Le Canada: Au-delà des rancunes, des doléances et de la discorde 9780228018452

Une exploration de la manière dont les régions et les groupes au Canada voient leur participation à la famille canadienn

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Le Canada: Au-delà des rancunes, des doléances et de la discorde
 9780228018452

Table of contents :
Couverture
LE CANADA
Titre
Droits d'auteur
Dévouement
Table des matières
Préface
Introduction
1 Les Acadiens : victimes d’une guerre non voulue
2 Les Québécois : victimes de l’histoire
3 Les gens des Maritimes : victimes de la Confédération
4 Les Canadiens de l’Ouest : des victimes en quête d’une voix
5 L’Ontario : la victimisation inscrite dans son ADN
6 Les peuples autochtones : les véritables victimes du Canada
7 Des victimes rencontrent d’autres victimes
8 Y en a-t-il d’autres?
9 « Another Somebody Done Somebody Wrong Song »
10 Pourquoi?
11 Plus jamais victimes
12 Canada : nous avons un problème
Épilogue
Notes

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LE CANADA

LE CANADA Au-delà des rancunes, des doléances et de la discorde

D O N A L D J . S AV O I E

McGill-Queen’s University Press Montréal & Kingston • Londres • Chicago

© McGill-Queen’s University Press 2023 ISB N 978-0-2280-1763-9 (relié toile) ISB N 978-0-2280-1845-2 (eP df) ISB N 978-0-2280-1846-9 (eP UB) Dépôt légal, deuxième trimestre 2023 Bibliothèque nationale du Québec Imprimé au Canada sur papier non acide qui ne provient pas de forêts anciennes (100% matériel post-consommation), non blanchi au chlore. Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de l’Institut Donald J. Savoie, Université de Moncton.

Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada Titre: Le Canada : au-delà des rancunes, des doléances et de la discorde / Donald J. Savoie. Noms: Savoie, Donald J., 1947- auteur. Description: Comprend des références bibliographiques. Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20220491178 | Canadiana (livre numérique) 20220491453 | IS BN 9780228017639 (couverture rigide) | I SB N 9780228018452 (Pdf ) | I S BN 9780228018469 (eP UB) Vedettes-matière: rvm : Institutions politiques—Canada. | r v m : Victimes— Politique gouvernementale—Canada. | rvm : Relations fédérales-provinciales (Canada) | rvm : Canada—Politique et gouvernement. Classification: lcc jl186.5 .S28 2023 | cdd 320.971—dc23

Ce livre a été composé en 10.5/13 Sabon.

Dédié à la mémoire de Noah Augustine

Table des matières

Préface

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Introduction 1

Les Acadiens : victimes d’une guerre non voulue 26 2

3

3

Les Québécois : victimes de l’histoire

49

Les gens des Maritimes : victimes de la Confédération 74 4

Les Canadiens de l’Ouest : des victimes en quête d’une voix 102

5 L’Ontario : la victimisation inscrite dans son ADN 127 6

Les peuples autochtones : les véritables victimes du Canada 150

7

Des victimes rencontrent d’autres victimes 8

9

177

Y en a-t-il d’autres? 197

« Another Somebody Done Somebody Wrong Song » 221 10 11 12

Pourquoi?

236

Plus jamais victimes

254

Canada : nous avons un problème Épilogue 306 Notes

317

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Préface

J’ai vu que quelque chose ne tournait pas rond au Canada au printemps et à l’été 2021. J’avais récemment collaboré avec des collègues de l’Ouest du pays afin d’explorer la place des provinces de l’Ouest dans la Confédération canadienne. Il s’agissait d’universitaires bien connus et très respectés, parmi lesquels certains se demandaient même si les provinces de l’Ouest devraient se séparer du Canada à cause de la façon inéquitable dont la région a sans cesse été traitée au sein de la Confédération canadienne. Dans un chapitre du présent livre, je soulève des questions fondamentales au sujet de l’incapacité du Canada de satisfaire d’autres intérêts régionaux que ceux de l’Ontario et du Québec1. À l’automne 2020, un différend entre des Acadiens et des Mi’kmaq au sujet de l’accès à la pêcherie a donné lieu à des scènes de violence. Des bateaux ont été vandalisés, des véhicules incendiés, des viviers à homards saccagés et une usine de poisson rasée par les flammes. Les ministres fédéraux ont qualifié les événements d’alarmants et de disgracieux2. Un comité des Nations Unies a demandé à Ottawa de répondre à ses critiques selon lesquelles le gouvernement fédéral n’est pas intervenu adéquatement pour protéger les pêcheurs mi’kmaq contre la violence3. J’ai été renversé par ces événements. Le Québec a décidé en mai 2021 de resserrer ses lois linguistiques. Le gouvernement provincial a déposé un projet de loi visant à reconnaître que les Québécois forment une nation dont le français est la seule langue officielle. La loi va à l’encontre de la Constitution canadienne, mais le premier ministre du Québec, François Legault, a expliqué que la province invoquerait la clause de dérogation pour la protéger des contestations judiciaires4. Bien que certains observateurs

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aient contesté l’adoption du projet de loi dans les médias, le reste du Canada s’est généralement contenté de hausser les épaules. Les chefs des trois partis politiques nationaux n’ont vu aucun problème dans l’adoption du projet de loi. Les réactions auraient probablement été fort différentes il y a à peine 20 ans. Certaines régions ont été touchées plus durement que d’autres par la covId -19. D’entrée de jeu, le gouvernement fédéral a décidé que les vaccins seraient distribués dans les provinces en fonction du nombre d’habitants. La décision était avantageuse pour les provinces densément peuplées, notamment l’Ontario, mais beaucoup moins pour les provinces où la population vieillit le plus rapidement, comme Terre-Neuve-et-Labrador. Au début de la pandémie, il était clair que les personnes âgées étaient particulièrement vulnérables au virus. Malgré la décision de déployer les vaccins en fonction du nombre d’habitants, l’Ontario a eu du mal à gérer la pandémie durant les premiers mois et le gouvernement ontarien, de concert avec Ottawa, a trouvé des raisons de rediriger vers l’Ontario des vaccins additionnels provenant des stocks des provinces qui réussissaient le mieux à gérer la pandémie. Tout à coup, même l’Ontario se sentait lésé en quelque sorte par la Confédération canadienne. Les révélations au sujet des pensionnats où plus de 150 000 enfants autochtones furent envoyés entre 1863 et 1998 après avoir été enlevés à leurs familles ont provoqué parmi la population canadienne une réflexion sur l’histoire douloureuse du Canada. La découverte des restes de 215  enfants dans des tombes anonymes près d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique, a sidéré de nombreux Canadiens et Canadiennes. Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que cette découverte était « un triste rappel de ce sombre chapitre de notre histoire5 ». J’ai constaté que beaucoup de Canadiens et de régions du pays affirmaient essentiellement être des victimes. Il n’y a là rien de nouveau, mais ce message s’est fait entendre de plus en plus souvent et fortement. J’ai décidé de me pencher sur la question afin de voir si l’étiquette de victime s’applique à tous les Canadiens et à toutes les régions. J’ai fait ce que j’ai souvent fait dans le passé lorsque j’ai voulu tirer une situation au clair  : tenter de faire toute la lumière sur la question et écrire un livre. Toutefois, ce livre est différent de mes livres précédents. J’y raconte une histoire de mon pays en m’inspirant souvent de mes expériences personnelles, à commencer par

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mon enfance dans un petit hameau de l’Est du Nouveau-Brunswick, en passant par des leçons que j’ai apprises au cours de ma longue carrière dans le milieu universitaire et à divers titres dans l’administration publique. J’ai aussi bénéficié des nombreuses idées dont plusieurs dirigeants politiques et chefs d’entreprise m’ont fait part au cours des années et qui m’ont été utiles dans la rédaction de ce livre. J’ai consulté la documentation pertinente et j’ai pu puiser dans mes publications précédentes, en particulier mes travaux consacrés aux provinces maritimes. J’ai également eu de nombreuses discussions avec des membres de ma famille, des amis et des collègues pendant l’écriture de cet ouvrage, beaucoup plus que je ne l’ai fait auparavant, quand je travaillais à mes livres précédents. Certains d’entre eux ont lu une partie ou la totalité du manuscrit et m’ont offert des suggestions très précieuses. Plusieurs ont souligné que je soulevais des questions qui risquaient de mettre les lecteurs mal à l’aise. Mon fils Julien, qui s’est toujours intéressé de près à la vie politique et aux politiques publiques, m’a dit : « Papa, ce n’est pas une de ces études froides et détachées que tu as l’habitude d’écrire sur la bureaucratie gouvernementale ou le développement économique; c’est un sujet qui touche les gens personnellement.  » Il m’a prévenu que je devais m’attendre à des réactions de la part des gens qui allaient lire le livre et qu’elles ne seraient pas toutes positives. Julien a raison. Ceux qui connaissent mes ouvrages verront rapidement que, cette fois, j’évoque souvent mes expériences personnelles pour étayer mon analyse. C’est pourquoi, comme les lecteurs le constateront, ce livre contient beaucoup moins de notes en fin de texte que mes ouvrages précédents. J’ai cru bon de me fonder sur mes expériences personnelles et sur mes discussions avec des amis, tout en m’appuyant sur les publications de grands spécialistes de la politique canadienne et du fédéralisme canadien, pour mettre en lumière les défis auxquels le Canada doit faire face. J’examine le Canada selon le point de vue de quelqu’un qui a grandi dans une région rurale du Nouveau-Brunswick et qui a atteint la maturité au moment où les gouvernements décidaient qu’il était temps d’élargir leur champ d’action et d’aider les Acadiens et d’autres groupes à participer pleinement à la société canadienne. Ce livre présente donc ma vision du Canada, des choses que nous avons faites correctement en tant que Canadiens et Canadiennes et de ce que nous avons mal fait. Je soutiens que nous avons fait plus de

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bonnes choses que de mauvaises choses. Mais s’il est un domaine où nous avons mal agi depuis bien avant la Confédération, c’est celui de nos relations avec les peuples autochtones. Nous leur avons causé un tort qu’il est urgent de réparer pour que le Canada soit pleinement en paix avec lui-même. Je sais très bien que le terme « victime » est provocateur, ce que des membres de ma famille, des amis et des collègues m’ont fait remarquer à maintes reprises. L’un d’eux m’a fortement recommandé d’employer plutôt l’expression «  injustement traité  », affirmant que personne, aucun groupe, aucune communauté ni aucune région, ne veut porter l’étiquette de victime. J’ai néanmoins choisi d’utiliser « victime » parce que je veux encourager un débat parmi les Canadiens et les Canadiennes sur la façon de rendre le Canada plus fort. J’estime important que les Canadiens et les Canadiennes fassent l’inventaire de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas, des régions du pays qui bénéficient des institutions politiques nationales et de celles qui n’en bénéficient pas, et que nous déterminions ce que nous pouvons faire collectivement pour améliorer nos institutions. Je soutiens que les particuliers, les groupes, les communautés et les régions du pays ont été plus nombreux qu’on ne le suppose à tirer parti du Canada. Il importe que la population canadienne ait l’heure juste sur les difficultés auxquelles notre pays est confronté, et j’espère que ce livre aidera à remettre les pendules à l’heure sur les questions d’unité nationale. Le lecteur constatera que, mis à part une exception flagrante, le Canada a su aider des particuliers, des groupes et des régions à se débarrasser de leur étiquette de victimes, même s’ils ne voudront peut-être pas l’admettre. Qu’ils l’admettent ou non, le Canada a aidé des groupes, des communautés et des régions à échapper à la victimisation. Voilà la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre  : pour dire à la population canadienne que les institutions politiques nationales sont indispensables pour l’avenir de notre pays. Elles ont aidé des individus, des groupes et des communautés à développer leur potentiel. Leur travail n’est pas terminé. Nos institutions politiques doivent maintenant relever des défis importants, et je constate que de nombreux Canadiens et Canadiennes perdent confiance en elles. Les sondages d’opinion le confirment6. La solution, c’est de travailler tous ensemble à les améliorer, ce n’est pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. J’espère que ce livre motivera un plus grand nombre de mes compatriotes à s’engager dans la vie publique. En somme,

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l’avenir du Canada repose sur la participation des Canadiens et des Canadiennes dans l’appropriation de nos problèmes et défis collectifs et la recherche de moyens de renforcer nos institutions publiques. Je désire remercier les nombreuses personnes qui m’ont appuyé dans mon travail pendant la rédaction de ce livre. J’ai eu de nombreuses discussions avec une foule de gens, tant des voisins que des collègues du milieu universitaire, des chefs d’entreprise, des représentants de tous les ordres de gouvernement et des amis. J’ai posé beaucoup de questions à mes interlocuteurs, je leur ai soumis de nombreuses idées et j’ai insisté pour connaître leur opinion au sujet du Canada et de son avenir. Tous et toutes se sont fait un plaisir de répondre à mes questions et de me faire part de leurs réflexions. De plus, chaque fois que j’ai rencontré une difficulté, j’ai communiqué avec plusieurs spécialistes très respectés pour leur demander de l’aide. Dans tous les cas, ces personnes m’ont fourni des commentaires éclairants. Je remercie tout particulièrement Linda de s’être accommodée encore une fois de mon insatiable appétit pour le travail. Elle a continué de m’appuyer dans mon travail malgré mon désir de consacrer mes soirées et mes fins de semaine à l’écriture. Je tiens aussi à remercier Réjean Ouellette, traducteur, qui a su transmettre mon message avec clarté à l’aide d’un riche vocabulaire et dans un style qui est très fidèle à ma façon d’écrire. Et je remercie encore une fois Céline Basque et Ginette Benoit de leur aide dans la mise en forme finale du manuscrit. Donald J. Savoie Université de Moncton

LE CANADA

Introduction

Je crois depuis longtemps que le Canada offre plus d’avantages à ses citoyens et citoyennes que tout autre pays. Mais vous n’avez pas à me croire sur parole. Selon une étude récente, le Canada arrive au premier rang du classement des meilleurs pays du monde parmi 78 pays. Le Royaume-Uni s’est classé au huitième rang, l’Australie au cinquième, les États-Unis au sixième et la France en 11e position. Je souligne que le Canada a obtenu la meilleure note dans les catégories « Qualité de vie » et « Objectifs sociaux »1. Le Canada demeure l’un des pays les plus pacifiques du monde, et bon nombre de ses citoyens considèrent que le maintien de la paix est un élément important de l’identité nationale du pays. Le Canada est la neuvième économie mondiale en importance2. Son système bancaire arrive au deuxième rang des pays du G20 et au sixième rang parmi 141 pays3. De plus, ses établissements de soins de santé et d’enseignement comptent parmi les meilleurs au monde. Le pays bénéficie d’une stabilité politique et économique remarquable. La société canadienne est tolérante, beaucoup plus que nos voisins, au sud de la frontière. John Ibbitson croit que le Canada peut honnêtement se vanter d’être un des endroits les plus accueillants au monde et que les Canadiens sont parmi ceux qui possèdent la plus grande ouverture d’esprit4. Beaucoup de Canadiens et de Canadiennes ont cependant un point de vue différent sur leur pays, du moins en ce qui concerne l’unité nationale, leur place dans la famille canadienne et la façon dont les intérêts économiques de leur région sont pris en compte au sein de la Confédération. À l’origine, les Néo-Écossais furent invités à deux reprises à se prononcer sur leur volonté de faire partie du Canada; ils

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Le Canada

répondirent non à chaque fois. En 1995, le Québec a décidé, par une très faible marge, de demeurer à l’intérieur du Canada5. Un sondage mené par l’Environics Institute en 2019 a amené le Globe and Mail à écrire qu’il existe un « sentiment croissant d’aliénation politique en Alberta, en Saskatchewan et au Canada atlantique, un ressentiment qu’Ottawa ignore à ses risques et périls6 ». Un rapport d’un comité sénatorial spécial a lancé un appel à l’action au gouvernement du Canada en déclarant : « Depuis trop longtemps, les régions de l’Arctique et du Nord sont laissées pour compte par le Canada7. » De nombreux peuples autochtones se voient comme des victimes, et avec raison. D’autres Canadiens racialisés se considèrent aussi comme des victimes, ainsi que beaucoup de femmes et, maintenant, même des hommes blancs. Le pays défie toute logique à bien des égards et il demeure difficile à gouverner. Tout d’abord, sa structure politique va à l’encontre de la géographie économique de l’Amérique du Nord, orientée selon un axe nord-sud. De plus, le Canada n’est pas issu d’une révolution. Les révolutions américaine et française obligèrent les élites politiques et intellectuelles à réfléchir à de nouvelles approches et à définir de nouvelles institutions qui refléteraient les particularités politiques et économiques du pays. Voilà en quoi les révolutions sont bonnes. Le Canada est issu d’un compromis entre le Québec et l’Ontario. Les autres régions canadiennes soit n’existaient pas en  1867, soit furent forcées sans ménagement de rentrer dans le rang par l’Office des colonies britanniques à Londres et les dirigeants politiques de l’ancien Canada lors des négociations. D’autres compromis allaient suivre, de sorte qu’aujourd’hui il n’y a pas un seul Canada, mais plusieurs Canadas. On peut se demander : pourquoi les Canadiens se voient-ils comme des victimes étant donné que le pays arrive au premier rang mondial pour sa qualité de vie et que tant d’aspirants immigrants frappent constamment aux portes du Canada pour y entrer? Je réponds à cette question en examinant l’histoire et nos institutions politiques nationales. En 1864-1867, le Canada comptait bien peu d’intellectuels nés au pays qui étaient en mesure de donner forme aux institutions politiques nationales. Un seul des 33 Pères de la Confédération présents à la Conférence de Québec avait fait des études universitaires, ce qui est bien différent des 55 dirigeants réunis lors de la Convention constitutionnelle de Philadelphie en 1787, dont plus de la moitié

Introduction

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avaient reçu une éducation universitaire. Le mieux que les Pères de la Confédération pouvaient faire, c’était d’importer en bloc les institutions britanniques. Le fait que le Canada devait former une fédération alors que la Grande-Bretagne n’en était pas une était perçu comme un détail qui ne poserait qu’un problème temporaire. Sir John A. Macdonald, quant à lui, était convaincu que le Canada se transformerait avec le temps en un État unitaire comme la GrandeBretagne, espérant que cela ne tarderait pas. Les fondateurs des États-Unis rédigèrent la Déclaration d’indépendance, dont le deuxième amendement est audacieux et inspirant  : «  Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes  : tous les hommes sont créés égaux; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. » Le préambule de la Constitution des États-Unis commence par les mots « Nous, Peuple des États-Unis ». Le préambule de la Constitution du Canada établit que le Canada est doté d’« une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Les Pères de la Confédération, considérant que les institutions britanniques avaient résisté à l’épreuve du temps, étaient persuadés qu’elles fourniraient au Canada exactement ce qu’il cherchait  : «  la paix, l’ordre et un bon gouvernement  ». Ils accordèrent peu d’attention au fait que les institutions britanniques exerçaient leurs activités dans un État unitaire. Par ailleurs, ils ne pouvaient guère se tourner vers le Sud et s’inspirer de l’exemple des États-Unis, car une guerre civile y faisait rage à l’époque où ils se rencontrèrent pour rédiger le texte de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. La guerre de Sécession américaine fut largement alimentée par des tensions régionales. Comme on le sait, l’ancienne province du Canada se solda par un échec (vers 1841 à 1867), et nous reviendrons plus loin sur cette période. La structure de gouvernance qui visait à gérer les vives tensions linguistiques, culturelles et religieuses connut des ratés à maintes reprises. L’Encyclopédie canadienne a résumé l’époque de l’ancien Canada en disant que la situation entraîna «  une instabilité croissante dans la province et celle-ci passe d’un gouvernement bricolé à un autre, dans un climat bouillant de peur et de rancune8 ». L’ancien Canada, ou l’Acte d’union de 1841, fut un échec notamment parce qu’il forçait le Bas-Canada à s’unir sans son consentement avec le Haut-Canada. L’ancien Canada jeta les bases du nouveau Canada.

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Le Canada

Le Canada continue de se démener pour tâcher de faire fonctionner les arrangements de la Confédération, qui furent conçus entre 1864 et 1867 pour corriger les lacunes de l’Acte d’union de 1841. Le Canada est un paradoxe. Aux yeux du monde, le Canada est un pays rempli de promesses, reconnu pour sa stabilité politique, largement exempt de corruption, plutôt tolérant envers les groupes minoritaires et fier de sa diversité culturelle. Pourtant, beaucoup de citoyens, des régions et des communautés du Canada se considèrent comme des victimes. Il est impératif de comprendre pourquoi le Canada est aux prises avec un sentiment de victime et comment il a tenté d’y remédier. Ce livre traite du Canada selon le point de vue de quelqu’un qui a grandi dans un petit hameau acadien du Nouveau-Brunswick. Les Acadiens ont connu une histoire particulièrement difficile depuis 270  ans. J’ai longtemps cru que les Acadiens étaient les victimes les plus durement frappées au pays. Ce n’est plus ce que je crois. J’estime que les Acadiens et les Acadiennes ont réussi à redresser leur situation et à participer pleinement à la société canadienne. Bien entendu, il existe des victimes dans d’autres pays, mais le sentiment d’être victime n’est pas aussi répandu ailleurs qu’il l’est au Canada. Aux États-Unis, les Noirs sont des victimes, mais les NewYorkais ou les Californiens ne s’estiment pas victimes autant que les Canadiens de l’Atlantique, les Québécois, les Canadiens de l’Ouest et maintenant même les Ontariens se disent victimes. De plus, le gouvernement du Canada s’est montré beaucoup plus disposé que d’autres pays occidentaux à présenter des excuses à des groupes pour des torts qui leur ont été causés dans le passé. Je soutiens également que le Canada fait davantage que d’autres pays pour aider les victimes à accéder à la pleine participation à la vie politique et économique du pays. Même si des régions, des communautés et un grand nombre de particuliers se disent victimes dans notre pays, nous sommes des Canadiens parce que nous ne voulons être rien d’autre ou personne d’autre. Il n’y a rien de mal à cela. Mon travail m’a mené aux quatre coins du monde : en Afrique, en Chine, en Australie, en Amérique du Sud et centrale, en Europe de l’Ouest et de l’Est et en Russie. J’ai rencontré à l’étranger bien des gens qui auraient souhaité être nés ailleurs que dans leur pays, mais je n’ai pas rencontré beaucoup de Canadiens de l’extérieur du Québec, et peut-être de l’Alberta, qui

Introduction

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aimeraient être autre chose que Canadiens. Pourtant, la victimisation de la société canadienne est partout évidente : dans les régions, dans les communautés et chez les personnes. J’explique pourquoi les institutions politiques, judiciaires et administratives du Canada ont contribué à la victimisation de la société canadienne. Il suffit d’un moment de réflexion pour comprendre que si les Canadiens avaient eu, de temps à autre, le luxe de redéfinir leurs institutions politiques nationales, la situation serait très différente. Le Sénat, par exemple, ne survivrait pas dans sa forme actuelle. Les provinces de l’Ouest et de l’Atlantique y apporteraient des changements afin de faire davantage entendre leur voix au sein des institutions nationales. L’accord conclu en 1867 comportait un certain nombre d’autres failles que celles qui concernent le Sénat. Le partage des pouvoirs établi par la Constitution entre les gouvernements fédéral et provinciaux, par exemple, devint désuet peu après la conclusion de l’accord sur la Confédération. On se souviendra que deux colonies du Canada atlantique, l’Îledu-Prince-Édouard et Terre-Neuve, se retirèrent rapidement du projet après avoir étudié l’accord conclu par les Pères de la Confédération. La Nouvelle-Écosse devint membre de la Confédération sans son consentement. Si la colonie entra dans le giron canadien, c’est uniquement parce qu’il ne revint pas à la population néo-écossaise d’en décider. Rien n’empêchait la Nouvelle-Écosse de procéder à un référendum sur la question, mais des autorités politiques supérieures, en particulier l’Office des colonies, décidèrent qu’il n’était pas nécessaire d’en tenir un. Plusieurs indications portent à croire que si la Nouvelle-Écosse avait tenu un référendum, sa population n’aurait pas accepté que la province se joigne à la Confédération. De leur côté, les provinces de l’Ouest n’eurent pas voix au chapitre lors de la définition des institutions politiques nationales. Il est certain que si les négociations se déroulaient à l’époque actuelle, l’Ouest canadien verrait à ce que les institutions politiques soient différentes de ce qu’elles sont maintenant. Les délégués canadiens dirigèrent les négociations au point qu’ils avaient déjà produit une ébauche des 72 Résolutions qui devinrent la Constitution canadienne avant même d’avoir débarqué à Charlottetown9. Ged Martin a résumé ainsi les négociations : « Les délégués des Maritimes furent forcés sans ménagement de rentrer dans le rang par les Britanniques, qui agissaient à la demande des Canadiens10. »

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Le Canada

Les principaux acteurs parmi les Pères de la Confédération s’attelèrent à la tâche, animés par un seul objectif. Les préoccupations en matière de démocratie n’étaient pas leur priorité. En fait, si les exigences actuelles de la démocratie s’étaient appliquées entre 1864 et 1867, le Canada n’aurait pas vu le jour ou, ce qui est plus probable, il serait bien différent de ce qu’il est aujourd’hui. La constitution à laquelle les architectes de la Confédération aboutirent ne satisfaisait même pas aux exigences les plus élémentaires d’un système fédéral, et les tactiques qu’ils employèrent répondraient difficilement aux conditions actuelles de la démocratie. Dans sa biographie, où il jette sur lui un regard sympathique, Richard Gwyn décrit sir John A. Macdonald comme un magouilleur opportuniste, dont l’action ne consista pas tant à créer une nation, qu’à avoir « recours à la manipulation et à la séduction, à la connivence et à l’intimidation pour qu’elle devienne réalité contre les vœux de la plupart de ses propres citoyens11 ». Voilà donc comment le Canada vit le jour. Cent quinze ans plus tard, neuf des 10  provinces ont ratifié la Loi constitutionnelle de 1982. Cette fois, c’est le Québec, non l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve, qui n’a pas officiellement approuvé la mise en œuvre de la Loi et il ne l’a toujours pas fait. On comprend aisément pourquoi des non-Canadiens seraient perplexes devant cet état de choses. Le Canada est effectivement un pays difficile à gouverner. Je maintiens que le Canada continue de prospérer en dépit des nombreuses lacunes de ses institutions politiques nationales et de la tendance des Canadiens à se percevoir comme des victimes. Notre histoire et les lacunes de nos institutions politiques et administratives nationales nous ont enseigné l’art du compromis. En outre, les Canadiens reconnaissent que la solution de rechange au Canada, quelle que soit sa forme, est pire. J’affirme que ce facteur, plus que tout autre, continue de cimenter l’unité nationale du Canada. J’estime que la Constitution du Canada et ses institutions politiques contribuent à amplifier la victimisation des Canadiens au lieu de l’atténuer. Cependant, elles leur ont aussi permis de gérer la question mieux que d’autres pays. Les Canadiens ont appris à évaluer leur niveau de victimisation en regardant les options de rechange. Le Québec et les communautés francophones de l’extérieur du Québec, par exemple, savent parfaitement ce qui les attendrait s’ils venaient à faire partie des États-Unis. Les Ontariens, peut-être plus que les autres Canadiens, s’opposeraient fortement

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à toute initiative visant à faire de leur province un État américain. Ils ont cette opposition dans leur adN , depuis l’époque de Laura Secord et la guerre de 1812. L’ouvrage Lament for a Nation, de George Grant, a été largement salué en Ontario, mais beaucoup moins dans les autres régions12. La puissance économique de l’Ontario découle en partie du fait que la province n’est pas un autre État américain. Le secteur de l’automobile en Ontario existerait sous une forme différente ou n’existerait pas du tout si le Canada et les États-Unis n’avaient pas signé le Pacte de l’automobile. Au cours des années, l’intelligentsia ontarienne a dirigé les efforts pour définir une identité canadienne13. La tâche a été très difficile. Statistique Canada a décidé de contribuer au débat en réalisant une étude sur la question en 2013. L’organisme a conclu  : «  La ferme conviction que les Canadiens partageaient certaines valeurs était la plus courante en Ontario, où la population était généralement plus susceptible de croire que les Canadiens partageaient dans une grande mesure un ensemble de valeurs communes14.  » Sir John A. Macdonald, principal architecte de la Confédération, fit ce que les politiciens canadiens ont fait depuis la première fois qu’ils se sont portés candidats aux élections. Il représenta efficacement les intérêts de sa région lors des négociations et plus tard en qualité de premier ministre, à l’avantage économique de l’Ontario. La croyance que les Canadiens partagent certaines valeurs est probablement plus répandue chez les nouveaux Canadiens15. Ceux-ci auraient la possibilité de vivre ailleurs, mais ils ont choisi de venir au Canada. Ils ont peut-être été des victimes dans leur ancien pays, mais pas au Canada, où ils se sont établis pour prendre un nouveau départ dans leur vie. Michael Wilson, un ancien ministre des Finances dans le gouvernement de Brian Mulroney, m’a dit qu’il avait eu, au tout début de sa carrière politique, une expérience qui lui avait ouvert les yeux. Il avait pris la parole devant un rassemblement dans sa circonscription d’Etobicoke, en banlieue de Toronto, où il avait employé le mot « liberté » à trois reprises. La réaction des Canadiens de souche avait été bien différente de celle des nouveaux Canadiens. Les Canadiens de souche, a-t-il affirmé, avaient eu une réaction plutôt « blasée » à l’emploi de ce mot, tandis que la réaction des nouveaux Canadiens avait été très positive16. Les Canadiens de souche tiennent la liberté pour acquise et s’attendent à ce que leurs institutions fassent davantage que de promouvoir la liberté.

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Ils mettent leur histoire, l’histoire de leur famille et leur sentiment d’appartenance au premier plan lorsqu’ils pensent à leur identité canadienne. Ainsi, les plaines d’Abraham évoquent un souvenir encore frais dans la mémoire d’un grand nombre de francophones. Pour bien des Québécois francophones de souche, elles représentent une blessure qui n’a jamais guéri17. Pour de nombreux anglophones de souche, elles représentent un événement historique qui a changé le cours de l’histoire dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique. Pour les néo-Canadiens, elles ne représentent qu’un conflit parmi d’autres, qui appartient au passé et qui n’a rien à voir avec les défis actuels. Les Acadiens se sont longtemps vus comme des victimes, citant la Déportation de 1755 pour appuyer leur point de vue. Un certain nombre de résidents du Canada atlantique croient avoir été mal servis par la Confédération. Ils ont un argument valable, comme moi et d’autres le faisons valoir depuis longtemps18. On a beaucoup écrit aussi au sujet de l’aliénation de l’Ouest. Il suffit de noter que le sentiment d’aliénation dans l’Ouest tire son origine de l’insatisfaction des Canadiens de l’Ouest envers les représentants politiques et la façon dont les décisions se prennent au sein des institutions politiques nationales19. Beaucoup de Québécois estiment également être des victimes, et leur attachement au Canada demeure incertain. Pour sa part, l’Ontario semble être la seule région satisfaite de sa position dans la Confédération, mais il faut faire attention de ne pas exagérer ce point de vue. L’Ontario s’est longtemps considéré comme une victime de la domination économique des États-Unis et se voit de plus en plus comme une victime de la Confédération, comme nous le verrons dans le chapitre 5. C’est l’Ontario qui a lancé la campagne pour un fédéralisme équitable il y a une trentaine d’années. La culture victimaire de plus en plus marquée au Canada n’est pas sans poser de problèmes. Elle fait en sorte qu’il devient de plus en plus difficile de résoudre les conflits politiques, économiques et sociaux. De plus, elle amène les citoyens à croire qu’ils ont plus de droits qu’ils n’en ont vraiment et à être plus réticents à assumer leurs responsabilités. Des sondages d’opinion publique font état d’une polarisation grandissante de l’action politique au Canada. Ainsi, un sondage révèle qu’un Canadien sur quatre dit détester ses adversaires politiques20. La plupart des gens qui se voient ou qui voient leur communauté comme des victimes n’ont guère le cœur au pardon.

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Faut-il en croire que les Canadiens devraient rejeter toutes les allégations voulant que des régions, des communautés et des particuliers soient des victimes? Non, parce que dans certains cas, notamment celui des peuples autochtones, il s’agit de vraies victimes en raison de politiques des gouvernements antérieurs. Il y a lieu néanmoins de répéter que le Canada a été en mesure, mieux que d’autres pays, de venir en aide aux victimes de la guerre, de l’histoire et de politiques gouvernementales inopportunes pour leur permettre de devenir des membres à part entière de la société, comme le soutient le présent livre. Les politiciens du pays, de sir John A. Macdonald à Justin Trudeau, ont déploré l’incapacité du Canada à trouver son unité et à définir ses visées. Le premier ministre Justin Trudeau affirme qu’« il n’y a pas d’identité fondamentale, pas de courant dominant au Canada21 ». Je ne peux penser à aucun autre premier ministre ou président d’un pays occidental qui dirait une chose pareille. Margaret Atwood estime qu’«  aucune “identité canadienne” ne lui est offerte [à l’immigrant]22 ». Marshall McLuhan a fait observer que « le Canada est le seul pays du monde qui sait vivre sans identité23  ». Ramsay Cook a le mieux résumé la situation en écrivant : « La question de l’identité canadienne [...] n’est pas du tout une question “canadienne”, mais une question régionale24.  » Si l’identité canadienne est une question régionale plutôt qu’une question nationale, comment les institutions politiques canadiennes s’occupent-elles alors de la question? Le Washington Post a décrit le Canada comme un pays qui manifeste une loyauté exagérée envers les institutions britanniques et une attention excessive aux doléances des francophones, et où l’immigration est élevée et l’assimilation, découragée. Il ajoutait que la façon dont le Canada a tenté de réparer les torts causés par le passé à ses populations autochtones a pris la forme de discours politiques et de nouveaux traités d’autonomie gouvernementale25. Un tel contexte risque d’alimenter la victimisation de la société canadienne, du moins du point de vue des Américains. Les institutions définies en 1867 comptaient sur les deux colonies maritimes pour qu’elles servent en quelque sorte d’intermédiaire impartial entre deux nations qui étaient encore en guerre au sein d’un même pays et d’un système fédéral qui n’avait de fédéral que le nom. L’idée, c’était que les deux colonies maritimes seraient appelées à l’occasion à dénouer l’impasse entre le Haut et le Bas-Canada.

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L’idée ne s’est toutefois pas concrétisée comme on l’avait escompté. Peu importe, le Canada a survécu pendant 155 ans et ce livre cherche à comprendre pourquoi. Le livre entend démontrer qu’il existe au Canada des forces puissantes qui font de l’ombre à des identités régionales solidement ancrées. Il fait valoir que les Canadiens et les Canadiennes savent intuitivement qu’ils ont une identité commune, qu’ils ne veulent être rien d’autre que des Canadiens et que le Canada a appris à s’arranger avec une constitution et des institutions politiques nationales rigides qui sont mal adaptées à la réalité socioéconomique et à la géographie du pays. Cette situation a engendré une culture politique proprement canadienne qui valorise la tolérance, les points de vue différents, le compromis, le changement graduel ainsi que l’adaptation progressive de notre structure fédérale26. Cette culture politique a permis au Canada de prospérer et de se hisser au sommet du classement mondial pour sa qualité de vie. Notre Constitution écrite est peut-être rigide, mais le Canada a appris à l’esquiver chaque fois que ses dirigeants politiques l’ont jugé nécessaire. La plupart des gouvernements ont également réussi à s’accommoder des tensions régionales ou autres, ou plutôt à les atténuer, en proposant des programmes gouvernementaux dont beaucoup, de par leur conception, font peu de cas des limites de compétence. Il en résulte que le Canada a développé une forme hybride de fédéralisme qui lui est particulière. Le fédéralisme hybride a contribué à la victimisation de certaines régions canadiennes, mais il en a aussi aidé d’autres ainsi que certains groupes à se sortir de leur condition de victimes.

c o m P r eNd r e l e ca Nada Le processus décisionnel établi par la Constitution et en vigueur dans nos institutions peut en dire long sur le Canada. De plus, il est crucial de se pencher sur l’histoire pour comprendre comment fonctionne le Canada. Je ne suis pas historien, mais j’ai toujours valorisé le travail des historiens27. La connaissance du passé ne dit pas tout sur l’avenir, mais il est dangereux d’ignorer l’histoire. Quand on ignore l’histoire, on risque d’accorder aux difficultés et aux problèmes plus d’importance qu’ils n’en ont vraiment. Je suis un Canadien de l’Acadie ou un Acadien du Canada, ça m’est égal. Pendant longtemps, j’ai cru qu’aucun autre peuple n’avait connu une histoire plus difficile que les Acadiens, comme je l’ai mentionné

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plus tôt. Nous étions les véritables victimes au Nouveau-Brunswick et au Canada. Pour les lecteurs qui ne connaissent peut-être pas ce pan de l’histoire, je rappelle que les soldats britanniques rassemblèrent les colons français établis sur les rives de la baie de Fundy (vers 1755-1763), incendièrent leurs maisons et leurs récoltes et les chassèrent de leurs terres. Beaucoup d’Acadiens furent embarqués à bord de navires et envoyés vers des contrées lointaines. Un grand nombre périrent en mer, d’autres se rendirent en Louisiane, dans les Colonies britanniques ou les Antilles, et d’autres encore aboutirent en France. Certains s’enfuirent dans les forêts et réussirent à atteindre le Nouveau-Brunswick. On m’a toujours raconté que c’est ce que firent mes ancêtres Savoie et Collette. La plupart des familles acadiennes furent séparées sans jamais être réunies. Plus de 11 000 Acadiens furent déportés et des milliers périrent en mer ou moururent de faim ou de maladie28. Je me rappelle que, quand j’étais enfant, l’église locale et une poignée de chefs de file communautaires ont érigé une grande croix blanche solidement plantée dans le ciment en face de chez moi pour commémorer le Grand Dérangement de 1755. Même à l’époque, j’aurais nettement préféré célébrer des victoires au lieu de commémorer le Grand Dérangement. Nous célébrions l’expulsion de mes ancêtres de leurs terres, et encore aujourd’hui j’ai du mal à comprendre pourquoi on se rassemblerait pour célébrer un triste événement, un événement lors duquel mes ancêtres furent brutalement retirés de leurs foyers et dispersés aux quatre vents. J’étais devenu convaincu que nous étions les victimes et que les protestants anglais étaient les méchants. Je me souviens d’une jeune femme de notre village qui avait épousé un Anglo-protestant de l’extérieur. Tous croyaient qu’elle se couvrirait de honte si jamais elle revenait au village. Elle n’est jamais revenue à Saint-Maurice. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle ne serait jamais plus pleinement acceptée dans notre village et, bien pire encore, qu’elle serait torturée en enfer pour l’éternité. C’était le prix à payer quand on se mariait avec un Anglo-protestant. Comment, me disais-je, quelqu’un pouvait-il faire fausse route à ce point? Mais les choses évoluent. J’ai moi-même épousé une Angloprotestante. Je continue de retourner dans mon village natal et mes amis continuent de l’accueillir. Le temps dira si je serai torturé en enfer pour l’éternité. Si c’est le cas, je suis persuadé que ce ne sera pas pour avoir épousé une Anglo-protestante. Aujourd’hui, j’en

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connais beaucoup plus sur l’histoire de l’Église catholique romaine. Je crois maintenant que j’aurais accompagné Martin Luther lorsqu’il cloua ses 95 thèses sur la porte de l’église du château de Wittenberg en 1517, dans lesquelles il attaquait le pouvoir du pape et reprochait à l’Église d’ignorer les gens qui étaient pauvres et qui vivaient dans la souffrance. Ma famille et moi sommes partis de mon village natal quand j’avais 12 ans. Lorsque j’ai commencé à lire sur l’histoire, j’ai découvert que les Acadiens n’étaient pas les seules victimes au Canada ou ailleurs, loin de là. Pensez aux Afro-Américains. Pensez à ce que les Anglais firent aux Écossais après la bataille de Culloden, qui eut lieu seulement neuf ans avant la Déportation des Acadiens. Après Culloden, de nombreux partisans jacobites furent exécutés, d’autres torturés et un grand nombre de blessés furent massacrés. Les femmes furent violées et les propriétés, réduites en cendres29. Pensez au traitement qu’Oliver Cromwell et William III infligèrent aux Irlandais. Pensez à l’Holocauste. Chez nous, pensez à nos communautés des Premières Nations, qui font encore face à la violence, au sectarisme, au désordre et à la mauvaise gestion. L’histoire de leur torture n’en finit plus. L’histoire du Canada est parsemée de victimes. J’ai honte de ce que mon Canada a fait aux peuples autochtones à travers les âges, jusqu’à nos jours. Le Québec estime depuis longtemps être victime de l’histoire, depuis la Conquête de 1759-1760. Les provinces maritimes demeurent convaincues qu’elles se sont fait avoir par la Confédération, d’où leurs difficultés économiques. L’Ouest canadien a pris pour cible les institutions politiques nationales en raison de leur incapacité à accorder une importance adéquate à ses préoccupations et à son point de vue. Beaucoup de gens sont d’avis que l’Ontario a été nettement plus avantagé que d’autres régions par la Confédération et les politiques économiques nationales du pays mais, même à cet égard, la situation évolue. En outre, des Canadiens et des Canadiennes d’ascendance japonaise, chinoise ou africaine peuvent également reprocher aux gouvernements un certain nombre de torts historiques causés à leurs ancêtres. Pourquoi avoir écrit ce livre? Je ne tiens pas pour acquise l’existence du Canada et je continue d’insister pour dire qu’il est nécessaire de réformer nos institutions publiques. Même si je garde espoir qu’un jour les Canadiens et Canadiennes et leurs dirigeants politiques se décideront à apporter des modifications à nos institutions

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politiques et administratives nationales, je ne suis pas optimiste. Je crains qu’un changement fondamental du mode de fonctionnement de nos institutions nationales ne survienne que si le Québec se sépare du Canada sur un coup d’éclat (ce qui est peu probable) ou s’il le quitte en douce. Les dirigeants politiques qui ont le pouvoir de procéder à des changements ne voient aucune raison de le faire. Les institutions fonctionnent bien à leur avis, alors pourquoi les modifier? Dans ce contexte, je considère que le meilleur remède pour renforcer l’unité nationale du Canada est de communiquer entre nous et de discuter de l’état de notre pays. Ce livre est ma contribution en ce sens. J’espère que d’autres Canadiens et Canadiennes feront un effort semblable. C’est le moins que je puisse faire pour mes compatriotes. Le Canada m’a donné infiniment plus que je ne pourrai jamais lui rendre. J’ai obtenu une chaire de recherche du Canada (niveau 1), dont je suis titulaire depuis 19 ans. Mon travail m’a mené dans toutes les provinces du pays et tous les territoires du Nord. De plus, bien que je ne sois pas monté dans l’arène, j’étais aux premières loges à des moments importants de l’évolution du Canada : le rapatriement de la Constitution, l’adoption du Programme énergétique national (PeN ) et la réforme de la politique de développement économique régional. J’ai parfois eu accès à certains des décideurs politiques les plus importants du Canada et je n’ai jamais manqué de les sonder, de les questionner et de prendre des notes. Comme je l’ai expliqué dans la préface, je me suis inspiré de mes diverses expériences de vie pour écrire ce livre, beaucoup plus que je ne l’ai fait pour mes autres livres. Au cours de ma carrière, j’ai souvent eu la chance de voir l’action de près, parfois parce que je suis un Acadien et un résident des Maritimes. Ensemble, les trois provinces maritimes comptent un peu plus de 1,9 million d’habitants, comparativement aux 6,4 millions d’habitants de la seule région du Grand Toronto. Les provinces maritimes rappellent beaucoup l’ancienne émission de télévision Cheers, où tout le monde vous connaît par votre nom. C’est particulièrement vrai si on se distingue dans n’importe quel secteur d’activité. J’ai eu de nombreux échanges, au cours des années, avec plusieurs premiers ministres des trois provinces maritimes, des ministres du Cabinet fédéral originaires de ma région, de nombreux députés fédéraux et un certain nombre de chefs d’entreprise du Canada

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atlantique. J’ai publié trois livres sur certains de ces derniers, l’un sur Harrison McCain, un autre sur K.C. et Arthur Irving et un troisième sur John Bragg. Trois d’entre eux étaient ou sont parmi mes bons amis. J’ai participé à plusieurs exercices de transition du pouvoir à Ottawa, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Je mentionne ces informations pour faire comprendre au lecteur comment mon travail et mes expériences personnelles ont eu une influence sur le contenu de l’ouvrage. Je travaillais à Ottawa pour deux membres du Cabinet et un organisme central lorsque le gouvernement du Canada a décidé de rapatrier la Constitution au début des années 1980. Je m’empresse d’ajouter que je n’ai joué tout au plus qu’un rôle accessoire dans cette initiative. On m’a consulté (je n’étais qu’une voix parmi bien d’autres, et certainement pas la plus importante) au sujet de l’article portant sur la péréquation qui a été inclus dans la Loi constitutionnelle de 1982. J’ai également eu une rencontre en tête à tête avec l’ancien premier ministre Pierre E. Trudeau en 1982 au sujet de l’état des relations fédérales-provinciales. Cette rencontre m’a certainement été plus profitable qu’elle ne l’a été pour Trudeau père. Je ne cherche pas à être modeste; ce sont les faits. Je connaissais la plupart des principaux acteurs qui travaillaient au rapatriement de la Constitution, mais je n’étais pas l’un d’entre eux. Cependant, j’observais attentivement pendant que les événements se déroulaient. Je me rappelle la fois où j’ai accompagné Allan J. MacEachen au Cap-Breton en 1981. Plusieurs ministres du Cabinet et députés fédéraux libéraux m’ont dit à cette occasion que MacEachen avait prononcé le discours le plus percutant qu’ils aient jamais entendu sur la Colline du Parlement lors d’une réunion de caucus en 1979, pour plaider en faveur du retour de Pierre E. Trudeau comme chef du Parti libéral en vue de la prochaine élection générale de 1980. On se rappellera que Trudeau avait démissionné comme chef du Parti en novembre 1979, après que son gouvernement fut battu par le parti de Joe Clark lors de l’élection tenue en mai. Toutefois, avant que les libéraux n’aient pu se choisir un nouveau chef, le gouvernement Clark fut défait en décembre  1979, lors d’un vote sur le budget. MacEachen était l’un des grands orateurs au Parlement et, ce jour-là, en pleine envolée, il exhorta Trudeau à reconsidérer sa démission en tant que chef du Parti. Trudeau demanda une période de réflexion. J’ai dit à M.  MacEachen que j’avais entendu parler de son discours par certains de ses collègues du Cabinet et députés libéraux

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d’arrière-ban et que, au dire de tous, il avait réalisé un tour de force remarquable. J’ai poursuivi en demandant : « Pourquoi M. Trudeau a-t-il demandé au caucus à avoir du temps pour y penser? Il savait certainement que vous alliez en faire la demande, et vous saviez sans doute quelle serait sa décision quand vous vous êtes levé au caucus pour lancer l’invitation à vos collègues. » MacEachen a répondu : «  Bella figura, bella figura.  » Voyant mon regard perplexe, il a ajouté : « Juste pour le spectacle, juste pour le spectacle. » Lors de l’atterrissage à l’aéroport d’Ottawa à notre retour, MacEachen s’est tourné vers moi et m’a dit : « Ce dont nous avons parlé aujourd’hui, c’est comme une boîte de conserve : c’est scellé. » Je n’ai jamais parlé de cette conversation jusqu’à maintenant. Comme il était de notoriété publique à l’époque, MacEachen ne prenait pas à la légère la protection de l’information, et je n’ai jamais cru un seul instant que c’est lui qui a mené la charge à Ottawa pour l’adoption de la Loi sur l’accès à l’information. Si j’écris ces mots maintenant, c’est parce que j’estime que l’histoire et les historiens doivent savoir. Quelques années plus tard, MacEachen m’a enseigné une leçon de Realpolitik. J’avais publié The Politics of Public Spending in Canada, qui a fait l’objet d’un certain nombre de comptes rendus dans la presse populaire. J’y exposais ma « lunch theory » au sujet des dépenses publiques dans le contexte canadien, sur laquelle je reviendrai plus tard dans ce livre. Des membres du caucus libéral à Ottawa m’avaient invité à faire une présentation sur l’état des finances publiques du Canada, dans laquelle je sonnais l’alarme en soutenant que le gouvernement n’aurait pas d’autre choix que de réduire les dépenses et/ou d’augmenter les impôts. À la fin de ma présentation, MacEachen a pris la parole : « Maintenant que nous avons entendu le cher professeur, pouvons-nous parler de politique?  » J’ai compris le message. Le Parti libéral était dans l’opposition et avait dans sa mire la prochaine élection générale, prévue environ un an plus tard. Jean Chrétien a conduit le Parti libéral à une victoire éclatante en 1993. Le gouvernement a annoncé la tenue d’un vaste exercice de révision des programmes après la publication le 12 janvier 1995 d’un éditorial du Wall Street Journal intitulé « Bankrupt Canada? », qui affirmait  : «  si le budget fédéral déposé le mois prochain ne comprend pas des mesures draconiennes, il n’est pas inconcevable que le Canada frappe le mur de l’endettement et qu’il doive faire appel au Fonds monétaire international pour stabiliser sa devise en chute

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libre30  ». Souvent, la politique partisane et les saines politiques publiques ne sont pas convergentes pendant les campagnes électorales. On m’a raconté que, lors des discussions qui précédèrent la campagne électorale de 2011, un député libéral avait fait le commentaire révélateur suivant : « Si nous devons tenir nos promesses, ça voudra dire que nous aurons gagné31. » L’objectif primordial est d’être porté au pouvoir; s’il y a des questions difficiles à régler, elles pourront attendre après la victoire électorale. Le premier ministre Brian Mulroney m’a chargé de consulter des Canadiens et des Canadiennes de l’Atlantique en 1986-1987 et de produire un rapport sur la création de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (aPeca ). J’ai rédigé le rapport après avoir consulté les premiers ministres provinciaux, les ministres fédéraux, les principaux représentants du monde des affaires ainsi que des dirigeants communautaires des quatre provinces de l’Atlantique. Le gouvernement Mulroney a accepté environ 90 % de mes recommandations. Le modèle de l’aPeca a depuis été introduit dans toutes les régions du Canada et demeure en place après 35 ans. Le modèle d’agence fédérale de développement régional qui fut maintenu le plus longtemps auparavant, le ministère de l’Expansion économique régionale (meer ), est resté en place pendant 15 ans. Je me suis rendu à St. John’s le 6 juin 1987 pour me joindre au premier ministre Mulroney lors de l’annonce de la création de l’agence conçue à l’intention du Canada atlantique. On m’avait dit de me rendre disponible pour informer le premier ministre et d’être prêt à répondre à toute question qu’il pourrait avoir au sujet de l’agence et du Canada atlantique. À ma surprise, la seule question qu’il m’a posée concernait la réaction des Acadiens à son projet d’accord du lac Meech. Je n’étais pas du tout préparé à une telle question et je suis persuadé que ma réponse a été incomplète. Je voulais parler du Canada atlantique; il voulait parler de l’unité nationale. Une élection générale s’est tenue l’année suivante, et Mulroney a obtenu un gouvernement majoritaire. Avec le recul, je peux comprendre que l’unité nationale est la principale préoccupation des premiers ministres, et Mulroney ne faisait pas exception. Le Canada m’a également donné plusieurs occasions de servir à l’étranger, et l’expérience m’a permis de mieux apprécier mon pays. J’ai eu quelques affectations à Moscou pour fournir des conseils à la Russie au moment où elle cherchait à démontrer l’importance d’une fonction publique non partisane; en Bosnie-Herzégovine pour aider

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à l’élaboration d’un plan de développement économique à la suite de la guerre civile; en Chine pour aider à la préparation des mesures de développement régional pour l’Ouest de la Chine; au Brésil pour le compte de la Banque mondiale afin de conseiller le gouvernement en matière de finances publiques et d’établissement des budgets gouvernementaux; et en Afrique du Sud pour examiner des initiatives de développement régional. En outre, Frank McKenna m’a demandé de présider son équipe de transition lorsqu’il a accédé au pouvoir au Nouveau-Brunswick en 1987, et j’ai été membre de l’équipe de transition du premier ministre libéral Jean Chrétien (1992-1993) et de celle du premier ministre progressiste-conservateur David Alward au NouveauBrunswick (2010). J’ai également présidé l’équipe de transition du premier ministre néo-démocrate Darrell Dexter en Nouvelle-Écosse (2009). Je souligne au lecteur que je ne me suis jamais beaucoup intéressé à la politique partisane ou je n’ai pas cherché à être étroitement associé à un parti en particulier. À tout le moins, ma formation universitaire et mon intérêt intellectuel, ainsi que mon bref séjour dans la fonction publique fédérale à Ottawa, ont fait de moi un observateur non partisan de la vie politique. Cependant, comme tant d’Acadiens, je vouais une profonde admiration à l’ancien premier ministre libéral du Nouveau-Brunswick Louis J. Robichaud. Il a fait entrer le Nouveau-Brunswick dans le 20e siècle en adoptant des mesures audacieuses dans tous les secteurs d’activité du gouvernement provincial. De plus, nous nous sommes liés d’une profonde amitié, et j’ai organisé ses funérailles officielles à sa demande. Ce fut un moment très difficile et émouvant pour moi, comme il le fut pour les Acadiens de ma génération. J’ai eu de nombreuses discussions au fil des ans avec Roméo LeBlanc, un ancien ministre fédéral de premier plan et ancien gouverneur général et un proche ami. Il m’a fait part de nombreuses observations sur la façon dont Ottawa prend les décisions, sur le rôle du Cabinet et du premier ministre, et sur ceux qui réussissent à obtenir quelque chose – ou à en obtenir le plus – et ce qu’ils obtiennent lors de l’adoption des politiques gouvernementales et des décisions en matière de dépenses. Je m’empresse d’ajouter que LeBlanc n’est pas le ou la ministre qui m’a dit que le Cabinet n’agit plus tant maintenant comme un organe décisionnel que comme un «  groupe de discussion  » du premier ministre. Un certain nombre de journalistes ont repris l’analogie

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du groupe de discussion depuis la parution de Governing from the Centre. De plus, bon nombre d’anciens ministres et trois anciens greffiers du Conseil privé m’ont demandé de quel ministre étaient ces mots. Je n’ai jamais révélé son identité. En 2019, 20 ans après la publication du livre, j’ai demandé à l’ancien ou l’ancienne ministre si je pouvais révéler son nom. Après quelques jours de réflexion, sa réponse a été non, et je respecte sa volonté. Le juge John Gomery m’a demandé de diriger le programme de recherche de la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, qu’il présidait. Ce travail m’a permis de voir sous un nouvel angle la façon dont les dirigeants à Ottawa prennent les décisions et les raisons qui les motivent. Ted Hodgetts, le doyen de l’administration publique au Canada et un homme pour qui j’ai beaucoup d’admiration, m’a dit un jour que je devrais écrire au sujet de mes diverses expériences. « J’ai un titre pour toi : A Gumshoe in the Corridors of Power » (Un détective privé dans les coulisses du pouvoir). Quand il pensait à moi, a-t-il expliqué, il m’imaginait marchant sans bruit dans les coulisses du pouvoir à Ottawa, cherchant à comprendre comment et pourquoi les gens font ce qu’ils font, pour ensuite écrire mes observations. Dans son compte rendu de mon livre Governing from the Centre paru dans le Globe and Mail, Jeffrey Simpson proposait une image semblable : « Bien que professeur titulaire, Savoie surgit à tout bout de champ ici et là à Ottawa, faisant appel à ses informateurs, tel un journaliste chevronné32. » J’ai décidé de revêtir mon rôle de détective non pas pour écrire au sujet de mes expériences, mais pour aider les Canadiens et les Canadiennes à mieux comprendre leur pays et les efforts déployés par les décideurs politiques pour en assurer le fonctionnement. Je suis loin d’être le seul Canadien à proposer des idées sur les moyens de renforcer le Canada et l’identité canadienne. William A. Macdonald a fait une importante contribution en ce sens en publiant Might Nature Be Canadian? Essays on Mutual Accommodation. Michael Ignatieff a écrit un livre sur l’importance de distinguer l’identité canadienne et l’identité américaine33. Dans Yankee Go Home? Canadians and anti-Americanism, Jack Granatstein a recours à l’histoire pour trouver les raisons du sentiment anti-américain présent au Canada et fait ressortir les éléments qui lient les Canadiens à leur pays, dont la dualité anglophone-francophone, le hockey et l’assurance-maladie34. Granatstein s’est joint à une longue liste d’auteurs

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de l’Ontario qui ont cherché à définir l’identité canadienne en la comparant avec celle de notre puissant voisin du Sud. Beaucoup d’autres personnes ont contribué de façon importante à promouvoir une meilleure compréhension du Canada35. Mark Milke a publié The Victim Cult: How the culture of blame hurts everyone and wrecks civilizations, où il explore comment la culture du reproche empêche les individus et les communautés d’assumer la responsabilité de leurs actes36. Je ne connais toutefois aucune étude qui examine comment nos institutions politiques et administratives nationales ont contribué à la victimisation au pays et comment certains groupes, communautés et régions ont pu échapper à leur condition de victimes. Les auteurs de l’Ontario ont tendance à définir l’identité du Canada par rapport à notre omniprésent voisin américain. Ils regardent invariablement les caractéristiques qui permettent de distinguer les Canadiens des Américains. Les auteurs du Québec sont portés à examiner la place de leur province dans la famille canadienne et les mesures de protection de la langue et de la culture françaises contre la puissante attraction culturelle du Canada anglais, et contre l’influence de la culture et des médias américains. Les auteurs du Canada atlantique envisageront probablement l’identité du Canada en fonction de la place qu’occupe leur région dans la famille canadienne. Pour leur part, les auteurs de l’Ouest canadien sont beaucoup moins préoccupés par les États-Unis que leurs homologues ontariens. Ils s’intéressent principalement au meilleur moyen pour leur région de faire entendre sa voix dans la définition des valeurs canadiennes et des politiques nationales37. À la lumière de ce qui précède, on constate que Ramsay Cook avait raison d’affirmer que la question de l’identité canadienne est une question régionale. La présence de victimes dans la société est loin d’être un phénomène exclusif au Canada. Il existe maintenant quantité d’études sur les victimes de crime, mais ce n’est pas cette question qui m’intéresse. Je traite de la victimisation dans une perspective beaucoup plus large. Je ne suis pas le seul. On compte de plus en plus d’ouvrages sur la culture de la victime, la culture de la plainte, la culture de l’injustice, les microagressions, la mentalité de victime et les victimes de discrimination38. Charles J. Sykes a écrit A Nation of Victims: The Decay of the American Character, un ouvrage très lu dans lequel il s’en prend directement à la rectitude politique. Il explique que la montée d’une mentalité de victime aux États-Unis s’est alimentée à différentes

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sources, notamment les groupes d’intérêt lésés, la permissivité du « ce n’est pas ma faute », le mouvement de défense des droits civils et la tendance à noyer sa responsabilité sous un torrent d’explications : le racisme, le sexisme, de mauvais parents, la toxicomanie et la maladie. Il soutient que les Américains sont devenus obsédés par les poursuites judiciaires39. The Victim Cult de Mark Milke décrit tout un spectre de conditions de victime – de légères à modérées et à très sérieuses, où les discours peuvent parfois mener à des actes de violence40. Au Royaume-Uni, Frank Furedi estime que la culture de la victimisation, qu’il associe à l’institutionnalisation de la vulnérabilité, est devenue une force politique puissante41. Des auteurs en France ont aussi fait état de l’essor rapide d’une culture de la victimisation. Caroline Fourest s’est intéressée à la police de la pensée et fait valoir que la culture victimaire imprègne maintenant le discours tant de la droite que de la gauche politique. Elle affirme que la culture victimaire finit par «  envahir notre intimité, assigner nos identités et censurer nos échanges démocratiques42 ». Le Canada n’est pas non plus à l’abri de la culture de la victimisation. Outre celui de Milke, le livre L’empire du politiquement correct de Mathieu Bock-Côté a défrayé les conversations de la classe politique québécoise. Il fait partie de la liste des lectures recommandées par le premier ministre François Legault. Bock-Côté avance que des groupes minoritaires ont pris le contrôle du programme politique et font en sorte qu’il est maintenant très difficile de promouvoir une identité collective et un programme politique43. Le populisme, les doléances et le sentiment d’être victime vont de pair. Les dirigeants populistes sont capables de rallier l’appui des électeurs en soutenant qu’ils ont été lésés par quelqu’un, en particulier par les élites44. Le populisme est profondément enraciné dans certaines régions du Canada, notamment dans l’Ouest et au Québec. Je rappelle aussi au lecteur que Rob Ford a incarné le populisme à l’hôtel de ville de Toronto entre 2010 et 201445. Le système uninominal majoritaire à un tour du Canada ne favorise pas le recours à des partis populistes, ce qui peut fort bien expliquer leur incapacité à prendre pied dans toutes les régions et à l’échelle nationale46. J’affirme que la culture politique du Canada est également un facteur qui freine la croissance du populisme. Plusieurs signes permettent toutefois de croire que la culture de la victime est de plus en plus visible dans le discours politique du

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Canada. Ce livre prétend que la culture victimaire est plus forte au Canada qu’ailleurs parce qu’elle est étroitement liée aux rouages de nos institutions politiques et administratives nationales, à la race, au territoire ou à l’espace et à l’histoire. Dans d’autres pays, la culture de la victime peut donner lieu à un débat politique où il y a des gagnants et des perdants. Au Canada, le débat fait des gagnants, des perdants et des victimes. Je rappelle que ce que lord Durham trouva avant la Confédération était non pas un conflit d’opinions politiques, mais bien un conflit racial. Au Canada, les questions de race sont souvent associées au territoire (par ex. le Québec francophone) et aux réserves désignées (les peuples autochtones), en plus d’être liées aux groupes minoritaires.

aP e r çU d e l ’oU vrage Le débat qui a dominé la scène politique canadienne des années 1960 à la fin des années 1990 ne fut pas aussi bien accueilli par tous les Canadiens. Le débat portait sur la place du Québec dans la Confédération ou sur les « deux solitudes » au Canada. Le livre de Hugh MacLennan intitulé Two Solitudes a suscité de nombreuses discussions tant dans les cercles politiques que dans les salles de classe des écoles secondaires et des universités. En 1965, The Vertical Mosaic (La mosaïque verticale), du Canadien anglais John Porter, était un incontournable pour les élèves du secondaire et les étudiants universitaires47. De leur côté, les étudiants canadiens-français ont réagi avec indifférence, choisissant plutôt de se concentrer sur le moyen d’améliorer la place de leur province au sein de la famille canadienne. Le fait que Porter accorda peu d’attention au Québec et que l’ouvrage ne fut jamais traduit en français n’a pas aidé à susciter un rapprochement entre les deux solitudes. De nos jours, le débat porte sur les questions suivantes : Quelle place toutes les régions du Canada occupent-elles dans la famille canadienne? Comment les peuples autochtones peuvent-ils trouver la place qui leur revient au Canada? Comment divers groupes minoritaires peuvent-ils obtenir des droits fondamentaux? Comment le Canada rural peut-il se développer pleinement? Et pourquoi le Canada urbain ne reçoit-il pas sa juste part des dépenses publiques afin de moderniser ses infrastructures et d’accueillir l’afflux de nouveaux résidents? Les moyens de communication modernes ont permis aux Canadiens de comparer rapidement leur propre bien-être

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et celui de leur communauté, parfois sans se préoccuper des faits. Les chaînes d’information continue et les médias sociaux ne cessent d’avoir une profonde influence sur l’image que les Canadiens ont d’eux-mêmes et de leur région dans la famille canadienne. Le livre examine les communautés canadiennes qui composent le Canada en explorant les caractéristiques qui les définissent, leur histoire et leur relation avec la grande famille canadienne. Il fait ressortir un point commun qui lie les Canadiens et leurs communautés. L’important, c’est que le Canada a pu gérer la victimisation de sa société parce qu’il a appris à faire des compromis à des moments clés de son histoire. Si contradictoire que cela puisse paraître, les institutions politiques et administratives nationales du Canada ont, d’une part, alimenté le victimisme et, d’autre part, permis aux leaders politiques de le gérer et d’aider les victimes à sortir de leur condition de victimes. Bien souvent, aucune des parties concluant un compromis n’est entièrement satisfaite. Cependant, les compromis fonctionnent dans le contexte canadien parce que l’autre option ne présente aucun intérêt. Ils fonctionnent aussi parce que les institutions politiques du Canada sont devenues plus habiles à parvenir à des compromis qu’à prendre des mesures radicales. Le Canada lui-même est né d’un compromis, non de mesures radicales. Le livre aborde la condition de victime sous plusieurs angles. Les régions canadiennes se disent victimes de politiques fédérales malavisées, tandis que des groupes minoritaires s’estiment victimes de forces puissantes qui comprennent là aussi des politiques du gouvernement actuel et des gouvernements antérieurs. Nous faisons le point sur la situation des victimes au Canada, réelles ou perçues comme telles, et évaluons la façon dont la Constitution et les institutions politiques du pays ont contribué à la victimisation de la société canadienne. Nous regardons la situation dans d’autres pays pour voir comment ils traitent les victimes, tant réelles que perçues comme telles là aussi. On trouve dans tous les pays des victimes des guerres, des conflits et du sectarisme. Toutefois, à l’exception du traitement qu’il a réservé jusqu’ici à sa population autochtone, le Canada est beaucoup plus disposé que d’autres pays à réparer les torts du passé, à présenter des excuses pour les fautes commises au cours de son histoire et à aider les victimes à sortir de leur condition de victimes. Ce livre fait valoir

Introduction

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que cette disposition contribue à définir le Canada et son identité nationale. Elle explique également, du moins en partie, la position du Canada sur la scène internationale et son classement parmi les meilleurs pays du monde pour sa qualité de vie.

1 Les Acadiens : victimes d’une guerre non voulue

Je crois que ma réflexion sur le Canada a été façonnée par mes racines, tout comme leurs racines ont façonné la réflexion d’autres Canadiens et Canadiennes. L’engagement de chacun envers le Canada est profondément marqué par ses racines. Un citoyen ou une citoyenne de Rosedale, Toronto ou d’Ottawa sera probablement beaucoup plus attaché au Canada que quelqu’un du Lac-Saint-Jean, au Québec. Les origines d’une personne ont aussi une influence décisive sur le fait qu’elle se perçoive ou qu’elle perçoive sa communauté comme une victime ou non. J’exprime sans doute une évidence, mais les possibilités qu’offre le Canada ne sont pas les mêmes pour tout le monde. J’ai grandi à Saint-Maurice, comme je l’ai mentionné. C’est l’un des plus petits villages du Nouveau-Brunswick, situé à une dizaine de kilomètres de Bouctouche, la ville la plus proche. Voici tout ce que le site Web Roadside Thoughts a trouvé à dire au sujet de Saint-Maurice  : «  Une recherche rapide n’a révélé aucune preuve permettant de croire que, s’il s’agit d’une localité, celle-ci existe encore1. » La localité existe encore, j’en donne ma parole au lecteur. Je me fais un devoir d’y faire un tour au moins une fois par année. À une certaine époque, Saint-Maurice comptait deux écoles à classe unique et une petite chapelle. Sa population continue de diminuer et on n’y trouve plus ni école, ni chapelle, mais Saint-Maurice existe toujours. Cependant, il n’y a rien à Saint-Maurice qui puisse inciter des gens à s’y établir. L’endroit se trouve à sept kilomètres du détroit de Northumberland et de sa zone de pêche. Les terres n’y sont pas propices à l’agriculture; toute culture commerciale y est impossible. Seuls de petits arbres réussissent à pousser dans la forêt de la région, dont on ne peut tirer que du bois de chauffage.

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Pourquoi alors mes ancêtres s’établirent-ils à Saint-Maurice? On m’a dit qu’ils avaient d’abord habité à Bouctouche, sur une terre de choix au bord du détroit de Northumberland, où la pêche était bonne et les terres agricoles, plus fertiles. Cependant, les Britanniques arrivèrent, ils s’emparèrent de leur terre et les forcèrent à se déplacer vers l’arrière-pays. Mes ancêtres savaient fort bien que les Anglais ne s’intéresseraient jamais à Saint-Maurice étant donné les faibles perspectives économiques que l’endroit offrait alors (et offre encore maintenant). Ils déménagèrent donc à Saint-Maurice aussi parce qu’il n’y avait nulle part ailleurs où aller au 19e siècle. Nous savons que les Acadiens vécurent à l’écart des régions les plus peuplées afin d’éviter les contacts avec les Britanniques. Cette pratique se poursuivit jusqu’à la fin des années  19302. Je ne suis pas du tout certain que ce soit la raison pour laquelle mes ancêtres vinrent à Saint-Maurice mais, dans la tradition de l’histoire orale perpétuée depuis longtemps par des générations d’Acadiens, c’est ce qu’on m’a dit. Et c’était bien logique pour moi qui grandissais sur la terre que Dieu donna à Caïn. Saint-Maurice fait partie de la paroisse de Wellington, nommée en l’honneur du duc de Wellington, qui battit Napoléon à Waterloo. Le Nouveau-Brunswick tire son nom de George III, le « roi fou », qui portait également le titre de duc de Brunswick, une région du Centre-Nord de l’Allemagne. Même s’il y aurait beaucoup plus à dire sur George  III, notamment la grande importance qu’il accordait à la science, on se souvient de lui surtout pour avoir perdu les colonies américaines et avoir sombré dans la folie. Les causes de sa folie continuent de susciter des débats3. Peu importe, les Acadiens savaient très bien qui occupait le haut du pavé, qui avait gagné et qui avait perdu, et qui dirigeait tous les aspects des activités gouvernementales et commerciales. Mon grand-père maternel s’appelait Napoléon Collette et l’un de ses héros était Napoléon Bonaparte. Je me rappelle qu’il avait une profonde rancune envers les Anglais, qui avaient perpétré le « Grand Dérangement ». Il croyait que si sa communauté, sa province et le Canada avaient des problèmes, c’était à cause des Anglais. De Saint-Maurice à Bouctouche, où mes parents allaient faire l’épicerie, il y avait un chemin de terre qui devenait impraticable durant une ou deux semaines par année, au printemps, quand il se transformait en boue avec la fonte des neiges. Il fallait alors laisser les voitures de côté. En cas d’urgence, on devait se lever très tôt et

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tenter sa chance sur le chemin de boue gelée. À moins de retourner au village tôt le lendemain matin, on devait laisser la voiture sur la grande route asphaltée et marcher environ huit kilomètres pour rentrer chez soi. Le chemin de Saint-Maurice n’était pas vraiment meilleur durant l’hiver, car c’était l’un des derniers de la liste des routes à déneiger. Je me souviens qu’on l’appelait le Chemin du Roy. Le roi était bien loin de Saint-Maurice, mais on m’expliqua que cela signifiait que le chemin appartenait au gouvernement. J’ai longtemps cru que le gouvernement ou plutôt les gouvernements appartenaient au roi ou à la reine de la lointaine Grande-Bretagne et qu’ils n’avaient pas grand-chose à voir avec nous. On aurait dit que tout, y compris le chemin qui passait devant chez moi, appartenait aux Anglais. Mes parents ont dû m’envoyer dans un collège privé dirigé par des prêtres pour que j’y reçoive une éducation secondaire, car les Acadiens de Moncton n’avaient pas accès à une école secondaire de langue française. Comme tout le monde, mes parents payaient des impôts pour financer le système d’éducation provincial, mais s’ils voulaient faire instruire leurs enfants en français, ils devaient payer pour les envoyer à une école privée – une forme de double taxation des personnes les plus vulnérables économiquement. Bref, il était facile pour nous de nous voir comme des victimes parce que nous l’étions. Les entreprises locales étaient rares dans les collectivités acadiennes. Il était possible de trouver du travail dans le secteur forestier dans les localités environnantes, et de nombreux hommes compétents du village travaillaient à couper du bois à pâte tandis que d’autres travaillaient à Bouctouche, où ils chargeaient du bois à bord de navires venus d’aussi loin que l’Angleterre et l’Allemagne. Certains hommes du village étaient charpentiers ou mains-d’œuvre dans l’industrie de la construction. Ceux des localités situées le long du détroit du Northumberland pouvaient pratiquer la pêche. Ceux qui ne vivaient pas sur la côte devaient partir ailleurs pour trouver du travail, ce que beaucoup ont fait. Un grand nombre de résidents de l’endroit se sont rendus dans « les États de Boston », comme on appelait souvent la Nouvelle-Angleterre à l’époque. Certains sont revenus dans la région, mais la plupart ne sont jamais revenus. Peu d’Acadiens étaient en mesure de faire des études universitaires et, dans la plupart des cas, c’étaient des hommes. Ils étudiaient en droit, en médecine ou en dentisterie, ou se destinaient à la prêtrise.

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Les entrepreneurs locaux aussi étaient rares. Ceux que nous avions étaient actifs dans le secteur des ressources naturelles, notamment la pêche et l’agriculture. Je me souviens qu’E.P.  Melanson exploitait une usine de transformation de homard à la fin des années 1950 à Cocagne, un village de pêcheurs non loin de chez moi. Nous savions tous qu’il était un homme d’affaires acadien qui embauchait d’autres Acadiens, ce qui était rare dans ma localité et les localités voisines. Néanmoins, dans mon village, on le considérait comme un « séraphin », un avare, ce qui n’était pas un modèle à émuler. Le bruit se répandit à la fin des années 1950 qu’il éprouvait de sérieuses difficultés financières. K.C.  Irving, un industriel natif de Bouctouche, lui téléphona pour lui offrir un mot d’encouragement et le pressa de continuer de se battre. Melanson lui expliqua le problème : « Il y a des gars d’Ottawa qui m’appellent au sujet de l’impôt sur le revenu. Voulez-vous bien me dire de quoi ils parlent4? » On comptait cinq entrepreneurs à Saint-Maurice  : un qui tenait dans son salon le petit magasin de campagne local, deux bootleggers, un entrepreneur qui vendait du bois à pâte et mon père, qui avait démarré une entreprise de construction encore active de nos jours. Je souligne que c’est Louis J. Robichaud, l’avocat devenu plus tard premier ministre du Nouveau-Brunswick, qui constitua en corporation l’entreprise de mon père en 1957. Nous n’avions pas grand-chose à voir avec les gouvernements; après tout, ils appartenaient aux Anglais, pas aux Acadiens. L’Église catholique romaine assurait en grande partie la gestion de nos écoles publiques et de nos hôpitaux et s’occupait des services sociaux dans la mesure du possible. En somme, il était facile, quand j’étais enfant à Saint-Maurice, de nous voir comme des victimes. L’histoire nous apprenait qu’on nous avait chassés de nos terres plus d’une fois et que les gouvernements s’intéressaient peu à nous ou à notre communauté. Les Acadiens devinrent des victimes bien avant ma naissance. Nous fûmes victimes d’une guerre à laquelle nous ne voulions pas être mêlés.

l a m aU dIt e gU erre Le groupe 1755 se démarque parmi les musiciens acadiens. On dit de ce groupe rock, qui tire son nom de l’année 1755, soit l’année où commença la déportation des Acadiens, qu’il est emblématique de la culture acadienne moderne. Une de ses chansons les plus populaires s’intitule «  La maudite guerre  », décrite comme une complainte

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acadienne. Zachary Richard, le musicien cadien bien connu, en a écrit les paroles5. Lorsque la guerre de Sept Ans éclata en Europe, les Acadiens voulaient demeurer en dehors du conflit. Ils y furent toutefois entraînés contre leur gré. Des hostilités émergèrent entre la France et la Grande-Bretagne dès 1754 dans les colonies d’Amérique du Nord, alimentés par la lutte que se livraient la France et l’Angleterre pour établir leur suprématie dans le monde6. La guerre de Sept Ans engendra de nombreux combats tant en Amérique du Nord qu’en Europe. En Amérique du Nord, la guerre se rapprochait de plus en plus de l’Acadie, et les Britanniques décidèrent qu’il fallait faire quelque chose au sujet des Acadiens. Les premiers colons français arrivèrent dans le Nouveau Monde en 1604 et s’établirent sur de riches terres agricoles. On commença à les désigner par le nom « Acadiens » vers 1730-1740. Coupés de la France, ils tissèrent des liens étroits avec la nation mi’kmaq qui vivait dans la région. Ils furent témoins de plusieurs guerres coloniales au gré desquelles la France et la Grande-Bretagne exerçaient tour à tour leur souveraineté sur la région. À l’issue de la guerre de Succession d’Espagne, en 1713, l’Acadie fut cédée par la France à la Grande-Bretagne en vertu du traité d’Utrecht et ne repassa plus jamais sous souveraineté française. Les Acadiens virent l’occasion d’être exemptés de combattre dans tout conflit ultérieur. Chaque fois qu’ils le purent, ils firent savoir clairement à la Grande-Bretagne et à la France leur refus de participer à toute guerre susceptible d’opposer les deux puissances dans l’avenir. Ils s’étaient bâti un nouveau pays et ils refusèrent toujours de prêter allégeance à l’une ou l’autre des deux puissances, choisissant plutôt en 1727 de prêter un serment de fidélité qui comportait une clause de neutralité. Par ce serment, les Acadiens se déclaraient des « Français neutres » et s’engageaient à respecter les lois en vigueur, qu’elles soient françaises ou britanniques. Ils indiquaient clairement qu’ils ne prendraient les armes contre personne. Cet arrangement convenait très bien jusqu’à ce qu’un nouveau conflit surgisse entre la France et la Grande-Bretagne dans la vallée de l’Ohio en 1754. Le gouverneur William Shirley, du Massachusetts, écrivit alors à Charles Lawrence, le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse à Halifax (qui deviendrait gouverneur en 1756), pour lui recommander de chasser les troupes et les colons français de l’Acadie. Le lieutenant-colonel Robert Monckton prit la tête de deux bataillons et

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captura le fort Beauséjour. En fait, Lawrence apporta un soutien financier à l’expédition de Monckton sans en avoir obtenu l’autorisation préalable de Londres, grâce aux fonds alloués à la Nouvelle-Écosse par le Parlement britannique7. Il jugea que l’expulsion des Acadiens était une mesure nécessaire pour des raisons militaires8. Mais que faire des Acadiens dont les villages parsemaient les côtes de la Nouvelle-Écosse? Le gouverneur Lawrence insistait pour dire que leur serment de neutralité n’était plus suffisant. Les chefs de la communauté acadienne furent convoqués à une rencontre où ils furent informés qu’ils devaient prêter un serment d’allégeance «  sans réserve ou autrement de quitter leurs terres, parce que les affaires en Amérique étaient dans un tel état de crise, qu’aucun délai ne pouvait être toléré9 ». Les Acadiens continuaient d’invoquer leur neutralité, refusant de participer aux guerres entre la France et la Grande-Bretagne. Leurs arguments furent rejetés et la déportation commença à l’été 1755 au fort Beauséjour, rebaptisé fort Cumberland après sa capture par les Britanniques. Les répercussions de la Déportation se font sentir encore de nos jours. Pas plus tard que le 11 septembre 2021, un Acadien a écrit dans L’Acadie Nouvelle un article qualifiant Charles Lawrence d’«  ennemi numéro un historique du peuple acadien10  ». Les Acadiens, comme d’autres victimes, ont la mémoire longue. Certains Acadiens réussirent à revenir dans les Maritimes après leur déportation, mais la plupart ne revinrent jamais. Ceux qui regagnèrent le pays furent incapables de récupérer leurs terres autour de Grand-Pré, sur la côte de la Nouvelle-Écosse. Les autorités britanniques décidèrent de distribuer les riches terres agricoles que les Acadiens avaient mises en valeur grâce à un système d’aboiteaux ou de boîtes d’écluse en bois, munis de clapets à charnières qui s’ouvraient à marée basse pour permettre le drainage des terres, puis se refermaient à marée haute pour empêcher l’eau salée de les inonder. Le gouverneur Lawrence reconnaissait le potentiel de ces terres. Il écrivit une dépêche aux lords du commerce à Londres : « Dès que les Français seront partis, je ferai tout mon possible pour engager les Gens du Continent à coloniser ces terres [...] et les circonstances additionnelles des habitants qui évacuent le Pays permettront, je m’en félicite, d’accélérer grandement cet événement puisque cela nous fournit une grande Quantité de bonnes terres prêtes à être cultivées immédiatement11. » Les autorités britanniques en Nouvelle-Écosse chargèrent Samuel Borden, un arpenteur de New Bedford, au Massachusetts, d’arpenter

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et de lotir à l’intention d’habitants de la Nouvelle-Angleterre les riches terres agricoles que les Acadiens avaient mises en valeur avant la Déportation. Il reçut une parcelle de terre pour son travail. L’un de ses descendants, sir Robert Borden, qui était le huitième premier ministre du Canada, vit le jour à Grand-Pré en 185412. D’autres colons venus de la Nouvelle-Angleterre bénéficièrent grandement des terres fertiles mises à leur disposition, ce qui amena un correspondant anglais alors présent à Halifax à écrire que la Déportation était un «  grand et noble stratagème  » et qu’elle était «  l’un des plus grands exploits jamais accomplis par les Anglais en Amérique13 ». John Faragher a fait de cette phrase le titre de son livre largement acclamé A Great and Noble Scheme: The Tragic Story of the Expulsion of the French Acadians from Their American Homeland. Il y explique que la Déportation permit aux colons venus de la NouvelleAngleterre d’obtenir de riches terres agricoles à bon marché14. Les Britanniques remportèrent la guerre de Sept Ans et la France perdit définitivement toute prétention sur le Canada. Les Acadiens vécurent une période très sombre entre 1755 et 1960. Leur objectif était de survivre, ce qui exigeait une vigilance constante. Ils avaient perdu à tout jamais leurs terres ancestrales et n’avaient aucun territoire qu’ils pouvaient considérer comme le leur. Le foyer de la vie acadienne se déplaça du bassin des Mines, en Nouvelle-Écosse, au Sud du Nouveau-Brunswick, où s’étaient réfugiés certains de ceux qui avaient échappé à la Déportation. Les Acadiens s’accrochèrent les uns aux autres et se tournèrent vers l’Église catholique romaine pour qu’elle montre la voie à suivre. Bien que les Acadiens aient été traditionnellement des agriculteurs, ils s’établirent principalement sur des terres non désirées et infertiles le long du littoral après la Déportation. C’étaient les seules terres auxquelles ils pouvaient avoir accès. Ils se firent pêcheurs, mais l’environnement économique leur était hostile. Ils étaient obligés d’échanger leurs prises contre de la nourriture dans des magasins appartenant à des commerçants selon un système de troc, sans argent. En échange de leurs prises, les commerçants accordaient du crédit aux pêcheurs pour financer leurs achats de nourriture, de vêtements et d’agrès de pêche. Certains marchands exploitaient les pêcheurs en leur demandant beaucoup pour les produits tout en leur donnant trop peu pour leur poisson. Ils disposaient ainsi d’une clientèle captive pour leurs produits et d’un approvisionnement assuré en poisson15. Il n’est pas exagéré d’affirmer que de nombreux

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Acadiens se trouvaient presque dans un état de servitude. Je m’empresse d’ajouter, cependant, que le système de troc dans le secteur des pêches ne se limitait pas aux localités acadiennes. Après la Déportation, les Britanniques étaient réticents à concéder des terres aux Acadiens. Lorsqu’ils le faisaient, ils leur imposaient des conditions rigoureuses, dont l’obligation de s’installer dans de petites localités éloignées les unes des autres. Les colons britanniques et, plus tard, les Loyalistes réclamèrent les meilleures terres agricoles. Dans certains cas, des familles acadiennes furent déracinées une nouvelle fois pour faire place à l’arrivée massive de Loyalistes dans la région à la suite de la Révolution américaine. Les Acadiens vécurent dans la peur des Anglo-protestants durant de nombreuses années après 1755. Ils ne savaient jamais quand ceux-ci reviendraient les expulser à nouveau de leurs terres. L’Église catholique romaine, nous l’avons vu, jouait un rôle central durant la période qui suivit la Déportation mais, même au sein de l’Église, les Acadiens se heurtaient à des problèmes, car la pression exercée sur eux pour qu’ils s’assimilent à la population anglophone était aussi forte de la part des évêques catholiques irlandais que de celle des Anglo-protestants. Cela dit, l’Église catholique romaine dirigea la destinée de nombreuses localités acadiennes. Le curé était roi dans ses localités, le maître incontestable de la paroisse, ce qui lui valait énormément de respect et de pouvoir. L’Église administrait l’éducation et les soins de santé, en passant par l’aide sociale, et dirigeait même l’économie dans une large mesure. Son influence se faisait sentir dans la plupart des activités, commerciales ou autres. Les Acadiens respectaient les limites de leur paroisse ou de leur village et s’aventuraient rarement dans d’autres localités. À cause de leur histoire, les Acadiens devinrent un peuple replié sur lui-même, dominé par l’Église, qui craignait le monde extérieur. On estimait que le monde extérieur avait fait de nous des victimes en nous dépouillant de tous nos biens et en nous dispersant dans toutes les directions après 1755.

l eS a c a dI e N S e t l a co Nfédérat I oN Les Acadiens ne furent pas des acteurs et ne furent en fin de compte qu’un facteur négligeable dans les débats entourant la Confédération. Ils étaient dépeints comme des gens à demi sauvages, sans instruction, et leurs points de vue furent écartés du revers de la main par la majorité16. Aucun Acadien, ni d’ailleurs aucun francophone de

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l’extérieur du Québec, n’était présent aux conférences de Charlottetown, de Québec ou de Londres. Il n’était pas prévu que les droits des francophones, dans la mesure où ils avaient de l’importance au moment de la Confédération, s’étendraient au-delà des frontières de la future province de Québec17. Cependant, les Acadiens avaient le droit de vote et ils s’opposèrent fortement à la Confédération18. Ils virent – ou de nombreux membres du clergé catholique leur dirent – que la disposition linguistique sur laquelle les Pères de la Confédération s’étaient entendus ne s’appliquerait pas à eux. On sait que les Acadiens votèrent contre la Confédération à deux occasions : en 1865 et à nouveau en 1866. Léon Thériault explique que, faute de documents portant sur les Acadiens et la Confédération, on ignore exactement ce qui les motiva à voter contre la Confédération. On sait néanmoins que le clergé catholique local se prononça contre la Confédération et on peut présumer que la population acadienne suivit ses conseils, compte tenu de sa grande influence dans les localités acadiennes19. On sait aussi que les chefs de file acadiens ne suivirent pas l’exemple de Cartier et de Langevin, deux francophones du Québec qui appuyaient la Confédération. Selon un observateur, les Acadiens savaient dès 1864 que leurs intérêts ne concordaient pas toujours avec ceux du Québec20. Ils constatèrent bientôt qu’ils avaient raison. Le Québec assuma les pouvoirs en matière d’éducation tandis qu’au Nouveau-Brunswick l’Assemblée législative adoptait la Common Schools Act (1871), qui visait à établir un système d’enseignement uniformisé dans la province et à rendre toutes les écoles non confessionnelles. L’enseignement du catéchisme catholique romain fut donc interdit au Nouveau-Brunswick. Les Acadiens survécurent après la Confédération en s’accrochant les uns aux autres, en vivant dans de petites localités isolées, en limitant leurs contacts avec le monde extérieur, en se tournant vers l’Église catholique romaine pour qu’elle les éclaire en toutes choses et en cherchant simplement à survivre plutôt qu’à jouer un rôle de premier plan sur la scène politique et dans le monde des affaires.

l e r é v eIl Tout changea avec l’élection de Louis J. Robichaud en tant que premier ministre du Nouveau-Brunswick en 1960. Je fais remarquer, par exemple, que ce n’est qu’après l’élection de Robichaud qu’on

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appliqua un enduit superficiel sur le chemin de Saint-Maurice. Les années 1960 marquèrent un nouveau départ non seulement pour les Acadiens, mais aussi pour les autres francophones à l’extérieur du Québec. Soudain, nous étions devenus à la mode. Le mouvement nationaliste au Québec prenait rapidement de la vigueur et le gouvernement fédéral répondit par des mesures visant à renforcer les communautés francophones partout au Canada. En 1968, Pierre E. Trudeau, un Québécois qui croyait que le Canada français ne se limitait pas simplement au Québec, fut élu premier ministre du Canada. Il conclut que le meilleur moyen de combattre le séparatisme au Québec était de démontrer aux Québécois que des communautés francophones fortes et dynamiques avaient la possibilité de s’épanouir dans toutes les régions du Canada. Du jour au lendemain, les occasions d’emploi dans le secteur public se multiplièrent pour les francophones de l’extérieur du Québec, tout comme les investissements dans nos institutions publiques. Le fait d’être Acadien comportait tout à coup des avantages importants. Nous n’étions plus les laissés-pour-compte, et les gouvernements n’étaient plus uniquement au service des Anglais. On construisit une école secondaire francophone à Moncton, qui en compte maintenant deux. Mon université fut fondée en 1963, trois ans après l’arrivée de Robichaud au pouvoir. Le gouvernement Robichaud adopta la Loi sur les langues officielles en 1969, dont les effets se font sentir encore aujourd’hui. Enfin, le temps était venu pour nous d’avoir notre place au soleil, du moins selon notre perception, et nous étions prêts à profiter pleinement des chances qui s’offraient à nous. Notre raisonnement était simple : toutes les occasions de servir au sein de l’appareil gouvernemental ou presque avaient été réservées aux anglophones jusque dans les années 1960. Nous avions donc un grand retard à rattraper. Il y eut une réaction chez la majorité anglophone du NouveauBrunswick. Beaucoup d’anglophones estimaient que les gains réalisés par les Acadiens signifiaient des pertes pour eux-mêmes. Le statu quo leur avait très bien convenu au cours des années et ils ne voyaient aucune raison d’y changer quoi que ce soit. Ils devaient maintenant s’adapter. Nous considérions que c’était maintenant à eux de changer, pas à nous. Le statu quo est une force puissante en ce qui concerne le gouvernement et la politique publique, comme en toute chose. Les personnes qui tiennent le gros bout du bâton voient rarement la

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nécessité d’apporter des changements qui, au bout du compte, affaibliraient leur position, du moins selon leur perspective. Pourquoi le feraient-elles? J’ai décelé un sentiment d’indignation de la part de certains « Anglais » au début des années 1970. Je me souviens d’un anglophone de Moncton étudiant à l’Université du NouveauBrunswick qui m’a dit que, contrairement à lui qui était anglophone, je n’aurais aucune difficulté à me « trouver un emploi » parce que j’étais « Français ». Sa réaction était bien modérée comparativement à d’autres. Maintenant, la situation était inversée. Soudainement, les Anglais du Nouveau-Brunswick se voyaient d’une certaine façon comme des victimes. Ma famille déménagea à Moncton en 1959 pour permettre à mon père de faire croître son entreprise. Vers cette époque, la ville devint un foyer de tensions entre francophones et anglophones. L’Université de Moncton attirait des étudiants et étudiantes du Nord de la province et du Québec. Le Nord du Nouveau-Brunswick est très différent de Moncton en ce sens que c’est une région rurale et largement francophone; dans certaines localités, on entend peu parler anglais, voire pas du tout. Une majorité de résidents de Moncton, à l’époque comme de nos jours, est bilingue. Ce n’est qu’en 2002 que la ville est devenue officiellement bilingue. Je signale qu’Ottawa, la capitale nationale du Canada, est devenue bilingue encore plus tard, en 2018. Peu après la création de l’Université, des tensions émergèrent entre les deux groupes linguistiques lorsque des étudiants et étudiantes universitaires menèrent la charge pour réclamer une amélioration des services en français offerts par la municipalité. Un groupe d’étudiants de l’Université de Moncton se rencontrèrent pour discuter du rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (le rapport Laurendeau-Dunton), publié en cinq parties entre 1967 et 1970. Les discussions portaient principalement sur les services bilingues fournis par les administrations municipales, en particulier la Ville de Moncton21. Les étudiants critiquèrent sévèrement la lenteur des progrès – si progrès il y avait – réalisés par la Ville de Moncton dans la prestation de ses services dans les deux langues. Certains, pour la plupart originaires de l’extérieur, décidèrent d’organiser une marche sur l’hôtel de ville. Des étudiants et, en particulier, les administrateurs de l’Université estimaient qu’il leur fallait quelqu’un de Moncton pour agir comme porte-parole de la marche, sachant que le maire demanderait si les étudiants ou leurs parents résidaient à Moncton

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et payaient des taxes à la municipalité. Le recteur de l’Université intervint et s’entendit avec les étudiants pour que mon frère Claude soit à la tête de la délégation. Entre 1 000 et 1 500 étudiants prirent part à la marche. À l’intérieur de l’hôtel de ville, ils furent reçus par le conseil municipal avec froideur et agressivité. Un conseiller demanda immédiatement au conseil de réaffirmer son allégeance à la monarchie, croyant que cela avait quelque rapport avec la capacité ou la volonté de l’administration municipale de fournir des services en anglais et en français. Le maire Leonard Jones refusa d’entendre la présentation de la délégation en français parce que les membres de son conseil et lui comprenaient tous l’anglais. Claude passa rapidement à l’anglais pour faire sa présentation. Il essuya les huées et les insultes des gens présents dans la salle du conseil  : «  Retournez chez vous, frogs  », «  Parlez la langue des Blancs  ». Claude demeura calme, respectueux, fit sa présentation en anglais et remercia le maire et le conseil de leur attention. Encore aujourd’hui, j’estime que mon frère sortit gagnant de l’affrontement. C’était une situation très explosive; un seul faux pas aurait pu mener à la violence. Il réussit à sortir de l’hôtel de ville sans provoquer d’émeute. J’ai demandé à Claude s’il avait revu le maire Jones après la rencontre. « Une fois, juste une fois, le lendemain. Je lui ai seulement dit qu’il n’avait pas été gentil lors de la séance. Jones s’est contenté de hausser les épaules, puis nous sommes partis chacun de notre côté. Je ne l’ai plus jamais revu. » Les étudiants de Moncton comprenaient la dynamique interne de l’hôtel de ville parce que nous étions habitués à une telle attitude. Cependant, ceux du Nord du Nouveau-Brunswick et du Québec ne la comprenaient pas. Ils en avaient ras-le-bol. Le lendemain de la marche sur l’hôtel de ville, il était prévu que le maire Jones procéderait à la mise au jeu officielle donnant le coup d’envoi d’une série de matchs de hockey entre deux équipes locales à l’aréna Jean-LouisLévesque, sur le campus de l’Université. Quelques minutes avant le début du match, environ 150 étudiants entrèrent sans payer dans l’aréna, tandis qu’une douzaine de policiers les regardèrent passer sans intervenir. Les étudiants défilèrent autour de l’aréna en chantant le Ô Canada! en français. Comme on s’inquiétait pour la sécurité du maire, on s’empressa apparemment de le faire monter dans une voiture de patrouille qui attendait et on l’escorta à l’extérieur du campus.

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Ayant appris que le maire ne serait pas présent à l’aréna, deux étudiants du Québec se rendirent à la résidence de Jones et déposèrent une tête de cochon sur le pas de sa porte dans une grande boîte de carton, avec une carte signée par Jacques Belisle et Jacques Moreaux qui disait : « Voici un cadeau que nous vous offrons. » Les deux signataires étaient accompagnés de 50 à 70 étudiants lorsqu’ils se rendirent chez le maire. Belisle et Moreaux furent arrêtés sur-lechamp et des accusations furent déposées contre eux. Je mentionne que le documentaire L’Acadie, l’Acadie?!?, produit par l’Office national du film du Canada (oNf ), contient des images de la visite de la délégation à l’hôtel de ville. Le lendemain, l’Université s’attendait au pire. L’administration décida de demander à quelques étudiants de se tenir prêts à répondre aux appels téléphoniques qu’elle prévoyait recevoir de membres de la communauté anglophone. Encore une fois, elle veilla à ce que ces étudiants soient résidents de la région de Moncton. J’étais l’un d’entre eux. Jamais auparavant je n’avais été exposé à tant de venin et jamais je ne l’ai été depuis. J’entendis la plupart des jurons qu’on peut trouver dans la langue anglaise et je me fis dire en des termes sans équivoque de retourner en France. Un interlocuteur irrité me dit : « Retourne chez toi, maudit frog. – Et c’est où, chez moi? – En France, imbécile de frog », fut sa réponse, puis il raccrocha. Il y avait très, très longtemps que mes ancêtres avaient quitté la France pour l’Acadie, et je ne pouvais même pas imaginer la France comme ma patrie. Je me mordis la langue plus d’une fois, sachant que je ne ferais qu’envenimer les choses en provoquant un débat avec les appelants. Les tensions étaient vives entre les étudiants de l’Université et les citoyens anglophones de Moncton, et la moindre provocation aurait pu facilement dégénérer en violence22. Élu pour la première fois en 1963, Leonard Jones fut le maire de Moncton durant les 11 années suivantes. Il obtint l’investiture du Parti progressiste-conservateur (PPc) en vue des élections fédérales de 1974, mais je rappelle que le chef du Parti, Robert Stanfield, refusa de signer l’acte de candidature de Jones à cause de son opposition à la politique du Parti sur le bilinguisme. Jones décida de se présenter comme candidat indépendant et remporta l’élection devant les libéraux, le NPd et le député sortant, le candidat progressiste-conservateur. Jones réussit à obtenir 46 % des voix.

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Les Acadiens comprirent parfaitement le message : leur présence et leur lutte pour la reconnaissance des droits linguistiques allaient à l’encontre des vœux de la majorité. Pour la majorité des anglophones de Moncton, si les Acadiens étaient des victimes, cela ne posait aucun problème. Jones décida de ne pas se porter candidat lors de l’élection générale de  1979. Plus tard, il fut reconnu coupable de fraude fiscale pour avoir produit des déclarations de revenu fausses et trompeuses entre 1974 et 1977. De plus, il démissionna du Club Rotary de Moncton pour protester contre sa décision d’admettre des femmes parmi ses membres23. Ironiquement, Leonard Jones finit par devenir l’une des principales forces qui incitèrent les Acadiens à revendiquer des droits linguistiques. Son attitude belliqueuse envers les étudiants de l’Université de Moncton et son refus de faire la moindre concession qui aurait pu ressembler à une ouverture au bilinguisme (ne serait-ce que l’érection d’une plaque bilingue sur l’hôtel de ville) amenèrent de nombreux Acadiens qui avaient été jusque-là réticents à faire des vagues et à revendiquer l’égalité linguistique, du moins à Moncton, à conclure que le temps était venu : trop, c’est trop. Peu d’Acadiens de Moncton furent impliqués directement dans les manifestations étudiantes, mais pendant que nous regardions en retrait les événements se dérouler, nous comprenions ce que les étudiants de l’extérieur essayaient d’accomplir, même si nous n’étions peut-être pas toujours d’accord sur les moyens employés. Mais les choses commencèrent à changer. À la fin des années 1960, quelques entreprises de Moncton se mirent à faire de la publicité en français et en anglais. Aujourd’hui, Moncton est très différente de ce qu’elle était dans les années 1960. Un certain nombre de jeunes de l’extérieur venus étudier à l’Université choisirent de rester à Moncton. Plusieurs y créèrent des entreprises et figurent maintenant parmi les chefs de file de leur communauté. Dans une rétrospective de ses années en politique, Leonard Jones n’avait aucun doute sur la cause de la montée des tensions entre francophones et anglophones à Moncton : l’Université de Moncton. Un discours qu’il prononça devant l’Alliance for the Preservation of English in Canada le 20 novembre 1978 mérite qu’on en cite un long passage  : «  Au début des années  1960, les Anglais et les Français vivaient dans la paix, l’harmonie et la bonne entente dans la ville de Moncton, dont j’étais alors le maire. Nous avions tous grandi

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ensemble, fréquenté les mêmes écoles, été membres des mêmes scouts ou d’autres organismes du genre. Et ce que je dis là n’est pas du jargon politique. Les choses ont toutefois changé dans la ville lorsqu’on y a fondé une université. » Il affirmait que les citoyens anglophones de Moncton avaient contribué financièrement à la création de l’Université, mais que les personnes de langue anglaise n’y étaient pas admises. Bien sûr, cette affirmation a toujours été fausse; il y avait et il y a encore de nombreux Canadiens anglophones inscrits à l’Université. Toutefois, la langue d’enseignement y est le français, au même titre que l’anglais est la langue d’enseignement à l’Université du Nouveau-Brunswick et aux universités Mount Allison et Saint Thomas. Jones prétendait également que l’Université refusait des personnes de la région de Moncton et qu’elle préférait les Québécois. C’était aussi complètement faux, un mensonge à la Donald Trump. Il n’expliqua jamais comment il était arrivé à cette conclusion. Il se peut qu’il ait entendu cela dans les rues de Moncton et qu’il se soit dit que ce devait être vrai24. Le Canada et, en particulier, le Nouveau-Brunswick ont vu se succéder les organisations telles que l’Alliance for the Preservation of English in Canada. J’ai souvent demandé : comment peut-on sérieusement croire que des mesures soient nécessaires pour « protéger » la langue anglaise n’importe où en Amérique du Nord? La réalité démographique de l’Amérique du Nord, la diffusion de l’information au moyen de publications et de la recherche scientifique et maintenant Internet font tous de l’anglais la langue de choix. À l’inverse, la langue française se trouve dans une situation précaire en raison de la diminution du poids démographique des francophones au Canada et du recul du français comme langue parlée tant au travail qu’à la maison25. Mais les choses changent et les organisations telles que l’Alliance for the Preservation of English in Canada ne sont pas prises au sérieux par la grande majorité des Canadiens et des Canadiennes anglophones, y compris ceux de Moncton et du Nouveau-Brunswick. Moncton, nous l’avons vu, a été la première ville canadienne à se déclarer officiellement bilingue. Elle a affirmé clairement que tous les services municipaux et tous les documents de la ville seraient disponibles en français et en anglais26. La plupart des entreprises de la ville n’ont pas besoin de se faire dire d’embaucher du personnel bilingue : beaucoup le font parce que c’est dans leur intérêt commercial. Il y a 30 ans, l’un des principaux hommes d’affaires de Moncton, un anglophone, a demandé à rencontrer mon frère Claude. Il lui a dit

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qu’il venait de voir L’Acadie, l’Acadie?!? et qu’il voulait lui présenter ses excuses. Il a expliqué qu’il ne comprenait pas bien la vie politique de Moncton à l’époque du maire Jones. Avec le recul, il se disait honteux d’être resté silencieux durant cette période. Il a affirmé que de tels événements ne se produiraient plus jamais à Moncton parce que les gens d’affaires de la ville ne le permettraient pas27. La situation a changé également dans la province. Pendant la pandémie de covId -19, la médecin hygiéniste en chef du NouveauBrunswick, Jennifer Russell, a tenu des points de presse télévisés presque quotidiens dans les deux langues officielles. Cela aurait été impensable il y a 60 ans, sauf dans le cas très peu probable où un Acadien ou une Acadienne aurait été médecin hygiéniste en chef. On peut en dire autant de la médecin hygiéniste en chef de l’Île-duPrince-Édouard, Heather Morrison, qui a aussi présenté ses séances d’information dans les deux langues officielles. L’élection de Louis J. Robichaud au poste de premier ministre du Nouveau-Brunswick, la création de l’Université de Moncton, les événements survenus à l’hôtel de ville de Moncton en 1968 et l’adoption par la province de la Loi sur les langues officielles ont tous été des moments déterminants pour la renaissance acadienne. Maintenant, nous participons pleinement à la vie politique et économique de notre région.

l e S a c a dIe N S aU S t a d e de la mat U rI té De nos jours, les Acadiens et Acadiennes de Moncton, du NouveauBrunswick et du Canada forment des communautés florissantes. Les trois administrations publiques sont maintenant officiellement bilingues et les résidents francophones et anglophones peuvent communiquer avec elles dans la langue de leur choix. On trouve de nombreux Acadiens dans les trois ordres de gouvernement, tant parmi les dirigeants politiques que dans la fonction publique. C’était rarement le cas avant les années 1960. Alors qu’ils en étaient absents il y a une soixantaine d’années, les Acadiens apportent également une contribution importante au milieu des affaires. Ils comptent maintenant parmi les entrepreneurs les plus dynamiques du Nouveau-Brunswick. Beaucoup ont créé des entreprises très prospères qui ont un rayonnement international dans divers secteurs, de la production alimentaire au secteur manufacturier. Nous y reviendrons plus loin dans l’ouvrage.

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Les professeurs et professeures de mon université et de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, contribuent aux publications dans leur domaine. Nos établissements de soins de santé et d’enseignement soutiennent la comparaison avec ceux des autres régions. On a souvent décrit les divisions linguistiques observées à Moncton et au Nouveau-Brunswick comme étant un microcosme du Canada. L’expérience de Moncton démontre que nous pouvons faire fonctionner le Canada. Mais elle offre aussi une autre leçon importante : le Canada français, à l’instar du Canada lui-même, est une nation de régions. Il était possible parler d’un seul Canada français il y a 60  ans, mais plus maintenant. Il y a 60  ans, les Canadiens français pouvaient se reconnaître des intérêts communs. Les Canadiens français de Cap-Saint-Georges à Terre-Neuve, de Saint-Boniface au Manitoba ou de Maillardville en Colombie-Britannique s’identifiaient facilement au chandail de hockey des Canadiens de Montréal. Maurice «  le Rocket  » Richard avait des admirateurs dans toutes les localités francophones du Canada, y compris dans notre maison, à Saint-Maurice. De plus, nous partagions les mêmes valeurs, une même cause et des liens étroits avec l’Église catholique romaine. Nous avions également un objectif commun : la survivance. De nos jours, il y a des nombreux Canadas français. Par exemple, le clivage et les tensions politiques entre Québécois et Acadiens sont maintenant presque aussi marqués qu’ils peuvent l’être entre le Canada anglais et le Québec. On observe en effet des tensions grandissantes entre les communautés francophones du Canada, qui ont de plus en plus de mal à trouver une communauté d’intérêts. Ainsi, lorsque la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick a voulu accueillir le Sommet de la Francophonie, elle s’est vite rendu compte qu’elle ne pouvait pas compter sur l’appui de ses cousins québécois. Ceux qui auraient été nos alliés les plus naturels il y a une soixantaine d’années souhaitaient maintenant minimiser la présence des francophones à l’extérieur du Québec dans le but de favoriser leurs propres objectifs28. Je suis heureux de signaler que les Acadiens ont pu prospérer dans ce nouvel environnement. La communauté acadienne a accueilli le 8e Sommet de la Francophonie en 1999 et, de l’avis de tous, ce fut un succès29. Des Acadiens et des Acadiennes continuent de remporter des prix dans tous les secteurs, du milieu des affaires au secteur des arts et de la culture en passant par le monde du sport. Nous nous attarderons plus longuement sur leurs succès dans les pages qui suivent.

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e Nc o r e d eS v I ctI me S? Un ancien sous-ministre fédéral acadien m’a dit il y a quelques années : « Tu sais, nous ne sommes plus à la mode dans les dépenses du gouvernement fédéral. Ce sont maintenant les peuples autochtones qui ont la cote. Ils ont pris notre place. » En d’autres mots, selon cet ancien sous-ministre, l’État fédéral ne considère plus les Acadiens comme des victimes; les peuples autochtones les ont remplacés à ce titre. Il a raison. Il y a plus de 50 ans, Louis J. Robichaud donna aux Acadiens les outils dont ils avaient besoin pour prospérer  : le cabinet du premier ministre, la Loi sur les langues officielles, un système d’éducation solide, une université, la possibilité de participer à la prise des décisions publiques et la confiance nécessaire pour pouvoir apporter une contribution dans tous les secteurs. En somme, les Acadiens avaient besoin de Louis J. Robichaud en 1960 pour sortir de leur coquille : il était l’homme qu’il fallait au moment opportun. Cependant, il est difficile de s’affranchir du moule une fois qu’on est une victime. Le fait d’être victime comporte certainement de nombreux avantages. Il donne lieu à de généreux programmes gouvernementaux et paiements de transfert sous une forme ou une autre. De plus, on a ainsi une excuse toute faite au cas où les choses ne se passeraient pas comme on le souhaite. Plus précisément, le fait d’être victime permet d’échapper à ses responsabilités. J’ai constaté que l’intervention gouvernementale mène trop souvent à la dépendance, de sorte que des individus et même des communautés deviennent dépendants de la poursuite des dépenses publiques et perdent leur capacité de devenir autosuffisants. Je l’ai observé dans ma propre université. Certains de mes collègues professeurs réclament constamment une augmentation du financement public et la parité salariale avec leurs homologues des universités anglophones de la région. J’ai toujours affirmé que, dans ce cas, il faut aussi comparer les résultats, comparer le montant des subventions de recherche obtenues et le nombre de publications dans des revues et des ouvrages à comité de lecture, en fonction du nombre de professeurs. La plupart de mes collègues sont peu intéressés à un tel exercice; plusieurs allèguent plutôt que l’histoire et la majorité anglophone ont freiné notre avancement et que nous avons donc besoin d’une aide gouvernementale particulière.

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Dans mes publications antérieures, je me suis inspiré d’un de mes collègues de l’Université de Moncton pour faire valoir que nous avons maintenant des Acadiens subventionnés par l’État30. Je me souviens que ma mère demandait aux résidents de Saint-Maurice de faire une contribution, si petite soit-elle, parfois de 25 sous seulement, pour appuyer la Société nationale des Acadiens. Depuis, les programmes gouvernementaux ont remplacé les contributions volontaires et pris en charge le financement de groupes acadiens. Des Acadiens qui désirent promouvoir les intérêts de leur communauté sont maintenant inscrits dans le livre de paye de l’État. En somme, Ottawa a institutionnalisé les groupes de pression acadiens, et certains Acadiens sont payés pour être Acadiens, comme le dit mon collègue Maurice Basque. Par le fait même, les gouvernements ont créé des bureaucraties parallèles qui se comportent de la même façon que les bureaucraties gouvernementales. J’ai très rapidement été pris à partie pour mes propos dans des restaurants, des rencontres, des appels téléphoniques et, je suppose, sur les réseaux sociaux. On m’a dit en des termes on ne peut plus clairs que, en tant qu’Acadien, je n’aurais jamais dû exprimer ce commentaire par écrit31. Claude Bourque, l’ancien directeur de la station régionale de radio et de télévision de Radio-Canada, m’a écrit ainsi qu’au recteur de mon université pour dire que mes opinions allaient à l’encontre des intérêts des communautés acadiennes et que, dorénavant, mes écrits devraient porter uniquement sur des questions nationales et internationales32. Ce qu’alléguait Claude Bourque, parmi d’autres, c’est que je manquais en quelque sorte de loyauté envers la cause acadienne, ce qui soulève la question suivante : les Acadiens doivent-ils se percevoir encore comme des victimes? À mon avis, la réponse est non, du moins si on les compare à de nombreux autres groupes minoritaires du pays ou de l’étranger, comme nous le verrons plus loin. Mais il est possible de tirer avantage de la condition de victime ou, du moins, d’obtenir des fonds publics. Les Acadiens et les groupes acadiens qui reçoivent du financement du gouvernement cherchent toujours à savoir s’ils obtiennent leur juste part des fonds publics et, sinon, pourquoi ce n’est pas le cas. Ils estiment que l’attribution de fonds publics devrait se fonder sur l’équité plutôt que sur le rendement ou le mérite. Je m’empresse d’ajouter que les Acadiens ne sont pas les seuls à penser ainsi, comme je l’explique clairement dans les prochains chapitres. C’est

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un sentiment qu’on rencontre tant chez les individus que parmi les groupes, les communautés et les régions. Bref, pourquoi renoncer à la condition de victime si cela entraîne une diminution du financement public? Depuis une cinquantaine d’années, les gouvernements ont fait leur part pour aider les Acadiens à sortir de leur condition de victimes. Ils nous ont donné les outils nécessaires pour faire de nous des participants à part entière dans la vie politique et économique du Canada. Nous avons maintenant ce qu’il faut pour participer pleinement à la société dans tous les secteurs, que ce soit dans le monde des affaires, en politique, dans la fonction publique, le milieu universitaire, les sports ou les arts et la culture. Il en revient à nous, individuellement et collectivement, de tirer avantage des possibilités qui s’offrent. L’expérience acadienne illustre les forces du Canada. L’Acadie a connu une histoire douloureuse. Les Acadiens ont refusé de prendre position dans une guerre dont ils ne voulaient pas et qui ne les concernait pas. Nos ancêtres l’ont payé très cher et ont été écartés du gouvernement durant plus de 200 ans et presque invisibles dans la vie économique de leurs collectivités. En 60 ans à peine, nous avons pu nous tailler une place solide dans tous les aspects de la vie politique et économique de nos collectivités, et nous y sommes parvenus parce que les gouvernements nous ont ouvert la voie. J’ai de très bonnes raisons d’affirmer que l’avenir de ma communauté acadienne est lié à la capacité des Acadiens et Acadiennes de créer de nouvelles entreprises, de soutenir la concurrence sur le marché et d’exceller dans tous les secteurs d’activité. Il était approprié il y a 60 ans de faire valoir au gouvernement que nous avions besoin d’un appui particulier, quand nous commencions à nous libérer de notre condition de victimes, mais ce n’est plus le cas. Si nous sommes incapables de prendre la place qui nous revient dans nos collectivités malgré tous les outils qui nous ont été fournis, conjugués au progrès que nous avons accompli ces dernières années, une augmentation des fonds publics et la création de nouveaux programmes spéciaux ne seront d’aucune aide. Elles ne peuvent que nous rendre plus dépendants du financement public. J’ai aussi de très bonnes raisons de faire valoir que les Acadiens sont en bonne voie de se débarrasser de leur étiquette de victimes. Avec le recul, on constate que les Acadiens ont fait du progrès en ce sens de deux façons. Les années Robichaud ont, bien entendu, ouvert la voie aux Acadiens du Nouveau-Brunswick, mais il existait

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un autre facteur important. Je rappelle qu’un grand nombre d’Acadiens, dont plusieurs de mes amis et membres de ma famille – des oncles, tantes, cousins, cousines, deux de mes sœurs et mon frère aîné  –, ont fait comme beaucoup de gens des Maritimes dans les années 1950 et 1960 et sont partis chercher du travail dans la région de Boston. Certains sont revenus, mais beaucoup y sont restés. Les Acadiens qui se sont établis en permanence en NouvelleAngleterre ont vite laissé derrière eux leur mentalité de victimes. Ils se sont complètement assimilés et sont devenus de fiers Américains. Je revois ces parents et amis de temps à autre, et j’aurais du mal à faire la différence entre eux et les autres Américains. Ce sont des Américains, pas des Américains acadiens. De plus, un nombre étonnamment important d’entre eux ont endossé la campagne de Donald Trump sous le slogan «  Make America Great Again  ». Certains ne voient aucune raison d’accueillir des immigrants mexicains aux États-Unis et applaudissent à l’idée de construire un mur pour séparer les deux pays. Ils oublient que, il n’y a pas si longtemps, ils étaient eux aussi des immigrants, bien que d’un pays différent. Il est plus facile pour un Acadien blanc de s’intégrer dans le courant dominant américain que ce ne l’est pour les non-Blancs. Les Acadiens qui se sont établis dans la région de Boston il y a une cinquantaine d’années font partie d’une majorité aux États-Unis, du moins pour l’instant. La question est alors de savoir qui se trouve dans la meilleure situation : l’Acadien définitivement établi à Boston ou le Canadien acadien? Il n’y a pas de réponse absolue à cette question. La plupart des Acadiens restés à Boston ont su tirer leur épingle du jeu dans le milieu des affaires et d’autres secteurs33. Ou bien ils se sont adaptés facilement au mode de vie américain, ou bien ils sont rentrés aux Maritimes. Ceux qui sont restés aux États-Unis accordent peu d’intérêt à la Déportation de 1755 et à ce qu’elle signifie pour eux maintenant. De plus, ils ont prouvé que lord Durham et Goldwin Smith avaient vu juste lorsqu’ils affirmèrent, au 19e  siècle, que si le Québec se joignait aux États-Unis, il adopterait rapidement une nationalité complètement américaine, à l’exemple de la Louisiane34. Les Acadiens demeurés dans la région de Boston ont pu se fondre dans la culture individualiste des Américains. Certains ont établi une présence forte et bien visible dans le milieu des affaires du Massachusetts. Yvon Cormier, par exemple, est devenu l’un des promoteurs immobiliers et hommes d’affaires les plus prospères de

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l’État. Il est également le propriétaire du prestigieux parcours de golf Andover Country Club, conçu par Donald Ross, l’un des meilleurs terrains de golf en Nouvelle-Angleterre, sinon le meilleur. Si on lui demandait qui, de l’Acadien définitivement établi à Boston ou du Canadien acadien demeuré dans les provinces maritimes, se tire le mieux d’affaire, sa réponse ne se ferait sans doute pas attendre35. Comme d’autres Acadiens qui ont tenu bon en NouvelleAngleterre, Cormier reflète la devise que les États-Unis adoptèrent en 1776 : E pluribus unum (De plusieurs, un seul). Seymour Martin Lipset a bien résumé la situation lorsqu’il a présenté l’individualisme américain et les initiatives du secteur privé comme étant la « main invisible  » qui profite à tous les Américains. Lipset compare cette situation à celle du Canada, où les gouvernements jugent bon de mobiliser les ressources dans la poursuite d’objectifs communs36. Le contraste entre les États-Unis et le Canada est on ne peut plus marqué, du moins de mon point de vue. Je maintiens que le contraste entre les deux pays est entièrement attribuable à leurs institutions politiques. Les institutions américaines reposent sur le postulat qu’il ne faut jamais faire confiance au pouvoir politique. Un ensemble de freins et contrepoids sont omniprésents dans toutes les institutions politiques, administratives et judiciaires. Le Canada est différent parce que ses institutions sont différentes. Nous avons confiance dans le pouvoir politique parce que nos institutions d’inspiration britannique sont conçues pour accorder aux dirigeants politiques la haute main sur toutes choses. C’est aussi ce qui explique la prospérité que le Canada a connue durant les 155 dernières années. Ceux et celles qui exercent le pouvoir politique ont su s’adapter, faire des compromis et conclure des ententes pour accommoder différents points de vue. Ils ont été en mesure de se concentrer sur des groupes ou des régions pour les aider à relever leurs défis. Les freins et contrepoids mis en place au Canada pour surveiller l’exercice du pouvoir politique ne sont pas intégrés dans les institutions du pays. Ils sont produits par le besoin constant de dégager les compromis nécessaires au bon fonctionnement du Canada. Contrairement aux États-Unis, à l’Australie ou à la NouvelleZélande, le Canada fut colonisé non par une, mais deux puissances européennes qui, jumelées aux peuples autochtones, ont formé un État multinational au sein d’un même État37.

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Si l’on cherche à définir l’identité canadienne, inutile de regarder plus loin : le Québec n’est pas la Louisiane et les Acadiens apportent maintenant une contribution appréciable à la société canadienne grâce à leurs propres institutions, et ce, tout en conservant leur langue et leur culture. Parce que le Canada est composé de plusieurs nations, la pression au conformisme y est faible. C’est ce qui explique que nous vivons dans une société beaucoup plus tolérante que la société américaine. Nos institutions politiques ne visent pas la conformité; elles sont conçues pour être pragmatiques, pour générer des compromis et pour faire fonctionner le Canada. J’ai demandé un jour à l’autrice acadienne Antonine Maillet  : «  Pensez-vous que la société acadienne existera encore dans 100  ans?  » Elle a répondu sans hésitation  : «  Je ne sais pas, mais je sais que nous allons nous battre pour être ici dans 100  ans.  » Le Canada, contrairement aux États-Unis, a donné aux Acadiens les outils nécessaires pour se battre, comme il l’a fait pour d’autres groupes ou régions. Ne serait-ce que pour cette raison, j’estime que nous sommes dans une meilleure situation en étant des Acadiens au Canada. Certains citoyens et citoyennes du pays ont peut-être du mal à mettre le doigt sur l’identité canadienne, mais pas moi. Et comme les chapitres subséquents le démontreront clairement, l’identité canadienne telle que je la conçois n’est pas définie uniquement par opposition aux Américains. La conception de l’identité canadienne fonctionne dans toutes les circonstances où l’on veut l’appliquer parce que le Canada, par l’entremise de ses institutions, a appris à la faire fonctionner. Les chapitres suivants expliquent pourquoi et comment. Je m’empresse toutefois d’ajouter que le Canada demeure un chantier permanent pour des raisons que j’exposerai dans le chapitre de conclusion.

2 Les Québécois : victimes de l’histoire

Le général James Wolfe remporta une victoire décisive sur LouisJoseph de Montcalm le 13 septembre 1759 lors d’une bataille qui dura environ une demi-heure. Wolfe mena ses troupes en haut de la falaise de Québec et attaqua par surprise les forces de Montcalm sur les plaines d’Abraham. Il s’ensuivit quelques escarmouches, mais les troupes britanniques y mirent rapidement un terme. Montréal tomba aux mains des forces britanniques en 1760. Le traité de Paris mit fin à la guerre de Sept Ans et la Nouvelle-France fut cédée officiellement à la Grande-Bretagne en 17631. La France allait abandonner sa colonie pour toujours. Non seulement elle avait perdu la guerre de Sept Ans, mais aussi la Nouvelle-France s’était révélée pour elle une entreprise très coûteuse. La France ne vit aucune raison, même par les voies diplomatiques, d’assurer une présence en Amérique du Nord en dehors de SaintPierre et Miquelon, un petit archipel situé au large de Terre-Neuve.

l a c oN qU ête La guerre de Sept Ans fut un conflit d’envergure mondiale qui se déroula sur cinq continents et auquel étaient mêlées toutes les grandes puissances d’Europe. Winston Churchill l’appelait la Première Guerre mondiale2. Ses deux principaux protagonistes, la France et la Grande-Bretagne, se disputaient le contrôle de l’Amérique du Nord. Dans les guerres, il y a des gagnants et des perdants. La Grande-Bretagne remporta la victoire, la France subit la défaite, et au gagnant le butin de guerre. Pour le Québec francophone, la Conquête constitue un point tournant de son histoire3.

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Le gouverneur nommé par la Grande-Bretagne devint la figure d’autorité politique dans la nouvelle province de Québec à la suite de la guerre de Sept Ans ou après la Conquête. Londres nomma James Murray gouverneur militaire du District de Québec en 1760 puis gouverneur de la province en 1763, soit après la cession officielle du Québec à la Grande-Bretagne. Murray décida de ne pas créer d’assemblée élue, souhaitant avoir le gros bout du bâton dans ses rapports avec les Français. Au début, il imposa des conditions rigoureuses au Québec, dont un serment d’allégeance à la Couronne britannique pour les fonctionnaires et l’exclusion des catholiques de toutes les charges publiques. De plus, le droit pénal et civil anglais remplaça le droit français. Cette mesure fut cependant de courte durée, car il n’y avait que 200  familles protestantes au Québec, comparativement à quelque 70 000 catholiques de langue française. C’est la raison pour laquelle Murray décida de ne pas créer d’assemblée élue. Toutefois, les autorités britanniques, y compris le gouverneur Murray et son successeur, Guy Carleton, ne tardèrent pas à assouplir les conditions. Le Parlement britannique adopta l’Acte de Québec en 1774, qui se révéla généreux envers la colonie britannique de langue française. L’Acte promettait la tolérance religieuse, permettait au Québec de maintenir le droit civil français et ne posait aucun obstacle à l’usage du français dans les institutions publiques. Il accordait aux catholiques du Québec une liberté que les catholiques britanniques n’obtiendraient qu’en 1829. Depuis la capitulation de Montréal, les habitants francophones étaient libres de rentrer en France avec tous leurs biens si telle était leur volonté. Certains le firent, en particulier les mieux nantis, mais pas la majorité, notamment le clergé catholique romain. En fait, le clergé acquit une influence considérable à la suite de la Conquête. En outre, l’Acte de 1774 rejetait le recours à une politique d’assimilation, une décision qui allait avoir des conséquences à long terme4. Les autorités britanniques choisirent de ne pas expulser la population francophone comme elles l’avaient fait en Acadie en 1755. Les conditions de l’accord conclu en 1760 garantissait au peuple de la Nouvelle-France l’immunité contre la déportation et les mauvais traitements. D’une part, la population francophone du Québec était beaucoup plus nombreuse que la population acadienne, de sorte qu’il aurait été extrêmement difficile et coûteux, voire impossible, d’organiser une expulsion. D’autre part, il devint clair après

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quelques années seulement que la déportation des Acadiens n’avait pas été un succès. Les Acadiens tentaient constamment de retourner en Acadie. Qui plus est, d’autres colonies britanniques, en particulier la Caroline du Sud, étaient de plus en plus réticentes à recevoir des réfugiés acadiens parce qu’elles ne pouvaient pas les forcer à devenir des serviteurs sous contrat5. Certains des officiers qui y avaient participé remettaient en question la déportation des Acadiens. John Winslow écrivit dans son journal : «  Je ne crois pas qu’ils aient imaginé alors, ni même maintenant, qu’ils doivent réellement être expulsés. J’en éprouve maintenant une grande peine au cœur et une grande tristesse dans l’âme. J’ai rencontré les femmes et les enfants... J’ai mal d’entendre leurs sanglots... la pire affectation qu’il m’ait été donné d’assumer6. » Les gouverneurs Murray et Carleton constataient eux aussi qu’il était impossible d’appliquer une politique d’assimilation, notamment parce que la population de langue française était si nombreuse, mais aussi parce qu’il s’avéra difficile d’attirer des immigrants de langue anglaise au Québec. De plus, les tensions grandissantes entre la Grande-Bretagne et les Treize Colonies américaines faisaient craindre que les Canadiens français ne se joignent à une révolte des Américains contre les forces britanniques. On redoutait qu’ils ne fassent pencher la balance en faveur des Américains, leur permettant de s’emparer des colonies de l’Amérique du Nord britannique. Bref, pour des raisons politiques, militaires et économiques, il importait que la Grande-Bretagne gagne la fidélité de la population francophone. Elle y parvint en abandonnant sa politique d’assimilation, si bien que la population du Québec continua, dans une large mesure, de vivre comme elle l’entendait, en disposant des moyens de protéger sa langue et sa culture. Sir Guy Carleton expliqua que le Québec était une province complètement différente des autres et que ses circonstances particulières ne pouvaient être ignorées7. En vertu de l’Acte de Québec de 1774, le territoire de la province de Québec s’élargit considérablement, ce qui causa des frictions avec les colonies britanniques situées au sud. L’Acte permettait à l’Église catholique romaine de percevoir la dîme pour subvenir à ses besoins et à ceux du clergé, et autorisa la réinstauration du système seigneurial8. L’Acte de Québec joua un rôle important aux yeux des Québécois et Québécoises francophones : il signalait l’existence de deux nations dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique, l’une de langue anglaise et l’autre de langue française. Cependant, il

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n’y aurait qu’un seul centre de pouvoir politique, en l’occurrence la Couronne britannique au Parlement à Londres. Comme par hasard, l’Acte ferma les yeux sur une autre nation : les peuples autochtones.

l e S qU é Bé c oIS à N oUvea U vI ct I me S, c e t t e f oIS d e l o rd dU rham Les historiens et les historiennes ont accordé toute l’attention voulue au rapport Durham (1839) et à ses répercussions sur le développement du Canada et de ses institutions politiques. Les politologues, beaucoup moins. Même si le séjour de lord Durham dans le Haut et le Bas-Canada fut de courte durée, son travail contribua à tracer la voie vers le gouvernement responsable en plus d’avoir mené à l’union des deux Canadas. Lord Durham arriva à Québec en mai 1838, tout juste après les rébellions politiques survenues dans le Haut et le Bas-Canada en 1837 et en 1838. Louis-Joseph Papineau et ses Patriotes avaient mené la charge dans le Bas-Canada, tandis que William Lyon Mackenzie avait mené la charge dans le Haut-Canada contre le statu quo. Papineau contestait le pouvoir du gouverneur britannique et de ses conseillers non élus et tentait d’obtenir le contrôle des dépenses publiques. Pour sa part, Mackenzie cherchait également à arracher le pouvoir au Family Compact, un petit groupe composé de hauts fonctionnaires et des principaux négociants qui détenaient les leviers des pouvoirs politique, économique et judiciaire9. L’armée britannique n’eut aucune difficulté à étouffer les rébellions, qui incitèrent les autorités britanniques à faire le point sur la situation politique du Haut et du Bas-Canada. La guerre de 1812 avait eu lieu seulement une génération plus tôt et l’exemple des États-Unis rappelait aux Canadiens que l’autonomie gouvernementale était possible. L’objectif des autorités de Londres était d’assurer que les colonies de l’Amérique du Nord britannique resteraient fidèles à la Couronne britannique et de « prévenir » une annexion du Canada aux États-Unis10. Il consistait aussi à instaurer un gouvernement responsable dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique. Durham avait un bon réseau de relations dans la mère patrie. Gendre du deuxième comte Grey, premier ministre de GrandeBretagne de 1830 à 1834, il était également un politicien très en vue du Parti whig et siégea à la Chambre des communes de 1813 à

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1828. Il était ouvertement un libéral radical et ses opinions étaient bien connues à Londres, mais peu partagées. Il contribua à la rédaction du premier projet de loi sur une réforme parlementaire, qui ne fut toutefois jamais adopté. Sa proposition d’étendre le droit de vote était jugée beaucoup trop généreuse et inapplicable. De plus, Durham favorisait l’émancipation des catholiques et la généralisation de l’instruction. Fervent partisan du gouvernement responsable en Grande-Bretagne, il voyait les possibilités que celui-ci offrait dans les colonies, malgré certaines réserves dans le cas du Bas-Canada en raison de sa population majoritairement francophone. Durham débordait d’ambition à son arrivée au Canada. Il voulait unir les colonies de l’Amérique du Nord britannique, mais la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick s’y opposèrent. Il voulait établir des administrations municipales et une cour suprême pour les colonies, mais Londres rejeta rapidement ses recommandations. Il eut plus de succès avec deux des recommandations centrales de son Rapport sur les affaires de l’Amérique septentrionale britannique : le gouvernement responsable et l’union du Haut et du Bas-Canada. En ce qui concerne le gouvernement responsable, il estimait que la situation du Bas-Canada était problématique en raison de sa population francophone nombreuse. Il écrivit que les habitants anglais du Bas-Canada «  ont commencé... par calculer les conséquences probables d’une séparation... suivie d’une incorporation avec les États-Unis... Ils assurent avec confiance que les Américains régleraient bien promptement les prétentions des Français; et ils croient qu’après que le premier choc d’un nouvel état politique serait passé, eux et leur postérité partageraient dans les progrès étonnants et dans cette prospérité que chaque jour leur démontre être le partage du peuple des États-Unis11. » Il estimait sur ce point, et sur d’autres questions, que le statu quo n’était pas une solution viable. Durham croyait qu’il était peu probable que les Québécois francophones conservent leur langue. Ils seraient facilement assimilés aux États-Unis s’ils décidaient de joindre leurs forces aux Américains, ou ils pouvaient être assimilés dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique; d’une façon ou d’une autre, ils étaient voués à être assimilés, et il valait mieux que ce soit dans les colonies britanniques. Il conclut également que la population anglaise du Bas-Canada songerait bientôt à se joindre aux États-Unis à moins que des mesures fermes ne soient adoptées pour instaurer le gouvernement

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responsable dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique. Durham devait cependant concilier les exigences du gouvernement responsable et le fait que les francophones étaient très majoritaires dans la population du Bas-Canada et qu’ils continueraient de contrôler l’Assemblée législative. L’adoption du gouvernement responsable était lourde de conséquences pour les anglophones du Bas-Canada, dont la population (670  000  habitants) était largement supérieure à celle du HautCanada (480  000  habitants) en 1841 et où les francophones (510  000) détenaient une nette majorité. Durham expliqua ce qu’impliquait la mise en place du gouvernement responsable : « Le gouverneur, comme représentant de la Couronne, devrait recevoir instruction qu’il doit conduire son gouvernement par le moyen de chefs de départements, qui devront posséder la confiance de la Législature Unie; et qu’il ne doit attendre des autorités impériales aucun appui dans ses contestations avec la Législature, si ce n’est sur les points qui embrasseront strictement des intérêts impériaux12. » L’instauration de la responsabilité ministérielle au Bas-Canada signifiait que les francophones dirigeraient le gouvernement, ce que la population anglophone ne permettrait pas et que Durham lui-même ne pouvait pas approuver. Durham décrivit le Bas-Canada comme une «  malheureuse province  » affligée de nombreux maux. Il formula ensuite l’une des phrases les plus souvent citées dans l’histoire canadienne  : «  Je m’attendais à trouver une contestation entre un gouvernement et un peuple : je trouvai deux nations se faisant la guerre au sein d’un seul état; je trouvai une lutte non de principes, mais de races; et je m’aperçus que ce serait en vain qu’on essaierait aucune amélioration dans les lois ou les institutions, avant d’avoir réussi à terminer la haine mortelle qui divise maintenant les habitants du Bas-Canada en divisions hostiles de Français et d’Anglais13. » Il suffit d’un moment de réflexion pour comprendre qu’une lutte entre deux races risquait beaucoup plus de produire des victimes qu’un conflit portant sur des principes, une idéologie politique ou des considérations partisanes. Durham brossa un tableau très sombre des relations entre la communauté anglophone et la communauté francophone et il n’hésita pas à pointer la population francophone d’un doigt accusateur. Il n’hésita pas non plus à recommander l’abolition de l’Acte de Québec (1774) et de l’Acte constitutionnel de 1791. Nous avons vu plus tôt que l’Acte de Québec accordait aux francophones du Québec la

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liberté de religion et le maintien du droit civil français. Pour sa part, l’Acte constitutionnel de 1791 divisait la province de Québec en deux entités : le Haut-Canada, qui devait accueillir l’afflux de Loyalistes de l’Empire-Uni, et le Bas-Canada, qui comptait une population francophone nombreuse. L’Acte reconnaissait le Bas-Canada comme le foyer principal des francophones et accordait à ceux-ci la liberté de religion, le droit civil et leurs propres institutions. Durham estimait que le statu quo n’avait pas fonctionné par le passé et il était persuadé qu’il ne pourrait jamais fonctionner dans l’avenir. Le problème, en un mot  : la race. Il affirma ce qui suit à propos des Canadiens français : « Les Français ne pouvaient s’empêcher d’apercevoir la supériorité de l’esprit d’entreprise des Anglais... Ils regardèrent leurs rivaux avec alarme, avec jalousie, et finalement avec haine. Les Anglais les payaient de mépris, et ce mépris dégénéra bientôt en haine14. » Durham souligna que les Français manquaient d’éducation et d’esprit d’entreprise et étaient pleins de préjugés étroits. Il soutint : « On ne peut pour un moment hésiter à accorder aux Anglais une supériorité de connaissances politiques et pratiques15. » Il indiqua que les tensions entre les deux races avaient atteint un point culminant récemment et il conclut qu’il ne semblait pas «  y avoir la plus petite chance de mettre fin aux animosités existantes pendant la présente génération16 ». En aucun cas, faisait-il valoir, les Anglais ne se soumettraient « paisiblement » à une majorité française au sein d’un gouvernement constitutionnel17. Le rapport Durham fit clairement valoir à maintes reprises que les institutions politiques du Bas-Canada n’étaient pas et ne pouvaient être un moyen efficace de remédier au problème. Durham reprochait par ailleurs aux institutions politiques d’avoir perpétué l’animosité sociale. Il expliqua : « le système du gouvernement suivi dans le Bas-Canada a été bâsé sur une politique propre à perpétuer cette même séparation de races et à encourager les mêmes notions de haines nationales que le gouvernement dans le principe aurait dû arêter et détruire. Depuis l’époque de la conquête jusqu’à ce jour la conduite du gouvernement a aggravé le mal, et l’origine du mal extrême actuel peut être trouvée dans les institutions qui ont formé le caractère actuel de la colonie18. » Pour Durham, la solution était claire  : assimiler la population francophone du Québec aussi promptement que possible. Goldwin Smith, professeur regius d’histoire à l’Université d’Oxford de 1858

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à 1866 qui émigra plus tard aux États-Unis puis au Canada, écrivit dans son ouvrage Canada and the Canadian Question : « Lord Durham, venu immédiatement après ce qu’on a appelé une rébellion mais qui était en réalité une guerre entre les deux races dans le Bas-Canada, qualifie d’extrême non seulement le conflit entre les races, mais aussi leur animosité mutuelle.  » Il ajouta  : «  Lorsque vous avez vaincu un peuple par les armes, lui donner les moyens de vous battre par le vote est le comble de la générosité ou de la stupidité19. » Essentiellement, Durham n’était pas le seul à considérer que le problème était un conflit entre deux races et qu’il était urgent d’assimiler la population francophone du Québec. Le gouvernement britannique accepta la recommandation d’unir le Haut et le Bas-Canada en une seule assemblée. Cependant, en accueillant favorablement le rapport Durham, il faisait volte-face sur les concessions accordées en vertu tant de l’Acte de Québec que de l’Acte constitutionnel de 1791. Chacun des deux Canadas serait représenté à l’Assemblée par 42 sièges afin de protéger les intérêts de la population anglaise. Comme nous l’avons vu plus tôt, la population du Canada-Est était beaucoup plus nombreuse que celle du Canada-Ouest. De plus, l’anglais fut désigné la seule langue officielle de l’Assemblée et du gouvernement. Les dettes publiques des deux Canadas furent combinées, ce qui avantageait nettement le Haut-Canada parce que sa dette était beaucoup plus élevée et que la population qui en assurait le service était moins nombreuse. En outre, Durham préconisait l’instauration du gouvernement responsable dans les colonies. Toutefois, la mise en place d’un gouvernement représentatif et responsable n’était possible, selon lui, que s’il existait une harmonie d’intérêts20. Sans harmonie, l’une des deux races finirait par dominer l’autre compte tenu de l’hostilité profonde qui régnait entre les deux – et il valait mieux, selon Durham, que ce soit l’anglaise. Rappelons que le gouvernement responsable fut instauré d’abord en Nouvelle-Écosse en 1848, puis dans la Province du Canada plus tard la même année. Durham croyait que l’assimilation conduirait inévitablement à l’harmonie, ce qui permettrait alors au gouvernement responsable de fonctionner. Il était persuadé que les Français seraient incapables de définir eux-mêmes des institutions politiques propres à favoriser l’harmonie. La population française avait été coupée de la France, ce qui l’avait laissée en partie illettrée, sans héritage historique et sans autres institutions que les institutions britanniques et l’Église

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catholique romaine. Lorsqu’elle regardait la France, elle voyait la Révolution française et les horreurs de Robespierre et des guerres napoléoniennes, qui dataient de 25 ans seulement. Selon Durham, les institutions françaises avaient été façonnées par une tendance nettement autoritaire et une Église catholique dominante qui avaient laissé la population française du Canada dépourvue d’imagination et d’éducation politique en matière de démocratie représentative. L’assimilation avait donné de bons résultats en Louisiane et Durham pensait qu’elle donnerait également de bons résultats au Canada. À son avis, le gouvernement des États-Unis avait montré comment il fallait gérer la présence de Français dans ses relations avec la Louisiane. À une époque, les Français formaient la majorité en Louisiane, mais ils avaient rapidement adopté une nationalité complètement américaine. Durham observa également que les représentants de la Louisiane accédèrent au Congrès de la même façon que l’avaient fait les Américains hollandais de New York21. Si le Québec se joignait aux États-Unis, il connaîtrait bientôt le même sort, ce qui pourrait rapidement entraîner son assimilation. En somme, l’Acte d’union de 1841 établissait un parlement au sein duquel le Haut et le Bas-Canada comptaient un nombre égal de sièges. La langue française fut exclue de l’Assemblée législative et du gouvernement ainsi que des établissements d’enseignement et des tribunaux. Kingston, en Ontario, fut désignée la capitale. En outre, l’Acte ouvrait la voie à la responsabilité ministérielle, comme Durham l’avait recommandé. L’instabilité de l’union apparut dès le début. Aux yeux des Canadiens français, l’union était un arrangement sectaire et inéquitable. Sectaire parce que le principal objectif de l’Acte était la disparition de la langue et de la culture françaises. Inéquitable parce qu’il attribuait au BasCanada, plus peuplé, le même nombre de sièges qu’au Haut-Canada. Louis-Joseph Papineau réclama la représentation selon la population dès le premier jour où il siégea au nouveau parlement. Sa proposition fut toutefois rejetée du revers de la main. Durham avait semé les germes de la victimisation du Québec. Plusieurs recommandations de Durham furent mises en œuvre, mais pas toutes. Durham prônait une union de toutes les colonies nord-américaines, estimant qu’une nation britannique unifiée en Amérique du Nord agirait comme une zone tampon ou ferait contrepoids aux États-Unis. Cependant, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse refusèrent de faire partie du projet, craignant que les colonies plus

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populeuses du Haut et du Bas-Canada ne finissent par dominer l’Assemblée à leurs dépens. Durham s’inspira toutefois des États-Unis et jugea que l’établissement d’un système fédéral était la voie à suivre pour les colonies britanniques. Il préconisait l’attribution de tous les pouvoirs importants au gouvernement fédéral, tandis que certains domaines de compétence moins importants seraient dévolus aux provinces. Un tel système plairait aux Français du Bas-Canada, croyait-il, parce qu’il leur accorderait leur propre assemblée législative, dont la compétence serait toutefois limitée à des domaines sans grande importance. Durham pensait également que, une fois la population francophone assimilée, le système fédéral disparaîtrait pour faire place à l’émergence d’une union législative forte22. Vingt-quatre ans plus tard, sir John A. Macdonald allait s’inspirer du document de Durham lorsqu’il chercherait à définir les conditions de la Confédération. Non seulement l’union des colonies de l’Amérique du Nord n’eut pas lieu, mais l’union des deux Canadas fut un échec total. La capitale changea de lieu six fois  : d’abord établie à Kingston, elle fut transférée à Montréal (1844-1849), puis à Toronto (1849-1851), à Québec (1851-1855), à nouveau à Toronto (1855-1859), pour ensuite revenir à Québec (1859-1865). L’édifice du Parlement de Montréal fut rasé par un incendie en 1849, après que le gouvernement Lafontaine-Baldwin eut adopté le «  bill des indemnités  » en faveur des victimes des rébellions. En fin de compte, la reine Victoria désigna Ottawa comme le siège définitif de la capitale nationale en 1857 et l’on termina la construction des édifices du Parlement en 1865. Une note positive  : le gouverneur général sanctionna la loi d’indemnisation en 1849, ce qui consacrait la reconnaissance du gouvernement responsable dans la colonie23. Le gouvernement avait deux chefs  : l’un du Haut-Canada et l’autre du Bas-Canada. Les projets de loi devaient être adoptés par la double majorité de l’Assemblée législative. Dans les années 1850, la population du Haut-Canada dépassa celle du Bas-Canada et, dès lors, c’était le Haut-Canada qui ne voyait plus le bien-fondé d’une représentation égale des deux Canadas. Ainsi, George Brown, le directeur du Globe de Toronto, entreprit sa longue campagne en faveur de l’instauration au Canada du principe de la représentation selon la population pour assurer une représentation équitable ou meilleure du Haut-Canada ou du Canada-Ouest. Les francophones du Canada-Est comprirent très bien que cette volte-face visait à changer les règles pour favoriser les intérêts du

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Canada-Ouest et, par conséquent, le Canada-Est ne cessa de s’opposer au changement. De plus, l’union était marquée par l’instabilité politique, notamment parce qu’aucun parti politique ne réussissait à se tailler une position dominante24. La colonie connut quatre gouvernements en trois ans et deux élections peu concluantes au début des années 1860. Comme l’écrit Richard Gwyn : « Le système politique canadien était acculé dans une impasse paralysante25.  » Goldwin Smith a le mieux résumé la situation en écrivant en 1891 que les gouvernements se succédèrent les uns aux autres entre 1840 et 1867 comme les changements de scène d’une comédie26. L’union des Canadas ne réussit pas non plus à atteindre son objectif le plus important  : l’assimilation de la population de langue française. Smith explique les raisons de cet échec  : «  Les forces digestives du Canada étaient trop faibles pour assimiler l’élément français même politiquement. Au lieu d’être assimilés, les Canadiens français assimilèrent. Les régiments écossais furent dissous parmi la population française et leurs membres devinrent Français par la langue, la religion et en tous points sauf le nom et le visage27. » On se souviendra que l’Acte de Québec et l’Acte constitutionnel accordaient des droits linguistiques à la population francophone de la province. Il était logique à l’époque pour les autorités britanniques de garantir ces droits étant donné la crainte que les Français n’unissent leurs forces aux Américains. En 1839, cependant, la menace provenait davantage de l’intérieur de la colonie, où les Patriotes réclamaient le gouvernement responsable, que des Américains. Tel que le voyaient Durham et d’autres, le problème maintenant, c’était que les Français voulaient étendre leur influence et qu’ils manifestaient de plus en plus ouvertement leur défiance à l’égard des institutions et des règles britanniques. La suppression en 1841 des droits linguistiques reconnus en 1774 et à nouveau en 1791 créa des victimes. Les Français du Canada y virent une politique de deux poids, deux mesures. Ils constataient que chaque fois que les autorités britanniques avaient changé les règles après 1791, cela n’avait jamais été à leur avantage, et ils avaient raison. Dans les années 1850, lorsque la population du Haut-Canada devint plus nombreuse que celle du Bas-Canada, la représentation selon la population apparut soudainement comme la solution. Les Britanniques avaient reconnu des droits linguistiques aux francophones parce qu’il était alors à leur avantage d’agir ainsi, craignant encore une fois que les Français ne se rallient aux Américains lors

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d’un conflit. Mais une fois la menace estompée, les Britanniques abolirent les droits linguistiques des francophones. L’Acte de Québec établit un modèle d’arrangement linguistique qui en viendrait à sous-tendre la culture politique du Canada, du moins aux yeux des Québécois francophones. Même Durham ne put effacer l’influence omniprésente qu’exerçait l’Acte de Québec et qu’il continuerait d’exercer dans la vie politique québécoise et canadienne. Il vaut la peine de citer un long passage d’un ouvrage de David Cameron à ce propos : « Lord Durham recommanda l’assimilation des Canadiens français dans son célèbre rapport de 1840, mais l’approche contraire de tolérance et d’accommodement s’était alors imposée, et ses idées tombèrent dans l’oreille d’un sourd. La mise en œuvre de la proposition de Durham de créer une province unie du Canada qui rassemblerait la communauté francophone et la communauté anglophone en une même structure politique n’aboutit pas à l’assimilation de la première, comme il l’avait espéré, mais donna plutôt le résultat inverse, c’est-à-dire un système politique binational informel dans lequel les politiques clairement inacceptables pour l’une des deux communautés n’étaient pas mises en vigueur28. »

d I g é r e r l a d éfaIte C’était une chose d’obtenir que l’Acte soit généreux, mais c’en était une autre d’accepter la défaite et d’apprendre à vivre avec les vainqueurs après la Conquête. La défaite eut de profondes répercussions qui se font sentir encore aujourd’hui. On sait que certains des habitants les plus fortunés et les mieux instruits du Canada français rentrèrent en France après la Conquête, privant la colonie d’une grande partie de ses élites économiques et politiques et de sa capacité d’innovation. La France elle-même se soucia peu du sort de ses anciens colons après avoir perdu la colonie. Loin d’aider celle-ci à rebâtir son économie après une guerre dévastatrice et onéreuse, la France répudia même sa dette envers elle. Les francophones du Québec et des autres colonies de l’Amérique du Nord britannique furent abandonnés à leur sort. La mère patrie avait d’autres chats à fouetter. N’étant plus en contrôle de leur propre territoire et se trouvant désavantagés pour une raison ou une autre par rapport aux conquérants britanniques, les Français se retirèrent dans une large mesure de la concurrence économique. Ils se tournèrent vers leurs traditions, cultivèrent un nationalisme local et se consolaient de ne

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pas participer pleinement à la vie économique de leur province en se disant que, de toute façon, ils ne souhaitaient pas y participer. Ils préféraient le caractère distingué et l’esprit humanitaire de leur mode de vie, leur religion catholique romaine, leurs propres valeurs et leur propre culture au vulgaire matérialisme des vainqueurs. Ces attitudes acquirent un caractère formel et ritualisé avec le temps. L’immensément populaire série Les belles histoires des pays d’en haut, adaptée à la radio de Radio-Canada à compter de 1939, puis télédiffusée dans tout le Canada français entre 1956 et 1970, illustrait les valeurs morales de l’époque. Le récit des interactions entre les habitants d’un village canadien-français des Laurentides traçait le portrait d’un homme avare et méchant qui dominait la vie économique locale. L’homme était en conflit avec le curé et les bonnes gens, des habitants qui vivotaient en cultivant la terre ou en travaillant dans les bois. Il n’y avait aucun entrepreneur ou dirigeant d’entreprise parmi les personnages de la série, seulement le bon peuple, le curé (aussi dépeint comme un bon) et le méchant riche, Séraphin Poudrier. La série était une adaptation du roman Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon, paru en 1933, dont l’action se déroule dans les années 1880. Je me souviens d’avoir écouté «  Séraphin  » à la radio familiale, qui était de loin la série radiophonique puis télévisuelle la plus populaire dans mon village. L’importante leçon à retenir de la série : personne au Canada français ne voulait être un Séraphin ou le devenir. Les prêtres rappelaient souvent aux paroissiens qu’il était plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour un riche d’entrer au royaume des cieux. Je me souviens d’avoir entendu le curé de notre paroisse faire la même remarque dans ses sermons le dimanche matin quand j’étais garçon. Les entreprises appartenaient aux Anglo-protestants, et les francophones devinrent convaincus que les anglophones, de quelque façon, allaient un jour le payer cher. Cet idéal d’une société agraire sereine et d’un mode de vie rural romantique sous la gouverne de l’Église catholique romaine et d’une élite cultivée indifférente à la richesse était si convaincant que de nombreux Canadiens français en vinrent à penser que telle était vraiment la condition du Canada français. Ainsi, sir John Bourinot, greffier de la Chambre des communes à Ottawa et secrétaire de la Société royale du Canada, écrivit en 1898 : « En règle générale, l’habitant se contente de très peu pour survivre. Donnez-lui une pipée de tabac indigène, l’occasion de discuter de politique, d’échanger un

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potin avec ses comparses sur le parvis de l’église après l’office, une visite de temps en temps au chef-lieu du comté, et il sera heureux. Il n’en faut pas beaucoup pour l’amuser, et il est tout à fait persuadé que le salut de son âme est garanti tant qu’il se trouve à portée du son des cloches de l’église, qu’il va régulièrement se confesser et qu’il observe toutes les fêtes religieuses. Si un membre de sa famille ou lui-même réussit à obtenir ne serait-ce qu’un petit poste au sein de la municipalité ou dans le “gouvernement”, son bonheur sera presque parfait29. » J.P. Beaulieu, du ministère de l’Industrie du Québec, tenait des propos semblables aussi récemment qu’en 1952, quoiqu’il ait accordé plus d’attention à la lente industrialisation alors en cours : « Le Québec, il y a à peine un demi-siècle, [était] une région pittoresque dans un vaste pays, où les terres agricoles alternaient avec les forêts, les rivières, les villages et les foyers de colonisation fraîchement défrichés sur la plupart de son étendue. C’était un Québec presque inchangé depuis l’époque des pionniers, où les anciens usages étaient gardés vivants d’une génération à l’autre par la population rurale30. » Je souligne que Bourinot et Beaulieu étaient tous deux des Canadiens français qui parlaient de leur propre communauté. La conclusion qui semble s’imposer est que les Canadiens français ont tiré de l’arrière sur le reste du pays jusque dans les années 1960 parce que c’est ce qu’ils préféraient afin de préserver leurs traditions religieuses et culturelles. Le Canada français n’a pas su fournir un appui adéquat à ses propres entrepreneurs; l’entrepreneuriat et, dans une large mesure, les capitaux venaient de l’extérieur. Bref, pendant longtemps, les Québécois ne valorisaient pas les activités commerciales ou l’entrepreneuriat. Ils pratiquaient un mode de vie rural romantique et comptaient sur l’Église catholique pour les guider en toutes choses et, plus tard, sur le gouvernement pour soutenir la croissance de l’économie.

l a c oNf é d é r a tI o N : l a c r é a tI oN d e N o U v elle S vI ct I me S Il y avait une profonde fracture dans l’union des deux Canadas et il devint évident, dans les années 1850, que l’arrangement n’était plus tenable. Les francophones étaient ouverts à la négociation d’une nouvelle entente, mais ils avaient de fortes réserves. Ils voyaient agir certains dirigeants du Haut-Canada et n’étaient pas rassurés. George

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Brown, le journaliste et politicien, avait des opinions bien arrêtées et alla jusqu’à affirmer que les Canadiens français imposaient leur volonté au reste du Canada, ajoutant : « Qu’a-t-on refusé aux Canadiens français? Rien. Ils interdisent tout ce qu’ils n’aiment pas, ils extorquent tout ce qu’ils demandent et ils deviennent insolents au sujet de leurs victoires31. » Il rédigea ces commentaires après l’adoption des conditions de l’arrangement conçu en 1841 pour assimiler les francophones. Selon Brown, les Anglais, non les Français, étaient les victimes. Les francophones du Québec réagirent avec prudence lorsqu’il réclama la négociation d’une nouvelle entente, ce qui est compréhensible. Brown refusa de plier sur un point, la représentation selon la population, et il obtint gain de cause. George-Étienne Cartier avait lui aussi une condition incontournable lorsqu’il se présenta à la table des négociations : un système fédéral qui accorderait au Québec un certain degré d’autonomie. Il entreprit de protéger les intérêts des francophones du Québec en tentant d’obtenir que l’éducation et les administrations locales soient des domaines de compétence provinciale. Sir John A. Macdonald, principal architecte de la Confédération et maître d’œuvre dans les négociations, avait également une position ferme  : importer les institutions de Grande-Bretagne et les appliquer au Canada. Il voua toujours une loyauté indéfectible à l’Empire britannique et, comme tous les politiciens, à sa région, l’Ontario, qu’il représenta durant toute sa carrière politique. Macdonald ne vit jamais la nécessité d’adapter les institutions d’inspiration britannique aux exigences du fédéralisme ou au contexte canadien. En fait, le fédéralisme présentait peu d’intérêt pour lui. Il prévoyait d’ailleurs que, tôt ou tard, le Canada entendrait raison et adopterait une forme de gouvernement unitaire, à l’instar de la Grande-Bretagne. Macdonald n’eut qu’à s’inspirer de lord Durham au sujet de la meilleure forme à donner aux nouvelles institutions en vue du renouvellement du Canada. On se souviendra que Durham préconisait une union des colonies de l’Amérique du Nord britannique au sein d’une fédération et l’attribution de toutes les compétences importantes au gouvernement national, en espérant qu’un jour les provinces abandonneraient le système fédéral pour faire du Canada un État unitaire à l’image de la mère patrie, la Grande-Bretagne. C’était exactement le scénario qu’envisageait Macdonald. Il est peu probable que le projet d’une telle union ait rassuré les dirigeants francophones du Québec, étant donné qu’ils savaient

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bien que l’objectif de Durham était d’assimiler les francophones. Macdonald put compter sur l’appui de George-Étienne Cartier, son ami et allié de longue date, pour plusieurs raisons. Cartier voyait dans la Confédération l’occasion de ramener le droit civil au Québec, de promouvoir l’usage de la langue française dans les institutions publiques au Québec et de procurer un degré d’autonomie politique à la nouvelle province. Il y eut quatre grands architectes de la Confédération : Macdonald, le principal architecte, George-Étienne Cartier, George Brown et Alexander Galt. Tous les quatre obtinrent ce qu’ils désiraient dans le cadre de l’accord sur la Confédération. Macdonald obtint un gouvernement fédéral fort qui se rapprochait d’un État unitaire. Il ne voyait guère le bien-fondé du fédéralisme, convaincu qu’il ne correspondait pas au système parlementaire inspiré du modèle de Westminster. De plus, Macdonald soutenait que les Américains avaient démontré de façon évidente que le fédéralisme ne pouvait pas fonctionner et en donnait pour exemple la guerre civile américaine32. Il considérait les gouvernements provinciaux comme des gouvernements subordonnés qui n’auraient compétence que sur les affaires d’intérêt local. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique contenait même une disposition qui ne cadre pas avec l’esprit du fédéralisme. L’Acte reconnut aux lieutenants-gouverneurs provinciaux nommés par Ottawa le pouvoir d’empêcher l’entrée en vigueur des lois provinciales jusqu’à leur approbation par le gouvernement central33. À la toute dernière minute, Macdonald insista pour que des pouvoirs accrus soient accordés au gouvernement central, mais sans succès. Cartier resta ferme et menaça de retirer son appui à la Confédération si Ottawa recevait plus de pouvoirs que ceux convenus à la Conférence de Québec. Macdonald fit marche arrière, persuadé qu’avec le temps le Canada évoluerait vers un État unitaire34. Cartier obtint également ce qu’il voulait. Il avait voulu assurer la protection des intérêts du Québec et le rétablissement des dispositions contenues dans l’Acte de Québec et l’Acte constitutionnel. Il eut gain de cause. Il fit en sorte que le Québec détienne l’autorité en matière d’éducation, de droit civil, d’institutions locales et d’usage du français dans les institutions publiques. Les discussions concernant les droits des minorités linguistiques ne portèrent que sur les francophones et les anglophones du Québec. Cartier et son collègue Hector Langevin rejetèrent une proposition visant à confier la compétence en matière d’éducation au gouvernement fédéral. Une telle

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mesure aurait été avantageuse pour les francophones de l’extérieur du Québec, mais Cartier et Langevin se souciaient de préserver les droits linguistiques et religieux des francophones du Québec. Les francophones de l’extérieur du Québec découvrirent peu après la Confédération que les droits linguistiques ne s’étendaient pas au-delà des frontières du Québec, du moins dans le domaine de l’éducation35. George Brown obtint lui aussi ce qu’il voulait. Il insistait depuis longtemps pour que le pouvoir politique au Canada repose sur le principe de la représentation selon la population et pour que ce principe soit une composante fondamentale de la Confédération36. Le Québec avait des réticences, mais Cartier jugea que, puisque les droits en matière d’éducation, de langue et de religion relèveraient de la compétence de la province, les orangistes de l’Ontario ne pourraient pas y porter atteinte. Toutefois, l’Île-du-Prince-Édouard s’opposa à la proposition de Brown et à la représentation selon la population, tandis que le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse émirent de sérieuses réserves. Il demeure qu’en fin de compte Brown obtint ce qu’il voulait, malgré certaines modifications. La représentation selon la population continuerait de déterminer qui détiendrait le pouvoir politique au Canada. Il allait y avoir un sénat, mais ses membres seraient nommés selon le principe de la représentation régionale, non provinciale. Les ingrédients étaient réunis pour produire un sénat faible. Il fut toutefois décidé plus tard qu’aucune province ne compterait moins de députés à la Chambre des communes que de représentants au Sénat, ce qui favorisait les provinces les plus petites. Alexander Galt obtint ce qu’il voulait. Il réussit à concevoir les arrangements financiers du nouveau pays, qui favorisaient le Canada-Ouest et le Canada-Est au détriment des deux provinces maritimes, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse37. Il parvint également à obtenir des droits constitutionnels pour la minorité anglophone du Québec en faisant modifier la composition du Sénat dans le cas de sa province. On ne prit pas les mêmes dispositions à l’égard des minorités francophones de l’extérieur du Québec38. L’Office des colonies à Londres obtint lui aussi ce qu’il voulait. Londres laissait clairement entendre à ses colonies nord-américaines qu’elles devaient s’unir afin de réduire leur dépendance à l’égard du Trésor britannique et de renforcer leur capacité de subvenir ellesmêmes à leurs besoins en matière de défense. Dans les années 1860, la Grande-Bretagne estimait que les coûts de la défense des colonies de l’Amérique du Nord britannique étaient trop élevés pour les

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avantages qu’elle en retirait. Un député au Parlement exprima un point de vue que plusieurs partageaient en Grande-Bretagne : « Je veux que les Canadiens comprennent clairement que la GrandeBretagne n’aurait aucun regret si, demain, ils se séparaient d’elle39. » L’Office des colonies exerça de fortes pressions sur les colonies maritimes, qui hésitaient à adhérer à la Confédération. Comme nous l’avons vu, «  les représentants des Maritimes furent forcés sans ménagement de rentrer dans le rang par les Britanniques, qui agissaient à la demande des Canadiens40 ».

l a c oNf é d é r a tI o N : UN P I e d d e d aN S e t UN PI ed dehor S En 1864, les représentants du Québec, aussi bien que n’importe qui, comprenaient que l’impasse politique causait du tort tant au Canada-Ouest qu’au Canada-Est. Ils savaient également qu’ils n’avaient pas été assez nombreux à la Conférence de Charlottetown la même année, le Québec n’y comptant que quatre des 23 délégués, George-Étienne Cartier et Hector Langevin y étant les deux seuls francophones présents. En revanche, il y avait 11 francs-maçons, perçus comme anticatholiques et antifrançais. Macdonald et Cartier étaient tout de même parfaitement conscients que la Confédération était tout simplement impossible sans le Québec. Mais ils comprenaient aussi que l’Acte d’union était un échec et qu’il était impossible de maintenir le statu quo. Cartier voyait des avantages à la Confédération. Il avait une vision très tranchée de l’avenir : soit le Québec ferait partie d’une union des colonies de l’Amérique du Nord britannique, soit il serait absorbé tôt ou tard par les États-Unis. Il rejeta l’appel de George Washington, qui invitait les Canadiens français à abandonner le drapeau de leurs nouveaux maîtres – dont, affirmait-il, la langue, la race, la religion et les sympathies étaient différentes des leurs – et à se joindre aux Américains pour créer de nouvelles institutions plus démocratiques. Cartier voyait également de nombreux avantages aux institutions politiques britanniques, notamment la responsabilité ministérielle41. Il comprenait comment les Américains avaient traité les Français en Louisiane et il ne voulait pas d’une telle solution pour le Québec. On observait cependant au Québec une certaine résistance à la Confédération. Le rapport Durham et l’Acte d’union de 1841 y avaient laissé de profondes blessures. Les francophones

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reconnaissaient l’un et l’autre pour ce qu’ils étaient : une politique visant leur assimilation et un système parlementaire britannique conçu pour donner aux Anglais une majorité artificielle. En d’autres termes, les Français formaient la majorité des électeurs, mais l’Acte d’union trouva moyen d’en faire une minorité42. De nombreux chefs de file politiques du Québec affirmaient que les Britanniques et le Canada français n’avaient rien en commun et que, lorsqu’une communauté différait par sa race et sa langue, elle devait constituer une nation distincte43. Les politiciens du Québec qui appuyaient la Confédération faisaient valoir qu’ils comprenaient bien les usages des institutions politiques britanniques et qu’ils avaient su faire en sorte que le gouvernement responsable joue en leur faveur depuis 1848. De plus, le fleuve Saint-Laurent deviendrait le centre de l’activité économique, étant situé entre les deux provinces maritimes à l’est et l’Ontario à l’ouest, ce qui selon eux engendrerait d’importants avantages économiques. D’après leurs prévisions, Montréal verrait ses activités économiques quadrupler en raison de la Confédération. Non seulement la Confédération mettrait fin à l’Acte d’union de 1841, mais de plus elle rétablirait un gouvernement distinct au Québec, qui serait sous le contrôle des francophones. Autrement dit, la Confédération établirait un nouvel État dans un « État ». La Minerve affirma qu’il s’agissait de «  la reconnaissance formelle de notre indépendance nationale44  ». Ralph Heintzman résume bien la situation : « Peu de gens étaient vraiment fédéralistes ou “indépendantistes” en 1867. C’est un anachronisme que d’appliquer de telles catégories à l’époque qui a suivi la Confédération. Personne ne croyait qu’il serait possible de dissoudre rapidement la nouvelle union. Néanmoins, peu de gens croyaient qu’elle serait nécessairement éternelle. Après tout, la Constitution précédente n’avait duré que 26  ans et celle qui l’avait précédée, moins de 5045.  » Comme le soutient Heintzman, l’indépendance n’était qu’une question de temps de l’avis de certains Québécois, tant à cette époque que maintenant46. Depuis 1867 jusqu’à nos jours, des générations de Québécois et Québécoises francophones continuent de considérer que l’objectif ultime du Québec est la souveraineté ou le statut de nation autonome. L’objectif a pris diverses formes  : certains ont réclamé l’indépendance pure et simple, d’autres ont prôné un renforcement progressif de l’autonomie du Québec jusqu’à ce que la fédération

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ne soit plus qu’une simple union postale et douanière, et d’autres encore voient des avantages à une forme quelconque de souveraineté-association47. Pour beaucoup, le rêve d’un Québec indépendant demeure toujours vivant. La Confédération a atteint son objectif, du moins pour l’instant : elle a supprimé l’union de 1841 et le legs de lord Durham et créé un État québécois au sein d’un État. Un flot constant de dirigeants politiques se sont succédé au Québec pour réclamer l’indépendance de la province ou, à défaut, une plus grande autonomie. Sir Wilfrid Laurier, le septième premier ministre du Canada, était contre la Confédération à une certaine époque. Lionel Groulx, un historien et militant, affirmait que le Québec, avili par la Conquête britannique et la Confédération, était un échec. Il inspira des générations de nationalistes québécois par son «  Maîtres chez nous  », un appel qui trouve écho au Québec encore aujourd’hui48. Maurice Duplessis, premier ministre du Québec de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959, combattit constamment ce qu’il appelait la centralisation excessive d’Ottawa. Jusqu’en 1977, la plaque d’immatriculation du Québec arborait l’inscription La belle province. On y lit maintenant la devise Je me souviens, ce qui souligne que le Québec ne se considère plus comme une province49. Robert Bourassa, premier ministre du Québec de 1970 à 1976 et à nouveau de 1985 à 1994, insistait continuellement sur la nécessité d’assurer la souveraineté culturelle du Québec et demanda plus tard au Canada de reconnaître le Québec en tant que société distincte. Le plaidoyer de René Lévesque en faveur de la souveraineté-association avec le Canada gagna des appuis considérables au Québec. Jacques Parizeau déclara qu’il était entré en politique pour faire l’indépendance du Québec et il fut bien près d’y parvenir lors du référendum de 1995. En mai 2021, le premier ministre Legault a déposé un projet de loi visant à modifier la Constitution du Canada pour qu’elle affirme que les Québécois forment une nation et que le français est la seule langue officielle du Québec. Le premier ministre Justin Trudeau a rapidement déclaré que son gouvernement n’allait pas contester la décision du Québec devant les tribunaux50.

e N r é t r oS P e ctI ve L’incertitude a toujours pesé sur les liens entre le Québec et le Canada. Groulx est loin d’être le seul Québécois à avoir cru ou à croire que le Québec a été avili par la Conquête, que le rapport

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Durham n’était rien de moins qu’une insulte aux francophones du Québec et que le Canada ne sert pas les intérêts du Québec. Les dirigeants du Québec ont adhéré à la Confédération parce que le statu quo n’était plus tenable, parce que ce n’était pas une option de faire cavalier seul à l’époque, parce que l’annexion aux États-Unis signifiait l’assimilation à court terme, parce qu’on croyait généralement que la Confédération procurerait d’importants avantages économiques à la province et parce qu’elle constituait, pour certains, un premier pas vers l’indépendance du Québec en créant un État au sein d’un État. Peu de choses ont changé depuis 1867. Les Québécois et les Québécoises qui vendent l’idée de la Confédération continuent de la promouvoir en mettant l’accent sur les avantages économiques qui en découlent. De nombreux fédéralistes du Québec ont avancé l’argument du « fédéralisme rentable » pour promouvoir la Confédération. L’ancien premier ministre du Québec Robert Bourassa a plaidé en sa faveur ou tenté de faire la démonstration que le Canada était rentable pour le Québec, ce qui n’est pas vraiment un appel enthousiaste à faire partie de la famille canadienne. Ceux et celles qui privilégient l’indépendance ou une plus grande autonomie du Québec dans le cadre d’arrangements vaguement définis avec le reste du Canada le font encore dans l’esprit d’être « maîtres chez eux ». Le Québec se voit encore comme une victime, mais la victimisation a pris des formes différentes. Bien entendu, la Conquête et le rapport Durham ont fait des francophones du Québec des victimes de la guerre et des décisions politiques. Dans les années 1960, alors que l’Église catholique romaine perdait son emprise sur la société québécoise, les citoyens et les citoyennes du Québec se sont de plus en plus concentrés sur le développement économique et se sont rendu compte que leur province tirait de l’arrière sur ses homologues, notamment l’Ontario. Beaucoup ont estimé que le problème et la solution se trouvaient à Ottawa, ce qui était bien plus facile que de se regarder dans le miroir ou d’examiner l’histoire ou même le passé récent de la province. Nous avons vu plus tôt que, même selon certains auteurs du Québec, la situation des habitants de la province avait peu changé de l’époque des pionniers jusqu’aux années 1960, que le Québec n’avait pas adéquatement appuyé ses entrepreneurs et ses entrepreneures et que les investissements dans les entreprises provenaient essentiellement de l’extérieur de la province. Le Québec était heureux de compter sur le leadership de l’Église et a adopté un style de vie rural idéalisé, du moins jusqu’au milieu du 20e siècle.

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Ottawa est devenu un important acteur du développement économique au Québec dans les années 1960. Il a abandonné la politique québécoise de développement économique régional, l’envoyant à la dérive au nom de l’unité nationale. Il ne s’est pas arrêté là. Ottawa a également établi plusieurs agences fédérales au Québec, de l’Agence spatiale canadienne au siège social de plusieurs sociétés d’État et ministères fédéraux. Ottawa est aussi intervenu pour orienter vers le Québec des activités économiques qui, autrement, se seraient établies dans d’autres régions. On se souviendra qu’Ottawa avait approuvé des projets de construction de six frégates de la classe Halifax en 1983 et de six autres en 1988. Le chantier naval de Saint-Jean, au NouveauBrunswick, avait décroché le contrat, qui contenait des restrictions relatives au contenu canadien, dans le cadre d’un processus d’appel d’offres concurrentiel. Peu après l’attribution du contrat, Ottawa a forcé la Saint John Shipbuilding à accorder en sous-traitance la construction de trois frégates au chantier mIl -Davie de Sorel, au Québec. Le gouvernement fédéral a décidé de contourner le processus d’appel d’offres pour assurer que le Québec obtienne sa part du marché d’acquisition. L’entreprise québécoise n’avait pas pu soutenir la concurrence lors de l’appel d’offres et n’a obtenu les travaux que grâce à une intervention politique. Le chantier naval québécois a eu du mal à atteindre ses objectifs de production et a pris du retard. La Saint  John Shipbuilding a intenté des poursuites contre la mIl-Davie pour non-exécution du contrat. Les poursuites ont été abandonnées seulement après qu’Ottawa eut versé un dédommagement de 323 millions de dollars à la Saint John Shipbuilding en raison des problèmes rencontrés par la mIl -Davie. Pour sa part, la Saint John Shipbuilding a réalisé le programme des frégates « dans les délais prescrits et en deçà du budget51 ». Encore une fois, les choses ne se sont pas arrêtées là. Jacques Daoust, le ministre de l’Économie du Québec, a dit devant la presse en mai 2015 qu’il était obligé de «  supplier  » Ottawa de donner un contrat de construction au chantier Davie maintenant que « les chantiers dans les Maritimes sont remplis [et que] les chantiers de la Colombie-Britannique sont remplis ». Il a omis de mentionner que les Maritimes avaient décroché le contrat dans le cadre d’un processus d’appel d’offres transparent et indépendant52. En juin 2015, le ministre de la Défense a annoncé que le gouvernement amorçait

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des «  négociations exclusives  » avec le chantier Davie en vue de la construction d’un navire de ravitaillement pour la Marine canadienne53. Nous reviendrons sur ce point dans le prochain chapitre. On se souviendra également que le gouvernement fédéral a accordé le contrat d’entretien des cf -18 à l’entreprise Canadair, de Montréal, après que Bristol Aerospace de Winnipeg eut remporté le contrat dans le cadre d’un appel d’offres concurrentiel. Les répercussions politiques de cette décision dans l’Ouest canadien se font encore sentir à ce jour. Elle a provoqué la création du Parti réformiste et donné son élan au slogan « L’Ouest veut être de la partie »54. Nous nous pencherons davantage sur ce sujet plus loin. Au début des années  1980, lorsque le gouvernement fédéral et neuf provinces se sont entendus pour rapatrier la Constitution, le gouvernement du Québec de l’époque a affirmé que le Québec avait reçu un coup de poignard dans le dos pendant la nuit de la part d’une bande d’escrocs. Le premier ministre de la province, René Lévesque, a déclaré que le Québec avait été trahi en secret par les neuf autres premiers ministres provinciaux et le gouvernement fédéral. Il a utilisé l’expression « la nuit des longs couteaux » pour faire allusion à la trahison55. Ces dernières années, le Québec affirme qu’il est devenu victime de l’indifférence du reste du Canada. Le premier ministre Philippe Couillard a tenté en 2017 de relancer le débat constitutionnel au Canada et de ramener le Québec dans le giron constitutionnel56. Le reste du Canada a montré peu d’intérêt et les efforts de Couillard sont demeurés lettre morte. Beaucoup de gens au Québec se sont dits déçus que les neuf autres provinces et Ottawa n’aient manifesté aucun intérêt à s’asseoir avec le Québec à la table de négociations. Selon Le Devoir, le Québec était victime de l’indifférence ou de ce qu’il a qualifié de «  quasi-indifférence  » du reste du Canada57. La décision du premier ministre Legault de modifier la Constitution pour y préciser que le Québec est une «  nation  » et que le français est sa langue officielle a aussi été accueillie avec une certaine indifférence tant par le reste du Canada que par les médias. De nombreux Canadiens et Canadiennes ont simplement haussé les épaules, se disant que le Québec faisait encore des siennes. Une telle réaction ne se serait pas produite il y a 30 ans58. Les exemples qui précèdent sont loin d’être des cas isolés où Ottawa est intervenu pour démontrer que le gouvernement fédéral pouvait agir en faveur du Québec. Ils ne veulent pas dire grand-chose,

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toutefois, pour certaines entreprises du Québec, qui doivent faire appel à l’intervention d’Ottawa parce qu’elles sont incapables de se mesurer à la concurrence dans le cadre d’un appel d’offres. Lorsqu’elles perdent, elles sont tout de même en mesure d’obtenir un contrat parce qu’elles sont situées au Québec. Le processus d’appel d’offres est relégué au second plan, derrière les questions d’unité nationale et tout avantage que le Québec serait susceptible de tirer de la fédération. Au Canada, il est rentable de se dire victime. Cependant, lorsque Ottawa intervient pour prouver que le fédéralisme canadien peut servir les intérêts du Québec, il fait de nouvelles victimes. Les provinces maritimes et l’Ouest canadien ont alors des motifs de s’estimer victimes du fédéralisme canadien, comme le prochain chapitre le fera voir. Compte tenu des 78 sièges qu’il détient à la Chambre des communes et de la menace qu’il continue de faire peser sur l’unité nationale, le Québec a réussi à influencer les décideurs à Ottawa. Les défis économiques du Québec ont eu peu à voir avec les conditions de la Confédération. Après la Conquête, comme nous l’avons vu, de nombreux membres de l’élite économique ont quitté la colonie pour la France. De plus, le Québec a longtemps valorisé l’image d’une société agraire et sereine dirigée par l’Église catholique romaine tout en cultivant une indifférence pour la richesse. On voit difficilement comment le Québec peut encore se considérer comme une victime de la Confédération. Dans un contexte où le gouvernement exerce le pouvoir à partir du centre, comme nous l’avons vu, les premiers ministres fédéraux qui ont été au pouvoir pendant 42 des 53 dernières années étaient originaires du Québec. Le Québec a réussi à modifier un article de la Constitution pour y inscrire que « le Québec forme une nation » et que « le français est la seule langue officielle du Québec59 ». Ottawa et le reste du Canada n’ont essentiellement pas dit un mot. On ignore si le Québec estime que le danger qui menace la langue française provient du Canada ou des États-Unis, du fonctionnement de l’économie mondiale ou d’Internet. Le Québec a sorti récemment une nouvelle carte dans le jeu de la victime : l’indifférence. Comme nous venons de le voir, Philippe Couillard, ancien premier ministre du Québec, et des journalistes de renom affirment maintenant que le Québec devient une « victime de l’indifférence ». Le Québec se voit comme une victime, semble-t-il,

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tant lorsque l’histoire et le reste du Canada lui prêtent une oreille attentive, que lorsqu’ils ne le font pas. Le Québec et l’ensemble des francophones du Canada ont peut-être des défis à relever, mais le Canada et le fédéralisme ne sont pas la cause du problème; ils en ont été la solution depuis les années 1960. Le Canada a joué un rôle crucial dans la transformation de l’économie du Québec, qui est passé d’une société agraire et dominée par l’Église à une économie moderne et prospère. Ottawa a eu et maintient une forte présence au Québec dans l’industrie aéronautique (considérez les investissements dans Bombardier et l’Agence spatiale canadienne, qui a un budget annuel de 500 millions de dollars), le secteur pharmaceutique et le secteur public (les sièges sociaux de plusieurs ministères fédéraux sont situés à Gatineau). De plus, le Québec reçoit des paiements de transfert fédéraux, y compris des paiements de péréquation (plus de 30 milliards de dollars en transferts fédéraux totaux en 2021-2022, sur des recettes de 120 milliards de dollars)60. La Conquête et l’Acte d’union ont peut-être fait du Québec une victime. Toutefois, depuis les années 1960, Ottawa a été un partenaire déterminant du Québec pour l’aider à se débarrasser de son étiquette de victime. Les Canadiens et les Canadiennes de l’extérieur du Québec ne voient probablement pas comment ils pourraient faire davantage. Ceux des provinces de l’Ouest et de l’Atlantique en particulier sont peu susceptibles d’admettre que le fédéralisme canadien soit la cause des malheurs et des difficultés économiques du Québec, puisque tant les politiques nationales que les institutions politiques nationales ont favorisé le Centre du Canada. Il est peu probable que les communautés francophones de l’extérieur du Québec, qui comptent un million de personnes, se rendent à l’argument voulant que la langue française serait mieux protégée si le Québec quittait la fédération canadienne.

3 Les gens des Maritimes : victimes de la Confédération

On se souviendra que les dirigeants du Haut et du Bas-Canada étaient aux prises avec un problème qu’ils n’arrivaient pas à résoudre par leurs propres moyens ou en comptant sur leurs institutions politiques. Ils se tournèrent vers les seules qui pouvaient les aider à se sortir de l’impasse politique : les trois provinces maritimes et Terre-Neuve. Deux des colonies maritimes (le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse) contribuèrent à briser l’impasse, mais ce fut à leur détriment. Les historiens et les historiennes ont documenté les conséquences catastrophiques de la Confédération et de la Politique nationale sur l’économie des Maritimes1. Toutes deux ont fait des Maritimes une région de victimes; du moins, c’est ainsi que de nombreux citoyens et citoyennes des Maritimes voient leur place dans la Confédération. Le lecteur se demandera peut-être pourquoi je parle des Maritimes et non du Canada atlantique. Les gens de l’extérieur du Canada atlantique sont beaucoup plus à l’aise avec le terme « Canada atlantique  » que ne le sont les gens de ma région. Les liens politiques, économiques et culturels entre les quatre provinces de l’Atlantique sont ténus. Tous les efforts visant à promouvoir la coopération économique entre les quatre provinces ont largement raté leur objectif. Comme le souligne Jim Bickerton, le «  Canada atlantique  » est davantage un construit utile pour les fonctionnaires d’Ottawa que ce n’est une région2. Je me considère comme un citoyen des Maritimes, non du Canada atlantique. L’ancien premier ministre de Terre-Neuve Joey Smallwood résuma très bien la situation lorsqu’il fit remarquer que sa province n’avait aucun intérêt à se joindre aux trois provinces maritimes pour

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étudier l’idée d’une union politique ou économique3. Il déclara que Terre-Neuve serait plus disposée à se joindre au Cap-Breton et à l’Île-du-Prince-Édouard qu’aux trois provinces maritimes, parce que les trois îles avaient quelque chose en commun. Alex Campbell, ancien premier ministre de l’Île-du-PrinceÉdouard, fut encore plus explicite  : «  Nous siégeons ici sous la bannière d’un caucus régional du Canada atlantique alors qu’en fait une telle région n’existe pas... Les seules personnes qui considèrent le Canada atlantique comme une région sont celles qui vivent à l’extérieur du Canada atlantique, les planificateurs et les bureaucrates à Ottawa, les présentateurs de nouvelles à Toronto et les dirigeants de compagnies aériennes à Montréal4. » L’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick Louis J. Robichaud, qui lança une initiative visant l’union des trois provinces maritimes, toucha le cœur de la question en affirmant  : «  Terre-Neuve se trouve à une distance considérable du reste du pays, et ses habitants ont leur propre mode de vie, qui est complètement différent de celui des gens de l’Île-duPrince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick5. » Je laisse le dernier mot à l’historien James Hiller  : «  Les gens de Terre-Neuve ont le sentiment très net que, même si les Maritimes constituent sans doute une région historique, Terre-Neuve n’en fait pas partie6. » Malgré son arrivée tardive dans la Confédération (1949), TerreNeuve-et-Labrador n’en est pas moins convaincue que des politiques fédérales malavisées expliquent, du moins en partie, les difficultés économiques de la province. De nombreux citoyens et citoyennes de Terre-Neuve-et-Labrador blâment le gouvernement fédéral pour la disparition presque complète de stocks de poissons importants. Les premiers ministres de la province soutiennent depuis longtemps, par exemple, que celle-ci devrait pouvoir participer à la prise des décisions concernant les pêches7. Les fonctionnaires provinciaux et les pêcheurs locaux insistent pour dire qu’Ottawa a commis beaucoup d’erreurs dans la gestion des pêches en accordant trop de quotas élevés aux flottes étrangères et qu’il n’a jamais pleinement compris les besoins du secteur. Ils soulignent que tous les technocrates et décideurs de haut niveau du secteur des pêches sont situés dans une tour à bureaux du centre-ville d’Ottawa, à des milliers de kilomètres des lieux de pêche des quatre provinces de l’Atlantique et de la Colombie-Britannique, trop éloignés de l’industrie pour comprendre les défis et les possibilités qui s’y présentent8.

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l ’ h é rIt age L’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve dirent non à ce que les Canadiens avaient à offrir. Les dirigeants des deux colonies rejetèrent rapidement les conditions d’adhésion à la Confédération, convaincus que les petites colonies se retrouveraient pratiquement sans voix au Parlement uni et toujours politiquement subordonnées au bon vouloir de l’Ontario et du Québec. Nous avons vu plus tôt qu’à deux reprises la population de la Nouvelle-Écosse opposa un refus catégorique à la Confédération lorsqu’elle eut l’occasion d’exprimer son point de vue. Quant aux Néo-Brunswickois, ils s’y opposèrent fortement, du moins au début, lors de l’élection de 1865, mais ils l’approuvèrent par la suite lors d’une autre élection générale tenue l’année suivante. Les partisans de la Confédération au Nouveau-Brunswick, dirigés par sir Leonard Tilley, pouvaient compter sur l’appui solide de l’Office des colonies, ce qui n’était pas un mince avantage en 1866. En outre, Tilley reçut 5 000 $ de sir John A. Macdonald pour acheter le vote d’électeurs et aider à convaincre les indécis. Le hasard intervint également en faveur de Tilley lorsque les Fenians lancèrent des raids le long de la frontière entre le Maine et le Nouveau-Brunswick, juste au moment où les partisans de la Confédération et ceux qui s’y opposaient croisaient le fer au sujet des avantages de celle-ci. Les raids affaiblirent considérablement les forces opposées à la Confédération dans la région en démontrant que le Nouveau-Brunswick avait besoin d’une aide extérieure pour protéger ses frontières contre les Fenians, sous la forme d’un gouvernement central fort9. Les Fenians, un groupe de patriotes irlandais qui avaient émigré aux États-Unis, voulaient exercer des pressions sur la Grande-Bretagne pour qu’elle se retire de l’Irlande. Les forces partisanes de la Confédération au NouveauBrunswick et l’Office des colonies à Londres exagérèrent la menace que posaient les Fenians, persuadés de renforcer ainsi leur position10. Des dirigeants politiques de premier plan des trois colonies maritimes, notamment Joseph Howe, Albert Smith et William Annand, voyaient des problèmes sur tous les fronts dans l’accord sur la Confédération. Ils faisaient valoir que leurs provinces subiraient des pertes financières si elles acceptaient de payer des droits de douane et des taxes d’accise à Ottawa en échange d’une subvention de 80 cents par habitant. Annand, par exemple, soutenait qu’Ottawa utiliserait les ressources de la Nouvelle-Écosse pour construire des canaux

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dans le Centre du Canada et ouvrir l’Ouest à la colonisation. De plus, il ne pouvait comprendre pourquoi le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Charles Tupper, accepterait la représentation selon la population, qui ne laisserait à la province que 19  députés sur 181, une proportion qui irait en diminuant à mesure que le Canada prendrait de l’expansion vers l’ouest et le nord (la Nouvelle-Écosse compte présentement 11  députés sur 338). Faute d’un mécanisme efficace permettant de faire contrepoids à la représentation selon la population, le Centre du Canada finirait selon lui par dominer à volonté les provinces maritimes. Annand se rendit à Londres pour défendre ses arguments contre la Confédération. Cependant, après une rencontre avec le secrétaire aux colonies, il conclut que les autorités impériales n’hésiteraient pas à « utiliser tous les moyens en leur pouvoir, sauf la force11  », pour que la Confédération voie le jour. C’est ce qu’elles firent. Le milieu des affaires de la Nouvelle-Écosse aussi voyait peu d’avantages au nouvel arrangement. Les marchands s’opposaient à l’accord parce que, soulignaient-ils, leurs marchés se trouvaient au-delà des mers, à l’est et au sud, et non dans les Canadas, à l’intérieur du continent. Joseph Howe, un puissant orateur et éditorialiste, décida d’entrer dans le débat pour s’opposer aux Résolutions de Québec peu après la divulgation de leur contenu, persuadé que les conditions de la Confédération, définies par des politiciens des deux Canadas, freineraient sérieusement le développement de la Nouvelle-Écosse12. Ralph Heintzman, un historien bien connu comme spécialiste de la période de la Confédération et observateur assidu de la scène politique, qui a également occupé un poste important au sein de l’appareil fédéral, a affirmé : « Bien sûr, la Confédération visait à régler le problème de l’Ontario et du Québec, et la présence des colonies maritimes était bien utile13. » Les intérêts politiques et économiques des colonies maritimes n’étaient certainement pas une priorité pour les quatre architectes de la Confédération ou pour l’Office des colonies. Ils avaient d’autres questions beaucoup plus importantes à régler, du moins de leur point de vue. Les Pères de la Confédération devaient relever un défi de taille : comment mettre en place une structure politique qui ferait contrepoids au paysage géographique du pays, compte tenu de l’attraction économique que le Sud exerçait naturellement sur le Nord? Les profondes divisions politiques, linguistiques et régionales exigeaient

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l’établissement d’un véritable système fédéral où le gouvernement national serait doté d’une capacité interne de tenir compte des réalités régionales. Toutefois, l’Office des colonies ne s’intéressait aucunement au fédéralisme et connaissait mal son fonctionnement, même au milieu des années 1860. Les quatre architectes de la Confédération canadienne n’étaient pas davantage familiarisés avec le fonctionnement du fédéralisme. Nous avons vu que Macdonald, pour sa part, voulait un État unitaire, ce que le Canada finirait par devenir avec le temps, croyait-il. Quant à Albert Smith, premier ministre du Nouveau-Brunswick en 1865-1866, non seulement il comprenait ce qu’était le fédéralisme, mais également il faisait preuve d’une grande clairvoyance. Il affirmait que les conditions de la Confédération rendraient la province tout à fait impuissante, expliquant que le Nouveau-Brunswick se retrouverait « sous le pouvoir dominateur de messieurs Macdonald et Cartier... bien qu’il devrait y avoir un changement de gouvernement, ce ne serait pas mieux pour la population des provinces maritimes. Les intérêts de l’Ontario étaient complètement différents et incompatibles avec ceux de toutes les autres provinces14. » Smith réclama la tenue d’un référendum sur toute loi relative à la Confédération. Macdonald, Cartier et l’Office des colonies jugeaient qu’un référendum n’était pas nécessaire, et la recommandation de Smith ne donna aucun résultat. Smith plaida également pour que soit accordé aux petites provinces « au moins la protection qu’ils [les petits États] ont aux États-Unis [c.-à-d. un sénat égal et efficace], même si nous devrions obtenir davantage parce qu’ici le pouvoir populaire [c.-à-d. le pouvoir exécutif] est tout-puissant15 ». Macdonald envisageait cependant un rôle différent pour le Sénat, celui de chambre de « second examen objectif » qui ferait contrepoids à la démocratie pleine et entière. La recommandation de Smith visant la création d’un sénat de type américain n’aboutit à rien elle non plus16. Au lieu de souscrire à la création d’une chambre haute efficace pour répondre aux demandes des délégués des Maritimes, les représentants de l’Ontario firent valoir que les provinces maritimes pourraient toujours compter sur le Québec si jamais l’Ontario tentait d’imposer sa domination au sein de la Confédération. Il aurait été bien difficile de prévoir en 1867 que le Québec accepterait un jour d’appuyer les intérêts économiques de l’Ontario, et vice-versa, étant donné les tensions qui existaient alors entre eux. Selon les

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délégués du Canada-Ouest, cela aurait dû suffire à convaincre les colonies maritimes que l’Ontario ne dicterait jamais le programme politique national. Dans le contexte des années  1860, il s’agissait d’une tactique politique. Comme l’avenir allait le révéler, cet arrangement fut loin de constituer un compromis permanent ou même durable à court terme. L’ancien premier ministre du Québec Philippe Couillard l’a clairement indiqué lorsqu’il s’est adressé à l’Assemblée législative de l’Ontario en 2015. Il a alors déclaré que l’Ontario et le Québec étaient des «  alliés naturels  », ajoutant  : «  Le Canada central est une force économique. C’est une force politique17. » Ses commentaires ont amené le National Post à souligner, dans un éditorial, que « le message à retenir, ce n’est pas le Canada d’abord, c’est le Canada central d’abord18 ». Il en a toujours été ainsi. En 2014, par exemple, l’Ontario et le Québec ont fait équipe pour établir une liste de demandes « locales » concernant le projet de l’oléoduc Énergie Est. Les deux provinces du Centre se sont aussi entendues pour que chacune ouvre ses marchés publics aux entreprises de l’autre, mais pas à celles d’aucune autre province19.

l eS m a rIt I m eS   : l à o ù I l Ne Ple U t jama I S, e t c ’ eSt l a f aU t e d’ottawa Il devint bientôt évident pour les colonies maritimes que la Confédération visait à répondre aux préoccupations de l’Ontario et du Québec. Les habitants des Maritimes virent très rapidement qu’ils seraient désavantagés en ce qui concernait des questions cruciales. Ainsi, les 72 Résolutions de Québec accordaient au gouvernement fédéral tout le pouvoir de percevoir des impôts directs et indirects, ne laissant aux provinces que des pouvoirs de taxation directe qui offraient très peu de possibilités en  1867, du moins aux provinces maritimes. À l’époque de la Confédération, la région tirait sa principale source de recettes des taxes indirectes (particulièrement les droits de douane) étant donné les solides relations commerciales qu’elle entretenait. La taxation indirecte n’avait pas autant d’importance pour l’Ontario et le Québec. De plus, contrairement à l’Ontario et au Québec, la structure municipale était extrêmement faible dans les Maritimes et se limitait essentiellement à Halifax et à Saint-Jean. Les administrations municipales, en tant que créations des provinces, étaient autorisées à imposer une taxe directe sous forme

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d’impôt foncier, la seule forme de taxation directe qui bénéficiait d’une grande acceptabilité auprès des citoyens en  1867. De toute évidence, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, caractérisés par une faible structure municipale et privés de leur principale source de recettes, seraient incapables de faire face à leurs obligations dans le cadre du nouvel arrangement. C’est ainsi que virent le jour les transferts fédéraux aux provinces, qui étaient calculés en fonction du nombre d’habitants, mais dont le calcul fut légèrement modifié dans le cas de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick pour tenir compte de leur situation particulière. La modification n’eut qu’un effet modeste, de sorte que l’Ontario et le Québec recevaient des montants supérieurs à leurs besoins, tandis que la situation financière du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse devint bientôt intolérable20. En 1866, les droits de douane et les taxes d’accise représentaient respectivement 75 % et 72 % des recettes des colonies de la NouvelleÉcosse et du Nouveau-Brunswick, mais seulement 56 % de celles du Canada. En revanche, les recettes tirées de la taxe sur les «  biens immobiliers  » représentaient 23  % des recettes du Canada, mais seulement 7 % en Nouvelle-Écosse et 9 % au Nouveau-Brunswick. En renonçant à leur pouvoir de prélever des droits de douane et des taxes d’accise pour le céder au gouvernement fédéral, les deux colonies maritimes perdirent beaucoup plus que ne le firent l’Ontario et le Québec21. Sur la scène politique, Tilley, qui avait défendu la Confédération au Nouveau-Brunswick, prévoyait devenir le ministre des Finances dans le nouveau Canada compte tenu de son expérience dans le milieu des affaires et au sein du gouvernement du NouveauBrunswick. Cependant, ce fut un politicien du Québec, Alexander Galt, qui hérita du portefeuille des Finances. Macdonald n’envisagea jamais de confier le puissant portefeuille des Finances à un non-Canadien, c’est-à-dire à un député de l’extérieur de l’Ontario et du Québec, parce qu’il avait « déjà assez de mal à satisfaire les Canadiens22 ». Tous les autres portefeuilles d’importance à l’époque, soit la Milice et la Défense, le Revenu intérieur, les Travaux publics et l’Agriculture, allèrent à des hommes politiques de l’Ontario et du Québec. À titre de ministre des Douanes, Tilley écrivit à Macdonald pour l’implorer  : «  Donnez-moi davantage de pouvoir... Je veux toute l’assistance que je peux obtenir afin d’apaiser l’insatisfaction qui existe... je n’ai aucune influence au sein du gouvernement23. »

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Les colonies maritimes ne tardèrent pas à découvrir également qu’elles seraient largement sous-représentées dans la fonction publique fédérale. La nouvelle fonction publique se composait essentiellement de la vieille bureaucratie de l’ancienne Province unie du Canada24. La plupart des fonctionnaires du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse furent écartés des nominations gouvernementales à Ottawa. Peu après la Confédération, la fonction publique dénombrait 500 employés dont seulement deux étaient issus des Maritimes. En outre, les fonctionnaires qui prirent leur retraite de l’ancienne bureaucratie canadienne se virent accorder une pension versée par le gouvernement fédéral, tandis que ceux de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick n’y eurent pas droit25. La Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et leurs fonctionnaires comprirent très bien le message : leur région n’était guère plus qu’un appendice du Haut et du Bas-Canada, comme Albert Smith et Joseph Howe l’avaient prédit. La situation avait toutes les caractéristiques d’une victimisation ou avait fourni aux deux provinces des motifs de s’estimer victimes de la Confédération.

Il N’ é t a It q Ue St I o N qUe de ca N aUx Les canaux jouaient un rôle crucial dans les années 1860 en raison de leur importance militaire stratégique. Mais ils avaient aussi une importance considérable pour le développement économique, car ils constituaient une infrastructure essentielle à la croissance de l’économie. De plus, ils reliaient les collectivités, permettaient de contourner les chutes et servaient au transport de marchandises. Les projets d’aménagement ne manquaient pas lors des négociations portant sur la construction de canaux dans le cadre des conférences de Québec et de Charlottetown. Tous les délégués avaient leur projet préféré. La construction du canal de Chignectou venait en tête des priorités des délégués des Maritimes. Elle représentait un potentiel énorme pour la région. Jacques de Meulles fut le premier à proposer la construction d’un canal à travers l’isthme de Chignectou en 1686. Au fil du temps, le projet fit l’objet de 12 rapports techniques d’envergure et de trois commissions royales, et aucun ne mit en doute la faisabilité technique de la construction du canal26. Il était entendu entre les représentants du Canada et ceux des Maritimes que l’aménagement du canal de Chignectou faisait partie de l’accord sur la

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Confédération. Tous convinrent alors, et pendant plus d’un siècle par la suite, que l’isthme de Chignectou posait un « obstacle qui a entravé le plein développement économique du Canada, en particulier celui de la région de l’Atlantique27 ». Après la Confédération, la construction et le réaménagement de canaux demeuraient une priorité du nouveau gouvernement fédéral. L’Encyclopédie canadienne explique : « Après la Confédération de 1867, le transport intérieur devient l’une des priorités du nouveau gouvernement. Les années 1870 et 1880 voient la reconstruction et le réaménagement des canaux. Ainsi, les écluses du canal de Grenville, troisième des canaux de l’Outaouais, sont enfin reconstruites et ne causent plus d’embouteillages. Le nouveau canal de Carillon remplace le précédent de même que le canal à écluse simple appelé la Chute-à-Blondeau. Toutes les écluses des canaux de Lachine et du Saint-Laurent sont alors reconstruites selon les dimensions normalisées... Le troisième canal Welland, nettement amélioré par rapport au second, est terminé en 188728. » Il n’est nullement question du canal de Chignectou dans l’encyclopédie. Malgré les ressources importantes que le gouvernement fédéral engagea dans la construction et le réaménagement de canaux peu après la création du pays en 1867, et bien que le projet ait fait partie des discussions à l’origine de la Confédération, la construction du canal de Chignectou ne figura jamais sur la liste des travaux prévus par le gouvernement. En revanche, tous les grands canaux du Centre du Canada se retrouvèrent sur cette liste. Pour traiter les diverses demandes formulées, le gouvernement Macdonald décida en 1870 d’instituer une commission royale, présidée par sir Hugh Allan, pour étudier les projets de construction de canaux et déterminer les priorités. La Commission Allan formula ses recommandations en les regroupant selon quatre classes de travaux. La première classe englobait les travaux dans lesquels «  l’intérêt général du Dominion  » était évident et qui devaient être «  entrepris et exécutés aussitôt que le gouvernement en aura les moyens29 ». Tous les canaux apparaissant sur cette liste furent rapidement construits, sauf celui de Chignectou, que la Commission Allan avait pourtant appuyé fortement. Les députés des Maritimes continuèrent de réclamer la construction du canal de Chignectou et le gouvernement fédéral continua de trouver des raisons de la reporter. Le gouvernement d’Alexander Mackenzie, élu en 1873, alloua des fonds pour la construction du

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canal mais changea d’idée lorsque surgirent les difficultés économiques des années 1870, et le canal de Chignectou fut victime des compressions30. D’autres commissions et études suivirent et rapportèrent que la construction du canal de Chignectou était possible selon des critères d’ordre climatique et technique31. Mais le projet était toujours mis sur la glace pour quelque raison. Certains faits donnent à penser, par exemple, que le projet du canal de Chignectou fut victime de conflits et de jalousies au sein de la bureaucratie à Ottawa, et bien que des appels d’offres aient été lancés pour sa construction, le projet s’embourba dans le système bureaucratique d’Ottawa32. Les provinces maritimes conclurent qu’elles ne pouvaient plus attendre que le gouvernement honore sa promesse de construire le canal. Elles demandèrent à l’ingénieur de renom H.G.C. Ketchum de leur soumettre un nouveau projet et de rechercher de nouvelles sources de financement pour l’appuyer. Ketchum recueillit des fonds auprès de sources privées et obtint en 1882 une charte pour fonder la Chignecto Marine Transport Railway Company. Le gouvernement fédéral accepta de lui verser une subvention annuelle de 200 000 $ pendant 20 ans à condition que le canal entre en service dans un délai de quelques années. Ottawa avait ainsi la possibilité de confier au secteur privé la responsabilité de construire le canal de Chignectou, ce qu’il n’avait pas fait dans le cas des autres canaux figurant sur la liste de la Commission Allan33. Ketchum réussit à recueillir des fonds en Grande-Bretagne et put s’engager à fournir quatre millions de dollars pour la construction du canal de Chignectou, mais il n’eut pas les fonds suffisants pour terminer le projet à temps. L’un de ses investisseurs britanniques dut se retirer du projet après l’effondrement des marchés financiers en Angleterre en 1890 et en raison de mauvais investissements réalisés en Uruguay et en Argentine. Ketchum demanda qu’on lui accorde plus de temps, mais la Chambre des communes refusa de repousser l’échéance prévue pour l’obtention de la subvention, et le projet tomba à l’eau34. Ketchum avait rassemblé et dépensé 3,5 millions de dollars dans le projet et réalisé 80 % des travaux. Il avait besoin d’un montant supplémentaire de 1,5 million de dollars et d’environ deux mois pour terminer les travaux. Le projet de loi visant à prolonger le délai accordé à Ketchum pour recueillir des fonds fut rejeté aux Communes par un vote de 55 contre 54. Le Sénat ne joua aucun rôle dans la décision35.

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Les députés fédéraux et les gouvernements provinciaux des Maritimes n’étaient toujours pas prêts à renoncer au canal de Chignectou. Ils poursuivirent leurs efforts, produisirent d’autres études et se heurtèrent au refus répété d’Ottawa. Quand le gouvernement fédéral envisagea la construction de canaux entre le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs à un coût considérablement plus élevé que celle du canal de Chignectou, il expliqua que, «  dans le cas des Grands Lacs, les canaux sont une nécessité nationale; dans le cas de Chignectou, la construction d’un canal serait simplement une amélioration des installations actuelles et aurait surtout une importance locale36 ». Ottawa ne précisa jamais ce qu’il entendait par « une amélioration des installations actuelles » aux citoyens et aux citoyennes des Maritimes, qui étaient perplexes puisqu’il n’y avait alors aucune installation susceptible d’être améliorée. Il n’expliqua jamais non plus pourquoi les canaux du Saint-Laurent et des Grands Lacs étaient une « nécessité nationale », alors que le canal de Chignectou n’avait qu’une « importance locale ». Les leaders politiques et économiques des Maritimes refusèrent d’abandonner le canal de Chignectou, et ce, même aussi récemment que dans les années  1950. Les dépenses d’infrastructure étaient en vogue durant la période qui suivit la Seconde Guerre mondiale. On amorça la construction de la route Transcanadienne en 1950. En 1951, le Parlement adopta la Loi sur l’aménagement de l’énergie des rapides internationaux pour permettre au Canada d’entreprendre l’aménagement d’ouvrages de navigation sur le fleuve Saint-Laurent, de Montréal jusqu’au lac Ontario. En 1954, une loi du Parlement créa l’Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent, une société d’État chargée d’acquérir des terres en vue de la construction et de l’exploitation d’une voie navigable entre Montréal et le lac Érié. Au bout du compte, la construction coûta 470  millions de dollars, dont 336,5  millions furent versés par Ottawa et 133,5 millions, par les États-Unis. La Voie maritime du Saint-Laurent, qui établit un lien entre les Grands Lacs et les marchés mondiaux, fut achevée en 1959. D’autres initiatives furent lancées plus tard, y compris la construction d’une nouvelle section du canal Welland, qui permettait de contourner la ville de Welland, au coût additionnel de 300 millions de dollars pour le gouvernement canadien. Le Canada et les États-Unis dépensèrent encore 600 millions de dollars dans des projets d’aménagements hydroélectriques37. Toutes ces activités

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du gouvernement fédéral eurent des répercussions négatives sur les ports des Maritimes, en particulier ceux d’Halifax et de Saint-Jean. Selon Corey Slumkoski, le projet de la Voie maritime du SaintLaurent suscita dans les Maritimes un regain d’intérêt pour la construction du canal de Chignectou. Tout comme la Voie maritime du Saint-Laurent, le canal de Chignectou offrait à la région une nouvelle source potentielle d’énergie hydroélectrique grâce à l’exploitation des marées. De plus, il raccourcirait la distance entre la côte et l’intérieur du continent. Considérant les investissements « massifs » de fonds publics réalisés par le passé dans les canaux de l’Ontario et du Saint-Laurent, tous financés par les « coffres fédéraux », les habitants des Maritimes se demandaient pourquoi il était impossible pour le gouvernement fédéral d’engager des fonds dans la construction du canal de Chignectou. Du point de vue des Maritimes, les dépenses du gouvernement fédéral continuaient d’être destinées aux projets « d’importance nationale » tels que définis par Ottawa38. La différence, bien sûr, c’est qu’une région – l’Ontario et le Québec – avait le poids politique et l’influence bureaucratique nécessaires pour déterminer ce qui était d’importance nationale et ce qui ne l’était pas. Comme cela avait été le cas auparavant dans d’autres dossiers où les enjeux régionaux étaient importants, le Sénat ne trouva pas grand-chose à dire au sujet du canal de Chignectou. Des chefs d’entreprise et des dirigeants communautaires locaux décidèrent de s’impliquer et formèrent un comité du canal de Chignectou pour promouvoir le projet39. Ils financèrent des études pour démontrer le bien-fondé du projet au gouvernement fédéral. Le comité proposa que le canal, d’une longueur de 30,5 kilomètres, soit construit sur une étroite bande de terre située entre le NouveauBrunswick et la Nouvelle-Écosse. Les études montraient que le canal raccourcirait de quelque 650 kilomètres les routes de navigation entre l’intérieur du continent et la côte est des États-Unis. Le travail du comité reçut de nombreux appuis dans les quatre provinces de l’Atlantique, à commencer par celui des localités voisines de Sackville, au Nouveau-Brunswick, et d’Amherst, en NouvelleÉcosse, des chambres de commerce locales et des principaux chefs d’entreprise de la région, notamment K.C. Irving. Les dirigeants d’entreprises locales firent valoir qu’ils avaient de la difficulté à vendre leurs produits sur les marchés internationaux en raison des tarifs nationaux et des barrières commerciales. Ils expliquaient qu’ils devaient lutter à contre-courant pour « faire monter »

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leurs produits jusqu’aux marchés du Centre du Canada, mais qu’il suffisait d’une petite poussée aux entreprises du Centre du Canada pour acheminer leurs produits aux provinces maritimes40. Le comité du canal de Chignectou soutenait que tous les secteurs de l’économie du Canada atlantique allaient bénéficier du canal, ce qui revenait à dire essentiellement que le canal créerait les conditions propices à l’essor économique de la région, un peu comme la Voie maritime du Saint-Laurent le faisait dans le centre du pays. Le comité souligna également que le canal générerait de nouvelles activités autour de vastes gisements de zinc et de cuivre dans le Nord du NouveauBrunswick, dans l’industrie forestière, les secteurs des pêches et du charbon et le secteur manufacturier. Puisque le canal atténuerait considérablement les désavantages pour le transport vers la côte est des États-Unis et les marchés du Canada central, il permettrait à la région d’améliorer le rendement de son économie. La diminution des coûts de transport ainsi que les nouvelles sources d’énergie auraient des retombées économiques importantes non seulement dans les trois provinces maritimes, mais aussi à Terre-Neuve-et-Labrador. K.C.  Irving et d’autres chefs d’entreprise promirent d’investir 105  millions de dollars dans de nouvelles activités économiques dans la région de la baie de Fundy si l’on construisait le canal41. En 1957, le coût de construction du canal était estimé à 90 millions de dollars, un montant sensiblement inférieur au coût de construction de la Voie maritime du Saint-Laurent. Ottawa ne se rangea toutefois jamais aux arguments du comité. Lionel Chevrier, le puissant ministre des Transports et député du Québec, exprima clairement son opposition au canal de Chignectou à chaque occasion. Si le ministre responsable – en particulier un ministre aussi influent que Chevrier, qui représentait une province où résidait également le premier ministre – n’appuyait pas un projet qui relevait de sa compétence dans les années  1950, les chances que ce projet voie le jour étaient très minces. Chevrier était persuadé que le canal de Chignectou enlèverait quelque chose à son projet de la Voie maritime du Saint-Laurent et, par conséquent, il épousa tous les arguments contre le canal de Chignectou, affirmant que son coût était trop élevé. Tout ce qu’il reste maintenant du projet du canal de Chignectou, ce sont 12 rapports d’études techniques et de faisabilité et les vestiges des travaux exécutés par Ketchum. Le canal ne sera jamais construit.

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K.C. Irving, sans doute le plus grand entrepreneur canadien du siècle dernier, qui n’était vraiment pas du genre à se considérer comme une victime, n’hésita pas à dire que c’était la faute d’Ottawa si le canal était toujours resté en plan. Il déclara que le projet de construction du canal de Chignectou était une « dette » des décideurs d’Ottawa envers cette région du pays42. De plus, il fit observer : « N’oublions pas que, dans certains cas, les habitants du Haut-Canada sont la pire sorte d’étrangers43. » Des hommes politiques de premier plan à Ottawa rejetèrent constamment les arguments en faveur du canal de Chignectou, qu’ils considéraient comme un projet d’importance régionale, convaincus qu’il nuirait à la Voie maritime du Saint-Laurent, dont la construction était vue comme un projet national. Le pouvoir établi par les institutions politiques nationales, notamment la Chambre des communes, qui repose sur le principe de la représentation selon la population, était libre (et demeure libre) de définir ce qui est national et ce qui est régional. Le Sénat, comme il l’a fait pour tant d’autres questions, demeura simplement à l’écart du débat, pendant que le pouvoir exécutif décidait que le canal de Chignectou ne serait jamais construit. Les décisions d’Ottawa concernant les canaux et son refus d’appuyer la construction du canal de Chignectou devinrent aux yeux des gens des Maritimes un symbole de l’indifférence du gouvernement fédéral envers la région. Les Maritimes présentaient beaucoup plus d’intérêt pour Macdonald et Cartier avant la Confédération qu’après la conclusion de l’accord. La façon dont Ottawa géra la question des canaux, l’un des instruments de développement économique les plus importants en 1867, donnait le ton quant à l’orientation future des politiques économiques du gouvernement fédéral ou était précurseur de la Politique nationale mise en œuvre par Ottawa (vers 1878 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale). La manière dont Ottawa procéda pour déterminer quels canaux seraient construits et lesquels ne le seraient pas donna aux provinces maritimes un avant-goût de l’avenir. La région aurait ainsi une réponse toute faite pour expliquer sa faible croissance économique. Les Maritimes pourraient faire valoir que la Confédération et les politiques nationales ont fait d’elles des victimes des politiques économiques d’Ottawa, ce qu’elles ont soutenu à maintes reprises. J’ai également souligné ce point plusieurs fois dans le passé, comme je le fais encore une fois dans ce chapitre44.

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l a P o lIt I q Ue Nat I oN ale De nombreuses difficultés économiques sont imputables à la Politique nationale d’Ottawa, du moins dans le cas des provinces maritimes et de l’Ouest. La Politique nationale mettait l’accent sur une économie continentale est-ouest et, par ricochet, elle protégeait les producteurs émergents du centre du pays. En conséquence, les habitants des Maritimes devaient faire venir leurs produits manufacturés de Montréal et du Sud de l’Ontario, ou payer des tarifs douaniers de 50 % dans certains cas pour importer des produits de leurs sources d’approvisionnement traditionnelles comme la Grande-Bretagne et les États de la Nouvelle-Angleterre. Bref, les habitants des Maritimes constatèrent qu’ils étaient obligés, dans le cadre de la Politique nationale, d’acheter les produits qu’ils consommaient sur un marché intérieur largement protégé, mais qu’ils devaient vendre leurs produits sur un marché qui n’était pratiquement pas protégé. Avec le temps, le protectionnisme économique et la Politique nationale forcèrent les producteurs des Maritimes à expédier à grands frais leurs produits sur des routes ferroviaires vers le Centre du Canada plutôt que sur des bateaux vers leurs marchés d’exportation traditionnels des États de la Nouvelle-Angleterre, des Antilles et d’ailleurs. La structure est-ouest des échanges commerciaux au Canada, qui fut créée artificiellement par la Politique nationale, encouragea un virage vers le commerce terrestre (pour lequel les trois provinces maritimes étaient géographiquement désavantagées) et elle fit essentiellement de la région une « extrémité isolée du Canada45 ». La structure émergente des échanges commerciaux était artificielle en ce sens qu’elle fut créée, du moins à l’origine, par des décisions politiques et non par les forces du marché. Plusieurs observateurs ont fait valoir que la Politique nationale et le protectionnisme eurent pour effet de miner l’avantage commercial de la région dans le transport maritime. Voici comment David Alexander a résumé les répercussions de la Politique nationale sur la région  : «  Le sous-développement qui caractérise les Maritimes semble traduire toute une dégringolade qu’elles ont subie depuis l’époque exaltante où la région possédait l’une des industries de construction navale les plus importantes au monde, une flotte de marine marchande se classant au troisième ou au quatrième rang mondial, des institutions financières qui ont été à l’origine de plusieurs géants actuels de l’industrie financière canadienne (par

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exemple la Banque Royale du Canada et la Banque Scotia, toutes deux fondées à Halifax) et une structure industrielle dont la croissance était comparable à celle du centre du pays46. » En somme, la Politique nationale est, au moins partiellement, la cause du déclin économique de la région. La Politique nationale encouragea par ailleurs des entreprises américaines à créer des succursales au Canada, où elles favorisèrent nettement la région centrale du pays, qui devint le lieu de prédilection des entreprises étrangères qui souhaitaient établir une présence au Canada. Ces entreprises n’avaient elles aussi qu’à donner une poussée à leurs produits pour les acheminer sur le marché des provinces maritimes. Les habitants des Maritimes peuvent légitimement affirmer que la Politique nationale ne fit aucune place pour eux. Ainsi, un observateur averti de la politique néo-brunswickoise a souligné en 1961 « les énormes désavantages économiques avec lesquels la région a dû composer depuis l’instauration de la Politique nationale » ont réduit les politiciens du Nouveau-Brunswick et, de façon plus générale, des Maritimes à un rôle de quémandeurs qui, sous n’importe quel prétexte imaginable, réclament de meilleures conditions de la part d’Ottawa47. La Politique nationale créa sa propre dynamique, et ses répercussions se sont longtemps fait sentir. Quant à savoir si le gouvernement eut une incidence sur le choix des lieux où les activités industrielles seraient concentrées, la réponse était plutôt simple jusqu’à récemment. Le milieu des affaires des Maritimes avait du mal à soutenir la concurrence étant donné que la Politique nationale favorisait nettement les entreprises du Centre du Canada. De plus, il était incapable de rivaliser avec les chefs d’entreprise de l’Ontario et du Québec, provinces comptant de nombreux électeurs, pour influer sur les politiques nationales. Il devint bientôt évident, a expliqué Ernest Forbes, que dès qu’il y avait de la concurrence entre les régions, Ottawa choisissait invariablement l’Ontario et peut-être aussi le Québec. Il a souligné, par exemple, que les décideurs à Ottawa déclarèrent tout simplement : « “Nous ne pouvons pas appliquer de tarif sur le charbon, parce que l’Ontario doit importer le charbon des États-Unis.” Ils ont supprimé le tarif et ont pu créer une industrie sidérurgique en Ontario48. » Cette décision à elle seule déplaça un pouvoir économique important vers le Centre du Canada et contribua à éliminer les avantages dont les producteurs de charbon du Cap-Breton jouissaient auparavant. Cet effet de la Politique nationale est loin d’être un cas isolé.

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Les historiens ont produit un véritable inventaire de politiques fédérales qui ont eu des répercussions négatives sur les provinces maritimes. Hugh Thorburn a bien résumé la situation en faisant observer : « La politique tarifaire, la politique sur les transports et la politique monétaire du gouvernement fédéral ont généralement désavantagé le Nouveau-Brunswick à long terme49. » Les politiques étaient établies à Ottawa afin de répondre à des objectifs nationaux qui, pour quelqu’un des Maritimes, finirent par signifier « les intérêts de l’Ontario et du Québec uniquement ». Ce qui était bon pour le Canada central était invariablement perçu par Ottawa comme bon pour l’ensemble du Canada, mais le même raisonnement ne s’appliquait jamais aux Maritimes. La politique monétaire d’Ottawa dans les années 1930 – et depuis lors, en fait – était le reflet de la situation économique de l’Ontario et du Québec et, seulement récemment, des provinces de l’Ouest, souvent aux dépens des Maritimes. Le Canada, contrairement à de nombreux autres pays, refusa de dévaluer sa monnaie durant la crise des années 1930. La région des Maritimes fut « prise dans un étau, coincée entre les prix élevés et rigides des produits manufacturés qu’elle devait acheter (du Centre du Canada) et les conditions de vente difficiles sur les marchés d’exportation dont elle dépendait50 ». La Politique nationale fut suivie de l’effort de guerre, dans le cadre duquel les gens des Maritimes peuvent légitimement affirmer que leur région fut sérieusement lésée par Ottawa.

l ’ e f f o r t d e gUerre L’effort de guerre (vers 1940-1945) joua un rôle central dans l’établissement du secteur manufacturier canadien. Au cours des années de guerre, Ottawa créa 32 sociétés d’État, estimant que des sociétés d’État étaient mieux adaptées qu’un ministère typique pour attirer des chefs d’entreprise chargés de gérer des programmes de guerre. Ces 32 sociétés d’État furent toutes créées en Ontario et au Québec, presque toutes dans le corridor Montréal-Windsor; pas une seule ne fut créée dans les Maritimes ou les provinces de l’Ouest. Les sociétés d’État représentaient une nouvelle source considérable d’investissements susceptibles de générer de nombreuses activités économiques. Et de fait, elles jetèrent les bases de l’essor qu’allait connaître le secteur manufacturier dans les années d’aprèsguerre. Ainsi, des sociétés d’État créées en temps de guerre donnèrent

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naissance, notamment, à des fabricants d’aéronefs, à des producteurs de caoutchouc synthétique et à une entreprise de haute technologie appelée Research Enterprises Limited. Bien que de nombreuses sociétés d’État fondées pendant la guerre aient été démantelées par la suite, certaines d’entre elles ont poursuivi leurs activités, dont Polysar et Les Arsenaux canadiens Limitée. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’effort de guerre canadien et les mesures adoptées tout de suite après la guerre pour reconstruire l’économie du pays étaient le fruit d’initiatives gouvernementales, plus précisément d’initiatives du gouvernement fédéral. Lorsque le secteur manufacturier était incapable de fournir ce que l’effort de guerre exigeait, Ottawa créa des sociétés d’État. Il établit la capacité de production en Ontario et au Québec et attira la main-d’œuvre des Maritimes dans ces deux provinces. Il ne fait pas de doute que les sociétés d’État servirent très bien l’effort de guerre. À long terme, elles servirent aussi à renforcer considérablement le secteur manufacturier du Centre du Canada. Et ce n’est pas tout. Le ministère des Munitions et des Approvisionnements réalisa de nouveaux investissements massifs dans les industries canadiennes, mais en 1944 seulement 3,7  % de ces investissements avaient été effectués dans les Maritimes, surtout dans la réparation d’aéronefs et de navires. D’ailleurs, même les activités de construction navale dans le cadre de l’effort de guerre furent en majeure partie réalisées dans d’autres régions. Les historiens reconnaissent maintenant que « C.D. Howe et ses bureaucrates encouragèrent la concentration du secteur manufacturier dans le centre du pays51 ». Pourtant, il aurait été plus logique que certaines activités économiques soient localisées dans les provinces maritimes compte tenu de la géographie, de la présence de compétences entrepreneuriales (par exemple K.C. Irving) et des infrastructures industrielles de Saint-Jean et d’Halifax52. Pour une fois, la géographie aurait dû favoriser les provinces maritimes; c’était le Centre du Canada, non Halifax ou Saint-Jean, qui se trouvait loin du théâtre des hostilités. Les efforts de C.D. Howe pour façonner le secteur manufacturier du Canada étaient constamment dirigés vers le Canada central. La Dominion Steel and Coal Corporation (doSco ) était à une certaine époque l’un des trois grands producteurs d’acier du Canada et l’un des principaux employeurs des provinces maritimes. Howe et son ministère décidèrent d’aider les producteurs d’acier à moderniser leurs installations pour soutenir l’effort de guerre. Howe offrit des

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subventions à la Steel Company of Canada de Hamilton et à Aciers Algoma Limitée de Sault Ste. Marie. Il n’offrit rien à la doSco du Cap-Breton, ce qui incita son président, Arthur Cross, à déplorer que son entreprise soit « le seul producteur d’acier primaire dans ce pays à ne recevoir aucune aide gouvernementale53 ». La décision de Howe semblait justifiée aux yeux du premier ministre William Lyon Mackenzie King (originaire de l’Ontario), de l’important caucus de l’Ontario et des hauts fonctionnaires situés à Ottawa. Ottawa concentra largement l’effort de guerre dans le Centre du Canada même en dépit des considérations militaires. Après une visite au Canada en 1940, la Mission technique de l’Amirauté britannique conclut que des enjeux politiques pesaient lourdement sur les décisions militaires. Ses membres soulignèrent les problèmes que posait la construction de navires dans des chantiers qui étaient coupés de l’océan Atlantique durant cinq mois de l’année et remirent en question la nécessité que les navires fassent la longue descente du Saint-Laurent. Des conseillers militaires américains firent la même remarque54. Les 10  premiers navires construits pour la GrandeBretagne faillirent rester coincés sur le Saint-Laurent à cause du gel hivernal et durent subir des « travaux importants dans les Maritimes avant de se risquer à traverser l’Atlantique55  ». Les Britanniques essayèrent du mieux qu’ils purent de convaincre Ottawa de choisir Halifax comme l’endroit logique où établir le quartier général de la marine pour leurs convois canadiens et le centre de réparation des navires de fort tonnage. Leurs efforts furent infructueux56. Dans son premier rapport d’activités, déposé le 30 avril 1941, le ministère des Munitions et des Approvisionnements manifesta un parti pris évident pour le Canada central. Les gouvernements canadien et britannique s’étaient déjà engagés à consacrer 484 millions de dollars à l’effort de guerre. L’Île-du-Prince-Édouard et le NouveauBrunswick n’en reçurent rien, tandis que la Nouvelle-Écosse reçut seulement 8,7 millions de dollars, dont trois millions attribués à une entreprise de Montréal pour la construction d’un quai flottant destiné à Halifax57. Les efforts de reconstruction déployés par Ottawa dans l’après-guerre suivirent la même tendance. Certaines sociétés d’État continuèrent de fonctionner comme auparavant, d’autres furent privatisées. Environ 80  % des fonds affectés à la reconstruction furent alloués à des entrepreneurs de l’Ontario et du Québec. Les entreprises qui souhaitaient recevoir une aide financière devaient être « rentables »,

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si bien qu’Ottawa rejeta souvent la candidature d’entreprises des Maritimes en alléguant que la région ne comptait pas suffisamment de travailleurs qualifiés, dont un grand nombre avaient déménagé dans le Centre du Canada pour travailler à l’effort de guerre. Beaucoup d’autres décisions d’Ottawa favorisèrent le Canada central au détriment du secteur industriel de la région des Maritimes, notamment la décision du Canadien National d’établir un atelier de réparation à Montréal, ce qui avec le temps allait nuire à l’atelier de réparation de Moncton et, finalement, provoquer sa disparition58. Dans notre monde anhistorique, on passe trop souvent sous silence le fait que le gouvernement fédéral a joué un rôle prépondérant dans la promotion du secteur manufacturier du pays par l’imposition de tarifs et la création de sociétés d’État. Quand Ottawa décide de l’endroit où sera située une nouvelle fondation de recherche, l’Agence spatiale canadienne ou une unité gouvernementale de R-D, le débat revient presque toujours à déterminer s’il faut l’établir à Ottawa, dans une autre région du Sud de l’Ontario ou à Montréal, rarement, voire jamais dans les provinces maritimes ou l’Ouest canadien59. Il n’arrive qu’à l’occasion que les provinces maritimes réussissent une « échappée », pour citer un ancien greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, et parviennent à attirer l’attention des décideurs à Ottawa60. Les échappées se font de plus en plus rares pour la région, car son poids politique et le rôle des ministres régionaux sont de plus en plus marginaux. On se rappellera que Justin Trudeau a supprimé les postes de ministres régionaux en 2015, pour les réintroduire quatre ans plus tard, mais uniquement pour le Québec.

l a c oN S t rU c tI oN N avale : l a t eNd a N c e eS t éta BlI e Frank McKenna, qui a été premier ministre du Nouveau-Brunswick et qui n’est pas du genre à se considérer – ni même à considérer sa province – comme une victime, a fait ressortir l’importance de la construction navale dans les provinces maritimes  : «  La construction navale nous appartient à nous, au Canada atlantique. Ce n’est pas une création artificielle, mes amis; nous construisons des navires depuis des centaines d’années. Avant même la création de ce pays, nous construisions des navires. C’est le coin de pays du Marco Polo et du Bluenose. C’est l’histoire de notre civilisation telle qu’elle s’est développée ici. Nous construisons des navires, et de bons navires.

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Malheureusement, nous vivons dans le seul pays du monde industrialisé qui n’a aucune politique de construction navale pour appuyer ceux qui construisent des navires. Cela vous semblera peut-être un peu cynique, mais je crois que s’il était possible de se procurer des navires à Oshawa, en Ontario, ou à Ottawa, ce pays serait doté d’une politique de construction navale61. » Nous avons vu plus tôt qu’Ottawa est intervenu pour que certains travaux de construction navale soient accordés à une entreprise du Québec même après que des chantiers navals des Maritimes eurent remporté l’appel d’offres. Ce que le Québec a obtenu, les provinces maritimes l’ont perdu. Nous avons vu également que le gouvernement fédéral approuva les projets de construction de six frégates de la classe Halifax en 1983 et de six autres en 1988. Le chantier naval de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, avait décroché le contrat, qui contenait toutefois des restrictions quant au contenu canadien, dans le cadre d’un appel d’offres concurrentiel. Peu après l’attribution du contrat, Ottawa força la Saint John Shipbuilding à accorder en sous-traitance la construction de trois frégates au chantier mIl -Davie de Sorel, au Québec. Roméo LeBlanc, du Nouveau-Brunswick, alors ministre de premier plan au sein du Cabinet fédéral, m’a confié : « Marc Lalonde et André Ouellet sont allés voir Trudeau, et l’affaire a été réglée. Je n’ai pas eu grand-chose à dire dans cette décision62. » Comme nous l’avons aussi vu plus tôt, le chantier naval québécois eut du mal à atteindre ses objectifs de production et prit du retard. La Saint  John Shipbuilding intenta des poursuites contre la mIl -Davie pour non-exécution du contrat. Ottawa intervint et versa un dédommagement de 323 millions de dollars à la Saint John Shipbuilding en raison des problèmes rencontrés par la mIl -Davie63. Selon Jeffrey Simpson, Stephen Harper a tiré une leçon de la première acquisition de frégates. Il a mis en place un processus d’appel d’offres indépendant lorsque la décision a été prise, en 2011, de construire de nouveaux navires de la Marine. Simpson a écrit que le gouvernement «  a choisi le type de navires dont il avait besoin et décidé du montant qui serait alloué pour leur construction. Il a demandé à un groupe de fonctionnaires d’évaluer les soumissions des chantiers navals, puis a engagé une entreprise internationale pour vérifier les évaluations. Les résultats ont été publiés et le gouvernement s’est basé sur eux, sans se préoccuper des conséquences politiques64. » Les politiciens n’ont été informés de la décision que quelques minutes avant l’annonce publique65. Le chantier Irving

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Shipyard d’Halifax a obtenu le gros du contrat. Ce qu’il faut retenir, c’est que lorsque Ottawa adopte un processus d’appel d’offres ouvert, transparent, équitable et libre de toute ingérence politique, la région des Maritimes est en mesure d’affronter la concurrence et de l’emporter. Il est intéressant et même révélateur de noter que Harper venait de l’Ouest canadien, tandis que Trudeau et Mulroney étaient du centre du pays. Jacques Daoust, le ministre de l’Économie du Québec, a dit devant la presse en mai 2015 : « Les chantiers dans les Maritimes sont remplis, les chantiers de la Colombie-Britannique sont remplis avec les contrats militaires et on est obligé de supplier pour essayer d’obtenir un contrat au Québec66.  » Les supplications portent des fruits, surtout quand elles viennent d’une province qui compte 78  députés à la Chambre des communes et que cette province a le monopole des questions d’unité nationale. En juin  2015, le ministre de la Défense a annoncé que le gouvernement amorçait des «  négociations exclusives  » avec le chantier Davie en vue de faire construire un navire de ravitaillement pour la Marine canadienne67. L’annonce est survenue quatre mois avant la tenue de l’élection générale de 2015. L’intervention politique est acceptable, semblet-il, lorsqu’il est question de l’Ontario ou du Québec, avec leur grand nombre de députés, mais beaucoup moins quand il s’agit des provinces maritimes. Comme toujours, le Sénat n’est aucunement intervenu pour faire entendre le point de vue régional dans cette décision ou toute autre décision d’approvisionnement d’importance.

à l a r e c h e r c h e d ’UN éq UIl I Bre À la fin des années  1950, les décideurs à Ottawa commencèrent à se préoccuper du déséquilibre régional au sein de l’économie nationale. L’héritage laissé par la Politique nationale, la décision d’Ottawa de concentrer l’effort de guerre dans le corridor WindsorQuébec, qui regorgeait d’électeurs, et d’autres mesures créèrent un déséquilibre régional dans l’économie du pays et amenèrent les décideurs à s’intéresser aux régions à faible croissance. Bien sûr, les politiciens des Maritimes accusèrent à maintes reprises les politiques d’Ottawa d’être à l’origine de la situation car, insistaient-ils, elles freinaient le développement de leur région. Leurs critiques donnèrent des résultats, en particulier quand le nombre de députés de la région à la Chambre des communes était plus considérable

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qu’il ne l’est de nos jours. On se souviendra que les protestations de la région donnèrent naissance au Mouvement des droits des Maritimes, qui eut, quoique brièvement, une certaine influence à Ottawa, du moins sur le plan politique68. Rappelons également que la Commission Rowell-Sirois mena à la mise en place d’un système élaboré d’ententes fédérales-provinciales, un point sur lequel nous nous pencherons davantage plus loin. Cependant, la Commission n’examina pas les facteurs qui influaient sur la localisation du développement économique. Elle ne se pencha pas sur la question des tarifs ou la structure des échanges commerciaux, et elle ne vit aucune raison de changer le cours des choses. John Ibbitson a touché le cœur de la question lorsqu’il a écrit : « Après la Seconde Guerre mondiale, Queen’s Park et Ottawa collaborèrent afin de s’assurer que le reste de la fédération servait les intérêts du centre économique du pays69. » Quand on se trouve à Ottawa, c’est de cette façon que les choses devraient se passer; quand on se trouve dans les provinces maritimes ou dans l’Ouest du pays, ce n’est pas le cas. Dans son dernier budget, le gouvernement de Louis St-Laurent annonça le projet d’instaurer des paiements de péréquation annuels versés aux provinces les moins bien nanties. L’objectif était de continuer à promouvoir l’économie nationale telle que définie par Ottawa en mettant l’accent sur le centre économique du pays, et de faire en sorte que toutes les régions en partagent les retombées. Janine Brodie a bien résumé la situation lorsqu’elle a écrit : « Les subventions allaient simplement aider à supporter certains des coûts sociaux du développement inégal dans certaines provinces [par exemple le Nouveau-Brunswick], alors que les relations économiques qui ont favorisé le développement inégal n’étaient pas remises en question70. » La péréquation a été conçue pour assurer le partage de la richesse créée, non pour essayer de déterminer les endroits où elle est créée. Les choses allaient changer brièvement dans les années  1960, quand Ottawa décida de corriger les inégalités de développement économique. Pierre E. Trudeau déclara carrément  : «  L’égalité économique... est tout aussi importante que l’égalité des droits linguistiques... Si l’on ne remédie pas au sous-développement des provinces de l’Atlantique, non pas en leur faisant la charité ou à coups de subventions, mais en les aidant à devenir des zones de croissance économique, l’unité du pays sera presque assurément aussi

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détruite qu’elle le serait par le conflit entre le Canada français et le Canada anglais71. » Trudeau créa le ministère de l’Expansion économique régionale (meer ) et lui demanda de concentrer ses efforts sur le Canada atlantique et l’Est du Québec72. Cependant, dès les années 1970, le Canada atlantique ne suscitait plus autant d’intérêt de la part des initiatives d’Ottawa en matière de développement économique régional. La région fut à nouveau reléguée au second plan, derrière les préoccupations relatives à l’unité nationale, du moins telles que perçues par Québec et Ottawa. Le gouvernement Trudeau ordonna au meer de désigner Montréal dans le cadre de l’initiative d’Ottawa visant à promouvoir le développement régional. On se disait que le meilleur moyen de tuer dans l’œuf le mouvement souverainiste québécois et de montrer au Québec que le fédéralisme était favorable à la province était d’aider Montréal à devenir le moteur de la croissance économique du Québec73. Les programmes fédéraux de développement régional allaient venir en aide aux entreprises qui souhaitaient s’établir à Montréal ou y prendre de l’expansion, et non uniquement aux entreprises du Canada atlantique et de l’Est du Québec74. Dans les années  1980, ce fut au tour de l’Ontario. En 1981, Ottawa déposa un document qui soulignait que l’équilibre entre les régions du pays dans le domaine du développement économique était en train de changer en raison de l’essor économique dans l’Ouest, de l’optimisme dans l’Est et de l’instabilité sans précédent dans les secteurs économiques clés du centre du pays. Le gouvernement fédéral faisait valoir qu’il fallait intervenir pour soutenir l’économie de l’Ontario et du Québec, alors que les mégaprojets énergétiques et l’agriculture stimuleraient la croissance dans les provinces de l’Atlantique et de l’Ouest75. Bref, l’engagement de Pierre E. Trudeau de corriger le sous-développement économique du Canada atlantique fut de courte durée. Qui plus est, le Canada atlantique ne connut jamais le taux de croissance qu’Ottawa avait prévu, et le ralentissement économique anticipé en Ontario et au Québec n’eut jamais lieu. L’objectif d’Ottawa, comme il l’a été depuis 1867, était alors de protéger le centre industriel du Canada et de plaire à l’Ontario et au Québec, où les votes étaient nombreux. La politique de développement régional d’Ottawa n’existe plus. De nos jours, elle signifie tout et n’importe quoi partout, ou elle prend une forme quelconque selon la volonté des plus hautes sphères politiques. Pensez seulement qu’il y a maintenant sept

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agences fédérales de développement régional, de sorte que tous les secteurs postaux au Canada ont directement accès à une agence fédérale de développement régional; l’Ontario en compte deux, une pour le Nord de l’Ontario et l’autre pour le Sud de la province. À l’automne  2020, la ministre fédérale responsable de la politique de développement régional a annoncé l’allocation d’un montant additionnel de 508 millions de dollars destinés aux deux agences fédérales de l’Ontario, la création d’une nouvelle agence en Colombie-Britannique et l’octroi de 170 millions de dollars aux quatre provinces de l’Atlantique. Elle a aussi donné aux agences la directive de venir en aide aux entreprises situées dans les centresvilles des grands centres urbains du Canada et annoncé le versement de nouveaux fonds à Toronto, à Montréal et à Ottawa76. Si la politique d’Ottawa en matière de développement régional englobe toutes les initiatives susmentionnées, elle ne signifie plus rien. Quoi qu’il en soit, Ottawa n’a pas seulement veillé à ce que sa politique de développement régional laisse intacte la relation économique qui favorise l’inégalité de développement; il en a aussi fait un instrument pour promouvoir l’unité nationale – entendre ici les intérêts du Québec – et aller chercher des votes dans les grands centres urbains – entendre ici les intérêts de l’Ontario.

l eS m a rIt I m eS r é dUIte S aU ra Ng d e qUé m aN d eUS e S Quantité d’études soutiennent que les trois provinces maritimes et Terre-Neuve-et-Labrador ont profité des transferts fédéraux davantage que les autres régions. Une de ces études rapporte que le gouvernement fédéral a dépensé 423,2 milliards de dollars au Canada atlantique et perçu des recettes de seulement 226,5 milliards de dollars entre 2007 et 2019, soit un transfert net de 196,7 milliards de dollars77. Tant les gouvernements que les particuliers des Maritimes ont en effet grandement profité des transferts fédéraux au cours des quelque 60 dernières années. En un sens, la stratégie d’Ottawa d’aider à supporter certains des coûts sociaux du développement inégal a fonctionné  : Ottawa a versé des paiements aux régions à faible croissance pour compenser les effets des politiques économiques qui favorisaient l’Ontario et le Québec78. Les transferts fédéraux ont également permis d’apaiser le mécontentement à l’égard des politiques économiques nationales79.

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Je suis loin d’être le seul à affirmer que les transferts fédéraux aux provinces maritimes ont amené la région à dépendre du versement continu de paiements de transfert, ce qui a empêché une croissance économique autonome80. De plus, ils ont valu mauvaise presse à la région. Un article de journal parmi tant d’autres mentionne que la région compte un plus grand nombre de sièges aux Communes que ce qu’elle mérite, de telle sorte qu’elle nage dans les transferts fédéraux81. La journaliste s’appuie uniquement sur l’argument de «  la représentation selon la population » sans égard aux mécanismes qui devraient permettre aux petites provinces de faire entendre leur voix dans les institutions politiques nationales d’une fédération, ni à la manière dont les politiques nationales ont, au fil des ans, favorisé le Centre du Canada au détriment d’autres régions.

l a S It U a tIo N évol Ue Il est simpliste d’accuser les citoyens et les citoyennes des Maritimes d’être responsables de leurs difficultés économiques. La Confédération et les rouages des institutions politiques nationales y sont pour beaucoup. Les gens des Maritimes peuvent légitimement faire valoir que les décisions émanant des institutions nationales ont contribué à la forte croissance économique que connaissent l’Ontario et le Québec, tandis qu’elles ont fait d’eux des victimes. Il est bon de répéter que la Confédération fut conçue par les dirigeants politiques de l’Ontario et du Québec en fonction des intérêts économiques de l’Ontario et du Québec, et avec l’aide de l’Office des colonies. Ils donnèrent le ton en 1867 et les décideurs qui suivirent ont gardé le cap. Les politiciens fédéraux ont toujours su mieux que quiconque où se trouvent les votes nécessaires pour remporter les élections : en Ontario et au Québec. Les fonctionnaires fédéraux, de leur côté, sont tous situés dans la capitale nationale et la plupart sont originaires de l’Ontario et du Québec. Ils lisent le Globe and Mail, le National Post, l’Ottawa Citizen et Le Devoir. Peu d’entre eux lisent le Regina Leader Post ou le Chronicle Herald. Ils se préoccupent de l’économie nationale et de l’intégrité des politiques économiques nationales. Pour les Canadiens et les Canadiennes des Maritimes et de l’Ouest, les «  politiques nationales  » sont des mots-codes qui signifient les intérêts économiques de l’Ontario et du Québec, et l’intégrité des politiques économiques nationales semble servir l’intérêt du Centre du Canada.

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Quand je discute de ces arguments avec des hauts représentants du gouvernement fédéral issus tant du milieu politique que des échelons administratifs, j’ai l’impression qu’ils les comprennent, mais qu’ils ont conclu depuis longtemps que les choses sont ce qu’elles sont, et qu’on ne peut rien y changer. Ils savent que les Pères de la Confédération décidèrent où devrait se trouver le pouvoir politique, et leur responsabilité est de faire fonctionner le gouvernement. Leur message aux gens des Maritimes : résignez-vous, car ce qui importe vraiment, c’est l’unité nationale et la promotion du centre manufacturier du pays, situé entre Windsor, en Ontario, et Québec. On peut comprendre pourquoi les gens des Maritimes se perçoivent comme des victimes de la Confédération et déplorent l’incapacité du fédéralisme canadien de tenir compte des réalités régionales lors de l’élaboration des politiques nationales, sauf celles de l’Ontario et du Québec. Mais la situation évolue et certains signes indiquent que la région est en voie de s’affranchir de la victimisation. Je ne suis pas le seul à constater que la région se débarrasse de son étiquette de victime. L’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick Frank McKenna affirme qu’il est « catégoriquement plus optimiste quant à l’avenir du Canada atlantique présentement que lorsqu’il était premier ministre82 ». Nous examinerons en détail plus loin les progrès que la région a accomplis pour sortir de sa situation de victime. Il suffit pour l’instant de rappeler que, au moment où j’ai rédigé mon rapport au premier ministre Mulroney sur la création de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, le principal défi était de créer des emplois dans la région. Je me rappelle très bien également qu’Ottawa a tenté pendant une courte période, à la fin des années 1960 et au début des années  1970, de déplacer des emplois du centre industriel du pays vers le Canada atlantique. Aujourd’hui, la région compte de nombreux emplois vacants et elle recherche présentement des travailleurs et des travailleuses pour les occuper. En somme, le défi est maintenant de trouver des gens pour occuper les emplois, et non de créer des emplois. Nous allons explorer plus loin comment Ottawa a pu contribuer à promouvoir ce changement de condition au cours des 35 dernières années environ en appuyant des accords de libre-échange et en adaptant sa politique d’immigration de façon à mieux tenir compte

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de la situation et des besoins particuliers du Canada atlantique. Je fais toutefois remarquer qu’il a fallu un siècle pour produire la chute de l’économie des Maritimes et que la région mettra des années à exploiter tout son potentiel.

4 Les Canadiens de l’Ouest : des victimes en quête d’une voix

Les provinces de l’Ouest ont fait leur entrée tardivement dans la Confédération canadienne. Le Manitoba s’y est joint en 1870, la Colombie-Britannique en 1871 et l’Alberta et la Saskatchewan en 1905. Ces provinces n’eurent pas voix au chapitre lors des conférences de Charlottetown, de Québec et de Londres, car la Confédération était déjà un fait accompli au moment de leur adhésion. La séparation des pouvoirs avait déjà été établie et les façons de faire des institutions politiques et administratives nationales étaient solidement ancrées. L’Ouest canadien a constamment cherché à se donner une voix plus forte à Ottawa depuis qu’il est membre de la fédération canadienne, mais il n’a obtenu que des succès modestes et passagers. Le populisme et les revendications économiques vont de pair. C’est le cas, au Canada, tant des individus que des régions1. Le populisme s’est manifesté dans l’Ouest canadien à plusieurs occasions par l’intermédiaire du mouvement du Crédit social, entre les années 1930 et le début des années 1960, et du Parti réformiste à la fin des années 1980. Le populisme peut forcer les élites à traiter de questions qu’elles souhaiteraient considérer comme réglées2. Voilà ce à quoi peut servir le populisme. Il n’est pas exagéré d’affirmer que les élites politiques de l’Ontario et du Québec à Ottawa et les hauts fonctionnaires fédéraux de carrière perçoivent la prépondérance de l’Ontario et du Québec dans la fédération comme une question que les Pères de la Confédération ont réglée depuis longtemps. Ils ne voient aucune raison de la revoir en profondeur. Ils ont également tout intérêt sur les plans politique, économique et bureaucratique à penser de la sorte.

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Les Canadiens et Canadiennes de l’Ouest durent se rendre à l’évidence que la question était réglée au début des années 1900, quand Frederick Haultain proposa que l’Alberta et la Saskatchewan, jusqu’au 57e parallèle, forment une province appelée Buffalo en vue de se joindre au Canada. La superficie de Buffalo aurait été plus vaste que celle de l’Ontario et à peine plus petite que celle du Québec. Avec le temps, la province serait devenue une puissance politique et économique, et c’est justement ce qui posait problème selon le Centre du Canada. Le premier ministre Wilfrid Laurier rejeta la proposition, craignant que Buffalo ne puisse un jour rivaliser avec l’Ontario et le Québec et que l’Ouest canadien n’obtienne ainsi trop de pouvoir3. Par contre, Laurier n’eut jamais de réticences à accorder trop de pouvoir à l’Ontario et au Québec. L’historien bien connu Bill Waiser explique que le refus de Laurier était motivé par la « crainte qu’une grande province dans l’Ouest ne perturbe l’équilibre de la Confédération4  ». Selon Laurier, il avait été décidé dès la Confédération, en 1867, que l’Ontario et le Québec seraient les chefs de meute au sein de la fédération, et il n’y avait pas lieu de revenir sur la question. Pour sa part, Haultain estimait que la division de la région en trois provinces et deux territoires et le maintien par Ottawa du contrôle sur les ressources naturelles de la région étaient un moyen assuré de faire du Grand Nord-Ouest un membre récalcitrant, subalterne et imparfait de la Confédération5.

l a P o lIt I q Ue Nat I o Nale Les provinces maritimes n’étaient pas les seules à s’opposer vigoureusement à la Politique nationale d’Ottawa. Comme elles, les provinces de l’Ouest estimaient qu’il ne s’agissait pas d’une « politique nationale », mais bien d’une politique régionale axée sur les intérêts économiques du corridor Windsor-Québec. Un observateur de la politique canadienne explique  : «  L’axe Montréal-Windsor devait être le centre du pays... et la Politique (nationale) visait à servir l’intérêt de sa population. Les Maritimes... n’allaient pas beaucoup bénéficier de la politique. Leur contribution consisterait largement à exporter des hommes et des ressources naturelles dans le Centre du Canada et à importer de celui-ci ses produits industriels coûteux... Pendant longtemps, en fait jusqu’au développement de l’industrie pétrolière et gazière, l’Ouest était condamné à une véritable stagnation économique et ses agriculteurs étaient forcés d’acheter

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des produits de l’Est à prix élevé, ce qui entraînait une baisse de leur niveau de vie (les tarifs se traduisaient par une subvention annuelle de 15,15 $ par personne en Ontario et de 11,03 $ au Québec, mais par un coût annuel de 11,67 $ par personne en Nouvelle-Écosse et de 28,16 $ en Saskatchewan)6. » L’Encyclopédie canadienne souligne que « la Politique nationale, populaire dans le Canada central, n’est pas acceptée dans l’Ouest. Elle est au cœur du ressentiment persistant envers le secteur manufacturier de l’Est7. » En Ontario, de nombreuses personnes estiment que l’on doit plusieurs grandes réalisations à sir John A. Macdonald, y compris la Confédération, la Politique nationale et la Loi sur les banques de 18718. Dans l’Ouest du Canada, la Politique nationale était largement décriée et perçue comme l’un des plus grands obstacles à son développement économique. L’Ouest du Canada voyait qu’Ottawa adoptait une stratégie de deux poids, deux mesures alors qu’il établissait la Politique nationale. Ottawa n’hésita pas à protéger le secteur manufacturier du Centre du Canada en obligeant les consommateurs de l’Ouest à acheter des biens à un prix supérieur à ceux des marchés internationaux, mais en refusant d’accorder la même protection à l’économie de l’Ouest, fondée sur des ressources naturelles telles que le charbon, la potasse et le blé, qui étaient vendus au prix des marchés internationaux. L’Ouest canadien essaya du mieux qu’il put de s’opposer à la Politique nationale d’Ottawa et même de la faire dérailler. Toutefois, la région ne se tourna pas vers le Sénat. Elle savait que le Sénat ne serait d’aucun secours, car les sénateurs faisaient essentiellement ce que le gouvernement leur disait de faire, surtout s’ils étaient de même allégeance que lui. De plus, l’Ontario et le Québec comptaient deux fois plus de sénateurs que les provinces de l’Ouest, ce qui est encore le cas. La Chambre des communes ne fut d’aucune aide elle non plus. Peter McCormick et David Elton expliquent pourquoi : « L’essentiel pour former le gouvernement au Canada, c’est de remporter la plupart des sièges dans le Canada central, ce qu’il est souvent possible de faire en ignorant... d’autres régions du pays, comme l’Ouest... Si le gouvernement prend une décision qui déplaît aux électeurs de l’Ontario, c’est une catastrophe majeure; s’il prend une décision qui déplaît aux électeurs de l’Alberta, c’est un demi-mal9. » Les élites politiques et administratives à Ottawa, les architectes de la Politique nationale et les responsables de sa mise en œuvre ne

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voyaient manifestement aucune raison d’aider l’Ouest canadien à contester la Politique. Les premiers ministres Macdonald, Laurier, King et St-Laurent étaient originaires de l’Ontario et du Québec, tout comme leurs principaux ministres et les plus hauts fonctionnaires, et tous étaient convaincus des bienfaits de la Politique nationale. Ils croyaient que la Politique nationale était le moyen non seulement de renforcer l’économie canadienne, mais aussi de contrer la forte concurrence économique des États-Unis. Cependant, les Canadiens et Canadiennes de l’Ouest voyaient les choses d’un autre œil. Ils estimaient que le Canada central imposait sa volonté politique pour favoriser les intérêts économiques et commerciaux de Toronto et de Montréal. T.W.  Acheson a décrit leur point de vue en termes succincts  : «  À bien des égards, la Politique nationale représentait simplement pour l’entrepreneur un transfert d’un empire commercial britannique à un empire commercial canadien. La plupart des activités de l’entrepreneur étaient imprégnées du principe colonialiste qu’il n’était pas vraiment maître de sa destinée, qu’il serait, par nécessité, manipulé par des forces qui échappaient à son contrôle10. » Dans la foulée de la Politique nationale, une voix politique puissante commença à s’élever dans l’Ouest du Canada au cours des années 1920 : le Parti progressiste. Ce parti ouvrira plus tard la voie à l’émergence d’autres tiers partis dans les provinces de l’Ouest11. Les gouvernements provinciaux de l’Ouest cherchèrent constamment à adopter des lois destinées à réduire les effets néfastes de la Politique nationale. Entre 1867 et 1920, Ottawa révoqua 96 projets de loi provinciaux, issus essentiellement de l’Ouest canadien, dont la plupart se rapportaient à la Politique nationale12. La situation était bien différente pour l’Ontario et le Québec, dont seulement une poignée de projets de loi furent révoqués par Ottawa entre 1867 et 194313. Les Pères de la Confédération inclurent dans la Constitution le pouvoir de révoquer les lois provinciales, afin qu’Ottawa puisse rejeter les projets de loi jugés contraires à l’intérêt national, un intérêt national défini par le Parlement et le gouvernement, qui n’ont pas la capacité interne nécessaire pour s’occuper des questions régionales. Il est important de noter qu’il existe maintenant une convention constitutionnelle selon laquelle le gouvernement fédéral n’utilisera plus son droit de révocation et, de fait, il n’y a pas eu recours depuis 194314.

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« P oU r qU o I d e v r aIS - j e v eN dre votre Blé?  » Telle est la question que l’ancien premier ministre Pierre E. Trudeau a posée aux agriculteurs de l’Ouest. Les Canadiens de l’Ouest savaient très bien que jamais un premier ministre ou une première ministre du Canada ne demanderait aux Ontariens pourquoi il faudrait les aider à vendre leurs automobiles, ou aux Québécois pourquoi il faudrait aider Bombardier à vendre ses avions. Je rappelle encore une fois que le premier ministre Brian Mulroney décida d’accorder un contrat d’entretien des cf -18 à Canadair, une entreprise de Montréal, même si la société Bristol de Winnipeg avait remporté l’appel d’offres. Bristol était technologiquement supérieure à sa rivale et sa soumission était plus basse. Nous insistons sur ce point parce que cette décision illustre la raison de l’émergence d’un sentiment d’aliénation dans l’Ouest  : les intérêts économiques de l’Ouest sont trop souvent à la merci des intérêts économiques du Canada central. Le directeur de Bristol déclara au premier ministre Howard Pawley, du Manitoba : « Si c’est comme ça que le Canada veut faire des affaires, nous allons éviter les petites provinces; elles n’ont pas assez d’influence politique. Il vaut mieux que nous choisissions des provinces comme le Québec et l’Ontario  : elles peuvent tirer les ficelles politiques15. » Il comprenait bien la vie politique canadienne et savait qu’il n’aurait probablement pas rencontré un tel problème dans d’autres pays, certainement pas dans d’autres fédérations dotées d’institutions nationales capables de représenter les intérêts régionaux. Peut-être fut-il surpris au début de la façon dont Ottawa prenait les décisions, mais pas les Canadiens de l’Ouest. Ottawa a mis en œuvre de nombreuses initiatives au cours des années dans le but de promouvoir l’unité nationale, toujours dans l’intérêt économique du Québec, et d’assurer la vigueur de l’économie nationale, dans l’intérêt de l’Ontario. On ne saurait trop insister sur le fait que les intérêts de l’Ontario et du Québec occupent ouvertement une place prépondérante dans les priorités nationales du gouvernement et des premiers ministres fédéraux et que, par moments, ces deux provinces bénéficient d’un traitement de faveur flagrant parce que nos institutions politiques nationales non seulement permettent, mais même encouragent un tel traitement. Il peut être politiquement avantageux de favoriser ouvertement les deux provinces qui comptent le plus grand nombre

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d’électeurs. Les premiers ministres fédéraux savent mieux que quiconque qu’on obtient la victoire lors d’une élection générale en remportant les sièges de l’Ontario et un gouvernement majoritaire en remportant ceux du Québec. Bref, les voix de l’Ontario et du Québec se font toujours entendre haut et fort à Ottawa, mais celles des autres régions, beaucoup moins. Cette situation est entièrement attribuable à la structure des institutions politiques nationales qui furent adoptées en 1867. La voix de l’Ouest canadien a souvent pris la forme de mouvements de protestation, ne serait-ce que parce que les institutions nationales du pays ont été incapables de lui prêter une oreille attentive. La victoire électorale du Parti progressiste en 1921 et, plus tard, l’essor du Parti réformiste en sont deux exemples. D’autres voix se sont élevées, y compris celles des Cultivateurs unis de l’Alberta et de plusieurs partis séparatistes, notamment le Western Canada Concept16. Ces voix retentissent dans l’Ouest du Canada, mais pas à Ottawa, là où elles doivent compter. Au risque de me répéter, je souligne que les Pères de la Confédération décidèrent que l’Ontario et le Québec détiendraient le pouvoir politique réel du gouvernement fédéral. L’accord qu’ils conclurent en 1867 a fait preuve d’une remarquable durabilité. Alan Cairns explique : « Le cadre institutionnel – le fédéralisme, le gouvernement responsable, les institutions monarchiques et le bicaméralisme – a subi peu de changements de forme depuis  1867. Le fonctionnement des institutions canadiennes, en revanche, est très différent de celui prévu à l’origine. L’interaction entre la société en pleine évolution et le réseau d’institutions établies à une époque où tout était plus simple a inévitablement modifié l’importance de celles-ci et transformé leur fonctionnement. Depuis 1867, la population s’est accrue... et a perdu son caractère majoritairement rural pour devenir majoritairement urbaine, et ce, sans qu’aucun changement de forme soit apporté à l’ordre constitutionnel17. » Le Canada et ses politiciens, quant à eux, n’ont pas pu ou, plus probablement, n’ont pas voulu corriger les déficiences du cadre constitutionnel18. Les institutions nationales ont donc créé des victimes, et l’Ouest canadien en fait partie. Les provinces de l’Ouest ont constamment tenté de remédier à ces déficiences, mais sans grand succès. Par exemple, la région a essayé d’amener le Sénat à remplir le rôle qui lui revient dans un système fédéral, c’est-à-dire défendre les intérêts des régions au sein des

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institutions nationales. Il est bon de rappeler au lecteur que tel est le rôle du Sénat dans d’autres fédérations, en particulier les États-Unis, l’Allemagne et l’Australie qui, comme le Canada, ont un système parlementaire inspiré du modèle de Westminster19. Les loyautés régionales et les divisions entre régions sont les facteurs les plus importants de la vie politique canadienne20. Donald V. Smiley a fait valoir à juste titre : « Les institutions du gouvernement central ont cessé d’être une tribune adéquate pour la défense des intérêts qui touchent un territoire délimité. La tâche de représenter de tels intérêts échoit alors presque exclusivement aux provinces21. » Le problème, c’est que les premiers ministres provinciaux ne participent pas aux processus internes de prise de décisions et d’élaboration des politiques. Il y a eu de nombreuses occasions où un sénat efficace aurait pu jouer un rôle important au nom des petites régions. On n’a qu’à penser à la construction de canaux au 19e siècle, à la mise en œuvre de la Politique nationale, à l’effort de guerre dans les années 1940, au Programme énergétique national du début des années 1980, à divers contrats d’approvisionnement, et ainsi de suite. L’ancien maire de Montréal Denis Coderre a expliqué, peut-être sans le vouloir, pourquoi le Canada a besoin d’un sénat efficace et capable de faire valoir les intérêts des petites provinces lors de l’élaboration des politiques nationales. On se souviendra que le gouvernement Trudeau a connu des difficultés politiques avec le projet d’oléoduc Énergie Est parce que le Québec avait des réserves au sujet du projet. L’oléoduc Énergie Est ne correspondait pas à l’intérêt économique de la province. Ses principaux bénéficiaires auraient été l’Alberta et le Nouveau-Brunswick. L’ancien premier ministre Brad Wall, de la Saskatchewan, a exhorté Coderre à appuyer le projet Énergie Est en faisant valoir que c’était dans l’intérêt de l’économie nationale. Coderre a rejeté le point de vue de Wall du revers de la main quand il a écrit sur Twitter : « Population de la Communauté urbaine de Montréal  : quatre millions... Population de la Saskatchewan : 1,13 million22. » Pour Coderre, tout avait été dit, il n’y avait rien à ajouter. Il faisait la démonstration qu’Ottawa accorde peu de considération aux premiers ministres des petites provinces, et d’ailleurs, aux petites provinces elles-mêmes. Dans une fédération dotée d’une chambre haute efficace, aucun maire ou politicien élu d’une grande ville ou d’un État n’avancerait cet argument en espérant qu’il tienne la route.

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Comme on pouvait s’y attendre, les hommes et les femmes politiques de l’Alberta et du Nouveau-Brunswick ont vivement réagi à la décision de ne pas aller de l’avant avec l’oléoduc Énergie Est. Le premier ministre Trudeau s’est empressé d’invoquer des préoccupations liées à l’unité nationale et a accusé les promoteurs d’Énergie Est d’attiser les divisions nationales23. Trudeau n’a rien dit à Denis Coderre – publiquement du moins – au sujet de sa réponse à la demande du premier ministre Wall d’appuyer l’oléoduc. À l’instar des premiers ministres précédents, Justin Trudeau démontrait encore une fois que les questions d’unité nationale sont toujours l’apanage du Québec; nul besoin pour les autres régions de se sentir concernées. Trudeau et ses proches conseillers politiques comprenaient également les implications politiques de l’approbation du projet. Trois grandes maisons de sondage du Québec ont prévenu le gouvernement Trudeau qu’en donnant son aval au projet, il risquait de créer une « tempête parfaite » dans la province. Selon leurs sondages, non seulement le Parti libéral aurait du mal à remporter les élections provinciales de 2018, mais aussi une telle décision pourrait « entraîner un regain du mouvement souverainiste au Québec24 ». Nombreux sont ceux dans les provinces de l’Ouest qui reprochent au gouvernement de Justin Trudeau de ne pas accorder au dossier des pipelines l’attention qu’il mérite parce que leur région n’a pas suffisamment de poids dans les institutions politiques nationales. Gary Mason écrit : « dans l’Ouest, l’oléoduc est la question la plus importante, une question qui fait l’objet de plaintes depuis des générations. Si la partie lésée était le Québec au lieu de l’Alberta, il y a longtemps que l’affaire aurait été réglée (surtout à la satisfaction du Québec). Du moins, c’est le sentiment que cet affrontement a semé à l’ouest de l’Ontario25. » Le Québec compte 78 sièges à la Chambre des communes, tandis qu’ensemble l’Alberta et le Nouveau-Brunswick n’en ont que 44. L’Alberta et la Saskatchewan sont enclavées et comptent sur les pipelines pour acheminer leurs produits pétroliers. Elles savent pertinemment que les environnementalistes ne cessent de dénoncer les pipelines. Elles font valoir que la population canadienne va continuer de consommer des produits pétroliers et qu’elle a le choix  : consommer des produits pétroliers de source canadienne ou les importer de l’étranger, notamment de l’Arabie saoudite et des ÉtatsUnis. Le Canada importe de l’étranger la moitié du pétrole utilisé

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dans les raffineries du Québec et du Canada atlantique26. Du point de vue de l’Ouest canadien, c’est là un autre exemple de la politique de deux poids, deux mesures appliquée par Ottawa. La perception générale, c’est que le Québec, invoquant l’unité nationale, a tenu l’épée de Damoclès au-dessus du reste du Canada. Mathieu Bouchard, ancien conseiller principal en politiques de Justin Trudeau, explique : « Si les Québécois ne se sentent pas représentés par le gouvernement pendant un certain temps, cela devient une question d’unité nationale, contrairement aux autres provinces. Nous devons toujours en être conscients27. » Selon Bouchard, cette logique ne s’applique qu’au Québec, jamais à l’Ouest canadien. La logique est bien simple  : il est tout à fait acceptable que d’autres provinces et régions ne se sentent pas représentées à Ottawa pendant un certain temps mais, pour quelque raison, il n’en va pas de même pour le Québec. Bouchard et d’autres qui pensent comme lui se contentent d’exposer un fait sans jamais expliquer pourquoi leur logique ne peut s’appliquer qu’au Québec.

l e P r o g r a m m e éN e r g é tI q Ue N atI oN al Au Canada, l’adjectif « national » est toujours celui qui convient le mieux quand il s’agit du Canada central, mais il convient rarement, voire jamais dans le cas des Canadiens des régions éloignées du centre ou des provinces de l’Ouest et de l’Atlantique. La Politique nationale et l’effort de guerre national ont eu des retombées énormes dans le Centre du Canada, mais pratiquement aucune dans les provinces de l’Ouest, où la Politique nationale a même freiné l’essor de la région. Quand Ottawa annonça son Programme énergétique national (PeN ) au début des années 1980, l’Ouest canadien en prit acte rapidement, convaincu que la plupart des retombées du programme profiteraient au Canada central. Il avait raison. Il existe maintenant une abondante documentation sur le PeN et il n’est pas nécessaire d’examiner le programme en détail. Il suffit de noter que le PeN avait trois objectifs : promouvoir la propriété canadienne dans l’industrie pétrolière, rendre le Canada autosuffisant sur le plan énergétique et augmenter la part fédérale des recettes pétrolières. Le PeN était un programme complexe qui établissait une distinction entre le « nouveau pétrole » et le « pétrole classique », des prix pondérés pour le pétrole et une nouvelle taxe fédérale sur les recettes pétrolières28. Comme on le sait, il provoqua aussitôt une levée de

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boucliers en Alberta. Le Calgary Herald publia en première page un éditorial intitulé « L’Alberta doit combattre cette politique déficiente », soutenant que le programme allait transformer « la nature même de l’industrie pétrolière et le pays tout entier ». Marc Lalonde, un des architectes du PeN , fit remarquer lors du 40e anniversaire du programme que «  beaucoup de gens en Alberta aiment entretenir un certain sentiment de persécution encore aujourd’hui29  ». Pour un Albertain ou une Albertaine, qu’un ministre fédéral du Québec vienne dire à l’Alberta qu’elle a une espèce de complexe de persécution, c’est comme le chameau qui se moque du bossu. Il est peut-être logique de faire porter aux victimes la responsabilité de leur situation dans l’esprit d’Ottawa ou du Centre du Canada, mais pas en Alberta. Les gens de l’Alberta reconnurent le PeN pour ce qu’il était : une intervention d’Ottawa dans le secteur pétrolier et gazier pour fixer un prix canadien qui ne serait jamais supérieur à 85 % du prix du pétrole importé, et l’imposition d’un ensemble de nouvelles taxes à l’industrie. Les bénéficiaires  : les coffres du gouvernement fédéral et les consommateurs du reste du Canada, en particulier ceux des deux provinces les plus peuplées du pays. Les répercussions économiques du programme sur le secteur pétrolier et gazier furent immédiates. Des appareils de forage quittèrent l’Alberta au profit des États-Unis et des entreprises du secteur commencèrent bientôt à faire des mises à pied. Allan Gotlieb, alors ambassadeur du Canada aux États-Unis, a raconté qu’il entendait des critiques à l’égard du PeN partout où il allait : en Alberta, où on lui dit qu’«  Ottawa sacrifiait l’Ouest au profit de l’Est  », et à Washington, où « les Américains ont créé un climat de quasi-crise au sujet du PeN 30 ». Près de 40 ans après sa mise en œuvre, David Olive a écrit dans le Toronto Star que le PeN était « l’une des mesures les plus arrogantes et les plus malavisées mises en place par un gouvernement fédéral canadien31  ». Comme ce fut le cas concernant d’autres enjeux importants qui ont eu une incidence négative à l’échelle régionale, le Sénat n’avait rien à dire au sujet du PeN . Marc Lalonde proposa une solution aux gens de l’Alberta : « Les Albertains et le gouvernement de l’Alberta feraient mieux d’être participants à part entière au lieu de passer leur temps à se plaindre. » Quant aux moyens d’assurer la pleine participation de l’Alberta, il avait peu de suggestions à offrir. Lorsque l’Ouest du Canada essaya de vendre l’idée d’un sénat triple E pour accroître son influence à Ottawa, Lalonde ne dit rien. Quand on représente l’Ontario ou le

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Québec, il est tout à fait concevable de parler de « devenir des participants à part entière dans l’élaboration des politiques fédérales » parce qu’on a un nombre suffisant de députés à la Chambre des communes et que de nombreux hauts fonctionnaires sont prêts à rendre possible cette participation pleine et entière. Nous avons vu que nos institutions politiques nationales, du Parlement au Cabinet du premier ministre, en passant par le Conseil des ministres et la fonction publique, ont un parti pris pour les intérêts du Canada central. Les propos de David McGuinty, un député fédéral de l’Ontario, illustrent à la fois la difficulté de l’Ouest du Canada à se faire entendre à Ottawa et le parti pris des institutions politiques nationales en faveur du Canada central. McGuinty a soutenu que les politiciens albertains fédéraux ont une optique trop « provinciale » lorsqu’ils concentrent leur attention sur le secteur de l’énergie. Il a dit : « Ils sont des législateurs nationaux qui ont une responsabilité nationale, mais ils agissent comme des provinciaux à l’esprit étroit, très étroit, qui défendent jalousement un secteur industriel, spécifiquement celui des combustibles fossiles et de l’exploitation des sables bitumineux, pour lequel ils vont se battre jusqu’au bout32. » Le secteur industriel en question, celui des combustibles fossiles, est très important pour la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador (six des 10 provinces). Mais qu’importe, aux yeux de McGuinty, il s’agit d’un secteur régional, et les personnes politiques qui privilégient ce secteur font preuve d’un esprit de clocher et sont incapables de voir les choses dans une perspective nationale. Par contre, McGuinty, d’autres députés fédéraux de l’Ontario et les médias nationaux considèrent le secteur de l’automobile comme un « secteur national ». Pourtant, l’industrie de l’automobile est un secteur bien plus régional que les combustibles fossiles pour neuf des 10 provinces canadiennes, et le secteur des combustibles fossiles et produits dérivés constitue un élément crucial de la croissance économique dans la moitié d’entre elles. L’Accord concernant les produits de l’industrie automobile (aussi connu sous le nom de Pacte de l’automobile) n’est pas le produit des marchés ou de la main invisible d’Adam Smith. Il est le résultat de politiques et de décisions gouvernementales. Plus exactement, l’état de santé du secteur de l’automobile en Ontario est dû à plusieurs événements historiques nés de l’initiative du gouvernement canadien. Le Pacte de l’automobile permit aux entreprises du secteur

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d’importer des pièces pour automobiles et des véhicules automobiles au Canada sans aucun tarif douanier, à condition qu’elles y créent des emplois et y génèrent des investissements. L’accord fut bénéfique pour les grands constructeurs automobiles américains et le Sud de l’Ontario. En échange de l’accès sans tarifs douaniers au marché canadien, les trois grands constructeurs automobiles américains acceptèrent de ne pas réduire leur production canadienne en deçà du seuil de 1964 et de conserver un ratio de trois véhicules produits au Canada pour cinq véhicules vendus. Le Pacte de l’automobile eut un effet immédiat. En 1964, seulement 7 % des voitures fabriquées au Canada étaient vendues au États-Unis; en 1968, cette proportion avait bondi à 60 %33. En 1999, le Canada se classait au quatrième rang mondial des pays constructeurs d’automobiles. De plus, le secteur de l’automobile constituait alors la composante la plus importante des échanges canado-américains : la valeur des exportations totales du secteur est passée de 715 millions de dollars seulement en 1964 à environ 92,7 milliards de dollars en 2000, mais elle a ensuite diminué pour s’établir à 65,3 milliards de dollars en 201234. Parmi les 146 495 emplois dans le secteur de la fabrication de véhicules automobiles et de pièces d’automobiles au Canada en 2001, 130  000  étaient situés en Ontario, soit environ 90 % de tous les emplois dans l’industrie au Canada35. Par ailleurs, l’industrie a réussi à obtenir du financement fédéral ces dernières années pour moderniser ses installations36. Lorsque le secteur s’est retrouvé en sérieuses difficultés financières en 20082009, Ottawa s’est précipité au secours de gm et de Chrysler pour leur éviter la faillite en leur accordant une aide financière totalisant 9,1  milliards de dollars. Le ministre de l’Industrie a soutenu plus tard que la mesure avait sauvé plus de 50 000 emplois. Cependant, le vérificateur général a souligné par la suite que, lorsqu’il était venu en aide à l’industrie, le gouvernement disposait « d’analyses limitées sur la façon dont les mesures de restructuration devaient améliorer la situation financière des filiales canadiennes, sur les concessions faites par les parties prenantes et sur la façon dont les sociétés comptaient rembourser les prêts37 ». Ottawa a vendu toutes ses actions de gm en avril 2015, subissant une perte de 3,5 milliards de dollars aux dépens des contribuables38. Le gouvernement fédéral n’hésite pas à se précipiter pour sauver des secteurs en difficulté en Ontario et au Québec en s’appuyant sur des « analyses limitées », mais il est beaucoup moins enclin à le faire dans le cas de l’Ouest canadien.

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l e S é N a t fI g é d aNS le tem PS Les provinces de l’Ouest ont mené la charge en faveur d’une réforme du Sénat jusqu’à ce que la Cour suprême mette un terme à leurs efforts (de 1980 à 2014 environ) dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat. La Cour a statué que le Parlement canadien n’avait pas la compétence législative voulue pour prévoir la tenue d’élections consultatives sans le consentement d’au moins sept provinces, ou l’abolition du Sénat sans le consentement de chaque province39. Les Canadiens de l’Ouest voyaient très bien le Sénat tel qu’il était et tel qu’il est encore : une institution tant décriée, un organisme non élu à l’image ternie, une institution continuellement aux prises avec une crise de légitimité et incapable de veiller aux intérêts régionaux du pays40. Robert MacGregor Dawson, le doyen des politologues canadiens, nous rappelle que les espoirs des Pères de la Confédération à l’égard du Sénat «  n’avaient rien d’excessif 41  ». L’objectif de l’Ontario et du Québec était simple  : minimiser l’importance du Sénat parce qu’il était dans leur intérêt de le faire. Janet Ajzenstat souligne : « Les fondateurs ne pouvaient légitimement croire que la représentation des régions à la Chambre haute suffirait à apaiser les ambitions locales42. » Mais c’est ce que croyaient les Pères de la Confédération de l’Ontario et du Québec, qui dirigèrent les négociations. Ils insistaient pour dire que le Sénat et le Cabinet pouvaient suffire à défendre les intérêts régionaux, du moins ceux des autres régions que la leur. Le Sénat n’a jamais répondu aux attentes, tandis que le Cabinet y a répondu, mais seulement jusqu’à un certain point et pas récemment. Je peux dresser un inventaire de critiques adressées au Sénat depuis 155  ans. Le Nouveau Parti démocratique a réclamé son abolition de façon répétée. La Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, appelée plus couramment la Commission Macdonald, a qualifié le Sénat d’« échec institutionnel43 ». La revue Maclean’s a également réclamé son abolition en affirmant que, « dans la pratique, le Canada a déjà un parlement unicaméral. Pourquoi ne pas le rendre officiel?... le manque de légitimité démocratique du Sénat l’empêche de s’opposer à des initiatives gouvernementales au nom de l’équité régionale44. » La plupart des politologues ont été très critiques eux aussi à l’égard du Sénat. David Docherty écrit que «  le Sénat canadien est l’une des dernières chambres non réformées parmi les démocraties

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parlementaires fondées sur le modèle de Westminster... Il représente et incarne certaines des caractéristiques les plus antidémocratiques des assemblées législatives. » Il ajoute que le Sénat actuel « ressemble énormément au Sénat de 1867 en ce qui a trait à ses qualités démocratiques, ce qui mérite discussion45  ». Le Sénat et la réforme du Sénat ont fait l’objet de nombreuses discussions, mais celles-ci n’ont pas donné beaucoup de résultats. Les conséquences de l’échec institutionnel du Sénat ont été plus lourdes pour certaines régions, en particulier les provinces de l’Ouest et de l’Atlantique, que pour d’autres. David E. Smith souligne que «  le Sénat a été conçu pour garantir aux Maritimes une voix qui défendrait leurs intérêts... dans un parlement dont la Chambre basse, fondée sur la représentation selon la population, faisait valoir massivement les préoccupations du Canada central46 ». Le Sénat a constamment manqué à ses obligations envers les Maritimes et il continue de manquer à ses obligations envers l’Ouest à tout coup. L’Ouest canadien décida il y a une quarantaine d’années de concentrer ses efforts sur une réforme du Sénat pour faire avancer ses intérêts. Il lança une campagne pour promouvoir un sénat triple E (égal, élu et efficace), qui adopta comme cri de ralliement « L’Ouest veut être de la partie ». On se souviendra que l’Alberta organisa en 1989 une élection à l’échelle provinciale pour élire des sénateurs et sénatrices. À la lumière des résultats, l’ancien premier ministre Brian Mulroney nomma Stan Waters au Sénat en 1990. La nomination de Waters suscita certains remous à Ottawa dans les cercles politiques et administratifs. Les médias nationaux, ou ceux de l’Ontario et du Québec, se sont montrés très peu favorables au Sénat ou à une réforme du Sénat. Le Globe and Mail, le National Post, La Presse et la revue Maclean’s ont soit demandé l’abolition du Sénat, soit préconisé le statu quo. Les médias du Québec ont largement favorisé le statu quo tandis que ceux de l’Ontario, surtout le Globe and Mail, continuent d’insister sur le rôle de « second examen objectif » du Sénat, faisant fi le plus souvent de sa responsabilité de défendre les intérêts des provinces les moins peuplées47. Il y a cependant une question à laquelle les médias ontariens et québécois n’ont pas répondu : qui doit défendre les intérêts des Canadas périphériques au sein des institutions nationales si le Sénat en est incapable ou s’il est aboli? On ne peut que supposer qu’à leur avis tout va pour le mieux et qu’il continuerait d’en aller ainsi sans le Sénat.

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Rappelons que David Peterson fut puni aux urnes après avoir offert six sièges de l’Ontario au Sénat aux autres provinces lors des négociations constitutionnelles tenues au lac Meech48. Peterson savait que la perte de sièges ontariens au Sénat aurait peu d’effet sur la capacité de sa province de façonner les politiques à Ottawa. En somme, l’Ontario, les médias nationaux et le Québec firent front commun pour créer une voix forte en faveur du statu quo. La campagne de l’Ouest canadien en faveur d’un sénat triple  E (encore une fois égal, élu et efficace) rencontra une vive résistance dès les premiers instants. Les arguments avancés par le Parti conservateur, le Parti réformiste et bien d’autres organismes de l’Ouest tombèrent tous dans l’oreille d’un sourd, particulièrement dans le Centre du Canada, avant que la Cour suprême ne soit appelée à se prononcer sur la réforme du Sénat. Roger Gibbins a affirmé que, dans le cas des États-Unis, «  la représentation territoriale efficace au sein des institutions politiques nationales a favorisé l’intégration nationale, renforcé le gouvernement national, étendu ses activités et réduit le pouvoir des gouvernements des États à un degré inimaginable à l’époque de la fondation de la république américaine ». Il a ajouté que « le renforcement de la représentation régionale au centre fournirait un mécanisme permettant la nationalisation accrue des politiques canadiennes49 ». On pourrait aussi ajouter que, coïncidence ou non, la politique américaine en matière de développement économique régional a été bien différente de l’expérience canadienne; aux ÉtatsUnis, diverses régions ont connu à tour de rôle une forte croissance économique, ce qui ne s’est pas produit au Canada50. Des forces puissantes font obstacle à une réforme du Sénat au Canada, sans quoi il y a longtemps qu’elle aurait eu lieu. Alors que le gouvernement de l’Ontario voulait abolir le Sénat, le Québec menaçait de poursuivre le gouvernement devant les tribunaux s’il s’avisait de réformer le Sénat sans le consentement des provinces. Ils allèguent qu’un sénat triple E ne cadre pas avec le système parlementaire inspiré du modèle de Westminster (passant sous silence le cas de l’Australie, dont le système parlementaire inspiré du modèle de Westminster a été en mesure de faire fonctionner une chambre haute réformée), qu’il ne pourrait que mener à une impasse lors de l’élaboration de politiques et de la prise de décisions, ou qu’il était hors de question que l’Ontario et l’Île-du-Prince-Édouard puissent avoir le même nombre de sénateurs dans un sénat efficace, laissant opportunément de côté l’exemple de la

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Californie (qui compte près de 40 millions d’habitants) et le Wyoming (590 013 habitants) dans le Sénat américain, ou celui de la NouvelleGalles-du-Sud (8,2  millions d’habitants) et la Tasmanie (moins de 550 000 habitants), en Australie. Matthew Mendelsohn, ancien directeur du Mowat Centre de l’Ontario et ancien sous-secrétaire du Cabinet au Bureau du Conseil privé dans le gouvernement de Justin Trudeau, a écarté du revers de la main la perspective d’un sénat démocratiquement élu parce que, insistait-il, il n’était tout simplement pas envisageable qu’une réforme du Sénat obtienne le consentement requis des provinces. Mendelsohn a émis un commentaire révélateur : « De nos jours, le Sénat n’a pas vraiment d’importance dans la prise de décisions... Alors, il semble étrange que le Nouveau-Brunswick compte 10  sièges au Sénat et que la Colombie-Britannique n’en ait que six, mais ce n’est pas une grande préoccupation. Cela n’a pas vraiment d’importance parce que le Sénat n’a pas vraiment d’importance51. » Bien sûr, il est dans l’intérêt des deux provinces les plus peuplées, l’Ontario et le Québec, que le Sénat n’ait pas beaucoup d’importance. Mendelsohn démontrait, peut-être malgré lui, qu’une réforme du Sénat s’imposait pour assurer le bon fonctionnement de la fédération. Il faut accorder de l’importance à la Chambre haute dans une fédération pour que les petites provinces puissent s’y faire entendre. Stéphane Dion a expliqué : « Pourquoi ne pas simplement élire les futurs sénateurs au lieu de laisser le premier ministre les nommer? Ce raisonnement pose un problème fondamental qui découle de la répartition inégale des sièges du Sénat entre les provinces. L’élection des sénateurs selon la répartition actuelle des sièges serait injuste pour les provinces sous-représentées, l’Alberta et la Colombie-Britannique, qui n’ont que six sénateurs chacune, tandis que le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, qui ont le quart de leur population, en ont 1052. » Dion n’a pas tenu compte, lui non plus, de l’exemple de l’Australie, qui est parvenue à assurer le fonctionnement efficace de sa chambre haute élue même si elle est dotée d’un système parlementaire de type Westminster. Il n’a rien proposé aux provinces de l’Ouest pour faire en sorte que leur voix ait plus de poids à Ottawa. On peut seulement présumer que Dion trouve le statu quo acceptable au Canada, même s’il sait fort bien qu’il ne cadre pas avec un système fédéral efficace. Un grand nombre de Canadiens de l’Ouest ont sans doute été surpris qu’un ministre originaire du Québec veuille protéger les intérêts de cette province contre le Nouveau-Brunswick ou la Nouvelle-Écosse.

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La raison d’être d’un sénat efficace dans un régime fédéral est la nécessité d’apporter un équilibre régional dans l’élaboration des orientations nationales ou, comme l’a dit Gibbins, d’assurer « une représentation territoriale efficace au sein des institutions politiques nationales  ». Et l’intérêt d’avoir un système fédéral au lieu d’un système unitaire, c’est qu’il requiert la mise en place de structures politiques permettant de mieux tenir compte des intérêts régionaux. À cet effet, il est nécessaire que les provinces ou les États les moins peuplés soient surreprésentés à la Chambre haute. Dion affirmait essentiellement que les États-Unis, l’Australie et la Russie font fausse route en accordant un nombre égal de sénateurs à tous les États indépendamment de leur population. J’ai entendu bien peu d’Américains et d’Australiens dire la même chose. Dion et les autres qui sont du même avis n’offrent également aucune solution pour faire contrepoids à la représentation selon la population dans une fédération aussi vaste et aussi variée que le Canada, ce qui laisse entendre qu’ils ne reconnaissent peut-être pas le problème. On ne peut qu’en conclure que, selon eux, les petites provinces et régions dans une fédération comme le Canada ne doivent compter que sur la représentation selon la population pour se faire entendre et exercer une influence sur la scène nationale. Comme l’histoire canadienne l’a si bien démontré, une telle approche ne fait pas l’affaire de l’Ouest, des provinces maritimes ou de Terre-Neuve-et-Labrador.

l a c oU r S U Prême La composition de la Cour suprême du Canada, contrairement à celle de son pendant américain, repose sur la représentation régionale  : parmi les neuf sièges à la Cour suprême, l’Ontario et le Québec en comptent six, l’Ouest deux et le Canada atlantique un. Le premier ministre Justin Trudeau a semblé, à un moment donné, vouloir rompre avec la pratique d’y assurer une représentation régionale du Canada atlantique. Sa ministre de la Justice a expliqué, après que le juge du Canada atlantique à la Cour suprême eut annoncé sa démission, que le successeur de celui-ci ne viendrait pas nécessairement de la région. Je ne peux m’imaginer qu’un premier ministre ou une première ministre se dise prêt à rompre avec la représentation régionale lorsqu’il s’agit de l’Ontario ou du Québec. Je signale que la représentation du Québec à la Cour suprême bénéficie d’un statut constitutionnel. Face aux critiques provenant de divers milieux, le premier ministre Trudeau a

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fait marche arrière et a nommé Malcolm Rowe, de Terre-Neuve-etLabrador, à la Cour suprême53. Je fais remarquer que la Cour suprême des États-Unis est divisée selon des motifs idéologiques tandis que la Cour suprême du Canada est divisée en fonction des régions. Certains Canadiens de l’Ouest s’en sont pris directement à la Cour suprême et à ses décisions. Ted Morton a contesté le fait que la Cour s’est fondée sur «  l’intention des rédacteurs  » en ce qui a trait à la réforme du Sénat. Il écrit : « Quiconque connaît la jurisprudence de la Cour relative à la Charte des droits sait que les juges ont régulièrement fait fi de “l’intention des rédacteurs”... On pourrait et on devrait reprocher à la Cour de ne pas se montrer à la hauteur des précédents qu’elle a elle-même établis en s’appuyant sur son habileté politique et une jurisprudence douteuse pour briser l’impasse constitutionnelle, comme elle l’a fait précédemment dans le Renvoi sur le rapatriement et le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Les parallèles entre le Renvoi relatif à la réforme du Sénat et ces deux décisions historiques sont frappants : des enjeux politiques élevés, des enjeux stratégiques élevés et le risque élevé d’un conflit partisan et régional54. » Les gens de l’Ouest ont toutefois été réconfortés jusqu’à un certain point lorsqu’un politicien de la région, Stephen Harper, a été élu premier ministre en 2006. L’appel à une réforme du Sénat, porté par le slogan « L’Ouest veut être de la partie », a au moins reçu une réponse, mais la réponse s’est révélée temporaire. Harper a réussi à faire adopter des mesures favorables aux intérêts de l’Ouest canadien55. Néanmoins, après son départ du siège du premier ministre, les anciennes habitudes sont revenues, comme l’illustre l’échec du projet Énergie Est. Jason Kenney, le premier ministre de l’Alberta, a annoncé que sa province allait à nouveau tenir des élections provinciales en vue du choix d’un candidat ou d’une candidate pour une nomination au Sénat. L’avenir nous dira comment Ottawa réagira à une élection sénatoriale. Emmett Macfarlane, un expert en droit constitutionnel, souligne que, dans son jugement de 2014, la Cour suprême ne s’est pas prononcée clairement sur la nomination au Sénat de candidats et candidates élus lors d’élections provinciales56. Pierre E. Trudeau est entré en politique pour faire en sorte que le Québec occupe la place qui lui revient dans la fédération, tandis que Stephen Harper est entré en politique pour faire en sorte que l’Ouest canadien occupe la place qui lui revient dans la fédération. Trudeau obtint ce qu’il voulait : il put rapatrier la Constitution, y enchâsser la Charte des droits et libertés et faire en sorte que les Canadiens

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Le Canada

français se sentent chez eux d’un océan à l’autre. Il parvint également à réformer la fonction publique canadienne et à rendre ce milieu de travail accueillant pour les francophones du pays. On se souviendra que le premier ministre de l’Ontario fut l’un des premiers à appuyer le projet de rapatriement de Trudeau, un geste significatif compte tenu de la place qu’occupe l’Ontario dans la fédération et du fait que les médias anglophones du Canada sont situés à Toronto et à Ottawa. La Cour suprême apporta également un certain appui à Trudeau à un moment crucial du processus de rapatriement. Harper a tenté de réformer le Sénat pour accroître l’influence de l’Ouest canadien à Ottawa. L’Ontario n’a montré aucun intérêt pour son initiative et la Cour suprême a essentiellement mis fin au mouvement en faveur d’une réforme du Sénat. La Cour a statué qu’Ottawa n’avait pas la compétence nécessaire pour établir un processus de consultation sur la nomination des sénateurs et sénatrices, ou pour limiter la durée de leur mandat, sans une modification constitutionnelle57. La fonction publique n’a guère changé depuis l’élection de Harper, quoique sa taille ait augmenté. Je note cependant que Harper a réussi à modifier le calcul d’un certain nombre de paiements de transfert en adoptant une formule au prorata de la population, ce que les provinces de l’Ouest et l’Ontario réclamaient depuis quelque temps. Bref, les Pères de la Confédération engagèrent le Canada sur une voie dont il n’a pas dévié depuis 1867. Il en résulte que trop souvent l’Ouest canadien se retrouve dans une position de spectateur lors de l’élaboration des politiques « nationales ». Cette situation est due en grande partie, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, au fait que la représentation selon la population détermine qui détient le pouvoir politique à Ottawa, ce qui avantage nettement l’Ontario et le Québec.

l a f oN c t Io N P U B lI qU e ca Nad I eNN e : U N e P e rS P e c tIv e c e Ntrée SU r ottawa La fonction publique canadienne est très centralisée à Ottawa, ville qui relie géographiquement l’Ontario et le Québec. Le Canada se distingue des autres pays anglo-américains par la grande proportion de ses fonctionnaires qui sont concentrés dans la région de la capitale nationale (rcN ). Le gouvernement australien publie chaque année un rapport sur l’état de sa fonction publique qui présente une répartition

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des fonctionnaires selon leur lieu de travail. Une édition récente du rapport révèle que 38  % des fonctionnaires australiens travaillent dans le Territoire de la capitale australienne58. La Grande-Bretagne publie aussi un rapport annuel qui contient des données sur les emplois dans la fonction publique par région. Selon le dernier rapport, 18,6 % d’entre eux sont situés à Londres59. Aux États-Unis, environ 16 % des employés de l’État fédéral travaillaient à Washington, D.C., et dans les environs en septembre 201560. En France, un État unitaire comme la Grande-Bretagne, quelque 22 % des fonctionnaires sont en poste dans la région de l’Île-de-France, à Paris61. Au Canada, il y a 45 ans, environ le quart des fonctionnaires fédéraux travaillaient dans la rcN 62. Depuis le début des années 1990, on assiste toutefois à une diminution considérable des emplois fédéraux dans les régions au profit de la rcN . La proportion de fonctionnaires fédéraux en poste dans la rcN , qui était de 35,5 % aussi récemment qu’en 2000, atteint maintenant 41,1  %, ce qui est beaucoup plus élevé que dans les autres pays anglo-américains63. L’Ontario et le Québec dénombrent plus de 66 % des fonctionnaires fédéraux bien que ces provinces représentent 61,5 % de la population canadienne. Dans l’ensemble, le Sénat n’a pas trouvé grand-chose à dire au sujet de la centralisation de la fonction publique dans la région de la capitale nationale. La fonction publique permanente, comme il se doit, joue un rôle central dans l’élaboration des politiques et des programmes. Il serait difficile d’exagérer l’influence des organismes centraux (le Bureau du Conseil privé et le ministère des Finances) sur les décisions concernant ce qui est important et ce qui ne l’est pas64. Ces deux organismes emploient quelque 2 000 fonctionnaires; ceux-ci forment les élites, les éléments les plus prometteurs et les futures têtes dirigeantes permanentes des ministères et organismes gouvernementaux. Toutes ces personnes travaillent dans la région de la capitale nationale, et la grande majorité d’entre elles viennent de l’Ontario et du Québec et y ont fait leurs études. Elles voient aussi les problèmes et les solutions dans la perspective du Centre du Canada65.

I l S’a gI t d e S e P e N c h e r S U r leS I NStI t U t I oNS Il existe depuis longtemps un malaise sérieux dans l’Ouest canadien et le Canada central peut difficilement l’ignorer. Un récent sondage d’opinion est très révélateur : 33 % des Albertains croient que

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leur province serait en meilleure posture si elle quittait la fédération canadienne, comparativement à 26 % des Québécois; 42 % des Saskatchewanais se sentent moins engagés envers le Canada qu’il y a quelques années, comparativement à 29  % des Québécois; 15  % des Manitobains croient que leur point de vue est bien représenté à Ottawa, comparativement à 44 % des Ontariens et à 36 % des Québécois66. Un autre sondage révèle que 72 % des Canadiens sont d’avis que, souvent, le gouvernement fédéral ne tient pas compte des petites provinces dans l’intérêt des grandes provinces, une opinion encore plus répandue au Manitoba (90 %), en Nouvelle-Écosse (80 %), en Saskatchewan (84 %) et au Nouveau-Brunswick (84 %)67. Le problème réside dans nos institutions politiques et administratives nationales, qui ne sont pas adaptées pour fonctionner dans un système fédéral, en particulier au Canada en raison de son vaste territoire et de ses économies régionales différentes. Il est impératif de se pencher sur la situation. L’Alberta soulève des questions fondamentales au sujet de sa participation à la fédération canadienne. Le gouvernement de l’Alberta a tenu un référendum sur le programme de péréquation d’Ottawa. Il a demandé à la population albertaine si elle croyait qu’il fallait retirer le principe de la péréquation de la Constitution canadienne  : 61,7  % des électeurs ont dit souhaiter son retrait. Le taux de participation était faible, 39 %, et il est peu probable que ce résultat ait beaucoup de poids à Ottawa68. Quoi qu’il en soit, cela n’enlève rien à la nécessité de trouver des moyens d’accorder au point de vue de l’Ouest le poids qu’il mérite. Quand on pense à des victimes, ce ne sont pas les provinces de l’Ouest qui viennent à l’esprit. Ces provinces regorgent de ressources naturelles et possèdent une solide tradition d’autonomie, surtout dans les régions rurales. Lorsque l’Ouest du Canada se tourne vers Ottawa, c’est pour lui demander non pas qu’il lui fasse un cadeau, mais plutôt qu’il aplanisse les obstacles à l’avancement de son programme d’autonomie. Par exemple, la région dut lutter jusqu’en 1930  pour obtenir la compétence sur ses ressources naturelles, un pouvoir reconnu aux quatre provinces fondatrices dès 1867. Il fut un temps où l’Ouest canadien était en mesure d’envoyer des voix très fortes à Ottawa69. Je pense bien sûr à John Diefenbaker et à Stephen Harper. La région a aussi pu compter sur des ministres influents à Ottawa, notamment Clifford Sifton et Don Mazankowski, mais ceux-ci ne pouvaient rivaliser avec des politiciens comme C.D. Howe, Ernest Lapointe, Jim Flaherty et Michael Wilson.

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Certains ministres de l’Ouest ont joui d’une grande influence à Ottawa notamment parce qu’ils détenaient des postes de ministres régionaux. Le milieu politique et l’appareil bureaucratique à Ottawa comprenaient que l’Alberta ou les trois autres provinces de l’Ouest avaient ainsi une voix au Cabinet, une voix qui comptait plus que celle des ministres qui n’étaient pas dits « régionaux ». Cependant, comme nous l’avons vu plus tôt, Justin Trudeau a décidé d’éliminer les postes de ministres régionaux en 2015. Pour quelque raison inexpliquée, il a réintroduit le poste en 2019, mais uniquement pour le Québec, quand Pablo Rodriguez a été désigné son «  lieutenant du Québec »70. On comprend difficilement pourquoi Trudeau a cru nécessaire de nommer un ministre régional pour le Québec mais pas pour aucune autre province, étant donné qu’il est lui-même originaire du Québec. Les gens de l’Ouest savent que les institutions politiques nationales du Canada sont mal adaptées pour défendre leurs intérêts lors de l’élaboration des politiques nationales. Ces institutions seraient certainement inadéquates pour n’importe quelle fédération, mais elles le sont encore plus pour le Canada compte tenu de sa superficie et du fait qu’on y trouve six fuseaux horaires et plusieurs économies. Partout, les Canadiens de l’Ouest voient des signes que le corps politique et les institutions politiques et administratives nationales du pays ne seront jamais en mesure de tenir compte des intérêts de leurs provinces sur des questions d’importance (la réforme du Sénat) ou même sur d’autres questions (ils savent que, en ce qui concerne les marchés publics, le processus d’appel d’offres a été modifié de façon à détourner des contrats vers l’Ontario et le Québec, mais ils ne trouvent aucun cas où l’on a ignoré le processus d’appel d’offres pour diriger des contrats vers les provinces de l’Ouest). En ce sens, la Confédération et les rouages des institutions politiques nationales ont fait des Canadiens et Canadiennes de l’Ouest des victimes, tout comme la faible influence qu’exerce la région à Ottawa en regard des contributions qu’elle a apportées et continue d’apporter au pays. Le reste du Canada n’aime peut-être pas qu’on le lui rappelle, mais l’Alberta a apporté une contribution colossale aux coffres de l’État fédéral depuis 1961. Les Albertains ont payé à Ottawa 622  milliards de dollars de plus en taxes et impôts que ce qu’ils ont reçu du Trésor fédéral. Entre 2007 et 2018 seulement, l’écart total était de 240 milliards de dollars71.

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Les gens de l’Ouest canadien savent très bien que le Québec a été l’un des principaux bénéficiaires des paiements de transfert fédéraux. Au fil des ans, la province a reçu 230 milliards de dollars dans le cadre du programme de péréquation d’Ottawa, soit plus de la moitié des 450 milliards de dollars distribués. Le lecteur se souviendra que le premier ministre du Québec a bloqué le projet d’oléoduc Énergie Est parce qu’il n’y avait «  aucune acceptabilité sociale  » pour le pétrole au Québec. Et ce, en dépit du fait que l’Ouest canadien fournit plus de 50 % du pétrole consommé au Québec et que la province achète de l’étranger du pétrole brut expédié par bateau sur le fleuve Saint-Laurent72. Le lecteur se souviendra également que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a condamné ceux qui critiquaient la position du premier ministre du Québec au sujet de l’oléoduc, au nom de l’unité nationale. Aux yeux des Canadiens de l’Ouest, l’unité nationale au sens où l’entend Ottawa est une voie à sens unique : c’est toujours à propos du Québec. D’ailleurs, le premier ministre québécois a fait échouer un projet qui aurait permis d’acheminer du gaz naturel des provinces de l’Ouest à travers le Québec jusqu’au port de Saguenay, pour exportation vers des marchés étrangers73. Le premier ministre du Canada, pendant ce temps, est resté silencieux. Plusieurs spécialistes se sont réunis en 2020 pour poser des questions fondamentales au sujet de la place de l’ouest du pays, en particulier de l’Alberta, dans la Confédération. Ted Morton a écrit : « Si le Québec était traité comme l’Alberta est traitée, il y a longtemps qu’il se serait séparé. Et si les Albertains avaient la possibilité de renégocier les conditions de notre relation avec le Canada, jamais nous ne consentirions au statu quo74. » La position de Morton trouve écho chez de nombreux citoyens et citoyennes de l’Ouest canadien, qui se sentent impuissants à y changer quoi que ce soit. Les spécialistes ont exploré plusieurs problèmes et posé des questions fondamentales au sujet de la place de l’Alberta dans le fédéralisme canadien. Ils ont évalué les contributions de l’Alberta à l’économie canadienne, l’avenir du secteur des ressources naturelles, les perspectives d’indépendance pour l’Ouest, et la liste se poursuit75. Ils ont vu diverses possibilités pour la région, mais le statu quo n’était pas du nombre. Il est risqué pour le Canada et Ottawa d’ignorer les travaux de ces intellectuels et les nombreuses autres voix qui s’élèvent dans l’Ouest. Je rappelle au lecteur que Northrop Frye, sans doute le

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critique littéraire canadien le plus accompli, a cherché à faire la part des choses entre l’unité nationale et les identités régionales fortes. Frye a dressé une liste d’identités régionales comprenant l’identité des Prairies, celle des Maritimes et l’identité québécoise, qui diffèrent de l’identité laurentienne76. Les institutions politiques nationales du Canada n’ont jamais été conçues pour tenir compte des identités régionales du pays et elles en sont demeurées incapables. Par le fait même, elles ont ouvert la voie à la création de victimes régionales. La victimisation prend diverses formes au Canada en raison de la Constitution du pays et de la façon dont ses institutions politiques et administratives nationales prennent les décisions. L’Ouest peut légitimement affirmer que sa voix et ses intérêts politiques et économiques ne reçoivent pas une attention adéquate à Ottawa, comme il se devrait dans un système fédéral. Le Canada n’a mis en place jusqu’ici aucun mécanisme interne à cet effet; un échec retentissant a été l’incapacité du Sénat de promouvoir les intérêts régionaux77. Comme nous l’avons vu, cette situation faisait l’affaire de l’Ontario et du Québec mais, trop souvent, elle a relégué l’ouest du pays à une position d’observateur, pendant que le gouvernement élabore les politiques. Les Canadiens de l’Ouest ont appris à traiter avec des institutions nationales qui n’arrivent qu’occasionnellement à tenir compte de leurs intérêts : Stephen Harper, par exemple, a pu mettre en lumière les intérêts de l’Ouest à Ottawa. Mais les efforts en ce sens n’ont duré que tant que Harper occupait le siège du premier ministre78. Quand les Canadiens de l’Ouest se sentent abandonnés par Ottawa, ils se tournent vers un tiers parti ou leur propre parti régional. Cela s’est produit à maintes reprises, mais la région n’est pas allée plus loin. Un collègue et concitoyen des Maritimes m’a demandé : « Crois-tu vraiment que l’Ouest est une victime? Regarde seulement sa richesse et ses ressources naturelles. Vancouver une victime? Je ne pense pas. » L’Ouest canadien a effectivement créé beaucoup de richesse et il continue de le faire. L’ensemble du Canada en a grandement profité. Je comprends qu’on ait du mal à imaginer qu’un résident ou une résidente de West Vancouver soit une victime. Mais pour les gens qui vivent à West Vancouver ou à Upper Mount Royal, un quartier de Calgary, il est clair que leur voix n’a pas autant de poids à Ottawa qu’elle le devrait ou que celle de leurs concitoyens et concitoyennes de Toronto, d’Ottawa ou de Montréal,

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essentiellement à cause de la répartition des sièges à la Chambre des communes, de l’inefficacité du Sénat et de la concentration de la fonction publique fédérale dans la région de la capitale nationale. De nombreux Canadiens de l’Ouest se perçoivent comme des victimes des institutions politiques et administratives nationales. Dans le cadre de ses institutions nationales, le Canada n’accorde pas sa protection à toutes les victimes, notamment aux provinces de l’Ouest. Du point de vue de l’Ouest canadien, Ottawa est trop prompt à appliquer l’épithète «  nationales  » à ses politiques et décisions lorsqu’elles servent l’intérêt du Canada central. Je pense notamment à la Politique nationale, au Programme énergétique national et au secteur de l’automobile, par opposition à l’intérêt de « vendre votre blé  » ou de promouvoir le secteur pétrolier et gazier. L’argument d’Ottawa, c’est que des politiques «  nationales  » sont nécessaires pour promouvoir l’économie afin qu’elle continue de « pondre des œufs d’or79 ». Tout ce que l’Ouest canadien demande, c’est d’avoir à son tour la possibilité de continuer de « pondre des œufs d’or ». Il existe des solutions. Certaines, comme la réforme du Sénat, exigent une modification constitutionnelle (ce qui est peu probable), mais ce n’est pas le cas pour d’autres, dont un véritable gouvernement de cabinet, la nomination de ministres régionaux, la décentralisation de la fonction publique fédérale et la production d’un bilan annuel des problèmes particuliers de l’Ouest et de l’avancement des solutions qui y sont apportées. Nous y reviendrons plus loin.

5 L’Ontario : la victimisation inscrite dans son ADN

Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, j’ai consulté des collègues et des amis de tous les horizons à diverses étapes de la rédaction du présent ouvrage. Dans pratiquement tous les cas, ils et elles ont dit avoir hâte de lire ce que j’avais à dire au sujet de l’Ontario. L’un d’eux m’a dit franchement : « Bonne chance dans ta démarche. L’Ontario une victime, vraiment? Sérieusement? » Un collègue de mon université a dit : « J’ai bien hâte de voir comment tu vas faire pour présenter l’Ontario comme une victime.  » Un ami ontarien m’a fait la remarque suivante : « Oh, bien sûr que nous sommes des victimes. Toutes les autres régions ne nous aiment pas. » Les Canadiens et Canadiennes de l’Ouest et de l’Atlantique ne pensent certainement pas à l’Ontario lorsqu’il est question des victimes de la Confédération. Ils voient l’Ontario comme le chef de meute de la Confédération, et les chefs de meute mangent toujours en premier. Dès les débuts, l’Ontario a été avantagé par la Confédération sur des questions importantes (par exemple le dysfonctionnement du Sénat et la Politique nationale) ainsi que sur des questions régionales (par exemple le différend frontalier avec le Manitoba). Comment pourrait-on alors inclure l’Ontario parmi les victimes de la Confédération?

U N r e g a r d S U r leS dé BUtS Sur les armoiries de l’Ontario, on peut lire la devise Ut incepit fidelis sic permanet (Fidèle elle a commencé, fidèle elle demeure). Les Loyalistes ont façonné la culture politique de l’Ontario dès ses premières années d’existence et leur influence y est encore bien visible de nos

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jours. Peter Russell écrit que la Révolution américaine a fait du Canada anglais (lire ici surtout l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse) ce qu’il est. L’arrivée des Loyalistes immédiatement après la Révolution américaine donna lieu à la création de deux nouvelles colonies, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, et les Loyalistes allaient, avec le temps, profondément marquer l’histoire du Canada et ses institutions politiques et administratives nationales. L’Encyclopédie canadienne indique  : «  Le Canada moderne détient de nombreux héritages des loyalistes, comme un certain conservatisme, une préférence pour l’“évolution” plutôt que la “révolution” en matière de gouvernement, et une tendance vers une société pluraliste et multiculturelle1. » En outre, les Loyalistes ont inculqué dans la mentalité ontarienne un ressentiment contre les Américains. Dans les premières années, la population du Haut-Canada, exception faite des peuples autochtones, se composait largement de gens nés aux États-Unis mais demeurés loyaux à la Couronne britannique. Alan Taylor écrit : « Les institutions politiques et les politiques économiques du Haut-Canada furent conçues par des Britanniques et des Loyalistes qui avaient combattu la révolution et qui visaient à empêcher que celle-ci ne se reproduise dans leur province2. » John Graves Simcoe, le premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, fit valoir : « L’instauration de la Constitution britannique dans cette province offre le meilleur moyen de lutter graduellement contre l’esprit de subversion démocratique et, finalement, de le détruire ou de le neutraliser3. » Simcoe tenta d’inciter les Américains à trouver refuge dans le Haut-Canada, convaincu que les États américains étaient remplis de Loyalistes qui restaient cachés. Il croyait non seulement que les Loyalistes deviendraient vite des agriculteurs autosuffisants dans les régions éloignées, mais aussi qu’ils renforceraient rapidement la défense de la colonie tout en affaiblissant les forces économiques et militaires de la République. Simcoe décréta l’octroi de 200 acres de terre par famille aux Loyalistes qui viendraient s’établir au HautCanada, moyennant des frais administratifs très modestes. En retour, tout ce qu’on exigeait des Loyalistes, c’était qu’ils prêtent un serment d’allégeance au « Roi en Parlement »4. Une grande majorité des Loyalistes venus s’établir au Canada étaient particulièrement pauvres et beaucoup avaient des « aspirations économiques modestes » et peu d’éducation. Alan Taylor note :

L’Ontario : la victimisation inscrite dans son ADN

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« Parmi les 719 noms qui figurent dans le registre, 171 (24 %) ont fait une croix en guise de signature, soit un taux d’analphabétisme environ trois fois supérieur au taux généralement observé dans les États américains du nord dans les années 17905. » Les Loyalistes arrivèrent au Canada en tant que victimes. Frederick Haldimand, gouverneur de la province de Québec entre 1778 et 1786, décrivit les nouveaux colons de sa province comme des « Loyalistes en grande détresse6 ». L’historien Desmond Morton écrit que les Loyalistes formaient « un flot d’exilés vaincus et amers qui avaient beaucoup souffert et tout perdu pour la Couronne7 ». Les Loyalistes appuyèrent la Couronne britannique et combattirent contre les patriotes américains. Ils perdirent leur combat. Ils perdirent également leurs moyens de subsistance, leurs foyers, et certains perdirent la vie. Dans les colonies contrôlées par les patriotes, les habitants qui avaient soutenu les soldats britanniques furent privés du droit de vote et du droit de vendre leurs terres, et il leur fut interdit de travailler comme médecins, enseignants ou avocats. Certains furent dénudés, enduits de goudron et couverts de plumes qui collaient rapidement au goudron. Puis, on les fit monter dans des chariots et défiler dans les rues avant de les libérer : leur humiliation était complète. D’autres furent bannis de leur village et menacés d’exécution s’ils y retournaient. Ils furent déclarés traîtres et ennemis de la République américaine, et si jamais ils retournaient dans leur foyer, leur présence n’y serait pas tolérée. W.S. MacNutt écrit que l’intimidation et la contrainte exercées sur les Loyalistes devinrent monnaie courante et que « les républicains triomphants leur firent subir une indignité indescriptible8 ». Partout dans les colonies américaines, leurs propriétés furent confisquées ou vandalisées. Beaucoup d’entre eux durent fuir leur foyer sous peine d’être emprisonnés pour trahison s’ils se faisaient attraper. Environ 8  000  Loyalistes de l’Empire-Uni qui s’enfuirent des États-Unis émigrèrent dans le Sud de l’Ontario. Ils constituaient un peuple vaincu à leur arrivée dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique et ils devinrent « anti-américains par conviction et par expérience9 ». Beaucoup quittèrent les colonies américaines dans un état de panique et arrivèrent au Canada presque sans biens, dans des contrées peu peuplées et au climat plus rigoureux que celui des colonies qu’ils fuyaient. Peu après son arrivée au NouveauBrunswick, une Loyaliste, la grand-mère de Leonard Tilley, un Père de la Confédération, écrivit : « Je suis montée jusqu’au sommet de

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la colline Chipman’s Hill et j’ai regardé les voiles disparaître au loin, et j’ai été envahie par un tel sentiment de solitude que, moi qui n’avais pas versé une seule larme au cours de la guerre, je me suis assise sur la mousse humide avec mon bébé sur les genoux et j’ai pleuré amèrement10. » De grands historiens canadiens ont soutenu que le Canada est un «  sous-produit  » de la Révolution américaine11. W.G. Shelton est plus direct : « les Loyalistes étaient du côté des perdants », de sorte que « le Canada était le rejeton de ceux qui se retrouvèrent du côté des perdants et de la frange conservatrice d’un grand soulèvement radical – une lutte entre les classes dirigeantes et populaires dans une société “franchement anti-démocratique”, qui amena les membres des classes dirigeantes à se réfugier au Canada après leur défaite ». Il ajoute toutefois que « d’autres qui se joignirent au périple vers le nord avaient tout simplement misé sur le mauvais cheval et furent répudiés par les vainqueurs12  ». De nombreux Loyalistes étaient tellement pauvres qu’ils ne purent soumettre aucune demande d’indemnisation à la Grande-Bretagne, car ils ne possédaient rien que les Américains auraient pu confisquer. En outre, la plupart étaient membres de groupes minoritaires dans les collectivités des colonies américaines : des anglicans ou des épiscopaliens dans le Nord, des presbytériens dans le Sud, des Quakers en Pennsylvanie et des Loyalistes noirs13. Maya Jasanoff estime que « les Loyalistes occupent depuis longtemps une place marginale dans les manuels d’histoire; on les voit souvent comme des perdants et des rétrogrades qui se sont trompés14 ». Ils étaient peut-être des victimes à leur arrivée dans le Haut-Canada, mais ils entreprirent de changer leur statut, et l’Office des colonies britanniques était prêt à leur donner un coup de main.

l e S v Ic t Im eS Ne So Nt P aS to Ute S égale S Les Loyalistes insufflèrent un conservatisme et une conscience de classe dans leurs institutions politiques, et dominèrent les milieux politique et bureaucratique et le monde des affaires jusqu’au milieu des années  1850. John Simcoe pensait que la meilleure façon de faire progresser la colonie était d’établir une structure de classe hiérarchisée et de réserver les nominations aux postes d’autorité à des hommes qui avaient des relations, comme c’était le cas en Grande-Bretagne.

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William Lyon Mackenzie inventa l’expression Family Compact (le Pacte de famille) pour décrire la société du Haut-Canada. On estime que la moitié des membres du Pacte de famille étaient des Loyalistes de l’Empire-Uni de deuxième génération15. Ce terme péjoratif était employé pour désigner les relations étroites établies entre les membres de la classe dirigeante, notamment par les mariages et les relations d’affaires. Ils étaient peut-être des victimes à leur arrivée dans le Haut-Canada, mais ils étaient bien déterminés à ne pas rester victimes. Avec l’appui de l’Office des colonies, les Loyalistes britanniques allaient bientôt dominer la vie politique en Ontario et, avec le temps, étendre leur influence à d’autres colonies de l’Amérique du Nord britannique.

r e S t e r à l a t ê t e de la me Ute Sur le plan économique, l’Ontario a toujours veillé attentivement à protéger son statut de chef de meure dans la Confédération. Comme nous l’avons vu, nos institutions politiques nationales ont un préjugé favorable envers l’Ontario, un parti pris qui remonte à 1867. Il est resté intact depuis lors. Les représentants et représentantes de l’Ontario au sein des institutions fédérales et provinciales continuent de veiller à ne pas tomber victimes des États-Unis et des Canadas périphériques. Ils misent sur leur forte présence dans les institutions nationales pour protéger la position économique de l’Ontario dans les principaux secteurs de l’économie nationale, en particulier le secteur manufacturier. Depuis l’époque des Loyalistes de l’Empire-Uni, l’Ontario a eu des relations difficiles avec les États-Unis. La province a toujours considéré qu’elle se trouve au premier plan des efforts d’édification de la nation canadienne en résistant à la domination économique et culturelle des États-Unis. L’Ontario a dirigé les efforts en ce sens en faisant la promotion d’une économie transcontinentale largement indépendante de son voisin américain16. Les politiciens de l’Ontario ont constamment pressé Ottawa d’adopter des politiques pour mettre fin à l’exode de travailleurs et d’entreprises qui quittent le pays pour les États-Unis. Goldwin Smith a écrit il y a plus de 125 ans : « Les Américains peuvent affirmer en vérité qu’ils n’annexent pas le Canada, mais ils sont en train d’annexer les Canadiens17. » On se souviendra, par exemple, que l’Ontario se servit de son poids politique à Ottawa pour promouvoir son secteur manufacturier dans

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le cadre de l’effort de guerre, dans les années 1940, alors qu’il aurait mieux valu, pour des raisons géographiques et militaires, qu’au moins certaines des activités liées à l’effort de guerre soient réalisées sur la côte est du pays. Et c’est loin d’être le seul exemple. Dans les années 1980, la société allemande Thyssen Industries approcha le gouvernement fédéral en vue d’établir une installation de fabrication à Bear Head, au Cap-Breton. Thyssen voulait créer une usine de fabrication de produits industriels lourds dans l’Est de la Nouvelle-Écosse pour construire des véhicules militaires et fabriquer une gamme de produits de protection de l’environnement. Ce que Thyssen demandait au gouvernement, c’était que le ministère de la Défense nationale lui accorde, à titre de fournisseur unique, la commande initiale de concevoir et de construire 250 des 1 600 véhicules blindés légers (vBl ) dont il avait besoin18. Avec l’appui de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (aPeca ), Thyssen réussit à conclure un « accord de principe » avec le gouvernement fédéral en 1988. Toutefois, le projet n’alla pas plus loin que l’accord de principe. Dès qu’il en fut question à Ottawa, la proposition se heurta à une vive opposition de la part des ministres de l’Ontario, de hauts fonctionnaires dans la région de la capitale nationale et des entreprises de défense situées en Ontario. Le Toronto Star rapporta que la proposition «  a provoqué une division dans le cabinet Mulroney entre les ministres du Canada atlantique, où se trouve Bear Head, l’endroit proposé pour la construction de l’usine, et ceux du centre manufacturier de l’Ontario19 ». Chaque fois qu’une telle division se produit, la région de l’Atlantique est impuissante devant le poids politique que possède l’Ontario à la Chambre des communes, au sein du Conseil des ministres et, ce qui est plus important encore, dans le cabinet du premier ministre. Comme toujours, le Sénat fut relégué au second plan. Les hauts fonctionnaires du Bureau du Conseil privé (BcP ), du ministère de l’Industrie et du ministère des Affaires étrangères firent front commun pour s’opposer au projet. Les fonctionnaires du ministère de l’Industrie craignaient que le projet ne nuise au fabricant canadien General Motors. Ceux du BcP et des Affaires étrangères alléguaient que le projet risquerait de «  compromettre la politique étrangère du Canada si Thyssen vendait des véhicules militaires à des régions instables comme le Moyen-Orient ». Robert Fowler, alors un haut fonctionnaire du BcP , expliqua : « En fin de

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compte, il s’agit d’un choix moral, d’une question de principe, d’une décision de ne pas construire un étalage dans le bazar des armes du Moyen-Orient20. » Le projet ne se rendit jamais plus loin que l’étape des pourparlers à Ottawa. Faisons maintenant un bond en avant jusqu’en 2015. Pour quelque raison, les choix moraux, les questions de principe et la crainte de construire un étalage dans le bazar des armes du Moyen-Orient ont été balancés par la fenêtre. Le gouvernement du Canada a donné son aval à une entente concernant la vente de véhicules blindés légers fabriqués au Canada à l’Arabie saoudite, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars. L’entente a été approuvée par la Corporation commerciale canadienne, un organisme du gouvernement fédéral, en appui à l’entreprise General Dynamics Land Systems Canada de London, en Ontario. Le gouvernement fédéral a refusé de rendre publiques les exigences contenues dans l’entente, soulignant qu’il devait protéger la confidentialité du contrat de General Dynamics Land Systems Canada21. Des courriels du ministère des Affaires étrangères ont révélé que celui-ci n’a émis aucun signal d’alarme au sujet de l’entente proposée et que «  General Dynamics n’a rien à craindre concernant l’approbation officielle de ses permis d’exportation ». Le Globe and Mail a expliqué  : «  La vente par General Dynamics de véhicules blindés légers au gouvernement saoudien aidera à maintenir plus de 3 000 emplois au Canada, dont de nombreux à London, en Ontario, où se trouve l’usine. Il y a 10  circonscriptions électorales dans la région de London, dont plusieurs sont détenues par des conservateurs, et les conservateurs sont déterminés à conserver ce bastion lors des élections d’octobre22. » Le gouvernement fédéral a refusé de «  divulguer comment il justifiait cette vente importante à l’Arabie saoudite dans le cadre du rigoureux régime canadien de contrôle des exportations », étant donné que « les règles obligent Ottawa à examiner si les expéditions d’armes mettraient encore davantage en danger les populations civiles de pays qui respectent peu les droits de la personne23 ». Le gouvernement nouvellement élu de Justin Trudeau a eu la possibilité d’annuler le contrat peu après son arrivée au pouvoir. Son ministère maintenant appelé des Affaires mondiales a la responsabilité de vérifier les demandes d’exportation de matériel militaire vers des pays « où les droits de la personne de leurs citoyens font l’objet de violations graves et répétées de la part du gouvernement24 ».

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Stéphane Dion, le ministre responsable, a déclaré que le gouvernement n’avait pas l’intention de remettre en question le contrat25. Des dirigeants politiques et des chefs d’entreprise de London se sont portés à la défense du contrat avec l’Arabie saoudite, en affirmant avec insistance qu’il est « une composante essentielle des efforts de la région pour devenir une plaque tournante de la fabrication de matériel de défense26 ». Encore une fois, aucun ministre fédéral ni aucun haut fonctionnaire n’a parlé de « choix moral » ou de « construire un étalage dans le bazar des armes du Moyen-Orient ». Pas une seule fois le Sénat n’a demandé au gouvernement pourquoi il pratiquait une politique de deux poids, deux mesures. La controverse entourant le contrat de vente d’armes à l’Arabie saoudite négocié par le précédent gouvernement Harper a continué de talonner le gouvernement de Justin Trudeau pendant des mois. Les Nations Unies ont rendu public un rapport documentant les violations des droits de la personne en Arabie saoudite27. Stéphane Dion, le ministre des Affaires étrangères, a qualifié de « terrible » le bilan de l’Arabie saoudite en matière de droits de la personne28. Peu importe, le gouvernement a annoncé que le contrat serait exclu du Traité international sur le commerce des armes, une pratique courante pour les pays signataires du traité, et a refusé d’en démordre29. Le Globe and Mail a expliqué pourquoi  : «  L’entente de 15  milliards de dollars permettra de maintenir en emploi 3 000 Canadiens pendant 14 ans, dont beaucoup dans le Sud-Ouest de l’Ontario30. » Le journal a ajouté dans un éditorial subséquent que l’annulation du contrat serait un geste futile simplement parce qu’un autre pays fournirait les véhicules de combat31. Ce raisonnement, semble-t-il, ne s’applique qu’à l’Ontario, pas aux autres régions. Il a été révélé, au début de 2020, que le Canada avait vendu une quantité record de matériel militaire à l’Arabie saoudite en 2019, d’une valeur de 2,2 milliards de dollars (américains). La majeure proportion des exportations faisait partie de l’entente de 14,8 milliards de dollars (canadiens) portant sur les véhicules blindés légers. Plusieurs groupes de défense des droits de la personne, des universitaires et des conseillers en matière de politiques ont réclamé que le gouvernement Trudeau annule le contrat de vente conclu avec l’Arabie saoudite, à l’exemple de l’Allemagne et de la Suède. Leurs appels sont tombés dans l’oreille d’un sourd32. En septembre 2021, un groupe d’experts des Nations Unies a inclus le Canada parmi une liste de cinq pays qui contribuent à alimenter la

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guerre au Yémen. Le Canada a vendu du matériel de défense d’une valeur de plus de 1,3 milliard de dollars à l’Arabie saoudite, surtout des véhicules blindés munis de mitrailleuses ou de canons. Cet équipement était compris dans l’entente de 15 milliards de dollars sur la vente de véhicules de combat à l’Arabie saoudite, qui est directement impliquée dans la guerre au Yémen depuis 2015, où elle dirige l’offensive contre les rebelles houthis soutenus par l’Iran33. Les politiques nationales et les institutions politiques et administratives nationales du Canada ont joué un rôle central dans la croissance économique de l’Ontario. Lorsqu’il se rapporte aux politiques et aux programmes, l’adjectif « national » signifie invariablement les intérêts économiques de l’Ontario, de la même façon que « l’unité nationale » désigne les intérêts du Québec. Les grands décideurs à Ottawa, que ce soit au niveau politique ou bureaucratique, n’y voient rien de mal. Ils estiment que c’est nécessaire pour soutenir l’essor du pays et résister à l’attraction économique des États-Unis. Ils considèrent que l’Ontario possède un avantage sur les autres régions lorsqu’il s’agit de bâtir un secteur manufacturier concurrentiel. Si on refuse de le reconnaître, croient-ils, toutes les régions du Canada, y compris l’Ontario, risquent de devenir de simples succursales de l’économie américaine. C’est la raison pour laquelle Ottawa se fait une obligation de protéger la position économique prépondérante de l’Ontario dans le secteur manufacturier et celui de la recherche et développement, en décourageant et, dans certains cas, en empêchant les projets de développement économique dans d’autres régions. Le défi pour la province est de protéger sa position économique dans la Confédération et, en ce sens, l’Ontario est devenu à la fois une victime et un bénéficiaire des politiques nationales qui favorisent depuis longtemps sa croissance. On peut légitimement affirmer que l’Ontario a été tout aussi dépendant des politiques publiques nationales et de son influence politique à Ottawa pour promouvoir sa position économique au Canada, que les trois provinces maritimes ont été dépendantes des paiements de transfert fédéraux. Ces derniers suscitent davantage l’attention des médias de sorte que les victimes sont alors plus visibles. L’Ontario a une raison de se voir comme une victime et il veut protéger sa position de chef de meute dans la fédération canadienne. Il fait valoir que son économie joue un rôle crucial dans l’économie nationale et qu’elle doit être protégée contre un gouvernement

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fédéral trop généreux qui offre un large éventail de paiements de transfert aux provinces et aux particuliers. L’Ontario allègue également que la province joue un rôle important dans l’expression de l’identité canadienne et que, pour ce faire, elle a besoin d’une économie solide. Pour sa part, le Québec a fait valoir qu’Ottawa devait accorder un contrat de construction de navires à une entreprise de la province dans le cadre de son programme de construction navale au nom de l’équité et de l’unité nationale, même si elle avait perdu le contrat lors d’un appel d’offres concurrentiel. Le Québec avait le nombre suffisant de députés aux Communes pour faire accepter sa demande. L’Ontario a fait valoir la même chose pour s’opposer à la construction d’une usine de fabrication de matériel militaire en Nouvelle-Écosse. Les raisons avancées par Ottawa pour refuser le projet à la Nouvelle-Écosse ne s’appliquent pas lorsqu’il est question de l’Ontario. Comme le Québec, l’Ontario avait le nombre suffisant de députés à Ottawa et la présence nécessaire dans les échelons supérieurs de la fonction publique pour faire accepter sa demande.

é v It e r qUe l a P o Ul e a Ux œ U fS d’or Ne d e v IeN N e U Ne v I ct Ime L’Ontario croit que la province est la poule aux œufs d’or du Canada et qu’il faut protéger sa position économique contre la concurrence des autres régions. En d’autres mots, l’Ontario craint de devenir victime des demandes d’autres régions. L’ancien premier ministre ontarien Dalton McGuinty a maintes fois mis en garde Ottawa et les autres gouvernements provinciaux contre l’octroi de nouveaux fonds aux provinces moins bien nanties : « Il est très important que les provinces comprennent qu’elles doivent protéger la poule aux œufs d’or. Si le gouvernement fédéral dispose de fonds accrus, nous préférerions qu’ils soient distribués de façon à en faire profiter tout le monde, notamment en soutenant l’éducation postsecondaire dans la province de l’Ontario, ce qui aide à renforcer notre économie et améliore notre capacité de contribuer aux coffres de l’État fédéral34. » McGuinty n’a jamais demandé comment l’Ontario était devenu la poule aux œufs d’or du Canada ou comment les politiques d’Ottawa avaient favorisé le développement économique de sa province comparativement à celui des provinces de l’Atlantique et de l’Ouest. L’appel à un régime fiscal équitable lancé par l’Ontario fait fi de

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l’histoire pour se concentrer exclusivement sur l’allocation actuelle des paiements de transfert par Ottawa35. La province réclame, au nom de l’équité, que les transferts soient calculés selon le nombre d’habitants. Son appel s’arrête toutefois aux paiements de transfert; il ne va pas jusqu’à inclure un examen des dépenses en R-D d’Ottawa, des retombées positives que la Politique nationale d’Ottawa a entraînées en Ontario sous forme d’investissements en appui à l’effort de guerre, et des investissements historiques réalisés dans les canaux, l’industrie automobile et le secteur de la haute technologie de l’Ontario. Nous avons vu plus tôt que les tarifs imposés lors de la mise en œuvre de la Politique nationale se traduisaient par une subvention annuelle de 15,15  $ par personne en Ontario, mais par un coût annuel de 11,67 $ par personne en Nouvelle-Écosse et de 28,16 $ en Saskatchewan. L’Ontario n’en a jamais fait mention dans les arguments avancés pour appuyer un « régime fiscal équitable ».36 McGuinty n’a jamais non plus évoqué le fait que les provinces maritimes ont beaucoup investi dans l’éducation secondaire, pour ensuite voir un grand nombre de leurs diplômés déménager en Ontario afin d’y trouver du travail. Cela aussi contribue à renforcer l’économie de l’Ontario. Quand le temps est venu, cependant, McGuinty ne s’est pas gêné pour lancer une campagne très médiatisée en vue d’obtenir une plus grande part des transferts fédéraux pour l’Ontario, notamment dans le cadre des programmes fédéraux à frais partagés. Lui et le ministre des Finances de l’époque, Jim Flaherty, ont remporté une bataille en ce sens dans le cas des transferts en matière de soins de santé en 201237. Étant donné le mode de fonctionnement des institutions politiques du Canada, il a toujours été facile pour l’Ontario d’obtenir ce qu’il veut chaque fois qu’Ottawa prend des décisions dans «  l’intérêt national ». C’est encore le cas actuellement. Lorsque la covId -19 a frappé le Canada, il a fallu déterminer la meilleure façon de distribuer les vaccins. Il était clair dès les premiers jours que les effets de la covId -19 étaient beaucoup plus graves chez les personnes âgées. Les provinces maritimes ont proposé que la distribution des vaccins tienne compte de la situation démographique de la région, où le vieillissement de la population est plus accentué. Comme par le passé, Ottawa a invoqué le critère du nombre d’habitants pour rejeter cette proposition, ce qui de toute évidence a favorisé les provinces les plus peuplées, à commencer par l’Ontario.

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Les provinces maritimes et Terre-Neuve-et-Labrador ont rapidement imposé des règles de confinement rigoureuses et les ont maintenues en place durant de longues périodes. Le confinement a été éprouvant. Mon épouse et moi, par exemple, n’avons pas pu voir notre fils, qui habite à Halifax, en Nouvelle-Écosse, à seulement 200 kilomètres de chez nous, durant huit mois. Mais la stratégie a fonctionné. Les provinces de l’Atlantique ont connu moins de cas d’infections que les autres régions, même compte tenu du nombre d’habitants. Allison McGeer, une médecin spécialiste des maladies infectieuses au Mount Sinai Hospital de Toronto, explique : « Les provinces de l’Atlantique rapportaient si peu de cas lorsqu’elles ont mis en place les mesures de confinement l’an dernier, qu’elles ont réussi à garder un taux de transmission presque nul, comme l’Australie, Taiwan et Singapour38. » Par contre, le gouvernement de l’Ontario n’a pas si bien géré la pandémie de covId -19. Le Toronto Star a affirmé que la réponse du premier ministre à la pandémie avait été « une comédie d’erreurs » et qu’il avait ouvert l’économie « alors que la science et le bon sens indiquaient qu’il fallait mettre l’économie à l’arrêt39 ». Une majorité des Ontariens, soit 65 %, ont conclu que le gouvernement provincial n’avait pas géré adéquatement la pandémie40. L’Ontario était luimême à l’origine du problème, du moins en partie, et la distribution des vaccins en fonction du nombre d’habitants n’a pas été suffisante pour lui permettre de gérer la pandémie. Bientôt, le gouvernement de l’Ontario a demandé si Ottawa pouvait rediriger vers sa province des vaccins destinés aux provinces de l’Atlantique. Un médecin ontarien a fait valoir : « Je connais des villes du Canada où le nombre de patients hospitalisés est plus élevé que le nombre de patients atteints de la covId -19 dans toutes les provinces de l’Atlantique. Celles-ci ont des soins de santé fonctionnels, elles sont coupées du reste du Canada. C’est très bien, cela fonctionne pour vous, mais laissez-nous avoir les doses; donnez-les au reste du Canada, qui souffre41. » L’ancienne ministre fédérale de premier plan Sheila Copps a réclamé un déploiement « national » des vaccins, demandant pourquoi le système proportionnel par habitant était inviolable42. L’Ontario avait besoin d’une aide spéciale qui allait au-delà de ce que la province avait toujours prôné en toutes choses, soit une allocation des vaccins en fonction du nombre d’habitants. L’Ontario est donc devenu une victime. Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a demandé qu’on réachemine en Ontario des vaccins du Canada atlantique et il s’est tourné vers le premier ministre Justin Trudeau pour obtenir un coup

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de main. Trudeau a indiqué sur Twitter qu’il s’était adressé aux provinces de l’Atlantique pour leur demander comment elles pourraient venir en aide à l’Ontario. Il a soulevé l’idée de rediriger vers l’Ontario des vaccins livrés aux provinces de l’Atlantique, mais il s’est buté à une forte résistance. Le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Iain Rankin, a répondu que la Nouvelle-Écosse « n’envisagerait probablement pas d’envoyer un stock de vaccins tant que la province de l’Ontario ne mettra pas en place des mesures de santé publique plus contraignantes43 ». Ottawa a déployé des militaires en Ontario pour aider la province à faire face à la pandémie44.

l ’ oN t a r Io   : vI ct I me de la d o m IN a t I oN a m érI caI Ne J’ai participé en 1986 à une table ronde à Ottawa consacrée à l’examen du projet d’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Tom Courchene, un économiste très respecté de l’Université Queen’s, y participait également. Tom est un bon ami avec qui j’ai collaboré à plusieurs projets de recherche dans le passé. Il est bien connu pour ses points de vue sur les programmes gouvernementaux ambitieux visant à promouvoir le développement économique régional. Non seulement ses ouvrages sont abondamment cités, mais ils continuent d’avoir une grande influence chez les décideurs à Ottawa. Courchene exprima des réserves lors de la table ronde au sujet de l’accord proposé, dont l’objectif était d’ouvrir les économies américaine et canadienne et d’imposer certaines limites sur la capacité d’intervention de l’État dans l’économie. Courchene affirmait que l’adoption de l’accord risquait de mener à la «  maritimisation de l’économie ontarienne  ». Il faisait valoir que si l’on supprimait les exigences relatives à la localisation des activités économiques, les entreprises américaines n’auraient alors plus aucune raison d’établir des succursales en Ontario ou d’y maintenir d’autres activités qu’une force de vente pour servir le marché canadien. J’ai été frappé de voir que, du point de vue des politiques publiques, une maritimisation de l’économie était en quelque sorte acceptable dans les Maritimes, mais pas en Ontario. Autrement dit, il était inacceptable que le gouvernement intervienne pour promouvoir le développement économique d’une région, mais il était tout à fait acceptable qu’il intervienne pour promouvoir les intérêts économiques de l’Ontario. Pourquoi deux poids, deux mesures?

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Je rappelle que le gouvernement de l’Ontario s’opposa à l’accord de libre-échange canado-américain. Il alla même jusqu’à menacer de porter la question devant les tribunaux45. Pourtant, l’Ontario avait appuyé vigoureusement le Pacte de l’automobile de 1968 entre le Canada et les États-Unis. Comme le Globe and Mail l’explique  : «  le Pacte de l’automobile les a forcés (les constructeurs automobiles) à s’installer au Canada... L’avantage concurrentiel de l’Ontario dans l’industrie de l’automobile est maintenant bien connu, mais cet avantage n’aurait jamais existé sans le Pacte de l’automobile46. » Le Pacte de l’automobile visait à avantager l’Ontario, alors que l’accord de libre-échange allait ouvrir l’économie nord-américaine à toutes les régions du Canada. Mais ce qui était bon pour l’un ne l’était pas pour l’autre. Voici comment l’ancien premier ministre du Canada et ancien chef du Parti libéral John Turner résuma la situation  : «  Le Canada, affirma-t-il, a été bâti sur une infrastructure conçue expressément pour résister à la pression continentale exercée par les États-Unis47.  » Il ajouta qu’un accord de libre-échange avec les États-Unis «  ferait de nous une simple colonie des ÉtatsUnis  ». L’ancien premier ministre Pierre E.  Trudeau s’opposa lui aussi à l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis. Par contre, les premiers ministres des Maritimes, notamment le premier ministre libéral Frank McKenna du Nouveau-Brunswick, et ceux de l’Ouest, dont Don Getty, de l’Alberta, appuyaient vigoureusement le projet d’accord de libre-échange canado-américain. Les exemples qui précèdent mettent en lumière le fait que l’Ontario n’a jamais hésité à user de son influence politique énorme à Ottawa pour promouvoir ses intérêts économiques. Il a beau jeu puisqu’il compte 121 des 338 sièges à la Chambre des communes. L’Ontario continue de soutenir que des politiques nationales solides, toujours avantageuses pour les deux provinces du Centre, sont nécessaires pour que le Canada ne devienne pas une victime des États-Unis.

l eS é t a tS - U N IS S o Nt à l ’oNtar I o ce q U e l ’oN t a rIo eS t aU x c aN a d aS PérI P hérI q UeS L’Ontario a cherché à définir son identité en évitant d’être victime des États-Unis et en luttant pour se forger une identité différente de celle des Américains. Cette lutte commença lors de l’arrivée des Loyalistes dans le Haut-Canada et se poursuit encore à ce jour. Autant

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la Conquête a eu un effet durable sur la population francophone du Québec, autant la Révolution américaine a eu des répercussions durables sur la population de l’Ontario. Les élites politiques et intellectuelles de l’Ontario ont donné le ton des efforts visant à définir une identité canadienne, en la mettant en contraste avec l’identité américaine. Leur message est resté le même à travers les âges : l’identité canadienne est centrée sur la résistance à l’attraction exercée par le Sud, sur le renforcement d’une économie orientée selon un axe est-ouest et sur l’union d’une population francophone et d’une population anglophone auxquelles se greffèrent d’autres colonies britanniques et qui, au Canada anglais, produisirent de quelque façon un milieu culturel différent de celui qu’on trouve aux États-Unis. C’est ce que John A. Macdonald et George-Étienne Cartier cherchaient à accomplir en 1867. C’est aussi ce qu’a fait valoir Alexander Brady, un ex-président de l’Association canadienne de science politique et politologue très respecté de l’Université de Toronto, en 1964. Il a écrit : « Le Canada impliquait la construction d’une nation continentale capable de survivre aux côtés des États-Unis. La Confédération, qui lui donna naissance, reposait sur deux faits : premièrement, l’accord intervenu entre les Français et les Anglais en vue de remplacer l’union de 1840 par un système qui procurerait une plus grande satisfaction politique aux uns et aux autres et améliorerait leurs perspectives économiques communes; deuxièmement, l’inclusion d’autres territoires de l’Amérique du Nord britannique48.  » Cependant, quatre ans plus tard, Brady a écrit que « le nationalisme est un concept difficile à cerner et le nationalisme canadien est encore plus difficile à cerner que celui associé à la plupart des identités49  ». Les efforts pour définir une identité canadienne se poursuivent, notamment parce que l’identité définie par l’Ontario ne trouve pas écho dans d’autres régions. Je ne connais aucun autre pays qui a eu autant de difficulté que le Canada à se bâtir une image de marque ou une identité nationale. Je ne suis pas le seul. Les historiens et les politologues de l’Ontario et les sièges sociaux des médias nationaux de langue anglaise ont pris les devants dans la définition d’une identité canadienne en la comparant, encore une fois, avec l’identité américaine. Plus exactement, ils ont cherché à définir l’identité du Canada par opposition aux défauts de la société américaine. Des sondages d’opinion révèlent que de nombreux

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Canadiens perçoivent les Américains comme des gens violents, cupides et grossiers50. L’élection de Donald Trump à la présidence en 2016 n’a certainement pas aidé les choses. J.L. Granatstein, l’éminent historien de l’Université York, a retracé l’évolution du sentiment anti-américain au Canada depuis l’arrivée des Loyalistes de l’Empire-Uni, suivie des efforts déployés par les dirigeants de grandes entreprises ontariennes pour garder les concurrents américains hors du Canada, jusqu’à l’essor des nationalistes canadiens dans l’après-guerre sous l’impulsion de l’intelligentsia ontarienne51. D’autres grands historiens canadiens de l’Ontario, en particulier Donald Creighton et W.L. Morton, ont décrit les ÉtatsUnis comme une puissance impériale agressive et déterminée à imposer ses valeurs culturelles au Canada52. Ils ont soutenu que le Canada avait besoin des outils économiques et culturels nécessaires pour y résister. Dans son livre Lament for a Nation, qualifié d’ouvrage marquant sur la politique canadienne, George Grant affirme que le Canada est passé du statut de colonie de la Grande-Bretagne à celui de colonie culturelle des États-Unis53. L’ouvrage de Grant, qui a fait l’objet de commentaires élogieux, a suscité beaucoup plus d’intérêt en Ontario que n’importe où ailleurs au Canada. Alors que le nationalisme était en hausse au Québec dans les années 1960 et 1970, des historiens de l’Ontario exhortaient leurs pairs des autres régions à serrer les rangs et à réitérer leur engagement dans la quête d’une identité nationale. Ramsay Cook affirma aux historiens que le régionalisme, en tant qu’instrument d’analyse, était un concept révolu. Les historiens torontois J.M.S.  Careless, Ramsay Cook, Michael Bliss et J.L.  Granatstein joignirent leurs efforts pour mettre en garde les autres historiens contre le danger d’« ignorer l’expérience nationale54 ». Pour ces historiens, comme pour de nombreux décideurs à Ottawa, l’intérêt de l’Ontario et l’identité ontarienne étaient synonymes de l’intérêt du Canada et de l’identité canadienne. Doug Owram explique pourquoi : « Il y a lieu de souligner que ceci (la centralité de l’histoire intellectuelle de l’Ontario) n’est pas simplement un concept du Canada central mis en avant par des universitaires ontariens. Dans bien des cas, les idées qui ont émergé en Ontario ont défini le caractère national, du moins par leur capacité de se faire entendre à Ottawa. N’en déplaise peut-être aux auteurs des autres régions, mais depuis très longtemps beaucoup considèrent l’identité ontarienne comme étant l’identité canadienne. Les historiens intellectuels

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ont donc le devoir de reconnaître à quel point les thèmes ontariens se sont traduits par des thèmes nationaux55. » Si l’important pour définir l’identité canadienne est la capacité de se faire entendre à Ottawa, alors l’Ontario est aux commandes. Le message que cela envoie aux autres régions  : si vous voulez construire une identité canadienne, adoptez l’identité ontarienne, car vos identités régionales importent peu. P.A. Buckner a touché au cœur de la question lorsqu’il a soutenu que les historiens qui considèrent l’identité ontarienne comme étant l’identité canadienne sont originaires ou résidents de l’Ontario et semblent refuser d’admettre qu’ils sont tout aussi « régionalistes » que leurs collègues de l’extérieur de l’Ontario56. En d’autres mots, les autres régions canadiennes se voient comme des victimes de l’Ontario, tout comme l’Ontario se voit comme une victime des États-Unis. Lorsqu’on considère les travaux de l’élite intellectuelle ontarienne, l’action des décideurs à Ottawa, les opinions formulées par les capitaines d’industrie ontariens au cours des années et les propos tenus par les leaders politiques de l’Ontario lors des négociations sur l’accord de libre-échange avec les États-Unis, on constate sans cesse que l’Ontario estime avoir besoin de protection contre les États-Unis. Les intellectuels de l’Ontario et ses élites politiques et économiques ne voient aucun inconvénient à promouvoir les intérêts de leur province, mais voient d’un mauvais œil que les autres provinces en fassent autant. En conséquence, ils définissent l’intérêt national essentiellement comme un moyen d’empêcher que le pays ne soit victime de la puissante force politique, économique et culturelle de notre voisin du Sud. Ils ont cherché à éviter que nous ne devenions des répliques ou, pire, des partenaires de second ordre des Américains à tous les égards. L’objectif visé était et demeure de rehausser l’image de marque du Canada en montrant que nous ne sommes pas des Américains, que nous sommes différents d’eux sous plusieurs aspects, certains importants, d’autres non. L’opinion que les Canadiens et Canadiennes ont des États-Unis varie selon les régions. Le Canada atlantique est beaucoup plus ouvert aux investissements américains que l’Ontario et le Québec57. On se souviendra qu’Ottawa a créé l’Agence d’examen de l’investissement étranger afin qu’elle évalue les investissements étrangers, en particulier américains. L’Agence a toutefois rencontré de la résistance de la part du milieu des affaires et de certaines provinces

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de l’Ouest et de l’Atlantique. Si l’Ontario trouvait qu’il y avait trop d’investissements américains sur son territoire, les trois provinces maritimes, elles, estimaient qu’il n’y en avait pas assez sur le leur58. Dans leur examen des relations entre le Canada et les États-Unis, Lydia Miljan et Barry Cooper relèvent des différences régionales dans la façon dont les Canadiens voient leur voisin du Sud. Ils écrivent : « Au cœur d’un anti-américanisme mythique et symbolique, il y a ce que Northrop Frye a appelé la “mentalité de garnison”, c’est-àdire une vision générale du monde que les Canadiens vivant dans le bastion loyaliste du Sud de l’Ontario ont entretenue et dans laquelle ils ont cru de façon disproportionnée. D’autres régions du pays, par exemple Terre-Neuve et l’Alberta, présentent des formes de conscience et des mythes bien distincts qui attachent peu d’importance, voire aucune, au sentiment anti-américain59. » Les habitants des Maritimes ont entretenu des liens étroits avec les « États de Boston » ou la Nouvelle-Angleterre, depuis 150 ans. Divers facteurs économiques ont poussé bon nombre d’entre eux à quitter leur région à la recherche de possibilités économiques. Albert J. Kennedy a mis en lumière l’un de ces facteurs  : «  En 1867, la Confédération força la région à se tourner vers la terre et le Centre du Canada pour trouver la voie à suivre, au lieu d’être tournée vers la Grande-Bretagne et vers la mer60. » Quelque 330 000 personnes quittèrent les Maritimes entre 1860 et 1910, dont beaucoup mirent le cap sur Boston, non sur l’Ontario61. Selon Kennedy, dès les années 1880, il y avait à Boston plus de Néo-Brunswickois qu’à Moncton, et plus de Néo-Écossais que dans les villes réunies de Yarmouth, de Pictou et de Sydney62. L’émigration de résidents des Maritimes en NouvelleAngleterre s’est poursuivie jusqu’à récemment. Les universitaires de la région ne se sont pas joints à leurs homologues de l’Ontario pour définir l’identité canadienne en la comparant à l’identité américaine. Les universitaires des Maritimes ont produit un certain nombre d’études en vue d’examiner comment l’accroissement des échanges commerciaux, la contrebande dans la baie de Fundy et l’émigration ont contribué au resserrement des liens entre les provinces maritimes et la Nouvelle-Angleterre63. Je n’ai jamais vraiment détecté de sentiment anti-américain dans ces écrits ou ailleurs dans les provinces maritimes. On peut en dire autant de la façon dont l’Ouest canadien voit ses relations avec les États-Unis. Le gouvernement de l’Alberta explique : « Les États-Unis sont depuis longtemps le plus important partenaire

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commercial bilatéral de l’Alberta. Les États-Unis constituent de loin le plus grand client des exportations de l’Alberta et la source des deux tiers de tous les investissements étrangers dans la province64. » La Saskatchewan compte aussi sur les États-Unis pour faire croître son économie grâce aux échanges commerciaux, et environ 60 % de ses exportations sont destinées aux États-Unis, de loin le principal partenaire commercial de la Saskatchewan. Bien qu’il ne soit pas limité à l’Ontario, le sentiment anti-américain est plus prévalent dans cette province que dans d’autres régions. Charles F. Doran et James Patrick Sewell ont expliqué une raison importante pour laquelle on dénote un sentiment anti-américain au Canada : « D’un point de vue fondamental, le sentiment anti-américain est l’essence même du Canada. La fédération canadienne fut créée peu après ce que certains au Canada considèrent comme la deuxième guerre civile nord-américaine, la première étant la guerre de l’Indépendance, qui donna naissance aux États-Unis. Elle était le résultat d’un effort visant délibérément à créer une société politique distincte des États-Unis tout en répondant aux besoins des deux nations européennes fondatrices. De même, la saga de l’extension du dominion d’un océan à l’autre reflétait l’objectif de protéger le projet canadien contre son voisin et contre le style de vie de son voisin65. » Il a incombé à l’Ontario – ou l’Ontario a pris l’initiative – de définir une identité canadienne; le Québec se fonde sur sa propre histoire, sa culture, sa réalité et ses défis particuliers pour définir son identité; les provinces maritimes cherchent à déterminer la cause de leur sous-développement et à trouver leur place dans la famille canadienne, ce qui inclut tant le milieu des affaires que les écrits provenant de la région, tandis que les provinces de l’Ouest examinent les façons d’assurer une meilleure protection de leurs intérêts politiques et économiques dans le cadre canadien. De son côté, l’Ontario a cherché à promouvoir une identité canadienne en comparant sa propre identité à l’identité américaine et en résistant à l’influence des États-Unis. Je ne peux faire mieux que de citer J.J. McCullough : « Les Canadiens ont peu d’identité propre au-delà de ce qu’il est possible de définir par contraste avec les défauts des Américains66. » Richard Gwyn, un auteur de Toronto, a expliqué dans une allocution prononcée à l’École Munk que les Canadiens repoussent les Américains parce qu’ils sont des « non-Américains ». Il a ajouté  : «  La vérité embarrassante, c’est qu’à peu près toutes les descriptions de l’identité canadienne commencent par la phrase :

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“Les Canadiens ne sont pas des Américains.” Il est exaspérant et déprimant et enrageant de devoir définir notre identité en commençant par ce que nous ne sommes pas. L’une de nos réactions à cette situation a été la recherche incessante de différences entre nous et les Américains67. » Gwyn maintient que la lutte pour définir l’identité canadienne date de l’arrivée des Loyalistes britanniques, avant même la Confédération, et se poursuit encore aujourd’hui. Il conclut en disant : « La vérité, c’est que le sentiment anti-américain a toujours fait partie de l’adN du Canada68. » La vérité, c’est que le sentiment anti-américain fait beaucoup plus partie de l’adN de l’Ontario que de celui de toute autre région du Canada. L’objectif est de contrecarrer la domination des États-Unis, tant culturelle qu’économique. Non seulement les États-Unis sont dotés de matériel militaire puissant, mais également ils exercent un pouvoir discret considérable par l’intermédiaire de leur musique, de leur industrie cinématographique, d’Internet, des médias sociaux, de la diffusion d’information par câble, et ainsi de suite, qui ont tous une influence sur nos modes de pensée et sur nos façons de faire. Lors de la Confédération et lors de l’adoption par Ottawa de la Politique nationale, à la fin des années 1870, il fut décidé que la lutte contre la domination économique des États-Unis exigeait un « effort national  ». Cette décision s’applique encore à l’heure actuelle, quoiqu’elle ait pris des formes différentes. L’Ontario et les décideurs à Ottawa présentent leurs politiques comme étant nécessaires pour créer un espace économique distinct et concurrentiel. En somme, la meilleure façon d’empêcher que le Canada ne devienne une victime de la domination économique des États-Unis est d’adopter des politiques nationales. On soutient que ces politiques sont nécessaires, même si elles sont peut-être centrées sur l’Ontario. Il est impératif que les politiques soient centrées sur l’Ontario parce que, sans une économie nationale forte, le Canada serait encore plus sous la domination des États-Unis qu’il ne l’est présentement. Le Canada deviendrait alors un prolongement des États-Unis. Si cela devait se produire, Toronto «  serait comme Rochester, Buffalo ou Cleveland. Dans un continent où il n’y aurait qu’un seul pays, il serait impossible qu’une ville comme Toronto puisse exister sur la rive nord du lac Ontario; aucune raison économique ou autre ne le justifierait69. » Du point de vue des Maritimes, si le Canada n’existait plus, Halifax serait encore Halifax, quoique la ville serait probablement

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plus grande. On peut facilement supposer que les États-Unis en feraient une base militaire beaucoup plus importante qu’elle ne l’est présentement. On se souviendra que c’est précisément ce que l’Armée américaine avait suggéré aux décideurs canadiens pendant la Seconde Guerre mondiale. Je m’empresse d’ajouter cependant que, pour la grande majorité des résidents et résidentes des provinces maritimes, le Canada n’est pas simplement une question de gagnants et de perdants de l’économie. L’objectif d’être des « non-Américains » est profondément ancré en Ontario, davantage que dans les autres régions, où l’on craint que les Canadiens ne deviennent Américains sans s’en rendre compte70. Les revues, les périodiques et les journaux, la plupart de Toronto, regorgent d’articles qui soulignent les diverses façons dont les ÉtatsUnis représentent une menace pour le Canada71. William M. Baker va plus loin en affirmant que l’historien de renom Donald Creighton de l’Université de Toronto «  a gonflé le chœur des anti-américains par ses écrits, qui ont atteint un sommet avec Canada’s First Century72  ». Certains estiment que le désir d’être des non-Américains continue d’alimenter l’identité canadienne et que c’est très bien ainsi; le Pakistan, par exemple, est le Pakistan parce qu’il ne veut pas être l’Inde. D’autres croient toutefois que le Canada pousse trop loin le sentiment anti-américain. J.L.  Granatstein estime que le point de vue anti-américain est exagéré. Dans Yankee, Go Home?, il retrace l’évolution du sentiment anti-américain sur deux siècles, depuis l’époque où les Loyalistes de l’Empire-Uni s’enfuirent des États-Unis. Il fait valoir que les « insécurités » du Canada ont nourri et continuent de nourrir le sentiment anti-américain, et que l’anti-américanisme ne sert guère l’intérêt du Canada73. Ces insécurités et la crainte de devenir une victime du rouleau compresseur économique situé au sud de la frontière ont permis à l’Ontario et aux décideurs à Ottawa de concentrer leurs efforts de développement économique sur le Canada central. Ils misent sur le Canada central, persuadés que la meilleure façon d’investir des fonds publics limités destinés au secteur manufacturier ou aux activités de recherche et développement est de les investir en Ontario et au Québec afin d’accroître la capacité du centre du pays de soutenir la concurrence des entreprises américaines. C’est la raison pour laquelle Ottawa juge acceptable de vendre à l’Arabie saoudite des armes produites par un manufacturier ontarien, mais qu’il en est

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autrement quand le manufacturier est situé en Nouvelle-Écosse. On trouve de nombreuses situations de ce genre. Du point de vue d’Ottawa, les provinces de l’Ouest et de l’Atlantique devraient explorer les débouchés économiques qu’offrent les secteurs des pêches, de la foresterie et d’autres ressources naturelles, le secteur pétrolier et gazier et le tourisme, et laisser à peu près tout le reste au Centre du Canada. Rappelons que, dans les années 1960, le gouvernement du Canada décida de participer pleinement aux efforts de développement international. Le Canada dut partir de zéro à une époque où le pays comptait peu d’entreprises actives dans le développement international. Ottawa décida d’encourager des entreprises en démarrage situées à proximité, en Ontario et au Québec, en leur accordant des contrats non sollicités. Quelques années plus tard, des entreprises de l’Ouest et du Canada atlantique frappèrent à la porte d’Ottawa en vue de participer au secteur en plein essor. Elles eurent un succès limité  : Ottawa leur répondit qu’elles n’avaient aucune expérience dans le secteur. Les entreprises du Canada central non plus n’avaient pas d’expérience dans le secteur avant les années 1960. Toutefois, leur proximité d’Ottawa et leur accès plus facile à la classe politique, en raison du nombre de députés et de ministres que comptent l’Ontario et le Québec, leur ont permis de profiter de nouvelles possibilités économiques. Selon les provinces de l’Ouest et de l’Atlantique, le processus n’est guère plus qu’un cercle vicieux où l’histoire ne fait que se répéter. En connaissance de cause ou non, l’Ontario joue la carte de la victime quand il dit à Ottawa qu’il exerce le rôle principal dans la définition de l’identité canadienne et que, pour ce faire, il a besoin de politiques nationales qui correspondent à ses intérêts. La province dit également à Ottawa d’exercer un contrôle rigoureux sur les paiements de transfert fédéraux aux autres provinces et aux particuliers de crainte de tuer la poule aux œufs d’or. L’Ontario continue d’occuper une position privilégiée à Ottawa. Les décisions cruciales sont prises par le premier ministre, ses principaux conseillers, une poignée de ministres influents et les hauts-fonctionnaires en poste dans la région de la capitale nationale. Ils et elles savent que le pouvoir politique à Ottawa repose sur le nombre de sièges que détiennent l’Ontario et le Québec à la Chambre des communes. Le reste importe peu quand il s’agit de déterminer qui peut exercer le pouvoir à Ottawa.

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Le parti pris implicite pour l’Ontario est évident aux yeux de tous. Le Québec compte sur le nombre de ses députés aux Communes pour protéger l’identité québécoise et l’intérêt économique de la province. L’Ontario compte sur le nombre de ses députés aux Communes pour promouvoir et protéger une identité canadienne contre l’influence omniprésente des États-Unis. Les deux provinces se considèrent comme des victimes : le Québec comme une victime du Canada et de son histoire depuis la Conquête, et l’Ontario comme une victime de l’influence des États-Unis depuis la Révolution américaine et l’arrivée des Loyalistes de l’Empire-Uni. Le gouvernement fédéral a répondu à leur appel. Ottawa est intervenu à maintes reprises pour renforcer l’économie ontarienne afin qu’elle serve de rempart contre les influences économiques américaines, et pour promouvoir une identité « nationale » canadienne. La crainte, c’est que, s’il n’intervient pas, l’Ontario – et, par extension, tout le Canada – ne devienne une victime de la domination américaine. L’objectif est que les Canadiens ne deviennent pas des Américains, et l’Ontario montre la voie à suivre à cet égard.

6 Les peuples autochtones : les véritables victimes du Canada

J’ai passé la majeure partie de ma carrière dans le milieu universitaire, n’ayant prêté mes services au gouvernement qu’à quelques reprises. Comme je sais manier les mots, j’ai essayé de trouver un terme pour décrire la façon dont les non-Autochtones ont traité les peuples autochtones du Canada au cours des âges. J’ai pensé à  : racisme institutionnalisé, déshumanisation, sectarisme, génocide, injustice, intolérance, ignorance, nettoyage ethnique, cruauté, extermination d’une race... Je n’arrivais pas à en choisir un seul. Ce chapitre peut à peine constituer un point de départ pour documenter l’histoire pénible des peuples autochtones du Canada. Heureusement, de plus en plus d’études se penchent sur la question. Le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, en cinq volumes, offre un excellent survol de cette histoire. De nombreuses autres publications jettent un éclairage sur le sujet1. Je souligne que les termes «  peuples autochtones  » et «  peuples indigènes » sont souvent utilisés de façon interchangeable. L’article 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada établit que le terme « peuples autochtones » s’entend « des Indiens, des Inuit et des Métis ». Dans le contexte international, on fait souvent référence aux peuples autochtones notamment parce que l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2007. Je préfère aussi le terme « peuples autochtones », que j’emploie beaucoup plus souvent que « peuples indigènes ». La plupart des membres des Premières Nations sont « des Indiens inscrits ou des Indiens visés par un traité qui sont inscrits dans leur réserve, leur bande ou leur communauté2 ». Je suis

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bien conscient de la réalité des Métis et des Inuits du Canada, mais je m’intéresse ici particulièrement aux Premières Nations. Quand j’étais enfant à Saint-Maurice, je me rappelle avoir vu au bout du chemin deux femmes mi’kmaq qui venaient vers notre village pendant l’été pour vendre des paniers tissés à la main. Elles venaient à pied de la Première Nation d’Elsipogtog (autrefois la Réserve de Big Cove), distante d’environ 30 kilomètres. Il leur fallait marcher longtemps, en pleine chaleur de l’été, pour venir vendre leurs paniers. Beaucoup à Saint-Maurice achetaient des paniers. Ceux-ci étaient de bonne qualité, mais je soupçonne que ce n’était pas la seule raison pour laquelle ils se vendaient bien. On racontait dans le village que si les familles n’achetaient pas de paniers, les Autochtones allaient utiliser leurs pouvoirs spéciaux pour attirer la malédiction sur leur maison, leurs proches, leurs animaux ou sur des personnes du village, leur causant des torts sérieux. Je sais que certains résidents de Saint-Maurice prêtaient vraiment foi à cette croyance. Je sais aussi que les contacts étaient rares entre les Mi’kmaq et les résidents de SaintMaurice et se limitaient essentiellement aux moments où ils venaient au village pour vendre leurs paniers ou demander de la nourriture. Je me rappelle également qu’à la même époque nous allions voir des parties de hockey entre des joueurs de ma paroisse et des joueurs mi’kmaq d’Elsipogtog. Je sais qu’on prévenait toujours les joueurs de notre camp de bien se préparer parce qu’ils allaient affronter « les Sauvages » qui, disait-on, ne manquaient jamais de porter des coups bas. Avec le recul, non seulement je dois bien reconnaître, mais aussi j’ai grande honte à le dire, qu’en fait les joueurs de notre camp étaient probablement ceux qui donnaient les coups les plus bas. De plus, si quelqu’un me traitait de sauvage, je serais très tenté de donner des coups bas. Je suppose que de telles situations ne se produisaient pas uniquement à Saint-Maurice, qu’elles se répétaient probablement dans de nombreuses localités un peu partout au Canada. J’ai appris plus tard que, en raison de notre histoire et de notre religion catholique communes, les Acadiens ne sont pas allés aussi loin que les anglophones dans leur condamnation de la prétendue sorcellerie chez les Autochtones3. Je n’ose imaginer comment les peuples autochtones ont été traités par les non-Acadiens, étant donné la façon dont ils étaient traités dans mon village.

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Elsipogtog était déclarée zone interdite pour les gens de ma génération. On nous disait de ne jamais mettre les pieds dans cet endroit parce que « les Sauvages » buvaient, qu’ils supportaient mal l’alcool, qu’ils devenaient facilement violents et qu’il ne fallait jamais leur faire confiance. Quand on regardait des films western à la télévision, les Indiens étaient toujours les méchants et ils étaient toujours perdants. Si quelqu’un cherche une définition du racisme, il n’a pas besoin de regarder plus loin. Ce n’est qu’au début de la trentaine que j’ai visité Elsipogtog pour la première fois, ce qui m’a ouvert les yeux. J’y ai vu de la pauvreté, des maisons mal entretenues, des véhicules abandonnés et des pelouses non tondues. J’ai visité la localité récemment et j’ai le plaisir de souligner qu’elle a bien plus fière allure qu’autrefois. Il y existe maintenant un sentiment de fierté communautaire. On y voit également des signes évidents qu’Elsipogtog participe à l’économie et fait des progrès remarquables en matière de développement communautaire. Beaucoup de Canadiens et Canadiennes étaient, comme moi, ou sont encore hésitants à se rendre dans une collectivité des Premières Nations. Dans un récent sondage réalisé auprès d’un échantillon où les régions à forte population autochtone étaient délibérément surreprésentées, 40 % des répondants ont indiqué n’être jamais allés dans une collectivité des Premières Nations et 32 % ont dit n’avoir fait que traverser une collectivité des Premières Nations sans s’arrêter pour la visiter. Seulement 4  % des Canadiens et Canadiennes ont passé beaucoup de temps sur le territoire d’une Première Nation et seulement 8  % ont déclaré qu’ils avaient une bonne connaissance des questions autochtones4. Si j’étais un Autochtone, j’éprouverais beaucoup de colère, d’amertume et de rancune. Dès ses débuts, le Canada n’aurait pas pu gérer ses relations avec les peuples autochtones plus mal qu’il ne l’a fait. Les peuples autochtones, plus que toute autre communauté, ont été victimes de politiques publiques malavisées. Si on remonte dans l’histoire, on constate que nous, les non-Autochtones, avons collectivement fait d’eux des victimes. Je comprends qu’il est difficile de porter un jugement sur l’histoire avec notre regard actuel mais, quel que soit le point de vue qu’on adopte, le Canada a trop souvent agi de façon inhumaine dans ses relations avec les peuples autochtones du pays. Les personnes qui croient que les torts causés appartiennent aux livres d’histoire et que les coupables

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ne devraient pas être tenus pour responsables devraient y réfléchir à nouveau, puis se demander si aujourd’hui elles appuient la reconnaissance des droits des Autochtones. Ce qui est d’autant plus remarquable, c’est que plusieurs Premières Nations ont réussi contre toute attente à surmonter leur condition de victimes, comme nous le verrons. Le Canada est loin d’avoir aidé les peuples autochtones à assurer l’essor de leurs communautés. Tous les Canadiens et Canadiennes doivent réfléchir aux mots de Richard Wagamese dans Jeu blanc (Indian Horse en version originale anglaise) et se demander comment ils peuvent aider en ce sens : « Quand on t’arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d’où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C’est l’enfer sur terre, cette impression d’être indigne. C’était ce qu’ils nous infligeaient5. » Ce « ils » comprend l’histoire du Canada, nos ancêtres et nous-mêmes.

Se Pe Nc h e r S U r l’h I S to Ire Il est tout simplement impossible d’exagérer l’ignorance des premiers Européens et les préjugés qu’ils avaient envers les peuples autochtones à leur arrivée en Amérique du Nord. Ils considéraient qu’ils étaient «  sauvages  », qu’ils n’étaient pas «  civilisés  » et pas «  productifs  », car ils n’avaient aucune institution propre qui soit en mesure de diriger leurs communautés. Les colons européens croyaient en fait se trouver en terra nullius, c’est-à-dire sur une terre qui n’appartenait à personne, ce qui leur servit de justification pour en prendre possession. Ils y établirent de nouvelles structures de gouvernance en faisant valoir que tout ce qu’il y avait sur ce territoire, c’était « des animaux »6. Comme chacun le sait, les Européens propagèrent parmi les populations autochtones des maladies contre lesquelles elles n’avaient aucune immunité, y compris les virus de la variole, de la rougeole et de l’influenza. Trop souvent, hélas, des communautés entières furent décimées7. L’un des principaux obstacles à l’amélioration des relations entre Autochtones et allochtones est la méconnaissance que la plupart des Canadiens et Canadiennes ont de l’histoire des Premières Nations de notre pays et de leurs luttes difficiles depuis l’arrivée des premiers Européens en Amérique du Nord. Les historiens ne trouvaient pas

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grand-chose à dire au sujet des peuples autochtones jusque dans les années  1980, si ce n’est de raconter comment les puissances coloniales purent exercer un contrôle sur « les Indiens »8. Beaucoup parmi les colons européens n’auraient pas survécu, surtout dans les premières années, sans l’aide des populations autochtones. Peu importe, les Européens ne tardèrent pas à exercer leur souveraineté politique sur les Premières Nations. Les Autochtones, croyaient-ils, ne faisaient qu’errer sur le territoire et étaient dépourvus de toute règle gouvernementale ou de toute organisation capable d’administrer leurs terres et leurs communautés, ou permettant de tenir qui que ce soit pour responsable. Ce que les Européens ne comprenaient pas, c’est que les Premières Nations fonctionnaient comme des nations indépendantes et avaient leurs propres institutions, leurs propres lois et leurs coutumes particulières, qui étaient adaptées à leur réalité et à leur environnement, mais qui n’auraient pas fonctionné dans le contexte européen9. Les puissances coloniales décidèrent de prendre le contrôle du territoire autochtone et d’y imposer leurs lois et leur structure gouvernementale. Elles établirent un système de «  réserves  » afin de gérer – ou plutôt de contrôler – les populations autochtones. La mise en place d’un tel système était pratique courante parmi les puissances coloniales lorsqu’elles devaient composer avec des populations déplacées qui faisaient obstacle aux colons européens en Afrique et en Amérique du Nord. Dans le cas du Canada, certains groupes autochtones furent obligés d’abandonner le mode de vie nomade qu’ils pratiquaient depuis longtemps, pour s’installer dans des réserves. Les réserves donnaient également aux Européens un moyen d’inculquer une éducation religieuse aux peuples autochtones et d’accélérer leur assimilation à la culture européenne. Les autorités britanniques cherchèrent à faire valoir que les réserves offraient aux Autochtones un environnement sûr. On ignore exactement contre qui il fallait protéger les Autochtones étant donné qu’ils n’avaient pas besoin de réserves avant l’arrivée des Européens. Bref, les réserves étaient beaucoup plus avantageuses pour les Européens que pour les Autochtones. Tout d’abord, elles permettaient de libérer des terres où les colons européens pouvaient pratiquer l’agriculture et fonder des villages. Il était facile pour les colons européens d’obtenir des terres. Bien souvent, ils décidaient simplement d’en prendre possession, ne rencontrant que peu ou pas d’opposition. Dans d’autres cas, pour faire l’acquisition de terres, ils

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rédigeaient des accords ou des traités dans un langage qui n’était pas familier aux Autochtones. En conséquence, les peuples autochtones ne reçurent que des sommes très modestes en un seul versement ou une petite parcelle de terre dont personne ne voulait10. Les peuples autochtones furent ainsi dépouillés de leurs terres et mis de côté pour laisser la voie libre aux colons européens et à leurs projets politiques et économiques. Tous s’entendent pour dire que les Européens firent preuve de brutalité envers les peuples autochtones au fur et à mesure que la colonisation se poursuivait dans toute l’Amérique du Nord. Les dirigeants politiques qui suivirent, au Canada comme aux États-Unis, n’étaient pas moins brutaux dans les propos qu’ils tenaient sur les peuples indigènes. Teddy Roosevelt affirma : « Je ne vais pas jusqu’à dire que les seuls bons Indiens sont les Indiens morts, mais je crois que c’est vrai pour neuf Indiens sur 10, et je n’aimerais pas me pencher de trop près sur le cas du dixième11. » Comme nous le verrons, les opinions des dirigeants politiques canadiens de la génération de Roosevelt n’étaient pas moins offensantes. Je me suis souvent demandé comment j’aurais agi à l’égard des Autochtones si j’avais été un dirigeant politique ou communautaire au 19e siècle. J’espère seulement que j’aurais été beaucoup plus éclairé que les politiciens ne l’étaient au moment des négociations sur la Confédération. Je me demande aussi comment je me serais senti, si j’avais été un Autochtone, après qu’une commission royale eut appelé les Autochtones à « se libérer de la crainte et de la colère que les insultes et les blessures font naître chez un être humain ou dans une collectivité, et (à) accorder leur pardon aux représentants de la société qui leur a fait du tort12 ». Je comprends que c’est peutêtre la meilleure voie à suivre mais, en ce qui me concerne, ce serait une tâche très difficile. Je connais l’histoire de l’Acadie et je sais que, sans l’assistance de membres de la nation mi’kmaq, mes ancêtres auraient eu beaucoup plus de difficulté qu’ils n’en ont eu, il y a 400 ans, à survivre dans un environnement qui leur était étranger. Je sais aussi que les Mi’kmaq étaient de proches alliés des Acadiens. Des registres font état de mariages entre des Acadiens et des femmes mi’kmaq, surtout dans les premières années de la colonie. C’était une autre époque. De nos jours, les choses sont différentes. On assiste maintenant à des conflits violents entre Acadiens et Mi’kmaq dans le secteur des pêches. On a vu par exemple, à l’automne 2020, que des casiers à

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homards appartenant à des Autochtones ont été coupés, un bateau incendié, des véhicules détruits et une usine de homard rasée par les flammes13. Cet affrontement entre pêcheurs acadiens et mi’kmaq démontre que l’histoire n’est jamais statique. Les relations entre les Canadiens autochtones et non autochtones continuent d’évoluer, mais elles n’ont pas encore joué en faveur des Premières Nations. Je ne risque pas de me tromper en affirmant que le message que les communautés non autochtones ont transmis aux Premières Nations au cours de leurs interactions a été très incohérent et trop souvent négatif.

P U IS vIN t l a c oN fédérat IoN Lorsque les Pères de la Confédération entreprirent en 1864 de créer un nouveau pays, le règlement du « problème indien » n’était vraiment pas au sommet de leurs priorités. Ils estimaient avoir des questions plus urgentes à régler. Ils se contentèrent d’ajouter, sans guère en débattre lors de la Conférence de Québec, les mots « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » dans un paragraphe de l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et ils en confièrent la responsabilité au gouvernement fédéral, de sorte que la question autochtone devint clairement le « problème d’Ottawa » aux yeux des gouvernements provinciaux. Personne en position d’influence n’était intéressé à corriger les failles de la relation entre Autochtones et non-Autochtones. D’une part, aucun représentant des Premières Nations n’était présent aux négociations. D’autre part, absolument rien n’indique que les Pères de la Confédération aient été le moindrement intéressés à explorer le rôle que les peuples autochtones pourraient jouer dans l’essor du Canada ou le meilleur moyen d’encourager leur participation au sein des institutions politiques du pays. Les Autochtones étaient perçus comme un problème persistant auquel il fallait remédier de quelque façon pour permettre aux Pères de la Confédération de continuer à bâtir un pays destiné à des Européens blancs. La façon de traiter le problème fut de maintenir le statu quo. On allait garder le cap sur les objectifs fondamentaux de protection et d’assimilation établis par la politique coloniale d’avant la Confédération. Il importe de souligner que les Autochtones furent complètement écartés des conférences de Charlottetown, de Québec et de Londres, si inconcevable que cela puisse paraître de nos jours14.

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L’Encyclopédie canadienne va plus loin et soutient qu’ils ont été « complètement absents de la vie publique15 ». Lors de la Conférence de Charlottetown, en 1864, George Brown, l’un des quatre principaux architectes de la Confédération, déposa un document qui présentait la répartition des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Ce document ne faisait aucune mention des peuples des Premières Nations, et les autres documents préparés par les autres Pères de la Confédération n’étaient pas différents16. Le mieux que les dirigeants politiques du pays purent trouver fut des politiques paternalistes dont les objectifs étaient même parfois contradictoires. Don McCaskill explique  : «  Des missionnaires, des éducateurs, des agents des Indiens, des juges et la police furent envoyés dans les réserves pour faciliter la transition de la sauvagerie à la civilisation. Les Indiens eux-mêmes n’eurent pas grand-chose à dire au sujet du processus, parce qu’ils n’avaient aucune structure politique qui leur aurait permis de fonctionner efficacement17. » Soit les Pères de la Confédération ne voyaient aucune raison de modifier leur approche, soit ils furent incapables de trouver une meilleure solution, soit ils croyaient que la question était sans importance ou, ce qui est peut-être plus important, ils jugeaient que les colons européens profitaient du statu quo. En outre, ce n’était pas dans leur nature de penser que les peuples autochtones pouvaient être de quelque utilité dans l’élaboration des institutions ou qu’ils devaient être inclus comme des égaux dans les négociations. Le gouvernement fédéral s’occupa du «  problème  » en assumant simplement la responsabilité qui incombait auparavant à la Couronne britannique. Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement du Canada l’autorité législative relativement aux « Indiens ». Les provinces furent écartées de toute responsabilité à cet égard, et les Autochtones allaient devoir, de 1867 jusqu’à nos jours, s’en remettre presque exclusivement à Ottawa. En ce sens, Macdonald obtint son État unitaire, au moins en ce qui a trait aux peuples autochtones. À l’époque de la Confédération, on considérait largement que les Autochtones étaient «  non civilisés, économiquement arriérés et moralement inférieurs aux Européens18  » et que leurs formes traditionnelles de gouvernance n’étaient d’aucun intérêt pour personne, pas même pour les Autochtones eux-mêmes. En termes simples, l’objectif était de « civiliser » les Autochtones et de les amener

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à embrasser le christianisme. S’ils devaient mourir de faim, ce serait, d’une façon ou d’une autre, de leur faute. Sir John A. Macdonald déclara à la Chambre des communes : « J’ai lieu de croire que les agents en général... font tout leur possible, pour réduire les dépenses, en refusant aux Sauvages des provisions jusqu’à ce qu’ils soient sur le bord de la détresse19. » Macdonald n’était pas le seul à avoir une mauvaise opinion des Autochtones ou à leur souhaiter du mal. David Mills, un ministre du gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie, affirma : « Il n’y a pas de doute que les Sauvages souffriront beaucoup de la faim avant de travailler, et tant qu’ils seront certains que le gouvernement viendra à leur aide, ils travailleront peu20. » La Loi sur les Indiens fut adoptée par le gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie. On peut se faire une meilleure idée de la position des communautés autochtones dans la société canadienne au moment de la Confédération en lisant la Loi sur les Indiens. Adoptée en 1876, seulement neuf ans après la naissance du Canada, la Loi n’est rien de moins qu’un document très offensant, raciste et inacceptable, particulièrement dans une perspective actuelle. J’invite les lecteurs à consulter la Loi sur les Indiens et certaines des publications qu’elle a engendrées. Les lecteurs devraient se demander quelle serait leur réaction si cette loi s’était appliquée à eux, à leurs collectivités et à leurs ancêtres21. L’objectif de la Loi était de dépouiller les peuples autochtones de leur langue et de leur culture et, selon les mots de sir John A. Macdonald, « d’assimiler totalement les Indiens au reste de la population du Dominion aussi rapidement qu’ils peuvent changer  ». Il n’est pas étonnant que la Loi sur les Indiens reflète entièrement un point de vue non autochtone. Par exemple, on disait aux agents des Indiens d’employer tous les moyens nécessaires pour décourager les danses lors des cérémonies traditionnelles. En 1884, on modifia la Loi sur les Indiens pour interdire les danses tamanawas. La modification visait à protéger les « Indiens » de leur propre culture et de leurs traditions parce qu’Ottawa avait décidé que de telles traditions nuisaient à l’avancement des efforts visant à les « civiliser ». La Loi s’appuyait sur le système des « réserves » dans lequel les terres appartiennent à la Couronne « au profit » des bandes. Ce ne sont certainement pas les peuples autochtones qui demandaient à « profiter » d’un tel système; il leur fut imposé par le gouvernement. Les résidents inscrits comme Indiens peuvent être propriétaires de

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leur terre dans une réserve, mais cette propriété demeure à la discrétion du gouvernement fédéral et, par conséquent, elle « n’implique pas la possession légale complète22 ». Le système des réserves offre plusieurs avantages, mais pas pour les peuples autochtones. Il a permis au gouvernement d’arrêter les Indiens nomades, de resserrer son contrôle sur les Autochtones et de faciliter la tâche des missionnaires venus leur enseigner les façons de faire des Européens blancs. Dans les premières années, les agents des Indiens détenaient presque des pouvoirs dictatoriaux. Ils étaient même investis de l’autorité judiciaire en plus de leurs pouvoirs administratifs. En somme, les agents des Indiens avaient le pouvoir de contrôler tous les aspects de la vie des Autochtones dans les réserves. Le rapport annuel de 1876 du ministère de l’Intérieur donne un aperçu de la façon dont le « problème indien » était perçu. On y lit : « Notre législation au sujet des Sauvages repose sur le principe général que les naturels du pays doivent être tenus en état de tutelle, et qu’ils doivent être traités comme des pupilles et des enfants de l’État. Les intérêts bien entendus des naturels du pays comme ceux de l’État exigent que l’on fasse tous les efforts possibles pour aider aux Peaux-Rouges à se sortir eux-mêmes de leur état de tutelle et de dépendance, et il est évidemment de bonne politique et de notre devoir de les préparer, par l’éducation et par tout autre moyen, à un degré de civilisation plus élevé en les encourageant à se prévaloir de tous les droits de citoyens, et à en assumer les obligations23. » La Loi sur les Indiens a laissé plusieurs héritages, dont peu eurent un effet positif sur les populations autochtones. Le système de conseils de bande élus figure en tête de ma liste. On se disait que, si Ottawa leur imposait des structures politiques non autochtones, les peuples indigènes apprendraient les mérites des coutumes de la société canadienne au sens large. L’initiative s’est soldée par un échec lamentable et elle est la cause profonde de nombreux problèmes qui affligent les Premières Nations encore à ce jour, car elle a miné l’autorité des chefs traditionnels et leurs procédés24. Elle a également produit une structure de gouvernance qui, au lieu de favoriser l’atteinte de consensus, donne lieu trop souvent à des divisions familiales au sein des Premières Nations, qui sèment dans les collectivités la zizanie entre les familles dirigeantes ou les chefs cupides, et les autres. Un grand nombre d’Autochtones estiment que le processus démocratique dans les Premières Nations a beaucoup trop souvent créé des élites artificielles qui gouvernent

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en favorisant les membres de leur famille et leurs proches collaborateurs. Ils peuvent toutefois rappeler aux non-Autochtones qu’ils n’ont pas eux-mêmes créé le processus, mais qu’il leur a été imposé par Ottawa et que le gouvernement fédéral récolte maintenant ce qu’il a semé. De plus, Ottawa avait deux poids, deux mesures en ce qui a trait à l’élection des députés aux Communes, aux principes démocratiques et au droit de vote. Les membres des Premières Nations furent privés du droit de vote de la Confédération jusqu’en 1920. La Loi sur les Indiens ne permettait pas aux « Indiens inscrits » de voter, mais si un Autochtone renonçait à son statut d’« Indien », il (mais pas elle) pouvait voter. Les peuples autochtones dans leur état naturel, croyait-on, ne possédaient pas les connaissances et les compétences nécessaires pour exercer le droit de vote. Bref, les hommes autochtones avaient la possibilité d’être soit des Indiens, soit des électeurs, mais pas les deux. La Loi sur les Indiens fut modifiée en 1920 pour faciliter l’accès en particulier des hommes autochtones au droit de vote. En 1960, le Parlement modifia la Loi électorale du Canada, accordant le droit de vote à tous les Autochtones, hommes ou femmes, d’un océan à l’autre. La Loi a eu toutefois des effets modestes. Une étude d’Élections Canada explique pourquoi : « Bien que tous les Indiens aient accédé au droit de vote en 1960, le changement de gouvernance découlant de cette évolution a été minime. Sauf dans de rares circonscriptions, les Indiens inscrits ne sont pas assez nombreux pour influer sur l’élection d’un député fédéral. Et au cours des cinquante dernières années, très peu de candidats des Premières nations ont réussi à se faire élire. Au moment de la publication du rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, l’accès au droit de vote des membres des Premières nations était une préoccupation tout à fait secondaire dans leurs collectivités, où le droit de vote n’était vu ni comme un progrès majeur ni comme un instrument du changement25. » L’objectif des décideurs à l’époque de la Confédération était de poursuivre la mise en œuvre des nouveaux arrangements constitutionnels, d’unir les colonies de l’Amérique du Nord britannique et de développer les institutions politiques du pays en se tournant vers la Grande-Bretagne pour se guider et trouver des solutions. On considérait que les peuples autochtones constituaient au mieux un problème gênant et que la solution était de les assimiler le plus

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rapidement possible. On donna des noms européens aux Autochtones et on les encouragea par tous les moyens à se convertir au christianisme. Les décideurs cherchèrent également à leur faire abandonner la chasse et la pêche en les encourageant à adopter un mode de vie sédentaire axé sur l’agriculture. Ce mode de vie était étranger aux Autochtones, mais peu importe, les colons européens savaient toujours mieux qu’eux ce qu’il convenait de faire. Le gouvernement fédéral, comme nous l’avons vu, devint le gardien de toutes les terres de la Couronne, y compris les « terres de réserve indienne », ce qui donnait clairement à entendre que la responsabilité de s’occuper des Premières Nations comme des pupilles et de veiller à leurs intérêts incombait à la Couronne26. Bref, les Premières Nations furent dépouillées de leur pouvoir ou de leur influence politique, dissociées de la responsabilité des gouvernements provinciaux et des administrations locales, et réduites à vivre dans des localités «  dont la colonisation était profonde et immuable  »27. Le gouvernement fédéral conserverait toute l’autorité nécessaire pour gérer ce qu’on appelait le « problème indien », tandis que les conseils de bande ne reçurent que très peu de pouvoirs. Les agents des Indiens nommés par le gouvernement avaient tous les pouvoirs nécessaires pour dicter la portée et le rythme des changements dans tous les secteurs des communautés autochtones28. Volontairement ou non, les Pères de la Confédération créèrent les conditions qui inciteraient les peuples autochtones à se tourner vers les tribunaux plutôt que vers les institutions politiques nationales pour mener à bien leurs visées politiques. Les tribunaux finiraient par entendre leurs griefs, chose que les institutions politiques du pays ne voulaient pas ou ne pouvaient pas faire. Il est important de souligner que le gouvernement fédéral a tenté à maintes reprises au cours des années de rejeter les formes distinctes d’organisation sociale et de gouvernance des collectivités des Premières Nations, et d’amener les peuples autochtones à abandonner leurs traditions et leur mode de vie. Duncan Campbell Scott, surintendant adjoint des Affaires indiennes, exposa l’objectif du gouvernement fédéral dans un discours prononcé en 1920 : « Je veux me débarrasser du problème indien... Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé dans la société, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de question indienne ni de ministère des Affaires indiennes29. » La Commission royale sur les peuples autochtones l’a exprimé de façon succincte

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76  ans plus tard  : «  les interventions de la société dominante ont atteint leur paroxysme : réinstallations, pensionnats, interdiction de pratiques culturelles et autres mesures interventionnistes du type que prévoyaient les lois sur les Indiens au tournant du siècle30 ».

UNe a U t r e t eNt a tI v e d’a S SIm Ilat I o N IN f r Uc t U eUS e La province du Canada, créée en vertu de l’Acte d’union de 1841, échoua dans ses efforts d’assimilation des colons français. Après la Confédération, le Canada employa la même stratégie envers les peuples autochtones, ce qui, dans leur cas, créa un gâchis encore pire. Don McCaskill explique qu’en réalité le système des réserves eut l’effet contraire de l’assimilation des Autochtones : il les isola31. Dans bien des cas, les Autochtones furent déplacés et réinstallés à de nouveaux endroits qualifiés de « réserves », que les autorités coloniales avaient choisis en leur nom. Les populations indigènes n’avaient pas leur mot à dire; on leur disait quoi faire et elles faisaient ce qu’on leur disait. Comme je l’ai mentionné, des missionnaires et des agents des Indiens furent envoyés dans les réserves avec pour double objectif d’assimiler les Autochtones aux coutumes européennes et de les convertir au christianisme. La question n’était pas de savoir comment y parvenir, mais simplement d’y parvenir. On n’a qu’à regarder les pensionnats autochtones pour en voir la preuve. Entre les années 1870 et 1996, quelque 130  pensionnats ont été établis. Plus de 150  000  enfants métis, inuits et des Premières Nations ont fréquenté ces pensionnats administrés par l’Église et financés par l’État. On a tendance à reprocher à sir John A. Macdonald d’être à l’origine des pensionnats, et on peut certainement lui imputer une grande part de responsabilité. La réalité, cependant, c’est que les pensionnats ont continué d’exister longtemps après le départ de Macdonald de la vie politique et durant près d’un siècle après sa mort. Comme l’objectif était l’assimilation, la création des pensionnats visait à éliminer l’engagement des parents dans le développement intellectuel, culturel et spirituel des enfants, qui étaient placés dans les pensionnats contre la volonté de leurs parents. Les langues et la culture autochtones y étaient délibérément réprimées dans un effort pour les « civiliser » et les christianiser. Comme l’histoire le révèle, la discipline était rigoureuse dans ces pensionnats, la «  négligence

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à l’égard des enfants était institutionnalisée, et le manque de supervision a créé des situations où les élèves étaient en proie à de la violence sexuelle et physique32.  » Beverley McLachlin, ancienne juge en chef de la Cour suprême du Canada, a parlé d’un « génocide culturel  » perpétré contre les Autochtones en faisant allusion aux pensionnats33. Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice du Canada, a qualifié la politique des pensionnats d’« acte le plus préjudiciable, honteux et raciste de notre histoire34 ». Il serait impossible d’exagérer les répercussions négatives que les pensionnats ont eues sur des générations d’Autochtones. Le mieux que je puisse faire est de citer le Rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada : « Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du Canada étaient les suivants : éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada. L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de “génocide culturel”... Le Canada a privé du droit de participer pleinement à la vie politique, économique et sociale les peuples autochtones qui refusaient d’abandonner leur identité autochtone... le Canada a fait tout cela35. » Le Canada n’a pas réussi à tourner la page sur ce sombre pan de son histoire à cause de l’atrocité des pensionnats. Le premier ministre Stephen Harper a tenté de le faire le 11 juin 2008, quand il a présenté des excuses complètes pour le rôle que le Canada avait joué dans les pensionnats et demandé pardon aux peuples autochtones36. Aussi récemment qu’en mai 2021, les médias ont révélé la découverte des tombes de 215  enfants près d’un ancien pensionnat en Colombie-Britannique. Comme la population canadienne l’a appris, certains des enfants n’avaient que trois ans et, à ce que l’on sache, le décès des enfants disparus ne fut consigné dans aucun registre. En août 2021, plus de 1 300 tombes anonymes avaient été découvertes sur les terrains de cinq anciens pensionnats37. Le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, a évoqué l’héritage durable des pensionnats : « Les conséquences de ces atrocités se font ressentir encore aujourd’hui38. » Le système des pensionnats est loin d’être le seul exemple de racisme à l’égard des peuples autochtones. Les travaux de l’Enquête

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nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont été révélateurs à plusieurs égards. L’Enquête a démontré que les femmes et les filles autochtones étaient 12 fois plus susceptibles d’être assassinées ou portées disparues que toute autre femme au Canada, et 16 fois plus en comparaison des femmes de race blanche. L’Enquête a formulé un certain nombre de recommandations au gouvernement fédéral, mais leur mise en œuvre demeure au mieux incomplète. Le rapport a reçu une certaine attention des médias, mais beaucoup moins que s’il s’était agi d’une enquête sur des femmes et des filles assassinées de race blanche39. Ce n’est qu’un rapport de plus dans la panoplie de rapports sur la façon dont le Canada a mal géré ses relations avec les peuples autochtones. Quand les Autochtones regardent les rapports gouvernementaux, il est rare qu’ils y voient des exemples de réussite. Ils constatent plutôt que, les uns après les autres, les rapports documentent les atrocités commises contre eux et contre leurs communautés, et que les solutions tardent à venir.

l ’ h é rIt age Les Canadiens et Canadiennes ne devraient pas voir dans le système de pensionnats un simple événement historique tragique, isolé et inacceptable. Il est beaucoup plus que cela. Le message fondamental des pensionnats était clair et dévastateur : la culture autochtone n’avait aucune valeur et il fallait la faire disparaître du Canada, d’un océan à l’autre. Les répercussions des pensionnats sur les peuples autochtones continueront de se faire ressentir pendant des années dans les domaines de l’éducation, des soins de santé, de la justice et du développement individuel et collectif. Cependant, même les horreurs des pensionnats ne sont qu’une facette de l’histoire. Je peux penser à de nombreuses politiques fédérales qui ont sérieusement nui au développement individuel et collectif des Autochtones, mais j’en vois très peu qui leur ont apporté un soutien. On ne peut guère dire que la Loi sur les Indiens est un instrument de développement économique; elle est tout le contraire. L’histoire des « réserves » et la façon dont elles furent établies et ont été administrées s’apparentent à certains égards à celles du système des pensionnats. Les deux structures furent conçues dans le dessein de dénigrer les Autochtones et de miner toute la confiance qu’ils pouvaient avoir en eux-mêmes, dans leurs communautés et dans leur

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culture. Elles furent également élaborées de manière à les priver de leurs terres et de leur accès aux ressources naturelles. Ce n’est certainement pas la voie à suivre pour soutenir le développement économique ou communautaire. Tandis que la Nouvelle-France comptait sur les réserves pour mettre fin à la pratique du nomadisme et faciliter la conversion des peuples autochtones au catholicisme, les Britanniques mirent en place un système de réserves afin d’ouvrir la voie aux Loyalistes qui fuyaient vers le nord en provenance des États-Unis et aux nombreux nouveaux arrivants venus d’Europe, en particulier du Royaume-Uni durant les années 1820 et 1830. Les Européens continuèrent d’affluer au Canada après la Confédération  : 1  140  000  d’entre eux arrivèrent au pays entre 1867  et 191440. Pour permettre l’établissement des Européens, on prit la décision de repousser les peuples autochtones sur des petites parcelles de terre. Bref, les réserves apparurent comme la solution en raison de la demande de bonnes terres agricoles pour les colons européens, de la croyance très répandue que les Européens étaient économiquement et culturellement supérieurs, de leur opinion selon laquelle les peuples autochtones ralentissaient la marche du progrès, et de l’objectif de civiliser les Autochtones et de les convertir au christianisme.

l eS c o l l e c tIv It éS d eS Prem I ère S N at IoNS Voici ce qu’on peut lire dans la Loi sur les Indiens : « Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté... Un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande41. » Il existe au Canada 634 communautés des Premières Nations; environ 40 % des Indiens inscrits résident dans une réserve, 14 % résident en milieu rural à l’extérieur d’une réserve et 45 % résident en milieu urbain. On trouve des collectivités des Premières Nations dans tout le pays; 70 % d’entre elles comptent moins de 500 habitants et seulement 4 % en dénombrent plus de 2 00042. Le système de réserves canadien est loin d’avoir été un modèle de transparence. Dans bien des cas, des terres ancestrales furent injustement prises aux Autochtones après avoir été désignées comme des réserves, ce qui a mené à de nombreuses revendications territoriales. La raison

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pour laquelle on reprenait des terres désignées comme des réserves autochtones était fort simple  : chaque fois qu’on avait besoin de terres, les populations autochtones étaient simplement écartées. Pire encore, le gouvernement fédéral établit les réserves le plus souvent sur des terres peu productives. L’histoire révèle que les terres désignées comme des réserves furent découpées et redécoupées pour répondre aux besoins du moment, jamais dans l’intérêt des Autochtones. Les pressions en faveur d’un redécoupage des réserves devinrent évidentes à la fin de la Révolution américaine, lorsque des Loyalistes britanniques arrivèrent en grand nombre au Canada, à la recherche d’une terre. Les Premières Nations ne reçurent aucune indemnité lorsqu’on leur prit des terres. Je fais remarquer que les édifices du Parlement du Canada se trouvent sur un territoire traditionnel algonquin43. Fred Wien, de l’Université Dalhousie, a apporté une contribution substantielle aux études sur la situation des Premières Nations et a joué un rôle de premier plan au sein de la Commission royale sur les peuples autochtones. Il a également produit un profil de la Première Nation de Membertou, en Nouvelle-Écosse, une collectivité qui a connu plusieurs exemples de réussite ces dernières années dans le domaine du développement économique communautaire. Le profil que Wien a tracé de Membertou et qu’il a récemment mis à jour illustre les succès que la communauté a remportés malgré ses relations passées difficiles avec les allochtones. Membertou est maintenant un pôle de croissance dynamique dans une région économique qui bat de l’aile depuis des générations. La collectivité est maintenant l’un des trois principaux employeurs de la municipalité du Cap-Breton. On observe dans tous les secteurs des signes évidents que la communauté a effectué un virage vers une économie florissante  : «  Membertou était autrefois un endroit que personne ne visitait; maintenant... c’est un endroit où tout le monde se rend pour participer à des activités sociales ou obtenir des services de qualité44. » La collectivité a lancé plusieurs initiatives, y compris des projets hors réserve et certains en partenariat avec le secteur privé. Par exemple, la Première Nation de Membertou s’est associée avec la Premium Brands Holdings Corporation en janvier 2021 pour faire l’acquisition de Clearwater Seafoods, une transaction d’un milliard de dollars45. Les retombées des efforts déployés par la Première Nation de Membertou depuis une trentaine d’années sont bien documentées

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et comprennent une croissance démographique, une chute du taux de chômage, des projets communautaires attrayants et de nouvelles infrastructures46. Le succès de Membertou n’est pas passé inaperçu. Le Projet Harvard sur le développement économique des Indiens américains s’est intéressé aux réussites de la communauté. Plusieurs facteurs expliquent son succès, à commencer par de solides pratiques de gouvernance. J’invite les lecteurs à consulter le site membertou.ca pour prendre connaissance du travail de la Membertou Development Corporation. La population locale est empreinte d’optimisme dans tous les aspects de la vie communautaire. En plus de détenir des intérêts dans le secteur des pêches, la Première Nation de Membertou exploite, seule ou en partenariat, un certain nombre d’entreprises prospères, dont un palais du commerce et des congrès, un restaurant, une entreprise de construction navale et un centre de données. Elle a démontré qu’il est possible pour une collectivité d’exploiter des entreprises en établissant et en respectant une ligne de démarcation entre la responsabilité envers la population et la responsabilité des entreprises. C’est là l’un des enseignements les plus précieux que l’on puisse tirer de l’exemple de Membertou. La collectivité possède une équipe de direction solide et une approche rigoureuse en matière de gouvernance. Membertou fait preuve d’une transparence tout aussi élevée, voire supérieure à celle observée dans d’autres localités du Canada, dont de nombreuses localités non autochtones. Si quelqu’un veut savoir quel est le salaire du chef, il n’a qu’à consulter le site Web de la Première Nation. C’est vrai également pour les 12 membres du conseil de bande. Quiconque veut savoir comment se portent toutes les entreprises peut consulter les rapports annuels de la Membertou Development Corporation, qui contiennent toujours le rapport d’un vérificateur indépendant. La confiance des résidents et résidentes envers le chef et le conseil de bande a permis à Membertou de tenir des élections tous les cinq ans plutôt que tous les deux ans, comme c’est le cas dans plusieurs Premières Nations. Le succès de la communauté est d’autant plus remarquable compte tenu des difficultés qu’elle a rencontrées depuis le début, lorsque le gouvernement fédéral a redéfini les limites géographiques de la réserve. Fred Wien écrit que la bande de Membertou existe depuis avant la Confédération. Son existence remonte peut-être aussi loin

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qu’en 1832, année où une parcelle de 2,3 acres située à Sydney, en Nouvelle-Écosse, fut concédée à un certain Mr. Paul. En 1852, « les titres sur toutes les terres réservées aux Indiens de la NouvelleÉcosse furent dévolus au commissaire des terres de la Couronne afin de protéger les intérêts des Mi’kmaq » ou d’empêcher que les terres ne passent aux mains de non-Autochtones. Après la Confédération, le surintendant adjoint des Affaires indiennes obtint la parcelle en 1882, à laquelle s’ajoutèrent 800  acres, «  pour l’usage et aux fins d’une réserve indienne ». L’histoire, toutefois, ne s’arrête pas là. En 1903, comme le rapporte Wien, on retira arbitrairement 0,66 acre à l’établissement de King’s Road pour permettre la construction d’une ligne de chemin de fer qui eut pour effet de diviser en deux le territoire de la réserve. Qui plus est, des voisins et la Ville de Sydney tentèrent à maintes reprises de forcer le ministère des Affaires indiennes à expulser les « Indiens » de cet emplacement de choix. Ils eurent gain de cause. La Première Nation de Membertou fut « légalement forcée » de se relocaliser loin de la réserve de King’s Road et à trois kilomètres du centre-ville de Sydney en 192647. Les luttes documentées pour faire valoir les droits sur les terres ne sont certainement pas limitées à la localité de Membertou. Elles ont aussi été observées dans d’autres collectivités des Premières Nations partout au Canada. Aux prises avec des situations similaires dans d’autres régions du pays où les terres réservées faisaient obstacle à l’expansion, le gouvernement fédéral adopta une modification de la Loi sur les Indiens en 1911 pour se donner les moyens d’agir. Plus précisément, l’article 49A permit au gouvernement fédéral de référer de telles situations au juge de la Cour de l’Échiquier pour faire une enquête et un rapport48. Ce qui est à retenir, c’est que les communautés des Premières Nations du Canada, pas seulement celle de Membertou, ont longtemps été à la merci de décisions gouvernementales qui faisaient peu de place au développement : le développement, c’était pour d’autres, pas pour ces communautés.

l e d é fI On ne saurait exagérer les répercussions négatives durables du système de réserves du Canada sur les populations autochtones. Par exemple, ce n’est qu’en 1951 que la Loi sur les Indiens fut modifiée pour permettre aux Autochtones de sortir des réserves sans

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laissez-passer, de se rassembler en groupes de plus de trois personnes, de retenir les services d’un avocat, de pratiquer leur culture et de posséder un bien-fonds49. J’invite les Canadiens et Canadiennes allochtones à imaginer leur réaction s’ils savaient que leurs parents et grands-parents avaient dû vivre dans de telles conditions. Mais, encore une fois, le portrait des répercussions négatives du système des réserves demeure incomplet. Beaucoup de réserves étaient et demeurent trop petites, de sorte que les Autochtones ont du mal à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Souvent, les réserves sont isolées et leurs résidents ont difficilement accès aux services de base comme l’eau courante, Internet et, parfois, l’électricité50. Depuis 1977, le gouvernement du Canada a dépensé des milliards de dollars pour leur donner accès à ces services, se révélant dans certains cas incapable de fournir de l’eau potable aux réserves51. Les progrès en vue de mettre fin aux avis concernant la qualité de l’eau des réseaux publics d’alimentation dans les collectivités des Premières Nations ont été très lents malgré les promesses en ce sens constamment réitérées en période électorale52. Comme l’écrit Jody Wilson-Raybould, l’ancienne ministre de la Justice : « En politique, particulièrement pendant une campagne électorale, ce que fait le gouvernement bien souvent est de se concentrer sur “l’instant présent” ou ce qui est nécessaire à ce moment, plutôt que sur “l’essentiel” de ce qu’il faut faire53. » Cela s’applique à tous les Canadiens et Canadiennes, mais encore davantage dans le cas des promesses faites aux peuples autochtones en campagne électorale. Malgré leur histoire difficile et les promesses non tenues, certaines collectivités autochtones s’en tirent particulièrement bien, notamment Membertou, en Nouvelle-Écosse, et Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick. Elles ne sont pas les seules. Fort McKay, en Alberta, et les communautés d’Osoyoos et de Tsawwassen, en Colombie-Britannique, se portent aussi très bien54. Ces collectivités et de nombreuses autres ne se considèrent pas comme des victimes. Par contre, certaines communautés autochtones sont aux prises avec des difficultés économiques, dont la Première Nation des Sioux Birdtail et celle de Roseau River, au Manitoba55. Tant les défis économiques à relever que les possibilités à saisir sont considérables pour les Premières Nations partout au Canada. J’invite les lecteurs à se reporter aux travaux du Conseil national de développement économique des Autochtones pour en avoir une meilleure idée. Je mentionne que le Conseil a souligné l’importance

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de l’entrepreneuriat, mis en lumière les défis, rendu compte de mesures couronnées de succès et proposé des moyens d’atteindre l’autonomie économique56. Une chose est sûre : il reste encore beaucoup de travail à faire. Le Canada a fait des progrès bien modestes en vue de combler les écarts socioéconomiques entre les Premières Nations et le reste de la population canadienne. Environ 24 % des Autochtones vivant dans les régions urbaines vivent sous le seuil de pauvreté officiel au Canada, comparativement à 13 % de la population non autochtone de ces régions; plus d’un Autochtone sur trois habitant en milieu urbain vit dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire, et les niveaux d’éducation et d’emploi ainsi que les niveaux de revenu sont sensiblement moins élevés parmi les peuples autochtones que parmi les Canadiens non autochtones57. Le taux de suicide est de cinq à sept fois plus élevé chez les jeunes des Premières Nations que chez les jeunes non-Autochtones du Canada; l’espérance de vie dans les communautés des Premières Nations est de cinq à sept ans inférieure à celle des citoyens des communautés non autochtones; les jeunes des Premières Nations sont plus susceptibles de se retrouver en prison que de terminer leurs études secondaires; la prévalence de la tuberculose dans les Premières Nations est 31 fois supérieure à la moyenne nationale; et environ 44  % des logements existants ont besoin de réparations majeures58. Quel que soit l’indicateur socioéconomique utilisé, les communautés autochtones tirent de l’arrière59. Si certains Canadiens croient que la solution au développement économique des Premières Nations est à portée de la main, ils font erreur. S’ils croient que la solution est de dire aux Autochtones de se prendre en main, ils se trompent là aussi.

f aI r e c r o ît r e l ’ é c oN om Ie a Utochto N e Les difficultés auxquelles se heurte le développement économique dans la plupart des collectivités autochtones sont infiniment plus grandes que dans la plupart des collectivités non autochtones. Ces difficultés sont bien documentées dans d’autres ouvrages et comprennent les suivantes : l’accès aux capitaux, les obstacles que rencontrent les femmes entrepreneures autochtones, l’accès aux réseaux d’affaires, l’accès à de la main-d’œuvre qualifiée, l’accès à un service Internet fiable, l’accès à l’éducation et à la formation, la discrimination raciale, l’aliénation de l’individu par rapport à

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la communauté, l’accès aux ressources naturelles, le manque d’infrastructures et les barrières linguistiques60. De plus, le nombre d’entrepreneurs au sein des communautés des Premières Nations est nettement insuffisant61. Rodney Nelson voit un défi supplémentaire : « La colonisation historique et continue du Canada a amené les Autochtones à se méfier du gouvernement et à s’offusquer de ses politiques et de ses pratiques62. » Le gouvernement a néanmoins lancé un ensemble de programmes et de mesures destinés à promouvoir le développement économique dans les collectivités des Premières Nations. Il a mis en place le Programme d’entrepreneuriat autochtone, le Capital destiné à assurer la croissance des entreprises autochtones, des programmes de développement du commerce, l’Initiative de foresterie autochtone, une stratégie d’approvisionnement conçue pour aider les communautés autochtones, et la liste se poursuit63. Jusqu’à présent, ces initiatives ont obtenu un succès pour le moins limité. La plupart des rapports d’évaluation des efforts du gouvernement fédéral se sont montrés critiques ou n’étaient pas concluants. Ainsi, le vérificateur général a réalisé une série d’évaluations dont le verdict était tout sauf positif 64. On sait que le gouvernement fédéral a dépensé des fonds importants pour aider au développement économique des Premières Nations. Des rapports indiquent les montants alloués, mais ils sont plus avares de renseignements sur l’efficacité des programmes65. En général, les rapports d’évaluation du gouvernement, qui tendent à être beaucoup plus positifs ou indulgents que ceux produits par le vérificateur général, révèlent des lacunes importantes. Ils pressent les décideurs d’élaborer et de mettre en œuvre une «  stratégie de mesure du rendement  » et de permettre «  de mesurer les progrès, d’apporter des modifications aux programmes sur une base régulière et de rendre compte des résultats ». Les rapports négligent d’ajouter que le gouvernement fédéral a mis en œuvre des programmes de développement économique des communautés autochtones depuis des générations et que très peu de ces exigences ont été respectées jusqu’ici. Les tribunaux ont aidé les Premières Nations à se tailler une plus grande place dans l’économie, notamment dans l’exploitation des ressources naturelles. Les peuples autochtones se sont appuyés sur leurs traités et les droits autochtones reconnus dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle pour faire valoir leur droit d’exploitation des ressources et ils ont obtenu gain de cause dans l’affaire

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Sparrow (1990) et la décision Marshall (1999). Je rappelle également que la Cour suprême a statué que les traités de paix et d’amitié de 1760 et de 1761 ont créé un droit permanent de « se procurer les biens nécessaires (à une subsistance convenable), en pratiquant la chasse et la pêche, et en échangeant le produit de ces activités traditionnelles66 ».  On comprend aisément pourquoi les Premières Nations estiment qu’elles auront droit à une audience équitable devant les tribunaux, mais beaucoup moins dans leurs relations avec les instances gouvernementales. J’ai moi-même constaté les effets positifs de la décision Marshall sur les Premières Nations dans les provinces maritimes. Il suffit de visiter les collectivités des Premières Nations de la région pour observer les progrès accomplis par un nombre grandissant d’entre elles. Il existe des données concrètes qui appuient ce point de vue. Ainsi, en 1999, la valeur des débarquements commerciaux autochtones dans les Maritimes et en Gaspésie était estimée à trois millions de dollars. En 2018, la valeur de ces mêmes débarquements était de 140 millions de dollars, et les entreprises de pêche autochtones ont généré des revenus indirects liés aux pêches s’élevant à 52 millions de dollars67. Ken Coates a analysé les effets de la décision Marshall 20 ans après le jugement. Il a conclu que « les débouchés pour les jeunes se sont accrus; les collectivités ont eu plus d’argent à dépenser pour des programmes choisis localement... la confiance des Mi’kmaq et des Malécites s’est considérablement renforcée... les gouvernements ont dû composer avec l’indépendance et l’autorité juridique des Premières Nations, ce qui a suscité l’adhésion à la nécessité de restructurer leurs relations avec les peuples autochtones68  ». C’est un début, un départ que les tribunaux, non les gouvernements, ont donné aux Premières Nations, et personne ne doit s’étonner que les Autochtones continuent d’avoir recours aux tribunaux pour qu’ils les aident à jouer un rôle dans l’économie.

e t m aIN t e Na Nt? Ce que les Canadiens et Canadiennes connaissent de la vie dans les localités autochtones, ils l’ont appris le plus souvent dans les médias. Or, les médias en donnent généralement une image négative  : les reportages font état du manque d’eau potable, de la crise du logement, de la pauvreté répandue, de fonds publics gaspillés, de chefs

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et de membres de conseils de bande grassement rémunérés, de violence familiale et du nombre disproportionné de jeunes Autochtones emprisonnés. Un fervent observateur des relations entre les Autochtones et les non-Autochtones du Canada affirme : « Nous (les Canadiens) ne voyons qu’une image partielle et partiale de la situation, et nous avons l’impression que nous ne faisons pas beaucoup de progrès, alors à quoi bon essayer69? » Des sondages indiquent que deux Canadiens sur trois croient que les fonds destinés aux Premières Nations ne servent à rien70. J’ai entendu ce point de vue quand j’ai dit à des amis et à des gens d’affaires que je travaillais sur un chapitre qui traitait des relations entre le Canada et les peuples autochtones. J’ai entendu des commentaires du genre  : «  Nous leur avons certainement envoyé beaucoup de fonds publics. Pourquoi ne peuvent-ils rien faire avec cet argent? Pourquoi ne peuvent-ils pas créer des emplois et aller travailler, comme tout le monde? »; « Bonne chance dans la rédaction de ce chapitre, mais cela ne donnera rien : tu n’es pas le premier et tu ne seras pas le dernier à essayer de trouver des solutions  »; «  Ils reçoivent des tonnes de subventions gouvernementales et ils ne paient pas d’impôts. Alors, quel est le problème?  » L’un d’eux m’a dit  : «  Tu vois cette nouvelle voiture de luxe? C’est le plus gros modèle disponible. Eh bien, elle appartient à un chef indien. Ils ne s’en tirent pas trop mal avec notre argent.  » Bien que mes conversations ne soient sûrement pas un sondage représentatif, pas une seule fois je n’ai entendu quelqu’un dire que le Canada devrait en faire davantage ou que les non-Autochtones doivent assumer la plus grande part de responsabilité relativement au manque d’activités économiques autonomes dans les Premières Nations. Les sondages d’opinion indiquent également que les Canadiens qui croient que les gouvernements « consacrent trop » ou « beaucoup trop  » d’argent aux Autochtones du Canada sont plus nombreux (33 %) que ceux qui trouvent que les gouvernements en dépensent « trop peu » ou « beaucoup trop peu » (28 %). Environ 66 % des Canadiens estiment que l’argent affecté aux questions autochtones est une dépense inutile, comparativement à 14 % qui croient qu’il s’agit d’une dépense efficace71. Beaucoup de Canadiens voudraient probablement dire aux populations autochtones de se guérir elles-mêmes ou de se prendre en main72. Un tel point de vue fait leur affaire, car il les absout, ainsi que leurs gouvernements, de toute responsabilité. C’est aussi une

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façon simpliste de voir les choses, qui relie le développement individuel et le développement collectif comme un commutateur : il suffit de l’actionner pour que le développement économique se produise. Ce point de vue fait fi de l’histoire. Il ne tient pas compte de l’intolérance, des méfaits et de la mauvaise gestion dont les Autochtones ont fait l’objet de la part de générations de dirigeants politiques et administratifs. Il faut être bien ignorant de l’histoire pour dire aux Autochtones du Canada de se débrouiller par leurs propres moyens. Les premiers colons européens et le Canada, tant avant qu’après la Confédération, ont transformé les Autochtones en victimes. Les peuples autochtones ne sont pas la cause des problèmes qu’ils connaissent. Les colons européens et les actions du Canada ont, depuis 400 ans, détruit toute confiance possible entre les allochtones et les peuples autochtones; ils ont aussi anéanti la confiance des peuples autochtones et des Premières Nations en eux-mêmes en les plaçant sous la tutelle de l’État. C’est la faute des colons européens et du Canada. La confiance envers autrui et la confiance en soi de personnes qui croient dans leur communauté sont les éléments clés du développement des collectivités, à défaut de quoi il est très difficile de grandir en tant que peuple ou communauté. Dans le sillage du conflit entre des pêcheurs mi’kmaq et acadiens en 2020, j’ai reçu plusieurs appels d’individus qui demandaient instamment que mon université et moi intervenions pour aider. En réponse, j’ai rédigé une lettre d’opinion dans le Globe and Mail qui faisait valoir que la crise est essentiellement une question de confiance en cette époque de précarité. Les peuples autochtones n’ont pas confiance dans le gouvernement pour des raisons valables et évidentes. J’exhortais les deux parties à s’asseoir à la table des négociations, loin du gouvernement s’il le faut, pour mettre fin au cancer de la méfiance, un cancer dont aucun Canadien ne doit présumer qu’il s’arrêtera là73. Je continue de recevoir des appels de fonctionnaires et de particuliers intéressés qui soutiennent que mon université, compte tenu de sa raison d’être et des liens historiques profonds qui unissent les communautés acadienne et mi’kmaq, devrait faire quelque chose. Je suis d’accord. Cela dit, j’estime qu’il appartient aux communautés autochtones de déterminer qui peut les aider et de quelle façon. Les Canadiens non autochtones doivent accepter qu’ils ont une large part de responsabilité dans l’état des relations avec les populations autochtones. Je crois qu’il continuera d’être extrêmement

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difficile d’assurer le développement des collectivités autochtones à moins que le Canada ne reconnaisse qu’il a largement contribué à retarder le développement des peuples autochtones et de leurs collectivités. Le Canada doit assumer la responsabilité de son passé et faire sa part pour aider de plus en plus d’Autochtones à s’affranchir de leur condition de victimes. Albert Levi, un ancien chef très respecté de la Première Nation d’Elsipogtog, a dit que le peuple mi’kmaq était un peuple brisé74. Le premier ministre Justin Trudeau a expliqué pourquoi il en est ainsi dans sa réaction à la tragédie du système de pensionnats autochtones : « Et c’est la faute du Canada75. » En somme, il n’y a que ceux et celles qui connaissent mal l’histoire des peuples autochtones ou de leur développement économique qui trouvent logique de dire à un peuple brisé de se débrouiller par ses propres moyens. Je formule les suggestions suivantes  : accepter qu’il s’agit d’un problème canadien, pas d’un problème autochtone (si les Canadiens non autochtones ne peuvent reconnaître que les Autochtones sont leurs égaux sur tous les plans, aucun progrès n’est possible); reconnaître qu’il n’appartient pas uniquement au gouvernement fédéral de régler la question, mais que les gouvernements provinciaux doivent eux aussi intervenir et jouer un rôle en ce sens; et accepter que les ressources naturelles du pays appartiennent autant aux peuples autochtones qu’aux Canadiens non autochtones. Bref, tous les Canadiens et Canadiennes doivent relever le défi. Nous avons vu dans les chapitres précédents que certaines communautés et certains groupes insistent pour dire qu’ils continuent d’être des victimes. Des fonds publics sont disponibles pour les groupes qui continuent de se dépeindre comme des victimes, même après qu’ils ont obtenu les instruments et le soutien nécessaires pour prospérer. Les peuples autochtones peuvent à juste titre revendiquer l’aide de l’État; ils n’ont pas encore obtenu tous les instruments et le soutien nécessaires à leur prospérité. Le rattrapage ne fait que commencer, en grande partie parce que c’est ce qu’ont voulu les Canadiens allochtones. L’objectif central de ce chapitre était de démontrer que le Canada a délibérément freiné le développement des peuples autochtones. Des décisions prises par les gouvernements passés et même par le gouvernement actuel ont fait d’eux des victimes. Cela dit, de nombreuses communautés autochtones se sont défendues avec succès en organisant des contestations judiciaires et en adoptant des mesures

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qui maintenant portent des fruits. Elles ont remarquablement fait preuve de résistance, de résilience, de persévérance et d’innovation76. Il suffit de regarder l’exemple de la Première Nation de Membertou pour voir des preuves qu’il est possible de réaliser des progrès solides vers l’autonomie économique ou que certaines collectivités autochtones peuvent surpasser les localités voisines et mettre leur région sur la voie de la prospérité. Personne aujourd’hui ne peut attribuer le statut de victime à Membertou. D’autres avancées importantes sont porteuses de promesses pour les peuples autochtones. La Loi constitutionnelle de 1982 établit clairement leur statut constitutionnel particulier. De plus, de nombreuses Premières Nations ont réussi à faire prospérer leurs communautés grâce aux jugements rendus par les tribunaux. Un nombre croissant de Premières Nations ont réalisé des gains économiques impressionnants ces dernières années, pas seulement Membertou. Il reste cependant encore beaucoup à faire. Je reviendrai sur ce point dans le dernier chapitre.

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Il y a plusieurs années, j’ai demandé au doyen de la faculté des sciences de mon université pourquoi il y avait maintenant plus de femmes que d’hommes dans nos écoles de médecine et de droit. Il a expliqué : « Pendant que les garçons jouent à des jeux vidéo, les filles étudient. » C’est une réponse simpliste, mais elle contient un élément de vérité. Les victimes d’hier restent parfois des victimes, mais il se crée continuellement de nouvelles victimes. Dans ma jeunesse, on s’attendait à ce que les femmes deviennent secrétaires, infirmières ou enseignantes, pas dirigeantes d’entreprise, avocates, médecins ou directrices d’école. Dans mon programme de baccalauréat en commerce et en économie à l’Université de Moncton, il y avait 70 hommes et seulement trois femmes. Les trois étudiantes étaient talentueuses et parmi les meilleurs de la classe dans plusieurs domaines. Quand j’y repense, je me dis que leur expérience n’a sans doute pas toujours été positive à cause des étudiants et des professeurs, presque tous de sexe masculin. Je me rends compte maintenant que j’aurais pu me montrer beaucoup plus solidaire et que, à certains moments, j’aurais pu leur témoigner mon appui. Je regrette de ne pas l’avoir fait. Mais les choses évoluent. On compte maintenant beaucoup plus de femmes (63  %) que d’hommes (37  %) à mon université, et les femmes représentent la majorité des inscriptions à nos écoles de médecine (65,4 %) et de droit (55,1 %)1. Les femmes sont également bien plus nombreuses dans les programmes des cycles supérieurs de mon université qu’elles ne l’étaient il y a une trentaine d’années, et elles obtiennent de très bons résultats. Cette avancée est loin de se limiter à mon université ou au Canada. Par exemple, aux États-Unis,

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les femmes comptent maintenant pour 60 % des étudiants des collèges et universités2. À cause de stéréotypes et de préjugés de longue date, le Canada a perdu de précieux talents au fil des ans. Un étudiant diplômé m’a demandé il y a quelques années s’il avait la moindre chance de travailler un jour pour le gouvernement fédéral, ce qui était son premier choix de carrière. « Pourquoi pas? » ai-je répondu. Il a répliqué : « Eh bien, ce sont les femmes qui obtiennent maintenant tous les emplois et les promotions dans l’administration publique. » Je lui ai expliqué que ce n’était pas le cas et qu’il y eut une époque où les femmes dans l’administration fédérale travaillaient comme secrétaires ou adjointes administratives même si elles avaient le talent et les compétences pour occuper des postes de niveau supérieur, alors que les hommes accédaient rapidement aux postes de gestion ou étaient promus analystes principaux des politiques. Cette époque est révolue et c’est tant mieux. J’ai ajouté qu’il était tout à fait approprié que des mesures soient en place pour permettre la pleine participation des femmes comme des hommes. Je lui ai dit également qu’il y aurait toujours de la place au sein du gouvernement fédéral pour les meilleurs et les plus brillants – hommes ou femmes – qui souhaitaient servir la population. Je ne suis pas certain que mon point de vue ait eu beaucoup d’effet. Mon ancien étudiant a néanmoins obtenu un emploi dans la fonction publique fédérale. Il n’est certainement pas le seul à soulever la question de la discrimination positive. Plusieurs hommes de race blanche estiment maintenant être les victimes de diverses mesures d’équité en matière d’emploi3. On trouve d’ailleurs de plus en plus d’ouvrages sur le sujet.

l e S P o lIt I q Ue S d ’ é qU It é eN mat I ère d’em P lo I Les gouvernements reconnaissent que des politiques et des pratiques du passé ont fortement favorisé les membres de la majorité ou les groupes dominants dans la société, et se rendent compte qu’il faudrait faire quelque chose à cet égard. C’est ce qui explique pourquoi les gouvernements, dans tous les pays occidentaux, ont adopté des mesures d’équité en matière d’emploi ou des mesures d’action positive. Au Canada, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux ont endossé des politiques d’équité en matière d’emploi, certains toutefois avec plus de détermination que d’autres. On considère que les politiques passées étaient discriminatoires et

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que des mesures sont requises pour corriger des pratiques de longue date qui ont sérieusement nui à la capacité de certains groupes minoritaires de participer aux institutions publiques. Les mesures d’équité en matière d’emploi reposent sur l’idée que des groupes désignés sont aux prises avec des défis historiques. Au Canada, les groupes désignés sont les femmes, les minorités visibles, les peuples autochtones et les personnes handicapées. Le gouvernement fédéral a adopté un ensemble de règlements pour s’assurer que personne ne se voit refuser une possibilité d’emploi pour des motifs étrangers à sa compétence, et c’est là que réside le problème selon mon ancien étudiant et d’autres, qui pensent qu’ils sont mieux qualifiés que leur voisin lors d’entrevues pour un poste dans l’appareil gouvernemental, mais que les mesures d’équité en matière d’emploi sont discriminatoires envers eux. Ottawa a mis en œuvre le Programme de contrats fédéraux en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (1986) et adopté une nouvelle Loi sur l’équité en matière d’emploi en 1996. Dans le cadre de la première mesure, les entreprises qui souhaitent conclure avec le gouvernement fédéral un contrat pour la fourniture de biens ou de services d’une valeur supérieure à un certain montant (un million de dollars en 1986) doivent attester par écrit leur engagement à mettre en œuvre l’équité en matière d’emploi. Pour sa part, la nouvelle Loi sur l’équité en matière d’emploi cherche à corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les membres des groupes désignés4. La Loi exige que le ou la ministre responsable du Travail soumette au Parlement un rapport annuel faisant état des progrès réalisés dans les entreprises privées sous réglementation fédérale. À la fin de 2018, 603 entreprises du secteur privé avaient soumis les documents requis au ministre du Travail, qui les a compilés dans son rapport annuel. Ces entreprises emploient 771 698 personnes, ce qui représente près de 4  % de la main-d’œuvre canadienne. Le rapport fait état des efforts déployés depuis 1987, année où les entreprises ont commencé à faire rapport en vertu de la Loi. Les résultats démontrent que des progrès ont été accomplis au chapitre de l’emploi pour les Autochtones entre 1987 et 2000, mais que, depuis, les progrès ont été limités. Le rapport fait également état de progrès considérables chez certains membres de minorités visibles depuis 1987. On ne peut pas en dire autant, cependant, des autres groupes. Le rapport souligne : « Les femmes, les Autochtones et les personnes handicapées demeurent sous-représentés. La représentation des

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femmes a diminué, passant de 40,2 % en 2017 à 39,4 % en 2018, ce qui représente le niveau de représentation le plus bas pour ce groupe désigné depuis la mise en œuvre de la Loi en 1986. Tandis que la représentation des Autochtones est demeurée à 2,3 %, celle des personnes handicapées a augmenté de 3,3 % en 2017 à 3,4 % en 20185. » La situation est toutefois différente dans le secteur public. Le gouvernement du Canada a depuis longtemps adopté une politique qui permet d’assurer que la fonction publique reflète « la composition de la population qu’elle sert ». Le gouvernement affirme que le mérite demeure une des pierres angulaires de la fonction publique, mais on voit mal comment ce principe cadre avec l’édification d’une bureaucratie représentative. La Loi sur l’équité en matière d’emploi désigne les quatre mêmes groupes dans la fonction publique que ceux visés par les mesures d’équité en matière d’emploi qui s’appliquent au secteur privé : les femmes, les Autochtones, les personnes en situation de handicap et les membres des minorités visibles6. Le gouvernement fédéral a nettement surpassé le secteur privé en ce qui concerne l’application de mesures d’équité en matière d’emploi. Le rapport annuel déposé en 2021 faisait le constat suivant : « Le taux de représentation des Autochtones est demeuré stable, et les taux de représentation des femmes et des membres des minorités visibles, qui correspondaient déjà à la disponibilité au sein de la population active, ont continué d’augmenter. Les taux d’embauche et de promotion des femmes et des membres des minorités visibles se sont également avérés positifs, ce qui laisse entendre que le taux de représentation des membres de ces deux groupes continuera à correspondre au taux de disponibilité au sein de la population active ou à le dépasser7. » Le rapport ajoute que « le taux de représentation des femmes a augmenté de façon constante, notamment pour ce qui est des femmes occupant un poste de cadre supérieur, et continue de dépasser le taux de disponibilité estimé au sein de la population active8 ». Cependant, le portrait est loin d’être aussi réjouissant pour les Autochtones. Ceux-ci n’ont pas encore atteint des taux de représentation équivalant à leur taux de disponibilité au sein de la population active dans le groupe de la direction. De plus, ils quittent la fonction publique à un rythme plus élevé que leurs pairs9. On peut dire la même chose des personnes ayant un handicap. Leurs taux d’embauche et de promotion sont inférieurs à ceux des employés en général, leur taux de promotion ayant diminué par

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rapport aux années précédentes10. Le taux de représentation des membres des minorités visibles, en revanche, s’est amélioré. Le nombre de cadres supérieurs appartenant à une minorité visible s’est accru légèrement, de même que les embauches et les promotions de membres des minorités visibles11. Le gouvernement prévoit en faire davantage afin de promouvoir l’équité en matière d’emploi pour les groupes désignés dans le secteur privé. Il a annoncé en juillet 2021 la création d’un groupe de travail composé de 13 membres et chargé d’une révision exhaustive de la Loi sur l’équité en matière d’emploi en vue d’accroître les possibilités d’emploi pour les groupes désignés du secteur privé sous régime fédéral12. En outre, Ottawa a apporté des changements à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique afin de permettre la mise en œuvre de la Loi sur l’équité salariale et l’application de mesures de transparence salariale, et a instauré des politiques plus efficaces sur la prévention du harcèlement et de la violence en milieu de travail. Dans ces conditions, comment peut-on concilier les mesures d’équité en matière d’emploi avec le principe du mérite? Voilà essentiellement la question que posait mon étudiant. Il supposait qu’il serait en mesure d’obtenir un emploi dans l’administration fédérale si le principe du mérite s’appliquait, mais pas si le processus d’embauche prenait en compte d’autres facteurs, y compris des considérations visant à aider les membres des quatre groupes désignés. Ironiquement, c’est le même argument que faisaient valoir les étudiants universitaires de langue anglaise dans les années  1970, quand Ottawa donna un solide coup de barre pour accroître l’embauche de francophones. Là où je veux en venir, c’est qu’en changeant les règles pour venir en aide aux victimes de préjugés et de stéréotypes, on risque de créer de nouvelles victimes. Toutefois, on peut tout aussi bien faire valoir que les mesures d’équité en matière d’emploi sont nécessaires pour mettre fin aux préjugés passés d’employeurs qui sous-évaluaient systématiquement les compétences des groupes désignés. Il se peut que les mesures fassent des gagnants parmi les travailleurs et les travailleuses qui auraient dû gagner dans les années passées mais qui ont perdu, ou qui n’ont même jamais soumis leur candidature à des concours de recrutement parce qu’ils croyaient n’avoir aucune chance. Ils avaient des raisons de se voir comme des victimes d’un processus d’embauche qui minimisait leurs compétences parce qu’ils n’étaient pas membres du groupe dominant.

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Je suis d’avis que l’application du principe du mérite varie selon les circonstances. J’ai siégé à divers comités d’embauche du gouvernement du Canada et j’y ai souvent constaté que le principe du mérite s’ajustait pour correspondre à ce que les cadres supérieurs ou les gestionnaires recherchaient et même, parfois, au profil d’une personne en particulier. En somme, le favoritisme bureaucratique est plus répandu dans la fonction publique fédérale que le favoritisme politique, en dépit des exigences de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. On se souviendra que des modifications ont été apportées à la Loi en 1997 pour accroître le pouvoir de dotation délégué aux cadres supérieurs et aux gestionnaires de première ligne, et pour transformer la Commission de la fonction publique en un organisme de surveillance plutôt qu’un organisme d’embauche. Quoi qu’il en soit, la Loi a été conçue pour protéger la fonction publique contre la classe politique et la politique partisane, pas contre elle-même. Les modifications de cette loi ont donné aux cadres supérieurs et aux gestionnaires une plus grande marge de manœuvre dans l’embauche du personnel de leur ministère. Cela ne signifie pas pour autant que le principe du mérite n’ait aucune valeur. Il est encore possible d’établir des critères d’embauche précis, par exemple un diplôme en génie, un diplôme en droit ou un certain nombre d’années d’expérience dans un domaine donné. Toutefois, lorsque des candidats et des candidates répondent aux critères de base, les cadres supérieurs ou les gestionnaires peuvent généralement choisir la personne qu’ils et elles désirent. L’idée, c’est qu’il est possible de déterminer objectivement le mérite, mais seulement jusqu’à un certain point. D’autres facteurs entrent aussi en jeu, comme la culture, le sexe, les valeurs, la race, la classe sociale, l’université fréquentée et autres motifs de discrimination. Les attitudes, les stéréotypes et les pratiques du passé créent des barrières invisibles qui, à leur tour, créent des victimes. Les chiffres ont une importance, car un bilan indiquant qui est le personnel en place, qui a été embauché et qui a obtenu une promotion crée non seulement des gagnants, mais aussi des victimes. Les chiffres peuvent également inciter une personne à croire qu’elle était la mieux qualifiée pour occuper un poste, mais qu’elle ne l’a pas obtenu à cause de programmes d’équité en matière d’emploi ou de discrimination positive. Ce n’est pas tout de remporter un concours d’embauche. Une fois dans l’appareil gouvernemental, les Autochtones ou les membres des

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minorités visibles sont encore susceptibles de faire face aux vieux préjugés et à une culture de travail traditionnellement dominée par les hommes de race blanche ou, plus récemment, par les hommes et les femmes de race blanche. Cette culture et la tendance à stéréotyper certains groupes sont peut-être devenues plus subtiles et font peutêtre davantage sourciller ces dernières années, mais elles demeurent encore présentes à certains endroits13. Il est de plus en plus difficile de déterminer qui est maintenant la victime. Une personne autochtone embauchée dans l’administration fédérale qui découvre ensuite qu’elle n’a pas sa place dans la culture bureaucratique d’Ottawa pourrait fort bien avoir des raisons légitimes d’affirmer qu’elle demeure une victime. L’homme blanc est en train de perdre du galon dans la hiérarchie gouvernementale et il est maintenant convaincu d’être victime de mesures d’équité en matière d’emploi. L’homme de race blanche qui n’a pas été promu aussi rapidement ou à un niveau aussi élevé qu’il l’avait prévu se verra maintenant comme une victime lui aussi. Au lieu de se regarder dans le miroir pour comprendre pourquoi il n’a pas réussi à obtenir davantage de promotions, il se peut qu’il voie dans les mesures d’équité en matière d’emploi la cause de son échec : non seulement c’est plus facile à faire, mais cela sert ses propres intérêts. Ceux et celles qui croient avoir été victimes de mesures d’équité en matière d’emploi peuvent s’appuyer sur les données pour tenter d’étayer leur argument. On sait que les femmes ont fait des progrès énormes et qu’elles occupent plus de postes dans la fonction publique fédérale que dans le passé. Elles représentaient plus de 55 % des employés de la fonction publique fédérale en 2018, une augmentation par rapport à 52 % en 2000 et à 32 % en 199014. De plus, elles occupaient 51,1 % des postes de direction en 2019, comparativement à 43,7 % aussi récemment qu’en 201015. Je m’empresse d’ajouter, cependant, que ce n’est pas le cas dans le secteur privé, comme l’ont clairement montré les données citées plus tôt. Le secteur privé y perd au change, car il ne profite pas du talent et des compétences disponibles. La revue The Economist, une publication qui n’est pourtant pas reconnue pour vanter les mérites de la présence des femmes sur le marché du travail, a publié récemment un article qui posait la question suivante : « Pourquoi les pays qui laissent tomber les femmes sont-ils voués à l’échec16? » Quantité d’études soutiennent que le milieu des affaires devrait embaucher davantage de femmes s’il veut avoir accès aux

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meilleurs talents disponibles. La présence accrue de femmes parmi les employés tend à réduire le roulement de personnel et à renforcer l’esprit d’équipe. L’Organisation internationale du Travail affirme également que la présence accrue de femmes au sein du personnel augmente la productivité de celui-ci17. Le gouvernement a la capacité d’adopter des mesures pour encourager l’embauche de femmes dans les entreprises du secteur privé et leur nomination à des postes de haute direction, mais en fin de compte il appartient aux entreprises de voir les avantages économiques d’une présence accrue des femmes parmi le personnel et dans les postes de direction. Par ailleurs, le taux d’emploi des Autochtones dans la fonction publique fédérale est demeuré stable à 5 %. Les Autochtones n’occupent cependant que 4  % des postes de direction, ce qui dénote peu de progrès par rapport aux années précédentes. On sait aussi que le taux de promotion des Autochtones est inférieur à celui des membres des groupes non désignés. De plus, les Autochtones sont moins portés à postuler pour des postes dans la fonction publique fédérale que les non-Autochtones. Ils et elles ont également moins tendance à considérer que le processus de dotation de la fonction publique est équitable, transparent et fondé sur le mérite18. Il y a lieu de souligner encore une fois que les femmes ont accompli des progrès solides, surtout au cours des 20  dernières années, quant à leur nombre dans la fonction publique fédérale et à leur présence dans les postes de direction. Les progrès réalisés sont tels qu’on pourrait affirmer qu’en ce qui concerne l’administration fédérale elles ne devraient plus faire partie des groupes désignés en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi si l’on se fonde uniquement sur les chiffres. Plus exactement, les femmes ne sont plus des victimes, du moins dans le contexte de la fonction publique fédérale. D’ailleurs, une question se pose à la lumière des progrès réalisés  : à quel moment un groupe désigné ne devrait-il plus être visé par les mesures d’équité en matière d’emploi? Comme nous l’avons vu ci-dessus, les femmes sont maintenant plus nombreuses que les hommes dans la fonction publique fédérale et occupent plus de 50 % des postes de direction. Cela dit, le secteur privé est loin d’avoir aussi bien réussi à attirer des femmes dans ses rangs, en particulier dans les postes de cadres supérieurs, comme nous l’avons indiqué plus tôt. Les femmes ne sont pas les seules à avoir atteint la pleine participation à la fonction publique fédérale. Les francophones (les personnes dont la première langue officielle est le français), qui comptaient pour

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22,8 % de la population canadienne en 2019, représentaient 28,5 % des employés de la fonction publique fédérale en 2016, soit essentiellement la même proportion qu’en 199019. Il s’agit d’une nette amélioration depuis 1946, quand les francophones n’occupaient que 13 % des emplois dans la fonction publique fédérale et que très peu d’entre eux détenaient des postes de direction. À cette époque, ils représentaient 30 % de la population canadienne20. Pourquoi certains groupes ont-ils fait des progrès notables (les femmes et les francophones) mais pas d’autres? Autrement dit, comment certains groupes ont-ils pu se débarrasser de leur étiquette de victimes tandis que d’autres sont demeurés des victimes? Les Autochtones n’ont pas réussi à améliorer leur participation à la fonction publique fédérale, qu’il s’agisse du nombre d’employés autochtones dans la fonction publique ou de leur présence dans les postes de direction. Ce n’est pas faute d’appui de la part des plus hautes sphères politiques. On sait que le premier ministre Justin Trudeau a souvent exprimé publiquement son appui solide aux peuples autochtones depuis l’accession de son parti au pouvoir en 2015. Mais, visiblement, ce n’est pas suffisant. Les francophones et les femmes ont plusieurs points en commun, du moins en ce qui concerne la fonction publique fédérale. Les chiffres sont importants parce qu’ils confèrent de l’influence politique. Les francophones, nous l’avons vu, comptent pour 22,8  % de la population canadienne et les femmes, plus de 50 %. En comparaison, les peuples autochtones ne représentent que 5  % de la population du pays, tandis que les minorités visibles représentent tout de même 22,3 % de la population canadienne. Selon la définition d’Ottawa, le terme « minorités visibles » désigne « les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche  », ce qui inclut les Sud-Asiatiques, les Chinois, les Noirs, les Philippins, les Latino-Américains, les Arabes, les Asiatiques du Sud-Est, les Asiatiques occidentaux, les Coréens et les Japonais21. Pour leur part, les Canadiens noirs constituent environ 4 % de la population canadienne22. Ils ont une présence solide dans la fonction publique fédérale (3,5 %), mais ils y sont surreprésentés dans la catégorie du soutien administratif (5,1  %) et considérablement sous-représentés dans les postes de cadres supérieurs (1,6 %) et la catégorie « opérationnel » (1,7 %)23. Ces données peuvent inciter les Canadiens noirs à penser que les stéréotypes entrent en jeu dans la

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nature de leur participation au gouvernement : le système bureaucratique à Ottawa les voit peut-être dans divers rôles de soutien administratif (par exemple chauffeurs de limousine des ministres et adjointes administratives), mais pas dans les rôles de cadres supérieurs ou de gestionnaires. Il manque aux Canadiens noirs, tout comme aux Autochtones, ce que les Acadiens au Nouveau-Brunswick, les francophones et les femmes avaient pour réussir à surmonter leur condition de victimes dans la fonction publique canadienne  : l’importance numérique, qui se traduit en votes, qui génère un poids politique et qui procure des modèles à suivre. Le nombre d’individus et les votes permettent l’émergence de modèles à suivre. Les mesures d’équité en matière d’emploi ouvrent non seulement des possibilités aux groupes désignés, mais profitent également aux membres des minorités visibles qui sont déjà des employés de la fonction publique, en créant une masse critique. C’est en partie à cause de leur infériorité numérique, de concert avec l’histoire, que les Autochtones et les Canadiens noirs n’ont pas été en mesure de participer pleinement à la fonction publique fédérale. J’ai vu de mes propres yeux les répercussions que l’élection de Louis J. Robichaud à titre de premier ministre du Nouveau-Brunswick en 1960 a entraînées sur la fonction publique provinciale. Peu après son arrivée au pouvoir, de plus en plus d’Acadiens et d’Acadiennes ont joint les rangs de la fonction publique. Robichaud a été un modèle pour ceux et celles qui souhaitaient contribuer à la vie publique. Il a fallu 30 à 40 ans pour effectuer la transition, mais c’est chose faite. La population acadienne bénéficie maintenant d’une forte présence à tous les niveaux dans la fonction publique du Nouveau-Brunswick. J’ai aussi constaté personnellement l’effet qu’ont produit la nomination de Paul Tellier au poste de greffier du Conseil privé en 1985 sur les francophones dans la fonction publique, et celle de Jocelyne Bourgon, au même poste, sur les femmes. Ces deux personnes se sont hissées au sommet en raison de leurs compétences supérieures, non parce qu’elles étaient francophones ou que l’une était une femme. Elles ont ouvert la voie à d’autres qui ont suivi. Tout à coup, il était insensé de prétendre que quelqu’un était en mesure d’obtenir un poste de direction simplement parce qu’il était francophone ou une femme; il suffisait de citer l’exemple de Paul Tellier ou de Jocelyne Bourgon pour le démontrer.

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l eS c a N a d IeN S N oI rS eN taN t qUe v I ctI meS Les modèles sont importants pour montrer la voie à suivre, mais l’histoire l’est tout autant. Nous avons vu plus tôt l’histoire douloureuse des peuples autochtones, qui n’a pas d’équivalent. Les Canadiens noirs ont également eu une histoire très difficile, marquée par les souffrances et les promesses non tenues. Je recommande vivement aux lecteurs de lire Blacks in Canada: A History à ce sujet. Cet ouvrage acclamé par la critique offre une histoire exhaustive et très accessible des Canadiens noirs, qui remonte jusqu’à 1678. On sait que la Nouvelle-France eut très tôt recours à des esclaves d’Afrique pour exploiter les possibilités économiques du Nouveau Monde dans les secteurs des mines, de la pêche et de l’agriculture. Louis  XIV, le roi-soleil, acquiesça à la demande d’envoyer des esclaves africains en Amérique du Nord, malgré une certaine inquiétude. Il craignait que l’initiative n’entraîne de grandes dépenses pour la Nouvelle-France, car «  la difference du climat de ces negres a celuy du Canada24  » risquait de les faire mourir. Peu importe, l’esclavage devint une pratique relativement courante en Nouvelle-France. Des documents révèlent qu’il y avait environ 3 600 esclaves, tant noirs qu’autochtones, lorsque les Britanniques remportèrent la bataille de Québec. L’esclavage se poursuivit après la Conquête dans le Haut-Canada jusqu’en 1793, lorsqu’on adopta une loi qui rendit illégale l’entrée d’esclaves dans la colonie. L’Empire britannique abolit la traite des esclaves en 1807 et l’esclavage comme tel en 183425. La décision de la Grande-Bretagne d’abolir l’esclavage sur son territoire et dans ses colonies fit en sorte que les colonies de l’Amérique du Nord britannique devinrent un refuge sûr pour les esclaves des États-Unis. Un grand nombre d’entre eux se dirigèrent vers le nord en empruntant le « chemin de fer clandestin  »  pour y trouver la liberté et prendre un nouveau départ. Lors de la guerre de l’Indépendance américaine, la Grande-Bretagne indiqua clairement aux esclaves qu’ils pourraient obtenir la liberté, recevoir l’entière protection des forces britanniques et se voir octroyer une terre s’ils combattaient contre les révolutionnaires américains. Des Loyalistes noirs trouvèrent refuge dans les colonies britanniques dans la foulée de la Révolution américaine. Ils représentaient près de 10  % de tous les Loyalistes de l’Empire-Uni qui vinrent s’établir en Amérique du Nord britannique. Avant la Révolution

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américaine, quelques milliers d’esclaves africains étaient venus dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique aux 17e et 18e siècles. Toutefois, la Révolution américaine allait complètement changer la donne. Les autorités britanniques accueillirent environ 3 000 Noirs « libres » qui étaient demeurés loyaux envers la Couronne26. À une certaine époque, les Loyalistes noirs de la Nouvelle-Écosse formaient la plus grande communauté de Noirs affranchis à l’extérieur de l’Afrique. Une autre vague de Loyalistes noirs, ayant reçu les mêmes promesses mais appelés cette fois les réfugiés noirs, arrivèrent dans la région des Maritimes, en Ontario et au Québec après la guerre de 181227. En tout, 30 000 esclaves vinrent au Canada en passant par le chemin de fer clandestin entre les années 1850 et la fin de la guerre de Sécession américaine. Ils s’établirent surtout dans le Sud de l’Ontario. Plus tard, un certain nombre de Noirs immigrèrent au Canada en quête de travail et beaucoup trouvèrent un emploi comme porteurs pour les compagnies de chemin de fer dans toutes les régions du pays28. Les Loyalistes noirs et les réfugiés noirs se rendirent bientôt compte que le gouvernement honorait rarement sa promesse de leur octroyer des terres et que, lorsqu’il le faisait, les parcelles étaient beaucoup plus petites que ce qu’on leur avait promis et situées dans des régions très peu propices à l’agriculture. Par exemple, le Regulus, transportant 371 esclaves en fuite ou affranchis après la guerre de 1812, arriva à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, en 1815. Ce n’est qu’en 1836 que ces réfugiés obtinrent les terres promises, ce qui n’était vraiment pas de bon augure pour la promotion d’une culture entrepreneuriale29. De plus, la qualité des terres était très médiocre. Dans son histoire du Nouveau-Brunswick, W.S. MacNutt affirme que les Loyalistes noirs et les réfugiés noirs n’avaient aucune disposition pour l’agriculture30. Il ne s’est toutefois jamais demandé si les terres concédées étaient arables, ce qui n’était pas le cas. D’autres historiens soulignent que les Loyalistes noirs et les réfugiés noirs ne reçurent que de petites bandes de terre rocailleuse, et seulement après une longue attente. De plus, la superficie des terres concédées aux Loyalistes noirs était trop petite pour permettre la culture en parcelles ou leur division en lots plus petits, contrairement à celles concédées aux Loyalistes blancs31. Les terres octroyées aux Loyalistes noirs et aux réfugiés noirs ne pouvaient guère servir

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qu’à une agriculture peu rentable ou à la production de cultures sans grande valeur. Bref, les promesses qu’on leur avait faites ne furent pas respectées, si bien que les Loyalistes noirs et les réfugiés noirs devinrent des victimes. Une entreprise britannique proposa aux Loyalistes noirs de les relocaliser en Sierra Leone, en Afrique de l’Ouest, et environ la moitié d’entre eux acceptèrent l’offre, dont 70 familles de la région de Saint-Jean et plus d’un millier de personnes de la Nouvelle-Écosse32. Ils conclurent que la loyauté n’était pas réciproque : ils avaient été loyaux envers la Couronne britannique, mais l’Office des colonies n’était pas loyal envers eux en retour, car il ne respectait pas les promesses qu’il leur avait faites. Barry Cahill a soutenu que les Loyalistes noirs relevaient davantage du mythe que de la réalité. Il a expliqué : « Ni l’hypothèse des Loyalistes noirs, ni le mythe auquel elle a donné lieu ne tiennent compte du fait que c’est le racisme tout court qui empêcha les esclaves fugitifs et réfugiés d’être des Loyalistes ou d’être vus comme tels33.  » Quelle que soit la façon de classer les personnes d’ascendance africaine, les préjugés et la discrimination auxquels elles se sont heurtées et se heurtent encore sont profondément enracinés34. En 1911, le Canada envoya aux immigrants noirs le message qu’ils n’étaient pas les bienvenus au pays. Le gouvernement de Wilfrid Laurier adopta un décret interdisant l’entrée des personnes de race noire au Canada. Le décret vit le jour après que 1  500  Américains noirs eurent migré surtout dans l’Ouest canadien, en provenance principalement de l’Oklahoma. Je rappelle que plusieurs Noirs de l’Oklahoma furent lynchés par des groupes de suprémacistes blancs entre 1908 et 191635. Ottawa craignait un afflux soudain de fugitifs noirs et décida d’y mettre fin. Dans son décret en conseil, le gouvernement Laurier invoqua un argument qui, de nos jours, semble tout à fait absurde, voire complètement raciste : « la race noire... est considérée comme inadaptée au climat et aux exigences du Canada36 ». Le survol qui précède illustre que deux groupes de Canadiens, les Noirs et les Autochtones, demeurent des victimes. Ils demeurent des victimes en raison non seulement de leur participation insuffisante à la fonction publique fédérale, notamment dans les postes d’autorité, mais aussi de leur incapacité de participer pleinement à la société canadienne. Ils sont des victimes parce qu’on leur a fait des promesses qui, pour la plupart, n’ont pas été tenues.

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Le taux de chômage chez les Canadiens noirs se situe à 12,4 %, comparativement à 7,3  % chez les Canadiens non racialisés; le salaire annuel des hommes noirs était en moyenne de 37 717 $ en 2015 contre 56  920  $ pour les hommes canadiens qui n’appartenaient pas à une minorité visible. Quant aux femmes noires, elles ont gagné en moyenne un salaire de 31 900 $ la même année, tandis que les femmes non racialisées ont gagné en moyenne 38 247 $. La situation des Canadiens noirs ne s’améliore pas lorsqu’on examine d’autres données, notamment sur les revenus de placements37. Les peuples indigènes sont également confrontés à des défis économiques extrêmement difficiles. Ils accusent un retard par rapport à la moyenne canadienne selon tous les indicateurs économiques : leur taux de participation à la population active est inférieur, leur taux de chômage est plus élevé, leur revenu est considérablement moins élevé et une plus grande proportion de leur revenu est tirée des transferts gouvernementaux, le taux d’obtention d’un diplôme d’études secondaire est plus bas, tout comme la proportion de travailleurs et travailleuses autonomes, et ainsi de suite38. Je peux ajouter que les Autochtones sont surreprésentés dans le système judiciaire canadien et que 47 % des enfants des Premières Nations vivent dans la pauvreté39. Je reviendrai sur ces questions plus loin. Je maintiens que l’histoire, les engagements non respectés, le sectarisme et le racisme «  tout court  »40, de pair avec des politiques publiques mal inspirées, sont les raisons pour lesquelles non seulement ils sont devenus des victimes, mais aussi pourquoi ils demeurent des victimes à ce jour. D’autres groupes ont pu se libérer de la victimisation grâce à des politiques publiques et parce qu’on leur a donné les outils nécessaires pour qu’ils s’en sortent, mais pas les Canadiens noirs et les peuples autochtones. Il est extrêmement difficile, voire impossible, pour une personne, et encore plus pour un groupe, de repartir à neuf un bon jour et d’ignorer simplement des siècles de discrimination, de préjugés et d’abus. Les peuples autochtones et les Canadiens noirs ont été rabaissés par des politiques gouvernementales durant de nombreuses décennies et même des siècles dans le cas des peuples indigènes. J’estime que peu de gens au Canada peuvent maintenant dire aux gouvernements qu’ils ont besoin d’aide pour se libérer de leur statut de victimes, mais que les Autochtones et les Canadiens de race noire figurent en tête de liste.

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à qU I r e vI e N t l a r eSPo NS aBI l Ité? Je reconnais que certains de mes collègues et amis – pas tous, loin de là – soutiennent que nous ne devrions pas être tenus pour responsables de la façon dont les gouvernements et les générations qui nous ont précédés ont traité les groupes minoritaires. L’un d’eux, par exemple, a fait valoir qu’il serait injuste de considérer que le gouvernement actuel de la République fédérale d’Allemagne est responsable des atrocités commises par l’Allemagne nazie, et que le même raisonnement devrait s’appliquer au Canada dans le cas des peuples autochtones et des Canadiens noirs. Selon cet argument, le Canada actuel n’est pas le Canada de 1867 ou le Canada de sir Wilfrid Laurier, et il est impossible de demander des comptes aux politiciens pour des politiques et des décisions de gouvernements antérieurs. Je soutiens, toutefois, que les Canadiens et les Canadiennes ont collectivement une certaine responsabilité à l’égard des actions passées, bonnes ou mauvaises. Nous ne pouvons éviter de reconnaître les valeurs qui façonnèrent le Canada il y a 155 ans. J’affirme également que nous devons faire amende honorable pour les actions passées qui sont une honte nationale, comme le retrait d’enfants autochtones de leur famille ou la décision de sir Wilfrid Laurier d’empêcher les Américains noirs de chercher refuge au Canada en invoquant les rigueurs de notre climat. Autrement dit, nous devons regarder en face la conduite passée inacceptable de notre pays. Bien que les Canadiens d’aujourd’hui et leurs politiciens ne puissent être tenus pour responsables des injustices du passé, je crois que nous avons la responsabilité d’aider à réparer les torts. Je reconnais cependant que les Canadiens et leurs gouvernements peuvent fournir toutes sortes de raisons de ne rien faire ou d’en faire le moins possible. Il en coûte très cher pour rectifier les injustices passées. Pensez aux montants qu’il faudrait verser, par exemple, pour indemniser les Acadiens de la perte des terres qui leur furent confisquées lors de la déportation de 1755. Pensez également au casse-tête bureaucratique qu’il faudrait résoudre pour tenter de déterminer qui doit recevoir une indemnité et quelle forme d’indemnisation accorder pour la façon dont les politiciens traitèrent les peuples autochtones il y a 50, 100, 150 ou 200 ans. Certains observateurs soutiennent que le meilleur moyen de réparer les erreurs du passé est de créer une commission d’enquête, de présenter des excuses et de s’en tenir à cela. Il existe bien sûr

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de nombreuses façons de présenter des excuses; on peut le faire de manière à minimiser les injustices passées et à exclure toute compensation financière. Un gouvernement peut aussi réparer les erreurs du passé en vantant les mérites des lois et du gouvernement actuels comparativement à ce qu’ils étaient il y a un siècle, sans en faire plus41. Les peuples autochtones et les Canadiens noirs retiennent particulièrement l’attention parce que le Canada contribua directement à les maintenir dans un état d’infériorité. Le gouvernement fédéral prit des engagements envers les deux groupes, sans toutefois les honorer. Les Autochtones et les Canadiens noirs furent ballottés de gauche à droite comme des citoyens de deuxième classe durant des années, dans un monde où le type de promesses qui étaient faites n’avait aucune importance et où il importait peu de les respecter. Le gouvernement fit des promesses pour faire avancer les choses dans l’intérêt de la majorité blanche et pour répondre aux circonstances politiques ou aux exigences économiques du moment mais, une fois le moment passé, il ne tint pas ses engagements. Bref, aux yeux des groupes dominants dans la société, les membres des deux groupes n’avaient pas les qualités requises pour être reconnus comme des citoyens à part entière. D’autres groupes, notamment les minorités visibles, doivent également faire face à des difficultés importantes. Ils font l’objet eux aussi de discrimination raciale. Rares sont les jours où les médias ne rapportent pas qu’un membre d’une minorité visible s’est fait harceler dans un endroit public, comme en témoignent deux incidents survenus en un court laps de temps dans les Maritimes. Une famille musulmane a été agressée physiquement et verbalement en septembre 2021 à Moncton. Selon les médias, les attaques ont peut-être été motivées par le fait que la fille de Mohammed Benyoussef portait un hijab. L’agresseur a dit à Benyoussef de retourner dans son pays et il l’a agressé physiquement42. L’agresseur n’en était peut-être pas conscient, mais les Autochtones auraient pu dire la même chose à ses ancêtres. Au cours de la même semaine, un jeune homme de 23  ans originaire du Punjab, en Inde, a été assassiné à Truro, en Nouvelle-Écosse, dans un crime dit « à caractère raciste ». La victime travaillait pour une entreprise de taxi locale et occupait un emploi à temps partiel dans deux restaurants. Il était venu en Nouvelle-Écosse pour poursuivre ses études43. Malheureusement, ces incidents sont loin d’être des cas isolés.

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On se souviendra aussi que quatre membres d’une famille musulmane ont été tués lors d’une «  attaque préméditée  » à London, en Ontario, en juin 2021. Un agent du service de police municipal a déclaré : « Des preuves indiquent qu’il s’agissait d’un geste prémédité et que la famille a été ciblée parce qu’elle était musulmane44.  » Six musulmans ont été tués également dans une mosquée de Québec en 2017 et les crimes haineux à l’endroit des Asiatiques ont grimpé en flèche partout au Canada au cours des dernières années. Selon une source, 891 incidents du genre ont été rapportés en quelques mois45. Ces incidents font-ils de ces groupes des victimes? Bien sûr que oui. Ils sont victimes de préjugés et de racisme, et la lutte au racisme au Canada est un combat de tous les instants. Les gouvernements doivent déployer tous les efforts pour sensibiliser la population canadienne aux dangers du racisme. Cependant, les gouvernements ont une responsabilité particulière envers les peuples autochtones. Dans leur cas, le Canada ne doit pas seulement lutter contre le racisme, mais aussi réparer le tort causé par des engagements non tenus, des promesses brisées et des politiques gouvernementales qui ont marginalisé un peuple et détruit sa confiance en soi. La situation est différente pour les autres groupes. Ils sont venus au Canada pour commencer une nouvelle vie. Certains sont venus en tant que réfugiés, laissant derrière eux des situations où ils étaient des victimes. On ne leur a pas menti en leur faisant de fausses promesses. On ne les a pas chassés de leurs terres et transplantés sur de petites parcelles isolées. Ils ont répondu en devenant des citoyens productifs qui participent à la société canadienne. J’en vois des signes évidents dans ma ville, où des réfugiés vietnamiens, notamment, sont des chefs de file dans plusieurs secteurs. Les données indiquent également que les néo-Canadiens apportent de solides contributions. Des études révèlent, par exemple, que le taux de recours aux programmes gouvernementaux tels que l’assurance-emploi et l’assistance sociale chez les néo-Canadiens est inférieur à celui des Canadiens de naissance46. Tout ce que les nouveaux arrivants demandent, c’est la chance de repartir à zéro. Beaucoup ont su en profiter au maximum et ont lancé des entreprises florissantes dans toutes les régions. De plus, les immigrants représentent maintenant le quart des travailleurs de la santé, dont 36  % de nos médecins et 23  % de nos infirmières autorisées47. Des néo-Canadiens sont à l’origine de nombreuses réussites remarquables. Ainsi, le Dr Lap-Chee Tsui, immigré de Chine, a

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dirigé l’équipe qui a découvert le gène responsable de la fibrose kystique à l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, et il n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Les immigrants représentent maintenant 33  % des propriétaires d’entreprises ayant des employés salariés au Canada. L’un d’eux, Karim Hakimi, est venu au Canada et a lancé l’entreprise Hakim Optical, une chaîne d’opticiens qui compte 161  établissements et 600  employés dans l’ensemble du Canada48. Une étude récente indique que les nouveaux Canadiens sont plus enclins à lancer une entreprise, qu’ils créent plus d’emplois par entreprise et que celle-ci connaît une croissance plus rapide que les entreprises lancées par des personnes nées au Canada. Dans l’ensemble, le taux d’activité entrepreneuriale chez les nouveaux arrivants est deux fois plus élevé que chez les personnes nées au Canada49. De plus, les néo-Canadiens ont des histoires inspirantes à raconter. Jorge Fernandez, le père de Leylah Fernandez, la star canadienne du tennis, a expliqué aux médias ce que le Canada représentait pour lui : « Nous sommes une famille d’immigrants. Nous sommes arrivés ici et nous n’avions rien. Le Canada m’a ouvert ses portes, et si ça n’avait pas été le cas, je n’aurais pas obtenu les opportunités que j’ai aujourd’hui. Et je n’aurais pas été capable non plus de les offrir à ma fille. Donc oui, ça veut réellement tout dire50. » À l’instar de nombreux autres nouveaux Canadiens, il ne se voit pas comme une victime après son arrivée au Canada. Le Canada n’a manqué à aucun engagement envers Fernandez, pas plus qu’il ne l’a chassé de la terre qu’il possédait autrefois ou qu’il n’a fait de lui un pupille de l’État. Le Canada n’a pas utilisé des termes désobligeants, comme «  sauvage  », pour décrire son mode de vie culturel et il ne lui a pas dit qu’il était trop incompétent pour voter ou participer pleinement à la société. Le pays lui a ouvert ses portes et lui a offert l’occasion de repartir à zéro. Par conséquent, lui et d’autres nouveaux arrivants ne se considèrent pas comme des victimes. Il en va autrement pour les peuples autochtones, qui ont un point de vue différent sur le Canada et les possibilités qu’il offre.

q Ue f aU d r aI t - Il fa I re? Comme nous l’avons vu plus tôt, les Canadiens noirs sont bien présents dans la fonction publique fédérale, où ils constituent 3,5 % des effectifs. Cela dit, le gouvernement fédéral pourrait en faire plus pour

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aider les Canadiens noirs à améliorer leurs compétences en gestion afin d’être promus à des postes supérieurs. Ottawa peut pointer du doigt les gouvernements des provinces en affirmant qu’eux aussi devraient en faire plus pour faciliter l’intégration des Noirs dans leur économie. Cependant, il doit aussi se pointer lui-même du doigt pour ne pas attirer un plus grand nombre de Noirs dans la fonction publique fédérale et ne pas leur offrir la possibilité de gravir les échelons. C’est le moins qu’il puisse faire pour corriger un tort historique. Ottawa devrait aussi veiller à ce que les Autochtones jouent un rôle important dans la fonction publique du pays. Le gouvernement fédéral a la capacité d’assurer que les Autochtones sont adéquatement représentés dans la fonction publique fédérale et qu’ils ont accès aux mêmes possibilités d’avancement que leurs collègues allochtones. La fonction publique fédérale a manqué à ses obligations envers les peuples autochtones à plusieurs égards et continue de le faire. Si le gouvernement fédéral et la fonction publique fédérale sont incapables de voir à ce que les Autochtones trouvent leur place dans la fonction publique canadienne, ils ne pourront probablement pas faire grand-chose d’autre pour eux. Ottawa pourrait s’inspirer des mesures qui ont permis aux Acadiens et aux femmes de participer pleinement à tous les niveaux de la fonction publique, puis entreprendre de faire la même chose pour les Autochtones et les Canadiens noirs. Les progrès seront plus rapides si le premier ministre et le Bureau du Conseil privé émettent une directive à tous les sous-ministres ou les directions permanentes des ministères et organismes selon laquelle leur rendement, leur prime annuelle et leur avancement seront désormais liés à leur capacité d’intégrer des travailleurs et travailleuses autochtones dans leurs rangs. Cette mesure est nécessaire parce que les membres des deux groupes sont moins nombreux que les femmes et les francophones, et qu’ils ne possèdent pas autant de masse critique ou de poids politique qu’eux. Il sera important que les Autochtones puissent compter sur des mentors, des modèles pour leur montrer la voie. Paul Tellier et d’autres ont servi de modèles aux francophones et plusieurs femmes ont tracé la voie dans les années  1990 à d’autres qui ont suivi. L’essentiel, c’est que s’il existe chez les politiciens de premier plan et les hauts fonctionnaires une volonté de voir les Autochtones et les Canadiens noirs participer pleinement à la fonction publique fédérale, cette volonté deviendra réalité.

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e N r é t r oS P e ctI ve Le gouvernement fédéral a la capacité d’aider les victimes à sortir de la victimisation pour participer pleinement à ses institutions et à la société, à commencer par la fonction publique. Il a décidé à la fin des années 1960 que, contrairement aux années précédentes, les francophones allaient désormais jouer un rôle important dans la fonction publique. Ses efforts ont été couronnés de succès. Il a décidé dans les années 1990 d’assurer la pleine participation des femmes à tous les niveaux de la fonction publique et, à nouveau, ses efforts ont été fructueux. On ne peut pas en dire autant dans le cas des Autochtones et des Canadiens noirs. La fonction publique est encore loin du compte en ce qui concerne tant le nombre d’employés issus de ces groupes, que leur présence dans les postes de la haute direction. Il convient de rappeler que le gouvernement fédéral doit en faire plus, beaucoup plus pour attirer des Autochtones dans la fonction publique à tous les échelons de son organisation. Cependant, les défis auxquels sont confrontés les peuples autochtones en particulier s’étendent à tous les domaines de politique publique et à tous les aspects du développement socioéconomique. Je reviendrai sur ce point dans les chapitres subséquents.

8 Y en a-t-il d’autres?

J’ai discuté de ma réflexion au sujet des victimes avec un chef d’entreprise bien connu de Moncton en juillet 2021. Il a affirmé que tout le monde se voit comme une victime. « Même dans le milieu des affaires? » lui ai-je demandé. Il a répondu : « Oui, bien sûr, parce que nous sommes victimes des dépenses publiques, de la bureaucratie gouvernementale et de la réglementation gouvernementale. » Un autre homme d’affaires local m’a dit : « Eh bien, quelqu’un doit payer les factures, et c’est nous. » Alors que je discutais du livre avec un Québécois anglophone, celui-ci a déclaré  : «  Hé! C’est nous les vraies victimes au Canada. Pour en avoir la preuve, tu n’as qu’à regarder ce que font le gouvernement du Québec et, maintenant, le gouvernement fédéral. Nous devons remplir des formulaires si nous voulons que nos enfants fréquentent des écoles de langue anglaise. » Pendant que je travaillais sur ce livre, j’ai été étonné que personne n’ait dit que lui-même ou elle-même ou son groupe n’était pas une victime, pas même chez les gens d’affaires prospères et les hauts fonctionnaires. Tous et toutes, semble-t-il, croient être des victimes dans une certaine mesure, et le coupable est presque toujours le gouvernement ou des politiques de gouvernements antérieurs.

l a c o m mU Na U t é d eS ge NS d’affa IreS Le Canada doit beaucoup à ses gens d’affaires, en particulier à ses entrepreneurs et entrepreneures. Comme je l’ai déjà écrit ailleurs, ce sont les entrepreneurs qui stimulent la croissance des économies1.

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Le milieu des affaires canadien a fait preuve d’une résilience remarquable et d’une grande compétitivité dans une économie mondiale très concurrentielle. Comment certains membres du milieu des affaires peuvent-ils alors se considérer comme des victimes? Je m’empresse de préciser qu’ils se voient comme des victimes de politiques gouvernementales mal inspirées, non comme des victimes de la société. Je souligne aussi que mes discussions avec des représentants et des représentantes du milieu des affaires se sont déroulées pendant la pandémie de covId 19, à un moment où le gouvernement fédéral prenait de nombreuses mesures pour amortir les conséquences économiques de la pandémie pour tout le monde et dans toutes les régions. Selon les gens d’affaires, la pénurie de main-d’œuvre est la difficulté la plus importante à laquelle ils doivent faire face, même dans ma région où le taux de chômage est toujours supérieur à la moyenne nationale. Plusieurs accusent le gouvernement fédéral d’être responsable de la situation. Ils font valoir que les divers programmes de soutien aux particuliers établis par Ottawa pendant la pandémie ont encouragé les travailleurs à rester chez eux, à s’absenter de leur lieu de travail2. Ils soutiennent que les généreux programmes gouvernementaux ont provoqué une pénurie de main-d’œuvre, forçant certaines entreprises à réduire leurs activités ou à mettre sur pause leur stratégie de croissance. Lors de mes discussions, aucun membre du milieu des affaires n’a fait référence aux divers programmes d’appui qu’Ottawa a instaurés pour aider le secteur privé à affronter la pandémie3. J’ai néanmoins soulevé la question, et un homme d’affaires m’a répondu  : «  Si le gouvernement est assez stupide pour me donner de l’argent, je suis assez stupide pour le prendre.  » Je lui ai répliqué  : «  Eh bien, la même logique ne vaut-elle pas aussi pour le travailleur qui reste chez lui et qui reçoit la Prestation canadienne de la relance économique ou des prestations d’assurance-emploi? » Il a simplement haussé les épaules sans répondre. La plupart des entreprises se sont très bien tirées d’affaire grâce aux programmes d’Ottawa liés à la covId -19. Elles ont eu droit à la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUc ), financée en partie par les contribuables, y compris certaines entreprises qui ont très bien réussi durant la pandémie. Les montants dépensés par Ottawa dans le cadre de ce programme durant la pandémie ont été plus élevés que les prestations pour enfants, les transferts en matière

Y en a-t-il d’autres?

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de santé, les paiements de péréquation ou les prestations liées à la pandémie versées aux particuliers. Les médias et le directeur parlementaire du budget ont réclamé une plus grande transparence d’Ottawa en ce qui a trait aux montants que chaque entreprise a reçus et à la période de paie visée par chaque versement. Leur appel est toutefois resté lettre morte. On sait que les gestionnaires de fonds spéculatifs et que « certains des plus riches gestionnaires d’actifs du pays... ont touché la SSUc 4 ». On sait aussi que le gouvernement fédéral a alloué plus de 77 milliards de dollars à « quelque 443 000 entreprises, ce qui en fait l’un des programmes d’aide les plus importants dans l’histoire du pays. L’ampleur du programme est due au fait que celui-ci ne fait aucune distinction pour les entreprises qui ont rapporté une baisse de revenus attribuable à d’autres facteurs que la pandémie ou qui, à l’instar des gestionnaires de fonds spéculatifs, ont obtenu des résultats satisfaisants sur l’ensemble de l’année malgré un ou deux trimestres de piètres résultats5. » Je conçois que le milieu des affaires ait des motifs légitimes de se plaindre du gouvernement. J’ai siégé à des conseils d’administration du secteur privé, collaboré avec plusieurs des plus grands entrepreneurs du Canada (Harrison McCain, Arthur Irving et John Bragg), vu de l’intérieur comment fonctionne le gouvernement et écrit au sujet de la bureaucratie gouvernementale et de ses lacunes. La communauté des gens d’affaires peut faire valoir que le gouvernement fédéral s’adonne au gaspillage, que les effectifs de sa bureaucratie sont beaucoup trop nombreux compte tenu du travail qu’elle accomplit, que lorsqu’elle est contestée la fonction publique allègue toujours qu’elle ne répond pas aux attentes parce qu’elle manque de ressources, que la fonction publique n’arrive pas à régler le cas des employés improductifs, qu’elle est largement incapable de réaffecter des ressources employées dans des secteurs de faible priorité pour les consacrer à des secteurs importants, qu’elle compte beaucoup trop de niveaux de gestion, que la bureaucratie gouvernementale en général a tendance à favoriser l’inaction et que la rémunération des employés du secteur public est trop généreuse, beaucoup plus que celle des employés du secteur privé6. Tout cela est vrai. Selon un rapport de 2015 de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, si le taux de rémunération des employés de l’administration fédérale était le même que celui de leurs homologues du secteur privé, les contribuables canadiens économiseraient jusqu’à 20 milliards de dollars par année7.

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Plusieurs de ces lacunes sont attribuables au gouvernement fédéral lui-même, mais d’autres ne le sont pas. Ces dernières témoignent des différences qui existent entre les secteurs public et privé, où les attentes sont différentes, tout comme les exigences en matière de reddition de comptes et de surveillance. La bureaucratie gouvernementale, par définition, ne pourra jamais être aussi efficace que les entreprises du secteur privé, ce dont les bénéficiaires des services gouvernementaux sont bien conscients. Mais le milieu des affaires canadien ne peut pas vraiment se considérer comme une victime. Il a les moyens non seulement de faire connaître son point de vue au gouvernement, mais aussi d’influencer les décisions gouvernementales, que ce soit par l’entremise d’organismes tels que le Conseil canadien des affaires ou de lobbyistes grassement payés. De plus, les chefs d’entreprise ont accès aux dirigeants politiques et administratifs plus facilement que les autres membres de la société. Un chef de file du monde des affaires canadien peut vraisemblablement s’attendre à ce que le greffier du Conseil privé ou un ministre influent du Cabinet réponde à son appel téléphonique. Les chances sont minces, voire nulles que celui-ci réponde à l’appel d’un simple citoyen ou d’une simple citoyenne.

q U’ e N eS t -I l d eS c aNad I eNS d’or I gI N e c hIN o IS e e t j aP oN a I Se? Certains membres de ma famille et certains de mes amis m’ont dit que, si je voulais écrire un livre sur les victimes, je devais parler du traitement que le Canada a réservé aux Canadiens d’origine chinoise et aux Canadiens d’origine japonaise. Ils ont raison. Par le passé, le Canada s’est révélé un environnement hostile pour les uns et les autres. Il est bien connu que des ouvriers chinois jouèrent un rôle important dans la construction du réseau ferroviaire national. Ils travaillèrent dans des conditions particulièrement difficiles à construire le Chemin de fer du Canadien Pacifique. Ils recevaient un salaire de famine et plus de 600 d’entre eux périrent en raison des conditions de travail dangereuses8. La situation des Canadiens d’origine chinoise ne s’améliora guère dans les décennies suivantes. Les immigrants chinois devaient payer une «  taxe d’entrée  » au Canada et étaient le seul groupe ethnique assujetti à une telle taxe. Les choses que l’on disait il y a 100 ans à propos des immigrants chinois et japonais ont vraiment de quoi choquer de nos jours. Je ne

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peux pas m’expliquer pourquoi ces mots n’étaient pas considérés comme offensants et inacceptables même à l’époque. Par exemple, Ottawa créa une commission royale sur l’immigration chinoise et japonaise en 1902, qui conclut que les Asiatiques « ne sont pas dignes de la citoyenneté entière, qu’ils sont nuisibles à une collectivité libre et dangereux pour l’État ». Le montant de la taxe d’entrée visant les personnes chinoises fut augmenté, puis en 1923, le jour de la fête du Canada, le gouvernement adopta une loi qui mit fin à l’immigration en provenance de la Chine. La loi ne fut abrogée qu’en 19479. Le traitement réservé aux immigrants japonais au Canada ne fut guère plus enviable. Au début, ils furent privés des droits accordés aux autres citoyens, y compris le droit de vote et celui de travailler dans certains secteurs tels que la fonction publique et la pratique du droit. Lors de la Seconde Guerre mondiale, Ottawa décida de procéder à l’internement et à l’expropriation de plus de 20 000 Canadiens d’ascendance japonaise. Ottawa ordonna également que tous les Nippo-Canadiens habitant à moins de 160  km de la côte du Pacifique soient déplacés. Ensuite, le gouvernement fédéral vendit toutes les propriétés appartenant à des Canadiens d’origine japonaise en Colombie-Britannique entre 1943 et 1946 « pour préparer leur déportation après la guerre10 ». Les Canadiens d’ascendance chinoise et japonaise n’ont pas porté longtemps le statut de victimes, ce qui est tout à leur honneur. Avec le temps, Ottawa présenta des excuses aux deux groupes et leur versa une indemnité en réparation des torts passés. Ce qu’il faut retenir, c’est que les politiques du gouvernement fédéral étaient nettement discriminatoires à l’endroit des Sino-Canadiens et des Nippo-Canadiens. Elles causèrent des torts aux deux communautés et en firent des victimes. Cependant, le gouvernement fédéral chercha plus tard à s’amender en leur présentant des excuses et en leur offrant une indemnité. Le premier ministre Brian Mulroney fit remarquer en 1988  : « Nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous devons, en tant que nation, avoir le courage de reconnaître ces faits historiques11. » Le gouvernement fédéral offrit une indemnité globale de 300  millions de dollars aux Canadiens d’origine japonaise, qui comprenait une indemnité de 21  000  $ pour chaque survivant, un fonds de 12 millions de dollars pour la création d’une caisse de bienfaisance et un financement de 24  millions de dollars pour une fondation canadienne des relations raciales12.

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Le premier ministre Harper a également offert des excuses complètes aux Canadiens d’origine chinoise pour la taxe d’entrée et l’interdiction de l’immigration chinoise entre 1923 et 1947. Il a dit : «  Pendant plus de six décennies, ces mesures fondées sur la race visant exclusivement les Chinoises et les Chinois ont délibérément été appliquées par l’État canadien. Ce fut une grave injustice, injustice que nous avons l’obligation morale de reconnaître.  » Ottawa offrit une somme symbolique de 20 000 $ à chaque personne d’origine chinoise qui avait payé la taxe d’entrée et qui était toujours en vie, ainsi qu’aux conjoints de celles qui étaient décédées, mit sur pied un programme de reconnaissance historique en appui à des projets communautaires doté d’un budget de 24 millions de dollars et créa un programme de reconnaissance historique13. Les Canadiens d’origine chinoise et les Canadiens d’origine japonaise ont apporté et continuent d’apporter des contributions substantielles à la société canadienne, et ce, même si leur chemin fut semé d’embûches et s’ils auraient pu, à un certain moment, prétendre légitimement avoir été victimes de politiques gouvernementales. En plus des mesures susmentionnées, des lois provinciales interdisaient également aux entreprises appartenant à des Canadiens d’origine chinoise ou japonaise d’embaucher des femmes de race blanche. Tant les Canadiens d’origine chinoise que les Canadiens d’origine japonaise se sont taillé une place importante dans la fonction publique, le milieu des affaires, les arts et les sports. Adrienne Clarkson, native de Hongkong et 26e gouverneure générale du Canada, a reçu de nombreuses distinctions au cours de ses 18 ans de carrière dans le domaine de la radiodiffusion. Tommy Shoyama, un Canadien d’origine japonaise, était l’un des fonctionnaires les plus respectés à Ottawa dans les années  1970, où il fut sous-ministre des Finances de 1975 à 1979. Il a également mené une carrière remarquable dans la fonction publique provinciale. Patrick Chan, un Canadien d’ascendance chinoise, a remporté des médailles d’or et d’argent en patinage artistique aux Jeux olympiques. Thomas Fung, un autre Canadien d’ascendance chinoise, a bâti un empire médiatique et immobilier et a apporté un soutien philanthropique à d’innombrables organismes14. Je pourrais facilement ajouter d’autres noms à cette liste. Les Canadiens d’origine chinoise et les Canadiens d’origine japonaise participent pleinement à l’économie canadienne. Les taux d’emploi et d’activité de la population d’origine chinoise, par

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exemple, sont comparables à la moyenne canadienne. Je signale toutefois que le taux d’activité des jeunes d’ascendance chinoise âgés de 15 à 24 ans est inférieur à la moyenne, ce qui s’explique notamment par la plus grande proportion de jeunes d’origine chinoise qui sont aux études à temps plein. Je signale aussi que la rémunération horaire des hommes et des femmes d’origine chinoise est plus élevée que celle des autres groupes de minorités visibles15. On sait que les Canadiens d’ascendance chinoise et les Canadiens d’ascendance japonaise attachent une grande importance à l’éducation. Statistique Canada a produit en 2019 une étude comparative des niveaux de scolarité chez les immigrants qui est très révélatrice. Elle montre que les Canadiens d’origine chinoise et les Canadiens d’origine japonaise obtiennent des résultats meilleurs ou bien meilleurs que ceux des autres groupes16. Les minorités visibles ont chacune leur propre histoire et ont fait face aux préjugés à des degrés divers. Le Canada n’est certainement pas le seul pays occidental à avoir connu, au cours de son histoire, un épisode honteux marqué par le racisme et le sectarisme. Je soutiens toutefois que le Canada se démarque parmi ses pairs pour avoir reconnu son passé, avoir cherché à réparer les erreurs du passé et avoir apporté une aide aux victimes des politiques néfastes de gouvernements antérieurs. À mon avis, il est impossible de comparer un groupe minoritaire à un autre pour expliquer leurs niveaux de réussite différents. Après avoir lu la première ébauche du manuscrit, un ami m’a dit : «  Pourquoi les Autochtones ne peuvent-ils pas faire comme les Canadiens d’origine chinoise et passer à autre chose? » La question présume que les deux groupes ont connu une histoire semblable, ont vécu les mêmes expériences et ont eu les mêmes possibilités. Or, les victimes et les groupes minoritaires n’ont pas tous la même position de départ.

l e S Po l It I c Ie N S e t l eS fo Nct Io NNa Ire S Un sondage mené en 2021 auprès des Canadiens révèle que les politiciens arrivent au bas du classement des professions les plus respectées et ne devancent que les vendeurs de voitures et les propriétaires de plateformes de médias sociaux. Les pompiers, les infirmières et les agriculteurs occupent les premiers rangs17. Les politiciens savent très bien interpréter les sondages d’opinion publique. Beaucoup

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d’hommes et de femmes politiques se considèrent comme des victimes et me l’ont dit. Ils n’ont peut-être pas tort. Les réseaux sociaux et les exigences de plus en plus rigoureuses en matière de transparence n’ont rien fait pour améliorer les choses, du moins du point de vue des politiciens. Il est extrêmement plus difficile d’être un politicien ou une politicienne de nos jours que ce ne l’était autrefois. Je rappelle aux lecteurs que C.D. Howe, le ministre à tout faire au sein des gouvernements de Mackenzie King et de Louis St-Laurent, examinait chaque semaine son vaste portefeuille d’actions à la lumière des décisions du gouvernement et des renseignements qu’il avait appris au sein du gouvernement pendant la semaine. Personne ne lui reprochait d’être à la fois un investisseur actif et un puissant ministre. «  On ne l’accusait pas non plus d’être corrompu ou de prendre des décisions influencées par ses intérêts personnels. On jugeait qu’à titre de ministre, il ne prendrait jamais une décision contraire à l’intérêt de la population. Howe ne voyait aucune contradiction entre ce qui était bon pour son pays et ce qui était bon pour lui-même. On vouait autrefois une grande confiance aux fonctionnaires de l’État. Or, cette époque depuis longtemps est révolue18. » Un éminent journaliste canadien se demande si nous sommes allés trop loin dans notre suspicion envers les personnes qui se présentent en politique. « Encouragés par une presse vorace, nous avons perdu toute confiance envers les politiciens et les fonctionnaires. Nous leur avons imposé tant de restrictions et nous nous sommes tellement immiscés dans leur vie privée que plusieurs citoyens et citoyennes choisissent de demeurer dans le secteur privé plutôt que de faire l’objet d’un examen aussi minutieux19. » Par le fait même, les politiciens et les fonctionnaires sont maintenant soumis à un niveau d’examen public qui ne serait toléré nulle part ailleurs que dans l’appareil gouvernemental. Fini, le temps où l’on traitait les politiciens et les fonctionnaires avec déférence. Que ce soit à cause des politiciens eux-mêmes, de l’avènement des médias sociaux, de la polarisation de la vie politique canadienne, des exigences en matière de transparence ou du « journalisme d’embuscade », il demeure que la population canadienne ne témoigne plus aux politiciens le respect qu’ils inspiraient autrefois. Dans son livre The Decline of Deference: Canadian Value Change in Cross National Perspective, Neil Nevitte avance qu’un changement de valeurs s’est produit dans la population canadienne : nous faisons moins preuve de déférence envers nos dirigeants politiques et nous

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sommes plus enclins à contester les politiques qui nous semblent déficientes pour toutes sortes de raisons20. Il a publié les résultats de son étude en 1996 et, s’il est une chose, le phénomène n’a fait que s’accélérer depuis. Les politiciens sont maintenant soumis à de l’abus ignoble. On se souviendra par exemple des insultes inqualifiables qui ont été lancées à la ministre fédérale Catherine McKenna à l’automne 2019. La revue Maclean’s a écrit que derrière ces insultes se cache une poudrière alimentée par l’anxiété, le ressentiment et beaucoup de colère21. McKenna a décidé de ne pas se présenter à l’élection générale suivante. Ce qui est arrivé à la ministre n’est pas un incident isolé, loin de là22. Gary Mason a écrit : « Mme McKenna est précisément le type de personne qu’on espère attirer en politique : intelligente, éloquente, passionnée par les enjeux importants et ardente défenseure des droits des femmes et des filles. Son départ laisse un vide. Mais qui peut lui reprocher de vouloir partir étant donné le harcèlement constant dont elle était la cible? Pourquoi voudrait-on se lancer en politique de nos jours23? » Les médias sociaux ont rendu la tâche des politiciens beaucoup plus difficile. La revue The Economist a écrit : « Les médias sociaux offrent des plateformes aux monomaniaques qui, auparavant, rageaient dans l’intimité de leur chambre. Des gens qui hésiteraient peut-être à s’en prendre à leurs concitoyens en personne n’éprouvent maintenant aucun scrupule lorsqu’il s’agit d’engueuler des cibles virtuelles. Des “tweets” hargneux balancés en quelques secondes suscitent des réponses hargneuses, ce qui engendre une culture de propos virulents24.  » Selon Brad Lavigne, un conseiller politique de longue date du NdP , «  les médias sociaux amplifient les interventions de “bozos” dans le discours politique25  ». Taylor Owen demande : « Est-ce que Facebook menace l’intégrité de la démocratie canadienne? » Sa réponse est oui26. Les personnes qui s’intéressent à la carrière politique doivent comprendre que les histoires anciennes ne sont jamais de vieilles nouvelles. Ce qu’on a dit ou fait à l’âge de 16 ans nous suit, pour être ensuite découvert par la « cellule de crise » de n’importe quel parti politique adverse. Il n’en faut pas plus pour dissuader des personnes très compétentes intéressées à la carrière politique de se porter candidates aux élections, de crainte qu’une mauvaise décision prise il y a 10 ou 20 ans ne revienne les embarrasser ainsi que les membres de leur famille.

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Les Canadiens et les Canadiennes doivent se poser la même question que celle posée par Gary Mason  : pourquoi voudrait-on se lancer en politique de nos jours? À une certaine époque, la carrière politique attirait des personnes très accomplies; pensons à Louis St-Laurent, l’un des plus éminents avocats de société de son époque au Canada, à Lester B. Pearson, lauréat d’un prix Nobel, à Mitchell Sharp, qui se distingua au cours de sa carrière dans la fonction publique avant de se lancer en politique, et j’en passe. De nos jours, on trouve souvent dans l’arène politique canadienne des politiciens et des politiciennes de carrière qui comprennent le nouvel ordre politique, et qui ou bien se sont fait une solide carapace, ou bien savent gérer le jeu des reproches. L’un d’entre eux a expliqué comment les politiciens sont devenus des victimes, même de leurs confrères et consœurs. Il a souligné que, dans le cadre du nouveau processus de nomination au Sénat, il est inutile que d’anciens politiciens et politiciennes soumettent leur candidature. Il a raison. Ottawa a clairement indiqué qu’il était inutile que ces personnes soumettent leur candidature parce qu’elles avaient peu de chances d’être sélectionnées. J’ai siégé comme membre du Nouveau-Brunswick au Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat et j’ai été frappé de voir à quel point il y avait peu de candidatures d’anciens politiciens et politiciennes. Raymond Garneau, un autre ancien politicien, m’a dit qu’il était devenu très difficile d’inciter les meilleurs candidats à se présenter aux élections. Les candidats et candidates potentiels savent qu’ils seront étiquetés comme libéraux, conservateurs ou néo-démocrates après leur action politique, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent les élections. Il a expliqué que les politiciens, quel que soit le résultat des élections, seront associés à jamais dans l’esprit des gens au parti pour lequel ils se sont portés candidats, ce qui, insiste-t-il, ne peut que nuire à leurs perspectives de carrière. Les politiciens ne sont pas sans reproche. De concert avec leur « cellule de crise  », ils lancent des attaques personnelles et tiennent des propos incendiaires pendant les campagnes électorales, surtout si les sondages semblent indiquer qu’ils perdent des appuis. Les politiciens et les conseillers de leur parti doivent également évaluer les effets des médias sociaux sur les activités politiques. Certains observateurs font valoir que les médias sociaux sont en train de créer un milieu de travail dangereux, ce que les faits confirment27. L’inaction n’est pas une option. Elle signifierait que nous acceptons que le Canada ne soit pas

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en mesure d’attirer les personnes les plus compétentes afin qu’elles servent le pays. Un observateur attentif de la scène politique canadienne insiste pour dire que c’est déjà ce qui se produit28.

l eS f o Nc tIo N N a Ir eS e N ta Nt q Ue v I ctI me S Les fonctionnaires fédéraux non plus ne bénéficient plus de l’appui qu’ils et elles recevaient autrefois de la population canadienne. Ils savent très bien que leur position sociale s’est détériorée au cours des 30 dernières années. Les politiciens le leur ont confirmé, de même qu’une multitude de sondages d’opinion et les médias. Une étude d’envergure, fondée sur un sondage mené auprès de la population canadienne, de fonctionnaires et de groupes de discussion et financé par le gouvernement fédéral, a rendu un verdict sévère sur l’état de la fonction publique canadienne. Elle a conclu que les Canadiens et les Canadiennes estiment que les fonctionnaires sont coupés de la réalité, paresseux et trop payés29. En réponse, les hauts fonctionnaires ont serré les coudes pour contrer l’avalanche de critiques et ont concentré de plus en plus d’employés dans la région de la capitale nationale (rcN ). Compte tenu de la géographie du Canada et de l’incapacité du Sénat de donner une voix aux régions dans l’élaboration ou l’évaluation des politiques nationales, la fonction publique fédérale n’a pas été aussi efficace qu’elle l’aurait pu pour intégrer une perspective régionale dans l’élaboration des politiques et des programmes. Comme nous l’avons déjà vu, pour des raisons qui n’ont jamais été précisées, les fonctionnaires fédéraux sont beaucoup plus concentrés dans la région de la capitale nationale au Canada (48 %) que dans le cas de l’Australie (38 %), des États-Unis (16 %) et de la France (22 %)30. Chaque fois que l’on conteste leur travail ou la taille de la fonction publique, les hauts fonctionnaires évoquent les activités des employés de première ligne dans la Garde côtière canadienne ou celles des responsables de la santé publique pendant une pandémie. Ils ne trouvent rien à dire au sujet des centaines de groupes des politiques, de sous-sections de liaison et d’unités d’évaluation et de coordination qu’on compte à Ottawa. Une enquête a été réalisée par le gouvernement dans les années 1980 afin de déterminer tous les postes de la fonction publique dont au moins une partie des responsabilités était les services au grand public, même si cette responsabilité ne représentait que 10  % de leur travail. L’étude a

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constaté qu’environ 40  % seulement des fonctionnaires traitaient directement avec le public dans le cadre de leurs responsabilités même si, encore une fois, les services au public ne constituaient que 10 % de leur travail. Ce pourcentage a probablement diminué ces dernières années en raison de la tendance à concentrer un nombre grandissant de fonctionnaires dans la rcN 31. Nous en sommes donc rendus au point où bien plus de 60 % des fonctionnaires fédéraux exercent des fonctions de consultation en matière de politiques, de coordination, de surveillance et de services administratifs et ont peu de contacts, voire aucun, avec la population canadienne. Bon nombre des employés de ces unités, comme je l’ai écrit ailleurs, sont occupés à actionner des manivelles qui tournent dans le vide. Par le passé, les fonctionnaires pouvaient compter sur les politiciens pour qu’ils se portent à leur défense dans l’arène publique. Plus maintenant. Ces dernières années, on a vu à maintes occasions des politiciens du parti au pouvoir qui n’ont pas hésité à tirer sur leurs propres troupes. Le jeu des reproches ne disparaîtra pas. Les victimes ou les personnes qui ont un réflexe de victime voudront se serrer les coudes. Elles se replient sur elles-mêmes, vers la sécurité de leur propre institution et de ses membres. Dans une de mes publications antérieures, j’ai comparé la bureaucratie fédérale à une grosse baleine qui est incapable de nager. La comparaison a suscité énormément de réactions de la part de fonctionnaires qui, à ma grande surprise, étaient souvent positives, en particulier chez les employés de première ligne. Je ne prétends pas un seul instant qu’il s’agisse d’un sondage représentatif, mais j’ai reçu un certain nombre de courriels et d’appels téléphoniques de gestionnaires de première ligne et de hauts fonctionnaires disant que la fonction publique fédérale commençait en effet à ressembler à une grosse baleine qui ne peut pas nager. Il ne fait aucun doute pour moi que le fossé se creuse entre les fonctionnaires d’Ottawa et leurs homologues qui sont sur le terrain à offrir les programmes et les services. En bref, la fonction publique fédérale a perdu de son prestige aux yeux des Canadiens et des Canadiennes, comme les sondages d’opinion le révèlent32. En quoi la fonction publique est-elle maintenant efficace? Elle peut fournir la réponse espérée lorsque le message des politiciens est clair; j’en veux pour preuve l’efficacité avec laquelle les fonctionnaires fédéraux et provinciaux ont répondu à la pandémie de covId-19. La fonction publique fédérale possède aussi une capacité

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éprouvée de gestion des paiements de transfert aux gouvernements provinciaux et aux particuliers. Elle n’est plus si adroite, par contre, à définir des mesures audacieuses, à fournir des conseils objectifs et non partisans aux politiciens, à gérer les programmes et à gagner la confiance de la population canadienne. Comme l’ont souligné Peter Aucoin et d’autres, les hauts fonctionnaires font maintenant preuve de « promiscuité partisane » dans leur désir d’aider les politiciens et les politiciennes à diriger le gouvernement en menant une campagne électorale permanente33. Il se peut fort bien que des fonctionnaires, particulièrement parmi les travailleurs de première ligne, se voient comme des victimes, mais il est peu probable qu’ils réussissent à convaincre la population canadienne de les aider à redresser la situation. Les maux que la fonction publique s’est infligés à elle-même sont trop nombreux : sa taille continue d’augmenter dans les bonnes périodes comme dans les mauvaises (elle s’est accrue de 4,6  % en 2018-2019), elle est incapable ou elle refuse de s’attaquer au problème des employés improductifs, et elle est incapable ou elle refuse de recommander une réaffectation des ressources allouées à des activités devenues depuis longtemps obsolètes34. Les politiciens et les hauts fonctionnaires fédéraux doivent réparer leurs institutions parce que personne d’autre ne peut le faire ou ne le fera. Les coûts de fonctionnement du gouvernement dépassent largement les contributions qu’il apporte à la société canadienne. Tant que les politiciens et les fonctionnaires de carrière ne s’attaqueront pas à ce problème, ni les uns, ni les autres ne parviendront à regagner toute la confiance des Canadiens. La situation ne fera qu’empirer s’ils se considèrent comme des victimes et s’ils ne font rien pour transformer leurs institutions, à commencer par le Parlement, le Cabinet et les échelons supérieurs de la fonction publique fédérale, où le nombre de niveaux de gestion augmente sans cesse. En somme, les problèmes que la fonction publique fédérale a ellemême créés, notamment la multiplication des exigences en matière de reddition de comptes et de transparence, sont beaucoup trop nombreux pour que quiconque, à l’exception des fonctionnaires, trouve que les Canadiens doivent apporter davantage de soutien à la fonction publique. La fonction publique a le pouvoir de régler le cas des employés improductifs, de réduire les niveaux de gestion, de décentraliser ses activités et de produire des politiques et des avis en matière de programmes en se fondant sur des données probantes,

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au lieu de répondre aux exigences de la politique partisane du jour. Les Canadiens et les Canadiennes ont toutes les raisons de dire à la fonction publique fédérale de se guérir elle-même.

l e S c o m mU N aUt é S l I Ng UI StI q Ue S m IN o rI t aI re S Au début du printemps 2021, on m’a demandé de faire partie d’un « groupe d’experts » sur les langues officielles. La ministre responsable des langues officielles à l’époque, Mélanie Joly, avait promis de créer le groupe d’experts lorsqu’elle avait déposé le document Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielles au Canada35. Le groupe d’experts était chargé d’examiner comment la Loi sur les langues officielles pourrait s’appliquer aux entreprises privées de compétence fédérale. Au moment de ma nomination, j’ai reçu un certain nombre d’appels téléphoniques et de courriels d’amis et de collègues d’un peu partout au Canada qui, dans plusieurs cas, m’ont offert des conseils, y compris deux anglophones du Québec. On se souviendra que le présent chapitre s’ouvre par la remarque d’un ami québécois anglophone qui affirmait que les anglophones sont les nouvelles victimes au Canada. Il est loin d’être le seul anglophone à faire valoir ce point de vue. Je rappelle aussi que mon ami demandait comment décrire autrement les Québécois anglophones, qui devaient remplir un formulaire pour envoyer leurs enfants à une école de langue anglaise. Je lui ai dit que même si les Acadiens représentaient environ le tiers de la population de Moncton, je n’ai pas pu fréquenter une école secondaire de langue française parce qu’il n’y en avait aucune dans la ville. J’ai ajouté que mes parents auraient volontiers rempli n’importe quel formulaire qu’on leur aurait demandé pour pouvoir m’inscrire à une école secondaire francophone au lieu de m’envoyer à leurs frais à un collège privé. Il a répondu : « Je l’ignorais complètement. » Beaucoup d’anglophones du Québec se sentent maintenant abandonnés par Ottawa. En mai 2021, le gouvernement québécois a déposé le projet de loi 96 « sur la langue officielle et commune du Québec, le français  ». Le projet de loi avait pour but d’apporter des modifications à 25 mesures législatives provinciales et à la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada. Il proposait également une mise à jour de la loi 101 ou de la Charte de la langue française.

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En mai  2022, l’Assemblée nationale a adopté la nouvelle loi, qui affirme que les Québécois et Québécoises forment une nation et que le français est la seule langue officielle de la province de Québec. L’initiative législative comprenait l’adoption de mesures pour accroître la présence et l’usage du français au Québec. Les mesures adoptées incluaient notamment l’exigence qu’une plus grande place soit accordée au français dans l’affichage public, des efforts accrus pour que la clientèle puisse être servie en français, la francisation des entreprises comptant 25 employés et plus et l’imposition de sanctions plus sévères en cas de non-respect36. Le gouvernement du Québec a déclaré que la loi prévoyait le recours à la disposition de dérogation – ironiquement, une disposition contenue dans une Constitution que le Québec n’a jamais signée – pour éviter que les modifications aux lois linguistiques ne soient soumises à un examen judiciaire. Le premier ministre Trudeau a annoncé qu’il appuyait le train de mesures législatives du Québec. Les chefs des autres partis politiques ont rapidement emboîté le pas, et le Parlement a adopté une résolution en appui au projet de loi 96 par un vote de 281 voix pour et seulement deux voix contre, dont celle de l’ex-ministre de la Justice et ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould. Celle-ci s’est dite consternée de voir que la partisanerie et la complaisance avaient mené les législateurs à abandonner « les normes juridiques fondamentales37 ». Les anglophones du Québec ont un point de vue différent sur le projet de loi. Le Quebec Community Groups Network (qcgN ), un réseau qui unit des organismes de langue anglaise du Québec, a affirmé que le projet de loi 96 fait des anglophones du Québec des citoyens et des citoyennes de deuxième classe. Il soutient que la loi envoie le message « à tous les Québécois dont la langue maternelle n’est pas le français qu’ils ne sont pas vraiment bienvenus dans la province ». Un organisme a financé une série d’audiences publiques où l’on a souligné que la loi restreint l’usage de l’anglais au Québec, qu’elle réduit l’accès à la justice en anglais et à l’éducation en anglais au primaire et au secondaire, qu’elle entraîne une diminution des services municipaux offerts en anglais et qu’elle limite l’admission aux cégeps de langue anglaise38. Clifford Lincoln, un ancien ministre fédéral du Québec, a écrit : « Si les garanties qu’offrent la Constitution, la Charte et la Loi sur les langues officielles ne veulent plus rien dire en tant que rempart de l’équité, comme semble le sous-entendre la déclaration du premier

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ministre, vers qui devons-nous nous tourner pour exposer les fondements de notre position et défendre notre cause39?  » Marlene Jennings, une ancienne députée fédérale du Québec, a écrit : « La reconnaissance de droits linguistiques à un groupe linguistique mais pas à l’autre va à l’encontre de l’objectif de la Loi sur les langues officielles et contrevient à l’obligation constitutionnelle claire qui incombe au gouvernement d’assurer le respect de l’anglais et du français comme langues officielles du Canada. Le gouvernement manque ainsi à la promesse d’égalité réelle de la minorité anglophone du Québec et crée une approche asymétrique en matière de langues officielles40.  » Aux yeux de nombreux Anglo-Québécois, Ottawa, par opportunisme politique, a simplement hissé le drapeau blanc en ce qui concerne les droits de la minorité linguistique du Québec. Le continuel débat est simple : les Québécois anglophones considèrent qu’il s’agit d’une question de droits fondamentaux de la minorité linguistique, tandis que la majorité francophone du Québec considère qu’il s’agit d’assurer la pérennité de la langue française et du patrimoine linguistique francophone dans un continent où la langue est très majoritairement l’anglais. Les anglophones du Québec soulignent également que leur taux de chômage est 2 % plus élevé que celui de leurs concitoyens francophones (recensement de 2016), que la fréquence du faible revenu est plus élevée chez les anglophones (18,1 %) que chez les francophones (13,9 %) de la province (recensement de 2016) et que les Québécois anglophones continuent de quitter la province en grand nombre (plus de la moitié des anglophones originaires du Québec vivent maintenant à l’extérieur de la province). Les Anglo-Québécois ont beau faire valoir ces arguments, mais il semble que personne ne les écoute, pas le gouvernement provincial et de moins en moins le gouvernement fédéral. Les Québécois anglophones se perçoivent comme des victimes parce qu’ils estiment que la loi est discriminatoire et viole la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement du Québec, quel que soit le parti au pouvoir, a indiqué clairement qu’il sacrifierait les droits linguistiques de la minorité au profit de son objectif de promouvoir l’usage de la langue française dans la province. Le gouvernement fédéral et le Parlement du Canada, pour des considérations politiques partisanes et dans la quête du pouvoir politique, n’ont plus aucun désir d’intervenir dans les affaires du Québec en ce qui a trait aux droits linguistiques de sa minorité. Je ne peux faire

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mieux que de citer Andrew Coyne à ce propos  : «  les politiciens fédéraux, y compris le premier ministre et les chefs des deux principaux partis de l’opposition, se sont empressés de l’endosser [le projet de loi]. Au lieu de défendre le Canada, les droits des minorités, la Constitution et la primauté du droit, ils les ont tous sacrifiés en un instant sur l’autel d’un objectif beaucoup plus sacré : remporter des sièges au Québec41. » Les politiciens fédéraux se sont dit que le Québec compte 78 sièges au Parlement et qu’un appui aux mesures législatives québécoises aurait peu d’effet dans le reste du Canada. Les résultats de l’élection générale de 2021 leur ont donné raison. Plus exactement, les électeurs anglophones du Québec ne pèsent pas lourd dans le choix du parti qui est porté au pouvoir à Ottawa. En somme, les Canadiens et les Canadiennes de l’extérieur du Québec se sont désintéressés des affaires internes du Québec pour quelque raison : soit ils ont des questions plus pressantes à régler, soit ils ont le sentiment d’avoir peu d’influence dans les affaires internes du Québec. Leur manque d’intérêt envers les mesures législatives, en particulier les débats entourant le projet de loi 96, en dit long. Je ne pouvais m’empêcher de penser que, pour un grand nombre de Canadiens, le Québec était simplement fidèle à lui-même et qu’ils ne pouvaient pas y faire grand-chose. Les francophones de l’extérieur du Québec pourraient être des alliés naturels des Anglo-Québécois dans la lutte pour les droits linguistiques des minorités. Cependant, ils sont restés remarquablement silencieux, eux aussi, au sujet du projet de loi 96. Ils ne voient pas les anglophones du Québec comme des victimes, ni la nécessité de se porter à leur défense. Ils regardent les université anglophones McGill et Concordia, la vigueur du milieu des affaires anglophone de Montréal et le fait que certains des meilleurs établissements de soins de santé au Canada sont des établissements de langue anglaise situés à Montréal, et ils se demandent pourquoi ils se porteraient à la défense de la minorité linguistique du Québec.

l eS f r a Nc o P h oNe S d e l ’ extér I eU r d U qU éB ec Les francophones de l’extérieur du Québec furent victimes de la Confédération en 1867. Ils ne furent pas invités à participer aux trois conférences qui menèrent à la Confédération et encore moins consultés. La question des droits linguistiques, dans la mesure où

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elle fut débattue lors de ces conférences, ne concernait que la majorité de langue française et la minorité de langue anglaise du Québec. Les francophones de l’extérieur du Québec durent livrer une longue lutte pour garantir leurs droits à l’éducation avant l’enchâssement de la Charte des droits et libertés dans la Constitution en 1982. Le gouvernement de l’Ontario adopta en 1912 le Règlement  17, qui établissait l’anglais comme seule langue d’enseignement dans toutes les écoles de la province après les deux premières années du primaire42. Je précise toutefois que, plus de 100 ans plus tard, soit en 2016, le premier ministre de l’Ontario a présenté des excuses pour l’adoption du règlement interdisant l’éducation en français dans la province43. Le Manitoba adopta en 1890 la Loi sur les écoles publiques, qui créait un seul système d’éducation uniquement de langue anglaise dans toute la province44. Au Nouveau-Brunswick, la communauté acadienne dut aussi mener un long combat pour faire reconnaître ses droits à l’éducation et ses droits religieux, qui dura jusque dans les années 1960 dans certaines régions45. La Loi des écoles communes (1871) visait à éliminer les écoles confessionnelles et, par ricochet, l’éducation en français dans presque toute la province46. Le désir d’Ottawa de promouvoir les communautés de langue française d’un océan à l’autre, qui commença à se concrétiser véritablement sous le gouvernement de Pierre E. Trudeau, et la Charte canadienne des droits et libertés ont tout changé. Le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Manitoba ont fait de solides progrès en garantissant les droits linguistiques de la minorité en matière d’éducation. Qui plus est, depuis l’adoption de la Charte, des écoles de langue française ont été construites de Terre-Neuve-et-Labrador jusqu’en Colombie-Britannique. Les francophones de l’extérieur du Québec ont également réussi à obtenir de nouveaux établissements de soins de santé ou à protéger les établissements existants. Ils et elles continuent de renforcer leurs institutions et bon nombre d’entre eux occupent maintenant une place importante dans le milieu des affaires. Ces progrès démontrent que les francophones de l’extérieur du Québec se libèrent rapidement du statut de victimes. Les politiques gouvernementales, dont certaines datant de plus d’un siècle, ont effectivement nui au développement des communautés de langue française de l’extérieur du Québec, faisant d’elles des victimes, du moins à leurs yeux. Cependant, les politiques et

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les programmes gouvernementaux récents ont permis aux francophones de l’extérieur du Québec de devenir des membres productifs de la société canadienne. Nous y reviendrons plus loin.

l e c aNa d a rU ral Un fossé se creuse entre les régions rurales et les régions urbaines au Canada. On le constate dans les habitudes de vote et les dossiers tels que le contrôle des armes à feu. John Ibbitson, chroniqueur au Globe and Mail, explique : « Trop souvent, les électeurs des centres urbains, qui sont davantage susceptibles d’être bien scolarisés, fortunés, progressistes et à l’aise avec toutes les formes de diversité, voient leurs cousins des campagnes comme des gens peu instruits, intolérants et mal informés. Les électeurs des régions rurales voient comment les citadins cherchent à transformer le pays en quelque chose qu’ils reconnaissent à peine47. » Les considérations politiques et les calculs politiques partisans ont certainement une grande influence sur l’élaboration des politiques économiques. Les politiciens accordent beaucoup moins d’importance aux collectivités rurales qu’ils ne le faisaient autrefois. De nos jours, les élections se gagnent ou se perdent dans les centres urbains, du moins sur la scène fédérale. Entre le dernier mandat de Pierre Trudeau comme premier ministre dans les années  1980 et le premier mandat de Justin Trudeau, qui a débuté en 2015, 56  sièges ont été ajoutés à la Chambre des communes. La majorité de ces sièges représente des régions urbaines, ce qui reflète les tendances démographiques48. Toronto, Montréal et Vancouver ont connu une véritable explosion démographique ces dernières années pour une foule de raisons. Ces villes ont réussi à attirer de nombreux néo-Canadiens, qui ont tendance à s’établir là où se trouvent déjà d’autres néo-Canadiens. De plus, le virage vers une économie de services favorise les centres urbains. Les villes canadiennes sont le siège de certaines des meilleures universités du pays, ce qui leur donne un net avantage concurrentiel, car les universités créent un bassin de main-d’œuvre très qualifiée qui, à son tour, incite des entreprises à s’y établir. Il existe une abondante documentation sur les défis auxquels est confronté le Canada rural; inutile d’examiner en détail les données à cet égard. Il suffit de noter que nous assistons présentement à divers phénomènes socioéconomiques, notamment «  une restructuration

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sociale et économique, la diminution de l’importance des industries primaires, le déclin de l’industrie manufacturière, le vieillissement de la population à mesure que les jeunes quittent leur lieu d’origine pour ne plus y revenir, et la réduction du filet de sécurité sociale49 ». On peut y ajouter un autre phénomène, soit la mobilisation des peuples autochtones, qui dénoncent les injustices historiques et l’exclusion sociale qu’ils ont subies, et qui continuent de réclamer le respect de leurs droits ancestraux et issus de traités. Personne ne doit mettre en doute la légitimité des démarches que mènent les communautés autochtones pour obtenir réparation des torts du passé. Or, il se trouve que la responsabilité de réparer les erreurs du passé retombe largement sur les collectivités rurales et non sur les grands centres urbains. On sait que la proportion de population rurale au Canada a constamment diminué depuis la création du pays. Lors de la Confédération, plus de 80 % des habitants du pays vivaient dans les régions rurales. De nos jours, environ 20  % seulement de la population habite en milieu rural. Les politiciens et leurs conseillers politiques savent interpréter les changements démographiques et les sondages d’opinion mieux que quiconque. La plupart des hauts fonctionnaires de carrière sont en poste dans des centres urbains  : Ottawa, Toronto, Winnipeg, Halifax et Edmonton. Lorsque le gouvernement du Canada a lancé un ambitieux programme en matière de R-D et d’innovation, il a baptisé l’initiative le « Défi des villes intelligentes » et non « des collectivités intelligentes  »50. Quand les gouvernements décident de tenir des consultations publiques sur pratiquement toutes les questions de politiques publiques, ils se tournent vers les centres urbains. Pas étonnant alors que les rapports des consultations publiques aient un parti pris pour les villes. Diverses raisons incitent le Canada à miser sur ses centres urbains pour assurer la croissance alors qu’il voit la population diminuer dans les régions rurales, où de nombreuses petites collectivités luttent simplement pour survivre. Les politiques gouvernementales sont loin d’être le seul facteur qui explique les défis économiques auxquels les régions rurales du Canada sont confrontées. La structure agricole s’est beaucoup transformée au cours des dernières années. On a enregistré une baisse marquée du nombre de fermes au Canada, tandis que la taille des exploitations agricoles s’est accrue sensiblement et que l’âge des exploitants agricoles a augmenté51.

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Les défenseurs et les partisans du milieu rural ont constamment exprimé des inquiétudes au sujet des fluctuations de la priorité accordée au développement rural dans le système fédéral. Ils soulèvent un bon point. Ottawa a mis en place un secrétariat rural, mais celui-ci a connu de nombreuses tribulations au fil des ans. Créé en 1998 par le gouvernement Chrétien, il a été aboli en 2013 par le gouvernement Harper. En 2019, la responsabilité du développement rural a été confiée à une unité appelée le Centre de développement économique rural, hébergée par Infrastructure Canada52. En juin 2019, quelques mois seulement avant l’élection générale, Ottawa a présenté une ambitieuse stratégie de développement économique rural. Son rapport réclamait des investissements en milieu rural dans les domaines suivants : Internet haute vitesse, les logements abordables, le tourisme, le développement commercial, l’immigration, les infrastructures, le développement des compétences, ainsi que des mesures visant à accroître la disponibilité de la main-d’œuvre. Ottawa ajoutait que le gouvernement travaillait de près avec les collectivités pour soutenir leur croissance économique, créer de bons emplois pour la classe moyenne et assurer la viabilité des collectivités rurales53. C’était un programme politique ambitieux qui, lui aussi, est tombé dans l’oubli peu après l’élection de 2019. Trudeau a confié la responsabilité du développement rural à une ministre de second rang qui assume aussi diverses autres responsabilités, dont les questions relatives aux femmes et à l’égalité des genres54. Lors de la formation de son nouveau cabinet en octobre 2021, Trudeau a toutefois confié à Gudie Hutchings, également une ministre de second rang, la responsabilité précise de promouvoir le développement économique rural55. On sait maintenant que les dépenses engagées par le gouvernement fédéral pour atténuer les répercussions de la covId -19 ont été destinées aux centres urbains bien plus qu’aux régions rurales, notamment parce que certains des secteurs les plus durement touchés étaient situés dans les villes : l’hôtellerie, le tourisme et le secteur manufacturier. Les circonstances ne jouent pas en faveur du Canada rural. L’intelligentsia du pays, ses élites politiques et économiques et les plus grands journalistes canadiens vivent tous dans des régions urbaines. On a l’impression – et c’est peut-être la réalité – que l’économie mondiale de plus en plus intégrée favorise également les régions urbaines. Le secteur des technologies de l’information (tI ) exige des compétences spécialisées et la capacité de repousser les limites de la

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connaissance. On trouve ces compétences là où nos meilleures universités sont situées, c’est-à-dire dans les grands centres urbains. Il est révélateur que, chaque fois que la question des tI dans les régions rurales du Canada vient sur le tapis, on mette l’accent sur le fossé entre les régions urbaines et les régions rurales en matière d’accès aux services à large bande et sur rien d’autre56. Les villes ont besoin des collectivités rurales pour répondre à leurs besoins en nourriture et en énergie. De plus, les régions rurales offrent aux citadins la possibilité de visiter des lieux enchanteurs et de pratiquer des activités de plein air. Le Canada rural n’est certes pas prêt de disparaître. Son économie ne sera cependant jamais aussi florissante que celle des grands centres urbains du pays. Les résidents des régions rurales ont le choix de continuer de profiter du style de vie qu’offre le Canada rural, y compris des logements abordables et un environnement physique attrayant, ou d’aller vivre dans un centre urbain et de profiter des diverses perspectives économiques qu’il offre. L’un et l’autre comportent des avantages et des inconvénients; c’est une question de perceptions et de préférences de style de vie.

e N r é t r oS P e ctI ve On trouve au Canada de nombreuses personnes qui évoquent des politiques gouvernementales mal avisées pour expliquer leurs difficultés économiques. Ce chapitre a démontré que le Canada possède également une capacité bien développée d’aider des groupes et des communautés à surmonter leurs difficultés. Le milieu des affaires canadien reproche souvent aux politiques gouvernementales d’être déficientes à plusieurs égards. Il souligne qu’il doit affronter la concurrence sur les marchés mondiaux, où les politiques gouvernementales peuvent être bénéfiques ou nuisibles. Je remarque cependant que, selon le Forum économique mondial, le Canada s’est classé au 12e rang sur 140 pays parmi les endroits les plus propices aux affaires en 201957. Deux ans plus tard, une autre étude, réalisée en Suisse, a classé le Canada au huitième rang mondial, devant les États-Unis, pour la compétitivité de son environnement commercial58. Le gouvernement du Canada a joué un rôle clé dans le développement du secteur manufacturier concurrentiel du Canada en y investissant massivement des fonds publics pendant le Seconde Guerre mondiale. Il continue d’y contribuer en

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investissant des fonds publics dans la recherche et développement et dans pratiquement tous les secteurs de l’économie, de l’énergie à l’agriculture. Par ailleurs, le Canada a réparé les torts causés par des politiques passées qui étaient discriminatoires à l’endroit des Canadiens d’origine chinoise et des Canadiens d’origine japonaise. Les personnes appartenant aux deux groupes sont devenues des membres très productifs et valorisés de la famille canadienne. Comme nous le verrons à nouveau dans un chapitre subséquent, le gouvernement du Canada a offert des excuses aux Canadiens d’origine chinoise et japonaise et à d’autres groupes et a versé des indemnités financières pour les préjudices qu’ils ont subis dans le passé. Les politiciens et les fonctionnaires de carrière ont perdu de leur prestige dans la société canadienne. Peu de Canadiens les considèrent toutefois comme des victimes. S’ils sont des victimes, ils sont pour la plupart à l’origine de leur propre malheur. J’aimerais souligner que les politiciens et les politiciennes se trouvent dans une meilleure position que d’autres groupes pour corriger la situation en effectuant une évaluation honnête des raisons pour lesquelles la confiance de la population dans ses institutions est en train de s’effriter, puis en adoptant des mesures pour remédier aux maux qui les affligent. Les Québécois anglophones se sentent abandonnés par les institutions politiques du Québec et d’Ottawa. Quand l’opportunisme politique se heurte aux droits des minorités et qu’aucune exigence juridique n’est imposée aux politiciens, les droits linguistiques des minorités finissent toujours par écoper. L’avenir des AngloQuébécois est indissociable d’un avenir où le Québec demeure au sein du Canada. Les Anglo-Québécois ont créé une liste impressionnante d’institutions politiques et d’établissements d’enseignement et de soins de santé, et leur présence se fait fortement sentir dans le milieu des affaires québécois. Ils ont mis en place des institutions pour continuer d’apporter de solides contributions à leur région et au Canada. Ils auront besoin de ces institutions davantage que par les années passées parce qu’ils viennent de découvrir que la Charte canadienne des droits et libertés est d’une utilité limitée pour protéger les droits linguistiques des minorités. Les francophones de l’extérieur du Québec ont fait des progrès remarquables au cours des 60 dernières années dans tous les secteurs. Ils ont peut-être été victimes de la Confédération en 1867 et de politiques de gouvernements passés, mais ce n’est plus le cas. Le

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gouvernement fédéral, par ses politiques, ses programmes et l’adoption de la Charte des droits et libertés, a joué un rôle crucial pour redresser la situation. Le Canada rural était autrefois l’enfant chéri du pays. Il était fortement représenté au Parlement et dans le Cabinet. Il a cependant perdu de son influence ces dernières années et peut maintenant en imputer la faute aux politiques du gouvernement fédéral, qui favorisent nettement les centres urbains. On a assisté à un important déplacement de la population rurale du Canada vers les centres urbains. Le Canada n’est pas différent des autres pays occidentaux. La polarisation urbaine-rurale est encore plus marquée aux États-Unis qu’au Canada59. En 2010, la population urbaine dans le monde a franchi la barre des 50 % et l’on prévoit qu’en 2030 six personnes sur 10 vivront dans les centres urbains60. Tout cela pour dire que le dépeuplement des régions rurales n’est pas un phénomène exclusif au Canada. La Commission européenne a financé une série d’études sur le développement rural qui ont fait ressortir que le dépeuplement rural est une cause importante de la pauvreté rurale61. C’est aussi le cas au Canada, où les régions rurales accusent également un retard selon la plupart des indicateurs socioéconomiques (revenu gagné, taux d’emploi et taux d’activité). Je signale qu’environ 65 % des Autochtones habitent en milieu rural62. Le Canada rural offre cependant divers avantages. Comme il a été noté, le logement est beaucoup plus abordable dans les régions rurales du Canada que dans les centres urbains. De plus, le filet de sécurité sociale du Canada profite aux régions rurales. Une étude comparative des filets de sécurité sociale canadien et américain indique que si l’on appliquait les programmes américains au Canada, les niveaux de pauvreté y augmenteraient mais que, à l’inverse, si l’on appliquait les programmes canadiens aux États-Unis, les niveaux de pauvreté aux États-Unis chuteraient63. Sans les programmes de sécurité sociale canadiens, les politiques gouvernementales auraient des effets beaucoup plus dommageables sur le Canada rural, qui serait encore plus mal en point qu’il ne l’est présentement64.

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Les collègues et les amis que j’ai consultés pendant la rédaction de ce livre trouvaient très intéressant l’argument selon lequel le Canada est ou était un pays de victimes. Mais plusieurs ont posé la même question : en quoi le Canada est-il différent des autres pays? Certains ont fait valoir que tous les citoyens et les citoyennes, toutes les communautés et toutes les régions croient peut-être qu’ils sont des victimes, si bien que tout le monde fait maintenant partie d’un groupe victimisé. J’ai vécu pendant de longues périodes en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et il ne fait aucun doute qu’on trouve des victimes dans ces pays, notamment les Noirs et les peuples autochtones aux États-Unis. Cependant, dans les deux pays, il y a des régions et des gens qui ne se considèrent pas comme des victimes. Les États de New York, de la Floride et de la Californie ne se voient pas comme des victimes. On peut en dire autant des Midlands et du Sud-Est de la Grande-Bretagne. La situation est différente au Canada.

êt r e c aNa dI e N , c ’ eSt devo I r S’exc US er Nous avons observé que toutes les régions du Canada, de même que de nombreux Canadiens et Canadiennes, se considèrent comme des victimes jusqu’à un certain point. Les gouvernements ont réagi. Nous avons vu Ottawa s’excuser auprès des Canadiens d’ascendance japonaise (1988), des Italo-Canadiens (2021), de la communauté lgBtq 2 (2017), des Canadiens d’ascendance chinoise pour la taxe d’entrée (2006), des Canadiens juifs pour avoir refoulé des réfugiés juifs en 1939 (2018) et de la seule unité militaire composée de Noirs à avoir servi lors de la Première Guerre mondiale, parce qu’on

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ne lui confia qu’un rôle de soutien non tactique outre-mer (2021). Ottawa a aussi présenté des excuses aux communautés autochtones pour une multitude de torts commis dans le passé et la reine, sur les conseils du gouvernement du Canada, a reconnu les préjudices causés aux Acadiens au nom de la Couronne (2003)1. Cette liste ne comprend pas toutes les erreurs passées pour lesquelles les gouvernements tant fédéral que provinciaux du Canada ont senti le besoin d’offrir des excuses. Voilà autant de situations où le Canada ou un gouvernement provincial avait causé un tort à quelqu’un et a jugé nécessaire de présenter des excuses. La propension du gouvernement fédéral à présenter des excuses transcende les allégeances politiques et les chefs de parti. Le premier ministre progressiste-conservateur Brian Mulroney a présenté des excuses aux Canadiens d’origine japonaise au nom du gouvernement du Canada, le premier ministre conservateur Stephen Harper en a fait autant aux anciens élèves des pensionnats pour Autochtones et le premier ministre libéral Justin Trudeau a présenté récemment des excuses aux Italo-Canadiens et à d’autres groupes. La présentation d’excuses n’est pas une approche exclusive à Ottawa. L’ancien premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador Danny Williams, entre autres premiers ministres provinciaux, a offert des excuses aux Inuits du Labrador pour la fermeture des villages de Nutak et de Hebron (2005)2. L’ancienne première ministre de la Colombie-Britannique Christy Clark a formulé des excuses au nom de la province pour « 160 politiques historiques racistes et discriminatoires imposées en Colombie-Britannique  » à l’encontre des Canadiens d’origine chinoise (2014)3. Je pourrais ajouter encore d’autres provinces à cette liste4. Les premiers ministres fédéraux et provinciaux antérieurs n’étaient pas si disposés à offrir des excuses au nom des Canadiens et des Canadiennes. Pierre Elliott Trudeau, par exemple, refusa de présenter des excuses aux Canadiens d’origine japonaise en déclarant à la Chambre des communes  : «  Je ne pense pas que le gouvernement ait pour rôle de corriger les erreurs du passé. Il ne peut pas réécrire l’histoire. Nous sommes là pour nous occuper de ce qui se passe actuellement5.  » Sir John A. Macdonald, sir Wilfrid Laurier et sir Robert Borden ne virent pas non plus la nécessité de présenter des excuses pour les méfaits de gouvernements précédents. Le Canada se démarque parmi les pays pour avoir su présenter des excuses en bonne et due forme et l’avoir fait souvent. Dans une étude

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comparative, Michael Tager fait valoir que le Canada a adressé des excuses sincères aux communautés autochtones et souligne que, sans ces excuses, les relations avec les peuples autochtones se seraient peut-être détériorées plus rapidement6. Par contre, il maintient que les États-Unis n’ont pas réussi à présenter des excuses « sous une forme satisfaisante et dans un contexte approprié, qui sont nécessaires à des excuses sincères ». Il indique que, dans le cas des communautés autochtones, les premières excuses des États-Unis sont venues lors d’une cérémonie tenue en 2000, à l’occasion du 175e  anniversaire du Bureau des affaires indiennes (BIa ), dans un discours prononcé par le directeur du BIa , Kevin Gover, devant des chefs tribaux, des employés du BIa et des fonctionnaires fédéraux. Malgré les mots puissants dans lesquels elles étaient formulées, les excuses ont été réduites au silence. Le président Bill Clinton n’a pas signé les excuses et n’assistait pas à la cérémonie, et aucun représentant de la MaisonBlanche n’a émis de commentaire à leur sujet7. L’Australie a fait mieux que les États-Unis pour offrir des excuses à ses communautés autochtones. Tager fait remarquer cependant que les excuses de l’Australie se sont empêtrées dans des considérations partisanes et que, à un moment donné, le premier ministre a reconnu les torts causés sans présenter d’excuses de la part du gouvernement et que, à un autre moment, il a formulé des excuses sans attribuer la responsabilité des torts8. Le Canada prend au sérieux ses erreurs passées et il est toujours disposé à présenter des excuses. La découverte de lieux de sépulture près d’anciens pensionnats pour Autochtones a plongé la population canadienne dans une profonde réflexion à l’été 2021. Une députée aux Communes a décrit le Canada comme « un pays imparfait qui a été bâti sur le génocide des peuples autochtones, et il est important de le reconnaître9  ». On a réclamé l’annulation de la fête du Canada, et c’est précisément ce que plusieurs villes du pays ont fait. Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré : « De très nombreux Canadiens réfléchiront à la réconciliation, à notre relation avec les peuples autochtones, son évolution, et la façon dont elle doit continuer à évoluer rapidement. Je pense que cette fête du Canada, ce sera un moment de réflexion sur ce que nous avons accompli en tant que pays, mais aussi sur ce que nous devons faire de plus10. » Le gouvernement a décidé d’adopter une loi pour faire du 30 septembre un jour férié fédéral, qu’il a appelé la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Il a invité la population canadienne

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à profiter du 30 septembre « pour réfléchir calmement et pour participer à un événement communautaire ». La journée a été désignée jour férié payé pour les employés de la fonction publique fédérale11. Un grand nombre d’employeurs, y compris mon université, ont suivi l’exemple d’Ottawa et ont déclaré le 30  septembre journée de réflexion et jour férié payé. Mon adjointe a fait une observation fort pertinente quand mon université a décidé d’emboîter le pas à Ottawa : « Comment est-ce censé aider les Autochtones? Peu d’entre eux travaillent dans la fonction publique fédérale ou ici, à l’Université. Alors, c’est nous qui avons un congé payé tandis qu’eux se contentent de nous regarder avoir une journée de congé. » Que les gouvernements au Canada aient commis des erreurs lorsqu’ils internèrent des Canadiens d’origine japonaise en 1942, lorsqu’ils imposèrent une taxe d’entrée à l’immigration chinoise et lorsqu’ils repoussèrent des réfugiés juifs en 1939, cela est irréfutable. Le fait que les gouvernements ont mal agi et pourraient mieux agir dans leurs interactions avec les Autochtones est indéniable. Aucun historien ne peut le contester, et il ne s’agit pas ici d’histoire ancienne. En somme, la question n’est pas : le Canada a-t-il causé du tort à certains groupes et même à certaines régions dans le passé et, dans certains cas, en cause-t-il encore aujourd’hui? Cela ne fait aucun doute. La question est : que faut-il faire pour réparer les torts causés? Beaucoup de Canadiens ont célébré la fête du Canada le 1er  juillet  2021. Je me suis promené à pied dans mon quartier ce jour-là et j’ai vu autant de drapeaux canadiens sur les pelouses que par les années précédentes. J’ai croisé une dame qui portait fièrement un t-shirt de la fête du Canada orné d’une feuille d’érable. Je lui ai dit : « Je vois que vous célébrez la fête du Canada. » Je crois qu’elle a saisi l’allusion : et que faites-vous de la question des peuples autochtones et des pensionnats? Elle a répondu : « Oui, je suis fière d’être Canadienne. » Le lendemain, mon journal local a publié un article qui affirmait que le Canada devait amorcer une réflexion sur le nationalisme, qui «  s’est trop souvent défini par opposition aux États-Unis, accompagné de stéréotypes gratuits qui révèlent que nous ne sommes pas aussi gentils, attentionnés ou polis que nous le prétendons12 ». Près de 156 ans après la naissance du Canada, les Canadiens poursuivent leur quête d’une identité canadienne, et l’Ontario continue de prendre les devants. Beaucoup de Canadiens reconnaissent leurs liens solides avec la Grande-Bretagne, la France ou les États-Unis, mais insistent

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pour dire qu’ils sont différents des habitants de chacun de ces pays. Mais en quoi les Canadiens et les Canadiennes sont-ils différents? Pourquoi le Canada est-il beaucoup plus disposé que d’autres pays à offrir des excuses pour avoir causé du tort à quelqu’un? Aucun autre pays n’a présenté d’excuses, fait acte de contrition et versé d’indemnités avec autant d’effusion que l’ont fait tous les ordres de gouvernement canadiens. Au Canada, des groupes lésés ont lancé des initiatives de réparation visant à forcer les gouvernements à présenter des excuses pour leur rôle dans les injustices historiques commises contre leurs membres. Dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France, ou bien les groupes lésés n’ont pas monté de campagne pour obtenir des excuses ou, beaucoup plus souvent, les gouvernements ont ignoré la plupart des appels qui étaient lancés. On reproche à la Grande-Bretagne de nombreuses injustices passées. Comme on le sait, elle joua un rôle central dans la traite transatlantique d’esclaves. Elle fut l’une des nations de traite les plus prospères du monde – de concert avec le Portugal –, ayant été responsable de l’envoi d’environ 70  % de tous les Africains dans les Amériques. Elle envoya quelque 3,1  millions d’Africains dans ses différentes colonies, dont 2,7 millions en Amérique du Nord et du Sud et dans les Antilles. Les Africains étaient envoyés dans les colonies pour travailler essentiellement dans les plantations et comme domestiques. De plus, l’armée britannique et la Marine royale possédaient des esclaves qui effectuaient les menus travaux13. En France, le roi Louis  XIII autorisa la traite des esclaves en 1642 et Louis XIV en fit la promotion en accordant une prime pour chaque esclave déporté dans les colonies. La Grande-Bretagne abolit la traite d’esclaves africains en 1807 et la France, l’esclavage en 1848. Je souligne cependant que la traite des esclaves fut abolie temporairement tout de suite après la Révolution française. Napoléon Bonaparte décida de rétablir l’esclavage et, par le fait même, condamna 300  000  personnes à une vie de servitude. Bonaparte prit la décision d’étendre l’empire colonial français afin de contrôler les Antilles14. Les colons français avaient la possibilité d’acheter des esclaves auprès de « navires négriers » qui venaient dans les colonies. L’historien Jean-Marie Desport a brossé un tableau des conditions de vie humiliantes que les esclaves devaient endurer. Ils étaient placés à l’avant des navires, les femmes sur le pont inférieur. Beaucoup subissaient des conditions insupportables, souffraient de maladies et

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sombraient dans la folie pendant le voyage vers un monde inconnu de l’autre côté de l’Atlantique. Beaucoup périrent au cours de la traversée. Mais la traite des esclaves se poursuivit parce que la France et la Grande-Bretagne avaient besoin d’une main-d’œuvre abondante pour cultiver le tabac, le coton et la canne à sucre. Les esclaves y contribuaient dans une large mesure et les deux pays devinrent des puissances économiques15. Les États-Unis furent associés à l’esclavagisme durant 246  ans. Aussi récemment qu’en 1860, on recensait quatre millions d’esclaves aux États-Unis, sur une population totale de 31 millions d’habitants. Le travail forcé donna un élan important à l’essor de l’économie américaine. Des esclaves furent même utilisés dans la construction de la Maison-Blanche et du Capitole. L’esclavage fut aboli en 1865 aux États-Unis, mais son abolition fut rapidement suivie des lois Jim Crow, qui niaient l’égalité des chances devant la loi jusqu’en 1965, lorsque des lois reconnaissant les droits civils furent adoptées. Tout cela pour dire que la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis ont commis des torts pour lesquels le Canada aurait facilement accepté de présenter des excuses. Toutefois, il n’est pas facile pour ces pays de présenter des excuses. Pour compliquer les choses, il y a actuellement aux États-Unis un débat sur la réparation des torts ou sur la décision du gouvernement fédéral d’indemniser ou non les descendants des anciens esclaves pour remédier aux séquelles que l’esclavage a laissées dans le pays. On fait valoir que les esclaves fournirent des années de travail non rémunéré, ce qui explique non seulement la croissance de l’économie américaine, mais aussi le profond écart de richesse entre les familles noires (24 100 $) et les familles blanches (188 200 $). Ceux qui appuient la réparation des torts soulignent que les États-Unis indemnisèrent les propriétaires d’esclaves en  1862 pour perte de biens. Ils soutiennent également que la réparation pourrait prendre diverses formes, y compris des bourses d’études, des fonds communautaires et des subventions aux entreprises16. Le débat se poursuit et il ne semble pas près d’être clos. Un sondage d’opinion réalisé en 2019 dans l’ensemble des ÉtatsUnis a révélé que 60 % des Américains croient que les conséquences du passé esclavagiste du pays continuent de se faire sentir sur les personnes noires. Toutefois, le sondage a aussi montré que seulement 35 % des personnes blanches croient que le gouvernement des ÉtatsUnis devrait présenter des excuses pour l’esclavage17. Des résolutions

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ont été présentées en ce sens devant la Chambre des représentants en 2008 et devant le Sénat l’année suivante, mais aucun projet de loi commun n’a été adopté18. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont trois superpuissances, la Grande-Bretagne et la France ayant été deux des plus grandes puissances coloniales de l’histoire. Si l’on admet que le colonialisme a causé de graves préjudices à certains groupes touchés, ces deux pays ont alors de bonnes raisons de s’excuser. Quant aux États-Unis, même s’ils durent mener une guerre contre une puissance coloniale pour accéder à l’indépendance, leur histoire n’est pas exempte de colonialisme. Par exemple, les troupes américaines envahirent le royaume d’Hawaï en 1893 sans motif valable. Il restait peu de territoires susceptibles d’être annexés par les puissances impériales à la fin du 19e siècle. L’un d’eux était Hawaï. La Grande-Bretagne et la France avaient toutes deux tissé des relations économiques avec le royaume d’Hawaï, mais les États-Unis n’étaient pas en reste. Les îles Hawaï présentaient un potentiel économique intéressant et les États-Unis s’employaient à établir des liens solides avec les producteurs de sucre de l’archipel19. Sans l’approbation présidentielle, les Marines américains envahirent les îles Hawaï. Pendant plusieurs années après l’invasion, on débattit à Washington de ce qu’il fallait faire des îles. Le président William McKinley finit par signer une résolution prévoyant leur annexion aux États-Unis. Le département d’État américain expliqua ses motivations : « Durant la majeure partie du 19e siècle, les dirigeants à Washington craignaient qu’Hawaï ne vienne à faire partie de l’empire d’une nation européenne20. » Selon les États-Unis, les îles Hawaï étaient vouées à être conquises soit par les États-Unis, soit par une puissance européenne. Le processus qui mena à l’entrée du Texas dans la fédération des États-Unis ne fut guère différent. L’annexion du Texas fut l’aboutissement d’une série de conflits, de traités et de compromis. Soulignons simplement qu’elle engendra de nombreux différends frontaliers entre les États-Unis et le Mexique. Les Américains envoyèrent des forces militaires aussi loin dans le Sud que le Río Grande, où elles construisirent un fort. L’opération militaire permit d’ajouter 500 000 milles carrés au territoire américain. Les États-Unis avaient tenté de faire l’acquisition de ce territoire mais, devant le refus du Mexique, les Américains l’envahirent tout simplement et en prirent possession. Du même coup, les États-Unis s’emparèrent d’un vaste territoire comprenant une partie de la Californie, l’Arizona, le

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Nevada, le Nouveau-Mexique, le Colorado, le Texas, le Wyoming, le Kansas et l’Oklahoma, tandis que le Mexique perdit 55  % de son territoire. Plusieurs conflits militaires éclatèrent bientôt entre le Mexique et les États-Unis, qui remportèrent presque toujours la victoire. Les conflits militaires opposant les États-Unis et le Mexique n’étaient pas différents des actions menées par les autres puissances coloniales. Bref, les États-Unis étaient et demeurent une puissance politique dominante et ils n’ont pas hésité à violer la souveraineté du Mexique21. Ce n’est pas la seule fois que les États-Unis ont envahi un pays en affirmant agir dans le but d’aider ses habitants. Le président George W. Bush a expliqué, après la première offensive militaire américaine en Afghanistan, que « le peuple opprimé d’Afghanistan connaîtra la générosité des États-Unis et de leur alliés22  ». La Grande-Bretagne avait fait valoir le même argument en Inde et la France, en Afrique. La situation n’était pas différente en Algérie, au Mali et en Côted’Ivoire, entre autres pays. Shashi Tharoor, ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, a publié un livre qui fournit des arguments convaincants contre la présence de la Grande-Bretagne en Inde jusqu’en 1947 et une analyse des conséquences néfastes qu’elle a eues et qui continuent de se faire sentir à ce jour. Parmi de nombreux autres arguments, il écrit : « Durant les deux siècles de régime britannique, les Britanniques n’ont jamais représenté plus de 0,05 % de la population. Et pourtant, durant la majeure partie de cette période, les Indiens n’étaient pas autorisés à joindre les rangs de la fonction publique, en partie parce que les Britanniques ne pouvaient pas supporter de recevoir des ordres d’un homme brun. Lorsqu’ils y furent enfin admis, ils étaient encore directement exposés au racisme. Les candidats qui obtenaient des résultats élevés à l’examen de la fonction publique étaient accusés de tricherie, car comment expliquer autrement que des hommes bruns réussissent aussi bien23. » Tharoor documente ainsi les répercussions négatives du régime britannique sur tous les aspects de la vie politique et économique de l’Inde.

P aS B e So IN d e P r é Se N ter d’exc US eS Alors que j’étudiais à Oxford, mon voisin a dit : « Je ne comprends pas pourquoi tous ces Indiens déménagent ici. » J’ai répondu : « Eh bien, peut-être qu’ils se posaient la même question quand vous êtes allés là-bas. » Sa réponse a été très révélatrice : « Ce n’est pas du

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tout la même chose; nous sommes allés là-bas pour les aider.  » Il n’est pas le seul à penser ainsi. Un sondage d’opinion réalisé en 2020 a révélé que près d’un tiers des Britanniques croient que l’Empire britannique est « une source de fierté », que 37 % sont indifférents, que 12  % ne savent pas et que seulement 19  % considèrent qu’il est «  une source de honte24  ». En comparaison, seulement 23  % des Belges estiment qu’il y a de quoi être fier de leur empire, soit le même pourcentage que celui des Belges qui considèrent qu’il est « une source de honte25 ». Ce qui fait qu’un empire a été bon ou mauvais est matière à débat et une question d’histoire. Cependant, certains actes posés par les puissances coloniales étaient certainement mauvais. Pensons par exemple au massacre de Jallianwala Bagh, où les troupes britanniques ouvrirent le feu sur des civils innocents, faisant 379 morts et 1 137 blessés, dont des enfants. Le commandant d’unité se vanta que « presque aucune balle n’a été perdue » et, bien qu’il ait été retiré du commandement, il bénéficia d’une généreuse pension de retraite. Les Indiens ignoraient complètement pourquoi leur rencontre était considérée comme illégale ou pourquoi on leur tirait dessus26. La Grande-Bretagne n’a jamais offert d’excuses pour le massacre. Contrairement au Canada, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis n’ont pas l’habitude de présenter des excuses pour leurs erreurs passées. Aux États-Unis, d’anciens présidents, la Chambre des représentants et le Sénat ont chacun, à divers moments, fait référence aux torts causés par la traite des esclaves. Le président Bill Clinton, par exemple, a déclaré que les États-Unis avaient eu tort de tirer profit de l’esclavage27. Plusieurs États ont offert des excuses aux Américains d’origine africaine. Néanmoins, la Chambre des représentants et le Sénat ne se sont jamais entendus sur la nécessité que des excuses pour la traite des esclaves soient accompagnées de la signature du président28. Les diverses excuses, dans la mesure où elles ont été formulées, ne sont pas allées non plus jusqu’à proposer des mesures correctives. Je fais remarquer que les Américains qui croient que leur gouvernement ne devrait pas présenter d’excuses (49 %) sont plus nombreux que ceux qui croient le contraire (42 %). Pourtant, un grand pourcentage d’Afro-Américains (66 %) estiment que leur gouvernement devrait présenter des excuses29. Les États-Unis n’ont offert aucune excuse au Mexique, à l’Afghanistan, à l’Irak ou au Japon pour Hiroshima et Nagasaki. Ils ne se sont pas excusés d’avoir épandu de l’agent Orange au Vietnam, pas

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plus qu’ils n’ont exprimé de regrets aux Iraniens pour avoir monté le coup d’État qui mena au renversement de leur premier ministre élu démocratiquement, pour réinstaller le shah au pouvoir. Les États-Unis ne se sont pas excusés à l’Irak pour les erreurs de leurs services du renseignement, qui ont conduit à une invasion au cours de laquelle des centaines de milliers d’Irakiens ont trouvé la mort. Le gouvernement des États-Unis a tout de même exprimé des excuses timides aux Autochtones américains. Ces excuses ne leur ont pas été adressées directement, elles n’ont donné lieu à aucune annonce publique ni conférence de presse et elles n’ont pas retenu l’attention des médias du pays. Elles étaient bien cachées à la page 48 d’un projet de loi de dépenses de 67 pages déposé en 2010. En outre, le président Obama, alors en poste, n’a jamais reconnu publiquement ces excuses30. Par contre, le gouvernement des États-Unis a offert des excuses pour avoir protégé un ex-officier nazi (Klaus Barbie), pour l’internement de citoyens japonais pendant la Seconde Guerre mondiale et pour une expérience médicale menée sur des Américains noirs qui a mal tourné. Comme nous l’avons vu, il a aussi produit des excuses non concertées (la Chambre des représentants, le Sénat et le président agissant de façon indépendante) en ce qui concerne l’esclavage et les lois Jim Crow31. Mais les excuses ne vont pas plus loin. Une représentante de la Coalition to Stop Violence Against Native Women (Coalition pour mettre fin à la violence contre les femmes autochtones) a évoqué l’attitude de deux poids, deux mesures qui existe chez les Américains à l’égard de la violence contre les femmes autochtones et contre les femmes blanches. Elle a expliqué que 400  femmes autochtones avaient été portées disparues entre 2011 et 2020 dans l’État du Wyoming uniquement, que le taux d’homicide de femmes autochtones était 10 fois plus élevé que la moyenne nationale pour toutes les races et que les femmes autochtones américaines sont 2,5  fois plus susceptibles de subir de la violence sexuelle que les femmes blanches. Elle a déploré le manque de considération dont les gouvernements et les médias nationaux font preuve envers la question. Elle le met en contraste avec la couverture médiatique de la disparition de Gabby Petito, une femme blanche de 22 ans, dans le Wyoming en septembre 202132. Sa disparition a captivé les médias américains durant des semaines. Bref, comme l’a écrit Danny Lewis dans le Smithsonian Magazine, « rares sont les cas où

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les États-Unis ont admis avoir fait des erreurs », qu’il s’agisse de la traite des esclaves, de la violence à l’endroit des femmes autochtones ou d’autres torts historiques33.

la g r aN d e -Br e t a gN e et la fra Nce Pe U e N c lIN e S , e l l eS a U SSI , à S ’exc USer Le président de la France, Emmanuel Macron, a clairement indiqué en janvier 2021 qu’il n’y aurait pas d’excuses officielles de la part du gouvernement français pour l’occupation de l’Algérie, la guerre sanglante de huit ans et les atrocités que la France a commises au cours de ce conflit34. Pap Ndiaye, directeur du Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris, explique que les Français sont très réticents à examiner les côtés sombres de leur histoire35. Macron a conforté le point de vue de Ndiaye lorsqu’il a décrit le passé colonial de la France comme « une erreur profonde, une faute de la République », mais qu’il n’est pas allé plus loin36. Macron n’a jamais présenté d’excuses non plus pour le rôle que la France a joué en encourageant la traite des esclaves au Sénégal, en Côte-d’Ivoire et au Bénin. La France avait le Code noir, qui régissait la façon dont les colonies devaient gérer leurs esclaves. Le Code comportant 60  articles réglementait la vie des esclaves de leur naissance jusqu’à leur mort, en passant par leur achat et leur religion. Entre autres exigences, le Code interdisait aux esclaves de posséder des biens et ne leur reconnaissait aucun statut légal. Il régissait également leur mariage, les châtiments qui leur étaient destinés et même les conditions de leur enterrement. Je signale que le Parlement français a adopté en 2001 une loi (la loi Taubira) dont l’article premier énonce  : «  La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité37. » La France refuse d’aller plus loin. Les dirigeants politiques du pays n’ont aucune objection à décrire les pratiques coloniales d’autrefois simplement comme un «  crime contre l’humanité  ». Le président Macron a fait le même commentaire récemment en reconnaissant le rôle de son pays dans le génocide rwandais. Il a déclaré que la

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France avait une « responsabilité accablante » dans le génocide de 1994, mais il n’a pas jugé bon de présenter des excuses au nom de la République38. Un conseiller de Macron a expliqué qu’il n’y aurait pas d’excuses, pas de repentance : « La repentance est une vanité39. » Le gouvernement britannique n’est pas moins réticent à présenter des excuses pour les atrocités commises au cours de son histoire coloniale. William Hague, un ancien secrétaire aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, a exprimé des « regrets sincères » pour les crimes perpétrés par les représentants britanniques pendant la « situation d’urgence » au Kenya dans les années 1950. Il n’a toutefois pas formulé d’excuses. La déclaration de Hague est venue après une longue bataille juridique dans laquelle le gouvernement a plaidé qu’il n’était pas responsable des actions commises par l’administration coloniale britannique. Le tribunal a rejeté cet argument40. Tony Blair a créé un précédent en présentant un semblant d’excuses au nom du gouvernement britannique pour une erreur historique. Fraîchement élu premier ministre, il a fait une déclaration au sujet des erreurs commises par la Grande-Bretagne pendant la Grande Famine en Irlande. Dans son message lu par un acteur lors d’une cérémonie télédiffusée en Irlande à l’occasion du 150e anniversaire de la famine, Tony Blair a déclaré : « Ceux qui gouvernaient à Londres à l’époque ont abandonné leur population en restant passifs pendant qu’une mauvaise récolte se transformait en une immense tragédie humaine41. » Le premier ministre Blair et son représentant-acteur ne sont pas allés plus loin. Mis à part la déclaration de Blair, les premiers ministres britanniques se sont toujours gardés de présenter des excuses pour les méfaits commis par leur pays dans son passé colonial. Certains ne voient simplement pas le besoin de présenter des excuses. L’ancien premier ministre, Boris Johnson, a écrit que « le continent africain est peut-être une tache dans notre histoire, mais ce n’est pas une tache sur notre conscience. Le problème, ce n’est pas que nous en avons eu autrefois la responsabilité, mais que nous ne l’avons plus. » Il a expliqué que les Britanniques ont montré aux pays africains ce qu’ils devaient semer et ce qui pouvait se vendre sur le marché d’exportation, comme le café, le coton et le tabac. Il a conclu : « Le meilleur sort pour l’Afrique serait que les anciennes puissances coloniales, ou leurs citoyens, se précipitent à sa rescousse, étant entendu cette fois qu’on ne leur demandera pas de se sentir coupables42. » En outre, les législateurs britanniques craignent que la présentation d’excuses ne mène à des poursuites judiciaires et à des réclamations

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financières importantes, car les pays demanderaient probablement une indemnisation. La question de la réparation des torts causés aux États post-coloniaux a été soulevée par plusieurs instances sans obtenir de réponse claire43. Comme nous l’avons vu, certains allèguent qu’il serait injuste de faire porter à la génération actuelle le fardeau financier des erreurs de ses ancêtres, alors que d’autres font valoir que des réparations furent versées aux propriétaires d’esclaves. Dans le cas de la GrandeBretagne, le montant des réclamations était si élevé (300 milliards de livres en valeur actuelle) qu’il ne fut entièrement acquitté qu’en 201544. Certains soutiennent également que des excuses de la part des puissances coloniales ne devraient pas se traduire par une indemnisation financière, un critère différent de celui appliqué aux propriétaires d’esclaves. Bien que ce point de vue soit loin de faire l’unanimité, nombreux sont ceux et celles qui affirment que les personnes qui ont souffert des injustices coloniales sont décédées depuis longtemps, et que l’indemnisation peut prendre diverses formes (par exemple un fonds de développement communautaire ou des bourses d’études destinées aux membres de groupes touchés). Des pays ont déjà présenté des excuses pour des erreurs passées sans offrir d’indemnisation financière (par exemple le Japon et les victimes de crimes de guerre, ou les États-Unis et le renversement du royaume d’Hawaï)45. Néanmoins, certains insistent sur la nécessité de présenter des excuses pour les injustices de l’époque coloniale ou, du moins, de les reconnaître pour que les puissances coloniales puissent tourner la page sur ce pan de leur histoire. « Comment peut-on s’attendre à ce que les enfants rejettent les attitudes racistes, écrit Maighna Nanu, alors que le système d’éducation britannique blanchi à la chaux les laisse complètement dépourvus d’outils leur permettant de comprendre le contexte du colonialisme et de l’impérialisme, dont les conséquences continuent de se faire sentir sur la dynamique sociale et économique du monde dans lequel ils vivent46? »

t r oU v e z - v oU S U N e ca US e : l e c aNa d a P r é Se N t e ra de S exc US eS Le Canada n’a jamais hésité à présenter des excuses pour des erreurs du passé et, dans certains cas, les excuses se sont accompagnées d’une indemnisation. C’est vrai tant pour le gouvernement fédéral que pour les gouvernements provinciaux. De plus, le Canada a fait

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ce qui est impératif pour que des excuses soient sincères, c’est-àdire  : «  Lorsqu’elles ne répondent pas à certaines des principales demandes du groupe lésé, les excuses seront probablement moins sincères. Lorsque les excuses sont adaptées aux préoccupations du groupe de victimes, il semble qu’elles contribuent au processus de guérison et de réconciliation47. » Nous avons mis en lumière plus tôt diverses situations où le gouvernement du Canada a présenté des excuses. Notons simplement que, selon une estimation, le gouvernement fédéral a adressé des excuses à 13 groupes différents entre 1988 et 201948. Les gouvernements provinciaux, de Terre-Neve-et-Labrador à la Colombie-Britannique, ont aussi offert des excuses à des groupes que les provinces avaient offensés dans les années passées. Au Canada, nous avons vu des gouvernements provinciaux présenter des excuses pour Africville, en Nouvelle-Écosse, pour l’incident du Kogamata Maru, pour les enfants de la secte doukhobor des Sons of Freedom (Fils de la liberté) et dans d’autres cas encore. Certaines excuses ont semé la division parmi la population canadienne49. Les récentes excuses du gouvernement fédéral ont amené la British Broadcasting Corporation (BBc ) à poser la question : est-ce que Justin Trudeau présente trop d’excuses50? Le Canada n’a pas de passé colonialiste (mis à part ses relations avec les peuples autochtones, sur lesquelles nous reviendrons plus loin) qu’il doive défendre ou justifier devant l’électorat. On pourrait en croire que le Canada a donc moins de raisons de s’excuser. Mais il y a plus que cela. D’autres pays qui n’ont pas vraiment de passé colonialiste, telle l’Australie, sont loin de présenter des excuses aussi souvent que le fait le Canada. Même lorsque l’Australie présente des excuses, le geste est beaucoup plus controversé que ce n’est le cas au Canada. Je signale que le premier ministre Kevin Rudd a adressé des excuses officielles aux Aborigènes d’Australie le 13 février 2008, mais que les excuses ont suscité un débat houleux dans certains milieux politiques51. Le Canada a toujours suivi une approche non partisane en matière de présentation d’excuses. Le gouvernement Mulroney (un gouvernement progressiste-conservateur), le gouvernement Chrétien (libéral), le gouvernement Harper (conservateur) et celui de Justin Trudeau (libéral) ont tous offert des excuses à des groupes en rencontrant peu ou pas d’opposition de la part des autres partis politiques. Il semble que l’idéologie politique n’ait aucune

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importance. Dans une étude comparative d’excuses gouvernementales, des auteurs ont classé les excuses du gouvernement Harper pour la taxe d’entrée et la loi d’exclusion appliquées à l’immigration chinoise parmi les trois premiers rangs52. La volonté apparente des gouvernements au Canada, tant fédéral que provinciaux et sans égard à leur allégeance politique, de présenter des excuses pour des erreurs du passé s’explique peut-être par la composition politique du Canada, son histoire et ses institutions politiques. Tous les Canadiens et les Canadiennes ont porté, à un moment ou à un autre, l’étiquette de victimes. C’est le cas des Loyalistes (en Ontario et dans les Maritimes), des Acadiens, des Québécois, des Canadiens de l’Ouest, des Maritimes et de TerreNeuve-et-Labrador, des Canadiens noirs, des peuples autochtones et des réfugiés politiques. Peter Russell a très bien résumé les choses lorsqu’il a écrit que « le Canada restera peut-être toujours une œuvre inachevée53 », notamment parce que le pays est fondé sur une succession de conquêtes incomplètes. C’est peut-être l’une des raisons qui expliquent dans une certaine mesure que, après 155 ans, certains Canadiens sont encore à la recherche d’une identité nationale qui trouve écho dans toutes les régions du pays. Les conquêtes incomplètes ne sont pas le seul facteur en cause. Notre Constitution et nos institutions politiques nationales cadrent mal avec la géographie du Canada ou la composition socioéconomique du pays. Les gouvernements ont dû s’ajuster en cours de route alors qu’ils cherchaient par divers moyens à corriger des inégalités. La culture politique du Canada, façonnée par sa Constitution et ses institutions politiques nationales, fait en sorte qu’il est facile de déterminer qui sont ceux qui gagnent et ceux qui perdent en conséquence des politiques et des dépenses du gouvernement fédéral. Cette démarche produit des victimes ou, du moins, elle fournit à certains groupes des raisons de se considérer comme des victimes. Par conséquent, les gouvernements sentent le besoin de réparer la situation en présentant des excuses et en versant des indemnités financières. Le prochain chapitre examine la Constitution et le fonctionnement des institutions nationales du Canada pour voir comment elles ont façonné la culture politique du pays.

10 Pourquoi?

Nous avons vu plus tôt qu’au Canada certaines régions se perçoivent comme des victimes de politiques du gouvernement fédéral, mais que dans d’autres pays les régions ne se perçoivent pas comme telles, que ce soit la Californie, le Texas, New York, la Loire, la Bretagne, Londres ou le Sud-Est de l’Angleterre. De plus, dans la plupart des autres pays, les groupes se fondent plus facilement dans une identité nationale que ce n’est le cas au Canada. Enfin, les dirigeants politiques du Canada, peu importe où ils se situent sur le spectre politique, montrent beaucoup plus d’empressement que leurs homologues d’autres pays à offrir des excuses à des groupes qui ont été lésés par des politiques de gouvernements antérieurs. Je soutiens que l’histoire du Canada et ses institutions politiques ont façonné sa culture politique, une culture qui, à son tour, a transformé les institutions en quelque chose qu’elles n’étaient pas destinées à devenir, ce qui les a forcées à régler des questions pour lesquelles elles n’étaient pas outillées. Mais elles y sont parvenues. Ce faisant, elles ont toutefois adopté des politiques et pris des décisions pour répondre aux exigences politiques du moment, souvent en vue d’obtenir et de conserver le pouvoir ou de jeter les bases des compromis nécessaires pour que le Canada puisse fonctionner. Les dirigeants politiques du Canada continuent largement d’agir sans être « entravés » par la Constitution et les institutions nationales, qu’il s’agisse du Parlement ou maintenant du Cabinet. Ils préfèrent qu’il en soit ainsi non seulement parce que, de cette façon, ils sont mieux en mesure d’exercer un contrôle politique en cette ère de campagnes électorales permanentes, mais aussi parce que, selon eux, c’est la seule manière de produire des politiques et de prendre

Pourquoi?

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des décisions. Aux yeux des hommes et des femmes politiques et des plus hauts fonctionnaires du pays, la Constitution et les institutions du Canada sont des obstacles à surmonter. La solution : travailler en dehors des contraintes qu’imposent la Constitution et les institutions politiques et se tourner vers des ententes fédérales-provinciales. Les chefs de gouvernement trouvent qu’il est difficile de conclure des ententes fédérales-provinciales en raison des intérêts politiques différents de chaque gouvernement et des intérêts régionaux divergents. Dans la plupart des cas, il serait impossible de conclure des ententes si de nouveaux règlements et exigences s’ajoutaient au processus, y compris la condition que les institutions jouent un rôle dans les négociations, apportant avec elles leurs propres exigences en matière de reddition de comptes et de transparence. Lorsque les dirigeants politiques d’un pays arrivent à déjouer les institutions politiques et que l’élaboration des politiques et la prise de décisions sont à la merci des dirigeants politiques du moment, on peut sans peine reconnaître les gagnants et les perdants. Les institutions imposent des processus qu’il faut respecter et qui, souvent, sont transparents. Les dirigeants politiques canadiens sont pressés de prendre des décisions (ils disposent d’un mandat de quatre ans, parfois moins) et ils présentent leur gouvernement sous un jour favorable, en particulier dans les régions et auprès des groupes qui comptent beaucoup d’électeurs. Voilà un autre facteur qui incite des régions, des groupes et des particuliers à se considérer comme des victimes ou des gagnants. Ils peuvent pointer du doigt les dirigeants politiques pour expliquer leurs difficultés et justifier leur retard par rapport à d’autres groupes, communautés et régions. Bref, il est facile pour les personnes qui se disent victimes de reprocher aux dirigeants politiques d’être la raison pour laquelle elles en veulent aux institutions. Si l’on suit leur raisonnement, sir John A. Macdonald serait responsable du sort des peuples autochtones et Pierre E. Trudeau, du sentiment d’aliénation de l’Ouest, et non pas le Parlement, ni même leur gouvernement.

à l ’ o rIg I Ne Le Canada n’a pas connu des débuts prometteurs. Il est bon de répéter que le pays est né du désir des deux Canadas de se tirer de leur impasse politique, et de la volonté pressante de l’Office des colonies de réduire ses dépenses dans les colonies de l’Amérique du

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Nord britannique, et après que deux colonies maritimes eurent reçu l’ordre de se rallier à la Confédération de la part des hautes instances politiques, dont l’Office des colonies à Londres. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les principaux architectes du fédéralisme canadien chargés de diriger sa mise en œuvre ne croyaient pas dans le fédéralisme. Comme nous l’avons noté plus tôt, sir John A. Macdonald ne ratait aucune occasion d’indiquer clairement qu’il avait de profondes réserves au sujet du fédéralisme. Par exemple, en juin 1864, Macdonald vota contre la recommandation d’un comité de la Chambre de créer une fédération de toutes les colonies de l’Amérique du Nord britannique, parce qu’il considérait que le fédéralisme ne fonctionnerait pas au Canada ou ne correspondait pas aux institutions d’inspiration britannique qu’il envisageait. Quand il fut forcé par le Québec d’adhérer au fédéralisme, Macdonald expliqua : « Nous avons renforcé le gouvernement général. Nous avons attribué à la législature générale tous les grands domaines de législation. Non seulement avons-nous donné à la législature et au gouvernement généraux tous les pouvoirs qui se rattachent à la souveraineté de façon détaillée, mais nous avons aussi convenu expressément que les domaines d’intérêt général non attribués de façon claire et exclusive aux législatures et aux gouvernements locaux seront conférés à la législature et au gouvernement généraux.  » Il ajouta  : «  À mon sens, le gouvernement ou parlement général ne devrait pas s’intéresser davantage au statut ou à la situation des gouvernements locaux qu’aux ambitions du parti au pouvoir dans les municipalités de Québec ou de Montréal1.  » Macdonald avait toutes les raisons de préconiser un État unitaire, si profondément attaché qu’il était aux institutions politiques britanniques et convaincu que le fédéralisme n’était pas approprié pour le Canada parce qu’il comportait des lacunes fondamentales. Le problème, c’est que le Canada ne pouvait pas et ne peut pas exister sans le fédéralisme. Faute d’obtenir un certain degré d’autonomie pour protéger la langue et la culture françaises, le Québec se serait joint à l’Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve et se serait retiré des négociations, mettant un terme aux discussions. La géographie du Canada ne pouvait pas à l’époque, et peut encore moins maintenant, satisfaire aux exigences d’un État unitaire. Pourtant, les Pères de la Confédération, sous la direction de Macdonald et de George-Étienne Cartier, concoctèrent un

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arrangement dont on peut difficilement dire qu’il s’agit d’une fédération. En effet, l’accord de 1867 sur la Confédération avait toutes les caractéristiques d’un État unitaire et accordait même à Ottawa le droit notamment de rejeter les lois provinciales. L’une des priorités de Macdonald à titre de premier ministre fut de bien faire sentir aux provinces qu’elles étaient, au mieux, des partenaires subalternes du gouvernement fédéral. Il se rendit en Nouvelle-Écosse peu après la Confédération pour tenter d’atténuer le désenchantement envers la Confédération. Je rappelle que la province élut 18 députés anti-Confédération sur 19 à la première législature du Parlement du Canada. Macdonald ignora complètement le premier ministre de la Nouvelle-Écosse de l’époque, William Annand, et décida plutôt de rencontrer les députés fédéraux de la province pour discuter de la question. Pour Macdonald, les premiers ministres et les gouvernements provinciaux avaient peu de légitimité même pour s’occuper des questions de nature locale, encore moins des questions impliquant des relations entre Ottawa et les régions2. Le premier ministre du Québec organisa une rencontre des premiers ministres provinciaux en 1887, mais Macdonald refusa d’y assister, soulignant que les députés fédéraux étaient les seuls représentants légitimes des provinces3. Le Canada ne s’est pas transformé en un État unitaire; il est allé plutôt dans la direction opposée. Les députés fédéraux sont loin d’être les seuls représentants de leur province ou même les plus importants. Les premières ministres et les premiers ministres provinciaux sont les porte-parole incontestés qui représentent les intérêts des provinces, et le rôle qu’exercent les gouvernements provinciaux est maintenant bien différent de celui que Macdonald avait prévu pour eux. L’ancien premier ministre Pierre E. Trudeau a déclaré que les députés de l’opposition sont de parfaits inconnus à plus de 50 mètres de la Colline du Parlement, alors que Ned Franks, une voix incontournable en matière de fonctionnement du Parlement canadien, a fait remarquer que les députés fédéraux, tant du gouvernement que de l’opposition, sont de parfaits inconnus aussi bien sur la Colline parlementaire qu’à l’extérieur de celle-ci4. Si les députés fédéraux sont des insignifiants à Ottawa, le Parlement lui-même ne doit pas être loin derrière. Il n’est pas exagéré d’affirmer que le rôle du Parlement se limite maintenant à décider qui occupera le siège de premier ministre. La décision est toutefois simple : le chef ou la cheffe du parti qui obtient le plus de sièges remporte le pouvoir politique.

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La Constitution est devenue désespérément désuète à mesure que les gouvernements ont élargi le champ de leurs responsabilités. Or, la Constitution était rigide ou inflexible dès le départ, car elle ne prévoyait aucune formule permettant de la modifier, ce qui compliquait la tâche. Lors de sa création en 1901, l’Australie se dota d’une Constitution contenant des dispositions qui permettaient de la modifier sans devoir passer par le Parlement britannique. La Loi constitutionnelle de 1982 comporte une formule de modification, mais l’histoire nous a appris que la Constitution canadienne n’en est pas moins demeurée rigide, comme l’échec des accords du lac Meech et de Charlottetown l’ont démontré5. Bref, le Canada a cherché et cherche encore à faire fonctionner des institutions conçues pour un État unitaire, qui ne correspondent pas à la réalité politico-économique et géographique du Canada. Les dirigeants politiques du pays ont tâché de rendre le fédéralisme canadien fonctionnel en adoptant des mesures disparates et en ignorant la Constitution pour conclure des ententes et des accords parallèles entre gouvernements et, autant que possible, en contournant les institutions politiques nationales et leurs exigences. C’est ce qui a donné naissance au fédéralisme hybride. Les Pères de la Confédération n’auraient pas pu prévoir l’avènement du fédéralisme hybride. S’ils avaient pu le faire, ils auraient probablement adopté des mesures pour le couper dans son élan. On n’a qu’à regarder l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (aaNB ), par exemple, pour constater qu’ils ne voyaient aucun intérêt dans les ententes fédérales-provinciales à frais partagés. L’article  118 de l’aaNB prévoit des subventions aux provinces « à titre d’aide à leur gouvernement et à leur législature (Ontario 80 000 $, Québec 70  000  $, Nouvelle-Écosse 60  000  $ et Nouveau-Brunswick 50 000 $) », mais il ajoute : « Le versement de la subvention libère le Canada de toute obligation financière ultérieure6. » Les choses ne se sont pas passées comme prévu. Il fallut accorder des subventions aux autres provinces à mesure qu’elles se joignaient à la Confédération. À nouveau, Ottawa crut qu’il allait mettre un terme à la question en soulignant, en 1907, que les subventions constituaient un « règlement définitif et immuable des montants à verser chaque année aux provinces7  ». Encore une fois, les choses ne se sont pas passées comme on l’avait anticipé. Les Pères de la Confédération et sir Wilfrid Laurier, le premier ministre du Canada à l’époque, n’auraient pas pu prédire qu’avec le temps les provinces

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et les administrations locales assumeraient environ 70 % de toutes les dépenses publiques au Canada et que les soins de santé, l’éducation et les services sociaux en viendraient à représenter la plus grande part des dépenses publiques. De nos jours, même si les gouvernements provinciaux et les administrations locales assument la majeure partie des dépenses publiques au Canada, ils ne génèrent que la moitié environ des recettes publiques totales8.

U N e d é Pr eS S Io N é c o N o mI qU e, UN e comm I S SI o N ro y a l e e t U Ne v o l oNt é P olIt I q Ue d’ag I r La dépression économique des années 1930 changea complètement la donne. Il n’était plus possible de reléguer les gouvernements provinciaux au rang de partenaires subalternes alors que le rôle du gouvernement fédéral commençait à s’étendre bien au-delà de la gestion des tarifs douaniers, du commerce et de la sécurité de la population canadienne. L’aaNB ne traitait pas explicitement de l’aide à apporter aux pauvres – y compris les chômeurs – si ce n’est qu’il conférait aux provinces la responsabilité des institutions municipales, des établissements de bienfaisance et des matières à caractère local9. Dans les années 1930, ces domaines de compétence englobaient beaucoup de choses, ce que les Pères de la Confédération n’auraient pas pu prévoir. Partout, les gouvernements comprirent qu’il fallait intervenir. Au Canada, le taux de chômage grimpa à 25 % et les gens par milliers durent avoir recours à l’aide sociale, alors que plusieurs gouvernements provinciaux n’avaient pas la capacité de planifier ou d’adopter les mesures requises, encore moins de payer les coûts de leur mise en œuvre. La Constitution et le fait que les gouvernements étaient incapables de la modifier pour adapter les responsabilités à l’évolution de la conjoncture économique n’aidaient pas la situation10. Robert B. Bryce a documenté les négociations que tinrent Ottawa et les gouvernements provinciaux dans les années 1930, au moment où les provinces des Prairies étaient au bord de la faillite11. Toutes les régions du Canada étaient aux prises avec de graves difficultés, mais le gouvernement fédéral n’avait pas la capacité d’y remédier12. Les gouvernements provinciaux avaient peut-être la volonté et la compétence nécessaires pour répondre à la situation, mais ils n’avaient pas les ressources financières ou autres à cet effet. De plus, l’économie keynésienne devint en vogue au Canada dans les années 1930 et au début des années 1940. Les décideurs à Ottawa,

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voyant les effets positifs que donnaient les programmes du New Deal de Roosevelt aux États-Unis, voulaient prendre des mesures semblables au Canada, mais la Constitution ne le permettait pas. William Lyon Mackenzie King décida en 1937 de créer une commission royale (la Commission Rowell-Sirois) chargée de réexaminer « les bases sur lesquelles repose le pacte confédératif du point de vue financier et économique, ainsi que l’attribution des pouvoirs législatifs à la lumière des développements économiques et sociaux des derniers soixante-dix ans13  ». Le problème était bien simple selon Ottawa et la Commission Rowell-Sirois : la Constitution du Canada, en l’occurrence l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, avait accordé au gouvernement fédéral tous les pouvoirs politiques et économiques nécessaires à la mise en œuvre de la Politique nationale, mais les temps avaient changé, et l’Acte était maintenant mal adapté pour répondre aux difficultés socioéconomiques que le pays traversait alors. Les questions prioritaires pour le Canada n’étaient plus liées aux tarifs douaniers, aux échanges commerciaux et aux autres compétences que l’aaNB avait déléguées au gouvernement fédéral. Bref, elles concernaient maintenant le domaine du bien-être social et la mise en œuvre d’une politique macroéconomique comme celles inspirées de l’économie keynésienne. C’est donc sans surprise que le rapport Rowell-Sirois, déposé en 1940, insistait sur la nécessité d’une intégration plus efficace des politiques fiscales fédérales-provinciales, tout en recommandant de donner à Ottawa une emprise beaucoup plus ferme sur leur gestion. Au moment du dépôt du rapport, Ottawa avait déjà commencé à se tailler un rôle dans le domaine des politiques sociales. Dans le cadre de la gestion de l’économie de guerre, le gouvernement fédéral réussit à convaincre les provinces de lui laisser le secteur de l’impôt sur le revenu pour la durée du conflit, en échange de subventions calculées d’après une estimation des montants qu’elles auraient perçus. Quand le premier ministre Mackenzie King souleva des questions constitutionnelles lors d’une conférence fédérale-provinciale et voulut réformer le régime fiscal du Canada et la structure de ses politiques sociales pour mettre en œuvre les conclusions du rapport Rowell-Sirois, il se heurta à l’opposition ferme et virulente de l’Ontario et du Québec. Les premiers ministres des deux provinces firent savoir à King en des termes non équivoques que ses propositions étaient vouées à l’échec, à tel point que le premier ministre de

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l’Ontario, George Drew, dénonça le programme de réforme «  de façon hystérique en le qualifiant d’hitlérisme14 ». Cela n’empêcha pas Ottawa d’étendre le champ de ses responsabilités. Il allait faire appel à son pouvoir de dépenser pour intervenir dans tout domaine où il lui semblerait nécessaire de jouer un rôle. Des questions furent soulevées concernant la meilleure façon d’éviter que certaines régions ne soient avantagées, le moyen d’exiger des comptes au gouvernement si les responsabilités étaient partagées, et les modalités de partage des coûts des programmes étant donné que les provinces en bonne situation financière pouvaient se permettre de partager les coûts d’un plus grand nombre de programmes fédéraux-provinciaux. Peu de questions obtinrent une réponse. En outre, les grands décideurs à Ottawa choisirent d’ignorer la Constitution vu l’impossibilité de la modifier, et de saisir les principaux leviers politiques en utilisant le pouvoir de dépenser d’Ottawa pour faire avancer les choses. Ils laisseraient à d’autres, situés à un niveau inférieur de l’échelle organisationnelle, le soin de régler les détails de la mise en œuvre des politiques.

l e f é d é r a lIS m e à traI t d’ UNIo N Dans le fédéralisme à trait d’union, les institutions et les processus établis cèdent la place à des personnalités puissantes, car seules des personnalités puissantes sont en mesure de le faire fonctionner. Ces individus sont les seuls à s’y retrouver dans les processus bureaucratiques lourds et, parfois, à pouvoir mener des négociations fédérales-provinciales complexes. Les ententes et même les accords parallèles doivent se concrétiser, et ils s’accompagnent toujours de dépenses publiques. Il est donc facile pour tout le monde, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du gouvernement, de savoir qui sont les gagnants et qui sont les perdants. Il suffit de faire les calculs. Par ricochet, le fédéralisme à trait d’union crée ainsi des victimes ou, du moins, il permet aux régions, aux groupes et aux particuliers de comparer ce que chacun a réussi à obtenir d’Ottawa. Deux conférences fédérales-provinciales visant à donner suite aux recommandations du rapport Rowell-Sirois et à mettre en place l’État providence, l’une en  1941 et l’autre en  1945, ne permirent pas d’en arriver à des arrangements permanents dans le cadre de la Constitution. Néanmoins, comme l’écrit Donald Smiley, « presque

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dès le jour de la clôture de la Conférence [de 1945], les autorités fédérales cherchèrent à conclure avec les provinces des ententes limitées et fragmentaires sur des questions particulières, qui étaient destinées à transformer le fonctionnement du fédéralisme canadien15 ». Elles choisirent de s’y prendre autrement pour remédier à « l’inflexibilité du système en ce qui concerne une redistribution périodique des pouvoirs et responsabilités entre les deux ordres de gouvernement, au moyen d’une modification constitutionnelle, d’une révision judiciaire ou de la délégation de pouvoirs législatifs d’un ordre de gouvernement à l’autre16 ». C’est ainsi que le pouvoir de dépenser vit le jour, une innovation propre au fédéralisme canadien17. Le pouvoir de dépenser d’Ottawa conduisit à la mise en place des allocations aux personnes aveugles ou handicapées en 1951 et en 1954, du programme d’aide sociale en  1956, de l’assurance-hospitalisation en  1958, des allocations aux jeunes en  1964, du Régime de pensions du Canada en  1965, du régime d’assurance-maladie en 1968 et d’innombrables ententes fédérales-provinciales dans pratiquement tous les secteurs économiques à compter de 197218. Le fédéralisme à trait d’union a connu une pérennité remarquable parce que les gouvernements au Canada ne savent pas vers quoi d’autre se tourner. Il est la clé pour faire avancer les choses. La Constitution continue de forcer les décideurs à chercher des solutions dans le cadre de négociations fédérales-provinciales. Ils y ont vu le seul moyen dont ils disposaient pour donner suite au rapport Rowell-Sirois, mettre en place l’État providence et développer une économie moderne. Des comités fédéraux-provinciaux sont chargés de gérer le processus. Les gouvernements provinciaux emploient maintenant des fonctionnaires qui tiennent une comptabilité de ce que chaque province reçoit d’Ottawa afin de déterminer si certaines provinces obtiennent davantage que la leur. Les gouvernements provinciaux ont tout intérêt à soumettre n’importe quelle proposition si Ottawa assume 50 % des coûts et jusqu’à 100 % dans des cas exceptionnels19. Encore une fois, la comptabilisation de ce que reçoit chaque province crée des gagnants ou des perdants, selon ce que décide Ottawa. Dans le cadre du fédéralisme à trait d’union, tous les gouvernements provinciaux, associations ou groupes ont une chance d’obtenir des fonds publics fédéraux, sauf un : les peuples autochtones. Ceux-ci sont la responsabilité du ministère des Affaires autochtones et du

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Nord. Les gouvernements provinciaux rappelleront au gouvernement fédéral que c’est lui, et non eux, qui est responsable des affaires autochtones. Quoi qu’il en soit, le fédéralisme à trait d’union est une voie à sens unique : le gouvernement fédéral aura recours à son pouvoir de dépenser pour intervenir dans des domaines de compétence provinciale, mais les gouvernements provinciaux n’appuieront pas financièrement les initiatives qui appartiennent à Ottawa. Les provinces n’ont guère le choix de se faire concurrence pour obtenir des fonds fédéraux. Dans mon livre The Politics of Public Spending in Canada, j’ai expliqué par une analogie les effets du pouvoir de dépenser d’Ottawa sur le fédéralisme canadien. Dix personnes ont une réunion à l’heure du déjeuner. Elles doivent décider si elles vont partager une seule addition ou demander 10 additions séparées. En théorie, si elles décident de partager l’addition, elles choisiront toutes parmi les plats les plus chers, mais si chaque personne paie séparément, elles feront probablement des choix différents : personne ne voudra se priver des plats les plus savoureux ou des vins les meilleurs tout en payant pour que d’autres les aient20. Cette analogie décrit bien comment fonctionnent Ottawa et les 10 gouvernements provinciaux, ainsi que les trois gouvernements territoriaux. Le premier ministre Pierre E. Trudeau s’est moqué de Joe Clark, alors chef du Parti progressiste-conservateur, en le traitant de « maître d’hôtel des provinces21 ». Ce terme aurait mieux convenu pour décrire Trudeau lui-même et d’autres premiers ministres fédéraux depuis Mackenzie King. On se souviendra par exemple qu’en 2021 le Toronto Star a affirmé que Justin Trudeau se comportait comme le maître d’hôtel des provinces22. C’est sous le gouvernement de Pierre E. Trudeau que les comités fédéraux-provinciaux de fonctionnaires et les ententes à frais partagés sont devenus une caractéristique importante des programmes fournis par les gouvernements provinciaux. À la fin des années 1970, dans certaines provinces, absolument aucun secteur n’était pas visé par une entente fédérale-provinciale23. Ces fonctionnaires agissaient comme si la Constitution n’avait pas d’importance et ils étaient convaincus que les institutions politiques sont à leur meilleur lorsqu’on les ignore. Les provinces assises à la table du déjeuner savent quels plats chaque convive a commandés et quel convive obtient d’Ottawa l’entente la plus avantageuse. Les gagnants sont satisfaits, du moins tout de suite après le déjeuner, mais pas les perdants.

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Le fédéralisme canadien est devenu un pot-pourri d’ententes fédérales-provinciales, de politiques fédérales-provinciales, de mesures fédérales-provinciales, d’initiatives fédérales-provinciales et de règlements fédéraux-provinciaux. Il a donné lieu à une multitude de comités fédéraux-provinciaux qui gèrent une myriade de programmes à frais partagés. Toutes les fédérations ont diverses formes d’ententes de collaboration entre les ordres de gouvernement, mais aucune n’est allée aussi loin dans cette voie que le Canada. C’est dans un tel environnement que le processus décisionnel offre le plus de flexibilité et que les institutions politiques sont reléguées au second plan. C’est également dans cet environnement que les provinces se verront comme des victimes des dépenses du gouvernement fédéral, ou de l’insuffisance de celles-ci par rapport aux autres provinces. C’est en ce sens que la Constitution du Canada accentue la tendance des régions et des provinces à se considérer comme des victimes d’un gouvernement fédéral dont les programmes favorisent certains bénéficiaires. Les failles de la Constitution apparurent de façon évidente dès que des hauts fonctionnaires de l’État fédéral voulurent mettre en œuvre d’ambitieux programmes socioéconomiques dont la plupart se rapportaient à des domaines de compétence provinciale. Ces fonctionnaires ne virent qu’une solution possible pour permettre à Ottawa d’intervenir  : conclure des ententes avec les gouvernements provinciaux. La Commission Rowell-Sirois avait toutefois mis les gouvernements en garde contre les difficultés que posaient les ententes fédérales-provinciales à frais partagés. La Commission faisait valoir qu’elles enlèveraient aux provinces une partie de leur autonomie, qu’elles risquaient de rendre la reddition de comptes particulièrement difficile et qu’elles inciteraient les gouvernements provinciaux à dépenser davantage, même dans des initiatives peu prioritaires, étant donné qu’Ottawa allait payer la note. Bref, Ottawa avait le choix : suivre les recommandations du rapport Rowell-Sirois et passer outre à la Constitution, ou ne rien faire parce qu’il n’était pas envisageable de modifier la Constitution. Ottawa décida d’agir, ce qui signifiait que les décisions importantes en matière de politiques et de programmes se prendraient dans les antichambres, où les négociations d’ententes fédérales-provinciales commencèrent à ressembler à des relations internationales et à des négociations de traités24.

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Tout comme les traités internationaux, les ententes fédéralesprovinciales sont négociées, pour la plupart, en secret. Une caractéristique déterminante de la diplomatie internationale est que les participants ne dévoilent pas leurs objectifs et leurs stratégies avant la conclusion de l’entente. Le secret facilite les négociations d’ententes fructueuses; les fuites de renseignements dans les médias sont rarement des événements positifs, à moins que les gouvernements ne les aient laissés couler pour renforcer leur position. Le fait que les fonctionnaires de carrière, par instinct et par expérience, préfèrent agir à l’abri de tout examen public contribue à rendre le processus encore plus secret25. Les principaux intervenants dans le processus de négociation fédéral-provincial sont les premiers ministres fédéral et provinciaux, les ministres responsables et les fonctionnaires de carrière pertinents. Comme lors des négociations d’accords internationaux, le Parlement et même le Cabinet sont tenus dans l’ignorance jusqu’à la conclusion des ententes. L’inclusion d’autres intervenants risquerait d’ouvrir la porte aux médias et à des parties intéressées, et de fournir des munitions à ceux qui voudraient faire échouer les projets d’entente ou se faire du capital politique. Il est déjà difficile de gérer les problèmes politiques et les questions fédérales-provinciales même lorsqu’ils sont traités à l’abri des regards du public. Les débats politiques enflammés entre régions largement rapportés dans les médias risquent de ne pas mener à des ententes fédérales-provinciales dans la plupart des domaines. Bref, le secret entourant le processus de négociation ouvre la voie à la conclusion d’ententes fédérales-provinciales et d’ententes parallèles. Un processus qui échappe à l’examen public et qui comporte un nombre limité d’intervenants est cependant susceptible de susciter de la méfiance. Comme dans la diplomatie internationale, les participants sont impatients de voir le produit final et de pouvoir déterminer qui a réussi à obtenir les meilleures conditions. Ceux qui sortent perdants du processus peuvent crier à l’injustice, mais seulement après coup, quand ils s’adressent à leurs électeurs dans leur circonscription. De plus, ils en imputeront la faute à Ottawa parce que c’est Ottawa qui émet les chèques. Les gouvernements provinciaux peuvent soutenir qu’ils ont mis en avant des propositions concrètes, mais que le gouvernement fédéral les a rejetées. Ils peuvent aussi demander pourquoi une autre province a réussi à obtenir une entente généreuse pour réaliser ses priorités.

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Le fédéralisme à trait d’union invite les gouvernements provinciaux à comparer les conditions des accords qu’ils ont conclus avec Ottawa et à constater dans quelle mesure ils obtiennent de bons résultats. À titre d’exemple, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé en juillet 2020 un transfert de six milliards de dollars au Québec pour les services de garde d’enfants sans l’assortir de conditions, de sorte que la province est libre d’utiliser les fonds comme elle l’entend26. On peut supposer sans crainte de se tromper que les fonctionnaires des neuf autres provinces n’ont pas perdu de temps pour renseigner leur premier ministre provincial au sujet de l’accord obtenu par le Québec et étudier la possibilité que leur province obtienne une entente similaire. L’Ontario a rapidement soulevé des questions sur l’approche d’Ottawa en matière de partage des coûts des services de garde. Après l’annonce de l’entente de six milliards de dollars signée avec le Québec et d’autres ententes conclues avec diverses provinces, l’Ontario a réclamé sa part. Le gouvernement fédéral a alloué 30 milliards de dollars pour les services de garde dans son budget de 2021. Ottawa a laissé entendre que l’Ontario recevrait 10 milliards de dollars ou un tiers de l’enveloppe nationale. L’Ontario a clairement indiqué que ce montant n’était pas suffisant puisque la province représentait près de 40 % de la population canadienne27. Plus tard, la province s’est fait rappeler à l’ordre par Ottawa pour avoir essayé de négocier un accord dans les médias plutôt qu’à la table de négociations, derrière des portes closes. Nous en sommes rendus au point où, pour chaque dollar qu’une province nantie verse à Ottawa, elle s’attend à recevoir un dollar en retour et, si elle ne l’obtient pas, le gouvernement provincial criera à l’injustice.

co m m e N t l e c aNa d a Se com Pare-t- Il? De leur côté, les États-Unis ont une Constitution qui va beaucoup plus loin dans l’attribution des compétences à chaque ordre de gouvernement. De plus, un système élaboré de freins et contrepoids, solidement inscrit dans la Constitution et ancré dans les institutions politiques, assure que les ententes et même les ententes parallèles conclues avec chaque État, dans la mesure où elles peuvent survenir, sont produites à la vue du public ou, du moins, à la vue du Congrès. Contrairement au Parlement canadien, le Sénat américain et la Chambre des représentants ont tous deux la capacité de surveiller de près les relations entre

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l’exécutif et les États. Ils n’hésitent pas à utiliser tous les pouvoirs qui leur sont conférés en vertu de l’article 1 section 8 de la Constitution, qui inclut le « pouvoir de la bourse », en particulier en ce qui a trait à l’allocation de fonds publics pour « pourvoir à la défense commune et au bien-être général des États-Unis28 ». Les États-Unis sont différents du Canada étant donné que le pouvoir exécutif (lire ici le président ou la présidente) et le pouvoir législatif disposent tous deux d’organismes centraux qui s’occupent du processus budgétaire. Les deux pouvoirs ont un mot à dire dans le processus de dépenses à mesure qu’il prend forme, et chacun d’eux sait ce que l’autre pouvoir propose. Souvent, les négociations se déroulent à la vue du public, alors que les sénateurs et les représentants de la Maison-Blanche se livrent à une joute politique devant leur électorat. La Constitution de l’Allemagne, ou sa loi constitutive, est plus longue, plus détaillée et décrit mieux la manière dont les gouvernements décident, que ne le font les constitutions américaine ou canadienne. La Constitution allemande compte 146  articles et a été modifiée à 50 reprises depuis 194929. En outre, l’Allemagne est dotée d’un organe qui a le mandat clair de défendre les intérêts régionaux du pays au sein de son assemblée législative nationale, le Bundesrat (la Chambre haute de l’Allemagne). Le gouvernement national occupe une place prépondérante en Allemagne. La Constitution fournit une liste détaillée des responsabilités qui appartiennent clairement au gouvernement national (les articles  87, 87a, b, d et f, et 88  à  89). Ces responsabilités incluent l’assurance sociale, les télécommunications et les questions dont la portée dépasse le territoire d’un seul land (province). Les lands, pour leur part, exercent un rôle administratif important. On a souvent décrit le fédéralisme allemand comme un « fédéralisme administratif ». En somme, au niveau fédéral, il s’agit d’un État qui élabore les politiques et les lois, tandis qu’au niveau des lands, il s’agit d’un État administratif30. C’est principalement l’action du Bundesrat qui permet de désamorcer les tensions régionales en Allemagne. Bien qu’il y ait effectivement des tensions régionales, elles sont rares en raison du rôle que joue le gouvernement national. Elles s’expriment le plus souvent par les habitudes de vote, certaines régions de l’Est de l’Allemagne ayant davantage tendance à voter pour des candidats et des candidates de l’extrême-droite31. On peut en dire autant des

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États-Unis. Il existe certes des tensions politiques dans les deux pays, mais elles sont liées davantage à l’idéologie politique qu’à la façon dont Washington et Berlin traitent chacun des États ou des lands membres.

l a P oP U l a t Io N c a Na d Ie NN e S ’eS t ada P tée Les Canadiens et les Canadiennes d’aujourd’hui ont grandi avec le fédéralisme à trait d’union et s’y sont adaptés. Diverses études indiquent que les Canadiens sont satisfaits de la façon dont la démocratie fonctionne au Canada (13  % se disent «  très satisfaits  » et 63 % se disent « satisfaits »). Environ 25 % des Canadiens ont « un profond respect » pour leurs institutions politiques tandis que 14 % disent n’avoir aucun respect pour elles32. Un groupe, cependant, a un point de vue différent : deux tiers des Autochtones croient que le gouvernement fédéral ne respecte pas leurs communautés33. Le Canada fait meilleure figure que bien d’autres pays quant à la confiance qu’inspirent les institutions politiques nationales et à la confiance dans le gouvernement national. Parmi les pays de l’ocde , le Canada se classe au cinquième rang pour ce qui est de la confiance dans son gouvernement national, n’étant devancé que par la Suisse, la Norvège, les Pays-Bas et le Luxembourg34. Selon une autre étude, le Canada obtient une note encore meilleure à ce chapitre. Un sondage international Gallup rapporte que 63  % des Canadiens ont confiance dans leur gouvernement national, comparativement à 34  % de la population en France, 59  % en Allemagne, 23  % en Italie, 38 % au Japon, 42 % au Royaume-Uni et 33 % aux ÉtatsUnis35, et ce, en dépit – ou à cause – du fédéralisme à trait d’union. Malgré tous ses inconvénients, le fédéralisme à trait d’union a bien servi le Canada. Il a enseigné aux Canadiens et à leurs dirigeants politiques l’importance du compromis dans l’édification d’un pays dont la Constitution et les institutions politiques ne cadrent pas avec sa géographie et sa réalité socioéconomique. Il a permis au Canada de concilier le Canada anglais, le Canada français et une politique multiculturelle et de répondre aux besoins d’économies régionales très différentes. Northrop Frye a déjà dit que «  le génie du compromis des Canadiens se reflète dans l’existence du Canada lui-même36  ». Ce génie du compromis repose dans notre Constitution et dans nos institutions politiques, qui forcent constamment nos dirigeants

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politiques à travailler en dehors de leurs contraintes pour en arriver à des compromis et faire bouger les choses. C’est ce qui explique que les citoyens et les citoyennes du Canada ont une grande confiance dans leur gouvernement d’un point de vue comparatif, plus grande que ce n’est le cas en France, en Italie, au Japon, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, de façon marquée dans certains cas37. Je soutiens qu’il est crucial de maîtriser l’art du compromis pour faire face à une économie mondiale en constante évolution, pour répondre aux appels répétés à la collaboration intergouvernementale afin de résoudre des problèmes complexes comme les changements climatiques et pour s’adapter aux développements récents tels que l’avènement des médias sociaux, des facteurs qui font qu’il est plus difficile de gouverner. L’art du compromis est par ailleurs beaucoup plus avantageux que la nécessité d’adhérer à une Constitution rigide et à des institutions politiques nationales rigides, parce qu’il favorise la flexibilité dans l’élaboration des politiques et des programmes. Les dirigeants politiques du Canada demeurent aux prises avec des difficultés qui sont propres au pays. Aucune autre fédération ne compte une province ou un État où le groupe dominant est une minorité nationale (comme le Québec). Aucune autre fédération n’est dépourvue d’une chambre haute, parmi ses institutions politiques nationales, qui soit en mesure de défendre les intérêts régionaux. Aucune autre fédération ne s’engage dans un transfert asymétrique de pouvoirs du gouvernement national à une province ou à un État membre (certaines mesures gouvernementales du Canada ne s’appliquent pas au Québec). Aucun autre pays n’a embrassé le multiculturalisme autant que le Canada l’a fait. Et aucune autre fédération ne compte autant de nations dans ses structures politiques que le Canada. Le Canada est maintenant un État multinational plutôt que binational38. Le Canada a été le premier pays à adopter une politique officielle de multiculturalisme en 1971. D’autres pays ont suivi. Mais le Canada a réussi à faire fonctionner le multiculturalisme, alors que d’autres pays où l’on observe une plus faible diversité culturelle n’y sont pas parvenus39. Le Canada a réussi à le faire fonctionner parce qu’il a appris l’importance d’accommoder la diversité. Les deux tiers des Canadiens et des Canadiennes (67 %) se disent « satisfaits » des efforts d’intégration des immigrants dans leurs collectivités d’accueil40. Le Canada est reconnu comme une terre d’accueil pour les nouveaux arrivants. Dans le cadre d’une étude internationale, les

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Canadiens sont arrivés au premier rang pour leur disposition à accueillir des immigrants  : 29  % d’entre eux étaient favorables à une augmentation des niveaux d’immigration, comparativement à 23,4  % des Australiens, à 11,2  % des Américains et à 5,8  % des Britanniques41. Le Canada a accueilli plus de 411  000  nouveaux arrivants en 2022 et en accueillera 421  000  autres en 202342. En outre, les faits tendent à démontrer que les néo-Canadiens voient rapidement l’utilité de s’adapter à leur nouvelle patrie43. La Constitution et les institutions politiques du Canada ont forcé les dirigeants politiques du pays à innover, à faire des compromis et à montrer l’exemple en adaptant les politiques en cours de route, selon les besoins. Cette situation a engendré une culture politique distincte qui a façonné les valeurs canadiennes. Lorsque la cBc organisa un concours en 1972 pour trouver un pendant canadien à l’expression « as American as apple pie » (« aussi américain que la tarte aux pommes »), la soumission gagnante fut « as Canadian as possible under the circumstances » (« aussi Canadien que possible dans les circonstances »). C’est précisément de cette façon que notre culture politique nous a amenés à surmonter les défis que le Canada a rencontrés au fil des ans, liant du même coup les composantes du Canada en un pays qui est difficile à gouverner. Notre culture politique a produit tous ces résultats, mais il y a une exception flagrante : les peuples autochtones. De plus, le Canada en a fait davantage que d’autres pays en ce qui concerne la présentation d’excuses pour des torts historiques. La culture politique du Canada est liée à sa capacité d’arriver à des compromis et de considérer tous les points de vue sur une question. Elle est la raison du succès du Canada et ce qui explique que la grande majorité des Canadiens et des Canadiennes ne veulent être rien d’autre ou personne d’autre. La culture politique explique également pourquoi les profondes divergences idéologiques n’ont pas pris racine au Canada.

e N r é t r oS P e ctI ve Le Canada a été confronté à la désuétude de sa Constitution à un moment où les gouvernements jugeaient nécessaire d’intervenir pour contrer une crise économique, la Grande Dépression. Les hauts responsables politiques à Ottawa ont conclu qu’il fallait faire quelque

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chose, et tant pis pour la Constitution. Ils voyaient le besoin urgent de bâtir un État providence auquel il fallait rattacher des normes pour le rendre fonctionnel. Les décideurs à Ottawa allaient prendre les choses en main parce que les gouvernements provinciaux n’avaient ni l’expertise dans leurs rangs, ni les ressources financières nécessaires pour agir seuls. L’instauration de l’État providence est devenu l’objectif primordial. Tant pis si, pour ce faire, il a fallu écarter la Constitution et les institutions politiques et s’il est devenu plus difficile d’assurer la reddition de comptes du gouvernement44. Le fédéralisme à trait d’union a bien servi le Canada. Il a jeté les bases du développement d’une culture politique distincte qui a permis aux dirigeants politiques du pays de construire l’État canadien moderne. Cette culture explique comment le Canada a réussi à s’adapter à une politique de bilinguisme national, au multiculturalisme, à l’immigration de gens de couleur, aux réfugiés, au libre-échange avec les États-Unis et le Mexique, à une charte des droits et libertés et au renforcement des gouvernements provinciaux. De plus, le Canada a été un chef de file dans la reconnaissance des droits des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transgenres (lgBt )45. En 2020, un sondage d’opinion commandé par le gouvernement a révélé que 91,8 % des Canadiens seraient à l’aise si un voisin était une personne homosexuelle, lesbienne ou bisexuelle. Le Canada a été le quatrième pays seulement à légaliser le mariage entre conjoints de même sexe46.

11 Plus jamais victimes

John L. Manion, ancien secrétaire du Conseil du Trésor et greffier du Bureau du Conseil privé, m’a dit : « Les universitaires sont bien bons pour nous dire ce qui fait défaut au gouvernement et pourquoi les choses sont ce qu’elles sont. Ils ont de bons arguments. » Mais ensuite, il a ajouté : « Je ne peux penser à aucun universitaire qui, ces dernières années, nous a dit  : “Voici comment les choses devraient fonctionner”, “Voici comment vous pouvez améliorer les activités du gouvernement” ou “Voici une solution.” Je peux t’assurer que je serais très heureux que quelqu’un apporte une telle contribution, et je suis sûr que plusieurs de mes collègues aussi1. » Manion n’était pas le premier ni le dernier haut fonctionnaire à me faire ce commentaire. Mon livre Governing from the Centre, qui a bénéficié d’un large lectorat parmi les praticiens, a mis en lumière certains problèmes que pose l’élaboration des politiques du gouvernement fédéral, mais il proposait peu de moyens d’y remédier. Je reconnais qu’il est beaucoup plus facile pour les universitaires de relever les problèmes, de cerner les lacunes et d’exposer les défis, que de définir une nouvelle approche. Compte tenu des arguments soulevés dans le présent livre, j’ai jugé bon de formuler des suggestions sur la voie à suivre dans ce chapitre et le chapitre de conclusion. Plus les Canadiens et les Canadiennes proposeront des idées concernant le renforcement du Canada, plus la démocratie représentative canadienne sera efficace. Les liens qui unissent les Canadiens seront également plus solides. La question suivante me revenait toujours à l’esprit pendant la rédaction de ce livre : comment peut-on renforcer l’unité canadienne? J’ai décidé de me concentrer autant que possible sur ce qui nous unit plutôt que sur ce qui nous divise.

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Je ne vois pas pourquoi une région, une communauté ou une personne voudrait continuer de se voir comme une victime. Ce n’est pas en se considérant comme une victime qu’on échappe à la victimisation. Je vois mal comment on pourrait préparer un avenir meilleur pour les régions, les groupes ou les particuliers en mettant l’accent sur les griefs du passé. Et pourtant, compte tenu de l’histoire du Canada, des raisons et des circonstances de sa création et du fait que les politiques nationales ont nettement avantagé certaines régions mais d’autres beaucoup moins, je peux comprendre que certaines régions et certaines communautés se soient perçues ou se perçoivent encore comme injustement traitées par les gouvernements et leurs politiques. Mais les choses évoluent, et le Canada et ses gouvernements ont fait des efforts considérables pour aider des régions, des groupes et des particuliers à tourner la page sur les injustices passées et les politiques d’anciens gouvernements qui, du moins selon leur perspective, étaient mal avisées. Ce chapitre prend la mesure de ces efforts.

l ’hI S t oI r e N o U S a P P r eN d ce q Ue le ca N ada a f a It e t Po Ur q U o I NoU S devo NS fa I re m I eU x J’aimerais pouvoir remonter dans le temps et changer l’histoire. Si j’en avais la possibilité, je ferais le nécessaire pour que les « Habits rouges  » ne mettent pas mes ancêtres à bord de navires pour les expulser vers des contrés lointaines, ou qu’ils ne brûlent pas leurs maisons et ne confisquent pas leur terre et leurs biens. Les Acadiens furent entassés comme des sardines sur ces navires; deux personnes partageaient un espace d’à peine un mètre de largeur sur deux mètres de longueur. Les conditions de détention causèrent des maladies et, finalement, la mort d’une personne sur sept parmi les Acadiens à bord. Comme nous l’avons vu, certains réussirent à s’échapper et s’enfuirent dans la forêt, exposés aux rigueurs du climat et à la famine2. Les Acadiens furent victimes d’une guerre à laquelle ils ne voulaient pas être mêlés et dans laquelle eux-mêmes ou leurs communautés n’avaient pas grand-chose à voir. Mes ancêtres savaient, beaucoup mieux que ceux qui suivirent, comment tirer le meilleur des riches terres agricoles situées le long du littoral de la Nouvelle-Écosse. On peut supposer que, si les Acadiens n’avaient pas été brutalement arrachés à leurs foyers, certains seraient devenus des titans de l’industrie alimentaire canadienne.

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Mais je ne peux changer l’histoire et je l’accepte. Si l’histoire pouvait être réécrite par ses victimes, elle serait sans cesse réécrite et n’aurait plus d’importance. Il y a, bien entendu, les faits historiques et des interprétations de l’histoire. La déportation des Acadiens commença en 1755; Wolfe remporta la bataille de Québec; la création des pensionnats pour Autochtones, en place durant plus d’un siècle, avait pour but l’assimilation des enfants autochtones  : ce sont des faits historiques. Les faits historiques ne devraient pas être matière à débat. J’admets cependant que les historiens et les historiennes ont ajouté de la couleur à l’histoire ou qu’ils l’ont vue dans leur optique particulière, et que l’histoire de certains groupes ou de certaines régions n’a pas reçu un traitement approprié. On pourrait débattre du second point, mais pas du premier. Il n’est pas possible de supprimer les faits et les personnages historiques, peu importe le regard réprobateur que nous en venons à porter sur eux. Il y a environ 25 ans, divers chefs de file de la communauté francophone du Nouveau-Brunswick ont lancé une initiative visant à rebaptiser mon université. L’Université de Moncton porte le nom de la ville dans laquelle elle a son siège. La ville de Moncton, quant à elle, a été nommée en l’honneur de Robert Monckton. Monckton, un officier de l’armée britannique, joua un rôle central dans la déportation des Acadiens en capturant le fort Beauséjour et lors de la bataille de Québec à titre de commandant en second du général Wolfe. Je reconnais que le nom « Moncton » peut susciter des émotions fortes dans les communautés acadiennes. Je ne pourrais pas accepter, toutefois, que l’on réécrive l’histoire parce qu’elle ne nous a pas été favorable. En tant qu’officier de l’armée britannique, Monckton suivit ses instructions et exécuta les ordres donnés par ses supérieurs politiques et militaires. Il s’agit d’un fait historique, et aucune interprétation ou réinterprétation ne peut rien y changer. Plusieurs personnes, dont moi-même, ont eu une rencontre à la fin des années 1990 avec Jean-Bernard Robichaud, alors recteur de l’Université de Moncton, pour faire valoir que le nom « Moncton » devait rester associé à l’Université. J’ai soutenu simplement que nous ne pouvions pas réécrire l’histoire, que l’histoire est immuable et que la clé du succès pour les Acadiens n’est pas dans le passé, mais dans l’avenir. D’autres participants à la rencontre ont présenté des arguments convaincants en faveur du maintien du nom « Moncton ». Mon université continue de porter le nom de l’officier militaire britannique.

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Les Acadiens ne sont certainement pas les seuls Canadiens qui aimeraient changer l’histoire s’ils le pouvaient. Les habitants des Maritimes constatent maintenant qu’Albert Smith avait raison sur la question de la Confédération et que sir Samuel Tilley faisait erreur. Une statue de Tilley se dresse à Saint-Jean, tandis qu’aucune statue n’a été érigée à l’effigie de Smith. La statue de Tilley a été la cible de vandales au début de juillet 2021. Je n’ai jamais eu une très haute opinion du travail de Tilley qui mena à l’entrée du NouveauBrunswick dans la Confédération. Mais que l’on approuve ou non son travail, Tilley joua un rôle important dans notre histoire et l’on ne pourra jamais nier son rôle. Quant à Smith, il n’était pas opposé à la Confédération, uniquement aux conditions de la Confédération exposées aux conférences de Charlottetown, de Québec et de Londres. Je peux comprendre pourquoi des Autochtones voudraient vandaliser les statues de certains Pères de la Confédération et je ne veux pas porter de jugement sur leurs agissements, à supposer que le vandalisme sur la statue de Tilley soit attribuable à certains d’entre eux. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il ne sert à rien de renverser des statues et d’incendier des églises, bien que je comprenne parfaitement que certains ont de bonnes raisons d’en vouloir à l’histoire pour la façon dont elle les a traités. Si les Autochtones du Canada pouvaient remonter dans le temps et changer l’histoire, ils le feraient, et je marcherais à leurs côtés. Les relations du Canada avec ses peuples autochtones ont été un fiasco. Ce fiasco est la page la plus sombre de notre histoire, mais il en fait partie, si horrible soit-il. Si les Canadiens et les Canadiennes de l’Ouest pouvaient retourner en arrière, ils diraient à sir Wilfrid Laurier que c’était à eux, et non à lui, de décider des modalités de leur adhésion à la Confédération. De plus, ils insisteraient pour que les institutions politiques nationales aient une plus grande capacité de défendre leurs intérêts dans le cadre de l’élaboration des politiques. Si les Québécois et Québécoises francophones pouvaient réécrire l’histoire, ils verraient à ce que ce soit Montcalm, et non Wolfe, qui aurait remporté la bataille de Québec. Certains Ontariens regarderaient peut-être en arrière pour conclure que l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis et l’Accord de libre-échange nord-américain (aleNa ) les ont plutôt bien servis et qu’ils n’auraient pas dû s’y opposer. Ils concluraient peut-être aussi qu’Ottawa

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et la Politique nationale du Canada les ont grandement aidés à bâtir une économie prospère. S’ils remontaient dans l’histoire, certains Loyalistes noirs regretteraient peut-être d’avoir combattu aux côtés des Loyalistes de l’Empire britannique et, plus tard, d’avoir décliné l’offre de la Sierra Leone Company de quitter le Canada. Je crois que tous les particuliers, les communautés et les régions changeraient au moins un segment de l’histoire s’ils en avaient la possibilité. Mais les faits historiques demeurent des faits historiques, et on ne peut pas les modifier, même s’ils ne cadrent pas avec ce qu’on préférerait qu’ils soient.

d e m oN P o INt de v Ue Je vois le monde de mon point de vue, et les moyens que je préconise pour améliorer le Canada sont modelés par mon expérience et celle de la communauté acadienne. J’ai moi-même été témoin de la transformation du peuple brisé qu’était la société acadienne, en une communauté dynamique et pleine de promesses. J’ai eu une révélation – ou, plus exactement peut-être, un réveil brutal – peu après mon arrivée à l’Université d’Oxford, où je poursuivais mes études doctorales, lorsque je rencontrai Nevil Johnson, mon directeur de thèse au Nuffield College à l’automne 1977. Nevil avait un physique imposant. Il ressemblait à un Allemand avec ses cheveux blonds, ses épaules larges et son ventre plat. Je ne me rappelle pas l’avoir jamais vu sourire. Aucune blague ne réussissait à le dérider. Il était austère, aigre et sévère. Son bureau, contrairement à ceux d’autres directeurs d’études à Oxford, était toujours propre, chaque objet y était à sa place. Son pupitre était placé face au mur, et non face à l’étudiant ou à la personne qui lui rendait visite. Il faisait pivoter son fauteuil pour parler à ses visiteurs au-dessus d’une table à café qui les séparait. On sentait toujours que Nevil avait hâte de retourner son fauteuil et de continuer à travailler sur ce qui l’occupait avant d’avoir été interrompu. Nevil était un chercheur de premier rang et partout son travail était très respecté par les étudiants qui s’intéressaient au fédéralisme et aux institutions politiques. Il fut membre du Parti conservateur britannique et conseiller de Margaret Thatcher. Son ouvrage sur le fédéralisme allemand et la Constitution britannique a été abondamment cité et continue de l’être. Il devint mon directeur d’études

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parce que je voulais écrire ma thèse sur le fédéralisme dans une perspective canadienne. Notre première rencontre fut brève et sans détour. Nous avons convenu que j’écrirais un document de 25 pages sur la coordination des politiques et programmes dans les États fédéraux. Quelques semaines plus tard, Nevil me convoqua à son bureau. Il ne s’encombra pas de formalités du genre « Est-ce que tu te plais à Oxford? » Il me regarda droit dans les yeux et déclara : « Ce travail est épouvantable. J’ai rarement vu un texte aussi mal écrit. Je ne comprends vraiment pas ce que tu essaies de dire. » Je tentai d’employer une stratégie qui m’avait bien servi lorsque j’étais à l’Université du Nouveau-Brunswick (UNB ), où j’étais autorisé à rédiger mes travaux en français si je le souhaitais. «  Oh, dis-je, je suis Acadien.  » Il répondit  : «  Qu’est-ce que c’est que ça, pour l’amour du ciel? – Ma langue maternelle est le français, expliquai-je. – Je vois, dit Nevil. Eh bien, tu sais, il y a d’excellentes universités de l’autre côté de la Manche, en France. Pourquoi ne vas-tu pas étudier là-bas? – Non, protestai-je. C’est ici, à Oxford, que je veux être. – Eh bien, dans ce cas, voici une grammaire anglaise. » Il lança un livre sur la table à café et ajouta : « Lis-la très attentivement. » Là-dessus, se poussant du pied, il fit pivoter son fauteuil et se retourna vers le mur. Je restai là à lui regarder la nuque, la grammaire posée sur la table à café. Je pris le livre et sortis sans ajouter un mot. « C’est donc ça, Oxford », me dis-je. J’étais intimidé. Mes origines acadiennes ne me seraient d’aucune aide ici et, visiblement, il ne me servirait à rien de jouer la carte de la victime. Je me souviens d’avoir pensé que Nevil avait peut-être raison, que j’aurais peut-être dû aller en France. Je pouvais faire l’une des trois choses suivantes : aller en France, rentrer au pays ou m’atteler à la tâche et la mener à bout. Je décidai de m’y atteler en faisant de mon mieux. Durant les trois années suivantes, je consacrai de très longues heures à mes travaux d’études, sept jours par semaine. Je lus la grammaire de Nevil, et elle m’aida effectivement. Mais ce n’était pas suffisant. Je me rendis chez Blackwell’s, la célèbre librairie d’Oxford, et j’achetai une trousse : New Course in Practical English. Il s’agissait d’un cours de 12 semaines basé sur un manuel de 100 pages qui comprenait un certain nombre d’exercices visant à améliorer la grammaire et le style d’écriture. J’ai conservé cette trousse jusqu’à ce jour. Je complétai patiemment chacun des exercices et

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je lus et relus tout le matériel en moins de 12 jours au lieu de 12 semaines. Elle s’avéra un outil inestimable et eut un effet durable. Plusieurs semaines après notre rencontre initiale, je décidai de rédiger un nouvel essai pour Nevil. Peu après, j’étais à son bureau pour recevoir son verdict. Son ton n’était pas plus amical, mais son message l’était. Il déclara que mon travail s’était « beaucoup amélioré ». Je le remerciai, remis la grammaire sur la table à café, dis qu’elle m’avait été fort utile et je sortis. Encore une fois, il retourna son fauteuil face au mur. Compte tenu des critères de Nevil, c’était là une évaluation positive de mon travail. À la fin du printemps 1979, j’avais terminé ma thèse. Sir K.C.  Wheare, un Australien, le premier non-Britannique à diriger l’Université d’Oxford et sans conteste la plus grande autorité mondiale en matière de fédéralisme, fut invité à présider le jury de ma soutenance de thèse. Je n’eus aucune difficulté à défendre ma thèse, dont j’ai tiré mon premier livre, Federal-Provincial Collaboration: The Canada-New Brunswick General Development Agreement. J’eus l’impression que Nevil était presque aussi satisfait que moi du résultat. Quelques jours plus tard, il m’invita à dîner en sa compagnie à la table d’honneur du Nuffield College. Je lui demandai s’il se rappelait notre première rencontre, lorsqu’il m’avait suggéré de songer à traverser la Manche pour aller en France. « Oui, bien sûr », dit-il. Il ajouta : « Ce que tu cherchais, c’était une béquille, et je n’étais pas près de t’en donner une. Ou bien tu répondrais aux exigences, ou bien tu n’y répondrais pas. » À ma grande surprise, il parla ensuite de l’Acadie, révélant une connaissance assez étendue de notre histoire. Est-ce que je crois que mon expérience peut s’appliquer à d’autres Canadiens? À certains, oui, mais pas à d’autres. Je ne peux pas dissocier mon expérience de celle de ma communauté, et toutes les communautés ont une histoire différente. Je ne peux témoigner que de ma propre expérience et de l’expérience acadienne. Oxford m’a donné la confiance nécessaire pour mener ma carrière universitaire. Je suis arrivé à Oxford une vingtaine d’années après l’élection de Louis J. Robichaud au poste de premier ministre et environ 15 ans après qu’il eut entrepris de transformer le Nouveau-Brunswick en profondeur, en particulier les régions acadiennes de la province. L’élection de Louis J. Robichaud comme premier ministre du Nouveau-Brunswick marqua un point tournant pour la société acadienne. Robichaud joua le rôle central dans la transformation des

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Acadiens, un peuple brisé mais encore tenace en 1955, année de la commémoration du bicentenaire de la Déportation, en une société florissante qui non seulement a accompli de grandes réalisations au cours des 60 dernières années, mais pour laquelle les années à venir sont également très prometteuses. Comme nous l’avons vu, Robichaud a tout changé. Il nous a donné un nouveau système scolaire, il a réformé le régime fiscal provincial, créé l’Université de Moncton, fait une place aux Acadiens pour qu’ils puissent servir le gouvernement aux niveaux tant politique que bureaucratique, adopté l’ambitieux programme « Chances égales pour tous » et son gouvernement a promulgué la Loi sur les langues officielles de la province. Si le Québec a eu sa révolution tranquille dans les années 1960, le Nouveau-Brunswick a aussi connu sa propre révolution, quoique pas si tranquille. Robichaud a littéralement fait entrer de force le Nouveau-Brunswick dans le 20e siècle. Ses mesures de réforme inspirèrent les commentaires suivants de la revue Maclean’s en 1967 : « L’establishment est inquiet, les démunis trépignent d’impatience et le gouvernement secoue une province qui ne sera plus jamais pareille. Le Québec? Non, cela se passe dans le Nouveau-Brunswick de Louis Robichaud3. » Nous avons assisté à une véritable renaissance acadienne au cours des 60  dernières années. Nous l’avons vue dans tous les secteurs. Nous l’avons vue dans le domaine des arts, le monde universitaire, le milieu sportif, au sein du gouvernement et dans le milieu des affaires. L’esprit d’entreprise est maintenant enraciné dans toutes les régions acadiennes. C’est dans une localité acadienne qu’on trouve le nombre d’entreprises en démarrage par habitant le plus élevé dans les provinces maritimes. Les Acadiens et les Acadiennes sont maintenant des chefs de file d’entreprises présentes dans tous les secteurs et exportant leurs produits partout dans le monde4. On se souviendra que Moncton connut un ralentissement économique important en 1988, quand le Canadien National (cN ), une société d’État fédérale, décida de fermer ses ateliers de réparation de Moncton et de transférer leurs activités à Montréal. Le gouvernement fédéral n’a jamais expliqué pourquoi il était plus logique d’un point de vue économique que le cN ferme les ateliers de Moncton au profit de Montréal. La décision entraîna la mise à pied de 2  000  travailleurs. Les citoyens de Moncton rappelèrent à Ottawa que la mise à pied des 2 000 travailleurs à Moncton équivalait, toutes proportions gardées,

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à la fermeture du secteur de l’automobile dans le Sud de l’Ontario. L’économie de Montréal aurait pu mieux encaisser la fermeture des ateliers de réparation du cN que l’économie de Moncton, beaucoup plus petite. La ville a réussi à relancer son économie grâce, dans une large mesure, à une nouvelle génération d’entrepreneures et entrepreneurs acadiens et au bilinguisme de Moncton. Le «  miracle  » économique de Moncton a fait couler beaucoup d’encre. Il a fait l’objet notamment d’un article dans le New York Times intitulé : « The Moncton Miracle: Bilingual Phone Chat5 » (« Le miracle de Moncton : les appels téléphoniques bilingues »). Les Acadiens sont devenus les principaux acteurs du milieu des affaires de Moncton, et nous y sommes arrivés dans une ville qui porte le nom de Robert Monckton, l’officier militaire britannique qui dirigea l’opération de déportation des Acadiens. Il n’y a pas plus belle revanche sur l’histoire... Louis J. Robichaud et moi sommes devenus de très bons amis. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il m’avait demandé d’organiser ses funérailles officielles, ce que j’ai fait. Ce fut un moment particulièrement difficile et émouvant pour moi et pour la communauté acadienne. Nos liens d’amitié m’ont permis de lui poser de nombreuses questions sur son séjour au pouvoir. Il avait vu les injustices et l’inégalité des chances qui existaient alors au Nouveau-Brunswick et il avait décidé de faire quelque chose pour y remédier. Les politiques gouvernementales représentèrent pour lui le moyen privilégié d’y parvenir. Robichaud était animé par une conviction profonde qui était au cœur de son travail et qui valait tant pour les anglophones que les francophones  : le gouvernement avait l’obligation d’intervenir pour que tout le monde bénéficie de chances égales de réussir. Il n’hésita jamais à affronter des intérêts puissants ni à prendre des décisions difficiles. Il estimait que le gouvernement était un acteur important du développement économique de la communauté acadienne et il n’hésita pas à adopter des mesures les unes après les autres pour encourager l’autonomie de celle-ci. Il n’y voyait aucune contradiction. En fait, il croyait que les Acadiens resteraient des victimes de politiques et de décisions politiques et militaires du passé à moins que le gouvernement n’intervienne. J’ai vu de nombreux hommes et femmes politiques se succéder sans laisser de traces. Robichaud a laissé sur le Nouveau-Brunswick une empreinte profonde qui est bien visible encore de nos jours.

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Il considérait l’éducation comme l’élément fondamental de sa stratégie. Constatant qu’il y avait peu d’Acadiens et d’Acadiennes parmi le personnel des ministères et organismes gouvernementaux, il décida de remédier à la situation. Il conclut que le développement économique et le développement des entreprises étaient lents au Nouveau-Brunswick, et il résolut d’accélérer le rythme de la croissance économique en créant un organisme gouvernemental voué au développement économique et demanda à un expatrié britannique d’en assumer la direction. Les Acadiens occupent maintenant la place qui leur revient dans la société grâce aux années  Robichaud et aux divers programmes fédéraux mis en place à la fin des années 1960 et tout au long des années  1970, qui accordaient une attention particulière aux francophones hors Québec. Du même coup, nous sommes devenus des Canadiens productifs profondément attachés au Canada. En somme, les mesures gouvernementales nous ont permis de sortir de notre coquille, de prendre confiance en nous et de jouer un rôle important dans nos collectivités. La question est : peut-on répéter l’expérience avec d’autres groupes, en particulier les peuples autochtones? Je me suis souvent demandé si Louis J. Robichaud réussirait à faire aujourd’hui ce qu’il a accompli dans les années  1960. J’en doute. Indépendamment de sa force de caractère, il était plus facile pour les gouvernements de lancer un ambitieux programme de réforme et de mettre en œuvre un large éventail de programmes il y a 60 ans que ce ne l’est aujourd’hui. À cette époque-là, les gens du Nouveau-Brunswick et les autres Canadiens voyaient d’un bon œil le rôle du gouvernement et avaient confiance dans la capacité du secteur public de fournir les services qu’il promettait. Les médias sociaux n’existaient pas, ni les chaînes d’information continue. Les fonctionnaires n’avaient pas à se préoccuper des organismes de surveillance de plus en plus nombreux. La loi sur l’accès ou le droit à l’information ne pointait même pas à l’horizon. Personne ne soutenait que la bureaucratie gouvernementale s’était transformée en une grosse baleine incapable de nager. Les campagnes électorales avaient un début et une fin, au lieu de durer en permanence comme c’est maintenant le cas. Un ami acadien m’a dit il y a quelques années  : «  Tu sais, l’élection de Louis Robichaud comme premier ministre du NouveauBrunswick en 1960, dans ce contexte-là, c’est un peu comme si une personne autochtone était élue à ce poste à notre époque. Les élites dirigeantes au Nouveau-Brunswick ont dû combattre Robichaud

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à chaque tournant. Peux-tu imaginer l’élection d’un Autochtone comme premier ministre? » Je lui ai répondu non à cette époque, et je réponds non encore aujourd’hui. Robichaud pouvait compter sur une large base électorale parmi les Acadiens et les Acadiennes, qui représentaient plus d’un tiers de la population provinciale en 1960. Les Autochtones forment présentement 2,4 % seulement de la population néo-brunswickoise. De plus, l’élaboration des politiques dans le Nouveau-Brunswick actuel est très différente de ce qu’elle était dans les années 1960, pour les raisons susmentionnées. Il serait probablement très difficile, voire impossible d’appliquer à la situation des peuples autochtones les forces qui ont permis aux Acadiens de réussir dans tous les secteurs. Les Premières Nations auront besoin de plusieurs Louis Robichaud, pas seulement un. Les Canadiens et les Canadiennes devront se montrer tolérants lorsque les gouvernements négocieront de nouvelles formes de gouvernance et mettront en œuvre des plans ambitieux en vue d’aider les peuples autochtones à prendre leur juste place dans la société canadienne. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre de conclusion.

l e S m a rIt I me S Je ne connais aucune publication qui affirme que les politiques mises en place par le gouvernement fédéral de 1867 jusqu’au début des années 1990 ont été bénéfiques pour l’économie des Maritimes. En revanche, de nombreux auteurs, dont Ernest Forbes et moi-même, ont décrit comment, en fait, les politiques fédérales ont nui au développement des trois provinces maritimes6. Les Maritimes, plus que toute autre région, peuvent à juste titre être étiquetées comme victimes lorsqu’on examine les décisions prises par Ottawa au fil des ans dans tous les secteurs, que ce soit les politiques d’approvisionnement, l’effort de guerre lors de la Seconde Guerre mondiale, les politiques en matière de R-D et même les initiatives de développement économique régional7. Par contre, les paiements de transfert fédéraux versés aux Maritimes et à TerreNeuve-et-Labrador ont été et demeurent plus généreux que dans le cas des autres régions8. Néanmoins, même à cet égard, on a soulevé des questions à savoir si les paiements de transferts ont ralenti le développement économique de la région en la rendant trop dépendante d’eux9.

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La route vers une économie forte et autonome est certainement semée d’embûches pour les Maritimes. Certaines données indiquent toutefois que la région est sur la bonne voie. Comme nous l’avons vu plus tôt, les accords de libre-échange donnent aux entreprises des Maritimes un accès à de nouveaux marchés. Comme elles le faisaient avant la Confédération, les entreprises de la région se tournent vers les marchés d’exportation, où elles réalisent des progrès importants, en particulier sur la côte est des États-Unis, en Europe de l’Ouest et en Asie. La région subit depuis longtemps une baisse de population au profit d’autres régions canadiennes et de la Nouvelle-Angleterre. Mais les choses évoluent. Les trois provinces maritimes ont rapporté une augmentation de l’immigration nette au cours des dernières années, ce qui leur est rarement arrivé depuis 1867. Entre juillet 2019 et juin 2020, la population d’Halifax s’est accrue de 2,1  %, soit plus de 9 000 personnes, une croissance attribuable à 64 % à l’immigration internationale10. La croissance démographique de l’Île-du-PrinceÉdouard a été plus rapide que celle de l’ensemble du Canada entre le 1er avril 2019 et le 1er juillet 202111. Le corridor Halifax-Moncton génère une croissance économique impressionnante qui se compare à la moyenne nationale selon divers indicateurs socioéconomiques bien connus12. De plus, ce corridor attire des néo-Canadiens ainsi que des migrants d’autres régions du Canada. Statistique Canada rapporte que les Maritimes ont connu leur plus forte croissance démographique trimestrielle jamais enregistrée, selon les données du deuxième trimestre de 2021. L’agence a également indiqué que l’immigration nette dans la région a atteint son niveau le plus élevé en 60  ans ou depuis que Statistique Canada recueille des données à ce sujet13. La croissance démographique est un signe évident de développement économique. Ottawa a fait quelque chose récemment qu’il était réticent à faire par le passé, du moins en ce qui concerne les provinces de l’Atlantique. Il a adapté ses programmes en matière d’immigration à la situation économique particulière de la région. Le Programme pilote d’immigration au Canada atlantique a été un franc succès et continue d’avoir des retombées importantes dans la région14. Il s’agit d’une belle réussite du gouvernement et le milieu des affaires de la région réclame d’autres programmes du genre. C’est vrai dans toutes les régions du Canada atlantique, tant dans les petites collectivités comme Saint-Quentin, au Nouveau-Brunswick, qu’à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

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Les centres urbains des Maritimes, en particulier Halifax, Moncton et Charlottetown, sont tout aussi florissants que n’importe quel autre centre urbain du Canada selon les principaux indicateurs économiques15. De plus, les économistes de l’une des plus grandes banques canadiennes estiment que les perspectives sont prometteuses pour la relance de l’économie régionale après la pandémie de covId-19 et ils prévoient que les Maritimes feront meilleure figure que d’autres régions16. Bien sûr, il reste des défis importants à relever. La région connaît un vieillissement rapide de sa population, ce qui a de vastes répercussions sur les finances publiques, les soins de santé et la productivité. Par ailleurs, le pourcentage de la population qui vit en milieu rural y demeure plus élevé que dans les autres régions. Les Maritimes dépendent encore trop des transferts fédéraux versés tant aux gouvernements provinciaux qu’aux particuliers. Les résidents des Maritimes doivent comprendre que l’avantage le plus important qu’ils ont tiré de la Confédération réside dans les paiements de transfert ou l’argent qu’Ottawa nous envoie pour se déculpabiliser. Une foule de données indiquent maintenant que les paiements de transfert fédéraux ne sont pas le moyen de promouvoir une croissance économique autonome. Néanmoins, les politiques du gouvernement fédéral en matière de développement économique ont favorisé les intérêts économiques des provinces les plus peuplées (l’Ontario et le Québec) et continuent de les favoriser. C’est la façon de faire canadienne. Je reproche aux trois provinces maritimes de ne pas s’être jointes aux provinces de l’Ouest dans leur lutte pour une réforme du Sénat dans les années 1980 jusqu’à 2010. Comme le Canada atlantique, l’Ouest canadien est en droit de se plaindre de l’incapacité d’Ottawa de protéger adéquatement les intérêts régionaux dans le cadre de l’élaboration des politiques nationales. Ce qui est différent, c’est que l’Ouest canadien jouit d’une influence politique et économique qui lui permet de faire bouger les choses, et qu’Ottawa a intérêt à lui prêter une oreille attentive. J’affirme également que les résidents des Maritimes doivent se rendre compte qu’il ne sera jamais dans notre intérêt d’avoir un gouvernement central fort à moins d’un changement dans la façon dont nos institutions politiques nationales prennent les décisions. Les décisions continueront de favoriser les provinces les plus peuplées parce que c’est là qu’on trouve le plus de votes. La région continuera

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probablement de pouvoir compter sur les paiements de transfert qu’Ottawa lui verse. De son côté, Ottawa a pu compter sur les provinces maritimes, surtout au cours des 70 dernières années environ, chaque fois qu’il a cherché à élargir son rôle. Les premiers ministres des provinces maritimes ont su convertir le sentiment de culpabilité en fonds fédéraux. Ce n’est pas en envoyant de l’argent aux provinces maritimes pour se déculpabiliser qu’Ottawa assurera leur développement économique, comme l’histoire l’a prouvé. Un moyen efficace d’y parvenir est d’adapter les politiques nationales afin de tenir compte des circonstances économiques régionales, comme on l’a fait récemment dans le cas de l’immigration. L’aleNa a fait tomber de vieilles barrières et ouvert de nouveaux marchés aux entreprises des Maritimes. Ces avancées aident les provinces maritimes à devenir moins dépendantes des paiements de transfert fédéraux.

l ’ oN t a rI o Les premiers ministres ontariens, à commencer par Bob Rae jusqu’au premier ministre actuel, ont prôné un « fédéralisme équitable » pour l’Ontario. Leurs efforts ont été fructueux, ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu du poids politique de la province dans le choix du parti qui détient le pouvoir à Ottawa. On se souviendra que l’ancien premier ministre provincial Dalton McGuinty, par exemple, a soutenu qu’Ottawa sous-finançait les services de soins de santé et d’éducation aux Ontariens en privant la province d’environ 1,1 milliard de dollars par année17. L’Ontario réclame depuis longtemps que les paiements de transfert d’Ottawa aux provinces pour la santé, les services sociaux et l’éducation postsecondaire soient calculés en fonction du nombre d’habitants, ce qui, bien sûr, favoriserait les provinces les plus peuplées aux dépens des petites provinces moins nanties. Le premier ministre Stephen Harper et son ministre des Finances, Jim Flaherty, ont consenti à apporter le changement dans le cadre du budget de 2007. Flaherty a déclaré : « À compter de 2007-2008, nous allons établir les paiements du Transfert canadien en matière de programmes sociaux selon un montant en espèces égal par habitant, pour appuyer l’enseignement postsecondaire, l’aide sociale et les services sociaux dans toutes les provinces. » Il a ajouté : « Nous nous engageons aussi à replacer le Transfert canadien en matière

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de santé selon un montant égal par habitant, lorsque les ententes actuelles se termineront en 201418. » L’Ontario a eu gain de cause, comme tant de fois depuis la création du Canada. Mais il y a plus encore. Les dépenses du gouvernement peuvent prendre diverses formes. Certaines dépenses sont susceptibles de créer une dépendance économique, tandis que d’autres peuvent avoir des effets structurants importants dans l’économie d’une région. Un dollar que le gouvernement fédéral dépense dans le cadre du programme d’assurance-emploi, par exemple, n’a pas le même effet qu’un dollar dépensé dans un contrat de consultation ou consacré à la création d’emplois dans le secteur de l’automobile ou au soutien au démarrage d’entreprises des tI . Un dollar du gouvernement fédéral versé en salaire à un fonctionnaire fédéral aura une incidence différente de celle d’un dollar dépensé en prestation de sécurité de la vieillesse. Il est bien établi que les provinces défavorisées et les personnes âgées dépendent beaucoup plus des paiements de transfert que les provinces bien nanties et les jeunes générations plus productives19. Le fédéralisme équitable préconisé par l’Ontario ne tient pas compte des retombées positives qu’a eues la Politique nationale d’Ottawa dans l’économie de l’Ontario et, à l’inverse, des conséquences néfastes qu’elle a entraînées dans l’économie des provinces de l’Ouest et de l’Atlantique, ni des investissements massifs que le gouvernement fédéral a réalisés dans le secteur de l’automobile, ni du fait qu’Ottawa concentra en Ontario la production industrielle liée à l’effort de guerre (1940-1945), ni du fait que la capitale nationale du Canada et tous les avantages qui en découlent se trouvent à Ottawa, ou encore des investissements massifs qu’Ottawa a consacrés à la R-D dans la province au cours des 60 dernières années. À la lumière de ces faits, les allégations selon lesquelles l’Ontario serait victime de la Confédération ou des paiements de transfert fédéraux aux autres régions sonnent creux. Il est trompeur d’examiner les paiements de transfert sans se pencher sur l’histoire ou sur les politiques fédérales passées qui ont fortement avantagé l’Ontario. Il n’est pas moins trompeur d’examiner les paiements de transfert sans tenir compte des autres programmes du gouvernement fédéral. Il est bon de répéter que les tarifs imposés lors de la mise en œuvre de la Politique nationale se traduisaient par une subvention annuelle de 15,15 $ par personne en Ontario, mais par un coût annuel de 11,67  $ par personne en

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Nouvelle-Écosse et de 28,16 $ en Saskatchewan. Le premier ministre actuel de l’Ontario et ceux qui l’ont précédé n’ont rien trouvé à redire à ce sujet. L’Ontario domine la Chambre des communes, le Cabinet, les grands portefeuilles économiques, en particulier le ministère des Finances, et il est très bien représenté aux échelons supérieurs de la fonction publique fédérale. En outre, la province n’a jamais dû se préoccuper de l’absence, au sein du Parlement, d’une chambre haute efficace et apte à défendre les intérêts des provinces les plus petites, parce qu’une telle chambre n’existe pas dans le Parlement du Canada. L’Ontario domine là où cela compte quand il s’agit de déterminer qui formera le gouvernement : dans la Chambre des communes. Quand l’Ontario décide que les politiques et les transferts fédéraux doivent être adaptés, il a l’influence politique nécessaire pour voir à ce que le gouvernement fédéral les modifie. À preuve la victoire de l’Ontario dans le débat sur le fédéralisme équitable. La campagne que l’Ontario a menée a porté ses fruits. En 2007, l’Ontario a reçu 82  cents pour chaque dollar qu’il a versé à Ottawa; en  2019, ce chiffre avait augmenté à 85 cents. Au début des années 1990, l’Ontario a commencé à se dire victime de la politique mal avisée du gouvernement fédéral sur les paiements de transfert aux provinces. Il faisait valoir que la politique demeurerait injuste tant que les paiements de transfert ne seraient pas calculés en fonction du nombre d’habitants. Pendant longtemps, Ottawa ajustait les paiements au titre de la santé et des services sociaux pour tenir compte des problèmes soulevés dans le rapport Rowell-Sirois et d’autres questions, y compris la meilleure façon de conclure des ententes avec les provinces étant donné qu’elles diffèrent par la force de leur économie, certaines ayant plus de facilité que d’autres à générer des recettes20. Peu importe, l’Ontario a eu gain de cause.

l ’ o Ue S t c aNad I eN Les provinces de l’Ouest ont des raisons légitimes de prétendre que leur voix n’a pas le poids qu’elle devrait avoir dans les institutions politiques et administratives nationales compte tenu de la taille de leur population et de leur contribution à l’économie canadienne. La région peut citer plusieurs situations qui se sont produites au fil des ans pour appuyer ce qu’elle avance : la mise en œuvre de la Politique nationale, le Programme énergétique national, le contrat d’entretien

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des cf -18, les circonstances dans lesquelles l’Alberta adhéra à la Confédération, et j’en passe21. Compte tenu de la décision de la Cour suprême à cet égard, il est maintenant peu probable que nous assistions un jour à une réforme du Sénat, qui était une priorité de l’Ouest canadien au cours des 40 dernières années. L’Ouest canadien affirme également que ses contributions aux coffres de l’État fédéral sont beaucoup plus considérables que toutes les prestations qu’Ottawa lui verse. Pour chaque dollar que l’Alberta a versé à Ottawa en 2019, elle n’a reçu que 64 cents en retour et la Colombie-Britannique, 80 cents. La situation est toutefois différente pour le Manitoba (1,47 $) et la Saskatchewan (1,07 $). La région estime qu’elle n’a pas le poids politique suffisant pour défendre avec succès son point de vue devant les institutions politiques nationales sur une foule de questions. Il importe de souligner que l’Ouest canadien demande simplement au gouvernement fédéral d’accepter que les préoccupations pour l’unité nationale ne concernent pas uniquement le Québec et que les provinces de l’Ouest doivent se faire entendre efficacement lors de l’élaboration des politiques. L’apport de la région dans l’économie nationale est bien documenté et représente environ 38 % du produit intérieur brut (PIB ) et 37 % des exportations du pays, ce qui est disproportionné par rapport à sa part de la population nationale22. L’ennui, c’est que peu de Canadiens et de Canadiennes considèrent les provinces de l’Ouest, en particulier l’Alberta, comme des victimes des politiques du gouvernement fédéral. Andrew Coyne, par exemple, a demandé : « Quelle province au Canada ne voudrait pas changer de place avec l’Alberta si elle le pouvait? » Il a ajouté : « Le gouvernement albertain a le taux d’imposition le plus faible dans tout le pays23. » Le problème est de nature politique; il repose sur l’opinion largement partagée dans l’Ouest canadien selon laquelle Ottawa ignore trop facilement les contributions économiques de la région et qu’il les tient pour acquises. De plus, je crois depuis longtemps que les médias nationaux, dont les sièges sociaux et les principaux journalistes et chroniqueurs sont situés en Ontario et au Québec, et la bureaucratie fédérale, de plus en plus concentrée dans la région de la capitale nationale, n’ont pas accordé aux points de vue de l’Ouest canadien l’attention qu’ils méritent. Ottawa peut modifier sa façon de faire pour donner une voix plus forte à l’Ouest canadien sans se tourner vers la Constitution, comme il l’a fait pour introduire des mesures de réforme importantes dans

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plusieurs secteurs. Ottawa peut faire fonctionner le gouvernement de cabinet et décentraliser la fonction publique fédérale, notamment aux échelons supérieurs, vers l’extérieur d’Ottawa. Le public est largement favorable à un renversement de la tendance d’Ottawa à centraliser la fonction publique dans la rcN . Selon un sondage récent, environ 80 % des résidents de l’Alberta et de la Saskatchewan appuient l’idée qu’un plus grand nombre de bureaux gouvernementaux soient situés à l’extérieur d’Ottawa. Ce nombre diminue à 65 % en Ontario, ce qui démontre que la décentralisation bénéficie tout de même d’un appui solide parmi la population ontarienne. Des études indiquent que le déménagement de bureaux à l’extérieur d’Ottawa offre plusieurs avantages  : il réduit le roulement de personnel, renforce l’unité nationale, réduit le cynisme envers le gouvernement et entraîne une diminution des coûts de fonctionnement des unités de l’administration publique, qui sont moins élevés dans les régions que dans la rcN 24. Ottawa pourrait même transférer certaines sections du Bureau du Conseil privé et du ministère des Finances (le principal organe consultatif en matière de politiques à l’intérieur du gouvernement fédéral) dans l’ouest du pays et organiser une conférence annuelle de l’Ouest canadien pour permettre à la région de faire entendre ses priorités, mais aussi pour prendre la mesure de l’efficacité avec laquelle les politiques fédérales s’appliquent dans la région. Je connais assez bien Ottawa pour savoir que les grands décideurs considéreraient que ces suggestions sont, au mieux, inopportunes et qu’il vaut mieux les ignorer. L’influence, comme le pouvoir, est un jeu à somme nulle : ce qu’on donne à l’un, il faut le prendre à quelqu’un d’autre. Le point de vue non avoué des décideurs à Ottawa, qui est omniprésent dans tous les processus décisionnels, c’est qu’en fin de compte il revient au pouvoir politique de décider. Ils soulignent que la majorité des Canadiens vit et vote en Ontario et au Québec, et que cela n’est pas près de changer. Comme on dit dans la parlure populaire, « c’est ça qui est ça », et les Canadiens de l’Ouest doivent composer avec la situation ou passer à autre chose. La solution facile et commode pour Ottawa est de ne rien faire, de maintenir le statu quo. Les premiers ministres fédéraux et leurs conseillers savent mieux que quiconque où se trouvent les votes et comment remporter le pouvoir politique au Canada. Au fond, c’est tout ce qui compte vraiment pour eux. De leur côté, les hauts fonctionnaires de carrière n’ont aucune raison de rendre leur travail plus

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exigeant. Si le gouvernement fédéral veut un Canada en santé et davantage engagé dans l’atteinte d’un objectif commun, et s’il veut reconnaître que les questions d’unité nationale ne concernent pas uniquement le Québec, Ottawa doit changer ses pratiques. Je mentionne cependant que l’Ouest canadien obtiendra quatre nouveaux sièges aux Communes (l’Alberta trois et la Colombie-Britannique un), tandis que l’Ontario n’en gagnera qu’un seul et que le Québec en perdra un lors de la nouvelle répartition des sièges, qui a lieu tous les 10 ans pour refléter l’évolution de la population canadienne. La prochaine répartition des sièges aura lieu en 202225. Le temps nous dira si, en fin de compte, le Québec perdra vraiment un siège. De nos jours, l’Ouest canadien n’est pas une victime économique ou une victime de la Politique nationale comme il l’était il y a un siècle. En fait, il est victime de l’indifférence d’Ottawa envers ses intérêts politiques et économiques. Pour que le rêve d’un Canada uni se réalise pleinement, Ottawa doit continuer d’évoluer, et une de ses priorités devrait être de donner une voix forte aux provinces de l’Ouest.

l e qUé B e c L’étiquette de victime a commencé à s’effriter partout, sauf au Québec. Je comprends très bien pourquoi le versement par le gouvernement fédéral de 13 milliards de dollars par année au Québec en paiements de péréquation pose problème pour l’Alberta, alors que le Québec enregistre un excédent budgétaire et qu’il continue de faire pression sur Ottawa pour qu’il freine l’expansion du secteur du pétrole et du gaz naturel. L’Ouest canadien a du mal à avaler que le Québec dénonce d’une part l’« énergie sale » de l’Alberta et empoche d’autre part les paiements de transfert fédéraux financés en partie par les impôts des Albertains et des Albertaines. Comme il a été souligné plus tôt, le Québec a joué un rôle important dans l’échec du projet Énergie Est. Le Québec a bénéficié des transferts fédéraux et de nombreux projets et contrats d’approvisionnement du gouvernement fédéral, dont certains qu’il a obtenus sans processus d’appel d’offres. De plus, Ottawa exige que les sièges sociaux d’Air Canada et du Canadien National et la principale place d’affaires de l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public soient situés au Québec. Nous avons vu plus tôt que le gouvernement fédéral a accordé plusieurs contrats au chantier maritime Davie uniquement parce qu’il

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était situé au Québec. Les députés québécois aux Communes ont fait valoir avec succès que le Canada devait veiller à assurer l’équité entre les chantiers maritimes canadiens, peu importe l’entreprise qui présente la meilleure soumission26. On se souviendra également qu’Ottawa a accordé un contrat d’entretien des chasseurs cf -18 d’une valeur de plus d’un milliard de dollars à une entreprise du Québec même si c’est la soumission de la société Bristol, du Manitoba, qui avait été retenue. Les politiciens du Québec, dont Robert Bourassa, alors premier ministre, et l’ancien premier ministre René Lévesque, ont salué la décision d’Ottawa, affirmant que le Québec méritait le contrat parce que la province avait reçu une petite portion des 2,4 milliards de dollars des retombées liées à l’achat initial des cf -18 en 198027. Ils faisaient valoir que le Québec était victime d’une décision d’un gouvernement fédéral précédent sans préciser davantage comment le Québec avait été lésé. L’équité est une voie à sens unique pour de nombreux politiciens du Québec. Ils ne se sont jamais demandé pourquoi plusieurs provinces avaient tiré encore moins d’avantages que le Québec du contrat d’achat des cf -18, ou si la province avait la capacité de fournir au constructeur ce dont il avait besoin. Un député de Montréal a déclaré que la décision devait immanquablement faire des heureux et des mécontents et que, pour sa part, il était heureux28. Outre qu’il s’est rendu compte que le Québec regorge d’électeurs, Ottawa a décidé de rediriger le projet vers cette province soit pour des raisons purement partisanes, soit parce qu’il considérait qu’elle était une victime. Par la même occasion, Ottawa a fait une nouvelle victime : le Manitoba. Le Québec a gagné et le Manitoba a perdu, parce que les institutions politiques nationales du Canada permettent parfois aux perdants de gagner et aux gagnants de perdre. L’essor de l’industrie aérospatiale au Québec n’est pas le résultat des forces du marché, mais bien de politiques gouvernementales adoptées depuis la Seconde Guerre mondiale. Les efforts du gouvernement fédéral se poursuivent. Ottawa et Québec ont dévoilé de nouveaux investissements d’une valeur de deux milliards de dollars en juillet  2021 «  pour donner un nouveau souffle au secteur de l’aérospatiale du Canada, qui a été malmené  ». Le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a déclaré que du financement supplémentaire était prévu et a expliqué qu’Ottawa était en pourparlers avec Bombardier au sujet de nouveaux projets29.

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Ottawa s’est maintes fois porté au secours de la société québécoise Bombardier, qui elle-même a pris de l’expansion grâce à l’acquisition des actifs de Canadair et de De Havilland, deux entreprises issues des usines de production de guerre nationalisées par le gouvernement fédéral. Le soutien apporté par Ottawa à Bombardier remonte aussi loin que 1966, lorsque l’entreprise obtint 35 millions de dollars en subventions. Depuis, Bombardier a reçu plus d’un milliard de dollars de financement30. L’argument de l’équité n’est valable, semble-t-il, que lorsqu’il favorise le Québec. S’il s’était appliqué au secteur de l’aérospatiale, l’argument de l’équité aurait poussé Ottawa à établir des activités dans d’autres régions. Les politiciens du Québec perdent de vue l’argument de l’équité quand il s’agit de secteurs qu’Ottawa a activement soutenus au Québec au fil des années, notamment le secteur pharmaceutique et l’industrie aérospatiale. Les Canadiens et les Canadiennes de l’extérieur du Québec se font souvent dire de ne pas verser dans le « Québec bashing » lorsqu’ils soulignent que des décisions d’Ottawa favorisent le Québec. Ils doivent faire très attention quand ils soulèvent des questions au sujet du contrat d’entretien des cf -18, du chantier maritime Davie, de l’industrie aérospatiale de la province et de Bombardier. Au cours des années, des politiciens fédéraux et ceux du Québec nous ont averti que le Québec bashing contribuait à alimenter les sentiments séparatistes. Justin Trudeau a lancé récemment : « Ça va faire, le Québec bashing. » Maryse Potvin estime que le Québec bashing est lié, d’une part, à une « obsession de l’identité nationale » et, d’autre part, à une « logique de victimisation idéologique d’un projet politique31 ». Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec, a souvent fait allusion à « l’humiliation » du Québec. Dans sa lettre de démission à titre de ministre fédéral de l’Environnement, il a écrit que le gouvernement fédéral avait « conclu une alliance avec ceux-là mêmes qui veulent passer Québec sous les fourches de l’humiliation32 ». Les intérêts du Québec sont aujourd’hui bien représentés à Ottawa et la province a été en mesure de redéfinir sa position dans la fédération en déclarant, sans qu’il y ait vraiment eu consultation avec les autres provinces, que « les Québécoises et les Québécois forment une nation  » et que «  le français est la seule langue officielle du Québec  ». En outre, la Chambre des communes du Canada avait adopté en 2006 une motion qui reconnaissait que les Québécois forment une nation. Il est très rare qu’un pays permette à l’une de ses minorités de déclarer qu’elle constitue une « nation ».

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Je ne vois pas le Québec comme une victime étant donné que ses politiciens et politiciennes ont la capacité d’orienter les politiques et les décisions du gouvernement fédéral. Je souligne aussi que, à notre époque où l’on gouverne à partir du centre, cinq des six derniers premiers ministres du Canada étaient originaires du Québec. Bref, j’affirme que le Québec est sorti de la victimisation et que le Canada et le fédéralisme canadien l’ont grandement aidé faire la transition. Je ne crois pas non plus que je dénigre le Québec en affirmant qu’il a occupé une position privilégiée dans les milieux politiques canadiens durant les dernières années et qu’une grande partie de ses difficultés économiques sont dues davantage à son histoire économique telle que décrite plus tôt, qu’aux politiques du gouvernement fédéral. Je ne fais pas du Québec bashing en affirmant qu’Ottawa a joué un rôle clé dans le renforcement de l’économie québécoise grâce aux mesures susmentionnées, entre autres. Je ne fais pas du Québec bashing en écrivant que, pour chaque dollar que la province verse à Ottawa, elle reçoit 1,21 $ en retour33. Je fais remarquer que le Québec a reçu 1,16 $ pour chaque dollar que la province a versé à Ottawa en 2007, ce qui permet de croire que le Québec dépend de plus en plus des transferts fédéraux. Je ne fais pas du Québec bashing en écrivant que, ces dernières années, les premiers ministres du Québec, à quelques rares exceptions près, ont voulu que le gouvernement provincial assume la responsabilité de la plupart des secteurs, laissant à Ottawa la responsabilité d’émettre les chèques. Les rapports que le Parlement canadien et les Canadiens de l’extérieur du Québec entretiennent avec le Québec me laissent perplexe. Je vois les politiciens québécois, tant à l’Assemblée nationale du Québec qu’au sein du Parlement canadien, qui font des pieds et des mains pour obtenir des pouvoirs accrus pour le Québec. Le Parlement et les autres Canadiens accèdent toujours aux revendications du Québec sans trop se demander ce dont le Canada a besoin. Je ne peux m’expliquer non plus pourquoi les Canadiens de neuf provinces devraient accepter d’avoir moins d’influence sur les Québécois, que les Québécois n’en ont sur eux. Certaines politiques fédérales s’appliquent dans neuf provinces mais pas au Québec; néanmoins, les ministres québécois au Cabinet et les députés du Québec continuent d’avoir leur mot à dire sur toutes les politiques34. Je suis loin d’être le premier à soutenir que la langue française a de meilleures chances de s’épanouir si le Québec reste à l’intérieur de la Confédération que s’il s’en retire. Si le Québec quitte le Canada, il

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tournera le dos à un million de francophones des autres provinces, dont 12 % sont des immigrants35. Si le Québec quitte le Canada, la langue anglaise ne continuera pas moins de dominer dans pratiquement toute l’Amérique du Nord. Le Québec était peut-être une victime à l’époque où lord Durham rédigea son rapport, lorsque le Haut et le Bas-Canada étaient unis et que le Haut-Canada était placé sur le même pied que le Bas-Canada même s’il comptait moins d’habitants dans la première moitié du 19e siècle, mais il n’est plus une victime. Le gouvernement fédéral a joué un rôle important dans la transition, en particulier sous la direction de Pierre E.  Trudeau, Brian Mulroney, Jean Chrétien et Justin Trudeau.

l e S f e m m eS Les femmes ont dû mener une longue lutte pour pouvoir servir sur un pied d’égalité avec les hommes dans la fonction publique fédérale. Certains incidents où des employées telles que des secrétaires ou des adjointes administratives ont fait l’objet de harcèlement et de stéréotypes ont été bien documentés. Ottawa a laissé se perdre beaucoup de talent inexploité au cours des années. Mais les choses évoluent. Les femmes peuvent maintenant abandonner l’étiquette de victimes, du moins en ce qui concerne l’emploi dans la fonction publique fédérale. Elles sont bien présentes dans le Cabinet, et la proportion des emplois qu’elles occupent dans la fonction publique fédérale correspond à la proportion de femmes dans la population canadienne. De plus, comme nous l’avons vu plus tôt, les femmes occupent maintenant leur juste part des postes de cadres supérieurs dans la fonction publique fédérale, compte tenu là aussi de leur proportion dans la population du pays. Cependant, la question n’est pas réglée, et il reste encore du travail à accomplir pour assurer aux femmes un milieu de travail sûr et exempt de harcèlement. Au cours de 2021, les allégations de harcèlement et d’agression sexuelle n’ont cessé de se multiplier, particulièrement au sein du ministère de la Défense, de même que celles de discrimination fondée sur le sexe. Les progrès accomplis au chapitre de l’équité en matière d’emploi se limitent toutefois largement à l’administration fédérale et aux autres institutions publiques. Le secteur privé tarde beaucoup à ouvrir ses rangs aux femmes. C’est lui qui est perdant. Les femmes ne gagnent

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encore que 89 cents pour chaque dollar que les hommes gagnent, il existe encore un écart de salaire important entre les hommes et les femmes parmi les associés actionnaires des plus grands cabinets juridiques au Canada et les femmes demeurent sous-représentées parmi les cadres supérieurs dans le secteur privé36. Seulement 25  % des postes de vice-présidents et 15 % des postes de chefs de la direction sont détenus par des femmes37. Nous avons vu plus tôt qu’Ottawa a annoncé récemment de nouvelles initiatives pour encourager le secteur privé à embaucher un plus grand nombre de femmes dans les postes de direction. Ottawa doit maintenir la pression sur le milieu des affaires pour qu’il suive son exemple dans cette direction et que l’écart salarial entre les hommes et les femmes rétrécisse. Cependant, dans le cadre de la fonction publique fédérale, les femmes ont réalisé des progrès considérables et elles n’y sont plus des victimes, du moins du point de vue de leur nombre. Le gouvernement fédéral a fait mieux que les gouvernements provinciaux pour permettre aux femmes de participer pleinement à tous les niveaux de sa fonction publique.

Il f aU t f a I r e d avaN tage Les efforts d’Ottawa pour attirer des Canadiens noirs dans les rangs de la fonction publique fédérale ont donné des résultats. Mais tout n’est pas parfait pour les Noirs dans la fonction publique, et il reste encore du travail à faire. Il est démontré que les Canadiens noirs continuent de subir des pratiques discriminatoires de leur employeur dans la fonction publique fédérale38. Peu d’entre eux, comme nous l’avons vu, atteignent les postes de direction dans la fonction publique. De plus, des fonctionnaires noirs ont fait front commun en 2021 pour intenter une action collective de 2,5  milliards de dollars contre le gouvernement fédéral en alléguant des années de discrimination. Une employée a raconté que son gestionnaire avait dit regretter «  la belle époque où nous avions des esclaves  » et un autre employé a indiqué qu’il avait été systématiquement écarté des promotions malgré ses diplômes d’études supérieures, y compris un diplôme en droit, tandis que ses collègues non noirs gravissaient les échelons39. Le gouvernement fédéral reconnaît qu’il faut faire davantage et il a engagé des fonds pour promouvoir une plus grande diversité des effectifs de la fonction publique40.

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Pour ce qui est d’attirer, de conserver et de promouvoir les Autochtones dans la fonction publique, les progrès réalisés ont été inacceptables. La fonction publique fédérale, à l’instar du Canada, a manqué à ses obligations envers les peuples autochtones. Deux fonctionnaires autochtones ont également intenté une action en justice contre le gouvernement fédéral, déclarant avoir subi de la discrimination au travail en raison de leur identité autochtone41. Les Autochtones sont encore victimes du Canada, de son histoire, de ses politiques et de sa fonction publique fédérale. L’objectif du Canada de leur venir en aide exige des mesures beaucoup plus ambitieuses que de chercher des façons de les attirer dans la fonction publique. Nous reviendrons sur ces mesures dans le dernier chapitre.

e N r é t r oS P e ctI ve Je reconnais que le mot « victime » évoque toutes sortes d’images, dont aucune n’est positive. Je comprends que des gens réagissent mal en l’entendant. Son emploi a donné naissance au néologisme « victimisme ». Johanna Ray Vollhardt explique que le terme « victimisme » était pratiquement absent jusque dans les années  1980, mais que depuis sa fréquence a augmenté de façon exponentielle42. L’importance accordée aux droits de la personne, la Charte des droits et libertés et la création de commissions de réconciliation ont suscité un vif intérêt pour les droits et les besoins des individus et des groupes qui ont subi une victimisation collective43. J’entends par ce terme non pas une victimisation infligée à eux-mêmes, mais plutôt imposée par l’histoire et des politiques gouvernementales passées qui ont délibérément freiné et freinent encore le développement d’un peuple, d’une région ou d’une communauté. Quand j’étais jeune, je savais que les Acadiens avaient été victimes de la Déportation de 1755 et de politiques gouvernementales qui nous empêchaient de recevoir une éducation adéquate. J’ai eu la chance de voir les Acadiens et les Acadiennes parvenir à maturité et se débarrasser de leur statut de victimes parce que les gouvernements ont décidé qu’ils devaient modifier leurs politiques non seulement dans l’intérêt des Acadiens, mais aussi afin de promouvoir la croissance au Nouveau-Brunswick et dans notre région du Canada. Je me suis moimême débarrassé de mon étiquette de victime lorsque mon directeur de thèse à Oxford a décidé que j’avais satisfait aux normes de son université et que je ne m’étais pas appuyé sur mon statut de victime.

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J’ai alors compris que le victimisme ne donne pas grand-chose de positif si ce n’est qu’il mobilise des groupes autour d’un objectif commun. Dans le cas de Moncton et des Acadiens, les diatribes anti-francophones du maire Leonard Jones ont galvanisé les Acadiens, qui ont uni leurs efforts pour promouvoir un programme commun. Quelle que soit la façon de s’y prendre, l’important est de surmonter le victimisme parce qu’il enlève tout pouvoir aux individus et aux groupes en les amenant à se concentrer sur des griefs du passé et en amplifiant leurs défis. Il fournit également une explication toute prête aux régions, aux groupes et aux individus qui veulent éviter d’assumer la responsabilité de leurs échecs. Le Canada a fait un travail remarquable pour aider des individus, des groupes et des régions à échapper à leur situation de victimes; c’est le cas des Acadiens, des résidents des Maritimes, des Québécois et des Ontariens dans leur campagne en faveur d’un fédéralisme équitable, ainsi que des femmes dans la fonction publique fédérale. Cependant, il faut faire davantage. Non seulement le Canada a fait des peuples autochtones des victimes, mais il n’a pas su les aider à sortir de la victimisation. Le prochain chapitre explore les mesures qui peuvent être prises à cet effet.

12 Canada : nous avons un problème

Le Canada se démarque des autres pays sous plusieurs aspects. Comme ce livre en fait la démonstration, aucun autre pays ne s’est montré aussi disposé à présenter des excuses pour des torts passés, n’a fait preuve d’une telle capacité de tendre la main à des groupes et à des régions pour les aider à croître, n’a témoigné un plus grand degré de tolérance envers ses nouveaux arrivants et les réfugiés, et n’a réussi à faire fonctionner des institutions politiques nationales conçues par et pour un autre pays, dans un environnement politique, économique et géographique difficile. Le Canada a fait tout cela, mais il a échoué lamentablement dans ses rapports avec les peuples autochtones. Durant son histoire et encore à ce jour, le Canada a humilié les peuples autochtones, pour qui la honte, les abus, le sectarisme et le racisme ne semblent jamais finir. En somme, les peuples autochtones sont les véritables victimes du Canada, et la responsabilité de cette situation repose sur nos épaules et celles de nos ancêtres. Le lecteur se demandera comment il se fait que d’autres groupes et régions ont réussi à sortir de leur situation de victimes, mais pas les communautés autochtones. Je sais très bien, encore une fois, que le mot « victime » a une connotation négative. Les résidents de Membertou et d’autres collectivités autochtones à travers le Canada réfuteront l’application de ce terme à leur population, et avec raison. Dans bien des cas, contre toute attente, ces collectivités font meilleure figure que leurs voisines et elles ne sont plus des victimes. Je leur applique ce terme pour faire valoir qu’aucun autre groupe, aucune région et aucune autre communauté au Canada n’a souffert autant et aussi longtemps que les peuples autochtones. Ils sont

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victimes des échecs des gouvernements passés et actuels et du racisme tout court. Il nous incombe à tous et toutes de réparer la relation et nous devons le faire de toute urgence. Parce que j’estime que les autres groupes, régions et communautés sont en voie de se libérer de leur statut de victimes, j’ai décidé de consacrer ce dernier chapitre aux peuples autochtones, à leurs défis et à la nécessité de corriger les erreurs du passé, et j’explore certaines avenues qui pourraient être empruntées dans ce sens. Les groupes et les régions ont eux-mêmes fourni l’impulsion qui leur a permis de sortir de la victimisation, de concert avec les programmes gouvernementaux. Le Canada doit maintenant faire sa part pour soutenir les communautés autochtones pendant qu’elles continuent de croître et de prospérer. Je reconnais que j’examine la situation de ma position privilégiée, assis dans un joli bureau où il fait chaud ou frais, selon la température que je désire, au quatrième étage de l’édifice Taillon, sur le campus de l’Université de Moncton. Mon avenir économique a toujours été assuré et je continue de mener une vie professionnelle enviable. Il en va tout autrement pour de nombreux Autochtones, qui ont toutes les raisons d’être en colère, de se sentir lésés et de croire que les institutions politiques du Canada sont étrangères à leurs intérêts. On dirait qu’ils n’en finissent jamais de subir des mauvais traitements. Aussi récemment qu’en septembre 2021, Services aux Autochtones Canada a donné aux résidents de la Première Nation de Saugeen un vaccin contre la covId -19 qui était périmé depuis des semaines1. Pourquoi ce genre de situations n’arrivent-elles jamais à d’autres? peut-on se demander. Ou, si elles se produisent, elles ne sont jamais signalées. J’invite les Canadiens et les Canadiennes à réfléchir à ce que serait leur réaction s’ils étaient Autochtones, sachant que le premier premier ministre du Canada a déclaré que «  l’exécution des Indiens doit convaincre l’homme rouge que c’est l’homme blanc qui gouverne2 », s’ils avaient été délibérément écartés des activités économiques au fil des ans et si leur communauté avait été rabaissée à chaque occasion et dans tous les dossiers. Comme je l’ai souligné plus tôt, je repense souvent aux fois où, enfant à Saint-Maurice, je guettais au loin sur la route l’apparition de deux femmes mi’kmaq qui venaient à pied nous vendre des paniers tissés à la main, et aux gens du village qui disaient qu’ils devaient acheter des paniers, sinon les « Indiens » allaient jeter un sort sur leur famille, leur maison et leurs animaux. Ce n’est pas de

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l’histoire ancienne qui remonte à l’époque de sir John A. Macdonald ou de sir Wilfrid Laurier. Encore aujourd’hui, j’entends des commentaires désobligeants à propos des Autochtones. Comme je l’ai déjà mentionné, je me suis souvent demandé : serais-je en colère et amer si je grandissais dans une communauté autochtone du NouveauBrunswick, connaissant l’histoire canadienne et sachant que six des 10 codes postaux les plus pauvres au Canada se trouvent dans des collectivités des Premières Nations du Nouveau-Brunswick3? Je reconnais toutefois qu’il est beaucoup plus facile pour moi de réclamer un changement radical, que ce ne l’est pour le pêcheur blanc ou le travailleur forestier blanc. Ils ont un intérêt économique direct en jeu, et c’est là que réside le problème. Les Canadiens et les Canadiennes de race blanche ont eu la partie facile parce que les institutions politiques du Canada leur ont donné satisfaction à chaque occasion. Nous contrôlons ces institutions et nous avons su les utiliser à notre avantage et dans notre intérêt économique. Ces mêmes institutions ont cependant fait la sourde oreille aux peuples autochtones année après année. Les Canadiens blancs doivent maintenant partager la scène avec les peuples autochtones et leur assurer des chances égales d’atteindre leur plein potentiel. Incapables d’obtenir une écoute attentive de nos institutions politiques et administratives, les peuples autochtones se sont tournés vers la seule arène où ils pouvaient se faire entendre : les tribunaux. Ils ont monté des dossiers convaincants et les ont portés devant le système judiciaire. Le plus souvent, les tribunaux ont rendu un jugement en leur faveur. Les peuples autochtones ont également invoqué leurs traités et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour faire confirmer leur droit à l’exploitation des ressources naturelles. Les tribunaux (la décision Marshall) ont décidé que les Autochtones avaient le droit de pratiquer la pêche. Au-delà du mérite de la décision de la cour, j’ai toujours cru qu’il était absurde que des Autochtones vivant à quelques kilomètres des côtes n’aient pas la possibilité de pêcher ou de participer à la pêche commerciale comme les autres pêcheurs canadiens. À supposer que les tribunaux continueront de rendre des décisions favorables aux peuples autochtones, les Canadiens et Canadiens non autochtones devront s’adapter. À moins que les communautés autochtones et non autochtones ne s’entendent sur la façon de mettre en œuvre les décisions des tribunaux, nous risquons d’assister à d’autres scènes de violence comme celles que nous avons vues

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en 2020. Les deux parties ont des intérêts économiques fondamentaux à protéger. Les observateurs, comme moi, sont assis dans des bureaux confortables, loin des zones de pêche ou des sites d’exploitation forestière. Il faudra la sagesse de Salomon pour amener les deux parties à collaborer et à éviter le recours à la violence, étant donné la façon dont les peuples autochtones ont été traités à travers les âges. Je n’ai pas cette qualité, mais j’ai des suggestions.

I l f aUt f a Ir e Be a Uco UP Pl US Il ne suffira jamais d’accorder aux Autochtones l’accès aux ressources halieutiques et de répondre à leurs revendications territoriales pour résoudre tous les problèmes. Il y aura un large éventail de dossiers à régler, tels que la gouvernance, les finances publiques et la confiance qu’il faut bâtir entre les Canadiens autochtones et allochtones. Je n’ai pas les réponses, pas plus que je ne crois qu’un seul individu ou certains groupes aient toutes les réponses. Il existe maintenant toute une myriade d’études et de rapports sur ces questions, dont celui de la Commission royale sur les peuples autochtones, bien que peu de ses recommandations aient été mises en œuvre. Je ne crois pas non plus que le gouvernement fédéral ait les réponses, comme l’histoire nous l’a maintes fois démontré. Je m’inspire encore une fois de ma propre expérience pour avancer quelques suggestions. Mais d’abord, les Canadiens doivent reconnaître que le Canada a transformé les peuples autochtones en victimes lors de l’arrivée des Européens et que les Canadiens n’ont pas été en mesure de réparer adéquatement les dommages causés aux Autochtones ou la relation avec eux. Le défi n’est pas de reconnaître que le Canada a causé des torts aux peuples autochtones, ce qui est un fait indiscutable. Le défi est de répondre à la question : que faut-il faire maintenant? Il est tout simplement impossible d’exagérer l’ampleur du défi. Pendant 400 ans, les gouvernements d’abord de la Nouvelle-France, ensuite de l’Amérique du Nord britannique puis du Canada ont maintenu les Autochtones dans un état d’infériorité. Récemment, le gouvernement a intensifié ses efforts pour corriger les torts, mais ils demeurent insuffisants. Le gouvernement du Canada consacre présentement plus de 18 milliards de dollars par année aux programmes qui s’adressent aux Autochtones. Ce montant représente 11 000 $ par année pour chaque adulte et chaque enfant autochtone4. Mais

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même ces chiffres ne rendent pas compte de l’ensemble de la situation. Les 18  milliards de dollars sont alloués à deux ministères fédéraux, les Relations Couronne-Autochtones et les Services aux Autochtones. Je sais qu’un bon nombre d’autres ministères fédéraux fournissent aussi d’importantes contributions financières aux communautés autochtones5. En outre, les gouvernements provinciaux prennent des engagements de dépenses de plus en plus considérables dans les collectivités autochtones. Quand je soulève la question des peuples autochtones dans mes conversations avec des amis et des collègues, j’entends trop souvent le commentaire  : «  Nous dépensons déjà beaucoup d’argent pour eux, et ils n’en ont rien fait de concret, ils n’ont même pas l’eau courante. » De tels commentaires passent sous silence le fait que certains progrès ont été réalisés. Ottawa produit maintenant des rapports réguliers sur les progrès accomplis en ce qui concerne l’accès des communautés des Premières Nations à de l’eau courante propre6. C’est une bien mince consolation, toutefois, pour plus de 30  collectivités qui sont encore visées par un avis concernant la qualité de l’eau7. De toute façon, avoir de l’eau courante propre constitue un critère minimal pour évaluer la situation économique des populations autochtones. J’examine les Premières Nations du point de vue de leur développement économique parce que je m’intéresse particulièrement au développement économique régional et en raison de mes origines acadiennes. Depuis la parution de The Wealth of Nations (La richesse des nations) d’Adam Smith en 1776, la plupart des économistes ont cherché à expliquer la richesse ou la pauvreté des nations en l’attribuant au climat, aux sols et à l’abondance ou à la rareté des ressources naturelles. S’inspirant de Smith, beaucoup ont tenté d’expliquer pourquoi certains pays et certaines régions étaient plus prospères que d’autres, en s’intéressant surtout aux ressources naturelles. Ces tentatives d’explication n’étaient toutefois pas satisfaisantes, comme la Suisse et le Japon l’ont clairement démontré au fils des ans, étant donné que ni l’une ni l’autre ne possèdent beaucoup de richesses naturelles. Si la richesse des pays ou des régions ne s’explique pas toujours par leur patrimoine naturel, à quoi est-elle attribuable? Je soutiens depuis longtemps que le facteur humain joue un rôle crucial dans la prospérité économique d’une collectivité ou d’une région. Par « facteur humain », j’entends l’influence qu’exercent la culture et

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l’histoire sur le développement économique, et qui est beaucoup plus grande que les économistes et les fonctionnaires ne le croient généralement. Je suis loin d’être le premier à affirmer que le facteur humain est l’un des principaux déterminants du développement économique. Gary Becker, lauréat d’un prix Nobel, a fait valoir cet argument en écrivant : « Le principal déterminant du niveau de vie d’un pays est la mesure dans laquelle il réussit à développer et à mettre en valeur les compétences, les connaissances, la santé et les habitudes de sa population8. » Le facteur humain englobe les processus historiques, les attitudes, l’éducation et toutes les autres forces qui influent sur la capacité d’un peuple de contribuer au développement économique et au bien-être de la collectivité. Il reflète également les compétences, le dynamisme et la confiance en soi qui sont indispensables à un peuple ou à des individus pour qu’ils puissent concevoir, lancer et gérer de nouvelles activités économiques ou prendre part activement aux affaires de leur collectivité. Il convient de répéter que Louis J. Robichaud et plusieurs programmes gouvernementaux ont tracé la voie aux Acadiens pour qu’ils développent leur « facteur humain ». Il faut plus que du financement public pour développer le facteur humain chez les Premières Nations. Le facteur humain est lié à la confiance en soi d’une communauté, au niveau d’éducation de ses membres et à l’exercice de la gouvernance. Ces trois facteurs vont de pair. L’éducation a été la clé du succès dans presque tous les cas où une communauté ou un peuple est passé d’un statut de moins nanti à une situation de prospérité. Le développement économique autonome est rendu possible lorsqu’un peuple (on peut entendre ici les Acadiens) ou une communauté (on peut entendre ici les Premières Nations) assume l’entière responsabilité de sa collectivité. Je vais plus loin en affirmant que le développement autonome est impossible à moins de rendre le pouvoir aux communautés ou aux individus qui ont été victimes des torts causés dans le passé. Cela suppose des investissements en éducation et l’établissement de l’autonomie gouvernementale. Toutefois, l’autonomie gouvernementale doit venir en premier lieu. Le gouvernement et les communautés autochtones ont beaucoup de pain sur la planche. Il est inutile d’examiner à nouveau les conséquences que la venue des Européens a entraînées sur les communautés autochtones au fil des années. Cependant, les gouvernements ont continué récemment de rater leur cible dans leurs efforts

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pour soutenir la croissance des communautés autochtones. Ainsi, les gouvernements provinciaux se sont tout simplement déchargés de toute responsabilité envers les peuples autochtones en alléguant qu’elle appartenait en propre au gouvernement fédéral. Cet aspect est important parce que, durant les quelque 80 dernières années, les gouvernements provinciaux ont collaboré étroitement avec les entreprises locales pour les aider à cerner des débouchés, à trouver de nouveaux marchés et à produire des plans d’affaires et des plans de mise en marché. Le gouvernement fédéral a collaboré avec les communautés autochtones à compter de 1920, mais cette collaboration prenait surtout la forme de prestations d’aide sociale aux individus et aux familles9. Il a essentiellement ignoré le besoin de rebâtir les collectivités et d’investir dans les infrastructures, et négligé de s’intéresser à l’entrepreneuriat ou d’appuyer le démarrage ou l’expansion d’entreprises locales. Le soutien, l’aide sociale et la dépendance à l’égard du gouvernement sont devenus la réponse. Plus exactement, alors que les gouvernements provinciaux se lavaient les mains de la responsabilité d’aider les communautés autochtones à mettre en œuvre des mesures de développement économique, le gouvernement fédéral a ignoré le facteur humain pour s’appuyer principalement sur des prestations de soutien et d’aide sociale, ce qui n’a fait qu’aggraver la situation.

la

loi sur les indiens

Tout le monde convient que la Loi sur les Indiens est désespérément désuète. Elle date en fait de 1876, et même si elle semblait peut-être justifiée aux parlementaires de l’époque, elle n’est rien de moins que très offensante à nos yeux modernes, même compte tenu des diverses modifications qui y ont été apportées. Avant les modifications, la Loi donnait intégralement à Ottawa le pouvoir de déterminer qui était un « Indien » ou une « Indienne », d’empêcher les peuples autochtones de définir leur propre identité culturelle, et de remplacer les structures de gouvernance traditionnelles par des conseils de bande élus. De plus, elle conférait aux «  agents des Indiens  » un grand pouvoir de décision sur tous les aspects de la vie des Autochtones et elle était conçue expressément pour assimiler les peuples indigènes à la culture européenne. Rappelons que la Loi ne fut modifiée qu’en 1960 pour accorder aux

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« Indiens inscrits » le droit de voter lors des élections fédérales. Je souligne que c’est la Déclaration canadienne des droits de 1958 qui obligea Ottawa à accorder aux Autochtones le droit de voter sans perdre leur statut. Nous avons vu dans un chapitre précédent qu’il existe maintenant un certain nombre d’excellentes études sur la Loi sur les Indiens et il n’est pas nécessaire de les passer en revue ici10. Il suffit de noter qu’il est largement reconnu que la Loi sur les Indiens a miné et continue de miner le développement des Premières Nations et qu’il faut corriger la situation. Toutefois, il reste à déterminer ce qu’il faut faire et comment le faire, mais aussi ce qu’il ne faut pas faire. On se souviendra que le gouvernement de Pierre E. Trudeau déposa le Livre blanc de  1969, qui indiquait son intention d’éliminer la Loi sur les Indiens et le ministère des Affaires indiennes et, par ricochet, le statut constitutionnel particulier des peuples autochtones. L’Indian Association of Alberta répliqua rapidement en produisant un document appelé le Livre rouge, qui critiquait vivement le Livre blanc du gouvernement. En résumé, le Livre blanc du gouvernement recommandait de supprimer le mot «  Indien  » de la Constitution, d’assurer aux «  Indiens  » l’accès aux mêmes services que ceux fournis à tous les Canadiens par les mêmes voies administratives et les mêmes institutions gouvernementales et d’aider au développement économique dans les réserves qui étaient le plus dans le besoin. Les auteurs du Livre rouge et de nombreuses collectivités des Premières Nations relevèrent des problèmes tout au long du Livre blanc. Ils insistèrent sur la nécessité de préserver la «  culture indienne  » et d’adopter des mesures qui profiteraient à tous les membres des Premières Nations, pas seulement à ceux qui étaient le plus dans le besoin, et demandèrent à Ottawa de reconnaître que les terres des Autochtones appartenaient aux Premières Nations plutôt qu’à la Couronne11. Des représentants des communautés autochtones firent valoir également que la Loi sur les Indiens constituait la seule preuve concrète de leur statut et de leurs droits particuliers. Ils n’étaient pas près d’approuver l’abrogation de la Loi sans obtenir l’assurance que leurs droits historiques seraient protégés. Ils voyaient dans l’abrogation de la Loi un signe que le gouvernement fédéral se préparait à abandonner ses responsabilités à l’égard des Premières Nations et à mettre fin à la relation historique qu’il entretenait avec elles12.

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Harold Cardinal résuma bien la situation  : «  Nous préférerions continuer à vivre dans l’asservissement, soumis à l’inéquitable Loi sur les Indiens, que de renoncer à nos droits sacrés13. » Aux yeux de nombreux politiciens et hauts fonctionnaires à Ottawa, le Livre blanc avait la même vision du monde que les libéraux au sens non pas partisan, mais idéologique du terme. Les valeurs sur lesquelles se fondait le Livre blanc étaient ancrées dans les droits individuels, l’égalité et les lois issues d’institutions universelles. Ainsi, les Autochtones étaient considérés en tant qu’individus, non en tant que peuple ou que collectivité. Le Livre blanc affirmait  : «  Le gouvernement croit à l’égalité. À ses yeux tous les hommes – toutes les femmes – ont des droits égaux. Il est résolu à ce que tous soient traités avec équité et que nul ne soit désormais écarté de la vie canadienne. » Il ajoutait que le gouvernement « estime qu’il y a lieu de mettre à leur disposition [des « Indiens »] des services sur une base équitable » et concluait en affirmant : « Prétendre le contraire, c’est être partisan de la discrimination, de l’isolement et de la séparation14. » Le Livre blanc suscita également une vive opposition à l’extérieur des Premières Nations et le gouvernement fut contraint de le retirer en 1970. Un journaliste du Globe and Mail a compris ce que les représentants du gouvernement n’avaient pas compris  : les droits collectifs sont tout aussi importants pour les peuples autochtones que les droits individuels le sont pour les autres Canadiens. William Johnson a expliqué que le Livre blanc « signifiait que les Autochtones allaient perdre leur statut séculaire particulier, que des traités seraient détruits, que les terres indiennes, depuis longtemps propriété collective sous la tutelle de la Couronne, seraient privatisées et distribuées aux Autochtones sur une base individuelle15 ». Les représentants gouvernementaux n’avaient pas tenu compte non plus du fait que c’est la Constitution canadienne qui a racialisé les peuples autochtones et que les traités furent signés avec les Premières Nations, non avec des individus. En employant les mots « Indiens » et « terres réservées aux Indiens », l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (paragraphe 91(24)) créa une classification raciale des Canadiens et, en conséquence, la Constitution a défini et définit encore les peuples autochtones comme une collectivité. La Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît « les peuples autochtones du Canada » comme une collectivité (article 35). De plus, elle affirme l’engagement d’assurer leur participation aux conférences constitutionnelles futures et fait référence aux « droits issus de traités ».

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Le Livre blanc déposé en 1969 illustre bien ce qu’il ne faut pas faire. Nous devons reconnaître qu’il appartient maintenant aux non-Autochtones de tendre la main aux peuples autochtones afin de développer des relations harmonieuses avec eux à tous les niveaux. Mais nous devons les laisser prendre les devants. Ce n’est que lorsque les Premières Nations prendront les choses en main qu’elles pourront sortir complètement de leur situation de victimes. Je dis « complètement » parce que plusieurs Premières Nations dans toutes les régions sont déjà bien avancées dans cette voie, y compris au Nouveau-Brunswick où la décision Marshall, par exemple, a eu des répercussions profondes et fort probablement durables sur des collectivités telles qu’Elsipogtog. Bref, afin de promouvoir un programme d’assimilation et de favoriser les intérêts économiques de la majorité blanche, le gouvernement du Canada a expressément créé une collectivité au fil des années et il ne peut pas changer les règles du jeu selon le moment. C’est le gouvernement du Canada, non les gouvernements provinciaux, qui a causé un gâchis dans la relation avec les peuples autochtones au cours des années, et Ottawa a la responsabilité de corriger la situation. De leur côté, les peuples autochtones ont la responsabilité de mettre en avant des propositions qui aideront à la fois leurs communautés et le Canada à croître.

No a h aUg U S tI Ne Il ne m’appartient pas de décider ce qu’il faut faire de la Loi sur les Indiens et il n’appartient pas au gouvernement du Canada de décider seul ce qu’il faut en faire. C’est la leçon que le gouvernement de Pierre E. Trudeau a apprise lors du dépôt de son Livre blanc en 1969. Ce sont les dirigeants autochtones qui doivent jouer le rôle de chefs de file à cet égard. Les peuples autochtones devront toutefois se pencher sur des questions délicates lorsqu’ils définiront les structures de gouvernance de leurs communautés. Je ne peux faire mieux que de citer les propos de Noah Augustine, qui était autrefois un chef mi’kmaq puissant et charismatique. Noah s’est attaqué aux questions de gouvernance pour résoudre les problèmes touchant les Premières Nations. Il s’est battu avec acharnement pour séparer la gestion des entreprises communautaires et la direction politique des Premières Nations. Il faisait valoir que la responsabilité d’un conseil de bande consistait à élaborer des politiques

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judicieuses, non à gérer des entreprises ou des fonds d’entreprise, et il préconisait à chaque occasion une plus grande transparence et une meilleure reddition de comptes chez les Premières Nations. Il a déclaré à un journal local : « Quand il n’y a pas de transparence, on ouvre la porte à la possibilité de corruption16. » Les collectivités autochtones décideront elles-mêmes de la meilleure façon de séparer la politique et les affaires, et Noah Augustine a tracé une solide feuille de route à cet effet. Il ne s’agit pas d’insinuer que les collectivités autochtones devraient éviter de lancer des entreprises. Membertou a montré qu’une collectivité autochtone est à même de démarrer une entreprise, de gérer une entreprise et de former des partenariats avec d’autres entreprises, tout en gardant la politique à l’extérieur des entreprises. Toutefois, Membertou bénéficie d’un leadership vigoureux et d’une structure de gouvernance complexe qui sépare les décisions communautaires de la gestion des entreprises17. J’avais un lien personnel avec Noah Augustine. Je ne me rappelle pas exactement quand ou comment je l’ai rencontré pour la première fois, mais nous avons eu plusieurs discussions ensemble. J’ai développé un grand respect pour Noah, pour ses compétences et son engagement profond envers son peuple mi’kmaq. Je retrouvais chez Noah Augustine ce que je voyais aussi dans Louis J. Robichaud. Comme Robichaud, Augustine était prêt et apte à tenir tête à n’importe qui – ami ou ennemi – et comprenait de toute évidence les saines pratiques de gouvernance. Comme Robichaud, Augustine ne manquait pas de courage politique quand il devait exprimer sa vision des choses. Je le lui ai dit à plusieurs reprises et je l’ai aussi déclaré dans une entrevue à la radio locale de cBc . Je me souviens qu’un de ses proches m’a téléphoné le lendemain pour me remercier de mon commentaire. Noah comprenait très bien ce que cela impliquait  : il savait comment Louis J. Robichaud avait amené les Acadiens à participer pleinement à la société et à l’économie du Nouveau-Brunswick. J’ai vu qu’il comprenait le sens de ma remarque, mais il ne poussait pas plus loin la discussion à ce sujet. Augustine était tout à la fois un leader né, un orateur très doué, un poète, un homme d’affaires et un homme politique. Il fut élu chef de la nation mi’kmaq de Metepenagiag à l’âge de 33  ans. Robichaud fut élu premier ministre à 34  ans. La revue Maclean’s avait ceci à dire au sujet de Noah : « Il connaissait bien les médias et

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s’exprimait avec éloquence, il semblait être le parfait dirigeant nouveau style pour une collectivité autochtone qui cherchait à affirmer son indépendance18. » En plus d’agir comme chef de sa Première Nation, Augustine a été président de l’Union des Indiens du Nouveau-Brunswick et coprésident du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique. Il a également cofondé le New Brunswick First Nations and Business Liaison Group, un organisme de développement économique. À l’instar de Robichaud, il ne cherchait pas à éviter la confrontation lorsqu’il s’agissait de sa communauté. Il a mené la charge pour défendre les droits de coupe forestière des Autochtones dans la province. Alors qu’il était chef du conseil, il a conclu le règlement de revendications territoriales avec Ottawa, qui a versé une indemnisation de 1,4 million de dollars à la Première Nation de Metepenagiag. Au lieu de répartir l’argent entre les membres, il a obtenu de sa collectivité l’autorisation d’en investir la moitié dans des projets de développement économique. Il a inauguré un parc de sept millions de dollars et un centre d’interprétation illustrant 3 000 ans de présence mi’kmaq sur le territoire autrefois appelé Red Bank. Sous sa direction, la collectivité a fait l’acquisition de terres à l’extérieur de la réserve de Metepenagiag, qui présentent maintenant un grand potentiel économique. En outre, il a mis sur pied un projet énergétique et un salon de jeu afin de promouvoir la croissance économique à long terme de sa Première Nation. Bref, Augustine a cherché à inculquer à son peuple et à sa collectivité l’assurance requise pour qu’ils se libèrent de la victimisation. À la fin de septembre  1998, j’ai reçu un appel téléphonique de Noah Augustine. Il a dit simplement : « Donald, j’ai besoin de ton aide. – Bien sûr, ai-je dit. Comment puis-je t’aider? » Il m’appelait d’une cabine téléphonique en Floride, où il s’était enfui après avoir tué par balle Bruce Barnaby le 19 septembre 1998. J’ai dit à Noah que je voulais l’aider, mais qu’il devait d’abord se livrer à la police. Je soupçonne que je n’étais pas le seul à lui avoir offert ce conseil. Je n’ai plus eu de ses nouvelles après cet appel, mais je sais qu’il a communiqué avec la grc et qu’il a dit : « Je l’ai fait, mais je ne l’ai pas abattu de sang-froid19. » Il a été acquitté par la suite des accusations de meurtre parce qu’il avait agi en légitime défense20. Quelques années plus tard, Noah Augustine a perdu la vie dans un accident de voiture lorsque sa camionnette a fait une sortie de

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route et est entrée en collision avec un arbre. Sa mort a été une lourde perte pour bien des gens du Nouveau-Brunswick, dont moimême. Bud Bird, ancien membre du Cabinet provincial puis député conservateur aux Communes, a dit tout ce qu’il y avait à dire  : « Il était un jeune homme très doué et d’une intelligence naturelle extraordinaire, qui avait la conviction profonde de pouvoir contribuer à améliorer la situation économique de sa collectivité et des Premières Nations de partout au Nouveau-Brunswick, et qui y travaillait d’arrache-pied21. » Le premier ministre David Alward a émis un communiqué dans lequel il disait que Noah Augustine « s’est distingué dans de nombreux rôles » et que « le décès d’un solide leader de cette trempe constitue une perte considérable pour les gens de la Première Nation de Metepenagiag et tous les Néo-Brunswickois22 ». Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque a aussi émis un communiqué dans lequel il décrivait Augustine comme un « dirigeant respecté qui avait une magnifique vision pour l’avenir et a accompli beaucoup de choses pendant sa vie23 ». Noah n’a pas laissé son empreinte uniquement sur sa collectivité. Il a montré la voie à suivre en mettant l’accent sur la gouvernance. Il a déclaré à un comité sénatorial que la Loi sur les Indiens était le cœur du problème : « Lorsque je pense à la Loi sur les Indiens, je sens la colère monter en moi. Notre régime électoral est le symptôme d’un problème de plus grande ampleur – le problème, c’est ce texte législatif, la Loi sur les Indiens. Chaque fois que les chefs et les conseillers tentent de faire quelque chose pour stimuler leur communauté, la Loi sur les Indiens leur met des bâtons dans les roues, que ce soit au chapitre de l’administration et de l’affermage des terres, des ajouts aux réserves, des référendums liés aux revendications territoriales, du logement fondé sur le marché ou de la conversion d’immobilisations en capital productif. La liste est longue. » Il ajoutait : « La tenue d’élections aux deux ans fait en sorte que les familles sont continuellement divisées et que les émotions ont tendance à s’exacerber. Les enjeux électoraux sont de la plus haute importance, parce qu’ils concernent le gagne-pain des gens – c’est pourquoi le taux de participation aux élections est si élevé, à peu près 95 p. 100. Les gens ont pris l’habitude de se battre entre eux et de tenter de se nuire les uns les autres pour accéder aux postes de pouvoir les plus convoités, à savoir chef et conseiller. Après chaque élection, la communauté parvient, dans une certaine mesure, à panser ses plaies, mais la guérison n’est jamais complète puisque, comme vous le savez, une autre

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élection surviendra sous peu24. » Depuis, le gouvernement a adopté une loi qui permet aux Premières Nations de tenir des élections aux cinq ans plutôt que deux, et plusieurs d’entre elles sont passées à un cycle électoral de cinq ans. Un tel changement est utile, mais le problème de fond demeure : la structure de gouvernance prévue par la Loi sur les Indiens ne cadre pas avec les traditions et les conditions particulières des peuples autochtones. Bien que Noah Augustine ait montré la voie, son travail n’est pas terminé.

q U ’ eN e S t - Il dU d é fI PoU r le S Pe UPle S aU t o c h t oNe S e t l eS P r em Ière S N atI oNS ? Le défi à relever est certainement plus grand pour les peuples autochtones qu’il ne l’a été pour les Acadiens, ou pour Noah Augustine que pour Louis J. Robichaud. Premièrement, l’histoire des peuples autochtones du Canada a été beaucoup plus marquée par la brutalité que celle des Acadiens, ce qui n’est pas peu dire compte tenu de la Déportation de 1755. Deuxièmement, les Acadiens étaient suffisamment nombreux pour que l’un des leurs soit élu pour diriger le Nouveau-Brunswick. Les Acadiens avaient besoin qu’un Louis Robichaud leur montre la voie, et il l’a fait. Comme nous l’avons vu, les communautés autochtones ont besoin de nombreux Robichaud ou Augustine puisqu’il existe environ 630 collectivités autochtones au Canada. Troisièmement, les Acadiens ont pu se tailler une place dans les bureaucraties gouvernementales tant fédérale que provinciales, où ils ont été en mesure d’exercer une certaine influence, tandis que les Autochtones sont encore laissés pour compte. Quatrièmement, les Acadiens ont fourni à Ottawa une carte qu’il pouvait jouer au Québec pour illustrer que le Canada français existait à l’extérieur de ses frontières. Cinquièmement, l’intérêt pour les Acadiens a pris son élan à une époque où le rôle du gouvernement dans la société était plus largement accepté et où les formalités administratives et les organismes de surveillance ne venaient pas entraver les bureaucraties gouvernementales autant qu’ils le font aujourd’hui. De l’aprèsguerre jusqu’aux années 1980, la bureaucratie gouvernementale a connu un âge d’or qui lui a permis de produire et de déployer un ensemble complet de plans de développement économique. Sixièmement, le nombre de victimes reconnues était limité pendant les années Robichaud et Trudeau, les Acadiens étant l’une d’elles, de sorte que les gouvernements pouvaient plus facilement centrer leur attention

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sur les programmes et les ressources. Septièmement, les Acadiens ont pu créer leurs propres institutions, allant des systèmes scolaires à une université (l’Université de Moncton), et ont aussi donné un nouveau souffle à une autre université (l’Université Sainte-Anne). Huitièmement, les Acadiens sont concentrés dans une région (les provinces maritimes) et ont pu compter sur un chef solide pour montrer la voie à suivre. La plupart des membres des Premières Nations vivent dans des localités isolées et dispersées sur tout le vaste territoire canadien. Promouvoir le développement économique dans ces localités, c’est comme lutter contre la gravité.

l ’ a Ut o No m Ie g oU v er NemeN tale a v aNt t o U t e cho Se Il y a des questions fondamentales de gouvernance à régler pour renforcer le facteur humain chez les Premières Nations. Le gouvernement du Canada et les Premières Nations ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’autonomie gouvernementale. Les peuples autochtones soutiennent qu’ils ont un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale parce qu’ils n’ont jamais cédé leur autonomie aux colons européens. Ils font valoir à juste titre que l’autonomie gouvernementale est nécessaire pour qu’ils puissent préserver leur culture, exercer un contrôle sur leur territoire et mettre en place une structure de gouvernance qui corresponde à leur situation politique et socioéconomique. De plus, ils affirment avec raison que la Constitution (la Loi constitutionnelle de 1982) étaye leur position et que le gouvernement fédéral a confirmé leur droit à l’autonomie gouvernementale en 199525. L’autonomie gouvernementale est d’une importance déterminante pour que les communautés autochtones puissent s’épanouir pleinement. Il suffit d’y réfléchir un instant pour comprendre que les communautés autochtones sont mieux servies par des chefs tels que Noah Augustine, qui répondent directement de leur gestion devant la collectivité, que par un fonctionnaire de carrière de rang moyen assis dans une tour de bureaux à Gatineau ou à Ottawa, qui est plus soucieux de ne pas s’exposer aux reproches. S’appuyant sur des années de travail et de nombreuses études de cas financées par le Projet Harvard sur le développement économique des Indiens américains, Joseph P. Kalt souligne que l’autonomie gouvernementale est l’élément essentiel du développement économique.

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Il écrit : « L’un des phénomènes intéressants que nous observons aux États-Unis est que les tribus qui ont vraiment commencé à soutenir le développement économique sont uniformément marquées par une affirmation de souveraineté qui force le Bureau of Indian Affairs à jouer un rôle purement consultatif26. » Le gouvernement fédéral est favorable à l’autonomie gouvernementale et il a exposé plusieurs des principes qu’il entend appliquer lors des négociations avec les Autochtones. Il déclare que les négociations doivent, entre autres exigences, reconnaître que les relations avec les peuples autochtones sont fondées sur leur « droit à l’autodétermination », que l’autonomie gouvernementale des Autochtones fait partie du système de fédéralisme du Canada et d’ordres de gouvernement distincts, et qu’« un engagement significatif avec les peuples autochtones vise à obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, lorsque le Canada propose de prendre des mesures ayant une incidence sur les peuples autochtones et leurs droits27 ». Le gouvernement ajoute : « le droit à l’autonomie gouvernementale sera exercé au sein de la Constitution canadienne existante... le gouvernement fédéral financera les mesures d’autonomie gouvernementale en réaffectant des ressources existantes... les lois d’importance fédérale suprême ainsi que les importantes lois provinciales auront préséance, et les lois fédérales, provinciales, territoriales et autochtones doivent être harmonisées28 ». Il poursuit en affirmant : « Le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale ne comprend pas le droit à la souveraineté au sens du droit international et il n’entraînera pas la création d’états nations autochtones souverains et indépendants. Au contraire, la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale devrait accroître la participation des peuples autochtones au sein de la fédération canadienne et faire en sorte que ceux-ci et leurs gouvernements ne vivent pas isolés du reste de la société canadienne29. » Les principes ci-dessus ne sont peut-être pas aussi simples qu’Ottawa le souhaiterait sans doute. La Première Nation des Mohawks, par exemple, vit en partie au Québec, en partie en Ontario et en partie dans l’État de New York. De plus, ce qui complique la situation, la Cour suprême ne s’est pas encore prononcée au sujet de l’autonomie gouvernementale, ayant refusé de le faire dans trois causes : Sparrow (1990), Pamajewon (1996) et Delgamuukw (1997)30. C’est là que toute la sagesse de Salomon doit entrer en jeu. Thomas Courchene a donné une conférence sur l’autonomie gouvernementale selon une approche comparative. Il a admis qu’il n’était

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« pas un expert de l’autonomie gouvernementale des Autochtones du Canada », mais il s’est empressé d’ajouter : « Peu de gens le sont, probablement, étant donné la complexité et les dimensions de la question, surtout quand on pense que la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Autochtones donnera lieu finalement à des centaines de négociations distinctes31. » Il s’est tourné vers l’étranger pour en tirer des leçons au sujet de l’autonomie gouvernementale des Autochtones, mais il a conclu que le Canada devra s’appuyer sur ses propres institutions pour définir une nouvelle relation avec les peuples autochtones. Les leçons tirées de l’étranger ne sont pas très éclairantes, bien que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis doivent tous se pencher sur la question à la lumière de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007. Le Canada s’est d’abord opposé à la Déclaration en affirmant qu’elle aurait des répercussions sur l’exploitation des ressources naturelles du pays. Le gouvernement de Justin Trudeau a toutefois décidé en 2016 d’appuyer « sans réserve » la Déclaration et « s’est engagé à la mettre en œuvre dans son intégralité et de manière efficace32 ». L’Indian Self-Determination and Education Assistance Act (1975) des États-Unis a accordé la souveraineté à ce que les Américains appellent les « gouvernements tribaux », en leur déléguant un certain degré d’autonomie dans la gestion des fonds fédéraux et des programmes fédéraux. La Nouvelle-Zélande a adopté un système électoral fondé sur la représentation mixte en 1995. De plus, le nombre de sièges alloués aux représentants maoris, qui était de quatre, est ensuite passé à 15 dans un parlement qui compte 120  députés. Les Maoris représentent 16,5  % de la population de la Nouvelle-Zélande. Quant aux peuples aborigènes de l’Australie, contrairement aux Autochtones du Canada, ils ne jouissent pas de droits particuliers reconnus par la Constitution ou des traités. Lorsqu’il est question des Aborigènes dans la Constitution, c’est pour préciser qu’ils sont exclus de certaines dispositions33. L’accession à l’autonomie gouvernementale ou à l’autodétermination reste un travail de longue haleine dans les pays susmentionnés34. Les quatre pays, y compris le Canada, diffèrent par leur histoire, leur géographie, leur économie, leur cadre juridique et leur culture politique, de sorte qu’ils devront eux-mêmes déterminer la forme particulière que prendront les relations futures entre leur gouvernement national et leurs peuples autochtones.

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Au Canada, la voie à suivre pour les peuples autochtones commence par une saine gouvernance, ce qui signifie qu’ils devraient tôt ou tard se débarrasser de la structure bureaucratique d’Ottawa qui s’occupe des affaires autochtones. Le ministère responsable, qui fait partie intégrante du système à Ottawa, n’a pas la flexibilité, la créativité, ni la crédibilité requises aux yeux des communautés autochtones pour changer de cap. La transition vers l’autonomie gouvernementale soulève certainement des questions de gouvernance délicates. Quels pouvoirs les gouvernements des Premières Nations auraient-ils? Quels seraient les rapports entre ces gouvernements et les autres institutions du Canada? Comment ces gouvernements seraient-ils financés? Quels pouvoirs de taxation détiendraient-ils et auraient-ils la possibilité de créer des paradis fiscaux? Comment leurs dirigeants seraient-ils élus ou choisis? Quels seraient alors les rapports entre les Premières Nations? L’autonomie gouvernementale se fonderait-elle sur le territoire, une approche difficile à appliquer étant donné qu’il ne peut s’agir d’un territoire contigu? Encore une fois, je n’ai pas les réponses à ces questions. De nombreuses communautés autochtones et non autochtones se sont longuement penchées sur ces questions et sont en bien meilleure position que je ne le serai jamais pour faire la lumière sur elles. La Commission royale sur les peuples autochtones a publié le document Partenaires au sein de la Confédération en 1993, qui expose le bien-fondé de l’autonomie gouvernementale, répond à plusieurs questions et explore les moyens de la mettre en œuvre35. Cette publication est encore tout aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était il y a 30 ans, ce qui illustre à quel point les questions sont complexes et les progrès de l’autonomie gouvernementale sont lents. Une chose est claire  : alors qu’Ottawa et les Premières Nations élaboreront une stratégie pour mettre en œuvre l’autonomie gouvernementale, toutes les parties devront faire preuve de flexibilité en établissant les nouvelles structures de gouvernance. On dénombre une cinquantaine de Premières Nations, dont les terres de réserve couvrent un territoire de 626 000 km2 qui est détenu par la Couronne au profit des bandes36. Il y a lieu de rappeler aux lecteurs que plusieurs de ces réserves ne sont guère plus que des fondrières, de la roche et du sable37. Les réponses doivent émerger d’un processus politique dans lequel les peuples autochtones ont une place à la table en tant que

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partenaires égaux, sans quoi toute tentative de négociation est vouée à l’échec. Les Canadiens non autochtones ne doivent pas oublier que le Canada a fait bien des promesses aux peuples autochtones au cours des années et qu’il en a tenu bien peu. Si l’histoire peut servir de guide, les peuples autochtones ont toutes les raisons de ne pas toujours croire les gouvernements canadiens sur parole. De plus, les peuples autochtones savent parfaitement que le racisme demeure profondément ancré au Canada. Aussi récemment qu’en 2021, le premier ministre du Manitoba a déclaré : « Les gens qui sont venus au Canada avant qu’il ne soit un pays, et depuis, ne sont pas venus ici pour détruire quoi que ce soit. Ils sont venus ici pour construire38. » Au Nouveau-Brunswick, le gouvernement provincial a demandé à tous les employés de la fonction publique de ne pas formuler de reconnaissance de territoires « non cédés » ou de titres en lien avec des terres des Premières Nations. Le ministre de la Justice a expliqué que cette mesure avait été prise parce que « le gouvernement du Nouveau-Brunswick fait l’objet de diverses actions en justice intentées par des collectivités autochtones qui revendiquent plus de 60 % du territoire39 » de la province. Un sondage d’opinion rapporte que la population canadienne croit que le premier ministre Justin Trudeau accorde trop d’attention aux questions autochtones et que les fonds consacrés aux Autochtones ne sont pas utilisés de façon efficace. De plus, 66  % des Canadiens estiment que les communautés autochtones devraient avoir le même système et les mêmes règles de gouvernement que le reste de la population canadienne40. Je reconnais que les droits des peuples autochtones ne doivent pas dépendre de l’opinion publique, mais il serait naïf de penser que l’opinion publique n’aura aucune influence à la table de négociation. Il existe tout au moins un besoin de sensibiliser les Canadiens et les Canadiennes à l’histoire des peuples autochtones et aux rapports que le Canada a entretenus avec eux depuis l’arrivée des premiers Européens en Amérique du Nord. Le processus de négociation sur les revendications territoriales soulève des questions importantes pour les Canadiens autochtones et non autochtones qu’il reste encore à résoudre. Il y a beaucoup de fausses informations qui circulent dans les communautés non autochtones et qu’il faut corriger. Quelqu’un – que ce soit le gouvernement fédéral ou les organisations autochtones – doit prendre les devants pour expliquer les conséquences qui découleront des négociations sur

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les revendications territoriales. Si un premier ministre provincial élu croit que les Européens sont venus ici dans le but de construire, on ne peut qu’imaginer à quel point de nombreux Canadiens comprennent mal la relation historique entre les Canadiens autochtones et non autochtones. Le fait est qu’une campagne d’information publique ambitieuse est nécessaire pour ouvrir la voie à l’autonomie gouvernementale et à une relation harmonieuse entre les Canadiens autochtones et non autochtones. Les premiers ministres fédéraux et le gouvernement d’Ottawa ne peuvent pas décider ce qu’il faut faire et supposer que tout rentrera sagement dans l’ordre. Il est rarement simple ou facile de changer les choses. Les pêcheurs et les travailleurs forestiers non autochtones, par exemple, devront apporter des changements à leurs pratiques, et les événements récents portent à croire que ce ne sera pas une tâche facile. Il existe également un problème de perception qu’il est urgent de corriger : l’impression que trop de fonds publics sont consacrés aux Premières Nations et qu’ils sont largement gaspillés. La perception ne correspond pas toujours à la réalité mais, comme on le dit souvent  : en politique, la perception est la réalité. Cela dit, le Canada ne s’aventure pas en terrain complètement inconnu en négociant l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Il devra éviter certains obstacles, mais il pourra tirer des leçons utiles de ses efforts antérieurs pour mener à l’autonomie. Le secteur des pêches en offre un bon exemple.

ce q U’ Il N e f aUt P a S fa Ire : UN e leço N t I r é e dU Se c t e Ur de S Pêche S La Cour suprême a pris la bonne décision dans les affaires Sparrow (1990) et Marshall (1999). La Cour a statué que les peuples autochtones avaient le droit de pratiquer la pêche et elle est allée plus loin dans le jugement Marshall en concluant qu’ils avaient aussi le droit d’en tirer une « subsistance convenable ». La Cour n’a toutefois pas précisé ce qu’elle entendait par une « subsistance convenable », un concept qu’il reste à préciser. La communauté de la Première Nation Esgenoôpetitj, au NouveauBrunswick, est allée pêcher le homard en agissant selon ses propres règles, d’après des pêcheurs locaux non autochtones, ce qui a donné lieu à un violent affrontement et incité la Cour suprême à rendre une autre décision41. Dans l’affaire Marshall, la Cour a précisé sa

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décision antérieure en déclarant que le ministère des Pêches et des Océans pouvait réglementer les activités de pêche des Mi’kmaq à des fins de conservation. La Cour n’a cependant pas reconnu que les peuples autochtones pouvaient avoir leurs propres lois et règlements pour assurer une gestion des pêches. Il revient au Parlement et au gouvernement de définir ce que signifie une «  subsistance convenable  », pas aux tribunaux. Je comprends qu’il peut être attrayant politiquement de refiler cette responsabilité aux tribunaux, mais la responsabilité de la gestion des pêches incombe au gouvernement, pas aux tribunaux. En remettant le problème à plus tard, le gouvernement fédéral a démontré jusqu’à présent un manque de leadership incroyable dans ce dossier et, en conséquence, la situation n’a fait qu’empirer. Certaines Premières Nations, dont la Première Nation Sipekne’katik, considèrent que la décision Marshall leur donne le feu vert pour établir leur propre système de gestion des pêches ayant ses propres règles et règlements. Les pêcheurs commerciaux blancs croient que leur avenir est en danger s’ils doivent se conformer aux règlements du ministère des Pêches et des Océans (mPo ), tandis que les Autochtones sont libres de pêcher selon leurs propres règles. Les ressources halieutiques sont limitées et leur exploitation doit être réglementée dans l’intérêt des générations futures. Non seulement le gouvernement fédéral n’a pas précisé ce qu’implique une « subsistance convenable  », mais il ne s’est jamais non plus prononcé clairement sur le droit des peuples autochtones de se doter de leur propre plan de gestion en dehors du cadre de la Loi sur les pêches. À nouveau, le manque de leadership a mené à la violence, cette fois à la Baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, en 202042. Comme il a été mentionné plus tôt, une usine de transformation de homard où les pêcheurs autochtones entreposaient leurs prises a été incendiée et deux autres installations ont été vandalisées. De plus, la grc a déposé des accusations contre un homme pour voies de fait à l’endroit d’un chef autochtone43. Les pêcheurs autochtones ont jugé qu’ils auraient dû depuis longtemps se lancer dans le secteur des pêches selon leurs propres conditions. De leur côté, les pêcheurs commerciaux non autochtones se sont sentis abandonnés par Ottawa. Ces derniers, qui pratiquent la pêche dans les régions côtières de la Nouvelle-Écosse depuis des générations, voient se dessiner une exploitation effrénée de la ressource. À tort ou à raison, ils croient que le gouvernement fédéral,

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composé de membres de l’élite politique et administrative à Ottawa, éprouve un sentiment de culpabilité et se tourne vers le secteur des pêches pour soulager sa conscience. Pourquoi, demandent-ils, les gouvernements ne procèdent-ils pas à une réallocation de quotas laitiers ou de droits miniers aux Autochtones au Québec et en Ontario pour réparer les torts du passé? Pour leur part, les Autochtones ont été la cible d’injures raciales et leur équipement de pêche a été vandalisé44. Ils peuvent néanmoins s’enorgueillir des succès remarquables et de plus en plus nombreux qu’ils ont remportés depuis l’obtention de leurs permis de pêche commerciale. Tous les Canadiens, pas seulement les Autochtones, devraient se réjouir des succès qui ont couronné les efforts de certaines Premières Nations au cours des dernières années. La leçon à tirer  : le gouvernement fédéral ne peut pas laisser la situation se dégrader et espérer que les choses vont s’arranger de quelque façon entre les Canadiens autochtones et non autochtones dans divers dossiers, pas uniquement le dossier des pêches. Quatre gouvernements fédéraux se sont succédé depuis l’arrêt Marshall (les gouvernements Chrétien, Martin, Harper et Trudeau) et ils en sont tous venus à la conclusion que la décision de la Cour était suffisamment claire et qu’il n’était pas nécessaire de réviser la Loi sur les pêches ou le régime de réglementation du mPo . Ils avaient tort. Que faut-il faire dans le dossier des pêches? Il est urgent que le travail des fonctionnaires se rapproche des problèmes et des défis rencontrés sur le terrain. La décision d’Ottawa de concentrer un nombre toujours croissant de ses fonctionnaires dans la région de la capitale nationale et loin des régions n’aide pas les choses (comme je l’ai noté plus tôt, 72 % des fonctionnaires étaient en poste dans des bureaux régionaux et locaux il y a 45 ans, tandis que ce nombre est maintenant de 58 %). Plus le gouvernement fondera ses décisions sur la réalité du terrain, meilleures seront ses chances de les faire approuver et d’éviter de s’attirer des reproches ou de faire de nouvelles victimes. Dans le cas des pêches à la Baie Sainte-Marie, seuls comptent deux groupes : les pêcheurs mi’kmaq et les pêcheurs non autochtones. Les deux groupes ont leur place légitime dans le secteur des pêches, mais ils ressentent une profonde méfiance l’un envers l’autre. Ce qu’il faut, c’est un endroit où les deux parties pourraient se rencontrer pour régler leurs différends. Les négociations entre les deux groupes devraient s’accompagner d’un processus parallèle de négociation entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations pour aider

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chacune des deux parties à mieux comprendre la position de l’autre. Annoncer une décision venue d’en haut comme un coup de tonnerre, en espérant qu’elle donnera de bons résultats, n’est pas la façon de bâtir la confiance. Il est nécessaire que les deux parties s’assoient à la table et que des fonctionnaires collaborent avec elles sur le terrain pour mettre fin au cancer de la méfiance qui se propage dans nos collectivités de pêcheurs, un cancer encore une fois dont aucun Canadien ne doit présumer qu’il s’arrêtera là. L’incident survenu dans le secteur des pêches à la Baie SainteMarie nous a appris que le prix à payer est élevé lorsqu’on laisse une situation s’envenimer. Le Canada est sur le point de régler plusieurs questions qui risquent d’avoir de grandes conséquences sur le développement économique dans toutes les régions, y compris les questions liées aux revendications territoriales, au droit de consultation et à la transition vers l’autonomie gouvernementale.

l a vo Ie d e l ’ aU t o N o mIe go Uver N eme Ntale La voie qui mène à l’autonomie gouvernementale ne peut toutefois pas être à sens unique. Les peuples autochtones ont des problèmes à résoudre et eux seuls peuvent les résoudre. La voie empruntée par Noah Augustine comprenait un appel à la transparence parce que celle-ci n’est pas toujours présente dans les collectivités. Cependant, les Autochtones ne sont pas toujours responsables de la situation, dont l’origine remonte à près de 150 ans, quand le gouvernement fédéral adopta la Loi sur les Indiens, dont le cadre de gouvernance était mal adapté aux modes de vie des peuples autochtones. Peu importe, l’appel à la transparence des dépenses publiques est maintenant entendu dans tous les champs d’activité du secteur public. La transparence au sein de l’appareil gouvernemental s’apparente aux forces du marché dans le secteur privé  : c’est l’aspect essentiel dans le secteur public. Noah Augustine comprenait les exigences de la gouvernance moderne. Il comprenait que les contribuables canadiens ne fermeraient pas les yeux sur les dépenses imprécises, injustifiées et excessives, réelles ou perçues comme telles. Cela dit, il est aussi nécessaire d’informer la population canadienne que de nombreuses collectivités autochtones réalisent des progrès bien tangibles partout au Canada. Je me souviens qu’on me disait, quand j’étais jeune, qu’en tant qu’Acadien je devais être « deux fois meilleur » que les anglophones

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parce qu’ils avaient la majorité, qu’ils avaient le gros bout du bâton et qu’ils avaient un préjugé latent selon lequel les Acadiens ne pourraient jamais être « aussi bons » qu’eux. Au début de ma carrière, plusieurs femmes employées dans la fonction publique fédérale m’ont dit qu’elles devaient être deux fois plus compétentes que leurs collègues masculins pour avoir une promotion. Les Autochtones rencontrent maintenant le même problème que celui auquel les Acadiens et les femmes faisaient face il y a 30 à 50 ans. Les sondages d’opinion publique révèlent les uns après les autres que les Canadiens et les Canadiennes sont d’avis que le gouvernement fédéral consacre déjà trop d’argent aux affaires autochtones45. Les Autochtones peuvent tout aussi facilement reprocher certaines dépenses faites par le gouvernement dans d’autres secteurs et demander : si la question est le gaspillage de fonds publics, où devrions-nous chercher? Ils auraient un argument valable, mais cela ne changerait rien au fait que les Canadiens sont de plus en plus préoccupés par le gaspillage gouvernemental et réclament sans cesse des exigences plus élevées en matière de reddition de comptes. Noah Augustine comprenait le pouvoir des médias. On se souviendra que les médias ont publié une série de reportages sur le salaire non imposable des chefs autochtones et des conseillers de bande. Un reportage indiquait que 80 politiciens des Premières Nations avaient un salaire supérieur à celui du premier ministre du Canada. Selon un autre article, le chef d’une Première Nation de 90 membres de la Colombie-Britannique pourrait bien être le politicien le mieux rémunéré au Canada. Les médias ont aussi souligné que les associations autochtones invitées à commenter la situation n’ont pas répondu à leur appel46. Ce qu’il faut retenir, c’est que la transparence est primordiale au moment où les peuples autochtones amorcent le passage à l’autonomie gouvernementale et qu’il s’agit d’une question sur laquelle les Premières Nations doivent se pencher.

N o U S Po Uv o N S y a r rIver : l’exem Ple d U y Uk o N e t d e l a c o l o mBIe- B rI ta NNI q Ue Les peuples autochtones ont déjà entrepris leur marche vers l’autonomie gouvernementale. Onze des 14  Premières Nations du Yukon ont réussi à négocier des ententes qui ont permis d’établir des gouvernements autochtones à l’extérieur du cadre de la Loi sur les Indiens. Elles ont signé un accord-cadre définitif avec le

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gouvernement du Canada et celui du Yukon. En vertu de l’accord, les Premières Nations exercent les pouvoirs législatif et exécutif comme le faisaient les gouvernements provinciaux. Il a fallu 20 ans pour négocier l’accord et, à un certain moment, les négociations ont été rompues. Le gouvernement fédéral avait offert un ensemble de mesures d’indemnisation très généreuses aux Premières Nations, mais pas l’autonomie gouvernementale. Les Premières Nations ont résisté jusqu’à ce que l’autonomie gouvernementale soit remise sur la table de négociation. L’expérience des Premières Nations du Yukon illustre l’importance de la flexibilité; les diverses Premières Nations du Yukon ont des besoins différents et elles ont le droit de produire leur propre Constitution. L’accord-cadre définitif est un cadre contraignant conçu pour faciliter l’élaboration d’accords avec chacune des Premières Nations du Yukon. Chacune a conçu son propre modèle de gouvernance. Trois Premières Nations du territoire en étaient encore à négocier les conditions d’un accord sur leur autonomie gouvernementale pendant la rédaction de ce livre. Tous les Canadiens peuvent facilement consulter les dispositions de la Loi sur l’autonomie gouvernementale des premières nations du Yukon47. De plus, un nombre croissant d’études portent sur l’autonomie gouvernementale des Premières Nations du Yukon48. Le verdict est positif 49. L’approche a engendré de nouvelles relations entre les Premières Nations et les gouvernements fédéral et du Yukon, et avec les non-Autochtones. Je fais cependant remarquer que la lenteur avec laquelle l’accord a été conclu a suscité des critiques et que l’accord-cadre définitif est maintenant désuet50. Le traité d’autonomie gouvernementale conclu avec les Nisga’as en Colombie-Britannique, qui date du 11 mai 2000, offre aussi des leçons importantes pour les communautés autochtones. Il s’agit d’un modèle de réussite qu’il faudrait reproduire. Les Nisga’as peuvent citer des améliorations notables qui en ont résulté, allant de l’état des routes à une croissance économique plus vigoureuse, en passant par un gouvernement plus efficace, une plus grande transparence et de meilleures relations avec les gouvernements fédéral et provincial51. La leçon la plus importante à retenir est que l’autonomie gouvernementale est possible pour les Premières Nations, que le ciel ne leur tombe pas sur la tête quand les peuples autochtones assument les responsabilités qui leur reviennent de plein droit, qu’il est possible de tisser avec eux de nouvelles relations productives et que le Canada

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peut enfin tourner la page sur son passé colonial. De plus, il existe des données probantes attestant que l’autonomie gouvernementale entraîne des améliorations notables dans tous les secteurs, de l’éducation à la croissance économique. Bref, l’autonomie gouvernementale permet aux communautés de prendre leur avenir en main et est la pierre angulaire d’un développement économique solide. J’en reviens à formuler le même commentaire que celui que j’ai fait dans la première page de ce livre. Je crois depuis longtemps que le Canada offre à ses citoyens et citoyennes plus d’avantages que tout autre pays. Le Canada a également produit son lot de victimes, et nos dirigeants ont présenté des excuses pour les erreurs passées de notre pays beaucoup plus souvent que les dirigeants d’autres pays ne l’ont fait. En outre, aucun autre pays n’a surpassé le Canada dans ses efforts pour aider des régions, des groupes et des particuliers à surmonter leur victimisation. C’est un trait qui nous caractérise en tant que Canadiens et Canadiennes. Le travail du Canada n’est toutefois pas terminé. Il y a un trou dans notre histoire. Murray Sinclair a expliqué en quoi consiste le défi, un défi qui est celui de tous les Canadiens parce que, collectivement et tout au long de notre histoire, nous et nos ancêtres avons eu une part de responsabilité à cet égard. Sinclair a déclaré : « Je crois que nous sommes passés par toute la gamme des attitudes entre le pardon complet et la confrontation totale. Il y a des éléments au sein de la communauté autochtone qui subissent encore de la victimisation quotidiennement, c’est-à-dire qu’ils n’en parlent pas, qu’ils ne prennent aucune mesure pour y remédier, qu’ils ne font rien pour exiger quoi que ce soit. Ils ne voient pas leur situation comme une perte de droits, ils s’en attribuent presque la faute. Ils croient que c’est leur faute s’ils sont pauvres. Il s’agit de comprendre son propre sentiment de victimisation sans s’apitoyer sur soi-même52. » Le Canada et les Canadiens doivent aider les peuples autochtones à corriger les erreurs du passé et enlever cette tache sur la réputation du pays.

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J’ai toujours éprouvé une grande satisfaction à écrire au sujet du Canada. La rédaction de ce livre m’a apporté une satisfaction encore plus grande parce qu’elle m’a permis de puiser dans mes expériences personnelles et qu’elle m’a donné l’occasion de montrer comment le Canada a aidé les Acadiens et les Acadiennes à participer pleinement à la vie politique et économique du pays. J’estime qu’il en a été et qu’il en est de même pour d’autres groupes, d’autres communautés et d’autres régions. J’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait avant d’entreprendre la rédaction d’un ouvrage : je me suis adressé aux membres de ma famille, à des amis, des voisins, des collègues et d’anciens collègues pour discuter du thème des victimes. Les discussions ont été très enrichissantes et éclairantes. Elles m’ont apporté des idées nouvelles sur le sujet, qui parfois ont confirmé ma réflexion et parfois l’ont remise en question. Personne n’a hésité à exprimer son opinion sur le sujet. L’un de mes interlocuteurs m’a dit : « Alors, tu affirmes que le Canada a créé des victimes et que le Canada a aussi fait beaucoup pour aider les victimes à ne plus être victimes... Ne vaudrait-il pas mieux au départ que le Canada ne fasse pas de victimes ? » J’ai répondu : « Ce serait un bon argument si l’histoire n’avait aucune importance, mais l’histoire et les politiques des gouvernements passés comptent pour beaucoup. » Le sujet était d’intérêt pour tout le monde, chacun et chacune avait une opinion. C’était bien différent lors de la rédaction de mes ouvrages précédents. Mes amis et voisins ont manifesté peu d’intérêt pour ce que j’écrivais quand je travaillais, par exemple, sur What Is Government Good At? ou La démocratie au Canada. Cependant, après m’avoir aidé à préparer le manuscrit de Moi, je

Épilogue

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suis de Bouctouche, Ginette Benoit, mon adjointe, m’a déclaré avec enthousiasme : « Ce livre est bien différent de tes livres précédents. Ce livre-ci est très intéressant.  » Elle a fait le même commentaire lorsqu’elle a travaillé sur le manuscrit du présent livre. Les discussions que j’ai eues en préparation de cet ouvrage m’ont semblé particulièrement utiles. Certains de mes amis ont dit que l’emploi du mot « victime » risquait de susciter de fortes émotions négatives et que je devais m’attendre à ce que le livre s’attire de vives critiques. D’autres ont insisté pour dire que je ne devais pas disculper les gouvernements en faisant valoir que leurs politiques ont aidé des régions et des groupes à sortir de leur situation de victimes. Ils craignaient que, si on les disculpait, les gouvernements n’aient envie de revenir sur des engagements qu’ils ont pris envers leur région ou leur cause. La plupart, cependant, ont salué ma décision de traiter des victimes dans le contexte canadien, y compris l’un des anciens politiciens les plus connus du Canada, qui a dit : « Il était temps1. » Je ne prétends pas un seul instant que les discussions que j’ai eues avec des membres de ma famille et des amis aient été représentatives de ce que pense la population canadienne. Elles ne l’étaient pas. Le point de vue des Maritimes était surreprésenté dans nos discussions et nos échanges de courriels. Je me suis également entretenu avec des amis et d’anciens collègues du Québec et de l’Ontario. Je n’ai pas du tout tenu compte des catégories démographiques. Dans tous les cas, je connaissais personnellement les répondants. Je n’ai jamais été d’avis que le Canada est dépourvu d’une identité nationale. J’ai toutefois dû aborder la question dans mes livres, y compris celui-ci, parce qu’il est difficile de l’éviter lorsqu’on passe en revue les ouvrages portant sur le Canada. Je sais que je suis un Canadien, parce que je n’ai jamais voulu être autre chose et que le Canada possède une culture politique distincte. Au Nouveau-Brunswick, je suis un Acadien; à Ottawa, je suis un résident des Maritimes, et en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en France, je suis un Canadien2. Je suppose que l’identité est constituée de la même façon dans le cas d’une personne de l’Alberta ou de Terre-Neuve et dans celui de nombreux Québécois. Être Canadien ou Canadienne, c’est avoir plusieurs identités qui se fondent en une identité commune3. Dans cette optique, notre identité canadienne se construit de la base vers le sommet, non du sommet vers la base, en raison de notre histoire et de la façon dont nos institutions politiques ont pris forme. L’une et l’autre ont directement contribué à forger la culture politique du pays.

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À mesure que le Canada prenait forme et que le rôle du gouvernement s’élargissait, les grands décideurs durent admettre que le fédéralisme canadien défini en 1867 était mal conçu pour faire avancer les choses et que les institutions politiques nationales du pays ne correspondaient pas à ses caractéristiques sociopolitiques, économiques et géographiques. Ils résolurent de faire en sorte que le Canada fonctionne, en passant maîtres dans l’art du compromis, en développant la capacité de voir tous les points de vue sur une question, en accordant peu d’attention aux exigences du fédéralisme et en évitant de faire face aux obstacles que dressent nos institutions politiques nationales. Il y a un prix à payer pour cela, comme je l’ai expliqué dans un ouvrage précédent. Cependant, c’était peut-être le prix à payer pour que le Canada puisse fonctionner. Mes discussions m’ont permis de constater qu’il existe un attachement profond au Canada. Je note que divers sondages d’opinion publique indiquent également que les Canadiens sont très attachés à leur pays, quoique à des degrés divers selon les régions et l’âge des répondants4. Voici les raisons pour lesquelles je ne voudrais être rien d’autre que Canadien, et je suppose qu’elles valent aussi pour un grand nombre de mes compatriotes. Aucun autre pays n’offre les avantages suivants aussi bien que le fait le Canada : la stabilité politique et économique, la civilité de notre discours public, du moins comparativement à d’autres pays, un système d’éducation solide, une qualité de vie qui fait l’envie du reste du monde, la volonté et la capacité de venir en aide aux individus, aux groupes et aux régions qui ont été lésés par des politiques de gouvernements antérieurs, une disposition à reconnaître les erreurs du passé et à les réparer, et la capacité d’accueillir de nouveaux arrivants et de mettre en œuvre une politique efficace en matière de multiculturalisme. Je n’ai pas besoin de chercher plus loin pour trouver mon identité canadienne ou pour faire ressortir la différence marquée entre l’identité canadienne et l’identité américaine. Les Canadiens et leurs dirigeants politiques savent comment chercher des solutions et comment parvenir aux compromis nécessaires lorsqu’ils sont confrontés à des divisions irréconciliables, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de faire en sorte que le Canada fonctionne. Notre Constitution a préparé le terrain en ce sens en faisant de « la paix, l’ordre et le bon gouvernement  » les fondements de notre régime politique. Ensuite, à cause de son inflexibilité, elle a forcé les décideurs à improviser et à faire eux-mêmes la part des choses, et ce, parfois à la hâte. Je crois que les Canadiens comprennent que les

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régions comptant le plus d’électeurs bénéficient ainsi d’une voix plus forte que ce n’est le cas dans d’autres fédérations où les institutions politiques sont différentes. Par exemple, peu d’autres fédérations comprennent un membre comme le Québec, qui est parfois ambivalent au sujet de sa place dans le Canada. Dans toutes les autres fédérations, le pouvoir législatif comporte une chambre haute qui a clairement pour mandat de défendre les intérêts régionaux du pays, mais pas au Canada. Ce livre m’a également procuré une grande satisfaction parce qu’il m’a permis de célébrer les réussites du Canada. D’autres pays voient facilement les forces et les avantages du Canada, comme le révèlent constamment des sondages multinationaux5. J’espère que ce livre encouragera les Canadiens à célébrer les réussites de notre pays. Toutefois, le Canada a encore du pain sur la planche. Comme je l’ai souligné dans les chapitres précédents, le Canada doit collaborer avec ses peuples autochtones afin de réparer les torts qu’ils ont subis. De plus, de profondes frustrations se font sentir dans l’Ouest canadien, auxquelles le Canada doit répondre. S’il faut en croire l’expérience passée du Canada, ses principaux responsables politiques montreront la voie vers des solutions. Un collègue universitaire qui connaît bien mes ouvrages m’a dit : « Tu as toujours fait ressortir d’importantes failles de nos institutions politiques nationales. Maintenant, tu dis que le Canada est un chef de file mondial en ce qui concerne la qualité de vie et l’aide offerte aux victimes d’anciennes mauvaises politiques gouvernementales pour corriger la situation. Comment peux-tu concilier les deux? » Je lui ai répondu que les institutions présentaient encore des failles et qu’il fallait encore les réparer. J’ai écrit Governing from the Centre et La démocratie au Canada dans l’espoir d’aider à améliorer les choses, non pour discréditer nos institutions, et je demeure convaincu qu’une réforme de nos institutions politico-administratives nationales s’impose. Le fait que le Canada continue de prospérer témoigne de la capacité des Canadiens et de nos hauts responsables politiques de se débrouiller avec les moyens à leur disposition.

à l a d é f eN S e d eS Pol ItI cIe NS Pour clore cet ouvrage, je me porte à la défense des hommes et des femmes politiques. Je m’empresse d’ajouter que je ne le fais pas à la suggestion d’amis et de voisins. La plupart de mes amis ne

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comprendront pas pourquoi j’ai décidé de clore l’ouvrage en exprimant mon soutien à nos politiciens. J’ai bien souvent entendu des commentaires négatifs à leur sujet, parfois même des remarques sarcastiques, de la part de certains membres de ma famille et de nombreux amis, collègues et voisins. Bref, si une question a fait consensus lors de mes consultations, c’était que je ne devais pas me porter à la défense des politiciens. Je persiste à croire qu’il incombe aux politiciens et aux politiciennes de réparer les institutions politiques parce que personne d’autre ne peut le faire. Pour commencer, ils pourraient démanteler leurs cellules de crise politique, s’abstenir de se dénigrer les uns les autres et éviter de lancer des attaques personnelles. Si la communauté médicale, par exemple, s’adonnait aux mêmes pratiques, je doute que ses membres bénéficieraient du niveau de soutien que la population leur accorde présentement. Mais la population canadienne doit aussi faire sa part. Le dénigrement répandu dont les politiciens font l’objet est malsain pour la démocratie représentative et pour le Canada. Je crois que, trop souvent, les accusations lancées à leur endroit sont exagérées, sinon inexactes. Et je ne crois pas qu’on puisse défendre la démocratie représentative sans défendre les politiciens : les deux sont indissociables. J’ai collaboré avec de nombreux politiciens et politiciennes des trois grands partis politiques du Canada – libéraux, conservateurs et néo-démocrates. J’ai fait partie de l’équipe de transition de gouvernements formés par les trois grands partis lors de leur accession au pouvoir à Ottawa ou dans des capitales provinciales. J’ai également assumé divers rôles consultatifs auprès des trois partis politiques pendant qu’ils étaient au gouvernement. J’ai eu de nombreuses conversations avec des premiers ministres fédéraux et provinciaux, des ministres fédéraux et provinciaux, des chefs de l’opposition officielle et des députés d’arrière-ban, tant des Communes que d’assemblées législatives. Dans presque tous les cas, j’ai pu observer que c’étaient des gens honnêtes et soucieux de bien servir le public, bien qu’ils aient tendance à privilégier leur parti politique, leur circonscription et leur région. Mis à part d’anciens premiers ministres fédéraux et provinciaux, leur engagement en politique s’est très rarement traduit par une amélioration de leur situation financière, et j’en connais plusieurs pour qui il a mené au divorce. Je trouve un certain réconfort dans le fait que le dénigrement des politiciens est un phénomène qui ne touche pas que le Canada, loin

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de là. On l’observe partout dans le monde occidental. Aux ÉtatsUnis, les sondages indiquent que les politiciens connaissent une forte baisse de popularité dans l’opinion publique6. En Grande-Bretagne, la British Broadcasting Corporation (BBc ) a financé une série d’émissions radiophoniques sur la façon dont les politiciens étaient perçus et a parcouru le pays pour demander aux gens de dire en un mot ce qu’ils pensaient d’eux. Les mots qui sont revenus le plus souvent : « corrompus, foutaise, un mot qui ne pouvait être répété à la radio, menteurs, voleurs, non crédibles », et la liste est longue7. Très peu de répondants ont pu exprimer en un mot une opinion positive des politiciens. Je sais que beaucoup de mes amis et voisins auraient fourni une réponse semblable. Frank Graves, un sondeur canadien, indique que la confiance envers les politiciens a atteint des niveaux caricaturalement bas8. J’ai un point de vue très différent. J’invite les lecteurs à réfléchir un instant à ce que serait le Canada sans politiciens. Le pays se retrouverait dans une situation chaotique où les plus forts seraient en mesure d’avoir leurs propres forces de sécurité ou leurs propres forces paramilitaires, et où les consommateurs seraient laissés à la merci des personnes les plus prospères, qui leur vendraient ce qu’elles voudraient bien leur vendre. Le milieu des affaires ne pourrait pas fonctionner comme il le fait présentement, nos accords commerciaux seraient constamment dans un état de désordre, chacun pourrait ne voir qu’à ses propres besoins sans avoir le sentiment de faire partie de la communauté, et ainsi de suite. Je sais très bien que les politiciens sont parfois égocentriques, vaniteux et portés à créer des attentes exagérées. Ce qui compte vraiment pour la plupart d’entre eux, c’est de se faire élire, et plusieurs sont souvent prêts à faire le nécessaire pour y arriver. L’un des commentaires les plus révélateurs qu’il m’ait été donné d’entendre sur la scène politique canadienne est venu de la bouche d’un député qui participait à une discussion en vue de la prochaine campagne électorale fédérale. Il réclamait que la plateforme électorale du parti comprenne des engagements de dépenses toujours plus nombreux. Quelqu’un autour de la table a repoussé ses demandes en invoquant la situation financière d’Ottawa. Comme je l’ai déjà mentionné, le député a répondu : « Eh bien, si nous devons tenir nos promesses, ça voudra dire que nous aurons gagné. » Son objectif primordial était de voir son parti remporter les élections. Mais les politiciens sont-ils différents des autres professionnels? Les gens d’affaires, les fonctionnaires de carrière et mes collègues

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du milieu universitaire, notamment, ne perdent pas souvent de vue leur intérêt personnel eux non plus. Il n’y a pas lieu de s’étonner que les politiciens réagissent aux mêmes incitatifs que ceux associés à la concurrence dans le milieu des affaires ou à la compétition dans la société, les sports et le monde universitaire. On pourrait très bien dire ici que celui ou celle parmi nous qui n’a jamais péché lance la première pierre. La différence, c’est que les hommes et les femmes politiques travaillent au vu et au su de tout le monde, alors que ce n’est pas le cas pour le reste d’entre nous. Le niveau de transparence qui guide leur travail ne laisse rien au hasard. On ne cesse d’ajouter de nouvelles exigences de transparence au lieu d’en enlever certaines. Pensez au fait qu’il y a maintenant à Ottawa un commissaire à l’information, un commissaire à la protection de la vie privée, un commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, un commissaire au lobbying, un commissaire à l’intégrité du secteur public et le vérificateur général. Les titulaires de ces postes et leur personnel se rendent au travail chaque matin pour chercher ce qui n’a pas fonctionné et déterminer à qui en revient la faute. S’il fallait qu’ils passent certaines erreurs sous silence, les médias tant traditionnels que sociaux ne le feraient probablement pas. La situation est différente pour les autres Canadiens qui, comme moi, vont travailler chaque matin sans qu’une ombre soit penchée par-dessus leur épaule pour épier ce qu’ils font et comment ils le font. Bref, on prive les politiciens et les politiciennes et les personnes qui souhaitent faire de la politique de leur droit à la vie privée, et on les soumet à un examen minutieux qui ne serait toléré nulle part ailleurs. La transparence est certainement très importante dans la vie publique et au sein de nos institutions publiques. Le fait est que nos politiciens sont soumis à des exigences de transparence qui ne seraient pas tolérés dans les autres secteurs. En tant que citoyen, je veux savoir comment et pourquoi des fonds publics sont dépensés, qui est nommé à un poste dans les institutions publiques, pourquoi on apporte des changements à l’appareil gouvernemental et si les règles, la procédure et les exigences administratives sont respectées. Je m’intéresse moins aux affaires privées de nos représentants élus. Je reconnais que, dans tous mes rapports avec des politiciens et des politiciennes, j’ai toujours cherché à comprendre leurs défis et en quoi consiste leur travail au lieu de tout de suite m’en prendre à eux ou de les condamner. Je conviens que de nombreux politiciens canadiens

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qui connaissent du succès n’aiment pas les absolus et chercheront un compromis. Telle est la façon de faire du Canada, du moins celle de nos grands décideurs politiques. À titre de comparaison, imaginez quelqu’un qui regarde le bulletin de nouvelles en soirée chez lui et qui voit des politiciens qui sont aux prises avec un problème ou une question controversée, ou qui tentent de déterminer la bonne décision à prendre. Cette personne trouvera rapidement une solution, frustrée que les politiciens ne puissent pas la voir ou ne veuillent pas la voir. Toutefois, elle oublie probablement que quelqu’un d’autre qui regarde le même bulletin de nouvelles dans une localité voisine ou une autre province aura également une solution, mais elle sera sans doute bien différente. Il est facile de répondre à une question pour ce qu’elle est ou indépendamment de son incidence sur d’autres enjeux ou d’autres politiques gouvernementales. Le processus décisionnel du gouvernement ne fonctionne pas de cette façon. J’ai observé dans ma propre collectivité des désaccords profonds parmi les résidents au sujet de l’opportunité d’ajouter une piste cyclable sur une rue à forte densité de circulation ou de la nécessité d’un feu de circulation à une intersection où il y a peu de circulation. Essayez alors de conclure une entente sur un taux d’imposition, sur la volonté de limiter l’exploitation pétrolière et gazière, sur les montants des paiements de transfert qu’il convient de verser aux provinces et aux particuliers, sur l’avortement, et j’en passe. Nous comptons sur les politiciens pour qu’ils règlent ces questions épineuses. Les médias et nous tous, en fait, sommes prompts à réagir quand un politicien ment, mais les médias accordent bien peu d’attention aux politiciens quand ils disent la vérité. J’estime que nous avons des attentes déraisonnables envers le monde politique et les politiciens. Que nos politiciens trouvent toujours la bonne réponse ou prennent toujours la bonne décision ne devrait pas être un critère. Nous devons aussi considérer la capacité de nos politiciens d’éviter de choisir une mauvaise réponse. La démocratie représentative suppose qu’il y a rarement une réponse claire ou définitive à toute question9. La politique demeure l’art du possible, et c’est vrai particulièrement au Canada. Les politiciens, et personne d’autre, sont dans l’arène publique pour chercher une solution et essayer de trouver un compromis approprié. Theodore Roosevelt l’a expliqué en termes succincts : « Ce n’est pas la critique qui compte, ni l’homme qui montre du doigt l’homme fort qui a trébuché ou bien ce qu’il aurait pu faire mieux. Le mérite revient

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à l’homme qui se trouve dans l’arène10.  » C’est dans l’arène qu’on trouve les compromis, grands et petits, qui permettent au Canada de fonctionner. C’est dans l’arène que les différences sont aplanies et que les demandes contradictoires sont résolues sans recours à des modes de contrôle autoritaires11. Tony Wright explique que la politique est une « entreprise compliquée qui consiste à concilier des intérêts divergents, à choisir entre des options, à négocier des concessions importunes et à assumer la responsabilité de décisions qui représentent peut-être la moins mauvaise des options12 ». C’est ça, la politique, et c’est maintenant un monde réservé aux braves. Le Canada a besoin de mains solides sur le front politique pour guider le pays pendant les périodes difficiles, notamment pour définir une nouvelle relation avec les communautés autochtones, gérer les tensions régionales, promouvoir de saines institutions démocratiques et lutter contre les inégalités économiques grandissantes. Thomas Piketty a fait valoir à juste titre que les inégalités de richesse extrêmes sont mauvaises non seulement pour la croissance économique, mais aussi pour la démocratie représentative13. Ce ne sont là que quelques-unes des questions les plus difficiles ou quelques-uns des problèmes les plus épineux auxquels le Canada est confronté. Il y en a beaucoup d’autres, y compris ceux qui n’ont pas encore émergé; qui aurait pu prédire par exemple, en janvier 2020, que la covId-19 allait plonger le Canada dans une crise de santé publique et une crise économique? Avons-nous vraiment besoin de compliquer la tâche aux politiciens et aux politiciennes? La question est donc : qui veut monter dans l’arène compte tenu de l’hostilité envers le monde politique et les politiciens, de la dépolitisation de la prise de décision et de son transfert aux tribunaux et à des organismes indépendants? Pour entrer dans l’arène politique, il faut exposer au grand jour tout ce qu’on a fait dans le passé, composer avec ce que les cellules de crise politique et les médias sociaux vont déterrer et mettre en suspens ses projets de carrière dans tout autre domaine que la politique. Se porter candidat ou candidate aux élections oblige à mettre de côté toutes ses activités non politiques, y compris sa vie privée et, souvent, sa vie familiale. Si on est élu, on doit composer avec un nombre croissant d’organismes de surveillance qui scrutent tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait, sous l’œil attentif des médias sociaux, toujours prêts à bondir. Les Canadiens et les Canadiennes devraient pouvoir profiter sans stress de vacances en famille sauf, semble-t-il, nos dirigeants politiques. Le premier

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ministre Justin Trudeau a été pris à partie par des politiciens de l’opposition et les médias pour avoir passé deux semaines en vacances avec sa famille au Costa Rica en août 202214. Ce n’est sûrement pas de cette façon qu’on encourage les citoyens du pays à se présenter en politique. Nous ne devons jamais perdre de vue le fait que le Canada devra payer un prix élevé s’il ne réussit pas à attirer les esprits les plus brillants et les plus compétents pour qu’ils servent le pays. Il n’est pas exagéré d’écrire que les politiciens représentent la dernière ligne de défense entre la démocratie représentative et tout autre système que l’avenir pourrait nous réserver. Les Canadiens ne doivent pas tenir la démocratie représentative pour acquise quoi qu’il advienne. Jusqu’au 20e siècle, on considérait que la démocratie représentative était une mauvaise idée. C’est une des raisons pour lesquelles les membres du Sénat sont nommés plutôt qu’élus. On se disait que le gouvernement était trop important pour en confier les rênes au peuple. James Madison craignait que les masses n’en viennent tout bonnement « à voter que la bière soit gratuite et à jeter à terre les églises et les maisons de campagne15 ». Les Canadiens n’ont qu’à se tourner vers la plus vieille fédération et l’une des plus vieilles démocraties représentatives, au sud de notre frontière, pour voir des signes inquiétants. Les résultats des élections américaines sont maintenant ouvertement contestés sur la base des preuves les plus fragiles et 47 des 50 États ont adopté récemment des lois pour restreindre l’accès au vote16. Ces événements et d’autres expliquent pourquoi deux Américains sur trois estiment maintenant que la démocratie américaine est menacée17. Le Canada n’est pas les États-Unis, mais une minorité considérable de Canadiens sont mécontents de la façon dont les choses se passent actuellement dans le pays18. La colère peut se traduire en force politique, comme Donald Trump en a fait la démonstration au monde. Lors de l’élection générale de 2021, Maxime Bernier a montré que la population canadienne n’est pas complètement immunisée contre l’expression de la colère envers le «  système  » et les politiciens19. En outre, la tentation de l’autoritarisme est de plus en plus présente partout dans le monde. Le Canada a réussi jusqu’ici, relativement parlant, à réfréner cette tentation. Toutefois, comme le veut l’adage, « les citoyens des démocraties sont les auteurs de leur propre destinée20 ». Nous écrirons l’avenir du Canada par la voie de nos représentants élus, parce que c’est la seule façon légitimement démocratique de le faire.

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Les Canadiens qui se mettent en colère en regardant les chaînes d’information en continu ou en se tournant vers les médias sociaux n’aideront en rien. J’ai une meilleure suggestion  : engagez-vous, devenez membres d’un parti politique, rencontrez vos représentants élus ou leur personnel, essayez de vous mettre à leur place, considérez les avis contradictoires dont ils doivent tenir compte sur les enjeux petits et grands, et reconnaissez que nos politiciens et nos politiciennes ont joué un rôle crucial pour faire du Canada ce qu’il est aujourd’hui. Ceux et celles qui croient être en mesure de faire mieux qu’eux devraient se lancer dans l’arène politique et y défendre les politiques susceptibles, à leur avis, de faire du Canada un pays meilleur. Mon souhait est que davantage de gens courageux s’engagent dans l’arène. Le Canada a besoin que les esprits les plus brillants et les plus compétents du pays entrent dans l’arène pour assurer son avenir économique et politique, et les Canadiens et les Canadiennes ne devraient pas rendre la tâche plus difficile à ceux et celles qui souhaitent entrer dans l’arène pour servir le pays.

Notes

Préface 1 Jack Mintz, Ted Morton et Tom Flanagan (dir.), Moment of Truth: How to Think About Alberta’s Future (Toronto : Sutherland House, 2020). 2 Greg Mercer et Kristy Kirkup, « Ottawa condemns violence against Mi’kmaq fishermen, says their rights must be upheld », Globe and Mail, 19 octobre 2020. 3 Taryn Grant, « UN committee calls on Canada to respond to claims of racist violence against Mi’kmaw fishers », cbc News-Nova Scotia, 10 mai 2021. 4 Kate McKenna, « Quebec seeks to change Canadian Constitution, make sweeping changes to language laws with new bill », cbc News-Montreal, 13 mai 2021. 5 « 215 enfants », Greenpeace Canada, 2 juin 2021, https://www. greenpeace.org/canada/fr/histoires/48614/215-enfants/. 6 Les sondeurs ont interrogé 1 536 personnes à l’échelle nationale au sujet de leur confiance dans leurs dirigeants et leurs institutions. Voir Aly Laube, « “All-time low”: Report finds Canadians don’t have much trust in government », Daily Hive, 9 février 2022.

I Nt r o dUct I o N 1 Elliott Davis Jr., « Canada Ranks No. 1 in 2021 U.S. News Best Countries Ranking », U.S. News & World Report, 13 avril 2021. 2 Matthew Johnston, « The Economy of Canada: An Explainer », Investopedia, 5 octobre 2021.

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Notes des pages 3-9

3 « Faits saillants sur la compétitivité du Canada en matière d’investissement direct étranger », Gouvernement du Canada, Affaires mondiales Canada, mai 2021, https://www.international.gc.ca/trade-commerce/economisteconomiste/analysis-analyse/key_facts-2020-12-faits_saillants.aspx? lang=fra. 4 John Ibbitson, « Why is Canada the Most Tolerant Country in the World? Luck », Globe and Mail, 2 juillet 2014, A6. 5 Gerald L. Gall, « Référendum du Québec (1995) », L’Encyclopédie canadienne, 4 mars 2015. 6 Eric Andrew-Gee, « Is the West fed up with Canada? What a new survey shows about the federation’s growing fault line », Globe and Mail, 22 mars 2019 (traduction libre). 7 Sénat, Comité sénatorial spécial sur l’Arctique, Le Grand Nord : un appel à l’action pour l’avenir du Canada (Ottawa : Le Comité, 2019), 11. 8 John R. English et David A. Wilson, « Grande Coalition de 1864 », L’Encyclopédie canadienne, 11 octobre 2019. 9 George F.G. Stanley, « Act or Pact: Another Look at Confederation », dans Report of the Annual Meeting, Société historique du Canada, vol. 35 no 1, 1956, polycopie, 7, http://doi.org/10.7202/3003087ar. 10 Ged Martin, « Faction and Fiction in Canada’s Great Coalition of 1864 », communication prononcée lors des conférences Winthrop Pickard Bell, tenues à l’Université Mount Allison de Sackville (N.-B .) en novembre 1991, polycopie, 3 (traduction libre). 11 Richard J. Gwyn, John A.: The Man Who Made Us – The Life and Times of John A. Macdonald, vol. 1 : 1815-1867 (Toronto : Random House of Canada, 2009), 292 et 439 (traduction libre). 12 George Grant, Lament for a Nation (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1965). 13 Jordan Goldstein a rédigé une thèse de doctorat qui établit un lien entre le hockey et lord Stanley, et l’identité du Canada. Voir Jordan Goldstein, Stanley’s Political Scaffold: Building Canadian National Identity within the State and through Ice Hockey: A political analysis of the donation of the Stanley Cup, 1888-1893, thèse de doctorat, University of Western Ontario, 2015. 14 Identité canadienne, 2013 (Ottawa : Statistique Canada, 1er octobre 2015), 3. 15 Ibid., 12. 16 Cette conversation avec l’hon. Michael Wilson, tenue lors d’un déjeuner rencontre à Toronto le 13 septembre 2016, m’a été très profitable.

Notes des pages 10-20

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17 Voir, par exemple, Alex Pinard-Bineau, La Conquête, les Rebellions, l’Acte d’Union : le traitement de trois moments de l’histoire du Québec dans une sélection de manuels d’histoire publiés récemment au Canada anglais, mémoire, Québec, Université Laval, 2017, 22. 18 Voir, entre autres, Donald J. Savoie, Visiting Grandchildren: Economic Development in the Maritimes (Toronto : University of Toronto Press, 2006). 19 Robert J. Lawson, « Understanding Alienation in Western Canada: Is “Western Alienation” the Problem? Is Senate Reform the Cure? », Journal of Canadian Studies = Revue d’études canadiennes, vol. 39, no 2 (printemps 2005), 127-155. 20 Jessica Zheng, « Not So Nice After All: Growing Polarization in Canadian Politics », Democratic Erosion, 12 mai 2021. 21 Cité dans Jean-François Lisée, « Un Canada postnational? », Le Devoir, 7 juillet 2016. 22 Margaret Atwood, Essai sur la littérature canadienne (Montréal : Boréal Express, 1987), 158. 23 Cité dans « Searching for a Canada of the Soul not the Census », Globe and Mail, 18 juin 2016, F3 (traduction libre). 24 Ramsay Cook, cité dans Northrop Frye, The Bush Garden: Essays on the Canadian Imagination (Toronto : Anansi, 1971), i-ii (traduction libre). 25 J.J. McCullough, « Opinion: Who gets to decide Canada’s identity? », The Washington Post, 29 juin 2017. 26 Jeffrey Goldsworthy a fait un commentaire semblable dans The Sovereignty of Parliament: History and Philosophy (Oxford : Clarendon Press, 1999), 135. 27 Pour un exposé bref mais perspicace de l’importance de l’histoire, voir Stephen Fry, « The future’s in the past », The Guardian, 9 juillet 2006. 28 James H. Marsh, « Déportation des Acadiens (le Grand dérangement) », L’Encyclopédie canadienne, 15 juillet 2015. 29 Steve McKenzie, « Apology sought for “war crimes” in Culloden’s aftermath », bbc News-Scotland, 7 avril 2011. 30 Pour un compte rendu de l’effet produit par l’éditorial, voir Donald J. Savoie, Governing from the Centre: The Concentration of Power in Canadian Politics (Toronto : University of Toronto Press, 1999), 177-178. 31 Traduction libre. Je rapporte cette conversation dans mon livre Whatever Happened to the Music Teacher?: How Government Decides and Why (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2013), 54. 32 « All hail the supreme... prime minister? », Globe and Mail, 8 mai 1999, dIo (traduction libre).

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Notes des pages 20-26

33 Michael Ignatieff, True Patriot Love: Four Generations in Search of Canada (Toronto : Viking Canada, 2009). 34 J.L. Granatstein, Yankee Go Home: Canadians and Anti-Americanism (Toronto : HarperCollins Canada, 1997). 35 Je pense notamment à diverses biographies d’anciens premiers ministres du Canada. 36 Mark Milke, The Victim Cult: How the culture of blame hurts everyone and wrecks civilizations (Toronto : Thomas and Black, 2019). 37 Voir, par exemple, Tom Flanagan, Ted Morton et Jack Mintz (dir.), Moment of Truth: How to Think About Alberta’s Future (Toronto : The Sutherland House, 2020). 38 Voir, par exemple, Bradley Campbell et Jason Manning, The Rise of Victimhood Culture: Microaggressions, Safe Spaces, and the New Culture Wars (New York : Palgrave Macmillan, 2018). 39 Charles J. Sykes, A Nation of Victims: The Decay of the American Character (New York : St. Martin’s Press, 1992), 11 et 248. 40 Milke, The Victim Cult. 41 Frank Furedi, « New Britain – A Nation of Victims », Society, vol. 35, no 3, 80-84. 42 Caroline Fourest, Génération offensée : de la police de la culture à la police de la pensée (Paris : Bernard Grasset, 2020), et Yascha Mounk, « Is French Secularism the Reason for Those Terrorist Attacks? (No.) », The Good Fight Podcast, Apple Podcasts Preview, 21 novembre 2020. 43 Jonathan Montpetit, « François Legault endorsed a book by a hardline conservative. Here’s why that matters », cbc News-Montreal, 4 août 2019. 44 Omar Al-Ghazzi, « We will be great again: Historical victimhood in populist discourse », European Journal of Cultural Studies, 14 janvier 2021. 45 Sean Speer et Jamil Jivani, « Pondering populism in Canada », Options politiques, 10 juillet 2017. 46 « The pros and cons of Canada’s first-past-the-post electoral system », cbc News, 17 juin 2015, et Albert Trithart, « Stemming the Populist Tide: How Electoral Rules May Hold Back the World’s Le Pens », IPI Global Observatory, 25 avril 2017. 47 John Porter, The Vertical Mosaic: An Analysis of Social Class and Power in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1965).

c ha P It r e U N 1 « Saint-Maurice, New Brunswick » , s.d., www.roadsidethoughts.com/nb/ saint-maurice-xx-kent-profile.htm (traduction libre).

Notes des pages 27-34

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2 J’ai obtenu cette information de Maurice Basque par courriel le 31 octobre 2021. 3 « What was the truth about the madness of George III? », bbc News, 15 avril 2013. 4 Cette histoire m’a été racontée par Arthur Irving, le fils de K.C. Irving. 5 Voir, entre autres, www.1755band,amp.en/google-info.ca, s.d. 6 George C. Kohn, « Seven Years’ War », dans Dictionary of Wars (New York : Facts on File, 2000), 417. 7 Dominick Graham, « Lawrence, Charles », Dictionnaire biographique du Canada, (1741-1770), vol. III, 2003. 8 Voir, entre autres, Naomi E.S. Griffiths, From Migrant to Acadian: A North American Border People, 1604-1755 (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2004). 9 Graham, « Lawrence, Charles ». 10 Marc Poirier, « Charles Lawrence au tribunal des historiens », L’Acadie Nouvelle, 10 septembre 2021, 10. 11 Cité dans unesco Dossier d’inscription Chapitre 2 : Description, s.d., landscapeofgrandpre.ca/deportation-and-new-settlement-1755 endash1810.html. 12 John English, Borden: His Life and World (Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1977). 13 William Grimes, « Paradise Lost in an “Ethnic Cleansing” », New York Times, 9 février 2005 (traduction libre). 14 John Mack Faragher, A Great and Noble Scheme: The Tragic Story of the Expulsion of the French Acadians from Their American Homeland (New York : W.W. Norton, 2005). 15 Voir, par exemple, Le système de paiement en nature, s.d., www.heritage.nf.ca. 16 William Stewart MacNutt, New Brunswick, A History: 1784-1867 (Toronto : Macmillan, 1963), 453. 17 Arthur I. Silver, The French-Canadian Idea of Confederation, 1864-1900 (Toronto : University of Toronto Press, 1982). 18 Gaétan Migneault, « Le Canada français et la Confédération : les Acadiens du Nouveau-Brunswick », dans Jean-François Caron et Marcel Martel (dir.), Le Canada français et la Confédération : fondements et bilan critique (Québec : Presses de l’Université Laval, 2016). 19 Léon Thériault, « L’Acadie, 1763-1978 : synthèse historique », dans Jean Daigle (dir.), Les Acadiens des Maritimes : études thématiques (Moncton : Centre d’études acadiennes, 1980), 49-94. 20 R. Baudry, Les Acadiens d’aujourd’hui : rapport de recherche préparé pour la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le

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Notes des pages 36-47

biculturalisme (Ottawa : Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, 1966), 77. Canada, Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, partie I : Introduction (Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1967). Voir Donald J. Savoie, Moi, je suis de Bouctouche : Les racines bien ancrées (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2009), 115. David Foster, « The trials of Leonard Jones », Maclean’s, 25 juillet 1983. Ibid. Canada, Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielles du Canada (Ottawa : Patrimoine canadien, 2021). Kevin Cox, « Its black eye gone, Moncton goes bilingual », The Globe and Mail, 7 août 2002. C’est ce que Claude m’a raconté peu après leur rencontre. Donald J. Savoie, « All Things Canadian Are Now Regional », Journal of Canadian Studies/ Revue d’études canadiennes, vol. 35, no 1 (printemps 2000), 203-217. « L’héritage du Sommet de la Francophonie de Moncton, 20 ans plus tard », ici Nouveau-Brunswick, Radio-Canada, 4 septembre 2019. Savoie, Moi, je suis de Bouctouche, 282. Ibid. Claude Bourque, dans un courriel qu’il m’a adressé ainsi qu’à Yvon Fontaine, daté du 28 septembre 2009. Certains Acadiens de la région de Boston sont bien établis dans le milieu des affaires et ont une valeur nette élevée, notamment Raymond Bourque, une étoile de la lNh au sein des Bruins de Boston, qui vit maintenant dans la région. Je reviendrai plus en détail sur ce point dans le prochain chapitre. https://www.homesatandovercountryclub.com/. Seymour Martin Lipset, Continental Divide: The Values and Institutions of the United States and Canada (Toronto : Institut C.D. Howe, 1989), 136; voir aussi Charles Hirschman, « America’s Melting Pot Reconsidered », Annual Review of Sociology, vol. 9, no 1 (2003), 397-423. C’est le point que fait valoir Will Kymlicka dans « Citizenship, Communities, and Identity in Canada », dans James Bickerton et Alain-G. Gagnon (dir.), Canadian Politics (Toronto : University of Toronto Press, 2021), 24.

Notes des pages 49-56

323

c ha P It r e d eU x 1 Daniel Baugh, The Global Seven Years War 1754-1763: Britain and France in a Great Power Contest (New York : Routledge, 2011). 2 « Key Facts of the Seven Years’ War », Encyclopædia Britannica, s.d. 3 Voir, par exemple, Katherine L. Morrison, « The Only Canadians: Canada’s French and the British Connection », Introduction, International Journal of Canadian Studies = Revue internationale d’études canadiennes, vol. 37 (2008), 178. 4 Dale Miquelon, Louis Massicotte et Andrew McIntosh, « Conquête », L’Encyclopédie canadienne, 26 août 2019. 5 Nancy Christie, The Formal and Informal Politics of British Rule in PostConquest Quebec, 1760-1837 (Oxford : Oxford University Press, 2020), 4. 6 Cité dans Cécile Chevrier, Acadie : esquisses d’un parcours (Dieppe : Société nationale de l’Acadie, 1994), 55. 7 Cité dans Maxime Dagenais, « Acte de Québec (1774) », L’Encyclopédie canadienne, 12 août 2013. 8 Ollivier Hubert et François Furstenberg (dir.), Entangling the Quebec Act: Transnational Contexts, Meanings and Legacies in North America and the British Empire (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2020), voir chapitres 1 et 3. 9 J.M.S. Careless, The Union of the Canadas: The Growth of Canadian Institutions (Toronto : McClelland and Stewart, 1967). 10 « John George Lambton, 1st Earl of Durham », Britannica.com, mis à jour le 8 avril 2021. 11 Lord Durham, Rapport sur les affaires de l’Amérique septentrionale britannique, rapport à la très-excellente majesté de la reine, s.d., polycopie, 34-35. 12 Ibid., 197-198. 13 Ibid., 7. 14 Ibid., 19-20. 15 Ibid., 25. 16 Ibid., 31. 17 Ibid., 34. 18 Ibid., 35. 19 Goldwin Smith, Canada and the Canadian Question (Toronto : University of Toronto Press, réimpr. 2018), 19 et 78 (traduction libre). 20 Voir, par exemple, William Ormsby, « Lord Durham and the Assimilation of French Canada », dans Norman Penlington, On Canada: Essays in Honour of Frank H. Underhill (Toronto : University of Toronto Press, 1971), 39.

324

Notes des pages 57-65

21 Ibid., 44. 22 Ibid., 48. 23 Voir, par exemple, Jean-Paul Bernard, « Émeutes de Montréal », L’Encyclopédie canadienne, 7 février 2006. 24 Careless, The Union of the Canadas. Voir aussi Gordon Stewart, The Origins of Canadian Politics: A Comparative Approach (Vancouver : University of British Columbia Press, 1986), 59. 25 Richard Gwyn, John A.: The Man Who Made Us, vol. I, 1815-1867 (Toronto : Vintage Canada, 2008), 271 (traduction libre). 26 Smith, Canada and the Canadian Question, 108. 27 Ibid. (traduction libre). 28 David Cameron, Self-Determination: Canada and Quebec (Ottawa : Conseil de recherche en science sociales, document de travail, mars 2007), 2 (traduction libre). 29 Sir John Bourinot, Canada (New York : G.P. Putnam and Sons, 1898), 438-439 (traduction libre). 30 J.P. Beaulieu, Province of Quebec Industrial Expansion Publication (Québec : Office provincial de publicité pour le ministère de Commerce et Industrie, 1952) (traduction libre). 31 « George Brown », Canada: A People’s History – Le Canada : une histoire populaire, cBc -Learning, s.d., https://www.cbc.ca/history/EPCONTENT SE1EP8CH3PA3LE.html (traduction libre). 32 Desmond Morton, A Short History of Canada (Edmonton : Hurtig Pubishers, 1983), 92. 33 Claude Bélanger, « Supremacy of Parliament and the Canadian Charter of Rights and Freedoms », Quebec History (Montréal : Marianopolis College, 19 février 2001), http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/ quebechistory/federal/parl.htm. 34 J.-C. Bonenfant, « Cartier, sir George-Étienne », Dictionnaire biographique du Canada, Volume X (1871-1880), s.d. 35 Voir, entre autres, Marcel Martel, « An example for the world? Confederation and French Canadians », Canada Watch (printemps 2016), 7-8. 36 Smith, Canada and the Canadian Question, 7. 37 Donald J. Savoie, Se débrouiller par ses propres moyens : le développement économique dans les Maritimes (Halifax : Nimbus, 2017). 38 Les sénateurs québécois sont nommés sur une base régionale pour protéger la minorité anglophone. Aucune autre province, pas même celles qui comptent une forte minorité linguistique, n’est visée par une telle condition.

Notes des pages 66-72

325

39 Cité dans « The Great Enterprise », cBc , s.d., www.cbc.ca/history/ EPCONTENTSE1EP8CH4LE.html. 40 Ged Martin, « Faction and Fiction in Canada’s Great Coalition of 1864 », communication prononcée lors des conférences Winthrop Pickard Bell, tenues à l’Université Mount Allison de Sackville (N.-B .) en novembre 1991, polycopie, 3 (traduction libre). 41 Alastair Sweeny, George-Étienne Cartier (Toronto : McClelland and Stewart, 1976). 42 « Bas-Canada », www.bac-lac.qc.ca, s.d. 43 Carl Berger a avancé cet argument dans son introduction de Smith, Canada and the Canadian Question, vii. 44 La Minerve, 1er juillet 1867. 45 Ralph Heintzman, « La Temporaire durera plus longtemps – The Long Career of Providential Independantism », s.d., polycopie, 7 (traduction libre). 46 Ibid., 3. 47 Ibid. 48 « Qui était Lionel Groulx? » www.fondationlionelgroulx.org, s.d. 49 Morrison, « The Only Canadians », 180. 50 Kevin Dougherty, « Legault proposes constitutional recognition of Quebecers as a nation », iPolitics, 13 mai 2021, et « Legault écrit à Trudeau pour défendre sa réforme de la loi 101 », Radio-Canada, 15 mai 2021. 51 Jacques Poitras, Irving vs. Irving: Canada’s Feuding Billionaires and the Stories They Won’t Tell (Toronto : Penguin, 2014), 248. 52 La Presse canadienne, « Chantier Davie: Québec en a assez de supplier Ottawa, dit Daoust », Le Devoir, 15 mai 2015. 53 Steven Chase, « Tories begin talks with Quebec shipyard to build navy supply ship », Globe and Mail, 23 juin 2015. 54 Mia Rabson « Brian really was lyin’ », Winnipeg Free Press, 14 août 2010 (traduction libre). 55 Cité dans « The Night of Long Knives », cBc , s.d., https://www.cbc.ca/ history/EPISCONTENTSE1EP17CH1PA3LE.html. 56 Jean-Marc Salvet, « Couillard veut rouvrir le dialogue constitutionnel », Le Soleil, 1er juin 2017. 57 Robert Dutrisac, « Politique d’affirmation du Québec : l’exil intérieur, encore et toujours », Le Devoir, 6 janvier 2018. 58 Andrew Coyne, « Quebec’s anglophone minority is a target, once again – and no one is coming to the rescue », Globe and Mail, 19 mai 2021. 59 Jonathan Montpetit, « Quebec’s proposed changes to Constitution seem small, but they could prompt historic makeover », cbc -Analysis, 19 mai 2021.

326

Notes des pages 73-77

60 Nouvelles économiques : Économie et Stratégie, Banque Nationale du Canada, 6 juin 2021, et « Sommaire économique et financier du Québec : faits saillants du budget 2021-2022 », 25 mars 2021, http://www.budget. finances.gouv.qc.ca/budget/2021-2022/fr/index.asp.

c h a P I t r e t roI S 1 Voir, entre autres, Ernest Forbes (dir.), Challenging the Regional Stereotype: Essays on the 20th Century Maritimes (Fredericton : Acadiensis Press, 1989), et Phillip Buckner, « The Maritimes and Confederation: A Reassessment », Canadian Historical Review, vol. 71, no 1 (mars 1990). 2 James P. Bickerton, Nova Scotia, Ottawa and the Politics of Regional Development (Toronto : University of Toronto Press, 1990), 66. 3 Luke Flanagan, The Political Union Debate in Canada’s Maritime Provinces, 1960-1980: Why Did a Union Not Happen?, thèse de doctorat, Université d’Édimbourg, 2012, 201. 4 Cité dans H. Wade MacLauchlan, Alex B. Campbell: The Prince Edward Island Premier Who Rocked the Cradle (Charlottetown : Prince Edward Island Museum, 2014), 234 (traduction libre). 5 Louis J. Robichaud, cité dans ibid., 158 (traduction libre). 6 James Hiller, « The Origins of the Pulp and Paper Industry in Newfoundland », Acadiensis, vol. 11, no 2 (printemps 1982), 43 (traduction libre). 7 Voir, entre autres, « Grimes floats law suit against Ottawa », cbc News, 13 mai 2003, https://www.cbc.ca/news/canada/newfoundland-labrador/ grimes-floats-law-suit-against-ottawa-1.393759. 8 Le lecteur souhaitera peut-être consulter les procès-verbaux du Comité permanent des pêches et océans de diverses dates. 9 Andrew McIntosh, Gerald L. Gall, R. Hudon et Tabitha Marshall, « Les adversaires de la Confédération », L’Encyclopédie canadienne, 8 avril 2021. 10 John R. Grodzinski et Peter Vronsky, « Raids des fenians », L’Encyclopédie canadienne, 3 mars 2014. 11 Cité dans C.M. Wallace, « Annand, William », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XI, (1881-1890), http://www.biographi.ca/fr/bio/annand_ william_11F.html. 12 Ed Whitcomb, A Short History of Nova Scotia (Ottawa : From Sea to Sea Enterprises, 2009), 30. 13 Ralph Heintzman lors d’une conversation téléphonique avec l’auteur le 11 juin 2021 (traduction libre).

Notes des pages 78-83

327

14 Cité dans C.M. Wallace, « Smith, sir Albert James », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XI, (1881-1890), http://www.biographi.ca/ fr/bio/smith_albert_james_11F.html. 15 Buckner, « The Maritimes and Confederation », 49 (traduction libre). 16 Voir, entre autres, l’hon. Noël A. Kinsella, « Avant-propos », Le Sénat : rapport d’activités 2010, s.d., https://sencanada.ca/portal/ AnnualReports/2009-2010/pdf/AR_2010-f.pdf. 17 « Quebec Premier Couillard addresses Ontario Legislature, First Premier to Do So in over 50 Years », National Post, 11 mai 2015 (traduction libre). 18 « This is not federalism », National Post, 13 mai 2015, A8 (traduction libre). 19 Ibid. Voir aussi « Premiers Wynne and Couillard Set Seven Criteria for Energy East », Globe and Mail, 21 novembre 2014. 20 Richard Saillant, Deux pays : le Canada à l’ère du Grand Déséquilibre démographique (Halifax : Nimbus, 2016). 21 Claude Bélanger, The Maritime Provinces, the Maritime Rights’ Movements and Canadian Federalism, s.d., polycopie, 3 et 4. 22 Cité dans C.M. Wallace, « Tilley, sir Samuel Leonard », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XII, (1891-1900), http://www.biographi.ca/fr/ bio/tilley_samuel_leonard_12F.html. 23 Cité dans C.M. Wallace, « Albert Smith, Confederation, and Reaction in New Brunswick: 1852-1882 », The Canadian Historical Review, vol. 44, no 4 (décembre 1963), 298-299 (traduction libre). 24 Janine Brodie, The Political Economy of Canadian Regionalism (Toronto : Harcourt Brace Jovanovich, 1990), 145. 25 Whitcomb, A Short History of Nova Scotia, 33. 26 Donald E. Armstrong et D. Harvey Hay, The Chignecto Canal (Montréal : Economic Research Corporation Limited, avril 1960), 6, et Chignecto Canal Committee, The Story of the Chignecto Barrier (1950). 27 Armstrong et Hay, The Chignecto Canal, 5 (traduction libre). 28 Robert F. Legget, « Canaux et voies navigables intérieures », L’Encyclopédie canadienne, 4 mars 2015. 29 Armstrong et Hay, The Chignecto Canal, 6 (traduction libre). 30 Voir, par exemple, « Commission to Investigate the Nature and Extent of the Commercial Advantage to be Derived from the Construction of the Baie Verte Canal », Archives Canada, caIN no 257773, http://www. archivescanada.ca/. 31 Armstrong et Hay, The Chignecto Canal, 6. 32 Donald J. Savoie, Se débrouiller par ses propres moyens : le développement économique dans les Maritimes (Halifax : Nimbus Publishing, 2017), 171. 33 Armstrong et Hay, The Chignecto Canal, 13.

328

Notes des pages 83-90

34 Ibid., 13. 35 Ibid., 6. Pour obtenir un point de vue contraire, les lecteurs devraient consulter C.R. McKay, « Investors, Government and the cmtr : A Study of Entrepreneurial Failure », Acadiensis, vol. 9, no 1 (automne 1979), 71-94. McKay soutient que le projet de Ketchum n’avait aucun sens sur le plan économique. 36 Canada, Report of the Chignecto Canal Commission (Ottawa : Imprimeur de sa Très Excellente Majesté le Roi, 1939), 10, cité dans Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes, 16e Législature, 3e session, vol. 1, 1929, 144. 37 Gordon C. Shaw et Viktor Kaczkowski, « Voie maritime du Saint-Laurent, L’Encyclopédie canadienne, 17 février 2009, https://www.thecanadian encyclopedia.ca/fr/article/voie-maritime-du-saint-laurent. 38 Corey Slumkoski, Inventing Atlantic Canada: Regionalism and the Maritime Reaction to Newfoundland’s Entry into Canadian Confederation (Toronto : University of Toronto Press, 2011), 97. 39 Les membres du comité comprenaient le maire N.S. Sanford, G. Fuller et A.R. Lusby d’Amherst (N.-É.), et le maire H.A. Beale et E.R. Richard de Sackville (N.-B .). 40 Arthur Irving m’a raconté que K.C. Irving avait fait ce commentaire lors de diverses réunions publiques. 41 Armstrong et Hay, The Chignecto Canal, 5. 42 Slumkoski, Inventing Atlantic Canada, 100. 43 K.C. Irving, cité dans Jacques Poitras, Irving vs. Irving: Canada’s Feuding Billionaires and the Stories They Won’t Tell (Toronto : Penguin, 2014), 19 (traduction libre). 44 Voir, par exemple, Savoie, Se débrouiller par ses propres moyens. 45 D.A. Muise, « The 1860s: Forging the Bonds of Union », dans E.R. Forbes et D.A. Muise, The Atlantic Provinces in Confederation (Toronto : University of Toronto Press, 1993), 24 (traduction libre). 46 David Alexander, Atlantic Canada and Confederation: Essays in Canadian Political Economy (Toronto : University of Toronto Press, 1983), 4 (traduction libre). 47 Hugh Thorburn, Politics in New Brunswick (Toronto : University of Toronto Press, 1961), 16 (traduction libre). 48 Ernest Forbes cité dans Jennifer Campbell, « Shafted », Atlantic Progress 6 (juin 1999), 34-41 (traduction libre). 49 Thorburn, Politics in New Brunswick, 16 (traduction libre). 50 Ibid. (traduction libre).

Notes des pages 91-97

329

51 Carman Miller, « The 1940s: War and Rehabilitation », dans Forbes et Muise, The Atlantic Provinces in Confederation, 325 (traduction libre). 52 Donald J. Savoie, Visiting Grandchildren: Economic Development in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 2006). 53 Harry Bruce, Down Home: Notes of a Maritime Son (Toronto : Key Porter Books, 1988) (traduction libre). 54 Forbes, Challenging the Regional Stereotype, 174. 55 Ibid., 180 (traduction libre). 56 Ibid., 181. 57 Ibid., 178. 58 Ibid., 174-198. 59 Voir, par exemple, Canada, « Discours du Trône ouvrant la première session de la 38e Législature du Canada », 5 octobre 2004. 60 Gordon Osbaldeston a fait ce commentaire lors d’une réunion à laquelle l’auteur assistait en mars 1982. 61 Discours du premier ministre Frank McKenna à la Conférence pour une vision de l’Atlantique, Moncton, 9 octobre 1997, 5 (traduction libre). 62 Roméo LeBlanc m’a fait ce commentaire en 1985. 63 Poitras, Irving vs. Irving, 248. 64 Jeffrey Simpson, « At Last, a Cure for Government Procurement », Globe and Mail, 26 octobre 2011, cité dans Martin Shadwick, « La Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale (SNacN ) et la Marine royale canadienne (mrc ) », Revue militaire canadienne, vol. 12, no 2 (printemps 2012). 65 Poitras, Irving vs. Irving, 287. 66 La Presse canadienne, « Chantier Davie : Québec en a assez de supplier Ottawa, dit Daoust », Le Devoir, 15 mai 2015. 67 Steven Chase, « Tories Begin Talks with Quebec Shipyard to Build Navy Supply Ship », Globe and Mail, 23 juin 2015. 68 Voir, entre autres, Savoie, Se débrouiller par ses propres moyens, 91-94 et 141-143. 69 John Ibbitson, Loyal No More: Ontario’s Struggle for a Separate Destiny (Toronto : Harper Collins, 2001), 5 (traduction libre). 70 Brodie, The Political Economy of Canadian Regionalism, 145 (traduction libre). 71 Cité dans Richard W. Phidd et G. Bruce Doern, The Politics and Management of Canadian Economy Policy (Toronto : Macmillan, 1978), 324 (traduction libre). 72 Donald J. Savoie, Regional Economic Development: Canada’s Search for Solutions (Toronto : University of Toronto Press, 1986).

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Notes des pages 97-103

73 Ibid. 74 Ibid. 75 Canada, Le développement économique du Canada dans les années 80 (Ottawa : Ministère des Finances, 1981). 76 Donald J. Savoie, « Ottawa’s decades-old approach to regional development is creaking under its own weight », Globe and Mail, 29 décembre 2020, A7. 77 Voir, par exemple, Fred McMahon, Fiscal Federalism and the Dependency of Atlantic Canada (Vancouver : Fraser Institute, 2021). 78 Janine Brodie a avancé cet argument dans The Political Economy of Canadian Regionalism, 45. 79 Voir, entre autres, R. Kenneth Carty, Big Tent Politics: The Liberal Party’s Long Mastery of Canada’s Public Life (Vancouver : UBc Press, 2015). 80 Voir, par exemple, Thomas J. Courchene, « A Market Perspective on Regional Disparities », Analyse de politiques, vol. 7, no 4 (automne 1981), 515. 81 « Diane Francis: With more seats than it deserves Atlantic Canada is awash in federal handouts », Financial Post, 30 avril 2021. 82 Cité dans « Campbell: There’s plenty of reason to be hopeful about New Brunswick’s future », Telegraph Journal, 28 août 2021, https://tj.news/ telegraph-journal/101650489 (traduction libre).

c ha P I t r e qU at re 1 Voir, entre autres, Michael J. Sandel, « Populism, liberalism, and democracy », Philosophy and Social Criticism, vol. 44, no 4 (mai 2018), 353-359. 2 Sean Speer et Jamil Jivani, « Pondering populism in Canada », Options politiques, 10 juillet 2017. 3 Voir, par exemple, « L’Alberta et la Saskatchewan entrent dans la Confédération canadienne », s.d., https://www.clo-ocol.gc.ca/fr/ chronologie-evenements/lalberta-et-la-saskatchewan-entrent-dans-laconfederation-canadienne. 4 Bill Waiser, « Teaching the West and Confederation: A Saskatchewan Perspective », The Canadian Historical Review, vol. 98, no 4 (décembre 2017), 760 (traduction libre). 5 Preston Manning, « Are we little or big westerners? », dans Jack M. Mintz, Ted Morton et Tom Flanagan (dir.), Moment of Truth: How to Think About Alberta’s Future (Toronto : Sutherland House, 2020), 1.

Notes des pages 104-108

331

6 Claude Bélanger, « The National Policy and Canadian Federalism » (Montréal : Marianopolis College, avril 2005), http://faculty.marianopolis. edu/c.belanger/quebechistory/federal/npolicy.htm (traduction libre). 7 Robert Craig Brown « Politique nationale », L’Encyclopédie canadienne, 7 février 2006. 8 Voir, par exemple, Joe Martin, « Opinion: A very good thing Sir John A. Macdonald did », Financial Post, 8 juillet 2021. 9 Peter McCormick et David Elton, « The Western Economy and Canadian Unity », Western Perspectives (Calgary : Canada West Foundation, 1987), 9 (traduction libre). 10 T.W. Acheson, « The National Policy and the Industrialization of the Maritimes, 1880-1910 », Acadiensis, vol. 1, no 2 (printemps 1972), 28 (traduction libre). 11 Voir W.L. Morton, The Progressive Party in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1950). 12 Claude Bélanger, « The Powers of Disallowance and Reservation in Canadian Federalism », Studies on the Canadian Constitution and Canadian Federalism (Montréal : Marianopolis College, 19 février 2001), http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/federal/disallow. htm. 13 Ibid. 14 Ibid. 15 Howard Pawley, « Mulroney, Me and the cf -18 », Winnipeg Free Press, 19 mars 2011 (traduction libre). 16 Don Ray, « Western Separatism: Counter-Elite of the Marginalized », dans Chuck Reasons (dir.), Stampede City: Power and Politics in the West (Toronto : Between the Lines, 1984), 146-173. 17 Alan C. Cairns, « The Constitutional, Legal, and Historical Background to the Elections of 1979 and 1980 », dans Douglas E. Williams (dir.), Constitution, Government and Society in Canada: Selected Essays by Alan C. Cairns (Toronto : McClelland and Stewart, 1988), 95 (traduction libre). 18 Shawn Henry, Revisiting western alienation: Towards a better understanding of political alienation and political behaviour in Western Canada (thèse de doctorat, University of Calgary, décembre 2000), 31. 19 Le lecteur consultera Donald V. Smiley et Ronald L. Watts, Intrastate Federalism in Canada vol. 39 (Toronto : University of Toronto Press, Comission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, c 1985).

332

Notes des pages 108-113

20 Alan C. Cairns, From Interstate to Intrastate Federalism in Canada (Kingston : Institute of Intergovernment Relations, Queen’s University, 1979), 1. 21 Donald V. Smiley, « Territorialism and Canadian Political Institutions », Canadian Public Policy/Analyse de politiques, vol. 3, no 4 (automne 1977), 453 (traduction libre). 22 « L’Ouest fustige les maires qui s’opposent au pipeline Énergie Est », Le Devoir, 23 janvier 2016. 23 « Trudeau Warns Against “National Divisions” After Energy East Pipeline Decision », Huffington Post (Canada), 7 octobre 2017. 24 Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, Cracking the Quebec Code: The 7 Keys to Understanding Quebecers (Montréal : Juniper Publishing, 2016), et Derek Abma, « Quebec Sovereignty Could Be Ignited by Pipeline Decision, Pq Win, Says Léger », Hill Times, 17 octobre 2016 (traduction libre). 25 Gary Mason, « Why a Pipeline Could Cost Justin Trudeau the Next Election », Globe and Mail, 13 avril 2018 (traduction libre). 26 « Offre et demande de pétrole », s.d., https://www.rncan.gc.ca/. 27 Daniel Leblanc, « Trudeau Adviser Mathieu Bouchard More Than Just Pmo’s “Quebec Guy” », Globe and Mail, 29 janvier 2016 (traduction libre). 28 Voir John F. Helliwell et Robert N. McRae, « Resolving the Energy Conflict: From the National Energy Program to the Energy Agreements », Canadian Public Policy/Analyse de politiques, vol. 8, no 1 (hiver 1982), 14-23. 29 « Corbella: 40 years later, National Energy Program has lessons to teach today », Calgary Herald, 24 octobre 2020 (traduction libre). 30 Allan Gotlieb, The Washington Diaries 1981-1989 (Toronto : McClelland and Stewart, 2007), 4 et 71 (traduction libre). 31 « The National Energy Program’s bitter aftertaste has lasted 40 years and provided a hard lesson to Ottawa », Toronto Star, 21 novembre 2020 (traduction libre). 32 Voir Steven Chase, « Liberal mP McGuinty Apologizes for Comments; Resigns as Energy Critic », Globe and Mail, 21 novembre 2012, A3 (traduction libre). 33 Kenneth Harold Norrie et Doug Owram, A History of the Canadian Economy, 2e éd. (Toronto : Harcourt Brace, 1996), 419. 34 Voir Tendances récentes dans les industries automobiles canadiennes (Ottawa : Statistique Canada, 20 juin 2013).

Notes des pages 113-116

333

35 Voir Canada, Statistique Canada, « Statistiques principales annuelles pour les industries manufacturières de véhicules automobiles et de pièces pour véhicules automobiles », tableau16-10-0117-02, www150.statcan.gc.ca/ t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1610011702&request_locale=fr. 36 Voir, parmi de nombreux autres, « Project Would Secure about 4,000 Jobs at Plant », Globe and Mail, 8 septembre 2004, B18. 37 Paul Vieira, « Canada Auto-Bailout Funds Issued with Limited Research: Watchdog », Wall Street Journal, 25 novembre 2014 (traduction libre). 38 Greg Keenan, « Canadian Taxpayers Lose $3.5 billion on 2009 Bailout of Auto Firms », Globe and Mail, 7 avril 2015. 39 Cour suprême du Canada, Renvoi relatif à la réforme du Sénat, cSc 32, dossier 35203 (Ottawa, Cour suprême du Canada, 2014). 40 Voir, parmi de nombreux autres, David E. Smith, The Canadian Senate in Bicameral Perspective (Toronto : University of Toronto Press, 2003), 114, et « Canada’s Senate Speaker Pierre Claude Nolin Dies », Toronto Star, 24 avril 2015. 41 Cité dans Serge Joyal (dir.), Protéger la démocratie canadienne : Le Sénat, en vérité (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2003), 20. 42 Janet Ajzenstat, « Le bicaméralisme et les architectes du Canada : les origines du Sénat canadien », dans ibid., 20. 43 Canada, Rapport de la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, vol. 3 (Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1985), 79. 44 « Why the Senate Should Be Abolished », Maclean’s, 8 mars 2013 (traduction libre). 45 David C. Docherty, « The Canadian Senate: Chamber of Sober Reflection or Loony Cousin Best Not Talked About », The Journal of Legislative Studies, vol. 8, no 3 (automne 2002), 27-28 et 38 (traduction libre). 46 David E. Smith, Coming to Terms: An Analysis of the Supreme Court Ruling on the Senate, 2014 (Toronto : Ryerson University, 2014), 7 (traduction libre). 47 Voir, entre autres, « Le poids du Québec et le Sénat », Le Devoir, 12 juin 2013. 48 Derek Ferguson, « A personal and lonely decision – Peterson resigns after loss », Toronto Star, 7 septembre 1990, A9. 49 Roger Gibbins, Regionalism: Territorial Politics in Canada and the United States (Toronto : Butterworths, 1982), 195 (traduction libre). 50 Niles Hansen, Benjamin Higgins et Donald J. Savoie, Regional Policy in a Changing World (New York : Plenum Press, 1990), 195.

334

Notes des pages 117-121

51 Matthew Mendelsohn, « Abolish the Senate? Forget it: Change the Senate? Maybe », Globe and Mail, 24 mai 2013 (traduction libre). 52 Stéphane Dion, « Institutional Reform: The Grass Isn’t Always Greener on the Other Side », dans Hans J. Michelmann, Donald C. Tory et Jeffrey S. Steeves (dir.), Political Leadership and Representation in Canada: Essays in Honour of John C. Courtney (Toronto : University of Toronto Press, 2007), 185 (traduction libre). 53 Robert Schertzer, « Why regional representation on the Supreme Court does (and doesn’t) matter », Options politiques, 17 avril 2016. 54 Ted Morton, « No Statecraft, Questionable Jurisprudence: How the Supreme Court Tried to Kill Senate Reform », The School of Public Policy (spp) Research Papers, vol. 5, no 21 (avril 2015), 8 et 12 (traduction libre). 55 Je pense aux changements que le gouvernement fédéral a apportés au calcul de ses transferts aux gouvernements provinciaux en matière de santé et à sa décision de vendre la Commission canadienne du blé. 56 Jason Markusoff, « The quixotic quest to get elected senators into the red chamber », Maclean’s, 15 juin 2021. 57 Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 Scc 32, 25 avril 2014. 58 Australian Public Service Commission, State of the Service Report 201415 (Canberra : Commonwealth of Australia, 2015), 13. 59 Civil Service Statistics, 2015, www.officefornationalstatistics. 60 Data, Analysis and Documentation, « Federal Civilian Employment by Major Geographic Area », Office of Personnel Management, 2015, www. ons.gov.uk/. 61 Donald J. Savoie, Whatever Happened to the Music Teacher (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2013), 201. 62 Le gouvernement fédéral a plusieurs façons de déterminer la taille de la fonction publique fédérale. D’abord, il y a l’administration publique centrale, y compris des employés séparés qui travaillent pour le Conseil du Trésor, puis il y a la fonction publique au sens large, qui comprend les sociétés d’État, le personnel militaire et d’autres entités qui ne figurent pas aux annexes I, IV et V de la Loi sur la gestion des finances publiques. 63 « Tendances de l’emploi dans l’administration publique centrale : un profil selon la région » (Ottawa, Statistique Canada), www.statcan.gc.ca, et « Effectif de la fonction publique fédérale par province et période d’emploi », s.d., https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor.html. 64 Voir, entre autres, Donald J. Savoie, Governing from the Centre: The Concentration of Power in Canadian Politics (Toronto : University of Toronto Press, 1999).

Notes des pages 121-128

335

65 Donald J. Savoie, La démocratie au Canada : l’effritement de nos institutions (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2019), chap. 12 et 13. 66 Dale Eisler, « Anxiety and Anger on the Prairies: The Challenge to Federalism » (Regina : Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy, 2019). 67 Royal Commission on Renewing and Strengthening Our Place in Canada, rapport préparé par Pollara Inc., mars 2003, 475. 68 « Albertans reject equalization payments and permanent daylight time in referendum », Globe and Mail, 26 octobre 2021. 69 Voir Herman Bakvis, Regional Ministers: Power and Influence in the Canadian Cabinet (Toronto : University of Toronto Press, 1991). 70 « Le premier ministre présente le nouveau Conseil des ministres », 20 novembre 2019, www.pm.gc.ca. 71 Voir « Joe Oliver: Liberals just don’t get it when it comes to Alberta », Financial Post, 28 juillet 2021. 72 Ibid. 73 Jonathan Montpetit, « Quebec nixes LNG plant that would have carried Western Canadian natural gas to markets overseas », cbc News, 21 juillet 2021. 74 Mintz, Morton et Flanagan, Moment of Truth, 43 (traduction libre). 75 Mintz, Morton et Flanagan, Moment of Truth. 76 Northrop Frye, The Bush Garden: Essays on the Canadian Imagination (Toronto : Anansi, 1971). 77 Voir, entre autres, Cairns, From Interstate to Intrastate Federalism in Canada. 78 Voir, entre autres, Mintz, Morton et Flanagan, Moment of Truth, chap. 2, 11 et 13. 79 Le premier ministre de l’Ontario Dalton McGuinty a décrit l’Ontario comme étant « l’oie qui pond des œufs d’or ». Voir, par exemple, Assemblée législative de l’Ontario, Journal des débats (Hansard), 17 février 2005, 3.

c ha P It r e cI N q 1 Bruce G. Wilson, « Loyalistes au Canada », L’Encyclopédie canadienne, 2 avril 2009. 2 Alan Taylor, « The Late Loyalists: Northern Reflections of the Early American Republic », Journal of the Early Republic, vol. 27, no 1 (printemps 2007), 2 (traduction libre). 3 Lettre de John Graves Simcoe au duc de Portland, 22 janvier 1795, dans Ernest Alexander Cruikshank (dir.), The Correspondence of Lieut. Governor John Graves Simcoe, With Allied Documents Relating to His

336

4 5 6

7 8 9 10 11 12 13 14

15 16 17 18 19 20 21

22 23

Notes des pages 128-133

Administration of the Government of Upper Canada, 5 vol. (Toronto : Ontario Historical Society, 1923) (traduction libre). Taylor, « The Late Loyalists », 6. Ibid., 21 et 22 (traduction libre). Cité dans Alexander Cain, « The Loyalist Refugee Experience in Canada », Journal of the American Revolution, 26 janvier 2015 (traduction libre). Desmond Morton, A Short History of Canada (Toronto : McClelland and Stewart, 2001), 65 (traduction libre). W.S. MacNutt, « The Loyalists: A Sympathetic View », Acadiensis, vol. 6, no 1 (automne 1976), 9 (traduction libre). Walter Stewart, True Blue: The Loyalist Legend (Toronto : Collins, 1985), 6 (traduction libre). Citée dans Ann Mackenzie, « A Short History of the United Empire Loyalists », s.d., polycopie, 3 (traduction libre). J.M.S. Careless, Canada: A Story of Challenge, 2e éd. (Cambridge : Cambridge University Press, 2012), 113. W.G. Shelton, « The United Empire Loyalists: A Reconsideration », Dalhousie Review, vol. 45, no 1 (1965), 6 (traduction libre). Ibid., 10. Maya Jasanoff, « The Other Side of Revolution: Loyalists in the British Empire », The William and Mary Quarterly, vol. 65, no 2 (avril 2008), 206 (traduction libre). David Mills, « Family Compact », L’Encyclopédie canadienne, 7 février 2006. Alexander Brady, « The Meaning of Canadian Nationalism », International Journal, vol. 19, no 3 (été 1964), 353 (traduction libre). Cité dans ibid., 352 (traduction libre). J’ai assisté à une séance d’information à Ottawa le 28 novembre 1989, où l’on a exposé le projet en détail. « Beatty Baffled by Millions in Bear Head Lobby Fees », Toronto Star, 29 avril 2009 (traduction libre). Elizabeth Thompson, « Mulroney Didn’t Promote Bear Head, Exec Testifies », The Whig.com, 22 avril 2009 (traduction libre). Steven Chase, « Ottawa Aims to Keep Lid on Details of Saudi Arms Deal », Globe and Mail, 27 mai 2015, et Steven Chase, « Canada’s Arms Deal with Saudi Arabia Shrouded in Secrecy », Globe and Mail, 21 janvier 2015. Steven Chase, « Foreign Affairs Found No Red Flags for Israel in Saudi Arms Deal », Globe and Mail, 27 août 2015 (traduction libre). Steven Chase, « Amnesty wants Ottawa to reveal details of $15-billion Saudi arms deal », Globe and Mail, 29 mai 2015 (traduction libre).

Notes des pages 133-139

337

24 Steven Chase, « Critics Push Ottawa to Explain Justification for Saudi Arms Deal », Globe and Mail, 5 janvier 2016 (traduction libre). 25 Ibid. 26 Richard Blackwell, « London, Ont. defends Saudi arms deal as integral to region’s economy », Globe and Mail, 7 janvier 2016 (traduction libre). 27 Steven Chase, « Liberals committed to Saudi arms deal even after concerning UN report, Dion says », Globe and Mail, 28 janvier 2016. 28 Steven Chase, « Liberals distance themselves from Saudi arms deal but won’t block it », Globe and Mail, 18 février 2016. 29 Steven Chase, « Saudi arms deal exempt from global treaty, Ottawa says », Globe and Mail, 9 février 2016. 30 Steven Chase, « The Big Deal », Globe and Mail, 4 février 2016 (traduction libre). 31 Steven Chase, « Cancelling Saudi Arms Deal Would Have No Effect on Human Rights: Dion », Globe and Mail, 29 mars 2016. 32 Voir, entre autres, « Canada doubles weapons sales to Saudi Arabia despite moratorium », The Guardian, 9 juin 2020. 33 « Canada urged to stop fueling war in Yemen with Saudi arms sales, UN report says », Globe and Mail, 8 septembre 2021. 34 Cité dans « Rich and Poor Provinces Split », Globe and Mail, 26 octobre 2004 (traduction libre). 35 Erich Hartmann, Jordann Thirgood et Andrew Thies, A Fair Fiscal Deal: Towards a more principled allocation of federal transfers (Toronto : Munk School of Global Affairs and Public Policy, 2018). 36 Richard Saillant, Deux pays : le Canada à l’ère du Grand Déséquilibre démographique (Halifax : Nimbus, 2016). 37 « Health transfer data shows Alberta wins at other provinces’ expense, » Global News, 21 mars 2012. 38 Cité dans « covId -Zero: Why Atlantic Canada excels at slowing the spread of covId -19 », National Post, 1er mai 2021 (traduction libre). 39 « Doug Ford’s muddled response to pandemic mirrors Ontario’s own confusion », Toronto Star, 8 avril 2021 (traduction libre). 40 Voir, par exemple, « Majority of Ontarians feel Doug Ford has failed pandemic response, poll finds », City News, 9 avril 2021. 41 « Should Canada divert vaccines from regions with low covId -19 levels to hot spots? », cbc News, 30 janvier 2021 (traduction libre). 42 Sheila Copps, « We should have had a national rollout vaccine strategy », Hill Times, 26 avril 2021, 10. 43 « NS won’t divert vaccines to Ontario but could help in other ways », The Coast, 16 avril 2021 (traduction libre).

338

Notes des pages 139-144

44 « covId -19: Military, Red Cross being sent to Ontario’s hospitals after provincial request for help », Global News, 26 avril 2021. 45 Voir, par exemple, Donald E. Abelson et Michael Lusztig, « The Consistency of Inconsistency: Tracing Ontario’s Opposition to the North American Free Trade Agreement », Revue canadienne de science politique, vol. 29, no 4 (décembre 1996), 681-698. 46 « U.S. targets autos with Nafta demands », Globe and Mail, 13 octobre 2017 (traduction libre). 47 John Turner, cité dans John Duffy, Fights of Our Lives: Elections, Leadership and the Making of Canada (Toronto : HarperCollins, 2002), 58 (traduction libre). 48 Brady, « The Meaning of Canadian Nationalism », 351 (traduction libre). 49 Alexander Brady, « National and International », University of Toronto Quarterly, vol. 36, no 4 (juillet 1968), 471 (traduction libre). 50 Voir, par exemple, « U.S. Image Up Slightly But Still Negative », Pew Research Center, 23 juin 2005. 51 J.L. Granatstein, Yankee, Go Home? Canadians and Anti-Americanism (Toronto : HarperCollins Canada, 1997). 52 Phillip Buckner, « How Canadian Historians Stopped Worrying and Learned to Love the Americans », Acadiensis, vol. 25, no 2 (printemps 1996), 117. 53 George Grant, Lament For A Nation: The Defeat of Canadian Nationalism (Toronto : McClelland and Stewart, 1965). 54 Phillip Buckner, « “Limited Identities” Revisited: Regionalism and Nationalism in Canadian History », Acadiensis, vol. 30, no 1 (automne 2000), 4-15 (traduction libre). 55 Doug Owram, « Intellectual History in the Land of Limited Identities », Revue d’études canadiennes, vol. 24, no 3 (automne 1989), 122 (traduction libre). 56 Buckner, « “Limited Identities” Revisited », 11. 57 Voir, par exemple, John H. Sigler et Dennis Goresky, « Public Opinion on United States-Canadian Relations », International Organization, vol. 28, no 4 (1974), 647. 58 Barry J. O’Sullivan, « Canada’s Foreign Investment Review Act Revisited », Fordham International Law Journal, vol. 4, no 1 (1980), 175-198, et « Invest Nova Scotia », s.d., https://novascotia.ca/ invest-nova-scotia/. 59 Lydia Miljan et Barry Cooper, The Canadian Garrison Mentality and Anti-Americanism at the cbc (Vancouver : Fraser Institute, 2005), 1 (traduction libre).

Notes des pages 144-152

339

60 Albert J. Kennedy, « The Provincials », Acadiensis, vol. 4, no 2 (printemps 1975), 85 (traduction libre). 61 Ibid. et Canada, The Maritime Provinces Since Confederation (Ottawa : Bureau fédéral de la statistique, 1927), 32. 62 Kennedy, « The Provincials », 86. 63 Voir, par exemple, Stephen J. Hornsby et John G. Reid (dir.), New England and the Maritime Provinces: Connections and Comparisons (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2006). 64 Gouvernement de l’Alberta, « Country and regional relations », s.d., https://www.alberta.ca/country-regional-relations.aspx (traduction libre). 65 Charles F. Doran et James Patrick Sewell, « Anti-Americanism in Canada? », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 497 (mai 1988), 105-119 (traduction libre). 66 J.J. McCullough, « Opinion: Canadian anti-Americanism remains toxic – and Americans are helping », The Washington Post, 21 mai 2020 (traduction libre). 67 Richard Gwyn, The World’s First Anti-Americans: Canada as the Canary in the Global Mine (Toronto : Munk Centre, 2008), 8 (traduction libre). 68 Ibid., 12 (traduction libre). 69 Gwyn, The World’s First Anti-Americans, 1 (traduction libre). 70 Voir, par exemple, Samuel E. Moffett, The Americanization of Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1972). 71 William M. Baker, « The Anti-American Ingredient in Canadian History », The Dalhousie Review, vol. 53, no 1 (1993), 71. 72 Ibid. (traduction libre). 73 Granatstein, Yankee, Go Home?

c h aP I t r e S I x 1 Voir, parmi de nombreux autres, Suzanne Methot, Legacy: Trauma, Story, and Indigenous Healing (Toronto : ecw Press, 2019), et Ken Coates, #IdleNoMore: and the Remaking of Canada (Regina : University of Regina Press, 2015). 2 René R. Gadacz, « Premières Nations », L’Encyclopédie canadienne, 7 février 2006, dernière modification 25 février 2022. 3 Ronald Labelle, « Native Witchcraft Beliefs in Acadian, Maritime and Newfoundland Folklore », Ethnologies, vol. 30, no 2 (2008), 138. 4 Aaron Hutchins, « Few Canadians ever set foot on a First Nations reserve, and that’s a problem », 8 juin 2018, www.macleans.ca.

340

Notes des pages 153-158

5 Richard Wagamese, Jeu blanc, traduit de l’anglais par Christine Raguet (Carouge, Zoé, 2017). 6 Canada, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 1 : Un passé, un avenir (Ottawa : Commission royale sur les peuples autochtones, 1996), 762-763. 7 Comment en sommes-nous arrivés là? Un regard franc et concis sur l’histoire de la relation entre les peuples autochtones et le Canada (Ottawa : Rapport provisoire du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, avril 2019), 11 et 12. 8 Voir, par exemple, « Building a National Identity », dans John Douglas Belshaw, Canadian History: Post-Confederation, s.d., https://opentextbc. ca/postconfederation/chapter/12-6-building-a-national-identity/. 9 Voir, entre autres, James Tully, « Aboriginal Property and Western Theory », dans Ellen Frankel Paul, Fred D. Miller Jr. et Jeffrey Paul (dir.), Property Rights (Cambridge : Cambridge University Press, 1995). 10 Voir, entre autres, James Daschuk, Clearing the Plains: Disease, Politics of Starvation, and the Loss of Aboriginal Life (Regina : University of Regina Press, 2013). 11 Cité dans Lawrence Martin, « Why is America’s history in dealing with Indigenous peoples held in a harsher light than Canada’s? », Globe and Mail, 7 juillet 2021 (traduction libre). 12 Canada, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 1, 8. 13 Michael Tutton, « For Acadian fisherman, early Mi’kmaq fishery in N.S. bay can never be respected », ctv News-Atlantic, 22 octobre 2020. 14 John L. Tobias, « Protection, Civilization, Assimilation: An Outline History of Canada’s Indian Policy », dans Ian A.L. Getty et Antoine S. Lussier (dir.), As Long As the Sun Shines and Water Flows: A Reader in Canadian Native Studies (Vancouver : UBc Press, 1983), 39. 15 Andrew McIntosh, P.B. Waite et Ged Martin, « Conférence de Charlottetown », L’Encyclopédie canadienne, 2 septembre 2010. 16 Martha Elizabeth Walls, « Confederation and Maritime First Nations », Acadiensis, vol. 46, no 2 (été/automne 2017), 155-176. 17 Don McCaskill, « Native People and the Justice System », dans Getty et Lussier (dir.), As Long As the Sun Shines and Water Flows, 289 (traduction libre). 18 Cité dans « Here is what Sir John A. Macdonald did to indigenous people », National Post, 28 août 2018 (traduction libre). 19 Canada, Débats de la Chambre des communes, 4e Législature, 4e session, vol. 1, 27 avril 1882, 1264.

Notes des pages 158-163

341

20 Ibid., 1264-1265. 21 Au lecteur qui souhaite consulter une étude concise mais éloquente au sujet de la Loi sur les Indiens, je suggère Bob Joseph, 21 Things You May Not Know About the Indian Act: Helping Canadians Make Reconciliation with Indigenous Peoples a Reality (Port Coquitlam : Indigenous Relations Press, 2018). 22 Harvey A. McCue, « Réserves », L’Encyclopédie du Canada, 31 mai 2011. 23 Canada, ministère de l’Intérieur, « Rapport annuel pour l’année expirée le 30 juin 1876 », Parlement, Documents de la Session, no 11 (1877), xvii. 24 J’invite les lecteurs à consulter un rapport préparé par John Giokas, The Indian Act: Evolution, Overview and Options For Amendment and Transition, Ottawa, 22 mars 1995, polycopie. 25 Lesley A. Jacobs, Portrait de la conscience juridique des électeurs des Premières nations : comprendre l’exercice du droit de vote (Ottawa : Élections Canada, 2009), 18. 26 Canada, Affaires autochtones et du Nord Canada, « Une histoire des Affaires indiennes et du Nord Canada », s.d., publications.gc.ca/ collections/collection_2016/aanc-inac/R5-128-2011-fra.pdf. 27 John Millroy, Indian Act Colonialism: A Century of Dishonour, 18691969, Research Paper for the National Centre for First Nations Governance, May, 2008, 8 (traduction libre). 28 E.B. Titley, A Narrow Vision: Duncan Campbell Scott and the Administration of Indian Affairs in Canada (Vancouver : UBc Press, 1986). 29 Cité dans « L’histoire des pensionnats indiens du Canada », dans Atlas des peuples autochtones du Canada, vol. 1 (Ottawa : Société géographique royale du Canada, 2018), 62. 30 Canada, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 1, 40. 31 Don McCaskill, « Native People and the Justice System », dans Getty et Lussier (dir.), As Long As the Sun Shines and Water Flows, 291. 32 Pensionnats du Canada : rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, vol. 1, partie 1 (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2015), 5. 33 Sean Fine, « Chief Justice says Canada attempted “cultural genocide” on aboriginals, Globe and Mail, 28 mai 2015. 34 Cité dans Andrew Coyne, « The shame of residential schools must be worn by us all – not just historical figures », Globe and Mail, 4 juin 2021, A7 (traduction libre).

342

Notes des pages 163-169

35 Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (Ottawa : Commission de vérité et de réconciliation du Canada, 2015), 1. 36 Canada, « Le premier ministre Harper présente des excuses complètes au nom des Canadiens relativement aux pensionnats indiens », Cabinet du Premier ministre, 11 juin 2008, https://www.canada.ca/fr/nouvelles/archive/2008/06/. 37 Holly Honderich, « Why Canada is mourning the deaths of hundreds of children », bbc News, 15 juillet 2021, https://www.bbc.com/news/ world-us-canada-57325653. 38 Courtney Dickson et Bridgette Watson, « Remains of 215 children found buried at former B.c. residential school, First Nation says », 29 mai 2021, www.cbc.ca (traduction libre). 39 Réclamer notre pouvoir et notre place, vol. 1a (Ottawa : Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, 2019), https://www.mmiwg-ffada.ca/fr/final-report/. 40 Donald Kerr et Deryck Holdsworth (dir.), Atlas historique du Canada, vol. III : Jusqu’au cœur du XXe siècle, 1891-1961 (Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 1990). 41 Loi sur les Indiens, l.r.c. (1985), ch. I-5. 42 Rapport annuel au Parlement 2020 (Ottawa : Services aux Autochtones Canada, 2020), https://www.sac-isc.gc.ca/fra/1602010609492/160201063 1711. 43 Randy Boswell, « Time to acknowledge evidence: Parliament Hill sits on Indigenous territory », iPolitics, 9 novembre 2018, https://ipolitics. ca/2018/11/09/time-to-acknowledge-evidence-parliament-hill-sits-onindigenous-territory/. 44 Mary Beth Doucette et Fred Wien, « How Does First Nation Social and Economic Development Contribute to the Surrounding Region? A Case Study of Membertou », 26 octobre 2021, polycopie, 13 (traduction libre). 45 Greg Mercer, « Membertou’s moment: How a Mi’kmaq nation found prosperity and a seafood empire », Globe and Mail, 10 janvier 2021. 46 Doucette et Wien, « How Does First Nation Social and Economic Development Contribute to the Surrounding Region? A Case Study of Membertou », 11-12. 47 Voir https://membertou.ca/community/, s.d. 48 Fred Wien, Membertou Profile, document préparé pour le Conference Board du Canada, 17 avril 2005, polycopie. 49 Kory Wilson, Pulling Together: Foundations Guide (Vancouver : Pressbooks, s.d.), 51.

Notes des pages 169-171

343

50 Ibid., 54. 51 Équipe de rédaction, « Since 1977, Ottawa has spent billions trying – and failing – to bring clean water to every reserve », Globe and Mail, 5 mars 2021, A6. 52 Canada, « Lever les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable », Services aux Autochtones Canada, mis à jour le 21 mars 2022, https://www.sac-isc.gc.ca/fra/1506514143353/1533317130660. 53 Jody Wilson-Raybould, « When it comes to Indigenous reconciliation, the Liberals have not kept their promises », Globe and Mail, 14 septembre 2021 (traduction libre). 54 Voir, par exemple, Jake MacDonald, « How a B.c. native band went from poverty to prosperity », Globe and Mail, 29 mai 2014. 55 Gregory C. Mason, « Charting an economic path forward for First Nations », The Conversation, 9 juillet 2019. 56 Voir, par exemple, Rapport d’étape sur l’évolution de l’économie des Autochtones, 2019 (Gatineau : Conseil national de développement économique des Autochtones, 2019). 57 Voir, parmi de nombreux autres, « Les Autochtones vivant en milieu urbain : Vulnérabilités aux répercussions socioéconomiques de la covId 19 », Statistique Canada, 26 mai 2020, https://www150.statcan.gc.ca/n1/ pub/45-28-0001/2020001/article/00023-fra.htm. 58 Assemblée des Premières Nations, « Fiche de renseignements : Qualité de vie des Premières Nations », juin 2011. 59 Voir, par exemple, Rapport annuel au Parlement, 2020, première partie (Ottawa : Services aux Autochtones Canada, 2020). 60 « 11 Challenges for Indigenous Businesses », Indigenous Corporate Training Inc., 15 mai 2017, https://www.ictinc.ca/blog/11-challenges-forindigenous-businesses. 61 « Histoires de réussite : développement économique », Services aux Autochtones Canada, s.d., https://www.sac-isc.gc.ca/fra/1307014211008/ 1611867756194. 62 Rodney Nelson, « Beyond Dependency: Economic Development, Capacity Building, and Generational Sustainability for Indigenous People in Canada », The Journal of Environment & Development (juillet-septembre 2019), 1 (traduction libre). 63 Pour une liste plus complète, voir « Développement commercial et économique pour les Autochtones », s.d, https://www.canada.ca/fr/ services/autochtones/developpement-commercial-economiqueautochtones.html.

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Notes des pages 171-176

64 Voir, par exemple, Canada, Rapport 5, Les écarts socio-économiques dans les réserves des Premières Nations – Services aux Autochtones Canada (Ottawa : Bureau du vérificateur général du Canada, 2018, Printemps 2018 – Rapports du vérificateur général du Canada). 65 Voir notamment « Évaluation sommative des programmes de développement économique d’aINc  », s.d., https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/110 0100011504/1542996564042. 66 Cour suprême du Canada, R. c. Marshall, [1999] 3 r.c.S. 456. 67 Canada, « Notre réponse aux décisions Marshall », Pêches et Océans Canada, s.d., https://www.dfo-mpo.gc.ca/publications/fisheries-peches/ marshall-1999-fra.html. 68 Ken Coates, The Marshall Decision at 20 (Ottawa : Macdonald-Laurier Institute, octobre 2019), 6-7 (traduction libre). 69 Ken Coates, cité dans Hutchins, « Few Canadians ever set foot on a First Nations reserve, and that’s a problem » (traduction libre). 70 Aaron Hutchins, « On First Nations issues, there’s a giant gap between Trudeau’s rhetoric and what Canadians really think: exclusive poll », Maclean’s, 7 juin 2018. 71 « Truths of reconciliation: Canadians are deeply divided on how best to address Indigenous issues », Angus Reid Institute, 6 juin 2018, http:// angusreid.org/wp-content/uploads/2018/06/2018.04.23_indigenous_ fullreport.pdf. 72 Canadian Public Opinion on Aboriginal Peoples (Toronto : Environics, 2016), 11. 73 Donald J. Savoie, « Resolving Nova Scotia’s fishery conflict will require inviting both sides to the negotiating table », Globe and Mail, 19 octobre 2020. 74 Cité dans Donald J. Savoie, Aboriginal Economic Development in New Brunswick (Moncton : Institut canadien de recherche sur le développement régional, 2000), 119. 75 « Allocution du premier ministre à la Chambre des communes sur l’héritage tragique des pensionnats autochtones », Bureau du Premier ministre, 1er juin 2021, https://pm.gc.ca/fr/nouvelles/discours/2021/06/01/. 76 Chris Googoo, Catherine Morton et Fred Wien, « Honouring Entrepreneurial Resilience: Atlantic Region Lifetime Achievers », polycopie, 1. Fred Wein m’a transmis le document le 26 octobre 2021.

Notes des pages 177-183

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c h aP It r e S e P t 1 Voir la figure « Femmes, hommes et non déclarés (en date du 21 septembre 2020) », Rapport à la communauté 2019-2020, Moncton, Université de Moncton. 2 D’après des données du National Student Clearinghouse, telles que rapportées dans le Wall Street Journal, 6 septembre 2021, https://www. wsj.com/articles/college-university-fall-higher-education-men-womenenrollment-admissions-back-to-school-11630948233. 3 Voir, par exemple, Michael Kimmel, Angry White Men (New York : Bold Type Books, 2017). 4 Gouvernement du Canada, « Loi sur l’équité en matière d’emploi (l.c. 1995, ch. 44) », Site Web de la législation, https://laws-lois.justice.gc.ca/ fra/lois/e-5.401/. 5 Canada, Loi sur l’équité en matière d’emploi : rapport annuel de 2019 (Ottawa : Emploi et Développement social, 2020), 61. 6 Canada, L’équité en matière d’emploi dans la fonction publique du Canada, 2019-2020 (Ottawa : Conseil du Trésor du Canada, 2021), 1. 7 Ibid., 2-3. 8 Ibid., 7. 9 Ibid., 11. 10 Ibid., 14. 11 Ibid., 17. 12 Voir Emploi et Développement Canada, « Le gouvernement du Canada lance un groupe de travail qui révisera la Loi sur l’équité en matière d’emploi », communiqué, 14 juillet 2021. 13 Voir, entre autres, Canada, Au-delà des apparences, vol. 1, 2 et 3 (Ottawa : Ministère des Approvisionnements et Services, 1990). 14 Voir Canada, « Aperçu démographique de la fonction publique, 2018 », https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/innovation/ statistiques-ressources-humaines/apercu-demographique-fonctionpublique-federale-2018.html. 15 Canada, « Aperçu démographique de la fonction publique du Canada, 2019 », https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/ innovation/statistiques-ressources-humaines/apercu-demographiquefonction-publique-federale-2019.html, et Canada, « L’équité en matière d’emploi dans la fonction publique du Canada, exercice 2019 à 2020 », https://www.canada.ca/fr/gouvernement/fonctionpublique/

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Notes des pages 183-188

mieux-etre-inclusion-diversite-fonction-publique/diversite-equite-matiere-emploi/equite-emploi-rapports-annuel/equite-emploi-fonction-publiquecanada-2019-2020.html. « Why nations that fail women fail? », The Economist, 11 septembre 2021 (traduction libre), https://www.economist.com/leaders/2021/09/11/ why-nations-that-fail-women-fail. Tufts University, « Women in leadership: research on barriers to employment and decent work for women. Literature review », 16 janvier 2013, https://www.ilo.org/jakarta/whatwedo/publications/WCMS_ 215007/lang--en/index.htm. « L’équité en matière d’emploi dans la fonction publique du Canada », Bibliothèque du Parlement, 13 août 2020, https://notesdelacolline. ca/2020/08/13/lequite-en-matiere-demploi-dans-la-fonction-publiquefederale-du-canada/. « Statistiques sur les langues officielles au Canada », 26 novembre 2019, https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/languesofficielles-bilinguisme/publications/statistique.html. James Ross Hurley, Faits saillants de l’histoire de la fonction publique, 18 janvier 2021, https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/services/faitssaillants-histoire-fonction-publique.html. « Minorité visible de la personne », 1er novembre 2021, https://www23. statcan.gc.ca/imdb/p3Var_f.pl?Function=DEC&Id=45152. « Diversité de la population noire au Canada : un aperçu », 27 février 2019, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-657-x/89-657-x2019002fra.htm, et « Le Mois de l’histoire des Noirs... en chiffres », 2022, https:// www.statcan.gc.ca/fr/dai/smr08/2022/smr08_259. « Répartition des employés de la fonction publique du Canada par sousgroupe désigné et catégorie professionnelle – Membres des minorités visibles (en date du 31 mars 2020) », https://www.canada.ca/fr/ secretariat-conseil-tresor/services/innovation/statistiques-ressourceshumaines/statistiques-diversite-inclusion/repartition-employes-fonctionpublique-canada-sous-groupe-designe-categorie-professionnellecmnorites-visibles.html. Cité dans Marcel Trudel, L’esclavage au Canada (Québec : Presses universitaires de Laval, 1960), 22. Matthew McRae, « L’esclavage dans l’histoire canadienne », Musée canadien pour les droits de la personne, s.d., https://droitsdelapersonne.ca/ histoire/lesclavage-dans-lhistoire-canadienne. « L’histoire des Noirs au Canada », Bibliothèque et Archives Canada, 3 février 2021, https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/immigration/ histoire-ethniques-culturels/Pages/noirs.aspx.

Notes des pages 188-193

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27 Ibid. 28 Ibid. 29 W.A. Spray, The Blacks in New Brunswick (Fredericton : Brunswick Press, 1972). 30 W.S. MacNutt, New Brunswick: A History (Toronto : Macmillan, 1963), 83. 31 Harvey A. Whitfield, « The Development of Black Refugee Identity in Nova Scotia: 1813-1850 », Left History, vol. 10, no 2 (automne 2005), 16. 32 MacNutt, New Brunswick, 84. 33 Barry Cahill, « The Black Loyalist Myth in Atlantic Canada », Acadiensis, vol. 29, no 1 (automne 1999), 82 (traduction libre). 34 Voir, entre autres, George Elliott Clarke, « White Niggers, Black Slaves: Slavery, Race and Class in T.C. Haliburton’s The Clockmaker », Nova Scotia Historical Review, vol. 14, no 1 (juin 1994), 13-40. 35 Voir, par exemple, Oklahoma Historical Society, https://www.okhistory. org/publications/enc/entry.php?entry=LY001. 36 Eli Yarhi, « Décret C.P. 1911-1324, la proposition d’interdiction de l’immigration noire au Canada », L’Encyclopédie canadienne, 30 septembre 2016. 37 Voir, par exemple, Sheila Block, Grace-Edward Galabuzi et Ricardo Tranjan, Canada’s Colour Coded Income Inequality (Ottawa : Centre canadien de politiques alternatives, 2019). 38 Pour un excellent portrait de la situation socioéconomique des peuples autochtones, voir Rapport d’étape de 2019 sur l’évolution de l’économie des Autochtones (Gatineau : Conseil national de développement économique des Autochtones, 2019). 39 « Nearly 50 per cent of Indigenous children in Canada live in poverty, study says », Globe and Mail, 9 juillet 2019. 40 Voir Constance Backhouse, Colour-Coded: A Legal History of Racism in Canada, 1900-1950 (Toronto : University of Toronto Press, 1999). 41 Voir, par exemple, Craig W. Blatz, Karina Schumann et Michael Ross, « Government Apologies for Historical Injustices », Political Psychology, vol. 30, no 2 (2009), 219-241. 42 Aidan Cox, « Incidents of Islamophobia on the rise, says president of Moncton Muslim Association », cbc News, 3 septembre 2021. 43 « Indian found murdered in Canada’s Nova Scotia; friends suspect racial crime, police treat it as homicide », Financial Express, 9 septembre 2021. 44 Ian Austen, « Truck Attack That Killed A Muslim Family in Canada Was Planned », New York Times, 22 juin 2021 (traduction libre).

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Notes des pages 193-199

45 Stephanie Liu, « Reports of Anti-Asian hate crimes are surging in Canada during the covId -19 pandemic », ctv News, 17 mars 2021. 46 Voir, par exemple, Michael Baker et Dwayne Benjamin, « The Receipt of Transfer Payments by Immigrants to Canada », The Journal of Human Resources, vol. 30, no 4 (automne 1995), 650-676. 47 Voir, par exemple, « L’immigration, ça compte pour les soins de santé », s.d., https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/ campagnes/immigration-ca-compte/assurer-croissance-canada/sante.html. 48 Ibid. 49 Banque de développement du Canada, Un monde d’entrepreneurs : le nouveau visage de l’entrepreneuriat au Canada (Ottawa : Banque de développement du Canada), 9. 50 « Jorge Fernandez : “Le Canada nous a ouvert tellement de portes” », RDS, 9 septembre 2021.

c ha P I t r e hU It 1 Voir Donald J. Savoie, « Merci de nous avoir choisis » : K.C. Irving, Arthur Irving et l’histoire d’Irving Oil (Halifax : Nimbus, 2020). 2 « covId -19 : Soutien financier aux personnes, entreprises et organismes », Gouvernement du Canada, s.d., https://www.canada.ca/fr/ ministere-finances/plan-intervention-economique.html#particuliers. 3 Ibid. 4 Vanmala Subramaniam, « Wealthy hedge funds, money managers received Canada Emergency Wage Subsidy », Globe and Mail, 10 mai 2021, https://www.theglobeandmail.com/business/article-wealthy-hedgefunds-money-managers-received-canada-emergency-wage/ (traduction libre). 5 Ibid. 6 Au sujet du manque constant de ressources de la fonction publique, voir, parmi de nombreux autres, « Federal leaders spar on climate change, reconciliation, and covId -19 recovery in final televised debate », Hill Times, 9 septembre 2021, https://www.hilltimes.com/2021/09/16/ legislative-change-needed-on-access-to-information-but-overheatedrhetoric-doesnt-help-says-wernick/316246, et au sujet de la rémunération des fonctionnaires, voir une étude du Secrétariat du Conseil du Trésor : https://www.tbs-sct.gc.ca/report/orp/2007/er-ed/vol1/vol102-fra.asp. 7 Marlene Leung, « Private sector workers earn less, work more: report », ctv News, 23 mars 2015.

Notes des pages 200-205

349

8 Anthony B. Chan, « Sino-Canadiens », L’Encyclopédie canadienne, 22 mai 2019. 9 Ibid. et Report of the Royal Commission on Chinese and Japanese Immigration (Ottawa : S.E. Dawson, imprimeur de Sa Très Excellente Majesté le Roi, 1902). 10 Ann Sunahara, « Canadiens d’origine japonaise », L’Encyclopédie canadienne, 31 janvier 2011. 11 Débats de la Chambre des communes, 2e session, 33e Législature, vol. XV, 22 septembre 1988, 19499. 12 Marc Montgomery, « History Sept. 22, 1988: apology to JapaneseCanadians of WWII », Radio-Canada International, 22 septembre 2016, https://www.rcinet.ca/en/2016/09/22/history-sept-22-1988-apologyto-japanese-canadians-of-wwii/. 13 « Le premier ministre Harper offre des excuses aux Chinoises et aux Chinois », communiqué, Gouvernement du Canada, 22 juin 2006. 14 Voir, par exemple, « Canadiens remarquables d’ascendance asiatique – Mois du patrimoine asiatique », Gouvernement du Canada, Patrimoine canadien, s.d. 15 Statistique Canada, « Aperçu du marché du travail des Canadiens d’origine sud-asiatique, chinoise et philippine durant la pandémie », 21 mai 2021. 16 Statistique Canada, « Mobilité intergénérationnelle au chapitre de la scolarité et résultats sur le marché du travail : variation parmi la deuxième génération d’immigrants au Canada », 18 février 2019. 17 « Firefighters, nurses, farmers respected most by Canadians, social media owners the least: poll », Financial Post, 26 mai 2021. 18 Howard R. Wilson, « The Constantly Rising Ethics Bar », cité dans Revue parlementaire canadienne, vol. 28, no 1 (printemps 2005), 13. 19 John Ibbitson, « Suspicion Fuels Deep Scrutiny of Politicians », Globe and Mail, 10 mai 2006, A4 (traduction libre). 20 Neil Nevitte, The Decline of Deference: Canadian Value Change in Cross National Perspective (Peterborough : Broadview Press, 1996). 21 Shannon Proudfoot, « Why would anyone hate Catherine McKenna? », Maclean’s, 4 novembre 2019. 22 Voir, par exemple, Cédric Thévenin, « Les politiciens doivent avoir la couenne dure à l’heure des médias sociaux », L’Acadie Nouvelle, 4 août 2021. 23 Gary Mason, « Politics has become a thankless, dangerous job », Globe and Mail, 19 octobre 2021 (traduction libre).

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Notes des pages 205-213

24 « Bagehot – Get Stuffed », The Economist, 22 juillet 2017, 46 (traduction libre). 25 Brad Lavigne, « The Whole New Ballgame of Social Media », Policy, vol. 3, no 1 (janvier-février 2015) (traduction libre). 26 Taylor Owen, « Is Facebook a Threat to Democracy? », Globe and Mail, 19 octobre 2017 (traduction libre). 27 Mason, « Politics has become a thankless, dangerous job ». 28 Ibid. 29 « Stop Talking about Fixing Government, Just Do It, Public Says », Ottawa Citizen, 21 avril 2006. 30 Donald J. Savoie, La démocratie au Canada : l’effritement de nos institutions (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2019), 327. 31 Donald J. Savoie, The Politics of Public Spending in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1990), 174. 32 Kathryn May, « Canadians lack faith in upper ranks of public service: survey », Ottawa Citizen, 7 septembre 2016. 33 Voir Patrick Diamond, The End of Whitehall? Government by Permanent Campaign (Londres : Palgrave Macmillan, 2018). 34 Savoie, La démocratie au Canada, et Marco Vigliotti, « Public service population grows by 4.6% in 2018-19 », iPolitics, 7 février 2020. 35 Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielles au Canada, Gouvernement du Canada, Patrimoine canadien, 2021, https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/organisation/publications/ publications-generales/egalite-langues-officielles.html. 36 Voir, par exemple, « Bill 96 – Top 10 Impacts of the Revised Charter of the French Language on Your Business and When to Expect Implementation of Such Revisions », McMillan, 19 mai 2021 (traduction libre). 37 Ian Bailey, « Parliament passes Bloc motion supporting Quebec’s constitutional plan », Globe and Mail, 16 juin 2021 (traduction libre). 38 Ces renseignements sont tirés d’un courriel du qcgN envoyé à l’auteur le 21 septembre 2021 (traduction libre). 39 Clifford Lincoln, « Opinion – Where can English-speaking Quebecers turn now? », Montreal Gazette, 26 mai 2021 (traduction libre). 40 Le document préparé par Marlene Jennings a été rendu disponible par le qcgN en juillet 2021 (traduction libre). 41 Andrew Coyne, « Mere symbolism? Simple statements of fact? In a constitution, there’s no such thing », Globe and Mail, 21 mai 2021 (traduction libre).

Notes des pages 214-217

351

42 Marilyn Barber et Paul-François Sylvestre « Question des écoles de l’Ontario », L’Encyclopédie canadienne, 7 février 2006. 43 « L’Ontario présente ses excuses pour l’adoption d’un règlement en 1912 sur le français dans les écoles », Cabinet du premier ministre, Gouvernement de l’Ontario, 22 février 2016. 44 « Manitoba Schools Act 1890 », A Country by Consent, s.d, http:// canadahistoryproject.ca/1890/index.html. 45 Peter M. Toner, « The New Brunswick Schools Question », ccha , vol. 37 (1970), 85-95. 46 Voir, entre autres, Richard Wilbur, The Rise of French in New Brunswick (Halifax : Formac, 1989). 47 John Ibbitson, « Rural-urban divide now beats all others, risking populist backlash », Globe and Mail, 9 décembre 2018 (traduction libre). 48 Voir, par exemple, Tom Spears, « How Ontario is failing its rural residents – and why it matters », Ottawa Citizen, 9 septembre 2016. 49 State of Rural Canada 2015 (Alberta : Fondation canadienne pour la revitalisation rurale, 2015), 2-3. 50 « Défi des villes intelligentes », Gouvernement du Canada, Infrastructure Canada, s.d. https://www.infrastructure.gc.ca/cities-villes/index-fra.html. 51 Voir, par exemple, Changements démographiques dans le secteur canadien de l’agriculture, Gouvernement du Canada, Statistique Canada, 18 février 2014, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/96-325-x/2014001/ article/11905-fra.pdf. 52 Voir « Centre de développement économique et rural », Gouvernement du Canada, Infrastructure Canada, https://www.infrastructure.gc.ca/rural/ cenred-fra.html. 53 Possibilités rurales, prospérité nationale : une stratégie de développement économique du Canada rural, Gouvernement du Canada, Infrastructure Canada, juin 2019, https://www.infrastructure.gc.ca/rural/strat-fra. html. 54 « Lettre de mandat de la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et du Développement économique rural », Gouvernement du Canada, Cabinet du premier ministre, 13 décembre 2019, https://pm.gc.ca/fr/ lettres-de-mandat/2019/12/13/archivee-lettre-de-mandat-de-la-ministredes-femmes-et-de-legalite-des. 55 « Newfoundland and Labrador mP s O’Regan, Hutchings, tapped in Trudeau’s cabinet », Saltwire, 26 octobre 2021, https://www.saltwire.com/ atlantic-canada/news/newfoundland-and-labrador-mps-oregan-hutchingstapped-in-trudeaus-cabinet-100650227/.

352

Notes des pages 218-222

56 Voir, par exemple, L’accès aux services à large bande en milieu rural au Canada : la connectivité, source de dynamisme pour les collectivités (Ottawa : Fédération canadienne des municipalités, 2014). 57 Rapport sur la compétitivité mondiale 2019 (Genève : Forum économique mondial, 2019), chapitre 2. 58 Daniel Tencer, « Most Competitive Economies Ranking Puts Canada Ahead of U.S. for 1st Time », Huffington Post, 6 juin 2020. 59 Emily Badger, « How the Rural-Urban Divide Became America’s Political Fault Line », The New York Times, 21 mai 2019. 60 « Global patterns of urbanisation since 1945 », Cool Geography, s.d., https://www.coolgeography.co.uk/advanced/Global_patterns_ urbanisation_since_1945.php#:~:text=The%20highest%20rates%20 of%20urbanisation,catching%20up%20with%20other%20areas. 61 Voir, par exemple, Pauvreté et exclusion sociale dans les zones rurales (Bruxelles : Commission européenne, 2008). 62 Recensement de la population de 2016 (Ottawa : Statistique Canada, 2016). 63 Rebecca M. Blank et Maria J. Hanratty, « Responding to Need: A Comparison of Social Safety Nets in Canada and the United States », dans David Card et Richard B. Freeman (dir.), Small Differences That Matter: Labour Market and Income Maintenance in Canada and the United States (Chicago : University of Chicago Press, 1993), chapitre 6. 64 Raymond B. Blake a fait ce commentaire dans « Regional and Rural Development Strategies in Canada: The Search for Solutions » (St. John’s : Royal Commission on Reviewing and Strengthening Our Place in Canada, 2003), 190.

c ha P It r e Ne U f

1 2

3 4

Les amateurs de musique populaire reconnaîtront le titre de la chanson de B.J. Thomas, enregistrée en 1974. Voir, entre autres, « Ottawa to apologize for racist treatment of all-Black First World War battalion in 2022 », Global News, 10 juillet 2021. Anthony Germain, « Who’s sorry now? A tale of 2 Trudeaus and their approach to historical wrongs », cbc News-Nfld. & Labrador, 25 novembre 2017. « Chinese community gets apology from B.c. for historical wrongs », cbc News-British Columbia, 15 mai 2014 (traduction libre). Voir, par exemple, « A timeline of official apologies from the federal government », National Post, 23 mai 2019.

Notes des pages 222-227

353

5 Canada, Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 32e Législature, 2e session, vol. 4, 29 juin 1984, 5308. 6 Michael Tager, « Apologies to Indigenous Peoples in Comparative Perspective », International Indigenous Policy Journal, vol. 5, no 4 (octobre 2014), 11. 7 Ibid., 3. 8 Ibid., 5-7. 9 Zainab Al-Mehdar, « Canada Day a cause for reflection, redoubling reconciliation efforts, say mP s, Senators », Hill Times, 30 juin 2021 (traduction libre). 10 La Presse canadienne, « La fête du Canada devrait être un moment de réflexion, dit Trudeau », Radio-Canada Info, 26 juin 2021, https://ici. radio-canada.ca/nouvelle/1804651/fete-canada-pensionnat-autochtonetrudeau. 11 « Jour férié fédéral : Journée nationale de la vérité et de la réconciliation », Gouvernement du Canada, Défense nationale, 20 juillet 2021, https:// www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/feuille-derable/defense/ 2021/07/jour-ferie-federal-journee-nationale-de-la-verite-et-de-lareconciliation.html. 12 Norbert Cunningham, « It’s time for a redefined Canadian nationalism », Times and Transcript, 2 juillet 2021, A9 (traduction libre). 13 « Slavery and the British transatlantic slave trade », Gouvernement du Royaume-Uni, The National Archives, s.d., https://www.nationalarchives. gov.uk/help-with-your-research/research-guides/british-transatlantic-slavetrade-records/. 14 « Remembering that Napoleon reinstated slavery in France », DW, 5 avril 2021,https://www.dw.com/en/remembering-that-napoleon-reinstated-slaveryin-france/a-57408273. 15 Jean-Marie Desport, De la servitude à la liberté : Bourbon, des origines à 1848 (Paris : FeniXX réédition numérique, 1988). 16 Neil Bhutta, Andrew C. Chang, Lisa J. Dettling et Joanne W. Hsu, « Disparities in Wealth by Race and Ethnicity in the 2019 Survey of Consumer Finances », Federal Reserve Board-fedS Notes, 28 septembre 2020. 17 Charles T. Clark, « Column: Reparations, apologies and the absurdity of “it happened a long time ago” », The San Diego Union-Tribune, 5 février 2021. 18 Mark Medish et Daniel Lucich, « Congress must officially apologize for slavery before America can think about reparations », nbc News, 30 août 2019.

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Notes des pages 227-231

19 Helena G. Allen, The Betrayal of Liliuokalani: Last Queen of Hawaii 1838-1917 (Hawaï : Mutual Publishing, 1991). 20 « Annexation of Hawaii, 1898 », U.S. Department of State Archive, s.d., https://2001-2009.state.gov/r/pa/ho/time/gp/17661.htm (traduction libre). 21 Voir, par exemple, Lorenzo Meyes, « The United States and Mexico: The Historical Structure of Their Conflict », Journal of International Affairs, vol. 43, no 2 (hiver 1990), 251-271. 22 Cité dans Joel Zapata, « Invading other countries to “help” people has long had devastating consequences », The Washington Post, 10 septembre 2021 (traduction libre). 23 Shashi Tharoor, Inglorious Empire: What the British Did to India (Londres : Hurst, 2017), 217 (traduction libre). 24 Voir Matthew Smith, « How unique are British attitudes to empire? », YouGov, 11 mars 2020 (traduction libre), et « Jallianwala Bagh Massacre », Britannica, s.d., https://www.britannica.com/event/JallianwalaBagh-Massacre. 25 Smith, « How unique are British attitudes to empire? ». 26 « UK “deeply regrets” Amritsar massacre – but no official apology », The Guardian, 13 avril 2019. 27 Angelique M. Davis, « Apologies, Reparations, and the Continuing Legacy of the European Slave Trade in the United States », Journal of Black Studies, vol. 15, no 45 (mai 2014), 271-286. 28 Theodore R. Johnson, « How to Apologize for Slavery: What the U.S. can learn from West Africa », The Atlantic, 6 août 2014. 29 Dalia Sussman, « Poll: Americans Divide Over Slavery Apology », abc News, 12 juillet 2000. 30 Maighna Nanu, « Britain Doesn’t Need To Apologise For Its Colonial Past – It Needs To Acknowledge It », Huffington Post, 22 novembre 2019. 31 « A sorry saga: Obama signs Native American apology resolution; fails to draw attention to it », Indian Country Today, Indian Law Resource Center, 13 janvier 2010. 32 Andrew Hay, « As Petito case captivates U.S., missing Native women ignored », Reuters, 22 septembre 2021, et Garet Bleir, Anya Zoledziowski et l’équipe de News21, « Murdered and missing Native American women challenge police and courts », The Center for Public Integrity, 27 août 2018. 33 Danny Lewis, « Five Times the United States Officially Apologized », Smithsonian Magazine, 27 mai 2016 (traduction libre). 34 « “No repentance nor apologies” for colonial abuses in Algeria, says Macron », France 24, 20 janvier 2021, https://www.france24.com/

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en/france/20210120-no-repentance-nor-apologies-for-colonial-abuses-inalgeria-says-macron. Voir aussi Julie Fette, « Apology and the Past in Contemporary France », French Politics, Culture & Society, vol. 26, no 2 (été 2008), 78-109. Cité dans Sylvie Corbet, « Black scholar: It’s time France confronts its colonial past », Associated Press-U.S. News, 13 mars 2021. « Pour Emanuel Macron, le “colonialisme a été une erreur profonde, une faute de la République” », Le Monde, 23 décembre 2019. France, Assemblée nationale, loi no 2001-434, art. 1, cité dans Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter, tome 1, 99. « Macron seeks forgiveness for France’s role in Rwanda genocide, but stops short of apology », cnn , 27 mai 2021. Cité dans « Guerre d’Algérie : ce qu’il faut retenir du rapport Stora remis aujourd’hui à Emmanuel Macron », Franceinfo : Afrique, 20 janvier 2021. Daniel Howden et Kim Sengupta, « 59 years late – but Mau Mau accept an almost apology », Independent, 7 juin 2013. Caroline Davies, « Tony Blair’s apology for Irish famine written by aides, papers reveal », The Guardian, 20 juillet 2021, https://www.theguardian. com/world/2021/jul/20/tony-blairs-apology-for-irish-famine-written-byaides-papers-reveal (traduction libre), et Darragh Roche, « It’s time for the Queen to apologise for the British Empire », The London Economic, 4 juillet 2020. Jon Stone, « Boris Johnson said colonialism in Africa should never have ended and dismissed Britain’s role in slavery », Independent, 13 juin 2020 (traduction libre). Voir, par exemple, Borja Martinovic, Karen Freihorst et Magdalena Bobowik, « To Apologize or to Compensate for Colonial Injustices? The Role of Representations of the Colonial Past, Group-Based Guilt and In-Group Identification », International Review of Social Psychology, vol. 34, no 1 (2021), 1-14. Afua Hirsch, « The case for British slavery reparations can no longer be brushed aside », The Guardian, 9 juillet 2020. Craig W. Blatz, Karina Schumann et Michael Ross, « Government Apologies for Historical Injustices », Political Psychology, vol. 30, no 2 (avril 2009), 227. Nanu, « Britain Doesn’t Need To Apologise For Its Colonial Past » (traduction libre).

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Notes des pages 234-241

47 Blatz, Schumann et Ross, « Government Apologies for Historical Injustices », 237 (traduction libre). 48 « A timeline of official apologies from the federal government ». 49 Voir Douglas Todd, « Idea of Apology Splits Italian Canadians », Vancouver Sun, 25 août 2021. 50 Jessica Murphy, « Does Justin Trudeau apologise too much? », bbc News, 28 mars 2018. 51 Patrick Belanger, Kara Gilbert et Tom Goodnight, « The Apologies of Australia, Canada and the United States to Historically Subjugated Peoples: On argumentation, reconciliation, and forgiveness », communication présentée à la conférence de l’Ontario Society for the Study of Argumentation, 2009, 2. 52 Blatz, Schumann et Ross, « Government Apologies for Historical Injustices », 229. 53 Peter Russell, Canada’s Odyssey: A Country Based on Incomplete Conquests (Toronto : University of Toronto Press, 2017), 19 (traduction libre).

c h aP I t r e dI x 1 Cité dans Canada, Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes, 39e Législature, 2e session, vol. 142, no 018, 16 novembre 2007, 973, et Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes, 25e Législature, 1re session, vol. 3, 4 février 1962, 3537. 2 Donald J. Savoie, La démocratie au Canada : l’effritement de nos institutions (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2019). 3 Margaret Conrad, Alvin Finkel et Donald Tyson, History of the Canadian Peoples, vol. 1 : Beginnings to 1867 (Toronto : Copp Clark Pitman, 1993). 4 « mP s are “nobodies” on the Hill, “like pawns in a chess game”: Franks », Hill Times, 12 mai 2008. 5 Voir Richard Albert, « The Difficulty of Constitutional Amendment in Canada », Alberta Law Review, vol. 53, no 1 (2015), 85-113. 6 Loi de 1867 sur l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30-31 Victoria, ch. 11 (r.-U. ), https://canada.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/constitution/ loireg-lawreg/p1t14.html. 7 Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1907, 7 Édouard VII, ch. 11 (r.-U. ), https://canada.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/constitution/ loireg-lawreg/p1t141.html. 8 Pour un excellent examen des transferts fédéraux, voir Trevor Tombe, « Final and Unalterable – But Up for Negotiation: Federal-Provincial

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Transfers in Canada », Canadian Tax Journal, vol. 66, no 4 (2018), 871-917. Pour une excellente description de l’évolution du rôle du gouvernement dans l’émergence de l’État providence, voir Robert B. Bryce, Maturing in Hard Times: Canada’s Department of Finance Through the Great Depression (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1986), chapitres 8, 9 et 10. Voir, par exemple, J.L. Granatstein, The Ottawa Men: The Civil Service Mandarins, 1935-1957 (Toronto : Oxford University Press, 1982). Bryce, Maturing in Hard Times, chapitres 9 et 10. Je mentionne que, selon certains observateurs, le problème d’Ottawa était son refus ou son absence de volonté d’agir. Voir, par example, Edward Whitcomb, « Rethinking the Great Depression », Literacy Review of Canada, vol. 22, no 5 (juin 2014). Canada, Rapport de la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces, vol. 1 (Ottawa : Imprimeur du Roi, 1940), cité dans « Commission royale d’enquête sur les relations fédéralesprovinciales », L’Encyclopédie canadienne, 7 février 2006. Carman Miller, « The 1940s: War and Rehabilitation », dans E.R. Forbes et D.A. Muise (dir.), The Atlantic Provinces in Confederation (Toronto : University of Toronto Press, 1993), 326 (traduction libre). Donald V. Smiley, « Public Administration and Canadian Federalism », Canadian Public Administration, vol. 7, no 3 (septembre 1964), 377 (traduction libre). Ibid., 372 (traduction libre). Ronald L. Watts, The Spending Power in Federal Systems: A Comparative Study (Kingston : Queen’s University, Institut des relations intergouvernmentales, 1999). Voir, par exemple, Donald J. Savoie, Federal-Provincial Collaboration: The Canada-New Brunswick General Development Agreement (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1981), et Richard Saillant, Deux pays : le Canada à l’ère du Grand Déséquilibre démographique (Halifax : Nimbus, 2016), 148. Ibid. Donald J. Savoie, The Politics of Public Spending in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1990), 1. « Head waiter to the provinces », s.d., https://www.parli.ca/headwaiter-provinces (traduction libre). « Justin Trudeau is acting as “head waiter to the provinces” », Toronto Star, 3 juin 2021.

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Notes des pages 245-252

23 Savoie, Federal-Provincial Collaboration, chapitre 6. 24 Richard Simeon a expliqué les ressemblances entre les deux dans FederalProvincial Diplomacy: The Making of Recent Policy in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 1972). 25 Voir Donald J. Savoie, Breaking the Bargain: Public Servants, Ministers, and Parliament (Toronto : University of Toronto Press, 2003). 26 « Ottawa announces $6B transfer to Quebec aimed at strengthening child care », cbc , 5 août 2021. 27 « Garderies : l’argent au cœur de la dispute entre Ottawa et l’Ontario », Info Radio-Canada, 12 octobre 2021. 28 Akhil Reed Amar, America’s Constitution: A Biography (New York : Random House, 2012) (traduction libre). 29 Arthur Gunlicks, The Länder and German Federalism (Manchester : Manchester University Press, 2003), 53-55. 30 Ibid., 62-65. 31 « Germany afd : How far right caused political earthquake », 6 février 2020, https://www.bbc.com/news/world-europe-51400153. 32 Confidence in Democracy and the Political System: An Update on Trends in Public Opinion in Canada – Report (Toronto : Environics, 11 septembre 2019), 4. 33 « Two-thirds of Indigenous people don’t feel respected in Canada, according to pre-election survey », cbc News, 1er juillet 2019. 34 Keith Neuman, « Canadians’ confidence in national institutions steady », Options politiques, 2 août 2018. 35 Les résultats du sondage sont cités dans Confidence in Democracy and the Political Systems, 10. 36 Cité dans « Identité canadienne », L’Encyclopédie canadienne, dernière modification 4 décembre 2019. 37 Confidence in Democracy, 10. 38 Will Kymlicka, « Citizenship, Communities and Identity in Canada », dans James Bickerton et Alain-G. Gagnon (dir.), Canadian Politics (Toronto : University of Toronto Press, 2009), 23-44. 39 Voir ibid., 32. 40 What makes us Canadian? A study of values, beliefs, priorities and identity (Toronto : Angus Reid Institute, 3 octobre 2016). 41 Keith Banting et Will Kymlicka, « Canadian Multiculturalism: Global Anxieties and Local Debates », British Journal of Canadian Studies, vol. 23, no 1 (2010), 59. 42 « No one considers Canada’s immigration record to be a big deal, and that’s remarkable », Globe and Mail, 22 octobre 2021.

Notes des pages 252-265

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43 Voir, par exemple, Identité canadienne, 2013 (Ottawa : Statistique Canada, 1er octobre 2015), 12. 44 J’ai présenté cet argument dans mon premier livre, Federal-Provincial Collaboration: The Canada-New Brunswick General Development Agreement (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1981). 45 « Federal government asked Canadians if they’re “comfortable” with lgBt people », Global News, 28 décembre 2019. 46 « Mariage entre conjoints de même sexe au Canada », L’Encyclopédie canadienne, 21 septembre 2016.

c ha P It r e oN ze 1 John L. (Jack) Manion était un bon ami à moi. Il a fait ce commentaire lors d’un entretien privé, alors que j’étais le directeur associé du Centre canadien de gestion (traduction libre). 2 John Mack Faragher, A Great and Noble Scheme: The Tragic Story of the Expulsion of the French Acadians from Their American Homeland (New York : W.W. Norton & Company, 2005), 349. 3 « The other quiet revolution », Maclean’s, 1er avril 1967 (traduction libre). 4 Donald J. Savoie, Se débrouiller par ses propres moyens : le développement économique dans les Maritimes (Halifax : Nimbus, 2017). 5 « The Moncton Miracle: Bilingual Phone Chat », The New York Times, 17 juillet 1994, section 3, 4. 6 Ernest R. Forbes, « In Search of a Post-Confederation Maritime Historiography 1900-1967 », dans D.J. Bercuson et P.A. Buckner (dir.), Eastern and Western Perspectives (Toronto : University of Toronto Press, 1981), 48-49. 7 Donald J. Savoie, Visiting Grand Children: Economic Development in the Maritimes (Toronto : University of Toronto Press, 2006). 8 Richard Saillant, Deux pays : le Canada à l’ère du Grand Déséquilibre démographique (Halifax : Nimbus, 2016). 9 Voir, entre autres, Thomas Courchene, « A Market Perspective on Regional Disparities », Analyse de politiques, vol. 7, no 4 (automne 1981), 506-508. 10 « Strong Growth Despite the Pandemic », Halifax Partnership, 2021, https://halifaxpartnership.com/research-strategy/halifax-index-2021/ people/. 11 « Population Report, Second Quarter 2021 », PEI Population Report Quarterly, Gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard, s.d., https://www.

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Notes des pages 265-271

princeedwardisland.ca/fr/information/finance/pei-population-reportquarterly. Voir, parmi plusieurs autres, Savoie, Se débrouiller par ses propres moyens. Canada, Estimations de la population, trimestrielles (Ottawa : Statistique Canada, 2021), https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv. action?pid=1710000901&request_locale=fr, et David Parkinson, « Atlantic Canada grapples with pandemic-fuelled population boom », Globe and Mail, 7 octobre 2021. Voir, entre autres, Report Card (Halifax : Conseil économique des provinces de l’Atlantique, janvier 2017). Voir, par exemple, « Nova Scotia Economic Indicators », Gouvernement de la Nouvelle-Écosse, Finances et Conseil du Trésor, septembre 2021, https://novascotia.ca/finance/statistics/topic.asp?fto=23w. « Stage Set for a Swifter Economic Recovery in the Maritime Provinces,” Banque TD, 19 avril 2021, https://economics.td.com/ca-maritimeeconomies. « Fair Representation », 23 novembre 2007, www.premier.gov.on.ca. Gouvernement du Canada, Le budget de 2007 – Viser un Canada plus fort, plus sécuritaire et meilleur (Ottawa : Ministère des Finances, 19 mars 2007), 7, et Gouvernement du Québec, Les programmes de transferts fédéraux aux provinces (Québec : Commission sur le déséquilibre fiscal, 2001), 8. Voir, par exemple, Erich Hartmann et Jordann Thirgood, Mind the Gap: Ontario’s Persistent Net Contribution to the Federation (Toronto : Mowat Centre, 2017). Trevor Tombe, « “Final and Unalterable” – But Up for Negotiation: Federal-Provincial Transfers in Canada », Canadian Tax Journal, vol. 66, no 4 (2018), 871. Le refus des provinces du Centre et de certaines provinces de l’Atlantique d’appuyer la réforme du Sénat en offre un autre exemple. « Aperçu économique », Gouvernement du Canada, 2018, https://www. wd-deo.gc.ca/fra/243.asp. Andrew Coyne, « The fatal flaw in the Alberta sovereignty fantasy: people want to live in a law-based state », Globe and Mail, 1er octobre 2021 (traduction libre). « Is it time to move Ottawa out of Ottawa? », The Conversation, 24 mai 2021, https://theconversation.com/is-it-time-to-move-ottawa-out-ofottawa-159409, et Mark Robbins, « The long road to a distributed federal public service,” Options politiques, 13 août 2020.

Notes des pages 272-278

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25 « Répartition des sièges à la Chambre des communes par province de 2022 à 2032 », Élections Canada, 15 octobre 2021, https://www.elections. ca/content.aspx?section=res&dir=cir/red/allo&document=index&lang=f. 26 Voir, par exemple, Steven Blaney, « Davie shipyard funding more equitable since 2015, but long-term contracts needed for stability, say experts », Hill Times, 17 février 2021. 27 Ibid. 28 Ibid. 29 « Ottawa, Quebec back $2 billion investment in aerospace industry », Globe and Mail, 15 juillet 2021. 30 Mark Milke, « Bombardier and Canada’s corporate welfare trap » (Vancouver : Institut Fraser, s.d.). 31 Maryse Potvin, « Some Racist Slips about Quebec in English Canada Between 1995 and 1998 », Canadian Ethnic Studies, vol. 32, no 2 (été 2000), 24. 32 Chantal Hébert, « Bouchard exhorte Québec à se méfier du “traquenard Meech” », Le Devoir, 23 mai 1990, 1. 33 Canada, Statistique Canada, caNSIm 36-10-0450-01. 34 D’autres, comme moi, posent aussi la question. Voir Robert Asselin, « Who will speak for Canada? », The Hub, 28 septembre 2021, https:// thehub.ca/2021-09-28/robert-asselin-decline-is-a-self-fulfilling-prophecycanada-should-embrace-ambition/. 35 Immigrants d’expression française à l’exterieur du Québec (Ottawa: Commissariat aux langues officielles, 18 septembere 2000). 36 « Wage gap between male, female equity partners at top law firm averages $371,596 », Globe and Mail, 30 septembre 2021. 37 Lara Zink et Katie Squires-Thompson, « Companies, get your pay equity act together », Globe and Mail, 1er août 2021. 38 Carol Agocs, « Affirmative Action, Canadian Style: A Reconnaissance », Analyse de politiques, vol. 12, no 1 (1986), 148-162. 39 Shanifa Nasser et Farrah Merali, « Enough is enough: Black civil servants vow to press on with discrimination suit as Liberals promise change », cbc News, 16 septembre 2021 (traduction libre). 40 « Canadian government must act to end anti-Black racism in public service, advocates say », Global News, 2 mai 2021. 41 Laura Ryckewaert, « Indigenous public servants pursue class-action lawsuit against feds for harassment, discrimination in workplace », Hill Times, 29 septembre 2021, 16-17. 42 Johanna R. Vollhardt, « Introduction », dans Johanna R. Vollhardt (dir.), The Social Psychology of Collective Victimhood: Examining Context,

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Notes des pages 278-288

Power, and Diversity in Experiences of Collective Victimization (New York : Oxford University Press, 2020), 2. 43 Ibid.

c h aP It r e do U ze 1 Laura Osman, « Residents of Saugeen First Nation given expired covId-19 Pfizer vaccine for weeks », Globe and Mail, 24 septembre 2021. 2 Cité dans Maxime Laporte, « Un bien triste 27 novembre », HuffPost Québec, 27 novembre 2015, https://www.huffpost.com/archive/qc/entry/ un-bien-triste-27-novembre_b_8651990. 3 « 7 N.B. communities among Canada’s poorest », cbc News, 23 février 2010. 4 Canada, Budget des dépenses 2021-2022, https://www.canada.ca/ content/dam/tbs-sct/documents/planned-government-spending/mainestimates/2021-22/2021-22-budget-depenses-fra.pdf. 5 Je pense, par exemple, aux agences fédérales de développement régional. 6 Voir « Le point sur les progrès du gouvernement du Canada pour améliorer l’accès à l’eau potable dans les communautés des Premières Nations » (Ottawa-Gatineau : Services aux Autochtones Canada, 17 mai 2021). 7 Conseil des Canadiens, Safe Water for First Nations (Ottawa : Conseil des Canadiens, 2021). 8 G. Becker, « Human Capital and Poverty Alleviation » (Washington : Banque mondiale, Développement des ressources humaines et politique opérationnelle, document de travail, 1995), 1 (traduction libre). 9 Fred Wien, Rebuilding the Economic Base of Indian Communities: The Micmac in Nova Scotia (Montréal : Institut de recherche en politiques publiques, 1986). 10 Voir, entre autres, Bob Joseph, 21 Things You May Not Know About the Indian Act (Port Coquitlam : Indigenous Relations Press, 2018). 11 Voir, entre autres, Sally M. Weaver, Making Canadian Indian policy: the hidden agenda 1968-70 (Toronto : University of Toronto Press, 1981). 12 Ibid. 13 Cité dans Canada, Journal des débats de la Chambre des communes, vol. 34, no 132, 35e Législature, 2e session, 18 février 1997, 8255. 14 Canada, La politique indienne du gouvernement du Canada, 1969 (Ottawa : Ministère des Affaires indiennes et du Nord, 1969), 6, 7 et 8.

Notes des pages 288-295

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15 William Johnson, « Indians and the Just Society », Globe and Mail, 24 juin 2009 (traduction libre). 16 « Augustine sought to instill confidence in native youth across the province », Daily Gleaner, (Fredericton), 16 novembre 2010 (traduction libre). 17 Voir les divers rapports accessibles sur le site Web www.membertou.ca. 18 John DeMont, « Activist on Trial », Maclean’s, 3 mai 1999 (traduction libre). 19 Cité dans ibid. (traduction libre). 20 « Noah Augustine found not guilty », cbc News-Canada, 30 avril 1999. 21 Cité dans « Augustine sought to instill confidence » (traduction libre). 22 « Message du premier ministre à la suite de l’annonce du décès de l’ancien chef de la Première Nation de Metepenagiag », communiqué (Fredericton, Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 15 novembre 2010). 23 « Déclaration de condoléances – Noah Augustine, ancien chef de la Première Nation de Metepenagiag », communiqué (Ottawa, Gouvernement du Canada, 15 novembre 2010). 24 Délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, deuxième session de la quarantième législature, 2009, fascicule no 19, 28 octobre 2009, 35 et 37. 25 Le gouvernement fédéral s’est engagé à reconnaître le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en août 1995 et en a décrit plusieurs principes. Voir Jill Wherrett, L’autonomie gouvernementale des Autochtones (Ottawa : Bibliothèque du Parlement, Division des affaires politiques et sociales, 17 juin 1999), 11. 26 Joseph P. Kalt, « Souveraineté et développement économique des réserves : quelques leçons des États-Unis », dans Un partage garant d’autonomie (Ottawa : Rapport de la Table ronde nationale sur le développement économique et les ressources, 1993), 37. 27 Canada, Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones (Ottawa : Ministère de la Justice et Procureur général du Canada, 2018). 28 Wherrett, L’autonomie gouvernementale des Autochtones, 7. 29 Canada, L’approche du gouvernement du Canada concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie (Ottawa : Ministère de la Justice, s.d.), 16. 30 William B. Henderson, « Autonomie gouvernementale des Autochtones », L’Encyclopédie canadienne, 4 décembre 2020.

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Notes des pages 296-303

31 Thomas J. Courchene, « Aboriginal Self-Government in Canada », Papers on Parliament (Canberra), no 21 (1993), 1 (traduction libre). 32 Canada, « Le gouvernement du Canada dépose un projet de loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », communiqué (Ottawa : Ministère de la Justice, 3 décembre 2020). 33 Coral Dow et John Gardiner-Garden, Indigenous Affairs in Australia, New Zealand, Canada, United States of America, Norway and Sweden (Canberra : Parliamentary Library, 1998). 34 Katie Saulnier, Aboriginal Self-Determination: A Comparative Study of New Zealand, Australia, and the United States of America (Ottawa : Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et Institut d’étude du développement international, Université McGill, 2014), et Alison Vivian et coll., « Indigenous Self-Government in the Australian Federation », Australian Indigenous Law Review, vol. 20 (2017), 215-242. 35 Partenaires au sein de la Confédération : les peuples autochtones, l’autonomie gouvernementale et la Constitution (Ottawa : Commission royale sur les peuples autochtones, 1993). 36 Linking Indigenous Communities with Regional Development in Canada (Paris : ocde , 2020), chapitre 3. 37 Courchene, « Aboriginal Self-Government », 3. 38 Ian Bailey, « Politics Briefing: Pallister apologizes for remarks on Canadian history, reconciliation », Globe and Mail, 3 août 2021 (traduction libre). 39 Pierre Philippe LeBlanc et Nadia Gaudreau, « L’expression “territoire non cédé” interdite aux employés provinciaux du N.-B . », ici NouveauBrunswick, 15 octobre 2021. 40 « Canadians deeply divided on Indigenous issues: Poll », aptn National News, 11 juin 2018. 41 Vanessa Minke-Martin, « The Long, Expensive Fight for First Nations’ Fishing Rights », Hakai magazine, 23 octobre 2020. 42 « For Acadian fisherman, early Mi’kmaq fishery in N.S. bay can “never” be respected », Global News, 23 octobre 2020. 43 Paul Withers, « “Moderate livelihood” fishermen must operate during commercial season, dfo says », cbc News-Nova Scotia, 3 mars 2021. 44 Linda Pannozzo, « In Search of Common Ground: An interview with Arthur Bull about the lobster fishery crisis in St. Mary’s Bay », Halifax Examiner, 1er novembre 2020. 45 Un Canadien sur trois croit qu’Ottawa alloue trop de ressources aux questions autochtones. Voir « Truths of reconciliation: Canadians are

Notes des pages 303-309

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deeply divided on how best to address Indigenous issues », Angus Reid Institute, 7 juin 2018. Richard Foot, « 80 First nations politicians make more than Pm  », Global News, 22 novembre 2010, et « $267,309 tax-free: Chief of 90-member B.c. First Nation may be Canada’s highest paid politician », National Post, 13 août 2015. Loi sur l’autonomie gouvernementale des premières nations du Yukon, l.c. 1994, ch. 35, CanLII, https://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/ lc-1994-c-35/derniere/lc-1994-c-35.html. Voir, entre autres, Gurston Dacks, « Implementing First Nations SelfGovernment in Yukon: Lessons for Canada », Revue canadienne de science politique, vol. 37, no 3 (septembre 2004), 671-694. Julien Gignac, « Curing the “colonial hangover”: how Yukon First Nations became trailblazers of Indigenous governance », Initiative de journalisme local, 30 janvier 2021. Ibid. et « Yukon First Nations’ “leading-edge” self government agreements, 25 years in », cbc News-North, 15 février 2020. « Understanding the Treaty », Nisga’a Lisims Government, septembre 1998. Murray Sinclair, cité dans « Murray Sinclair on reconciliation, anger, unmarked graves – and a headline for this story », Maclean’s, 18 août 2021 (traduction libre).

é P I l o gUe 1 Frank McKenna m’a fait ce commentaire lors d’une partie de golf en juillet 2021. 2 D’autres ont exprimé un point de vue semblable. Voir, par exemple, « Being as Canadian as possible, under the circumstances », Globe and Mail, 1er septembre 2007. 3 Will Kymlicka a fait valoir le même argument dans « Being Canadian », Government and Opposition, vol. 38, no 3 (2003), 357. 4 Voir, entre autres, 2019 Survey of Canadians: Canada: Pulling Together or Drifting Apart – Final Report (Toronto : Environics Institute, avril 2019). 5 Voir, par exemple, « Canada is the No. 1 Country in the World, According to the 2021 Best Country Report », Wharton University of Pennsylvania News, 13 avril 2021, https://news.wharton.upenn.edu/ press-releases/2021/04/canada-is-the-no-1-country-in-the-world-accordingto-the-2021-best-countries-report/.

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Notes des pages 311-315

6 Voir « Public Trust in Government:1958-2022 », Pew Research Center, 6 juin 2022. 7 La série de trois émissions a été diffusée en 2011 et conçue par le professeur Matthew Flinders. Elle s’intitulait In Defence of Politics, BBc Radio 4, s.d. (traduction libre). 8 Frank Graves, cité dans Alison Loat et Michael MacMillan, Tragedy in the Commons: Former Members of Parliament Speak Out About Canada’s Failing Democracy (Toronto : Vintage Canada, 2015), 33. 9 David Runciman fait valoir le même argument dans « Why replacing politicians with experts is a reckless idea », The Guardian, 1er mai 2018. 10 Cité dans « Teddy Roosevelt’s Man In The Arena Speech », WorldAtlas, s.d. 11 Matthew Flinders, « In Defence of Politics », The Political Quarterly, vol. 81, no 3 (juillet-septembre 2010), 315. 12 Tony Wright, « Doing Politics Differently », The Political Quarterly, vol. 80, no 3 (juillet-septembre 2009), 321 (traduction libre). 13 Thomas Piketty, Capital and Ideology (Cambridge : The Belknap Press of Harvard University Press, 2020). 14 Gerry Nicholls, « The politics of vacation shaming », Hill Times, 17 août 2022, https://www.hilltimes.com/2022/08/17/the-politics-ofvacation-shaming/377863, et « Justin Trudeau slammed for taking a twoweek family vacation to Costa Rica », Daily Hive, 2 août 2022, https:// dailyhive.com/vancouver/justin-trudeau-family-vacation-costa-rica? auto=true. 15 James Madison, « The Utility of the Union as a Safeguard against Domestic Faction and Insurrection », The Federalist Papers, no 1, Daily Advertiser (New York), 22 novembre 1787 (traduction libre). 16 Emily Tamkin, « Why American democracy is under threat », The New Statesman, 22 juillet 2021. 17 Courtney Vinopal, « 2 out of 3 Americans believe U.S. democracy is under threat », PBS , 2 juillet 2021. 18 Michael Valpy, « Populist anger is real, and Canada had better wake up », Globe and Mail, 13 mars 2017. 19 Richard Raycraft, « People’s Party makes vote gains but doesn’t win a seat », cbc News-Politics, 20 septembre 2021. 20 Tom Nichols, Our Own Worst Enemy: The Assault from Within Our Modern Democracy (Oxford : Oxford University Press, 2021), 187 (traduction libre).