il est vrai qu’il ne s’agit pas d’un saint du Bas-Empire. Bien sûr, je n’ignore pas les limites de la distinction entre religion « populaire » et religion des élites ou « aristocratique ». Ainsi, la présence d’une image de saint Blaise soignant les animaux dans la chapelle hospitalière de Chauliac a pu être reliée à la dimension agraire de ce saint et donc aux activités agricoles des frères (M. Charbonnel, « Mémoire christique, mémoire de l’ordre. Les peintures de la chapelle Saint-Jean de la commanderie hospitalière de Chauliac (Puy-deDôme) », in D. Carraz et E. Dehoux (dir.), Images et ornements, p. 111-112).

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pu être que suspectées à Aix, où seule est vraiment mentionnée la reconstruction de la maison prieurale. On imagine pourtant que la promotion de la commanderie au rang de prieuré accueillant un collège de frères prêtres nécessita un réaménagement des espaces conventuels. À Manosque, en revanche, la mémoire écrite a permis de proposer des hypothèses sur l’agencement du palais fortifié et de suivre, en partie au moins, les importants travaux commandités par Bérenger Monge. Car ce dernier fut le grand artisan de l’extension de la résidence seigneuriale qui, au terme de trois décennies de travaux, lui conféra sa physionomie quasiment définitive. Déjà doté de la puissance symbolique liée à son statut primitif de palais comtal, le monument incarna alors toute la force du majus dominium exercé sur la ville par le commandeur et ses frères. À l’instar des châteaux-couvents de Terre sainte ou de péninsule Ibérique, son programme expérimentait une architecture militaire adaptée à une forme de vie régulière. Les espaces dédiés à la vie conventuelle sont assez peu éclairés par les actes de la pratique car ils étaient, par définition, réservés à la communauté régulière. En revanche, les lieux de souscription des actes mettent en lumière un pôle dédié aux affaires publiques et notamment une véritable suite de pièces réservées au maître : parloir, chambre du commandeur, chambre peinte. Dans cette même aile, une chambre, dont le revêtement vert désignait l’affectation à la sphère privée, gardait toute sa part de mystère248. La sécheresse des témoignages écrits – on ne sait rien de l’environnement matériel quotidien, de l’ornementation, voire des manuscrits dont le commandeur pouvait disposer dans ses appartements – laisse tout de même entrevoir des comportements propres au monde seigneurial. D’ailleurs, Bérenger Monge n’afficha pas seulement ses ambitions de châtelain dans la manière d’habiter. Il entendit encore se comporter comme un maître responsable du salut et des bonnes pratiques de la communauté élargie dont il avait la charge. C’est le sens de la fondation pieuse, établie alors qu’il estimait probablement achevé l’essentiel de son œuvre de consolidation de la seigneurie. Or, les mesures prises en 1283 accompagnèrent sans doute quelques embellissements à la chapelle Saint-Pierre, mais surtout la restructuration du palais autour de la chapelle dédiée aux saints Blaise et Géraud. La promotion de cette dernière figure, modèle de sainteté aristocratique si ce n’est guerrière, releva sans doute d’une initiative individuelle. On a donc là, l’un des rares indices sur la foi personnelle du miles de l’Hôpital249. La nature du pouvoir de l’ordre à Manosque explique la bipolarité des lieux de dévotion, partagés entre la chapelle Saint-Pierre, nécropole des comtes de Forcalquier en même temps que pôle identitaire du peuple manosquin, et la chapelle Saint-Géraud, confinée dans l’enceinte conventuelle. À Aix, au contraire, Saint-Jean regroupa à la fois les fonctions de lieu de culte conventuel, de pôle de rayonnement de la religion princière, enfin de lieu de dévotion et d’inhumation prisé par les élites urbaines. En 248 Thierry Pécout rappelle encore, à propos de la salle verte du palais épiscopal de Marseille, que ce type de décors naturaliste était plutôt réservé aux espaces privés (Th. Pécout, « De Saint-Cannat à Saint-Cannat », p. 353). 249 Les textes normatifs jettent un éclairage sur la foi des frères qui paraît à cet égard « simple et routinière » (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 342-343). Pour être valable, et encore, au niveau des frères de la base, cette appréciation ne saurait, en aucun cas, rendre compte des pratiques pieuses des dignitaires.

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supervisant, selon mon hypothèse, deux chantiers consécutifs – le « sien propre » achevé en 1264 et la commande de Charles d’Anjou entre 1272 et 1277 –, Bérenger Monge fut l’exécutant de la volonté princière. Après avoir joué un role décisif dans la naissance du culte de son frère Saint Louis, Charles Ier avait donc établi, dans la capitale de la Provence, un pôle de sacralité lié à la branche angevine de la maison de France250. Parce que l’Angevin suivit la tradition dévotionnelle initiée par les comtes catalans en faveur de l’Hôpital, la commanderie d’Aix fonctionna à la manière d’une collégiale, chargée du culte funéraire des bonnes familles de la ville, par le biais des chapellenies et autres demandes d’intercession251. D’ailleurs, rien ne symbolise mieux l’enracinement des cadets capétiens en terre provençale que la multiplication des centres de dévotion liés aux Angevins, tandis que dans le comté de Forcalquier, la lignée d’Urgell-Forcalquier finit par tomber dans l’oubli. À preuve, s’ils furent les garants de la memoria de Guilhem II et de ses ascendants à Saint-Pierre de Manosque, les hospitaliers n’entreprirent pas de mise en valeur particulière des sépultures, dont l’emplacement même ne semblait plus connu de manière assurée sous l’Ancien Régime. Les commanderies furent donc en état de chantier permanent pendant toute la génération de Bérenger Monge. Les désidératas princiers à Aix comme l’ampleur de l’œuvre de reconversion à Manosque imposèrent en effet une gestion séquentielle des chantiers qui, après-tout, caractérisait la plupart des constructions ecclésiastiques en ville252. Avec la transplantation de l’art rayonnant à Saint-Jean d’Aix et l’adoption du programme du château-cour à Manosque, on a pu souligner la nouveauté de ces entreprises. Ce caractère précurseur s’explique sans doute par la personnalité des commanditaires comme par les capacités de financement qui, on l’imagine, firent intervenir le soutien princier dans le premier cas et reposèrent sur la richesse de la seigneurie dans le second cas. Le prestige des chantiers, enfin, justifia la remarquable rationalisation de la construction, mise en évidence par l’archéologie du bâti à Aix et que l’intervention, simultanée ou successive, de plusieurs équipes d’ouvriers qualifiés permet de suspecter à Manosque. Si elles ont pu être mises en parallèle avec la pensée scolastique, dans cet environnement provençal, les nouvelles constructions de « l’âge gothique » nourrissent surtout des rapports avec la rationalité comptable adoptée, parmi d’autres, par les hospitaliers253. Le xiiie siècle laissa donc deux monuments emblématiques et largement visibles dans le paysage. Toutefois, l’impact de l’Hôpital sur la fabrique urbaine se concentra essentiellement autour des commanderies. À Manosque, les interventions volonta-

250 Sur le culte de Saint Louis dans l’entourage angevin : J.-P. Boyer, « La foi monarchique », p. 95-96. 251 Dans la typologie des sanctuaires dynastiques, l’historiographie distingue « les sépultures dans les capitales liées le plus souvent à une collégiale » (C. de Mérindol, « Les monuments funéraires », p. 445). 252 C. Caby, « Pour une histoire des usages monastiques de l’espace urbain de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge », in C. Caby (dir.), Espaces monastiques et espaces urbains, p. 14. 253 Il aurait été possible d’exploiter les comptabilités pour mieux éclairer l’organisation du chantier de Manosque mais là n’était pas le cœur du propos. Pour un exemple de construction sensiblement contemporain et bien éclairé par les comptabilités : M. L’Héritier, « Le chantier de l’abbaye de Saint-Denis à l’époque gothique », Médiévales, 69 (2015), p. 129-148, notamment p. 135-143.

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ristes sont apparues clairement dans le quartier du palais, mais elles furent peut-être plus discrètes dans le reste de la ville, y compris dans le faubourg de la Saunerie où l’ordre était pourtant bien possessionné. C’est que les hospitaliers durent, comme de coutume, composer avec les habitants qui exercèrent sans doute un rôle croissant dans l’aménagement des espaces communautaires. Les interactions entre le seigneur et ses administrés, toutefois, ne sauraient se résumer à une sourde concurrence pour le contrôle foncier. Les uns et les autres ont pu se retrouver autour de dévotions partagées, relevant de ce qu’il est convenu d’appeler la « religion civique » : on l’a entrevu à propos de l’entretien de la mémoire du comte Guilhem II, avant même que la ferveur populaire ne s’empare aussi du culte de saint Géraud. Une forme comparable de dévotion a pu également se manifester à Aix où, dans la première moitié du xiiie siècle, deux pieux ascètes fondateurs de l’ermitage de Notre-Dame-des-Anges, Jean et son disciple Antoine, furent inhumés à Saint-Jean à la demande des habitants254. Toutefois, autant que les sources le laissent paraître, ces formes de communion entre hospitaliers et citadins furent surtout perceptibles à partir du xve siècle, conformément à un schéma observé ailleurs, par exemple à Parme ou à Toulouse255. Dans la continuité d’une tradition que l’on trouve depuis les prélats du haut Moyen Âge, Bérenger Monge choisit de se présenter en « preceptor-edificator ». Il n’est pas anodin, en effet, que ce fils de la chevalerie aixoise ait souhaité faire repeindre, sur le parement de la nouvelle église gothique, l’inscription de dédicace de 1264 qui, je l’ai soutenu, devait se trouver dans le chœur de l’édifice précédent. Le dignitaire manifesta la ferme volonté de conserver un témoignage de son action, par cette écriture exposée, quasi-sacralisée par sa localisation dans le sanctuaire et respectée à ce titre jusqu’à la fin du xviie siècle. On ne saura jamais s’il adopta la même démarche au palais de Manosque car son souvenir s’effaça ici au profit d’un restaurateur plus récent, le bailli Jean Boniface256. À Aix-même, Bérenger Monge dut accepter les interventions d’un dignitaire plus puissant que lui : Féraud de Barras, qui avait ordonné la reconstruction au moins partielle de la maison conventuelle, n’avait pas manqué de faire apposer une inscription en l’honneur de son œuvre. La

254 L’information est parvenue seulement par le biais des érudits modernes, qui précisent que ce fut « avec le concours de nos habitants » et que les obsèques de frère Jean des Anges suscitèrent « le déluge des larmes de la foule » (P. J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, t. 1, p. 239-242 ; J.-S. Pitton, Annales de la sainte Église d’Aix, Lyon, 1668, p. 136 ; N. Coulet, « L’ermitage de Notre-Dame-des-Anges de sa fondation (xiiie siècle ?) à l’installation des oratoriens », Provence historique, t. 68 (2018), p. 404-405 et 409-410). 255 À Parme, la dévotion commune s’est cristallisée autour d’une image miraculeuse de saint Jean-Baptiste, peinte à la fin du xive siècle sur l’oratoire des hospitaliers (M. Gazzini, « L’insediamento gerosolimitano a Parma nel basso Medioevo : attività ospedaliera e gestione del culto civico », in J. Costa Restagno (dir.), Riviera di Levante tra Emilia e Toscana. Un crocevia per l’ordine di San Giovanni, Bordighera, 2001, p. 430-435). À Toulouse, il ne s’agit pas d’un culte civique, mais d’une dévotion de quartier, confinée à la rue Saint-Rémézy dont les habitants fréquentaient un minuscule oratoire lié à la commanderie. En 1496, un accès de piété autour d’un crucifix miraculeux suscita une intervention de l’official et donc un procès avec les hospitaliers (M. Fournié, « L’oratoire Saint-Rémi et les hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Les miracles de 1496 à Toulouse », Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, 65 (2005), p. 105-113). 256 Je renvoie là-dessus au chapitre liminaire.

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présence de ces inscriptions n’est pas exceptionnelle à une époque où les écritures se trouvaient désormais démultipliées sur tous les supports. Ce qui est un peu plus original, alors que prédominait surtout l’épigraphie funéraire, est le caractère de ces messages, liés à la fonction édilitaire des dignitaires de l’Hôpital. Ces textes brefs centrés sur le commanditaire de l’ouvrage, qui se passaient de tout discours sur l’édifice lui-même, caractérisent le rôle désormais dévolu aux inscriptions dans « l’esthétique gothique »257. À partir des seules copies de ces textes exposés dans le chœur de Saint-Jean et à la porte de la domus, il est peut-être aventuré d’envisager une sorte de concurrence des mémoires, qui aurait pu opposer Bérenger Monge à Féraud de Barras258. On pourrait pourtant prolonger la fiction en imaginant que la rivalité entre les deux individualités trouva une autre traduction dans la fièvre édilitaire qui s’empara des seigneuries de Manosque et de Puimoisson. On a vu comment émergèrent, sensiblement à la même période, deux ambitieux programmes palatiaux présentant de troublantes similarités259. Successeur de Féraud de Barras, Guillaume de Villaret ne fut d’ailleurs pas en reste, mais l’affichage de la hiérarchie des pouvoirs se plaça ici sur le terrain du don. La qualité des objets de luxe et le prestige des reliques dont le prieur gratifia le trésor de Saint-Jean d’Aix ne laissaient sans doute au commandeur Monge aucun moyen de rivaliser. D’ailleurs, serait-ce encore surinterpréter que d’opposer à l’éclat du grand dignitaire, avide de reliques et amateur de beaux objets, le comportement plus pragmatique du chevalier urbain, soucieux surtout d’affirmer sa domination sur les hommes de son entourage, un peu à l’instar de son possible modèle, le domnus Geraldus260 ? Au-delà des enjeux relevant du pouvoir symbolique, la commande architecturale comme le don d’objets sacrés confirment bien le mécénat personnel pratiqué par les dignitaires de l’Hôpital dès le beau xiiie siècle261. Même si les modalités du financement de ces actions ne sont pas connues pour cette époque, sans doute les principaux chantiers furent-ils soutenus par les apports personnels des frères les plus éminents, un peu à la manière des cathédrales, essentiellement construites grâce aux ressources propres des évêques et des chanoines262. Du reste, si les archives incitent à focaliser l’attention sur les principales individualités, Bérenger Monge et les prieurs de Saint-Gilles, on ne saurait oublier le rôle d’autres frères dont l’action

257 V. Debiais, Messages de pierre, p. 345-348. 258 C’est l’hypothèse que j’ai pourtant proposée (D. Carraz, « Individualisation et maîtrise d’ouvrage », p. 57). 259 Le chantier de Puimoisson a pu être antérieur d’une à deux décennies, puisque Barras fut commandeur de cette maison entre 1246 et 1264, tandis que les grandes transformations se placeraient plutôt dans les décennies 1260-1280 à Manosque. Je conçois tout à fait les limites d’une comparaison fondée sur des constructions disparues, révélées seulement par des traces écrites discontinues. 260 Un épisode laisse deviner l’« avidité » de Villaret pour les corps saints : celui-ci avait détourné des reliques de saint Jean-Pèlerin et de saint Georges que le maître Nicolas Lorgne destinait au prieur d’Auvergne, Étienne du Broc (CGH, t. 3, no 3797 ; 21 septembre 1282). 261 En général, les spécialistes des ordres militaires ne traitent guère de cette pratique avant les xive-xve siècles, lorsque les commandes d’œuvres de toutes sortes se multiplièrent (I. Dolezalek, « Mécénat », in DOMMA, p. 596-598). 262 J.-L. Biget, « Recherches sur le financement des cathédrales », p. 140-142 et 154.

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resta le plus souvent vouée à l’anonymat. On a vu, ainsi, comment une dizaine de frères participèrent, sans doute de leurs propres deniers, au financement de la tribune dans la chapelle Saint-Géraud. D’autre part, il est difficile d’imaginer que les prieurs qui avaient en charge la gestion temporelle et spirituelle du prieuré d’Aix, n’aient pas eu un droit de regard sur l’œuvre et le trésor de l’église Saint-Jean263. La législation de l’ordre poussait d’ailleurs les frères qui en avaient les capacités à s’impliquer dans l’embellissement des lieux de culte conventuels264. Or, les initiatives de mécénat furent certainement favorisées par l’autonomie financière progressivement acquise par les officiers de l’ordre. On a vu comment, pour financer sa fondation pieuse, Bérenger Monge s’était appuyé sur un récent statut l’autorisant à utiliser, à titre personnel, des revenus provenant de sa commanderie. Alors que le chapitre général entérinait une certaine forme d’individualisme, l’Hôpital semblait avoir délaissé la pauvreté évangélique des origines pour répondre d’abord aux besoins spirituels des élites urbaines.

263 Pierre-Joseph de Haitze prétendait ainsi que le frère Didier fut le « promoteur » de la consécration de 1251 (P.-J. de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, p. 253). D’autre part, l’abbé Maurin rapporte, d’après un manuscrit de la bibliothèque Méjanes, les inscriptions de dédicace figurant sur trois cloches offertes par des frères (E.-F. Maurin, « Notice archéologique », p. 221-223). Je n’ai pas cherché à ouvrir ce dossier qui se rapporte, selon toute apparence, aux xive-xve siècles. 264 Comme le montre un statut de 1294 encourageant les dignitaires qui se rendaient à Chypre à offrir des ornamenta à l’église conventuelle de Limassol (CGH, t. 4, no 4259, § 4-5 ; 30 septembre 1294).

Chapitre vii

Du local à l’universel Entre l’Église et l’État

Jusqu’à présent, nous avons toujours suivi Bérenger Monge et ses frères dans leurs interactions avec différentes sphères locales, celles de la commanderie, de la seigneurie, de la parentèle ou encore des cercles de fidèles et de protecteurs, parfois haut placés. C’est à une échelle relativement restreinte, confinée à cette partie orientale et septentrionale de la Provence, que nous avons pu observer l’implantation des maisons de l’Hôpital et la formalisation de réseaux, à la fois dans leur réalité institutionnelle et sociale. C’est que le destin de ces hommes se jouait d’abord au sein de leur environnement le plus proche, d’où ils tiraient leur capital symbolique, leur expérience, les relations qui leur permettraient éventuellement de dépasser l’horizon local. On a pu s’interroger, déjà, sur l’éventualité que Bérenger Monge ou d’autres de ses frères aient, au cours de leur carrière, quitté leur Provence natale pour accomplir leur mission en Orient. Nous n’avons donc jamais oublié que les hospitaliers, que nous avons vus évoluer entre Aix et Manosque, se trouvaient intégrés dans des réseaux bien plus larges. On sait bien que les missions du Temple et de l’Hôpital s’accomplissaient dans un champ très vaste, qu’on l’appelle « international », « supranational » ou, plus récemment, « global1 ». Cependant, on retiendra plutôt la dimension universelle – du reste utilisée par les historiens espagnols pour distinguer les ordres militaires universels des milices purement ibériques – car celle-ci apparaît plus conforme aux réalités médiévales2. En effet, ainsi que l’a rappelé Jérôme Baschet, l’universalisme de l’Église fut bien « l’un des ressorts de l’expansion européenne », dont l’une des manifestations initiales fut justement l’entreprise des croisades3. Du local à l’universel, ce sont donc en quelque sorte les tensions entre ces deux champs que les derniers chapitres s’efforceront d’appréhender, à partir d’un regard centré

1 M. Peixoto, Templar Communities in Medieval Champagne : Local Perspectives on a Global Organization, Ph.D. dissertation, New York University, 2013, notamment p. 8-30. Il est dommage que cette longue introduction historiographique ne s’embarrasse guère de réflexions théoriques sur la variation des échelles du local au global. Les sirènes de l’histoire globale ont, à raison, suscité quelque scepticisme chez des médiévistes français (voir notamment N. Weill-Parot, « Recherche historique et “mondialisation” : vrais enjeux et fausses questions. L’exemple de la science médiévale », Revue historique, 671-3 (2014), p. 655-673). 2 Les spécificités du contexte ibérique ont effectivement engagé les historiens espagnols à distinguer entre un modèle universel, lié à la chrétienté et à la papauté, et des ordres « nationaux » ou bien « territoriaux » (C. de Ayala Martinez, Las órdenes militares hispánicas en la Edad Media (siglos xii-xv), Madrid, 2003, p. 21-22 et 55-63). Sur le caractère plus opératoire de la dimension universelle, voir encore : N. Buchheit, Les commanderies hospitalières. Réseaux et territoires en Basse-Alsace, xiiie-xive siècles, Paris, 2014, p. 16-18. 3 J. Baschet, « Un Moyen Âge mondialisé ? Remarques sur les ressorts précoces de la dynamique occidentale », in O. Remaud et alii (dir.), Faire des sciences sociales, 2, Comparer, Paris, 2012, p. 32-35.

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sur Bérenger Monge et son entourage. Comment les formes locales du pouvoir que ces derniers exercèrent, celles du commandeur et du seigneur, se sont-elles trouvées englobées dans les structures supérieures qu’étaient l’Église et l’État ? Nés dans l’atmosphère de la réforme grégorienne, les ordres militaires ont accompagné les mutations ecclésiologiques liées au « tournant pastoral ». Dès lors, comment une institution régulière comme l’Hôpital, étroitement liée au Siège apostolique, s’est-elle accommodée d’un renforcement du pouvoir juridictionnel de l’épiscopat ? En tant que délégataires de l’autorité apostolique, les évêques n’entendaient pas seulement accroître leur contrôle sur les fidèles, mais encore sur l’ensemble de la hiérarchie ecclésiastique, notamment sur les ordres religieux, a fortiori s’ils bénéficiaient de libertés spéciales. Par ailleurs, dans le sillage de la grande rupture grégorienne, l’intensification des logiques de sacralisation des biens, des terres et des hommes d’Église, a soulevé de nouvelles questions relatives au statut des spiritualia4. Ces enjeux ecclésiologiques universels eurent naturellement des répercussions locales, sur les rapports entre séculiers et réguliers au sein de l’ecclesia, et plus généralement sur la nature des échanges entre l’Église et les fidèles. Ainsi, pour s’en tenir à cette seule implication, les transferts massifs d’argent et de biens des fidèles vers les églises imposèrent une remise en ordre des relations entre les différentes composantes de l’institution ecclésiale elle-même. Plus précisément, dans notre perspective, il fallut préciser le partage des spiritualia et de l’action pastorale entre le clergé séculier et les hospitaliers. Cela passa par une série de conflits, qu’il serait un peu trop facile d’attribuer aux privilèges abusifs dont bénéficiaient les ordres militaires, à la suite d’une historiographie, elle-même prompte à reprendre sans recul les récriminations du clergé séculier5. Aussi faut-il plutôt inscrire l’action spirituelle des hospitaliers d’Aix et de Manosque au sein de cette « économie de l’institution ecclésiale » qui doit être pensée en termes d’échanges généralisés, à la fois horizontaux – entre l’Église et les fidèles – et verticaux – entre ici-bas et l’au-delà6. Derrière ces échanges se profile toute la question de la juridiction de l’ordinaire et du statut des ordres militaires, écartelés entre la catégorie d’ordres exempts liés à la seule papauté et une nécessaire obéissance à l’épiscopat local. Les relations originelles

4 Sur la formalisation de la catégorie des spiritualia : C. de Miramon, « Spiritualia et temporalia. Naissance d’un couple », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Kanonistische Abteilung, 92 (2006), p. 224-287. 5 Toutes les approches générales ont relevé les critiques des privilèges des ordres militaires de la part des séculiers (p. ex. H. Nicholson, Templars, Hospitallers and Teutonic Knights. Images of the Military Orders (1128-1291), Leicester, 1995, p. 41-43). Or, les historiens des xixe-xxe siècles ont bien souvent surenchéri en présentant les frères des ordres militaires comme avides et sans scrupules, prêts à bafouer les lois de l’Église. Les hospitaliers d’Aix sont accusés d’abuser de leurs privilèges pour enterrer sans retenue les excommuniés dans leur cimetière (F. de Ferry, La commanderie et le prieuré, vol. 1, p. 8). À Manosque, ils usent de « mauvais procédés » pour « annexer les biens des églises » et « détourner » leurs revenus (F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital, p. 43-44, suivi par A. Venturini, « Un compte de voyage par voie de terre de Manosque à Gênes en 1251 », Provence historique, 45 (1995), p. 27). 6 J. Chiffoleau, « Pour une économie de l’institution ecclésiale à la fin du Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, t. 96-1 (1984), p. 247-279.

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avec le Siège apostolique furent ici d’autant plus fortes que la région suscita l’intérêt précoce de l’Église romaine – concrétisé par le rattachement du Comtat Venaissin au Patrimoine de Saint-Pierre en 1274 –, en même temps qu’elle fut une base-arrière privilégiée dans la stratégie de croisade dont se soucièrent tous les pontifes du xiiie siècle7. Enfin, l’avènement au siège de saint Pierre d’une série de prélats proches des Capétiens explique d’autant mieux l’intensité des relations entre les commanderies du prieuré de Saint-Gilles et l’Église romaine. Une institution comme l’Hôpital, aussi liée à la papauté et bardée de privilèges fût-elle, ne pouvait évidemment faire abstraction des structures politiques. Leurs missions mêmes avaient placé les ordres militaires au cœur des relations diplomatiques et des enjeux stratégiques du temps et ceux-ci avaient dû, dès l’origine, cultiver d’étroits liens avec les autorités princières8. Une véritable osmose avait caractérisé les relations entre les deux grands ordres et la maison comtale de Barcelone-Provence. Charles Ier d’Anjou hérita de cette tradition et nul autre lieu symbolise mieux le rapprochement entre le nouveau prince capétien et la spiritualité de combat portée par le monachisme militaire que l’église Saint-Jean d’Aix. Désireux d’étendre sa domination du Mezzogiorno italien jusqu’aux Balkans en passant par la Terre sainte, le souverain trouva un appui auprès des ordres militaires, eux-mêmes parfaitement bien implantés sur tous ces terrains9. C’est donc bien à l’échelle universelle qu’il s’agit d’envisager l’impérialisme angevin et les collaborations nouées dans ce cadre avec les dignitaires de l’Hôpital. De fait, l’appareil administratif angevin illustre un autre versant des interactions entre dimensions locales et universelles du pouvoir. Quoi de plus englobant, là encore, que l’État princier qui prétendait à l’universalité des regalia, c’est-à-dire à l’exercice d’un pouvoir souverain qui s’imposerait à tout autre forme d’autorité coutumière10 ? Segnoria versus regalia : voilà donc un autre aspect, sur fond de tensions, des avancées de l’administration et de la juridiction centrales face à l’encadrement seigneurial. Toutefois, ces confrontations ne sont pas tant révélatrices d’un État moderne qui s’imposerait par sa seule force immanente, que des relations personnelles nouées entre le prince et des hommes comme Bérenger Monge ou bien Guillaume de Villaret. L’espace laissé à l’action de tels agents montre que la visée universelle du pouvoir passait d’abord par la préservation des équilibres locaux.

7 V. Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin (vers 1270-vers 1350), Rome, 2012, p. 103-124 ; D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 480-505. 8 Aperçu des problématiques générales : H. Nicholson, « Nolite confidere in principibus. The Military Orders’ Relations with the Rulers of Christendom », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, Madrid, 2015, p. 261-276 ; et K. Toomaspoeg, « Les ordres militaires au service des pouvoirs monarchiques occidentaux », in ibid., p. 321-332. 9 Étant donné le développement prodigieux des études angevines, je me contente de renvoyer à une synthèse rapide mais récente : G. Jehel, Les Angevins de Naples. Une dynastie européenne, 1246-1266-1442, Paris, 2014, p. 15-39 (Italie), 103-119 (Orient et Balkans) et 159-164 (Hongrie et Terre sainte sous Charles II). La bibliographie sur le rôle des ordres militaires dans l’ordinamento politique des Angevins est, à l’image des terrains d’action des uns et des autres, dispersée. Pour les premières références, je me permets de renvoyer à D. Carraz, « Charles Ier d’Anjou » et « Charles II d’Anjou », in DOMMA, p. 213-214. 10 L. Verdon, « La paix du prince. Droit savant et pratiques féodales dans la construction de l’État en Provence (1250-1309) », Revue historique, 654 (2010), p. 318-322.

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Encadrement pastoral et économie ecclésiale Le partage des prélèvements sur les fidèles : dîme et quarte funéraire

Observés dans toute la chrétienté latine, les conflits avec le clergé séculier relatifs aux attributions spirituelles des ordres militaires ont suscité déjà une abondante littérature11. Particulièrement tendues en Provence entre les années 1180 et 1240, au moment où les frères s’imposèrent véritablement dans le paysage religieux, les relations finirent par se normaliser dans la seconde moitié du xiiie siècle. Non sans lien avec l’abondante œuvre réglementaire suscitée par les synodes et les conciles, des compositions établies au cas par cas s’appliquèrent à préciser les cadres de l’action pastorale laissée aux églises et aux cimetières des commanderies. Aussi, les quelques affaires que les maisons d’Aix et de Manosque affrontèrent à l’époque de Bérenger Monge n’apportent rien de foncièrement original par rapport à la situation observée pour les établissements templiers du Bas-Rhône12. La principale différence a pu résider dans un certain décalage chronologique, car les dernières compositions recensées intervinrent autour des années 1270 en Basse-Provence, alors que les églises et les cimetières des hospitaliers de Manosque et de Puimoisson suscitaient encore des débats au début du xive siècle. Si l’on s’en tient aux questions relatives à l’encadrement pastoral et aux revenus qui en découlaient, seuls l’épiscopat et le clergé paroissial se sont effectivement opposés aux hospitaliers13. Les points de discussion portèrent d’une part sur la dîme, de l’autre sur les spiritualia et surtout sur la pastorale de la mort, rattachées aux églises de l’Hôpital. En 1234, un accord entre le prieur de Saint-Gilles et le chapitre de Saint-Sauveur avait réglementé les droits rattachés au nouvel oratoire que les hospitaliers venaient d’édifier auprès de leur maison d’Aix14. Les chanoines s’étaient vus reconnaître la perception de la dîme sur les terres et vignes tenues par l’Hôpital, alors que celui-ci était théoriquement exempté de cette prestation15. Cette mesure à l’avantage du

11 Une thèse a traité cette question, en mettant en regard l’implantation des trois principaux ordres en Languedoc-Provence et en Franconie : Th. Krämer, Dämonen, Prälaten und gottlose Menschen. Konflikte und ihre Beilegung im Umfeld der geistlichen Ritterorden, Berlin, 2015. 12 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 462-472. 13 À Manosque, en effet, lorsque Bérenger Monge et ses frères se sont frottés à d’autres institutions régulières, les enjeux portèrent essentiellement sur des questions de droits fonciers ou bien de juridiction exercée sur les hommes, par l’intermédiaire de la propriété de la terre. C’est le cas notamment des conflits répétés avec le prieuré Sainte-Marie, déjà évoqués au chapitre v. Peu après le retrait de Bérenger Monge, par deux actes passés en 1299, son successeur Isnard de Flayosc s’accorda de même avec la collégiale Saint-Martin de Cruis à propos de biens que celle-ci tenait sous la directe de l’Hôpital (56 H 4633, no 23 et 43 ; 27 juin 1299 ; F. Reynaud, La commanderie, p. 63-64). 14 56 H 4175 (28 juillet 1234) ; éd. A. Coste, Le chapitre métropolitain de Saint-Sauveur, p. 187-191. 15 Sur les privilèges pontificaux relatifs aux dîmes : Th. Krämer, Dämonen, p. 162-170. Les débats théoriques sur la possession des dîmes par les moines – et, au-delà, sur les fonctions pastorales de ces derniers – n’ont, à ma connaissance, jamais envisagé le cas spécifique des ordres militaires. Il faut dire que le rapport des ordres militaires à la dîme s’apparente bien plus à un modèle de prélèvement seigneurial qu’au refus du « nouveau monachisme » de percevoir les fruits du travail d’autrui (sur le rapport des moines à la dîme,

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chapitre montre que celui-ci était alors en position de force, mais aussi que la dîme n’était sans doute pas perçue comme un enjeu majeur pour les hospitaliers dans un diocèse où ils disposaient, alors, d’assez peu d’églises, elles-mêmes susceptibles de revendiquer la levée de cette taxation16. Une vingtaine d’années plus tard cependant, on a trace d’une discorde entre le chapitre et les hospitaliers qui se disputaient les revenus en blé d’un dîmaire dont la localisation n’est pas précisée. Il fut convenu entre les parties que le produit de la vente de cette dîme des labours serait déposé auprès du notaire Bernard Raimond qui procéderait au partage. Le prieur Didier, agissant comme lieutenant de Bérenger Monge, et les deux administrateurs du chapitre reconnurent finalement avoir reçu chacun 6 livres, 12 sous et 6 deniers17. Ce règlement, a priori anecdotique, montre que les hospitaliers prélevaient tout de même une part des dîmes dans le terroir d’Aix. Il confirme par ailleurs le véritable enjeu financier de cette ponction, que les chanoines comme les hospitaliers, en comptables raisonnables, étaient capables de se partager sans trop de heurts. En tant que commandeur de la maison de Saint-Martin de Vidoles, Bérenger Monge dut encore soutenir une controverse avec le prieur de Trets qui, au nom de toutes les églises du lieu, revendiquait le prélèvement de la dîme sur les terres relevant de Saint-Martin18. Pour le prieur, cette dernière église était incluse dans la paroisse de Trets. Pour les hospitaliers, au contraire, Saint-Martin formait une paroisse autonome relevant du diocèse de Marseille, dont le desservant percevait la dîme et administrait les sacrements depuis une génération au moins19. En 1264, l’arbitrage du vicaire de l’église Sainte-Marie-Madeleine d’Aix décréta qu’étaient exemptes les terres cultivées directement ou bien arrentées par l’Hôpital, de même que celles où paissait son bétail. En revanche, pour les terres que les hospitaliers donnaient eux-mêmes à ferme, les dîmes, collectées une année sur l’autre par l’ordre et par les églises de Trets, seraient partagées en deux. Les deux parties se mirent d’accord pour employer, chacun de leur côté, tous les moyens spirituels et temporels afin de pousser les paroissiens à payer la dîme20. Cette clause est révélatrice de l’attention accrue attachée par les autorités en dernier lieu : C. Caby, « Les moines et la dîme (xie-xiiie siècle) : construction, enjeux et évolutions d’un débat polymorphe », in M. Lauwers (dir.), La dîme, l’Église et la société féodale, Turnhout, 2011, p. 369-393). 16 Au xive siècle, treize églises de l’Hôpital – dont au moins quatre héritées du Temple – apparaissent dans le relevé des dîmes perçues dans le diocèse : Mallemort, Saint-Jean d’Aix, Sainte-Catherine d’Aix, Vinon, Saint-Antoine de Valavès à Ginasservis, Saint-Maximin, Saint-Christophe, Brignoles, Calissanne, La Rouvière, La Tour d’Aigues, Limaye et Bras (GCN, t. 1, inst. Ecclesiae Aquensis, no 40, col. 48). 17 56 H 4173 (26 octobre 1258). 18 56 H 4185bis (7 avril 1264 ; Aix). Même si l’acte ne le précise pas, sans doute s’agit-il du prieur de la Sainte-Trinité, dépendant de Saint-Victor de Marseille comme au moins cinq autres lieux de culte de ce territoire (É. Baratier, « La fondation et l’étendue du temporel de l’abbaye de Saint-Victor », Provence historique, 16 (1966), p. 411). 19 Asserens dictam ecclesiam Sancti Martini parrochialem esse et de diocesim Massililiensem (et) capellanus qui ibi residet curam animarum hominum ibi comorantium recipit ab episcopo [effacé] hominibus ministrat ecclesiastica sacramenta. 20 Et quod dicti hospitalarii seu capellani Sancti Martini compellant et compellere tenentur dictos homines ad prestationem predictarum decimarum ut supradictum est tam seculari potestate quam ecclesiastica. Si vero homines de Tretis excolerunt terris dictorum hospitalariorum rectores ecclesiarum de Tretis teneantur compellere dictos homines de Tretis ad prestationem dictarum decimarum et ita voluit dictus arbiter…

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ecclésiastiques à la valeur, autant financière que symbolique, de ce prélèvement. En un temps où les institutions ecclésiastiques s’appliquaient plus généralement à clarifier la question des droits paroissiaux, y compris dans leur dimension territoriale, remarquons que l’arbitre ne s’aventura pas à trancher la question du statut paroissial revendiqué pour Saint-Martin de Vidoles. De fait, la situation de cet ancien prieuré récupéré par l’Hôpital peut paraître étrange, car dans la délimitation entre les diocèses d’Aix et de Marseille intervenue en 1255, le rattachement de Saint-Martin à la juridiction de l’évêque de Marseille avait bien été confirmé, alors que les autres églises desservant le territoire de Trets relevaient de l’archevêché d’Aix21. On s’explique difficilement la situation d’enclave de Saint-Martin dans cette marge du diocèse d’Aix, sauf à imaginer un très vieux lien personnel entre l’episcopatus de Marseille et ce prieuré, qui se serait pérennisé par-delà sa transmission à l’Hôpital. En 1237, sur les conseils du juriste Peire de Mota, le commandeur de Manosque et les chanoines de Forcalquier, au nom des sept églises tenues par le chapitre dans le territoire de la commanderie, s’étaient également accordés sur la question des sépultures et des dîmes22. Il avait été décidé que les terres relevant de l’église SaintPierre devraient la dîme à cette église et que les autres terres tenues par l’Hôpital dans le val de Manosque verseraient une taxe d’un vingtième de leurs revenus à l’église Saint-Martin du castrum. En même temps, on dressa une liste des terres de l’Hôpital, avec leurs superficies, qui seraient exemptées. Même si cela ne ressort pas en première analyse, l’évocation de terres exemptes ou au contraire soumises à la dîme, comme autour de Saint-Pierre, suggère que ce type d’accord contribuait à mieux délimiter les ressorts du prélèvement23. Si elle n’est pas illustrée par la documentation manosquine, la question des territoires ecclésiaux émerge assez bien, dès le xiie siècle, dans les chartes concernant les commanderies du Bas-Rhône24. Elle se précise encore autour de Puimoisson où, dans la seconde moitié du siècle suivant, les hospitaliers durent

21 J.-H. Albanès et U. Chevalier, Gallia Christiana Novissima. Évêché de Marseille, Montbéliard, 1899, no 280, col. 149 (27 octobre 1255). Sur la délimitation des deux diocèses dans le val de Trets : F. Mazel, L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (ve-xiiie siècle), Paris, 2016, p. 188-194 et 283. Contrairement à ce que pense l’auteur, l’église Saint-Martin de Vidoles était bien localisée, non sur la ligne de crête de la montagne de Regagnas, mais à proximité du village, sur la route d’Aix (cf. J. Drendel, Society and Economy in a Medieval Provençal Town : Trets, 1296-1347, Ph.D. dissertation, University of Toronto, 1991, p. 31, fig. 1). 22 56 H 4651 (13 mars 1237). Les églises à la collation du chapitre étaient Saint-Jean et Saint-Sauveur de Manosque, Saint-Martin du castrum, Notre-Dame de Toutes-Aures, Saint-Alban, Saint-Sépulcre, Saint-Maxime et Saint-Pierre de Montaigu. Ces sanctuaires avaient été confirmés au chapitre par une bulle d’Alexandre III en avril 1176 (56 H 880, f. 17v-19). Au moins trois de ces églises (Saint-Martin du castrum, Saint-Alban et Saint-Maxime) étaient passées dans des conditions inconnues de Saint-Victor de Marseille au chapitre (sur le réseau ecclésial des territoires de Manosque et des habitats environnants : S. Claude, « Manosque : habitat aggloméré », p. 141-147). 23 Sur le rôle de la dîme dans les processus d’encadrement territorialisé de la population : M. Lauwers, « Pour une histoire de la dîme et du dominium ecclésial », in M. Lauwers (dir.), La dîme, p. 54-64. 24 Autour de Saint-Gilles, des zones de collecte (decimarie) étaient clairement établies depuis le xiie siècle au moins (CTSG, no 009, 034, 184 ; CaHSG, no 39). Dans la seigneurie templière de Montfrin se trouve par ailleurs vérifiée l’absence de coïncidence entre étendue des dîmaires et ressorts paroissiaux (D. Carraz, « La territorialisation de la seigneurie monastique », p. 454-456).

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s’accorder avec le clergé séculier de Riez sur les ressorts de leurs églises respectives et des dîmaires correspondants25. Enfin, preuve que les prélèvements issus de la seigneurie foncière n’étaient pas pleinement distingués de la fiscalité ecclésiastique, l’accord de 1237 s’employa à clarifier le statut des terres tenues par les églises sous le dominium de l’Hôpital. Ce dernier s’engagea à garantir la possession paisible des terres léguées ou données aux différentes églises relevant de la mense capitulaire, tandis que les transactions rémunérées étaient grevées du versement du trézain et nécessitaient l’accord de la commanderie. Pour le xiiie siècle encore, on a très rarement idée de ce que représentait quantitativement la dîme, tant pour ceux qui la versaient que pour les églises qui en captaient les fruits. Les comptabilités prouvent à tout le moins que les hospitaliers de Manosque s’acquittaient bien de cette redevance auprès de la paroisse de référence de leur seigneurie. Le registre des années 1283-1290 garde ainsi trace de ce versement mais, curieusement, sur trois années d’exercice seulement26. Payé en deux termes, à l’hiver et au printemps, le prélèvement de 92 livres apparaît relativement stable. Si l’on ne peut tirer grand-chose de données aussi ponctuelles, on observera que la ponction au profit des églises gérées par le chapitre n’était pas négligeable, puisqu’elle pouvait représenter plus de 5% du revenu annuel de la seigneurie27. Comme l’illustre le cas de Trets, il ne suffisait pas de s’accorder entre institutions ecclésiastiques sur la répartition des prélèvements, il fallait encore en faire accepter le principe aux fidèles. En avril 1261, l’arbitrage de Bérenger Monge, du recteur de Saint-Sauveur de Manosque et d’un chanoine de Saint-Mary établit ainsi les quotités comme les modalités de la ponction sur les différentes cultures et sur les agneaux, à laquelle les habitants devraient consentir en faveur de l’église Saint-Martin du castrum, au nom des autres églises du chapitre28. Une fois encore, les chanoines comptèrent sur le commandeur et son bayle pour forcer les Manosquins à appliquer l’accord et à payer leur dû s’ils devaient s’en affranchir29. L’accord devait toutefois laisser les

25 Th. Pécout, « Dîme et institution épiscopale au xiiie siècle en Provence », in M. Lauwers (dir.), La dîme, annexe 3, p. 463-472 ; Id., « L’évêque et le chapitre de Riez : formation du temporel et emprise territoriale, xiie-xive siècle », in Ph. Borgard (dir.), Riez une capitale en Haute Provence, de l’Antiquité aux Temps modernes, Aix-en-Provence, à paraître ; et encore 56 H 4832 (20 mai 1286 ; accord entre le commandeur et le prévôt de Riez sur les dîmaires). 26 Les sorties relatives à la dîme dans la comptabilité des années 1283-1290 (CoHMa) : 25 février 1285 28 l. 14 s. 1 d. 71 l. 26 d.

20 mai 1285 43 l. 12s.

23 déc. 1285 46 l. 4 s. 1 d. 92 l. 8 s. 2 d.

19 mai 1286 46 l. 4 s. 1 d.

24 nov. 1286 46 l. 4 s. 1 d. 92 l. 8 s. 3 d.

25 mai 1287 46 l. 4 s. 2 d.

27 Pour obtenir cet ordre de grandeur, on peut par exemple comparer le montant de la dîme ramené en sous (soit environ 1850 s.) au revenu moyen annuel de la vente de produits agricoles (1158 s.) qui, lui-même, équivaut à environ 4% de la recette globale (cf. fig. 13 et tabl. 6). 28 LPM, no 8, p. 30-40 (5 avril 1261). 29 LPM, p. 32 et 38. L’insistance avec laquelle ces règlements rappellent aux paroissiens l’obligation de la dîme fait écho aux préoccupations similaires émanant de la législation synodale (Th. Pécout, « Un symptôme : le concile provincial de Riez en 1286 et les redéfinitions de l’officium episcopi en Provence », Annuarium Historiæ Conciliorum. Internationale Zeitschrift für Konziliengeschichtsforschung, 37-1 (2005), p. 126).

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parties insatisfaites car, dix mois plus tard, l’évêque Alain de Luzarches procédait à un arbitrage complémentaire30. En général, ce genre d’arbitrage ne dénotait aucune rivalité exacerbée au sein du clergé, mais procédait plutôt d’une réorganisation des missions pastorales et de la juridiction relevant de chaque église à l’échelle d’un territoire. Pour preuve, deux années après l’accord de 1237, les chanoines de Forcalquier confiaient encore aux hospitaliers la desserte de l’église Saint-Étienne de Tairon31. Si le préceptorat de Bérenger Monge n’a pas laissé trace d’autres débats relatifs aux dîmes, il semble que les contestations contre le clergé séculier furent ranimées par ses successeurs immédiats. En février 1297, une bulle de Boniface VIII adressée à l’évêque de Riez rappelait l’exemption de toute imposition dont bénéficiait le commandeur de Manosque32. Surtout, sous le commandeur Jaufre Raimond, la perception de la dîme donna lieu à un long conflit porté devant l’évêque de Marseille, entre 1300 et 1306 au moins33. Le commandeur avait expulsé les collecteurs du chapitre sous prétexte qu’ils avaient outrepassé leurs attributions. Aussi l’évêque Durand de Marseille, qui entendait en revenir à l’application de la composition de 1237, instruisit-il une enquête auprès des decimarii en question. Ceux-ci confirmèrent que l’Hôpital, notamment sous le mandat de Bérenger Monge, les avait laissés librement prélever le vingtième des revenus sur les terres de sa seigneurie. Le commandeur, de son côté, s’appuya sur une série de privilèges pontificaux – sont citées des lettres de Lucius III, Innocent III, Grégoire IX et Boniface VIII-confirmant à son ordre l’exemption de la dîme pour les terres directement cultivées et pour les terres novales34. Comme il est fréquent, de manœuvres dilatoires en appels, l’affaire traîna. Elle n’était donc toujours pas tranchée lorsqu’en octobre 1306, le pape Clément V, auprès de qui le commandeur avait fait appel, chargeait le prévôt d’Apt de se saisir de la question35. Ces règlements sur la dîme participaient de la recomposition de l’économie paroissiale, qui accompagnait le renforcement de l’encadrement pastoral comme l’obligation de la médiation cléricale entre ici-bas et l’au-delà36. Même si cela n’apparait

30 LPM, no 10, p. 40-48 (17 février 1262). En 1287, la communauté désignait à nouveau des syndics afin de faire approuver par le pape la transaction sur les dîmes (Arch. mun. de Manosque, Ba 1 ; 18 février 1287). Mais on ne sait s’il s’agit du même accord, intervenu 26 ans plus tôt ou bien d’une nouvelle transaction. 31 56 H 849, no 19 (2 mai 1239). 32 Th. Pécout, « Un symptôme : le concile provincial de Riez », p. 129. 33 Une partie du procès est consignée dans un registre de papier de 46 folios coté 56 H 880 ; et 56 H 4651 (composition du 2 janvier 1304). Une autre partie se trouve dans le registre 56 H 910, utilisé par F. Reynaud, La commanderie, p. 65-66. 34 56 H 880, f. 27v-31. Je n’ai pas cherché à collationner ces bulles dont les dates ne sont que rarement données. 35 CGH, t. 4, no 4762 (29 octobre 1306). On ne connaît pas la fin de l’affaire et Félix Reynaud pense que le départ du commandeur Jaufre Raimond mit fin aux débats. 36 J. Chiffoleau, « Les transformations de l’économie paroissiale en Provence (xiiie-xve siècles) », in A. Paravicini Bagliani et V. Pasche (dir.), La parrochia nel Medio Evo. Economia, scambi, solidarietà, Rome, 1995, notamment p. 66-80.

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pas clairement dans les compositions entre églises, sans doute s’agissait-il d’étendre encore le prélèvement à des terres qui, jusque-là, n’y étaient pas systématiquement soumises37. Ainsi pourraient se comprendre les accords entre les chanoines de SaintMary, d’une part avec les hospitaliers, de l’autre avec les habitants de Manosque, qui insistent clairement sur les taxes dues à l’église Saint-Martin du castrum, au nom des autres églises relevant du chapitre38. Dans ce cadre, on comprend bien que le clergé ait attaché une importance notable à la dîme, dont le prélèvement était considéré comme « le signe du dominium universel de l’Église »39. L’intérêt accordé à la dîme s’explique par ailleurs par la restructuration, relativement tardive en Provence, des patrimoines des cathédrales et des chapitres qui se heurtaient à la concurrence des autres seigneuries et notamment aux ordres militaires40. Toutefois, la dîme ne saurait être appréhendée isolément : ainsi que l’ont souligné les travaux récents et comme cela apparaît, du reste, dans les compositions, celle-ci n’était qu’une part du système complexe de relations entre l’Église et les fidèles. De fait, c’est surtout autour des questions relevant de la pastorale de la mort et des échanges générés par celle-ci que se cristallisèrent les débats entre le clergé séculier et les ordres militaires41. Une série de privilèges épiscopaux avaient réglementé les droits de l’Hôpital relatifs aux inhumations : les paroissiens pouvaient élire librement sépulture dans les cimetières de l’ordre, sous réserve du paiement de la quarte des legs – prévue dès la lettre Dilecti filii nostri d’Alexandre III édictée entre 1166 et 1179 –, tandis que la méfiance du clergé séculier s’était surtout focalisée sur l’inhumation des familiers et des excommuniés42. Le cadre pastoral général est tout aussi connu désormais : celui-ci fait intervenir d’un côté une nouvelle économie de la mort liée à la piété testamentaire, qui explique l’importance cruciale attachée aux revenus tirés des inhumations – legs, oblations, mortalages… – dans un système d’échange monétarisé ; de l’autre, les mutations ecclésiologiques mettent en jeu l’autorité de

37 Sur la généralisation sans doute tardive de ce prélèvement : M. Lauwers, « Pour une histoire de la dîme », p. 12-13. 38 Jacques Chiffoleau rappelle ainsi que, pendant longtemps, la dîme pesa essentiellement sur « la dominicatura des biens d’Église » ( J. Chiffoleau, « Les transformations de l’économie paroissiale », p. 69). C’est effectivement la situation qui semblait prévaloir pour la vieille église Saint-Pierre de Manosque, autour de laquelle l’aire de collecte semblait déjà bien établie à l’époque de l’accord de 1237. 39 J. Chiffoleau, « Les transformations de l’économie paroissiale », p. 74. Entre symbole du dominium universel de l’Église et « prototype de la redevance seigneuriale », la dîme a évidemment joué un rôle dans les rapports de domination (M. Lauwers, « Pour une histoire de la dîme », p. 47-53). En revanche, cela ne signifie pas que le versement de la dîme ait, par principe, suscité des réticences particulières de la part des fidèles. Celle-ci était en effet constitutive de l’identité de la communauté paroissiale qui en reconnaissait le rôle dans la redistribution des richesses (M. Arnoux, « Pour une économie historique de la dîme », in R. Viader (dir.), La dîme dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, 2010, p. 150-158). 40 Th. Pécout, « Dîme et institution épiscopale », p. 427-428. 41 Pour une première approche à l’échelle de la Provence : D. Carraz, « Églises et cimetières des ordres militaires ». 42 Sur ce cadre normatif bien connu, voyez en dernier lieu le bilan de Th. Krämer, Dämonen, p. 221-228.

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l’ordinaire sur le contrôle des paroissiens, des pratiques testamentaires et des aires d’inhumation43. Dans la composition intervenue en 1234, à l’occasion de l’érection de l’oratoire des hospitaliers à Aix, une partie essentielle des clauses s’était attachée aux droits funéraires44. Les chanoines consentaient à laisser aux hospitaliers la liberté d’inhumer paroissiens et étrangers, contre la perception de la moitié des oblations et de la quarte des legs, sauf sur les frères et familiers revêtus du signum de l’Hôpital, sur les armes et les chevaux et sur les legs faits par les fidèles enterrés ailleurs. Les clauses spécifiques aux chevaux – imposés s’ils valaient moins de 10 livres – suggère l’aspect pratique, pour les frères, du don des montures et des armes susceptibles d’être expédiées en Orient, tandis que les précisions sur le contenu de la quarte montrent bien l’enjeu financier représenté par cette part des legs pour le chapitre. Du reste, la mise en garde contre toute tentation de fraude sur la teneur et la quantité des legs, de même que sur l’origine et les noms des personnes inhumées, peut s’interpréter de deux façons : l’avertissement rend bien compte de la surveillance que le clergé paroissial exerçait sur ses ouailles, en même temps qu’il suggère, peut-être, l’existence de listes permettant de calculer au mieux la proportion des legs qui devait revenir aux chanoines45. Le soutien de Raimond Bérenger V et de la papauté – parmi les quatre arbitres figuraient l’archevêque d’Arles Jean Baussan, proche du pouvoir comtal, et le légat Pons Ferrerii – avait permis à l’oratoire hospitalier d’obtenir des droits relativement avantageux dans une ville où l’encadrement ecclésial était déjà dense. La question de la quarte ressurgit à l’occasion de la fondation de la nécropole comtale : en 1278, le chapitre réclama son dû sur ce qu’avaient perçu les hospitaliers pour la sépulture de Béatrice de Provence, ainsi que pour la translation des corps d’Alphonse II, de Raimond Bérenger V et de la princesse Blanche. Grâce à l’entremise du prévôt de Grasse, un homme du roi, Bérenger Monge s’en tira encore à bon compte en versant au chapitre un dédommagement de 100 sous46. Ce montant était proportionnel à ce que l’église avait reçu à l’occasion de l’inhumation de Béatrice, mais l’Hôpital se trouva quitte pour les autres sépultures47. Le lendemain du règlement

43 Au sein d’une littérature importante, je me borne encore à renvoyer à J. Chiffoleau, « Les transformations de l’économie paroissiale », p. 68, 80-83, 90-117 ; et Th. Pécout, « Un symptôme : le concile provincial de Riez », p. 123-131. 44 56 H 4175 (28 juillet 1234). 45 Nec possit aliqua fraus excogitari in modo reliquendi, vel quantitate relicti, vel mutatione loci, vel denominatione persone. 46 …super predictis questionibus stare cognitioni, definitioni et ordinationi discreti viri domini G. Gracensis prepositi et procuratoris domini nostri regis (2 G 32, no 202 ; 30 mars 1278 ; éd. L. Enderlein, Die Grablegen des Hauses Anjou in Unteritalien. Totenkult und Monumente, 1266-1343, Worms am Rhein, 1997, PJ no 2, p. 211-212). Peut-être s’agit-il du prévôt Guillaume de Livron que l’on trouve au service de Charles d’Anjou en 1283 ? (Th. Pécout, Ultima ratio, p. 420). 47 …per mandamentum dedit dicto domino Berengario cum fratribus in dicto hospitali comorantibus, quod ratione omnium que obvenerunt ecclesie Sancti Johannis occasione sepulture dicte domine regine det et solvat dictis canonicis […] occasione dicte quarte partis ratione compositionis premisse, centum sol. prov. cor., taxatione primitus habita super extimatione seu valore rerum que dicte ecclesie obvenerunt. Ab aliis vero que ratione translationis corporum ibidem etiam sepultorum obvenerunt, dictum dominum Berengarium absolvit…

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amiable, le 1er avril 1278, le prieur de Saint-Jean recevait le don considérable en reliques et ornements de la part de Charles d’Anjou48. Une telle coïncidence de calendrier, qui n’est probablement pas fortuite, peut être considérée comme une manifestation de la volonté princière d’imposer, y compris face à l’archevêque et aux chanoines, la nouvelle église de l’Hôpital parmi les principaux pôles religieux de la capitale. Probablement, cette promotion suscita-t-elle, de la part de certains éléments du clergé, des jalousies voire des manifestations hostiles dont on ne sait rien. En 1292 en tout cas, à la fin de l’acte par lequel l’archevêque et le chapitre étaient requis de concéder deux cloches supplémentaires, Charles II demandait au sénéchal de veiller à ce que, à l’avenir, les hospitaliers ne soient plus molestés49. Trois années après l’acte passé à Aix avec le chapitre, c’est en des termes similaires que les hospitaliers de Manosque s’étaient accordés avec les chanoines de Forcalquier. La composition de 1237 avait confirmé l’inhumation des paroissiens dans le cimetière de l’Hôpital, sous réserve du versement de la quarte à la paroisse de résidence des défunts, excepté sur les dons d’armes et de chevaux50. Un contentieux à propos d’un cas déjà ancien, cependant, devait être soulevé par l’évêque Henri de Suse, qui avait une très haute idée de l’autorité dont devait être revêtu l’officium episcopi51. S’il manque un certain nombre de pièces au dossier, les antécédents en sont rapidement évoqués dans la Summa aurea, où Henri de Suse note que les hospitaliers avaient déjà échoué deux fois en appel face à lui52. Mais la question émerge dans les actes de la pratique à partir de mai 1248 seulement, lorsque l’évêque de Sisteron réclama la portion canonique, tant sur les legs effectués par le comte Guilhem II que sur les oblations faites à l’occasion de son élection de sépulture, détenus par les hospitaliers depuis 37 ans53. À partir d’une estimation des legs à hauteur de 2 000 marcs d’argent, c’est ainsi 14 000 livres de viennois plus 40 livres de frais de procès qui étaient ainsi exigées, un montant bien loin d’être symbolique, comme le note Thierry Pécout54. Un arbitrage consigné le 26 mai 1248 expose que le pape Innocent IV avait désigné 48 CGH, t. 3, no 3657 (1er avril 1278). 49 RCA, t. 38 (1991), p. 151, no 560 (22 avril 1292). 50 56 H 4651 (13 mars 1237). Le commandeur Faucon de Bonas s’engageait en outre à verser le tiers des 400 s. légués par Bertrand Felix « père et fils », preuve que la quotité de la quarte semblait modulable selon les circonstances. 51 L’envergure d’Henri de Suse a rendu célèbre ce différend, souvent cité par les historiens comme exemple paradigmatique des confrontations entre l’ordinaire et les ordres militaires. On peut s’en tenir à l’analyse de N. Didier, « Henri de Suse, évêque de Sisteron, 1244-1250 », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 31 (1953), p. 262-270 ; complétée pour une vue plus large par Th. Krämer, Dämonen, p. 274279, 362 et 386. Les démêlés avec les hospitaliers représentèrent un cas d’école pour le grand canoniste lui-même, qui revint dessus à plusieurs reprises dans sa Summa aurea et son Apparatus sur les Décrétales. 52 N. Didier, « Henri de Suse », p. 265. 53 56 H 4630, no 13 ; éd. N. Didier, « Henri de Suse », PJ no 7, p. 424-425. L’évocation des « trigenta et septem annis citra » permet de faire remonter le déclenchement de l’affaire à 1246. Le libelle n’est pas daté, mais le 4 mai 1248, l’évêque instituait un procureur pour gérer le dossier, tandis que cette partie de la procédure était consignée le 26 mai (56 H 4630, no 41 et 42). 54 Th. Pécout, « Dîme et institution épiscopale », p. 430. Contrairement à ce que laisse entendre l’auteur, au départ, la revendication portait seulement sur l’énorme legs du comte, et non sur les legs faits par les paroissiens inhumés dans le cimetière de l’Hôpital depuis 1209.

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trois arbitres – l’abbé de Lérins, un religieux du diocèse de Toulon et Peire de Fuveau, chanoine d’Aix – pour entendre la production de témoins souhaitée par Henri de Suse55. Le commandeur Raoul de Cadarache avait alors usé de toutes les manœuvres dilatoires possibles, y compris la récusation des juges56. C’est à ce point de la procédure, entamée sans doute depuis deux années, qu’intervint un changement d’acteurs : le commandeur Raoul de Cadarache, fragilisé par une autre affaire, laissa la place à Bérenger Monge, tandis que dans le courant de 1250, Humbert Fallavel remplaçait Henri de Suse au siège de Sisteron57. L’entrée du nouveau commandeur dans le dossier intervint en octobre 1249, lorsque celui-ci donna procuration au frère Guilhem de Pradelles, qui suivait les débats depuis leurs débuts58. C’est alors, sans doute, qu’intervint la préparation du dossier documentaire déjà évoqué dans un précédent chapitre : d’une part le cartulaire dit de Saint-Pierre regroupant les privilèges seigneuriaux et ecclésiastiques de la commanderie, d’autre part, l’état des biens fonciers et des droits seigneuriaux acquis par les hospitaliers dans les décennies précédentes59. L’introduction de cette dernière pièce dans la procédure semble, une fois encore, aller dans le sens d’un lien inextricable entre seigneurie foncière et juridiction spirituelle. En effet, si l’on ignore comment Guilhem de Pradelles avait l’intention d’utiliser ce relevé du temporel, sans doute s’agissait-il de prouver que l’essentiel des terres et des droits possédés par l’ordre provenait bien d’achats, et non de legs ou d’autres dons sur lesquels l’ordinaire aurait pu avoir quelque prétention. C’est encore dans cette phase du procès, probablement autour de mai 1251, que se place la mission qui emmena les émissaires de l’Hôpital à Gênes, afin de plaider leur cause auprès d’Innocent IV60. Cinq frères et trois serviteurs participèrent ainsi, aux côtés du juriste Robin et sans doute de Bérenger Monge lui-même, à ce déplacement qui put durer plus d’un mois61. Le dernier « round » intervint en août 1251, par un arbitrage confié cette fois à l’abbé de Lure, Guilhem de Barras, et au célèbre jurisconsulte Robert de Laveno. On apprend dans l’exposé des précédents que de nouvelles exigences étaient venues se greffer à la revendication initiale d’Henri de Suse : la portion canonique sur une vingtaine de fidèles inhumés à Saint-Pierre – dont sont donnés les noms

55 56 H 4630, no 42. La production de témoins n’a pas été conservée. 56 La question de la qualification des juges et les manœuvres tactiques utilisées par les parties dans les procès concernant les ordres militaires sont analysées par Th. Krämer, Dämonen, p. 576-601. 57 En attendant d’y revenir plus bas, sur les démêlés de Raoul de Cadarache avec l’archidiacre de Sisteron : F. Reynaud, La commanderie, p. 45 et 48-49. 58 56 H 4630, no 43 (20 octobre 1249). Guilhem de Pradelles est déjà cité comme procureur de l’Hôpital dans un passage de la Summa se référant aux débuts de l’affaire (N. Didier, « Henri de Suse », p. 265n). 59 56 H 849 ; 56 H 4630, no 13 gemine ; cf. supra chap. iv. 60 La proposition de datation revient à A. Venturini, « Un compte de voyage », p. 27-29. Le pape avait suivi l’affaire depuis ses origines et avait, par ailleurs, discuté avec Henri de Suse du problème de l’assiette de la portion canonique (N. Didier, « Henri de Suse », p. 265-269). 61 Le voyage aller, reconstitué par Alain Venturini d’après les comptes de la mission inscrits au dos du cartulaire, prit à lui-seul 17 jours (A. Venturini, « Un compte de voyage », p. 32-35).

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et la teneur des legs – était réclamée en plus à hauteur de 300 marcs, tandis que les hospitaliers étaient accusés d’occuper injustement les églises Saint-Étienne de Tairon et Saint-Pierre, au péril de leurs âmes et au scandale de tous62. Les enjeux de cette surenchère – qui peuvent relever d’autres équilibres internes à l’évêché et au chapitre – nous échappent et l’on s’en tiendra donc à la décision finale qui délivra l’Hôpital de toutes les revendications du clergé séculier contre le paiement de 15 000 sous63. Notons qu’à l’issue de quelque six années de procédure, l’exigence initiale d’Henri de Suse s’était trouvée considérablement réduite – de plus de 14 000 livres à 750 livres (= 15 000 sous) –, parce que l’enjeu essentiel, tant pour l’évêque que pour le chapitre, était surtout de rappeler leur pouvoir d’ordre sur les fidèles et les églises du territoire de Manosque64. En 1269, toutefois, une nouvelle composition dut préciser les attributions spirituelles des différentes églises du territoire, représentées par le recteur de Saint-Jean et Saint-Sauveur, le prévôt de Forcalquier, au nom des églises tenues par le chapitre, et le prieur de Notre-Dame, au nom des trois églises relevant de Saint-Victor de Marseille65. Les hospitaliers, cette fois-ci, n’étaient plus en cause. C’est donc en tant qu’arbitre, avec un chanoine et le sacriste de Sainte-Marie, que Bérenger Monge procéda au partage de l’autorité sacramentelle et de l’encadrement funéraire entre les différents lieux de culte, alors que l’Église entendait attacher chaque fidèle à sa paroisse, du baptême à la sépulture. Le règlement de 1251 assura donc une relative tranquillité aux hospitaliers de Manosque, à la différence de la commanderie voisine de Puimoisson, qui se heurta à l’évêque et au chapitre de Riez au cours des dernières décennies du xiiie siècle66. En même temps, les récriminations justement formulées au concile provincial de Riez en 1286, contre l’exemption des ordres militaires et des cisterciens, montrent que les enjeux dépassaient la question des droits funéraires et de la dîme67.

62 CGH, t. 2, no 2570 (28 juillet 1251 ; engagement des parties et choix des arbitres par l’évêque Humbert Fallavel et le prieur Féraud de Barras) ; 56 H 4630, no 13 (12 août 1251 ; arbitrage entre le chanoine Isnard de Charentesio et Guilhem de Pradelles, procureurs respectifs de l’évêque et du commandeur). Notons que Féraud de Barras procéda au choix des arbitres sur le conseil de Géraud Amic, commandeur de Gap, sans doute parce que ce frère avait assumé la direction de la commanderie de Manosque, entre le départ de Raoul de Cadarache et l’arrivée de Bérenger Monge (cf. An. B-2). 63 Trois quittances de l’évêque ont été conservées en date des 25 octobre 1251, 31 octobre 1252 et 1er septembre 1253, pour des sommes respectives de 5 000 s., 250 l. et 3 000 s. À l’issue du dernier paiement, l’évêque tenait quitte Bérenger Monge des 15 000 s. (56 H 4630, no 14 et 15). 64 Dans la Summa aurea, le versement de la portion canonique apparaît bien comme la marque éminente de la juridiction de l’évêque sur son diocèse (N. Didier, « Henri de Suse », p. 263-264). 65 Livre vert de Sisteron, f. 89-90, regeste dans M. Varano, Espace religieux et espace politique, vol. 3, no 113-114, p. 78-80 (1er et 10 juillet 1269). 66 Th. Pécout, « Un symptôme : le concile provincial de Riez », p. 127-129 ; Id., « L’évêque et le chapitre de Riez ». 67 CGH, t. 3, no 3887 ; Ch.-J. Héfélé, Histoire des conciles d’après les documents originaux, t. 9, Paris, 1873, p. 122-125. Sur le contexte régional et, plus largement, ecclésiologique de cette importante réunion : Th. Pécout, « Un symptôme : le concile provincial de Riez ».

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Entre juridiction de l’ordinaire et exemption pontificale : une difficile équation

En s’élevant contre les ordres exempts et privilégiés, accusés de ne pas respecter les censures ecclésiastiques et de recevoir des fidèles excommuniés à l’office ou comme affiliés, le clergé provençal reprenait une vieille rengaine contre les ordres militaires, déjà entendue aussi bien dans les synodes locaux que dans les conciles généraux68. Sans doute, pour le clergé séculier, le cœur du problème résidait-il dans l’exemption dont jouissaient les lieux de culte relevant de l’Hôpital69. C’est bien la raison pour laquelle, les compositions s’attachaient à encadrer les attributions spirituelles de leurs desservants, sans omettre de réclamer les prélèvements récognitifs du pouvoir d’ordre, comme le cens épiscopal. Pour se limiter à cet exemple, l’accord intervenu à Aix en 1234 interdit l’administration des sacrements à l’intérieur de la clôture de la maison hospitalière et réglementait l’accueil des fidèles aux fêtes solennelles70. Tandis que chaque nouveau commandeur ou prieur d’Aix s’engageait devant les chanoines à observer fidèlement le règlement, l’Hôpital devait s’acquitter d’un cens de 6 livres de cire à Pâques au profit de l’archevêque. Il en va de même à Manosque où le cens d’une livre d’encens symbolisant la juridiction des chanoines sur l’église Saint-Pierre est systématiquement mentionné dans les différentes confirmations et compositions, tout comme les 3 sous dûs pour Saint-Étienne de Tairon71. Outre ce type de redevance, destinée à rappeler l’attachement de l’église à l’episcopatus, la fiscalité épiscopale consistait principalement dans le versement de la taxe synodale et d’un droit de visite72. Les comptes de Manosque mentionnent des dépenses au profit de l’évêque, dont il n’apparaît pas clairement si elles ont trait à une redevance épiscopale ou bien si elles sont induites par une visite du prélat73. Les références à une « collecta » impliquant une redevance quérable, ou bien à une « procuratio » liée à l’église Saint-Pierre en 1288, supposent toutefois le déplacement effectif, si ce n’est de l’évêque, au moins de l’archidiacre74. Les mêmes documents attestent par 68 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 437-439 ; et sur la question spécifique des affiliés : Ch. de Miramon, Les “donnés” au Moyen Âge. Une forme de vie religieuse laïque. v. 1180-v. 1500, Paris, 1999, p. 132-134. 69 Un bon tour d’horizon sur la question : Th. Krämer, Dämonen, p. 106-117. 70 56 H 4175 (28 juillet 1234). 71 56 H 849, no 16 (1168 ; accord entre le prévôt de Forcalquier et le grand prieur) ; N. Didier, Les églises de Sisteron et de Forcalquier du xie siècle à la Révolution. Le problème de la “concathédralité”, Paris, 1954, PJ no 5, p. 193 (avril 1173) et no 6, p. 195 (25 mai 1179) ; 56 H 849, no 19 (1239). 72 Sur la généralisation des redevances épiscopales : F. Mazel, L’évêque et le territoire, p. 248-252 et 327-331 ; Th. Pécout, « Dîme et institution épiscopale », p. 428-429. 73 56 H 835, f. 17 (iiii d. in expensis pro episcopo ; 13 mars 1261), f. 29 (in collecta domini episcopi xiiii sol. ; 25 juin 1262), f. 35 (xxi sol. minus ii d. in expensis domini episcopi ; 21 janvier 1263), etc. L’enquête de 1338 relève les frais de visite à Manosque de l’évêque de Sisteron et même de l’archevêque d’Aix, mais on a dit le caractère coutumier et quasi-normatif de telles mentions (VGPSG, p. 359). Rappelons qu’au xiiie siècle, la pratique de la visite épiscopale, souvent déléguée à l’archidiacre, n’était pas encore régulière (F. Mazel, L’évêque et le territoire, p. 319-321). 74 Item xxviiii s. et ii d. pro procuratione domini episcopi Sistaricensis ecclesie Sancti Petri (CoHMa, § 243 ; 14 mars 1288). Les modalités du prélèvement apparaissent plus clairement dans le diocèse de Riez où les hospitaliers de Puimoisson versaient un cathedraticum en numéraire et assumaient en plus les

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ailleurs que le sacriste de Saint-Pierre ou bien le chapelain se rendaient régulièrement au synode à Sisteron et, par conséquent, devaient verser la redevance afférente à cette occasion75. Les hospitaliers se plièrent donc à une fiscalité qu’il ne faut évidemment pas réduire à sa dimension symbolique, mais dont il est impossible d’estimer le poids au regard des revenus générés par leurs églises. En revanche, à Manosque, le majus dominium les incita sans doute à empiéter sur des champs qui relevaient plutôt de la juridiction de l’ordinaire. C’est ce qu’illustre l’affaire qui précéda la prise de fonction de Bérenger Monge et dans laquelle s’illustra Raoul de Cadarache. Au prétexte qu’ils avaient dérogé au serment d’obéissance dû au commandeur, celui-ci avait chassé les desservants d’un hôpital situé vers la porte d’En-Gauch, tandis que des clercs avaient été jugés et châtiés par la justice de l’Hôpital. Cette violation des privilèges ecclésiastiques avait paru assez grave pour que l’archidiacre de Sisteron, au nom de l’évêque, mît la ville en interdit76. Si Raoul de Cadarache avait fait appel au pape en avril 1248, la documentation n’a gardé aucune trace des suites de l’affaire77. On ne peut que constater la disparition opportune de l’impétueux commandeur – qui peut avoir été écarté par sa hiérarchie – puis l’apparition de Bérenger Monge, après le court intermède de Géraud Amic de Sabran78. En contraste avec les agissements de ce commandeur scandaleux, Bérenger Monge semble s’être montré plus respectueux de la juridiction épiscopale, même s’il faut toujours se méfier des silences des archives. C’est, en effet, à la toute fin du siècle que les relations semblèrent se tendre à nouveau, lorsque la cour de Manosque et l’officialité de Sisteron se disputèrent un certain nombre de cas, relevant du for ecclésiastique ou du droit d’asile79. Certaines affaires se formalisèrent autour de la

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frais occasionnés par la collecte du cens en nature au profit de l’évêque et du chapitre (56 H 4832 ; éd. Th. Pécout, « Dîme et institution épiscopale », annexe 3, p. 463-465 ; 25 août 1246). 56 H 835, f. 39 (in expensis synode quas fecit sacerdos v sol. ; 20 mai 1263), f. 45v (Item Gerardus sacerdos palatii quando ivit ad sinodum iii sol. minus ii d. ; 11 novembre 1263), etc. ; CoHMa, § 14, 45, 66, 150, 201, 252, 275, 306, 357. Pour le diocèse d’Aix, le relevé de la taxe synodale pour 1251 mentionne également une contribution de 3 l. de l’église Saint-Jean d’Aix (É. Clouzot et M. Prou, Pouillés des provinces d’Aix, d’Arles et d’Embrun, Paris, 1923, p. 7). En 1286, les prélats présents au concile de Riez dénoncèrent encore les ordres militaires qui n’hésitaient pas à envahir les maisons religieuses du diocèse (CGH, t. 3, no 3887). On ignore si ces plaintes faisaient encore écho au souvenir de l’affaire intervenue à Manosque près de 40 ans plus tôt. Tout ce que l’on en sait est justement repris dans l’argumentaire de l’appel de Raoul de Cadarache, au nom de l’Hôpital (56 H 4652 ; avril 1248) ; cf. F. Reynaud, La commanderie, p. 45. Géraud Amic apparaît comme commandeur de Manosque dans un seul acte daté du 15 mars 1249 (Bibl. mun. d’Aix, ms. 339, p. 249/9). Il venait de la commanderie d’Orange, qu’il dirigea de 1240 à 1247, et devint ensuite commandeur d’Avignon où il est mentionné en 1253 (F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin xe-début xive siècle. L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, 2002, p. 466). Raoul de Cadarache n’a, à ma connaissance, pas laissé d’autres traces. Entre 1300 et 1306, les deux tribunaux se disputèrent le cas de quatre malfaiteurs réfugiés dans l’église Notre-Dame, où les hospitaliers les avaient arrêtés pour les juger. L’évêque argua d’une violation du droit d’asile, tandis que l’ordre fit valoir sa juridiction sur ces homines Hospitalis et le fait qu’ils étaient, à ce titre, « exempts de la juridiction ordinaire ». Les hospitaliers, refusant de comparaître devant l’officialité, en appelèrent au pape (56 H 4653 ; 22 septembre 1300 ; 20 et 25 mai 1306).

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question de l’excommunication, précisément au moment où s’intensifiait le recours à cette sanction spirituelle80. On voit ainsi, en 1298, l’officialité de Sisteron et la cour de Manosque se disputer le jugement d’un clerc marié. Dans le cadre d’une concurrence classique entre juridictions temporelle et ecclésiastique, l’official n’avait pas hésité à menacer d’excommunication le bayle Imbert de Salavacio et les deux notaires s’ils n’annulaient pas la condamnation litigieuse81. En l’absence d’investigations sur le traitement réservé aux clercs dans les registres judiciaires de Manosque, on ne retiendra pas grand-chose de cette affaire isolée, si ce n’est la banalisation du recours à la sanction ecclésiastique. Or, c’est précisément dans un tel esprit que les justiciables de Manosque semblent avoir été tentés de se tourner vers la juridiction spirituelle de l’évêque pour régler des différends de nature bien matérielle. Contre ce qu’elle considérait comme une atteinte à ses propres prérogatives sur les « hommes de l’Hôpital », la cour de Manosque n’avait d’autre alternative que de menacer d’amende ceux qui s’avisaient de porter leurs causes civiles devant la cour de l’évêque. Joseph Shatzmiller a ainsi relevé que les prêteurs juifs n’hésitaient pas à en appeler à l’évêque de Sisteron pour obtenir l’excommunication des mauvais payeurs82. Mieux encore, les juifs pouvaient s’adresser à l’officialité dans les contentieux qui les opposaient entre eux et obtenir ainsi l’excommunication de leurs coreligionnaires. De telles situations obligeaient alors la cour de Manosque à se retourner contre ces mauvais justiciables qui transgressaient l’autorité juridictionnelle de l’Hôpital83. Sans aller plus loin – car il aurait fallu pour cela reprendre les registres judiciaires à cette aune –, ces quelques affaires révèlent deux tendances : d’une part, le clair affermissement de la juridiction épiscopale, servie par la structuration de l’officialité et capable d’ébranler la toute puissance de la seigneurie hospitalière ; d’autre part, la porosité entre les champs spirituel et temporel qui pouvait conduire les habitants de Manosque à un usage « judiciarisé » et banalisé de l’excommunication, tandis que la curia Hospitalis ne faisait, elle, pas toujours grand cas du for ecclésiastique84. Tout au long de son implantation en Provence et de la phase de consolidation des commanderies, l’Hôpital a bénéficié de l’attention soutenue du Siège apostolique. Du milieu du xiie siècle jusqu’au dénouement de l’affaire, en 1209, les pontifes successifs ont conforté les droits légitimes de l’ordre à la succession des comtes de Forcalquier à Manosque, en même temps qu’ils ont confirmé les églises et

80 F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, p. 455-458. La place des sanctions spirituelles dans la législation synodale va dans le même sens : au concile de Riez de 1286, quatre canons sur une vingtaine se préoccupèrent des excommuniés (C.-J. Héfélé, Histoire des conciles, p. 123-124, can. 8-10 et 15). 81 L’affaire est connue par l’appel de la cour de l’Hôpital à l’évêque contre la menace d’excommunication (56 H 4652 ; 6 juillet 1298). 82 J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé, p. 25-26. 83 J. Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive de Manosque, p. 40-49. 84 La dissociation très progressive des fors est encore suggérée par le caractère longtemps interchangeable des fonctions de juge épiscopal et d’official (Th. Pécout, « Les justices temporelles des évêques de Provence du milieu du xiiie au début du xive siècle », in J.-P. Boyer et alii (dir.), La justice temporelle dans les territoires angevins aux xiiie et xive siècles. Théories et pratiques, Rome, 2005, p. 385-386).

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droits spirituels reçus du clergé séculier85. Il en fut de même à Aix où Innocent IV puis Alexandre IV ont soutenu la construction de l’église Saint-Jean par l’octroi d’indulgences, tandis que Clément IV a poussé Charles d’Anjou à rapatrier le corps de la reine Béatrice en Provence86. D’ailleurs, la politique de conservation des lettres et privilèges reçus de la chancellerie apostolique illustre bien le rôle-clé de Rome dans l’institutionnalisation de l’Hôpital, à l’échelle de la province comme de chaque commanderie. À l’instar d’autres fondations religieuses, chaque maison conservait ainsi son « bullaire » – pour reprendre un terme popularisé par les éditeurs du xixe siècle –, non sous la forme de registres mais de collections de titres87. On a rappelé, toutefois, comment la refondation des chartriers aux xviiie-xixe siècles a défait la logique des classements antérieurs. Si tant est que cela soit possible, il faudrait donc une enquête serrée pour reconstituer la collection médiévale de chaque commanderie en repartant des inventaires d’époque moderne88. Pour le seul prieuré d’Aix, on recensait ainsi près d’une centaine de pièces au début du xviiie siècle, avant que ne soit justement constituée la série des « titres généraux »89. Pour Manosque, l’inventaire de 1531, qui intègre en outre les fameuses « chartes de Syrie », analyse au bas mot 400 bulles90. Outre les difficultés paléographiques, l’imprécision des analyses – dates incomplètes, absence de mention du pape parfois – compliquent toutefois la collation avec les bulles effectivement conservées ou bien recensées par Joseph Delaville le Roulx et Rudolf Hiestand91. À côté des privilèges généraux, les hospitaliers prirent soin d’attester des mesures de protection ou d’exemption octroyées dans des cas précis. À Aix comme à Manosque, Bérenger Monge s’est 85 Cf. An. I, C, no 1-5, 7. Les hospitaliers ont pris soin de retranscrire toutes ces confirmations dans le « cartulaire de Saint-Pierre » (cf. tabl. 7). 86 Cf. An. I, C, no 12 et 24. 87 Les lettres pontificales conservées dans la longue durée, sous forme de bulles originales et de copies authentifiées, forment « le cœur du trésor documentaire » des maisons bénédictines, cisterciennes ou mendiantes (P. Bertrand, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (1250-1350), Paris, 2015, p. 31-32). Les ordres militaires sont, une fois de plus, oubliés dans ce panorama, malgré l’ampleur des gisements documentaires émanant de la chancellerie pontificale et conservés dans les fonds des différents grands prieurés. À cet égard, un monumental travail d’inventaire a pourtant été fait depuis longtemps par R. Hiestand, Papsturkunden für Templer und Johanniter. Archivberichte und Texte, Göttingen, 1972, p. 47-72 pour la Provence. 88 Les bulles pontificales figurent naturellement en bonne place dans les inventaires des privilèges de l’ordre : 56 H 86, f. 32-68 (« Livre des privilèges » constitué à partir des titres conservés à la cour des comptes d’Aix, 1526) ; 56 H 2, f. 1-14 (Privilèges et titres généraux, 1701-1704). 89 56 H 50, f. 2. 90 56 H 68. Plus de 200 titres contenant les privilèges généraux et ceux de Terre sainte sont relevés pour le seul xiie siècle par R. Hiestand, Papsturkunden für Templer und Johanniter. Neue Folge, Göttingen, 1984, p. 19-28. Rappelons que 318 « pièces de Terre sainte » furent encore inventoriées au début du xviiie siècle par Jean Raybaud ( J. Delaville le Roulx, Inventaire des pièces de Terre sainte de l’ordre de l’Hôpital, Paris, 1895). Toutefois, par rapport à 1531, on n’y retrouve plus que quelques bulles, ce qui laisse supposer que la plupart avaient déjà été distraites de cette collection relative à l’Orient latin. 91 Ainsi, les frères d’Aix et de Manosque avaient bien sous la main les preuves qui fondaient en droit leur capacité à inhumer familiers et paroissiens et à recevoir des legs. Mais je n’ai repéré que quelques références issues d’un arsenal de privilèges régulièrement actualisé par les confirmations et repromulgations (An. I, C, no 6, 8 et 13).

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ainsi préoccupé de réactualiser par des vidimus, les diverses exemptions de taxes dont bénéficiaient les hospitaliers de Provence92. Le dernier tiers du xiiie siècle a vu, en effet, s’accroître la pression fiscale émanant de la papauté elle-même, notamment par l’intermédiaire de la décime destinée au financement de la croisade, d’abord en Terre sainte puis au profit de la conquête de la Sicile93. Les ordres militaires étaient parvenus à s’affranchir de cette décime, mais les nombreux rappels à l’ordre de la chancellerie pontificale laissent penser que, sur le terrain, les collecteurs ne respectaient pas toujours les privilèges des commanderies94. Le 17 mai 1275, flanqué de son conseiller juridique Jaume Robini et de son notaire Sitius d’Arezzo, Bérenger Monge prit ainsi soin de faire vidimer, par l’évêque Alain de Luzarches, la bulle d’exemption de la décime décrétée par Grégoire X95. D’autre part, j’ai déjà signalé les demandes répétées du Siège apostolique, pendant toute la deuxième moitié du xiiie siècle, auprès des prélats provençaux pour qu’ils annulent les aliénations consenties par l’Hôpital et qu’ils sanctionnent les usurpateurs des biens de l’ordre96. On a expliqué ces bulles, dont la commanderie de Manosque conservait sans doute plusieurs exemplaires, par l’endettement de l’ordre. Cependant, les dîmes se trouvent citées parmi les possessions menacées d’usurpation, tandis que parfois furent plus explicitement visés les détenteurs de dîmes, sans toutefois que leur identité fût précisée97. Par exemple, on ignore si les « fils iniques » et autres « détenteurs cachés » qui, dans le diocèse de Sisteron, retenaient pour eux des dîmes, cens, legs et autres revenus, étaient des laïcs encore en possession de parts de spiritualia ou bien des ecclésiastiques disputant aux commanderies les revenus de quelques églises. L’affaire fut, en tout cas, assez grave pour qu’en 1274 puis 1276, le prévôt de Forcalquier et l’évêque Alain de Luzarches soient invités à mettre un terme à cette situation98. S’il est donc difficile de relier à des situations particulières ces multiples interventions papales, celles-ci confirment bien l’attention particulière attachée à la dîme. Les plaintes qui arrivaient à l’oreille du pontife, en général sous couvert du prieur de Saint-Gilles, confirment la régularité des échanges entre la province de l’Hôpital et la curie. Au xiiie siècle, les hospitaliers ne disposaient sans doute pas

92 An. I, C n.° 20 et 29 ; autres vidimus possiblement attribuables à Bérenger Monge : no 33 et 37. 93 N. Housley, The Italian Crusades. The Papal-Angevin Alliance and the Crusades against Christian Lay Powers, 1254-1343, Oxford, 1982, p. 174-177 ; D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 494 et 501 ; Th. Pécout, « Dîme et institution épiscopale », p. 428-429. 94 An. I, C, no 17, 21, 28 et 35. 95 56 H 4022 ; vidimus de la bulle du 6 avril 1275 ; An. I, C, no 29. L’Hôpital d’Aix, le commandeur de Manosque et les églises Saint-Pierre et Saint-Étienne de Manosque figurent au nombre des exempts dans la levée de 1274 (É. Clouzot et M. Prou, Pouillés des provinces d’Aix, p. 9 et 121). 96 Cf. supra chap. iv ; An. I, C, no 10, 14, 16, 25, 27, 32 et 33. Le 13 août d’un pontificat non précisé, l’évêque d’Orange était encore sommé d’intervenir dans le diocèse de Sisteron pour révoquer les biens aliénés par la commanderie de Manosque (56 H 68, f. 562v ; inventaire de 1531). 97 An. I, C, no 26 et 30. 98 CGH, t. 3, no 3532 (7 mars 1274), no 3597 (13 avril 1276) et no 3614 (5 novembre 1276). Parce que, dans la seconde moitié du xiiie et au siècle suivant, la papauté multiplia les requêtes auprès de divers prélats pour que ceux-ci protègent les biens des ordres militaires, Thomas Krämer a créé une catégorie spéciale de délégués pontificaux qu’il appelle « restituteurs » (Th. Krämer, Dämonen, p. 399-404).

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encore de procureurs permanents en cour de Rome, mais ils avaient toujours su, par le biais de l’appel à l’autorité suprême, bénéficier d’avantageuses interventions des légats99. Cela avait été le cas à Manosque, dans la bataille procédurale autour de l’héritage des comtes de Forcalquier, jusqu’à l’abolition du consulat par maître Thédise en 1212100. Par la suite, dans les controverses qui les opposèrent au clergé séculier, les commandeurs de Manosque cherchèrent toujours l’appui de délégués directs du Siège apostolique. Thomas Krämer a ainsi montré comment, en ne prétendant relever que du pape, l’ordre parvint à plusieurs reprises à faire récuser les arbitres101. L’Hôpital put apparaître comme particulièrement intouchable à l’époque des prieurs Féraud de Barras et Guillaume de Villaret qui entretinrent, l’un et l’autre, des relations privilégiées avec les papes, notamment Clément IV et Grégoire X102. À partir de ce dernier pape, la Provence a constitué le terrain d’une remarquable convergence d’intérêts, autour de l’organisation de la croisade mais aussi de l’implication de certains dignitaires hospitaliers dans la garde du Comtat Venaissin103. Or, dans ce cadre, le second concile général de Lyon représenta, à plusieurs titres, un tournant dans la relation de confiance entre l’ordre militaire et la papauté104. En tant qu’objectif prioritaire de l’assemblée réunie entre le 7 mai et le 17 juillet 1274, l’organisation des secours à la Terre sainte plaça l’Hôpital et le Temple au centre des attentions105. Dans la perspective plus globale d’une réforme de l’Église, on discuta donc de la façon d’améliorer l’efficacité des ordres militaires en évoquant, déjà, la

99 Seuls les teutoniques disposaient d’un procureur permanent à la curie dès les années 1230 (Th. Krämer, Dämonen, p. 343 et 412). La procuration exercée par les légats ou autres envoyés du pape donnait prétexte à une taxe qui apparaît dans les comptes de 1338 (Item pro legatis et cursoribus domini nostri pape communiter omni anno, libras duas, solidos decem ; VGPSG, p. 359). Celle-ci pouvait grever le budget des maisons les plus fragiles, comme il appert de la demande, faite par Boniface VIII au prévôt d’Arles, de veiller à ce que les hôpitaux et autres dépendances de l’ordre de Saint-Jean ne soient pas soumis à la taxe dans une proportion excédant leurs ressources (CGH, t. 3, no 4337 ; 31 janvier 1297). 100 D. Carraz, « Aux origines de la commanderie de Manosque », p. 146-147. 101 Th. Krämer, Dämonen, p. 362 (affaire Raoul de Cadarache en 1247), p. 386 (contre Henri de Suse), p. 441 (conflit de juridiction avec l’évêque de Sisteron en 1306). 102 An. II, D-1, no 5 et 6. On voit, par exemple, un courrier partir pour Rome fin février 1262, à un moment où le prieur résidait probablement à Manosque (56 H 835, f. 16v ; 27 février 1261/2). Sur les liens entre Clément IV et Féraud de Barras, voir encore : C.-A. Nicolas, Un pape Saint-Gillois. Clément IV dans le monde et dans l’Église (1195-1268), Nîmes, 1910, p. 283-285. 103 D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 472-476 et 483-487. La question a été approfondie dans une autre perspective par V. Theis, Le gouvernement pontifical, notamment p. 137-146. Plus généralement, sur les liens anciens et soutenus entre le Siège apostolique et l’Hôpital : F. Tommasi, « Giovanniti al servizio dei papi (secc. xiii-xiv in.) », in Ph. Josserand et alii (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, Madrid, 2015, p. 293-319. 104 G. Alberigo, Les conciles œcuméniques, t. II-1, p. 637-689. 105 Le traitement de la croisade au concile a fait l’objet d’une abondante littérature. En faisant abstraction de certains topoï – comme la corruption des ordres militaires –, l’une des meilleures analyses reste, à mon sens, celle de P. A. Throop, Criticism of the Crusade. A Study of Public Opinion and Crusading Propaganda, Amsterdam, 1940, p. 214-261.

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possibilité de leur union106. Le maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, avait fait le déplacement, tandis que la délégation de l’Hôpital, apparemment nombreuse, était conduite par le frère Guillaume de Corcelles107. Partis de l’Orient latin en transitant par le royaume de Sicile, ce dernier et sa suite avaient très probablement débarqué en Provence pour gagner la vallée du Rhône108. Probablement furent-ils rejoints à cette étape par quelques frères provençaux, parmi lesquels Guillaume de Villaret, qui fut bien présent à Lyon pour recevoir, des mains du pape, l’administration du Venaissin109. Au nombre des dignitaires provençaux purent encore se trouver le commandeur d’Orange Raimond de Grasse, qui reçut à Lyon la charge de sénéchal du Venaissin, ainsi que Bérenger Monge110. J’ai supposé, en effet, que ce dernier pouvait être à l’initiative des interventions de Grégoire X contre l’aliénation des biens de l’ordre – sinon, comment expliquer que tant de bulles concernent plutôt les diocèses de Haute-Provence ? D’autre part, même si c’est ici un argument fragile, nous avons vu la promptitude avec laquelle le commandeur fit appliquer à Manosque le décret adopté à Lyon sur la sacralité des cimetières. Outre la croisade et la réforme des ordres militaires, les discussions du concile illustrent pleinement les préoccupations relatives à l’encadrement pastoral, lui-même étroitement relié au renforcement de l’officium episcopi. Or, dans cette perspective, il faut revenir sur le consilium rédigé à l’attention des délégués du Temple et de l’Hôpital qui furent envoyés à Lyon pour plaider la cause des ordres. Conservé dans le fonds du grand prieuré de Saint-Gilles, ce document est, certes, connu depuis longtemps mais

106 L’union des deux ordres demeura par la suite au centre des débats jusqu’au procès du Temple. Relevons qu’en 1293, le Temple et l’Hôpital convoquèrent, à deux mois d’intervalle, une importante réunion à Montpellier : Jacques de Molay présida un chapitre général début août, tandis que Guillaume de Villaret tint un chapitre provincial, exceptionnel en ce lieu, début octobre (A. Demurger, Jacques de Molay. Le crépuscule des templiers, Paris, 2002, p. 118-119 ; et fig. 18). Hasard de calendrier ou bien les hauts dignitaires des deux ordres avaient-ils prévu de se rencontrer pour discuter de questions communes ? 107 J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, Florence-Venise, t. 24, 1780, col. 62 et 132-134. « fuit etiam de ordine Hospitalis sancti Johanni frater Guillelmus de Corcellis cum pluribus aliis fratribus et discretis personis ejusdem ordinis », devait plus tard se rappeler Jacques de Molay dans son mémoire sur l’union des ordres (CGH, t. 4, no 4680 [1305]). Sur Guillaume de Corcelles : J. Burgtorf, The Central Convent of Hospitallers and Templars. History, Organization, and Personnel (1099/1120-1310), Leyde, 2008, p. 669-670. Après le concile, ce frère poursuivit sa mission diplomatique au service de l’organisation de la croisade et Grégoire X lui demanda notamment de collaborer avec le légat Simon de Brie (CGH, t. 3, no 3553 ; 15 octobre 1274). 108 L’arrivée de ce frère et d’autres délégués de Terre sainte dans le royaume de Sicile fut annoncée en janvier 1274 (RCA, t. 11 (1958), p. 136, no 224 : Charles Ier accorde un sauf-conduit à Guillaume de Corcelles, frère de l’Hôpital d’Acre, et à trois autres envoyés au concile général de Lyon). 109 La bulle de nomination de Villaret comme administrateur du Venaissin date du 27 avril 1274 (CGH, t. 3, no 3536). Jean Raybaud confirme que Villaret était alors à Lyon pour rencontrer le pape ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, p. 190-191). Il n’est pas exclu, toutefois, que le prieur de Saint-Gilles arrivât dès le début du mois de mars, lorsqu’il présenta au pape une pétition sur l’usurpation des biens de l’ordre (CGH, t. 3, no 3532 ; 7 mars 1274). 110 Sur Raimond de Grasse, recommandé par Villaret : J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, p. 191 ; CGH, t. 3, p. 56-57n ; V. Theis, Le gouvernement pontifical, p. 143.

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soulève encore des problèmes d’interprétation111. Ce modeste billet de parchemin à l’écriture assurée développe des arguments structurés et pleinement au fait du contexte général, à la fois en Orient et en Occident (ill. B, no 13). Or, si le Temple et l’Hôpital avaient manifestement prévu de parler d’une seule voix, le mémorandum s’adresse aux pères conciliaires uniquement au nom de l’un des deux ordres. À la suite d’Alan Forey, il est inutile d’en reprendre la critique interne qui semble bien prouver que ce texte parle pour l’Hôpital et non pour le Temple112. En revanche, je ne crois pas que ce billet ait été écrit en Orient, mais bien en Provence113. Outre qu’on le trouve aujourd’hui dans le fonds du grand prieuré de Saint-Gilles, les éléments qui viennent d’être évoqués ramènent, me semble-t-il, ce texte à la Provence. À preuve encore, l’insistance du consilium sur la nécessité de défendre les privilèges de l’Hôpital contre l’ordinaire, fait bien écho aux conflits déclenchés par le clergé séculier contre les églises relevant des commanderies. À côté des considérations sur les missions de l’ordre, le rappel du rattachement direct à l’Église romaine et des afflictions endurées par ces attaques contre les privilèges, forme bien le cœur d’un propos soigneusement argumenté114. On ignore si ce « méchant bout de parchemin », pour reprendre l’expression de Paul Amargier, fut effectivement lu devant les pères du concile – pourquoi pas par Guillaume de Villaret en personne ? Toujours est-il que quelqu’un plaida bien la cause de l’Hôpital au point que, dans les mois qui suivirent l’assemblée, Grégoire X confirma l’exemption de l’ordre et défendit aux autorités diocésaines d’user de sanctions ecclésiastiques contre ses membres115. Le concile de Lyon ne mit en rien fin aux tensions entre les ordres militaires et le clergé séculier. En 1286, le concile provincial de Riez, qui prolonge tout à fait l’esprit 111 56 H 5168 ; 43,5 × 14 cm. Édité une première fois par Heinrich Prutz qui l’avait déjà associé à l’Hôpital, le document a fait l’objet d’un commentaire linéaire par Paul Amargier. Ce dernier l’a attribué au Temple, sans se référer à l’édition de Prutz, vraisemblablement ignorée. En dernière analyse, Alan Forey l’a, avec des arguments convaincants, réattribué à l’Hôpital : H. Prutz, Entwicklung und Untergang des Tempelherrenordens. Mit Benutzung bisher ungedruckler Materialen, Berlin, 1888, p. 103-105 et 313-314 ; P. Amargier, « La défense de l’ordre du Temple devant le concile de Lyon en 1274 », in M. Mollat (dir.), 1274, année charnière : mutations et continuité, Paris, 1977, p. 495-501 ; A. Forey, « A Hospitaller Consilium (1274) and the Explanations advanced by Military Orders from Problems confronting them in Holy Land in the Later thirteenth Century », in Die Ritterorden in Umbruchs- und Krisenzeiten, Torun, 2011, p. 7-17. 112 A. Forey, « A Hospitaller Consilium », p. 8-9. Même s’il s’agit là d’une impression subjective, je rajouterai que le lexique utilisé relève plutôt du langage de l’Hôpital (ill. B, no 13 : nostra religio, l. 19 ; filii sumus obedientie, l. 59). 113 Contra A. Forey, « A Hospitaller Consilium », p. 9, tandis que P. Amargier, « La défense de l’ordre », p. 499, avait raison sur ce point. 114 Ill. B, no 13, l. 12-36. Le décret Volentes contra nos sur l’exemption (l. 12) doit être attribué à Innocent IV (autour de 1250-début 1251) et non à Innocent II, comme le pensait Paul Amargier (A. Forey, « A Hospitaller Consilium », p. 12-13). Or, la référence à cette constitution et, de manière générale, la clarté des positions exprimées, laissent penser que les auteurs ont pu recourir aux conseils de spécialistes liés aux milieux pontificaux. Du reste, la première ligne du consilium n’incite-t-elle pas les délégués des deux ordres à s’appuyer sur quelques cardinaux ou autres amis pour défendre leurs droits ? 115 CGH, t. 3, no 3547 (27 septembre 1274, Lyon : Grégoire X met l’Hôpital sous la protection du Siège apostolique, confirme toutes les exemptions et relève ses bienfaiteurs du 7e de leurs pénitences), et no 3559 (17 novembre 1274, Lyon : Grégoire X défend aux autorités diocésaines d’excommunier, interdire ou suspendre les hospitaliers).

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de la réunion générale de Lyon, porta les mêmes récriminations contre les ordres privilégiés116. Le resserrement des liens entre l’Hôpital et la papauté, notamment dans le cadre d’une redéfinition de la stratégie de croisade, n’en était pas moins acquis. Outre l’envergure de Guillaume de Villaret et ses probables relations personnelles avec le pape, il fait peu de doute que les capacités administratives des hospitaliers, ainsi que la couverture territoriale du réseau des commanderies, jouèrent dans l’attribution de la garde du Comtat117. C’est dans une perspective similaire que Bérenger Monge lui-même, alors qu’il était sans doute déjà âgé, se vit confier une mission, certes bien plus anecdotique. En 1296, Boniface VIII demanda en effet au commandeur d’Aix d’assumer la garde des bénéfices placés sous séquestre du chanoine Pietro di Malespina, qui était alors confronté à l’évêque d’Avignon118. Les hospitaliers paraissaient alors assez proches de l’esprit de réforme soutenu par les milieux pontificaux pour qu’on leur confiât encore, avec plus ou moins de réussite, certaines maisons religieuses tombées en déshérence. Le cas de l’hôpital de Bonpas, que Grégoire X remit directement à Guillaume de Villaret à l’été 1275, est assez connu119. Resterait à ouvrir le dossier de la maison chalaisienne de Clairecombe, au diocèse de Gap, rattachée à la commanderie de Saint-Pierre-Avez120. Bien sûr, on ne saurait isoler la Provence d’une politique plus large de la papauté qui, dans ses États italiens, s’appuya également sur le potentiel militaire et administratif de l’Hôpital121. Or, c’est sous les auspices de ces pontifes sensibles aux intérêts capétiens, comme Grégoire X ou son prédécesseur Clément IV, que se formalisa une alliance objective entre l’Hôpital et les princes Angevins.

À l’ombre de l’État angevin Segnoria et regalia : le commandeur et le prince

Au cours de sa longue vie, Bérenger Monge aura connu deux souverains à la tête du comté de Provence. Hasard de la conservation documentaire, sa première apparition aux responsabilités, en février 1246, coïncida, à quelques semaines près,

116 CGH, t. 3, no 3887. Sur la réception des canons du concile de Lyon en Provence et sur la présence des évêques de Sisteron et de Riez : Th. Pécout, « L’évêque et le chapitre de Riez », p. 120 et 124-126. 117 Outre ses qualités personnelles participant de l’habituelle rhétorique – confiance et sagesse –, le pape relevait que Villaret avait à disposition des officiers opérationnels (CGH, t. 3, no 3536 ; 27 avril 1274). Brèves remarques sur le réseau de l’Hôpital en Venaissin : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 474. 118 CGH, t. 3, no 4322 (10 septembre 1296). Le 2 avril 1300, le pape ordonnait aux hospitaliers d’Aix de rendre les biens à son détenteur (CGH, t. 3, no 4493). Contexte : Th. Pécout, Ultima ratio, p. 80. 119 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, p. 192 ; D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 475-476. 120 La dévolution de cette maison à l’Hôpital, à la suite d’une crise interne et avec l’intervention du lignage de Mévouillon, semble un peu compliquée (cf. CoHMa, p. 43n). Quelques pièces du dossier sont citées par J. Roman, Tableau historique du département des Hautes-Alpes, vol. 2, Inventaire et analyse des documents du Moyen Âge relatifs au haut Dauphiné, 561-1500, Paris-Grenoble, 1890, p. 100, 114, 125. 121 Sur la collaboration, notamment militaire, des hospitaliers dans le Patrimoine de Saint-Pierre : F. Tommasi, « Giovanniti al servizio dei papi », p. 303-306.

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avec l’avènement de Charles Ier d’Anjou122. Or, du fait de son propre rayon d’action entre Aix et Manosque, le commandeur fut bien placé pour observer les entreprises de ce nouvel État angevin, qui portèrent une attention toute particulière aux hautes terres de Provence123. Dans la capitale, toutefois, ce n’est que tardivement que le prince apparaît dans les actes relatifs à l’Hôpital, presque par la force des choses, d’ailleurs, lorsque Charles Ier assuma le choix de son épouse de reposer en l’église Saint-Jean. Sans doute dut-il y avoir des contacts avant les années 1270, peut-être par l’intermédiaire d’hommes qui servirent de relai avec l’administration précédente, comme le notaire Raimond Scriptor. Précisément au moment où le souverain se préoccupait d’offrir un cadre prestigieux à la sépulture de la reine Béatrice, quelques témoignages indirects suggèrent que se précisait alors un certain rapprochement avec les frères. Si l’on accepte un lapsus calami de l’analyse moderne, c’est le cimetière de Saint-Jean que Charles d’Anjou choisit, en février 1272, pour recevoir l’hommage de l’élite aixoise, en présence du sénéchal Guillaume de Gonesse124. Par ailleurs, on se demande par quel biais les hospitaliers se trouvaient dépositaires de l’acte par lequel le châtelain de Trets remettait la forteresse du lieu à ce même sénéchal, en juin 1270125 ? Charles Ier n’intervint pas davantage dans les affaires de l’Hôpital en HauteProvence avant la grande convention de 1262. Il faut dire que le Capétien s’était heurté d’abord à la révolte des villes et de la noblesse, menée en Haute-Provence par Boniface de Castellane, comme aux manœuvres de sa belle-mère, Béatrice de Savoie126. La comtesse douairière s’était en effet retirée dans ses terres et avait consenti, en novembre 1256 seulement, à renoncer au comté de Forcalquier. C’est donc plutôt le réseau lié à cette dernière que l’on retrouve autour des hospitaliers de Manosque127. J’ai suffisamment évoqué Henri de Suse dans ses relations, amicales ou plus conflictuelles, avec l’Hôpital de Bérenger Monge. D’autres juristes furent

122 Rappelons que Charles Ier épousa Béatrice de Provence le 31 janvier 1246. Sur la difficile affirmation de l’autorité angevine en Provence : M. Aurell et alii, La Provence au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 2005, p. 147-180. 123 Sur les efforts des deux premiers Angevins pour étendre leur domination aux limites de l’ancien comté de Forcalquier, jusqu’au Gapençais et à l’Embrunais : P. Poindron, « L’expansion du comté de Provence vers le nord sous les premiers Angevins (1246-1293) », Provence historique, 18 (1968), p. 201-247. 124 « Hommage preste au Roy Charles en presance de Guilleaume de Agonessa chevalier et seneschal de Provence pour la noblesse et gens de la ville d’Apt au cimetiere de la grande eglise… 3 des nones de fevrier 1271. » (56 H 20, f. 196 ; inventaire de 1705). Sans doute, Raybaud a-t-il voulu écrire « Aix » plutôt qu’« Apt », comme incite à le penser l’analyse suivante où il rapporte à « St Jean d’Aix », un acte qui, cette fois-ci, concerne Arles (AFP, no 512). 125 56 H 4185bis (10 juin 1270). Le notaire Raimond Scriptor est d’ailleurs témoin de cet acte passé à Aix, dans sa camera. En mauvais état, l’acte est parfois illisible mais l’on n’y décèle aucune présence des hospitaliers. 126 Sur le contexte socio-politique plus propre à la Haute-Provence, autour de Boniface de Castellane : M. Aurell, La vielle et l’épée. Troubadours et politique en Provence au xiiie siècle, Paris, 1989, p. 177-202. 127 Sur ce réseau où l’on retrouve notamment Henri de Suse : Th. Pécout, Ultima ratio, p. 142 (Robert et Philippe de Laveno) et p. 277-280 (Humbert Fallavel) ; Th. Pécout, « Un symptôme : le concile provincial de Riez », p. 117-120.

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présents également, comme Robert de Laveno ou le notaire Peire de Fuveau128. Et l’on pourrait encore évoquer l’évêque Humbert Fallavel dont les échanges avec les hospitaliers, à l’instar de son prédécesseur Henri de Suse, dépassèrent sans doute la simple dimension conflictuelle. Mieux encore, les hospitaliers ont pu accueillir la comtesse elle-même à Manosque où son autorité était pleinement admise129. Avant de se fixer à Sisteron, Béatrice envisagea même sérieusement de s’installer à Manosque, dans ce palais qu’avaient occupé les aïeux de son défunt époux, Raimond Bérenger V. Elle s’était appuyée pour cela sur l’autorité et les capacités financières de son gendre, le roi d’Angleterre Henri III. En 1241, celui-ci avait garanti à l’Hôpital le paiement d’un cens annuel – dont le montant n’est pas indiqué – que la comtesse se proposait de payer en échange de la jouissance viagère du palais et de la ville de Manosque130. Si nous échappent les tenants de cette affaire – dont la microtoponymie du palais, avec sa tour des Anglais, a peut-être gardé une trace –, son issue permet d’imaginer que les hospitaliers firent finalement échouer la tentative de la comtesse sur Manosque131. Sans doute ces péripéties n’entamèrent-elles ni la dévotion de la comtesse pour l’ordre de Saint-Jean, ni le soutien qu’elle avait sans doute recherché auprès du lignage des Monachi et de l’un de ses membres les plus éminents, le commandeur Bérenger Monge. Ce dernier, du reste, a pu rester relativement proche de sa fille et héritière, Béatrice de Provence. Une mention incidente dans les comptes nous apprend par exemple qu’en mars 1264, le commandeur de Manosque rendit visite à la comtesse132. En revanche, on peut se demander si sa très probable proximité avec

128 Robert de Laveno intervint comme arbitre dans les débats avec Humbert Fallavel à l’été 1251 (N. Didier, « Henri de Suse », p. 269). Et en 1257, c’est son fils Philippe qui figurait comme témoin de l’importante donation de la comtesse Béatrice à l’Hôpital d’Aix (56 H 4180 ; 11 janvier 1257). Petrus de Affuvelo rédigea une autre donation de la comtesse à l’Hôpital d’Aix en 1246, puis il fut désigné par Innocent IV, en 1248, comme juge dans le procès avec Henri de Suse (CGH, t. 2, no 2393 ; 9 février 1246 ; N. Didier, « Henri de Suse », p. 269). Entre octobre 1259 et juin 1260, des dépenses alimentaires sont régulièrement inscrites dans les comptes de Manosque au profit d’un certain Affuvellus puis W. Affuvello (56 H 835, f. 1v, 3r-v, 4v, 5r-v, 9r-v, 10). On ignore si ce personnage a un quelconque rapport avec le précédent. 129 À preuve, l’insertion dans le Livre des privilèges de son règlement sur les péages, préparé par Robert de Laveno (LPM, no 12, p. 48-54 ; 8 octobre 1253). 130 CGH, t. 2, no 2265 (26 janvier 1241). Sur les excellentes relations de Béatrice avec ce gendre anglais qui lui apporta son soutien financier : Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 228-234. Henri III put, par ailleurs et malgré lui, cristalliser les espoirs de ceux qui souhaitaient voir le Capétien Charles chassé de Provence (M. Aurell, La vielle et l’épée, p. 152, 166 et 192). 131 La première mention de la tour des Anglais apparaît en 1261, ce qui ne signifie pas qu’elle n’était pas construite, déjà, depuis quelques années (cf. chap. vi). Abrita-t-elle, par exemple, une délégation anglaise venue soutenir la cause de la comtesse ? Par ailleurs, je me suis demandé si cette affaire n’avait pas quelque chose à voir avec l’attribution, par Clément IV, d’églises sises dans les diocèses de Lincoln et de Worcester directement aux hospitaliers de Provence et au prieur de Saint-Gilles (CGH, t. 3, no 3246 ; 15 mars 1267 ; et no 3600 ; 4 mai 1276 : confirmation d’Innocent V ; cf. An. I, C, no 22 et 31). Mais la chronologie ne plaide pas en ce sens. 132 Item xii sol. tur. pro domino preceptore quando perexit ad dominam comitissam (56 H 835, f. 35v ; 4 mars 1264). À cette date, il ne peut plus s’agir de Béatrice de Savoie, tandis que sa fille n’a rejoint son époux en Italie du Sud que l’année suivante (Th. Pécout, Raymond Bérenger V, p. 290). En revanche, je ne vois pas qui pouvait être la domina princepissa qui reçut de la commanderie 20 moutons et un bœuf en 1287.

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Béatrice de Savoie ne lui valut pas une disgrâce auprès de Charles Ier. Comment expliquer autrement, en effet, que Bérenger Monge ne souhaitât pas paraître le 1er avril 1278, à l’importante cérémonie par laquelle le prince combla d’honneurs l’église Saint-Jean d’Aix ? De fait, c’est avec Féraud de Barras, intervenant ici en qualité de grand commandeur deçà-mer, que le prince avait traité, en 1262, lorsqu’il s’était agi de remettre à plat les droits respectifs du comte et de l’Hôpital en Haute-Provence. Le souverain venait de triompher définitivement de la rébellion du baronnage des hauts pays – Boniface de Castellane à l’été 1262 – et il avait reçu l’hommage de représentants des principaux lignages – Guilhem de Baux en 1256, transaction avec le dauphin Guigues en 1257, etc. Le ralliement des cités de la Provence intérieure avait été négocié – Apt en 1257, Digne en 1260 – et déjà, l’Angevin avançait outre-Alpes, en s’imposant à quelques villes du Piémont133. La référence impériale, d’autre part, apparaissait d’autant plus lointaine à la suite de l’éviction des Staufen. En 1234 encore, l’Hôpital pouvait prétendre avoir sur Manosque le « dominium maius et directum salvo jure imperatoris », tandis que cinq années plus tard, Frédéric II prenait sous sa protection l’ordre dans le royaume d’Arles et de Vienne134. De fait, à l’instar de toute une frange de l’épiscopat, l’ordre de Saint-Jean n’avait pas hésité à s’appuyer sur la protection des empereurs qui s’étaient montrés soucieux de rendre concrète leur suzeraineté sur la Provence135. En cette seconde moitié du xiiie siècle, ces temps étaient toutefois révolus, même si Sitius, le notaire attitré de la commanderie de Manosque, pouvait encore s’afficher comme « imperialis aule notarius ». Le moment était donc opportun pour négocier avec la puissance représentée par l’Hôpital en Haute-Provence. La situation frontalière, entre Provence et Dauphiné, des domaines relevant des commanderies de Saint-Pierre-Avez et de Tallard rendait d’autant plus nécessaire une clarification des positions de l’ordre par rapport aux pouvoirs souverains136. D’autre part, on a déjà souligné le cas particulier de la En mars 1288, un frère était encore envoyé en mission auprès d’elle (CoHMa, § 232 et 242 ; 28 décembre 1287 et 7 mars 1288). S’agissait-il de l’une des trois filles de Charles Ier, mais celles-ci semblent avoir peu vécu en Provence ? 133 Outre P. Poindron, « L’expansion du comté de Provence », sur l’usage de l’hommage par Charles Ier : G. Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit. L’exemple de la Provence et du Dauphiné. xiie-début xive siècle, Rome, 1988, p. 167-172. La conquête du Piémont s’est pleinement inscrite dans la continuité de l’affermissement du pouvoir souverain sur les villes provençales – importation du modèle de soumission imposé à Marseille en 1257, transfert de personnel de part et d’autre des Alpes (R. Rao, « La domination angevine en Italie du Nord (xiiie-xive siècle) », Mémoire des Princes Angevins, 8 (2011), p. 15-33). 134 56 H 4629 (15 novembre 1234 ; arbitrage sur la juridiction avec le prieur de Notre-Dame) ; CGH, t. 2, no 2230 (juin 1239 ; privilège justifié par les services rendus, tant à la personne de l’empereur qu’à l’empire, par le prieur Bertrand de Barres). 135 Les hospitaliers avaient obtenu la protection de Frédéric Barberousse pour faire triompher leurs droits à l’héritage des comtes de Forcalquier (D. Carraz, « Aux origines de la commanderie », p. 145-146). Sur la politique de Frédéric Ier et Frédéric II à l’égard des ordres militaires dans le royaume d’Arles : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 428-430. Sur la suzeraineté de Barberousse sur le comté de Forcalquier : M. Varano, Espace religieux et espace politique, p. 461-464. 136 P. Poindron, « L’expansion du comté de Provence », p. 217-219.

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seigneurie de Manosque, véritable enclave dans la viguerie de Forcalquier où les officiers du comte ne pénétraient pas137. L’accord passé le 28 juillet 1262 au palais comtal d’Aix visait donc à aplanir les griefs respectifs qui s’étaient élevés entre le pouvoir princier et l’Hôpital138. En son nom et en celui de son épouse, « comtesse et marquise de Provence », Charles Ier revendiquait donc le « major dominium inmediate » sur Manosque, en vertu de droits hérités de Béatrice, par l’intermédiaire de son oncle Alphonse II139. Il réclamait encore les cavalcades et reprochait à l’Hôpital d’avoir acquis plusieurs biens sans son autorisation. L’ordre de Saint-Jean, pour sa part, soutenait que toutes ces possessions lui appartenaient bien et déplorait les empiètements répétés du comte et de sa cour contre ses droits et privilèges. Au terme de l’arbitrage dans lequel intervinrent plusieurs de ses proches, au nombre desquels l’archevêque Vicedomino et l’évêque de Fréjus Bertrand de Saint-Martin, le comte confirmait à l’Hôpital l’exemption de tous péages, leydes et pulvérages et même de la gabelle du sel dans le comté et s’engageait encore à n’exiger aucune exaction dans les seigneuries de l’ordre140. Le prince confirmait encore les possessions que l’Hôpital tenait du pouvoir comtal en tant que seigneur éminent (« tanquam pro majori domino »), tandis que Féraud de Barras s’engageait à prêter hommage pour plusieurs seigneuries sises dans le diocèse de Gap. L’accord impliquait encore une aide militaire déjà évoquée, ainsi que des clauses sur la juridiction. Un point particulier concernait Manosque où « toute domination et seigneurie, mixte et mère empire et juridiction » étaient reconnus à l’Hôpital, tandis qu’étaient confirmées les limites du territoire seigneurial. Les parties s’engageaient à prêter serment d’observer les conventions à chaque changement respectif de représentant de l’autorité – prieur, comte et sénéchal. L’accord impliqua enfin une importante contribution financière de l’Hôpital qui, outre son renoncement à quelques droits seigneuriaux aux origines douteuses à Hyères et Moustiers, s’engageait à verser au couple comtal une somme de 4 000 livres de tournois. Alors qu’il s’agissait d’imposer la souveraineté sur un pays où, malgré tout, « les droits comtaux demeuraient une collection de droits seigneuriaux », cet accord s’inscrit bien dans cet effort de hiérarchisation des juridictions rendue

137 Encore en 1295, l’enquête sur les transactions immobilières dans la viguerie spécifia que les biens situés dans le territoire de Manosque n’étaient exceptionnellement pas concernés (M. Hébert, « Les ordonnances de 1289-1294 et les origines de l’enquête domaniale de Charles II », Provence historique, 36 (1986), p. 53). 138 56 H 4631 ; B 361 = CGH, t. 3, no 3035, p. 36-42 (28 juillet 1262). 139 L’association à l’acte de Béatrice de Provence, source de sa légitimité, montre l’importance accordée par Charles d’Anjou à cette transaction. Les actes majeurs du gouvernement faisaient en effet intervenir la comtesse aux côtés de son époux (Th. Pécout, « Celle par qui tout advint. Béatrice de Provence, comtesse de Provence, de Forcalquier et d’Anjou, reine de Sicile (1245-1267) », in M.-M. de Cevins (dir.), Les princesses angevines. Femmes, identité et patrimoines dynastiques (Anjou, Hongrie, Italie méridionale, Provence, xiiie-xve siècle), Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 129-2 (2017), p. 268-269). 140 Sur les talents de négociateur de Vicedomino au service de Charles d’Anjou et l’appartenance de Bertrand de Saint-Martin à l’entourage comtal : Th. Pécout, Ultima ratio, p. 197-205 et 229-234.

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possible par le recours au droit savant141. Garante d’une redéfinition du rapport à l’autorité comtale, la transaction de 1262 fut donc, pour l’Hôpital, un acte fondateur auquel le commandeur de Manosque accorda une réelle importance. Plusieurs mentions tendent bien à prouver que Bérenger Monge exigea, probablement à chaque entrée en charge d’un sénéchal, le serment de respecter la transaction : ce fut le cas le 27 juillet 1269 pour Guillaume Standardus, le 3 juillet 1288 pour Jean Scotus, le 3 juillet 1293 pour Hugues de Vicinis et le 8 juin 1297 pour Rainaud de Lecto142. Le commandeur se préoccupa en outre de bien conserver l’attestation écrite du serment, comme ce fut le cas en 1288143. En janvier 1293, Guillaume de Villaret avait, de son côté, profité de sa position auprès de Charles II pour obtenir plus qu’une simple confirmation de la convention de 1262 : à cette occasion, le roi avait en effet ratifié toutes les acquisitions faites par l’Hôpital, notamment dans les territoires de Marseille et d’Aix, et avait rappelé le serment imposé à chaque sénéchal144. Parallèlement à l’aggiornaménto féodo-vassalique imposé par la convention de 1262, les progrès de « la paix du prince » se manifestaient concrètement sur le terrain. Comme on l’a vu, la cour de Forcalquier s’imposa comme un recours lorsqu’il fallut préciser les limites du ressort de Manosque avec les territoires limitrophes. C’est encore vers l’autorité centrale que se tournait le seigneur ecclésiastique quand il jugeait que ses droits étaient menacés. En 1283, Bérenger Monge s’était plaint au sénéchal Isnard d’Entrevennes que les habitants d’Alson et de Saint-Étienne[-les-Orgues] s’opposaient au passage des troupeaux de la commanderie sur leur finage145. Une dizaine d’années plus tard, c’était au tour de Guillaume de Villaret de demander à Charles II d’assurer la protection des hommes et des terres de l’Hôpital, apparemment

141 M. Aurell et alii, La Provence au Moyen Âge, p. 193-199 (citation p. 193) ; L. Verdon, « La paix du prince », p. 316-322. Rappelons que la définition du merum imperium était redevable aux réflexions de juristes comme Robert de Laveno, qui était passé au service de Charles Ier et qui était encore intervenu dans plusieurs causes concernant les hospitaliers. 142 Guillaume Standardus : J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 180 (qui l’appelle « de Barre, sus nommé Endast », à la suite d’une erreur de lecture pour « Beina » et « Standart ») ; Jean Scot : 56 H 50, f. 147-148 ; Raybaud, p. 208 (date de sénéchalat confirmée par la base Europange) ; Hugues de Vicinis : Raybaud, p. 213 (sénéchal de 1294 à 1298 selon Europange) ; Rainaud de Lecto : Raybaud, p. 211 (qui place ce serment en 1291, probable erreur de date rectifiée grâce à Europange qui le cite comme sénéchal de 1297 à 1301). Jean Raybaud, qui avait bien compris l’importance de ce serment pour la sauvegarde des droits de l’Hôpital, a recensé d’autres attestations de l’engagement du sénéchal envers le prieur de Saint-Gilles ou son lieutenant tout au long du xive siècle : Renaud du Liet le 2 juin 1309, Richard de Gambaterra en 1312, Jean Baude le 25 octobre 1317, Jean Aquablanca le 31 mai 1328, Raimond d’Agoult en 1348 ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, p. 232, 235, 258, 280 et 304). Comme le signale Raybaud, mais avec moins d’insistance, ce serment avait un caractère réciproque : le prieur s’engageait lui-même à respecter la convention de 1262. 143 Item v sol. causa redimendi cartam de sacramento, quod fecit senescallus (CoHMa, § 268 ; 29 août 1288). 144 CGH, t. 3, no 4207 (22 janvier 1293). Le vidimus de la convention de 1262 obtenu par Guillaume de Villaret a été enregistré par la chancellerie napolitaine (RCA, t. 45 (2000), p. 41-45, no 75). 145 56 H 4680 (28 juin 1283).

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envahies par des individus armés146. Certes, nous échappent ici les faits concrets qui, du reste, concernaient moins la commanderie de Manosque que les possessions dans les diocèses voisins. Toutefois, de tels appels prouvent que s’était imposé le principe-même de la protection étatique dans un climat de tensions, sans doute exacerbées par la pression sur les terres et les pâtures. En retour, les interventions des officiers royaux pouvaient se faire plus envahissantes à l’intérieur même du ressort des commanderies. Dans le dernier tiers du xiiie siècle, on voit ainsi se multiplier les contentieux avec la cour de Forcalquier qui obligeaient le commandeur ou le bayle de Manosque à en appeler au sénéchal. En 1291, le viguier Joan de Cornillono avait par exemple réclamé la restitution des écritures du notaire Michael Porcherius, ce que l’Hôpital avait considéré comme une atteinte à sa capacité d’investir les notaires et même à ses prérogatives sur les hommes de sa seigneurie147. D’autre part, quelques allusions comptables laissent deviner que la cour cherchait à battre en brèche la juridiction de l’Hôpital sur les juifs de sa seigneurie148. Peut-être la question portait-elle sur la taille qu’à partir de 1270, le souverain entendit imposer à tous les juifs des comtés de Provence et de Forcalquier, alors que les hospitaliers, on l’a vu, percevaient leur propre capitation sur ceux de Manosque149. La lutte contre l’usure, l’une de ces causes morales dont s’était senti investi le bras séculier, fournit d’autres prétextes à intervenir dans les affaires de la seigneurie hospitalière. En février 1294, par exemple, Charles II demandait au sénéchal d’agir contre la société de Simon de Florence, habitant de Manosque, qui se livrait à l’usure de manière intolérable150. On retrouve trace de cette affaire, semble-t-il, deux années plus tard, lorsque le juge de Forcalquier dépêcha le greffier de la cour afin d’inventorier les biens, en vue de leur séquestre, contenus dans les maisons de Simon Florencius et de Guilhem Fulco151. Confronté au refus du bayle Imbert de Salavacio de lui remettre les clés des maisons, le greffier menaça l’Hôpital d’une amende de 100 marcs d’argent. Si on ignore les suites de l’appel que le bayle adressa naturellement au sénéchal, cet épisode est tout à fait caractéristique des intrusions contre lesquelles devaient désormais se défendre les hospitaliers. Les comptabilités font état de bien d’autres frictions avec la cour royale, dont les motifs

146 À la suite de la plainte du prieur de Saint-Gilles, Charles II demandait à son sénéchal d’enquêter sur l’invasion des terres de l’Hôpital et de veiller à ce que personne ne lève les armes contre les hospitaliers. Par une autre lettre, le roi demandait encore à son officier d’autoriser les hospitaliers, leurs familiers et même les « ministres » de leurs églises à porter les armes, afin de se défendre des attaques perpétrées par des nobles des diocèses de Gap et de Digne et d’autres lieux (RCA, t. 45 (2000), p. 182, no 184 ; 13 juillet 1292-1293, et p. 195, no 107 ; 16 août 1292-1293). 147 L’argument de défense du bayle Peire de Saint-Martin reposa davantage sur le fait que Michael Porcherius était un « homme de l’Hôpital » parce qu’il résidait à Manosque, que sur le contrôle du notariat par l’ordre (56 H 4652 ; 30 janvier 1291). 148 Item pro ducenda causa, quam habet Hospitale inter curiam secularem et nos pro judeis messione et aliis faciendis vii l. iii s. viii d. (CoHMa, § 150 ; 2 juin 1286) ; Item vi l. x s. pro causa, que ducitur cum curia regia pro facto judeorum (CoHMa, § 171 ; 27 octobre 1286). 149 N. Coulet, « La taille des juifs de Provence sous Charles Ier », Provence historique, 56 (2006), p. 131-143. 150 RCA, t. 49 (2006), p. 103, no 186 (22 février 1294). 151 56 H 4652 (26 février 1296).

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sont inconnus mais qui obligeaient la commanderie à engager des frais pour faire valoir ses droits152. Outre le salaire des avocats et autres conseillers juridiques, les procédures intentées auprès de la cour royale, notamment l’appel, étaient payantes153. L’étau se resserrait donc au tournant du siècle, si bien qu’en 1297, à l’occasion de l’enquête domaniale ordonnée par Charles II, la seigneurie de Manosque aurait dû être visitée, au même titre que d’autres terres sur lesquelles le roi ne possédait pourtant pas de droits directs154. Toutefois, c’est surtout sur le terrain judiciaire que s’affirma l’immixtion de la souveraineté royale au détriment des juridictions seigneuriales155. Procédant d’une volonté de contrôle, si ce n’est de monopole complet, des regalia, la convention de 1262 avait confirmé la juridiction de l’Hôpital sur les habitants de Manosque156. Si les officiers comtaux étaient prévenus de ne pas se mêler des causes concernant les hommes de l’Hôpital, l’intervention de la justice royale avait été imposée en cas de défaillance de l’Hôpital, notamment pour les cas réservés – atteintes aux lieux et aux personnes sacrés et infractions sur la voie publique. De fait, le tournant du xiiie siècle fut marqué par une nette recrudescence des affaires opposant l’Hôpital à la juridiction voisine de Forcalquier. Il arriva que le commandeur, parfois de concert avec ses propres justiciables, fasse appel des condamnations prononcées par le juge royal contre des habitants de Manosque157. Mais il arrivait aussi, de plus en plus souvent, que ces derniers s’adressent eux-mêmes à la cour royale, en appel ou parfois même en première instance158. Comme le statut d’homme de l’Hôpital imposait de comparaître à la cour de Manosque et non ailleurs, les justiciables qui transportaient leur cause hors de la juridiction s’exposaient à des poursuites ex officio. Or, face au principe de l’universalité des regalia, les hospitaliers s’accrochèrent plutôt à la coutume féodale. Ainsi, en juin 1291, le fait que Peire Hospitalarius se soit adressé au juge de

152 Item x l. domino Duranto jurisperito pro causa, quam ducimus cum curia regia (CoHMA, § 201 ; 25 mai 1287) ; Item xv s. pro causa, que ducit Hospitale cum curia regia (CoHMa, § 271 ; 26 septembre 1288). 153 56 H 835, f. 16 (x sol. pro carta apellationis ; février 1262), f. 19 (item v sol. in expensis quos fecit frater St(ephanus) Aquis in carta apellationis ; juin 1261), f. 33 (iii sol. et iiii d. pro xxv lib. turon. pro carta compositionis domini comitis et Hospitalis ; septembre 1262). Il fallait encore gratifier les juges de quelques cadeaux (CoHMa, § 303 ; 8 mai 1289). 154 Sans doute est-ce seulement parce que les commissaires furent dépassés par l’ampleur de la tâche que la seigneurie hospitalière échappa à cette enquête (Th. Pécout (dir.), L’enquête générale de Charles II en Provence (1297-1299), Paris, 2018, p. 20-21). Le castrum voisin de Volx, où l’Hôpital possédait des biens sans en détenir encore la seigneurie, fut en revanche visité par le greffier de la cour de Forcalquier (56 H 4688 ; 27 septembre 1297). 155 Sur la manière dont l’épiscopat de Haute-Provence vit notamment s’amoindrir ses prérogatives judiciaires : Th. Pécout, « Les justices temporelles des évêques », p. 391-398. 156 CGH, t. 3, no 3035, p. 40. 157 En 1301 p. ex., le notaire Peire Bisquerra, procureur du commandeur et du juif Davidet, s’adressait au juge des premières appellations pour contester une amende infligée à Davidet par le juge de Forcalquier (56 H 4653 ; 28 février 1301). Autre appel du même procureur au juge de Forcalquier de la condamnation d’un certain Guilhem d’Avignon (56 H 4653 ; 6 mars 1301). 158 Un certain nombre de cas ont déjà été signalés pour le début du xive siècle (F. Reynaud, La commanderie, p. 65 ; P. MacCaughan, La justice à Manosque au xiiie siècle, p. 30-31 et 75).

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Forcalquier au sujet d’une terre en litige, fut assimilé à une forme de parjure, dans la mesure où ce dernier avait prêté hommage et fidélité à l’Hôpital159. La prolifération de ces conflits de juridiction sur le terrain nécessita une clarification de la hiérarchie des cours de justice qui, au bout du compte, profita à l’État central. En décembre 1307, dans le cadre d’une vaste redistribution des dominations entre l’Hôpital et le comte de Provence, la question des appels fut également précisée160. Un accord entre le maître Foulques de Villaret et Charles II confirmait ainsi les premiers appels à l’Hôpital, mais réservait désormais les seconds appels à la cour royale161. C’était là, en réalité, imposer une contrainte supplémentaire aux justices seigneuriales qui se trouvaient désormais obligées d’entretenir un juge en appel162. Défendre les droits de l’Hôpital sur le terrain face au zèle des officiers locaux de l’État angevin était une chose. Cela n’empêcha pas l’ordre, à l’initiative de ses dignitaires les plus influents poussés par le pape, de s’engager résolument au service du prince. Des serviteurs de l’État

Les interactions entre les hospitaliers et le pouvoir comtal observées au niveau local doivent être replacées dans le cadre général des missions des deux principaux ordres militaires comme des entreprises impérialistes angevines, toutes menées à l’échelle de la Méditerranée. Plusieurs officiers de l’Hôpital, à commencer par certaines hautes figures tel le prieur de France Philippe d’Égly, servirent les intérêts angevins en tant que conseillers, diplomates, experts dans les affaires militaires et financières163. Cependant la participation des frères aux grands desseins de la 159 …unde cum dictus Petrus Hospitalarius qui juravit homagium et fidelitatem dicto Hospitali contra suum juramentum proprium sacrum et jus dicti Hospitalis in aliam curiam transportaverit in dampnum et prejudicium dicti Hospitalis dictam litteram inpetraverit… Peire Hospitalarius, qui était issu d’une famille de juristes, argua pour son bon droit que la terre en question se situait aux limites des territoires de Manosque et de Montaigu, qui relevait en effet de la juridiction royale (56 H 954, f. 40 ; 17 juin 1291). 160 En octobre 1307, Charles II s’était fait céder la moitié de la seigneurie d’Orange tenue par les hospitaliers, en échange de la juridiction sur les castra d’Orgon, Saint-Andiol, Saint-Julien Le Montagnier, Amirat, Gréoux, Rousset et enfin Volx (CGH, t. 4, no 4756 ; 22 octobre 1307). Le lendemain, le roi remettait la bastide de Montaigu ainsi que le merum imperium à Puimoisson et confirmait encore à Foulques de Villaret la convention de 1262 (CGH, t. 4, no 4757-4759 ; 23 octobre 1307). 161 L’acte dressait en outre la liste des domaines de l’Hôpital concernés, parmi lesquels figuraient naturellement Manosque et Toutes-Aures, mais aussi Ginasservis. La communauté de Manosque fit figurer l’accord dans son Livre des privilèges (LPM, no 49, p. 156-158 ; 4 et 27 décembre 1307). Un an auparavant, sur plainte du bayle, Charles II avait encore dû rappeler au juge de Forcalquier qu’il lui était interdit de faire des criées à Manosque (56 H 4653 ; 3 décembre 1306). 162 Le juge de Forcalquier, en effet, ne se priva pas de réprimander la cour de Manosque qui tardait à entretenir un juge des premiers appels, conformément à la transaction de 1307 (56 H 20, f. 36 ; 8 avril 1312). 163 D. Carraz, « Christi fideliter militantium in subsidio Terre Sancte. Les ordres militaires et la première maison d’Anjou (1246-1342) », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), As ordens militares e as ordens de cavalaria entre o Ocidente e o Oriente, Palmela, 2009, p. 549-582 ; et Id., « Pro servitio maiestatis nostre. Templiers et hospitaliers au service de la diplomatie de Charles Ier et Charles II », in Z. Kordé et I. Petrovics (dir.), La diplomatie des États Angevins aux xiiie et xive siècles, Rome-Szeged, 2010, p. 21-42. Depuis ces deux articles, la collaboration entre Angevins et ordres militaires a inspiré d’autres études qui, toutes, utilisent peu ou prou les mêmes sources : M. Salerno, « Legami familiari e rapporti con

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maison angevine ne s’arrêta pas aux terres d’aventure que pouvaient constituer le royaume d’Acre ou bien même la Tunisie hafside. On a vu comment, par l’accord de 1262 et au titre des fiefs qu’il tenait en Haute-Provence, l’Hôpital s’était engagé à collaborer à la cavalcade comtale164. Sur réquisition, les hospitaliers étaient donc susceptibles de fournir des hommes armés levés dans leurs seigneuries et de mettre leurs fortifications à disposition. Malheureusement, les effets concrets de l’aide militaire éventuellement apportée aux entreprises de pacification dans ces territoires n’apparaissent pas aussi clairement pour l’époque angevine que pour celle des comtes catalans165. La participation financière des ordres militaires aux conquêtes angevines est, en revanche, un peu mieux documentée. Les ordres militaires avaient théoriquement réussi à faire valoir leur exemption de la décime prélevée au profit des croisades angevines en Italie du Sud, mais cela avait été négocié au cas par cas, avec les différents souverains pontifes. Aussi, à chaque levée, il avait fallu faire des réclamations pour faire respecter l’exemption par les collecteurs sur le terrain166. En réalité, sous Urbain IV et Clément IV, le Temple et l’Hôpital durent contribuer, au moins partiellement, à la décime pour les affaires de Sicile167. Sous Nicolas IV, en remerciement des services rendus par Guillaume de Villaret, Charles II multiplia les mandements auprès des différents collecteurs pour faire respecter l’exemption de l’Hôpital168. Boniface VIII, quant à lui, affranchit d’abord les hospitaliers du versement de la décime, avant de se raviser pour solliciter, en 1297, la contribution « pro negotio regni Sicilie » des deux ordres169. En général

il potere nel Mezzogiorno angioino. Gli Ospedalieri di San Giovanni di Gerusalemme tra monarchia e papato », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, t. 122-1 (2010), p. 127-137 ; K. Toomaspoeg, « Charles Ier d’Anjou, les ordres militaires et la Terre sainte », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), As ordens militares. Freires, guerreiros, cavaleiros, vol. 2, Palmela, 2012, p. 761-777 ; C. Guzzo, « Carlo I d’Angiò, i templari e gli ospedalieri : strategie pro defensione Terrae sanctae e calcolo politico durante i maestrati di Tommaso Berard ed Ugo Revel », in Tuitio fidei et obsequium pauperum, Brindisi, 2014, p. 29-52. 164 CGH, no 3035, p. 38-39 ; cf. supra chap. v. Vinon et Ginasservis ne figurent pas dans la liste des seigneuries soumises à la cavalcade car les hospitaliers réussirent ici à s’en affranchir, comme le confirme l’enquête de Leopardo da Foligno (56 H 4165 ; 20 août 1332 ; Th. Pécout (dir.), L’enquête générale de Leopardo da Foligno en Provence centrale (novembre-décembre 1332 et juin-août 1333), Paris, 2011, p. 684). Cette exemption dut être accordée en 1262, à l’occasion de la confirmation à l’Hôpital de ces deux seigneuries par Charles Ier et Béatrice (CGH, t. 3, no 3003 ; 1262 ; analyse d’après un inventaire du xviiie siècle non coté). 165 Sur l’aide fournie par les ordres militaires aux comtes catalans : J.-C. Poteur, « Les ordres militaires et la stratégie comtale en Provence orientale », in Guerre et fortification en Provence, Mouans-Sartoux, 1995, p. 11-20 ; et D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 422-425. 166 N. Housley, The Italian Crusades, p. 214-216 ; D. Carraz, « Christi fideliter militantium », p. 551-552. 167 RCA, t. 1 (1950), p. 180, no 302 (4 août 1268) ; A. de Boüard, Actes et lettres de Charles Ier, roi de Sicile, concernant la France (1257-1284), Paris, 1926, p. 41, no 171 (10 janvier 1270). 168 Lettres à tous les collecteurs, aux prévôts d’Apt et d’Aix informant que l’Hôpital était exempté de la décime levée pour le royaume de Sicile dans les provinces d’Aix, Arles, Embrun, Tarentaise. Le motif de l’exemption était toujours le service rendu par le prieur (RCA, t. 35 (1985), p. 66, no 158 et p. 158, no 166 ; 13 janvier 1290, p. 44, no 109 ; 9 novembre 1290, p. 38-39, no 99 ; 11 novembre 1290). 169 CGH, t. 3, no 4288 (21 juillet 1295) et no 4297 (= 56 H 4023 ; 18 décembre 1295) ; G. Digard et alii, Les registres de Boniface VIII, Paris, 1884, t. 1, col. 691, no 1830 (12 mai 1297). Sans doute est-ce cette contribution exceptionnelle qui apparait dans les comptes des levées de 1298-1300 (Th. Pécout, « Dîme et institution épiscopale », p. 428).

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exonérés, les hospitaliers apportèrent parfois leur aide pour la levée, même si cette mission revint essentiellement aux évêques et aux chanoines170. À l’automne 1291, Guillaume de Villaret, fidèle conseiller de Charles II, semble ainsi avoir prêté main forte à l’évêque de Gap Jaufre de Lincel, qui avait la responsabilité de la collecte en Provence171. Cette politique de balance de la part des papes est d’autant moins aisée à suivre qu’il arriva que l’Hôpital consente lui-même à une aide plus ou moins volontaire. À l’été 1292, alors qu’il s’apprêtait à organiser une offensive majeure pour la reconquête de la Sicile, Charles II demanda un important subside aux ecclésiastiques, seigneurs et communautés de Provence172. Le prieur de Saint-Gilles promit un don gracieux de 1 500 livres qui, dans les faits, dut être en grande partie répercuté sur les communautés soumises à la domination de l’ordre173. En octobre 1292, Bérenger Monge se chargea, en effet, de réunir la sanior pars de la communauté de Manosque pour lui exposer la demande émanant de Charles II. L’acte insiste bien sur le caractère gratuit et librement consenti de l’aide qui, pour le seigneur comme pour les habitants, ne devait en aucun cas être assimilée à une forme de taille ou de quête174. Les élites manosquines consentirent alors à un don de 5 000 sous remis incontinent, dans un sac scellé, par une vingtaine d’habitants dûment nommés (fig. 15). Le 15 décembre, lors de l’un de ses passages à Manosque, Guillaume de Villaret adressait personnellement une quittance à trois marchands représentant l’universitas175. Le prieur rappelait encore la sauvegarde des libertés et privilèges de la communauté, alors que la requête seigneuriale avait été l’occasion, pour les habitants, de négocier des garanties sur la levée des questes et des tailles176. Si l’Hôpital pouvait rendre grâce aux Manosquins qui, à eux seuls, contribuèrent au sixième de la subvention (250 livres), on ignore hélas de quelle façon fut financé le reste du don promis à Charles II.

170 Les produits de la levée de 1276 dans le diocèse de Riez furent ainsi conservés à la commanderie de Puimoisson (Th. Pécout, « L’évêque et le chapitre de Riez »). En août 1299, Raimond Isnard, commandeur de Mallemort, participait auprès de l’évêque de Marseille à la reddition des comptes (Th. Pécout, Ultima ratio, p. 440n). Sur le rôle du haut-clergé acquis à la cause angevine : Th. Pécout, Ultima ratio, p. 434-452. 171 En décembre 1291, le roi remettait une quittance à l’évêque de Gap, collecteur des décimes en Provence, pour le versement de la seconde année d’exercice de la décime triennale, par l’entremise de son conseiller Guillaume de Villaret et des « lieux de l’Hôpital » (RCA, t. 39 (1992), p. 9, no 7 ; 8 décembre 1291). 172 Cette affaire a laissé, dans les registres de la chancellerie napolitaine, un important dossier étudié par M. Hébert, « Le subside de 1292 en Provence », in Ph. Contamine et alii (dir.), L’impôt au Moyen Âge. L’impôt public et le prélèvement seigneurial (fin xiie-début xvie siècle), vol. 2, Paris, 2002, p. 343-367. 173 Le 16 juin 1292, le roi demandait à son sénéchal Alfant de Soliers de faciliter la venue et la résidence des hospitaliers à Aix, où l’ordre devait tenir un chapitre en août (RCA, t. 40 (1993), p. 114, no 47). Ce chapitre, exceptionnel tant par le lieu de réunion que par sa date tardive, fut très probablement convoqué pour discuter de la contribution du prieuré à la requête royale. 174 LPM, no 30, p. 82-86 (31 octobre 1292). Dès l’été, le prieur avait pris ses précautions en obtenant de Charles II la garantie que ses officiers ne percevraient pas de taille sur les hommes soumis à la juridiction de l’Hôpital (RCA, t. 40 (1993), p. 140, no 98 ; 31 août 1292). 175 LPM, no 32, p. 86-90 (15 décembre 1292). 176 LPM, no 34, p. 90-92 (31 octobre 1292).

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L’engagement financier de l’Hôpital était à la hauteur du dévouement personnel de Guillaume de Villaret envers les monarques angevins177. Ses hautes responsabilités au service de la papauté incitèrent probablement Charles Ier à lui confier, déjà, un certain nombre de missions ponctuelles178. Sans doute avait-il dû gagner la confiance du roi de Sicile et même de son héritier, Charles de Salerne, qu’il avait conseillé en 1282. Aussi, à la mort de Charles Ier en janvier 1285, alors que son successeur était en captivité, le prieur serait-il resté fréquemment à Aix, pour seconder le sénéchal Isnard d’Entrevennes179. Dès lors, Guillaume de Villaret accomplit bientôt pour Charles II de nombreuses missions diplomatiques, auprès de communautés urbaines et surtout de la cour d’Aragon180. Sûrement est-ce dans le sillage de son prieur que Bérenger Monge entra également au service du prince angevin, même si les preuves sont ici bien plus ténues. Au cours de l’année 1285, au moment où Villaret participait à une forme de conseil de régence, Jean Raybaud gratifie ainsi le commandeur d’Aix du titre de « conseiller d’État du comte181 ». En réalité, le prieur a pu introduire Bérenger Monge auprès du prince Charles quelques années plus tôt. Ainsi, en 1282, le commandeur de Manosque assistait déjà le juge mage et le sénéchal dans une enquête sur la juridiction du prieuré clunisien de Valensole182. Sans doute le dignitaire de l’Hôpital, qui connaissait bien le pays et ses équilibres seigneuriaux, intervenait-il ici en tant qu’« expert local ». Cependant, même si je n’ai pas entrepris de véritable dépouillement des fonds inédits de l’administration angevine, rien ne semble indiquer une proximité marquée entre ce dernier et Charles II. Les relations directes se résument finalement à un unique acte, par lequel le roi recommandait l’un de ses familiers au commandeur de Manosque183. Il est néanmoins plausible que le dignitaire ait été, au moins dans le cadre de son préceptorat d’Aix, en contact avec la cour durant les séjours provençaux du roi. Bérenger Monge était alors au sommet de sa carrière et l’un de ses parents et homonyme, sous-viguier de Marseille en 1288, était compté parmi les nombreux familiers de la cour184. On n’en apprendra pas

177 L’aide de 1 500 l. promise par l’ordre en faisait, en effet, l’un des plus gros contributeurs en Provence, comme le montrent les tableaux établis par M. Hébert, « Le subside de 1292 », p. 365-367. 178 An. II, D-1, no 6, aux dates de 1277, 1282, 1283, 1284 et 1285. 179 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, p. 204-205. Isnard d’Entrevennes est attesté comme sénéchal entre avril 1284 et septembre 1285 (base Europange). 180 An. II, D-1, no 6 ; et D. Carraz, « Pro servitio maiestatis nostre », p. 24-25 et 30. Le dignitaire ne délaissa véritablement le service de la monarchie qu’à partir de son élection à la maîtrise en 1296. 181 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, p. 205, qui donne comme source les « archives de l’hôtel de ville d’Arles ». 182 L’enquête était intervenue avant le 2 juillet 1282, date à laquelle Charles de Salerne s’accordait avec le doyen de Valensole (Th. Pécout, Une société rurale du xiie au xve siècle en Haute-Provence. Les hommes, la terre et le pouvoir dans le pays de Riez, thèse de doctorat, Université de Provence, 1998, vol. 1, p. 803, d’après B 1484, f. 1v). 183 Le 29 janvier 1294, après avoir adressé la même lettre au sénéchal et au bayle de Pertuis, le roi demandait au commandeur de Manosque de veiller à ce que Radulfus de Ragneyo, son chapelain et familier, ne soit pas molesté (RCA, t. 49 (2006), p. 51-52, no 84-85). 184 An. II, A-2, no 5.

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plus sur le rôle, sans doute plutôt occasionnel, que le commandeur a pu jouer dans l’appareil administratif angevin. Ces indications, aussi limitées soient-elles, permettent toutefois de distinguer deux profils parmi ces frères requis d’assister l’État. D’un côté des dignitaires qui occupèrent des fonctions relativement stables : pour notre époque en Provence, le cas se limite essentiellement à Guillaume de Villaret dont on trouverait le pendant, dans le Regno, avec Jacques de Tassi, Matteo Ruggerio de Salerne, ou encore un médiateur de haute volée comme Bonifacio de Calamandrana185. De l’autre, des frères de stature moindre et appelés à des missions beaucoup plus ponctuelles et circonstancielles : Bérenger Monge rentrerait dans cette catégorie, avec quelques autres Provençaux comme Raimond de Grasse, déjà rencontré, ou Bernard Thomas, commandeur de Marseille186. On l’aura compris, jamais ces hospitaliers n’occupèrent d’offices permanents au sein de l’administration angevine : leur statut de religieux soumis à leur ordre par une obéissance absolue le leur interdisait, tandis que l’État lui-même excluait les clercs des charges d’officiers187. C’est donc avec les titres un peu moins formels de conseiller ou bien, pour les missions diplomatiques, de procureur ou de nonce qu’agissaient les frères. La qualité de familier, quant à elle, qui était assez généreusement attribuée, faisait entrer ces dignitaires religieux dans le réseau de fidélité du prince188. C’est donc essentiellement autour d’affinités personnelles que se formalisait la participation de l’Hôpital aux actions de l’État, que celui-ci relevât du pouvoir angevin ou bien de celui du pape. Dans la configuration de l’alliance entre Église romaine et monarchie sicilienne, le passage d’une administration à l’autre était d’ailleurs facile, comme l’illustre le parcours de Guillaume de Villaret et de

185 Sur ces différents personnages : D. Carraz, « Christi fideliter militantium », p. 579-582 (Matteo Ruggerio de Salerne) ; Id., « Pro servitio maiestatis nostre » ; Id., « Bonifacio de Calamandrana », in DOMMA, p. 167 ; K. Toomaspoeg, « Jacques de Taxy », in DOMMA, p. 483 ; J. Burgtorf, The Central Convent, p. 500-504 (Calamandrana) et 579-580 ( Jacques de Tassi) ; F. Tommasi, « L’ordinamento geografico-amministrativo dell’Ospedale in Italia (secc. XII-XIV) », in A. Luttrell et F. Tommasi (dir.), Religiones militares. Contributi alla storia degli ordini religioso-militari nel medioevo, Pérouse, 2008, p. 102-103 (Philippe d’Égly et Jacques de Tassi). 186 Sur la fin de sa carrière comme commandeur de Puimoisson (1286-1290), Raimond de Grasse effectua quelques missions diplomatiques pour le roi avec le titre de « dilectus consiliarius et familiarius » (RCA, t. 33 (1984), p. 55-56, no 11 et p. 78-79, no 57 ; 17 et 18 juin 1289 ; et t. 35 (1985), p. 85-86, no 203 ; 6 avril 1290). Bernard Thomas assuma ponctuellement la logistique navale du roi à Marseille (RCA, t. 38 (1991), p. 295-296, no 882-883 et p. 321, no 926 ; 8 août 1292 ; et t. 40 (1993), p. 131, no 80 ; 8 août 1292). On peut se demander si le Bernardinus, commandeur de Calissanne et commis à une tâche similaire, est bien un personnage différent (RCA, t. 45 (1998), p. 219-220, no 520 ; 22 janvier 1292-1293). 187 Sur l’exclusion des gens d’Église des charges administratives permanentes : M. Hébert, « Aspects de la culture politique en Provence au xive siècle », in Église et culture en France méridionale (xiie-xive siècle), Toulouse, 2000, p. 481-482. Les frères des ordres militaires n’étaient, pour la plupart, pas des clercs, mais ils relevaient de toute façon du for ecclésiastique. Plusieurs cas – à commencer par Philippe d’Égly et Bonifacio de Calamandrana pour s’en tenir aux hospitaliers – illustrent le dilemme entre obéissance à l’institution ecclésiastique et service de l’État, dilemme souvent tranché grâce à la bénédiction papale dans le cas des Angevins (cf. les références citées supra n. 163). 188 D. Carraz, « Pro servitio maiestatis nostre », p. 32.

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quelques autres frères189. En dernier lieu, cette fidélité personnelle bénéficiait à l’Hôpital – il n’est qu’à rappeler comment la plupart des confirmations et mesures de protection octroyées par Charles II furent motivées par le service prodigué par le prieur de Saint-Gilles. On voit là comment les rapports de nature privée étaient encore susceptibles de contenir les logiques administratives et juridiques qui, sur le terrain, tendaient à imposer partout la souveraineté de l’État central aux dépens des pouvoirs locaux et coutumiers. * Loin d’être seulement taillés pour faire la guerre aux infidèles, les ordres militaires assumèrent surtout l’encadrement pastoral des fidèles dans les zones de l’arrière. En Provence, évêques et chapitres avaient confié aux hospitaliers un certain nombre d’églises rurales, tandis que leur installation en ville s’était accompagnée de la construction d’oratoires attenant aux commanderies, comme ce fut le cas à Aix. La concurrence pour les prélèvements des fruits de l’économie ecclésiale avait toutefois conduit à un durcissement des relations avec le clergé séculier dès le dernier tiers du xiie siècle. Sauf en de rares épisodes de tensions exacerbées par un contexte particulier – comme en 1229, lorsque des clercs arlésiens menèrent une attaque en règle contre l’église Saint-Thomas de Trinquetaille –, il n’est pas nécessaire de trop dramatiser les controverses autour des dîmes, des sépultures ou de la participation des paroissiens à la liturgie offerte par les églises conventuelles190. Les compositions, conclues avec l’aide d’experts en droit et susceptibles d’inspirer à leur tour la législation synodale, tendirent à normaliser la place des commanderies au sein de l’Ecclesia locale. Toutefois, au-delà de ces clauses moulées dans un cadre normatif, sur le partage des dîmes ou des legs, on mesure mal ce que ces revenus représentaient réellement dans le budget d’une église ou bien d’une maison religieuse. On a, certes, beau jeu d’évoquer « l’économie ecclésiale ». Mais si l’on peut bien qualifier d’économie les échanges complexes et multidimensionnels qui se développèrent à l’époque du tournant pastoral, ceux-ci demeurent difficilement quantifiables, encore pour le xiiie siècle. Sûrement existait-il des supports comptables – à Aix en 1258, hospitaliers et chanoines se partagèrent les revenus d’un dîmaire en monnaie sonnante ; et en 1251, les hospitaliers pouvaient fournir la liste des personnes inhumées à Saint-Pierre de Manosque. Indépendamment des registres des anniversaires dont on a simplement évoqué l’existence, la mention d’une telle « liste des morts », pour reprendre l’expression de Noël Didier, suggère que les hospitaliers tenaient bien un décompte des personnes ensevelies et surtout de leurs legs191. De ces oblations et autres mortalages, il ne reste que des traces incidentes et même exceptionnelles, comme le prix de cette vente d’un « lectus de mortalagio »192. Cette allusion est inscrite dans les comptes généraux de la baillie et,

189 Ibid., p. 35-36. 190 Sur les événements arlésiens : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 441-442 et 467-468. 191 N. Didier, « Henri de Suse », p. 268. 192 CoHMa, § 194 (6 avril 1287).

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de fait, il est parfois difficile de démêler ce qui ressort de la gestion des temporalia, de ce qui relèverait des spiritualia. À Manosque, les ressorts fonciers des églises du chapitre de Saint-Mary étaient soumis au dominium de l’Hôpital, tandis que les terres relevant de la directe de la commanderie devaient la dîme à la paroisse de référence. De manière générale, toutes les difficultés n’étaient pas aplanies au début du xive siècle, puisqu’un long débat sur les dîmes opposa encore les hospitaliers de Manosque aux chanoines de Forcalquier. Ces règlements, qui ont laissé des traces partout où les ordres militaires étaient implantés, sont surtout révélateurs des mutations ecclésiologiques du temps : affirmation de la juridiction de l’ordinaire et renforcement des seigneuries épiscopales d’un côté ; sans doute encore, de l’autre, rééquilibrage des attributions spirituelles et temporelles entre évêques et chapitres. En ce sens, lorsque les bulles pontificales relayant les plaintes des séculiers multipliaient les avertissements sur l’inhumation ou l’accueil des excommuniés, ce n’était pas tant les dérives des ordres militaires qui étaient en cause, que le contrôle de l’ordinaire sur les locis sacris ou autres res sacrae193. Les interventions récurrentes venues de Rome participaient, elles-aussi, d’un renforcement de la centralisation pontificale, notamment d’une surveillance accrue de la vie diocésaine. Le second concile de Lyon représenta à ce titre un tournant dans la collaboration entre l’Hôpital et le Siège apostolique, qui s’intensifia dans le cadre du subsidium Terre sancte, pour lequel la Provence – avec ses ports et la présence toujours plus insistante de l’autorité pontificale – constitua bientôt une base majeure. L’administration du Comtat Venaissin – on a remarqué ici l’importance des liens personnels portés par Guillaume de Villaret et quelques autres frères – représenta un atout supplémentaire. D’ailleurs, sans faire trop d’« histoire prospective », on peut se demander si, là ne s’est pas déjà joué l’avantage de l’Hôpital sur son alter ego du Temple194. C’est, en tout cas, dans ces perspectives qu’il faut comprendre l’appui que les hospitaliers recherchèrent auprès de la curie et même du pape en personne, ce dont témoigne la série de bulles soigneusement archivées par les diverses commanderies. Cependant, on peine à cerner les effets concrets de ces interventions sur le terrain et, parfois, on se demande même contre qui précisément celles-ci protégeaient les hospitaliers. On devine, toutefois, que les exemptions arrachées par l’Hôpital n’empêchèrent pas les pressions de la part d’agents zélés, à l’instar des collecteurs des décimes – une tension entre les décisions centrales et leur application locale qui, du reste, se pose dans les mêmes termes s’agissant de l’administration angevine. Dans le contexte provençal, le rapprochement entre Charles Ier et l’Hôpital fut progressif, peut-être parce que certains de ses dignitaires, à l’image de Bérenger Monge, restaient par trop liés aux réseaux de Béatrice de Savoie. Le règlement de 193 Sur cette question désormais classique : M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005, notamment p. 107-111. 194 Rappelons que l’on discuta déjà à Lyon, dans le cadre d’une réforme des deux ordres, de l’éventualité d’une fusion et que ces débats s’intensifièrent encore dans les décennies suivantes. Alain Demurger, qui rappelle « le tournant réussi au début du xive siècle » marqué par la conquête de Rhodes, suggère également que les hospitaliers furent alors moins inquiétés par la perspective de l’union (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 465-475 et 444-446).

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1262, négocié avec Féraud de Barras, constitua toutefois une pièce maîtresse dans la réorganisation des pouvoirs qui accompagna la mainmise angevine sur la Provence. La clarification se fit sur la base du droit féodal – il est question de major dominium et de segnoria, d’hommage et de fidélité –, plus que par la force d’une souveraineté indiscutable – les regalia ne sont pas évoqués, même si apparait le principe du mixtum et merum imperium. L’acte, qui insiste bien sur la présence de la comtesse Béatrice, servit dès lors de référence à l’établissement de saines relations entre le pouvoir comtal et l’ordre militaire. La médiation assurée par la série des papes acquis aux Capétiens – il faut rappeler ici la proximité entre Clément IV et Féraud de Barras – comme la convergence des terrains d’action – forte implantation de l’ordre militaire dans le Midi italien, soutien à la présence latine dans le royaume d’Acre – posèrent les bases d’une alliance objective. De fait, c’est surtout Charles II qui s’entoura de frères pour le conseiller ou leur confier des missions de circonstance. Sûrement est-ce aussi grâce au dévouement d’un Guillaume de Villaret – à la suite d’un Philippe d’Égly en d’autres lieux – que ce même souverain bénéficia de l’aide logistique et surtout financière de l’Hôpital195. L’engagement de l’institution fut, certes, encouragé et soutenu par le pape, mais il fut surtout redevable à la force de liens aristocratiques cultivés dans la durée. Si l’on suit une hypothèse récente, c’est ainsi qu’un frère issu de la haute noblesse provençale, Barral II de Baux, pouvait commander dans le premier tiers du xive siècle, pour orner sa demeure de Pernes, des peintures historiées glorifiant à la fois la conquête de la Sicile et son propre ancêtre196. Cependant, les rapports personnels pouvaient être indépendants des logiques administratives et juridictionnelles qui, localement, poussaient les officiers royaux à multiplier les intrusions dans les affaires des seigneuries hospitalières. À parcourir les inventaires d’époque moderne, en effet, on a l’impression qu’au tournant des xiiie et xive siècles, les préoccupations des commandeurs se focalisèrent presque uniquement sur la protection de leurs droits contre les empiètements de la justice royale197. Dans les seigneuries des ordres militaires, l’heure était décidément à la défensive, en cette période où la raison d’État finirait bientôt par l’emporter sur la puissance de l’ordre du Temple… Au cours de ce chapitre enfin, en même temps qu’ont été confirmées certaines logiques administratives propres à l’Hôpital, s’est affiné le profil de Bérenger Monge. Sa propension au compromis et sans doute un certain respect de la hiérarchie ecclésiastique se lisent dans les négociations conduites avec les autres églises, notamment à Trets et à Manosque. En ce dernier lieu, son préceptorat n’a pas laissé

195 Philippe d’Égly, prieur de France, prit l’initiative personnelle d’engager l’Hôpital dans l’affaire de Sicile, au détriment des intérêts de l’ordre ( J. Delaville le Roulx, Les hospitaliers en Terre Sainte et à Chypre, p. 221, 227 et 369). 196 Il s’agit des célèbres fresques de la Tour Ferrande, récemment réinterprétées par Térence Le Deschault de Monredon. Barral II de Baux fut lieutenant du maître au prieuré de Capoue (1309), puis commandeur de Gap et de Tallard dans les années 1310 (pour un rapide résumé des débats sur l’attribution de ces fresques, je me permets de renvoyer à D. Carraz et Y. Mattalia, « Images et ornements », p. 49-51). 197 Ce sont, en effet, les appels et autres « protestations » qui dominent largement les analyses des actes conservés avec soin pour les années 1290-1310 (Bibl. mun. d’Avignon, ms. 4933, f. 111-112v ; inventaire de 1636 ; 56 H 20, f. 34-37).

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le souvenir de frictions particulières avec le reste du clergé – tout au moins en ce qui concerne les spiritualia et leurs revenus, car les discussions furent autrement plus serrées dès lors qu’entrait en jeu la domination sur la terre et sur les hommes. Le commandeur a probablement pu approcher les deux princes Angevins, à l’occasion de leurs séjours provençaux, mais il fut surtout en contact avec Béatrice de Savoie et sa fille. Invité bien plus occasionnellement qu’un Guillaume de Villaret ou même qu’un Raimond de Grasse à servir le prince ou la curie, il n’hésita pas à entretenir des liens avec le pape pour préserver les prérogatives de ses deux commanderies. On entrevoit donc un élargissement du périmètre local où semblait plutôt l’enfermer sa gestion entre Aix et Manosque : sans doute effectua-t-il un déplacement à Gênes, pour rencontrer Innocent IV, et même au concile de Lyon, dans la suite du prieur. Ce que l’on devine donc ici de son action et de ses rapports avec les grandes puissances du temps, conforte l’envergure sociale dont on a déjà dessiné les contours : chevalier issu d’une famille locale liée comme tant d’autres à l’autorité comtale, Bérenger Monge a su se servir du tremplin offert par l’administration de deux commanderies majeures, pour entrer dans les cercles du pouvoir, même par la petite porte. Certes, son rayonnement au sein de l’Hôpital et dans le monde n’eut rien de comparable à celui de certains de ses frères, mais probablement se satisfit-il, encore une fois, de « régner » presque sans partage sur Manosque et de paraître, quand bon lui semblait, à la capitale de la contrée.

Chapitre viii

Du local à l’universel Le prieuré de Saint-Gilles et l’Orient latin

À force de compulser les chartriers et les cartulaires produits par les commanderies ou bien de manier les chiffres extraits des comptabilités locales, la plupart des historiens inspirés par la grande génération de Georges Duby et de Pierre Bonnassie avaient finalement perdu de vue le cœur même de la mission des ordres militaires, à savoir la défense de la Terre sainte et des autres frontières de la chrétienté1. Il est vrai qu’en s’attachant à suivre Bérenger Monge et ses frères entre Aix et Manosque, on a vite fini par oublier que ces hospitaliers provençaux avaient surtout vocation à servir leur ordre outre-mer. On peut, de même, omettre que la commanderie ne constituait que le dernier maillon d’un organigramme complexe qui ressortit à une institution pensée à l’échelle universelle. Prenons donc un peu de hauteur en envisageant à présent le prieuré de Saint-Gilles et les deux commanderies gérées par Bérenger Monge au sein de l’organisation générale de l’Hôpital. On le fera en raisonnant en termes d’espace et de communication car ces deux approches aident à comprendre les processus d’institutionnalisation. Qu’est ce qui a donné corps au prieuré de Saint-Gilles en tant que territoire administratif, sinon la circulation des frères et de l’information d’une maison à l’autre ? Ce sont, en effet, les visites du prieur et de ses lieutenants, autant que les déplacements vers le chapitre provincial, qui ont donné vie au réseau des commanderies formant la province. La communication constitua encore un enjeu cardinal pour une institution vécue comme universelle : l’expédition de messages comme les déplacements des dignitaires furent à la base des rapports verticaux entre le couvent central à Acre et la hiérarchie régionale du prieur et des commandeurs. Destinées à assurer le fonctionnement de l’ordre au quotidien, les communications horizontales entre commanderies déterminèrent, quant à elles, un espace institutionnel plus immédiat. Envisager ces questions revient finalement à s’intéresser aux hommes, c’est-à-dire aux responsables de ces différents échelons de l’institution hospitalière. La figure du commandeur, déjà maintes fois évoquée, laissera surtout la place à celle du prieur de Saint-Gilles, ainsi qu’à ses substituts qui contribuèrent à administrer la vaste province qui s’étendait à l’ensemble des pays d’oc. C’est donc en continuant

1 Contrairement à Georges Duby, Pierre Bonnassie n’a pas lui-même travaillé sur la documentation locale des ordres militaires. Cependant, outre une bonne dizaine de mémoires de maîtrise, il dirigea les thèses de Laure Verdon et d’Antoine-Régis Carcenac. Tous ces travaux réalisés à partir des archives des commanderies relèvent de la solide tradition d’histoire socio-économique, à dominante ruraliste, qui se pratiquait alors. La liste des mémoires dirigés par P. Bonnassie figure dans H. Débax (dir.), Les sociétés méridionales à l’âge féodal (Espagne, Italie et sud de la France, xe-xiiie siècles). Hommages à Pierre Bonnassie, Toulouse, 1999, p. 413-421.

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à démêler le fil de la carrière de Bérenger Monge et des dignitaires de sa génération que l’on s’efforcera de comprendre le fonctionnement d’une institution pensée à l’échelle régionale. Comme on le verra, Bérenger Monge aurait pu accéder au poste de prieur, mais il a préféré s’en détourner. Pour comprendre ce choix, il faut savoir ce qu’impliquait une telle charge. Le prieurat fournit, en effet, un niveau d’observation susceptible de cerner les mutations institutionnelles décisives qui caractérisèrent la seconde moitié du xiiie siècle. En Provence, cette période fut personnifiée par les deux figures exceptionnelles que furent Féraud de Barras et Guillaume de Villaret. Exceptionnels, ces deux dignitaires le furent, déjà, par la longueur de leur mandat qui témoignait d’une rupture dans la conception de la charge. À rebours du système de mutations relativement rapide encore observé dans les années 1230, l’enracinement dans les diverses dignités offertes par l’Hôpital montre sans doute une spécialisation croissante des différents échelons administratifs. Un allongement des charges, donc, qui se combinait avec cette spécificité, propre aux ordres militaires, du dédoublement des fonctions imposé par l’implantation de part et d’autre de la Méditerranée. Ces décennies 1250-1300 annoncent en ce sens la concentration, qui se fera jour à la fin du Moyen Âge, des offices et des honneurs au profit d’une élite de dignitaires. Dès l’époque de Barras, l’office ne représentait plus seulement un service, il participait encore d’une stratégie d’ascension personnelle. En même temps, l’évolution perceptible à l’échelle d’un prieuré d’Occident s’est trouvée étroitement reliée à la situation stratégique et économique de l’Orient latin. Les difficultés des armées chrétiennes face à la puissance montante des pouvoirs islamiques, à partir du milieu du siècle, rendirent toujours plus précaire la position des ordres militaires dans les États latins. Lorsque l’Hôpital commença à perdre l’une après l’autre ses positions – Belvoir autour de 1263, le Crac des Chevaliers en 1271, Margat en 1285, Tripoli en 1289 –, l’équilibre qui s’était instauré entre l’Est et l’Ouest dans le gouvernement général a pu être remis en question2. C’est dans ce nouveau contexte que s’inscrit le prieurat de Villaret qui, comme le note Pierre Santoni, « a préparé ou inauguré une époque où le centre de l’ordre de Saint-Jean est moins à Rhodes qu’au bord du Rhône »3. Le statut du prieur plaçait incontestablement le détenteur de cette charge au niveau social d’un abbé important ou d’un évêque. Le personnage ne s’entourait donc pas seulement d’une familia domestique ; il s’appuyait surtout pour administrer sa province sur des dignitaires de confiance, parmi lesquels Bérenger Monge a représenté une figure dominante. Ce dernier, pourtant, ne s’est probablement

2 Sur les événements militaires : M.-A. Chevalier, Les ordres-religieux militaires en Arménie cilicienne, Paris, 2009, p. 532-544 ; J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, p. 207-213. Le transfert des quartiers généraux à Chypre, après 1291, fut certes précédé de quelques hésitations ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 136-137). Toutefois, même après la chute d’Acre, ni le Temple ni l’Hôpital ne songèrent à rapatrier en Occident les structures dirigeantes de leur institution. 3 P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré de Saint-Gilles de l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem », dans Des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, de Chypre et de Rhodes hier aux chevaliers de Malte aujourd’hui, Paris, 1985, p. 163.

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jamais rendu en Orient. Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il ait ignoré les réalités de la présence latine en Syrie. L’une des missions principales des commanderies de l’arrière, le fait est désormais bien étudié, était d’acheminer vivres, matériel et combattants vers le front4. Par conséquent, le responsable d’une commanderie du niveau de Manosque et d’Aix était nécessairement fort impliqué dans ce que les acteurs du temps nommaient le subsidium Terre sancte5. Répétons-le, Bérenger Monge a vécu les années cruciales d’une Terre sainte en sursis, que les Latins n’envisagèrent à aucun moment d’abandonner aux infidèles. Aussi, contrairement à une opinion commune, même au-delà de 1291, les croisades n’ont jamais appartenu au passé. La Provence restera plus que jamais au cœur des décisions stratégiques et du déploiement logistique visant, avec la conquête de Rhodes, à consolider les bases de la présence latine en Méditerranée orientale afin de récupérer la Terre sainte.

Une maturité institutionnelle : le prieuré de Saint-Gilles et ses baillies La stature du prieur

Orientée par le propre découpage administratif de l’Hôpital en prieurés, l’approche régionaliste de l’historiographie explique que la figure du prieur ait servi de fil-directeur à bien des travaux fondateurs depuis le xixe siècle. L’œuvre plus ancienne encore de Jean Raybaud sur les prieurs de Saint-Gilles a fourni un matériau primordial dont Pierre Santoni a tiré une première synthèse6. Mais, ici comme ailleurs, ces monuments d’érudition n’ont toujours pas été remplacés et on manque de réflexions renouvelées, dans la veine de ce qui existe, par exemple, sur les prieurs d’Angleterre7. Jean Raybaud et Pierre Santoni à sa suite ont éclairé l’investissement de ces dignitaires dans la fondation puis la consolidation institutionnelle des premières



4 Pour une vue globale de la question : Ph. Josserand, « De l’arrière au front : perspectives croisées, perspectives comparées. Regards sur la logistique des ordres militaires au Moyen Âge », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), As ordens militares. Freires, guerreiros, cavaleiros, vol. 2, Palmela, 2012, p. 683-703. 5 On trouve, entre autres, cette expression dans les registres de la chancellerie angevine : RCA, t. 3 (1951), p. 189, no 474 (20 février 1270) ; F. Tommasi, « L’ordinamento geografico-amministrativo dell’Ospedale in Italia (secc. xii-xiv) », in A. Luttrell et F. Tommasi (dir.), Religiones militares. Contributi alla storia degli ordini religioso-militari nel medioevo, Pérouse, 2008, PJ no 3, p. 108 (21 juillet 1313). 6 P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré », p. 114-183. Bien qu’il propose un premier profil social et institutionnel de ces dignitaires, l’article se concentre surtout sur leur action à Saint-Gilles même. 7 S. Phillips, The Prior of the Knights Hospitaller in Late Medieval England, Woodbridge, 2009. L’angle d’analyse, qui s’attache au service de la Couronne entre le dernier tiers du xiiie et le milieu du xvie siècle, est ici plus politique que tourné vers une histoire interne de l’ordre.

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commanderies8. À Manosque, les négociations avec les comtes de Forcalquier comme avec les habitants avaient été du ressort exclusif des prieurs successifs9. Or, l’interventionnisme de ces hauts dignitaires était toujours patent à l’époque de Bérenger Monge. On a déjà évoqué l’intérêt de Féraud de Barras pour la maison d’Aix, où son homonyme et probable oncle avait lui-même commencé sa carrière10. Il est surtout signalé fréquemment à Manosque où il disposait de sa propre camera au rez-de-chaussée du palais : entre 1260 et 1263 notamment, il résida là plusieurs mois11. Certes, par rapport à Aix, Manosque bénéficie toujours de cet avantage documentaire et notamment des comptabilités qui renseignent sur les frais occasionnés par les séjours du prieur et de sa suite. Il n’empêche que Féraud de Barras devait être spécialement attaché à cette haute vallée de la Durance, où se situaient également la seigneurie familiale ainsi que le palais de Puimoisson qui accueillait certains de ses séjours12 (pl. 8). Ses fonctions auprès de la cour angevine durent, en revanche, plutôt retenir Guillaume de Villaret à Aix13. Aussi, peut-on présumer que si la conservation des archives avait été ici plus favorable, cette dernière commanderie serait apparue particulièrement grouillante d’activité dans les années 1270-1300. Manosque, toutefois, ne perdit rien de sa position dans les itinéraires du prieur. Villaret, qui veilla par ailleurs aux intérêts de l’ordre en Haute-Provence, s’y fixa parfois – comme en 1284 et 1286 – et se soucia toujours des bonnes relations avec l’universitas, dont il confirma les privilèges en juillet 1300. Si l’on reste donc focalisé sur la petite fenêtre circonscrite par Saint-Gilles, Aix et Puimoisson, le mode de vie des prieurs n’est pas sans rappeler, à quelques nuances près, le nomadisme des seigneurs provençaux les plus relevés, ceux qui avaient les moyens de vaquer avec leur suite de palais urbain en château rural14. Certes, il pouvait y avoir de cela dans la vie d’un Barras ou d’un Villaret, lorsque l’on songe au cadre de vie offert par les palais de Manosque et de Puimoisson. Se limiter à cet horizon, cependant, serait très réducteur car ces dignitaires avaient la charge d’une province s’étendant des Alpes aux Pyrénées, qu’ils devaient bien



8 Certains dossiers montrent la grande marge de manœuvre dont bénéficiaient ces dignitaires lorsqu’ils étaient très bien implantés localement. L’installation, par Bertrand de Comps en 1232, d’une communauté de frères dans le castrum de Comps, relève ainsi d’une tradition de fondation lignagère ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 142 ; Th. Pécout, Une société rurale du xiie au xve siècle, vol. 1, p. 615-616). 9 Jean Raybaud a notamment retenu les actions de Bermond de Luzençon, de Bertrand de Comps et de Bertrand de Barres, du reste souvent liées au développement de la proche commanderie de Puimoisson ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 116, 142-143, 151, 154). 10 An. II, B-3 (interventions à Aix) et An. II, D-1, no 5. En 1180, le frère Féraud de Barras est témoin à Aix de la confirmation de la donation du comte Guigues de Forcalquier (CGH, t. 1, no 578). 11 An. II, D-1, no 5, aux années 1251, 1252, 1256, 1257, 1260 à 1263. 12 Son investissement dans la consolidation de l’assise seigneuriale de la commanderie de Comps va dans le même sens (Th. Pécout, Une société rurale, p. 617-618). 13 An. II, D-1, no 6, aux années 1285 à 1287, 1291, 1292 et 1297. 14 On peut se référer, pour la Provence, à l’exemple récemment étudié des Baux : M. Poirier, « Hiérarchisation des demeures seigneuriales et nomadisme chez les seigneurs des Baux », in N. Faucherre et alii (dir.), Le nomadisme châtelain, ixe-xviie siècle, Chagny, 2017, p. 60-80.

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sillonner15. Lorsqu’il visitait une commanderie, le prieur pouvait donc toujours intervenir dans les affaires locales. Pour certaines actions de Bérenger Monge, on voit bien que se maintenait ce droit de regard du supérieur hiérarchique. En 1258 par exemple, le commandeur de Manosque dut promettre que Féraud de Barras approuverait bien l’acte par lequel une certaine Dulciana Chabassia remettait tous ses biens à l’ordre, au moment d’élire sépulture16. Toutefois, les équilibres hiérarchiques n’avaient plus grand-chose à voir avec ce qu’ils étaient encore jusque dans les années 1230. Les prieurs s’étaient progressivement retrouvés à la tête d’un ressort provincial très vaste, constitué de commanderies toujours plus nombreuses et mieux dotées, tandis que l’appareil administratif avait dû, par la force des choses, se complexifier. Ils avaient donc dû se reposer davantage sur les commandeurs, dont le profil, bien représenté par le cas de Bérenger Monge, avait lui-même évolué. La seconde moitié du xiiie siècle, pleinement dominée par les personnalités de Barras et de Villaret, fut effectivement marquée par des mutations institutionnelles décisives. La nomenclature des prieurs de Saint-Gilles montre bien que, jusque-là, la succession dans la charge avait été relativement rapide, puisqu’un mandat durait autour de trois ou quatre années en moyenne17. Or, Barras (1244-1269) et Villaret (1270-1300) furent en poste pendant respectivement 25 et 30 ans et ce dernier conserva même sa charge encore quatre années, après avoir été élu maître en 1296. Cet enracinement dans l’office, que l’on a déjà observé au niveau des commandeurs, s’inscrivait bien désormais dans une logique institutionnelle18. L’autre tendance, bien attestée au sommet de la hiérarchie, est le cumul des mandats19. Entre 1259 et 1266, Féraud de Barras occupa en même temps le poste convoité de grand commandeur deçà-mer20. Dans ces années, sur son sceau comme dans les actes officiels, il s’afficha du reste comme magnus preceptor cismarini et non comme

15 L’ouvrage d’Antoine du Bourg montre assez les parcours de Féraud de Barras et surtout de Guillaume de Villaret dans la partie toulousaine du prieuré (A. du Bourg, Histoire du grand prieuré de Toulouse, Toulouse, 1883, p. 4-6, 87, 98, 99, 277, 344, etc.). Raybaud confirme que Barras séjournait très fréquemment en Toulousain et Gascogne ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 162). 16 56 H 4641 (20 février 1258). 17 An. II, B-3 ; P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré », p. 154. 18 La charge de prieur fut conférée à Barras « pour dix années, selon l’usage qui s’introduisit alors dans la collation des prieurés et des commanderies » ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 155). 19 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 436-437. 20 Cette charge, qui existait dans les trois ordres universels, n’était pas systématiquement pourvue car elle répondait plutôt à des besoins conjoncturels (A. Forey, « The Office of Master deça mer in Military Orders », in K. Borchardt et alii (dir.), The Templars and their Sources, Londres-New York, 2017, p. 125-132). Pour l’Hôpital, voir surtout : J. Delaville le Roulx, Les hospitaliers en Terre sainte et à Chypre, p. 358-361 et 414-415 (liste à compléter). La fonction ne doit pas être confondue avec celle, tout aussi conjoncturelle, de grand commandeur chapeautant un ensemble provincial (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 224-226).

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prieur, preuve du prestige attaché à cette charge qui en faisait le représentant direct du maître en Occident21. La charge de prieur bénéficiait également d’une évolution déjà évoquée qui, progressivement, tendait vers l’instauration d’un système bénéficial. Par le dispositif de la « chambre » (camera), les revenus d’une ou plusieurs commanderies étaient ainsi alloués aux besoins personnels d’un dignitaire. Si le principe ne fut pas formalisé par les statuts avant le début du xive siècle, il existait déjà dans les faits depuis quelques décennies22. C’est ainsi que l’on explique que Féraud de Barras, une fois devenu prieur, conserva encore la commanderie de Puimoisson jusqu’en 126423. Toutefois, c’est seulement à partir du xive siècle, que les actes de la pratique montrent que le bénéfice de la camera était définitivement entré dans les mœurs24. Cette autonomie financière permettait au prieur de s’entourer d’une pompe digne d’un grand seigneur. L’accompagnait dans ses déplacements, une véritable « societas » comprenant écuyer, messager, notaire et même, privilège des grands du temps, un chapelain personnel25. Toute cette suite vivait d’ailleurs aux frais de la commanderie lorsque Féraud de Barras était en visite à Manosque26. L’habitude de s’entourer de membres de la parenté – en général un neveu, lui-aussi entretenu aux frais de l’institution – était encore caractéristique de certaines formes de comportement aristocratique27. L’équipe resserrée qui suivait le dignitaire illustre, à sa manière, la division des tâches qui caractérisait désormais l’administration de la province. De ce point de vue, les mandats de Féraud de Barras puis de Guillaume de Villaret constituèrent 21 Dans les écritures moins officielles comme les comptabilités, Féraud de Barras était indistinctement appelé « prior » ou « magnus preceptor » (56 H 835, f. 1r-v, 3v, 11-12, 36-37, 40…). 22 Le dispositif de la chambre fut organisé par le chapitre général de 1301, tandis qu’en 1303, on fixa à quatre le nombre de baillies qu’un prieur pourrait recevoir ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 149-150). Mais il existait déjà bien avant, car un statut de 1262 mentionne déjà la « chambre ou baillie » dont un prieur pouvait disposer (CGH, t. 3, no 3039, § 29 ; 19 septembre 1262). 23 À cette date, Foulques de Thoard apparaît comme commandeur (M.-J. Maurel, Histoire de la commune de Puimoisson et de la commanderie des chevaliers de Malte, Paris, 1897, p. 376 ; cf. An. II, D-1, no 5). 24 Dragonet de Mondragon reçut la commanderie d’Aix à partir de 1302, tandis qu’Hélion de Villeneuve garda les commanderies de Manosque et de Puimoisson et reçut en plus, à partir de 1317, celle de Ruou ainsi que les seigneuries de Vinon et Ginasservis ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 222, 256 et 264). 25 …dominus prior predicti Hospitalis cum societate sua et unus frater vel unus scutifer vel unus tratarius… (56 H 4372 ; 16 janvier 1249) ; …fratre Giraudo capellano dicti prioris Sancti Egidii… (56 H 4175 ; 1234). Sur l’entourage ecclésiastique des grands nobles provençaux : F. Mazel, « Aristocratie, église et religion au village en Provence (xie-xive siècle) », in L’Église au village. Lieux, formes et enjeux des pratiques religieuses, Toulouse, 2006, p. 178-179. 26 Dépenses pour l’écuyer (56 H 835, f. 21, 37, 42v…), le messager (f. 17, 22v, 36v, 42v, 45… ; CoHMa, § 170, 171 et 231), le notaire du prieur (f. 42v, 45v…) ; « pro masnada » ou « societas domini prioris » (f. 43v, 48r-v…). 27 …in carnibus pro nepote magni preceptoris ; Item in pullos iiii sol. pro nepotem domini p(receptoris) mag(ni) ; xii d. in chabatis nepotis magni preceptoris (56 H 835, f. 19v, 30v et 31). Pratique que l’on retrouve pour le maître Jean de Villiers lors de son passage à Manosque, en 1286, dont le neveu se faisait même accompagner de sa propre mesnie (CoHMa, § 164 ; 8 septembre 1286).

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un tournant. Face à l’étendue de la province dont il devait s’occuper, le prieur prit l’habitude de se reposer de plus en plus fréquemment sur des lieutenants. Alors que, depuis 1253 au moins, était apparu un lieutenant en Toulousain, Bérenger Monge fut investi de cette même fonction pour la Provence en 126428. Le lieutenant agissait pleinement au nom du prieur et disposait à ce titre du sceau du prieuré, mais, par définition, sa fonction ne pouvait pas être permanente29. Comme nous le verrons plus loin cependant, le mandat fut amené à être reconduit de plus en plus fréquemment, si bien que, dans la partie provençale, un lieutenant fut presque régulièrement en fonction au cours du dernier tiers du xiiie siècle30. En outre, a déjà été évoquée la charge de clavaire, occupée vers 1253-1257 par le commandeur de Montpellier, Guilhem Scriptor31. En l’état des connaissances, on suit assez mal l’évolution de cet embryon d’administration financière avant l’apparition des receveurs dans la première moitié du xive siècle32. Le chapitre provincial de 1277 institua, par ailleurs, la charge de « syndic et économe » : celle-ci était confiée à plusieurs commandeurs – six furent alors désignés – qui étaient, semble-t-il, affectés chacun à une circonscription territoriale33. Si le terme de syndic renvoie à un statut équivalent au lieutenant, celui d’économe suggère que ces frères remplissaient bien une fonction financière34. À l’échelle d’une province étendue aux pays de langue d’oc, autour du prieur, le gouvernement de l’Hôpital était donc aux mains d’une équipe resserrée et périodiquement renouvelée. Le lien hiérarchique entre cette administration centrale et

28 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 162 et 174. Jusque-là, la nomination de lieutenants avait été réservée à des circonstances particulières, notamment la vacance du prieurat (ibid., p. 52, 100-102, 106…). 29 Sur l’usage du sceau du prieuré, p. ex. : Ego memoratus frater Segnoretus [tenens locum prioris in prioratu Sancti Egidii] […] presentem paginam generali sigillo prioratus Sancti Egidii volui roborars… (56 H 4199 ; 18 septembre 1215 ; le sceau a disparu). 30 Il est probable que le même système de délégation quasi-permanente fut à l’œuvre dans la partie languedocienne et gasconne mais cela n’a, à ma connaissance, pas été étudié. 31 Celui-ci agit également comme vice-prieur en Toulousain en 1258 : …Petrus de Villa Muro, preceptor domus Hospitalis Iherusalem Tholose, de concilio et assensu expresso domini fratris Willelmi Scriptoris, preceptori domus eiusdem Hospitalis Montepessulano, gerentis vices domini prioris Sancti Egidii in domo Tholose… (Arch. dép. de la Haute-Garonne, H Malte Toulouse 393, no 9 ; juin 1258). 32 Apparue dans le contexte de l’installation de la papauté à Avignon, la fonction était essentiellement liée à la centralisation des responsions et à leur expédition à Rhodes ( J. Sarnowsky, « The Rights of the Treasury : the Financial Administration of the Hospitallers on Fifteenth-Century Rhodes, 1421-1522 », in H. Nicholson (dir.), The Military Orders, vol. 2, Welfare and Warfare, Londres, 1998, p. 270). 33 Dans les faits, des dignitaires agissaient déjà depuis quelques années avec ce titre de « syndic et économe » ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 186 et 193). 34 Du fait du caractère temporaire de leur mandat, ces frères n’étaient donc pas spécialisés dans le domaine comptable, comme c’était d’ailleurs le cas pour d’autres ordres religieux (D. Riche, « La vérification des comptes dans les ordres religieux : les hommes et la procédure », in Ph. Contamine et O. Mattéoni (dir.), La France des principautés. Les chambres des comptes, xive et xve siècles, Paris, 1996, p. 257-258).

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l’échelon local constitué par les commanderies était assuré par ce qu’il est désormais convenu d’appeler des « systèmes de communication35 ». L’administration du prieuré : communication et institutionnalisation

Dans le giron des programmes collectifs menés en Allemagne sur l’institutionnalité, plusieurs travaux ont envisagé les systèmes de communication internes aux ordres religieux et la façon dont ces systèmes participaient eux-mêmes du processus d’institutionnalisation36. Ces préoccupations ont très vite rejoint les réflexions centrées sur les pratiques de l’écrit, dans la mesure où seules les archives témoignent aujourd’hui des formes de communication instaurées entre les différents rouages institutionnels composant un ordre religieux37. Deux mécanismes répondant à la fois aux fonctions de contrôle et de communication ont fait l’objet d’une attention particulière : le chapitre et la visite. Le tableau ci-dessous suggère que les chapitres du prieuré de Saint-Gilles étaient bien réunis selon un rythme annuel depuis les années 1260 au moins, même si l’éclairage documentaire sur le dernier tiers du xiiie siècle donne peut-être une vision déformée de l’évolution dans la longue durée38 (fig. 18). La date du chapitre est, en effet, systématiquement mentionnée dans les comptabilités car l’exercice était arrêté une semaine auparavant, afin que chaque commandeur puisse présenter ses comptes et apporter les responsions de sa baillie39.

35 F. Cygler, « Caractères et contenus de la communication au sein des ordres religieux au Moyen Âge : les transferts internes d’information », in C. Andenna et alii (dir.), Die Ordnung der Kommunikation und die Kommunikation der Ordnungen, 1. Netwerke : Klöster und Orden in Europa des 12. und 13. Jahrhunderts, Stuttgart, 2012, p. 77. 36 Je m’en tiens à l’article cité à la n. précédente qui renvoie à la bibliographie de référence. Et pour cerner le cadre heuristique plus large : G. Melville, « L’institutionnalité médiévale dans sa pluridimensionnalité », in J.-Cl. Schmitt et O. G. Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, 2003, p. 243-264. 37 Là encore, afin de ne pas nous perdre dans des méandres bibliographiques, je ne retiens que C. M. Kasper et K. Schreiner (dir.), Viva vox und ratio scripta. Mündliche und schriftliche Kommunikationsformen im Mönchtum des Mittelalters, Münster, 1997. Comme de coutume, les ordres militaires sont absents de ce vaste ensemble de travaux consacrés à l’institutionnalité de la vita regularis. J’ai cependant esquissé quelques pistes sur le lien entre processus d’institutionnalisation et pratiques archivistiques : D. Carraz, « “Segnoria”, “memoria”, “controversia” », p. 66-69. Les réflexions menées sur les institutions régulières finissent donc par atteindre les spécialistes des ordres militaires, comme en témoigne le thème du 20e colloque de Torun, tenu en septembre 2019 : « Die Kommunikation in den Ritterorden : Räume – Strukturen – Formen ». 38 Le relevé établi pour le prieuré de Castille-León révèle, de même, que l’annualité du chapitre est acquise dans les dernières décennies du xiiie siècle (Ph. Josserand, Église et pouvoir dans la Péninsule ibérique, p. 438-439). 39 Notons que ce chapitre prieural est appelé « capitulum generale », sans doute pour le distinguer du chapitre propre à chaque commanderie.

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lieu

nombre de frères présents mentionnés

référence

1123, juin 2 1164, juin

Saint-Gilles Saint-Gilles

  Raimond de Tiberias, cdeur de Jérusalem   20 frères cités « et tous les autres » 36 frères cités         16 frères cités (liste partielle de Raybaud)     3 frères et « plusieurs autres » 29 frères cités     6 commandeurs dont Bérenger Monge40 45 frères cités

CGH, t. 1, no 69 CaHSG, no 323

CaHSG, no 134 56 H 4850 Raybaud, ms. 339, p. 88-89 56 H 2625, f. 20 56 H 2625, f. 33v ?] 56 H 835, f. 11v 56 H 835, f. 20v 56 H 835, f. 31 ; ms. 339, p. 89 1263, mai 27 Saint-Gilles 56 H 835, f. 39v 1268, mai ? Saint-Gilles Raybaud, t. 1, p. 178 1270, juin 26 Arles 56 H 4836 1273, mai 22 Arles CGH, t. 3, no 3508 1277, juin Saint-Gilles Raybaud, t. 1, p. 193 1278, juillet 24 ? Raybaud, t. 1, p. 194 56 H 4098 ?] [1279, juillet 11 Saint-Gilles 1283, juillet 24 Saint-Gilles CGH, t. 3, no 3839 ; CoHMa, § 1 1284, juillet 9 Arles 61 frères cités ms. 339, p. 92-93 ; CoHMa, § 51 1285, mai 27 Saint-Gilles   CoHMa, § 97 1286, fév.-mars ? Saint-Gilles ? chapitre exceptionnel convoqué par CoHMa, § 135 le maître 1286, juin 9 Saint-Gilles   56 H 68, f. 481 ; CoHMa, § 151 1287, juin 22 Arles   CoHMa, § 205 1288, mai 30 Saint-Gilles   CoHMa, § 254 1289, juin 19 Arles   CoHMa, § 309 1290, mai 28 ? ? déplacement de Bérenger Monge CoHMa, § 356 1292, août Aix   RCA, t. 40, p. 114 1293, octobre 4 Montpellier 40 frères cités LPM, no 38, p. 128 ; ms. 339, p. 131 [1297 Marseille chapitre général CGH, t. 3, no 4461] 1299, juillet 12 Nîmes   56H4634 : CoHMa, suppl., p. 144 1201, juin 3 1233, juillet 27 1246, juillet 15 1256, [juin ?] [1257 1260, juillet 26 1261, juillet 24 1262, juillet 16

Saint-Gilles Saint-Gilles Saint-Gilles Saint-Gilles Orange Saint-Gilles Saint-Gilles Saint-Gilles

Fig. 18. Les chapitres du prieuré de Saint-Gilles recensés pour les xiie-xiiie siècles

40 Il n’est pas fait explicitement mention de chapitre, mais le nombre de commandeurs autour du prieur laisse croire que se tenait alors une réunion (56 H 4098 ; acte très effacé, mentionné par J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 197-198).

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Originellement fixée au dimanche suivant la Pentecôte, la tenue fut parfois décalée d’une à deux semaines, tandis qu’à partir du dernier tiers du xiiie siècle, la place centrale de Saint-Gilles s’effaça relativement au profit d’autres commanderies importantes, notamment Saint-Thomas de Trinquetaille à Arles. Certaines réunions extraordinaires pouvaient être convoquées selon les circonstances. Au hasard de la comptabilité conservée, on trouve ainsi trace en 1257 d’un énigmatique chapitre à Orange, qui correspond peut-être à une réunion locale41. Le chapitre rassemblé à Aix à l’été 1292 pour discuter du subside à Charles II a déjà été signalé. À l’hiver 1286, il semble bien que le maître Jean de Villiers ait profité de sa présence en Provence pour convoquer une réunion extraordinaire42. Dans une province aussi vaste, il n’était pas question d’attendre que se présente l’ensemble des titulaires d’une commanderie. Aussi l’assemblée était-elle composée en moyenne d’une bonne trentaine de dignitaires. En 1233, parmi la vingtaine de présents nommés, se trouvaient des représentants de sous-ensembles régionaux extérieurs à la Provence : prieur de Toulouse, commandeurs de l’Agenais, d’Auvergne, du Vivarais et de Rouergue. Les commandeurs cités étaient titulaires de maisons provençales dans neuf cas et, pour le reste, venaient du Bas-Languedoc (Alès, Nébian, Campagnolles, Montpellier, Narbonne, Saint-Christol). Pour 1246, la liste préservée par Jean Raybaud comprend 36 noms : on trouve encore quelques responsables de sous-provinces (Toulouse, Bordelais, Quercy, Vivarais et Gévaudan) et des commandeurs venus du Languedoc ou du Viennois (Le Poët-Laval, Valence, Montélimar), mais la majorité des frères dirigeait des maisons provençales. Dans les années 1270-1280, se dessine peu ou prou la même distribution géographique centrée sur la Provence et ses espaces limitrophes – Languedoc méditerranéen, Sud du Massif central, Viennois, jusqu’à la Savoie avec les Échelles43. En 1284, ce n’est pas moins d’une soixantaine de noms qui confirment, à l’occasion du chapitre réuni à Saint-Thomas de Trinquetaille, une transaction entre Guillaume de Villaret et Bertrand, évêque de Cavaillon, à propos de la maison de Bonpas44. Pour une raison qui nous échappe, cette réunion revêtait sans doute une importance exceptionnelle car y figuraient des responsables de maisons modestes qui n’étaient habituellement pas représentées (Capestang, Marseillan, Trignan, Valdrôme, Claret…), ainsi que des frères dépourvus de titulatures. En 1293, alors que le chapitre se tenait exceptionnellement à Montpellier, près de la moitié des dignitaires cités venaient de la partie toulousaine du prieuré. Toutefois, dès les années 1250, l’éloignement géographique avait déterminé Féraud de Barras à instituer un chapitre propre à la partie toulousaine qui se tenait en principe

41 Pour une réunion locale, ce chapitre est, toutefois, mentionné à plusieurs reprises dans le registre, tandis que certains commandeurs y apportèrent leurs responsions (56 H 2625, f. 33v, 41, 52). 42 Si l’on comprend bien, en février 1286, des débours étaient occasionnés par le messager venu à Manosque annoncer la tenue du « chapitre général » (CoHMa, § 135, et p. xxxiii sur la présence du maître). 43 CGH, t. 3, no 3508 (22 mai 1273) et no 3839 (24 juillet 1283). 44 Raybaud a transcrit par ailleurs l’acte d’où il a tiré la liste des présents (ms. 339, p. 124-126).

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le troisième dimanche après Pâques45. Avec ce « sous-chapitre » provincial et la création de lieutenants se dessinait déjà dans les faits la scission entre les prieurés de Saint-Gilles et de Toulouse qui finirait par être entérinée en 131746. Sans doute les titulaires des principales commanderies provençales étaient-ils assidus à cette réunion annuelle, à l’instar de Bérenger Monge. Si ce dernier n’est explicitement mentionné qu’à sept reprises – 1262, 1270, 1273, 1279, 1283, 1284 et 1290 –, son absence dut être exceptionnelle (fig. 18). Le chapitre de 1270 n’est connu que par la ratification d’un accord avec les habitants de Puimoisson, où Bérenger Monge apparaît parmi les trois seuls frères nommément cités47. Deux autres fois, en 1273 et 1284, son nom figure en tête de la longue liste des présents, juste après le prieur, ce qui reflète l’influence dont il jouissait à l’échelle de la province. Son rayonnement se manifesta encore en 1283, lorsqu’il prit sans doute la parole pour faire ratifier par l’assemblée la fondation pieuse qu’il venait d’établir à Manosque48. À l’exception du chapitre de 1262, où il est inscrit comme commandeur d’Aix, il figure toujours comme commandeur de Manosque seulement : faut-il y avoir une marque de la prééminence de cette maison, ou bien la mention était-elle déterminée, plus formellement, par le fait que le déplacement s’effectuait depuis Manosque et était, à ce titre, pris en charge par cette dernière maison ? La tenue de telles réunions supposait en effet une organisation dont on peine à cerner les arcanes, notamment parce que le corpus normatif se préoccupe très peu du niveau provincial de l’administration49. En amont, il faut imaginer les déplacements de messagers porteurs des lettres de convocation50. Il faut, d’autre part, tenir compte du coût que représentait, pour chaque maison, le déplacement du commandeur avec sa suite ou parfois encore d’autres personnages51. Enfin, en aval et en termes de

45 Les relevés de Raybaud confirment la régularité de cette assemblée, qui avait généralement lieu à la commanderie de Fronton ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 162, 178, 186, 188, 207, 212). Ce chapitre de Toulouse est également mentionné, pour les années 1255-1257, dans la comptabilité du clavaire prieural (56 H 2625, f. 12, 18v, 29v, 30v, 50v-51, 60v, etc.). 46 J.-M. Roger, « La réforme de l’Hôpital par Jean XXII : le démembrement des prieurés de Saint-Gilles et de France (21 juillet 1317) », in H. Nicholson (dir.), On the Margins of Crusading : the Military Orders, the Papacy and the Christian World, Farnham-Burlington, 2011, p. 123-130. 47 Actum fuit hoc in domo ospitalis Sancti Tome de Trencatallis, videntibus testibus Petro de Bellovicino, preceptore eiusdem ospitalis, fratre Berengario Monacho, fratre Poncio de Corris, fratribus ordinis ospitalis Iherosolimitani et pluribus aliis fratribus eiusdem ordinis… (56 H 4836 ; 26 juin 1270). 48 En conséquence, son nom ne figure pas dans la liste des frères approuvant l’acte, même s’il est difficile de douter de la présence du commandeur de Manosque. Il en va de même en octobre 1293 : Bérenger Monge n’est pas cité parmi les frères qui ratifièrent la composition qu’il avait lui-même négociée avec l’universitas de Manosque deux mois auparavant (LPM, no 36 et 38 ; 31 août et 4 octobre 1293). 49 Il faut admettre que le fonctionnement des chapitres prieuraux se calquait sur celui des chapitres généraux qui, pour leur part, ont suscité d’abondantes prescriptions ( J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, p. 130-133). 50 Des lettres d’assignation envoyées en Gascogne pour l’année 1255 furent ainsi consignées dans un cartulaire inventorié par Guilhem Scriptor (56 H 2625, f. 11). 51 En juillet 1262, un roncin apportait de Manosque à Saint-Gilles les effets personnels de Raimond Ysoardi, Raimond de Puimichel et Audebert de Beaumont (56 H 835, f. 31). J’ignore qui sont ces personnages que l’on ne retrouve pas dans la liste partielle des frères présents au chapitre (ms. 339, p. 89). Le déplacement

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communication, on ignore encore comment étaient diffusées les décisions prises. Le maître Hugues Revel avait, certes, demandé aux prieurs de conserver par écrit les délibérations des chapitres ou d’autres assemblées provinciales52. Toutefois, pour le prieuré de Saint-Gilles, la série des procès-verbaux des chapitres ne commence pas avant 137153. Et, s’il existe quelques traces antérieures, comme ces règlements attribués à Aimeric de Tury en 1325, on ignore tout des antécédents de l’enregistrement des statuts capitulaires54. Bien sûr, on ne saurait sous-estimer la communication orale de l’information et de la norme. Étroitement articulée au chapitre, la visite permettait justement à la hiérarchie, à la fois de vérifier l’application des statuts et d’informer les communautés locales des décisions prises par les instances régionales55. De tradition ancienne, l’inspection des commanderies faisait partie des attributions du commandeur deçà-mer que l’on voit sillonner la province depuis le dernier tiers du xiie siècle au moins56. Dès cette même époque, Jean Raybaud signale les visites effectuées par le prieur, mais tout le problème est de savoir quelle était, alors, la régularité et l’étendue de ces tournées57. De fait, c’est bien encore à partir de Féraud de Barras que la multiplication des mentions suggère que le dignitaire passait beaucoup de temps à parcourir sa province58. Sans doute, le dignitaire déléguait-il également la procédure à ses lieutenants ou autres procureurs. On a évoqué les mentions de visites que le commandeur Guilhem Scriptor, alors clavaire du prieuré, a laissées dans son cartulaire. Son itinéraire concerne l’espace toulousain, mais on a supposé que ce dignitaire avait pu passer par Manosque, où

de Bérenger Monge en 1290 était estimé à hauteur de 100 s. (CoHMa, § 356). En 1338, le trajet aller-retour du commandeur avec trois bêtes et trois serviteurs était estimé à 16 l. (soit 320 s.) depuis Manosque et à 21 l. depuis Aix (VGPSG, p. 361 et 469). 52 …prioribus […] iniungimus, ut registra habeant, ubi deliberationes et secreta capitulorum et assemblearum provincialium in scriptis redigantur, ne pereant, que ordinata fuerint, ad eorum quoque, quorum interest, cautelam facte delibarationes maneant in futurum apparere possunt. ( J. Hasecker et J. Sarnowsky, Stabilimenta Rhodiorum militum. Die Statuten des Johanniterordens von 1489/93, Göttingen, 2007, p. 199). 53 La série, composée de 21 registres, est quasi-continue de 1371 à 1791 (É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 5). 54 56 H 78 ; M.-R. Bonnet, « Un rappel à l’ordre des commandeurs ». 55 L’importance du modèle cistercien dans l’articulation entre visite et chapitre a souvent été remarquée. En dernier lieu : Th. Pécout, « La visite est-elle une enquête et vice-versa ? Enquête générale et visite, deux pratiques de la déambulation (xiie-xive siècle) », in Gouverner les hommes, gouverner les âmes, Paris, 2016, p. 270. 56 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 75 et 102 ; CaTr, no 180 (juin 1189 ; Guidonis de Mahii, preceptoris Hospitalis cismarinensis) ; 56 H 4627 (août 1198 ; in manu Garsie de Lisa preceptoris domus hospitalis citra mare). Cf. plus généralement : A. Forey, « Visitations in Military Orders during the Twelfth and Thirteenth Century », Viator. Medieval and Renaissance studies, 46.3 (2015), p. 113-116. 57 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 78. 58 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 156, 161, 173, 216, etc. La synthèse d’Alan Forey, qui en reste à un niveau factuel mais qui a le mérite d’embrasser l’ensemble des ordres militaires, n’apporte pas beaucoup plus sur les visites prieurales (A. Forey, « Visitations in Military Orders », p. 118-121).

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il aura oublié au moins deux de ses registres59. Le fait que le prieur pouvait ainsi s’appuyer sur des frères délégués pour assumer ces inspections suppose donc la régularité, probablement annuelle, de la visite60. La maturité de la procédure, qui transparaît dans le formalisme des premiers rapports conservés pour le xive siècle, va dans ce sens61. Sur la procédure elle-même, déjà entrevue dans un précédent chapitre, je ne m’attarderai pas. Rappelons simplement que celle-ci est une informatio fondée sur les déclarations effectuées par les frères de la maison « par vertu de l’obéissance »62. La visite, qui ne se départit pas d’un certain rituel, est donc bien une enquête. À la suite de la série des travaux conduits sur l’enquête comme moyen de gouvernement des hommes et des âmes, il n’est guère besoin d’insister sur l’importance que revêtait la visite dans le contrôle de la vie conventuelle63. Sans doute, pour l’époque de Bérenger Monge, le processus d’institutionnalisation passait-il, là encore, davantage par la communication orale que par la mémoire écrite. En effet, hormis quelques fragments du xive siècle, on ne conserve pas de registres consignant les rapports de visites avant le siècle suivant64. Les cartulaires de Guilhem Scriptor prouvent bien, toutefois, que le visiteur gardait une trace de la procédure et des informations récoltées65. Simplement, cela ne donnait pas encore lieu à une démarche de conservation spécifique mais, en cela, l’Hôpital ne se différencie guère des autres institutions régulières66. Instrument d’une réforme permanente, la visite est donc bien, avec le chapitre, au cœur de l’institutionnalité

59 Cf. supra chap. iv ; 56 H 2624 et 56 H 2625. Ce second registre contient surtout les comptes des responsions et autres arrérages qui étaient enregistrés à l’occasion de la déambulation du clavaire. Ces déplacements étaient bien l’occasion d’effectuer une visite en bonne et due forme, comme le laisse entendre la formule « Postquam venimus ad visitacionem faciendam p. citra festum Sancti Michaelis. » (visite de Renneville : 56 H 2625, f. 22v ; août 1256). 60 Dans le prieuré de Saint-Gilles tout au moins, de la seconde moitié du xiiie siècle aux années 1330, la régularité des visites était bien mieux assurée que pour la fin du Moyen Âge. Ainsi, au xve siècle, de manière générale, les grands prieurs ne visitaient plus leur province que tous les 3 ou 4 ans et il n’est encore pas sûr que ce rythme ait été respecté (A. Forey, « Visitations in Military Orders », p. 119). 61 J’ai essayé de montrer comment l’enquête de 1338 était, elle-même, un produit de l’expérience devenue routinière acquise au cours des visites (D. Carraz, « Les enquêtes générales de la papauté sur l’ordre de l’Hôpital (1338 et 1373). Analyse comparée dans le prieuré de Provence », in Th. Pécout (dir.), Quand gouverner c’est enquêter. Les pratiques politiques de l’enquête princière (Occident, xiiie-xive siècles), Paris, 2010, p. 524-527). 62 Les procès-verbaux du xve siècle ne disent pas autre chose : Sequitur informatio et visitatio facta in dicta domo de Avinione et ejus membris […] per fratris […] visitatorum ordinarum… (56 H 124, f. 1 ; 24 juin 1411). 63 Je me contente de renvoyer à une réflexion de synthèse : Th. Pécout, « La déambulation comme mode de gouvernement. L’enquête princière générale en Provence angevine, xiiie-xive siècle », in Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge, Paris, 2010, p. 295-314. 64 É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 5. 65 La trace conservée pour la maison de Castelsarrasin, visitée en novembre 1253, correspond formellement à une véritable charta visitationis (56 H 2624, f. 1-2v). 66 Les chartreux comme les cisterciens n’ont guère conservé de procès-verbaux de visites avant la fin du Moyen Âge, en partie parce que la charta visitationis était fréquemment détruite d’une visite sur l’autre (F. Cygler, « Caractères et contenus de la communication », p. 82-83).

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d’un ordre comme l’Hôpital67. Dans ce dernier cas, elle est également, en quelque sorte, à l’origine de la fabrique d’un territoire68. Aussi vaste fut-il, le prieuré, découpé en circonscriptions confiées à des commandeurs de sous-provinces ou bien à des lieutenants, était constamment parcouru par les officiers de l’ordre. Les itinéraires des prieurs, que l’on pourrait s’attacher à retracer, conféraient donc une réalité à la circonscription administrative que constituait le prieuré de Saint-Gilles. Ces dignitaires n’étaient pas seuls, toutefois, à sillonner l’immense espace couvert par l’implantation hospitalière. J’ai déjà eu l’occasion de mentionner ces messagerii, troterii et autres nuncii porteurs des nouvelles, peut-être orales mais le plus fréquemment écrites, que s’envoyaient les cadres de l’Hôpital69. Au sein d’une institution développée à l’échelle globale comme l’Hôpital, ces flux d’informations donnaient vie au réseau des commanderies qui couvrait l’ensemble de l’Europe et de l’Orient latin. On peut hiérarchiser ces communications en trois échelles répondant à l’emboîtement administratif de l’ordre : 1. celle de l’institution orientée par les connections entre le quartier général et l’Occident70 ; 2. celle de la province assurant le lien entre l’administration prieurale et les commanderies de son ressort ; 3. celle de la commanderie, marquée à la fois par une communication horizontale entre établissements et par une communication verticale entre la maison-mère et ses membres. Les historiens des ordres militaires ont suffisamment insisté sur ce que Nicolas Buchheit a appelé la « géographie de la circulation », c’est-à-dire la superposition de la trame des commanderies aux réseaux de communication, viaires et hydrographiques71. On connaît, dans cette même perspective, l’importance accordée à la liberté de circulation des marchandises et des troupeaux. Très tôt, les hospitaliers s’étaient notamment préoccupés d’obtenir de la part des deux maisons comtales des garanties de circulation sur la Durance, trait d’union entre Basse et Haute-Provence72. En 1257, Bérenger Monge s’assura encore, auprès de Bertrand de Baux, de l’exemption du péage à Meyrargues qui se trouvait sur l’itinéraire entre Aix et Manosque73. Ce n’est, cependant, pas la circulation des marchandises qui nous occupera ici, mais les flux d’information

67 D. Carraz, « “Segnoria”, “memoria”, “controversia” », p. 68-69. 68 Comme le relève Thierry Pécout, c’est la durée et le rythme des visites qui façonnait le territoire, plus que le déplacement en lui-même (Th. Pécout, « La visite est-elle une enquête », p. 276-279). 69 L’information circulait à la fois par écrit – avec les risques de perte des lettres que cela supposait – et par voie orale transmise par des messagers (S. Menache, « The Crusades and their Impact on the Development of Medieval Communication », in H. Hundsbichler (dir.), Kommunikation zwischen Orient und Okzident. Alltag und Sachkultur, Vienne, 1994, p. 84-87). 70 C’est l’aspect jusqu’ici le plus étudié, notamment parce que l’historiographie des croisades a été sensible au challenge posé par la communication (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 389-392). 71 N. Buchheit, Les commanderies hospitalières, p. 57-77. Rapide tour d’horizon pour la Provence : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 100-105. 72 CaTr, no 261 (1114) ; CaHSG, no 331 (1129). 73 Preuve de l’importance attachée à ce privilège, Bérenger Monge en fit faire un vidimus par le notaire Sitius d’Arezzo (CGH, t. 2, no 2885 ; 8 octobre 1257). Bertrand IV de Baux confirmait ici les concessions jadis faites par son père Raimond IV de Baux (CGH, t. 2, no 1253 ; février 1207).

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Fig. 19. Flux d’informations à partir de Manosque dans le dernier tiers du xiiie siècle74

qui peuvent être grossièrement estimés à partir des mentions comptables. La carte ci-dessous rend compte de l’expédition de messagers ou bien des déplacements de frères à partir de Manosque, dans le cadre du propre réseau de l’Hôpital75 (fig. 19). Les contacts soutenus avec Puimoisson et Aix ne sont guère surprenants. Ils s’expliquent à la fois par la proximité géographique et par l’attraction de la capitale politique. Ils tiennent également à des liens personnels : le cumul de responsabilités de Bérenger Monge rapprochait forcément les maisons d’Aix et de Manosque, tandis que l’expédition de messagers vers Puimoisson, où Féraud de Barras avait des intérêts, s’explique encore par la présence fréquente de ce dernier à Manosque. Pour le reste, le réseau de relation de Manosque était intégré au domaine des Alpes méridionales, représenté notamment par les maisons qui étaient au contact du Dauphiné (Saint-Pierre-Avez, Les Omergues, Gap). De même, si l’on exclut les déplacements imposés des clercs conventuels au synode, les hospitaliers avaient fréquemment à faire à Sisteron. Mais la commanderie de Bérenger Monge regardait tout autant vers la Méditerranée : les affaires se traitaient surtout à 74

74 D’après 56 H 835 et CoHMa. Ces registres, toutefois, ne signalent pas systématiquement la destination ou la provenance des messages. 75 Ne sont donc pas pris en compte les déplacements vers les centres de l’autorité politique (Forcalquier, Brignoles) ou religieuse (Sisteron). Je n’ai pas reporté, non plus, les déplacements au chapitre provincial.

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Marseille, sans négliger d’autres ouvertures comme Nice et Narbonne76. Si l’on écarte les déplacements vers le chapitre provincial, Arles et Saint-Gilles apparaissent beaucoup moins que ce que l’on aurait pu attendre. Sans doute que Saint-Gilles avait perdu sa position centrale dans le gouvernement provincial, parce que l’administration du prieur, dont on a évoqué les itinéraires entre Provence et Languedoc, était essentiellement nomade. Cette discrétion reflète également l’atonie du port, alors confronté à l’ensablement et concurrencé, entre autres, par Aigues-Mortes. En effet, on devine bien que ce n’est plus à Saint-Gilles que s’organisait le secours à la Terre sainte et même que les lieux centraux pour l’Hôpital avaient glissé un peu plus haut dans la vallée du Rhône (Orange, bientôt Avignon) et la Provence intérieure (Aix, Manosque…). Quelques petits événements suggèrent encore que Manosque avait acquis une certaine centralité dans l’administration générale de l’Hôpital. D’abord à l’échelle régionale. Les comptes mentionnent par exemple le passage des commandeurs de Trinquetaille ou de Gap, venus régler leurs affaires77. Mais également à l’échelle de l’Europe méditerranéenne. La quatrième semaine de juillet 1261, le prieur de Lombardie faisait ainsi étape, alors qu’il se dirigeait probablement vers le chapitre prieural qui se tenait le dimanche78. Située sur l’axe qui, par la traversée des Alpes, permettait de relier le Midi français et les provinces ibériques, Manosque devait accueillir des dignitaires d’outremont plus fréquemment que ne le révèle la documentation79. Mais l’ouverture était surtout redevable aux séjours du prieur de Saint-Gilles. En février 1262, Féraud de Barras expédiait ainsi un courrier à Rome, tandis qu’en juillet 1263, la commanderie accueillait un messager du châtelain d’Amposte venu porter des lettres du maître80. Enfin, un contexte un peu particulier, tel le passage du maître Jean de Villiers en Provence à l’été 1286, était de nature à susciter une intensification des échanges épistolaires81. Sauf en des cas exceptionnels, comme pour les lettres de procuration ou de nomination insérées dans les actes, le contenu des missives échangées au niveau de la province nous échappe. S’il pouvait exister, depuis le xive siècle au moins, des 76 Les relations avec le port du Bas-Languedoc se déduisent encore mieux des nombreuses apparitions, dans les comptes, des célèbres draps de Narbonne (CoHMa, ad indicem : pannum narbonense). 77 Item vi d. in carnibus pro preceptore Sancti Thome (56 H 835, f. 35 ; 21 janvier 1263) ; Item pro stagia quam fecit preceptor in partibus Vapicensis pro facto Talardi xviii sol. (f. 36v ; 25 mars 1263). 78 Dominica quarta junii in qua capitulum Sancti Egidii celebratum fuit […]. Item die jovis ii sol. et vii d. et obol. in carnibus pro priore Lombardie (56 H 835, f. 20v ; 24 juillet 1261). 79 En août 1198, le comte Guilhem II avait déjà fait une donation en présence d’une prestigieuse assemblée, composée entre autres de Garcia de Lisa, commandeur deçà-mer, Simon de Lavata, prieur de Lombardie-Vénétie et Fortonus Cabessa, châtelain d’Amposte (56 H 4627). Le prieuré de Lombardie, articulé autour de Gênes, confrontait celui de Saint-Gilles en suivant probablement les limites politiques (F. Tommasi, « L’ordinamento geografico-amministrativo », p. 80-84). 80 ii d. troterii qui ivit Rome (56 H 835, f. 16v ; 27 février 1261/2) ; xii(ii) d. cuidam troterio castellani de Amposta qui portabat litteras domini magistri ad dominum priorem (f. 42 ; 29 juillet 1263). 81 Jean de Villiers était à Puimoisson le 21 août 1286, mais il se trouvait probablement la semaine suivante à Manosque, où des frais furent engagés pour sa domesticité (CoHMa, p. xxxiiii et § 162-164 ; 25 août-8 septembre 1286). Son voyage semble avoir été préparé dès l’hiver par l’envoi de messagers (§ 133 et 137 ; 3 février et 3 mars 1286). Et il maintint le lien avec la commanderie de Manosque après son installation à Acre (§ 182 ; 12 janvier 1287).

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recueils de modèles épistolaires, l’enregistrement des correspondances n’est pas attesté avant la fin du xvie siècle82. Les hospitaliers ne se souciaient donc pas de conserver ces cédules ou autres billets relevant de l’administration courante83. Seuls de rares textes émanant des hautes autorités de l’ordre, surtout lorsqu’ils informaient de la situation outre-mer, eurent quelque chance de laisser un souvenir (fig. 20). date

expéditeur

destinataire

objet

1263/4, 5 fév. (Saint-Gilles) 1268, [27 mai10 juin] (Acre) 1269, 1er juin (Acre) 1269, 15 juin (Acre) [1278-1284], 15 oct. (Acre) 1281

Féraud de Barras, prieur Hugues Revel, maître

Bérenger Monge Féraud de Barras, prieur

nomination comme lieutenant dans le prieuré rapport sur la situation des chrétiens de Syrie face aux Mamelouks et demande de secours [non indiqué]

1291[fin mai] (Chypre) 1295, 31 mars

Jean de Villiers, maître Eudes des Pins, maître

1314, 5 novembre 1314, 20 novembre

Foulques de Villaret, maître Foulques de Villaret, maître

Hugues Revel, maître Hugues Revel, maître Nicolas Lorgne, maître Nicolas Lorgne, maître 1286, 21 août Jean de Villiers, (Puimoisson) maître

référence

Raybaud, ms. 339, f. 110 ms. 339, f. 112115 ; ind. 56 H 68, f. 528 Bérenger 56 H 68, Monge f. 437-438 Bérenger ordre de rechercher les frères coupables Ind. : Raybaud, Monge de l’assassinat de Féraud de Barras p. 180 Bérenger [non indiqué] 56 H 68, f. 527 ; Monge 56 H 7784 Bérenger « Bule du grand maistre adressee au sieur 56 H 69, Monge Monachi sur les differand des religieux » non folioté Bérenger reporte sa confiance sur lui pour LPM, no 36, p. 122 et 123 Monge transiger avec la communauté de Manosque G. de Villaret, annonce de la prise d’Acre CGH, t. 3, prieur no 4157 G. de Villaret, demande de retenir les frères désireux CGH, t. 3, prieur de passer outre-mer, excepté ceux no 4276 d’Espagne, d’Angleterre et ceux chargés des responsions Hélion de nomination comme commandeur de LPM, no 52, p. 185-186 Villeneuve Puimoisson et Manosque tous les cdeurs nomination d’Hélion de Villeneuve LPM, no 52, et frères du comme lieutenant du maître p. 186-187 prieuré de Provence

Fig. 20. Références épistolaires impliquant Bérenger Monge ou le prieur de Saint-Gilles85

82 Pierre Bonneaud, que je remercie, m’a informé de l’existence d’un tel recueil de lettres-type adaptées à des situations administratives à l’échelle provinciale. Élaboré à l’époque du grand maître Roger des Pins (1358-1367), ce formulaire est conservé aux Archives de la Couronne d’Aragon. Les registres de correspondances relatives aux affaires financières du prieuré de Saint-Gilles sont signalés dans É. Baratier et M. Villard, Répertoire de la série H. 56 H, p. 9. 83 Il est probable que ces lettres étaient très rapidement détruites, comme c’était notamment le cas chez les prêcheurs (S. Lusignan, « Humbert de Romans et la communication écrite au sein de l’ordre des dominicains », in S. Cassagnes-Brouquet et alii (dir.), Religions et mentalités au Moyen Âge, Rennes, 2003, p. 206). 84 J. Delaville le Roulx, Inventaire des pièces de Terre sainte, p. 71, no 378. Lettre conservée dans les archives de Manosque en 1531. 85 En italique : lettres connues seulement par mention ou analyse ; en romain : lettres transcrites ou éditées ; trame grise : lettres adressées à Bérenger Monge.

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On retiendra du bref regeste ci-dessus le fait que la tête de l’ordre n’hésitait pas à correspondre directement avec le niveau hiérarchique des commandeurs86 : six mentions de lettres émanant du maître à l’attention de Bérenger Monge nous sont ainsi parvenues. Certes, le corpus est mince et il est, de surcroît, frustrant car la teneur du texte est connue dans deux cas seulement. Il est pourtant exceptionnel, à ma connaissance, à l’échelle d’un commandeur. Les lettres adressées aux prieurs sont un peu moins rares. Je passe ici sur le traitement de cas particuliers qui dépassent le présent propos, pour retenir surtout les missives informant de la situation dans l’Orient latin87. Ce type de lettre, dont le contenu était fait pour être diffusé et conservé, nous amène enfin au cœur de la mission de l’Hôpital.

Le secours à la Terre sainte : des discours aux actes La défense de la Terre sainte : rhétorique légitimante et propagande alarmiste

Les hospitaliers s’étaient implantés en terres d’oc à l’époque même de la première croisade. Aussi, dans l’esprit de leurs protecteurs et donateurs, les premières maisons fondées avaient été directement associées à l’hôpital de Jérusalem88. Les références directes au berceau oriental s’étaient, certes, atténuées avec le temps89. Mais l’on trouve encore, autour des maisons provençales de l’arrière-pays comme Puimoisson et Manosque, des donations adressées « au pauvres de l’hôpital Saint-Jean de Jérusalem outre-mer » dans la première moitié du xiiie siècle90. Auprès d’un pôle

86 Cela n’était pas forcément dans les coutumes de l’Hôpital : en 1296, dans la liste des points à réformer que le couvent adressa au nouveau maître, Guillaume de Villaret, figurait le fait que ses prédécesseurs – en fait, essentiellement Eudes des Pins – donnaient directement leurs ordres aux frères des prieurés sans passer par la voie hiérarchique (CGH, t. 3, no 4310, p. 682 ; 3 avril 1296). 87 Les correspondances entre maîtres et prieurs, souvent relatives à la situation de frères en particulier, ne sont donc pas mentionnées dans la fig. 20 (p. ex. : CGH, t. 3, no 3611 ; 25 septembre 1276 ; no 4050 ; 22 août 1289 ; no 4060 ; 10 octobre 1289, etc.). 88 D. Le Blévec, « Aux origines des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem : Gérard dit “Tenque” et l’établissement de l’ordre dans le Midi », Annales du Midi, 89 (1977), p. 137-151 ; A. Luttrell, « The Earliest Hospitallers », in B. Z. Kedar et alii (dir.), Montjoie. Studies in Crusade History in Honour of H. E. Mayer, Aldershot, 1997, p. 44-49. 89 Le constat empirique fait pour la Provence est validé par une analyse serrée de l’évolution des formulaires dans les chartes anglaises : Michael Gervers note que les références à la maison de Jérusalem deviennent beaucoup moins systématiques après 1187 et la perte de la Ville sainte (M. Gervers, « Changing Forms of Hospitaller Address in English Private Charters of the Twelfth and Thirteenth Centuries », in Z. Hunyadi et J. Laszlovszky (dir.), The Crusades and the Military Orders. Expanding the Frontiers of Medieval Latin Christianity, Budapest, 2001, p. 395-405). 90 Donations à la maison de Puimoisson et « ospitali Iherusalem et pauperibus ejusdem domus ospitalis » (56 H 4861 ; décembre 1194) ; ad servicium dominorum nostrorum pauperum sancte domus hospitalis Ierusalem (56 H 4857 ; 1203) ; hospitali pauperum sancti Johannis Iherusalem de ultra mare (56 H 4826 ; 15 juillet 1244). Donation à la maison de Manosque et « sancte domui Hospitalis ierosolimitani et pauperibus ejusdem domus » (56 H 4640 ; 22 mars 1236).

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de rayonnement spirituel comme Saint-Jean d’Aix, même après l’évacuation de la Syrie, les élections de sépulture louaient invariablement les bienfaits de l’Hôpital prodigués « citra mare et ultra91 ». Derrière ces formules stéréotypées, on devine donc que les chapelains devaient bien, dans leurs prêches, entretenir la ferveur des fidèles pour les actions de l’ordre en Terre sainte92. Naturellement, les hautes autorités de la chrétienté étaient, elles-mêmes, toujours promptes à rappeler la mission de l’Hôpital. Selon une rhétorique somme toute classique, la lutte contre les infidèles fondait bien la légitimité de l’institution et justifiait les exemptions dont celle-ci bénéficiait93. Alexandre IV, par exemple, associa étroitement à la défense de la Terre sainte le patrimoine donné à l’Hôpital, pour interdire les aliénations faites par les commanderies de Haute-Provence94. En octobre 1307, alors que le Temple entrait en pleine tourmente, Charles II d’Anjou multiplia encore les donations en exaltant les bienfaits que l’ordre sacré de l’Hôpital, « rempart de la foi », avait prodigués à l’Église de Dieu95. De fait, l’investissement, dans la reconquête de la Terre sainte, de ce souverain qui portait toujours le titre de roi de Jérusalem, passait par une étroite coordination avec l’ordre militaire96. C’est dans ce contexte que, face à l’urgence de la situation des principautés latines d’Orient, les communications entre les deux rives de la Méditerranée s’intensifièrent dans les dernières décennies du xiiie siècle. La position de la Provence pour l’Hôpital, à la fois comme base logistique et comme centre décisionnel proche de la papauté, explique que le prieur de Saint-Gilles fût en contact privilégié avec le maître et le couvent central (fig. 20). Ces derniers attendaient évidemment que soient relayées les 91 …ex confidencia salutati propter benefficia que undique in domibus Hospitalis predicti fiunt citra mare et ultra… et autres formules proches (56 H 4180 : 18 mai 1278, 14 décembre 1288, 28 février 1286, 5 mai 1293, 3 octobre 1305, 17 août 1317). 92 La participation des frères des deux ordres militaires à la prédication de la croisade fut, en revanche, discrète (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 481-483). 93 Eo vobis quilibet Christianus favorabilior esse debet, quo vos, specialius contra impugnatores nominis Christianis pro fidei defensione sub religionis habitu dimicando, personas vestras morti exponere non timestis. (CGH, t. 3, no 3179 ; 8 septembre 1265). 94 …inhibemus ne de Aurasice, Manuasca, Podiomoissono, Larderio, Salsa, Talardes, Podiolauterio nesis vel alia eiusdem Hospitalis quos terras vel villas aut eorum aliquod quisquam vestrum vendere, distrahere, locare vel alienare inconsulto Romano pontifice quoquomodo praesumat quod si factum fuerit contra praesumptum nullius esse decernimus firmitatis cum ea que ad deffentione Terrae sanctae pia sunt fidelium devotione concessa non sunt in usus alios transferanda… (Arch. com. de Manosque, Ff 13 ; 27 février 1251). 95 Hac itaque consideratione commoniti et salubrium fructuum quos sacer ordo Hospitalis Sancti Johannis Jerosolomitani in sancta Dei Ecclesia quasi quoddam propugnaculum fidei per mundum produxit actenus, non ignari… (CGH, t. 4, no 4757 ; 23 octobre 1307 : donation de la bastide de Montaigu). 96 On se bornera à rappeler ici le traité sur la croisade rédigé autour de 1291-1292, dans lequel Charles II développe un programme précis pour l’union de tous les ordres militaires (G. Bratianu, « Le conseil au roi Charles. Essai sur l’internationale chrétienne et les nationalités à la fin du Moyen Âge », Revue historique du Sud-Est européen, 19 (1942), p. 291-361). Preuve d’une véritable convergence de vues dans les affaires d’Orient, le seul témoin connu de ce traité figure dans la compilation des textes fondamentaux de l’Hôpital élaborée par le frère Guglielmo de Santo Stefano autour de 1303 ( J. Burgtorf, « Die Pariser Sammlung der Johanniter Wilhelm von St. Stefan : Bibiothèque Nationale, fonds français 6049 (ms. s. xiv) », in R. Czaja et J. Sarnowsky (dir.), Die Rolle der Schriftlichkeit in den geistlichen Ritterorden des Mittelalters, Torun, 2009, p. 253-276).

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nouvelles envoyées d’Orient, afin de sensibiliser l’opinion et de hâter l’organisation de secours97. Dans une lettre dont la copie a été transmise par Jean Raybaud, Hugues Revel communiquait ainsi à Féraud de Barras et aux frères du prieuré de Saint-Gilles, au printemps 1268, un tableau précis de la situation de la Syrie franque à la suite des campagnes du sultan Mamelouk Baybars98. Il y énumérait les places enlevées et celles qui résistaient encore, en insistant sur les frais considérables, engagés notamment pour l’entretien des garnisons. Hugues Revel faisait également, nous l’avons vu, un bilan alarmiste de la situation économique des différents prieurés d’Occident, sans oublier d’évoquer les dettes de l’ordre99. Le maître comptait donc, une fois de plus, sur le soutien financier de la province administrée par Féraud de Barras. On ignore l’objet de la missive que Nicolas Lorgne adressa à Bérenger Monge en 1281, dans un contexte particulièrement incertain, marqué par l’irruption des Mongols100. La lettre que, dix années plus tard, Jean de Villiers adressait à Guillaume de Villaret pour relater en détail les circonstances de la chute d’Acre, est en revanche bien connue101. De ce bref état des lieux sur les relations épistolaires entre Acre et la Provence, on tirera quelques remarques. La première tient au statut du prieur de Saint-Gilles et de sa province. Alors qu’il paraît être moins touché que les autres provinces d’Occident par les difficultés matérielles et financières, le prieuré de Saint-Gilles et notamment sa partie provençale était appelé à apporter une contribution majeure à l’effort de guerre en Orient. La seconde remarque renvoie au niveau de l’information qui circulait au sommet d’un ordre universel comme l’Hôpital. Les dignitaires du gouvernement central comme ceux du prieuré semblaient avoir une vue plutôt claire des diverses situations que les défenseurs de la Terre sainte avaient à gérer. Un Féraud de Barras pouvait être très bien informé de l’état politique des différentes monarchies, des difficultés économiques de son institution replacées dans leur contexte, ou encore de l’évolution rapide du cadre géostratégique de l’Orient latin. Le capital informationnel représenté par ces savoirs pratiques, qui plaçait ce genre de dignitaires ecclésiastiques au sommet de l’aristocratie régionale, explique pourquoi le prince ou le pape leur ouvraient les portes de leur cour et de leur administration. Les impressions tirées de ces rares missives sont, du reste, corroborées par le consilium rédigé pour le concile général de Lyon. Ses auteurs – pourquoi pas Guillaume de Villaret aidé de quelques autres frères provençaux et de prélats proches de la curie ? – étaient parfaitement au courant des difficultés de l’Hôpital face aux 97 A. Demurger, Les hospitaliers, p. 389-392. 98 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, f. 112-115 = CGH, t. 4, suppl., no 3308, p. 291-293. Sur l’écho rencontré en Provence par les événements des années 1260 : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 439 et 498. 99 Cf. supra chap. iv. Dans sa revue de la situation des prieurés, le maître donnait notamment des précisions sur les ravages infligés aux maisons de l’ordre en Pouille et en Sicile, par la faute de Philippe d’Égly qui, de sa propre volonté, avait conduit les hospitaliers à se battre contre les opposants à Charles d’Anjou. 100 Notons que le maître fit, cette même année, un rapport au roi Édouard Ier d’Angleterre sur l’arrivée des Mongols en Syrie du Nord (CGH, t. 3, no 3766 ; 25 septembre 1281). Contexte : P. M. Holt, Early Mamluk Diplomacy, 1260-1290 : Treaties of Baybars and Qalāwūn with Christian Rulers, Leyde, 1995, p. 19-20. 101 CGH, t. 3, no 4157 ([fin mai] 1291). Sur la postérité littéraire de ce texte, qui s’est trouvé inséré comme prologue d’une plus longue description de la prise d’Acre, avec une nouvelle édition : N. V. Durling, « The Destruction d’Acre and its epistolary Prologue (BNF fr. 24430) », Viator, 42-1 (2011), p. 139-178.

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Mamelouks, comme de sa situation financière générale102. D’ailleurs, la déploraison de la pauvreté des commanderies affectées par les guerres – présentes dans tous les royaumes exceptés la France et l’Angleterre – fait encore écho au constat établi par Hugues Revel quatre années auparavant. Ce genre de texte programmatique inspire un peu la même impression que le discours sur l’endettement de l’ordre évoqué dans un précédent chapitre, dans le sens où l’on y retrouve l’écart entre un « constat officiel » et sa traduction sur le terrain, laquelle échappe plutôt à la documentation pratique. Ainsi, le consilium semble sous-entendre que des tributs considérables étaient exigés de l’ordre en Orient103. Pourtant, aucun des deux traités signés entre le sultan Baybars et les hospitaliers, le premier en mai 1267 et le second, dans une situation bien plus dramatique encore, en avril 1271, ne mentionne de tribut104. Enfin, les relations épistolaires entre le maître et Bérenger Monge, préservées seulement à l’état de bribes, posent la question du statut de la commanderie de Manosque dans l’organigramme de l’ordre. Selon Jean Raybaud, à la suite de la chute d’Acre en mai 1291, lorsque le commandement de l’Hôpital se replia à Limassol, le maître Jean de Villiers décida d’envoyer à Manosque la partie des archives centrales relatives aux « acquisitions de bien(s) que l’ordre possédait en Syrie »105. On a déjà eu l’occasion de mentionner ce fameux fonds des « chartes de Syrie », effectivement inventorié dans les archives de Manosque en 1531, puis à nouveau collationné par Raybaud lui-même, cette fois-ci dans les archives du grand prieuré à Arles106. En 1741, le fonds comptait alors 378 pièces relatives aux possessions dans les États latins à la fois des templiers et des hospitaliers. Ce lot fut envoyé à Malte l’année suivante, mais il est probable qu’une partie des parchemins était restée à Manosque car l’inventaire de 1531 compte davantage d’analyses que celui de 1741107. Quand ces précieuses chartes et bulles étaient-elles arrivées en Haute-Provence ? À l’occasion

102 P. Amargier, « La défense de l’ordre du Temple », p. 496-499 ; cf. cl. B, no 13, l. 6-11 et 49-58. 103 …et vellemus quod addisceretis a fide dignis quod fere omni anno tot usuras oportet nos mercatoribus solvere quantum valent pensiones nostris domibus imposite transmare destinante quia propter damna et dependita que nobis Sodanus intulit adeo mutuum tale contraximus quod inestimabilem incurrimus voraginem usurarum et utinam quod dominus papa sciret per viros maiores nostri ordinis et alios fide dignos quantum annuo recipimus, etbin quibus usibus expendamus (l. 54-58). 104 P. M. Holt, Early Mamluk Diplomacy, p. 32-41 et 48-57. 105 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 210-211. Pour de premières considérations sur l’histoire des archives centrales : Th. Vann, « Hospitaller Record Keeping and Archival Practices », in H. Nicholson (dir.), The Military Orders, vol. 2, Welfare and Warfare, Aldershot, 1998, p. 275-285. L’identité longtemps admise des reliques conservées à Manosque avec celles du fondateur de l’ordre ont fait supposer à plusieurs historiens que les archives étaient arrivées d’Orient en même temps que le corps de Gérard, pour certains autour de 1283 ( J. Delaville le Roulx, Les hospitaliers en Terre sainte et à Chypre, p. 39-40 ; F. Reynaud, La commanderie de l’Hôpital, p. 197-198 ; repris par A. Luttrell, « The Hospitallers’ Early written Records », in J. France et W. G. Zajac (dir.), The Crusades and their Sources, Aldershot, 1998, p. 138-139). 106 56 H 68 (1531) ; 56 H 77 (1741-1742). Le transfert de Manosque à Arles aurait eu lieu en 1603 (F. Reynaud, La commanderie, p. 60n). 107 Cf. supra, chapitre liminaire. On ne sait si les quelques épaves issues de ce fonds et préservées aujourd’hui dans la série 56 H avaient été conservées à Manosque (56 H 4089 ; je n’ai pas eu l’accès aux originaux qui aurait peut-être permis de vérifier les mentions dorsales).

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de son séjour en Provence, avant de rejoindre Acre, Jean de Villiers avait resserré les liens avec Guillaume de Villaret et avait sûrement rencontré Bérenger Monge. À l’automne 1286, le maître était, en effet, passé à Manosque où il avait pu se rendre compte à la fois de la solidité du palais fortifié et de la rigueur de l’administration locale. Il est donc tout à fait concevable qu’il ait pu décider d’envoyer là une partie du trésor scripturaire de l’Hôpital, en 1291 ou peut-être même dans les années qui précédèrent. Ainsi que le relève Anthony Luttrell, plusieurs institutions ecclésiastiques de Terre sainte, y compris le Temple et l’ordre Teutonique, avaient déjà commencé à expédier des documents à Chypre ou en Occident dès les dernières décennies du xiiie siècle. Certes, ce fonds aurait pu être plutôt rapatrié en Provence à la suite de l’évacuation de Rhodes, en janvier 1523. Mais, comme le note le même auteur, le fait que le lot ne compte aucun document postérieur à 1285 rend cette option moins probable108. Qu’il s’agisse de la sauvegarde des archives centrales ou bien des nouvelles alarmistes en provenance de Terre sainte, les traces laissées par la communication interne à l’Hôpital sont à la fois à sens unique et discontinues. Il faut imaginer, pourtant, que les échanges se déployaient également de la Provence vers l’outre-mer et qu’ils étaient beaucoup plus réguliers. Telles devaient être, en effet, les conditions d’une véritable logistique qui permettait d’acheminer moyens humains et matériels sur l’autre rive de la Méditerranée. Les frères et l’horizon oriental

Plusieurs historiens ont souligné la capacité de réaction et de mobilisation des templiers et des hospitaliers qui réussirent à surmonter les graves échecs militaires en envoyant, à chaque fois, des troupes fraîches dans l’Orient latin109. Si les actes du procès du Temple apportent de nombreuses informations sur les transferts des frères vers le front, la configuration documentaire est tout autre pour l’Hôpital110. La disparité des sources et les pertes qui ont affecté l’Orient latin rendent beaucoup plus aléatoire le pistage des hospitaliers d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Nulle possibilité ici de proposer ne serait-ce qu’une ébauche statistique sur les contingents des frères provençaux présents au couvent central ou dans d’autres sites des États latins. Aussi, tant qu’il n’existera pas de base de données prosopographique enregistrant tous les frères de l’Hôpital partout sur l’écoumène, faudra-t-il se contenter de rencontrer des

108 A. Luttrell, « The Templar’s archives in Syria and Cyprus », in K. Borchardt et alii (dir.), The Templars and their Sources, Londres-New York, 2017, p. 39 et 44-45. Le document le plus récent du fonds correspond au no 376 de l’inventaire Raybaud (= CGH, t. 3 ; 13 mai 1285). 109 A. Forey, « Recruitment to the Military Orders (Twelfth to mid-fourteenth Centuries) », Viator, 17 (1986), p. 161 ; J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land. Financing the Latin East, 1187-1274, Londres, 2005, p. 137-139. 110 Sur le Temple, pour une illustration à partir du cas provençal : D. Carraz, « Les templiers de Provence et la Terre sainte : mobilité et carrières (xiiie-xive siècle) », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), As Ordens Militares, vol. 2, p. 779-798.

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individus en Orient, sans pouvoir véritablement les situer au sein d’itinéraires111. Par exemple, le frère Jaufre de Reillanne, attesté à Acre entre 1256 et 1259, correspond-t-il à l’homonyme présent à Manosque en 1228 ou bien, plus vraisemblablement, au commandeur de Puimoisson signalé entre 1261 et 1271112 ? La consistance de certains chartriers permet de dresser des listes de frères, pour quelques uns, attestés dans la durée par plusieurs mentions. Or, lorsqu’un hiatus de quelques années survient pour un frère, a fortiori si celui-ci est chevalier, il est toujours tentant d’expliquer cette absence par un séjour en Orient113. En limitant le relevé aux hiatus supérieurs à sept années, quelques individus pourraient rentrer dans ce cas à Manosque, comme Andreas (non signalé entre 1251 et 1261), Géraud Romeus (régulièrement mentionné dans les années 1230 puis à nouveau en 1251), les chevaliers Raimbaud de Reillanne (hiatus entre 1228 et 1235), Guillotus (entre 1263 et 1270), Esparron de Bras (entre 1263 et 1282) et Uc de Corri (éventuellement entre 1276 et 1286)114. On conviendra, toutefois, que l’argument reste fragile. Seuls quelques marqueurs particuliers peuvent donc autoriser des hypothèses, comme l’apparition, à l’été 1293, de ce frère Georgius Cismarinus ou de Partibus Transmarinis dont l’onomastique indique assez l’origine orientale115. On peut alors imaginer que celui-ci était rescapé de la prise d’Acre et qu’il avait peut-être été envoyé en mission en Provence. Les comptabilités offrent parfois des indications qui permettent de dépasser la sécheresse des listes de frères obtenues à partir de la mise en série des chartes. Entre octobre 1259 et mai de l’année suivante, figurent plusieurs dépenses alimentaires – en viande, poules, légumes, vin – pour un frater P. qui revenait de captivité. Peut-être celui-ci avait-il été affaibli par sa détention car il occasionna également des frais d’infirmerie116. En janvier 1286, apparaît également une dépense en vin et œufs pour Isnard de Flayosc « qui arrivait alors d’outre-mer ». Signalé comme commandeur de Puimoisson en 1273, après avoir accompli son service militaire, ce frère chevalier regagnait donc son pays pour retrouver, entre autres, l’administration de son ancienne maison117. 111 L’insuffisance des données prosopographiques a déjà été soulignée par Ph. Josserand, « De l’arrière au front », p. 699-700. 112 J. Burgtorf, The Central Convent, p. 53 ; 56 H 4629 (décembre 1228). Commandeur de Puimoisson signalé en 1261 et 1271 (56 H 4827 ; 23 décembre 1261 ; M.-J. Maurel, Histoire de la commune de Puimoisson, p. 376). D’autres lignages mériteraient un examen. Plusieurs frères nés de Tournel, vieille famille du Gévaudan, reçurent des commanderies en Languedoc et Provence, tandis que d’autres firent de belles carrières à l’extérieur : deux Jocelin de Tournel se distinguèrent, entre autres, l’un comme châtelain du Mont Thabor (1259) et maréchal (1262), l’autre comme prieur de Barletta (1304) puis grand commandeur en 1306 ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 585-587 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 167 et 225). 113 On suppose que le service en Orient intervenait plutôt en début de carrière, ce qui explique que beaucoup de frères soient attestés pour la première fois outre-mer, sans avoir laissé d’antécédent dans les fonds européens ( J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land, p. 137). 114 Cf. index des frères : An. II, C-2. 115 Arch. mun. de Manosque, Kc 47 (23 mai 1293) ; LPM, no 36, p. 124 (31 août 1293). 116 56 H 835, f. 1-8 (19 octobre 1259-9 mai 1260) : …quando frater P. fuit captus xiii […] in expensis… (f. 1 ; folio très effacé) ; It. xvii d. pro fratre P. in cerupo (f. 1v) ; Item die lune x d. in carnibus pro fr. Stephano et fr. B. et fr. P. et fr. R. (qui) infirmabantur (f. 3v). 117 CoHMa, § 129 (6 janvier 1286) ; cf. An. II, D-1, no 7.

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Une proportion de frères, difficile à estimer mais sans doute forte, accomplit toutefois une carrière locale, sans jamais avoir fait le passage118. Bérenger Monge entre-t-il dans ce profil ? On ne saura jamais s’il avait fait ses classes outre-mer dans la décennie précédant sa toute première apparition comme frère à Manosque en 1239. Les charges qui furent les siennes par la suite rendent, en tout cas, peu plausible un service effectif en Orient. Un appel massif de combattants intervint dans les années 1244-1248, pour combler les lourdes pertes infligées par la défaite de La Forbie119. Il est bien peu probable que Bérenger Monge ait fait partie des appelés à ce moment-là, étant donné l’étroitesse de la fenêtre laissée par les rares mentions de son début de carrière. Il y a, de même, peu de chances qu’il ait eu à se déplacer pour assister à un chapitre général car cette obligation revenait aux plus hauts dignitaires, c’est-à-dire aux prieurs120. En fait, tout chevalier qu’il fût, il est fort probable que Monge ne se rendit jamais en Orient. Sans doute, était-ce le cas de beaucoup de ces officiers locaux enracinés dans leur terroir et jugés plus aptes à faire tourner la machine administrative qu’à aller guerroyer contre l’infidèle. Encore faudrait-il tenir compte de l’évolution du contexte militaire dans l’Orient latin. Les premières années de Bérenger Monge dans l’Hôpital correspondent à une période de trêve avec les Ayyūbides, qui rendit peut-être moins urgents les transferts réguliers de combattants vers le front. Hélas, les données dont on dispose permettent difficilement de déterminer si, au cours du temps, le séjour en Orient a pu revêtir plus ou moins d’importance dans l’accomplissement des carrières. Seulement est-ce pour les principaux officiers que les itinéraires sont un peu mieux connus. Parmi les prieurs de Saint-Gilles qui se sont succédé des origines aux années 1230, une moitié au minimum avait occupé un office en Orient à un moment ou à un autre de la carrière121. Si, jusqu’à Bertrand de Comps qui accéda à la maîtrise, la plupart reçurent une responsabilité outre-mer à la sortie de la charge prieurale, le rythme des passages se ralentit par la suite. Les prieurs de Saint-Gilles semblent même avoir témoigné moins d’empressement à rejoindre le couvent central, comme Féraud de Barras, qui se fit dispenser de sa convocation à Acre par Clément IV, en mars 1266122. Malgré tout, cela ne signifie pas que ces dignitaires aient été indifférents au sort de la Terre sainte. Certes, le couvent central reprocha bien à Guillaume de Villaret de ne s’être rendu que deux fois en Orient durant sa charge de prieur, alors qu’il aurait dû

118 C’était déjà la conclusion, malheureusement non étayée par de véritables bases statistiques, de J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land, p. 133-134. 119 J. Bronstein, The Hospitallers and the Holy Land, p. 138-139 ; Ead., « The Mobilization of Hospitaller Manpower from Europe to the Holy Land in the Thirteenth Century », in J. Burgtorf et H. Nicholson (dir.), International Mobility in the Military Orders (Twelfth to Fifteenth Centuries) : Travelling on Christ’s Business, Cardiff, 2006, p. 29-30. 120 Ceux-ci devaient visiter le couvent central tous les 5 ans, d’ailleurs pas obligatoirement à l’occasion du chapitre (CGH, t. 3, no 4462, p. 771 ; A. Demurger, Les hospitaliers, p. 256). 121 Cf. An. II, B-3, colonne « TS » : 13 sur 27 (estimation minimale car il est probable que le passage en Orient de plusieurs frères n’a laissé aucune trace) ; P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré », p. 150-151. 122 Cf. An. II, D-1, no 5 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 176.

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venir six fois123. À l’été 1288, pourtant, celui-ci était à Rome pour convaincre le pape Nicolas IV d’organiser une nouvelle croisade. Or, il est très probable qu’il revenait alors directement d’Orient où il avait pu se rendre l’été précédent124. Quelques mois plus tôt pourtant, le maître Eudes des Pins avait demandé à Guillaume de Villaret de limiter le passage des frères vers l’outre-mer125. Cette mesure, imposée pour des raisons économiques, pourrait témoigner du manque de coordination entre la base-arrière et le quartier général qui, visiblement, n’était pas préparé à un tel afflux de combattants. Mais elle peut être révélatrice, également, du climat de défiance qui semble s’être instauré entre une partie des dignitaires de l’ordre et Eudes des Pins. Aussi le chapitre général de 1302 se préoccupa-t-il, cette fois-ci, de fixer le nombre de frères d’armes que devrait fournir chaque langue : avec l’envoi de quinze chevaliers sur un total de quatre-vingts, l’engagement de la langue de Provence s’en trouva confirmé126. Le subsidium Terre sancte

La Provence connut effectivement une activité particulière entre la perte d’Acre et l’achèvement de la conquête de Rhodes. On a évoqué plus haut les quelques contacts que la commanderie de Manosque avait avec les ports de Nice et de Narbonne127. Mais Marseille s’est, de loin, imposée comme la plaque-tournante de la logistique des deux ordres militaires en Méditerranée128. Une flottille de quatre ou cinq galères est régulièrement signalée au cours du xiiie siècle, alors que les hospitaliers partageaient des intérêts communs avec les milieux marchands129. Cela nécessitait également de conserver de bonnes relations avec la commune qui autorisait les navires de l’ordre à

123 CGH, t. 3, no 4462, p. 771 (fin mai-juin 1299). Sur la crise ouverte par l’entêtement de Villaret à convoquer le chapitre général en Provence : J. Burgtorf, The Central Convent, p. 156-161. 124 Fin juin 1287, Villaret se trouve à Marseille où il se fait apporter des effets personnels, tandis que le stock de fromages qu’il se fait livrer à Aix pouvait éventuellement être destiné à l’export. On n’a, ensuite, plus de traces de lui en Provence jusqu’en décembre 1288 (cf. An. II, D-1, no 6). 125 CGH, t. 3, no 4276 (31 mars 1295). Cette restriction, qui allait dans le même sens que la limitation du recrutement des chevaliers et des donnés décrétée en 1292, avait une raison financière (A. Demurger, Les hospitaliers, p. 272 et 417 ; A. Luttrell, « Gli Ospitalieri di San Giovanni di Gerusalemme dal continente alle isole », in F. Tommasi (dir.), Acri 1291. La fine della presenza degli ordini militari in Terra Santa e i nuovi orientamenti nel XIV secolo, Pérouse, 1996, p. 80). 126 CGH, t. 4, no 4574, p. 39, § 14 (statuts de Guillaume de Villaret, 28 octobre 1302). 127 Déplacement du messager du prieur à Nice (56 H 835, f. 45v ; 4 novembre 1263) ; c’est encore de Nice qu’embarque le neveu du maître Jean de Villiers début septembre 1286 (CoHMa, § 164) ; v. d. marinatori qui tulit literas magni preceptoris usque Narbone (56 H 835, f. 9v ; 20 mai 1260). En revanche, l’Hôpital comme le Temple ne semblent pas avoir développé une grande activité à Aigues-Mortes (D. Carraz, « Causa defendende et extollende christianitatis. La vocation maritime des ordres militaires en Provence (xiie-xiiie siècle) », in M. Balard (dir.), Les ordres militaires et la mer, Paris, 2009, p. 24). 128 D. Carraz, « Causa defendende », p. 24-25 et 32-38 ; Id., L’ordre du Temple, p. 243-246. 129 Dans le contexte de la conquête de Rhodes, voir encore : D. Carraz, « Les Lengres à Marseille au xive siècle. Les activités militaires d’une famille d’armateurs dans un port de croisade », Revue historique, 309-4 (2009), p. 765-768.

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charger des marchandises dans le port130. Les années qui précédèrent la chute d’Acre furent, on le sait, critiques. Les besoins en hommes, provisions et argent semblent avoir été particulièrement sensibles à la suite des pertes infligées lors du siège de Tripoli, en avril 1289131. De fait, c’est à la fois à partir de Marseille et de Gênes qu’a opéré le grand commandeur en Occident, Bonifacio de Calamandrana, pour sauver la présence latine en Orient132. Ainsi, est-ce très probablement à Marseille que, dès décembre 1291, celui-ci arma plusieurs galères destinées « ad partes Sirie »133. Au printemps 1293, le grand commandeur organisait à nouveau, à partir de ce même port, le nolis et le chargement de deux galères pour l’outre-mer134. D’autres indices suggèrent que c’est bien vers la Provence que transitaient une partie importante des hospitaliers destinés à faire le passage. À l’été 1295, l’ordre se préoccupait d’acquérir des maisons à Tarascon et à Marseille, afin de servir d’étape aux frères de France, d’Angleterre, d’Allemagne et d’Auvergne se rendant outre-mer135. Parallèlement, le chapitre général de 1293 s’appliqua à mieux réglementer les procédures d’armement des navires, en dessinant déjà les grandes lignes d’un corps d’officiers spécialisés dans la marine136. Les registres comptables de Manosque livrent des informations plutôt disparates sur les marchandises qui étaient acheminées en Orient – on voit ainsi passer, pêlemêle, des paires de souliers, de la viande ou bien des médicaments137. Au-delà de ces mentions anecdotiques, il est certain que parmi les céréales, les fèves et les salaisons produites par la commanderie, une partie impossible à estimer était destinée à

130 En octobre 1279, le couvent central remerciait ainsi la commune d’avoir autorisé le chargement d’un vaisseau de l’ordre (Arch. mun. de Marseille, AA 131 ; F. Reynaud et alii, La Provence et l’ordre de Malte, Marseille, 1981, p. 82, no 143). Sur ces autorisations : D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 502-503. 131 J. Bronstein, « The Mobilization of Hospitaller Manpower », p. 28 (d’après CGH, t. 3, no 4050 ; 22 août 1289 ; acte ici un peu surinterprété car le message concerne le passage d’un seul frère). 132 La charge de grand commandeur deçà mer ou bien en Occident avait juste été réactivée après la chute d’Acre au profit de ce dignitaire ( J. Burgtorf, « A Mediterranean Career in the Late Thirteenth Century : The Hospitaller Grand Commander Boniface of Calamandrana », in K. Borchardt et alii (dir.), The Hospitallers, the Mediterranean and Europe, Aldershot-Brookfield, 2007, p. 79-80). Comme l’a relevé J. Delaville le Roulx, le commandeur deçà-mer opérait essentiellement à partir de la Provence ( J. Delaville le Roulx, Les hospitaliers en Terre sainte, p. 359). 133 C’est ce que suggère la demande, adressée à Charles II d’Anjou par Nicolas IV, de laisser l’Hôpital charger ses galères avec du froment à partir de la Provence (56 H 4023 = CGH, t. 3, no 4177 ; 13 décembre 1291). 134 Bonifacio de Calamandrana s’était plaint auprès de Charles II que le viguier de Marseille l’avait empêché de charger les deux navires, contre les privilèges de l’Hôpital (RCA, t. 45 (2000), p. 107, no 54 ; 31 mars 1293). 135 CGH, t. 3, no 4284 (21 juillet 1295). 136 A. Luttrell, « Gli Ospitalieri di San Giovanni », p. 81 ; d’après 56 H 4055, dont l’article sur l’armement des galées ne figure pas dans la version éditée des statuts (CGH, t. 3, no 4234 ; 20 octobre 1293). 137 Item v sol. et ii d. in quatuor paria sotularis pro ultra marinis (56 H 835, f. 15v ; 13 février 1261) ; CoHMa, § 161 (transport de viande à Marseille ; 18 août 1286). En avril-mai 1291 est signalé un vol de médicaments qui auraient dû être amenés à Marseille ( J. Shatzmiller, Médecine et justice en Provence médiévale, PJ no 6, p. 72-73). On suppose qu’en cette saison, ces médicaments – effectivement produits à l’infirmerie de la commanderie – étaient destinés à être expédiés.

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l’exportation138. Enfin, comme l’atteste la présence d’un troupeau de juments et de poulains, la commanderie se livrait à l’élevage de chevaux139. Si certaines bêtes étaient vendues sur place, la plupart avaient toute chance d’être acheminées en Orient via Marseille140. En retour, les hospitaliers de Manosque n’avaient aucune difficulté à s’approvisionner en épices – gingembre, safran – et en sucre, utilisé notamment pour la fabrication de sirops141. Si les comptes ne livrent aucune donnée sérielle, ils dévoilent en tout cas clairement l’activité qui animait la commanderie entre les mois d’avril et d’octobre, soit à la saison favorable à la navigation en Méditerranée. Dans les années 1260-1263 couvertes par l’un des registres, c’est précisément à cette période, en effet, que s’intensifiaient les trajets de messagers et de frères vers Marseille142. Si des responsables, tels le commandeur de Marseille ou bien le « preceptor navis Hospitalis » affecté à chaque nolis, pouvaient gérer la logistique sur place, l’acheminement des provisions nécessitait probablement le déplacement des commandeurs des maisons de l’intérieur. En mai 1263, Bérenger Monge se rendait ainsi à Marseille afin d’attendre l’arrivée d’un navire143. En revanche, les échanges avec ce port apparaissent moins dans les comptes des années 1280144. Mais je ne pense pas que l’on puisse attribuer ce silence relatif à un véritable ralentissement de l’approvisionnement de l’Orient latin dans la décennie qui précède la chute d’Acre. La comptabilité instruit surtout sur le rassemblement et l’expédition des responsiones145. Les deux registres du clavaire Guilhem Scriptor livrent, pour la partie

138 CoHMa, p. xlix-l. Ce sont bien les produits que l’on retrouve essentiellement dans les licences d’exportation délivrées aux ordres militaires par les autorités angevines (K. Toomaspoeg, « Le ravitaillement de la Terre sainte. L’exemple des possessions des ordres militaires dans le royaume de Sicile au xiiie siècle », in L’expansion occidentale (xie-xve siècles). Formes et conséquences, Paris, 2003, p. 150 ; et D. Carraz, « Christi fideliter militantium in subsidio Terre Sancte », p. 569-570). 139 Un troupeau de 50 juments est inscrit au status bajulie de 1299 (CoHMa, suppl. 1, p. 147). Frais de pasquerium (§ 10) ; frais de garde pour les juments de la maison de Saint-Michel et pour les poulains (§ 135 et § 91, 146, 197). 140 Des chevaux étaient vendus sur place, notamment parce que ce type d’échange avait une portée symbolique (56 H 849bis, f. 46-47v ; septembre 1222 ; CoHMa, § 10 ; 26 septembre 1283). Les bêtes qui étaient conduites à Marseille étaient probablement acheminées outre-mer (56 H 836, 1er cahier, f. 4v ; novembre 1319). En 1294, le chapitre général ordonna au prieur de Saint-Gilles de fournir une douzaine de chevaux chaque année au commandeur d’outre-mer (CGH, t. 3, no 4259, § 1 ; 30 septembre 1294). 141 En Syrie-Palestine, Arménie et Chypre, les hospitaliers comptaient parmi les principaux propriétaires de plantations de canne à sucre. Avec d’autres produits orientaux, le sucre arrivait à Marseille d’où il était redistribué vers l’Europe du Nord (M. Ouerfelli, Le sucre : production, commercialisation et usages dans la Méditerranée médiévale, Leyde-Boston, 2008, p. 42-44, 49-53, 112-116, 399 et 538). 142 56 H 835, f. 8 (literis domino preceptoris Massilie ; 2 mai 1260) ; déplacements de frères ou de nuncios à Marseille : f. 11v (15 août 1260), f. 21v ([2 octobre] 1261), f. 38 (29 avril 1263), f. 45 (22 octobre 1263), f. 45v (4 novembre 1263), etc. Certains passages semblent s’être risqués à un embarquement tardif : Item ii d. trotterio domini prioris qui passavit ad navem (f. 46 ; 11 novembre 1263). 143 Item (xx) sol. in expensis quas fecit preceptor eundo Massillie quando navis venit. (56 H 835, f. 39 ; 20 mai 1263). 144 CoHMa, § 161 (expédition de viande ; 18 août 1286) et § 248 (envoi d’un messager ; 18 avril 1288). 145 Première approche sur le transfert des responsions : A. Demurger, Les hospitaliers, p. 402-403.

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toulousaine du prieuré, des informations qui resteraient à analyser en détail146. Au moment du chapitre de la sous-province, le trésorier dressait la liste des responsiones reçues, soit par commanderie (Renneville, Caignac, Orgueil…), soit par baillie, ici à prendre dans le sens de division administrative correspondant à un regroupement de commanderies (Albigeois, Périgord, Cahorsin, Bordelais…)147. Chaque commandeur qui s’acquittait de la taxe recevait alors une quittance du trésorier148. Il était impossible d’échapper à la contribution car les arrérages dus par les différents commandeurs étaient également notés sur le registre du trésorier149. Ensuite, à partir de Toulouse, l’argent était expédié à Saint-Gilles pour le chapitre qui se tenait en principe cinq semaines après celui de Toulouse. Dans ce circuit qui le menait de chaque commanderie au prieuré de Saint-Gilles via Toulouse, l’argent voyageait physiquement dans des sacs scellés par chaque commandeur et dont le contenu était compté à la réception150. Ainsi, pour l’année 1257, le trésorier prit livraison à Orange de dix sacs scellés contenant un total de 954 livres. Il remit au commandeur du passage sept sacs contenant 700 livres et conserva les trois derniers sacs pour le prieur151. L’argent restant devait être affecté à des achats de fournitures pour le Levant. Ainsi, cette même année, une partie des responsiones prélevées en Toulousain servit directement à acheter des chevaux en Gascogne152. Les comptes du trésorier provincial mentionnent le registre sur lequel chaque commandeur devait inscrire les responsiones de sa maison parmi les dépenses courantes153. S’il s’agit là de cahiers de travail, tenus au jour le jour, la comptabilité des années 1283-1290 conservée pour Manosque correspondait à la copie présentée pour vérification au chapitre provincial. La responsio y apparaît de deux manières. D’une part, sont comptabilisées dans les revenus (« presa »), les contributions versées par les trois dépendances, selon le rythme suivant :

146 J’évoque ici brièvement uniquement le 56 H 2625 (comptes pour les années 1255-1257). Le 56 H 2624 (comptes des années 1253-1258) reste à étudier. 147 56 H 2625, f. 18v-19v (recettes des responsions par commanderies au chapitre de Toulouse ; 14 mai 1256) ; f. 28v-29 (reçu à Toulouse en 1257) ; f. 30v-31 (recettes des responsions au chapitre de Toulouse ; 25 avril 1257) ; f. 50v-51r (total des sommes reçues pour le prieuré de Toulouse) ; f. 60v-61 (sommes des responsions de plusieurs maisons au chapitre de Toulouse ; 25 avril 1257). 148 Item in alio cartulario sine postibus m*** veteri est quadam cedula que continetur qualiter frater Borrellus anno preterito suam reddidit responsionem. (56 H 2625, f. 10v). 149 f. 7 : Item responsione anni preteriti scilicet xiiii lb. tur. (revenus reçus à Toulouse de la maison de Caignac, après l’Ascension 1256). 150 Chaque commandeur disposait d’une empreinte pour sceller ses propres sacs (56 H 2625, f. 44v-45v et 50v-50 : sommes reçues de diverses maisons de la partie toulousaine du prieuré de Saint-Gilles, après Pâques 1257). 151 f. 51v-52 : Notandum quod nos apud Aurasicam recepimus de r(esponsione) capituli illius in viiii saccis sigillatis dcccc lb. Item in alio sacco liiii lb et xii s. De quibus mandato domini prioris preceptor navis recepit vii saccos de dcc lb. reliquis tres sacci sigillati remanserint penes dictum priorem. Item summa debite post hec vel predicte responsio erat cum responsionem domus sancti Egidii cccc xl vi lb. 152 De dicta morl. sunt poniti in empcione equi empti apud Insulam : ccc l. s. de responsione Sancti Gaudencii. Item in empcione equorum emptorum in Vasconie de responsione Berrauce ** s… (f. 28v). 153 Item est ibi qualiter responsiones sunt recepte. Et de computis A. Johannis tunc factis. Le même cartularium comportait d’autres écritures : dépenses de travaux au réfectoire, sommes dues au prieur, sommes déjà remboursées aux créditeurs… (56 H 2625, f. 10r-v).

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La Tour d’Aigues

26 mars 15 l. 5 s. 1284 29 avril 1285 16 l. 5 s. 14 avril 1286 16 l. 5 s. pour 15 l. t. 8 déc. 1286 15 l. 7 s. 6 d. pour 15 l. t. 27 avril 1287 15 l. 7 s. 6 d. 16 mai 1288 15 l. 7 s. 6 d. cor. pour 15 l. 20 fév. 1289   1er mai 1289 15 l. 7 s. 6 d.

Saint-Michel

La Rouvière

§

15 l. 5 s.

15 l. 5 s.

36

16 l. 5 s. 16 l. 5 s. 16 l. 5 s. cor. pour 15 l. t. 16 l. 5 s. cor. pour 15 l. t.     15 l. 7 s. 6 d.      

93 143

15 l. 7 s. 6 d. pour 15 l. t.     15 l. 7 s. 6 d.

292 302

177 197 252

Fig. 21A. La contribution des membres de la commanderie de Manosque à la responsio

D’autre part, apparaît parmi les sorties, la somme qui était apportée chaque année au chapitre : §

date de sortie de la responsio

24 2 janvier 1284 93 29 avril 1285 143 14 avril 1286 171 27 octobre 1286 197 27 avril 1287 204 15 juin 1287 233 4 janvier 1288 239 15 février 1288 304 15 mai 1289 351 9 avril 1290 moyennes sur 7 années

montant en l. tournois

date du chapitre prieural

300 325 300 + 102 63 + 300 250 + 20 300 300 323

9 juillet 1284 27 mai 1285 9 juin 1286     22 juin 1287   30 mai 1288 19 juin 1289   /

revenu total de la commanderie (en l. tournois) 1283-1284 1284-1285 1285-1286     1286-1287   1287-1288 1288-1289 1289-1290 /

1 346 914 1 086     828   780 774 727 922

part de la responsio sur le budget total 22% 36% 37%     44%   35% 39% 41% 36%

Fig. 21B. Les responsiones de la commanderie de Manosque entre 1284 et 1290

Chaque dépendance de la baillie versait donc sa propre contribution à la maison chèvetaine, ce qui confirme l’existence d’une comptabilité séparée pour chaque membre (fig. 21A). On voit que le montant annuel moyen était de 15 livres, ce qui signifie que les trois membres apportaient environ le sixième de la contribution totale (45 livres sur 323), le reste étant versé par la maison-mère elle-même. On ignore s’il s’agissait là d’une exigence imposée par la tête de l’Hôpital, mais le fait que le versement était payable en livres tournois entraînait des opérations de

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change154. On retiendra surtout la preuve que la commanderie s’acquittait tout à fait régulièrement de cette contribution. Alors que la lettre de Hugues Revel citée plus haut se plaignait que plusieurs prieurés ne satisfaisaient plus correctement à cette exigence dans les années 1260, sur les sept années couvertes par le registre, la commanderie de Manosque a versé une moyenne annuelle de 323 livres tournois. L’ensemble des données chiffrées informe encore sur le poids des responsiones dans le budget global de la commanderie. Comme on le voit, l’entretien de la mission de l’ordre en Orient représentait en moyenne 36% du budget total sur les sept années couvertes par le registre (fig. 21B). Cela peut paraître considérable car la commanderie avait évidemment bien d’autres frais à couvrir. Cependant, si ces chiffres donnent des tendances, ils ne représentent pas l’ensemble du budget car on sait que ces comptes n’inscrivent que les flux en numéraire. Nous échappe donc tout un pan de l’économie hospitalière, comme l’expédition des provisions en nature. Dans tous les cas, on ne s’étonne plus qu’une riche commanderie comme Manosque ait connu un déficit annuel qui pouvait représenter du tiers à la moitié du budget. Ces données attestent encore des capacités d’une grosse commanderie provençale en une période pourtant réputée difficile. L’enquête de 1338 sur le prieuré de Provence révélera en effet une situation nettement moins favorable155. Comment les hospitaliers provençaux auraient-ils pu oublier la Terre sainte, lorsque l’essentiel de leurs efforts était destiné à assurer la survie de la chrétienté latine outre-mer ? Même s’il n’a peut-être jamais effectué le passage, Bérenger Monge avait toujours cet horizon en tête, lorsqu’il recevait un courrier du couvent central, lorsqu’il accompagnait un convoi de vivres à Marseille ou encore, lorsqu’il se rendait au chapitre provincial pour remettre la responsio annuelle en même temps que les comptes de ses commanderies. À défaut, sans doute, d’avoir mis ses pas dans ceux du Christ, le commandeur a arpenté bien des routes au service de son institution : c’est aux missions qui furent les siennes dans cette partie provençale du prieuré de Saint-Gilles, et donc à ses rapports personnels avec les responsables de la province, que l’on va s’intéresser.

Le prieur et le commandeur : deux profils de dignitaires en mutation L’espace ordinaire d’un commandeur

Jusqu’à présent, on a surtout constaté un fort enracinement de Bérenger Monge à Manosque, entrecoupé de séjours peut-être moins fréquents à Aix (tabl. 3). Même si

154 Memoria sit quod nos fr. Petrus de Sancto Martino tradidimus Simoni prestatori xvi lb cor. pro xv lb. turon. pro responsione preceptor Turris Aiguesii, videlicet in die martis post ramis palmarum. (56 H 2624, f. 50 ; 31 mars 1282). 155 La commanderie de Manosque ne versait, alors, plus que 166 l. 13 s. 4 d. au titre de la responsion (VGPSG, p. 361).

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la documentation ne permet pas de le suivre à la trace, sans doute peut-on imaginer que son rayon d’action s’inscrivait dans les périmètres de ses deux commanderies. Ainsi, probablement se rendit-il à Trets, au moins lorsqu’il fut titulaire du titre de commandeur de Saint-Martin, même si la plupart des affaires concernant cette maison étaient réglées à Aix. Selon le lieu, Bérenger Monge officiait donc comme commandeur de Manosque ou bien d’Aix, y compris au chapitre provincial. À l’extérieur cependant, il arriva parfois qu’on lui prêtât la double titulature. Ce fut le cas lorsqu’il se rendit à Meyrargues, en octobre 1257, pour négocier une confirmation d’exemption qui profitait aussi bien à la maison d’Aix qu’à celle de Manosque156. Ce fut le cas également, en août 1260, lors d’un déplacement au castrum de Ventabrens, près de Valensole, pour assister à la vente, au profit de la commanderie de Puimoisson, d’un affar au terroir de Saint-Apollinaire157. En même temps qu’à un certain frère Guilhem agissant au nom de la maison de Puimoisson, la vente était d’ailleurs adressée à Bérenger Monge. Je pense donc que, sans porter ici de titre officiel, ce dernier était mandaté par Féraud de Barras qui conservait cette commanderie en tant que chambre prieurale. C’est encore à ce titre que, quelques mois auparavant, le commandeur de Manosque se trouvait à Puimoisson pour recevoir une importante donation158. Passé dans la chambre du commandeur abritée par le palais fortifié, l’acte suggère encore que Monge tenait quasiment lieu de commandeur à la place de Féraud de Barras. Ce dernier, sûrement accaparé par sa récente promotion comme commandeur deçà-mer, se reposait donc sur le dignitaire de la maison voisine pour gérer ses intérêts à Puimoisson. Du reste, Monge resta impliqué dans ce dossier, même lorsque l’emploi du temps de Barras lui permettait de suivre les développements de l’Hôpital autour de Puimoisson. En août 1265, le prieur était à Aix, pour conduire une importante transaction avec Isnard de Moustiers, à laquelle assista bien le commandeur d’Aix et Manosque, ainsi que son parent, le chanoine Jaufre Monachi159. Les attributions de Monge, cependant, étaient loin de s’arrêter à Puimoisson. Dès que Barras fut doté de plus hautes responsabilités, probablement en 1257, le commandeur reçut la tâche de gérer, en partie au moins, les affaires du prieuré avec le titre de lieutenant160. À trois reprises, par la suite, on voit Bérenger intervenir en tant

156 CGH, t. 2, no 2885 (8 octobre 1257). 157 …nos Raimundus, archidiachonus Regensis, et Ricsenda eius neptis […] vendimus tibi fratri Guillelmo recipienti nomine domus Hospitalis Ierosolimitani de Podio Moison(e) et nomine domini Berengarii Monachi, commandatoris domus Hospitalis Manuasche et Acquis […] affare quod habemus in valle Sancti Apollinaris… (56 H 4852 ; 1er août 1260). 158 …Tome, filius quondam Feraudi de Hospitale Podii Moissoni, non coactus […] ante ingressum suum domui Hospitalis Sancti Johannis Jerosolimitani, dedit cessit atque mandavit donatione simplici habita inter vivos predicto Hospitali a domino Berengario, commendatori Manuasche, presenti et recipienti nomine dicti Hospitali, omnia jura inmobilia et omnes actiones […] in bonis que fuerunt quondam predicti Feraudi patri sui […]. Actum in castro Hospitalis Podii Moissoni in camera commendatoris… (56 H 4827 ; 29 décembre 1259). 159 56 H 4827 (15 août 1265). 160 Selon Raybaud, c’est en 1257 que Barras reçut du maître Guillaume de Châteauneuf « le titre de grand commandeur deça la mer ». Il me semble, en revanche, que l’archivaire fait quelque confusion en prétendant que le frère reçut en plus « la charge de grand commandeur de France » ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 165). La première attestation de Bérenger Monge comme lieutenant apparaît

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que lieutenant du prieur. En avril 1261, c’est à ce titre et non comme commandeur de Manosque, qu’il procéda au règlement sur les dîmes entre l’universitas et le chapitre de Forcalquier161. Il fut encore investi de la fonction en 1264, alors que Féraud de Barras passa tout l’hiver et le printemps dans la partie toulousaine du prieuré. Jean Raybaud nous a transmis sa lettre de nomination, dans laquelle Barras signe bien en tant que prieur et demande aux commandeurs, frères, sœurs et fidèles de la province d’obéir à son lieutenant en toutes circonstances162. En février 1267 enfin, Bérenger était envoyé à la cour de Forcalquier, en compagnie de son conseiller, le juriste Jaume Robini. Il s’agissait alors d’épauler les commandeurs de Roussillon et des Omergues qui disputaient à Bertrand Raimbaud de Simiane une importante série de droits seigneuriaux localisés entre les monts du Lubéron et de Lure163. La lieutenance était une délégation temporaire de pouvoir. Mais on suppose que, tant que Barras conserva sa charge de magnus preceptor in partibus cismarinis, Bérenger Monge exerça cette fonction bien plus souvent que ne le montrent les quatre attestations conservées. À la suite de la mort de Féraud de Barras, on y reviendra bientôt, le commandeur conserva la charge de lieutenant du prieur, sans doute durant une bonne partie de l’année 1269. C’est apparemment avec ce mandat qu’il reçut, à l’été, le serment de fidélité du sénéchal Guillaume de Barris, conformément à l’accord passé avec Charles Ier164. À partir du mois de décembre toutefois, c’est Guillaume de Villaret, fraîchement débarqué d’Acre où il occupait la charge de drapier, qui intervint désormais en tant que lieutenant du prieur165. Si ce dernier conserva cette position jusqu’à sa nomination comme prieur de Saint-Gilles par le chapitre général en juin 1270, Bérenger Monge resta, pendant les mois de vacance du prieurat, le dignitaire le plus influent en Provence166. Villaret, qui se confrontait aux réalités d’un Midi sans doute quitté très tôt dans sa carrière, avait besoin d’être conseillé167. Aussi, pour le premier acte qui nous est parvenu, en décembre 1269, une importante transaction passée à Avignon avec le comte de Valentinois Aymar III, le nouveau prieur agit avec l’avis de Bérenger

dans l’acte passé à Meyrargues, cette même année 1257 : de mandato domini Berengarii Monachi, preceptoris Manuasce et tenentis locum prioris in prioratu Sancti Egidi (CGH, t. 2, no 2885 ; 8 octobre 1257). Toutefois, ce titre apparaît seulement dans l’eschatocole du vidimus, lequel n’est pas daté mais fut probablement ordonné peu de temps après la transaction. 161 LPM, no 8, p. 32 (5 avril 1261). 162 Bibl. mun. d’Aix-en-Provence, ms. 339, p. 110 (5 février 1264 ; d’après l’armarium de la maison d’Avignon, pièce concernant Lardiers) ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 174. 163 56 H 4262 (31 janvier-11 février 1267). Le long rouleau transcrit la lettre de procuration du prieur à Bérenger Monge. Regeste : « Actes de la famille d’Agoult-Simiane », in F. Mazel, Catalogues d’actes, p. 117, no 317. 164 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 180. 165 Selon Raybaud, le maître Hugues Revel lui confia la lieutenance le 17 octobre 1269 ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 181). 166 An. II, D-1, no 6 (on peut, ici encore, suivre Raybaud qui donne une date exacte pour la tenue du chapitre général). 167 Ce dignitaire n’est pas originaire du Villaret de Haute-Provence, comme on le lit souvent, mais la seigneurie familiale était située dans les Monts d’Aubrac, dans la partie nord-ouest du diocèse de Mende (An. II, D-1, no 6).

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Monge et des commandeurs d’Orange, Trignan et Le Poët-Laval168. En juin 1270, parmi l’assistance des frères convoqués au chapitre, il est l’un des trois seuls frères témoins de la ratification du droit de tester accordé aux habitants de Puimoisson (fig. 18). Sans doute, le commandeur de Manosque sut-il encore gagner la confiance du prieur. Il apparaît fréquemment, par la suite, dans l’entourage du dignitaire. En avril 1271, il est à Saint-Thomas Trinquetaille lorsque Guillaume de Villaret approuve un accord passé avec le sénéchal de Beaucaire concernant la commanderie de SaintMaurice[-de-Cazevieille]169. Si les lacunes documentaires n’éclairent pas les relations entre les deux hommes dans la décennie qui suivit, on a vu comment, à partir de l’avènement de Charles II, Monge contribua, même modestement, aux affaires de l’État à la suite du prieur. Aussi, est-ce sans doute naturellement que cet homme de confiance se vit une nouvelle fois investi de la lieutenance du prieur, lorsque ce dernier se rendit à Rome, à l’été 1288170. Nul doute que Bérenger Monge était alors un homme très occupé et qu’il se déchargea lui-même largement sur des hommes de confiance pour l’administration de ses deux commanderies. En novembre 1290, c’est bien en tant que lieutenant de Guillaume de Villaret qu’il remit, au bayle Peire de Saint-Martin, une procuration pour la gestion de la baillie de Manosque171. En juillet 1293, le vénérable dignitaire portait encore le titre de lieutenant lorsqu’il fit prêter serment au sénéchal Hugues de Vicinis172. S’il fut actif pour quelques années encore – on a évoqué des contacts avec le roi et le pape autour de 1295-1296 –, Bérenger Monge finit toutefois par s’effacer de la scène régionale. Approchant quatre-vingts voire quatre-vingt-dix ans, il pouvait bien laisser la place à ses frères (fig. 2). Raimond de Grasse, que Villaret avait embauché comme sénéchal en Venaissin dès 1274, avait été un autre fidèle du prieur, en même temps que serviteur assidu du pape et même de Charles II173. Ce frère avait donc une carrière bien remplie lorsqu’il apparut en 1288 comme lieutenant dans la partie toulousaine du prieuré. Cet autre dignitaire d’envergure, qui devait être à peu près de la même

168 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 181-183 ; CGH, t. 3, no 3376 (12 décembre 1269 ; analyse succincte de l’original conservé aux Archives d’État de Turin). En revanche, Bérenger Monge n’apparaît plus pour la suite de la transaction, intervenue à Orange en janvier 1270. Mais, trois ans plus tard, il est cité en premier parmi tous les dignitaires qui, au cours du chapitre provincial, autorisèrent Guillaume de Villaret à poursuivre ses négociations avec Aymar de Poitiers (CGH, t. 3, no 3384 ; 22 janvier 1270 ; et no 3508 ; 22 mai 1273). 169 CGH, t. 3, no 3418 (1er avril 1271) ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 186. Le nombre de commandeurs cités comme témoins laisse croire à la tenue du chapitre prieural, quoique la date soit un peu précoce. La même hypothèse se présente pour l’acte du 11 juillet 1279, par lequel Guilhem de Randon, seigneur de Luc, concède plusieurs droits seigneuriaux en Gévaudan, toujours en présence de Monge et d’autres dignitaires (56 H 4098). 170 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 208. 171 56 H 4652 (4 novembre 1290). 172 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 213. 173 An. II, D-1, no 13. Cependant, il ne fut pas d’une neutralité irréprochable dans son gouvernement du Venaissin car il profita de sa position pour usurper, au profit de son ordre, plusieurs droits et biens relevant de l’Église romaine (V. Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin (vers 1270-vers 1350), Rome, 2012, p. 39 et 145-146).

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génération que Monge, disparaît de la documentation après 1290174. Aussi, d’autres frères, sans doute plus jeunes, mériteraient-ils d’être mieux pistés. Je m’en tiendrai à deux cas. Le premier est Peire de Mota qui, en avril 1277, fit partie de la délégation accompagnant la dépouille de la reine Béatrice de Naples à Aix175. On le retrouve dans les années 1280 comme syndic du prieuré, puis comme lieutenant en octobre 1294176. Le second cas est Isnard de Flayosc qui, assez peu de temps après son retour du Levant, se retrouva commandeur de Saint-Pierre-Avez (1290), avant d’obtenir en 1292 la maison de Puimoisson, qu’il avait déjà gérée avant son passage177. À cette puissante commanderie-seigneurie, il ajouta encore celle de Manosque à partir de 1298. À partir de début 1297 et probablement sans interruption jusqu’en 1300, il agit comme lieutenant du prieur. S’il disparaît de la documentation à cette date, remplacé dans ses deux commanderies, Isnard de Flayosc n’apparaît pas moins, quoiqu’avec un profil de carrière différent, comme le véritable successeur de Bérenger Monge. Au cours de sa très longue carrière, Bérenger Monge eut donc bien des occasions d’arpenter les terrains provençaux. Et encore, la carte de son itinéraire établie ci-après restreint-elle son horizon (fig. 22). Comment imaginer qu’il n’eut pas à se rendre dans les lieux de pouvoir, comme Sisteron ou Brignoles ? Ou bien qu’il ne visita pas les maisons de l’Hôpital reliées à ses propres commanderies – par exemple Ginasservis, Lardiers, Saint-Pierre-Avez et jusqu’à Gap ? Pourquoi ne se serait-il pas rendu à Nice ou encore à Montpellier, cet autre important centre administratif pour l’Hôpital ? Même si mes quelques sondages aux Archives départementales de la Haute-Garonne ont été vains, je ne désespère pas de trouver un jour trace de son passage quelque part dans cette partie toulousaine du prieuré de Saint-Gilles… Enfin, rappelons les hypothèses avancées plus haut sur la présence du commandeur au concile de Lyon de 1274. Le territoire connu et parcouru d’un dignitaire du niveau de Bérenger Monge se situait donc au moins à l’échelle du pays provençal. Est-il souvent sorti des limites des comtés provençaux ? Tandis que l’on ne sait rien du passage outre-mer, je ne saurais dire si son très probable déplacement jusqu’à Gênes, au printemps 1251, fut de l’ordre de l’exceptionnel ou, au contraire, de l’habituel. À l’image de plusieurs marchands et notaires installés à Manosque, eux-mêmes liés à l’Italie, les maisons hospitalières des Alpes méridionales entretenaient probablement de fréquents contacts avec les établissements de Ligurie et de Lombardie. Il serait donc bien étonnant, là encore, 174 Première mention comme frère en 1259, commandeur de Comps en 1264, d’Orange de 1269 à 1284, de Puimoisson de 1286 à 1290. Sénéchal en Venaissin de 1274 à 1283, il accomplit des missions pour Charles II en 1289-1290. Procureur du prieur envoyé au Puy en 1273, il est son lieutenant chargé de présider le chapitre en Toulousain en 1288 (An. II, D-1, no 13). 175 RCA, t. 11 (1958), p. 375, no 444 (30 avril 1277). En 1268, un frère chevalier est signalé comme bayle à Orange en tant que « frater de Mota, miles hospitalaris, bajulus Auraisensis » ( J.-H Albanès et U. Chevalier, Gallia Christiana Novissima, t. 6, Évêché d’Orange, Valence, 1916, no 195). Je pense qu’il s’agit du même car on le retrouve quelques années plus tard aux affaires à Orange (CGH, t. 3, no 3856 ; 28 mars 1284). Il accomplit surtout sa carrière en Ardèche, comme commandeur en Vivarais, au moins entre 1273 et 1283, puis commandeur de Trignan en 1293 (CGH, t. 3, no 3508, 3839 et 4233). 176 CGH, t. 3, no 3856 ; J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 199, 204 et 214 (qui l’appelle « Pierre de Lamote »). 177 Cf. An. II, D-1, no 7.

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Fig. 22. Lieux fréquentés par Bérenger Monge au cours de sa carrière

que Bérenger Monge n’ait pas eu d’autres occasions de franchir les cols alpins. En définitive, le commandeur d’Aix et Manosque avait, certes, un horizon plus étroit qu’un Villaret qui, sans même mentionner son expérience orientale, effectua plusieurs fois des trajets vers Rome et vers la capitale capétienne. Sans doute rentre-t-il dans la norme de la plupart des commandeurs dont les carrières étaient plutôt caractérisées par les mutations régulières d’une commanderie à l’autre dans l’espace du prieuré. De tels déplacements se déroulaient, somme toute, dans des périmètres relativement restreints. Ils n’en conféraient pas moins une pratique du territoire à ce groupe de commandeurs, au nombre desquels se détachait une minorité promise à des responsabilités provinciales : c’est le cas de Raimond de Grasse, de Peire de Mota et d’Isnard de Flayosc. Bérenger Monge était de cette trempe, même s’il aurait pu aller beaucoup plus loin. L’année 1269 : tournant ou non-événement ?

Le 15 juin 1269, Hugues Revel écrivait à Bérenger Monge. Après avoir fait état de « la sensible douleur » ressentie face aux conditions de la mort de Féraud de Barras, le maître demandait au commandeur de rechercher les coupables de cet assassinat et de les envoyer à Acre pour être jugés. Le texte de cette missive, qui ne nous est

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pas parvenu, est rapporté par Jean Raybaud de façon suffisamment précise178. Il faut donc, là encore, faire confiance à l’archivaire qui est le seul à raconter les origines d’une affaire dont on ne connaîtra jamais le dénouement179. Au début de l’année 1269, alors qu’il résidait à Saint-Gilles, Féraud de Barras aurait donc été empoisonné par « quelques frères qu’il avait voulu corriger ». Le scénario paraît crédible en ce qu’il correspond tout à fait au schéma établi par Franck Collard sur le crime de poison : une acclimatation particulière dans les milieux conventuels et une action collective qui vise le supérieur de la communauté180. Je rajouterais que le fait est d’autant plus envisageable chez les hospitaliers dont les maisons principales disposaient d’une pharmacopée181. En outre, l’entourage médical des frères était susceptible de diagnostiquer un décès dont l’origine, le plus souvent, n’était pas identifiée182. D’un point de vue chronologique, le moment correspond aussi à un apogée de ce genre de crime ou, du moins, de l’attention qu’on lui porte183. Du reste, n’est-ce peut-être pas un hasard si la réglementation locale s’en préoccupe : en 1286, le concile de Riez confiait à l’autorité civile le contrôle de l’accès aux drogues ainsi que la punition des coupables de tels crimes, y compris s’ils étaient clercs184. Les registres judiciaires de Manosque confirment de même, si ce n’est une certaine banalisation de l’usage du venin, du moins la diffusion du fantasme de l’empoisonnement185. Les circonstances du trépas du prieur parurent choquantes à Hugues Revel, parce que ce genre de crime était ressenti comme la plus insidieuse des trahisons et, en milieu monastique, l’expression ultime de la désobéissance186. Il est peu étonnant que les suites demeurent inconnues car la documentation éclaire rarement à la fois les tenants et les aboutissants de ce genre d’affaire. On connaît, par exemple, un autre cas de règlement de comptes à Strasbourg où le frère, condamné pour le meurtre du commandeur de Dorlisheim, obtint finalement l’absolution papale en

178 Bibl. mun. d’Aix, ms. 338, p. 154-155. La lettre est rapportée d’après l’« inventaire de Manosque de 1531 » (56 H 68). Je dois avouer que sur 705 folios d’analyses dépourvues de véritable classement et d’une écriture difficile, je ne suis pas parvenu à retrouver la mention lue par l’archivaire. 179 J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 179-180. 180 F. Collard, « In claustro venenum. Quelques réflexions sur l’usage du poison dans les communautés religieuses médiévales », Revue d’Histoire de l’Église de France, 88 (2002), p. 5-19. 181 Il y avait bien une infirmerie à Saint-Gilles, fondée par Féraud de Barras lui-même ( J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 167 et 307). Dans le cas des hospitaliers, on peut encore inférer les contacts avec l’Orient qui était vu comme la source même de la pratique du poison (F. Collard, Le crime de poison au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 50-51 et 117-119). 182 F. Collard, Le crime de poison, p. 12. Des médecins fréquentaient bien la commanderie de Saint-Gilles (cf. CaHSG, ad indicem : medicus, fisicus). 183 F. Collard situe le basculement entre 1240 et 1300, en une période où l’offre de poisons se développe et se diversifie (F. Collard, Le crime de poison, p. 45 et 52-53). 184 C.-J. Héfélé, Histoire des conciles d’après les documents originaux, t. 9, Paris, 1873, p. 124, § 13-14. 185 J. Shatzmiller, Médecine et justice, no 14, p. 88-89 (affaire d’empoisonnement et d’envoûtement dans le cadre domestique ; 31 août 1300). C’est dans ce même contexte qu’intervinrent les rumeurs d’empoisonnement collectif imputé aux juifs (Id., Recherches sur la communauté juive de Manosque au Moyen Âge. 1241-1329, Paris-La Haye, 1973, p. 131-135). 186 F. Collard, Le crime de poison, p. 138-148.

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1328, alors même que le mobile et la date du crime demeurent inconnus187. Pour le xive siècle, on suppose néanmoins que la compétition accrue au sein de l’élite de l’ordre, pour le contrôle des offices et des rentes, a pu conduire à une exacerbation des tensions internes188. On ne peut conjecturer sur la personnalité de Barras qui aurait pu éventuellement le rendre insupportable à certains de ses frères. Il est certain que le personnage avait une haute idée de sa fonction et de son rang social. On a vu en lui un dignitaire très investi dans les affaires de son ordre, au point d’attacher une grande importance à la visite des commanderies et de s’immiscer dans l’administration de ces dernières. Peut-être, cette autorité fut-elle mal supportée par certains frères ? Jean Raybaud, en tout cas, a bien créé l’événement en relevant cette simple analyse épistolaire dans l’inventaire de 1531189. Cependant, la lettre originale d’Hugues Revel voire d’autres éventuelles pièces du dossier avaient disparu des armoires bien avant que l’archivaire n’entreprenne leur inventaire. Si ce genre de crime pouvait encore éveiller quelque intérêt chez un homme de l’époque des Lumières, il est peu étonnant que les faits se soient perdus dans les tréfonds de la mémoire médiévale car périr de la sorte pouvait, alors, paraître honteux pour un chevalier comme Féraud de Barras190. Dès la mort du dignitaire, le commandeur de Saint-Gilles, Peire de Bellovicino, convoqua une assemblée de dignitaires locaux pour procéder à l’élection d’un lieutenant du prieur191. Comme pour légitimer la démarche et, au passage, donner foi à son récit, Raybaud prend soin de préciser que le commandeur agit ici conformément à la norme en vigueur192. Or, l’assemblée convoquée par Peire de Bellovicino confia le titre de lieutenant à Bérenger Monge. Celui qui avait déjà bénéficié de la confiance de Féraud de Barras, jouissait donc du même crédit auprès de la plupart des commandeurs provençaux. Manifestement, sa réputation était même parvenue jusqu’à Acre, d’où Hugues Revel confirma la charge, en attendant que le chapitre général – qui se réunissait à l’automne – entérine sa nomination comme prieur de

187 N. Buchheit, Les commanderies hospitalières, p. 177-178. 188 En 1351, un commandeur fut également accusé d’avoir attenté à la vie du prieur de Castille pour une affaire d’argent (Ph. Josserand, Église et pouvoir dans la Péninsule ibérique, p. 408-409). 189 La dimension langagière de l’événement est bien cernée depuis la critique postmoderne (F. Dosse, « L’événement historique : une énigme irrésolue », Nouvelle Revue de psychologie, 19 (2015), p. 21-27). 190 Même si l’on s’y intéresse moins au temps des Lumières, le crime de poison est assez bien représenté dans la littérature romanesque du xviie siècle. Au Moyen Âge, au contraire, le souvenir de ce genre de crime pouvait être honteux car, dans la noblesse, l’indignité de la mort par empoisonnement pouvait entraîner jusqu’à la dérogeance (F. Collard, Le crime de poison, p. 10-12 et 238). 191 Ce Peire de Bellovicino/Belvezin avait lui-même un standing remarquable : proche de Clément IV dont il avait été le camérier, il sembla bénéficier, sous Guillaume de Villaret, d’une certaine autonomie dans le gouvernement de la commanderie de Saint-Gilles, avant de diriger celle de Trinquetaille (CGH, t. 3, no 3320 ; 29 octobre 1268 ; no 3404 ; 24 octobre 1270 ; no 3508 ; 22 mai 1273). 192 Il cite un statut du 19 septembre 126[2] stipulant qu’en cas de décès d’un prieur, le commandeur de la place devrait réunir onze commandeurs des maisons les plus proches afin de procéder à l’élection d’un lieutenant. Malgré une petite erreur de date qui pourrait tout aussi bien venir du copiste (1263 pour 1262), sa référence est tout à fait exacte (CGH, t. 3, no 3039, § 29 ; 19 septembre 1262).

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Saint-Gilles193. Le récit de l’archivaire, qui laisse entendre que les questions de la succession et de l’assassinat firent l’objet de correspondances différentes, semble bien corroboré par une mention de l’inventaire de 1531. Celui-ci signale en effet, malheureusement sans fournir d’analyse véritable, une lettre datée du 1er juin 1269 qui doit correspondre à la proposition du maître194 (fig. 20). Pourtant, Bérenger Monge, qui reçut donc la confirmation venue d’Acre dans le courant de l’été 1269, préféra renoncer à cet honneur. Selon Raybaud, le commandeur voyait la charge de prieur « comme un pesant fardeau et préfér[a] son repos à cette dignité »195. La voie était donc libre pour Guillaume de Villaret qui, dans le courant de l’automne, était dépêché en Provence avec le titre de lieutenant, avant que le chapitre général de l’année suivante ne le nomme prieur. Le retrait de Monge ne peut s’expliquer par l’âge : commandeur depuis une vingtaine d’années, sa carrière était encore devant lui. Félix Reynaud interprète comme un manque d’ambition, le refus d’une « dignité qui l’aurait peut-être amené jusqu’à la grande maîtrise196 ». S’il est tout à fait concevable que Monge ait pu accéder au prieurat, cette dernière assertion est, en revanche, plus improbable. À comparer son profil à celui d’un Guillaume de Villaret, il manquait à Monge la stature sociale et surtout l’expérience d’une carrière au couvent central197. Son implantation était trop locale pour que le commandeur d’Aix et Manosque puisse espérer dépasser le rang, déjà très estimable, de prieur. Ce n’est donc pas tant à un manque d’ambition qu’il faut attribuer son effacement, qu’à une différence de vues par rapport à Villaret. Le choix du commandeur témoignerait plutôt d’une mentalité seigneuriale, attachée à l’ancrage local du pouvoir. Sans doute était-il peu attiré par l’exaltation et le statut qu’une plus haute responsabilité pouvait prodiguer. Pleinement satisfait de son genre de vie, qui tenait à la fois du châtelain et du prélat, sans doute nourrissait-il moins d’intérêt pour les grands défis que l’Hôpital devait alors relever. Certes, était-il nécessairement confronté au negotium Terre sancte et à l’adaptation des modes de gouvernement au niveau central, mais cela ne relevait guère de ses priorités. S’il

193 Si l’on suit correctement Raybaud, le maître confirma d’abord la lieutenance de Monge, puis il envoya une nouvelle missive, « peu de temps après » (soit le 15 juin), lorsqu’il apprit les circonstances de la mort de Barras. Rappelons qu’il fallait entre deux et quatre semaines à une nouvelle pour atteindre Acre à partir de la Provence (S. Menache, « The Crusades and their Impact », p. 77-78). 194 « Item ung instrument contenant une lettre envoyee par fr. Hugues Revel grand mestre de l’ospital de sainct Jehan a fr. Berenguier Moyne aud. prieuré de Sainct Gilles commandeur de Manoasque salv*** qui plus apert a lad. lettre sub datum apud Accon kl junii sub millesimo duocentesimo sexagesimo nono, cotte xl 7 Q » (56 H 68, f. 437v-438). 195 Ferréol de Ferry qui, sur cette affaire, paraphrase Raybaud, donne cependant des détails sur les modalités du refus : « Bérenger “propter multas rationes” supplia le grand maître par lettre, puis par un envoyé, lui démontrant qu’il ne pouvait assumer la charge “nec prioris nec vice prioris” » (F. de Ferry, La commanderie et le prieuré, vol. 1, p. 29-30). Ces extraits de la réponse du commandeur laissent entendre que le chartiste, qui a lu beaucoup de sources mais dont les références sont hélas très aléatoires, a trouvé l’une des pièces du dossier sur laquelle Raybaud s’était lui-même appuyé. 196 F. Reynaud, La commanderie, p. 53. 197 Le passage par les hautes dignités du couvent central – commandeur, maréchal, drapier – était quasi-obligé pour l’accès à la maîtrise ( J. Burgtorf, The Central Convent, p. 406-424).

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est facile, a posteriori, de trouver de grands destins à certains acteurs, on admettra que Villaret eut, d’emblée, des ambitions supérieures. Dès les premières années de son gouvernement comme prieur de Saint-Gilles, on l’a vu prendre contact avec l’administration capétienne, visiter sa province, jouer un rôle au concile de Lyon, avant d’entrer au service du Siège apostolique et de la cause angevine. En 1295, bien installé comme figure majeure de l’ordre en Occident, il prit la tête, avec Bonifacio de Calamandrana, d’une fronde contre le maître Eudes des Pins, avant d’être lui-même élu à la dignité suprême l’année suivante, sur un programme de réformes198. Trop bien enraciné dans ces terres méridionales sises à la croisée des pouvoirs, il finit cependant par déclencher une crise institutionnelle en prétendant relocaliser le gouvernement central de l’ordre en Provence199. L’année 1269 aurait pu constituer un tournant pour Bérenger Monge. Il n’en fut rien et l’assassinat de Féraud de Barras passerait presque pour un non-événement, tant le mandat de son successeur s’est inscrit dans la continuité. Ce fut le cas au niveau de l’administration générale du prieuré comme de ses cadres dirigeants, à l’instar de Bérenger Monge qui poursuivit une belle carrière locale, semble-t-il sans heurts majeurs. * Fidèle à la démarche que je me suis assignée, c’est en suivant des itinéraires individuels que j’ai essayé de cerner les contours du prieuré de Saint-Gilles en tant qu’institution. Il s’agissait donc de partir de réalités locales, éclairées par une documentation produite au niveau des commanderies, pour comprendre le fonctionnement de l’échelon provincial de l’organisation hospitalière. L’objectif, par conséquent, n’était pas de proposer un tableau d’ensemble de l’organisation du prieuré, avec ses rouages administratifs, sa hiérarchie d’officiers et ses réseaux de commanderies200. Au gré des déplacements de quelques dignitaires particulièrement représentatifs, il s’agissait plutôt d’ouvrir une fenêtre sur la Provence et une partie de l’espace toulousain – ici, uniquement le temps d’aborder le rassemblement des responsions. Cette échelle a paru suffisante pour voir fonctionner les chapitres provinciaux, les visites prieurales, les flux d’information, autant de mécanismes qui participent des processus d’institutionnalisation. Les visites ne sont pas tant apparues ici dans leur fonction disciplinaire, mais plutôt dans leur contribution à la formalisation d’un espace administratif. Les prieurs du xiiie siècle ont inlassablement parcouru l’espace

198 Comme le note Alan Forey, les visées reformatrices de Villaret et de quelques autres ne furent pas dénuées de considérations personnelles : prendre le leadership de l’opposition à Eudes des Pins pouvait effectivement profiter à la carrière du prieur (A. Forey, « A Proposal for the Reform of the Hospital in the Late Thirteenth Century », Ordines militares. Yearbook for the Study of the Military Orders, 21 (2016), p. 12). 199 A. Forey, « A Proposal for the Reform », p. 7-19 ; J. Burgtorf, The Central Convent, p. 151-161. 200 Probablement du fait de la masse documentaire qu’il faudrait embrasser, une telle vision d’ensemble n’existe pas encore. Les connaissances sur l’organisation institutionnelle du prieuré reposent, on l’a dit, sur une littérature ancienne qu’il faudrait bien reprendre à nouveaux frais.

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provincial, en conduisant effectivement des inspections, mais également en séjournant, parfois longuement, dans certaines commanderies. Le dignitaire, qui se déplaçait notamment avec un scribe et un messager, incarnait une forme d’administration en mouvement. Loin de rayonner seulement à partir de Saint-Gilles, le gouvernement suivait donc le prieur dans ses pérégrinations : par conséquent, si l’on peut sans doute parler d’une forme de centralisation, celle-ci était moins focalisée sur un lieu que sur une personne. En outre, la présence du prieur s’est trouvée démultipliée par le système de la délégation : un ou deux lieutenants pouvaient assumer ses fonctions dans une portion de la vaste province, avant même l’apparition de syndics ou économes, sur lesquels on ne sait pas grand-chose. En tout cas, on retiendra que, dès Féraud de Barras, se précisait déjà le détachement d’un prieuré toulousain au sein d’une province, théoriquement centrée sur Saint-Gilles mais devenue dans les faits bien trop vaste. Grâce aux cartulaires de Guilhem Scriptor, on perçoit encore l’importance du clavaire, cheville ouvrière du rassemblement des responsions, qui était également muni d’un mandat juridictionnel sur les maisons qu’il pouvait visiter. Comme pour tout autre organisation régulière, le chapitre provincial a constitué le grand lieu de l’institutionnalisation. Ce n’est pas la fabrique de la norme, très mal documentée avant le xve siècle, qui a pu être retenue ici. Il faut plutôt insister sur la régularité annuelle de la réunion – qui disparaîtra probablement dès le milieu du xive siècle – et donc sur la présence assidue d’un groupe de dignitaires formé par les titulaires des plus importantes commanderies. De fait, le chapitre fut aussi le lieu de formalisation d’une élite de frères qui s’attribuait les charges les plus honorables et les revenus afférents. Le train de vie d’un Barras et d’un Villaret montre bien, pour paraphraser Pierre Santoni, que « le prieuré cesse d’être d’abord le lieu d’un service distingué, mais que l’on exerce pour peu de temps, pour devenir surtout un lieu de pouvoir201 ». Or, cette conclusion s’applique tout aussi bien aux meilleurs des commandeurs que l’on a vu se partager les maisons les plus riches comme l’administration du prieuré lui-même, sans oublier, pour les plus ambitieux, le service du prince ou du pape. Le chapitre représentait aussi, le temps de sa préparation et de sa réunion, le point nodal d’un maillage tissé par les déplacements des dignitaires, l’acheminement des responsions et les échanges d’informations. Les comptabilités ont donné une mesure des flux créés par la circulation des courriers ou des frères à partir de Manosque. C’est, sous une autre forme, le réseau de cette commanderie qui s’est trouvé ainsi dessiné (fig. 22). Un réseau, cependant, largement animé par les déplacements des dignitaires et les séjours du prieur voire, exceptionnellement, du maître lui-même. Le contenu des informations qui transitaient ainsi nous échappe presque totalement. Pour s’en donner une idée, on pourrait se référer à la bureaucratie étatique expérimentée sous les premiers Angevins202. La nécessité de la transmission de l’information, d’un rouage à l’autre de l’administration

201 P. Santoni, « Les deux premiers siècles du prieuré », p. 160. 202 M. Hébert, « L’ordonnance de Brignoles, les affaires pendantes et l’information administrative en Provence sous les premiers Angevins », in Cl. Boudreau (dir.), Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, 2004, p. 41-56.

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comme au moment de la succession des officiers, justifiait probablement une partie des missives et des messagers qui circulaient au sein du réseau hospitalier. Après tout, ce tournant bureaucratique a été observé pour les principaux ordres religieux du temps. Malgré cela, l’impression demeure que l’Hôpital n’a pas atteint en ce domaine un développement comparable à celui des prêcheurs, « ordre de litterati » par excellence203. Pour les grandes institutions régulières toutefois, les prescriptions normatives s’attachèrent bien davantage à préciser les différents usages de l’écrit, notamment dans le cadre des chapitres et des visites : là réside, peut-être, le décalage supposé avec les ordres militaires204. La spécificité de la vocation des ordres militaires a cependant généré des pratiques propres, dictées par la nécessité d’entretenir un lien constant entre l’Europe et ses territoires d’outre-mer. Ces nouvelles d’Orient, dont le contenu nous est parfois parvenu, inscrivent le réseau de l’Hôpital dans une dimension universelle. Cette dimension n’empêchait pas l’entretien de relations personnelles, que l’on ne peut que deviner à travers les lettres du maître adressées au prieur et même à un commandeur comme Bérenger Monge. Dans le même ordre d’idées, en supposant que c’est bien autour de 1291 qu’arrivèrent en Provence les « chartes de Syrie », le fait que le palais de Manosque eut le privilège d’abriter une partie du trésor archivistique du couvent central, releva probablement de la volonté de Jean de Villiers. Dans un traité sur le passage outre-mer rédigé durant son séjour à Marseille, au début du xive siècle, Arnaud de Villeneuve dénonçait l’incapacité des hospitaliers à mener à bien la croisade205. Sensiblement au même moment et au même endroit, le troubadour Rostan Berenghier reprochait aux deux ordres militaires leur désengagement au Levant et le gaspillage des richesses qu’ils avaient reçues au nom de Dieu206. Tout à fait représentatif d’une certaine opinion, ce genre de sentiment à l’égard des ordres militaires a déjà été discuté par les historiens207. Pourtant, je n’hésiterais pas à écrire

203 S. Lusignan, « Humbert de Romans et la communication écrite », p. 201-209. 204 F. Cygler, « Caractères et contenus de la communication », p. 77-90. 205 Aujourd’hui conservé à la bibliothèque universitaire de Gênes, ce texte anonyme dénommé Tractatus contra passagium in partes ultramarinas quod nunc promovetur, a bien été attribué à Arnaud de Villeneuve (E. Bellomo, « Arnau da Villanova, i templari e le crociate », in I. C. Ferreira Fernandes (dir.), Entre Deus e o rei. O mundo das ordens militares, vol. 2, Palmela, 2018, p. 640-645). Il s’agit très probablement du traité mentionné dans sa bibliothèque marseillaise – Quaternus pasagii in papiro – et que l’on retrouve, quelques années plus tard, dans celle de son neveu Jean Blaise – un libre que tracta del pasatge et de la terra de oltramar (D. Nebbiai, « Un médecin et théologien à Marseille. Arnaud de Villeneuve (1304-1310) », in É. Malamut et M. Ouerfelli (dir.), Villes méditerranéennes au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 2014, p. 286). 206 En dernier lieu, sur le contexte du célèbre sirventes Pos de sa man Cavalier del Temple : F. Barberini, « Rostainh Berenguier de Marseilha e l’affaire dell’Ospedale (BdT 427,4) », Revista de Literatura Medieval, 12 (2011), p. 43-69. L’auteur suggère que Rostan Berenghier établissait une différence entre les templiers, coupables de tous les péchés, et les hospitaliers, simplement accusés de négliger la Terre sainte. Alors que Paul Meyer plaçait ce poème autour de 1310, Fabio Barberini le relie plutôt à la crise institutionnelle déclenchée par Guillaume de Villaret en 1299. Aussi le lien entre le troubadour et le neveu du maître, Foulques de Villaret, pourrait-il déjà remonter à ce moment-là. 207 Pour une approche d’ensemble qui inscrit la Castille dans le contexte européen : Ph. Josserand, Église et pouvoir dans la Péninsule ibérique, p. 60-76.

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que le célèbre théologien aragonais comme le troubadour marseillais étaient de bien mauvaise foi ! On a relevé, dans les décennies précédant ces critiques, l’intensité des liens entre l’Orient latin et la Provence. Faute de données prosopographiques, les passages de frères sont difficiles à appréhender, tandis que les expéditions de marchandises n’apparaissent qu’en filigrane. En revanche, les comptabilités apportent des données inédites sur le rassemblement des responsiones. La centralité du chapitre, au cours duquel chaque commandeur apportait sa contribution, comme l’importance du clavaire se trouvent notamment confirmées. Sont surtout prouvées la régularité du paiement et la ponction représentée dans le budget d’une commanderie comme Manosque, soit du tiers à la moitié du revenu total en numéraire. Si preuve est faite que l’Hôpital satisfaisait pleinement à sa mission, reste à savoir si le cas de la riche commanderie de Manosque peut être généralisé. Il est délicat, en effet, de projeter les estimations valables pour Manosque à l’ensemble du prieuré de Saint-Gilles. Les données fournies par l’enquête de 1338 montrent bien, en effet, qu’il pouvait exister une grande diversité de situations, entre la commanderie qui affectait plus de la moitié de son budget à la responsio et celle qui ne versait rien du tout208. Aussi dès le dernier tiers du siècle précédent, les plaintes des dirigeants hospitaliers et du pape sur les difficultés financières du prieuré pouvaient-elles éventuellement être exagérées, mais elles rendaient sûrement compte d’une réalité. Avant que la papauté ne s’installe en Provence, la politique de croisade et les grandes orientations stratégiques de l’Hôpital se décidaient essentiellement entre Acre et Rome. Cela n’empêchait pas des agents de l’envergure de Barras et de Villaret d’imprimer leur marque personnelle à l’administration de l’ordre dans leur province. Même si cela ressort moins des sources, l’élite des commandeurs a pu, de la même manière, jouer un rôle fondamental dans le gouvernement régional. Dans un précédent chapitre, on a souligné le caractère collégial de la gestion de la commanderie, ainsi que le contre-pouvoir potentiellement opposé à l’autorité du commandeur par la sanior pars des frères. Même s’il s’agit d’une dimension qui n’aura pas véritablement été abordée ici, on peut penser que le gouvernement provincial fonctionnait dans un esprit similaire. Le rôle du chapitre prieural dans la confirmation d’actes importants est déjà apparu. La distribution des commanderies au sein du groupe des dignitaires, qui s’exerçait au même niveau, faisait probablement l’objet de discussions. De même, on imagine que le prieur veillait à s’entourer d’un cercle de fidèles aptes à le conseiller et à appuyer ses décisions. Ce système laissait donc une certaine latitude aux commandeurs les plus entreprenants. Le présent chapitre aura ainsi révélé l’étendue des attributions de Bérenger Monge à l’échelle de la partie provençale du prieuré de Saint-Gilles : commandeur de Manosque et d’Aix, il surveilla également les affaires à Puimoisson au nom de Féraud de Barras, avant d’assumer régulièrement la lieutenance du prieur. En 1269, alors qu’un groupe de commandeurs venait de lui témoigner sa confiance en le désignant encore comme lieutenant, il refusa le prieurat proposé par le maître. Il

208 C.-F. Hollard, « Les hospitaliers du Sud-Est de la France en 1338 : la vocation de l’ordre à la mesure des comptes », Provence historique, 45 (1995), p. 77-78.

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s’effaça donc au profit de Guillaume de Villaret, qui eut l’intelligence de garder auprès de lui Bérenger Monge et quelques autres dignitaires en vue. La confiance acquise auprès des deux prieurs successifs tint à des aptitudes personnelles, déjà entrevues dans les pages précédentes. Pour autant, il ne faut pas négliger le prestige déjà attaché à la gestion d’une commanderie majeure. En 1234, une composition avec le chapitre d’Aix ne stipulait-elle pas déjà, qu’en cas d’absence du prieur, c’est le commandeur de Manosque qui en tiendrait lieu209 ? Le contrôle de certaines maisons constitua sans doute une étape déterminante vers une carrière régionale : la commanderie d’Orange, par exemple, où officièrent Raimond de Grasse ou Peire de Mota, pourrait être de celles-ci. On imagine que tenir tête à la puissante famille de Baux, avec laquelle l’Hôpital partageait la seigneurie urbaine, constituait, dans ce cas, une bonne école. On ne peut donc que regretter l’indigence d’une documentation qui conduit probablement à sous-estimer l’activité d’un autre centre majeur au sein du réseau provincial210. En définitive, il est difficile de se prononcer sur la nature des relations personnelles entre Bérenger Monge et les deux prieurs. L’interventionnisme de Féraud de Barras dans les affaires des commanderies a pu irriter certains frères, au point d’expliquer peut-être sa fin funeste en 1269. Comment Bérenger Monge a-t-il vécu les entreprises édilitaires du prieur dans sa commanderie d’Aix ? Comment comprendre la troublante similitude entre les palais fortifiés de Manosque et de Puimoisson, en toute hypothèse, érigés dans les mêmes années ? Il est difficile, au vrai, de se prononcer sans risquer l’anachronisme ou la surinterprétation. Rien, en tout cas, ne laisse croire qu’une inimitié particulière opposa Monge à l’un ou l’autre de ses supérieurs. Le commandeur préféra toujours maintenir ses positions à la tête de ses deux maisons, sans probablement jamais risquer l’aventure en Orient. En définitive, il aura toujours rayonné à l’échelle de la Provence, dans cet « espace resserré de la vie des frères211 ». S’il fut l’un des premiers dans sa province à apprendre l’évacuation d’Acre, sans doute perçut-il encore, à un âge fort avancé, les échos de l’activité qui anima le port de Marseille dans les années qui suivirent. Pas plus que Guillaume de Villaret, Monge n’aura eu connaissance de la conquête de Rhodes, entreprise à partir de 1306 par le nouveau maître Foulques de Villaret. Au tournant des xiiie et xive siècles, une génération de dignitaires talentueux disparaissait donc, juste avant que l’Hôpital ne fonde une véritable principauté en Méditerranée orientale. Cette génération, pourtant, a posé les bases des transformations décisives qui marquèrent cette institution à l’automne du Moyen Âge.

209 Si vero prior Sancti Egidii esset absens, preceptor de Manoascha sit locus eius (A. Coste, Le chapitre métropolitain de Saint-Sauveur, PJ no 9, p. 189 ; 28 juillet 1234). 210 Sur la commanderie d’Orange : D. Le Blévec, « L’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem à Avignon et dans le Comtat Venaissin au xiiie siècle », in Des hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, p. 32-37 ; et sur la coseigneurie partagée avec les Baux : F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, p. 298, 361 et 467. 211 N. Buchheit, Les commanderies hospitalières, p. 113.

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Épilogue

La fin d’un règne

De l’automne de la vie… À l’été 1288, Bérenger Monge tomba malade et craignit pour sa vie, au point de faire œuvre de charité chrétienne afin de ne pas mourir en état de péché1. Souffrit-il de la chaleur estivale, particulièrement marquée en cette fin de « petit optimum médiéval »2 ? Toujours est-il que le chevalier devait être de constitution assez solide pour surmonter cette épreuve. Le vieux commandeur pouvait approcher les soixante-dix voire quatre-vingts ans, il n’en restait pas moins pleinement investi dans ses différentes charges (fig. 2). Le mois précédant son accès de fièvre, il faisait prêter serment au sénéchal Jean Scotus, en tant que lieutenant du prieur3. Dans la décennie qui suivit, il resta bien visible dans les affaires générales de la province. Ainsi, en 1296, il recevait encore une mission ponctuelle du pape Boniface VIII4. On ne saura jamais s’il fut en capacité de se rendre au chapitre général que Guillaume de Villaret réunit à Avignon et à Marseille en 1297. En tant que figure majeure de la province, le commandeur aurait pu être, en effet, convoqué à ces réunions auxquelles se pressèrent les principaux dignitaires, d’Orient comme d’Occident5. À cette date, en tout cas, il n’occupait plus la charge de lieutenant du prieur, désormais dévolue à Isnard de Flayosc6. Une vingtaine d’actes de gestion témoignent encore de son activité courante à Manosque dans les années 1290-12957. La première attestation de son successeur, Isnard de Flayosc, se situe le 18 octobre 1298 selon Jean Raybaud8. Une analyse livre pourtant une dernière intervention de Bérenger Monge en novembre de cette année,





1 56 H 849 bis, f. 686v-688 (29 août 1288). 2 L’été 1288 s’inscrit dans une série d’années particulièrement chaudes (E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, 1. Canicules et glaciers (xiiie-xviiie siècle), Paris, 2004, p. 25-26). 3 CGH, t. 3, no 4008 (3 juillet 1288). 4 À cette date, Boniface VIII lui confiait la mise sous séquestre des bénéfices d’un clerc (CGH, t. 3, no 4322 ; 10 septembre 1296). Mais il est vrai que c’est une tâche que le commandeur d’Aix a pu facilement déléguer. 5 « en lesquels asemblée et chapitre general furent presque tous les priors et anciens prodeshomes de la maison, qui estoient au jour par universe monde ». Ces deux réunions, mentionnées dans une lettre adressée au maître par les officiers du couvent central, durent se tenir au printemps 1297 (CGH, t. 4, no 4461, p. 770 ; [fin mai-juin] 1299). Il ne reste aucune liste des dignitaires présents. 6 An. II, D-1, no 7. 7 An. I, A, no 1. 8 Bibl. mun. d’Aix, ms. 339, p. 249-8v (d’après « Bulles des papes, no 161 »).

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dans le cadre d’une transaction entre particuliers9. L’été suivant, en tout cas, Isnard de Flayosc avait pleinement pris en mains la gestion de la commanderie : il négociait une transaction avec l’abbé de Cruis, puis présentait à ses frères, le 28 juin 1299, son premier status bajulie10. À Aix, le sacriste Peire de Mallemort gérait les affaires habituelles en tant que lieutenant du commandeur. Mais Bérenger Monge était toujours en vie, en juin 1299, lorsque ce frère prêtre reçut une donation en son nom11. Sans doute Bérenger Monge se démit-il de sa charge à Manosque pour se retirer à Aix, dans les premiers mois de l’année 1299. Dans le monachisme traditionnel, le départ volontaire d’un abbé très âgé, même s’il n’allait pas de soi, était généralement accepté12. L’engagement actif imposé par les missions des ordres militaires, administratives ou a fortiori militaires, laisse penser qu’il en allait probablement de même pour les hospitaliers13. Selon un schéma fréquent dans l’Église, le prélat vieillissant était secondé par un religieux de confiance qui, souvent, lui succédait14. Au sein des commanderies, la division des tâches et l’habitude de la délégation facilitaient certainement la passation des pouvoirs. Surtout, la centralité d’un système où les nominations suivaient un ordre hiérarchique, était susceptible de couper court à toute contestation interne. Autrement dit, un Bérenger Monge déclinant a pu se reposer sur son bayle et sur les autres officiers de la maison, avant que son successeur ne soit envoyé par le prieur, avec l’accord du chapitre provincial. On conçoit facilement que Bérenger Monge ait souhaité passer la fin de sa vie à Aix, au plus près de ses origines familiales. En outre, en théorie du moins, il restait toujours commandeur de cette maison où il avait sûrement prévu d’élire sépulture. Comme l’admettent les érudits, il mourut en 1300, probablement dans le courant de l’hiver15. Il pouvait avoir, alors, plus de quatre-vingt-dix ans : une longévité remarquable mais peut-être pas si exceptionnelle dans ce milieu plutôt privilégié. François Roux-Alphéran s’était appuyé sur la mention d’une élection de sépulture, en date du 1er mars 1280, pour préciser qu’il fut enterré dans le cimetière de Saint-Jean d’Aix16. En réalité, nous avons vu que cette mention ne s’appliquait très probablement pas au commandeur, mais à un cousin homonyme. Conformément

9 56 H 68, f. 605 (26 novembre 1298). 10 56 H 4633 (27 juin 1299) ; CoHMa, suppl., p. 147-148 (28 juin 1299). 11 56 H 4211 (22 juin 1299) ; cf. An. II, D-1, no 10. 12 I. Cochelin, « In senectute bona. Pour une typologie de la vieillesse dans l’hagiographie monastique des xiie et xiiie siècles », in H. Dubois et M. Zink (dir.), Les âges de la vie au Moyen Âge, Paris, 1992, p. 124-127. 13 Alan Forey ne discute pas la question du retrait des dignitaires âgés chez les templiers, mais il montre en revanche l’attention réservée aux anciens dans l’ordre (A. Forey, « Provision for the Aged in Templar Commanderies », in A. Luttrell et L. Pressouyre (dir.), La commanderie, institution des ordres militaires dans l’Occident médiéval, Paris, 2002, p. 175-185). 14 I. Cochelin, « In senectute bona », p. 127. 15 En juillet 1300, il paraissait vivre encore, car il était alors évoqué à Manosque comme « autrefois commandeur » et non « quondam » (…cum venerabilis et religiosus vir dominus frater Berengarius Monachi, olim preceptor Manuasce… ; LPM, no 67, p. 153 ; 27 juillet 1300). 16 F. Roux-Alphéran, Les rues d’Aix ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence, vol. 2, Aix, 1846, p. 302 ; d’après 56 H 50, f. 143 (inventaire de 1705).

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au droit canonique, les statuts de l’Hôpital interdisaient aux dignitaires de tester et même de laisser librement des biens aux frères de leur entourage, sauf s’il s’agissait de gages17. Au sein du couvent central, l’enjeu représenté par les dépouilles des officiers justifiait l’application d’une procédure stricte : le frère sur le point de trépasser devait déclarer ses dettes, ses effets personnels, tandis qu’étaient déjà placés sous scellés les vêtements et équipements qu’il tenait de l’institution18. Il n’y a pas de raison de penser qu’il en fut autrement en dehors du couvent central, comme le confirment d’ailleurs des statuts un peu plus tardifs19. La démarche qui faisait suite au décès d’un frère a laissé quelques traces dans les registres de Guilhem Scriptor. Le prieur ou un visiteur mandaté faisait établir la liste des effets et de l’argent détenus « de proprietate » ; tandis qu’une partie pouvait être rapidement vendue, notamment les chevaux, le reste des biens était distribué aux proches, selon les vœux exprimés par le frère lui-même20. L’ensemble de cette procédure dut être suivi dans le cas de Bérenger Monge. Malheureusement, on ne saura jamais quel était, alors, l’état de son patrimoine personnel. S’était-il enrichi au cours de sa carrière ? Dans quelle mesure avait-il fait profiter ses parents restés dans le siècle de ses positions institutionnelles ? Fut-il généreux, à l’heure de ses fins dernières, y compris avec les frères, donats ou autres serviteurs de son entourage ? C’est tout un pan, pourtant crucial, de la personnalité du commandeur qui restera à jamais insaisissable. Depuis au moins Pierre-Joseph de Haitze, l’érudition est donc unanime pour faire reposer Bérenger Monge à Saint-Jean d’Aix21. L’abbé Maurin, qui a retracé l’histoire du cimetière attenant à l’église conventuelle, pensait que c’est là qu’était enseveli le commandeur22. D’autres le voyaient « sous les voûtes » de l’église, quand d’aucuns imaginaient plutôt que Bérenger Monge avait préféré reposer « dans la fosse commune », à l’instar de l’instituteur Gérard et des pauvres que ce dernier servait23. Si cette dernière assertion relève de la tradition apologétique du renouveau catholique, l’inhumation dans l’église-même ne peut être exclue a priori. Alors qu’à partir du xive 17 CGH, t. 3, no 3039, § 30 (19 septembre 1262). Le droit canonique enlevait la capacité de tester aux religieux qui avaient émis des vœux solennels dans un ordre régulier et seul un indult apostolique pouvait faire cesser cette incapacité (A. Vacant, E. Mangenot et É. Amann, Dictionnaire de théologie catholique, t. 15, Paris, 1946, col. 172). 18 J. Burgtorf, « The Order of the Hospital’s High Dignitaries and their Claims on the Inheritance of Deceased Brethren. Regulations and Conflicts », in M. Balard (dir.), Autour de la première croisade, Paris, 1997, p. 256-257. 19 Le chapitre de 1330 prescrit à tout frère malade, quel que soit son rang, d’appeler à lui un chapelain et d’autres prudhommes de l’ordre, afin d’établir en leur présence la liste de ses biens personnels (Ch. Tipton, « The 1330 Chapter General of the Knights Hospitallers at Montpellier », Traditio, 24 (1968), p. 306). 20 56 H 2624, f. 1v et 9 ( Jourdain de Saint-André, commandeur de Castelsarrasin ; 22 novembre 1253) ; 56 H 2625, f. 37v (P. Guilhem, apparemment responsable de la maison d’Orgueil, dans l’actuel Tarn-etGaronne ; septembre 1257). 21 P.-J. de Haitze, « Aix ancien et moderne, ou la topographie de la ville d’Aix », 1715 (Bibl. mun. d’Aixen-Provence, ms. 856, p. 36). 22 E.-F. Maurin, « Notice archéologique et historique sur l’église Saint-Jean-de-Malte », Mémoires de l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix, 5 (1844), p. 244-245. 23 D. Arbaud, Études historiques sur la ville de Manosque au Moyen Âge, t. 1, Digne, 1847, p. 69 ; P.-M. Davin, Le prieuré de Saint-Jean de Malte d’Aix, Aix, 1903, p. 8.

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siècle, les hauts dignitaires commencèrent à se faire ériger des tombeaux monumentaux dans les églises conventuelles, le phénomène fut inauguré à Saint-Jean d’Aix par le prieur Dragonet de Mondragon († 1311)24. Cependant, dès le siècle précédent, les églises avaient été investies par les tombeaux en enfeu, tandis que la conservation de quelques plates-tombes prouve encore l’existence de sépultures privilégiées sous les dallages25. Bérenger Monge aurait largement pu prétendre à un tel honneur, même si aucune trace archéologique actuellement visible dans l’église Saint-Jean-de-Malte ne permet de soutenir cette hypothèse.

…Aux frimas de la mémoire Si ne sont documentées ni ses ultimes volontés, ni sa sépulture, la présence de la dépouille de Bérenger Monge à Saint-Jean d’Aix ne fut pas à l’origine d’une mémoire liturgique particulière. Ou bien celle-ci resta, à tout le moins, discrète. On conçoit pleinement que le commandeur d’Aix ait souhaité reposer auprès de l’église qu’il avait lui-même contribué à ériger. Pourtant, l’unique preuve de sa présence est donnée par l’acte de réforme du prieuré édicté par Hélion de Villeneuve en 1331. La réorganisation des chapellenies réserva en effet un chapelain qui devait accomplir à la fois le service funèbre de Bérenger Monge et de Guillaume de Villaret26. La confirmation, par le même maître, des ordonnances faites pour l’église Saint-Jean par Bérenger Monge, Guillaume de Villaret et Dragonet de Mondragon se réfère probablement, en effet, aux chapellenies instituées par ces trois dignitaires27. Mais l’on ne voit pas, à la suite d’Hélion de Villeneuve, que les officiers de l’Hôpital se préoccupèrent de cultiver particulièrement le souvenir de celui qui s’était pourtant affiché comme le maître d’ouvrage de Saint-Jean d’Aix. À Manosque, la fondation établie en 1283, et notamment la pitance offerte à perpétuité aux frères de la communauté, préservèrent un peu mieux le souvenir

24  J. Raybaud, Histoire des grands prieurs, t. 1, p. 234-235. En 1327, Peire de l’Ongle († 1331), à la fois prieur de Toulouse et de Saint-Gilles, fut autorisé par le maître à fonder une chapelle pour abriter sa sépulture à Saint-Jean d’Aix. On ne sait, toutefois, si le projet fut mené à bien (A. Luttrell, « La chapelle de frère Guillaume de Reillanne à Sainte-Eulalie de Larzac », Bulletin de la Société de l’histoire et du patrimoine de l’ordre de Malte, 23 (2010), p. 63-64). 25 L. d’Agostino, « Espaces funéraires et inhumations dans les maisons de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem : le cas du prieuré d’Auvergne (xiie-xvie s.) », in A. Baud (dir.), Espace ecclésial et liturgie au Moyen Âge, Lyon, 2010, p. 269-271 (cas notamment de Saint-Jean-des-Prés à Montbrison et de Saint-Jeande-Ségur à Montferrand). Les plates-tombes connues de la fin du xiiie et du xive siècles concernent surtout des templiers (Cl. Gaier, « L’armure des chevaliers templiers et hospitaliers dans la région de Liège », in Armes et combats dans l’univers médiéval. II, Bruxelles, 2004, p. 181-191). 26 56 H 4175 (9 mars 1331). 27 Item quod nobis evidens est et clarum per certa testimonia scripturas […] quod bone memorie dominus Guillelmus de Vilareto, tunc magister Hospitalis precessorque nostri dicti magistri, nec non frater Berengarius Monachi, tunc preceptor Aquensis, fecerunt, ordinaverunt et statuerunt in dicta ecclesia Sancti Iohannis de Aquis certas ordinationes statuta et beneficia… (56 H 4173 ; 10 mars 1331 ; vidimus du 11 septembre 1347).

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du généreux commandeur28. Mais, pas plus qu’à Aix, il ne semble que la chapelle conventuelle ne constituât un lieu de mémoire, tandis que les modifications qui intervinrent ultérieurement au palais oblitérèrent toute association durable entre Bérenger Monge et cette construction29. Les commandeurs de la fin du Moyen Âge, qui résidèrent de moins en moins sur place, n’éprouvaient aucun intérêt à ranimer le souvenir de leurs illustres prédécesseurs. Et Bérenger Monge ne pouvait intéresser davantage les autorités municipales en pleine affirmation. Certes, le commandeur est bien représenté dans le Livre des privilèges, aux côtés des autres dignitaires de l’Hôpital qui confirmèrent ou octroyèrent les libertés aux habitants. Mais, au-delà de ce monument, il n’y avait pas de raison particulière de cultiver la figure du commandeur consensuel et bienveillant pour ses sujets. Cette image appartient résolument au risorgiménto municipal du xixe siècle, non au mouvement d’émancipation communale de la fin du Moyen Âge. Le long destin de ce dignitaire hospitalier marqua-t-il davantage l’avenir de sa propre parenté ? Les relations entre les Monachi et les hospitaliers, telles qu’on a pu les observer du vivant de Bérenger Monge, se perpétuèrent-elles au-delà de la disparition du commandeur d’Aix ? Au temps où Bérenger Monge était actif, on n’a relevé avec certitude aucun proche entré comme frère à l’Hôpital, à l’exception notable de son homonyme et lointain cousin, le châtelain des Échelles. Sur le tard, Bérenger Monge fit pourtant des émules parmi quelques membres de sa parenté. En 1300, un Jaume Monachi apparaît au palais de Manosque avec le statut de donat, comme témoin dans un procès contre le chapitre de Forcalquier30. Côtoya-t-il son parent durant ses derniers temps comme commandeur de Manosque ? Toujours est-il qu’on le retrouve bien plus tard, cette fois à Aix, comme procureur du commandeur Jaufre Rostan : en 1322, c’est à ce titre qu’il reçut les reconnaissances de plusieurs emphytéotes au territoire de Saint-Didier31. Il n’affichait plus, alors, d’affiliation à l’Hôpital, comme semble le confirmer un autre acte où il apparaît comme estimateur juré de la ville dans une affaire de réparation de toiture32. Au xive siècle, les Monachi, qui figuraient toujours en bonne place au sein de l’élite aixoise, continuaient donc à cultiver des liens avec le prieuré Saint-Jean33. Après la disparition de Bérenger Monge, la mention la plus proche chronologiquement concerne Guilhem Monachi. Domicellus d’Aix, en 1304, celui-ci était témoin d’une constitution de rente par le prieur Dragonet de Mondragon en faveur de son lieutenant Jaufre 28 L’enquête de 1338 mentionne encore cette pitance associée à son nom (VGPSG, p. 359). 29 En 1395, Bérenger Monge n’apparaît nulle part dans le long acte de fondation d’une chapellenie dans la chapelle palatiale par Peire Castellanus, frère du chapelain Guilhem Castellanus (56 H 4635 ; 20 octobre 1395). Sur les travaux du xive siècle au palais, avant les profondes restructurations de Jean Boniface au xvie siècle : D. Carraz, « La redécouverte de deux châteaux ». 30 Jacobus Monachi, donati Hospitalis (56 H 880, f. 13 et 7v ; 2 juin et 5 octobre 1300). 31 …recognosco vobis nobili domicelo Jacobo Monachi de Aquis, presenti et recipienti procuratorio nomine nobilis et religiosis viri domini Gaufredi Rostagni, preceptori domus Hospitalis Sancti Johannis Jherosolimitani de Aquis… (56 H 4189 ; 9 janvier 1321-1322). 32 2 G 118, no 746 (17 octobre 1328). 33 En février 1348, un Uc Monachi était syndic de la ville aux États (M. Hébert, Regeste des États de Provence, 1347-1480, Paris, 2007, p. 6). Son testament a été conservé (3 G 153, no 983 ; 30 avril 1348).

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Raimond34. Comme toujours, la dévotion religieuse passa avant-tout par l’entretien de la memoria familiale de génération en génération. Du vivant du commandeur Bérenger, quelques Monachi s’étaient montrés assez proches de l’église Saint-Jean, parmi lesquels on retiendra surtout Bérenger et son épouse Béatrice (tabl. 11, no 3). Cette dernière avait fondé une rente-anniversaire que son petit-fils Uc Monachi confirma en l’augmentant, en 132735. En 1345, le propre fils d’Uc, Jaufre Monachi, donnait son corps avec tous ses biens, en promettant de n’entrer dans aucun autre ordre que l’Hôpital36. La dévotion fut entretenue également au sein de l’autre rameau du lignage, par l’intermédiaire d’Uc Monachi (1350-† av. 1373). En 1371, le testament de ce viguier désormais installé à Arles mentionne tous ses enfants, dont son fils Bérenger qu’il destinait alors à l’Hôpital37. On peut penser qu’il s’agissait-là d’un nom prédestiné et y voir une preuve que le souvenir du commandeur Bérenger Monge restait vivant dans la famille. En 1434, était encore signalé un Joan Monachi comme chevalier de l’Hôpital présent au chapitre prieural38. Malgré son caractère aléatoire, cette énumération suggère que le lignage resta relativement proche de l’ordre militaire. On n’en conclura pas, pour autant, que ces quelques manifestations d’adhésion eurent nécessairement un rapport étroit avec la prestigieuse carrière du parent, plus ou moins lointain, que fut Bérenger Monge. Bien sûr, il est impossible de déterminer quel souvenir on avait pu garder, au sein de la vaste nébuleuse des Monachi, d’un aïeul qui, durant un demi-siècle, avait marqué de son empreinte les lieux d’Aix et Manosque. Dans le sillage du commandeur, la famille a-t-elle, justement, fait souche dans cette dernière ville ? Le chapitre liminaire a montré que des Monachi résidaient à Manosque au xve siècle. En fait, le patronyme était porté du vivant même du commandeur. Un Guilhem Monachus était ainsi compté, en 1293, dans la liste des hommes redevables de la taxe du brocage et il réapparut au début du siècle suivant parmi les tenanciers corvéables39. Bien plus tard dans le siècle, un homonyme figurait encore dans la liste des hommes en armes de la ville40. La relative banalité de ce nomen paternum d’origine statutaire laisse penser que ces individus étaient autochtones et n’entretenaient aucun rapport avec

34 56 H 4187 (24 septembre 1304). C’est la seule occurrence de cet individu qu’il est donc impossible de replacer sur le tableau de filiation. 35 L’acte, doublé d’un échange de biens avec le prieuré, fait intervenir le père d’Uc et propre fils de Béatrice, Jaufre Monachi (56 H 4190 ; 24 novembre 1327) ; cf. An. II, A-2, no 6 ; et An. II, A-1 (tableau de filiation). 36 …ego Gaufredus Monachi, filius Hugo Monachi de Aquis, volens vitam et statum meum mutare ac domino Deo nostro et ejus intemerate Virgini gloriose et beato Johanni Baptiste humiliter et devote atque fideliter deservire et ipsius Sancti Johannis Jerolosimitani religionem ingredere […] dono corpus meum et omnia bona mea Deo et vobis nobili et religioso domno fratris Isnardo de Alberno, priori Capue et baiulie de Aquis preceptoris… (56 H 4181 ; 10 août 1345). 37 Cf. An. II, A-2, no 8 ; et An. II, A-1. 38 E. de Grasset, Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790. Bouches-du-Rhône, Archives ecclésiastiques. Série H, Paris, 1869, p. 158. 39 …item Guillelmus Monachus, mediam cupam (LPM, no 36, p. 100 ; 31 août 1293) ; Item Guillelmus Monachi facit iiiior corroatas duas fenis et duas vineis pro duabus hospiciis que confrontantur cum domo Pauli Giperii (56 H 1040, f. 15v ; c. 1308). 40 56 H 604, f. 8v ([1359-1374]).

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leurs homonymes aixois. En outre, leur statut ne correspondait pas vraiment à celui des chevaliers d’Aix, même quelque peu déclassés41. Les indices manquent donc pour suggérer que Bérenger Monge avait pu s’entourer de parents proches, alors que cela était pourtant habituel chez les dignitaires ecclésiastiques. Il y a, certes, ce Jaume Monachi, donat en 1300, que le commandeur a bien pu faire venir à Manosque. Et on a déjà rencontré, au hasard d’une ligne comptable de l’année 1290, un Berengayrencus, « fils [ou parent ?] de Bérenger », qui était donat également42. Rien, hélas, ne permet de relier ces personnages au commandeur, ni même d’envisager l’existence d’un rejeton illégitime, qui ne serait pourtant pas de l’ordre de l’impossible. En effet, si la paternité, illégitime ou non, des dignitaires des ordres militaires est parfois évoquée pour la péninsule Ibérique à la fin du Moyen Âge, la question reste, me semble-t-il, terra incognita pour les hospitaliers avant le xve siècle43. À Manosque, quelques affaires ont pu rappeler que les hospitaliers étaient bien des hommes comme les autres. On a déjà signalé deux cas de paternité pour des frères contemporains de Bérenger Monge. En 1313, une certaine Astruga fut encore accusée par une voisine d’avoir eu quatre enfants ou plus avec le frère Simon et même d’autres hospitaliers44. Dans le cadre d’un conflit de voisinage, la dénonciation était assurément exagérée, mais le cas ne devait pas être si isolé45. Pour ce qui est de Bérenger Monge, il faut se résoudre à l’idée que le profil de nos sources ne laisse rien transparaître des comportements du personnage dans la sphère privée, ni de l’intimité personnelle. De la même manière, les canaux de la mémoire familiale n’ont laissé aucun indice – qu’il s’agisse d’une transmission orale, d’éventuelles archives privées, ou même de l’impact de l’inscription au chœur de Saint-Jean d’Aix, voire de la représentation supposée du personnage sur le tombeau du comte Alphonse II46… Si les documents liés à l’Hôpital recelèrent, çà et là, des

41 Certes, Guillelmus figure bien dans le stock onomastique du lignage aristocratique aixois, mais c’est aussi un nomen très courant. 42 CoHMa, § 340 (22 janvier 1290) ; cf. supra chap. iii. 43 Pour l’Espagne et le Portugal, le problème a attiré l’attention car les frères de certains ordres ibériques étaient autorisés à avoir une descendance et que le placement de ces rejetons était nécessairement au cœur d’enjeux sociopolitiques (aperçu pour la Castille dans Ph. Josserand, Église et pouvoir dans la Péninsule ibérique, p. 417). Il existe quelques exemples retentissants pour les hospitaliers de la fin du Moyen Âge ( J.-M. Roger, « Giresme, lignage », in DOMMA, p. 391). 44 Numquam habui liberos a fratre Simone [nec ab aliquibus fratribus Hospitalis nec ab aliquo homine de mundo nisi de meo bono marito] iiiior, v nec sex, sicut habuisti (56 H 965, f. 38 ; 9 décembre 1312 ; cité par J. Shatzmiller, Justice et injustice au début du xive siècle. L’enquête sur l’archevêque d’Aix et sa renonciation en 1318, Rome, 1999, p. 113). 45 Rodrigue Lavoie note qu’en matière de scandales sexuels, « les hospitaliers, prêtres et frères ont assez mauvaise réputation ». Pour une autre époque déjà, celle du début du xve siècle, une juive impliquée dans une affaire de mœurs, était décrite comme entremetteuse et pourvoyeuse de filles pour le commandeur et d’autres frères (R. Lavoie, « La délinquance sexuelle à Manosque (1240-1430). Schéma général et singularités juives », Provence historique, 37 (1987), p. 575 et 578). 46 Sur le rôle des « images spatiales » dans la transmission de la mémoire collective, on renverra en premier lieu aux réflexions de M. Halbwachs, La mémoire collective [1944], éd. G. Namer, Paris, 1997, p. 193-236.

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mentions d’individus ressortissant à la nébuleuse des Monachi jusqu’au xve siècle, dans l’ordre de l’écrit, le souvenir du commandeur Bérenger pouvait être enfoui, déjà, une à deux générations après sa disparition. Suivirent deux longs siècles d’éclipse avant que le personnage ne réapparaisse au xviie siècle, dans la mémoire locale liée à l’ordre de Malte.

Conclusion

La méthode qui utilise les récits de vie n’a pas pour vocation unique de mettre en évidence l’histoire singulière d’un individu, elle permet également […] de rendre compte du fonctionnement d’une société à une époque1.

J’ai donc fait le choix du récit en m’appliquant d’abord à suivre l’itinéraire individuel d’un commandeur de l’ordre de l’Hôpital, assez obscur pour n’avoir guère retenu l’attention des historiens. On était averti des risques de l’« illusion biographique » : non seulement assumerait-on la part de subjectivité inhérente à toute narration, mais il fallait encore accepter de s’engager dans un long tunnel obscur, éclairé seulement par quelques halos ponctuels et vacillants. Cette « simulation par des mots d’une vie d’homme » a, tout d’abord, dû composer avec l’inégale distribution de la documentation, à la fois dans le temps et dans l’espace2. La démarche adoptée, comme le cadre académique imposé au présent essai, ont justifié le caractère ciblé des dépouillements en archives. À défaut d’un traitement illusoirement exhaustif, ne serait-ce que limité au fonds du grand prieuré de Saint-Gilles, il est donc probable que d’autres traces de Bérenger Monge et d’individus de son entourage gisent encore dans les rayonnages des archives. Malgré tout, d’autres trouvailles pourraient sans doute enrichir certaines tranches de vie dans les détails, mais ne remettraient pas en cause, j’ose l’espérer, les lignes générales de la démonstration. Quel que soit le degré d’exhaustivité du traitement des archives, il fallait de toute façon composer avec les hiatus qui affectent la reconstitution des trajectoires personnelles. L’irruption de Bérenger Monge sur la scène de l’histoire a pu paraître inopinée : sa première apparition, en 1239 comme simple frère, peut ainsi laisser dans l’ombre totale jusqu’au tiers de son existence. Et demeure encore cette question lancinante, primordiale s’agissant d’un membre d’un ordre militaire, de son rapport à l’Orient latin : pour avoir activement contribué à la mission de l’ordre, d’un point de vue logistique et administratif, le frère a-t-il un jour foulé le sol de la Terre sainte ? Aussi ai-je dû combler les vides documentaires et les absences matérielles par des hypothèses. J’ai procédé ainsi, entre autres, pour la part de sa vie antérieure à la première mention comme frère, pour certains de ses déplacements ou bien encore pour le dossier du palais de Manosque. Dans ce dernier cas, par exemple, reconstituer les entreprises édilitaires du commandeur et un cadre

1 L. Viry, Le monde vécu des universitaires. Ou la République des egos, Rennes, 2006, p. 46. 2 La citation est de Paul Murray Kendall, reprise par J. Cornette, Un révolutionnaire ordinaire. Benoît Lacombe, négociant, 1759-1819, Paris, 1986, p. 20.

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de vie entièrement disparu à partir d’une documentation écrite forcément partielle obligeait nécessairement à prendre des risques. Il a fallu, encore, assumer une part d’imagination, a fortiori lorsque j’ai suivi un récit qui pouvait, lui-même, être en partie fictionnel. Ainsi, à propos de l’assassinat du prieur Féraud de Barras et du refus de Bérenger Monge d’assumer la charge prieurale, ai-je dû reprendre Jean Raybaud, en m’efforçant seulement de lui donner crédit. Personne ne peut être assuré, bien sûr, que les choses furent aussi simples ! De fait, il a bien fallu se résoudre à effleurer à peine la question des relations personnelles entre l’agent et les différents cercles qui gravitèrent autour de lui. Car s’il y a de la démarche biographique dans le présent essai, son sujet devait être nécessairement collectif. L’approche modale, qui devait faire de Bérenger Monge le révélateur d’un statut et d’habitus sociaux, a conduit à établir toute une galerie de portraits. Dans leurs relations avec le commandeur, nous avons nécessairement croisé ses parents, une foule d’autres hospitaliers, mais aussi des personnages intimement liés à son ordre – bienfaiteurs, notaires ou juristes… Autant de parcours pour lesquels il a fallu assembler les matériaux, sans compter les autres sphères sociales et institutionnelles qui intervenaient, à divers degrés, dans la vie des commanderies d’Aix et de Manosque. Or, les mêmes limites, finalement inhérentes à toute histoire sociale appliquée à une période ancienne, s’appliquent à la biographie collective. Le caractère circonscrit des dépouillements a rendu relativement aléatoire le suivi de tous ces itinéraires hors d’Aix et de Manosque3. Il s’agit là d’une limite assumée parce que, loin d’être considérée comme une fin en soi, la prosopographie est plutôt apparue comme un outil empirique, susceptible de dévoiler des configurations sociales. En bref, Bérenger Monge et ses cercles relationnels permettaient d’approcher autant de microcosmes – la parenté, la commanderie comme familia et comme institution, le prieuré de Saint-Gilles et son corps d’officiers… – fonctionnant dans des relations d’interdépendance. Appréhendé comme un autre « laboratoire de la gouvernementalité », l’ordre religieux-militaire de l’Hôpital est envisagé d’abord à l’échelle de la commanderie ou baillie. Au xiiie siècle, son administration reposait sur des fonctions administratives relativement spécialisées et hiérarchisées, entre ce qui relevait de l’échelle de la baillie elle-même – commandeur, bayle – et les responsabilités plus restreintes – sénéchal, châtelain, responsables de divers postes… Essentiellement recrutés dans la chevalerie, les officiers du niveau supérieur tendaient à former un corps au sein même de l’ordre. Si les offices circulaient au sein de ce groupe, il en allait de même des revenus que l’Hôpital pouvait affecter à ces dignitaires pour leurs besoins propres. Encore subreptices à l’époque de Bérenger Monge, ces mentions de rentes personnelles s’apparentent à une forme de système bénéficial, encore très mal documenté avant la fin du Moyen Âge et



3 Pour la nébuleuse des Monachi, les sondages se sont bornés aux séries 56 H et 2 G, ainsi qu’aux inventaires analytiques des Archives des Bouches-du-Rhône. Les riches archives municipales de Manosque ont finalement été peu explorées, notamment pour les deux derniers siècles du Moyen Âge. Qui sait si je n’y aurais pas trouvé d’autres individus liés à ce groupe familial ?

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qui n’a pas été véritablement étudié. Aussi une certaine catégorisation sociale comme une division des tâches expliquent-elles que les frères se succédaient facilement à un poste équivalent. Le recours à la procuration et à la lieutenance va, de même, dans le sens d’un système où l’individu tend à s’effacer derrière la fonction. Pour autant, on n’en conclura pas trop vite à une complète dépersonnalisation de la fonction : l’appel au conseil – d’experts mais aussi de la sanior pars de la communauté régulière – et la collégialité des décisions montrent que l’autorité fonctionnait largement sur la base de relations personnelles. Le recours généralisé à l’écrit ainsi que l’emploi régulier d’un personnel laïque spécialisé participaient également d’une certaine technique bureaucratique dont les frères étaient partie-prenante. La capacité à écrire de certains d’entre eux – j’ai proposé de reconnaître les mains de Bérenger Monge et du bayle Uc de Corri sur certains feuillets – permet de réhabiliter le niveau culturel des cadres des ordres militaires, trop facilement décrédibilisé par les historiens. Les mises en listes, les compilations de chartes, les comptabilités, l’esprit de bilan bien illustré par le status bajulie montrent que l’heure était, tant à l’accumulation qu’à la conservation de l’information. En outre, la circulation de l’information – perceptible à travers les incessants échanges de messagers au sein du réseau global de l’Hôpital – renvoie au caractère universel de l’institution. L’intérêt d’un ordre comme l’Hôpital est, en effet, d’ouvrir les gradients des échelles d’analyse, de la communauté locale – celle des frères et familiers de la commanderie ou bien celle des habitants de la seigneurie – à la dimension universelle des relations méditerranéennes. Certes, la mobilité de Bérenger Monge et de la plupart des frères autour de lui ne s’est guère inscrite hors du prieuré de Saint-Gilles, mais leurs activités ont montré combien les commanderies de l’arrière participèrent aux efforts de défense des principautés latines en Syrie-Palestine. La conservation assez exceptionnelle de comptabilités a notamment permis d’approcher l’organisation de l’aide à la Terre sainte et, surtout, d’évaluer le poids des responsions au niveau d’une commanderie comme Manosque. Cette ponction s’élevant à plus d’un tiers du budget de la commanderie peut expliquer en partie l’endettement de l’Hôpital, même s’il n’a pas été possible de relier étroitement ce phénomène général à une configuration économique locale, fondée sur les transactions foncières et surtout sur les mouvements du crédit. Au niveau provincial, la hiérarchie administrative reposait, à partir du prieur de Saint-Gilles, tant sur la division et la délégation des fonctions que sur les dispositifs institutionnalisants qu’étaient les visites et les chapitres. Les mécanismes mis en lumière pour la commanderie s’observent donc logiquement à l’échelle intermédiaire du prieuré, dont le fonctionnement est toutefois apparu plus polarisé sur la personne d’un prieur sans cesse en mouvement. La centralité acquise par ce haut dignitaire peut, certes, se trouver accentuée par la nature des sources mais, après-tout, elle renvoie aux tendances autoritaires du pouvoir du maître, observées dès le dernier tiers du xiiie siècle4.



4 Les historiens interprètent en tout cas les nombreux « conflits institutionnels » de l’ordre comme autant de tentatives du couvent central pour conjurer la tendance du maître à un pouvoir plus personnel (A. Forey, « Constitutional conflict and Change in the Hospital of St. John during the Twelfth and

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Ordre religieux, l’Hôpital n’en était pas moins composé essentiellement de frères laïques que les biais de la documentation font surtout apparaître dans des fonctions séculières – gestionnaires, seigneurs, le cas échéant combattants. À l’opposé de la démarche idéalisée par certains ordres émanant de la tendance érémitique ou mendiante, les statuts au sein de l’Hôpital recoupaient largement les hiérarchies sociales du siècle. Même si l’élément chevaleresque était minoritaire dans l’ordre de Saint-Jean, il n’en occupait pas moins une position dominante, à même de conférer à l’institution un profil aristocratique. Par conséquent, l’étude des ordres militaires renvoie fatalement à la question de leur dimension ecclésiastique ou religieuse. On a vu, pourtant, les communautés régies par Bérenger Monge respecter une forme de vie, peut-être originale, en tout cas propre à la fabrique d’une véritable identité de groupe. Or, en cela, les hospitaliers ne sont pas apparus bien différents d’autres formations religieuses, avec lesquelles ils partageaient les mêmes mécanismes de contrôle et de discipline. Si le personnel clérical de ces communautés est logiquement sous-représenté – bien que l’action de quelques chapelains ait pu être reconstituée ici –, le prieuré d’Aix se signale toutefois par son originalité : l’entretien du culte princier et les services funéraires rendus aux élites urbaines expliquent la présence d’une communauté de frères prêtres, sous l’égide d’un prieur, avec lequel le commandeur devait finalement partager la gestion de la maison. Le fonctionnement interne de cet établissement, qui rappelle assez celui d’un chapitre de chanoines réguliers, avec ses clercs, sa réglementation et sa clôture, est très mal connu avant le xive siècle. Cette carence documentaire est, en soi, assez significative du cas-limite représenté par une fondation qui, peut-être, répondait davantage aux besoins spirituels des fidèles qu’aux missions propres de l’Hôpital. L’autorité exercée par un commandeur comme Bérenger Monge sur sa communauté n’est pas bien éloignée non plus de celle qui devait prévaloir dans d’autres lieux de vie religieuse régulière. Loin de découler d’un don immanent, le pouvoir s’imposait au sein d’un tissu complexe de relations d’interdépendance5. La fondation établie en 1283, qui articulait visée mémorielle et redistribution symbolique – sous forme de pitance et de service funéraire – ne constitue qu’un aspect perceptible des liens affectifs entre Bérenger Monge et ses frères. Mais on peut imaginer chez ce commandeur, qui est resté – il faut le souligner – près de 50 ans en poste, une tutelle assez paternelle où l’on retrouverait du lien filial qui rattachait les moines à leur abbé. C’est un peu de la même manière que les érudits ont vu l’attitude de ce commandeur à l’égard des habitants de Manosque : un seigneur juste et attentif aux besoins de ses sujets. D’ailleurs, dans l’historiographie traditionnelle, le préceptorat de Bérenger Monge constitue une sorte de parenthèse heureuse dans l’opposition frontale et séculaire entre la seigneurie hospitalière et l’universitas. Aucune de ces visions n’est vraiment



Thirteenth Centuries », Journal of Ecclesiastical History, 33 (1982), p. 15-29 ; A. Demurger, Les hospitaliers, p. 243-251 ; J. Riley-Smith, The Knights Hospitaller in the Levant, p. 133-139). Selon Alan Forey, « une forme affirmée de gouvernement monarchique semble même avoir été acceptée » à l’époque de Guillaume de Villaret (A. Forey, « A Proposal for the Reform of the Hospital », p. 14-15). 5 Comme le rappelait déjà Norbert Elias, en prenant justement l’exemple de la société féodale (N. Elias, La société des individus [1987], Paris, 1991, p. 91-94).

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exacte : la seigneurie ne fut ni paternaliste ni terroriste. Certes, le commandeur et son bayle firent sentir leur domination à l’occasion de rituels soigneusement publicisés – hommages, reconnaissances, séances judiciaires, etc. Mais l’obéissance n’était acquise qu’au prix d’incessants réajustements et d’un droit de regard de la communauté d’habitants sur l’élaboration de la norme, sur l’exercice de la justice ou sur l’aménagement de l’espace urbain. Du reste, cette forme de cogestion ne trouva-t-elle pas une consécration symbolique avec le Livre des privilèges, cartulaire municipal où les décisions seigneuriales se manifestent à chaque folio ? Forts de l’exercice du merum et mixtum imperium, à Manosque, la commanderie et sa curia furent donc bien les garantes de l’ordre social, jusqu’à ce que les officiers royaux ne viennent leur disputer ces prérogatives régaliennes. En définitive, les deux commanderies gérées par Bérenger Monge présentaient un profil assez différent. À la tête d’une seigneurie éminente, celle de Manosque disposait de tous les leviers pour organiser la vie sociale et économique de la seconde ville du comté de Forcalquier. À forte tonalité cléricale, l’établissement aixois jouissait d’un véritable rayonnement spirituel mais, dans la capitale politique du comté de Provence, son assise temporelle s’inséra sans doute difficilement au sein d’une géographie déjà dense des pouvoirs et de l’emprise foncière. À l’aune de ces deux exemples, la commanderie apparaît au xiiie siècle dans toute sa plénitude institutionnelle. Les techniques gouvernementales qui s’y dévoilent ne sont, certes, pas « modernes », mais elles se trouvent à la croisée de rapports de pouvoir déjà dépersonnalisés et de relations plus traditionnelles de face-à-face. D’ailleurs, à partir du moment où le même homme incarna littéralement la figure de commandeur pendant un demi-siècle, peut-on véritablement parler de dépersonnalisation de la fonction ? Spécifiques à certains égards, les établissements gérés par Bérenger Monge n’en reflètent pas moins structurellement l’organisation d’une commanderie ordinaire. Or, s’interroger sur la représentativité des modèles institutionnels exposés dans ces pages n’est pas un enjeu de pure forme, car la question renvoie au profil même du sujet qui nous a servi de guide dans notre exploration : en d’autres termes, Bérenger Monge fut-il un commandeur vraiment ordinaire ? Je me suis efforcé de prémunir la reconstitution de ce cheminement de toute lecture déterministe, en évitant d’inscrire le sujet dans des cadres sociaux conçus a priori. Pourtant, le milieu parentélaire de Bérenger Monge n’a guère révélé de surprise : c’est celui de la chevalerie urbaine, portée au sommet de son éminence sociale aux xiie-xiiie siècles, grâce aux rapprochements avec le pouvoir comtal et la société ecclésiastique urbaine. Toute proportion gardée, le profil des Monachi peut être comparé à celui des Porcelet d’Arles : sans avoir atteint la puissance de ces derniers, les ancêtres de Bérenger Monge furent assez habiles pour émerger, au cours du xie siècle, à partir de groupes de propriétaires aux contours sociaux encore flous. Bérenger Monge fut, en ce sens, un héritier : naturellement doté du capital symbolique tenant au statut social, il bénéficia sans doute encore de l’appui de réseaux entretenus par ses ascendants – celui de la comtesse Béatrice de Savoie a pu être mis au jour, mais peut-être existèrent d’autres alliances, perdues à jamais dans les lacunes documentaires. Finalement, les origines du personnage se concilient donc bien avec la position offerte par le rang

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de commandeur de l’Hôpital, perceptible dans les habitudes de dénomination, le train de vie ou, plus largement, l’habitus correspondant à cette élite moyenne de la sphère ecclésiastique. Si le milieu d’origine de Bérenger Monge s’est, finalement, révélé conforme au profil majoritaire du recrutement des commandeurs chez les ordres militaires, sa trajectoire-même a pu révéler quelques surprises. En observant les parcours de certains de ses parents, on imaginait qu’il avait plus de chances, en tant que probable cadet, de devenir chanoine à Saint-Sauveur d’Aix. On le retrouve pourtant comme hospitalier : se souvenait-il que des ancêtres, trois générations auparavant, avaient participé à la croisade ? Originaire d’Aix, c’est d’abord à Manosque qu’il se distingue au sein de l’institution qu’il a décidé d’intégrer. Peut-être évita-t-il le passage outre-mer quand sa vocation de chevalier était, justement, l’action militaire pour la défense de la Terre sainte. Bien plus tard, en 1269, on lui proposa la charge de prieur qui aurait fait de lui le supérieur de l’une des provinces hospitalières les plus prestigieuses d’Occident. Il refusa de devenir un dignitaire majeur de l’institution, pour assumer plus simplement son rôle de commandeur entre Aix et Manosque. Autant que les quelques repères laissés ça-et-là par la mémoire écrite permettent d’en juger, ce cheminement n’eut rien de chaotique, mais il reposa sur des choix raisonnés. Le parcours dut bien, parfois, être imposé par l’institution qui décida, par exemple, d’envoyer ce frère à Manosque et de lui confier le préceptorat. Mais il révèle aussi la part de choix et de liberté du sujet par rapport aux structures et aux normes6. Dans la conduite de sa carrière comme dans ses manières de diriger semblent avoir émergé quelques traits de caractère : apparent respect d’un certain ordre social représenté par le poids des hiérarchies institutionnelles, prudence et sens du compromis, sans doute, réalisme et appréciation des risques dans la conquête des honneurs. Au fil du récit, sont donc apparus les contours d’une individualité. Mais ceux-ci demeurent flous et tenter d’en augmenter la netteté, c’est toujours risquer la surinterprétation. Par exemple, si on ne lui connaît pas de sceau, c’est très probablement que Monge choisit sciemment de se passer de ce puissant vecteur de l’individuation. Qu’est-ce à dire ? Était-il à ce point assuré de sa reconnaissance et de son autorité, à la différence de ses prédécesseurs ? Ou bien se trouvait-il plutôt contraint par des logiques juridiques et administratives qui rendaient finalement inutile ce medium de l’image de soi ? À ce propos, justement, ressembla-t-il jamais au commandeur représenté sur la cuve du sarcophage du comte Alphonse II exposé, non sans vicissitudes, en l’église Saint-Jean d’Aix depuis le milieu du xiiie siècle ? Il n’avait pas, lui-même, décidé d’être représenté sur ce bas-relief et il ne fut pas davantage à l’origine de la reconstruction de l’église, qu’il supervisa toutefois au nom de Charles d’Anjou. Pourtant, par l’inscription associée à ses armes peintes au mur du chevet, il chercha bien à attacher son nom et son action au monument. À Manosque, en revanche, il fut à l’origine du réaménagement du palais, ce puissant symbole du pouvoir seigneurial qui écrasait la ville de sa masse. Là, il se réserva un espace propre, entièrement dévolu à sa fonction comme à sa personne. Que la camera n’apparaisse jamais est, toutefois,



6 La sociologie a invité à prendre en compte cette part de liberté du sujet agissant, p. ex. M. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, 1977.

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révélateur des importantes lacunes qui affectent le champ de la vie privée : on ne lui connaît aucun proche parent et sa piété personnelle n’a pu être atteinte, si ce n’est en imaginant, là encore, qu’il a pu vouer une dévotion particulière à saint Géraud et s’identifier ainsi à ce pieux seigneur. Rien ne transparaît, non plus, de l’affect entre le commandeur et ses plus proches compagnons – et l’on pourrait probablement élargir cette remarque à la societas entourant le prieur. Or, si le milieu renvoie à celui de la chevalerie, il n’est pas sûr que l’on puisse extrapoler totalement à partir de ce que l’on connait des relations entre le seigneur laïque et sa mesnie. Les perceptions que ses contemporains eurent de Bérenger Monge sont, de même, difficiles à atteindre à ce niveau social. Tandis qu’il fut, inlassablement, reconduit dans son poste à Aix et à Manosque, on n’a pas rencontré trace de contestation ou d’inimitié de la part de ses frères au cours de sa longue carrière. Il jouit de la confiance de Féraud de Barras puis de Guillaume de Villaret, au point de se voir proposer la charge de prieur par le maître. Sous cet éclairage, Bérenger Monge semble avoir fait l’unanimité dans son institution et si le personnage présenta une autre face, celle-ci restera à jamais cachée. En définitive, en quoi Bérenger Monge incarne-t-il l’idéal-type du dignitaire hospitalier de la seconde moitié du xiiie siècle ? Les commanderies dont il eut la charge furent un peu spéciales et je ne chercherai pas à masquer le fait que le sujet ne fut pas tout à fait ordinaire7. Quel frère, représentatif d’un standing moyen au sein de l’élite des ordres militaires, pourrait se vanter d’avoir laissé près de 250 mentions contemporaines dans les chartes, les papiers comptables ou les correspondances ? Un tel éclairage reflète nécessairement une existence quelque peu hors-norme. Bérenger Monge vécut le plus souvent comme un véritable châtelain à Manosque, plutôt que de partager avec le prieur d’Aix la direction de cette maison et de demeurer là, dans l’ombre du prince. Le poste de commandeur procura donc, par délégation, à ce chevalier moyen un pouvoir et une envergure sociale au moins équivalents à ceux des maîtres des forteresses des Baux, de Simiane ou de Castellane. Toutefois, la comparaison ne peut être poussée plus avant car, là où toute la force symbolique du haut lignage a pu marquer l’histoire de son empreinte, notre sujet ne s’est révélé qu’au prix du patient recoupement de traces souvent indirectes. De toute évidence, Bérenger Monge ne pouvait donc apparaître comme un héros chevaleresque forgé par l’histoire, mais plutôt comme un commandeur ordinaire appréhendé par l’étude d’un langage ordinaire8. Voilà pourquoi, cette trajectoire sociale peut, malgré tout, être considérée comme assez représentative : c’est celle d’un commandeur inscrit dans l’habitus de son groupe d’appartenance, comme dans les cadres sociaux et institutionnels de son temps. Même en s’en tenant au cas provençal, en effet,





7 Sabina Loriga a mis en garde contre l’utopie de la représentativité biographique : en cherchant à étendre les qualités de l’individu étudié à une catégorie, on prend le risque de gommer les aspects les plus personnels et particuliers du personnage (S. Loriga, Le petit x. De la biographie à l’histoire, Paris, 2010, p. 261-264). 8 Je place ici en opposition la biographie chevaleresque comme texte référentiel et la société révélée par le « langage ordinaire » émanant de sources de la pratique (É. Gaucher, La biographie chevaleresque. Typologie d’un genre (xiiie-xve siècle), Paris, 1994, p. 197-198 et 202-203 ; et Th. Dutour, Sous l’empire du bien. “Bonnes gens” et pacte social (xiiie-xve siècle), Paris, 2016, p. 15-30).

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l’Hôpital comme le Temple offrent bien d’autres exemples d’ascension sociale, tandis qu’il était commun que des commandeurs se trouvassent à administrer une seigneurie et à rayonner, d’une manière ou d’une autre, dans le siècle. En revanche, un mandat de cinq décennies, auquel il faut encore ajouter le temps d’une ascension hiérarchique souvent difficile à retracer, constitue un record parmi les carrières que j’ai pu rencontrer9. « Une belle carrière a besoin d’une longue vie » notait, en effet, Bernard Guenée10. Bérenger Monge fut, de ce point de vue, fort bien servi. Une telle longévité peut donner matière à réflexion sur le déroulement du temps historique, tant à l’échelle de la vie humaine que sur la longue durée de la mémoire11. Appréhendée à partir d’archives du quotidien, l’existence de Bérenger Monge a pu sembler assez immobile : c’est essentiellement la dimension routinière de l’administration et des rapports sociaux que font ressortir les chartes et autres documents pratiques. En ce sens, on peut même considérer la durée comme une donnée causale : peut-être est-ce parce qu’il s’accommodait parfaitement de la situation de commandeur qui était la sienne depuis vingt ans, que Bérenger Monge n’estima pas nécessaire d’apporter un ressort nouveau à son existence en devenant prieur de Saint-Gilles12 ? Le commandeur fut certainement un homme très occupé, mais il est difficile de percevoir, dans son parcours, des temps d’accélération ou bien des ruptures introduites par des événements, que ceux-ci aient relevé de l’histoire familiale, d’interventions institutionnelles ou encore de la « grande histoire ». Pourtant, le monde bougeait bien autour de lui et le temps lui-même dut s’accélérer parfois, à l’image des écritures cursives, toujours plus nerveuses, qui noircissent parchemins et papiers à la charnière des xiiie et xive siècles. Les archives des commanderies illustrent comment les mutations documentaires traduisaient des mutations administratives qui, elles-mêmes, fondaient de nouvelles relations de pouvoir. On a rappelé comment, dans les décennies 1280-1290, une transformation du sens de la justice – moins médiatrice et plus pénale – suscita un certain nombre de tensions sociales, alors même que les immixtions de l’État princier bousculaient les équilibres internes à la seigneurie. Il est jusqu’au cadre de vie qui fut, lui-même, marqué par la nouveauté. On imagine l’impact visuel que dut présenter, dans le paysage aixois, l’opus francigenum adapté à l’église Saint-Jean. Et pour Manosque, que dire du palais sur cour à plan carré qui semblait déjà porter 9 Au Temple, dans la seconde moitié du xiie siècle, il n’était pas rare de rencontrer des préceptorats d’une vingtaine d’années et jusqu’à 39 ans pour Bernat Catalan à Saint-Gilles. À partir du siècle suivant, toutefois, le rythme des mutations s’accéléra et Géraud, commandeur pendant 30 ans à Arles (1234-1263) puis 6 ans à Avignon (1263-1268) constitua une exception (D. Carraz, L’ordre du Temple, p. 307-310). 10 B. Guenée, Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle), Paris, 1987, p. 39. 11 Sur l’articulation des différentes temporalités dans l’approche biographique : F. de Coninck et F. Godard, « L’approche biographique à l’épreuve de l’interprétation. Les formes temporelles de la causalité », Revue française de sociologie, t. 31-1 (1989), p. 25-53. 12 « Que l’on parle de constitution progressive de réseaux de sociabilité ou d’habituation à une tâche, l’idée est qu’au bout d’un certain temps il est “coûteux” de s’en aller » (F. de Coninck et F. Godard, « L’approche biographique », p. 35).

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à maturité un modèle destiné à connaître seulement quelques développements futurs – comme au palais pontifical d’Avignon ? L’histoire ne s’accéléra-t-elle pas enfin, dans ces décennies décisives qui virent les places franques de Terre sainte tomber l’une après l’autre, jusqu’à l’évacuation fatidique de 1291 ? La chute d’Acre ne provoqua pas nécessairement une rupture mentale pour les contemporains qui, toujours, eurent à l’esprit la sauvegarde puis la reconquête de la Terre sainte. Mais elle précipita assurément les mutations institutionnelles qui étaient en cours au sein de l’Hôpital, perceptibles notamment dans la formalisation d’une véritable élite de pouvoir exerçant des formes de gestion plus personnalisées, de la tête de l’ordre à l’échelon de la commanderie. Quelle conscience Bérenger Monge eut-il de ces changements et quelle fut, plus généralement, sa perception du monde13 ? Sa position socio-institutionnelle lui conférait un capital culturel sans doute bien supérieur à la moyenne. Il recevait des nouvelles de Terre sainte, il avait des notions sur les équilibres politiques et économiques généraux, il était en contact avec la haute-administration princière. Très probablement savait-il écrire, sa connaissance du territoire vécu embrassait au minimum le périmètre de la Provence et, peut-être, fut-il encore témoin direct d’événements majeurs, comme le second concile général de Lyon. Une sensation d’immobilité émane de notre documentation, mais celle-ci est trompeuse : tout au long de son existence, comment ce miles aux prises avec son temps aurait-il pu ne pas vivre les affolements de l’histoire autour de lui ? Au cours de la génération qui suivit sa disparition, en revanche, les bouleversements furent-ils profonds au point que son souvenir s’effaçât si rapidement ? Les cadres sociaux de la mémoire, en effet, ne permirent pas que se cristallisât véritablement le souvenir du commandeur dans la durée. La configuration était ici bien différente de celle que l’on trouverait pour quelques « grands hommes » de l’Hôpital, servis à la fois par leur position dans l’histoire de leur ordre et par la notoriété régionale de leur famille – pensons seulement à Guillaume et Foulques de Villaret ou bien à Hélion de Villeneuve14. S’il ne fit pas l’objet de biographies institutionnelles voire familiales, le commandeur suscita tout de même une mémoire latente et toujours localisée, qui fluctua au gré des régimes d’historicité. La remise en ordre du xviie siècle puis le revival catholique post-révolutionnaire à Aix, le roman de la petite patrie à Manosque, réveillèrent le souvenir du personnage en lui conférant un sens pluriel : bâtisseur d’église à la pointe du christianisme triomphant, ou bien seigneur plutôt débonnaire en un temps marqué par l’obscurantisme féodal. Il suffisait de suivre ces traces discontinues dans l’épaisseur du temps pour, finalement, révéler le sujet dans toute sa profondeur historique.

13 Ce qui revient, en d’autres termes, à poser la question de l’expérience vécue ou, autrement dit, de l’objectivation du sujet (G. Noiriel, « Pour une approche subjectiviste du social », Annales ESC, 44 (1989), p. 1452-1453). 14 Pour ne s’en tenir qu’à cette strate mémorielle, les trois personnages figurent naturellement dans les Vies des maîtres de l’ordre (M.-R. Bonnet et R. Cierbide, Les statuts de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Édition critique des manuscrits en langue d’oc (xive siècle), Bilbao, 2006, p. 286-287).

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Sources inédites

Bibliothèque municipale d’Aix-en-Provence (Méjanes) ms. 338-339 (858-859) : Jean Raybaud, « Histoire des grands prieurs et du prieuré de SaintGilles » (copie, 1765-1766), 2 vol. ms. 856 (R.A. 10) : Pierre-Joseph de Haitze, « Aix ancien et moderne, ou la topographie de la ville d’Aix » (1715) ms. 1613 (1478) : « Reconnaissances en faveur du prieuré de St-Jean de Malte », 395 f. (xviie siècle) Est. A 6 et Est. A 31-32 : estampes des mausolées des comtes de Provence et de la reine Béatrice à Saint-Jean d’Aix (fonds Fauris de Saint-Vincens)

Bibliothèque municipale d’Avignon (Ceccano) ms. 4933 : Inventaire des titres de la commanderie de Manosque (1636)

Bibliothèque municipale de Carpentras (Inguimbertine) ms. 1816 (= Collection Peiresc, t. 48), f. 505-597 : « Chevaliers de Saint Jean de Hierusalem. Tiltres anciens »

Prague, bibliothèque de l’ordre de Malte a iii L 910 : Registre comptable de la commanderie de Manosque (1283-1290)

Archives municipales de Manosque Aa 8 : « Livre des privilèges », cartulaire, xive siècle Ab (confirmation de privilèges de la communauté, xiiie-xive siècles) : Ab 1 ; Ab 2 ; Ab 3 Ba 1 : réunion générale des habitants (1286) Bb (transactions diverses et délimitation du territoire, xiiie-xive siècles) : Bb 1 ; Bb 2 ; Bb 3 ; Bb 4 ; Bb 5 ; Bb 9 ; Bb 10 ; Bb 21 ; Bb 22

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s o u rce s i n é d i t e s

De (moulins et casals) : De 1 ; De 2 ; De 3 ; De 4 ; De 8 ; De 13 Ff 13-Ff 13bis : procès entre l’Hôpital et la communauté (1377), original et copie xviiie siècle Ka (Ordre de Malte : bailliage de Manosque) : Ka 8 Kb (Ordre de Malte : propriété mobilière et immobilière) : Kb 11 ; Kb 23 ; Kb 24 ; Kb 25 ; Kb 26 ; Kb 27 ; Kb 28 Kc (Ordre de Malte : droits féodaux) : Kc 1 ; Kc 7 ; Kc 45 ; Kc 46 ; Kc 47

Archives municipales d’Arles GG 87 : Recueil factice de chartes des ordres militaires : pièces no 65, 67, 68 et 69

Archives départementales des Bouches-du-Rhône1 B 265 : Registre de la cour des comptes, 1303-1306 1 G 426 : Archevêché d’Aix – ordre de Saint-Jean de Jérusalem 2 G : Chartrier du chapitre Saint-Sauveur d’Aix : 2 G 16 ; 2 G 28 ; 2 G 30 ; 2 G 31 ; 2 G 32 ; 2 G 49 ; 2 G 74 ; 2 G 103 ; 2 G 110 ; 2 G 118 ; 2 G 139 ; 2 G 153 ; 2 G 158 56 H 6 : Inventaire général des archives du grand prieuré par Antoine Raybaud : commanderie d’Aix, 1701-1704, 106 f. 56 H 20 : Inventaire général des archives du grand prieuré par Antoine Raybaud : commanderie de Manosque, 1701-1704, 140 f. 56 H 44 : Procès-verbal de séparation des titres généalogiques trouvés à Arles en 1792, 145 f. 56 H 49 : Inventaire sommaire des archives d’Aix, 30 f. (1683) 56 H 50 : Inventaire des archives d’Aix remises à celles du grand prieuré, 304 p. (1705) 56 H 51 : Aix : analyses des chartes par Emmanuel de Grasset, 51 p. (1869) 56 H 68 : Inventaire des archives de Manosque, 705 f. (1531) 56 H 69 : Inventaire chronologique des titres de Manosque, 309 f. (1656) 56 H 70 : Inventaire des archives de Manosque : copie du précédent, 339 f. (1656) 56 H 74 : Inventaire des archives de la commanderie de Saint-Gilles, 190 f. (1561) 56 H 77 : Inventaire des chartes de Syrie, 51 f. (1741) 56 H 86 : Registre renfermant des privilèges de l’Hôpital des xiiie-xve siècles, 137 f. (1526) 56 H 88 : Inventaire de titres relatifs à plusieurs commanderies, 151 f. (1686) 56 H 122 : Visite de la maison de Campagnolles, 9 f. (début du xive siècle)



1 Les intitulés donnés aux documents sous l’Ancien Régime et fixés par le répertoire de la série 56 H, ont été repris malgré leur caractère parfois approximatif.

so u rce s i né d i t e s

56 H 123 : Visite générale du grand prieuré, 349 f. (1338) 56 H 124 : Visites isolées de quelques commanderies, 213 f. (1411-1491) 56 H 137 : Visite générale du grand prieuré de Saint-Gilles, 603 f. (1656) 56 H 252 : Visites des améliorissements de la commanderie de Manosque, 5 cahiers (17011785) 56 H 604 : État de l’armement des habitants de Manosque, 46 f. (xive siècle) Bailliage de Manosque 56 H 833 : États du bétail, 1 cahier (1310-1343) 56 H 835 : Registre de comptes, 49 f. (1259-1263) 56 H 836 : Comptes de l’hôtel, 53 f. (1321-1329) 56 H 841 : Comptes généraux, 28 f. (1482-1483) 56 H 849 : Cartulaire, 1 cahier parch., 16 f. (xiiie siècle) 56 H 849bis : Copie de titres de 1129 à 1623, 1043 f. (xviie siècle) 56 H 878 : Listes d’officiers de la cour de Manosque, 19 p. (xviie siècle) 56 H 880 : Procès avec le chapitre de Forcalquier sur les dîmes et sépultures, 1 cahier fragmentaire (1302-1303) 56 H 883 : Registre du notaire Bernard de Bourges, 1 cahier (1258-1260) Registres de justice 56 H 904 : Causes civiles, 49 f. (1246-1249) 56 H 905 : Causes civiles, 25 f. (1289-1290) 56 H 944 : Informations criminelles, 60 f. (1240-1243) 56 H 950 : Informations criminelles, 1 p. (1286-1295) 56 H 951 : Informations criminelles, 1 reg. fragmentaire (1284) 56 H 952 : Informations criminelles, 59 f. (1285-1286) 56 H 953 : Informations criminelles, 88 f. (1289-1299) 56 H 954 : Informations criminelles, 160 f. (1290-1292) 56 H 994 : Informations criminelles, 95 f. (1362) 56 H 1036 : Moulins : comptes de la recette des blés, 18 f. (1375-1380) 56 H 1038 : Terrier (incomplet), 40 f. (fin xiiie siècle) 56 H 1039 : Terrier, 35 f. (1302-1303) 56 H 1040 : État des corvées, 22 f. (1308 ?) 56 H 1068 : Terriers, 19 cahier (xive-xve siècles) 56 H 1085 : Livre du drapier Garnier Felix, 1 cahier (1284-1312) 56 H 1086 : Livre du notaire et marchand Bernard Quintin, 69 f. (1ère moitié du xive siècle) 56 H 1087 : Livre de comptes d’un marchand italien, 36 f. (1328-1331) 56 H 1088 : Registre du notaire Bernard de Bourges, 200 f. (1256-1257) 56 H 1089 : Registre du notaire Bernard de Bourges, 100 f. (1257) 56 H 1090 : Registre du notaire Bernard de Bourges, 1 cahier (1265) 56 H 1092 : Registre du notaire Bertrand Rasor, 192 f. (1294)

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s o u rce s i n é d i t e s

Prieuré Saint-Jean d’Aix 56 H 1111 : Procès-verbaux d’arpentements et bornages, 98 p. (1740) 56 H 1164 : Construction et réparations au prieuré (plans figurés), 31 p. (1649-1672) 56 H 1171 : Plans de l’église Saint-Jean (1703) 56 H 2624 : Registre de comptes du clavaire du prieuré de Saint-Gilles, 80 f. (1253-1258) 56 H 2625 : Registre de comptes du clavaire du prieuré de Saint-Gilles, 64 f. (1255-1257) 56 H 4021 : Bulles d’Urbain IV et Clément IV, 10 pièces (1262-1267) 56 H 4022 : Bulles de Clément IV, Grégoire X, Innocent V, Jean XXI, Martin IV, 11 pièces (1267-1281) 56 H 4049 : Bulles des grands maîtres, 6 pièces (1120-1576) 56 H 4084 : Affaires diverses, 8 pièces (1276-1563) Prieuré de Saint-Gilles 56 H 4098 : Biens divers, 9 pièces (1233-1402) 56 H 4106 : Propriétés et droits seigneuriaux, 12 pièces (1174-1787) 56 H 4107 : Propriétés et droits seigneuriaux, 14 pièces (1185-1424) 56 H 4123 : Grand Argence, 11 pièces. (1224-1253) Commanderie d’Aix-en-Provence 56 H 4165 : Prieuré de Ginasservis : biens et droits, 14 pièces (1318-1540) 56 H 4173 : Prieuré Saint-Jean d’Aix : titres généraux, 12 pièces (1258-1545) 56 H 4175 : Église Saint-Jean, 11 pièces (1234-1591) 56 H 4179 : Prieuré Saint-Jean d’Aix : chapellenies, 15 pièces (1304-1688) 56 H 4180 : Église Saint-Jean : fondations et sépultures, 11 pièces (1256-1312) 56 H 4181 : Église Saint-Jean : fondations et sépultures, 11 pièces (1313-1388) 56 H 4183 : Biens fonciers, 13 pièces (1270-1618) 56 H 4185bis : Prieuré de Saint-Martin de Vidols, 11 pièces (1232-1469) 56 H 4187 : Prieuré de Notre-Dame de Calissanne, 10 pièces (1255-1389) 56 H 4189 : Directes au terroir d’Aix, 13 pièces (1269-1321) 56 H 4190 : Directes à Aix, 13 pièces (1327-1341) 56 H 4199 : Nouveaux baux à Aix, 8 pièces (1216-1350) 56 H 4201 : Achats et cens, 8 pièces (1265-1300) 56 H 4204 : Procès, 12 pièces (1298-1548) 56 H 4211 : Actes entre particuliers et quittances, 10 pièces (1216-1306) Commanderie d’Avignon 56 H 4262 : Lardiers : juridiction, 3 pièces (1266-1286) 56 H 4269 : Directes à Avignon (paroisse Saint-Pierre), 11 pièces (1267-1299)

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56 H 4273 : Directes à Avignon (juiverie), 14 pièces (1254-1299) 56 H 4278 : Directes à Avignon (paroisse Saint-Agricol), 12 pièces (1262-1320) 56 H 4301 : Directes au terroir d’Avignon, 14 pièces (1215-1427) 56 H 4302 : Directes au terroir d’Avignon (Clos Saint-Jean), 11 pièces (1258-1299) 56 H 4307 : Directes au terroir d’Avignon (Clos d’Enganel), 10 pièces (1273-1351) 56 H 4320 : Directes au terroir d’Avignon, 12 pièces (1209-1411) 56 H 4372 : Commanderie de Comps : biens, 9 pièces (1232-1306) Commanderie de Manosque 56 H 4626 : Biens, droits seigneuriaux, 12 pièces (1149-1162) 56 H 4627 : Biens, droits seigneuriaux, 13 pièces (1168-1206) 56 H 4628 : Biens, droits seigneuriaux, 9 pièces (1206-1218) 56 H 4629 : Biens, droits seigneuriaux, 9 pièces (1221-1234) 56 H 4630 : Biens, droits seigneuriaux, 9 pièces (1238-1253) 56 H 4631 : Accord entre le comte de Provence et le prieur, 2 pièces (1262) 56 H 4632 : Biens, 9 pièces (1265-1275) 56 H 4633 : Biens, droits seigneuriaux, 9 pièces (1273-1299) 56 H 4634 : Biens, inventaires des frères, du cheptel et des armes, cavalcade, 9 pièces (12991332) 56 H 4635 : Donations, fondations, inventaires, 8 pièces (1351-1400) 56 H 4638 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 9 pièces (1212-1218) 56 H 4639 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 12 pièces (1218-1231) 56 H 4640 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 12 pièces (1231-1242) 56 H 4641 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 11 pièces (1255-1262) 56 H 4642 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 10 pièces (1262-1274) 56 H 4643 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 11 pièces (1275-1282) 56 H 4644 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 11 pièces (1282-1288) 56 H 4645 : Acquisitions, mutations, reconnaissances, 9 pièces (1288-1341) 56 H 4651 : Dîmes, 7 pièces (1264-1450) 56 H 4652 : Juridiction : procédures diverses, 9 pièces (1211-1298) 56 H 4653 : Juridiction : procédures diverses, 8 pièces (1300-1306) 56 H 4666 : Droit de leyde, 7 pièces (1262-1284) 56 H 4668 : Droit de fournage, 5 pièces (1232-1433) 56 H 4669 : Droits de cosses et sur le port de la Durance, 4 pièces (1248-1412) 56 H 4673 : Droits sur les eaux de la Drouille, 7 pièces (1234-1537) 56 H 4675 : Église Saint-Pierre, 4 pièces (1283-1754) 56 H 4676 : Métairie du palais : biens, 9 pièces (1127-1236) 56 H 4677 : Métairie du palais : biens, 14 pièces (1239-1286) 56 H 4678 : Métairie du palais : biens, 7 pièces (1289-1533) 56 H 4680 : Église Saint-Étienne : biens, 3 pièces (1239-1283) 56 H 4682 : Montaigu : biens et juridiction, 9 pièces (1282-1316) 56 H 4686 : Saint-Michel : biens, 6 pièces (1282-1705) 56 H 4688 : Volx : juridiction, 11 pièces (1297-1522)

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Commanderie de Puimoisson 56 H 4826 : Biens et juridiction, 4 pièces (1233-1245) 56 H 4827 : Biens et juridiction, 8 pièces (1259-1303) 56 H 4832 : Prieuré : donation, transaction, 8 pièces (1155-1504) 56 H 4836 : Droits seigneuriaux, procédures, 7 pièces (1231-1293) 56 H 4837 : Droits seigneuriaux, procédures, 5 pièces (1298-1300) 56 H 4839 : Droits seigneuriaux, procédures, 6 pièces (1302-1308) 56 H 4850 : Prieuré Saint-Apollinaire : droits seigneuriaux et dîmes, 7 pièces (1210-1555) 56 H 4852 : Prieuré Saint-Apollinaire : biens, 7 pièces (1235-1293) 56 H 4855 : Dépendances : droits de pacage et de lignerage, 7 pièces (1235-1269) 56 H 4857 : Dépendances : biens et droits de dépaissance, 8 pièces (1192-1512) 56 H 4861 : Dépendances : biens et juridiction, 9 pièces (1194-1755) 56 H 5022 : Commanderie de Trinquetaille : biens et droits seigneuriaux, 10 pièces (12451291) 56 H 5036 : Commanderie de Trinquetaille : biens et droits seigneuriaux, 7 pièces (12501290)

Archives départementales de la Haute-Garonne H Malte Toulouse 182 : Commanderie de Fronton (xiie-xiiie siècles) H Malte Toulouse 183 : Commanderie de Fronton (xiie-xiiie siècles) H Malte Toulouse 184 : Commanderie de Fronton (xiie-xiiie siècles) H Malte 237 : Supplique d’un hospitalier pour la réforme de l’ordre (fin xiiie-début xive siècles) H Malte Toulouse 241 : Commanderie d’Orgueil (xiiie-xive siècles) H Malte Toulouse 393 : Commanderie de Poucharamet (xiiie siècle)

Archives départementales du Rhône 48 H 1841 : Vidimus du testament de Béatrice de Savoie et de l’acte de fondation de la maison des Échelles (1401)

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Index des noms propres

Jusqu’au xviiie siècle, les individus sont classés par le prénom (nomen) et les notes ont été indexées. Les auteurs et artistes des xixe-xxie siècles sont classés par le nom de famille (en petites capitales) et les notes n’ont pas été indexées. Abréviations : arch. : archevêque – chan. : chanoine – ép. : époux/épouse – év. : évêque – fam. : famille – fr. : frère ou donat de l’Hôpital – jur. : juriste – not. : notaire – o.f. m. : frère mineur – o.s.b. : moine ou abbé bénédictin – pr. : prêtre (prieur, chapelain, sacriste…) – temp. : frère du Temple Abel Hugoleni, not., 213n. Abraham de Grasse, juif, 279, 290. Achard, Claude-François, 24. Adrien IV, pape, 337n. Agamben, Giorgio, 98. Agnès de Moustiers, 184. Aicard de Signes, fr., 103. Aicelena, 328n. Aimeric, fr., 122n. Aimeric de Tury, fr., 157n, 400. Aimeric du Pont, fr., 122n. Alain de Luzarches, év. de Sisteron, 207, 252, 262, 358, 368. Alasacia Monacha, moniale, 67. Alexandre III, pape, 163, 356n, 359. Alexandre IV, pape, 206, 305, 367, 407. Alfant de Soliers, sénéchal, 382n. Alphonse Ier, cte de Provence, 83-85, 182, 303. Alphonse II, cte de Provence, 30, 31, 33, 35, 38, 65, 91, 143, 151n, 304, 308, 314317, 360, 376, 439, 446. Alphonse de Poitiers, 319. Alphonse de Portugal, fr., 228n. Amanieu d’Albret, 144. Amargier, Paul, 371. Amic, fam., 104, 106. Amisardus Mercerii, 272n. Andreas, fr., 82n, 103n, 235, 411. Andreas Barrali, fr., pr., 167n.

Andreas Obrerii, 272n. André Hugoleni, not., 213n. Angevins (maison de France), fam., 17, 19, 66, 69, 91, 130, 135n, 230, 270n, 311, 314, 317-319, 323n, 347, 372, 381, 383. Anne de Naberat, fr., 32n, 35, 37, 40. Antoine, ermite, 348. Antoine Raybaud, 36, 46-49, 51, 57. Arbaud, Damase, 22-27, 29, 55, 244, 245, 272, 273n. Arnaud, Camille, 23. Arnaud, fr., 72n Arnaud, clerc, 134n Arnaud de Campagnolles, fr., 150n. Arnaud de Villeneuve, théologien, 429. Arnoul, saint, 144n. Arnoul, fr., 88n. Arnoul, fr., pr., 127n. Astruga, 439. Astruga Ebrarda, 282. Audebert de Barras, fr., 119, 344. Audebert de Beaumont, 399n. Audebert Gaudius/Gausius, not., 212n, 272, 275n. Augerius, fr., 103n. Aurell, Martin, 64. Aycardi, fam., 132n. Aymar III de Poitiers, cte de Valentinois, 420, 421n. Ayyūbides, fam., 412.

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Index

Azalaïs, ctesse de Forcalquier, 85. Azalaïs de Rougon, 122. Azalaïs de Volx, 340. B. de Roquesauve, fr., 103. B. Peire, 294. B. Portanerius, fr., 128n. Barcelone, fam. comtale, 69, 71, 83, 84n, 87, 184, 311, 314, 338, 353. Barral, victe de Marseille, 84. Barral II de Baux, fr., 387n. Barras, fam., 91, 103, 106. Barthélemy de Grossis, jur., 217, 250, 323. Bartole, jur., 54n. Bartomieu, maître, jur., 114n, 216n, 247n, 261, 262n, 284, 294. Baschet, Jérôme, 351. Baston, fam., 104. Baux, fam., 42n, 64, 146, 183, 392n, 431. Baybars, sultan, 408, 409. Beaucage, Benoît, 99, 190, 192, 209. Béatrice de Provence, ctesse de Provence, reine de Naples, 30, 32, 35n, 78n, 90, 91, 140, 143n, 307, 308, 314-317, 319n, 321, 322, 360, 367, 373, 374, 376, 381n, 387, 422. Béatrice de Savoie, ctesse de Provence, 65, 72, 85, 88, 90-95, 130, 131n, 139, 168, 182, 212n, 217n, 303, 305, 307, 314-316, 320, 321, 373-375, 386, 388, 445. Béatrice, ép. Bérenger Monachi, 66, 78, 438. Béatrice, ép. Raimond Scriptor, 217n. Bedos-Rezak, Brigitte, 149, 239. Beltjens, Alain, 342. Bellugue, 66n. Benoît, saint, 113, 124n, 157n, 162. Benoît XI, pape, 144n. Benoit, Fernand, 33. Berbegarii, fam., 104n. Berengayrencus [fils ou descendant de Bérenger], fr., 174, 439. Bérenger Gantelme, sénéchal, 193n. Bérenger Monachi, fils de Jaufre Monachi, miles, 66, 67, 68n, 76, 78, 79n, 438.

Bérenger Monachi (xive s.), nobilis, 67, 75n. Bérenger Monachi, juvenis, fr., 71n, 72, 75n, 79, 94, 128, 173, 437. Bérenger Monachi, fils de Uc Monachi, fr., 438. Bérenger Monge, fr., commandeur d’Aix et Manosque, passim. Bérenger Monge (xve s.), 29. Bermond de Luzençon, fr., prieur de Saint-Gilles, 87n, 163n, 235n, 392n. Bermond de Luzençon, fr., 153. Bermundi, fam., 104n. Bernard, donat, 106. Bernard, fr., sénéchal, 119. Bernard, fr., pr., 132. Bernard Chabaterii, fr., 119. Bernard de Bourges, not., 211, 212, 221, 229, 285, 286. Bernard de Luzençon, fr., 153n. Bernard de Puimoisson, fr., 126. Bernard de Villalba, not., 212n. Bernard Honorat, fr., 81n, 82n, 138. Bernard Monachus, 69n. Bernard Raimond, not., 355. Bernard Thomas, fr., 384. Bernardinus, fr., 384n. Bernat Catalan, temp., 448n. Bertranda, ép. Bertrand Cavalier, 188n. Bertrand Ier, cte de Forcalquier, 86. Bertrand II, cte de Forcalquier, 85, 86, 338. Bertrand, fr., 119. Bertrand, fr., commandeur des moulins, 170n, 172. Bertrand, év. de Cavaillon, 398. Bertrand, drapier, 89n. Bertrand Ainardus, fr., pr., 107, 132. Bertrand Aton, not., 217n. Bertrand Cavalier, 188n. Bertrand Chicolet, 23. Bertrand d’Aubenas, fr., 103, 171-173, 176. Bertrand de Barras, fr., 91, 119, 120n. Bertrand de Barres, fr., 343, 375n, 392n. Bertrand IV de Baux, 402.

no ms pro pre s

Bertrand de Comps, fr., 120, 149, 304, 312, 392n, 412. Bertrand de Folquetis, 206. Bertrand de Furnis, fr., 119. Bertrand de Loubières, jur., 193n. Bertrand de Luzençon, fr., 153n. Bertrand de Millau, fr., 84. Bertrand de Moustiers, fr., 119. Bertrand de Navis, fr., 128n, 267n. Bertrand d’Orange, fr., 235n. Bertrand de Rocaforti, 14n. Bertrand [de Sabran], 340. Bertrand de Saint-Juers, fr., 103. Bertrand de Saint-Martin, év. de Fréjus, 376. Bertrand de Sénas, fr., 275n. Bertrand Dodon, fr., 103n. Bertrand Faber, fr., 119, 129, 132, 344. Bertrand Felix/Felicii, 204, 250, 339n, 361n. Bertrand Felix, fils, 204, 249, 250, 256n, 361n. Bertrand Gantelme, fr., 103n, 107, 171. Bertrand Gaudius, 188n. Bertrand Guigoni, 68n. Bertrand Lance, fr., pr., 119, 132, 133, 167, 168, 320, 344. Bertrand Monachi, 68n. Bertrand Mounerius, fr., 119, 120. Bertrand, Paul, 225. Bertrand Quintin, not., 204n. Bertrand Raimbaud de Simiane, 420. Bertrand Rasor, not., 211n, 213n. Bertrand Ruf, fr., 119, 120n. Bertrand Ruffi, jur., 285n. Bertrand Sartor, 328n. Bertrand Sitius, not., 211n, 212, 213, 221. Bertrand Tartarius, 187n. Bertrandus Pagani, not., 212n. Bertrandus Robaudi, 272n. Billioud, Joseph, 51. Blaise, saint, 118, 158, 341, 344-346. Blanche, princesse angevine, 315, 360. Blancus, fam., 104. Boerius, jur., 54n.

Bona, fam., 104n. Boniface VIII, pape, 358, 369n, 372, 381, 433. Boniface de Castellane, 373, 375. Boniface de Saint-Juers, fr., 103, 170. Bonifacio de Calamandrana, fr., 157, 384, 414, 427. Bonnassie, Pierre, 389. Bonnaud, Jean-Luc, 285. Borchardt, Karl, 232. Bourdieu, Pierre, 97, 158, 178, 296. Bourin, Monique, 205. Boyer, Jean, 40. Boyer, Jean-Paul, 308. Bras, fam., 104. Bresc, Henri, 112, 175. Bronstein, Judith, 28, 205. Brunel, Ghislain, 224. Bruzelius, Caroline, 310, 311. Buchheit, Nicolas, 402. Burgtorf, Jochen, 27, 80, 121, 124. Buttigieg, Emanuel, 176. Camaret, fam., 104. Carrier, Nicolas, 256. Catherine, sainte, 308n. Chabaneau, Camille, 24n. Chabaterii, fam., 104n. Chabatius, fam., 339. Charles Ier d’Anjou, cte de Provence, roi de Sicile, 11, 90, 91, 115n, 143, 148n, 167, 168, 193, 196, 243, 246n, 256n, 262n, 264, 270, 271n, 302, 305n, 307, 308, 310, 311, 315n, 316-319, 321, 323, 347, 353, 360n, 361, 367, 370n, 373-377, 381n, 383, 386, 408n, 420, 446. Charles II d’Anjou, cte de Provence, roi de Naples, 11, 66, 117n, 196n, 199, 211, 213, 247, 250, 270n, 271n, 274n, 308, 310, 311, 314n, 316n, 318, 320-323, 353n, 361, 377383, 385, 387, 398, 407, 414n, 421, 422n. Charles de Salerne, v. Charles II. Charles VII, roi de France, 13. Charles X, roi de France, 31. Chatard de Bulhon, fr., 306.

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Index

Chaussadura, 201n. Chavelut, fam., 92. Chiffoleau, Jacques, 324. Claire, sainte, 318. Claude, Sandrine, 325, 326, 332. Claude de Savoie, 41n. Clavellerius/Clavelli, fam., 265. Clément IV, pape, 196, 252, 307, 367, 369, 372, 374n, 381, 387, 412, 425n. Clément V, pape, 358. Collard, Franck, 424. Comps, fam., 42n, 103. Coulet, Noël, 69, 108, 139, 157. Courtemanche, Andrée, 278. Cusenderius, fam., 247. Dalmacii, fam., 104n. Dauphin, fam., 184. David, fam., 247, 284. Davidet, juif, 379n. Decan, fam., 70. Delaville le Roulx, Joseph, 27, 367. Demetrius, saint, 318. Demurger, Alain, 28, 80. Déodat de Gozon, fr., 148n. Deschamps, Paul, 335. Didier, fr., pr., 32, 167, 173, 350n, 355. Didier, Noël, 385. Dominique, saint, 132, 318. Dominique, fr., pr., 129, 133, 134n, 344. Dominique de Jésus, 343n. Dragonet de Mondragon, fr., 31, 37n, 141n, 150, 151n, 156, 161n, 167, 306n, 320n, 321, 322, 394n, 436, 437. Drogo Monachi, 69, 70. Duby, Georges, 27, 97, 98, 101, 105, 112, 115, 117, 190, 202, 205, 209, 260, 389. Dulciana Chabassia, 339n, 393. Dupront, Alphonse, 35. Durand, év. de Marseille, 358. Dutour, Thierry, 15. Ebrardus, fam., 104n, 258n, 339. Édouard Ier, roi d’Angleterre, 408n. Elzéar, fr., 103n.

Esmengarde, ép. Raimond Cosander, 339n. Esparron [de Bras], fr., 102, 120n, 168, 173, 176, 411. Esquieu, Yves, 308. Estève, fr., pr., 119, 132, 133. Estève Barroncelli, 187n. Estève d’Aix, 93n. Étienne de Chavelut, fr., 92, 119, 120n. Étienne du Broc, fr., 349n. Eudes des Pins, fr., 405, 406n, 413, 427. Faber, fam., 104n, 133, 247. Faucon de Bonas, fr., 122, 147, 187, 221n, 246, 361n. Faucon de Roubine, fr., 247n. Fauris de Saint-Vincens, Alexandre de, 30n, 31, 32n, 35, 316. Faye, Peggy, 230. Felix/Felicius, fam., 240, 247, 258n ; – v. Bertrand, Garnier et Jaume Féraud de Barras, fr., prieur de SaintGilles, 27n, 37n, 59, 80, 90-92, 94, 114n, 122, 134n, 148, 149, 160, 168, 173, 193, 206, 213n, 221n, 256n, 307, 312, 313, 335n, 336, 348, 349, 363n, 369, 375, 376, 387, 390, 392-394, 398, 400, 403-405, 408, 412, 419, 420, 423-425, 427, 428, 430, 431, 442, 447. Féraud, Jean-Joseph, 22, 23, 28. Ferry, Ferréol de, 26, 316. Forcalquier, fam. comtale, 22, 34, 54, 85, 87, 88n, 95, 112, 125, 127, 184, 201, 219, 220, 254, 265n, 272n, 302, 338, 340, 346, 347, 366, 369, 375n, 392. Forey, Alan, 73, 371. Fortonus Cabessa, fr., 87n, 404n. Foulques de Fontiana, miles, 250, 251n. Foulques de Pontevès, 89n. Foulques de Thoard, fr., 394n. Foulques de Villaret, fr., 59, 123n, 135, 150, 163, 253, 306n, 321, 322, 380, 405, 429n, 431, 449. Frambertus « vocitatus Monachus », o.s.b., 70.

no ms pro pre s

François, saint, 318. François de Belleforest, 312, 313, 323n. François de Grossis, 192n, 218, 250. Franz Paul von Smitmer, 35n, 233n. Frédéric Ier, empereur, 146n. Frédéric II, empereur, 81n, 375. G. Cha(baudus ?), fr., pr., 200n. Gantelme, fam., 104. Garcia de Lisa, fr., 87n, 404n. Gardet de Marseille, 203n. Garnerius, fam., 104n. Garnier Felix, 204, 227n, 250, 256n. Garsende de Sabran, ctesse de Forcalquier, 65n, 91n, 316, 317. G[aufredus ?] Monachi, 65, 78. Gaufredus Morgues, fr. ?, 78, 81. Gaufridus de Vellaus, 66n. Gauterius, fam., 104n. Gauthier d’Alneto, sénéchal, 317. Gauthier de la Roche, 255n. Geoffroi Monachi, v. Jaufre Geoffroy de Saint-Laurent, bourgeois parisien, 14. Geoffroy Monge, croisé, 79. Georges, saint, 349n. Georgius Cismarinus/de Partibus Transmarinis, fr., 411. Gérard [dit « Tenque »], fr., 23, 25-26, 28, 32-34, 37, 58, 163, 342, 345, 409n, 435. Géraud [d’Aurillac], saint, 42, 118, 158, 302, 303, 341-349, 447. Géraud, fr., pr., 107, 129, 132, 133, 148, 170, 173, 247n. Géraud, temp., 448n. Géraud Amic de Sabran, fr., 89, 363n, 365. Géraud Clavellerius, 187n, 250, 257n, 265n. Géraud de Cardaillac, o.s.b., 343n. Géraud de Rousset, fr., 107, 119. Géraud Romeus, fr., 138, 411. Giacomo Bosio, 35. Gilbert d’Assailly, fr., 163. Ginasservis, fam., 104. Ginzburg, Carlo, 21, 59. Girardus de Ulmis, fr., 122n.

Giraud Amalric, not., 222n. Giraudus, fam., 104n. Giraudus, fr., pr., 394n. Giraudus Martini, fr., pr., 132. Gotfredus Sitii, not., 213. Grasse, fam., 42n. Grasset, Emmanuel de, 51. Grégoire IX, pape, 358. Grégoire X, pape, 206, 207n, 368-372. Grimerio Visdomini, arch. d’Aix, 317. Grossis, fam., 217. Grossy, abbé, 44n. Guenée, Bernard, 73, 448. Guglielmo de Santo Stefano, fr., 407n. Gui, arch. d’Aix, 65n Gui de Chavelut, fr., 92. Gui de Tabia, 193n. Guido Fremellus, croisé, 70. Guigues, cte de Forcalquier, 85, 185n, 193, 338,392n. Guigues, dauphin de Viennois, 375. Guilhem Ier, cte de Forcalquier, 85. Guilhem II, cte de Forcalquier, 25, 29n, 86, 87, 146n, 158, 162, 219, 245, 249, 253, 254, 256, 267n, 269, 272n, 303, 330, 333, 338-341, 347, 348, 361, 404n. Guilhem, fr., recteur des ovins, 118. Guilhem, fr., pr., 119, 132. Guilhem, fr. (Puimoisson), 419. Guilhem Agrena, 250n, 251. Guilhem Audeberti, miles, 249, 261, 268. Guilhem Castellanus, 204n, 437n. Ghilhem Chabaudus, fr., pr., 82n, 132, 133, 165, 168. Guilhem d’Amphoux, fr., 282n. Guilhem d’Avignon, 379n. Guilhem de Barras, o.s.b., 362. Guilhem de Barras, fr., 150n. Guilhem de Baux, 375. Guilhem de Buis, 187n. Guilhem de Cervières, 89n. Guilhem de Costa, miles, 267n. Guilhem (de Fuveau) alias Affuvellus, 141n. Guilhem de Peipin, 203n.

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Index

Guilhem de Pradelles, fr., 122n, 165, 167, 185n, 362, 363n. Guilhem de Randon, 421n. Guilhem de Reillanne, fr., 161n. Guilhem de Sabran, 340n. Guilhem de Saint-Pierre-Avez, fr., 141, 169. Guilhem de Signes, 216n. Guillhem de Villemus, 188n, 193, 194, 263. Guilhem du Pont, fr., pr., 88, 132. Guilhem Discantius, 187n. Guilhem Faber, fr., 119, 120. Guilhem Fulco, 378. Guilhem Jaufre, 203n. Guilhem Lancemeurtrière, 133n. Guilhem Laugerius, 187n. Guilhem Macellarii, 187n. Guilhem Marcel, 261. Guilhem Martin, fr., 107n. Guilhem Mataron, fr., 122, 214. Guilhem Maurel, not., 81. Guilhem Mercurino de Saint-PierreAvez, 159n, 255n. Guilhem Monachi, chan., 65. Guilhem Monachi, domicellus, 437. Guilhem Monachus, habitant de Manosque (xiiie s.), 29n, 438. Guilhem Monachus, habitant de Manosque (xive s.), 438. Guilhem Morre, fr., 105n, 122n, 124, 170. Guilhem Mounerius, fr., 120. Guilhem Passaronus, 187n. Guilhem Raybaud, fr., 170. Guilhem Ricardi de Marranicis, 339n. Guilhem Rostan d’Oraison, 221. Guilhem Scriptor, fr., 155, 160n, 225, 231, 237, 395, 399n, 400, 401, 415, 428, 435. Guilhem Uc, fr., 81, 122n, 294. Guillaume, cte de Forcalquier, v. Guilhem II. Guillaume de Barris, sénéchal, 420. Guillaume de Beaujeu, temp., 370. Guillaume de Châteauneuf, fr., 419n. Guillaume de Chavelut, 93n. Guillaume de Corcelles, fr., 370. Guillaume de Gonesse, sénéchal, 193, 373.

Guillaume de Livron, 360n. Guillaume de Murol, 14n. Guillaume de Nicolaï, 36n. Guillaume de Sabran, cte de Forcalquier, 89n. Guillaume de Sabran, fils, 89n. Guillaume de Villaret, fr., 27n, 59, 117n, 148-150, 225n, 237, 250, 252n, 253, 264, 298, 306n, 311, 312, 318-322, 349, 353, 369-372, 377, 381-384, 386-388, 390, 392-394, 398, 406n, 408, 410, 412, 413, 420, 421, 425n, 426, 429n, 431, 433, 436, 444n, 447, 449. Guillaume Monachi, arch. d’Arles, 69. Guillaume Standardus, sénéchal, 377. Guillelmus, fr., pr. (Orange), 133n. Guillelmus Blanchi, not., 212n. Guillelmus Clavelli, 249, 265n. Guillelmus Dalmeya, fr., pr., 132. Guillelmus de Bariols, 82n. Guillelmus de Navis, fr., 119, 128n, 267n. Guillon Tassil, fr., 104. Guillotus, fr., 103n, 411. Hébert, Michel, 244, 270, 275, 279, 280. Hélion de Villeneuve, fr., 23, 32-34, 42, 59, 117n, 123, 130, 144, 148n, 153n, 160, 163n, 250, 252, 253n, 271, 289, 291n, 298, 321, 322, 394n, 405, 436, 449. Henri III, roi d’Angleterre, 91, 374n. Henri de Suse, év., 72, 90, 93, 94, 134n, 219, 339, 361-363, 369n, 373, 374. Hiestand, Rudolf, 367. Hollard, Claude-France, 209. Hospitalier/Hospitalarius, fam., 104n, 216n, 247, 258n. Hostiensis, v. Henri de Suse. Hugo, v. Uc. Hugo, medicus, 75n. Hugo Guillelmeti, not., 212n. Hugo Jaucerandus, not., 212n. Hugo Menerii de Cadeneto, 269n. Hugues de Vicinis, sénéchal, 377, 421. Hugues de Villemus, fr., 23. Hugues Monge, v. Uc Monachi.

no ms pro pre s

Hugues Revel, fr., 12n, 79n, 116n, 206, 400, 405, 408, 409, 418, 420n, 423-426. Humbert Fallavel, év. de Sisteron, 219, 362, 363n, 373n, 374. Imbert de Salavacio, fr., 171, 366, 378. Imbertus, fam., 104. Ingeburge, reine de France, 321. Innocent II, pape, 371n. Innocent III, pape, 358. Innocent IV, pape, 206, 216, 238, 305, 361, 362, 367, 371n, 374n, 388. Innocent V, pape, 207, 374n. Isembard, fr., 87n. Isnard, fr., pr., 102, 164n, 167n. Isnard, fr., sénéchal, 139. Isnard Atanulphe, 194. Isnard de Charentesio, chan., 363n. Isnard de Châteauneuf, fr., 103, 119. Isnard de Flayosc, fr., 153n, 215, 235, 354n, 411, 422, 423, 433, 434. Isnard de Gap, fr., 104. Isnard de Mallemort, fr., 174. Isnard de Moustiers, 72n, 419. Isnard d’Entrevennes, sénéchal, 377, 383. Isnard de Roca, fr., 138. Isnard d’Oraison, fr., 103. Isnard, Marie-Zéphirin, 24-26, 29, 271. Isnarde, ép. Estève Barroncelli, 187n. Isnardi, fam., 104n. Isnardus, fr., 82n. Isnardus de Alberno, fr., 438n. Isnardus Portanerius, fr., 128n. Isnardus Robertus, fr., pr., 132. Isnardus Stephano, fr., 81n, 82n. Isoarda, ép. Bertrand de Albavies, 217. Jacques d’Andrea, not., 212n. Jacques de Molay, temp., 80, 370n. Jacques de Tassi, fr., 384. Jacques le Mineur, saint, 318. Jacques Moine, jur., 30n. Jacobus Bannacii, not., 212n. Jacobus de Alerio, fr., 126n. Jacobus Sartor, 328n.

Jaucerande, ctesse de Forcalquier, 86. Jaufre de Barras, fr., 94n. Jaufre de la Roche de Volx, fr., 104, 168n. Jaufre de Lincel, év. de Gap, 382. Jaufre de Moissac, fr., 103n, 104, 118, 125, 126, 168, 171, 173, 174, 176, 183, 187n, 283n. Jaufre de Moissac, fr., 171, 173, 174, 194, 283n. Jaufre de Reillanne, fr., 411. Jaufre Monachi, croisé, 69, 70. Jaufre Monachi, chan., 66, 67n, 71n, 72, 76, 78n, 207, 419. Jaufre Monachi, miles, 65-67, 68n, 72, 78n, 82n, 91. Jaufre Monachi, domicellus, fils de Bérenger Monachi, 66, 67, 68n, 78n, 438. Jaufre Monachi, fils de Jaufre Monachi, 66n, 67, 68n. Jaufre Monachi, fils de Uc Monachi, donat, 71n, 72, 438. Jaufre Monachi, coseigneur de Gignac, 66, 68. Jaufre Monachi, o.s.b., 67. Jaufre Raimond, fr., 320, 358, 437. Jaufre Rostan, fr., 119, 437. Jaume, maître tisserand, 203n. Jaume Cusenderius, not., 204n, 212n, 215, 250, 251. Jaume Felix, 204. Jaume Monachi, donat, 437, 439. Jaume Robini, jur., 163n, 216, 249, 251, 264, 265, 285n, 368, 420. Jean XXI, pape, 207. Jean Aquablanca, sénéchal, 377n. Jean-Baptiste, saint, 305, 308n, 348n. Jean Baude, sénéchal, 377n. Jean Baussan, arch. d’Arles, 360. Jean Blaise, 429n. Jean Boniface, fr., 23, 26, 34, 37, 42, 47, 348, 437n. Jean-Claude Viany, fr., 31, 38, 47n. Jean Columbi, 22, 34, 331. Jean de Montfort, seigneur de Tyr, 79n.

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Index

Jean de Notre-Dame des Anges, ermite, 348. Jean de Villiers, fr., 141, 148n, 163, 248n, 252, 264, 272n, 394n, 398, 404, 405, 408-410, 413n, 429. Jean-François Raybaud, 36. Jean l’Évangéliste, saint, 308n. Jean Mabillon, 37n. Jean-Pèlerin, saint, 349n. Jean Raybaud, 14, 32, 35-38, 41, 44n, 46-49, 59, 68, 71, 72, 75, 81, 121, 125, 127, 143, 147, 150, 152, 153, 211, 235, 237, 304, 313, 317, 383, 391, 398, 400, 408, 409, 420, 424-426, 433, 442. Jean-Scholastique Pitton, 34. Jean Scotus, sénéchal, 377, 433. Jésus-Christ, 160, 418. Joan Blanchi, 294n. Joan Cocus, 107n. Joan d’Alès, 112, 196n. Joan de Cornillono, viguier, 378. Joan Monachi, fr., 438. Joan Monachi (xve s.), 29. Joan Monachus (xiiie s.), sacriste, 65, 91n. Joan Niger, 112, 196n, 203. Joan Pagan, fr., 106. Joan Sartor, 328. Joan Varage, 201n. Jocelin de Tournel, fr., 411n. Johannes, operarius, 196n. Johannes, magister, 68n, 196n. Johannes Clavellerius, 265n. Johannet, pr., 131n, 132. Joseph de Merlès de Beauchamp, fr., 41n. Josserand, Philippe, 173. Jourdain de Saint-André, fr., 147n, 155, 435n. Juan Fernández de Heredia, fr., 12n. Julius Rochosi, not., 212n. Klotz, Roger, 279. Krämer, Thomas, 369. Lamanon, fam., 103. La Tour d’Aigues, fam., 103.

Lavoie, Rodrigue, 282, 287, 292. Le Blévec, Daniel, 79. Le Goff, Jacques, 14, 15. Leopardo da Foligno, 381n. Lincel, fam., 106. Louis IX, Saint, 15n, 149n, 311, 317, 319n, 347. Louis d’Anjou, saint, 318, 322n. Louis, prince angevin, 315n. Louis de Bavière, empereur, 157n. Lucius III, pape, 358. Luttrell, Anthony, 410. MacCaughan, Patricia, 214, 244, 260, 282, 286-288. Macellarius, fam., 247. Magnan, Pierre, 28, 59, 135. Mallemort, fam., 103, 106. Mamelouks, 206, 405, 408-409. Maréchal, Charles-Laurent, peintreverrier, 32. Marguerite de Bourbon, ctesse de Forcalquier, 338. Marguerite de Genève, ctesse de Savoie, 92. Marguerite de Provence, reine de France, 314, 316, 319. Marie-Madeleine, sainte, 320. Martin IV, pape, 207. Martin [de Lonay ?], lapicide, 310. Martini, fam., 104n. Mataron, fam., 104. Matheuda Ponteria de Sancto Petro, 339n. Matheus de Reysino, magister, 217n. Mathilde Payen, 282n. Matteo Ruggerio de Salerne, fr., 384. Maurin, abbé E.-F., 31-33, 85, 435. Mazel, Florian, 64. Mévouillon, fam., 372n. Meyrargues, fam., 104. Michael Clavelli, 265n. Michael Porcherius de Manosque, not., 212n. Michel Monachi, o.f. m., 67. Michel Monachi, 68n. Millin, Aubin-Louis, 31, 32, 144n, 317.

no ms pro pre s

Moine, fam., 29, 30. Moissac, fam., 183. Monachi, fam., 18, 29, 30, 32, 42, 64-72, 75, 77-79, 90, 95, 102, 140, 149, 151, 306, 307, 374, 442n, 445 ; – v. aussi Monge, fam. Monachus, ancêtre du lignage ?, 70. Monge, fam., 21, 29, 30, 64 ; – v. aussi Monachi, fam. Monge (Monachus) d’Aix, 65, 67, 78, 91n. Monge, miles, 65, 67, 72, 75. Monge, fr., 78, 82. Monge, domicellus, 67n, 68n. Monge de Puyloubier, 68n, 78, 107n. Monge, Séraphin, 28. Morsel, Joseph, 47, 51. Motet/Moteti, fam., 104n, 133. Mounerius, fam., 104n. Moustiers, fam., 103, 106, 184, 254n. Nicolas, maître, not., 217. Nicolas III, pape, 207. Nicolas IV, pape, 381, 413, 414n. Nicolas V, pape, 157n. Nicolas, C.-A., 36. Nicolas Fabri de Peiresc, 42, 69, 313n. Nicolas Lorgne, fr., 349n, 405, 408. Odon, abbé de Cluny, 342 Odon de Montaigu, fr., 151n, 319n. Ortolanus, fam., 247. Othon, fr., 72, 88. P., fr., 411 P. Aychardi, physicus, 258n. P. Claveliers, 265n. P. de Chavelut, 93n. P. de Molendino, fr., 104n. P. Ferox, fr., 198n. P. Gibosi, not., 258n. P. Guilhem, fr., 435n. P. Rofredi, not., 258n Panorme, jur., 54n. Pécout, Thierry, 317, 361.

Peire Bermon de Beaumont, 92n. Peire Bisquerra, not., 204n, 211n, 212, 213n, 215, 250, 251, 272, 285, 286, 379n. Peire Bretus, jur., 249, 251, 262n, 284, 285. Peire Castellanus, 204n, 437n. Peire de Bellovicino, fr., 425. Peire de Fonte, 327n. Peire de Fuveau, chan., 362. Peire de Fuveau, not., 374. Peire de l’Ongle, fr., 436n. Peire de Mallemort, fr., pr., 133, 160n, 167n, 434. Peire de Mota, jur., 249, 251, 288, 294, 308n, 356, 422, 423, 431. Peire de Saint-Martin, fr., 115n, 119, 120n, 125, 141, 166, 171, 173, 187, 196, 226, 246, 247n, 264, 282, 283, 297, 344, 378n, 418n, 421. Peire de Saint-Maxime, 194. Peire de Villemur, fr., 395n. Peire Faber, fr., 155. Peire Hospitalarius, 250, 379, 380n. Peire Isnard, lapicide, 303. Peire Laugerius, 187n, 339n. Peire Macellarii, 187n. Peire Monachi, 66. Peire Monachi, seigneur de Velaux, 68. Peire Pellicerius, fr., 119, 120. Peire Radulfus, 170n, 339n. Peire Rainaud, 170. Peire Rostan, fr., 107n. Peire Veyre, 187, 188n, 249, 250. Pellegrinus, ypotecharius, 175n. Pellicerii, fam., 104n. Perrellus, 112, 336n. Pesetti, Bastiani, sculpteur, 31. Pétrarque, 36n. Petrus Bermundi, 104n. Petrus Calvetonus, fr., 119 Petrus Codochia, fr., 119. Petrus de Naisa, fr., 84n. Petrus Ebrardi, 327n. Petrus Roquerius, fr., pr., 132. Petrus Mota, not., 212n. Philippe Auguste, 321n.

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Index

Philippe, prince angevin, 315n. Philippe d’Égly, fr., 380, 384, 387, 408n. Philippe de Laveno, 217n, 373n, 374n. Pierre, saint, 339, 341, 353. Pierre II, cte de Savoie, 92. Pierre Arnaud, jur., 45n. Pierre Corsini, 322. Pierre Dalmacius, not., 104n, 212n. Pierre de Chavelut, 92. Pierre de Sabran, év. de Sisteron, 337n. Pierre-Joseph de Haitze, 34, 37, 309, 317, 435. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, 136n. Pierrevert, fam., 104, 184. Pietro da Collemezzo, év., 305. Pietro di Malespina, chan., 372. Poncius Aicardus, not., 212n. Poncius de Corris, fr., 399n. Poncius de Fulcalquerio, lapicide, 310n. Poncius Monachi, 69n. Poncius Moteti, fr., pr., 132. Poni, Carlo, 21. Pons Bernard, fr., 84. Pons Ferrerii, légat, 360. Pons Guigues, 194. Pont, fam., 104 Pontevès, fam., 184. Porcelet, fam., 64, 68-70, 104, 445. Puget, fam., 106. Puimichel, fam., 103. Puyricard, fam., 69. R. Clavelli, 265n. Radulfus de Ragneyo, 383n. Raimbaud de Manteyer, fr., 122n, 173n. Raimbaud de Puimichel, fr., 92, 125, 168, 171, 173, 174. Raimbaud de Reillanne, fr., 138, 411. Raimbaud Garnerii, miles, 104n, 204n. Raimond VII, cte de Toulouse, 85n, 87n. Raimond Aimeric, fr., 84n, 124n. Raimond Arditus, chan., 249, 262, 267n. Raimond Bérenger V, cte de Provence, 30, 32, 33, 38, 40n, 65, 84, 85, 87n, 90, 91n, 130, 132, 182, 183, 196n, 217, 302-

305, 311, 314, 315, 317, 320-323, 338n, 360, 374. Raimond Bérenger, prince, 40n, 315n. Raimond Bernard, jur., 217n. Raimond Cosander, 339n. Raimond d’Agoult, sénéchal, 377n. Raimond David, jur., 164n, 166, 262n. Raimond IV de Baux, 87n, 183n, 402n. Raimond de Fonte, 250, 251, 272, 327n. Raimond de Grasse, fr., 140n, 370, 384, 388, 421, 423, 431. Raimond de Puimichel, 399n. Raimond de Saint-Martin, fr., 125n. Raimond de Tiberias, fr., 397. Raimond du Puy, fr., 114n, 136n, 154n, 163, 234n. Raimond Isnard, fr., 151n, 167n, 382n. Raimond Isnard de Mallemort, fr., 119, 169, 174. Raimond Jaufre, fr., 153n, 156. Raimond Malnourri/Bienourri, fr., 116. Raimond Monachi, domicellus, 66, 67. Raimond Robaudus, not., 212n, 221. Raimond Rossi, 170. Raimond Rostan, 107n. Raimond Ruf de Comps, jur., 249, 267n. Raimond Scriptor, not., 217, 218n, 238, 317, 373. Raimond Tassil, pr., 131, 132. Raimond Valentia, 187n, 249, 250, 268. Raimond Ysoardi, 399n. Raimonde, 114n. Raimondins, fam. comtale, 87, 146, 319. Raimundus Antonii de Manuasca, not., 212n. Raimundus Bernardus, magister, 217n. Raimundus Bonus Serviens, fr., 102n. Raimundus Clavellus, 265n. Rainaud de Lecto, sénéchal, 377. Raoul de Cadarache, fr., 89, 90, 165, 214n, 362, 363n, 365, 369. Rascasius, fr., 231n, 269n. Raybaud, fam., 44, 48 ; – v. Antoine, Jean, Jean-François Raymundus de Ginaserviis, fr., 119.

no ms pro pre s

Raymundus de Lerida, fr., 128n. Raymundus Nadab, fr., 119. Raymundus Ripertus, 256n. Raynouard, François, 24. Reillanne, fam., 103, 187. Renaud du Liet, sénéchal, 377n. Reynaud, Félix, 26, 28, 89, 188, 198, 200, 206, 245, 257, 266, 426. Revel, Jacques, 205. Ricau de Castro, 294. Richard de Gambaterra, sénéchal, 377n. Richavus, fam., 339. Richerius Mercerii/Moncii, jur., 283n, 284. Riley-Smith, Jonathan, 27. Ripart, Laurent, 124. Rixendis, ép. Raimond Monachi, 66n. Robert Ier, roi de Naples, 66n, 253n. Robert, prince angevin, 315n. Robert de Laveno, jur., 93, 217n, 249, 267n, 285n, 362, 373n, 374, 377n. Robert de Montrognon, fr., 94n. Robin, jur., 194, 215, 216n, 238, 362. Robini, fam., 240. Roger de Salerne, prince d’Antioche, 69n. Roger de Stanegrave, fr., 176. Roger des Pins, fr., 405n. Romieu de Buis, 187n. Roncelin de Fos, temp., 228n. Rosa, ép. Abraham de Grasse, 279n, 291. Rostagni, fam. d’Arles, 68. Rostagni, fam. de Manosque, 104n. Rostagnus de Turre, fr., 119. Rostagnus de Valle ferro, 81n. Rostan Berenghier, troubadour, 135, 429. Rostan de Clermont, fr., 119, 126. Rostan de Comps, temp., 210n. Rostan de Montaigu, fr., 106. Rostan de Reillanne, fr., 118, 199. Rostan de Saint-Juers, fr., 107, 119. Rostan-Monge, fam., 68n. Rostan Rossi, 170. Rousset, fam., 104, 106. Roux-Alphéran, François, 23, 33, 78, 434.

Rufus, fam., 104. Sabran, fam., 42n. Sacristain, fam., 70. Saint-Jurs, fam., 103. Saint-Martin, fam., 103. Salimbene de Adam/de Parme, o.f. m., 159, 306, 314. Salomon de Saint-Michel, 203n. Samuel, juif, 327n. Samuel Guichenon, 315. Sanche, cte de Provence, 84, 87n, 183n. Sancia Faufillas, 104n. Santoni, Pierre, 37, 80, 390, 391, 428. Sartor, fam., 247. Savoie, fam. comtale, 91, 93n. Sebastiano Pauli, 35n. Seignoret, fr., 122, 127n, 187. Seldjukides, 69n. Sénellart, Michel, 162. Shatzmiller, Joseph, 214, 278, 290, 366. Sibille, ép. Joan Cocus, 107n. Signes, fam., 92, 103, 168. Simiane, fam., 447. Simon, fr., sénéchal, 127, 170, 172, 294, 418n. Simon, fr., 439. Simon, prêteur, 203n. Simon de Brie, légat, 370n. Simon de Florence, 378. Simon de Lavata, fr., 87n, 404n. Sitius, fam., 215, 240 ; – v. Bertrand, Gotfredus, Sitius Sitius d’Arezzo, not., 148, 158, 212, 213, 216n, 221n, 284n, 285, 368, 375, 402n. Staufen, fam., 375. Stephanus de Sistarico, fr., 119. Stephanus Monachi, 79n. Stouff, Louis, 115 Tassilus, medicus, 175n. Thédise, maître, légat, 246n. Titone, Fabrizio, 297.

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Index

Toulouse, fam. comtale, v. Raimondins. Tremoleta, 107n. Tremoletus, 93. Uc Agrena, not., 212n, 249, 285, 286n. Uc Boson, fr., 124. Uc Bruni, 112, 336n. Uc Cerverie, 112, 336n. Uc d’Aubenas, fr., 103. Uc David, 250. Uc de Baux, 87n, 183n. Uc de Corri, fr., 119, 120n, 125, 171, 173, 187n, 193, 226, 240, 327n, 344, 411, 443. Uc de Ginasservis, fr., 119, 120n. Uc de Montbrun, 187. Uc de Vacheriis, fr., 114n, 130n. Uc Ebrard, 255, 256n. Uc Garrigue, 203n Uc Granelli, fr. pr., 160n. Uc Hospitalier/Hospitalarius, jur., 212n, 216n, 250, 284n.

Uc Isnard, fr., 294n. Uc Monachi, chan., 65. Uc Monachi (xive s.), 66n, 71n, 72, 438. Uc Monachi, seigneur de Velaux, 68, 438. Uc Monachi (xive s.), 438. Urbain IV, pape, 206, 381. Uzès-Posquières, fam., 70. Vaissète, Joseph, 37n. Valentinus, grammaticus, 75n. Venturini, Alain, 235. Véronique, sainte, 319. Vicedomino, arch. d’Aix, 376. Vierge-Marie, 114n, 308n, 317n, 319n. Villebonne, fam., 106. Villeneuve, fam., 43. Vogüé, Adalbert de, 162. Zavaterio, fam., 69. Zerner, Monique, 69. Zoen Tencarari, év. d’Avignon, 87n.

Index des noms de lieux

Abréviations : abb. : abbaye – cath. : cathédrale – égl. : église, chapelle – dioc. : diocèse – m. : maison religieuse – o.p. : ordre des frères prêcheurs – o.s.b. : ordre de Saint-Benoît Acre (Akko, Israël), 231, 390n, 405, 408410, 412-415, 420, 423, 426, 430, 431, 449 ; – m. de l’Hôpital, 155, 344, 370n, 389, 404n, 411, 425 ; – royaume, 381, 387. Agenais, baillie de l’Hôpital, 398. Ager sanguinis, bataille, 70. Aigues-Mortes (Gard), 404, 413n. Aix[-en-Provence] (Bouches-duRhône), passim ; – bourg Saint-Jean, 68n, 85, 312, 324 ; – clos Daniel, l.-d., 183 ; – Curte Bonohora, l.-d., 183 ; – dioc., 66, 129, 131, 134n, 183, 184, 193, 324n, 355, 356, 365n ; – Estrada, l.-d., 183 ; – Garriga mala, l.-d., 183 ; – m. de l’Hôpital (prieuré), 18, 26, 27, 30n, 32, 39-41, 43, 44, 58, 102, 109, 130, 135n, 136, 219, 224, 301-302, 312, 313, 320-324, 346, 349, 350, 367, 437, 438n, 444 – Moissac, bastide (m. de l’Hôpital), 78n, 110, 183, 188, 197 ; – Notre-Dame de Nazareth, égl. o.p., 310n, 314n ; – Notre-Dame des Anges, ermitage, 348 – palais comtal, 68n, 72, 131, 133, 304n, 314n, 376 ; – palais épiscopal, 314n ; – palais des prieurs de l’Hôpital, v. m.-prieuré ; – province ecclésiastique, 00 ; – Puits de Rome, l.-d., 183 ; – Saint-Didier, l.-d., 437 ; – Saint-Jean[-de-Malte], égl. de l’Hôpital, 11, 23, 30, 31, 33-35, 37n, 38-41, 44, 47n, 57, 58, 78, 84, 85, 90, 92, 93, 130, 131, 135, 143, 144, 150, 151,

160n, 167, 176, 217-219, 224, 302-312, 314-319, 321-324, 346-350, 353, 355n, 361, 365n, 367, 373, 375, 407, 434-436, 438, 439, 446, 448 ; – Saint-Jean grande bastide, l.-d., 183n ; – SaintLaurent, l.-d, 183 ; – Sainte-Catherine, égl. du Temple, 322, 324n, 355n ; – Sainte-Madeleine, égl., 65, 67n, 68n, 217n, 355 ; – Saint-Sauveur, cath., 65, 95, 128n, 304, 354, 446 ; – Triador, l.d., 183 ; – Vinhals, l.-d., 170. Albano (Latium, Italie), 305. Albigeois, baillie de l’Hôpital, 416. Alès (Gard), m. de l’Hôpital, 87, 398. Alleins (Bouches-du-Rhône), 183. Allemagne, 396, 414. Alpes, 392, 404 ; – du Sud, 29n, 89n, 145n, 184, 345, 403, 422 ; v. BassesAlpes, Hautes-Alpes. Alson (Alpes-de-Haute-Provence), castrum, 196, 377. Amirat (Alpes-Maritimes), 199n, 380n. Amposte (Catalogne, Espagne), châtellenie de l’Hôpital, 87n, 404. Angleterre, 91, 161n, 374, 391, 405, 408n, 409, 414. Antioche (Antakya, Turquie), 69n. Apt (Vaucluse), 358, 373n, 375, 381n. Aquitaine, 342n. Aragon (Espagne), 84n, 383, 405n. Ardèche, 422n. Arezzo (Toscane, Italie), 212-213.

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Index

Arles (Bouches-du-Rhône), 29, 30, 36, 68, 69, 89, 146, 149n, 150n, 154, 276n, 360, 369n, 383n, 438, 445n ; – m. de l’Hôpital, v. Trinquetaille – m. du Temple, 46n, 102n, 203n, 228n, 229, 284n, 312n, 448n ; – province ecclésiastique, 381n ; – royaume, 375 ; – siège du grand prieuré, 44, 46, 53, 409. Arménie, 153n, 415n. Artigues (cant. Rians, Var), 68n. Aspres[-sur-Buëch] (Alpes-de-HauteProvence), prieuré o.s.b., 342n. Aurillac (Cantal), Saint-Géraud, abb. o.s.b., 297, 342n, 343. Auvergne, 343, 345 ; – prieuré de l’Hôpital, 92, 94, 127n, 148, 151n, 206n, 306, 343n, 349n, 398, 414. Avignon (Vaucluse), 92n, 146, 149n, 208n, 230n, 234n, 245n, 248n, 274n, 276n, 280n, 301, 372, 395n, 404, 420 ; – couvent o.f.m., 208n, 234n ; – m. de l’Hôpital, 89, 100, 101, 153, 310, 365n, 420n, 433 – m. et égl. du Temple, 304n, 310, 312n, 343n, 448n ; – palais des papes, 449. Balkans, 353. Banias (Israël), 305. Barcelone (Catalogne, Espagne), 66n. Barletta (Pouilles, Italie), m. de l’Hôpital, 411n. Barras (Alpes-de-Haute-Provence), 103. Bas-Rhône, 36n, 83, 102, 104, 185n, 201n, 259, 327n, 336, 354, 356. Basses-Alpes, 22, 24, 227n. Bayles (Saint-Antonin-sur-Bayon, Bouches-du-Rhône), m. du Temple, 224n. Barjols (Var), collégiale Sainte-Marie, 66. Beaucaire (Gard), 49n, 421. Belvoir (Kokhav ha-Yarden, Israël), château de l’Hôpital, 337n, 390. Berre (Bouches-du-Rhône), 183 ; – étang, 29, 66, 104, 183.

Béziers (Hérault), m. de l’Hôpital, 161n. Bohême, grand prieuré de l’Hôpital, 233n. Bologne (Émilie-Romagne, Italie), 159. Bonpas (Bouches-du-Rhône), hôpital, 372, 398. Bordelais, baillie de l’Hôpital, 398, 416. Bras (Var), 104, 355n. Brignoles (Var), 216, 291, 355n, 403n, 422. Cahors (Lot), maison du Temple, 151n. Cahorsin, baillie de l’Hôpital, 416. Calissanne (Bouches-du-Rhône), 315n, 355n ; – m. de l’Hôpital, 129, 142n, 156n, 183, 384n ; – Notre-Dame, prieuré, 183n. Campagnolles (Hérault), m. de l’Hôpital, 161n, 398. Capestang (Hérault), m. de l’Hôpital, 398. Capoue (Campanie, Italie), prieuré de l’Hôpital, 387n. Castellane (Alpes-de-Haute-Provence), 447. Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), m. de l’Hôpital, 147n, 155, 237n, 401n, 435n. Castille (Espagne), 429n, 439n ; – prieuré de l’Hôpital, 178n, 396n, 425n. Catalogne (Espagne), 66, 210n, 230n. Cavaillon (Vaucluse), 206, 334, 398. Céreste (Alpes-de-Haute-Provence), 254n. Cévennes, 49n. Champagne, 220 ; – prieuré de l’Hôpital, 147. Chauliac (Le Broc, Puy-de-Dôme), égl. de l’Hôpital, 148, 151n, 345n. Chypre, 322, 350n, 405, 415n ; – m. de l’Hôpital, 156, 390n, 410. Clairecombe (Ribiers, Hautes-Alpes), abb. de l’ordre de Chalais, 372. Claret (Alpes-de-Haute-Provence), m. de l’Hôpital, 398. Cluny (Saône-et-Loire), abb. o.s.b., 342.

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Comps (Var), m. de l’Hôpital, 102n, 122, 171, 173n, 422n. Comtat Venaissin, 103n, 237, 298, 353, 369, 370, 372, 386, 421, 422n. Corbeil-Essonnes (Essonne), égl. de l’Hôpital (Saint-Jean-en-l’Isle), 307, 321. Cortinals (Castelsarrasin, Tarn-etGaronne), m. de l’Hôpital, 155, 237n. Crac des Chevaliers (Qal’at al-Hisn, Syrie), château de l’Hôpital, 335, 390. Cruis (Alpes-de-Haute-Provence), collégiale Saint-Martin, 354n, 434. Darbsāk (principauté d’Antioche, auj. Turquie), 81n. Dauphiné, 256n, 342n, 375, 403. Devès (Velay), 295n. Digne (Alpes-de-Haute-Provence), 262, 273n, 375, 378n ; – dioc., 378n. Dorlisheim (Bas-Rhin), m. de l’Hôpital, 424. Durance, rivière, 91n, 104, 115, 168, 184, 187, 193, 194, 195n, 267, 269, 402 ; – vallée, 49, 86, 89, 392. Embrun (Hautes-Alpes), 93 ; – m. de l’Hôpital, 171 ; – province ecclésiastique, 381n. Espagne, 405, 439n. Esparron (Var), 102. Europe, 94, 207, 402, 404, 415n, 429. Eyguières (Bouches-du-Rhône), 183. Fabriano (Marches, Italie), 229. Famagouste (Chypre), 212n. Forcalquier (Alpes-de-HauteProvence), 93n, 118, 131, 134n, 147n, 164n, 168, 193, 194, 196, 200n, 203n, 207, 221, 245n, 246n, 247, 262, 263, 267n, 274n, 295, 356, 358, 361, 363, 364n, 368, 377-380, 386, 403n, 420, 437 ; – Saint-Mary, cath., 337n, 338n, 339, 357, 359, 386 ; – comté, 65n, 87, 91, 104n, 212n, 214n, 243, 340n, 347, 373, 378, 445 ; – viguerie, 210, 376.

Fos[-sur-Mer] (Bouches-du-Rhône), 66n. France, 23n, 229, 244, 254 ; – prieuré de l’Hôpital, 206n, 307, 380, 387n ; – royaume, 90, 319. Franconie (Allemagne), 354n. Fréjus (Var), 31n, 376 ; – comitatus, 70n ; – dioc., 66. Fronton (Haute-Garonne), m. de l’Hôpital, 399n. Gap (Hautes-Alpes), 89n, 91n, 104, 145n, 184, 246n, 382 ; – dioc., 342n, 372, 376, 378n ; – m. de l’Hôpital, 85, 87, 150n, 168, 184, 270, 363n, 387n, 403, 404, 422. Gascogne, 393n, 399n, 416. Gênes (Ligurie, Italie), 103n, 216, 219n, 234, 238, 305, 362, 388, 404n, 414, 422, 429n. Gévaudan, 411n, 421n ; – baillie de l’Hôpital, 398. Gignac[-la-Nerthe] (Bouches-duRhône), 66n, 68. Ginasservis (Var), 53, 88n, 104, 183, 251, 380n, 381n, 394n ; – m. de l’Hôpital, 110, 111, 133n, 197, 198n, 422 ; – SaintAntoine de Valavès, égl., 355n. Grasse (Alpes-Maritimes), 84, 229n, 360. Grenoble (Isère), dioc., 94. Gréoux[-les-Bains] (Alpes-de-HauteProvence), 199n, 380n. Hautes-Alpes, 142, 174.  Haute-Alsace, 170n. Haute-Provence, 87, 89, 91, 92, 94n, 104, 105n, 153, 168, 171, 182, 193, 195n, 206, 207, 212, 243, 246n, 256, 342, 343, 370, 373, 375, 379n, 381, 392, 402, 407, 409, 420n. Hongrie, 353n ; – prieuré de l’Hôpital, 146n. Hyères (Var), 376. Italie, 87, 381, 422.

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Index

Jaffa (Israël), 81n. Japon, 164n. Jérusalem, 85, 95 ; – hôpital et m. de Saint-Jean, 32, 84n, 345, 397, 406 ; – royaume, 46n, 318, 407 ; – SaintSépulcre, 318. L’Argentière[-la-Bessée] (HautesAlpes), m. de l’Hôpital, 174. La Celle (Var), abbaye o.s.b., 65, 91n, 316. La Croix[-sur-Roudoule] (AlpesMaritimes), m. de l’Hôpital, 114n, 171. La Forbie (Gaza, Israël), 412. La Rouvière (Grambois, Vaucluse), m. de l’Hôpital, 110, 111, 118, 128, 199, 355n. La Sauvetat (Puy-de-Dôme), m. de l’Hôpital, 319n. La Tour d’Aigues (Vaucluse), 103 ; – m. de l’Hôpital, 110-111, 118, 128, 183, 199, 355n, 417, 418n. Lamanon (Bouches-du-Rhône), 103. Lambesc (Bouches-du-Rhône), 68n. Lançon[-de-Provence] (Bouches-duRhône), 156, 183. Languedoc, 49, 227, 228n, 253n, 254, 309, 342n, 354n, 398, 404, 411n. Lansac (Bouches-du-Rhône), m. du Temple, 284n, 287, 292n, 295. Lardiers (Alpes-de-Haute-Provence), m. de l’Hôpital, 106n, 420n, 422. Le Poët-Laval (Drôme), m. de l’Hôpital, 398, 421. Le Puy[-en-Velay] (Haute-Loire), 422n. Le Villaret (Lozère), 420n. Lérida (Catalogne, Espagne), 73n, 84n. Lérins (Var), abb. o.s.b., 362. Les Baux (Bouches-du-Rhône), 447. Les Échelles (Savoie), m. de l’Hôpital, 71n, 72, 75n, 79, 92-94, 128, 131n, 168, 305, 315, 398, 437. Les Omergues (Alpes-de-HauteProvence), m. de l’Hôpital, 168, 403, 420. Ligurie (Italie), 229, 422.

Limassol (Chypre), m. de l’Hôpital, 350n, 409. Limaye (La Bastide-des-Jourdans, Vaucluse), m. du Temple, 99, 340, 355n. Lincoln (Lincolnshire, Angleterre), dioc., 374n. Lombardie (Italie), 422 ; – prieuré de l’Hôpital, 87n, 114n, 404. Londres (Angleterre), 313. Lubéron (Vaucluse), montagne, 420. Luc (Lozère), 421n. Lugaut (Retjons, Landes), égl. de l’Hôpital, 144. Lure (Alpes-de-Haute-Provence), abb. o.s.b., 362 ; – montagne, 196, 420. Lyon (Rhône), 22, 206, 207, 304n, 328, 369-372, 386, 388, 408, 422, 427, 449. Mallemort (Bouches-du-Rhône), 183, 355 ; – m. de l’Hôpital, 382n. Malte, 44, 46, 409. Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), passim ; – Amalguier, l.-d., 170, 195 ; – Bois de l’Hôpital, 294 ; – Bourg Saint-Pierre, 338 ; – Conchettes (les), ruisseau, 194 ; – couvent des clarisses, 291 ; – couvent o.f.m., 291 ; – Drouille (la), ruisseau, 194, 263 ; – juiverie, 278 ; – Largues, ruisseau, 187n, 194, 195, 269 ; – Les Hébrards, l.-d., 256n ; – m. de l’Hôpital, v. palais ; – Mont d’Or (castrum), 118, 127, 190, 198, 325 ; – moulin Soubeyran, 133n ; – moulin Supérieur, 187n, 269 ; – Notre-Dame, v. Sainte-Marie ; – Ort Comtal, l.d., 201 ; – palais de l’Hôpital (ancien palais comtal), 11, 23, 26-29, 37n, 41n, 42, 44, 53, 81-83, 86, 91, 95, 107, 109, 112, 118, 127, 135, 148, 154, 169, 170, 172, 174, 175n, 198, 216, 218, 234, 238, 263, 264, 276n, 278, 281, 282, 294, 298, 302, 303, 325, 327-348, 374, 392, 410, 429, 431, 437, 441, 446, 448 ; – Payans

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(les), l.-d., 195, 278n ; – porte d’EnGauch, 365 ; – Prés Combaux, l.-d., 133n, 170n, 195, 263 ; – Puyvinier, l.-d., 188n, 195 ; – Saint-Alban, égl., 356n ; – Saint-Géraud-et-Saint-Blaise (chapelle du palais), 26, 111, 118, 129, 131n, 156, 158, 173, 219n, 247n, 262n, 337, 341-346, 350 ; – Saint-Étienne de Tairon, égl., 131, 198, 247, 263n, 276n, 358, 363, 364, 368n ; – Saint-Jean, égl., 263n, 328, 356n, 363 ; – Saint-Martin de Montlorgues, prieuré o.s.b., 190n, 263n ; – Saint-Martin du castrum, égl., 198, 263n, 356, 357, 359 ; – SaintMaxime, égl., 263n, 356n ; – SaintPierre (ou métairie du palais), m. et égl. de l’Hôpital, 37n, 53, 82n, 86, 111, 122, 130, 131n, 133, 134n, 158, 184, 187, 195, 198, 200, 219, 220n, 224, 234, 302, 329, 337-341, 345-347, 356, 359n, 362-365, 367n, 368n, 385 ; – SaintSauveur, égl., 22, 262, 263n, 278n, 356n, 357, 363 ; – Saint-Sépulcre, égl., 356n ; – Sainte-Marie (Notre-Dame de Romigier), prieuré o.s.b., 203n, 210n, 272n, 255, 363, 365n, 375n ; – Sainte-Marie de Toutes-Aures, égl., 263n, 356n ; – salle de justice, 281, 328, 329n ; – Saunerie, l.-d., 278, 325, 327, 329n, 348 ; – Terreau (le), l.-d., 29, 281, 302n, 328, 329, 331n ; – Toutes-Aures, castrum, 85, 86n, 110, 190, 338n, 380n ; – Villedieu, l.d., 267. Maraclée (Kahrāb Marqiye, Liban), m. de l’Hôpital, 206n. Margat (al-Marqab, Syrie), château de l’Hôpital, 73n, 80n, 120n, 390. Marloborough (Wiltshire, Angleterre), 91n. Marseillan (Hérault), m. de l’Hôpital, 398. Marseille (Bouches-du-Rhône), 29n, 45n, 65, 66, 71n, 84, 85n, 86, 87n, 89n, 116, 133n, 154n, 175n, 184, 212n, 229n, 276n, 301, 358, 375n, 377,

382n, 383, 404, 413-415, 418, 429, 431 ; – dioc., 193n, 355, 356 ; – m. de l’Hôpital, 84, 183n, 314, 384, 397, 433 ; – Notre-Dame de Sion, 67 ; – palais communal, 334n ; – palais épiscopal, 334n, 346n – Saint-Victor, abb. o.s.b., 67, 70, 190n, 198, 255, 262, 263, 326, 355n, 356n, 363. Méditerranée, 16, 38, 240, 380, 390, 391, 403, 407, 410, 413, 415, 431. Mende (Lozère), dioc., 420n. Meyrargues (Bouches-du-Rhône), 104, 221n, 402, 419, 420n. Mont Thabor (Israël), m. de l’Hôpital, 411n. Montaigu (Volx, Alpes-de-HauteProvence), 199, 356n, 380n, 407n. Montaillou (Ariège), 12. Montbrison (Loire), m. de l’Hôpital (Saint-Jean-des-Prés), 127n. Montélimar (Drôme), m. de l’Hôpital, 398. Montferrand (Puy-de-Dôme), m. de l’Hôpital (Saint-Jean-de-Ségur), 306. Montfrin (Gard), m. du Temple, 215n, 275n, 287, 292n, 330n, 337, 356n. Montpellier (Hérault), 24n, 48n, 55n, 89, 214n, 221n, 370n, 422 ; – m. de l’Hôpital, 74n, 79n, 155, 161n, 395, 397, 398. Montsaunès (Haute-Garonne), 144. Moustiers[-Sainte-Marie] (Alpes-deHaute-Provence), 29n, 103, 376. Naples (Campanie, Italie), 308, 422.  Narbonne (Aude), 175n, 404, 413 ; – m. de l’Hôpital, 171, 398. Nébian (Hérault), m. de l’Hôpital, 398. Nice (Alpes-Maritimes), 84, 404, 413, 422. Occident, 16, 80, 81n, 113, 120, 184, 206, 371, 390, 394, 402, 408, 410, 414, 427, 433, 446 ; – v. Europe. Orange (Vaucluse), 199n, 207n, 368n, 380n, 404 ; – m. de l’Hôpital, 49n, 89,

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Index

92n, 125, 146, 206, 365n, 370, 397, 398, 416, 421, 422n, 431. Orgon (Bouches-du-Rhône), 199n, 380n. Orgueil (Tarn-et-Garonne), m. de l’Hôpital, 416, 435n. Orient latin, 19, 27, 46, 69, 79, 80, 81n, 83, 95, 123, 127, 129, 136, 175n, 201, 206, 209, 241, 318, 323, 335, 353n, 360, 367n, 370, 371, 389-391, 402, 405-415, 418, 422, 424n, 429-431, 433, 441, 446 ; – v. Terre sainte. outre-mer, v. Orient latin.

100, 123, 125, 130n, 131n, 134n, 153n, 184, 187n, 254, 284, 336, 337, 343n, 354, 363, 364n, 382n, 384n, 392, 394, 406, 411, 419, 422, 430, 431 ; – Saint-Apollinaire, l.-d., 419. Puyloubier (Bouches-du-Rhône), 68, 78, 107n. Puyricard (Bouches-du-Rhône), 68. Pyrénées, 392.

Paris (France), 23n, 74n, 82n, 313. Parme (Émilie-Romagne, Italie), 348. Patrimoine de Saint-Pierre (Italie centrale), 353. péninsule Ibérique, 169n, 346, 439. Périgord, baillie de l’Hôpital, 416. Périgueux (Dordogne), m. du Temple, 151n. Pernes[-les-Fontaines] (Vaucluse), tour Ferrande, 151n, 387. Pérouse (Ombrie, Italie), 144n. Perpignan (Pyrénées-Orientales), 326n ; – m. de l’Hôpital (Bajoles), 113n. Pertuis (Vaucluse), 383n. Piémont (Italie), 65, 90, 375. Pierrefeu (Alleins, Bouches-du-Rhône), 66n. Pierrevert (Alpes-de-Haute-Provence), 104, 339. Portugal, 439n. Pouille (Italie), m. de l’Hôpital, 408n. Prague (République tchèque), 233n. Provence, passim ; – comté, 84n, 86, 117n, 196, 211, 212n, 240n, 314n, 317, 372, 376, 378, 422, 445 – langue de l’Hôpital, 23n, 35, 43, 52, 413 ; – prieuré de l’Hôpital, 99, 101, 209. Puimichel (Alpes-de-Haute-Provence), 103. Puimoisson (Alpes-de-HauteProvence), 26, 28, 72n, 141n, 168n, 252, 274n, 349, 356, 380n, 399, 403-405, 421 ; – m. de l’Hôpital, 15, 26n, 42,

Reillanne (Alpes-de-HauteProvence), 103, 187 ; – m. de l’Hôpital, 199n. Renneville (Haute-Garonne), m. de l’Hôpital, 237n, 401n, 416. Rhodes (Grèce), 16n, 26. Rhône, vallée, 370, 390, 404 ; – v. BasRhône. Riez (Alpes-de-Haute-Provence), 106, 134n, 184, 358, 365n, 366n, 371, 424 ; – dioc., 364n, 382n. Rome (Italie), 134, 315n, 319, 367, 369, 386, 404, 413, 421, 423, 430. Roquebillière (Alpes-Maritimes), 196n. Rouergue, baillie de l’Hôpital, 398. Rougiers (Var), castrum, 337n. Rousset (Gréoux-les-Bains, Alpes-deHaute-Provence), 199n, 267, 380n. Roussillon (Vaucluse), m. de l’Hôpital, 168n, 420. Roussillon (Pyrénées-Orientales), 201n. Ruou (Villecroze, Var), m. du Temple puis de l’Hôpital, 210n, 394n.

Quercy, baillie de l’Hôpital, 398.

Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône), 199n, 380n. Saint-Chaffre (Le Monastier-surGazeille, Haute-Loire), abb. o.s.b., 94n. Saint-Christol (Gard), m. de l’Hôpital, 398. Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), abb. o.s.b., 317, 347n.

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Saint-Étienne[-les-Orgues] (Alpes-deHautes-Provence), 196, 377. Saint-Gilles[-du-Gard] (Gard), 49n, 89, 133n, 301, 356n ; – abb. o.s.b., 146, 149n, 310n ; – m. de l’Hôpital (prieuré), 15, 48n, 87, 100, 101, 102n, 115, 128, 130n, 146, 158, 220, 313, 397, 398, 404, 416, 425, 428 ; – [grand-]prieuré de l’Hôpital (province), 15, 16, 19, 32, 3537, 40, 43-52, 59, 63, 79n, 87-89, 94, 95, 97, 99, 101, 149n, 153, 155, 157n, 160-162, 171, 178, 206, 208, 211, 225, 228n, 229, 230, 233, 237, 252n, 262n, 301, 343, 353, 370, 371, 382n, 389-431, 436, 441-443. Saint-Julien Le Montagnier (Var), 199n, 380n. Saint-Jurs (Alpes-de-Hautes-Provence), 103. Saint-Martin (Bouches-du-Rhône ?), castrum, 103. Saint-Maurice[-de-Cazevieille] (Gard), m. de l’Hôpital, 421. Saint-Maximin[-la-Sainte-Baume] (Var), 324n ; – basilique de la Madeleine (o.p.), 310, 318 ; – m. de l’Hôpital, 110, 355n. Saint-Michel[-l’Observatoire] (Alpesde-Haute-Provence), 268 ; – m. de l’Hôpital, 110, 111, 128, 199, 200n, 417 ; – Porchères, l.-d., 199n. Saint-Pierre-Avez (Hautes-Alpes), m. de l’Hôpital, 142, 372, 375, 403, 422. Saint-Pierre de Campublic (Beaucaire, Gard), m. de l’Hôpital, 116. Sainte-Tulle (Alpes-de-HauteProvence), 127n, 188n, 196, 339. Savoie, 92-94, 168, 223n, 315n, 398. Sébaste (aujourd’hui Sivas, Turquie), 318. Seyne (Alpes-de-Haute-Provence), 246n. Sicile (Italie), 69, 264, 368, 381, 382, 387 ; – m. de l’Hôpital, 408n ; – royaume, 307, 310, 370. Sidon (Saïda, Liban), château du Temple, 337n.

Signes (Var), 92, 103. Silvacane (Bouches-du-Rhône), abb. o. cistercien, 68n. Simiane (Alpes-de-Haute-Provence), 447. Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence), 72, 89-91, 93, 118, 122, 133, 134n, 140, 164n, 165, 166, 168, 184, 185, 198, 206n, 207, 216, 219, 221, 238, 243n, 246, 247n, 252, 285n, 305, 337, 339, 343n, 361, 362, 365, 369n, 372n, 374, 403, 422 ; – dioc., 54, 368 ; – officialité, 262n, 284, 365, 366. Strasbourg (Bas-Rhin), m. de l’Hôpital (Grüner Wörth), 136, 424. Syrie, 46, 120n, 206, 367, 391, 405, 407409, 415n, 429, 443. Székesfehérvár (Hongrie), maison de l’Hôpital, 149n. Tallard (Hautes-Alpes), 298 ; – m. de l’Hôpital, 375, 387n. Tarano (Latium, Italie), 215. Tarascon (Bouches-du-Rhône), 29n, 414. Tarentaise, province ecclésiastique, 381n. Tell-Dānīth (Ma’arrat al-Nu’mān, Syrie), 70. Terre sainte, 16, 80, 85, 98n, 206, 220n, 337, 346, 353, 367-370, 389, 391, 404, 406-408, 410, 412, 418, 429n, 441, 443, 446, 449 ; – v. Orient latin et Syrie. Toron (Latrūn, Israël), 79n ; – château du Temple, 337n. Toulon (Var), 29n ; – dioc., 362. Toulousain, 395, 400, 416, 427. Toulouse (Haute-Garonne), 89, 301, 313, 318, 348 ; – m. de l’Hôpital (prieuré Saint-Jean), 128n, 218n, 219, 319, 416 ; – prieuré de l’Hôpital (sous-division du prieuré de Saint-Gilles), 37, 54n, 147, 218, 231, 393, 398, 399, 416, 420-422, 428, 436n. Trébillanne (Cabriès, Bouches-duRhône), castrum, 84, 320, 321.

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Index

Trets (Bouches-du-Rhône), 78n, 355357, 387 ; – château comtal, 231n, 373 ; – m. de l’Hôpital (Saint-Martin de Vidoles), 110, 111, 128, 131, 133n, 153n, 183, 188, 193n, 197, 198, 355, 356, 419 ; – Sainte-Trinité, prieuré o.s.b., 355 ; – val Saint-Martin, l.-d., 183, 193n. Trignan (Ardèche), m. de l’Hôpital, 398, 421, 422n. Trinquetaille (Arles), m. de l’Hôpital (Saint-Thomas), 15, 87, 100, 101, 102n, 114n, 115, 128, 130n, 142n, 146, 150n, 153, 156, 183, 373n, 385, 397, 398, 404, 421, 425n. Tripoli (Liban), 414 ; – comté, 46n, 79n ; – m. de l’Hôpital, 390. Tunisie, 381. Tyr (Sûr, Liban), 79. Valdrôme (Drôme), m. de l’Hôpital, 398. Valence (Drôme), m. de l’Hôpital, 398.

Valensole (Alpes-de-Haute-Provence), prieuré o.s.b., 383 ; – Ventabrens, castrum, 419. Velaux (Bouches-du-Rhône), 29, 66n, 68. Vénétie (Italie), prieuré de l’Hôpital, 87n, 404n. Venise (Italie), 318 Verdon, rivière, 86, 89n, 104. Vienne, royaume, 375. Viennois, 94, 398. Villeneuve[-lès-Avignon] (Gard), SaintAndré, abb. o.s.b., 65. Vinon, 53, 84, 183, 320, 321, 355n, 381n, 394n ; – m. de l’Hôpital, 106, 110, 111, 197. Vivarais, baillie de l’Hôpital, 398, 422n. Volx (Alpes-de-Haute-Provence), 118, 125, 188n, 193-195, 199, 204n, 216, 263, 281n, 379n, 380n ; – La Roche de Volx, castrum, 104 ; – m. de l’Hôpital, 53n, 110, 200n ; – Notre-Dame, prieuré o.s.b., 195n. Worcester (Worcestershire, Angleterre), dioc., 374n.

Table des figures dans le texte

Fig. 1. Plan de l’inventaire des archives de Manosque 56 H 849bis 54 Fig. 2. L’évolution de carrière de Bérenger Monge : propositions hypothétiques 74 Fig. 3. Effectifs de quelques commanderies hospitalières 100 Fig. 4 La familia employée dans les commanderies de Manosque et d’Aix en 1338 111 Fig. 5. La composition du couvent de Manosque 119 Fig. 6 Prêtres hospitaliers attestés à Manosque (classement chronologique) 132 Fig. 7. Prédicats d’honneur appliqués à Bérenger Monge 140 Fig. 8. Bayles de Manosque attestés sous le préceptorat de Bérenger Monge 171 Fig. 9. Durée de carrière de quelques hospitaliers 173 Fig. 10. Transactions de la commanderie de Manosque sous le préceptorat de Bérenger Monge 186 Fig. 11. Biens tenus de l’Hôpital à Manosque d’après le registre de reconnaissances de 1303 189 Fig. 12. Parts respectives du faire-valoir direct et de la rente pour la maisonmère de Manosque en 1338 191 Fig. 13. Les revenus de la commanderie de Manosque sur les exercices comptables 1287-1290202 Fig. 14. États de la baillie présentés par Bérenger Monge 236 Fig. 15. Syndics et prudhommes intervenant dans les statuts et règlements de l’Hôpital (d’après le Livre des privilèges et autres actes) 250 Fig. 16. Les revenus de la justice de Manosque pour les années 1283-1290 (d’après CoHMa, p. li)293 Fig. 17. Les institutions de chapelains à Saint-Jean d’Aix 321 Fig. 18. Les chapitres du prieuré de Saint-Gilles recensés pour les xiie-xiiie siècles 397 Fig. 19. Flux d’informations à partir de Manosque dans le dernier tiers du xiiie siècle403 Fig. 20. Références épistolaires impliquant Bérenger Monge ou le prieur de Saint-Gilles405 Fig. 21A. La contribution des membres de la commanderie de Manosque à la responsio417 Fig. 21B. Les responsiones de la commanderie de Manosque entre 1284 et 1290 417 Fig. 22. Lieux fréquentés par Bérenger Monge au cours de sa carrière 423

Table des annexes en ligne

Pour l’accès aux annexes en ligne, accéder au site web : https://doi. org/10.1484/A.12925040 I. Tableaux analytiques des sources1 A. Mentions de Bérenger Monge dans la documentation d’archives (An. I, A) 1 n° 1 : Manosque n° 2 : Aix n° 3 : Carrière annexe B. Analyse du Livre des privilèges (An. I, B) 5 C. Lettres papales concernant les commanderies d’Aix et Manosque ou plus généralement le prieuré de Saint-Gilles (An. I, C) 6 II. Prosopographies9 A. Le lignage Monachi (An. II, A) 10 1. Tableau de filiation de la famille Monachi d’Aix (An. II, A-1) 10 2. Le groupe familial Monachi : individus les plus documentés (An. II, A-2) 12 n° 1 : Monge d’Aix (1200-1227) n° 2 : Jaufre Monachi (1227-† 1267) n° 3 : Uc Monachi (1211-1233) n° 4 : Jaufre Monachi (1259-† 1299) n° 5 : Bérenger Monachi (1276-† m. av. 1327) n° 6 : Uc Monachi (1317-1327) n° 7 : Bérenger Monachi (1348-1382) n° 8 : Uc Monachi (1350-† av. 1373) B. Nomenclatures des officiers de l’Hôpital 17 1. Commanderie d’Aix (An. II, B-1) 17 2. Commanderie de Manosque (An. II, B-2) 18 3. Les prieurs de Saint-Gilles (An. II, B-3) 22 Interventions des prieurs à Aix Interventions des prieurs à Manosque C. Listes des frères répertoriés 25 1. Commanderie d’Aix (An. II, C-1) 25 2. Commanderie de Manosque (An. II, C-2) 26

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ta bl e d e s a nn e x e s e n l i g n e

D. Tableaux prosopographiques 32 1. Hospitaliers (An. II, D-1) 32 n° 1 : Andreas Barral n° 2 : Bertrand Lance n° 3 : Didier n° 4 : Esparron de Bras  n° 5 : Féraud de Barras n° 6 : Guillaume de Villaret n° 7 : Isnard de Flayosc n° 8 : Isnard n° 9 : Jaufre de Moissac n° 10 : Peire de Mallemort n° 11 : Peire de Saint-Martin n° 12 : Raimbaud de Puimichel n° 13 : Raimond de Grasse n° 14 : Raimond Isnard de Mallemort n° 15 : Uc de Corri 2. Élites de Manosque : juristes, notaires et marchands (An. II, D-2) 47 n° 1 : Barthélemy de Grossis n° 2 : Bartomieu n° 3 : Bernard de Bourges n° 4 : Bertrand Felix n° 5 : Garnier Felix n° 6 : Jaume Robini n° 7 : Peire Bisquerra n° 8 : Peire Bretus n° 9 : Robin n° 10 : Sitius d’Arezzo  n° 11 : Uc Hospitalarius III. Tableaux hors-texte (tabl.)55 1. Chartrier de Manosque : exemples d’analyses dorsales 2. Dépenses alimentaires pour les fêtes dans la comptabilité de Manosque 3. Présence de Bérenger Monge à Manosque et à Aix 4 Acquisitions foncières enregistrées dans les comptes des années 1283-1290 5 Transactions de la commanderie de Manosque portant sur des secteurs boisés 6 Les revenus de la commanderie de Manosque sur les exercices comptables 1287-1290 7 La tradition des actes transcrits dans le cartulaire-dossier de Saint-Pierre de Manosque 8 Composition du registre du clavaire Guilhem Scriptor (56 H 2624) 9 Les revenus de la leyde d’après les comptabilités de 1283-1289 10 Juges ordinaires attestés à la cour de Manosque

tab le d e s anne xe s e n li gne

11

Élections de sépulture et fondations d’anniversaires attestées à Saint-Jean d’Aix dans la seconde moitié du xiiie siècle 12 Le palais de Manosque : les espaces des communs d’après les comptabilités 13 Principaux lieux de souscription des actes dans le palais de Manosque 14 Travaux attestés au palais de Manosque sous Bérenger Monge 15 Aménagements liés au culte de saint Géraud dans la chapelle palatiale

IV. Cartes et plans (pl.)67 1 Les ordres militaires en Provence 2 Les implantations de l’Hôpital dans le diocèse d’Aix 3 Aix dans la première moitié du xive siècle 4 Le quartier du prieuré Saint-Jean d’Aix à la fin du xvie siècle 5 Le prieuré Saint-Jean d’Aix : les bâtiments au xive siècle d’après les fouilles 6 Aix, plan de l’église Saint-Jean de Malte en 1703 7 Aix, plan de l’église Saint-Jean de Malte avec l’emplacement des tombeaux 8 Manosque et la Provence 9 Le territoire de Manosque 10 La ville de Manosque au xiiie siècle 11 Manosque, palais des hospitaliers vers 1793 – étage 12 Manosque, palais des hospitaliers au xiiie siècle – rez-de-chaussée 13 Manosque, palais des hospitaliers au xiiie siècle – étage V. Illustrations (ill.)75 A. Monuments (ill. A) 75 1 Manosque, buste-reliquaire de Gérard Tenque, argent, xviie siècle 2 Manosque, plaque commémorative du palais 3 Aix, mausolée des comtes de Provence 4 Aix, tombeau d’Alphonse II : bas-relief du sarcophage 5 Aix, détail du bas-relief du sarcophage d’Alphonse II 6 Aix, tombeau de Béatrice de Provence 7 Aix, Saint-Jean de Malte : vitrail de la baie du chevet 8 Aix, Saint-Jean : inscription et armes de Bérenger Monge sur le parement du chœur 9 Aix, Saint-Jean de Malte : façade avec ballustrade B. Documents (ill. B) 81 1 Une restauration ancienne sur une charte d’Aix 2 Les strates des analyses dorsales et des cotes sur une charte de Manosque 3 Chartrier de Manosque : une liasse avec son étiquette 4 Une charte du notaire Sitius d’Arezzo 5 Une charte du notaire Bertrand Sitius 6 Status baiulie rendu par le commandeur Isnard de Flayosc ; 28 juin 1299

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ta bl e d e s a nn e x e s e n l i g n e

7 Registre du clavaire Guilhem Scriptor ; 18 janvier 1283 8 Registre du clavaire Guilhem Scriptor ; 1277 9 Terrier de la commanderie de Manosque (1303) : écritures plurielles 10 Livre de compte des années 1259-1263 11 Livre de comptes des années 1283-1290  12 Manosque : plus ancien registre criminel conservé (1240-1243)  13 Consilium pour le concile de Lyon, c. 1274 14 Bulle de plomb de la commanderie de Manosque  15 Sceau de Féraud de Barras, grand commandeur deçà-mer 

Table des matières

Remerciements

5

Quelques clés de lecture

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Introduction

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Chapitre liminaire. Un nom dans la petite histoire 21 Réinventions érudites et discours des archives 22 La glorification de la petite patrie avant tout (xixe-xxe siècle) Érudition locale et culte du document 22 Les historiens de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem 25 Évanescence d’un patronyme, redécouverte du passé hospitalier 28 Mémorialistes et maîtres d’ouvrage de la Religion (xvie-xviiie siècle)34 L’érudition, de l’âge classique aux Lumières 34 D’un « restaurator » à l’autre : le souvenir de Bérenger Monge et ses éclipses 39 Le fonds du grand prieuré de Saint-Gilles : la vie d’un monument du 43 xvie au xixe siècle Le souci des archives 43 Classement et sélection 46 Des archives parlantes et vivantes 52 Inventaires et récit : archives et « réaction féodale » 52 Moyne ou Monge ? Un commandeur au prisme de la lecture des archives56 Première partie Le frère dans ses champs sociaux Chapitre i. La troublante apparition d’un homme sans passé Le sujet dans le champ familial Les Monachi, un lignage chevaleresque d’Aix Émergence d’une individualité Frère de l’Hôpital : un destin programmé ? Une consécration : la charge des commanderies de Manosque et d’Aix Aix et Manosque, deux commanderies sous protection comtale Les clés d’une promotion : une connexion savoyarde ?

63 64 64 71 77 83 83 88

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ta bl e d e s m at i è r e s

Chapitre ii. La communauté hospitalière sous Bérenger Monge 97 La baillie : une maisonnée seigneuriale 99 Les frères : ouverture et distinction sociales 99 La familia : une communauté matérielle et spirituelle 105 « Le pain, l’eau et les humbles vêtements » 112 Hiérarchie, éminence sociale et spécialisation des fonctions administratives117 Le couvent, les chevaliers et le commandeur 117 Les offices de la baillie 123 Le personnel clérical 129 Chapitre iii. L’individu dans le champ institutionnel Le commandeur et ses frères Un capital symbolique Les critères objectifs de la distinction L’image du commandeur Les limites de l’individualisation Un vénérable père à la tête de sa familia Une assise matérielle Une charité bien ordonnée Une obéissance négociée Un pouvoir partagé : rapports d’autorité et de confiance Une autorité déléguée Les officiers de la baillie : naissance d’un corps ?

137 138 138 142 145 152 152 157 159 165 165 170

Deuxième partie L’administrateur Chapitre iv. Une « grande transformation » ? 181 Une génération d’administration seigneuriale Accumulation et gestion du temporel : l’âge de la rationalisation 182 L’emprise foncière : investissement financier, rente et exploitation directe 182 La baillie ou la territorialisation du dominium 193 Économie monétarisée et prodromes de la « conjoncture de 1300 » 200 Les écritures de l’administration seigneuriale 210 Le milieu socio-culturel : « les gens de plume et de chicane » 210 Écrire pour conserver 218 Registres et écritures vernaculaires : les hospitaliers dans la révolution documentaire 222 Normes comptables, mémoire administrative et contrôle institutionnel231

tab le d e s mat i è re s

Chapitre v. Gouverner les hommes 243 Le laboratoire manosquin L’universitas à la conquête des libertés 245 La conscience civique d’une élite : syndics et prudhommes 245 Les ressorts du dominium : hommage, corvées et aveux 253 La contrainte du ban : entre coercition et négociation 259 La pierre angulaire de l’édifice seigneurial : prélever l’impôt et dire la norme265 La question fiscale 265 Le Livre des privilèges et le corpus statutaire 271 La justice du commandeur 281 Curia Hospitalis. Une institution au sein de la seigneurie 281 Un ordre social vu par les hospitaliers ? 287 Troisième partie Le rayonnement Chapitre vi. Œuvrer pour la postérité Le commandeur-fondateur Saint-Jean d’Aix : le maître d’ouvrage de la commande royale Fondation et refondation : un chantier séquentiel Un sanctuaire dynastique : de la maison de Barcelone à la maison de France Entretenir la memoria : dons au trésor, chapellenies et inhumations Manosque : lieux de pouvoir et pôles de sacralité L’empreinte hospitalière sur la fabrique urbaine Des ambitions de châtelain : la restructuration du palais comtal Deux pôles de sacralité : entre Saint-Pierre et Saint-Géraud

301 303 303 314 317 325 325 330 337

Chapitre vii. Du local à l’universel 351 Entre l’Église et l’État Encadrement pastoral et économie ecclésiale 354 Le partage des prélèvements sur les fidèles : dîme et quarte funéraire 354 Entre juridiction de l’ordinaire et exemption pontificale : une difficile équation 364 À l’ombre de l’État angevin 372 Segnoria et regalia : le commandeur et le prince 372 Des serviteurs de l’État 380 Chapitre viii. Du local à l’universel 389 Le prieuré de Saint-Gilles et l’Orient latin Une maturité institutionnelle : le prieuré de Saint-Gilles et ses baillies 391 La stature du prieur 391 L’administration du prieuré : communication et institutionnalisation396

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ta bl e d e s m at i è r e s

Le secours à la Terre sainte : des discours aux actes La défense de la Terre sainte : rhétorique légitimante et propagande alarmiste Les frères et l’horizon oriental Le subsidium Terre sancte Le prieur et le commandeur : deux profils de dignitaires en mutation L’espace ordinaire d’un commandeur L’année 1269 : tournant ou non-événement ?

406 406 410 413 418 418 423

Épilogue. La fin d’un règne De l’automne de la vie… …Aux frimas de la mémoire

433 433 436

Conclusion

441

Sources inédites Bibliothèque municipale d’Aix-en-Provence (Méjanes) Bibliothèque municipale d’Avignon (Ceccano) Bibliothèque municipale de Carpentras (Inguimbertine) Prague, bibliothèque de l’ordre de Malte Archives municipales de Manosque Archives municipales d’Arles Archives départementales des Bouches-du-Rhône Archives départementales de la Haute-Garonne Archives départementales du Rhône

451 451 451 451 451 451 452 452 456 456

Bibliographie 457 Sources imprimées 457 Instruments de travail 460 Travaux anciens (1800-1945) 460 Études463 Index des noms propres

499

Index des noms de lieux

511

Table des figures dans le texte

519

Table des annexes en ligne

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